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Revue de droit comparé du travail et de la
sécurité sociale
 
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Droits du travail et systèmes nationaux de protection
sociale
 au prisme de la crise sanitaire. Adaptations ou
changements
 profonds ?
Introduction
Loïc Lerouge
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rdctss/2107
DOI : 10.4000/rdctss.2107
ISSN : 2262-9815
Éditeur
Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale
Édition imprimée
Date de publication : 1 novembre 2021
Pagination : 6-11
ISSN : 2117-4350
Référence électronique
Loïc Lerouge, « Introduction », Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [En ligne], 3 |
2021, mis en ligne le 01 novembre 2021, consulté le 15 novembre 2022. URL : http://
journals.openedition.org/rdctss/2107 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdctss.2107
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modication 4.0 International
- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/


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Introduction
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Introduction
Loïc Lerouge
Directeur de recherche CNRS, COMPTRASEC - Université de Bordeaux
D epuis de nombreux mois, le monde traverse une crise sanitaire,
économique et sociale qui vient brouiller le modèle social construit
après la Seconde Guerre mondiale, notamment en Europe. La société
bâtie depuis lors est bouleversée par l’émergence d’un nouveau
Coronavirus, communément appelé Covid-19 ou SARS-COV-2. Sa
nouveauté et sa puissance de contamination, conjuguées à la lourdeur des soins
prodigués aux personnes gravement affectées, ont obligé les États à adopter des
mesures exceptionnelles afin de protéger leur population et limiter les ravages de
la propagation de la pandémie.
Ces mesures ont des conséquences sur le droit du travail et le droit de la protection
sociale, qui connaissent ou subissent des adaptations – certaines provisoires, d’autre
peut-être plus pérennes – pour faire face à l’urgence du moment et, parfois, à la
primauté des mesures de santé publique.
Avec comme but de contribuer au développement des analyses et des échanges
sur le droit du travail et de la sécurité sociale à travers le monde, la Revue de droit
comparé du travail et de la sécurité sociale (RDCTSS) a constitué un collectif* chargé
de la conception de ce dossier qui permet de mettre en perspective les études de
chercheurs de différents pays et continents sur les transformations du droit social
induites par la pandémie dans leur pays ou zone géographique.
L’objectif est de livrer un panorama des mesures prises en droit du travail et en
droit de la protection sociale consécutivement à la crise sanitaire, mais avec le recul
temporel nécessaire pour laisser plus de place à l’analyse qu’à la description. Au fond,
il s’agit de nous questionner sur la portée des mesures prises dans les droits du travail
et les systèmes nationaux de protection sociale.
Au prisme de la pandémie, ces mesures sont-elles des adaptations ou des
changements profonds des systèmes de droit social ?
La réponse à cette question devait concorder avec une ligne directrice qui
visait à fournir une analyse approfondie des conséquences de l’impact de la crise
sanitaire que traverse le monde sur les différents droits nationaux, à travers différentes
problématiques communes. L’enjeu est de nous interroger collectivement, au travers
des droits étrangers et du droit comparé, sur la manière dont les systèmes sociaux,
si éprouvés par la crise sanitaire et ayant révélé leurs limites sont susceptibles d’être
repensés dans le prisme du droit.
* Merci vivement à Maryse Badel, Laurène Joly, Eri Kasagi, Philippe Martin et Sébastien
Tournaux d’avoir prêté main forte pour la réalisation de ce dossier.
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Les questions sont nombreuses : comment sont aménagés ou réaménagés les
équilibres entre libertés fondamentales (liberté d’entreprendre, liberté du travail,
liberté de circulation) et sécurité/santé des personnes ? En d’autres termes, quelles
sont les forces qui s’exercent sur le droit du travail – nécessité de maintien de l’activité
économique
versus protection face aux risques et objectifs de santé publique – et
comment se manifeste la résistance du droit face aux mesures d’urgence prises par les
pouvoirs publics ou les directions d’entreprise ? Comment et dans quelle mesure le
droit de la protection sociale permet d’amortir le choc et de résoudre éventuellement
les tensions évoquées ? Quelles innovations juridiques se font jour à cette occasion ?
Quelles sont les limites ?
Ces différentes questions ont été regroupées en thématiques proposées aux
chercheurs et aux auteurs pour la constitution du présent dossier :
- la thématique des conditions de travail (santé et sécurité, etc.) ;
- la thématique des pouvoirs de décision de l’employeur, notamment au regard de
l’emploi des salariés ;
- la thématique des solidarités et des modalités de protection sociale face à des
situations de précarité accrue et finalement la question de la capacité de l’État social
à absorber de tels chocs.
Particulièrement riche, ce numéro de la RDCTSS montre les défis sociaux
auxquels ont été confrontés les États à travers des contributions relatives à un
système national ou par le jeu de la comparaison entre deux systèmes juridiques.
Les réponses apportées révèlent à la fois que la pandémie a été une situation de
crise et d’urgence sociale, mais aussi, à certains égards, une opportunité pour
consolider, faire avancer ou fragiliser le droit du travail et le droit de la protection
sociale. La crise économique et sociale découlant de la pandémie a été révélatrice de
la capacité des systèmes nationaux à s’adapter dans l’urgence, puis de la continuité
en définissant des mesures pour faire face à une nouvelle crise sanitaire, mais aussi à
se saisir du moment pour accélérer la mise en œuvre de politiques sociales jusque-là
au point mort.
La pandémie a mis à l’épreuve nos systèmes d’évaluation et de prévention de la
santé au travail. Pour cette raison, cette question a particulièrement été développée
par les contributeurs.
L’étude comparative entre les modèle anglais et suédois de Peter Andersson et
Tonia Novitz nous invite ainsi à réfléchir à la manière dont nous évaluons et répondons
aux risques en matière de santé au travail. Cette étude oppose deux approches de
l’évaluation et de la prévention des risques professionnels  : celle qui prône que
tous les risques gravent doivent être évités (système suédois) d’une part, celle qui
soumet la mise en œuvre des politiques de prévention au principe du «  autant
qu’il est raisonnablement praticable » (« 
as far as reasonably practicable ») (système
britannique) d’autre part.
Cette dernière approche démontre une tendance à élever un rempart à la mise
en cause de la responsabilité de l’employeur et, dans une certaine mesure, fait écho à
l’évolution récente des politiques de prévention en France.
La récente loi n°2021-1018 du 6 août 2021 pour renforcer la prévention en santé
au travail soumet les mesures de prévention à la mesure de leur coût avant d’envisager
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la réalisation d’un plan de prévention. Les services de santé au travail deviennent des
services de prévention et de santé au travail (SPST) en charge, notamment, de délivrer
un socle d’offres de service en matière de prévention des risques professionnels, il
peut également proposer une offre de services complémentaires
1. Or cette dernière,
en faisant l’objet d’une facturation, sera payante
2, ce qui ne permet pas à toutes les
entreprises et les travailleurs de bénéficier d’une politique de prévention intégrale
ou globale. L’employeur aura donc la possibilité de mettre en œuvre un ensemble
minimum et « raisonnablement praticable » de mesures de prévention.
D’autres pays tentent de tirer les leçons de la pandémie pour gérer l’après-crise,
mais aussi une prochaine pandémie.
À travers le système belge, Valérie Flohimont nous montre comment, à partir
du tableau qu’elle dresse concernant les expositions aux risques professionnels des
travailleurs et télétravailleurs, la prévention et la réparation, il est possible de définir
des recommandations pour la gestion de l’après-crise et d’une autre pandémie
potentielle.
D’autres pays, comme l’Australie, se sont adaptés à la crise en adoptant une
approche souple et adaptative à la situation, mais dont les effets sont néfastes
sur le système australien de santé et de sécurité au travail selon Elizabeth Bluff et
Richard Johnstone. Plutôt que de mettre en place des règles strictes pour limiter
la transmission du Covid-19, les auteurs démontrent comment cette approche
flexible a contribué à l’apparition de multiples foyers de contamination à travers
le rôle des agences pour la santé et la sécurité au travail, qui ont développé une
gestion des risques basée sur les cadres existants dans le domaine de la santé
publique.
En revanche, à travers l’analyse de cinq décisions, Gabrielle Golding montre
comment la
Fair Work Commission a fait preuve de créativité et de réactivité durant
cette crise mondiale pour faire face à la vague de licenciements abusifs liés à la crise
sanitaire.
Enfin, le traitement des problématiques liées aux conditions de travail (santé
et sécurité, temps de travail et de repos, articulation entre vie personnelle et vie
professionnelle, rémunération, travailleurs essentiels) n’aurait pas été complet sans
évoquer directement le télétravail.
Caroline Murphy et Lorraine Ryan proposent ainsi d’aborder les enjeux juridiques
du travail à distance dans le contexte du droit du travail irlandais. À travers la
jurisprudence récente du travail, les auteurs visent à présenter un aperçu global des
questions clés relatives au télétravail, mais aussi quels sont les tendances et futurs
plans stratégiques du gouvernement irlandais en la matière.
La pandémie a aussi mis particulièrement à l’épreuve nos systèmes de protection
sociale. Ce sujet a ainsi autant retenu l’attention des contributeurs que celui relatif aux
conditions de travail et à la santé au travail. Les dispositifs qui soutiennent l’autonomie
des personnes, les différentes formes de solidarités sociales face aux risques, à la
1 Futur art. L. 4622-9-1 du Code du travail.
2 Art. L. 4622-6 modifié du Code du travail.
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précarité et à l’exclusion, et l’État providence, ont joué un rôle essentiel pour minimiser
la crise sociale découlant directement de la crise sanitaire.
Edoardo Ales montre que l’Italie a pratiqué une politique de protection sociale
suivant une approche globale qui se développe de manière évolutive et continue.
Face aux mesures de santé publique justifiées par les principes de précaution, de
protection et de prévention, le système de protection sociale s’est appuyé sur les
moyens déjà disponibles (Fonds d’intégration des revenus Covid-19, extension
des allocations chômage, contrats à durée déterminée et de missions de travail
intérimaire, augmentation des congés parentaux et de garde), tout en déployant
temporairement de nouveaux outils (interdiction de licenciement, protection des
travailleurs vulnérables, allègements de cotisations sociales, apparition du contrat
de réemploi, subventions en faveur de diverses catégories professionnelles, régimes
d’aide au revenu, subventions ou crédits d’impôt non remboursables en faveur des
titulaires d’un numéro de TVA).
Dans le même esprit, Vagelis Koumarianos souligne que le surgissement de
la pandémie a une résonnance particulière en Grèce car elle succède à la crise
économique majeure touchant ce pays en 2010. Les mesures adoptées pour y faire
face et le bilan des tendances observées depuis le début de la crise révèlent que
le système grec de protection sociale s’est engagé dans une approche pragmatique
et appropriée aux circonstances. Toutefois, ces mesures ne sont pas suffisantes
pour pallier les inégalités sociales issues de la crise économique et de nouveau
particulièrement pointées par la crise sanitaire. L’auteur se positionne dans une
perspective de refondation de l’ensemble du droit social grec pour trouver une issue
positive à la crise. Celle-ci met en effet en lumière les forces, mais aussi, et grandement,
les faiblesses de nos systèmes de prévention sociale.
À tel point, que Lucie Lamarche s’interroge sur la survie à la pandémie du régime
canadien d’assurance-chômage. En effet, au cours de ces trois dernières décennies, il
n’a pas été possible de démontrer sa capacité à répondre au besoin de remplacement
des revenus des chômeurs. En raison de l’austérité de la politique canadienne de
l’emploi, seulement 40% des personnes ayant accusé une perte d’emploi ont pu
bénéficier de prestations. Les titulaires d’emplois précaires, notamment dans le
secteur des services, ont particulièrement été touchés alors même qu’ils contribuent
largement à la croissance économique canadienne. Le recours à l’assurance-chômage
n’a donc pas été la voie prioritaire choisie pour faire face à la crise sanitaire et ses
conséquences sociales, interrogeant ainsi la poursuite ou non des aides fiscalisées
en remplacement du régime contributif de l’assurance-chômage. Les réponses
apportées ont, en effet, porté sur la mise en œuvre d’un revenu de remplacement
aux ménages devant prendre soin de personnes affectées de diverses façons par la
pandémie.
En écho à cette analyse, l’étude du système espagnol est intéressante en ce
que Silvia Fernández Martínez montre comment l’Espagne a utilisé la réforme
relative au revenu minimum vital (RMV), dont les développements ne progressaient
pas jusque-là, comme une des mesures pour faire face à la situation de vulnérabilité
économique et sociale causée par la pandémie. L’adoption du RMV consacre
une nouvelle prestation économique non contributive qui s’intègre dans l’action
protectrice du système de sécurité sociale, qui est compatible avec le revenu
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minimum instauré dans les Communautés Autonomes et avec l’exercice d’une activité
professionnelle.
Enfin, n’oublions pas que la crise sanitaire liée à la Covid-19 a affecté socialement
tous les travailleurs, dont les travailleurs des plateformes.
Cet état de fait est peu commenté et, à cet égard, Claire Marzo vient apporter
un éclairage tout à fait pertinent à travers la comparaison des systèmes français et
britanniques concernant les protections sociales accordées aux travailleurs de
plateformes de fourniture de services et de livraisons pour faire face à la pandémie.
L’analyse comparée entre deux systèmes juridiques culturellement très différents
permet de mieux comprendre, dans un sens critique, la répartition des rôles entre
les acteurs publics et privés en matière de protection sociale à l’aune du travail sur
plateforme.
Au prisme de la crise sanitaire, et au travers des contributions du présent
numéro, il apparait que les systèmes nationaux de protection sociale se sont efforcés
d’apporter des réponses relatives à la santé au travail et aux conditions de travail.
Ils ont concomitamment activé des dispositifs de protection sociale axés sur le
développement de ceux existants ou en cours de déploiement et, parfois, en mettant
en œuvre de nouveaux outils, mais temporairement.
La crise que nous traversons et complexe et pousse les politiques, mais aussi les
juges, à faire preuve de créativité. Nous assistons un décloisonnement de la santé
publique et de la santé au travail avec une balance qui pèse en faveur des mesures de
santé publique prenant le pas sur le reste en temps de crise sanitaire.
Cette évolution montre aussi que la santé est un tout et qu’elle doit être aujourd’hui
envisagée de manière holistique. La santé s’inscrit dans un environnement qui lui
est soit profitable, soit nocif. Le droit à la santé est fondamental, la protection de la
santé devant être la même pour tous, chacun prétendant de ce fait à un même niveau
d’application du droit à la santé dans l’espace public ou au travail.
En outre, il est frappant que, à la lumière de la mise en péril de notre modèle social,
aucun pays ne se soit engagé dans une volonté de refonte du système social pour
répondre aux conséquences de l’après pandémie et pour faire face aux nouvelles.
L’accent est plutôt mis sur la souplesse et la réactivité au cas par cas, parfois « quoi
qu’il en coûte », plutôt que d’oser des réformes de fond. Les crises sociales découlant
des crises économiques et sanitaires se succèdent, les écarts se creusent et font le
jeu d’une course à toujours plus de flexibilité, habillée d’une gestion «  agile » des
transformations sociales.
Pour terminer ces propos introductifs et en parcourant ce dossier consacré aux
droits du travail et systèmes nationaux de protection sociale au prisme de la crise
sanitaire, comment ne pas penser à notre très chère collègue Katherine Lippel qui
s’est éteinte bien trop tôt le matin du 23 septembre 2021, et avec qui nous nous
réjouissions de partager sur ces sujets.
Titulaire de la Chaire du Canada en droit de la santé et de la sécurité au travail à
l’Université d’Ottawa, elle laisse derrière elle un immense vide, mais aussi une vie et
une œuvre consacrées à défendre ardemment les droits des travailleuses et travailleurs
pour une protection plus juste contre les accidents et les maladies professionnelles,
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mais aussi une meilleure indemnisation. Dévouée et attentive à toutes les personnes
qui l’entouraient, Katherine Lippel restera un repère et un guide pour tous celles et
ceux qui souhaiteraient emprunter le chemin de la recherche en droit de la santé et
de la sécurité au travail et en droit comparé.
LOÏC LEROUGE
Directeur de recherche CNRS, COMPTRASEC - Université de Bordeaux
Thématiques de recherche : Droit de la santé au travail, droit social et santé
mentale, transformation du travail et santé.
Publications :
~ L. Lerouge, «  Quand la promotion prend le pas sur la prévention », RDT, n°7, juillet
2020, p. 426.
~ L. Lerouge (ed.),
Psychosocial Risks in Labour and Social Security Law: a Comparative
Legal Overview
, Springer, Serie: Aligning Perspectives on Health, Safety and Well-Being,
2017, 407 p.
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