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reflétant le point de vue du MCFHRD.
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RESUME
INTRODUCTION
I. LES PROBLEMES INHERENTS AU DUALISME JURIDICTIONNEL
A. LES PROBLEMES LIES A LA GESTION ACTUELLE DES CONFLITS DE COMPETENCE
B. LES PROBLEMES LIES AUX QUESTIONS PREJUDICIELLES
II. LES DIFFICULTES LIEES A L’ADOPTION DU CRITERE MATERIEL
A. LE REJET DU CRITERE ORGANIQUE
B. LES INCERTITUDES DU CRITERE MATERIEL
III. LA COMPETENCE NATIONALE DU JUGE ADMINISTRATIF
IV. LA COMPETENCE DU JUGE DE L’EXCES DE POUVOIR
A. LA COMPETENCE A L’EGARD DES DECRETS A CARACTERE REGLEMENTAIRE
B. LA COMPETENCE A L’EGARD DES MESURES D’ORDRE INTERIEUR
C. LA COMPETENCE A L’EGARD DES ACTES ADMINISTRATIFS NON DECISOIRES
D. LA COMPETENCE A L’EGARD DES DECRETS-LOIS
E. LA COMPETENCE A L’EGARD DES ACTES ADMINISTRATIFS RELEVANT DU JUGE JUDICIAIRE
V. LA COMPETENCE DU JUGE DE PLEIN CONTENTIEUX
A. LE PLEIN CONTENTIEUX OBJECTIF
B. LE PLEIN CONTENTIEUX SUBJECTIF
VI. LA COMPETENCE DES JURIDICTIONS DE RECOURS
A. LE RECOURS EN APPEL
B. LE RECOURS EN CASSATION
VII. LA COMPETENCE DU JUGE DES REFERES
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VIII.
LES DIFFICULTES LIEES AU CONTENTIEUX DES ACTES EMANANT DES DIFFERENTS POUVOIRS CONSTITUTIONNELS 21
A. LE POUVOIR EXECUTIF ET LES ACTES DE SOUVERAINETE (DITS EGALEMENT ACTES DE GOUVERNEMENT)
B. LE POUVOIR LEGISLATIF ET LES ACTES
C. LES ACTES INTERESSANT LE POUVOIR JURIDICTIONNEL
IX. PROSPECTIVE
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connaisseur des subtilités de la jurisprudence administrative.
Or, celle-ci est, souvent, instable et insuffisamment diffusée.
La consécration du critère matériel devrait s’accompagner
d’une amélioration du système qui conduit à déterminer la
compétence du juge administratif. La première chose à faire
est l’amélioration de la connaissance de la jurisprudence
administrative, qui passe par une meilleure diffusion de celle-
ci par tous les moyens possibles. Ensuite, le juge administratif
doit s’incliner à la volonté du législateur, en matière de
répartition des compétences. Le juge administratif ne devrait
pas détourner un bloc de compétence institué par le
législateur au profit du juge judiciaire, quand bien même il
estimerait qu’il en est le « juge naturel », en érigeant le critère
matériel en dogme.
III. L’affirmation du caractère national de la juridiction
administrative tunisienne, l’a amenée à n’appliquer que le
droit national. Cette attitude conduit à interdire l’accès au
juge administratif, chaque fois que l’application du droit
étranger, au litige, s’impose. Le législateur peut prévoir,
expressément, la possibilité pour le juge de statuer sur le
fondement d’une règle appartenant à un ordre juridique
étranger, dès lors, certainement, que cette règle n’est pas
contraire aux exigences de l’ordre public tunisien.
l’immunité
IV. Le recours pour excès de pouvoir contre les décisions
administratives tel qu’il a été prévu par la législation en
vigueur et tel que le Tribunal administratif l’a interprétée,
montre qu’il y a certaines restrictions au droit d’accès au juge.
Premièrement, le régime contentieux dérogatoire du recours
pour excès de pouvoir dirigé contre les décrets à caractère
réglementaire est plus compliqué que le recours pour excès
de pouvoir de droit commun. Il peut dissuader le justiciable
d’accéder au juge. Le législateur pourrait le revoir pour
l’aligner sur le droit commun.
Deuxièmement,
juridictionnelle des mesures
d’ordre intérieur constitue une atteinte au droit d’accès au
juge. Cette immunité étant une entorse au principe de la
primauté du droit et au droit d’accès au juge, son emploi, par
le juge, doit être limité au strict nécessaire, lorsque la minceur
juridique de ces mesures est telle que leur contrôle s’avère
vraiment inutile. Il est souhaité que le juge soit plus rigoureux
dans la qualification d’un acte administratif de mesure d’ordre
intérieur. Surtout, il faudrait éviter une telle qualification
lorsque la mesure litigieuse porte atteinte à des droits et
libertés fondamentaux.
Troisièmement, le refus du juge administratif de contrôler les
circulaires interprétatives en invoquant l’absence du caractère
impératif peut être problématique. En effet, le caractère
impératif de l’acte administratif doit être appréhendé d’une
manière large, en ne le limitant pas au style dans lequel est
rédigée la circulaire. Une analyse d’ordre psychologique de
l’impact de ces circulaires à l’égard de leurs destinataires
semble s’imposer, car les agents du service perçoivent ces
circulaires comme étant impératives.
Quatrièmement, le contrôle du juge administratif des décrets-
lois peut poser un problème d’accès au juge. Le juge
administratif devrait consolider les acquis de sa jurisprudence
récente (en 2015), considérant que les décrets-lois sont des
actes administratifs tant qu’ils n’ont pas été approuvés par
une loi.
5
RESUME
La détermination du juge compétent constitue une difficulté
inhérente au dualisme juridictionnel adopté, en Tunisie, depuis
la Constitution du 1er juin 1959 et confirmé par la
Constitution du 27 janvier 2014. La question du droit d’accès
au juge est, ainsi, au cœur du système juridictionnel dualiste.
l’étendant, chaque
I. Bien qu’un Conseil des conflits de compétence ait été créé
en 1996 afin de résoudre les difficultés de détermination de
l’ordre juridictionnel compétent (administratif ou judiciaire),
l’expérience a montré que le système prévu n’a pas permis
d’éluder toutes les complications provoquées par le dualisme
juridictionnel.
Il faudrait, d’abord, revoir la compétence du Conseil des
conflits, en y incluant, expressément, les hypothèses non
prévues par la loi n° 96-38 du 3 juin 1996. Il faudrait penser,
ensuite, à « démocratiser » la saisine du Conseil des conflits,
en
l’intérêt d’une bonne
fois que
administration de la justice ne s’y oppose pas, à toutes les
juridictions, quel que soit leur degré dans l’ordre juridictionnel
auquel elles appartiennent. De même, les parties au litige
doivent pouvoir saisir le Conseil, chaque fois qu’il n’est pas
réforme devrait être
saisi par une
accompagnée de celle de la structure du Conseil des conflits,
des moyens mis à sa disposition et des principes régissant la
procédure suivie devant lui. Enfin, la jurisprudence du Conseil
des conflits devrait être publiée, rapidement et largement
pour en faciliter la connaissance par le plus grand nombre.
Par ailleurs, les questions préjudicielles sont une conséquence
nécessaire de la dualité juridictionnelle. Mais, les coûts qui en
résultent s’avèrent souvent élevés. L’effectivité de l’accès au
juge va, nécessairement, en pâtir. Pour en réduire les
inconvénients, le régime des questions préjudicielles gagnerait
à être précisé. Le législateur peut, par exemple, énoncer
l’obligation de statuer dans les limites du renvoi, prévoir un
délai pour statuer sur la question préjudicielle, les modalités
du respect de l’indépendance de la juridiction qui a renvoyé,
les limites de la subordination du juge au renvoi, etc.
juridiction. Cette
II. l’adoption d’un critère matériel pour la détermination de la
compétence de la juridiction administrative est source de
difficultés sérieuses. Pour ne pas être débouté par le juge
fin
administratif, pour
faut être un
incompétence,
il

















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à la justice garanti par l’article 108 de la Constitution.
L’intervention du législateur serait nécessaire afin d’admettre
la possibilité de contrôler certains actes de gouvernement.
Mais, même en l’absence de loi, rien n’interdit au juge
administratif tunisien de faire évoluer sa jurisprudence et
d’admettre la possibilité d’engager la responsabilité sans faute
de l’Etat, pour rupture de l’égalité devant les charges
publiques, du fait des actes de gouvernement, en cas de
dommage spécial et anormal.
IX. La nouvelle configuration des juridictions tunisiennes telle
que prévue dans la Constitution, à savoir la création de
tribunaux administratifs de première instance et de cours
administratives d’appel, posera des nouvelles problématiques
liées à la répartition des compétences territoriales entre les
différentes juridictions composant l’ordre administratif. Il est
essentiel d’éviter que cette nouvelle configuration ne soit
source d’une complication supplémentaire pour le justiciable.
Il en va de l’effectivité du droit d’accès au juge.
la
Cinquièmement, il arrive que le juge administratif décline sa
compétence pour contrôler
légalité des décisions
administratives, alors qu’il n’existe pas une attribution
législative expresse à l’ordre judiciaire (exemple : droit des
marques). Ce choix jurisprudentiel, bien que fondé sur l’intérêt
d’une bonne administration de la justice, ne fait qu’augmenter
le désarroi du justiciable, à la recherche d’un juge. Pour
l’intelligibilité de l’état de droit en matière de répartition des
compétences, le contentieux de la légalité des décisions
administratives doit être réservé au juge administratif.
V. La compétence du juge de plein contentieux porte, dans
certains cas, atteinte au droit d’accès au juge administratif.
En ce qui concerne le plein contentieux objectif, le contentieux
fiscal et le contentieux électoral sont éparpillés entre le juge
judiciaire et le juge administratif, ce qui n’est pas de nature à
faciliter l’identification du juge compétent. De plus, la qualité
de la justice rendue constitue, incontestablement, aujourd’hui,
un élément du droit d’accès au juge. Or, l’expérience montre
que la solution retenue dans la législation en vigueur pour ces
deux contentieux (notamment le contentieux fiscal) fait que le
juge judiciaire ne se considère pas toujours tenu par la
jurisprudence du Tribunal administratif. Le législateur devrait,
toujours, veiller à l’unification du contentieux administratif, en
l’attribuant au juge administratif, son juge naturel. Sauf si
l’intérêt d’une bonne administration de la justice exige la
solution contraire.
En ce qui concerne le plein contentieux subjectif, les textes
la puissance publique,
consacrant
notamment en matière de servitudes d’urbanisme, devraient
être revus. En heurtant, frontalement, le droit d’accès au juge
et son corollaire le droit d’agir en responsabilité, ces textes
soulèvent des questions de constitutionnalité.
l’irresponsabilité de
VI. La compétence du juge administratif, en appel et en
cassation, est source de plusieurs complications pour le
justiciable. En appel, celui-ci est soit privé de son droit
constitutionnel d’interjeter appel contre certains jugements,
soit privé d’interjeter appel devant la juridiction administrative,
juge naturel des litiges à caractère administratif. Au niveau de
la cassation, le champ de la compétence du Tribunal
administratif n’est pas encore fixé d’une manière sûre.
Il est recommandé que les nouvelles dispositions législatives
généralisent l’exercice du recours en appel, afin de se
conformer à la Constitution qui a donné à la règle du double
degré de juridiction une valeur constitutionnelle. Par ailleurs, il
est recommandé que le législateur consacre, clairement, dans
la nouvelle législation le caractère de droit commun de la
compétence du juge de cassation administratif.
VII. Les procédures de référé prévues dans la législation en
vigueur révèlent l’absence de procédures adéquates en
matière de référés de « protection », c’est-à-dire ceux
touchant directement les droits et libertés des justiciables. La
nouvelle législation devrait commencer par réformer les
procédures de référé existantes dans le but de les rendre plus
accessibles aux justiciables. Par ailleurs, il faudrait penser à
d’autres procédures de référé plus adéquates à la garantie des
droits et libertés fondamentaux des justiciables.
VIII. L’immunité juridictionnelle absolue dont bénéficient les
actes de gouvernement est incompatible avec le droit d’accès
6














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2. La difficulté principale du dualisme juridictionnel est la
détermination de l’ordre juridictionnel compétent. Aussi bien
les justiciables que les tribunaux peuvent se tromper. Les
premiers peuvent saisir une juridiction incompétente, et les
seconds mal apprécier l’état du droit.
Dans ces conditions, le dualisme juridictionnel est de nature à
compliquer la mise en œuvre du droit d’accès au juge,
puisqu’il y a, toujours, un risque d’être débouté pour
incompétence de l’ordre juridictionnel saisi. Ce qui ne va pas
sans coûts, en termes de dépenses et de temps perdu.
3. Le droit d’accès à la justice est défini comme le droit pour
toute personne physique ou morale, quelle que soit sa
nationalité, d’accéder à la justice pour y faire valoir ses droits
4.
Le droit d’accès au juge est, ainsi, un pouvoir impersonnel,
abstrait et permanent de s’adresser au juge. Il ne se confond
pas avec l’action en justice qu’on peut définir comme le lien,
né d’une situation concrète et formé entre deux personnes, en
vertu duquel l’une d’elles peut émettre contre l’autre des
prétentions relatives à cette situation devant un juge qui
devra les entendre afin de les dire bien ou mal fondées. Il doit
aussi être distingué de la demande en justice qui est la mise
en œuvre de l’action qui en constitue donc la condition de
recevabilité5.
De fait, le droit d’accès au juge est un droit fondamental. Il est
consacré par l’article 108 alinéa 2 de la Constitution qui
dispose que « le droit d’ester en justice et le droit de défense
sont garantis ». Il est consacré, également, par les instruments
internationaux les plus importants. Ainsi, l’article 8 de la
Déclaration universelle des droits de l’homme prévoit que «
toute personne a droit à un recours effectif devant les
juridictions nationales compétentes contre les actes violant
les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la
Constitution ou par la loi ». L’article 14 §1 2ème phrase du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19
décembre 1966 prévoit que « toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue par un tribunal... »
6.
4. Le droit d’accès au juge doit être effectif. L’effectivité des
recours est une condition du caractère équitable du procès
7.
Plusieurs éléments contribuent à l’effectivité du droit d’accès
au juge : l’absence d’obstacles financiers, le jugement des
affaires dans un délai raisonnable, l’exécution de la chose
jugée, etc.
Mais, l’élément qui intervient en premier lieu, est celui relatif à
la compétence du juge saisi. En effet, la première question
qu’examine le juge est celle de sa compétence. S’il est
compétent, il continue l’examen de l’affaire, sinon il la rejette.
INTRODUCTION
il
soient
ressort du Rapport de
1 . Il est possible de soutenir, aujourd’hui, que le dualisme
juridictionnel fait désormais partie du patrimoine juridique de
la Tunisie. Aussi bien la Constitution du 1er juin 1959 que
celle du 27 janvier 2014, consacrent explicitement le dualisme
juridictionnel. D’ailleurs,
la
commission constituante de la justice judiciaire, administrative,
financière et constitutionnelle relatif au projet du chapitre sur
le pouvoir juridictionnel
1 , que tous les acteurs qui son
intervenus dans les débats, étaient unanimes pour conserver
le système juridictionnel dualiste.
Non seulement l’existence de la juridiction administrative a été
prévue par la Constitution, mais la Constitution impose que
certains contentieux
juridiction
administrative
2 .
De plus, le constituant a renoncé à l’organisation actuelle du
Tribunal administratif, au profit d’une organisation plus
développée qui fait de l’ordre juridictionnel administratif le
pendant de l’ordre judiciaire : la justice administrative est,
désormais, composée d’une haute cour administrative, de
cours administratives d’appel et de tribunaux administratifs de
première instance.
Pour dire les choses simplement, le dualisme juridictionnel
implique l’existence d’un ordre de juridictions administratives,
à côté de l’ordre juridictionnel judiciaire
3 . Généralement, une
juridiction est créée pour statuer sur les conflits de
compétence qui peuvent surgir entre les deux ordres
juridictionnels : en Tunisie, cette mission est confiée au
Conseil des conflits de compétence.
réservés à
la
1 Disponible sur le site de L’Assemblée des représentants du peuple :
www.anc.tn/site/main/AR/docs/rapport_final/rapport_final_4.pdf
2 Selon l’article 116 alinéa de la Constitution, « ...la justice administrative est
compétente pour connaître de l’excès de pouvoir de l’administration et des litiges
administratifs... ».
3 En l’état actuel du droit, parler de dualisme est une extrapolation. Car, il existe,
au moins, trois ordres de juridictions, prévus par la Constitution du 27 janvier
2014 : l’ordre juridictionnel judiciaire, l’ordre juridictionnel administratif et l’ordre
juridictionnel financier.
4 Voir Serge Guinchard et autres, Droit processuel. Droit commun du procès,
Précis Dalloz, 1ère édition,2001, n°231, p. 291 et s.
5 Sur toutes ces distinctions, voir Georges WIEDERKEHR, in. Dictionnaire de la
justice (sous la direction de Loic Cadiet), PUF, coll. Grands dictionnaires, p. 6 et s.
6 L’adhésion de la Tunisie au Pacte international relatif aux droits civils et
politiques a été autorisée par la loi n° 68-30 du 29 novembre 1968, JORT n° 51
des 30 novembre-3 décembre 1968, p. 1260. Le Pacte a été publié au JORT n° 79
du 6 décembre 1983, p. 3143 et ss.
7 La notion de procès équitable est consacrée par la Constitution dans son article
108 alinéa 1.
7































Page 8
ses
avec
différents
administratif,
5. Le présent Rapport s’intéressera au droit d’accès à la justice
administrative. Celle-ci est, actuellement, représentée par le
organes
Tribunal
juridictionnels (chambres de première instance, chambres
d’appel, chambres de cassation et Assemblée plénière)
8, qui
représente à lui seul l’ordre juridictionnel administratif.
Certes, il y a des juridictions administratives spécialisées,
contrôlées d’ailleurs par le Tribunal administratif, par la voie
de l’appel ou la cassation, telles que le Conseil de la
concurrence ou la Commission des sanctions (qui a remplacé
la commission bancaire), mais chacune de ces juridictions a
ses spécificités, sa procédure, ses règles de compétence, qui
nécessitent une étude particulière dans le cadre d’un Rapport
propre. La présente publication se contentera de l’étude de la
compétence de la juridiction administrative générale.
6. La compétence de la juridiction administrative est une
matière législative. Cela ressort, expressément, de l’article
116 alinéa dernier de la Constitution qui dispose que : « la
loi détermine l’organisation de la justice administrative, ses
compétences, les procédures suivies devant elle ainsi que
le statut de ses magistrats ». Plus précisément, il s’agit
d’une loi organique puisque l’article 65 alinéa 2 prévoit
que « sont pris sous forme de loi organique, les textes
relatifs aux matières suivantes :...-l’organisation de la
justice et de la magistrature... ».
Les lois qui viendront pour réorganiser la justice administrative
conformément aux exigences de la Constitution, doivent donc
composer avec le droit constitutionnel d’accès au juge. Ceci
dit, le présent Rapport s’attèlera à faire le diagnostic des
différents aspects de la compétence de la juridiction
administrative, à partir de la législation actuelle, pour y
détecter les problèmes, et leur proposer ensuite des solutions,
en ayant à l’esprit les nouvelles dispositions constitutionnelles
qui doivent guider le législateur dans l’élaboration des textes
de mise en œuvre de la Constitution.
I. LES PROBLEMES
DUALISME JURIDICTIONNEL
INHERENTS AU
A. LES PROBLEMES LIES A LA GESTION ACTUELLE
DES CONFLITS DE COMPETENCE
La coexistence de deux ordres juridictionnels est de nature à
provoquer certaines complications. Bien évidemment, la
complication principale est qu’il peut y avoir des difficultés à
déterminer l’ordre juridictionnel compétent. En effet, les
requérants peuvent, de bonne ou de mauvaise foi, saisir un
juge incompétent. Les tribunaux eux-mêmes peuvent mal
apprécier leur compétence et se déclarer, à tort, soit
8 Les formations consultatives du Tribunal administratif ne sont pas étudiées dans
le présent Rapport.
8
compétents, soit incompétents9. On voit que la difficulté de
déterminer le juge compétent est en lien direct avec le droit
d’accès au juge et peut, en l’absence de mécanismes
adéquats, lui porter atteinte d’une manière sérieuse.
Pour redresser les erreurs de compétence, le législateur
10 a
créé le Conseil des conflits de compétence
11, organe chargé
de statuer sur les éventuels conflits de compétence qui
peuvent naître entre le Tribunal administratif et le tribunaux
judiciaires
12. Toutefois, en l’état actuel de droit positif, il appert
que le Conseil est incapable d’éradiquer tous les inconvénients
résultant de la dualité juridictionnelle.
La première hypothèse d’intervention du Conseil des conflits,
prévue par la loi n° 96-38 dans son article 7, est relative au «
conflit positif », au sens du droit français
13. Dans cette
hypothèse, un tribunal judiciaire est saisi d’une affaire. La
partie publique (le chef du contentieux de l’Etat, les
collectivités locales et les entreprises publiques), dans cette
affaire, peut soulever l’incompétence du juge judiciaire, au
motif que le litige relève de la compétence du Tribunal
administratif.
Plusieurs critiques peuvent être adressées à la procédure de
l’article 7. D’abord, il joue dans un sens unique : il ne protège
que la compétence de la juridiction administrative. Il suppose
que seul le juge judiciaire empiète sur la compétence du juge
administratif. Par conséquent, lorsque l’empiètement est le fait
de ce dernier, il n’y a pas une procédure équivalente à celle
de l’article 7 pour renvoyer l’affaire à son juge naturel. Ensuite,
la mise en œuvre de la procédure dépend de la bonne
soulever
volonté de
l’incompétence du tribunal judiciaire, comme ne pas la
soulever. Ceci n’est pas compatible avec le caractère d’ordre
public de la compétence des juridictions. La procédure de
l’article 7 s’apparente, donc, à un moyen institué au profit de
l’une des parties au litige, qui peut en user dans son propre
intérêt, notamment, comme moyen dilatoire. L’article 7 ne
permet plus ainsi de réguler les compétences entre les deux
juridictionnels, mais devient un élément de
ordres
complication d’un procès en cours. Enfin, « l’exception »
d’incompétence de l’ordre judiciaire ne peut pas être soulevée
devant la Cour de cassation. Certes, des considérations liées à
la partie publique, qui peut
9 La mauvaise qualité rédactionnelle des textes déterminant la compétence des
juridictions est pour quelque chose dans ce problème.
10 Il s’agit de la loi organique n° 96-38 du 3 juin 1996 relative à la répartition des
compétences entre les tribunaux judiciaires et le tribunal administratif et à la
création d'un conseil des conflits de compétence, JORT n° 47 du 11 juin 1996, p.
1143 et s.
11 Il a été proposé à l’Assemblée nationale constituante de faire mentionner le
Conseil des conflits de compétence dans la Constitution. Mais, finalement, la
proposition n’a pas été retenue. A bon escient, , car une bonne Constitution ne
doit pas tout prévoir et tout organiser. L’article 110 de celle-ci prévoit, d’ailleurs,
qu’il revient au législateur de créer les différentes catégories de juridictions. Le
Conseil des conflits de compétence est, à lui-seul, une catégorie de juridiction.
12 En pratique, les conflits de compétence ne concernent que l’ordre juridictionnel
administratif et l’ordre juridictionnel judiciaire. Des conflits entre le Tribunal
administratif et la Cour des comptes n’ont pas été constatés, par exemple.
13 Dans son sens ordinaire, le conflit positif existe lorsque deux tribunaux, l’un
appartenant à l’ordre judiciaire, l’autre à l’ordre administratif, se déclarent
compétents pour connaître d’une même affaire. En droit français, la notion de
conflit positif a un sens particulier. En effet, le conflit positif résulte de
l’opposition de l’administration, représentée par un préfet, à un tribunal judiciaire,
relativement à l’affirmation par ce dernier que le litige dont il est saisi appartient
à l’ordre judiciaire.















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l’affaire
juridictionnel chargé de
l’intérêt d’une bonne administration de la justice sous-tendent
cette interdiction, mais le droit du justiciable d’accéder au
juge naturel de l’affaire est sacrifié.
La deuxième hypothèse d’intervention du Conseil des conflits,
prévue à l’article 8 de la loi n°96-38 sus-indiquée, autorise la
Cour de cassation et l’Assemblée plénière juridictionnelle au
Tribunal administratif de saisir le Conseil des conflits d’une
question « sérieuse » de compétence, qui n’a pas été tranchée
antérieurement par ce dernier. A l’inverse de l’hypothèse
précédente, le Conseil ne peut être saisi par les juridictions de
fond. Sa saisine par les deux juridictions suprêmes des deux
ordres juridictionnels n’est pas dépourvue d’intérêt, mais elle
intervient, hélas, à un moment où le procès est très avancé : si
l’ordre
sera déclaré
incompétent, la partie la plus diligente doit saisir l’autre ordre,
résulte, certainement, pour celle-ci une perte
il en
considérable de temps et d’argent. Ce qui peut dissuader,
finalement, les requérants de saisir le juge compétent désigné
par le Conseil. Le droit d’accès au juge est, ainsi, malmené de
nouveau.
La dernière hypothèse d’intervention du Conseil des conflits
prévue par la loi n°96-38, est celle de son article 9. Elle vise la
prévention des conflits négatifs de compétence. Mais, elle
suppose que la juridiction qui va saisir le Conseil des conflits
soit informée du jugement d’incompétence déjà rendu par la
juridiction appartenant à l’autre ordre juridictionnel. Ce qui
n’est pas, toujours, le cas, parce qu’il n’y a aucune obligation
de notification réciproque de leurs jugements qui pèse sur les
juridictions.
La loi n° 96-38 n’a pas donc évoqué toutes les hypothèses de
conflits de compétence. Que faire si un conflit négatif ou un
conflit positif se réalise ? La première situation équivaut à un
véritable déni de justice, tandis que la seconde aboutirait à
deux jugements contradictoires au fond.
Pour prévenir un conflit positif de compétence, hypothèse non
prévue également par la loi n°96-38, le Conseil des conflits
s’est déclaré compétent pour statuer sur la difficulté de
compétence,
plénière
juridictionnelle du Tribunal administratif, sur le fondement de
l’article 4 de la loi n°96-38 qui lui donne une compétence
générale dans le règlement des problèmes de compétence, et
sur l’article 8, précité, de la même loi
14.
l’Assemblée
saisine
sur
de
Conclusion : Les procédures de résolution des difficultés de
compétence par le Conseil des conflits de compétence ne
permettent pas d’éluder toutes les complications provoquées
par le dualisme juridictionnel. En effet, le législateur n’a pas
prévu toutes les hypothèses de conflit de compétence, ce qui
laisse incertain le traitement des éventuels conflits non réglés
par la loi. Par ailleurs, la jurisprudence du Conseil des conflits
de compétence n’est pas systématiquement publiée et
l’information réciproque entre les juridictions n’est pas établie.
Recommandations
Il faudrait, d’abord, revoir la compétence du Conseil des
conflits, en y incluant, expressément, les hypothèses non
prévues par la loi n°96-38. Le Conseil a beau se référer à la
clause générale d’attribution de compétence induite par
l’article 4 de la loi précitée, une intervention législative serait
la bienvenue pour fixer les différents cas de conflits ou de
difficultés sur la compétence, ainsi que les procédures y
afférentes.
Il faudrait penser, ensuite, à « démocratiser » la saisine du
Conseil des conflits, en l’étendant, chaque fois que l’intérêt
d’une bonne administration de la justice ne s’y oppose pas, à
toutes les juridictions, quel que soit leur degré dans l’ordre
juridictionnel auquel elles appartiennent. De même, les parties
au litige doivent pouvoir saisir le Conseil, chaque fois qu’il
n’est pas saisi par une juridiction.
Cette réforme doit être accompagnée de celle de la structure
du Conseil des conflits, des moyens mis à sa disposition
15 et
des principes régissant la procédure suivie devant lui
16.
B. LES
PREJUDICIELLES
PROBLEMES
LIES AUX QUESTIONS
A supposer que la juridiction administrative soit compétente,
le droit du justiciable d’y accéder peut être perturbé par une
question préjudicielle
17. Si le principe de la plénitude de
juridiction du tribunal saisi implique que le juge saisi d’un
litige relevant de sa compétence est compétent pour se
prononcer sur l’ensemble des moyens invoqués devant lui,
tant par le demandeur que le défendeur, la portée de ce
principe doit être précisée, dans un contexte de dualisme
juridictionnel.
La plénitude de juridiction du juge administratif a pour limite
la plénitude de la compétence administrative. Autrement dit,
le juge administratif n’est pas compétent pour connaître des
questions qui, posées à titre principal, échapperaient à la
compétence de la juridiction administrative. Ces questions
peuvent avoir un caractère préjudiciel, si la réponse à leur
donner, et que l’on suppose nécessaire au jugement du
recours, soulève une difficulté réelle
18.
15 Par exemple, le Conseil n’a ni siège, ni secrétariat qui lui sont propres.
16 La constitutionnalité de certains de ces principes, tels que la non-publicité des
audiences ou l’impossibilité d’exercer une voie de recours contre les décisions du
Conseil, est discutable.
17 La question préjudicielle peut se définir comme la question qui, nécessaire à
l’examen au fond du litige, doit être tranchée, non par la juridiction saisie, mais
par le tribunal ayant compétence exclusive pour en connaître. Concrètement, la
juridiction devant laquelle se pose une question préjudicielle a l’obligation de
surseoir à statuer sur le litige dont elle est saisie, jusqu’à ce que la juridiction
exclusivement compétente ait tranché la difficulté qui faisait l’objet de la question
préjudicielle. Elle se distingue ainsi de la question préalable qui, tout en
commandant également la solution de fond, demeure cependant de la
compétence du tribunal saisi.
14 Conseil des conflits de compétence, Affaire n°41 du 12 juillet 2001, Ayadi c/
Conseil national de l’ordre des pharmaciens.
18 En l’absence de difficulté réelle, il y a seulement question préalable et
compétence du juge administratif.
9
















Page 10
la
Face à une question préjudicielle, le juge administratif doit
surseoir à statuer et renvoyer les parties à se pourvoir devant
les tribunaux judiciaires
19.
Les parties doivent attendre le jugement rendu par le tribunal
civil, statuant sur la question préjudicielle, pour pouvoir saisir
de nouveau
juridiction administrative. La question
préjudicielle a, nécessairement, pour effet de différer pour
l’une des deux parties la reconnaissance de ses droits. Bien
sûr, cette situation porte atteinte à l’effectivité de l’accès à la
justice.
Heureusement pour le justiciable, le Tribunal administratif use,
avec modération, des questions préjudicielles. Mais, il ne
manque pas d’y recourir quand c’est nécessaire. Ainsi, dans
une affaire où un recours en annulation est intenté contre le
refus de
l’administration d’autoriser l’exploitation d’une
carrière, le juge administratif a décidé de surseoir à statuer
jusqu’à ce que le tribunal compétent statue sur la question de
la propriété de l’immeuble objet de la décision administrative
attaquée en excès de pouvoir
20. Dans une autre affaire, le juge
administratif a décidé de surseoir à statuer et a renvoyé les
parties à se pourvoir devant le tribunal judiciaire pour statuer
sur la qualité du syndicat national des établissements
d’enseignement privé pour conclure un avenant à la
convention collective nationale d’enseignement privé21. Dans la
même veine, à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir
contre des décisions implicites de refus de restituer des
documents saisis par la police (passeports, cartes d’identité,
attestations de nationalité), le juge administratif a sursis à
statuer jusqu’à ce que le tribunal compétent statue sur la
question de la nationalité
22.
On trouve une illustration des complications que peuvent
provoquer les questions préjudicielles, dans une affaire qui a
opposé la société Naouar au Chef du contentieux de l’Etat
pour le compte du ministère de l’équipement et de l’habitat.
Dans cette affaire, le Tribunal administratif a rendu, le 12 avril
1993, un jugement d’avant dire droit (dit également jugement
préparatoire), par lequel il décide de surseoir à statuer et de
renvoyer les parties à se pourvoir devant les tribunaux
compétents, pour statuer sur la validité des contrats de vente
litigieux. Les tribunaux civils n’ont pas statué dans les limites
du renvoi, mais ils ont statué sur le fond de l’affaire, et le
procès a duré plus que treize ans devant l’ordre judiciaire,
pour se solder par un rejet au fond devant la Cour de
cassation.
Conclusion
:
Les questions préjudicielles sont une
conséquence nécessaire de la dualité juridictionnelle. Mais, les
coûts qui en résultent (coût de la procédure et coût du
temps) s’avèrent souvent élevés. L’effectivité d’accès au juge
va, nécessairement, en pâtir.
Recommandations
Pour en réduire les inconvénients, le régime des questions
préjudicielles gagne à être précisé. Le législateur peut, par
exemple, énoncer l’obligation de statuer dans les limites du
renvoi, un délai pour statuer sur la question préjudicielle, les
modalités du respect de l’indépendance de la juridiction qui a
renvoyé, les limites de la subordination du juge au renvoi, etc.
Par ailleurs, l’obligation faite au juge de statuer sur la question
préjudicielle dans un délai déterminé s’insère dans une
problématique plus générale, à savoir la réduction de la durée
de traitement des affaires devant les juridictions tunisiennes et
suppose une série de mesures et d’actions afin d’atteindre un
tel objectif.
II. LES
L’ADOPTION DU CRITERE MATERIEL
DIFFICULTES
LIEES
A
A. LE REJET DU CRITERE ORGANIQUE
la
juin 1972
compétence de
critère organique pour
retient un
la
Un premier rejet jurisprudentiel. Dans sa version d’origine, la
relative au Tribunal
loi n° 72-40 du 1er
la
administratif
23,
juridiction
détermination de
administrative.
Ainsi, l’article 2 alinéa 1er de cette loi disposait, en matière de
contentieux indemnitaire, que « le Tribunal administratif statue
sur les litiges mettant en cause l’administration ». Au sens
organique, l’administration renvoie aux personnes publiques
24.
Par conséquent, la juridiction administrative serait compétente,
chaque fois qu’une personne publique est partie à un litige.
On se rend compte que la mise en œuvre du critère
organique est simple, dans la mesure où la détermination des
personnes publiques ne pose pas, généralement, de problème.
A cet égard, l’article 3 alinéa 1er de la même loi était plus
explicite lorsqu’il prévoyait que « le Tribunal administratif est
compétent pour statuer en premier et dernier ressort sur les
recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre
tous les actes des autorités administratives centrales et
régionales, des collectivités publiques
locales et des
établissements publics à caractère administratif ».
Le Tribunal administratif a rejeté le critère organique, prévu
par la loi, et lui a préféré le critère matériel, développant ainsi
une jurisprudence contra legem. Le critère matériel renvoie à
19 On suppose, et c’est l’hypothèse la plus fréquente, que la difficulté relève de
leur compétence.
20 Jugement d’avant dire droit du 31 novembre 2003, dans l’affaire Borni Hmili c/
Ministre des domaines de l’Etat.
21 Jugement d’avant dire droit du 28 mars 2003, dans l’affaire Ecole privée
Khaznadar et autres c/ Ministre des affaires sociales.
22 Jugement d’avant dire droit du 24 octobre 2002, dans les affaires Kamel
Guedich et autres c/ Ministre de l’intérieur.
10
23 JORT n°23 des 2-6 juin 1972, p. 738 et ss.
24 En l’état actuel du droit positif tunisien, les personnes publiques sont, d’abord,
l’Etat, les collectivités locales et les établissements publics. A côté de ces
personnes publiques classiques, il y a les ordres professionnels que le Tribunal
administratif considère comme des personnes publiques sans être des
établissements publics, ainsi que les différentes autorités publiques
indépendantes, qui ont pullulé après la Révolution, qu’elles soient prévues dans la
Constitution (chapitre VI), ou non (par exemple, l’Instance nationale des
télécommunications ou l’Instance nationale de protection des données à
caractère personnel).
















Page 11
la
jurisprudence
la nature du litige. Chaque fois que le litige relève de la
gestion publique, le juge administratif est compétent. Il y a
gestion publique lorsque l’administration gère les services
publics en usant des prérogatives de puissance publique.
A l’occasion de la modification de la loi du 1er juin 1972,
précitée, par la loi organique n°96-39 du 3 juin 1996
25, le
critère matériel est, désormais, consacré par l’article 2
(nouveau) en ces termes : « Le tribunal administratif statue
avec ses différents organes juridictionnels sur tous les litiges à
caractère administratif
26 à l’exception de ceux qui sont
attribués à d’autres juridictions par une loi spéciale ». Dans le
même sens, suite à la loi organique n°2002-11 du 4 février
2011 modifiant et complétant la loi n° 72-40 précitée
27, l’article
3 retient, également, le critère matériel pour déterminer la
compétence du juge de l’excès de pouvoir : « le Tribunal
administratif est compétent pour statuer sur les recours pour
excès de pouvoir tendant à l’annulation des actes pris en
matière administrative
28 ». Le législateur ne fait, ainsi,
qu’entériner
antérieure du Tribunal
administratif.
Un second rejet jurisprudentiel. La loi organique n° 96-38 du 3
juin 1996 relative à la répartition des compétences entre les
tribunaux judiciaires et le Tribunal administratif et à la création
d'un Conseil des conflits de compétence, précitée, a institué
des blocs de compétence, soit au profit du juge judiciaire, soit
au profit du juge administratif. Les blocs de compétence sont
de nature à faciliter au justiciable l’accès au juge, dans la
mesure où c’est le législateur qui désigne, lui-même, le juge
compétent pour statuer sur certains litiges.
Toujours, dans un souci de faciliter l’accès au juge, les blocs
de compétence reposent sur un critère organique. Ainsi,
l’article 2 de la loi n° 96-38 précitée, prévoit que « les
litiges qui
tribunaux
surviennent entre d’une part, les entreprises publiques y
compris les établissements publics à caractère industriel et
commercial, et d’autre part les agents de ces entreprises, leurs
clients ou les tiers». Donc, chaque fois qu’une entreprise
publique est partie à un litige, il doit normalement relever du
juge judiciaire. Il n’en est rien. Car, le Tribunal administratif
attaché au critère matériel, cherche toujours si l’activité
litigieuse se rapporte ou non à une gestion publique. Dans,
l’affirmative, il se déclare compétent pour connaître du litige
29.
Le Conseil des conflits de compétence a, aussi, adopté la
même démarche
30.
judiciaires statuent sur
tous
les
25 JORT n°47 du 11 juin 1996, p. 1144 et ss.
26 C’est nous qui soulignons. Cf. l’ancienne rédaction de l’article 2.
27 JORT n°11 du 5 février 2002, p.252. En 1996, on n’a pas voulu toucher à
l’article 3, pour ne pas s’attirer les critiques sur la persistance de l’immunité des
décrets à caractère réglementaire contre le recours pour excès de pouvoir,
immunité qui trouve son siège à l’alinéa 2 de l’article 3.
28 Souligné par DRI.
29 TA, Appel, Affaire n° 21981, 16 janvier 1999, Société nationale des chemins de
fer tunisiens c/ Ahmed et Mohamed Bédoui, non publiée ; TA, Appel, Affaire n°
21905, 19 novembre 1999, Office national d’assainissement c/ Moncef Dérouich,
Recueil 1999, p. 502 et ss.
30 Conseil des conflits de compétence, Affaire n° 64 du 4 février 2003 ; Affaire n°
120 du 6 janvier 2005 ; Affaire n° 123 du 22 février 2005 ; Affaire n° 125 du 29
mars 2005.
Si la Cour de cassation s’est alignée, dans un premier temps,
sur la position du Tribunal administratif et du Conseil des
conflits, il y a eu par la suite un revirement de sa
jurisprudence, dans le sens d’une lecture naturelle de l’article
2 de la loi n°96-38. Ainsi, par deux arrêts rendus par les
chambres réunies, la formation la plus importante de la Cour
de cassation, celle-ci a conclu à la compétence du juge
judiciaire pour statuer sur tous les litiges mettant en cause
une entreprise publique, quel que soit le type de gestion
(publique ou privée) adopté par l’entreprise publique
31.
On voit que le Conseil des conflits, censé résoudre les conflits
de compétence, contribue à créer les conflits entre les deux
ordres de juridiction, en soutenant le Tribunal administratif
dans sa lecture erronée d’une disposition législative, pourtant,
claire. Les travaux préparatoires de la loi n°96-38 confirment,
également, la compétence judiciaire.
Le perdant, dans tout ce débat, est le justiciable. En présence
de ces deux jurisprudences contradictoires, la détermination
de l’ordre juridictionnel compétent devient une question
périlleuse. De plus, cette situation peut aboutir à deux
jugements
l’ordre
juridictionnel administratif, et l’autre de l’ordre juridictionnel
judicaire.
contradictoires,
émanant de
l’un
B. LES INCERTITUDES DU CRITERE MATERIEL
Contrairement au critère organique, le critère matériel est d’un
maniement délicat. Selon ce critère, la compétence du juge
administratif dépend de la mise en œuvre de certaines
notions : service public, puissance publique, domaine public,
agent public, travaux publics, etc. On peut dire que la
compétence du juge administratif suit la notion
32. Or, la
définition de toutes ces notions n’est pas toujours aisée, et
elle donne souvent lieu à des fluctuations selon les
circonstances de chaque espèce. On comprend donc qu’il
laisse une place à l’appréciation du juge, qui est parfois une
appréciation subjective.
Appliqué à l’activité des personnes publiques, le critère
matériel distingue entre l’activité de puissance publique de
celles-ci, qui relève de la compétence du juge administratif, et
leur activité privée relevant du juge judiciaire. Ainsi, en
principe, la gestion par les personnes publiques de leur
domaine privé est une gestion privée. Son contentieux relève,
donc, du juge judiciaire. Mais, comme tout principe, il connaît
des exceptions. Ces exceptions apparaissent, parfois, au gré
des circonstances de chaque affaire. Ainsi, le Tribunal
administratif a pu juger que la gestion des lots à usage
d’habitation relevant du domaine privé communal est une
activité à caractère administratif, parce qu’en commercialisant
ces lots, la commune participe directement à l’exécution du
31 Cass.civ., Chambres réunies, n°5269, 30 novembre 2006, SONEDE c/
Belgacem ; Cass.civ., Chambres réunies, n°6612, 30 novembre 2006, STEG c/
Khaled.
32 L’expression est de Jean-François LACHAUME, « La liaison entre la compétence
et le fond en droit administratif », in. L’exorbitance du droit administratif en
question(s), LGDJ, 2004, p.71 et ss.
11












Page 12
les marchés publics
service public du logement33. Voilà une conception on ne peut
plus large de la notion de service public. Dans le même sens,
si la vente d’une dépendance du domaine privé est de la
compétence du juge judiciaire, le juge administratif devient
compétent si la dépendance en question avait appartenu à
des étrangers
34.
Autre illustration significative de l’incertitude du critère
matériel. D’après une jurisprudence établie du Tribunal
administratif, les contrats entre personnes privées sont des
contrats privés relevant de la compétence du juge judiciaire,
sauf si l’une des parties privées a conclu le contrat pour le
compte d’une personne publique
35. Le Tribunal administratif a
décidé que
sont des contrats
administratifs
36. Or, un marché public peut être conclu entre
deux personnes privées, sans que l’une ait contracté pour le
compte d’une personne publique
37.
De la même façon, si en application du critère matériel, les
décisions des personnes privées ont un caractère administratif
lorsqu’elles traduisent la mise en œuvre d’une prérogative de
puissance publique, pour l’exécution du service public
38, les
décisions que ces mêmes personnes prennent en vue de leur
aménagement interne sont des actes de droit privé. On peut
constater que face à ces subtilités liées à l’application du
critère matériel, la détermination du juge compétent, et par
conséquent l’accès au juge, devient une gageure.
Enfin, notons que les actions intentées par les personnes
publiques contre les particuliers relèvent, en principe, de la
compétence du
judiciaire, « sauf certains cas
exceptionnels qui ne concernent pas la protection de la
propriété littéraire et artistique » des personnes publiques
39.
Cette formule laconique ne facilite, certainement, pas la tâche
des justiciables et leurs conseils.
juge
la
compétence de
Conclusion : L’adoption d’un critère matériel pour la
détermination de
juridiction
administrative est source de difficultés sérieuses. Pour ne pas
être débouté par le juge administratif, pour incompétence, il
faut être un fin connaisseur des subtilités de la jurisprudence
administrative. Or,
instable et
insuffisamment diffusée
40.
celle-ci est,
souvent,
la
33 TA, REP, 16 mai 1995, Abdeljelil Ben Saâd c/ Commune de Tozeur, Recueil
1995, p. 219 et s.
34 TA, REP, 1ère instance, 27 octobre 2000, Société civile immobilière « La nationale
96 » c/ Ministre des domaines de l’Etat et des affaires foncières, Recueil 2000,
p.221 et ss.
35 TA, 1ère instance, Chebil c/ Ministre de l’agriculture, des ressources hydrauliques
et de la pêche maritime et Chef du contentieux de l’Etat pour le compte du
même ministère, non publiée.
36 Voir, par exemple, TA, Appel, 1er décembre 1998, Commune de Tunis c/ Société
industrielle du textile, Recueil 1998, p. 587.
37 Parmi les acheteurs publics, au sens de la réglementation des marchés publics,
on trouve les entreprises publiques. Celles-ci prennent soit la forme d’un
établissement public soit celle d’une société, Dans ce dernier cas, on aura un
marché conclu entre un acheteur public-personne privée et son cocontractant qui
est également une personne privée.
38 TA, 1ère instance, 31 octobre 2006, Mourad c/ Fédération tunisienne de football,
Recueil 2006, p. 115 et ss.
39 TA, Appel, 11 juillet 2000, Chef du contentieux de l’Etat pour le compte de
l’ERTT c/ Société « Nouha Musique » et autres, Recueil 2000, p.446 et ss.
40 Jusqu’à ce jour, le Tribunal administratif ne dispose pas d’un site internet. Le
dernier Recueil de jurisprudence publiée du Tribunal date de 2011. Tout en
12
Recommandations
La consécration du critère matériel devrait s’accompagner
d’une amélioration du système qui conduit à déterminer la
compétence du juge administratif. La première chose à faire
est l’amélioration de la connaissance de la jurisprudence
administrative, qui passe par une meilleure diffusion de celle-
ci par tous les moyens possibles. Un meilleur accès au juge
administratif dépend d’une meilleure accessibilité à sa
jurisprudence. Ensuite, le juge administratif doit s’incliner à la
volonté du législateur, en matière de répartition des
compétences. Le juge administratif ne devrait pas détourner
un bloc de compétence institué par le législateur au profit du
juge judiciaire. Dans un Etat de droit, chaque autorité a son
rôle : au législateur de légiférer et au juge de dire le droit,
tout en sachant que l’interprétation a ses règles
41.
III. LA COMPETENCE NATIONALE DU
JUGE ADMINISTRATIF
Le Tribunal administratif a,
toujours, affirmé que sa
compétence ne s’étend pas au-delà des litiges à caractère
national, c’est-à-dire ceux mettant en cause les autorités
administratives nationales. Ainsi, le Tribunal s’est déclaré
incompétent pour connaître du recours intenté contre le refus
d’une société française de prendre en charge l’affiliation de la
requérante aux Caisses de la sécurité sociale, ainsi que des
conclusions tendant à obtenir les sommes qui auraient dues
être versées aux Caisses
42. Dans une affaire similaire, le
requérant intente un recours contre le refus de la Caisse de
sécurité sociale française de lui verser une indemnité
d’invalidité suite à une maladie chronique qui l’a obligé
d’arrêter le travail. Le Tribunal administratif a rejeté le recours
pour incompétence
43. De la même façon, le juge administratif
a rejeté la demande en référé du requérant tendant à
enjoindre au ministre français de la Défense de lui donner
communication d’une carte d’ancien combattant. Selon le
juge, « tant que la demande tend à prescrire à une autorité
étrangère de fournir au requérant un document, elle ne relève
pas de la compétence de ce Tribunal, et doit être rejetée pour
incompétence »
44.
Rien n’est plus normal que l’incompétence de la juridiction
administrative à l’égard des litiges provoqués par les actes
imputables à des Etats étrangers ou à des organisations
internationales. Sauf, bien sûr, si une convention internationale
lui a attribué compétence, à l’égard de certains de ces litiges.
D’ailleurs, dans les deux jugements précités, Ourida Jdey et
Khemaies, le Tribunal administratif évoque la convention
générale de sécurité sociale conclue, le 19 décembre 1965,
entre la Tunisie et la France, pour faire observer qu’elle ne
sachant que les Recueils ne publient qu’une partie de la jurisprudence rendue par
le Tribunal. Parfois, des décisions importantes n’y figurent pas.
41 Le Code des obligations et des contrats (COC) fournit quelques unes dans ses
articles 532 et suivants.
42 TA, 1ère instance, 7 avril 1999, Ourida Jdey c/ Laboratoires Astra France, Recueil,
p.122 et ss.
43 TA, 1ère instance, 10 mai 2000, Khemaies c/ Caisse de sécurité nationale
français, Recueil, p. 153 et ss.
44 TA, Ordonnance de référé, Président de la 2ème Chambre de première instance,
24 juin 2009, Ayed c/ Ministre de la défense français, Recueil, p. 30.
















Page 13
les affaires
susmentionnées pour
juge administratif, même si
détermine pas le juge compétent dans les litiges nés de son
application.
Toutefois, l’argumentation du Tribunal administratif dans
se déclarer
toutes
incompétent soulève une question en rapport direct avec le
droit d’accès au juge. En effet, le juge administratif estime
qu’étant donné le caractère national de la juridiction
administrative, il ne peut de ce fait appliquer que le droit
national. Cette position de principe du juge administratif rend
perplexe. Car, a contrario, elle signifie que les litiges appelant
l’application du droit étranger, sont ipso facto, hors de la
l’autorité
compétence du
contestée est une autorité administrative tunisienne
45, et
même si toutes les parties au litige sont tunisiennes
46. Cette
position de principe consistant à considérer que la juridiction
administrative n’applique que le droit national est contestable
et peut aboutir dans certains cas à porter atteinte au droit
d’accès au juge.
Pour étayer son point de vue, le juge administratif invoque le
principe de territorialité. Il suffit de rappeler, succinctement,
que la conception classique du principe de territorialité selon
laquelle la loi publique étrangère ne peut s’appliquer sur le
territoire national, est dépassée, en faveur d’une nouvelle
conception qui dissocie le principe de territorialité du concept
de souveraineté, pour le cantonner dans la fonction de
localiser un rapport de droit sur le territoire de tel ou tel
Etat
47. Par conséquent, tout rapport juridique de droit public
comportant un élément d’extranéité doit être localisé, et en
fonction de sa localisation, il sera tantôt soumis à la loi du for,
tantôt à la loi étrangère. Ceci dit, le juge administratif est
susceptible d’appliquer la loi étrangère. En droit comparé, la
qualité de juge national du juge administratif français ne l’a
pas empêché de statuer sur le fondement du droit étranger
48.
Conclusion : L’affirmation du caractère national de la
juridiction administrative tunisienne, l’a conduite à n’appliquer
que le droit national. Cette position est problématique dans la
mesure où elle conduit à interdire l’accès au prétoire du juge
administratif, chaque fois que l’application du droit étranger,
au litige, s’impose. C’est une restriction certaine du droit
d’accès au juge administratif.
45 Pensons, par exemple, à un litige opposant un agent contractuel de nationalité
étrangère aux services diplomatiques ou consulaires tunisiens à l’étranger, qui
l’ont employé. Dans ce cas, le juge administratif tunisien compétent acceptera-t-il
d’appliquer la loi d’exécution du contrat, c’est-à-dire la loi étrangère ou va-t-il se
déclarer incompétent ?
46 Par exemple, le litige qui peut opposer un tunisien propriétaire d’un
établissement éducatif privé à l’étranger enseignant conformément aux
programmes tunisiens, et le ministère de l’éducation qui octroie l’accréditation.
Voir décret gouvernemental n° 2016-824 du 24 juin 2016 fixant les conditions
d'accréditation des établissements éducatifs privés à l'étranger pour enseigner
conformément aux programmes tunisiens, JORT, n°55-56 des 4-8 juillet 2016, p.
2149 et ss.
47 Voir J.-M. Bischoff, «La territorialité des lois de droit public dans ses rapports
avec les principes de non-discrimination et d’égalité d’accès reconnus en matière
de pollution transfrontalière », in. Aspects juridiques de la pollution
transfrontalière, OCDE, 1977, p. 138.
48 Voir Bernard Dolez, « Le juge administratif et les conflits de lois », RDP, 1995,
p. 1029-1051.
Recommandations
Le principe de territorialité ne pouvant plus fonder, en théorie,
l’exclusion, par le juge administratif, du droit étranger, il est
recommandé d’admettre, sur le plan pratique, l’application du
droit étranger, ce qui ne peut que renforcer la place du juge
administratif au sein du pouvoir juridictionnel
49. Devant le
développement des relations internationales impliquant les
personnes publiques, la voie du bilatéralisme n’est plus un
luxe, c’est une nécessité. Pour vaincre la timidité du juge
administratif, le législateur peut prévoir, expressément, la
possibilité pour le juge de statuer sur le fondement d’une
règle appartenant à un ordre juridique étranger, dès lors,
certainement, que cette règle n’est pas contraire aux
exigences de l’ordre public tunisien.
IV. LA COMPETENCE DU JUGE DE
L’EXCES DE POUVOIR
A. LA COMPETENCE A L’EGARD DES DECRETS A
CARACTERE REGLEMENTAIRE
La particularité de cette catégorie de décisions administratives
était l’immunité juridictionnelle dont ils bénéficiaient à
l’encontre de l’action en annulation. Dans sa version originale,
l’article 3 alinéa 2 de la loi n° 72-40 du 1er juin 1972 relative
au Tribunal administratif, précitée, prévoyait : « ...ne sont pas
susceptibles de recours pour excès de pouvoir les décrets à
caractère réglementaire ». Pour justifier cette immunité
contraire à la logique de la soumission de l’administration au
droit
50, on invoquait l’identité matérielle entre les décrets à
caractère réglementaire et la loi. Mais, en réalité, on savait que
les décrets à caractère réglementaire étaient insusceptibles de
recours pour excès de pouvoir, parce qu’ils émanaient du
président de le République. Mais, on pouvait, toujours,
invoquer l’illégalité d’un décret à caractère réglementaire par
voie d’exception, c’est-à-dire à l’occasion d’un recours dirigé
contre une décision procédant de celui-ci. Si cette exception
est fondée, l’illégalité de la décision attaquée sera établie.
Ladite immunité n’a disparu qu’avec la loi organique n° 2002-
11 du 4 février 2002 modifiant et complétant la loi n°72-40 du
1er juin 1972 relative au Tribunal administratif, puisque l’article
3 de cette dernière loi dispose désormais que « le Tribunal
administratif est compétent pour statuer sur les recours pour
excès de pouvoir tendant à l’annulation des actes pris en
matière administrative ».
S’il est possible, dorénavant, d’intenter devant la juridiction
administrative, un recours pour excès de pouvoir contre un
décret à caractère réglementaire, le législateur a institué un
régime procédural dérogatoire pour ce type de recours,
49 Le juge judiciaire adopte le bilatéralisme depuis longtemps.
50 A l’époque, le thème de l’Etat de droit n’était pas courant.
13



















Page 14
régime qui n’est pas de nature à faciliter l’accès au juge
administratif.
En effet, le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les
décrets à caractère réglementaire n’est recevable qu’à deux
conditions : l’exercice d’un recours administratif préalable et le
ministère d’un avocat auprès de la Cour de cassation
51. Par
contre, s’il est dirigé contre n’importe quelle autre décision, il
est dispensé du ministère d’avocat en première instance, et le
recours administratif préalable est facultatif
52.
Conclusion : Le régime contentieux dérogatoire du recours
pour excès de pouvoir dirigé contre les décrets à caractère
réglementaire est, à l’évidence, plus compliqué que le recours
pour excès de pouvoir de droit commun. Il peut dissuader le
justiciable d’accéder au juge.
Recommandations
Le régime contentieux du recours pour excès de pouvoir
contre les décrets réglementaires est anachronique. Il ne
correspond plus au nouveau contexte constitutionnel et
politique. Le législateur pourrait revoir ce régime dérogatoire
pour l’aligner sur le droit commun.
B. LA COMPETENCE A L’EGARD DES MESURES
D’ORDRE INTERIEUR
En principe, le recours pour excès de pouvoir n’est recevable
que s’il est dirigé contre une décision administrative. Mais,
certaines mesures, tout en ayant incontestablement le
caractère de décisions, sont insusceptibles de recours pour
excès de pouvoir : il s’agit des mesures d’ordre intérieur. Le
juge administratif estime que la faible importance pratique de
ces décisions justifie qu’elles ne puissent accéder à son
prétoire.
Pourtant, ces mesures « concrétisent l’existence d’une sorte de
pouvoir de police interne à l’administration...un pouvoir
destiné à assurer, à l’égard des agents des services comme
des usagers de ces derniers, un certain ordre intérieur »
53. Elles
peuvent donc avoir des effets non négligeables sur les droits
des
services. D’ailleurs,
traditionnellement, les mesures d’ordre intérieur sont liées à
trois lieux très sensibles : l’école, la prison et la caserne, lieux
où la discipline se fait sentir très fort. Mais, le champ des
mesures d’ordre intérieur dépasse ces trois institutions pour
toucher les divers aspects de la vie administrative. Ainsi, le
Tribunal administratif a jugé que le fait, pour l’administration,
d’adresser un avertissement sévère à l’un de ses agents, sans
usagers
agents
des
et
le conserver dans son dossier personnel, constitue une mesure
d’ordre intérieur, insusceptible donc de recours pour excès de
pouvoir
54.
Font partie également de la catégorie des mesures d’ordre
intérieur, les mesures d’organisation du service. Mais, ces
dernières mesures présentent une particularité : seuls les
agents du service (ainsi que leurs associations et syndicats)
sont irrecevables à les attaquer, les usagers et les tiers au
service sont recevables à intenter un recours pour excès de
pouvoir contre ce type de mesures. Ainsi, est irrecevable le
recours d’un chef de service, dans un hôpital, contre la
décision ministérielle mettant fin à ses fonctions, sauf si cette
décision porte atteinte aux droits ou prérogatives des agents
55.
Cette jurisprudence s’explique par la préoccupation d’assurer
le respect dû au principe hiérarchique.
Conclusion : Bien que l’immunité juridictionnelle des
mesures d’ordre intérieur procède d’une préoccupation liée à
l’intérêt d’une bonne administration de la justice, à savoir
éviter l’encombrement du prétoire du juge administratif, elle
constitue, néanmoins, une atteinte au droit d’accès au juge.
Elle est contraire à la tendance qui va dans le sens de
l’élargissement des possibilités de contrôle de l’action
administrative. Aussi, remarque-t-on, en droit comparé que les
mesures d’ordre intérieur sont en net recul, le contrôle
juridictionnel gagnant, constamment, du terrain à leur
détriment.
Recommandations
intérieur. Surtout,
La notion de mesure d’ordre intérieur étant une entorse au
principe de la primauté de droit et au droit d’accès au juge,
son emploi, par le juge, doit être limité au strict nécessaire,
lorsque la minceur juridique de ces mesures est telle que leur
contrôle s’avère vraiment inutile.
De toute façon, si l’abolition de la catégorie des mesures
d’ordre intérieur n’est pas pour demain, il est à espérer que le
juge soit plus rigoureux dans la qualification de mesure
d’ordre
telle
il
qualification lorsque la mesure litigieuse porte atteinte à des
droits et libertés fondamentaux. C’est le cas, par exemple, des
règlements intérieurs des collèges et lycées, qui peuvent
interdire le port de certains insignes ou vêtements, et
concerner ainsi les libertés d’expression et de croyance des
élèves.
Quant au cas particulier des mesures d’organisation du
service, la jurisprudence doit, également, évoluer dans le sens
de l’assouplissement des conditions de recevabilité des
recours des agents, en tirant les conséquences de l’évolution
faudrait éviter une
51 Article 35 alinéa dernier de la loi du 1er juin 1972 relative au Tribunal
administratif. Les recours étaient du ressort des chambres d’appel en première
instance, et de celui de l’Assemblée plénière en appel. Cette bizarrerie a disparu
par l’effet de la loi organique n°2011-2 du 3 janvier 2011 modifiant et complétant
la loi n° 72-40 du 1
er juin 1972 relative au Tribunal administratif, JORT n°2 du 7
janvier 2011, p. 45 et s.
52 Articles 35 et 37 de la loi du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif.
53 René Chapus, Droit administratif général, t.1, Paris, Montchrestien, Domat droit
public, 11ème éd.,2004, n°670, p. 559.
14
54 TA, REP, 30 mars 1982, Jerbi c/ Ministre du transport et des communications,
Recueil, p. 51.
55 TA, REP, 22 juillet 1977, Amel Fray c/ Ministre de la Santé publique, Recueil,
p.181 ; TA, REP, 25 mai 1994, Noureddine Kaddour c/ Ministre de la santé
publique, Recueil, p.78.


















Page 15
législative sur la fonction publique, dans le sens d’une
meilleure association des agents à l’organisation des services
56.
C. LA COMPETENCE A L’EGARD DES ACTES
ADMINISTRATIFS NON DECISOIRES
et
en
commentant
Les actes émanant de l’administration n’ont pas tous un
caractère décisoire. Seuls ont ce caractère les actes unilatéraux
de l’administration édictant une norme, c’est-à-dire un énoncé
à caractère prescriptif. Or,
l’administration n’est pas,
uniquement, une institution commandante, qui prescrit. Le
contenu des actes de l’administration sont d’une variété
extrême.
L’administration prend, notamment, des circulaires. Elles
contiennent des instructions, recommandations et explications
adressées par les chefs de service, et notamment par les
ministres, aux agents dont ils dirigent l’action. Le plus souvent,
elles sont relatives à l’application d’une loi ou d’une
en
réglementation déterminées,
interprétant leurs dispositions.
Le Tribunal administratif distingue entre les circulaires
impératives et celles qui ne le sont pas. Les premières
couvrent les circulaires réglementaires, c’est-à-dire celles qui
ajoutent à l’ordonnancement juridique, en accordant aux
administrés des droits ou des garanties ou en leur imposant
des obligations supplémentaires par rapport à la législation ou
à la réglementation en cause
57, et les circulaires interprétatives
impératives qui, en se bornant à donner une interprétation du
droit existant, prescrivent d’appliquer cette interprétation
58. Les
circulaires impératives sont considérées comme ayant une
valeur normative (normatrices) et sont, donc, attaquables
devant le juge.
Au contraire, n’ont pas une valeur normative, les instructions
qui n’ont aucun caractère impératif : les simples conseils, les
recommandations d’agir en tel ou tel sens, et qui préservent
la marge de manœuvre des autorités compétentes pour
prendre
la décision, constituent des circulaires non
impératives, des circulaires interprétatives.
Les circulaires interprétatives ont une grande importance
pratique. Car, dans les faits, les agents du service attendent la
circulaire adéquate pour faire application des dispositions
législatives et réglementaires, qui pourtant sont déjà en
vigueur
59.
Malgré leur importance, les circulaires interprétatives sont
insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. Un tel
recours, exercé par un administré, sera rejeté comme
irrecevable. De la même façon, les moyens tirés de la violation
d’une circulaire ne sont pas utilement invocables, en ce sens
que les administrés ne sauraient utilement faire valoir qu’une
décision devrait être annulée parce qu’elle a été prise en
circulaire
méconnaissance
interprétative.
dispositions
d’une
des
Conclusion : Les circulaires interprétatives mettent devant un
dilemme. D’une part, il est affirmé que toute l’action de
l’administration doit respecter la légalité, y compris ses actes
non décisoires ; d’autre part, le juge crée une zone de non-
droit en refusant de contrôler les circulaires interprétatives.
Recommandations
Le juge administratif invoque l’absence du caractère impératif
des circulaires interprétatives, pour rejeter les recours en
annulation dirigés contre elles. Cet argument peut être
contourné par une analyse d’ordre psychologique de l’impact
de ces circulaires, à l’égard de leurs destinataires. En effet, les
agents du service ne procèdent à l’application des lois et
règlements, pourtant en vigueur, qu’après l’édiction de la
circulaire interprétative adéquate par le supérieur hiérarchique.
C’est dire la perception qu’ont les agents de ces circulaires.
S’ils ne les considéraient pas comme impératives, ils auraient
passé directement à l’application des lois et règlements en
cause, sans attendre la circulaire. Dit autrement, le caractère
impératif de l’acte administratif doit être appréhendé d’une
manière large, en ne le limitant pas au style dans lequel est
rédigée la circulaire.
En droit comparé, dans des décisions récentes
60, le juge
administratif français admet, désormais, la possibilité de
former, dans certaines conditions, des recours pour excès de
pouvoir contre des actes de « droit souple » qui, donc, ne
remplissent pas les critères traditionnels de la décision faisant
grief. En effet, il a accepté la recevabilité de recours dirigés
contre un communiqué de l’Autorité des marchés financiers et
une prise de position de l’Autorité de la concurrence, en
raison des conséquences produites par ces actes.
Il est possible d’accepter les recours en annulation dirigés
contre les circulaires interprétatives, qui elles aussi relèvent
des actes de «droit souple ».
56 Ce qu’illustre, à titre d’exemple, l’institution des « commissions administratives
paritaires » dans l’administration.
57 TA, REP, 3 mars 1978, Mustapha Khouja c/ Premier ministre, Recueil, p. 44.
58 TA, REP, 1ère instance, 28 mars 2008, Abdelmagid c/ Ministre de l’enseignement
supérieur, de la recherche scientifique et de la technologie, Recueil, p.29 ; TA,
REP, 1
ère instance, 30 novembre 2011, Chambre régionale des conseillers fiscaux
de Nabeul c/ Ministre de la justice, Recueil, p. 94.
59 Dans l’arrêt du Tribunal administratif, en date du 12 juin 1990, Mohamed
Toumi c/Ministre de la justice (Recueil, p.391 et s.), le juge a considéré que la
circulaire attaquée est interprétative dans la mesure où elle se limite à expliciter
les dispositions de l’arrêté relatif aux honoraires des huissiers de justice sans rien
y ajouter. Par contre, dans le jugement, précité, du 30 novembre 2011, Chambre
régionale des conseillers fiscaux de Nabeul (voir la note n° 58 ci-dessus), le juge
a considéré que la circulaire attaquée est interprétative impérative. Plusieurs
éléments ont conduit le juge à cette conclusion : le style de rédaction, le ton
employé et la sanction procédurale prévue en cas de non-respect de la circulaire.
60 Conseil d’Etat, ass., 21 mars 2016, Société Fairvesta international GMBH, n°
368082 ; Conseil d’Etat, ass., 21 mars 2016, Société Numericable, n° 390023.
15















Page 16
D. LA COMPETENCE A L’EGARD DES DECRETS-LOIS
Les décrets-lois sont des mesures prises, par des autorités
administratives, dans des matières normalement réservées au
législateur, qu’il s’agisse d’intervenir dans des matières
législatives non encore légiférées, ou d’abroger ou modifier
des lois en vigueur.
En vertu de la Constitution du 27 janvier 2014, en cas de
dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple, des
décrets-lois peuvent être pris, par le président de la
République, en accord avec le chef du gouvernement, et qui
seront soumis à l’approbation de l’Assemblée au cours de la
session ordinaire suivante. De même, celle-ci peut prendre
une loi habilitant le chef du gouvernement, pour une période
ne dépassant pas deux mois, et en vue d’un objectif
déterminé, à prendre des décrets-lois. A l’expiration de cette
période, ces décrets-lois seront soumis à l’approbation de
l’Assemblée des représentants du peuple (Article 70).
Mais, la question du régime contentieux des décrets-lois s’est
posée, avec acuité, concernant ceux pris pendant la période
de transition, c’est-à-dire après le 14 janvier 2011 et avant
l’adoption de la nouvelle Constitution.
L’article 4 du décret-loi n° 2011-14 du 23 mars 2011
portant organisation provisoire des pouvoirs publics
61
prévoyait que « les textes à caractère législatif sont
promulgués sous forme de décrets-lois. Le président de la
République par intérim promulgue les décrets-lois... ». La
jurisprudence du Tribunal administratif concernant la valeur de
ces décrets-lois s’est caractérisée par son instabilité. Dans
certaines décisions, le Tribunal a jugé que les décrets-lois pris
sur la base de l’article 4 précité, ont une valeur législative, et
sont, par conséquent, insusceptibles de recours pour excès de
pouvoir
62. Dans une autre affaire, le juge administratif s’est
déclaré, également, incompétent, mais parce que le décret-loi
en question a été considéré comme un acte de souveraineté
63.
Mais, dans un jugement, il a été décidé que les décrets-lois en
cause constituent des décisions administratives susceptibles
juge
de
administratif
64.
recours pour excès de pouvoir devant
le
Les décrets-lois pris sur la base de la loi n° 2011-5 du 9
février 2011, habilitant le président de la République par
intérim à prendre des décrets-lois conformément à l'article 28
la Constitution de 195965 ont connu
de
les mêmes
tergiversations
66. Ils ont été considérés, d’abord, comme des
actes à valeur législative, que le Tribunal administratif ne peut
censurer par la voie de l’annulation
67. Mais, il semble que la
question de la valeur de ces décrets –lois est réglée par un
jugement récent
68, qui a distingué entre les décrets-lois pris en
application de la loi du 9 février 2011, sus-indiquée, et ceux
pris sur la base de l’article 4 du décret-loi du 23 mars 2011,
précité. Les premiers sont des actes administratifs tant qu’ils
n’ont pas été ratifiés par le législatif, et ce en application de
l’article 28 de la Constitution de 1959, tandis que les seconds
sont des actes à caractère législatif, dès leur édiction.
Conclusion : La détermination de la valeur des décrets-lois
est une question très importante, car la justiciabilité du
décret-loi dépend de la réponse à cette question. Si on les
considère comme des actes à caractère législatif ou des actes
de souveraineté, ils seront à l’abri du contrôle du juge
administratif. S’ils sont considérés comme des actes
administratifs, ils seront susceptibles d’être annulés par le juge
administratif, en cas d’illégalité.
Recommandations
Le juge administratif devrait consolider les acquis de la
jurisprudence Belhassen et autres issue du jugement, précité,
du 8 juin 2015. En effet, il est admis, en doctrine, que les
décrets-lois sont des actes administratifs tant qu’ils n’ont pas
été ratifiés par une loi. Par conséquent, comme toutes
décisions administratives, ils sont susceptibles de recours pour
excès de pouvoir. Les décrets-lois ne sont à l’abri de la
censure du juge administratif qu’en conséquence de leur
ratification, qui les transforme, rétroactivement, en textes de
valeur législative.
E. LA COMPETENCE A L’EGARD DES ACTES
ADMINISTRATIFS RELEVANT DU JUGE JUDICIAIRE
Le juge naturel de la légalité des décisions administratives est
le juge administratif. Le contrôle de la légalité des actes
administratifs est une compétence, constitutionnellement,
réservée au législateur. L’article 116 de la Constitution du 27
janvier 2014, et avant lui l’article 57 de la Constitution du 1er
juin 1959 dans sa version originale, prévoient que le juge
61 JORT n° 20 du 25 mars 2011, p. 363 et ss. Ce décret-loi décide la dissolution
de la Chambre des députés et de la Chambre des conseillers. C’est le président
de la République par intérim qui exerce désormais, le pouvoir législatif, par
décrets-lois. Il exerce, également, le pouvoir exécutif, avec l’assistance d’un
gouvernement provisoire. Ce décret-loi constitue, en réalité, la nouvelle
« constitution » de la Tunisie, la Constitution du 1er juin 1959 étant mise en
veilleuse. Ce décret-loi a été baptisé, d’ailleurs, « la petite constitution ».
62 TA, Sursis à exécution, n° 413663, 24 juin 2011, Société Matel et Société
Lougeyn, non publiée ; TA, Sursis à exécution, n° 413778, 26 août 2011, Afif
Bouni, Recueil, p. 676.
63 TA, Sursis à exécution, n° 413838, 17 octobre 2011, Parti Alhadatha, non
publiée.
64 TA, 1ère instance, n° 124153, 4 juillet 2012, Mohamed Ali Kabsi c/ Chef du
gouvernement, non publié.
16
65 JORT n° 10 du 10 février 2011, p. 170.
66 La loi du 9 février 2011 intervient dans un contexte de perte totale de sa
légitimité par la Chambre des députés. Ne pouvant plus, politiquement, légiférer,
celle-ci se dessaisit, en application de la Constitution du 1
er juin 1959, encore en
vigueur à la date de promulgation de la loi, en habilitant le président de la
République par intérim à prendre des décrets-lois. Cette loi a constitué un
prélude à la dissolution de ladite Chambre, qui a eu lieu en vertu du décret-loi
n°2011-14 du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics,
sus-indiqué.
67 TA, Sursis à exécution, n° 413623, 17 juin 2011, Mohamed Trabelsi, non
publiée.
68 TA, 1ère instance, n° 123538, 8 juin 2015, Belhassen et autres c/ Chef du
gouvernement, non publié.


















Page 17
administratif est compétent pour connaître de l’excès de
pouvoir de l’administration.
Toutefois, certaines lois attribuent, au juge judiciaire, la
compétence de statuer sur la contestation de certaines
décisions administratives. Ce qui pose la question de la
constitutionnalité de ces lois. La Cour constitutionnelle aura,
probablement, à connaître de cette question, à l’occasion des
inconstitutionnalités que l’une des parties soulèvera devant les
tribunaux (article 120 alinéa 1er, 4ème tiret de la Constitution).
Parmi les lois sus-indiquées, citons la loi n° 94-117 du 14
novembre 1994, portant réorganisation du marché financier
69.
Il ressort de cette loi que la Conseil du marché financier est
habilité à prendre des règlements ainsi que des décisions
individuelles
(article 28). Prises dans des matières
administratives, ces décisions sont, certainement, des décisions
administratives. Pourtant, la contestation de ces décisions
relève, en vertu de la loi, de la compétence de la Cour d’appel
de Tunis (articles 40 et 42).
De même, la contestation des décisions administratives prises
par l’Instance nationale de protection des données à caractère
personnel
70 (octroi ou retrait des autorisations de traitement
des données à caractère personnel, retrait de déclarations,
élaboration de règles de conduite relatives au traitement des
données à caractère personnel, par exemple. Voir l’article 76
de la loi organique du 27 juillet 2004, précitée), doit être faite
devant le juge judiciaire. Les décisions de l’Instance sont
susceptibles de recours devant la Cour d’appel de Tunis, dans
un délai d’un mois à partir de leur notification. Et le législateur
de préciser qu’il est statué sur le recours selon les dispositions
du Code de procédure civile et commerciale. Qui plus est, les
arrêts rendus par la Cour d’appel de Tunis sont susceptibles
de pourvoi en cassation devant la Cour de cassation (article
82 alinéas 2 et dernier).
Dans le même ordre d’idées, une série de lois ont été
adoptées afin de protéger la propriété industrielle : la loi n°
2000-84 du 24 août 2000 relative aux brevets d’invention
71, la
loi n° 2001-20 du 6 février 2001 relative à la protection des
schémas de configuration des circuits intégrés
72, la loi n°
2001-21 du 6 février 2001 relative à la protection des dessins
et modèles industriels
73 et la loi n° 2001-36 du 17 avril 2001
relative à la protection des marques de fabrique, de
commerce et de services
74. Dans toutes ces lois, il est prévu
que les recours formés contre les décisions du représentant
légal de l’organisme chargé de la propriété industrielle en
matière de délivrance ou de rejet des brevets d’invention, de
dépôt ou de refus des schémas de configuration des circuits
intégrés, de dépôt, de rejet ou de maintien de la protection
des dessins et des modèles industriels, de délivrance ou de
les
tribunaux
rejet des marques, sont portés devant
compétents.
Les décisions en cause sont des décisions administratives :
elles émanent d’une structure publique, qui gère un service
public en usant de prérogatives de puissance publique. La
contestation de ces décisions doit relever normalement de la
compétence du juge administratif.
A la grande surprise, dans un jugement remarquable, le
Tribunal administratif,
le caractère
administratif de la décision de refus d’enregistrer une marque,
décline sa compétence au profit du juge judiciaire. Pour
justifier la solution, le Tribunal invoque l’intérêt d’une bonne
administration de la justice, qui exige l’attribution des divers
recours en matière de marques, au juge judiciaire, pour éviter
l’éparpillement de ce contentieux entre plusieurs juges
75.
tout en affirmant
: Même
Conclusion
le noyau dur du contentieux
administratif, à savoir le contrôle de la légalité des décisions
administratives, n’a pas été épargné des chamboulements
répartition des compétences
législatifs, en matière de
juridictionnelles. Le désarroi du justiciable, à la recherche d’un
juge, est plus fort, lorsque le juge administratif contribue à ce
désordre, en déclinant sa compétence alors qu’il est censé
légalité des décisions
être
administratives.
le gardien naturel de
la
Recommandations
Pour l’intelligibilité de l’état de droit en matière de répartition
des compétences, le contentieux de la légalité des décisions
administratives doit être réservé au juge administratif. Le
législateur a consacré cette solution dans plusieurs textes (par
exemple dans le contentieux de l’expropriation ou de la
sécurité sociale).
Les textes qui adoptent la solution contraire soulèvent,
d’ailleurs, des questions de constitutionnalité au regard de
l’article 116 de la nouvelle Constitution.
V. LA COMPETENCE DU JUGE DE PLEIN
CONTENTIEUX
A. LE PLEIN CONTENTIEUX OBJECTIF
Relèvent du plein contentieux objectif76, le contentieux fiscal et
le contentieux électoral. Chacun de ces deux contentieux est
éparpillé entre le juge judiciaire et le juge administratif.
69 JORT n° 90 du 15 novembre 1994, p. 1850 et ss.
70 Créée par la loi organique n°2004-63 du 27 juillet 2004 portant sur la
protection des données à caractère personnel, JORT, n° 61 du 30 juillet 2004, p.
1988 et ss.
71 JORT n° 68 du 25 août 2000, p. 1983 et ss.
72 JORT n° 12 du 9 février 2001, p. 253 et ss.
73 JORT n° 12 du 9 février 2001, p. 257 et ss.
74 JORT n° 31 du 17 avril 2001, p. 834 et ss.
75 TA, 1ère instance, 30 juin 2008, Société Confiseries Jawhara Bab Laâsal c/ La
directrice générale de l’INNORPI et le Chef du contentieux de l’Etat pour le
compte du ministère de l’industrie, de l’énergie et des petites et moyennes
entreprises. Recueil, p. 21 et ss.
76 Le plein contentieux objectif présente deux caractéristiques : il est un plein
contentieux dans la mesure où il donne au juge les pouvoirs les plus larges. Il est
objectif parce qu’il pose au juge une question de légalité. C’est ainsi que le juge
électoral examine la régularité de l’élection, procède éventuellement à son
17


















Page 18
la
la
le
l’ordre
tenu de
retenue par
1. Le contentieux fiscal relève, selon les prescriptions du Code
des droits et procédures fiscaux, de la compétence des
juridictions judiciaires du fond, en première instance et en
appel, et de celle du Tribunal administratif en tant que juge
de cassation.
Le contentieux fiscal fait partie du contentieux administratif.
Répondant à une question des députés sur les raisons de
l’attribution du contentieux fiscal, au Tribunal administratif, au
stade de la cassation, le représentant du gouvernement a
indiqué, clairement, que compte
la nature
administrative du contentieux fiscal, il a été attribué au
Tribunal administratif, et que l’attribution de ce contentieux
aux juridictions judiciaires est dictée par l’absence de
juridictions administratives dans les régions
77.
La mise en œuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles
relatives à la création des Tribunaux administratifs de première
instance et des Cours administratives d’appel devrait avoir
pour effet
juridictionnel
récupération, par
administratif, du contentieux fiscal dans son intégralité.
L’unification du contentieux fiscal est de nature à faciliter
l’identification du juge compétent, en matière fiscale, et à
améliorer la qualité de la justice fiscale rendue aux justiciables.
La qualité de
incontestablement,
justice constitue,
aujourd’hui, un élément du droit d’accès au juge. Car la
solution actuelle,
législateur, outre sa
constitutionnalité discutable, aboutit à ce que les juges de
cassation fiscale, ceux du Tribunal administratif, soient appelés
à statuer sur des questions, alors qu’ils n’ont pas connu de
l’affaire au fond, puisque le juge de cassation ne statue en
principe que sur les questions de droit. L’expérience a montré,
en outre, que le juge judiciaire ne se considère pas toujours
tenu par la jurisprudence du Tribunal administratif, qui lui est
étranger. D’ailleurs, les divergences de jurisprudence ne
manquent pas entre le Tribunal administratif et les juridictions
judiciaires. Dans ces conditions, le Tribunal administratif, juge
de cassation fiscale, risque de ne pas pouvoir jouer son rôle
essentiel d’harmonisation de la jurisprudence des juridictions
du fond.
2. Le contentieux électoral est, également, partagé entre les
juridictions judiciaires et le Tribunal administratif. Si le
contentieux de l’inscription sur les listes électorales est du
ressort du juge civil (tribunaux de première instance et cours
d’appel), la contestation des décisions de l’ISIE relatives aux
candidatures aux élections présidentielles, ainsi que la
contestation des résultats des différents scrutins, appartient au
Tribunal administratif
(chambres d’appel et Assemblée
plénière). Quant à la contestation des décisions de l’ISIE
concernant les candidatures aux élections législatives, elle est
elle-même partagée, verticalement donc, entre le juge
judiciaire, en première instance, et le Tribunal administratif, en
appel
78.
La parcellisation à l’extrême d’un contentieux ne peut que
nuire au droit d’accès au juge. Comme signalé plus haut, pour
le contentieux fiscal, l’unification du contentieux au profit d’un
seul ordre de juridictions conduit à avoir des juges spécialisés
lorsqu’on évite
sera mieux acquise
à même de rendre une justice de qualité. Rappelons que l’une
des conditions requises du juge, par la Constitution dans son
article 103, est qu’il doit être compétent. Or, cette
la
compétence
parcellisation du contentieux.
Quant à la considération relative au rapprochement de la
justice au justiciable, elle peut être atteinte par d’autres
moyens que le morcellement du contentieux relatif à une
même matière. Le projet de loi organique modifiant et
complétant la loi organique du 26 mai 2014 relative aux
élections et au référendum en est une illustration, puisqu’il
prévoit, conformément à l’article 15 alinéa dernier de la loi du
1er juin 1972 relative au Tribunal administratif, la création de
chambres
juridictionnelles administratives de première
instance pour statuer sur les contestations des décisions de
l’ISIE concernant les candidatures aux élections locales. L’appel
des jugements rendus par lesdites chambres est porté devant
les chambres d’appel du Tribunal administratif.
B. LE PLEIN CONTENTIEUX SUBJECTIF
1. Le contentieux contractuel. Si le contrat, en lui-même, est
insusceptible de recours pour excès de pouvoir, le juge
administratif a admis la recevabilité des recours en annulation
intentés contre les actes détachables du contrat
79 : la décision
de conclure le contrat, l’autorisation de le conclure, la décision
d’approbation du contrat, par exemple
80.
Si l’acte détachable est illégal, le juge de l’excès de pouvoir va
l’annuler. Mais, la question se pose de savoir si, en plus de
l’annulation, le juge accepterait de tirer les conséquences qui
en découleraient sur la validité du contrat. En d’autres termes,
admettra t-il de prononcer la nullité du contrat ?
La réponse, qui découle de la distinction entre le juge de
l’excès de pouvoir et le juge du contrat, est négative. Les
pouvoirs du juge de l’excès de pouvoir ne lui permettent pas
de prononcer la nullité du contrat. Seul le juge du contrat
peut prononcer cette nullité. Par conséquent, après avoir
obtenu l’annulation de l’acte détachable, l’intéressé doit saisir
le juge du contrat, pour tirer les conséquences de cette
annulation.
Cette complication, liée à l’office limité du juge de l’excès de
pouvoir, constitue une complication procédurale de nature à
porter atteinte au droit d’accès au juge, puisqu’elle se traduit,
nécessairement, par des coûts de procédure et de temps tels
qu’ils peuvent dissuader celui qui a obtenu l’annulation de
l’acte détachable, de saisir le juge du contrat.
L’hésitation de saisir le juge du contrat est d’autant plus
justifiée que l’annulation de l’acte détachable n’entraîne pas,
invariablement, la nullité du contrat.
annulation et proclame lui-même les nouveaux résultats. De même, le juge fiscal
vérifie la légalité de l’acte d’imposition, rectifie, si besoin est, l’assiette de l’impôt
et procède lui-même à la liquidation de l’impôt dû.
77 Journal officiel, Débats de la Chambre des députés, n° 39, 21 juillet 2000, p.
1938, réponse à la question n° 150.
78 Voir la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative aux élections et au
référendum, JORT n° 42 du 27 mai 2014, p. 1382 et ss.(en arabe uniquement).
79 TA, REP, 11 mars 1980, Guiga c/ Ministre des finances, Recueil, p. 93 ; TA, REP,
29 juin 1979, Bou Zguenda c/ Maire de Tunis, Recueil, p. 207.
80 Voir Mohamed Sayari, « L’identification des décisions détachables du contrat
dans la jurisprudence du Tribunal administratif », in. Mélanges en l’honneur du
doyen Yadh Ben Achour. Droits et culture, CPU, 2008, p. 945 et ss.
18









Page 19
réparation,
il existe encore quelques
2. Le contentieux de la responsabilité. Si le principe est que
les dommages causés par l’activité administrative doivent
recevoir
îlots
d’irresponsabilité. C’est le cas, notamment, des servitudes
d’urbanisme, dans la mesure où l’article 23 du Code de
l’aménagement du territoire et de l’urbanisme prévoit que «
les servitudes résultant des règlements d’urbanisme...ne
donnent droit à aucune indemnité... ». Dans le même sens,
peut être cité, également, le cas de la servitude de franc bord.
Selon l’article 40 alinéa 1er in fine du Code des eaux, celle-ci «
ne donne pas droit à indemnité ».
L’irresponsabilité de l’administration semble contraire à la
Constitution, qui consacre le droit d’accès au juge, dont le
droit d’agir en responsabilité est un corollaire.
Conclusion : Aussi bien l’irresponsabilité de l’administration
que le partagedes compétences entre les deux ordres de
juridictions en matière de plein contentieux objectif, nuisent
au droit d’accès au juge administratif.
Recommandations
législateur doit,
toujours, veiller à
l’unification du
Le
contentieux administratif, en l’attribuant au juge administratif,
son juge naturel. Sauf si l’intérêt d’une bonne administration
de la justice exige la solution contraire.
Quant aux textes consacrant l’irresponsabilité de la puissance
publique, ils devraient être revus. En heurtant, frontalement, le
droit d’accès au juge et son corollaire le droit d’agir en
responsabilité, ces
textes soulèvent des questions de
constitutionnalité.
VI. LA
COMPETENCE
JURIDICTIONS DE RECOURS
DES
Le droit d’accès au juge s’entend aussi bien du droit au
premier juge que du droit d’accès aux juridictions de recours.
A. LE RECOURS EN APPEL
remarquables apportées par
L’une des nouveautés
la
Constitution du 27 janvier 2014 est la disposition de l’alinéa 3
de son article 108 selon lequel la loi « garantit le double
degré de juridiction ». Ainsi, le droit à un recours en appel à
une valeur constitutionnelle.
L’article 108 alinéa 1er de la Constitution dispose que « toute
personne a droit à un procès équitable ». La règle du double
degré de juridiction contribue à renforcer la garantie des
droits de la défense, composante nécessaire d’un procès
équitable.
L’appel administratif a été réhabilité à l’occasion de la loi n°
96-39 qui a modifié et complété la loi n° 72-40 du 1er juin
1972
les
relative au Tribunal administratif. Désormais,
chambres d’appel au Tribunal administratif sont compétentes
pour statuer sur « l’appel interjeté contre les jugements,
rendus par les chambres de première instance du Tribunal
administratif ».
Cette disposition abroge celle qui prévoyait que les jugements
en matière de recours pour excès de pouvoir sont rendus en
premier et dernier ressort (Article 3 alinéa 1 de la loi du 1er
juin 1972 relative au Tribunal administratif, dans sa version
originale).
La compétence d’appel du Tribunal administratif trouve son
siège dans l’article 19 da la loi du 1er juin 1972, précitée, qui
énumère la liste des jugements susceptibles d’appel devant les
chambres d’appel. La liste est extensive et concerne la plupart
des jugements rendus en premier ressort.
Toutefois, en examinant la loi du 1er juin 1972 dans son
ensemble, on peut s’apercevoir que certains jugements sont
encore rendus en premier et dernier ressort, c’est-à-dire sans
possibilité d’appel.
D’abord, l’article 182 de la loi n° 2016-48 du 11 juillet 2016
relative aux banques et aux établissements financiers
81 prévoit
que les décisions de la Commission des sanctions
82 sont
susceptibles de recours devant le Tribunal administratif. Or,
l’article 13 (ter) de la loi du 1er juin 1972, précitée, prévoit
que ces décisions sont susceptibles de pourvoi en cassation
devant le Tribunal administratif. Ce qui veut dire que les
décisions en question, n’étant pas concernées par le recours
en appel, sont rendues en premier et dernier ressort.
Ensuite, l’article 41 de la loi du 1er juin 1972, précitée, prévoit
que les décisions rendues, en matière de sursis à exécution ou
de report d’exécution ne sont susceptibles d’aucune voie de
recours, y compris l’appel donc.
Enfin, l’article 85 de la même loi, sus-indiquée, prévoit que les
ordonnances de référé rendues par les présidents des
chambres d’appel ne sont pas susceptibles d’appel.
Toutes ces dispositions qui écartent l’exercice du recours en
appel sont d’une constitutionnalité douteuse, après l’accès de
la règle du double degré de juridiction à un rang
constitutionnel.
De même, on peut douter de la constitutionnalité des textes
qui attribuent la compétence, pour statuer sur les recours en
appel, en matière administrative, à un juge autre que le juge
administratif. Les exemples, à cet égard, ne manquent pas : la
compétence des cours d’appel pour connaître des litiges dans
les différents ordres professionnels ; la compétence de la cour
d’appel pour statuer sur l’opposition aux états de liquidation
83;
la compétence des cours d’appel en matière fiscale.
B. LE RECOURS EN CASSATION
L’histoire du recours en cassation, devant le Tribunal
administratif, est tourmentée. En matière de recours pour
excès de pouvoir, le législateur prévoyait, comme cela a été
signalé ci-dessus, que les jugements sont rendus en premier
et dernier ressort. Ce qui veut dire que seul le recours en
appel est interdit, le recours en cassation contre les jugements
en cause est, donc, possible. Toutefois,
le Tribunal
administratif a jugé autrement, en décidant que le recours en
cassation contre les jugements rendus en matière de recours
81 JORT n° 58 du 15 juillet 2016, p. 2516 et ss.
82 Cette commission remplace l’ancienne commission bancaire.
83 Article 27 du Code de la comptabilité publique.
19













Page 20
pour excès de pouvoir est irrecevable sous prétexte que les
cas d’ouverture du recours en cassation et du recours pour
excès de pouvoir sont presque identiques (incompétence, vice
de forme et de procédure, violation de la loi et détournement
de pouvoir du côté du recours pour excès de pouvoir ; excès
de pouvoir, violation des formalités, violation de la loi)
84. En
matière d’indemnisation, le législateur prévoyait, dès le départ,
que les jugements rendus, par les tribunaux civils, suite à des
actions en responsabilité, sont susceptibles d’appel et de
cassation devant le Tribunal administratif. Vu l’organisation du
Tribunal administratif, à l’époque, celui-ci n’a accepté de
connaître que des recours en appel, parce qu’une même
structure, à savoir l’Assemblée plénière, ne pouvait connaître
de deux recours (en l’occurrence l’appel et la cassation) à la
fois.
Aujourd’hui, la structure du Tribunal administratif a beaucoup
évolué par rapport aux origines. Celui-ci comporte, désormais,
des chambres de première instance, des chambres d’appel,
des chambres de cassation et une Assemblée plénière
juridictionnelle. Par conséquent, le recours en cassation
administratif s’est généralisé et concerne, désormais, le plein
contentieux aussi bien que le recours pour excès de pouvoir.
Le juge de cassation. Au sein du Tribunal administratif, deux
organes juridictionnels sont compétents pour statuer sur les
pourvois en cassation : les chambres de cassation et
l’Assemblée plénière.
Les chambres de cassation représentent le juge de cassation
de droit commun. L’Assemblée plénière a une compétence
d’attribution. D’après l’article 21 de la loi du 1er juin 1972
relative au Tribunal administratif, « l’Assemblée plénière statue
en cassation sur les pourvois formés contre les jugements
rendus en dernier ressort, prévus par la présente loi, et qui
nécessitent une harmonisation de la jurisprudence des
chambres de cassation ou qui posent des questions juridiques
de principe, ainsi que dans les cas prévus à l’article 75 de la
présente loi. Lesdites affaires lui sont déférées soit en vertu
d’un jugement de désistement rendu par la chambre de
cassation concernée, soit sur décision motivée prise par le
premier président, avant l’envoi de l’affaire en audience de
plaidoirie devant la chambre compétente ». Si le dernier cas
ne pose pas de problème, on peut craindre, dans les deux
autres cas, que le premier président use da la possibilité qui
lui est offerte par le législateur, pour détourner certaines
affaires « sensibles » de leur juge normal, c’est-à-dire les
chambres de cassation, vers l’Assemblée plénière présidée par
le premier président et composée, en majorité, par des
présidents de chambre.
Les décisions juridictionnelles susceptibles de recours en
cassation. L’article 21 (ter) de la loi du 1er juin 1972 relative
au Tribunal administratif prévoit que «les chambres de
cassation statuent sur les pourvois formés contre les
jugements rendus en dernier ressort prévus par la présente loi
».
Sont concernés, d’abord, les arrêts rendus par les chambres
d’appel du Tribunal administratif. Mais, également, les
jugements prévus par les articles 11 (jugements rendus en
matière fiscale), 12 (jugements rendus en matière électorale),
13 (jugements rendus dans les litiges impliquant les ordres
professionnels) et 13 ter (jugements rendus par la commission
bancaire, devenue la commission des sanctions). La question
s’est posée de savoir si le Tribunal administratif est compétent
pour statuer sur les pourvois en cassation formés contre des
décisions qui ne sont pas prévues par la loi du 1er juin 1972
relative au Tribunal administratif, qui émanent de juridictions
administratives spécialisées.
Le Tribunal administratif a considéré que les articles 11 à 13
de la loi du 1er juin 1972 précitée, sont indiqués à titre
indicatif, et que sa compétence, en tant que juge de cassation,
s’étend donc à d’autres hypothèses non prévues par ladite
loi
85. Mais, dans une décision STRAMICA du 25 mai 2004, le
Conseil des conflits de compétence a adopté une position qui
prend le contrepied de celle du Tribunal administratif, en
décidant que la compétence du Tribunal administratif, en tant
que juge de cassation, est une compétence d’attribution, en
vertu des articles 11, 12 et 13 de la loi du 1er juin 1972,
précitée. En l’espèce, il s’agissait de déterminer le juge
compétent pour statuer sur le pourvoi en cassation formé
contre les arrêts rendus par la cour d’appel de Tunis,
concernant les décisions du Conseil du marché financier. Le
Conseil des conflits a affirmé que tant que la loi du 14
novembre 1994 portant réorganisation du marché financier «
n’a pas expressément attribué, en matière de cassation, une
compétence au Tribunal administratif, concernant les décisions
du Conseil du marché financier, la contestation de celles-ci est
de la compétence des tribunaux judiciaires ».
Conclusion : La compétence du juge administratif, en appel
et en cassation, est source de plusieurs complications pour le
justiciable. En appel, celui-ci est soit privé de son droit
constitutionnel d’interjeter appel contre certains jugements,
soit privé d’interjeter appel devant la juridiction administrative,
juge naturel des litiges à caractère administratif.
Au niveau de la cassation, le champ de la compétence du
Tribunal administratif n’est pas encore fixé d’une manière sûre.
La divergence, à cet égard, entre le Tribunal administratif et le
Conseil des conflits de compétence en est la meilleure preuve.
Recommandations
Il est impératif que les nouvelles dispositions législatives
généralisent l’exercice du recours en appel, afin de se
conformer à la Constitution qui a donné à la règle du double
degré de juridiction une valeur constitutionnelle.
84 Cette assertion est en partie vraie. D’ailleurs, les deux recours veillent à assurer
le respect du droit, dans un cas par une décision administrative, dans l’autre par
une décision juridictionnelle. De plus, dans l’histoire générale du contentieux
administratif, les deux recours avaient une origine commune. Les deux recours
n’ont été distingués que tardivement. Mais, tout cela ne peut pas justifier la
position du Tribunal administratif.
20
85 TA, Cassation, affaire n° 12, 10 mars 1977, Ministre des finances c/....., Recueil,
p. 124 et ss.















Page 21
Par ailleurs, il est anormal que la compétence du juge de
cassation administratif demeure entourée d’incertitudes. Le
législateur est invité à dissiper les doutes en consacrant,
clairement, dans la nouvelle législation le caractère de droit
commun de la compétence du juge de cassation administratif.
VII. LA COMPETENCE DU
REFERES

JUGE DES
Depuis longtemps, les procédures de référé étaient le parent
pauvre du contentieux administratif. Avec la révision de la loi
du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif par la loi
organique n° 96-39 du 3 juin 1996, il y a eu une nette
amélioration de ces procédures. Le justiciable dispose,
désormais, des principales procédures suivantes pour saisir le
juge des référés.
En premier lieu, il y a le sursis à exécution des décisions
administratives (articles 39 à 41 de la loi du 1er juin 1972,
précitée). Cette procédure permet au justiciable de demander
au premier président du Tribunal administratif d’ordonner le
sursis à exécution d’une décision administrative. Le sursis peut
être ordonné lorsque la demande repose sur des motifs
apparemment sérieux et que l'exécution de la décision objet
du recours est de nature à entraîner, pour le requérant, des
conséquences difficilement réversibles.
Les pouvoirs du juge, dans le cadre de cette procédure, sont
limités. Il ne peut qu’ordonner le sursis à l’exécution de la
décision attaquée. De plus, la demande de sursis à exécution
ne peut être exercée indépendamment du recours pour excès
de pouvoir.
En second lieu, il y a le référé-mesures utiles ou référé
conservatoire (article 81 de la loi du 1er juin 1972 précitée). Sa
mise en œuvre est entourée de conditions strictes :
interdiction de préjudicier au fond et d’entraver l’exécution
d’une décision administrative. Ce qui fait qu’il soit d’une
efficacité modeste. Il permet, au mieux, aux administrés
d’obtenir la communication de documents administratifs. Il
peut être utilisé, également, par
l’administration pour
demander au juge d’ordonner l’expulsion de personnes
privées occupant le domaine public.
En troisième lieu, citons le référé-provision qui donne la
possibilité au demandeur de recevoir une avance sur une
somme qu’il estime lui être due en vertu d’un droit qui n’est
pas sérieusement contestable au fond (article 82 alinéa 1).
En dernier lieu, il y a le référé-constat dont l’objet est limité à
la désignation d’un expert dont la mission est de constater
des faits menacés de disparition et pouvant faire l’objet d’un
litige administratif (article 82 alinéa 2).
Dans toutes ces procédures, on observe que l’accès au juge
des référés est d’une efficacité limitée : soit que les pouvoirs
du juge sont réduits (sursis à exécution), soit que les
conditions posées par le législateur pour la mise en œuvre de
la procédure de référé sont strictes (référé-mesures utiles), soit
que l’objet de la procédure de référé est très spécifique
(référé-provision et référé-constat).
Conclusion : Les procédures de référé tendent, d’une
manière générale, à préserver les droits des justiciables contre
des menaces imminentes provenant de l’administration. Les
unes permettent de garantir au requérant une chance de
succès devant le juge du fond. Les autres sont destinées à
protéger le justiciable des torts que l’administration est
susceptible de lui porter.
Si le bon aménagement des unes et des autres est une
condition du fonctionnement satisfaisant des juridictions, et
partant de l’effectivité du droit d’accès au juge, ce sont les
référés de « protection » qui retiennent le plus l’attention, car
touchant directement les droits et libertés des justiciables. Or,
sur ce plan, le justiciable sera confronté à l’absence des
procédures adéquates.
Recommandations
la garantie des droits et
La nouvelle législation devrait commencer par réformer les
procédures de référé existantes dans le but de les rendre plus
accessibles aux
justiciables. Cela passe, bien sûr, par
l’assouplissement des conditions posées par le législateur
pour leur mise en œuvre.
Par ailleurs, il faudrait penser à d’autres procédures de référé
plus adéquates à
libertés
fondamentaux des justiciables. Car ni le sursis à exécution des
décisions administratives, ni le référé mesures-utiles ne sont
aptes à remplir cette fonction. Les exemples, en droit
comparé, ne manquent pas de ces procédures qui
garantissent une protection efficace des droits et libertés
fondamentales (par exemple le référé en sauvegarde d’une
liberté fondamentale, en droit français). Mais, pour permettre
aux justiciables d’accéder à ce type de procédures, le
législateur doit faire montre d’audace et d’innovation, car
cette réforme, qui requiert de consentir à un affaiblissement
des prérogatives de l’administration et d’investir le juge de
pouvoirs profondément nouveaux, nécessite une rupture avec
les anciennes manières de penser, en droit administratif.
VIII. LES DIFFICULTES LIEES AU
CONTENTIEUX DES ACTES EMANANT DES
DIFFERENTS POUVOIRS CONSTITUTIONNELS

A. LE POUVOIR EXECUTIF ET LES ACTES DE
(DITS EGALEMENT ACTES DE
SOUVERAINETE
GOUVERNEMENT
86)
injusticiable.
L’acte de gouvernement
Les actes de
souveraineté concrétisent ce qu’est l’activité gouvernementale,
en tant qu’activité distincte de l’activité administrative.
L’identification a priori de la fonction gouvernementale, par
rapport à la fonction administrative, est délicate. C’est
la catégorie des actes de souveraineté est
pourquoi
composée, au hasard des espèces, par
les solutions
jurisprudentielles. Le Tribunal administratif a consacré, pour la
première fois, l’existence de ce type d’actes dans son arrêt
86 Le Tribunal administratif emploie, indifféremment, ces deux expressions.
21













Page 22
ses
rapports avec
Pierre Falcon du 14 avril 198187, en ces termes : « considérant
que ce qui est désigné par actes de souveraineté dans la
doctrine et la jurisprudence, vise les actes politiques
importants tels que les situations de guerre, les relations
internationales et les rapports du gouvernement avec le
pouvoir législatif...car le pouvoir (exécutif) possède deux
qualités, la première, en sa qualité d’administration, elle utilise
les décisions administratives comme moyen pour atteindre ses
finalités dans la gestion des prestations et des services dans
l’intérêt général. La deuxième, qui est sa qualité politique,
emploie un autre type de décisions pour la préservation de la
sûreté de l’Etat... »
88.
Ces extraits de l’arrêt Falcon font apparaître le dédoublement
de la catégorie constituée par les actes de souveraineté. Pour
résumer, il est possible de dire que les actes de souveraineté
sont, d’une part, les actes du pouvoir exécutif concernant ses
rapports avec le Parlement, et d’autre part, les actes du
gouvernement
les
tunisien dans
organisations internationales et les Etats étrangers.
Parmi les actes de souveraineté se rattachant au premier type,
les actes suivants peuvent cités :
- Les décrets présidentiels et gouvernementaux portant
convocation de l’Assemblée des représentants du peuple à
vacances
une
parlementaires (article 57 alinéa dernier de la Constitution).
- Les décrets présidentiels prononçant la dissolution de
l’l’Assemblée des représentants du peuple (article 77 alinéa 2,
1er tiret).
- Les mesures prises par le président de la République ou le
chef du gouvernement dans l’exercice de leur droit d’initiative
des lois (dépôts ou retrait de projets de lois, abstention ou
refus d’en déposer) (article 62 de la Constitution).
- Les décrets présidentiels de promulgation des lois (article
81 de la Constitution).
- Les nominations de membres de la Cour constitutionnelle
par le président de la République (article 118 alinéa 2).
- Les décrets présidentiels décidant la soumission de projets
de loi au référendum (article 82 de la Constitution), et
transférant ainsi du Parlement au peuple l’exercice du pouvoir
législatif.
- La décision du président de la République de mettre en
application l’article 80 de la Constitution, qui a pour effet de
provoquer la réunion de l’Assemblée des représentants du
peuple, d’exclure la possibilité de la dissoudre et d’investir le
président de la République du pouvoir législatif.
- Les décisions du président de la République de renvoyer
(ou de ne pas renvoyer) un projet de loi à l’Assemblée des
session extraordinaire
cours des
au
87 Tribunal administratif, Recours pour excès de pouvoir, Affaire n°325, 14 avril
1981, Pierre Falcon et autres/Ministre de l’agriculture, Recueil des décisions du
Tribunal administratif 1981, p.110-118.
88 Traduction non officielle. Il est intéressant de citer cet extrait de l’arrêt en arabe
pour se rendre compte du style particulier dans lequel il a été rédigé :
تلااحك ةّماهلا ةّيسايّسلا لامعلأا اهب
ةرادإك اهتفصب ىلولأا ،نيتفص ةطلّسلل ّنأ كلذ
دصقي امّنإ يئاضقلا داهتجلإا و هقفلا يف ةدايّسلا لامعأب ىّمسي ام هّنأ ثيح و
"
ةّيعيرشّتلا ةطلّسلاب ةموكحلا تاقلاع و ةّيجراخلا تاقلاعلا و برحلا
ماعلا حلاّصلل ةمدخ قفارملا و تامدخلا رييست يف اهتاياغ ىلإ لوصولل ةادأك ةّيرادلإا تارارقلا مدختست اهّنإف
ةلوّدلا ةملاس ىلع اظافح تارارقلا نم رخآ اعون مدختست ةّيسايس
."...
...
ةيناّثلا
و
.
22
représentants du peuple pour une seconde lecture (article 81
alinéa 2 de la Constitution).
- Les décisions du président de la République ou du chef du
gouvernement de saisir (ou de ne pas saisir) la Cour
constitutionnelle d’un projet de loi adopté par l’Assemblée
des représentants du peuple (article 120 alinéa 1, 1er tiret).
A ces actes, on doit ajouter ceux qui intéressent les rapports
d’ordre constitutionnel entre le président de la République et
le gouvernement : constitution du gouvernement, présentation
de sa démission (par exemple le décret présidentiel n° 2016-
94 du 31 juillet 2016, relatif à la démission du gouvernement
et le chargeant de gérer les affaires courantes
89), nomination
du chef du gouvernement et de ses membres.
Dans une décision récente, rendue le 25 août 2016, Zied Hèni
c/ Le président de la République, le premier président du
Tribunal administratif a rejeté la demande de sursis à
exécution visant le décret présidentiel n° 2016-95 du 3 août
2016, chargeant Monsieur Youssef Chahed de former un
gouvernement
90, au motif que ledit décret constitue un acte
de souveraineté. Car, selon le juge administratif, le décret en
cause touche « les exigences constitutionnelles organisant le
rapport entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, d’une
part, et au sein du pouvoir exécutif, entre le président de la
République et le chef du gouvernement, d’autre part »91.
Les actes de souveraineté relevant du second type se
rapportent à l’ordre international. Le Tribunal administratif cite
les opérations de guerre. On peut dire que les actes pris en
matière d’opérations militaires, ce qui est plus large que les
opérations de guerre, sont des actes de souveraineté. Il en est
ainsi lorsque le président de la République déclare la guerre
ou conclut la paix ou envoie des troupes à l’étranger, en vertu
de l’article 77 alinéa 2, 4ème tiret de la Constitution. Il cite,
également, les relations internationales. Il s’agit certainement
des mesures prises et comportements adoptés par les
autorités compétentes au cours de la négociation ou en ce
qui concerne l’exécution des accords internationaux, ou dans
la conduite des relations diplomatiques.
En raison de leur nature politique, comme le précise le
Tribunal administratif lui-même dans l’arrêt Falcon précité, les
actes de souveraineté sont insusceptibles de contestation. En
eux-mêmes, aussi bien dans leur légalité externe que dans
leur légalité interne. Reste à savoir si le Tribunal administratif
accepterait de réparer les conséquences dommageables de
tels actes ? La question ne s’est pas posée au juge
administratif. Dans l’arrêt Falcon, on fait observer que les actes
de souveraineté « sont en régression continue ». Faut-il
espérer une remise en cause de l’immunité juridictionnelle des
actes de souveraineté ?
L’acte de gouvernement alibi. Un jugement rendu par le
Tribunal administratif, le 15 juillet 2008, Ben Sedrine/ Le
89 JORT n°63 du 2 août 2016, p. 2371.
90 JORT n°64 du 5 août 2016, p. 2427.
91 Traduction non officielle de ce qui est rapporté par le communiqué émanant
de l’Unité de communication au sein du Tribunal administratif, le 26 août 2016, et
relaté par la presse le même jour.














Page 23
premier ministre92, rend perplexe. Dans ce jugement, un
recours pour excès de pouvoir a été intenté contre le décret
n° 2002-629 du 3 avril 2002 relatif à la convocation du corps
électoral au référendum sur le projet de loi constitutionnelle
portant modification de certaines dispositions de
la
Constitution
93. Le Tribunal administratif a déclaré le recours
irrecevable parce que le décret attaqué constitue, selon lui, un
acte de souveraineté
94.
Ce jugement a été rendu avant le 14 janvier 2011, sous le
règne de Ben Ali, et le référendum en cause visait, en réalité,
la modification de la disposition constitutionnelle relative au
nombre des mandats présidentiels, afin de permettre à ce
dernier de briguer un nouveau mandat. Mais, sur le plan
juridique, il est difficile d’être d’accord avec la solution retenue
par le Tribunal administratif, qui confond contentieux des
actes de gouvernement et contentieux des scrutins politiques.
Certes, une votation référendaire a le caractère d’opération
politique : lorsqu’il se prononce sur l’adoption d’un projet de
loi, le peuple évidemment ne règle pas des affaires
administratives. Toutefois, on ne peut pas considérer, comme
l’affirme le Tribunal administratif dans le jugement précité,
qu’une
constitue un acte de
gouvernement, et ce pour deux raisons. D’une part, dans une
votation référendaire, le vote est le fait du peuple, et non celui
du gouvernement. D’autre part, selon une distinction classique
retenue par la doctrine, entre opération de vote et
organisation du scrutin, celle-ci est une affaire administrative
et les mesures prises par le pouvoir exécutif en vue de cette
organisation sont des actes administratifs, susceptibles donc
de censure devant le juge administratif. Or, il n’était pas
difficile de constater que le décret attaqué relatif à la
convocation du corps électoral relève de l’organisation du
référendum
95.
En l’état actuel du droit positif, la compétence du juge
administratif à l’égard des décrets présidentiels relatifs à la
convocation du corps électoral aux référendums
96, ne doit faire
aucun doute, dans la mesure où le juge administratif est
référendaire
votation
92 Recueil de la jurisprudence du Tribunal administratif pour l’année 2008, p. 151-
154.
93 JORT n°28 du 5 avril 2002, p. 842 et s.
94 Il est intéressant de reproduire certains extraits de ce jugement, en arabe :
نوعطملا رارقلا ناك ىتم ّلاإ لبقت لا ةطلّسلا زواجت ىوعد ّنأ ىلع ءاضقلا و هقفلا ّرقتسا دقف كلذ ىلع ابيترت ثيح و
"
لوؤي يذّلا رملأا ،ةدئاّسلا ةّينوناقلا تاّيعضولا يف ارّثؤم و اّيذيفنت و بناجلا ّيداحأ ناك و ةّيرادلإا ةغبّصلا يستكي هيف
امّنإ و ،ةّيرادلإا اهتفيظو قاطن يف جردنت لا يتّلا ةّيذيفنّتلا ةطلّسلا تاف ّرصت و لامعأ ىلع ةّيئا
ضقلا ةباق ّرلا داعبتسا ىلإ
ةّيعيرشّتلا ةطلّسلاب ةقلاع يف اهلوخد دنع ،هئدابم و روتسّدلا ماكحلأ اقبط اهرشابت يتّلا
ةّيموكحلا لامعلأا
نمض رهصنت
م ،ةّيلوّدلا تامّظنملا و ةّيبنجلأا لوّدلاب وأ
ةطساوب بعّشلل ماكتحلإا و ةرّكبم تاباختنا ىلإ ةوعّدلا و ناملربلا ّلح لث
وأ ىرخأ ةلود عم ةّيسامولبد تاقلاع طبر و اهيلع ةقداصملا و تادهاعملا ماربإ وأ ةموكحلا ّماهم ءاهنإ و ءاتفتسلإا
قّلعتملا يروتسّدلا نوناقلا عورشم ي
ف ءاتفتسلإل نيبخاّنلا ةوعدب هقّلعت مكحب هيف نوعطملا رملأا ّنأ ثيح و ؛ اهعطق
اهيف نعّطلا نكمي يتّلا ةّيرادلإا ةّداملا يف ةرداّصلا تار ّرقملا فنص ىلإ يمتني لا هّنإف ،روتسّدلا نم ماكحأ ضعب حيقنتب
يرادلإا يض
لصفلا ىنعم ىلع ءاغللإاب
ىوعّدلا نم عرفلا اذه لوبق مدع هعم هجّتي يذّلا رملأا ،اهيلع هتباقر طسب
راطإ يف ل ّزنتي لب ،ةّيرادلإا ةمكحملا نوناق نم
."
اقلا كلمي لا يتّلا
ةدايّسلا لامعأ
3
95 Du reste, en l’espèce, le juge administratif aurait pu trouver un fondement plus
solide pour décliner sa compétence, sans s’éclipser derrière l’acte de
gouvernement. En effet, la loi constitutionnelle votée par le peuple a été
promulguée et publiée (loi constitutionnelle n° 2002-51 du 1er juin 2002 portant
modification de certaines dispositions de la Constitution, JORT n°45 du 3 juin
2002, p. 1298 et ss.) avant que le recours ait été intenté (le 4 juillet 2002). Dans
ce cas, elle fait écran entre le juge et les mesures contestées, qui relèvent
pourtant de l’organisation du référendum, car le juge ne pourrait se prononcer
sur ces mesures sans porter une appréciation sur la validité de la loi
constitutionnelle elle-même.
96 Voir Article 113 de la loi organique n°2014-16 du 26 mai 2014 relative aux
élections et au référendum, JORT n°42 du 27 mai 2014, p. 1382 et ss.
compétent pour statuer sur les réclamations dirigées contre
les résultats du scrutin
97. Dit autrement, compétent pour
statuer sur des litiges liés aux opérations de vote, le juge
administratif le sera a fortiori à l’égard des litiges mettant en
cause l’organisation du scrutin.
Conclusion : Les actes de gouvernement constituent une
entrave au droit d’accès à la justice. Ils représentent une «
survivance de la raison d’Etat »
98. Toutefois, il faut bien
mesurer l’étendue et la portée de l’injusticiabilité de ce type
d’actes. D’une part, ils représentent une part infime dans
l’ensemble du contentieux administratif. D’autre part, compte
tenu de leur objet, on ne s’attend pas à ce que les actes de
gouvernement portent, systématiquement, atteinte aux droits
et libertés fondamentaux des individus.
Recommandations
L’immunité juridictionnelle absolue99 dont bénéficient les actes
de gouvernement est incompatible avec les exigences de l’Etat
de droit tel qu’exprimé dans la Constitution100, mais surtout
avec le droit d’accès à la justice garanti par l’article 108 de
celle-ci101Emanant du pouvoir exécutif, il est inconcevable que
le juge judiciaire se saisisse des actes de gouvernement. On
peut penser au juge constitutionnel, dans la mesure où les
actes de gouvernement sont des actes de nature politique.
la compétence
Mais, cette proposition se heurte à
d’attribution de la Cour constitutionnelle, telle qu’elle résulte
des dispositions de la Constitution et de la loi organique n°
2015-50 du 3 décembre 2015
la Cour
constitutionnelle
102. Reste le juge administratif, mais pour ce
dernier, la messe semble dite. L’intervention du législateur est
donc nécessaire pour briser la jurisprudence administrative sur
les actes de gouvernement. C’est ce que, en tout cas, a fait le
législateur espagnol, en investissant le juge administratif du
pouvoir de contrôler les actes de gouvernement
103.
relative à
97 Articles 145 et suivants de la même loi organique précitée.
98 A. Gros, Survivance de la raison d’Etat, Dalloz, 1932.
99 On peut espérer que cette injusticiabilité devrait être relativisée, tout au moins
pour certains actes de gouvernement, car dans le cadre de son contrôle de la
constitutionnalité des lois, la Cour constitutionnelle accepterait indirectement de
contrôler la constitutionnalité des actes de gouvernement pris dans le cadre de la
procédure législative (par exemple, le décret de présentation d’un projet de loi,
un amendement déposé par le gouvernement, la décision du président de la
République de demander à l’Assemblée des représentants du peuple une
nouvelle lecture).
100 Dans le préambule, on évoque « la primauté de la loi », et l’article 2 de la
Constitution affirme « la primauté du droit », Traduction officielle, JORT n° spécial
du 20 avril 2015.
101 Le statut contentieux des actes de gouvernement ne peut pas faire l’objet
d’une exception d’inconstitutionnalité au sens de l’article 120 quatrième tiret de
la Constitution. En effet, l’immunité contentieuse de ces actes ne résulte pas
d’une quelconque loi, ni même de l’interprétation jurisprudentielle d’une telle loi,
mais simplement d’une solution entièrement jurisprudentielle.
102 JORT n°98 du 8 décembre 2015, p. 3379 et ss.
103 Article 2 a) de la loi du 13 juillet 1998 sur la juridiction administrative :
« L’ordre juridictionnel administratif est compétent pour connaître des questions
relatives à la protection juridictionnelle des droits fondamentaux, aux éléments
réglés et à la réparation des conséquences dommageables des actes du
gouvernement ou des conseils de gouvernement des communautés autonomes,
et ce, quelle que soit la nature de ces actes », cité par F.Melleray, « En a-t-on fini
23





















Page 24
Mais, même en l’absence de loi, rien n’interdit au juge
administratif tunisien de faire un effort modeste pour
admettre la possibilité d’engager la responsabilité sans faute
de l’Etat, pour rupture de l’égalité devant les charges
publiques, du fait des actes de gouvernement, en cas de
dommage spécial et anormal
104. La question de l’annulation de
ces actes est plus épineuse. Néanmoins, Il est possible
d’envisager un contrôle limité à la légalité externe de l’acte, à
l’exclusion de sa légalité interne
105 . Le contrôle de celle-ci
peut s’avérer très délicat, voire dangereux, parce qu’en y
procédant, le juge serait nécessairement conduit à décider à la
place de l’autorité contrôlée, c’est-à-dire à prendre lui-même
la décision, car aucune norme objective ne détermine et ne
peut déterminer le contenu de l’acte de gouvernement.
B. LE POUVOIR LEGISLATIF ET LES ACTES
PARLEMENTAIRES
résolutions émanant des présidents des groupes
l’expression « actes
On désigne, en doctrine, par
parlementaires » toutes les mesures émanant des assemblées
parlementaires, autres que celles ayant un caractère
législatif
106. L’examen du règlement intérieur de l’Assemblée
des représentants du peuple nous donne une idée de ce que
peuvent être, concrètement, les actes parlementaires :
-
parlementaires (article 141 du règlement intérieur)
- motion de censure contre le gouvernement (article 148 du
Règlement intérieur)
- destitution du président de la République (article 157 du
Règlement intérieur)
- décisions émanant du président de l’Assemblée, de son
bureau, de ses commissions, de son secrétaire général, ou de
ses fonctionnaires.
On peut ajouter à ces mesures :
- la saisine de la Cour constitutionnelle par les députés (article
120 premier tiret de la Constitution) ou par le président de
l’Assemblée des représentants du peuple (article 120 dernier
tiret de la Constitution)
avec la "théorie" des actes de gouvernement ? », in. Mélanges en l’honneur de
Louis Favoreu. Renouveau du droit constitutionnel, Dalloz, 2007, note 43, p. 1324.
104 Par exemple, en cas de non-exercice ou d’exercice insuffisant de la protection
diplomatique et consulaire permettant l’intervention du gouvernement auprès des
Etats étrangers en vue de protéger la personne, les biens ou les intérêts de
ressortissants tunisiens.
105 La légalité externe renvoie à la compétence de l’auteur de l’acte, à la
procédure de son élaboration et à la forme de l’acte. Quant à la légalité interne,
elle concerne le contenu de l’acte, ses motifs et son but.
106 Bien entendu, les lois ne sont pas des actes administratifs et elles échappent
au contrôle du juge administratif. Toutefois, le Tribunal administratif a admis le
principe selon lequel il revient au juge administratif d’apprécier la conformité de
la loi au traité, en vue de statuer sur la légalité d’une décision administrative (TA,
Recours pour excès de pouvoir, 21 mai 1996, Ligue tunisienne des droits de
l’homme c/ Ministre de l’intérieur, Revue Tunisienne de Droit 1997, partie arabe,
p. 200 et ss.). Ce principe a été confirmé par le même Tribunal, en 2005, en
termes généraux, en affirmant que la prévalence des traités internationaux doit
être admise, quelle que soit la date du traité par rapport à la loi (TA, Recours
pour excès de pouvoir, 1
ère instance, 24 juin 2005, Saida c/Ministre de la santé
publique, Recueil de la jurisprudence du Tribunal administratif 2005, p.63). Par
ailleurs, après la Révolution, le juge administratif est allé plus loin, en acceptant
de contrôler la constitutionnalité des lois. Le Tribunal administratif invoquait, pour
justifier son contrôle de constitutionnalité, l’absence d’une juridiction
constitutionnelle (TA, Assemblée plénière juridictionnelle, 7 novembre 2013, Sonia
Ben Amor c/Le président de l’ANC, inédit) et, après la création de l’Instance
provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de lois, le fait que la loi
objet de l’exception d’inconstitutionnalité devant le juge administratif n’a pas subi
un contrôle de constitutionnalité (TA, 10 octobre 2014, Adel Elilmi c/L’ISIE, inédit).
24
- la désignation, par l’Assemblée des représentants du peuple,
des membres de la Cour constitutionnelle (article 118 de la
Constitution)
la
tels de
relevant comme
Comme dans toute autre matière, le Tribunal administratif
applique aux actes des organes parlementaires le critère
matériel, pour distinguer au sein des actes non législatifs de
rapportent à une activité
ces organes, ceux qui se
administrative et qui sont, par conséquent, des actes
administratifs
juridiction
administrative, et ceux qui sont indissociables des fonctions
politiques du Parlement et qui méritent la qualification d’acte
parlementaire, et à l’égard desquels le juge administratif est
incompétent.
Ainsi, le Tribunal administratif s’est déclaré compétent pour
statuer sur le recours en annulation d’une sanction prononcée
par le président de la Chambre des députés contre l’un des
agents de celle-ci
107. Dans le même sens, et en matière de
référé, le juge administratif a considéré que l’attribution des
indemnités parlementaires ne relève pas de l’exercice de la
fonction parlementaire, mais de l’organisation de celle-ci. Ce
qui fait que la demande de suspendre le versement de leurs
indemnités aux membres de la Chambre des députés et de la
Chambre des conseillers a un caractère administratif, et relève
de la compétence du juge administratif108. Enfin, le juge
administratif a affirmé que la décision du président de
l’Assemblée nationale
l’octroi
d’indemnités à ses deux suppléants, n’a pas été prise dans le
cadre des missions constituantes ou législatives ou de
contrôle de l’Assemblée, et dont la nature exclut la
compétence du juge administratif, mais relève des actes de
pure gestion
l’organisation administrative et
financière, ce qui lui confère le caractère administratif
109.
Par contre, ne sont pas des actes administratifs, parce qu’ils
sont
la procédure parlementaire et à
l’accomplissement par l’Assemblée de ses fonctions en matière
de législation, la décision de la Commission de législation
générale de transférer le projet de loi d’Immunisation
politique de la Révolution au Bureau de l’Assemblée, ainsi que
la décision du président de l’Assemblée nationale constituante
le site électronique de
de publier
l’Assemblée
110. De la même façon, la décision du président de
l’Assemblée nationale constituante de suspendre les travaux
de cette dernière jusqu’à une date indéterminée, n’est pas
détachable des fonctions politiques de l’Assemblée
111.
ledit projet sur
rattachables à
constituante
relative à
relatifs à
Conclusion : La compétence du juge administratif à l’égard
des actes administratifs émanant des organes parlementaires
est normale. Le juge administratif est compétent, en vertu de
la loi, pour connaître de tout litige à caractère administratif. Le
Tribunal administratif n’a pas hésité à déployer toutes les
107 TA, Recours pour excès de pouvoir, 7 juin 1994, Ahmed Nabli c/ Président de
la Chambre des députés, Recueil, p. 93.
108 TA, Affaire n° 711506, Référé, 10 mars 2011, Recueil, p. 658.(requête acceptée).
109 TA, Sursis à exécution, Affaire n° 414828, 18 octobre 2012, inédite.
110 TA, Sursis à exécution, Affaire n° 415936, 26 juin 2013, inédite.
111 TA, Sursis à exécution, Affaire n° 416218, 17 octobre 2013, inédite.











Page 25
potentialités liées au critère matériel, consacré depuis 1996
par le législateur, en matière d’actes non législatifs des
organes parlementaires
112.
Quant aux actes non législatifs des organes parlementaires qui
ne sont pas détachables de la procédure parlementaire et de
l’accomplissement par l’Assemblée de ses fonctions en matière
de législation et de contrôle du gouvernement, ils échappent
au contrôle de la juridiction administrative. Et c’est normal,
aussi, parce qu’il s’agit d’actes indissociables des fonctions
politiques du Parlement. Les litiges suscités par ces actes
politiques sont, évidemment, étrangers au contentieux de
l’administration. D’ailleurs, le juge judiciaire sera, également,
incompétent. Comme les actes de gouvernement, ces actes
bénéficient d’une immunité juridictionnelle.
Recommandations
et
de
L’injusticiabilité des actes parlementaires à proprement parler,
est rattachée, souvent, à l’idée d’autonomie des Assemblées
parlementaires. D’ailleurs, dans certaines de ses décisions
précitées, le Tribunal administratif ne manque pas d’invoquer
le principe de séparation des pouvoirs pour dénier sa
compétence en la matière.
Il semble difficile que le juge administratif puisse aller plus
loin (et a fortiori le juge judiciaire). Toute atteinte à la ligne
actuelle de partage entre organisation (compétence du juge
administratif)
l’Assemblée
fonctionnement
(incompétence du juge administratif) risque d’entraîner une
riposte (législative) rapide et tranchante.
La question ne se pose même pas au juge judiciaire.
Reste le juge constitutionnel. Ce dernier a compétence pour
contrôler les actes législatifs. Il est, également, compétent
pour contrôler le Règlement intérieur de l’Assemblée des
représentants du peuple
113. Le Règlement intérieur répond à la
définition de l’acte parlementaire. Pourquoi ne pas soumettre
donc les autres actes parlementaires, qui ne sont pas des
actes administratifs, au contrôle du juge constitutionnel ?
Cette piste pourrait être approfondie, d’autant plus que le
contrôle exercé par le juge constitutionnel s’accommode des
actes de nature politique
114. Et on ne peut pas opposer au
juge constitutionnel un argument tiré du principe de la
séparation des pouvoirs pour le dissuader d’exercer son
contrôle sur les actes parlementaires. En effet, plusieurs
spécialistes
Cour
constitutionnelle a une place à part dans l’organisation des
pouvoirs, et on a pu écrire qu’ « il est certain...que la Cour ne
rentre pas, non seulement dans l’ordre judiciaire, mais même
pas dans l’organisation juridictionnelle au sens le plus large du
terme, c’est-à-dire dans l’ensemble des organes exerçant des
considèrent,
aujourd’hui,
que
la
fonctions juridictionnelles...La Cour constitutionnelle...reste en
dehors des pouvoirs étatiques traditionnellement connus : elle
forme un pouvoir indépendant dont le rôle consiste à assurer
le respect de la Constitution dans tous les domaines »
115.
Mais, le problème est que la Cour constitutionnelle a une
compétence d’attribution, qui ne s’étend pas aux actes
parlementaires. Faute de révision constitutionnelle, certains
n’excluent pas la possibilité pour le juge constitutionnel
d’élargir le champ de sa compétence de manière prétorienne.
ACTES
C. LES
JURIDICTIONNEL
INTERESSANT
LE
POUVOIR
la magistrature117, ainsi que
D’après la Constitution, le pouvoir juridictionnel est composé
de la justice judiciaire, administrative et financière, d’une part,
et de la Cour constitutionnelle, d’autre part.
En application du critère matériel, le Tribunal administratif
distingue l’organisation de l’exécution du service public de la
justice. Les actes pris dans le cadre de l’organisation du
service de la justice sont des actes administratifs, leur
contentieux appartient donc à la juridiction administrative,
tandis que les actes pris dans le cadre de l’exécution du
service ne sont pas des actes administratifs, et échappent à la
compétence du juge administratif116.
Sont, par exemple, des actes d’organisation du service, les
décisions relatives à la création ou la suppression des
tribunaux, la désignation des membres du Conseil supérieur
les décisions
de
réglementaires et individuelles relatives au recrutement et à la
carrière des magistrats (nomination, avancement, mutation,
sanctions disciplinaires)
118. Sont, par contre, des actes
d’exécution du service, les jugements et arrêts, les mesures
tendant à la saisine des tribunaux et à l’instruction des
affaires, et les mesures d’exécution des jugements.
A première vue, le critère déterminant la compétence du
juge administratif est simple. Toutefois, sa mise en œuvre
n’est pas toujours aisée. Ce qui n’est pas sans conséquences
sur le droit d’accès à la justice.
Un premier élément de nature à semer le trouble dans
l’esprit du justiciable à la recherche d’un juge, est le recours,
par ce dernier, à la technique de la détachabilité. Ainsi, si le
Tribunal administratif a jugé, dans son arrêt du 25 avril 1997,
Société Elkhmar et Abbes c/ Municipalité de Ksibet
Mediouni
119, que le contentieux relatif à l’exécution d’un
toutes
112 Contrairement au juge administratif français qui, lorsqu’il a décidé d’étendre
son contrôle à tous les actes administratifs des organes parlementaires, s’est vu
contrarié par le législateur. Voir Pierre BON, « Le contrôle des actes non législatifs
du Parlement : toujours un déni de justice ? », in. Mélanges en l’honneur de Louis
Favoreu. Renouveau du droit constitutionnel, Dalloz, 2007, p. 1065 et ss.
113 Article 120 de la Constitution.
114 Déjà la manière de désignation des membres de la Cour constitutionnelle,
telle que organisée par la Constitution et la loi organique relative à la Cour
constitutionnelle, n’est pas étrangère aux considérations politiques.
115 Vezio Crisafulli, cité par Louis Favoreu et al., Droit constitutionnel, Précis
Dalloz, 16
ème éd., 2014, n°353, p. 280 et s.
116 Consacrant cette distinction, voir TA, REP, 26 avril 1982, Ben Lalouna et autres
c/ Le premier ministre, Recueil, p. 647 ; voir, également, TA, REP, 26 novembre
1991, Taher Zagrouba c/ Conseil supérieur de la magistrature, Recueil, p. 147 et
s. ; TA, Appel, 27 janvier 1992, Hamida Abdennebi c/ Chef du contentieux de
l’Etat pour le compte du ministère de la justice, Recueil, p. 226.
117 Le contentieux des élections des membres du Conseil supérieur de la
magistrature appartient à la juridiction administrative, en vertu des articles 24, 29
et 30 de la loi organique du 28 avril 2016 relative au Conseil supérieur de la
magistrature (JORT n° 35 du 29 avril 2016, p. 1635 et ss.).
118 La loi organique du 28 avril 2016 relative au Conseil supérieur de la
magistrature, sus-indiquée, prévoit expressément, dans ses articles 56, 57 et 66,
que le contentieux de ces mesures appartient à la juridiction administrative.
119 Revue Tunisienne de Droit 2000, p. 311 et ss.
25














Page 26
jugement civil rentre dans le cadre de l’exécution de la justice
judiciaire, et n’appartient pas, par conséquent, à
la
compétence de la juridiction administrative, il décide, dans
une ordonnance de référé, en date du 4 novembre 2004,
Saida Benzerti c/ ministre de l’Intérieur et du développement
local
120, que les demandes de concours de la force publique
en vue d’assurer l’exécution forcée d’un jugement constituent
une matière administrative « pure ». Le juge administratif est,
par conséquent, compétent pour statuer sur le refus de
l’administration du concours de la force publique. Pour dire
les choses simplement, selon le Tribunal administratif, le
contentieux des mesures d’exécution des jugements judiciaires
appartient au juge judiciaire, le refus du concours de la force
publique est jugé détachable de l’exécution du jugement.
Une seconde difficulté découle de l’existence de mesures
qu’il est malaisé de rattacher à l’exécution ou à l’organisation
du service : par exemple, les décisions des bureaux d’aide
juridictionnelle, le refus par des greffiers de délivrer copie de
décisions de justice, la fixation par le président d’un Tribunal
ou d’une Cour de la composition des chambres de la
juridiction. Selon R. Chapus, ces mesures de « fonctionnement
» du service, « à mi-chemin des mesures d’organisation et des
mesures d’exécution du service, ...se situent dans une zone
d’incertitude »121. Le Tribunal administratif ne semble pas avoir
eu l’occasion de se prononcer sur la nature de ces mesures. Le
juge administratif français a tendance à les assimiler aux
mesures d’exécution du service, et par suite de se déclarer
incompétent. Mais, non sans difficultés. Certaines solutions
ont été adoptées contrairement aux conclusions du
commissaire du gouvernement. Et dans certaines affaires, le
Conseil d’Etat, incertain, a renvoyé la question au Tribunal des
conflits
122.
Enfin, et c’est curieux, dans certains cas, même si la
qualification de la mesure ne pose, en principe, aucun
problème, il serait inopportun de l’adopter. A priori, le
règlement intérieur du Conseil constitutionnel français relatif à
l’accès à ses archives est une mesure d’organisation du
service. Le commissaire du gouvernement, d’ailleurs, a retenu
cette qualification. Mais, le Conseil d’Etat en a décidé
autrement en énonçant que ledit règlement intérieur « n’était
pas dissociable des conditions dans lesquelles le Conseil
constitutionnel exerce les missions qui lui sont confiées par la
Constitution »
123. Le Règlement litigieux ne constitue donc pas
un acte administratif, et le juge administratif est incompétent
à son égard. Ce qui aboutit, en fait, à conférer une immunité
juridictionnelle à ce Règlement, car aucun juge n’aura
compétence pour en connaître. La solution, qui a été critiquée,
s’explique par la volonté de préserver l’indépendance du juge
constitutionnel qui, comme on l’a dit plus haut, a une place à
part dans l’organisation des pouvoirs.
Conclusion : Le contentieux des actes intéressant la justice
montre, si besoin est, les difficultés inhérentes à l’adoption du
critère matériel pour la détermination de sa compétence par
le juge administratif. Si la distinction organisation/exécution
semble, à première vue, claire, sa mise en œuvre est, parfois,
source de difficultés pour le justiciable.
Recommandations
Si la technique de la détachabilité est, généralement, mise en
œuvre par le juge administratif pour garantir à l’administré un
droit d’accès à la justice, lorsque l’acte en cause est
injusticiable (actes de gouvernement, actes parlementaires), le
recours à cette technique, ici, en matière d’actes intéressant le
service de la justice, est inutile et ne peut que compliquer les
procès, car de toutes les façons, il y aura un juge, en
l’occurrence le juge judiciaire, qui statuera sur la question. Ni
la disposition de l’article 3 de la loi du 3 juin 1996 relative à la
répartition des compétences entre les tribunaux judiciaires et
le tribunal administratif et à la création d'un conseil des
conflits de compétence
124, ni « le principe » interdisant au juge
d’adresser des injonctions à l’égard de l’administration, ne
doivent empêcher ce dernier de s’acquitter de sa mission,
sous peine de déni de justice.
Enfin, la sécurité juridique exige l’application du critère de
répartition des compétences adopté à toutes les juridictions,
même si cette juridiction est la Cour constitutionnelle. Il est
même souhaitable, pour expulser le spectre du gouvernement
du
juge constitutionnel, de montrer que ses actes
administratifs ne sont pas injusticiables.
IX. PROSPECTIVE
Actuellement, avec l’existence d’un Tribunal administratif qui
représente à lui seul tout l’ordre juridictionnel administratif, la
répartition de la compétence entre les différents organes
juridictionnels du Tribunal, ne pose pas de problèmes
particuliers. C’est une question interne au Tribunal, dont le
règlement revient au premier président. Par contre, avec la
mise en œuvre de l’article 116 de la Constitution, qui implique
la création de tribunaux administratifs de première instance et
de cours administratives d’appel, des difficultés inédites,
jusque là, liées à la répartition des compétences entre les
différentes
l’ordre administratif,
apparaîtront. Du reste, il faut signaler que ces difficultés
auraient pu émerger, si on avait créé les chambres de
première instance, au niveau des régions, en vertu de l’article
15 alinéa dernier de la loi du 1er juin 1972 relative au Tribunal
administratif.
juridictions composant
120 Revue Tunisienne de Droit 2006, p. 163 et ss.
121 Droit administratif général, t.1, Montchrestien Domat droit public, 14ème éd.,
2000, n°1171, p. 955.
122 Ibid., loc.cit.
123 CE Ass. 25 octobre 2002, Brouant.
124 Cet article prévoit que : « Les tribunaux judiciaires ne peuvent connaître des
demandes tendant à l’annulation des décisions administratives ou tendant à
ordonner toutes mesures de nature à entraver l’action de l’administration ou la
continuité du service public ».
26



















Page 27
Pour illustrer ce propos, partons d’un exemple concret qui
prend pour point de départ le droit actuellement en vigueur.
Soit une concession de service public conclue par une
commune sur son domaine public. Pour la validité de la
convention, celle-ci doit être approuvée par arrêté du ministre
de l’Intérieur
125. A l’occasion d’un litige entre la commune et
son concessionnaire, celui-ci demande l’annulation de la
décision d’approbation prise par le ministre, ainsi que le
prononcé de la nullité de la convention. Si on applique les
règles générales applicables en matière de répartition des
compétences, le recours pour excès de pouvoir sera de la
compétence du tribunal dans le ressort duquel siège le
ministre de l’Intérieur, tandis que l’action en nullité sera de la
compétence du tribunal dans le ressort duquel siège le maire
qui a signé le contrat. Pour éviter que deux juridictions
connaissent de recours pourtant liés, le mécanisme de la
connexité intervient pour les confier à une seule juridiction. La
connexité présente l’avantage, évident, de permettre au juge
de percevoir le litige dans sa globalité, ce qui est de nature à
garantir une solution cohérente à l’affaire.
Dans le même sens, la législation à venir pourrait instituer un
mécanisme de renvoi de l’affaire au juge compétent : au cas
où un tribunal administratif de première instance ou une cour
administrative d’appel s’estiment incompétents pour régler le
litige, tout en considérant compétent l’ordre juridictionnel
administratif,
jugement
interdit de
d’incompétence. Mais, il doit dans ce cas transmettre l’affaire
à la juridiction compétente. Le justiciable est ainsi dispensé de
devoir engager une nouvelle procédure devant le juge
compétent.
Dans le prolongement de la solution précédente, le législateur
peut aller plus loin et interdire, purement et simplement, aux
parties et aux juges de soulever, après la clôture de
l’instruction, le moyen tiré de l’incompétence territoriale de la
juridiction saisie. Cette solution déroge au caractère d’ordre
public des règles de compétence, mais elle se justifie par le
souci d’éviter le risque de voir les parties contraintes de
reprendre un nouveau procès devant le juge compétent. En
effet, lorsque le procès est déjà bien engagé, l’irruption dans
les débats d’une question de compétence est extrêmement
perturbatrice et remet en cause toute la procédure.
rendre un
il sera
Conclusion
Les mécanismes de résolution des difficultés liées à la
répartition des compétences au sein de l’ordre des juridictions
administratives ne manquent pas. L’essentiel est d’éviter que
la nouvelle configuration de ces juridictions ne soit source
d’une complication supplémentaire pour le justiciable. Il en va
de l’effectivité du droit d’accès au juge.
***
125 Article 19 alinéa dernier du décret n° 2007-362 du 19 février 2007,
déterminant les conditions et modalités de l’occupation temporaire et de la
concession du service public dans le domaine public municipal, JORT n° 17 du 27
février 2007, p.586 et ss.
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qui est stipulé dans la Déclaration universelle des droits de
l’homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils
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