Frédéric Colin
Marie-Laure Messe
L’essentiel
du
Droit du
contentieux
administratif
6e édition
2020
Les
CARRés
.........
Cette collection de livres présente de manière synthétique,
rigoureuse et pratique l’ensemble des connaissances que
l’étudiant doit posséder sur le sujet traité. Elle couvre :
– le Droit et la Science Politique ;
– les Sciences économiques ;
– les Sciences de gestion ;
– les concours de la Fonction publique.
Frédéric Colin est Maître de conférences HDR de droit public à Aix-Marseille Université, Centre de
Recherches Administratives (EA 893).
Marie-Laure Messe est vice-présidente de Tribunal administratif et ancien professeur associé à l’IEP
de Strasbourg.
De Frédéric Colin chez le même éditeur
Collection « Carrés Rouge »
– L’essentiel du droit administratif des biens, 6e éd. 2018.
– L’essentiel du droit public économique, 3e éd. 2017.
– L’essentiel des grands arrêts du Droit administratif, 11e éd. 2019.
Collection « Mémentos »
– Droit de la Fonction publique, 6e éd. 2019.
Collection « Master »
– Droit public économique, 6e éd. 2017.
Collection « Fonction publique »
– Droit public, 4e éd. 2017.
– La Gestion des Ressources Humaines dans la Fonction publique, 3e éd. 2019.
Collection « Droit en poche »
– Les relations Public/Administrations.
© 2020, Gualino, Lextenso
1, Parvis de La Défense
92044 Paris La Défense Cedex
ISBN 978 - 2 - 297 - 09054 - 4
ISSN 1288-8206
Suivez-nous sur
www.gualino.fr
Contactez-nous gualino@lextenso.fr
PRÉSENTATION
Le droit du contentieux administratif présente l’ensemble des règles juridiques relatives
aux litiges qui ressortissent de la compétence des juridictions administratives statuant
en matière juridictionnelle.
Le volume du contentieux administratif ne cesse de se développer, même si statistiquement, il
ne représente qu’une petite part du contentieux traité par l’ensemble des juridictions fran-
çaises. On compte en 2018 : 9 583 affaires jugées par le Conseil d’État, 209 618 par les tribu-
naux administratifs (ci-après TA), 32 854 par les Cours administratives d’appel (ci-après CAA),
pour n’évoquer que les juridictions administratives de « droit commun ».
Les règles d’organisation et de fonctionnement relatives aux TA, aux CAA et au Conseil d’État
ont fait l’objet d’une codification dans le Code de justice administrative (CJA), entré en
vigueur le 1er janvier 2001.
Après avoir examiné la notion de juridiction administrative, l’ouvrage envisagera l’organisa-
tion des juridictions administratives de droit commun (Conseil d’État, Cours administra-
tives d’appel, Tribunaux administratifs), la répartition des compétences au sein de la juri-
diction administrative,
les
conditions de recevabilité des recours contentieux, la procédure de saisine du juge
administratif, les règles relatives à l’instruction, le jugement, les voies de recours, les
procédures d’urgence, et enfin l’effet des décisions de justice.
Cet ouvrage synthétique s’adresse aux étudiants de la filière juridique, mais aussi aux
étudiants de science politique (droit public), et aux candidats des concours administratifs
(futurs fonctionnaires) ou contractuels (catégories A et B) désireux de comprendre les
éléments fondamentaux d’une matière technique en constante évolution.
les différentes branches du contentieux administratif,
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L’ESSENTIEL DU DROIT DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
Le Droit du contentieux administratif connaît des modifications fréquentes qui nécessitent de
se tenir à jour. Ainsi, l’insertion du rapporteur public dans la formation de jugement a fait
l’objet d’une inflexion. L’organisation du Conseil d’État a été rénovée en 2016.
e siècle donne un statut au
La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI
justiciable, lorsqu’elle instaure (COJ, art. L. 123-3) un Service d’accueil unique du justi-
ciable (SAUJ) chargé d’informer les personnes sur les procédures qui
les concernent et de
recevoir de leur part des actes afférents à ces procédures.
Le CJA ne cesse d’être modifié, pour adapter les procédures aux exigences d’une justice
administrative efficace et rapide. Ainsi, dernièrement, le décret du 7 février 2019 modifie de
nombreuses dispositions réglementaires du code. La loi du 23 mars 2019 de programmation
2018-2022 et de réforme pour la justice apporte aussi quelques modifications dans son
Titre II destiné à simplifier la procédure civile et administrative.
Les articles mentionnés dans l’ouvrage sans précision de code sont issus du Code de justice
administrative (CJA).
SOMMAIRE
Présentation
Chapitre 1 – La notion de juridiction
administrative
1 – La notion de juridiction
2 – Le caractère administratif de la juridiction
■ La reconnaissance constitutionnelle de la juridiction administrative
■ Le critère d’identification
Chapitre 2 – Organisation des juridictions
administratives de droit commun
1 – Le Conseil d’État
■ Composition
■ Formations collégiales de jugement
a) Les formations de jugement de droit commun
b) La section du contentieux ou l’assemblée du contentieux
c) La formation spéciale en matière de renseignement
2 – Les cours administratives d’appel
■ Organisation
■ Formations collégiales de jugement
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3 – Les tribunaux administratifs
■ Organisation
■ Formations collégiales de jugement
Chapitre 3 – La répartition des compétences au sein
de la juridiction administrative
1 – Le Conseil d’État
■ Compétence de premier ressort
■ Compétence d’appel
■ Compétence de cassation
2 – Les cours administratives d’appel (CAA)
■ Compétence matérielle
■ Compétence territoriale
3 – Les tribunaux administratifs (TA)
■ Compétence matérielle
■ Compétence territoriale
4 – Règlement des difficultés de compétence au sein de la juridiction
administrative
■ Connexité
a) Entre Conseil d’État et Tribunal administratif
b) Entre Tribunal administratif ou entre Cour administrative d’appel
c) Entre Conseil d’État et Cour administrative d’appel
■ Règlement des questions de compétence
Chapitre 4 – Les quatre branches du contentieux
administratif
1 – Le contentieux de pleine juridiction ou plein contentieux
2 – Le recours pour excès de pouvoir
■ Notion
■ Conditions d’exercice
a) Conditions de recevabilité tenant à l’acte attaqué
b) L’absence de recours parallèle
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■ Le contrôle du juge de l’excès de pouvoir
a) Les moyens de légalité externe
b) Les moyens de légalité interne
3 – Le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation
de légalité
4 – Le contentieux de la répression
5 – Le contentieux de l’homologation de la transaction
Chapitre 5 – Les conditions de recevabilité
des recours contentieux
1 – L’exigence de décision préalable
■ L’obligation de décision préalable
a) Décision explicite
b) Décision implicite
■ La liaison du contentieux
■ La sanction de la règle de la décision préalable
2 – Le délai de recours contentieux
■ L’existence d’un délai pour saisir le juge administratif
a) La durée du délai
b) Les recours soustraits à condition de délai
■ Le calcul du délai de recours
a) Le déclenchement du délai de recours
b) Les cas de prorogation/prolongation du délai de recours
c) La computation du délai
■ Les conséquences liées au non-respect du délai de recours
a) La requête prématurée
b) La requête tardive
3 – L’intérêt à agir
■ Intérêt direct et personnel
■ Intérêt légitime
■ Intérêt certain
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■ Intérêt matériel ou moral
■ Personnes morales
4 – La capacité à agir
■ Personnes physiques
■ Personnes morales
Chapitre 6 – Procédure de saisine de la juridiction
administrative
1 – La requête introductive d’instance
■ L’identification des « parties » en litige
■ Les moyens de la requête
■ Les conclusions soumises au juge
2 – Les formalités de dépôt de la requête
■ La production de la décision attaquée
■ La production de copies de la requête
■ Téléprocédure : « Télérecours »
3 – La représentation des « parties »
■ Principes généraux
a) Devant le TA
b) Devant la CAA
c) Devant le Conseil d’État
■ Les personnes privées
a) Personnes physiques
b) Personnes morales
c) Requête collective
d) L’action de groupe devant le juge administratif
e) L’action en reconnaissance de droits
■ La représentation des personnes publiques
a) La représentation de l’État
b) La représentation des autres personnes publiques
4 – L’aide juridictionnelle
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Chapitre 7 – L’instruction
1 – Le caractère contradictoire de la procédure
■ La contradiction
■ Les moyens soulevés d’office
■ Les « questions »
a) La question préjudicielle
b) La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)
2 – Les dispositifs d’instruction
■ La régularisation
■ Les demandes de pièces ou de documents
■ La visite des lieux
■ Le visionnage de film
■ L’enquête
■ L’amicus curiae
■ L’expertise
3 – La clôture d’instruction
4 – La fin anticipée du procès
■ Le désistement
■ Le non-lieu à statuer
■ La médiation
Chapitre 8 – Le jugement
1 – La composition de la formation de jugement
■ Le principe de collégialité
■ Le juge unique
a) Le juge unique statuant sans audience publique
b) Le juge unique statuant en audience publique
■ L’abstention et la récusation
2 – L’audience
■ La convocation des parties
■ Le caractère public de l’audience
■ Le Rapporteur public
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3 – Le prononcé de la décision juridictionnelle
■ Typologie des décisions juridictionnelles
■ Mentions obligatoires dans la décision
■ La notification de la décision
■ La publication de la décision
■ L’obligation de juger
■ L’obligation de délai raisonnable
Chapitre 9 – Les voies de recours
1 – Les voies de réformation
■ L’appel
a) Les conditions de l’appel
b) Les effets de l’appel
■ La cassation
a) La saisine du juge de cassation
b) Filtrage : la procédure préalable d’admission
c) Les effets de la saisine
d) Les pouvoirs du juge de cassation
2 – Les voies de rétractation
■ L’opposition
■ La tierce opposition
■ Le recours en rectification d’erreur matérielle
■ Le recours en révision
■ Le recours en interprétation
■ Le cas du recours dans l’intérêt de la loi
■ Le renvoi pour suspicion légitime
Chapitre 10 – Les procédures d’urgence
1 – Règles générales applicables aux référés d’urgence
■ Les conditions communes de mise en œuvre des référés d’urgence
a) Un caractère provisoire
b) L’urgence
■ Les voies de recours
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2 – Les différents référés d’urgence
■ Le référé-suspension
a) Conditions
b) Pouvoirs du juge
■ Le référé-liberté
a) Conditions
b) Pouvoirs du juge
■ Le référé mesures utiles
a) Conditions
b) Pouvoirs du juge
■ Les référés spécifiques
a) Le « déféré-suspension »
b) Le constat
c) L’instruction
d) La provision
■ Le référé en matière contractuelle
a) Le référé précontractuel
b) Le référé contractuel
Chapitre 11 – L’effet des décisions de justice
1 – L’autorité de la chose jugée
■ L’étendue de l’autorité de la chose jugée
■ La portée de l’autorité de la chose jugée
a) L’effet des décisions d’annulation
b) Le juge doit respecter deux obligations
2 – L’exécution des décisions juridictionnelles
■ L’exécution « administrative »
a) La Section du rapport et des études
b) Le Défenseur des droits
■ L’exécution juridictionnelle
a) La demande d’explication
b) Injonctions
c) Astreintes
■ Responsabilité en cas de refus d’exécution
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Liste des principales abréviations
Assemblée du contentieux du Conseil d’État
Constitution
Cour administrative d’appel
Cour de cassation
Code de la commande publique
Code général des collectivités territoriales
Code général de la propriété des personnes publiques
Cour nationale du droit d’asile
Conseil constitutionnel
Conseil d’État
Cour européenne des droits de l’Homme
Code de justice administrative
Cour de justice de l’Union européenne
Code de l’organisation judiciaire
Code des relations entre le public et l’administration
Conseil supérieur de l’audiovisuel
Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen
Juridiction administrative spécialisée
Journal officiel
Loi
Loi organique relative aux lois de finances
Livre des procédures fiscales
Médiation préalable obligatoire
Ordonnance
Question prioritaire de constitutionnalité
Recours administratif préalable obligatoire
Service d’accueil unique du justiciable
Silence vaut acceptation
Tribunal administratif
Tribunal des conflits
Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Union européenne
Ass.
Const.
CAA
Cass.
CCP
CGCT
CGPPP
CNDA
Cons. const.
CE
CEDH
CJA
CJUE
COJ
CRPA
CSA
DDHC
JAS
JO
L.
LOLF
LPF
MPO
Ord.
QPC
RAPO
SAUJ
SVA
TA
T. confl.
TFUE
UE
La notion de juridiction
administrative
Chapitre
1
L’existence de la juridiction administrative exprime le « privilège de juridiction » dont bénéficie l’administration,
qui dispose d’une juridiction spécialisée afin de lui appliquer le droit administratif. Si ce dernier exprime effec-
tivement une relation juridique inégalitaire entre l’administration, en position de supériorité, et le public, en
position de subordination, la juridiction administrative veille cependant à garantir les droits du public.
1 La notion de juridiction
La France connaît une organisation juridictionnelle originale en ce sens que les juridictions se divi-
sent en deux ordres :
– les juridictions judiciaires tranchent les litiges entre personnes privées ou en matière pénale ;
– les juridictions administratives jugent les affaires opposant les « administrations » (au sens
large : personnes publiques, personnes privées chargées de mission de service public) entre elles
ou entre les administrations et le public.
L’existence de la juridiction administrative remonte à l’Ancien Régime, lorsque le roi concentrait le
l’édit
pouvoir, mais faisait déjà face au pouvoir judiciaire des parlements de province. Ainsi,
de Saint-Germain du 21 février 1641, pris par Louis XIII à l’instigation de Richelieu, a interdit aux
juges judiciaires de connaître des affaires de l’État, de l’administration ou du gouvernement, réser-
vées au roi. Or, les parlements s’étaient reconnu le droit de contrôler les actes de l’exécutif.
Les révolutionnaires, hostiles aux juges judiciaires pour plusieurs raisons (officiers dont la charge,
vénale et héréditaire, les rattachait au roi), mais défenseurs de la souveraineté nationale, et souhai-
tant généraliser le système électif, se méfient du « pouvoir » judiciaire, hostile à leurs projets de
14
L’ESSENTIEL DU DROIT DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
réforme. Ils interprètent dès lors la séparation des pouvoirs comme une séparation des autorités
administratives et judiciaires, dans le sens d’une interdiction faite au pouvoir judiciaire de connaître
du contentieux de l’action de l’administration active (à la différence des pays anglo-saxons, qui
soumettent l’administration au « droit commun »). Cette conception reste moderne car, même
dans les pays dotés d’un seul ordre de juridiction, on a vu se développer soit des juridictions
spécialisées dans les affaires administratives (« administrative tribunals » en première instance,
même en Grande-Bretagne ou aux États-Unis ; une des branches de l’organisation judiciaire est
administrative en Allemagne), soit des règles particulières de « contentieux administratif ». Un
Tribunal du contentieux administratif des Nations unies a même été créé par l’Assemblée générale
des Nations unies, et est devenu opérationnel le 1er juillet 2009 ; il est compétent pour régler en
première instance, « en interne », les requêtes introduites par des membres du personnel de
l’ONU en activité ou d’anciens agents contre toute décision administrative qu’ils estiment contraire
à leurs conditions d’emploi.
La loi des 16 et 24 août 1790 (article 13), toujours applicable sur ce point, dispose ainsi que :
« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions adminis-
tratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les
opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs
fonctions ».
faudra néanmoins rappeler ce principe dans le décret du 16 fructidor an III
(2 septembre 1795) : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’admi-
nistration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».
Cette législation conduit à un système qui interdit aux juges « judiciaires » de connaître des litiges
administratifs, sans pour autant dégager une juridiction administrative. C’était donc l’époque dite
du système du « ministre-juge » : le ministre, administrateur, était aussi juge des litiges engageant
son administration, ce qui posait évidemment problème en termes d’impartialité, puisqu’il était
juge et partie.
Il
Impartialité
Aujourd’hui, l’impartialité s’impose aux « tribunaux », notamment en vertu de l’article 6, § 1
de la Conv. EDH qui consacre le droit à un procès équitable. Cela concerne évidemment la
juridiction administrative (CE, ass., 3 déc. 1999, Didier). La question est plus délicate en ce
qui concerne les « autorités administratives » françaises, dont certaines ont un pouvoir de
sanction ; il faut alors se référer à la nature et à la composition de l’organe compétent pour
émettre la sanction, et aux voies de recours possibles (CE, 21 déc. 2018, Agence nationale de
l’habitat).
CHAPITRE 1 – La notion de juridiction administrative
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(13 décembre 1799), dont l’article 52, afin d’éviter tout déni de justice,
Cette incohérence, ou carence, a conduit à la création du Conseil d’État dans la Constitution du
22 frimaire an VIII
le
charge d’une mission administrative de préparation des textes du gouvernement, mais surtout de
régler les litiges « s’élevant en matière administrative » (mais alors seulement en proposant une
solution au chef de l’État ; ce dernier a toujours validé la proposition). C’est encore un système
de « justice retenue » (toujours aux mains du chef de l’État). La loi du 28 pluviôse an VIII crée les
conseils de préfecture (ancêtres des tribunaux administratifs).
C’est seulement la loi du 24 mai 1872 qui consacre le passage au système de « justice déléguée »,
dans lequel le Conseil d’État acquiert la qualité de juridiction : il juge désormais souverainement
« au nom du peuple français ».
Quelques années plus tard, l’arrêt Cadot du Conseil d’État du 13 décembre 1889 consacre en
jurisprudence la disparition du système du « ministre-juge » qui avait continué d’exister. D’ailleurs,
la jurisprudence joue un rôle particulier aujourd’hui encore dans le droit du contentieux adminis-
tratif, malgré l’existence du CJA. Elle sert à interpréter des dispositions normatives régissant le
procès administratif, pas toujours très explicites ; elle définit aussi des règles en cas de carence
des textes, notamment concernant l’existence même de recours (il n’est que de se référer au
recours pour excès de pouvoir), la recevabilité des recours, ou certaines garanties de procédure :
bref, il dégage des « règles générales de procédure ».
Il peut encore aujourd’hui s’avérer difficile de distinguer l’activité juridictionnelle de l’administra-
tion active. En effet, un même organe peut remplir à la fois des missions de nature juridictionnelle
et de nature administrative, comme c’est le cas des conseils des ordres professionnels : il s’agira
alors au juge de qualifier puis contrôler l’acte contesté (CE, ass., 12 déc. 1953, De Bayo).
La qualification de juridiction peut résulter de deux critères :
– tout d’abord, le critère légal : le texte qui crée un organisme le qualifie expressément de juri-
dictionnel (p. ex. cours administratives d’appel, tribunaux administratifs, Cour des comptes...) ;
– à défaut, les juridictions appliquent un critère jurisprudentiel de type matériel, en vertu
duquel un organe exerce une fonction juridictionnelle lorsqu’il peut régler de façon définitive
avec la force de chose jugée les litiges qui lui sont soumis. Lorsque ce critère lui-même est peu
clair, le juge se référera à un faisceau d’indices concordants, mettant en jeu la procédure suivie,
la composition de l’organe (nombre, origine, qualité des membres), la méthode d’examen des
dossiers (respect du contradictoire, motivation des décisions...), le type de décisions rendues. En
application de cette méthode jurisprudentielle, le Conseil supérieur de la magistrature a été
considéré comme une juridiction lorsqu’il statue comme conseil de discipline des magistrats du
siège (CE, ass., 12 juill. 1969, Sieur L’Étang).
16
L’ESSENTIEL DU DROIT DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
2 Le caractère administratif de la juridiction
■ La reconnaissance constitutionnelle de la juridiction administrative
La dualité des ordres de juridictions est encore aujourd’hui parfois critiquée pour plusieurs raisons :
elle peut compliquer le paysage juridique pour le justiciable, et elle risque d’entraîner des diffi-
cultés de répartition des litiges entre les deux ordres de juridiction, ainsi que d’inévitables « ques-
tions » (difficultés sérieuses), insusceptibles d’être résolues par tel ou tel ordre, conditionnant pour-
tant la solution du litige. Cette dualité, peut dans cette perspective être source de lenteur pour le
justiciable. Elle a nécessité la création du Tribunal des conflits, lui-même ordre de juridiction à part
entière, dédié au règlement des conflits entre les juridictions judiciaires et administratives.
L’autorité judiciaire, protectrice de la liberté individuelle en vertu de l’article 66 de la Constitution,
bénéficie d’une protection constitutionnelle explicite, développée dans le Titre VIII (art. 64 à 66-1
portant notamment sur le Conseil supérieur de la Magistrature). Il n’en est pas de même de la juri-
diction administrative. En effet, l’histoire « administrative » du Conseil d’État a conduit à l’origine à
n’en faire mention dans la Constitution, de façon explicite, qu’au titre de ses seules compétences
administratives (p. ex. avis sur les projets de lois ou d’ordonnances).
Mais on doit en tout état de cause considérer que la juridiction administrative bénéficie aujour-
d’hui, à l’instar de la juridiction judiciaire, même si c’est de façon moins explicite, d’une protection
de niveau constitutionnel.
Le texte même de la Constitution de 1958 contient, il est vrai, peu de dispositions évoquant l’exis-
tence de la juridiction administrative en tant que telle. On peut toutefois concevoir que lorsque
l’article 34 dispose que le législateur est compétent pour fixer les règles concernant « la création
de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats », cette disposition va faire l’objet de
textes affermissant la juridiction administrative. La loi doit intervenir pour créer des juridictions qui
ont une compétence spécifique ou nouvelle, ou encore pour en déterminer les « règles constitu-
tives » essentielles ; à défaut, c’est le pouvoir réglementaire qui est compétent (CE, ass., 13 juill.
1962, Conseil national de l’ordre des médecins).
Par ailleurs, l’article 74 de la Constitution précise que la loi organique nécessaire au statut de
chaque collectivité d’outre-mer, « peut également déterminer, pour celles de ces collectivités qui
sont dotées de l’autonomie, les conditions dans lesquelles le Conseil d’État exerce un contrôle juri-
dictionnel spécifique sur certaines catégories d’actes de l’assemblée délibérante intervenant au
titre des compétences qu’elle exerce dans le domaine de la loi ». C’est donc bien au titre de juri-
diction que le Conseil d’État y est évoqué.
CHAPITRE 1 – La notion de juridiction administrative
17
Surtout, l’article 61-1 de la Constitution a instauré, en vertu de la révision constitutionnelle du
23 juillet 2008, la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), en vertu de laquelle « lorsque, à
l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législa-
tive porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut
être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se
prononce dans un délai déterminé ». Or, la loi organique du 10 décembre 2009, relative à l’appli-
cation de l’article 61-1, qui met en œuvre la procédure, évoque bien l’hypothèse dans laquelle la
question est posée « devant les juridictions relevant du Conseil d’État », ce qui implique la qualité
de juridiction suprême de ce dernier, qui prend bien une « décision » (juridictionnelle) de transmis-
sion ou non au Conseil constitutionnel. Lorsque ce dernier est saisi, il est encore précisé, selon la
terminologie utilisée pour les juridictions, que le Conseil d’État doit « surseoir à statuer » dans
l’attente de la solution du Conseil constitutionnel.
Enfin, la décision prise alors par le Conseil constitutionnel s’impose aux autres « juridictions », dont
fait partie le Conseil d’État : « lorsque le Conseil constitutionnel, après avoir abrogé une disposi-
tion déclarée inconstitutionnelle, use du pouvoir que lui confèrent les dispositions précitées, soit
de déterminer lui-même les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a
produits sont susceptibles d’être remis en cause, soit de décider que le législateur aura à prévoir
une application aux instances en cours des dispositions qu’il aura prises pour remédier à l’inconsti-
tutionnalité constatée, il appartient au juge, saisi d’un litige relatif aux effets produits par la dispo-
sition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce
litige, le cas échéant d’office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil
constitutionnel ou le législateur » (CE, ass., QPC, 13 mai 2011, Mme Hadda M’Rida).
Mais la constitutionnalisation de la juridiction administrative a résulté sous la Constitution de
1958, initialement, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier a tout d’abord
indiqué « qu’il résulte des dispositions de l’article 64 de la Constitution en ce qui concerne l’auto-
rité judiciaire et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République en ce qui
concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l’indépendance des juri-
dictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions sur lesquelles ne peuvent
le Gouvernement » (Cons. const., 22 juill. 1980, Validation d’actes
empiéter ni
administratifs). Il a ensuite précisé que « conformément à la conception française de la séparation
les lois de la
figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par
des pouvoirs,
République" (PFRLR) celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité
judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation
ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par
les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République
le législateur ni
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L’ESSENTIEL DU DROIT DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
ou les organismes publics placés sous leur autorité ou sous leur contrôle » (Cons. const., 23 janv.
1987, Conseil de la concurrence).
■ Le critère d’identification
Une fois la qualité de juridiction reconnue, encore faut-il pouvoir la classer au sein de l’un des
deux ordres de juridictions, et pour ce qui nous intéresse ici, au sein de la juridiction
administrative.
Là encore, deux critères sont applicables :
– dans le meilleur des cas, et heureusement le plus souvent, les textes règlent la question par
la mise en place explicite des voies de recours. Ainsi, une juridiction subordonnée au Conseil
d’État par la voie de l’appel ou de la cassation constitue par nature une juridiction administrative
(p. ex. TA, CAA). Lorsque les textes ne règlent pas la question, le Conseil d’État va encore une
fois utiliser la méthode du faisceau d’indices pour qualifier un organe de juridiction administra-
tive (CE, ass., 7 févr. 1947, d’Aillières). Il examinera la composition de l’organisme (p. ex. collé-
gialité), l’indépendance de ses membres (p. ex. inamovibilité), les caractères de la procédure
(nécessité du contradictoire, pouvoirs d’instruction...) ;
– mais c’est essentiellement la nature des litiges qui va déterminer la solution retenue en juris-
prudence : le litige a vocation à être tranché par une juridiction administrative s’il a pour but de
régler des questions de nature administrative. Ainsi, le CSM a bien le caractère d’une juridiction
de type administratif, bien qu’étant composé de magistrats de l’ordre judiciaire, lorsqu’il est
chargé de statuer sur les questions disciplinaires des magistrats, fonctionnaires de l’État (CE,
ass., 12 juill. 1969, Sieur L’Étang). De même, dès lors que la loi est muette sur la question, la
juridiction administrative est ainsi compétente pour connaître des actes administratifs émis par
l’Autorité de la concurrence (CE, 10 oct. 2014, Syndicat national des fabricants d’isolants en
laines minérales manufacturées).
Le critère tiré du service public est fondamental dans l’identification de la compétence juridiction-
nelle de la juridiction administrative. Dans plusieurs grandes affaires du contentieux administratif,
c’est le critère qui a permis de conduire à la compétence de la juridiction administrative. Ainsi, la
compétence de la juridiction administrative a été retenue en ce qui concerne l’organisation du
service public de la justice judiciaire (CE, 9 nov. 2018, no 417240), pour les litiges relatifs aux élec-
tions au Conseil supérieur de la magistrature (CE, 17 avr. 1953, Falco et Vidaillac). On peut citer
quelques affaires emblématiques concernant
la compétence de la juridiction administrative,
fondée sur un critère jurisprudentiel : compétence du juge administratif pour les contrats adminis-
tratifs des collectivités territoriales (CE, 6 févr. 1903, Terrier), pour un contrat de délégation de
service public (CE, 4 mars 1910, Thérond), pour les actes administratifs pris par un organisme
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