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Compte rendu de la Rencontre Economique du 12 mars 2019
LES NOUVELLES FORMES D’ENTREPRENEURIAT
DANS LE MONDE ARABE
La 13ème édition des Rencontres économiques du monde arabe s'est tenue ce mardi 12 mars 2019 dans la
Salle du Haut Conseil de l'Institut du monde arabe.
Une table ronde animée par Yann Mens, Rédacteur en chef international d’Alternatives économiques, a donné la parole à cinq
experts de l'entrepreneuriat et de l'économie sociale et solidaire (ESS) en France, au Maghreb et dans le Golfe : Rachid Abidi,
directeur du Lab'ess, un incubateur dédié à l'ESS à Tunis ; Abdelaziz Benjouad, Vice-Président de la recherche et du développement
de l'Université Internationale de Rabat et Président du comité opérationnel de l'OpenLab créé par le groupe PSA au Maroc ;

Isabelle Bébéar, Directrice de l'International et de l'Université de Bpifrance ; Thierry Sibieude, Directeur général du Campus ESSEC
Afrique à Rabat et Professeur titulaire de la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social de l’ESSEC ; et Sonia Weymuller, Fondatrice
de VentureSouq, une plateforme de mise en lien entre entrepreneurs et investisseurs basée aux Emirats Arabes Unis.
Premier thème abordé lors de la table ronde : la question de l'emploi, de la formation et des compétences.
Alors qu'entre 11 et 13 millions de jeunes arrivent sur le marché du travail tous les ans en Afrique, le secteur public, autrefois voie
royale vers l'emploi, recrute de moins en moins. Dès lors, la création d'entreprises et la promotion de l'entrepreneuriat deviennent
un levier majeur de développement.
Cet enjeu soulève la problématique de l'éducation, de son accessibilité et du développement de la culture entrepreneuriale dans
le monde arabe. Au Maroc, des réformes ont été lancées pour développer des offres de formation dans des domaines stratégiques
(énergies renouvelables, aéronautique...}, pour sensibiliser les lycéens, etc. Cependant, il reste encore un manque à combler en
matière de management de proximité, pour inciter les étudiants marocains partis à l'étranger à créer leur propre PME au Maroc.
Au-delà de la formation académique,
Sonia Weymuller souligne l'importance de cultiver les « soft skills » et en particulier « l'esprit
de leadership » - une priorité au Maghreb comme dans le Golfe. Plusieurs programmes, notamment mis en place par VentureSouq,
œuvrent à transmettre ce type de compétences aux entrepreneurs comme aux investisseurs, qu'il faut eux-aussi former pour les
inciter à s'intéresser aux start-ups. Il s'agit surtout de vaincre la peur de l'échec, dont l’image très négative est fortement ancrée
dans la région du Golfe, davantage encore qu'au Maghreb. C'est un frein culturel majeur pour le développement de l'entrepreneu
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riat et de l'investissement. Par ailleurs, de nombreux jeunes investisseurs (par exemple les « family officers » en Arabie Saoudite)
s'intéressent au marché des entreprises innovantes mais ne se sentent pas légitimes car ils ne disposent pas du bon background
académique (écoles de commerce, formation en finances...). Tous ces acteurs ont besoin d'accompagnement.
Rachid Abidi soulève quant à lui la question de la place de l'ESS dans le paysage entrepreneurial. Après la révolution en Tunisie, le
tissus associatif a connu un vrai essor et doit désormais se pérenniser. Pourtant, la culture entrepreneuriale en Tunisie peine à s'im
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poser. Le développement d'un entrepreneuriat social et solidaire passera par la sensibilisation des pouvoirs publics et de la société
civile, et par la formation des enseignants pour qu'ils transmettent à la jeunesse cette culture de la prise d'initiative. Selon
Thierry
Sibieude, l'entrepreneuriat en Afrique est par essence social - contrairement aux pays du Golfe, selon Sonia Weymuller. En effet,
les pouvoirs publics n'ayant pas garanti aux entreprises les conditions sociales favorables à leur succès, ce sont à elles de façonner
leur environnement pour se pérenniser. Pour
Abdelaziz Benjouad, si l'entrepreneuriat social existe au Maroc, il reste encore à le
structurer. Le principal enjeu pour le pays est de profiter de la dynamique industrielle et technologique qui s'y installe, en favorisant
la recherche (labellisation, développement des brevets, réseaux d'incubateurs dans les universités...).
La place des femmes a ensuite été évoquée, rappelant que, malgré un bon accès à l'éducation (les femmes sont plus nombreuses
parmi les diplômés), leurs difficultés persistent pour accéder au marché du travail et, qui plus est, à l'entrepreneuriat.
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Deuxième thématique abordée : le cadre réglementaire et son rôle pour favoriser l’entrepreneuriat.
Pour Rachid Abidi, l’absence de cadre réglementaire facilite la prise d’initiative et la créativité. Néanmoins, dans des pays centralisés
comme la Tunisie, la législation est à la fois un levier de sensibilisation et une garantie : aux yeux de la population et des investisseurs,
c’est une preuve que l’ESS est reconnue et soutenue par l’Etat. On observe une certaine dynamique en ce sens en Tunisie avec
la création d’un ministère dédié à l’économie sociale et solidaire, et l’adoption du «
Start-up Act » voté en 2018 qui facilite la
création d’entreprises innovantes. Ainsi, le cadre réglementaire fiscal joue encore un rôle important dans l’émergence d’un
écosystème de start-ups et pour leur donner de la crédibilité auprès des investisseurs. Concernant les start-ups technologiques,
l’implication des pouvoirs publics est nécessaire à leur développement pour
Abdelaziz Benjouad. Au Maroc, le manque de
centres de prototypages et de fonds d’investissement freine leur émergence. Or celle-ci favoriserait ensuite l’émergence
d’entreprises sociales. En matière de règlementation, la nouvelle loi marocaine sur le crowdfunding est la preuve d’une prise de
conscience progressive des pouvoirs publics.
Dans le Golfe, la fragmentation de la région fait de la réglementation un enjeu central. En raison de l’hétérogénéité des législations,
la plupart des entrepreneurs ne peuvent accéder aux marchés clés, notamment celui de l’Arabie Saoudite, et restent cantonnés
à des marchés de faible envergure, sans possibilité d’évolution. L a problématique est pl us sp écifique encore en rai son de la
disproportion marquée entre habitants natifs et expatriés. Les initiatives gouvernementales en matière de financement visent à
favoriser les locaux, privant ainsi les expatriés des fonds dont ils ont besoin.
Pour Thierry Sibieude, il faut différencier réglementation et action publique. La législation n’est pas toujours souhaitable car elle
est souvent rigide et s’adapte difficilement à l’évolution réelle des choses (en particulier dans le domaine de l’innovation où tout va
très vite). En revanche, les pouvoirs publics ont leur rôle à jouer via d’autres types de dispositifs, surtout en matière d’investissement
et d’accès aux financements, troisième thématique abordée lors de la table ronde.
Afin de promouvoir la culture entrepreneuriale, les Etats doivent proposer une politique volontariste en matière de financements,
pour pallier la timidité d’investisseurs privés averses au risque. L’une des difficultés majeures en matière de création d’entreprise
dans le monde arabe réside dans la faible capacité pour une start-up naissante de démontrer son potentiel p our attirer des
financements. Les investisseurs privés leur préfèrent des start-ups plus avancées, qui ont déjà fait leurs preuves. Par conséquent,
l’Etat doit investir dans des fonds d’amorçage, actifs au stade où le risque est élevé, pour permettre aux start-ups de se développer
et de murir. C’est seulement ensuite que le secteur privé prend le relai.
Le débat s’est peu à peu tourné vers le mouvement RSE et l’investissement à impact social ou «
impact investing ». Tandis que
Thierry Sibieude envisage la RSE comme un mouvement en plein essor et un réel outil pour placer des questions nouvelles au cœur
du business, Sonia Weymuller lui reproche une vision francocentrée. Selon elle, contrairement au Maghreb, l’ « impact investing »
ne peut se développer dans le Golfe en raison d’un manque d’éducation et de sensibilisation à ce type d’investissement.
Isabelle
Bébéar
est venue nuancer son propos, en indiquant que dans le Golfe, si l’intérêt pour l’entrepreneuriat n’existait pas à l’origine,
le contexte économique en a fait une nécessité et aujourd’hui l’idée de promouvoir l’entrepreneuriat se développe. La dynamique
pourrait être la même pour l’ESS.
A la différence des pays d’Europe, il existe en Afrique du Nord une très forte participation des coopérations internationales pour
financer des projets d’entrepreneuriat. Néanmoins, ces programmes ont besoin de se structurer et de se coordonner. Cela suppose
un travail de la part des gouvernements par lesquels ces financements transitent, permettant ainsi de les diriger plus clairement
vers l’ESS.
Inéluctablement adossée à la problématique du financement, la question de l’accompagnement des entreprises est venue clore
cette Rencontre.
Dispositifs de formation, coaching, accès au conseil, création d’accélérateurs... Plusieurs structures d’accompagnement émergent
dans les pays du Maghreb mais aussi dans le Golfe, où le modèle privé est privilégié et où certaines de ces structures sont accolées
à de petits fonds d’investissements. Néanmoins, ces entités doivent désormais passer à maturation et se développer. La question
de l’accompagnement se pose également au niveau des universités. Au Maroc, au-delà de promouvoir la prise d’initiative au sein
des parcours de formation, il est crucial d’aller plus loin et de donner aux jeunes entrepreneurs - qui sont parfois dans des situations
financières précaires - la possibilité de consacrer la totalité de leur énergie et de leur temps à leur projet.
L’accompagnement peut aussi se traduire par le fait de réinvestir à plusieurs reprises dans une même entreprise, ou encore par la
mise en réseau nécessaire pour pénétrer des marchés difficiles d’accès. C’est particulièrement le cas en Arabie Saoudite et dans la
région du Golfe, où la connaissance des « bons noms » et du fonctionnement de la bureaucratie est essentielle.
Selon- Plus de références et documents sur Legaly Docs Abdelaziz Benjouad, il faut désormais penser l’accompagnement de manière plus globale : construire des espaces de transfert
de savoir-faire, créer des consortiums d’universités ... Tout cela dans l’optique de permettre un véritable essor de l’entrepreneuriat
et d’augmenter son impact sur les économies nationales.
Pour en savoir plus : https://www.imarabe.org/fr/activites/rencontres-debats/rencontres-economiques-du-monde-arabe
Contact presse française et internationale : Eléonore Grau / 01 40 51 38 62 / 06 60 03 48 68 - egrau@imarabe.org
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