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Note juridique
L’adoption d’une nouvelle constitution pour la Tunisie : une opportunité unique
de protéger tous les droits de l’homme
Les 25 et 26 mai 2012, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme
(FIDH) et la Commission Internationale de Juristes (CIJ) ont co-organisé un séminaire1 sur la
protection des droits économiques, sociaux et culturels en Tunisie, aux côtés d’experts
nationaux et internationaux. Au-delà de cet événement, les deux organisations travaillent sur
divers aspects de la réforme constitutionnelle et du processus de transition en Tunisie. La
présente note se propose également de servir de référence pour guider le travail actuel de
l’Assemblée nationale constituante. Elle se base sur les discussions qui ont eu lieu en mai
2012.
Le processus de réforme constitutionnelle en cours offre à la Tunisie une opportunité
unique de se doter d’un cadre juridique et institutionnel qui assure une protection maximale
de tous les droits de l’homme en conformité avec les normes de droit international.
A la suite de plusieurs autres Etats qui ont adopté une nouvelle constitution au cours
des dernières années
2, la Tunisie devrait saisir l’opportunité d’adapter son droit national afin
de respecter ses obligations de droit international des droits de l’homme. Ainsi, il apparaît
juridique réformé reconnaisse non seulement les libertés
indispensable que l’ordre
fondamentales, les droits civils et politiques universels, mais également d’autres droits tels
que les droits économiques, sociaux et culturels (DESC). Une place particulière devra
également être accordée aux droits des femmes et aux droits de l’enfant, ainsi qu’à ceux des
groupes défavorisés et marginalisés de manière générale. Ces droits devront être garantis et
protégés de façon adéquate. Tels que consacrés en droit international, les DESC incluent les
droits au travail et à des conditions de travail décentes, à la sécurité et l’assistance sociale, à
un niveau de vie suffisant, à l’alimentation, au logement, à l’eau et à l’assainissement, à la
santé, à l’éducation et à la participation à la vie culturelle.
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1 Séminaire sur les droits économiques, sociaux et culturels en Tunisie, organisé par le Forum tunisien
pour les droits économiques et sociaux (FTDES), et la FIDH en coopération avec la CIJ, la Coalition
internationale pour le Protocole facultatif au PIDESC et le Réseau DESC, 25, 26 mai 2012, Tunis.
Déclaration finale: http://www.fidh.org/IMG/pdf/workshop_desc_declaration_finale.pdf
2 Ces récentes constitutions incluent celles de l’Afrique du Sud (1996), de l’Equateur (2008), de
Bolivie (2009) et du Kenya (2010).
3 Pour une liste complète et détaillée des DESC garantis en droit international des droits de l’homme,
voir en particulier le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (1966),
Assemblée générale de l’ONU, Résolution 2200A (XXI).
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1. La Tunisie et le droit international des droits de l’homme
Dans ce contexte, le soulèvement qui a conduit à la chute du Président Ben Ali et
l’actuelle transition offrent des opportunités sans précédent de consolider et de renforcer la
garantie et la protection des droits de l’homme. Avant le soulèvement, la Tunisie était déjà
partie à une majorité d’instruments de droit international des droits de l’homme.
4
Pendant la période de gouvernement provisoire allant jusqu’aux élections d’octobre
2011, la Tunisie est devenue partie à plusieurs instruments internationaux, notamment, le
Statut de Rome de la Cour pénale internationale, la Convention internationale pour la protection de
toutes les personnes contre les disparitions forcées
, ainsi que les Protocoles facultatifs à la
Convention contre la torture et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques5. En outre,
les réserves à la
Convention des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes
ont été retirées. Or, un traité, la Convention internationale sur
la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille
, ainsi que
deux protocoles facultatifs, celui à la
Convention relative aux droits de l’enfant établissant une
procédure de présentation de communications et celui au
Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels
n’ont pas encore été ratifiés par la Tunisie.
Ces récentes ratifications sont autant d’avancées significatives pour la Tunisie. Elles
constituent un pas important pour l’Etat dans la progression vers une garantie et une
protection de tous les droits de l’homme. Cependant, les ratifications manquantes
mentionnées ci-dessus représentent des lacunes normatives et de protection qui devraient
être comblées le plus rapidement possible. De plus, les autorités tunisiennes devraient faire
preuve d’un engagement fort et de volonté politique en adoptant les mesures législatives et
les politiques publiques nécessaires afin que les instruments ratifiés et leurs normes puissent
être véritablement mis en œuvre.
Les instruments garantissant les droits économiques, sociaux et culturels ratifiés par
la Tunisie, et, en particulier, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (PIDESC), fournissent des indications claires sur les mesures à prendre afin de
s’assurer que l’ordre juridique interne soit en conformité avec les obligations internationales
du pays. D’importantes revendications pour une justice économique, sociale et culturelle ont
été exprimées par de larges catégories de la population pendant le soulèvement. Ainsi, la
garantie et la protection dans l’ordre juridique interne des droits économiques, sociaux et
culturels, tels que consacrés en droit international des droits de l’homme et sur un pied
d’égalité avec les droits civils et politiques, seront essentielles pour répondre aux aspirations
profondes des Tunisiens, en particulier, à celles des individus et groupes les plus
marginalisés.
4 La Tunisie est partie aux instruments suivants : Convention internationale sur l'élimination de toutes
les formes de discrimination raciale (ICERD) depuis 1967 ; Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels (PIDESC) depuis 1969 ; Pacte international relatif aux droits civils
et politiques (PIDCP) depuis 1969 ; Protocole Facultatif au PIDCP depuis 1969 ; Convention sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) depuis 1985 ;
Protocole Facultatif à la CEDAW depuis 2008 ; Convention contre la torture (CAT) depuis 1988 ;
Protocole Facultatif à la CAT depuis 2011 ; Convention relative aux droits de l'enfant (CRC) depuis
1992 ; Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) depuis 2008 ; Protocole
Facultatif à la CDPH depuis 2008 ; Convention internationale pour la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées (ICED) depuis 2011.
5 Il s’agit du Premier Protocole Facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
adopté par l’Assemblée Générale dans sa résolution 2200 A(XXI) du 16 décembre 1966.
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2. Ratifications d’instruments internationaux de droits de l’homme : implications
pour le processus de réforme constitutionnelle
Le droit international définit clairement les implications pour un Etat devenant partie
à un traité pour l’ordre juridique interne. Dans son article 26, la Convention de Vienne sur le
droit des traités réitère le principe général du droit qui oblige les Etats qui ratifient un traité à
le mettre en œuvre de bonne foi. L’article 27 de cette même Convention, quant à lui, stipule
qu’ « [U]ne partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la
non-exécution d’un traité. »
La ratification de traités impose donc des obligations à tous les pouvoirs de l’Etat et à
tous les niveaux du gouvernement : exécutif, législatif, judiciaire ainsi qu’aux niveaux local
et central. Il appartient donc à toute une série d’autorités publiques de se mobiliser afin de
prendre les mesures législatives, politiques, administratives, budgétaires, éducatives et
autres, qui sont nécessaires au respect, à la protection et à la mise en œuvre des droits de
l’homme.
En tant que membre de l’ONU et en tant que partie à la plupart des traités de droits
de l’homme, la Tunisie s’est également engagée à respecter les principes fondamentaux de
droits de l’homme que sont l’universalité et le caractère indissociables, interdépendants et
intimement liés de tous les droits de l’homme.
6 Aujourd’hui, la Tunisie a l’opportunité
d’adopter une nouvelle constitution qui respecte ces principes fondamentaux en incluant une
charte des droits qui garantisse tous les droits de l’homme : civils, culturels, économiques,
politiques et sociaux. L’interdépendance des droits ne s’applique pas uniquement entre les
droits civils et politiques, d’une part, et les droits économiques, sociaux et culturels d’autre
part. L’indivisibilité intrinsèque s’applique également aux différents droits économiques,
sociaux et culturels entre eux. Ainsi, la jouissance du droit à l’éducation dépend étroitement
de la réalisation des droits à la santé et à l’alimentation, ainsi que plus généralement du droit
à un niveau de vie suffisant.
Par ailleurs, en ce qui concerne la question spécifique de la transposition du PIDESC
dans l’ordre
juridique interne, l’Observation générale No.9 du Comité des droits
économiques, sociaux et culturels (le CoDESC) apporte des indications très utiles.
7 En tant
qu’Etat partie au PIDESC depuis 1969, la Tunisie devrait garantir que la protection nationale
des droits consacrés dans le Pacte soit au moins aussi élevée que si le PIDESC était
directement applicable dans son intégralité. Par ailleurs, même si certaines dispositions du
Pacte ne sont pas considérées comme directement applicables, la Tunisie a l’obligation
d’adopter les lois nationales nécessaires à la transposition de ces dispositions en droit
interne. Ainsi, les juges nationaux doivent interpréter le droit national à la lumière du
PIDESC.
Il est important de souligner que le PIDESC est la source principale d’obligations et
que la doctrine et la jurisprudence du CoDESC fournissent le cadre interprétatif faisant
autorité pour les DESC. En effet, d’autres instruments sont pertinents, tels que la Convention
sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), la
Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), et plus particulièrement
la Convention relative aux droits de l'enfant (CRC), ainsi que leurs comités respectifs. Le
CRC a précisé « […] qu’aussi bien les droits civils et politiques que les droits économiques sociaux et
6 Déclaration et programme d’action de Vienne (1993), Doc. ONU A/CONF.157/23, § 5.
7 Voir Observation générale No.9 (1998), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1998/24.
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culturels doivent être considérés comme justiciables. Il est essentiel que la législation interne définisse
les droits d’une manière suffisamment détaillée pour que les recours disponibles en cas de non-respect
soient efficaces
.»8
A la lumière de ces dispositions du droit international des droits de l’homme, et afin
de pleinement respecter celles-ci sans ambiguïté, plusieurs Etats qui ont connu des
transitions et des processus de réformes constitutionnelles, ont incorporé dans leurs
nouvelles constitutions les normes de droit international des droits de l’homme en clarifiant
les recours et les mécanismes d’exécution disponibles en cas de violations.
La reconnaissance constitutionnelle d’un catalogue complet des droits reconnus dans
les traités internationaux des droits de l’homme représente le moyen le plus adéquat
d’assurer la sécurité et prédictibilité juridique. La clarté ainsi offerte tant aux acteurs du
système judiciaire qu’aux détenteurs de droits est une condition fondamentale pour garantir
un accès à la justice aux victimes de violations des droits.
3. Au-delà de la constitution : implications de la ratification du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels pour le cadre juridique et
institutionnel en Tunisie
En vertu des traités internationaux, et, en particulier, du PIDESC, les individus ont le
droit à un recours utile pleinement accessible afin de pouvoir revendiquer leurs droits. Le
droit à un recours utile et à une réparation pleine et efficace, notamment sous la forme de
restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition, est
garanti en droit international. Il constitue une condition fondamentale de la jouissance des
droits de l’homme.
9
En outre, alors que les recours juridiques, en général, et les recours judiciaires, en
particulier, jouent un rôle essentiel dans le plein exercice des droits de l’homme, ces derniers
ne peuvent pas uniquement être mis en œuvre par les tribunaux mais exigent que des
politiques publiques et programmes soient mis en place. Ces politiques publiques et
programmes doivent respecter les principes fondamentaux de droits de l’homme, et
notamment la non-discrimination, la transparence, l’obligation de rendre des comptes et la
participation. A cet égard, le suivi basé sur les droits de l’homme des politiques publiques et
des mesures (y compris budgétaires), ainsi que de la performance de l’Etat revêt une
importance fondamentale qui devra être pris en considération par les autorités tunisiennes.
La constitution devra établir les normes et mécanismes fondamentaux devant permettre
d’assurer le respect de ces principes de droits de l’homme, et, notamment, de l’obligation de
rendre des comptes et de la transparence.
8 Observation générale No.5 (2003), CRC, Doc. ONU CRC/GC/2003/5, § 25. Voir aussi le paragraphe
24 qui stipule que « [P]our que les droits aient un sens il faut pouvoir disposer de moyens de recours
utiles pour obtenir réparation en cas de violation ».
9 Voir l’Observation générale No.3 (1990), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1990/12 ; voir également les
Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de
violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit
international humanitaire (2005), Assemblée générale, Doc. ONU, Résolution 60/147.

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Dans cette perspective, les dispositions constitutionnelles pour des mécanismes de
responsabilité et de suivi indépendants et efficaces, ainsi que pour l’accessibilité de
l’information représentent des éléments essentiels d’un environnement favorable dans lequel
les DESC peuvent être réalisés.
10
L’Observation générale No.3 du CoDESC établit de façon concrète les obligations des
Etats parties au traité. S’ils veulent mettre en oeuvre de bonne foi le PIDESC, ces derniers
doivent :
- prendre toutes les mesures nécessaires (notamment les mesures législatives comme
mentionné ci-dessus mais pas uniquement) ;
- prévoir un recours juridictionnel lorsque des politiques publiques pertinentes pour la
-
réalisation des DESC font l’objet d’un texte législatif;
adopter des programmes ciblés, efficaces et à bas coûts pour protéger les plus
menacés, même en situation de ressources restreintes.
Il est important de souligner que les plans nationaux pour les droits de l’homme sont
considérés au niveau international comme faisant partie des pratiques recommandées. Ils
peuvent représenter un outil utile pour une action cohérente et efficace en vue de la
réalisation de tous les droits de l’homme. En particulier en ce qui concerne les droits
économiques, sociaux et culturels, l’adoption de législations-cadre, ainsi que de stratégies et
plans nationaux servant la réalisation de chacun des droits a été recommandé par le CoDESC
à plusieurs reprises.
11 Ces stratégies sont considérées comme un facteur crucial dans le
respect de l’obligation de mettre en œuvre les droits garantis dans le PIDESC. Elles doivent
non seulement s’inscrire dans un cadre de droits de l’homme suivant des principes
fondamentaux tels que la participation et la transparence, mais elles doivent également
définir des objectifs et des étapes pour atteindre ceux-ci, qui permettront d’évaluer la
performance de l’Etat en vue de la réalisation des droits. Ces plans et législations-cadre
doivent aussi établir et indiquer les recours utiles que les détenteurs de droits ont à leur
disposition pour réclamer leurs droits et porter plainte contre les violations.
4. Les DESC et les obligations des Etats au titre du droit international des droits
de l’homme
Outre le cadre général décrit ci-dessus, la doctrine internationale, les organes de
traités des Nations unies, et en particulier le CoDESC, ainsi que les cours régionales et
nationales ont contribué de façon essentielle à l’interprétation et à l’opérationnalisation des
dispositions des instruments internationaux pertinents.
Alors que des idées fausses persistent concernant la signification des DESC et
l’étendue des obligations étatiques correspondantes, d’importants progrès ont eu lieu. En
particulier, le travail du CoDESC a largement contribué à démystifier les DESC et à remettre
en question la perception selon laquelle les DESC ouvriraient la porte à toutes sortes de
réclamations déraisonnables à l’encontre de l’Etat. Ainsi, il est aujourd’hui clairement établi
10 Voir infra section 5.
11 Voir notamment Observation générale No.12 (1999), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1999/5, § 21 ;
Observation générale No.13 (1999), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1999/10, § 52 ; Observation
générale No.14 (2000), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/2000/4, § 43 et § 53-62 ; Observation générale
No.15 (2002), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/2002/11, § 37 et § 46-54 ; et Observation générale No.19
(2008), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/GC/19, § 59 et § 67-72.
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que le droit à la santé n’est pas le droit de tous à être en bonne santé, ou que les droits au
travail et au logement ne sont pas le droit de tous à réclamer un emploi ou une maison à son
Etat. Il s’agit plutôt pour les Etats de faire tous les efforts possibles, en utilisant le maximum
de leurs ressources disponibles et en faisant appel à la coopération et assistance
internationales si nécessaire.
12 Les Etats ont également l’obligation de ne pas porter atteinte à
la jouissance existante des DESC, mais aussi d’empêcher des tiers de mettre en péril cette
jouissance. Le PIDESC précise que certains aspects des droits qu’il consacre et que certaines
de ses dispositions ne pourront être pleinement réalisés que progressivement. Cependant, les
Etats ne peuvent pas rester inactifs et reporter l’élaboration et la mise en oeuvre de mesures
devant mener au plein exercice des DESC. De telles mesures doivent être délibérées,
concrètes et ciblées le plus possible afin de remplir les obligations émanant du Pacte.
13
L’obligation des Etats de progresser vers une jouissance toujours plus grande des
DESC par tous, implique également l’interdiction de mesures rétrogrades qui seront
considérées comme une violation des obligations de l’Etat en vertu du droit international.
Dans tous les cas, l’Etat qui prend de telles mesures aura la charge de prouver qu’elles ont
été prises dans un but urgent, qu’elles sont absolument nécessaires et qu’il n’existe pas
d’alternative ou de mesures moins restrictives à disposition.
14
Comme mentionné ci-dessus, l’obligation de respecter (c’est-à-dire de ne pas porter
atteinte), et dans la plupart des cas, l’obligation de protéger (c’est-à-dire d’empêcher des tiers
de porter atteinte) ont un effet immédiat. De même, la garantie de la jouissance du
“minimum essentiel requis” de chaque droit, ainsi que la non-discrimination sont des
obligations à effet immédiat.
Les Etats parties au PIDESC ont le devoir de donner la priorité au respect de leurs
obligations minimum au titre du traité, ce qui signifie qu’ils doivent garantir un niveau
minimal et essentiel de jouissance de chaque droit consacré.
15 A cet égard, le CoDESC a
accumulé une expérience significative à travers l’examen des rapports périodiques des Etats.
Il est désormais clairement établi que des mesures et stratégies efficaces et peu onéreuses
permettant aux Etats de remplir leurs obligations peuvent être mises en place, même en
période de ressources limitées.
16
Les principes de non-discrimination et d’égalité quant à eux, revêtent une importance
significative pour tous les droits de l’homme, et notamment les droits économiques, sociaux
et culturels. L’interdiction de la discrimination sur la base de « la race, la couleur, le sexe, la
langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou sociale, la
fortune, la naissance ou toute autre situation » est consacrée par l’Article 2(2)
17 du PIDESC
comme un principe prédominant qui s’applique à tous les droits de la convention. L’Article 3
du PIDESC, quant à lui, impose aux Etats parties l’obligation de réaliser le droit à l’égalité
entre hommes et femmes dans la jouissance de tous les droits du pacte. Le PIDESC donne
12 Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (1966), Assemblée générale
de l’ONU, Résolution 2200A (XXI), Article 2.
13 Observation générale No.3 (1990), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1990/12, § 2.
14 Observation générale No.3 (1990), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1990/12, § 9.
15 Observation générale No.3 (1990), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1990/12, § 10.
16 Observation générale No.3 (1990), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/1990/12, § 12.
17 Le PIDESC, Article 2(2), affirme que: « [L]es Etats parties au présent Pacte s'engagent à garantir
que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la
couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion politique ou toute autre opinion, l'origine nationale ou
sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
6




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aussi une signification spécifique et précise l’application devant être faite de l’obligation de
non-discrimination et d’égalité en lien avec les droits particuliers.
18 Dans son Observation
générale No. 20,
19 le CoDESC précise la portée de l’Article 2(2) et les obligations spécifiques
des Etats découlant de cette disposition. Il donne également une interprétation précise des
motifs de discrimination interdits et, notamment, de ce qui devait être compris sous le terme
de « toute autre situation » contenu dans l’Article 2(2) du PIDESC. Enfin, le CoDESC soutient
que l’égalité ne peut pas être limitée à son caractère formel ou
de jure, mais qu’elle devrait
être comprise comme ayant une dimension concrète ou
de facto. Ceci exige, le cas échéant, de
prendre des mesures positives, temporaires ou permanentes, afin de compenser certaines
formes de discrimination historiques ou systématiques. Le CoDESC affirme que « […] les
États parties peuvent, et doivent dans certains cas, adopter des mesures spéciales pour
atténuer ou supprimer les situations qui perpétuent la discrimination. Ces mesures sont
légitimes dès lors qu’elles représentent un moyen raisonnable, objectif et proportionné de
remédier à une discrimination de facto […]. »
20
Dans ce contexte, il est important de souligner que l’obligation d’assurer l’exercice et
la jouissance par les femmes de tous les droits, y compris des droits économiques, sociaux et
culturels, sur une base d’égalité et de non-discrimination au motif du sexe, est aussi
consacrée par la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard
des femmes. Cette convention prescrit aux Etats la prise d’un large éventail de mesures
ciblées visant à traiter et à prévenir les problèmes de discrimination à l’égard des femmes.
21
Par ailleurs, elle exige des Etats qu’ils prennent les mesures nécessaires afin de respecter et
garantir les droits égaux des femmes dans les domaines de la santé,
22 de l’emploi,23 de
l’éducation,
24 et du mariage et des rapports familiaux.25 De plus, l’approche choisie par le
CoDESC dans son Observation générale No.20 mentionnée ci-dessus, correspond aux
dispositions de la CEDAW dans son Article 4 relatif aux mesures temporaires spéciales pour
atteindre l’égalité de fait.
26
Au-delà des normes acceptées par les Etats parties au PIDESC et à la CEDAW,
la CRC et la CDPH imposent également des normes et obligations spécifiques utiles aux
Etats parties. En ce qui concerne les droits de l’enfant, la CRC exige que « [D]ans toutes les
décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes
législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »
27 Quant à
18 Par exemple, l’article 7 du PIDESC précise l’application de la non-discrimination à la rémunération
du travail ; ou l’article 13 prescrit la jouissance égale de l’éducation primaire gratuite et obligatoire.

19 Voir l’Observation générale No.20 (2009), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/GC/20.
20 Observation générale No.20 (2009), CoDESC, Doc. ONU E/C.12/GC/20, § 9.
21 Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979),
Assemblée générale de l’ONU, Résolution 34/180, Article 2 ; Recommandation générale No.28
(2010), Comité pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, Doc.
ONU CEDAW/C/GC/28.
22 CEDAW, Article 12 ; Recommandation générale No.24 (1999), Comité pour l'élimination de toutes
les formes de discrimination à l'égard des femmes, Doc. ONU CEDAW/C/GC/24.
23 CEDAW, Article 11.
24 CEDAW, Article 10.
25 CEDAW, Article 16 ; Recommandation générale No. 21 (1994), Comité pour l'élimination de toutes
les formes de discrimination à l'égard des femmes, Doc. ONU CEDAW/C/GC/21.
26 CEDAW, Article 4(1) et Recommandation générale No. 25 sur cet article.
27 Convention relative aux droits de l’enfant (1989), Assemblée générale de l’ONU, Résolution 44/25,
Article 3(1).
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la CDPH, elle requiert des Etats qu’ils garantissent la non-discrimination et l’égalité concrète
des personnes handicapées en prenant les mesures d’adaptation raisonnables qui s’avèrent
nécessaires. L’Article 2 de la CDPH définit l’« aménagement raisonnable » comme étant « les
modifications et ajustements nécessaires et appropriés n'imposant pas de charge
disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée,
pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l'exercice, sur la base de l'égalité
avec les autres, de tous les droits de l'homme et de toutes les libertés fondamentales ».
28
Cette dernière norme confirme que, en toutes circonstances, le droit
international des droits de l’homme et ses organes d’arbitrage en charge à divers niveaux de
surveiller le respect de ses dispositions par les Etats, n’exigeront de ces derniers que ce qui
peut être raisonnablement attendu en l’espèce. Or, une action raisonnable requierera des
Etats qu’ils ne restent pas inactifs et qu’ils donnent la priorité aux moyens de progresser vers
une jouissance toujours plus grande des DESC par tous, et, notamment, par les groupes
marginalisés et défavorisés.
5. Suivi de la performance de l’Etat et renforcement de l’obligation de rendre des
comptes pour la réalisation des droits de l’homme : une opportunité de
réformer le cadre institutionnel
Sur le plan international, bien que la Tunisie ait signé et ratifié de nombreuses
conventions internationales avant le soulèvement, le processus de présentation de rapports
était loin d'être régulier et le gouvernement n’était également pas enclin à recevoir les visites
des rapporteurs spéciaux et autres mécanismes des Nations Unies. Cependant, en mai 2011,
les autorités tunisiennes de transition ont accepté pour la première fois la visite du
Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la torture en réponse à une demande qui avait été
formulée en 1998. Par ailleurs, le Rapporteur Spécial sur les droits de l'homme des migrants
a également visité le pays en juin 2012. Cette position doit donc être accueillie comme une
avancée significative vers un contrôle efficace et participatif de la situation des droits de
l’homme.
La poursuite des progrès dans cette direction est pourtant nécessaire. Par exemple, le
dernier rapport étatique au Comité des Nations Unies relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels a été soumis il y a 16 ans, en 1996. Par ailleurs, cela fait plus de 10 ans
que le dernier rapport au Comité des Nations Unies sur l'élimination de la discrimination à
l'égard des femmes a été présenté. La présentation de rapports aux organes de traités des NU
représente une occasion unique de prendre part à un processus transparent et participatif
d'évaluation de la situation des DESC et, par conséquent des besoins de changements et de
réformes dans le pays. La participation de la société civile nationale ayant la capacité de jouer
son rôle, est une condition fondamentale pour une utilisation efficace des mécanismes des
Nations Unies. Il est donc essentiel de garantir au niveau national, un cadre et un processus
propice à un dialogue constructif entre l'État et la société civile et d'autres acteurs tels que les
institutions nationales des droits de l'homme.
En fait, la période de transition que traverse actuellement la Tunisie, représente une
occasion unique de mettre en place des mécanismes de suivi et de responsabilité qui
respectent les normes internationales. En Tunisie sous le règne de Ben Ali, le Haut Comité
28 Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), Assemblée générale de l’ONU,
Résolution 61/106, Article 2.
8






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pour les droits de l'homme et des libertés fondamentales ne répondait pas aux normes
reconnues internationalement afin d’assurer la promotion et la protection de tous les droits
de l'homme. Les Principes de Paris
29 décrivent les garanties juridiques et matérielles qui
doivent être fournies par les États afin que leurs institutions nationales de droits de l’homme
bénéficient du mandat, des compétences, de la composition, de l'indépendance et des
méthodes de travail adéquats. À cet égard, les pratiques recommandées suggèrent que le
mécanisme national des droits de l'homme (que ce soit une commission ou un bureau du
médiateur, etc.) soit protégé contre l'influence des agendas électoraux et contre les ingérences
du gouvernement ou d'autres acteurs, notamment les entreprises privées. Pour ce faire, et
pour qu’une telle institution fonctionne légitimement, son statut et son mandat devrait être
inscrit dans la Constitution ou dans un texte législatif
30. Dans un nombre croissant de pays,
des dispositions spécifiques prévoient la création de mécanismes au sein d’institutions
existantes ou distinctes afin d’assurer la promotion et la protection des droits de groupes
particuliers titulaires de droits spécifiques. Les individus confrontés à la discrimination
fondée sur l'un des motifs interdits sur le plan international
31, comme le sexe, l'origine
ethnique, l'âge, la religion ou l'origine sociale, devraient être en mesure de revendiquer leurs
droits et trouver un soutien auprès de ces institutions. Des organes spécialisés devraient
pouvoir enquêter et analyser les causes structurelles de ces inégalités, ainsi que documenter
et contribuer à remédier aux violations dont ils souffrent.
Enfin, le droit à l'information et l'indépendance du pouvoir judiciaire sont deux
facteurs essentiels pour la pleine réalisation de tous les droits de l'homme, en particulier les
droits économiques, sociaux et culturels. Là encore, le processus constitutionnel et
transitionnel représente pour la Tunisie une occasion unique de prendre les mesures
nécessaires pour se doter d'un système judiciaire indépendant, pouvant mener à bien sa
mission fondamentale de protection des droits de l'homme et de garant de l’Etat de droit de
manière générale. Dans cette perspective, les Principes fondamentaux des Nations Unies
relatifs à l'indépendance de la magistrature
32 consacrent les normes universelles reconnues
par la communauté internationale quant aux mesures clés à prendre et les conditions pour
permettre que le système judiciaire puisse jouer son rôle dans un Etat démocratique. Le
Principe 1
er stipule que: « L'indépendance de la magistrature est garantie par l'Etat et énoncée dans
la Constitution ou la législation nationales. Il incombe à toutes les institutions, gouvernementales et
autres, de respecter l'indépendance de la magistrature
».
En ce qui concerne le droit à l'information, de nombreux États ont entrepris des
réformes juridiques et constitutionnelles pour garantir et faire valoir un droit à l'information.
Ce droit, tel que compris aujourd’hui, va au-delà de la liberté de partager et de
communiquer des informations, qui était principalement reconnu dans le cadre de la liberté
d'expression. Les dispositions et actes constitutionnels relatifs au droit à l’information
donnent à la communauté ainsi qu’aux usagers des services publics un meilleur accès à
l'information qui est une condition essentielle pour la revendication et l'exercice des droits.
29 Principes de Paris, adoptés par l’Assemblée Générale dans sa résolution 48/134 du 20 décembre
1993, disponible sur : http://www2.ohchr.org/english/law/parisprinciples.htm
30 Principes de Paris, Principe n°2 « Une institution nationale est dotée d'un mandat aussi étendu que
possible, et clairement énoncé dans un texte constitutionnel ou législatif, déterminant sa composition
et son champ de compétence
».
31 Voir Infra section 4.
32 Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature adoptés par
le septième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui
s’est tenu à Milan du 26 août au 6 septembre 1985 et confirmés par l’Assemblée générale des Nations
unies dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985.
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Selon cette conception et interprétation plus large du droit à l'information, les citoyens
peuvent demander à accéder, consulter et obtenir des copies de documents et de matériel
détenus par les autorités publiques
33.
6. Résumé des recommandations
Dans le cadre de la situation présentée dans le présent document, et sur la base des
normes et obligations internationales décrites, la CIJ et la FIDH exhortent l'Assemblée
Constituante tunisienne à examiner les recommandations suivantes:
Clarifier et renforcer le statut du Droit International des Droits de l’Homme dans la
nouvelle constitution, en indiquant expressément sa primauté sur le droit interne;
Inclure tous les droits économiques, sociaux et culturels, tels que consacrés dans le
PIDESC, dans la nouvelle constitution sur un pied d'égalité avec les droits civils et
politiques, notamment à travers l'adoption d'une Déclaration des droits;

Garantir le droit à un recours utile en cas de violations des droits économiques,
sociaux et culturels et à cette fin, garantir la sécurité juridique et la prévisibilité en
établissant explicitement dans la constitution la justiciabilité de ces droits;
Consacrer une interdiction constitutionnelle explicite de la discrimination en
conformité avec les obligations internationales de la Tunisie et fournir une protection
complète et efficace des victimes contre la discrimination et l'inégalité;
Garantir dans la constitution, des mécanismes indépendants et efficaces pour la
surveillance de la situation des droits de l’homme, notamment à travers les
institutions nationales des droits de l’homme conformes aux Principes de Paris, qui
promeuvent et défendent tous les droits de l'homme de tous les individus et les
groupes de la population;
Garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire, ainsi que l'accès à l’information aux
détenteurs de droits, nécessaire pour faire valoir leurs droits.
33 L’adoption du Right to information Act (2005) en Inde et l’inclusion du droit à l’information dans la
Constitution de l’Afrique du Sud constituent des expériences intéressantes.
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