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Cours de droit international privé
Le droit international privé est une branche du droit tunisien qui a pour objet de régir les relations
privées internationales. Un rapport est qualifié de privé dès lors que sont en cause des personnes
privées, physiques ou morales. Il est international s’il existe un élément d’extranéité, c’est-à-dire un
lien avec un ou plusieurs ordres juridiques étrangers.
L’article 2 du code de DIP promulgué en novembre 1998 définit l’internationalité des rapports privés
de la manière suivante : « Est international le rapport de droit rattaché au moins par l’un de ses
éléments déterminants, à un ou plusieurs ordres, autres que l’ordre juridique tunisien »
Ainsi les relations familiales (divorce, mariage, filiation…) sont des relations qui relèvent du droit
interne de la famille parce que tous les membres de la famille ont la nationalité tunisienne et sont
domiciliés en Tunisie. Ce droit devient international si un ou plusieurs membres de la famille ont la
nationalité étrangère ou sont domiciliés à l’étranger.
Le droit des biens est un droit interne si tous les biens meubles ou immeubles sont situés en Tunisie, il
devient international si les biens sont situés à l’étranger.
Le droit des contrats est pareillement interne si les parties sont de nationalité tunisienne, l’objet du
contrat localisé en Tunisie, par exemple la vente d’un objet mobilier situé en Tunisie, et le paiement
effectué en monnaie tunisienne. En revanche, il devient international dès lors que le paiement doit se
faire dans une monnaie étrangère pour des marchandises qu’il faudra importer ou exporter donc
déplacer d’un pays à un autre entre des parties dont l’une pourra avoir la nationalité étrangère
1.
A travers ces exemples, il apparaît que selon la nature de la relation ou du rapport juridique l’élément
d’extranéité est susceptible de changer. C’est pour cela que l’article 2 ne permet de qualifier
d’international que le rapport qui touche par l’un de ses éléments
déterminants un ou plusieurs ordres
juridiques autres que l’ordre juridique tunisien.
Pour les relations familiales, l’élément déterminant permettant de les qualifier d’internationales, c’est
la nationalité étrangère ou le domicile à l’étranger. Pour les biens, c’est leur situation à l’étranger, pour
les contrats c’est le paiement en monnaie étrangère, et plus généralement le mouvement des biens et
des capitaux au dessus des frontières ; la nationalité étrangère de l’une des parties est un critère très
secondaire en la matière
2.
Qualifiées d’internationales ces relations privées posent quatre grandes questions qui forment le
domaine du droit international privé.
I : Le domaine du droit international privé
Le droit international privé couvre les conflits de juridiction (A), les conflits de lois (B), la nationalité
(C) et la condition des étrangers (D)

A/Les Conflits de juridiction comprennent l’étude de la compétence internationale des tribunaux et
celle des effets des décisions étrangères. Un exemple permettra d’illustrer ces deux questions.
Supposons une tunisienne mariée à un Egyptien avec lequel elle est domiciliée en France. Elle
souhaite obtenir le divorce. La première des questions qui se posera est de savoir quel sera le tribunal
compétent pour connaître de ce litige international. Chacun des tribunaux des différents ordres
juridiques ayant un lien avec le litige peuvent théoriquement être compétents. On peut penser aux
tribunaux tunisiens, en raison de la nationalité de la femme, des tribunaux égyptiens en raison de la
nationalité de l’époux, mais aussi aux tribunaux français en raison du domicile en France.
1Voir sur cette question, KAHN (Ph.), « L’internationalisation de la vente », in L’internationalité dans les institutions et le droit, convergences et défis, études
offertes à A.Plantey, Paris Pédone 1995, p. 297 et s., spéc.p. 298 ; WITZ (Cl.), « L’internationalité et le contrat »
in L’internationalité, bilan et perspectives,
supplément à la revue Lamy droit des affaires n°46, fév.2002, p.59 et s.
2 Voir sur l’ensemble de la question, l’internationalité, bilan…, op.cit. et spéc. GAUDEMET-TALLON (H.), « L’internationalité, bilan et perspectives », p. 73 et
svts.
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Il est cependant plus probable que l’épouse saisisse les tribunaux français du lieu de son domicile. S’ils
se déclarent compétents et qu’ils rendent un jugement de divorce, celui-ci pourra-t-il produire des
effets en Tunisie ? En d’autres termes, cette femme pourra-t-elle se prévaloir du jugement de divorce
obtenu en France pour éventuellement pouvoir se remarier en Tunisie. La question relève alors des
effets des décisions étrangères qui, comme la compétence internationale, relèvent des conflits de
juridiction.
B/ Les conflits de lois
Le tribunal, toujours dans l’exemple pris plus haut, une fois qu’il s’est déclaré compétent devra
résoudre le litige c’est-à-dire accorder ou non le divorce. Pour répondre à cette question, les époux
peuvent-ils divorcer, et à quelle condition, il devra préalablement choisir la loi compétente. Il va
opérer son choix entre les différentes lois qui ont une attache avec la cause : loi tunisienne, loi
égyptienne, loi française pour savoir si le divorce peut être prononcé et selon quelles modalités ?
Savoir si c’est la loi tunisienne, la loi égyptienne ou française qui devra s’appliquer, n’est pas
indifférent : la loi tunisienne comme la loi française autorisent la femme à demander le divorce
unilatéral, pas la loi égyptienne qui l’accorde uniquement au mari.
C/ La Nationalité
La nationalité étrangère des personnes est l’élément d’extranéité le plus fréquent en droit
international privé. Un étranger est celui qui ne possède pas la nationalité tunisienne dont les critères
d’attribution sont déterminés par le code de la nationalité tunisienne en date du 26 janvier 1956.
D/ La condition des étrangers
La condition des étrangers est relative aux conditions d’accès et de séjour des étrangers en Tunisie
ainsi qu’aux conditions d’exercice de leurs droits.
Ces quatre grandes questions forment le domaine du droit international privé dont l’objet est,
rappelons-le de réglementer les relations privées internationales. Mais seul l’objet du droit
international privé est international, sa source, quant à elle est nationale.
II : Un droit international d’origine nationale
Le droit international qui règle les relations entre Etats et organisations internationales n’exige pas
des Etats qu’ils appliquent dans leur propre sphère de souveraineté des normes étrangères. L’arrêt
lotus du 7 septembre 1927 en a posé le principe : « Loin de défendre, d’une manière générale, aux
Etats d’étendre leurs lois et leur juridiction à des personnes, des actes hors territoire, le droit
international leur laisse à cet égard, une large liberté qui n’est limitée que dans quelques cas par des
règles prohibitives ».
Les Etats sont donc totalement souverains dans leur réglementation des relations privées
internationales. Ils sont donc totalement libres, c’est à eux de décider s’ils tiendront ou non compte
des normes étrangères et s’ils mettront ou non leurs organes de contrainte au service de leur
exécution. Concernant ce dernier point, l’arrêt Lotus est clair : « La limitation primordiale qu’impose
le droit international à l’Etat est celle d’exclure - sauf l’existence d’une règle permissive contraire -
tout exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre Etat ». Un Etat ne peut donc accomplir un acte
de contrainte sur le territoire d’un autre Etat qu’avec l’accord de celui-ci (contraindre un débiteur à
régler sa dette, remise forcée d’un enfant au parent qui en a obtenu la garde après divorce en vertu
d’un jugement étranger).
Sauf existence de traités conclus entre Etats, les Etats n’ont donc aucune obligation les uns vis à vis
des autres, dans le domaine des relations privées internationales. Ils peuvent ou non accepter
d’appliquer les normes étrangères.
En général, ils l’acceptent et posent des règles dont l’objet est de réglementer les relations privées
internationales. En Tunisie, elles sont aujourd’hui réglementées par le Code de droit international
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privé promulgué en novembre 19983 dont l’objet est ainsi précisé dans l’article premier : « Le droit
international privé a pour objet de déterminer pour les rapports privés internationaux : 1. La
compétence judiciaire des juridictions tunisiennes. 2. Les effets en Tunisie des décisions et jugements
étrangers. 3. Les immunités juridictionnelles et d’exécution. 4. Le droit applicable »
L’ensemble de ces questions relèvent du domaine des conflits de juridiction et de lois auxquels cet
ouvrage se limitera. La nationalité et la condition des étrangers seront ainsi exclues de cette étude.
Mais si en 1998 , la Tunisie s’est dotée d’un code de droit international privé réglementant les conflits
de lois et de juridiction, ceux-ci étaient néanmoins connus et réglementés depuis l’indépendance.
III : Histoire du droit international privé tunisien
Avant l’indépendance (A), les conditions d’existence du droit international privé n’existaient pas en
raison du cloisonnement entre les communautés et du pluralisme de l’ordre juridique
4. Ce n’est qu’à
l’indépendance, avec l’unification de la justice et de la législation, que verra le jour le droit
international privé tunisien (B)
A : Avant l’indépendance
On ne peut pas faire l’historique du droit international privé tunisien, sans étudier le système du droit
musulman(1) qui a été appliqué en Tunisie du moins en matière de statut personnel, jusqu’à
l’indépendance. Il a influé très longtemps sur le droit international privé tunisien et permet de
comprendre les deux autres étapes connues avant l’indépendance, la période capitulaire(2) et la
période du protectorat (3)
1/ Le système du droit musulman
Le système du droit musulman, alors applicable en Tunisie, est un système de personnalité de droit
dans lequel chaque individu relève de la compétence des tribunaux et de la loi du groupe religieux
auquel il appartient : les musulmans aux tribunaux musulmans qui leur appliquent la loi musulmane ;
les autres -non musulmans- aux tribunaux non musulmans qui leur appliquent leur propre loi
religieuse.
On distinguait parmi les non musulmans ceux avec lesquels l’Islam était en djihad - harbis, koffars ou
mochrikkines- en vue de les convertir ou de les combattre (les apostats-murtaddins et les
shismatiques) et ceux avec lesquels les musulmans étaient liés par un pacte.
Celui-ci pouvait être provisoire ou permanent : le premier est « l’aman », institution trouvant sa base
juridique à la fois dans un verset coranique et dans une tradition du prophète et permettant aux non
musulmans originaires de « dar el harb », les commerçants, notamment, de séjourner pendant une
durée limitée en terre d’Islam en toute sécurité quant à leur personne et leurs biens
5.
Le deuxième est le pacte de « dhimma », conclu avec les représentants des communautés non
musulmanes appartenant à l’une des autres religions révélées et qui vivaient en terre d’Islam d’une
manière permanente. Ces derniers étaient soustraits à la justice et au droit musulman6. Quant aux
bénéficiaires de « l’aman », il semblerait qu’on leur appliquait, pendant leur séjour en terre d’Islam, les
mêmes règles.
Le système de personnalité du droit fondé sur un critère religieux a été introduit en Tunisie au 7ème
siècle quand celle-ci devint musulmane et il persista jusqu’à l’indépendance, en matière de statut
personnel. Les Tunisiens juifs étaient soumis à la loi mosaïque et relevaient de la compétence des
tribunaux rabbiniques. Les Tunisiens musulmans, quant à eux, relevaient de la compétence des
tribunaux charaïques qui leur appliquaient le droit musulman.
3 A.MEZGHANI, Commentaires du Code de droit international privé, CPU
4 Mezghani A., manuel, n°140
5 LAGHMANI (S.), « Le droit des gens est-il international ? », R.T.D. 1987, p. 171, MEZGHANI (A.), Droit international privé, Etats nouveaux et relations
privées internationales : système de droit applicable et droit judiciaire international,
CERES-CERP, Tunis 1991.
6 LAGHMANI (S.), art. Précité, p. 189 et 190, MEZGHANI (A.), op. Cit., p. 42 à 43.
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En raison de ce cloisonnement entre les communautés, il ne pouvait pas y avoir de conflits de lois. Les
tribunaux du charaâ connaissaient des conflits entre musulmans et ils appliquaient la loi musulmane,
de même en était-il des tribunaux rabbiniques qui ne connaissaient que de litiges entre juifs tunisiens
et appliquaient la loi mosaïque.
Est-ce à dire pour autant que le droit musulman ignorait la science des conflits de lois ? C’est ce que
l’on enseigne généralement
7, mais cette affirmation doit être nuancée, du moins sur le plan théorique.
Pour savoir si le droit musulman connaît les conflits de lois il faut répondre à deux questions : d’abord
à celle de savoir si le juge musulman est compétent pour connaître des différends entre non
musulmans et ensuite s’il peut, une fois cette compétence admise, appliquer un droit autre que le droit
musulman.
Les auteurs classiques ont résolu la première de ces questions de la manière suivante et ce, à partir
des versets 42 à 49 de la sourate V du coran : la compétence du juge musulman est exclusive dans
toutes les matières relatives à la sécurité des personnes et des biens se trouvant en terre d’islam, qu’il
s’agisse de musulmans ou de non musulmans ; la loi applicable est la loi musulmane ; En matière de
« statut personnel » (concept inconnu du droit musulman : le domaine de la personnalité des lois en
islam était plus large et recouvrait certaines obligations), la compétence du juge musulman est
virtuelle : elle est soumise à la condition que les dhimmis renoncent à leurs propres juridictions et
saisissent le juge musulman, ce dernier ayant la faculté de décliner sa compétence
8.
Cette solution de la compétence virtuelle du juge musulman pour connaître des litiges entre dhimmis,
en matière de statut personnel a, semble-t-il continué à être mise en œuvre jusqu’à l’abolition de la
justice religieuse en Tunisie. La justice charaîque, selon F.Luchaire, était théoriquement compétente
même lorsqu’aucun de ses justiciables n’était en cause, c’est-à-dire dans les litiges opposant des non
musulmans, en matière de statut personnel
9.
Compétent pour connaître des litiges entre dhimmis en la matière, le juge musulman peut-il pour
autant leur appliquer leur propre loi religieuse ? A partir des mêmes versets, 42 à 49, certains
répondaient par la négative, d’autres par la positive. Selon la première thèse, le juge musulman saisi
d’un procès opposant des dhimmis, en matière de statut personnel, doit appliquer le droit musulman à
l’exclusion de tout autre droit. Une telle interprétation des versets coraniques exclue l’émergence de
conflits de lois, le juge compétent n’étant autorisé à appliquer que sa propre loi.
Il n’y a pas alors de
dissociation entre la compétence judiciaire et la compétence législative, sans laquelle il ne peut exister de
conflits de lois.
Mais une deuxième interprétation a été faite des mêmes versets : selon celle-ci, le juge musulman, s’il
est saisi par des dhimmis, leur applique leur propre loi religieuse, sauf si elle est contraire à des
prescriptions coraniques. Des règles applicables aux dhimmis en matière de statut personnel, ont
d’ailleurs été élaborées. Ces règles appelées « Siyar » comprenaient des règles de conflit, applicables
notamment quand le litige opposait des dhimmis de religions différentes (par exemple un juif et un
chrétien) ou de même religion étant entendu que lorsque le litige oppose un musulman à un dhimmi
seuls les tribunaux musulmans sont compétents et la loi musulmane est seule applicable selon le
principe du privilège de la religion musulmane.
Sur le plan théorique et, conformément à cette deuxième interprétation des textes sacrés, des conflits
de lois sont possibles dans le système du droit musulman. Mais sur le plan pratique, les dhimmis ne
portaient jamais, leur église le leur interdisait, leurs différends devant le cadhi musulman, ce qui a fait
que la science des conflits de lois ne s’est pas développée en Islam.
7 Mezghani, n°142 et s.
8 Mis à part Abu hanifa qui estimait que la compétence du juge musulman est, dans toutes les matières exclusive, Malik, Shafïi et Ibn Hanbal considéraient la
compétence du juge musulman en matière de statut personnel des non-musulmans comme simplement virtuelle ; avec la précision que Malik conseillait au juge
musulman de décliner sa compétence.
9 (« La justice en Tunisie », Revue juridique et politique de l’Union française, 1955, p ; 221 et s ;, spéc. p. 242)
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L’institution de l’aman accordée aux non-musulmans de passage en terre d’Islam donna plus tard
naissance aux capitulations.
2/ La période capitulaire
Les capitulations, comme leur nom ne l’indique pas, sont des traités internationaux conclus entre
Etats souverains. Le système capitulaire s’étend du moyen âge (Capitulation de 1535 conclue entre
François premier et Soliman le magnifique) au protectorat. C’est surtout à la fin du seizième siècle,
quand la Tunisie devint une province turque, que le système capitulaire se développa. Au dix
neuvième siècle, la plupart des puissances européennes en bénéficièrent.
L’objet des capitulations était d’accorder aux étrangers ressortissants des nations chrétiennes et plus
tard européennes, la liberté de commerce et de navigation, l’inviolabilité du domicile, la liberté
religieuse, l’exemption fiscale, des privilèges judiciaires, des immunités et privilèges diplomatiques et
consulaires.
Les ressortissants des puissances capitulaires étaient soustraits à la justice et à la loi locale. Ils
relevaient de la compétence de leur consul
10 . La répartition de la compétence entre les tribunaux
consulaires des différentes puissances européennes se faisait de la manière suivante : les différends
opposant des étrangers sujets de la même puissance capitulaire relevaient de la compétence de leurs
consuls nationaux ; ceux opposant des étrangers de nationalités différentes étaient soumis à la
juridiction consulaire de la nationalité du défendeur.
Ne relevaient de la compétence de la justice tunisienne que les procès s’agitant entre étrangers et
tunisiens et dans lesquels un représentant du consul (drogman) devait être présent. Cette règle était
prévue dans tous les traités conclus entre la Tunisie et les puissances capitulaires
11. Cependant ces
tribunaux mixtes n’ont jamais fonctionné car de tels litiges étaient portés devant les tribunaux
consulaires
12. Ceux-ci appliquaient leur propre droit international privé. Le consul anglais, le droit
international privé anglais, le consul italien le droit international privé italien. En matière de statut
personnel, ils appliquaient généralement la loi nationale lorsque le litige opposait deux nationaux en
matière de statut personnel et, quand il s’agissait du statut personnel international, leur propre règle
de conflit, en faisant une large application de la loi nationale.
Les consuls de France, rapporte Monsieur Maurice Nizard, ont appliqué la loi nationale au statut
personnel à partir de la promulgation du code civil en 1804, conformément à l’article 3 alinéa 3 tel
que bilatéralisé par la jurisprudence
13 : « Antérieurement au code civil, l’Ancien droit appliquait au
statut personnel, la loi du domicile. Mais la notion de domicile était liée à celle de sujétion politique. Il
est donc probable que le consul de France ait soumis, même avant la promulgation du Code civil, le
statut personnel de l’étranger aux lois de son pays d’origine, d’autant plus que, la loi française étant
écartée, il ne pouvait être question d’appliquer à un chrétien la loi musulmane »
14.
Le protectorat français supprimera les capitulations et à la pluralité de droits internationaux privés
succédera le droit international privé français.
3/ La période du protectorat français
Durant le protectorat, deux ordres juridiques vont coexister, l’ordre juridique français (1) et l’ordre
juridique tunisien (2)
10 Art 22 du traité de commerce et de navigation entre l’Italie et la Tunisie du 8 septembre 1868 : « si...la question venait à surgir entre deux italiens ou entre un
italien et un sujet d’une tierce puissance, la partie qui devra être appelée en justice devant le magistrat local aura droit au renvoi de la cause devant l’autorité
consulaire respective pour être jugée suivant les modes ordinaires »
Art. 24 para 2 du traité de commerce et de navigation entre l’Angleterre et la Tunisie du 19 juillet 1875 : « Tous différends, procès ou litiges, en matière civile,
entre les sujets britanniques et un sujet d’un pays autre que la grande bretagne, seront résolus uniquement par les tribunaux consulaires étrangers, selon les usages
pratiqués jusqu’ici ou qui pourront être établis dans la suite entre les différents consuls, en dehors de l’intervention des tribunaux ou du gouvernement tunisiens »,
in législation de la Tunisie, Recueil des lois, décrets et réglements en vigueur dans la régence de Tunis au 1er janvier 1888 par BOMPARD (M.), Paris 1888, p. 465
et 470
11 Voir notamment le traité Tuniso-anglais du 19/07/1875 dans lequel il est stipulé que « les procès et différends en matière commerciale et civile (les causes
criminelles ou correctionnelles exceptées) qui pourraient surgir entre un sujet britannique et un sujet tunisien, seront jugés par son altesse le Bey ou son
représentant, en la présence et avec le concours du consul général ou du consul britannique, que le sujet soit demandeur ou défendeur »,
in législation de la
Tunisie, op. Cit.,
p. 470.
12 Voir sur cette question, Nizard (M.), Le droit international privé tunisien en matière de statut personnel, thèse dactylographiée, Paris 1968, p. 470.
13 Busqueta
14 Nizard (M.), thèse précitée, p. 178 .
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1 : L’ordre juridique français :
Le 27 mars 1883, peu après l’installation du protectorat, les tribunaux français de Tunisie furent
installés et prirent la place des tribunaux consulaires français .
En même temps, la France invita les puissances consulaires à renoncer à leur privilège juridictionnel.
Le décret du 5 mai 1883 étendant la compétence des tribunaux français aux nationaux des puissances
dont les tribunaux consulaires sont supprimés, a, dans son article unique prévu que : « Les nationaux
des puissances amies dont les tribunaux consulaires seront supprimés deviendront justiciables des
tribunaux français dans les mêmes cas et conditions que les français eux-mêmes »
15.
Avec la renonciation par les puissances capitulaires de leur privilège juridictionnel, les conflits de lois
internationaux relevèrent de la compétence exclusive des tribunaux français de Tunisie. Un décret du
31 juillet 1884 étend ainsi la compétence des tribunaux français à toutes les affaires civiles et
commerciales dans lesquelles des européens sont en cause, en qualité de demandeurs ou de
défendeurs. Tout procès, opposant un tunisien à un étranger ou des étrangers entre eux de même
nationalité ou de nationalité différente devient ainsi de la compétence des tribunaux français.
Ceux-ci appliquaient leur propre règle de conflit. Cependant, les règles de conflit françaises étaient
adaptées à la situation tunisienne. Par exemple, en matière de statut personnel, si l’application de la
loi nationale au statut personnel s’imposait en raison de l’article 3 alinéa 3 du code civil, elle avait un
champ plus large qu’en France. Ceci s’explique par deux raisons ; La première résulte du fait que les
puissances consulaires n’ont renoncé à leur juridiction consulaire qu’à la condition que les tribunaux
français appliquent à leurs ressortissants leur loi nationale en matière de statut personnel. Or, pour
certains pays, comme l’Italie, le domaine de la loi nationale devait, selon l’article 22 du traité italo-
français englober : « le statut personnel et les rapports de famille, les successions et donations et, en
général toutes les matières réservées par le droit international privé à la législation de chaque
étranger »
16.
Par le biais de la clause de la nation la plus favorisée, toutes les anciennes puissances capitulaires ont
bénéficié de l’extension du domaine de la loi nationale accordée aux ressortissants italiens
17. La
deuxième raison est la situation objective devant laquelle se trouvaient les tribunaux français de
Tunisie. L’application des règles de conflit françaises optant pour le rattachement au domicile, comme
en matière de divorce d’époux de nationalités différentes, se heurtait, dans l’hypothèse d’un domicile
en Tunisie à une loi « introuvable, aussi longtemps que les tunisiens sont eux-mêmes régis par des lois
différentes suivant la religion à laquelle ils sont rattachés »
18.
Dans l’ensemble donc, les règles de conflit françaises applicables par devant les tribunaux français de
Tunisie étaient infléchies afin de tenir compte des traités internationaux et de la situation juridique en
Tunisie caractérisée par un pluralisme juridique en matière de statut personnel, spécialement.
2 : L’ordre juridique tunisien
L’ordre juridique tunisien avant l’indépendance était hétérogène. Si l’on excepte les tribunaux
français, il y avait au moins trois ordres juridictionnels.
Les tribunaux charaïques étaient compétents pour connaître des litiges entre tunisiens musulmans et
aussi des litiges opposant des musulmans ressortissants d’Etats musulmans à l’exclusion des
musulmans ressortissants d’Etats non musulmans (Etats européens)
19.
15 In Législation de Tunisie, op. Cit., p. 474.
16 Ibid.
17 De telles clauses selon lesquelles les ressortissants des puissances capitulaires se verront accorder « les droits, privilèges et avantages de toute nature qui sont ou
qui, à l’avenir seraient concédés en Tunisie à une tierce puissance, excepté la France » se retrouvent dans le traité conclu avec l’Allemagne le 18 novembre 1896,
avec l’Autriche-Hongrie le 20 juillet 1896, le Danemark le 26 janvier 1897, l’Espagne le 12 janvier 1897, l’Italie le 28 septembre 1896, la Russie le 14 octobre
1896, la Suisse le 12 avril 1893 et le 14 octobre 1896, la Grande-Bretagne, la Suède, la Norvège, les Pays-Bas, la Grèce, NIZARD (M.),
op. cit., p. 71, note 11.
18 NIZARD (M.), op. cit., p. 81.
19 Art. 2 du Décret du 2 septembre 1948 portant promulgation du code de procédure charaïque, JO 1948, p. 1389 , modifiant le Décret du 25/5/1876 et le Décret du
15/12/1896 sur le fonctionnement du charaâ, JO du 29/12/1896, p. 709. Les tribunaux du charaâ étaient compétents aussi pour connaître des actions pétitoires
portant sur des immeubles non immatriculés.
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Les tribunaux rabbiniques étaient compétents en matière de statut personnel à l’égard des tunisiens
de confession juive et des juifs ressortissants d’un pays non européen. Ils appliquaient le droit
hébraïque
20.
Enfin, les tribunaux de droit commun tunisiens étaient compétents en toutes matières, excepté le
statut personnel, pour les litiges opposant les Tunisiens entre eux, les litiges internationaux relevant
de la compétence exclusive des tribunaux français de Tunisie. Il faudra attendre l’indépendance pour
que naisse le droit international privé tunisien.
B : La naissance du DIP tunisien à l’indépendance
Un droit international privé ne peut se concevoir sans une justice et une législation unifiée. Cette
double unification se fera en deux temps. A la période courte de l’autonomie interne où le pluralisme
juridique fut maintenu (1), succéda l’indépendance qui réalisera progressivement les conditions
d’existence d’un droit international privé tunisien, par l’unification de la législation et de la
jurisprudence (2).
1 : L’autonomie interne
Le 3 juin 1955 plusieurs conventions furent signées entre la Tunisie et la France, mettant fin au
régime du protectorat et instaurant un régime d’autonomie interne. Ces conventions ont maintenu les
tribunaux français de Tunisie qui continuaient à disposer du monopole du règlement des conflits
internationaux.
Mais l’une de ces conventions, relative à la situation des personnes, a prévu dans son article 7 que la
Tunisie pourra « fixer librement sa législation sur la nationalité ».
Le 26 janvier 1956 un code de la nationalité tunisienne est promulgué : la nationalité tunisienne est
accordée sans référence au critère religieux et le code ouvre l’accès à la nationalité tunisienne aux
étrangers.
La convention sur la situation des personnes stipulait également dans son article 14 que ces tunisiens
« seront régis par les règles de leur statut personnel d’origine en attendant que la législation
tunisienne comporte un statut personnel moderne ». Mais ils relèvent de la compétence des tribunaux
tunisiens de droit commun qui, pour la première fois, vont avoir à appliquer une loi étrangère (loi
d’origine de ces nouveaux tunisiens), et ce, paradoxalement, à l’occasion d’un litige opposant des
tunisiens entre eux. De même que ces tribunaux vont, pour la première fois avoir à connaître de litiges
en matière de statut personnel qui, jusqu’à cette date étaient de la compétence exclusive des
tribunaux religieux.
Cette situation durera jusqu’à l’indépendance proclamée par le protocole tuniso-français du 20 mars
1956. Les dispositions des conventions du 3 juin 1955 qui seraient en contradiction avec le nouveau
statut de la Tunisie, Etat indépendant et souverain, seront modifiées ou abrogées.
2 : L’indépendance
A l’indépendance, on unifie la justice (1) et la législation (2) et on donne la plénitude de juridiction aux
tribunaux tunisiens par la suppression des tribunaux français de Tunisie (3).
1/L’unification de la justice
Le 3 août 1956 (Décret portant modification de certaines dispositions du code de procédure civile, JO
1956, p. 1103), un Décret modifiant certaines dispositions du code de procédure civile retire leur
compétence aux tribunaux charaïques, sans les supprimer. Les tunisiens musulmans continuent à être
soumis au droit musulman, mais relèvent désormais non plus de la compétence des tribunaux
charaïques, mais de celle des tribunaux de droit commun. Ils ne seront officiellement supprimés que le
25/9/1956 (Décret du 25/9/1956, JO 1956, p. 1286) et leurs prérogatives dévolues aux tribunaux de
droit commun par le décret du 25/10/1956 (JO 1956, p. 1286) La suppression des tribunaux
20 Décret du 3/9/1872 relatif à la compétence des rabbins, Recueil Maarek, vol. 1, Décret du 28/11/1898 sur l’organisation du tribunal rabbinique, JO 1898, p. 783,
modifié par le Décret du 29/5/1926, Jo du 11/6/1926, modifié par le Décret du 15/8/1945, JO du 28/8/1945.
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rabbiniques se fit plus tard, par la loi du 27/9/1957 et leur compétence dévolue aux tribunaux
tunisiens de droit commun.
2/l’unification de la législation
La législation tunisienne était unifiée dans toutes les matières sauf en matière de statut personnel. Un
code foncier avait en effet été promulgué le 1
er juillet 1885 et le Code des obligations et des contrats,
toujours en vigueur, date de 1906. Le code pénal toujours en vigueur aussi date de 1913.
L’unification du statut personnel se fera progressivement. Le 13 août 1956 est promulgué le code du
statut personnel. Il est applicable aux seuls tunisiens musulmans, les Tunisiens juifs continuent à être
régis par le droit mosaïque. Quant aux étrangers naturalisés tunisiens qui peuvent être ni juifs ni
musulmans, un Décret en date du 12 juillet 1956 improprement appelé décret fixant le statut
personnel des tunisiens non musulmans et non israélites est venu déterminer la loi applicable à leur
statut personnel ainsi que la juridiction compétente.
Ces tunisiens naturalisés cessent d’être régis par leur loi nationale d’origine (Convention de 1955) et
sont « à titre transitoire soumis aux dispositions du droit civil français en vigueur à la date du présent
Décret ». C’est l’objet de l’article premier. L’article 2 fixe le domaine du statut personnel qui comprend
outre l’état et la capacité, le statut familial, les successions, les donations et les régimes matrimoniaux.
L’article 3 donne compétence aux tribunaux tunisiens de droit commun dans les litiges dans lesquels
un tunisien non musulman ou non israélite est partie.
L’article 4 pose des règles de conflit applicables « lorsque le procès s’agite entre un tunisien non
musulman ou non israélite et un justiciable des tribunaux tunisiens de droit commun ». Les tribunaux
tunisiens de droit commun connaissent donc des litiges entre tunisiens soumis à des statuts
personnels différents : français pour les non musulmans et non juifs, musulman pour les musulmans
et mosaïque pour les juifs.
A cette date, le Décret du 12 juillet 1956 ne concerne que les conflits interpersonnels et la compétence
des tribunaux tunisiens de droit commun en matière de statut personnel est limitée à la connaissance
des litiges relatifs au statut personnel des tunisiens non musulmans et non juifs et des conflits entre
ceux-ci et les autres tunisiens.
Les conflits interpersonnels disparaîtront définitivement avec la loi du 27 septembre 1957 qui étendit
l’application du statut personnel à tous les tunisiens quelle que soit leur confession. Tous les tunisiens
sont désormais soumis à une seule et même loi en matière de statut personnel et deviennent
justiciables des mêmes tribunaux, les tribunaux de droit commun.
Parallèlement à l’unification judiciaire et législative, la suppression des tribunaux français de Tunisie
rétablit la souveraineté étatique en parachevant la plénitude de compétence des tribunaux tunisiens
de droit commun en droit interne et en droit international privé.
3 : La suppression des tribunaux français de Tunisie
La convention tuniso-française du 9 mars 1957 annulant et remplaçant la convention judiciaire du 3
juin 1955 a prévu l’abolition des tribunaux français de Tunisie et la dévolution de leur compétence
aux tribunaux tunisiens de droit commun et ce, à partir du 1
er juillet 1957.
Conséquence de l’indépendance de la Tunisie, les tribunaux tunisiens ont plénitude de juridiction et
vont, pour la première fois connaître des litiges en droit international privé.
Une semaine avant cette date importante dans l’histoire de la Tunisie, un Décret en date du 24 juin
1957 modifie le Décret du 12 juillet 1956 et pose une règle de conflits de lois en matière de statut
personnel, c’est la naissance du droit international privé tunisien.
L’article premier qui ne concernait que les tunisiens non musulmans et non juifs, est modifié de la
manière suivante. L’alinéa premier dispose : « Les étrangers sont régis, en ce qui concerne leur statut
personnel, par leur loi nationale ».
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Quant à l’alinéa 2, il dispose que les tunisiens non musulmans ou non israélites, « demeurent régis en
cette matière par les dispositions du droit civil français ». L’article 2 définissant le domaine du statut
personnel est inchangé.
L’article 3 est abrogé, les tribunaux tunisiens de droit commun vont désormais avoir une plénitude de
compétence en matière de conflits de lois interpersonnels et internationaux.
Enfin, l’alinéa premier de l’article 4 est modifié de telle manière à ce qu’il puisse englober les conflits
interpersonnels et internationaux. Celui-ci détermine alors la loi applicable « lorsque le procès s’agite
entre deux justiciables soumis à deux statuts personnels différents »
Ainsi modifié, le Décret du 12 juillet 1956 concerne non plus seulement les conflits interpersonnels,
mais également les conflits internationaux. Avec la loi du 27 septembre 1957, les conflits
interpersonnels disparaissent. Le Décret du 12 juillet 1956 est alors remanié une dernière fois. Tout
ce qui était relatif aux conflits interpersonnels est effacé. En fait, seul l’alinéa 2 soumettant, à titre
provisoire, les tunisiens non musulmans et non juifs, au droit civil français, est abrogé. Par cette
réforme, le Décret du 12 juillet 1956 ne concerne plus que les conflits internationaux, en matière de
statut personnel.
III Sources du DIP tunisien
Ces sources sont essentiellement d’origine nationale (A) même si la source d’origine internationale
n’est pas absente(B)
A : Les sources nationales
Aujourd’hui, la source principale du DIP tunisienne est la loi (1) que viennent compléter la
jurisprudence (2) et la doctrine (3)
1/ La législation
Le Code de droit international promulgué le 28 novembre 1998, a abrogé les dispositions antérieures
promulguées à l’indépendance. Ont ainsi été abrogés les articles 2 du Code de procédure civile et
commerciale (CPCC) promulgué en 1959 et les articles 316 et suivants du même code relatifs à la
compétence internationale des tribunaux tunisiens et aux effets des décisions étrangères.
Ont également été intégrés au code des dispositions relatives aux immunités de juridiction et
d’exécution, questions qui relevaient auparavant du domaine de la jurisprudence.
Les conflits de lois occupent une place importante dans le code. Avant sa promulgation, le seul texte
existant en la matière était le Décret du 12 juillet 1956 relatif au statut personnel. Les règles de conflit
de lois relatives au statut réel, aux contrats et aux obligations légales avaient été forgées par la
doctrine et la jurisprudence. Il en était de même en ce qui concerne la théorie générale des conflits de
lois, où, en l’absence de textes, ce sont la doctrine et la jurisprudence qui ont posé les règles relatives
aux qualifications, à l’autorité des règles de conflit, au statut de la loi étrangère, aux conflits mobiles, à
l’ordre public, aux lois de police et au renvoi. Ensemble de questions faisant aujourd’hui l’objet d’une
réglementation relativement détaillée dans le code.
Mais sont exclus du domaine du Code, la nationalité régie par le code de la nationalité tunisienne de
1956, l’arbitrage international régi par le code tunisien de l’arbitrage de 1992 et la condition des
étrangers régie essentiellement par la loi du 8 mars 1968 (JORT des 8-12 mars 1968, p.251 et le
Décret du 22 juin 1968 (JORT des 21-25 et 28 juin 1968, p. 814) modifié par le Décret du 20 avril
1992 (JORT).
2/ La jurisprudence
Le rôle de la jurisprudence n’est pas négligeable, même après la promulgation du code de droit
international privé, puisque c’est à elle que revient le soin d’interpréter le nouveau texte. Les
décisions mettant en œuvre le code et qui couvrent les questions faisant le plus l’objet de contentieux,
les conflits de lois et de juridiction existent en nombre assez important. On peut cependant regretter
que la plupart de ces décisions soient inédites.
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3/ La doctrine
Le rôle de la doctrine en droit international privé qualifié de droit savant par Bruno Oppetit21 est
particulièrement important. La jurisprudence elle-même s’y réfère et ce, qu’il s’agisse de la doctrine
tunisienne ou étrangère (décisions renvoi avant la promulgation du code)
B/ Les sources internationales
Pour des relations internationales, des sources de même nature sont certainement plus adaptées. Un
effort en ce sens est fait par le biais des Conventions internationales qui sont en général de deux
sortes : soit elles portent unification des règles de conflit entre Etats signataires soit elles posent des
règles substantielles c’est-à-dire des règles qui donnent directement la solution au litige de droit
international privé.
Comme exemple de conventions multilatérales portant unification des règles de conflit, on peut citer
les Conventions de la Haye. La Tunisie n’en a cependant signé aucune car elle ne fait pas partie de la
Conférence de la Haye créée depuis 1883 contrairement à d’autres pays arabes tels que l’Egypte et le
Maroc.
Comme exemple de conventions multilatérales portant unification des règles substantielles on peut
signaler la Convention de Vienne du 11 avril 1980 relative à la vente internationale de marchandises.
Les conventions bilatérales sont assez nombreuses notamment en matière d’entraide judiciaire. Elles
permettent d’unifier les conditions de reconnaissance des décisions émanant de chacun des Etats
signataires.
A côté des Conventions internationales, qui sont des sources inter étatiques, on peut citer comme
autre source d’origine internationale, la lex mercatoria, ou droit des marchands. C’est un droit
extérieur à tout Etat, formé par l’ensemble des usages suivis par les commerçants et des principes
dégagés par la jurisprudence arbitrale et les organismes professionnels internationaux. Ce droit est
constitué de règles substantielles relatives au commerce international.
IV : Méthodes du DIP
Il y a plusieurs méthodes en droit international privé, la plus classique est celle qui est généralement
utilisée pour résoudre les conflits de lois. C’est une méthode indirecte qui tend à désigner pour chaque
rapport privé international, une loi interne. Elle est qualifiée d’indirecte dans la mesure où avant de
résoudre la question posée, il faudra d’abord s’interroger sur l’ordre juridique compétent. Dans
l’exemple pris précédemment, celui du divorce de la tunisienne mariée à un égyptien et domiciliée en
France, il faudra d’abord savoir lequel parmi les ordres juridiques tunisien, français et égyptien est
compétent ; La désignation de l’ordre juridique compétent se fait par le biais d’une règle de conflit de
lois. Une fois cette question de compétence résolue, le juge tranchera la question, c’est-à-dire décidera
ou non de prononcer le divorce.
La solution d’appliquer pour des relations privées internationales une loi interne se justifie dans la
mesure où la réglementation interne reste valable pour régir une relation privée internationale. Un
divorce ou une succession peuvent parfaitement être régis par les dispositions d’un droit interne, en
dépit de l’existence d’un élément d’extranéité.
Parfois cependant, l’application d’une législation faite pour des relations purement internes peut se
révéler inadaptée. Dans certains domaines, spécialement en matière de commerce international, des
règles spécifiques ont pu être élaborées, différentes de celles du droit interne.
C’est la méthode des règles matérielles. Cette méthode diffère doublement du procédé précédemment
examiné, d’abord parce qu’elle est une méthode directe ensuite parce que la règle appliquée est
spécifique aux relations internationales.
21 RCADI 1992, Vol. 234, 331-434
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Mais les règles matérielles n’existent pas uniquement en matière de conflits de lois. Le droit de la
nationalité, la condition des étrangers ainsi que les conflits de juridiction sont régis par des règles
matérielles, substantielles.
Plan : I/ Conflits de lois II/Conflits de juridiction
Première partie : Les conflits de lois
Une relation privée internationale étant rattachée à plusieurs ordres juridiques, la question est de
savoir lequel sera compétent pour la réglementer. Quelle est, parmi les diverses lois susceptibles de
régir la question, celle qu’il faudra appliquer ?
Ces diverses lois sont dites en conflit et pour résoudre ce conflit (Titre 2), il existe plusieurs méthodes
(Titre1)

Titre I : Méthodes de solution des conflits de lois
On peut distinguer entre les méthodes indirectes de solution des conflits de lois et les méthodes
directes. Dans la première de ces méthodes, une règle de conflit de lois permettant de désigner la loi
compétente est posée par le législateur ou la jurisprudence (Chapitre premier), dans la deuxième des
règles substantielles régiront directement la relation privée internationale (Chapitre 2)
Chapitre 1 : Les règles de conflit de lois
Le législateur tunisien a généralement opté pour la méthode bilatérale (Section 1), à laquelle il a
néanmoins apporté un certain nombre de correctifs (Section 2) mais la méthode unilatérale n’a pas eu
ses faveurs (Section 3)
Section 1 : L’option pour des règles de conflit de lois bilatérales
La méthode bilatérale est celle adoptée par le législateur tunisien dans le code de droit international
privé ; Nous nous interrogerons sur les raisons du choix de cette méthode (§2) après l’avoir analysée
(§1)
§1 : Analyse de la méthode
La règle de conflit bilatérale est composée de deux éléments : une catégorie appelée catégorie de
rattachement et un élément ou critère de rattachement permettant de désigner la loi applicable..Par
exemple on dira que le statut personnel (catégorie de rattachement) est régi par le droit national de
l’intéressé (critère de rattachement). S’il s’agit du statut personnel d’un tunisien, la règle de conflit
aboutira à l’application de la loi tunisienne. En revanche, le statut personnel d’un étranger, un anglais
par exemple, sera régi par la loi anglaise. La mise en œuvre du critère de rattachement pour chacune
des catégories de rattachement, statut personnel, statut réel, faits et actes juridiques est ce qui permet
de désigner la loi applicable.
Cette règle de conflit est dite bilatérale, car elle peut soit désigner la lex fori (loi du juge saisi) soit une
loi étrangère. Elle est aussi appelée, règle « savignienne » car la méthode a été systématisée par
Savigny. Elle présente trois caractéristiques principales :
1/ Elle est abstraite : La désignation de la loi applicable se fait sans la prise en considération de son
contenu, en raison seulement du fait qu’elle localise le mieux, qu’elle présente des attaches suffisantes
avec le rapport de droit. C’est seulement lors de la mise en oeuvre de la règle de conflit que l’on
connaîtra le contenu de la loi applicable.
2/ Elle est neutre, c’est-à-dire qu’elle ne cherche pas à atteindre un certain résultat matériel. Quand la
règle de conflit désigne en matière de divorce d’époux de nationalités différentes, la loi de leur dernier
domicile commun, elle ne cherche pas par le biais de ce rattachement à favoriser l’une des solutions
possibles du litige, à savoir l’obtention ou le refus du divorce. Elle ne désigne pas la loi applicable en
fonction de son contenu, favorable ou non au divorce.
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3/ Elle est égalitaire et dénuée de nationalisme, puisqu’elle ne privilégie pas la loi du for sur la loi
étrangère. Le même critère de rattachement permet de désigner l’une ou l’autre loi.
La règle de conflit bilatérale est la méthode la plus utilisée en DIP. Généralement quand on parle de
règle de conflit de lois, on vise la règle bilatérale et quand on dit méthode conflictuelle ou méthode de
conflits de lois, sans plus de précision, on vise également la règle de conflit bilatérale.
§2 : Raisons du choix de la méthode en droit international privé tunisien
Le législateur tunisien, dans le code de DIP, a opté pour le bilatéralisme. La plupart des règles de
conflit sont bilatérales. Quand il n’existe pas de règle de conflit régissant une question donnée, le juge
doit quand même statuer. Pour ce faire, il devra élaborer une règle de conflit et le législateur lui
ordonne de suivre la méthode savignienne.
En effet, l’article 26 dispose : « lorsque le rapport juridique est international, le juge fera application
des règles prévues par le présent code, à défaut de règles, il dégagera la loi applicable par une
détermination objective de la catégorie de rattachement ». C’est-à-dire que c’est à partir de la nature
du rapport juridique que le juge effectuera la localisation permettant de désigner la loi applicable.
Cette méthode est objective justement parce qu’elle se base sur la nature juridique du rapport pour
désigner la loi applicable.
On part de la nature de la question posée que l’on localise grâce à un critère de rattachement. Ainsi le
statut personnel est localisé par le rattachement à la nationalité ou dans certains cas, la loi du domicile
(ex : divorce d’époux de nationalité différente).
Localiser un rapport de droit en fonction de sa nature juridique, signifie lui appliquer la loi qui
entretient avec lui les rapports les plus significatifs, la loi qui entretient avec lui les liens les plus
étroits.
En matière de statut personnel, défini comme étant l’ensemble des qualités juridiques qui
caractérisent la personne dans la société civile, la loi applicable doit permettre une certaine
permanence du statut individuel (comme le nom) ou du statut familial (comme les conditions
fondamentales du mariage ou du divorce).
On considère généralement que la loi qui localise le mieux la personne c’est-à-dire qui permet de
garantir cette permanence nécessaire du statut personnel est soit la loi du domicile soit la loi
nationale. Le choix de l’un ou de l’autre critère de rattachement, nationalité ou domicile, dans un
système juridique est généralement fondé sur cet impératif. Pour certains, c’est la loi nationale qui
permet cette permanence, on change moins facilement de nationalité que de domicile. On considère
aussi que si la loi nationale est plus adaptée c’est parce qu’elle correspond mieux au tempérament
national (Mancini).
Pour les partisans du rattachement au domicile, la permanence peut tout autant être assurée par la loi
du domicile. Dès lors que l’établissement dans un pays est stable et d’une durée assez longue, sans
esprit de retour au pays d’origine, que la personne adopte le mode de vie du pays dans lequel elle
s’établit, le rattachement à la loi du domicile est tout aussi adapté.
En conséquence, les arguments relatifs à la question de savoir lequel des deux critères réalise le mieux
la permanence se valent et ce sont alors des considérations d’ordre politiques et historiques qui
entrent en jeu dans le choix de l’un ou de l’autre critère de rattachement. Si en Tunisie, le choix du
rattachement à la nationalité s’est imposé c’est d’une part parce que nous sommes un pays
d’émigration et que ce rattachement permet de garder le lien avec les nationaux ; d’autre part parce
que nous sommes les héritiers d’une longue tradition personnaliste, de tout temps le statut personnel
a été rattaché à la loi nationale.
Le rattachement à la loi nationale présente cependant un inconvénient en cas de disparité de
nationalité dans la famille. L’application d’une loi unique oblige à choisir pour le divorce par exemple,
entre la loi nationale de chacun des époux, rompant ainsi l’égalité entre eux. Pour éviter cet
inconvénient, le critère du domicile est introduit. Le statut familial sera ainsi rattaché à la loi nationale
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s’il y a unité de nationalité dans la famille, à la loi du domicile dans l’hypothèse de pluralité de
nationalités.
Le statut réel est quant à lui soumis à la loi du lieu de situation des biens. C’est la possibilité de leur
localisation matérielle dans l’espace qui justifie le choix de la localisation au lieu où ils se trouvent.
C’est aussi un rattachement commode qui permet la sécurité des transactions. « Celui qui se propose
de devenir propriétaire ou d’acquérir tout autre droit réel (sur un immeuble), doit connaître avec
certitude les droits qui pourront lui être opposés par les tiers et à quelles conditions. Il doit en
particulier pouvoir se fonder entièrement sur le système local de publicité foncière »
22. C’est en effet
au lieu où se situe l’immeuble que toutes les charges qui peuvent éventuellement le grever sont
inscrites et que se trouvent toutes les informations relatives à cet immeuble.
La commodité et la sécurité, raisons d’être de ce rattachement, ne sont cependant véritablement
valables que pour les immeubles en raison de leur fixité. Pour les meubles corporels, si, malgré leur
mobilité, la même règle de conflit que pour les immeubles est adoptée, c’est parce qu’ils sont toujours
susceptibles d’une localisation matérielle. Mais la loi du lieu de situation du meuble n’est pas toujours
fondée, d’où le fait que certains meubles échappent à cette localisation, Il en est ainsi des véhicules
automobiles, par exemple, qui sont soumis à la loi du lieu de leur immatriculation, car c’est au lieu de
l’immatriculation que se trouveront toutes les informations relatives à ce bien (article 59 CDIP).
Pour les meubles incorporels, notamment les oeuvres littéraires ou artistiques, la question est
controversée car la nature même du droit d’auteur est sujet à controverse. Si on le qualifie de droit de
la personnalité, on applique la loi nationale de l’auteur et si on le qualifie de droit réel, la solution
préconisée est d’appliquer la loi du lieu de première publication de l’oeuvre car l’on considère que
c’est cette loi qui localise le mieux l’oeuvre de l’esprit.
Pour les biens culturels, on applique généralement la loi du lieu d’origine de l’oeuvre, puisqu’il s’agit
de protéger le patrimoine culturel d’une société donnée. Mais il n’y a pas de règle en DIP tunisien, ni
dans le code (sauf pour les contrats portant sur propriété intellectuelle : article 69 CDIP), ni dans la
jurisprudence.
Les contrats sont en principe soumis à la loi choisie par les parties. La solution a été posée à partir de
la fin du dix neuvième siècle et la justification du principe était liée au rôle prédominant alors reconnu
à la volonté dans le droit.
Cette liberté de choix satisfait la volonté des parties qui, normalement, vont opter pour la loi qui
favorise le plus leur intérêt. C’est aussi un rattachement qui satisfait aux impératifs du commerce
international en permettant aux parties d’échapper aux obstacles des réglementations internes
impératives en choisissant une loi plus libérale
23. C’est la solution adoptée par le législateur dans
l’article 62 du code de droit international privé.
La forme des actes juridiques est réglementée différemment selon qu’il s’agit d’actes patrimoniaux ou
extrapatrimoniaux. Les premiers sont soumis soit à la loi du lieu de conclusion (locus regit actum),
soit à la loi d’autonomie, les seconds à la loi du lieu de célébration ou à loi nationale commune, si elle
existe.
Ce rattachement est fondé sur un impératif de validation de l’acte en la forme car généralement les
parties vont se référer à l’une ou à l’autre loi. Le juge appliquera la loi qui valide l’acte en la forme.
C’est donc un rattachement commode pour les parties et qui assure également la sécurité des
transactions.
Les délits (les obligations légales) sont quant à eux soumis à la loi du lieu de leur survenance (lex loci
delicti). L’article 70 dispose à cet égard que « La responsabilité extra-contractuelle est soumise à la loi
de l’Etat sur le territoire duquel s’est produit le fait dommageable »
Ce rattachement est fondé sur le fait que cette loi répond d’abord à l’attente légitime des parties : les
personnes se conforment généralement aux règles de prudence en vigueur dans un lieu donné et si
22 Bernard audit, « le caractère fonctionnel de la règle de conflit, sur la crise des conflits de lois »
23 Audit (B.), cours précité, p. 291.
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elles causent un dommage, la victime doit pouvoir compter sur la protection offerte par le droit local.
Ensuite, ce rattachement satisfait l’intérêt de l’Etat au maintien d’un certain ordre sur son territoire,
qui ne peut être réalisé que si sa loi s’applique, pour prendre l’exemple le plus courant, à tous les
accidents de la circulation survenus sur son territoire.
Cependant, tout en ayant opté pour la méthode bilatérale, le législateur tunisien y a apporté un certain
nombre de correctifs.
Section 2 : Les correctifs apportés à la méthode bilatérale
Les principales critiques adressées à la méthode bilatérale ont été faites par l’école américaine,
principalement par un auteur américain, Cavers
24.
L’auteur reproche à la méthode conflictuelle son caractère « mécanique et aveugle ». Mécanique, dans
la mesure où le critère de rattachement désigné de manière abstraite peut, dans certaines hypothèses,
se révéler inadapté. Dans certains cas, le critère de rattachement peut désigner une loi sans liens
étroits avec la situation juridique en cause.
Et, parce que la règle de conflit est neutre, le choix de la loi applicable s’opèrant sans égard à sa teneur,
le choix est fait, selon Cavers, les yeux fermés.
Or, selon l’auteur, il faudrait à la fois tenir compte des liens plus ou moins étroits qu’entretiennent les
différentes législations en contact avec la situation juridique, mais aussi du contenu de ces lois
25.
Ces critiques ne sont pas restées lettre morte. Le législateur tunisien a ainsi prévu un certain nombre
de correctifs à l’application mécanique de la règle de conflit (§1) ainsi qu’à son caractère aveugle (§2)

§1: Les correctifs à l’application mécanique de la règle de conflit
Dans certains cas, la règle de conflit peut désigner une loi qui n’a pas de liens étroits avec le rapport ou
la situation juridique en cause. On peut donner pour illustrer cette hypothèse, l’exemple devenu
classique d’un accident de la circulation survenu dans un pays Y entre deux personnes domiciliées
dans un pays X.
L’application de la loi Y désignée par la règle de conflit peut s’avérer inappropriée : généralement les
parties vont saisir le juge du pays dans lequel elles sont domiciliées et il serait préférable et pour le
juge et pour les parties d’appliquer la loi du domicile. C’est la loi du juge saisi et un juge applique
toujours mieux sa propre loi qu’une loi étrangère, sans compter que le véhicule sera généralement
immatriculé et assuré dans cet Etat.
Dans ce cas, le rattachement le plus significatif est certainement la loi du domicile commun (loi du
pays X) et non la loi du lieu du délit (pays Y).
Pour éviter d’appliquer une loi qui n’a pas de liens significatifs avec la cause, la solution est peut être
alors de prévoir des rattachements souples (A) ou des clauses d’exceptions (B). Il est également
possible de cumuler les deux solutions.
A : Les rattachements souples
Le législateur tunisien a prévu des règles de conflit à rattachement souple en matière d’obligations
légales. L’article 70 alinéa 1 dispose à cet égard : « La responsabilité extra-contractuelle est soumise à
la loi de l’Etat sur le territoire duquel s’est produit le fait dommageable »
Mais ce principe du rattachement à la lex loci delicti est infléchi à l’alinéa trois de l’article qui dispose :
« Lorsque l’auteur du fait dommageable et la victime ont leur résidence habituelle dans le même Etat,
la loi de cet Etat est applicable ».
24 « A critique of the choice of law problem » Harvard Law review 1934, 173 et The choice of law process, Ann Arbor, 1965, voir aussi sur la question Audit (B.),
cours précité, 242 et s.
25 Mayer, n°138.
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La même règle est posée lorsque la responsabilité résulte d’un accident de la circulation. L’article 73
alinéa premier pose le rattachement de principe à savoir le rattachement à la loi du lieu de l’accident.
Mais son alinéa trois infléchit le rattachement de principe : « Toutefois, lorsque toutes les parties sont
résidentes dans le pays qui est en même temps celui où sont immatriculés le ou les véhicules en
rapport avec l’accident, la loi de ce pays est applicable ».
Cette méthode reste dans la philosophie générale de la règle de conflit bilatérale et permet toujours de
garantir la prévisibilité des solutions : on sait à l’avance quelle loi sera applicable. Il n’en est pas de
même pour les clauses d’exception.
B : Les clauses d’exception :
Les clauses d’exception encore appelées clauses échappatoires permettent au juge d’appliquer au lieu
et place du rattachement initialement prévu par la règle de conflit, celui qui lui semble en l’espèce
entretenir les liens les plus étroits avec le rapport ou la situation juridique en cause.
Contrairement aux règles de conflit à rattachement souple, le législateur ne détermine pas à l’avance
le rattachement qui peut s’avérer être le plus approprié, il abandonne cette tâche au juge. D’où
l’absence de prévisibilité de la solution.
Ces clauses d’exception peuvent être soit générales (a) soit spéciales (b)
a : Les clauses d’exception générales
Les clauses d’exception sont dites générales quand elles sont susceptibles de s’appliquer à n’importe
quelle règle de conflit.
Le Code tunisien de droit international privé semble hostile à ces clauses. On peut lire dans son article
26 que : « Lorsque le rapport juridique est international, le juge fera application des règles prévues
par le présent code, à défaut de règles, il dégagera la loi applicable par une détermination objective de
la catégorie juridique de rattachement ». Ceci signifie que lorsque la règle de conflit existe, le juge doit
l’appliquer. Il ne peut s’en départir en mettant en oeuvre la clause d’exception.
D’autres systèmes juridiques admettent les clauses d’exception générales. Il en est ainsi en Suisse.
L’article 15 paragraphe premier du Code Civil suisse dispose à cet égard : “ le droit désigné par la
présente loi n’est exceptionnellement pas applicable si, au regard de l’ensemble des circonstances, il
est manifeste que la cause n’a qu’un lien très lâche avec ce droit et qu’elle se trouve dans une relation
beaucoup plus étroite avec un autre droit ”. Le caractère exceptionnel de la clause y est souligné : la loi
désignée par la règle de conflit, qu’il s’agisse de la lex fori ou de la loi étrangère est en principe
applicable sauf si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, elle est inadéquate.
C’est de cet article que s’est inspiré le code civil du Québec qui dispose en son article 3082 : “ A titre
exceptionnel, la loi désignée par le présent livre n’est pas applicable si, compte tenu de l’ensemble des
circonstances, il est manifeste que la situation n’a qu’un lien éloigné avec cette loi et qu’elle se trouve
en relation beaucoup plus étroite avec la loi d’un autre Etat. La présente disposition n’est pas
applicable lorsque la loi est désignée dans un acte juridique ”
26 Il semble que seuls les droits suisse et
québécois reconnaissent et consacrent une clause d’exception générale.
Le Droit international privé tunisien non seulement ne la reconnaît pas, mais il l’interdit. La raison de
l’interdiction réside probablement dans le manque de prévisibilité de la méthode et dans la crainte
d’un retour systématique du juge tunisien à la lex fori alors que normalement, la clause peut jouer à
l’encontre de la lex fori comme à l’encontre de la loi étrangère.
Cependant, le législateur tunisien a opté, dans certains cas pour des clauses d’exception spéciales.
b : Les clauses d’exception spéciales
Elles sont dites spéciales car elles s’appliquent lors de la mise en œuvre d’une règle de conflit donnée.
Le législateur tunisien a prévu une clause d’exception spéciale au contrat de travail international. En
effet, l’article 67 dispose : « Le contrat de travail est régi par le droit de l’Etat dans lequel le travailleur
26 GASTEL (J.-G), “ Commentaire de certaines dispositions du Code civil du Québec se rapportant au droit international privé ”, art. précité, p. 630.
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accomplit habituellement son travail. Si le travailleur accomplit habituellement son travail dans
plusieurs Etats, le contrat de travail est régi par le droit de l’Etat de l’établissement de l’employeur, à
moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail a des liens plus étroits
avec un autre Etat, auquel cas la loi de celui-ci est applicable »
Cette clause d’exception spéciale ne s’applique que dans l’hypothèse où le salarié accomplit
habituellement son travail dans plusieurs Etats et que la loi de l’Etat de l’établissement de l’employeur
normalement applicable, s’avère n’avoir que des liens très lâches avec le contrat de travail alors que
celui-ci a des liens plus étroits avec un autre Etat.
L’on voit ainsi que le code de droit international privé a utilisé les deux techniques – rattachements
souples et clauses d’exception spéciales- permettant de remédier au caractère mécanique de la règle
de conflit. Il a aussi utilisé des correctifs à son caractère aveugle.
§2: Les correctifs au caractère aveugle de la règle de conflit
Plutôt que désigner une loi sans égard à son contenu, le législateur va opter pour une méthode dans
laquelle la loi est désignée en fonction de son contenu. Il y a deux manières de désigner la loi
applicable en fonction de son contenu. On peut soit donner une option de législation aux parties (A),
soit opter pour des règles de conflit alternatives (b)
A : L’option de législation
Le législateur tunisien a opté pour cette méthode en matière de responsabilité extra contractuelle.
L’article 70 pose dans son alinéa premier le principe selon lequel : « la responsabilité extra
contractuelle est soumise à la loi de l’Etat sur le territoire duquel s’est produit le fait dommageable ».
Mais l’alinéa deux de cet article prévoit que « si le dommage s’est produit dans un autre Etat, le droit
de cet Etat est applicable à la demande de la victime ».
L’option en faveur de la loi de l’Etat dans lequel s’est produit le fait dommageable exprime une faveur
dans la mesure où cette option n’est accordée qu’à la victime. Généralement, celle-ci n’optera pour la
loi du lieu où s’est produit le fait dommageable que dans la mesure où le contenu de cette loi lui est
plus favorable que celui de la loi du lieu du délit.
En matière de responsabilité du fait d’un produit, la victime a également le choix de la loi applicable.
Mais ici l’éventail du choix est plus large, puisque la victime a le choix entre pas moins de quatre
lois :1/ la loi de l’Etat dans lequel le fabricant a son établissement, ou bien son domicile, 2/ la loi de
l’Etat dans lequel le produit a été acquis, à moins que le fabricant ne prouve que le produit a été mis
sur le marché sans son accord, 3/ l’Etat où s’est produit le fait dommageable, 4/ l’Etat où la victime a
sa résidence habituelle ». La victime choisira la loi dont le contenu lui est le plus favorable et plus
l’éventail du choix est large, plus l’idée de faveur apparaît, puisque la victime a plus de chance alors de
trouver une loi dont le contenu lui est favorable.
Mais la différence entre l’article 70 et 72 ne réside pas uniquement dans le fait que l’éventail du choix
accordé à la victime est plus large. Il réside aussi dans le fait que la règle de conflit de l’article 72
repose entièrement sur le choix de la victime, alors que dans l’article 70, il y a un rattachement de
principe, celui de la lex loci delicti auquel la victime peut renoncer au profit de la loi du lieu où s’est
produit le dommage.
C’est cette même dernière méthode qui s’applique pour la responsabilité résultant d’un accident de la
circulation routière soumise selon l’article 73 à la loi du lieu de l’accident (lex loci delicti) à laquelle la
victime peut renoncer au profit de la loi du lieu du dommage.
En droit comparé, on peut donner l’exemple de l’article 311-16, alinéa 2 du code civil français où la
légitimation par autorité de justice « est régie, au choix du requérant, par sa loi personnelle ou par
celle de l’enfant »
Ce qui unit toutes ces règles de conflit, c’est que le choix est opéré par la personne que l’on cherche à
protéger. La question est alors de savoir si le juge est lié par ce choix. Si l’on répond par la positive,
même si la personne se trompe en optant pour une loi dont le contenu ne lui est pas favorable, le juge
16

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ne peut redresser l’erreur ainsi commise27. Dans le cas contraire, le juge pourrait intervenir pour
corriger le choix fait par elle. Mais ne serait-ce pas contraire à la philosophie même de ces règles qui
repose sur le choix de la personne que l’on entend protéger et non sur celui du juge ? En même temps,
n’est-ce pas aussi le rôle du juge de mettre en œuvre la politique législative exprimée par ces règles en
permettant d’aboutir au résultat voulu, la protection de la victime en droit international privé
tunisien, la protection de l’enfant en droit international privé français? Cependant, si la jurisprudence
opte pour cette dernière solution, il deviendra alors difficile de faire la différence avec les règles de
conflit alternatives où le choix de la loi est opéré par le juge et non par la partie que le législateur
cherche à protéger.
B : Les règles de conflit alternatives
Ces règles expriment également la faveur du législateur à l’égard d’une institution ou d’une personne.
Plusieurs critères de rattachement sont prévus et ils sont applicables de manière alternative.
Il faut distinguer ces règles des règles de conflit cumulatives dont l’objectif est d’éviter un certain
résultat et non pas de favoriser un résultat. On posera par exemple comme règle que le divorce ne
pourra être obtenu que si les lois nationales des deux époux l’autorisent : si l’une l’interdit alors que
l’autre le permet, le divorce ne pourra pas être prononcé
28.
Le législateur a opté pour des règles de conflit alternatives en matière de forme des actes juridiques
(a) et pour régir certaines institutions du droit de la famille (b). Nous les examinerons avant de faire
une évaluation de la méthode (c)
a : forme des actes juridiques
Pour les actes juridiques patrimoniaux, l’article 68 CTDIP dispose que : « Le contrat est valable quant à
la forme s’il satisfait aux conditions déterminées par la loi applicable au contrat ou par celle du lieu de
sa conclusion. La forme d’un contrat conclu entre personnes qui se trouvent dans des Etats différents,
est valable si elle satisfait aux conditions fixées par le droit de l’un de ces Etats »
L’idée de faveur apparaît dans la volonté de valider l’acte en la forme, et d’éviter ainsi d’annuler un
contrat international pour non respect des conditions de forme. Si la loi applicable au contrat (loi
d’autonomie) annule l’acte, le juge appliquera la loi du lieu de conclusion. Celle-ci validera
généralement l’acte en la forme, puisqu’en principe les parties respectent les formes prévues par la loi
du lieu de conclusion de l’acte. Mais dans le cas où la loi du lieu de conclusion annule parce que les
conditions de forme qu’elle pose n’ont pas été respectées, la loi du contrat devrait pouvoir valider.
C’est cette même idée de valider l’acte en la forme qui fonde l’alinéa 2 de l’article 68. Par exemple,
pour un contrat par correspondance conclu entre un japonais et un tunisien domiciliés chacun dans
leur Etat d’origine, le juge appliquera de la loi japonaise ou tunisienne celle qui valide l’acte en la
forme.
On trouve des dispositions similaires dans le règlement européen sur la loi applicable aux obligations
contractuelles (Rome 1, 2008). Son article 11 intitulé Validité formelle dispose :
« 1. Un contrat conclu entre des personnes ou leurs représentants, qui se trouvent dans le même pays
au moment de sa conclusion, est valable quant à la forme s'il satisfait aux conditions de forme de la loi
qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi du pays dans lequel il a été conclu ».
« 2. Un contrat conclu entre des personnes ou leurs représentants, qui se trouvent dans des pays
différents au moment de sa conclusion, est valable quant à la forme s'il satisfait aux conditions de
forme de la loi qui le régit au fond en vertu du présent règlement ou de la loi d'un des pays dans lequel
se trouve l'une ou l'autre des parties ou son représentant au moment de sa conclusion ou de la loi du
pays dans lequel l'une ou l'autre des parties avait sa résidence habituelle à ce moment-là ».
L’idée de faveur anime aussi les règles de conflit relatives à la forme des actes de statut personnel
même si cette idée de faveur n’apparaît pas clairement énoncée dans la plupart de ces règles comme
27 Dans ce sens, P. Mayer, op.cit. p.
28 Rossi/Servais Casss. Belgique : 16/2/1955, clunet 1955, 930, Philenko ; RC 1955, 143, Rigaux en matière de divorce
17


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c’est le cas pour les actes juridiques patrimoniaux dont on rappellera la formulation : « le contrat est
valable en la forme si... » (article 68 CTDIP).
Mais elle n’en est pas pour autant absente. Ainsi l’article 36 CTDIP dispose : « les conditions de forme
du mariage sont soumises soit à la loi nationale commune, soit à la loi du lieu de célébration du
mariage ». Même si l’article ne dit pas le contrat de mariage est valable en la forme si..., c’est la même
idée de valider le mariage en la forme qui fonde la règle. C’est aussi l’idée de commodité pour les
parties qui préside au choix de tels rattachements. Commodité qui s’exprime par le choix donné entre
la loi du lieu de célébration et la loi nationale commune et donc par l’absence d’imposition d’une
forme particulière pour la célébration du mariage. Cependant, l’idée de faveur est atténuée pour les
candidats au mariage de nationalités différentes. Ceux-ci n’ont pas véritablement de choix et la
validité en la forme de leur mariage sera soumise à la seule loi du lieu de célébration.
Les autres actes dont la forme est soumise à une règle de conflit alternative sont les testaments et les
donations respectivement régis par les articles 55 et 56 du Code. Le premier soumet la forme du
testament « à la loi nationale du testateur ou à celle du lieu où il est établi », le second, soumet la
forme des donations « à la loi nationale du donateur ou à celle de l’Etat où sont accomplies les
formalités de publicité »
Ces règles concernant la forme des actes juridiques, même si elles ont été codifiées, ne sont pas toutes
nouvelles. Elles étaient connues dans le droit antérieur à la codification. Déjà, la loi de 1957 relative à
l’état civil prévoyait pour la forme du mariage une règle de conflit alternative et, pour la forme des
actes juridiques patrimoniaux, la jurisprudence appliquait la solution entérinée par le code.
L’innovation ne concerne alors que l’adoption par le législateur de règles alternatives en ce qui
concerne les questions de fond.
b : Institutions du droit de la famille
Des règles de conflit alternatives ont été posées par le législateur tunisien en matière de garde des
enfants, d’obligation alimentaire et de filiation.
L’article 50 dispose que : « la garde est soumise, soit à la loi en vertu de laquelle le lien matrimonial a
été dissous, soit à la loi nationale de l’enfant ou de son domicile. Le juge appliquera la loi la plus
favorable à l’enfant »
L’article 51relatif à l’obligation alimentaire dispose que celle-ci est régie « par la loi nationale du
créancier ou de son domicile, ou bien par la loi nationale du débiteur ou celle de son domicile. Le juge
appliquera la loi la plus favorable au créancier. Toutefois l’obligation alimentaire entre époux, est
régie par la loi en vertu de laquelle le lien matrimonial a été dissous » Ce qui signifie que la règle
alternative ne s’applique que pour l’obligation alimentaire entre parents et enfants et entre époux non
divorcés. Entre époux divorcés, c’est la loi relative à la dissolution du lien qui s’applique et qui est une
règle bilatérale.
Enfin, le législateur a aussi prévu une règle alternative en matière de filiation dans l’article 52 ainsi
formulé : « le juge appliquera la loi la plus favorable à l’établissement de la filiation de l’enfant, entre :
la loi nationale du défendeur ou celle de son domicile, la loi nationale de l’enfant ou celle de son
domicile »
Dans ces trois règles de conflit, le législateur manifeste sa faveur à l’égard de l’enfant et ce, en matière
de garde après divorce, puisque le juge doit appliquer la loi la plus favorable à l’enfant et en matière
d’établissement de la filiation, puisque le juge doit appliquer la loi la plus favorable à son
établissement.
Le législateur manifeste aussi sa faveur à l’égard du créancier de l’obligation alimentaire. Plus
généralement, il pose dans ces trois règles de conflit deux principes fondamentaux : celui de l’intérêt
de l’enfant puisque la loi la plus favorable à la garde sera généralement la loi qui accorde la garde en
fonction de l’intérêt de l’enfant et que l’établissement de la filiation est généralement (en tout cas c’est
ce que semble présumer la loi) conforme à l’intérêt de l’enfant. Le second principe posé est celui du
18

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droit aux aliments puisque la loi applicable devra être la loi la plus favorable au créancier donc la loi
qui accorde des aliments sera préférée à toute autre loi.
Contrairement à la règle de conflit classique, c’est le contenu de la loi qui préside à son choix. On évite
ainsi un choix aveugle de la loi applicable.
c / Evaluation de la méthode
Le procédé des règles de conflit alternatives présente un certain nombre d’inconvénients. Pour les
parties d’abord, en ce qu’il sacrifie la prévisibilité, dans la mesure où, il faut attendre que le juge soit
saisi pour savoir laquelle des différentes lois désignées par la règle sera effectivement appliquée par le
juge. Le deuxième inconvénient est pour le juge, en ce que la règle de conflit alternative s’avère
difficile à mettre en œuvre. Il lui faudra en effet consulter le contenu de l’ensemble des lois désignées
par les différents critères de rattachement alternatifs, avant de décider laquelle devra s’appliquer.
Dans la mesure où toutes ces lois sont étrangères, le travail imposé au juge est colossal car il est
souvent difficile de connaître le contenu des lois étrangères. Or, c’est en comparant le contenu des
diverses lois que l’on saura laquelle est plus favorable
Cependant, les juges ne font malheureusement pas toujours la comparaison entre la teneur des
différentes lois. C’est ce qu’il est possible de déduire du jugement du tribunal de première instance de
Tunis rendu le 19 juillet 2000
29. Il s’agissait en l’espèce du divorce entre un tunisienne et un saoudien.
Les juges, conformément à l’article 50 du code, appliquent la loi tunisienne pour régir la garde des
enfants, au motif que celle-ci est fondée sur l’intérêt de l’enfant. Mais rien n’est dit sur le contenu du
droit saoudien, vraisemblablement parce qu’il est supposé connu. Or, il est souhaitable que pour
l’application des règles alternatives, le contenu de chacune des lois en conflit soit expressément
indiqué dans le jugement et qu’une comparaison soit faite afin de pouvoir se prononcer sur la loi la
plus favorable.
Mais le choix peut parfois être difficile à opérer. Quand toutes les lois sont favorables, laquelle
choisir ? Le tribunal de première instance de Tunis s’est trouvé devant cette difficulté
30 : il s’agissait
en l’espèce de prononcer un divorce entre époux tunisiens domiciliés en France. Ayant à statuer sur la
garde des enfants mineurs, les juges mettent en œuvre la règle alternative prévue par l’article 50 du
Code. Ils constatent que les deux lois en conflit, les lois française et tunisienne prennent en compte
l’intérêt de l’enfant. Les juges appliquent la loi tunisienne en la justifiant par le fait que c’est la loi du
tribunal saisi et la loi sur laquelle était basée la demande.
Il est remarquable que chaque fois que les tribunaux tunisiens ont mis en œuvre des règles
alternatives, leur décision a abouti à l’application de la loi tunisienne. Le danger de lex forisme auquel
risque de conduire ce type de règle a été souligné par la doctrine
31. On voit que ce n’est pas une
crainte sans fondement, mais peut être faut-il attendre d’autres applications jurisprudentielles avant
de se prononcer définitivement.
Reste un dernier inconvénient, c’est quand aucune des lois ne permet d’aboutir au résultat voulu.
Aucune loi par exemple ne permet de valider le testament en la forme, chacune d’elles l’annulent. Que
faire ? La solution la plus plausible serait d’appliquer la loi qui prévoit le régime de nullité le moins
strict. Mais la comparaison entre les différentes lois susceptibles d’être appliquées risque d’être
compliquée.
N’y a-t-il que des inconvénients à la méthode ? En fait, il ne faut pas exagérer ces inconvénients. La
méthode est complexe. Certes, et c’est la raison pour laquelle cette méthode ne pourra réellement
concurrencer la méthode bilatérale. Elle ne pourra être utilisée que comme méthode d’appoint
permettant de réaliser une politique législative particulièrement importante, mais elle ne peut être
généralisée.
29 Jugement n°32779, inédit
30 Jugement n°33551 du 27 juin 2000, inédit. L’attendu principal est publié in Code de droit international privé commenté par M.Ghazouani et L.Chédly,
Publication du ministère de la justice et des droits de l’homme, Centre d’études juridiques et judiciaires, Tunis 2008, p.627.
31
19


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La méthode savignienne et ses correctifs n’est cependant pas la seule méthode concevable. Parmi les
méthodes indirectes de solution des conflits de lois, figure la méthode unilatérale qui n’a cependant
pas été retenue en droit international privé tunisien
Section 3 : Le rejet de la méthode unilatérale
L’analyse de la méthode unilatérale (§1) et de ses nombreux inconvénients (§2) explique son rejet
comme méthode générale de solution des conflits de lois d’autant que les remèdes proposés par les
partisans de la méthode ne convainquent pas, s’agissant d’un retour à la méthode bilatérale par le
biais de ce que l’on appelle la bilatéralisation (§3)
§1 : Analyse de la méthode
La méthode unilatérale part du principe selon lequel un Etat ne peut que fixer le champ d’application
dans l’espace de ses propres lois. Il ne peut sans porter atteinte à la souveraineté des autres Etats
décider du champ d’application dans l’espace de leurs propres lois.
Partant, la règle de conflit unilatérale fixe uniquement le champ d’application de la lex fori. C’est
uniquement quand celle-ci n’est pas applicable au rapport de droit en cause que l’on recherchera
quelle est parmi les lois étrangères ayant un lien avec le dit rapport, celle qui se veut applicable. La loi
étrangère n’est donc pas désignée
a priori par la règle de conflit, comme c’est le cas pour la règle de
conflit bilatérale.
A l’examen, aucune disposition relative aux conflits de lois dans le code de droit international privé ne
répond à cette définition. Mais si le code ignore la méthode, ceci ne signifie pas que l’unilatéralisme est
totalement absent en droit international privé tunisien.
Ainsi par exemple, l’article 10 de la loi n°2000-93 du 3/11/2000 portant promulgation du code des
sociétés commerciales dispose que : « Les sociétés dont le siège social est situé sur le territoire
tunisien sont soumises à la loi tunisienne ». Seul le champ d’application de la loi tunisienne est précisé.
Si le siège social de la société n’est pas en Tunisie, le juge devra rechercher si la loi du siège social
étranger veut ou non s’appliquer.
En droit comparé, on peut citer l’article 3 alinéa trois du code civil français selon lequel: « Les lois
concernant l’état et la capacité des personnes régissent les français, même résidant en pays étranger ».
Cette règle de conflit ne fait que déterminer le champ d’application de la loi française en matière d’état
et de capacité des personnes. Elle précise que la loi française s’applique pour régir l’état et la capacité
des français, même résidant à l’étranger. Le champ d’application dans l’espace des lois étrangères
n’est pas précisé. Si le juge français est saisi d’une question relative à l’état et la capacité d’un espagnol
domicilié en France, il devra rechercher si la loi étrangère, espagnole, veut ou non s’appliquer.
La méthode unilatérale est l’une des premières méthodes à avoir vu le jour. Le code civil français de
1804 l’avait adoptée dans l’art. 3 que nous venons de citer et qui est toujours en vigueur, de même que
le code civil allemand de 1896.
Cette méthode a cependant très vite été supplantée par la méthode bilatérale. En effet elle présente
plusieurs inconvénients qui expliquent l’absence de positivité de la méthode comme solution générale
aux conflits de lois.
§ 2 : Les inconvénients de la méthode
La méthode pèche par son fondement même (A) et les impasses d’ordre méthodologiques auxquelles
elle mène (B)
A : Le Fondement
Pour les unilatéralistes (Schnell et Niedner en Allemagne au dix neuvième siècle ; Niboyet en France
fin dix neuvième, début vingtième siècle), l’objet du droit international privé est de résoudre un conflit
de souveraineté. Un Etat ne peut sans violer la souveraineté des autres Etats décider du champ
d’application de leurs lois.
20

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Selon les unilatéralistes, la règle de conflit bilatérale ne traite pas véritablement sur un pied d’égalité
la lex fori et la loi étrangère. La règle de conflit bilatérale peut désigner une loi qui ne se veut pas
compétente. Ce qui n’est pas faux puisque, par exemple, le divorce d’époux de même nationalité est
soumis à leur loi nationale. On appliquera ainsi au divorce d’époux de nationalité anglaise domiciliés
en Tunisie, la loi anglaise. Or la loi anglaise ne se veut pas applicable, elle désigne dans ce cas, la loi du
domicile.
Il est vrai que dans cet exemple, la règle de conflit bilatérale désigne une loi étrangère qui ne se veut
pas compétente. Mais il existe des mécanismes qui permettent dans la méthode bilatérale de corriger
cet inconvénient. Il s’agit en l’occurrence du mécanisme du renvoi que nous examinerons
ultérieurement.
Mais si cette critique du bilatéralisme est fondée, c’est le postulat de départ des unilatéralistes qui est
contestable. Le droit international privé ne résout pas un conflit de souverainetés, mais bien des
conflits d’ordre privé. Lorsque la question est relative à un divorce entre un tunisien et une anglaise,
elle reste une question de divorce, une question d’ordre privé, qui ne met nullement en cause ni la
souveraineté de l’Etat tunisien ni celle de l’Etat anglais
Par ailleurs l’unilatéralisme aboutit à des impasses d’ordre méthodologiques.
B : Les impasses d’ordre méthodologique
La méthode pêche en premier lieu par son manque de prévisibilité. La règle de conflit ne désigne que
le champ d’application de la lex fori. Si celle-ci n’est pas applicable, les parties ne peuvent savoir à
l’avance quelle est la loi étrangère qui sera applicable. Parce qu’elle ne garantit pas la prévisibilité, la
règle de conflit unilatérale n’assure pas la sécurité juridique.
Par ailleurs, en recherchant quelle est la loi étrangère qui se veut applicable, on peut se trouver devant
deux écueils. Soit aucune des lois étrangères ayant un lien avec le rapport juridique ne veut
s’appliquer (lacune ou conflit négatif) soit deux ou plusieurs
lois étrangères veulent
s’appliquer (cumul ou conflit positif).
Raisonnons à partir de l’exemple de l’article 310 du code civil français (loi du 11/7/1975). Les alinéas
un et deux disposent:
« Le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française :
- lorsque l’un et l’autre époux sont de nationalité française ;
- lorsque les époux ont, l’un et l’autre, leur domicile sur le territoire français ».
Conformément à cet article, la loi française s’applique en matière de divorce dans deux hypothèses :
d’abord lorsque les époux ont la nationalité française ensuite lorsqu’ils sont domiciliés en France.
Cette deuxième hypothèse couvre le champ suivant : les époux sont de même nationalité étrangère
(ex : tunisiens) ou de nationalité différente (français + étranger (tunisien) ou étrangers de nationalités
différentes (tunisien marié à une marocaine)
Il y aura lacune par exemple pour le cas du divorce entre un français marié à une tunisienne et
domiciliés en Egypte. S’ils saisissent les tribunaux français d’une demande en divorce, ceux-ci sont
compétents, mais la loi française n’est pas compétente. Et aucune des lois étrangères ne se veut
applicable, ni la loi tunisienne qui désigne la loi de leur domicile commun, ni la loi égyptienne qui
désigne la loi nationale du mari.
L’hypothèse de la lacune est généralement solutionnée par les unilatéralistes par l’application de la lex
fori. C’est d’ailleurs la solution apportée par le législateur français dans l’alinéa trois de l’article 310 du
code civil : « le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française
- lorsque aucune loi étrangère ne se reconnaît compétence, alors que les tribunaux français sont
compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps»
Cette solution du retour à la lex fori, si elle permet de sortir de l’impasse de la lacune, est cependant
critiquable, sur le plan méthodologique. Le champ d’application de la
lex fori est élargi de manière
21

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artificielle, celle-ci s’appliquant à des hypothèses initialement non prévues. Cette critique ne peut
cependant pas être adressée à l’article 310 du Code civil français qui a préalablement prévu cette
hypothèse d’application de la loi française, en cas de lacune.
Il y aura cumul dans l’hypothèse où la loi du for n’étant pas compétente, deux ou plusieurs lois
étrangères se veulent applicables. Raisonnons toujours à partir de l’article 310 et prenons l’exemple
d’un égyptien marié à une française ; tous deux étant domiciliés en Tunisie. Si le divorce est demandé
en France, les tribunaux français sont compétents, mais la loi française ne s’applique pas, les époux
n’ayant pas la nationalité française et n’étant pas domiciliés en France.
Cependant, la loi égyptienne se veut applicable en tant que loi nationale du mari, mais aussi la loi
tunisienne en tant que loi du domicile commun des époux. Laquelle choisir ? Aucune indication n’est
donnée dans l’article 310. La doctrine unilatéraliste préconise alors d’appliquer la loi qui a les liens les
plus étroits. Mais comment choisir la loi qui a les liens les plus étroits, la loi la plus significative ? S’il
s’agit de rechercher la loi qui localise le mieux le rapport juridique cela ne revient-il pas à adopter la
méthode bilatéraliste ? Et de fait, les règles de conflit unilatérales, sont généralement bilatéralisées.
Para 3 : La technique de la bilatéralisation
Dès 1814, dans l’arrêt Busqueta32, les juges français ont bilatéralisé l’article 3 alinéa trois du code civil
français dont on rappellera le contenu : « Les lois concernant l’état et la capacité des personnes
régissent les français, même résidant à l’étranger ».
Le raisonnement ayant abouti à la bilatéralisation fut le suivant : Si on applique aux français en
matière d’état et de capacité, leur loi nationale, on admet la
réciproque pour les étrangers qui seront
eux aussi soumis à leur loi nationale. La règle de l’article 3 est alors devenue : « l’état et la capacité des
personnes est régie par leur loi nationale ».
En Allemagne, les tribunaux ont également réagi de la même manière et ont bilatéralisé les règles de
conflit unilatérales posées par la loi d’introduction au code civil de 1896.
La règle de conflit de lois de l’article 10 du code tunisien des sociétés pourra aussi être bilatéralisée.
Formulé ainsi, « les sociétés dont le siège social est situé sur le territoire tunisien sont soumises à la
loi tunisienne », il pourra devenir : les sociétés sont régies par la loi de leur siège social.
Mais toutes les règles de conflit unilatérales ne sont pas susceptibles d’être bilatéralisées. Il en est
ainsi de l’article 310 du code civil français. Il n’est pas bilatéralisable car il utilise deux critères de
rattachement, le rattachement à la nationalité et le rattachement au domicile. Or une règle bilatérale
comprend un seul critère de rattachement. Si on dit à partir de l’article 310 que le divorce d’époux de
même nationalité est régi par leur loi nationale commune, c’est partiellement faux puisque, deux
époux de même nationalité peuvent être soumis à la loi de leur domicile commun (hypothèse d’époux
de même nationalité étrangère, domiciliés en France). Et si l’on pose comme règle que le divorce
d’époux de nationalité différente est soumis à la loi de leur domicile commun, c’est partiellement vrai,
puisque même des époux de même nationalité peuvent être régis par la loi de leur domicile commun.
La jurisprudence française n’a d’ailleurs pas cherché à bilatéraliser l’article 310. Elle est revenue à la
solution antérieure, en vigueur avant la promulgation de l’article 310. Pour les époux de nationalité
différente : un français et un étranger domiciliés à l’étranger, elle a appliqué la loi de leur domicile
commun conformément à la solution dégagée par l’arrêt
Rivière33. Si les époux de nationalité
différente n’ont pas de domicile commun, mais sont domiciliés dans des pays différents, car séparés
de fait ou de droit, la solution est alors de leur appliquer la loi du for, selon l’arrêt Tarwid
34.
La solution des conflits de lois par la méthode bilatérale ou unilatérale n’est pas la seule concevable.
Plutôt que poser des règles de conflits de lois, on peut faire régir les relations privées internationales
par des règles substantielles.
32 Paris, 13/6/1814, S. 1814, 2, 393, G.A n°1
33 Civ . 17/4/1953, RC 1953, 412, note Batiffol, clunet 1953, 860, note Plaisant, JCP 1954, II, 7863, note Buchet, GA, n°26) et l’arrêt Lewandowsky (Civ.
15/3/1955, RC 1955, 320, note Batiffol, D. 1955, 540, note Chavrier, JCP 1955, II 8771, note Ponsard.
34 Civ. 15/5/1961, RC 1961, 547, note Batiffol, clunet 1961, 734, note Goldman, D. 1961, 437, note G.Holleaux.
22


Page 23
Chapitre 2 : Les règles substantielles
Il peut y avoir deux sortes de règles matérielles qui régiront directement, sans le passage par une
règle de conflit, les relations privées internationales : des règles substantielles de droit interne dont le
champ d’application sera étendu aux relations internationales, il s’agit des lois de police (Section 1) ou
des règles matérielles spécifiques aux relations internationales (Section 2)
Section 1 : Les lois de police
Les lois de polices sont définies dans l’article 38 du code de droit international privé de la manière
suivante : «Sont directement applicables quel que soit le droit désigné par la règle de conflit, les
dispositions du droit tunisien dont l’application est indispensable en raison des motifs de leur
promulgation. Le juge donne effet aux dispositions d’un droit étranger non désigné par les règles de
conflit s’il s’avère que ce droit a des liens étroits avec la situation juridique envisagée et que
l’application desdites dispositions est indispensable, eu égard à la fin poursuivie. Le caractère de droit
public de la loi étrangère n’empêche pas son application ou sa prise en considération »
L’article 38 permet l’application des lois de police du for, et des lois de police étrangères, selon la
même méthode, l’application directe ou immédiate (§1) et les mêmes procédés d’identification (§2).
§1 : L’application directe ou immédiate
Avant de mettre en œuvre la règle de conflit qui peut désigner une loi étrangère, le juge doit se
demander si sa lex fori ne doit pas impérativement s’appliquer à la question posée (A). S’il n’y a pas de
loi de police du for ou si elle existe, mais ne revendique pas sa compétence, alors il devra rechercher
s’il existe une loi de police étrangère qui veut s’appliquer (B) Si le procédé s’apparente à la méthode
unilatérale, il doit néanmoins en être distingué (C)

A : L’application directe ou immédiate des lois de police du for
Les lois de police du for sont d’application immédiate ou directe selon la terminologie utilisée par
l’article 38 car leur désignation ne résulte pas de la règle de conflit. L’article 38 dispose à cet égard
qu’elles « sont directement applicables quel que soit le droit désigné par la règle de conflit ». C’est
donc un procédé préalable à la mise en œuvre de la règle de conflit qui se justifie en raison du
caractère « indispensable » de l’application de ces lois. En raison de leur nature de loi de police, ces
lois ne sauraient être tributaires de leur désignation aléatoire par la règle de conflit. Pour insister sur
la nécessité de leur application justifiant une dérogation à la règle de conflit, certains auteurs utilisent
une autre terminologie : celles de lois ou règles d’application nécessaire
35.
P. Mayer en donne la définition suivante : « Chacune de ces règles est applicable (au moins dans le for
de l’Etat dont elle émane) même si l’ordre juridique auquel elle appartient n’est pas désigné par la
règle de conflit, dès lors que l’Etat qui l’a édictée estime nécessaire de la voir appliquée aux situations
présentant avec lui un certain rattachement »
36
On retrouve dans cette définition des lois d’application immédiate un des critères utilisés dans l’article
38 à savoir l’application indépendante de la règle de conflit, mais avec en plus l’exigence des liens avec
l’ordre juridique du for.
L’absence d’exigence des liens avec l’ordre juridique tunisien dans l’article 38 ne doit cependant pas
conduire à ignorer cette condition. Car il est difficile qu’une loi de police s’applique sans que des liens
avec l’ordre juridique n’existent ou ne soient exigés. L’exigence de ces liens est inhérente au concept
même de loi de police. Le législateur lui-même l’exige dans certaines dispositions du code de droit
international privé qui peuvent être qualifiées de lois de police. Il en est ainsi de l’article 41 qui
dispose : « La tutelle est régie par la loi nationale du mineur ou de l’interdit. Toutefois les mesures
provisoires ou urgentes sont prises en vertu du droit tunisien si le mineur ou l’interdit se trouve sur le
territoire tunisien au moment où ces mesures doivent être prises ou, si la mesure de protection se
rapporte à un bien mobilier ou immobilier situé en Tunisie » On peut alors considérer que les
35 SPERDUTTI, MAYER,
36 MAYER (P.), manuel, p. 80
23


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dispositions du droit tunisien relatives aux mesures provisoires et d’urgence de protection du mineur
sont des lois de police applicables s’il existe un lien de nature territoriale (présence du mineur sur le
territoire tunisien, mesures se rapportant à un bien mobilier ou immobilier situé en Tunisie) avec la
Tunisie. Le lien avec le for peut être d’une nature autre que territoriale (résidence, domicile). Il peut
être personnel : ainsi en est-il du critère de la nationalité.
Cependant, certains auteurs37 ont cru trouver une spécificité aux lois de police en ce que le
rattachement qu’elles utilisent est plus souvent territorial que personnel et que les notions de fait
(comme la résidence habituelle) sont préférées aux notions de droit (comme le domicile). De même
une des spécificités de ces règles serait le caractère exorbitant des critères de rattachement retenus.
« Enfin et c’est sans doute l’aspect le plus important du particularisme des lois de police au plan du
rattachement, il existe souvent un souci manifeste du législateur ou du juge d’appréhender le plus
grand nombre de situations possibles par la loi de police locale. Ce désir d’en étendre l’emprise
conduit à utiliser de manière alternative plusieurs critères de rattachement », écrit Y.Loussouarn
38.
Cette thèse est cependant isolée et elle est aisément contestable : les règles de conflit elles - mêmes
peuvent utiliser plus d’un critère de rattachement : il en est ainsi de certaines règles de conflit
unilatérales (l’article 310 nouveau du code civil français qui utilise le critère de la nationalité et du
domicile) et des règles de conflit alternatives. L’utilisation alternative de plusieurs rattachements ne
peut donc être l’apanage des lois de police.
Enfin, il faut préciser que toutes les lois d’application immédiate ne sont pas des lois de police. Ainsi, à
l’instar d’une partie de la doctrine française, on pourra dire que seules seront considérées comme des
lois de police, les lois appliquées selon cette méthode en raison de leur contenu et de leur but39. A
contrario, on définira les lois d’application immédiate non de police comme étant des règles dont le
caractère nécessaire de leur application n’est pas appelé par leur but et leur contenu
40.
Leur existence peut être justifiée, selon P. Mayer, par la volonté du législateur de leur donner une
application plus étendue que celle qui résulterait normalement de la règle de conflit
41. Elle peut aussi
l’être par le désir de maintenir ses ressortissants sous l’empire d’obligations ou de protections
auxquelles la règle de conflit pourrait parfois leur permettre d’échapper
42. La nationalité constituerait
alors le critère et la cause de la compétence nécessaire de ces lois
43. L’application immédiate des
dispositions du Code du Statut Personnel relatives au divorce
44 par la jurisprudence tunisienne
antérieure à la promulgation du Code (jurisprudence connue sous le nom de privilège de nationalité)
se situerait alors dans ce cadre
45.
L’application immédiate de lois non de police par la jurisprudence doit cependant être évité et l’on
peut d’ailleurs considérer que le législateur l’a interdit : le procédé est réservé aux lois dont le contenu
et le but appelle une application préférentielle nonobstant la désignation d’une autre loi par la règle
de conflit. Il faut en effet éviter que la loi normalement compétente soit écartée trop facilement au
profit de la loi du for : seules les lois dont « l’application est indispensable en raison des motifs de leur
promulgation » doivent bénéficier du procédé de l’application immédiate.
Ce même procédé permettra la désignation des lois de police étrangères
B : L’application immédiate ou directe des lois de police étrangères :
L’un des apports les plus importants du Code de Droit International Privé est de permettre
l’application des lois de police étrangères, même quand ces lois ne sont pas désignées par la règle de
conflit. L’article 38 para 2 dispose en effet : «Le juge donne effet aux dispositions d’un droit étranger
37 Lousssouarn, RCADI 1973, cours général de droit international privé
38 Ibid
39 Mayer, les lois de police étrangères, p. 292
40 Mayer : « les lois de police étrangères », n°132, p. 84 ; Holleaux, Foyer, De La Pradelle, DIP, n°650 et s. , p. 321
41 Mayer, DIP, n°132, p.94
42 Mayer : « les lois de police étrangères », n°15, p. 188 et s. ; ; Holleaux, Foyer, De La Pradelle, DIP, n°643 et s. , p.318
43 Mayer : « les lois de police étrangères », n°27 ; Pommier (J.C), Principe d’autonomie et loi du contrat en droit international privé conventionnel, Economica,
1992, n°188, p. 193
44 Tunis, 27/7/1967, RJL 1968, 400 (Rachel) ; TPI Tunis n°28855, 29/6/1999, RTD 2000, note S. Ben Achour
45 MEZGHANI (A.), Commentaires du Code de Droit International Privé, CPU 1999, p.47
24


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non désigné par les règles de conflit s’il s’avère que ce droit a des liens étroits avec la situation
juridique envisagée et que l’application desdites dispositions est indispensable, eu égard à la fin
poursuivie»
Ceci signifie qu’il faut appliquer la loi de police étrangère en tant que telle, même si elle n’est pas
désignée par la règle de conflit, dès lors qu’elle possède des liens étroits avec la relation privée
internationale.
Ce procédé de désignation de la loi de police étrangère, adopté par le législateur tunisien est meilleur
que tous les autres. En effet, certains auteurs considèrent qu’il est toujours possible de recourir à une
règle de conflit bilatérale pour désigner une loi de police étrangère. Le critère de rattachement serait
obtenu par la « bilatéralisation » du critère qui désigne la loi de police du for. Par exemple, si on
estime que les dispositions impératives limitant le montant du loyer doivent s’appliquer à tout contrat
de bail relatif à un immeuble situé en Tunisie, on en déduira par bilatéralisation que « la loi applicable
au montant du loyer est la loi du lieu d’exécution du contrat de bail ».
Ainsi la catégorie des lois de police ne correspondrait pas à une méthode spécifique puisque celles-ci
seraient désignées par une règle bilatérale ordinaire usant de rattachements spéciaux adaptés
46. Ce
procédé est erroné car il présuppose que la fonction de la loi de police étrangère est identique à celle
du for. Or les politiques législatives pouvant différer, il faut tenir compte de la volonté d’application de
la loi de police étrangère. Seule cette méthode permet de tenir compte des intérêts des Etats étrangers
afin de les aider à réaliser leurs politiques législatives. Mais également à réaliser les nôtres, car si nous
acceptons d’appliquer les lois de police étrangères, il y a plus de chance de voir nos lois de police
appliquées à l’étranger.
Cependant l’application des lois de police étrangères doit être une simple éventualité. Il faut
comprendre par l’expression « le juge donne effet… » utilisée par l’article 38, le juge « peut donner
effet » et non pas « le juge doit donner effet ». Or sur cette question, la cour de cassation a, dans son
arrêt en date du 26 avril 2005
47, affirmé le caractère obligatoire de l’application des lois de police
étrangères. La solution est critiquable dans la mesure où elle fait preuve d’un trop grand libéralisme et
isole le système de droit international privé des autres.
En droit comparé, en effet, l’application des lois de police étrangères est une simple faculté. C’est ainsi
que l’article 19 LDIP Suisse dispose : « Lorsque des intérêts légitimes et manifestement prépondérants
au regard de la conception suisse du droit l’exigent, une disposition impérative d’un droit autre que
celui désigné par la présente loi peut être prise en considération, si la situation présente un lien étroit
avec ce droit »
Le règlement de Rome 1 prévoit aussi dans son article 9 qu’une loi de police a vocation à s’appliquer
« à toute situation entrant dans son champ d’application, qu’elle que soit par ailleurs la loi applicable
au contrat d’après le présent règlement » Et précise d’autre part qu’il « pourra également être donné
effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été
exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale…
Enfin, on peut aussi citer dans ce sens l’article 16 de la Convention de la Haye du 14 mars 1978 sur la
loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représentation: « lors de l’application de la
présente convention, il pourra être donné effet aux dispositions impératives de tout Etat avec lequel la
situation présente un lien effectif »
La loi de police étrangère peut ainsi être appliquée comme elle peut simplement être prise en
considération. Selon P. Mayer, une loi « est prise en considération lorsqu’elle entre dans le présupposé
de la règle substantielle applicable »
48
46 Mayer, manuel, p. 85, n°128
47 Civ. n°7146 du 26/4/2005 (inédit), mais dont les attendus principaux sont reproduits dans le code de droit international privé commenté, op.cit. p. 552. Voir
aussi, S.Bostangi, « La Cour de cassation tunisienne à l’épreuve des « lois politiques » : réflexions à propos de l’arrêt n°7146 du 26 avril 2005 »,
R.D.A.I, n°4,
2007, p.513.
48 Les lois de police étrangère, p. 307
25


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Comme exemple de prise en considération de lois étrangères, on peut prendre celui de l’article 305 du
Code pénal qui dispose : « Tout citoyen tunisien qui, hors du territoire de la république, s’est rendu
coupable d’un crime ou d’un délit puni par la loi tunisienne, peut être poursuivi et jugé par les
juridictions tunisiennes, à moins qu’il ne soit reconnu que la loi étrangère ne réprime pas ladite
infraction ... » Ce texte ne conduit pas à l’application de la loi pénale étrangère, c’est-à-dire à
prononcer la peine qu’elle prévoit. C’est la loi pénale tunisienne qui s’appliquera, pour définir
l’infraction et pour déterminer la peine encourue, mais dans le cadre de cette application, il est
prescrit au juge de consulter la loi étrangère : si celle-ci ne punit pas l’acte commis, la loi tunisienne ne
pourra pas s’appliquer.
Mais ces hypothèses de prise en considération de la loi étrangère ne sont pas fréquentes. Le plus
souvent, il y a prise en considération quand la règle substantielle vise dans son présupposé un
événement qu’elle définit de manière générale et qu’une loi étrangère se trouve constituer
l’événement en question. Par exemple, l’article 282 du code des obligations et des contrats vise la
force majeure comme une cause d’extinction de l’obligation. La loi de police étrangère sera ainsi
invoquée comme un fait rendant l’exécution du contrat impossible. Un vendeur pourrait ainsi se
prévaloir d’une loi instaurant un embargo ou une interdiction d’exporter la marchandise vendue vers
le pays de l’acheteur. Une loi relative à la réglementation des changes qui interdit le transfert de
devises ou soumet le transfert à une autorisation étatique qui n’a pas été obtenue pourrait être
invoquée par un acheteur comme constitutive de force majeure justifiant l’inexécution de son
obligation au paiement du prix. Il s’agissait d’ailleurs dans l’affaire examinée dans l’arrêt précité de la
cour de cassation rendu en 2005, d’une hypothèse de prise en considération. La question étant de
savoir si une banque pouvait échapper à sa responsabilité en invoquant la loi de police américaine
interdisant aux banques représentant des intérêts américains d’effectuer des virements ou toute autre
opération auprès d’institutions représentant des intérêts libyens.
L’application ou la prise en considération selon ce procédé direct et immédiat peut conduire à un
conflit entre plusieurs lois de police étrangères ayant un lien avec le rapport juridique. Il n’y a de
conflit que si l'on ne peut pas donner en même temps satisfaction à toutes les lois de police ayant
vocation à s’appliquer. De la même manière, il n’y a pas de conflit si toutes ces lois de police
prescrivent la même mesure, par exemple, l’annulation du contrat
49. C’est le cas le plus fréquent, les
lois de police ayant tendance en général à prescrire des mesures autoritaires dont le non respect
entraîne des sanctions, comme la nullité du contrat. Les lois libérales ne sont généralement pas
considérées comme de police. Le conflit existera donc entre deux lois de police qui par exemple fixent
toutes deux de manière autoritaire le montant du loyer. L’application de la loi la plus sévère est une
solution judicieuse qui permet de respecter en même temps les intérêts des deux Etats intéressés par
la relation
50.
Reste une dernière question à poser : la méthode immédiate de désignation des lois de police du for et
étrangères relève-t-elle de la méthode unilatérale ou est-ce une méthode autonome ?
C/ Lois de police et méthode unilatérale
Le raisonnement en matière de loi de police est le suivant : avant de mettre en œuvre sa règle de
conflit, le juge doit se poser la question de savoir si la loi du for ne veut pas impérativement
s’appliquer à la question posée. Dans cette mesure et dans cette mesure uniquement les lois de police
s’apparentent au procédé unilatéral : on part de la lex fori et on lui demande si elle veut ou non
s’appliquer. Mais cette parenté de façade ne doit pas conduire à assimiler les deux méthodes
51. Il y a
entre les deux procédés deux différences fondamentales. La première est que la règle de conflit
unilatérale détermine le champ d’application normal de la lex fori alors qu’une loi de police s’applique
dans des hypothèses exceptionnelles
52. Ensuite, le champ d’application dans l’espace de la lex fori est
49 P.MAYER, manuel,
50 P.MAYER, A.MEZGHANI
51 Contra, A.MEZGHANI.
52 P.MAYER
26


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déterminé dans la règle de conflit unilatérale sans égard à son contenu, alors qu’une loi de police
s’applique directement, immédiatement en raison de son seul contenu et de son but
53.
Pour les lois de police étrangères, la majorité de la doctrine54 a également fait le rapprochement avec
la méthode unilatérale puisqu’on recherche, si la loi de police du for ne s’applique pas, la loi de police
étrangère qui se veut applicable. A. Mezghani a ainsi écrit : « L’unilatéralisme répond mieux que la
règle de conflit de lois à la nature même des lois de police. Son présupposé de base est, en effet, le
respect de la volonté d’application de la loi étrangère. Ce fondement général de l’unilatéralisme prend
une signification particulière au regard des lois de police. Lorsque la loi de police du for se déclare
incompétente, ou n’existe pas, la directive unilatéraliste consiste à se demander s’il existe dans les
ordres juridiques étrangers une norme qui se qualifie, elle-même de police et qui revendique sa
compétence »
55
Pour d’autres auteurs, comme P. Mayer la méthode des lois de police étrangères est autonome et son
assimilation à l’unilatéralisme l’a desservie. Il écrit : « la thèse de l’applicabilité des lois de police
étrangères en tant que telles, indépendamment de la loi désignée par la règle de conflit, a
certainement été desservie par la présentation unilatéraliste qui en est généralement faite. La simple
volonté du législateur étranger à ce que sa règle s’applique devrait-elle l’emporter sur celle du
législateur du for, exprimée dans la règle de conflit ? Il est difficile de le soutenir, surtout lorsque la loi
normalement applicable est celle du for. En réalité la volonté du législateur étranger n’est pas
déterminante : c’est le for qui décide, en constatant seulement l’existence d’un intérêt objectif et
légitime à l’application de la règle étrangère, de déroger à son profit à la règle de conflit »
56
Il semble en effet que le procédé se distingue de la méthode unilatérale. Cette distinction nous permet
d’une part d’insister sur le caractère exceptionnel des lois de police, ce qui nous paraît primordial et
d’autre part de réaffirmer que cette application ne se justifie qu’en raison de leur « caractère
indispensable eu égard à la fin poursuivie » donc de leur contenu et de leur but. Distinguer de la
méthode unilatérale nous donne enfin un argument de plus pour affirmer que le juge tunisien n’est
pas dans l’obligation d’appliquer toutes les lois de police étrangères qui veulent s’appliquer dès lors
qu’elles ont un lien avec le litige. Encore faut-il que la fin poursuivie puisse être en harmonie avec
notre propre politique législative, auquel cas le juge devra, nonobstant la volonté d’application de la
loi de police étrangère, refuser de l’appliquer.
Cette application ou prise en considération de la loi de police ne peut cependant se faire qu’après
qu’elle ait été identifiée.

§2 : Critères d’identification :
Il est difficile de savoir quand on peut dire d’une règle qu’elle est de police. Cette difficulté existe tant
pour les lois de police du for (A) que pour les lois de police étrangères (B)
A/ Les critères d’identification des lois de police du for
Les indications du législateur sont vagues, l’article 38 les qualifiant de « lois dont l’application est
indispensable en raison des motifs de leur promulgation »
La doctrine n’est pas plus précise. Francescakis définit les lois de police comme étant « celles dont
l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique, sociale ou économique ».
Mais ce critère est trop large car toute loi est nécessaire pour sauvegarder l’organisation politique,
sociale ou économique. Il est en même temps trop étroit car toutes les lois de police ne visent pas
nécessairement la protection de l’Etat, ainsi en est-il par exemple des lois sur la protection du
consommateur qui visent la protection individuelle
57.
53 P.MAYER
54 A. MEZGHANI, manuel, p. 176, n°469; L.Chédly, « Lois de police et unilatéralisme (une lecture de l’article 38 du code de droit international privé », RJL juin
2001, n°6, p.27 et svts.
55 A. MEZGHANI, manuel, p. 176, n°469
56 « Les lois de police », TCDIP, journée du cinquantenaire, p. 105 et s., spéc. P. 109 ; voir aussi du même auteur, « Les lois de police étrangères », clunet 1981, p.
318, n°277.
57 P. Mayer, op.cit. , p.
27


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Pour Y. Loussouarn, « il n’y a pas de différence de nature entre les lois de police et les autres lois. Dans
les états modernes, on peut dire que toute loi tend pratiquement à garantir des intérêts économiques
ou sociaux... En réalité, il existe entre les lois de police et les autres lois une simple différence de degré,
de mesure, la qualification de loi de police ne peut résulter que d’un examen concret de chaque
disposition législative »
58.
Ce qui signifie qu’il n’y a en réalité pas de critères précis permettant d’identifier a priori les lois de
police. C’est ce qui explique que le législateur tunisien s’en soit tenu au caractère indispensable de
l’application des lois de police. C’est au juge de décider au cas par cas, si telle ou telle loi en raison des
motifs de sa promulgation, de son contenu donc doit ou non s’appliquer immédiatement.
Mais il est certain que les lois de police figurent parmi les lois impératives du for. C’est ainsi que le
Conseil d’Etat français dans un arrêt rendu le 29 juin 1973
59 a considéré que : « une entreprise ayant
son siège social à l’étranger, mais employant en France plus de 50 salariés ne saurait échapper à la
législation française sur les comités d’entreprise », qui est une législation impérative.
La Cour d’appel de Tunis dans un arrêt en date du 9 février 2001 (n°48119, inédit) a décidé que « les
dispositions des articles 720 et suivants du code de commerce relatives au crédit documentaire ne
sont pas des règles d’application immédiate au sens de l’article 38 du code de droit international privé
car rien dans leur contenu ni dans leur finalité n’exige une telle qualification et sans compter que ce ne
sont pas des règles impératives »
Les lois de police sont donc des règles d’ordre public, même si toute règle d’ordre public n’est pas une
loi de police. Ainsi que le précise l’arrêt, c’est le contenu et le but de la loi impérative qui doit nous
permettre de décider s’il s’agit ou non d’une loi de police. Le droit comparé est en général dans ce sens
et on peut citer à cet égard, l’article 18 LDIP suisse qui dispose : « Sont réservées les dispositions
impératives du droit suisse qui, en raison de leur but particulier sont appliquées quelque soit le droit
désigné par la présente loi »
Et c’est certainement en raison de leur caractère impératif ainsi que leur contenu et leur finalité qui a
amené le tribunal de première instance de Tunis dans un jugement rendu le 29 juin 2000 (inédit,
n°1259) à considérer que les règles relatives à l’interdiction des poursuites individuelles après le
jugement de faillite sont des règles d’application immédiate.
Ces décisions rendues après la promulgation du code montrent que les juges tunisiens maîtrisent le
concept de lois de police après une période de flottement où toute règle d’ordre public semblait devoir
être appliquée de manière immédiate. Cette attitude peut être imputée à la jurisprudence du
« privilège de nationalité » où, en matière de statut personnel et plus particulièrement le divorce, il a
été décidé sous l’empire du Décret du 12 juillet 1956 que « l’ordre public commande de ne pas priver
une citoyenne tunisienne du droit de demander le divorce »
60. En d’autres termes, les juges estimaient
nécessaire d’appliquer la loi tunisienne du divorce en raison de son caractère d’ordre public chaque
fois qu’une partie au procès (la femme) était tunisienne, nonobstant la désignation par la règle de
conflit d’une loi étrangère.
La méthode des lois de police peut ainsi mener à des décisions arbitraires et nationalistes qui ne sont
plus de mise en droit international privé tunisien dont l’article 38 préconise l’application des lois de
police étrangères.

B/ Les critères d’identification des lois de police étrangères- Plus de références et documents sur Legaly Docs
Ce sont les mêmes que ceux des lois de police du for : il faut que leur application soit nécessaire,
indispensable, eu égard à la fin poursuivie. C’est toujours le contenu et le but de la loi qui doit
permettre de l’identifier en tant que loi de police.
Mais le juge du for peut avoir plus de difficultés à identifier les lois de police étrangères que les lois de
police du for, car il ne peut apprécier exactement les impératifs de la politique de l’Etat étranger. Il
58 Cours général de DIP, RCADI, 1973, II, p. 328-329
59 G.A. n°53, Cie Générale des wagons-lits
60 Tunis, 27/7/1967, RJL 1968, p.400 (Rachel) ; voir aussi TPI n°28855 du 29/6/1999, inédit
28


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devra alors se conformer aux indications données par le législateur étranger lui-même, ou par la
jurisprudence étrangère, quant au domaine d’application de la règle.
Cette difficulté explique peut-être mieux qu’une éventuelle hostilité du juge du for à leur égard, la
rareté des décisions faisant application de lois de police étrangères.
Peu de décisions en effet ont appliqué des lois de police étrangères. En jurisprudence tunisienne, une
seule décision a, à notre connaissance, évoqué l’éventualité d’appliquer une loi de police étrangère.
Dans un jugement rendu par le tribunal de première instance de Tunis en date du 29 juin 2000
(inédit), l’article 51 du code civil italien interdisant les poursuites individuelles après le jugement
déclaratif de faillite invoqué par le défendeur a été qualifié de loi de police, mais il n’a pas été appliqué,
les poursuites ayant eu lieu avant le jugement de faillite.
En droit comparé, on peut citer l’arrêt Thuillier rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation le
31 mai 1972
61 : Il s’agissait en l’espèce d’un contrat de travail soumis à la loi française, mais la Cour de
cassation a approuvé les juges du fond d’avoir décidé que la loi sénégalaise, loi du lieu d’exécution du
travail « était applicable de plein droit en ce qui concernait ses dispositions relevant de l’ordre public
local, relatives à l’organisation ou à la réglementation administrative du travail et plus favorable aux
travailleurs » On peut également citer un arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu le 15 mai 1975
62 qui
a annulé la vente d’un immeuble situé au Vietnam, au motif que l’autorisation administrative
préalable prévue par la loi Vietnamienne n’avait pas été donnée alors que la loi applicable au contrat
était la loi française.
Cette loi de police étrangère peut être de droit public. Le législateur tunisien indique que : « le
caractère de droit public de la loi étrangère n’empêche pas son application ». Cette position est à
saluer car parfois, la jurisprudence, en droit comparé, a refusé d’appliquer la législation de change ou
la législation douanière étrangère
63. La raison qui en a été donnée est que ces lois de droit public
s’apparentent à des lois politiques et que le juge du for n’a pas été institué pour servir les intérêts de
l’Etat étranger, mais ceux du for
64. Mais ce refus de coopération est difficilement justifiable. Ainsi que
l’explique P.Mayer, « valider un contrat qui comporte une exportation de devises à partir du territoire
d’un Etat étranger qui la juge contraire à ses intérêts et l’interdit, c’est aller au delà d’un simple refus
de coopération, c’est délibérément entraver la politique de cet Etat »
65.
La notion de loi politique a également été évoquée dans l’arrêt rendu par la cour de cassation
tunisienne en 2005. Elle a en effet qualifié la loi américaine de boycott des entreprises représentant
des intérêts libyens de loi politique. Partant, elle a écarté son application au motif que l’article 38
alinéa 2 du code de droit international privé ne permet ni d’appliquer ni de prendre en considération
des lois politiques, celles-ci ne pouvant être qualifiées de lois de police, celles-ci poursuivant
nécessairement d’autres objectifs que les mesures de représailles économiques dirigées contre un
Etat
66. Or les objectifs poursuivis par une loi de police sont multiples, ils peuvent être d’ordre
politique, économique ou social. Ainsi, l’association de droit international (ILA) dans son rapport sur
les lois de police (2002) définit celles-ci comme étant « les lois qui déterminent les intérêts essentiels
des Etats, d’ordre politique, sociaux ou économiques »
67. C’est aussi cette définition qui a été retenu
dans l’article 9 du règlement Rome 1 sur la loi applicable aux obligations contractuelles du 4 juillet
2008 qui les définit comme étant une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un
pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou
économique ». Et puis à partir du moment où un Etat qualifie ces normes de lois de police, on ne peut
que s’incliner puisque c’est lui qui qualifie.
61 Société Expand Afrique Noire/Melle Thuillier, RC, 1973, p.683, note Lagarde(P.) ; JCP 1973, II, 17317, note Lyon-Caen (G.)
62 RC 1976, p.690, note Batiffol (H.)
63 Civ. 16/10/1967, D. 1968, 445, note Mezger, R.C 1968, 661, note Eck, Colmar, 16/2/1937, R.C. 1937, 685, note HB, D. 1939
64 Mayer, manuel, n°106
65 Mayer, manuel, n°106
66 S.Bostangi, « la cour de cassation à l’épreuve.. », précité.
67 Voir le rapport, in R.A. 2002-4, p.1067, commenté par P.Mayer, voir aussi sur la notion de lois politiques, A.Mezghani, Méthodes de droit international privé et
contrat illicite
, précité.
29


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Mais bien entendu, le juge du for ne servira les impératifs de l’Etat étranger que dans la mesure où ils
lui paraissent légitimes. Le juge pourra par exemple refuser d’appliquer une règle étrangère visant à
instaurer un embargo sur des marchandises à destination d’un pays tiers ami de la Tunisie
68.
Section 2 : Les règles matérielles spécifiques aux relations internationales
De la même manière qu’il existe des règles substantielles régissant les relations privées internes, des
règles substantielles pourront régir les relations privées internationales. Cependant si le premier
procédé est courant, c’est normalement des règles matérielles qui régissent les relations privées
internes, le second procédé est assez exceptionnel.
La méthode indirecte des règles de conflit de lois est beaucoup plus répandue. Dans le code de droit
international privé, aucune règle matérielle n’est prévue en matière de conflit de lois. Ce qui ne veut
pas pour autant dire que ces règles n’existent pas en droit international privé tunisien. Elles existent
principalement en matière de commerce et d’arbitrage international.
En matière d’arbitrage international, l’article 7 du code de l’arbitrage de 1993 dispose que l’Etat et les
établissements publics à caractère administratif et les collectivités locales peuvent compromettre
dans les « contestations découlant de rapports internationaux d’ordre économique, commercial ou
financier » Si la question est relative à la capacité de l’Etat ou de ses émanations de compromettre, la
solution est donnée directement par cette règle matérielle ; elle n’est pas tributaire de la mise en
œuvre d’une règle de conflit.
Toujours en matière d’arbitrage international, l’article 61-1 du code de l’arbitrage pose le principe de
l’autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat en ces termes : « La constatation de
nullité du contrat par le tribunal n’entraîne pas de plein droit la nullité de la clause compromissoire ».
La question de l’autonomie ou de la validité de la clause compromissoire n’est pas soumise à une règle
de conflit mais elle est réglementée directement par la loi.
Les règles substantielles spécifiques au commerce international ne sont pas nécessairement d’origine
législative ; elles peuvent être d’origine jurisprudentielle. C’est le cas d’ailleurs de ces deux règles
matérielles qui ont d’abord été posées par la jurisprudence
69 avant leur codification.
Ces règles peuvent aussi être posées dans des Conventions internationales. On peut citer à cet égard,
l’article 66 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les contrats de vente internationale de
marchandises qui dispose : « La perte ou la détérioration des marchandises survenue après le
transfert des risques à l’acheteur ne libère pas celui-ci de son obligation de payer le prix, à moins que
ces événements ne soient dus à un fait du vendeur »
Ces règles fonctionnent comme les règles ordinaires régissant les relations internes. Leur spécificité
réside dans le fait qu’elles régissent uniquement les relations internationales.
Ce procédé de réglementation des relations privées internationales n’est cependant pas autonome par
rapport aux règles de conflit. En effet les règles matérielles édictées par un Etat donné ne peuvent
s’appliquer que si le droit de cet Etat est désigné compétent par la règle de conflit. Cette absence
d’autonomie des règles matérielles est critiquée, certains considèrent que le juge saisi peut appliquer
ses propres règles matérielles spéciales aux relations internationales. Mais ce n’est pas cette solution
qui prévaut, la convention de Vienne, par exemple, a choisi la première : c’est seulement quand la
règle de conflit désigne le droit d’un Etat signataire que les règles substantielles prévues dans la
convention s’appliquent.
Titre 2 : La solution du conflit de lois par la mise en œuvre de la règle de conflit de lois
Saisie d’une question de droit international privé, l’autorité publique (le juge, généralement) devra
choisir entre les différentes règles de conflit, celle qu’il devra mettre en œuvre (Chapitre 1) Cette règle
de conflit peut désigner une loi étrangère que le juge est normalement tenu d’appliquer (Chapitre 2)
68 Voir sur cette question, jugement du tribunal d’arrondissement de la Haye du 17/9/1982 dans l’affaire Sensor, R.C. 1983, 473, Audit, « extraterritorialité et
commerce international. L’affaire du gazoduc sibérien », RC 1983, 401
69 TPI 22/3/1976, RTD 1977 (I), p.31 en arabe ; RA 1976, p.268
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Chapitre 1 : Le choix de la règle de conflit
La règle de conflit bilatérale sur laquelle portera l’essentiel de notre raisonnement puisque c’est la
règle usuelle en droit international privé se compose d’un présupposé qui est la catégorie de
rattachement et d’une conséquence juridique qui est la loi applicable laquelle est désignée par un
élément de rattachement. Il nous faut analyser ces deux composantes de la règle de conflit : catégorie
de rattachement (Section 1) et élément de rattachement (Section 2) avant de nous interroger sur son
autorité (Section 3)
Section 1 : La catégorie de rattachement
La résolution d’un litige passe par le choix des règles applicables aux questions juridiques posées. En
droit interne le choix se fait entre les différentes règles substantielles de l’ordre juridique interne. En
droit international privé, il faut choisir entre les diverses règles de conflit de lois. Pour pouvoir
effectuer ce choix, il faut préalablement qualifier les faits. L’opération de qualification prévue par
l’article 27 du code de droit international privée est habituellement complexe en droit interne comme
en droit international privé où elle présente un certain nombre de spécificités (§1). Et s’il faudra
utiliser en droit international privé les concepts du droit interne pour opérer la qualification, selon le
principe de la qualification lege fori (§2), ce principe devra parfois être infléchi pour tenir compte des
impératifs propres à la matière (§3)
§1 : Les spécificités de la qualification en droit international privé
La qualification est une opération qui n’est pas spécifique au Droit International Privé. Les questions
sont parfois les mêmes en droit interne et en Droit International Privé, il s’agira de qualifier un
contrat, savoir par exemple, s’il s’agit d’un contrat de vente ou d’un contrat d’entreprise, de
déterminer qui a vocation à hériter etc.
Mais la qualification n’est pas toujours aussi simple en Droit International Privé. Elle se complique
parfois quand les faits invoqués à la base de la prétention des parties sont fondés sur la loi étrangère.
C’est la question dite du concept inconnu du droit du for (A) La seconde difficulté résulte de
l’existence d’un conflit de qualification (B)
A/ Le concept inconnu du droit du for
Les parties vont parfois demander à ce qu’on leur accorde le bénéfice d’institutions étrangères,
inconnues du droit du for. On a ainsi demandé aux juges français le bénéfice de « la quarte du conjoint
pauvre »
70 ou de biens ayant fait l’objet d’un « majorat perpétuel »71 et aux juges tunisiens de
prononcer l’affiliation de trois enfants mineurs
72. Pour pouvoir classer l’institution dans l’une des
catégories de rattachement du droit du for, les juges ont chaque fois eu besoin de comprendre la
question qui leur est posée. Pour ce faire, ils ont, et c’est logique, interrogé le droit d’origine de
l’institution en cause (le droit anglo-maltais, le droit russe, le droit italien) afin de l’analyser et de
pouvoir opérer leur classement.
C’est cette démarche qui a été entérinée par le législateur tunisien qui, dans l’article 27 para 2,
commande que: « Aux fins de qualification, l’analyse des éléments d’une institution juridique inconnue
du droit tunisien s’effectue conformément au droit étranger auquel elle appartient ». Le juge devra
donc interroger le droit étranger pour connaître l’institution et l’analyser. Par la suite, une fois les
termes de la question de droit identifiées, il classera l’institution dans la catégorie juridique du for ou
selon la formule heureuse de Melchior, il placera « l’étoffe étrangère dans les tiroirs du système
national ».
Le classement qu’il effectuera peut être différent de celui du droit étranger dans l’hypothèse du conflit
de qualification
B/ Le conflit de qualifications
70 Alger, 24/12/1889, GA n°9, Vve Bartholo
71TGI Seine, 12/1/1966, RC 1967, p.120, note Loussouarn, JCP 1967, II, 15266, Stroganoff-Sherbatoff
72 TPI Tunis, 25/3/1959, RTD 1962, p.75, note J-M.Verdier
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Le « conflit de qualification » existe dès lors que la qualification opérée par le droit du for diverge de
celle opérée par le droit du pays étranger avec lequel la question posée présente des points de contact.
Ainsi, la question de la prescription d’une créance contractuelle est classée dans la catégorie des
contrats par le droit tunisien dont l’art. 64 CDIP dispose: « Le droit applicable au contrat régit
notamment : 6/ les divers modes d’extinction des obligations ainsi que leur prescription fondée sur
l’expiration des délais », et dans la catégorie « procédure » par le droit anglais. La question, posée en
Tunisie, de la prescription d’une créance soumise à la loi anglaise soulève un conflit de qualifications.
De même, la question de la succession d’une française décédée en Tunisie soulève un conflit de
qualification, le droit français intégrant les successions dans la catégorie du statut réel alors que le
droit tunisien les classe dans le statut personnel.
Ce conflit a été découvert pour la première fois en 1891 en Allemagne par Kahn, et, en 1897 en France
par Bartin. Tous deux sont parvenus à la même solution : il faut qualifier lege fori, selon les concepts
du droit interne du for.
§2/ Le principe de la qualification lege fori
C’est à cette solution que nous invite le législateur tunisien dans l’article 27 para 1 : « La qualification
s’effectue selon les catégories du droit tunisien si elle a pour objectif d’identifier la règle de conflit
permettant de déterminer le droit applicable ». La qualification selon les concepts du droit du for n’est
cependant justifiée (A) selon le texte que si cette qualification est un préalable à la détermination du
droit applicable (B)
A/ Justifications du principe
La qualification lege fori est justifiée car il s’agit d’interpréter la volonté de l’auteur des règles de
conflit. S’agissant de l’application de la règle de conflit du for, il faut la prendre dans le sens qu’elle a
dans l’esprit du législateur du for :
Ejus est interpretari cujus est condere (c’est à celui qui pose une
règle qu’il convient de l’interpréter). Or la démarche, à ce stade, consiste justement à interpréter la
volonté de l’auteur des règles de conflit : quelles questions a-t-il voulu englober dans chaque
catégorie ? Parfois, le travail du juge est facilité parce que le législateur prend soin de déterminer le
contenu des catégories de rattachement. Ainsi par exemple, l’article 64 du code que nous avons
examiné précédemment détermine le domaine de la loi d’autonomie.
La qualification lege fori s’impose également parce que l’opération est un préalable à la détermination
de la loi applicable. Le juge ne dispose que des seuls concepts du droit du for, ne sachant pas si une loi
étrangère sera désignée compétente ni de quelle loi il s’agira éventuellement. Il n’y a donc aucune
possibilité de se référer à la « lex causae » pour qualifier, la qualification ayant justement pour but de
permettre la désignation de la lex causae.
Le principe de la qualification lege fori, admis par tous les systèmes juridiques73, n’est pas nouveau en
Droit International Privé tunisien. Il était appliqué par la jurisprudence, même s’il n’existait pas en la
matière un arrêt de principe. La Cour d’appel de Sousse dans un arrêt en date du 20 octobre 1977
74
avait ainsi intégré le régime matrimonial d’époux de nationalité française dans la catégorie du statut
personnel alors que le droit français classe la question dans la catégorie des contrats. Et s’agissant de
la succession d’une française ouverte en Tunisie, les juges ont intégré la question dans la catégorie du
statut personnel sans ce soucier de la qualification étrangère qui classe les successions dans le statut
réel
75.
Cependant le principe de la qualification lege fori n’est pas absolu, il présente des limites.
B/ Limites
Si l’un des fondements du principe est la source nationale de la règle de conflit, il faut admettre que ce
principe n’est plus de mise si la règle a une origine internationale car posée par une convention
73 Voir notamment en droit français, Civ. 1ère, 22/6/1955, R.C.1955, p. 723, note Batiffol(H.), D.1956, p. 73, note Chavrier, G.A. n°28, « Caraslanis »
74 Arrêt n°5244, RTD 1979 (I), p.128, note Hachem (M.), partie en langue arabe
75 Tb ; 1ère inst. De Mahdia, 31/10/1988, R.J.L., 1990, n°3, p. 119 ; Monastir n°285, 9/5/1990, R.TD 1991, p. 525, note Gara (N.) ; Civ. N°28151, 23/3/1993, p.
409, obs. Gara(N.), « Cachia »
32


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internationale. Dans ce cas, la qualification « sera effectuée en fonction des catégories particulières
des traités en question » ainsi que l’exige l’article 27 CDIP.
De même, si l’on justifie le principe par le caractère préalable de la qualification, il faut admettre que
dans tous les cas où de la qualification ne dépend pas le droit applicable, celle-ci peut être menée
selon les concepts du droit étranger. Cette qualification, appelée qualification en sous ordre, se
rencontre notamment en matière de statut réel. Le statut réel mobilier et immobilier est régi par « la
loi de la situation du bien », conformément à l’article 58 du CDIP. Pour mettre en oeuvre cette règle de
conflit, le juge n’a pas besoin de passer par le préalable de la qualification : que le bien soit meuble ou
immeuble, c’est la même loi qui s’applique. Il peut donc, une fois désignée la loi applicable, qualifier
par référence à celle-ci. C’est la raison pour laquelle le législateur a, dans l’article 57, qui se présente
comme une application de l’article 27 paragraphe 1, posé la règle selon laquelle « les biens sont
qualifiés meubles ou immeubles selon la loi de l’Etat sur le territoire duquel il se trouve »
En dehors de ces hypothèses, la qualification lege fori s’impose, même si dans certains cas, elle subit
un certain infléchissement.
§3: L’infléchissement du principe de la qualification lege fori
L’article 27 alinéa 3 exige que lors de la qualification, il soit tenu compte des différentes catégories
juridiques internationales (A) et des spécificités du droit international privé (B)
A : La prise en compte des différentes catégories juridiques internationales
Les catégories sont en général définies par référence à des institutions juridiques comme le
« mariage », la « filiation », l’« adoption », le « contrat ». Pour déterminer la signification de ces
institutions, on en demande le sens au droit interne, conformément au principe de la qualification lege
fori.
Cette démarche pour exacte et fondée qu’elle soit doit néanmoins être infléchie pour accueillir des
institutions étrangères inconnues ou même prohibées du droit du for. Si la question posée est par
exemple celle de la validité d’une union polygamique, on ne pourrait, en suivant la démarche de la
qualification lege fori, désigner aucune loi car une telle union n’entre pas dans la définition tunisienne
du mariage qui ne connaît que le mariage monogamique. Un tel système n’est pas viable en droit
international privé où l’ensemble des règles de conflit tunisiennes « doit pouvoir couvrir l’ensemble
des questions de droit qui sont susceptibles de se poser en relation avec n’importe lequel des ordres
juridiques qui coexistent dans le monde »
76.
C’est dans ce sens et afin d’élargir les catégories de rattachement du droit international privé qu’un
auteur allemand, Raape, avait proposé d’élaborer des catégories dont le contenu, déterminé après une
étude de droit comparé, serait suffisamment vaste pour accueillir toutes les institutions étrangères.
Mais c’est une tâche trop ardue pour le législateur.
Encore que l’on peut, toutes proportions gardées par ailleurs, rapprocher cette démarche de celle faite
par le législateur tunisien dans l’article 2 de l’ancien Décret du 12 juillet 1956. Cet article d’abord posé
pour résoudre des conflits interpersonnels est demeuré inchangé quand le Décret devint une règle de
conflit internationale
77. Lors des conflits interpersonnels, trois lois avaient vocation à s’appliquer : le
droit français pour les tunisiens non musulmans et non juifs, le droit musulman pour les tunisiens
musulmans et le droit mosaïque pour les tunisiens de confession israélite. Le législateur a englobé
dans la catégorie du statut personnel les principales institutions connues par ces trois droits
susceptibles d’être appliqués. Ainsi a-t-il invoqué la répudiation institution musulmane et israélite, la
légitimation d’enfants naturels institution française dans la catégorie statut personnel. Avec
l’unification de la législation et de la justice à l’indépendance, les conflits de lois internationaux ont
succédé aux conflits de lois interpersonnels. L’éventail des lois applicables devient plus large et le juge
a dû par voie de conséquence élargir la catégorie du statut personnel en droit international privé.
76 P.MAYER, manuel,
77 Voir, supra.
33


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Il a en cela suivi la démarche du législateur en l’inversant toutefois : les juges sont ainsi partis des
institutions de droit interne et les ont élargi de façon à englober des notions étrangères suffisamment
proches. L’affiliation du droit italien a ainsi été qualifiée de petite adoption
78. Il ne s’agit plus de la
notion précise de l’adoption du droit interne, mais d’une notion centrée sur elle, plus large et plus
vague
79. Le législateur a montré l’exemple et la jurisprudence l’a suivie : les catégories du droit
international privé ne sont pas la transposition pure et simple des catégories de droit interne, elles
sont plus larges afin d’accueillir les institutions inconnues et même prohibées du droit interne.
Cette démarche, consacrée par l’article 27 CDIP, est donc toujours de mise en droit international privé
tunisien ; elle est par ailleurs confirmée par l’article 49 CDIP qui cite avec le divorce, la séparation de
corps, institution inconnue du droit interne tunisien.
Enfin, le législateur recommande que lors de la qualification il soit tenu compte des spécificités du
droit international privé
B : La prise en compte des spécificités du droit international privé
La question de droit à qualifier peut être classée dans une ou plusieurs catégories entre lesquelles il
faut choisir. Il faut donc interpréter les règles de conflit en présence pour découvrir leur domaine
respectif d’application. Pour ce faire, il faut rechercher la raison d’être de chaque rattachement : la
question de droit doit entrer dans la catégorie à laquelle est affecté le rattachement qui lui convient le
mieux, compte tenu des motifs qui ont déterminé son adoption
80.
Pour classer une question dans la catégorie forme ou fond, par exemple, il faut s’interroger sur les
raisons qui ont présidé au choix de chacun de ces rattachements. La forme des actes est en général
soumise à la loi du lieu où ils interviennent pour des raisons de commodité pour les parties. En
revanche le rattachement à la loi nationale des questions de fond relatives au statut personnel est
motivé par l’idée d’indisponibilité des questions relatives au statut personnel et par la nécessité d’une
certaine permanence. Selon que l’on voudra faire prévaloir l’une ou l’autre idée (idée de commodité
ou de permanence), on classera dans l’une ou l’autre catégorie.
L’arrêt Sylvia rendu par la Cour de cassation française le 25 juin 195781 en est une excellente
illustration. La question posée était la suivante: L’acte accompli par un dément est-il valable ? En droit
interne français, l’acte est nul pour défaut d’une condition essentielle de validité et la démence
considérée comme un vice de consentement. A s’en tenir à la qualification du droit interne français, la
démence aurait du être soumise à la loi applicable au contrat. La Cour de cassation française a
cependant qualifié la démence d’incapacité, soumise à la loi nationale car celle-ci permet mieux de
protéger la personne dans la mesure où, pour éviter la protection particulière prévue par le droit
national, l’un des contractants peut chercher à soumettre le contrat à une loi moins protectrice. C’est
donc en interrogeant la fonction des rattachements qu’une qualification spécifique a pu se faire dans
un souci de protection de la partie invoquant la démence.
C’est maintenant le critère de rattachement dont nous venons d’exposer l’importance de la fonction
dans l’opération de qualification qu’il nous faut à présent examiner.
Section 2 : L’élément de rattachement
Tout comme la catégorie de rattachement, l’élément de rattachement sera qualifié selon les concepts
du droit du for. C’est au droit tunisien, qu’il reviendra de définir la notion de domicile, par exemple.
En dehors de la question du domicile, les autres critères de rattachement ne posent pas de problèmes
particuliers. L’article 39 CDIP donne la solution en cas de conflit de nationalités : ainsi si une personne
possède plusieurs nationalités, le juge retiendra la nationalité effective. En cas de conflit avec la
nationalité tunisienne ne sera retenue que la nationalité tunisienne, c’est ce qu’il faut comprendre de
78 Tb. Civ. De Tunis, 25/3/1959, RTD 1962, p. 75, note Verdier
79 P.MAYER, manuel
80 P.MAYER
81 JCP 1957, IV, p.117 ; RC 1957, p.680, note H.BATIFFOL
34


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l’article 39 dernier alinéa qui dispose que « si le plurinational est également de nationalité tunisienne
le droit applicable est le droit tunisien »
Le statut personnel étant soumis dans l’alinéa premier au droit national de l’intéressé, le statut
personnel du tunisien sera régi par le droit tunisien.
La question qui se pose à propos de l’élément de rattachement est la suivante. L’élément de
rattachement est susceptible de changement : changement de nationalité, changement de domicile,
déplacement d’un meuble d’un pays à un autre. Ce changement est volontaire et il est nommé conflit
mobile (§1). Parfois ce changement volontaire est frauduleux, c’est la question de la fraude à la loi (§2)
§1/ Le conflit mobile
Il nous faut d’abord en préciser la notion (A) avant de lui donner une solution (B)
A/ La notion
On peut définir la notion de conflit mobile découvert par Bartin de la manière suivante : par le
changement d’un élément de rattachement, une situation donnée se trouve successivement soumise à
deux systèmes juridiques différents ; par exemple, un meuble acquis à l’étranger est importé en
Tunisie, un étranger se fait naturaliser tunisien.
Il faut cependant préciser que tous les critères de rattachement ne sont pas susceptibles de
changements, seuls la nationalité, le domicile et le lieu de situation du meuble peuvent être changés. Il
faut aussi que la règle de conflit admette la mobilité du facteur de rattachement. Ce n’est pas le cas de
l’article 48 CDIP qui fige le rattachement en matière de régimes matrimoniaux à la loi nationale
commune des époux lors de la célébration du mariage et à la loi du premier domicile commun pour les
époux de nationalité différente. L’article 56 fige aussi le rattachement en matière de donation à la loi
nationale du donateur au moment où elle est consentie.
En dehors de ces hypothèse, dès lors qu’il y a changement de l’élément de rattachement, le problème
se pose de déterminer les domaines respectifs de la loi ancienne et de la loi nouvelle.
B/ Solutions
L’exposé des solutions doctrinales (1) nous permettra de mieux comprendre la solution législative (2)
1/ Les solutions doctrinales
Deux thèses ont été présentées, celle d’abord du respect international des droits acquis (a) et ensuite
celle appelant à l’application aux conflits mobiles des règles générales du droit transitoire interne (b)
a : Le respect international des droits acquis
La théorie du respect international des droits acquis signifie que les droits régulièrement acquis selon
la loi d’un pays restent régis par cette loi. Selon cette théorie, les effets d’un mariage doivent rester
soumis à la loi sous l’empire de laquelle il a été contracté, même en cas de changement de nationalité
des époux. Ainsi, mariés sous l’empire d’une loi qui n’admet pas le divorce, les époux ont un droit
acquis à l’indissolubilité du mariage même s’ils ont obtenus une nouvelle nationalité selon laquelle le
mariage peut être dissous.
La théorie des droits acquis est fondée sur l’idée de la nécessaire stabilité des droits ou institutions
dans l’ordre international. Elle présente l’inconvénient majeur de figer les situations en les
maintenant sous l’empire d’une loi avec laquelle ils n’ont plus de liens significatifs.
b : L’application des règles générales du droit transitoire interne
La transposition des règles générales du droit transitoire interne82 au conflit mobile se justifie car il
s’agit d’une question à peu près semblable : deux lois régissant la même situation se succèdent. Il y a
bien sûr des différences : ainsi, en droit interne, les deux lois émanent du même législateur, la
deuxième abrogeant l’autre, alors que dans le conflit mobile les deux lois n’émanent pas du même
82 Voir pour l’exclusion des règles spéciales du droit transitoire interne, arrêt +note et peut-être 2 ou 3 mots ?
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législateur et sont en vigueur dans leur territoire respectif. Mais ces différences ne sont pas
fondamentales car vis à vis de la situation juridique, la question se présente de la même manière :
deux lois se trouvent successivement applicables et il s’agit de savoir dans quelle mesure les effets de
la situation initiale se trouvent régis par la loi nouvelle. Les principes de non rétroactivité et
d’application immédiate de la loi nouvelle peuvent donc parfaitement être transposés au conflit
mobile. C’est la solution pour laquelle a opté le législateur tunisien.
2/ La solution du code de droit international privé
L’article 29 qui n’utilise ni l’expression de conflit mobile ni celle de changement volontaire semble
bien concerner la question. En effet, il dispose que : « La loi applicable est désignée selon le cas soit en
fonction de l’élément de rattachement existant au moment de la naissance de la situation juridique,
soit en vertu de celui existant au moment où se produisent les effets de cette situation juridique » La
première hypothèse serait celle où le critère de rattachement n’a subi aucun changement ; le juge
appliquera alors celui existant au moment de la naissance de la situation juridique. La deuxième
hypothèse serait celle du changement du critère de rattachement entre le moment de la naissance de
la situation juridique et le moment de la production de ses effets. Le juge prendra en considération le
dernier critère de rattachement et non le premier pour régir les effets de la situation juridique, ses
conditions de validité restant régies par la loi ancienne, en vertu du principe de non rétroactivité.
Cette solution des conflits mobiles avait été adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt du 16 juin
1977
83. Les faits de l’espèce étaient les suivants : Un tunisien s’est marié avec une française et a
obtenu par la suite la nationalité française. Il s’est adressé aux tribunaux tunisiens pour demander le
divorce. Ayant la nationalité française lors de l’introduction de l’instance, les juges ont appliqué au
divorce, la loi nationale commune des époux, la loi française. En cas de changement de nationalité
entre la date du mariage et celle du divorce, c’est cette dernière nationalité qui doit être prise en
considération pour régir la dissolution du lien, selon la Cour de cassation tunisienne, solution
entérinée dans le Code de DIP
84.
A ce titre, l’article 49 du Code qui dispose que le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi
nationale commune des époux en vigueur au moment où l’instance est introduite, se présente comme
une application de la règle posée par l’article 29. De même en est-il de l’article 47 qui prévoit
l’application pour les obligations respectives des époux n’ayant pas la même nationalité de la loi du
dernier domicile conjugal. Sont aussi à ranger comme étant une application de l’article 29, les règles
de conflit visant les successions ab intestat et les successions testamentaires dans la mesure où la
première les rattache à la loi du dernier domicile du decujus (article 54) et la seconde à la loi nationale
du testateur au moment du décès.
La transposition au plan international des dispositions générales relatives aux conflits de lois dans le
temps, est une règle de bon sens. Il est en effet sans intérêt de faire régir des situations juridiques
internationales par une loi avec laquelle elles n’ont plus de rattachement significatif.
Cette règle n’est cependant pas applicable si le changement est frauduleux.
§2 : Le changement frauduleux
Selon l’article 30 para 2 : «Lorsque les conditions de la fraude à la loi sont réunies, il ne sera pas tenu
compte du changement de l’élément de rattachement».
Les conditions de la fraude à la loi sont déterminées par le paragraphe 1 de l’article 30. Elles sont au
nombre de deux : il faut d’abord un élément matériel, le changement de l’un des éléments de
rattachement prévus par la règle de conflit. Ce changement doit être artificiel et ne pas correspondre à
la situation juridique réelle.
Mais le caractère artificiel du changement ne pourra être déduit que de l’élément intentionnel. Le
changement doit avoir été fait dans «l’intention d’éluder l’application du droit tunisien ou étranger
désigné par la règle de conflit applicable». Le législateur sanctionne ainsi la fraude à la loi tunisienne,
83Civ.n°1387 du 16/6/1977, Bull. civ. II, p.43
84 Voir pour une application de l’article 29, TPI Tunis, n°11930 du 29/6/2000, inédit, attendus principaux in le CDIP commenté, p.435.
36


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mais également la fraude à la loi étrangère. Il manifeste par là son souci de traiter la loi étrangère et la
lex fori sur un pied d’égalité.
Depuis la promulgation du code, une seule décision a, à notre connaissance, mis en œuvre la fraude à
la loi. Il s’agit de la décision rendue par le Tribunal de première instance de Sousse le 24 novembre
2001
85 qui a sanctionné une fraude à la loi tunisienne. Il s’agissait en l’espèce d’un Egyptien
régulièrement marié à une tunisienne et domicilié en Tunisie qui s’est rendu en Egypte afin d’y
célébrer une union polygamique avec une autre tunisienne. Les juges ont considéré qu’un « Egyptien
domicilié en Tunisie depuis 15 ans et marié à une tunisienne, qui se rend en Egypte pour y célébrer un
second mariage avec une autre tunisienne elle-même domiciliée en Tunisie, a pour unique but
d’échapper à l’application de l’article 46 alinéa 2 qui exige un certificat de célibat pour la célébration
d’un tel mariage » Et les juges considèrent pour finir que la preuve de l’intention de frauder la loi se
déduit du changement frauduleux du critère de rattachement.
La Cour de cassation française a, dans son arrêt célèbre rendu le 18 mars187886 connu d’une affaire
de fraude à la loi : la princesse de Bauffremont belge d’origine est devenue française par son mariage
avec le prince de Bauffremont, citoyen français. Quelques années après le mariage, les époux
obtiennent une décision française de séparation de corps, le droit français, n’admettant pas à l’époque
des faits, le divorce. Pour pouvoir épouser le prince Bibesco, de nationalité roumaine, la princesse
s’installe dans un Etat allemand et obtient la nationalité allemande.
Désormais sujette de cet Etat allemand, elle recouvre sa liberté matrimoniale grâce à sa nouvelle loi
nationale qui considère comme divorcés les catholiques séparés de corps. La Cour de cassation
française a considéré que le second mariage n’était pas opposable au prince de Bauffremont car la
princesse « avait sollicité et obtenu cette nationalité nouvelle, non pas pour exercer les droits et
accomplir les devoirs qui en découlent, …, mais dans le seul but d’échapper aux prohibitions de la loi
française en contractant un second mariage ».
Dans cet arrêt, il y a eu sanction de la fraude à la lex fori, loi française. Et c’est seulement à la suite
d’une longue évolution jurisprudentielle que le droit international privé français a admis la fraude à la
loi étrangère. Dans un arrêt rendu par la Cour de Paris le 12 décembre1963, il y a eu refus de tenir
compte de la fraude éventuelle à la loi étrangère
87. Mais dans celui rendu par la même Cour, le 18 juin
1964
88, la fraude à la loi étrangère a été sanctionnée. Cette solution n’a cependant reçu l’aval de la
Cour de cassation française qu’en 1977
89 confirmé dans l’arrêt Société Lafarge90 qui sanctionne la
fraude quand « les parties ont volontairement modifié un rapport de droit dans le seul but de le
soustraire à la loi normalement compétente », qui peut être la lex fori ou la loi étrangère. Une fois la
règle de conflit interprétée, la question qui se pose est celle de son autorité.
Section 3: L’autorité de la règle de conflit
L’autorité de la règle de conflit, selon l’article 28 CDIP, varie selon la matière qu’elle a pour objet.
Quand elle a pour objet « une catégorie de droits dont les parties n’ont pas la libre disposition », elle
est d’ordre public. « Dans les autres cas, la règle est obligatoire pour le juge, à moins que les parties
n’aient explicitement manifesté leur volonté de décliner son application »
Partant, la règle de conflit est obligatoire pour le juge, quelque soit son objet, qu’elle porte ou non sur
une catégorie de droits disponibles ou indisponibles. La solution est heureuse car la règle de conflit
étant une règle de droit, elle s’impose au juge placé sous l’autorité de la loi. La distinction entre
catégorie de droits disponibles ou indisponibles n’a donc d’effets que sur les parties. Quand la règle de
conflit a pour objet des droits dont les parties n’ont pas la libre disposition, la règle de conflit est
d’ordre public, les parties ne peuvent renoncer à son application. En revanche, quand la règle de
85 TPI, Sousse, n°9672 du 24/11/2001, RTD 2002, p.195, note Souhayma Ben Achour ; Voir aussi le CDIP commenté, p. 442.
86 S.1878, I, p. 193, note Labbé; G.A. n°4
87 Clunet, 1965, 1222, note J-D. Bredin
88 Clunet 1964, 810, note Bredin, RC 1967, 340, note Deprez
89 Civ. 1ère, 11/7/1977, RC 1978
90 Civ. 1ère, 17/5/1983, RC 1985, 346, note Ancel
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conflit a pour objet des droits disponibles, les parties peuvent décliner son application après en avoir
explicitement manifesté la volonté.
La solution de l’article 28 est partiellement nouvelle. En effet, dès 1964, la Cour de cassation
tunisienne avait affirmé le caractère d’ordre public du Décret du 12 juillet 1956, en ces
termes : « Attendu que l’expression « les étrangers sont soumis » utilisée par le législateur dans
l’article premier sus-indiqué implique que les dispositions de ce Décret à caractère impératif sont
d’ordre public. Les étrangers ne peuvent donc y déroger par un commun accord, de même que les
tunisiens ne peuvent pas éviter l’application des dispositions du Code du statut personnel »
91. C’est
donc parce que le Décret du 12 juillet 1956 portait sur une matière d’ordre public qu’il a été considéré
par la Cour comme d’ordre public. On peut alors considérer que l’article 28§1 n’a fait qu’entériner une
jurisprudence bien établie depuis 1964.
Mais la nouveauté du Code réside dans l’affirmation du caractère supplétif des règles de conflit
portant sur une catégorie de droits disponibles. En effet, à notre connaissance, aucune décision
antérieure au code n’avait consacré une telle solution. Par ailleurs, le terme d’ordre public a été
remplacé par « droits dont les parties n’ont pas la libre disposition », ce qui pousse l’interprète à se
demander si les deux expressions ont le même sens, si la notion d’indisponibilité des droits est
réductible à celle d’ordre public.
Et plus généralement, la question se pose de savoir comment distinguer entre droits dont les parties
ont la libre disposition et droits dont elles n’ont pas la libre disposition (§1), puisque l’autorité de la
règle de conflit en dépend (§2)
§1 : La distinction entre droits disponibles et droits indisponibles
La mise en œuvre de la distinction entre droits disponibles et droits indisponibles s’avère
particulièrement difficile. Elle pose d’abord le problème de savoir selon quelle loi la qualification doit
être menée (A) ; une fois résolue cette question, il faut tenter de cerner les contours de la notion de
libre disponibilité, que presque tout le monde s’accorde à dire qu’ils sont fuyants (B). Enfin, il faut
s’interroger sur la question de savoir s’il faut raisonner
in globo, par catégorie, ou droit par droit (C)
A : La loi applicable à la qualification
La qualification lege causae devrait normalement être écartée (a) au profit de la qualification lege fori
(b)
a - Le rejet de la qualification lege causae
En faveur de la qualification selon la lex causae, il a été soutenu92 que la loi évincée n’est pas la règle
de conflit elle-même ; mais la loi étrangère. Quand il s’agit de droits disponibles, les parties peuvent
renoncer à l’application de la loi étrangère. C’est donc celle-ci qu’il faut interroger pour savoir s’il
s’agit ou non d’un droit disponible.
Cette solution préconisée par une partie de la doctrine française93, n’est cependant pas viable en droit
international privé tunisien. L’article 28§ 2 dispose en effet que: « Dans les autres cas, (droits dont les
parties ont la libre disposition), la règle (sous entendu règle de conflit) est obligatoire pour le juge, à
moins que les parties n’aient explicitement manifesté leur volonté de décliner son application » (sous
entendu application de la règle de conflit). Il s’ensuit, selon le droit international privé tunisien, que
l’objet de la renonciation est la règle de conflit et non la loi étrangère.
D’autres arguments ont été avancés en faveur de la qualification lege causae. S’agissant de la
substance même des droits, P.Mayer considère que la question de leur disponibilité ou non devrait
logiquement être soumise à la
lex causae, loi dont le droit tire sa source94.
La qualification lege causae n’est cependant pas viable, en raison du cercle vicieux auquel elle mène.
Car finalement, le juge, en interrogeant la loi étrangère, que va-t-il lui demander sinon s’il peut se
91 Civ. 2 avril 1964, Bull. civ. 1964, p.15, clunet 1968, p.121, chr. M.Charfi
92 Note sous G.A. n°33-35, p. 272
93 Ibid
94 Mayer, manuel, n° 187, p. 132
38


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dispenser de l’appliquer ? Si la réponse de la loi étrangère est positive, tout le chemin parcouru par le
juge, aurait été inutile
95.
Par ailleurs, cette qualification selon la lex causae risque de mener à une impasse, certains systèmes
de droit étranger, ceux de la common-law en l’occurrence, ignorant la distinction entre droits
disponibles et droits indisponibles
96. Force est alors de se ranger à la qualification lege fori.
b : La qualification lege fori
S’agissant de la mise en œuvre d’une règle de conflit d’origine nationale, la qualification devrait
normalement s’opérer selon cette loi. C’est d’ailleurs ainsi que la Cour de cassation tunisienne
concevait la qualification d’ordre public ou non de la règle de conflit. C’est parce que le statut
personnel est d’ordre public en droit interne que la règle de conflit qui porte sur cette matière sera
considérée comme étant d’ordre public. Il s’agit de se prononcer sur le caractère supplétif ou
impératif de la règle de conflit, d’une question d’interprétation de cette règle. Or le sens de la règle de
conflit tunisienne ne peut être demandé qu’à la loi tunisienne
97.
Fauvarque-Cosson98, tout en soutenant le principe de la qualification lege fori estime cependant que la
lex causae peut être prise en considération de manière exceptionnelle. Lorsque la lex fori qualifie un
droit comme étant indisponible et que la règle de conflit est appliquée, les parties peuvent, après la
désignation de la loi étrangère, demander l’application de la
lex fori quand la lex causae considère,
contrairement à la
lex fori, qu’il s’agit d’un droit disponible. La proposition est séduisante et rien ne
s’oppose à l’adoption d’un tel système en droit international privé tunisien. Une telle solution serait
d’ailleurs conforme à l’article 27 qui recommande que lors de l’opération de la qualification, il soit
tenu compte « des différentes catégories juridiques internationales et des spécificités du droit
international privé ». La prise en compte de la qualification étrangère après la mise en œuvre de la
règle de conflit permettrait en effet d’assouplir les catégories du droit interne, sans remettre en cause
le principe de la qualification
lege fori.
Mais le problème de définition de la disponibilité des droits n’est pas pour autant résolu. Quels doit
être le critère de distinction de la disponibilité ou de l’indisponibilité des droits ?
B : Le critère de distinction entre disponibilité et indisponibilité
Deux critères peuvent être utilisés, le critère de la patrimonialité (1) et le critère de l’ordre public (2)
1/ Le critère de la patrimonialité
En droit substantiel interne, le concept de disponibilité a pour origine le droit des biens. Le droit de
propriété confère à son titulaire le droit d’en disposer conformément à l’article17 du code des droits
réels qui dispose que : « le droit de propriété confère à son titulaire le droit exclusif d’user de sa chose,
d’en jouir et d’en disposer ». L’acte de disposition signifie ici la possibilité d’aliéner le bien objet du
droit de propriété.
Mais le concept de disposition peut être pris dans un sens plus large que celui de la cession et être
élargi à tous les droits subjectifs qui peuvent faire l’objet d’un acte juridique conformément à l’article
62 du code des obligations et des contrats qui dispose : « les choses, les faits et les droits incorporels
qui sont dans le commerce peuvent seuls former objets d’obligations ; sont dans le commerce, toutes
les choses au sujet desquelles la loi ne défend pas expressément de contracter ».
Les droits dont les parties ont la libre disposition peuvent alors être définis comme étant les droits qui
portent sur des choses corporelles ou incorporelles dans le commerce, c’est à dire ceux au sujet
desquels la loi ne défend pas expressément de contracter.
Les droits pouvant faire l’objet d’actes juridiques sont les droits patrimoniaux. En revanche, ne
peuvent faire l’objet d’actes juridiques les droits extra-patrimoniaux, conformément à l’article 118 du
code des obligations et des contrats qui dispose : « Est nulle et rend nulle l’obligation qui en dépend,
95 Fauvarque Cosson, « libre disponibilité des droits et conflits de lois », LGDJ 1996, n°78, p. 50 et 51, G.A., note sous Coveco
96 Fauvarque Cosson, op. cit., n°78, p. 50et 51, et les références citées en note
97 Voir supra, p.
98 op. cit., p. 55, n°88
39


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toute condition ayant pour effet de restreindre ou d’interdire l’exercice des droits et facultés
appartenant à toute personne humaine telles celle de se marier, d’exercer ses droits civils »
Est-ce à dire que le critère de distinction entre droit disponible et droit indisponible réside dans la
distinction entre droit patrimonial et droit extra-patrimonial ? A première vue, cela se vérifie tant au
regard du droit de l’arbitrage qu’à celui de la transaction. Le code de l’arbitrage interdit de
compromettre notamment dans les matières relatives au statut personnel. Mais l’interdiction cesse
quand il s’agit des aspects pécuniaires du statut personnel. On retrouve la même interdiction en
matière de transaction. Ainsi, l’article 1462 COC dispose: « on ne peut transiger sur une question
d’état ou d’ordre public, ou sur les autres droits personnels qui ne font pas l’objet de commerce tels
que la liberté ou la paternité ; mais on peut transiger sur l’intérêt pécuniaire qui résulte d’une
question d’état ou d’un délit ». La transaction étant, conformément à l’article 1458 du COC, « un
contrat par lequel les parties terminent ou préviennent une contestation moyennant la renonciation
de chacune d’elles à une partie de ses prétentions, ou la cession qu’elle fait d’une valeur ou d’un droit à
l’autre partie »
Néanmoins la référence à la distinction entre droit patrimonial et droit extra-patrimonial est parfois
insuffisante. Certains droits patrimoniaux ne peuvent être cédés et leur titulaire ne peut non plus y
renoncer. Il en est ainsi du droit aux aliments sur lequel on ne peut transiger (article 1464 du COC).
Inversement, certains droits extra-patrimoniaux sont susceptibles de renonciation. Il en est ainsi du
droit au respect de la vie privée. En acceptant la divulgation de sa vie privée on renonce à ce droit. On
peut aussi la divulguer moyennant rémunération et partant, ce droit de la personnalité n’est plus hors
commerce juridique.
Faut-il ajouter au caractère patrimonial ou extra-patrimonial du droit, le caractère d’ordre public sur
lequel la Cour de cassation avait, en 1964, fondé l’autorité de la règle de conflit ?
2/Le critère de l’ordre public
Peut-on dire qu’un droit est indisponible dès lors qu’il est prévu par une règle d’ordre public ? En
réalité, tout dépend des motifs pour lesquels cette règle d’ordre public a été adoptée. Parmi les règles
d’ordre public, il y a celles qui poursuivent un intérêt public et celles qui ont pour but la protection des
intérêts des parties. C’est la fameuse distinction entre ordre public de protection et ordre public de
direction. Parmi les règles qui ont pour but de protéger l’intérêt public, on peut ranger l’interdiction
de transiger sur une question d’état, ou sur les autres droits personnels tels que la liberté ou la
paternité conformément à l’article 1462 du COC. La règle a pour but la protection de l’intérêt public
car il s’agit des droits fondamentaux de l’individu (les libertés) et des institutions essentielles de la
société (l’état des personnes, la famille). En revanche, les règles d’ordre public tendant à protéger un
intérêt particulier peuvent faire l’objet d’une renonciation mais seulement quand elles « portent sur
des droits patrimoniaux et acquis »
99. C’est ainsi que le pacte sur succession future est interdit dans
l’article 66 du COC : « ...on ne peut, à peine de nullité absolue, renoncer à une succession non encore
ouverte, ni faire aucune stipulation sur une pareille succession ou sur l’un des objets qui y sont
compris, même avec le consentement de celui de la succession duquel il s’agit ». Mais il est possible,
conformément à l’article 1465 du même code de renoncer à des « droits héréditaires déjà acquis ». De
même, s’il n’est pas possible de renoncer à l’avance à son droit à réparation avant la survenance du
fait générateur de responsabilité (articles 82 et 83 du COC), une fois le dommage survenu, cela est
possible (article 1462 du COC: « on peut transiger sur l’intérêt pécuniaire qui résulte d’un délit »). On
peut ainsi considérer que l’article 71 CDIP qui dispose que « Les parties peuvent, après survenance du
fait dommageable, convenir de l’application de la loi du for, tant que l’affaire est pendante en première
instance » est une application de la règle posée par l’article 1462 susvisé.
On peut conclure avec Fauvarque-Cosson100 qu’il est possible de renoncer à un droit dès lors que
celui-ci est patrimonial et qu’aucun ordre public n’est en cause. Quand l’ordre public de protection est
en cause, la renonciation n’est possible que lorsque ce droit est acquis, c’est-à-dire que son titulaire
99 Fauvarque-Cosson, op. cit, n°198, p. 119
100 Ibid, n°202, p. 122
40


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est en mesure de l’exercer. Quand c’est l’ordre public de direction qui est en cause, aucune
renonciation n’est possible quelle que soit la nature de ce droit.
Ainsi, pour déterminer les droits dont les parties ont ou n’ont pas la libre disposition, il faut utiliser
cumulativement les critères d’ordre public et de patrimonialité ou d’extra-patrimonialité du droit.
Deux critères qui ne sont pas réellement faciles à mettre en œuvre.
A la difficulté de déterminer le critère de distinction entre les droits disponibles et indisponibles
s’ajoute une autre, celle de savoir s’il faut raisonner par catégorie de droits ou droit litigieux par droit
litigieux.
C : Mise en œuvre du critère
Pris à la lettre, l’article 27 nous invite à raisonner par catégorie de droit, la règle de conflit étant
d’ordre public « lorsqu’elle a pour objet
une catégorie de droits dont les parties n’ont pas la libre
disposition
». Cela est d’autant plus possible que les règles de conflit posées par le législateur tunisien
sont dans l’ensemble détaillées. Certes, l’ensemble de la catégorie du statut personnel est régi par la
loi nationale. Mais chacune des institutions du statut personnel est soumise à une règle de conflit qui
lui est propre. Il en est ainsi de la capacité, de la tutelle, de l’adoption, de la filiation, du mariage, des
droits de la personne etc. Une telle démultiplication des règles de conflit concernant un même
ensemble législatif (le statut personnel) permet de statuer catégorie par catégorie.
Cette démarche appelée méthode synthétique présente un inconvénient que l’on peut illustrer par
l’exemple suivant. L’article 43 CDIP dispose que : « les droits de la personne sont régis par la loi
nationale dans le cas des personnes physiques ». Si l’on raisonne
par catégorie, on dira que les droits
de la personne sont indisponibles et partant, que la règle est d’ordre public. Mais si l’on raisonne en
fonction du droit litigieux, par exemple le droit à la vie privée, on peut arriver au résultat inverse.
Le raisonnement par droits litigieux procède de la méthode analytique et présente lui-même
l’inconvénient de conduire dans un même procès à appliquer pour une même question deux lois
différentes, à rompre l’unité de la loi applicable. Ainsi, en matière de successions, la question relative à
la détermination des successibles sera considérée comme non disponible et soumise à la règle posée
par l’article 54 CDIP alors que celle relative à la possibilité de renoncer à une succession ouverte,
pourra échapper à la règle de conflit. La rupture de l’unité de la loi applicable à une même question
n’est cependant pas un inconvénient majeur. C’est une démarche qui n’est pas spécifique à la question
de l’autorité de la règle de conflit. Le dépeçage peut se rencontrer lors de la mise en œuvre de la
technique de l’exception d’ordre public
101. Le juge n’écarte le droit étranger que dans ses dispositions
contraires à l’ordre public du for et applique la
lex fori pour sa vocation subsidiaire ; pour les
questions conformes à l’ordre public du for, elles continueront à être régies par la loi étrangère.
Mais cette démarche semble avoir été rejetée par le législateur. A. Mezghani écrit dans ce sens : « Dans
tous les cas, la règle de conflit de lois emprunte son caractère à la matière qu’elle a pour objet. C’est
donc catégorie par catégorie que la question doit être tranchée »
102. Et si c’est cette démarche qui doit
l’emporter en jurisprudence, c’est la qualification de la catégorie comme disponible ou non qui
déterminera l’autorité de la règle de conflit.
§2: Incidence sur l’autorité de la règle de conflit
Quelque soit son objet, la règle de conflit est toujours obligatoire pour le juge (A), le caractère
impératif ou supplétif de la règle de conflit n’a d’effet que sur les parties. Celles-ci peuvent renoncer à
l’application d’une règle de conflit supplétive (B)

A : La règle de conflit est toujours obligatoire à l’égard du juge
Parce qu’elle est une règle de droit, la règle de conflit est toujours obligatoire pour le juge. Quelle que
soit la matière considérée, disponible ou non, le juge doit soulever d’office l’application de la règle de
conflit.
101 Voir nos dév. infra, p.
102 Commentaires…
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Cette règle n’est cependant pas toujours appliquée. Plusieurs décisions rendues pourtant sous
l’empire du code de droit international privé n’ont pas soulevé d’office l’application de la règle de
conflit
103. D’autres soulèvent la règle de conflit parce qu’elle porte sur des droits indisponibles104.
C’est ainsi que le tribunal de première instance de Tunis dans le jugement n°33551 du 27 juin 2000
estime que « Le mariage, le divorce, les aliments ainsi que la garde avec les questions qui en découlent
constituent des droits fondamentaux dont les parties ne peuvent en principe disposer. Il en découle
conformément à l’article 28 CDIP que le tribunal doit soulever d’office les règles de conflit
applicables… »
105. Cette solution, contraire au texte, peut être rapprochée de celle établie par la
jurisprudence française Coveco
106 et selon laquelle la règle de conflit n’est obligatoire pour le juge que
si elle porte sur des droits indisponibles
107.
Certaines autres décisions sont plus respectueuses de la règle posée dans l’article susvisé et soulèvent
d’office la règle de conflit qu’elle porte sur des droits disponibles ou indisponibles. C’est ainsi que les
juges ont soulevé d’office la règle de conflit relative au divorce
108, mais aussi des règles de conflit qui
portent sur des droits disponibles. C’est ce que l’on constate notamment dans le jugement rendu par le
tribunal de première instance de Tunis rendu le 29 juin 2000 (n°11930, inédit) dont voici l’attendu
principal : « Attendu que la créance trouve son origine dans…une relation internationale, il est
nécessaire de rechercher le droit applicable conformément à l’article 28 § 2 du code de droit
international privé »
109.
Toutefois pour que le juge puisse mettre en œuvre l’article 28, il doit être en mesure de relever
d’office les éléments d’extranéité. Il est vrai qu’en général les parties, sans l’invoquer sur le terrain du
droit applicable, auront fait état de l’élément d’extranéité (par exemple la nationalité ou le lieu de
survenance du fait générateur de responsabilité). Elles sont d’ailleurs obligées par les règles du code
de procédure civile et commerciale de faire état de leur domicile (art. 70). Mais dans la mesure où les
parties ne font pas état de cet élément d’extranéité, le juge devrait pouvoir, s’il a des raisons de croire
que le litige est international, demander aux parties les précisions qui lui paraissent nécessaires.
En effet, si le juge « n’a pas l’obligation de constituer, compléter ou produire les moyens de preuve à
l’appui des prétentions des parties » conformément à l’article 12 CPCC, il peut prendre en
considération des faits que les parties n’auraient pas spécialement invoqués au soutien de leur
prétention à condition de respecter le principe contradictoire (article 4 du CPCC). Mais il s’agit là
d’une simple faculté qui ne saurait être transformée en obligation. Or en droit international privé et à
partir du moment où la règle de conflit doit être soulevée d’office par le juge, celui-ci devrait pouvoir
obliger les parties à révéler l’élément d’extranéité. Or pour ce faire, il faudrait que l’élément
d’extranéité ne puisse être assimilé à un fait juridique.
P. Mayer considère que l’élément d’extranéité parce qu’il conditionne le droit applicable ne doit pas
être assimilé à une question de fait et ne peut par voie de conséquence avoir le même statut
procédural
110. Pour d’autres auteurs, le fondement du statut procédural particulier de l’élément
d’extranéité est plutôt à rechercher dans « l’idée que seule la prise en compte d’office de l’élément
international qui commande l’application du droit étranger est de nature à engendrer une véritable
égalité de traitement entre la loi étrangère et la loi française, égalité que postule la structure bilatérale
de la règle de conflit.»
111.
103 Voir les décisions citées par Chédly, in « L’office du juge et la règle de conflit (deux ans après l’entrée en vigueur du code de droit international privé du
27/11/1998) », colloque ss presse

104Ibid, p. 4
105 Inédit, attendu principal reproduit in le CDIP commenté, p. 421.
106 4/12/1990 (GA n°70-72) et 26/5/1999 (RC 99, p. 708 :
107 Après avoir affirmé dans l’arrêt Coveco (précité) que les règles de conflit sont obligatoires dès lors qu’elles ont une origine conventionnelle, la Cour de
cassation française ne fait plus de distinction selon la source de la règle de conflit. Voir sur cette question, Civ. 6/5/1997,
RC 1997, p. 514, note Fauvarque-Cosson,
Clunet 1997, p. 804, note D.Bureau ; G.A. n°78
108 TPI Tunis n°32779 du 11/7/2000 : Divorce demandé par femme tunisienne à l’encontre de son mari de nationalité saoudienne. Demande basée sur l’article 31
CSP. Les juges soulèvent d’office la règle de conflit : art 49 du code. Idem, TPI n°33955 du 27/5/2000 : Divorce tunisienne et belge.
109 Attendu principal reproduit in le CDIP commenté, p. 422. Pour d’autres décisions en ce sens, voir Chédly, art. préc., 12 et s.
110 P.MAYER, « l’office du juge dans le règlement du conflit de lois », T.C.F.DIP 1975-1977, p. 234 : « Je crois qu’on ne doit pas dire : l’élément d’extraneité est
un élément de fait, or, en ce qui concerne le fait, le principe dispositif interdit au juge de faire entrer dans le débat un élément que les parties n’auraient pas invoqué
d’elles-mêmes. On ne doit pas le dire parce que ce fait particulier, l’élément d’extraneité, occupe une position procédurale spéciale : il conditionne le droit
applicable. Si on a l’obligation d’appliquer le droit, n’a-t-on pas aussi l’obligation de se renseigner sur tout ce qui va permettre de désigner ce droit ? »).
111 B.ANCEL & Y.LEQUETTE
42


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Et certains droits étrangers ont établi l’obligation pour le juge de constater l’élément d’extranéité. Il en
est ainsi de la loi autrichienne du droit international privé du 15 juin 1978 dont l’article 2 dispose:
« Les conditions de fait et de droit qui commandent le rattachement à un ordre juridique déterminé
doivent être constatées d’office, sauf si les faits présentés par les parties doivent être tenus pour vrais
dans une matière où le choix du droit applicable est admis »
Cette obligation est d’autant plus nécessaire en droit international privé tunisien que le juge est tenu
de soulever, en toutes hypothèses, l’application de la règle de conflit. En attendant une réforme
législative ou une pratique judiciaire dans ce sens, cette obligation de soulever d’office la règle de
conflit doit au moins exister quand les parties ont révélé aux juges l’élément d’extranéité.
Or, l’examen de quelques décisions relativement récentes rendues par les juges du fond montre que
certains ne relèvent pas d’office des éléments d’extranéité qui, pourtant, figurent dans le dossier ou
ont été mentionnés dans la décision. C’est ainsi que le tribunal de première instance de Tunis dans un
jugement en date du 10 mai 1999 (inédit) a appliqué la loi tunisienne pour l’établissement d’une
filiation dont il est précisé que le prétendu père était italien. De même un jugement rendu le 11
octobre 1999 par le même tribunal (n°30290, inédit) a appliqué la loi tunisienne au divorce d’une
épouse tunisienne et d’un époux dont il est précisé qu’il est bosniaque, sans soulever l’application de
la règle de conflit. Leur décision devrait être censurée pour n’avoir pas soulevé d’office l’application de
la règle de conflit, alors même que l’élément d’extranéité leur a été révélé.
La Cour de cassation française est dans ce sens ; dans l’arrêt Makhlouf c. Benali, elle censure « la cour
d’appel qui accueille la demande de recherche de paternité par application de la loi française, sans
rechercher, d’office, quelle suite devait être donnée à l’action en application de la loi algérienne, loi
personnelle de la mère dont la nationalité était mentionnée dans la décision prononcée en première
instance et dans diverses pièces de la procédure »
112.
Enfin, l’obligation d’office d’appliquer la règle de conflit implique la recevabilité du moyen de
cassation tiré de la violation de la règle de conflit conformément à l’article 175 CPCC qui fait de la
violation de la loi un cas d’ouverture en cassation. Ce moyen pourrait même être relevé d’office par la
Cour de cassation et être invoqué pour la première fois devant elle.
Mais dans les cas où la règle de conflit a pour objet des droits dont les parties ont la libre disposition,
les parties peuvent décliner son application par une manifestation explicite de volonté.
B : La possibilité pour les parties de renoncer à l’application de la règle de conflit ayant pour
objet des droits dont elles ont la libre disposition
L’accord des parties à ce stade est appelé accord procédural pour le distinguer de l’accord de fond qui
porte sur le choix substantiel de la loi applicable, dans tous les cas où la règle de conflit autorise
l’autonomie de la volonté.
Voyons d’abord les modalités d’expression de la volonté de renoncer à l’application de la règle de
conflit (1) avant d’examiner la portée de l’accord procédural (2)
1/Modalités d’expression de la volonté de renoncer à l’application de la règle de conflit ou forme de
l’accord
Pour l’accord procédural, l’article 28 CDIP exige une manifestation explicite de volonté. Cependant, le
juge étant dans l’obligation de soulever d’office la règle de conflit, il devrait par-là même avertir les
parties qui ont la libre disposition de leurs droits qu’elles peuvent renoncer, d’un commun accord, à
l’application de la loi étrangère normalement compétente. Partant, la volonté des parties n’aurait pas
besoin de s’exprimer dans une forme particulière. Elle pourrait résulter des conclusions concordantes
des parties qui ne visent que le droit du for à l’exclusion de la loi étrangère. En cas de doute sur la
portée de leur accord, le juge pourrait inviter les parties à expliciter leur choix.
112 Civ. 18/11/1992, R.C. 1993, p. 276 et s. (Vérifier source) ; voir aussi dans le même sens, Civ, 26/5/1999, RC 1999, p.709 : « En accueillant une action en
recherche de paternité sur le fondement du droit français alors que la mère avait une carte de résident suffit à révéler l’élément d’extranéité »
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La solution en droit français est identique, la Cour de cassation ayant décidé que « pour les droits dont
elles ont la libre disposition, les parties peuvent s’accorder pour demander l’application de la loi
française du for … et un tel accord peut résulter des conclusions des parties invoquant une loi autre
que celle désignée…»
113. Cette solution dans le système juridique français est critiquée car le juge n’est
pas obligé de soulever d’office la règle de conflit quand elle a pour objet des droits dont les parties
peuvent librement disposer
114. L’on craint alors que ce soit par ignorance de la possibilité d’appliquer
une loi étrangère que les parties, dans leurs conclusions, ne se réfèrent qu’à la
lex fori.
A défaut d’accord explicite des parties sur la mise à l’écart de la loi étrangère, le juge devra l’appliquer.
2/Portée de l’accord procédural
Les parties, en renonçant à l’application de la règle de conflit, n’ont-elle d’autre choix que de
demander l’application de la
lex fori, ou peuvent-elles convenir de l’application d’une loi tierce ?
L’application d’une loi étrangère autre que celle désignée par la règle de conflit n’est pas défendable
en droit international privé tunisien. En effet, l’article 26 § 1 CDIP dont on rappellera qu’il dispose que
« Lorsque le rapport juridique est international, le juge fera application des règles prévues par le
présent code.. » impose au juge l’application de la règle de conflit.
Permettre aux parties de désigner une loi tierce aboutirait à mettre en échec cette disposition, en liant
le juge par le choix d’une loi étrangère incompétente
115. Par ailleurs, chaque fois que le juge est
autorisé à se départir de l’application de la loi étrangère soit pour sa non conformité à l’ordre public,
soit parce que son contenu n’a pu être établi, le juge n’est autorisé à appliquer que la
lex fori (articles
32 et 36 CDIP) pour sa vocation subsidiaire
116. Il y aurait donc une troisième hypothèse d’application
de la
lex fori pour sa vocation subsidiaire : l’accord explicite des parties sur son application117.
Le législateur semble lui-même pencher vers cette solution à travers les dispositions de l’article
71 CDIP selon lequel « Les parties peuvent, après survenance du fait dommageable, convenir de
l’application de la loi du for, tant que l’affaire est pendante en première instance ». Parce qu’on peut
transiger sur son droit à réparation après la survenance du fait générateur de responsabilité, il est
possible de renoncer à la loi étrangère désignée par la règle de conflit, mais seulement au profit de la
lex fori.
Il y aurait également une autre raison en faveur de cette solution, c’est le fondement même de la
variation de l’autorité de la règle de conflit en fonction de son objet. Le fondement généralement
avancé est d’ordre pragmatique, les juges étant peu familiarisés avec le droit international privé, il
faut limiter les hypothèses d’application du droit étranger
118. En statuant sur la base de la lex fori, les
juges rendent une meilleure justice car c’est la loi qu’ils connaissent le mieux
119. Donner aux parties le
choix d’opter pour une loi tierce
120 risque de faire tomber l’édifice déjà fragile de la variation de
l’autorité de la règle de conflit en fonction de son objet.
Car, en voulant faciliter la tâche du juge, ne l’a-t-on pas inutilement compliquée ? Sinon pourquoi les
parties devraient-elles pouvoir renoncer à l’application de la loi étrangère ? Celle-ci n’est-elle pas
désignée par une disposition légale du droit du for ? Pourquoi devrait-on traiter différemment dans
un système bilatéraliste la loi étrangère ? N’est-elle pas l’égale de la lex fori ? N’est-elle pas une règle
113 Civ. 1/7/1997, RC 1998, p., note P.Mayer;
114 Dans son dernier état, la jurisprudence française a mis en oeuvre la théorie de l’équivalence selon laquelle on ne pourra pas reprocher au juge de n’avoir pas
soulevé d’office la règle de conflit même portant sur des droits indisponibles sauf à rapporter la preuve du défaut d’équivalence entre la loi étrangère et la loi
française. C’est ce qui résulte de l’arrêt Cie Gle Belge selon lequel : « Dès lors que la situation de fait constatée par le juge aurait les mêmes conséquences en vertu
de la loi Belge qui a été appliquée et de la loi française que désignait la Convention de la Haye de 1971, l’équivalence justifie la décision », Civ. 13/4/1999,
RC
1999,p.
115 Dans ce sens, MAYER, « le juge et la loi étrangère », Revue Suisse Droit int. Eur., 1991, p. 481 et s., spéc. p. 489, cité par Fauvarque Cosson, op. cit., n°468, p.
281).
116 Voir dév.infra, p.
117 Mayer, art. Précité , p. 489, cité par Fauvarque Cosson, op. cit., n°468, p. 281
118 LEQUETTE & ANCEL, G.A., note sous Coveco)
119 Il y aurait cependant une place au choix par les parties d’une loi tierce, c’est quand la règle de conflit désigne la loi d’autonomie. En matière contractuelle, les
parties pourraient être autorisées à renoncer à la loi initialement choisie dans leur contrat (par hypothèse loi étrangère) au profit d’une autre loi étrangère, même
sans aucun lien avec le litige. Voir sur ce point, Fauvarque-Cosson,
op. cit., n°414 et s., p. 252 et s.
120 Fauvarque - Cosson, op. cit., n°480 et s., p. 288 et s.
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de droit ? En réalité, il aurait été plus logique de faire de la règle de conflit une règle obligatoire à
l’égard du juge et des parties ainsi que l’ont fait d’ailleurs les législateur allemand, suisse et italien.
Chapitre 2 : La loi étrangère
Il nous faut d’abord définir la notion de loi étrangère (Section1), ensuite déterminer son statut
(Section 2), et enfin les hypothèses où l’application de cette loi n’est pas tolérable, pour des raisons
d’ordre public (Section 3)
Section 1 : Notion de loi étrangère
Lorsque la règle de conflit désigne la loi étrangère, faut-il entendre la loi substantielle étrangère ou les
dispositions du DIP étranger ? En excluant le renvoi, le législateur préconise l’application de la loi
substantielle étrangère (§1) dont il a pris soin de tracer les contours (§2)
§1 : Rejet du renvoi : application de la loi substantielle étrangère
Avant la promulgation du code, la jurisprudence tunisienne avait admis le renvoi d’une manière
générale et particulièrement en matière de statut personnel. Le tribunal civil de Tunis dans un
jugement en date du 16 décembre 1960
121 avait appliqué au divorce d’un français et d’une tunisienne,
la loi tunisienne sur renvoi du droit français (jurisprudence Rivière), le domicile se trouvant en
Tunisie, à l’époque où notre règle de conflit désignait la loi nationale du mari. De même c’est la loi
tunisienne qui a été appliquée au statut personnel d’anglais domiciliés en Tunisie
122 et pour régir la
succession d’un Canadien domicilié en Tunisie
123 ainsi que celle d’une française domiciliée en
Tunisie
124.
A travers ces exemples, on voit que le renvoi naît de la diversité des critères de rattachement. Si nous
avons une hypothèse de renvoi avec des pays de common law (Canada, Angleterre) c’est parce que
nous rattachons le statut personnel à la loi nationale alors qu’ils le rattachent à la loi du domicile.
Nous désignons alors la loi anglaise ou la loi Canadienne qui désignent quant à elles, la loi du domicile.
Si nous acceptons le renvoi et que le domicile est situé en Tunisie, nous appliquerons alors la loi
tunisienne sur renvoi de la loi canadienne ou anglaise ou bien encore française, en matière de
succession immobilière. Cette hypothèse est appelée le renvoi au premier degré. Le renvoi est au
second degré quand, toujours dans notre exemple, le domicile auquel renvoient ces divers systèmes
étrangers se trouve être non pas en Tunisie, mais dans un pays tiers, en Algérie par exemple.
Le législateur a rejeté, dans l’article 35, le recours au renvoi au premier et au second degré. Le droit
étranger applicable est donc forcément le droit substantiel, à l’exclusion de ses règles de conflit.
Généralement, le renvoi est fondé sur l’idée de coordination entre les systèmes juridiques et n’est plus
considéré comme un abandon des règles de conflits du for au profit des règles de conflit étrangères.
Car, ainsi que l’écrivait Batiffol : «La règle étrangère n’entre pas en jeu par miracle, mais par la
désignation de notre règle de conflit ; il y a donc coordination des deux règles».
Mais tous les systèmes juridiques n’admettent pas le renvoi. Le législateur italien admet le renvoi au
premier degré et subordonne le renvoi au second degré à la condition que le droit de l’Etat tiers
accepte le renvoi. L’article 4 de la loi d’introduction au Code Civil allemand admet le renvoi au premier
degré, mais subordonne le renvoi au second degré à la condition que les règles de conflit de l’Etat
étranger désigné «n’aillent pas à l’encontre du sens des règles de conflit allemandes». Seul le droit
suisse, de ces trois codifications récentes exclue le renvoi.
Cependant l’interdiction du renvoi dans notre code de DIP n’est pas absolue, l’article 35 prévoit que le
législateur peut exceptionnellement l’admettre. Or à parcourir le Code, aucune des règles de conflit
posées ne semble admettre le renvoi, de manière expresse.
121 RTD 1962, p. 103, note Verdier.
122 T.Civ.1959, RTD1962, p.60, note Verdier, T.Civ. Tunis 29/4/1960, RTD 1962, p. 106, note Verdier.
123 Tunis 20/12/1974, RTD 1977, II, p.17, clunet 1979, chr . M.Charfi, p.657.
124 TPI Mahdia, 31/10/1988, RJL 1990, n°3, p.119 ; Civ.n°28151 du 23/3/1993, RTD 1993 ou 94, p.409, obs.N.Gara.
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Reste à savoir pourquoi, alors que la jurisprudence antérieure l’avait en général admis, le législateur
interdit le renvoi. Il est difficile de le savoir d’autant plus que l’interdiction a été qualifiée de
surprenante
125 par les uns, d’inopinée126 par d’autres. Est-ce alors parce que l’acceptation du renvoi
dans la jurisprudence antérieure ne faisait pas l’unanimité en doctrine
127, que le législateur, plutôt que
l’interdire dans certains domaines et l’admettre dans d’autres l’a éradiquée totalement ?
C’est possible mais de toutes les manières la solution nous permettra d’harmoniser les solutions dans
nos rapports avec les pays qui admettent le renvoi. Supposons qu’un Etat rattache le divorce d’époux
de même nationalité à la loi de leur domicile commun et que ce domicile se trouve être en Tunisie. Par
hypothèse, cet Etat qui admet le renvoi appliquera aux époux leur loi nationale commune par renvoi
du droit tunisien. Saisi de la question, le juge tunisien qui n’admet pas le renvoi appliquera également
leur loi nationale commune. Il y a harmonie puisque quelque soit le juge saisi, la solution est identique,
ce qui n’aurait pu être obtenu si nous-mêmes avions admis le renvoi.
§2 : Notion de loi substantielle étrangère
Le droit étranger, conformément à l’article 33 CDIP «s’entend de l’ensemble des normes applicables
dans ce droit conformément à ses sources formelles». Par source formelle, il faut entendre toutes les
sources du droit étranger, même les sources non législatives.
En droit international privé comparé, l’application du droit étranger toutes sources confondues, est
relativement récent. En effet, dans un premier temps, la jurisprudence française n’avait admis que les
seules sources législatives au motif que seules les lois étrangères pouvaient avoir un sens clair
128.
Cette solution n’a pas manqué d’être critiquée car comme la loi, la jurisprudence peut être stable et
nette et clarifier des dispositions législatives obscures. Par ailleurs n’appliquer qu’une source du droit
étranger fût-elle la plus importante peut mener à des solutions peu orthodoxes d’autant que la
jurisprudence étrangère peut infléchir la loi en lui donnant une signification autre que le sens littéral.
Aujourd’hui, ces critiques ont été entendues et la Cour de cassation française129 a affirmé la règle selon
laquelle « il incombe au juge français qui applique une loi étrangère de rechercher la solution donnée
à la question litigieuse par le droit positif en vigueur dans l’Etat concerné ».
C’est donc le droit étranger tel qu’il existe qu’il faut appliquer et s’il y a eu modification de la loi
étrangère applicable, le juge doit respecter les dispositions transitoires du droit étranger
conformément à l’article 31 CDIP.
Section 2 : Le statut de la loi étrangère
Quel est le statut procédural de la loi étrangère, qui doit en rapporter la preuve, quels sont les moyens
de preuve (§1), enfin comment doit-on l’interpréter (§2) ? A ces deux questions, le code a apporté des
réponses.
§1 : Preuve de la loi étrangère
L’article 32 CDIP pose les règles relatives à la charge de la preuve (A) aux moyens de preuve (B) ainsi
qu’à la sanction du défaut de preuve du droit étranger (C)
A/ La charge de la preuve du droit étranger
Sur le terrain de la preuve de la loi étrangère, le législateur ne distingue pas selon que la règle de
conflit de lois a pour objet une catégorie de droits disponibles ou non. Dans les deux cas, «le juge peut,
dans la limite de sa connaissance et dans un délai raisonnable, rapporter d’office la preuve du contenu
de la loi étrangère désignée par la règle de rattachement, et ce avec le concours des parties le cas
échéant». La preuve du droit étranger n’est donc pas une obligation qui pèse sur le juge, elle est mise
ainsi principalement à la charge des parties.
125 A.Mezghani, « Commentaires… », p.65 et svts.
126 L.Chédly, « Le rejet inopiné du renvoi par le Code de Droit international privé», Mélanges S.Belaïd, CPU 2004, p.295 et svts.
127 Voir en particulier, A.Mezghani, manuel, CHARFI M., Clunet 1979, p.658
128 Civ. 1ère, 21/11/1961, RC 1962, p. 329, note P.Lagarde
129 Civ., 24/11/ &28/12/1998, RC 1999, p.88 “Lavazza
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Le régime procédural de la loi étrangère diffère ainsi de celui de la lex fori, celle-ci, conformément à
l’adage
jura novit curia, ne se prouve pas, elle est censée connue par le juge. Il n’en est pas de même de
la loi étrangère qui, en raison de son extranéité et bien qu’elle soit une règle de droit, est traitée
comme un fait juridique dont la preuve incombe aux parties.
Mais l’on ne comprend pas très bien pourquoi le législateur considère que «dans les autres cas, la
partie dont la demande est fondée sur la loi étrangère, est tenue d’en établir le contenu». Quels sont
ces autres cas ? Est-ce lorsque le juge ne connaît pas la loi étrangère et qu’il ne peut en rapporter la
preuve dans un délai raisonnable ? Très probablement. Dans cette hypothèse, la question de la
distribution de la charge de la preuve entre les parties se pose. Elle incombe à celle qui invoque
l’application de la loi étrangère, conformément à l’article 32 CDIP qui dispose que « la partie
dont la
demande
est fondée sur la loi étrangère, est tenue d’en rapporter le contenu »130.
Ce système, qui fait peser sur les parties la charge de la preuve du droit étranger, nous semble
incohérent. En effet, il ne sert à rien d’imposer au juge l’obligation d’appliquer la règle de conflit et de
considérer que celle-ci est dans certains cas d’ordre public quand on ne fait pas peser sur le juge
l’obligation de rapporter la preuve du droit étranger. En effet, il suffit pour que les parties puissent
s’affranchir de l’application de la loi étrangère même quand la règle de conflit est d’ordre public, de ne
pas en rapporter la preuve.
En droit comparé, les solutions sont différentes. En France, l’arrêt Amerford rendu par la Cour de
cassation française en 1993 a posé comme règle que «dans les matières où les parties ont la libre
disposition de leurs droits, il incombe à la partie qui prétend que la mise en œuvre du droit étranger,
désigné par la règle de conflit de lois, conduirait à un résultat différent de celui obtenu par
l’application du droit français, de démontrer l’existence de cette différence par la preuve du contenu
de la loi étrangère qu’elle invoque, à défaut de quoi le droit français s’applique en raison de sa
vocation subsidiaire». Ainsi, en droit français, la preuve de la loi étrangère incombe au juge dans les
matières où les droits sont indisponibles et aux parties dans les autres matières
131. La Cour de
cassation française impose aussi au juge de rapporter la preuve du droit étranger dès lors qu’il met en
œuvre une règle de conflit qu’il a seulement la faculté de soulever (pour les droits disponibles). C’est
ce qui résulte de l’arrêt Lavazza (précité) qui fait peser sur le « juge français qui applique une loi
étrangère de rechercher la solution donnée à la question litigieuse dans le droit positif de l’Etat
concerné » Cependant, depuis deux arrêts rendus en 2005, les deux régimes ont été unifiés et il
«
incombe désormais au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher, soit
d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, la teneur, avec le concours des parties et
personnellement s'il y a lieu et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif
étrange
r »132.
En Suisse, où la règle de conflit doit toujours être appliquée par le juge, l’article 16-1 du Code civil
dispose : «Le contenu du droit étranger est établi d’office. A cet effet, la collaboration des parties peut
être requise. En matière patrimoniale, la preuve peut être mise à la charge des parties». La matière
patrimoniale est généralement considérée comme étant de celles où les parties ont la libre disposition
de leurs droits contrairement à la matière extra-patrimoniale, généralement considérée comme
indisponible. Le droit italien impose également au juge de rechercher le contenu du droit étranger ;
L’article 14-1 de la loi de 1995 dispose à cet effet que : «L’établissement de la loi étrangère est
recherché d’office par le juge».
Le rôle facultatif du juge dans l’établissement de la preuve du droit étranger instauré par l’article
32CDIP ne semble cependant viser les seules lois étrangères désignées par « la règle de
rattachement », c'est-à-dire par une règle de conflit bilatérale, à l’exclusion de celles désignées par des
règles de conflit alternatives qui sont des règles à contenu matériel et non des règles de
rattachement
133. En effet, les articles 50, 51 et 52 CDIP imposent au juge d’appliquer la loi la plus
favorable à l’enfant en matière de garde ou d’établissement de la filiation ou, en matière d’obligation
130 C’est nous qui soulignons.
131Com. 16 novembre 1993, Soc. Amerford, R.C. 1994, p.332, note P. Lagarde, GA, n° 82.
132Civ. 1, 28 juin 2005, Aubin, R.C. 2005, p. 646, note B. Ancel et H. Muir Watt ; Com. 28 juin 2005, Itraco, GA, n° 83
133 L.Chédly, « L’office du juge… », article précité, p. 120 et svts ; le code de droit international privé commenté, p. 455.
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alimentaire, la loi la plus favorable au créancier. Le juge ne remplit dès lors son office que dans la
mesure où il examine les diverses lois susceptibles d’être appliquées. Partant, la charge de la preuve
du droit étranger devrait peser, dans ces hypothèses, sur le juge
134.
Faire de la connaissance par le juge de la loi étrangère une simple faculté nous semble d’autant plus
regrettable que cette connaissance, avec les progrès faits par la science comparative et la rapidité de
la communication, n’est certainement plus aussi difficile à établir.
B/ Les moyens de preuve
Les modalités de preuve prévues par l’article 32 CDIP sont « l’écrit y compris les certificats de
coutume »
135. Peu importe la nature de l’écrit, il peut consister en la reproduction d’un texte de loi
étranger, d’une jurisprudence ou d’un ouvrage doctrinal, dans la mesure cependant pour ce dernier
qu'il soit suffisamment probant
136. On peut à cet égard citer le Jurisclasseur de droit comparé
(éditions LexisNexis) qui est en général complet quoique pas systématiquement mis à jour.
Les certificats de coutume sont les preuves présentées par les parties et consistent en des documents
en langue arabe, ou traduits dans la langue officielle, et qui émanent soit du consulat ou de
l’ambassade en Tunisie de l’Etat étranger ou d’un juriste spécialiste de la question (tunisien ou
étranger). Les premiers documents se limitent en général à reproduire les textes de lois étrangers, les
seconds contiennent des développements sur le droit étranger et sont plus complets. Ils contiennent
outre les textes de lois, la jurisprudence et la doctrine, ainsi que, éventuellement, le point de vue
personnel de celui, professeur, avocat ou consultant qui le rédige.
Le certificat de coutume établi par les autorités consulaires ou diplomatiques de l’Etat étranger peut
paraître plus fiable que celui établi par un juriste, payé par la partie qui produit la preuve, et dont on
peut douter de l’objectivité. Il sera encore plus difficile au juge de se faire une idée exacte de la teneur
du droit étranger quand la partie adverse produira un certificat de coutume contradictoire.
C’est probablement en raison de ces inconvénients que, certaines décisions jurisprudentielles avaient,
avant la promulgation du code, été quelque peu réticentes à l’admission des certificats de coutumes
établis par des juristes
137, écartant ce mode de preuve du droit étranger.
L’admission par le code de ce mode de preuve, malgré les inconvénients que nous venons d’examiner
s’explique par le fait que, de toutes les manières, cette preuve, comme les autres produites par les
parties ne lient pas le juge. L’interprétation de la loi étrangère, ainsi que nous le verrons, relève du
pouvoir des juges du fond et est soumis au contrôle de la Cour de cassation. Ces certificats peuvent par
ailleurs être utiles, dans la mesure où ils sont plus complets que les certificats officiels, puisqu’ils
comprennent généralement une étude plus complète des textes étrangers lesquels sont accompagnés
de leur interprétation jurisprudentielle.
Le juge quant à lui peut se renseigner sur le contenu du droit étranger en se référant à un expert ou à
un consultant. Nous manquons d’analyses sur la question pour savoir si le procédé est ou non utilisé
par les juges tunisiens et si, oui, s’il est fréquent. En revanche, souvent les juges tunisiens font état de
leur connaissance personnelle du droit étranger, c’est le cas en particulier lorsqu’il s’agit d’établir la
teneur de droits étrangers plus facilement accessibles aux juges tunisiens comme c’est le cas des
législations des pays arabes ou du droit français
138.
En Europe, le système développé dans le cadre de la Convention européenne dans le domaine de
l’information sur le droit étranger du 7 juin 1968, institue une procédure particulière d'information
sur le droit étranger
139. Les Etats contractants se sont engagés à créer des organes de transmission
134 Ibid.
135 Voir sur cette question, P.Mayer, « les procédés de preuve de la loi étrangère », in Le contrat à l’aube du XXIème siècle, Etudes offertes à J.Ghestin, LGDJ
2001, p.617 ; Le Code de DIP commenté, p. 457 et svts.
136Cass. 26 avril 1950, D. 1950, p. 361, note Lenoan ; Rev. crit. DIP 1950, p. 429, note Lerebours -Pigeonnière ; Paris, 23 janv. 1990 : JDI 1990, p. 994, note M.-L.
Niboyet-Hoegy ; Rev. crit. DIP 1991, p. 92, note Y. Lequette ; JCP G 1991, II, 21637 note M. Behar-Touchais.
137 TPI Tunis, 30/4/1981, RTD 1981, p.423, note A.Mezghani ; Tunis, 25/12/1982, RTD 1984, p.816, note K.Meziou.
138 Voir notamment, TPI Tunis, n°15255 du 29/6/2000, inédit, TC Tunis, n°40765 du 5/7/2006, inédit ; attendus principaux reproduits in le CDIP commenté, p.
464.
139 Publiée en France par le D. n° 72-947 du 11 oct. 1972, R.C. 1972, p. 758 ; JCP G 1973, III, 39805 ; D. 1972, législ. p. 545. - Adde D. n° 83-1126 du 20 déc.
1983 : D 1984, législ. p. 37, portant publication du Protocole additionnel fait à Strasbourg le 15 mars 1978 ; G. Brulliard, « La Convention européenne du 7 juin
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chargés de transmettre les demandes d’information faites par les juges, en cours d’instance, aux
organes de réception de l’Etat étranger requis. Ainsi, l’organe de transmission français est le Bureau
de droit européen et international du Ministère de la justice. C’est à ce Bureau que s’adresse le juge
français en quête de connaissance du droit de l’un des Etats membres de la Convention. Quoique
particulièrement fiable car institutionnel et présentant l’avantage d’être gratuite pour les parties,
cette procédure semble peu utilisée par les juges français, en raison des délais importants
engendrés
140.
Toutes ces preuves, y compris celles émanant d’un organe officiel étranger ou d’une expertise ne
s’imposent pas au juge qui est libre de les retenir ou non. Il s’agit ici d’apprécier l’exactitude d’un fait,
« le fait que le droit étranger a tel ou tel contenu »
141, ce qui relève de l’appréciation souveraine des
juges du fond.
C. La sanction du défaut de preuve du droit étranger
A défaut de prouver la loi étrangère, l’article susvisé dispose qu’«il sera fait application de la loi
tunisienne». Celle-ci s’applique pour sa vocation subsidiaire générale et pour ne pas laisser un rapport
juridique apatride. L’application de lex fori aux lieu et place de la loi étrangère dont on n’a pas pu
établir le contenu est la règle dans presque tous les systèmes juridiques. Il faut cependant signaler
qu’en droit italien, la règle est quelque peu différente. Selon l’article 14 alinéa 2 de la loi de 1995 :
«lorsque, même avec le concours des parties, le juge ne parvient pas à établir la loi étrangère désignée,
il applique la loi que déterminent les autres critères de rattachement éventuellement prévus pour la
même hypothèse normative. A défaut, la loi italienne s’applique». Cette solution n’est possible que
dans le cas où la règle de conflit prévoit plusieurs rattachements, c’est-à-dire pour la mise en œuvre
de règles de conflit alternatives.
§2 : L’interprétation de la loi étrangère
En ce qui concerne l’interprétation de la loi étrangère, le législateur tunisien fait montre d’un grand
respect à l’égard de la loi étrangère. Le juge devra appliquer la loi étrangère «telle qu’interprétée dans
l’ordre juridique dont elle relève» (article 34 CDIP). Le juge doit donc appliquer la loi étrangère de la
manière la plus fidèle possible en se référant à l’interprétation qui prévaut dans l’ordre juridique
étranger. La solution n’est pas spécifique au droit international privé tunisien. La règle avait été
consacrée par la Cour Permanente de Justice internationale « il n’y a pas lieu d’attribuer à la loi
nationale un sens autre que celui que la dite jurisprudence lui attribue »
142.
Dans l’hypothèse inverse où un texte de loi étranger n’a connu aucune interprétation, le juge du for
doit ici essayer de raisonner comme l’aurait fait le juge étranger, en prenant en considération les
règles d’interprétation en vigueur dans le système juridique étranger. Dans la mesure où le texte
étranger lui paraîtrait trop obscur, il peut conclure à l’impossibilité de preuve du droit étranger et,
partant à l’application de la loi tunisienne.
L’interprétation de la loi étrangère est soumise au contrôle de la Cour de cassation (article 34 CDIP).
La solution est nouvelle. La Cour de cassation tunisienne dans l’arrêt Catherina rendu en 1968 avait en
effet considéré que le contrôle opéré par elle était un contrôle minimum de dénaturation ou de
mauvaise qualification de la loi étrangère ».
Il y a dénaturation quand le juge du fond méconnaît le sens d’un texte clair tel que rapporté par les
parties au moyen des certificats de coutumes ou par un expert ou consultant désigné par lui même.
L’article 34 permet d’aller au-delà du simple contrôle de la dénaturation d’un texte clair et d’autoriser
la Cour de cassation à contrôler l’interprétation du droit étranger. Cela signifie que lorsqu’une
jurisprudence étrangère est produite devant les juges du fonds et dans la mesure où sa force probante
1968 relative à l'information sur le droit étranger, et l'influence qu'elle peut avoir sur l'application de la loi étrangère dans la nouvelle procédure civile », JCP G
1973, I, 2580.
140 TGI Dunkerque, 28 nov. 1990, JDI 1991, p. 131, note Ph. Kahn ; F. Mélin, Petites Affiches 1999, n° 192, p. 9.
141 P.Mayer, droit international privé, op.cit., p. 127, n°190.
142 Affaire des emprunts serbes et brésiliens, 12/7/1929, Rec. Série A, n°20-21.
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n’a pas été contestée, le juge doit s’en tenir à cette interprétation. S’il substitue sa propre
interprétation, il encourt la cassation, non pas sur la base de la dénaturation mais au motif qu’elle a
reçu une interprétation autre que celle faite dans l’ordre juridique dont elle émane.
Le non respect du principe du contradictoire tel qu’exigé au dernier alinéa de l’article 32 qui dispose
que : « le principe du contradictoire doit dans tous les cas être respecté » peut aussi constituer un
motif de cassation. Ce principe devrait amener le juge à faire état de l’interprétation qu’il adopte du
droit étranger, à justifier cette interprétation dans la mesure où elle est différente de celle adoptée par
les documents qui lui sont présentés. Et si le respect du principe du contradictoire doit être assuré
« dans tous les cas », cela englobe aussi l’hypothèse où le juge fait état de sa connaissance personnelle
du droit étranger.
Droit étranger dont l’application peut être refusée pour sa non conformité à l’ordre public du for.
Section 3 : Le refus d’appliquer la loi étrangère : L’exception de l’ordre public
L’article 36 CDIP réglemente l’exception d’ordre public, il dispose dans son paragraphe premier que
«L’exception de l’ordre public ne peut être soulevée par le juge que lorsque les dispositions du droit
étranger désigné s’opposent aux choix fondamentaux du système juridique tunisien» Ce paragraphe
souligne d’abord le caractère exceptionnel de l’ordre public, en utilisant une formule restrictive :
«L’exception de l’ordre public ne peut être soulevée par le juge que». Ce qui signifie que le juge ne doit
faire appel à l’ordre public que dans des hypothèses exceptionnelles. Mais ce caractère exceptionnel
de l’ordre public s’il apparaît au niveau de ses fonctions (§1), il s’amenuise au niveau de ses modalités
d’intervention (§2) pour réapparaître au niveau de ses effets (§3)
§1 : Les fonctions de l’exception de l’ordre public
L’exception de l’ordre public a pour fonction de préserver les principes fondamentaux de l’ordre
juridique du for (A) dont il nous faut préciser les sources (B)
A/ La préservation des principes de l’ordre juridique du for
Selon l’article précité, le droit étranger désigné ne doit pas s’opposer « aux choix fondamentaux du
système juridique tunisien ». Les choix fondamentaux d’un système juridique s’expriment dans la loi,
entendue dans son sens large. Mais comme les dispositions légales, les règles d’ordre public du droit
tunisien relèvent du domaine des lois de police, il faut réserver à l’exception d’ordre public la fonction
de sauvegarder les principes fondamentaux du système juridique tunisien.
C’est à travers cette fonction de préserver des principes et non des dispositions légales qu’apparaît le
caractère exceptionnel de l’ordre public. Les dispositions du droit étranger peuvent être différentes de
celle du droit du for sans heurter son ordre public. Le droit étranger peut réglementer le divorce d’une
manière différente de la nôtre, cette seule différence de réglementation ne doit pas permettre de
l’écarter. C’est quand cette différence atteint le seuil de l’opposition aux principes de base qui
gouvernent l’institution du divorce en Tunisie que le juge pourra écarter la loi étrangère. On peut ainsi
induire deux principes de l’article 31 du Code du Statut personnel qui régit le divorce : d’abord le
principe d’égalité entre époux dans le divorce, les mêmes cas d’ouverture étant accordés à l’homme et
à la femme
143 et un second principe, le droit au divorce. En conséquence, seules les lois étrangères qui
font du mariage un lien indissoluble et celles qui ne traitent pas les époux et notamment la femme de
manière égalitaire devraient être considérées comme heurtant nos choix fondamentaux en la matière.
Les lois simplement restrictives en matière de divorce, qui ne connaissent par exemple que du seul
divorce pour faute ne devraient pas nous choquer. C’est généralement dans ce sens que s’est
prononcée la jurisprudence tunisienne. Mettant en œuvre le principe d’égalité dans le divorce, la
jurisprudence tunisienne a ainsi écarté toutes les lois étrangères qui n’accordent pas le droit à la
143 A plusieurs reprises la jurisprudence tunisienne a affirmé principe d’égalité des époux dans le divorce : rejet des lois marocaine et saoudienne qui n’autorisent
pas la femme à demander le divorce unilatéral alors qu ‘elles l’accordent à l’époux. TPI 19/11/1991, RTD 1993, 420 ; jugement récent. Loi marocaine : Civ.
16/6/1987
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femme de demander le divorce par volonté unilatérale alors qu’elles accordent ce droit à l’homme par
le biais de la répudiation
144. Tout comme avaient été écartées les lois prohibitives du divorce145,
faisant ainsi du droit au divorce un principe fondamental de l’ordre juridique tunisien.
Comme nous venons de le voir, les principes sont induits de la loi, dans notre exemple, le code du
statut personnel, mais ils peuvent - sinon ils doivent - aussi se nourrir des textes fondamentaux de
notre ordre juridique.
B/ Le caractère fondamental des principes
Le juge induit les principes généraux de l’ensemble des normes positives. Ces principes sont qualifiés
de fondamentaux quand ils sont tirés des textes situés au sommet de la hiérarchie de l’édifice
juridique, la constitution et les traités dûment ratifiés par l’Etat tunisien. Et lorsque le juge induit des
principes à partir des textes inférieurs, il faut pour leur validité qu’ils soient conformes aux principes
fondamentaux, consacrés par la constitution et les traités dûment ratifiés.
La jurisprudence tunisienne s’est ainsi toujours référée à la Constitution tunisienne y puiser le
contenu de l’ordre public. Dans une première étape elle s’est exclusivement référée à l’article premier
de la Constitution pour donner un contenu religieux à l’ordre public. Elle a ainsi refusé d’accorder la
garde d’un enfant né de père tunisien à sa mère d’origine occidentale et domiciliée à l’étranger, afin
que l’enfant soit éduqué en Tunisie dans la religion musulmane et ce, en se référant à l’article susvisé
qui dispose que : « La Tunisie est un Etat indépendant, sa langue l’arabe, sa religion l’Islam et son
régime la République »
146. C’est aussi par une référence implicite ou explicite à cette disposition
constitutionnelle qu’ont été introduites d’autres discriminations religieuses, comme l’interdiction
pour un non musulman d’adopter un tunisien, pour une musulmane d’épouser un non musulman et
pour interdire les successions interreligieuses, entre musulmans et non musulmans
147. Par ailleurs, la
jurisprudence ne se référait pas aux Conventions internationales.
Aujourd’hui elle semble avoir abandonné toute référence à l’article premier de la constitution
notamment en matière de garde
148 et accepte par référence eu seul intérêt de l’enfant à accorder la
garde à la mère étrangère. Et elle se réfère aux Conventions internationales ainsi qu’à d’autres articles
de la Constitution comme les articles 5 et 6 qui garantissent respectivement les principes de la liberté
de religion et l’égalité entre les citoyens. C’est ainsi que la répudiation a été considérée contraire à
notre ordre public « ainsi qu’il ressort de l’article 6 de la constitution, des articles 1, 2, 7, et 16 §1 et 2
de la DUDH et des articles 1, 2, et 16-1c de la Convention des Nations Unies de 1979 sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes »
149. Le mariage de la tunisienne
musulmane avec un étranger non musulman a été de même plusieurs fois validé par référence aux
articles 5 et 6 de la constitution ainsi qu’aux Conventions internationales garantissant la liberté de
religion et la non discrimination à l’égard des femmes. Ces mêmes dispositions ont également permis
de valider les successions interreligieuses. Quoique la jurisprudence ne soit pas encore stable, on voit
émerger deux principes fondamentaux, qualifiés de principes fondateurs de l’ordre juridique tunisien
par certains juges, celui de non discrimination entre les sexes et de non discrimination religieuse. Une
conciliation est peu à peu faite entre islam religion d’Etat et les différents droits et libertés garantis
par la constitution et ce, en matière de statut personnel.
En faisant de l’ordre public le gardien de nos principes fondamentaux on lui imprime un caractère
exceptionnel qui n’apparaît cependant pas toujours dans ses modalités d’intervention.
§2 : Modalités d’intervention
144 Civ.n°17297 du 16/6/1987, Bull.civ. 1987, p.223. TPI Tunis, n°3799 du 19/11/1991, R.T.D. 1993, p.429 ; TTPI Tunis, n°32779 du 11/7/2000, inédit, attendus
principaux reproduits in le CDIP commenté, p.525
145 TPI Tunis, 4/3/1959, R.T.D. 1962, p.37, note Verdier ; TPI Grombalia, n°8305 du 7/4/1969, RJL, n°6 et 7, 1969, p.167.
146 Civ. 15/5/1979, RJL déc. 1980, n°10, 79 ; Civ. 3/6/1982, RJL, nov. 1983, n°9, 63 ; Civ. 15/10/1985, BC 1985, TII, 61 ; Ben Jémia M., « Ordre public
constitution et exequatur », mélanges H.Ayadi, 271
147 Voir sur cette question,
148 Revirement arrêt Civ. 2/3/2001, inédit accepte l’exequatur seul élément à prendre en considération : intérêt de l’enfant. Renonce à évoquer la constitution. Alors
que premier arrêt rendu le 4/01/1999, la Cour se réfère à l’élément religieux et à la non conformité de la décision étrangère à la constitution.
149 TPI Tunis 27/6/2000, RTD 2000, p.note M.Ben Jémia
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Le seul examen du contenu du droit étranger (B) après la mise en œuvre préalable de la règle de
conflit (A) suffit à déclencher le mécanisme de l’exception de l’ordre public et ce, même à défaut de
liens avec l’ordre juridique tunisien (C)
A : Mise en œuvre préalable de la règle de conflit :
Techniquement, l’exception de l’ordre public ne peut être soulevée «Que si les dispositions du droit
étranger s’opposent aux choix fondamentaux du système juridique tunisien» Le juge ne peut alors
soulever l’exception d’ordre public que s’il a préalablement mis en œuvre sa règle de conflit et désigné
la loi étrangère applicable.
B :L’examen du contenu du droit étranger
Il y a deux modalités d’examen du droit étranger : il peut s’agir d’un examen in abstracto ou in
concreto
. Dans la première hypothèse, le contenu seul du droit étranger suffit, après sa mesure à
l’aune de nos principes fondamentaux, à déclencher l’exception de l’ordre public. Dans la seconde,
c’est seulement si le résultat de l’application du droit étranger à l’espèce considérée heurte nos
principes fondamentaux que l’ordre public interviendra.
En droit comparé, en Europe plus précisément, le mouvement actuel général est favorable à un
examen
in concreto de l’ordre public. C’est ainsi que l’article 6 EGBGB (Loi d’introduction au code civil
allemand) dispose que « L’application des dispositions de la loi d’un Etat étranger est exclue quand
elle conduit à un résultat manifestement incompatible avec les principes fondamentaux du droit
allemand » et l’article 17 LDIP Suisse que « L’application des dispositions du droit étranger est exclue
si elle conduit à un résultat incompatible avec l’ordre public suisse ». Enfin, c’est ce que préconisent
l’article 16 de la loi italienne de1995 selon laquelle « La loi étrangère n’est pas appliquée si ses effets
sont contraires à l’ordre public » ainsi que la doctrine et la jurisprudence française. L’accent est, dans
tous ces ordres juridiques, mis sur le résultat de l’application à l’espèce considérée de la loi étrangère
et non sur son seul contenu.
Quel est l’enjeu de ses deux modalités d’intervention ? L’un, l’ordre public in abstracto conduit à une
intervention sévère, énergique de l’ordre public, l’autre, l’ordre public
in concreto montre plus de
tolérance à l’égard du droit étranger. Un exemple permettra de le démontrer. L’adoption est autorisée
en droit tunisien et l’institution fondée sur l’intérêt de l’enfant. Si l’on raisonne
in abstracto ainsi que
nous y invite le législateur tunisien, nous dirons que les lois étrangères qui prohibent l’adoption sont
contraires à notre ordre public car elles heurtent le principe de l’intérêt de l’enfant. En raisonnant
in
concreto
, nous nous prononcerons d’abord sur l’adoption elle – même. Est-il en l’espèce, dans l’intérêt
de l’enfant d’être adopté ? Si la réponse est positive, nous écarterons l’application de la loi étrangère
prohibant l’adoption au motif que son résultat est en l’espèce de priver un enfant de son intérêt à être
adopté. En revanche, si la réponse est négative, l’intérêt de l’enfant n’étant pas en l’espèce d’être
adopté, alors on appliquera la loi étrangère car le résultat de son application à ce cas particulier, ne
heurte pas notre ordre public. Il y a, on le voit, plus de chances d’appliquer la loi étrangère en
raisonnant in concreto. Opter pour le raisonnement in abstracto c’est opter pour la sévérité, ce que ne
dément pas l’interdiction de la prise en considération des liens avec l’ordre juridique tunisien.
C/ Interdiction de l’ordre public de proximité
La proximité permet de mesurer le degré d’atteinte à l’ordre public : l’atteinte est plus ou moins forte
selon que la relation est ou non proche de l’Etat du for. Les instruments de mesure de l’intensité de
l’atteinte sont en général la nationalité ou le domicile des parties.
Dans la mise en œuvre de l’exception de l’ordre public, le législateur tunisien interdit au juge de se
référer au critère de la nationalité dans l’alinéa 2 de l’article 36 : « Le juge invoque l’exception de
l’ordre public quelle que soit la nationalité des parties au litige » comme il interdit la référence à tout
autre critère en disposant : «l’exception d’ordre public ne dépend pas de l’intensité du rapport entre
l’ordre juridique tunisien et le litige»
La jurisprudence tunisienne n’avait jusque là admis l’intervention de l’ordre public que dans la
mesure où le litige présentait des liens avec l’ordre juridique tunisien. Ce lien était essentiellement
52

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constitué par la nationalité tunisienne d’une partie au procès, en matière de statut personnel qui était
le domaine dans lequel l’ordre public était le plus fréquemment invoqué
150. Et les dernières décisions
avant la promulgation du Code avaient introduit le lien avec le domicile en Tunisie
151.
En droit comparé, législations152 et jurisprudences153, font de la proximité avec le for une condition
d’intervention de l’ordre public.
Le législateur tunisien n’hésite pas à être redondant dans son interdiction de l’ordre public de
proximité. Après avoir interdit le recours au critère de la nationalité, dans l’alinéa 2 de l’article 36, il
réitère l’interdiction en prohibant la prise en compte de l’intensité du lien avec l’ordre juridique
tunisien qui couvre et le rattachement au domicile, mais aussi à la nationalité.
Cette insistance sur l’interdiction de l’ordre public de proximité montre que c’est la jurisprudence du
« privilège de nationalité » que le législateur fustige. La jurisprudence avait en effet systématiquement
écarté les lois étrangères, en matière de divorce, et contraires à notre ordre public, dès lors qu’une
partie tunisienne était au procès. En revanche, quand les deux parties étaient étrangères et que leur
loi nationale commune était prohibitive ou restrictive du divorce, l’ordre public n’était guère invoqué,
même si un lien de proximité existait du fait de l’existence d’un domicile commun en Tunisie. Cette
jurisprudence avait été critiquée par une doctrine qui avait vu dans la mise en œuvre du critère de la
nationalité tunisienne, une parenté avec le privilège de la religion musulmane. Si les juges, estimait-
on, refusaient l’application de la loi étrangère c’est parce qu’il leur semblait inadmissible qu’un
tunisien, supposé musulman, puisse être régi par une loi autre que musulmane dans le domaine du
statut personnel. Il est ainsi possible que ce soit en raison de cette parenté supposée entre nationalité
et religion que le législateur a exclu de manière expresse le recours au critère de la nationalité.
Cette interdiction a par ailleurs été justifiée par l’idée que l’exception de l’ordre public lorsqu’elle
intervient doit profiter à tous les justiciables tunisiens ou étrangers, domiciliés ou non en Tunisie.
Mais n’est-ce pas présumer toujours de l’excellence ou si l’on préfère de la supériorité du droit du for,
son application subsidiaire après la mise à l’écart du droit étranger étant considérée comme un
bienfait. Or le postulat d’égalité sur lequel repose le droit international privé en général et le notre en
particulier qui a opté pour la méthode savignienne peut-il se satisfaire d’une technique d’éviction du
droit étranger dont on élargit le domaine au lieu de le réduire ? Car il est clair que l’exigence de
proximité limite le domaine d’intervention de l’exception de l’ordre public en ne le faisant intervenir
qu’en présence d’une partie de nationalité tunisienne ou domiciliée en Tunisie.
Quant à ceux qui ne sont pas hostiles à l’exigence de proximité, ils estiment que la condition est
nécessairement remplie dès lors que les tribunaux tunisiens sont compétents. Mais c’est oublier que la
compétence internationale n’est pas nécessairement fondée sur la proximité, qu’interviennent aussi
des motifs de souveraineté et de bonne administration de la justice
154. Et que la proximité ne remplit
pas le même rôle ici et là : en matière d’ordre public la fonction de la proximité est de dire que
l’exception de l’ordre public sert uniquement à protéger l’ordre juridique du for quand l’atteinte est
caractérisée et non à porter un jugement de valeur sur le droit étranger.
150 Arrêt Zacco : 25/12/1963 : « La primauté de l’ordre public ne peut intervenir qu’en cas de conflit entre la loi étrangère et la loi tunisienne » ; Tunis 16/11/1959,
RTD 1962, 35 : Divorce Tunisienne avec mari Italien : « L’ordre public commande de ne pas priver une citoyenne tunisienne des droits fondamentaux à elle
reconnus par le CSP »
151 Civ. 16/6/1987, « Une citoyenne tunisienne qui a célébré son mariage en Tunisie et qui y ait domiciliée ne saurait être privée du droit de demander le divorce
unilatéral »
152 L’exigence de proximité dans les textes de loi s’induit à travers l’exigence d’une incompatibilité manifeste avec les principes fondamentaux, voir aussi clauses
spéciales d’ordre public, ben Jémia article 17 para 1 EGBGB : Quand la loi étrangère compétente pour régir le divorce « ne permet pas de prononcer le divorce, la
loi allemande s’applique si à ce moment, le demandeur est de nationalité allemande ou l’était au moment de la célébration du mariage »
153 Jurisprudence française en ce sens : Divorce : Civ. 1ère 1981 (Clunet 81, 812, note Alexandre (D.)): faculté pour le français domicilié en France de demander le
divorce contre la loi espagnole qui l’interdisait. Filiation : Civ. 10/2/1993, RC 1993, 620, note J.Foyer) : « Si les lois étrangères qui prohibent l’établissement de la
filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française de l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet de priver un
enfant français ou résidant habituellement en France du droit d’établir sa filiation », Lyon, 12/12/2000,
Clunet 2002, 475, note F. Moneger, « Doit être écartée la
loi étrangère qui a pour effet de priver un enfant résidant depuis sa naissance en France du droit de se prévaloir de sa filiation, l’ordre public de proximité
s’opposant, dans ce cas, à l’application de la loi étrangère normalement compétente »
154 Voir nos dév.infra, p.
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Mais alors que dans ses conditions d’intervention l’ordre public international tunisien est
intransigeant, il retrouve souplesse et flexibilité dans ses effets.

§3 : Effets de l’ordre public
Il faut distinguer entre les effets pleins (A) et l’effet atténué de l’ordre public (B)
A.Effets pleins
Les effets pleins de l’ordre public interviennent lors de la création d’une situation juridique sur le
territoire tunisien. Une situation juridique contraire à l’ordre public international ne saurait y être
créée. La loi étrangère sera évincée et lui seront substituées les dispositions du droit tunisien. La loi
étrangère n’est par ailleurs écartée que « dans ses dispositions contraires à l’ordre public ». L’effet
d’éviction est limité à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder l’ordre public tunisien qui
intervient dans les relations internationales
155. Ainsi par exemple, chaque fois qu’ont été écartées les
législations n’accordant pas le droit à la femme de demander le divorce par volonté unilatérale, leur
ont été substituées les dispositions tunisiennes, soit l’article 31 alinéa 3. Les effets du divorce, comme
par exemple les indemnités dus au conjoint, ou la garde des enfants, seront quant à eux régis par la loi
normalement compétente, sauf là encore contrariété avec l’ordre public international tunisien.
B. Effets atténués
Après avoir donné la signification de la notion (a), nous nous interrogerons sur son fondement (b)
a/ Signification
L’ordre public atténué intervient lors de la reconnaissance des situations juridiques créées à
l’étranger. L’ordre public atténué a été introduit pour la première fois en Tunisie par le Code de droit
international privé. Jusqu'à la promulgation du code, il n’y avait pas de disposition législative sur la
question et la jurisprudence n’avait jamais atténué l’effet de l’ordre public
L’expression d’effet atténué n’est pas utilisée par le code, mais c’est bien de cela qu’il s’agit dans
l’article 37 qui dispose : «Sont reconnus en Tunisie les effets des situations régulièrement créées à
l’étranger, conformément à la loi désignée par la règle de conflit tunisienne, s’il n’apparaît que ces
mêmes effets sont incompatibles avec l’ordre public international tunisien».
Pour que les effets d’une situation juridique puissent être reconnus en Tunisie, il faut plusieurs
conditions. D’abord, la situation juridique doit avoir été régulièrement créée à l’étranger. La régularité
de la création à l’étranger est appréciée par référence aux critères prévus par l’article 11 CDIP sur
lesquels nous aurons à revenir. Retenons pour l’instant que la régularité internationale signifie que le
juge ne peut faire intervenir l’ordre public atténué qu’à l’égard de décisions émanant d’une autorité
publique étrangère compétente. Celle-ci, c’est la deuxième condition prévue par l’article 37CDIP, doit
avoir appliqué la même loi que celle désignée par la règle de conflit tunisienne.
L’effet atténué signifie normalement que seuls les effets d’une situation juridique peuvent être
contrôlés par le biais de l’ordre public. La situation juridique régulièrement créée à l’étranger devrait,
nonobstant sa contrariété à l’ordre public, pouvoir être reconnue en Tunisie.
Prenons l’exemple du mariage polygamique. Celui-ci ne peut être célébré en Tunisie. La polygamie
constitue un délit pénal et le principe de territorialité de la loi pénale s’opposera à toute célébration
de mariage polygamique en Tunisie, même entre époux dont la loi nationale l’autorise. Mais des effets
pourraient être reconnus à un mariage polygamique célébré au Maroc entre deux marocains si
l’autorité qui l’a célébré est compétente selon le droit marocain et si la loi marocaine a été appliquée,
loi marocaine que désigne la règle de conflit tunisienne puisque l’article 39 CDIP dispose que «le
155 Contra, la Cour de cass. Dans son arrêt en date du civ. 1987 avait étendu la loi tunisienne aux effets personnels du divorce (garde des enfants) et effets
patrimoniaux alors que loi marocaine avait été écartée uniquement en ce qui concerne l’admissibilité du divorce.
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statut personnel est régi par le droit national de l’intéressé». Le mariage polygamique ne peut être
célébré en Tunisie, du fait de sa contrariété à l’ordre public international tunisien, mais célébré à
l’étranger entre personnes dont le statut personnel l’autorise, par une autorité publique compétente,
des effets pourraient lui être reconnus. L’article 37 CTDIP autorise que des effets puissent lui être
reconnus, à condition toutefois que les effets que l’on veut faire produire à ce mariage polygamique ne
heurtent pas l’ordre public international tunisien.
Aucun effet n’a a ce jour été reconnu aux mariages polygamiques célébrés à l’étranger, si l’on excepte
une décision isolée qui a accepté de reconnaître le principe du partage de la succession d’un mari
polygame entre les épouses
156, en se référant explicitement à l’article 37 du CDIP.
On peut ainsi soit ventiler en fonction des effets qu’il est demandé de faire produire au mariage
polygamique, accepter certaines effets et en rejeter d’autres, comme en refuser tout effet. L’article 37
CDIP ne doit pas non plus toujours conduire à atténuer l’ordre public. L’article utilise l’indicatif « Sont
reconnus ». Il peut alors être interprété de deux manières : c’est soit une obligation soit une simple
faculté : doivent être reconnus ou peuvent être reconnus. Nous pensons que la deuxième
interprétation est la meilleure, car l’ordre public ne peut s’atténuer en toutes hypothèses et
particulièrement lors de la reconnaissance d’institutions inégalitaires telles que la répudiation ou la
polygamie. En d’autres termes, l’article 37 se limite à permettre au juge de reconnaître des effets à des
situations juridiques contraires à l’ordre public, dans la mesure où ces effets sont eux-mêmes
conformes à l’ordre public. Mais le juge peut tout aussi bien refuser de reconnaître et la situation
juridique et ses effets.
De même en est-il en matière de répudiation. Peu de décisions ont accepté de reconnaître des effets
aux répudiations régulièrement acquises à l’étranger. Et ce, dans tous les cas même quand la femme a
consenti à la répudiation
157 soit en demandant elle-même la répudiation moyennant versement d’une
compensation à son époux ou renonciation à ses droits pécuniaires (kholoo) soit que c’est elle qui
demande sa reconnaissance en Tunisie. L’effet qu’il est demandé de faire produire ici à la répudiation
étant celui de la dissolution du lien, permettant à la femme de recouvrer sa liberté matrimoniale et de
pouvoir se remarier en Tunisie. Les juges opposent l’ordre public aux répudiations kholoo
158 et seule
une décision isolée, rendue par la Cour d’appel de Tunis en 2001
159, a reconnu, à la demande de la
femme, une répudiation saoudienne.
Ce refus vigoureux opposé à la mise en œuvre de l’effet atténué en matière de répudiation et de
polygamie est soutenu par une partie de la doctrine tunisienne qui craint qu’une reconnaissance
même limitée ne banalise ces institutions auprès de l’opinion publique tunisienne et ne porte ainsi
atteinte aux principaux acquis du code du statut personnel
160.
b : Fondement de l’effet atténué
En droit comparé, l’effet atténué de l’ordre public était fondé sur la notion du respect international des
droits acquis. Le juge du for ne peut, sans remettre en cause des droits régulièrement acquis à
l’étranger, leur opposer l’ordre public. Aujourd’hui, l’effet atténué de l’ordre public n’est plus fondé
sur la notion de respect des droits acquis, mais sur l’absence de proximité avec le for. Si un mariage
polygamique ou une répudiation peuvent être reconnus dans un Etat qui les interdit, c’est à la
condition que les intéressés ou l’un d’eux n’aient pas sa nationalité ou ne réside pas sur son
territoire
161. Ainsi, certains juges se sont tout à la fois basés sur l’absence de proximité avec l’ordre
juridique tunisien et sur le respect international des droits régulièrement acquis à l’étranger pour
reconnaître une répudiation égyptienne (kholoo demandé par la femme moyennant renonciation à
ses droits pécuniaires) . Le tribunal cantonal de Tunis, dans un jugement rendu le 5 mai 2005
162, a
ainsi considéré que : « Le divorce des parties par un acte notarial émanant d’une autorité officielle en
156 Tunis, n°91565 du 13/12/2002, inédit ; attendus principaux publiés in le CDIP commenté, p.536.
157 Dans ce sens, MEZGHANI (A.), op. cit., p. 87 qui considère que l’effet de l’ordre public ne peut s’atténuer si « la répudiation est contestée »
158 Voir en particulier, TPI n°47564 du 1/12/2003, inédit.
159 Arrêt n°79204 du 3/10/2001, inédit.
160 Voir sur cette question, Polygamie et répudiation dans les relations internationales, Actes de la table ronde organisée à Tunis le 16/4/2004 par l’Unité de
Recherches : relations privées internationales, FSJPS, éd.AB consulting, 2006.
161
162 Tribunal cantonal de Tunis, n°85376/2004, Clunet fév.mars 2007, p. 165, note Bellamine (M.)
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Egypte a produit ses effets depuis 4 années et il n’a aucun lien étroit avec la Tunisie, le mariage ayant
été célébré en Egypte où les époux étaient domiciliés et ont été divorcés. En conséquence, il n’y a pas
lieu de soulever l’exception d’ordre public » Les juges ont donc refusé de remettre en cause une
situation régulièrement et durablement (l’écoulement d’une période de 4 ans depuis l’acquisition de
ce droit) acquise à l’étranger, d’autant que la situation n’était pas proche de la Tunisie, en raison du
domicile à l’étranger des parties.
L’interdiction de prise en compte des liens de proximité posée par l’article 36 CDIP se trouve dès lors
limitée aux hypothèses d’intervention de l’ordre public lors de la création de la situation juridique en
Tunisie. Lorsque l’ordre public intervient pour reconnaitre des situations juridiques créées à
l’étranger et à défaut d’interdiction par l’article 37 CDIP, les juges mettent en œuvre l’exigence de
proximité, ce qui permet comme dans l’hypothèse examinée par le tribunal cantonal de réduire les cas
d’intervention de l’ordre public, quand il n’existe pas de liens significatifs avec l’ordre juridique
tunisien. S’il faut être prudent lors de l’examen de la conformité d’institutions inégalitaires telles que
la répudiation et la polygamie, il ne faut pas non plus se montrer trop rigide, au risque de multiplier
les situations juridiques boiteuses (mariage ou divorce valides à l’étranger et non reconnus en
Tunisie) et de pénaliser les principales victimes, les femmes.
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