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Direction générale du Trésor
Ambassade de France en Tunisie
Service économique de Tunisie
Tunis, le 22 janvier 2021
Tunisie : 10 ans après la Révolution,
les Tunisiens désenchantés par le bilan socio-économique
Le 14 janvier 2011, le président tunisien Ben Ali prenait la fuite face à l’ampleur des émeutes déclenchées par
l’immolation d’un jeune tunisien de 26 ans un mois plus tôt, un événement qui allait provoquer une vague de
soulèvements à travers le monde arabe. Alors que la Tunisie est souvent considérée comme le seul succès du Printemps
arabe, ayant permis d’organiser des élections libres et de rétablir la liberté d’expression, 10 ans plus tard, la grande
majorité des Tunisiens sont déçus du bilan socio-économique de la Révolution et constatent une dégradation de la
situation économique. Si la Tunisie peut se targuer d’une augmentation du PIB/habitant et d’un recul significatif de la
pauvreté et des inégalités de revenus depuis 10 ans, le chômage reste élevé et la succession des gouvernements n’a pas
su répondre au défi des inégalités territoriales qui se reflètent à la fois au niveau de l’emploi, de la pauvreté et de l’accès
aux services publics et aux infrastructures de base (santé, éducation, énergie et eau). La Révolution n’a pas non plus
permis de mettre fin à l’économie de rente et à la corruption qui continuent d’handicaper l’économie tunisienne. La crise
sanitaire risque de fragiliser davantage la Tunisie, en provoquant une récession sans précédent qui pourrait
compromettre les quelques progrès réalisés en termes de réduction du chômage et de la pauvreté, qui est passée de
14% de la population avant la pandémie à 21% fin décembre. Témoins de la dégradation de la situation sociale, les
manifestations pour la hausse des salaires et l’emploi se sont multipliées ces derniers mois et la crise a enclenché une
vague migratoire sans précédent en 2020.
1. Si des progrès ont été réalisés depuis la Révolution du jasmin, le bilan des avancées socio-
économiques depuis 10 ans n’a pas été à la hauteur des espérances des Tunisiens
La Tunisie a connu une augmentation du PIB/habitant et un recul significatif de la pauvreté et des inégalités de revenus
depuis la Révolution. Le
PIB par habitant à prix constants a augmenté de 6,4% entre 2010 et 2019 pour atteindre 6 305
TND, malgré la chute de -2,9% en 2011 sous l’effet de la Révolution (
cf. graphique 1 en annexe). Bien que loin d’être
éradiquée, la
pauvreté a été significativement réduite en 5 ans : alors qu’en 2010, 20,5% des Tunisiens se trouvaient
sous le seuil national de pauvreté, ce taux a été réduit à 15,2% en 2015
1 (cf. graphique 2). De même, ils n’étaient plus
que 0,2% à vivre avec moins de 1,90 USD/jour en 2015, contre 2% en 2010. Enfin, l’indice GINI des inégalités2 est passé
de 35,8 en 2010 à 32,8, reflétant une
amélioration de l’équité dans la distribution des richesses : la part des revenus
détenus par les 10% les plus pauvres est ainsi passée de 2,6% en 2010 à 3,2% en 2015, alors qu’elle était stagnait depuis
1985 (2,3%), et la part des revenus détenus par les 10% les plus riches a reculé de 27% à 25,6%.
Le chômage et les disparités territoriales continuent cependant d’entretenir un climat social tendu. La Révolution a fait
exploser le chômage en Tunisie
, qui a bondi de 13,0% de la population en 2010 à 18,3% en 2011 (cf. graphique 3).
Alors qu’il a rapidement baissé de 2011 à 2015 (15,2%), il a ensuite quasi-stagné jusqu’en 2019 (15,1%), et reste plus
élevé qu’avant la Révolution.
Les inégalités entre les régions de l’intérieur et du sud du pays, plus marginalisées,
et le littoral, relativement plus prospère
, minent par ailleurs le développement économique de la Tunisie et
contribuent à entretenir un climat social tendu. Certaines régions sont bien plus touchées par le chômage, avec des taux
1 Dernière année disponible.
2 L'indice de Gini indique dans quelle mesure la répartition des revenus entre les individus ou les ménages au sein d’une économie s’éloigne
de l’égalité parfaite. Le coefficient de Gini est compris entre 0 (égalité parfaite) et 100 (inégalité absolue).




















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atteignant près de 25% ou plus en 2019 dans les gouvernorats de Jendouba (24,6%), Tozeur (24,8%), Gafsa (25,5%) ou
encore Tataouine (28,7%). De même,
si la pauvreté a reculé à l’échelle nationale, elle affecte certaines régions de
manière disproportionnée
. Lors du dernier recensement en 2015, le taux de pauvreté était ainsi estimé à 28,4% dans
le Nord-Ouest et à 30,8% dans le Centre-Ouest, alors qu’il n’était que de 5,3% dans le Grand Tunis (
cf. tableau 1).
Cette fracture spatiale se reflète également au niveau de l’accès aux services publics et aux infrastructures de
base (santé, éducation, énergie et eau).
Par exemple, les régions les plus pauvres du Nord-Ouest et du Centre-Ouest
sont celles qui disposent le moins de médecins (7,7 médecins pour 10 000 habitants dans le Nord-Ouest et 6 dans le
Centre-Ouest, contre 20,5 dans le Grand Tunis en 2017 ;
cf. tableau 2), et dont le taux de mortalité est le plus élevé (5,57
pour 1 000 habitants dans le Centre-Ouest et 5,64 dans le Nord-Ouest, contre 5,42 dans le Grand Tunis en 2016). Les
régions du littoral ont également un meilleur accès aux réseaux d’eau potable, de gaz naturel, d’assainissement et
d’électricité que les régions de l’intérieur et du sud tunisien (
cf. graphique 5).
L’économie tunisienne demeure paralysée par l’économie de rente et la corruption. L’économie de rente, entretenue par
un cartel de grandes familles et reposant sur un
régime d’autorisations et de licences qui leur permet d’être à l’abri
de la concurrence, asphyxie l’économie tunisienne et l’empêche d’atteindre son plein potentiel.
En étouffant la
concurrence, l’économie de rente freine également l’investissement et le développement du tissu économique
tunisien
. Ce système d’économie de rente, très développé sous l’ère Ben Ali3, avait fait l’objet des contestations portées
par le peuple tunisien lors de la Révolution du jasmin. Les biens du clan Ben Ali (regroupant environ 110 familles et 220
entreprises) ont été confisqués après la Révolution, mais le système de rente a perduré.
La Révolution ne semble pas
avoir mis fin à la corruption
. L’indice de perception de la corruption de Transparency International n’a pas progressé
(43/100 en 2010 comme en 20194), et la Tunisie a même chuté dans le classement des pays (59ème place en 2010 et 74ème
place sur 180 pays en 2019).
Malgré quelques progrès, les Tunisiens restent donc globalement déçus par le bilan socio-économique de la Révolution
10 ans plus tard.
D’après un sondage d’Emrhod Consulting publié le 14 janvier, 83% des Tunisiens considèrent que la
situation économique s’est dégradée en 10 ans
, 7% qu’elle est restée inchangée et 6% qu’elle s’est améliorée.
Beaucoup de Tunisiens sont même
nostalgiques de l’ère Ben Ali : 59% de la population estime que la Tunisie était
meilleure sous la dictature de Ben Ali. Près de 84% estime que l’élite politique et les gouvernements qui se succèdent
sont les seuls responsables de la situation actuelle, tandis que 65% voient en l’ingérence étrangère une entrave à
l’aboutissement de la Révolution.
L’instabilité politique, parfaitement illustrée par la récente succession de trois
gouvernements en un an, et les
dysfonctionnements du système institutionnel parlementaire, provoquant le blocage
de nombreux projets de lois,
entravent la mise en œuvre des réformes économiques et ralentissent le progrès de
l’économie tunisienne. Le
peuple tunisien reste néanmoins optimiste : 77% des Tunisiens estiment que la Révolution
est sur la bonne voie mais que le régime politique actuel constitue une entrave au processus.
2. Une situation qui risque de s’aggraver dans le sillage de l’impact de la crise sanitaire
La crise du Covid-19 frappe de plein fouet une économie tunisienne déjà fragile. L’économie tunisienne devrait connaitre
une récession historique de 8,2% en 2020.
La crise sanitaire affecte particulièrement des secteurs majeurs pour
l’économie tunisienne, comme le tourisme et les transports
(l’ensemble de la branche tourisme contribuerait
indirectement à 14% du PIB en 2019, tandis que le secteur des transports en représente 7,5%). Sur les 9 premiers mois
de 2020, ces secteurs ont enregistré une chute de l’activité de 42,7% et 29,6% en g.a. respectivement. Les recettes
touristiques cumulées se sont ainsi écroulées de 65% entre 2019 et 2020.
Les conséquences de la chute d’activité commencent à se répercuter sur la vie des entreprises, l’emploi et la pauvreté.
Selon l’INS, au 3
e trimestre de 2020, 5,4% des entreprises avaient définitivement fermé (dont 1,5% à cause du Covid-
19) et 7,7% étaient temporairement fermées
. Les fermetures pourraient encore augmenter : 37,2% des entreprises
ouvertes au T3 2020 déclarent risquer de fermer définitivement dans les conditions actuelles.
Le taux de chômage est
passé de 15,1% de la population active au 4
e trimestre 2019 à 16,2% au 3e trimestre 2020. Il touche
particulièrement les diplômés de l’enseignement supérieur (30,1%), les jeunes de 15 à 24 ans (35,7%) et les femmes
3 Les entreprises du clan Ben Ali captaient 21% des bénéfices alors qu’elles ne représentaient que 0,8% des emplois en 2010 selon une
estimation de la Banque mondiale.
4 L’indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International classe les pays selon le degré de corruption perçu dans un pays.
Un score proche de 0 correspond à plus de corruption et un score proche de 100 à moins de corruption.
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(22,8%, contre 13,5% pour les hommes). Le travail informel s’est accru avec 46,4% des employés dans le secteur
informel en 2020, contre 44,8% fin 2019.
La pauvreté toucherait 21% de la population en décembre 2020 contre
14% avant l’épidémie selon la Banque mondiale,
une hausse qui concerne principalement les femmes en emploi
précaire dans les régions défavorisées du Centre-Ouest et du Sud-Est.
Ces évolutions ont attisé les tensions sociales et déclenché une vague migratoire de taille. Témoignant de la dégradation
de la situation sociale,
les manifestations pour la hausse des salaires et l’emploi se sont multipliées ces derniers
mois
dans plusieurs régions du sud et du centre touchées par la précarité, entrainant l’arrêt de sites de production
(hydrocarbures et phosphate) et perturbant l’activité économique. Au lendemain du 10
ème anniversaire de la Révolution
le 15 janvier 2021, des troubles ont éclaté dans plusieurs régions de la Tunisie. Après quatre nuits de heurts entre la
police et de jeunes protestataires, des centaines de jeunes ont manifesté le 19 janvier 2021 à Tunis et à Sfax pour
protester contre la pauvreté et la classe politique.
Face au climat social tendu, à la remontée de la pauvreté et au
manque de perspectives, de nombreux Tunisiens ont décidé de migrer illégalement vers l’Europe
. À la fin
septembre, près de 10 000 Tunisiens auraient tenté une traversée illégale de la Méditerranée depuis le début de l’année
selon la Banque mondiale, ce qui en fait le plus grand groupe de nationalité traversant la Méditerranée.
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Annexe
Graphique 1 : Evolution du PIB/habitant
Graphique 2 : Evolution de la pauvreté
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Graphique 3 : Evolution du chômage
Graphique 4 : Disparités régionales en terme de taux de chômage et taux de pauvreté
Source : enquête de l’INS, données de 2015.
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Graphique 5 : Disparités régionales en terme d’infrastructures
Source : enquête de l’INS, données de 2015.
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Tableau 1 : Taux de pauvreté dans les régions de Tunisie
Source : enquête de l’INS, données de 2015.
Tableau 2 : Densité des médecins
Source : Ministère de la Santé, 2017.
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