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Migrations africaines et variations
religieuses : les églises chrétiennes du
Maroc et de Tunisie
Sophie BAVA *
Katia BOISSEVAIN **
RÉSUMÉ
En faisant dialoguer deux terrains de recherche conduits au Maroc et en Tuni-
sie selon une démarche anthropologique, nous mettrons en lumière les questions
que la migration africaine pose aujourd’hui aux institutions chrétiennes, catholique
et protestante. Quelles reconfigurations religieuses la présence des migrants induit-
elle ? D’un côté, les Églises « historiques » présentes dans les grandes villes, en tant
qu’héritières des Églises officielles, ont augmenté le nombre de leurs fidèles et de leurs
offices. De l’autre, les Églises pentecôtistes et charismatiques ont fait leur appari-
tion dans les quartiers périphériques. Nous décrirons dans cet article, d’une part, les
dynamiques nouvelles entre Églises catholique et protestante au Maroc et en Tuni-
sie, et d’autre part, nous analyserons les manières différenciées dont les autorités
ecclésiastiques des deux pays composent avec les orientations distinctes au sein du
protestantisme entre les cultes historique et pentecôtiste. Notre hypothèse est que
l’histoire des congrégations religieuses chrétiennes au Maghreb, implantées depuis
le milieu du XIX
e siècle, continue d’influer sur les équilibres actuels.
MOTS-CLÉS : Autorité religieuse, christianisme, Église, Maroc, Tunisie
Les transformations religieuses liées aux migrations sont désormais
bien documentées en sciences sociales et ce sur tous les continents.
Souvent abordées sous l’angle des transformations rituelles, des nor-
mes et des valeurs
1, nous en proposons ici une approche différente. En
faisant dialoguer deux terrains de recherche conduits au Maroc et en
Tunisie selon une démarche anthropologique, nous mettrons en lu-
mière les questions que la migration africaine pose aux institutions
chrétiennes, catholique et protestante. Avant de comparer ces deux
*
Anthropologue à l’IRD, Laboratoire population environnement développement (LPED), Aix-
Marseille Université.
** Chargée de recherche au CNRS, Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et
comparative (IDEMEC), Aix-Marseille Université.
1. Ces travaux étant trop nombreux pour être cités, nous nous limiterons à deux ouvrages et
deux dossiers thématiques de revues : FANCELLO, Sandra ; MARY, André (sous la direction
de), Chrétiens africains en Europe. Prophétisme, pentecôtisme et politique des nations,
Paris : Éd. Karthala, 2010, 420 p. ; ROY, Olivier ; MARZOUKI, Nadia (eds), Religious Conver-
sion in the Mediterranean World
, London: Palgrave Macmillan, 2013, 193 p. ; BAVA, Sophie ;
CAPONE, Stéphanie (coordonné par), “Migrations et transformations des paysages reli-
gieux” (dossier),
Autrepart, n° 56, mars 2011, pp. 3-268 ; BAVA, Sophie ; BOISSEVAIN, Katia
(coordonné par), “Routes migratoires africaines et dynamiques religieuses” (dossier),
L’Année du Maghreb, n° 11, 2014, pp. 7-211.
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situations, certains contrastes entre les deux pays doivent être rappe-
lés. Tout d’abord, le nombre de migrants présents au Maroc et en
Tunisie, tout comme l’histoire des relations entre ces deux pays et
l’Afrique de l’Ouest et l’Europe influent sur leur politique migratoire.
Ensuite, les histoires coloniales en général et l’histoire du christianisme
en particulier pèsent différemment sur les constructions contemporai-
nes. La conséquence de ces deux éléments est que la place des institu-
tions chrétiennes se négocie et se réarticule aujourd’hui de manière
différenciée dans ces deux pays.
Jusque dans les années 2000, en Tunisie et au Maroc, le christia-
nisme, catholique ou protestant
2, était le résultat d’un maillage territo-
rial élaboré pendant le protectorat, qui s’appuyait symboliquement sur
des bribes d’histoire chrétienne
3. Á partir des indépendances, le nom-
bre de fidèles a décliné et les lieux de culte se sont progressivement
vidés. Dans les deux pays, la fréquentation des lieux de culte chrétiens
s’est peu à peu étiolée, se réveillant timidement lors des grandes fêtes
chrétiennes comme Noël et Pâques. C’est avec l’augmentation du
nombre d’étudiants et de migrants originaires d’Afrique subsaharienne,
dans les années 1990, que les églises se sont à nouveau remplies. Mais
de quelles Églises s’agit-il ? Quelles reconfigurations religieuses la
présence des migrants induit-elle ? D’un côté, les Églises « histori-
ques »
catholique et protestante présentes dans les centres villes
de Tunis, Sousse ou Rabat, Casablanca et Fès, en tant qu’héritières des
Églises officielles (c’est-à-dire implantées au Maroc et en Tunisie
depuis le XIX
e siècle), ont augmenté le nombre de leurs fidèles et de
leurs offices. De l’autre, les Églises pentecôtistes et charismatiques
4,
dites informelles
5, sont apparues et se sont développées dans les
quartiers périphériques. Cet afflux de chrétiens dans deux pays mu-
sulmans pose de manière évidente la question de la gestion du multi-
confessionnalisme ainsi que son pendant inévitable, la liberté religieuse
2.
3.
4.
Il existe peu d’églises orthodoxes. Voir KAZDAGHLI, Habib, “Les églises chrétiennes non
catholiques et l’État tunisien depuis 1956”, in : DELISLE, Philippe ; SPINDLER, Marc (sous la
direction de),
Les relations Églises-État en situation post-coloniale. Amérique, Afrique,
Asie, Océanie, XIX
e-XXe siècles, Paris : Éd. Karthala, 2003, pp. 203-229.
Se référer à l’article de COYAULT, Bernard, “Christianity in Northern Africa”, in: APAWO
PHIRI, Isabel ; WERNER, Dietrich ; KAUNDA, Chammak ; OWINO, Kennedy (eds),
Anthology of
African Christianity
, Oxford: Regnum Books, 2016, pp. 175-204.
Il s’agit d’Églises protestantes issues des mouvements pentecôtistes ou néo-évangéliques.
Elles insistent notamment sur l’intimité avec Jésus. Elles se subdivisent en une myriade de
dénominations à travers le monde.
5. Ces Églises ont pour la plupart été fondées par un petit groupe de migrants, sans autorisation
ni édifice officiels. L’on parle parfois d’Églises « informelles » car elles ne sont pas implantées
légalement comme les Églises historiques dites formelles. Elles sont également dénommées
« Églises de transit » ou « Églises de migrants » en référence à la population qui fréquentent
leurs lieux de culte. Ces derniers sont appelés « églises de maison » ou « églises
d’appartement » car ce ne sont pas des bâtiments spécifiquement conçus pour le culte.
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et le prosélytisme6. Ces deux questions s’invitent régulièrement dans
les débats sociaux.
Cela étant, plutôt que de nous intéresser ici aux relations entre mu-
sulmans et nouveaux arrivants chrétiens, ou aux transformations législati-
ves qui ont pour objectif de prendre acte de cette pluralité religieuse,
nous décrirons dans cet article, d’une part, les dynamiques nouvelles
entre Églises catholique et protestante au sein des deux pays, et d’autre
part, nous analyserons les manières différenciées dont les autorités
ecclésiastiques au Maroc et en Tunisie composent avec les orientations
distinctes au sein du protestantisme entre les cultes historiques et les
Églises pentecôtistes. Notre hypothèse est qu’au Maghreb, les institu-
tions religieuses chrétiennes sont les héritières de traditions religieuses
construites depuis le milieu du XIX
e siècle (avant les protectorats) dans
des contextes politiques propre à chaque pays. Aussi, il est vraisemblable
que les forces en présence à cette époque au sein de l’Église catholique
d’une part et entre les Églises catholique et protestante d’autre part,
continuent d’influer sur les équilibres actuels.
Par ailleurs, depuis le milieu du XIXe siècle et tout au long du XXe siè-
cle, au Maroc comme en Tunisie, le catholicisme occupait un poids
numérique et symbolique supérieur à celui du protestantisme. Au-
jourd’hui, c’est le protestantisme (toutes dénominations confondues)
qui y compterait le plus grand nombre de fidèles
7. En perdant sa place
hégémonique
vécue comme naturelle l’Église catholique a dû
nécessairement opérer des réajustements importants afin de trouver
un nouvel équilibre au sein du christianisme.
Nos observations ont été conduites principalement en milieu ur-
bain, où se concentrent les espaces de culte. Dans les deux pays, des
« confettis » chrétiens sont présents en milieu rural, témoins histori-
ques d’un christianisme colonial, sous la forme de monastères peu
investis par les Africains subsahariens, qui s’installent en ville en raison
du bassin d’emploi plus important et de l’accessibilité des administra-
tions centrales. D’un point de vue méthodologique, nous avons toutes
deux conduit des terrains ethnographiques, de manière parallèle mais
non liée, au Maroc et en Tunisie
8. Si chaque enquête s’est déroulée sur
6. BAVA, Sophie, “Migrations africaines et christianismes au Maroc. De la théologie de la
migration à la théologie de la pluralité religieuse”, Les cahiers d’outre-mer, n° 274, 2016,
pp. 259-288. BOISSEVAIN, Katia, “Le christianisme en Tunisie et au Maroc. Une évangélisa-
tion à deux vitesses”, in : KAOUES, Fatiha ; LAAKILI, Myriam (sous la direction de),
Prosély-
tismes. Les nouvelles avant-gardes religieuses
, Paris : CNRS Éditions, 2016, pp. 119-140.
7.
Il est toutefois difficile d’obtenir des chiffres fiables.
8. Engagées depuis de nombreuses années sur leurs terrains, les chercheuses ont coordonné
et participé conjointement à deux programmes de recherches ANR.
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plusieurs années, celle de nous deux travaillant sur le Maroc y était
installée en continu, tandis que l’autre, qui étudiait la situation en
Tunisie, a procédé à plusieurs séjours réguliers de courte durée.
L’observation participante réalisée à l’institut Mowafaqa au Maroc, lors
des cultes et réunions religieuses
ou non dans les deux pays, ainsi
que la réalisation d’entretiens informels avec des chrétiens, musul-
mans, migrants, prêtres, pasteurs, de diverses nationalités, constituent
les outils méthodologiques principaux de nos travaux9.
Des communautés chrétiennes renouvelées
Migrations et réappropriations du christianisme au Maroc
Depuis les années 1990, le Maroc est devenu un pays de confluences
migratoires
10 alors que le nombre d’étrangers reste faible, environ
84 000 en 2014 sur une population de 37 millions d’habitants, dont
40 % viendrait d’Europe, 26,8 % d’Afrique subsaharienne, 13,3 % du
Maghreb et 12,6 % du Moyen-Orient
11. De 2013 à 2015, puis de 2016 à
2018, deux vagues de régularisation ont été mises en œuvre, permet-
tant à près de 50 000 personnes
12 d’obtenir un titre de séjour allant
d’une à plusieurs années.
Au Maroc, cette situation a fait naître une scène religieuse chrétienne
totalement singulière, proche des réalités migratoires, tant dans
l’organisation des cultes que dans le cheminement théologique
13 des
cadres religieux ainsi que des fidèles. Les églises sont désormais jeunes
(80 % des fidèles ont moins de 30 ans), multiculturelles, multiethniques
et multidénominationnelles. Ces formes de christianisme importées par
9. Nous avons choisi de ne pas comparer nos terrains avec la situation des chrétiens en
Algérie (migrants ou convertis), et ce malgré les nombreux travaux de qualité qui y sont
conduits, faute de place. Voir à ce sujet SAADIA Oissila,
L’Algérie catholique XIX e-XXIe siè-
cles
, Paris : CNRS Éditions, 2018, 320 p. ; DIRECHE-SLIMANI, Karima, Chrétiens de Kabylie,
1873-1964. Une action missionnaire dans l’Algérie coloniale
, Paris : Éd. Bouchène, 2004,
156 p. ; DIRECHE-SLIMANI, Karima, “Dolorisme religieux et reconstructions identitaires. Les
conversions néo-évangéliques dans l’Algérie contemporaine”,
Annales. Histoires, Sciences
sociales
, n° 5, 2009, pp. 1137-1162.
10. ALIOUA, Mehdi, “Les migrants subsahariens au Maroc sur la route de l’Europe : de l’altérité
au cosmopolitisme ?”, in : BAVA, Sophie (sous la direction de),
Dieu, les migrants et l’Afri-
que
, Paris : Éd. L’Harmattan, 2018, pp. 225-241.
11. HAUT COMMISSAIRE AU PLAN, Les étrangers au Maroc, Royaume du Maroc, 2015.
12. Le bilan de la première campagne faisait apparaître que les Sénégalais arrivaient en tête
des nationalités concernées (6 600, soit 24,45 %). Venaient ensuite les Syriens (5 250, soit
19,21 %), les Nigériens (2 380, soit 8,71 %), les Ivoiriens (2 281, soit 8,35 %), les Camerounais
(1 410, soit 8,91 %), les Guinéens (1 408, soit 4,98 %), les Maliens 1 119, soit 4,09 %) ainsi que
des nationalités européennes.
13. BAVA, Sophie, “Prédications et réalités migratoires. Les réponses théologiques aux
migrations africaines au Maroc”, in : MAZZELLA, Sylvie ; PERRIN, Delphine (sous la direction
de),
Frontières, sociétés et droit en mouvement, Bruxelles : Éd. Bruylant, 2019, pp. 111-128.
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les migrants ont été perçues par les responsables des Églises historiques
chrétiennes, à la fois comme une « bénédiction », car elles réinstallaient
le christianisme au Maroc, et comme un « risque », car elles pouvaient, si
elles étaient trop prosélytes, trop charismatiques, faire exploser un
milieu chrétien déjà fragilisé par l’expulsion de missionnaires en 2010
14.
Outre les églises officielles, on dénombre une trentaine d’églises de
maison à Rabat
15, sans compter celles de Casablanca, encore plus nom-
breuses. Des églises charismatiques, fragiles, naissent ou disparaissent,
tandis que d’autres se transnationalisent avec le départ de leurs pasteurs
en Europe. Le nombre de leurs fidèles chute régulièrement, notamment au
printemps et en été lorsque les migrants tentent l’aventure, la
boza, vers
l’Europe. Ces églises mouvantes assurent cependant l’accompagnement
spirituel et matériel nécessaire dans un quotidien où l’attente, sans travail ni
argent, est la principale activité. Il est possible d’y prier, d’y trouver du
travail, du réconfort ou une formation et d’y reconstruire une sociabilité
qui, sans papiers, fait souvent défaut.
Pour les protestants réunis au sein de l’Église évangélique au Maroc
(
EEAM), qui existe depuis plus d’un siècle, la migration africaine est
perçue comme le début d’une nouvelle histoire, qui redonne un sens à
l’existence même de l’Église au Maroc. Poussée par cette situation
stimulante, où de nombreuses dénominations protestantes entrent en
concurrence, elle a dû poursuivre une réflexion théologique pour offrir
une théologie plus contextuelle, adaptée aux situations rencontrées par
les fidèles, aboutissant parfois à une « théologie de la migration » qui
mobilise autant les parcours d’exil des figures bibliques que les politi-
ques migratoires et les récits de migrants
16. Le nouveau projet religieux
de cette Église consiste à réinstaller le christianisme au Maroc en
s’appuyant également sur les catholiques, dans une vision d’un chris-
tianisme résolument plus africain. Pour cela, il a été nécessaire de
former un encadrement religieux au sein d’un nouvel institut œcumé-
nique créé par les Églises protestante et catholique en 2012, l’institut Al
Mowafaqa qui introduit depuis 2016 à la Formation des responsables
d’églises de maison (
FOREM), un samedi par mois.
14. Plus d’une centaine de pasteurs et un prêtre ont été expulsés du Maroc suite à une
première affaire mettant en cause «
16 éducateurs chrétiens qui exerçaient dans un orphe-
linat,
the village of Hope (le village de l’espérance) à Aïn Leuh dans le moyen Atlas et accu-
sés de prosélytisme auprès des enfants recueillis
», comme le rappelle l’historienne
DIRECHE-SLIMANI, Karima, “Néo-évangélistes au Maroc. Quelles réalités ?”, L’Année maro-
caine, vol. 41, 2011, pp. 25-47.
15. COYAULT, Bernard, “L’africanisation de l’Église évangélique au Maroc : revitalisation d’une
institution religieuse et dynamiques d’individualisation”,
L’Année du Maghreb, n° 11, 2014,
pp. 81-103.
16. BAVA, Sophie, “‘Vous n’êtes pas là par hasard’. La fabrication d’une théologie de la
migration au Maroc”, Afrique(s) en Mouvement, n° 1, janvier 2019, pp. 32-41.
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Dossier : Migrations africaines au Maghreb et au Moyen-Orient
Cette nouvelle concurrence entre une multitude d’Églises protes-
tantes est également évoquée par les représentants de l’Église catholi-
que au Maroc. Elle stimule et accompagne leur volonté d’œcuménisme,
non pas, comme le rappelle Daniel Nourrissat
17, un « œcuménisme de
réparation » à l’image de l’Europe, lié à l’histoire violente des relations
entre protestants et catholiques depuis la Réforme, ni un « œcumé-
nisme de combat » comme en Afrique, mais un œcuménisme de la
fraternité. Au Maroc, nous dit-il, « L’Église, par la volonté de Liautey,
n’est pas du tout prosélyte. Il avait interdit aux Sœurs blanches
[le
pendant féminin des Pères blancs]
de venir au Maroc et ce sont les
Franciscaines, sœurs de Marie, qui y ont été appelées
». À partir de
l’indépendance, le nombre de fidèles décline, les lieux de culte se
vident progressivement et les Églises, désormais uniquement tolérées,
poursuivent leur cheminement théologique en s’ouvrant davantage vers
la religion musulmane, cheminement inspiré par les Pères Foucauld et
Peyriguère et par les missionnaires franciscains au Maroc
18. Cette
théologie du vivre ensemble et du dialogue avec les musulmans est
amorcée à partir du monastère de Toumliline, construit par les frères
dominicains en 1952, et accompagnée par les frères franciscains et les
sœurs missionnaires de Marie qui sont au service des populations
locales en leur apportant soins, enseignement et accompagnement
social. Jacques Levrat, un des personnages clefs de ce courant com-
munément nommé Dialogue des religions au Maroc, est un des fonda-
teurs du Groupe de recherche islamo-chrétien (
GRIC) en 1977 et du
centre de recherche et de documentation sur les religions La Source, à
Rabat, qui deviendra en 2012 le siège de l’institut Al Mowafaqa. Au-
jourd’hui, l’Église catholique s’adapte encore puisqu’elle est à 95 %
composée de fidèles jeunes et africains. Les cultes rassemblent des
centaines de fidèles, des groupes de chorale très actifs se sont consti-
tués entre les paroisses et la vie sociale de l’Église a repris de la vigueur.
Des parcours religieux en migration à la naissance d’un projet
religieux chrétien œcuménique
Miora A., originaire de Madagascar et membre de la FJKM
19, est arri-
vée au Maroc en 2005 comme étudiante. Après l’obtention de son
diplôme, elle a travaillé comme cadre supérieur dans la finance dans
plusieurs sociétés marocaines. Perdue dans une vie qui ne lui ressem-
17. Entretien réalisé avec Daniel Nourrissat, alors vicaire général du diocèse de Rabat,
Casablanca, 2017.
18. DELAVELLE, Stéphane, Franciscains au Maroc, huit siècles de rencontres, Marseille : Éd.
Chemins de dialogue, 2019, 179 p.
19. La FJKM, ou Église de Jésus-Christ à Madagascar, est la plus importante église chrétienne du
pays. C’est une Église protestante comptant environs 11 millions de membres.
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blait pas, elle décide de se former à l’institut Al Mowafaqa afin d’être
plus proche de ses convictions. Elle est aujourd’hui pasteur en charge
du service diaconal au Centre d’entraide internationale de l’
EEAM. Elle
poursuit également un master par correspondance à la faculté protes-
tante de l’Université de Strasbourg. Lors d’un entretien, elle raconte :
20, car les autres
« Á l’époque [à Agadir], j’étais la seule à rester à l’EEAM
avaient peur d’être colonisés par les expatriés blancs. La majorité des
jeunes venaient des églises de réveil africaines et en face il y avait des
Européens âgés qui venaient des églises réformées historiques
»21.
Accompagnée par le pasteur Jean-Luc Blanc, responsable de l’
EEAM, et
le missionnaire David Brown, ils feront tout pour ne pas séparer les
cultes entre
l’église
d’Agadir, en organisant des rencontres, des séminaires bibliques ainsi
que les premières formations d’été théologiques de l’
EEAM.
les populations d’origines différentes dans
Quelques années plus tard, le pasteur Samuel Amedro, président de
l’
EEAM, contactera les autorités de l’Église catholique pour leur propo-
ser de créer un lieu œcuménique de formation théologique. Ce projet
aboutira en 2012 à la création de l’institut théologique à Rabat une
formation à deux voix entre catholiques et protestants, que le Pape
François qualifiera en 2019 de « signe prophétique »
22. Le pasteur
Samuel Amedro et d’autres membres actifs de l’
EEAM, dont des mi-
grants, travaillent pour réinscrire les récits qui circulent au sein des
églises de maison, dans un discours plus cadré, moins guerrier et plus
bienveillant, mais surtout un grand récit répondant au projet religieux
des Églises au Maroc. « Vous n’êtes pas là par hasard » dira-t-il aux
migrants, ou encore « le Maroc est aussi notre terre ». Ces phrases et
les références bibliques mobilisées lors des prêches sonnent comme
un espoir et donnent les armes et la force nécessaires aux migrants
pour avancer dans leur projet migratoire. Cette « théologie de la migra-
tion » est une ressource à la fois pour les migrants et pour les acteurs
religieux qui s’en servent pour construire la place de l’Église au Maroc.
20. En 2004, l’EEAM connaît un schisme interne lors duquel une grande partie de ses membres,
majoritairement des étudiants subsahariens, décident de quitter l’Église pour rejoindre ou
fonder des églises de maison. Agadir n’a pas été épargnée et aujourd’hui encore certains pro-
testants européens ont du mal à participer à un culte trop éloigné de leurs habitudes.
21. Entretien réalisé avec Miora A. en juin 2018 à Rabat.
22. « [...] Je considère aussi comme un signe prophétique la création de l’Institut œcuménique
Al Mowafaqa, à Rabat en 2012, par une initiative catholique et protestante au Maroc, Insti-
tut qui veut contribuer à promouvoir l’œcuménisme ainsi que le dialogue avec la culture et
avec l’Islam. Cette louable initiative traduit le souci et la volonté des chrétiens vivant dans
ce pays de construire des ponts pour manifester et servir la fraternité humaine. Ce sont
tous des parcours qui arrêteront l’instrumentalisation des religions pour inciter à la haine,
à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle et mettront fin à l’utilisation du nom
de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression
[...] »,
discours du Pape François, 30 mars 2019, Rabat.
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De plus, ce discours jouit d’un certain écho auprès d’une partie de la
société civile, sensible aux droits des migrants et à la liberté religieuse.
Le parcours religieux de Miora A. reflète les temps de sa migration.
Promise à une carrière dans la finance, elle a bifurqué en observant les
luttes au sein de l’
EEAM entre des églises divisées, séparées entre origi-
nes sociales et couleurs de peau. Elle a souhaité participer à la création
d’une Église réunie. Lors d’un prêche à l’
EEAM à l’occasion de la journée
internationale des migrants
23, elle insistera sur le rôle de l’Église auprès
des migrants en se référant aux textes non comme métaphores mais
comme modèles, notamment à travers l’énoncé des figures de l’Église
dispensatrices d’aide et de la charité. Elle y évoquera la migration
comme « lieu » théologique, comme un investissement nécessaire
auprès des plus démunis qui donne l’occasion de parler de Dieu, à
travers l’évangile de Mathieu et la figure du bon samaritain : «
Voyez-
vous, le Maroc est au cœur du phénomène migratoire. Nous qui som-
mes une Église implantée en terre d’islam, nous ne pouvons pas ne pas
être concernés par ce phénomène. En tant qu’Église de Jésus-Christ
nous sommes appelés à être une auberge, un lieu de vie, d’accueil, de
guérison, de compassion, de redressement de l’homme courbé en un
homme restauré en vue de témoigner de notre foi pour le rayonnement
de l’Évangile dans cette terre d’Islam
». Elle terminera ainsi : « La
migration est une chance pour nous Église du Maroc de dire au monde
que si les hommes ont décidé de fermer les frontières, en disciple de
Jésus-Christ, nous chrétiens de l’
EEAM décidons d’ouvrir nos bras pour
accueillir, aimer nos frères et sœurs les plus vulnérables
».
Miora A. représente une Église multidénominationnelle qui s’installe
et prend position dans le débat public au Maroc, notamment sur la
question des migrations. D’ailleurs, la récente visite du Pape François
au Maroc, en mars 2019, a exacerbé ces questions car les Églises,
catholique comme protestante, se sont faites les avocates des migrants
dans leur combat pour un accueil digne, dans le respect des politiques
migratoires marocaine et européenne. Les Églises tentent de défendre
la place du christianisme au Maroc en promouvant le statut religieux
des migrants comme un droit humain qui pourrait s’étendre à tous sans
remettre véritablement en cause une politique migratoire sécuritaire
prônée par l’organisation internationale pour les migrations (
OIM).
Le Pape a répondu à l’invitation du roi Mohammed VI pour sceller
une vision religieuse et politique commune : accompagner la nouvelle
présence du christianisme au Maroc et construire un projet politique
commun autour d’une religion « du juste milieu » musulmane et chré-
23. Le thème de la journée était « Les défis de l’intégration des migrants au Maroc ».
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tienne soudée contre l’extrémisme violent. Le discours du Pape24 et
celui du roi ont légitimé la présence des Églises chrétiennes comme
bienfaitrices pour les migrants mais aussi comme régulatrices contre
les migrations « clandestines » et contre les violences religieuses. Dans
un pays qui refuse la liberté religieuse pour ses citoyens, le roi, en tant
que « commandeur des croyants », s’est fixé l’objectif d’être le chef de
la diplomatie religieuse sur la scène africaine, ce qui, paradoxalement,
ouvre la voie à de nouveaux débats sur la diversité religieuse car elle
rappelle aux Marocains l’urgence d’accueillir la religion de l’Autre, dans
un effet miroir de la situation des Marocains musulmans en Europe.
Le Maroc ne reconnaît pas le droit à la liberté religieuse, contrairement à
la Tunisie que nous allons aborder dans la partie suivante. Cependant, étant
donné que le royaume est dirigé par le « commandeur des croyants », de
« tous les croyants », comme le roi l’a précisé en janvier 2016 à Marrakech
lors du sommet sur les minorités religieuses organisé à l’initiative du Ma-
roc
25, ceci permet aux religions non musulmanes d’occuper une place
légitime dans la géographie politique de l’État marocain.
De l’enthousiasme au pragmatisme en Tunisie
Plus encore que le Maroc, la Tunisie continue de se vivre comme un
pays d’émigration et non d’immigration
26. En Tunisie, les étrangers
représenteraient 58 000 personnes, ce chiffre incluant les Européens,
les réfugiés syriens et les ressortissants subsahariens
27. À l’inverse de ce
qui se passe au Maroc, la présence d’Africains subsahariens n’est pas
vécue comme l’occasion de resserrer des liens politiques avec l’Afrique.
La préoccupation de l’État tunisien porte plutôt sur la sécurisation de ses
frontières (avec la Libye au Sud et l’Algérie à l’Ouest), qu’elle perçoit
24. LAMBERTS, Sophie, “Liberté religieuse et droit des migrants : le plaidoyer des évêques
avant la visite du pape” [En ligne],
Telquel.ma, 5 mars 2019, https://telquel.ma/20
19/03/05/liberte-religieuse-et-droit-des-migrants-le-plaidoyer-des-eveques-avant-la-vi
site-du-pape_1630495.
25. Ce forum réunissant plus de 300 dignitaires religieux, dont des représentants de religions
minoritaires, a travaillé autour de la volonté de reprendre la charte de Médine «
afin d’af-
firmer dans leur déclaration finale, avec des mots plus contemporains et suivant la loi
islamique, les droits des minorités religieuses vivant dans des pays musulmans
» ; leur ob-
jectif était de «
contrer la philosophie radicale en lui opposant la vraie tradition musul-
mane de protection des minorités religieuses
». Voir BAYO, Ibrahima, “Forum sur les mino-
rités religieuses : Marrakech, capitale de la tolérance” [En ligne],
yabiladi.com, 22 janvier
2016, https://www.yabiladi.com/articles/details/41805/forum-minorites-religieuses-mar
rakech-capitale.html.
26. Comme le montre Camille Cassarini dans ce même dossier thématique, la question
migratoire y est principalement adressée par le prisme des
harragas plutôt que par celui
de l’immigration en provenance d’Afrique subsaharienne.
27. BOBIN, Frédéric, “La Tunisie face aux pressions de l’Europe sur le dossier migratoire”, Le
Monde, 1er septembre 2018.
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comme des lieux de passage qui pourraient mettre en danger la sécurité
intérieure, menacée, soit par des combattants djihadistes soit par des
migrants à la recherche d’un eldorado maghrébin ou européen.
Réactualiser l’encadrement religieux chrétien
En Tunisie,
la migration africaine est principalement
le fait
d’étudiants, majoritairement masculins, avec des statuts administratifs et
des situations financières très différentes les unes des autres28. Ceux qui
restent après leurs études peuvent se retrouver dans des situations de
précarité profonde. Aux deux grandes catégories que sont les étudiants
et les anciens étudiants, s’ajoute celle des migrants illégaux et des travail-
leurs africains de Libye qui ont cherché refuge dans les pays voisins après
la chute du colonel Kadhafi en 2011. A l’autre extrémité de l’échelle
sociale, se situent les expatriés subsahariens, incarnés par la figure du
fonctionnaire international travaillant à la Banque africaine de dévelop-
pement (
BAD), dont le siège a été installé à Tunis de 2003 à 2014 à la suite
de la guerre civile en Côte d’Ivoire. La plupart d’entre eux sont chrétiens,
originaires de Côte d’Ivoire, du Ghana, du Nigeria et du Cameroun.
Beaucoup de ces migrants privilégiés sont attachés à une pratique reli-
gieuse hebdomadaire, et des aménagements ont été rapidement
conduits dans les églises de la ville afin d’accueillir les nouveaux fidèles.
Dans un article très instructif sur les migrants subsahariens en Tuni-
sie, Mustapha Nasraoui souligne un régime défavorable à l’emploi des
étrangers, souvent sans papiers, et des conditions de travail difficiles
29.
S’il mentionne les difficultés psychologiques liées à l’absence de sou-
tien familial et communautaire, l’auteur n’adresse pas le recours au
religieux comme source d’apaisement dans un quotidien difficile. Or,
les églises sont remplies chaque semaine d’individus en quête de
soutien et de réconfort.
Contrairement au Maroc, où des changements institutionnels pro-
fonds ont été accomplis, principalement, comme nous l’avons vu
précédemment, par la création d’un institut théologique de formation
chrétienne, les aménagements en Tunisie demeurent plus prosaïques. Il
s’est principalement agi d’accommoder des déséquilibres en matière
de fréquentations et de pallier un manque de personnel religieux. Dès
2004, les prêtres et pasteurs ont sollicité leurs hiérarchies afin
d’obtenir du personnel supplémentaire.
28. MAZZELLA, Sylvie (sous la direction de), La mondialisation étudiante. Le Maghreb entre
Nord et Sud, Paris : Éd. Karthala, 2009, 401 p.
29. NASRAOUI, Mustapha, “Les travailleurs migrants subsahariens en Tunisie face aux restric-
tions législatives sur l’emploi des étrangers”,
Revue européenne des migrations internatio-
nales
, vol. 33, n° 4, 2017, pp. 159-178.
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Cette augmentation du nombre de fidèles et de clercs a abouti à une
offre plus importante d’offices religieux, qui s’est rapidement heurtée au
manque d’espace. Pour des raisons historiques, les lieux dédiés au culte
catholique sont plus nombreux et plus spacieux que les édifices protes-
tants. Aussi, étant donné que la communauté protestante est aujourd’hui
plus importante, certaines églises
30 proposent plusieurs cultes le même
jour, à des horaires différents, louent des salles de fêtes, voire délocalisent
leurs cultes dans des bâtiments catholiques prêtés pour l’occasion. Mais
au problème du nombre, s’est rapidement ajouté celui du style liturgique,
car certains catholiques et protestants ne retrouvaient plus leurs marques
dans les messes et cultes tel qu’ils étaient désormais célébrés.
Partager les lieux de culte chrétiens : un jeu d’inclusion/exclusion
À l’inverse de ce que nous avons observé au Maroc, les pasteurs pro-
testants n’ont pas tenté, en Tunisie, de faire converger les discours entre
les églises historiques et les églises de maison. Au sein des églises de
maison se déploie une forme de protestantisme proche du pentecô-
tisme évangélique, dont le discours religieux porte en partie sur l’attente,
la patience, la force du faible, mais aussi sur la diffusion vigoureuse de la
parole de Dieu et sur le combat contre les turpitudes et les fausses
religions. Les valeurs qui y sont prônées sont celles d’une religion en
expansion, amenée à se répandre, dont le prosélytisme et le partage de
la bonne nouvelle forment les pièces maîtresses. Dans ce contexte, les
fidèles, qui se désignent souvent comme les « soldats de Jésus », doi-
vent porter la bonne parole et inciter à la conversion, alors qu’ils se
trouvent, rappelons-le, dans un pays où (comme au Maroc, mais de
manière moins sévère) le prosélytisme est interdit et puni. Ces églises
pentecôtistes sont exclusivement fréquentées par des fidèles subsaha-
riens, à l’exception de quelques convertis tunisiens
31. À l’opposé de ces
discours, les migrants africains qui choisissent de se réunir lors du culte
le dimanche à l’église du centre-ville de Tunis (à l’église réformée ou à
l’église Saint-Georges) ou dans une des églises historiques de la banlieue
nord de cette ville, le font dans un contexte de relative mixité sociale et
nationale, puisqu’un quart des fidèles sont des Européens ou des Améri-
cains. Ici, aucun signe de prosélytisme ne peut être détecté.
Tout au long de notre phase d’observation, nous avons été témoins
de l’éclatement d’assemblées de fidèles, causé par des divergences de
style de pratique. En 2006, après quelques mois de cohabitation timide
30. Les édifices protestants ne sont pas appelés temples en Tunisie.
31. Nous avons d’ailleurs constaté que des individus
qu’ils soient subsahariens ou tunisiens
convertis
dont les propos ont été considérés comme trop prosélytes ou le style de dévo-
tion trop expressif ont été « orientés » vers ces églises « charismatiques ».
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Dossier : Migrations africaines au Maghreb et au Moyen-Orient
avec les réformés, les croyants plus charismatiques décident de créer
leur propre Église. Ces derniers se sentaient en effet engoncés dans
une pratique trop sage, tandis que beaucoup de protestants réformés
se disaient « mal à l’aise » face aux expressions extatiques, comme les
transes de certains membres de l’Agape Fellowship ou de l’Église
rédemptrice des champions, ou lorsqu’ils étaient confrontés à des
croyants qui « parlent en langue »
32.
Nous avons constaté qu’un travail important est mené au Maroc en
vue d’un rapprochement entre églises officielles et églises de maison. En
Tunisie, les églises de maison pentecôtistes sont si peu nombreuses que
les pasteurs protestants
mainstream (qu’ils soient Européens ou Afri-
cains subsahariens) cherchent à s’en démarquer. Il s’agit ici de les main-
tenir à l’écart physiquement et symboliquement, en les désignant plus ou
moins directement comme responsables des conversions de quelques
centaines de Tunisiens musulmans. Ainsi, en qualifiant ces églises de
« charismatiques » et en leur reprochant de ne pas avoir intégré
l’interdiction de prosélytisme (commune au Maroc et à la Tunisie), l’Église
protestante historique se désolidarise d’une théologie qu’elle affirme
trop éloignée de la sienne. En Tunisie, les cadres religieux protestants
réformés se démarquent des pentecôtistes en arrimant leur positionne-
ment à la trajectoire historique de l’Église Réformée et en confirmant à
nouveau l’interdiction de prosélytisme à laquelle ils sont soumis. De fait,
si des accusations de prosélytisme étaient formulées, elles ne le seraient
plus à l’encontre de l’Église protestante dans sa globalité, mais contre
des églises migrantes particulières, dont l’Église historique tient à se
dissocier. D’ailleurs, lors de la séparation entre l’Église protestante
historique et l’Église rédemptrice des champions (pentecôtiste) en 2008,
les fidèles nigérians, ivoiriens et ghanéens ont quitté l’église du centre de
Tunis et ont loué une villa pour y célébrer le culte. Nous avons fréquenté
dans ce nouveau lieu des convertis tunisiens, présents comme des
preuves vivantes
et présentés comme tel de la vigueur de cette
Église pentecôtiste, en passe de rechristianiser le Maghreb. Au-delà du
style du culte, c’est donc bien le rapport au prosélytisme qui constitue la
différence indépassable.
Comment expliquer ces deux attitudes diamétralement opposées
entre le Maroc et la Tunisie ? Il nous semble qu’une différence majeure
permet de comprendre cette mise à distance volontariste des églises
de maison. En Tunisie, si le christianisme local de conversion est autori-
sé, les pasteurs étrangers doivent s’en tenir éloigné à tout prix. Or, à
Tunis, les protestants de l’Église Réformée partagent le bâtiment,
32. Le « parler en langue » ou « glossolalie » est le fait de parler, lors de prières, dans une
langue inconnue de tous mais qui est le signe d’une communication avec le divin.
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depuis 1999, avec des Tunisiens convertis au christianisme. Malgré des
horaires et des jours de culte différents, une proximité existe entre
pasteurs américains et/ou rwandais et pasteurs et diacres tunisiens,
des échanges variés se tissent (matériels, paroles, conseils) et des
sympathies se nouent inévitablement. Les pasteurs étrangers entre-
tiennent de bonnes relations avec les convertis mais ne peuvent s’en
montrer trop proches, sous peine de s’exposer à des accusations de
prosélytisme. Il s’agit là d’un exercice périlleux, d’où le sentiment que
nous ont décrit certains pasteurs de vivre un numéro d’équilibriste.
Nous avons également observé ces tensions à un autre niveau : au vu
du nombre croissant de protestants en Tunisie, les fidèles, de plus en
plus à l’étroit dans les quelques édifices protestants, ont dû trouver des
solutions alternatives. Fraternellement, les catholiques ont mis à leur
disposition certains de leurs espaces de culte. Cependant, les invitations
n’ont pas été formulées envers « tous les protestants ». Seuls les protes-
tants
mainstream ont été conviés. Les pentecôtistes, pourtant souvent
loués pour leur « enthousiasme », demeurent, au fond, considérés
comme des fidèles agités, charismatiques et prosélytes. Ils sont, à ce
titre, maintenus à bonne distance des lieux de culte traditionnels.
Que peut nous apprendre la comparaison entre la situation maro-
caine et la situation tunisienne ? Est-ce qu’entre les deux pays, l’échelle
transforme la menace et la gestion du risque encouru ? Est-ce que le
plus grand nombre de migrants chrétiens d’origine subsaharienne au
Maroc oblige les institutions chrétiennes à trouver des solutions colla-
boratives, tandis que les Tunisiens, confrontés à un nombre moins
important d’églises de maison peuvent les maintenir à l’écart sans
accomplir ce travail théologique ? À cette théorie du nombre, nous
souhaitons suggérer une deuxième raison, plus structurelle, qui pour-
rait contribuer à expliquer les équilibres singuliers des christianismes
dans chaque pays. Il s’agit des spécificités des ordres religieux présents
au XIX
e siècle dans chacun des pays33.
Conclusion : entre Maroc et Tunisie, un christianisme
aux chemins différenciés
En Tunisie et au Maroc, les autorités religieuses chrétiennes sont les
héritières de traditions religieuses qui se sont construites avant les
protectorats, depuis le milieu du XIXe siècle. Il est vraisemblable qu’en
33. SOUMILLE, Pierre, “L’église catholique et l’État tunisien après l’indépendance : le ‘modus
vivendi’ du 9 juillet 1964”, in : DELISLE, Philippe ; SPINDLER, Marc (sous la direction de),
Les
relations Églises-État en situation post-coloniale. Amérique, Afrique, Asie, Océanie, XIX
e-
XX
e siècles, op. cit., pp. 155-202.
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Dossier : Migrations africaines au Maghreb et au Moyen-Orient
dépit des développements récents et de l’idéal œcuménique et de
dialogue interconfessionnel qui s’impose dans les milieux chrétiens, les
rapports de force en présence à cette époque lointaine continuent
d’influer sur les équilibres actuels. Au Maroc, avant le protectorat, les
chrétiens étaient principalement des Franciscains, tandis que la Tunisie
accueillait surtout des Pères blancs. La différence de congrégations
religieuses catholiques présentes au Maroc et en Tunisie, ainsi que les
missions protestantes françaises et anglo-américaines des deux côtés,
ont modelé des relations différentes entre les communautés. Selon
Jamaâ Baïda et Vincent Feroldi
34 c’est parce qu’en Tunisie les Pères
blancs étaient plus prosélytes que les Franciscains envers les musul-
mans qu’ils étaient directement en compétition avec les protestants
(eux-mêmes plus prosélytes). À l’inverse, au Maroc, les Franciscains
avaient intégré très tôt le fait qu’ils devaient vivre « aux côtés » des
musulmans sans chercher à les convertir. C’est ainsi que la coopération
entre catholiques et protestants et les possibilités de rapprochement
s’en trouvèrent facilitées au Maroc tandis qu’en Tunisie, la compétition
passée a laissé des traces, encore agissantes.
Ainsi, nous constatons que les institutions religieuses reconduisent
en partie les structures héritées en même temps qu’elles les transfor-
ment. Ceci contribue à expliquer les différences ici décrites entre le
Maroc et la Tunisie. Si tel n’était pas le cas, nous pourrions imaginer
que ces deux pays se seraient concertés afin de rapprocher les dis-
cours des « églises de maison » de ceux des « églises historiques ». Ils
auraient ainsi œuvré de concert pour construire un christianisme
africain unifié au Maghreb. Nos observations montrent que l’inverse est
en cours : si au Maroc l’Église chrétienne travaille à rapprocher toutes
ses expressions (au sein des Églises protestantes, et entre catholiques
et protestants (ce qui n’a pas toujours été le cas), en Tunisie l’Église
chrétienne, elle, insiste sur les écarts, les différents styles de cultes,
discours, pratiques entre « églises historiques » et « église de mai-
son », permettant ainsi de ne pas être considérée comme responsable
des conversions de Tunisiens.
Comme nous l’avons montré, dans les deux pays les Églises catholi-
que et protestante ont été amenées à collaborer de manière plus
étroite que par le passé face à l’afflux de fidèles provenant de pays
africains, même si les projets qui découlent de ces collaborations se
distinguent et ne sont ni de même envergure, ni de même nature. En
conséquence, cet article a démontré que la migration subsaharienne
34. BAÏDA, Jamaâ ; FEROLDI, Vincent, Présence chrétienne au Maroc, XIXe-XXesiècles, Rabat :
Éditions Bouregreg, 2005, 230 p.
Vol. 32, n° 179
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vers le Maroc et la Tunisie, et les transformations du paysage religieux
qu’elle induit, s’articulent de manière contrastée. En effet, nous assis-
tons au Maroc à un travail théologique approfondi, visant à resserrer les
liens et les divers pans du christianisme, tandis qu’en Tunisie, à
l’inverse, si un rapprochement de circonstance existe bien entre les
catholiques et les protestants pour des questions logistiques, nous
constatons en revanche l’affirmation des différences entre les églises
historiques et les églises pentecôtistes.

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