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L’histoire de la cassation
en Tunisie
(Un Patrimoine Culturel et Matériel)
Kchaou MONCEF
Premier Président
de la Cour de cassation De Tunisie
les questions de droit civil. Cette justice était exercée par les Le
système judiciaire qui existait antérieurement à l’établissement de la
France (1881) n’était pas unifié. La Tunisie précoloniale avait, d’abord
une justice confessionnelle qui appliquait la législation de l’Islam et le
rite auquel se rattachaient les plaideurs, non seulement dans le statut
personnel, mais aussi dans toutes tribunaux religieux (le charaâ). Le
juge (le cadhi), émanation du pouvoir central, Khalife ou Emir, était
chargé de rendre justice en son nom, de veiller à l’application stricte de
la loi, de sévir contre ceux qui l’enfreignent et d’assurer son respect sur
tout le territoire soumis à son autorité1.
De
leur côté,
les
juifs avaient
leurs propres tribunaux
rabbiniques dont la compétence était exclusive en matière de statut
personnel. Ces tribunaux jugeaient d’après la loi mosaïque.
1 Cette justice était par ailleurs double : la loi musulmane qu’elle devait appliquer comportait
deux rites. Le rite hanéfite et le rite malékite. Il y avait donc en réalité deux charaâ. Chacun
appliquant la loi musulmane et la matière qui lui était soumise conformément aux règles
juridiques spéciales à son rite. Le choix entre ces deux juridictions parallèles a été réglé d’une
manière simple : c’était le défendeur qui avait le droit de choisir le rite auquel devait être
soumise la contestation.
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Ensuite, il avait l’Ouzaraa qui était un tribunal laïque, en quelque
sorte, relevant de l’administration générale appliquant le droit positif
fondé sur les décrets et les décisions du pouvoir séculier.
Enfin, contrairement aux tribunaux décrit plus haut dont la
compétence était exclusivement bornée aux sujets tunisiens, il avait les
tribunaux consulaires jugeant les européens résident en Tunisie. Les
européens étaient placé sous la juridiction de leurs consuls qui seuls,
ont le droit de les juger, de les condamner et d’exécuter les sentences
prononcées contre eux. Mais tout à fait au début du protectorat, une
justice française s’était substituée à la justice consulaire.
Si
le gouvernement du protectorat n’a
introduit dans
l’organisation des tribunaux religieux aucune modification importante,
il a opéré une profonde transformation dans l’organisation de la justice
séculière (l’Ouzaraa). Elle applique des lois nouvelles codifiées
inspirées à la fois du droit musulman et du droit français. Son
organisation comporte la collégialité des juridictions, la publicité des
débats
judiciaires,
la conservation des actes
judiciaires, et
l’établissement des voies de recours.
En somme, il n’y avait pas une justice mais des justices aussi bien
pour la Tunisie précoloniale que pour la Tunisie coloniale. Ce schéma
reflétait un état des lieux caractérisé par la présence d’une justice
fragmentée et loin d’être unifiée. « Tous ceux qui détenaient une
parcelle d’autorité rendaient la justice »2. Il a fallu attendre l’avènement
2 M. DABBAB et T. ABID, La justice en Tunisie : Histoire de l’organisation judiciaire de
1856 à l’indépendance
, Ministère de la Justice, C. E. J. J., Tunis 1998, p. 54.
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de l’indépendance pour que l’Etat tunisien engage un processus de mise
en place d’une organisation juridictionnelle moderne.
Telle est brièvement dessinée l’organisation juridictionnelle en
Tunisie à travers l’histoire. C’est dans ce contexte qu’il faut chercher le
chemin parcouru pour que la cassation selon la conception actuelle a vu
le jour. Les premières traces de la cassation des jugements dans
l’histoire de la Tunisie semblent se situer à la période précoloniale
(Première partie). La période coloniale a marqué certes une évolution
dans la conception du juge du droit (Deuxième partie), mais la
cassation dans son habit actuel, n’a pu naitre qu’après l’indépendance
(Troisième partie)
Première partie : La période précoloniale
La période précoloniale était marquée par le système du réexamen
des jugements en droit musulman (§1). Il faut attendre le pacte
fondamental de la Constitution du 26 Avril 1861, pour que
l'organisation judiciaire de la Tunisie va connaitre une juridiction
suprême (§2).
§1 : Le réexamen des jugements en droit musulman
Le réexamen des jugements en droit musulman s’opère soit par la
technique de révision (A) soit par la technique de révocation (B).
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A - La révision des jugements
Les tribunaux charaïques de la Tunisie précoloniale étaient
constitués par des juges décidant isolément (Cadhi) ou en conseil
collégial (Majilis) conformément à la loi religieuse. Ces magistrats
étaient tous nommés par le bey.
Le Cadhi jugeait la contestation en premier ressort. Cependant, ce
dernier peut demander que l’affaire aille au tribunal du charaâ tout
entier3. Tout plaideur qui se refuse à accepter la sentence du cadhi peut
également interjeter appel, mais devant le conseil du rite.
par le Le bey, assisté par un conseil des Ulémas (des savants -
théologiens), avait la faculté d’intervenir pour réviser le jugement en
dernier ressort rendu tribunal du charaâ tout entier ou du rite, soit en le
confirmant ou en l’infirmant4.
B – La révocation des jugements
L'étude des fondements de la révocabilité (1) et de son régime (1)
permettra d'en saisir la portée et le degré de parenté qu'elle peut avoir
avec le droit moderne de la cassation.
1- Les fondements de la révocabilité
La question de la révocabilité des jugements est bien traitée en
droit musulman comme un cas particulier. L’idée, longtemps admise,
3 Le tribunal du charaâ tout entier se composait de cheikh Al islam, d’un bach-Mufti hanéfite,
d’un bach-Mufti malékite, d’un certain nombre de muftis et de deux cadhis. M. KRAIEM, La
Tunisie précoloniale, Tunis, 1973, tome. I, chap. V, p. 201.
4 M. DABBAB et T. ABID, La justice en Tunisie : Histoire de l’organisation judiciaire de
1856 à l’indépendance
, op. cit., p. 31.
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que les jugements en droit musulman sont définitifs est fausse. Les
plaideurs ont de multiples moyens de mettre en cause un jugement. La
révocabilité des jugements a deux fondements ; l'un est religieux, l'autre
est juridique.
En ce qui concerne les fondements religieux, cette possibilité
ouverte vient du caractère même de la loi : “le cadhi ne peut rendre licite
ce qui est illicite”. Le cadi juge sur le zâhir, le for externe, et non sur le
bâtin, le for interne. Il est conscient de ce que son jugement n’exprime
pas la vérité, contrairement à lʼadage de droit français res judicata pro
veritate habetur : la chose jugée est tenue pour vérité. Dès lors le
jugement est révisable en droit musulman, il correspond à une intrusion
du bâṯin contre le zâhir, et la vérité religieuse lʼemporte.
En outre, plusieurs textes du Coran recommandent de juger
conformément au droit. C'est la crainte de Dieu qui incite le juge à
révoquer les jugements contraires au droit. La révocabilité des
jugements tient, donc, à la crainte du châtiment de Dieu. Partant de ces
principes, nous pouvons considérer qu’« un droit qui est reconnu en
dépit d'une prescription religieuse est harâm
(religieusement
interdit)... »5. C'est donc une sanction religieuse, d'ordre métaphysique
qui est encourue lorsqu'un jugement rendu par erreur n'est pas révoqué.
5 E. TYAN, L'autorité de la chose jugée en droit musulman, Studia Islamica, 1962, pp. 81 et
s., spéc., p.82 ; N. BEN AMMOU, Le pouvoir de contrôle de la Cour de cassation, C. P. U.,
Tunis, 2021, p. 19.
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« Tel n'est pas le cas du droit moderne de la cassation élaboré en dehors
de toute considération d'ordre religieux »6.
Quant aux fondements juridiques, les califes recommandaient à
ceux qu’ils nommaient, dans l’exercice de leur office, de se rétracter
s’ils ressentaient que leur jugement était erroné ou injuste. C’est ainsi
qu’apparaissent, dans la lettre du calife « Omar Ibn El khattab » les
recommandations suivantes à l’adresse des juges qu’il nommait : « …Si
tu rends tel jugement hier et qu’aujourd’hui la réflexion t’ait fait
changer justement d’avis, ton premier jugement ne doit pas t’empêcher
de te rétracter : car la justice passe avant tout, et mieux vaut se rétracter
que de persévérer dans l’erreur ».
L'idée fondamentale qui ressort de cet extrait est celle de la
suprématie du droit : « le droit doit toujours prévaloir »7.
2- Le régime de la révocabilité
Pour être révocables, les décisions de justice doivent contenir l'un
au moins des vices retenus par la doctrine. En effet, quatre situations se
présentent : l’erreur de droit (1°), les vices de motivation (2°), les
déficiences des qualités personnelles du juge (3°), et l’appel à lʼéquité
(4°).
6 Bien au contraire, on a pu affirmer qu'en France, où la cassation moderne puise son origine,
cette institution était au départ purement politique en ce sens qu'elle consistait à protéger le
pouvoir législatif du roi.
7 N. BEN AMMOU, Le pouvoir de contrôle de la Cour de cassation, C. P. U., Tunis, 2021, p.
19.
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1°- L’erreur de droit
Les juristes musulmans sont unanimes pour admettre l’obligation
de déclarer nul le jugement fondé sur une erreur de droit (khataʼ).
Cependant, seuls les jugements violant les règles unanimes peuvent être
révoqués. Donc les jugements conformes à des règles tirées d’opinions
controversées sont irrévocables. Ces règles sont appelées mujtahadât
c’est-à-dire tirées d’un ijtihâd, lequel est la recherche de la loi en
l’absence de texte clair.
2°- Les vices de motivation
Il s'agit essentiellement de deux hypothèses. La première consiste
dans la révocabilité de la décision rendue sans référence à une règle
précise. La deuxième hypothèse de révocabilité pour vices de
motivation est celle de la nullité des jugements fondés sur les
connaissances personnelles du juge8.
3°- Les causes de nullité tenant aux déficiences des qualités
personnelles du juge
Le droit musulman ouvre plus
largement
la porte aux
considérations morales. Ils posent en principe qu’il existe trois sortes
de juges :
1/ le juge savant et juste, qui ne commet pas d’erreur de droit, mais peut
commettre des erreurs de fait, et ses jugements sont révocables pour
erreur de fait.
8 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 23.
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2/ le juge ignorant et juste, qui commet des erreurs de droit et dont les
jugements peuvent être révoqués pour erreur de droit, ce qui en principe
ne devrait pas exclure les révocations pour erreur de fait, comme dans
le premier cas.
3/ le juge inique, dont les jugements sont révocables pour iniquité,
partialité, etc…
4°-L’appel à lʼéquité
Il y a unanimité pour admettre que l’Emir (le prince) ou le Khalife
est dépositaire du droit de juger. Il peut donc juger en équité. Le prince
peut donc être saisi par la plainte d’un particulier, qui s’adresse alors au
tribunal des injustices (maẖkama al-maẕâlim). Il peut casser un
jugement prononcé, et même révoquer le juge qui en est à l’origine. Les
malékites lui imposent de consulter les juristes compétents.
On constate au terme de cet exposé l’existence d’une parenté entre
la révocabilité des jugements en droit musulman et la cassation dans les
droits modernes. L'une et l'autre interviennent en effet pour sanctionner
les erreurs de droit à l'exclusion des erreurs de fait. Le droit musulman
se démarque, toutefois, des droits modernes lorsqu'il inclut dans les
causes de nullité des vices extrinsèques aux jugements. « Ces vices ne
sont certes pas ignorés par le droit positif. Mais cette dernière réserve à
ceux qu'il consacre des voies de recours indépendantes du pourvoi en
cassation, même s'il attribue, parfois, compétence pour en connaître à
la Haute juridiction. C'est là un point de divergence qui fait apparaître
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que le domaine de la révocation semble plus large que celui de la
cassation »9.
2- La procédure de la révocation
La révocation des jugements exigeait que soit exercée une action,
ou plus exactement un recours dirigé contre un jugement. L'exercice
d'un tel recours n’est soumis à aucun délai10. Les jugements restent
menacés dans leur autorité indéfiniment. Cet état des choses a pu
donner lieu à des abus de la part des plaideurs qui n'hésitaient pas à
remettre en cause ce qui a été précédemment jugé.
Les jugements peuvent être révoqués aussi bien par :
-Les juges qui les ont rendus en cas d'erreur évidente et manifeste11.
-Par un autre juge. Le second juge saisi est d'un rang hiérarchiquement
supérieur. C'était le Qadhi Al Jamâa (Qadhi de la Communauté) qui
avait compétence pour "inspecter ses Qadhis (subalternes) et ses
délégués en contrôlant leurs jugements et en surveillant leur conduite12.
- Le révocation par le Khalife (chef de la communauté). Véritable
détenteur du pouvoir judiciaire dans un système de justice retenue, le
khalife pouvait exercer son pouvoir de contrôle des jugements, soit au
9 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 31.
10 IBN ABIDINE, Radd al Muhtar, IV, 326 ;
11 E. TYAN, L'autorité de la chose jugée en droit musulman, p. 84.
12 E. TYAN, L'autorité de la chose jugée en droit musulman, p. 86 ; N. BEN AMMOU, op.
cit
., p. 34.
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moyen d'une évocation d'office, soit au moyen d'un recours direct
exercé par les particuliers13.
Dans l'exercice de ce contrôle, le chef de la communauté pouvait
réunir les fuqaha afin d'examiner la conformité au droit d'un jugement
rendu, soit par l'un des juges relevant de sa compétence territoriale, soit
d'un juge qui n'en relève pas. Les fuqaha réunis pouvaient, alors,
confirmer ou infirmer le jugement attaqué ou encore avoir des opinions
divergentes. Dans ce cas, ils en référaient au chef de la communauté qui
devait trancher14.
Au terme de ce paragraphe, on constate que la rigueur dans la
réglementation du régime de la révocabilité des jugements contraste
avec le manque de rigueur, voire le laxisme dans l'organisation des
délais, de la procédure et de l'organe chargé de la mettre en œuvre. « Si
bien que la comparaison entre cette voie de recours et la cassation
moderne semble devoir s'arrêter au point des ressemblances entre les
ouvertures de l'une et de l'autre. Les liens existants entre la cassation
moderne et le système musulman de la révocabilité des jugements sont,
13 E. TYAN, L'autorité de la chose jugée en droit musulman, p. 89.
14 Cette pratique fut institutionnalisée en Tunisie sous les Hafsides. Il y avait en effet le Conseil
sultanien des Ulémas composé de muftis, qui se réunissait chaque semaine sous la présidence
du souverain afin d'examiner les causes les plus délicates.
La même institution se retrouve sous les Turcs. Le Conseil des Ulémas était présidé par le
souverain. Il était composé du
Qadhi hanafite et de son suppléant malékite', des muftis et du
syndic des chérif (
naquib al achraf). Il se réunissait chaque jeudi et examinait les causes les
plus importantes ou les plus épineuses en vue de décisions incontestées. Aucune restriction
n'était imposée quant à la saisine du Conseil. Tout justiciable pouvait y faire déférer un procès
ressortissant à la juridiction du Qadhi'. Mais tout comme son prédécesseur hafside, le Conseil
des Ulémas sous les Turcs n'avait pas pour unique mission le contrôle des jugements afin d'en
révoquer ceux qui étaient contraires au droit. Il était surtout un moyen supplémentaire de justice
directe du souverain.
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par conséquent, trop lâches et trop timides quant à leur domaine pour
permettre de conclure à une quelconque parenté entre la première et la
seconde »15.
§ 2 : Le Conseil suprême de la constitution de 186116
Souverain très ouvert aux idées occidentales, S.A. Mohamed
Sadok Bey institua une commission chargée de mettre sur pied une
Constitution de l'Etat tunisien à l'effet de régler les rapports du
souverain avec son peuple. Cette Constitution fut promulguée le 26
avril 186117. Elle marqua la transformation de la monarchie absolue en
monarchie libérale. En effet, le bey abdique une partie de sa
souveraineté et il soumet dès lors l'exercice de ses pouvoirs à des
formalités. L'une de ces formalités restrictives de l'exercice du pouvoir
des beys a consisté spécialement dans la création par la Constitution de
1861 d'un Conseil suprême. La doctrine s’accorde à considérer le
Conseil suprême comme étant l'ancêtre direct de l'actuelle Cour de
cassation18. L'examen de la nature de cet organe (A), aussi bien que
15 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 36.
16 Après la Constitution de Carthage qui fut l'une des premières constitutions de l'histoire de
l'humanité, la Tunisie a, encore une fois, été pionnière en la matière, parmi les pays arabes,
notamment en se dotant d'un Pacte fondamental en 1857 puis d'une Constitution en 1861.
17 Non sans avoir été soumise au préalable à Napoléon III qui, au cours d'une entrevue que
l'empereur eut à Alger avec Mohamed Sadok Bey, en approuva hautement les termes et le
libéralisme qui l'inspirait. V.
V. SILVERA, « Le Régime Constitutionnel de la Tunisie LA
CONSTITUTION DU 1
er JUIN 1959 », Revue française de science politique, 10ᵉ année, n°2,
1960. pp. 366-394 ; La version intégrale de la Constitution de 1861 est disponible sur le lien
suivant :
https://www.justice.gov.tn/fileadmin/medias/ministere/musee/repertoire_musee/Epoque_huss
einite_avant_l_occupation__1705_-_1881_/Constitution_1861_fr.pdf
18N. BEN AMMOU, op. cit., p. 37 et 38.
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celle des recours qui pouvaient lui être porté (B), démontrera cette
idée19.
A- La nature du Conseil suprême
Le Conseil suprême n'était pas uniquement une haute juridiction
dont sa compétence se rapproche d’une Cour de cassation (a). Il était en
même temps une sorte de Parlement et d’une Cour constitutionnelle20.
C'est ce qui explique la spécificité de sa composition lorsqu'il devait
être saisi d'un recours (b).
1- La compétence du Conseil suprême
L’apport principal de la constitution de 1861 était de soumettre
l’exercice des compétences aux procédés de contrôle ; en ce sens que
l’autorité la moins inférieure était soumise à l’autorité qui lui était
supérieure21.
En effet, parmi les principales dispositions de la Constitution de
1861 c’est la création des tribunaux de première instance et des
tribunaux d’appel, ainsi qu’une formation au sein du Conseil suprême
disposant des attributions dévolues à une Cour de cassation.
19 M LAJMI, « La juridiction de Cassation : Approche historique et analytique », Revue de
Jurisprudence et de la législation, Année 51, n° 9, novembre 2002, pp. 11-39, spéc. p. 23. (En
arabe)
20 Entre autres attributions, le Conseil suprême était le gardien de la Constitution dont il devait
assurer le maintien et le respect. A ce titre, le Conseil suprême pouvait prononcer la déchéance
du bey pour violation de la Constitution. Concurremment avec le bey, le Conseil suprême avait
d'autre part l'initiative des lois, mais celles-ci n'étaient parfaites que par l’homologation
beylicale.
21 B. KARRAY, L’administration tunisienne dans la constitution du 26 avril 1861, spt. 2020,
Disponible sur le lien suivant :
file:///C:/Users/MACBOOK/Downloads/LAdministrationdanslaconstitutionde1861.Const.186
1.pdf
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C’est ainsi que la Constitution de 1861 a créé un tribunal de police
correctionnelle chargé de juger les contraventions de simple police22,
un tribunal civil et criminel23, un tribunal de commerce et un conseil de
guerre compétent dans les affaires militaires.
Le Tribunal de révision prévu par l'article 24 était une juridiction
d'appel compétente pour connaître des recours formés contre les
jugements rendus par le tribunal civil et criminel et le tribunal de
commerce.
Au sommet de cette hiérarchie figurait le Conseil suprême dont le
rôle était défini par l'article 60 de la constitution. En effet, d'après
l'alinéa 1er de ce texte, "Le Conseil suprême est le gardien du Pacte
fondamental et des lois, et le défenseur des droits des habitants. Il
s'oppose à la promulgation des lois qui seraient contraires ou qui
porteraient atteinte aux principes de la loi, à l'inégalité des habitants
devant la loi et aux principes de l'inamovibilité de la magistrature,
excepté dans le cas de destitution pour un crime commis et établi devant
le tribunal".
Ainsi, à côté de sa mission de gardien de la constitution, le Conseil
suprême cumulait celle de gardien des lois et jouait à ce titre le rôle
d'une Cour de cassation. Cependant, sa mission de sauvegarde était
limitée aux lois pénales. L'alinéa 2 de l'article 60 prévoyait, en effet,
que le Conseil suprême : « connaîtra des recours contre les arrêts rendus
par le tribunal de révision en matière criminelle, et examinera si la loi a
22 Art. 22.
23 Art. 23.
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été bien appliquée ... ». L'appel demeurait, par conséquent, l'unique voie
de recours possible en matières civile et commerciale. « Cette solution
contraste à l'évidence avec celle prévue par le droit moderne qui donne
compétence à la Cour de cassation pour connaître des pourvois dirigés
contre les décisions en dernier ressort sans distinction entre affaires
civiles et affaire pénales »24.
Gardien des lois, le Conseil suprême devait donc en garantir la
correcte application. Il était, par conséquent, appelé à juger le droit sans
pouvoir apprécier les faits. Dans cet ordre d'idées, il procédait en cas de
violation de la loi ou de la procédure, au renvoi de l'affaire devant le
tribunal de révision25.
Cependant, chaque fois qu'il était question d'un second pourvoi
ayant pour objet un arrêt conforme au premier, le Conseil suprême
statuait lui-même définitivement sur le conflit26.
2- La Composition du Conseil suprême
L'article 61 de la constitution disposait qu’« en cas de recours
contre un arrêt rendu par le tribunal de révision en matière criminelle,
le Conseil suprême choisira dans son sein une commission composée
24 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 39.
25 L’art. 61 § 1 de la Constitution de 1861 « En cas de recours contre un arrêt rendu par le
tribunal de révision en matière criminelle, le Conseil suprême choisira dans son sein une
commission … pour examiner si la loi n'a pas été violée. Lorsque cette commission aura
constaté que la procédure a été observée et que la loi a été bien appliquée, elle confirmera l'arrêt
attaqué et la partie n'aura plus de moyens à faire valoir. Si, au contraire, la Commission
reconnaît que l'arrêt n'a pas été rendu conformément à la loi ou à la procédure, elle renverra
l'affaire devant le tribunal de révision en lui signalant les défauts de l'arrêt ».
26 L’art. 61 § 2 de la Constitution de 1861 : « Si, après ce renvoi, le tribunal de révision rend un
arrêt conforme au premier, le Conseil suprême videra le conflit définitivement en se prononçant,
à la majorité des voix, avec le concours de tous ses membres non légalement empêchés ».
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de douze membres au moins pour examiner si la loi n'a pas été
violée... ». La composition de cette commission reflète une double
dépendance à l'égard de l'exécutif et du législatif. Elle consacre, en
outre, l'idée que le contrôle des décisions de justice peut ne pas revenir
à des magistrats professionnels.
Le Conseil suprême était composé de soixante membres ; les deux
tiers parmi les notables du pays et le reste parmi les ministres et les
fonctionnaires du gouvernement27. Aucune disposition de
la
constitution n'exigeait que les membres de la commission des recours
dussent être en tout ou en partie choisis parmi les juristes et encore
moins parmi les magistrats professionnels28. Contrairement donc à la
Cour de cassation, le contrôle de l'application de la loi pouvait
appartenir à des non-juristes.
C’est la raison pour laquelle le Professeur N. BEN AMMOU
considère que : « le Conseil suprême ressemble en réalité davantage à
la Chambre des Lords anglaise qu'à la Cour de cassation française »29.
B- La nature du recours devant le Conseil suprême
Le concept de « cassation » n'a été consacré par aucun texte de la
constitution dans son chapitre relatif aux attributions du Conseil
27 Dans un premier temps, lors de l'installation du Conseil, il revenait au Bey d'en choisir les
membres. Ce dernier devait perdre ce pouvoir à mesure du renouvellement des membres
notables, mais il le conservait entier pour le renouvellement des membres ministres et
fonctionnaires d'une part, et pour la désignation des président et vice-président d'autre part.
28 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 41 ; H. CHEKIR, « Les sources d'inspiration de la
Constitution tunisienne de 1861 »,
in Le choc colonial et l'islam, Sous la direction de P.
LUIZARD, éd. La découverte 2006, coll. « TAP/HIST Contemporaine, pp. 71-88.
29 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 41.
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suprême (chapitre VII). Mais l’utilisation des concepts de "violation de
la loi" et de "renvoi" ne laisse aucun doute sur l'adoption du système de
la cassation par le législateur de 186130.
Qu’en est-il des ouvertures ?
L'article 61 de la constitution de 1861 disposait : « En cas de
recours contre un arrêt rendu par le tribunal de révision en matière
criminelle, le Conseil suprême choisira dans son sein une commission
composée de douze membres au moins pour examiner si la loi n'a pas
été violée. Lorsque cette commission aura constaté que la procédure a
été observée et que la loi a été bien appliquée, elle confirmera l'arrêt
attaqué et la partie n'aura plus de moyens à faire valoir. Si, au contraire,
la Commission reconnaît que l'arrêt n'a pas été rendu conformément à
la loi ou à la procédure, elle renverra l'affaire devant le tribunal de
révision en lui signalant les défauts de l'arrêt.
Si, après ce renvoi, le tribunal de révision rend un arrêt conforme
au premier, le Conseil suprême videra le conflit définitivement en se
30 M. LEJMI, op. cit., p. 25 ; Contra, N. BEN AMMOU, op. cit., p. 42 : « Si nous ne pouvons
que convenir de l'existence de l'emprunt fait aux techniques de cassation, nous nous devons, en
revanche, d'en relever le caractère fort limité. Quatre données permettront de s'en convaincre :
1° - S'il est vrai que le renvoi après cassation était consacré, la cassation sans renvoi n'était pas,
contrairement aux règles du droit moderne, l'exception au principe.
2°- Si la solution était clairement posée lorsque le second recours avait pour objet un arrêt
conforme à la première décision censurée, rien n'était dit en cas de recours contre un arrêt non
conforme et jusqu'où la succession des renvois et des pourvois devait s'arrêter.
3°- Aucune exigence de délai n'avait paru nécessaire, ce qui ne faisait que perpétuer l'une des
graves défaillances du système musulman de contrôle des jugements'.
4°- Enfin, aucune technique d'unification de la jurisprudence n'était prévue, à cause de la vision
étriquée du domaine de la compétence du conseil suprême ».
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prononçant, à la majorité des voix, avec le concours de tous ses
membres non légalement empêchés.»
Ainsi, l’article susmentionné prévoyait deux ouvertures : la
mauvaise application de la loi et la violation de la procédure.
L'ouverture pour fausse interprétation n'était pas expressément
consacrée par ce texte. On ne manquera pas toutefois de remarquer
l'existence de la formule générique de « violation de la loi » qui,
largement interprétée, permet d'établir la consécration implicite de cette
ouverture31.
Une telle déduction ne paraît pas, cependant, conforme aux textes
de la constitution. L’article 63 insistait sur le fait que l'interprétation de
la loi était du ressort exclusif du Conseil suprême dans sa composition
plénière. Elle n'appartenait pas à la commission des recours qui faisait
pourtant corps avec lui étant donné la mission ponctuelle dont elle était
chargée32.
Les historiens relèvent, cependant, que la liste des notables
désignés membres du Conseil suprême est
formée presque
exclusivement des personnalités nées à l'étranger, consacrant ainsi un
31 N. BEN AMMOU, op. cit.,
32 L’article 63 de la Constitution de 1861 : « Les affaires qui ne peuvent être décidées qu'après
avoir été proposées au Conseil suprême, discutées en son sein, examinées si elles sont
conformes aux lois, avantageuses pour le pays et les habitants, et approuvées par la majorité de
ses membres sont : la promulgation d'une nouvelle loi ; l'augmentation ou la diminution dans
les impôts ; l'abrogation d'une loi par une autre plus utile ; l'augmentation ou la diminution dans
la solde ; le règlement de toutes les dépenses ; l'augmentation des forces de terre et de mer et
du matériel de guerre ; l'introduction d'une nouvelle industrie et de toute chose nouvelle ; la
destitution d'un fonctionnaire de l'État qui aura mérité cette peine pour un crime commis et jugé
; la solution des différends qui pourrait s'élever entre les employés pour cause de service, et des
questions non prévus par le Code ; l'explication du texte des codes ; l'application de leurs
dispositions en cas de différends ; et l'envoi de troupes pour une expédition dans le royaume.

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monopole oligarchique sur la vie politique. C'est pourquoi, la
Constitution a été mal accueillie par la population accablée par la hausse
des impôts. Aussi, la montée des dépenses publiques engendrées par les
nouvelles institutions, aggravées par des détournements de fonds,
entraînera quelques années plus tard la révolte populaire de 1864
dirigée par Ali ben Ghdahom, qui donnera au bey le prétexte tant
attendu pour suspendre le fonctionnement du Conseil suprême et
reprendre son pouvoir absolu33.
La suspension de la Constitution allait restituer au Bey le pouvoir
judiciaire qu'il exercera conformément au modèle antérieur aux
réformes.
A la veille du Protectorat, l'organisation judiciaire était donc
composée d'une justice religieuse (Charaa; Mejless malékite et Mejless
hanafite à Tunis ; Qadhi ou Mejless en province)", d'une justice laïque
; les Caïds en province, compétents au civil et au pénal, et l'Ouzara à
Tunis, qui "n'était autre qu'un bureau administratif préparant les
décisions du Bey". Aucune institution n'était par conséquent appelée à
jouer le rôle de juge du droit34.
Telle était l’organisation judiciaire dans laquelle se trouvait la
Tunisie au moment de l'intervention française.
33 M. LEJMI, op. cit., p. 27.
34 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 44.
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Deuxième partie : La période du protectorat
A la diversité des ordres juridiques qui ont coexisté sous le
protectorat, correspondait une diversité dans les ordres juridictionnels.
Ainsi, les tribunaux charaïques appliquaient le droit musulman, les
tribunaux rabbiniques le droit mosaïque, les tribunaux séculiers
tunisiens les codes modernes, et, enfin, les tribunaux français de Tunisie
le droit français ou la loi désignée par la règle de conflit française. Il ne
pouvait, à l'évidence, y avoir dans ces conditions, une juridiction
suprême unique dont le rôle eût été l'unification jurisprudentielle de
droits. Seule donc restait possible la solution qui consiste à prévoir pour
chaque ordre juridictionnel et juridique un système ou un organe de
contrôle35. C'est ce qui fut fait la justice religieuse (§1) et la justice
séculière (§ 2) chacune fut dotée d'un système de contrôle.
§1 - La justice religieuse
Le législateur colonial a doté aussi bien la justice rabbinique (A)
que la justice musulmane (B) d'un recours en cassation.
A- La justice rabbinique
Le décret du 28 novembre 1898 réorganisant la justice
rabbinique36 prévoyait dans son article 24 que « les jugements du
35 I. ABDELHAK, « Histoire de la fonction de juge et de l’apparition de la Cour de cassation
en Tunisie », Disponible sur : https://www.ahjucaf.org/histoire-de-la-cour-de-cassation-de-
tunisie#37
36 Le tribunal rabbinique avait été institué par décret beylical du 28 novembre 1898 et complété
par celui du 28 mars 1922. Cette juridiction, essentiellement religieuse, avait son siège a Tunis
et sa compétence s’étendait a tout le territoire de la Régence. Le tribunal était composé d’un
président (le Grand Rabbin), d’un vice-président, de six juges, d’un greffier en chef et de deux
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tribunal rabbinique sont définitifs et sans recours ». L'alinéa 2 du même
article ajoutait : « toutefois, ils peuvent être cassés par nous (le Bey) et
renvoyés devant la juridiction compétente, soit d'office, soit à la
demande de la partie succombante, pour incompétence ou s'ils ont été
rendus sur un titre dont la fausseté a été ensuite reconnue ou sur une
cause inexistante, ou s'ils se fondent uniquement sur une erreur
matérielle portant sur l'objet de la contestation ou sur la personne de
l'une des parties... ».
B- La justice musulmane
La justice était rendue soit par un juge unique : le Cadhi, soit par
la juridiction plurale : le mejless. Les décisions du Cadhi aussi bien que
celle du Mejless étaient définitive et n’étaient susceptible que de
cassation. En effet le code de procédure charaïque promulgué par le
décret du 2 septembre 1948 a institué pour tout le territoire tunisien
deux chambres de cassation représentant les deux rites.
La compétence des deux chambres de cassation s’étendait à toutes
les affaires rendues soit par les Mejless soit par les Cadhi et qui ont fait
l’objet de pourvois en cassation. Les chambres de cassation étaient
présidées chacune par un cheikh el-islam et comprenaient chacune trois
membres.
Le code susvisé a prévu des dispositions qui rappelle celles qui
régissent les pourvois en cassation. C'est ainsi que le pourvoi était
commis-greffiers. Tous ces magistrats, qui étaient nommés par décret, sur la proposition du
premier ministre, ont été désignés, par la suite, sur concours régulier. Ils devaient être âgés de
35 ans au moins et de 70 ans au plus.
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déclaré irrecevable si son auteur n'en fournit pas les moyens. En cas
d'admission du pourvoi l'affaire était renvoyée, soit devant la même
juridiction autrement composée, soit devant une autre juridiction
compétente37.
Signalons enfin, que suivant l’article 8 du décret du 2 septembre
1948 relatif au procédure de cassation devant les tribunaux de charaâ,
le ministre de la justice tunisienne avait la faculté d’évoquer et de
renvoyer devant la chambre de cassation du rite compétent, les affaires
concernant les incapables et les habous38 s’il estimait qu’elle n’avait
pas l’objet d’une saine application de la loi.
§ 2 - La justice séculière
Le décret du 18 mars 1896 avait institué la procédure d’évocation
(1), développée par le Code de procédure civile de 1910 et les textes
ultérieurs (2).
37N. BEN AMMOU, op. cit., p. 47.
38 Le habous (en arabe : سوبحلا) est une institution du droit musulman d'après laquelle le
propriétaire du bien le rend inaliénable pour en affecter la jouissance au profit d'une œuvre
pieuse ou d'utilité générale, immédiatement ou à l'extinction de dévolutaires intermédiaires qu'il
désigne. Le habous peut être un bien mobilier ou immobilier, il peut s'agir d'une récolte, ou d'un
débit horaire de l'eau d'une source, etc. Les habous peuvent être classifiés en trois types :
publics, privés ou mixtes. Le terme "habous" est essentiellement utilisé dans le Maghreb et est
synonyme du waqf dans le Moyen orient. V. I. SURUN ( sous la dir), Les sociétés coloniales
à l'âge des Empires (1850-1960)
, Atlande, 2012, p. 334.
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1- Le décret du 18 mars 1896
Le décret du 18 mars 1896 a développé une autre forme de pourvoi
en cassation auprès des tribunaux séculiers tunisiens, et ce à travers la
procédure d’évocation devant des juridictions d’appel.
Composée avant le protectorat de la juridiction des Caïds et de
l'Ouzara à Tunis, le décret du 18 mars 1896 créa des tribunaux
régionaux d’appel à Gabès, Gafsa et Sfax à compétence civile et pénale
(échelon intermédiaire entre les Caïds et l'Ouzara).
L’article 39 dudit décret prévoyait : « Notre premier ministre
pourra toujours évoquer d'office, devant le Tribunal de l'Ouzara, toute
affaire en cours d'instance de la compétence des tribunaux de province.
Il pourra aussi déférer à l’Ouzaraa pour incompétence, abus de pouvoir,
fausse application ou violation de la loi, ou encore pour erreur manifeste
tout jugement des mêmes tribunaux, même s’il est passé en force de
chose jugée ou a été exécuté »
Il s'agirait là le « premier texte postérieur à la suspension de la
Constitution de 1861 dans lequel on trouve une trace du pourvoi en
cassation »39. Cependant, « le caractère discrétionnaire de cette
procédure, et l’exercice de son monopole par le pouvoir exécutif ainsi
39 M. BEN SLAMA, « A propos la Cour de cassation », Revue de la jurisprudence et de la
législation
, 1975, p. 78. (En arabe)
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que l’absence totale de délais l’éloignait inexorablement de la cassation
dans son acception moderne »40.
Les cas d'ouvertures qui sont prévus rappellent certes le pourvoi
en cassation, mais il ne s'agit là que d'apparence : « L'évocation n'a pas
la même nature que la cassation dans son acception moderne. Elle
n'était rien d'autre que la manifestation du pouvoir du Bey de contrôler
les décisions de justice en tant que chef de la communauté. Le caractère
discrétionnaire qui marquait l'exercice de ce recours, l'exclusivité de cet
exercice reconnu au premier ministre et, enfin, l'absence de toute
condition de délai sont autant d'indices qui confirment ce point de
vue »41.
2- Le code de procédure civile de 1910
Avant le code de procédure civile de 1910, c’était le premier
ministre qui évoquait l’affaire devant le tribunal de l’Ouzaraa pour
incompétence, abus de pouvoir, fausse application de la loi ou erreur
manifeste.
Avec le code de 1910, le pourvoi en révision pouvait être formé
par les parties intéressées devant une commission des Requêtes
composée du ministre la plume (devenu magistrat de nationalité
française en vertu de la réforme de 1921) et de deux présidents de
chambre n’ayant pas connu du procès. L’admission du pourvoi avait
40 I. ABDELHAK, « Histoire de la fonction de juge et de l’apparition de la Cour de cassation
en Tunisie », Disponible sur : https://www.ahjucaf.org/histoire-de-la-cour-de-cassation-de-
tunisie#37
41 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 49 ; Dans le même sens, M. LEJMI, op. cit., p. 29.
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pour résultat de faire renvoyer l’affaire devant une chambre de
l’Ouzaraa.
La chambre des requêtes est une véritable juridiction rendant des
affaires. Elle était saisie après épuisement des recours ordinaires soit
par la partie succombante, soit d’office par le Directeur des services
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judiciaires. Elle se composait d’un président nommé par décret et de
deux membres pris occasionnellement parmi les présidents de chambre.
Le Directeur des services judiciaires était ministère public (également
magistrat) et donnait des conclusions écrites. Elle statuait sur toutes les
décisions définitives qui lui était déférées, tant au civil qu’au pénal
selon des délais fixés par l’article 103. Soit en rejetant le pourvoi, soit
en renvoyant l’affaire devant une juridiction autrement composée que
celle qui avait rendu la décision objet du renvoi. Ainsi la chambre des
requêtes, véritable Cour de cassation, assurait par un contrôle de fait et
de droit la réparation des erreurs42, ainsi que le règlement de juges et de
la prise à partie.
La commission des requêtes devenue en 1945 Chambre des
requêtes n'a jamais reçu pour mission celle d'unifier l'interprétation
juridique. C'est au comblement de cette lacune que dut s'attacher le
législateur de l'indépendance.
42 V. Contra N. BEN AMMOU, op. cit., p. 53 : « Le système n'est plus celui de l'évocation
institué en 1896 et repris en partie en 1910. Ce n'est pas non plus le système de la cassation
proprement dite. C'est un système à cheval entre celle-ci et celle-là et qu'on pourrait appeler
"l'évocation-cassation" ou encore la "révision-cassation"; celle-ci s'appliquant mieux à la
procédure pénale.».
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il est à préciser que la Cour de Cassation ,était présidé par un juge
Français ,et ce jusqu’à 18 jull 1947 ,la date de nomination d’un juge
Tunisien , jusqu’à nos nos jours.
Troisième partie : la période de l’indépendance
L'organisation judiciaire de la Tunisie indépendante a été marquée
par deux période, à savoir la période de l’autonomie interne (§ 1) et
celle de l’indépendance totale (§ 2).
§1- La période de l’autonomie interne
Les mesures de l’unification de la justice dans le cadre
l’autonomie interne n’apportèrent à l'organisation judiciaire que des
réformes de détail qui n'ont pas touché le droit de la cassation. A vrai
dire cette unification s’est faite dans cette période en deux étapes :
-La première fut la convention tuniso-française du 3 juin 1955,
conclue dans le cadre de l’autonomie interne de la Tunisie. L’article 1er
de cette convention partageait la compétence entre juridiction
tunisienne et française uniquement sur le critère de la nationalité des
parties, abandonnant ainsi les attributions de compétence exclusive aux
juridictions françaises.
-La deuxième étape fut inaugurer par le décret du 3 aout 1956 qui
a transféré toutes les compétences des tribunaux charaïques aux
juridictions de droit commun. Ce décret fut complété par les décrets du
25 septembre 1956, du 25 octobre 1956 et du 24 juin 1956, tous pris
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pour réorganiser la justice : suppression des tribunaux religieux,
changement d'appellation des tribunaux régionaux en tribunaux de
première instance et création de trois cours d'appel à Tunis, Sousse et
Sfax.
Le législateur de 1956 modifia, d'un autre côté, l'intitulé de la
section du code de procédure civile de 1910 consacrée à l'évocation
abandonnant cette appellation au profit de celle de "cassation". Les
articles 103 et 105 furent en conséquence modifiés. C'est devant la Cour
de cassation, et non devant la Chambres des requêtes de l'Ouzara que
l'on pourra désormais se pourvoir en cassation43.
§ 2-La période de l’indépendance totale
L’unification de la Justice est parachevée en même temps qu’est
établie la pleine entière souveraineté tunisienne le 25 juillet 1957.
L'adoption du Code de procédure civile et commerciale en 1959 était la
consécration de cette unification44.
Promulgué par une loi du 5 octobre 1959 qui en a prévu l'entrée
en vigueur au 1 janvier 1960, le Code de procédure civile et
commerciale est le premier texte dans l'histoire juridique de la Tunisie
à organiser un pourvoi en cassation et à concevoir le rôle de la Cour de
43 N. BEN AMMOU, op. cit., p. 55.
44 L’article 2 du Code de procédure civile et commerciale consacre la plénitude de juridiction
des tribunaux tunisiens et règlemente leurs compétences internationales. Les juridictions
tunisiennes : « connaissent de toutes les contestations visées à l'article précédent entre toutes
personnes résidant en Tunisie, quelle que soit leur nationalité ». De même, les articles 2 et 3 du
Code de procédure pénale déclarent les lois tunisiennes applicables à toutes les infractions
commises en Tunisie et attribuent compétence aux tribunaux tunisiens pour connaitre de ces
infractions, quelle que soit la nationalité des parties.
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cassation dans une optique moderne. Dans un chapitre IV d'un titre IV
réservé aux voies de recours, le législateur traite de la cassation en
vingt-trois articles, répartis en trois sections réservées successivement
aux ouvertures45, aux parties et à la procédure.
Si le Code de procédure civile et commerciale a mis sur pied une
cour suprême juge du droit, il n'a réorganisé la Cour de cassation que
dans sa compétence civile. En matière pénale, il faut attendre le Code
de procédure pénale du 24 août 1968 pour qu'un parallèle presque
parfait puisse être établi entre la compétence civile et la compétence
pénale de la Cour de cassation46.
« La haute juridiction vit enfin ainsi les contours de son contrôle
dessinés par la loi, mais il revint souvent à la jurisprudence, au fur et à
45 L’article 175 du Code de proc édure civile et commerciale : « Le recours en cassation n'est
ouvert contre les jugements rendus en dernier ressort que dans les cas suivants :
1-Si le jugement contient une violation de la loi ou s'il a été rendu à la suite d'une erreur dans
l'application ou l'interprétation de la loi ;
2-Si le tribunal qui l'a rendu était incompétent ;
3-S'il y a eu excès de pouvoir ;
4-Si les formes prescrites à peine de nullité ou de déchéance, au cours de la procédure ou dans
le jugement, n'ont pas été respectées ;
5-S'il y a contrariété de jugements rendus en dernier ressort entre les mêmes parties, sur le
même objet et pour la même cause ;
6-S'il a été statué sur des choses non demandées, ou sur plus qu'il n'a été demandé, ou si la
décision d'appel a négligé de statuer sur les prétentions déjà jugées par le premier juge ou si
dans le même jugement il y a des dispositions contraires ;
7-Si un incapable a été condamné sans qu'il fût régulièrement représenté, s'il a été
manifestement mal défendu et que cela ait été la cause principale ou unique du jugement ainsi
rendu ».
46 Parallèlement à la création et à l’organisation d’une Cour de cassation moderne, était
entreprise une profonde réorganisation de la justice tunisienne dans le sens de la
décentralisation, de l’élévation du niveau des magistrats et des auxiliaires de justice, de
l’unification du barreau tunisien (Loi n° 37 du 15 mars 1958 modifiée par la loi n° 14 du 27
mai 1963), de l’allègement des frais (Loi n° 135 du 14 octobre 1959 et le décret-loi n° 13 du 23
mars 1960) et d’une complète et rationnel codification ; successivement furent promulgués : le
Code de statut personnel(1956), le code commerce MARITIME (1962), le code de Nationalité
(1963), le code des droits réels (1965) ;
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mesure de son évolution, d’en fixer les lignes de démarcation en
insistant d’abord sur le fait que la cour de cassation n’est, en aucune
manière, un troisième degré de juridiction, et en précisant enfin que la
cassation est bien, et qu’elle doit le demeurer, une voie de recours tout
à fait exceptionnelle »47.
L’importance des réformes entreprises et l’ampleur des efforts
consentis pour la modernisation du système judiciaire en général et de
la juridiction de cassation plus particulièrement, depuis l’indépendance,
reflètent la place de choix qu’occupe la justice en Tunisie.

N’est-il pas tunisien l’illustre IBN KHALDOUN48 qui
écrivit que « la justice est le fondement de toute
civilisation ».
47 I. ABDELHAK, art. précit.
48 IBN KHALDOUN (1332-1406), sociologue, enseignant et magistrat musulman, né en
Tunisie.
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