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Tunisie : Promouvoir les
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l'Instance Vérité et Dignité
sur la réforme de la justice
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Constituée de 60 éminents juges et avocats du monde entier, la Commission Internationale
de Juristes (CIJ) œuvre pour la promotion et la protection des droits humains dans le cadre
de l’Etat de droit. Elle dispose d’une expertise juridique unique pour développer et renforcer
les systèmes de justice nationaux et internationaux. Créée en 1952 et active sur les cinq
continents, la CIJ veut garantir le développement et la mise en oeuvre du droit international
des droits humains et du droit international humanitaire, veiller à la réalisation des droits
civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, s’assurer de la séparation des pouvoirs
et préserver l’indépendance de la justice et des professions juridiques.
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Note d'analyse
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affaires étrangères de Finlande.
Tunisie : Promouvoir les recommandations de l'Instance Vérité et Dignité sur la réforme de la justice
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Tunisie : Promouvoir les recommandations
de l'Instance Vérité et Dignité sur la réforme
de la justice
Note d’analyse
Novembre 2021
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Table des matières
I. Introduction..........................................................................................................
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II. Réformer le système judiciaire pour garantir son indépendance et sa
redevabilité.........................................................................................................
i. Renforcer le rôle du Conseil supérieur de la magistrature .............................................
ii. Fournir les moyens de réaliser l'indépendance de la justice en pratique..........................
iii. Garantir l'indépendance du Ministère public...............................................................
iv. Réformer le système de justice militaire.....................................................................
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III. Conclusion.........................................................................................................
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I. Introduction
La loi organique n° 2013-53 du 24 décembre 2013 relative à l'instauration et à l'organisation
de la justice transitionnelle (la loi de 2013) prévoit la mise en place d'une Instance Vérité et
Dignité (IVD)
1. L'IVD a été mandatée pour : (i) tenir des audiences publiques ou à huis-clos
pour les victimes de violations flagrantes des droits de l'homme commises entre 1955 et 2013 ;
(ii) documenter ces violations ; (iii) déterminer les responsabilités ; (iv) proposer des mesures
pour éviter qu'elles ne se reproduisent ; et (v) élaborer un programme global de réparations
2.
En outre, l'article 43 de la loi de 2013 a chargé l'IVD de formuler des recommandations de
réforme, notamment au sein du secteur de la justice, afin d'éviter la récurrence des violations
des droits de l'homme, de protéger les droits de l'homme et de promouvoir l'état de droit3.
L'IDV a commencé ses travaux en juin 2014. Conformément à l'article 67 de la loi de 2013, elle
a remis, le 31 décembre 2018, son rapport final aux autorités, lequel a finalement été rendu
public le 26 mars 20194. Conformément à la loi de 2013, une section du rapport de l'IVD est
consacrée aux recommandations de réformes concernant, notamment, le secteur de la justice
5.
Afin de comprendre le raisonnement qui sous-tend ces recommandations, il est important de
noter que l'IVD a largement documenté la manière dont les anciens régimes ont utilisé et abusé
du système judiciaire pour perpétrer des violations flagrantes des droits humains6. La réforme
du secteur de la justice, en tant que pilier de l'État de droit, est donc censée garantir la non-
répétition des violations des droits de l'homme en Tunisie.
Conformément à l'article 70 de la loi de 2013, le gouvernement avait une année pour préparer
un plan d'action visant à mettre en œuvre les recommandations de l'IVD. Cependant, à ce jour,
aucun plan d'action ne semble avoir été adopté et plusieurs des recommandations de l'IVD,
notamment en ce qui concerne la réforme du secteur de la justice, restent sans suites.
En vue de promouvoir cet aspect important du travail de l'IVD, la présente note fournit une
analyse de certaines des recommandations de l'IVD visant à réformer les institutions de la justice
7et formule des recommandations supplémentaires quant à leur mise en œuvre conformément
au droit international et aux normes internationales en matière de droits de l'homme.
Suspension de l'État de droit, de l'ordre constitutionnel et de la séparation
des pouvoirs
Le 25 juillet 2021, invoquant l'article 80 de la Constitution relatif aux mesures exceptionnelles,
le président Kais Saïed a démis le gouvernement, s'est autoproclamé chef de l'exécutif et du
Ministère public, a suspendu le corps législatif du pays (l'Assemblée des représentants du peuple,
ARP) et a retiré aux membres de l'ARP leurs immunités parlementaires
8. En outre, le décret
présidentiel n° 117 du 22 septembre 2021 a suspendu la majeure partie de la Constitution et a
confié au président les pleins pouvoirs exécutifs et législatifs, y compris celui de régir par décret
l’organisation de la justice et de la magistrature, de l'armée, des forces de sécurité intérieure,
des partis politiques, des syndicats et des associations, sans aucune possibilité de contrôle
judiciaire et/ou constitutionnel
9.
1. Loi de 2013, Titre II.
2. Loi de 2013, art. 39.
3. Voir également la loi de 2013, art. 67.
4
. Le rapport complet final de l'IVD fait 1869 pages et n'est disponible qu'en arabe. Un résumé de 644 pages a
été traduit en anglais et est disponible sur http://www.ivd.tn/rapport/doc/TDC_executive_summary_report.
pdf (dernière consultation le 28 octobre 2021). Les références au résumé ci-après se rapportent à la traduction
en anglais, sauf indication contraire.
5. Rapport complet final de l’IVD, partie V, pp. 203-217 et pp. 236-239. Voir également le résumé, pp. 565-579,
pp. 594-597 et pp. 606-608.
6. Résumé exécutif, pp. 175-199.
7. La présente note se concentre sur les recommandations visant à garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire
dans son ensemble. En tant que tel, il n'aborde pas les recommandations spécifiquement liées à la Cour des
comptes, aux tribunaux administratifs et aux Chambres criminelles spécialisées.
8. Voir https://www.icj.org/tunisia-presidents-power-grab-is-an-assault-on-the-rule-of-law/. Voir également
https://www.icj.org/tunisia-president-must-reestablish-the-rule-of-law/ sur le renouvellement de ces mesures.
9. Voir https://www.icj.org/tunisia-reverse-the-presidents-power-grab/. En particulier, le décret 117 supprime
également l'organe chargé du contrôle de la constitutionnalité des lois.
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Le 30 juillet, Yassine Ayari, député au Parlement tunisien, qui avait qualifié de coup d'État la
prise de pouvoir du Président Saïed, a été arrêté et emprisonné sur la base d'un verdict rendu
par un tribunal militaire trois ans plus tôt pour « diffamation de l'armée », suite à la levée de
son immunité parlementaire. Il fait actuellement l'objet d'une enquête du parquet militaire pour
ses publications sur Facebook critiquant avec virulence les mesures prises par le Président de la
République le 25 juillet
10. Une augmentation significative du nombre de civils traduits devant les
tribunaux militaires a été documentée depuis le 25 juillet, y compris un journaliste, un blogueur
et un autre membre du Parlement, simplement pour avoir critiqué le Président
11.
À l'heure où le Président a mis en suspens l'État de droit et la séparation des pouvoirs en
Tunisie, la pertinence des recommandations de l'IVD visant à assurer l'indépendance du pouvoir
judiciaire, en tant que garant essentiel contre le retour de l'autoritarisme et la récurrence des
violations des droits de l'homme, ne saurait être trop soulignée.
Dans le prolongement du processus de justice transitionnelle, des mesures doivent être prises
pour assurer la pleine mise en œuvre des recommandations de l'IVD dès le retour de l'ordre
constitutionnel.
10. Voir https://www.icj.org/tunisia-judiciary-must-act-as-a-check-on-presidents-power-grab/; see also https://
inkyfada.com/en/2021/09/28/how-can-military-courts-judge-civilians/.
11. Voir https://www.amnesty.org/en/latest/news/2021/11/tunisia-alarming-increase-in-number-of-civilians-facing-
military-courts/.
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II. Réformer le système judiciaire pour garantir son indépendance
et sa redevabilité
Afin de prévenir tout nouvel abus du pouvoir judiciaire à des fins politiques ou personnelles,
l'IVD a formulé plusieurs recommandations visant à renforcer l'indépendance de la justice, en
soulignant que :
« [l]a réforme du système judiciaire requiert, essentiellement, le parachèvement de son
indépendance pour qu'il puisse remplir son rôle constitutionnel en tant qu'autorité assurant
l'administration de la justice, la suprématie du droit et la protection des droits et des
libertés par le biais de réformes assurant l'indépendance du judiciaire conformément aux
normes internationales »
12.
Il incombe à toutes les institutions, gouvernementales et autres, « de respecter l'indépendance
de la magistrature »
13. Un système judiciaire indépendant est le fondement de l'état de droit
et de la gouvernance démocratique. La Tunisie a ratifié le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP) en 1969. L'article 14 du PIDCP garantit à chacun le droit à l'égalité
devant les tribunaux et les cours de justice et à ce que sa cause soit entendue équitablement
et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi. Il s'agit
d'un « droit absolu qui ne souffre aucune exception »
14. En tant que partie au PIDCP, la Tunisie
est tenue de respecter ce droit, ainsi que de pourvoir à l'adoption de mesures d’ordre juridique
et autre propres à donner effet à ce droit, y compris en prévoyant les garanties nécessaires pour
assurer sa réalisation
15.
L'indépendance de la magistrature en vertu de l'article 14 du PIDCP comprend non seulement
l'indépendance effective des juridictions de toute intervention politique des autres branches
de l'État, à savoir l'exécutif et le législatif, mais s'étend également aux procédures régissant
le statut des magistrats (par exemple, leur nomination, leur rémunération, la durée de leur
mandat, leur avancement, leur suspension, leur révocation et les mesures disciplinaires dont ils
peuvent faire l’objet)
16. En conséquence, les recommandations de l'IVD abordent de multiples
aspects qui affectent l'indépendance de la justice, notamment le rôle du Conseil supérieur de la
magistrature en ce qui concerne le statut des magistrats ; les moyens de parvenir effectivement
à l'indépendance ; le statut du ministère public ; et le système de justice militaire. Chacun de
ces aspects est exploré plus en détail ci-dessous17.
i. Renforcer le rôle du Conseil supérieur de la magistrature
En vertu de l'article 114 de la Constitution et de l'article 1er de la loi organique n° 2016-34 du
28 avril 2016 relative au Conseil supérieur de la magistrature (CSM), le CSM garantit le bon
fonctionnement de la justice et le respect de son indépendance. L'IVD a recommandé de «
renforcer le [CSM] en lui fournissant tous les moyens nécessaires pour assurer son efficacité
et son indépendance ». Elle a également formulé plusieurs recommandations sur le rôle que le
CSM devrait jouer en ce qui concerne la carrière et la discipline des magistrats afin de renforcer
leur indépendance.
A. Carrière des magistrats
L'IVD a recommandé que le recrutement des juges et du personnel judiciaire soit placé sous la
12. Résumé exécutif, p. 594.
13
. Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature, adoptés par le
septième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants tenu à Milan
du 26 août au 6 septembre 1985 et entérinés par les résolutions 40/32 de l'Assemblée générale de novembre
1985 et 40/146 du 13 décembre 1985 (« Principes fondamentaux des Nations Unies sur l'indépendance de la
magistrature »), Principe 1.
14. Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 32, Article 14 : Droit à l'égalité devant les cours et
tribunaux et à un procès équitable (« Observation générale n° 32 »), UN Doc. CCPR/C/GC/32, par. 19.
15. PIDCP, article 2.
16. Observation générale n° 32, par. 19-20.
17. Résumé exécutif, p. 594.
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supervision du CSM et soit fondé sur des considérations de compétence et de probité18. Une telle
approche est conforme au principe 10 des Principes fondamentaux de l'ONU sur l'indépendance
de la magistrature, selon lequel « Les personnes sélectionnées pour remplir les fonctions de
magistrat doivent être intègres
et compétentes » (c'est nous qui soulignons).
Certaines réformes législatives ont été adoptées à cet effet. Par exemple, en vertu de l'article 45
de la loi organique n° 2016-34, le Conseil supérieur de la magistrature statue sur la nomination,
la promotion et la mutation des magistrats, tant des juges que des procureurs, y compris ceux
des rangs les plus élevés, sur la base de la compétence, de l'impartialité et de l'indépendance.
Cependant, l'article 4 du décret gouvernemental n° 2020-28 du 10 janvier 2020 fixant les
attributions de l’Institut supérieur de la magistrature19, chargé de la formation initiale et
continue des magistrats, prévoit que les membres du jury chargés du concours de recrutement
des auditeurs de justice sont nommés par arrêté du chef du gouvernement et sur proposition du
ministre de la Justice. Comme le détaille le rapport de la CIJ, « Indépendance et responsabilité
du système judiciaire tunisien : Tirer les leçons du passé pour construire un futur meilleur », sur
l'indépendance de la justice en Tunisie, si les normes internationales n'excluent pas absolument
que les pouvoirs exécutif et législatif puissent jouer un rôle dans les nominations judiciaires,
elles soulignent la nécessité de veiller à ce que le processus de sélection soit exempt de toute
influence politique20.
En outre, l'article 42 de la loi organique n° 2016-34 a confié au CSM un rôle simplement
consultatif concernant la formation des magistrats à l'Institut supérieur de la magistrature,
lequel reste sous la tutelle du Ministère de la Justice
21. À cet égard, les normes internationales
exigent que tous les aspects de la carrière des juges, y compris leur formation, soient à l'abri
de toute influence indue ou inappropriée des pouvoirs exécutif ou législatif22.
Par conséquent, la CIJ estime que le décret n° 2020-28 et les lois connexes devraient être
modifiés pour empêcher toute influence du pouvoir exécutif dans la sélection des magistrats et,
plus généralement, pour faire en sorte que l'Institut supérieur de la magistrature soit transféré
sous la supervision du CSM.
L'IVD a également recommandé que tous les magistrats, y compris les juges administratifs et
les juges de la Cour des comptes, suivent un cursus commun harmonisé à l'Institut supérieur
de la magistrature
23. L’IVD a également déclaré que les programmes de formation des juges
devraient être révisés « afin d’augmenter leur performance dans l’exercice du nouveau rôle qui
leur est confié par la Constitution »
24, à savoir « assurer la suprématie de la Constitution, la
souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés »
25 .
À cet égard, la CIJ considère que la loi devrait garantir que les magistrats reçoivent une formation
initiale et continue adéquate et appropriée, y compris une formation sur le droit international
des droits de l'homme.
18. Résumé exécutif, pp. 594-595.
19
. Le titre complet est le Décret gouvernemental n° 2020-28 du 10 janvier 2020 fixant les attributions de
l'Institut supérieur de la magistrature, le régime des études et de formation.
20. Rapport de la CIJ, Indépendance et responsabilité du système judiciaire tunisien : Tirer les leçons du passé
pour construire un futur meilleur, 13 mai 2014 (« Rapport de la CIJ sur l’indépendance de la justice en
Tunisie », pp. 29-30, disponible en anglais sur http://www.icj.org/wp-content/uploads/2014/05/Tunisia-
Strengthen-Judicial-Independence-Report-2014-ENG.pdf
, dernière consultation le 6 octobre 2021. Un résumé
en français est disponible sur https://www.icj.org/wp-content/uploads/2014/05/Tunisia-Strengthen-Judicial-
Independence-Report-Introduction-2014-FRE.pdf, dernière consultation le 30 novembre 2021.
21. Selon l'art. 2 de la loi n° 85-80 du 11 août 1985 portant création d'un Institut supérieur de la magistrature et
fixant sa mission, telle que modifiée par la loi n° 92-70 du 27 juillet 1992.
22. Rapport de la CIJ sur l’indépendance de la justice en Tunisie, p. 34. Voir notamment Observations finales
du Comité des droits de l'homme sur la République du Congo, UN Doc. CCPR/C/79/Add.118, par. 14, avec
une attention particulière portée à la formation des juges ; Conseil de l'Europe, Recommandation (2010)12
du Comité des Ministres sur les juges : indépendance, efficacité et responsabilités (« Recommandation CdM
(2010)12 »), par. 57 ; Charte européenne sur le statut des juges, par. 2.3, qui renvoie au par. 1.2.
23. Résumé exécutif, p. 595, en ce qui concerne la Cour des comptes et les tribunaux administratifs.
24. Résumé exécutif, p. 596.
25. Constitution, art. 102.
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B. Régime disciplinaire et redevabilité
L'IVD a rappelé qu’il convenait de « renforcer le principe de l'inamovibilité des juges en tant
que garantie fondamentale de l'indépendance des juges, tout en respectant la compétence du
[CSM] chargé de la discipline, de la promotion et du mouvement des juges, tels que garantis
par la loi et par les normes internationales pour l'indépendance du juge »
26.
Ce principe est inscrit dans l'article 107 de la Constitution. La CIJ note toutefois que l'article
107 ne garantit pas pleinement le principe de l'inamovibilité, car il n'inclut pas de garantie
d'inamovibilité jusqu'à l'âge de la retraite ou l'expiration du mandat, comme l'exigent les normes
internationales
27.
L'IVD a également observé que le CSM, à travers ses trois composantes, à savoir les conseils
judiciaire, administratif et financier, est compétent pour statuer sur les actions disciplinaires
à l'encontre des juges, mais qu'il reste à voir si les réformes futures incluront des garanties
procédurales pour respecter la présomption d'innocence et faire en sorte que l'Inspection
générale (IG), qui est placée sous l'autorité directe du ministre de la Justice
28, soit déplacée sous
l'autorité du CSM
29. En effet, les normes internationales exigent que les mesures disciplinaires
pour les juges et toute décision concernant leur suspension ou leur révocation, ne soient prises
qu'à l'issue d'une audience équitable par un organe indépendant sur la base de règles de
conduite établies et qu'elles soient soumises à réexamen
30.
Si la loi organique n° 2016-34 confie les décisions disciplinaires concernant les juges à chaque
conseil compétent du CSM31, elle confère encore d'importantes prérogatives à l’IG, qui reste
sous le contrôle du Ministère de la Justice. Si les plaintes contre un magistrat peuvent désormais
être adressées soit au CSM, soit au ministre de la Justice, qui les transmettent sans délai à
l’IG pour enquête. L'inspecteur général peut également agir de sa propre initiative. À l'issue
de l'enquête, l'inspecteur général peut soit classer l'affaire, soit la renvoyer devant le CSM.
Le requérant peut exercer un recours gracieux à l’encontre des décisions de classement sans
suite auprès de l'Inspecteur général
32. L’IG contrôle donc entièrement le renvoi des affaires
disciplinaires au CSM.
Ceci est une source de préoccupation car, comme l'a confirmé l'instance provisoire chargée du
contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, l'intervention du pouvoir exécutif dans les
actions disciplinaires contre les magistrats porte atteinte à l'indépendance de la magistrature
33.
Par conséquent, afin de mettre pleinement en œuvre la recommandation de l'IVD conformément
à la Constitution et aux normes internationales, la CIJ considère que les liens structurels entre l’IG
et le pouvoir exécutif devraient être supprimés et que l’IG devrait être placée sous la supervision
du CSM. Ses pouvoirs d'inspection pourraient être étendus aux tribunaux administratifs et à
la Cour des comptes, ce qui n'était pas possible jusqu'à présent puisqu’ils ne relèvent pas de
l'autorité du Ministère de la Justice.
26. Résumé exécutif, p. 596.
27
. Principes fondamentaux des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature, Principe 12 ; Directives et
Principes de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur le droit à un procès équitable
et à l'assistance judiciaire en Afrique, 2003 (« Directives et Principes de la CADHP »), Section A, Principe 4(l)
; Recommandation CdM (2010)12, par. 49.
28. Selon l'art. 24 du décret n° 2010-3152 du 1er décembre 2010 portant organisation du ministère de la justice
et des droits de l’homme, Journal Officiel n° 99 du 10 décembre 2010, modifié par le décret gouvernemental
n° 2018-334 du 6 avril 2018.
29. Résumé exécutif, p. 571 et traduction française du résumé, à la p. 566.
30
. Principes fondamentaux des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature, principes 17 et 20 ; Directives
et Principes de la CADHP, Section A, Principe 4(q) ; Recommandation CdM (2010)12, par. 69 ; Rapport du
Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, UN Doc. A/HRC/11/41, par. 60-61.
31. Art. 58.
32. Art. 59.
33. Voir Décision n° 02/2015 de l'instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi
du 8 juin 2015 concernant le projet de loi organique sur le CSM (Journal Officiel de la République Tunisienne,
12 juin 2015, n° 47) : « ... Le fait que le ministre de la Justice ait le pouvoir, sur décision de l'inspecteur
général, de réexaminer les plaintes, signalements et griefs à l’encontre d’un juge, le met dans une position
privilégiée vis-à-vis de la décision de non-lieu prise par l'inspecteur général dans un domaine lié à la discipline,
qui porte atteinte à l'indépendance de la magistrature prévue par les articles 102 et 114 de la Constitution, ce
qui entraîne que l'article 60 du projet de loi est déclaré anticonstitutionnel » (notre traduction).
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En ce qui concerne l'équité des procédures disciplinaires à l'encontre des magistrats, la CIJ
note que la loi organique n° 2016-34 a apporté des améliorations significatives, notamment le
droit pour les magistrats concernés d'être assistés par un avocat, de disposer du temps et des
facilités nécessaires à la préparation de leur défense et de bénéficier d'un réexamen judiciaire
indépendant34. La CIJ rappelle toutefois que la loi devrait être encore améliorée en veillant à ce
que les sanctions qui sont imposées à la suite d'un constat de faute soient proportionnées et en
faisant en sorte que les magistrats ne puissent être révoqués que pour des motifs graves, pour
faute ou incompétence
35.
En outre, l'IVD a recommandé qu'un code de déontologie soit promulgué et soit généralisé à
tous les organes judiciaires
36. Cette mesure est nécessaire à plusieurs égards : pour garantir
la redevabilité des magistrats, pour que ces derniers s'astreignent aux normes d'intégrité les
plus élevées afin de regagner la confiance du peuple et pour que dans toutes les procédures
disciplinaires, de suspension ou de révocation les décisions soient prises en fonction des règles
établies en matière de conduite des magistrats
37 et selon une procédure régulière.
L'article 42 de la loi organique n° 2016-34 confie au CSM la rédaction d’un tel code. Or, celui-ci
est en cours de préparation depuis plusieurs années.
La CIJ considère que le CSM devrait accélérer la rédaction d'un code de conduite suffisamment
détaillé et complet, en étroite consultation avec les magistrats et conformément aux normes
internationales, notamment les Principes fondamentaux de l'ONU relatifs à l'indépendance de la
magistrature et les Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire38. Ce code de conduite
devrait être consacré dans la loi comme la base sur laquelle les juges seront tenus de rendre
des comptes sur le plan professionnel.
Afin de garantir davantage la redevabilité des juges, l'IVD a également recommandé de
renforcer le rôle du CSM dans l'application de l'obligation incombant aux magistrats de déclarer
leur patrimoine
39. La loi n° 2018-46 du 1er août 2018 portant déclaration des biens et des
intérêts, de la lutte contre l'enrichissement illicite et les conflits d'intérêt dans le secteur public
dispose que, dans un délai maximum de 60 jours à compter de la date de leur nomination, les
magistrats doivent déclarer leur patrimoine et leurs intérêts. Ils doivent également renouveler
cette déclaration tous les trois ans et déclarer toute modification substantielle de leur patrimoine
et de leurs intérêts. Il s'agit d'un outil de surveillance important pour détecter, traiter et prévenir
la corruption.
A la lumière de ce qui précède, la CIJ approuve les recommandations de l'IVD et, en particulier,
exhorte les autorités tunisiennes à :
I. Adopter un nouveau statut des magistrats conforme aux normes internationales,
notamment en veillant à ce que tous les aspects liés à leur sélection, nomination,
mutation et discipline soient fondés sur des critères objectifs, fondés sur le mérite
et sur des procédures transparentes ;
II. Adopter une loi consolidée sur le CSM qui abroge les dispositions obsolètes des
lois et décrets non conformes à la Constitution et aux normes internationales ; en
particulier, une telle loi devrait :
(i). Donner au Conseil supérieur de la magistrature compétence sur toutes les
questions relatives à la carrière des magistrats, y compris leur sélection, leur
nomination, leur formation, leur évaluation, leur mutation, leur promotion,
leur discipline et la fin de leur mandat, en excluant tout rôle substantiel des
pouvoirs exécutif et législatif dans ce domaine ;
34. Art. 60-67.
35
. Recommandation CdM (2010)12, par. 69 ; Directives et Principes de la CADHP, Section A, Principe 4(p) ;
Observation générale n° 32, par. 20.
36. Résumé exécutif, p. 596.
37. Principes fondamentaux des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature, Principe 19.
38.Voir Rapport de la CIJ, Tunisia: Judicial Conduct and the Development of a Code of Ethics in Light of International
Standards, novembre 2019, disponible en anglais sur https://www.icj.org/wp-content/uploads/2019/11/Tunisia-
Code-of-Ethics-Advocacy-Analysis-Brief-2016-ENG.pdf, dernière consultation le 31 octobre 2021, et en arabe sur
https://www.icj.org/wp-content/uploads/2019/11/Tunisia-Code-of-Ethics-Advocacy-Analysis-Brief-2016-ARA.pdf,
dernière consultation le 30 novembre 2021.
39. Résumé exécutif, p. 596.
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(ii). Mandater le CSM pour superviser les procédures de sélection des auditeurs de
justice, ainsi que la formation initiale et continue des magistrats, et veiller à ce
que l'Institut supérieur de la magistrature soit placé sous la supervision du CSM ;
(iii). Accorder au CSM la supervision de tous les aspects des procédures disciplinaires,
y compris la nomination des membres et le fonctionnement du corps
d'inspection judiciaire de l’IG et l'ouverture des procédures disciplinaires ;
(iv). Prévoir que le code de conduite adopté par le CSM soit la base sur laquelle
les magistrats seront tenus de rendre des comptes sur le plan professionnel ;
(v). Garantir l'inamovibilité des magistrats jusqu'à un âge de retraite déterminé ou
pour une durée déterminée adéquate ;
(vi). Limiter les cas dans lesquels un magistrat peut être démis de ses fonctions aux
événements suivants : avoir atteint l'âge de la retraite, le cas échéant, ou la
date d’expiration d’un mandat à durée déterminée ; la démission ; l'inaptitude
documentée par un certificat médical ; ou l'imposition d'une sanction légale et
proportionnée de révocation à l'issue d'une procédure disciplinaire complète
et équitable.
III. Garantir une formation initiale et continue adéquate, appropriée et efficace des
magistrats aux frais de l'État.
En outre, la CIJ note que les recommandations de l'IVD visant à renforcer le rôle du CSM,
dont certaines sont déjà inscrites dans la Constitution et la loi organique n° 2016-34, mettent
en évidence la nécessité de consolider davantage le statut du CSM en tant que garant de
l'indépendance de la justice et de préserver les progrès réalisés dans le renforcement de
l'indépendance de la magistrature. Cela nécessite non seulement l'adoption de réformes, mais
aussi la mise en œuvre effective de celles qui ont déjà été adoptées. À cet égard, le CSM lui-
même porte une responsabilité importante et doit jouer pleinement son rôle pour faire en
sorte que l'indépendance aille de pair avec la redevabilité, notamment en adoptant un code
de conduite suffisamment détaillé et complet, en étroite consultation avec les magistrats et
conformément aux normes internationales.
ii. Fournir les moyens de réaliser l'indépendance de la justice en pratique
L'IVD a recommandé de « réorganiser la justice de manière à garantir l'indépendance
administrative et financière des [...] tribunaux [et] libérer ainsi l'administration de la justice de
la tutelle de l’exécutif, qui a toujours été, pendant la dictature, la porte d’entrée de l’intervention
de l’autorité exécutive, dans le cours de la justice, la déviant ainsi de son rôle de garantie de
l'état de droit et de protecteur des droits et libertés »
40.
L'IVD a spécifiquement recommandé que le pouvoir judiciaire soit doté de ressources suffisantes
pour lui permettre de remplir son devoir constitutionnel d'assurer l'administration de la justice41,
insistant sur la nécessité de renforcer ses ressources humaines pour accélérer le jugement
des affaires tout en garantissant le droit à un procès équitable
42. L'IVD a ajouté que les juges
devraient bénéficier d'« un niveau de rémunération décent et […] de conditions de travail
permettant de mieux s'acquitter de leur travail et de renforcer l'indépendance de leur décision»43.
Cette disposition est conforme aux normes internationales relatives à l'indépendance de la
magistrature
44.
40. Résumé exécutif, p. 595.
41. Résumé exécutif, p. 597.
42. Résumé exécutif, p. 595.
43. Résumé exécutif, p. 596.
44
. Le Principe 7 des Principes fondamentaux de l’ONU sur l'indépendance de la magistrature dispose que «
[c]haque État membre a le devoir de fournir les ressources nécessaires pour que la magistrature puisse
s’acquitter normalement de ses fonctions. De même, la Déclaration de Bordeaux précise : « Des moyens
organisationnels, financiers, matériels et des ressources humaines suffisants devront être mis à la disposition
de la justice ». (Avis no 12 (2009) du Conseil consultatif de juges européens (CCJE) et avis no 4 (2009)
du Conseil consultatif de procureurs européens (CCPE) à l’intention du Comité des ministres du Conseil de
l’Europe sur « juges et procureurs dans une société démocratique », CM(2009)192, point 4). Les Directives
et Principes de la CADHP précisent la nécessité d'une « rémunération appropriée » pour les magistrats et les
procureurs (Section A, Principe 4(m) et Section F, principe b).
Tunisie : Promouvoir les recommandations de l'Instance Vérité et Dignité sur la réforme de la justice
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En ce qui concerne l'indépendance financière de la justice, les normes internationales exigent
que le pouvoir judiciaire soit associé à l'élaboration de son propre budget45. Si l'article 113 de
la Constitution et l'article premier de la loi organique n° 2016-34 garantissent l'indépendance
financière du CSM, la CIJ considère qu'en outre, le CSM devrait être habilité à dresser le projet
de budget de la justice, en consultation avec le Parlement et devrait se voir accorder un droit
de regard sur le budget de la justice.
Plusieurs recommandations spécifiques de l'IVD visent à prévenir les ingérences dans les
décisions judiciaires et leur exécution. Par exemple, entre autres, l'IVD a recommandé ce qui
suit : « Fournir aux tribunaux la protection nécessaire en imposant des sanctions pénales et
administratives contre toute personne qui exerce des pressions sur les juges et les témoins et
dissimule des documents et des preuves »
46. L'IVD a également recommandé la mise en place
d'un « corps de police judiciaire rattaché au Ministère de l'Intérieur mais travaillant sous l'autorité
et la supervision des présidents des tribunaux et des procureurs, en charge de la sécurité des
tribunaux, de l’acheminement des convocations, de l'exécution des mandats judiciaires et des
jugements »
47.
A cet égard, la CIJ approuve la nécessité de traiter de manière adéquate et de sanctionner, le
cas échéant, les cas d'ingérence dans le système judiciaire, y compris les actes qui perturbent
l'exécution des décisions judiciaires. Parfois, le recours au droit pénal peut être justifié par la
gravité de tels comportements. En outre, la CIJ rappelle qu'elle a dénoncé à plusieurs reprises
l’absence d'exécution par les agents de la force publique des ordonnances judiciaires rendues
par les Chambres criminelles spécialisées (CCS)48. En particulier, des accusés ne se sont pas
présentés à leur procès devant les CCS et les forces de l'ordre n'ont pas exécuté les mandats
d’amener et les ordonnances judiciaires connexes visant à les contraindre à comparaître. Un
tel manquement constitue une obstruction à la justice et prive les victimes de violations des
droits de l'homme de l'accès à la justice et à des recours effectifs. À cet égard, il ne s'agit pas
seulement d'un coup porté au processus de justice transitionnelle et à la lutte contre l'impunité
pour les violations graves des droits de l'homme, mais aussi d'une violation manifeste de l'État
de droit : cela frappe au cœur du bon fonctionnement de la séparation des pouvoirs en privant
les décisions du pouvoir judiciaire de tout effet.
Dans le cadre de ces recommandations de l’IVD, la CIJ exhorte les autorités tunisiennes à :
I. Habiliter le CSM à consulter directement le pouvoir législatif dans l’établissement
du budget de la justice et accorder au CSM un certain contrôle sur le budget de la
justice ;
II. Garantir des ressources humaines et financières suffisantes et l'autonomie
financière de la justice et assurer des conditions de travail et de rémunération
adéquates aux magistrats, y compris des prestations de sécurité sociale et une
pension de retraite ;
III. Interdire toute influence ou ingérence indue ou inappropriée, quelle qu'en soit
la source, et sanctionner de manière appropriée tout comportement de ce type
ainsi que toute tentative de porter atteinte à l'indépendance et à l'impartialité
des magistrats ;
IV. Veiller à ce que les décisions et ordonnances judiciaires soient pleinement exécutées
et traiter et sanctionner de manière adéquate les tentatives d'obstruction à la
justice.
45. Rapport du Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, UN Doc. A/HRC/11/41 (2009),
par. 39 ; Directives et Principes de la CADHP, Section A, Principe 4(v) ; Recommandation CdM (2010)12,
par. 40 ; CIJ, Principes internationaux sur l'indépendance et la redevabilité des juges, des avocats et des
procureurs : Guide pratique n° 1, Genève, 2007, p. 33 (disponible en anglais sur https://www.icj.org/
wp-content/uploads/2012/04/International-Principles-on-the-Independence-and-Accountability-of-Judges-
Lawyers-and-Procecutors-No.1-Practitioners-Guide-2009-Eng.pdf et en arabe sur https://www.icj.org/wp-
content/uploads/2013/08/PGJL_Arabic_ElecDist.pdf, dernière consultation le 30 novembre 2021).
46. Résumé exécutif, p. 596.
47. Résumé exécutif, p. 596. Voir aussi p. 594, où l'IVD recommande de placer les officiers de police judiciaire
sous la tutelle du ministère public.
48. Voir par ex. https://www.icj.org/tunisia-prosecutors-are-failing-victims-of-serious-human-rights-violations/
(disponible en anglais) ; https://www.icj.org/wp-content/uploads/2020/12/Tunisia-SCC-assess-Advocacy-
Analysis-brief-2020-FRA.pdf
; https://www.icj.org/wp-content/uploads/2021/03/Tunisia-Special-Procedures-
Joint-Submission-2021-FRE.pdf.
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iii. Assurer l'indépendance du Ministère public
Dans le système pénal tunisien, le Ministère public est l'autorité responsable et habilitée à
mettre en mouvement et exercer l'action publique. En vertu du Code de procédure pénale, le
Ministère public est également chargé de veiller à l'application de la loi, y compris l’exécution
des décisions de justice
49. Comme détaillé dans le rapport précité de la CIJ sur l'indépendance
de la justice en Tunisie, les normes internationales visent à garantir que les procureurs jouent un
rôle effectif dans l'administration de la justice, notamment en assurant le droit de l'accusé à un
procès équitable, la protection des droits de l'homme et l'état de droit. Dans ce contexte, la CIJ
souligne que, selon les normes internationales, l'indépendance ou l'autonomie du Ministère public
n'est pas de nature aussi impérative que celle des juges du siège. Les normes internationales
reconnaissent et prennent en compte le fait que le statut et le rôle des procureurs diffèrent
dans certains systèmes juridiques nationaux et que leur rôle a trait à la politique de l'État en
matière de poursuites. Cependant, les procureurs sont au moins tenus d'agir avec impartialité
et objectivité, bien qu'il y ait une tendance croissante vers une exigence d'indépendance
50.
La Constitution de 2014 a modifié le statut du Ministère public en soulignant dans l'article 115
qu’il « fait partie de la justice judiciaire et bénéficie des mêmes protections constitutionnelles »,
dont l'indépendance51. Toutefois, la même disposition précise que les magistrats du Ministère
public exercent leurs fonctions « dans le cadre de la politique pénale de l'État. »
L'IVD a recommandé d'« adopter une loi organique garantissant l'indépendance du pouvoir
judiciaire, conformément à l'article 115 de la Constitution, en particulier l'indépendance du
parquet par rapport au Ministère de la Justice »
52, soulignant ainsi la nécessité d'intégrer ces
principes constitutionnels dans les lois régissant le Ministère public. En effet, le Statut de la
magistrature et le Code de procédure pénale doivent encore être modifiés pour assurer la
conformité à la Constitution à cet égard.
Si, comme décrit ci-dessus, la loi organique n° 2016-34 soumet désormais la carrière et la
discipline de tous les magistrats, y compris les procureurs, à l'autorité générale du CSM, la loi
n° 67-29 du 14 juillet 1967 relative à l'organisation judiciaire
53 reste en vigueur dans la mesure
où elle n'a pas été modifiée par des lois ultérieures54. En particulier, en vertu de l'article 15 de
cette loi, les magistrats du Ministère public restent placés sous la direction et le contrôle de
leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du ministre de la Justice, ce qui illustre une fois de
plus la nécessité d'un nouveau statut consolidé des juges conforme aux normes internationales
et abrogeant les lois obsolètes, comme la CIJ l'a recommandé ci-dessus.
Par ailleurs, les articles 21 à 23 du Code de procédure pénale55 permettent au Ministère de la
Justice de donner des instructions au Procureur Général, y compris pour engager des poursuites
dans des dossiers individuels, que le ministère public est tenu de suivre dans ses réquisitions
écrites, bien qu'il puisse librement développer des observations orales lors des audiences. La
CIJ considère que le projet de réforme du Code de procédure pénale devrait modifier ces
dispositions conformément aux normes internationales.
Dans le cadre de cette recommandation de l’IVD, la CIJ exhorte les autorités tunisiennes à :
I. Modifier la loi n° 67-29, en particulier l'article 15, afin de supprimer l'autorité
hiérarchique du ministre de la justice sur le Ministère public, y compris la possibilité
de contrôler et de diriger les procureurs.
49. De l'art. 20 et 22 du Code de procédure pénale.
50. Rapport de la CIJ sur l’indépendance de la justice en Tunisie, pp. 68-72.
51. Comme inscrit dans l'art. 102 de la Constitution.
52. Résumé exécutif, p. 595.
53. Loi n° 67-29 relative à l’organisation judiciaire, au Conseil supérieur de la magistrature et au statut de la
magistrature.
54. Conformément à l'art. 20 de la loi organique n° 2013-13 du 02 mai 2013, les dispositions de la loi n° 67-29
qui n'ont pas été modifiées ou abrogées par ladite loi organique restent en vigueur. De même, l'art. 78 de la
loi organique n° 2016-34 prévoit que sauf contradiction avec ladite loi organique, les dispositions de la loi n°
67-29 restent applicables.
55. Loi n° 68-23 du 24 juillet 1968, modifiée par la loi n° 2016-5 du 16 février 2016.
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II. Réformer le Code de procédure pénale pour garantir sa pleine conformité avec
la Constitution et les normes internationales, notamment en supprimant toute
référence à l'autorité du ministre de la Justice sur le Ministère public et à son
pouvoir de donner des instructions dans des dossiers individuels et en limitant le
rôle du ministre de la Justice à la possibilité d'informer le procureur compétent
de la commission d'un délit et de coordonner avec les chefs du ministère public la
mise en œuvre de la politique pénale de l'État.
iv. Réformer le système de justice militaire
L'article 110 de la Constitution dispose :
« Les catégories de tribunaux sont créées par loi. La création de tribunaux d’exception ou
l’édiction de procédures dérogatoires susceptibles d’affecter les principes du procès équitable
sont interdites. Les tribunaux militaires sont compétents pour connaître des infractions
à caractère militaire. La loi détermine leurs compétence, composition, organisation, les
procédures suivies devant eux et le statut général de leurs magistrats. »
L'IVD a formulé les recommandations suivantes :
« Créer des chambres judiciaires spécialisées dans les tribunaux de première instance pour
examiner les crimes commis au sein des casernes ou leur environnement par des militaires.
Proscrire la comparution de civils devant la justice militaire conformément aux dispositions
de la Constitution et aux normes internationales. [À titre] transitoire, réviser le Code
de justice militaire pour rendre les tribunaux militaires compétents exclusivement dans
l’examen des crimes commis par les militaires au sein de la caserne ou son environnement,
conformément à l'article 110 de la Constitution »
56.
Le Code de justice militaire (CJM)57 n'a pas encore été réformé comme l'exige l'article 110 de
la Constitution. La CIJ considère que le CJM n'est pas conforme aux normes internationales en
matière d'indépendance judiciaire et que la Constitution et la recommandation de l'IVD sont
insuffisantes à cet égard.
Comme cela a été exposé plus en détail dans le rapport précité de la CIJ sur l'indépendance
de la justice en Tunisie
58, bien que les magistrats militaires soient censés être indépendants
de la hiérarchie militaire
59, les tribunaux militaires ne peuvent pas être considérés comme
indépendants et impartiaux, comme l'exige, entre autres, le droit de toute personne accusée
d'une infraction pénale à « à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement
par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi » garanti par l'article 14
du PIDCP, pour les raisons suivantes. Premièrement, l'exécutif, en particulier le ministre de la
Défense, contrôle le processus de recrutement et de nomination des magistrats militaires
60.
Deuxièmement, les membres du Ministère de la Défense, y compris le ministre de la Défense
qui siège en tant que Président, dominent le Conseil de la magistrature militaire, qui est le
conseil de discipline des magistrats militaires
61. Troisièmement, les procureurs et les juges
d'instruction opérant dans les tribunaux militaires demeurent des membres de l'armée et
restent donc incorporés dans la chaîne de commandement militaire. Ils ne disposent donc pas
56. Résumé exécutif, p. 595. Voir aussi p. 577, où l'IVD a regretté que les réformes adoptées à la suite de
la révolution n'interdisent pas aux tribunaux militaires de juger des civils et que « [d]e nombreux civils
continuent d'être poursuivis et déférés devant des tribunaux militaires pour des infractions notamment
relatives à l'exercice de la liberté d'expression ».
57. Tel que promulgué par le décret n° 9 du 10 janvier 1957 et modifié notamment par les décrets-lois n° 2011-
69, modifiant et complétant le code de justice militaire, et 2011-70, relatif à l’organisation de la justice
militaire et au statut des magistrats militaires, du 29 juillet 2011.
58. Rapport de la CIJ sur l’indépendance de la justice en Tunisie, pp. 50-64.
59. Art. 5 du Décret-loi n° 2011-70.
60. La liste des candidats autorisés à se présenter au concours de recrutement des magistrats militaires est
arrêtée par une commission créée par arrêté du ministre de la Défense et présidée par le procureur général
directeur de la justice militaire (Décret-loi n° 2011-70, art. 10). Les modalités et le programme du concours
sont également fixés par arrêté du ministre de la Défense (Décret-loi n° 2011-70, art. 11). Cependant, le
Conseil judiciaire du CSM a rendu une décision le 14 juillet 2020, selon laquelle la désignation des juges
judiciaires dans les tribunaux militaires relève de sa compétence, excluant ainsi le rôle de l'exécutif dans la
nomination des magistrats de l’ordre judiciaire prévu par l'art. 2 du décret-loi n° 2011-70.
61. La composition du Conseil de la magistrature militaire est fixée à l'art. 14 du décret-loi n° 2011-70.
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de l'indépendance et de l'impartialité requises, conformément aux normes internationales62.
En outre, comme le détaille le rapport de la CIJ sur les droits des victimes de violations des
droits de l'homme en Tunisie
63, IJ sur les droits des victimes de violations des droits de l'homme
en Tunisie, les dispositions du CJM et de la loi n° 82-70 du 6 août 1982 portant statut général
des Forces de sécurité intérieure (FSI) qui confèrent aux tribunaux militaires la compétence
pour connaître d’infractions non militaires, y compris des violations flagrantes des droits de
l'homme et des infractions commises par des civils, sont contraires au droit et aux normes
internationaux
64. Selon l'article 1er du CJM, la compétence ratione materiae des tribunaux
militaires couvre le champ potentiellement large des « affaires d’ordre militaire ». L'article 5
du CJM précise que les tribunaux militaires connaissent tant des infractions de droit commun
commises par les militaires que des infractions de droit commun commises contre les militaires,
tandis que l'article 8 prévoit expressément que les tribunaux militaires peuvent juger des civils
accusés de telles infractions.
En outre, selon l'article 22 de la loi n° 82-70, les tribunaux militaires sont compétents pour
juger les affaires impliquant « les agents de Forces de Sécurité Intérieure ou des faits survenus
dans ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions lorsque les faits incriminés ont trait à leurs
attributions dans les domaines de la sécurité intérieure ou extérieure de l’État ou au maintien de
l'ordre sur la voie publique et dans les lieux publics et entreprises publiques ou privées, et ce au
cours ou à la suite des réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements.
» Cette disposition permet notamment de traduire des civils devant la justice militaire.
Dans son rapport sur la Tunisie, le Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice,
de la réparation et des garanties de non-répétition a recommandé aux autorités tunisiennes de
« s’assurer que les tribunaux militaires ne sont compétents que pour juger des militaires qui ont
commis des infractions militaires »
65. En effet, les tribunaux militaires manquent d'impartialité
pour mener des enquêtes sur les violations flagrantes des droits de l'homme. C'est notamment
le cas lorsque les auteurs présumés des violations des droits de l'homme faisant l'objet de
l'enquête sont eux-mêmes des militaires
66.
A cet égard, la CIJ considère que la recommandation susmentionnée de l’IVD de rendre, à
titre transitoire, les tribunaux militaires compétents exclusivement pour les « crimes commis
par les militaires au sein de la caserne et son environnement » ne respecte pas les normes
internationales en matière de droits de l'homme susmentionnées - pas plus que l'article 110
de la Constitution - car elles n'excluent pas les violations graves des droits de l'homme de la
compétence des tribunaux militaires et ne limitent pas la compétence de ces derniers aux seules
infractions militaires. Par exemple, de tels crimes peuvent inclure des violations des droits de
62. Rapport du Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, UN Doc A/HRC/20/19 (2012),
par. 57.
63. Rapport de la CIJ, Illusory Justice, Prevailing Impunity Lack of Effective Remedies and Reparation for Victims
of Human Rights Violations in Tunisia, 13 mai 2016, pp. 96-103, disponible en anglais sur https://www.
icj.org/wp-content/uploads/2016/05/Tunisia-Remedies-and-reparations-Publications-Thematic-report-
2016-ENG.pdf, dernière consultation le 6 octobre 2021, et en arabe sur https://www.icj.org/wp-content/
dernière
uploads/2016/05/Tunisia-Remedies-and-reparations-Publications-Thematic-report-2016-ARA.pdf,
consultation le 30 novembre 2021.
64. Voir par ex. Projet de principes sur l'administration de la justice par les tribunaux militaires (les Principes
Decaux), UN Doc. E/CN.4/2006/58 (2006), Principes 5 et 9 ; Directives et Principes de la CADHP, Principe L(a)
; Ensemble de principes actualisés pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre
l'impunité, E/CN.4/2005/102/Add.1, 2005, Principe 29. Voir aussi CIJ, Military jurisdiction and international
law: military courts and gross human rights violations, Vol. I, Genève, 2004, disponible en anglais et en
arabe sur https://www.icj.org/military-jurisdiction-and-international-law-military-courts-and-gross-human-
rights-violations-vol-1/.
65. Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de
non-répétition, Mission en Tunisie (11-16 novembre 2012), UN Doc A/HRC/24/42/Add.1 (2013), par. 85(c).
66. Voir, par exemple, Cour européenne des droits de l'homme, Voicilescu c. Roumanie, requête n° 5325/03,
arrêt du 3 février 2009. Voir également Comité des droits de l’homme, Observations finales sur la Colombie,
UN Doc. CCPR/C/79/Add.76, 5 mai 1997, par. 19, 23, 32, 34 ; Observations finales sur le Venezuela, 26 avril
2001, UN Doc. CCPR/CO/71/VEN, par. 8 ; Observations finales sur le Kirghizstan, 24 juillet 2000, UN Doc.
CCPR/CO/69/KGZ, par. 7 ; Observations finales sur le Chili, 30 mars 1999, UN Doc. CCPR/C/79/Add.104,
par. 10 ; Observations finales sur la Biélorussie, 19 novembre 1997, UN Doc. CCPR/C/79/Add.86, par. 9 ;
Observations finales sur la Macédoine, 18 août 1998, UN Doc. CCPR/C/79/Add.96, par. 9 ; Observations
finales sur la Macédoine, 18 août 1998, UN Doc. CCPR/C/79/Add.96, par. 10 ; Observations finales sur la
France, 4 août 1997, UN Doc. CCPR/C/79/Add.80, par. 16 et s. ; et Rapport du CDH à l'Assemblée générale,
35ème session, UN Doc. A/35/40 (1980), par. 249 et s.
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l'homme, ainsi que des crimes ordinaires, dont aucun ne constituerait une infraction purement
militaire. Par conséquent, la CIJ considère que cette recommandation de l'IVD est inacceptable,
même en tant que mesure temporaire et transitoire.
De plus, il n'est pas clair si les « Chambres judiciaires spécialisées au sein des tribunaux de
première instance » que l'IVD propose d'établir à plus long terme pour juger de tels crimes
répondraient aux normes d'un tribunal indépendant et impartial. Il n'est pas non plus expliqué
ce qui nécessiterait l'établissement de chambres spécialisées, même au sein de tribunaux civils
ordinaires, pour de tels crimes commis par les militaires, surtout si ceux-ci englobent des
violations des droits de l'homme.
A la lumière de ce qui précède, la CIJ recommande que le système de justice militaire soit
réformé de manière à :
I. Garantir l'indépendance et l'impartialité des tribunaux militaires ;
II. Limiter la compétence des tribunaux militaires au personnel militaire et veiller à ce
que les tribunaux militaires n’aient pas compétence pour juger des civils, même si
la victime est un membre des forces armées ou de sécurité ou si l'accusé est censé
avoir commis l'infraction avec un membre des forces armées ;
III. Restreindre expressément la compétence des tribunaux militaires aux affaires
impliquant des membres de l'armée pour des infractions militaires présumées
(en veillant à ce que la perpétration de violations graves des droits de l'homme
soit explicitement exclue de ces infractions) et, à cette fin, prendre les mesures
suivantes :
(i). Limiter en conséquence les infractions énoncées à l'article 5 du CJM ;
(ii). Exclure explicitement la compétence des tribunaux militaires dans les affaires
impliquant des violations des droits de l'homme et des crimes de droit
international tels que le génocide, les disparitions forcées, les exécutions
extrajudiciaires ou la torture, les crimes de guerre et les crimes contre
l'humanité ;
(iii). Garantir que les allégations de violations des droits de l'homme commises
par les militaires ou les forces armées fassent l'objet d'une enquête par les
autorités civiles ; et
(iv). Modifier l'article 22 de la loi n° 82-70 sur les FSI afin que tous les crimes
commis par les FSI ou par des civils soient jugés par des tribunaux ordinaires.
IV. S'assurer que les magistrats qui siègent dans les tribunaux militaires sont
indépendants et impartiaux et qu'ils disposent d'un statut garantissant leur
indépendance et leur impartialité. En particulier, à cette fin, veiller à ce que :
(i). La sélection des magistrats qui siègent dans les tribunaux militaires soit fondée
sur des critères clairs, notamment les qualifications juridiques, l'expérience et
l'intégrité ;
(ii). Le CSM joue un rôle dans la sélection des magistrats des tribunaux militaires
et que le processus de sélection soit indépendant et impartial et conforme aux
exigences d'indépendance et d'impartialité de la justice ;
(iii). Les magistrats siégeant dans les tribunaux militaires bénéficient de
l'inamovibilité et doivent répondre, dans le cadre d'une procédure équitable,
des infractions à un code de déontologie clairement défini, conformément aux
normes internationales en matière de déontologie judiciaire ; et
(iv). Les magistrats siégeant dans les tribunaux militaires restent en dehors de la
chaîne de commandement militaire et de l'autorité militaire en ce qui concerne
les questions relatives à l'exercice de toute fonction judiciaire.
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III. Conclusion
La Constitution de 2014 et la loi organique 2016-34 constituent un progrès significatif dans
la limitation de l'influence du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire et dans la garantie de
l’indépendance de celui-ci par le biais du CSM. Pourtant, l'analyse des lois en vigueur à la
lumière des recommandations de l’IVD illustre la nécessité d'une réforme complète des lois
contraires à la Constitution et aux normes internationales, ainsi que l'adoption d’autres mesures
demandées par l’IVD, comme autant d'étapes importantes supplémentaires pour établir et
maintenir l'indépendance et l'intégrité de la justice.
La prise de pouvoir par le Président et l'utilisation abusive de mesures d’exception montrent qu'il
est plus important que jamais que le pouvoir judiciaire puisse agir comme un contrôle sur les
autres branches de l'État et qu'il soit correctement habilité à freiner leurs abus de pouvoir. Cela
souligne la pertinence des recommandations de réformes de l'IVD en tant que garanties de non-
récurrence. Parallèlement à la mise en place de la Cour constitutionnelle, qui n'a que trop tardé,
les réformes nécessaires pour garantir pleinement l'indépendance du pouvoir judiciaire, telles
que décrites dans la présente note, doivent être rapidement adoptées par le corps législatif une
fois que l'ordre constitutionnel est rétabli.
Toutefois, les réformes seules ne suffisent pas : il est également nécessaire de faire évoluer
les mentalités des acteurs de la justice afin de préserver leur indépendance et de regagner
la confiance du public, ce qui ne peut se faire que par une pleine autonomisation et une
responsabilisation accrue. À cet égard, en tant que gardien de l'indépendance de la justice, le
CSM doit jouer pleinement le rôle qui lui a été confié, ce qui est d'autant plus important dans
les circonstances politiques actuelles.
Tunisie : Promouvoir les recommandations de l'Instance Vérité et Dignité sur la réforme de la justice

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Commissaires de la CIJ
Mars 2021 (pour la liste actualisée : www.icj.org/commission)
Président
Prof. Robert Goldman, États-Unis
Vice-Présidents
Prof. Carlos Ayala, Venezuela
Juge Radmila Dragicevic-Dicic, Serbie
Comité exécutif
Juge Sir Nicolas Bratza, Royaume-Uni
Dame Silvia Cartwright, Nouvelle-Zélande
(Présidente) Mme Roberta Clarke, Barbade-Canada
M. Shawan Jabarin, Palestine
Mme Hina Jilani, Pakistan
Juge Sanji Monageng, Botswana
M. Belisário dos Santos Júnior, Brésil
Autres membres de la Commission
Prof. Kyong-Wahn Ahn, République de Corée
Juge Chinara Aidarbekova, Kirghizistan
Juge Adolfo Azcuna, Philippines
Mme Hadeel Abdel Aziz, Jordanie
M. Reed Brody, États-Unis
Juge Azhar Cachalia, Afrique du Sud
Prof. Miguel Carbonell, Mexique
Juge Moses Chinhengo, Zimbabwe
Prof. Sarah Cleveland, États-Unis
Juge Martine Comte, France
M. Marzen Darwish, Syrie
M. Gamal Eid, Égypte
M. Roberto Garretón, Chili
Mme Nahla Haidar El Addal, Liban
Prof. Michelo Hansungule, Zambie
Mme Gulnora Ishankanova, Ouzbékistan
Mme Imrana Jalal, Fidji
Juge Kalthoum Kennou, Tunisie
Mme Jamesina Essie L. King, Sierra Leone
Prof. César Landa, Pérou
Juge Ketil Lund, Norvège
Juge Qinisile Mabuza, Eswatini
Juge José Antonio Martín Pallín, Espagne
Prof. Juan Méndez, Argentine
Juge Charles Mkandawire, Malawi
Juge Yvonne Mokgoro, Afrique du Sud
Juge Tamara Morschakova, Russie
Juge Willly Mutunga, Kenya
Juge Egbert Myjer, Pays-Bas
Juge John Lawrence O’Meally, Australie
Mme Mikiko Otani, Japon
Juge Fatsah Ouguergouz, Algérie
Dr Jarna Petman, Finlande
Prof. Mónica Pinto, Argentine
Prof. Victor Rodriguez Rescia, Costa Rica
M. Alejandro Salinas Rivera, Chili
M. Michael Sfard, Israël
Prof. Marco Sassoli, Italie-Suisse
Juge Ajit Prakash Shah, Inde
Juge Kalyan Shrestha, Népal
Mme Ambiga Sreenevasan, Malaisie
Juge Marwan Tashani, Libye
M. Wilder Tayler, Uruguay
Juge Philippe Texier, France
Juge Lillian Tibatemwa-Ekirikubinza, Ouganda
Juge Stefan Trechsel, Suisse
Prof. Rodrigo Uprimny Yepes, Colombie
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