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LETTRE CONJOINTE
Date 5 avril 2019
index MDE 30/0287/2019
POUR UNE RÉFORME DE LA LEGISLATION RELATIVE À L’ETAT
D’URGENCE EN TUNISIE RESPECTUEUSE DES DROITS HUMAINS
Aux Membres de l’Assemblée des représentants du peuple,
Nous, soussigné-e-s, membres de la société civile, vous écrivons pour exprimer notre profonde préoccupation quant au
projet de loi organique n° 91-2018, portant organisation de l’état d'urgence, initialement porté à votre attention le 30
novembre 2018 par le Président de la République. Le texte étend le champ d'application des mesures exceptionnelles
figurant actuellement dans le décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l'état d'urgence.
Tout en reconnaissant les défis sécuritaires auxquels est confrontée la Tunisie, le renouvellement systématique depuis le
24 novembre 2015 des mesures prévues au titre du décret a donné lieu à de nombreux abus comme a pu le constater le
rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales
dans la lutte antiterroriste suite à sa visite en 20171.
Le projet de loi censé remplacer le décret est problématique tant au niveau des modalités de proclamation de l’état
d’urgence que dans le contenu des mesures envisagées, ces dernières risquant d’avoir un impact négatif sur l’exercice
des libertés et droits fondamentaux dans le pays.
Nous affirmons tout d’abord que les motifs pour lesquels il est possible de proclamer l’état d’urgence sont bien plus larges
que ceux prévus par le droit international qui limite les dérogations aux situations qui menacent «
l’existence d’une nation
». A ceci s’ajoute l’absence de réels contrôles requis par un état de droit relatifs à la proclamation et au renouvellement de
l’état d’urgence, le président pouvant déclarer et renouveler l’état d’urgence sans requérir l’approbation formelle des
parlementaires. En outre, l’absence de précision quant à la durée maximale des mesures prévues au titre de l’état
d’urgence risque de normaliser encore davantage ce qui devrait demeurer un régime juridique temporaire et d’exception.
Loin de remédier aux insuffisances du décret n° 78-50, le projet de loi accorde de larges pouvoirs discrétionnaires aux
gouverneurs et au Ministère de l’Intérieur portant préjudice aux acquis du soulèvement populaire de 2011 notamment en
matière de libertés d’expression, de réunion pacifique, d’association et de mouvement, ainsi qu’au droit de grève. Ceci est
d’autant plus préoccupant que le texte ne prévoit pas un contrôle judiciaire effectif des mesures prévues par l’état
d’urgence. Par exemple, au titre de l’article 7, le Ministre de l’Intérieur peut prononcer une assignation à résidence en
l’absence de poursuite judiciaire préalable à l’encontre de toute personne considérée comme dangereuse pour la sécurité
et l’ordre public. Aucune mention n’est faite concernant la durée maximale d’une telle restriction en matière de libertés.
Nous rappelons que toute dérogation aux droits et libertés fondamentales devrait être permise uniquement « dans la
stricte mesure où la situation l’exige
» selon les termes de l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques relatif à l’état d’urgence et tenir compte des critères de nécessité et de proportionnalité. L’article 49 de la
Constitution exige également le respect des principes de proportionnalité et de nécessité ainsi que le rôle des instances
juridictionnelles dans la protection des droits et libertés contre toute atteinte. Or, le projet de loi contient de nombreuses
dispositions sans pertinence avec les raisons prévues par cette disposition et aboutiraient
in fine à vider de leur substance
les droits humains inscrits dans la Constitution.
1 Voir Conseil des droits de l’homme, Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés
fondamentales dans la lutte antiterroriste (visite en Tunisie)
, 12 décembre 2018, A/HRC/40/52/Add.1.
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Au vu de ce qui précède, nous vous demandons respectueusement de ne pas approuver le projet de loi dans sa version
actuelle. L’abrogation nécessaire du décret n° 78-50 représente une opportunité pour les représentant-e-s de l’Assemblée
des représentants du peuple de réformer en profondeur le cadre légal relatif à l’état d’urgence en adoptant une approche
respectueuse des droits fondamentaux protégés par la Constitution et par les Conventions internationales auxquelles la
Tunisie est partie. Nous vous appelons à demander une révision des dispositions problématiques de la loi pour protéger la
règle de droit et les droits et libertés fondamentales de tous-tes et en tout temps.
Signataires :
Amnesty International
Article 19, Moyen Orient et Afrique du Nord
MENA Rights Group
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