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La responsabilité des sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants Etude de
droit comparé en Tunisie et en France
Thesis · December 2012
DOI: 10.13140/RG.2.2.33020.13446
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1 author:
Walid ben salah
University of Tunis El Manar
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UNIVERSITÉ TUNIS EL MANAR
FACULTÉ DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES
DE TUNIS
La responsabilité des sociétés cotées
en bourse et de leurs dirigeants
Etude de droit comparé en Tunisie et en France
Thèse pour le doctorat en droit privé
Préparée et soutenue par :
Walid BEN SALAH
Sous la direction de M. le Professeur :
Béchir MANNOUBI FERCHICHI
JURY :
Président : M. le Professeur Kamel CHARFEDDINE
Membres :
- M. le Professeur Béchir MANNOUBI FERCHICHI
- M. le Doyen Mohamed MAHFOUDH
- M. le Professeur Noureddine BESROUR
- M. le Doyen Naceur EL OUED
ANNÉE UNIVERSITAIRE : 2011-2012



















Page 3
« La faculté n’entend donner aucune approbation
ni improbation aux opinions émises dans la présente
thèse. Ces opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur ».








































Page 4
DÉDICACES
A mon père
A ma mère
A mon frère
A Khaoula & Fahd


























Page 5
LISTE DES ABREVIATIONS
: Autorité des Marchés Financiers.
: Assemblée nationale.
: Actualités juridiques tunisiennes.
: Affaire.
: Appel.
: Bulletin.
: Bulletin de la Cour de cassation.
: Bulletin des arrêts de la Cour de cassation française (chambres civiles).
: Bulletin des arrêts de la Cour de cassation française (chambres criminelles).
: Bulletin. Joly.
: Bulletin rapide de droit des affaires

: Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis.
: Cour d’appel.
:
Cour de cassation, chambre civile.
: Cour de cassation, chambre commerciale.
: Cour de cassation française, chambre criminelle.
: Conseil d’État.
: Conseil constitutionnel.
: Cour européenne des droits de l’homme.
: Cour de justice des communautés européennes.
: Conseil du Marché Financier.
: Commission des Opérations de Bourse
: Code des obligations et des contrats.
: Code de procédure civile et commerciale.
: Code des sociétés commerciales.
: Centre de publication universitaire.
: Collection.
: Commentaire.
:
Contrairement.
: Cassation.
: Chronique.
: Conclusions.
: Revue Dalloz.
: Doctrine.
: Dactylographiée.
: Droit des sociétés.
: Edition.
: Fascicule.
: Fonds Commun de Placement.
: Gazette du palais.
: Au même endroit.
: Juris- classeur périodique édition entreprise (Semaine juridique).
: Juris- classeur périodique édition Générale (Semaine juridique).
: Journal officiel de la République tunisienne.
: Journal Officiel de l’Union Européenne.
: Librairie générale de droit et de jurisprudence.
: Les petites affiches.
AMF
AN.
A.J.T.
Aff.

App.
Bull.
Bull.cass
Bull. Civ.
Bull. Crim.

Bull. Joly
BRDA
BVMT
C.A.
Cass. Civ.
Cass. Com.

Cass. Crim.
C.E.
C. Cons.
C.E.D.H.
C.J.C.E.
CMF
COB
C.O.C.

C.P.C.C.
C.S.C
C.P.U.

Coll.
Com.
Contra
Cass.
Chron.
Concl.
D.
Doctr.
Dactyl.
Dr. Soc.
Ed.
Fasc.
F.C.P.
G.P.
Ibid.
J.C.P. éd. E
J.C.P. éd. G

J.O.R.T.
J.O.U.E.
L.G.D.J.
L.P.A.























Page 6
Obs.
Op. cit.
OPCVM
Ord.

P.U.F.
P. U.A. M.
Rev.
R.D.B.F.
R.J. D.A.
Rev. Soc.
Rev. Juris. Com.
R.T.D. Civ.
R.T.D. Com.
R.J.L.
R.T.D.
Rép. sociétés Dalloz
Sté.
SA

SARL
SICAV
Suppl.
T.
Trib.
Trib. Com.
TGI
Vol.
: Observations.
:
Opere citato (Cité plus haut).
: Organisme de placement collectif en Valeurs Mobilières.
: Ordonnance.
: Presses universitaires de France.
: Presses universitaires d’Aix-Marseille.
: Revue.
: Revue de Droit Bancaire et Financier.
: Revue Jurisprudence du Droit des Affaires.
: Revue Droit des Sociétés.
: Revue de Jurisprudence Commerciale.
: Revue Trimestrielle de Droit Civil.
: Revue Trimestrielle de Droit Commercial.
: Revue de jurisprudence et de législation.
: Revue tunisienne de droit.
: Répertoire sociétés Dalloz.
: Société.
: Société Anonyme.
: Société à Responsabilité Limitée.
: Société d’Investissement à Capital Variable.
: Supplément.
: Tome.
: Tribunal.
: Tribunal de Commerce.
: Tribunal de Grande Instance.
: Volume.


























Page 7
REMERCIEMENTS
Toute ma profonde reconnaissance s’adresse à mon
professeur,
le Professeur Béchir MANNOUBI FERCHIHCI,
qui a bien voulu diriger cette thèse avec toute sa
bienveillance et sa sollicitude et pour les précieux
conseils qu’il m’a procurés.































Page 8
SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE :
La responsabilité pénale : inadaptée mais nécessaire
CHAPITRE I :
Des domaines différents
CHAPITRE II :
Une mise en œuvre inégale
DEUXIEME PARTIE :
1
43
51
139
La responsabilité administrative : une montée en puissance
212
CHAPITRE I :
Une responsabilité adaptée
CHAPITRE II :
219
Une responsabilité efficace
306
TROISIEME PARTIE :
La responsabilité civile : une nécessaire réhabilitation
381
CHAPITRE I
Responsabilité civile des dirigeants sociaux :
une nécessaire activation
CHAPITRE II :
Responsabilité civile des sociétés cotées :
une nécessaire amélioration
CHAPITRE III :
384
430
Pour l’introduction de mécanismes permettant les actions de groupe 471
CONCLUSION GENERALE
500




















































Page 9
INTRODUCTION
1





























Page 10
1. C’est l’histoire vraie d’un bon père de famille, cadre supérieur dans une
banque qui a passé des années, lui et sa femme, à épargner pour réunir une
somme d’argent
respectable. Attiré par
les promesses
faites par un
intermédiaire en bourse qui lui a fait miroiter des gains substantiels. Il a fini par
se laisser convaincre d’investir son argent dans une société qu’on disait à
l’époque
« prometteuse » : « Batam »1. Malheureusement,
le
rêve
se
transforma en cauchemar et quelques mois plus tard, ses actions ne valaient
plus rien. Absolument rien ! Le fruit du travail de toute une vie s’était évaporé
en un instant.
Des récits similaires, la vie des marchés boursiers en regorge. Des affaires
comme Enron, Worldcom, Vivendi Universal2, Parmalat, Maddoff3 résonnent
encore dans les mémoires. Avec des conséquences encore plus dramatiques.
Des personnes qui ont travaillé toute leur vie et qui se retrouvent sans retraite,
d’autres qui se retrouvent ruinées, se suicident.
Ces marchés sont même pointés du doigt par les hommes politiques et
l’opinion publique comme responsables de
la dernière crise économique
mondiale.
Le spectacle ainsi offert au public par les marchés boursiers est consternant :
aux
récits de
faillites retentissantes succèdent des histoires d’arnaques
ahurissantes. Scandales à répétition et délits choquants semblent être le
quotidien maussade de marchés où l’argent est roi, où le profit fait la loi.
Le portrait de ces marchés est ainsi vite dressé et la caricature est vite
enracinée dans l’imaginaire des investisseurs timorés.
La perte de confiance, élément nécessaire à la survie de ces marchés, ne
pouvait alors que s’enraciner.
2. Pourtant, l’utilité de ces marchés et leur rôle dans le développement des
économies nationales n’est plus à démontrer. Permettant de
financer
l’expansion des entreprises, réduisant ainsi leur dépendance vis-à-vis des
1 V. infra pp. 30 et 31.
2 V. infra p. 30.
3 Pour des details sur ces différents scandales V. Sarna (D-E-Y), Malik (A), “History of Greed:
Financial Fraud from Tulip Mania to Bernie Madoff”, John Wiley and Sons, 2010.

2



Page 11
banques. Assurant
la mobilité du capital,
facilitant
la
transmission des
entreprises et garantissant leur pérennité. En outre, le recours aux marchés
financiers permet à une entreprise d’accroitre sa notoriété et de bénéficier
d’incitations fiscales.
Les marchés financiers accumulent ainsi les contradictions : aussi nécessaires
que décriés. Surement bénéfiques, ils ont tout de même des tendances
maléfiques.
3. Mettre fin à ces dérives, arrêter ces scandales, sécuriser ces marchés est
nécessaire à leur survie, à leur développement.
Les Etats se devaient donc de réagir, de revenir au-devant de la scène afin de
restaurer la confiance.
Car jusqu‘à la dernière crise financière deux points de vues divergeaient.
Entre ceux, qui prônaient l’intervention de l’Etat dans le contrôle des marchés
financiers et ceux qui prônaient qu’il fallait laisser ces marchés s’autoréguler.
Il faut dire que les idées développées par les tenants du laisser-faire avaient
de quoi séduire, surtout dans le contexte des marchés financiers occidentaux.
Ces marchés aux
solides
traditions, aux mécanismes bien huilés, au
fonctionnement bien ancré.
En effet, comment ne pas être séduit par l’idée que « dans une économie
capitaliste, fondée sur la liberté et la responsabilité, l'erreur est rapidement
sanctionnée et les leçons sont naturellement tirées car l'intérêt bien compris
d'une entreprise ne consiste pas à faire des profits à court terme mais à durer.
Ainsi, si une transparence plus grande est exigée par les investisseurs, les
entreprises réagiront et informeront spontanément ces derniers au niveau
qu'ils attendent. C'est ainsi, en tous les cas, que les choses se passent dans
la réalité tranquille de l'économie. Certes, les quelques accidents récents
(Enron et autres) en font également partie mais ils sont peu nombreux et sont,
finalement, inéluctables, quelque soit le niveau de réglementation en vigueur.
3


Page 12
Le simple fait qu'ils aient eu lieu ne peut donc en aucun cas justifier la mise en
route de la machine législative »4.
Bien qu’attractif, ce raisonnement se trouve de plus en plus contesté au vu de
la dernière crise des subprimes, même dans le cadre des marchés financiers
occidentaux.
En Italie, Giulio Tremonti, l’homme qui orchestra pendant longtemps le credo
libéral de Silvio Berlusconi, affirme même dans une sorte de Mea Culpa
que : « le marché de l’idéologie totalitaire inventée pour gouverner le XXI ème
siècle, a diabolisé l’Etat (….) en mettant le marché souverain en position de
dominer tout le reste. Maintenant on ne peut plus dire que c’était la ligne juste,
la seule ligne. »5
La dernière crise financière a sonné le glas de l’autorégulation et annoncé un
interventionnisme étatique de plus en plus prononcé.
L’autorégulation s’est révélée être un mythe et
les plus hauts hommes
politiques affirment aujourd’hui qu’il s’agit d’une idée morte. En effet, Il existe
un consensus sur la nécessité de réguler les marchés financiers, une prise de
conscience de l’urgence d’avancer sur cette question délicate.
Un discours du président américain Obama illustre parfaitement quelle sera
l’attitude des Etats vis-à-vis des marchés financiers à l’avenir. Dans ce
discours Obama, affirme qu’ « un marché libre n'a jamais voulu dire un permis
de prendre tout ce que vous pouvez prendre, quelle qu'en soit la manière.
Certains à Wall Street ont oublié que, derrière chaque dollar en Bourse ou
investi, il y a une famille qui essaie d'acheter une maison, de payer des
études, d'ouvrir un commerce ou d'économiser pour une retraite ».6
4. La nécessité de contrôler et d’encadrer les marchés financiers apparaît
ainsi d’une importance primordiale, non seulement pour la sauvegarde de ces
marchés mais aussi pour la viabilité de toute l’économie mondiale.
4 Salin (P), Laine (M), « Le mythe de la transparence imposée », J.C.P. éd. E, 6-13 novembre 2003,
n° 45-46.
5 De Vergès (M), « Avec la crise financière l’Allemagne ouvre le débat sur le rôle de l’Etat », Le
Monde du 20 mars 2008, p. 1.
6 Discours Barak Obama 22 avril 2010, Le Monde du 22 avril 2010.
4



Page 13
Car ces marchés ont pris une importance monumentale, démontrée par la
dernière crise financière. L’effondrement des marchés financiers n’a-t-il pas
entrainé dans son sillage la chute de toute l’économie « réelle » ?
5. Qu’en est-il alors du marché boursier tunisien ? Peut-il s’autoréguler ?
Il semble qu’affirmer que le marché boursier tunisien puisse s’autoréguler ne
soit pas réaliste. Ce marché est encore dans une phase d’apprentissage et
d’instauration de bases solides de fonctionnement. C’est un marché où
l’évolution des cours est souvent déconnectée des informations véhiculées par
les émetteurs7.
Dans ce cadre-là, il parait difficile de penser que ce marché puisse assurer
une intégrité et une transparence si nécessaires à son développement.
Dans cette phase de construction, il y’a fort à parier qu’il y’aura besoin d’une
autorité forte, capable d’imposer l’ordre et la sécurité.
Dans cette phase au moins, il y’a besoin d’un signal fort. Il faut montrer une
volonté inébranlable de moraliser les marchés boursiers. Il s’agit de « protéger
l’image de la bourse aux yeux des petits porteurs, … de privilégier la
transparence de
l’information à
laquelle sont sensibles
les
investisseurs
institutionnels »8.
Voltaire ne disait-il pas que « ce qu’il y a de pis, c’est que la guerre est un
fléau inévitable. »9 ? Pour rétablir l’ordre et la légalité au sein des marchés
boursiers, l’intervention étatique et la répression sont un mal nécessaire. Un
mal, car plus de rigueur, plus de sanctions, peuvent dans un premier temps
7 Pour se convaincre de cette réalité, il n’y a qu’à voir l’évolution récente des titres de la société cotée
à la bourse de Tunis : Electrostar . Malgré sa situation financière très difficile et un taux d’endettement
alarmant, le cours de Bourse de cette société a connu une véritable envolée. Alors que le titre était coté
à 3,700 dinars le 12 mars 2012, depuis le 15 mars 2012 et en une quinzaine de séances, il a gagné
115,5 %, pour s'établir le 5 avril 2012 à 8,19 dinars, pour ensuite caracoler le 9 mai 2012, à 16,260
dinars. Chaque jour, 20 000 titres en moyenne ont changé de main, contre moins de 500 au cours des
deux mois qui ont précédé. Cette toute petite valeur, peu liquide, a vu sa part dans les échanges
multipliée par 50. Voir Maury F, « Electrostar, un mystère qui électrise le marché », 25 avril 2012,
disponible sur http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2674p128-129.xml0/. Le CMF a décidé de
suspendre la cotatation de ce titre le 10 mai 2012,
Ben Hedi (R),« Bourse de Tunis - Suspension de la
cotation
http://www.businessnews.com.tn/Bourse-de-Tunis---Suspension-de-la-
cotation-d%E2%80%99Electrostar,520,30975,3
8 De Vauplane (H) et Bornet (J-P), « Droit des marchés financiers », Litec, 3ème édition 2001 p. 900.
9 Voltaire, « Dictionnaire philosophique », Garnier 1967, p.232.
d’Electrostar »,
5



Page 14
avoir un effet négatif sur le développent de ces marchés. La sanction peut
entraver la liberté d’initiatives et des transactions. Elle peut restreindre le
développement des sociétés cotées, dissuader les sociétés désireuses de
s’introduire en bourse ou encore lier l’action de leurs dirigeants.
Mais nécessaire, car face aux dérives récurrentes que vivent nos marchés,
sévir est indispensable pour garantir leur stabilité.
Engager le combat contre les comportements répréhensibles de certaines
sociétés cotées et de leurs dirigeants est vital. Car malheureusement les faits
montrent que sans cela, penser rétablir la transparence et l’intégrité des
marchés boursiers n’est qu’une douce utopie.
6. L’étude de « La responsabilité des sociétés cotées en bourse et de leurs
dirigeants », nécessite au préalable de dissiper l’ambiguïté qui caractérise les
notions en présence (I). Une meilleure compréhension du sujet réclame, en
outre, un bref exposé de l’évolution historique des marchés boursiers en
France et en Tunisie (II). Enfin, pour les besoins de l’étude de ce sujet
d’actualité brulante et qui revêt un intérêt évident (III), une présentation de la
démarche méthodologique suivie s’impose (IV).
I-
Des notions méconnues, à l’émergence récente
7. Les marchés boursiers sont à la une de l’actualité : ils ont droit de cité
presque quotidiennement sur les écrans et monopolisent des pages entières
de journaux. Ils collectionnent les épithètes : marchés hasardeux, dangereux,
complexes, corrompus…
Quand on en parle, Ils ne sont jamais à leur avantage : du bruit ainsi fait
autour des marchés financiers, que reste-t-il dans les subconscients ?
Le large public risque fort de ne retenir que les révélations récentes sur les
scandales
financiers qu’on a déjà évoqués et malgré
tout
le battage
médiatique fait autour de ces marchés, ceux-ci restent largement incompris et
méconnus auprès du grand public. Clarifier les notions de marché boursier
(A), dans lequel évoluent les sociétés cotées (B) et leurs dirigeants (C), parait
6




Page 15
nécessaire. Des sociétés et des marchés dont l’évolution spectaculaire a
conduit à l’émergence d’un droit boursier et d’un contentieux boursier nourri
(D). Un contentieux duquel découle pour les sociétés cotées en bourse et
leurs dirigeants
la possibilité d’engager
leurs
responsabilités pénale,
administrative et civile (E).
A- Marché financier et marché boursier
8. Il importe de distinguer, tout d’abord, le marché boursier, objet de notre
étude, du marché financier, notion plus complexe.
Même s’il n’existe pas de définition légale des marchés financiers, ceux-ci ont
été définis par la doctrine comme étant « les marchés de capitaux disponibles
à long terme. La demande sur les marchés financiers peut émaner : soit des
entreprises qui recueillent
les fonds dont elles ont besoin, par l’émission
d’actions ou d’obligations; soit de l’Etat ou des collectivités publiques qui
émettent des emprunts »10.
Contrairement à l’opinion admise, le marché financier ne s’identifie pas à la
« bourse ». De manière classique, on relève principalement une double
acception, qui diffère en étendue. Lato sensu, le marché financier correspond
au marché de l’argent à long terme, quels que soient les emplois auxquels il
est affecté. Stricto sensu, l’expression est réservée aux marchés des capitaux
à long terme utilisant pour support les valeurs mobilières. Il s’oppose en tous
cas au marché monétaire, défini comme le marché des capitaux à court et
moyen terme11.
9. La Bourse, quant à elle, ce « monument à l’aspect austère, entouré de
colonnades et protégé par les statues colossales de la Justice, de la Fortune,
de l’Abondance et de la Prudence »12, a certes ses adeptes, mais elle suscite
la méfiance chez la majorité.
10 Sousi-Roubi (B), « Lexique banque et bourse », D., 5ème Ed., 2002.
11 Deveze (J), Couret (A), Hirigoyen (G), « Lamy droit du financement », Ed. Lamy, 2005, p. 525.
12 Knabel et Tixier, cités par Antoine (J) et Capiau-Huart (M-C), « Titres et Bourse, Tome 1
Valeurs mobilières », 2
ème Ed. de Boeck Bruxelles 1999, p. 6.
7





Page 16
Fréquemment cette défiance est motivée par la simple raison qu’on la connait
mal. Surtout, le plus souvent, on ne connait que ses mauvais côtés.
Le grand public l’imagine comme un vaste tripot dans lequel se font et se
défont des fortunes. Il en ignore « l’objet, l’utilité, le fonctionnement»13 . La
notion de bourse mérite donc qu’on s’attarde dessus pour éclaircir certains
points.
La bourse est un marché organisé autour d’une ou plusieurs bourses
fonctionnant selon des règles précises, où les cours d’un certain nombre de
titres sont fixés par confrontation d’offres et de demandes14.
Prise dans son sens le plus large, la Bourse est un marché organisé et
réglementé sur lequel se négocient par l’entremise d’un intermédiaire qualifié
des instruments financiers, des matières premières, des devises,…
Mais, la bourse de valeurs mobilières à laquelle se limite notre étude15 est la
bourse sur laquelle se négocient les valeurs mobilières inscrites à la cote
(Euronext à Paris, NYSE à New York, BVMT à Tunis…) 16.
10. La bourse est le baromètre de l’économie. Souvent, l’importance d’un
événement ou d’une décision politique se mesure par la variation des indices
boursiers qu’ils engendrent17.
Cette institution joue un rôle primordial dans le financement de l’économie. En
effet, ce marché permet aux sociétés cotées en bourse d’obtenir
les
financements nécessaires à l’expansion de leurs activités.
Elle permet de mobiliser l’épargne, de diffuser le capital des sociétés et de
valoriser les titres cotés :
Primo, la bourse est le lieu où se rencontrent ceux qui veulent acheter des
valeurs mobilières et ceux qui veulent en céder. Permettant de la sorte aux
13 Ibid.
14 Hautcoeur (P-C), Gallais-Hamonno (G), « Le marché financier français au XIXe siècle »,
Publication de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, p.12.
15 Il existe plusieurs types de bourses, tels que la bourse de produits dérivés, la bourse de commerce, la
bourse de change…
16 Antoine (J) et Capiau-Huart (M-C), « Dictionnaire des marchés financiers », Ed. de Boeck
Bruxelles 2006, p. 92.
17 Antoine (J), Capiau-Huart (M-C), « Titres et Bourse: Valeurs mobilières, Volume 1 », Op. cit.
pp. 19 et 20.
8



Page 17
investisseurs de recouvrer la liquidité de leurs placements, c'est-à-dire de
mobiliser leur épargne ou de modifier la structure de leur portefeuille.
Car la faculté offerte aux épargnants d’échanger leurs valeurs mobilières à
tout moment contre des liquidités ou contre d’autres titres, les incite à en
acquérir. Permettant ainsi aux sociétés qui
les émettent, de trouver les
capitaux nécessaires au financement de leurs investissements.
D’ailleurs, l’existence et le bon fonctionnement du marché secondaire que
constitue la bourse sont nécessaires au succès des émissions de valeurs
mobilières et, par là, au dynamisme du marché primaire.
Deuxio, la bourse remplit une autre fonction essentielle : la diffusion du capital
des sociétés.
Ainsi,
lors de
l’introduction d’une société en bourse, ses principaux
actionnaires cèdent une partie de leurs actions au public des épargnants ; il
s’en suit une plus large diffusion du capital de cette société.
Cette affirmation est d’autant plus vraie quand l’introduction de la société en
bourse s’accompagne d’une augmentation de capital.
La société pourra à partir de sa cotation en bourse, faire appel public à
l’épargne
lorsqu’elle qu’elle
le
jugera nécessaire, en procédant à des
augmentations de capital qui accroitront encore la diffusion de son capital.
Tertio, la bourse permet de valoriser les titres cotés. Car elle est un marché
quasi permanent où se rencontrent l’offre et la demande. C’est surtout un lieu
où se fixe le prix des titres, appelé cours. La bourse procure, ainsi, un
avantage considérable aux entreprises assujetties à notre étude : les sociétés
cotées.
B- Sociétés cotées et sociétés faisant appel public à l’épargne
11. Les sociétés cotées en bourse sont des sociétés faisant appel public à
l’épargne18.
18 L’article 1 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 dispose que : « Sont réputés sociétés ou
organismes faisant appel public à l'épargne :
9





Page 18
A cet égard, il est à noter que la notion de société faisant appel public à
l’épargne est plus large que celle de société cotée en bourse.
En effet, les sociétés FAPE ont été définies par le Code des sociétés
commerciales19, comme « celles qui émettent ou cèdent des valeurs
mobilières en appelant le public à l’épargne ».
Alors que les sociétés cotées peuvent être définies comme étant des sociétés
dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé20.
12. A cet égard, les marchés de titres de capital21 sont ouverts aux sociétés
anonymes qui répondent à des critères d’ouverture au public, de taille, de
performance, de liquidité et de transparence.
Ainsi, pour pouvoir être introduite à la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis
(BVMT), une société doit se conformer aux conditions édictées par la loi n°94-
117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier et aux
conditions explicitées par les articles 36 et suivants du règlement général de la
BVMT22.
En premier lieu, la société anonyme doit publier des comptes annuels certifiés
des deux derniers exercices23.
Ensuite, 10% au moins du capital de la société doit être diffusé dans le
public24.
1) Les sociétés qui sont déclarées comme telles par leurs statuts.
2) Les sociétés dont les titres sont admis à la cote de la Bourse.
3) Les banques et les sociétés d'assurances quel que soit le nombre de leurs actionnaires.
4) Les sociétés dont le nombre d'actionnaires est égal ou supérieur à cent.
5) Les Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières.
6) Les sociétés et les organismes autres que les organismes de placement collectif en valeurs
mobilières qui, pour le placement de leurs titres, recourent soit à des intermédiaires, soit à des
procédés de publicité quelconques, soit au démarchage. »

19Article 162 du C.S.C.
20Antoine (J) et Capiaut-Huart (M-C), « Dictionnaire des marchés financiers », op.cit. p. 500.
21Article 35 nouveau du Règlement Général de la Bourse approuvé par l’arrêté du Ministre des
Finances du 13 février 1997, tel que modifié par les arrêtés du 9 septembre 1999, du 24 septembre
2005, du 24 septembre 2007et du 15 avril 2008 : « Sont considérés comme titres de capital, les actions
ordinaires ou privilégiées, les actions à dividende prioritaire sans droit de vote et les certificats
d'investissement. »
22Article 23 nouveau du Règlement Général de la Bourse, Approuvé par l’arrêté du Ministre des
Finances du 13 février 1997, tel que modifié par les arrêtés du 9 septembre 1999, du 24 septembre
2005, du 24 septembre 2007et du 15 avril 2008.
23Il est possible de déroger à cette condition pour les sociétés dont l’entrée en activité est inférieure à 2
ans.
10



Page 19
De plus, la société doit aussi présenter un rapport d’évaluation sur les actifs de
la société, disposer d’une organisation adéquate, d’un audit interne, d’un
contrôle de gestion, présenter des informations prévisionnelles sur 5 ans,
établies par
le conseil d’administration, accompagnées de
l’avis du
commissaire aux comptes et produire un prospectus d’admission visé par le
Conseil du Marché.
D’autres conditions sont nécessaires selon que les titres de la société soient
cotés au marché principal ou au marché alternatif.
Ainsi, la cotation sur le marché principal exige que les deux derniers exercices
soient bénéficiaires25.
De même, les titres de la société détenus par le public 26 doivent être répartis
entre 200 actionnaires au moins, au plus tard le jour de l’introduction et un
capital minimum de 3 millions de dinars, le jour d’introduction est exigé.
La cotation sur le marché alternatif obéit, quant à elle, à des conditions moins
strictes. Ainsi, la condition de bénéfices et la condition de capital minimum ne
sont pas exigées.
Aussi, la répartition des titres de la société détenus par le public doit se faire
entre 100 actionnaires au moins ou 5 actionnaires institutionnels27, au plus
tard le jour de l’introduction.
L’admission peut être également demandée par une société quand son capital
est détenu, depuis plus d’un an, à hauteur de 20% au moins par deux
investisseurs institutionnels, au minimum.
En outre, l’admission peut être demandée par une société en cours de
constitution par appel public à l’épargne (cas de grands projets). Pour ce cas,
l’admission au marché alternatif est prononcée directement par le CMF28.
24Il est possible de déroger à cette condition au cas où la diffusion est d’un montant minimum d’un
million de dinars.

25Cette condition n’est pas exigée si la société s’introduit par la procédure d’inscription directe suite à
une augmentation de capital.
26Par public, on entend les actionnaires détenant individuellement au plus 0,5% du capital.
27Par actionnaires institutionnels, on entend les actionnaires détenant individuellement au plus 5% du
capital.
28 www.bvmt.com.tn
11



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13. Quant aux règles applicables aux sociétés cotées, une doctrine française
traditionnelle évite de faire de la distinction entre sociétés cotées et sociétés
non cotées une « summa divisio »29. La logique en droit français est plutôt
d'adjoindre au droit commun applicable aux sociétés par actions, des règles
spécifiques aux sociétés cotées.
Sans que cela n’entraine une réelle
autonomie des règles régissant les sociétés cotées par rapport aux règles
régissant les sociétés non cotées30.
Néanmoins, une division plus
fondamentale est prônée par Mme Frison-
Roche31. Pour cet auteur, le droit classique des sociétés non cotées devrait
s’organiser dans un rapport au droit commun des obligations. Alors qu’un
nouveau droit des sociétés cotées, devrait s'organiser dans un rapport au droit
commun des biens :« le titre produit dicte les règles et non le rapport entre le
titre et la société émettrice ».
Elle avance en outre que les sociétés cotées « constituent un monde à part »,
et ce d’un point de vue sociologique. Sous cet angle, « le droit des sociétés
non cotées s'organise d'une façon que l'on pourrait dire externe, c'est-à-dire à
travers une législation et une jurisprudence traditionnellement distinctes d'une
façon radicale de
leur objet. Parce que les sociétés cotées constituent
précisément un « monde », il leur faut un droit en quelque sorte internalisé,
c'est-à-dire produit par les acteurs eux-mêmes ou par des autorités de marché
placées au cœur du système. Parce qu'il existe un mécanisme technique et
social de place financière, qui n'a pas d'équivalent pour les sociétés non
cotées, le droit devient auto-produit, auto-observé, illustration exemplaire des
29 L'expression summa divisio est fréquemment employée dans le domaine juridique pour signaler les
divisions principales comme: droit public / droit civil; droit des personnes / droit des biens;
responsabilité contractuelle / responsabilité délictuelle...
30 Couret (A), « Régulation financière, sociétés cotées et sociétés non cotées », L.P.A, 03 juin 2002
n°110, p. 29, §4.
31 Frison-Roche (MA), « La distinction entre sociétés cotées et sociétés non cotées », Mélanges
A.E.D.B.F. 1997, pp. 189 et s.
12



Page 21
théories sociologiques de
l'auto-organisation.
Il
faut donc en pratique
distinguer ces deux manières de faire »32.
Cette spécificité des sociétés cotées combinée au contexte particulier du
marché boursier ont conduit à l’émergence d’un droit boursier qui s’étoffe au fil
du
temps. Une évolution qui s’est accompagnée par
l’apparition d’un
contentieux boursier nourri, du moins en France.
C- Droit boursier et contentieux boursier
14. Le droit boursier peut être défini comme étant « le droit relatif aux marchés
réglementés où s’échangent les titres financiers, en ce compris les acteurs sur
ces marchés et, en particulier les règles applicables aux sociétés cotées sur
les marchés réglementés»33.
Le droit boursier est aujourd’hui en pleine construction, il se bâtit « sous nos
yeux au fil des jours et des affaires »34. Un auteur considère même ce droit
comme
le
laboratoire privilégié d’observation des nouvelles
formes
d’expression du droit35.
Ce constat est consolidé par une double constatation. D’une part, on assiste à
l’apparition de la notion de régulation « englobant celle de réglementation, ou
encore celle de gouvernance remplaçant celle de gouvernement »36.
D’autre part, on constate l’émergence d’un véritable droit pénal boursier. En
effet, l’un des aspects les plus remarquables de l’évolution du droit pénal des
affaires, un droit qui s’est développé et diversifié considérablement à partir de
la deuxième moitié du XXè siècle, consiste en l’apparition d'un droit pénal
boursier qui a rapidement évolué.
32Frison-Roche (MA), op.cit. p. 197.
33Poulle (J-B), « Réflexions sur le droit souple et le gouvernement d’entreprise : le principe se
conformer ou s’expliquer en droit boursier », L’Harmattan 2011, p. 19.
34Ducouloux-Favard (C), « Pourquoi du droit comparé boursier ? », L.P.A, 15 juin 1994 n° 71.
35Pietrancosta(A), « Le droit des sociétés sous l’effet des impératifs financiers et boursiers », Ed.
Transactive, 2000.
36Poulle (J-B), op.cit. p. 19.
13





Page 22
L’émergence d’un véritable droit boursier et le développement c onsidérable
des marchés boursiers ont conduit à l’occurrence d’un contentieux boursier
nourri.
15. Le contentieux boursier, qui sert de toile de fond à notre étude concerne
l’ensemble des litiges qui peuvent être soumis à des juridictions, qu’elles
soient administratives ou judiciaires. Ces litiges ont essentiellement pour objet
les opérations portant sur des titres admis sur un marché boursier, les actes
relevant des différentes autorités de marché et ceux passés par
les
intermédiaires en bourse et les épargnants ou investisseurs. Ce contentieux
se répartit entre les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif et
parfois même relève, en France, des deux ordres à la fois37.
Les principaux acteurs de ce contentieux boursier sont les sociétés cotées en
bourse et leurs dirigeants.
D- Les dirigeants de sociétés cotées
16. Le dirigeant de la société est la personne qui dirige, c’est à dire qui
« conduit, mène (une entreprise, une opération, une affaire) comme maître ou
chef responsable »38. Mais qui sont ces dirigeants de sociétés cotées en
bourse qui sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée ?
En France, la loi du 24 juillet 1966, codifiée dans le nouveau Code de
commerce, prévoit plusieurs types d'organes de gestion ou de direction,
correspondant à la variété des sociétés commerciales, qui sont amenés à
répondre pénalement, administrativement ou civilement des agissements
délictueux commis à l'occasion de l’exercice de leurs fonctions.
La
recherche des dirigeants
responsables suppose donc
l'examen des
différentes situations qui peuvent se présenter dans chaque forme de société
commerciale.
37 Ducouloux-Favard (C), « Contentieux boursier », Rép. sociétés Dalloz 2005 pp. 2 et 3.
38 Dictionnaire Le Petit Robert.
14





Page 23
17. Dans les sociétés anonymes, qui représentent l’écrasante majorité des
sociétés cotées en bourse,
la détermination des dirigeants susceptibles
d’engager
leur
responsabilité nécessite de distinguer entre
les sociétés
anonymes à conseil d'administration et celles dotées d'un directoire et d'un
conseil de surveillance.
Puisque dans
les sociétés anonymes à conseil d'administration, c'est le
président du conseil d'administration chargé de la direction générale de la
société39 qui est en principe la personne responsable40. Mais le directeur
général peut également voir sa responsabilité pénale retenue à propos de
l'application du droit des sociétés soit comme auteur principal, soit comme
complice. Et il en est tout particulièrement ainsi lorsque, depuis la loi du
15 mai 2001, ce directeur général n'agit plus sur délégation du président du
conseil d'administration mais exerce, au contraire, des pouvoirs propres.
De même, les administrateurs (ou représentants permanents de personnes
morales administrateurs) peuvent également engager leur responsabilité pour
des infractions ou des fautes qu'ils auraient commises.
Dans
les sociétés anonymes à directoire,
le responsable pénal sera le
directeur général unique, si
la société, ayant un capital
inférieur à
150 000 euros, a choisi de confier les fonctions du directoire à une seule
personne.
Toutefois, si le directoire est à forme collégiale, la responsabilité est assumée
cumulativement par tous les membres du directoire et non par son seul
président. En effet, le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour
agir en toutes circonstances au nom de la société.
La responsabilité du seul président ou d'un membre du directoire ne sera
retenue qu'en cas de répartition précise des tâches. Dans cette hypothèse,
chaque membre du directoire
répondra uniquement des
infractions
spécialement afférentes à son secteur de direction. Ainsi, a été seul reconnu
39Article L. 225-51 du Code de commerce français.
40 Cass. Crim., 4 décembre 1969, n° 68-11.822, D. 1970, jur, p. 114.
15



Page 24
coupable d'abus de biens sociaux le membre du directoire qui avait établi un
chèque sur la société au profit d'une autre dans laquelle il exerçait également
des fonctions de dirigeant41.
D’autre part, les dirigeants de fait42 sont assimilés aux dirigeants de droit par la
jurisprudence. Ainsi, en retenant l'exercice effectif des pouvoirs de direction, la
jurisprudence retient la responsabilité pénale des dirigeants de fait43. Et ce
même s’il appartient aux juges du fond de bien caractériser la gestion de fait44.
En outre, la loi de 1966, codifiée dans le nouveau code de commerce, prévoit
elle-même, dans de nombreuses dispositions, la responsabilité pénale des
dirigeants de fait45.
18. En Tunisie, la situation est similaire. Ainsi, la société anonyme est
administrée soit par un conseil d’administration ou par un directoire et un
conseil de surveillance46.
Dans le premier cas de figure, qui correspond au cas le plus fréquent, la
société peut être administrée par un conseil d’administration composé de trois
membres au moins et douze membres au plus47. Le conseil d’administration
élit parmi ses membres un président qui a la qualité de président directeur
général48. Le président du Conseil d’administration assure, sous sa
responsabilité,
la direction générale de
la société et
représente cette
dernière49.
41 Cass. Crim., 19 février 1990, n° 87-85.446, BRDA 1990, n° 9, p.11.
42 Personnes qui, sans titre, exercent sans entrave et en toute indépendance une activité positive de
direction des affaires sociales.
43 Cass. crim, 5 juin 1979, n° 78-93.108, Bull. crim., n° 191, p.529; Cass. Crim., 5 novembre 1990,
n° 89-84.656 et 89-84.657, Cass. crim, 18 novembre 1991, no 90-83.775, R.J.D.A 1992, n° 245,
p.189.
44 Cass. Crim., 24 février 1992, n° 91-80.040, R.J.D.A 1992, n° 708, p. 581.
45Mestre (J), Velardocchio (D), Blanchard-Sebastien (Ch), Lamy sociétés commerciales, Ed. 2004.
46 Article 188 du C.S.C.
47Article 189 du C.S.C.
48 Article 208 du C.S.C.
49 Article 211 du C.S.C.
16




Page 25
Néanmoins, les statuts de la société peuvent opter pour la dissociation entre
les fonctions de président du conseil d’administration et celles de directeur
général de la société50.
Dans ce cas, le président du conseil d’administration propose l’ordre du jour
du conseil, le convoque, préside ses réunions et veille à la réalisation des
options arrêtées par le conseil. Le président du conseil n’est pas considéré
comme étant un commerçant et n’est pas soumis, en cas de faillite de la
société aux déchéances attachées par la loi à la faillite ; à moins qu’il ne
s’immisce dans la gestion directe de la société51. Le directeur général, quant à
lui, assure sous sa responsabilité la direction générale de la société52.
Il est, en outre, soumis à toutes les obligations et responsabilités mises à la
charge des membres du conseil d’administration ou de son président53.
D’un autre côté, les statuts de la société anonyme peuvent opter pour un autre
mode d’administration54. Dans ce cas, la société est dirigée par un directoire
qui assume la responsabilité de sa direction et exerce ses fonctions sous le
contrôle d’un conseil de surveillance. Le directoire peut se composer de cinq
membres au maximum qui doivent obligatoirement être des personnes
physiques. Dans les sociétés anonymes dont le capital est supérieur à cent
mille dinars (ce qui est le cas pour toutes les sociétés cotées en bourse), les
fonctions dévolues au directoire ne peuvent être exercées par une seule
personne55. Le Conseil de surveillance confère à l’un des membres du
directoire, la qualité de président56.
Le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes
circonstances au nom de la société57.
50 Article 215 du C.S.C.
51 Article 216 du C.S.C.
52 Article 217 du C.S.C.
53 Article 218 du C.S.C.
54 Article 224 du C.S.C.
55 Article 225 du C.S.C.
56 Article 226 du C.S.C.
57 Article 229 du C.S.C.
17



Page 26
Le Conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la
société par le directoire58. Ce conseil est composé de trois membres au
minimum et de douze membres au plus59.
20. « La direction d’une société est rarement une sinécure et malheur à celui
qui trop confiant dans l’habileté et l’honnêteté de ses collaborateurs, plane sur
son petit nuage, insouciant des réalités de la gestion quotidienne. Un jour vient
l’orage se déclare et le dirigeant redescendu sur terre fait l’apprentissage de la
responsabilité »60. Cette responsabilité dans le cas des sociétés cotées en
bourse peut être de nature civile, pénale, fiscale ou administrative.
E- Responsabilité et marché boursier
21. En matière boursière, les sociétés cotées en bourse et leurs dirigeants
sont susceptibles d’engager leur responsabilité civile, pénale, administrative
ou encore fiscale61.
Ceci dit, pour les besoins de cette étude nous allons nous intéresser aux
responsabilités pénale, administrative et civile des sociétés cotées en bourse
et de leurs dirigeants.
22. Tout d’abord, la responsabilité pénale est définie comme étant l’obligation
de répondre de ses actes délictueux en subissant une sanction pénale dans
les conditions et selon les formes prescrites par la loi 62.
Notre étude portera sur deux types de responsabilité pénale : celle des
dirigeants sociaux et celle des sociétés cotées en bourse, personnes morales.
23. Ensuite, la responsabilité civile est l’obligation de réparer le préjudice
résultant soit de
l’inexécution d’un contrat : on parle dans ce cas de
58 Article 235 du C.S.C.
59 Article 236 du C.S.C.
60Cozian (M), Viandier (A), Deboissy (F), « Droit des sociétés », Litec Ed. 2004, §360 p. 128.
61 Concernant la responsabilité fiscale des dirigeants V. Rezgui (S), « La responsabilité fiscale des
dirigeants », R.T.D 1991 p. 233.
62 Guinchard (S), Lexique des termes juridiques, 16eEd. 2007, Dalloz, p.484.
18






Page 27
responsabilité contractuelle. Soit de la violation du devoir général de ne causer
aucun dommage à autrui par son fait personnel ou du fait des choses dont a la
garde ou du
fait des personnes dont on répond (responsabilité du fait
d’autrui) : dans ce cas
la
responsabilité est dite délictuelle ou quasi
délictuelle63.
24. Enfin, la responsabilité administrative nous la définirions comme étant
l’obligation pour les sociétés cotées et leurs dirigeants de répondre de leurs
actes contraires aux règlements des autorités administratives chargées de
contrôler les marchés boursiers. En effet, les autorités administratives de
régulation du marché financier, que sont le Conseil du Marché financier en
Tunisie et l’Autorité des Marchés Financiers en France sont habilitées à
prononcer des sanctions à l’égard des sociétés cotées en bourse et de leurs
dirigeants.
25. En matière boursière, la contrainte que peuvent subir dirigeants et sociétés
cotées provient du cumul des responsabilités.
D’autant plus qu’il y’a deux aspects à ce cumul. Le premier aspect consiste
dans le cumul de la sanction administrative, de la sanction pénale, et de la
sanction civile qu’encourent les sociétés cotées et leurs dirigeants.
Le deuxième aspect du cumul, c'est le cumul de la sanction administrative,
et/ou pénale et/ou civile infligée à la personne morale, avec la même sanction
appliquée aux dirigeants de cette personne morale. 64
D’ailleurs, l’étude de l’évolution historique de la bourse et des différents
scandales qui ont accompagné
le développement spectaculaire de cette
institution est de nature à éclairer la compréhension de l’émergence de ces
différents types de responsabilités.
63 Guinchard (S), Op.cit. pp. 576 et 577.
64 Piniot (M-C), « La mise en œuvre de la répression à l'encontre des personnes morales : Evaluation
comparée des deux voies répressives », Rev. de science criminelle 1996 p. 293.

19






Page 28
II-
Evolution historique
26. L’institution de la bourse a ses racines dans une époque très ancienne.
Des ébauches de la technique boursière ont été relevées dans l’antiquité
romaine par certains historiens65. En effet, lexemple le plus ancien de marché
organisé d’actions peut être trouvé dans la République Romaine du deuxième
siècle AV-JC, à une époque où cet empire n’était pas assujetti à des
contraintes
théologiques
imposées plus tard par l’avènement des religions
monothéistes66. Le commerce qui florissait un peu partout sur le territoire de
la République a entrainé une accumulation des richesses à Rome où un
capital conséquent se trouva disponible. En présence d’un système de lois et
de droits de propriété souple et favorable aux échanges, le transfert de capital
se trouva facilité. De plus, le concept de crédit au sens commercial du terme
s’est développé devenant admis à une
large échelle. Enfin, une classe
d’investisseurs disposés à prendre un risque en investissant un capital dans
l’optique de réaliser un gain en retour émergea. D’ailleurs, une sorte de
société faisant appel public à l’épargne fît son apparition à cette époque : le
gouvernement de la République Romaine a sous traité beaucoup de ses
prérogatives, de la construction d’édifices à la collecte de taxes à des groupes
d’investisseurs connus sous le nom de publicani. A l’instar des sociétés
modernes les publicani étaient des entités légales dont la propriété était
divisée en parts ou actions. Les publicani étaient souvent gérés par des
dirigeants qui produisaient des comptes publics
(tabulae) et
tenaient
régulièrement des assemblées pour les actionnaires.
Le lieu des échanges à Rome était le Forum. Sorte de bourse de l’antiquité, la
description donnée par l’historien classique Mikhail Rostovtzeff met en valeur
la vitalité qui la caractérisait et la variété qui y régnait : « Des foules d’hommes
achetaient et vendaient des actions et des obligations de sociétés agricoles,
65 Antoine (J), Capiau-Huart (M-C), « Titres et Bourse: Valeurs mobilières, Volume 1 », Op.cit.
p.22.
66 Trois prérequis essentiels pour un marché d’actions viable étaient réunis à Rome : Un capital
librement transmissible, un accès facilité au crédit et une franche volonté de prendre des risques.
20




Page 29
une variété de marchandises pour du comptant ou à crédit, des fermes et des
domaines en Italie et dans les provinces, des maisons et des commerces à
Rome et ailleurs, des bateaux, des entrepôts, des esclaves et du bétail».67
Mais le temps fît son effet et la bourse romaine déclina et disparut quand
Rome elle-même perdît sa proéminence.
Par la suite, vint la domination islamique sur de larges parts de l’Asie et de
l’Afrique.
A- La civilisation musulmane et les marchés financiers
27. La civilisation arabe et musulmane n’était pas réticente au commerce et
aux échanges. La prospérité de la Mecque tant avant qu’après l’avènement de
l’Islam, était due en partie à sa position en tant qu’important centre caravanier.
A la naissance du prophète Mohammed (ملسو هيلع الله ىلص ), le commerce était
développé et la Mecque était un haut lieu de l’échange et un carrefour
commercial important68. Le marché était à l’époque le cadre dans lequel se
déroulaient les opérations de vente et d’achat et les différentes transactions.
D’ailleurs, le prophète (ملسو هيلع الله ىلص ( a ordonné la construction dun souk
islamique à Médine. Et signe de l’importance du contrôle sur les transactions
commerciales, le prophète ( ملسو هيلع الله ىلص) passait par le souk afin dexercer
personnellement un contrôle de
l’activité commerciale69. Néanmoins,
les
conditions strictes imposées par les préceptes de l’Islam tel que l’interdiction
du riba (intérêts) ont longtemps empêché le développement des marchés
financiers en terre d’Islam.
Il a fallu attendre le milieu du XXème pour voir enfin émerger une véritable
finance basée sur le respect des préceptes de l’Islam. Ainsi, la décennie 1950-
60 a connu le début d’un travail théorique aboutissant à l’élaboration d’une
première description d’une banque islamique qui ne pratique pas l’intérêt et
67 Mark Smith (B), “A history of the global stock market : from ancient Rome to Silicon Valley”, The
University of Chicago Press, 2003 p. 11.

68 Ollé-Martin (A), Aymé-Martin (C), « Histoire de l’humanité », Ed. de l’UNESCO, 2005 p. 363.
،"ةيدقن ةيليلحت ةسارد : يملاسإ روظنم نم ةيلاملا قارولأا ةصروب
يرواربلا ملاسإ دمحم نابعش
ركفلا راد
2010
.
69

21







Page 30
qui est basée sur la mudaraba ou la wakala. Le début des années 1960 devait
connaitre la création de la première banque islamique en Egypte suivie par
l’institution de la Pilgrimage Fund en Malaisie70.
Cette finance, considérée par certains auteurs comme une illustration de la
finance éthique71 devait, à partir des années 1980, connaitre en un temps
record un développement fulgurant qui lui permit de s’imposer comme une
industrie majeure générant des milliers de milliards de dollars72. Allant jusqu’à
représenter pour une certaine doctrine une solution à
la récente crise
financière73.
B- Des origines anciennes, un développement fulgurant
28. Le mot Bourse aurait trouvé son origine au XIIIème siècle, en Belgique.
Dans la ville de Bruges, des marchands ont pris l’habitude de se retrouver
devant l’hôtel de la famille Van der Buerse, afin de traiter leurs affaires. Par la
suite, cette famille étendit son activité à Anvers et, bientôt, son patronyme
désigna les immeubles où se déroulaient des réunions pour les tractations.
L’année 1515, a vu la création de la première bourse de commerce. Elle a vu
le jour dans une autre ville belge : Anvers. Par la suite, ont été créées un
certain nombre de bourses de commerce de marchandises alors que le
commerce de l’argent se pratiquait aussi dans grandes villes de foire, dont
Anvers et Amsterdam. En 1571, la bourse de Londres fût inaugurée avec faste
par la Reine Elisabeth d’Angleterre.
29. Au XVIIème siècle, les premières sociétés commerciales par actions
voient le jour. Elles ont pour nom la Compagnie française des Indes orientales,
la Compagnie d’Ostende ou encore la Compagnie générale pour le commerce
et la navigation aux Indes.
70 Iqbal (Z) et Abbas (M), « An introduction to islamic finance : theory and practice » 2nd edition,
John Wiley & Sons 2011.
71 Guéranger (F), « Finance islamique : Une illustration de la finance éthique », Dunod, 2009.
72 Schoon (N), « Islamic banking and finance », Spiramus Press, 2010 p. 9.
73 Jouini (E) et Pastré (O), « La finance islamique: Une solution à la crise ? », Economica, 2009.
22





Page 31
Elles sont constituées pour financer les grandes découvertes et l’exploitation
des comptoirs lointains.
Ces nouvelles créations ont entrainé un « nouveau développement de l’activité
des bourses »74.
30. La Bourse de Paris devait alors naitre en 1724, suite à un arrêt pris par le
Conseil d’État du Roi qui avait alors pour objectif de rétablir un semblant
d’ordre au sein de l’économie française75.
La Bourse de Paris a ensuite été officiellement fermée, à la faveur de la
révolution française, alors qu’elle cotait officiellement dix-sept valeurs. Elle n’a
été rouverte et définitivement officialisée qu’en 1801.
La bourse a connu sa première codification centralisatrice sous Napoléon, à
travers la promulgation du Code de commerce de 1807. La loi a ainsi pris,
pour la première fois, le relais des usages.
La
lecture des
travaux préparatoires de cette
loi ;
laisse apparaitre
l’importance que prenait déjà
l’institution boursière. Et
l’importance de
contrôler et de réguler ces marchés déjà à l‘époque.
Ainsi, selon les termes de ces travaux « Rien de plus propre à ranimer le
commerce que de régulariser par une loi l’institution des bourses, d’en étendre
les bienfaits aux places qui peuvent en être susceptibles, et surtout de rendre
aux agents de change et courtiers la confiance dont ils jouissaient autrefois…
L’utilité des bourses a été reconnue chez tous les peuples industrieux. C’est à
ces établissements qu’ils ont dû
l’agrandissement et
la prospérité du
commerce. Là, les avis de toutes les places du monde viennent aboutir en un
centre commun, et par les communications mutuelles, former un faisceau de
lumière qui éveille l’émulation générale ».76
Néanmoins, ce code a été vigoureusement critiqué et fût considéré comme
étant une œuvre moyenne. Il a été élaboré dans un esprit dirigiste : les agents
de change étaient nommés par le gouvernement et leur statut était semi-
74Antoine (J), Capiau-Huart (M-C), « Titres et Bourse: Valeurs mobilières, Volume 1 », Op.cit.
p.22.
75 Jour par Jour, Bourse de Paris
http://www.linternaute.com/histoire/motcle/4156/a/1/1/bourse_de_paris.shtml
76 Cité par Antoine (J), Capiau-Huart (M-C), Op.cit. p. 23.
23



Page 32
public. Les dispositions relatives aux bourses ne durèrent pas plus d’un demi-
siècle.
31. Mais les marchés boursiers ne connaitront leur véritable essor qu’au cours
du XIXème siècle. Un siècle qui a vu ces marchés prendre une place centrale
dans quelques riches économies européennes77.
L’émission de valeurs mobilières devait connaitre, tout au long du XIXème
siècle, un développement sans précédent boosté par l’essor de l’industrie et
du capitalisme privé78. Un grand essor qui coïncide avec une période de
grande liberté qui succède au contrôle étroit des activités boursières79.
L’enrichissement successif de la cote officielle témoigne de l’évolution des
grandes entreprises françaises nées durant la deuxième moitié du XIXe siècle,
et du
fantastique développement de
la
fortune mobilière. En 1912,
le
portefeuille français atteint la somme de 110 milliards de francs soit 400 fois
celle de 1789-1790. La Bourse de Paris caracolait alors en tête des places
boursières au monde80.
C’est donc tout au long de ce siècle que la « Bourse de Paris acquiert les
caractéristiques modernes d’une Bourse de valeurs mobilières »81. Permettant
d’attirer des fonds considérables qui ont permis aux entreprises de trouver
sans grande difficulté les fonds indispensables à leur développement82.
32. La Bourse de Paris continua son développement considérable et en 1988
le CAC 4083 a été officiellement créé par la Compagnie des Agents de
Change. Partie intégrante de la Bourse de Paris, cet indice est calculé en
77 Hautcoeur (P-C), Gallais-Hamonno (G), « Le marché financier français au XIXe siècle: Récit »,
Publication de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, p. 11.
78 Hautcoeur (P-C) et Gallais-Hamonno (G), « Le marché financier français au XIXe siècle: Volume
2. Aspects quantitatifs des acteurs et des instruments à la Bourse de Paris », Publication de la
Sorbonne 2007, p. 365
79 Antoine J, Capiau-Huart M-C, « Titres et Bourse: Valeurs mobilières, Volume 1 », Op.cit. p.24.
80 Chiffres cités par Moreau-Néret (O), « Valeurs mobilières », Sirey, Paris 1939, p.36.
81 Hautcoeur (P-C) et Gallais-Hamonno (G), Op.cit. , p. 366.
82Ibid.
83 La CAC 40 est l’indice « phare » de la bourse de Paris, CAC signifie « cotation assistée en
continu ». Le chiffre 40 s’explique par le fait que l’indice est composé des 40 actions les plus actives
du marché. La bonne santé de la place de Paris se mesure à la progression du CAC 40 ;Antoine (J) e t
Capiau-Huart (M-C)
, « dictionnaire des marchés financiers », Ed. de Boeck Bruxelles 2006, p. 99.
24



Page 33
fonction de 40 valeurs continuellement cotées avec pour objectif de
représenter le plus fidèlement possible l’évolution du marché français.
En 2000, les Bourses d’Amsterdam, de Bruxelles et de Paris fusionnent pour
former l’Euronext. Deux ans plus tard, cette nouvelle bourse européenne
rachètera
le marché de produits dérivés britannique LIFFE
(London
International Financial Futures and options Exchange) et accueillera la Bourse
de Lisbonne. L’entreprise Euronext Paris sera par la suite mise en place et
chargée de la gestion des marchés de la Bourse parisienne84.
33. Aujourd’hui, Euronext est le premier groupe mondial de places boursières
après sa fusion en 2007 avec le New York Stock Exchange. Et la place de
Paris compte plus de 707 sociétés cotées sur Euronext Paris dont 628 sont
françaises et 79 étrangères. Pour démontrer l’importance de la bourse et des
marchés financiers dans l’économie moderne, il suffit de citer le chiffre
inimaginable de la capitalisation boursière de la bourse de Paris qui est de
1874 milliards d’Euros85avec une moyenne quotidienne des échanges
d’environ 7 Milliards d’Euros par jour. Il s’agit d’une bourse résolument tournée
vers le monde puisque 46% de cette capitalisation est détenue par des fonds
étrangers ou des non-résidents.86
34. Le marché boursier
tunisien, quant à lui, n’a connu une esquisse
d’organisation qu’en 1969. Ainsi, la loi n°69-13 du 28 février 1969 porta
création de la Bourse des valeurs mobilières de Tunis. La Tunisie marque,
dans ce domaine, un retard conséquent sur d’autres Etats arabes. En effet, les
racines de la bourse égyptienne remontent au 19ème siècle avec la création de
la bourse d’Alexandrie en 1883 suivie par la bourse du Caire en 190387. Le
marché marocain a été créé, pour sa part, le 30 juin 195988.
84 http://www.linternaute.com/histoire/motcle/4156/a/1/1/bourse_de_paris.shtml
85 Au 31/12/2007
86 Chiffres 2007, source Euronext cités par http://www.bourse-investir.com
87 V. la présentation de l’histoire de la bourse égyptienne sur le site internet de la bourse d’Egypte :
http://www.egx.com.eg/arabic/history.aspx
88 Zouari (E), « Intégration financière internationale : la stratégie régionale », In « Les économies
émergentes : trajectoires asiatiques, latino-américaines, est-européennes et perspectives maghrébines :
25



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Profondément dirigiste,
la
loi portant création de la Bourse des valeurs
mobilières de Tunis, considère la Bourse comme « un établissement public à
caractère commercial doté de
la personnalité civile et de
l’autonomie
financière ». L’article premier de cette loi place la Bourse sous la tutelle
du « secrétaire d’Etat au plan et à l’économie nationale »89.
35. Néanmoins, la Bourse de Tunis devait rester moribonde pendant fort
longtemps. Le
faible rendement de
l’économie
tunisienne à
l’époque,
la
maigreur de l’épargne nationale à long terme et les faibles capacités des
investisseurs privés
tunisiens combinés au caractère
fermé du marché
tunisien ont fait que la Bourse de Tunis est restée inactive pendant une
vingtaine d’années90.
Cette période a donc connu une bourse à l’implication quasi nulle dans le
financement de l'économie nationale laissant le beau rôle à l 'Etat et aux
banques.
La bourse était ainsi considérée plus comme « un bureau d’enregistrement
des
transactions qu'un miroir de
l'économie ayant sa place dans
le
financement des entreprises »91. La capitalisation boursière qui ne représentait
à fin 1986 qu’à peine 1% du PIB, illustre parfaitement la faible importance de
la Bourse en cette époque, pas si lointaine92.
36. Par la suite, le marché financier tunisien a fait l’objet de deux réformes en
un laps de temps relativement court.
Etudes : pratiques et représentations sociales au Maghreb » , Maghreb et sciences sociales 2008,
Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain, Ed. l’Harmattan 2008 p. 144.
89 De plus, l’article 14 de cette loi faisait qu’était placé auprès de la Bourse des valeurs un commissaire
du gouvernement désigné par le secrétaire d’Etat au Plan et à l’Economie nationale qui se charge du
contrôle de la régularité des transactions et qui assiste à toutes les séances.
90 Kossentini (M), « Le droit du marché financier à l’heure de l’intégration de la Tunisie dans l’espace
euro-méditerranéen », Actes du colloque international « Les implications fiscales et financières de
l’association euro-méditerranéenne », Faculté de droit de Sfax, Revue Tunisienne de Fiscalité n°11
2009 p. 178.
91 Ben Sassi (M), « Marchés financiers », cours 4ème année sciences comptables, polycopie, Institut
supérieur de gestion Tunis, p 9.
92 Ibid.
26



Page 35
Dans un premier temps, fût promulguée la loi n°89-49 du 9 mars 1989 relative
au marché financier. Cette loi a créé un Conseil supérieur du marché financier,
un organisme consultatif chargé de conseiller
le gouvernement sur
les
questions en rapport avec le marché financier.
Néanmoins, cette loi a maintenu le statut d’établissement public de la Bourse
des valeurs mobilières de Tunis tout en la soumettant à la tutelle du ministre
des finances.
37. La Bourse de Tunis, ne devait cependant connaitre son véritable envol
qu’à la suite de sa réorganisation par la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
Cette loi a assis les fondations du marché boursier tunisien en séparant pour
la première fois les fonctions de contrôle et de gestion du marché boursier.
Ainsi, la gestion est assurée par la Bourse des valeurs mobilières de Tunis qui
n’est plus un établissement public mais une société anonyme constituée par
les intermédiaires en Bourse. Le capital de cette société dont le minimum est
fixé par arrêté du Ministre des Finances, est exclusivement souscrit par les
intermédiaires en bourse, intégralement libéré en numéraire et détenu en
permanence à égalité par eux sauf dérogation spéciale accordée par le
ministre des Finances, aux intermédiaires en bourse personnes physiques93.
L’Etat garde néanmoins un pied dans cet organisme : un commissaire du
gouvernement nommé par le Ministre des Finances est placé auprès de la
Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis avec pour mission de veiller au
respect des dispositions légales, réglementaires ainsi que celles prévues par
les statuts de la Bourse.
Il est convoqué à toutes les réunions des organes de délibération et de gestion
de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis. Il reçoit communication de
toutes les décisions prises avant leur mise en application94.
38. Le contrôle du marché boursier est, quant à lui, assuré par le Conseil du
marché financier. Doté de la personnalité civile et de l'autonomie financière, le
CMF est chargé de veiller à la protection de l'épargne investie en valeurs
93 Article 63 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
94 Article 66 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
27



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mobilières, produits financiers négociables en bourse et tout autre placement
donnant lieu à appel public à l'épargne. Il est également chargé d'organiser et
de veiller au bon fonctionnement des marchés de valeurs mobilières et de
produits financiers négociables en bourse.
Le Conseil du Marché Financier assure
la
tutelle des organismes de
placement collectif en valeurs mobilières.
La Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis, les intermédiaires en bourse et la
société de dépôt, de compensation et de règlement de titres, sont soumis au
contrôle permanent du Conseil du Marché Financier 95.
39. La BVMT comptait en juillet 2012 cinquante-huit sociétés cotées. Pour une
capitalisation boursière estimée au terme de l’année 2010, à un montant de 15
282 millions de dinars contre 12 227 millions de dinars à la fin de l’année
2009, enregistrant un accroissement de 25%96 pour une part dans le PIB
atteignant 24,1%97.
Néanmoins, le développement du marché boursier tunisien, à l’instar de ses
équivalents maghrébins est resté
limité. Elles ne sont au total que 135
sociétés cotées sur les marchés maghrébins sur 1500 au niveau arabe. Plus,
paradoxalement, les plus grands pays du Maghreb (Algérie et Libye) sont ceux
qui ont les plus petits marchés boursiers.
40. Et même si les marchés marocain et tunisien partagent de nombreuses
caractéristiques, la bourse de Casablanca demeure sept fois plus impor tante
que celle de Tunis.98 (La capitalisation boursière de la Bourse de Casablanca
est de 62,1 milliards $99). Pour l’année 2005 par exemple, la capitalisation
boursière de la France100 était près de dix fois plus importante que celle
réalisée par
la Tunisie et
le double de celle réalisée au Maroc. La
95Article 23 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
96 Bourse de Tunis, Rapport annuel 2010, p. 17.
97 Bourse de Tunis, Rapport annuel 2010, p. 4.
98 Abdelkefi (F), « Marchés boursiers au Maghreb : comment les mettre en synergie ? »,
http://www.leaders.com.tn/article/marches-boursiers-au-maghreb-comment-les-mettre-en-
synergie?id=2435)
99 AfricanManager, « Tunisie : La valeur de la bourse de Tunis augmente de 100 millions $ », 5-09-
2011, http://www.africanmanager.com/detArticleP.php?art_id=135306
100 Chiffres en % du PIB.
28



Page 37
capitalisation boursière des Etats-Unis était quinze fois supérieure à celle de la
Tunisie et le triple de celle du Maroc 101.
Surtout, la part des étrangers dans la capitalisation boursière est restée faible.
Cette part a même régressé à 20,15% en 2010 et un montant de 3 079
millions de dinars contre une part de 21,92 % et un montant de 2 681 millions
de dinars à la fin de 2009102. Illustrant ainsi, l’incapacité de la Bourse de Tunis
à attirer les investisseurs étrangers.
Les marchés boursiers mondiaux ont donc connu un développement
stupéfiant depuis leur invention, il y’a de cela quelques siècles. Mais ce
développement ne se fît néanmoins pas de manière continue. Très tôt, des
atteintes à la crédibilité de ces marchés furent constatées. Et les premiers
scandales ont éclaté.
C- Histoire des scandales boursiers
41. L’histoire des marchés financiers est étroitement liée à l’histoire des
scandales et Crashs boursiers. Déjà à l’époque romaine la bourse n’avait pas
bonne réputation. Déjà en cette époque si lointaine, la valeur des actions
fluctuait et les résultats étaient incertains. Cicero103faisait d’ailleurs remarquer
qu’acheter des actions dans des entreprises publiques était perçu comme un
jeu de hasard que les hommes conservateur s évitaient104.
42. Le premier scandale répertorié remonte aux années 1636 et 1637 : il s’agit
du scandale du bulbe de tulipe. Le récit de ce scandale ancien mais tellement
actuel est plein d’enseignements :
la
tulipe,
importée depuis
l’Asie, est
devenue rapidement la fleur à la mode en Hollande, grâce à la multitude de
ses couleurs et variétés. La forte demande et la rareté de l’offre sur les
premiers bulbes ont fait grimper les prix stimulant l’instinct de jeu de toutes
101 Zouari (E), Op. cit. p. 146.
102 Bourse de Tunis, Rapport annuel 2010, p. 26.
103 Marcus Tullius Cicero, Philosophe, homme d’Etat, juriste, orateur, théoricien politique, consul et
constitutionnaliste romain (103-43 AV JC), V.
Everitt (A), « Cicero : The life and times of Rome’s
Greatest Politician », Random House Publishing Group 2011.
104 Mark Smith (B), “A history of the global stock market : from ancient Rome to Silicon Valley”,
The University of Chicago Press, 2003 p. 11.

29





Page 38
sortes de personnes. Les bulbes étaient achetés et revendus des dizaines de
fois virtuellement sans même être vues.
Début 1637, après que les prix aient atteints des sommets pharaoniques, la
bulle spéculative a éclaté soudainement causant des tragédies pour des
centaines de personnes qui y avaient perdu des fortunes. Les pertes étaient
telles que tout le système de crédit a été mis en danger 105.
Il s’agissait
là de
la première manipulation de valeurs mobilières bien
documentée mais bien sur elle était loin d’être la dernière.
43. Plus récemment, en France, l’affaire Pechiney-Triangle entama en 1988
une série de scandales. La société Pechiney, leader français de l'aluminium, a
lancé en novembre 1988 une Offre publique d’achat sur les titres de la société
holding américaine Triangle Industries.
Grâce à des informations privilégiées concernant le projet d'offre publique à
lancer par la société Péchiney sur les titres de la société holding américaine
Triangle Industries, Roger-Patrice Pelat et MM. Ghanem, Reiplinger, Théret et
d'autres personnes réalisèrent des plus-values considérables en achetant puis
en revendant sur le marché hors cote de la bourse de New-York des titres de
la société Triangle industries. Le cours du titre de cette société était passé de
10 dollars à 56 dollars après l'annonce de l'offre publique de Péchiney le 21
novembre 1988.106Cette affaire a pris une tournure d’affaire d’Etat du fait de la
participation de personnalités proches du pouvoir et de hauts fonctionnaires à
la commission du délit d’initié.
44. D’autres scandales sont venus par la suite émailler la vie des marchés
boursiers français. Le plus célèbre d’entre ces scandales étant l’affaire Vivendi
Universal qui a éclaté en 2002 : En marge du grossissement de la bulle
Internet, Vivendi a multiplié à partir de 1999 des investissements hasardeux
dans le secteur de la « nouvelle économie ».
105Sarna(D-E-Y), Malik (A), “History of Greed: Financial Fraud from Tulip Mania to Bernie
Madoff”, John Wiley and Sons, 2010 p. 16.

106Rontchevsky (N), note sous Cass. Crim., 26 octobre 1995, no 5097, Boublil et autres, Bull. Joly
Bourse, 01 mars 1996 n° 2, p. 120.
30



Page 39
Pour cacher sa mauvaise santé financière, Vivendi et son président Jean-
Marie Messier vont diffuser des informations fausses ou trompeuses sur les
perspectives 2001 et 2002 ainsi que publier de faux bilans pour les exercices
2000 et 2001107.
45. En Tunisie, le premier scandale retentissant fût celui de BATAM, le fleuron
de l’économie nationale à la fin des années 1990.
Le groupe Batam qui était devenu leader national de la grande distribution, à
partir de presque rien, avait fini à cause d’une gestion hasardeuse par être
placé en redressement judiciaire pour avoir frôlé la cessation de paiements,
avec des engagements financiers estimés à environ 300 millions de dinars,
mettant à mal au passage
la
trésorerie de plusieurs banques et d'une
multitude de fournisseurs.
Cette affaire fût aussi une catastrophe pour les petits porteurs qui détenaient
37 % du capital de Hela Batam, dont l'action, lancée au prix de 23 dinars lors
de son introduction en Bourse, ne valait plus que 2,2 dinars trois ans après,
lorsque sa cotation a été suspendue.
Après que l’assemblée générale ait décidé d’un coup d'accordéon108, ces
actions ne valaient plus rien.109
Inexplicablement, les suites judiciaires de cette affaire ne devaient toucher que
le commissaire aux comptes poursuivi et condamné pour certification de faux
107Turba (V), « Comment échapper aux scandales financiers : Histoire récente des fraudes et faillites
dans les entreprises multinationales », L’harmattan 2007 p. 59.

108 Il s’agit d’une opération par laquelle l’assemblée générale décide de réduire le capital, le plus
souvent à zéro, avant de procéder à une augmentation de capital. Elle a pour objectif d’apurer une
partie du passif social mais présente de grands risques de dilution, voire d’éviction, des associés
minoritaires. Et pose le problème de la protection du droit des actionnaires minoritaires face à un coup
d’accordéon décidé par les majoritaires. La validité de la technique dite du coup d’accordéon a été
affirmée à de nombreuses reprises par la jurisprudence. V. à ce sujet, notamment,
Touvin (S), Le coup
d’accordéon ou les vicissitudes de capital, PUAM, 2003. ;
Martron (H), note sous Cass. Com., 15
juin 2010, n° 09-10961 Sté Maaldrift BV c/ M. X, L.P.A 2011, n°21, p.6 ;
Garçon (J-P), note sous
Cass. Com., 3 mars 2009, n° 07-20871 (n° 179 FD), X. c/ DG fin. Publiques, Bull. Joly Sociétés,
01 juin 2009 n° 6, p. 552.
109Barrouhi (A), « Batam, suite et fin » 04/02/2003,
Jeuneafrique.com http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN02023batamniftee0/
31



Page 40
bilans110. Les dirigeants de BATAM n’ont quant à eux pas été inquiétés ni par
le CMF ni par les autorités judiciaires.
46. Tous ces scandales n’ont rien d’étonnant car les marchés financiers sont
un endroit où circule beaucoup d’argent : argent facile diraient certains, argent
fou, blanchi, mensonger diraient d’autres, argent roi dans tous les cas. Tout
cet argent ne peut qu’attiser la convoitise, ainsi comme le dit si bien Pierre
Bézard, président de la chambre commerciale et financière de la Cour de
cassation française : « La bourse est au cœur de toute démocratie libérale,
elle est un des éléments essentiels de son
fonctionnement et de son
développement. C’est le lieu où les entreprises recueillent l’argent nécessaire
à
leur développement et
les épargnants
la
juste
rentabilité de
leurs
investissements. Mais la bourse est un lieu où circule beaucoup d’argent, où
des abus peuvent se produire, où des conflits peuvent naître entre entreprises
pour la conquête du pouvoir ».111
Face à l’émoi suscité dans les opinions publiques par tous ces scandales et à
leurs
conséquences
désastreuses,
il
y’avait
un
réel
besoin
de
responsabilisation des sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants.
Les autorités publiques ne pouvaient que réagir et un durcissement croissant
de la législation allait accompagner la multiplication des scandales.
47. Il existe d’ailleurs, historiquement, une forte corrélation entre les scandales
boursiers et le renforcement du contrôle des marchés par la promulgation de
lois de plus en plus répressives.
En effet, la législation sur la bourse qui date des années 30 aux Etats-Unis
était la résultante du Crash boursier de Wall Street de 1929.112
Toujours aux Etats-Unis, la faillite retentissante d’Enron a entrainé l’adoption
du Sarbanes-Oxley Act113 par le congrès des Etats-Unis dès le 30 juillet 2002.
Batam
(A),« Affaire
110Barrouhi
http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN18014affaiseriai0/actualite-afriqueaffaire-batam-
prolongements-judiciaires.html

111Coscas (G) et Forschbach (Th), « Code de la bourse et des sociétés cotées », 1ère Ed., Litec 1996 ;
préface.
112Vervaele (J), « Le contrôle de la bourse et l'incrimination du délit d'initié aux Pays-Bas », Rev. de
science criminelle 1993 p. 1.
judiciaires »,19/01/2004,
prolongements
:
32



Page 41
Une loi qui prévoit des sanctions à la rigueur exceptionnelle. Par exemple, la
certification de documents non conformes aux exigences de la loi fait encourir
une amende de 5 millions de dollars et/ou un emprisonnement de vingt ans ;
la sentence maximale pour une fraude est passée à vingt-cinq ans de
prison.114
48. En France, l'affaire Péchiney a été à l'origine de la loi no 89-531 du 2 août
1989 relative à la sécurité et la transparence du marché financier. Cette loi
avait considérablement enrichi le droit boursier français en comblant certaines
carences de la législation et conduit à l'aggravation de la répression du délit
d'initié ainsi qu’au renforcement des pouvoirs de la COB115.
Néanmoins, il faut croire que l’adoption de cette loi n’avait pas suffi à arrêter
les dérives. Car quatorze ans plus tard, le législateur français a adopté une
nouvelle loi à l’intitulé et à l’objet bien proche. Il s’agit de la loi n° 2003-706 de
sécurité financière du 1er août 2003 qui tend une nouvelle fois à restaurer la
confiance
indispensable au bon
fonctionnement des marchés
financiers.
Cristallisant ainsi, la réponse française aux scandales financiers et comptables
et autres extravagances de grandes sociétés cotées qui ont entaché les
années 2001 et 2002, suivant en ce les Etats-Unis qui avaient précédemment
adopté la loi Sarbanes-Oxley de 2002.116
49. En Tunisie, et à la suite de l’affaire Batam, les voix se sont élevées,
demandant plus de transparence et une meilleure gouvernance des sociétés
cotées en bourse. Le législateur a fini par suivre le pas de ces homologues
français et américain et adopta la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005 relative
au renforcement de la sécurité des relations financières.
113Descheemaeker (P), « Nouvelle régulation internationale des sociétés cotées : les principales
dispositions du Sarbanes-Oxley Act of 2002 », Bull. Joly 2003.5 ;
Hurstel (D) et Mougel (J), « La loi
Sarbanes-Oxley doit-elle inspirer une réforme du gouvernement d'entreprise en France ? », Rev.
sociétés 2003.13
114Haschke-Dournaux (M), « Les voies de la réforme du droit pénal des sociétés», Bull. Joly
Sociétés, 1 avril 2003 n° 4, p. 377.

115Rontchevsky (N), note sous Cass. Crim., 26 octobre 1995, no 5097, Boublil et autres, Bull. Joly
Bourse, 01 mars 1996 n° 2, p. 120.
116Rontchevsky (N), Storck (M), « Une tentative française de restaurer la confiance en matière
financière : le volet financier de la loi n° 2003-706 de sécurité financière », R.T.D. Com. 2003 p. 758.
33



Page 42
50. Au final, l’étude de l’histoire des marchés boursiers démontre qu’en
parallèle de leur développement fantastique et de leur importance croissante
dans les économies mondiales, des scandales éclatants n’ont cessé de les
émailler.
Des scandales à
l’impact
impressionnant sur
le marché. En effet, ces
scandales ont causé des chutes boursières qui dépassent l’ampleur de la
chute boursière survenue après les attentats du 11 septembre 2001117. Ces
fraudes menacent, ainsi, l’existence même de ces marchés. De la lutte contre
ces fraudes dépend, donc, la survie de ces marchés.
51. Cette lutte passe certainement par une responsabilisation des principaux
acteurs de ces marchés : les sociétés cotées en bourse et leurs dirigeants.
Mais aussi, cette étude historique démontre aussi que sanction à elle seule,
qu’elle soit pénale, administrative ou civile ne peut à elle seule garantir la
transparence, l’intégrité et la sécurité du marché boursier. Le combat se doit
aussi d’être engagé sur d’autres
terrains : ceux de
l’amélioration de
la
gouvernance et du contrôle interne de ces sociétés.
III-
Intérêts de la recherche
52. Aujourd’hui, que de par le monde, une prise de conscience s’opère de la
nécessité d’une responsabilisation accrue des sociétés cotées et de leurs
dirigeants afin de restaurer la confiance du public dans les marchés boursiers.
A présent, qu’en Tunisie, une volonté claire d’en finir avec une ère d’impunité,
se dessine. L’étude de ce sujet démontre tout son intérêt. En effet, une
analyse de la législation et de la jurisprudence françaises dans ce domaine, de
leurs
imperfections et de
leurs évolutions est de nature à inspirer une
expérience tunisienne qui en est encore à ses premiers balbutiements.
53. L’intérêt du sujet réside surtout, dans sa virginité. Du moins en Tunisie, où
peu ou pas d’ouvrages sont consacrés au droit boursier. Aucun, ne s’est
117Turba (V), Op.cit. p 45.
34





Page 43
intéressé à la responsabilité spécifique des sociétés cotées en bourse et de
leurs dirigeants.
54. Notre sujet a, en outre, un double intérêt théorique et pratique. Pratique,
tout d’abord, car avec l’ouverture des marchés sur le monde, la multiplication
des lois et des règlementations boursières, on s’attend à un accroissement du
contentieux boursier. Cette étude espère éclairer sur les conditions de la mise
en œuvre de la responsabilité des sociétés cotées et de leurs dirigeants et sur
les fonctions que peut remplir cette responsabilité.
Théorique, ensuite. Car le droit boursier est un droit qui évolue de jour en jour
en intégrant jurisprudence et pratique118. Mais en Tunisie ce droit semble figé.
En tous cas, il n’évolue pas assez rapidement pour pouvoir appréhender les
changements profonds, présents et futurs, que subissent et que continueront à
subir ces marchés.
55. En présence de textes législatifs techniques, à la rédaction souvent
maladroite. En l’absence de toute jurisprudence, qu’elle soit judiciaire ou
administrative. En la rareté des contributions doctrinales : cette impression de
vide dont souffre ce droit en Tunisie ne peut qu’être renforcée.
Cette étude se veut donc comme une modeste contribution ayant pour
vocation de proposer certaines réformes qui semblent nécessaires pour
préserver la sécurité, l’intégrité et la transparence des marchés boursiers,
tunisiens et français.
56. Aussi, la comparaison entre droits tunisien et français revêt un intérêt
particulier dans le domaine boursier.
En premier lieu, une société tunisienne peut très bien prétendre à une double
cotation à la bourse de Tunis et à la Bourse de Paris. Il importe donc de
connaitre les spécificités et les différences entre les législations des deux
118Simon (F-L), « Le juge et les autorités du marché boursier », Bibliothèque de droit privé Tome 427,
LGDJ 2004, p. 7.
35



Page 44
places boursières car les entreprises tunisiennes devraient en prendre compte
au moment de leur prise de décision
119.
Ensuite, le recours au droit français est de nature à éclairer l’interprétation des
règlements boursiers
tunisiens. En effet, ces
textes qui s’inspirent
très
largement des textes français, partagent avec eux certaines insuffisances et
ambiguïtés qui ont été surmontées par
la
jurisprudence
française. En
l’absence de
toute
jurisprudence
tunisienne en
la matière,
le chercheur
désireux d’interpréter les lois régissant la législation boursière trouvera dans le
droit français, un secours certain.
Enfin, cette comparaison s’avère d’autant plus
intéressante, qu’il s’agit
d’analyser les résultats que donne l’application de textes législatifs, somme
toute similaires120, à des contextes différents. En effet, d’un côté, notre étude
porte sur un marché émergent et sur un monde des affaires à tendance
familiale, habitué à l’opacité121. Et un contrôle exercé par un Etat autoritaire à
la justice et à l’administration peu indépendante, dans lesquels les relations
entre les hommes d’affaires et les politiques sont d’ordre intime.
De l’autre côté, notre analyse porte sur un marché développé, rôdé aux
différents scandales boursiers. Un marché aux solides
traditions et aux
rouages bien huilés. Et un contrôle exercé par un Etat de droit, certes pas
parfait, mais à la justice indépendante et à l’administration plus ou moins
indépendante qui peuvent résister aux connivences entre milieux des affaires
et politiques.
Les disparités on le verra, ne manquent pas.
119Par exemple, l’introduction de Tunisie Telecom aux bourses de Tunis et de Paris était programmée
mais a été annulée suite aux évènements survenus en Tunisie, le 14 janvier 2011. D’autres doubles
cotations peuvent se produire à l’avenir.
120 Des différences entre les deux droits sont à retenir toutefois, elles seront explicitées au fur et à
mesure que nous avançons dans notre analyse.
121Les sociétés tunisiennes qui sont longtemps restées réticentes à l’introduction en bourse à cause de
toutes les obligations de transparence, se retrouvent aujourd’hui obligées d’y avoir recours à cause des
difficultés d’accès au financement bancaire.
36






Page 45
IV-
Délimitation du sujet
57. Une précision méthodologique préalable est nécessaire. Notre étude se
concentrera sur les principaux types de responsabilité que sont susceptibles
d’encourir les sociétés cotées en bourse et leurs dirigeants.
Elle ne consiste pas en un travail qui a pour objet de dresser une liste
exhaustive des différents délits et manquements. Il sera uniquement question
d’analyser
les principaux délits et manquements boursiers. Ainsi que les
mécanismes permettant d’engager la responsabilité civile des sociétés cotées
en bourse et de leurs dirigeants. Il sera aussi question des fonctions de cette
responsabilité et de son impact sur la transparence et l’intégrité des marchés
boursiers.
V-
Pourquoi du droit comparé ?
58. C’est à une époque caractérisée par une inébranlable foi envers le progrès
que
l’expression droit comparé
fît son apparition en 1900, année de
l’exposition universelle à Paris. Edouard Lambert et Raymond Saleilles
créèrent alors le « Congrès International de Droit Comparé ». L’objet premier
de ce droit consistait selon Lambert en
la « réduction du nombre des
divergences juridiques consécutives à des incidents historiques ou à des
circonstances temporaires ou contingentes »122. Par la suite, les deux guerres
mondiales ont pris soin de détruire cette croyance en un droit universel. Mais
le développement du droit comparé ne s’est pas arrêté ; ce droit s’est au
contraire développé de manière constante.
59.
Il n’empêche,
l’expression « droit comparé » n’a, en soi, aucune
signification car il n’existe pas un droit qui serait comparé. René David
n’écrivait-il pas que « l’expression droit comparé est une expression
malheureuse,
qu’il
aurait mieux
valu
et
qu’il
vaudrait mieux
122Lambert (E), « Conception générale et définition de la science du Droit comparé », Congrès
international de droit comparé, tenu à Paris du 31 juillet au 4 aout 1900 ; Procès verbaux des séances
et documents, Vol. I, Paris 1905 p. 47.
37






Page 46
éviter »123 ? Toujours selon René David, l’expression droit comparé « invoque
l’idée d’une discipline autonome, et dissimule sa dépendance des études de
droits étrangers »124.
60. Au-delà de cette discussion sans grand intérêt, les bonnes raisons
amenant à pratiquer du droit comparé sont multiples. La première et la plus
simple d’entre elles découle d’un raisonnement par
l’absurde : ne pas
pratiquer le droit comparé ne supposerait-il que l’on se cantonne, qu’on se
limite chacun à notre propre droit national ? Or tout droit national ne peut se
développer, s’enrichir dans un milieu clos, autosuffisant et
immuable125.
D’ailleurs, le processus de mondialisation oblige tout juriste à quitter son
cocon national : les frontières sont de plus poreuses à plusieurs niveaux. Il
n’est d’ailleurs pas nécessaire de franchir physiquement les frontières pour
tomber sous le coup d’une législation étrangère. Pratiquer le droit comparé
appert alors comme indispensable à l’enrichissement de toute étude en droit.
61. D’ailleurs, le recours au droit comparé, semble encore plus indispensable
lorsqu’il s’agit de mener une étude ayant pour cadre le droit boursier. Ce cadre
nécessite plus que d’autres droits, plus que le droit des sociétés par exemple,
une ouverture aux législations boursières de divers pays.
L’expérience montre, en effet, que
les multinationales se satisfont, voire
profitent du jeu de la territorialité des droits. Le droit boursier du fait de
l’utilisation des nouvelles technologies informatiques permettant le traitement
des opérations de marché en temps réel et à partir de n'importe quelle place,
est en marche vers
la mondialisation. L’ouverture des marchés doit
s’accompagner d’une ouverture du droit vers les autres. Mais si l'ouverture
vers les autres est devenue un impératif, elle ne peut se contenter de
coopération des autorités de marché. Aller plus loin est indispensable, « il faut
œuvrer à plus long terme par la science comparative. Seule celle-ci permet
d'avoir un regard riche et constructivement critique sur notre propre droit et
123David (R), « Traité élémentaire de droit civil comparé », Paris L.G.D.J 1950 p. 3.
124David (R), « Traité élémentaire de droit civil comparé », Paris Op. cit. p. 8.
125Gerkens ( J-F), « Droit privé comparé », Ed. Larcier, Bruxelles 2007 p. 14.
38



Page 47
nos pratiques »126. Cette ouverture est d’autant plus nécessaire, que le droit
boursier est une construction nouvelle, qui évolue jour après jour au fil des
affaires, et que cette construction « ne peut plus guère se faire sur les
soubassements du passé mais par
le passage obligé,
instantané, quasi
immatériel des frontières. Dès lors, l'histoire du droit a perdu sa fonction
inspiratrice du législateur œuvrant pour l'avenir ; c'est la géographie du droit
comparé qui peut l'aider à construire les normes du futur»127.
62. Mais pourquoi alors choisir le droit français ?
La première raison est certes d’ordre historique : il est vrai que les juristes
tunisiens ont depuis
longtemps cette habitude d’aller s’inspirer du droit
français. Ils ne sont d’ailleurs pas les seuls à le faire car la France, « pays de
la grande et belle codification napoléonienne »128, attire depuis fort longtemps
des juristes de tous bords, qui viennent s'inspirer du système juridique
français129. Mais les raisons du choix du droit français vont au-delà de cette
raison historique :la nécessité pour
la Tunisie de s’intégrer dans son
environnement méditerranéen et l’obligation d’harmoniser son droit avec les
droits européens, du moins en matière de droit des affaires, donne tout son
sens au choix du droit français. Un droit qui en matière boursière s’avère
conforme au droit européen. Et plus le processus d’intégration de la Tunisie
dans son environnement avancera plus l’harmonisation de son droit devra être
profonde.
Cette comparaison est de nature à nous éclairer sur les particularités et sur les
failles de notre droit. Dans un environnement international ultra concurrentiel, il
est nécessaire pour chaque pays qui entend attirer des
investisseurs
étrangers de concevoir un système juridique capable de les protéger tout en
préservant un équilibre délicat.
126Ducouloux-Favard (C), « Pourquoi du droit comparé boursier ? », L.P.A, 15 juin 1994 n° 71.
127 Ibid.
128 Ibid.
129 Ibid.
39





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VI- Problématique et plan : Un équilibre à préserver
63. L’introduction en bourse, est avantageuse pour une société, on l’a dit. Des
gains stratégiques, financiers, de notoriété… découlent d’une telle opération. Il
reste que
l’introduction d’une société en bourse a des effets juridiques
considérables sur la vie de la société et fait peser sur les dirigeants bon
nombre d’obligations, notamment en matière d’information financière, dont le
respect implique une attention accrue de leur part. Des arbitrages délicats
s’imposent, nécessitant beaucoup de temps et de concentration130.
Aussi, l’introduction d’une société en bourse implique pour elle la nécessité de
mettre en place une organisation
interne susceptible de répondre aux
obligations légales et réglementaires.
De surcroit,
les crises financières et les scandales boursiers successifs
n’arrangent en rien les choses. Car ils entrainent une rigueur croissante de la
législation régissant la matière. Ainsi, une tendance semble se dessiner dans
les marchés financiers internationaux vers une mise en cause plus fréquente
de la responsabilité des sociétés cotées et de leurs dirigeants131.
64. Les autorités boursières semblent faire preuve d’une sévérité accrue et la
menace pénale semble omniprésente. Alors que
la responsabilité civile
demeure d’actualité.
Encadrer les marchés est vital, on l’a dit. Et la place de la sanction est
primordiale dans cet encadrement. Car « sans sanction, il n’y a pas de
régulation crédible, sans
régulation crédible, pas de confiance, sans
confiance, pas de marché»132.
Il n’en reste pas moins qu’un équilibre est à trouver. Surtout, en Tunisie, où les
entreprises hésitent souvent à franchir le pas et à s’introduire en bourse à
cause des multiples obligations qui en découlent. Il ne faut pas, que les
sanctions potentielles puissent dissuader du recours à ces marchés boursiers.
130 Maréchal (A), « La responsabilité des dirigeants des sociétés cotées en matière d’information
financière », Droit des sociétés, Ed. du Juris-Classeur, Août-septembre 2001 p. 11.
131 Ibid.
132 Jouyet (J-P), « La place de la sanction dans la régulation des marchés financiers », Bull. Joly
Bourse, 01 décembre 2009 n° Spécial, p. 419.

40




Page 49
65. Légiférer dans ce domaine, n’est donc pas chose aisée. Il ne faut pas, en
effet, oublier que les marchés financiers et le marché boursier en particulier,
ont désormais une
importance
capitale pour
l’économie des pays
industrialisés.
C’est pour cela qu’« Il n’en faut pas trop pour ne pas entraver sans raison
majeure la liberté d’initiative et de transaction133. Mais, il en faut suffisamment
pour assurer le respect du principe, de transparence et d’égalité de traitement
sans lequel le marché serait discrédité et déserté»134.
66. La problématique principale posée dans le cadre de la présente thèse
est donc celle de savoir quels mécanismes de la responsabilité des
sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants, mettre en place en vue
d’atteindre le difficile équilibre entre la recherche de transparence et de
légalité au sein des marchés boursiers et la préservation de la liberté
d’entreprendre ?
67. La théorie de la responsabilité est certainement nécessaire et utile
pour assurer
l’équilibre recherché. Son
intervention « à posteriori »
garantit une efficacité certaine.
Il n’en demeure pas moins qu’une
analyse du droit positif révèle qu’une telle technique sous toutes ses
applications :
pénale,
administrative
et
civile,
n’a
qu’une
efficience limitée. Léquilibre recherché tient aussi inévitablement à une
intervention « à priori », interne à la société cotée en bourse. Celle-ci
devra inévitablement être amenée à se doter d’une organisation interne
capable d’instaurer une bonne gouvernance en son sein. Ce n’est qu’à
travers
la conjugaison de ses deux techniques qu’il est possible
d’atteindre un réel équilibre.
68. Répondre à la problématique, et établir l’exactitude de cette hypothèse de
recherche nécessitera d’étudier les conditions d’imputation des responsabilités
133 Sur la relativité de la liberté du commerce et de l’industrie, V. Ben Mrad (H), « La liberté du
commerce et de l’industrie », Thèse pour le doctorat d’Etat en droit, Faculté de droit et de science
politique de Tunis 1998 pp. 12 et s., dactyl.
134 Coscas (G), Forschbach (Th), Code de la bourse et des sociétés cotées, 1ère Ed., Litec 1996,
préface.
41



Page 50
pénale, administrative et civile aux sociétés cotées et à leurs dirigeants. Et
d’analyser, l’efficacité de ces sanctions.
Ainsi, on essaiera de démontrer que du fait de la difficulté de sa mise en
œuvre, des différentes lacunes textuelles et de la lourdeur des juridictions
judiciaires, la sanction pénale apparait comme inadaptée au contexte des
marchés boursiers, qu’ils soient tunisien ou français. On plaidera, toutefois,
pour le maintien de ces sanctions à la faveur de leur fort effet dissuasif
(Première partie).
Il semble, par contre, que la responsabilité administrative est mieux adaptée
au marché boursier. Seules les autorités de régulation du marché disposent
des connaissances, compétences et moyens nécessaires à une bonne
compréhension du marché. Seules ces autorités peuvent de ce
fait
sanctionner rapidement et efficacement
les manquements à
la législation
boursière (Deuxième partie).
Toutefois, la sanction à caractère administratif ne peut à elle seule suffire.
Surtout, que les autorités de marchés tunisienne et française ne disposent pas
de la faculté d’indemniser les victimes des infractions boursières. Seule une
réactivation de la responsabilité civile des sociétés cotées en bourse et de
leurs dirigeants, peut permettre de réparer le préjudice subi par ces victimes
(Troisième partie).
42










Page 51
PREMIERE PARTIE
La répression pénale :
Inadaptée mais nécessaire
43




















Page 52
69. « Si vis pacem para bellum135 », cette maxime résume bien l’état d’esprit
qui prévalait déjà chez les romains des siècles avant notre ère. Ceux-ci
pensaient qu’on pouvait forcer la paix en rendant les conséquences de la
guerre trop coûteuses pour un attaquant. C’est sûrement aussi, l’état d’esprit
du législateur lorsqu’il édicte des sanctions pénales. Il pense en procédant
ainsi empêcher quelqu'un de commettre un crime par
la peur des
conséquences potentielles. Par la sanction édictée, il espère bien qu'un très
grand nombre d'individus, impressionnés par les sanctions, se soumettront à
la loi. L'effet d'intimidation dissuade du non-respect de la norme136.
Cette réflexion prend tout son sens lorsqu’il s’agit de réglementation des
marchés financiers. Car, en vue d'obtenir le respect de la réglementation
financière, le législateur contemporain a recours volontiers à la répression
pénale.
70. En effet, les marchés financiers sont un univers où le droit pénal est très
présent. Le panel d’infractions que sont susceptibles d’encourir les opérateurs
du marché financier est édifiant. Il y’a d’abord, les incriminations de droit
commun à l’image de l’escroquerie137, de l’abus de confiance138. A ces
incriminations générales, viennent s’ajouter une pléiade d’« incriminations
spécifiques aux activités boursières »139. Du délit d’atteinte au monopole en
matière financière au délit d’initié en passant par le délit de fausse information,
la liste des incriminations est conséquente.
Mais, cette pénalisation des marchés boursiers français et tunisiens est
relativement récente car ces marchés ont été pendant très longtemps à l’abri
de l’ingérence du droit pénal.
135 « Si tu veux la paix, prépares toi à la guerre ». Phrase extraite de Rei Militaris Instituta ou Epitoma
Rei Militaris (Abrégé des questions militaires), probablement rédigé au tout début du Ve siècle par
Végèce (Flavius Vegetius Renatus) qui est un écrivain militaire romain de la fin du IVe siècle et du
début du Ve.
136 Bouloc (B), « La dépénalisation dans le droit pénal des affaires », D. 2003 p. 2492.
137 Article 313-1 du nouveau code pénal français et article 291 du Code pénal tunisien
138 Article 314-1 du nouveau code pénal français et article 297 du code pénal tunisien
139 Ducouloux-Favard (C), Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Joly Ed. 1997 p. 1, en
Tunisie, certains de ces délits sont prévus par l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
44



Page 53
71. En France, l’intervention de la sanction pénale est restée, jusqu’à un
passé pas très lointain, limitée à la sanction de l’agiotage et des atteintes au
monopole en matière financière140. Les opérations boursières n'étaient ainsi
soumises à aucun contrôle propre et bénéficiaient d'une liberté pratiquement
absolue141.
Le droit français était alors très en retrait par rapport au droit des États-Unis
qui, dès 1933, avait investi la Securities and Exchange Commission du
pouvoir de sanctionner ou de déférer à l'autorité judiciaire les auteurs de
certaines opérations boursières frauduleuses142.
Cette lacune législative était exploitée par des spéculateurs pour réaliser des
profits parfois considérables ne résultant pas de leur intelligence et du jeu
normal du marché. A l’époque, « Les pouvoirs publics et l'opinion ne s'en
émouvaient guère car la bourse était un phénomène relativement marginal,
attirant peu de sociétés et d'épargnants »143.
72. Mais les différents scandales qui ont émaillé la vie financière des dernières
décennies ont forcé le législateur à réagir.
C'est ainsi que l'ordonnance n°67-833 du 28 septembre 1967 a créé la
Commission des opérations de bourse. Très rapidement, l'autorité boursière
ainsi créée, constata que les dispositions du Code pénal et de la loi du 24
juillet 1966 sur les sociétés commerciales étaient inadaptées à la sanction des
opérations
réalisées
frauduleusement sur
les marchés boursiers. Aussi
proposa-t-elle une refonte de l'ordonnance de 1967 qui fut réalisée par la loi
n°70-1203 du 23 décembre 1970144.
140 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 8.
141 Puech (M), « La Commission des opérations de bourse et la surveillance du marché boursier au
regard du droit pénal », Mélanges en l'honneur de Bastian D, T. 1, Litec, 1974, p. 212.
142 Rontchevsky (N), « Droit pénal boursier », G.P., 12 mars 2002 n° 71, p. 15.
143Ibid
144 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p.3.
45



Page 54
Cette loi sonna le glas de l’ère de l’impunité en créant deux délits : le délit
d'initié et le délit de fausse information. D’autres délits ont ensuite été institués,
la législation française comptant à ce jour six principaux délits boursiers.
73. Le législateur est même allé jusqu’à introduire ce qu’un auteur a qualifié de
«délit de dîner en ville»145, dans une représentation formidable du «rôle du fait
divers dans la création du droit»146.
Ainsi, à la suite du scandale Péchiney-Triangle147, la loi n°89-531 du 2 août
1989 sur la sécurité et la transparence du marché financier a créé le délit de
communication d'informations privilégiées148qui a instauré une forme de secret
professionnel en matière boursière. Le
législateur a en effet sanctionné
pénalement la seule révélation d'une information privilégiée par un initié149.
74. Cette même année 1989 a connu l’introduction des délits boursiers en
droit tunisien. La loi n°89-49 du 8 mars 1989 relative au marché financier a, en
effet, prévu un certain nombre d’infractions susceptibles d’engager
la
responsabilité pénale des contrevenants à la législation boursière. Ainsi, cette
loi prévoyait déjà au sein de son article 43 l’incrimination des délits de diffusion
d’une fausse information, de manipulation de cours et d’initié.
Ensuite,
l’adoption de
la
loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant
réorganisation du marché
financier
fût une occasion pour modifier et
reformuler les textes d’incrimination de ces différents délits et de prévoir une
nouvelle
incrimination boursière : celle du délit de communication d’une
information privilégiée.
Ainsi, la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché
financier, s’est efforcée de n’exclure aucun délit de la sphère de la répression.
145 Viandier (A), « O.P.A., O.P.E. et autres offres publiques », Francis Lefebvre, 1999, no 865.
146 Viandier (A), « Sécurité et transparence du marché financier », J.C.P. 1989. I. 3420, no 4.
147 V. supra p. 30.
148 Article 10-1, alinéa 2, ordonnance du 28 septembre 1967 devenu article L. 465-1, alinéa 2, du Code
monétaire et financier.
149 Rontchevsky (N), « Droit pénal boursier », Op.cit. p. 15.
46



Page 55
Le dispositif légal tunisien en matière financière n’est donc pas avare en
incriminations. L’arsenal de délits sanctionnables n’a pas grand-chose à envier
aux différentes autres législations étrangères.
75. Mais voilà, depuis et malgré les différents scandales qui ont émaillé la vie
des marchés boursiers tunisiens, la norme pénale en matière boursière n’a
pas vraiment évolué. Comme si le législateur ne pensait pas que c’était la voie
à suivre pour atteindre l’objectif de transparence et de sécurité des marchés
de capitaux.
Car, les différentes lacunes des textes portant répression des infractions
boursières à la transparence des marchés financiers, la légèreté des sanctions
édictées et la mise en œuvre laxiste de la responsabilité pénale en la matière
paraissent confirmer le peu d’entrain des marchés financiers tunisiens pour la
sanction pénale.
Veut-on une preuve supplémentaire de cette orientation législative ? Elle est
facile à apporter. En édictant la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005, une loi qui
vise au renforcement de la sécurité des relations financières, le législateur
n’élabore que peu de dispositions pénales.
Ainsi, quelques dispositions de cette loi touchent les dirigeants de sociétés
cotées150.
La première
incrimination concerne
le délit d’entrave aux
travaux du
commissaire aux comptes. L’article 11 de cette
loi punit d’une peine
d’emprisonnement de six mois et d’une amende de cinq mille dinars ou de
l’une des deux peines, tout dirigeant d’une société commerciale ou d’un GIE
qui entrave les travaux du ou des commissaires aux comptes ou qui refuse de
fournir, à leur demande, par tout moyen qui laisse une trace écrite, les
documents nécessaires à leurs missions.
150 V.à ce propos : تاقلاعلا ةملاس ميعدت ىقتلم ،"ةيلاملا تاقلاعلا ةملاس ميعدتب قلعتملا نوناقلل ةيئازجلا ماكحلأا"،يدمحلاا اللهدبع
ةيلاملا
ءاضقلل ىلعلأا دهعملا
ص،
70.
47




Page 56
Ensuite, l’article 25 prévoit une peine d’amende allant de 500 à 2.000 dinars
pour
les présidents directeurs généraux,
les directeurs généraux,
les
administrateurs ainsi que les intermédiaires en bourse qui auront sciemment
émis, proposé à la souscription ou mis en vente des valeurs mobilières ou
produits financiers de sociétés faisant appel public à l'épargne sans avoir
publié un prospectus destiné à l’information du public 151.
76. Législations tunisienne et française semblent alors avoir suivi deux voies
différentes.
Car la législation boursière française n’a cessé de se durcir suivant en cela
non seulement l’importance croissante des marchés financiers dans la vie
économique française mais aussi la cadence du tapage médiatique fait autour
des infractions boursières.
Depuis les premières incriminations introduites en droit français par la loi n°70-
1203 du 23 décembre 1970, on a assisté à une extension et une aggravation
constantes de la répression en matière d’infraction boursières, qui répondent
au développement considérable des
transactions réalisées sur le marché
financier et à une exigence des investisseurs. 152
Une tendance qui s’explique aisément. Afin d’encourager les épargnants à
investir dans des instruments financiers, au rôle de plus en plus important
dans le financement des entreprises, il fallait protéger l'épargne investie sur
151 D’autres sanctions pénales prévues par cette loi ne concernent pas directement les dirigeants de
sociétés cotées. Ainsi, l’article 25 de cette loi punit d’une peine d’emprisonnement allant de 16 jours à
un an et d’une amende de deux mille à vingt mille dinars ou l’une des deux peines, toute personne ou
tout dirigeant de droit ou de fait qui exerce l’activité de gestion de portefeuilles de valeurs mobilières
pour le compte des tiers sans avoir obtenu un agrément ou continue cette activité après le retrait de
l’agrément.
De même, est puni d’une amende de deux mille à vingt mille dinars, tout dirigeant d’un établissement
de crédit ou de tout intermédiaire en bourse qui ne procède pas à la déclaration de l’activité de gestion
de valeurs mobilières pour le compte de tiers au CMF dans un délai d’un mois à compter du
commencement de l’activité.

152 Rontchevsky (N), « Révision des délits et manquements boursiers », Banque et Droit, Juillet-Août
2006, p.12.

48



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les marchés financiers en veillant à la transparence et à la fiabilité de ces
marchés. La répression étant l’arme favorite du législateur en la matière.
En renforçant les sanctions, le législateur espérait moraliser les marchés
financiers. Mais en procédant de
la sorte,
le
législateur contribue au
mouvement de « l'inflation pénale »153. Car le législateur semble avoir commis,
l’erreur de légiférer à partir d’un cas particulier, d’un abus isolé. En oubliant
que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires »154.
77. La tendance à une pénalisation rigoureuse des marchés boursiers est
encore plus prononcée aux Etats-Unis. Le Sarbanes-Oxley Act du 30 juillet
2002, dont s’est inspiré le législateur tunisien lors de l’élaboration de la loi du
18 octobre 2005 prévoit des sanctions d'une rigueur exceptionnelle. Par
exemple, la certification de documents non conformes aux exigences de la loi
fait encourir une amende de 5 millions de dollars et/ou un emprisonnement de
vingt ans ; la sentence maximale pour une fraude passe à vingt-cinq ans de
prison155.
78. Malgré cette tendance, en Tunisie,
la répression pénale en matière
boursière est restée marginalisée. Cette arme indispensable au rétablissement
de l’intégrité et de la transparence des marchés boursiers est en Tunisie, telle
une épée au manche vacillant et à la lame émoussée. Entre des textes
lacunaires et une mise en œuvre improbable, le pouvoir de dissuasion qu’elle
opère est quasiment nul.
D’ailleurs,
l’analyse minutieuse des dispositions
législatives boursières
tunisiennes et françaises stigmatise cette différence qui se manifeste aussi
bien au niveau du domaine de la responsabilité pénale des sociétés cotées en
bourse et de leurs dirigeants, que de sa mise en œuvre.
153 De Bresson (J-J), « Inflation des lois pénales et législation ou réglementations techniques », Rev.
sciences criminelles 1985, p. 241 ;
Delmas-Marty (M), « L'enjeu d'un code pénal, réflexions à propos
de l'inflation des lois pénales en France », Mélanges Legros, Ed. de l'Université de Bruxelles, Faculté
de droit, 1985, p. 165.
154 Montesquieu, « De l'esprit des lois », Ed. Nathan 1997.
155 Haschke-Dournaux (M), « Les voies de la réforme du droit pénal des sociétés. » Bull. Joly
Sociétés, 1 avril 2003 n° 4, p. 377.

49



Page 58
Certes, les sanctions sont nécessaires pour assurer la légalité au sein des
marchés financiers car il faut admettre que les sociétés cotées en bourse et
leurs dirigeants ne sont certainement pas des saints. Ils n’obéissent, en leur
majorité qu’à une logique de profit et la légalité ne fait pas souvent partie de
leurs préoccupations les plus pressantes.
79. Mais, il ne s’agit pas de punir pour calmer les esprits échaudés d’une
population outrée par
les scandales répétés au
lendemain d’une crise
financière ou d’une faillite retentissante.
Il faut que ces sanctions soient
adaptées, efficaces et qu’elles permettent d’atteindre le but qu’on leur a
imparti. Peut-on en dire autant pour les sanctions pénales appliquées aux
marchés financiers ?
La réponse à cette
interrogation ne pouvait émaner que d’une analyse
approfondie des droits français et tunisien. Une étude qui nous laisse, malgré
la similitude apparente des textes, l’impression d’une disparité prononcée.
Le constat est assez paradoxal. Entre un marché financier émergent qui ne
connaît pas
la répression pénale et un autre développé où la sanction
pénale affirme régulièrement sa présence.
Cette disparité se manifeste aussi bien au niveau du domaine de
la
responsabilité (Chapitre
I) qu’au niveau de
la mise en œuvre de
la
responsabilité à l’égard des sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants
(Chapitre II).
50









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CHAPITRE I
DES DOMAINES DIFFERENTS
80. On dit qu’on mesure le degré de civilisation d’un Etat à la minceur de son
droit pénal, que c’est de cette minceur qu’on peut déduire le degré d’harmonie
entre ces citoyens.
Si cette affirmation est vraie, le monde de la finance français serait alors un
monde qui aurait régressé du siècle des lumières au stade du moyen âge. Ce
serait un monde sous développé, en perpétuelle dégradation. Ce serait un
monde où transparence et légalité feraient cruellement défaut.
Car en France, le sens général est à l’accroissement et à la complexification
des obligations qui pèsent sur les sociétés et leurs dirigeants, l’impression de
« vide » législatif en la matière a maintenant fait place à une impression de
« trop plein », voire de confusion156.
Le droit pénal est, omniprésent dans la vie des marchés financiers français.
D’ailleurs,
il n’est guère étonnant que les marchés financiers n’aient pas
bénéficié de la vague de dépénalisation qui s’est emparée récemment du droit
des affaires.
L’omniprésence du droit pénal fait que les sanctions ne concernent pas
uniquement
les dirigeants sociaux (Section 1) mais
touchent aussi
les
sociétés cotées en bourse.
81. Au contraire, en Tunisie, le droit pénal n’a pas une grande place dans la
vie des marchés financiers. La législation tunisienne manque de rigueur et
parait
insuffisante à garantir l’intégrité du marché boursier tunisien. Une
insuffisance
dont
la manifestation
la
plus
flagrante
consiste
en
l’irresponsabilité pénale des sociétés cotées en bourse (Section 2).
156 De Vauplane (H) et Bornet (J-P), « Droit des marchés financiers », Litec, 3ème Ed. 2001 p. 899.
51




Page 60
SECTION I
LES DIRIGEANTS SOCIAUX : DES SITUATIONS DIFFERENCIEES
82. La nécessité de préserver le bon fonctionnement des marchés financiers,
de protéger l’épargne publique et de défendre l’ordre public boursier impose
une répression efficace des atteintes à leur égard. L’efficacité de cette
répression suppose, par ailleurs, une responsabilisation des dirigeants des
principales actrices des marchés boursiers que sont les sociétés cotées en
bourse.
Néanmoins, cette nécessité ne semble pas être prise en compte, en Tunisie.
Car la caractérisation des délits boursiers à l’égard des dirigeants de sociétés
cotées pourrait se révéler problématique. En effet, la rédaction du principal
texte d’incrimination157 parait quelque peu discutable. Des imperfections et des
incohérences risquent fort de compliquer la caractérisation des opérations
d’initié et des manipulations de marchés.
Ces lacunes, accentuées par l’absence de toute jurisprudence relative à la
matière, sont susceptibles d’entraver l’imputation de ces délits aux dirigeants
des sociétés cotées en bourse menaçant sérieusement ainsi, l’efficacité de la
répression pénale en matière boursière.
83. Au contraire, en France, dans cette optique, les dernières années ont
connu un élargissement conséquent du domaine des délits boursiers. Cet
élargissement ne pouvant, bien sûr, qu’alourdir la menace pénale qui pèse sur
les dirigeants sociaux.
Cette pénalisation singulière se manifeste à travers les conditions d’imputation
de ces
infractions qui sont particulièrement défavorables aux dirigeants
sociaux. Mais aussi à travers l’extension du domaine de ces délits. Et ce qu’il
157 C'est-à-dire l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
52





Page 61
s’agisse de l’incrimination des opérations d’initié158 ou des manipulations de
marché159.
84. Une autre différence, formelle cette fois-ci, existe entre droits tunisien et
français :
En Tunisie, les quatre principaux délits boursiers160, qui ont été créés par la loi
n°89-49 du 8 mars 1989 relative au marché financier 161sont regroupés au sein
d’un seul texte, l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant
réorganisation du marché financier.
Diversement, en droit français, ces délits sont visés depuis la loi du 26 juillet
2005162, par les articles L. 465-1 et L. 465-2 du Code monétaire et financier.
Le Code monétaire et financier opère ainsi une distinction entre les délits
boursiers. Primo, les opérations d'initiés sont visées par l’article L. 465-1 du
Code monétaire et financier (Paragraphe 1). Deuxio, les manipulations de
cours et la diffusion d'informations fausses ou trompeuses sont incriminées
par
l’article L. 465-2 (Paragraphe 2). Mais avant d’analyser ces délits
boursiers, un point mérite d’être
traité en premier,
il s’agit du cadre
géographique de la compétence des tribunaux tunisiens et français en matière
de délits boursiers (Paragraphe préliminaire).
158 On entend par opérations d’initié, les délits d’initié et de communication d’informations
privilégiées.
159 On entend par manipulations de marché, les délits de manipulation de cours et de diffusion d’une
fausse information.
160 Délit d’initié, délit de communication d’informations privilégiées, délit de diffusion de fausses
informations et délit de manipulation de cours.
161 A l’exception du délit de communication d’une information qui a été créé par la loi n°94-117 du 14
novembre 1994 portant réorganisation du marché financier.
162 Ces délits ont été sensiblement modifiés par la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des
activités financières et par la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne
(dont les dispositions ont été pérennisées par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité
intérieure).
53





Page 62
Paragraphe préliminaire- Une compétence élargie
85. La globalisation et l’internationalisation croissante des marchés financiers,
font qu’il est très vraisemblable que des opérations relèvent de plusieurs
juridictions. Il est donc intéressant de connaitre le cadre géographique de la
compétence des tribunaux tunisiens et français en matière de délits boursiers.
Tout d’abord,
la compétence des tribunaux tunisiens devrait pouvoir être
invoquée si un délit d’initié ou un autre délit boursier est commis par un
citoyen de nationalité tunisienne en France ou dans un autre pays étranger.
En effet, l’article 305 du code de procédure pénale dispose que « Tout citoyen
tunisien qui, hors du territoire de la République, s’est rendu coupable d’un
crime ou d’un délit puni par la loi tunisienne, peut être poursuivi et jugé par les
juridictions tunisiennes… ».
86. Le législateur ne distingue pas entre délits nécessitant des peines de
prison et les délits nécessitant uniquement des peines d’amende. L’article 305
est donc applicable à tous les délits. Néanmoins, les faits commis par la
personne de nationalité tunisienne doivent être punis par la loi tunisienne et
par la loi du pays où a été commis le délit163. Aussi, la caractérisation du délit
doit se faire sur la base du droit tunisien et non en ayant recours au droit du
pays où a eu lieu le délit.
De ce fait, le dirigeant de nationalité tunisienne, d’une société cotée en
bourse, qui commettrait un délit d’initié sur la Bourse de Paris, par exemple,
pourrait être poursuivi et jugé par les juridictions tunisiennes.
163 Voir Cass. Crim. n° 39433 du 30 juin 1992, bull.cass, sect pén p 16 qui relaxe le prévenu au motif
que le délit commis n’est pas incriminé en droit tunisien et Cass. Crim n°72492 en date du 13 février
1996, inédit qui relaxe le prévenu au motif qu’il n’est pas prouvé que les faits sont incriminables dans
le pays étranger, cités par
Riahi (N), « La poursuite des crimes commis à l’étranger », mémoire pour
l’obtention du mastère en sciences criminelles, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
2007, en langue arabe " جراخلاب ةبكترملا مئارجلا عبتت "
54



Page 63
Le même raisonnement est valable si le délit commis par ce dirigeant consiste
en une communication d’une information privilégiée ou en une manipulation de
marché.
87. D’autre part,
il est à signaler que
la compétence des
juridictions
tunisiennes pourrait être invoquée si la victime d’un délit d’initié ou d’un autre
délit boursier est de nationalité tunisienne. En effet, l’article 307 bis du code de
procédure pénale164 dispose que « quiconque hors du territoire tunisien, s’est
rendu coupable d’un crime ou d’un délit, peut être poursuivi et jugé lorsque la
victime est de nationalité tunisienne…
Les poursuites ne peuvent être engagées qu’à la requête du ministère public,
sur plainte de la partie lésée ou de ses héritiers. »
88. La nature du délit ou du crime n’a pas été précisée par le législateur ce qui
fait que tous les délits et les crimes sont passibles de poursuites devant les
juridictions
tunisiennes, du moment que
la victime est de nationalité
tunisienne. La nationalité de l’auteur du délit ou du crime n’a par ailleurs pas
d’importance :
les poursuites des
juridictions
tunisiennes peuvent être
engagées à
l’encontre de
l’auteur des
faits reprochés quelque soit sa
nationalité.
89. D’ailleurs, les délits peuvent être poursuivis par les juridictions tunisiennes
et ce quelque soient les peines encourues : qu’il s’agisse de peines de prison
ou d’amende.
Ainsi, au cas où une société tunisienne serait cotée la Bourse de Paris, par
exemple, les juridictions tunisiennes pourraient s’avérer compétentes au cas
où celle-ci était victime d’un délit d’initié ou d’un autre délit boursier, tel que la
communication d’une information privilégiée.
164 Ajouté par la loi n°93-113 du 22 novembre 1993.
55




Page 64
A ce sujet, il importe d’affirmer que des opérations concernant des titres cotés
à l'extérieur de la France peuvent constituer des délits boursiers punissables
devant les juridictions françaises. Ainsi, dans une affaire concernant des délits
d'initiés commis à l'occasion de la prise de contrôle de la société Triangle
Industries, dont les titres étaient cotés à la Bourse de New-York, par la société
Péchiney ; la Cour de cassation, a estimé dès le stade de l'instruction, « qu'il
n'importe que l'opération ait été réalisée sur une place étrangère et qu'il suffit,
pour que l'infraction soit réputée commise sur le territoire de la République
française selon
l'article 693 du Code de procédure pénale, qu'un acte
caractérisant un de ses éléments constitutifs ait été accompli en France »165.
La Haute Juridiction166 a ultérieurement, conforté les juges parisiens, qui
avaient condamné les accusés. Dans un arrêt daté du 26 octobre 1995, elle
estime que les dispositions de l'article 10-1 de l'ordonnance du 28 septembre
1967 « n'exigent pas que
l'opération réalisée grâce à des informations
privilégiées l'ait été sur le marché boursier français, ni qu'elle porte sur des
titres cotés en France, le terme de « marché » s'appliquant à tout lieu où
s'effectue le rapprochement d'une offre et d'une demande portant sur des
valeurs mobilières et que, selon l'article 693 du Code de procédure pénale,
dont les dispositions, reprises dans l'article 113-2, alinéa 2 du Code pénal, ne
font aucune référence à la loi étrangère, il suffit, pour que l'infraction soit
réputée commise sur le territoire de la République et soit punissable en vertu
de la loi française, qu'un de ses faits constitutifs ait eu lieu sur ce territoire »167.
En l’espèce, la compétence du juge pénal français a ainsi pu être retenue à
partir du moment où l'un des éléments constitutifs du délit d'initié, consistant
soit à divulguer les informations privilégiées par téléphone, soit à les exploiter
165 Jeandidier (W), Note sous Cass. Crim., 3 novembre 1992, Rev. Soc., 1993, p. 436.
166 Dintilhac (J-P), Note sous Cass. Crim. du 26 octobre 1995, Rev. science criminelle 1996 p. 138
167 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim. du 26 octobre 1995, Rev. Soc. 1996, p. 326 ; Rontchevsky (N),
Bull. Joly Bourse, 1er mars 1996, p. 120, § 23, rejetant le pourvoi des personnes condamnées dans
cette affaire par une décision de la C.A. de Paris du 6 juillet 1994.

56



Page 65
en donnant des ordres d'achat pour des titres cotés à la bourse de New York,
avait eu lieu sur le territoire français.
90. Cette affirmation de la compétence des juridictions répressives françaises
à partir du moment où un des éléments constitutifs du délit a été commis en
France est sans doute valable pour les autres délits boursiers. On pense
notamment au délit de fausse information pour la connaissance duquel le juge
pénal français serait ainsi compétent au cas où de fausses informations,
concernant une société étrangère dont les titres sont négociés sur un marché
réglementé étranger, auraient été diffusées à partir de la France168.
Au total, la compétence territoriale des tribunaux tunisiens et franç ais apparait
relativement large. Assurément, il s’agit là d’une solution positive qui permet
de participer à une meilleure répression aussi bien des opérations d’initié que
des manipulations de marché.
Paragraphe 1- Une caractérisation différente des opérations d’initié
91. Une place boursière saine et à la bonne réputation, est une place où les
investisseurs estiment qu'ils disposent tous des mêmes informations et que
personne n'est en mesure d'utiliser une
information confidentielle pour
intervenir sur
le marché169. L'accès égalitaire à l'information constitue le
fondement du marché et la garantie de son bon fonctionnement. 170
Ce fondement sur lequel repose tout marché boursier est menacé par les
délits d’initié et de communication d’une information privilégiée. Deux délits qui
contreviennent à l’accès égalitaire à l’information et faussent les règles du
marché.
168 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Bull. Joly Bourse, 01 mai 2007 n° 3, p. 335 §20 et
21.
169 Voir à ce sujet le préambule de la directive communautaire du 13 novembre 1989 « ... cette
confiance repose, entre autre, sur la garantie donnée aux investisseurs qu'ils seront placés sur un pied
d'égalité ».
170 De Vauplane (H) et Denoun (C), « Les justifications de la lutte pénale contre les opérations
d’initié », L.P.A28 mars 1994, p.4.

57




Page 66
92. D’ailleurs,
la
répression des opérations d’initié ne
trouve pas sa
justification dans des considérations économiques mais dans des raisons
d’ordre sociologique et moral. En effet, l'opération d'initié est perçue comme
étant une atteinte à la morale, ou tout au moins comme violant une éthique
particulière171.
La plupart des législations des pays développés considèrent ces délits comme
« intrinsèquement mauvais » pour le bon fonctionnement du marché financier.
93. De même, autorités de régulation des marchés financiers et jurisprudence
avancent des
justifications d'ordre psychologiques, à
la répression des
opérations d’initié, considérant que ces opérations contribuent à «
décrédibiliser » les marchés boursiers172. Il s’agit d’un délit qui « pour tous les
législateurs, … diminue la confiance des investisseurs, et donc l’appétence du
marché »173. Ces délits apparaissent ainsi comme une entrave sérieuse au
bon fonctionnement des marchés financiers.
94. La juste répression de ces délits revêt, de ce fait, une importance
particulière pour l’image d’une place financière et la lutte contre les opérations
d’initié devrait être au centre des préoccupations des législateurs et tribunaux
aussi bien tunisiens que français.
Or, et malgré des textes d’incrimination en apparence similaires, quelques
différences ne manquent pas de surgir entre droits tunisien et français. Car en
droit tunisien un champ d’application étroit et des caractères mal définis
rendent ardue la tâche d’une juridiction qui aurait la volonté et l’occasion
d’appliquer le texte de l’article 81 sus cité. Et ce contrairement au droit français
où ces délits apparaissent comme facilement caractérisables à l’égard des
171 Ibid.
172 Le Conseil de l'Europe retient la même justification. Pour lui, l'existence des délits d'initiés «
compromet (...) la crédibilité du marché », Convention du Conseil de l'Europe du 20 avril 1989 sur les
délits d'initiés ; De même, La directive communautaire du 13 novembre 1989, énonce, quant à elle,
dans ses considérants, que « le bon fonctionnement d'un marché est dans une large mesure tributaire
de la confiance que celui-ci inspire aux investisseurs (...) les opérations d'initiés (...) sont de nature à
remettre en question cette confiance », Directive no 89/592 du 13 novembre 1989.
173 De Vauplane (H) et Bornet (J-P), « Droit des marchés financiers », Op.cit. p 901.
58



Page 67
dirigeants sociaux du fait d’un élément matériel aux larges contours (A) et d’un
élément moral réduit (B).
A- Une caractérisation différente de l’élément matériel
95. La définition des délits d’initié et de communication d’une information
privilégiée est donnée, en Tunisie par les alinéas 1 et 5 de l’article 81 de la loi
n°94-117 du 14 novembre 1994174.
Cette définition semble dans un premier temps, proche de celle donnée en
France, par l'article L. 465-1, alinéas 1 et 2, du Code monétaire et financier175.
174 Ces alinéas prévoient que « Seront punies d'une amende de 1.000 à 10.000 dinars, les personnes
disposant à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées
sur la situation ou les perspectives d'un émetteur de titre faisant appel public à l'épargne ou sur les
perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un produit financier placé par appel public à
l'épargne, qui auront réalisé, directement ou par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant
que le public ait connaissance de ces informations par les voies légales et réglementaires.
Dans le cas de réalisation d'un profit, le montant de l'amende peut être porté au quintuple du montant
du profit réalisé, sans que le montant de l'amende puisse être inférieur à ce profit…
Sera punie d'une amende de 1.500 à 15.000 dinars toute personne qui, disposant dans l'exercice de sa
profession ou de ses fonctions d'une information privilégiée sur la situation ou les perspectives d'un
émetteur ou sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un produit financier placé par
appel public à l'épargne, l'aura communiqué à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou
de ses fonctions. »
175 Il s’agit du « fait, pour les dirigeants d'une société mentionnée à l'article L. 225-109 du Code de
commerce, et pour les personnes disposant, à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs
fonctions, d'informations privilégiées sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres
sont négociés sur un marché réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier
admis sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par
personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces
informations Est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros dont le
montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement
réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même profit, le fait, pour les dirigeants d'une
société mentionnée à l'article L. 225-109 du code de commerce, et pour les personnes disposant, à
l'occasion de l'exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées sur les
perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur
les perspectives d'évolution d'un instrument financier ou d'un actif visé au II de l'article L. 421-1 admis
sur un marché réglementé, de réaliser ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne
interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations.
Est puni d'un an d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le fait, pour toute personne disposant
dans l'exercice de sa profession ou de ses fonctions d'une information privilégiée sur les perspectives
ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché réglementé ou sur les
perspectives d'évolution d'un instrument financier ou d'un actif visé au II de l'article L. 421-1 admis
sur un marché réglementé, de la communiquer à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession
ou de ses fonctions
».
59





Page 68
Car l’élément matériel des opérations d’initié est le même en droits tunisien et
français, il s’agit pour un dirigeant qui détient une information privilégiée (1),
de commettre des opérations interdites (2).
1 La détention d’une information privilégiée
96. La caractérisation d’un délit d’initié ou de communication d’une information
privilégiée dépend de la preuve de la détention d’une information privilégiée
par le dirigeant social. Et ce qu’il s’agisse du droit tunisien ou français.
Néanmoins, lorsqu’on pousse plus profondément l’analyse de cet élément,
des différences ne manquent pas de surgir entre ces deux droits :
Alors que
la caractérisation des délits d’initié et de communication
d’informations privilégiées à l’égard des dirigeants sociaux n’est pas de nature
à poser des problèmes particuliers en France. La situation semble différente
en droit tunisien, car les carences et maladresses qui entachent la rédaction
de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 font que les critères
d’incrimination de ces délits sont mal définis. La caractérisation de l’élément
matériel des opérations d’initié devrait s’avérer, de ce fait, plus difficile qu’en
droit français.
Cette situation est due à une différence au niveau de la détermination de la
notion d’information privilégiée (a) et à une preuve plus difficile de la détention
de l’information privilégiée par le dirigeant en droit tunisien (b).
a- La notion d’information privilégiée
97. La notion donnée à
l’information privilégiée est primordiale dans la
caractérisation des opérations d’initié. Plus
large
la notion d’information
privilégiée est, plus aisée
la caractérisation des délits d’initié et de
communication d’une information privilégiée sera.
En conséquence,
l’imprécision de
la notion d’information privilégiée qui
prévaut en droit tunisien pourrait compliquer l’imputation de ces délits à l’égard
60


Page 69
de dirigeants (a.1). Par contre, la large et précise interprétation que font les
tribunaux
français de
la notion d’information privilégiée
facilite
la
caractérisation à l’égard des dirigeants sociaux de ces délits (a.2)
a.1- Une définition vague de l’information privilégiée
98. Condition
indispensable à
la caractérisation des délits d’initié et de
communication d’une
information privilégiée. La définition donnée à
l’information privilégiée détermine en grande partie l’imputation de ces délits.
Il faut dire à ce sujet, que le juriste intéressé par une telle définition, ne
trouvera pas en la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 un grand secours.
En effet, l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994 reprend la définition vague
faite de l’information privilégiée par l’article L. 465-1 du Code monétaire et
financier français.
99. A l’instar du texte français176, l’article 81 se contente de préciser l’objet de
l’information privilégiée. Celle-ci doit porter sur « la situation ou
les
perspectives d'un émetteur de titres faisant appel public à l'épargne ou sur les
perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un produit financier placé
par appel public à l'épargne »177.
De cet article, on pourrait tout au plus déduire le fait que cette information doit
être non publique, c'est-à-dire confidentielle, puisque ce texte précise que les
opérations sont
incriminées si elles se
font avant que « le public ait
connaissance de ces informations par les voies légales et réglementaires »178.
100. Ainsi, la définition légale tunisienne de la notion d’information privilégiée
partage son caractère vague et ambigu avec la définition légale française de la
même notion.
176 V. infra p. 66.
177 Alinéas 1 et 5 de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
178 Article 81 alinéa 1 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
61



Page 70
Si cette imprécision du texte de la loi ne porte pas à conséquences en droit
français, en présence d’une jurisprudence bien établie179. On ne peut pas en
dire autant pour ce qui est du droit tunisien.
Car en l’absence d’une jurisprudence ou même d’une doctrine traitant de la
matière, cette lacune se révèle particulièrement gênante.
101. Pour surmonter cette difficulté, on peut tout de même recourir à la
définition donnée de l’information privilégiée par le règlement du Conseil du
marché financier relatif à l’appel public à l’épargne. Ce règlement donne, en
effet, une définition qui rejoint sur plusieurs points celle dégagée par la
jurisprudence française. Ainsi, l’article 51 de ce règlement précise qu’on «
entend par information privilégiée, une information non publique, précise,
concernant un ou plusieurs émetteurs, une ou plusieurs valeurs mobilières, un
ou plusieurs produits financiers qui, si elle était rendue publique, pourrait avoir
une incidence sur le cours de la valeur ou du produit financier concerné ».
On comprend donc de cette définition qu’une information privilégiée est une
information précise, non publique, qui potentiellement pourrait avoir une
incidence sur le cours de la valeur.
102. Primo, l’on pourrait penser comme l’a estimé la jurisprudence française
que la précision de l’information exclut qu’il puisse s’agir de simples rumeurs.
Quant au fait s’il doit s’agir d’informations certaines ou pas ? On ne peut que
spéculer à ce sujet.
On peut penser que la précision n’implique pas la certitude mais on ne peut
préjuger de
la vision que pourrait avoir
le
juge répressif
tunisien de
l’information privilégiée si jamais un jour des poursuites étaient engagées. Va-
t-il être influencé par la vision actuelle de la jurisprudence française et exclure
le critère de la certitude de l’information ou pas ? Rien n’est certain pour ce qui
est de la certitude serait-on tenté d’avancer.
179 V. infra pp. 66 à 70.
62



Page 71
103. Secundo, l’information se doit d’être non publique. Sur ce point, le texte
de l’article 81 s’avère clair. Il précise que les opérations sur les titres visés ne
sont incriminables que si elles se font « avant que le public ait connaissance
de ces informations par les voies légales et réglementaires ». L’information ne
perd donc son caractère confidentiel que lorsqu’elle est communiquée par les
voies légales et réglementaires.
On peut alors penser que des informations qui n’auraient pas fait l’objet d’une
publication à travers un prospectus180, un communiqué de presse ou un autre
moyen de communication officiel ne perdraient pas leur caractère non public.
104. Tertio, l’information privilégiée est une information qui potentiellement
pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur. Cela veut dire qu’il n’est
pas nécessaire que l’information ait une incidence sur le cours de la valeur
lorsqu’elle est révélée au public. Il suffit, qu’on puisse raisonnablement penser
que ces informations sont susceptibles d’avoir une incidence sur le cours de la
valeur.
105. Tout de même, dans une matière pénale où les textes, se doivent de
recevoir une interprétation stricte, cette imprécision pourrait conduire à des
difficultés sérieuses au moment de la mise en œuvre des sanctions.
En effet, l’on est en droit de se demander s’il est nécessaire pour caractériser
le délit d’initié que l’information privilégiée ait déterminé l’opération réalisée.
Un initié peut-il exonérer sa responsabilité pénale en invoquant que ce n’est
pas la connaissance de l’information privilégiée et la recherche d’un gain
personnel qui a motivé la réalisation de l’opération sur les titres en question ?
Peut-il par exemple avancer que c’est la nécessité de se défendre face à une
menace de prise de contrôle inamicale ou d'acquérir une position stratégique
180 Article 2 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
63



Page 72
sur le marché qui a motivé la réalisation de l’opération comme l’admet la Cour
de cassation française181?
106. Rien n’est moins sûr, car si la loi n°89-49 du 8 mars 1989182 précisait
dans son article 43 que les opérations doivent avoir engendré des profits
illicites. C'est-à-dire que les opérations avaient été accomplies dans le dessein
de la réalisation de profits illicites. La loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 reste
muette à ce sujet. Cela veut-il dire qu’un initié se doit de s’abstenir de toute
opération sur le titre sur lequel il détiendrait des informations privilégiées et ce
quelle qu’en soit la motivation ?
Même s’il est vraisemblable que
la
jurisprudence
tunisienne donne
la
possibilité à l’initié qui aurait effectué l’opération sur les titres dans un objectif
autre que spéculatif d’exonérer sa
responsabilité, comme
le
fait son
homologue française. Nous ne pouvons être certains que ce sera le cas. Et là,
se pose un réel problème de sécurité juridique.
107. Le législateur aurait été bien plus éclairé s’il avait précisé les caractères
de l’information privilégiée. En copiant le texte français, le législateur aurait dû
prévoir que
les spécificités
tunisiennes, consistant en
l’absence d’une
quelconque jurisprudence ou doctrine en la matière, entrainerait des difficultés
dans la détermination des contours de cette notion. Il aurait par conséquent dû
être plus exhaustif dans la rédaction des textes incriminant le délit d’initié afin
d’exonérer
les tribunaux tunisiens des difficultés d’interprétation qu’ont dû
surmonter les tribunaux français.
a.2- Une large interprétation de la notion d’information privilégiée
108. Contrairement au règlement général de l’AMF qui définit de manière
précise la notion d’information privilégiée183, le Code monétaire et financier n’a
181V. infra p 69.
182 L’article 43 de la loi n°89-49 du 8 mars 1989 dispose que « Toute personne qui disposant
d’informations privilégiées aura réalisé ou sciemment permis la réalisation sur le marché, soit
directement soit par des personnes interposées, des opérations ayant engendré des profits illicites ».
183 V. infra pp. 221 et s.
64




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pas indiqué quels caractères doit présenter l’information pour être qualifiée de
privilégiée. En effet, l’article L. 465-1 du Code monétaire et financier, se
contente de préciser l’objet de l’information privilégiée. Celle-ci doit porter sur
« les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés
sur un marché réglementé184» ou encore sur « les perspectives d'évolution
d'un instrument financier185admis sur un marché réglementé».
Il est donc revenu à la jurisprudence et à la doctrine de déterminer le contenu
de la notion d’information privilégiée de manière précise.
En effet, grâce à l’effort de la jurisprudence française, on peut dégager avec
précision les caractères d’une information privilégiée.
109. L’appréciation du caractère privilégié de l’information doit se faire de
manière objective. C’est ce qu’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt
remarqué daté du 26 juin 1995. En censurant la décision de la Cour d’appel de
Paris186,
la Haute juridiction a estimé que le « caractère privilégié des
informations ne saurait résulter de l'analyse que peut en faire celui qui les
reçoit et les utilise, mais doit s'apprécier de manière objective, excluant tout
arbitraire, et en fonction de leur seul contenu »187. En d'autres termes, les
compétences personnelles de l'investisseur et la manière dont il peut utiliser
l'information reçue n’ont guère d’importance.
Le même arrêt donne des précisions
très utiles sur les caractères de
l’information privilégiée. Ainsi, des informations sont privilégiées si elles sont
184 A l’image des autres délits boursiers le délit d’initié est limité aux marchés réglementés.
185 La notion d'instrument financier résulte de l'article L. 211-1 du Code monétaire et financier visant
notamment les actions et autres titres donnant ou pouvant donner accès directement ou indirectement
au capital ou aux droits de vote, les titres de créance représentant chacun un droit de créance sur la
personne morale ou le fonds commun de créances qui les émet, les parts ou actions d'organismes de
placements collectifs, les instruments financiers à terme et les instruments financiers équivalents à
ceux précédemment mentionnés émis sur le fondement de droits étrangers.
186 Le Cannu (P), Note sous C.A. Paris, 15 mars 1993 : Bull. Joly Bourse, mai-juin 1993, p. 279, § 53
;
Viandier (A) et Caussain (J-J), J.C.P. éd. E, 1993, I 250, no 12 ; le jugement objet de l’appel,
Ducouloux-Favard (C), Note sous T. corr. Paris, 30 juin 1992 ; L.P.A, 1992, no 133.
187 Le Cannu (P), Note sous Cass. Crim., 28 juin 1995, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 1995 n° 4, p. 285.
65



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« précises, confidentielles, de nature à influer sur le cours de la valeur et
déterminantes des opérations réalisées. »
110. Primo, l’information doit être suffisamment précise. Il ne doit pas s’agir de
simples rumeurs. Très tôt les tribunaux188 ont, en effet, jugé que des bruits
alarmistes concernant des difficultés d’échéance et des échecs commerciaux
ne présentaient pas le caractère « précis, particulier et certain » que doit
revêtir l’information privilégiée189. En revanche, il n’est pas nécessaire que
l’information soit certaine. Car si au départ, la jurisprudence a exigé la
certitude de
l'information190,
la Cour d’appel de Paris191 et la Chambre
criminelle de la Cour de cassation192 semblent l'avoir finalement abandonnée
comme exigence pour la caractérisation du délit pénal ; rejoignant ainsi la
conception qui prévaut pour le manquement administratif 193. En effet, dans ses
arrêts rendus depuis 1995, la Haute juridiction ne fait plus référence à la
certitude de
l’information alors qu’elle a clairement défini
l’information
privilégiée et en a précisé distinctement les caractères194.
L’on peut alors avancer que l’exigence de précision est satisfaite lorsque
l'information porte195, par exemple, sur
la connaissance de
résultats
bénéficiaires entraînant une augmentation
importante et
imprévue des
dividendes à distribuer196, ou de
la préparation d'une offre publique
188 Tunc (A), Note sous C.A. Paris, 30 mars 1977, J.C.P. éd. G 1978, II, 18789.
189 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 44.
190 Tunc (A), Note sous C.A. Paris, 30 mars 1977, Op.cit. 18789 ; Marchi (J-P), note sous TGI Paris,
3 décembre 1993, G.P. 1994. 1, p. 352.
191 V. notamment : Jeantin M, note sous C.A. Paris 26 mai 1993, Bull. Joly Bourse 1993, p. 579 §110 ;
Bouloc (B), Note sous C.A. Paris, 13 mai 1997, Rev. sociétés 1997, p. 855.
192 V. notamment : Le Cannu (P), Note sous Cass. Crim. 26 juin 1995, p. 285 §53 ; Noémie (S), Note
sous Cass. Crim., 15 octobre 1998, Bull. Joly Bourse 1999, p. 67.
193 V. infra p. 231.
194 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 45.
195 Stasiak (F), « Le délit d’initié mis en scène » L.P.A., 18 juin 2008 n° 122, p. 40.
196 Marchi (J-P), Note sous TGI Paris, 28 janvier 1985, D. 1985, p. 357.
66



Page 75
d'achat197ou de
la date et des
titres concernés par une opération de
stellage198ou, encore, de lourdes pertes subies par la société199.
111. Secundo, l’information doit être confidentielle. L’information confidentielle
est celle qui n’est pas connue du public. Par contre, il importe peu que
l’information soit connue par plusieurs personnes, tel que l’ensemble des
administrateurs d’une société200 par exemple. On peut cependant légitimement
s’interroger sur la confidentialité de l’information lorsqu’elle est connue par
plusieurs centaines de personnes. Ainsi, dans l'affaire EADS, il semblerait que
1.200 personnes aient anticipé la chute du cours du titre201.
En définitive, une information n’est plus confidentielle lorsqu'elle fait l'objet d'un
communiqué officiel de la société ou d'une publication d'un avis dans la presse
spécialisée202. D’ailleurs,
la Cour d’appel de Paris considère qu'une
information publiée de manière fragmentaire dans un périodique « au tirage
limité et d'audience restreinte » n’avait pas pour autant perdu son caractère
confidentiel « car non confirmée par un communiqué officiel de la société et
sans écho dans
la presse spécialisée »203.
Il semble donc acquis que
l’information ne devient publique que par sa publication selon les formalités
légales d’information des actionnaires ou un communiqué officiel de
la
société204.
112. Tertio, l’information doit être de nature à influer sur le cours de la valeur.
Sans cette exigence, dirigeants et salariés des sociétés cotées se verraient
dans l’impossibilité de réaliser une quelconque opération sur les titres de cette
197 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim., 26 octobre 1995, Rev. sociétés 1996, p. 326.
198 Cass. Crim., 29 novembre 200, Bull. crim. no 359.
199 Delmas-Marty (M), Note sous TGI Paris, 19 décembre 1975, D. 1976, p. 53.
200 Marchi (J-P), Note sous C.A. Paris, 14 janvier 1993, rappr. G.P. 1993. I, p. 198.
201 Stasiak (F), « Le délit d’initié mis en scène », Op.cit. p. 40.
202 Tunc (A), Note sous C.A. Paris, 26 mai 1977, J.C.P. éd. G 1978. II. 18789.
203 Ibid.
204 Ducouloux-Favard (C), « Le délit d’initié : dix ans de jurisprudence et d’activité de la commission
des opérations de bourse » G.P. 1984, 2, doctrine, p. 421.
67



Page 76
société ; étant constamment en possession d’informations au caractère plus
ou moins confidentiel205.
113. Quarto, l’information doit avoir été déterminante de l’opération réalisée.
Cette exigence permet à l’initié d’invoquer des faits justificatifs afin d’exonérer
sa responsabilité pénale et ce s’il arrive à établir que ce n’est pas l’information
privilégiée qui a déterminé l’opération effectuée. Le fait justificatif peut se
matérialiser par exemple en la volonté d’acquérir une position stratégique ou
de riposter à une menace avérée de prise de contrôle inamicale206 ou encore
si l'initié poursuivi prouve que l’opération sur les titres était intervenue dans le
cadre d'un plan de
restructuration de capital décidé par
le conseil
d'administration afin de libérer la société de l'emprise de son actionnaire
principal207. Bien sûr, le fait justificatif doit être établi par l’initié208.
114. En fin de compte, l’effort de la jurisprudence française a contribué à
combler la définition tronquée de l’article L. 465-1 du Code monétaire et
financier. Faisant de l’information privilégiée une notion aux contours larges et
précis. Participant, de ce fait, à la facilitation de l’imputation des opérations
d’initiés aux dirigeants de sociétés cotées en bourse. Au contraire, l’absence
d’une jurisprudence similaire en Tunisie participe à l’ambigüité de la notion
d’information privilégiée.
115. D’ailleurs, imputer une opération d’initié à un dirigeant de société cotée
en bourse devrait s’avérer plus difficile en Tunisie du fait d’une preuve plus
compliquée de la détention de l’information privilégiée par celui-ci. En effet,
205 Ducouloux-Favard C et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 46.
206 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim. 26 juin 1995, Bull. crim. no 233 ; Rev. sociétés 1995, p. 562 et
Le Cannu (P), Bull. Joly Bourse, 1995, p. 285.
207 Peltier (F), Note sous Cass. Com., 9 avril 1996, Bull. Joly Bourse 1996, p. 305 ; Viandier (A) et
Caussain (J-J)
, J.C.P. éd. E 1996. II. no 589, p. 391. La chambre commerciale est allée dans ce sens,
en cassant la décision dans laquelle les juges du fond n’avaient pas recherché si la vente de titres
réalisée n'avait pas été justifiée «par un intérêt autre que personnel».
208 V. sur ce point Rontchevsky (N), Note sous Cass. Com., 5 octobre 1999, Bull. Joly Bourse 2000,
p. 38, dans cet arrêt la Cour de cassation française réaffirme que l'initié doit établir la preuve du fait
justificatif allégué.
68



Page 77
contrairement à ce qui prévaut en droit français, les dirigeants sociaux ne sont
pas présumés détenir l’information privilégiée en droit tunisien.
b- La preuve de la détention de l’information privilégiée
116. Le tribunal tunisien qui aura à cœur de retenir la responsabilité pénale du
dirigeant d’une société cotée en bourse pour une opération d’initié devrait se
heurter à certaines difficultés. Ce tribunal devra, ainsi, dissiper un certain
nombre d’ambiguïtés entourant les textes d’incrimination. Des ambiguïtés qui
compliquent la preuve de la détention par le dirigeant social d’une information
privilégiée.
Au contraire, la caractérisation des délits d’initiés et de communication d’une
information privilégiée à l’égard des dirigeants sociaux, est facilitée en France
du fait de la présomption de connaissance des informations privilégiées qui
pèse sur eux (b.1). Une présomption qui ne semble pas exister en doit
tunisien (b.2).
b.1- Les dirigeants présumés détenir les informations privilégiées
117. Le délit d’initié209 offre une belle
illustration de
la souplesse de
l’imputation des délits boursiers aux dirigeants sociaux, en France. En matière
de répression de ce délit, les dirigeants sociaux font office de coupable idéal.
Et
retenir
leur
responsabilité en
la matière ne devrait pas poser de
complications particulières.
118. Ainsi, une présomption de connaissance de l’information privilégiée pèse
sur eux. En effet, les dirigeants sociaux font partie de ceux que la doctrine
qualifie d’« initiés primaires »210 c'est-à-dire « Le président,
les directeurs
209 Ce délit consiste dans le fait « de réaliser ou de permettre de réaliser, directement ou par personne
interposée, une ou plusieurs opérations avant que
le public ait connaissance de ces
informations privilégiées », article L. 465-1 du code monétaire et financier.
210L’article 10-1 alinéa de l’ordonnance n°67-833 du 28 septembre 1967 instituant une commission
des opérations de bourse et relative à l'information des porteurs de valeurs mobilières et à la publicité
de certaines opérations de bourse, opère une distinction entre deux catégories d’initiés : les initiés dits
69




Page 78
généraux, les membres du directoire d'une société, les personnes physiques
ou morales exerçant dans la société les fonctions d'administrateur ou de
membre du conseil de surveillance ainsi que les représentants permanents
des personnes morales qui exercent ces fonctions211 ».
En 1983, étaient ajoutés à cette liste d'initiés présumés, le conjoint non
séparé212, l'épouse de l'initié sanctionné sur des opérations effectuées avant
cette loi ayant ainsi pu échapper à la répression213.
119. A
l’encontre de ces
initiés primaires, pèse une présomption de
connaissance de l’information privilégiée. C’est une présomption qui n’a pas
été formellement établie par le texte de la loi. Mais en France, « il n'est
absolument pas nécessaire, que la loi ait spécialement prévu le jeu de la
présomption, les juges peuvent tirer d'un fait connu (les fonctions ou la
profession) des conséquences sur un
fait
inconnu (la connaissance de
l'information) »214. Ainsi, en mettant l’accent sur une catégorie d’initiés (dont
les dirigeants) le législateur suggère que ces personnes doivent être traitées à
part. En tout cas, c’est l’interprétation qu’a faite une jurisprudence française
constante du traitement particulier réservé par le législateur aux dirigeants
sociaux.
A l’encontre des dirigeants sociaux, il n’y a nul besoin, de prouver qu’ils
connaissent l’information privilégiée pour engager leur responsabilité du fait
d’un délit d’initié.
L’imputation du délit se trouve par conséquent facilitée à leur encontre. Car
pour ce faire il suffit de prouver « qu’ils ont réalisé ou sciemment permis de
primaires et ceux dits secondaires (ou de fait ou indirects ou par occasion). Les initiés de seconde
main, initiés de par leurs fonctions et leur profession, sont ceux qui sont informés des secrets d'affaires
à l'occasion de leurs fonctions ou de leur profession. La variété des situations et la palette des
personnes concernées sont très larges.
211 Article 162-1 de la loi du 24 juillet 1966, JORF 29 septembre 1967
212Loi n° 83-1, 3 janv. 1983
213Ducouloux-Favard (C), Note sous TGI Paris, 28 janv. 1985, G.P. 1985, 1, jur., p. 287 ;
Marchi (J.-P), D. 1985, jur., p. 357.
214 Ducouloux-Favard (C), « Géographie européenne du délit d’initié », L.P.A, 15 juin 1994 n° 71.
70



Page 79
réaliser, sur le marché… une ou plusieurs opérations en exploitant lesdites
informations avant que le public en ait connaissance ».
120. Ceci étant dit, il importe de connaitre la teneur de cette présomption mise
à la charge des dirigeants sociaux ? A cet égard, il est à remarquer que
théoriquement cette présomption est simple. Elle peut être combattue soit par
la preuve d'une délégation de pouvoirs215, soit par la preuve contraire216 qui
suppose
l'ignorance de
l'information privilégiée. Mais en pratique,
il est
difficilement concevable que des dirigeants puissent ignorer une information
importante concernant leur propre société217.
121. D’ailleurs, une analyse de la jurisprudence française en matière de délit
d’initié démontre qu’apporter la preuve, pour un dirigeant de société, qu’il
n’était pas en connaissance de l’information privilégiée est plutôt improbable.
Si ce n’est impossible.
Dès 1976, le Tribunal de Grande Instance de Paris218 « après avoir démontré
par une longue suite d'attendus, que les dénégations de l'administrateur ne
tenaient pas, retient finalement que « comme administrateur de la société Kali
Sainte Thérèse, disant en cette qualité d'informations privilégiées, depuis la
séance du conseil d'administrateur du 9 avril 1973 sur la marche technique,
commerciale et financière de cette société, a réalisé...»219. Dans une autre
décision de 1979220 le tribunal s'est montré encore plus direct en considérant
tout simplement « qu'il n'est pas davantage vraisemblable que V. en sa double
qualité d'administrateur de la C.F.A.M., qui achetait les actions et de futur P. -
D.G. de la C.N.F., qu'il est devenu dès la cession des titres, n'ait pas été tenu
au courant des discussions... ».
215 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim., 19 octobre 1995, Rev. sociétés 1996, p. 323. En l’espèce, la
Cour a estimé que la preuve de la non connaissance de l’information par le dirigeant n’avait pas été
rapportée.
216Ducouloux-Favard (C), Note sous Cass. Crim.,15 mars 1993, D. 1993, p. 610 et Bouloc (B), Rev.
sociétés 1993, p. 847.
217Stasiak (F), « Le délit d’initié mis en scène », Op.cit. p. 40.
218 T.G.I. Paris 12 mai 1976 ; J.C.P. 76 - 18.496.
219 Ducouloux-Favard (C), « Géographie européenne du délit d’initié », Op.cit. n° 71
220 Tunc (A), Note sous TGI Paris, 30 mars 1979 et 18 avr. 1979, J.C.P 1980. I. 19306.
71



Page 80
En pratique donc, une présomption quasi irréfragable de connaissance de
l’information privilégiée pèse ainsi sur les dirigeants sociaux.
122. D’ailleurs, des auteurs se sont même interrogés si le délit d’initié n’était
pas qu'« un simple délit matériel »221 à l’encontre des dirigeants sociaux ;
puisque des obligations absolues d'abstention et de discrétion pèsent sur leur
personne. Dans ces conditions, où
invoquer une
imprudence ou une
négligence pour échapper à la sanction pénale, ne pourrait que s’avérer
inutile, on ne peut qu’adhérer à leurs propos222.
123. Au
final,
l’interprétation donnée par
la
jurisprudence
française à
l’information privilégiée est particulièrement large, contribuant ainsi, à faciliter
l’imputation des délits d’initié et de communication d’une
information
privilégiée aux dirigeants sociaux. Une jurisprudence d’autant plus sévère pour
les dirigeants qu’elle considère que
la connaissance de
l’information
privilégiée est présumée à l’égard des dirigeants sociaux. Surtout que cette
présomption s’avère quasiment irréfragable. Cette réalité française contraste
avec la situation en Tunisie, où la détention d’une information privilégiée par
un dirigeant n’est pas présumée.
b.2- Les dirigeants ne sont pas présumés détenir
les
informations
privilégiées
124. Bien que reprenant quasi intégralement la rédaction de l’article L.465-1
du Code monétaire et financier français, le texte tunisien s’en distingue sur un
point important : l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 n’opère
aucune distinction entre les différents initiés. Ceux-ci sont définis comme
« …les personnes disposant à l'occasion de l'exercice de leur profession ou
de leurs fonctions, d'informations privilégiées… »223.
221 Véron (M), « Droit pénal des affaires », A. Colin, 6e Ed., 2005, no 369.
222 Stasiak (F), « Répertoire de droit des sociétés », Délit et manquement boursier - septembre 2007.
223 Article 81 alinéa 1 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
72



Page 81
Point de différence alors entre initiés primaires et secondaires en droit
tunisien.
125. Pour bien apprécier les conséquences de cette non distinction, il apparaît
nécessaire d’exposer en premier lieu la notion retenue en droit français de la
qualité d’initié.
Car la distinction opérée en droit français n’est pas purement formelle.
En effet, en mettant l’accent sur une catégorie d’initiés, le législateur français
suggère que ces personnes doivent être traitées à part. Ainsi, même, si le
texte de la loi n’établit formellement aucune présomption, les initiés primaires
sont présumés connaître l’information privilégiée.
En
tout cas, c’est
l’interprétation qu’a
faite une
jurisprudence
française
constante du traitement particulier réservé à cette catégorie d’initiés224.
126. En droit tunisien, le raisonnement ne pourrait être le même. Il apparaît
qu’en ne retenant pas cette distinction. Le législateur n’entend opérer aucune
démarcation entre les différents initiés. Il est donc probable que ceux-ci soient
traités sur un pied d’égalité. Dirigeants sociaux, avocats, architectes,
journalistes
financiers, commissaires aux comptes, sont mis sur un pied
d’égalité face à la répression du délit d’initié.
Il sera donc nécessaire pour retenir la responsabilité d’un initié, quel que soit
sa fonction, de prouver sa connaissance de l’information privilégiée.
A partir de là, pour pouvoir retenir la responsabilité d’une personne pour un
délit d’initié, il faudra prouver en premier lieu sa connaissance de l’information
privilégiée à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Ensuite, il faudra
prouver l’utilisation de l’information privilégiée pour réaliser un acte interdit.
Il est donc plus facile de retenir la responsabilité d’un dirigeant de société pour
une opération d’initié en France plutôt qu’en Tunisie.
224 V. supra p. 71.
73



Page 82
127. N’aurait-il pas fallu au vu du contexte particulier du marché boursier
tunisien, soumettre les dirigeants sociaux à un régime plus rigoureux ? En
raison de la connaissance particulière qu’ils ont de la société et dans un
contexte qui nécessite une meilleure
implication et une plus grande
responsabilisation de
leur part, n’aurait-il pas été plus
judicieux de
les
soumettre à un devoir de vigilance et de transparence accru ?
Sans cette présomption la preuve de la détention d’une information privilégiée
s’avérera particulièrement difficile à apporter. Déjà, en France, lorsque celle-ci
n’est pas présumée, dans le cas où l’infraction ne concerne pas un dirigeant
de société cotée, la détention de l’information est quasiment impossible à
apporter par l’utilisation d’un faisceau d’indices225.
128. Aussi, la caractérisation de ces délits se trouve entravée par le champ
particulièrement limité des personnes pouvant être incriminées. En effet, aux
termes de l’article 81 alinéa 1 de la loi du 14 novembre 1994, les personnes
punissables sont celles « disposant à
l'occasion de
l'exercice de
leur
profession ou de leurs fonctions, d'informations privilégiées ». Il apparait donc
clair que les seules personnes visées par ces délits sont les professionnels.
Ainsi, contrairement au droit français où toute personne peut être incriminée
du délit d’initié, en droit tunisien on peut très bien exploiter ou communiquer
une
information privilégiée à partir du moment où on dispose de cette
information dans un cadre privé.
129. Un autre point de différence entre le texte tunisien et celui français
soulève encore plus d’interrogations, encore plus de perplexité.
225 V. Roch (G), « A défaut de preuve tangible de la détention d’une information privilégiée
l’impossible preuve par faisceau d’indices de la qualité d’initié des professionnels de la finance »,
note sous CE 6e et 1re ss-sect., 24 avr. 2012, n° 338786, Mme A, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2012 n°
7, p. 292 ; V. aussi la position de la Commission des sanctions de l’AMF qui considère que l’existence
de relations professionnelles ou personnelles avec le détenteur d’une information privilégiée ne saurait
établir, à elle seule, la détention de celle-ci. En l’espèce, il n’est pas démontré que l’information
privilégiée détenue par le frère avait été transmise à sa sœur et que les opérations réalisées par celle -ci
ne pouvaient s’expliquer que par la communication d’une information privilégiée, Daigre (J-J), note
sous Sanction AMF, 15 septembre 2011, M. A et Mlle B, Bull. Joly Bourse, 01 mai 2012 n° 5, p. 202
74



Page 83
Qu’en est-il du conjoint, du
frère, du fils de l’initié ? Qu’en est-il plus
généralement du bénéficiaire de l’information privilégiée ?
Ces personnes qui n’acquièrent pas l’information privilégiée à l’occasion de
l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, mais à l’occasion de
relations privées, bénéficient-elles d’une immunité ?
On est fort tentés de le croire, ces personnes-là pourront vraisemblablement
utiliser
les
informations privilégiées qui leur seront communiquées sur la
situation ou les perspectives d'un émetteur de titres faisant appel public à
l'épargne ou sur les perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un
produit financier placé par appel public à l'épargne en toute impunité, en toute
quiétude.
Le texte de la loi est clair, ne seront punies que les personnes qui acquièrent
l’information privilégiée à l'occasion de l'exercice de leur profession ou de
leurs fonctions.
130. Pourquoi alors cette clémence ? D’autant plus que cette omission
pourrait en pratique priver d’effet les dispositions relatives à la répression du
délit de communication d’informations privilégiées et nous amener à ce qui
pourrait être appelé « l’impasse de la répression ».
« Il peut en effet se révéler impossible d’établir la culpabilité de la personne
qui a communiqué l’information privilégiée que ses fonctions ou sa profession
lui auraient permis de détenir. Au contraire, la détermination du bénéficiaire de
l’information est aisée dans la mesure où cette personne aura agi illicitement.
Dans cette perspective, l’article 81 de la loi de 1994, qui ne sanctionne que la
personne qui a communiqué
l’information privilégiée en raison de ses
fonctions ou de sa profession, ne pourra recevoir faute de preuves, aucune
application 226».
226 Ben Bechr (H), « Le juge pénal et l’intégrité du marché financier », Actes du colloque : « La
justice pénale : quelle évolution » 2007, p. 168.

75



Page 84
131. Au
final,
les difficultés d’interprétation de
la notion d’information
privilégiée et
l’obligation, pour sanctionner un dirigeant, de prouver sa
connaissance de l’information privilégiée, devraient compliquer sérieusement
la mise en œuvre de la répression des délits d’initié et de communication
d’une information privilégiée. Une mise en œuvre qui devrait s’avérer plus
facile en droit français.
Ceci étant dit, les lacunes des textes d’incrimination tunisiens ne s’arrêtent pas
à la notion d’information privilégiée mais s’étendent à d’autres caractères.
2- Les actes incriminables : une similitude trompeuse
132. Que ce soit en Tunisie ou en France, à partir du moment où il détient une
information privilégiée, un dirigeant social commet un délit s’il réalise une
opération interdite ou s’il communique cette information privilégiée. Ces actes
correspondent à l’élément matériel des opérations d’initiés.
Néanmoins, la réalisation des actes interdits par un initié ne constitue une
infraction que lorsque l’opération en question a été effectuée avant que le
public n’ait connaissance de ces
informations. Ces opérations ne sont
incriminables que lorsque le moment de leur accomplissement se situe entre
l’acquisition de l’information privilégiée et sa diffusion au public.
Pendant cette période, un initié doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée
(a) ou de la communiquer (b).
a-
L’utilisation de l’information privilégiée
133. Le délit d’initié a été introduit en droit tunisien par la loi n°89-49 du 8 mars
1989. Dans son article 43, cette
loi sanctionnait « toute personne qui,
disposant d’informations privilégiées, aura réalisé ou sciemment permis la
76




Page 85
réalisation sur le marché, soit directement soit par des personnes interposées,
des opérations ayant engendré des profits illicites».
Par la suite, la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 vint modifier ce texte.
L’article 81 alinéa 1, de cette loi précise l'élément matériel du délit d'initié.
Celui-ci consiste dans
le
fait de réaliser, directement ou par personne
interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance
des informations privilégiées.
134. En France, l'élément matériel du délit d'initié est décrit par l’article L465-1
du Code monétaire et financier. Cet élément consiste dans le fait de réaliser,
ou de permettre de réaliser, soit directement, soit par personne interposée,
une ou plusieurs opérations avant que
le public ait connaissance des
informations privilégiées.
Sur certains points législations tunisienne et
française devraient donc se
rejoindre.
135. En premier lieu, l’initié est sanctionné s'il réalise lui-même ou par
personne interposée une opération interdite. Cela signifie que le délit serait
constitué par le lancement de l'ordre de vente ou d'achat de titres à une
banque ou à un intermédiaire financier, alors même que cet ordre n’aurait pas
été encore exécuté227. Il s’agit là d’une constatation importante car le délit
d’initié est une infraction instantanée et sa tentative n’est pas punissable228.
En ce sens les magistrats de la Cour d’appel de Paris ont estimé qu’un ordre
de vente antérieur de quatre
jours à
la connaissance de
l’information
privilégiée et qui avait été exécuté le lendemain de celle-ci ne caractérisait pas
le délit229. Aussi, n’a pas été condamné le prévenu qui avait refusé de
souscrire à une augmentation de capital et avait laissé son agent de change
227 Delmas-Marty (M), Note sous Trib. correctionnel de Paris 29 octobre 1975, D. 1976 p. 53.
228 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N) ; « Infractions boursières », Op.cit. p. 51.
229 Tunc (A), Note sous C.A. Paris 30 mars 1977, J.C.P 1978, II, n°18789.
77



Page 86
vendre
les droits de souscription des actions nouvelles230. Pour
la
jurisprudence le délit d’initié est un délit de commission et non un délit
d’abstention231.
136. Ensuite, l’intention spéculative ou le profit ne sont pas des éléments
constitutifs du délit d’initié. La jurisprudence française considère de manière
constante qu’il n’est pas nécessaire que
le prévenu ait une
intention
spéculative ou ait voulu réaliser un profit232. L’infraction peut donc, en théorie,
être caractérisée même en l'absence de profit réalisé. Pourquoi pas même, en
présence d’une perte si l'initié utilise mal son information privilégiée. Ce délit
s'apparente ainsi à une
infraction
formelle puisqu'il se consomme
indépendamment de tout résultat préjudiciable233. En Tunisie, le profit réalisé,
n’entrerait que dans la détermination du montant de l’amende comme le
précise l’article 81 alinéa 2 de la loi du 14 novembre 1994.
137. Par contre, une différence fondamentale entre droits tunisien et français
saute aux yeux.
En effet, en France, l'initié encourt aussi la sanction s'il permet, directement ou
indirectement à un tiers de réaliser une opération boursière. Peu importe alors
que le tiers réalise effectivement ou non l'opération. La seule fourniture du
moyen de le faire par l’initié suffit à caractériser le délit. Sur le moy en visé, le
texte de la loi ne fournit pas d’indication. Tous les moyens peuvent donc être
appréhendés, y compris
le simple conseil ou la simple recommandation
émanant de l'initié.
138. Cependant, si ce moyen consiste à communiquer au tiers une information
privilégiée, l'initié encourt les peines, bien plus faibles, de l'alinéa 2 de l'article
230 Hovasse (H), Note sous C.A. Paris, 14 janvier 1992, Dr. Soc. 1992, n°149.
231 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 51.
232 Voir notamment, Tunc (A), Note sous Trib. correctionnel de Paris, 29 octobre 1975, J.C.P 1976, II,
n°18329, 2
ème espèce ; Guyénot (J), Note sous Trib. correctionnel de Paris, 15 octobre 1976, D. 1978,
jur, p. 381, 3
ème espèce ; Marchi (J-P), note sous Trib. correctionnel de Paris, 28 janvier 1985, D.
1985, p. 357.
233 Stasiak (F), « Le délit d’initié mis en scène »,Op.cit. p. 40.
78



Page 87
L. 465-1 du Code monétaire et financier. La confusion devrait être éclaircie en
considérant que l'article L. 465-1, alinéa 2 suppose, contrairement à l'alinéa
premier, que le « tuyauté » ne réalise aucune opération boursière sur le
fondement de l'information communiquée234.
Ce n’est pas le cas en Tunisie où l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994
prévoyant le délit d’initié omet d’incriminer le fait de permettre, directement ou
par personne interposée à un tiers de réaliser une opération boursière. Cette
carence est d’autant plus étonnante que le texte de la loi n°89-49 du 8 mars
1989, prévoyait la possibilité de sanctionner la personne ayant sciemment
permis la réalisation sur le marché d’une opération frauduleuse.
Cela veut dire qu’en Tunisie, un initié pourra permettre ou fournir le moyen de
l’utilisation d’une information privilégiée par un tiers sans pour autant risquer
une quelconque sanction pénale. Il pourra ainsi conseiller ou recommander
d’effectuer telle opération d’achat ou telle opération de vente d’un titre à un
tiers impunément.
Cette lacune criarde démontre la légèreté avec laquelle le législateur a défini
cette infraction. Même si nous pensons qu’il serait possible de dépasser cette
lacune et incriminer l’initié, par le jeu de la complicité.
Par contre, l’initié risquera la sanction comme auteur de l’infraction si le moyen
avec lequel il a permis la réalisation de l’opération par un tiers est la
communication de l’information privilégiée.
139. Ensuite, qu’en est-il du champ des opérations interdites aux initiés ?
En droit tunisien, l’opération sanctionnée par l’article 81 alinéa 1 de la loi du 14
novembre 1994 n’est pas obligatoirement effectuée sur le marché. Elle peut
très bien se faire de gré à gré. En effet, cet article incrimine le fait pour un
initié de réaliser « … une ou plusieurs opérations avant que le public ait
234 Ibid.
79



Page 88
connaissance de ces informations par les voies légales et réglementaires ».
Ce texte ne limite donc pas le champ des délits d’initié aux opérations
effectuées sur le marché. On peut donc penser que les opérations réalisées
de gré à gré peuvent aussi être considérées comme constitutives d’un délit
d’initié.
D’ailleurs, le champ d’application quant aux titres concernés par les délits
d’initié et de communication d’informations privilégiées est relativement large,
puisqu’il englobe les titres de tout émetteur faisant appel public à l'épargne,
toute valeur mobilière ou tout produit financier placé par appel public à
l'épargne235.
140. Le champ des opérations interdites aux initiés est le même en France.
L’opération visée par l’article L. 465-1 du Code monétaire et financier ne doit
pas forcément s’effectuer sur le marché. Elle peut, de même, très bien se faire
de gré à gré. En effet, en matière d’opérations d’initié, le champ des
opérations interdites aux initiés a été élargi.
Alors que dans un premier temps, l’article 10-1 alinéa 1er de l’ordonnance de
1967 dans sa rédaction issue de la loi n°88-70 du 22 janvier 1988, visait
seulement les opérations réalisées par des initiés « sur le marché ».
De cette rédaction, il a été déduit par une doctrine avisée que « les cessions
directes qui sont manifestement étrangères au marché ne peuvent constituer
le délit »236. Les cessions opérées de gré à gré, réalisées hors marché et à un
prix librement débattu ne rentreraient pas dans le champ du délit d’initié237.
L’autorité administrative
représentée à
l’époque par
la Commission des
opérations de bourse réfutait cette analyse et estimait que les opérations
réalisées en dehors du marché pouvaient constituer des manquements à son
235 Article 81 alinéa 1 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
236 Bézard (P), Juris-Classeur pénal Annexes, V. « Bourse de valeurs » Ed.1987, Fasc 1, n°96.
237 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.Cit. p. 48.
80



Page 89
règlement n°90-08 et des délits d’initié. La Cour d’appel de Paris238et la
Chambre
commerciale
de
la Cour de
cassation239avaient
conforté
partiellement la COB et avaient jugé que les transactions réalisées de gré à
gré des actions d’une société cotée sur le second marché de la bourse de
Paris avant la publication de mauvais résultats de la société relevait bien du
règlement n°90-08 et en conséquence avaient entériné la sanction pécuniaire
infligée au dirigeant.
Mais, après
transmission au parquet du dossier par
la COB,
le
juge
d’instruction avait prononcé un non-lieu en faveur du dirigeant, en considérant
qu’une transaction réalisée de gré à gré n’était pas effectuée sur le marché240.
Les opérations réalisées par des initiés en dehors du marché ne constituaient
donc pas une infraction pénale à l’époque.
Ensuite, la mention au marché avait disparu dans la rédaction de l’article 10-1
alinéa 1er de l’ordonnance de 1967, issue de la loi du 2 juillet 1996. Dès lors,
l’hésitation à ce sujet n’était plus permise. Le champ des
transactions
interdites aux initiés avait été étendu aux opérations réalisées en dehors du
marché. Ainsi, les opérations portant sur des titres négociés sur le marché
hors cote peuvent être constitutives d’un délit d’initié même si elles ont été
réalisées par négociation de gré à gré.
141. Quoique
critiqué par
certains auteurs241qui estiment que cet
élargissement va à l’encontre des objectifs de la lutte pénale contre les
opérations d’initié. Ceux-ci estiment que les opérations réalisées en dehors du
marché ne portent pas atteinte au bon fonctionnement du marché, à l’épargne
238 Robert (J-H), Note sous C.A. Paris 16 mars 1994, J.C.P 1994,II, n°22321.
239 Hovasse (H), Note sous Cass. Com. 18 juin 1996, Dr. Soc. 1996, n°182.
240 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.Cit. p. 49.
241 Notamment De Vauplane (H) et Denoun (C), « Les justifications de la lutte pénale contre les
opérations d’initié », Op.cit. p.4 et Hovasse (H), Note sous Cass. Com. 18 juin 1996, Dr. Soc. 1996,
n°182.
81




Page 90
publique ou encore à l’ordre public boursier. Ils estiment que leur sanction sur
le terrain administratif devrait suffire largement242.
Nous pensons, avec d’autres auteurs243, que délimiter le champ d’application
du délit au marché uniquement encourage des infractions portant atteinte au
principe de l’égalité de l’information dans le cadre de cessions directes.
Par ailleurs, un tel élargissement est de nature à améliorer l’efficacité de la
répression d’un autre délit boursier :
la communication d’une information
privilégiée.
b-
La communication d’une information privilégiée
142. Le délit de communication d’une information privilégiée n’était pas prévu
par la loi n° 89-49 du 8 mars 1989 relative au marché financier. Dernier né des
principaux délits boursiers, il a été introduit en droit tunisien par la loi n°94-117
du 14 novembre 1994. En vertu de l’article 81 alinéa 5 de cette loi, est
punissable « toute personne qui, disposant dans l'exercice de sa profession ou
de ses fonctions d'une information privilégiée … l'aura communiqué à un tiers
en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions ».
143. En France, le délit de communication d’une information privilégiée a été
créé, à la suite du scandale Péchiney, par la loi n° 89-531 du 2 août 1989 sur
la sécurité et la transparence du marché financier. Ce délit est désormais
codifié à l’article L. 465-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier. Incriminant
ce qu’un auteur a surnommé de délit de « dîner en ville »244. Aux termes de ce
242 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 50.
243 Notamment Jeandidier (W), « Droit pénal des affaires », Précis Dalloz 2ème Ed.1996, n°115 et
Ducouloux-Favard (C), « Droit pénal des affaires », Masson 2ème Ed. 1993 p. 171.
244 Viandier (A), « Sécurité et transparence du marché financier » : J.C.P éd. E, 1989, II, n° 15612,
spec. n° 43. Une appellation qui ne fait cependant pas l’unanimité. Ainsi, un auteur a estimé qu’elle
conférait au délit un caractère non intentionnel qu’il n’a pas. Car le dirigeant, imprudent, qui parle un
peu fort lors d’un dîner, et dont les propos sont entendus par un tiers, ne peut encourir les sanctions en
question, tant qu’il n’est pas démontré qu’il a intentionnellement communiqué à ce tiers une
information qu’il savait privilégiée. (V. Capdeville (J-L), « Le délit de communication d’une
information privilégiée : vingt ans après », Bull. Joly Bourse, 01 février 2009 n° 1, p. 69).
82



Page 91
dernier article, communiquer à un tiers une information privilégiée acquise lors
de l’exercice de sa profession ou de ses fonctions, en dehors du cadre normal
de celles-ci est incriminé par l’alinéa 2 de l’article 465-1 du code monétaire et
financier. De plus, l’alinéa 3 du même texte, déclare également punissable,
pour « toute personne autre que celles » précédemment citées, « possédant
en connaissance de cause des informations privilégiées », de communiquer
ces dernières à un tiers.
144. En définitive, c’est d’une obligation au secret en matière boursière,
permettant de sanctionner la seule révélation d’informations privilégiées par un
initié, dont il s’agit. De ce point de vue, cette incrimination est venue compléter
le dispositif pénal de lutte contre les infractions boursières, car il n’était pas
possible jusqu’à la date de l’adoption de cette loi, a priori, de poursuivre l’initié
qui s’était contenté de communiquer une information privilégiée à un tiers qui
ne l’avait pas utilisée, par la suite, pour réaliser une opération sur le marché245.
Car il en est très proche, ce délit est considéré par plusieurs auteurs comme
étant une application particulière du délit d’initié246. Cela s’explique aisément,
car en Tunisie et en France ces deux délits sont prévus par le même article.
De même, ils visent les mêmes personnes initiées et portent tous deux sur des
informations privilégiées. D’ailleurs, c’est une
incrimination qui a été
considérée comme une sorte de « délit obstacle »247, visant à éviter la
commission d’un délit d’initié.
145. L’élément matériel de ce délit est simple, il se caractérise par la seule
transmission par un
initié d’une
information privilégiée dès
lors que
la
communication intervient en dehors du cadre normal de la profession ou des
fonctions du « tuyauté ». Peu importe alors que le tiers à qui l’information est
communiquée réalise ou non l'opération. De même, le moyen par lequel
245 Capdeville (J-L), « Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après »,
Op.cit. p 69.
246 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Ed. Lamy, 2007, n° 1361 ; Stasiak (F),
« Droit pénal des affaires »,Ed. LGDJ, 2005, p. 252.
247 Jeandidier (J), « Droit pénal des affaires », Ed. Dalloz, 2005, 6e Ed., n° 128.
83



Page 92
s’opère la communication est indifférent. Le texte de l’article 465-1 du code
monétaire et financier et de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre
1994 n’apportant pas de précision sur
la manière dont s’opère cette
communication. Celle-ci demeure sanctionnable quel que soit le moyen utilisé
pour la réaliser : oral, écrit, etc…248
Par contre, le droit tunisien se distingue du droit français par une énième
lacune : le texte de l’article 81 omet de rendre punissable les personnes qui
reçoivent une information privilégiée à l’occasion de rapports privés. Ceux-ci
peuvent, de ce fait, communiquer cette information à autant de personnes
qu’ils le veulent sans encourir le moindre risque de sanction.
146. L’information privilégiée présente des caractéristiques similaires à celles
qui ont été dégagées par la jurisprudence française dans le cadre du délit
d’initié. Ainsi, en matière de communication d’informations privilégiées,
l’information privilégiée doit être précise, confidentielle, de nature à influer sur
le cours du titre et elle doit s’apprécier objectivement. Par contre, il en va
autrement pour ce qui est de l’exigence que l’information ait été déterminante
de l’opération réalisée. Dans la mesure où l’élément matériel de l’infraction se
limite justement à cette communication, cette exigence n’a pas lieu à trouver
application en la matière.
147. Ceci dit, toute communication d’une information privilégiée n’est pas
frauduleuse. Une lecture à contrario de l’alinéa 5 de l’article 81 de la loi du 14
novembre 1994 nous permet d’affirmer que
la communication d’une
information privilégiée est autorisée dès lors qu’elle rentre dans le cadre
normal de la profession ou des fonctions de la personne qui effectue la
communication.
148. La même limite est posée par l’article L.465-1 alinéa 2 du code monétaire
et
financier. En
tout état de cause, ce
texte permet, à contrario,
la
248 Capdeville (J-L), « Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après »,
Op. cit. p. 69.
84



Page 93
communication d'informations privilégiées dans le cadre normal des fonctions,
pour la préparation d'une offre publique d'achat par exemple249.
Cette limite est bien entendu nécessaire, car pour fonctionner les dirigeants
sociaux se doivent de communiquer des
informations plus ou moins
confidentielles à
leurs collaborateurs, salariés ou autres conseils et
partenaires. Ne pas la prévoir aurait abouti à une paralysie de la société.
149. Pourtant, aussi nécessaire qu’elle soit, cette dérogation à « l'obligation de
secret », est d'un maniement délicat. Car, cette dérogation est de nature à
poser quelques problèmes d’interprétation.
Surtout en Tunisie où l’absence de toute jurisprudence et de toute doctrine en
la matière est de nature à introduire une incertitude dans la caractérisation du
délit.
En effet, quel sens donner à la formule de « cadre normal de sa profession ou
de ses fonctions » ?
150. Le recours au droit
français peut constituer une aide appréciable
susceptible d’éclairer l’interprétation de cette formule.
D’autant plus que, cette formule se retrouve à l’identique à l’article L465-2 du
Code monétaire et financier français. On peut donc légitimement penser que
si un jour il fallait donner une interprétation à cette notion en droit tunisien,
celle-ci se rapprocherait de la notion prévalant en droit français.
En droit français, pour déterminer ce qui rentre dans le « cadre normal de sa
profession ou de ses fonctions » et ce qui n’en fait pas partie, il semble que
l'identité du destinataire de la communication soit primordiale. Par l’adoption
de cette incrimination le législateur a voulu limiter l’information privilégiée à un
cercle restreint de professionnels. Mais il a tout de même, entendu autoriser la
communication d'informations privilégiées au sein d'une équipe de travail
249 Stasiak (F), « Le délit d’initié mis en scène », Op.cit. p. 40.
85



Page 94
préparant une opération (dirigeants, banquiers, avocats et autres conseils,
intermédiaires ou autres partenaires)250.
151. Toutefois, la notion de « cadre normal de sa profession ou de ses
fonctions » doit s’interpréter de façon stricte. C’est ce qui ressort d’un arrêt de
la Cour de justice des Communautés européennes daté du 22 novembre
2005. En
l’espèce,
la Cour a estimé que
la
législation concernant les
opérations d’initié s'oppose à ce qu'une personne, représentant des salariés
au conseil d'administration ou membre du comité de liaison d'un groupe,
communique les informations privilégiées qu'elle aurait reçues, au président
de l'organisation professionnelle concernée, sauf s'il existe un lien étroit entre
la communication et l'exercice de son travail, de sa profession ou de ses
fonctions et si cette communication est strictement nécessaire au dit
exercice 251.
La communication d’une information privilégiée par une personne ne peut
donc se justifier que s’il existe un lien étroit entre la communication et
l’exercice de son travail, de sa profession ou de ses fonctions et si cette
communication est strictement nécessaire à l’exercice de ce travail, cette
profession ou cette
fonction252. Chaque communication supplémentaire
augmente, d’ailleurs, le risque d'exploitation de ces informations dans un but
contraire à la législation boursière253.
152. Ainsi,
l'identité du destinataire de
la communication devrait être
essentielle. La communication d'informations privilégiées au sein d'une équipe
de travail (dirigeants, banquiers, avocats et autres conseils, intermédiaires ou
autres partenaires) préparant une opération (offre publique d’achat, fusion…)
ne devrait pas poser de problème quant à leur légalité.
250 Rontchevsky (N), « Liberté d’expression et délits boursiers », Bull. Joly Bourse, 2001, p. 211,
§ 42.
251 Saintourens (B), Note sous CJCE, 22 nov. 2005, Bull. Joly Sociétés, 01 mai 2006 n° 5, p. 608 §
127.
252 Capdeville (J-L), « Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après »,
Bull. Joly Bourse, 01 février 2009 n° 1, p. 69.
253 Saintourens (B), Note sous CJCE, 22 nov. 2005, Op.cit. p. 608.
86



Page 95
Sur ce point, on peut penser qu’un dirigeant préparant une fusion ou le
lancement d’une offre publique qui communique une information privilégiée à
un banquier ou à un avocat chargés de réaliser l'opération agit dans le cadre
normal de ses fonctions. De même, on peut penser qu’il soit normal que ce
banquier ou cet avocat communique à son tour l'information privilégiée à un
associé ou à un collaborateur.
153. De même,
la communication d’une
information privilégiée par une
personne ne devrait se
justifier que s’il existe un
lien étroit entre
la
communication et l’exercice de son travail, de sa profession ou de ses
fonctions et si cette communication est strictement nécessaire à l’exercice de
ce travail, cette profession ou cette fonction254.
154. En conclusion, malgré une similitude apparente dans la rédaction des
textes d’incrimination des opérations d’initié en droits tunisien et français, une
différence conséquente devrait apparaitre au moment de la caractérisation de
l’élément matériel de ces infractions. Là où cette caractérisation apparait
facilitée en France par une jurisprudence bien établie. En Tunisie, la rédaction
approximative de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 et
l’absence d’une quelconque jurisprudence devraient constituer une entrave
conséquente à la répression des délits d’initié et de communication d’une
information privilégiée.
D’ailleurs, l’étude comparée des éléments nécessaires à la caractérisation de
ces délits fait apparaitre d’autres différences entre droits tunisien et français et
ce au niveau de l’élément moral de ces délits boursiers.
B- Un élément moral réduit
155. La réalisation par le dirigeant d’une société cotée en bourse, qui détient
une information privilégiée, d’un acte interdit ne suffit pas à elle seule à
254 Capdeville (J-L), « Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après »,
Bull. Joly Bourse, 01 février 2009 n° 1, p. 69.

87



Page 96
caractériser une opération d’initié. Pour les besoins d’une telle caractérisation,
un élément intentionnel est exigé.
Dans le souci de faciliter l’imputation des délits d’initié et de communication
d’une information privilégiée à l’égard des dirigeants sociaux, la jurisprudence
française s’efforce de réduire au minimum cet élément. En Tunisie, l’ambiguïté
caractérise
l’appréciation de
l’élément moral du délit d’initié (1) et de
communication d’une information privilégiée (2).
1-
L’élément moral du délit d’initié
156. L’alinéa 1 de l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994 incriminant en
Tunisie le délit d’initié ne fait aucune allusion à une exigence d’un élément
moral.
Est-ce à dire que ce délit peut être caractérisé indépendamment de la preuve
d’une intention frauduleuse ?
Il est difficile d’adhérer à une telle affirmation car un prévenu ne peut être
reconnu coupable d’un délit que s’il est prouvé qu’il a agi intentionnellement.
Ce principe découle de l’article 37 du Code pénal qui dispose que « nul ne
peut être puni que pour un fait accompli intentionnellement, sauf dans les cas
spécialement prévus par la loi ».
157. La caractérisation du délit d’initié est donc subordonnée à
la
démonstration d’un élément intentionnel.
Néanmoins, le doute reste permis lorsqu’il s’agit de connaitre la teneur de
l’élément
intentionnel exigé en droit
tunisien :
faut-il démontrer
l’intention
frauduleuse du dirigeant et sa volonté de tirer profit de l’information privilégiée
ou bien suffit-il de démontrer que celui-ci a enfreint l’obligation d’abstention qui
est à sa charge lorsqu’il est en possession d’une information privilégiée ?
88



Page 97
158. A cet égard, la position de la jurisprudence française peut apporter
quelques éclaircissements.
L’élément moral du délit d’initié peut être déduit en France de la seule violation
de
l'obligation d'abstention qui pèse sur
tout
initié255. Cet élément est
caractérisé lorsque le dirigeant a agi ou a permis à autrui d'agir, en sachant
que l'information dont il disposait était privilégiée.
159. Dans un arrêt daté du 28 mai 1991, la Cour d’appel de Douai a estimé
que l'intention frauduleuse n'est pas nécessaire pour caractériser le délit à
l’encontre de l’administrateur d’une société cotée qui avait procédé avec les
membres de sa famille, à des achats importants six mois après que la société
a commencé à rechercher un repreneur, pour faire face à de graves difficultés.
L’enquête avait établi qu’au moment de ses achats, le prévenu savait qu'une
négociation de reprise était en cours et pouvait espérer une revente rapide
dans des conditions avantageuses256.
160. Dans une autre décision du tribunal correctionnel de Paris datée du 26
mars 2006257, il a été considéré que le délit d'initié était caractérisé à
l'encontre du président du conseil de surveillance d'une société et
l'a
condamné à payer une amende délictuelle de 100 000 francs.
Pour établir l’existence de l'élément intentionnel du délit, le tribunal a relevé
que les directives données à sa société par le prévenu « ne laissent aucun
doute quant à la volonté d'acquisition des titres du prévenu, qui se situe
pendant la période au cours de laquelle ont lieu les discussions stratégiques
au sein de Self Trade ». Le tribunal a relevé que les ordres ont été passés, à
la demande du prévenu, « au mieux soignant en fonction du marché », de
manière à ce qu'ils ne provoquent pas un mouvement anormal de cours
susceptible d'éveiller les soupçons des autorités boursières. En l'espèce, le
255 V. à ce sujet notamment, Bouloc (B), Note sous Cass. Crim., 26 oct. 1995, Rev. sociétés, 1996, p.
326 et
Rontchevsky (N), Bull. Joly Bourse, 1996, p. 120, § 23.
256 Le Cannu (P), Note sous C.A. Douai, 28 mai 1991, Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 1120, § 389.
257 Salomon (R), Note sous Trib. Correctionnel de Paris 26 mars 2006, Dr. Soc., 2006, no 79.
89



Page 98
prévenu, président du conseil de surveillance de la société qui allait faire
l'objet d'une offre publique d'échange, savait qu'il était interdit d'effectuer des
opérations sur le titre pendant les négociations en cours.
L'élément intentionnel du délit d’initié est donc réduit à peu de chose, puisqu'il
n'est pas nécessaire que les opérations aient été réalisées avec une intention
frauduleuse ou spéculative258. La mauvaise foi du prévenu n’a donc pas à être
prouvée259.
161. Cette position de la jurisprudence française qui déduit l’existence de
l’élément moral du délit d’initié de la seule violation de l'obligation d'abstention
qui pèse sur tout initié peut-elle être reprise par les tribunaux tunisiens ?
Il semble que cette position jurisprudentielle française soit compatible avec la
rédaction de l’article 81 alinéa 1 de la loi du 14 novembre 1994. En effet, ce
texte incrimine le seul fait de « réaliser » une ou plusieurs opérations.
162. D’ailleurs, le texte de l’article 81, ne conditionne pas la caractérisation du
délit à l’existence d’une intention spéculative. Dès lors, même si l’opération
n’avait pas pour objet de réaliser un profit, le délit peut être caractérisé.
L’élément moral devrait être retenu dès le moment où un dirigeant effectue
une opération sur des titres placés par appel public à l’épargne alors qu’il est
en détention d’une information privilégiée.
Mais bien sûr, en l’absence de jurisprudence, on ne peut préjuger de ce que
sera la position du tribunal qui jugerait d’un tel délit.
163. Le législateur semble ainsi avoir facilité la caractérisation de l’élément
moral du délit d’initié en promulguant la loi du 14 novembre 1994.
258 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Bull. Joly Bourse, 01 mai 2007 n° 3, p. 335 §28.
259 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N) ; « Infractions boursières », Op.cit p. 55.
90



Page 99
En effet, l’incrimination du délit telle qu’issue de la rédaction de l’article 43 la
loi n°89-49 du 8 mars 1989 relative au marché financier subordonnait la
caractérisation du délit d’initié à la réalisation de profits. Ainsi cette loi
punissait
le
fait pour « Toute personne qui disposant d’informations
privilégiées aura réalisé ou sciemment permis la réalisation sur le marché, soit
directement soit par des personnes
interposées, des opérations ayant
engendré des profits illicites ».
Au final, l’élément moral du délit d’initié semble être facilement caractérisable
et ce que ce soit en droit tunisien ou français. Cette facilité se vérifie aussi
concernant le délit de communication d’une information privilégiée.
2-
L’élément moral de la communication d’une information privilégiée
164. L’article 81 alinéa 5 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 prévoyant
l’incrimination du délit de communication d’une information privilégiée, en
Tunisie, ne comporte aucune mention exigeant la caractérisation d’un élément
moral.
Néanmoins, à l’instar de ce qui prévaut en ce qui concerne le délit d’initié, ce
délit ne peut qu’être intentionnel et ce conformément à l’article 37 du Code
pénal260.
165. Quant à la teneur de cet élément, en l’absence de toute précision
législative et de toute jurisprudence portant sur la question, on ne peut
qu’émettre des suppositions en se basant sur le droit comparé.
A cet égard, l’impression première dégagée par l’analyse du droit français,
pourrait
faire penser que
le délit de communication d’une
information
privilégiée n’est qu’un délit matériel qui n’implique aucun élément intentionnel.
C’est d’ailleurs, ce que certains auteurs ont affirmé. Selon ceux-ci, cette
260 V. supra p. 89.
91




Page 100
infraction serait constituée en
l’absence, non seulement de
toute
faute
intentionnelle, mais encore de toute faute d’imprudence ou de négligence.
166. Il semblerait cependant, que cette conception du délit de communication
d’informations privilégiées soit fausse. Un auteur261 avance d’ailleurs plusieurs
considérations, à même de remettre en cause cette affirmation. En effet, les
délits matériels ont été abolis par le nouveau Code pénal262. Les seules
infractions matérielles subsistant en droit français sont les contraventions.
167. Une question subsiste, pourtant. Ce délit est-il intentionnel ou bien est
que l’imprudence suffit-elle à le caractériser ?
L’article L465-1 alinéa 2, n’apportant pas de précision sur le sujet, il est
légitime de se référer à l’article 121-3 du Code pénal. Aux termes du premier
alinéa de ce texte, « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le
commettre ». L’alinéa 3 de cet article excepte les cas de faute d'imprudence,
de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité
lorsqu’ils sont prévus par « la loi »263.
168. On peut donc se risquer à affirmer que l’élément intentionnel du délit ne
devrait pouvoir être caractérisé que si l’initié communique, en connaissance
de cause, une information privilégiée à une personne en dehors du cadre
normal de sa profession ou de ses fonctions.
Ainsi,
le professionnel qui aurait de par son
imprudence
transmis une
information privilégiée ne devrait pas pour autant voir sa responsabilité pénale
retenue. Ainsi, par exemple un dirigeant qui aurait
laissé en vue des
261 Capdeville (J-L), « Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après »,
Op.cit. p 69.
262Les délits matériels ont été supprimés par l’article 339 de la loi du 16 décembre 1992, relative à
l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal qui dispose que « les délits non intentionnels réprimés par
des textes antérieurs à l’entrée en vigueur de la présente loi demeurent constitués en cas d’imprudence,
de négligence et de mise en danger délibérée de la personne d’autrui, même lorsque la loi ne le prévoit
pas expressément ».
263 Aux termes de l’alinéa 3 de l’article 121-3 du Code pénal « Il y a également délit, lorsque la loi le
prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence
ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les
diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de
ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »
92





Page 101
documents confidentiels264 ou qui aurait manqué de discrétion lors d’une
discussion en public265 ne saurait en principe se voir imputer le délit de
communication d’une information privilégiée.
Par contre, il ne semble pas nécessaire que la communication ait été réalisée
avec une intention frauduleuse ou spéculative.
169. Au total, il semble que les tribunaux français facilitent l’imputation des
opérations d’initié aux dirigeants sociaux, et ce en réduisant au minimum
l’élément moral nécessaire à leur caractérisation.
Il s’agit
là d’une position rigoureuse qui participe à responsabiliser les
dirigeants sociaux.
D’ailleurs, la reproduction d’une telle position par la jurisprudence tunisienne
serait possible et souhaitable. En effet, à l’instar du texte français l’alinéa 5 de
l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994 n’exige pas un élément moral.
170. La position adoptée en droit français semble alors compatible avec la
rédaction de l’alinéa 5 de l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994. Le
dirigeant d’une société cotée ne devrait voir sa responsabilité engagée que s’il
communique, en connaissance de cause, une information privilégiée. Si la
communication se fait de manière fortuite ou si la transmission de l’information
privilégiée est due à une imprudence, cela ne devrait pas pour autant conduire
à retenir sa responsabilité pénale.
171. En conclusion, malgré
la similitude des
textes d’incrimination,
les
différences entre droits tunisien et français, relativement aux caractères des
opérations d’initié sont nombreuses. En effet, là où la caractérisation de ces
délits apparait facilitée en droit français. En Tunisie, l’ambiguïté des textes
d’incrimination et
l’absence de
toute
jurisprudence relative à la question
risquent fort d’entraver l’efficacité de la répression pénale des opérations
d’initié.
264 Conte (Ph), « Bourses. Activité des marchés d’instruments financiers », J.-Cl. Pénal, fasc. n° 40,
spéc. n° 40, annexes, 2004.
265 Capdeville (J-L), « Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après »,
Op.cit. p 69.

93



Page 102
D’ailleurs, les différences ne s’arrêtent pas là. Elles concernent, aussi, les
manipulations de marché.
Paragraphe 2 : La caractérisation des manipulations de marché : une
différence marquée
172. En plus des opérations d’initié, les législations tunisienne et française
répriment les manipulations de marché que sont les délits de manipulation de
cours et de diffusion de fausses informations.
173. En Tunisie, l’incrimination des manipulations de marché ne date pas
d’hier. Au départ, ces délits étaient incriminés par l’article 43 de la loi n°89-49
du 8 mars 1989. Désormais prévues par les alinéas 3 et 4 de l’article 81 de la
loi du 14 novembre 1994, le contenu de ces incriminations n’a pas vraiment
évolué.
Alors que les délits d’initié et de communication d’informations privilégiées ne
peuvent être
imputés qu’aux seuls professionnels. C'est-à-dire ceux qui
disposent d’une information privilégiée du fait de leur profession ou de leurs
fonctions. Les manipulations de marché peuvent être imputées à toute
personne. Cette précision est assurément bien heureuse.
174. En France, ces deux infractions sont aujourd’hui prévues, par le même
article L. 465-2 du Code monétaire et financier. Un texte dont le premier alinéa
incrimine la manipulation de cours alors que le deuxième alinéa réprime la
diffusion de fausses informations. Ce rapprochement entre les deux délits a
été opéré par la loi no 2005-842 du 26 juillet 2005 et ce en application de la
directive communautaire n° 2003/6 CE du 28 janvier 2003266 relative aux abus
266De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Banque & Droit, janvier-février 2003, p. 38 et Banque & Droit
mai-juin 2003, p. 34 ;
Pietrancosta (A), RD bancaire et financier 2003, n° 92 ; Rontchevsky (N),
« Une réaction des institutions communautaires face aux récents scandales financiers : l’adoption de la
direction relative aux abus de marché », R.T.D. com. 2003, p. 531.
94




Page 103
de marché qui a placé
les deux délits sous
la même appellation de
manipulations de marché267.
175. Malgré la similitude apparente de ces textes, plusieurs différences sont à
relever entre les deux droits. A l’instar des opérations d’initié, la caractérisation
des manipulations de marché devrait être compliquée, en Tunisie, par une
rédaction pas très claire des textes d’incrimination. L’élément matériel de
chacun de ces délits, s’avère ambigu. De plus, la caractérisation de ces délits
nécessite l’établissement d’une intention délictuelle.
Une situation qui contraste avec
le droit
français, où comme pour les
opérations d’initiés l’imputation des manipulations de marché aux dirigeants
sociaux est facilitée par un élément matériel aisément caractérisable ( A) et un
élément moral réduit (B).
A-
Une caractérisation différente de l’élément matériel
176. L’analyse de l’article 81 alinéa 3 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
en Tunisie et de l’article L. 465-2, alinéa 2 du Code monétaire et financier en
France fait apparaitre une similitude entre ces deux droits relativement à
l’élément matériel du délit de diffusion de fausses informations (1). Le constat
n’est pas
le même en ce qui concerne
l’élément matériel du délit de
manipulation de cours car des divergences sont relevées entre droits tunisien
et français (2).
1-
Diffusion de
fausses
informations : Une similarité entre droits
tunisien et français
177. L’article 81 alinéa 3 de la loi du 14 novembre 1994268 pose les éléments
nécessaires à la caractérisation du délit de diffusion de fausses informations.
267 Rontchevsky (N), « Révision des délits et manquements boursiers », Banque & Droit n° 108 –
juillet-août 2006 p. 14.
268L’alinéa 3 de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 dispose que « Sera punie des
peines prévues au premier paragraphe du présent article, toute personne qui aura sciemment répandu
dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur la
95




Page 104
L’élément matériel du délit consiste dans le fait de répandre dans le public des
informations fausses ou trompeuses concernant des titres placés par appel
public à l’épargne.
Les mêmes éléments sont retenus par l'article L. 465-2, alinéa 2 du Code
monétaire et financier269. Ainsi, en France, l’élément matériel de ce délit
consiste dans le fait de répandre dans le public des informations fausses ou
trompeuses concernant des titres cotés.
Les points de convergence entre droits tunisien et français sont de ce fait,
abondants.
178. Tout d’abord, le moyen par lequel l’information fausse a été diffusée n’a
pas d’importance. L’information peut avoir été diffusée par n’importe quel biais
tel par exemple la publication d’un article de presse ou d’un prospectus, la
distribution de tracts ou de circulaires, des propos tenus à l’occasion d’une
émission radio ou de télévision ou à l’occasion d’une réunion avec des
analystes
financiers270, par
la création d’un site
Internet271ou encore
la
publication d’un communiqué officiel…
179. Ensuite, la nature de l'information, n’est précisée ni par l’alinéa 3 de
l’article 81 de la loi n°94-117 ni par l’article L.465-2 alinéa 2 du Code
monétaire et
financier. On peut donc penser qu’il peut s’agir de
communications de toutes sortes.
situation ou les perspectives d'un émetteur de titres faisant appel public à l'épargne ou sur les
perspectives d'évolution d'une valeur mobilière ou d'un produit financier placé par appel public à
l'épargne, de nature à agir sur les cours. »
269 D’après l’article L465-2, alinéa 2 du Code monétaire et financier « Est puni des peines prévues au
premier alinéa de l'article L. 465-1 (à savoir des peines du délit d'initié) le fait, pour toute personne, de
répandre dans le public par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses
sur les perspectives ou la situation d'un émetteur dont les titres sont négociés sur un marché
réglementé ou sur les perspectives d'évolution d'un instrument financier admis sur un marché
réglementé, de nature à agir sur les cours ».

270 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit p 70.
271 Ducouloux-Favard (C), Note sous TGI Paris, 9 janv. 2004, no 9928592017, X, Y et Sté Edelman
SA c/ Sté Belvédère SA, Bull. Joly Bourse, 01 mai 2004 n° 3, p. 255. En l’espèce, le président d'une
société, a organisé une campagne de communication véhiculant des informations mensongères sur le
titre d'un concurrent en publiant, notamment par voie de presse et par la création d'un site internet.
96



Page 105
On peut penser par exemple à la diffusion d’états financiers annuels272, des
affirmations contenues dans le rapport annuel sur la gestion de la société,
l’exposé sur
les
résultats des activités,
leur évolution prévisible273,
la
publication de comptes sociaux consolidés274,un communiqué, de documents
de référence mais aussi d'articles de presse, de propos tenus au cours d'une
interview, de
renseignements donnés sur des
forums
regroupant des
investisseurs275ou encore de
la diffusion de prévisions de résultats276.
Toutes ces communications devraient pouvoir faire l’objet d’une incrimination
pour diffusion de fausses informations.
180. L’incrimination est donc très large en ce qui concerne le moyen de
diffusion de l’information et la nature de celle-ci. Il suffit que l’information soit
diffusée dans le public277. L’alinéa 3 de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14
novembre 1994 et l’article L465-2 alinéa 2 du Code monétaire et financier sont
clairs sur ce point.
Il doit tout de même s’agir d’une information fausse ou trompeuse. Le texte de
l’article L465-2 exige que les informations diffusées dans le public soient
fausses, autrement dit mensongères, ou
trompeuses, autrement dit
dolosives278. L'infraction peut ainsi être caractérisée si l'information est «
simplement tendancieuse, imprécise ou encore partielle dès lors que telle
qu'elle est présentée, elle est de nature à tromper le destinataire »279.
272 Article 3 bis de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 inséré par la loi n°2005-96 du 18 octobre
2005, art.15

273 Article 3 nouveau la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 inséré par la loi n°2005-96 du 18 octobre
2005, art.15.

274 Rontchevsky (N), Note sous Cass. Crim., 4 novembre 2004 : Bull. Joly Bourse, 2005, p. 257, § 79
;
Salomon (R), Note sous Cass. Crim., 17 mai 2006,Dr. Soc., 2006, no 191.
275 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. p. 335 §39.
276 Dolidon (G), Note sous C.A. Colmar, 14 octobre 2003, n° 1 A 01/03432, X c/ SA Eurodirect
Marketing, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2004 n° 4, p. 466.
277 Jeandidier (W), « Droit pénal des affaires », Dalloz, 6e Ed., 2005, no 130.
278 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. § 42.
279 Thin (Ch), « La fausse information du marché et le délit d'initié in Entreprise : information et
rumeur », RJ. com., 2005, hors-série, p. 71, spéc. II, A, p. 77.
97



Page 106
181. Il devrait en être de même en Tunisie, les informations diffusées dans le
public doivent s’avérer
fausses, c'est-à-dire mensongères ou
trompeuses,
c'est-à-dire dolosives280.
Dernière exigence, l'information en cause doit être « de nature à agir sur les
cours ».
De la formule utilisée, on peut déduire qu’il suffit qu’il soit possible que
l’information agisse sur les cours. Cela n’implique pas forcément la réalisation
d’opérations sur les titres ni même de variations de cours de titres281. Il n’est
donc pas requis que l’information cause un résultat concret. Il suffit qu’il soit
possible que l’information agisse sur les cours282.
182. A l’image de ce qui prévaut en droit français, ce délit devrait être
considéré en Tunisie comme « une infraction formelle, dont le résultat ne fait
pas partie de ses éléments constitutifs »283.
Ainsi, il importe peu que l'effet recherché par l'auteur de la fausse information
ne se soit pas produit284. Par exemple, il a été jugé en France que des
informations répandues par un président de société présentant une société
concurrente comme « une société à risque » ont « pu avoir, compte tenu de la
date choisie pour mettre en place le site internet, de la conjoncture boursière
défavorable, un effet d'aggravation certain de la tendance baissière du titre de
la société »285.
183. Au final, la conception de l’élément matériel du délit de diffusion de
fausses informations devrait être quasiment identique en droits français et
tunisien. Une
identité
qu’on ne retrouve pas lorsqu’on étudie l’élément
matériel du délit de manipulation de cours.
280 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. § 42.
281 DeVauplane (H) et Simart (O), « La notion de manipulation de cours et ses fondements en France
et aux USA », Rev. de Droit bancaire et bourse, 1996 p. 164.
282 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. § 43.
283 Robert (J-H) et Matsopoulou (H), « Droit pénal des affaires », PUF, 2004, n°284.
284 C.A. Paris, 1er février 2000, Juris-Data, no2000-104644.
285 Ducouloux-Favard (C), Note sous TGI Paris, 9 janvier 2004, Op.cit. p. 255.
98



Page 107
2- Manipulation de cours : Une différence entre droits tunisien et
français
184. Le délit de manipulation de cours qui a été introduit en droit tunisien par
la loi n°89-49 du 8 mars 1989, est aujourd’hui prévu par l’alinéa 4 de l’article
81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994286.
Ce texte précise l’élément matériel de cette infraction. Celui-ci consiste dans le
fait pour toute personne d’exercer ou de tenter d’exercer, directement ou par
personne interposée, sur le marché d'une valeur mobilière ou d'un produit
financier placé par appel public à l'épargne, une manœuvre ayant pour objet
d'entraver le fonctionnement régulier du marché ou d'induire autrui en erreur.
185. En France, le délit de manipulation de cours qui était incriminé par
l’article 419 du Code pénal, fût abrogé par négligence en 1986. Pas pour
longtemps car il a été rétabli par la loi no 88-70 du 22 janvier 1988 qui l'a
inséré dans l'ordonnance de 1967.
Aujourd’hui, ce délit se retrouve codifié à l’article L.465-2 alinéa 1er du Code
monétaire et financier qui précise l’élément matériel du délit de manipulation
de cours. Celui-ci, consiste dans le fait d'exercer ou de tenter d'exercer,
directement ou par personne interposée, une manœuvre ayant pour objet
d'entraver le fonctionnement régulier d'un marché réglementé en induisant
autrui en erreur.
Bien qu’il s’agisse de l’infraction boursière la plus ancienne puisqu’elle date du
3 décembre 1926287, la manipulation de cours était considérée jusqu’à il n’y a
286 Il est à noter, que la rédaction du texte d’incrimination de ce délit issue de la loi du 14 novembre
1994 opère un élargissement de l’incrimination par rapport à la loi n°89-49 du 8 mars 1989. En effet,
désormais la tentative de manipulation de cours est punissable.
De même, le champ des manœuvres a été élargi par la loi n°94-117 du 14 novembre 1994, pour
englober les manœuvres ayant pour objet d’induire autrui en erreur.
287 De Vauplane (H) et Simart (O), « La notion de manipulation de cours et ses fondements en
France et aux USA », Op. cit. p. 158. Cette loi, de portée générale, a introduit la manipulation de cours
en matière boursière, en ajoutant les « effets privés » à la liste de l’article 419-2, 2° du Code pénal qui
99




Page 108
pas si longtemps comme le parent pauvre de la répression boursière. Tant
étaient exceptionnelles les poursuites et les sanctions de cette infraction288.
Mais, force est de constater que sous l’impulsion de l’Autorité des Marchés
Financiers la donne a depuis changé. Cette affirmation étant surtout vraie
pour la répression du manquement administratif 289.
186. Malgré une rédaction très proche des textes d’incrimination, l’élément
matériel du délit de manipulation de cours diffère en Tunisie et en France.
En France, cet élément présente une double facette. Il doit s’agir d’une
manœuvre ayant pour objet d’entraver le fonctionnement régulier du marché.
De même, cette manœuvre doit induire autrui en erreur. Cette double
exigence rend difficile la preuve de l’existence d’un délit de manipulation de
cours290.
Diversement, en Tunisie,
l’élément matériel du délit consiste en une
manœuvre ayant pour objet soit d’entraver le fonctionnement régulier du
marché ou d’induire autrui en erreur. Sur ce point la loi tunisienne se distingue
par rapport à la loi française par des conditions d’imputation plus souples. En
effet, là où la loi française pose une double exigence qui rend difficile la
preuve de l’existence d’un délit de manipulation de cours. La législation
tunisienne pose deux conditions supplétives, ce qui aurait dû faciliter la mise
en œuvre de ces sanctions.
187. Mais voilà, le texte n’apporte pas de précisions quant à la notion de
manœuvre. Cette notion demeure donc vague et manque cruellement de
précision. Le chercheur ne pourra d’ailleurs pas compter sur une quelconque
incriminait la hausse ou la baisse artificielle des prix, des denrées, marchandises et effets publics
résultant d’une action sur le marché, dans le but de se procurer un gain qui ne serait pas le résultat du
jeu naturel de l’offre et de la demande. (
Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N) ; « Infractions
boursières », Op.cit. p. 73.

288 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 2 février 2007, n° 06/08079, Deveaux et SA Fideuram Wargny,
Bull. Joly Bourse, 01 mars 2007 n° 2, p. 200.
289En témoigne le nombre relativement élevé de poursuites et de condamnations recensées sur le site
l’AMF, 16 décisions depuis 2005. www.amf-france.org
290 Coscas (G), « Mémento des marchés monétaires et financier », SEFI éditions, 2003 p 831.
100



Page 109
jurisprudence pour dissiper le brouillard qui entoure cette notion. Il en sera
donc encore et toujours réduit à lorgner sur le droit comparé.
Il faut dire, à ce propos, que le recours au droit français est d’une aide
appréciable. En effet,
les
tribunaux
français ont caractérisé plusieurs
manœuvres constitutives d’une manipulation de cours.
188. Ainsi, il a été jugé que l'élément matériel du délit, était constitué de la part
du dirigeant d’une société, dans la mesure où les quantités de titres de sa
société achetées, directement et par personne interposée, excédaient très
largement la liquidité habituelle du marché de ce titre (le nombre de titres
acquis représentant jusqu'à 86,97 % du marché au cours de la période
litigieuse) et que cet achat massif avait permis d'atteindre l'objectif de cours
fixé par le dirigeant de la société291.
189. De même, la technique dite de la « bouilloire » qui consiste dans le fait de
choisir un titre dont le marché est étroit et sensible et à le manipuler
rapidement à la hausse, en passant de très nombreux ordres d’achat de
manière à persuader les spéculateurs de l’imminence d’une opération sur ce
titre pour les conduire à entretenir la hausse ; a fait l’objet d’une condamnation
par le Tribunal correctionnel de Paris292.
Aussi, une manipulation du cours de titres cotés sur le Marché libre, par saisie
puis annulation des ordres quelques minutes avant
le
fixing peut être
constitutive d’un délit de manipulation de cours293.
190. D’autres comportements sont aussi répertoriés comme constituant des
manipulations de cours. Ainsi, un rapport parlementaire datant de la fin des
291 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 2 février 2007, Op. cit. p. 200 §6.
292 Trib. correctionnel Paris 14 mars 1990, Bull. Joly 1990, p777 §231 cité par Ducouloux-Favard (C)
et Rontchevsky (N)
; « Infractions boursières », Op.cit p 78.
293Salomon (R), Note sous C.A. Paris, 30 novembre 2004, Dr. Soc., 2005, n° 203 qui confirme l’arrêt
du Tribunal correctionnel de Paris, 26 septembre 2003, V. Dr. sociétés, 2004, no 116, obs
Salomon
(R) ; Dans le même sens Salomon (R), Note sous Trib. Correctionnel de Paris, 8 juin 2005 : Dr. Soc.,
2006, n° 97.
101



Page 110
années 1980294, a envisagé diverses pratiques et particulièrement « celles qui
consistent à créer par des ventes à découvert des mouvements de baisse
importants du cours des actions d'une société, non motivée par la situation de
la société, suivis du rachat d'une quantité plus importante de titres à un cours
trop bas, le profit étant réalisé lorsque les cours remontent à un niveau normal
». Le même rapport cite aussi les pratiques « qui consistent à procéder à la
même opération par la diffusion de nouvelles ou de rumeurs, ou par des offres
de ventes situées systématiquement très près du niveau des transactions en
baisse afin d'accélérer la baisse »295.
191. D’autre part, la directive communautaire n° 2003/6 CE du 28 janvier 2003
relative aux abus de marché donne quelques exemples de manipulations de
cours. Il en ainsi, de l’opération consistant en l'achat d’un instrument financier
pour son propre compte avant de recommander son achat à d'autres, puis de
le vendre en réalisant un profit du fait de la hausse du cours induite par la
recommandation (scalping). La directive cite aussi, le fait de diffuser de
fausses rumeurs afin de provoquer un mouvement d'achat ou de vente sur un
titre. Ou encore la communication de fausses informations sur des faits
importants et la non-communication de faits ou d'intérêts importants296.
192. De même, on peut penser qu’à l’instar de ce qui prévaut en droit français,
l’infraction devrait être constituée indépendamment du résultat effectif des
manœuvres sur le marché. Ainsi, le délit devrait être caractérisé si l’acte avait
pour objectif d’entraver le fonctionnement régulier du marché. Et ce même si
le but n’est pas atteint ou ne pouvait pas l’être297. C’est ce que l’on peut
comprendre de l’utilisation par le législateur de l’expression « manœuvre ayant
pour objet »298.
294 Rapport du député Auberger, Document AN 1987-1988, 1ere section, Rapport n°1159, p. 113.
295 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 76.
296 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. § 51.
297 Guyon (Y), « Aspects juridiques de la manipulation de cours », Rapport moral sur l’argent dans le
monde, 1995, p. 87.
298 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 76.
102



Page 111
193. Ceci étant dit, en France, une hausse ou une baisse artificielle des cours
ne suffit pas à établir
l'infraction car
il
faut démontrer l'erreur d'autrui
(épargnant, investisseur…), incité à tort à acheter ou à vendre ses titres par la
manœuvre. Cette exigence permet de ne pas inquiéter les auteurs des
pratiques qui contribuent au bon fonctionnement du marché. Est donc justifiée,
la stabilisation des cours visant à mettre fin à des fluctuations excessives ou
ayant pour objectif le maintien de cours après une cession d’un bloc de
contrôle, qui permet de faire bénéficier les petits porteurs du cours applicable
à la transaction principale299.
Ainsi, il a été jugé300 que ne constitue pas le délit de manipulation de cours,
une intervention massive sur les titres d'une société devant faire l'objet d'une
offre publique, qui a été effectuée dans le dessein de stabiliser les cours et
assurer la liquidité des titres de sorte que les prévenus n'avaient pas la volonté
de nuire au marché301.
Il devrait en être autrement en Tunisie, car contrairement au droit français, il
n’est pas exigé de démontrer l'erreur d'autrui, incité à tort à acheter ou à
vendre ses titres par la manœuvre.
194. Quoiqu’il en soit, même si le recours au droit comparé permet dissiper
certaines incertitudes. Il n’en demeure pas moins, que l’interprétation de ces
différentes conceptions
inédites en droit
tunisien, s’avère particulièrement
malaisée.
Cet état de fait est d’autant plus gênant, que l’on évolue en matière pénale, où
l’interprétation des textes doit se faire de manière stricte.
195. Cette ambiguïté se
traduit, d’ailleurs, dans
la pratique boursière
tunisienne. On a vu par exemple récemment, plusieurs transactions de blocs
299 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », op.cit p 77.
300 Trib. Correctionnel de Paris, 5 mars 1993, RJDA, 1993, no 813.
301 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. § 48.
103



Page 112
sur le titre SOMOCER, portant sur 7,4 millions de titres, soit 30% du capital de
l’entreprise, pour une valeur totale de plus de 22 millions de dinars.
Il s’agirait essentiellement de la cession par un des actionnaires de la totalité
de sa participation dans ladite société à un autre groupe privé à un prix moyen
convenu. Afin d’atteindre le prix cible, des opérations d’achats et de vente ont
été orchestrées.
Cette opération serait d’ailleurs relativement courante sur le marché boursier
tunisien. Ainsi, lorsque l’actionnaire entend céder sa participation en bloc à un
prix convenu avec l'acheteur et qui serait plus important que le cours de
l'action à cette date, ceux-ci provoquent des demandes sur ce titre jusqu'à
atteindre le cours objectif pour permettre la finalisation de la vente de bloc.
Ces manipulations seraient
justifiées par
le souci de détourner
la
réglementation du marché qui oblige à ce que la cession de bloc soit réalisée
au cours du marché.
A notre sens, ces opérations devraient être considérées comme étant des
manipulations de cours. Surtout, qu’à cause de ce genre d’opération des petits
porteurs intrigués par ces mouvements et par l'évolution des cours peuvent
être induits en erreur et acquérir le titre à un cours qui ne correspond pas
forcément à la situation réelle de l'entreprise302.
Le législateur aurait dû anticiper ces difficultés et énoncer certains exemples
de pratiques assimilables à des manœuvres pouvant caractériser une
manipulation de cours. Une liste qui, bien sûr ne doit pas être limitative, au vu
du caractère extrêmement
technique et mouvant de
la matière. Mais
indicative, afin de guider les autorités judiciaires désirant mettre en œuvre des
poursuites et réduire les incertitudes inhérentes à ce type de procédure.
302 El Oudi (O), « Bourse : Action Somocer, manipulations de cours pour des transactions de blocs
? », www.webmanagercenter.com 03 Octobre 2011, http://finance.webmanagercenter.com/article-
111024-tunisie-bourse-action-somocer-manipulations-de-cours-pour-des-transactions-de-blocs
104



Page 113
196. Enfin, une dernière question se pose : quels sont les titres concernés par
le délit de manipulations de cours ?
Sur ce point, il est à signaler qu’en Tunisie, le délit de manipulation de cours
concerne les opérations faites sur le marché d'une valeur mobilière ou d'un
produit financier placé par appel public à l'épargne ». Le domaine de ce délit, à
l’instar des autres délits boursiers, s’avère donc particulièrement large, plus
large qu’en droit français. Il est susceptible d’englober tous les titres placés
par appel public à l’épargne même ceux qui ne sont pas cotés à la Bourse des
valeurs mobilières de Tunis.
197. Par contre, en France, le domaine d’incrimination du délit de manipulation
de cours, à l’instar des autres délits boursiers, ne s’étend qu’aux opérations
relatives à « des instruments financiers admis aux négociations sur un
marché réglementé ».
Pour ce délit, il s’agit là d’une nouveauté apportée par la loi du 26 juillet 2005.
Car ce délit pouvait auparavant s'appliquer à un marché d'instruments
financiers non réglementé (comme le Marché libre ou Alternext par exemple).
Aujourd’hui, tout comme les autres délits boursiers, cette infraction ne peut
s'appliquer qu'aux titres cotés sur un marché réglementé303.
Les délits boursiers ne concernent donc pas le marché libre et AlterNext pour
lesquels le fonctionnement régulier n'est pas garanti.
Cet état de fait est explicable par la réalité de ces marchés majoritairement
fréquentés par des investisseurs professionnels capables d'apprécier ce type
de risque et de s'en prémunir. Les non-professionnels se retrouvent ainsi
encouragés à préférer les investissements ayant pour cadre, les marchés
303 Rontchevsky (N), « Révision des délits et manquements boursiers », Banque et Droit n°108 juillet-
aout 2006 p. 14.

105



Page 114
réglementés s’ils veulent bénéficier, en principe, d'une protection
légale
étendue304.
Aussi, le Code monétaire et financier ne vise pas, contrairement au règlement
général de l'Autorité des marchés financiers, les opérations réalisées sur des
titres non encore admis aux négociations sur un marché réglementé mais pour
lesquels une demande d'admission sur un tel marché a été présentée305. Cela
veut dire que ces
titres peuvent être concernés par des manquements
administratifs mais pas par des incriminations pénales.
198. En fin de compte, sur ce point aussi, le législateur tunisien parait mieux
inspiré que son homologue français. Car limiter le champ de la répression du
délit de manipulation de cours aux seuls titres admis aux négociations sur des
marchés
réglementés encourage
la commission de ce délit hautement
dommageable en dehors du cadre de ces marchés.
Au final, si la poursuite et la sanction du délit pénal demeure rare en France
ou inexistante en Tunisie. La faute n’est pas uniquement imputable à l’élément
matériel du délit mais aussi à la difficulté extrême de la caractérisation de son
élément moral.
B-
Une caractérisation différente de l’élément moral
199. Pour être sanctionnés, les délits de diffusion de fausses informations (1)
et de manipulation de cours (2) doivent avoir été réalisés avec une intention
coupable : l’élément moral doit être caractérisé par le juge306.
304 Stasiak (F), « Le délit d’initié mis en scène », Op.cit. p. 40.
305 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. p. 335 §18 et 19.
306 Peyramaure (Ph), « Diffusion de fausses informations et manipulation de cours », Rj.com p. 162.
106






Page 115
1- La diffusion de fausses informations : une similitude entre droits français et
tunisien
200. Le délit d’« intoxication boursière »307 a toujours comporté un élément
intentionnel. Au départ, le texte prévoyant l'infraction308 en France, exigeait
même un dol spécial, dans la mesure où la diffusion de l'information devait
être faite « afin d'agir sur le cours des titres ». De par cette exigence, la preuve
de
l’infraction et
la
tâche des
juridictions
répressives se
trouvaient
particulièrement compliquées309. Mais, depuis la loi du 22 janvier 1988 qui a
supprimé la mention qui voulait que la diffusion de l'information devait être
faite « afin d'agir sur le cours des titres », la démonstration d’un dol spécial
n’est plus nécessaire. L’infraction peut être donc caractérisée dès lors que la
personne a agi sciemment.
C'est-à-dire en connaissance du caractère faux ou trompeur de l’information
diffusée310. Mais sans qu'il soit nécessaire d'établir qu'elle avait l'intention
d'agir sur le cours des titres311.
En effet, malgré la disparition de l’adverbe « sciemment » de la rédaction de
l’article L465-2 du Code monétaire et financier, il n’y a pas doute sur le fait
qu’il s’agit d’un délit intentionnel. L’article 121-3 du Code pénal posant le
principe général en vertu duquel « il n'y a point de crime ou de délit sans
intention de le commettre ».
201. En Tunisie, l’alinéa 3 de l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994 rend
punissable toute personne qui aura « sciemment » répandu dans le public par
des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses
307Formule utilisée par le professeur Jeandidier pour qualifier le délit de fausse information du public,
Jeandidier (W), « Droit pénal des affaires », Dalloz, 6e Ed., 2005, no130, L'âge adulte (de 1950 à
aujourd'hui).
308 Ord. no 67-833, 28 sept. 1967, art. 10-1, al. 3
309 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. § 44.
310 Coscas (G), « Mémento des marchés monétaires et financier », Op.cit. p.828.
311 Rontchevsky (N), « La responsabilité pénale », Op.cit. § 45.
107



Page 116
concernant des titres placés par appel public à l’épargne, de nature à agir sur
les cours.
202. On peut alors se poser la question de savoir si la démonstration de la
connaissance du caractère erroné ou trompeur de l’information répandue dans
le public suffit à la caractérisation du délit. Ou bien s’il faut prouver non
seulement la connaissance du caractère erroné ou trompeur de l’information
propagée mais aussi avoir pour objectif d’agir sur les cours ?
La réponse à cette question ne manque pas de soulever quelques doutes. Et
là encore, le recours au droit français peut éclairer notre lanterne.
Même si le texte de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 diffère
du texte de l’article L465-2 du Code monétaire et financier. En ce sens qu’il
contient en plus la mention de l’adverbe « sciemment ». Cet ajout ne devrait
pas mener à une différence d’interprétation entre le droit tunisien et le droit
français.
Ainsi, on peut avancer que pour sanctionner pénalement un dirigeant d’une
société cotée, il faudra démontrer que celui-ci a agi « sciemment », c'est-à-dire
de mauvaise foi, en pleine connaissance, du caractère faux ou trompeur des
informations répandues dans le public 312. Par ailleurs, nous ne pensons qu’il
faille établir que le dirigeant ait eu pour objectif d’agir sur les cours.
Par ailleurs, la caractérisation du délit de manipulation de cours nécessite, de
même, la caractérisation d’un élément moral et ce que ce soit en Tunisie ou
en France. Néanmoins, sur ce sujet quelques différences apparaissent entre
les deux droits.
312 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 71.
108





Page 117
2-
La manipulation de cours : une différence entre droits tunisien et
français
203. L’alinéa 4 de l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994 déclare
punissable, en Tunisie, quiconque aura « sciemment » exercé ou
tenté
d'exercer sur le marché d'une valeur mobilière ou d'un produit financier placé
par appel public à l'épargne, une manœuvre ayant pour objet d'entraver le
fonctionnement régulier du marché ou d'induire autrui en erreur.
Il en est autrement en France où l’exigence d’un élément moral a disparu du
texte de la loi française depuis la modification apportée par la loi du 2 juillet
1996 à l’article L 465-2 du Code monétaire et financier313. En effet, si l’ancien
texte comportait l’adverbe « sciemment », celui-ci a été supprimé par les
codificateurs du Code monétaire et financier.
Toutefois, la suppression de l’adverbe « sciemment » ne devrait pas conduire
à une différence d’interprétation entre droits tunisien et français. En effet, en
France, l’absence de cet adverbe n'enlève pas à l'infraction son caractère
intentionnel314. Puisqu’il faut démontrer l'intention coupable de la personne
poursuivie.
La solution devrait, en conséquence, être la même en Tunisie et en France :
ce délit ne peut être considéré que comme intentionnel. La notion même de
manœuvre supposant un comportement délibéré.
204. Cependant, caractériser l’élément moral du délit de communication d’une
information privilégiée est plus compliqué en France qu’en Tunisie. En effet,
en droit français le délit requiert également un dol spécial. Ainsi, la manœuvre
doit intervenir dans le but d’entraver le fonctionnement régulier du marché et
d’induire autrui en erreur.
313 Coscas (G), « Mémento des marchés monétaires et financier », Op.cit. p. 831.
314 Et ce en vertu du principe général énoncé à l'article 121-3 du Code pénal, V. supra pp. 93 et 108.
109




Page 118
Une telle condition a pour conséquence de compliquer la tâche du juge pénal.
En effet, celui-ci doit établir que l’auteur du délit a voulu tromper le ou les
investisseurs ayant acquis ou cédé des titres en raison de la manœuvre illicite.
L’exigence de cet élément moral a, en raison des difficultés de preuve, conduit
à des condamnations pénales très rares en France, sauf en présence de
manœuvres grossières315.
205. Il reste que la jurisprudence a tendance à simplifier la caractérisation de
l'élément moral de l'infraction.
Une décision de la Cour d’appel de Paris illustre ces propos. En l’espèce, le
dirigeant de la société Deveaux avait fait procéder à d'importants rachats de
titres de la société, tant par cette dernière que par sa société mère. Celle-ci
rétrocédait ensuite les titres acquis à sa filiale. Ces opérations avaient pour
objectif de rehausser le cours de l'action, avec pour dessein de redonner au
titre de la société sa valeur réelle.
La Cour d'appel de Paris a confirmé la caractérisation du délit de manipulation
de cours à l’encontre du dirigeant en retenant tant les éléments matériels que
l'élément moral du délit.
Il est vrai que le volume des transactions en cause dépassait allégrement les
limites permises par la réglementation boursière en matière de rachat de ses
propres actions par une société. La manœuvre incriminée était constituée par
l'intervention de la société mère qui n'achetait les titres que pour les rétrocéder
ensuite à sa filiale, permettant de dissimuler le caractère artificiel de la
remontée du cours de l'action. Pour ce qui est de l’élément moral, exigé par le
texte et nécessitant l’établissement d'un dol spécial, consistant dans le fait
d’induire autrui en erreur de par ces manœuvres. La cour d'appel le déduit de
l'action exercée sur le marché et de la volonté d'en altérer le fonctionnement
naturel. Ainsi, « en procédant comme
il a été dit, (le dirigeant) avait
nécessairement pour but, et a eu conscience, d'entraver le fonctionnement
315 Rontchevsky (N), « Révision des délits et manquements boursiers », Op. cit. p. 14.
110



Page 119
normal du marché, et ipso facto, d'induire les tiers en erreur sur la liquidité et
la tendance haussière du titre ». Dans une démarche classique commune aux
divers délits boursiers
la Cour déduit l'élément moral de
l'existence de
l'élément matériel 316.
206. Aussi, la jurisprudence considère que le mobile n’a guère d’importance.
Ainsi, la Cour d’appel de Paris a jugé, dans une décision datée du 30
novembre 2004317, que le délit était caractérisable à l’encontre du prévenu qui
invoque une simple volonté de tester le marché dès lors qu’il a bien agi en vue
de modifier le cours normal du titre, en ayant pleinement conscience des
conséquences très probables d’écrasement de ce dernier.
207. En Tunisie, la caractérisation de l’élément moral de ce délit devrait
s’avérer relativement plus aisée. Le texte de l’article 81 de la loi du 14
novembre 1994 requiert, en effet, la démonstration du fait que la manœuvre
du dirigeant a été opérée, non seulement en connaissance de cause, mais
aussi avait pour but d’entraver le fonctionnement régulier d’un titre placé par
appel public à l’épargne ou d’induire autrui en erreur. De ce fait, la
caractérisation du délit n’impose pas, comme en droit
français,
la
démonstration d’une volonté spéciale de nuire au marché ou d’induire autrui
en erreur318.
208. L’élément moral du délit de manipulation de cours devrait donc pouvoir
être prouvé plus facilement en droit tunisien qu’en droit français. On ne peut,
316 Le Bars (B) et Thomasset-Pierre (S), « Droit des marchés financiers ,» mai 2006 - mai 2007, D.
2007 p. 2418.
317 Salomon (R), Note sous C.A. Paris, 30 novembre 2004, Dr. Soc. 2005, comm.203.
318 En France, la jurisprudence avait estimé que lorsque les auteurs des opérations incriminées sont
intervenus sans se dissimuler et qu’il s’agissait dans leur esprit moins d’en fausser le jeu normal que
d’en faire cesser des manifestations jugées, peut-être à tort, excessives ou aberrantes, l’élément moral
n’était pas constitué.
Ainsi, il a été jugé que le délit n’était pas caractérisé dans le cas où l’intervention massive sur les titres
d’une société devant faire l’objet d’une offre publique d’échange avait eu lieu au grand jour pour
stabiliser les cours et assurer la liquidité des actions et ce puisque les prévenus n’avaient pas eu la
volonté de nuire au marché.
(V. à ce sujet Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. pp. 78
et 79).
111



Page 120
en conséquence, imputer l’absence de décisions judiciaires sanctionnant ce
délit à la difficulté d’en prouver l’élément moral.
La raison est à chercher ailleurs, sûrement dans le manque d’initiative et de
volonté des autorités
judiciaires dans
la
lutte contre
la délinquance
boursière319. Et ce même s’il est vrai que ces autorités sont mal servies par
quelques insuffisances, qu’on a démontré, des textes portant répression des
délits boursiers et qui compliquent la caractérisation de ces infractions. Des
insuffisances dont
la manifestation
la plus gênante reste l’irresponsabilité
pénale des sociétés faisant appel public à l’épargne.
209. Au contraire, en France, une jurisprudence bien établie, intégrant la
nécessité de faciliter la répression des infractions boursières, a décrit avec
précision
les critères des différents délits boursiers. De plus,
les deux
dernières décennies ont connu l’émergence d’un régime complet consacrant
la responsabilité pénale des personnes morales.
319 V. infra pp. 142 et s.
112













Page 121
SECTION II
LES SOCIETES COTEES EN BOURSE : DES SITUATIONS CONTRASTEES
210. Sans volonté propre, les sociétés ne sont qu’un être artificiel ; incapables
d’agir, si ce n’est par l’intermédiaire d’une personne physique.
C’est surement pour cela que pendant longtemps, la seule responsabilité
pénale qui pouvait être retenue au sein de l’entreprise était celle du dirigeant.
Les pays du Common Law comme le Royaume-Uni320, les Etats-Unis et le
Canada ont été les premiers à admettre le principe de responsabilité pénale
des personnes morales. Parfois même dès le 19ème siècle, même si les
solutions retenues par ces droits étaient parfois d’ « origine jurisprudentielle et
d’un maniement malaisé »321.
Certains Etats socialistes ont par la suite adopté cette responsabilité depuis
les années 1950 alors que les Pays-Bas ont franchi le pas depuis 1976.
211. Malgré l’apparition des sociétés et leur évolution ahurissante, la tradition
juridique française est restée longtemps imperméable au concept d’imputation
de
faits répréhensibles sur
le plan pénal à une société, par définition
abstraite322.
320Au Royaume-Uni, les premiers développements relatifs à la responsabilité pénale des sociétés
remontent à des décisions de tribunaux du milieu du 19
e siècle. Ces décisions touchaient des affaires
dans lesquelles la loi imposait certaines obligations dont l’inexécution était sanctionnée pénalement.
Cette responsabilité fut ensuite étendue à des hypothèses ne concernant plus une omission ou un
défaut d’agir mais qui concernait la commission d’un acte illégal. La responsabilité pénale des sociétés
pouvait dès lors être engagée pour des actes commis par leurs employés, comme le serait une personne
physique. En 1839, la « loi d’interprétation » (interpretation act) fut adoptée. Elle spécifiait qu’une
personne pouvait désigner une société, avec pour conséquence que les dispositions législatives sur les
infractions commises par les personnes s’appliquaient également aux sociétés ;
Bateson (D),
« Responsabilité pénale des personnes morales : le point de vue anglais », L.P.A. 11 décembre 1996,
n°149 p.59.

321 Desportes (F) et Le Guenehec (F), Juris-Classeur sociétés 2002, Fasc 28-75 p. 7.
322 Labrousse (VC), « La responsabilité pénale des dirigeants », Ed. First 1996, p. 27.
113




Page 122
Plus tard en France, différents évènements323ont conduit à admettre l’idée
d’une imputation de faits accomplis par des individus à une personne morale.
Les sociétés cotées en bourse sont, quant à elles, passibles d’être
sanctionnées pour un délit boursier depuis la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996.
212. La Tunisie, quant à elle, est restée à la marge de ce qui prévaut dans
plusieurs Etats de par le monde : le dispositif répressif tunisien en matière
boursière consacre l’irresponsabili té pénale des sociétés cotées.
Ainsi,
le champ des sociétés cotées
responsables pénalement est
radicalement différent en Tunisie et France (Paragraphe 1). De même, le
domaine des délits boursiers punissables est fondamentalement différent en
droits tunisien et français (Paragraphe 2).
Paragraphe 1- Sociétés responsables : Une différence radicale
213. « Ni souffrante, ni aimante, sans chair et sans os, la personne morale est
un être artificiel. Et Casanova
le savait bien, qui poursuivit nonnes et
nonnettes, mais ne tenta jamais de séduire une congrégation »324.
Cette expression, exprime bien la position du législateur tunisien vis-à-vis de
l’adoption de la responsabilité pénale des personnes morales. Celui-ci est
toujours resté fidèle à sa position récalcitrante à l’adoption d’un principe
général
incriminant
les entités personnifiées qu’elles soient privées ou
publiques.
323Plusieurs accidents particulièrement graves, comme l’accident de train survenu à la gare de Lyon le
27 juin 1988, où durant l’enquête dirigée contre le conducteur du train se sont révélées des
défaillances des systèmes de sécurité tellement nettes qu’un responsable de la SNCF s’est estimé tenu
de venir s’en expliquer devant le tribunal. Pourtant, la responsabilité pénale de la SNCF n’avait pas pu
être retenue. Ensuite, d’autres accidents tels que le drame de Furiani ou l’accident d’avion du mont
Sainte-Odile, ou bien encore l’affaire des transfusions contaminées ont fait que plusieurs voix se sont
élevées pour dénoncer l’irresponsabilité pénale des personnes morales en faisant valoir qu’elles
aboutissaient au mieux, sur le plan pénal, au mieux à ne poursuivre que des « lampistes », au pire, à
l’irresponsabilité totale lorsque le fait générateur ne pouvait être isolé et clairement imputé à tel ou tel
individu déterminé. (Viney (G), « Conclusions », Rev. sociétés 1993, p. 382).
324 Cozian (M) et Viandier (A), « Droit des sociétés », 13e Ed., Paris, Litec 2000, p77.
114




Page 123
214. En France, pendant longtemps, les sociétés commerciales n’encouraient
qu’une responsabilité civile et dans certains cas administrative ou disciplinaire.
Une formule alors utilisée par la Cour de cassation française, est d’ailleurs
évocatrice de la position qui prévalait à l’époque en droit français. Ainsi, selon
la Haute Juridiction « l’amende est une peine et toute peine est personnelle
sauf
les exceptions spécialement prévues par
la
loi ; elle ne peut être
prononcée contre un être moral, lequel ne peut encourir qu’une responsabilité
civile»325.
Cette irresponsabilité pénale des sociétés fût vivement critiquée par une partie
de la doctrine qui réfuta les arguments en défaveur de la responsabilité pénale
des personnes morales326 et avança plusieurs raisons en sa faveur.327
Et même s’il existait quelques textes particuliers qui consacraient une forme
de responsabilité pénale des personnes morales328, il n’ y’avait pas de texte
d’application générale consacrant
la responsabilité pénale des personnes
morales.
L’évolution était
inévitable, et
l’introduction effective de
la responsabilité
pénale des sociétés fut chose faite le 1er mars 1994. Le droit pénal français
admettait une nouvelle sorte de responsabilité, celle des personnes morales et
par conséquent des sociétés qui étaient les principales visées. L’article 121-2
du Code pénal déclarait responsables les personnes morales, à l’exclusion de
l’Etat.
Depuis, la responsabilité pénale du dirigeant n’est plus la seule à pouvoir être
retenue, la responsabilité de toutes les sociétés cotées en bourse pouvant être
325 Cass. Crim. 8 mars 1883, cité par Desportes (F) et Le Guenehec (F), Juris-Classeur sociétés 2002,
Fasc 28-75 p. 6.

326 Pradel (J), « Droit pénal général », Cujas 1992, n°487 et s., Delmas-Marty (M), « Droit pénal des
affaires », PUF, 1990, p. 108 et s.

327Fût observé que la reconnaissance de cette responsabilité était de nature à redresser les solutions
inéquitables et absurdes imposées par son absence. La consécration de cette responsabilité étant en
mesure d’assurer une répartition plus égale des foudres des sanctions pénales car les conséquences des
agissements frauduleux des sociétés ne reposeraient plus sur la seule tête des dirigeants sociaux. De
même, fût soutenu que l’adoption d’une responsabilité pénale des sociétés serait de nature à améliorer
l’efficacité de la répression, Desportes (F) et Le Guenehec (F), Op. cit. p7.
328 A l’instar de l’ordonnance du 1er décembre 1986, relative à la concurrence
115



Page 124
retenue (B). Au contraire, les sociétés cotées en bourse sont irresponsables
pénalement en Tunisie (A).
A- Des sociétés cotées pénalement irresponsables
215. L’analyse des dispositions du Code pénal tunisien confirme que les
personnes morales sont exclues du domaine de la répression pénale. En effet,
aucun texte général ne vient consacrer la responsabilité pénale des personnes
morales.
De plus, plusieurs arguments appuient la thèse de l’immunité dont bénéficie la
personne morale en Tunisie.
Ainsi, la lecture du livre premier du Code pénal (Dispositions générales) et
plus précisément de son chapitre 3, intitulé « des personnes punissables »,
éclaire sur le fait que les textes de base du droit pénal tunisien prévoient
uniquement l’incrimination et la sanction des seules personnes physiques.
D’ailleurs, reconnaitre la responsabilité pénale des personnes morales devrait
s’avérer contraire au principe de la personnalité des peines consacré à l’article
13 de la constitution du 1er juin 1959.
Il n’y a, de ce fait, guère de doute quant à l’irresponsabilité de ces entités en
Tunisie329.
216. Le droit tunisien est, donc, resté à la marge de la tendance prévalant en
droit comparé. Notre droit a persisté dans sa réticence à l’adoption de la
responsabilité pénale de la personne morale en dépit de sa consécration par
un grand nombre de droits étrangers.
En effet, la plupart des droits européens330 et quelques droits arabes ont
depuis plus ou moins
longtemps sauté
le pas et adopté ce
type de
ىقتلم
لا لاغشأ ،
نم قفه
"ءاضقلا
نرق
هقف
ةيونعملا
يف
فصن" ةبودنجب
تاذلل
فرصتلا
ةيئازجلا
و
ءاضقلا
ةيلوؤسملا
و
ص403
ةيداصتقلاا
.
موهفم
ةينوناقلا
2011
روطت"
،بايذ نيدلا زع نسح و ةميلح نب ىساسلا
مولعلا ةيلكب
سنوت
صتخملا
باتكلل
2010
ربمفون
329
يموي مئتلملا
شرطلاا تاروشنم ،"يئازجلا
25 و26
330 V. supra p. 112.
116

















Page 125
responsabilité. Ainsi, la Syrie dispose d’un texte général qui consacre la
responsabilité pénale des personnes morales. L’article 209-2 de
la
loi
pénale331
considère
comme
pénalement
responsables
les
entités
personnifiées pour
les actes répréhensibles commis par leurs directeurs,
membres du directoire, représentants et salariés lorsque ces actes sont
commis au nom de ces entités ou par l’un de ses moyens332.
Il en est de même en l’Algérie où la responsabilité pénale des entités
personnifiées a été consacrée dans le code pénal par la loi n°04-15 du 10
novembre 2004. L’article 51 bis du Code pénal algérien, qui reprend
quasiment à l’identique l’ancienne rédaction de l’article 121-2 du Code pénal
français333, dispose que la personne morale à l’exclusion de l’Etat, des
collectivités locales et des personnes morales de droit public, est responsable
pénalement lorsque la loi le prévoit334, des infractions commises, pour son
compte, par ses organes ou représentants légaux.
Même si le domaine de la responsabilité pénale est limité en ce qui concerne
les personnes morales
responsables et
les délits
incriminables. La
reconnaissance de cette responsabilité s’étend tout de même aux sociétés
commerciales, lorsque la loi le prévoit. Et ce si une infraction est commise
pour son compte par ses organes ou représentants.
217. Difficile alors, d’expliquer pourquoi le droit tunisien, souvent pionnier dans
la région, est-il resté récalcitrant à l’adoption de ce type de responsabilité ?
Le législateur ignore-t-il l’énorme évolution de ces entités dotées d’une volonté
propre
indépendante de
la volonté des personnes physiques qui
la
composent ? Ou bien ignore-t-il leur capacité criminelle ?
، ص 283.
2010
،سنوتب ةيسايسلا مولعلا و قوقحلا ةيلك ،هاروتكد
ةحورطأ
.يروسلا تابوقعلا نوناق نم
209
-2
ةداملا
،"رامثتسلال يئانجلا نوناقلا"
،
بايذ نسح
331
332
333Mais en excluant du domaine de la répression en plus de l’Etat, les collectivités locales et les
personnes morales de droit public.
334Le législateur algérien a fait le choix d’adopter le principe de spécialité et de garder le contrôle sur
les délits imputables aux personnes morales et ceux qui ne le sont pas.

117






Page 126
Il semble que le législateur estime que la responsabilité pénale des dirigeants
peut substituer à celle des personnes morales qu’ils dirigent. La plupart des
textes incriminant une infraction commise par une personne morale, ne font
que reporter la responsabilité sur leurs dirigeants335.
Ou bien encore, qu’une reconnaissance
indirecte336ou sectorielle de
la
responsabilité pénale des personnes morales est suffisante pour endiguer la
criminalité dont ces entités peuvent faire preuve.
Cette position contestable a pour conséquence de faire bénéficier les sociétés
cotées en bourse d’une immunité injustifiée. Sur ce point, le législateur
tunisien devrait s’inspirer du droit français qui a fait le choix de responsabiliser
pénalement toutes les sociétés cotées en bourse.
B- Toutes les sociétés cotées sont pénalement responsables
218. L’étude du droit français relatif à la responsabilité pénale des personnes
morales fait apparaitre que toutes les sociétés cotées à la bourse de Paris
sanctionnables. En effet, celles-ci disposent de la personnalité morale (1) et
les sociétés étrangères ne sont pas exclues du domaine de la répression (2).
la
16
du
juillet
1999,
morale,
relative
incombe
personne
335 Loi n°98-40 du 2 juin 1998, relative aux Techniques de Ventes et à la Publicité Commerciale,
article 39 « L'annonceur est responsable à titre principal de l'infraction commise, si le contrevenant est
dirigeants.
responsabilité
une
Le complice dans l'infraction commise sera puni selon les dispositions du droit commun » ; loi n° 99-
64
aux
«Lorsque le contrevenant est une personne morale, les peines prévues ci-dessus sont applicables,
personnellement et selon le cas, aux présidents directeurs généraux, directeurs, gérants et en général à
toute personne reconnue responsable et ayant qualité pour représenter la personne morale. »
336 De nombreuses fois le législateur ne fait qu’adopter une responsabilité indirecte de la personnalité
morale à l’image de l’article 239 du code de travail, de l’article 70 du code de la presse ; l’action
criminelle n’est pas dirigée, dans le cadre de cette responsabilité, contre la personne morale en tant que
partie principale mais en tant que partie subsidiaire,
Belknani (F), « La responsabilité pénale des
personnes morales », in « Mouvements du droit contemporain », Mélanges Sassi Ben Halima, Centre
de publication universitaire 2005 p. 521.
excessifs,
d'intérêt
article
taux
ses
à
5
118








Page 127
1-
Toute société ayant la personnalité morale est incriminable
219. Alors que toutes les sociétés opérant sur le marché boursier disposent de
la personnalité morale et sont par conséquent incriminables (a), certaines
situations demeurent floues et il importe donc de les clarifier (b).
a-
Toutes les sociétés opérant sur les marchés boursiers disposent
de la personnalité morale
220. Pour qu’un groupement puisse voir sa responsabilité pénale engagée, il
doit disposer de la personnalité morale, c’est la condition posée par l’article
121-2 du Code pénal. En effet, aux termes de cet article « les personnes
morales, à
l'exclusion de
l'Etat, sont responsables pénalement, selon les
distinctions des articles 121-4 et 121-7 ».
Il s’agit là d’une exigence facilement justifiable par des raisons évidentes de
logique et d’efficacité. Car il est incontestable qu’il serait impossible de
condamner une personne n’ayant ni identité, ni existence juridique. De plus,
on ne voit pas l’intérêt qu’aurait une telle condamnation à l’encontre d’une
entité n’ayant ni droit, ni patrimoine337.
221. Ceci étant dit, il convient tout d’abord de signaler que la notion de
personne morale au sens de cet article est une notion de droit pénal. Par
conséquent, celle-ci doit être circonscrite de manière autonome. Les
conceptions prévalant en droit civil ne peuvent servir qu’à aider l’interprétation
des pénalistes. En d’autres mots, ce sont
toutes
les
formes d'entités
personnifiées qui sont susceptibles d'être mises en examen et sanctionnées
pénalement, dès lors que les conditions posées par l'article 121-2, alinéa 1er,
du Code pénal sont remplies338.
222. Bien que
la détermination des personnes morales pénalement
responsables ait constitué l’un des principaux sujets de discussion tant au
337 Desportes (F) et Le Guenehec (F),Op.cit. p. 13.
338 Robert (J-H), « Droit pénal et procédure pénale », J.C.P. éd. G 1998, I, n° 105.
119





Page 128
niveau de la commission de révision du Code pénal que du parlement, le
principe de
la
responsabilité pénale des personnes morales à objet
commercial, industriel ou financier a très vite été admis nonobstant l’opposition
de certains parlementaires339.
Ainsi, la responsabilité pénale des personnes morales s’applique sans aucun
doute aux sociétés commerciales, c'est-à-dire les sociétés anonymes, les
sociétés à responsabilité limitée (SARL), les sociétés en commandite simple
ou par actions ainsi que les groupements d’intérêt économique.
Il en est de même de la société par actions simplifiée, entrée en droit français
en 1994 (qui ne peut faire d’appel public à l’épargne) 340.
223. De ce fait, toutes les sociétés opérant sur les marchés boursiers sont
susceptibles de voir leur responsabilité pénale engagée.
Car pour pouvoir opérer sur
les marchés boursiers
la société doit
obligatoirement avoir la forme d’une société par actions. Il peut avoir la forme
d’une société anonyme, forme qui représente l’écrasante majorité des sociétés
cotées en France. Ou plus rarement la forme d’une société en commandite
par actions.
Ces sociétés étant par définition dotées de
la personnalité morale,
la
possibilité de leur incrimination ne soulève pas de doute.
Tout de même, quelques situations peuvent se révéler problématiques et il
importe en conséquence de les clarifier.
b- Quelques situations problématiques
224. S’il est clair que du fait que toutes les sociétés cotées en bourse
disposent de la personnalité morale, elles peuvent assurément engager leur
responsabilité pénale en matière de délits boursiers. Certaines situations
339 Desportes (F) et Le Guenehec (F), Op. cit. p. 8.
340 Loi n° 94-1 du 3 janvier 1994.
120




Page 129
peuvent s’avérer floues et méritent en conséquence une plus ample analyse. Il
s’agit du cas des groupes de sociétés (b.1), des sociétés en cours de
liquidation (b.2) et de la fusion ou scission de ces sociétés (b.3).
b.1- L’irresponsabilité pénale des groupes de sociétés
225. Il importe de souligner que la responsabilité pénale du groupe de
sociétés ne peut absolument pas être retenue.
En effet, les groupes de sociétés qui sont par définition constitués d’entités
juridiques autonomes, ne sont pas des sujets de droit. Et par nature, ils n'ont
pas vocation à le devenir. Cette affirmation est d’autant plus incontestable
qu'aucun système de droit ne leur reconnaît la personnalité morale341.
De plus, la responsabilité des groupes en tant que telle n’est en aucune
manière prévue expressément et les conditions exigées pour mettre en cause
celle des personnes morales semblent l’écarter.
Les groupes de sociétés ne peuvent donc être condamnés en tant que tels,
même si par le jeu de la coaction et de la complicité, les différentes sociétés
appartenant à un même groupe pourront dans certains cas, être pénalement
condamnées à la suite d’une infraction principalement commise par l’une
d’entre elles342.
226. Les groupes de sociétés, comme les sociétés multinationales, ne sont
pas un concept juridique ; le droit ne les prend en compte que dans les effets
concrets
résultant de
leur vie économique. Dès
lors,
les questions
d'imputabilité des infractions pénales en général et des délits boursiers en
particulier ne se poseront ni au niveau des groupes, ni à celui des
multinationales en tant que tels, mais au niveau des sujets de droit, personnes
341 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Ed. Lamy, 2007, p.53.
342 Pariente (M), « Les groupes de sociétés et la responsabilité pénale des personnes morales », Rev.
Soc. 1993, p. 247.
121





Page 130
physiques et des sociétés filiales, agissant dans leur intérêt et pour leur propre
compte.
227. Pourtant, il parait vrai que la prise en compte de la criminalité qui pourrait
émaner de ces groupes pourrait s’avérer être utile surtout dans une optique
d’amélioration de l’efficacité des sanctions pénales édictées en matière de
délits boursiers.
En effet, si juridiquement les sociétés liées sont autonomes, celles-ci sont
caractérisées par une interdépendance économique, financière, bancaire ou
comptable. Les décisions dans certains groupes sont imposées par la société
mère quitte même à ce que les mesures prises impliquent des sacrifices de la
part des filiales dans l’intérêt global. La filiale qui agirait sous couvert du
groupe se verrait seule sanctionnée sur le fondement de l’article 121-2 du
Code pénal alors que l’acte répréhensible aura été accompli sur ordre du
groupement dans son intérêt, avec des moyens adéquats et fournis par le
groupe. Dans cette hypothèse, la filiale en est réduite à être l’instrument par
lequel l’infraction a été commise. Par conséquent, l’activité coupable a été
dictée par le groupe grâce aux moyens dont il dispose et en fonction des
objectifs qu’il veut atteindre. La filiale se verrait injustement sanctionnée alors
que le véritable auteur de l’infraction resterait à l’écart.
228. De plus, faire supporter à une filiale ou à une société liée à un groupe la
charge du paiement des sanctions pénales pourrait être assimilé à une
injustice. Celle-ci serait infiniment plus grave si la société mise en cause est
insolvable alors que le groupe est dans une situation prospère. Retenir la
responsabilité pénale du groupe permettrait de coller à la réalité des faits.
229. Enfin,
l’irresponsabilité des groupes de sociétés permettrait de
dépénaliser
certains
faits répréhensibles et ce serait un moyen
légal
d’échapper à la loi pénale. En effet, l’article 121-3 du Code pénal exige
l’intention de commettre le délit ou le crime sauf imprudence ou négligence. Or
pour certaines infractions il serait impossible de prouver l’élément moral quand
122


Page 131
la décision a été imposée au nom de l’intérêt du groupe, par ceux qui ont le
pouvoir343.
230. La prise en compte de la criminalité pouvant émaner de ces groupes est
d’autant plus importante en matière boursière. Il ne faut surtout pas négliger le
fait que les sociétés opérant sur le marché boursier font pour la plupart partie
de groupes de sociétés. Ainsi, en 2002344, sur les 650 sociétés cotées à la
bourse de Paris (hors activités financières). La moitié d’entre elles sont des
« têtes de groupe », contrôlant plus de 7000 filiales. Au total, les sociétés
cotées ou dépendantes d’une société cotée représentent 40% de l’actif du
bilan des entreprises non financières et 51% de leurs capitaux propres. Les
filiales constituent une part importante de l’actif financier de la société cotée,
voire l’essentiel lorsque celle-ci est une holding.
Il est donc particulièrement important, en matière de délits boursiers surtout,
de prendre en compte la responsabilité pénale du groupe en entier. Cette
prise en compte devrait améliorer la lutte contre ces infractions, aider à
appréhender la réalité des faits et éviter que ces entités ne puissent échapper
à la loi pénale.
231. Afin de rendre possible la rétention de la responsabilité pénale des
groupes de sociétés, une solution semble intéressante : prévoir la possibilité
de mettre en cause la responsabilité pénale des groupements en général et
non pas seulement des entités personnifiées. Une interprétation extensive de
la notion de groupement devrait en conséquence permettre d’englober les
groupes de sociétés dans le champ de la répression pénale des délits
boursiers345.
343 Pariente (M), Op.cit. p. 248.
344 Skalitz (A), « Au-delà des entreprises : les groupes », INSEE Première, n°836 mars 2002,
disponible sur http:\\insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ip836.pdf
345 Pariente (M), Op.cit. p. 248.
123





Page 132
b.2- Les sociétés en cours de liquidation
232. « La disparition de la société n’est jamais aussi brutale que celle d’une
personne physique » car elle ouvre, sauf exception, une période de liquidation
pendant laquelle la personnalité du groupement survit pour les besoins de
cette liquidation346.
Généralement, la loi prévoit que les personnes morales dont la liquidation a
été décidée conventionnellement ou judiciairement subsistent pour les besoins
de
la
liquidation, c'est-à-dire durant
toute
la période nécessaire à
la
dissolution. Cette survie devrait, sans doute rendre possible, le prononcé à
son encontre de sanctions pénales, même pour des actes délictueux commis
avant la période de dissolution.
233. La question de la poursuite et de la sanction après la liquidation, c'est-à-
dire à un moment où la société a disparu de la vie juridique, se pose pour la
justice pénale. Ne serait-il pas facile d'échapper à la répression par une
liquidation, voire une fusion par absorption (sorte de fuite de la société) ?
L'article 133-1, alinéa 1er, du Code pénal assimile, d'ailleurs, la dissolution des
personnes morales au décès des personnes physiques : « Le décès du
condamné ou la dissolution de la personne morale, sauf dans le cas où la
dissolution est prononcée par la juridiction pénale, la grâce ou l'amnistie,
empêchent ou arrêtent l'exécution de la peine. Toutefois, il peut être procédé
au recouvrement de l'amende et des frais de justice ainsi qu'à l'exécution de la
confiscation après le décès du condamné ou après la dissolution de la
personne morale jusqu'à la clôture des opérations de liquidation ».
Cet article relatif au régime des peines ne semble donc pas interdire la
poursuite et la condamnation d’une société pour des infractions commises en
cours de liquidation, mais à la clôture des opérations de liquidation aucune
346 Desportes (F) et Le Guenehec (F), Op.cit. p14.
124



Page 133
poursuite ne peut être engagée contre une société qui n’aurait plus
d’existence. Cette même solution a été confirmée par la jurisprudence347.
Ce texte pose donc le principe de l'extinction de la peine à la « mort » (c'est-à-
dire de la dissolution) de la société au même titre que le décès d'une personne
physique.
234. Pourtant, cette assimilation, qui semble logique, a été critiquée. En effet,
on lui reproche de ne pas tenir compte du fait que si la personne physique ne
peut ressusciter (après que sa peine se soit anéantie), la société dissoute peut
revivre sous la « peau » d'une autre entité personnifiée. Il peut donc y avoir
fraude à
l'exécution de
la peine,
laquelle peut
justifier
la nullité de la
dissolution348.
Le Code pénal, on l’a vu n'a envisagé que la dissolution-liquidation, alors qu’il
est des « morts » d'entités personnifiées par fusion qui peuvent se trouver
« englouties » par des sociétés absorbantes. Dans ce cas la dissolution ne
donne pas lieu à liquidation.
b.3- La question de la fusion des sociétés
235. La fusion consiste en la transmission par une ou plusieurs sociétés de
l’ensemble de leur patrimoine à une autre société existante ou nouvelle349. Elle
emporte
la dissolution de
la société sans
liquidation et
la
transmission
universelle de son patrimoine à la société bénéficiaire de l’opération. Cette
dernière est l’ayant cause de la société dissoute ; « elle continue la société
fusionnée comme l’héritier perpétue la personne du défunt »350.
A ce titre, l’effet dévolutif du patrimoine la désigne comme un responsable de
substitution. Toutefois, si la substitution s’impose comme une évidence en
matière civile, la situation sur le plan pénal est plus compliquée.
347 Trib. correctionnel Paris, 4 mai 1998, D. 1999, jurisprudence p. 15.
348 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op.cit. p. 59.
349 Article L.236-1 du Code de commerce.
350 Gamet (L), « Le principe de personnalité des peines à l’épreuve des fusions et des scissions de
sociétés », J.C.P. éd. G 12 septembre 2001, p.1663.
125



Page 134
236. En matière pénale, il convient de distinguer entre deux situations :
Tout d’abord, si
la société est
fusionnée après avoir été définitivement
condamnée, il ne fait aucun doute que la société absorbante est tenue
d’exécuter la peine prononcée. L’article 133-1 du Code pénal disposant qu’il
peut être procédé au recouvrement de l’amende et des frais de justice, ainsi
qu’à l’exécution de la confiscation après la dissolution de la société jusqu’à la
clôture des opérations de
liquidation. Qu’il s’agisse donc de personnes
physiques
ou morales,
l’exécution
des
condamnations
pécuniaires
prononcées, sorte de charges successorales351, incombe aux héritiers.
De même,
la responsabilité pénale de
la société absorbante peut être
engagée, si elle reprend l’engagement délictueux ou en tire profit dans les cas
précédemment évoqués pour les sociétés en liquidation.
237. En revanche, si ce premier cas de figure ne pose pas de problème
particulier,
la question est
toute autre
lorsque
les
faits délictueux sont
exclusivement imputables à l’ancienne société, la société absorbante peut-elle
se voir pénalement
reprocher
les
infractions commises par
la société
absorbée ?
S’il est clair que la société absorbée a transmis à la société absorbante
l’intégralité de son patrimoine actif comme passif, et que cette dernière est
donc civilement responsable des infractions pénales commises par la société
dissoute352, la situation est moins évidente lorsqu’il s’agit de savoir si la
responsabilité pénale est
transmise à
la société absorbante. Cette
transmission ne se heurterait-elle pas au principe de la personnalité des
peines ?
En effet, la société absorbée disparaît et cela fait en principe échec à la mise
en mouvement des poursuites pénales et éteint
l’action publique. Les
351 Eschylle (J-F), « Les conditions de fond de la responsabilité pénale des personnes morales en droit
du travail », Droit Social 1994, p. 644.
352 Desportes (F) et Le Guenehec (F), Op.cit. p.14.
126



Page 135
poursuites ne sont-t-elles pas éteintes à la « mort du prévenu », selon l’article
6 du Code de procédure pénale353 ?
238. Le problème s’est posé devant la chambre criminelle de la Cour de
cassation dans un arrêt daté du 20 juin 2000354. L’arrêt concerne des
poursuites pour blessures involontaires mais il n’en demeure pas moins que la
solution devrait être la même pour ce qui est de la répression des délits
boursiers.
En
l’espèce, des poursuites avaient été diligentées contre
la société
employeur pour blessures involontaires avant que celle-ci ne fasse l’objet
d’une fusion- absorption. La société absorbante vit alors sa responsabilité
pénale engagée pour le délit.
Pour les juges du fond, la société absorbée quoique radiée du registre du
commerce, n’avait pas été liquidée et par conséquent elle n’avait pas disparu.
La société absorbante s’était dès lors substituée à elle, avec transmission
universelle de ses droits, biens et obligations355.
Toutefois, la chambre criminelle n’était pas de cet avis. Se fondant sur l’article
121-1 du Code pénal qui pose le principe selon lequel « nul n’est pénalement
responsable que de son propre fait », elle a décidé que la société absorbante
ne pouvait être tenue pour responsable des infractions commises par la
société absorbée, la fusion faisant perdre à la société absorbée son existence
juridique.
239. Cette solution fût confirmée par la Haute juridiction dans un arrêt mettant
en cause une société ayant absorbé une autre société déclarée coupable
d'homicide involontaire antérieurement à l'opération de fusion356.
353 La dissolution qui met fin à la société absorbée est un événement assimilable à la mort du prévenu
personne physique.
354 Coffy de Boisdeffre (M.-J), Note sous Cass. Crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742, L.P.A.13 mars
2001, p. 19.
355 Gamet (L), Op.cit. p. 1664.
356 La solution devrait être la même s’agissant de délits boursiers.
127



Page 136
Elle a censuré l'arrêt de la cour d'appel qui a considéré que la société
absorbante a continué la personnalité juridique de la société absorbée. La
chambre criminelle a cassé le dit arrêt, estimant que, l'absorption ayant fait
perdre son existence juridique à la société absorbée, les juges du fond ont
méconnu l'article 121-1 du Code pénal357.
240. La position de la Cour de cassation, bien que difficilement critiquable sur
le plan strictement légal, conduit à émettre la crainte que ces opérations
d'absorption ou de fusion ne soient de plus en plus inspirées par la seule
volonté d'échapper à une condamnation pénale. Et c’est surement là que le
bât blesse.
Car il est inconcevable qu’une société condamnée pénalement puisse s'y
soustraire par un montage juridique de fusion ou de scission.
En effet, face à ce subterfuge, il est probable que la justice demeure
impuissante. Car même si ce montage pourrait être annulé, au motif que sa
cause est illicite. Ce ne serait pas au juge répressif qu'il revient de soulever
cette nullité et cela explique peut-être que la pratique n'a pas connu jusqu'ici
de cas d'annulation358.
241. Il est donc important de trouver une parade à ce risque de fraude. Et sur
ce point quelques pistes proposées par la doctrine pourraient participer à
prévenir la menace de contournement de la loi.
Il faudrait penser à la possibilité d’interdire toute modification de la personne
morale dès lors que des poursuites pénales sont engagées à son encontre359.
Ou bien
le
législateur pourrait édicter une dérogation au principe de
personnalité des peines en retenant la possibilité au cas par cas de poursuivre
357 Barbièri (J-F), Note sous Cass. Crim., 14 octobre 2003, n° 02-86.376, Bull. Joly sociétés, février
2004 p. 266.
358 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op.cit. p. 62.
359 Morvan (P), Note sous Cass.Crim. 20 juin 2000, Droit Social 2000, p. 1151.
128



Page 137
« l’entreprise », quand bien même elle serait constituée sous une personne
morale différente360.
La seconde proposition est certes plus compliquée à réaliser sur le plan
juridique car
le principe de personnalité des peines est de valeur
constitutionnelle361. Toutefois, la portée de ce principe reste imprécise et le
Conseil constitutionnel lui-même admet dans certaines limites qu’il puisse lui
être porté atteinte.
242. Au-delà de ces situations, quelques peu difficiles à cerner, il s’avère que
les sociétés françaises cotées à la bourse de Paris peuvent toutes êtres
concernées par la sanction pénale si elles se rendent coupables de délits
boursiers. Mais les sociétés cotées à la Bourse de Paris ne sont pas toutes,
loin de là, de nationalité française. Et la question de la mise en cause de la
responsabilité pénale des sociétés étrangères pourrait très bien se poser.
2- Les sociétés étrangères sont incriminables
243. La question de la responsabilité pénale des sociétés étrangères, revêt
une dimension d’une particulière importance lorsqu’il s’agit de délits boursiers.
En effet, sur les 1134 sociétés cotées à la liste d’Euronext, 501 sont des
sociétés étrangères, originaires de plus de 33 nationalités362.
D’ailleurs, on aurait pu assister à la première cotation d’une société tunisienne,
en l’occurrence Tunisie Telecom, à l’Euronext de Paris à la fin de l’année
2010363. Mais cette opération a été suspendue après la révolution tunisienne.
244. Pour ce qui est de ces sociétés, dans le silence des textes, il n'y a
aucune raison de les écarter de la répression pénale pour des infractions
commises en France. Une société étrangère relèvera donc de l'ordre répressif
360 Gamet (L), Op.cit. p1667.
361 Valeur reconnue par le Conseil constitutionnel à plusieurs reprises.
362 D’après le site internet d’Euronext, http://www.euronext.com/landing/listedcompanies/overview/lc-
18912-FR.html
363AfricanManager, « C’est officiel, Tunisie Telecom sera bien cotée d’ici la fin 2010 et ce sera une
OPO ». http://www.africanmanager.com/articles/130020.html

129




Page 138
français si elle commet en France, à travers au moins l'un de ses éléments
constitutifs, une infraction à la législation boursière364.
Ainsi, on peut avancer qu’une société tunisienne pourrait être condamnée par
le juge pénal français au cas où elle réalise une opération sur des titres cotés
en France en exploitant une information privilégiée. Ou encore si une société
tunisienne était cotée à la Bourse de Paris et qu’elle diffusait de fausses
informations au public.
Réciproquement et en application de l’article L113-2 du nouveau Code pénal,
les sociétés françaises peuvent être condamnées pour des infractions portant
sur des titres cotés à l’étranger lorsque l’un des éléments constitutifs de
l’infraction a été commis en France.
245. Mais reste un problème pratique difficile à résoudre : celui de l'exécution
de la sanction que pourrait prononcer une juridiction française à l'encontre
d'une entité de nationalité (en supposant celle-ci déterminée sans conflit de
lois) étrangère d'un pays ne retenant pas ce type de responsabilité pénale tel
que la Tunisie.
Au mieux, si des sanctions comme l'amende ou la confiscation de biens ou de
valeurs pourraient être exécutées, certaines sanctions telles que la dissolution
ou simplement la fermeture d'établissement se heurteraient à la souveraineté
du droit étranger365.
Mais, en matière boursière
les sanctions se résumant en des peines
d’amende, celles-ci devraient pouvoir être exécutées.
246. Au final, il est à relever qu’outre le fait que toutes les sociétés cotées en
bourse sont susceptibles d’être sanctionnées pénalement, le large domaine de
la responsabilité pénale des sociétés cotées en bourse est conforté par le fait
que tous les délits boursiers sont imputables à ces sociétés.
364 Delmas-Marty (M), « Personnes morales étrangères et françaises », Rev. sociétés 1993, p. 256.
365 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op.cit. p. 54.
130



Page 139
Alors qu’en Tunisie,
l’option du
législateur pour une société cotée
irresponsable est d’autant plus pénalisante, en la matière objet de cette étude,
qu’aucun des délits boursiers ne peut être imputé aux sociétés cotées en
bourse.
Paragraphe 2- Délits punissables : Un différence fondamentale
247. En Tunisie, aucun texte général ne vient consacrer la responsabilité
pénale des personnes morales. Tout au plus, certains
textes éparpillés
prévoient que
les personnes morales peuvent être reconnues pénalement
responsables pour certains délits. Une reconnaissance sectorielle qui ne s’est
pas étendue aux délits boursiers (A).
248. Quant à la France, tout étonnant que cela puisse paraitre, la consécration
de la responsabilité pénale des sociétés par l’article 121-2 du Code pénal ne
s’étendit pas de suite aux délits concernés par notre étude.
Il a fallu attendre la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 pour voir reconnaitre la
possibilité d’engager la responsabilité les sociétés cotées en bourse si elles
commettent un quelconque délit boursier (B).
A- Les délits boursiers ne concernent pas les sociétés cotées
249. Si le Code pénal tunisien ne contient aucune mention ou consécration de
la responsabilité pénale des personnes morales. Certains textes spéciaux
consacrent de manière sectorielle, la responsabilité pénale des personnes
morales. « La consécration
localisée de
la
responsabilité pénale des
personnes morales parait être le choix de prédilection, tant du législateur que
de la jurisprudence tunisienne qui accentue la timidité législative par une
tergiversation caractérisée »366.
250. Il en est ainsi, par exemple, de l’article 33 du Code des changes et du
commerce extérieur qui dispose que lorsque les infractions à la règlementation
366 Belknani (F), « La responsabilité pénale des personnes morales », Op. cit. p. 521.
131




Page 140
des changes sont commises par les administrateurs, gérants ou directeurs
d’une personne morale, celle-ci pourra être poursuivie et frappée des peines
pécuniaires prévues par cette loi indépendamment des poursuites engagées
contre ses dirigeants367.
Cette disposition constitue l’illustration la plus aboutie de la responsabilité
pénale des personnes morales en Tunisie. En effet, l’article sus mentionné
précise les conditions permettant de retenir la responsabilité pénale d’une
personne pour une infraction à la règlementation des changes. Ainsi, cette
responsabilité peut être engagée si
l’infraction est commise par un ou
plusieurs dirigeants sociaux agissant au nom et pour le compte de la personne
morale. La rédaction de cet article se rapproche ainsi, un tant soit peu, de la
rédaction de l’article 121-2 du Code pénal français qui prévoit la possibilité de
retenir la responsabilité pénale des personnes morales lorsqu’une infraction
est commise « pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».368
D’autres dispositions permettent d’engager
la
responsabilité pénale des
personnes morales. A l’instar de la loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003,
relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à
la répression du blanchiment d'argent, qui prévoit que la personne morale
encoure « une amende égale à cinq fois le montant de l'amende prévue pour
l'infraction initiale»369.
251. Ces textes épars et lacunaires ne pouvaient bien évidemment pas former
« un appareil suffisant à pourvoir au besoin de protection contre la criminalité
des personnes morales»370.
367 Selon l’article 33 du Code des changes et du commerce extérieur : « Lorsque les infractions à la
réglementation des changes sont commises par les administrateurs, gérants ou directeurs d'une
personne morale ou par l'un d'entre eux agissant au nom et pour le compte de la personne morale,
indépendamment des poursuites intentées contre ceux-ci, la personne morale elle-même pourra être
poursuivie et frappée des peines pécuniaires prévues à la présente loi ».
368 V. Infra pp. 192 et s.
369 Article 101 nouveau de la loi n° 2003-75 du 10 décembre 2003 tel que modifié par la loi n°2009-65
du 12 aout 2009, voir aussi rectificatif paru au JORT n°2009-79
370 Belknani (F), Op.cit. p. 523.
132



Page 141
D’ailleurs, ce choix législatif démontre toutes ces limites en matière boursière.
Alors que les sociétés cotées en bourse sont les actrices majeures du marché
boursier, les textes édictant les délits boursiers ne prévoient pas la possibilité
de sanctionner les personnes morales.
Est-ce à dire qu’il n’est pas possible de retenir la possibilité d’une société
cotée en bourse pour un quelconque délit boursier ?
252. On pourrait dans un premier temps, se demander, l’espace d’un court
instant, si la formulation de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
qui vise « toute personne », permettrait d’inclure les personnes morales en
plus des personnes physiques dans le champ d’incrimination ?
Car se référant à la jurisprudence française, on peut constater que celle-ci a
opéré un élargissement considérable du champ d’application de
la
responsabilité pénale des personnes morales.
En effet, la Cour de cassation a estimé qu’une société peut être pénalement
responsable d’une infraction douanière, alors même que le texte de la loi ne
prévoit pas expressément cette possibilité371.
La Haute juridiction a considéré que, les textes visant « les personnes ayant
participé ou intéressées…». Ou encore d’autres textes à la formulation large et
impersonnelle ou bien des formules similaires (le propriétaire, le bénéficiaire,
toute personne…) qui existent dans de très nombreuses autres incriminations,
spécialement en dehors du Code pénal372, sont susceptibles de s’appliquer
aux personnes morales. Le même raisonnement est valable pour des textes
visant « l’agent » sous une qualité
juridique particulière générique qui
s’appliquent aux êtres moraux pour des textes visant « l’employeur » ou le
« propriétaire » et qui sont aussi applicables aux personnes morales.
Il en est de même pour les textes qui visent « toute personne… ». On peut
prendre pour exemple l’article R.362-1-1 du Code du travail qui vise « Toute
371 Bonflis (Ph), Op.cit. p. 118.
372 Ibid.
133



Page 142
personne qui aura contrevenu aux dispositions du premier alinéa de
l'article L320-1 ainsi qu'à l'arrêté pris pour son application sera punie de
l'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe ».
La seule limite est que la qualité en question puisse appartenir à un être
moral. Ainsi par exemple, un texte visant des faits commis par le « directeur
d’un établissement privé»373 ne sera pas applicable à une personne morale
puisque
la qualité de directeur ne peut appartenir qu’à une personne
physique374.
Cette solution jurisprudentielle a donc permis d’élargir le champ d’application
de la responsabilité pénale des personnes morales à beaucoup de délits qui
n’étaient pas initialement prévus par le législateur.
Le législateur conservait tout de même un certain contrôle sur le domaine
d’application de la responsabilité pénale des personnes morales. En effet, il
pouvait décider quelles infractions sont ou non imputables à ces entités
puisqu’il pouvait
toujours exclure
telle ou
telle
incrimination du domaine
d’application de cette responsabilité375.
Il se devait cependant de choisir très précisément les termes employés pour
définir les comportements répréhensibles.
Tout ce débat a perdu son utilité, en France avec l’abandon législatif du
principe de spécialité376.
253. Cette solution pourrait-elle alors être transposable en droit tunisien ?
On peut en douter, car en Tunisie, il n’y a pas de texte général traitant de la
responsabilité pénale de la personne morale. Il n’y a pas d’équivalent à l’article
373 Loi n°98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer l’obligation scolaire, JORF 22 décembre
1998.
374 Même si le texte en question prévoit curieusement expressément la possibilité de poursuivre les
personnes morales pour les faits en question, ce texte étant une illustration de ce que le principe de
spécialité est facteur de complication du droit pénal puisque le législateur lui-même commet des
erreurs.

375 Planque (J-C), Op.cit. p. 2858.
376 V. infra p. 136.
134



Page 143
121-2 du Code pénal français. La solution retenue par la Cour de cassation
française ne peut pas, à notre sens, être retenue en Tunisie. Toute tentative
d’élargissement de la responsabilité pénale de la personne morale aux textes
incriminant « toute personne » devrait se heurter au principe de la légalité des
peines.
On peut donc avancer avec certitude qu’au vu de l’état de la législation et de
la jurisprudence tunisienne, les sociétés cotées en bourse sont exclues du
domaine de la répression lorsqu’il s’agit de délits boursiers.
254. Peut-on continuer à ignorer la criminalité dont peuvent faire preuve les
sociétés ?
Cette situation qui est de nature à porter atteinte à l’efficacité de la répression
pénale en matière boursière ne doit pas perdurer longtemps. Il apparait
souhaitable d’adopter la responsabilité pénale des personnes morales, du
moins pour les délits boursiers. Dans ce sens, la réception en droit tunisien de
la position française pourrait constituer une alternative acceptable.
B- Des sociétés cotées concernées par tous les délits boursiers
255. La responsabilité pénale des sociétés apparaît comme la manifestation la
plus spectaculaire de la pénalisation du droit des affaires, une pénalisation
délibérée et préméditée selon les propos du professeur Roujou de Boubée377.
Une pénalisation qui n’a cessé de se durcir et de s’étendre. En effet, le
principe tel qu’il fût adopté en 1994 n’était pas un principe général. La
responsabilité pénale des personnes morales obéissait au départ au principe
de spécialité en vertu duquel cette responsabilité ne pouvait être retenue que
lorsqu’elle était prévue «par la loi ou le règlement ». Le législateur n’avait pas
prévu au moment de l’introduction de la responsabilité pénale des personnes
377 Roujou de Boubée (G), « La responsabilité pénale des personnes morales », RJ.com Novembre
2001 N° spécial : colloque de la Baule : où en est la dépénalisation dans la vie des affaires 15 et 16
juin 2001, p. 11.
135




Page 144
morales dans le nouveau Code pénal que cette responsabilité soit générale et
qu’elle concerne l’ensemble des infractions. En effet, l’article 121-2 du code
pénal français énonçait dans son alinéa 1er, avant sa modification par la loi du
9 mars 2004, que les personnes morales sont « responsables pénalement
dans les cas prévus par la loi ou les règlements ».
Ainsi, les sociétés ne pouvaient être déclarées pénalement responsables que
dans les seuls cas où une loi ou un règlement l'auraient prévu378.
256. Et bizarrement le législateur avait omis, entre autres oublis379, de rendre
possible l’incrimination des personnes morales pour des délits boursiers. La
mise en jeu de la responsabilité pénale des sociétés pour ces infractions
n’était donc pas possible durant les premiers mois d’application du nouveau
code pénal.
En dépit du nouveau Code pénal, l'alinéa 2 de l'article 10-1 de l'ordonnance
n°67-833 du 28 Septembre 1967 incriminant les opérations d’initié continuait
ainsi, en 1994, de spécifier que « dans le cas où les opérations (d'initié) auront
été réalisées par une personne morale, les dirigeants de droit ou de fait de
celle-ci seront pénalement responsables des infractions commises ». Ainsi,
en 1995, un administrateur et un manager dirigeant le service financier d'une
banque ayant commis une opération d'initié pour
le compte de
leur
établissement, en lui assurant un profit de plus de 90 millions de francs380, ont
dû encourir personnellement une amende au moins égale à ce montant.
Bien sûr, au vu des spécificités du marché boursier, dont les opérateurs sont
exclusivement des sociétés, cet oubli était inconcevable et ne pouvait par
conséquent durer.
378 Ce choix pourrait s’expliquer par le fait que le législateur redoutait les effets possibles de son
innovation. Les rédacteurs du Code pénal n’ont pas voulu généraliser la responsabilité pénale de peur
de perdre la maîtrise du système mis en place (
Desportes (F) et Le Gunehec (F), Op.cit. p. 14.)
379 Le délit de publicité trompeuse, la subornation de témoins, le délit de construction sans permis et
plusieurs autres délits ne pouvaient pas à l’époque être imputés aux personnes morales.
380 Le tribunal, dans l'affaire de la Bue, prononça des peines de 1.000 F d'amende et de 4 mois de
prison assorties d'un sursis (T.G.I., 30 juin 1992) ; la Cour d'appel aggrava l'amende qu'elle fixa à
100.000 F et l'affaire se termina devant la Cour de cassation (Cass. Crim., 26 juin 1995, L.P.A , juillet
1995, n
o 89, p. 44) qui cassa sans renvoi.
136



Page 145
257. Critiquée par la doctrine381, cette carence ne dura pas longtemps et cette
anomalie
fut, de ce
fait, rapidement réparée puisque
la possibilité de
sanctionner les sociétés pour des délits boursiers fût introduite par la loi n° 96-
597 du 2 juillet 1996. Cette loi, codifiée dans le Code monétaire et financier,
étendit aux délits boursiers l'application de l'article 121-2 du nouveau Code
pénal382.
Depuis cette date, une société cotée en bourse encourt les peines prévues par
le nouveau Code pénal383 lorsqu'un délit boursier a été commis pour son
compte par l'un de ses organes ou représentants. Sans que la responsabilité
pénale de la personne morale n'exclut celle de la personne physique384.
258. Bien sûr, cette disposition ne présente plus d’intérêt depuis le 1er janvier
2006, date de l’entrée en vigueur de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004385. Une
loi qui abrogea le principe de spécialité de la responsabilité pénale des
personnes morales.
Ainsi, la modification opérée par l’article 54 de la loi sus citée supprime, dans
les conditions mises par l’article 121-2 du Code pénal à la mise en œuvre de
la responsabilité pénale des sociétés, la nécessité que l’infraction en cause ait
été spécialement prévue «par la loi ou le règlement ».
La nouvelle version de l’article 121-2 est ainsi rédigée : « Les personnes
morales, à
l’exclusion de
l’Etat, sont responsables pénalement, selon les
distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur
compte, par leurs organes ou représentants ».
De ce fait, la possibilité de sanctionner les sociétés cotées en bourse pour un
quelconque délit boursier ne suscite guère de doutes.
381 Ducouloux-Favard (C), « Quatre années de sanctions pénales à l'encontre des personnes
morales », D. 1998 p. 395
382 Seuvic (J-F), « Responsabilité pénale des personnes morales : nouvelles incriminations », Rev. de
science criminelle 1997 p. 407/
383 Articles 131-37, 131-38 et 131-39.
384 Rontchevsky (N), « Droit pénal boursier », G.P., 12 mars 2002 n° 71, p. 15 §10.
385 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004, art 54, JORF 10 mars 2004.
137



Page 146
259. Au total, le domaine de la responsabilité pénale des sociétés cotées en
bourse en France s’avère particulièrement large, touchant toutes ces entités
qui se retrouvent sous la menace de tous les délits boursiers.
Cette réalité française contraste totalement avec la situation qui prévaut en
Tunisie. En effet, les sociétés cotées en bourse tunisiennes sont à l’abri de la
répression pénale : aucun texte légal ne vient engager leur responsabilité
pénale pour un quelconque délit boursier.
260. Dès lors, le droit tunisien devrait, en plus de résoudre les difficultés
latentes entravant la mise en œuvre de la responsabilité pénale des dirigeants
de sociétés cotées en bourse, consacrer un régime permettant la mise en
œuvre de la responsabilité pénale de ces sociétés au fort potentiel criminel. Le
régime français consacrant la responsabilité pénale des personnes morales
pouvant servir à cet effet de modèle au législateur tunisien.
Mais corriger ces lacunes ne suffira pas à rétablir la transparence et l’intégrité
des marchés boursiers
tunisiens. Car
la
répression pénale en matière
boursière souffre d’une mise en œuvre laxiste qui contraste avec la rigueur de
la sanction pénale susceptible d’atteindre sociétés cotées et leurs dirigeants
en France.
138









Page 147
CHAPITRE II
UNE MISE EN ŒUVRE INEGALE
261. Les sociétés cotées en bourse et leurs dirigeants ne croulent pas, en
Tunisie, sous le poids de la menace pénale : les différentes lacunes, déjà
explicitées, des
textes portant
répression des
infractions boursières,
la
légèreté des sanctions édictées et le laxisme des autorités judiciaires font que
la répression pénale en matière boursière n’est qu’une douce utopie.
En effet, l’étude de cette responsabilité fait apparaitre que législateur et
tribunaux tunisiens n’ont pas pris conscience de la nécessité de disposer d’un
dispositif pénal performant.
Ils ne se sont pas donné
les moyens de
contraindre
les différents acteurs du marché boursier à exécuter
leurs
obligations légales.
262. La situation est bien différente en France où le droit pénal des affaires a
connu une évolution spectaculaire au cours des deux derniers siècles.
Alors qu’il était pratiquement au stade embryonnaire au début du 19ème
siècle386, le dispositif répressif relatif au monde des affaires est devenu, peu à
peu387, « impressionnant »388. Très tôt, une prise de conscience du caractère
incohérent et imparfait de ces textes s’est alors opérée389.
386 Le droit pénal était pratiquement absent dans le code de commerce de 1807, où on trouvait
uniquement les incriminations de la banqueroute simple et frauduleuse.
387 Il a commencé à faire progressivement son apparition dans le domaine du droit des sociétés avec la
loi du 17 juillet 1856 ayant réglementé les sociétés en commandite par actions et celle du 24 juillet
1867 ayant autorisé la création libre de sociétés anonymes. Le mouvement de pénalisation continue
fermement avec les décrets du 8 août 1935 suivis par d'autres du 30 octobre 1935. Ainsi, a été
incriminé l'abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix, tant dans les SA que dans les SARL.
388 Hamel (J), préface au droit pénal spécial des sociétés anonymes, Dalloz, 1955, p. VIII.
389 Déjà, lors des travaux préparatoires de la loi du 24 juillet 1966, la problématique de savoir s'il
fallait maintenir un dispositif pénal aussi étoffé était à l’ordre du jour.
139





Page 148
Ce mouvement s'est matérialisé, avec la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles
régulations économiques qui a allégé le dispositif pénal en abrogeant quinze
incriminations390.
Mais, le domaine boursier n’a pas bénéficié de cette tendance. Ainsi, à contre-
courant du
timide391mouvement de dépénalisation du droit des affaires, la
répression des infractions à la législation boursière ne cesse de s’accentuer 392.
263. La comparaison entre droit tunisien où la répression pénale est peu
présente et droit français où la répression pénale en la matière est bien
présente, se révèle alors édifiante. Et la France n’est pas un cas isolé, la
répression pénale est omniprésente dans la plupart des législations qu’elles
soient occidentales ou nord africaines. Il en est ainsi, de la loi américaine et
des droits français ou marocain.
Il parait cependant que le législateur tunisien, ne l’entende pas de cette oreille.
Qu’il ne pense pas que
l’instauration de
la
transparence des marchés
financiers tunisiens doive passer par la répression pénale. Là où la répression
ne semble pas trop affecter les dirigeants tunisiens, en France, la pénalisation
vise en premier lieu les dirigeants sociaux (Section 1). De plus, si en Tunisie,
les sociétés cotées en bourse sont pénalement irresponsables, en France, la
sanction pénale n’épargne pas non plus ces sociétés. (Section 2).
390 Le mouvement s’est prolongé à travers deux lois datées du 1er août 2003 « de sécurité financière »
et « pour l'initiative économique », qui ont supprimé quatorze délits qui étaient désuets, jamais mis en
œuvre par les parquets.
Ensuite, les ordonnances n° 2004-274 du 25 mars 2004 « portant simplification du droit et des
formalités pour les entreprises » et n° 2004-604 du 24 juin 2004 « portant réforme du régime des
valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », ont continué à éroder l’arsenal répre ssif
français en matière de droit des affaires ;
Matsopoulou (H), « Les propositions sur « la dépénalisation
de la vie des affaires » », Rev. des sociétés 2008 p. 1 n°2.
391 Bouloc (B), « La dépénalisation dans le droit pénal des affaires », D. 2003, Chron, p. 2492 ;
Haschke-Dournaux (M), « Les voies de la réforme du droit pénal des sociétés », Bull. Joly Sociétés
2003, n° 4, p. 377 ; V. aussi pour plus de détails sur cette thématique : colloque de l'Association Droit
et Commerce, « Où en est la dépénalisation dans la vie des affaires ? » RJ. com, n° spécial, novembre
2001.

392 Dethomas (A), « L'évolution du manquement d'initié », D. 2005 p. 706.
140




Page 149
SECTION I
LES DIRIGEANTS SOCIAUX : UNE INEGALITE INJUSTIFIEE
264. Certaines dispositions pénales du droit tunisien visent expressément les
dirigeants sociaux. Ainsi,
l’article 13 sexis du
code des sociétés
commerciales393 punit d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de
cinq mille dinars ou de l’une de ces deux peines, tout dirigeant d’une société
commerciale qui entrave la mission du ou des commissaires aux comptes.
Il en est de même en France où la pénalisation du droit boursier a tendance à
viser les mandataires sociaux : les dirigeants de droit exploitant ou per mettant
d'exploiter une
information privilégiée sont expressément visés comme
auteurs d'un délit d'initié394, les dirigeants d'un OPCVM ou d'un fonds de
créance procédant à des placements collectifs en valeurs mobilières sans
avoir obtenu l'agrément de l’AMF s'exposent aux sanctions395, les dirigeants
d'une société de gestion d'un OPCVM ou d'un fonds commun de créance sont
pour leur part incriminés en cas d'absence de désignation du commissaire aux
comptes du fonds396, ou en cas d'obstacle aux fonctions de ce commissaire
aux comptes397...
265. Néanmoins, la mise en œuvre de la responsabilité pénale des dirigeants
des sociétés cotées en bourse diffère entre la France et la Tunisie.
Cette différence se manifeste tant au niveau de la teneur de la répression
pénale subie par les dirigeants sociaux (Paragraphe 1) qu’au niveau de la
393 Ajouté par la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005 relative au renforcement de la sécurité des relations
financières, qui dispose dans son article 11 qu’ « Est puni d’un emprisonnement de six mois et d’une
amende de cinq mille dinars ou de l’une de ces deux peines, tout dirigeant d’une société commerciale
ou d’un groupement d’intérêt économique qui entrave les travaux du ou des commissaires aux
comptes ou qui refuse de fournir, à leur demande, par tout moyen qui laisse une trace écrite, les
documents nécessaires à l’exercice de leurs missions. »
394 Article L 465-1 al. 1er du code monétaire et financier.
395 Article L 231-3 du code monétaire et financier.
396 Article L 231-4-I du code monétaire et financier.
397 Article L 231-4-III du code monétaire et financier.
141




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rigueur des sanctions potentiellement infligeables par les autorités judiciaires
(Paragraphe 2).
Paragraphe 1- Une répression à deux vitesses
266. Dire que la répression pénale des délits boursiers en Tunisie est un
mythe, ne relève pas de l’exagération encore moins de la dramatisation. Il
s’agit d’un mythe non seulement à cause des carences
législatives
précédemment explicitées, mais aussi et surtout à cause d’une mise en œuvre
particulièrement laxiste et inefficace de la répression pénale de ces infractions.
Une répression
laxiste qui ne fait peser qu’une légère menace sur les
dirigeants sociaux (A).
Au contraire, en France, bien que le législateur se soit engagé sur la voie de la
dépénalisation398, cette dépénalisation n’a pas profité aux dirigeants sociaux
qui voient encouragée l’action pénale à leur encontre (B).
A- Une répression laxiste
267. Une répression pénale efficace est nécessaire au bon fonctionnement du
marché boursier tunisien.
Il s’agit, en effet, d’un marché
jeune qui est encore dans une phase
d’apprentissage et d’instauration de bases solides de fonctionnement. Un
marché qui est encore en manque de traditions solides, où l’évolution des
cours est souvent déconnectée des informations véhiculées par les émetteurs.
Dans ce cadre, où il parait difficile de penser que les différents acteurs de ce
marché
puissent
s’auto
réguler,
sanctionner
les
comportements
répréhensibles apparait vital à la survie et au développement de ce marché.
398La thématique de la dépénalisation du droit des affaires s’est imposée comme un objet de réflexion
au niveau doctrinal et législatif. Une divergence est alors apparue entre une doctrine commercialiste
favorable à l'idée d'une dépénalisation et au développement de la responsabilité civile des dirigeants.
Et une doctrine pénaliste qui faisait valoir qu'il convenait de ne pas baisser la garde (
Herzog (J-B),
« Rêveries d'un pénaliste solitaire sur le droit des sociétés », D. 1966. Chron. 91) Car, même si
certaines infractions ne sont pas très fréquemment mises en œuvre, leur existence servirait à dissuader
de les commettre. Ces textes répressifs auraient alors, un effet préventif (Matsopoulou (H), Op.cit. p.
1 n°1).
142




Page 151
La sanction édictée étant de nature à inciter un grand nombre de personnes à
respecter de la norme399.
Des sanctions plus dures et une mise en œuvre effective de poursuites
pénales sont nécessaires pour préserver
la
transparence des marchés
boursiers tunisiens.
268. Car le moins qu’on puisse dire à propos des sanctions applicables en la
matière c’est qu’elles sont exagérément clémentes400. Mais ce qui appuie
encore plus nos affirmations, c’est l’absence d’une quelconque jurisprudence
en matière de délits boursier. Une situation due à des poursuites qui se
révèlent inexistantes.
A notre connaissance, de toute l’histoire du marché boursier tunisien, jamais
aucune personne n’a été reconnue coupable d’un quelconque délit boursier.
Ce constat nous impose deux suppositions, deux hypothèses :
Ainsi, soit les marchés financiers tunisiens sont un paradis de transparence,
d’intégrité, un paradis composé d’émetteurs vertueux, et de dirigeants
honorables. Ou bien la mise en œuvre de la répression pénale laisse à
désirer.
269. On va se permettre d’écarter la première possibilité, non seulement pour
des raisons évidentes de logique, mais aussi à cause de constatations bien
précises.
En effet, un rapport commandité par le CMF401 a mis en évidence quelques
cas douteux.
En effet, il y a eu à plusieurs reprises des cas de hausse importante de cours
qui précédaient l’annonce d’un événement important (attribution généreuse
d’actions gratuites) dont l’impact sur le cours a été prouvé empiriquement. La
399 Bouloc (B), « La dépénalisation dans le droit pénal des affaires », D. 2003 p. 2492.
400 V. infra p 166.
401 Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en
Tunisie, Mai 2002 p. 131.

143



Page 152
réaction anticipée du marché trouvant certainement son origine dans une
propagation d’informations privilégiées dont certains ont pu tirer profit.
270. Pour les délits de manipulation de cours, plusieurs cas auraient eu lieu
mais sans qu’il ait été possible de les démontrer. Ces cas concernent
particulièrement les titres à faible liquidité et à faible capitalisation sur lesquels
il est plus facile d’intervenir. Ceci peut être validé par la concentration des
transactions d’une valeur autour d’un seul et même intermédiaire, pour le
compte d’un ou plusieurs clients. Cette concentration d’ordres peut être
souvent
révélatrice d’une volonté de manipulation de cours qu’elle soit
destinée à le soutenir artificiellement ou à attirer de nouveaux investisseurs.
Cette dangereuse pratique a été souvent observée sans qu’elle n’ait donné
lieu à notre connaissance à des sanctions. Pourtant, la corrélation est très
forte entre la concentration des ordres mesurée sur une longue période et
l’évolution des cours. Les statistiques des transactions par intermédiaire et par
valeur peuvent fournir en ce sens des indicateurs très intéressants.
Entre
le 01/03/2000 et
le 15/03/2000 date de
la
réunion du conseil
d’administration qui a entamé l’étude d’opportunité de doubler le capital par
incorporation de réserves, le cours de la SOTETEL a pris 26,9% (contre 1,6%
pour le Tunindex).
Ensuite, entre le 16/05/2000 date de la réunion du conseil qui a entériné la
décision et le 24/05/2000, date de l’annonce officielle de cette décision, le
cours progressera encore de 13%. Comme on peut le voir à deux reprises,
l’information semble avoir déjà été reflétée dans le cours bien avant l’annonce
officielle de l’opération projetée402.
De même, des situations anormales ont été souvent constatées lors des
premières cotations de valeurs nouvellement admises, notamment dans le cas
où une forte demande est subitement annulée lorsque la cotation devient
imminente. Ces opérations de retrait ou de passage d’ordres au dernier
402Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en
Tunisie, Mai 2002 p131.

144



Page 153
moment visant à empêcher ou provoquer une cotation, peuvent souvent
révéler des pratiques douteuses.
271. Les enquêtes diligentées par
le CMF sont donc rares. Et même
lorsqu’elles aboutissent à la saisine du procureur de la République, celui-ci
semble classer ces affaires403.
Ainsi, la lecture du rapport annuel du CMF de 2004 nous apprend, qu’une
enquête a été ouverte par les services du Conseil à la suite de la hausse
anormale du cours des titres d’une société cotée ainsi que des quantités
échangées, et ce, alors que les informations publiées par la société font état
d’une légère baisse de ses résultats.
Cette enquête a révélé que des intervenants sur la valeur ont entravé le
fonctionnement
régulier du marché en
recourant à des manipulations
consistant d’une part à initier des ordres d’achat ou de vente au nom de
portefeuilles gérés afin d’amener progressivement la valeur à un prix souhaité
et d’autre part à émettre des ordres d’achat de quantités importantes de titres
dans le but non pas de les acquérir mais de contrôler le cours de la valeur
sachant que ces ordres ont été annulés par l’initiateur dès l’exécution d’une
opération au prix voulu.
Les investigations ont démontré que la hausse du cours des titres était
préméditée dans
le but d’exécuter une opération
importante à un prix
préalablement déterminé ce qui constitue une manipulation des cours des
titres de la société, infraction prévue par l’article 81 de la loi n° 94-117 du 14
novembre 1994 portant réorganisation du marché financier qui énonce que «
Sera punie des peines prévues au premier paragraphe du présent article
(1000 à 10.000 dinars) , toute personne qui, directement ou par personne
interposée, aura sciemment exercé ou tenté d’exercer sur le marché d’une
403 Kossentini (M), « Le droit du marché financier à l’heure de l’intégration de la Tunisie dans
l’espace euro-méditerranéen », Actes du colloque international « Les implications fiscales et
financières de l’association euro-méditerranéenne », Faculté de droit de Sfax, Revue Tunisienne de
Fiscalité n°11 2009 p. 178.

145



Page 154
valeur mobilière ou d’un produit financier placé par appel public à l’épargne,
une manœuvre ayant pour objet d’entraver le fonctionnement régulier du
marché ou d’induire autrui en erreur. »
Le CMF a donc décidé de transmettre le dossier au Procureur de la
République404. Pourtant, le procureur ne semble pas avoir donné de suite à
cette affaire.
272. On le voit donc à travers ces cas, des infractions ont été relevés et il y’a
fort à miser que d’autres violations continuent à se commettre. Pourquoi alors
ce laxisme ?
On pourrait trouver plusieurs explications à ce laxisme. Première hypothèse :
les lacunes textuelles suffisent-elles à expliquer ces non poursuites ?
Ce qui est certain, « c’est que
les moyens et
les outils d’enquête et
d’investigations doivent être renforcés afin de pouvoir détecter les pratiques
frauduleuses et de les sanctionner. Il s’agit d’une phase indispensable pour
préserver la transparence et l’intégrité du marché et pour éviter les opérations
préjudiciables à sa crédibilité et à son image »405.
Pourtant le dispositif est là, il existe déjà. Le Conseil du Marché Financier a
créé une cellule de surveillance du marché qui contrôle
le marché
quotidiennement.
Quand cette cellule relève des anomalies pouvant constituer des délits
boursiers, elle déclenche des inspections afin de vérifier l’existence et l’origine
d’agissements illégaux. La lecture des rapports du CMF de 1999 et 2000 fait
état de quelques enquêtes mais aucun délit d’initié ni de manipulation de
cours n’ont été prouvés.
273. Pourquoi n’y a –t-il jamais eu de poursuites alors ?
Est-ce le souci de préserver l’image de la bourse tunisienne ?
404 Rapport annuel du CMF 2004, pp. 72 et 73.
405 Etude précitée p.131.
146



Page 155
Mais dans ce cas c’est l’effet contraire qui est atteint. Quand des infractions
sont détectées et sanctionnées cela prouve l’efficience du système répressif.
Ce qui ne peut que renforcer l’image du marché.
Est-ce par manque de moyens ?
Il est permis d’en douter. En vertu de l’article 37 et 39 de la loi du 14
novembre 1994, le CMF possède un large pouvoir d’enquête : droit de visite,
de convocation, d’audition… Des
investigations qui sont pénalement
protégées406… Le CMF qui
lorsqu’il constate des agissements qui sont
passibles de sanctions pénales doit en informer le Procureur de la République.
Est-ce peut-être alors par souci de ne pas entraver la liberté d’entreprise, de
ne pas brusquer ou de ne pas faire peur aux investisseurs potentiels par des
normes pénales trop rigides ?
Peut-être, mais là aussi ça dénoterait d’une vision à court terme qui ne
pourrait pas à la longue assurer l’attractivité du marché.
Difficile alors, de trouver des justifications à ce laxisme.
274. On pourrait cependant trouver une explication dans l’opacité régissant le
fonctionnement de l’Etat autoritaire antérieur à la révolution du 14 janvier
2011.
Pour étayer cette hypothèse, on pourrait citer l’identité des accusés impliqués
dans ce qui sera peut-être la première affaire de délit d’initié à être portée
devant les tribunaux : le président déchu et des membres de sa famille.
Dans cette affaire, la compagnie aérienne Tunisair a, en août 2009, cédé la
totalité de ses participations dans la banque UIB (2,2 millions d’actions) au prix
de 14,5 dinars l’action pour un montant total de 32,842 millions de dinars.
L’intermédiaire en bourse qui s’est chargé de la transaction MAC SA, n’a pas,
à l’époque, indiqué le nom de l’acheteur.
406 Des moyens qui seront mieux explicités dans la deuxième partie.
147



Page 156
Après cette vente, au début du mois de septembre une série de transactions
de bloc sur la Bourse portant sur un grand nombre d’actions de l’UIB, furent
observés407.
Ces transactions importantes dont on ne connaissait pas les acteurs, n’ont
suscité aucune réaction officielle sur l’identité des acheteurs et des vendeurs.
Très rapidement le titre de l’UIB a, à l’époque, soudainement pris de la valeur
passant en quelques jours de 14,6 dinars à 17,8 dinars.
La plus-value monterait rapidement à plus de sept millions de dinars en
quelques jours.
Il s’est avéré ensuite que les trois acheteurs sont Asma Mahjoub (fille de Jelila
Trabelsi, belle-sœur de Ben Ali), Belhassen Trabelsi (beau-frère de Ben Ali) et
d’une entreprise appartenant à des enfants de
l’ancien président408.
Ils ont acheté les actions au prix de 14,5 dinars l’action via un compte ouvert
spécialement à l’ATB qui leur a accordé un crédit-relais.409
Il y’a fort à parier que les prochains mois apporteront leur lot de révélations et
poursuites.
275. Devant cet état de fait, et quel qu’en soit les motifs, il est difficile de croire
qu’une personne tentée par la commission d’un délit boursier puisse en être
dissuadée par la simple crainte des répercussions éventuelles. Face à des
délits difficiles à caractériser, des sanctions plutôt charitables, une volonté
répressive qui tarde à se manifester, il est fort à parier que l’individu aura
plutôt envie de tenter sa chance et de commettre des infractions boursières.
407 Bahloul (N), « UIB : les transactions se suivent et se ... ressemblent », 9/9/2009,
http://www.businessnews.com.tn/details_article.php?t=520&a=18913&temp=1&lang=&w=
408 Bahloul (N), « Affaire des 7 MDT de plus value de la vente des actions de l’UIB : comment Ben
Ali a procédé »,
5/5/2011, http://www.businessnews.com.tn/details_article.php?t=520&a=24655&temp=1&lang=

409 Bahloul (N), « Zine El Abidine Ben Ali aurait réussi une plus value de 7 MDT suite à la cession
par Tunisair de ses actions dans l’UIB ! », 04/05/2011,
http://www.businessnews.com.tn/details_article.php?t=520&a=24639&temp=1&lang=#2
148



Page 157
Cependant notre propos ne doit pas être mal compris. Bien sûr, il n’est pas
dans notre intention d’exagérer la portée des sanctions pénales. Renforcer les
sanctions pénales à lui seul ne rendra pas à lui seul les marchés financiers
tunisiens transparents. Il s’agit plutôt et surtout d’envoyer un signal fort aux
contrevenants. Leur signifier la fin de l’ère de l’impunité dont ils bénéficiaient.
Cela ne pourra que contribuer à l’établissement d’un climat plus serein, plus
transparent. Il ne pourra que contribuer à rétablir la confiance dans les
marchés financiers tunisiens.
D’ailleurs, l’impunité dont bénéficie les dirigeants de sociétés cotées en bourse
en Tunisie contraste avec la situation qui prévaut en France où l’action pénale
est encouragée à l’égard des dirigeants.
B- Une action pénale encouragée
276. S’il fallait citer un avantage découlant de la répression pénale en matière
boursière, ce serait son rôle dans l’indemnisation des victimes des infractions
boursières. Souvent seul recours d’investisseurs désabusés, à qui l’autorité
administrative410 reste sourde à leurs revendications, leur niant tout droit à
réparation et qui risquent fort de se perdre dans les méandres des actions
civiles411.
En effet,
les autorités administratives malgré
leur
très
large pouvoir de
sanction ne peuvent indemniser les victimes d’agissements frauduleux. Et
demander réparation d’un préjudice découlant d’un délit boursier devant la
juridiction civile risque de se heurter à des difficultés qui font qu’il est plus
avantageux de demander une telle réparation devant la juridiction civile.
277. Cet état de fait a pour conséquence d’encourager l’action pénale à
l’encontre des dirigeants. Cette pénalisation dirigée vers les dirigeants sociaux
peut s’avérer particulièrement injustifiée d’autant plus que la mise en jeu de la
410 V. infra pp. 363 et s.
411 V. infra pp. 384 et s.
149



Page 158
responsabilité pénale en matière financière se trouve encouragée par de
nombreux facteurs.
L’accès facilité des parties civiles au procès pénal (1) et l’allègement du
fardeau de
la preuve (2),
font que
le recours à
l’option pénale est
particulièrement intéressant.
1-
Un accès aisé au procès pénal
278. L'action de la partie civile semble servie par les règles régissant la
procédure pénale, qui lui confèrent la possibilité, avant même que ne soit
posée la question de son indemnisation, de peser sur le cours du procès pénal
afin de voir constater la constitution de l'infraction. 412
Cette facilité d’accès à la juridiction pénale de la victime d’une infraction
boursière, se traduit tant au stade de l'instruction (a) qu'au moment du procès
devant la juridiction de fond (b).
a-
Un accès facilité lors de l’instruction
279. La facilité d’accès au procès pénal s’exprime dès le stade de l’instruction.
Une jurisprudence bien ancrée estime que la constitution de partie civile est
recevable même sans la preuve de l'existence d'un préjudice actuel et certain.
Du moment que les circonstances sur lesquelles s'appuie la prétendue victime
permettent au
juge d'admettre comme possible
l'existence du préjudice
allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale, la
constitution de partie civile est recevable devant la juridiction d'instruction413.
Si cette prise de position est de nature à conforter les droits des potentielles
victimes, elle amène, néanmoins, à des situations contradictoires. Ainsi,
certaines décisions ont admis la constitution de partie civile d’un actionnaire, à
412 Dezeuze (E), « La réparation du préjudice devant la juridiction pénale », Rev. sociétés avril-juin
2003 p. 261.

413 V. notamment Cass. Crim. 9 février 1961, D. 1961, 306 ; 13 avril 1967, 593 ; 5 mars 1990, Bull.
crim. n° 103 ; 11 janvier 1996, Bull. crim. n° 16 ; 4 juin 1996, Bull. crim. n° 230 ; 8 juin 1999, Bull.
crim. n° 123.
150




Page 159
titre personnel, au stade de l'instruction alors que la Cour de cassation se
trouve réticente à admettre le préjudice direct de l'actionnaire d'une société 414.
280. Le contrôle de
la
juridiction d'instruction apparait donc comme
« minimal »415, celle-ci se contente de vérifier si, abstraitement,
le délit
dénoncé est susceptible d'occasionner un préjudice à
la catégorie de
personnes à laquelle appartient le plaignant.
Un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation, en matière
de délit d’initié illustre parfaitement ces propos.
En l’espèce, la Haute juridiction pose le principe en vertu duquel, pour qu'une
constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, « il
suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge
d'admettre comme possible l'existence d'un préjudice en relation directe avec
une infraction à la loi pénale ». Dès lors elle casse, l'arrêt de la chambre de
l'instruction qui, pour confirmer
l'ordonnance du
juge d'instruction ayant
déclaré irrecevable la constitution de partie civile d'un actionnaire du chef de
délit d’initié, énonce que
la cession d'actions par des administrateurs
disposant d'informations privilégiées, si elle peut porter atteinte au
fonctionnement normal du marché, ne cause par elle-même aucun préjudice
personnel et direct aux autres actionnaires de la société416.
281. Le délit d’initié, s’il est prouvé, est donc susceptible de causer un
préjudice personnel direct aux actionnaires.
La solution novatrice ainsi dégagée par la Cour de cassation, parait plutôt
surprenante. En effet, la solution ne coulait pas de source car le préjudice
résultant d’un délit d’initié est difficilement intelligible.
D’ailleurs, même si le principe de la possibilité pour une partie civile de se
prétendre victime d'une infraction d'initié n'avait pas été soulevé devant la
414 V. infra pp. 418 et s.
415 Dezeuze (E), Op.cit. p 261.
416 Bouloc (B), Note sous Cass. crim, 11 décembre 2002Alain X Rev. des sociétés 2003 p. 145.
151



Page 160
chambre de l'instruction ni devant la Cour de cassation, le délit d'initié était
traditionnellement considéré par la doctrine comme un délit sans victime, si ce
n'est le marché.
282. Au regard de ceux qui se sont intéressés à la question, l’objectif poursuivi
par l'incrimination du délit d’initié n'est pas la sauvegarde des intérêts des
personnes mais la protection de l'ordre public et l'intérêt général attaché à
l'intégrité du marché, valeurs dont seul le ministère public a la charge
d'assurer la sauvegarde417.
C’est donc sur ce point que cet arrêt parait critiquable. Le préjudice éventuel,
porté aux intérêts de l’actionnaire d’une société cotée, qui découlerait de
l’utilisation d'une information privilégiée relative à cette même société est
difficilement perceptible. Surtout, s'il ne s'est pas lui-même livré, en même
temps, à une opération inverse, à celle réalisée par l’initié (il vend ses titres
lorsque l’initié en achète ou en achète lorsque l’initié en vend), sur le titre de la
société418.
283. Un autre arrêt de
la Cour de cassation419 rendu en matière de
présentation ou publication de comptes infidèles traduit parfaitement cette
tendance. La chambre criminelle a confirmé la position de la chambre de
l'instruction qui a déclaré recevable la constitution de partie civile d’un porteur
de certificats d'investissement d'une société dont
les dirigeants étaient
accusés de ce délit « dès lors que le délit de présentation ou publication de
417 Hovasse (H), Note sous C.A. Paris, 9e ch., 15 janvier 1992 : Dr. Soc., 1992, comm. no 189 ; Peltier
(F)
, Note sous C.A. Paris, 9e ch., 15 janvier 1992 et Cass. crim., 15 mars 1993 : Banque et droit,
novembre-décembre 1993, p. 23 ;
Franchi (F), « À quoi peut bien servir la responsabilité pénale des
personnes morales ? » : Rev. science criminelle, 1996, p. 286 ;
Simart (O) et de Vauplane (H), «
Délits boursiers, une proposition de réforme » : Rev. Droit bancaire et bourse, 1997, p. 95 ; Pour une
position plus nuancée V.
Viandier (A), « Observations sur l'utilisation d'une information privilégiée »
: Bull. Joly Sociétés, 1992, p. 255.
418 Dezeuze (E), Note sous Cass. Crim., 11 décembre 2002, Bull. Joly Sociétés, 01 avril 2003 n° 4,
p. 433 n°5.
419 Barbièri (J-F), Note sous Cass. Crim., 30 janvier 2002, Bull. Joly Sociétés, 01 juillet 2002 n° 7,
p. 797

152



Page 161
comptes
infidèles peut causer un préjudice direct aux associés ou aux
porteurs de titres d'une société ».
284. La victime d’une infraction boursière dispose d’un accès facilité au procès
pénal. En effet, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant
la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle
s'appuie permettent au
juge d'admettre comme possible
l'existence d'un
préjudice en relation directe avec une infraction à la loi pénale. C’est ce qui
ressort de l'article 2 du code de procédure pénale qui dispose que l'action
civile « appartient à ceux qui ont personnellement souffert d'un dommage
directement causé par l'infraction ».
285. La chambre criminelle de la Cour de cassation juge cependant de longue
date que pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la
juridiction d'instruction,
il suffit que
les circonstances sur
lesquelles elle
s'appuie permettent au
juge d'admettre comme possible
l'existence du
préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi
pénale420.
Autrement dit, du moment qu’un délit cause un préjudice direct et personnel à
la victime, celle-ci est fondée de se constituer partie civile421.
286. En matière de délits boursiers, l’accès au procès pénal se trouve ainsi
justifié pour
les présumées victimes des agissements
frauduleux des
dirigeants car les délits boursiers sont susceptibles de causer un préjudice
« direct et personnel » à la société faisant appel public à l’épargne et à ses
actionnaires.
Ainsi, concernant le délit d’initié, la Cour de cassation dans un arrêt important,
estime que le délit d’initié est susceptible de causer un « préjudice personnel
direct aux actionnaires »422.
420 V. Cass. Crim. 6 octobre 1964, Bull. crim. n° 256 ; Cass.Crim. 6 septembre 2000, Bull. crim. n°
263.
421 Sur les conditions d'exercice de l'action civile, V. notamment Stefani (G), Levasseur (G) et
Bouloc (B)
, « Procédure pénale », Précis Dalloz, 18ème Ed., 2001, n° 230 et s.
153



Page 162
Celle-ci estime que pour qu’une constitution de partie civile soit recevable
devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles
elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possible l'existence d'un
préjudice en relation directe avec une infraction à la loi pénale. Elle casse
ainsi, l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour confirmer l'ordonnance du
juge d'instruction ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile d'un
actionnaire du chef de délit d’initié, énonce que la cession d'actions par des
administrateurs disposant d'informations privilégiées, si elle peut porter
atteinte au fonctionnement normal du marché, ne cause par elle-même aucun
préjudice personnel et direct aux autres actionnaires de la société, alors que le
délit d’initié, à le supposer établi, est susceptible de causer un préjudice
personnel direct aux actionnaires423.
287. D’ailleurs, il n’y a pas que les actionnaires déçus qui ont la possibilité de
se constituer partie civile. La société victime d’agissements frauduleux de la
part de ses dirigeants est aussi fondée à exercer l’action civile.
En effet, en matière de délits de présentation ou de publication de comptes
infidèles d'une société et de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, la
cour de cassation424 estime que ces infractions causent un préjudice direct à la
société concernée.
La haute juridiction, a confirmé en partie le jugement de la Cour d’appel de
Paris425 qui estime que le fait pour le dirigeant d'une société cotée de publier
des comptes consolidés et un tableau d'activité ne prenant pas en compte
(absence de provision spécifique)
les
risques
liés à des opérations
immobilières à la suite du retournement du marché immobilier parisien en
422 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim, 11 décembre 2002 Op. cit. p. 145 ; Rontchevsky (N), RTD
com.
2003 p.336 ; Riffault-Silk (J), Rev. de science criminelle 2004 p. 113.
423 Bouloc (B), Note sous Cass.Crim. 11 décembre 2002 Op.cit. p. 145
424 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim. 29 novembre 2000, Rev. sociétés 2001 p.380 ; Rontchevsky
(N), RTD Com. 2001 p. 493,
425 Riffault (J), Note sous C.A. Paris, Rev. science criminelle 1999. 604.
154



Page 163
1991 constitue le délit de fausse information prévu par l'article 10-1, alinéa 3
de l'ordonnance du 28 septembre 1967426.
Plus notable, est la partie de l’arrêt où la chambre criminelle considère que le
délit de diffusion de fausses informations cause non seulement un préjudice
aux actionnaires, qui ont acheté leurs titres sur le fondement de celle-ci, mais
aussi à la société elle-même427. Elle estime en effet que « les délits de
présentation ou de publication de comptes annuels infidèles d'une société et
de diffusion d'informations fausses ou trompeuses causent un préjudice direct
à la société ». Elle infirme ainsi sur ce point la cour d’appel de Paris et opte
pour la position prise par les juges de première instance428.
La Cour de cassation admet ainsi, l'action civile au profit de la société, les
différents prévenus, devant verser des indemnités dont le montant a été
apprécié souverainement par les juges du fond429.
288. La solution
retenue par
la chambre criminelle est généralement
critiquée430 au motif que ce genre de manipulations est généralement, de
nature à, octroyer à la société cotée une image plus reluisante que la réalité.
Du délit ne découlerait ainsi, aucun dommage
immédiat au patrimoine
social431.
Pareille solution
formulée en des
termes catégoriques, a ainsi, suscité
quelques réserves. Le dommage matériel subi par la société ne serait pas
évident si sa situation réelle est moins bonne que celle que reflètent ses
comptes ou l'information financière diffusée en son nom : de tels comptes
426 Rontchevsky (N), Obs sur Cass. Com. 15 juin 1999, RTD Com. 1999 p. 928
427 Rontchevsky (N), Note sous Cass Crim 29 novembre 2000, RTD Com. 2001 p. 493.
428 Trib. Correctionnel de Paris, 17 décembre 1997, RTD Com 1998 p.640
429 Bouloc (B), Note sous Cass.Crim, 29 novembre 2000, Op.cit. p. 380
430 Bouloc (B), Op.cit p. 391 ; Caussain (J-J), Deboissy (F) et Wiicker (G), Note sous Cass. crim.,
30 janvier 2002, J.C.P. éd E 2002, n
o 5.
431 Reygrobellet (A), « L'action civile en cas de délits comptables », L.P.A, 12 avril 2007 n° 74, p. 57,
§ 8.
155



Page 164
inexacts conforteraient les actionnaires de maintenir leur investissement et les
tiers de confier leur crédit à la société432.
289. Ceci dit, il est vrai, comme le souligne un auteur, que la publication de
comptes inexacts ou la diffusion de fausses informations est susceptible de
porter atteinte à l'image de la société. Le mensonge perpétré par les dirigeants
sociaux porte en effet, sur la société. En agissant de la sorte, ceux-ci, portent
un grave préjudice au crédit dû aux informations divulguées par la société. De
ce
fait,
toute diffusion de
fausses
informations porterait directement un
préjudice à la société car « elle instille un ferment de déloyauté dans ses
relations avec les tiers ».433
De plus, la Haute juridiction a, en l'espèce, retenu le fait que la diffusion de
fausses informations avait semble-t-il empêché les nouveaux dirigeants de la
société d'intervenir plus tôt afin de limiter ses pertes et l'avait ainsi privé d'une
chance d'éviter d'avoir à payer une somme supérieure à vingt millions de
francs434.
290. En tous cas, il est certain que le préjudice social est plus évident dans
l'hypothèse où les comptes sociaux auraient été volontairement dégradés par
rapport à la situation réelle de la société (pour échapper en tout ou partie à
l'impôt sur les sociétés, ou pour dévaloriser les titres de société, en vue d'une
opération favorable aux dirigeants), situation susceptible de provoquer une
affectation du crédit de la société, et un renchérissement de son recours à
l'emprunt435.
291. Mais la critique la plus pertinente adressée à la solution dégagée par la
Haute Cour est celle de conduire à une situation paradoxale.
En effet,
la diffusion d'informations fausses ou trompeuses relative à la
situation d'une société cotée est de nature à engager la responsabilité pénale
432 Dezeuze (E), Note sous Cass. Crim., 11 décembre 2002, Op.cit p. 433.
433 Reygrobellet (A), Op.cit. n°9.
434 Rontchevsky (N), Op.cit.
435 Dezeuze (E), Op.cit. p.433.
156



Page 165
de la société elle-même, si l'infraction a été commise pour son compte par l'un
de ses organes ou représentants436.
Se pose ainsi la question de savoir si la société cotée peut, en pareille
situation, se présenter comme victime de
l'infraction commise par son
dirigeant, si sa propre responsabilité pénale a vocation à être engagée ? Ce
paradoxe, qui reste valable pour les autres infractions boursières illustre les
limites de la solution dégagée en des termes trop généraux par la Cour de
cassation437.
Par contre, l’arrêt sus cité a déclaré irrecevable la constitution de partie civile
d'une fédération de syndicats de banques et sociétés financières. Il estime que
« le préjudice indirect qui serait porté à l'intérêt collectif de la profession par les
délits poursuivis ne se distingue pas du préjudice,
lui-même
indirect,
qu'auraient pu subir individuellement les salariés de l'entreprise »438.
Aussi,
le
tribunal correctionnel de Paris est allé
jusqu’à admettre,
la
constitution de partie civile
lors de poursuites pour
les
infractions de
présentation de comptes inexacts, de diffusion d'informations inexactes et de
délit d'initiés439.
La facilité d’accès au procès pénal dès le stade de l’instruction, est par
conséquent évidente. Mais l’aisance avec laquelle la partie civile peut accéder
au procès pénal ne s’arrête pas à la phase de l’instruction. Elle s’exprime
aussi devant les juridictions de jugement.
b-
Une action recevable devant les juridictions de jugement
292. Lors du procès, la juridiction de jugement considérera la recevabilité de la
constitution de partie civile de manière plus sévère. Pour qu’elle soit gagnante,
436 V. supra pp 190 et s.
437 Dezeuze (E), « La réparation du préjudice devant la juridiction pénale », Rev. sociétés 2003 p. 261.
438Rontchevsky N, note sous Cass Crim 29 novembre 2000, RTD Com. 2001 p. 493
439 Magnier (V), « Information boursière et préjudice des investisseurs », Recueil Dalloz 2008 p 558.
157



Page 166
cette constitution sera, en effet, subordonnée à la preuve d'un dommage
personnel découlant directement de l'infraction.
Paradoxalement, le défaut d’une telle preuve ne lui prohibera pas de se
présenter au procès et d'exercer durant celui-ci tous les droits de la partie
civile. Elle pourra ainsi, en particulier, solliciter des mesures d'instruction,
interroger les témoins ou les prévenus, présenter ses prétentions en personne
ou par l'intermédiaire d'un avocat...
293. Car même en cas de demandes de constitution inaccoutumées ou
fantaisistes, le tribunal saisi ne pourrait que difficilement rejeter la constitution
avant le début des débats au fond440.
En effet, l'article 459 du code de procédure pénale prévoit, concernant les
juridictions correctionnelles, que « le tribunal qui est tenu de répondre aux
conclusions ainsi régulièrement déposées doit joindre au fond les incidents et
exceptions dont il est saisi, et y statuer par un seul et même jugement en se
prononçant en premier lieu sur l'exception et ensuite sur le fond. Il ne peut en
être autrement qu'en cas d'impossibilité absolue, ou encore
lorsqu'une
décision immédiate sur l'incident ou sur l'exception est commandée par une
disposition qui touche à l'ordre public. »
De ce fait, alors même que l'irrecevabilité de la constitution de partie civile est
soulevée et plaidée avant le début des débats au fond, la décision sur cette
recevabilité serait jointe au fond. La partie civile, pourrait peser sur la
procédure et participer aux débats, jusqu’à la décision même si l’irrecevabilité
de sa constitution parait évidente dès le départ. Une décision à l'encontre de
laquelle elle pourrait exercer toutes voies de recours.
294. Pour contrecarrer ce genre de constitutions de parties civiles notoirement
illégitimes la cour d'appel de Paris a dégagé une parade originale : le tribunal
440 Dezeuze (E), « La réparation du préjudice devant la juridiction pénale », Op. cit. p. 261.
158




Page 167
rattache la recevabilité des constitutions de partie civile à l'ordre public et aux
exigences d'une bonne administration de la justice. La constitution abusive,
constitutive d'un détournement de procédure, peut ainsi être tranchée, avant
tout débat sur le fond.
Il s’agit là d’une solution raisonnable capable de bloquer l'immixtion de parties
civiles fantaisistes dans le procès pénal. Une solution définitive pourrait
consister en un changement législatif qui permettrait au tribunal répressif de
trancher avant tout débat au fond, la recevabilité des constitutions de partie
civile manifestement infondées. Et à ne permettre l’exercice des voies de
recours contre cette décision qu'à partir du moment où une décision aura été
rendue sur le fond441.
295. Il est à signaler que bien évidemment, l'abus du droit de se constituer
partie civile est répréhensible. Une peine d'amende qui peut atteindre 15 000 €
est envisagée par l’article 177-2 du code de procédure pénale, sans préjudice
de l'action en dommages-intérêts de la personne visée par la plainte442. Pour
certains auteurs, cette double « menace » est de nature à dissuader les
particuliers dont le préjudice sera souvent inférieur au montant maximum de
l'amende encourue - d'agir au pénal, surtout lorsque les éléments constitutifs
de
l'infraction pénale n'apparaissent pas
réunis de
façon évidente443.
Néanmoins, il y’a fort à parier que les avantages octroyés par une action civile
sont de nature à inciter à dépasser ce risque qui en pratique s’avère somme
toute minime.
296. D’autre part, la recevabilité de l'action de la partie civile n'est en aucun
cas conditionnée par une demande de réparation de son préjudice.
441Ibid.
442Article 91 du code de procédure pénale.
443 Janville (T), « Tel peut-il être aisément pris qui croyait prendre ? Les dispositifs de sanction et de
réparation de l'abus de constitution de partie civile après la loi du 15 juin 2000 », G.P., 2002, 2., doctr.,
p. 1291 ; Arsouze (Ch) et Ledoux (P), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Bull.
Joly Bourse, 01 juillet 2006 n° 4, p. 399.
159



Page 168
La présumée victime peut se satisfaire d'être présente au procès pénal, de
l'avoir déclenché, de peser sur son cours, et elle préférera chercher ailleurs
son indemnisation. Il peut s’agir même d’un cas où la justice pénale n'a pas le
pouvoir de lui octroyer une indemnisation444.
Ceci, est de nature à faciliter l’accès à la juridiction pénale par la présumée
victime d'une
infraction
imputable aux dirigeants sociaux,
la partie civile
n'ayant pas à solliciter du juge pénal une indemnisation de son préjudice par
ces dirigeants.
297. Cette action de la partie civile devant la juridiction pénale n'aurait pas
alors qu'une motivation vengeresse : il peut être utile de voir reconnaître par le
juge pénal le principe de la faute du dirigeant social, alors que le procès pénal
lui permettra un accès facilité à la preuve des faits poursuivis445.
De même, un autre avantage pourrait inciter la présumée victime à recourir à
la voie pénale afin d’obtenir réparation. Il s’agit de la facilitation de la preuve
du fait dommageable.
2-
Une preuve facilitée
298. La facilitation de l’administration de la preuve du fait dommageable
apportée par le recours à la voie pénale est un avantage qui est loin d’être
négligeable au vu de la difficulté à apporter la preuve en une matière aussi
complexe et technique.
En effet, obtenir réparation d’un préjudice découlant d’une infraction boursière
devant la juridiction pénale pourrait s’avérer particulièrement avantageux en
raison de l’allègement de la charge de la preuve qui incombe à la victime. Cet
444 Tel serait le cas également d’un litige dans lequel le dirigeant dont la responsabilité est évoquée est
un fonctionnaire agissant en qualité de représentant de l'Etat aux organes de direction des sociétés
publiques ou semi-publiques : seules les juridictions administratives auraient vocation à se prononcer
sur l'action en réparation engagée contre le fonctionnaire ou contre l'Etat, à raison des fautes non
détachables de la fonction commises par le fonctionnaire (V.
Petit (S), « La responsabilité pénale des
agents des trois fonctions publiques », Berger-Levrault, 2
ème Ed. 1998 pp 90 et s.), Arsouze (Ch) et
Ledoux (P), Op.cit. p399.
445 Dezeuze (E), Op.cit. p 261.
160



Page 169
allègement se manifeste à travers une preuve moins couteuse (a) et un
domaine de responsabilité plus large (b).
a- La décharge du fardeau de la preuve
299. Pour obtenir réparation devant les juridictions civiles, la prétendue victime
d’un délit boursier devrait démontrer la faute commise par le dirigeant social.
Cette preuve, portant sur un fait juridique, serait certes libre, conformément
aux règles du droit civil, mais incomberait quand même au demandeur.
Par contre, en déclenchant une instruction pénale ou en y intervenant, le
plaignant bénéficie d’un avantage considérable. Il est déchargé du fardeau de
la preuve, qui pèserait dans ce cas sur le juge d’instruction.
Une fois saisi de la plainte, le juge a le devoir d’instruire quelles que soient les
réquisitions du ministère public.
300. La jurisprudence est constante sur le fait que le juge « a le devoir
d’instruire dans
telle mesure qu'il appartiendra » sur
les constitutions
régulières de partie civile « en pleine indépendance des réquisitions de la
partie publique »446.
En effet, le procureur de la République se trouve dans l’obligation, tel que
l’exige la loi, de requérir l'ouverture d'une information, sauf dans les cas
restrictifs définis à l'alinéa 4 de l'article 86 du code de procédure pénale447. A
sa suite,
le
juge d’instruction, régulièrement saisi, est obligé d'informer,
excepté dans les cas où l'action publique est affectée de causes empêchant
l'engagement de celle-ci.
301. Toute réquisition du procureur de la République visant à restreindre
l'étendue de
la saisine du
juge en cours d’instruction serait d’ailleurs
446 Cass. Crim. 23 mars 1954, Bull. crim. no 114.
447 Il s’agit de raisons qui touchent l'action publique elle-même : si les faits ne peuvent pas légalement
comporter une poursuite ou si ces faits ne peuvent admettre aucune qualification pénale
161




Page 170
inopérante. Le juge est tenu de statuer par ordonnance de règlement sur tous
les faits dont il a été régulièrement saisi. Pour la Cour de cassation448, l'article
86 du code de procédure pénale, sous la réserve prévue par le 4e alinéa, fait
que le juge d’instruction, régulièrement saisi d'une plainte avec constitution de
partie civile, a le devoir d’instruire quelles que soient les réquisitions du
ministère public. Par contre, s'il est saisi d'un réquisitoire de refus d'informer,
le juge ne peut passer outre sans statuer par une ordonnance motivée449. La
jurisprudence est particulièrement stricte dans l'appréciation de ces causes450.
302. En s’appuyant sur ce devoir d’instruire qui incombe au juge d’instruction,
les plaignants désireux d’engager
la
responsabilité civile des dirigeants
sociaux peuvent contourner
les restrictions qui entravent
le recours aux
mesures d'investigations civiles.
L’exemple d’un actionnaire d'une société cotée qui, dans le cadre d'un litige
concernant la prise du contrôle de la société, accusait ses dirigeants de
diverses fautes de gestion offre une illustration fort instructive de nos propos.
Celui-ci, s’est vu rejeter par le président du tribunal de commerce une
demande en « référé-probatoire » fondée sur l'article 145 du nouveau code de
procédure civile et visant à obtenir par expertise la preuve de ces fautes. Il lui
était reproché de ne pas avoir avancé des éléments minimaux permettant de
suspecter l'existence de telles fautes. L’actionnaire engage alors ut singuli une
action en responsabilité à l'encontre des dirigeants sociaux devant le tribunal
de commerce qui subit le même sort que la première action.
C’est alors qu’une société animée par son avocat achète des actions de la
société cotée et dépose une plainte avec constitution de partie civile du chef
448 Cass. crim. 24 mars 1977, Bull. crim. no 112 ; De même Cass. crim. 29 janvier 1985, Bull. crim.
n
o 45.
449 Cass. crim. 2 octobre 1996, Bull. crim. no 341
450Ambroise-Casterot (C), « Répertoire de droit pénal et de procédure pénale », Action civile - juin
2002, n°157.
162




Page 171
d'abus de biens sociaux, qui conduit à l'ouverture d'une information dans le
cadre de laquelle une expertise est ordonnée sur les opérations critiquées451.
303. En se constituant partie civile le plaignant se voit alors offrir les moyens
coercitifs dont le juge d’instruction dispose afin de rechercher la vérité452.
Des moyens plus rapides et efficaces que les modes de preuve du droit civil.
Des perquisitions et saisies pourront permettre à la partie civile d'accéder à
des documents qu'elle aurait eu bien du mal à obtenir par le moyen d’une
action civile.
La justice peut aussi procéder à des interrogatoires qui puisqu’ils seront
conduits dans un cadre coercitif pourraient permettre d'obtenir des
informations - voire des aveux - difficilement accessibles dans un procès civil.
Des expertises, quasi-systématiques dans
les
instructions
financières,
permettront d'établir les éventuels manquements du dirigeant à la législation
ou la réglementation applicables ou ses fautes de gestion. Quand bien même
les agissements mis en évidence ne seraient pas pénalement qualifiables, il
serait
loisible à
la partie civile d'engager une nouvelle action devant la
juridiction civile et de solliciter de celle-ci la communication aux débats par le
ministère public de tout ou partie des pièces de la procédure pénale453.
Toujours en matière de preuve, un autre avantage non négligeable pourrait
décider la présumée victime à engager l’action pénale et à se constituer partie
civile : le cout de la preuve. En agissant ainsi, elle n’aura pas à assumer ce
coût (qui se fait généralement par le moyen de l’expertise de gestion). Un coût
qui peut être considérable en matière d’expertise comptable ou financière454.
451 Dezeuze (E), Op.cit p.261.
452 Stefani (G), Levasseur (G), Bouloc (B), « Procédure pénale », Dalloz, 16ème Ed. n°225.
453 Dezeuze (E), Op.cit. pp 261 et s.
454 Ibid.
163



Page 172
Aussi, en recourant à l’option pénale la présumée victime bénéficiera de
conditions favorables à la mise en cause de la responsabilité du dirigeant de la
société cotée en bourse.
b-
Un domaine de responsabilité plus large
304. Autre avantage conséquent du recours à la voie pénale : la responsabilité
civile des dirigeants sociaux est plus étendue si l'action est engagée devant la
juridiction pénale.
Contrairement aux juridictions civiles455, les juridictions pénales ne distinguent
pas entre faute séparable ou non des fonctions, et condamnent le dirigeant à
indemniser
la victime dès
lors qu'il « a
intentionnellement commis une
infraction ayant porté préjudice à un tiers ».
305. La
faute « introuvable » devant
les
juridictions civiles devient
« trouvable » devant les juridictions pénales. Si cette formulation peut paraitre
paradoxale, elle
trouve
toute sa
justification dans
la
jurisprudence des
chambres civile et pénale de la Cour de cassation.
En effet, la chambre pénale a pris le contrepied de son homologue civil. Un
principe jurisprudentiel bien établi depuis un arrêt de la chambre criminelle de
la Cour de cassation daté du 20 mai 2003456 fait que la responsabilité civile du
dirigeant est susceptible d’être engagée en cas d’infraction intentionnelle.
Reprenant
la solution dégagée par
l'Assemblée plénière de
la Cour de
cassation du 14 décembre 2001457, la Haute Juridiction rappelle que le
dirigeant ne peut pas être assimilé à un préposé au sens de l'article 1384,
alinéa 5 du code civil. De ce fait, la responsabilité civile personnelle du
dirigeant est retenue s’il se rend coupable une infraction intentionnelle qui
455 V. infra p. 410.
456 Giudicelli-Delage (G), Note sous Cass.Crim. 20 mai 2003, Rev. Science criminelle 2003 p. 807 ;
Bouloc (B), RTD com. 2003 p 832.
457 Bull. crim. n° 269
164




Page 173
entraine un préjudice à un tiers. Le fait qu'il s'agisse d'un délit intentionnel,
donc voulu, exclut que la faute puisse être inséparable des fonctions458.
306. Une autre décision, émanant du Tribunal de grande instance de Paris459
est de nature à donner de plus amples précisions quant aux conditions de la
recevabilité de l'action en indemnisation et quant à sa détermination devant les
juridictions pénales concernant les délits boursiers.
En l’espèce, le président de la société Sidel a été condamné pour présentation
de comptes infidèles, diffusion d'informations inexactes et mensongères. Ces
informations erronées avaient pour but d’enjoliver des résultats et des marges
pour les faire apparaitre meilleurs qu'ils ne l'étaient en réalité. Des actionnaires
se sont constitués partie civile afin de demander réparation du préjudice
personnel subi du fait de ce délit. Le tribunal a déclaré leur action recevable.
Les magistrats parisiens ont estimé que, le préjudice découle du fait que,
croyant la valeur réelle de leur titre supérieure à ce qu'elle était réellement, les
actionnaires n'ont pas fait les arbitrages qu'ils auraient fait en l'absence
d'informations trompeuses. Le préjudice consiste en la perte d'une chance.
Le président de Sidel a été condamné à verser 10 euros par action détenue à
chaque actionnaire qui s’est constitué partie civile (environ 700 actionnaires).
Le jugement déclare la société Sidel civilement responsable de ses dirigeants
pour ce qui est de la réparation des intérêts civils des infractions retenues.
Le tribunal n’a pas tenu compte des arguments développés par les dirigeants
qui arguaient que leur responsabilité civile personnelle ne pouvait pas être
engagée dès
lors qu'ils n'avaient pas commis de
fautes personnelles
détachables de leur fonction sociale.
Les juges parisiens, dans la lignée de la jurisprudence dégagée par les
juridictions pénales, qui contrairement aux juridictions civiles ne distinguent
458 Bouloc (B), Note sous Cass.Crim. 20 mai 2003, Op.cit p. 832 ; Giudicelli-Delage (G), Op.cit p
807.
459 Schmidt (D), Note sous TGI Paris, 11e ch., 12 sept. 2006, Affaire Sidel, D. 2006. Point de vue.
2522 ; Aussi
Daigre (J-J), Rev. sociétés 2007. 102 et Dezeuze (E), Bull. Joly bourse 2007 p 37.
165



Page 174
pas entre faute séparable ou non des fonctions, condamnent le dirigeant à
indemniser
la victime dès
lors qu'il « a
intentionnellement commis une
infraction ayant porté préjudice à un tiers ».
307. L’option de la voie pénale a donc été fructueuse pour les victimes de
l’infraction. Ce choix a ouvert le droit à une indemnisation des actionnaires qui
n’aurait pas été possible devant les juridictions civiles. 460
L’action pénale à l’encontre des dirigeants de sociétés cotées en bourse est,
au final, encouragée par plusieurs facteurs qui font que ces dirigeants seront
la cible privilégiée des actions pénales en matière boursière.
Ces poursuites pénales représentent, alors, une menace d’autant plus difficile
à supporter pour les dirigeants sociaux, que la possibilité qui leur est offerte
d’exonérer leur responsabilité demeure réduite.
308. Le contraste entre droits tunisien et français est alors évident. Là où en
France les recours à l’encontre des dirigeants de sociétés cotées en bourse
sont encouragées. En Tunisie, les poursuites ne sont pas engagées à l’égard
des contrevenants à la législation boursière.
La réticence des autorités judiciaires tunisiennes à recourir à la sanction
pénale étant d’ailleurs aggravée par le faible pouvoir dissuasif des sanctions
encourues par les sociétés cotées en bourse et leurs dirigeants en Tunisie.
460 Thomasset-Pierre (S) et Le Bars (B), « Droit des marchés financiers », D. 2007 p 2418.
166









Page 175
Paragraphe 2- Une dissuasion inégale
309. La norme pénale en matière de transparence des marchés financiers a
une fonction d’une importance capitale. Il s’agit non seulement de sanctionner
des comportements jugés immoraux par la société. Mais surtout ces sanctions
ont pour fonction de dissuader de la commission des délits boursiers. Les
peines prévues revêtent donc une importance primordiale.
Peut-on dire alors considérer que les peines retenues par les droits tunisien
(A) et français (B) remplissent cette fonction d’ « intimidation »?
A- Des sanctions exagérément clémentes
310. On est en droit de douter du degré de dissuasion des sanctions édictées
par le législateur tunisien en matière de répression des infractions à la
transparence et à l’intégrité du marché boursier. En effet, le législateur se
propose de châtier les auteurs de ces infractions, en leur imposant des peines
d’amende qui vont de 1000 à 15.000 dinars.
311. En premier lieu, le délit d’initié est puni d’une amende allant de 1000 à
10.000 dinars. Et en cas de réalisation de profit, le montant de l'amende peut
être porté au quintuple du montant du profit réalisé, sans que le montant de
l'amende puisse être inférieur à ce profit.
La comparaison avec les droits étrangers démontre le caractère extrêmement
indulgent de ces sanctions.
En droit français, le délit d’initié est puni de deux ans d'emprisonnement et
d'une amende de 1 500 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de
ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans
que l'amende puisse être inférieure à ce même profit461.
La loi américaine quant à elle, sanctionne très sévèrement le délit d’initié.
Ainsi, le département de justice, peut de sa propre initiative ou sur demande
461 Article L 465-1 du Code monétaire et financier.
167



Page 176
de la SEC462, engager des poursuites pénales qui peuvent aboutir à des
sanctions très sévères. Ainsi, la section 32 (a) du Securities Exchange Act de
1934 tel qu’amendé par le Sarbanes-Oxley Act de 2002, prévoit des peines de
prison pouvant atteindre 20 ans pour les personnes physiques. En plus de
peines d’amende extrêmement élevées463.
En Jordanie, le délit d’initié est puni d’une peine d’emprisonnement allant
jusqu’à trois ans, et d’une peine d’amende allant jusqu’à cent mille dinars en
plus d’une autre amende dont le montant minimum équivaut à deux fois le
profit réalisé ou de la perte évitée et dont le montant maximum équivaut à cinq
fois le profit réalisé ou de la perte évitée464.
Plus près de chez nous, au Maroc, la législation financière s’avère aussi
autrement plus sévère que la loi tunisienne. Ainsi, le délit d’initié est puni d’une
peine d’emprisonnement pouvant aller de 3 mois à 2 ans. En plus d’une
amende pouvant atteindre le quintuple du profit éventuellement réalisé sans
que son montant puisse être inférieur à 200 000 DH, ou l’une des deux peines
seulement465.
La loi du 14 novembre 1994 apparaît ainsi particulièrement laxiste dans la
répression d’un délit qui pourtant porte fortement atteinte à l’intégrité du
marché financier et rompt un principe fondamental sur lequel repose le
marché boursier : l’égalité entre les investisseurs.
312. Deuxièmement, la sanction du délit de communication d’informations
privilégiées, n’est guère plus dissuasive, puisque là aussi, seule l’amende est
prévue. D’un montant allant de 1500 à 15000 dinars466.
462Bainbridge, Stephen (M)., “An Overview of US Insider Trading Law: Lessons for the EU?”,
January 2005, UCLA School of Law, Law-Econ Research Paper No. 05-5. Available at SSRN:
http://ssrn.com/abstract=654703 or doi:10.2139/ssrn.654703
463 http://www.mystockoptions.com
464 Article 110 de la loi jordanienne relative aux valeurs mobilières.
465 Article 25 alinéa 1 du Dahir portant loi n° 1-93-212 (4 rebia II 1414) relatif au conseil
déontologique des valeurs mobilières et aux Informations exigées des personnes morales faisant a ppel
public à l'épargne (B.O. 6 octobre 1993).
466 Article 81 alinéa 5 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
168



Page 177
Là encore la comparaison avec les législations étrangères laisse pantois. En
France l’article L465-1 alinéa 2 du Code monétaire et financier punit la même
infraction d’un an d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende. La
récente loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 dans son article 132 est venue par
ailleurs prévoir la possibilité de porter le montant de cette amende « au-delà
de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé,
sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit »467.
Au Maroc, ce délit est passible d’une peine de trois mois à un an
d’emprisonnement et d’une amende allant de 20000 à 100000 dirhams468.
313. Le constat est le même pour les autres délits boursiers. Les délits à l’effet
notoirement néfaste sur l’intégrité et la transparence des marchés financiers
que sont la diffusion de fausses informations ou encore la manipulation de
cours ne sont punissables que d’une peine d’amende allant de 1000 à 10000
dinars. Alors que la personne qui se rendra coupable de ces pratiques pourra
en retirer des profits bien plus importants.
314. Il est bon de rappeler que la diffusion d’informations fausses peut mettre
en difficultés sérieuses une société cotée ou encore induire en erreur des
épargnants qui se fieraient à ces informations et procurer des profits indus à
leurs auteurs qui peuvent atteindre des sommes très élevées.
La manipulation de cours quant à elle, est un délit aux graves conséquences
et qui peut rapporter gros à son auteur.
315. Il est de ce fait inconcevable que le risque encouru par l’auteur de ces
infractions soit inférieur, et de loin, aux bénéfices qu’il peut en récolter. Peut-
on penser qu’une personne puisse être dissuadée de commettre ces délits par
une peine d’amende allant de 1000 à 10000 dinars alors que les éventuels
467 Capdeville (J-L), « Aggravation des sanctions du délit de communication d’une information
privilégiée par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 », Bull. Joly Bourse, 01 juin 2012 n° 6, p. 244.
468 Article 25-1 du Dahir portant loi n° 1-93-212 (4 rebia II 1414) relatif au conseil déontologique des
valeurs mobilières et aux Informations exigées des personnes morales faisant appel public à l'épargne
(B.O. 6 octobre 1993) ajouté par l'article 1er de la loi n° 23-01 promulguée par le dahir n° 1-04-17 du
21 avril 2004 - 1
er rabii I 1425 ; B.O. du 6 mai 2004)
169



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profits qu’il peut en récolter peuvent atteindre des centaines de milliers de
dinars, si ce n’est des millions ?
Là encore, l’exclusion de la peine de prison et les montants ridiculement bas
des peines d’amendes font qu’il est fort probable que le jeu en vaille la
chandelle.
316. Pour se rendre compte du caractère ridicule de ces peines, une
comparaison avec les sanctions imposées par législations étrangères et les
peines dont sont passibles des infractions similaires en Tunisie.
Car comparé à d’autres
législations étrangères,
le droit
tunisien semble
charitable
lorsqu’il
s’agit
de
réprimer
des
agissements
hautement
répréhensibles.
En droit français, une manipulation de cours est punissable de deux ans
d'emprisonnement et d'une amende de 1 500 000 euros dont le montant peut
être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit
éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même
profit469. L’auteur du délit de diffusion de fausses informations est passible de
ces mêmes sanctions470.
Au Maroc, Les délits de manipulation de cours et de diffusion d’informations
fausses ou trompeuses sont passibles d’une peine d’emprisonnement de trois
mois à deux ans et d'une amende de 10 000 à 500 000 dirhams ou de l'une de
ces peines seulement.
Le montant de cette amende pourra être porté jusqu'au quintuple du montant
du profit éventuellement réalisé, sans qu'il puisse être inférieur à ce même
profit471.
469 Article L465-2 alinéa 1 du Code monétaire et financier.
470 Article L465-2 alinéa 2 du Code monétaire et financier.
471Article 26 du Dahir portant loi n° 1-93-212 (4 rebia II 1414) relatif au conseil déontologique des
valeurs mobilières et aux Informations exigées des personnes morales faisant appel public à
170



Page 179
En Jordanie par exemple, ces délits sont punis d’une peine d’emprisonnement
allant jusqu’ à trois ans de prison en plus d’une peine d’amende472.
317. Il est d’ailleurs, frappant de constater qu’en Tunisie, des infractions
similaires à la manipulation de cours sont punissables de peines bien plus
sévères. Ainsi, la même manipulation mais cette fois lorsqu’elle est effectuée
sur les prix des produits ou services en général est réprimée plus sévèrement
par la loi n°91-64 du 29 juillet 1991, relative à la Concurrence et aux Prix.
L’article 39 bis473 de cette loi punit d'une amende allant de 500 à 50.000 dinars
le
fait pour quiconque d’augmenter ou baisser artificiellement ou
tenter
d'augmenter ou baisser les prix des produits ou services par quelque moyen
que ce soit ou procéder à des spéculations pour influencer le niveau normal
des prix.
De plus,
l’article 36 de la loi n°91-64 du 29 juillet 1991 relative à la
concurrence et aux prix prévoit une peine d’emprisonnement allant de seize
jours à un an et d’une peine d’amende allant de 2000 dinars à 100.000 dinars
ou de l’une des deux peines seulement474, toute personne physique qui, par
des moyens détournés, aura pris une part déterminante dans la violation de
l’interdiction faite de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de l’offre
et de la demande475.
Ce délit est similaire à
la manipulation de cours. Ce délit ayant pour
conséquence de faire obstacle à la fixation des prix de titres placés par appel
public à l’épargne par le libre jeu de l’offre et de la demande.
l'épargne(modifié, par l'article 3 de la loi n° 23-01 promulguée par le dahir n° 1-04-17 du 21 avril 2004
- 1
er rabii I 1425 ; B.O. du 6 mai 2004)
472 Article 110 de la loi jordanienne relative aux valeurs mobilières.
473Article ajouté par la loi n°2003-74 du 11 novembre 2003.
474 Le tribunal peut, en outre, ordonner que sa décision soit publiée intégralement ou par extraits dans
les journaux qu’il désigne aux frais du condamné. Il peut également ordonner dans les conditions
fixées par l’article 41 de la même loi (c'est-à-dire affichée en caractères apparents aux portes
principales des usines, bureaux et ateliers, à la devanture des magasins….), l’affichage et/ou la
publicité par tout autre moyen de sa décision ; article 36 alinéa 2 de la loi n°91-64 du 29 juillet 1991.
475 Pratique interdite par l’article 5 de la loi n°91-64 relative à la concurrence et aux prix.
171



Page 180
Il est donc paradoxal que ces pratiques lorsqu’elles sont commises sur le
marché boursier puisse donner lieu à des sanctions potentiellement moins
importantes alors que leur nocivité est bien plus avérée et importante.
318. Pourquoi alors cette disparité, manipuler le prix des tomates par exemple,
est-il plus grave que de manipuler le prix des actions de sociétés cotées en
Bourse ?
D’ailleurs, la comparaison avec les sanctions pouvant être édictées en matière
de pratiques anti-concurrentielles est intéressante. L’article 36 (nouveau) de la
loi n°91-64 du 29 juillet 1991, relative à la Concurrence et aux Prix prévoit des
peines d’emprisonnement allant de seize jours à une année et d’amende allant
de 2.000 dinars à 100.000 dinars ou de l'une de ces deux peines seulement.
De même, cet article donne la possibilité au tribunal d’ordonner que sa
décision soit publiée intégralement ou par extraits dans les journaux qu'il
désigne, aux frais du condamné. Une sanction au fort effet dissuasif car de
nature à porter atteinte à la réputation de la personne condamnée.
319. On pourrait aussi faire le rapprochement avec l’escroquerie. Un délit
difficilement distinguable en pratique de la manipulation de cours476. Ce délit
est punissable de cinq ans d’emprisonnement et de deux mille quatre cents
dinars d’amende477.
En effet, l’article 291 du code pénal punit « quiconque, soit en faisant usage
de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des ruses ou artifices
propres à persuader de l'existence de fausses entreprises, d'un pouvoir ou
crédit imaginaire ou à faire naître l'espoir du succès d'une entreprise ou la
crainte de son échec, de la survenance d'un accident ou de tout autre
événement chimérique, se fait remettre ou délivrer ou tente de se faire
remettre ou délivrer des fonds, meubles, obligations, biens, valeurs mobilières,
476 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N) ; « Infractions boursières », Op.cit. p.77.
477Article 291 du Code pénal tunisien.
172



Page 181
promesses, quittances ou décharges et a, par l'un de ces moyens, extorqué
ou tenté d'extorquer tout ou partie des biens d'autrui. ».
320. Aussi, on peut citer l’article 294 du code pénal, qui prévoit une peine
d’emprisonnement de six mois et de sept cent vingt dinars d'amende pour
« quiconque trompe, sciemment, l'acheteur en lui livrant une chose autre que
la chose certaine et déterminée qu'il avait acquise. Encourt la même peine
quiconque, par des manœuvres frauduleuses, trompe l'acheteur sur la nature,
la quantité ou la qualité de la chose livrée. »
321. On peut voir la différence de traitement entre ce délit et celui de diffusion
d’informations fausses ou trompeuses. Pourtant, l’objet de ces infractions est
le même : en diffusant une fausse information, un dirigeant a pour objectif de
faire apparaitre sa société sous un meilleur jour qu’elle ne l’est vraiment ou
l’inverse sous une plus mauvaise situation qu’elle ne
l’est en réalité.
L’investisseur qui acquiert les actions émises par cette société est alors
trompé sur la véritable valeur des titres achetés.
D’ailleurs, une question s’impose : ces incriminations générales contenues
dans le code pénal, peuvent-elles s’appliquer aux délits commis sur le marché
boursier ?
322. Cette interrogation n’est pas spécifique au droit pénal boursier mais elle
est souvent évoquée, surtout en droit pénal des affaires, et ce en raison de la
multiplication des textes répressifs qui prévaut aujourd’hui 478.
Faut-il, pour déterminer le texte applicable à ce concours de qualification,
appliquer l’article 54 du code pénal qui dispose que « lorsque le même fait
478Par exemple, l’article 263 du code des sociétés commerciales sanctionne l’abus des biens sociaux.
Ces mêmes faits peuvent être qualifiés d’abus de confiance au sens de l’article 297 du code pénal du
fait que les membres du conseil d’administration sont les mandataires des actionnaires. De ce fait, il
s’agit d’un abus de confiance aggravé passible de d’une peine de dix ans d’emprisonnement alors que
l’article 223 du CSC prévoit une peine d’emprisonnement allant d’un à cinq ans et d’une amende de
deux milles à dix milles dinars ;
El Oued (MN), « L’interprétation de la loi répressive », Actes du
colloque « L’interprétation de la norme juridique » organisé les 5 et 6 avril 2010 à Jendouba, pp. 43 et
44.

173



Page 182
constitue plusieurs infractions, la peine encourue pour l’infraction entraînant la
peine la plus forte, est seule prononcée» ? Ou bien faut-il écarter cette règle
de conflit pénal au profit de la règle civiliste qui veut que « Le spécial déroge
au général » ?
323. La jurisprudence tunisienne a dans un premier temps appliqué, la règle
civiliste qui veut que le spécial déroge au général. Ainsi, la Cour d’appel de
Monastir dans un arrêt daté du 17 mai 1994 a considéré qu’ « Attendu que
qu’il faut rappeler que le législateur tunisien soucieux de son adéquation avec
les exigences de l’époque et avec ce qu’implique les transactions des sociétés
commerciales a pourvu ces entités d’une législation spécifique, contenue dans
le code de commerce et les a dotées d’un cadre distinct capable de garantir
les droits des parties ou de réprimer celui qui n’honore pas ses obligations
prévues par cette loi et qui intentionnellement enfreint ce que la législation
l’oblige à faire d’une manière qui porte atteinte aux autres associés. »479
Par cette motivation la Cour entend appliquer une peine plus douce que celle
prévue par le code pénal. Mais, comme le remarque le doyen El Oued, en
procédant ainsi, la Cour d’appel a vidé de son contenu l’article 54 du code
pénal qui « pratiquement ne trouvera plus aucune occasion de s’appliquer en
raison du fait qu’il y’aura toujours un texte général et un texte que l’on peut
qualifier de spécial même si la portée de cette distinction est floue »480.
C’est sûrement pour cette raison que la Cour de cassation a pris le contrepied
de la Cour d’appel en considérant que « qu’il apparait que les dispositions de
l’article 297 du code pénal et les dispositions 86 du code de commerce ne
s’opposent pas et n’aboutissent pas à préférer l’un ou l’autre mais il s’agit de
dispositions se rapportant à deux infractions distinctes, le tribunal devait
Cour d’appel de Monastir 17 mai 1994
479
صخ ةير
هتابجاوب م
اجتلا تاكرشلا
ايقلا
تلاماعم ةعيبط هيضتفت امو رصعلا تابلطتمل هتبكاوم راطإ يف يسنوتلا عرشملا نأ
نع داح نم رجز وأ فارطلأا قوقح نامضب ليفك ديرف ماظنب مهزيمو ةيراجت ةلجملاب نمضم صاخ عيرشتب
ريكذتلا بجو ثيحو"
فلا هذه
"ءاكرشلا نم هريغب رضت ةروصب عيرشتلا هيلع هضرفي ام قرخ دمعتو نوناقلا كلذ قاطن يف
480 El Oued (MN), « L’interprétation de la loi répressive », Actes du colloque « L’interprétation de la
norme juridique » organisé les 5 et 6 avril 2010 à Jendouba, p44.
Bull.cass 1995, p
78.
ةئ
174








Page 183
appliquer les règles relatives au concours d’infraction prévues par les articles
54,55 et 56 du code pénal».481
La Cour de cassation a donc tranché le débat et énonce qu’en cas de conflit
de qualification seules les règles de conflit prévues par le code pénal doivent
être mises en œuvre482.
324. Est-ce à dire, que les sanctions prévues par l’article 291 du code pénal
sont applicables à un dirigeant qui se rend coupable du délit de manipulation
de cours ? En réalité, rien n’est moins sûr. Saisi d’une affaire relative à une
manipulation de cours, un tribunal peut très bien considérer que la qualification
d’escroquerie ne s’applique pas aux faits. En effet, l’opération normale de
qualification comporte une confrontation rigoureuse des faits poursuivis avec
les divers types de faits incriminés par la législation pénale483. L’interprétation
des
faits peut entrainer un changement de qualification. Elle peut par
conséquent être utilisée par le juge en tant qu’instrument pour atténuer la
peine484.
325. En tous cas, il est difficile de trouver une explication plausible au laxisme
indéniable des
textes régissant
la matière boursière. Les délinquants du
marché
financier sont-ils moins dangereux que
leurs collègues de droit
commun ?
Il est impératif que le législateur se rende compte de la gravité de ses
comportements et des conséquences néfastes que ceux-ci peuvent avoir. Une
plus grande fermeté de la part de sa part serait la bienvenue.
326. Une autre incohérence saute aux yeux. En cas de délit d’initié, le montant
du profit réalisé entre en ligne de compte dans la détermination du montant de
l’amende. Le montant peut être porté, jusqu'au décuple du montant du profit
لب رخلأا ىلع امهدحا ميدقت ىلإ لوؤت لاو ضراعتت لا ت م
نم
54 ,55 و-65
لوصفلاب اهيلع صوصنملا مئارجلا دراوت دعاوق قيبطت ةمكحملا ىلع ناكو
86
لصفلا ماكحأو يئانجلا نوناقلا نم
Bull.crim n
°25341
du
24
janvier
482 El Oued (MN), Op. cit p. 44.
483 El Oued (MN), Op. cit p. 42.
484 El Oued (MN), Op. cit p. 43.
175
297
نيتلقتسم
481
لصفلا ماكحأ نأ حضتي
رجب
.54p
"
قلعتت
ماكحأ اهنأ
"يئانجلا نوناقلا
ينيتم
1998







Page 184
éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même
profit. Alors qu’en cas de manipulation de cours, de communication d’une
information privilégiée ou de diffusion d’une information fausse ou trompeuse,
la rédaction approximative de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre
1994 fait que le montant du profit n’influence pas directement le calcul de
l’amende. Le montant de l’amende s’en retrouve plafonné à 10.000 dinars.
Pour des délits qui peuvent procurer des profits énormes, on peut convenir
que le montant de l’amende n’est guère dissuasif.
Cela démontre que le législateur, en adoptant ces sanctions et en rédigeant le
texte de l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994, a agi de manière aléatoire
et sans aucune considération pour l’effet dissuasif de ces sanctions ni encore
moins pour la cohérence entre les sanctions.
327. D’ailleurs, en l’absence de la possibilité d’infliger des peines de prison, il
semble
tout à
fait
inutile de garder des
incriminations pénales qui se
confondent avec des manquements administratifs. En effet, peut-on
véritablement parler de sanctions pénales
lorsque, pour ces mêmes
infractions, les sanctions administratives pouvant être infligées par le Conseil
du marché financier, sont plus sévères ?485.
Dès lors, nous pensons que des peines de prison doivent être prévues pour ce
genre d’infractions, avec éventuellement, pour atténuer leur effet prévoir la
possibilité de travaux d’intérêts général comme c’est le cas pour les infractions
concurrence et environnementaux article 15 bis du code pénal. Sinon, peut
être vaudraitil mieux dépénaliser ces infractions boursières et en confier la
répression au Conseil du marché financier, sous contrôle de la Cour d’appel
de Tunis ? On gagnerait ainsi, en cohérence de la législation boursière
tunisienne.
485 Un maximum de 20.000 dinars d’amende, V. infra p. 362.
176



Page 185
328. En France, un rapport rendu par
le groupe de
travail sur « la
dépénalisation de la vie des affaires » le 20 février 2008, recèle en son sein
une « surprise » qui confirme nos propos.
Ce rapport propose d'aggraver les peines applicables à certains délits, qui ont
été jugées « faibles » et insuffisantes. Sont visés en priorité les délits boursiers
qui seraient sanctionnés de peines « faibles » au regard de la gravité de ces
infractions, et en comparaison avec d'autres incriminations, dont l'abus de
biens sociaux.
Il suggère par ailleurs une aggravation de
la peine
d'emprisonnement prévue pour le délit d'initié. Un accroissement de la peine
de deux à trois ans serait, selon ce rapport, souhaitable486.
329. Au final, il semble évident que le caractère exagérément clément des
sanctions encourues n’est pas de nature à dissuader les potentiels auteurs de
délits boursiers de franchir le pas. Il y’a fort à parier que pour eux le jeu en
vaudra bien la chandelle. Renforcer les sanctions est donc nécessaire. Et là
encore l’exemple français offre une illustration d’un système qui met les
dirigeants sociaux au centre de la répression pénale.
B- Une réelle menace pénale
330. La mise en place de sanctions à l’encontre des dirigeants des sociétés
cotées à la bourse française est théoriquement une chose aisée.
Toujours, d’un point de vue théorique, ces dirigeants font face à des sanctions
extrêmement sévères.
Ainsi, en plus de peines d’amende de 1 500 000 euros, dont le montant peut
être porté au-delà de ce chiffre, jusqu'au décuple du montant du profit
éventuellement réalisé, sans que l'amende puisse être inférieure à ce même
486 Matsopoulou (H), Op.cit n°32.
177




Page 186
profit ; ces dirigeants risquent jusqu’à deux ans d'emprisonnement, s’ils sont
reconnus coupable d’un délit boursier487.
331. La sévérité de ces sanctions est aggravée par le fait que l’action pénale
est privilégiée par les présumées victimes des dirigeants sociaux et par la
possibilité restreinte qui est offerte au dirigeant d’exonérer sa responsabilité.
En plus d’une action pénale encouragée, ceux-ci ne peuvent que rarement
invoquer une cause permettant d’invoquer l’exonération de leur responsabilité.
Car la responsabilité pénale des sociétés cotées n’a que peu allégé celle de
leurs dirigeants, dont
la possibilité qui
leur est ouverte d’exonérer
leur
responsabilité demeure réduite (2).
De plus, l’invocation d’une délégation de pouvoirs n’implique que rarement
l’exonération de la responsabilité du dirigeant (1).
1-
Le domaine restreint de la délégation
332. La seule possibilité pour le dirigeant de pouvoir échapper à la sanction
pénale est celle d’invoquer une délégation de pouvoirs, c'est-à-dire en
établissant que les vérifications incombaient à un préposé pourvu de l'autorité,
de la compétence et des moyens nécessaires pour remplir sa mission. Cette
faculté lui est ouverte dans tous les cas où la loi n'en dispose pas autrement, y
compris donc en matière économique. La solution
résulte désormais
clairement de plusieurs arrêts
très explicites, admettant notamment des
délégations de pouvoirs exonératoires pour des achats sans factures, des
reventes à perte et des contrefaçons. Le domaine des délégations de pouvoirs
reste cependant limité. Dans le domaine fiscal, par exemple, les juges ne
paraissent guère enclins à admettre la délégation de pouvoirs que le dirigeant
aurait consentie à l'expert-comptable pour satisfaire aux obligations fiscales de
la société.
487 Articles L465-1 et L465-2 du Code monétaire et financier.
178




Page 187
333. Le dirigeant social peut par la preuve d’une réelle délégation de pouvoir
se voir exonérer de sa responsabilité pénale lors de la commission d’une
infraction boursière.
Un arrêt de la Cour de cassation française apporte des éclaircissements quant
aux conditions qui permettraient à un dirigeant d’invoquer une délégation de
pouvoirs pour exonérer sa responsabilité. Dans un attendu de principe, la
Cour de cassation affirme : " sauf si la loi en dispose autrement, le chef
d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction
peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a
délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité
et des moyens nécessaires ".
334. Le domaine de cette délégation est bien restreint. Si le chef d'entreprise
peut échapper à
la responsabilité pénale pour une
faute présumée en
établissant qu'il a transféré sur autrui l'obligation de veiller au respect de la
réglementation, c'est à la condition qu'il n'ait pas pris une part personnelle à la
réalisation de l'infraction488.
Ainsi, concernant le délit de défaut de déclaration de franchissement de seuil à
la baisse, il a été jugé que la délégation de pouvoir consentie par le président
du conseil d'administration au directeur général ne saurait faire échapper le
président à sa
responsabilité pénale, alors que
la déclaration de
franchissement de seuil à la baisse ne constitue pas pour le législateur une
simple
formalité, mais une obligation
fondamentale destinée à assurer
l'information et l'égalité des opérateurs intervenant sur un titre coté, ainsi que
plus généralement la transparence des marchés.
335. La déculpabilisation du président pour cause de délégation faite au
directeur général échoue également. Il est vrai que l'article 481-1 de la loi du
24 juillet 1966 vise précisément les « présidents » la cour explique les termes
488 Bouloc (B), « Portée de la présomption de responsabilité, édictée en matière de délit d'initié », Note
sous Cass. Crim 19 octobre 1995, Revue des sociétés 1996 p. 323.
179



Page 188
de ce texte en observant que la déclaration de franchissement de seuil n'est
pas « une simple formalité », mais une « obligation fondamentale destinée à
assurer l'information et l'égalité des opérateurs intervenant sur un titre coté,
ainsi que plus généralement la transparence des marchés ». Le président est
donc, selon cette jurisprudence, garant de l'application de cette disposition
cela doit inciter à la plus grande vigilance les présidents des sociétés qui
gèrent des participations dans les sociétés cotées ;
336. Sur le plan de la technique juridique, l'argumentation n'est pas sans
reproche. En effet, l'article 356-1 crée une obligation de déclaration à la
charge de
la « personne morale », et
l'article 481-1 détermine quels
représentants sociaux peuvent être sanctionnés mais il ne fait pas peser sur le
président une obligation plus
lourde que sur
les administrateurs ou les
directeurs généraux il est donc nécessaire d'établir quelle a été, dans chaque
cas d'espèce, la participation effective du président aux faits reprochés489.
La difficulté pour le dirigeant d’invoquer une délégation de pouvoir pour
exonérer sa responsabilité est de nature à exposer celui-ci à un risque pénal
sérieux. Un risque qui n’a été que très peu allégé par la consécration en droit
français de la responsabilité pénale des personnes morales.
2- La responsabilité de la société n’a pas allégé la responsabilité du
dirigeant
337. Conscient de l’injustice que peut avoir une répression excessive à
l’encontre des dirigeants, le législateur
français s’est attelé récemment à
opérer une certaine dépénalisation de la vie des affaires, qui reste cependant
timide.
C'est dans ce contexte que la responsabilité de la personne morale a pu
apparaître comme un moyen d'éviter que ne soit mise en cause de façon trop
systématique la responsabilité des dirigeants.
489 Le Cannu (P), Note sous C.A. Paris, 15 mars 1993, Bull. Joly Bourse, 01 mai 1993 n° 3, p. 279
180



Page 189
En instaurant le principe de la responsabilité pénale des personnes morales,
le législateur a entendu alléger la répression à l’encontre des personnes
physiques et notamment à l’encontre des dirigeants et ce par souci d’équité
puisque ces derniers étaient habituellement mis en cause de manière quasi
automatique pour
les
infractions
résultant de
l’activité déployée
par
l’entreprise.
338. L’espoir suscité était donc grand que cette réforme vienne mettre fin à
une certaine « injustice répressive » qui n’avait d’autre choix que de reporter
sur
les dirigeants
les conséquences d’infractions pourtant objectivement
imputables à la personne morale490.
Il y’avait, cependant, un souci chez le législateur. Il fallait que la responsabilité
pénale des sociétés ne serve pas d’«écran» pour
faire obstacle à
la
responsabilité personnelle de leurs dirigeants. Cette volonté est perceptible à
la lecture des travaux parlementaires dès l’avant-projet de 1978.
Pour éviter cet écueil,
le
législateur a prévu un cumul possible des
responsabilités. En effet, l’article 121-2 du Code pénal tel que modifié par la loi
du 10 juillet 2000 pose en son troisième alinéa le principe en vertu duquel « la
responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes
physiques auteurs ou complices des mêmes
faits sous
réserve des
dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3.»
Cet article résulte d’une « rédaction de compromis que Sénat et Assemblée
nationale ont sournoisement
fourrée de
leurs arrière-pensées respectives.
L’assemblée se proposait d’étendre la responsabilité de droit commun à des
acteurs de la vie contemporaine supposés puissants et malfaisants. Le Sénat
espérait faire un sort à la responsabilité, spéciale, du chef d’entreprise»491.
490 Tandeau De Marsac (V), « Le principe de responsabilité pénale des personnes morales a-t-il
amélioré la situation des dirigeants face au risque de mise en cause de leur responsabilité pénale »,
Receuil G.P septembre-octobre 2000, doc. p 1652.
491 Lombois (C), « Droit Pénal Général », Hachette 1994, pp. 171 et s.
181



Page 190
339. Et ce n’est pas la clarté qui sort gagnante de ce compromis. Car le moins
qu’on puisse dire, c’est que cette rédaction laisse une grande place à
plusieurs interprétations.
Ainsi, la formule retenue par le législateur permet d’envisager toutes les
solutions possibles allant du cumul automatique
jusqu’à
l’exclusion de la
responsabilité du dirigeant quand celle de la personne morale est engagée492.
Certains ont alors craint « une aggravation de la charge pénale pesant sur
l'entreprise et ses représentants » et même que cela puisse constituer « une
source de conflits entre
les
intérêts de
la société et ceux de ses
représentants »493.
340. Enfin, il faut aussi dire que si, selon l'alinéa 3 de l'article 121-2 du Code
pénal, la responsabilité pénale de la personne morale n'exclut pas celle de la
personne physique, l'inverse est également vrai. Si, pour une raison ou pour
une autre, la personne morale échappe à la sanction pénale d'une infraction
commise en son sein, pour son compte et par un de ses organes ou
représentants, la ou les personne(s) physique(s) impliquée(s) dans les faits
délictueux pourra ou pourront se trouver seule(s) à être sanctionnée(s) 494.
341. L’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales n’a pas
eu d’effet notoire sur la responsabilité pénale des dirigeants sociaux pour ce
qui est des délits intentionnels. Il n’y a qu’en matière de délit d’initié, où la
reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales a opéré
un allègement de la responsabilité pénale du dirigeant.
Il est à rappeler, que la loi n° 83-1 du 3 janvier 1983, dont certaines
dispositions figurent dans le Code monétaire et financier, avait introduit une
présomption de réalisation frauduleuse à la charge des dirigeants de droit
492 Planque (J-C), « La détermination de la personne morale pénalement responsable », L’Harmattan
2003, p. 397.

493 Simon (J), « Responsabilité pénale des personnes morales et des personnes physiques, coauteurs ou
complices des mêmes faits », D. Aff. 1995, p. 101.
494 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim., 11 mars 2003, RTD. com juillet/septembre 2003 p. 578.
182



Page 191
d'une personne morale au profit de laquelle aurait été commise une infraction
d'initié.
Cette présomption n'avait plus de raison d'être dès lors que la personne
morale peut elle-même être réprimée. Elle a donc été abrogée par la loi n° 96-
597 du 2 juillet 1996, codifiée dans le Code monétaire et financier. Fort
heureusement d’ailleurs !
342. Au total, l’encouragement des actions à l’encontre des dirigeants sociaux,
la rigueur des sanctions encourues et la restriction du champ qui leur est offert
d’exonérer leur responsabilité font que ceux-ci subissent en grande partie le
fardeau de la répression pénale en matière boursière.
Au contraire, en Tunisie,
les dirigeants de sociétés cotées en Bourse
n’encourent pas un risque sérieux sur le plan pénal. La répression pénale en
matière boursière étant particulièrement laxiste.
343. Ceci étant dit, l’incapacité des sanctions pénales dirigées à l’encontre des
dirigeants de sociétés cotées en bourse à rétablir la transparence et l’intégrité
des marchés boursiers est un constat partagé entre le droit tunisien et
français. Car même, en France, où l’analyse de la responsabilité pénale des
dirigeants de sociétés cotées en bourse
fait apparaitre
la simplification
théorique de la mise en œuvre des sanctions pénales à leur encontre.
L’arsenal pénal ne peut être, en pratique, efficace au vu des spécificités
intrinsèques de ce dispositif. Tout au plus, la responsabilité pénale en matière
boursière peut être un élément dissuasif.
Le peu de fois où la responsabilité pénale des dirigeants sociaux pour des
délits boursiers a été retenue, par rapport au nombre de condamnations
opérées par l’Autorité des marchés financiers, en témoigne.
Cette insuffisance du droit pénal se manifeste avec encore plus d’acuité
lorsqu’il s’agit d’évoquer
la responsabilité pénale des sociétés cotées en
bourse.
183


Page 192
SECTION II
LES SOCIETES COTEES EN BOURSE : UNE INEGALITE INACCEPTABLE
344. Le dispositif répressif tunisien souffre, en matière boursière, on l’a dit de
plusieurs déficiences. La principale carence étant
l’impunité offerte aux
sociétés cotées en bourse.
En effet, un réel combat contre la criminalité boursière nécessite, l’introduction
en droit tunisien de mécanismes permettant de mettre en cause les sociétés
cotées en bourse. Bâtir en Tunisie un système répressif capable de lutter
contre les délits boursiers, ne peut se faire sans une prise en compte du
danger que peuvent présenter les infractions commises par les sociétés
cotées en bourse (Paragraphe 1).
Le droit français où la responsabilité pénale des sociétés est, en plein essor,
peut s’avérer comme un modèle
intéressant susceptible d’inspirer
le
législateur tunisien (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 - Pour une société cotée pénalement responsable
345. Le droit pénal tunisien, on l’a vu495, ne reconnait pas la possibilité de
retenir la responsabilité pénale des sociétés cotées en bourse pour des
infractions à la législation boursière.
Il s‘agit là de la lacune la plus sérieuse des textes régissant la responsabilité
pénale en matière boursière.
Car cette impunité offerte aux personnes morales a des répercussions sur
l’efficacité de la répression des délits boursiers. En effet, les sociétés cotées
sont les actrices principales de ces marchés et la criminalité financière est
souvent commise dans l’intérêt de ces entités personnifiées.
495 V. supra pp 130 et s.
184




Page 193
Ainsi, une manipulation de cours, par exemple, peut être commise par un
dirigeant d’une société cotée en bourse en bourse, afin de remonter le cours
de bourse des actions de cette société. L’infraction est ainsi commise dans
l’intérêt de la société. C’est elle qui en est la principale bénéficiaire.
346. De même, en diffusant une fausse information, un dirigeant a pour
objectif de faire apparaitre sa société sous un meilleur jour qu’elle ne l’est
vraiment. Cette infraction profite ainsi à la société qui voit son cours en bourse
remonter.
Aussi, une société cotée en bourse peut utiliser une information privilégiée
pour vendre ou acheter des titres placés par appel public à l’épargne et ainsi
engranger des bénéfices considérables. Le délit d’initié est ainsi commis dans
l’intérêt de la société et c’est elle qui en retire des gains.
347. De ce fait, il est inconcevable d’offrir une immunité à ces entités. Car ce
faisant, on laisse impunis une bonne partie des délits boursiers commis. Une
impunité qui ne peut que nuire à l’efficacité de la répression de ces délits
mettant ainsi en danger l’intégrité et la transparence des marchés boursiers
tunisiens.
Il n’est plus possible d’ignorer la criminalité dont peuvent faire preuve les
sociétés. Il est nécessaire pour contrecarrer la dangerosité de ces délits sur
les marchés boursiers de consacrer la responsabilité pénale des sociétés
cotées en bourse.
348. D’ailleurs, admettre
la responsabilité pénale des personnes morales
correspond à une revendication récurrente de la part de la doctrine496. Une
demande qui est parfaitement légitime « car ce qui est réellement visé par
cette revendication n’est autre que l’aspiration à contrecarrer la dangerosité
496 V. à ce sujet, Belknani (F), « La responsabilité pénale des personnes morales », in « Mouvements
du droit contemporain », Op.cit ;
مئتلملا ىقتلملا لاغشأ ،"ءاضقلا هقف يف ةيونعملا تاذلل ةيئازجلا ةيلوؤسملا موهفم روطت" ،
بايذ نيدلا زع نسح و ةميلح نب ىساسل
ا
ربمفون
يموي
و26
2010
25
،"يئازجلا ءاضقلا هقف نم نرق فصن" ةبودنجب فرصتلاو ةيداصتقلااو ةينوناقلا مولعلا ةيلكب
ص403.
سنوت صتخملا باتكلل شرطلاا تاروشنم
2011
185







Page 194
criminelle de plus en plus évidente de ces personnes par la possibilité
d’engager leur responsabilité pénale »497.
349. Aussi, les obstacles à la consécration de cette responsabilité particulière
ne sont guère insurmontables.
Tout d’abord, les obstacles procéduraux semblent tout à fait franchissables.
Une adaptation de la procédure pénale aux personnes morales semble tout à
fait possible.
En premier lieu, la compétence territoriale reviendrait au procureur et aux
tribunaux du lieu de l’infraction ou de celui où la personne morale a son
siège498. Dans le cas des infractions boursières commises sur le marché
boursier tunisien, la compétence reviendrait donc au Procureur du tribunal de
première
instance de Tunis. Deuxièmement,
tout comme pour
le droit
français499 , l’action publique exercée à l’encontre de la personne morale serait
prise en la personne de son représentant légal. Le représentant n’est bien
évidemment pas poursuivi à titre personnel mais « es qualités ». De ce fait, le
représentant concerné par la procédure est celui en place au moment de la
poursuite et non celui en place à l’époque de l’infraction500.
Les difficultés relatives à
la procédure pénale, peuvent tout à fait être
surmontées, suivant en cela, les procédures suivies par le Code de procédure
pénale français501.
Quant aux considérations de fond, celles-ci sont tout aussi surmontables. Il
s’agit de définir les conditions selon lesquelles la responsabilité pénale de la
personne morale pourra être engagée, de définir
la
répartition des
responsabilités entre la personne morale et ses dirigeants.
497 Belknani )F(, Op.cit p. 504.
498 Belknani (F), Op.cit p. 505.
499 V. infra pp. 204 et s.
500 Il s’agit là de la position retenue par la jurisprudence tunisienne. V. sur ce point une décision
rendue par la Cour de cassation en matière d’infractions pénales relatives à la règlementation du
travail. Décision n°57836 daté du 5 mars 1996 ; cité par Belknani (F), Op.cit p. 505.
501 V. infra pp. 207 et s.
186



Page 195
350. Là encore la solution consacrée en France502 et transposée en Algérie
semble pouvoir recevoir application en Tunisie :
En effet, l’article 121-2 du Code pénal français conditionne l’imputation d’une
infraction pénale à une société, à la commission de cette infraction pour le
compte de la société, par ses organes ou représentants.
Les conditions sont les mêmes en droit algérien : l’article 51 bis du Code pénal
prévoit que « la personne morale…. est responsable pénalement, lorsque la
loi le prévoit, des infractions commises, pour son compte par ses organes ou
représentants légaux. »
La mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes morales en
Tunisie devrait alors être possible sous deux conditions cumulatives : que
l’infraction ait été commise pour le compte de la personne morale et que cette
infraction ait été commise par les organes ou les représentants de la société.
351. Au final, aucun argument sérieux, ne semble s’opposer à l’introduction de
la responsabilité pénale des personnes morales en Tunisie.
La solution
idoine serait de consacrer la responsabilité pénale de toute
personne morale à l’exclusion de l’Etat. Une solution à caractère général et
non une reconnaissance sectorielle qui ne peut s’avérer qu’insuffisante, serait
à cet égard souhaitable.
L’ajout d’un article 36 bis au sein du code pénal est souhaitable. Cet article
pourrait être rédigé de la sorte : « Les personnes morales, à l’exclusion de
l’Etat, sont responsables pénalement des
infractions commises pour
leur
compte, par leurs organes ou représentants. »
Une telle rédaction permettrait d’inclure bon nombre de personnes morales,
dont les sociétés cotées en bourse, dans le champ de la répression pénale.
Cette rédaction permettrait aussi d’imputer tous les délits, dont les délits
boursiers, aux personnes morales. En outre, elle permettrait de clarifier les
502 V. infra pp. 190 et s.
187



Page 196
conditions de la mise en œuvre de la responsabilité pénale des personnes
morales.
L’ajout d’un deuxième alinéa à cet article
rédigé comme suit : « La
responsabilité pénale de personne morale n’exclut pas celle de la personne
physique auteur ou complice des mêmes faits », permettrait d’éviter que la
responsabilité pénale des sociétés ne serve pas d’«écran» pour empêcher la
responsabilité personnelle de leurs dirigeants.
352. Néanmoins et à défaut d’une
reconnaissance générale de
la
responsabilité pénale des personnes morales, une modification du texte de
l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994 pour permettre l’imputation de ces
délits aux sociétés cotées serait déjà un pas appréciable permettant de mettre
fin à cette impunité nocive pour la crédibilité des marchés boursiers tunisiens.
D’ailleurs, dans
l’optique de
l’élaboration d’un
régime consacrant
la
responsabilité pénale de la personne morale en Tunisie (et par conséquence
des sociétés cotées en bourse), l’étude de la responsabilité pénale des
personnes morales en France, est instructive sur plusieurs plans.
Paragraphe 2- Une société cotée pénalement responsable
353. Les sociétés cotées en bourse françaises ne sont pas mieux placées que
leurs dirigeants, qui voient l’action pénale contre eux encouragée503. En effet,
l’imputation des délits boursiers à leur égard est facilitée par les conditions de
la mise en œuvre de leur responsabilité pénale.
Ainsi,
la souplesse des conditions de
fond (A) et la simplification des
conditions de forme (B), permettent une facilitation de la mise en œuvre de la
responsabilité pénale des sociétés.
503 V. supra p. 148.
188





Page 197
A Souplesse des conditions de fond
354. Au-delà de l’élément intentionnel (1), les conditions de fond de la mise en
œuvre de la responsabilité pénale des personne morales sont fixées par
l’article 121-2 du Code pénal français qui exige pour imputer une infraction
pénale à une société, que celle-ci soit commise « pour leur compte, par leurs
organes ou représentants ».
La première difficulté qui s’est posée, concernait l’interprétation qui devrait être
donnée de la virgule qui sépare « pour leur compte » et « par leurs organes
ou représentants ». Faut-il l’interpréter comme un « et » ou comme un « ou »,
s’agit-il de conditions cumulatives ou alternatives?
La question fût rapidement tranchée en faveur du « et », c’est ce qui ressortait
du discours de présentation de la loi au Sénat504. Il s’agit donc là de deux
conditions cumulatives et la jurisprudence à ce sujet a toujours été constante.
Ceci dit, nous allons nous atteler à déterminer les contours de la notion de
« pour le compte » (2) avant d’expliquer ce qu’il faut entendre par « organes
ou représentants » (3).
1- L’élément intentionnel
355. Le double principe que nul nest responsable que de son propre fait, posé
par l’article 121-2 du Code pénal, et que la peine et son régime sont fonction
des circonstances de fait de linfraction et de la personnalité de lauteur de
celle-ci posé par l’art 132-24 du même code, sapplique aux personnes
morales comme aux personnes physiques. Et cest bien pourquoi le délit doit
pouvoir être imputé à lentité personnifiée non seulement parce que celui qui
la commis(organe social ou représentant) la fait pour le compte de celle-ci,
mais aussi parce que telle fut la volonté sociale ou la politique économique de
la personne morale. Cette condition nest autre que celle qui correspond à
lélément moral lorsquil sagit du cas classique du délit commis par une
504Desportes (F) et Le Gunehec (F), « Présentation des dispositions du nouveau Code pénal », JCP
éd. G 1992, I, n° 3615.
189



Page 198
personne physique. Au surplus, le Code pénal ayant écarté du droit positif
français les délits et les crimes purement matériels, il n'est pas pensable de
faire
fi de
l'élément
intentionnel de
l'entité personnifiée sanctionnable
pénalement pour un délit qui lui est également propre.
Cette condition est sans doute la plus difficile à caractériser. Et c est bien
pourquoi certaines décisions lont qualifié de manière laconique505.
356. L’intentionnalité se traduit pour les sociétés, par la nécessité de retenir à
leur encontre une volonté sociale de fraude ou une politique économique
répréhensible, ou même une activité sociale totalement illicite506.
Cette affirmation n’implique absolument pas que la culpabilité personnelle du
directeur général soit établie et doive l'être. La Cour de cassation française
n'ayant pas consacré, la thèse de la faute nécessairement commune de la
personne physique et de la personne morale.
357. De même, il semble bien que la Cour de cassation507 se trouverait
satisfaite si le lien avait été établi entre les décisions prises par les différents
organes et représentants de la personne morale ; autrement dit s'il avait été
établi que
le délit
imputé à
la société résultait bien d'une « politique
infractionnelle » de l'équipe dirigeante ou agissante. C'est la structure et le
fonctionnement des sociétés qui sont ou non criminogènes et c'est pourquoi le
législateur comme la jurisprudence retiennent la faute pénale personnelle des
personnes morales.
358. Il est donc faux de déduire du fait que la responsabilité pénale de la
société ne peut être retenue que s’il est établi la commission de l’infraction par
un organe ou un représentant que « c'est à l'encontre de ces dernières
uniquement que
les éléments constitutifs et
l'élément
intentionnel de
l'infraction doivent être recherchés »508.
505 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op.cit p. 66.
506 Barbièri (J.-F), Note sous Cass. crim, 2 décembre. 1997, Bull. Joly 1998, p. 512.
507 Cass. crim, 24 mai 2000, no 99-83.414, Bull. crim., n° 203, p. 597.
508 Cass. crim, 2 décembre 1997, no 96-85.484, D. Affaires 1998, p. 432.
190



Page 199
D’ailleurs, une décision de la Cour d’appel de Paris rendue en matière de délit
de manipulation de cours illustre parfaitement la position de la jurisprudence
française. Cette décision,
rappelle qu'aucune
intentionnalité (par ailleurs
caractérisée chez l'employé) n'avait à être recherchée chez la personne
morale. Même si la question a pu, à juste titre, être discutée509, la conception
actuelle du droit français de la responsabilité pénale de la personne morale
tend à faire assumer à celle-ci une responsabilité mécanique : dès lors qu'une
infraction est commise pour son compte par
l'un de ses organes ou
représentants,
la responsabilité de
la personne morale est engagée. Nul
besoin, de démontrer une faute propre imputable à la personne morale. La
responsabilité pénale de
la personne morale exclut
fort
justement
toute
composante psychologique, « qui serait bien artificielle s'agissant d'un être
désincarné »510.
Les deux conditions posées par l'article 121-2, alinéa 1er, du Code pénal ne se
rapportent qu'à la matérialité des actes infractionnels et ne supposent pas une
intention coupable des personnes physiques ayant agi pour le compte de l'être
moral délinquant511.
2-
Une infraction pour le compte de la société
359. Comme précédemment dit, la responsabilité pénale des sociétés ne peut
être retenue que si l’organe ou le représentant a agi « pour le compte » de
celle-ci.
Il s’agit là d’une condition essentielle car c’est elle qui opère le transfert de
responsabilité vers la société.
509 V. Robert (J-H), Note sous Trib. correctionnel Lyon, 9 octobre 1997 : Droit Pénal, 1997, comm.
n
o 154 et au JCP, 1998, I, 105, ainsi que sur C.A. Lyon, 3 juin 1998 : Droit Pénal, 1998, comm. no 118.
510 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 2 février 2007, no 06/08079, Deveaux et SA Fideuram Wargny
Bull. Joly Bourse, 01 mars 2007 n° 2, p. 200.
511 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op.cit. p. 66.
191





Page 200
360. Le législateur a retenu une formule large qui peut s’adapter à une très
grande diversité de situations pratiques, ce qui n’était pas le cas de la formule
de l’avant-projet de 1978, qui imposait que les infractions soient commises
« au nom » et « dans l’intérêt collectif» de la personne morale512.
Cela étant, Il nexiste pas de définition précise de la notion de « pour le
compte de », de même que les travaux parlementaires nont pas précisé ce
quon pourrait entendre par cette expression.
On pourrait néanmoins déterminer les situations exclues des prévisions de la
loi (a) ainsi que celles qui relèvent de son champ d’application (b).
a- Les situations exclues des prévisions de la loi
361. D’abord,
Il est bien évident quune société ne saurait voir sa
responsabilité pénale engagée du seul fait quune infraction a été commise à
loccasion de son activité ou dans le cadre de celle-ci.
Ainsi, nengage pas la responsabilité pénale de la société, le représentant qui
n’a pas agi dans lexercice ou à loccasion de lexercice de ses fonctions mais
pour son propre compte et dans son seul intérêt personnel voire même au
préjudice de la personne morale.
Il en est ainsi par exemple, en cas de non déclaration de franchissement de
seuil. Le dirigeant qui vient à posséder plus du vingtième, du dixième, du
cinquième, du tiers, de la moitié ou des deux tiers du capital de la société qu’il
dirige et dont les actions sont inscrites à la côte officielle ou du second marché
ou au hors côte d'une bourse de valeurs sans informer cette société, dans un
délai de quinze jours à compter du franchissement du seuil, du nombre total
d'actions qu'elle possède ; n’engage certainement pas la responsabilité pénale
de sa société qui reste victime de ses agissements.
512 Desportes (F) et Le Gunehec (F), Op. cit p. 26.
192



Page 201
362. De même, une société ne saurait être responsable pénalement d’un délit
d’initié commis par son président pour son propre compte et dans son intérêt
personnel513.
De même, une infraction réalisée dans l’intérêt d’une minorité des membres
de la société n’est pas considérée comme ayant été commise pour le compte
de celle-ci. Cette hypothèse se confond avec la situation dans laquelle le
représentant aurait agi dans son seul intérêt.
b- Les situations relevant du champ d’application de l’article 121-2
363. A linverse, il est certain que doit être considéré comme agissant pour le
compte de la société, le dirigeant qui commet des infractions au nom et dans
lintérêt de celle-ci. Cet intérêt peut consister dans la réalisation ou lespérance
dun profit financier, quil sagisse dobtenir un gain positif ou déviter une
perte.
Ainsi, la jurisprudence a considéré comme ayant été commis pour le compte
de la société, le fait pour une société prestataire de services d’investissements
d’acheter et de revendre des actions d’une société cotée au cours de plusieurs
séances de bourse (opérations consistant à passer simultanément, ou dans
un bref laps de temps, des ordres en sens contraire de vente et d'achat, à un
prix supérieur au cours de bourse). Ces opérations avaient également
contribué à la hausse du cours, en ayant pour effet de permettre au titre d'être
coté à un cours supérieur à celui résultant de la confrontation des ordres
passés
par
des
acheteurs
ou
des
vendeurs
indépendants514.
364. Aussi, lexpression « pour le compte de » néquivaut pas à la formule
« au profit de » même prise au sens très large515.
513 Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions Boursières », Op.cit p. 39.
514 Rontchevsky (N), Note sous C.A. Paris 2 février 2007, RTD Com. 2007 p. 413.
515 Delmas-Marty (M)., « Les conditions de fond de mise en jeu de la responsabilité pénale des
personnes morales », Rev. sociétés 1993, p. 302.
193




Page 202
De même, un acte délictueux est commis pour le compte dune société dès
lors quil entre dans lobjet pour lequel elle a été créée516.
Mais au delà de certaines hypothèses517, il paraît possible de soutenir que les
actes répréhensibles du représentant engagent également la responsabilité
pénale de la personne morale dès lors quils ont été commis pour son compte,
c'est-à-dire,
dans
lexercice
dactivités
ayant
pour
objet
dassurer
lorganisation, le fonctionnement ou les objectifs du groupement doté de la
personnalité morale518.
365. Aussi, il est possible de retenir la responsabilité pénale de la société,
malgré l’absence de profit financier ou de but lucratif, on pourrait penser par
exemple à un délit de fausse information du public qui ne procurerait pas de
profit financier à la société519.
366. Enfin, on peut ajouter qu’une difficulté peut se poser : est-ce que la
responsabilité pénale d’une société peut être retenue, c’est-à-dire est ce que
l’infraction est considérée comme ayant été commise pour le compte de la
société
lorsque
l’organe ou
le représentant a agi en dehors de ses
attributions ?
Dans ce cas, il paraît que la responsabilité pénale de la personne morale ne
peut être exclue. C’est en tout cas, le vœu de la doctrine selon laquelle
516Il en est ainsi du dirigeant qui fait des manœuvres frauduleuses pour obtenir la signature d'un contrat
avec une autre personne ou qui se livre à des opérations de corruption active pour obtenir un marché,
ou encore du responsable social d'une banque qui accepte de placer des fonds alors qu'il connaît leur
origine frauduleuse ; Guérin (D), Actes du colloque de Sienne, « L’introduction en droit français
de la responsabilité pénale des personnes morales », L.P.A 11 décembre 1996, p. 6.
517 Sont également commises pour le compte de la société, les infractions involontaires survenues à
l’occasion de l’activité que la société déploie. Par exemple, les cas de blessures ou d’homicides
involontaires sur les chantiers. Il n’est donc pas nécessaire, que l’infraction résulte de la volonté
délibérée du représentant de l’organe pour voir engagée la responsabilité pénale de la société.
De même, des infractions de négligence ou d’imprudence peuvent être commises pour le compte de la
société.
Tel est le cas de l'accident de chantier résultant de l'inobservation des règles de sécurité ; ou encore le
cas des atteintes subies par le consommateur du fait de la mise en vente d'un produit corrompu.
D’ailleurs, les juridictions pénales ont fréquemment condamné des sociétés pour homicide et blessure
involontaires, notamment dans les relations de travail avec leurs employés.
518 Desportes (F) et Le Gunehec (F), Op.cit. p27.
519 Mayaud (Y), Note sous Trib. Correctionnel Bastia 3 juin 1997, Rev. Science criminelle 1998, p.
99.
194



Page 203
« limiter la capacité délictuelle de la personne morale au domaine restreint des
attributions fonctionnelles de l'organe qui a agi aboutirait à créer une large
zone d'irresponsabilité pénale injustifiée »520. De même cela semble aussi être
la volonté du législateur qui a prévu à l’article 131-39 du Code pénal la
dissolution de la personne morale lorsque celle-ci a été « détournée de son
objet » pour commettre l’infraction alors que dans ce cas les organes ou les
représentants n’ont certainement pas agi dans le cadre de leurs attributions.
La référence au droit comparé permettrait aussi de parvenir à la même
solution :
le droit anglo-américain refuse la limitation de la responsabilité
pénale des personnes morales aux seuls actes liés à la compétence du
dirigeant521.
367. En définitive, comme
l'a écrit Mme
le Professeur Delmas-Marty522,
l'expression « pour le compte », permet d'englober toute infraction ayant
entraîné un profit au sens le plus large (matériel ou moral, bénéfice ou
diminution des coûts directs ou indirects).
Les deux conditions « pour
le compte » et « par
leurs organes ou
représentants » sont non seulement liées mais interdépendantes.
3- Une extension de la notion d « organes ou représentants »
368. En application de l’article 121-2 du Code pénal, la Cour de cassation
française juge régulièrement, tant pour les infractions intentionnelles que pour
les
infractions d’imprudence, que
la responsabilité pénale d’une société
suppose
la commission de
l’élément matériel et de
l’élément moral de
l’infraction par ses organes ou représentants.
Mais avant de préciser les notions d’organe et de représentant, il est à noter
que les tribunaux s’efforcent d’éliminer tous les obstacles à la mise en œuvre
520 Merle (R) et Vitu (A), « Traité de droit criminel » : Cujas, Ed. 1988, t1, n°605.
521 Desportes (F) et Le Gunehec (F), Op.cit p. 27.
522 Delmas-Marty (M), Op.cit. p. 302.
195



Page 204
de la responsabilité pénale des sociétés et cela se manifeste aussi à travers
l’interprétation de ces notions.
Ainsi, la qualité d’organe ou de représentant n’exige pas un lien de droit entre
la société et son dirigeant. Certaines juridictions du fond considèrent comme
représentants de simples salariés dès lors qu’, aux yeux du public, ces
salariés exercent le pouvoir de décision au sein de la société523.
369. Ensuite,
la Cour de cassation n’exige pas que
l’organe ou
le
représentant, auteur matériel de l’infraction soit identifié, dès lors qu’est établie
la commission de cette infraction par un organe ou un représentant524. Il suffit
de constater que l’infraction considérée n’ait pu être commise que par un
organe ou un représentant pour engager la responsabilité pénale de la
société, il importe peu alors que l’auteur demeure inconnu. Adoptée, d’abord,
pour les infractions non intentionnelles525 cette solution a été étendue aux
infractions intentionnelles526.
Ceci nous amène donc, à nous intéresser à la notion d’organe (a) pour après
préciser la notion de représentant (b).
a-
Une conception large de la notion d’organe
370. La notion d’organe
recouvre
toutes
les personnes
investies,
individuellement ou collectivement, par la loi ou les statuts de la personne
morale, du pouvoir d’agir au nom de celle-ci, d’assurer « son administration ou
sa direction », pour reprendre l’expression de l’article 5 de la loi du 1er juillet
1901 relative au contrat d’association527.
En droit des sociétés,
les organes sont des personnes physiques
individuellement considérées ou des collèges qui sont composés de
523Trib. correctionnel de Grenoble 15 septembre 1997, Droit pénal, 1998, n°5.
524 Saint-Pau (J-C), Note sous Cass. crim 18 janvier 2000, D 2000, n°30 Jur p636.
525 Cass. crim 1 décembre 1998, rev. sc. crim 1999, p. 336.
526 Roujou de Boubée G, « La responsabilité pénale des personnes morales », Op.cit p. 11.
527 Desportes (F) et Le Gunehec (F), Op.cit. p20.
196



Page 205
personnes investies du pouvoir de gérer et de décider ensemble de la vie
sociale528.
371. Dans ce domaine, les solutions sont données par le Code de commerce.
Pour ce qui est des sociétés anonymes, forme privilégiée des sociétés cotées,
lorsqu’elles sont pourvues d’un conseil d’administration, la qualité d’organe
doit être reconnue au conseil d’administration, à son président mais aussi aux
directeurs généraux. Il s’agit là d’une solution confirmée à maintes reprises par
la jurisprudence529.
372. Dans les sociétés anonymes à directoire, les organes sont constitués par
le directoire, le président de celui-ci et les directeurs généraux spécialement
habilités par le conseil de surveillance à représenter la société.
D’autre part, l’article 121-2 ne distingue pas entre les organes de gestion et les
organes de contrôle de la personne morale. En pratique, cependant, il est
vraisemblable que seuls les organes de gestion sont susceptibles d’engager la
responsabilité pénale de la personne morale.
Ainsi, en ce qui concerne le conseil de surveillance, même si celui-ci est un
organe de
la société,
il est peu probable en pratique qu’il engage la
responsabilité pénale de la société du fait de ses délibérations et ce compte
tenu de sa mission de contrôle.
373. De même, l’assemblée des actionnaires est un organe de la société mais
il est toutefois improbable en pratique que ses délibérations engagent la
responsabilité pénale de la société puisqu’il s’agit d’un organe intermittent qui
n’est pas chargé de la gestion quotidienne530.
528 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op. cit. p. 64.
529 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim. 2 décembre 1997, Rev. sociétés janv-mars 1998 p152 ; Barbiéri
(J-F), Note sous Cass. Crim 7 juillet 1998, Bull. Joly sociétés, février 1999, p 260.
530 Desportes (F) et Le Gunehec (F), Op.cit. p 20.
197




Page 206
Sur un autre plan et en ce qui concerne les dirigeants de fait qui ne sont pas
nommés conformément à la loi ni aux statuts, la question se pose de savoir
s’ils sont susceptibles d’engager la responsabilité pénale de la société.
A ce sujet, la doctrine s’avère partagée. Certains auteurs sont favorables à la
répression afin de ne pas « créer une immunité regrettable au profit des
personnes morales dont les dirigeants de droit ne sont que des prête-
nom »531. D’autres adoptent une position contraire, en considérant qu’en
pareil cas la personne morale était « placée en état de contrainte » et faisait
« plutôt figure de victime que de coupable »532. Un troisième courant doctrinal
défend une position plus nuancée et propose de distinguer selon que le
dirigeant de fait a été ou non connu des organes de la société et selon qu’il a
ou non, « exprimé la volonté de l’être collectif »533.
374. En pratique, le dirigeant de fait est souvent complice, par aide ou par
fourniture de moyens, de la personne qui dirige en droit la personne morale. Il
commet pour le compte de celle-ci, des infractions ; ce qui nous autorise à
considérer l’organe de fait comme un organe au sens de l’article 121-2 du
Code pénal. Il est possible aussi de considérer l’organe de droit comme
complice de l’organe de fait en application des articles 121-6 et 121-7. La
responsabilité pénale de la société pourra donc, être engagée en raison des
actes de l’organe de fait534.
375. Mais quoi qu’il en soit, il est certainement souhaitable, d’assimiler
l’organe de fait à l’organe de droit, puisqu’il est difficilement concevable qu’une
personne prenne la direction de fait d’une société sans bénéficier de la
défaillance
ou
la
complaisance des organes de droit. Sans être
nécessairement complices des infractions reprochées au dirigeant de fait,
ceux-ci ont toutefois accepté, que ce soit tacitement ou expressément, de lui
abandonner leur pouvoir et de faire de lui un organe de la société. Le dirigeant
531 Delmas-Marty (M), « Droit pénal des affaires », PUF 3ème Ed 1990 p. 119.
532 Merle (R) et Vitu (A), « Traité de droit criminel » : Cujas, éd 1988, t1, n°605.
533 Merle (R) et Vitu (A), Op.cit. n°647.
534 Desportes (F) et Le Gunehec (F), Op.cit. p 20.
198



Page 207
de fait apparaît ainsi comme une sorte de délégataire des dirigeants de droit,
susceptible ainsi d’engager la responsabilité pénale de la société et le fait que
cette délégation générale de pouvoir soit illégale n’affecte en rien l’imputabilité
de l’infraction à la société.
376. D’ailleurs, la jurisprudence a toujours assimilé les situations de fait à
celles que la loi avait imposées. L’une des premières décisions rendues en
matière de responsabilité pénale des personnes morales a condamné une
société à raison des agissements de son dirigeant de fait, dans une affaire où
le délit de travail clandestin a été commis par l’ancien président de la société
qui continuait de fait à la gérer535.
De même, la cour de cassation estime que dès lors qu’il n’y a pas de
délégation, les dirigeants de droit et de fait sont co-gérants et tenus de
respecter la réglementation sur la sécurité536.
Qu’en est-il maintenant de la notion de « représentant » ?
b- Une large interprétation de la notion de représentant
377. Le terme « représentant » ne figurait pas dans les avant-projets de Code
pénal de 1978 et 1983, qui ne faisaient référence qu’aux « organes » de la
personne morale. Il n’est apparu que dans le texte du projet déposé en 1986
par Robert Badinter et ni
les débats parlementaires, ni
la circulaire
d’application ne permettent de définir cette notion537.
En général, ce terme se confond avec celui dorganes. Mais il ne doit pas être
compris comme désignant le seul représentant légal, sinon lajout de cette
qualité dans la loi naurait aucun sens. Ainsi le gérant d’une SARL, le
président d’une SA, ladministrateur provisoire, le liquidateur dune société ou
dune association, le chef dentreprise, le mandataire spécial et surtout les
535 Trib. correctionnel Strasbourg, 9 février 1996, les annonces de la seine 1996, n°24, p. 10.
536 Cass. Crim 12 septembre 2000 N° 99-88.011, Bull. Crim n°268 p.791.
537 Desportes (F) et Le Guenehec (F), Op.cit p. 20.
199



Page 208
personnes titulaires dune délégation de pouvoir,qui implique en effet une
délégation de la représentation, sont des représentants.
A noter quil importe peu de savoir si le représentant a agi en dehors des
limites de ses attributions.
378. La notion de
représentant n’a pas cessé de s’élargir dans
la
jurisprudence. Ainsi le délégataire salarié agissant pour le compte de la
personne morale
est
considéré
comme
son
représentant, d’abord
implicitement538, ensuite expressément.
Ainsi, dans une affaire qui n’a pas trait à des infractions boursières, la
Chambre criminelle539 a estimé qu’était engagée
la responsabilité pénale
d’une société, dès lors que les deux préposés avaient reçus délégation de
pouvoirs des organes de celle-ci pour assurer la sécurité de pistes ski.
379. Cette délégation était même déduite du fait que « les prévenus, pourvus
de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires avaient reçu une
délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale »; alors
que rien ne permet d’affirmer, à partir des énonciations de l’arrêt, que les
représentants légaux de la société exploitante avaient entendu déléguer quoi
que ce soit à qui que ce soit.
Dans un autre arrêt, la haute juridiction540, a énoncé très clairement que « le
salarié d’une société
titulaire d’une délégation de pouvoirs en matière
d’hygiène et de sécurité est un représentant de la personne morale au sens de
l’article 121-2 du Code pénal. Il engage donc la responsabilité pénale de celle-
ci en cas d’atteinte involontaire à la vie ou à l’intégrité physique trouvant sa
cause dans un manquement aux règles qu’il était tenu de faire respecter en
vertu de sa délégation ».
538 Cass. Crim 1er dec 1998,n°97-80 ,D.2000, jur, p 34.
539 Barbiéri (J-F), Note sous Cass. Crim, 9 novembre 1999, Bull. Joly Sociétés Avril 2000, p. 418.
540 Cass. Crim 30 mai 2000,n°99-84.212, Bull. crim, n°206 p. 607.
200



Page 209
Dans un autre arrêt célèbre, l’arrêt « Carrefour », daté du 26 juin 2001541, il a
été considéré que
le
titulaire d’une subdélégation de pouvoir est un
représentant susceptible d’engager la responsabilité pénale d’une société.
380. La même conception très large de la notion de représentant de la société
a été admise en matière de délits boursiers.
Une décision de la Cour d’appel de Paris datée du 2 février 2007542,
concernant un délit de manipulation de cours apporte des précisions utiles sur
la conception que ce fait la jurisprudence française de cette notion de
représentant.
En
l’espèce,
la société Fideuram Wargny, prestataire de services
d'investissement procédait à l’exécution d’ordres émanant du dirigeant de la
société Deveaux qui lui demandaient de procéder à d'importants rachats de
titres de cette société, tant par cette dernière que par sa société mère. Celle-ci
rétrocédait ensuite les titres acquis à sa filiale. La finalité de ces opérations
était de faire remonter le cours de l'action, afin de restituer la valeur réelle du
titre de la société. La Cour d'appel de Paris confirme la condamnation du
dirigeant de la société Devaux pour manipulation de cours en caractérisant
tant les éléments matériels que l'élément moral du délit543. La Cour déclare la
société Fideuram Wargny, également pénalement responsable de l'infraction
de manipulation de cours544. En l'occurrence, le chargé de clientèle avait
exécuté les ordres transmis par le dirigeant de la société Deveaux. Une
conversation téléphonique révèle que ce préposé avait conscience d'exécuter
ces opérations pour « faire remonter les cours ». Les juges considèrent donc
qu'il a joué un rôle actif dans les opérations reprochées, en ayant consc ience
de leur finalité véritable.
541 Cass. crim 26 juin 2001, J.C.P éd E 21 février 2002, p. 375.
542 Rontchevsky (N), Note sous C.A. Paris, 2 février 2007, Deveaux et SA Fideuram Wargny, RTD
com. 2007 p. 413 ;
Salomon (R), Dr. Soc. 2007, Comm. n° 123.
543 Art. L. 465-2, al. 1 du code monétaire et financier
544 Art. L. 465-3 du code monétaire et financier
201



Page 210
381. Ils prennent d’ailleurs soin de caractériser la commission de l’infraction
par le chargé de clientèle de la société Fideuram Wargny conformément aux
exigences de l’article 121-2 du Code pénal. La faute pénale commise par la
personne physique n’étant pas suffisante pour engager
la responsabilité
pénale de la société. Cette faute devant être commise par un « organe » ou
« représentant » de la société agissant pour son compte.
En reprenant la logique de la Cour de cassation, qui on l’a vu a élargi ces
notions en admettant qu'un salarié, titulaire d'une délégation de pouvoir, soit
un représentant de la personne morale au sens de l'article L. 121-2 du code
pénal545. La cour d'appel fait un pas de plus et considère un salarié, chargé
des relations avec la clientèle comme représentant de la société. Elle estime
que le salarié « qui avait reçu pouvoir de la direction de la société Fideuram
Wargny d’exécuter les ordres des clients et représentait l’établissement vis-à-
vis de ces derniers, n’a pas agi de sa propre initiative, mais au profit de la
société et après en avoir informé sa hiérarchie qui ne lui a pas interdit de
procéder ainsi ».
382. La Cour d’appel élargit donc considérablement le champ d’application de
la responsabilité pénale des personnes morales en retenant des qualités qui
normalement seraient insuffisantes pour engager la responsabilité pénale de
Fideuram Wargny.
En effet, au regard de la terminologie employée, on peut douter du fait qu'il y
avait réellement délégation de pouvoir. L'exécution des ordres des clients ne
relevait-elle pas de la simple exécution du contrat de travail du préposé ? Il
semble que la Cour d'appel n'a pas véritablement caractérisé la délégation de
pouvoir spécial indispensable pour transformer un salarié en représentant de
la société. C'est sur ce point que la motivation de la Cour d'appel apparaît la
545 Bouloc (B), Note sous Cass. Crim. 14 déc. 1999, RTD com. 2000 p. 737.
202



Page 211
plus fragile546. Mais contre toute attente, la Cour de Cassation confirme dans
son arrêt du 28 janvier 2009547.
Aux termes de celui-ci, « en l’état de ces seules énonciations, d’où il se déduit
que l’infraction d’entrave au fonctionnement régulier d’un marché réglementé a
été nécessairement commise par un organe de la société Fideuram Wargny,
pour le compte de cette dernière, la Cour d’appel qui a répondu aux chefs
péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a sans insuffisance ni
contradiction justifié sa décision ».
Ainsi, la Cour de cassation ne remet pas en cause la solution dégagée par la
Cour d’appel, elle en complète même le fondement en recourant à une
présomption.
383. Le délit de manipulation de cours, est ainsi considéré comme
nécessairement commis par un organe de la société.
Certes, la solution n’est pas inédite, la jurisprudence de la Cour de cassation
est allée en ce sens à plusieurs reprises ces dernières années548. Toutefois,
les délits reprochés aux personnes morales étaient dans la plupart des cas
non intentionnels, c’est-à-dire résultant de l’inobservation des obligations ne
pesant légalement que sur l’employeur ou son délégataire de pouvoirs. Or, le
délit de manipulation de cours est tout à fait intentionnel. C'est-à-dire, une
situation où il était raisonnable de penser, que la responsabilité pénale d’une
546 Le Bars (B) et Thomasset-Pierre (S), « Droit des marchés financiers » mai 2006 - mai 2007, D.
2007 p. 2418.
547 Capdeville (J-L), Note sous Cass. crim., 28 janvier 2009, n° 07-81674, X et société Fideuram
Wargny, Bull. Joly Bourse, 01 mai 2009 n° 3, p. 170 ; La surprise quant à cette confirmation n’étonne
toutefois pas tous les auteurs V.
Barbièri (J-F), Bull. Joly Sociétés, 01 septembre 2009 n° 9, p. 799,
qui estime que dans le contexte jurisprudentiel actuel, il n’est pas vraiment surprenant qu’un simple
salarié soit réputé revêtir la qualité d’organe ou de représentant qui, selon les termes de l’arrêt
commenté, agissant « au profit de la société » qui l’emploie, engage la responsabilité pénale de celle-
ci.
548 Robert (J-H), Note sous Cass. crim., 20 juin 2006, Droit pénal, 2006, comm. n° 128 ; Dreyer
(E)
, J.C.P. éd G, 2006, II, 10199 ; Saint-Pau (J-C), D., 2007, p. 617 ; Véron (M), Note sous Cass.
Crim., 26 juin 2007, Droit pénal, 2007, comm. n° 135 ;
Mastopoulou (H), Note sous Cass. crim.,
25 juin 2008, Droit pénal, 2008, n° 140 ; Fortis (E), Note sous Cass. Crim., 19 novembre 2008, Rev.
Science criminelle, 2009, p. 89.
203



Page 212
société ne pouvait être retenue dès lors que l’auteur direct de l’infraction
n’avait pas pu être identifié549.
384. La position de la doctrine, concernant la question de savoir si la
délégation consentie par son organe dirigeant exonérait également
la
personne morale ou si
l’on devait considérer
le délégataire comme un
représentant de celle-ci au sens de l’article 121-2 du Code pénal, est quant à
elle plus partagée.
Certains auteurs sont favorables à l’assimilation du délégataire de pouvoir au
représentant de
la société550, alors que d’autres se sont montrés plus
réticents, invoquant notamment le principe d’interprétation stricte de la loi
pénale posé à l’article 111-4 du Code pénal551.
385. Quoi qu’il en soit, les solutions retenues par la jurisprudence paraissent
logiques car le délégataire de pouvoir se substitue aux organes de la société
dont il exerce les prérogatives pour le compte de celle-ci. La délégation,
effectue en quelque sorte, en même temps un transfert de pouvoir et un
transfert de représentation. Elle est une cause d’exonération pour l’organe
délégant mais pas pour la société.
D’ailleurs, un raisonnement différent serait en contradiction avec l’esprit de la
réforme ayant abouti à la consécration de la responsabilité pénale de la
personne morale. Une réforme qui a été instituée dans le dessein d’assurer
l’efficacité de la sanction. Et si une délégation de pouvoir suffisait à mettre les
sociétés à
l’abri des poursuites,
l’efficacité de
la
répression serait
sérieusement menacée552.
386. Cette assimilation du délégataire au représentant, a donc de nombreuses
conséquences pratiques puisqu’elle donne plein effet à
la responsabilité
549 Véron (M), Note sous Cass. Crim., 1er avr. 2008, Droit pénal, 2008, comm. n° 140.
550 Couret (A), « Infractions aux règles d’hygiène et de sécurité de travail, délégation de pouvoirs et
mise en danger », Droit social, 1995, p. 344.
551 Mercadal (B), « Abus de biens sociaux et responsabilité pénale des personnes morales », RJDA
1998, p. 897.
552 Desportes (F) et Le Guenehec (F), Op.cit p. 22.
204



Page 213
pénale des sociétés en permettant de
la retenir pour des
infractions,
fréquemment
imputables à des préposés
titulaires d’une délégation de
pouvoir, de même qu’elle peut dispenser d’identifier la personne physique
ayant commis l’infraction pour le compte de la société.
Ceci en ce qui concerne les conditions de fond de la mise en œuvre de la
responsabilité pénale des sociétés, quid maintenant des conditions de forme ?
B- Simplification des conditions de forme
387. La poursuite et la mise en examen du sujet de droit qu’est une société
cotée en bourse ne sont pas de nature à poser de nouveaux problèmes
d’ordre juridique. En effet, il y’ a des précédents en la matière, on citera à titre
d’exemple
la procédure administrative à caractère répressif engagée à
l'encontre de ces sociétés par l’Autorité des marchés financiers (Auparavant
cette procédure répressive était menée en France par la Commission des
opérations de bourse)553.
Ainsi, le grand principe de l'imputabilité de l'infraction à la seule personne qui
en est l'auteur doit être respecté de manière absolue. Repris à l'article 121-1
du Code pénal en vigueur depuis 1994, le principe de l'imputabilité à l'auteur
de l'infraction se traduit en ce que l'action publique est « exercée à l'encontre
de
la personne morale » mais qu'elle est « prise en
la personne » du
représentant
légal au moment de la poursuite554. Selon l'article 706-43 du
Code de procédure pénale, au regard de l'article 121-1 du Code pénal, l'action
publique est exercée contre la société.
553 V. infra pp. 316 et s.
554 C'est ce que dispose l'article 706-43 du Code de procédure pénale modifié pour les besoins de la
responsabilité pénale des personnes morales par la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992. Ce texte
s'insère entre les articles 706-41 à 706-46 du Code de procédure pénale constituant un chapitre
supplémentaire du Code de procédure pénale et intitulé : « De la poursuite, de l'instruction et du
jugement des infractions commises par les personnes morales » ; Ducouloux-Favard (C), « Lamy
droit pénal des affaires », Ed. Lamy, 2007 .
205



Page 214
388. Quant à la juridiction compétente, l'article 706-42 du Code de procédure
pénale555a distingué deux cas d'espèce selon que seule
la société est
soupçonnée ou qu'une personne physique l'est en même temps.
Dans le premier cas, ce sont les procureurs et juridictions du lieu de l'infraction
ou du lieu du siège de l'être moral qui sont compétents. Dans le second cas,
les tribunaux du lieu de l'arrestation de la personne physique ou de sa
résidence sont également compétents.
389. Mais au-delà de ces questions la simplification des conditions de forme
de mise en œuvre de la responsabilité pénale des sociétés cotées en bourse
se traduit surtout par la simplification de la représentation de la société.
La représentation de la société a été simplifiée par la loi du 10 juillet 2000. En
effet, si avec cette loi le législateur français a entendu ne pas modifier les
conditions de fond de la responsabilité pénale des sociétés, il apporte une
modification procédurale qui n’est pas négligeable.
390. Ainsi, les sénateurs, suivis par l’Assemblée Nationale, ont considéré que
l’obligation de désignation d’un mandataire de
justice « constituait une
exigence très lourde, qui limite de fait l’engagement des poursuites contre les
personnes contre les personnes morales et incite à poursuivre prioritairement
les personnes physiques ».556
En conséquence, l’article 706-43 du Code de procédure pénale est désormais
rédigé comme suit : « L'action publique est exercée à
l'encontre de
la
personne morale prise en la personne de son représentant légal à l'époque
des poursuites. Ce dernier représente la personne morale à tous les actes de
555 L'article 706-42 du Code de procédure pénale est rédigé en ces termes : « Sans préjudice des règles
de compétence applicables lorsqu'une personne physique est également soupçonnée ou poursuivie,
sont compétents : 1° le procureur de la République et les juridictions du lieu de l'infraction ; 2° le
procureur de la République et les juridictions du lieu où la personne morale a son siège. Ces
dispositions ne sont pas exclusives de l'application éventuelle des règles particulières de compétence
prévues par les articles 705 et 706-17 relatifs aux infractions économiques et financières et aux actes
de terrorisme ».
556 Fauchon (P), Rapport n°177 au nom de la commission des lois, discussion et adoption 27 janvier
2000, p. 5.

206



Page 215
la procédure. Toutefois, lorsque les poursuites pour les mêmes faits ou pour
des faits connexes sont engagées à l'encontre du représentant légal, celui-ci
peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de
désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale.»
391. La désignation d’un mandataire de justice est désormais facultative dans
l’hypothèse où la poursuite s’exerce en même temps contre le représentant
légal de la société et la société elle-même. Cette désignation est à présent
subordonnée à l’initiative du représentant légal, qui a la possibilité s’il le juge
utile de saisir par requête le président du tribunal de grande instance afin de
désigner un mandataire de justice. Le représentant légal peut ne pas le faire
nonobstant l’existence de conflits d’intérêts557.
L’alinéa premier de l’article 706-43 perd donc à l’évidence sa raison d’être,
l’initiative étant laissée au représentant en conflit d’intérêts avec la société.
Cette situation met fin à cette particularité que le mandataire désigné pour
représenter la société pourrait être totalement étranger à celle-ci, mettant un
doute ainsi sur la qualité de la défense qu’il pouvait apporter à la société, et
cette situation devrait rendre plus aisée la mise cause des sociétés558.
392. La Cour de cassation appliquait la règle même au délégataire chargé de
représenter la personne morale en vertu du 2e alinéa de l’article 706-43559.
Mais tant qu'un conflit d'intérêts n'apparaît pas, ce sont les règles ordinaires
de la représentation qui s'appliquent560.
Aussi, la Cour de cassation a-t-elle censuré un arrêt qui avait cru devoir
annuler un acte de procédure présenté par un avocat sans qu'ait été
mentionné l'organe représentant la société mise en examen561.
557 Ruet (C), « La responsabilité pénale pour faute d’imprudence après la loi du 10 juillet 2000 tendant
à préciser la définition des délits non intentionnels », Droit Pénal, 4 janvier 2001, p. 8.
558 Dalmasso (T), « Les délits d’imprudence », RJcom novembre 2001 p. 24.
559 Cass. crim, 9 décembre 1997, Bull crim, n°420.
560 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op. cit. p. 64.
207



Page 216
Ceci dit, en cas de désignation d’un représentant judiciaire de la société mise
en examen par application de l'article 706-43 du Code de procédure pénale, il
n'appartient pas au représentant légal d'exercer les voies de recours.
Ainsi a été déclaré irrecevable le pourvoi en cassation du PDG : « Attendu,
que M. X n'étant plus habilité, depuis la désignation du mandataire de justice,
à représenter la personne morale, dans la présente procédure, était sans
qualité pour former le pourvoi »562.
393. Enfin, il est intéressant de savoir que le représentant de la société
poursuivie ne peut, en cette qualité, faire l'objet d'aucune mesure de contrainte
autre que celle applicable au témoin : donc, pas de garde à vue, ni de
mandats d'amener ou d'arrêt, ni de contrôle
judiciaire ni de détention
provisoire. Simplement, en cas de refus de comparaître, le juge d'instruction
ou la juridiction de jugement peuvent le contraindre par la force publique.563
Malgré des conditions d’imputation favorables et une jurisprudence qui a
tendance à élargir
la responsabilité pénale des personnes morales,
les
condamnations pénales de sociétés pour des délits boursiers sont restées
marginales. Ainsi, l’on compte à notre connaissance, une seule condamnation
en plus de 15 ans depuis l’élargissement aux personnes morales des délits
boursiers.
394. Cet état de fait, témoigne de l’inadaptation de la répression pénale au
contexte des marchés
financiers. En effet,
les sanctions pénales des
personnes morales ont vocation à rester marginales. Ces sanctions ne doivent
leur survie qu’à cette qualité de dissuasion qui les anime.
Ces observations, on l’a vu, sont aussi valables pour ce qui est de la
répression pénale dirigée à
l’encontre des dirigeants sociaux et autres
personnes physiques se rendant coupables de tels délits.Car le droit pénal,
561 Barbièri (J.-F), Note sous Cass Crim. 6 novembre 2002, n° 02-85.809, Bull. crim, n° 201, p. 747,
Bull. Joly sociétés 2003, p. 345.

562 Cass.crim, 5 janvier 2000, n° 99-84.613, Bull. crim., n° 41, p. 7.
563 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Op. cit p. 64..
208



Page 217
très présent dans les textes souffre de lacunes persistantes lors de sa mise en
œuvre.
209






















Page 218
CONCLUSION
DE LA PREMIERE PARTIE
395. L’étude de la responsabilité pénale des sociétés cotées en bourse et de
leurs dirigeants met évidence les différences notables qui existent entre droits
tunisien et français. Des disparités afférentes aussi bien au domaine de cette
responsabilité qu’à sa mise en œuvre.
Malgré ces disparités, le constat final est le même : la sanction pénale est
inadaptée au monde mouvant et en perpétuelle évolution des marchés
boursiers.
396. En Tunisie, les imprécisions législatives et le manque de volonté des
autorités judiciaires à mettre en œuvre des poursuites à l‘égard des auteurs
des infractions boursières, font que la sanction pénale de ces délits n’est
qu’une illusion qui vit dans les textes de loi et qui ne reçoit en pratique aucune
application.
Alors qu’en France et malgré un dispositif pénal bien huilé, les condamnations
ne sont pas légion. A cause des lourdeurs des juridictions pénales, les
décisions sanctionnant des délits boursiers sont restées trop rares. Le nombre
relativement limité de décisions564 de la Cour de cassation française565, en
atteste. Par ailleurs, ces sanctions pénales sont d’autant plus insuffisantes que
564 L’analyse du Bulletin des arrêts de la chambre criminelle fait transparaitre le fait que la Cour de
cassation n’a rendu en dix ans que huit décisions concernant des infractions boursières, auxquelles
s’ajoutent une dizaine d'arrêts de la chambre commerciale concernant des procédures de sanction de la
Commission des opérations de bourse (
Rontchevsky (N), « Droit pénal boursier », G.P., 12 mars 2002
n° 71, p. 15.)
565Rontchevsky (N), « Droit pénal boursier », Op.cit. p. 15.
210





Page 219
les poursuites pénales et les peines d’emprisonnement sont très rares en
pratique en France566.
397. De plus, le juge n’est ni un technicien des affaires boursières ni un expert
de la gestion des sociétés cotées en bourse. Il est un élément extérieur à la
société sur laquelle son contrôle doit s’exercer. D’ailleurs, le recours de plus
en plus fréquent des juges à l’expertise atteste de leur volonté de palier à leur
incapacité technique567.
Aussi, les sanctions pénales risquent de lier l’action des sociétés cotées en
bourse et de leurs dirigeants. Aux conséquences potentiellement trop lourdes
à supporter, elles pourraient inciter dirigeants et sociétés à une prudence
excessive. La vitalité et la croissance du marché boursier s’en trouveraient
atteints.
398. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’il faille dépénaliser les infractions
boursières car la répression pénale a une fonction dissuasive qui doit persister
et être renforcée que ce soit en Tunisie ou en France.
399.
Il
reste, qu’une autre voie d’intervention étatique en vue du
rétablissement de la transparence et de l’intégrité des marchés financiers est
ouverte. Une voie qui monte en puissance et qui semble plus adaptée à la
réalité des marchés boursiers : celle des sanctions édictées par les autorités
administratives chargées de la régulation des marchés financiers.
566Rontchevsky (N), « L’harmonisation des sanctions pénales : Vers un renforcement et une
rationalisation de la répression des abus de marché », Bull. Joly Bourse, 01 mars 2012 n° 3, p. 139.
9941 ص72.
ةيسنوتلا ةينوناقلا
ةلجملا ،"ةيراجتلا تاكرشلل ةيداصتقلاا داعبلأا قيقحتل يضاقلا لخدت يف
" ،
رصن نب قيفوت
567
211










Page 220
DEUXIEME PARTIE
LA RESPONSABILITE ADMINISTRATIVE :
UNE MONTEE EN PUISSANCE
212





















Page 221
400. Les Romains, en redoutables stratèges de la guerre, jugeaient qu’il fallait
donner aux soldats de la légion des armes offensives et défensives plus fortes
et plus pesantes que celles de quelque autre peuple que ce fût. Mais comme il
y’a des choses à faire dans la guerre dont un corps pesant n’est pas capable,
ils voulurent que la légion contînt dans son sein une troupe légère qui pût en
sortir pour engager le combat, et, si la nécessité l’exigeait, s’y retirer. 568
C’est peut être aussi sur le même modèle que le législateur, a organisé la lutte
contre les infractions en matière boursière. Il s’est rendu compte que l’appareil
lent et massif de la répression pénale était inadapté au monde mouvant et
évolutif des marchés financiers. Il y’ avait des choses à faire pour sanctionner
les infractions à l’intégrité des marchés financiers dont un corps aussi lourd
n’était pas capable. Il introduisit alors à côté de la légion qu’est « l'appareil,
toujours effrayant, du droit pénal »569, une troupe légère, spécialisée dans le
domaine. Une autorité de régulation, qu’il appela « Autorité des marchés
financiers » en France et « Conseil du marché financier » en Tunisie.
401. L’idée de réguler les marchés, n’est pas nouvelle. Le besoin de protection
de
l’épargne
investie en
valeurs mobilières,
l’internationalisation,
la
globalisation et la complexité croissante des marchés financiers ont amené la
plupart des pays qu’ils soient industrialisés ou émergents, au cours du XXème
siècle, à progressivement renoncer à
la surveillance
financière par
les
professionnels ou le gouvernement. Des organes indépendants se sont peu à
peu développés sur le modèle de la Securities Exchange Commission des
Etats-Unis née en 1933570.
Des commissions des valeurs mobilières se sont développées en Belgique
(1935), en France
(1967), en
Italie
(1974), en Espagne
(1988), au
Luxembourg (1990), en Allemagne (1994) 571, en Tunisie (1994)...
568 Montesquieu, « Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence »,
Ed. Flammarion 1998, p. 12.
569 Hamel (J), « Le droit pénal des sociétés anonymes », Dalloz, 1955, préface.
570 De Vaplane (H), Bornet (J-P), « Droit des marchés financiers », Ed. Litec 2001, p. 120.
571 Vallette (J-P), « La régulation des marchés financiers », Rev. Droit Public, 01 janvier 2005 n° 1, p.
183.
213



Page 222
402. Quant au pouvoir de sanction de l‘autorité de régulation, il trouve son
origine, en France, dans l’explosion du marché financier français dans les
années 1980. Une explosion qui a entraîné un mouvement de
déréglementation
:
l’arrivée de nouveaux produits
(besoin d'adapter
la
réglementation à des produits dérivés) ; arrivée de nouveaux acteurs (besoin
de codifier les usages) ; arrivée de nouvelles pratiques (marché continu,
contrepartie,
...), qui
imposent une adaptation de la réglementation ; et
développe
l'ouverture
internationale
:
internationalisation des usages qui
s'accompagne d'une
internationalisation des normes, notamment sous
l'influence anglo-saxonne.
403. Ce double mouvement a eu pour conséquence un besoin de règles plus
précises et de mécanismes de sanction efficaces. Un besoin qui est à l'origine
du pouvoir de sanction directe d'une autorité administrative, la COB572. Un
pouvoir dont a hérité ensuite l’AMF.
En effet, avant 1989,
la COB n'avait pas un rôle déterminant dans la
répression des infractions boursières. Elle ne pouvait que procéder à des
enquêtes et édicter des
règlements concernant
le
fonctionnement des
marchés financiers placés sous son contrôle.
404. Ce n’est que depuis la loi no 89-531 du 2 août 1989, relative à la sécurité
et à la transparence des marchés financiers, édictée à la suite des scandales
Péchiney-Triangle et BNP-Société Générale que l’autorité de régulation des
marchés
financiers a été
investie du pouvoir d’infliger des sanctions
administratives à l'encontre des auteurs de manquements à la réglementation
boursière.
572 Fleuriot (P), « L’origine et le bilan de l’exercice par la COB de son pouvoir de sanction », L.P.A,
15 juin 1994 n° 71.
214



Page 223
Instituées dans un souci d’ « efficacité »573, afin de remédier à des procédures
pénales trop lentes, ces procédures administratives répressives, plus rapides,
traduisent un doute face à la capacité d’un des modes d'action traditionnels de
l'État à satisfaire les besoins d'encadrement des marchés financiers574. Au fil
du temps, elles n’ont cessé de se renforcer et de s’affiner :
405. Au départ, la COB n’avait pas l’exclusivité de ce pouvoir de sanction des
manquements
à
la
réglementation
boursière.
D'autres
autorités
professionnelles disposaient d'un pouvoir de sanction disciplinaire. Ainsi, à
l'instar du Conseil des bourses de valeurs, le Conseil des marchés financiers
(CMF) né de la loi no 96-597 du 2 juillet 1996 avait été chargé d'établir des
règles de bonne conduite en matière de prestations de
services
d'investissement et avait été investi du pouvoir d'infliger de lourdes sanctions
disciplinaires (avertissement, blâme, interdiction à titre temporaire ou définitif
d'exercer
tout ou partie de ses activités, sanctions pécuniaires pouvant
atteindre 5 000 000 F ou le décuple des profits éventuellement réalisés) aux
prestataires de services d'investissement et aux autres professionnels des
marchés
financiers
en
cas
de manquement
à
leurs
obligations
professionnelles définies par les lois et règlements en vigueur.
En outre, le Conseil de discipline de la gestion financière créé par la loi no 98-
546 du 2 juillet 1998, succédant au Conseil de discipline des OPCVM,
disposait aussi d'un pouvoir de sanction disciplinaire et la COB était encore
investi d'un tel pouvoir à l'égard des gestionnaires de portefeuilles575.
573 L’efficience d’un marché peut se définir par la capacité de la place financière à satisfaire les
acheteurs et les vendeurs en permettant la réalisation rapide des transactions. L’efficience d’un marché
résulte ainsi d’une bonne liquidité et d’une grande transparence dans son fonctionnement mais aussi en
terme d’informations sur les produits. Le révélateur de l’efficacité d’un marché efficient et intègre est
celui de l’information. (
Grosjean (P), Fonds de pension et marchés financiers internationaux, thèse
Ed. LGDJ, 2006, p 157).
574 Arsouze (C), « Réflexions sur les propositions du Rapport Coulon concernant le pouvoir de
sanction de l'AMF »,Bull. Joly Bourse, 01 juin 2008 n° 3, p. 246
575 Rontchevsky (N), « Les sanctions administratives : régime et recours », Bull. Joly Bourse, 01
janvier 2004 n° 1, p. 1.
215



Page 224
406. Et les différents scandales qui ont émaillé la vie des marchés financiers
n’ont fait que renforcer les pouvoirs de régulation des organes publics au
détriment de l’autorégulation des professionnels.
A l’image des Etats Unis, où les scandales Enron et Worldcom, ont entrainé
l’élaboration de la loi Sarbanes Oxley qui a apporté un durcissement de la
législation. Les américains ont ainsi décidé de renforcer les pouvoirs de
régulation de tous les organes publics au détriment de l'autorégulation des
professionnels. La France, a vu l’émergence d’une nouvelle autorité unique de
surveillance des marchés (l’AMF), une entité aux pouvoirs renforcés.
Ainsi, la loi no 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière mit fin à la
pluralité d'autorités de sanction en attribuant tous les pouvoirs de sanctions
administrative et disciplinaire des infractions boursières à la commission des
sanctions de l'AMF.
407. La création de la Commission des sanctions depuis la fusion du CMF et
de la COB confirme ce pouvoir de sanction administrative, tout en garantissant
l'indépendance de ses membres qui ne sont plus des membres du collège de
l'AMF576.
Cet exercice des pouvoirs de sanction par une autorité unique, répond ainsi
aux préoccupations de
la directive communautaire 2003/6 du 28 janvier
2003577 dont l’article 14 demande aux Etats membres de mettre en place une
autorité administrative dotée d’un pouvoir d’enquête et de sanction pour
réprimer efficacement les abus de marché578.
576 Gewinner (D), « Le rôle de l'AMF », Bull. Joly Bourse, 01 mai 2007 n° 3, p. 353.
577 Directive n°2003/6/CE du parlement européen et du conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations
d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché), JOCE n° L 96, 12 avril 2003, p 16 à 25.
578 Simon (F-L), « Le juge et les autorités du marché boursier », thèse, Ed. LGDJ 2004, p. 189.
216



Page 225
D’un auxiliaire judiciaire « efficace dans la recherche et la constatation des
infractions pénales »579, l’autorité de régulation française s’est transformée en
un véritable juge répressif.
408. La Tunisie, qui est un pays qui ambitionne de devenir une place
financière régionale, ne pouvait rester en marge du mouvement international
consacrant le renforcement de la régulation des marchés financiers.
Dans cette perspective de renforcement de la surveillance du marché, les
pouvoirs publics ont, en conséquence, créé le Conseil du marché financier :
autorité publique, indépendante, qui dispose de la personnalité civile et de
l'autonomie financière. Et ce, en vertu de la loi n°94-117 du 14 Novembre
1994 portant réorganisation du marché financier.
Conscient du rôle décisif que devrait
jouer
l’autorité de régulation,
le
législateur l’a dotée, dès sa naissance, de larges prérogatives, l’a chargé
d’accomplir un ambitieux programme et
lui a
réservé une grande
responsabilité.
En effet, c’est au Conseil d’assurer l'organisation des marchés et de veiller à
leur bon fonctionnement afin de prévenir les manipulations susceptibles d'en
entraver le bon fonctionnement.
409. A cet égard, le CMF est habilité à prendre dans le domaine de sa
compétence, « des règlements dont les mesures d'application sont précisées
par
des
décisions générales, et prend également des décisions
individuelles »580.
Il dispose d'un pouvoir de contrôle de
l'information
financière.
Il surveille les marchés et a pour mission de détecter tout comportement qui
serait de nature à porter préjudice aux intérêts de l’épargnant et de rechercher
les délits boursiers. Le Conseil dispose en outre de larges pouvoirs de
sanctions.
579 Puech (M), « La Commission des opérations de bourse et la surveillance du marché boursier au
regard du droit pénal », in Mélanges Bastian, T. 1, Librairies Techniques, 1974.
580 Article 28 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
217



Page 226
410. Le CMF dispose donc des moyens appropriés pour instaurer une vraie
transparence des marchés financiers. Il peut édicter des normes, mener des
investigations et sanctionner les agissements frauduleux : il est le législateur,
le policier et le juge du marché boursier tunisien.
Les moyens « adaptés»581, dont dispose le CMF ont d’ailleurs été renforcés
par la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005.
411. Le constat est donc là : les pouvoirs des autorités de régulation n’ont fait
que croitre du fait des différentes crises et scandales qui ont éclaté ces
dernières années. Et la dernière crise financière a mis fin au mythe de
l’autorégulation et forcé les Etats à réagir. Ceux-ci se devaient de revenir au-
devant de la scène, de réguler ces marchés afin de restaurer la confiance.
D’ailleurs, les pouvoirs de plus en plus larges attribués aux autorités de
régulation des marchés font qu’aujourd’hui la plus habituelle des sanctions
que peuvent subir les sociétés cotées en bourse et leurs dirigeants est la
sanction administrative.
Cette expansion constante des pouvoirs de ces autorités est compréhensible
car les sanctions édictées par ces autorités sont adaptées au marché boursier
au vu de la facilité accrue avec laquelle peuvent être mises en œuvre ces
sanctions à l’encontre des sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants
(Chapitre
I). Par ailleurs, cet élargissement des pouvoirs des autorités
administratives a pour objectif d’améliorer l’efficacité de leur action. Il sied de
ce fait de s’interroger sur l’efficacité de l’action des autorités de régulation des
marchés financiers respectivement en France et en Tunisie (Chapitre II).
581 Ben Bechr (H), « La protection institutionnelle de l’épargne investie en valeurs mobilières :
l’exemple de la Tunisie », Thèse, Université Toulouse I - Sciences sociales, 2005, dactyl.
218









Page 227
CHAPITRE I
UNE RESPONSABILITE ADAPTEE
« Il n'y a de droit que lorsqu'il y a une loi pour défendre de faire telle chose,
sous peine de punition. Avant la loi, il n'y a de naturel que la force du lion, ou
le besoin de l'être qui a faim, qui a froid, le besoin en un mot ...582 ».
412. Le pouvoir de punir est une faculté essentielle pour toute autorité qui
aspire à se faire respecter. Sans cette capacité de châtier, il est vain de
penser que l’autorité de régulation puisse mener à bien les missions dont elle
est investie.
Conscient de cette réalité le législateur, en Tunisie et en France, a doté les
autorités de régulation de larges pouvoirs de sanction.
Sur ce point, les deux systèmes juridiques français et tunisien présentent des
similarités évidentes. La Tunisie et la France présentent en matière financière
un système répressif dualiste. Ainsi, à la menace pénale vient s’ajouter la
sanction administrative.
Mais
la
responsabilité administrative s’avère plus adaptée au domaine
mouvant et évolutif des marchés boursiers. En plus d’être plus rapidement
mise en œuvre que
la sanction pénale,
la sanction administrative est
susceptible d’atteindre l’ensemble des citoyens dès lors que ces derniers
approchent les marchés financiers.
413. Le droit administratif répressif a, ainsi, pris une dimension jusque-là
inconnue583. De la sorte, la responsabilité administrative s’avère comme l’outil
le plus adapté pour atteindre les sociétés cotées en bourse et leurs dirigeants.
Une adaptation qui se manifeste à travers la souplesse de la carac térisation
des critères des manquements à la règlementation boursière (Section 1) et
582 Stendhal (HB), « Le Rouge et le Noir », Ed. Elibron 2006. (1830).
583Thomasset
fondamentales », LGDJ 2003 p. 176.
(P), « L’autorité de
régulation boursière
face aux garanties processuelles
219






Page 228
par l’imputation facilitée de ces manquements aux sociétés cotées en bourse
et à leurs dirigeants (Section 2).
SECTION I
DES CRITERES SOUPLES
414. L’étude de la responsabilité pénale des sociétés cotées en bourse et de
leurs dirigeants avait fait apparaitre une différence considérable entre les
droits tunisien et français584.
Là où en Tunisie, ceux-ci sont peu ou pas concernés par la sanction pénale.
En France, ces principaux acteurs des marchés boursiers sont les premiers
concernés par la sanction pénale en matière d’infractions boursières. Et le
constat n’est guère différent lorsqu’on aborde les sanctions administratives
que sont susceptibles de subir dirigeants sociaux et sociétés cotées.
415. Car en France, l’effritement des critères des manquements administratifs
facilite la mise en œuvre des sanctions administratives à leur égard. L’étude
des conditions de caractérisation des manquements boursiers fait apparaitre
que l’efficacité de l’action de l’autorité administrative est privilégiée. En effet,
l’autorité administrative, avait très tôt, profité de ses nouveaux pouvoirs pour
doubler les délits déjà prévus par la législation en vigueur de manquements à
sa réglementation dont les éléments, on va le constater, sont bien souvent
définis de manière plus large585. Cette facilitation contribue grandement à
l’efficacité de l’action de l’autorité administrative.
416. En Tunisie, la situation est plus confuse. Une confusion doublement
alimentée par l’absence de toute décision de sanction émanant du Conseil du
marché financier et par des règlements boursiers qui manquent de précision.
Néanmoins, bien qu’il ne soit pas possible de l’affirmer avec certitude, en
l’absence de décisions de sanction émanant du Conseil du marché financier, il
584 V. supra pp. 50 et s.
585 Ducouloux-Favard (C), Rontchevsky (N) ; « Infractions boursières », Op. cit. p. 5.
220





Page 229
semble586 que
le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne
permette dans certaines de ces dispositions de faciliter la caractérisation des
manquements à la réglementation boursière.
Ces affirmations
sont
valables autant pour
l’élément matériel des
manquements (Paragraphe 1), que pour leur élément moral (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 - L’érosion de l’élément matériel des manquements
417. De l’interprétation donnée à la notion d’information privilégiée dépendra
en bonne partie
la caractérisation des manquements d’initié et de
communication d’une information privilégiée. Et force est de constater qu’en
Tunisie comme en France, l’interprétation donnée à cette notion par les
autorités administratives s’avère particulièrement large (A). Au contraire, une
différence notable sépare droits français et tunisien : En France, les actes
répréhensibles s’avèrent multiples, alors qu’en Tunisie, une définition
maladroite des actes prohibés par le règlement du CMF relatif à l’appel public
à l’épargne est de nature à compliquer la tâche de l’autorité administrative
tunisienne (B).
A- Une large interprétation de la notion d’information privilégiée
418. L’information privilégiée est un critère essentiel de la caractérisation des
opérations de marché. De l’interprétation donnée à la notion d’information
privilégiée dépendra en bonne partie l’imputation de ces manquements.
En effet, une interprétation large de cette notion conduit inéluctablement à une
facilitation de l’imputation des principaux manquements à la réglementation
boursière. Et force est de constater que l’interprétation donnée à la notion
d’information privilégiée est particulièrement
large, ce qui participe à
la
facilitation de l’imputation des manquements d’initié et de communication
d’informations privilégiées aux dirigeants sociaux.
586Malgré quelques complications dues à rédaction maladroite du texte du règlement du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne
221




Page 230
419. Signe de l’importance que revêt cette notion, le règlement général de
l’AMF et le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne s’étendent sur
la définition de l’information privilégiée587.
Ainsi, la lecture de l’article 621-1 du règlement de l’AMF, nous apprend que
pour qu’une information puisse être qualifiée de privilégiée, cela nécessite la
conjugaison de trois critères. Des critères qui sont repris, non sans quelques
différences, par le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne dans
son article 51588.
En premier lieu, l’information concernée doit être une information précise (1)
Ensuite, l’information privilégiée est une information qui n’a pas été rendue
publique (2). Tertio, l’information doit concerner directement ou indirectement,
un ou plusieurs émetteurs d’instruments
financiers, ou un ou plusieurs
instruments financiers589, et il doit s’agir d’une information qui si elle était
rendue publique, serait susceptible d’avoir une
influence, d’une ampleur
différente entre droits tunisien et français, sur le cours du titre (3).
587L’article 621-1 du règlement général de l’AMF définit l’information privilégiée comme étant « une
information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou
plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle
était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments
financiers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés.
Une information est réputée précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un
événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une
conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des
instruments financiers concernés ou des instruments financiers qui leur sont liés.
Une information, qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur
le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments financiers dérivés qui leur sont
liés est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des
fondements de ses décisions d’investissement ».
588L’article 51 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne précise ce qu’il entend par une
information privilégiée, il s’agit d’« une information non publique, précise, concernant un ou plusieurs
émetteurs, une ou plusieurs valeurs mobilières, un ou plusieurs produits financiers qui, si elle était
rendue publique, pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur ou du produit financier
concerné. ».
589L’article 51 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne utilise des termes très
proches : L’information privilégiée a pour objet un ou plusieurs émetteurs, une ou plusieurs valeurs
mobilières, un ou plusieurs produits financiers.
222






Page 231
1- Une information précise
420. L’information privilégiée est une information précise. Contrairement au
règlement général de l’AMF, le règlement du CMF relatif à l’appel public à
l’épargne ne s’étend pas sur la notion d’information précise. Et aucune
jurisprudence ne nous permet, non plus, d’en savoir plus sur cette notion. Le
recours au droit français s’avère, en conséquence, d’une aide appréciable
pour cerner avec minutie la notion d’ « information précise ».
421. La définition de l’information précise a été donnée par l’article 621-1 du
règlement général de l’AMF qui dispose qu’ « une information est réputée
précise si elle fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement
qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en
tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet
événement sur
le cours des
instruments
financiers concernés ou des
instruments financiers qui leur sont liés. »
Cette définition qui reprend celle de la directive 2003/124/CE relative à la
définition et à la publication des informations privilégiées est venue préciser la
notion d'information « à caractère précis»590.
422. Ainsi, il n’a jamais été exigé qu’une information privilégiée soit une
information certaine591. Le règlement général de l’AMF dans son article 621-1
le précise sans ambiguïté aucune, en évoquant un « événement qui s’est
produit ou qui est susceptible de se produire ».
590 Selon cette directive « Une information est réputée à caractère précis si elle fait mention d'un
ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un
événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, et si elle est
suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet
ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou
d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés» Dir. PE et Cons. n
o 2003/6/CE, art. 1 § 1, 28 janvier
2003 sur les opérations d'initié et abus de marché (abus de marché) : JOUE n
o L 96/16, 12 avril 2003.
Cette définition reprend d'ailleurs celle que donnait de l'information privilégiée la précédente directive
no 89/592, 13 novembre 1989 sur les opérations d'initié : JOCE no L 334, 18 novembre 1989.
591V. Rontchevsky (N), Note sous Cass. Com., 5 octobre 1999 Bull. Joly Bourse, 2000, p. 38, § 5
223




Page 232
Par contre, cette information se doit d’être suffisamment définie, pour qu'elle
puisse être potentiellement confirmée par les faits même si aucune certitude
ne saurait être exigée.
423. Une analyse de la jurisprudence de la commission des sanctions de
l’AMF nous permet de mieux cerner la conception que se fait l’autorité de
régulation des marchés
financiers de
la notion de « précision de
l’information ».
A titre d’exemple, la commission des sanctions de l’AMF a considéré que « le
non-respect par un émetteur d'une prévision de résultats qu'il avait annoncé
au public constitue une information précise ».
424. De même, une information précise n'est pas nécessairement chiffrée. La
commission des sanctions estime, en effet, qu’« il importe peu que les chiffres
relatifs aux résultats n'aient pas encore été arrêtés », motivation que l'on
rencontre au soutien d'autres décisions qui ont pris soin d'affirmer qu'une
information précise n'est pas nécessairement chiffrée. Le montant exact du
résultat définitif par rapport aux prévisions antérieures n’est pas considéré
comme étant un élément essentiel. L’élément décisif est la connaissance par
la société, ses dirigeants et ses principaux cadres, du fait qu'il est hautement
probable, quasi certain, que ces prévisions ne seront pas respectées592.
425. Aussi, si l’information porte sur un projet d’offre publique, la notion de
précision de l'information implique l’existence d’un projet suffisamment défini
entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir.
L'existence d'aléas inhérents à toute opération de cette nature quant à la
réalisation effective de ce projet n’a, par contre, que peu d’importance. Il n’ est
d’ailleurs pas nécessaire qu’un prix ait été arrêté.
Ainsi, dans une espèce qui s'inscrit dans sa lignée jurisprudentielle classique,
selon laquelle la précision de l'information ne doit pas être confondue avec la
certitude de cette information. La Cour d’appel de Paris a estimé que « la
notion de précision implique un projet d'offre publique suffisamment défini
entre les parties pour avoir des chances raisonnables d'aboutir, peu important
592 Moulin (J-M), Note sous Sanct. AMF, 1er mars 2007, Bull. Joly Bourse, 01 février 2008 n° 1, P. 27
224




Page 233
l'existence d'aléas inhérents à toute opération de cette nature quant à la
réalisation effective de ce projet et sans qu'il soit nécessairement arrêté un
prix ».
Par
la suite, et de
l’examen des coupures de presse et déclarations
communiquées,
la Cour a déduit que le public n'avait pas été informé
précisément de
l'OPA, et notamment de
l'identité de
l'acquéreur. Les
magistrats de la chambre financière de la Cour d’appel de Paris, en tirent les
conséquences adéquates en estimant que l'information litigieuse relative à
l'offre répond aux critères de précision et de non publicité et doit être qualifiée
d'information privilégiée593.
426. De plus, la Commission des sanctions de l’AMF estime de manière
constante que
la préparation d’un
rapprochement
industriel peut être
constitutive d’une information privilégiée dès lors que cette information est
précise594 car « portant sur un projet suffisamment défini entre les parties pour
avoir une chance raisonnable d’aboutir »595.
427. De même, l'information communiquée lors d'un conseil d'administration
d'une société sur les comptes prévisionnels de celle-ci, établis par les propres
services de contrôle de gestion de la société sur la base de données
comptables de
l'ensemble du groupe auquel elle appartenait, est une
information précise596.
593 Salomon (R), Note sous C.A. Paris, 1er avril 2003, n° 2002/18762, Mrs M. Brunelli et M. Anti c/
COB Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2003 n° 04, p. 446.
594 V. à ce sujet : Jeantin (M), Note sous C.A. Paris, 26 mai 1993, Bull. Joly Bourse, 1993, p. 579,
§ 110 ;
Bonneau (Th), Note sous C.A. Paris, 1re ch., sect. H, 1er avril 2003, Dr. Soc., juillet 2003,
p. 30 et
Daigre (J-J), Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 1054, § 223 ; Bonneau (Th), Note sous Sanct.
AMF, 29 mars 2007, Dr. Soc, n° 11, novembre 2007, pp. 31-32, § 203 ;
Bouthinon-Dumas (H), Note
sous Sanct. AMF, 7 février 2008, Bull. Joly Bourse, 2008, pp. 224 et s., § 25.
595 Roch (G), Note sous Sanct. AMF 1re sect., 22 mai 2008, Clermont-Tonnerre et autres, Bull. Joly
Bourse, 01 décembre 2008 n° 6, p. 454.
596 Cass.Com 5 octobre 1999, « Manquement d'initié : L'information privilégiée est une information
précise et pas nécessairement certaine », D. 1999 p. 55.

225




Page 234
428. D’autre part, lorsqu’il a été question de la connaissance non partagée par
le public d’une information concernant le développement par la société cotée
d'une technologie dont la mise en œuvre est susceptible d'avoir un impact
sensible sur l'activité de la société. Le tribunal correctionnel de Paris a rejeté la
défense des prévenus qui arguaient, que s'ils connaissaient l'existence du
procédé « Actis », ils ignoraient que la société allait en annoncer la mise au
point si rapidement lorsqu'ils avaient acheté leurs titres.
La Cour a retenu que l'information privilégiée portait sur deux faits distincts
non encore connus du public, à savoir la mise au point du procédé Actis et la
certitude que le potentiel de ce procédé allait être révélé au public. Le
caractère
inéluctable de
l'annonce
impliquait que
les dirigeants ayant
connaissance du procédé étaient détenteurs d'une information privilégiée, qui
leur imposait de s'abstenir de toute exploitation de cette information par l'achat
des titres de la société597.
429. En outre, « la connaissance du caractère erroné d’un communiqué est
susceptible de constituer une information objectivement précise »598.
Ainsi, la commission des sanctions a considéré qu’ « une information relative
au caractère inexact, imprécis et trompeur d’un communiqué prenant en
compte à tort des réserves ne revenant pas in fine à la société MAUREL &
PROM et, à partir de cette première erreur, faisant état d’un prix d’achat par
baril anormalement bas constitue une information précise au sens de l'article
621-1 du Règlement général de l'AMF ».
430. Par contre, il arrive à la commission des sanctions de mettre hors de
cause les dirigeants et les sociétés cotées inculpées lorsqu’elle retient qu’une
information ne revêt pas un caractère suffisamment précis pour donner lieu à
597 Dezeuze (E), Note sous Trib. Correctionnel Paris, 12 septembre 2006, no 0018992026, Sidel
Bull. Joly Bourse, 01 janvier 2007 n° 1, p. 37
598Sanction AMF du 4 décembre 2008, à l'égard de MM. Frédéric BOULET et Jean-François HENIN
et de la société MAUREL & PROM, http://www.amf-france.org/documents/general/8688_1.pdf.
226



Page 235
une information privilégiée. Ainsi, la commission a jugé dans l’affaire EADS599,
à propos du plan d’affaire élaboré par EADS que
les anticipations à
respectivement un, deux ou trois ans ne peuvent pas avoir le même degré de
fiabilité. Les indications contenues dans un tel plan, autres que celles relatives
à la première année couverte par celui-ci, ne revêtent pas la précision exigée
d’une information privilégiée en raison du caractère évolutif et changeant du
plan. En effet, la commission estime que le caractère « glissant du plan,
reconstruit chaque année, les données propres aux exercices autres que le
premier couvert par le plan ont vocation à être revues, mises à jour et
modifiées en fonction, d’une part, des décisions qui seraient prises par les
équipes dirigeantes et, d’autre part, de l’évolution des diverses hypothèses qui
sous-tendent le plan et tenant notamment au taux de change dollar/euro et
aux coûts de recherche et développement ainsi que, s’agissant d’Airbus, au
prix et au nombre de livraisons d’avions ».
431. Au final, même si le Conseil du marché financier peut s’inspirer du texte
français et de la jurisprudence de la Commission des sanctions de l’AMF, une
meilleure compréhension du caractère « précis » de l’information exigerait une
modification du texte de l’article 51 du règlement général du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne afin qu’il donne de plus amples précisions sur cette
notion et éviter, ainsi, toute difficulté d’interprétation qui pourrait surgir lorsque
le CMF aura l’opportunité d’appliquer ce texte.
Ceci étant dit, même si elle s’avère précise, une information ne constitue une
information privilégiée que si elle revêt un caractère non public.
2 Une vision large de l’information non publique
432. Pour être considérée comme étant privilégiée, une information détenue
par le dirigeant doit non seulement être précise mais elle doit aussi être non
publique. Encore une fois, l’absence de précision du texte de l’article 51 du
599Sanction AMF
27
france.org/documents/general/9260_1.pdf

datée
du
novembre
2009
disponible
sur
http://www.amf-
227





Page 236
règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne corrélée à l’absence de
toute jurisprudence relative à ce sujet est de nature à laisser des doutes quant
à l’interprétation qu’il faille donner à cette notion.
Le recours au droit français, devrait nous permettre, d’avoir de plus amples
précisions sur cette notion.
433. Cependant, la référence au règlement général de l’AMF n’apporte pas de
plus amples précisions sur cette notion. Il faut se reporter à la jurisprudence
de la commission des sanctions de l’AMF, pour avoir des indications sur la
notion d’information « non publique ».
434. Dans un premier temps, la commission des sanctions a pu préciser dans
de multiples décisions que ce caractère suppose qu'on ne puisse accéder à
l'information litigieuse par aucun des moyens mis à la disposition du marché,
tels la presse spécialisée, les documents de référence, les comptes publiés ou
encore les analyses financières600.
Ainsi, dans une affaire hautement médiatisée
(Vivendi Universal),
la
commission des sanctions a estimé que l’information concernant l’absence,
anticipée ou effective, de trésorerie générée par Vivendi Universal ne revêtait
plus un caractère non public puisqu’elle a été portée à la connaissance du
marché. Les
dirigeants
inculpés ayant versé au dossier « sept études
d’analystes provenant de JP MORGAN, ABN AMRO , EXANE, GOLDMAN
SACHS, CAIC, CSFB et ING, datées d’avril, juin et août 2001 et faisant état,
pour l’exercice 2001, de prévisions d’un « free cash flow net » négatif dont le
montant était estimé, selon
leurs auteurs, entre 255 et 1.246 millions
d’euros ». De ce fait, la Commission des sanctions a considéré que le
manquement d’initié n’était pas caractérisé.
600Voir par exemple la décision de sanction à l’égard de M. Jean-Marie MESSIER, de M. Guillaume
HANNEZO et de la société VIVENDI UNIVERSAL AMF, 3 novembre 2004 disponible sur
http://www.amf-france.org/documents/general/5649_1.pdf
228



Page 237
435. De même, la commission des sanctions a estimé dans la même espèce
que le risque d’un abaissement de l’évaluation de la société par ces agences
n’était pas inconnu du public, « dès lors qu’avaient été publiés, d’une part, les
17 et 20 décembre 2001, des communiqués en
langue anglaise de
STANDARD & POORS selon lesquels les notes ne seraient pas dégradées à
la condition que V.U. réduise sa dette de façon substantielle et rapidement,
d’autre part, le 17 décembre 2001, une dépêche de l’Agence REUTERS, tout
à fait accessible au public, indiquant que « STANDARD & POORS a annoncé
lundi placer sous surveillance avec implication négative la note à long terme
… et la note à court terme….de V.U. » ; qu’il ne s’agit donc pas d’une «
information privilégiée » au sens de l’ordonnance susvisée. »
436. En revanche, aujourd’hui, la position de l’autorité de régulation semble
avoir évolué vers le sens d’une sévérité accrue, sur la question de l'information
émise par les analystes financiers. En effet, dans la décision de sanction de
2004 précitée, elle avait semblé
indiquer que
les analyses
financières
participaient pleinement de l'information publique du marché et, à ce titre,
pouvaient conférer à une information un caractère public en la mettant à la
disposition du marché. Telle ne semble plus être sa position. Ainsi, dans une
décision601 datée du 1er mars 2007, la commission des sanctions a affirmé que
la circonstance que des analystes, tiers étrangers à la société, aient pu
manifester des doutes quant à la réalisation des prévisions ne pouvait être
regardée comme conférant un caractère public à l'information, ces analyses
n'étant que « des appréciations subjectives ».
437. Cette tendance a été ensuite confortée par la Cour d’appel de Paris et
par la Cour de cassation.
601Moulin (J-M), Note sous Sanction AMF, 1er mars 2007, Bull. Joly Bourse, 01 février 2008 n° 1, p.
27.

229




Page 238
En effet, la Cour d’appel de Paris relève602, qu’au vu d’une jurisprudence
constante603, le seul fait que l’information soit connue par des analystes
financiers ne confère à l’information le caractère public.
Dans cette espèce fort révélatrice, l'AMF fixe au jour de la diffusion du
communiqué émis par la société GFI et annonçant que les résultats ne
seraient pas atteints, la date à laquelle l'information a perdu son caractère
confidentiel. Entre-temps, la direction et le management de la société avaient
su que les prévisions annoncées ne seraient finalement pas atteintes.
De même, la circonstance que nombre de personnes au sein de la société
savaient de longue date que les objectifs ne seraient pas atteints ne confère
pour autant pas à l'information un caractère public. Cette circonstance est
inefficiente à publiciser l'information604.
438. Une autre affaire605 semble confirmer que pour perdre son caractère non
public l’information doit avoir été communiquée officiellement par la société.
Dans cette espèce l’AMF, admet comme date à laquelle l’information perd son
caractère non public, le jour où un communiqué de presse concernant la
baisse conséquente du chiffre d’affaires a été communiqué par la société
cotée en bourse. Les articles de presse qui portent, sur les difficultés
structurelles qui affectaient
le secteur économique606 auquel appartient la
société, les résultats et les avertissements publiés par les concurrents directs
de la société, confirmant les difficultés du secteur, ainsi que les déclarations,
faites plusieurs mois auparavant, par les dirigeants d’INFOGRAMES à propos
602 C.A. Paris 2 février 2010, pôle 5, Chambre 5-7, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation daté
du 27 avril 2011.
603 Rontchevsky (N), Note sous Cass. Com., 26 mai 2009 (2 arrêts) : RTDF, 2009/3, p. 133 ; Aussi
Scmidt (D), Note sous C.A. Paris P. 5 ch. 5-7, 23 février 2010, n° 2009/08268, Sté Vinci c/ AMF,
Bull. Joly Bourse, 01 mai 2010 n° 3, p. 214, les anticipations des analystes financiers n’avaient pas
conféré à l’information sur le chiffre d’affaires publiée en février un caractère public.
604Moulin( J-M), Note sous Sanction AMF, 1er mars 2007, Op.cit. p. 27.
605Sanction
france.org/documents/general/9295_1.pdf
606 En l’espèce, l’industrie des jeux vidéo.
http://www.amf-
novembre
disponible
AMF
2009
sur
du
12
230



Page 239
des prévisions de baisse de résultats, ne font pas perdre à l’information son
caractère non public.
439. D’autre part, l'absence de publication ultérieure de l'information ou la
connaissance de
la proximité de
l'information n’a pas d’effet sur
la
reconnaissance de la qualité d'information privilégiée607.
440. L’évolution de la jurisprudence de la commission des sanctions sur la
question semble participer à une plus grande répression des dirigeants
sociaux à travers une interprétation de plus en plus large de la notion
d’information non publique.
441. La jurisprudence de la Commission des sanctions, qui semble judicieuse,
devrait à notre sens être reprise par le CMF en Tunisie, lorsqu’il devra
interpréter la notion d’ « information non publique ».
Néanmoins, le texte de l’article 51 du règlement du CMF relatif à l’appel public
à
l’épargne gagnerait en clarté s’il était modifié pour préciser qu’une
information ne devient publique que si elle est communiquée officiellement par
la société. Une telle modification faciliterait l’imputation des opérations d’initié
aux sociétés cotées en bourse et à leurs dirigeants.
Reste que pour être considérée comme étant une information privilégiée,
l’information doit être « sensible ».
3- Une incidence sur le cours
442. L’information privilégiée est une information qui si elle était rendue
publique, pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur ou du produit
financier concerné.
Sur ce point, une différence entre le droit français et tunisien est à signaler. En
effet, pour le règlement général de l’AMF une information privilégiée est une
607 Dezeuze (E), Note sous Trib. Correctionnel Paris, 12 septembre 2006, Op.cit. p. 37.
231





Page 240
information qui serait susceptible d'avoir une « influence sensible » sur les
cours608. Le règlement du CMF est conforme, quant à lui, à l'ancien règlement
de la COB qui faisait référence à une simple « incidence sur le cours »609.
443. En effet, le règlement de l'AMF610considère qu’est privilégiée l'information
qui serait susceptible d'avoir une « influence sensible » sur les cours611. Le
règlement de
l’AMF marque ainsi une évolution par rapport à
l'ancien
règlement de la COB qui faisait référence à une simple « incidence sur le
cours ».
Si l’ajout du terme « sensible » donne l’impression de restreindre le champ
d'application de
l'information privilégiée.
Il vient surtout,
introduire une
incertitude qui ne manquera pas de susciter des difficultés en pratique. En
effet, alors que l’«incidence sur le cours » peut être constatée, cerner la notion
d'« influence sensible » apparait être plutôt malaisé. D'autant plus que le seuil
de sensibilité se conçoit de façon différente selon le type d'instrument financier
en cause, et surtout selon le marché sur lequel on se situe.
444. La notion d’information privilégiée doit donc être comprise de façon plus
large en droit tunisien. Surtout la rédaction du texte tunisien devrait épargner
au CMF les difficultés que cet ajout du terme « sensible » a posé à l’Autorité
française dans la caractérisation des manquements d’initié612.
Car sur ce point, la définition de l’information privilégiée telle qu’elle résulte
des dispositions des articles 621-1, 621-2613 et 621-3614 du règlement général
608 Art. 621-1, al. 3 du Règlement général de l’AMF.
609 Article 51 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne.
610 Tout comme l'article 1.1 de la directive communautaire « Abus de marché »,
611 Art. 621-1, al. 3
612D’ailleurs, la traduction très incertaine de la directive « Abus de marché », n’arrange pas les choses
et vient ajouter à la confusion en droit français. En effet, si en français, il est question d'une influence «
sensible », la version anglaise parle d'influence significative (
significant), et d'influence substantielle
(
erheblich) en allemand, Dethomas (A), « L'évolution du manquement d'initié », D. 2005 p. 706
613L’article 621-2 définit l’information privilégiée pour les instruments dérivés sur produits de base
comme « une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou
indirectement, un ou plusieurs de ces instruments dérivés et que les utilisateurs des marchés sur
lesquels ces instruments dérivés sont négociés s’attendraient à recevoir conformément aux pratiques
de marché admises sur ces marchés, lorsque cette information :
1° Est périodiquement mise à la disposition de leurs utilisateurs ou ;
232



Page 241
de l’AMF est plus douce pour les prévenus que ne l’était la précédente
définition qui en était donnée par l'article 1 du règlement COB n° 90-08.
D’ailleurs, la commission des sanctions l’a admis en appliquant les articles
621-1, 621-2 et 621-3 à des faits antérieurs à leur entrée en vigueur,
considérant que leurs dispositions étaient plus douces pour les prévenus615.
En effet, le nouveau règlement de l’AMF introduit une nécessité nouvelle.
Celle d'une « incidence sensible » de l'information sur le cours du titre de
l'émetteur. Alors que l’article 1 du règlement COB n° 98-08 se contentait
jusqu'alors d'une simple « incidence » sans autre précision.
445. L’information susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours d’un
instrument financier est définie par le troisième alinéa de l’article 621-1 du
Règlement général de l'AMF, comme une « information qu’un investisseur
raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses
décisions d’investissement ».
446. Néanmoins et afin de surmonter
toute
incertitude, concernant
l’interprétation à donner à la notion d’ « incidence sensible d’une information
sur les cours d’une action », il est certainement utile de se référer à la
jurisprudence de la commission des sanctions.
Il faut dire sur ce point que l’interprétation retenue par l’autorité de r égulation
est plutôt large. En effet, la lecture de la jurisprudence de la commission des
sanctions nous apprend qu’une information peut être par nature susceptible
d’avoir une incidence sensible sur le cours de l’émetteur.
2° Est rendue publique en application de la loi, des règlements ou des règles de marché, de contrats ou
d’usages propres au marché du produit de base sous-jacent ou au marché d’instruments dérivés sur
produits de base concernés.
614 Selon l’article 621-3 « Pour les personnes chargées de l’exécution d’ordres concernant des
instruments financiers, constitue également une information privilégiée toute information transmise
par un client qui a trait aux ordres en attente de ce client, est d’une nature précise, se rapporte
directement ou indirectement, à un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers ou à un ou
plusieurs instruments financiers et serait susceptible, si elle était rendue publique, d’avoir une
influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés ou le cours d’instruments
financiers qui leur sont liés. »
615 Moulin (J-M), Note sous Sanction AMF, 1er mars 2007,Op.cit. p.27.
233



Page 242
Ainsi, dans une décision particulièrement intéressante, la commission des
sanctions a procédé à une analyse matérielle des faits en vertu de laquelle
elle relève que la publication du communiqué par lequel la société concernée
a fait enfin savoir au marché qu’elle n’atteindrait pas les résultats initialement
prévus avait immédiatement entraîné la chute de plus de 10 % du cours de
l’action de cette société.
Cette variation de plus de 10 % du cours de l’action de l’émetteur concerné
par l’information litigieuse est suffisante à l’AMF pour conclure au caractère
sensible de l’information qui avait été jusqu’alors retenue et non révélée au
marché qui, par la correction qu’il inflige au cours le lendemain de l’annonce
de la non-satisfaction des prévisions, ne s’y attendait pas616.
447. Pour certains auteurs617, l’affirmation générale de la Commission des
sanctions selon laquelle « l’annonce par un émetteur de ce que ses prévisions
de résultats ne sont pas atteintes est, par nature, susceptible d’avoir une
influence sensible sur le cours des titres émis », est contestable. Pour eux, il
suffit que lesdits résultats aient été anticipés par le marché suite à des
analyses sérieuses pour que celui-ci ait déjà pu les intégrer dans le cours du
titre, l’annonce ne venant que confirmer les anticipations.
C’est pour cela que, retenir une relation permanente entre cette annonce et
l’influence sensible sur le cours du titre de l’émetteur serait excessif.
448. Mais, il faut dire que ces critiques se doivent d’être tempérées. Car la
commission des sanctions, prend toujours la précaution d’utiliser l’expression
est « susceptible », comme pour affirmer que
la
relation n’est pas
automatique. Celle-ci prend, en effet, la peine de caractériser au cas par cas
l’effet de l’information sur le cours de l’action.
616 Ibid.
617 Bompoint (D), Note sous sanction AMF 1er mars 2007, RD bancaire et financier, 2007, n° 198 ;
Moulin( J-M), Op.cit. p. 27.
234



Page 243
L’AMF, s’attelle à démontrer que l’information est une « information qu’un
investisseur
raisonnable
serait
susceptible d’utiliser comme
l’un des
fondements de ses décisions d’investissement ».
449. L’autorité de régulation apprécie la sensibilité de l’information au regard
du cours de l’émetteur, par un examen précis et rigoureux de l’impact de
l’information sur le cours de l’émetteur. S’il n’y a pas d’impact significatif
(notion à apprécier in concreto) c’est que le marché avait déjà anticipé
l’information et l’a déjà incorporé au prix de l’actif, conformément à la théorie
de
l’efficience des marchés. Au contraire, si
l’information
impacte
sensiblement sur ce même cours, c’est que le marché du titre considéré n’était
pas efficient faute de disposer toute l’information disponible le concernant ;
dès lors, ceux qui en étaient titulaires jusqu’à l’annonce faite au marché, ont
dû s’abstenir de l’utiliser. Le débat ne doit donc pas se situer sur la nature de
l’information litigieuse mais sur son effet réel sur le cours du titre de l’émetteur
concerné618.
450. Par contre, l’information concernant le chiffre d’affaires est considérée,
par la commission des sanctions, comme étant moins pertinente pour fonder
une décision d’investissement que le résultat. C’est pour cela que l’autorité de
régulation la manie avec précaution. En effet, celle-ci tient compte d’autres
éléments en relation avec le chiffre d’affaires et des particularités de chaque
secteur. Mais la donnée concernant le chiffre d’affaire est objective et
précise, elle ne saurait, donc, être par principe écartée comme non
significative.
451. Ainsi, selon les circonstances de chaque espèce l’AMF considère les
données relatives au chiffre d’affaire comme pouvant avoir une incidence sur
le cours de l’action.
618 Moulin (J-M), Op.cit. p 27.
235



Page 244
Dans une espèce intéressante619, l’AMF prend en considération plusieurs
éléments, comme
le fait que la société rapprochait elle-même le chiffre
d’affaires et les prévisions de résultats dans plusieurs de ces communiqués.
Et en constatant, que le lendemain de la publication d’un communiqué, un
quadruplement des volumes des échanges portant sur le titre VINCI, une
hausse de 3,16 % de ce titre (soit la deuxième plus forte hausse du cours de
VINCI entre le 1er septembre 2004 et le 1er mars 2005), et une hausse des
cours de sociétés du même secteur ont été constatés. La Commission en
conclut que l’information concernant le chiffre d’affaires revêt le caractère
d’information privilégiée.
452. Dans une autre affaire, plus récente, il a été jugé que la très importante
baisse du chiffre d’affaires de la société l’information était, « par nature,
susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre INFOGRAMES ;
qu’en effet, tout investisseur raisonnable informé d’une dégradation importante
du chiffre d’affaires de la société INFOGRAMES, correspondant de surcroît à
la période déterminante des fêtes de fin d’année, aurait pu utiliser cette
information comme fondement de sa décision de ne pas investir dans cette
société ou de s’en désinvestir »620
453. De même, lorsque l’information porte sur l'existence de difficultés ayant
un impact significatif sur la trésorerie de la société, qui sont ainsi susceptibles
de
justifier
l'ouverture d'une procédure collective.
Il ne peut pas prêter
sérieusement à discussion, qu’il s’agit là d’une information de nature à avoir
une « influence sensible » sur le cours du titre.621
454. En outre, la commission des sanctions de l’AMF a considéré que « la
connaissance du caractère erroné du communiqué du 10 juin 2005 était une
information qu’un
investisseur raisonnable aurait été susceptible d’utiliser
Sanction AMF
619 Sanction AMF du 22 janvier 2009, http://www.amf-france.org/documents/general/8717_1.pdf
620
novembre
france.org/documents/general/9295_1.pdf
621 Rontchevsky (N), Note sous Sanction AMF, 4 octobre 2007, Le Coadou et autres, Bull. Joly
Sociétés, 01 avril 2008 n° 4, p. 294.
http://www.amf-
disponible
2009
sur
12
du
236



Page 245
comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement ; qu’ainsi cette
information constituait une
information susceptible d’avoir une
influence
sensible sur le cours du titre, au sens de l’article 622-1 du Règlement général
de l’AMF »622.
455. De plus, il a été considéré par l’AMF que l’information sur la cession
d’une part significative du capital d’une société à un prix nettement supérieur à
la cotation boursière est, « par nature, susceptible d’avoir une influence
sensible sur le cours du titre ; que tel est le cas en l’espèce, la cession par les
actionnaires de leur participation à hauteur de 72 % dans le capital de
GROUPE DIWAN à un grand opérateur de téléphonie pouvant constituer, pour
tout investisseur raisonnable, l’un des fondements de sa décision d’investir 623.
Au final, l’ajout du terme « sensible » a compliqué l’action de l’AMF et est de
nature à amoindrir l’efficacité de l’action de l’autorité administrative française
dans la répression des manquements d’initié.
Le texte français gagnerait, en conséquence, à s’aligner sur le texte tunisien
en supprimant l’exigence d’une influence « sensible » sur le cours du titre.
456. Au final, il semble qu’au vu de la rédaction du texte tunisien définissant
l’information privilégiée, cette notion peut recevoir une large interprétation.
Peut-être même plus large que celle qui prévaut en droit français. Néanmoins,
en l’absence d’une jurisprudence qui confirme cette analyse, il ne s’avère pas
possible de l’affirmer. Nous pensons, de ce fait, que le règlement du CMF
relatif à l’appel public à l’épargne aurait dû être encore plus explicite sur la
notion d’information privilégiée, afin éviter
toute
incertitude
relative à
l’interprétation de cette notion et ne pas compliquer ainsi, la caractérisation
des manquements nuisibles, que sont
les manquements d’initié et de
communication d’une information privilégiée.
622 Sanction AMF du 4 décembre 2008, à l'égard de MM. Frédéric BOULET et Jean-François HENIN
et de la société MAUREL & PROM, http://www.amf-france.org/documents/general/8688_1.pdf
623Sanction
france.org/documents/general/8790_1.pdf
http://www.amf-
décembre
disponible
AMF
2008
sur
11
237



Page 246
Une incertitude qui ne manquera toutefois pas de s’installer à cause d’autres
lacunes entachant le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne.
Des
lacunes qui sont susceptibles de compliquer
la caractérisation des
manquements boursiers.
B-
Les actes répréhensibles
457. Le CMF624a pu élaborer, en Tunisie, des dispositions règlementaires qui
l’habilitent à prononcer des peines d’amendes pour sanctionner certains
comportements.
Il en est de même en France où les larges prérogatives dont est dotée l’Autorité des
marchés financiers lui ont permis d’édicter bon nombre de règlements. Des
règlements qui permettent à
l’AMF de sanctionner un grand nombre de
comportements.
Plus généralement toute infraction aux règlements de l’AMF peut constituer un
manquement sanctionnnable par elle.
458. Néanmoins,
les manquements
les plus souvent punis par
l’autorité
administrative française consistent en la méconnaissance des dispositions du
livre IV du règlement général de l’AMF relatif aux abus de marchés que sont
les opérations d’initié et les manipulations de marché.
Mais, en Tunisie, la mise en œuvre de ces sanctions est compliquée par une
rédaction contestable du règlement du CMF relatif à l‘appel public à l’épargne.
Une
rédaction qui est de nature à entraver
la caractérisation des
manquements d’initié
(1) et compliquer sérieusement
la sanction des
manipulations du marché (2).
624 Vu la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier et notamment
son article 29.
238











Page 247
1-
La sanction des opérations d’initié
459. Le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne considère, en
Tunisie, le dirigeant d'une société cotée en bourse, comme un initié à l'égard
de cette société. Il doit produire une déclaration du nombre de titres qu'il
détient dans la société qu'il dirige au moment de son entrée en fonctions, puis
lors de toute modification ultérieure625. Dans sa déclaration, il prend en compte
tous les titres qu'il détient, directement ou indirectement626.
Lorsqu’il détient une information privilégiée, le dirigeant d’une société cotée,
doit s’abstenir de l’exploiter sur le marché, pour compte propre ou pour
compte d'autrui, soit directement, soit par personne interposée, en achetant ou
en vendant des titres ou des droits liés à ce titre, tant que cette information n'a
pas encore été rendue publique627.
S’il méconnait ces obligations d’abstention
le dirigeant s’expose, sans
préjudice des autres dispositions légales et réglementaires, aux sanctions
prévues à l'article 40 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994628.
460. La formulation des textes d’incrimination des manquements d’initié diffère
en France. En effet, l’article 622-1 du règlement général de l’AMF interdit aux
625Article 52 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne.
626Il faut entendre par indirectement, les titres détenus par sa femme, ses enfants mineurs ou par une
société dont il est membre d’un organe de direction.
627Le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne détaille, les manquements d’initié et de
communication d’une information privilégiée.
Ainsi, l’article 47 de ce règlement prévoit que « les personnes, disposant d'une information privilégiée
en raison de leur qualité de membres des organes de direction ou d'administration ou de délibération
ou de contrôle, d'un émetteur faisant appel public à l'épargne ou en raison des fonctions qu'elles
exercent au sein d'un tel émetteur, doivent s'abstenir d'exploiter sur le marché, pour compte propre ou
pour compte d'autrui, une telle information soit directement, soit par personne interposée, en achetant
ou en vendant des titres de cet émetteur ou des droits liés à ce titre, tant que cette information n'a pas
encore été rendue publique.
Les personnes mentionnées à l'alinéa précédent doivent s'abstenir de communiquer l'information
privilégiée à des fins autres ou pour une activité autre que celles en raison desquelles elle est
détenue. »
Les mêmes interdictions d’exploiter ou de communiquer l’information privilégiée, sont imposées par
l’article 48 de ce règlement aux « personnes disposant d'une information privilégiée en raison de la
préparation et de l'exécution d'une opération financière et les personnes auxquelles a été communiquée
une information privilégiée à l'occasion de l'exercice de leurs professions ou de leurs fonctions ».
628Article 90 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne.
239






Page 248
dirigeants sociaux629d’utiliser
l’information privilégiée qu’ils détiennent en
acquérant ou en cédant « ou en tentant d’acquérir ou de céder », pour leur
propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement,
les
instruments
financiers auxquels se rapporte cette
information ou
les
instruments financiers auxquels ces instruments sont liés630.
461. Deux différences fondamentales entre règlements tunisien et français
apparaissent alors :
En premier lieu, contrairement au règlement tunisien, le règlement français
sanctionne la simple tentative de manquement d’initié, c'est-à-dire la tentative
d’acquérir ou de céder les instruments financiers auxquels se rapporte cette
information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés.
Assurément, l’action du CMF gagnerait en efficacité s’il lui était permis de
sanctionner la tentative de manquement d’initié à l’instar de son homologue
français631.
Deuxièmement, là où le règlement français sanctionne la simple utilisation de
l’information privilégiée. Le
règlement
tunisien sanctionne « l’exploitation »
d’une information privilégiée. L’utilisation du terme exploitation est de nature à
629 Mais aussi à toute autre personne mentionnée à l’article 622-2 du règlement général de l’AMF,
c'est-à-dire toute personne qui détient une information privilégiée en raison de :
1° Sa qualité de membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de
l’émetteur ;
2° Sa participation dans le capital de l’émetteur ;
3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa
participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ;
4° Ses activités susceptibles d’être qualifiées de crimes ou de délits.
Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information
privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée.
Lorsque la personne mentionnée au présent article est une personne morale, ces obligations
d’abstention s’appliquent également aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder
à l’opération pour le compte de la personne morale en question
.
630Néanmoins, les obligations d’abstention ne s’appliquent pas aux opérations « effectuées pour
assurer l’exécution d’une obligation d’acquisition ou de cession d’instruments financiers devenue
exigible, lorsque cette obligation résulte d’une convention conclue avant que la personne concernée
détienne une information privilégiée ».
631 V. infra pp. 361 et 362.
240




Page 249
compliquer la caractérisation du manquement d’initié car l’exploitation suppose
la volonté d’obtenir un gain de l’opération effectuée632.
D’autre part, le dirigeant détenant une information privilégiée commet une
infraction s’il brise
l’obligation qui est à sa charge de s’abstenir de
communiquer l'information privilégiée à des fins autres ou pour une activité
autre que celles en raison desquelles elle est détenue633.
Il en est de même en France où le dirigeant doit s’abstenir de communiquer
cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son
travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que celles à
raison desquelles elle lui a été communiquée634.
De plus,
l’article
622-1, 2°, du Règlement général de
l’AMF
interdit
explicitement, le simple fait de recommander à une autre personne d’acquérir
ou de céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base
d’une information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapporte
cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont
liés. Sur ce point, l’article 622-1, 2°, du Règlement général de l’AMF se
distingue de l’article L. 465-1 du code monétaire et financier français. Il est vrai
que la différence n’est pas fondamentale car l’article L. 465-1 du code
monétaire et financier sanctionne également l’initié qui permet à un tiers de
réaliser une ou plusieurs opérations635.
462. D’ailleurs, le texte du règlement du CMF relatif à l’appel public à
l’épargne, contrairement au règlement général de l’AMF omet de sanctionner,
en Tunisie, le fait de recommander à une autre personne d’acquérir ou de
céder, ou de faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d’une
information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapporte cette
information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés.
632 V. infra p. 251.
633 Article 47 alinéa 2 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne
634 Article 622-1, 1° du règlement général de l’AMF.
635 Stasiak (F), « Répertoire de droit des sociétés Dalloz, Délit et manquement boursier », septembre
2007, §41.
241



Page 250
463. Il semble donc, qu’un dirigeant pourra par exemple recommander à un
proche d’acquérir ou de vendre des actions de la société qu’il dirige, en se
basant sur des informations privilégiées en sa possession, sans tomber sous
le coup des sanctions du Conseil du marché financier. Cette lacune est
d’autant plus gênante que l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
ne permet pas de sanctionner non plus le fait de recommander d’acheter des
titres en se basant sur des informations privilégiées636. Ce comportement qui
rompt l’égalité entre les investisseurs échappe donc à la répression tant
pénale qu’administrative en Tunisie.
Par ailleurs, les lacunes entachant le texte du Règlement du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne ne s’arrêtent pas là : celui-ci ne prévoit nullement les
manquement gravement nuisibles au marché boursier que sont
les
manipulations de marché.
2 - La caractérisation des manipulations de marché
464. La lecture du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne, ne
manque pas de mettre en exergue un oubli étonnant : ce règlement ne semble
pas prévoir la possibilité de sanctionner les manipulations de marché que sont
la diffusion d’une fausse information et la manipulation de cours (a). Au
contraire, le règlement général de l’AMF s’avère particulièrement précis et
détaillé dans la description des pratiques prohibées que sont les manipulations
de cours et la diffusion d’une fausse information (b).
a- Une sanction incertaine des manipulations de marché
465. Aucune description, définition, précision, mention des manipulations de
marché n’est prévue par le règlement général du CMF relatif à l’appel public à
l’épargne. Assurément, on peut s’étonner d’un tel oubli car les manipulations
de marché sont
les
formes
les plus graves des
infractions boursières.
636 V. supra p. 77.
242





Page 251
D’ailleurs, signe de l’importance de la répression de ces manipulations, le
règlement général de l’AMF les définit avec un soin particulier, avec force de
détails qui sont de nature à conférer plus d’efficacité à l’action de l’AMF 637.
Il est certain qu’on aurait pu s’attendre à mieux de la part d’un règlement
censé être plus explicite et complet que la loi du 14 novembre 1994.
466. Est-ce à dire que les manipulations de marché que sont la diffusion de
fausses informations et la manipulation de cours ne peuvent être sanctionnés
par le CMF ? Cet oubli peut-il être compensé par le recours aux dispositions
de l’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 ?
Les pouvoirs répressifs dont est investi le CMF l’autorisent à prononcer les
sanctions détaillées à l’article 40 de la loi du 14 novembre 1994638.
Ces sanctions consistent en une amende au profit du Trésor Public qui ne
peut excéder 20.000 dinars. Mais, lorsque des profits ont été réalisés, cette
amende peut atteindre le quintuple du montant des profits réalisés à condition
que le montant de l'amende soit fonction de la gravité des manquements
commis et en relation avec
les avantages ou
les profits
tirés de ces
manquements639.
467. Sur ce point, il est à noter que la mise en œuvre des sanctions
administratives édictées par le CMF est subordonnée à la mise en évidence
de deux conditions cumulatives.
Il faut en effet, apporter en premier lieu, la preuve d’une pratique contraire aux
règlements du CMF. Ensuite, deuxième condition à la mise en œuvre des
sanctions du CMF, les pratiques en question doivent avoir pour effet de
fausser
le
fonctionnement du marché ; de procurer aux
intéressés un
avantage
injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du
marché ; de porter atteinte au principe d'égalité d'information ou de traitement
des épargnants ou à leurs intérêts ; de faire bénéficier les émetteurs et les
637V. infra p. 244.
638 La formulation de cet article reprenant quasi intégralement celle de l’article L.621-15 du code
monétaire et financier français.
639Article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
243



Page 252
épargnants des agissements d'intermédiaires contraires à leurs obligations
professionnelles.
Mais là encore des difficultés se profilent. Primo, la première condition n’est
pas évidente à caractériser pour ce qui est du manquement de manipulation
de cours car aussi étonnant que cela puisse paraitre, aucune disposition du
règlement du CMF ne vient clairement interdire les manipulations cours.
Quant à la diffusion de fausses informations, les articles 4 et 5 du règlement
du CMF imposent que l’information donnée au public soit fiable, pertinente,
intelligible, comparable, complète et sincère. A défaut
la communication
constitue une atteinte à la bonne information du public 640. La diffusion d’une
fausse information pourrait en conséquence être sanctionnée sur la base de
ces articles notamment641.
468. Deuxio, la rédaction de l’article 40 ne manque pas de soulever une autre
incertitude. Les effets explicités dans cet article sont-ils cumulatifs ou
alternatifs ? En d’autres termes, pour être sanctionné un comportement doit-il
avoir pour effet de fausser le fonctionnement du marché et de procurer aux
intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le c adre
normal du marché et de porter atteinte au principe d'égalité d'information ou
de traitement des épargnants ou à leurs intérêts et de faire bénéficier les
émetteurs et les épargnants des agissements d'intermédiaires contraires à
leurs obligations professionnelles.
Ou bien la caractérisation d’un de ces effets uniquement suffit-elle à la mise
en œuvre de sanctions des sanctions du CMF ?
Le texte de l’article 40 ne permet de trancher. D’ailleurs, le recours à la version
arabe du texte de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 ne permet pas non
plus dissiper le doute, celui-ci ne permettant pas de savoir s’il s’agit là de
conditions cumulatives ou alternatives.
640 L’article 4 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne dispose que « l'information
donnée au public doit être fiable, pertinente, intelligible, comparable, complète et sincère. » et l’article
5 dispose que « Constitue une atteinte à la bonne information du public, la communication d'une
information qui ne répond pas aux conditions citées à l'article précédent. »
641 Plusieurs dispositions du règlement général du CMF relatif à l’appel public à l’épargne ont trait à
l’obligation de bonne information du public tels que les articles 72 à 86.

244



Page 253
469. Néanmoins, il parait très probable qu’il faille considérer qu’il s’agit là de
conditions alternatives : la réalisation de l’un de ces effets seulement devrait
amener au prononcé de sanctions de la part du CMF. En effet, considérer
qu’il s’agit là de conditions cumulatives amènerait à vider l’article 40 de son
sens et à fortement désarmer le CMF qui se verrait en pratique dans
l’impossibilité de prononcer des sanctions d’amende car prouver qu’un
comportement
contraire à
la
règlementation du conseil a entrainé
cumulativement tous ces effets parait en pratique peu probable.
Si on retient cette hypothèse, il est évident que la deuxième condition est
vérifiée dans le cadre des manipulations de marché que sont la diffusion d’une
fausse information et la manipulation de cours car ces pratiques portent
incontestablement atteinte au bon fonctionnement du marché et procurent aux
auteurs de ces manipulations un avantage
injustifié qu'ils n'auraient pas
obtenu dans le cadre normal du marché.
470. Au final, il est indéniable que l’absence d’un texte spécifique sanctionnant
les manipulations de marché, les insuffisances de l’article 40 de la loi n°94-117
du 14 novembre 1994 et l’absence de jurisprudence de la part du Conseil du
marché financier est de nature à compliquer la compréhension des notions
des manquements dits de manipulation de marché en droit tunisien.
En fin de compte, notre étude fait ressortir les lacunes du règlement du CMF.
Des lacunes dues à une rédaction approximative des textes prévoyant les
délits boursiers. Une refonte de ces règlements semble nécessaire, prévoir
chacun des manquements de façon indépendante et précise parait impératif.
D’ailleurs, le règlement de l’AMF peut servir de modèle à cet effet.
b-
Une définition précise des manipulations de marché
471. Contrairement au règlement du CMF, le règlement général de l’AMF
s’étend avec nombre de détails sur les notions de manipulations de cours
(b.1) et de diffusion d’une fausse information (b.2).
245





Page 254
b.1- Une définition précise des manipulations de cours
472. L’article 631-1 du règlement général de l’AMF, interdit à toute personne
de procéder à des manipulations de cours. Pour ce règlement nombre de
comportements sont constitutifs d’une telle manipulation :
Il en est ainsi, du fait de réaliser des opérations ou d’émettre des ordr es soit
qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou
trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’instruments financiers ; soit
qui fixent par l’action d’une ou de plusieurs personnes agissant de manière
concertée, le cours d’un ou plusieurs instruments financiers à un niveau
anormal ou artificiel642.
D’ailleurs, les articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l’AMF s’avèrent
particulièrement précis sur
les éléments permettant de distinguer
les
manœuvres qui représentent des manipulations et celles qui ne le sont pas.
Ainsi, ne commettent pas de manipulation les dirigeants qui arrivent à établir
que les opérations effectuées ou les ordres émis sont légitimes conformes
aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné.
473. Ensuite, l’article 631-2 du règlement général de l’AMF établit une liste
non exhaustive de sept éléments d’appréciation de ces pratiques par l’AMF,
sans que ces éléments constituent en eux-mêmes une manipulation de cours.
Il s’agit des éléments suivants:
1- L’importance de la part du volume quotidien des transactions représentée
par les ordres émis ou les opérations effectuées sur l’instrument financier
concerné, en particulier lorsque ces interventions entraînent une variation
sensible du cours de cet instrument ou de l’instrument sous-jacent ;
2- L’importance de la variation du cours de cet instrument ou de l’instrument
sous-jacent ou dérivé correspondant admis à la négociation sur un marché
réglementé, résultant des ordres émis ou des opérations effectuées par des
642 Article 631-1, 1° du règlement général de l’AMF.
246





Page 255
personnes détenant une position vendeuse ou acheteuse significative sur un
instrument financier ;
3- La réalisation d’opérations n’entraînant aucun changement de propriétaire
bénéficiaire d’un instrument financier admis à la négociation sur un marché
réglementé ;
4- Les renversements de positions sur une courte période résultant des ordres
émis ou des opérations effectuées sur le marché réglementé de l’instrument
financier concerné, associés éventuellement à des variations sensibles du
cours d’un
instrument
financier admis à
la négociation sur un marché
réglementé ;
5- La concentration des ordres émis ou des opérations effectuées sur un bref
laps de temps durant la séance de négociation entraînant une variation de
cours qui est ensuite inversée ;
6- L’effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l’offre et à la
demande de l’instrument financier, ou plus généralement de la représentation
du carnet d’ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont
annulés avant leur exécution ;
7- Les variations de cours résultant des ordres émis ou des opérations
effectuées au moment précis ou à un moment proche de celui où sont calculés
les cours de référence, les cours de compensation et les évaluations.
D’autre part, est aussi répréhensible le fait d’effectuer des opérations ou
d’émettre des ordres qui recourent à des procédés donnant une image fictive
de l’état du marché ou à toute autre forme de tromperie ou d’artifice.
Et le texte de l’article 631-1 donne en particulier deux exemples d’opérations
considérées comme étant des manipulations de cours.
474. Ainsi, constitue une manipulation de cours, le fait, pour une personne ou
pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s’assurer une
position dominante sur le marché d’un instrument financier, avec pour effet la
fixation directe ou indirecte des prix d’achat ou des prix de vente ou la création
d’autres conditions de transaction inéquitables. Ou encore le fait d’émettre au
moment de l’ouverture ou de la clôture ou, le cas échéant lors du fixage, des
247


Page 256
ordres d’achat ou de vente d’instruments financiers du marché ayant pour
objet d’entraver l’établissement du prix sur ce marché ou pour effet d’induire
en erreur les investisseurs agissant sur la base des cours concernés643.
475. Là encore, l’article 631-3 du règlement général de l’AMF donne deux
éléments d’appréciation, non constitutifs en eux-mêmes d’une manipulation de
cours. En premier lieu, est pris en compte le fait que les ordres émis ou les
opérations effectuées par des personnes sont précédés ou suivis de la
diffusion d’informations fausses ou trompeuses par ces mêmes personnes ou
des personnes qui leur sont liées ;
Ensuite, le fait que les ordres sont émis, ou les opérations effectuées, par des
personnes avant ou après que celles-ci, ou des personnes qui leur sont liées,
produisent ou diffusent des travaux de recherche ou des recommandations
d’investissement qui sont faux ou biaisés ou manifestement influencés par un
intérêt significatif.
L’article 631-4 prévoit aussi que toute personne ayant transmis des ordres sur
le marché doit être en mesure d’expliquer « publiquement » les raisons et les
modalités de cette transmission, si l’AMF le lui demande à l’occasion d’une
enquête ou d’un contrôle.
Sur le fondement de l’ancien règlement COB 90-04, l’AMF a sanctionné la
dépréciation d’un titre résultant de ventes massives dans un laps de temps
très bref, afin de faire bénéficier certains clients de rachats à bas prix644.
476. Par contre, deux causes d’exemption sont admises :
La première a trait à l’intervention des émetteurs sur leurs propres titres. Ainsi,
l’article 631-5 du règlement général de l’AMF précise que les obligations
d’abstention ne s’appliquent pas aux opérations effectuées par un émetteur
sur ses propres titres dans le cadre d’un programme de rachat, et ce dans
deux cas de figure. Il s’agit tout d’abord, des opérations qui sont réalisées
conformément au
règlement n° 2273/2003/CE de
la Commission des
Communautés européennes du 22 décembre 2003. Cependant, les titres ainsi
643 Article 631-1, 2° du Règlement général de l’AMF.
644 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous Décision AMF, 7 octobre 2004, Banque et Droit
janv.-févr. 2005, p. 45.

248



Page 257
acquis doivent
faire
l’objet d’une affectation
immédiate par objectif sans
pouvoir être réaffectés à d’autres objectifs que ceux prévus par le Règlement
susmentionné. Ensuite, il s’agit des opérations conformes à une pratique de
marché admise et respectueuses des modalités d’acquisition définies par le
règlement n°2273/2003/CE, sauf pour
les dispositions de ce règlement
écartées par l’acceptation de la pratique mentionnée à l’article 612-4.
La seconde cause d’exemption est la stabilisation d’un instrument financier.
Globalement,
les articles 631-7 à 631-10 du règlement général de l’AMF
prévoient que les obligations d’abstention en matière de manipulation de cours
ne concernent pas les opérations réalisées par des prestataires de services
d’investissement dans le cadre de la stabilisation d’un instrument financier dès
lors que ces opérations s’effectuent conformément aux dispositions du
règlement n° 2273/2003/CE de la Commission européenne du 22 décembre
2003645.
477. Au final, la description faite des manipulations de cours par le règlement
général de
l’AMF est exhaustive et couvre un grand nombre de
comportements. La précision de cette description étant de nature à faciliter la
caractérisation des manquements de manipulation de cours par l’autorité
administrative de contrôle des marchés.
D’ailleurs, en définissant le manquement de diffusion de fausses informations
le règlement général de l’AMF a fait preuve d’une précision similaire.
b.2 Une définition large de la diffusion de fausses informations
478. Le règlement général de l’AMF, dans son article 632-1 dispose que «
toute personne doit s’abstenir de communiquer, ou de diffuser sciemment des
informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent ou sont susceptibles
de donner des
indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des
instruments financiers émis par voie d’appel public à l’épargne au sens de
645 Stasiak (F), « Répertoire de droit des sociétés Dalloz, Délit et manquement boursier », septembre
2007, §46.

249





Page 258
l’article L. 411-1 du code monétaire et financier, y compris en répandant des
rumeurs ou en diffusant des informations inexactes ou trompeuses, alors que
cette personne savait ou aurait dû savoir que
les
informations étaient
inexactes ou trompeuses ».
L’article 632-1 énonce également que « constitue en particulier la diffusion
d’une fausse information le fait d’émettre, sur quelque support que ce soit, un
avis sur un instrument financier ou indirectement sur l’émetteur de celui-ci,
après avoir pris des positions sur cet instrument financier et de tirer profit de la
situation qui en résulte, sans avoir simultanément rendu public, de manière
appropriée et efficace, le conflit d’intérêts existant ».
479. Sur la base de l’article 632-1 du règlement général, la commission des
sanctions de l’AMF646 a prononcé une sanction pécuniaire de 500 000 € à
l’encontre du président du conseil d’administration d’un émetteur qui avait,
d’une part, délibérément trompé le marché sur la situation et les perspectives
de l’émetteur en majorant artificiellement (de 34 fois ) le chiffre d’affaires et,
d’autre part, caché au public les risques pris par la société depuis sa mise sur
le marché jusqu’à sa liquidation.647
Il est à noter que la nouvelle rédaction, issue de la loi du 26 juillet 2005, des
articles L. 621-14, I et L. 621-15, II du Code monétaire et financier supprime
l’exigence faite à l’AMF d’établir que les pratiques en cause ont eu un impact
sur les cours ou sur le fonctionnement des marchés permettant à l’autorité de
régulation de sanctionner plus facilement les pratiques de manipulation de
cours et de diffusion de fausse information648.
En élargissant ainsi,
le champ d’application des manquements sus
mentionnés, la loi du 26 juillet 2005 se veut donc indubitablement plus sévère.
646 Dolidon (G), Note sous décision AMF, 8 juillet 2004, Bull. Joly bourse 2004 p. 749.
647 Stasiak (F), « Répertoire de droit des sociétés Dalloz, Délit et manquement boursier », Op.cit. §46
et s.
648 Rontchevsky (N), « Révision des délits et manquements boursiers », Banque et droit juillet-août
2006, p. 17.

250



Page 259
D’ailleurs, le fait que la commission des sanctions ait refusé d’appliquer ces
nouvelles dispositions à des situations antérieures démontre qu’elle considère
elle-même cette nouvelle rédaction issue des articles comme moins douce
pour les prévenus649.
480. Au final, on peut affirmer que le caractère complet du règlement général
de l’AMF qui s’étend à force de détails sur les actes qui constituent des
manquements boursiers est de nature faciliter la tâche de la commission des
sanctions et à conférer à son action une efficacité certaine. Au contraire, le
règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne ne fait aucunement
référence aux manipulations de marché compliquant ainsi l’action du Conseil
qui devrait faire face à des difficultés liées à l’interprétation des textes de son
règlement général.
Ces difficultés d’interprétation ne s’arrêtent pas, en Tunisie, à
l’élément
matériel des manquements mais s’étendent aussi à leur élément moral alors
que la facilitation de l’imputation des manquements boursiers, en France,
s’exprime aussi à travers une érosion de l’élément moral exigé, qui se trouve
réduit à sa plus simple expression.
Paragraphe 2 - Des manquements au caractère objectif ?
481. Rechercher systématiquement l’élément moral dans la caractérisation
des manquements à
la
réglementation boursière serait un
frein non
négligeable à l’efficacité de l’action de l’autorité de régulation. En effet,
réprimer
les abus de marché se heurte à des difficultés de preuve
qu’accentuerait significativement la recherche mécanique d’un tel élément.
D’ailleurs, la Cour de Justice de l’Union Européenne, elle-même, l’admet dans
son interprétation de la finalité de la directive « abus de marché »650. Pour la
CJUE, « le
législateur communautaire a opté pour un mécanisme de
prévention et de sanction administrative des opérations d’initiés dont
649 Sanction AMF, 16 septembre 2005, 8 décembre 2005, www.amf-france.org
650 Une directive dont est tirée une part très importante de la législation française en la matière.
251






Page 260
l’efficacité serait atténuée s’il était conditionné à la recherche systématique
d’un élément moral »651.
482. Il est traditionnellement avancé que les manquements administratifs se
distingueraient des délits par leur caractère objectif. Il serait ainsi, inutile de
rapporter la preuve d'un élément intentionnel.
A partir de là, retenir la responsabilité des sociétés cotées en bourse et de
leurs dirigeants pour des manquements à
la
réglementation boursière,
pourrait s’avérer bien plus aisé que de retenir leur responsabilité pénale pour
les mêmes faits.
Cette affirmation serait valable, à quelques différences près, pour
les
principales infractions aux règlements de l’AMF. Des manquements, pour
l’imputation desquels, l’élément moral est soit absent, soit fortement diminué.
En Tunisie, la situation est plus confuse et il semble difficile de se prononcer
sur l’élément moral exigé et ce qu’il s’agisse des manquements d’initié (A) ou
des manipulations de marchés (B).
A-
L’élément moral des manquements d’initié
483. L’absence de décisions de sanction émanant du Conseil du marché
financier laisse planer, en Tunisie, un doute sur la teneur de l’élément moral
exigé pour caractériser un manquement d’initié même s’il semble que la
caractérisation de cet élément soit exigée (1). Pour d’autres raisons, la
situation n’est pas très claire non plus, en France même s’il est avéré qu’on
assiste à une objectivisation croissante du manquement d’initié (2).
651 Torck (S), Note sous CJUE, 23 décembre 2009, n° aff. C45/08, Spector Photo Group NV, Chris
Van Raemdonck c/ CBFA, Bull. Joly Bourse, 01 mars 2010 n° 2, p. 92.

252






Page 261
1- Un élément moral exigé ?
484. La rédaction de l’article 47 du règlement du CMF devrait compliquer , en
Tunisie,
la caractérisation du manquement d’initié. Paradoxalement, ce
manquement devrait s’avérer plus difficilement caractérisable qu’un délit
d’initié. En effet,
l’article sus-cité
interdit d' « exploiter » une
information
privilégiée sur le marché, soit directement, soit par personne interposée, en
achetant ou en vendant des titres de cet émetteur ou des droits liés à ce titre,
tant que cette information n'a pas encore été rendue publique.
Alors que l’alinéa 1 de l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
incrimine rien que la « réalisation » d’une opération sur le titre objet de
l’information privilégiée652.
485. Evidemment, on ne peut assimiler l’exploitation d’une information sur le
marché à la réalisation d’une opération sur le marché.
En effet, l’exploitation d’une information privilégiée implique l’intention de tirer
profit de cette information, d’obtention des meilleurs résultats, d’atteinte d’un
but que ne recouvre que partiellement la notion d’utilisation.
D’ailleurs, en France, la COB, estimait que « l’emploi du terme exploiter exclut
qu’une personne puisse être sanctionnée administrativement pour avoir utilisé
par inadvertance ou imprudence une information privilégiée ». Elle a ajouté
qu’est prise en compte « la finalité de l’intervention ».653
486. Est-ce-à-dire, que la caractérisation du manquement d’initié est liée à la
démonstration de la volonté de réaliser un profit, en vendant ou en acquérant
des titres objet de l’information privilégiée ou des droits liés à ce titre ?
Il s’avère difficile de l’affirmer, en l’absence de toute jurisprudence émanant du
Conseil du marché financier. Il semble néanmoins, que du fait de la nature
répressive du texte de l’article 47 du règlement du CMF, celui-ci se doit de
recevoir une stricte interprétation. L’imputation d’un manquement d’initié au
652 V. infra p. 77.
653 Ducouloux Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières : délits boursiers-infractions
administratives », Op. cit. n°320 ; V. infra p. 255.
253



Page 262
dirigeant d’une société cotée devrait donc être subordonnée à
la
démonstration d’une volonté de tirer profit de l’information privilégiée654.
487. Cette situation parait paradoxale. L’efficacité de l’action de l’autorité
administrative exige qu’il soit plus
facile de
retenir
la
responsabilité
administrative d’un dirigeant que sa responsabilité pénale. La réception de la
rédaction du règlement
français qui sanctionne
la simple utilisation de
l’information privilégiée c'est-à-dire
l’achat ou
la cession des
instruments
financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers
auxquels ces instruments sont liés permettrait de faciliter la caractérisation des
manquements d’initié par le CMF.
2-
L’objectivisation croissante du manquement d’initié
488. La COB hier comme l'AMF aujourd'hui se contentent, en France, d'un
élément moral réduit à sa plus simple expression, pour caractériser
le
manquement d’initié655.
En effet, sous l’empire du règlement 90-08 de la COB, seul l’article 5, exigeait
la possession d’une information privilégiée « en connaissance de cause » pour
les initiés tertiaires. La doctrine, en a déduit que le règlement ne requiert pas
l’intention656.
489. Mais cet élément bien que fortement diminué657, n’était pas totalement
absent lors de
la caractérisation du manquement658. La Commission des
654 Le recours à la version arabe de ce règlement semble confirmer nos propos. L’article 47 interdit
l’exploitation de l’information privilégiée en ces termes :

ريغلا
باسحل
وأ
صاخلا
مهباسحل قوسلا يف
تا
مولعملا
ا كلت
ولغتسي
لا نأ
»
655 Moulin (J-M), Note sous Sanction AMF, 1er mars 2007, Op.cit. p. 27.
656 Robert (J-H), « Le manquement d’initié (commentaire du règlement n°90-08 de la commission des
opérations de bourse)», Dr. Soc., décembre 1990, p. 1.
657 Voir C.A. Paris (1re ch.), 4 novembre 1994, F. Fournier, Lyonnaise des Eaux-Dumez ; Bull. Joly
Bourse 1995, p. 181.
254









Page 263
opérations de bourse a élucidé la question dans son rapport annuel 1990659 en
affirmant que si le manquement « n’implique pas l’existence d’une intention
frauduleuse ou spéculative, l’emploi du terme exploiter exclut qu’une personne
puisse être sanctionnée administrativement pour avoir utilisé par inadvertance
ou imprudence une information privilégiée ». Elle a ajouté qu’est prise en
compte « la finalité de l’intervention ».660
Ainsi, il est arrivé à la COB661 d’admettre que le principal actionnaire d’une
société pouvait acquérir des titres de celle-ci pour réagir à une tentative de
prise de contrôle inamicale, même s’il était en possession d’une information
privilégiée662. Aussi
la Commission a
indiqué que
l’initiateur d’une offre
publique pouvait procéder au ramassage de titres de la société cible avant le
lancement de l’offre, à condition que le ramassage ne vise pas seulement à
réaliser une économie sur le prix à payer pour l’achat des titres dans le cadre
de l’offre publique663.
Mais, il est évident, que la manipulation de ces moyens de défense était
particulièrement difficile pour les dirigeants des émetteurs. Ceux-ci auraient eu
tout le mal du monde à, soutenir l’hypothèse qu’ils ont agi de bonne foi, sans
savoir qu’ils étaient en possession d’une information privilégiée, ou encore
d’avancer qu’ils croyaient que l’information a déjà été divulguée.
490. Pour ce qui est de la situation qui prévaut aujourd’hui, celle-ci n’est pas
très différente de celle qui prévalait sous l’empire du règlement de la COB,
mais elle va tout de même dans le sens d’une objectivisation croissante du
manquement d’initié.
658 Ducouloux Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières : délits boursiers-infractions
administratives », Op.cit. n°319.
659 Rapport annuel COB, 1990, p 99.
660 Ducouloux Favard (C) et Rontchevsky (N), « Infractions boursières : délits boursiers-infractions
administratives », Op. cit. n°320.
661 Voir par exemple C.A. Paris, 11 septembre 2001, Caisse centrale de crédit coopératif contre
Commission des opérations de bourse ; Bulletin mensuel COB, n
o 360, 1er septembre 2001, p. 9.
662 Rapport COB 1999, p99.
663Communiqué COB, 16 mai 1989, cité par Ducouloux-Favard (C) et Rontchevsky (N),
« Infractions boursières : délits boursiers-infractions administratives », Op.cit. n°320.
255



Page 264
Cette objectivation croissante du manquement d’initié, s’exprime à travers la
rédaction nouvelle de
l’article 622-1 du règlement général de l’AMF qui
réprime « l’utilisation » par les initiés primaires (dont entre autres les dirigeants
des sociétés cotées en bourse)664 d’une information privilégiée alors que le
règlement 90-08 de
la COB punissait « l’exploitation » d’une
information
privilégiée.
Bien sûr, ces deux termes ne sauraient être pris pour des synonymes.
L‘exploitation665 implique une volonté de rendement, d’obtention des meilleurs
résultats, d’atteinte d’un but que ne recouvre que partiellement la notion
d’utilisation.
491. D’ailleurs, l’AMF ne s’est pas privé, à plusieurs reprises, d’apporter un
soin particulier à l‘évocation de ce changement textuel.
L’élément moral exigé par l’AMF est réduit à sa plus simple expression.
L’autorité se contente666, d’un « élément intentionnel a minima caractérisé en
négatif par le fait que les dirigeants de la société n’ont pas pu agir par simple
imprudence ou excessive légèreté ou encore sous l’emprise de contraintes
insurmontables mais, au contraire, en pleine connaissance de cause. Ce
faisant, ils ont violé leur devoir général d’abstention au mépris des droits
664Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne citée par
l’article 622-2 du règlement général de l’AMF, c'est-à-dire toute personne qui détient une information
privilégiée en raison de :
1° Sa qualité de membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveillance de
l’émetteur ;
2° Sa participation dans le capital de l’émetteur ;
3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa
participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ;
4° Ses activités susceptibles d’être qualifiées de crimes ou de délits.
Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information
privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée.
Lorsque la personne mentionnée au présent article est une personne morale, ces obligations
d’abstention s’appliquent également aux personnes physiques qui participent à la décision de procéder
à l’opération pour le compte de la personne morale en question.

665D’ailleurs, on l’a vu dans le paragraphe précédent, l’emploi de ce terme a obligé la COB à justifier
que le mot « exploitation » ne devait être entendu comme exigeant une intention spéculative.
666Surtout lorsque l’inculpé est le dirigeant d’un émetteur.
256



Page 265
élémentaires des autres
investisseurs, au premier rang desquels
figure
l’égalité »667.
De façon assez classique, donc, la Commission estime régulièrement, que
« l'obligation d'abstention pesant sur le détenteur d'une information privilégiée
revêt un caractère absolu [...] » et que, dès lors, « le manquement tiré de
l'utilisation d'une telle information est caractérisé par le simple rapprochement
chronologique entre la détention de l'information et son utilisation, sans qu'il
soit nécessaire de démontrer l'existence d'une relation de cause à effet entre
ces deux circonstances ». En appliquant ce principe, la Commission des
sanctions
retient,
la concomitance chronologique entre
la détention de
l'information par
le dirigeant social et son utilisation, pour conclure à
l'existence du manquement668.
492. Réduit à sa plus simple expression certes, mais pas totalement écarté
non plus, puisque l'autorité régulatrice accepte d'examiner la présence ou non
d'un fait justificatif. Si le manquement était uniquement matériel, réunir les trois
éléments matériels suffirait à la caractérisation du manquement et il n'y aurait
nulle opportunité pour le présumé coupable du manquement d'exciper de faits
justificatifs pour échapper à toute condamnation par disparition de l'élément
légal de l'infraction. Or, il n'en est rien puisque la Commission des sanctions
accepte de s'attarder sur l'existence ou non de tels faits669.
Aussi, pour certaines personnes, l'AMF peut se prévaloir d'une présomption
de connaissance de toute information privilégiée en raison de leur qualité de
membre des organes d'administration, de direction, de gestion ou de
surveillance de l'émetteur, d'actionnaires ou encore en raison de leur accès à
l'information du fait de leur travail, de leur profession ou de leurs fonctions,
667 Moulin (J-M), Note sous Sanction AMF, 1er mars 2007, Op.cit. p. 27.
668 Dezeuze (E), Note sous Sanction AMF, 26 juin 2008, M. Jean-Sébastien Beslay, Bull. Joly Bourse,
01 décembre 2008 n° 6, p. 463.
669 Moulin (J-M), Note sous Sanction AMF, 1er mars 2007, Op.cit. p. 27.
257



Page 266
ainsi que de leur participation à la préparation et à l'exécution d'une opération
financière.
Un arrêt de la Cour d’appel de Paris 670 illustre parfaitement la facilité de la
caractérisation de
la responsabilité des dirigeants pour un manquement
d’initié.
Cette objectivation du manquement d’initié pourrait poser des problèmes à
l’égard des droits de la défense.
493. La solution dégagée par l’AMF semble donc établie et corroborée par la
Cour d’appel de Paris. Mais un arrêt de la Cour de Justice de l’Union
Européenne est venu semer
le
trouble sur cette solution défendue par
l’Autorité de régulation.
C’est lorsqu’on croyait la question élucidée qu’est intervenu l’arrêt récent du
23 décembre 2009 où la Cour de Justice de l’Union Européenne qui interprète
certaines dispositions de la directive n° 2003/6/CE du Parlement européen et
du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations
de marché. Pour rouvrir le débat sur la teneur de l’élément moral exigé pour
caractérise un manquement d’initié.
En l’espèce, la société Spector, société de droit belge cotée sur Euronext
Bruxelles, avait été reconnue coupable d’un manquement d’initié par l’autorité
de régulation belge la CBFA pour avoir opéré certaines interventions sur ses
propres titres qui étaient visiblement intervenues avant que celle-ci ne publie
des informations relatives à ses résultats et à sa politique commerciale. Des
informations dont la publication avait conduit à une augmentation significative
du cours de l’action. En d’autres termes, la société Spector, en ne s’abstenant
pas d’intervenir sur ses propres titres alors qu’elle était en possession d’une
information privilégiée, avait ainsi pu réaliser une partie de son programme de
670 Bompoint (D), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. H, 15 mai 2008, n° 2007/09505, Beilin, Roy,
Tordjman c/ AMF, Bull. Joly Bourse, 01 décembre 2008 n° 6, p. 471.
258



Page 267
rachat à moindre coût. La société Spector a formé un recours contre cette
décision devant le hof van beroep te Brussel. Cette juridiction a été à l’origine
de la demande de questions préjudicielles concernant l’article 2 de la directive
2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les
opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) 671.
494. Il est donc revenu à la CJUE de trancher la difficulté née de la différence
de rédaction de l’article 2, paragraphe 1, entre l’ancienne et la nouvelle
directive. Le texte abrogé interdisait aux « initiés primaires » d’acquérir ou de
céder des valeurs mobilières « en exploitant en connaissance de cause cette
information privilégiée ». Par contre, le texte nouveau issu de la Directive leur
interdit « d’utiliser cette
information en acquérant ou en cédant »
les
instruments financiers auxquels se rapporte l’information privilégiée.
Alors que l’utilisation du terme « exploiter » ne renfermait qu’un seul sens,
c'est-à-dire : l’intention de tirer profit de l’information privilégiée. L’emploi du
verbe « utiliser » a suscité une difficulté car ce mot peut être sujet à deux
interprétations. Dans la première, l’utilisation consiste dans l’intention de tirer
profit de l’information privilégiée. La seconde vision, veut, quant à elle, que
l’utilisation consiste dans le fait même d’acquérir ou de céder alors que
l’opérateur a connaissance de l’information privilégiée. Dans cette seconde
interprétation, c’est le fait d’acquérir ou de céder qui est prohibé, peu importe
que ce fait ait été déterminé ou non par une intention de tirer profit de
l’information privilégiée. C’est donc à cette question posée par la cour d’appel
de Bruxelles que la CJUE a du répondre : est-il « suffisant, pour qu’une
opération soit qualifiée d’opération d’initié prohibée, qu’un initié primaire en
possession d’une information privilégiée effectue une opération de marché sur
les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou s’il est, en
671 Torck (S), Note sous CJUE, 23 décembre 2009, n° aff. C45/08, Spector Photo Group NV, Chris
Van Raemdonck c/ CBFA Bull. Joly Bourse, 01 mars 2010 n° 2, p. 92
259



Page 268
outre, nécessaire d’établir que cette personne a “utilisé” cette information en
connaissance de cause »672 ?
En analysant
la
lettre de
la Directive, qui
remplace
l’exigence de
« l’exploitation en connaissance de cause de cette information privilégiée » par
l’utilisation d’une information privilégiée. La Cour Européenne, relève, qu’elle
caractérise
le manquement d’initié à
travers uniquement deux éléments
constitutifs:
les personnes visées
(initiés primaires) et
les agissements
matériels constitutifs de l’opération. Elle ajoute ensuite, que le texte de la
directive ne prévoit expressément ni des conditions subjectives relatives à
l’intention ayant inspiré ces agissements matériels ni la nécessité d’établir que
l’information privilégiée a déterminé la décision d’opérer. La CJUE considère
que
le Parlement européen a en connaissance de cause opéré
ces
amendements. Et ce, en adéquation avec l’approche objective de la notion
d’opération d’initié prônée par
la Commission. La finalité étant de « ne
conserver aucun élément de finalité ou d’intentionnalité dans la définition des
opérations d’initiés ».
495. De par la force de ces arguments, la Cour pose le principe que le simple
fait pour un initié primaire qui est en possession d’une information privilégiée
d’effectuer une opération sur les instruments financiers auxquels se rapporte
cette information « implique que cette personne a utilisé cette information »673.
Cela veut dire, que
l’autorité poursuivante n’a pas à démontrer que
l’information privilégiée a été utilisée par
l’initié primaire pour réaliser
- Plus de références et documents sur Legaly Docsl’opération de marché. Il lui suffit de prouver que l’initié primaire est en
possession d’une information privilégié lorsqu’il opère sur des instruments
financiers auxquels se rapporte cette information.
672 Schmidt (D), Note sous CJUE, 23 décembre 2009, n° C-45/08, Spector Photo Group NV et a. c/
CBFA, Bull. Joly Sociétés, 01 avril 2010 n° 4, p. 346.
673 Schmidt (D), Notes sous CJUE, 23 décembre 2009, Op.cit. p. 346.
260



Page 269
496. Cette position coïncide, d’ailleurs, avec l’avis, des magistrats parisiens
qui par un arrêt du 20 octobre 2009, avaient déjà estimé qu’il « n’est pas
nécessaire, pour que le manquement soit constitué, que seule la détention
d’une
information
privilégiée
explique
la
décision
d’investissement
critiquée »674.
La Cour pose donc une présomption dont la portée découle de son
fondement : on présume que l’initié primaire a agi non seulement en ayant
connaissance de l’information privilégiée et en ayant conscience du caractère
privilégié de cette information, mais encore en ayant l’intention d’en tirer
avantage.
La présomption a pour objet, en la matière, de renforcer l’action des autorités
de régulation des marchés
financiers dans
la prévention et la sanction
administrative des opérations d’initiés « dont l’efficacité serait atténuée s’il était
conditionné à la recherche systématique d’un élément moral »675.
497. Par contre, la CJUE précise qu’il ne s’agit là que d’une présomption
« réfragable». Simple est donc la présomption. D’ailleurs, il ne pouvait en être
autrement, le respect dû aux droits de la défense, fait que la personne mise en
cause doit avoir la possibilité de renverser la présomption676. Le manquement
d’initié n’est donc pas un manquement
totalement objectif,
il comporte
674 C.A. Paris, P. 5, ch. 5-7 (n° 2008/16852), cité par Schmidt (D), op cit. p.346.
675 Schmidt (D), Op.cit. p. 346.
676Selon le professeur Schmidt, l’initié primaire peut notamment tenter d’établir qu’il ne connaissait
pas l’information privilégiée au moment où il a agi ; par exemple, il aurait existé une « Muraille de
Chine » entre le détenteur de l’information et lui. Il peut aussi tenter de démontrer qu’il ignorait que
l’information avait un caractère privilégié. Il peut encore tenter de démontrer qu’il n’a pas utilisé
l’information privilégiée : par exemple, il a vendu alors même que l’information privilégiée lui
permettait d’espérer une hausse prochaine des cours. Ou encore, il a pris, avant d’avoir connaissance
de l’information privilégiée, l’engagement d’acquérir ou de vendre : l’exécution postérieure de cet
engagement n’utilise pas cette information (article 2, paragraphe 3, de la Directive). De même, le
simple fait pour les teneurs de marché, les organismes habilités à agir en qualité de contrepartie et les
personnes habilitées à exécuter des ordres pour des tiers qui se bornent à effectuer des opérations de
marché conformément aux règles qui leur sont applicables, ne devrait pas « en soi » être réputé
constituer une utilisation de cette information privilégiée (18e considérant de la Directive) (Schmidt
(D),
Op.cit p.346).
261



Page 270
forcément un élément moral. Le devoir d’abstention de l’initié jusqu’à ce que
l’information privilégiée soit rendue publique n’est donc pas absolu. 677
Ensuite, la Cour persiste dans ce sens et pour atténuer la sévérité du régime
de la prohibition des opérations d’initié relève l’existence d’un « lien étroit entre
la prohibition des opérations d’initiés et la notion d’information privilégiée ». En
effet, l’information privilégiée procure à son détenteur « un avantage par
rapport à tous les autres intervenants sur le marché qui l’ignorent ». De ce
lien, la Cour déduit que « la caractéristique essentielle de l’opération d’initié
réside donc dans le fait de tirer indûment avantage d’une information au
détriment de tiers qui n’en ont pas connaissance et, par voie de conséquence,
de porter atteinte à l’intégrité des marchés financiers ainsi qu’à la confiance
des investisseurs ». La CJUE en conclut que « la prohibition des opérations
d’initié s’applique
lorsqu’un
initié primaire qui détient une
information
privilégiée
fait une utilisation
indue de
l’avantage que
lui procure cette
information en effectuant une opération de marché concordant avec cette
information ». Ce dernier attendu fixe l’objet de la prohibition : une utilisation
indue de l’avantage, ainsi que l’objet de l’utilisation : une opération de marché
concordant avec l’information privilégiée678.
498. Au final, le sens de cette décision nuancée de la Cour de Justice de
l’Union Européenne, est clair : la prohibition des opérations d’initié exige un
élément intentionnel.
Il reste que cet élément est réduit de manière significative, puisque comme le
confirme la CJUE, l’autorité poursuivante n’a plus la charge de démontrer
l’utilisation par
l’initié primaire de
l’information privilégiée qu’il détient.
Cependant, la présomption d’utilisation demeure simple.
677 Torck (S), Note sous CJUE, 23 déc. 2009, Op. cit. p.92.
678 Schmidt (D), Op.cit p.346.
262



Page 271
Un auteur679 a vu dans cet arrêt une différence sensible avec la position
traditionnelle de l’AMF. Cet auteur a vu dans cet arrêt une résurgence de
nouveaux moyens de défense qui pourront être développés devant l’AMF ou
la cour d’appel de Paris sous le contrôle de la Cour de cassation. Il y a même
vu « l’étau se desserrer autour des initiés ».
499. Nous pensons par contre, avec un auteur680, que cet arrêt n’apporterait
pas d’éléments qui bouleverseraient la jurisprudence établie de la commission
des sanctions de l’AMF.
La décision de la CJUE ne fait que conforter la position de l’AMF et son
interprétation des
textes
relatifs aux opérations d’initiés précédemment
évoquée.
D’ailleurs, différentes décisions de sanctions de la commission des sanctions
de l’AMF et arrêts de la Cour d’Appel de Paris réaffirment cette interprétation.
Un arrêt récent de la Cour d’appel de Paris daté du 23 février 2010, va dans le
même sens.
En l’espèce, la thèse développée par un émetteur qui avançait que les achats
effectués
s’inscrivaient dans
le
cadre d’un programme de
rachat
679 D’après cet auteur, « d’une part, la notion de fait justificatif n’est pas parfaitement stabilisée et fait
l’objet d’une application quelque peu erratique dans la jurisprudence de la cour d’appel de Paris et la
pratique décisionnelle de l’AMF ; par ailleurs, un fait justificatif, parce qu’il n’est pas un élément
constitutif du manquement, contrairement à l’élément moral, serait-il présumé, ne joue pas de la même
manière dans l’appréciation de la culpabilité de l’initié. D’autre part, certaines décisions de la
Commission des sanctions conduisent à observer qu’hormis certaines hypothèses, expressément visées
par les considérants 18,
in fine, et 29 de la directive « Abus de marché », hypothèses où il semble
difficile de considérer que l’utilisation d’une information privilégiée par un initié soit
de plano
constitutive d’un manquement (OPA par exemple), l’AMF ne module pas suffisamment son
appréciation de l’utilisation d’une information privilégiée. Or, les motifs de la présente décision de la
Cour de justice l’y invitent tout au contraire lorsque cette dernière dit pour droit que la question de
savoir si la personne mise en cause au titre de l’article 2, paragraphe 1, a commis un manquement
d’initié doit être appréciée à la lumière de la finalité de la directive, qui est de protéger l’intégrité des
marchés financiers et de renforcer la confiance des investisseurs, laquelle repose sur l’assurance que
ces derniers seront placés sur un pied d’égalité et protégés contre l’utilisation indue d’informations
privilégiées. »
Torck (S), Note sous CJUE, 23 déc. 2009, Op. cit. p.92.
680 Schmidt (D), Note sous C.A. Paris P. 5 ch. 5-7, 23 février 2010, n° 2009/08268, Sté Vinci c/ AMF,
Bull. Joly Bourse, 01 mai 2010 n° 3, p. 214.

263



Page 272
d’actions681 en vue de
leur annulation et de ce
fait n’avaient pas été
déterminés par la connaissance de l’information privilégiée. La cour répond :
« Considérant, enfin, que, s’agissant d’un manquement objectif qui ne requiert
pas la recherche de l’intention de son auteur ou de sa bonne foi lors de
l’opération incriminée, la commission des sanctions n’était, au rebours de ce
que soutient la requérante, qui invoque le contexte du programme de rachat
de ses propres titres, pas tenue de rechercher par surcroît si l’information
privilégiée avait été déterminante des opérations effectuées, étant cependant
observé que de telles circonstances peuvent être prises en compte pour la
détermination du quantum de la sanction pécuniaire »682.
L’élément moral des opérations d’initié apparait ainsi bien réduit et la situation
n’est pas bien différente en ce qui concerne les manipulations de marché.
B- L’élément moral des manipulations de marché
500. La plupart des manquements boursiers sont des manquements
quasiment objectifs où l’élément moral n’a que peu de place dans leur
imputation aux dirigeants des émetteurs. Cette affirmation est valable, en
France, pour les manquements de diffusion de fausse information, pour la
caractérisation desquels
l’élément moral est
réduit. De surcroit,
les
manipulations de cours sont considérées comme des manquements objectifs.
En Tunisie, la carence du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne
fait qu’il est difficile de se prononcer sur la teneur de cet élément et ce qu’il
s’agisse du manquement de diffusion de fausses informations (1) ou de la
manipulation de cours (2).
681 L’article 631-6 du règlement général de l’AMF impose à l’émetteur de s’abstenir d’intervenir sur
ses propres titres dès qu’il a connaissance d’une information privilégiée.
682 Schmidt (D), Note sous C.A. Paris P. 5 ch. 5-7, 23 février 2010, Op.cit. p. 214.
264







Page 273
1- L’élément moral de la diffusion d’une fausse information
501. Le règlement du CMF relatif à
l’appel public à
l’épargne, on l’a
précédemment évoqué, ne prévoit pas, en Tunisie, de
texte spécifique
consacré au manquement de diffusion d’une fausse information. Le CMF
devrait être en mesure de s’appuyer, pour sanctionner une diffusion de fausse
information, sur l’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994683.
Mais dans ce cas, un élément moral est-il exigé pour mettre en œuvre les
sanctions prévues dans le cadre de cet article ?
L’analyse de l’article 40 sus cité684révèle que celui-ci ne fait aucunement
référence à la nécessité de caractériser un élément moral : pour mettre en
œuvre des sanctions administratives à l’encontre d’un dirigeant, le CMF doit
dans un premier
temps constater que celui-ci a commis des pratiques
contraires à ses règlements. L’élément moral nécessaire à la mise en œuvre
des sanctions dépendrait ainsi de la disposition règlementaire dont le non
respect est invoqué.
502. Concernant les obligations d’information du public, il s’agit là d’obligations
essentiellement
techniques qui ne demandent pas
l’établissement d’un
élément moral. Il devrait uniquement s’agir pour le CMF d’établir que les
683 V. supra p. 241.
684 L’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 dispose que « Le Conseil du Marché
Financier peut ordonner toute personne de mettre fin aux pratiques contraires à ses règlements lorsque
ces pratiques ont pour effet de :
- fausser le fonctionnement du marché ;
- procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du
marché ;
- porter atteinte au principe d'égalité d'information ou de traitement des épargnants ou à leurs intérêts ;
- faire bénéficier les émetteurs et les épargnants des agissements d'intermédiaires contraires à leurs
obligations professionnelles.
Le Conseil du Marché Financier lors d'une réunion de son collège tenue à cet effet, peut, après respect
des procédures garantissant les droits de défense, prononcer à l'encontre des auteurs des pratiques ci-
dessus visées une amende au profit du Trésor Public qui ne peut excéder 20.000 dinars et lorsque des
profits ont été réalisés, cette amende peut atteindre le quintuple du montant des profits réalisés à
condition que le montant de l'amende soit fonction de la gravité des manquements commis et en
relation avec les avantages ou les profits tirés de ces manquements. »

265




Page 274
contrevenants n’ont pas respecté
les obligations règlementaires qui sont
mises à leur charge.
Ensuite, le texte de l’article 40 exige aussi de démontrer que le non respect de
ces règlements a eu pour effet soit de fausser le fonctionnement du marché
soit de procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas
obtenu dans le cadre normal du marché ou de porter atteinte au principe
d'égalité d'information ou de traitement des épargnants ou à leurs intérêts ou
de
faire bénéficier
les émetteurs et
les épargnants des agissements
d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles.
Et là aussi la caractérisation de ces éléments peut se faire de manière
objective sans la nécessité d’établir une intention coupable.
Au final, il semble, au vu de la rédaction de l’article 40 de loi du 14 novembre
1994, que la diffusion d’une fausse information puisse être sanctionnée par le
CMF et ce sans la démonstration d’un élément intentionnel. Il aurait par
contre, été préférable pour plus de clarté que le règlement du CMF prévoie
une incrimination spécifique relative à la diffusion d’une fausse information qui
précise ses critères aussi bien matériel que moral conformément aux
standards internationaux.
503. En France, dans le cas des manquements à l'obligation d'information du
public, est répréhensible, d'après le règlement de l’AMF, le seul fait de
communiquer une information inexacte, imprécise ou trompeuse, alors que la
loi pénale requiert un élément d'intentionnalité.
La solution n’est pas nouvelle, dans la rédaction du manquement issue du
règlement COB no 98-07, l'élément moral était requis du fait de l'emploi de
l'adverbe « sciemment » à propos de la diffusion d'une information inexacte,
imprécise ou trompeuse. Cependant, cet adverbe ne figurait pas dans l'alinéa
1 de l'article 3 concernant la seule communication de ces informations et la
COB avait eu l'occasion d'affirmer que l'intention coupable n'était pas r equise
266


Page 275
lors
de
la
communication
d'informations
inexactes,
imprécises
ou
trompeuses685.
Cette distinction, reprise par le nouvel article 632-1, alinéa 1, du règlement
général de l'AMF, conduit ainsi à opérer une distinction entre ce qui relève de
la diffusion et ce qui relève de la communication d'informations inexactes,
imprécises ou trompeuses. Or, conformément à ce qui a pu être dégagé par
les décisions rendues par la COB, il semble que le critère de la distinction
réside dans la qualité de l'auteur de telles divulgations. Ainsi, serait considérée
comme « communication » la divulgation d'informations effectuée par les
organes de l'émetteur tels que les mandataires sociaux, alors qu'elle serait
assimilée à de la « diffusion » lorsqu'elle est le fait d'une personne extérieure à
l'émetteur, tel un journaliste686.
505. Il en résulte que, la caractérisation de ce manquement à l’égard d’un
dirigeant social ne devrait pas nécessiter la preuve d’une quelconque intention
frauduleuse. Pourtant, l’analyse de la jurisprudence de la commission des
sanctions nous indique que l’AMF s’attèle tout de même à indiquer que le
dirigeant savait ou ne pouvait ignorer le caractère inexact ou trompeur des
informations ainsi diffusées ou communiquées.
Ainsi, dans une décision datée du 8
juillet 2004, à
l’occasion d'une
communication délivrée sous
la responsabilité du président d’une société
cotée en bourse. L’AMF n’avait pas l’obligation d’établir la mauvaise foi du
dirigeant. Pourtant, il semble que l'AMF a tenu à démontrer que le président
avait agi en toute connaissance de cause non seulement parce qu'il ne pouvait
pas ignorer que les contrats en cours, sur lesquels étaient fondées les
données prévisionnelles, étaient
insuffisants pour atteindre
les
résultats
685 Décision COB, 1er juin 1995, Sté Welcom International : Bull. COB no 292, juin 1995, p. 15,
confirmée par la Cour d’appel de Paris, 23 janvier 1996 , Bull COB, février 1996, p33, qui juge que
l’absence de volonté de dissimulation d’informations est inopérante citées par
Ducouloux-Favard
(C) et Rontchevsky (N)
, « Infractions boursières : délits boursiers-infractions administratives »,
Op.cit. n°359.

686 Dolidon (G), Note sous Décision AMF, 8 juillet 2004, X, Bull. Joly Bourse, 01 juin 2004 n° 6, p
749 §7.

267



Page 276
annoncés, mais également parce que les commissaires aux comptes l'avaient
mis en garde à plusieurs reprises des risques affectant la continuité de
l'exploitation. Cette démarche de l'AMF se trouve consacrée par la nouvelle
rédaction du manquement issue de l'article 632-1, alinéa 1, du règlement
général de l'AMF687.
En effet, il semble désormais nécessaire pour l’autorité de régulation, de
démontrer que la personne à l'origine des informations fausses ou trompeuses
a agi en connaissance de cause ou que, compte tenu de sa qualité, elle ne
pouvait
ignorer
le caractère
inexact ou
trompeur des
informations ainsi
diffusées ou communiquées.688
506. Cette tendance semble se confirmer dans les décisions suivantes de la
commission des sanctions de l’AMF.
Ainsi, pour sanctionner le président du directoire d’une société cotée689,
l’autorité administrative a retenu que celui-ci et la société qu’il représente,
savaient ou auraient dû savoir que l’information, concernant des prévisions de
chiffre d’affaires, transmise au public par le biais d’un communiqué était
inexacte et trompeuse. Pour arriver à cette conclusion, la commission des
sanctions semble analyser une combinaison d’éléments qui permettaient déjà
à la date de publication du communiqué litigieux de savoir que les prévisions
de chiffre d’affaires annoncée ne pouvaient être atteintes.
Dans une décision plus récente datée 17 décembre 2009, la commission des
sanctions a pris la peine de caractériser que « M. Max ROMBI (président
directeur général de la société ARKOPHARMA) qui était à l’origine des
687 Selon l’article 632-1, alinéa 1, du règlement AMF : « Toute personne doit s’abstenir de
communiquer, ou de diffuser sciemment, des informations, quel que soit le support utilisé, qui donnent
ou sont susceptibles de donner des indications inexactes, imprécises ou trompeuses sur des instruments
financiers
(Arrêté du 2 avril 2009)« ... », y compris en répandant des rumeurs ou en diffusant des
informations inexactes ou trompeuses, alors que cette personne savait ou aurait dû savoir que les
informations étaient inexactes ou trompeuses. »
688 Dolidon (G), Décision AMF, 8 juillet 2004, Op.cit. p.749 §7.
689 Décision de sanction de l’AMF datée du 5 mars 2009, disponible sur le site www.amf-france.org
268



Page 277
transactions réalisées sur le titre ARKOPHARMA lors des 12 mois précédant
l’OPAS, savait que les informations communiquées au public tant sur le
nombre de titres détenus par le concert que sur les transactions réalisées au
cours des douze derniers mois par
les membres du concert étaient
inexactes.»
Cette responsabilité ès qualités du mandataire social s’apparente un peu à
celle qu’encourt, en droit pénal, le chef d’entreprise pour les infractions aux
règles d’hygiène et de sécurité. À l’instar de ces infractions, qualifiées de
“matérielles”, le manquement à la bonne information du marché est objectif, de
sorte que le dirigeant peut être sanctionné indépendamment du point de savoir
s’il a eu, ou non, l’intention de tromper le marché.
La répression repose manifestement sur le même fondement, celui de la
présomption de faute du dirigeant, qui se voit ainsi imposer une véritable
obligation de résultat690.
Cette affirmation étant par ailleurs valable concernant le manquement de
manipulation de cours.
2- L’élément moral de la manipulation de cours
507. Les manipulations de cours n’étant pas expressément prévues par le
règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne, il est difficile de se
prononcer sur l’exigence d’un élément moral. D’autant plus, qu’il n’est même
pas certain que le CMF puisse sanctionner ce délit, en l’absence d’une
disposition expresse de son règlement.
Cette ambiguïté est assurément fâcheuse car elle ne peut que contribuer à
empêcher
le CMF de réaliser efficacement la mission de protection de
l’épargne publique dont il est investi.
690 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Banque et Droit, septembre-octobre 2006, p. 41.
269




Page 278
508. Au contraire, le texte du règlement général de l’AMF est parfaitement
clair et participe à une répression efficace du manquement de manipulation de
cours.
Car, inversement au délit pénal qui nécessite la constatation d'un dol spécial
pour caractériser la manipulation de cours691, le règlement général de l'AMF
ne
fait aucune
référence à
l'élément
intentionnel du manquement de
manipulation de cours.
En effet,
la simple lecture des textes applicables au manquement, nous
amène à estimer qu'il s'agit d'un manquement dit « objectif » où la seule
constatation des faits matériels prohibés suffirait à caractériser le manquement
reproché.
509. Un auteur, fait cependant valoir le fait qu’une manipulation de cours est
difficilement concevable sans volonté de la commettre. Force est de constater,
remarque-t-il, que la manipulation de cours semble indissociable de l’élément
intentionnel qui lui confère sa substance et qui fonde le prononcé d’une
sanction. Pour cet auteur, il n’existe pas, par définition, de manipulation
« involontaire ».692
510. Pourtant, la position de la Commission des sanctions de l’AMF parait
différente. Une position affirmée par plusieurs décisions de l’AMF, qui avance
que l’imputation du manquement de manipulation de cours ne nécessite pas la
caractérisation d’un quelconque élément moral.
Ainsi, la commission des sanctions de l'AMF a affirmé dans une décision en
date du 26 janvier 2006 que l'élément intentionnel n'apparaît plus dans la
définition de la manipulation de cours issue de l'article 631-1 du règlement
général de l'AMF. Contrairement, à « la formule employée par l'article 3 du
691 V. supra p. 99 ; V. aussi Capdeville (J-L), « Délit de manipulation de cours et engagement de la
responsabilité d’une personne morale », Bull. Joly Bourse, 01 mai 2009 n° 3, p. 170.
692 Downing (J) et Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. H, 29 janvier 2008, n° 2007/00082,
Société Foch Investissements c/ AMF, Bull. Joly Bourse, 01 août 2008 n° 4, p. 282.

270



Page 279
règlement COB n° 90-04 relatif à l'établissement des cours - en particulier la
référence à l'« objet » des « manœuvres » - » qui inclut l'exigence d'un
élément « moral » ou « intentionnel »693.
Par une autre décision datée du 20 décembre 2007, la commission de
sanctions de l’AMF réaffirme que le manquement de manipulation de cours ne
nécessite pas la preuve d’une intention frauduleuse694.
En l’espèce, l’AMF avait rejeté la défense du prévenu qui affirmait qu’il ne
voulait pas manipuler le cours du titre, faisant valoir qu’il ignorait sa faible
liquidité et l’impact qu’auraient eu ses opérations sur le cours du titre.
Cela étant dit, l’intention des opérateurs constitue un élément d’appréciation
des faits et n’est pas sans incidence sur la sanction comme le confirme la
décision rapportée.
511. La jurisprudence de la commission des sanctions parait ainsi bien établie.
Le manquement de manipulation de cours est caractérisé indépendamment de
l’établissement d’un élément moral.
La nouvelle incrimination du manquement de manipulation de cours apparait
ainsi, sur ce point, plus sévère que celle énoncée par le règlement n° 90-04 de
la COB. C’est d’ailleurs, la position de la commission des sanctions de l’AMF,
qui estime que le nouveau règlement de l’AMF ne présente pas un caractère
plus doux que l’ancien règlement n°90-04 de la COB relatif à l’établissement
des cours. Elle a ainsi, refusé d’appliquer les dispositions de l’article 631-1 du
Règlement général de l’AMF à des faits antérieurs à son entrée en vigueur 695.
693 Décision AMF du 9 mars 2006, disponible sur www.amf-france.org.
694 Rontchevsky (N), Note sous AMF 1re sect, 20 décembre 2007, M. A. Nodet, Bull. Joly Bourse, 01
août 2008 n° 4, p. 290.

695Décision de sanction de L’AMF datée du 28 février 2008 à l'égard des sociétés PROLOGUE
SOFTWARE, S&W ASSOCIES, ERNST & YOUNG AUDIT, EUROLAND FINANCE et de MM.
Vincent YOUNG, François SOREL, Christian LEONETTI, Thierry BOUTIN, Jacques ROUVROY,
Eric ROUVROY, Marc FIORENTINO, Laurent PFEIFFER, confirmée par un arrêt du 8 avril 2009, la
Cour d’appel de Paris. Disponible sur le site de l’AMF www.amf-france.org
271



Page 280
512. La position de la commission des sanctions, a été critiquée. Des
critiques qui avancent qu’en consacrant une telle position, la commission,
heurte
le bon sens et
l’équité.
Il est vrai, que
la
jurisprudence exige
l’établissement d’un élément moral pour la caractérisation du manquement de
diffusion de fausse information. Un élément moral qui consiste en la preuve
de la connaissance du caractère inexact de l’information diffusée696. Il paraît
difficile d’admettre que cette forme plus grave encore de manipulation de
marché qu’est
la
manipulation de
cours puisse être
commise
involontairement.697
513. Ces critiques se doivent d’être
tempérées,
la diffusion de
fausse
information pouvant se faire effectivement sans connaissance du caractère
erroné de
l’information. Alors qu’il est difficile, d’avancer, qu’une série
d’interventions et d’annulations sur un même
titre, puisse être
fortuite.
D’ailleurs, comme il a déjà été démontré, lorsque la communication d’une
information fausse est le fait d’un dirigeant de la société émettrice, l’élément
moral exigé est fortement réduit et n’est pas forcément plus développé que
celui exigé pour
la caractérisation d’un manquement de manipulation de
cours698.
Car l’autorité administrative sans se référer explicitement à un élément moral,
prend tout de même la peine d’énoncer un certain nombre de faits de nature à
démontrer que les opérations litigieuses ont été effectuées avec pour seul
dessein de faire remonter le cours de clôture699ou que les opérations n’avaient
« aucune justification économique »700.
514. Certains auteurs ont déduit de ces considérations que la recherche d’un
élément
intentionnel est nécessaire à la constatation du manquement de
696 Rontchevsky (N), Note sous C.A. Paris, 1re ch., sect. H., 28 juin 2005, M. M. et société Vivendi
Universal, RTD com., 2005, spéc. p. 810.
697 Downing (J) et Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. H, 29 janvier 2008, n° 2007/00082,
Société Foch Investissements c/ AMF, Bull. Joly Bourse, 01 août 2008 n° 4, p. 282.
698 V. supra p. 268.
699 Downing (J) et Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. H, 29 janvier 2008, Op.cit. p. 282.
700 Rontchevsky (N), Note sous AMF 1re sect., 20 déc. 2007, M. A. Nodet, Op.cit. p. 290.
272



Page 281
manipulation de cours. Et que sans cette volonté de faire varier le cours, les
opérations litigieuses n’auraient pas été en soi contestables701.
Il sied néanmoins de ne pas y voir là une véritable recherche d’un élément
intentionnel. Car il ne s’agirait là que d’un élément d’appréciation des faits.
Dans tous les cas, l’appréciation par l’AMF de l’élément moral du manquement
de manipulation de cours, se fait de manière particulièrement laconique.
515. Au total, la facilité relative de la caractérisation de l’élément moral des
manipulations de marché par l’Autorité des marchés financiers ne fait que
confirmer la tendance législative et règlementaire qui prévaut en France : il
s’agit de privilégier l’efficacité de l’action de l’autorité de régulation ce qui a
entrainé une érosion des critères des manquements boursiers. En Tunisie, la
rédaction approximative du règlement du CMF relatif à
l’appel public à
l’épargne laisse planer un doute sérieux quant à la capacité du CMF de faire
face à ces infractions nocives. Un doute qui ne fait que se confirmer lorsqu’on
aborde les conditions d’imputation de ces manquements aux sociétés cotées
en bourse et à leurs dirigeants.
701 Downing (J) et Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. H, 29 janv. 2008, Op.cit. p. 282.
273










Page 282
SECTION II
UNE IMPUTATION FACILITEE
516. La sanction administrative est particulièrement adaptée au marché
boursier. Et ce non seulement grâce au fait que les manquements boursiers
sont potentiellement plus facilement caractérisables que les délits boursiers.
Mais aussi parce que l’imputation des manquements boursiers aux sociétés
cotées en bourse et à leurs dirigeants par l’autorité de régulation se révèle de
plus en plus aisée. Surement dans le dessein de rendre plus efficace la
poursuite des auteurs des entorses à
la
réglementation des marchés
financiers.
Ainsi, imputer un manquement administratif aux sociétés cotées en bourse
(Paragraphe 2) et à leurs dirigeants (Paragraphe 1) devrait se révéler plus
facile que de leur imputer un délit boursier.
Paragraphe 1- Aux dirigeants sociaux
517.
Il est
logique que
la responsabilité du dirigeant social pour un
manquement à la réglementation boursière puisse être retenue lorsque celui-ci
est l’auteur des pratiques prohibées. Mais au-delà de ce cas de figure qui ne
prête pas à discussion, le dirigeant d’une société cotée en bourse peut se voir
imputer un manquement boursier.
Car en France, l’autorité de régulation ne semble pas se borner à ces cas, où
le dirigeant a participé à la commission de l’infraction. L’AMF ne limite pas son
pouvoir de sanction à l’égard des dirigeants de l’émetteur au cas où celui-ci
participe au manquement.
En Tunisie, l’absence de jurisprudence ne permet pas de se prononcer avec
certitude sur
la position du Conseil du marché
financier concernant la
question. Il serait préférable, néanmoins, pour le CMF de réceptionner les
solutions retenues par l’AMF. Aucun obstacle ne semble, en effet, empêcher
274






Page 283
le CMF de s’aligner sur ces positions qui participent à responsabiliser les
dirigeants sociaux et les oblige à s’impliquer plus dans la gestion de la société.
En effet, en matière d’information du public, la commission des sanctions de
l’AMF semble admettre que
les dirigeants puissent se voir
imputer
le
manquement du seul fait de leurs fonctions (B). Pour d’autres infractions, une
faute simple commise par le dirigeant social est suffisante pour engager sa
responsabilité (A).
A- Une imputation même en cas de faute simple
518. Retenir la responsabilité des dirigeants d’une société cotée en bourse
pour un manquement boursier, ne nécessite pas la démonstration de la
commission d’une faute séparable de ses fonctions, comme il en est en
matière de responsabilité civile, en France (1). Cependant,
la sanction
administrative du dirigeant d'une société émettrice de valeurs mobilières
suppose l’existence d’un texte d'incrimination (2).
1- La non applicabilité de la théorie de la faute séparable des fonctions
519. La mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants sociaux, dépend du
domaine dans
lequel on se place. Selon qu’il s’agisse de retenir
la
responsabilité civile du dirigeant ou sa responsabilité pénale,
les règles
d’imputation diffèrent.
Ainsi, en France, si l’on se place sur le terrain du droit civil, la mise en œuvre
de la responsabilité du dirigeant social dépendra en partie de la preuve de la
commission par le dirigeant d’une faute séparable de ses fonctions702.
Il s’agit
là, d’une
théorie conçue d’une manière prétorienne par
la
jurisprudence par transposition de la règle traditionnellement applicable aux
agents publics, l'exigence d'une faute séparable des fonctions est appliquée
depuis l'origine à la mise en jeu de la responsabilité civile des dirigeants de
sociétés par les tiers.
702 V. infra p. 410.
275





Page 284
Par contre, s’il s’agit d’imputer une infraction pénale à un dirigeant social, cette
preuve n’est pas exigée.
520. Mais qu’en est-il du « no man's land » des sanctions non pénales au sens
strict du terme, c'est-à-dire des sanctions disciplinaires et administratives, en
particulier celles que peut mettre en œuvre l'AMF ?
Il faut dire qu’à cet égard les textes sont restés muets. Aucune disposition
légale ou
réglementaire ne vient préciser
les
règles d’imputation des
manquements administratifs aux dirigeants de personnes morales émettrices.
Dès lors, l'hésitation pouvait être permise quant à leur rattachement. Fallait-il,
appliquer les règles qui prévalent en droit civil ou celles qui s’appliquent en
matière pénale ?
521. Il est revenu à la Cour de cassation, à la suite de la cour d'appel de Paris,
de trancher la question, en éclaircissant les conditions dans lesquelles les
dirigeants sociaux sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée au
titre de manquements à la réglementation de l’AMF703.
Dans une décision remarquée, qui illustre l'attractivité irrépressible du droit
pénal sur
la nature et le régime des sanctions administratives en droit
boursier, au-delà du seul droit processuel. La Cour d’appel de Paris, a tranché
en faveur de l’appartenance des sanctions édictées par les autorités de
régulation au giron des sanctions à caractère pénal et par conséquence a
appliqué les règles prévalant en droit pénal704.
En l’espèce, le dirigeant de la société Kalisto, faisait valoir, « que le principe
de la personnalisation des peines interdit à la Commission des opérations de
bourse de sanctionner un dirigeant, à titre personnel, en lieu et place de la
personne morale émettrice, sans qu'ait été préalablement discutée et
constatée à son encontre une « faute distincte de ses obligations à l'égard de
sa société et de ses actionnaires ».
703 Daigre (J-J), Note sous Cass. Com., 31 mars. 2004, 03-14991, X c/ COB, Bulletin Joly Bourse, 01
juillet 2004 n° 4, p. 460.
704 V. notamment au sujet de cet arrêt : Ducouloux Favard (C), Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2003
n° 4, p. 427 ; Auzero (G), Bull. Joly Sociétés, 01 juillet 2004 n° 7, p. 982 ; G.P, 13 mai 2004 n° 134,
p. 20.
276



Page 285
Mais, la Cour se place sur le terrain des sanctions à caractère pénal. Elle
constate que la « Commission des opérations de bourse n'est pas saisie d'une
action en responsabilité mais décide du bien-fondé d'accusations en matière
pénale au sens des dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».
Elle en tire ensuite les conséquences appropriées en matière d’imputation des
manquements administratifs.
Elle décide que, « le prononcé de sanctions pécuniaires à l'égard du dirigeant
de la personne morale émettrice n'est pas subordonné à la démonstration
d'une faute séparable de ses fonctions ».
522. La notion de
faute détachable des
fonctions se doit donc d’être
circonscrite à la seule responsabilité civile. Elle ne peut être étendue ni à la
responsabilité pénale ni à l'action en manquement intentée par l’autorité de
régulation du marché financier.
En effet, ces actions administratives s'apparentent à des actions répressives.
L’autorité administrative étant habilitée à infliger au dirigeant des sanctions
qui, « pour être
juridiquement des sanctions administratives, peuvent
néanmoins être assimilées à des sanctions pénales ». Et c’est ce caractère
pénal, au sens large, de la faute reprochée au dirigeant qui prohibe à celui -ci
de s’abriter derrière l’écran social. Le dirigeant ne peut donc pas éviter la
sanction encourue du fait de l’infraction aux règlements boursiers qu’il a
commise, et ce, même si cette infraction a été commise pour le compte et/ou
au profit de la personne morale705.
523. Sur ce point, on ne peut qu’être d’accord avec la vision retenue par la
Cour de cassation. En effet, transposer une règle aussi décriée par la doctrine.
Un principe qui a abouti à une « irresponsabilité » civile des dirigeants
sociaux, ne pouvait qu’inaugurer un nouvel espace d’impunité en offrant une
705Auzero (G), Note sous Cass. Com., 31 mars 2004, n° 623 FSPBI, X. c/ COB, Bull. Joly Sociétés,
01 juillet 2004 n° 7, p. 982

277



Page 286
quasi immunité de fait devant les juridictions administratives aux dirigeants.
Cette non applicabilité de la théorie de faute détachable des fonctions, ne peut
donc, qu’être saluée.
En Tunisie, l’application de cette solution ne ferait pas de doutes. La théorie
de la faute détachable des fonctions n’ayant pas cours en Tunisie et ce que ce
soit, en droit pénal ou en droit civil. La mise en œuvre des sanctions
administratives à l’égard des dirigeants de sociétés cotées en bourse devrait
en conséquence être subordonnée à la démonstration d’une faute simple.
2 - La sanction administrative du dirigeant d'un émetteur suppose un
texte d'incrimination
524. La mise en œuvre de poursuites administratives à l’égard d’un dirigeant
d’une société cotée en bourse pourrait se heurter à une difficulté certaine :
l’imputation d’un manquement administratif à un dirigeant social, suppose
l’existence d’un texte d’incrimination.
Comme le souligne la chambre commerciale de la Cour de cassation française
dans son arrêt du 31 mars 2004706 à travers le principe ainsi posé, un «
dirigeant peut être sanctionné en tant qu'auteur des agissements incriminés
lorsque, comme en
l'espèce,
les
règlements en cause
le prévoient
expressément ».
Une lecture à contrario de cet arrêt nous permet d’affirmer que, si les textes
applicables en matière de manquement administratif ne le prévoient pas
expressément, les dirigeants agissant dans le cadre de leur fonction pour une
personne morale ne peuvent être poursuivies et sanctionnées par l'Autorité
des marchés financiers707.
525. La Cour ajoute une condition à l’imputation des manquements à la
réglementation boursière aux dirigeants de la société cotée en bourse. Afin
706 Daigre (J-J), Note sous Cass. Com., 31 mars. 2004, 03-14991, X c/ COB, Op.cit. p. 460.
707 Roch (G), Note sous C.A. Paris, 28 juin 2005, no 2005/02268, D. et E. c/ AMF, Bull. Joly Bourse,
01 janvier 2006 n° 1, p. 39.
278



Page 287
qu'ils puissent être directement sanctionnés en
tant qu'auteurs des
agissements
incriminés,
il
faut que
les
textes prévoient cette possibilité
expressément. Cette solution dégagée par
la Cour de cassation illustre,
encore plus l’attraction qu’exerce l'esprit de la matière pénale sur la matière
répressive non pénale. L’autorité administrative se devant de respecter
l’exigence qui relève de l'ordre du principe de la légalité des délits et des
peines.
526. Il convient donc, de procéder au cas par cas, en examinant attentivement
les dispositions du règlement général de
l’AMF pour déterminer si
les
obligations qu’elles posent visent non seulement les sociétés émettrices mais
aussi leurs dirigeants.
Par exemple, les textes relatifs aux interventions de l’émetteur sur ses propres
titres708, ou encore de ceux régissant les programmes de rachat de titres
admis aux négociations sur un marché réglementé709, ne prévoient pas la
possibilité d’imputer ces manquements aux dirigeants sociaux des sociétés
émettrices.
La commission des sanctions de l’AMF a eu l’occasion de juger que la
violation de ces dispositions ne peut donner lieu à sanction qu’à l’encontre du
seul émetteur, à l’exclusion de ses dirigeants710. Par contre, les dispositions de
l’article 222-1 du
règlement général de
l’AMF,
relatives à
l’obligation
d’information du public par
l’émetteur sont également applicables aux
dirigeants de ce dernier711.
527. Si la solution adoptée par la commission des sanctions de l’AMF, ne
devrait pas souffrir pas de critiques, sur
le strict plan de
l’application
rigoureuse du texte de ses règlements. Etant appelée à statuer sur le bien-
708 Articles 631-5 et 631-6 du règlement général de l’AMF
709 Articles 241-1 et suivants du règlement général de l’AMF
710 Décision AMF, Comm. sanctions, 7 avril 2005, Naf Naf, Rev. AMF n° 15, juin 2005, p. 59.
711 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Banque et Droit, septembre-octobre 2006, p. 41.
279




Page 288
fondé de sanctions à caractère pénal, l’autorité administrative se devait de
respecter les principes de légalité et personnalité et de la peine. Le fait de
traiter de la même manière, un prévenu poursuivi devant une juridiction pénale
ou devant une entité ayant
la possibilité de prononcer des sanctions
administratives est essentiel à la sauvegarde de ses droits fondamentaux.
Par contre, il aurait été préférable de voir la possibilité de mettre en cause les
dirigeants des émetteurs pour tous les manquements à la réglementation de
l’AMF. Cette disparité de traitement entre les différents manquements n’est
pas à même de faciliter la poursuite par l’AMF des manquements à sa
réglementation. De même, cette disparité est de nature à freiner l’efficacité de
l’action de l’autorité de régulation.
528. L’existence d’un texte comparable à l’article L.621-15 II b° du Code
monétaire et financier qui prévoit expressément que peuvent être sanctionnés
par l’AMF aussi bien les prestataires de services d’investissement que “les
personnes physiques agissant pour leur compte”, expression qui désigne les
titulaires d’un mandat social, tels que le président-directeur général et le
directeur général délégué. Aurait été une solution permettant de surmonter
cette disparité de
traitement entre
les différents manquements à
la
réglementation boursière712.
529. Là encore la situation s’avère plus claire en droit tunisien. Le texte de
l’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 permet au Conseil du
marché financier d’ordonner à « toute personne » de mettre fin aux pratiques
contraires à ses règlements713. Ce texte permet au Conseil de prononcer à
712 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Op.cit. p. 41.
713 Lorsque ces pratiques ont pour effet de :
- fausser le fonctionnement du marché ;
- procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du
marché ;
- porter atteinte au principe d'égalité d'information ou de traitement des épargnants ou à leurs intérêts ;
- faire bénéficier les émetteurs et les épargnants des agissements d'intermédiaires contraires à leurs
obligations professionnelles.
280



Page 289
l'encontre « des auteurs » de ces manquements714 une amende au profit du
Trésor Public qui ne peut excéder 20.000 dinars et lorsque des profits ont été
réalisés, cette amende peut atteindre le quintuple du montant des profits
réalisés à condition que le montant de l'amende soit fonction de la gravité des
manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de
ces manquements. Il semble donc que les termes généraux employés par cet
article permettent aux CMF de sanctionner les dirigeants des sociétés cotées
en bourse dès lors que ceux-ci enfreignent ses règlements.
B- Une imputation « es qualitès »
530. Le fait qu’un dirigeant soit sanctionné lorsqu’il participe au manquement
d’une manière personnelle et directe coule de source et ne devrait pas
soulever de contestations particulières.
C’est ce que confirme fort logiquement la jurisprudence française. Un arrêt de
la Cour d’appel de Paris, en estimant que la mise en cause de la personne
morale émettrice des titres, n’exclut pas celle de son dirigeant, lequel peut
donc être directement sanctionné « en
tant qu’auteur des agissements
incriminés … »715.
Dans une autre affaire plus récente716, la commission des sanctions de l’AMF
a adopté la même solution en sanctionnant le président directeur général
d’une société émettrice parce que celui-ci était l’auteur du communiqué
véhiculant une fausse information. Dans cette affaire, la commission des
sanctions retient que la note d’information litigieuse avait été visée par le
président directeur général de société et que celui-ci avait déclaré qu’à sa
connaissance « les données de la présente note d’information sont conformes
à la réalité et ne comportent pas d’omission de nature à en altérer la portée ».
714 Lors d'une réunion de son collège tenue à cet effet, après respect des procédures garantissant les
droits de défense.

715 C.A. Paris, 1ère Ch. Section H, 1er avril 2003, Bull. COB, mars 2003, n° 377, p. 37 et s; Rapport
annuel AMF 2003, p. 162, n° 19.
716 Décision de sanction de
france.org/documents/general/9325_1.pdf
l’AMF 17 décembre 2009, disponible sur http://www.amf-
281





Page 290
Dans une autre décision,
la commission des sanctions considère
le
manquement comme imputable à titre personnel au dirigeant de l’émetteur,
« en sa double qualité de Président du Directoire et de responsable de la
communication, l’auteur des communiqués reprochés »717.
En matière de manipulation de cours, l’AMF a imputé le manquement au
président directeur général d’une société qui avait réalisé des ordres fixant le
cours de la société qu’il dirige à un niveau anormal et artificiel718.
La solution devrait être la même en Tunisie : le dirigeant devrait engager sa
responsabilité à partir du moment où il commet lui-même l’infraction à la
règlementation boursière.
531. Néanmoins, le dirigeant peut engager sa responsabilité même s’il n’est
pas l’auteur de l’infraction. Ainsi, en France, plusieurs décisions de sanctions
témoignent qu’une communication
financière ne satisfaisant pas aux
exigences de la réglementation peut être reprochée au dirigeant de l’émetteur.
Ainsi, la commission des sanctions a châtié le dirigeant de la société cotée
lorsqu’il était, de par ses fonctions, en charge de la communication financière
de
la société.
Il en va ainsi, bien entendu, du président du conseil
d’administration, « premier responsable de l’information du public »719.
Ainsi, dans sa décision Vivendi Universal datant du 3 novembre 2004720, la
commission des sanctions, a sanctionné le président directeur général de
l’émetteur qui n’était pas lui-même l’auteur de la communication litigieuse. La
responsabilité de celui-ci en matière de communication financière ne devant
pas souffrir de contestation, la responsabilité de la société et de son dirigeant
717Décision de sanction de l’AMF 5 mars 2009, disponible sur www.amf-france.org
718Décision de la commission des sanctions rendue en matière de manipulation de cours datée du 4
octobre 2005, disponible sur http://www.amf-france.org/documents/general/6431_1.pdf
719 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous COB, 4 Mars 2003, Rubens & Chapellier, Banque et
Droit n° 93, Janv.-fév. 2004, p. 33.
720 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous Décision AMF, Comm. sanctions, 3 novembre 2004,
Vivendi Universal, Messier & Hannezo, Banque et Droit, n° 100, mars-avril 2005, p. 20 et s. ;
Disponible sur http://www.amf-france.org/documents/general/5649_1.pdf ; Décision AMF, Comm.
sanctions, 2 décembre 2004, Bilger & Jaffre, Rev. AMF n° 11, février 2005, p. 121 et s. Dans certaines
décisions récentes, la commission des sanctions s’est toutefois attachée à caractériser la participation
personnelle du dirigeant poursuivi, ce qui annonce peut-être une évolution de sa jurisprudence, V.
notamment Décision AMF, Comm. sanctions, Charoy & Perfect Technologies, Rev. AMF n° 15, Juin
2005, p. 65.

282



Page 291
devait donc être engagée et ce indépendamment des délégations de pouvoirs
qu’il a pu accorder.
Dans une autre décision, l’autorité de régulation a imputé au président du
directoire d’une société cotée, le manquement de communication d’une fausse
information, du fait de sa qualité. La commission des sanctions estime qu’en
raison de sa qualité, « il aurait dû s’assurer de l’exactitude de l’information
délivrée à l’occasion de l’augmentation de capital »721.
Il résulte de l’analyse des décisions de sanctions de l’autorité administrative
que le président directeur général et les directeurs généraux devraient de
manière
quasi-automatique
se
faire
imputer
la
responsabilité d’un
manquement à l’obligation d’information.
532. Par contre,
la commission des sanctions a dans
l’affaire Vivendi
Universal, sus citée, exclu la responsabilité du directeur général adjoint qui
n’était pas lui-même l’auteur du communiqué litigieux.
Mais cette exclusion de la responsabilité des directeurs généraux adjoints ne
devrait pas être absolue. Cette décision laisse, en effet, entendre que le
directeur général adjoint devrait en effet, se voir imputer le manquement à
l’obligation d’information
s’« il a personnellement été
l’auteur de
la
communication » ou encore s’il a reçu une délégation en matière de
communication financière.
Les directeurs généraux et directeurs généraux délégués, devraient donc
supporter
la
responsabilité d’un
communiqué
véhiculant une
fausse
information pour autant qu’ils aient reçu une délégation de pouvoir dans le
domaine de la communication financière.
533. La responsabilité des administrateurs semble plus vague. Une décision
de la commission des sanctions de l’AMF confirmée par la Cour d’appel de
Paris722 est susceptible de nous apporter des éclaircissements sur la question.
721 Décision AMF28 février 2008
722 Décision de la Commission des sanctions de l’AMF du 29 septembre 2005, disponible sur
http://www.amf-france.org/documents/general/6421_1.pdf. Par arrêt du 4 juillet 2006, la Cour d’appel
de Paris a confirmé cette décision.
283




Page 292
En
l’espèce,
l’autorité administrative après avoir classiquement
imputé
le
manquement à l’obligation d’information au président de la société, et à la
société cotée que le dirigeant de « toute évidence » engageait. Estime que la
responsabilité des membres du conseil d’administration ne peut être engagée
tant qu’ « il n'est pas démontré qu'ils aient eu le moindre rôle dans la
communication incriminée, rien ne permettant d'établir que celle-ci ait été
préalablement approuvée en conseil d'administration ».
Les membres du conseil d’administration semblent, donc, ne pouvoir être
personnellement mis en cause que s’ils ont, en pleine connaissance de cause,
approuvé la diffusion des communiqués incriminés.
534. Le dirigeant social, précisément le président directeur général ou le
président du directoire semble alors être la cible favorite des sanctions
administratives en cas de manquement à l’obligation d’information.
Cette imputation fréquente du manquement au dirigeant a surement pour
objectif de le responsabiliser. Celui-ci, a intérêt à apporter toutes les diligences
nécessaires pour que les informations communiquées par la société qu’il
dirige soient précises et exactes. Sinon, il en assumera probablement la
responsabilité.
535. Mais cette fermeté à l’égard des dirigeants pourrait aussi s’expliquer par
la volonté de l’autorité de régulation de ne pas faire des sociétés cotées en
bourse, l’unique cible de ces sanctions. La commission sachant pertinemment
que les sanctions à l’égard de l’émetteur, pénalisent dans le même temps les
victimes de la communication financière incriminée, les investisseurs trompés
qui se sont portés acquéreurs d’actions de la société, ou ne s’en sont pas
dessaisis à temps723.
On constate ainsi que les dirigeants sont, en cette matière, souvent plus
lourdement sanctionnés que
l’émetteur
lui-même. Par exemple, dans
la
décision Mines de Lucette précitée, le dirigeant social a été condamné à une
amende de 10.000 euros alors que la société émettrice a elle été condamnée
723 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Op.cit. p. 41.
284



Page 293
à une sanction pécuniaire symbolique d’un euro724. Dans d’autres cas, il est
même arrivé qu’aucune poursuite ne soit diligentée à l’encontre des sociétés
cotées en bourse725.
536. Ces solutions contraignantes pour
les dirigeants sociaux semblent
pouvoir recevoir application en Tunisie.
En effet, les sanctions pécuniaires énoncées à l’article 40 de la loi n°94-117 du
14 novembre 1994 sont applicables,726 depuis
la promulgation de la
loi
n°2005-96 du 18 octobre 2005, aux présidents, directeurs généraux et aux
directeurs généraux et aux présidents des directoires et aux directeurs
généraux uniques qui ne respectent pas les obligations de transparence
prévues par les articles 3, 3 bis, 3 ter, 3 quater, 3 quinter, 4, 21, 21 bis et 21
ter de la présente loi727.
Il apparait par conséquent évident que le législateur tunisien met à la charge
des dirigeants la responsabilité de la communication financière. Et lorsque la
communication financière de la société cotée ne satisfait pas aux exigences
724 Décision de la Commission des sanctions de l’AMF du 29 septembre 2005, disponible sur
http://www.amf-france.org/documents/general/6421_1.pdf .
725 Voir par exemple décision AMF, Comm. sanctions, 2 décembre 2004, Bilger & Jaffre;
À propos d’une manipulation de cours perpétrée par un dirigeant dans le cadre d’un programme de
rachat, voir Décision AMF, Comm. sanctions, 4 octobre 2005, Deveaux & Banque privée Fideuram
Wargny, Rev. AMF n° 21, janv. 2006, p. 53 et s.

726 Article 28 de la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005
727 Ces obligations de transparence incombent aux sociétés faisant appel public à l’épargne et
concernent la communication au CMF de documents préalablement à l’assemblée générale ordinaire et
à l’assemblée générale extraordinaire, la publication au bulletin officiel du CMF et dans un quotidien
paraissant à Tunis de leurs états financiers annuels accompagnés du texte intégral de l’opinion du
commissaire aux comptes, la communication au conseil du marché financier et à la bourse des valeurs
mobilières de Tunis de documents postérieurement à l’assemblée générale ordinaire, la publication
d’informations au bulletin officiel du CMF et dans un quotidien paraissant à Tunis postérieurement à
l’assemblée générale ordinaire, de fournir au Conseil du Marché Financier et à la Bourse des Valeurs
Mobilières de Tunis dans un souci d'information continue du public tous renseignements et documents
nécessaires à la négociation ou à l'appréciation de leurs titres dans les conditions fixées par le
Règlement Général de la Bourse. De même, ces obligations concernent la communication, par les
sociétés dont les titres de capital ou donnant accès au capital admis à la cote de la Bourse, au conseil
du marché financier et à la bourse des valeurs mobilières de Tunis, des indicateurs d’activité fixés
selon les secteurs. De même que la publication de ces indicateurs au bulletin officiel du conseil du
marché financier et dans un quotidien paraissant à Tunis. Ces obligations concernent aussi la
communication par ces sociétés, au conseil du marché financier et à la bourse des valeurs mobilières
de Tunis, des états financiers intermédiaires accompagnés du rapport intégral du ou des commissaires
aux comptes les concernant et de les publier au bulletin officiel du conseil du marché financier et dans
un quotidien paraissant à Tunis. Ces obligations concernent aussi, la publication d’états financiers
consolidés par les sociétés mères, dont les titres de capital ou donnant accès au capital sont admis à la
cote de la Bourse et qui sont à leurs tours des sociétés filiales d’autres sociétés.
285




Page 294
de la législation et de la règlementation boursière, c’est le dirigeant qui en est
le premier responsable et qui doit en conséquence engager sa responsabilité.
Le CMF devrait, de ce fait, pouvoir engager la responsabilité des présidents,
directeurs généraux et aux directeurs généraux et aux présidents des
directoires et aux directeurs généraux uniques, sans qu’ils aient à établir une
faute de leur part. La mise en œuvre des sanctions étant subordonnée
uniquement au non-respect des obligations de transparence qui incombent
aux sociétés cotées en bourse.
Il reste que la mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants n’empêche
pas l’imputation des manquements boursiers aux sociétés émettrices.
Paragraphe 2- Aux sociétés cotées
537. La sanction administrative est, en Tunisie, la seule sanction répressive
que sont susceptibles d’encourir
les sociétés cotées en bourse si elles
contreviennent aux législations et règlementations boursières.
En effet,
le droit
tunisien ne reconnait pas
la possibilité de retenir la
responsabilité pénale des personnes morales pour des délits boursiers728.
La possibilité d’imputer une sanction administrative à une société constitue, de
ce fait, un avantage considérable dont jouit le Conseil du marché financier par
rapport aux autorités judiciaires tunisiennes (A).
538. Sans chair et sans os, la personne morale est un être artificiel, un être
juridique désincarné, dénué de volonté propre et incapable d’actes matériels
d’exécution,
la personne morale ne peut commettre elle-même un acte
prohibé par la réglementation boursière.
Une question s’impose alors, quelles sont les conditions d’imputation d’un
manquement boursier à une société cotée en bourse ?
On a vu qu’en France, lorsqu’il s’agit de retenir la responsabilité pénale d’une
société pour un délit boursier. L’infraction doit avoir été commise « pour leur
728 V. supra p. 115.
286





Page 295
compte, par leurs organes ou représentants ». Ce sont là les conditions
posées par l’article 121-2 du Code pénal.
539. Qu’en est-il alors,
lorsqu’il s’agit d’imputer des manquements à la
réglementation boursière à une personne morale ?
Sur ce point, que ce soit en Tunisie ou en France, on est confronté à un vide
législatif. En examinant
les dispositions
législatives et
réglementaires
applicables en la matière nous constatons qu’en Tunisie ni la loi n°94-117 du
14 novembre 1994 ni le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne
ne posent
les règles d’imputation d’un manquement administratif à une
personne morale. Il en est de même en France où, ni le code monétaire et
financier ni
le
règlement général de
l’AMF ne donnent de précisions
satisfaisantes, sur les conditions dans lesquelles, il est possible d’imputer un
manquement à la réglementation de l’AMF à une personne morale.
En effet, les textes examinés se contentent, en France, d’énoncer la possibilité
pour l’AMF de retenir la responsabilité de la personne morale. Alors qu’en
Tunisie, le Règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne se contente
de viser « toute personne » ou « les personnes »729. En l’absence de toute
jurisprudence émanant du CMF, le recours aux décisions de sanctions de
l’AMF s’avère instructif. En effet, la commission des sanctions de l’AMF a, de
manière empirique, précisé les conditions dans lesquelles la responsabilité
administrative des personnes morales peut être engagée (B).
A-
Une imputation possible aux sociétés cotées en bourse
540. L’autorité tunisienne de régulation des marchés financiers dispose d’un
grand avantage par rapport aux autorités judiciaires : il s’agit de la faculté de
sanctionner les personnes morales.
Il est à noter que cette possibilité d’imposer des sanctions à l’égard des
sociétés pour des délits boursiers, n’est pas offerte aux autorités judiciaires. Et
729 Il est clairement indiqué à l’article 3 de ce règlement qu’il est entendu par le terme « personne » :
« toute personne physique ou toute personne morale ».

287





Page 296
ce, en l’absence d’un texte prévoyant la responsabilité pénale des personnes
morales en matière d’infractions à la législation boursière730.
La sanction administrative prononcée par le Conseil du marché financier
apparait, alors, comme le seul type de sanction répressive applicable aux
personnes morales opérant en bourse.
En effet, les articles 47 et suivants du règlement général du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne, qui ont pour objet de sanctionner les infractions
boursières, visent
indifféremment
toute personne, qu’il s’agisse d’une
personne physique ou d’une personne morale.
Ainsi,
l’article 47 sus cité
interdit aux « personnes », disposant d'une
information privilégiée en raison de leur qualité de membres des organes de
direction ou d'administration ou de délibération ou de contrôle, d'un émetteur
faisant appel public à l'épargne ou en raison des fonctions qu'elles exercent au
sein d'un tel émetteur, d'exploiter sur le marché, pour compte propre ou pour
compte d'autrui, une telle information soit directement, soit par personne
interposée, en achetant ou en vendant des titres de cet émetteur ou des droits
liés à ce titre, tant que cette information n'a pas encore été rendue publique.
De même, l’alinéa 2 de ce même article dispose que « les personnes »
mentionnées au premier alinéa de cet article doivent s'abstenir de
communiquer l'information privilégiée à des fins autres ou pour une activité
autre que celles en raison desquelles elle est détenue.
Ensuite, l’article 48 dispose que « les personnes » disposant d'une information
privilégiée en raison de la préparation et de l'exécution d'une opération
financière et les personnes auxquelles a été communiquée une information
privilégiée à l'occasion de l'exercice de leurs professions ou de leurs fonctions
ne doivent pas exploiter sur le marché, pour leur compte propre ou pour le
compte d'autrui, une telle information ni la communiquer à des fins autres ou
pour une activité autre que celles en raison desquelles elle est détenue, tant
que cette information n'a pas encore été rendue publique.
730 V. supra p. 183.
288



Page 297
Aussi, l’article 49 prévoit que « Toute personne » qui, en connaissance de
cause, dispose d'une
information privilégiée provenant directement ou
indirectement d'une personne mentionnée aux deux articles précédents, ne
doit pas exploiter, pour son compte propre ou pour le compte d'autrui une telle
information sur le marché.
Egalement, l’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre permet au Conseil
du Marché de sanctionner « toute personne » qui contrevient à son
règlement731.
Et puisque pour l’article 3 du même règlement, le terme personne lorsqu’il est
cité dans le cadre de ce règlement désigne indifféremment « toute personne
physique ou toute personne morale ».
On peut en déduire que le pouvoir de sanction du CMF s’étend aux personnes
physiques et aux personnes morales.
541. De la sorte, l’arsenal de sanctions mis à disposition du CMF parait
particulièrement étoffé par rapport aux moyens dont disposent les autorités
judiciaires. Certes le dispositif de sanction pourrait être renforcé. D’autres
types de sanctions, pourraient être prévus. La sanction édictée par
le
régulateur grec qui a prévu la possibilité de transférer les sociétés incapables,
entre autres, de publier leurs comptes dans les délais légaux, dans une liste
spéciale appelée « sociétés cotées sous surveillance », est particulièrement
intéressante732. L’émetteur subit alors une sanction plutôt en terme d’image et
le public est ainsi averti des risques liés à l’information financière associés aux
titres de ces sociétés. Il est vrai aussi que le montant des amendes qu’est en
mesure d’édicter l’autorité de régulation n’est pas proportionné à la taille des
enjeux financiers. Ce montant mériterait surement d’être revu à la hausse, si
on veut que ces amendes aient un effet dissuasif. Car une amende maximum
de 20.000 dinars, lorsque des profits n’ont pas été réalisés, est insignifiante au
vu du poids des sociétés cotées en bourse dont le chiffre d’affaires se compte
en millions de dinars.
731 V. supra p. 241.
732« Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en
Tunisie », mai 2002 disponible sur le site : www.cmf.org.tn

289



Page 298
542. Au final, même si le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne
prévoit la possibilité pour le Conseil de sanctionner les sociétés cotées en
bourse. On n’y
trouve aucune
indication sur les conditions qui dirigent
l’imputation des manquements à la règlementation boursière aux personnes
morales. En l’absence d’une jurisprudence se rapportant à cette thématique
émanant du Conseil du marché financier, l’étude de la jurisprudence de
l’Autorité des marchés financiers constitue un recours utile permettant de
donner des éclaircissements sur le mode d’imputation des manquements à la
règlementation boursière aux personnes morales.
B- Des règles d’imputation rigoureuses
543. Poursuivre et sanctionner une personne morale supposeraient qu’on
puisse
lui reprocher les manquements « matériellement commis dans son
intérêt ou pour son compte par des personnes physiques »733.
Prenant ses distances avec les principes du droit pénal, la commission des
sanctions fait preuve d’une sévérité caractérisée à l’égard des personnes
morales.
Celle-ci
semble
considérer
que
les manquements administratifs et
disciplinaires peuvent être imputés directement aux personnes morales, sans
qu’il soit nécessaire au préalable de caractériser la responsabilité d’une
personne physique agissant pour son compte (1). La sévérité du principe se
trouve néanmoins atténuée par l’exigence d’une faute de la personne morale
(2).
733 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Op.cit p. 35.
290










Page 299
1-
Une solution rigoureuse…
544. Se démarquant des principes prévalant en droit pénal734 ou en droit
civil735, la commission des sanctions de l’AMF s’est attelée à construire un
régime propre d’imputation des sanctions administratives aux personnes
morales.
En effet, la responsabilité pénale de la personne morale émettrice, n’est
qu’une responsabilité « par ricochet », indirecte. L’article 121-2 du Code pénal
précisant que
les personnes morales sont responsables des
infractions
commises “pour leur compte, par leurs organes ou représentants”.
Ainsi, engager la responsabilité pénale de la personne morale suppose que
les éléments constitutifs de l’infraction soient caractérisés à l’égard de ces
personnes physiques et non pas à l’égard de la personne morale.
De même, en droit civil, généralement, les tiers ne peuvent mettre en cause la
responsabilité civile délictuelle d’une personne morale qu’en démontrant la
faute de l’un de ses préposés ou représentants, sur le fondement de l’article
1382 alinéa 5 du Code civil736.
545. Par contre, l’imputation d’une sanction administrative consécutive à un
abus de marché, relève d’un mécanisme différent. La COB hier, comme l’AMF
aujourd’hui
retiennent directement
la
responsabilité pénale des sociétés
émettrices sans forcément caractériser au préalable la faute d’une personne
physique (organe ou représentant) agissant pour son compte.
En effet, la jurisprudence de l’autorité de régulation n’est pas nouvelle. Avant
même, qu’il ne soit possible de retenir la responsabilité pénale des sociétés
pour un délit boursier, la COB condamnait des sociétés sur le fondement du
règlement n° 90-08, sans se préoccuper des critères de responsabilité des
personnes morales définis par le code pénal. Confortée par la Cour d'appel de
734 V. supra pp. 188 et s.
735 V. infra pp. 444 et s.
736 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Op.cit. p. 36.
291




Page 300
Paris, elle assimile la société à une personne physique en ne faisant aucune
allusion dans ses motivations aux mécanismes internes de prise de décision
mais en constatant simplement que les opérations litigieuses ont été réalisées
par
la société737. Cette démarche permettait de conserver une clé de
répartition des rôles entre les autorités judiciaires et la COB. A cette dernière
instance revenait la sanction des personnes morales, évitant ainsi des doubles
poursuites qui, pour de multiples raisons, ne sont guère opportunes738.
546. La position de la commission des sanctions de l’AMF, n’est nullement
différente. L’autorité de régulation ne voit pas la nécessité de caractériser
d’abord la responsabilité d’une personne physique placée sous son autorité ou
agissant pour son compte. D’ailleurs,
le
fait que dans de nombreuses
décisions739,
la commission des sanctions examine
la responsabilité des
personnes morales mises en cause avant même celle de la ou des personnes
physiques ayant accompli les actes matériels constitutifs du manquement740,
est particulièrement révélateur.
La Cour de cassation a, de même, estimé qu'une société ne pouvait
s'exonérer
de
sa
responsabilité
pour
des
informations
inexactes
communiquées par son président directeur général741. « Etre désincarné, la
personne morale, société par actions, est nécessairement engagée par les
737 Décision COB du 17 septembre 1991, affaire Paris-Bail, Bull. COB 09/91 (la Compagnie foncière
de la Banque d'arbitrage et de crédits a procédé à des achats alors qu'elle bénéficiait d'un accord de
principe sur la cession d'un bloc de contrôle à tel prix l'action, l'obligeant à procéder à une garantie de
cours) ; Décision COB 1993 et CA Paris, 12 janvier 1994, affaire
Métrologie international, JCP 1994,
éd. E, I.363, RJDA 1994.884 (l'un des 4 arrêts rendus dans cette affaire emporte la condamnation
d'une société initiée du fait de son directeur général qui représentait la société dans un conseil
d'administration) ; Décision COB, 1er mars 1994 et CA Paris, 15 nov. 1994, affaire Sicma, Gaz Pal 7
mai 1995, (la société Zodiac avait entrepris une opération de ramassage illicite sur des titres concernés
par une OPA qui avait des chances raisonnables d'aboutir) Cités par
Tomasi (M), « L’imputation des
manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers », Op.cit. p. 36.

738 Gounot (M E), « Essai d'application de l'analyse économique du droit à la réglementation
boursière des opérations d'initiés », Rev. de science criminelle 2000 p. 335 §12.

739 V. par exemple Décision AMF, Commission des sanctions, 7 avril 2005, Naf Naf & M. Pariente,
Rev. mensuelle AMF n° 15, Juin 2005, p. 59 ; Décision AMF, Commission des sanctions, 17 Juin
2004, Sté Oxis International, Rev. Mensuelle AMF n° 6, septembre 2004, p. 83 ; Décision COB, 20
octobre 2003, CADIF et autres, Bull. mensuel COB n° 383, Octobre 2003.
740 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Op.cit. p. 36.
741 Navarro (J-L), Note sous Cass.Com. 19 décembre 2006, AMF c/ Vivendi, Rev. sociétés 2007.
335 ;
Lienhard (A), D. 2007. AJ. 232.
292



Page 301
propos et les actes de ses mandataires sociaux, par application de l'article
1842 du code civil ».742
D’ailleurs, la jurisprudence de l’AMF sur ce point est constante. Dans une
affaire récente, la commission des sanctions a considéré que le manquement
doit être
imputé à
l’émetteur qui « est, par nature, responsable des
informations communiquées en son nom par ses différents représentants
légaux »743.
La faute propre de la société n’a donc pas à être forcément établie. Le
manquement à l’obligation de bonne information du public a un caractère
objectif à leur égard doit. L’autorité administrative, incite ainsi les sociétés à
faire preuve de prudence et de rigueur744.
547. Néanmoins, parfois, l’argumentation de la commission des sanctions se
rapproche de celle utilisée par
les
juridictions pénales pour retenir
la
responsabilité des personnes morales.
Ainsi, dans sa décision datée du 5 juillet 2007, la commission des sanctions
de l’AMF se contente pour imputer un manquement de diffusion d’informations
inexactes et
trompeuses à
la société Marionnaud de
retenir que
les
« manquements ont été commis au nom et pour le compte » de la société
cotée en bourse.
En l'espèce, la commission des sanctions de l’AMF retient que le PDG de la
société Marionnaud a procédé lui-même, et de « sa propre main » à des
majorations de taux litigieuses. Elle reconnait même, qu’« il y a lieu de tenir
compte de ce que les manquements commis sont directement liés à la
personnalité des anciens dirigeants (...) et à la façon dont [son PDG] concevait
son rôle ».
742 Le Bars (B), Thomasset-Pierre (S), « Droit des marchés financiers », D. 2007 p. 2418.
743 Décision AMF, 28 février 2008.
744 Capdeville (J-L), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. H, 25 juin 2008, n° 2007/16197, Marionnaud
parfumeries SA, Bull. Joly Bourse, 01 décembre 2008 n° 6, p. 484 §20.

293



Page 302
D’ailleurs, la Commission a constaté que les nouveaux dirigeants de la société
s'étaient séparés des auteurs de l'information trompeuse et avaient pris des
mesures pour révéler au public les informations inexactes précédemment
diffusées et pour éviter
le renouvellement de
tels manquements. Il n’en
demeure que la Commission n’en a pas retenu de conséquences sur la
responsabilité de la société. Ces arguments ne valant que pour fixer le
quantum de la sanction financière infligée à la société Marionnaud qui a été
fixée à 500.000 euros.745
548. Cette solution a été confirmée par la Cour d’Appel de Paris. Face à la
contestation de la SA Marionnaud, qui avançait qu’un manquement ne peut
être imputé qu’à une personne physique, même quand cette dernière a agi
dans l’exercice de ses fonctions au nom de la société qu’elle incarne, et qu’en
conséquence le manquement ne pouvait pas lui être également imputé.
Les
juges parisiens, estiment, que tant qu’il n’est pas désavoué par la
personne morale qu’il représente, le mandataire social qui décide ou agit pour
l’exercice des prérogatives contenues dans ses fonctions « engage, par ses
décisions et ses agissements, la société qui l’a placé à sa tête et qui lui
maintient sa confiance ».
Pour la Cour, la Commission des sanctions de l’AMF était donc en droit de
retenir la responsabilité de la personne morale émettrice746.
Par contre, la mise en cause de la responsabilité de la société émettrice n’est
pas totalement automatique. Il est arrivé à la Commission des sanctions de ne
pas condamner une société émettrice lorsqu’il a été démontré que celle-ci a
745 Dezeuze (E), Buge (G), Note sous Sanction AMF, 5 juillet 2007, Marionnaud parfumeries, KPMG
SA, Cofirec, MM. M. et G. F. et MM. Y. G. et G. C, Bull. Joly Bourse, 01 février 2008 n° 1, p. 46.
746 Capdeville (J-L), Note sous CA Paris 1re ch. sect. H, 25 juin 2008, n° 2007/16197, Marionnaud
parfumeries SA, Op.cit. p. 484 §20.
294



Page 303
également été induite en erreur par le dirigeant et qu’elle se trouve, par
conséquent, elle aussi victime du manquement747.
549. La solution consacrée par l’AMF, en matière d’obligation d’information du
public, est donc constante et bien établie. Il s’agit là d’une solution conforme à
la fois à la lettre de l’article 632-1 du règlement général de l’AMF qui vise,
d’une façon générale, « toute personne » et à la jurisprudence de l’autorité de
régulation des marchés financiers qui estime que lorsque le dirigeant a
commis un manquement en agissant dans le cadre de ses fonctions, et donc
en représentant la société, l’émetteur peut également être sanctionné pour
avoir communiqué au marché des informations inexactes748.
En matière de manquement à
l’obligation d’information du public, cette
imputation
aux
personnes morales,
quasi-automatique,
n’est
pas
particulièrement contestable, puisque les sociétés cotées sont, à titre principal,
les débitrices de l’obligation d’information du public. Il n’y a donc pas de doute
sur
le
fait qu’il est possible pour
l’autorité administrative de cumuler
l’imputation d’un manquement à la société cotée et à son dirigeant.
550. En matière de manipulation de cours, la solution consacrée par l’autorité
de régulation semble être la même.
Ainsi, la Commission des sanctions749 a imputé le manquement à un émetteur
qui était intervenu sur ses propres titres alors qu’il était en possession d’une
information privilégiée le concernant, directement sans qu’aucune poursuite
n’ait été diligentée à l’encontre d’une personne physique le représentant ou
agissant pour son compte.
747 Sanction AMF, 6 avril 2006, Cofidur et M. Murat, citée par Bouretz (E) et Emery (J-L),
« Autorité des marchés financiers et Commission bancaire », Ed. Banque, 2008, n° 120.
748 Bonneau (Th), Note sous Cass. Com., 19 décembre 2006, aff. Vivendi universal, Dr. Soc., 2007,
comm. 80 ;
Arsouze (Ch), Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 580, § 149 ; Déprez-Graff (A), Bull. Joly
Bourse, 2007, p. 175, § 27 ; de Vauplane (H), Daigre (J-J), Banque et droit, 2007, n° 112, p. 35.
749Décision de sanction de l’AMF datée du 22 janvier 2009, Vinci, disponible sur www.amf-france.org
295



Page 304
La violation d’une règle régissant les marchés financiers est donc quasiment
toujours imputée à la société cotée en bourse. La jurisprudence de l’autorité
de régulation des marchés financiers est constante sur ce point750.
551. La solution adoptée par l’autorité de régulation a été critiquée. En ce
sens, qu’elle consacre une conception « anthropomorphique » de la personne
morale. Elle traite comme un être humain, un être désincarné. Elle ignore ainsi
le caractère artificiel de la personne morale, et le fait qu’elle ne peut agir qu’au
travers d’individus de chair et d’os751.
Cependant, cette solution présente des avantages certains, et pourrait trouver
justification dans le cadre spécifique du droit boursier.
Des avantages certains, car cette responsabilité quasi « mécanique » de la
personne morale contribue à faire gagner l’autorité de régulation en efficacité.
Cette solution est de nature à inciter les émetteurs à exercer une vigilance
accrue par la mise en œuvre de procédures et de contrôles appropriés.
Ainsi, en matière de respect de l’obligation de bonne information du public,
l’émetteur aura tout intérêt à vérifier scrupuleusement l’information diffusée en
son nom.
552. La solution retenue par l’AMF est d’autant plus intéressante, qu’elle ne
devrait pas souffrir de contestation sur le plan strictement juridique. Celle-ci
pouvant trouver justification dans le fait que les acteurs du marché financier
sont dans leur grande majorité des personnes morales. Et les règles régissant
le fonctionnement des marchés boursiers, s’adressent en premier lieu à ces
entités désincarnées. Les sociétés cotées en bourse, sont ainsi les premières
destinataires des obligations d’information du public. Pour ce qui est de la
manipulation de cours, l’obligation faite de s’abstenir d’opérer sur ses propres
titres s’adresse également à la personne morale.
750A de rares exceptions près, voir par exemple AMF, Commission des sanctions, 2e section, 23
novembre 2005, Stés Exane et Eurazeo, MM. Philippe Guillot, Bertrand d’Espouy, Mark Holland,
Emmanuel Sasson et Bruno Keller., Rev. Mensuelle AMF, novembre 2005, n° 19, p. 99.
751Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Op.cit. p. 36.

296



Page 305
A partir de là, considérer, à l’instar du droit pénal, que la responsabilité de la
personne morale est accessoire à la responsabilité des personnes physiques
agissant pour son compte, serait renverser la perspective légale. De même,
faire de la personne morale un responsable “par ricochet” du non-respect
d’une obligation qui est sienne en premier lieu serait artificiel.
D’autre part, puisque le rôle de l’élément moral s’avère particulièrement réduit
dans l’imputation des manquements à la réglementation de l’AMF, le principal
argument qui plaide en défaveur d’une imputation directe des manquements
boursiers à une société, celui tiré de l’absence chez ces dernières de volonté
propre, se trouve inopérant.
553. Les principales règles imposées par l’autorité administrative, prescrivent
des comportements objectifs aux différents protagonistes des marchés
boursiers. Il n’est donc pas nécessaire, dans la plupart des cas, d’établir une
quelconque
intention dolosive pour caractériser un manquement à ces
règlements752. A cet égard le droit pénal n’exerce plus son irrésistible attraction
sur la jurisprudence de la commission des sanctions de l’AMF. Celle-ci,
pragmatique utilise des procédés différents par rapport à ceux employés par
les juridictions pénales.
Alors que les condamnations des personnes morales en droit pénal boursier
s’avèrent
très
rares. Ces condamnations sont
légion
lorsqu’il s’agit de
sanctions administratives.
554. Pourtant, cette
imputation mécanique, de par
justement, cette
automaticité dans l’imputation, ne peut que soulever certaines interrogations.
Car, reprocher systématiquement les manquements aux sociétés émettrices
peut s’avérer nocif. Surtout que ces sanctions touchent le patrimoine de la
société et par-delà ces sociétés leurs actionnaires et leurs salariés, qui sont
pourtant les premières victimes de l’infraction aux règlements régissant les
marchés financiers.
752 Ibid.
297



Page 306
En fin de compte, bien que contribuant à l’efficacité de l’action de l’Autorité des
marchés
financiers,
l’imputation directe des manquements boursiers aux
sociétés peut s’avérer
injuste. C’est pour cela que
la Commission des
sanctions atténue la rigueur de la solution par une prise en compte des
circonstances d'espèce pour moduler le montant de la sanction prononcée.
2- … Mais atténuée
555. On l’a dit retenir la responsabilité administrative des sociétés émettrices
de manière automatique, est de nature à créer des situations où la société
devra injustement supporter le poids d’une sanction pécuniaire. Une telle
responsabilité mécanique devrait d’ailleurs se révéler contraire au principe de
la personnalité des peines.
Il est vrai que l’on ne peut concevoir, par exemple, qu’un salarié d’une société
cotée puisse engager la responsabilité de son employeur lorsqu’il commet un
manquement à la réglementation de l’AMF, dans son intérêt personnel.
556. C’est surement pour cela que l’Autorité des Marchés Financiers, prend la
peine d’atténuer la rigueur de la solution qu’elle a retenue en prenant en
compte les circonstances de chaque espèce.
Les règles d’imputation de la responsabilité des émetteurs pour manquement
à la réglementation boursière étant la résultante d’une construction empirique
de l’Autorité des Marchés Financiers753. L’analyse de sa jurisprudence devrait
nous éclairer sur la manière dont l’autorité régulatrice atténue la rigueur d’une
imputation
systématique des manquements administratifs aux sociétés
émettrices.
Cette analyse nous apprend que lorsque le manquement est l’œuvre du
dirigeant de la société émettrice, celle-ci a peu de chances d’éviter la sanction.
753Tomasi (M), Op.cit. p. 37.
298





Page 307
557. Ainsi, la Cour de cassation a désavoué la Cour d'appel de Paris qui avait
considéré que les déclarations du dirigeant, lors de l'assemblée générale des
actionnaires en cause, ne pouvaient être imputées à la société.
Les magistrats parisiens semblaient pourtant être influencés par l'exigence
faite, par
le nouveau règlement de
l’AMF, de caractériser un élément
intentionnel dans la communication de fausses informations. Ce dont les juges
auraient déduit que la société n'était pas engagée par les déclarations de son
président, non avalisées par le conseil d'administration, qu'elle ne pouvait pas
prévoir.
Mais la Cour de cassation s’est rangé du côté de l’avis de la commission des
sanctions de l’AMF. C'est sur le fondement de l'article 1842 du code civil
qu'intervient la cassation, c'est-à-dire en considération de la théorie de la
personne morale, dont le dirigeant est le représentant légal.
Cet arrêt du 19 décembre 2006 énonce clairement que: « le dirigeant agissant
dans l'exercice de ses fonctions incarne la société au nom et pour le compte
de laquelle il s'exprime »754.
558. La solution semble donc admise. D’ailleurs, un grand nombre d’espèces
confirment cette prise de position. Ainsi, la commission des sanctions a imputé
le manquement à l’obligation d’information du public à des sociétés cotées en
bourse
dont
les présidents, qui étaient directement responsables de la
communication financière, avaient attesté de la sincérité des comptes755.
De même, la responsabilité d’un société cotée en bourse a été retenue au titre
d’une manipulation de cours commise par un préposé,
lequel disposait
3
AMF,
novembre
754Décision
http://www.amf-
france.org/documents/general/5649_1.pdf, partiellement confirmé par CA Paris, 28 juin 2005 et
approuvé par Cass.com 19 décembre 2006.
755 Décision AMF, Commission des sanctions, 29 Septembre 2005, MM. Jérôme Lesaffre, Alain
Floch, Didier Husson, Gilles Chavanac, Société Mines de la Lucette, Rev. AMF n° 21, janv. 2006, p.
45 ; Décision AMF, 7 avril 2005, Naf Naf, Revue mensuelle AMF, n° 15, Juin 2005, p. 59.
disponible
2004,
sur
299



Page 308
pourtant d’une « large autonomie opérationnelle », au motif que ce dernier
avait agi sous l’autorité d’un administrateur 756.
559. Il reste cependant que la possibilité pour une société cotée d’exonérer sa
responsabilité lorsqu’un manquement a été commis par un de ses dirigeants
n’est pas tout à fait impossible.
Dans une espèce fort intéressante, une société s’est vue mise hors de cause
par la Commission des sanctions de l’AMF au motif qu’il n’a pu être établi
avec certitude que cette dernière avait eu accès à la convention litigieuse qui
rendait inexactes les informations comptables diffusées dans le public , celle-ci
ayant pu être dissimulée à son égard par le fondateur de l’entreprise. C’est
l’existence de « ce léger doute », selon l’expression retenue par l’AMF, qui doit
profiter à la société757.
Il est vrai que cette espèce est particulière, en ce sens que la société a été
autant
trompée que
les
investisseurs. Cela
fait surement que
toute
généralisation de la solution, de notre part, se révélerait douteuse. On est tout
de même en droit d’avancer qu’il semble que l’autorité de régulation écarte la
responsabilité des émetteurs lorsque les manquements sont commis par leurs
dirigeants, non pas dans l’intérêt de la société, mais en considération de
motifs personnels, se plaçant ainsi en dehors du cadre normal de leurs
fonctions.
560. On ne peut qu’adhérer à une telle démarche de la part de la commission
des sanctions.
En adoptant une
telle solution,
l’autorité administrative
procéderait d’une manière qui respecterait
le sacro-saint principe de la
personnalité des peines. Cependant,
il aurait été apprécié que l’autorité
régulatrice énonce de manière claire un tel principe afin d’épargner les
émetteurs, leurs actionnaires et leurs salariés des effets pervers inhérents aux
sanctions qui touchent la personne morale758.
756 Décision AMF, Commission des sanctions, 23 novembre 2005, sociétés Exane et Eurazeo, MM.
Philippe Guillot, Bertrand d’Espouy, Mark Holland, Emmanuel Sasson et Bruno Keller, Rev.
Mensuelle AMF n° 19, novembre 2005, p. 99.
757 De Vauplane (H) et Bornet (J-P), Sanction AMF, décision du 6 janvier 2005, Banque et Droit n°
100 – mars-avril 2005 p. 25.
758 Ibid.
300



Page 309
561. D’autre part, même
si elle
retient quasi-systématiquement
la
responsabilité de la société émettrice lorsque le manquement a été commis
par son dirigeant. La commission des sanctions semble, par contre moduler
les sanctions en fonction du degré d’implication des sociétés cotées dans la
commission de l’infraction.
Ainsi, dans une décision de sanction759, l’autorité régulatrice tout en retenant
la responsabilité de la société émettrice, pour un manquement à l’obligation
d’information du public, commis par son président. Se contente de lui infliger
une sanction symbolique d’un euro. L’infraction n’ayant généré aucun profit
pour la société ni causé de préjudice à quiconque.
Dans une autre décision760 confirmée par la Cour d’appel de Paris761 , la
commission des sanctions de l’AMF a accepté de moduler le montant de la
sanction infligée à une société cotée.
En
l’espèce, Marionnaud
faisait valoir que si une sanction devait être
prononcée à son encontre, celle-ci ne pourrait être que symbolique dès lors
que les manquements commis étaient directement liés à la personnalité de
son président directeur général et que la société, loin d’en avoir retiré un
quelconque profit, en a été au contraire l’une des premières victimes, ayant
été conduite au bord de la faillite dont elle ne s’est préservée qu’au prix d’une
augmentation de capital de 800 millions d’euros et ayant supporté, outre un
préjudice d’image, plus de 20 millions d’euros d’impôts indus.
La commission des sanctions semble en avoir tenu compte de l’ensemble de
ces éléments et aussi des mesures prises par les nouveaux dirigeants pour
prévenir
le
renouvellement de
tels manquements en
fixant
la sanction
759Décision de la commission des sanctions de l’AMF datée du 29 septembre 2005, disponible
sur http://www.amf-france.org/documents/general/6421_1.pdf
760Décision AMF, Commission des sanctions, 5 juillet 2007, à l’égard de la société MARIONNAUD
PARFUMERIES, KPMG SA, et MM. Marcel FRYDMAN, Gérald FRYDMAN, Yves GOUHIR,
décision n° 17, p. 168 à 179 du recueil des décisions 2007.
761 Capdeville (J-L), Note sous C.A. Paris 1ère ch. sect. H, 25 juin 2008, n° 2007/16197, Marionnaud
parfumeries SA, Bull. Joly Bourse, 01 décembre 2008 n° 6, p. 484 §20.
301




Page 310
prononcée contre la société en retenant un montant deux fois inférieur à celui
de la sanction frappant son dirigeant. Au final, le montant de la sanction
infligée n’est pas tout à fait symbolique (500.000 euros d’amende à l’égard de
la société et 1.000.000 d’euros à l’égard de son président directeur général)
mais n’est surement pas de nature à mettre en péril la santé financière d’une
société de cette taille.
562. Une dernière question mérite qu’on s’y attarde : qu’en est-il de
l’imputation d’un manquement administratif à une personne morale après une
scission ou fusion ?
Dès lors qu’il s’agit d’une procédure répressive, la disparition de la personne
poursuivie signifie l’extinction de l'action publique. En effet, avec la disparition
de la personnalité cesse en principe la capacité pour elle de défendre sur ces
actions. Il n'est même pas possible de reprendre celles-ci à l'encontre des
successibles, à raison de la règle de personnalité des poursuites et des
peines.
Cela signifie que le principe général de la personnalité des poursuites et des
peines prohibe à la commission des sanctions de l’AMF de condamner une
personne morale qui n'est pas l'auteur du manquement à la réglementation
boursière.
563. Ce principe suscite toutefois des difficultés d'application en cas de fusion
ou de scission. En effet, il s’agit là d’opérations qui maintiennent la réalité
économique de l'entreprise, la dissolution de la société ne s'accompagnant
d'aucune liquidation. Faut-il s'arrêter à la disparition de la personnalité de la
société absorbée ou scindée, pour en déduire que les poursuites cessent, le
défendeur n'existant plus, ou
faut-il considérer cette permanence de
302


Page 311
l'entreprise à travers la fusion ou la scission et maintenir l'action répressive
?762
564. Ces difficultés d’application se traduisent d’ailleurs par une divergence
entre la jurisprudence de la Cour de Cassation et celle du Conseil d’Etat.
En effet,
la Cour de Cassation estime que
le principe général de
la
personnalité des poursuites et des peines s’oppose à ce que soit imputé le
manquement d'une société absorbée à la société absorbante.
La position adoptée par la chambre commerciale763 de la Cour de cassation,
est d'une « parfaite orthodoxie » au regard des principes qui gouvernent le
système répressif français, comme des règles qui régissent le droit en matière
de fusion scission764.
565. La chambre commerciale de
la Cour de Cassation, a approuvé
l’annulation par la Cour d’appel de Paris765, de vingt-et-une décisions de
sanctions prononcées par la COB à l’encontre des sept sociétés issues de la
scission de la société CIP766.
La COB avait infligé des sanctions pécuniaires à ces sept sociétés en raison
de pratiques contraires à son règlement no 90-02 commises par la société
scindée avant sa dissolution. Pour justifier cette solution, la COB avait affirmé
que « le principe de la personnalité des peines, à supposer qu'il s'applique à
des
sanctions administratives de nature exclusivement pécuniaire et
prononcées à l’encontre de personnes morales ne fait pas obstacle à ce que
soit considérée comme l'auteur des faits poursuivis une entreprise issue de la
762 Vinckel (F), « La capacité des sociétés et le droit au procès équitable », Bull/ Joly Sociétés, 01
février 2002 n° 2, p. 192.
763 Vatel (D), Note sous Cass. Com., 15 juin 1999, Rev. sociétés 1999 p. 844.
764 Barbieri ( J-F), « Incidence d’une fusion : divergences sur l’imputabilité des sanctions financières
applicables au comportement de la société absorbée », L.P.A, 27 avril 2001 n° 84, p. 15.
765 Couret (A), Note sous C.A. Paris, 14 mai 1997, J.C.P., éd. E. 1997. II. 973 ; Rontchevsky (N),
Bull. Joly Bourse 1997, p. 646 ;
Hovasse (H), Dr. Soc. 1997, comm. 146 ; Le Nabasque (H), Rev.
sociétés 1997 p.827.
766 Rontchevsky (N), Note sous décision COB, 12 septembre 1996, Société Anjou Services (Cidotel-
Libertel), Bull. Joly Bourse, 1997, p. 379, § 42.

303



Page 312
scission de la société à laquelle ces pratiques sont matériellement imputables
et qui assure la continuité économique de l'entité préexistante »767.
Cependant,
la position des magistrats de la Cour d’appel de Paris, fût
différente. Ceux-ci déduisent
des dispositions de
l’ordonnance du 28
septembre 1967 et du règlement COB n°90-02 que seul peut être poursuivi
l’auteur d’un manquement au règlement général de la COB. Ils y voient une
saine application du principe général de la personnalité des poursuites et des
sanctions qui est consacré par l'article 6 de la Convention européenne des
Droits de l'Homme.
La décision des magistrats parisiens a été confortée par
la Chambre
commerciale de la Cour de cassation768 qui a affirmé que le principe de la
personnalité des poursuites et des sanctions s'oppose, dans le cadre d'une
opération de scission, à ce que la C.O.B. prononce une sanction pécuniaire
contre une personne autre que l'auteur du manquement769.
566. Cette position de la Cour de cassation, peut paraitre conforme à la
position de la Cour européenne des droits de l'homme, qui estime que les
peines administratives à caractère fortement répressif, comme le sont celles
que prononcent l’AMF, doivent respecter les grands principes des droits de
l'homme et notamment la personnalité de la peine. Néanmoins, cette position
est de nature à compliquer l’exercice par l’AMF de son pouvoir de sanction et
d’en limiter l’efficacité. On peut même penser qu’une société pourra recourir à
une fusion ou une scission afin d’échapper à la sanction de l’autorité de
régulation.
767 Rontchevsky (N), note sous C.A. Paris, 14 mai 1997, SNC Compagnie générale d'immobilier
George V et autres c/Agent judiciaire du Trésor, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 1997 n° 4, p. 646.
768 Cass. com,15 juin 1999, no 97-16.439. Receuil G.P. 1999, panor. Cass. p. 21.
769 Lafortune (M-A), « Les autorités indépendantes de régulation à l'épreuve des principes
processuels fondamentaux dans l'exercice de leur pouvoir de sanction des manquements aux
règlements du marché économique, financier et boursier », G.P., 25 septembre 2001 n° 268, p. 12.

304



Page 313
567. Par contre, la solution adoptée par le Conseil d’Etat, en matière de
sanctions disciplinaires, et qui contredit la position prise par la Cour de
cassation, nous parait intéressante.
Le Conseil d’Etat a, dans une décision du 22 novembre 2000770, opéré une
distinction selon la nature de la peine. Il a considéré le caractère très
personnel du blâme et déduit que la société « Crédit agricole Indosuez
Chevreuse » n'était « pas fondée à demander l'annulation de la décision du
27 janvier 1999 du Conseil des marchés financiers qu'en tant qu'elle lui a
infligé un blâme ». A contrario, la sanction pécuniaire, que le Conseil d'Etat n'a
pas considéré comme excessive, s'applique à la société absorbante. Cette
solution est pertinente car la peine pécuniaire, dans ce contexte, s'applique à
l'entité économique, laquelle a tiré profit de l'infraction et subsiste après
transformation.
568. Au final, l’étude de la responsabilité administrative des dirigeants des
sociétés cotées et de leurs dirigeants confirme l’adaptation de ce type de
responsabilité au monde évolutif et instable des marchés financiers. Malgré
des différences notables entre droits tunisien et français, les conditions de
mise en œuvre de la responsabilité des sociétés cotées en bourse et de leurs
dirigeants sont favorables aux autorités administratives chargées du contrôle
de ces marchés. Des conditions qui sont de toute façon plus aisément
caractérisables que les conditions nécessaires à l’imputation des sanctions
pénales.
A partir de cette constatation, une question s’impose : ces autorités ont-elles
usé des larges prérogatives dont elles disposent de la meilleure des façons ?
Qu’en est-il de l’efficacité de l’action de ces autorités ?
770 Boizard (M), Note sous CE, 22 nov. 2000, Crédit agricole Indosuez Chevreuse, RJDA 2001, no 3,
n° 10.
305







Page 314
CHAPITRE II
UNE RESPONSABILITE EFFICACE
569. La farouche concurrence que se livrent les différentes places financières
pour attirer les investissements étrangers ne laisse que peu de choix aux
législateurs. Se doter d’une autorité de régulation des marchés efficace
capable de contrôler
le marché boursier et d’assurer l’égalité entre les
investisseurs ; ou risquer de voir ces investissements partir sous d’autres
cieux.
570. L’efficacité est, donc, au centre des préoccupations de toute autorité de
régulation des marchés financiers. C’est au nom de l’efficacité que ces
autorités administratives ont été dotées d’un pouvoir de sanction. C’est dans
ce même souci d’efficacité que ce pouvoir s’est développé et s’est affiné au fil
des années.
Dans un contexte international ultra concurrentiel, la Tunisie n’avait d’autre
choix que de suivre cette tendance et de se doter d’une autorité de régulation
forte, capable d’imposer transparence, sécurité et intégrité au sein de ses
marchés.
Il s’agit
là, d’un préalable pour un marché qui entend attirer des
investissements étrangers, restés faibles jusqu’à présent771. Car un marché
financier ne peut bien fonctionner, sans une régulation intelligente, sans une
autorité qui donne confiance772.
Il s’agit là d’une certitude, l’autorité de
régulation se doit de remplir son rôle de manière adéquate.
571. Dans cette optique de renforcement de l’efficacité de leur action, les
autorités administratives de contrôle des marchés ont été dotées, que ce soit
771D’ailleurs, la participation étrangère à la capitalisation de la Bourse des Valeurs mobilières de Tunis
a baissé. De 28% en 2007, elle est passée à 20% en 2010. Voir Ben Brahim F, « Tunisie : Quelle
sur
perspective
http://www.webmanagercenter.com/management/article-95721-tunisie-quelle-perspective-2010-2011-
pour-la-bourse-de-tunis
772 Prada M, Entretien, L’économiste Maghrébin, N°472 21 mai- 4 juin 2007, p 26.
2010-2011
Disponible
Tunis? »,
bourse
pour
de
la
306





Page 315
en Tunisie ou en France, de larges prérogatives (Section 1). Néanmoins, pour
des considérations qui seront développées ultérieurement,
l’efficacité des
autorités administratives tunisienne et française s’avère inégale (Section 2).
SECTION I
DE LARGES PREROGATIVES
572. Pour mener à bien les missions dont elles sont investies773, les autorités
administratives tunisienne et française ont été dotées de moyens adéquats :
Ainsi, ces autorités disposent de
la faculté de prononcer des sanctions
administratives, telles que l’amende, publication des décisions de sanctions ou
prononcé de
l’ineffectivité de certaines clauses contractuelles. Un autre
élément confère à la sanction administrative plus d’efficacité qu’à la sanction
pénale : la procédure administrative de sanction est sensiblement plus rapide
que la procédure pénale (Paragraphe 1).
Des moyens qui sont censés permettre aux autorités administratives de
sanctionner plus efficacement les atteintes à la règlementation boursière que
les autorités judiciaires. La procédure de sanction administrative peut s’avérer,
ainsi, d’une efficacité redoutable dans la sanction des manquements à la
législation boursière (Paragraphe 2).
Paragraphe 1 : Des moyens adéquats
573. Le Conseil du marché financier en Tunisie et l’Autorité des marchés
financiers en France, disposent de larges pouvoirs (A). Néanmoins, alors que
les prérogatives du Conseil du marché financier n’ont que très peu évolué
773 Le Conseil a pour mission de veiller à la protection de l'épargne investie en valeurs mobilières. Il
est chargé d’assurer l'organisation des marchés et de veiller à leur bon fonctionnement afin de prévenir
les manipulations susceptibles d'en entraver le bon fonctionnement. Il est également chargé du
contrôle de l'information financière et de la sanction des manquements ou infractions à la
réglementation en vigueur.
307








Page 316
depuis
la
loi n°94-117 du 14 novembre 1994 ;
l’Autorité des marchés
financiers, a régulièrement réclamé l’élargissement de ses pouvoirs. Toujours
dans un souci d’efficacité, le législateur a, à plusieurs reprises, cédé aux
revendications de l’AMF et l’a progressivement doté de nouveaux pouvoirs. Et
les prérogatives de l’AMF sont encore susceptibles d’être renforcés. Ces
pouvoirs sont donc en constante évolution (B).
A- De larges pouvoirs
574. Le Conseil du marché
financier est mis dans une position
particulièrement avantageuse par
le
législateur ; car
la quasi-totalité des
informations publiées par les sociétés faisant appel public à l’épargne doivent
lui être communiquées. D’ailleurs, ce droit de communication a été renforcé
par la loi du 18 octobre 2005.
Dès
lors,
informations
relatives aux prospectus d’émission,
informations
relatives à l’assemblée générale ordinaire, données relatives aux assemblées
générales extra ordinaires, rapports des commissaires aux comptes, états
financiers annuels774 … doivent être communiqués au Conseil.
575. L’autorité administrative se trouve ainsi dans une position idéale, censée
lui permettre d’agir aussi bien, à priori, afin d’empêcher les atteintes au
marché qu’à postériori, afin de châtier les abus de marché.
774 Ainsi, aux termes des articles 3, 3 bis, 3 ter, 3 quater, 3 quinter, 3 sexis et 4 de la loi du 14
novembre 1994, tels que modifiés et insérés par la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005, les sociétés
faisant appel public à l’épargne doivent transmettre les informations dont elles sont débitrices au
CMF :
- L’information préalable à l’AGO doit être communiquée au CMF 15 jours de Bourse avant la tenue
de l’AGO. L’information qui y est postérieure, doit quant à elle lui être communiquée au plus tard 4
jours ouvrables après la tenue de l’AGO.
- L’information préalable à l’AGE doit être communiquée au CMF à partir de la date de convocation
de l’AGE. L’information qui y est postérieure doit lui être communiquée dès son adoption.
- Les états financiers provisoires des sociétés cotées doivent être communiqués au CMF un mois après
la fin de chaque semestre couru de l’exercice.
- L’information préalable à l’émission de valeurs mobilières, à l’introduction en Bourse ou à une offre
publique, doit être communiquée au CMF avant sa diffusion dans le public.
- L’information lors des franchissements des seuils de participation doit lui être communiquée dans les
15 jours à compter du franchissement du seuil.
- L’information permanente doit lui être communiquée avant sa diffusion dans le public.
308






Page 317
Il est vrai qu’une régulation intelligente suppose une capacité à anticiper les
atteintes au marché et à empêcher leur survenance. C’est pour cela que le
travail du Conseil du marché financier ne repose pas uniquement sur la
sanction. A cet égard, le Conseil dispose de prérogatives lui permettant de
prévenir les atteintes à la sécurité des marchés financiers.
576. Dans certains cas, le CMF peut agir préventivement dans l’objectif
d’empêcher
la diffusion des
informations
financières non-conformes à
la
réglementation.
En effet, les dispositions de l’article 2 de la loi du 14 novembre 1994, exige la
publication d’un prospectus destiné à l'information du public 775 préalablement
à toute émission de valeurs mobilières ou de produits financiers par appel
public à l’épargne776.
Il s’agit là d’une exigence qu’on retrouve aussi à l‘article 6 du règlement
général du CMF relatif à l’appel public à l’épargne.
Un projet de prospectus d'émission est alors soumis pour visa au Conseil du
Marché Financier qui indique, le cas échéant, les énonciations à modifier et
les informations complémentaires à ajouter. 777
Le Conseil du Marché Financier peut alors demander de modifier ou de
supprimer certaines énonciations ou encore exiger
l’ajout d’informations
complémentaires. Il peut même demander le cas échéant, toute explication et
justification.
Lorsque la société ne satisfait pas à la demande, le visa est refusé778 et
l’opération s’en retrouve bloquée. Et les dirigeants sociaux s’exposent à des
sanctions consistant en une amende allant de 500 à 2.000 dinars s’ils
émettent sciemment, proposent à la souscription ou mettent en vente des
775 Selon l’article 7 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne : « Le prospectus doit
comprendre toutes les informations nécessaires au public pour fonder son jugement sur le patrimoine,
l'activité, la situation financière, les performances, l'évolution de la situation financière et les
perspectives de l'émetteur, ainsi que sur les droits attachés aux titres ».
776 Ce prospectus porte notamment sur l'organisation de la société ou de l'organisme, sa situation
financière et l'évolution de son activité ainsi que les caractéristiques et l'objet du titre ou du produit
émis.
777 Article 21 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne
778 Article 9 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne
309



Page 318
valeurs mobilières ou produits financiers de sociétés faisant appel public à
l'épargne sans avoir satisfait aux obligations édictées par l’article 2 de la loi du
14 novembre 1994779.
Ainsi, s’il s’agit d’une
information préalable à une opération
financière
(information préalable à l’émission de valeurs mobilières, à l’introduction en
Bourse ou à une offre publique), le CMF pourra empêcher la diffusion de
l’information en refusant de viser le prospectus empêchant ainsi l’opération.
Ce mécanisme est donc capable d’empêcher
la diffusion de
fausses
informations dès lors qu’il s’agit d’informations préalables à une opération
financière.
577. En outre, le Conseil dispose d’un pouvoir d’injonction lui permettant de
corriger les informations inexactes déjà publiées par les sociétés cotées en
bourse.
En effet, afin de corriger les informations publiées qui ne seraient pas
compatibles avec la législation boursière. Ou encore en vue de faire cesser les
agissements entravant le bon fonctionnement du marché financier, le Conseil
se doit d’émettre des injonctions. Ainsi, l’article 32 de la loi du 14 novembre
1994 lui impose d’ordonner aux sociétés faisant appel public à l’épargne de
procéder à des publications rectificatives dans le cas où des inexactitudes ou
des omissions auraient été relevées dans les documents publiés. De même, le
conseil se doit de porter à la connaissance du public les observations qu'il a
faites aux dites personnes et les informations dont la publication lui paraît
nécessaire.
578. De même, l’article 40 de la loi du 14 novembre 1994 donne au Conseil la
possibilité d’ordonner à toute personne de mettre fin aux pratiques contraires à
ses règlements. Ceci, lorsque ces pratiques ont pour effet de fausser le
fonctionnement du marché ; de procurer aux intéressés un avantage injustifié
qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché ; de porter
atteinte au principe d'égalité d'information ou de traitement des épargnants ou
779 Article 82 de la loi du 14 novembre 1994.
310



Page 319
à leurs intérêts ; de faire bénéficier les émetteurs et les épargnants des
agissements d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles.
579. Il s’agit là d’un mécanisme intéressant capable de participer à la diffusion
d’une information fiable. Pourtant le CMF ne se semble pas y avoir recours.
Ainsi, la lecture du rapport annuel du CMF pour l’année 2004 nous a
interpellé. Selon l’autorité administrative, « l’effort particulier exercé en 2003
par le CMF auprès des sociétés faisant APE pour l’amélioration de la qualité
de leur rapport de gestion et sa conformité avec les dispositions de l’article 44
du règlement relatif à l’appel public à l’épargne a porté ses fruits ; l’examen
des différents rapports d’activité fait ressortir une progression en la matière.
Dans le cadre de son contrôle, le CMF a saisi toutes les sociétés concernées
des insuffisances relevées au niveau de ces rapports et les a invitées, soit à
apporter les corrections nécessaires et à ajouter les informations manquantes,
soit à les prendre en considération lors de l’établissement des prochains
rapports d’activité. »
On voit donc la douceur dont fait preuve le CMF envers les contrevenants.
Pourtant cette
injonction n’est pas
facultative, elle n’est pas optionnelle.
C’est une obligation que le législateur met à la charge du CMF780.
580. Le CMF s’en rend-t-il compte ? Il ne s’agit pas de demander gentiment
aux Sociétés cotées en bourse de se conformer à leurs obligations légales, il
s’agit de les contraindre à le faire.
De même, une autre difficulté pourrait surgir au cas où le CMF émettrait une
injonction. Que risque celui qui ne se conforme pas à cette injonction ?
En France, les lourdes astreintes qui peuvent être prononcées par le juge
judiciaire en cas de résistance aux injonctions de l’AMF sont de nature à
rendre très efficace ce dispositif (La cour d’appel de Paris est allée jusqu’à
condamner le dirigeant d’une société à 204.000 euros d’amende)781.
780 L’article 32 de la loi n°94-117 du 14 Novembre 1994 impose au CMF, en ces termes de rectifier les
informations inexactes qui auraient été relevées « Le Conseil du Marché Financier doit ordonner à ces
personnes de procéder à des publications rectificatives dans le cas où des inexactitudes ou des
omissions auraient été relevées dans les documents publiés. »
781 Rontchevsky (N), « Révision des délits et manquements boursiers », Banque et droit juillet-août
2006, p. 16.

311



Page 320
En Tunisie, il n’y a aucune disposition qui précise quelle serait la sanction de
la résistance aux injonctions du CMF. Ce qui bien sûr ne participe à inciter les
sociétés faisant appel public à l’épargne à se soumettre aux injonctions du
CMF.
581. D’autre part,
le
législateur n’a pas manqué de doter l’autorité de
régulation des marchés financiers de pouvoirs répressifs qui auraient du
faciliter l’exécution des missions dont est investi le Conseil.
Tout d’abord, le Conseil a été doté du pouvoir de mener des investigations
auprès de toute personne physique ou morale782. Ces investigations sont
effectuées par des agents assermentés et habilités à cet effet par
le
Conseil783.
Ces enquêtes peuvent déboucher sur des sanctions qui contrairement aux
sanctions pénales peuvent être prises à l’encontre des personnes morales.
Ensuite, dans la perspective d’accorder au Conseil du marché financier les
moyens à même de lui permettre de poursuivre les missions qui lui ont été
fixées par le législateur, l’autorité administrative a été dotée d’un pouvoir
disciplinaire.
582. Ce pouvoir disciplinaire784 est particulièrement large quant aux personnes
qui y sont soumises et quant aux sanctions que peut imposer l’autorité de
surveillance des marchés financiers.
Ainsi, peuvent se voir disciplinairement sanctionnés par l’autorité de régulation
des marché financiers : la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis, ses
dirigeants et de ses personnels ; la société de dépôt, de compensation et de
règlement de titres, ses dirigeants et ses personnels ; les intermédiaires en
bourse, personnes physiques ou morales, leurs dirigeants et le personnel
placé sous leur autorité ; les dirigeants, des gestionnaires et des dépositaires
782 Une faculté que lui attribue la loi du 14 novembre 1994 dans son article 36.
783 Le pouvoir d’investigation du CMF a même été renforcé par l’article 30 de la loi n°2005-96 du 18
octobre 2005. Le secret professionnel ne pouvant plus être opposé dans le cadre des investigations
menées par le CMF.
784 Les décisions du conseil de discipline sont motivées et susceptibles d'appel devant la Cour d'appel
de Tunis.
312



Page 321
des fonds et des actifs des Organismes de Placement Collectif en Valeurs
Mobilières et du personnel placé sous leur autorité785.
Ces personnes peuvent donc se voir sanctionnées par le collège du Conseil
du Marché Financier érigé en conseil de discipline à partir du moment qu’une
de ces personnes se rend coupable d’un manquement aux règles et usages
professionnels applicables.
583. Le Conseil est habilité à prononcer des sanctions
telles que
l'avertissement ou le blâme. En plus de sanctions d’une particulière gravité
telles que l’interdiction à titre temporaire ou définitif de tout ou partie de
l'activité et, le cas échéant, le retrait de l'agrément (pour les personnes autres
que la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis et la société de dépôt, de
compensation et de règlement de titres).
Ces sanctions disciplinaires ne concernent pas les sociétés cotées en bourse,
ni leurs dirigeants.
584. Par contre ceux-ci sont passibles d’autres sanctions pouvant être
prononcées par l’autorité administrative.
Ainsi, le CMF est aussi habilité en cas de manquement de franchissement de
seuil de participation de prononcer la privation des droits de vote des actions
détenues en franchissement d’un seuil de participation.
Mais la sanction la plus commune atteignant les dirigeants sociaux devrait
consister en des sanctions d’amende.
585. On le voit, le Conseil du marché financier est doté de moyens qui sont
susceptibles de rendre son action efficace. Des moyens que partage aussi
l’autorité administrative française.
A l’instar de son homologue tunisien, l’AMF dispose de moyens importants qui
lui ont permis de mener à bien sa mission de surveillance des marchés
financiers.
Ce large pouvoir de sanction se manifeste à travers la possibilité qui lui est
donnée de prononcer des sanctions pécuniaires, des sanctions disciplinair es
785 Article 41 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
313



Page 322
ou à travers les pouvoirs de police qui lui sont attribués, tel le retrait
d’agrément d’un prestataire de services d’investissement.
Néanmoins,
l’autorité de
régulation des marchés
financiers,
française
soucieuse de conférer un maximum d’efficacité à son action, a milité pour un
renforcement de ces pouvoirs.
Le
législateur
français a donc progressivement cédé aux demandes du
gendarme boursier et lui octroyé de nouveaux pouvoirs que ne possède pas
le CMF. En effet, l’autorité administrative française a été dotée du pouvoir de
transiger avec les délinquants, mais aussi de la faculté d’infliger des sanctions
autrement plus lourdes qu’auparavant.
B- Des pouvoirs en constante évolution
586. Le domaine des sanctions administratives est très large en France,
puisque toute pratique contraire à une disposition législative ou réglementaire
produisant l'un des effets visés par l'article L. 621-14 du Code monétaire et
financier peut donner lieu à une sanction.
Ainsi,
les émetteurs et
leurs dirigeants, sont passibles de sanctions
administratives lorsqu’ils se rendent coupables de pratiques contraires aux
dispositions législatives ou réglementaires et si ces pratiques sont de nature à
porter atteinte aux droits des épargnants ou ont pour effet de fausser le
fonctionnement du marché, de procurer aux intéressés un avantage injustifié
qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché, de porter atteinte
à l'égalité d'information ou de traitement des investisseurs ou à leurs intérêts
ou de faire bénéficier les émetteurs ou les investisseurs des agissements
d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles786.
587. Toujours dans une optique de renforcement des pouvoirs de l’autorité
administrative, la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire
786Article L. 621-15-II c], du code monétaire et financier renvoyant à l’article L. 621-14 du même
code.
314




Page 323
et financière787 a opéré un renforcement des pouvoirs de l’AMF en accordant à
l’autorité de régulation, un nouveau pouvoir : celui de transiger.
La transaction était déjà largement pratiquée, depuis un bon bout de temps,
aux Etats-Unis par la Securities and Exchange Commission (SEC), l'autorité
fédérale compétente en matière boursière. Malgré de larges pouvoirs de
sanction, la SEC n’hésite pas à recourir, dans la presque totalité des affaires
qu'elle traite à une transaction (settlement). Celle-ci prend le nom de Consent
decree ou de Consent order ce qu'un auteur a traduit par « accord sur
ordonnance »788.
588.
Il
faut dire que
la
transaction présente des avantages pratiques
considérables pour l’autorité de régulation. En effet, partant du postulat que
les moyens dont dispose l’autorité administrative sont relativement réduits au
vu des prérogatives qu’elle est en charge d’assumer. La possibilité de
transiger, est un moyen pour elle d’optimiser l’utilisation de son personnel.
Ainsi, en transigeant, l’autorité régulatrice pourra rapidement affecter ses
agents à de nouvelles enquêtes. Ce qui améliore fortement sa force de frappe
répressive. Avec un résultat qui, somme toute, en matière de sanction, est
fréquemment similaire à ce qu'elle pourrait espérer obtenir en justice789.
589. Vivement voulu par l’autorité administrative, la faculté de transiger était
vue par l’autorité boursière et par son président comme un complément utile à
son large pouvoir de sanction. Un complément capable de conférer plus
d’efficacité à l’action du gendarme boursier. Avec pour modèle, celui de la
Securities and Exchange Commission (SEC) aux Etats-Unis. Un modèle qui a
mis en exergue une procédure rapide et efficace dans plusieurs affaires très
médiatiques790.
787 Article 7 de la loi n°2010-1249 du 22 octobre 2010 qui a crée un article L. 621-14-1 du Code
monétaire et financier.

788 Conac (P-H), « Le pouvoir de transaction de la Securities and Exchange Commission (SEC) »,
Bull. Joly Bourse, 01 février 2005 n° 2, p. 99.

789 Ibid.
790 Dufour (O), « Et si le gendarme boursier transigeait ? », L.P.A., 24 février 2005 n° 39, p.3.
315



Page 324
590. Pourtant, la compatibilité du modèle américain avec le contexte français
et particulièrement
le problème de
l’articulation de ce mécanisme avec
l'exercice de l'action judiciaire a fait l’objet d’un vif débat.
Certains praticiens, doutaient de l'intérêt d'une transaction dès lors qu'elle
n'éteint ni l'action civile, ni l'action pénale. Il est vrai, qu’en droit boursier, il faut
s'attendre à ce que des actionnaires déçus s'appuient sur la transaction pour
en déduire l'aveu d'une faute et déclencher une action judiciaire. Les dossiers
disciplinaires, sembleraient alors être le seul terrain où la transaction aurait le
mérite
de
solutionner
rapidement
des manquements
aux
règles
professionnelles. Il est donc difficile d'envisager l'intérêt d'une transaction dans
les autres dossiers, en particulier s'agissant des abus de marché791.
591. Malgré ces griefs, l’autorité de régulation y tenait, et c’est à travers la
récente loi de régulation bancaire et financière que l’AMF a obtenu le pouvoir
de transiger.
Désormais,
le collège de
l'Autorité a, dans certaines circonstances,
la
possibilité d’adresser en même temps qu'il notifie les griefs à la personne une
proposition d'entrée en voie de composition administrative. La personne en
question s'engagera alors à verser au Trésor public une somme dont le
montant maximum est celui de la sanction pécuniaire encourue au titre du III
de l'article L. 621-15 du Code monétaire et financier. L'intéressé ne bénéficiera
donc d'aucune limitation automatique de sanction. L'accord sera soumis au
collège puis, s'il est validé par celui-ci, à la Commission des sanctions, qui
pourra décider de l'homologuer792.
Mais,
le domaine de la transaction est principalement celui disciplinaire,
logiquement les abus de marché ne peuvent faire l’objet d’une transaction.
592. En outre, le recours à un autre mécanisme participe à une meilleure
efficacité de l’autorité de régulation française. En effet, la médiation apporte
791 Ibid.
792 Capdeville (J-L), « Présentation générale de la loi de régulation bancaire et financière », L.P.A., 22
octobre 2010 n° 211, p. 3 § 6.
316



Page 325
une possibilité de résolution amiable des litiges portés à la connaissance de
l’Autorité, relatifs au fonctionnement des marchés boursiers, à l'information
financière que doivent fournir les sociétés cotées, aux règles applicables à la
gestion pour compte de tiers, à la transmission et à la réception d'ordres de
bourse ainsi qu'à la tenue de compte-conservation de titres.
Afin de soutenir
les
investisseurs non professionnels,
l'AMF met à
la
disposition des particuliers, des associations et des sociétés non financières,
son service de la médiation.
Le médiateur
intervient dans
l’éventualité d’un conflit
lorsque
les parties
concernées le saisissent pour régler le différend à l'amiable afin d'éviter une
procédure judiciaire. Il n'est ni l'avocat des parties en conflit, ni leur juge.
Encadrée par une charte, cette procédure est gratuite, confidentielle et
nécessite, pour être mise en œuvre et poursuivie, l'accord des deux parties.
L'intervention du médiateur ne peut être sollicitée lorsqu'un contrôle ou une
enquête de l'AMF est en cours ou une procédure judiciaire est engagée793.
Malgré tous ces pouvoirs, l’efficacité de l’action des autorités administratives
de régulation du marché est menacée par un autre élément. Car la principale
entrave à laquelle s’est heurtée l’efficacité des sanctions administratives est
d’ordre procédural.
Paragraphe 2- Des procédures différentes
593. La procédure administrative de sanction est réputée plus efficace, en
France, que
la procédure pénale de sanction car plus rapide. Là où
l’instruction d’un dossier pénal peut prendre plusieurs années, la procédure
devant l’autorité administrative ne dépasse pas en général un an et un
793 Gewinner (D), « Le rôle de l'AMF », Bull. Joly Bourse, 01 mai 2007 n° 3, p. 353.
317






Page 326
éventuel recours contre la décision de l’autorité devant la Cour d’appel de
Paris est dans la plupart des cas tranché dans un délai de six à huit mois794.
De plus, le nombre de sanctions infligées par l’Autorité boursière s’est avéré
être beaucoup plus important que le nombre de sanctions pénales. Un nombre
qui a cru au fil des années. Démontrant ainsi, l’efficacité croissante de
l’autorité de régulation française.
Cependant,
l’efficacité de
l’action de
l’autorité administrative a été bien
souvent entravée par des considérations d’ordre procédural. Des difficultés qui
ont néanmoins été surmontées au fur et à mesure, conférant ainsi à l’autorité
de régulation française de plus en plus d’efficacité dans son action visant à
sanctionner les comportements contraires à ses règlements. L’AMF a, ainsi,
su rénover sa procédure pour la rendre efficace (A).
En Tunisie, l’absence de décisions de sanction témoigne de l’inefficacité du
CMF. Les procédures de sanctions n’ayant pas été mise en œuvre, elles ne
sont pas éprouvées (B).
A- Une procédure rénovée
594. L’autorité de régulation des marchés financiers, incarnée à l’époque par
la Commission des Opérations Bancaires (COB), avait été investie par la loi
du 2 août 1989 du pouvoir d’infliger des sanctions administratives aux auteurs
de manquements à ses règlements795. Elle pouvait, de même, procéder à des
enquêtes et édicter des
règlements concernant
le
fonctionnement des
marchés financiers placés sous son contrôle.
Elle était ainsi : « policier, juge et législateur du marché boursier»796.
794 Ducouloux-Favard (C), Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 5.
795La COB n’avait pas le monopole de la répression des infractions à la réglementation boursière : à
l’instar du Conseil des bourses de valeurs, le conseil des marchés financiers (CMF) pouvait établir des
règles de bonne conduite en matière de prestations de services d’investissement et avait été investi du
pouvoir d‘infliger de lourdes sanctions disciplinaires.
796 Schmidt (D), Rapport de synthèse, in « la stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par
actions », Rjcom n° spécial, novembre 1990, p. 175.

318





Page 327
Un tel pouvoir ne pouvait, alors, que susciter des interrogations et des
réserves. Surtout qu’indubitablement, le rôle et le pouvoir de ces autorités se
confondait avec les prérogatives accordées aux juridictions pénales.
Mais la mise en œuvre des pouvoirs de sanction administrative et disciplinaire
attribués à ces autorités s’est pourtant, heurtée rapidement à des difficultés
(1).
La procédure de sanction des manquements administratifs s’est construite de
manière prétorienne au fil du temps. Au fil des déboires, cette procédure s’est
améliorée. A force de coups durs, elle s’est renforcée. Peu à peu, elle s’est
mise en conformité avec les nécessités d’un procès équitable (2).
1-
Une procédure contestée
595. Il est frappant de constater à quel point les procédures de sanctions
administratives donnent lieu de la part des personnes mises en cause à la
contestation de la légalité de la poursuite. « La personne poursuivie étant
vraisemblablement enhardie par
les déboires procéduraux passés de
la
Commission des opérations de bourse »797.
Assez souvent, la personne poursuivie par l’autorité administrative, invoque
les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme pour contester les modalités de la poursuite conduite à son
encontre.
La dualité des sanctions pénales et administratives en matière d’infractions
boursières risquait de se traduire par une dualité d’incriminations et des
décisions contradictoires ou par un cumul de poursuites et de sanctions pour
un même fait qui paraissait contraire à la règle non bis in idem.
596. Le Conseil constitutionnel avait pourtant jugé ce pouvoir de sanction de la
COB conforme à la constitution. Le Conseil sest contenté de poser la
condition que « si l'éventualité d'une double procédure peut ainsi conduire à
797 Dezeuze (E) et Buge (G), Note sous Sanction AMF, 5 juillet 2007, Marionnaud parfumeries,
KPMG SA, Cofirec, MM. M. et G. F. et MM. Y. G. et G. C., Bull. Joly Bourse, 01 février 2008 n° 1,
P. 46
319





Page 328
un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique, qu'en tout état
de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne
dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ; qu'il
appartiendra donc aux autorités administratives et judiciaires compétentes de
veiller au respect de cette exigence dans l'application des dispositions de
l'ordonnance du 28 septembre 1967 modifiée »798.
Dans un premier temps, malgré des doutes exprimés par quelques auteurs799,
la procédure de sanction administrative des infractions boursières pouvait,
donc, sembler efficace. Avec une procédure qui dure beaucoup moins de
temps qu’une instruction pénale.
597. Mais très vite, l’efficacité de l’action de la COB, dans un premier temps,
et de l’Autorité des marchés financiers, ensuite, s’est heurtée à des obstacles
d’ordre procéduraux. Plusieurs décisions de sanction administrative, ont été
de ce fait cassées, par les autorités judiciaires. L’autorité de régulation s’est,
ainsi vu obligée, de revoir en profondeur sa règlementation.
Très
tôt, des voix se sont élevés contre
la procédure de sanction
administrative de la COB qui ne serait pas conforme aux exigences de l’article
6 de la convention européenne des droits de l’homme800.
Les toutes premières décisions datent des années 90801. Une des premières
décisions concerne le cas des sociétés C.I.P. de J.-M. Oury802 mettait en
cause le non-respect du contradictoire. En l’espèce, le président de la COB,
qui fait partie du Collège décidant de la sanction, avait, par des communiqués
à la presse ou dans le Bulletin de la COB ou le rapport annuel de celle-ci,
798 Conseil constitutionnel, Décision N° 89-260 DC du 28 juillet 1989, Loi relative à la sécurité et à
la transparence du marché financier, Journal officiel du 1er août 1989, p. 9676
799 Ducouloux-Favard (C), « Nouveaux pouvoirs pour la C.O.B. », G.P., 16 janvier 1990, p. 2 ;
Jallade (P), « Vers un renforcement des pouvoirs de la Commission des opérations de bourse », L.P.A
n°72 16 juin 1989, p. 4.
800 Canivet (G), « La procédure de sanction administrative des infractions boursières à l’épreuve des
garanties fondamentales », RJDA 1996/5 p. 423.
801 Ducouloux-Favard (C), Note sous CA Paris, 15 janvier 1993, D. 1993, p. 272
802 Cass. com., 1er décembre 1998, L.P.A n° 11 du 15 janvier 1999, p. 5.
320



Page 329
annoncé par avance la probabilité d'une sanction à venir, alors que le collège
n'avait pas encore délibéré803.
598. La suite, a vu la COB subir plusieurs camouflets infligés par la Cour
d’appel de Paris et
la Cour de cassation. La procédure de sanction
administrative des manquements à
la
réglementation boursière a, en
conséquence, dû subir plusieurs remaniements avant d’être
l’objet d’une
véritable refonte qui a abouti à la création de l’AMF.
Ainsi, l'arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 5 février
1999, avait tranché entre deux points de vues opposés : celui de l'autorité
administrative qui estimait plus efficace que le rapporteur (qui au départ avait
uniquement pour rôle d’exposer au reste des membres du collège
les
conclusions de l'étude du dossier qu'il avait pu mener) soit présent lors du
délibéré puisque c’est
lui qui connaît le mieux le dossier et celle des
juridictions considérant que la présence du rapporteur enfreignait le principe
d'impartialité, celui-ci ne pouvant à la fois instruire l'affaire et participer au
prononcé de la sanction. La Haute juridiction a considéré que la participation
du rapporteur au délibéré violait le droit de chacun à être jugé par un tribunal
indépendant et impartial. La COB avait, alors, mis fin à la participation du
rapporteur au délibéré.
599. Mais les déboires de la COB ne s’arrêtèrent pas là. Un an plus tard,
l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 7 mars 2000804 vint mettre en cause le
rôle joué par les membres du collège. La Cour considérant le caractère
fortement dissuasif des sanctions édictées par l’autorité administrative, en a
retenu la nature répressive. Elle réitérait d'ailleurs ce faisant, l’argumentation
développée par la Cour de cassation lors de sa décision d'Assemblée plénière
du 5 février 1999. Mais la Cour d'appel, tout en déduisant de cette analyse que
l'article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme
devait s'appliquer, allait au-delà de l'analyse faite par la Cour de cassation de
803 Ducouloux-Favard (C), Note sous C.A. Paris (1re ch., sect. H),7 mars 2000, L.P.A. 22 mai 2000
n° 101, p. 4.
804 Ducouloux-Favard (C), Note sous C.A. Paris (1re ch., sect. H),7 mars 2000, Op.cit p. 4.
321



Page 330
l'impartialité des juges de la répression administrative telle que pratiquée par
la COB.
La Cour a relevé que le Collège décidant le 4 mars 1997 de l'ouverture d'une
procédure de poursuite et de la notification des griefs (sorte de mise en
accusation) était composé de son Président et de membres dont six de ceux-
ci étaient présents au Collège décidant le 18 juin 1999 des culpabilités et des
sanctions. Cette
identité de personnes dans
la composition de
l'organe
décidant de la mise en accusation et de celui statuant sur la sanction, est
selon la Cour un fait objectif qui est de nature à justifier les craintes de
partialité et donc le non-respect des principes les plus fondamentaux des
droits de la défense805.
La Cour d'appel prend soin toutefois de préciser que « le cumul au sein de
cette autorité administrative des fonctions de poursuite, d'instruction et de
jugement ... n'est pas contraire à l'exigence ci-dessus rappelée ; qu'il y a lieu
de rechercher si, compte tenu des modalités concrètes de mise en œuvre de
ces attributions, spécialement au regard de
la composition des organes
appelés à les exercer, le droit de la personne poursuivie à un procès équitable
a été ou non méconnu »806.
600. A la suite de cet arrêt, la COB avait décidé de suspendre l'exercice de
son pouvoir de sanctions et d'abandonner toutes les procédures en cours, de
crainte qu'elles ne soient annulées au même motif. Parallèlement, elle
déposait un projet de réforme de son règlement afin de se mettre très
rapidement en conformité avec les exigences des autorités judiciaires et
recouvrer le plein exercice de son pouvoir de sanction.
805 Ibid.
806 Dufour (O), « Article 6 de la C.E.D.H : la COB revoit sa procédure de sanction », L.P.A.,
31 mars 2000 n° 65, p. 3.
322



Page 331
601. Fût pris alors le décret no2000-721 du 1er août 2000 qui modifie les
dispositions du décret du 23 mars 1990 relatives à la procédure d'injonction,
d'enquête et de sanctions mise en œuvre par l'autorité boursière.
Pour éviter qu'à l'avenir, les mêmes membres du collège ne cumulent les
fonctions d'instruction, de poursuite et de jugement, ce texte a procédé à une
répartition des rôles.
602. Dans l’ancienne procédure, la Commission prononçait l'injonction et
décidait l'ouverture d'une procédure. Dès lors, le président de la Commission
désignait un rapporteur, qui se chargeait de l’instruction de l'affaire. Ensuite, la
Commission procédait à la convocation de la personne en cause à la séance
au cours de laquelle elle devait trancher le litige et édictait éventuellement des
sanctions. En d’autres termes, la collégialité était présente lors de l’intégralité
de
la procédure, et ce sous la direction de son président. Avec pour
conséquence, que plusieurs membres du collège se retrouvaient dans une
situation où ils pouvaient cumuler les pouvoirs de poursuite, d'instruction et de
jugement. Chose qui a été condamnée par l'arrêt de la Cour d’appel de Paris
du 7 mars 2000 sus cité.
603. La procédure rénovée, à l’époque, donnait au directeur général de la
COB le pouvoir de décider de l'ouverture des enquêtes, lesquelles seront
menées par
le personnel de
la Commission. Ensuite,
lorsque des
manquements à la réglementation boursière étaient constatés, le directeur
général demandait au président de désigner un rapporteur qui rédige un
rapport qu'il adresse à la personne poursuivie. Lors de la séance de la
Commission, le rapporteur présente l'affaire et la décision est ensuite prise «
en la seule présence du président, des membres autres que le rapporteur et
du secrétaire de
la commission ». Mais, si elles
faisaient progresser
l’impartialité objective de la COB, du moins d’un point de vue théorique, ces
323


Page 332
modifications présentaient l’inconvénient de faire perdre aux personnes mises
en cause le bénéfice de la collégialité807.
604. Malgré ces différents aménagements, des brèches pouvaient persister.
Et l’ingéniosité des avocats n’aurait pas tari. Ceux-ci, n’auraient pas tardé à
découvrir de nouvelles
failles pour contester
la procédure de sanction
administrative de la COB.
Une réforme plus en profondeur de la procédure de sanction administrative
des infractions boursières, s’imposait alors comme un préalable à l’efficacité
de l’action de l’autorité de régulation.
La création de l'Autorité des marchés financiers par la loi n° 2003-706 de
sécurité financière du 1er août 2003 a été, sur ce point, salvatrice.
2-
Une procédure en constante évolution
605. La procédure de sanction de l’autorité administrative française a dû subir
en 2003, une réforme majeure, qui était censée résoudre une fois pour toute,
les différents problèmes d’ordre juridique auxquels s’est heurtée l’autorité de
régulation. A travers, la loi n°2003-706 de sécurité financière du 1er aout 2003,
la procédure de sanction a fait l’objet d’une refonte (a). Mais, de nouveaux
camouflets infligés par les autorités judiciaires et la nécessité de conférer de
plus en plus d’efficacité et de crédibilité à l’action du gendarme boursier a
conduit à revoir la procédure de sanction plus d’une fois encore (b).
a-
Une refonte de la procédure
606. La loi n°2003-706 du 1er aout 2003 dite de sécurité financière a opéré
une refonte de la procédure de sanction des manquements administratifs à la
réglementation boursière. A
travers,
l’instauration d’une commission des
807 Dufour (O), « La C.O.B modifie l’exercice de son pouvoir de sanction », L.P.A, 18 août 2000 n°
165, p. 3.

324







Page 333
sanctions au sein de l’autorité des marchés financiers (a.1) et la rationalisation
de la procédure de sanction (a.2).
a.1-
Instauration d'une commission des sanctions de
l'Autorité des
marchés financiers
607. La loi no2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière a mis fin à la
pluralité d'autorités de sanction en attribuant tous les pouvoirs de sanctions
administrative et disciplinaire des infractions boursières à la commission des
sanctions de l'AMF.
A cet égard,
il
faut préciser que l’Autorité des marchés financiers est
composée de deux organes collégiaux : le Collège et une commission qui a
l'exclusivité du pouvoir de sanction.
608. Cette Commission des sanctions comprend douze membres distincts des
membres du Collège808. Les membres de la commission des sanctions sont en
majorité des
juristes. Chose
logique puisque ceux-ci vont se poser en
véritables juges répressifs. Le président de la commission des sanctions est
élu par les membres de celle-ci parmi les conseillers d'État et les conseillers à
808 Cette Commission des sanctions comprend douze membres distincts des membres du Collège :
deux conseillers d'Etat désignés par le vice-président du Conseil d'Etat ;
deux conseillers à la Cour de cassation désignés par le premier président de la Cour de
cassation ;
Six membres désignés, à raison de leur compétence financière et juridique ainsi que de leur
expérience en matière d'offre au public de titres financiers, d'admission d'instruments
financiers aux négociations sur un marché réglementé et d'investissement de l'épargne dans
des instruments financiers, par le ministre chargé de l'économie après consultation des
organisations représentatives des sociétés industrielles et commerciales dont les titres font
l'objet d'offre au public ou d'admission aux négociations sur un marché réglementé, des
sociétés de gestion d'organismes de placements collectifs et des autres investisseurs, des
prestataires de services d'investissement, des entreprises de marché, des chambres de
compensation, des gestionnaires de systèmes de règlement livraison et des dépositaires
centraux ;
deux représentants des salariés des entreprises ou établissements prestataires de services
d'investissement, des sociétés de gestion d'organismes de placements collectifs, des entreprises
de marché, des chambres de compensation, des gestionnaires de systèmes de règlement
livraison et des dépositaires centraux, désignés par le ministre chargé de l'économie après
consultation des organisations syndicales représentatives.
Extraits du site internet www.amf-france.org
325





Page 334
la Cour de cassation et la commission peut constituer des sections de six
membres présidées elles aussi par un conseiller d'État ou un conseiller à la
Cour de cassation.
609. À l'instar des membres du collège, les membres de la commission des
sanctions sont soumis à un statut rigoureux qui est destiné à garantir leur
indépendance
: secret professionnel809,
incompatibilités et prévention des
conflits d'intérêts810 et mandat de cinq ans, renouvelable une fois. Il est prévu
que la commission des sanctions soit renouvelée par moitié tous les trente
mois811. La création de
la commission des sanctions participe d'une
rationalisation générale de
la procédure de sanctions administrative et
disciplinaire des infractions boursières812.
a.2- La rationalisation de la procédure de sanction
610. La rationalisation de
la procédure des sanctions administratives et
disciplinaires se manifeste à travers l'unification des procédures de sanction
mais aussi par la séparation des pouvoirs d'enquête, de déclenchement des
poursuites, d'instruction et de sanction.
La loi de sécurité financière a soumis à un régime unique les procédures de
sanctions administrative et disciplinaire des
infractions boursières. La
procédure de sanction gagne ainsi, en clarté.
611. Cette procédure est organisée comme suit :
Lorsque dans le cadre de leurs missions de contrôle et de surveillance des
marchés, de suivi de la vie des sociétés ou sur la base de plaintes, les
services de l’AMF constatent des comportements susceptibles de constituer
809 Article L. 642-1 du code monétaire et financier.
810 Article L. 621-4 du code monétaire et financier.
811 Article L. 621-2-IV du code monétaire et financier.
812 Rontchevsky (N), « Les sanctions administratives : régime et recours », Bull. Joly Bourse,
01 janvier 2004 n° 1, p. 1 §13.
326



Page 335
un manquement aux obligations professionnelles des intermédiaires ou de
nuire au bon fonctionnement des marchés.
Ils en réfèrent au secrétaire général de l’AMF qui prend la décision de
procéder à des enquêtes ou des contrôles et qui habilite à cet effet des
enquêteurs selon des modalités fixées par le règlement général de l'AMF813.
Les résultats des enquêtes et des contrôles font l’objet d’un rapport écrit qui
indique si les faits relevés sont susceptibles de constituer des manquements
au règlement général de l’AMF, des manquements aux autres obligations
professionnelles ou une infraction pénale. Après examen du rapport d'enquête
ou de contrôle par le secrétaire général de l’AMF, celui-ci est transmis à l’une
des commissions spécialisées du collège (Le rapport est aussi envoyé à
l’entité contrôlée pour observation).
612. C’est alors que la commission spécialisée du collège saisie, procède à un
examen du rapport et décide des poursuites. Ainsi, si le rapport n’indique
aucun manquement substantiel,
le dossier est classé avec ou sans
observations. Mais si
le rapport
laisse entrevoir d’éventuelles
infractions
pénales, le rapport de contrôle ou d’enquête est transmis au procureur de la
République. De même, si le rapport indique des faits qui ne relèvent pas de la
compétence de
l’AMF, celui-ci est
transmis aux autorités compétentes
françaises ou étrangères. Si le rapport identifie d’éventuels manquements par
toute personne dont
les pratiques contreviennent à
la réglementation, la
commission spécialisée du collège décide de l'ouverture d'une procédure de
sanction.
613. D’ailleurs, une
innovation de
la
loi de sécurité
financière est
particulièrement expressive de
la volonté affichée de
rendre moins
contestable, la procédure de sanction administrative. La prévoyance d’une
prescription des infractions administratives et disciplinaires.
813 Article L. 621-9-1 du code monétaire et financier.
327



Page 336
Ainsi, « la commission des sanctions ne peut être saisie de faits remontant à
plus de trois ans s'il n'a été fait pendant ce délai aucun acte tendant à leur
recherche, à leur constatation ou à leur sanction »814.
La prescription des manquements administratifs est donc la même que celle
prévue
pour
les
délits815
et
pour
la
répression
des
pratiques
anticoncurrentielles816.
Par contre, la prescription du manquement ou du délit ne devrait toutefois pas
préjuger du droit des éventuelles victimes de ceux-ci de demander
la
réparation de leur préjudice devant la juridiction civile compétente.
Si le délai de prescription n'est pas expiré, le collège peut prendre des
mesures conservatoires. En cas d'urgence, il peut suspendre d'activité les
professionnels contre lesquels des procédures de sanction sont engagées. S'il
transmet au procureur de la République le rapport d'enquête ou de contrôle, il
peut décider de rendre publique cette transmission817.
614. Ensuite, la procédure de sanction est organisée de la manière suivante :
Le collège adresse
la notification des griefs, accompagnée du rapport
d’enquête ou de contrôle, aux personnes concernées et
transmet
la
notification des griefs à la commission des sanctions. Le président de la
commission des sanctions doit alors désigner un rapporteur parmi ses
membres pour instruire l'affaire et attribue l’affaire à la commission des
sanctions ou à l’une de ses sections818.
814 Article L. 621-15-I, al. 2 du code monétaire et financier.
815 Article 8 du code de procédure pénale.
816 Article L. 462-7 du code de commerce.
817 Article L.621-15-I du code monétaire et financier ; Rontchevsky (N), « Les sanctions
administratives : régime et recours », Bull. Joly Bourse, 01 janvier 2004 n° 1, p. 1 §16 et 17.
818 Il est cependant précisé que si le collège considère que l'un des griefs notifiés à une personne est
susceptible de constituer l'un des délits boursiers visés par les articles L. 465-1 et L. 465-2 du Code
monétaire et financier, il doit transmettre immédiatement le rapport d'enquête ou de contrôle au
procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris (Article L. 621-15-1 du code
monétaire et financier). Si celui-ci décide de mettre en mouvement l'action publique sur les faits objet
328



Page 337
615. Les sanctions administratives ou disciplinaires sont prononcées par la
commission des sanctions au
terme d'une procédure contradictoire,
la
personne concernée ou son représentant devant avoir été entendue ou, à
défaut, dûment appelée819. Les décisions de la commission des sanctions (ou
de ses sections) sont prises hors
la présence du commissaire du
Gouvernement auprès de
l'AMF820 et du rapporteur821, comme l'avait déjà
exigé
la Cour de cassation à propos de
la procédure de sanction
administrative de la COB822. Les décisions sont adoptées à la majorité des
voix, étant précisé que celle du président n'est pas prépondérante en matière
de sanction en cas de partage égal des voix. Elles doivent être motivées, ce
qui paraît aller de soi. Il faut enfin relever que, dans ce domaine, le
commissaire du Gouvernement823 ne peut pas demander une deuxième
délibération824.
616. La procédure de sanction semblait respecter en l'état les garanties
fondamentales (principes d'impartialité et d'égalité des armes) et les droits de
la défense prévus par l'article 6 de la Convention européenne des droits de
l'Homme, ce qui est bien normal au regard des enjeux. Mais elle devait subir
d’autres retouches.
de la transmission, il doit en informer sans délai l'AMF. Il peut aussi transmettre à celle -ci, d'office ou
à sa demande, la copie de toute pièce d'une procédure relative aux faits objet de la transmission
(Article L. 621-15-1 du code monétaire et financier). La transmission du dossier au Parquet n'a
toutefois pas pour effet de mettre fin à la procédure de sanction, de sorte qu'un cumul de poursuites et
de sanctions pour des mêmes faits reste concevable, comme l'envisage au demeurant la directive n
o
2003/6/CE du 28 janvier 2003 sur les abus de marché. Il est néanmoins prévu que si des poursuites
ayant trait à des abus de marché sont engagées, l'AMF peut exercer les droits de la partie civile mais
ne peut alors, à l'égard d'une même personne et s'agissant des mêmes faits, concurremment exercer ses
pouvoirs de sanction et les droits de la partie civile (Article L. 621-16-1 du code monétaire et
financier).
819 Article L. 621-15-II du code monétaire et financier.
820 Article L. 621-3-I du code monétaire et financier.
821 Article L. 621-15-IV du code monétaire et financier
822 Cass. assemblée plénière, 5 février 1999, V. supra pp.320 et 321.
823 Article L. 621-3-I du code monétaire et financier.
824 Rontchevsky (N), « Les sanctions administratives : régime et recours », Op.cit. p.1 §20.
329





Page 338
b- Des retouches successives
617. On aurait pu penser, au vu de ce qui a été précédemment évoqué, que
les déboires procéduraux de
l’autorité administrative étaient de
l’histoire
ancienne avec la création de l’Autorité des Marchés Financiers. Mais, c’était
sans compter sur l’ingéniosité des avocats de la défense qui ont rapidement
fait d’identifier d’autres brèches dans la procédure sanction de l’AMF.
Trois affaires s'avèrent particulièrement intéressantes dans la mesure où elles
ont mis en lumière une nouvelle faille dans l'organisation de l'AMF.
618. Le grief retenu par le Conseil d’Etat avait trait à un défaut d’impartialité
qui avait entrainé l’annulation des décisions de sanction de l’AMF par trois fois
en moins d’une année.
Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que tant le Collège mais aussi la
Commission des sanctions intègrent en leur sein, aux côtés des magistrats,
des professionnels issus des marchés financiers. Si un tel mélange, présente
l’intérêt évident d’apporter
les connaissances
techniques des uns aux
sciences juridiques des autres. Afin de pouvoir faire face à des dossiers
usuellement
très complexes. Une
telle composition présente néanmoins
l’inconvénient de l’exposition aux conflits d'intérêts qui peuvent intervenir entre
les professionnels membres de la Commission des sanctions et ceux que
celle-ci est appelée à juger.
C'est précisément ce dernier qui a été au centre de l’attention du Conseil
d'État lors de deux affaires.
619. Dans un premier arrêt en date du 27 octobre 2006825. Le Conseil a
estimé que le fait que l’un des membres de la Commission des sanctions ait
créé un an avant le jugement de l’affaire une société avec l’un des salariés de
825 Guyomar (M), Note sous CE, sect. cont., 27 octobre 2006, n° 276069, M. Éric B. et société Next
Up SA : Bull. Joly Bourse, 2007, p. 80, § 6 ; Bonneau (Th), Dr. Soc., 2007, comm. n° 55 ; Bompoint
(D)
, Rev. Droit Bancaire et financier, mars-avril 2007, n° 86, p. 42.
330



Page 339
la société mise en cause était un motif pour annuler la sanction prononcée à
l’encontre de la société et plusieurs de ses dirigeants et salariés.
Pour le Conseil, en ne se déportant pas malgré l'existence de cette relation
d'affaire, le membre de la Commission a fait peser un doute sérieux sur
l'apparence d'impartialité de la décision.
620. Dans un second arrêt daté du 30 mai 2007826, la Haute Juridiction
administrative a annulé sur la même base du manque d’impartialité une autre
décision de
l’autorité administrative. En
l’espèce, un membre de
la
Commission des sanctions ayant participé au prononcé de la décision de
sanction était également membre du directoire d'un établissement bancaire en
litige avec la société concernée par la décision de sanction. Egalement dans
cette affaire, le Conseil d'État a estimé que le membre de la Commission
concerné aurait dû se déporter.
Enfin, le fait que le rapporteur de la Commission des sanctions avait exercé
les fonctions d’administrateur puis de conseiller du président d’une société
concurrente des sociétés poursuivies a été retenu comme motif justifiant
l’annulation de la sanction par le Conseil d’Etat car semant le doute sur
l’impartialité de la commission827.
621. Le Conseil d’État a donc sanctionné la violation du principe d’impartialité
commise soit par un membre de la commission ayant participé au délibéré,
soit par le rapporteur, qui n’y participe pas, mais qui est tenu des mêmes
obligations.
Que le conflit d’intérêts ait pu nuire à la personne poursuivie, ou qu’il ait pu lui
profiter, le Conseil d’Etat a annulé les décisions. D’ailleurs, la Haute Juridiction
826 Guyomar (M), Note sous CE, 6e et 1re ss-section, 30 mai 2007, n° 293408, Société Europe
Finance et Industrie et n° 288538, Société Europe Finance et Industrie et M. A, Bull. Joly Bourse,
2007, p. 371, § 71 ;
De Vauplane (H), Daigre (J-J), De Saint Mars (B), Bornet (J-P), Banque et
droit, n° 114, juillet-août 2007, p. 23.
827 Guyomar (M), Note sous CE, 6e et 1re ss-section, 26 juillet 2007, n°s 293624, 293626, 293627,
293908, Bull. Joly Bourse, 2007, p. 645, § 137 ;
Paclot (Y), J.C.P. éd. E, 2007, n° 41, 2224, p. 9.
331



Page 340
administrative n’a pas recherché à apprécier, concrètement, si tel ou tel
membre de
la Commission des sanctions a manqué à son devoir
d’impartialité. Mais, il lui a suffi de constater qu’eu égard aux liens qu’il avait
pu entretenir avec la personne mise en cause, à ses fonctions présentes ou
passées, ce membre était placé en situation de conflit d’intérêts et, dès lors,
devait se déporter.
En d’autres termes, la juridiction administrative s’en est tenue à l’apparence de
partialité.828
622. Le Haute Juridiction administrative fait ainsi valoir son attachement au
strict respect des droits de la défense, et incite fortement le gendarme boursier
à exercer une vigilance accrue aux questions de conflits d’intérêts réels ou
apparents entre
les membres de
la Commission des sanctions et
les
personnes qu'ils sont appelés à juger829.
Il faut dire que la position de la Haute Juridiction administrative, sur la question
parait parfaitement légitime, car du strict respect du principe d’impartialité
dépend, en bonne partie, la crédibilité des décisions prises par la Commission
des sanctions de l’AMF.
623. Pour faire face à cette jurisprudence le législateur a donc, encore une fois
dû, sur demande de l’AMF, modifier la procédure de sanction administrative
en permettant la récusation d’un membre de la Commission des sanctions à la
demande de la personne mise en cause « s’il existe une raison sérieuse de
mettre en doute l’impartialité de ce membre »830.
624. Mais ce n’était pas encore fini, la procédure de sanction de l’AMF a dû,
de nouveau, subir des évolutions toutes récentes, faites par la loi du 22
octobre 2010 de régulation bancaire et financière.
828 Magendie (J-C), « Le rôle du juge sur l’action sanctionnatrice de l’Autorité des marchés
financiers », Bull. Joly Bourse, 01 décembre 2009 n° Spécial, p. 421.
829 Dufour (O), « L’AMF envisage de modifier sa procédure de sanction », L.P.A., 10 juillet 2007
n°137, p. 3.
830 Article L. 621-15, III bis du code monétaire et financier.
332



Page 341
Ainsi, un membre du collège, qui a examiné le rapport d’enquête ou de
contrôle et pris part à la décision d’ouverture d’une ouverture de sanction, sera
convoqué à l’audience. Il assiste à cette audience sans voix délibérative et
peut être assisté ou représenté par les services de l’AMF. Il a la possibilité de
présenter des observations au soutien des griefs notifiés et de proposer une
sanction.
Il s’agit là d’une énonciation qui permettra d’éviter que le rapporteur ne soit
tenté, de proposer lui-même une sanction, à l’instar de ce qui a pu se passer
par le passé831.
625. En effet, cette solution semble être induite par un arrêt de la Cour d’appel
de Paris daté du 25 juin 2008832.
En l’espèce, le rapporteur avait, dans un rapport, consigné son avis sur les
sanctions que devaient encourir les prévenus. Ceux-ci, y avaient vu un
dépassement par le rapporteur de sa mission et aussi une confusion entre les
fonctions d’instruction et de jugement contraire aux droits de la défense, à
l’interdiction de la participation du rapporteur au délibéré et au principe
d’impartialité posé par la Convention européenne des droits de l’homme.
Les prévenus avançaient que
le rôle du rapporteur, se bornait, à
la
présentation objective du résultat de ses recherches. Il ne peut de ce fait,
exprimer de sentiments personnels sur l’issue de la procédure.
La Cour avait, certes, réfuté ce moyen en se fondant sur le contenu de l’article
R. 621-40 du Code monétaire et financier qui ne comprenait pas les limites
arguées par les prévenus et n’interdisait donc pas au rapporteur d’évoquer
l’affaire dans tous ses aspects, y compris celui des sanctions encourues.
831 Capdeville (J-L), « Présentation générale de la loi de régulation bancaire et financière », Op.cit.
p.3 §4.
832 Capdeville (J-L), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. H, 25 juin 2008, n° 2007/16197, Marionnaud
parfumeries SA, Bull. Joly Bourse, 01 décembre 2008 n° 6, p. 484.
333



Page 342
D’autre part, la Cour a relevé le fait que les prévenus avaient eu la possibilité
de se défendre sur la totalité du rapport et que l’expression de son opinion par
le rapporteur contribuait, en fait, au plein jeu du contradictoire devant la
Commission des sanctions. Le rapporteur n’avait d’ailleurs pas participé, en
l’occurrence, au délibéré de la décision déférée.
626. Néanmoins, la lecture de cette décision laisse entrevoir un certain doute
des juges puisqu’ils prennent la peine de préciser qu’en toute hypothèse le
rapport du rapporteur n’est « qu’un des éléments du dossier au vu duquel la
commission se prononce », et que « le contenu et les conclusions de celui-ci
sont sans incidence sur la légalité de la décision ».
Il est vrai qu’un rapport contenant un avis de cette teneur sur les sanctions est
susceptible d’influencer la commission des sanctions et ainsi semer le doute
quant à son impartialité. En effet, le rapporteur dispose d’un réel crédit auprès
des autres membres de la commission. D’ailleurs, des auteurs833 ont constaté
que dans la pratique, quand le rapporteur suggère d’infliger une sanction, sa
proposition est entérinée dans les trois quarts des cas par la Commission des
sanctions. A partir de cette constatation, il parait que le fait que le rapporteur
donne son avis sur les sanctions n’est pas tout à fait neutre. D’ailleurs, le
Conseil d’État a annulé une décision de la Commission des sanctions à cause
de soupçons pesant sur le rapporteur834.
627. Depuis cet arrêt,
la
législation a évolué pour prendre en compte
l’influence du rapporteur sur la commission. Ainsi, il est désormais possible de
récuser le rapporteur s’il « existe une raison sérieuse de mettre en doute
l’impartialité »835 de celui-ci.
833 Bouretz (E) et Emery (J-L), « Autorité des marchés financiers et Commission bancaire », Ed.
Banque, 2008, n° 127.
834 De Vauplane (H), Daigre (J-J), de Saint Mars (B), Bornet (J-P), Note sous CE, 26 juillet 2007,
Banque et droit, 2007, n° 115, p. 32 ;
Guyomar (M), Bull. Joly Bourse, 2007, p. 645, § 137 ; Paclot
(Y)
, J.C.P éd. E, 2007, 2224.
835 Article L. 621-15, III bis du code monétaire et financier ; le décret n° 2008-893 du 2 septembre
2008 est venu organiser cette procédure de récusation.
334



Page 343
De même, le rôle du rapporteur parait avoir été limité : celui-ci ne présente
plus « l’affaire », mais son « rapport », ce qui paraît moins large836.
D’autres améliorations de la procédure administrative de sanction se profilent
à l’horizon. Des groupes de réflexion se chargeant de publier des rapports
contenant des préconisations censées renforcer les droits de la défense837.
628. Au final, on le voit la procédure de sanction administrative est en
continuel progrès. Elle colle de plus en plus aux exigences d’un procès
équitable et respecte de plus en plus les droits de la défense, conférant ainsi
plus d’efficacité à l’Autorité des marchés financiers qui voit de moins en moins
ses décisions cassées par les autorités judiciaires.
Par contre, en Tunisie, la procédure de sanction administrative n’a pas, à
notre connaissance, été mise en œuvre. Elle n’a, par conséquent, pas été
836 Capdeville (J-L), Note sous C.A. Paris, 25 juin 2008, Op.cit. p.484 §11.
837 V. rapport du Club des juristes « Des principes communs pour les autorités administratives dotées
d’attributions répressives » qui préconise notamment :
« – d’instaurer une déclaration sur l’honneur d’absence de conflit d’intérêts pour chaque dossier traité
;
– de renforcer l’autonomie de l’instruction à l’égard du service des enquêtes, notamment en imposant
que les demandes de l’instructeur à ce service, de même que les réponses, fassent l’objet d’un écrit
versé au dossier ;
– de prévoir que les documents saisis, y compris sous forme électronique, doivent être expurgés de
tout élément relevant du secret des affaires ou d’un autre secret protégé par la loi, à moins que celui-ci
présente un intérêt direct pour les investigations menées ou la procédure en cours, et préciser à cet
égard que les correspondances d’avocat ne peuvent en aucun cas être saisies par les agents de
l’autorité ;
– de réformer le délit d’entrave afin de préciser que sont seuls punissables les actes positifs visant à
nuire au bon déroulement des investigations et non la simple mise en oeuvre du droit de ne pas
concourir à sa propre incrimination ;
– de limiter à un an le délai maximum d’enquête, sauf circonstances particulières devant être précisées
dans la décision d’enquête et dans l’ordre de mission et prévoir qu’une prorogation du délai initial
n’est possible qu’à la condition, sauf exception dûment motivée, d’être portée à la connaissance des
personnes susceptibles d’être mises en cause ;
– de prévoir que la visite d’un domicile ou de locaux professionnels ne peut se faire qu’avec l’accord
formel et préalable de l’occupant, dûment informé de son droit de refuser, ou, à défaut, sur habilitation
judiciaire ;
– de renforcer le caractère contradictoire des débats devant l’organe de sanction, notamment en
formalisant la faculté de demander une suspension des débats en cas d’éléments nouveaux ou dans
l’hypothèse où l’organe de sanction soulève d’office un moyen ou retient un élément non encore
soumis à discussion, ou encore ;
– de consacrer formellement le droit pour le mis en cause d’avoir la parole en dernier. »,
Club des juristes, Commission Europe, mai 2012, « Autorités administratives dotées d’attributions
répressives : rapport du Club des juristes », Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2012 n° 7, p. 290
335



Page 344
éprouvée et des doutes persistent sur la conformité de cette procédure avec
les exigences d’un procès équitable.
B- Une procédure jamais éprouvée
629. Le Conseil du marché financier fait preuve d’un manque de fermeté dans
l’exercice de la mission dont l’a investi le législateur. Aucune poursuite n’a été
diligentée par le CMF à l’encontre des sociétés cotées en bourse et de leurs
dirigeants838.
La question qui s’impose alors est celle de savoir, si la procédure de sanction
administrative du CMF résistera à un recours, lorsque l’autorité administrative
décidera enfin d’utiliser ces pouvoirs répressifs.
En effet, on l’a vu les questions de procédure ont été pendant longtemps un
frein à l’efficacité du gendarme boursier, causant à maintes reprises la
cassation de ces décisions839. Pourrait-il en être de même en Tunisie ?
A cet égard, il faut dire que la procédure de sanction telle qu’elle est organisée
devrait poser un problème quant à l’impartialité des membres du Collège
devant se prononcer sur la sanction infligée. Ainsi, le cumul des fonctions de
poursuite, d’instruction et de sanction (1) et les possibles conflits d’intérêts (2)
sont à même de semer le doute sur l’impartialité du gendarme boursier.
1-
Un cumul des fonctions de poursuite, d’instruction et de sanction
630. Contrairement à la France, où l’Autorité des marchés financiers est
composée de deux organes collégiaux : le Collège et une commission qui a
l'exclusivité du pouvoir de sanction840. En Tunisie, le Conseil du marché
financier n’intègre en son sein qu’un seul organe collégial : le Collège.
838 V. infra pp. 343 et s.
839 V. supra pp. 317 et s.
840 V. supra pp. 322 et s.
336




Page 345
Le Collège du Conseil du marché financier841 est composé par un président et
des neuf membres cités par l’article 25 de la loi du 14 novembre 1994, c’est-
à-dire :
1. - un juge de troisième degré ;
2. - un conseiller au tribunal administratif ;
3. - un conseiller à la cour des comptes ;
4. - un représentant du Ministère des Finances ;
5. - un représentant de la Banque Centrale de Tunisie ;
6. - un représentant de la profession des intermédiaires en bourse ;
7. - trois membres choisis en raison de leur compétence et de leur expérience
en matière d'appel public à l'épargne.
631. On note donc la présence de juges, ce qui est bien heureux, vu que le
Collège va être appelé à s’ériger en véritable tribunal répressif. Il faut relever
tout de même que ces juges se retrouvent en minorité au sein du collège.
Leurs voix ne devraient donc pas être prépondérantes lors d’une procédure de
sanction. Il faut, en effet, rappeler que les décisions du Collège sont prises à la
majorité842.
632. Les pouvoirs de cette entité, sont très larges. Le tout puissant Collège
est, en effet, habilité à accomplir les missions du Conseil du Marché Financier.
633. Ainsi, il accomplit ou autorise tous les actes et opérations relatifs à sa
mission. Il prend les règlements dans le domaine de compétence du conseil et
il établit, en particulier le règlement général de la Bourse. Il se prononce sur
les pétitions et plaintes et
fournit son avis aux autorités
judiciaires
compétentes dans les cas visés à l'article 86 de la loi du 14 novembre 1994.
841 Article 47 de la loi 94-117 du 14 novembre 1994
842 D’après l’article 49 de la loi 94-117 du 14 novembre 1994, le Collège « délibère et prend ses
décisions à la majorité des membres présents, et en cas de partage des voix, celle du président est
prépondérante. Les décisions du collège ne sont légalement prises qu'en présence de la majorité de ses
membres. »
337




Page 346
Le collège examine les rapports d'enquête et décide de la suite à leur donner,
examine les affaires donnant lieu à une sanction pécuniaire ou disciplinaire843.
Il prend les sanctions visées aux articles 40 et 42 de la loi du 14 novembre
1994.
634. De plus, le président du CMF qui se trouve être le président du Collège
peut prendre sur délégation du Collège,
la décision d’engager
les
investigations, habiliter
les enquêteurs et
transmettre
les décisions de
poursuites844.
635. De même, le président saisit le Président du tribunal de première
instance de Tunis conformément aux dispositions des articles 43, 44 et 45 de
la présente loi et en informe le Procureur de la République lorsque les
agissements sont passibles de sanctions pénales. 845
Aussi, il est de sa compétence d’adresser les injonctions aux personnes qui se
rendent coupables des pratiques visées à l'article 40 de la présente loi.
Produire la liste complète des prérogatives du Collège et de son président
relèverait d’ailleurs d’une litanie ennuyeuse.
Le Collège et son président se trouvent donc dépositaires, des clefs de toute
la procédure de sanction. De l’enclenchement de l’enquête à la prise de la
décision de sanction.
Le Collège serait donc, le législateur, le procureur, le policier et le juge du
marché boursier tunisien.
636. A partir de là, du moment qu’autant de pouvoirs se trouvent réunis entre
les mains d’une seule entité, il est légitime de se poser la question de savoir si
la procédure de sanction du CMF est conforme aux exigences d’un procès
équitable telle qu’exigé par l’article 12 de la Constitution tunisienne846 ?
843 Article 48 de la loi 94-117 du 14 novembre 1994.
844 Article 51 de la loi 94-117 du 14 novembre 1994.
845 Article 50 de la loi 94-117 du 14 novembre 1994.
846 L’article 12 de la constitution de 1959 disposait que « Tout prévenu est présumé innocent jusqu’à
l’établissement de sa culpabilité à la suite d’une procédure lui offrant les garanties indispensables à sa
défense. »
338



Page 347
Sur ce point il faut dire que l’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre
1994, reconnait que le Conseil du Marché Financier se doit de respecter les
procédures garantissant les droits de la défense. La dite loi donne aussi le
droit aux personnes poursuivies d’être entendues ou de se faire assister par
un conseil de leur choix.
637. Mais il semblerait bien qu’il s’agisse là des seules mentions concernant
les droits des personnes poursuivies par l’autorité de régulation.
C’est bien dommage car en l’état, la procédure de sanction administrative
semble porter atteinte aux droits de la défense et aux exigences d’un procès
équitable. Ce problème devrait d’ailleurs, revêtir une grande importance au vu
des graves sanctions qu’est capable d’édicter le CMF. Ainsi, si dans le cadre
de
l’exercice de son pouvoir disciplinaire847, par exemple,
l’autorité de
régulation est capable de prononcer « l'interdiction à titre temporaire ou
définitif de
tout ou partie de l'activité et, le cas échéant, le retrait de
l'agrément. »848 Une sanction qui pourrait s’apparenter à une peine de mort
847 Selon l’article 41 de la loi 94-117 du 14 novembre 1994 :
Le Conseil du Marché Financier est investi d'un pouvoir disciplinaire à l'égard :
- de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis, ses dirigeants et de ses personnels ;
- de la société de dépôt, de compensation et de règlement de titres, ses dirigeants et ses personnels ;
- des intermédiaires en bourse, personnes physiques ou morales, leurs dirigeants et le personnel placé
sous leur autorité ;
- des dirigeants, des gestionnaires et des dépositaires des fonds et des actifs des Organismes de
Placement Collectif en Valeurs Mobilières et du personnel placé sous leur autorité.
848L’article 42 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 dispose que « Toute infraction aux lois et
règlements ainsi que tout manquement aux règles et usages professionnels applicables aux personnes
visées à l'article 41 de la présente loi donnent lieu à sanction par le collège du Conseil du Marché
Financier érigé en conseil de discipline.
Les sanctions sont l'avertissement ou le blâme et, pour les personnes autres que la Bourse des Valeurs
Mobilières de Tunis et la société de dépôt, de compensation et de règlement de titres, l'interdiction à
titre temporaire ou définitif de tout ou partie de l'activité et, le cas échéant, le retrait de l'agrément.
La personne appelée à comparaître devant le conseil de discipline est convoquée par lettre
recommandée avec accusé de réception, huit jours au moins avant la date prévue pour la tenue du
Conseil. Elle obtient sur sa demande communication de copies des pièces du dossier.
Aucune sanction ne peut être prononcée sans que la personne concernée, ou son représentant qualifié,
n'ait été entendue ou dûment convoquée. Elle peut se faire assister par un conseil de son choix.
Le conseil de discipline se réunit à la demande de son président ou à la demande du commissaire du
gouvernement placé auprès de la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis visé à l'article 66 de la
présente loi ou de la moitié du nombre de ses membres.
Les décisions du conseil de discipline sont motivées et susceptibles d'appel devant la cour d'appel de
Tunis. »

339



Page 348
pour les sociétés sanctionnées ou à une peine de mort professionnelle pour
les dirigeants sanctionnés. Une conformité rigoureuse aux exigences d’un
procès équitable et un respect implacable des droits de la défense s’impose
donc comme un préalable à la crédibilité et par conséquent à l’efficacité de la
régulation financière.
638. C’est pour cela qu’il semble que la mise en œuvre de la procédure de
sanction, qu’il s’agisse de sanctions pécuniaires ou disciplinaires devrait se
heurter à des difficultés de cet ordre. Celle-ci mériterait d’être réformée afin de
se conformer à l’exigence d’impartialité à la charge de l’autorité administrative.
Une impartialité qui apparait douteuse en l’état de la réglementation.
Il faut dire que si les mêmes personnes décident de la mise en accusation du
prévenu, formulent les griefs visant la personne poursuivie, statuent sur sa
culpabilité et sanctionnent cette dernière. Que les mêmes personnes, puissent
cumuler
les
fonctions de poursuite, d’instruction et de
jugement, pose
assurément un problème quant à l’exigence d’impartialité.
639. D’ailleurs, il n’est de ce point de vue pas concevable que le président du
CMF, prenne la décision d’enquêter sur le prévenu, qu’il décide de l’ouverture
des poursuites et qu’il participe aux délibérations du Collège qui va statuer sur
la culpabilité du prévenu et prononcer la sanction. Tout en sachant qu’en cas
d’égalité de voix, celle du président est prépondérante.
640. Il est donc incontestable, qu’en l’absence d’une séparation des fonctions
d’enquête, de poursuite et de jugement ; semblable à celle en vigueur dans les
marchés financiers étrangers. C'est-à-dire la présence d’une entité qui se
charge de l’instruction et d’une autre qui se charge du jugement, il faudrait que
le Collège veille à ce que ce ne soit pas les mêmes personnes qui cumulent
toutes ces prérogatives.
Il est certain que la procédure de sanction des manquements administratifs est
loin de satisfaire aux standards internationaux qui régissent la matière. Il n’y a
340


Page 349
qu’à observer la procédure de sanction telle qu’organisée par l’AMF en
France849. Mais une séparation des fonctions d’enquête, de poursuite et de
jugement ne devrait pas suffire à atteindre
les meilleurs standards
internationaux car la procédure de sanction administrative doit aussi pallier
aux possibles conflits d’intérêts.
2-
De possibles conflits d’intérêts
641. A côté des magistrats de profession, des représentants du ministère des
finances et de la banque centrale de Tunisie et du président, le Collège du
Conseil du Marché Financier comporte en son sein des professionnels des
marchés financiers. Ainsi, un représentant de la profession des intermédiaires
en bourse et trois membres choisis en raison de leur compétence et de leur
expérience en matière d'appel public à l'épargne font partie intégrante du
Collège.
642. Dans un domaine à
la complexité de plus en plus prononcée et
caractérisé par une évolution particulièrement
rapide,
l’intérêt d’un
tel
panachage est évident. Il s’agit de profiter des compétences technique et
pratique de ces personnes. Mais, la problématique qui vaut pour l’autorité
administrative française vaut aussi pour son homologue tunisienne. Peut-être
même que cette problématique se pose avec plus d’insistance dans le cadre
du marché financier tunisien. Un microcosme où quasiment tout le monde se
connait.
643. Un conflit d’intérêts est donc tout à fait susceptible de se produire. Ce
problème risque d’ailleurs de se poser avec beaucoup plus d’acuité, en
l’absence de la possibilité de récuser un des membres du Collège.
849 V. supra pp. 328 et s.
341



Page 350
Si les articles 248 et suivants du Code de procédure civile et commerciale
permettent au justiciable d’introduire une requête de récusation des membres
des tribunaux850.
Si ces mêmes raisons énumérées par l’article 248 du Code de procédure civile
et commerciale permettent aussi de récuser le juge pénal851.
Il apparait inadmissible que le législateur, n’ait pas aménagé une procédure de
récusation des membres du collège. Alors que
la présence de ces
professionnels est un facteur qui est à même de créer plusieurs situations de
conflits d’intérêts.
644. De même, le recours contre les décisions du CMF n'est pas suspensif.
Toutefois, le Président de la Cour d'appel de Tunis peut ordonner qu'il soit
sursis à l'exécution de la décision, si celle-ci est susceptible d'entraîner des
conséquences irréversibles.
C’est plutôt le contraire, qui devrait prévaloir. Dans une optique de protection
des droits du prévenu, il aurait mieux valu que les recours soient suspensifs,
sauf
lorsque
l’exécution s’avère urgente pour protéger
les droits des
investisseurs ou l’intégrité du marché.
La procédure de sanction du Conseil du marché financier, semble donc loin de
satisfaire aux exigences d’un procès équitable. Une totale refonte de cette
procédure semble, ainsi, nécessaire.
850 Article 248 du Code de procédure civile et commerciale : « L'exercice des fonctions judiciaires est,
de plein droit, interdit aux membres des tribunaux :
1. dans les affaires où ils sont eux-mêmes parties ou cointéressés, ou coobligés de l'une des parties ou
exposés à un recours en garantie ;
2. dans les affaires de leurs femmes même après la dissolution du mariage ;
3. dans les affaires de leurs parents ou alliés à l'infini, en ligne directe, et, en ligne collatérale, de leurs
parents jusqu'au sixième degré, ou alliés, jusqu'au quatrième degré ;
4. dans les affaires où ils ont dû agir comme représentant de l'une des parties ;
5. dans les affaires où ils ont été entendus comme témoins ou dont ils ont connu comme juges ou
comme arbitres ou à propos desquelles ils ont précédemment exprimé une opinion.
6. s'ils sont créanciers ou débiteurs de l'une des parties ;
7. si l'une des parties est leur employé à gages ;
8. s'il y a procès entre eux et l'une des parties.
851 C’est ce qui ressort des dispositions de l’article 296 du code de procédure pénale.
342





Page 351
645. Au final, l’étude de la responsabilité administrative des dirigeants des
sociétés cotées et de leurs dirigeants confirme l’adaptation de ce type de
responsabilité au monde évolutif et instable des marchés financiers. Malgré
des différences notables entre droits
tunisien et français, les autorités
administratives, semblent disposer de moyens adaptés à la poursuite de la
mission qui leur incombe. Des moyens qui sont de toute façon supérieurs à
ceux dont disposent les autorités judiciaires.
A partir de cette constatation, une question s’impose : ces autorités ont elle
usé des moyens dont elles disposent de la meilleure des manières ? Quid
alors de
l’efficacité de l’action des autorités de régulation des marchés
financiers ?
343






















Page 352
SECTION II
UNE EFFICACITE VARIABLE
646. Le pouvoir de sanction conféré à l’autorité de régulation est la pierre
angulaire sur laquelle repose toute sa capacité à mener à bien les missions
qui lui ont été conférées par le législateur.
Il n’y a, en effet, pas de doute sur le fait qu’ « un régulateur privé de la faculté
de punir est un régulateur qui perd beaucoup de son autorité »852. Sans ce
pouvoir de sanction, le poids l’autorité de régulation diminuerait sensiblement.
Et il faut le dire, le pouvoir de sanction conféré au Conseil du marché financier
diffère sensiblement de celui octroyé à l’Autorité du marché financier.
Car en dépit des moyens considérables qui sont mis à sa disposition, l’action
du Conseil est entravée par différents facteurs. En plus d’être mal servi par
une procédure de sanction qui pourrait très bien s’avérer problématique, le
Conseil souffre du faible pouvoir de dissuasion des sanctions qu’il est capable
d’édicter. Des sanctions au pouvoir dissuasif sensiblement inégal à celui des
sanctions administratives françaises (Paragraphe 1).
D’ailleurs,
les sanctions prononcées par
les autorités administratives
tunisienne et française, gagneraient en efficacité par l’adoption de certaines
améliorations (Paragraphe 2).
Paragraphe 1- Un pouvoir de dissuasion inégal
647. L’efficacité de l’action de l’Autorité de régulation des marchés financiers
dépend en grande partie des sanctions que celle-ci est capable d’édicter. En
effet, le pouvoir de sanction est la base sur laquelle repose toute l’action des
autorités de régulation des marchés financiers. Plus ce pouvoir est étendu
852 Dufour (O), « La polémique enfle autour de l'avenir de l'AMF », L.P.A, 23 avril 2008 n° 82, p. 3.
344






Page 353
plus l’action de l’autorité devrait être efficace. Plus les sanctions que cette
autorité est capable d’édicter sont dures, plus son pouvoir dissuasif sera
grand.
D’ailleurs, pour se rendre compte de l’importance qu’accorde l’AMF à ce
pouvoir, il n’y a qu’à observer les vives réactions de ses responsables face
aux conclusions du rapport Coulon853.
Cet attachement de l’autorité française à son pouvoir de sanction fait que les
pouvoirs accordés à l’autorité administrative sont en constante progression. Et
les crises qui se succèdent n’ont de cesse de renforcer les pouvoirs de
sanction du gendarme boursier. Ainsi, la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010
de régulation bancaire et financière, a opéré un renforcement tout azimut des
pouvoirs de l’AMF. Un renforcement qui fait que les sanctions administratives
en France sont dissuasives (B).
Au contraire, le CMF ne semble pas attaché à son pouvoir de sanction. En
effet, le Conseil est réticent à sanctionner les auteurs des manquements
boursiers. Une réticence qui combinée aux faibles sanctions que le Conseil
peut édicter, font que les sanctions administratives en matière boursière n’ont
qu’un faible pouvoir dissuasif en Tunisie (A).
et
de
sans
l'AMF
pénale,
attendre
suivant est
le mécanisme
et d'infraction pénale,
853 Un rapport qui propose pour pallier au cumul d’infractions, de poursuite et de sanction entre
l’autorité administrative et la justice pénale de réduire le pouvoir de sanction de l’AMF.
Il propose, pour tous les faits susceptibles de recevoir à la fois la qualification de manquement au
règlement de
:
- obligation pour l'AMF de dénoncer au plus vite au parquet les faits susceptibles de recevoir une
;
qualification
- conduite parallèle de l'enquête AMF et de l'enquête judiciaire, avec des échanges d'informations, de
pièces
;
- dans l'attente de la décision finale du parquet quant à la suite judiciaire ou administrative, l'AMF
;
serait
- à l'issue de l'enquête pénale et après avis de l'AMF, le parquet aurait la possibilité de renvoyer la
procédure
;
- au cas où celle-ci ne serait finalement pas prononcée, il serait toujours possible pour le parquet de
poursuivre.
Coulon (J-M), « La dépénalisation de la vie des affaires », La Documentation française, Coll. des
rapports officiels, 2008, également accessible à l'adresse Internet suivante :
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000090/0000.pdf

administrative
l'engagement
notification
demandes
sanctions
pratiqués
sanction
suggéré
surseoir
l'AMF
d'ores
d'avis
griefs
tenue
qu'ils
pour
sont
déjà
une
tels
de
de
de
et
la
à
à
345




Page 354
A- Des sanctions non dissuasives
648. Différents facteurs nous amènent à douter de l’efficacité de l’action de
l’autorité administrative tunisienne. En effet, l’action du Conseil du marché
financier pêche, sur deux points essentiels :
D’une part, le CMF ne semble pas user des ressources et des prérogatives
mises à sa disposition de la meilleure des manières et fait preuve d’un
manque de fermeté flagrant dans la sanction des atteintes à la règlementation
boursière (1). D’autre part, les sanctions qu’est habilité à prononcer le Conseil
sont bien faibles (2).
1- Un manque de fermeté flagrant
649. Il est tout à fait étonnant de constater la non utilisation par le CMF de son
pouvoir de sanction. Surtout lorsqu’on voit l’importance qu’attache l’autorité de
régulation française à ce pouvoir et l’acharnement dont celle-ci fait preuve
lorsqu’il s’agit de défendre cette prérogative
face aux rapports et avis
doctrinaux qui proposaient de lui ôter cette faculté de châtier les contrevenants
à son règlement.
650. L’attitude du CMF pourrait nous induire à croire en l’illusion d’une parfaite
harmonie, probité et intégrité des sociétés cotées en bourse et de leurs
dirigeants.
Malheureusement, au vu de plusieurs éléments concrets, il nous est permis de
douter de cette vision idyllique des marchés boursiers tunisiens.
Ainsi, lorsqu’il s’agit du respect par les sociétés cotées en bourse de leurs
obligations en matière d’information du public, une des missions les plus
importantes du Conseil, le constat est peu reluisant.
346





Page 355
651. Une étude854 commandée par le Conseil du Marché Financier suite à une
initiative conjointe avec la Banque Mondiale et financée par un don du
Gouvernement Japonais dans le cadre des études liées aux réformes du
secteur financier, est édifiante.
En effet, la pratique boursière montre que l’information financière annuelle se
limite à la production des comptes annuels avec des commentaires minimums.
Il est à rappeler, que le contenu de ces comptes a été précisé par les articles 3
de loi n°94-117 du 14 novembre 1994 et 42 du règlement du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne. Mais la plupart des sociétés ne satisfont pas à
l’ensemble de leurs obligations. De même, beaucoup de sociétés publient leur
information annuelle en retard.
652. Certes, il y’a une amélioration. A la lecture des différents rapports
annuels du CMF, on s’aperçoit que le CMF fait l’éloge de « l’ancrage de plus
en plus profond de la culture de la transparence dans l’esprit d’une grande
partie des dirigeants des sociétés faisant appel public à l’épargne, surtout
celles admises à
la cote, dont la plupart, ont pris conscience de leur
responsabilité à l’égard du marché »855.
Pourtant cette année-là, 33,33% des sociétés admises à la côte n’ont pas
respecté le délai de dépôt auprès du CMF des documents approuvés par les
AGO tenues en 2006.
En ce qui concerne les états financiers intermédiaires en juin 2006, 27,66 %
des sociétés admises à la cote de la bourse ne respectaient pas le délai de
dépôt auprès du CMF des états financiers intermédiaires tels qu'arrêtés au 30
juin 2006.
Pour la même année, Le degré de respect du délai légal des déclarations de
franchissement de seuils de participation était de 4,44% pour les personnes
physiques et 31,11% pour les personnes morales.
De même, en 2006 l’examen de la conformité aux exigences réglementaires
du contenu des rapports d’activités des sociétés qu’elles soient admises à la
854 « Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en
Tunisie », mai 2002 disponible sur le site : www.cmf.org.tn
855 Rapport annuel du CMF 2006, p41.
347



Page 356
côte ou non admises, montre que les sociétés faisant appel public à l’épargne
sont encore loin de satisfaire à leurs obligations légales en la matière.
En 2008, le rapport annuel du CMF nous apprend que 23 émetteurs n’ont pas
rendu leur rapport annuel à temps856.
En 2009, la situation n’a pas changé. Face aux retards sans cesse réitérés de
la part de certaines entreprises cotées en bourse857, dans la publication des
indicateurs d’activité fixés selon les secteurs, le CMF réagit par une simple
invitation à se conformer aux exigences légales.
653. Pourtant, l’article 82 de la loi du 14 novembre 1994, tel que modifié par la
loi du 18 octobre 2005, autorise le Conseil à prononcer des sanctions
pécuniaires à l’encontre des dirigeants des sociétés qui ne se conforment pas
à ces obligations de transparence.
Pis encore, la lecture du rapport annuel 2008 du Conseil, nous apprend qu’en
2005, les services de l’autorité de régulation du marché financier ont détecté
des opérations d’achats et de ventes d’une société cotée en bourse ayant
pour effet une évolution significative de
l’action de cette société. Les
investigations ont abouti à
la preuve qu’un
investisseur est
intervenu
continuellement sur le marché avec des opérations d’achats et de ventes à
travers plusieurs
intermédiaires en bourse avec pour conséquence une
entrave au bon fonctionnement du marché et une évolution non justifiée de
prix des actions858.
654. Là encore, le CMF a fait preuve d’une mansuétude particulièrement
surprenante puisqu’il « s’est contenté d’ordonner à l’investisseur de cesser ses
856 Rapport annuel du CMF 2008, p. 51.
857 Celles-ci ne respectaient pas les dispositions de l’article 21 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
portant réorganisation du marché financier tel que modifié par la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005
dans son article 18 qui leur impose de déposer, au conseil du marché financier et à la bourse des
valeurs mobilières de Tunis ou de leur adresser, outre les documents prévus à l’article 3 de la présente
loi, des indicateurs d’activité fixés selon les secteurs, par règlement du conseil du marché financier, et
ce, au plus tard vingt jours après la fin de chaque trimestre de l’exercice comptable.
Lesdites sociétés doivent procéder à la publication desdits indicateurs trimestriels au bulletin officiel
du conseil du marché financier et dans un quotidien paraissant à Tunis.
858 Rapport annuel 2008 du CMF p. 64.
348



Page 357
agissements et de ne plus recommencer ses forfaitures à l’avenir ». Quelle
dure sanction pour un délit !
On est en droit de se poser des questions sur les raisons qui ont empêché
l’autorité administrative d’édicter les sanctions pécuniaires prévues par l’article
40 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994859 .
La réponse du Conseil est donc, toujours la même, « pédagogique »860. Pour
cette institution, il est clair que là où des sanctions, ou des injonctions
devraient être pris, une simple invitation de faire ou de ne pas faire suffit. Pas
de quoi dissuader les éventuels fraudeurs.
655. La presse spécialisée se fait l’écho d’autres affaires pour le moins
troublantes.
Le titre boursier SOTETEL a caracolé pendant un bon bout de temps, à la tête
des hausses à la bourse de Tunis. Ces hausses étaient dues à des rumeurs
de
l’imminence d’une offre publique d’achat (OPA) sur les titres de la
SOTETEL.
Le CMF a fini par réagir, en invitant la société à communiquer si elle avait des
informations pouvant justifier la hausse constatée.
La Sotetel a démenti, par communiqué, qu’il y’ait un fait important susceptible,
s’il était connu, d’avoir une incidence significative sur le cours boursier.
Le titre de la Sotetel a alors chuté considérablement durant les jours suivant la
publication de ce communiqué. Pourtant, là encore le CMF n’a pas donné
suite et n’a rien fait pour arrêter les agissements de ces propagateurs de
rumeurs.
859 Ce texte prévoie une amende de 20.000 dinars et lorsque des profits ont été réalisés, cette amende
peut atteindre le quintuple du montant des profits réalisés à condition que le montant de l'amende soit
fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de
ces manquements.
860 Ben Hedi (R), « Tunisie : le CMF rappelle, une fois encore, aux entreprises leurs obligations »,
13/01/2009
http://www.businessnews.com.tn/BN/BN-lirearticle.asp?id=1086180

349



Page 358
656. Une enquête aurait surement dû être diligentée pour savoir qui a propagé
ces rumeurs. Savoir qui a profité des hausses et des cours du titre aurait pu
aider le CMF dans ses recherches.
Mais voilà, pour ce faire, il aurait fallu qu’il y’ait une volonté de la part du CMF
de sévir face à ces atteintes à l’intégrité et à la transparence des marchés
financiers. Et là on peut difficilement trouver une explication à ce laxisme dont
fait preuve l’autorité de régulation. En effet, il est inconcevable que le marché
boursier tunisien puisse être manipulé par des spéculateurs propageant des
rumeurs et faisant augmenter (ou baisser) le titre de leur choix. 861
657. Plus récemment, le « mystère » de l’envolée vertigineuse de la valeur de
l’action de la société cotée à la bourse de Tunis Electrostar n’a pas ému outre
mesure le CMF.
Malgré une situation
financière pas du
tout avantageuse et un
taux
d’endettement alarmant, le cours de Bourse de cette société a connu une
hausse très importante. Alors que le titre était coté à 3,700 dinars le 12 mars
2012 sa valeur a grimpé à hauteur de 16,260 dinars, le 9 mai 2012. Chaque
jour, 20 000 titres en moyenne ont changé de main, contre moins de 500 au
cours des deux mois qui ont précédé. Cette toute petite valeur, peu liquide, a
vu sa part dans les échanges multipliée par 50862.
Aucune enquête n’a été diligentée pour connaitre les raisons ayant conduit à
cette hausse déraisonnable. Le CMF s’est contenté d’inviter
la société
concernée à expliquer les mouvements en bourse observés récemment sur
ses titres.
861 Bahloul (N), « Le marché boursier tunisien ressemble-t-il à un jouet entre les mains de spéculateurs
? », http://www.businessnews.com.tn/details_article.php?t=520&a=22112&temp=1&lang=&w=
, 20/10/2010

862 Maury (F), « Electrostar, un mystère qui électrise le marché », 25 avril 2012, disponible sur
http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2674p128-129.xml0/. ;
Ben Hedi (R),« Bourse de Tunis -
Suspension de la cotation d’Electrostar », http://www.businessnews.com.tn/Bourse-de-Tunis---
Suspension-de-la-cotation-d%E2%80%99Electrostar,520,30975,3
350



Page 359
En réponse à
la
lettre du Conseil du Marché Financier,
la société a
communiqué ce qui suit :
« La société ELECTROSTAR informe ses actionnaires qu’aucune information
ou évènement n’est intervenu, susceptible de provoquer une telle hausse du
cours et des titres échangés ou de l’expliquer »863.
Aucune explication n’est donc donnée à cette envolée mystérieuse du prix de
l’action de cette société et le CMF ne trouve rien à y redire.
658. Voilà, le constat est là, un nombre encore trop important d’émetteurs ne
se conforment pas aux exigences légales en matière d’information financière.
Un nombre trop important de sociétés faisant appel public à l’épargne privent
les investisseurs d’informations sur la situation réelle de l’entreprise.
659. Il faut dire à cet égard, que le manque de fermeté du CMF n’est pas
étranger à cette situation. Car au-delà de la comparaison, peu flatteuse pour le
CMF, avec l’Autorité des marchés financiers française, le parallèle avec le
Conseil de la concurrence met en exergue l’inaction du CMF.
En effet, à plusieurs reprises le Conseil de la concurrence a prononcé des
sanctions à l’égard d’entreprises qui se rendent coupables de pratiques anti -
concurrentielles. Ainsi, dans une décision n° 3146 en date du 27 mars 2004, le
Conseil de la concurrence a infligé à une société à laquelle il reproche un abus
de position dominante, une peine d’amende de l’ordre de 100.000 dinars. Le
Conseil a en outre obligé cette société à publier la décision de sanction dans
deux quotidiens.
De même, dans sa décision n°81168 en date du 20 mai 2010, le Conseil de la
concurrence a sanctionné la société « Mecanica » d’une peine d’amende pour
des pratiques portant atteinte à la concurrence d’une peine d’amende de
80.000 dinars.
Communiqué
863
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/comste_300312_ELECTROSTAR.pdf
disponible
2012,
CMF
mars
du
du
30
sur :
351





Page 360
Dans une autre affaire, objet de la décision n°81180 en date du 22 juillet 2010,
le Conseil de la concurrence a prononcé à l’égard de plusieurs sociétés
productrices de livres scolaires des sanctions pour entente illicite consistant en
des peines d’amende allant de 5000 à 80000 dinars.
660. Il est grand temps que le CMF engage le combat. L’autorité de régulation
se doit d’utiliser toute la panoplie de moyens qu’a mis le législateur à sa
disposition. A défaut, le sentiment d’impunité qui prévaut ne pourra que
perdurer.
L’autorité de régulation des marchés financiers se doit de renforcer le suivi de
l’information permanente actuellement livrée à la volonté totale des émetteurs.
Celle-ci, doit à ce niveau être davantage à l’écoute du marché en mettant en
place une cellule de suivi et de collecte d’informations qui soit constamment
en contact avec les intermédiaires et la Bourse et ce, afin d’obliger les
dirigeants à confirmer ou démentir de manière officielle et rapide les rumeurs
pouvant influencer les cours. L’autorité administrative, se doit de mettre en
place et d’appliquer des sanctions pécuniaires et administratives aux sociétés
résistant à ses injonctions864. De même, l’autorité de régulation, ne doit pas se
décharger de ses obligations sur les experts auditeurs.
661. Le CMF en a peut-être pris conscience et semble lentement s’engager
dans la voie d’une plus grande fermeté.
Ainsi, dans une décision récente, le Conseil a enfin décidé de sévir et
d’exercer ses pouvoirs de sanction et ce suite au défaut de déclaration dans le
délai réglementaire du franchissement du seuil de participation de 5%. Le
CMF a décidé de priver l'investisseur intéressé ainsi que les personnes avec
lesquelles il agit de concert, de l'exercice de leur droit de vote au titre des
actions détenues en
franchissement du seuil de 5% du capital de
la
864« Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en
Tunisie », mai 2002 p 128. Disponible sur le site : www.cmf.org.tn
352




Page 361
SOTUVER. Et de prononcer une sanction pécuniaire de mille dinars à
l'encontre de l'intéressé865.
662. Pourvu que ça dure. Il en va de la crédibilité de l’autorité de surveillance
des marchés et de l’avenir des marchés financiers tunisiens. Surtout que le
contexte risque de se compliquer avec
l’internationalisation des marchés
financiers.
La première double cotation d’une société à la bourse de Tunis et à une
bourse étrangère866, qui aurait dû être suivie par la double cotation de Tunisie
Telecom à la BVMT et Euronext Paris867, augure de nouvelles complications
que devra apprendre à gérer le Conseil.
663. Au final, il apparait évident que l’autorité tunisienne de régulation des
marchés financiers ne semble pas croire en son pouvoir de sanction. Elle
semble plus croire en la pédagogie qu’en la sanction. Ainsi, le gendarme
boursier ne fait usage de son pouvoir de sanction disciplinaire que rarement.
Quant à son pouvoir de sanctionner pécuniairement sociétés cotées en bourse
et dirigeants sociaux, le Conseil ne semble pas du tout y avoir recours.
A cet état de fait, s’ajoute le faible effet dissuasif opéré par les montants des
sanctions pécuniaires ridiculement basses qu’est en mesure d’édicter
le
Conseil du Marché Financier.
31
du
est
sur
dont
Décision
l’annonce
disponible
décembre
865
2009
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/com_311209_Franchissement_du_seui
_de_participation.pdf. On peut regretter à cet égard que le CMF ne publie pas le texte intégral de la
décision de sanction comme le font ses homologues étrangers en France ou aux Etats-Unis.
866 Ennakl est entré en bourse via une double cotation à la Bourse de Tunis et à la Bourse de
Casablanca, au moyen d’une ouverture de son capital au public à hauteur de 40 % (30 % placé en
Tunisie et 10 % au Maroc), par la cession de 9 000 000 d'actions au prix unitaire de 10, 700 dinars
l'action pour la Tunisie et de 3 000 000 d’actions à 64,22 dirhams au Maroc et ce en juin 2010. Voir
http://www.leaders.com.tn/article/double-cotation-du-tunisien-ennakl-automobiles-a-la-bourse-de-
tunis-et-a-la-bourse-de-casablanca
867 Tunisie
lance
http://www.leaders.com.tn/article/tunisie-telecom-lance-son-entree-en-bourse-a-paris-et-
tunis?id=3490.
Telecom
bourse
entrée
Tunis,
Paris
son
en
et
à
353






Page 362
2- De faibles sanctions
664. La faible dissuasion des sanctions édictées par le Conseil du marché
financier découle de deux points essentiels.
En premier
lieu, contrairement aux sanctions édictées par l’AMF et qui
atteignent des montants stratosphériques868, les sanctions pécuniaires qu’est
capable du Conseil sont d’un montant très bas (a).
Ensuite, alors que
la publication des sanctions édictées par
l’AMF est
automatique869, cette publication n’est qu’une faculté offerte au CMF qui
demeure libre de ne pas procéder à une telle publication (b).
a-
Des amendes au montant très bas
665. Le Conseil du Marché Financier est habilité, lors d'une réunion de son
collège tenue à cet effet, après respect des procédures garantissant les droits
de défense, à prononcer à l'encontre des auteurs des pratiques contraires à
son règlement870une amende au profit du Trésor Public qui ne peut excéder
20.000 dinars et lorsque des profits ont été réalisés, cette amende peut
atteindre le quintuple du montant des profits réalisés à condition que le
montant de l'amende soit fonction de la gravité des manquements commis et
en relation avec les avantages ou les profits tirés de ces manquements871.
666. Là encore, une comparaison avec les sanctions pécuniaires que sont en
mesure d’infliger les autorités administratives étrangères est édifiant.
En France, on l’a vu, l’Autorité des marchés financiers est en mesure d’édicter
des amendes allant jusqu’à 100 millions d’euros.
868 V. infra p. 354.
869 V. infra p.358.
870 Lorsque ces pratiques ont pour effet de :
- fausser le fonctionnement du marché ;
- procurer aux intéressés un avantage injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du
marché ;
- porter atteinte au principe d'égalité d'information ou de traitement des épargnants ou à leurs intérêts ;
- faire bénéficier les émetteurs et les épargnants des agissements d'intermédiaires contraires à leurs
obligations professionnelles.
871 Article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
354




Page 363
En Jordanie, le Conseil du marché financier est en droit d’infliger une amende
allant jusqu’à cinquante mille dinars872.
667. Par ailleurs,
la comparaison avec les sanctions qu’est capable de
prononcer le Conseil de la concurrence fait ressortir la faiblesse des peines
d’amende qu’est habilitée à prononcer le CMF.
Ainsi, l’article 34 de la loi n°91-64 du 29 juillet 1991, relative à la concurrence
et aux prix habilite le Conseil de la concurrence à sanctionner les opérateurs
ayant méconnu l’une des prohibitions édictées par l’article 5 de cette loi 873,
d’une peine d’amende pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires réalisé en
Tunisie par l’opérateur concerné aux cours du dernier exercice écoulé.
Une telle amende peut atteindre des sommes très importantes, en fonction de
la taille de l’entreprise poursuivie et peut remplir un rôle dissuasif.
668. Au final, il est évident qu’au vu des enjeux financiers énormes générés
par les sociétés cotées en bourse, les peines d’amende qu’est capable de
prononcer le Conseil de la concurrence est loin d’être dissuasive surtout que
les infractions boursières ne génèrent pas forcément de profit mais peuvent
porter gravement atteinte à la réputation d’une place boursière.
872 Article 22 de la loi jordanienne relative aux valeurs mobilières, 2002.
873 Aux termes de l’article 5 nouveau de la loi n°91-64 du 29 juillet 1991 : « Sont prohibées, les
actions concertées, les collusions et les ententes expresses ou tacites ayant un objet ou un effet
anticoncurrentiel, et lorsqu'elles visent à :
1. faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de l'offre et de la demande, limiter ou
contrôler la production, les débouchés, les investissements, ou le progrès technique,
2. répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
fournisseur qui ne dispose pas de solutions alternatives, pour
Est prohibée, également, l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché intérieur ou sur
une partie substantielle de celui-ci, ou d'un état de dépendance économique dans lequel se trouve une
la
entreprise cliente ou
commercialisation, l'approvisionnement ou la prestation de service.
L'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique peut consister
notamment en refus de vente ou d'achat, en ventes ou achats liés, en prix minimums imposés en vue de
la revente, en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales
sans motif valable ou au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions
commerciales injustifiées.
Est nul, de plein droit, tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à l'une des
pratiques prohibées en vertu des paragraphes 1 et 2 du présent article.
Est également prohibée, toute offre de prix ou pratique de prix abusivement bas susceptible de
menacer l'équilibre d'une activité économique et la loyauté de la concurrence sur le marché. »
355





Page 364
b-
Une publication possible des décisions
669. Complémentairement, le Conseil du Marché financier peut également
ordonner aux frais des intéressés la publication de ses décisions dans les
journaux qu'il désigne dans les 15 jours qui suivent l'ordre de publier 874.
Ce dispositif s’avère particulièrement intéressant pour le Conseil. En effet, en
annonçant
les sanctions prises à
l’encontre des contrevenants à
la
réglementation, l’attention est attirée sur le rôle du CMF en tant qu’organe de
contrôle et de surveillance du marché financier, garant de la protection de
l’épargne. De plus, en donnant l’exemple, un effet dissuasif peut être ainsi
obtenu ce qui pourrait empêcher d’autres intervenants de transgresser la loi.
Le CMF gagne ainsi non seulement en termes d’image mais aussi en termes
de moralisation des divers intervenants875.
670. Et il faut dire à cet égard, que dans les cadre de sanctions disciplinaires
dirigées à l’encontre de la société d’intermédiation FINACORP en la personne
de son représentant légal, le CMF a procédé à la publication de la sanction sur
son site internet876.
Il en a été de même concernant une sanction disciplinaire infligée à la «
Société
Internationale d’Intermédiation et de Conseil en Finance et
Investissement - SICOFI », en la personne de son représentant légal877.
On aurait, par contre, préféré que le CMF publie l’intégralité du texte des
décisions de sanction prononcées. Et ce pour des raisons pédagogiques afin
de faciliter l’accès à la jurisprudence du CMF.
874 Article 40 alinéa 4 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
875 « Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en
Tunisie », Mai 2002 p134. Disponible sur le site www.cmf.org.tn
876 V. communiqué CMF du 29 novembre 2011,
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/com_291111_fr.pdf
877 V. communiqué CMF du 19 novembre 2010,
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/com_191110_sanction_SICOFI_fr.pdf

356




Page 365
671. D’ailleurs, cette sanction aurait été plus dissuasive si elle avait été
automatique et non pas laissée à la discrétion du CMF. Et ce à l’instar de ce
qui prévaut en France où les sanctions administratives sont dissuasives.
B- Des sanctions dissuasives
672. La reconnaissance à l’autorité française de régulation des marchés
financiers d’un pouvoir réglementaire et d’un pouvoir de sanction a sans doute
contribué à rendre plus efficace la répression des comportements frauduleux
sur les marchés boursiers.
Sur ce point, l’Autorité des marchés financiers n’a pas à se plaindre. Celle-ci
est capable d’édicter des sanctions financières extrêmement dures. D’ailleurs,
le montant des sanctions que peut prononcer l’AMF a été récemment décuplé
(1). Mais l’effet, de dissuasion n’opère pas uniquement à travers le montant de
la sanction potentielle. L’AMF est, en effet, capable de toucher un point
sensible pour toute société et tout dirigeant : l’image et la réputation. Car les
décisions de sanctions prononcées par la Commission des sanctions font
l’objet d’une publication automatique (2).
1- Des sanctions au quantum décuplé
673. Les auteurs de pratiques contraires aux règlements boursiers s’exposent
à des sanctions pécuniaires d’une particulière importance. Ainsi, le montant
des amendes qu’est capable d’édicter l’AMF a été tout récemment multiplié
par dix878 pour atteindre un maximum de cent millions d’euros ou au décuple
du montant des profits éventuellement réalisés. Ces sommes sont versées au
Trésor public.
674. La tentative ou la commission d’un manquement d’initié, manipulation de
cours ou diffusion d’une fausse information ou tout autre manquement de
878 Capdeville (J-L), « Présentation générale de la loi de régulation bancaire et financière », L.P.A., 22
octobre 2010 n° 211, p. 3.
357



Page 366
nature à porter atteinte à la protection des investisseurs, fait encourir à la
société cotée en bourse et à ses dirigeants une amende maximale de 100
millions d’euros ou
le décuple du montant des profits éventuellement
réalisés879.
675. La gravité de l’amende infligée par la commission des sanctions de l’AMF
dépend de plusieurs facteurs.
Ainsi, plusieurs éléments sont considérés comme aggravants par
la
commission des sanctions.
Il en est ainsi, de
la multiplicité des
manquements880 , de la répétition des manquements881, de la qualité de
professionnel du mis en cause882, de l’effet du manquement sur le marché883,
de l’ampleur du préjudice subi par les épargnants884, de l’importance des
profits ou avantages
réalisés885, de
l’importance pour
le marché de
l’information dissimulée ou communiquée886 ou encore de la méconnaissance
des principes essentiels de l’information financière887.
676. D’autres circonstances sont par contre considérées comme atténuantes.
La situation financière du mis en cause888, la situation personnelle du mis en
cause 889, le jeune âge ou l’inexpérience du mis en cause 890, les efforts et
diligences effectués par le prévenu depuis les manquements891, le caractère
récent de règles méconnues892 ou dont la portée a pu ne pas apparaître
879 Ces plafonds concernent les manquements commis après l’entrée en vigueur de la loi de régulation
bancaire et financière du 22 octobre 2010.

880 Ex : AMF, 6 décembre 2007
881 Ex : AMF, 1er mars 2007
882 Ex : apporteur d’affaire AMF, 4 décembre 2008 ; ou analyste, AMF, 12 novembre 2009
883 Ex : gravité du manquement relatif à un dépassement du délai de livraison en raison de son
incidence sur la fluidité et l’intégrité du marché, AMF, 4 septembre 2008
884 Ex : AMF, 26 octobre 2006
885 Ex : AMF, 17 décembre 2009
886 Ex : AMF, 4 décembre 2008
887 V. par exemple : AMF, 16 décembre 2010
888 Ex : difficultés économiques ou redressement judiciaire de la société, AMF 1er mars 2009 ; AMF,
15 octobre 2009
889 Ex : sans emploi AMF, 5 mars 2009 ; AMF 21 janvier 2010
890 Ex : AMF, 16 novembre 2006 ; AMF, 4 septembre 2008
891 Ex : dispositions prises pour prévenir le renouvellement des manquements AMF, 5 octobre 2006 ;
dispositions prises par la société pour dédommager ses clients, AMF, 18 juin 2009 ; mise en
conformité avec la règlementation, AMF, 20 mai 2010 ; AMF, 28 janvier 2010
892 Ex : règles relatives aux obligations de déclaration des dirigeants AMF, 1er octobre 2009
358



Page 367
clairement 893ou encore l’absence de gravité du manquement894 sont autant
d’éléments qui font que la commission des sanctions revoit à la baisse le
montant des sanctions pécuniaires qu’elle prononce.
677. D’autres éléments n’entrent pas en compte et sont indifférents pour la
détermination de la sanction.
Ainsi, la circonstance, sans incidence sur la continuité de la personne morale,
que postérieurement aux faits reprochés les principaux dirigeants de la société
ont été changés, ne peut être prise en compte pour la détermination du
montant de la sanction895.
Dans tous les cas, le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la
gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les
profits éventuellement tirés des manquements896, ce qui est une application du
principe de proportionnalité des sanctions.
678. La commission des sanctions n’ pas eu la main légère en matière de
quantum des sanctions et a infligé de lourdes amendes aux émetteurs et à
leurs dirigeants.
Ainsi, pour un manquement d’initié la commission des sanctions est allée
jusqu’à infliger une amende de 5 000 000 € à une Personne physique897 et de
1 500 000 € à une personne morale898. De même, en matière de manipulation
de cours, la commission des sanctions a infligé une amende de 7 114 668 € à
une personne morale899 et de 1 770 480 € à une personne physique900. Les
peines pour un manquement à l’obligation d’information du public semblent
plus légères. Ainsi, la commission des sanctions a infligé une amende de 1
893 Ex : règle relative au délai de livraison des titres AMF, 27 novembre 2008.
894 Modicité des sommes en cause, manquement insusceptible d’affecter le marché, AMF, 4 novembre
2010.
895 AMF, 1er octobre 2009
896 Article L. 621-15-III, dernier alinéa du code monétaire et financier.
897 AMF, 20 novembre 2008, par un arrêt du 24 novembre 2009, la cour d’appel de Paris a réduit le
montant de cette sanction à 3 000 000 €.
898 AMF, 7 juin 2007, manquement d’initié.
899 AMF, 9 mars 2006.
900 AMF, 9 mars 2006, manipulation de cours.
359



Page 368
500 000 €901 à une personne morale et de1 500 000 €902 à une personne
physique903.
On le voit donc, le montant des sanctions est dissuasif et est de nature à
conférer plus d’efficacité à l’action de l’autorité de régulation.
679. Il semble tout de même regrettable, que contrairement à l’amende
pénale, la sanction administrative peut être inférieure au profit réalisé, ce qui
n’apparaît guère dissuasif. Dans une décision904 du 1er juin 2006, l’AMF, a
tenu compte « des circonstances particulières dans lesquelles le manquement
a été commis et des efforts entrepris, au sein de la société, dès le début de
l’enquête, pour prévenir le renouvellement de faits de cette nature », et a
édicté une sanction pécuniaire d’un montant de 50 000 €, à l’encontre d’un
initié ayant dégagé un profit de 133 300 €, lui permettant ainsi de réaliser un
gain résiduel de 83 300 €.
680. La solution retenue par l’AMF semble reprendre certains travers de la
COB qui sanctionnait moins sévèrement que le juge pénal les ventes de titres
par un initié en possession d’une information privilégiée, avant une baisse des
cours905.
Alors que les opérations d’initiés sont des infractions qui se caractérisent par
leur faible taux et leur important coût de détection, et qui nécessitent par
conséquent selon une analyse économique le recours à une forte amende
pour assurer l’efficacité de la répression et « permettre aux individus de
mesurer le dommage exact qu’engendre leur comportement, non pas à travers
la perception biaisée qu’ils ont du sort des autres, mais à travers le coût que la
sanction leur impose »906.
901 AMF, 29 mars 2007.
902 AMF, 13 décembre 2010.
903 Communiqué AMF, « Le montant de la sanction pécuniaire », 27 janvier 2011 http://www.amf-
france.org/documents/general/9650_1.pdf
904 Stasiak (F), Note sous décision AMF du 1er juin 2006, Bull. Joly bourse 2006 p.764.
905Sonntag (C), « Préjudice et sanctions des infractions d’initiés : approche juridique et économique »,
in « L’organisation des dispositifs spécialisés de lutte contre la criminalité économique et financière en
Europe », sous la direction de Deffains (B), Stasiak (F), 2004, LGDJ, p. 152
906 Sonntag (C), Op.cit p. 140
360



Page 369
681. En tous cas, il est certain qu’infliger une sanction pécuniaire inférieure au
profit retiré par celui qui a commis un délit boursier ne peut participer à la
préservation de l’intégrité des marchés boursiers et au renforcement de la
confiance des investisseurs en ces marchés907.
682. Par contre, bien que participant à renforcer le pouvoir de dissuasion de
l’autorité administrative, le rehaussement du plafond des sanctions n’a pas
que des côtés positifs. Ainsi, ce rehaussement est traditionnellement critiqué
par les associations d’actionnaires minoritaires qui la jugent contre-productive
puisque les premiers pénalisés seraient les actionnaires908. En effet, une
amende d’une telle ampleur ne manquerait pas de peser sur le cours de
bourse de la société épinglée.
D’autres pouvoirs de sanction attribués à l’AMF sont susceptibles, par ailleurs,
de participer à renforcer le pouvoir de dissuasion de l’autorité de régulation du
marché boursier. Il en est ainsi, de la publication des décisions de sanction.
2-
Une publication automatique des décisions de sanction
683. La dissuasion s’opère également à travers, la possibilité donnée à la
commission des sanctions de rendre publique sa décision, aux frais des
personnes sanctionnées, par des insertions dans des publications, journaux
ou supports qu'elle désigne909. Cette mesure est
très redoutée par
les
professionnels.
La publication des sanctions prononcées a été rendue automatique par la loi
du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière. Le principe est
néanmoins accompagné d'un tempérament. En effet, lorsque la publication en
question sera susceptible « de perturber gravement les marchés financiers ou
907 Stasiak (F), « Répertoire sociétés Dalloz, délits et manquements boursiers », septembre 2007 §51.
908 Le Monde du 4 mars 2005.
909 Article L. 621-15-V du code monétaire et financier.
361



Page 370
de causer un préjudice disproportionné aux parties en cause », la décision de
la Commission pourra l’écarter910.
684. Les éventuels auteurs des manquements aux réglementations de l’AMF
devraient donc y réfléchir à deux fois avant de commettre leur larcin car leur
réputation est en
jeu si
leurs
infractions sont découvertes par l’autorité
administrative.
685. Toujours, dans un souci de transparence et pour obtenir un effet
dissuasif, la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière 911 a
rendu les séances de la Commission des sanctions, par principe, publiques.
Ce qui n'était pas le cas avant la promulgation de cette loi. Mais, ce principe
n’est pas absolu et les séances ne seront pas toujours publiques. Car, d'office
ou sur la demande d'une personne mise en cause, le président de la formation
saisie de l'affaire pourra interdire au public l'accès de la salle pendant tout ou
partie de l'audience. Et ce lorsque, l'intérêt de l'ordre public, de la sécurité
nationale ou lorsque la protection des secrets d'affaires ou de tout autre secret
protégé par la loi l'exigera.
686. Au final, les sanctions prononcées par l’AMF se révèlent dissuasives
grâce à leur fort montant et à la publicité qui est faite autour d’elles.
En Tunisie,
le constat est
tout autre. Malgré des
textes en apparence
similaires à la législation française, l’action du Conseil du marché financier est
marquée par une inefficacité patente due au faible pouvoir dissuasif qu’elle
opère.
Néanmoins, un constat est partagé entre les droits tunisiens et français :
l’efficacité des autorités de régulation que sont le CMF et l’AMF pourrait
s’améliorer à travers l’adoption de certaines mesures.
910 Capdeville (J-L), « Présentation générale de la loi de régulation bancaire et financière », Op.cit.
p. 3.
911 Article 6 de la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière.
362





Page 371
Paragraphe 2- Des améliorations possibles
687. Les marchés financiers ont connu une globalisation sans précédent à
partir des années 1990. Cette globalisation a conduit à une complexification,
corrélée à une
forte
instabilité des marchés
financiers. Les hausses
spectaculaires des années passées ont laissé place aux chutes vertigineuses
des dernières années.
Cette mondialisation des marchés impose tout d’abord, une régulation des
marchés à l’échelle mondiale avec des gendarmes chargés de détecter les
anomalies découlant d’opérations risquées et ne comportant pas de garanties
effectives912.
688. La situation chaotique des marchés financiers a fait prendre conscience,
un peu partout de par le monde, de la nécessité de réguler les marchés
financiers. Ainsi, les Etats ont commencé à rechercher des solutions rendant
plus efficace l’action de ces autorités.
En France, on l’a vu des améliorations notables ont été réalisées afin de
rendre plus efficace l’action de l’AMF et de sanctionner ainsi convenablement
les atteintes aux marchés.
Mais faire face aux infractions et à la criminalité dont sont capables sociétés
cotées et dirigeants sociaux commande une amélioration continue de l’action
de l’AMF. Des améliorations qui devraient aussi être prises en compte par le
législateur
tunisien car elles sont susceptibles d’améliorer
l’efficacité de
l’action du Conseil du marché financier (A). D’autres améliorations spécifiques
à chacune des autorités de régulation tunisienne et française devraient en
outre être prises en compte (B).
912 Bouloc (B), « Alternatives et articulations entre types de sanctions en matière financière », Bull.
Joly Bourse, 01 décembre 2009 n° Spécial, p. 430.
363




Page 372
A- Des améliorations communes
689. Dans un premier
temps,
les autorités administratives
tunisienne et
française devraient être dotées du pouvoir de sanctionner les tentatives de
manquements (1). Ensuite, en vue de protéger les intérêts des victimes des
infractions boursières et de leur éviter de lourdes procédures au pénal ou au
civil, le CMF et l’AMF devraient être dotées du pouvoir d’indemniser les
personnes lésées par ces infractions (2).
1-
Sanctionner toutes les tentatives de manquements
690. Les tentatives de manquements boursiers ne peuvent être punis par le
Conseil du marché financier en Tunisie. En effet, le règlement du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne ne prévoit pas la possibilité de sanctionner les
tentatives de manquements d’initié et de communication d’une information
privilégiée.
C’est ce qui ressort de la lecture de l’article 47 du règlement du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne. Celui interdit uniquement le fait d' « exploiter » ou de
communiquer l’information privilégiée.
De ce fait, tenter d’exploiter ou de communiquer une information privilégiée ne
devrait pas prêter à conséquence. Il en est de même en ce qui concerne les
tentatives de manipulation de cours et de diffusion d’une information fausse.
691. En France ,la situation n’était pas dans un premier temps différente : la
tentative de manquement d'initié n'était pas directement visée par les textes.
Cela n'avait pas empêché
l'AMF et
les
tribunaux de sanctionner des
manquements d'initiés qui n'avaient rien rapporté à leur auteur, l'infraction
ayant été consommée. L'AMF tenait seulement compte de cette absence de
profit dans le quantum de l'amende pécuniaire infligée913.
913 Bucher (F), « De quelques aspects de droit boursier issus de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005
pour la confiance et la modernisation de l’économie, dite loi Breton, et de la loi n° 2005-811 du 20
juillet 2005 », Bull. Joly Bourse 2005, pp. 688 et s.

364



Page 373
692. Mais la tentative va bien entendu au-delà de ce cas de figure et
désormais depuis la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la
modernisation de l'économie, dite loi Breton. La tentative d’opération d’initié
est punissable par l’autorité de régulation, alors que la tentative de délit d’initié
n’est pas punissable pénalement par les autorités judiciaires. Les dispositions
de l’article L. 621-15, II, c et d du code monétaire et financier914 permettent à
l’AMF de sanctionner non seulement toute personne qui s’est livrée mais aussi
toute personne qui a tenté de se livrer à une opération d’initié. Par contre, le
texte en question se contente d’accorder à l’AMF la possibilité de punir le
manquement de manipulation de cours ou de diffusion d’une
fausse
information sans en sanctionner la tentative.
693. Il faut rappeler à cet égard les dispositions de l’article 121-5 du Code
pénal qui dispose que la tentative est constituée dès lors que « manifestée par
un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son
effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son
auteur ». Sur ce sujet,
la chambre criminelle de la Cour de cassation
française915 assure que « constitue un commencement d’exécution tout acte
qui tend directement au délit lorsqu’il a été accompli avec l’intention de le
commettre ». Cela veut dire que l’acte exécuté doit être en liaison directe avec
l’infraction. Et ce même, s’il ne s’agit pas d’un élément constitutif ou d’une
circonstance aggravante du délit. Peut-être pourrait-on considérer qu’il y a
tentative d’opération d’initié lorsque le détenteur d’une information privilégiée
propose de vendre ou d’acquérir de gré à gré des titres cotés ou donne un
ordre de Bourse qui n’est pas exécuté pour des raisons indépendantes de sa
volonté.916
694. Sur ce point, on peut s’étonner de l’absence d’incrimination de la
tentative de manipulation de cours. Il est en effet plus simple de concevoir une
915 Cass. crim., 3 décembre 1927, S. 1929, I, p. 119 ; Cass. crim.,11 juin 1975, Bull. crim., n° 150 ; V.
sur la notion de tentative
Bouloc (B), « Droit pénal général », Dalloz, 19e Ed., 2005, n° 234.
916 Rontchevsky (N), « Révision des délits et manquements boursiers », Banque et Droit n° 108 –
juillet-août 2006 p. 18.
365




Page 374
tentative de manipulation de cours que des cas concrets de
tentative
d’opération d’initié.
La
règlementation boursière
française gagnerait en cohérence et en
exhaustivité si elle envisageait de plus
la possibilité de poursuivre une
tentative de manipulation de cours ou même encore une tentative de diffusion
d’une fausse information. Le manquement de manipulation de cours étant en
soit plus néfaste et plus dommageable qu’un manquement d’initié. Un tel ajout
pourrait participer à rendre plus efficace l’action de l’AMF.
Le même
raisonnement étant valable pour
la
règlementation boursière
tunisienne qui devrait permettre au CMF de sanctionner toutes les tentatives
d’infractions boursières. Cela conférerait plus d’efficacité et participerait au
pouvoir de dissuasion de l’autorité de régulation tunisienne.
Mais l’amélioration la plus importante à apporter aux pouvoirs des autorités de
régulation tant tunisienne que française serait de les doter de la possibilité
d’indemniser les victimes des infractions boursières.
2- Absence d’une dimension réparatrice
695. « La sanction est importante mais elle n’est qu’une des facettes de la
justice »917. Assurer une bonne indemnisation des victimes de ces infractions
est tout aussi important que de sanctionner les auteurs des agissements
répréhensibles. Il est donc intéressant de s’interroger sur le rôle que peut jouer
l’Autorité administrative dans
la réparation des préjudices subis par
les
victimes des manquements à la réglementation boursière ?
696. A cet égard, dire que
la politique de sanction des autorités
administratives relève plus de
la répression que de
l’indemnisation des
victimes est une lapalissade. En effet, si comme on l’a précédemment
évoqué, l’autorité de régulation dispose de pouvoirs répressifs importants, on
ne peut pas en dire autant pour ce qui est des possibilités dont elle dispose
917 Jouyet (J-P), « La place de la sanction dans la régulation des marchés financiers », Bull. Joly
Bourse, 01 décembre 2009 n° Spécial, p. 419.
366






Page 375
pour indemniser les victimes de ceux qu’elle sanctionne. Car le CMF à l’instar
de son homologue français ne se soucie guère des victimes des infractions
boursières. Son rôle est de protéger « l'épargne investie en valeurs mobilières,
produits financiers négociables en bourse et tout autre placement donnant lieu
à appel public à l'épargne »918 et non les épargnants.
697. Tout au plus, l’article 34 de la loi du 14 novembre 1994 habilite le Conseil
du marché financier à recevoir de tout intéressé les pétitions et plaintes qui
entrent, par leur objet, dans sa compétence. Mais là encore, son pouvoir reste
discrétionnaire et l’autorité de régulation est libre de donner les suites qu'elles
comportent dans un délai de deux mois à partir de la date de leur réception.
Le CMF souffre donc de l’absence d’une dimension réparatrice qui serait bien
utile dans une optique de renforcement de la confiance de l’investisseur dans
les marchés financiers.
698. De même, la mission de police administrative dont est chargé l’AMF, ne
comprend pas la réparation du préjudice individuel causé par les entités
qu'elle régule. L'AMF a pour rôle de veiller à l'intégrité et à la sécurité du
marché, notamment en punissant les agissements répréhensibles qu'il pourrait
subir, mais cette
fonction
répressive ne comprend pas de dimension
réparatrice919.
D’ailleurs,
les sanctions administratives
infligées à
l'encontre des auteurs
d'infractions à la réglementation boursière, ne se soucient pas du sort des
victimes : les amendes édictées ne sont pas restituées aux victimes des
infractions sanctionnées, mais versées au Trésor public.
699. Il faut dire tout de même que la question ne désintéresse pas totalement
l’autorité de régulation française. Dès 1991, en effet, la COB avait commandé
un rapport sur ce thème. Celui-ci avait conclu à ce qui semble être une
évidence, c'est-à-dire
l’«... absence quasi-totale de réparation civile des
918 Article 23 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994.
919 Gewinner (D), « Le rôle de l'AMF », Bull. Joly Bourse, 01 mai 2007 n° 3, p. 353.
367



Page 376
dommages causés aux investisseurs»920. Une défaillance qui était expliquée
par la difficile démonstration d’un lien de causalité entre la faute et le
dommage subi et
l'absence de mécanismes procéduraux adaptés, en
particulier l'impossibilité pour les investisseurs victimes de se grouper. Une
situation que le rapport pensait dommageable à la crédibilité des marchés.
700. Face à cette situation,
le rapport s’était permis de
formuler des
propositions
somme
toute
intéressantes. Des propositions qui
sont
malheureusement restées lettre morte malgré l'intérêt indéniable que pouvait
présenter
l'association des
investisseurs à
la
régulation des marchés
financiers.
En 2003, la situation n’avait pas évolué et un ancien médiateur de la COB
relevait que : « (...) la frustration des victimes s'est aggravée : la COB a
prononcé des sanctions administratives de plus en plus nombreuses et dans
60 % des cas relatives à des manquements à la bonne information du marché.
Elles n'ont pas été dédommagées. La COB a renforcé la transparence et
multiplié
les observations publiques en cas de mauvaise information des
épargnants. Ceux-ci savent donc et dans quelle proportion ils ont été lésés et
avec la plus grande précision, mais jusqu'à ce jour, ils n'ont aucun moyen
d'agir efficacement »921.
701. Malgré ce constat plusieurs fois renouvelé, les réformes législatives
successives n’ont pas fait progresser la situation des victimes d'infractions
boursières. A l’instar, des amendes infligées autrefois par la COB, les
sanctions pécuniaires prononcées par l'AMF sont versées au Trésor public et
ne contribuent pas à l'indemnisation de leurs victimes.
702. Au final, que ce soit en Tunisie ou en France, l’apport des autorités
administratives à l’indemnisation des personnes lésées par des manquements
920 Robert (M-C), « La réparation civile des infractions boursières », in « La criminalité d'argent :
quelle répression ? » (Actes du Colloque tenu par la première chambre de la cour d'appel de Paris le 14
novembre 2003), Ed. Montchrestien, Coll. Grands colloques, déc. 2004, p. 76, spéc. pp. 75-76 cité par
Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Bull. Joly
Bourse, 01 juillet 2006 n° 4, p. 399 §4.
921 Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit. p. 399 §4.
368



Page 377
à la réglementation boursière demeure limité au fait que ces victimes peuvent
s'appuyer sur une sanction prononcée par
l'autorité boursière pour
éventuellement demander au juge judiciaire l'indemnisation de leur préjudice.
La sanction prouve la faute. La victime n’a donc plus qu’à démontrer le
préjudice qu'elle a personnellement subi et le lien de causalité avec ladite
faute.
L’apport est donc très limité. Déjà démontrer le préjudice personnel et le lien
de causalité n’est pas une chose facile à faire. Il s’agit là des faits les plus
difficiles à démontrer922.
703. De plus, ces victimes n’ont pas la possibilité de provoquer une sanction
administrative dont elles pourraient ensuite se prévaloir comme moyen de
preuve dans le cadre d'une procédure judiciaire.
Le CMF et l'AMF se saisissent elles-mêmes de la plupart des affaires. Et ce
lorsqu’elles remarquent, dans le cadre de leurs activités d'enquête et de
contrôle, des entorses à leur règlement. Et même, dans la minorité des cas où
elles sont saisies que ce soit sur demande d’une autre autorité ou par
réclamation923,
leur pouvoir est discrétionnaire. L’autorité de
régulation
conserve la liberté de décider, après examen des faits ainsi portés à sa
connaissance, de poursuivre ou non leur(s) auteur(s) 924.
704. En définitive, en matière d’indemnisation des victimes d’infractions
boursières, l’AMF et le CMF ne jouent qu’un rôle marginal. Il est vrai que ce
922 V. infra pp. 455 et s.
923Article 34 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 en Tunisie et Article 621-19, alinéa 1 du code
monétaire et financier en France.
924 Decoopman (N), « Le pouvoir de sanction administrative de la COB » : Rev. droit bancaire et
financier n
o 17, janvier-février 1990, p. 16, spéc. p. 18.
369



Page 378
n’est pas leur mission, l’autorité administrative étant investie d'une mission de
protection « de l'épargne »925, et non de défense de l'épargnant926.
Les propos de deux auteurs927 s’avèrent particulièrement pertinents sur ce
point. Ceux-ci avancent que : « l'objectif recherché [par le législateur en
matière
financière] est patent
: protéger
l'activité et non
les acteurs
;
l'investissement et non les investisseurs ; l'épargne et non les épargnants... ».
C’est peut être sur ce point qu’il faudrait que le débat se place. L’autorité
administrative se doit de prendre en considération les victimes des infractions
à sa législation. Car la justice ce n’est pas seulement sanctionner les auteurs
des infractions mais aussi rendre leurs droits à leurs victimes.
705. Le CMF et
l’AMF devraient donc, s’inspirer de la Securities and
Exchange Commission (SEC) américaine.
Celle-ci, se donne comme mission principale de protéger l’investisseur 928.
Ainsi, on peut lire sur le site internet de la SEC, dans la rubrique qui en
explique le rôle que « Comme de plus en plus d’investisseurs débutants se
tournent vers les marchés pour les aider à assurer leur avenir, payer leurs
maisons et envoyer leurs enfants à l’université, la protection de l’investisseur
est plus impérieuse que jamais»929.
Alors même qu’elle dispose d’un pouvoir de sanctions particulièrement
restreint, la (SEC) peut, le cas échéant saisir les juridictions civiles afin de
925Article 23 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 en Tunisie et article L. 621-1 B du code
monétaire et financier.
926 Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit. §7.
927 Deffains (B) et Stasiak F, « Les préjudices résultant des infractions boursières : approches
juridique et économique », in « Le droit au défi de l'économie », sous la direction de
Chaput (Y),
Droit économique, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 177
928« The mission of the U.S. Securities and Exchange Commission is to protect investors…»
http://www.sec.gov/about/whatwedo.shtml
929«As more and more first-time investors turn to the markets to help secure their futures, pay for
homes, and send children to college, our investor protection mission is more compelling than ever».
http://www.sec.gov/about/whatwedo.shtml

370



Page 379
réclamer réparation au nom des victimes. En cas de succès930, sauf
interruption avant que la procédure n’arrive à son terme par la conclusion
d'une transaction, cette demande peut entraîner des class actions931 au terme
desquelles
les
fautifs peuvent être amenés à payer aux victimes des
dommages-intérêts très élevés
706. De plus, la SEC a la possibilité de recourir à des « consent orders » et «
indemnity funds » (confiscation des profits illicites et attribution de ceux-ci à un
fonds d'indemnisation) afin d’obtenir réparation du préjudice subi par les
victimes932.
L’exemple du traitement par la SEC de l’affaire Vivendi Universal est édifiant.
Le 23 décembre 2003, la SEC avait assigné et immédiatement transigé une
action en fraude civile contre Vivendi Universal et ses anciens président et
directeur financier. La société a accepté de payer 50 millions de dollars de
dommages et
intérêts (disgorgement and civil penalties) et chacune des
personnes physiques a dû s’acquitter de plus d’un million de dollars d’amende.
Ces sommes ont servi à l’indemnisation des victimes de ces infractions et ont
été reversées aux actionnaires trompés933.
707. La différence semble ainsi marquée entre l’approche de l’autorité de
régulation américaine d’un côté et celles tunisienne et française de l’autre. Un
contraste qui est dû à des circonstances historiques différentes entourant la
naissance de ces autorités administratives934. La création de la SEC fût, en
effet, une réaction à la crise de 1929 et aux multiples scandales boursiers
antérieurs. Et dès cette création, la SEC a demandé à une cour de district
930 V. supra p. 313.
931 V. infra pp. 467 et s.
932 Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit §7.
933 Mattout (J-P), « Information financière et responsabilité des dirigeants », Rev. de Droit Bancaire
et Financier n°6 novembre-décembre 2004 p. 454.
934 Pour plus d’informations à propos du système américain, V. Tahyar (M E), « La réparation à
l'égard des investisseurs victimes de malversations boursières aux États-Unis », in « Criminalité
d'argent : quelle répression ? » (Actes du Colloque tenu par la première chambre de la cour d'appel de
Paris le 14 novembre 2003), p. 76.
371



Page 380
statuant en équité (equity) de condamner une personne à restituer, avec
intérêts, les profits indûment acquis.
On s’abstiendra d’affirmer comme l’a fait un auteur935 que le gendarme
boursier devrait abandonner son rôle sanctionnateur au profit du juge pénal
pour se focaliser sur la réparation du préjudice subi par les nombreuses
victimes d’une mauvaise information financière. Il n’en demeure pas moins
que les autorités de régulation tunisienne et française devraient s’intéresser
plus au sort des victimes. Elles devraient aussi
recevoir certaines
améliorations spécifiques à chacune d’entre-elles.
B- Des améliorations spécifiques
708. L’efficacité de l’action du CMF pourrait être améliorée s’il recevait à
l’instar de son homologue français le pouvoir de transiger (1).
Quant à l’autorité de régulation française, celle-ci devrait, afin d’éviter de faire
subir aux sociétés cotées et à leur dirigeants un trop lourd fardeau, œuvrer à
éviter le cumul des poursuites (2).
1- Un pouvoir de transaction pour le CMF
709. A l’instar de ses homologues français et américain, le Conseil du marché
financier devrait être doté d’un pouvoir de transaction. Un tel pouvoir pourrait
en effet, participer à conférer à l’action du Conseil plus d’efficacité.
On a en effet, abordé les avantages pratiques considérables que présente la
transaction pour les autorités de régulation. Des avantages qui ont poussé
l’Autorité française des marchés financiers à vivement réclamer ce pouvoir936.
935 Laprade (F-M), « La politique de sanction du régulateur : répression ou réparation ? », Bull. Joly
Bourse, 01 décembre 2009 n° Spécial, p. 439.

936 Le recours à la transaction permet à l’autorité de régulation d’optimiser la gestion de son personnel,
d’améliorer sa force de frappe répressive… V. supra p. 315.

372





Page 381
Reste qu’une question demeure, l’octroi du pouvoir de transaction à une
autorité administrative telle que le CMF est-il compatible avec les principes
constitutionnels, notamment le principe de séparation des pouvoirs ?
710. A cet égard la position du Conseil constitutionnel parait établie937. Celui-ci
considère que
le principe de séparation des pouvoirs consacré par
la
constitution interdit à l’administration de transiger avec les contrevenants sauf
lorsqu’il s’agit d’infractions conduisant à des peines ayant, en plus de leur
nature pénale, un caractère indemnitaire, telles que les infractions fiscales,
économiques et douanières938.
Ainsi, à propos de la transaction administrative prévue par l’article 328 du
projet du code des douanes et qui prévoit, notamment, que l’administration
des douanes peut
transiger avec
les personnes poursuivies pour des
contraventions douanières, avant ou après
le
jugement définitif et que,
toutefois, la transaction intervenue après le jugement définitif laisse subsister
les peines corporelles, le Conseil a énoncé le raisonnement suivant :
"Considérant que la constitution a consacré la règle de la séparation des
pouvoirs,
tel
que
cela
ressort,
notamment,
de
son
préambule,
Considérant que cette règle implique, notamment, qu’une compétence de
principe soit reconnue à la justice pour exercer l’action publique et statuer à
son sujet,
Considérant que, même s’il est loisible au législateur de prévoir, dans certains
cas, la possibilité pour l’administration de conclure, avec les contrevenants,
une transaction entraînant l’extinction de l’action publique, cette possibilité doit
se cantonner aux actes conduisant à des peines ayant, en plus de leur nature
pénale, un caractère
indemnitaire,
telles que
les
infractions
fiscales,
économiques et douanières,
937 La position du Conseil constitutionnel est étudiée à titre indication. Cette institution ayant été
dissolue avec l’abrogation de la constitution du 1er juin 1959.
2010
شرطلاا تاروشنم ،"يروتسدلا سلجملا ءارآ" ،
سنوت صتخملا باتكلل
ص77 و78.
نوعوب دمحأ
938
373



Page 382
Considérant qu’en dehors de ces cas, la transaction en matière pénale ne
peut être faite que par la justice, sous sa supervision ou sous son contrôle,
cette compétence lui revenant de principe sur la base de la règle de la
séparation des pouvoirs prévue par
le préambule de
la constitution,
Considérant qu’il apparaît des infractions douanières, telles que définies et
déterminées par le projet du code des douanes, que les peines qui leur sont
applicables, alors même qu’elles sont pénales, ont un caractère indemnitaire,
Considérant que, par ailleurs, la transaction administrative ne concerne pas
les infractions régies par les dispositions pénales de droit commun , qu’elle se
limite
de
la
sorte,
aux
infractions
douanières,
Considérant que les dispositions de l’article 328 ne sont pas, sur la base de ce
qui précède, contraires à la Constitution et lui sont compatibles »939.
711. Aussi, la position du Conseil constitutionnel fût similaire relativement à la
transaction en matière de pollution.
Ainsi, en ce qui concerne l’article 143 paragraphe 4 du projet du code des
ports maritimes, qui prévoit que la transaction est conclue pour les infractions
de pollution940,
le Conseil constitutionnel considère que
les dispositions
prévues dans ce paragraphe ne sont pas contraires à la constitution et sont
compatibles avec celle-ci.
Néanmoins,
le Conseil constitutionnel a conclu à l’incompatibilité avec la
constitution de
l’habilitation
faite au ministre compétent de conclure une
transaction en cas de violation de certaines dispositions du code des ports
maritimes. Une habilitation qui prévoit que
l’exécution de
la
transaction
entraîne l’extinction de l’action publique ou l’arrêt des poursuites. Et ce car la
transaction ne se cantonne pas aux faits passibles de sanctions ayant un
939Avis n° 2-2007 du conseil constitutionnel sur un projet de loi portant promulgation du code des
douanes, en date du 24 janvier 2007, JORT n°47 du 10 juin 2008 p 2153.
940 Infractions prévues dans le paragraphe premier de l’article 48, l’article 49, le paragraphe premier de
l’article 50, le paragraphe premier de l’article 52, l’article 71 et le deuxième paragraphe de l’article 79
du projet du code soumis.
374



Page 383
caractère indemnitaire, telles que certaines infractions fiscales, économiques
et douanières.941
712. Même si
le Conseil constitutionnel et la constitution de 1959 font
aujourd’hui partie du passé, ces avis nous éclairent sur la compatibilité du
mécanisme de la transaction avec le principe de séparation des pouvoirs en
Tunisie. On peut en conclure que
la
transaction est admise mais à
condition que celle-ci concerne des infractions conduisant à des peines ayant,
en plus de leur nature pénale, un caractère indemnitaire, telles que les
infractions fiscales, économiques et douanières942.
A cet égard, il semble que pourvoir le Conseil du marché financier du pouvoir
de transiger dans les manquements boursiers soit possible et ne soit pas
incompatible avec les principes constitutionnels fondamentaux. En effet, les
manquements boursiers sont des infractions économiques qui conduisent à
des peines ayant, en plus de leur nature pénale, un caractère indemnitaire. La
transaction devrait être admise les concernant.
941« Considérant que les infractions prévues par le paragraphe premier de l’article 57, le paragraphe 2
de l’article 58, les articles 59, 62 et 63, le paragraphe 2 de l’article 81, le paragraphe premier de
l’article 82, l’article 85, le paragraphe 2 de l’article 92, le paragraphe premier de l’article 93 et l’article
96 portent atteinte au domaine public et sont passibles de ce fait de sanctions ayant un caractère
indemnitaire, ce qui emporte la compatibilité de la transaction administrative conclue avec la
constitution,
Considérant qu’en dehors de ces cas, la transaction en matière pénale, ne peut être faite que par voie
de la justice, cette compétence lui revenant de principe sur la base de la règle de la séparation des
pouvoirs prévue par le préambule de la Constitution,
Considérant que les infractions prévues par le paragraphe 2 de l’article 28, les premier et troisième
paragraphes de l’article 32, les articles 33, 36, 41, 42, 43, 44 et 47, le paragraphe 2 de l’article 52, le
paragraphe 3 de l’article 53, l’article 61, le paragraphe 2 de l’article 68, les articles 69 et 72, le
paragraphe premier de l’article 73, l’article 76, les paragraphes premiers des articles 77 et 78, l’article
80, les premier et quatrième paragraphes de l’article 87, l’article 89, les premier et deuxième
paragraphes de l’article 91, l’article 109 et les paragraphes premiers des articles 111, 114 et 120 du
projet du code, ne concernent pas des faits passibles de sanctions ayant un caractère indemnitaire,
Considérant que la possibilité de transaction avec l’administration pour les infractions prévues aux
articles précités, sans aucun recours à la justice tel qu’il est prévu, est incompatible avec la
constitution »

Avis n° 84-2007 du conseil constitutionnel sur un projet de loi portant promulgation du code des ports
maritimes en date du 4 décembre 2007, JORT n°56 du 14 juillet 2009 p 2466.
ص77 و78.
2010
سنوت صتخملا باتكلل شرطلاا تاروشنم ،"يروتسدلا سلجملا ءارآ" ،
نوعوب دمحأ
942
375



Page 384
Sur ce point la législation française devrait être réceptionnée en Tunisie. Par
contre, la législateur français devrait s’inspirer de la législation tunisienne sur
un autre point : il devrait s’atteler à éviter le cumul des poursuites pénales et
administratives.
2- Eviter le cumul des poursuites en France
713. Le cumul des poursuites pénales et administratives ne semble pas
possible en Tunisie. En effet, l’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre
1994 dispose que « le paiement de l'amende au profit du Trésor Public
emporte extinction de l'action publique ».
Au contraire, en France, en matière d’infractions boursières, les mêmes faits,
commis par une société cotée en bourse ou par ses dirigeants peuvent donner
lieu à une condamnation pénale mais aussi à une sanction administrative
prononcée par la COB hier et par l’AMF aujourd’hui.
714. Cette dualité des sanctions en matière boursière a très tôt été critiquée
(dès l’attribution du pouvoir de sanction à la COB) par la doctrine943 qui y a vu
un risque de décisions contradictoires. Cette dualité des poursuites est
d’ailleurs une spécificité française qui n’existe pas dans d’autres pays944.
Néanmoins, bien que paraissant contraire au principe non bis in idem en vertu
duquel, une même infraction ne peut donner lieu à deux poursuites, le Conseil
constitutionnel a reconnu possible la dualité de poursuites et de sanctions en
matière boursière.
Pour le Conseil constitutionnel945, une condition limite le cumul de sanctions. Il
s’agit du respect du principe de proportionnalité, c'est-à-dire qu’il ne faut pas
que le montant cumulé de l’amende infligée par le juge pénal et de la sanction
943 Palade (J), « Observations sur un délit à l’ordre du jour », L.P.A., 23 janvier 1989, p. 3 ;
Ducouloux-Favard (C), « Nouveaux pouvoirs pour la COB », G.P., 1990, doctr. p. 50.
944 De Vauplane (H) et Bornet (J-P), « Droit de la bourse », Litec 1994, n°404.
945 Genvois (B), Note sous décision n°89-260 du 28 juillet 1989 : JO 1er Aout 1989, p.9676, RFDA,
1989, p.671.
376







Page 385
financière prononcée par l’autorité de régulation dépassent le montant le plus
élevé de l’une des sanctions encourues946.
715. Afin de ne pas faire peser sur les sociétés cotées et leurs dirigeants un
trop
lourd poids,
il serait préférable d’éviter
les doubles poursuites
administratives et pénales qui concernent les mêmes faits.
Et même si résoudre cette problématique n’est pas d’une grande urgence, car
beaucoup de
manquements à
la
législation boursière ne donnent que
rarement lieu à des poursuites pénales alors que les sanctions administratives
sont nombreuses947. Trouver une solution évitant cette dualité des poursuites
semble être une nécessité dans l’optique de la préservation des droits des
personnes poursuivies.
716. Pour ce faire, le Collège de l’AMF pourrait lorsqu’il décide de l’ouverture
d’une procédure de sanction, communiquer l’information au procureur de la
République. Et Vice versa, quand le procureur entend ouvrir une procédure
d’enquête, ou une information judiciaire (proprio motu ou à la suite d’une
constitution de partie civile) sur des présumées
infractions
relevant
potentiellement de la compétence de l’Autorité des Marchés Financiers, il
devrait en informer celle-ci. Selon la nature des faits, le procureur ou l’Autorité
pourrait envisager de continuer la procédure, l’autre se désistant à son profit.
De la sorte, le principe non bis in idem résultant de l’article 14-7 du pacte
international des Nations unies sur les droits civils et politiques serait respecté.
Une meilleure coordination des procédures de sanction devrait donc suffire
pour éviter un cumul des poursuites portant trop atteinte aux droits des
sociétés cotées en bourse et à leurs dirigeants948.
946 Ducouloux-Favard (C), Rontchevsky (N), « Infractions boursières », Op.cit. p. 6.
947 Ducouloux-Favard (C), « Lamy droit pénal des affaires », Ed. Lamy, 2007, n°1458.
948 Bouloc (B), « Alternatives et articulations entre types de sanctions en matière financière », Bull.
Joly Bourse, 01 décembre 2009 n° Spécial, p. 430.
377



Page 386
717. Ce cumul des poursuites est d’autant plus lourd à supporter pour les
dirigeants sociaux, que
la possibilité qui leur est offerte d’exonérer leur
responsabilité demeure réduite.
En effet, comme il en est en matière de responsabilité pénale, l’invocation
d’une délégation de pouvoirs ne devrait pas suffire à décharger les dirigeants
sociaux de leur responsabilité devant l’autorité administrative.
Ainsi, dans une des rares espèces connues où le dirigeant poursuivi invoquait,
pour sa défense, l’existence d’une telle délégation, la COB949 a refusé de
l’exonérer de sa responsabilité. Elle a argué du
fait, qu’en sa qualité de
président du conseil d’administration, ce dirigeant avait « une responsabilité
première » en matière de communication financière par rapport au délégataire,
en l’espèce le directeur général.
Il ne s’agit pas d’affirmer que la délégation de pouvoir n’a aucune portée
exonératoire. Car il faut dire qu’en l’occurrence, le dirigeant mis en cause avait
admis avoir participé à des malversations comptables ayant pour objet de
cacher la réalité de la situation de la société.
718. La règle pour les sanctions administratives devrait être similaire à celle
prévalant en droit pénal. Rappelons qu’en droit pénal, la délégation ne met
hors de cause le délégant que si celui-ci n’a pas personnellement pris part à la
réalisation de l’infraction et que le délégataire ait disposé de la compétence,
de l’autorité et des moyens pour assumer ses fonctions.
La commission des sanctions de l’AMF devrait à notre sens transposer le
régime pénal de la délégation. Une autre solution serait difficilement justifiable
et participerait d’une excessive sévérité à l’égard des dirigeants des sociétés
cotées950.
949 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous décision COB, 4 mars 2003, Rubens & Chapellier,
Banque et Droit n° 93, janvier-février 2004, p. 33.
950 Tomasi (M), « L’imputation des manquements aux règles de l’autorité des marchés financiers »,
Banque et Droit, septembre-octobre 2006, p. 41.
378



Page 387
Cependant, il apparait qu’en matière d'imputation d'un manquement boursier à
un dirigeant, l’invocation d’une délégation de pouvoirs devrait s’avérer vaine,
du moins pour les manquements ayant trait à la communication financière.
Ainsi, la Cour d'appel de Paris951 a jugé qu'une décharge conventionnelle ne
pouvait être considérée comme un
fait
justifiant une exonération de
responsabilité, la communication financière faisant nécessairement partie de
la fonction de mandataire social. Les délégations de pouvoir semblent donc
impuissantes à écarter
la
responsabilité des dirigeants en matière de
manquement boursier952.
951 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous C.A. Paris, 13 septembre 2005, Banque et droit,
mars-avril 2006, p. 46.
952 Le Bars (B) et Thomasset-Pierre (S), « Droit des marchés financiers », D. 2007 p. 2418.
379
















Page 388
CONCLUSION
DE LA DEUXIEME PARTIE
719. L’expérience française montre que la sanction administrative est adaptée
à la répression des infractions commises par les sociétés cotées en bourse et
leurs dirigeants. Malgré les tergiversations premières, l’autorité administrative
française a su faire évoluer son pouvoir de sanction afin de lui conférer un
maximum d’efficacité.
Au fur et à mesure et au fil du temps, l’efficacité de l’Autorité du marché
financier s’est considérablement améliorée garantissant un véritable effet de
dissuasion à l’égard des contrevenants à la règlementation boursière.
La sanction administrative s’est ainsi imposée comme la sanction la plus
habituelle et la plus efficace des infractions à la règlementation boursière.
720. D’un autre côté,
l’action de
l’autorité administrative
tunisienne est
caractérisée par une passivité inexplicable. Et ce malgré les atouts certains
dont cette autorité dispose. L’autorité tunisienne de régulation du marché
financier souffre surtout d’un manque flagrant de fermeté à l’égard des
contrevenants à la règlementation boursière.
Le CMF devrait suivre les pas de son homologue français et œuvrer à
engager la lutte contre la délinquance dont peuvent faire preuve les sociétés
cotées en bourse et leurs dirigeants. Il en va de la crédibilité et de la
transparence des marchés boursiers tunisiens.
721. Il reste que les sanctions édictées par les autorités du marché financier
souffrent que ce soit en France ou en Tunisie d’une lacune considérable : elles
n’ont pas pour vocation de réparer le préjudice subi par les victimes des
infractions boursières.
Cette réparation peut alors être assurée par
la mise en œuvre de la
responsabilité civile des sociétés cotées et de leurs dirigeants.
380


Page 389
TROISIEME PARTIE
La responsabilité civile :
Une nécessaire réhabilitation
381
























Page 390
722. Loin de la fureur et du bruit des enquêtes boursières ou des audiences
pénales,
le droit commun de
la responsabilité civile peut parfois, plus
efficacement qu'une procédure
répressive, assurer
la protection des
investisseurs en bourse953.
Car même si les autorités de régulation sont plus efficaces et rapides que les
autorités judiciaires, les sanctions qu’elles prononcent protègent faiblement les
investisseurs en bourse. Le large pouvoir de contrôle et d'enquête reconnu
aux autorités étant plus dirigé vers la promotion du marché et moins vers la
protection des investisseurs.
723. D’ailleurs, lorsqu’elles touchent les sociétés ces sanctions sont d’une
efficacité douteuse. Car d’abord, les actionnaires sont les premiers touchés
par ces sanctions qui pèsent sur le cours de bourse de la société épinglée.
Ensuite, ces sanctions lorsqu’elles touchent les sociétés cotées en bourse,
consistent en des peines d’amende qui peuvent atteindre des montants
colossaux. Ces amendes éléphantesques touchent directement le patrimoine
social et portent, par ricochet, atteinte aux actionnaires et aux salariés de la
société. Alors que ceux-ci n’ont rien à se reprocher, ils se retrouvent en
position de victimes collatérales des actions déclenchées à cause du
comportement délictueux de leurs dirigeants.
D’autres voies, plus à même d’imposer une meilleure rigueur dans la gestion
de la société cotée en bourse, doivent par conséquent être explorées.
724. La question de la mise en jeu, par les investisseurs eux-mêmes, de la
responsabilité civile des sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants, en
cas d’infraction à
la
législation boursière, a de ce
fait une grande
importance954.
953 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 26 septembre 2003, no 2001/21885, Soulier et autre c/ SA
Flammarion et autre, Bull. Joly Bourse, 01 janvier 2004 n° 1, p. 43.
954 Magnier (V), « Information boursière et préjudice des investisseurs », D. 2008 p. 558
382




Page 391
Dans un premier temps, il sied d’évoquer la responsabilité civile des dirigeants
des sociétés cotées en bourse. Une responsabilité dont la mise en œuvre est
à même d’obliger les dirigeants sociaux à plus d’implication et de diligence
dans la gestion de la société cotée. Car à défaut, ils devront en assumer les
conséquences.
Il s’agit de partir du constat que la responsabilité de ces dirigeants est trop
rarement mise en cause. Une situation qui, si on veut améliorer
la
transparence des marchés et la protection des investisseurs, doit évoluer dans
le sens de la facilitation de la mise en œuvre de la responsabilité des
dirigeants (Chapitre 1).
Par la suite, il convient de s’étendre sur la responsabilité civile des sociétés
cotées. Une
responsabilité à
l’importance cruciale dans
l’optique d’une
indemnisation juste des dommages subis par les victimes des infractions
boursières (Chapitre 2).
Aussi, les actions civiles intentées par des petits épargnants à l’encontre des
sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants se heurtent souvent à des
difficultés matérielles. Des difficultés que l’introduction des actions de groupe
permettrait de surmonter (Chapitre 3).
383










Page 392
CHAPITRE I
RESPONSABILITE DES DIRIGEANTS SOCIAUX :
UNE NECESSAIRE ACTIVATION
725. Responsabiliser civilement
les dirigeants sociaux ne
répond pas
uniquement à des motivations vengeresses. Car réhabiliter ce
type de
responsabilité répond à une exigence de justice en répartissant de manière
juste les conséquences des infractions boursières. En outre, la réactivation de
cette responsabilité est capable d’être le catalyseur d’une véritable implication
des dirigeants sociaux dans la gestion de leur société. Et comme plaie
d’argent n’est pas mortelle, la responsabilité civile parait être moins agressive
que
la répression pénale. La responsabilité civile des dirigeants sociaux
remplit de ce fait des fonctions que ne peuvent assumer d’autres formes de
responsabilité (Section préliminaire).
Et si on parle d’activation de la responsabilité civile des dirigeants sociaux,
c’est que celle-ci apparait négligée. Car des conditions restrictives régissent
cette responsabilité (Section 1) et sa mise en œuvre est entravée (Section 2).
SECTION PRELIMINAIRE
LES FONCTIONS DE LA RESPONSABILITE CIVILE DES DIRIGEANTS SOCIAUX
726. Responsabilité civile des dirigeants sociaux et bonne gouvernance des
sociétés cotées en bourse ne sont pas sans lien. En effet, les exigences de
bonne gouvernance nécessitent une meilleure
responsabilisation des
dirigeants sociaux. Car améliorer le contrôle de l'action des dirigeants, avec
tous les biens faits qu’il peut avoir, ne pourra dans les meilleurs des cas
qu'éviter que des dirigeants ne commettent certaines fautes, ou encore en
384




Page 393
diluer la responsabilité, mais jamais bien sûr les supprimer. Une fois la faute
survenue malgré tout, le problème de la sanction se posera inévitablement955.
C’est pour cela qu’il ne faut pas négliger l’aspect répressif de la responsabilité
civile des dirigeants sociaux.
727. Mais les enjeux d’une meilleure responsabilisation civile des dirigeants de
sociétés cotées en bourse ne s’arrêtent pas à sa fonction répressive.
Cette responsabilité possède, en outre, une fonction normative. En effet, la
responsabilité des dirigeants « définit en négatif la norme de comportement à
laquelle on
les astreint »956. Ainsi, plus
le risque de voir engagée
la
responsabilité civile des dirigeants sera faible, moins contraignante sera la
norme de comportement, et plus le comportement des dirigeants sociaux
risque de se
trouver en
infraction
face aux exigences de
la bonne
gouvernance957.
Et contrairement aux sanctions administratives qui ne possèdent pas une
dimension réparatrice, la sanction civile infligée aux dirigeants sociaux a
vocation à dédommager la victime de leurs agissements répréhensibles. Cette
responsabilité sert à gommer les effets du dommage survenu à la suite de la
violation des normes définies par la fonction normative de la responsabilité
civile958.
728. Cet fonction réparatrice est d’autant plus importante que la responsabilité
civile des dirigeants sociaux peut être invoquée même si leur responsabilité
pénale est écartée. En effet, la Cour de cassation tunisienne a considéré dans
son arrêt n°22211 daté du 13 juin 1991 que « la responsabilité civile se
distingue de la responsabilité pénale par la multiplicité des fondements sur
lesquels repose la première alors que la seconde ne repose que sur une faute
955 Descorps Declère (F), « Pour une réhabilitation de la responsabilité civile des dirigeants sociaux »,
Rev. des sociétés 2003 p. 25
956 Didier (Ph), « Les fonctions de la responsabilité civile des dirigeants sociaux », in Colloque du 16
décembre 2002 sur la responsabilité des dirigeants sociaux, Rev. sociétés, 2003, p. 239.
957 Navarro (J-L), « Suggestions pour une amélioration des régimes de responsabilité civile des
dirigeants sociaux », L.P.A., 02 août 2007 n° 154, p. 39.
958 Descorps Declère (F), Op.cit p. 25.
385



Page 394
intentionnelle ou non intentionnelle. A partir de là, aucun obstacle juridique
n’empêche le tribunal civil de se prononcer en faveur du dédommagement de
la victime malgré le prononcé d’un jugement pénal relaxant le prévenu.»959
729. De plus, réactiver la responsabilité civile des dirigeants sociaux permettra
d’alléger, un tant soit peu, la charge pesant sur le patrimoine de la société en
lui ajoutant celui des dirigeants, pour désintéresser les victimes de leurs
fautes. Le patrimoine de la société ne doit en effet, constituer qu’une garantie
supplémentaire donnée aux tiers de ce qu'ils seront indemnisés960.
Car même si le préjudice relève d’une faute manifeste des dirigeants sociaux,
les victimes préféreront dans la plupart des cas intenter une action à l’encontre
de la société cotée en bourse, réputée solvable et dont la responsabilité peut
être plus facilement mise en cause.
En effet, l’étude de la responsabilité civile des dirigeants sociaux mène à une
conclusion paradoxale : dans la quasi-totalité des cas les dirigeants ne font
qu’engager la responsabilité de la société lorsqu’ils commettent des fautes.
Ainsi, lorsque la société est in bonis961, les dirigeants fautifs ne sont que
rarement directement atteints par la sanction. Il s’agit là d’une affirmation à
laquelle n’échappe pas la mise en cause de la responsabilité civile pour des
dommages résultant d’infractions boursières.
D’ailleurs, le parallèle avec la responsabilité des administrateurs aux États-
Unis est édifiant. En effet, dans le cadre d'une transaction intervenue en
janvier 2005 et relative à l'affaire Worldcom, dix administrateurs non exécutifs
13
°22211
ص نم مغ
Cass.crim n
959"
ةمكحملا عنمي ءيش لاف كلذ ىلع ءانبو يدصق ريغ وأ
"ىوعدلا عامس مدعب يئازج
.
يدصق أطخ ىلع لاإ ةيناثلا موقت لا نيح يف ىلولأا اهيلع موقت يتلا سسلأا ددعتب ةيئازجلا ةيلوؤسملا نع ةيندملا ةيلوؤسملا زيمتت
مكح رود
رلاب ررضتملا ةدئافل ضيوعتلاب مكحلا نم انوناق ةيندملا
daté du
960Descorps Declère (F), Op.cit p. 25.
961 Nous n’aborderons pas dans notre étude le cas où la société est in malis. Cas où la jurisprudence
s’avère plus sévère. D'une part, la faute de gestion ayant causé un préjudice à la société et aux
actionnaires est plus facilement retenue. D'autre part, les administrateurs sont plus facilement soumis à
une responsabilité envers les tiers car la théorie de la faute séparable des fonctions ne s'applique pas.
V. à propos de la responsabilité des dirigeants sociaux en cas de faillite, Mechri (F), « Droit des
entreprises en difficulté économique », Sud Editions- Tunis 2008, pp. 133 et s.
, RJL n
1992
1991
juin
juin
124
. p
°6
386






Page 395
ont dû payer 18 millions de dollars, soit 20 % de leur fortune personnelle. Et ce
en renonçant, à
la demande des plaignants, à invoquer leur assurance
responsabilité civile962.
730. Cette situation est paradoxale, dans la mesure où tous les professionnels
sont soumis à une responsabilité civile sévère. Dès lors, il semble étonnant
que les administrateurs, surtout s'ils se professionnalisent, y échappent963.
A partir de ce constat l’on est en droit de s’interroger sur la pertinence d’une
telle situation car comment peut-on obliger les dirigeants sociaux à bien gérer
les sociétés dont ils ont la charge, si ce n’est en les responsabilisant
personnellement ?
Le vrai solution n’est-elle pas la responsabilisation personnelle des dirigeants
des sociétés convaincus de manquements ou de délits ?
SECTION I
DES CONDITIONS RESTRICTIVES
731. Tout d’abord, il est à signaler que les dirigeants sociaux ne sont liés par
un contrat qu’avec la société qu’ils dirigent. De ce fait, la responsabilité des
dirigeants sociaux envers les tiers ne peut être que délictuelle ou quasi
délictuelle qui se fonde sur les articles 82 et suivants du Code des obligations
et des contrats en Tunisie et sur les articles 1382 et suivants du code civil en
France. Réciproquement, la seule constatation d’un fait délictuel ou quasi
délictuel
imputable à la société n’implique pas nécessairement une faute
personnelle de son dirigeant964.
962 Weil (J), «Agreement in principle to pay out personal funds creates liability precedent», Wall
Street Journal, Thursday, January 6, 2005.
963 Conac (P-H), « L'avenir des réformes : les nouveaux organes », L.P.A, 02 août 2007 n° 154, p. 32.
964 Chartier (Y), Note sous Cass. Com. 4 juin 1991, Rev. sociétés 1992 p. 55 et Guyon (Y), Rev.
sociétés 1992 p.798.
387




Page 396
Les dirigeants de sociétés cotées en bourse
tunisiennes ou françaises,
engagent donc leur responsabilité selon les règles du droit commun à savoir
l’exigence de la trilogie : faute, préjudice, lien de causalité.
732. L’étude des règles régissant cette responsabilité civile laisse entrevoir la
réalité maussade d’un dispositif ne manquant pas de malformations et de
défauts. Ainsi la caractérisation de la faute engendrant la responsabilité civile
des dirigeants s’avère difficile (Paragraphe 1), alors que l’évaluation du
préjudice et l’établissement dun lien de causalité entre la faute du dirigeant et
ce préjudice s’avèrent incertains (Paragraphe 2).
Paragraphe 1- La caractérisation malaisée de la faute du dirigeant
733. La responsabilité civile des dirigeants de sociétés cotées en bourse est
nécessairement fondée sur une faute personnelle de ceux-ci965. Le Dirigeant
n'est donc pas responsable d'une décision prise par l’assemblée générale des
actionnaires966. L’existence et
la gravité de
la
faute, qui n'est pas
nécessairement dolosive ou
lourde, sont contrôlées par
la Cour de
cassation967.
734. En Tunisie, l’article 207 du code des sociétés commerciales précise les
fautes susceptibles d’engendrer la responsabilité des dirigeants sociaux en
ces termes : « les membres du conseil d'administration sont solidairement
responsables, conformément aux règles de droit commun, envers la société
ou envers les tiers, de leurs faits contraires aux dispositions du présent code
ou des fautes qu'ils auraient commises dans leur gestion, notamment en
965 Le Bars (B), « Répertoire de droit des sociétés », Responsabilité civile des dirigeants sociaux -
avril 2004, n°31.
966Chartier (Y), Note sous Cass. com. 4 mars 1986, Op.cit. p. 55.
967 Le Bars (B), Op.cit. n°31.
388





Page 397
distribuant ou en laissant distribuer, sans opposition, des dividendes fictifs968,
sauf s'ils établissent la preuve de la diligence d'un entrepreneur avisé et d'un
mandataire loyal.»969
735. La situation dans les textes est similaire, en France, avec un peu plus de
clarté en sus970. Ainsi, l’article L.225-251 du Code de Commerce précise les
fautes engendrant la mise en œuvre de la responsabilité civile des dirigeants
envers la société ou les tiers, individuellement ou solidairement. Ces fautes
devraient être les mêmes en droits tunisien et français. Elles consistent en la
violation des dispositions des dispositions
législatives ou
réglementaires
relatives aux sociétés anonymes (A). En la méconnaissance des dispositions
statutaires (B). Ou encore en des fautes de gestion971 (C)972.
A-
La transgression des dispositions législatives ou réglementaires
736. Le texte de l’article L225-251 du Code de Commerce est clair. Il conçoit
la violation d'une disposition légale ou réglementaire engendrant la mise en
cause de la responsabilité civile des dirigeants sociaux de manière large. Il ne
délimite pas le domaine des violations susceptibles d’engager la responsabilité
des dirigeants sociaux à la transgression du droit des sociétés. Tout le droit
privé est concerné, notamment les règles devant être respectées par tous les
:"
5
يفناج
2001
نولوؤسم
رمحلأا ماصع
ةماعلا دعاوقلل ًاقبط
نوبكتري يتل
عتلا ة
ةرادلإا سلجم ءاضعا نإ
ءاطخلأ
ا
مكحم ءاضق هق
يف خرؤم
ا وأ ةيراجتلا ةلجملا تايضتقمل ةفلاخملا مهلاعفأ نع اهنع بناجلاا وأ ةكرشلا
ف"
968 V. au sujet de la distribution des dividendes fictifs : Ouerfelli (A), « La distribution des dividendes
fictifs ou du mauvais usage des écritures comptables », RJL janvier 2001, n°1 p 17.
969 Ce principe est confirmé par la chambre civile de la Cour de cassation tunisienne :
وأ هدارفناب لك
يف اه
"بيق
ددع يندم يبيقعت رارق
لاوحلأا بسح نماضتلاب
عيزوتلا اذه يف اوضراعي مل وأ ةيروص حابرأ عيزوتب اوماق اذإ اصوصخ مهتافرصت
ربمسيد
970 L’article 207 du Code des sociétés commerciales ne cite expressément ni la méconnaissance des
dispositions statutaires ni le non respect des dispositions règlementaires comme fautes engendrant la
responsabilité civile des dirigeants sociaux.
971 Bien sûr, la distinction entre ces différentes fautes n’est pas imperméable. Un même comportement
peut constituer en même temps, une violation des statuts et des règlements et une faute de gestion par
exemple.
972 Mattout (J-P), « Information financière et responsabilité des dirigeants », Rev. mensuelle du Juris-
classeur Droit des sociétés, Décembre 2004 p. 11.
5210
هاجتا
ص125.
2011

389








Page 398
opérateurs économiques973. Peu importe d'ailleurs que cette violation soit ou
non sanctionnée pénalement974.
Il ne fait donc pas de doute, que les infractions boursières ainsi que les
violations de
la règlementation de
l’Autorité des marchés financiers sont
susceptibles d’engager la responsabilité civile des dirigeants sociaux.
Pour les dirigeants de sociétés cotées en bourse, la jurisprudence retient la
violation de la loi en cas d’inexactitudes, retard ou défaut de communication
aux actionnaires des informations légalement dues975 ou d'une révocation
sans justes motifs du commissaire aux comptes976.
737. Le législateur français, entend donc inciter les dirigeants sociaux à
respecter
les dispositions
légales en engageant
leur
responsabilité
personnelle en cas de violation de ces dispositions. Il ne fait pas de doute, que
cette
responsabilisation est
indispensable pour assurer une meilleure
gouvernance des sociétés cotées. Mais, il est tout aussi certain que la très
longue liste des dispositions légales qui s’imposent aux dirigeants sociaux
laisse peser en théorie une menace sérieuse sur ceux-ci.
738. Les choses sont moins claires en droit tunisien. L’article 207 du code des
sociétés commerciales ne fait que citer la méconnaissance des dispositions du
code des sociétés commerciales comme
faute susceptible d’engager
la
responsabilité du dirigeant social. On est en droit, alors, de se demander si les
membres du conseil d’administration d’une société cotée en bourse peuvent
être reconnus civilement responsables en cas de violation des dispositions de
la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché
financier ou de la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005 relative au renforcement
de la sécurité des relations financières ou encore des règlements du CMF ou
de la BVMT ?
973 Le Bars (B), Op.cit.n°32.
974 Cass. com. 9 novembre 1993, no 89-20.660, Bull. civ. IV, no 401.
975 Cass. com. 17 mai 1965, J.C.P 1966. II. 14647
976 Guyon (Y), Note sous C.A. Paris, 22 février 1980, Rev. sociétés 1980 p. 489.
390



Page 399
739. La réponse à cette question ne manque pas de soulever certains doutes.
Pour certains auteurs il est possible d’étendre la faute susceptible d’engager la
responsabilité civile des dirigeants sociaux à la méconnaissance de toutes les
dispositions
légales ayant un
lien avec
l’administration des sociétés
commerciales977.
On pourrait alors très bien imaginer un ancien actionnaire intenter une action
visant à engager la responsabilité civile du dirigeant social d’une société cotée
en bourse qui aurait diffusé des informations fausses ou trompeuses. Il devrait
en être de même, pour toutes les infractions portant atteinte à la transparence
des marchés financiers.
740. Néanmoins, cette position n’est pas exempte de reproches. En effet,
l’article 207 du CSC est un texte spécial qui a trait à la responsabilité des
dirigeants. Il s’agit d’un texte qui établit une sanction civile. Son interprétation
se doit en conséquence d’être stricte.
De ce fait, la responsabilité du dirigeant social ne pourra être retenue que s’il
méconnait les dispositions du CSC. La violation d’autres lois ou règlements tel
que la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 ou le règlement du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne ne devrait entrainer la mise en cause de sa
responsabilité civile.
741. Cette situation n’est pas de nature à responsabiliser les dirigeants
sociaux et ne participe pas à une meilleure gouvernance des sociétés cotées
en bourse.
C’est pour cela que l’article 207 du CSC gagnerait à être modifié. L’expression
« de leurs faits contraires aux dispositions du présent code» devrait être
remplacée par
la
formule : « de
leurs
faits contraires aux dispositions
législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes».
977Ouerfelli (A), Ayari (K), « Code des sociétés commerciales annoté », centre d’études juridiques et
judiciaires, Tunis 2007 p. 621.

391



Page 400
742. D’autre part, dans les sociétés ayant opté pour la dissociation entre
directoire et conseil de surveillance,
l’article 231 du code des sociétés
commerciales dispose qu’ « est
tenu responsable envers
la société,
le
membre du directoire qui contrevient à ses obligations. Il lui doit réparation des
préjudices même au cas où le conseil de surveillance approuve les faits
dommageables.»
Même si la formule qui est utilisée par l’article 231 du CSC diffère de celle
utilisée à propos de membres du conseil d’administration par l’article 207 du
CSC, on peut penser que le sens est le même. Ainsi, le membre du directoire
ne devrait pas voir sa responsabilité engagée en cas d’inobservation des lois
et règlements relatifs à la direction de la société autres que le CSC.
743. D’ailleurs, l’article 234 du CSC conforte cette analyse, dans la mesure où
il soumet les membres du directoire au même régime de responsabilité que
les membres du conseil d’administration selon les conditions prévues par les
articles 202, 207, 214 et 220 du même code.
Il est à noter, néanmoins, que la possibilité est donnée au membre du
directoire qui dans l’accomplissement de sa mission a agi conformément à
une décision régulièrement prise par l’assemblée générale, de s’exonérer de
l’obligation à réparation. C’est ce qui ressort de la lecture des dispositions de
l’alinéa 3 de l’article 231 du CSC.
744. Dans ces sociétés qui ont opté pour la dissociation entre directoire et
conseil de surveillance, les membres du conseil de surveillance peuvent aussi
engager leur responsabilité civile.
En effet, l’article 255 du CSC dispose que « les membres du conseil de
surveillance
répondent de
leurs
fautes personnelles commises
lors de
l’accomplissement de leurs fonctions. Ils ne supportent aucune responsabilité
du fait des actes de gestion et des conséquences qui en découlent. »
392



Page 401
745. La responsabilité du membre du conseil de surveillance apparait ainsi
limitée. Ce membre ne devrait engager sa responsabilité que s’il commet une
faute dans l’exercice de la mission de contrôle qui lui est confiée978.
Il reste qu’une une autre faute est susceptible d’engager la responsabilité
civile des dirigeants : il s’agit de la méconnaissance des dispositions des
statuts de la société qu’il dirige.
B- La méconnaissance des dispositions statutaires
746. Le non respect des dispositions statutaires par le dirigeant d’une société
cotée en bourse peut-il amener à la mise en cause de sa responsabilité
civile ?
La réponse à cette question est incertaine en droit tunisien. En effet, l’article
207 du Code des sociétés commerciales ne cite pas
la violation des
stipulations statutaires comme une cause entrainant la mise en œuvre de la
responsabilité civile des administrateurs de la société anonyme.
747. Cependant, à l’instar de toute disposition conventionnelle, les statuts ont
une nature juridique assimilable à celle de la loi pour les parties au contrat de
société979. Le respect de ces dispositions s'impose donc aux dirigeants. Et
toute violation des statuts de
la société est susceptible d’engager
la
responsabilité de ceux-ci à l’égard de la société et des actionnaires.
Notamment
lorsque ceux-ci violent une clause des statuts
limitant
leurs
pouvoirs. Une telle clause n'étant pas opposable aux tiers de bonne foi, la
société demeure engagée par le fait de son dirigeant même contraire aux
statuts.
748. Les choses sont plus claires en droit français où ne pas respecter les
dispositions statutaires peut être lourd de conséquences pour les dirigeants
978 Selon l’article 225 du Code des sociétés commerciales, le Conseil de surveillance contrôle l’action
du directoire.
979 Article 242 du Code des obligations et des contrats
393



Page 402
sociaux. En effet,
l’article L.225-251 du Code de Commerce fait de la
méconnaissance des dispositions statutaires une faute susceptible d’engager
la responsabilité civile des dirigeants sociaux.
De même, il est admis que la violation du règlement intérieur ou du préambule
qui vient parfois compléter les statuts est assimilée à une violation de ces
derniers.
749. D’autre part, dans le cadre particulier des sociétés cotées en bourse,
l’obligation de publicité des modalités d'organisation interne980, à savoir les
conditions de préparation et d'organisation du conseil d'administration ou du
conseil de surveillance et les procédures de contrôle interne mises en place
par la société, risque de redonner une actualité à la problématique des
éléments venant compléter
les statuts. La
transparence voulue par
le
législateur n'aura sans doute pas uniquement des effets de restauration de la
confiance. Elle pourrait permettre
l'émergence de nouveaux arguments
contentieux981.
Ceci étant dit, la cause la plus communément invoquée pour mettre en cause
la responsabilité civile des dirigeants sociaux demeure la faute de gestion.
C - La faute de gestion : Une notion aux vagues contours
750. Pour mettre en cause la responsabilité des dirigeants, la faute de gestion
est très souvent avancée. Elle constitue une sorte d’argument « fourre-tout »,
qui est invoqué si le comportement reproché au dirigeant ne constitue ni une
violation d’une disposition légale ni une méconnaissance d’une disposition
statutaire982.
980 Article L. 621-18-3 du code monétaire financier en France.
981 Le Bars (B), Op.cit. n°34.
982 Le Bars (B), Op.cit. n°36.
394







Page 403
D’ailleurs, l’article 207 du Code des sociétés commerciales en Tunisie et
l’article L225-251 du code de commerce en France
reconnaissent
expressément
la
faute de gestion comme cause de responsabilité des
dirigeants sociaux.
751. Néanmoins, l’appréciation de cette faute suscite bien des difficultés. Car
si définir
l’acte de gestion est relativement aisé, puisque
les
tribunaux
appliquent un critère organique d'après lequel l'acte de gestion est celui qui ne
relève pas de la compétence de la collectivité des associés, cerner la notion
de faute de gestion est une autre paire de manche car il s’agit d’une opération
autrement plus délicate.
752. La jurisprudence n’exige pas cependant l’existence d’une faute lourde.
Pour les tribunaux tunisiens qui ne prennent pas en compte les circonstances
particulières de chaque espèce et les données relatives à la personnalité du
dirigeant social lors de la caractérisation de la faute de gestion.
Ainsi, dans un arrêt n°11667 daté du 15 juillet 1992, la Cour d’appel de Sfax a
refusé de considérer le bas niveau éducatif du dirigeant social et son manque
d’expérience comme cause d’exonération de sa responsabilité. 983
753. Cette position est confortée par le texte de l’article 207 du code des
sociétés commerciales qui exige que le dirigeant établisse la preuve de la
diligence d’un entrepreneur avisé et d’un mandataire loyal.
L’appréciation de la faute de gestion devrait donc logiquement se faire par
rapport au comportement qu’aurait eu
le chef d’entreprise diligent.
L’administrateur commettrait une
faute de gestion si son comportement
s’éloigne de l’exigence de loyauté et de diligence.
754. La même vision est partagée par les tribunaux français, le dirigeant
commet une faute de gestion lorsque son comportement s’éloigne de celui de
983Arrêt cité par Ouerfelli (A), Ayari (K), « code des sociétés commerciales annoté », Op.cit. p. 621.
395



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l'administrateur consciencieux, honnête et respectueux des règles normales
de la gestion des sociétés commerciales984.
L’appréciation des fautes de gestion revient aux juges du fond. Ceux-ci, ne se
substituent pas aux dirigeants pour apprécier l'opportunité des décisions de
gestion, ils recherchent si le processus de décision a été correct985.
755. Il est à souligner que les dirigeants sociaux ne sont tenus qu’à une
obligation de moyens. L’état dégradé des affaires de la société ne permet
donc pas de présumer la faute du président du conseil d'administration986.
D’ailleurs, gérer une société implique la prise de risques. Si un risque se
réalise cela n’implique pas forcément que le dirigeant a commis une faute.
C’est pour cela que pour vérifier l’existence de la faute de gestion, les juges du
fond doivent se projeter au moment de la prise des décisions contestées. Et
ce pour ne pas se faire influencer par les conséquences finales de ces
décisions qui auraient pu sembler appropriées au moment où elles ont été
prises. Ne sont alors fautives que les décisions déraisonnables, au moment où
elles ont été prises987.
756. En définitive, tout comportement du dirigeant contraire à l'intérêt social
peut être considéré comme une faute de gestion988. Qu'il soit la résultante
d'une prise de décision ou d'une simple abstention989.
Les juges laissent aux dirigeants une marge d'erreur, inhérente à toute prise
de décision. Ainsi, un dirigeant dont la gestion est correcte et qui agit de
bonne foi en respectant les usages de sa profession ne commet pas une faute
susceptible d’engager sa responsabilité.
984 Le Bars (B), Op.cit. n°37.
985 Guyon (Y), Note sous C.A. Versailles, 17 mars 1998, Rev. sociétés 1998 p. 828 ; Maury (F), RJ
com. 1999 p. 331.
986 Baillod (R), Note sous C.A. Versailles, 11 juin 1998, Bull. Joly sociétés 1998 p.1168.
987 Tunc (A), « Rapport sur la responsabilité civile des organes de sociétés », in Évolution du droit des
sociétés, Travaux de l'association Capitant, t. XV, 1967, Dalloz, p. 30
988 Daigre (J-J), Note sous Cass. Com. 7 octobre 1997, no 1947, Bull. Joly 1997 p.1074.
989 Le Bars (B), Op.cit. n°38.
396



Page 405
757. Avec
l’avènement de
la
théorie de
la Corporate Governance,
les
dirigeants des sociétés cotées en bourse peuvent se référer à la déontologie
et aux bonnes pratiques prônées par cette doctrine comme modèle de
référence.
Il s’agit
là d’une
influence qui devrait être de plus en plus
marquante pour les dirigeants avec l’adoption par le législateur de certains
principes relatifs au fonctionnement interne des sociétés et à la transparence.
Cette influence est d'autant plus marquante à l'heure actuelle que législations
tunisienne et
française990 ont
intégré certains principes
relatifs au
fonctionnement interne des sociétés et à la transparence quant à leurs modes
de contrôle interne991.
758. La faute de gestion doit par ailleurs, être prouvée par celui qui invoque la
réparation du dommage par elle causée. Et il faut dire que cette preuve n’est
pas aisée. Même si elle peut être apportée par tous les moyens puisqu’il s’agit
d’un fait juridique. Dans ce cadre, la désignation d’un expert de gestion qui
présenterait un rapport d’expertise sur
la faute de gestion présumée et
préciserait si elle a causé ou non un dommage peut s’avérer être la solution
adéquate pour la personne qui voudrait apporter une telle preuve992. Car au-
delà de l’établissement de la faute du dirigeant, la victime devra prouver
qu’elle a subi un préjudice découlant de cette faute si elle veut obtenir
réparation.
990Loi de sécurité financière no 2003-706 du 1er août 2003 en France ( V. notamment Couret (A), « La
loi sur les nouvelles régulations économiques : la régulation du pouvoir dans l'entreprise », J.C.P.
éd. E, 2001 p. 1660 ; « Les dispositions de la loi de sécurité financière intéressant le droit des
sociétés », J.C.P. éd. E, 2003.1290, n
o 22, p. 1426) et la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005 en Tunisie
(V.
Ben Salah (W), « Transparence et marchés financiers en Tunisie », actes du colloque
«Transparence financière et réformes institutionnelles» 3, 4 avril 2008 à Tabarka).
991 Le Bars (B), Op.cit. n°38.
992 Sur ce point V. Lefebvre (Th), « L’expertise face à la production d’informations financières des
sociétés », Presses universitaires d’Aix-Marseille 2004, thèse.
397






Page 406
Paragraphe 2 - Un préjudice délicat à établir
759. La mise en cause de la responsabilité civile des dirigeants sociaux
nécessite la preuve d’un préjudice causé par leur faute.
Généralement, les dirigeants ne seront déclarés responsables que des actes
ayant effectivement produit des effets.
Par exemple, la communication tardive d’informations financières ne peut
engager la responsabilité des administrateurs, si ce retard ne produit aucun
préjudice aux investisseurs.
Les règles sont les mêmes qu’en droit commun, le préjudice peut consister en
une perte ou en un manque à gagner, privant la société des bénéfices ou de
l’économie qu’elle avait pour objet de réaliser 993.
760. En matière boursière, le dommage consiste souvent en la perte d’une
chance, notamment en matière de communication d’informations financières.
Ainsi, quand une société émet par voie de presse un communiqué
excessivement
pessimiste
qui
amène
ses
actionnaires
à
vendre
immédiatement leurs actions alors qu’elle sait également que la valeur des
titres sociaux va se maintenir grâce à la mise en œuvre d’une garantie de
cours, le préjudice des actionnaires est constitué par la perte d’une chance de
céder leurs actions à la société débitrice de la garantie de cours pour un
meilleur prix994. Même, si le dommage peut également être moral, l’on conçoit
mal un tel préjudice dans le domaine des marchés financiers.
761. Bien sûr, la preuve du préjudice subi incombe au demandeur à l’action.
D’ailleurs, lorsque cette preuve est faite, une difficulté ne manquera pas de se
présenter aux juges. Elle concerne l’évaluation du préjudice.
993 Articles 1149 et 1832 du code civil en France et article 107 du COC en Tunisie.
994 Daigre (J-J), Note sous C.A. Paris, 26 septembre 2003, Bull. Joly 2004 p. 84.
398




Page 407
Les actes de gestion de la société, sont des actes qui se succèdent et qui
s’imbriquent de telle façon qu’une perte peut être contrebalancée par des
gains ultérieurs qu’elle a rendus possibles.
762. Devant une telle situation, la jurisprudence a tendance à ne considérer
que le résultat global et à ne retenir la faute du dirigeant que si le solde de sa
gestion se révèle préjudiciable à la société ou aux actionnaires995. D’autres
situations peuvent s’avérer plus délicates à traiter. Ainsi, il y’ a des fautes qui
n’entrainent pas forcément un dommage. Il en est ainsi des transgressions
aux obligations d’information ou de communication qui pèsent sur les sociétés
cotées en bourse. La mauvaise communication, ou la communication tardive,
voire l’absence de communication, ne peuvent être réparables que dans le cas
où, elles empêchent les actionnaires de prendre une décision de nature à
protéger leurs intérêts, causant de ce fait une perte de chance996.
Pour le professeur Vatinet997, si les actions sociales à l’encontre des dirigeants
sont relativement rares cela tient aussi à l’inadéquation des principes du droit
de la responsabilité civile.
763. Il est vrai que lorsqu’il s’agit de définir l’étendue de l’obligation de
réparation susceptible de peser sur le dirigeant, le principe de réparation
intégrale parait particulièrement inadapté surtout au contexte des sociétés
cotées en bourse.
D’ailleurs, le fait qu’en France, les rares cas où le préjudice social a été réparé
sont des cas où
la délimitation du préjudice était précise998est plein
d’enseignements.
995 Guyon (Y), Note sous Cass. Soc. 3 avril 1990, Rev. sociétés 1990 p. 625.
996 Le Bars (B), Op.cit. n° 50 et 51.
997 Vatinet (R), « La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux, devant les
juridictions civiles », Rev. sociétés 2003 p. 247 n°6.
998 Un cas où contrat conclu par le dirigeant avait un coût trop élevé C.A .Paris, 7 sept. 1995, Dr. Soc
1996, n° 65 ; V. aussi Cass. com. 18 juin 1996, RJDA 1996, n° 1211, la réparation du montant des
avances abusivement consenties par un dirigeant à une filiale.
399




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764. Pour les dirigeants de sociétés cotées en bourse, force est de constater
que le préjudice réparable resterait sans doute trop élevé, dans la plupart des
situations, pour pouvoir être supporté par eux seuls.
Ainsi, par exemple, le préjudice causé à la société par la diffusion dans le
public d’une fausse information peut être extrêmement élevé.
Dans pareils cas, on sait d’avance que « les condamnations prononcées ne
pourront pas être à la mesure du préjudice, trop lourdes à supporter, non
seulement pour le dirigeant social lui-même, mais aussi pour les compagnies
d'assurance, dont les possibilités ne sont pas illimitées». 999
765. Aussi, l’appréciation du lien de causalité est particulièrement délicate, en
raison de l’enchainement des actes de la vie sociale et des effets extérieurs
susceptibles d’amplifier
les effets dommageables de certaines décisions
sociales1000.
Ainsi, en cas de dépréciation de la valeur des actions d’une société cotée,
comment savoir quelle part de responsabilité est attribuable à la fausse
information divulguée et quelle autre part à la crise économique par exemple
ou à d’autres facteurs extérieurs à la société ? Même en admettant que ces
différents facteurs sont à l’origine du préjudice quelle part dans le dommage
donner à la faute du dirigeant et quelle part aux facteurs externes ?
766. De même, lorsque la faute commise par les dirigeants consiste en la
diffusion d’informations prévisionnelles erronées, données à titre indicatif, la
caractérisation du lien de causalité est particulièrement difficile.
999 Vatinet (R), Op.cit. n°6.
1000 La caractérisation du lien de causalité demeure sous le contrôle de la Cour de cassation. La Haute
juridiction a ainsi cassé un arrêt car estimant qu’il était insuffisamment motivé puisqu’il se limitait à
constater que les pertes de la société sont dues à des causes autres que les fautes des administrateurs
sans indiquer lesquelles Cass. civ. 18 mai 1887, DP 1887.1.400
400



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Egalement, des difficultés particulières se rencontrent lorsque le dommage,
provoqué par la faute des dirigeants, a été aggravé par la négligence des
commissaires aux comptes qui ne l’ont pas découvert à temps1001.
767. Dans ces cas, on risque fort de voir le juge enfermé « dans un choix
entre tout et rien ». Si le lien de causalité est admis, le dirigeant devrait être
condamné à la réparation intégrale, alors que dans le cas contraire, il sera mis
totalement hors de cause.1002
Est-ce pour autant une bonne raison pour exclure la responsabilité civile des
dirigeants sociaux et reporter sur la société la charge de réparer les préjudices
qu’auront causé leurs comportements répréhensibles ?
Assurément non, car il est important de ne pas reporter la réparation du
préjudice sur la société cotée. Les dirigeants sociaux devraient supporter les
conséquences de leurs fautes et ne pas se décharger sur leurs sociétés.
768. Il est d’ailleurs possible de mettre en cause l’ensemble du groupe
dirigeant, et ainsi atteindre un double objectif : alléger
le poids des
condamnations individuelles mais aussi et surtout répondre aux exigences de
la doctrine de la corporate governance consistant à « responsabiliser »
l'ensemble des mandataires sociaux pour ne plus admettre
l'excessive
passivité de certains d'entre eux1003.
D’ailleurs, que ce soit en Tunisie ou en France, le texte de la loi est clair. Il
permet la mise en cause de l’ensemble des dirigeants de sociétés cotées en
bourse. Ainsi, l’article 207 du Code des sociétés commerciales dispose que
« les membres du conseil d’administration sont solidairement responsables,
conformément aux règles du droit commun, envers la société ou envers les
tiers… ». Il en est de même en France, où l’article L225-251 du code de
commerce prévoit expressément
la possibilité de mettre en
jeu
la
1001 Le Bars (B), Op.cit. n°52
1002 Vatinet (R), Op.cit. n°7.
1003 Vatinet (R), Op.cit. n°9.
401



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responsabilité des administrateurs « individuellement ou solidairement, selon
le cas, envers la société ou envers les tiers ».
769. Au final, les conditions de mise en cause de la responsabilité des
dirigeants des sociétés cotées en bourse apparaissent restrictives. Ces
conditions ne participent à une meilleure responsabilisation de ces dirigeants
et compliquent la tâche de la victime désirant obtenir réparation. Une tâche
d’autant plus enhardie que la mise en œuvre de cette responsabilité est
entravée.
SECTION II
UNE MISE EN ŒUVRE ENTRAVEE
770. Les actions mettant en cause la responsabilité civile des dirigeants
sociaux s'articulent autour de quatre axes : les actions sociales ut universi et
ut singuli, la responsabilité vis-à-vis des tiers et l'action individuelle.
Malgré ces voies d’actions multiples, voir un dirigeant conduit à réparer un
préjudice causé par sa faute, paraît peu probable « car ces actions sont soit
utopiques, soit philanthropiques, soit illusoires ou soit négligées»1004.
La manière dont la délimitation est aménagée entre ces deux catégories de
préjudice traduit une prééminence de la personne morale, d'où il résulte un
constat qui peut paraître paradoxal : la réparation du préjudice social est la
plus facile à obtenir, bien qu'elle soit rarement demandée (Paragraphe 1); la
réparation du préjudice individuel distinct est compliquée à obtenir, bien que la
demande sur ce point paraisse aujourd'hui plus forte1005 (Paragraphe 2).
1004 Navarro (J-L), « Suggestions pour une amélioration des régimes de responsabilité civile des
dirigeants sociaux », L.P.A., 02 août 2007 n° 154, p. 39.

1005 Vatinet (R), Op.cit. p. 247.
402





Page 411
Paragraphe 1- L’inadéquation de
dirigeants sociaux
l’action sociale à
l’encontre des
771. L’action sociale, vise à réparer le préjudice subi par la société et non pas
le préjudice subi par les actionnaires1006.
L’action sociale peut être mise en œuvre ut-universi, c’est à dire par les
représentants de la société victime des agissements de ses dirigeants (A).
L’action sociale, peut de même, être intentée ut-singuli. Dans ce cas, à l’instar
de l’action sociale exercée ut-universi, le but de la manœuvre est de réparer le
préjudice subi par
la société. Mais, contrairement à
l’action ut-universi,
l'initiative appartient, dans cette hypothèse, aux actionnaires (B).
A- L’action ut-universi : une mise en œuvre improbable
772. Si les objectifs recherchés par l’action ut-universi ne diffèrent guère entre
la Tunisie et la France, les conditions de sa mise en œuvre divergent quelque
peu entre les deux pays.
En Tunisie, l'action sociale ut-universi peut être mise en œuvre par les
représentants de la société, suite à une décision de l’assemblée générale,
adoptée même si son objet ne figure pas dans l’ordre du jour. C’est ce qui
ressort des dispositions de l’article 220 du Code des sociétés commerciales tel
qu’il a été modifié par la loi du 16 mars 2009.
773. L’action sociale en Tunisie est donc subordonnée à la volonté de
l’assemblée générale. A première vue, cette solution n’est pas dénuée
d’avantages car elle permettrait d’éviter l’écueil de l’inaction qui caractérise
souvent le comportement des dirigeants sociaux, peu enclins à mettre en
marche ce genre d’actions. Néanmoins, subordonner l’action sociale à une
décision de l’assemblée générale, fait qu’une action de ce genre a peu de
1006 Ouerfelli (A), Ayari (K), Op.cit. p. 666.
403




Page 412
chances de se produire dans la pratique surtout dans le cadre des sociétés
cotées en bourse. En effet, réunir une majorité à l’assemblée générale d’une
société cotée n’est pas chose aisée. Cela risquerait alors d’ôter toute efficacité
à cette action.
774. D’ailleurs, il est à noter que le texte de l’article 220 du CSC ne précise
pas si cette décision doit être prise dans le cadre d’une assemblée générale
ordinaire ou extraordinaire. Néanmoins, cette décision ne peut émaner que
d’une assemblée générale ordinaire
laquelle dispose d’une compétence
générale qui couvre
tous
les aspects de
la vie sociale1007. Alors que
l’assemblée générale extraordinaire ne peut intervenir que lorsqu’il s’agit de
modifier les statuts de la société1008.
Ceci veut dire que pour exercer le recours ut universi, il y’a nécessité
d’attendre la tenue de l’assemblée générale ordinaire. Cette solution présente
alors un
inconvénient de
taille car une
telle attente peut compromettre
l’exercice de l’action.
775.
Il serait alors plus
judicieux de
laisser
la possibilité au conseil
d’administration ou au directoire de pouvoir exercer l’action sans consulter
nécessairement
l’assemblée générale. Tout en gardant
la possibilité pour
l’assemblée générale de provoquer la poursuite judiciaire en cas d’inaction de
ses dirigeants.
776. D’autre part, l’assemblée générale garde la possibilité de se rétracter et
renoncer à l’action ou de transiger. Cette possibilité lui est donnée par l’article
220 du code des sociétés commerciales, à condition qu’un ou plusieurs
actionnaires détenant au moins cinq pour cent du capital de la société
anonyme ne faisant pas appel à l’épargne ou trois pour cent du capital de la
société anonyme faisant appel public à l’épargne, et n’ayant pas la qualité de
1007 A l’exception des compétences attribuées par le CSC à l’assemblée générale extraordinaire.
1008 L’assemblée générale extraordinaire dispose d’une compétence réduite qui a trait aux questions
nécessitant la modification des statuts de la société tels que l’augmentation ou la réduction du capital
social, le changement de la forme juridique de la société, la dissolution de la société ou encore la
scission de la société, article 291 du Code des sociétés commerciales.
404



Page 413
de membres du conseil d’administration ne s’y opposent pas. La décision
d’exercer l’action ou de transiger entrainera la révocation des membres du
conseil d’administration concernés.
777. Il est à noter que le seuil de détention qui permet à un ou plusieurs
actionnaires de s’opposer à la transaction ou à la renonciation de l’action a été
abaissé par la loi n°2009-16 du 16 mars 2009. En effet, dans sa rédaction
antérieure, la transaction ou la renonciation pouvait s’opérer à la condition
qu’un ou plusieurs actionnaires détenant au moins quinze pour cent du capital
social ne s’y opposent pas.
Même si cet abaissement a le mérite de protéger les intérêts des actionnaires
minoritaires qui sont dotés d’un droit de veto qui leur permet de s’opposer à
toute transaction ou renonciation à l’action sociale.
778. On peut tout de même s’étonner du fait qu’il soit possible de bloquer la
transaction ou la renonciation par un ou plusieurs actionnaires détenant au
moins trois pour cent du capital de la société cotée à la bourse de Tunis.
Dans la pratique il faudra obtenir une quasi unanimité au sein de l’assemblée
générale pour renoncer à l’action ou transiger. Alors qu’une majorité simple
suffit à lancer l’action. Autant dire qu’une telle renonciation ou transaction a
peu de chances de se produire s’agissant de sociétés cotées en bourse.
779. En France, l’action sociale ut-universi est mise en œuvre par les
représentants de la société cotée en bourse.
A partir du moment où la faute des dirigeants cause un préjudice à la société,
c’est à ces derniers, en tant que représentants de la société cotée d’exercer
l’action en justice.
780. C’est donc là une différence fondamentale avec le droit tunisien. En effet,
là où
l’action sociale est subordonnée en Tunisie à une décision de
l’assemblée générale, l’article L. 225-253 du code de commerce français
405


Page 414
répute « non écrite toute clause des statuts ayant pour effet de subordonner
l'exercice de
l'action sociale à
l'avis préalable ou à
l'autorisation de
l'assemblée générale, ou qui comporterait par avance renonciation à l'exercice
de cette action. »
781. D’ailleurs,
toujours selon
l’article L225-253 « aucune décision de
l'assemblée générale ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en
responsabilité
contre
les administrateurs pour
faute
commise dans
l'accomplissement de leur mandat ».
C’est d’ailleurs, le fait que cette décision soit subordonnée à une décision des
dirigeants de la société qui a été critiqué par la doctrine qui avance que « les
intéressés sont rarement enclins à tresser la corde qui servira à les pendre
»1009 ou qui servira à pendre leurs collègues. Le talon d’Achille de l'action ut-
universi réside dans l'inaction, ou l'action trop rare, de la personne pouvant
mettre en œuvre cette action. C'est cette situation qu'il faut combattre car elle
est à l’évidence en contradiction avec les règles de bonne gouvernance qui
exigent une meilleure responsabilisation des dirigeants sociaux. 1010
782. Pour remédier à cette inaction des dirigeants sociaux, un auteur 1011
propose d’infliger des sanctions aux dirigeants qui ne mettent pas en œuvre
l’action ut-universi, alors que les circonstances auraient dû les conduire à agir.
Pour ce faire, deux voies semblent être ouvertes. Une première ayant pour
base le droit civil et une deuxième ayant pour fondement le droit commercial.
Premièrement, il est possible de partir du postulat qu’une abstention peut être,
dans certains cas, constitutive d’une faute1012.
1009 Cozian (M), Viandier (A) et Deboissy (F), « Droit des sociétés », Op.cit. p. 126.
1010 Navarro (J-L), Op.cit. n°3.
1011 Ibid.
1012 Pour plus de détails V. Bourrinet, « L'abstention, source de responsabilité civile délictuelle »,
Thèse Montpellier, 1959.
406



Page 415
En effet, si un courant doctrinal classique avance qu’une abstention n’est
fautive que si la personne contrevient à une obligation légale ou réglementaire
d'agir. Sans une obligation formelle d'agir, l'omission pure et simple ne serait
pas fautive, sauf si elle est guidée uniquement par une mauvaise intention.
783. Une bonne partie de la doctrine, conteste cette conception. Pour ces
auteurs, une faute d'abstention obéit aux règles générales de définition de la
faute. Son appréciation devrait se faire de la même façon que la faute de
commission. Une détermination in abstracto de cette faute devrait se faire sur
la base d’une constatation : la personne n'a pas fait ce qu'à sa place un
homme raisonnable aurait fait1013.
784. La jurisprudence française semble d’ailleurs abonder dans cette direction.
Si de nombreux arrêts, relèvent une « obligation d'agir » à la charge de
l'auteur d'une abstention fautive1014. La Cour de cassation1015 a aussi admis
l'existence d'une faute d'omission sans aucune référence à une obligation
d'agir.
Il est donc possible de penser qu’un dirigeant social qui n'agit pas alors qu'il
devrait le faire pour réparer le préjudice subi par la société, commet une faute.
Les tribunaux pourraient voir dans l'inaction du dirigeant social par son refus
de mettre en œuvre l'action ut-universi, dès lors qu'il aurait dû, de toute
évidence, le faire.
785. Mais même si on admet qu’un dirigeant qui n’engage pas l’action ut-
universi alors que les circonstances auraient dû le conduire à le faire, commet
une faute. Une autre entrave ne saurait manquer de surgir.
1013 Marty (G) et Raynaud (P), « Droit civil, Les obligations », T. 1, Les sources, Paris, Sirey, 2ème
édition, 1962, n
o 468 ; Viney (G) et Jourdain (P), « Les conditions de la responsabilité », LGDJ, 3ème
Ed., 2006 , Paris, n
o456 ; le Tourneau (Ph) et Cadiet (L), « Droit de la responsabilité », coll. « Dalloz
action », Paris, Dalloz 1996, n
o 3347.
1014 V. Desbois (H), Note sous cass. civ., 27 février 1951, D. 1951, p. 329 ; Carbonnier (J), « Le
silence et la gloire », D. 1951, chron., p. 119.
1015 Cass. civ., 19 juin 1996, cité par Navarro (J-L) Op.cit. n°4.
407



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Celui du préjudice réparable. Car l’inaction du dirigeant n'est pas à l'origine du
préjudice subi par la société. Cela signifie, qu’en définitive, un seul préjudice
serait éventuellement réparable celui dit « pour perte d'une chance ».
Ce cas de figure se rapprocherait de celui où un justiciable serait par la faute
de son avocat ou de son huissier dans l’impossibilité de faire valoir ses droits
(Le cas d’un avocat qui n’aurait pas intenté un procès en appel dans le délai
légal par exemple). Un préjudice que la Cour de cassation admet comme
réparable si le justiciable avait des chances sérieuses de gagner son procès.
786. Mais voilà, la chance est perdue par la société. C’est elle qui subit le
préjudice et c’est donc à son représentant d’agir en son nom pour demander
la réparation de cette perte de chance. Ce serait donc, au dirigeant fautif
d’intenter un procès au nom de la société contre lui-même. Inutile de dire qu’il
manquera de motivation pour nouer la corde qui servira à le pendre. A moins,
bien sûr que le dirigeant fautif n’ait été révoqué et que son successeur décide
d’intenter l’action à son encontre1016.
Dans ce cas de figure, on serait alors en présence d’une faute et d’un
dommage mais on ne trouverait personne pour intenter l’action en justice.
787. Les théories civilistes, semblent donc conduire à une impasse. Le
recours à des notions de droit des sociétés serait-il plus avantageux ?
En effet, le recours dans cette hypothèse à la notion de faute de gestion
semble être possible.
Etant donné que l'intérêt social impose au dirigeant d'agir et d’intenter l’action
ut-universi et que la faute de gestion s’apprécie par rapport à l’intérêt social. Il
semble possible que l’inaction du dirigeant puisse être assimilée à une faute
de gestion1017.
1016 Navarro (J-L), Op.cit. n°5.
1017 Navarro (J-L), Op.cit. n°6.
408



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Dans ce cas, l'actionnaire pourrait exercer l’action ut-singuli en vue de voir
réparer le préjudice social consistant en une perte d'une chance.
D'ailleurs, cette action a été conçue afin de remédier à l'inaction des dirigeants
sociaux. Ainsi une certaine pression pourrait inciter les dirigeants à l'action.
Mais là encore, il y’a anguille sous roche. Car l’action ut-singuli souffre elle-
même de ses propres vicissitudes1018.
788. Face à ce constat, on peut avec un auteur 1019, proposer l’instauration
d’un régime spécial de responsabilité qui prévoirait qu’un dirigeant qui n’agit
pas, alors que les circonstances auraient dû le pousser à le faire, engagerait
automatiquement sa responsabilité et devrait réparer le préjudice subi par la
société et découlant des agissements du dirigeant qu'il a voulu protéger.
Cette « action pour inaction » pourrait être intentée par les actionnaires. Cette
action aurait pour rôle de consolider l’action sociale ut-universi en incitant les
dirigeants à agir contre leurs collègues sous peine, le cas échéant, de devoir
en subir les conséquences1020.
789. Au final, la meilleure solution serait un mix entre législations française et
tunisienne. Et ce en permettant l’exercice de cette action aussi bien par
l’assemblée générale que par le conseil d’administration ou le directoire de la
société. Aux lourdeurs de l’assemblée générale pourrait palier la réactivité du
directoire et à l’inaction des représentants de la société cotée en bourse,
pourrait remédier l’assemblée générale.
Il reste que la mise en œuvre de ces solutions ne pourrait se faire sans leur
adoption par le législateur.
1018 V. infra p. 408.
1019 Navarro (J-L), Op.cit. n°6.
1020 Navarro (J-L), Op.cit. n°7.
409



Page 418
L’action ut-universi ne devrait donc pas, dans les faits, constituer une menace
réelle pour les dirigeants sociaux. Reste que pour pallier à l’inefficacité de
cette action, une autre action sociale est possible : l’action ut-singuli.
B-
L’ action Ut-singuli : une mise en œuvre difficile
790. L’exercice ut-singuli de l’action sociale est un mécanisme de défense de
l’intérêt social bien ancré en droit français, puisque ses origines remontent à la
jurisprudence du 19e siècle1021.
Comme pour l’action sociale exercée ut-universi, le but de la manœuvre est de
réparer le préjudice subi par la société. Mais contrairement à l’action ut-
universi, l'initiative appartient, dans cette hypothèse, aux actionnaires.
Les actionnaires sont dotés de ce pouvoir par les dispositions de l’article 220
du code de commerce en Tunisie1022 et par les dispositions de l’article L. 225-
252 du Code de commerce en France1023.
791. L’objectif de
l'action ut-singuli est évidemment de pallier
l'inaction
éventuelle des dirigeants sociaux en France ou de
l’assemblé générale
ordinaire en Tunisie. Pour cette raison, il est dit habituellement qu'elle a un
caractère subsidiaire. Cette affirmation n’a plus beaucoup de sens aujourd’hui.
1021 Pagnucco (J-Ch), « L’action sociale ut singuli et ut universi en droit des groupements »,
Fondation Varenne, LGDJ, 2006, n°
s 3 et s.
1022L’article 220 du code des sociétés commerciales tel que modifié par la loi n°2009-16 du 16 mars
2009 amendant et complétant certaines dispositions du code des sociétés commerciales dispose que :
« Un ou plusieurs actionnaires détenant au moins cinq pour cent du capital s’il s’agit d’une société
anonyme ne faisant pas appel public à l’épargne ou trois pour cent du capital s’il s’agit d’une société
anonyme faisant appel public à l’épargne ou dont la participation au capital est au moins égale à un
million de dinars et n’ayant pas la qualité de membre ou de membres du conseil d’administration
peuvent, dans un intérêt commun, exercer une action en responsabilité contre les membres du conseil
d’administration pour faute commise dans l’accomplissement de leurs fonctions. L’assemblée générale
ne peut décider le désistement à l’exercice de l’action. Toute clause contraire des statuts est réputée
nulle. »

1023Selon
l'action en réparation du préjudice subi
personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant
aux conditions fixées à l'article L. 225-120 soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en
Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur
général. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la
société, à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués. »
les dispositions de cet article : « Outre
410




Page 419
Il n'est en effet pas nécessaire que
l'inaction des organes légaux soit
spécialement constatée,
les actionnaires pouvant agir sans délai afin de
demander la réparation du préjudice social. Il leur suffit d'agir les premiers.
Néanmoins, si l'action civile est intentée par les organes légaux de la société,
l'action ut-singuli ne serait recevable que si elle garde un intérêt. Si elle est
exercée sur un fondement différent (faute différente, par exemple) ou contre
d'autres mandataires sociaux que ceux que
l'action ut-universi met en
cause1024.
792. Cependant, il faut être bien « philanthrope » pour exercer l’action ut-
singuli lorsqu’on est actionnaire d’une société cotée en bourse. Celui-ci s’il se
retrouve victime du comportement fautif d'un dirigeant hésitera généralement à
mettre en œuvre l'action ut-singuli car il devra en assumer les frais, alors
même que les dommages-intérêts éventuellement versés bénéficieront à la
seule société1025.
L’article 220 du code de commerce le précise « les indemnités allouées par le
jugement sont dues à la société. ». L’article L.225-252 affirme également que
les dommages et intérêts sont alloués à la société.
793. Cette règle s’explique par la nature même de l’action ut-singuli, qui est de
servir les intérêts de la société à court terme et par conséquent servir les
intérêts de l’actionnaire à plus long terme. Pourtant, elle atteint toutes ses
limites lorsqu’il s’agit de réparer le préjudice subi par une société cotée en
bourse. Le profit qu’un actionnaire pourrait en retirer serait probablement
inférieur au coût de la procédure qu’il engagerait.
794. Cette situation est anormale, car elle est de nature à décourager les
éventuelles actions que pourraient mener
les actionnaires des sociétés
cotées. Dès lors que l’action est fondée et qu’elle n’est pas abusive, il faudrait
prévoir la possibilité pour l’actionnaire de se faire rembourser les frais avancés
1024 Vatinet (R), Op.cit. n°12.
1025 Navarro (J-L), Op.cit. n°8.
411



Page 420
ou encore la possibilité de voir la société en assumer tout simplement le coût
puisqu’elle en est l’éventuel bénéficiaire.
795. Il est à noter que l’exercice de l’action Ut-singuli a été facilité en Tunisie.
En effet, l’article 220 du code des sociétés commerciales dans sa version
antérieure à la loi du 16 mars 2009 prévoyait que l’action sociale pouvait être
exercée par « un ou plusieurs actionnaires détenant au moins 15 pour cent du
capital social, ».
Il est évident qu’à partir du moment où l’on se place sur le terrain des sociétés
cotées en bourse, cette exigence de représenter au moins 15 pour cent du
capital social pour pouvoir exercer l’action sociale aboutissait de facto à priver
une majorité écrasante d’investisseurs en bourse du droit d’agir en justice au
nom de la société.
796. Sur ce point, la loi du 16 mars 2009 est venue donc renforcer les droits
des actionnaires et améliorer les standards juridiques en vue d’une meilleure
adéquation avec les nouvelles exigences de la mondialisation.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de sociétés cotées en bourse, l’exercice de l’action ut-
singuli le seuil de détention a été abaissé de 15% à 3% ou la détention d’une
participation au moins égale à un million de dinars, quel que soit la fraction du
capital qu’elle représente.
797. Pourtant, cette exigence semble encore excessive car elle prive de facto
les actionnaires minoritaires et les petits épargnants du droit d’exercer l’action
sociale. En effet, au vu du capital social extrêmement élevé des sociétés
cotées en bourse, détenir des actions d’une valeur d’un million de dinars d’une
société cotée à la bourse des valeurs mobilières de Tunis devrait constituer,
412


Page 421
dans la plupart des cas, le seuil de détention minimum pour pouvoir exercer ce
type d’action1026.
Il est donc évident que pour pouvoir exercer cette action, les actionnaires
minoritaires devront trouver un terrain d’entente qui leur permette de se
regrouper à plusieurs dizaines ou centaines, autour de l’intérêt commun de la
société. Autant dire que ce n’est pas gagné d’avance.
Déjà que ce type d’action est extrêmement rare, car pas assez « rentable ». Il
serait alors plus judicieux d’alléger cette exigence afin de permettre à un plus
grand nombre d’actionnaires d’exercer ce droit.
798. En l’absence de tout cadre règlementaire, permettant et organisant la
création d’associations d’actionnaires qui permettraient de regrouper et de
coordonner les efforts des actionnaires entendant exercer l’action ut-singuli,
on peut penser que ce genre d’action ne rencontrera pas un grand succès en
pratique.
Paragraphe 2- L’action individuelle restaurée
799. La question de
la responsabilité civile des dirigeants sociaux, a
longtemps provoqué en France, débats et controverses. Principal point
d’achoppement, la question de la responsabilité des dirigeants à l’égard des
tiers. En cause : la théorie de la « faute séparable des fonctions» (A).
L’action individuelle des actionnaires apparait quant à elle facilitée et ce que
ce soit en Tunisie ou en France (B).
1026 Par exemple, le capital de la SFBT, société tunisienne cotée en bourse est de 66 millions de dinars.
Pour exercer l’action ut singuli, l’actionnaire doit détenir au moins 3% du capital social. C'est-à-dire,
des actions d’une valeur approximative de deux millions de dinars. Un million de dinars est donc dans
la majorité des cas, la valeur minimum des actions que doit détenir un actionnaire souhaitant exercer
l’action ut-singuli.
413





Page 422
A-
Le bouclier de la faute séparable des fonctions
800. La théorie de la faute séparable des fonctions est une construction de la
Cour de Cassation
française, qui depuis 19881027, exige
la preuve de
l’existence d’une « faute séparable » des fonctions du dirigeant mis en cause
pour retenir la responsabilité personnelle des dirigeants sociaux à l'égard des
tiers.
Cette création jurisprudentielle a été établie sur la base de l'article L. 225-251
du code de commerce qui dispose que : « Les administrateurs et le directeur
général sont responsables, individuellement ou solidairement selon le cas,
envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions
législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des
violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ».
Cette théorie, qui est un moyen de déterminer la personne qui supportera la
charge de la réparation du préjudice subi par les tiers1028, agit comme un
bouclier pour protéger
les dirigeants sociaux contre la multiplication des
actions en responsabilité susceptibles de freiner leur initiative.
801. Cependant, cette
jurisprudence demeure controversée et se
trouve
fortement décriée par
la doctrine qui qualifie cette
faute de « faute
introuvable »1029.
Il est vrai, qu’en exigeant une telle preuve, la jurisprudence entérine au moins,
le caractère exceptionnel de la responsabilité civile des dirigeants sociaux à
l'égard des tiers. Au plus, l’adoption de cette théorie aboutit à consacrer
1027 Viandier (A), Note sous Cass. Com., 4 octobre 1988, Rev. sociétés, 1989, p. 213.
1028 Caramalli (D), «Le dernier épisode du feuilleton jurisprudentiel de la faute séparable», D. 2004
p. 1961
1029 Ohl (D), Note sous Cass. Com., 28 avril 1998 : J.C.P. éd. G, 1998, II, n° 10177.
414




Page 423
l'irresponsabilité de facto des dirigeants sociaux dans leurs rapports avec les
tiers1030.
802. Cette affirmation est d’autant plus vraie, que la faute détachable des
fonctions est longtemps restée « introuvable ». Jusqu'en 2003, les décisions
de la Chambre commerciale avaient offert une palette variée d'exemples de la
qualification de «
faute
inséparable », créant ainsi une
très
fâcheuse
impression d'immunité au profit des dirigeants, tout particulièrement au profit
de dirigeants de sociétés commerciales1031.
803. A cause du caractère « introuvable » de la faute séparable des fonctions,
cette jurisprudence a fait l’objet de critiques virulentes de la part de certains
auteurs1032. Des critiques que d’autres ont voulu tempérer 1033.
D’ailleurs, il a fallu attendre un arrêt du 20 mai 2003 émanant de la Chambre
civile de la Cour de cassation 1034 pour, enfin, avoir une définition de la faute
détachable ou séparable des fonctions. Cet arrêt considère comme faute
détachable des
fonctions « le
fait pour un dirigeant de commettre
intentionnellement une
faute d'une particulière gravité
incompatible avec
l'exercice des
fonctions sociales ». La démonstration d'une
telle
faute
permettant seule à sa victime de lever l'écran de la personnalité morale et de
poursuivre le dirigeant fautif.
1030 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Bull. Joly
Bourse, 01 juillet 2006 n° 4, p. 399
1031 Barbièri (J-F), « Responsabilité civile des personnes morales et de leurs dirigeants : précisions sur
les contours de la « faute séparable » », Rev. sociétés 2003 p. 479
1032 Barbièri (J-F), Note sous Cass. Com., 20 octobre 1998, n° 1576 P, SA Outinord Saint-Amand c/
Fischer, Bull. Joly Sociétés, 01 janvier 1999, p. 88.
1033 Vatinet (R), Op.cit. p. 247
1034 V. sur cet arrêt : Lienhard (A), Note sous Cass. Com., 20 mai 2003 : D., 2003, Act. jurisp., p.
1502 ;
Dondero (B), D., 2003, p. 2623 ; Hadji-Artinian (S), J.C.P. éd. E, 2003, II, no 1398, p. 1580 ;
Hallouin (J-C), D., 2004, Somm. p. 266 ; Barbièri (J-F), Rev. sociétés, 2003, p. 479 ; Chazal (J-P)
et Reinhard (Y), RTD com., 2003, p. 529 ; Le Nabasque (H), Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 786, §
167.

415



Page 424
La doctrine est toutefois restée partagée sur le sens de la définition donnée
par cet arrêt1035 :
804. Certains auteurs, y ont vu dans la foulée une définition relativement large
permettant d’arguer un assouplissement de la jurisprudence de la Haute
juridiction.
D’autres, en se basant sur des arrêts plus récents, tempèrent fortement cet
optimisme et font remarquer que cette notion de faute séparable est encore
interprétée de manière très restrictive1036.
805. Même si sur un plan pratique et plus pragmatique, mieux vaut que la
victime s'adresse à la personne morale plutôt qu'au dirigeant car elle est
réputée plus solvable. Il ne faudrait pas oublier que la responsabilité civile des
dirigeants sociaux a aussi une
fonction dissuasive qu’atténue
fortement
l’application d’une telle théorie.
D’ailleurs, on ne peut qu’approuver le fait que la jurisprudence tunisienne n’ait
pas importé cette construction jurisprudentielle française et se contente pour
retenir la responsabilité civile des dirigeants sociaux d’une faute simple. Cette
position étant de nature à
faciliter
l’action
individuelle à
l’encontre des
dirigeants sociaux.
B-
L’action individuelle facilitée des actionnaires
806. L’action individuelle se distingue de l’action sociale, en ce sens que les
indemnités allouées dans le cadre de cette action reviennent à l’actionnaire
demandeur.
1035 Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit. p. 399.
1036 Navarro (J-L), Op.cit. p. 39, qui donne l’exemple d’une décision de la chambre commerciale de
la Cour de cassation datée du 20 juin 2006 (n
o 808 F-D), considère que le fait pour un dirigeant de
société de truquer des documents pour présenter sa société de manière fausse et flatteuse afin de
tromper un créancier, ne caractérise pas une faute intentionnelle d'une particulière gravité
incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales.
416




Page 425
En Tunisie, l’action individuelle était prévue par l’alinéa 1er de l’article 80 du
Code de Commerce. Mais le code des sociétés commerciales dans sa version
initiale a abandonné cette action, qui a ainsi manqué d’un support textuel.
807. La doctrine a tout de même affirmé qu’il s’agit là d’une action de droit
commun qui n’a guère besoin d’un texte spécial qui la consacre1037. Et la
jurisprudence admettait les actions individuelles à l’encontre des dirigeants.
D’ailleurs, l’action individuelle a été définie par la Cour de cassation dans son
arrêt n°28533 daté du 4 février 2004 comme « celle avec laquelle on agit
directement à
l’encontre des membres du conseil d’administration ou du
comité d’administration collectif, ou du conseil de surveillance selon le cas
sans avoir besoin d’agir contre la société au vu du caractère individuel de
l’action qui a pour base la responsabilité personnelle du fauteur et qui cause
un préjudice à l’actionnaire »1038.
808. Il reste que la suppression du texte qui fondait cette action ne pouvait
qu’être source d’hésitation et de perplexité.
Dissipant ces doutes, la loi du 16 mars 2009, est venue restaurer cette action
et lui donner un fondement textuel. Ainsi, l’alinéa 7 de l’article 220 du CSC
ajouté par cette loi prévoit que « les dispositions précédentes ne font pas
obstacle à l’exercice par l’actionnaire de l’action individuelle qu’il peut intenter
lui-même et en son nom personnel ».
809. En France, bien que n’étant prévue par aucun texte, à l’exception d’une
mention laconique à l'article L. 225-252 du Code de commerce1039, l’action
individuelle intentée par l’actionnaire visant à la réparation du préjudice qu’il a
subi personnellement, a été très tôt admise par la jurisprudence française1040.
1037 Ouerfelli (A), « La vraie réforme du droit des sociétés a bien eu lieu », Revue de la jurisprudence
et de la législation n°7 Juillet 2009 p. 9.
،
عيرشتلا و ءاضقلا
تلايدعت دعب ةيراجتلا تاكرشلا يف تلاماعملا ةيفافش ميعدت
نيوعي ،
سرام
دمحأ
ةلجم
2009
16
1038
ص397.
2009
ربوتكأ
ددع 8
1039 Navarro (J-L), Op.cit. p. 39 n°14.
1040 Cass. civ., 26 novembre 1912, DP, 1913. I, p. 377, cité par Navarro (J-L) Op.cit. n°14.
417







Page 426
En théorie, les actionnaires lésés par des fautes commises par les dirigeants
sociaux, sont ainsi, en droit de leur demander, la réparation du préjudice qu'i ls
ont personnellement subi.
810. Cependant, l’action civile des actionnaires d’une société cotée en bourse
à l’encontre des dirigeants sociaux s’est trouvée dans un premier temps, en
France, doublement compliquée. Une complication qui a fait dire à un auteur
que cette responsabilité était supprimée de fait1041. Ainsi, cette action s’est
trouvée compliquée du fait que les actionnaires sont, contrairement à leurs
homologues
tunisiens, obligés pour engager
la responsabilité civile des
dirigeants sociaux de démontrer
l’existence d’une
faute séparable des
fonctions des fonctions de ceux-ci. Néanmoins, par la suite la position de
jurisprudence française s’est alignée sur ce qui prévaut en Tunisie et c ette
action a été facilitée par l’abandon par la Cour de cassation française de cette
exigence (1). Par contre, l’action se trouve entravée par l’obligation faite à
l’actionnaire de démontrer l’existence d’un préjudice personnel distinct de celui
subi par la société (2).
1 - La non application de la théorie de la faute séparable des fonctions
811. La
jurisprudence
française considère
les actionnaires comme étant
étrangers à la société. Elle estime, de ce fait, qu’ils exercent l’action des tiers.
Ainsi, la Cour d’appel de Versailles a estimé que « les actionnaires sont des
personnes physiques, distinctes de
la société anonyme et demandent
réparation de leur propre préjudice, et non celui de la société ; qu’ils exercent
donc « l’action des
tiers » contre
les administrateurs ».
Ils doivent alors
démontrer que les « administrateurs ont commis des fautes séparables de
leurs fonctions ».
La Cour de Versailles, s’appuie pour étayer son argumentaire sur l'article
L.225-251 du Code de commerce qui selon la Cour, observerait « une
1041 Descorps Declère (F), « Pour une réhabilitation de la responsabilité civile des dirigeants
sociaux », D. 2003 p. 25

418




Page 427
dichotomie primitive », qui opposerait « l'action sociale » par laquelle la société
demanderait réparation à ses dirigeants, à l'action en responsabilité engagée
par toute autre personne. Et ce sans différenciation aucune entre actionnaires
et véritables tiers1042.
812. La situation des actionnaires en France est donc moins favorable, sur ce
point qu’en Tunisie. La théorie de la faute séparable des fonction n’ayant pas
trouvé écho auprès des tribunaux tunisiens.
On ne peut que nous en féliciter car en France, l’extension de l’application de
la théorie de la faute séparable des fonctions aux actionnaires de la société
cotée a été critiquée par la doctrine qui y voyait un usage inapproprié aux
relations dirigeants - société - actionnaires. 1043
813. Il faut dire, que les arguments avancés sont plutôt convaincants :
Tout d’abord, les actionnaires ne sont pas étrangers à la société. Ils y sont liés
par le biais d’un acte juridique conventionnel qui est le fondement même de la
société. De plus,
ils sont investis d'une fonction légale qui fait que les
dirigeants sociaux sont dans l’obligation de rendre compte aux actionnaires du
respect des missions qui leurs ont été assignées. Dans les relations internes,
la personnalité juridique ne doit pas faire office d’écran1044.
814. D’ailleurs, on l’a vu précédemment1045, la théorie de la « faute séparable
des fonctions » n’a de sens qu’en raison de l’écran que crée la personnalité
morale entre les dirigeants et les véritables tiers, extérieurs à la personne
morale. Cette construction jurisprudentielle trouve sa justification, dans ce
cadre, par la nécessité de séparer entre les actes relevant de la sphère
fonctionnelle dont la responsabilité est assumée par la personne morale et
ceux relevant de
la sphère privée dont
les dirigeants doivent répondre
personnellement.
1042 Barbièri (J-F), Note sous C.A. Versailles 17 janvier 2002, Bull. Joly sociétés 2002 p. 516.
1043 Barbièri (J-F), Note sous Cass. Com., 22 mai 2001, Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 995.
1044 Barbièri (J-F), note sous CA Versailles 17 janvier 2002, Op.cit. p. 516.
1045 V. supra p. 410.
419



Page 428
Alors que dans
les rapports
internes comme ceux matérialisés par
les
relations entre actionnaires et dirigeants sociaux, cette notion perd tout son
intérêt. En effet, il ne s’agit pas de rechercher la responsabilité spécifique de la
personne morale, mais uniquement de savoir si les dirigeants n’ont pas failli à
leur obligation de loyauté dans l’exercice de leurs fonctions.
815. Un auteur, considère d’ailleurs que contrairement à la responsabilité des
administrateurs à l’égard des tiers à la société, qui est de nature délictuelle, la
responsabilité des administrateurs à l'égard des actionnaires a un indiscutable
fondement contractuel dans les rapports triangulaires administrateurs - société
actionnaires. Les
instruments d'analyse ne sont certainement pas
identiques1046.
A partir de là, cet auteur considère que l'article L. 225-251 doit être interprété
comme prévoyant que
les administrateurs engagent
leur responsabilité à
l'égard de la société et des actionnaires, d'un côté, à l'égard des tiers, de
l'autre, de toute infraction aux dispositions légales ou réglementaires, de toute
méconnaissance des statuts, mais aussi des fautes de gestion. Il s'agit d'une,
simple application du principe général de responsabilité. La théorie de la «
faute séparable » ne devrait de ce fait s'appliquer qu’à l'égard des personnes
extérieures à la société.
816. Néanmoins, dans un premier
temps,
la
jurisprudence relative à la
responsabilité des dirigeants en cas de diffusion d'informations erronées ne
partageait pas cette analyse. Dans les affaires, où les actions sont intentées
par les actionnaires, les juges recherchaient si une faute séparable a été
commise par le dirigeant pour engager sa responsabilité civile.
Ainsi,
la Cour d'appel de Paris1047 a considéré que
la responsabilité
personnelle d'un dirigeant ne pouvait être retenue envers les actionnaires pour
publication d'informations excessivement pessimistes « qu'à la condition que
1046 Barbièri (J-F), note sous CA Versailles 17 janvier 2002, Op.cit. p. 516.
1047 Daigre (J-J), Note sous C.A. Paris, 25e ch. sect. B, 26 septembre 2003, Flammarion, Bull. Joly
bourse 2004, p. 84 ;
Rontchevsky (N), RTD com. 2004, p. 132.
420



Page 429
soit démontrée une faute séparable de ses fonctions de président-directeur
général de la société Flammarion et qui lui serait imputable personnellement».
817. Mais, la position de la jurisprudence a récemment changé. Ainsi, dans
son arrêt du 9 mars 20101048, la Cour de cassation a exclu la nécessité de
démontrer la commission par le dirigeant d’une faute détachable, en ces
termes : « La mise en œuvre de la responsabilité des administrateurs et du
directeur général à
l'égard des actionnaires agissant en réparation du
préjudice qu'ils ont personnellement subi n'est pas soumise à la condition que
les fautes imputées à ces dirigeants soient intentionnelles, d'une particulière
gravité et incompatibles avec l'exercice normal des fonctions sociales ».
818. Bien sûr, on ne peut qu’être d’accord avec cette nouvelle position de la
Cour de cassation. Cette solution permet de rétablir une certaine cohérence
de la jurisprudence française et elle lève l'un des nombreux obstacles aux
actions contre les dirigeants. L’imputation de la responsabilité aux dirigeants
pour communication de fausses informations ou pour d’autres infractions
boursières est de ce fait facilitée.1049
Mais un autre obstacle ne manque pas de se dresser sur le chemin de
l’actionnaire désirant obtenir réparation : il lui faudra établir l’existence d’un
préjudice qui lui est personnel.
2 - Le préjudice de l’actionnaire est délicat à établir
819. La réparation du préjudice subi par l’actionnaire du fait d’une faute
commise par des dirigeants sociaux est soumise à condition. Une
1048 Schiller (S), note sous Cass. Com., 9 mars 2010, nos 08-21547 et 08-21793, J.C.P éd. E 2010,
1483 ;
Rontchevsky (N), Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2010 n° 4, p. 316 ; Romani (A-M), L.P.A.,
19 novembre 2010 n° 231, p. 9.
1049 Schiller (S), « L'actionnaire plus facilement indemnisé en cas de diffusion d'une information
erronée », L.P.A., 10 septembre 2010 n° 181, p. 4.
421





Page 430
jurisprudence « exagérément stricte »1050exige, en France, la démonstration
par l’actionnaire d'un préjudice personnel distinct de celui subi par la société.
Cette
jurisprudence constante considère que
l'action
individuelle d'un
actionnaire ne peut être accueillie lorsque le préjudice allégué, ne se distingue
pas de celui qui atteint la société tout entière, dont il n'est que le corollaire. 1051
820. Très
tôt, cette
jurisprudence a conduit quasiment à exclure
les
actionnaires de tout droit à réparation du préjudice individuel. Leur préjudice
étant dans la plupart des cas, considéré comme le « corollaire » du préjudice
social.
Cette exclusion, est certes justifiable par le fait qu'on ne peut envisager la
réparation à la fois du préjudice subi par le groupement et celui que subit
chacun de ses membres. La réparation de l'un exclurait logiquement celle de
l'autre.
La jurisprudence a eu plusieurs fois l'occasion de rappeler ces règles au cours
de ces dernières années, pour le préjudice résultant de la perte de valeur de
l'action ou encore à la suite d'un coup d'accordéon rendu indispensable par la
mauvaise gestion des dirigeants sociaux.1052
821. La raison de ce refus se rapporte au fait que la jurisprudence nie
l’existence d’un préjudice
individuel de
l’actionnaire. Ce préjudice, qui
n’apparait pas comme étant un préjudice suffisamment personnel, ne serait
que le corollaire de celui subi par la société. Le préjudice existe mais il est
considéré comme étant le corollaire du préjudice de la société.
822. Pour se voir séparément indemnisé, le préjudice de l’actionnaire doit lui
être propre et différer de celui subi par la société. Le fait que les intérêts de la
1050 Viandier (M), Cozian (A), Deboissy (F), « Droit des sociétés », 13ème Ed., Litec, 2000 p. 122, n°
365.
1051 Granotier (J), Note sous Cass. Civ. 3e, 22 septembre 2009, « L'action individuelle de l'associé en
réparation de son préjudice personnel », L.P.A., 20 janvier 2010 n° 14, p. 8.
1052 Vatinet (R), Op.cit. p. 247.
422



Page 431
société se voient concomitamment eux-mêmes atteints n’a pas d’effet sur la
réparation du préjudice de l’actionnaire, dans ce cas de figure.
L’actionnaire lésé ne pourra engager une action individuelle aboutissant à
l’indemnisation de son préjudice que s’il arrive à établir que son intérêt
personnel diverge de celui de la société.
En théorie, cela fait que, bien que n’étant pas totalement fermée, la fenêtre de
l’indemnisation est cependant restée entrouverte. La jurisprudence française
n’admettant que rarement d’indemniser le préjudice propre de l’actionnaire.
Cela est dû au fait que les tribunaux, conçoivent la notion de préjudice
individuel réparable de l’actionnaire de manière très étriquée.
823. Pourtant, il est probable qu’une gestion peu diligente entraîne une
diminution de la valeur des actions de la société. Mais d’une manière
classique,
les
juridictions
françaises aussi bien civiles1053que pénales1054
considèrent que cette dévalorisation porte atteinte en premier
lieu au
patrimoine de la société1055. Le préjudice matériel que subit la société peut, de
ce fait être facilement prouvé. Alors que l’actionnaire se voit, le plus souvent,
dénier tout droit à l’indemnisation.
Cela
fait qu’en pratique,
les domaines où
le préjudice personnel de
l’actionnaire se trouve réparable sont peu nombreux.
Ces domaines où la réparation du préjudice individuel de l’actionnaire est
admise correspondent aux cas où
il n’y a aucun appauvrissement du
patrimoine social. Il en est ainsi lorsque l'actionnaire est la victime d’un
1053 Barbièri (J-F), Note sous Cass. Com., 1er avril 1997, Bull. Joly Sociétés, 1997, p. 650, § 248 ;
Guyénot (J)
, Note sous Cass. Com., 26 janvier 1970, D. 1970, p. 618 ; Guyon (Y), JCP, 1970, II, no
16385 ;
Houin (R), RTD com., 1970, p. 431.
1054 En matière d'abus de biens sociaux : Barbièri (J-F), Note sous Cass. Crim., 13 décembre 2000,
Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 498, § 125 ; Bouloc (B), Rev. sociétés 2001, p. 394.
1055 Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit. p. 399 §12.
423



Page 432
détournement de ses fonds ou ses titres1056ou s'il fait l'objet de propos
diffamatoires1057. Plus
généralement,
les
seuls préjudices
individuels
indemnisables consistent dans
le non-respect des droits
individuels de
l'associé. Il en est ainsi du droit de vote, du droit à l'information et du droit aux
dividendes, car dans ces cas la société ne subit pas de préjudice. D’autres cas
sont aussi admis : lorsque l’actionnaire n'est pas convoqué à une assemblée
générale1058, s'il est dilué1059ou perd le contrôle de la société1060…. 1061
824. Plus proche du domaine de notre étude, la diffusion d'une fausse
information entraine un préjudice pour la société cotée. Néanmoins, cette
diffusion n’atteint pas le patrimoine social et elle ne cause pas une altération
de l'actif net de la société1062. Les actionnaires trompés sur la réalité de la
situation économique, patrimoniale et financière de la société subissent, quant
à eux, un préjudice personnel.
La jurisprudence française admet, dès lors, l’indemnisation du préjudice de
l'actionnaire dont
la constitution de partie civile a, ainsi, été considérée
recevable en matière de diffusion de fausses informations1063.
La chambre criminelle, dans son rapport pour 20021064, précise qu’un
actionnaire ne subit pas un préjudice personnel direct quand la dévaluation
des titres découle de pertes affectant l'actif social et résultant d'une faute des
1056 Thaler, Note sous Cass. Civ., 26 novembre 1912 : DP 1913, I, 377.
1057 C.A. Montpellier, 31 mars 1966 : G.P. 1966, 1, p. 421.
1058 Petit (B) et Reinhard (Y), Note sous C.A. Paris, 15 décembre 1995 et 19 janvier 1996, RTD com.
1997, p. 282.
1059 Messaï-Bahri (S), Note sous Cass. Com., 28 juin 2005, S.A. Total Fina Elf et autres c/ ST2
KPMG et autres, n
o 03-13112 : Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 80, § 12, qui y voit un « changement de
cap ».
1060 Daigre (J-J), Note sous Cass. Com., 18 février 1997 : Bull. Joly sociétés 1997, p. 408 ; Hallouin
(J-C)
, D. 1998, somm. p. 181; Bonneau (Th), Dr. Soc. 1997, no 75.
1061 Schiller (S), « L'actionnaire plus facilement indemnisé en cas de diffusion d'une information
erronée », Op.cit. p.4 §12.
1062 V. sur ce point : Schmidt (D), «De quelques règles procédurales régissant l'action en
responsabilité civile contre les dirigeants de sociétés «cotées» in bonis», Études de droit privé offertes
à Paul Didier, Économica, 2008, p. 385.
1063 Barbiéri (J-F), note sous Cass. Crim., 30 janvier 2002, Bull. Joly sociétés 2002, p. 797, § 179 ;
Lucas (F-X), Dr. Soc. 2002, comm. no 197.
1064 Rapport de la Cour de cassation, 2002, p. 540.
424



Page 433
dirigeants sociaux. Le préjudice allégué par l’actionnaire est alors considéré
comme le corollaire de celui qui aurait été subi par la société elle-même et
n’est, de ce fait, pas réparable.
Par contre, le préjudice personnel direct de l’actionnaire est établi quand celui-
ci est victime d'une atténuation de la valeur de ses titres causée par de
fausses informations diffusées par les dirigeants. Cette position est justifiée
par le fait que l'information financière est une obligation à la charge de la
société au profit de ses actionnaires. Le préjudice découlant d’une défaillance
d'information serait alors forcément direct et personnel.
825. Ces précisions sont confortées par un arrêt de la Cour de cassation
française. Dans cette décision, la Haute juridiction considère le préjudice direct
et personnel subi par les actionnaires d’une société, dont les dirigeants se
sont
rendus coupables de diffusion d’informations
trompeuses et de
présentation de comptes inexacts, en acquérant ou en conservant un titre aux
perspectives prometteuses surévaluées, est distinct de celui subi par
la
société elle-même.
Ce préjudice ne se confond pas avec le montant des pertes subies lors de la
revente des titres, en raison du risque et de l’aléa propre à tout investissement
boursier1065.
La jurisprudence permet donc à l'actionnaire d'obtenir réparation de son
préjudice qualifié de personnel s'il est victime de
la communication
d'informations trompeuses1066.
826. Quant au délit d’initié, malgré les doutes exprimés par une partie de la
doctrine1067, la Cour de cassation française a, dans un arrêt du 11 décembre
1065 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris 9e ch. sect. B, 17 octobre 2008, n° 06/09036, Sidel, Bull. Joly
Bourse, 01 janvier 2009 n° 1, p. 28
1066 Schiller (S), « L'actionnaire plus facilement indemnisé en cas de diffusion d'une information
erronée », Op.cit. p. 4 §12.
425



Page 434
20021068, édicté le principe suivant : « qu'à le supposer établi le délit d'initié est
susceptible de causer un préjudice personnel direct aux actionnaires »,
admettant ainsi
la
recevabilité de
la constitution de partie civile d'un
actionnaire1069.
827. L'action
individuelle de
l'actionnaire est donc reçue dans certaines
hypothèses limitées relevant des infractions boursières.
Il reste que
la majorité des dommages atteignant
les actionnaires sont
considérés comme étant le corollaire du préjudice social et ne sont de ce fait
pas réparables au moyen de l'action individuelle.
828. La rigueur de la solution retenue par la jurisprudence française ne peut
qu’être critiquable. Notamment en matière boursière car il est évident que
lorsqu’il s’agit de sociétés cotées, la baisse du cours des titres si elle porte
préjudice à la société elle-même, est avant tout préjudiciable aux actionnaires.
De même, cette jurisprudence va à l'encontre des principes de gouvernance
d’entreprise puisqu’elle procure au dirigeant un « écran social » derrière lequel
se cacher.
829. Surtout, cette position jurisprudentielle est injuste envers l’actionnaire qui
a cédé ses titres, (à l’occasion d’une communication d’informations fausses ou
trompeuses présentant la société sous un mauvais jour par exemple). Celui-ci,
ne peut plus exercer l'action sociale ut-singuli et même si cette action était
intentée par d’autres actionnaires, la réparation du préjudice subi par la
société et la reconstitution du patrimoine de celle-ci, qui pourrait, en résulter
1067 Hovasse (H), Dr. Soc., septembre 1992, comm. no 189 ; de Vauplane (H) et Simart (O), « Délits
boursiers : propositions de réforme. Pour une répartition des compétences répressives selon le
caractère économique ou moral de l'infraction », Rev. Droit bancaire et bourse, mai-juin 1997, n
o 61,
p. 85. Pour une position contraire V.
Deffains (B) et Stasiak (F), « Les préjudices résultant des
infractions boursières : approches juridique et économique », in « Le droit au défi de l'économie »,
sous la direction de
Chaput (Y), Publications de la Sorbonne 2002, pp. 177 et s.
1068 Robert (J-H), Note sous Cass. Crim., 11 décembre 2002, Dr. pénal 2003, comm. no 35 ; Stasiak
(F), Bull. Joly Bourse 2003, p. 149.
1069 Stasiak (F), « Le délit d’initié mis en scène », L.P.A., 18 juin 2008 n° 122, p. 40.
426



Page 435
ne lui profiterait pas et ne permettrait pas de réparer le préjudice qu'il a
subi1070.
830. Cependant, un arrêt de la Cour de cassation française du 28 juin 2005, a
semblé opérer un fléchissement de cette jurisprudence.
Dans cette décision, la haute juridiction a considéré que la surévaluation des
apports faits par un associé, qui se traduit par une majoration infondée de sa
participation au capital social, cause aux autres associés un préjudice qui n'est
pas le corollaire de celui que subit la société.
De ce fait, elle a cassé pour violation de la loi la décision de la Cour d’appel
qui a déclaré irrecevables les actions civiles formées par les actionnaires au
motif que leur préjudice, découlant de la dépréciation des actions due à la
surévaluation
litigieuse, n'était qu'un effet de
l'amoindrissement de
l'actif
social1071.
831. Cet arrêt semble aller dans le bon sens car faciliter l'exercice de l’action
individuelle serait approprié. Celle-ci, ayant pour
objet d’indemniser
directement
le préjudice personnel de
l'actionnaire, est celle que
les
actionnaires ont le plus intérêt à exercer. De ce fait en encourageant ce genre
d’action, une meilleure
responsabilisation des dirigeants sociaux est
susceptible de s’opérer1072.
En rendant exagérément difficile l’exercice de ce genre d’action, en ne
reconnaissant que très peu d’hypothèses dans lesquelles existe un préjudice
personnel distinct du préjudice social. Cette jurisprudence, non seulement se
révèle à la limite de l’injustice envers ces actionnaires qui se voient dénier tout
droit à indemnisation mais aussi est de nature à déresponsabiliser civilement
1070 Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit. p. 399.
1071 Messaï-Bahri (S), Note sous Cass. Com., 28 juin 2005, S.A. Total Fina Elf et autres c/ ST2
KPMG et autres, n
o 03-13112 : Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 80 § 12.
1072 Descorps Declère (F), « Pour une réhabilitation de la responsabilité civile des dirigeants
sociaux », Op.cit. p. 25
427



Page 436
les dirigeants sociaux. Avec pour effet pervers d’encourager le recours aux
juridictions pénales pour les investisseurs lésés.
832. Dans ce dessein et afin de conférer une base juridique spécifique à
l'action individuelle, un auteur1073 propose une modification, de l'article L. 225-
251 du Code de commerce en disposant qu’en plus d’être responsables
individuellement ou solidairement envers la société ou envers les tiers, les
administrateurs et
le directeur général
le sont de même envers
les
actionnaires. De même, dans le but de combattre la stricte interprétation de la
notion de préjudice individuel réparable, une piste apparait intéressante. C’est
celle proposée lors du débat affairant au projet de la loi sécurité financière du
1er août 2003. Un débat au cours duquel nombre de parlementaires avaient
mis en évidence l’impact de l’analyse restrictive du préjudice individuel
réparable par la jurisprudence, sur la situation des actionnaires qui se voient
nier tout droit à réparation. Un amendement, modifiant l'article L. 225-252 du
Code de commerce et visant à réaffirmer plus précisément dans la législation
l'éventualité d'un préjudice personnel à côté du préjudice social, a été
proposé. Cet article devait alors être rédigé de la sorte : « outre l'action en
réparation du préjudice propre subi personnellement, distinct du préjudice
social, les actionnaires peuvent... (suite inchangée) ». Malheureusement, cette
modification qui aurait apporté une solution claire et souhaitable, n’a pas été
retenue par le Sénat et a été supprimée du projet de loi.
833. La difficulté pour les actionnaires d’obtenir réparation de leur préjudice
individuel distinct n’est pas conforme aux exigences de bonne gouvernance.
En effet, une bonne gouvernance exige une responsabilisation des dirigeants
sociaux. Leur aménager une autre zone d’impunité apparait comme
inadmissible, rien ne pouvant la justifier 1074. Car la fonction première de la
responsabilité civile des dirigeants sociaux est dissuasive et ce contrairement
1073 Navarro (J-L), « Suggestions pour une amélioration des régimes de responsabilité civile des
dirigeants sociaux », Op.cit. p. 39 §17 et 18.
1074Ibid.
428



Page 437
à la responsabilité civile des sociétés cotées en bourse qui a pour principal
utilité l’indemnisation des victimes des infractions boursières.
429





















Page 438
CHAPITRE II
RESPONSABILITE DES SOCIETES COTEES :
UNE NECESSAIRE AMELIORATION
834. Si
une meilleure
responsabilisation civile des dirigeants s’avère
nécessaire et souhaitable dans le cadre de la poussée vers une meilleure
gouvernance des sociétés cotées en bourse. Le constat n’est pas le même
lorsqu’il s’agit d’évoquer la responsabilité civile des sociétés cotées.
Si elle peut permettre d’indemniser les victimes d’infractions boursières grâce
à sa surface financière (Section préliminaire), la responsabilité civile des
sociétés cotées a des effets néfastes sur la société et par conséquent sur ses
salariés et actionnaires. Un équilibre doit par conséquent être trouvé entre la
nécessaire
indemnisation des victimes des
infractions boursières et
la
primordiale préservation de la santé financière de ces sociétés.
L’étude de la responsabilité civile des sociétés cotées en bourse indique que
celle-ci est la plupart du temps délictuelle (Section 2). Il n’existe que quelques
hypothèses où la responsabilité des sociétés cotées en bourse peut avoir un
fondement contractuel (Section 1).
430










Page 439
SECTION PRELIMINAIRE
L’INDEMNISATION DES VICTIMES DES INFRACTIONS BOURSIERES
835. La mondialisation et la globalisation des marchés financiers font que la
concurrence entre les différentes places financières se fait impitoyable. Cette
lutte acharnée pour conquérir les investisseurs ne laisse que peu de choix aux
Etats: assurer une meilleure protection des intérêts des investisseurs ou les
voir partir sous d’autres cieux.
Car à défaut de disposer des armes nécessaires à la défense de leurs intérêts
sur le marché tunisien, bon nombre d’investisseurs pourraient être conduits à
pratiquer le « forum shopping », en reportant leur investissement sur des
marchés étrangers leur garantissant une meilleure protection.
Il s’agit d’un risque qui ne doit pas être pris à la légère, surtout pour un marché
émergent où les émetteurs n’offrent pas toujours toutes les garanties de
transparence exigées par les investisseurs.
836. Bien que nécessaire, la répression qu’elle soit pénale ou administrative
ne peut à elle seule assurer des marchés financiers au climat juste et sain. La
mise en place de sanctions répressives ne peut à elle seule rassurer des
investisseurs en quête d’un autre type de sécurité et de protection.
En effet, les sanctions répressives n’ont pas pour objet de réparer le préjudice
subi par les investisseurs. En outre, malgré des sanctions, sans cesse revues
dans le sens d’une sévérité croissante par les législateurs, les marchés
financiers sont toujours aussi opaques et l’exigence de transparence n’est pas
satisfaite. D’ailleurs, en France, malgré le prononcé de plus en plus fréquent
de sanctions administratives et qui sont relatives dans 60% des cas à des
manquements à la bonne information du marché, la frustration des victimes
s’est aggravée car elles n’ont pas été dédommagées. Ces sanctions
431



Page 440
administratives ont renforcé
la
transparence et multiplié
les observations
publiques en cas de mauvaise information des épargnants. Ceux-ci savent
donc par qui et dans quelle proportion ils ont été lésés avec la plus grande
précision, mais jusqu’à ce jour, ils n’ont aucun moyen d’agir efficacement1075.
837. Malgré ce constat,
la question de
l'indemnisation des victimes
d'infractions boursières est restée relativement peu étudiée en France alors
qu’en Tunisie aucune étude n’y est consacrée. D’ailleurs, cette question est
souvent considérée comme incongrue en droit français. Pour certains auteurs,
il n'y aurait pas de « victimes » d'infractions à la législation et à la
réglementation boursière. Du moins ne pourraient-elles pas être identifiées1076.
Pour eux, « Comme toutes les infractions qui portent atteinte à la morale
publique, les délits boursiers ont la particularité de ne pas concerner une ou
des victimes déterminées, en général parties civiles. Si les auteurs du délit
sont identifiables, la victime ne l'est pas, ou plus exactement elle l'est dans sa
composante la plus large, puisqu'il s'agit de la masse des investisseurs »1077.
838. C’est dans ce contexte défavorable aux investisseurs que doit être
comprise
l’importance de
la responsabilité civile des sociétés cotées en
bourse. Cette responsabilité n’a pas une fonction dissuasive mais a pour objet
de permettre aux victimes des infractions boursières d’obtenir réparation de
leur préjudice. Cette responsabilité demeure souvent le seul recours des
investisseurs lésés pour qui toute procédure qu’elle soit devant les juridictions
civile ou pénale se révèle semée d’embûches.
Mais là aussi, la responsabilité civile des sociétés cotées en bourse est
rarement mise en cause pour des délits boursiers car l’actionnaire lésé devra
relever bon nombre de défis s’il souhaite obtenir réparation. Et ce que le
fondement choisi pour intenter son action soit la responsabilité contractuelle
ou celle délictuelle.
1075 Robert (M-C), « La réparation civile des infractions financières », in « La criminalité d’argent »,
Actes du colloque tenu à la première chambre de la Cour d’appel de Paris, le 14 novembre 2003,
LGDJ, 2005.
1076 Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit. p. 399 §1.
1077 de Vauplane (H) et Bornet (J-P), « Droit des marchés financiers », Litec, 3e Ed. 2001, p. 902.
432



Page 441
SECTION I
LE CONTRAT :
FONDEMENT INADAPTE A LA RESPONSABILITE DES SOCIETES COTEES EN
BOURSE
839. Les dirigeants sociaux n’ont pas de liens contractuels avec des tiers à la
société. Ceux-ci ne sont que les mandataires de la société qu’ils gèrent.
C’est donc la société qui est la seule à être liée contractuellement avec les
tiers. Par conséquent, en cas de mauvaise exécution du contrat, ces tiers ne
peuvent qu’intenter une action à l’encontre de la société. Sauf si la société
n’est pas engagée lorsque pour une raison quelconque les mécanismes de la
représentation n’ont pas joué.
D’ailleurs,
la
responsabilité
personnelle
des
dirigeants
demeure
exceptionnelle.
Car
les présumées victimes préfèrent mettre en cause
directement la société, celle-ci étant réputée plus solvable1078.
840. La société cotée en bourse est un véritable nœud de contrats1079. En
effet, la nature des relations liant les sociétés cotées à leurs actionnaires est
souvent de nature contractuelle. Ainsi, lors de l’introduction de la société en
bourse, un contrat de souscription est conclu entre la société cotée et les néo
actionnaires.
De même, les statuts de la société lient les actionnaires à leur société. La
méconnaissance de ses dispositions peut ainsi amener la société à réparer le
préjudice subi par d’éventuels investisseurs.
Le contrat constitue-t-il pour autant une base adaptée pour engager une action
en responsabilité (Paragraphe 1) ? De même, qu’en est-il de l’annulation pour
vices du consentement des transactions boursières (Paragraphe 2).
1078 Le Bars (B), Op.cit. §54 et 55.
1079 Couret (A), « Le gouvernement d’entreprise , La corporate governance », D. 1995 p. 243.
433




Page 442
Paragraphe 1- Le contrat : base inadaptée pour obtenir réparation
841. A partir du moment où les conditions sont réunies, mettre en jeu la
responsabilité contractuelle de la société cotée peut s’avérer plus direct que
d’invoquer la responsabilité délictuelle. Là où il faudra démontrer l’existence
d’une faute en cas de mise en jeu de la responsabilité délictuelle de la société.
Il suffira en cas de mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de
constater l’inexécution d’une obligation stipulée au contrat1080.
842. La mise en œuvre de la responsabilité contractuelle exige l’existence
d’un contrat,
l’inexécution d’une obligation stipulée par
le contrat et
la
survenance d’un dommage entre
les co-contractants
résultant de cette
inexécution. Cette inexécution donne lieu soit à une exécution en nature ou à
défaut, à des dommages et intérêts si l’inexécution cause un préjudice.
On pourrait alors se demander si les différentes conditions sont vérifiées dans
le domaine boursier ?
Il faut alors s’interroger si les statuts des sociétés cotées ne contiennent pas
des dispositions qui seraient de nature à engager sa responsabilité envers les
actionnaires ?
843. A vrai dire, il ressort de l’examen d’un échantillon de statuts de sociétés
cotées à la bourse de Tunis1081 qu’ils ne contiennent pas de stipulations
particulières relatives à des engagements concernant l’information financière.
Les statuts ne sont donc pas en mesure de fournir un support particulier qui
puisse permettre de mettre en jeu la responsabilité de la société.
La même constatation est valable pour les sociétés cotées à la Bourse de
Paris1082.
1080 Letrégueilly (H), « La responsabilité des émetteurs en matière d’information financière », Rev.
droit bancaire et financier, n°6 novembre /décembre 2004 p. 449.
1081 Ont été analysés les statuts des émetteurs suivants : Banque attijari de Tunisie, Tunisie Leasing et
Ennakl automobiles.

434




Page 443
844. D’autre part, on peut se demander si les prospectus visés par l’Autorité
des marchés financiers en France et par le Conseil du marché financier en
Tunisie sont susceptibles de contenir des dispositions à même de fonder une
action en responsabilité contractuelle ?
Ce prospectus a-t-il une nature contractuelle ? Est-il en conséquence
susceptible d’engager la responsabilité contractuelle de la société émettrice en
cas de manquement à ses dispositions ?
Sur ce point, on peut aisément constater que le prospectus contient plusieurs
obligations qui sont mises à la charge de la société cotée en bourse. Ainsi, les
informations contenues doivent être conformes à la réalité, complètes et ne
pas comporter d’omission, l’information donnée au public doit être exacte,
précise et sincère.1083 Le prospectus doit comprendre toutes les informations
nécessaires au public pour fonder son jugement sur le patrimoine, l'activité, la
situation financière, les performances, l'évolution de la situation financière et
les perspectives de l'émetteur, ainsi que sur les droits attachés aux titres.
Le prospectus doit être signé par la personne habilitée à engager la société
ainsi que par l'ensemble de personnes ayant émis une opinion ou ayant
attesté des informations contenues dans le prospectus1084.
845. Cela veut-il dire que les obligations contenues par le prospectus ont une
dimension contractuelle ?
La
réponse à cette question ne peut être que nuancée. En effet,
l’établissement du prospectus correspond à une obligation
légale. Son
contenu est d’ailleurs, soigneusement précisé par la loi.
C’est ce qui a fait penser à certains auteurs qu’on pouvait difficilement donner
une nature contractuelle au prospectus d’émission.1085
1082 Letrégueilly (H), Op.cit. p. 449.
1083 Letrégueilly (H), Op.cit. p. 450.
1084 Article 7 du règlement du Conseil du Marché Financier relatif à l’appel public à l’épargne.
1085 Letrégueilly (H), Op.cit. p. 450.
435



Page 444
Pourtant, il semble que ce document pourrait constituer un support contractuel
qui correspondrait à une déclaration unilatérale de volonté au sens de l’article
22 du code des obligations et des contrats1086. Les engagements pris dans les
obligations unilatérales sont obligatoires dès qu’ils parviennent à
la
connaissance de la partie envers laquelle ils sont pris.
846. De
fausses
informations contenues dans ce prospectus d’émission
seraient, à notre sens, en mesure d’engager la responsabilité contractuelle
de l’émetteur.
Ainsi, la personne qui aurait fondé sa décision d’achat de valeurs mobilières
sur des
informations erronées contenues dans
le prospectus pourrait
demander réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison de l’inexécution
par
la société cotée en bourse des engagements pris en vertu dudit
prospectus.
847. Dans ce cas de
figure, une question reste en suspens : si
la
responsabilité liée à l’information diffusée par le biais du prospectus est de
nature contractuelle, bénéficierait-elle uniquement au premier souscripteur et
non pas aux sous acquéreurs de titres sur le marché1087?
Sur ce point, il semble que les engagements contenus dans le prospectus
d’émission ne sont destinées qu’aux souscripteurs des actions émises par la
société. Par conséquent, la mise en cause de la responsabilité contractuelle
en cas d’inexécution des engagements pris dans ce prospectus ne
bénéficierait qu’au premier souscripteur.
848. Le problème se pose aussi pour ce qui est des informations financières
publiées par la société cotée en bourse. En effet, celle-ci est amenée à publier
plusieurs communiqués par exemple
lors d’une augmentation ou d’une
réduction de capital, pour apporter certaines précisions quant à certains
1086Article 22 du code des obligations et des contrats : « dans les obligations unilatérales, les
engagements sont obligatoires dès qu’ils sont parvenus à la connaissance de la partie envers laquelle
ils sont pris ».
1087 Letrégueilly (H), Op.cit. p. 450.
436



Page 445
événements de la vie sociale1088, d’autres engagements peuvent porter sur
l’obtention de résultats, de gain de parts de marché, ou de conclusion de
contrats, ou de ne pas céder de titres ou d’augmenter le capital.
849. Quelle est donc la valeur de ces engagements qui peuvent être pris dans
des termes comparables à ceux qui figurent dans des contrats1089 ?
Peuvent-ils être considérés comme un engagement unilatéral ?
La réponse à cette question devrait dépendre du contenu de la communication
financière concernée. En effet, les communications financières contiennent
des engagements plus ou moins fermes. Il peut s’agir de simples prévisions
comme il est possible qu’elle contiennent de véritables engagements.
Ainsi, la possibilité d’engager
la responsabilité contractuelle de la société
cotée devrait dépendre de la teneur de la communication financière : si celle-ci
contient des engagements fermes, cette responsabilité pourrait être retenue.
Au contraire, si cette communication ne contient que des prévisions la
responsabilité contractuelle de la société ne devrait pas pouvoir être engagée.
850. Au
total, de rares hypothèses permettent aux victimes d'infractions
boursières d’invoquer un lien contractuel avec la société cotée en bourse
auteur de
l'infraction boursière qui
leur cause un préjudice. En effet,
l'investisseur qui cherche à voir son préjudice réparé est, très souvent, dans la
situation d'un tiers à l’égard de la société émettrice. Qu’il ait acheté ses titres
à un prix trop élevé, car ne prenant pas en compte des informations négatives
qui ont été ultérieurement révélées au public ou intégrant des informations trop
optimistes véhiculées par les dirigeants de la société. Ou qu’il ait vendu ses
titres à un prix trop faible car il n’intègre pas des informations positives portées
à la connaissance du public ensuite ou prenant en compte des informations
1088 V. par exemple le communiqué Sotuver expliquant l’arrêt de son four de fusion, disponible sur le
site du CMF.
http://www.cmf.org.tn/pdf/informations_ste/communique_ste/comste_300310_SOTUVER.pdf
1089 Letrégueilly (H), Op.cit. p. 450.
437



Page 446
trop pessimistes. Dans les deux hypothèses, il n'était pas actionnaire de la
société au moment du fait générateur du dommage subi 1090.
Il reste que l’investisseur lésé pourra demander l’annulation de la transaction
en invoquant un vice du consentement.
Paragraphe 2- L’annulation pour vices du consentement
851. Lorsqu’il prend la décision d’investir dans une société cotée en bourse,
l’investisseur se fonde sur les informations publiées par ladite société pour se
faire une idée de sa santé financière et ainsi de l’opportunité de fructifier son
argent dans la société.
Il serait intéressant donc de se demander si un investisseur pourrait demander
l’annulation de sa décision d’investir dans une société cotée en bourse en
invoquant un vice du consentement dans la mesure où sa décision d’investir
est basée sur une information erronée.
852. Est-il possible donc dans ce cas de figure de demander l’annulation de la
vente d’actions en invoquant l’erreur ou le dol ?
Tout d’abord, il est à noter que les cessions d'actions, même lorsqu'elles ont
pour effet de
transmettre
le contrôle d'une société, ne nécessitent pas
l'accomplissement de formalités particulières comme celles prévues, en cas
de cession de fonds de commerce1091. Le consentement de l'acquéreur n'y est
donc pas spécialement protégé1092.
En l’absence de dispositions législatives ou réglementaires spécifiques à la
nullité des achats ou souscriptions d’actions, on est fondé à se référer au droit
commun des obligations.
1090Ledoux (P), Arsouze (Ch), Op.cit. p 399.
1091 Guyon (Y), « Droit des affaires », Economica, 12ème édition, 2003, n° 704 et 711 ; Paillusseau (J),
Caussain (J-J), Lazarski (H) et Peyramaure (Ph)
, « La cession d'entreprise », 2ème Ed., Coll.
Réussir en affaires, Paris, Dalloz n° 633.
1092 Guyon (Y), Note sous C.A. Paris 23 mai, 31 mai et 8 juin 1990, « Nécessité d'un dol principal et
déterminant pour annuler une cession de parts sociales », Rev. des sociétés 1990 p. 409

438




Page 447
L’article 43 du COC dispose qu’un consentement est annulable dès lors qu’il
est « donné par erreur, surpris par dol ou extorqué par violence ».
Sur la base de l’article sus-cité, un actionnaire déçu pourrait donc demander
l’annulation de son consentement sur la base de l’erreur (A) ou du dol (B).
A-
L’erreur cause improbable d’annulation
853. Concernant l’erreur, l’article 45 du code des obligations et des contrats
dispose que « l’erreur de fait peut donner ouverture à la rescision lorsqu’elle
tombe sur l’identité ou sur l’espèce, ou bien sur la qualité de l’objet qui a été la
cause déterminante du consentement ».
Les termes utilisés par le législateur sont clairs : l’erreur ne peut être une
cause de rescision que si elle porte sur la qualité de l’objet, c'est-à-dire sur la
qualité des titres cédés. Il n’y a pas d’ambiguïté sur le fait que le législateur
vise par les termes « la qualité de l’objet » la qualité substantielle, c'est-à-dire
« une qualité qui attribue à l’objet son caractère propre et naturel, c'est-à-dire
une qualité essentielle capitale et déterminante de l’engagement et sans
laquelle le contrat n’aura pas été conclu »1093.
854. L’erreur doit porter sur la cause essentielle qui a amené la personne à
contracter. C’est d’ailleurs ce que soutient la cour de cassation tunisienne
dans son arrêt n°2078 daté du 17 avril 19801094 puisqu’elle estime que le
« contrat fondé sur une erreur ou ignorance du contractant sur ce qui lui
revient de droit est susceptible d’être annulé s’il appert des circonstances de
l’espèce que cette erreur ou cette ignorance est la cause essentielle qui a
amené la partie à contracter ».
1093 Rezgui (S), « Vice du consentement ou vice caché dans les cessions des droits sociaux », RTD
1994 p. 120.
1094 Arrêt disponible sur le site www.e-justice.tn
439



Page 448
855. Dans un autre arrêt n°11251 daté du 22 avril 19851095, la Cour de
cassation tunisienne estime que « Parmi les éléments nécessaires à la
formation du contrat,
il
faut que
l’objet du contrat soit connu par
les
contractants de façon à annihiler toute ignorance relevant tant à sa substance
qu’à ses qualités essentielles. De même, il est incontestable que l’erreur
entachant
l’objet du contrat est considéré comme
relevant de
l’erreur
inhibitrice qui ne vicie pas seulement
le consentement mais
le
rend
inexistant ».
La jurisprudence tant en Tunisie qu’en France rappelle donc, assidument, que
l’erreur ne peut être une cause d’annulation du contrat que si elle porte sur les
qualités substantielles de la chose vendue1096.
856. Mais qu’est que la substance de la chose vendue ? La doctrine française
dans son interprétation de l'article 1110 du Code civil, entend par substance
de la chose vendue la qualité de la chose qui a déterminé la décision de
l'acheteur à la connaissance du vendeur. C’est à l'acheteur de prouver quelle
qualité de la chose l'a décidé à acheter. Puisqu'il s'agit d’une question de fait,
le recours à de simples présomptions, peut-être de secours à l’acheteur. La
preuve est fréquemment établie en démontrant qu'en général les acheteurs
sont attentifs à telle qualité et en laissant entendre qu'il a lui-même agi comme
tout le monde, le vendeur conservant le droit de rapporter la preuve du
contraire1097.
la
sur
tombe
substance même
1095 Arrêt est disponible sur le site www.e-justice.tn
1096 Article 1110 alinéa 1 du code civil : « L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que
l'objet.
lorsqu'elle
Elle n'est point une cause de nullité lorsqu'elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a
intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la
convention. »
Article 1109 du code civil : « Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné
que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. »
1097 Didier (P), « Cession d'actions et erreur sur les qualités substantielles», Note sous Cass. Com., 1er
octobre 1991, SNC Quille c/ Cts Gasquet, Rev. des sociétés 1992 p. 497
chose
qui
est
en
de
la
440





Page 449
857. Peut-on alors considérer que l’actionnaire malheureux qui verrait la
valeur de ses actions dégringoler en bourse pourrait demander l’annulation de
sa souscription sur la base de l’erreur sur la valeur de ses actions ?
Pour répondre à cette question,
il convient de se poser les questions
suivantes :
858. La valeur de l’action est-elle une de ses qualités essentielles, est-elle la
substance du contrat ?
Il est assez peu probable que la valeur de l’action soit considérée comme
étant une qualité essentielle de l’action cédée. La valeur de cette action étant
par définition aléatoire.
D’ailleurs, en France, les tribunaux semblent avoir une vision très restrictive
des conditions d’annulation des souscriptions pour cause de vices du
consentement.
En effet, la Cour d’appel de Paris dans une décision Eurotunnel du 21
septembre 1998, a rejeté la demande en annulation de souscription d’actions.
Les magistrats parisiens ayant estimé que dès lors qu'il est établi que la note
d'information destinée au public concernant une opération d'augmentation de
capital ne promettait ni garantie de dividendes, ni assurance de plus-value en
cas de cession du titre, qu'elle était fondée sur des hypothèses pouvant se
révéler
incorrectes, que
la décision d'acquérir des actions comportait,
indépendamment de
l'aléa
inhérent à
tout
investissement en valeurs
mobilières de cette nature, une part de risque accrue liée aux caractéristiques
de l'entreprise que l'appelant n'a pas pu ignorer, puisque la note d'information
contenait un avertissement au souscripteur, l'appelant, qui ne rapporte la
preuve d'aucune manœuvre dolosive, n'est pas davantage fondé à soutenir
441


Page 450
que son consentement a été vicié par l'effet d'une erreur sur les qualités
substantielles des actions souscrites1098.
859. L’affaire Eurotunnel offre une illustration fort intéressante de la position
de la jurisprudence française. En l’espèce, le plaignant avait acheté en 1987
des actions au prix de 36 F, il se retrouve propriétaire de titres qui ne valent
plus que 7 F, alors même que le document qui lui avait été remis promettait
une valeur élevée de marché en 1995. Bien sûr, ce document contenait
quelques formules de précaution : toutefois, celles que retient la cour sont
l'expression d'un langage technocratique qui n'est guère de nature à instruire
l'investisseur. Le discours passablement compliqué qui suit est largement
édifiant : « Les extraits de ces prévisions, qui incorporent un pourcentage
annuel d'inflation, et retiennent comme hypothèse un prix d'émission de FRF
35 par unité doivent être appréciés dans le contexte précisé dans la note
d'information et sur la base des hypothèses retenues pour leur élaboration
»1099.
860. Mais là encore, la cour estime que le demandeur n’était pas fondé à
soutenir que son consentement a été vicié par l'effet d'une erreur sur les
qualités substantielles des actions. Il est vrai que sur ce point la position de la
Cour d’appel est défendable car il est difficile de soutenir que la valeur d'un
titre spéculatif puisse constituer une qualité substantielle.
Il apparait de ce fait que l’annulation pour erreur est particulièrement difficile à
obtenir. La valeur de la chose n’est pas considérée comme une qualité
substantielle, et la perte de valeur d’un titre causée par une information
inexacte ne peut donner
lieu à
l’annulation de
l’acquisition ou de
la
souscription du titre sur le fondement de l’erreur 1100.
1098 Couret (A), Note sous C.A. Paris 1re ch. sect. A, 21 septembre 1998, n° 1997/19036, Vincent c/
SA Eurotunnel, « Jumelage d'actions et difficultés liées à des informations non confirmées par
l'évolution des faits », Bull. Joly Sociétés, 01 janvier 1999 n° 1, p. 82.
1099 Couret (A), Op.cit. n°2.
1100 Letrégueilly (H), Op.cit. p. 451.
442



Page 451
861. De manière générale, l'erreur sur la valeur ne peut être prise en compte,
et plus particulièrement sur le marché boursier. L'erreur sur la valeur renvoie
en effet à l'idée de lésion qui ne saurait être retenue en ces matières. L'aléa
boursier nous paraît chasser par ailleurs l'erreur 1101.
Néanmoins, un arrêt de la Cour de cassation tunisienne parait ouvrir la porte à
une annulation de la cession ou tout du moins à une révision du prix de la
cession pour cause d’erreur sur la valeur des titres acquis.
862. Dans son arrêt n°6149 daté du 7 mars 2005, la Haute juridiction
considère que l’évaluation du prix des actions doit se faire sur la base de
données justes et transparentes afin que le prix corresponde à l’objet cédé1102.
En l’espèce, au courant de l’année 1997, la société « Al bouniane » a décidé
de céder un bloc d’actions qu’elle détenait dans le capital de la société
« Agricultor » à la société « Afrique autos » au prix de huit millions cinq cents
milles dinars. Ce prix a été proposé par la société acheteuse après une
évaluation basée sur les dispositions d’un cahier des charges relatif à cette
cession.
Ne s’étant pas acquittée d’une tranche du prix de vente de ce bloc d’actions
évaluée à trois millions cinq cents milles dinars1103, la société Afrique Autos a
été assignée par la société « Al bouniane » devant la chambre commerciale
du tribunal de première instance de Tunis. Les juges tunisois ont statué dans
leur décision n°10324 en date du 30 novembre 2002 en faveur de plaignante.
La société Afrique Autos a alors
fait appel de cette décision arguant
notamment que la cession n’a pas été transparente car les documents officiels
n’ont pas fait mention de dettes cachées qui n’ont pas été signalées dans le
cahier des charges. La société acheteuse a principalement fait valoir qu’elle a
1101 Cass. Com., 16 décembre 1970, Bull. civ. IV, no 346, cité par Couret (A), Op.cit. n°2.
"نمثملل لاداعم نمثلا لعجل ةفافشو ةحيحص تايطعم ىلع ماقي نأ يغبني مهسلأا ةميق ريدقت نإ
Cass. C
.iv
n°6149 daté du 7 mars 2005, disponible sur
www.e
-
1103 Cette somme ayant fait l’objet de l’établissement de lettres de change les attestant.
443
1102
"
justice.tn





Page 452
découvert deux bilans contradictoires relatifs à
l’année 1996. Un bilan
conforme au cahier des charges, lors de l’acquisition des actions. Et un autre,
contenant des dettes considérables à l’égard de deux banques de la place.
863. La Cour d’appel de Tunis a conforté le tribunal de première instance et a
considéré dans son arrêt n°3612 daté du 10 mars 2004 qu’Afrique Autos
devait payer le reliquat du prix des actions acquises et que la cession était
valable en se basant sur le fait que c’est la société acheteuse qui a évalué le
prix des actions conformément au cahier des charges. La société Afrique
Autos ne pouvait en conséquence invoquer l’erreur tant que c’est elle-même
qui a évalué sous sa responsabilité le prix des actions et a accepté de les
acquérir en l’état.
864. Tel n’a pas l’avis de la Cour de cassation tunisienne. Celle-ci a considéré
que malgré le fait que l’évaluation du prix des actions a été fait par la société
Afrique Autos en se basant sur le contenu du cahier des charges. Il
n’empêche que les évaluations doivent se faire sur la base de données
exactes et transparentes pour que le prix corresponde à la valeur du titre
acheté et réalise l’intérêt qu’espère l’acquéreur par l’achat. La Cour estime
que la société Afrique Autos dispose de documents susceptibles de prouver
qu’elle a commis une erreur et a mal évalué la valeur des actions acquises à
cause du bilan non précis et non exhaustif qui lui a été présenté. La Cour de
cassation considère que la Cour d’appel devait accéder à la demande de la
société acheteuse des actions et ordonner une expertise qui lui permette de
vérifier la fourniture de la provision afférente aux lettres de change objet du
litige et par la suite se prononcer sur l’action adverse visant à annuler la
cession ou à réviser le prix de manière se conformer à la valeur réelle des
actions1104.
1104
تاريدقتلا نأ ىلإ نماثلا هلصف ةصاخو طورشلا سارك
"
دقو ءارشلا ءارو نم نمثلا لذاب اهوجري يتلا ةحلصملل اققحم نمثملل لايدع نمثلا لعجت ةفافشو ةحيحص تايطعم ىلع ماقت نأ يغبني
نويدلا لكل ةلماش ريغو ةقي
قد ريغ ةنزاوم ضرع ءارج مهسلأا ةمق ريدقت ءوسو طلغلا يف اهعوقو حجرت ةيدج قئاثوب ةنعاطلا تكسمت
يدصتلا ةمث نمو يعادتلا لحم تلاايبمكلا يف ةنوؤملا رفوت ىدم ىلع فوقولل اهعمسو ةمكحملا رظن تحت
ءارجإب تبلاطو
نومضمب تمزتلا يتلا ةبقعملا نم يعسب مهسلأا ةمق ريدقت ناك نئل ثيح
رابتخا
444




Page 453
En se prononçant ainsi, la Haute juridiction semble ouvrir la possibilité à
l’acquéreur d’actions d’invoquer la nullité de la cession en raison de son erreur
sur la valeur des titres acquis. Tout du moins, elle lui reconnait la possibilité de
modeler le prix en fonction de la valeur réelle des actions acquises.
865. Dans d’autres cas, l’erreur peut permettre à l’acquéreur d’obtenir la nullité
de la cession des titres sociaux et ce lorsqu’elle porte sur la qualité qui a
propulsé la volonté vers la détermination pour conclure le contrat1105. La
qualité substantielle est l’aptitude des actions à conférer à leurs propriétaires
les droits reconnus par la loi, à savoir le partage des bénéfices, la participation
à la vie sociale, le droit au vote, le droit à l’information… 1106
C’est la position de la jurisprudence qui admet quelques cas de nullité fondée
sur lerreur. En la matière, l’erreur porte sur la viabilité de la société, car le titre
acquis ne peut plus remplir les fonctions qu’on attend de lui.
Au final, il appert que l’erreur ne peut que rarement amener à l’annulation de
la cession de titres placés par appel public à l’épargne. Le constat est autre
lorsqu’il s’agit d’évoquer le dol, un vice qui peut amener à une telle annulation.
B-
Le dol cause possible d’annulation
866. Tout d’abord, il est à rappeler que le dol n'est un vice du consentement
que s'il a été déterminant. Un dol suppose des manœuvres frauduleuses
positives1107, la simple réticence des cédants n'est pas assimilable au dol, sauf
si elle est caractérisée1108. C’est à l’acquéreur de se renseigner, notamment
ت
ضرعأ ام وهو مهسلأل ةيقيقحلا ةميقلاو مءلاتي امب نمثلا ةعجارم وأ ةلاحلإا دقع نلاطبب حيرصتلا ىلإ ةيمارلا ةضراعملا ىوعدلل
ًائيهتم اهؤاضق ءاجف لايلع ئربي لاو لايلغ يفشي لا ماع ضماغ درب ةيفتكم نيتم ليلعت لا و نايب امنود دقتنملا رارقلا ةمكحم هنع
ضحدلا ىلإ اداقنم ضقنلل
"
1105 Larroumet, Note sous Cass. Civ. 1er mars1977, D. 1978 J. 91.
1106 Rezgui (S), Op.cit. pp. 120 et 124.
1107 Ghestin (J), « Droit civil, le contrat », 2e éd., n° 428
1108 Du Pontavice (E), Note sous Cass. Com. 3 avril 1979 : Rev. sociétés 1980 p.723 ; Roca, note sous
CA Versailles, 17 juin 1987, JCP 1989.II.21168.
445



Page 454
en demandant communication des documents comptables1109. De même c’est
à l’acquéreur de prouver le dol dont il se prétend victime, c’est pour cela qu’en
cas de doute, la demande d'annulation est rejetée1110.
867. Aussi, la jurisprudence française a jugé que la demande d'annulation est
admise en cas de manœuvre frauduleuse consistant en la communication d'un
document inexact. Mais elle a rejeté l’action lorsque le cédant s'est borné à ne
pas attirer l'attention du cessionnaire sur les difficultés traversées par la
société1111.
868. En Tunisie, l’article 56 du code des obligations et des contrats dispose
que le dol donne ouverture à la rescision lorsque « les manœuvres ou les
réticences de l’une des parties, de celui qui la présente ou qui est de
complicité avec elle, sont de telle nature que, sans ces manœuvres ou
réticences, l’autre partie n’aurait pas contracté. Le dol pratiqué par un tiers a le
même effet, lorsque la partie qui en profite en avait connaissance ».
869. Un arrêt de la chambre civile de la cour de cassation tunisienne n°16477
daté du 11 mars 20081112 précise que « le dol se base sur la tromperie d’un
contractant qui ignore sciemment la bonne foi dans la conclusion du contrat de
manière à amener l’autre partie à une illusion de façon à le porter à contracter.
Le contractant victime du dol doit établir les fourberies et les métonymies
utilisées par le contractant auteur du dol ».
Cela veut-il dire qu’un actionnaire malheureux peut demander la rescision
l’achat d’actions d’une société cotée en bourse en cas de fausses informations
diffusées par la société ?
Peut-on considérer que la publication d’un prospectus précédent ou de d’états
financiers erronés correspondent à des manœuvres dolosives ?
1109 Viandier (A), Note sous C.A. Paris, 11 octobre 1984 , JCP 1985.II.20499 ; Mestre (J), RTD civ.
1985 p.726.
1110 Cass.Com 17 avril 1972, Bull. civ. IV, n° 109, p. 109 ; C.A. Paris, 16 juin 1987 ; Rev. sociétés
1988, Somm. 102
1111 Guyon (Y), note sous CA Paris 23 mai, 31 mai et 8 juin 1990, Op.cit. p. 409
1112 Arrêt disponible sur le portail du ministère de la justice www.e-justice.tn
446



Page 455
870. Il conviendrait à notre avis de distinguer entre deux cas de figure :
Le premier cas correspond à la souscription d’actions nouvellement émises
sur le marché boursier sur la base d’informations erronées.
Par contre, la situation serait sans doute plus compliquée si l’achat se fait sur
le marché. Pour obtenir la rescision du contrat il faudrait, en principe, établir
que la personne qui a rétrocédé les actions était au courant des manœuvres
dolosives commises par la société cotée en bourse.
871. Aussi, l’établissement d’un dol pourrait aboutir à l’annulation du contrat
de souscription. C’est d’ailleurs, la position qu’on est tenté d’imputer à la
jurisprudence
française. Ainsi, dans
la décision Eurotunnel sus citée1113,
même si en l’espèce, la Cour refuse d’annuler la souscription d’actions sur la
base du dol, celle-ci prend bien le soin de préciser que c’est uniquement parce
que les manœuvres dolosives n’ont pu être prouvées.
872. D’ailleurs, dans un arrêt remarqué, la cour d’appel de Versailles a retenu
qu’une cession de parts sociales doit être annulée pour dol dès lors qu'il est
établi que
la cédante a sciemment omis de passer une provision pour
dépréciation de stock pour masquer ses difficultés,
rendant ainsi
les
documents comptables, communiqués au cessionnaire, viciés en raison des
stocks surévalués, de l'insuffisance de provision pour créances douteuses et
de l'insuffisance de la reconstitution du capital social.
En l’espèce, l'acheteur a acquis les titres sociaux en se fondant sur des
documents comptables viciés en
raison de stocks surévalués, d'une
insuffisance de provisions pour créances douteuses, d'une insuffisance de
reconstitution de capital social. La cour condamne la venderesse à réparer le
préjudice subi du fait de ses agissements dolosifs, préjudice d'autant plus
élevé ici que les parts sociales avaient perdu toute valeur vénale.
1113 V. supra p. 438.
447



Page 456
On remarque donc dans cet arrêt l'acceptation assez large que donne la cour
aux agissements dolosifs. On pourrait donc penser que la présentation de faux
états financiers pourrait être assimilée à des manœuvres dolosives1114.
873. Au final, le contrat est un fondement qui peut permettre dans certaines
situations à l’investisseur lésé d’obtenir réparation. Néanmoins, ces situations
apparaissent
limitées et
le plus souvent
le recours à l’invocation de la
responsabilité délictuelle de la société cotée en bourse constitue la meilleure
option pour l’investisseur souhaitant être indemnisé pour le préjudice qu’il a
subi.
SECTION II
LA RESPONSABILITE DELICTUELLE ENTRAVEE
874. La responsabilité civile des sociétés cotées en bourse est rarement mise
en cause pour des délits boursiers.
Et pour cause : les entraves sont multiples, mêlant aussi bien obstacles
d’ordre juridique et d’ordre pratique.
Tout d’abord, les difficultés rencontrées par un investisseur isolé, notamment
lorsque son préjudice, bien que certain, reste minime, en comparaison avec le
coût d'un procès, décourage bien des victimes à saisir
les
tribunaux
judiciaires. D’ailleurs, l'assistance apportée par les associations de défense
des investisseurs, ou des actionnaires, demeure limitée au vu des conditions
strictes qui président à leur existence et à leur maintien. Les contraintes
matérielles et financières que la représentation par mandat leur impose dans
le cadre d'une action en représentation conjointe réduisent à néant toute
1114 Dans le même sens, Cass. Com., 12 octobre 1993, no 1487 RJDA, 12-1993, no 1042 ; confirmant
C.A. Paris, 12 juillet 1991 RJDA, 11-91, n
o 931. Sur la falsification des comptes ou la présentation de
bilan inexacts, V. aussi du Pontavice (E), Note sous Cass. Com., 3 avril 1979, Rev. sociétés, 1980, p.
723 ;
Reinhard (Y), Note sous C.A. Paris, 12 juillet 1991, RTD com., 1992, p. 201.
448




Page 457
volonté d'initiative de leur part. En Tunisie, ces associations sont inexistantes
et ne sont prévues par aucun texte légal.
Aussi, le système actuel devrait rapidement montrer ses limites, si, à la suite
d'une reconnaissance facilitée du préjudice des investisseurs, les demandes
de réparation en venaient à se multiplier et donner lieu à des litiges de
masse.1115
Ensuite, les conditions de mise en jeu de la responsabilité civile des sociétés
cotées en bourse, sont définies par la loi avec neutralité. C'est-à-dire sans
prise en compte du déséquilibre évident entre les investisseurs d'une part, et
les sociétés cotées, leurs dirigeants et les divers professionnels intervenant
dans les opérations d'appel public à l'épargne, d'autre part1116.
Pourtant l’activation de cette responsabilité semble indispensable au vu de la
rareté et de la difficulté de la mise en place de la sanction pénale et devant
l’indifférence des autorités administratives qui ne peuvent prendre en compte
le préjudice individuel des investisseurs.
875. Car la mise en cause de la responsabilité civile des sociétés émettrices
peut présenter un intérêt certain pour les actionnaires. Bien que relativement
rare en pratique, la mise en cause de la responsabilité civile des émetteurs est
plus aisée que l’invocation de la responsabilité de leurs dirigeants (entravée
en France par la théorie de la faute détachable). De plus, il est évident que la
surface financière et la solvabilité des sociétés cotées devrait conduire les
investisseurs victimes d'infractions boursières à poursuivre plus volontiers la
personne morale émettrice que ses dirigeants.
876. L'action dirigée contre
les sociétés cotées est engagée par
les
demandeurs sur le fondement du droit commun, suivant les exigences de
l'article 1382 du Code civil en France et des articles 82 et 83 du Code des
Obligations et des Contrats en Tunisie.
La mise en cause de cette
responsabilité exige, ainsi, l’établissement d’une faute (Paragraphe 1), d’un
préjudice et d’un lien de causalité (Paragraphe 2).
1115 Magnier (V), « Information boursière et préjudice des investisseurs », D. 2008 p. 558
1116 Arsouze (Ch) et Ledoux (P), Op.cit. p. 399.
449



Page 458
Paragraphe 1 - Une faute simple à établir
877. Les différentes infractions à la législation applicable aux sociétés cotées
en bourse et à la réglementation des autorités de régulation du marché
financier sont susceptibles d’entrainer la mise en œuvre de la responsabilité
civile des sociétés émettrices.
lits et manquements d’initié, diffusion d’informations
fausses ou
trompeuses, manipulations de cours, peuvent entrainer des sanctions civiles à
l’égard de ces sociétés.
878. Devant les tribunaux français, la faute la plus souvent invoquée pour
engager la responsabilité civile des sociétés cotées en bourse consiste en la
diffusion d’informations fausses ou trompeuses.
En effet, cette infraction qui est à la fois constitutive d’une délit pénal et d’un
manquement administratif, peut constituer, comme toute infraction à un texte
exprès, une faute civile et ce, même si les faits en cause n'ont pas donné lieu
à des poursuites pénales ou à une procédure de sanction administrative.
Il est néanmoins évident qu’une décision de sanction préalable facilite l'action
en responsabilité, une telle décision n’est pas nécessaire.
879. La
jurisprudence
française a d’ailleurs, précisé expressément que
l'intervention préalable de
l’autorité de régulation ne constitue pas une
condition de mise en œuvre de la responsabilité civile d'une société cotée en
bourse ou de ses dirigeants1117.
De même, invoquer une faute consistant en un manquement administratif,
plutôt qu’en un délit pénal peut s’avérer plus avantageux pour le demandeur,
car le texte d'incrimination du manquement administratif permet, en pratique,
de couvrir davantage de comportements que le texte pénal1118.
880. En France, la lecture de rares décisions rendues en la matière, laisse
entrevoir que le manquement à l’obligation de bonne information du marché
1117 Dolidon (G), Note sous C.A. Colmar, 14 octobre 2003, n° 1 A 01/03432, X c/ SA Eurodirect
Marketing, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2004 n° 4, p. 466 §4.
1118 V. supra pp. 220 et s.
450





Page 459
semble être la raison la plus souvent invoquée pour mettre en cause la
responsabilité civile des sociétés cotées en bourse.
Ainsi, dans un arrêt du 26 septembre 20031119, la Cour d’appel de Paris a
condamné
la société Flammarion à verser des dommages et intérêts à
certains de ses actionnaires pour avoir publié un communiqué erroné, car
incomplet, en ce qu'il ne révélait pas les négociations en cours sur la cession
du contrôle de la société.
881. En l’espèce, la société Flammarion, conformément aux obligations qui
pèsent sur toute société cotée, diffuse dans le public, le 12 octobre 2000, son
chiffre d'affaires et son résultat pour le premier semestre de son exercice
2000.
Elle publie dans un quotidien économique un communiqué décrivant ces
données chiffrées
; ces données sont en outre publiées au Bulletin des
annonces légales obligatoires (BALO) le 16 octobre 2000, accompagnées du
rapport prévu par la loi, qui les commente.
Encore que, le 17 octobre 2000, c'est-à-dire le lendemain de cette publication
au BALO, les actionnaires majoritaires de la société Flammarion cèdent son
contrôle au groupe italien RCS. Alors que, ni le communiqué de presse de
Flammarion du 12 octobre précédent, ni la publication au BALO du 16 octobre,
ne faisaient allusion à des négociations sur la cession du contrôle de la
société, ni à plus forte raison à une imminence de cette cession.
Dès le 18 octobre 2000, un projet de garantie de cours sur les actions de
Flammarion est déposé par RCS, et rendu public. La garantie de cours est
proposée à un prix nettement supérieur aux derniers cours de bourse.
1119 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 26 septembre 2003, n° 2001/21885, Soulier et autre c/ SA
Flammarion et autre, Bull. Joly Bourse, 01 janvier 2004 n° 1, p. 43 ;
Daigre (J-J), Bull. Joly Sociétés,
01 janvier 2004 n° 1, p. 84.
451




Page 460
Certains actionnaires qui avaient cédé leurs titres, à un prix bien inférieur à
celui annoncé par le projet de garantie de cours de RCS, sur la base des
mauvais résultats véhiculés par le communiqué de la société, alors que ce
communiqué ne révélait pas les négociations en cours qui allaient aboutir à la
cession du contrôle de la société ; assignent donc en responsabilité civile la
société Flammarion et son président, M. Flammarion, en arguant une faute
consistant en la publication d’un communique incomplet1120.
882. Alors qu’en première instance, le tribunal avait conclu à l’absence de
faute en considérant que la publication des résultats était une obligation légale
assortie d’un délai ferme et que l’existence de pourparlers pour la cession du
contrôle ne justifiait pas de retarder le communiqué1121. La Cour d’appel, en
décide autrement. En effet, après avoir écarté la responsabilité personnelle du
président de la société car il n’avait pas commis une faute séparable de ses
fonctions,
les magistrats parisiens ont constaté
l’existence d’une
faute
susceptible d’engager la responsabilité de la société cotée.
883. Pour établir l’existence de cette faute, la Cour a suivi un raisonnement qui
s’articule autour de deux affirmations :
Premièrement, l’information a été diffusée trop tôt, sans nécessité immédiate.
En effet, la communication s’est faite avant le délai légal imparti pour une telle
publication. Avec comme corollaire, l’affirmation selon laquelle il n’y avait pas
d’obligation
légale de publier
les
résultats semestriels dans
la presse
spécialisée.
La cession du contrôle a été publiée trop tard, laissant le marché sous le coup
d’une
information
inexacte dans
l’intervalle de
temps séparant
les deux
communiqués de presse.
1120 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 26 septembre 2003, no 2001/21885, Soulier et autre c/ SA
Flammarion et autre, Op.cit. p. 43 §2.
1121 Letréguilly (H), Op.cit. p. 452.
452



Page 461
Ensuite, la deuxième affirmation repose sur le caractère tardif de l’annonce de
la cession de contrôle et la garantie de cours à un prix presque deux fois
supérieur au cours de bourse1122.
884. La Cour d'appel de Paris a admis le caractère fautif du communiqué
litigieux et conclut que «... la société Flammarion a, sans nécessité immédiate
démontrée, délibérément publié une
information
financière en elle-même
exacte mais qui, compte tenu d'un accord imminent qui aurait une incidence
déterminante sur le cours de l'action, même si cet accord était encore soumis
à un aléa tenant à la signature des documents contractuels, constituait une
information en réalité inexacte, à tout le moins trompeuse, qui véhiculait un
message d'un pessimisme excessif sur les perspectives d'évolution du titre à
court terme ».
885. Au-delà des particularités de
l’espèce, cet arrêt révèle
toutes
les
difficultés posées par les obligations d’information du public imposées aux
sociétés cotées en bourse.
Comment savoir, en effet, quand est-ce qu’une société doit communiquer au
public des pourparlers sur la cession de son contrôle ou des négociations sur
la cession de certains de ces actifs importants ?
La société se retrouve coincée entre le marteau et l’enclume. Entre diffuser
l'information trop tôt au marché et risquer de nuire aux négociations ou de
tromper le public, si les négociations échouent ou si elles se concrétisent dans
des conditions différentes de celles annoncées. Ou la communiquer trop tard
et risquer de voir des actionnaires qui ont cédé ou acquis des titres arguer
qu'ils ont été induits en erreur par le silence de la société, ou peut encore
conduire à prolonger la période durant laquelle cette information confidentielle
sur les négociations peut être exploitée par des initiés. Le choix est difficile à
faire et cette situation illustre toute la difficulté de la communic ation financière,
art délicat par essence, qui impose souvent la conciliation et la protection
d'intérêts contradictoires.1123
1122 Ibid.
1123 Dezeuze (E), Op.cit. §12.
453



Page 462
886. Aussi,
la publication d’informations prévisionnelles inexactes a été
retenue par la Cour d’appel de Colmar1124 comme faute permettant de mettre
en cause la responsabilité civile d’une société cotée.
En l’espèce, une société cotée, Eurodirect Marketing, dont les titres étaient
négociés sur le Second Marché d'Euronext Paris, a publié le 7 avril 1998,
dans un quotidien de presse financière, un communiqué comportant des
informations sur ses résultats prévisionnels pour l'année 1998.
La société prévoyait dans ce communiqué un bénéfice de 14 millions de
francs pour l'exercice 1998, soit le doublement de son résultat net d'impôt.
Ces perspectives positives de résultats ont été réitérées par la société dans
son document de
référence annuel, enregistré auprès de
l’autorité
administrative, le 5 juin 1998.
Or, c'est en considération du communiqué publié au mois d'avril 1998 et des
perspectives de résultats de
la société qu’un actionnaire, prétend avoir
augmenté sa participation dans le capital de ladite société en acquérant un
certain nombre d'actions.
Cependant, la société a publié, le 16 octobre 1998, un nouveau communiqué
dans lequel elle annonce des résultats négatifs pour les six premiers mois de
l'exercice 1998, soit une perte de 18,5 millions de francs.
C'est dans ces conditions que cet actionnaire met en cause la responsabilité
civile de la société Eurodirect Marketing sur la base d'une infraction aux
dispositions de l’article L. 465-1, al. 4 du code monétaire et financier, qui
réprime la diffusion d'informations fausses ou trompeuses. Cet actionnaire
prétend avoir acquis ces actions sur la base d'informations inexactes et
demande réparation du préjudice subi du fait de la revente à perte, au mois de
1124 Rontchevsky (N), Note sous C.A. Colmar, 1re ch. civ., 14 octobre 2003, n° 01-3432, Pfeiffer c/
Eurodirect Marketing, RTD Com. 2004 p. 567.
454




Page 463
septembre 1998, d'actions acquises après
la publication du communiqué
litigieux. Pour cet actionnaire,
la société aurait commis une
faute non
seulement en publiant des
informations prévisionnelles mensongères mais
également en s'abstenant de les rectifier 1125.
887. La Cour a relevé, pour apprécier le caractère fautif des informations
prévisionnelles communiquées,
l’importance de
la différence entre
les
résultats effectifs enregistrés par la société au titre de l'exercice 1998 (- 30
millions de
francs) et
les perspectives de résultats annoncées dans
le
communiqué du 7 avril 1998, qui s'établit à 44 millions de francs. Or, selon la
cour, une telle différence ne peut s'expliquer par les fluctuations courantes de
l'activité de l'entreprise. La Cour se livre ensuite à une analyse subjective et
détaillée des opérations d'investissements
réalisées par
la société pour
conclure que ces derniers étaient manifestement
incompatibles avec
les
prévisions annoncées de doublement du résultat. De cet ensemble de faits, la
cour considère que la société a commis une faute en publiant sciemment des
résultats prévisionnels inexacts puisqu'elle savait n'avoir aucune chance de
les réaliser.
888. De même, la Cour a pris en compte le caractère tardif de la rectification
pour aller jusqu'au bout de son raisonnement. S’il est possible que la nature
prévisionnelle des informations puisse donner lieu à une erreur d'appréciation
exclusive de
toute volonté de
tromperie, elle souligne en revanche que
constitue un comportement manifestement fautif le fait pour la société de s'être
abstenue de rectifier les informations erronées dans un délai raisonnable.
889. Ainsi, la cour relève que compte tenu de l'ampleur des pertes, la société
ne pouvait prétendre ignorer la réalité de la situation. Or, lorsque la société
Eurodirect Marketing a annoncé publiquement le changement intervenu dans
son équipe dirigeante, aucune rectification sur les perspectives de résultats
annoncés n'a été effectuée. Il semble pourtant bien que ce changement ait été
1125 Dolidon (G), Op.cit. p. 466.
455



Page 464
motivé principalement par la dégradation des résultats de la société, tel qu'en
atteste le rapport de gestion de la société.
890. La Cour suit un raisonnement conforme à la jurisprudence développée
par le gendarme boursier, sur le fondement de sa réglementation.
Elle estime logiquement, que des informations prévisionnelles, qui sont par
conséquent incertaines par nature, doivent si elles sont communiquées par les
sociétés cotées obligatoirement respecter
les caractères d'exactitude, de
précision et de sincérité.
Cela signifie que l'information fondée sur des éléments futurs ou dont la
réalisation est
incertaine doit être assortie de réserves mentionnant
le
caractère incertain ou futur des résultats pris en compte. De même, si besoin il
y’a toute information diffusée doit être réactualisée et, si elle s’avère par la
suite inexacte, elle doit être rectifiée au moyen un communiqué1126.
891. Aussi, la jurisprudence française considère que la société cotée en
bourse peut être contrainte à réparer
les dommages causés par des
agissements de leurs dirigeants.
L'action engagée par des actionnaires contre la société Sidel illustre ce cas de
figure. En
l’espèce,
le
tribunal estime que l'action des actionnaires, en
l'absence
de dispositions particulières
contraires, peut être portée
concurremment à l’encontre des dirigeants auteurs des infractions et contre la
société en sa qualité de civilement responsable de ces dirigeants.
892. La recevabilité de l'action civile à l'égard des anciens dirigeants de Sidel
et le fait que cette dernière est considérée civilement responsable des fautes
commises par ceux-ci, sont justifiés par la Cour en se basant sur les
dispositions de l'article 1384 alinéa 5 du Code civil, qui dispose que « ... les
commettants [répondent] du dommage causé... par leurs préposés dans les
fonctions auxquelles ils les ont employés ».
1126 Ibid.
456



Page 465
Il s’agit là d’une position qui peut être sujette à critiques car le fondement
textuel retenu par la Cour semble inadapté : le président d’une société cotée,
n'a pas juridiquement la qualité de préposé, et ce en l’absence d'un lien de
subordination vis-à-vis de la société dont il était le mandataire social.
Néanmoins, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation
française admet la possibilité de retenir la responsabilité civile de la société
pour des infractions commises dans le cadre de leurs fonctions par ses
dirigeants non-salariés1127- 1128.
893. D’un autre coté, en Tunisie, la jurisprudence traitant de ce sujet se révèle
très rare.
Tout de même, Une décision du Tribunal de première instance de Tunis
n°53838 datée du 25 janvier 20061129, nous fournit certains enseignement sur
la position de la jurisprudence tunisienne relativement à cette question.
Dans cette affaire, un actionnaire détenant 3000 actions de la société Batam,
(société cotée à la bourse de Tunis à cette époque), par l’intermédiaire de la
société COFIB capital finance (intermédiaire en bourse) ; a vu ses actions
radiées suite à un coup d’accordéon effectué par la société Batam.
894. Cet actionnaire minoritaire a alors réclamé à la société Batam et à
l’intermédiaire en bourse, la réparation de son préjudice devant le tribunal de
première instance de Tunis.
D’un coté, il reproche à la société cotée d’avoir porté atteinte au principe
d’égalité entre les actionnaires en le privant indument de ses 3000 actions et
de l’avoir exclu de la société contre son grès.
1127 Cass. Crim., 14 octobre 1991,Bull. crim. no 337.
1128 Dezeuze (E), Note sous Trib. Correctionnel Paris, 12 septembre 2006, no 0018992026, Sidel, Bull.
Joly Bourse, 01 janvier 2007 n° 1, p. 37.
1129 Inédit V. annexes p. 547.
457



Page 466
En outre, il reproche à cette société de n’avoir pas communiqué sur son état
dégradé et d’avoir même procédé à une distribution de dividendes lui faisant
croire à la bonne santé financière de la société, ce qui l’a poussé à continuer à
acheter des actions de la société.
Il reproche aussi à l’intermédiaire en bourse d’avoir failli à ses obligations de
loyauté et de conseil imposées par l’article 52 du Code des organismes de
placement collectif1130.
895. Dans sa décision, le Tribunal a estimé que la société Batam avait réduit
son capital social sans respecter les procédures obligatoires et qu’elle a
intentionnellement trompé le plaignant sur la situation détériorée de la société
en distribuant des dividende. Le tribunal semble ainsi admettre la faute de la
société cotée en bourse.
D’autre part, le Tribunal estime en se basant sur l’article 58 de la loi n°94-117
du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché financier 1131,
l’intermédiaire en bourse doit prendre toutes les dispositions nécessaires à la
sécurité des intérêts de leurs clients et sur l’article 51 du Décret 2478 du 1
novembre 1999 portant statut des intermédiaires en bourse « l’intermédiaire
en bourse doit s’attacher à connaitre les capacités financières, l’expérience,
les objectifs financiers et attentes de ses clients en fonction des prestations à
fournir et veiller à ce que ces derniers aient connaissance des risques
inhérents à
la nature des opérations qu’ils envisagent d’effectuer », que
1130 Selon cet article « Les organismes de placement collectif, les dépositaires et les gestionnaires
doivent agir au bénéfice exclusif des souscripteurs. Ils doivent présenter les garanties suffisantes, en ce
qui concerne l'organisation, les moyens techniques et financiers, la compétence et l'honorabilité de
leurs dirigeants et du personnel placé sous leur autorité. Ils doivent prendre toutes les dispositions de
nature à assurer la sécurité de la réalisation des opérations ».
1131 Selon cet article « Les intermédiaires en bourse doivent présenter les garanties suffisantes
notamment en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers, l'honorabilité
et l'expérience de leurs dirigeants ainsi que les dispositions propres à assurer la sécurité des intérêts de
leur clientèle.
La nature et l'étendue de chaque garantie, les règles applicables à l'agrément des intermédiaires, au
retrait ou à la suspension de l'agrément ainsi que les règles nécessaires au contrôle de leurs activités
sont fixées par décret portant statut des intermédiaires en bourse. »

458



Page 467
l’intermédiaire en bourse se devait d’informer son client sur la mauvaise
situation
financière de
la société Batam afin qu’il puisse prendre
les
précautions nécessaires.
Et qu’en n’apportant pas la preuve d’avoir fourni les conseils adéquats à son
client, et ayant intentionnellement dissimulé des informations importantes à
son client
l’intermédiaire devait être considéré comme ayant failli à ses
obligations et ce qui a entrainé pour celui-ci la perte de toutes les actions qu’il
possédait.
Néanmoins, la demande en réparation de l’actionnaire s’est heurtée à une
difficulté de preuve du préjudice subi. En effet, les juges tunisois concluent au
rejet de la requête car le demandeur n’avait pas pu établir la valeur des
actions qu’il détenait à la date de leur radiation.
Paragraphe 2 Un préjudice difficile à établir
896. En matière de responsabilité civile, la faute ne suffit pas à elle seule à
justifier la réparation. Le demandeur, doit en plus établir l'existence d'un
préjudice ainsi que la relation de causalité entre la faute commise par la
société et ce préjudice (A). De plus, l’évaluation de ce préjudice s’avère
problématique (B).
A-
La nécessité d’établir un préjudice
897. Il importe tout d’abord, de préciser que le préjudice causé par des
manquements ou délits boursiers reste encore mal défini.
Car, s’il est admis par la chambre criminelle de la Cour de cassation, depuis
1991, qu’une action civile intentée par des actionnaires en raison du préjudice
causé par une diffusion d'informations mensongères ou une présentation de
459




Page 468
comptes
inexacts est recevable,
la nature de ce préjudice n’est point
précisée1132.
Une analyse de la jurisprudence française laisse entrevoir qu’un préjudic e est
admis toutes les fois qu'une information inexacte fait prendre à un investisseur
une position contraire à celle qu'il aurait prise s’il avait disposé d'une exacte
information.
898. En réalité, il y’a préjudice quand « un investisseur anticipe (à tort) d'une
information excessivement optimiste une forte croissance des résultats et une
valorisation consécutive des titres, ce qui le pousse, au minimum, à conserver
ses titres, au pire, à en acquérir de nouveaux. A l'inverse une information
exagérément pessimiste peut indûment provoquer la vente des titres »1133.
899. Ainsi, dans une affaire Société Générale de Fonderie la Cour d’appel de
Paris a reconnu que « la certitude d'un tel préjudice est acquise dès lors que
les victimes ont acheté des actions à un cours supérieur à leur valeur réelle, et
ce, par suite de
la diffusion de
fausses
informations ou d'informations
trompeuses»1134.
Les magistrats parisiens admettent donc, l’existence d’un préjudice lorsqu’une
fausse information pousse un investisseur à ordonner une opération contraire
à celle qu'il aurait prise s’il avait disposé d'une information exacte.
900. Il peut s’agir du cas où un investisseur conserve ses titres dans une
société cotée en bourse ou en acquiert de nouveaux sur la base d'une
information fausse portant sur une forte croissance des résultats de la société
devant
logiquement amener à un accroissement de
la valeur de ses
actions1135. A ce cas de figure, d’une information trop optimiste, on peut
assimiler
l'hypothèse consistant à retarder
la diffusion d'une
information
1132 Magnier (V), « Information boursière et préjudice des investisseurs », D. 2008 p. 558.
1133 Ibid.
1134 Marchi (J-P), Note sous C.A. Paris, 9e ch. A, 15 juin 1992, Société Générale de fonderie, G.P.
1992. 1. 293.
1135 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous Cass. Com. 22 novembre 2005, Eurodirect
Marketing, Banque et droit, janvier-février 2006 p. 35, chron ;
Storck (M), RTD com. 2006 p. 445.
460



Page 469
négative, ce qui inclut le cas de l'initié qui utilise une information privilégiée
pour céder ses titres avant quiconque1136.
901. C’est le cas de figure qu’illustre parfaitement l’arrêt sus cité de la Cour
d’appel de Colmar, du 14 octobre 2003, confirmé depuis par la Chambre
commerciale de la Cour de cassation1137.
Après avoir estimé que les manquements de la société Eurodirect Marketing
étaient suffisamment caractérisés pour engager sa responsabilité à l'égard de
l’actionnaire plaignant. La Cour estime que le préjudice dont l'actionnaire se
prévaut résulte de la différence entre le prix d'achat des actions après la
publication du communiqué litigieux et le prix de leur revente. Le préjudice tire
ainsi son existence de la revente des titres qui ont été acquis à un prix
supérieur à leur valeur réelle et de la perte qu'elle a ainsi occasionnée pour
l'actionnaire.
902. Une autre problématique ne devrait pas manquer de se présenter, il s’agit
de la question de l'évaluation du dommage. Une question qui reste imbriquée
à celle de l’existence du préjudice. Traditionnellement, le préjudice invoqué
n'ouvre en effet droit à réparation qu'à la condition qu'il soit direct, certain et
légitime.
903. Il faut dire, qu’en matière d’investissements boursiers cette question est
particulièrement délicate car les bénéfices ou les pertes qui peuvent en
résulter sont toujours marqués par une part prépondérante de l'aléa.
En
l’espèce,
la Cour d’appel a
fait
le choix d'accorder
la
totalité de
l'indemnisation réclamée par l’actionnaire plaignant. Une indemnisation égale
à la différence entre le prix des actions acquises après la date du communiqué
véhiculant la fausse information et le prix de celles qui ont été vendues par la
1136 Magnier (V), « Information boursière et préjudice des investisseurs », Op.cit. p. 558.
1137 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous Cass. Com., 22 novembre 2005, Op.cit. p. 35.
461



Page 470
suite, soit les actions qu'il n'aurait pas achetées s'il n'avait pas été la victime
d'une information inexacte1138.
904. Dans cette affaire, il est à relever que l'actionnaire a limité le préjudice
dont il réclame réparation à la perte résultant de la cession des titres qu’il a
acquis après la publication du communiqué litigieux. Il n’a pas demandé à
obtenir réparation du dommage subi du fait de la conservation de certaines
actions acquises antérieurement et de la perte d'une chance éventuelle de les
avoir vendus dans de meilleures conditions.
Si le demandeur a limité ses prétentions, ce n’est pas sans raison. En effet, la
jurisprudence de la Cour de cassation n'admet pas dans la plupart des cas, le
principe de la réparation d'un tel préjudice.
En effet, ces situations, où le demandeur conserve ces titres, restent difficiles
à appréhender. Car, le préjudice ne devient certain que lorsque les titres sont
revendus, une fois la fausse information corrigée.
905. A l’inverse, une information fausse présentant la société sous un plus
mauvais jour qu’elle ne l’est en réalité peut inciter un actionnaire à vendre ses
actions.
C’est le cas de figure qu’illustre parfaitement l’arrêt de la Cour d’appel de Paris
dans l’affaire Flammarion sus citée. En l’espèce, la Cour a admis que la
publication intempestive de résultats semestriels mitigés, alors qu'un projet de
cession était en cours de négociation et devait être annoncé au public
quelques jours plus tard constituait une communication inexacte ou à tout le
moins trompeuse car adressant « un message d'un pessimisme excessif sur
les perspectives d'évolution du titre à court terme » susceptible d'engager la
responsabilité de la société à l'égard de ses actionnaires. Elle a jugé que les
actionnaires qui avaient cédé leurs titres après la publication des comptes et
1138 Dolidon (G), Note sous C.A. Colmar, 14 octobre 2003, Op.cit. §10.
462



Page 471
avant l'annonce de la cession avaient perdu la chance de céder leurs actions
dans le cadre de la procédure de garantie de cours ultérieure. 1139
906. Ces décisions sont en accord avec la jurisprudence de la Chambre
criminelle de la Cour de cassation française1140 qui distingue, en matière de
communication et de diffusion d'informations fausses ou trompeuses, deux
types de préjudices
: celui qui
résulte de
la conservation de
titres
antérieurement acquis, dont elle exclut la réparation, et celui résultant de
l'acquisition de titres pendant la période de diffusion des informations fausses
ou trompeuses, qui seul est réparable1141.
907. Cette approche opérée par la Cour de cassation française n’est pas sans
reproche et a été critiquée par une partie de la doctrine. En effet, certains
auteurs1142 ont observé que cette distinction, aboutissait à dénier tout droit à
réparation aux actionnaires qui en raison de la bonne tenue du cours de
bourse avaient conservé leurs titres. Alors qu’ils auraient certainement vendu
ces titres s’ils avaient eu vent de la situation réelle de la société cotée en
bourse.
908. D’autres auteurs1143, approuvent la solution dégagée par la Cour de
cassation. Ils considèrent, qu’il ne saurait y avoir de préjudice si l’actionnaire
1139 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 26 septembre 2003, Soulier et autresc/ Flammarion et autres,
Bull. Joly Bourse, 2004, p. 43, § 4 ;
De Vries (G), J.C.P. éd. E, 2004, p. 771; Poracchia (D), Droit et
Patrimoine, novembre 2004, p. 93 ;
Daigre (J-J), Bull. Joly Sociétés, 2004, p. 84, § 12.
1140 En l’occurrence, la Cour de cassation a estimé que le préjudice subi par l'investisseur victime de ce
délit et son indemnisation s'évaluent en calculant «...la différence entre le cours normal du titre et sa
valeur après la diffusion de l'information ».

Bien que la notion de « cours normal » puisse prêter à discussion, on peut penser que pour la Haute
juridiction, le cours normal de l’action serait, le cours du titre avant la diffusion de l'information
litigieuse. De cette façon, le préjudice subi pourrait être évalué en faisant la différence entre ce cours et
le cours du titre après cette diffusion
Peltier (F), Note sous Cass. Crim., 15 mars 1993, Banque et
droit n
o 32, novembre-décembre 1993, p. 22 ; Ducouloux-Favard (C), D., 1993, jur. p. 610.
1141 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Op.cit.
p. 399.
1142 De Vauplane (H) et Simart (O), « Délits boursiers : propositions de réforme. Pour une répartition
des compétences répressives selon le caractère économique ou moral de l'infraction », RD bancaire et
financier, n
o 61, mai-juin 1997, p. 85 ; Jeantin (M), Note sous Cass. Crim., 15 mars 1993, Bull. Joly
Bourse, 1993, p. 365, § 76, spéc. p. 374.
1143 Magnier (V), « Information boursière et préjudice des investisseurs », Op.cit. p. 558.
463



Page 472
conserve ses titres. Et ce même si cette conservation est « provoquée » par
une information fausse.
Il s’agirait là d’une opération neutre : si l'investisseur décide de conserver ses
titres, au lieu de les vendre, ou de les acheter, il a perdu une chance de
prendre une décision d'investissement ou de désinvestissement, mais aucune
perte imputable à l'information litigieuse n'est constatable.
909. Un autre auteur, estime que le lien entre l'infraction commise et le
préjudice serait dans ce cas de figure moins certain que dans l'hypothèse
d'une acquisition de titres sur la base d'informations trompeuses car il faut se
convaincre que l'actionnaire aurait nécessairement cédé ses titres s'il n'avait
été abusé par cette
information
trompeuse. De plus,
la diffusion d'une
information exacte se serait, par hypothèse, traduite par une baisse du cours
de l'action, de sorte que l'actionnaire concerné aurait, dans tous les cas, cédé
ses titres dans des conditions défavorables. Mais la difficulté principale
consiste en ce cas, à ce que la victime est toujours actionnaire, ce qui a pour
effet de rendre difficile la distinction entre le préjudice personnel qu'elle a subi
et celui qu'a subi la société1144.
910. Quoi qu’il en soit, il est vrai que le dommage subi par l'actionnaire ne peut
être considéré comme certain qu’à partir du moment de la cession de ses
titres. En effet, lorsqu'une perte est constatable, la simple conservation d'un
titre, même déprécié, ne suffit pas à constituer un préjudice certain. Car, au
cas où l'actionnaire choisit de conserver ses titres après la diffusion de
l’information correcte, aucun préjudice ne sera plus directement imputable à la
fausse information. Il pourra les garder suffisamment longtemps pour voir la
confiance revenir et l’action retrouver sa verve1145.
1144 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Op.cit.
p. 399 § 11.
1145 Ibid.
464



Page 473
911. Ceci étant dit, la Cour d'appel de Paris1146 a admis dans des cas limités,
la possibilité d’indemniser des actionnaires qui avaient conservé
leurs
instruments financiers après la découverte du caractère inexact et trompeur
des informations communiquées. Le préjudice réparable consistant en une
perte de chance. Les actionnaires se voyant privés de la possibilité de choisir,
en étant au courant de la situation réelle de la société, entre conserver ou
céder les titres dont ils sont en possession.
912. Ainsi, récemment, des décisions des juges du fond avaient admis que
des actionnaires pouvaient avoir subi un préjudice pour avoir conservé leurs
titres après la diffusion des fausses informations1147. Dernièrement, la Cour de
cassation française s’est prononcée, dans son arrêt du 9 mars 20101148, en
faveur d’une telle solution, sans doute en raison de la nature spécifique du
préjudice découlant de la fausse information.
913. La Haute juridiction a admis pour la première fois dans cet arrêt que le
préjudice subi par les actionnaires en raison de la diffusion par la société de
fausses informations n’est pas égal au montant de l’investissement réalisé
mais consiste en la perte d’« une chance d’investir ses capitaux dans un autre
placement ou de renoncer à celui déjà réalisé ».
La Cour considère que
le
libre arbitre de
l’investisseur victime d’une
information erronée a été entravé. Celui-ci s’est vu privé de la faculté
d’effectuer un choix éclairé quant à l’investissement de ses fonds et à
l’acquisition ou la conservation de ses titres. Néanmoins, du fait que l’on ne
peut avoir de certitude quant à la décision qu’aurait prise un investisseur
1146 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 26 septembre 2003, Soulier et autres c/ Flammarion et autres,
Op.cit. p. 43, § 4.
1147Particulièrement Dezeuze (E), Note sous Trib. correctionnel Paris, 12 septembre 2006,
n° 0018992026 : Bull. Joly Bourse 2007, p. 37, § 4 ;
Barbièri (J-F), Bull. Joly Sociétés 2007, p. 119,
§ 14. Une décision confirmée par la Cour d’appel de Paris, V.
Barbièri (J-F), Note sous C.A. Paris,
17 octobre 2008 : Bull. Joly Sociétés 2009, p. 143, § 31 ; dans le même sens
Schmidt (D), « Affaire
Sidel, L’indemnisation des actionnaires » : D. 2006, chron. p. 2522 ;
Rontchevsky (N), Note sous CA
Paris, 14 septembre 2007, n° 07/01477, RTDF 2007, n° 4, p. 145.
1148 Rontchevsky (N), Note sous Cass. com., 9 mars 2010, n° 08-21547 (n° FS-P+B), SA sté EPF
Partners, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2010 n° 4, p. 316 §16.

465



Page 474
informé et aux conséquences de celle-ci, il ne s’agit que d’une chance perdue
qui est, par nature, aléatoire1149.
914. Cette position de la Cour de cassation est partagée par le Professeur
Schmidt qui privilégie l’approche selon laquelle l’altération du consentement
provoquée par la fausse information prive l’acquéreur d’une chance d’investir
d’une autre manière : « on ne sait pas s’il aurait investi autrement, ni même si
cet autre
investissement aurait été
judicieux ou
fructueux ; on présume
simplement que l’altération de son consentement lui a fait perdre une chance
d’investir autrement : cette perte est son préjudice »1150.
Une autre problématique surgit alors, celle de
l’évaluation du préjudice
résultant d’une perte de chance.
B- Une difficile évaluation du préjudice
915. Le préjudice fait l’objet d’une définition législative. Pour l’article 107 du
Code des obligations et des contrats « Les dommages, dans le cas de délits
et de quasi-délits, sont la perte effective éprouvée par le demandeur, les
dépenses nécessaires qu’il a dû ou devait faire afin de réparer les suites de
l’acte commis à son préjudice ainsi que les gains dont il est privé dans la
mesure normale en conséquence de cet acte. Le tribunal devra d’ailleurs
évaluer différemment les dommages, selon qu’il s’agit de la faute du débiteur
ou de son dol. »
916. L’évaluation du préjudice relève du pouvoir discrétionnaire des juges du
fond, c’est ce que confirme la Cour de cassation tunisienne, dans son arrêt
daté du 23 mai 19901151, qui relève que « le législateur a défini, en vertu de
l’article 107 du COC la perte, sa réalité et ses implications. Il a néanmoins
1149 Rontchevsky (N), Op.cit. §18.
1150Schmidt
01 janvier 2012 n° 1, p. 1.
1151 Cass. Crim 23 mai 1990 n°32459, RJL mars 1992 n°3 p. 88.
(D), « Fausse
information et préjudice boursier », Bull.
Joly Bourse,
466



Page 475
mandaté en même
temps, au
juge
la question de sa réparation en
subordonnant son évaluation au pouvoir discrétionnaire du juge. »
917. Mais le préjudice découlant de la perte d’une est spécifique. Une
spécificité très bien expliquée par un auteur 1152 : « La perte de chance
représente
le dommage consistant dans
l’aggravation d’une probabilité
funeste ou la diminution d’une probabilité heureuse. Elle ne désigne donc
qu’un préjudice de substitution auquel on recourt lorsque, convaincu de
l’implication de la faute dans le dommage, on ne peut raisonnablement lui
prêter, comme prolongement causal, qu’une
incidence sur
la probabilité
qu’avait la victime de subir la frustration dont elle se plaint ».
918. Cela fait que l’indemnisation de la perte d’une chance ne peut consister
qu’en une partie du préjudice dont l’évaluation relève de la compétence
souveraine des juges du fond.
La Cour de cassation française1153 précise, d’ailleurs, que « la réparation d’une
perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à
l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée».
Le recours par la jurisprudence à la notion de perte d’une chance se révèle
ainsi être un moyen, d’une grande souplesse, permettant l’indemnisation du
dommage causé par un défaut d’information, de mise en garde ou de conseil,
qui est toujours plus ou moins teinté d’aléa.
919. La perte de chance est aussi parfaitement adaptée au traitement d’un
contentieux de masse, notamment, à la réparation du préjudice causé par la
fausse information financière dont l’évaluation précise est très délicate, sauf à
1152 Martin (DR), « De la causalité dans la responsabilité civile du prêteur », Banque et droit
novembre-décembre 1999, p. 7.
1153Cass. 1re civ., 16 juill. 1998, n° 96-153801, Bull. civ. 1998, I, n° 260.
467



Page 476
avoir recours à des logiciels1154 ou à des expertises complexes, longues et
coûteuses.
920. La détermination de la réparation selon l’importance de la chance perdue
peut s’accompagner d’une évaluation pragmatique et nuancée des préjudices
des différents investisseurs. En effet, la situation individuelle de chacun d’entre
eux peut s’avérer différente du point de vue de l’impact de la fausse
information sur la décision d’investissement. La fixation de la chance est ainsi
susceptible de différer entre un maigre pourcentage des fonds investis (par
exemple pour un préjudice
tenant à
la conservation des
titres) et un
pourcentage élevé de ces fonds permettant ainsi une indemnisation proche de
la différence entre le prix d’achat des titres et leur valeur après la révélation de
la fraude.
D’ailleurs, certains auteurs estiment que dans des situations partic ulières, le
préjudice pourrait correspondre à la différence entre le cours des titres avant
puis après la révélation de la fausse information1155.
921. La jurisprudence française semble donc avoir récemment renforcé la
responsabilité civile des administrateurs et des sociétés cotées en bourse en
cas de diffusion d’une fausse information et avoir de ce fait facilité la
réparation du préjudice que subissent les actionnaires du fait de la diffusion
d’une fausse information.
Le préjudice des investisseurs peut donc être fixé en ayant recours à la notion
de perte d’une chance. Un recours qui n’exclut pas l’attribution de dommages-
intérêts considérables dans certaines circonstances. A cela s’ajoutent les
sanctions pénales et administratives qu’encourent les contrevenants. Cette
évolution de la jurisprudence, très favorable aux actionnaires, est surement de
1154La décision rendue aux États-Unis le 29 janvier 2010 dans l’affaire Vivendi a mis en exergue la
méthode appliquée dans ce pays qui consiste à utiliser un logiciel intégrant différents paramètres pour
déterminer ce que le cours de bourse aurait dû être si les informations trompeuses n’avaient pas été
diffusées, la différence entre ce cours estimé et le cours constaté servant de base de calcul de
l’indemnisation des actionnaires, Rontchevsky (N), Op.cit. §11.
1155 Martin (D), Op.cit. p. 3.
468



Page 477
nature à rendre les marchés boursiers français plus attrayants, pour les
investisseurs, avec une justice plus encline à sauvegarder leurs droits et à leur
assurer une
indemnisation
juste en cas de commission d’infractions
boursières1156.
922. Il reste que la responsabilité d’une société cotée ne peut être retenue que
si le demandeur établit l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le
dommage, conformément au droit commun.
Cette preuve est souvent difficile, car la faute imputée à la société peut se
mélanger avec des éléments extérieurs à
la société, à
l’instar de
la
conjoncture économique. La caractérisation de ce lien revêt une part de
subjectivité.
923. Ainsi, la Cour d'appel de Paris a, pour admettre l’existence d’un lien de
causalité entre un communiqué véhiculant de fausses informations et la vente
des titres (et donc pour retenir la privation d'une chance de les apporter, pour
un prix supérieur, à la garantie de cours), retenu que la publication du
communiqué avait bien provoqué la vente des titres, puisqu'il véhiculait « un
message d'un pessimisme excessif sur les perspectives d'évolution du titre à
court terme ». Cette interprétation, faite par les juges parisiens, de la portée du
communiqué laisse comprendre la subjectivité de l'exercice1157.
Aussi, l'établissement du lien de causalité, peut résulter de la démonstration
du
fait que
la diffusion d'informations
inexactes avait été de nature à
déterminer l'actionnaire dans sa volonté d'investir, en se portant acquéreur de
titres de la société à un prix supérieur à leur valeur réelle.
924. C’est ce qu’a retenu la Cour de cassation dans l’affaire Eurodirect
Marketing précédemment évoquée.
1156 Rontchevsky (N), Op.cit. §22.
1157 Dezeuze (E), Note sous C.A. Paris, 26 septembre 2003, no 2001/21885, Soulier et autre c/ SA
Flammarion et autre, Op.cit. §9.
469




Page 478
En l’occurrence, la société Eurodirect Marketing contestait l'existence de ce
lien de causalité en faisant valoir que les acquisitions d'actions ont été
effectuées après une période assez longue de la diffusion du communiqué
fautif et que la revente des actions achetées est intervenue bien avant la
publication de l'annonce des résultats. De même, la société a allégué que le
communiqué litigieux n'a eu aucune incidence à la hausse sur l'évolution du
cours.
925. Mais la Cour a écarté ces arguments. Elle a relevé que les plaignants
acquéraient régulièrement des actions Eurodirect Marketing et que ces
acquisitions se sont justement accentuées dans les 3 mois qui ont suivi la
publication du communiqué et qu'il importe peu qu'aucun achat n'ait été
effectué juste après la publication du communiqué litigieux. La Cour considère
de même que le fait que les actions ont été revendues avant la publication par
la société de ses résultats, n’a guère d’importance1158.
926. En fin de compte, à supposer que l’investisseur malheureux ait la
possibilité d’établir les différents éléments nécessaires à la mise en cause de
la responsabilité civile des sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants,
son action devrait se heurter à une difficulté d’ordre matériel liée au coût des
procédures qu’il devra engager.
En effet, on peut noter que les actions en justice visant à réparer le préjudice
subi par l’effet d’infractions boursières sont restées rares, que ce soit en
France ou en Tunisie. A cette situation, on peut trouver une explication : le
coût de la procédure est trop important pour un investisseur isolé. Une solution
à cette problématique pourrait être trouvée en introduisant des mécanismes
permettant les actions de groupe.
1158 De Vauplane (H) et Daigre (J-J), Note sous Cass. Com., 22 novembre 2005, Eurodirect
Marketing c/ M Pfeiffer, Op.cit. p. 35.

470





Page 479
CHAPITRE III
POUR L’INTRODUCTION DE MECANISMES PERMETTANT
LES ACTIONS DE GROUPE

927. L’accès des petits épargnants à la justice civile peut être entravé non
seulement par l’effet des obstacles juridiques sus mentionnés mais aussi par
l’effet d’un accès difficile et couteux à la justice civile.
L’introduction en droits tunisien et français des class actions (actions de
groupe) peut améliorer cette réalité. Cette notion inédite en droit tunisien
nécessite d’être explicitée
(Section préliminaire) afin de démontrer
l’opportunité de l’introduction de ce mécanisme (Section 1) et d’établir que les
défis pratiques et juridiques que poseraient une telle introduction sont tout à
fait surmontables (Section 2).
SECTION PRELIMINAIRE
LA NOTION D’ACTION DE GROUPE
928. Le principe des class actions est né sous sa forme actuelle, aux Etats
Unis en 1966. Avec pour but de simplifier l'accès à la justice pour des groupes
très imposants de personnes ayant subi des préjudices, préjudice lourd de
masse ou bien préjudice diffus parce que très faible mais largement répandu.
Il s'agit, en substance, pour un demandeur de grouper en une seule action
tous les recours qu'il aurait dû exercer contre un même défendeur. Elle peut
être aussi bien exercée par des associations que par des individus. C'est un
mécanisme en voie de grande expansion, qui a été adopté dans de nombreux
471




Page 480
pays anglo-saxons, notamment en Australie, au Brésil, en
Israël et au
Canada1159.
929. Les infractions boursières peuvent constituer un terreau fertile favorable à
la mise en place d'actions de groupe. En effet, ces infractions impliquent des
préjudices individuels multiples. Des préjudices assez faibles la plupart du
temps, s’ils sont considérés
individuellement, mais dont
le dénominateur
commun est assez aisément déterminable compte tenu de la fongibilité des
instruments financiers de même catégorie, marqués par une communauté
d'origine, liée au comportement volontaire ou non d'auteurs déterminés. Pour
ces infractions, l'institution d'une véritable action collective pourrait rendre des
services précieux1160.
930. Il est à noter qu’il faut distinguer entre la class action et l'action en
représentation conjointe. Elles diffèrent sensiblement dans leur nature car la
class action ne requiert pas de mandat alors que les actions en représentation
conjointe restent dépendantes de mandats, même
tacites, de personnes
identifiées1161 .
931. Cette différence d’ordre technique explique dans une large mesure le
succès des class actions aux États-Unis puisque « la personne concernée
sera dans la classe sauf volonté exprimée en sens contraire (opt out), ce qui
engendre des classes très nombreuses conférant un impact fort à l'action
collective intentée, alors que le droit français de l'action en représentation
conjointe suppose que la personne concernée soit d'accord pour être comptée
1159 Guiraud (A), « L'introduction en droit français des class actions, chapitre 1 Section 1 :
L’expérience américaine. », L.P.A., 22 décembre 2005 n° 254, p. 6.

1160 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Op.cit.
p. 399.
1161 Cadiet (L) et Jeuland (E), « Droit judiciaire privé », Litec, 4e Ed., 2004, no 492, p. 279 ; Martin
(R)
, « L'action en représentation conjointe des consommateurs », JCP 1994. I. 3756.
472



Page 481
dans l'action (opt in), ce qui ne permet que la constitution de classes bien
maigrelettes, n'impressionnant guère l'entreprise défenderesse »1162.
932. La différence entre opt out et opt in est si fondamentale en pratique qu'il
faut en conclure que pour l'instant le mécanisme de class action est bien
étranger aux droits tunisien et français. Il s’agit d’un mécanisme « typiquement
» américain1163.
Au milieu des années 1970, la protection judiciaire des intérêts collectifs était
déjà un sujet de débats. Relayée par
l'évolution consumériste et un
mouvement de réflexion sur la place des actions collectives dans les sociétés
modernes. Le droit comparé, a alors vu, deux procédés de défense des
victimes de préjudices collectifs, émerger
:
la voie processuelle d'une
procédure de droit commun applicable en toute matière et la voie d'une
législation spécifique à la protection des consommateurs ou de certaines
grandes causes par des associations agréées.
933. La France a opté pour une action en représentation des groupements de
victimes par des associations agréées. Un mécanisme censé parer au risque
de mercantilisme, rendre plus aisé la réalisation d'économies d'échelles et
instituer une régulation des pratiques de certaines entreprises. 1164
934. En Tunisie,
la place accordée à de
telles associations est
particulièrement limitée et apparaît cantonnée au domaine de la protection du
consommateur
(L’organisation de défense du consommateur n’a pas
le
pouvoir d’ester en justice au nom des consommateurs). Aucun texte en
matière boursière n’accorde un quelconque pouvoir à des associations de
défense des droits des actionnaires.
1162 Frison-Roche (MA), « Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la
class action : obstacles et compatibilités », L.P.A., 10 juin 2005 n° 115, p. 22.
1163 Terré (F), « Rapport de synthèse », « L'opportunité d'une action de groupe en droit des
sociétés? », coll. Ceprisca, 2004, p. 158.
1164 Le Bars (B), « Introduction en droit français d'une procédure d'action collective : quand la
régulation se fait judiciaire », Bull. Joly Sociétés, 01 juillet 2005 n° 7, p. 811.
473



Page 482
Pourtant, du fait de la nature des investisseurs opérant sur le marché boursier
tunisien, ce problème devrait se poser avec acuité en Tunisie. Dans un
marché où plus de la moitié des investisseurs disposent d’un portefeuille dont
la valeur globale ne dépasse pas les cinq mille dinars1165, on est fondés à se
demander si ces investisseurs pourraient ou voudraient intenter des actions en
justice dont le coût pourrait dépasser le préjudice individuel subi par chacun
d’entre eux, sachant que l’issue du procès demeure incertaine.
935. Le coût élevé des avocats spécialisés et des expertises qui risquent de
s’imposer pourrait constituer un obstacle pour ces actionnaires dont la valeur
de leur portefeuille d’actions demeure très faible.
Peut-on alors penser que l’importation de la class action puisse améliorer
l’accès à la justice civile ? Cette action de groupe est-elle soluble dans les
droits tunisien et français ?
936. Selon le professeur Frison-Roche1166, devant une perspective effective
d'importation de ce mécanisme d’origine américaine,
trois questions
s'imposent. En premier lieu, il s’agit de se questionner sur l’opportunité de la
réforme en elle-même, est-ce une bonne idée ?
En deuxième
lieu, ce mécanisme sera-t-il accepté par
les personnes
directement concernées et au-delà par le corps social ?
En troisième lieu, le système juridique est-il techniquement apte à l'accueillir,
l'insertion de la règle particulière peut-elle s'insérer sous le toit des principes
généraux propres au système juridique ?
1165C’est ce qui ressort d’une étude intitulée « Le comportement de l’investisseur tunisien » réalisée
par le CMF. Disponible sur http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/Etudes/comp_inves_tun.pdf
1166 Frison-Roche (MA), «Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la
class action : obstacles et compatibilités », Op.cit. p. 22.
474





Page 483
SECTION I
L’OPPORTUNITE DE L’IMPORTATION DES ACTIONS DE GROUPE
937. Il est indéniable que la class action n’est pas dénuée d’avantages. Là où
le coût de l'action judiciaire individuelle serait trop lourd à supporter. La class
action, permet aux victimes d’infractions boursières d’introduire une action de
groupe visant de grandes entreprises ou organisations. En outre, La class
action crée des pressions pour protéger les droits des actionnaires. Elle
permet une utilisation plus efficace des tribunaux, de l'énergie des juges, du
temps des avocats, etc. 1167
938. Par contre, l’introduction de ce principe présenterait surement un bon
nombre d’inconvénients pour les sociétés cotées. Des inconvénients qui font
trembler les plus grandes multinationales rien qu’à l’évocation de l'expression
« class action ». Des inconvénients qui font que la controverse à ce sujet bat
son plein jusque dans le berceau américain de ce dispositif.
939. Ces
inconvénients suffisent-ils pour
faire de
la class action un
épouvantail ? L'action de groupe est-elle alors un rêve ou un cauchemar ou
bien la class action est-elle tout simplement « un rêve et un cauchemar » ?
Rêve « d'une union qui fait la force, celui d'un droit où les absents de la
procédure n'auraient pas toujours tort, celui d'un justiciable agissant une fois
pour toutes et pour tous »1168. Mais aussi un cauchemar : celui de l'importation
d'un produit américain en droit tunisien et français, d'une greffe incompatible
avec les principes processuels, voire constitutionnels des deux pays1169.
1167 White (T-J), « Genèse et évolutions récentes de la class action Dossier : La class action et ses
conséquences sur le cours des affaires », L.P.A., 13 décembre 2007 n° 249, p. 7.

1168 Houtcieff (D), « Les class actions devant le juge français : rêve ou cauchemar ? », L.P.A.,
10 juin 2005 n° 115, p. 42.
1169 Ibid.
475





Page 484
En tous cas, il est certain que ce mécanisme est de nature à mieux préserver
les droits des actionnaires (Paragraphe 1). Alors qu’il parait désavantageux
pour les sociétés cotées (Paragraphe 2).
Paragraphe 1- Un mécanisme avantageux pour les actionnaires
940. Les Etats-Unis constituent une terre favorable aux actions d’actionnaires
voulant engager
la responsabilité civile des sociétés cotées et de leurs
dirigeants. Cela est dû à une spécificité de la procédure civile américaine qui
autorise, sous contrôle du juge mais de manière relativement libérale, les
personnes ayant subi un préjudice dont le fait générateur est identique à
exercer une action de groupe1170.
941. Le terrain privilégié des « class actions » étant le droit boursier (mais
aussi le droit de la consommation), il est intéressant de se poser la question
de savoir si ce type d’action est de nature à préserver les intérêts des
actionnaires ?
A cet égard, il semble que les effets positifs attendus d’une introduction
éventuelle de
l'action collective dans
les systèmes
juridiques
français et
tunisien seraient multiples. Des avantages qui ne seraient pas propres aux
infractions boursières.
942. En premier lieu, la class action poursuit une finalité de facilitation de
l’accès à la justice. En effet, « lorsqu'il est aux prises avec une réclamation
modeste, le justiciable se voit, dans les faits, restreindre l'accès à l'appareil
judiciaire »1171.
Car une victime seule a rarement les moyens de pourvoir aux frais d'un
procès puis d'une expertise judiciaire. Dans ces situations, les préjudices
1170 Conac (P-H), « La responsabilité civile dans le cadre d'une action collective aux États-Unis au
titre d'un manquement à l'obligation d'information », Bull. Joly Bourse, 01 mai 2007 n° 3, p. 358.
1171 Lafond (P-C), « Le recours collectif et le juge québécois : de l'inquiétude à la sérénité » : Actes du
Colloque organisé par le Barreau de Paris, l'Université d'Évry et l'UFC-Que choisir ? le 18 novembre
2004, L.P.A., n
o 115, 10 juin 2005, p. 11.
476



Page 485
individuels subis sont multiples mais ont une seule et unique cause, liée à la
faute d'un auteur unique. Et si ces situations se transforment en actions
portées, de manière séparée et sans jonction des causes, à la connaissance
des juridictions civiles, les risques de contradiction des décisions sont réels.
943. Et pour faire face à ces situations où le morcellement des préjudices fait
que chaque préjudice, pris de manière individuelle, se révèle négligeable, en
comparaison du coût d'un procès, le droit tunisien ne propose aucune solution.
944. En France, ces investisseurs malheureux peuvent compter sur le soutien
apporté par
les associations de défense des
investisseurs, ou des
actionnaires. Néanmoins, cet apport
reste
limité au vu des conditions
restrictives qui régissent leur existence et leur maintien. En effet, les difficultés
d’ordre matériel et financier que la représentation par mandat leur impose
dans le cadre d'une action en représentation conjointe annihilent toute volonté
d’initiative de leur part. Elles doivent établir chaque année des comptes qui
sont approuvés par l'assemblée des adhérents1172. Elles peuvent, depuis la loi
du 1er août 2003, solliciter des actionnaires un mandat pour agir en leur nom,
sur autorisation du
juge. Mais, aucune action n'a été
intentée sur ce
fondement par une association1173. Démontrant ainsi que ce régime de l'action
collective fondé uniquement sur les associations ne semble plus c onvaincant
en France1174.
945. L’introduction de la class action peut apporter des réponses à ces
situations potentiellement contentieuses qui peuvent très bien ne pas parvenir
1172 Article L. 452-2, al. 4 du code monétaire et financier.
1173 Magnier (V), « Information boursière et préjudice des investisseurs », Op.cit. p. 558.
1174 Par ailleurs, le TGI de Paris a estimé qu’une association de défense d’actionnaires non agréée n’a
pas qualité pour agir en référé aux fins d’obtenir que le juge ordonne aux banques d’informer
individuellement leurs clients victimes de préjudices financiers, d’une action en réparation que
l’association prétend engager à leur place. « Cette décision illustre la difficulté qu’ont les associations
d’actionnaires à agir en réparation de petits préjudices subis par de nombreux individus en l’absence
d’une action de groupe légalement consacrée en droit national »,
Rougeau-Mauger (C), Note sous
TGI Paris, 15 juill. 2011, n° 11/55038, Assoc. Les petits porteurs de Vivendi c/ SA BNP Paribas, SA
Société Générale, SA Crédit industriel et commercial et SA Caisse d’Épargne et de prévoyance Île de
France, Bull. Joly Bourse, 01 janvier 2012 n° 1, p. 33.
477



Page 486
à
la connaissance des magistrats civils à cause d’obstacles liés à des
questions de coûts et de difficultés de preuve.
946. D’ailleurs, dans ce genre de situation, les victimes voulant obtenir
réparation ont souvent recours à la « plainte contre X » avec constitution de
partie civile. Elles entendent ainsi, se décharger du fardeau de la preuve sur le
magistrat chargé de l’instruction. C’est alors au juge pénal, d’instruire l’affaire
et de fournir des preuves aux frais du contribuable alors que l'objectif véritable
des demandeurs est souvent
indemnitaire. La voie pénale est ainsi
instrumentalisée et l'institution pénale détournée de son objet premier 1175.Cette
inclusion serait à même de réduire la pénalisation du cours de ces affaires.
947. Une action de groupe, permettrait alors de faciliter la course d’obstacles à
laquelle est confrontée la victime des
infractions boursières
: coût des
procédures, difficulté de connaitre l’étendue de leurs droits en présence d’un
système procédural peu accessible,
inflation des normes et des règles
régissant le marché boursier. Autant d’éléments capables de dissuader la plus
coriace des victimes d’agir en justice. L’action de groupe permettant de la
sorte de lutter contre « une forme d’ineffectivité de la loi »1176.
948. Ensuite, l'instauration en droits tunisien et français d'une véritable action
de groupe peut apporter une amélioration sensible au fonctionnement de la
justice. Cette introduction permettrait le regroupement de petits contentieux
ayant une origine commune et affaiblirait le risque de se retrouver face à des
jugements divergents ou contradictoires.
Par exemple, une seule fausse information pourrait avoir des effets néfastes
sur des centaines, voir des milliers d’actionnaires tout en ayant pour fait
générateur du dommage une seule et même décision prise par les dirigeants
de la même société.
1175 Magnier (V), Op.cit. n°41.
1176 Belloc (Ch), « Pour une class action à la française », Les Échos, 29 avril 2005.
478



Page 487
949. Enfin, l’action de groupe est un moyen de réguler le marché. Il permet de
donner aux actionnaires plus de poids et de pouvoirs dans le dialogue avec
les sociétés cotées en bourse. Surtout pour
les victimes d'infractions
boursières, tant on est loin de l'égalité des armes entre les sociétés cotées en
bourse, leurs dirigeants et les professionnels intervenant dans les opérations
de marché, d'une part, et des épargnants dont le préjudice est trop modeste
pour qu'ils supportent seuls les frais d'une procédure judiciaire, et d’une
expertise judiciaire, d'autre part.
950. L'introduction de ce mécanisme permettrait alors de sortir de l'état de
quasi
impunité dans
lequel s'inscrivent certains émetteurs (surtout sur le
marché financier tunisien), dès lors que les préjudices sont infimes à l'échelle
individuelle. Car souvent le litige n'est jamais porté à la connaissance du juge.
Il n'est pas amené à faire respecter la loi et à inciter les auteurs des pratiques
critiquables à modifier leur comportement1177.
951. Cette admission permettrait de disposer de solutions procédurales
efficaces permettant une véritable régulation des pratiques contraires à la
réglementation boursière par le juge, faute de régulation efficace par le
marché.
Au final, l’adoption de la Class action semble être un mécanisme intéressant
capable de renforcer les droits des actionnaires et d’obliger les sociétés et
leurs dirigeants à mieux prendre en compte les droits des investisseurs1178.
La possibilité de mener des actions de groupe aurait ainsi un effet bénéfique
supplémentaire, en poussant les émetteurs et leurs dirigeants à plus de vertu.
Car la crainte de « la première des sanctions, la plus juste, la plus utile et la
plus efficace »1179, celle de se voir contraints de réparer l’entier préjudice qu’ils
1177 Le Bars (B), « Introduction en droit français d'une procédure d'action collective : quand la
régulation se fait judiciaire », Op.cit. p. 811.
1178 Ibid.
1179 Bonifassi (S), « L'accès au juge pour l'épargnant », L.P.A., no 152, 31 juill. 2003, pp. 40-41.
479



Page 488
causent les incitera à plus de vigilance. Avec pour plus grand bénéficiaire, les
investisseurs.1180
Reste à identifier l’impact que pourrait avoir une telle introduction sur les
sociétés cotées en bourse.
Paragraphe 2- Un épouvantail pour les sociétés cotées ?
952. Le mécanisme de la Class action recèle plusieurs inconvénients qui font
qu’il est très controversé jusque dans son berceau américain. Et malgré son
expansion à plusieurs autres pays, on ne recense aucun débat en Tunisie à ce
sujet. Par contre, le débat demeure vif en France sur l’opportunité de son
introduction. Entre partisans et détracteurs, il est difficile de s’y retrouver.
Les adversaires de l’action de groupe, s’offusquent de son importation et
estiment qu’elle ne fait du bien ni à l'entreprise ni aux petits porteurs et que la
seule catégorie qu'elles nourrissent, ce sont les avocats.
953. Ces détracteurs, même s’ils
reconnaissent
l’efficacité d’une
telle
procédure, en redoutent les excès, signalés dans les terres d’origine de la
procédure aux Etats Unis d’Amérique1181. Des excès qu’il faut reconnaitre : «
phénomène de l'« Ambulance Chasing », effet de « deep pocket », les
honoraires des avocats, la médiatisation négative « Defearent effect », la
tendance à
la
transaction automatique,
la déperdition des dommages et
intérêts, la responsabilité de l'introduction d'une instance, etc »1182.
954. Aussi, la plupart des actions de groupe intentées devant les tribunaux
des États-Unis ont vu une surveillance insuffisante des procédures de litige et
des jugements proposés. La direction des class actions demeure totalement
1180 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Op.cit.
p. 39.
1181 Magnier (V), Op.cit. p.558.
1182 Mainguy (D), « L'introduction en droit français des class actions, chapitre 3 : Les dérives
probables et les techniques permettant de les éviter », LP.A., 22 décembre 2005 n° 254, p. 6.

480



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entre les mains des avocats qui ne consultent pas réellement les plaignants,
au vu de leur multiplicité et de leur éparpillement géographique.
Les avocats sillonnent les tribunaux à la recherche des juridictions les plus
sympathiques et cherchent les juges les mieux disposés à accueillir les
intentions des plaignants. Ces avocats, perçoivent en outre plus d’honoraires
que les plaignants ne reçoivent de compensations.
955. D’ailleurs, la plupart des litiges seraient accaparés par des cabinets
spécialisés, transformés en procureurs privés, aux scrupules peu développés.
Aussi, la majorité écrasante des litiges aboutissent à des transactions qui ne
satisfont aucune des parties concernées. La justice ne s’en sort pas grandie,
car le but originel de la class action, qui est de permettre l’accès à la justice au
plus grand nombre possible de victimes, ne se retrouve pas réalisé1183.
956. Ceci étant dit, les dérives américaines ont peu de chances de survenir
que ce soit en Tunisie ou en France. En effet, aux Etats-Unis le défi principal
consiste en la limitation des acrobaties des avocats américains, qui peuvent
utiliser les class actions à mauvais escient et ainsi mettre à mal l'économie1184.
Limiter les acrobaties des avocats, ne devrait pas poser de grands problèmes
ni en Tunisie ni en France. Car grâce aux législations déjà en vigueur dans
ces deux pays, les dérives mercantilistes américaines ont peu de chance de
se produire.
957. En premier lieu, la pratique du démarchage : « Ambulance Chasing » où
par
intérêt pécuniaire, un avocat prend
la peine d'inciter des victimes
1183 Magnier (V), Op.cit. p. 558
1184 White (T-J), « La gouvernance d'entreprise en France après la loi Sarbanes-Oxley », L.P.A.,
13 décembre 2007 n° 249, p. 41.

481



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potentielles à rejoindre
le groupe des plaignants de manière à gonfler
l'indemnisation globale, et par la même occasion sa rémunération1185.
En France,
la profession d'avocat est particulièrement encadrée. Cette
profession est soumise à un Code de déontologie rigoureux qui leur interdit de
procéder à toute publicité et la pratique de démarchage des victimes est
expressément interdite par l’article 161 de la loi du 27 novembre 1991.
Il en est de même en Tunisie, où les lois régissant la pratique de la profession
d’avocat interdisent à l’avocat tunisien la pratique du démarchage et de la
publicité.
958. D’autre part, la class action est souvent décriée pour ses excès : en
cause son mode de calcul. En effet, aux Etats Unis, la pratique veut que les
avocats contractent souvent des conventions de résultat. Et dans le cadre
d'une class action, le montant des indemnisations accordées aux victimes peut
atteindre des sommes vertigineuses, ce qui fait que la rémunération des
avocats peut se chiffrer en des montants réellement indécents (Le record
serait d'environ 150.000.000 €).
959. Ces abus, ont tout de même, moins de chances de se reproduire que ce
soit en France ou en Tunisie. En France, les honoraires des avocats ne sont
pas
totalement libres. D’une part, la déontologie exige une part fixe de
rémunération. Elle
interdit
la convention de résultat proprement dite et
n'autorise que la notion d'« honoraire complémentaire ». D’autre part, ces
honoraires peuvent être
réduits sur
intervention du
juge. La Cour de
cassation1186 a admis, sur la base de l'article 1134 du Code civil, que le juge
1185 Mainguy (D), « L'introduction en droit français des class actions, chapitre 3 : Les dérives
probables et les techniques permettant de les éviter », Op.cit. p.6.
1186 Cass. civ. 1re, 3 mars 1998, Bull. civ. I, no 85.
482



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avait
le droit d’évaluer
le
travail
fourni afin de réduire le montant des
honoraires en cas d'abus1187.
960. La même situation prévaut en Tunisie où les honoraires des avocats ne
sont pas, non plus, totalement libres. Le récent décret-loi n°97 daté du 20 août
2011 précise dans son article 38 que les honoraires de l’avocat sont fixés et
évalués en vertu d’un accord préalable entre l’avocat et son client sur la base
de la nature du service, de la durée du service, de son importance, de
l’expérience de l’avocat et de son ancienneté, de l’effort fourni et du résultat
qu’il a pu obtenir.
Un accord écrit entre les deux parties peut prévoir l’octroi à l’avocat d’un
pourcentage du résultat obtenu. Ce pourcentage reste néanmoins encadré et
plafonné à 20%.
D’ailleurs, en cas de conflit sur la détermination de ces honoraires, c’est au
président de la section régionale d’avocats compétente de se prononcer sur
l’évaluation de ces honoraires. La décision du président de section doit
recevoir exequatur de la part du président du tribunal de première instance
compétent1188.
961. Mais la question des honoraires des avocats demeure une question
centrale dans le cadre des class actions. Une procédure de class action est,
en effet, très onéreuse et est en totalité supportée par les avocats. De sorte,
que la question de permettre aux avocats de facturer de justes honoraires est
primordiale si on veut que le mécanisme de la class action fonctionne. La
solution retenue par le droit tunisien qui plafonne les pourcentages des
indemnisations, que les avocats sont en droit de percevoir à 20% serait une
bonne solution à retenir en droit français.
(D), « L'introduction en droit français des class actions », Petites affiches,
1187Mainguy
22 décembre 2005 n° 254, p. 6 §78 et 79.
1188 Article 39 du décret-loi n°97 daté du 20 août 2011.
483



Page 492
962. Au vu de ce qui précède, introduire un tel mécanisme tout en l’encadrant
de manière précise se révèlerait très utile dans le cadre de l’amélioration de la
sécurité, de l’intégrité et de la transparence des marchés boursiers. Car face
au risque de voir leur responsabilité retenue plus souvent, les sociétés cotées
en bourse se verraient dans l’obligation de se conformer à une rigueur plus
grande, renforçant ainsi la transparence des marchés.
963. Ce mécanisme se révélerait, en outre, d’une aide précieuse pour la
réalisation d’une protection plus efficace des
intérêts d’investisseurs qui
auraient en leur possession une arme efficace, leur permettant sans avancer
les
frais d’une procédure chère d’obtenir réparation de
leur préjudice
individuel.
Cette introduction permettrait ainsi de restaurer la confiance des investisseurs
dans les marchés financiers tunisien et français.
Dans ces conditions, refuser d’adopter l'action de groupe ne peut que refléter
« une certaine défiance vis-à-vis de la loi et du juge »1189.
964. Néanmoins, l’action de groupe pose un problème. Car la question qui
subsiste est celle de savoir qui va supporter le poids de l’indemnisation en cas
de succès de la class action ?
En effet, en pratique souvent c’est à une classe d’actionnaires qu’incombera
l’indemnisation d’une autre classe d’actionnaires. Ce cas de figure se vérifie
quand c’est
la société qui est poursuivie. La class action, en pareille
hypothèse n’a pour effet que de transférer le préjudice des actionnaires qui ont
subi un dommage dans le passé sur les actionnaires qui seront là à la fin du
litige.
1189 Belloc (Ch), Op.cit.
484



Page 493
Un tel transfert est surement de nature à diminuer l’efficacité de ce dispositif.
Ce faisant, les dirigeants ne sont pas dissuadés, et la communauté des
actionnaires subit un préjudice.
965. Il faudrait peut-être alors, comme le propose un auteur, limiter l'utilisation
de ces plaintes collectives, au cas où le payeur final n'est pas la société elle-
même. Par exemple lorsque la responsabilité du préjudice est imputable à une
société extérieure, notamment la société-mère. Certains y voient d'ailleurs un
moyen efficace d'assainir les relations mère-filiales.1190 Ou encore moduler le
montant de
l’indemnisation afin qu’elle ne menace pas
la pérennité de
l’entreprise ni ne porte gravement atteinte à ses actionnaires.
Une fois tranchée la question de l’opportunité de l’introduction de l’action de
groupe, des doutes concernant l’adéquation de la class action à des droits de
tradition romaine ne manqueront pas de se poser avec acuité. La Class action
est-elle compatible avec les principes fondamentaux des droits tunisien et
français ?
1190 Magnier (V), « Les class actions d'investisseurs en produits financiers », L.P.A, 10 juin 2005 n°
115, p. 33.
485











Page 494
SECTION II
UNE INTRODUCTION POSSIBLE EN DROITS TUNISIEN ET FRANCAIS
966. Attendue et redoutée, la réforme visant l’introduction de la class action
revient régulièrement sur le devant de la scène en France. Et ce depuis plus
d’une vingtaine d’années sans qu’elle ne dépasse jamais le stade du projet de
loi. Faisant dire à un auteur que «la question de l’instauration d’une class
action ou d’une action de groupe en droit français est telle le mythe de
Sisyphe »1191.
967. L’introduction de ce mécanisme a été l’objet d’âpres discussions en
France qui ont amené le président de la république française de l’époque,
Jacques Chirac, à vouloir introduire en droit français, une action de groupe,
sur le modèle de la class action américaine.
Dans ce dessein, un groupe de travail a été constitué en 2005. Avec pour
mission d’introduire, des actions de groupe en droit français qui respectent
l’équilibre suivant : « stimuler le dynamisme commercial sans le paralyser ».
968. Contenant des réflexions sur les modes alternatifs de règlement des
litiges et sur la sanction des recours abusifs, ce rapport avait pour lignes
directrices de : favoriser l'accès de la justice au plus grand nombre, simplifier
les procédures, afin d'éviter des procédures complexes qui bénéficieraient aux
avocats plus qu'aux justiciables et privilégier le droit civil au droit pénal en
matière économique ce qui participe de la volonté du gouvernement français
de dépénaliser le droit des affaires1192.
1191 Du Chastel (A) et Martinet (L), « Du retour de l’action de groupe et du mythe de Sisyphe »,
L.P.A, 10 mars 2009 n° 49, p. 6.
1192 Mainguy (D), « L'introduction en droit français des class actions », Op.cit. p 6.
486




Page 495
969. Les raisons pour lesquelles cette réforme est morte née demeurent
floues. Même si la presse économique pense que c’est la farouche hostilité
des entreprises françaises qui est derrière cet abandon1193.
L’introduction d’une action de groupe a été de nouveau discutée au Sénat
français ces derniers mois. Suscitant néanmoins la désapprobation du ministre
français du commerce qui avait estimé dans une réponse ministérielle que
l’amélioration des procédures de traitement des contentieux de consommation
ne passe pas, dans un contexte de sortie de crise économique, par
l’introduction d’une action collective en réparation, mais par l’amélioration des
voies de recours déjà existantes et par le développement des procédures de
résolution amiable des litiges, notamment la médiation1194.
970. Par contre, à notre connaissance, l’introduction en droit tunisien des
actions de groupe n’a pas fait l’objet de débats. Cette étude peut, de ce fait,
contribuer à faire connaitre l’opportunité de son introduction et la perméabilité
du droit tunisien à ce mécanisme.
En effet, les détracteurs de l’importation des actions de groupe en droit
français avancent qu’introduire ce genre d’actions se heurte à plusieurs
obstacles d’ordre juridique. Il sied donc de démontrer que ce mécanisme est
tout à fait soluble en droits tunisien et français.
971. L’étude minutieuse de cette compatibilité
laisse apparaitre plusieurs
points d’achoppements sur lesquels il conviendrait de se pencher. Ces points
sont la prohibition des arrêts de règlement (Paragraphe 1), l’autorité relative
de la chose jugée (Paragraphe 2) et le vieil adage qui court en France, depuis
des siècles et qui veut que « nul ne plaide par procureur » (Paragraphe 3).
1193 Cabrillac (S), « Pour l'introduction de la class action en droit français », L.P.A., 18 août 2006
n° 165, p. 4.
1194 L’introduction d’une action de groupe est de nouveau discutée Commission des lois, Sénat :
Communiqué 6 déc. 2011 Rép. min. Commerce n° 119071 : JOAN 29 nov. 2011, p. 12509, Bull. Joly
Bourse, 01 janvier 2012 n° 1, p. 47.

487



Page 496
Paragraphe 1- La prohibition des arrêts de règlement
972. L'article 5 du Code civil français défend aux juges « de se prononcer par
voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont
soumises», interdiction que la doctrine française a pris l'habitude de désigner
sous l'appellation : « prohibition des arrêts de règlement ».
En l’absence d’une disposition similaire aux articles 4 et 5 du Code civil
français, ce principe est dépourvu de
tout
fondement
législatif en droit
tunisien1195. Néanmoins, ce principe peut être déduit du principe de séparation
des pouvoirs consacré par la constitution du 1er juin 19591196. Le Conseil
constitutionnel1197 considère parmi les implications du principe de séparation
des pouvoirs le fait que « tout pouvoir exerce les prérogatives lui revenant en
vertu de la constitution»1198.
De ce fait, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, le juge ne peut
exercer aucun pouvoir normatif. Celui-ci doit se contenter de résoudre les
litiges qui lui sont soumis en conformément aux dispositions législatives en
vigueur. Les arrêts de règlement lui sont interdits.
973. Ce principe pourrait être considéré comme un obstacle à l'introduction de
la class action dans le système juridique français ou tunisien dans la mesure
où la class action deviendrait, par le rôle qu'elle confère au juge, un instrument
d'action politique au profit des groupes de pressions, contraire à l'article 5 du
Code civil, de valeur supra législative.
1195 Nouri (Z), « Le contrat et le recours pour excès de pouvoir », thèse de doctorat, faculté de droit et
de science politique de Tunis, 2012.
1196 Le Conseil Constitutionnel estime qu’ « Attendu que la Constitution a consacré le principe de
séparation des pouvoirs. Cette consécration peut être déduite surtout du préambule de la
constitution… », Avis n°2-2007 daté du 24 janvier 2007, à propos du projet de loi relatif à la
promulgation du code des douanes, JORT n°47 du 10 juin 2008 p 2153.
1197 Avis n°22-2009 daté du 27 mai 2009 à propos du commerce de distribution JORT n°65 daté du 14
aout 2009 p. 2906.
ص76.
2010
سنوت صتخملا باتكلل شرطلاا تاروشنم ،"يروتسدلا سلجملا ءارآ"
،نوعوب دمحأ
1198
488





Page 497
En effet, en France une lecture politique de celui-ci le considère comme la
poursuite de la séparation des pouvoirs scellée dans la loi des 16 et 24 août
1970, dont l'article 12 liait la prohibition des arrêts de règlement et la solution
du
référé
législatif assurant
la suprématie du
législateur
jusque dans
l'interprétation de la loi, offrant alors une voie de critique d'un tel mécanisme
devant le Conseil constitutionnel1199. Celui-ci pourrait cependant admettre la
class action en observant que le jugement obtenu ne concerne que le groupe
des personnes concernées et non pas l'ensemble des sujets de droit, le
jugement ne modifiant donc pas les règles objectives du système juridique.
Cependant, pour certains auteurs,
le risque existe de voir
le Conseil
constitutionnel estimer que la décision de justice, en visant un type de
personnes concernées, par exemple une victime abstraitement décrite d'un
comportement dommageable, modifie
l'ordonnancement
juridique de
telle
façon à émerger du cas particulier et à empiéter sur le pouvoir législatif. 1200
974. Mais, il est peu probable que cette prohibition entrave l’importation des
class action. Celle-ci n'apparaît tout simplement pas comme un arrêt de
règlement. Pour
le professeur Frison-Roche,
la définition de
l’arrêt de
règlement1201 n’englobe pas la class action car la décision consécutive à une
class action ne joue pas pour les situations à venir. Il s’agit d’un acte
juridictionnel qui apure le passé, qui fait les comptes du passé, certes à l'égard
de multiples et anonymes personnes mais en n'ayant d'effet que sur des
situations déjà passées.
975. Il n'est donc finalement pas nécessaire que la prohibition des arrêts de
règlement soit vaincue, en ce qu'elle serait déclarée sous un motif ou un autre
1199 Frison-Roche (MA), « Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la
class action : obstacles et compatibilités », Op.cit. n°11.

1200 Bénichoux (J-D), Khayat (Y), « L'introduction en droit français des class actions », L.P.A,
22 décembre 2005 n° 254, p. 6.
1201Celui-ci est considéré comme un arrêt qui lie non seulement d'autres personnes que les parties
identifiées à l'instance particulière mais aussi choisit une solution qui vaut pour l'avenir puisque celle-
ci sera obligatoirement reprise pour des cas ultérieurs.

489



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compatible avec la Constitution, pour que la class action soit insérée dans le
système français.
976. De même, le mécanisme de la class action n'aboutit pas à un arrêt de
règlement, « mettant alors hors-jeu l'article 5 du Code civil et le principe de
séparation des pouvoirs »1202.
D’ailleurs, un auteur1203 estime que même en admettant que la class action
entre dans le domaine de la prohibition, il apparaît que cela ne peut constituer
aujourd'hui un obstacle prohibitif. Car une telle prise de position ne pourrait
être perçue que comme relevant de « l'hypocrisie ». Elle occulterait le rôle
actuel de la jurisprudence dans l'élaboration du droit positif. En effet, il faut
bien admettre l'influence des « arrêts de principe »1204.
977. Aussi, cette prohibition n'a
jamais empêché
la constitution d'une
jurisprudence : certes, la jurisprudence n'a assurément pas la même nature
que les arrêts de règlement, mais il n'empêche que juridictions et avocats sont
généralement sensibles à une
jurisprudence constante de
la Cour de
cassation. La constitution d'une jurisprudence est d'ailleurs parfois vivement
souhaitée voir des fois provoquée. Il en est ainsi, notamment dans le cadre
des procédures de saisine pour avis des cours suprêmes. 1205
978. Et même, si la solution dégagée par ces arrêts n'a pas de force
obligatoire intrinsèque, et que sa continuation n’est due qu’à la reprise d'une
argumentation convaincante. Cet argument n’a qu’un caractère « académique
», « le résultat étant le même pour les personnes concernées ».
1202 Frison-Roche (MA), Op.cit. n°14.
1203 Cabrillac (S), « Pour l'introduction de la class action en droit français »,Op.cit. n°11.
1204 Ibid.
1205 Houtcieff (D), « Les class actions devant le juge français : rêve ou cauchemar ? », Op.cit. p. 42.
490



Page 499
De ce
fait,
la prohibition étant déjà « discrètement mais massivement
contournée », elle ne pourrait être invoquée pour contester l'introduction de la
class action1206.
En définitive, on peut avancer que la prohibition des arrêts de règlement ne
peut être valablement arguée pour « barrer la route à l'introduction de la class
action »1207 .
Un autre obstacle se dresse alors sur la voie de l’adoption de la class action :
il s’agit de l’autorité relative de la chose jugée.
Paragraphe 2 - L'autorité relative de la chose jugée
979. L'autorité relative de la chose jugée est un principe consacré en Tunisie
par l’article 4811208 du code des obligations et des contrats.
Le principe est le même en France et il est consacré par l'article 1351 du Code
civil français1209.
À l'instar du contrat, la décision de justice ne pourrait concerner une personne
que si celle-ci a été partie à l'instance. Autrement dit, pour qu'un jugement
1206 Cabrillac (S), Op.cit. n°11.
1207 Ibid.
1208 Selon l’article 481 du COC : « L'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'au dispositif du
jugement, et n'a lieu qu'à l'égard de ce qui en fait l'objet ou de ce qui en est une conséquence
nécessaire et directe. Il faut :
1) que la chose demandée soit la même ;
2) que la demande soit fondée sur la même cause ;
3) que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même
qualité.
Sont considérés comme parties; les héritiers et ayants cause des parties qui ont figuré à l'instance,
lorsqu'ils exercent les droits de leurs auteurs, sauf le cas de dol et de collusion. »
1209 «L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la
chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit
entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité».
491





Page 500
puisse avoir un effet sur la situation d'une personne, il faut que celle-ci ait été
partie à l'instance.
980. Il s’agit là d’une affirmation qui contredit l’essence même de la class
action qui peut être mise en œuvre sans que la volonté des personnes
concernées ait été nécessairement recueillie. 1210
Une telle affirmation condamne irrémédiablement la class action qui peut être
mise en œuvre sans que la volonté des personnes concernées ait été
nécessairement recueillie.
Ceci paraît donc exclure toute class action dès l'instant où la volonté des
personnes n'est plus requise et que leur volonté ne serait sollicitée que pour
n'être pas intégrées dans le groupe. Ce principe pourrait donc constituer « le
véritable problème »1211.
981. Toutefois, cette conclusion doit être tempérée, car « le concept de
l'autorité de la chose jugée est ici perverti par une acception contractuelle du
vocabulaire employé »1212.
En réalité, la règle de l'autorité relative de la chose jugée ne s’oppose pas à
l’introduction de la class action. L'autorité de la chose jugée « traduit l'effet
extinctif du jugement »1213. Cette règle n’a que pour seul effet, tant que le
jugement n'a pas acquis force de chose jugée 1214(notion distincte), que la
partie qui est partie au jugement ne puisse de nouveau saisir un juge du
premier niveau pour lui soumettre le même cas contre la même personne. Le
1210 Cabrillac (S), « Pour l'introduction de La class action en droit français », Op.cit. p. 4.
1211 Frison-Roche (MA), « Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la
class action : obstacles et compatibilités », Op.cit. p. 22.
1212 Cabrillac (S), Op. cit. p. 4.
1213 Cadiet (L) et Jouland (E), « Droit judiciaire privé », Litec, 2004, 4e Ed., no 1102.
1214 Il s’agit de l'impossibilité de remettre en cause le point tranché, sauf par l'exercice d'une voie de
recours : « Ce qui donne au jugement sa pleine valeur (...), ce n'est pas d'être conforme à la vérité
absolue, c'est d'être revêtu par l'État d'une force particulière qui interdit de le remettre en question,
parce qu'il faut une fin aux litiges (...). Le litige (dès lors que les voies de recours sont épuisées) est
vidé, tranché une fois pour toutes, ce qui garantit stabilité, sécurité et paix entre les hommes ».
Carbonnier (J), « Droit civil 1 », Introduction, PUF, nos 190.
492



Page 501
seul mode de protestation juridiquement admissible est l'exercice des voies de
recours. Ainsi, ce dont l'autorité de la chose jugée prive la partie, c'est d'un
nouvel exercice du droit d'action, qui est épuisé dans l'instance. La relativité
de l'autorité de la chose jugée fait que le droit d'agir devant un juge de premier
niveau demeure intact pour la personne qui n'a pas manifesté sa volonté
d'être dans l'instance1215. C’est d’ailleurs ce que confirme la Cour de cassation
tunisienne qui affirme que l’application de l’article 168 du CPCC fait que toute
personne n’ayant pas été appelée dans une instance peut former tierce
opposition au jugement qui porte préjudice à ses droits1216.
982. Il apparaît ainsi que l’autorité relative de la chose jugée ne s’oppose pas
à l’introduction du mécanisme de la class action.
En effet, le jugement issu de la class action, a certes une portée générale.
Mais il n’entrave en aucun cas le droit de la victime appartenant au groupe de
personnes visées, sans avoir exprimé sa volonté d'y figurer, d’intenter pour les
mêmes faits une action en justice pour son compte propre, au cas où le
contenu de la décision résultant de la class action ne lui sied pas. En d’autres
termes, la victime peut déclencher le bénéfice de l'effet de la décision si elle la
satisfait mais garde un plein droit d'action. La décision résultant de la class
action oblige le défendeur à l'égard de toutes les personnes de la classe, mais
n’élimine pas le droit individuel d'action, « ce qui est le seul objet de l'autorité
de la chose jugée »1217.
Paragraphe 3 - L'adage «Nul ne plaide par procureur »
983. Le droit français est resté depuis fort longtemps hostile à l’action
collective. La règle voulant que « nul ne plaide par procureur », est la
manifestation la plus célèbre de cette hostilité.
1215 Frison-Roche (MA), Op.cit. p. 22.
1216 Cassation civile n°30370 du 17 mars 1992, n°36820 du 24 juin 1993, Guigua (J) et Jebali (M),
« Code de procédure civile et commerciale annoté » p. 129.
1217 Frison-Roche (MA), Op.cit. n°18.
493




Page 502
Cette maxime, née de causes politiques, trouverait son origine en 1528. Elle a
survécu à la révolution française en perdant son sens premier pour ne devenir
qu’une simple règle technique destinée à permettre à un plaideur de connaitre
son adversaire1218.
984. L’adage a aujourd'hui pour signification que « nul ne peut se faire
représenter par un mandataire qui figurerait seul dans l’instance, que le
mandant doit toujours être en nom dans les actes de procédure et les
jugements »1219.
Ainsi, la partie à l'instance ne peut être dissimulée sous le couvert de son
mandataire, elle doit toujours être nominativement identifiée dans les actes de
procédure et
les décisions de
justice comme
le rappelle
la
lettre de
l’article 4111220 du Code de procédure civile1221.
985. L’adage exige une autorisation expresse de la personne représentée.
Une exigence qui répond à la nécessité de transparence du procès1222.
« Cette règle heurte le mécanisme de la class action, créant deux points de
contact douloureux »1223:
D’une part, dans la class action les demandeurs, membres de la classe, ne
sont pas nommés dans la procédure. De plus, la personne qui a reçu qualité
de mener l’action ne peut pas se prévaloir d'un droit substantiel à l'encontre du
défendeur.
1218 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Op.cit.
p. 399.
1219 Roland (H) et Boyer (L), « Locutions latines du droit français », Litec, 4e Ed. 1998, p. 551.
1220 Article 411 du Code de procédure civile : «le mandat de représentation en justice emporte pouvoir
et devoir d’accomplir au nom du mandant tous les actes de procédure». L’article 59 du nouveau Code
de procédure civile rappelle aussi l’obligation pour le défendeur de faire connaître son nom, à peine
d’irrecevabilité de sa défense.
1221 Du Chastel (A) et Martinet (L), « Du retour de l’action de groupe et du mythe de Sisyphe »,
Op.cit. p. 6.
1222 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Op.cit.
p. 399 §55.
1223 Cabrillac (S), Op.cit. §17.
494



Page 503
986. Même si cet adage peut paraitre comme un sérieux obstacle à l’adoption
de la class action, cette problématique peut cependant être dépassée de
plusieurs façons.
En effet, la doctrine s’attache à démontrer que cette maxime n’a que peu
d’importance et ne peut s’opposer à l’introduction de la class action.
987. Ainsi, pour un auteur, le débat de l’adaptation de l’adage à la class action
n’a pas lieu d’être car cette maxime, ne « paraît pas avoir tant d'importance ».
Pire, « elle enferme
le débat dans une perspective vieillie et
franco-
française».1224
Cet auteur estime que la véritable question est celle de savoir si l'exigence
d'un intérêt direct et personnel, d'une qualité pour agir, est compatible avec
l'action de groupe et si cette dernière peut s'articuler avec des notions telles
que celle de droit subjectif, qui relie le droit à un sujet unique. Il faut se
demander comment articuler la notion « d'intérêt diffus » ou « d'intérêt collectif
» avec les notions classiques et habituelles d'intérêt personnel et d'intérêt
général.
988. Pour un autre auteur1225, cette règle peut être contestée à la fois d'un
point de vue théorique, d'un point de vue pratique et d'un point de vue formel.
D’un point de vue théorique, l’auteur en question assimile cette opération à un
mandat. De ce fait, en se référant à la théorie générale du mandat, il fait
remarquer que plusieurs formes sont admises et en particulier le mandataire
peut agir valablement sans énoncer le nom de son mandant. Un mandant est
en effet engagé dès lors que le tiers cocontractant a su qu'il y avait action pour
le compte d'autrui, même si le nom du mandant est absent de l'acte. Le
mandat judiciaire soumis à la contrainte de la règle « Nul ne plaide par
procureur » apparaît, de ce fait comme une exception au droit commun. « Or
1224 Houtcieff (D), « Les class actions devant le juge français : rêve ou cauchemar ? », Op.cit. p. 42.
1225 Cabrillac (S), « Pour l'introduction de La class action en droit français »,Op.cit. p. 4 §19 et 20.
495



Page 504
l'existence et le maintien d'une dérogation à la règle générale supposent
l'existence d'une justification forte, ce qui semble faire défaut pour l'adage
étudié ».
989. Sur le plan pratique, cet auteur avance qu’une doctrine autorisée a pu «
répudier l'idée que la maxime pût répondre à un quelconque besoin réel »1226.
De plus, contournements et exceptions à cet adage se sont multipliés semant
encore plus le doute sur son utilité. D’ailleurs, le développement considérable
de la personnalité morale a réduit sa portée. Par exemple, les associations
sont dispensées de
faire
figurer
le nom des membres dans
les actes
judiciaires et les jugements.
990. Cet auteur conclut que l’ensemble de ces considérations devrait amener
« à la mort naturelle de la règle » et laisser la porte grande ouverte à
l'introduction de la class action en droit français. Néanmoins, il vaudrait mieux
que la règle « Nul ne plaide par procureur » soit écartée expressément. Il
s’agit
là d’une proposition aux espérances plus
immédiates et moins
incertaine1227.
En effet, une habilitation légale devrait à coup sûr permettre d’admettre la
représentation par une personne n'ayant pas nécessairement d'intérêt (au
sens procédural du terme) à l'action et pas davantage de mandats des
victimes qui ne se seront pas fait connaître. Car la nécessaire association de
l'intérêt à agir et de la qualité pour agir n'a pas une valeur supra-législative. La
décision rendue par le Conseil constitutionnel le 25 juillet 19891228, conforte
ces propos. Par cet arrêt, le Conseil a autorisé le législateur à conférer aux
syndicats la faculté de représenter, notamment en justice, leurs adhérents et
des « membres d'un groupe social dont il estime devoir assurer la défense »,
sous réserve du respect de « la liberté personnelle du salarié qui (...) a valeur
1226 Garsonnet et Cézar-Bru, « Traité théorique et pratique de procédure civile », Paris 1912-1925, 3e
Ed., T. I, n
o 218, cité par Cabrillac (S), Op.cit p.4 §19 et 20.
1227 Cabrillac (S), Op.cit p.4 §19 et 20
1228 Décision no 89-257, 25 juill. 1989 concernant la loi modifiant le Code du travail et relative à la
prévention du licenciement économique et au droit à la conversion : JO, 28 juill. 1989, p. 9503.

496



Page 505
constitutionnelle ». Le syndicat requérant doit informer au préalable le salarié
au nom duquel il entend intenter l’action. En l'absence d'opposition expresse
de celui-ci, son acceptation tacite est acquise. Une autre condition est exigée
par
le Conseil constitutionnel exige puisque
le salarié
intéressé doit
pouvoir « conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses
intérêts et de mettre un terme à [l'action] ».
991. Même s’il n’est pas certain, que cet arrêt soit applicable au cas de
l'action collective puisqu’il n’il ne concerne pas un préjudice de masse, mais
un préjudice individuel1229. La question de savoir si l'exigence d'une notification
individuelle, le plus souvent impraticable s'agissant de préjudices de masse,
serait jugée essentielle à la légalité de l'ensemble, semble en conséquence
légitime.
D’ailleurs, le Conseil constitutionnel français ne s’intéresse pas beaucoup à la
nécessité d'un mandat et semble se focaliser sur le respect de la liberté du
salarié d'agir ou de ne pas agir en justice. Or, en donnant la possibilité à la
victime qui n'aurait pas manifesté la volonté, même tacite, de faire partie du
groupe, la faculté de saisir la justice pour son propre compte, cette liberté est
garantie1230.
992. Au final, même si l’introduction de la class action devrait avoir un impact
sur le fond du droit. Il ne s’agit pas là d’un obstacle insurmontable. D’ailleurs,
plusieurs droits de tradition juridiques proches des droits français et tunisien
ont admis les class action. L'exemple québécois atteste de la compatibilité.
Mais aussi le Brésil, « autre grand pays américain de droit civil », a lui aussi
introduit la class action1231.
1229 Guinchard (S), « Une class action à la française ? » : D., 2005, p. 2183.
1230 Ledoux (P), Arsouze (Ch), « L'indemnisation des victimes d'infractions boursières », Op.cit. §56.
1231 Houtcieff (D), « Les class actions devant le juge français : rêve ou cauchemar ? », Op.cit. p. 42.
497



Page 506
Techniquement, l’adoption des actions de groupe est donc possible. Dans la
pratique, son introduction serait souhaitable car elle aurait surement un impact
positif sur l’indemnisation des victimes d’infractions boursières.
498



















Page 507
CONCLUSION
DE LA TROISIEME PARTIE
993. La responsabilité civile des sociétés cotées en bourse et de leurs
dirigeants est d’une
importance
fondamentale. Tout en permettant de
sanctionner financièrement ceux-ci, la mise en œuvre de cette responsabilité a
pour vocation première, contrairement aux autres types de responsabilités
étudiés d’amener à la réparation du préjudice subi par les victimes des
infractions boursières.
994. Néanmoins, aussi bien en Tunisie qu’en France la mise en œuvre de
cette responsabilité se heurte à des difficultés d’ordre juridique, pratique et
matériel.
Cette constatation ne peut que nuire au développement de ces places
boursières car dans un marché globalisé, le risque est grand de voir les
investisseurs opter pour des marchés où les possibilités de réparation de leur
préjudice sont plus favorables.
995. C’est pour cela, que cette responsabilité se doit d’être réhabilitée par
l’introduction de mécanismes permettant
l’exercice d’actions collectives,
seules capables de résoudre la problématique essentielle du coût élevé des
procédures civiles et du morcellement des préjudices.
996. Mais aussi, la réhabilitation de cette responsabilité ne peut passer, en
France, qu’à travers un assouplissement de la jurisprudence dans le sens
d’une meilleure prise en compte des intérêts des investisseurs.
De la sorte, les dirigeants de sociétés cotées en bourse seront amenés à faire
preuve d’une plus grande diligence dans la gestion de leurs sociétés
participant ainsi à une meilleure gouvernance des sociétés cotées en bourse.
499




Page 508
CONCLUSION GENERALE
500















Page 509
997. Démocratie et développement économique entretiennent des
liens
étroits. Il s’agit là de deux notions complémentaires, deux concepts qui se
renforcent l’un l’autre. La pérennité d’une démocratie dépend en bonne partie
de la prise en compte des impératifs économiques et sociaux. Alors que la
continuité du développement économique d’un pays résulte souvent d’une
saine gouvernance démocratique des affaires de l’Etat. Légitimité du pouvoir,
considération des droits de l’homme, respect de l’Etat de droit, transparence et
obligation de rendre des comptes
favorisent assurément une croissance
économique durable.
998. D’ailleurs,
le développement économique était entravé en Tunisie
pendant une longue période par une absence de démocratie, par une opacité
qui décourageait les investissements et grevait implacablement la croissance.
Il ne faudrait pas qu’aujourd’hui l’instauration d’une démocratie, la construction
d’un Etat de droit soit empêchée par des difficultés économiques et sociales.
999. C’est sûrement conscients de cette réalité implacable, que les hommes
politiques tunisiens mettent le développement économique au centre de leurs
préoccupations. C’est pour cela que la Bourse suscite un grand engouement
chez ces politiciens. Ceux-ci sachant pertinemment qu’ils disposent là de
l’instrument de financement de leurs projets et de l’outil de réalisation de leurs
ambitions futures. D’ailleurs, la bourse comme tout le secteur financier est un
formidable laboratoire pour suivre les évolutions de la société. La bourse peut
servir de prisme pour donner un éclairage révélateur d’une tendance qui va
bien au-delà du seul secteur
financier pour concerner
la société toute
entière1232.
1232 Bonneau (Th), « Démocratie et secteur financier », Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2012
n° 7, p. 277.
501




Page 510
1000. Mais le développement souhaité par les politiques ne pourra se réaliser
sans la restauration de la confiance du public dans le marché boursier. La
capacité du marché financier à collecter et à mobiliser l’épargne publique et
institutionnelle et à répondre aux besoins des promoteurs de projets dépend
en grande partie de cette confiance.
Le
rétablissement de cette confiance devra
forcément passer par
la
moralisation et la responsabilisation des différents protagonistes du marché.
Une réforme en profondeur des règles régissant la responsabilité des sociétés
cotées en bourse et de leurs dirigeants s’impose alors comme une nécessité.
L’étude menée dans le cadre cette thèse a, en effet, mis en évidence, le grand
écart qui existe entre droits tunisien et français et ce malgré des textes en
apparence similaires.
1001. Cette responsabilisation doit se
faire sur
les
trois volets : pénal,
administratif et civil. Car les différents types de responsabilité qu’encourent
sociétés cotées et dirigeants sociaux, n’ont ni la même fonction ni la même
efficacité. Ainsi, la responsabilité pénale a un fort effet dissuasif alors que les
sanctions administratives édictées par
les autorités de marché sont
particulièrement adaptées au monde de la bourse. Disposant de flexibilité et
des compétences adéquates : les autorités de marché sont capables d’assurer
l’efficacité de la répression.
Quant à la responsabilité civile, elle remplit une fonction à laquelle ne sont pas
destinées les sanctions à caractère répressif : elles ont pour vocation première
de permettre l’indemnisation des victimes des infractions boursières.
Ces différents types de responsabilité sont donc complémentaires. C’est pour
cela, que chacune de ces responsabilités se doit d’être activée.
1002. Le législateur est alors appelé à jouer un rôle primordial. Celui-ci se doit
de rectifier les différentes lacunes entachant la rédaction des textes régissant
la responsabilité des sociétés cotées en bourse et de leurs dirigeants.
502


Page 511
Les autorités publiques sont aussi appelées à tout mettre en œuvre pour
pousser le Conseil du marché financier et les tribunaux judiciaires à changer
leur approche pour une meilleure responsabilisation des acteurs du marché
boursier.
1003. Mais la sanction n’est pas l’unique solution capable de renforcer la
transparence, l’intégrité et la sécurité des marchés boursiers.
La sanction, même dans ses trois aspects (pénale, administrative, civile), ne
peut à elle seule garantir la protection des investisseurs. La sanction n’aboutit
que rarement à une
juste
indemnisation des victimes des agissements
contraires à la règlementati on boursière.
1004. Il faudrait aussi imposer aux sociétés cotées en bourse et à leurs
dirigeants d’adopter les règles de bonne gouvernance.
A cet égard, il convient de signaler que de nombreuses dispositions du code
des sociétés commerciales semblent être en phase avec
la Corporate
Governance1233.
Et que
la
reconnaissance explicite du gouvernement
d’entreprise en droit tunisien survint à travers la loi n°2005-96 du 18 octobre
2005. Le titre II de la loi étant consacré au renforcement de la politique de
divulgation financière des sociétés et de leur bonne gouvernance.
Cette reconnaissance se manifeste à travers un des outils les plus en vogue
du gouvernement d’entreprise.
Il s’agit de
la création de comités pour
renforcer la démocratie au sein de l’entreprise.
1233 Les mesures tendant à l’amélioration du fonctionnement de l’administration des sociétés anonymes
s’inscrivent dans cette logique. La limitation des mandats multiples des administrateurs, le choix
ouvert à une direction par un directoire et un conseil de surveillance et l’élargissement du champ
d’intervention des commissaires aux comptes sont des mesures qui s’inspirent ouvertement du concept
de gouvernement d’entreprise. D’autres dispositions confirmaient l’influence de la corporate
governance de manière plus claire au niveau des obligations de diligence et de loyauté auxquelles les
administrateurs sont soumis (Articles 198 al 2 du CSC et les alinéas 1 et de 2 de l’article 231 du CSC).
Nenni (A), « De quelques aspects du droit économique contemporain, l’exemple de société faisant
appel public à l’épargne », Thèse de doctorat, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis,
2005, p 267, dactyl.
503




Page 512
En effet, l’article 12 de la loi du 18 octobre 2005 insérant dans le code des
sociétés commerciales un article 256 bis, impose la création d’un comité
permanent d’audit, aux sociétés faisant appel public à l'épargne à l’exception
des sociétés classées comme telles du fait de l’émission d’obligations.
Il s’agit donc
là de la première consécration explicite du gouvernement
d’entreprise en droit tunisien, une première qui nous espérons sera suivie par
l’adoption d’autres dispositions qui se
révèlent nécessaires en vue du
renforcement de la saine gestion des sociétés tunisiennes cotées en bourse.
1005. Indubitablement, cette affirmation de la corporate governance en droit
tunisien est une bonne chose. Pourtant, le dispositif juridique tunisien apparaît
approximatif, inefficace et appellerait à être renforcé.
Le législateur devrait préciser les différents mécanismes que doivent adopter
les sociétés cotées en bourse pour coller aux exigences de
la bonne
gouvernance (administrateurs indépendants, comités spécialisés…). Il devrait,
en outre, s’atteler à définir le fonctionnement et les attributions de chacun de
ces mécanismes.
1006. Ces principes devraient faire l’objet d’un texte légal qui « imposerait leur
application à toutes les sociétés cotées. Une telle mesure serait de nature à
garantir la mise en place effective de ces principes au sein des sociétés et de
préciser les sanctions encourues par celles qui ne les respectent pas »1234.
Sans quoi, on risquerait fort de transformer ces procédures en de simples
opérations esthétiques. En des mesures sans réel impact sur la gestion de la
société.
1007. Le rétablissement de la transparence, sécurité et intégrité des marchés
boursiers passe donc par une agrégation de mesures : une répression
efficiente, une autorité administrative forte, un meilleur contrôle interne et
1234 « Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en
Tunisie », Mai 2002 p. 129.

504



Page 513
externe des sociétés cotées en bourse sont les meilleurs garants d’une
transparence accrue des marchés boursiers.
Les solutions sont donc là, reste encore la volonté de les appliquer.
505


















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juristes », Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2012 n° 7, p. 290
Communiqué AMF, Le montant de la sanction pécuniaire, 27 janvier 2011,
disponible sur http://www.amf-france.org/documents/general/9650_1.pdf
Communiqués CMF :
- Communiqué CMF du 30 mars 2012,
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/comste_30
0312_ELECTROSTAR.pdf
- Communiqué CMF du 29 novembre 2011,
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/com_29111
1_fr.pdf
- Communiqué CMF du 19 novembre 2010,
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/com_19111
0_sanction_SICOFI_fr.pdf
Etudes du CMF :
- Le comportement de l’investisseur tunisien, Disponible sur :
http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/Etudes/comp_inves_tun.pdf
- Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des
marchés de capitaux en Tunisie, Mai 2002, Disponible sur le site
www.cmf.org.tn
RAPPORT ANNUEL DE LA BVMT, 2009
RAPPORT ANNUEL DE LA BVMT, 2010
RAPPORT ANNUEL DU CMF, 2004
RAPPORT ANNUEL DU CMF, 2005
RAPPORT ANNUEL DU CMF, 2006
RAPPORT ANNUEL DU CMF, 2007
528



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RAPPORT ANNUEL DU CMF, 2008
RAPPORT ANNUEL DU CMF, 2009
RAPPORT ANNUEL DU CMF, 2010
RAPPORT DU DEPUTE AUBERGET, Document Assemblée Nationale
française, 1987-1988, 1ere section, Rapport n°1159.
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p. 512 et s.
- Note sous C.A. Paris 2 février 2007, RTD Com. 2007 p. 413 et s.
- Note sous Cass. Crim., 14 octobre 2003, n° 02-86.376, Bull. Joly
sociétés, février 2004 p.266 et s.
- Note sous Cass.Crim 7 juillet 1998, Bull. Joly sciétés, février 1999, p.
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- Note sous Trib. correctionnel de Grenoble 15 septembre 1997, Droit
pénal, 1998, n°5 et s.
- Note sous Cass. Crim, 9 novembre 1999, Bull. Joly Sociétés Avril 2000,
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- Note sous Cass. Crim., 28 janv. 2009, n° 07-81674, X et société
Fideuram Wargny, Bull. Joly Sociétés, 01 septembre 2009 n° 9, p. 799
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- Note sous Cass. Crim, 6 novembre 2002, n° 02-85.809, Bull. Joly
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- Note sous C.E, sect. cont., 27 oct. 2006, n° 276069, M. Éric B. et
société Next Up SA, Rev. droit bancaire et financier, mars-avril 2007,
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- Note sous C.A. Paris, 1re ch., sect. H, 1er avr. 2003, Dr. Soc.,
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- Note sous Cass. Crim., 26 octobre 1995, Rev. sociétés, 1996, p. 326 et
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145 et s.
- Note sous Cass. Crim, 11 décembre 2002 Alain X, D. 2003 p. 424 et s.
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Fideuram Wargny, Bull. Joly Bourse, 01 mai 2009 n° 3, p. 170 et s.
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Wargny, Bull. Joly Bourse, 01 mars 2007 n° 2, p. 200 et s.
Note sous Cass. Crim., 11 décembre 2002, n° 7399 FS-PF, G
(cons. rapp. Challe) Bull. Joly Sociétés, 01 avril 2003 n° 4, p. 433
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Note sous Trib. Correctionnel Paris, 12 septembre 2006, no
0018992026, Sidel Bull. Joly Bourse, 01 janvier 2007 n° 1, p. 37 et
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KPMG SA, Cofirec, MM. M. et G. F. et MM. Y. G. et G. C., Bull.
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هقف يف
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بايذ نيدلا زع نسح و ةميلح نب ىساسلا
ةيداصتقلا
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ربمفون
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يموي مئتلملا ىقتلملا لاغشأ ،ءاضقلا
سن
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سنوت صتخملا باتكلل شرطلاا
تاروشنم ،يروتسدلا سلجملا ءارآ
،نوعوب دمحأ
ةينو
ناقلا ة
لجملا ،ةيراجتلا تاكرشلل ةيداصتقلاا داعبلأا قيقحتل يضاقلا لخدت يف
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رصن نب قيفوت
راد
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دقن ةي
ليلحت ةسارد : يملاسإ روظنم نم ةيلاملا قارولأا ةصروب
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1994
ةيسنوتلا
.
2010
ركفلا
ةملاس م
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املا تاقلاعلا ةملاس ميعدتب قلعتملا نوناقلل ةيئازجلا ماكحلأا"
،
يدمحلاا الله
دبع
70.
ص،ءاضقلل ىلعلأا دهعملا ةيلاملا تاقلاعلا
544
















Page 553
ةلجم
،
2009
سرام
16
تلايدعت دعب ةيراجتلا تاكرشلا يف تلاماعملا ةيفافش ميعدت
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.
ص397
2009
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علا يف ريتسجاملا ةداهش لينل ةركذم ،جراخلاب ةبكترملا مئارجلا عبتت
،يحايرلا ةردان
.
2007
2006
سنوتب ةيسايسلا مولعلاو قوقحلا
IX- BIBLIOGRAPHIE EN LANGUE ANGLAISE :
BAINBRIDGE, STEPHEN (M), An Overview of US Insider Trading Law:
Lessons
for
the EU?, January 2005, UCLA School of Law, Law-Econ
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Random House Publishing Group 2011.
MARK SMITH (B), A history of the global stock market : from ancient Rome to
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SARNA (D-E-Y) & Malik (A), History of Greed: Financial Fraud from Tulip
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545

















Page 554
TABLE ANALYTIQUE
546
















Page 555
A
Abstention ( devoir d’)
122, 135, 157, 158, 161, 459, 476, 491, 497.
Abus de marché
174, 191, 481, 591.
Action de groupe
935 et s., 947 et s., 952 et s., 966 et s., 987 et s.
Action individuelle
799, 806 et s., 819 et s., 831 et s.
Action publique 300, 349, 387, 390,
- Extinction 710, 711, 713
Action sociale
771 et s., 779 et s., 790 et s.
Amende
- Montant 311, 326, 466, 529, 665.
- Nature répressive 486, 599
Association d’actionnaires
933, 934
Autorité des marchés financiers
- Collège 407, 611, 612, 613, 614, 618, 624, 716.
- Commission des sanctions 607 et s.
- Composition 618
-
- Règlement général 419, 420 et s., 442 et s., 455 et s., 472 et s., 490 et
Injonction 580, 601,
s., 504 et s.
- Secret 609, 685
547




Page 556
Avocat
126, 152, 292, 392, 604, 785, 935, 937, 952 et s.
B
Batam
45, 49, 893, 894, 895
Bourses des valeurs mobilières
- définition 9.
- de Tunis 12, 34, 35, 37, 38, 39, 196, 582, 583, 797.
C
Cadre normal de sa profession ou de ses fonctions
147, 148, 149, 150, 151, 152, 153
Commission des opérations de bourse
- Pouvoir de sanction 594 et s.
- Transmission au parquet 140.
Commission des sanctions
- Composition 608, 609
- Notification des griefs 614
- Rapporteur 614, 615, 620, 621, 622, 623, 624, 625, 626, 627.
Compétence judiciaire
- Tribunaux français 89, 90.
- Tribunaux tunisiens 85, 86, 87, 88, 89.
Conflit d’intérêts
391, 392, 478, 621, 643.
548





Page 557
Consécration sectorielle ( responsabilité pénale de la personne morale)
217, 249, 351.
Conseil constitutionnel
710, 711, 712, 713, 714, 715, 972, 973, 990, 991.
Conseil de la concurrence
659, 667, 668.
Conseil d’Etat
564 et s., 618 et s.
Conseil du marché financier
- Collège 582, 591, 607, 608, 609, 629 et s., 641 et s., 665.
- Composition 630 et s.
-
-
- Règlement relatif à l’appel public à l’épargne 419 et s., 432, 441, 456,
Injonction 577, 579, 580, 635, 654, 660
Investigation 271, 272, 273, 410, 581, 634, 653.
459, 462, 467, 480, 484 et s., 501 et s., 539 et s.
- Sanctions 664 et s.
Contentieux boursier 15, 54.
- définition 15.
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
521, 565, 595, 597, 599, 616, 625.
Corporate governance
757, 768, 1004, 1005.
Crise financière
3, 27, 79, 411.
Cour d’appel de Tunis 327, 582, 637, 863.
- Président 644
Cumul des fonctions
630, 638
549


Page 558
Cumul des poursuites
713 et s.
Cumul des responsabilités
25, 338, 339, 549, 595, 596, 599
D
Délégation de pouvoirs
120, 332 et s., 378, 379, 717, 718.
Délit
-
initié (d’) 85 et s., 96, 105, 107, 117 et s., 156 et s., 272 et s., 281 et s. ,
311 et s., 826 et s.
- diffusion de fausses informations 177 et s. 287, 316.
- communication d’une information privilégiée 73, 74, 130, 142, 143, 164
et s. , 204, 312.
- manipulation de cours 184 et s., 203 et s. 324, 358, 380 et s.
Droit boursier 14, 48, 53, 54, 55, 61, 264, 521, 551, 590, 941.
- définition 14,
Droit comparé 58, 59, 60, 61, 165, 187, 194, 216, 366, 932.
- origine 58
Droits de la défense
492, 497, 599, 616, 622, 625, 627, 628, 636, 637.
E
Egalité entre investisseurs
126, 141, 311, 334, 335, 463, 467, 468, 491, 502, 569, 578, 586, 894.
Enquête
272, 273, 403, 475, 581, 588, 592, 594, 601 et s., 635 et s., 640, 656, 657,
679, 703, 716, 722.

550



Page 559
Enquêteur
611, 634.
Entrave (délit d’)
75, 264.
Euronext
32, 33, 243, 662, 886.
F
Faute
-détachable 522, 523, 802, 803, 817, 875.
- lourde 752
- de gestion 750 et s., 787.
Finance islamique
27
Franchissement de seuils
334, 335, 361,584, 652.
Fusion
235, 236, 237, 238, 239, 240, 241
G
Garantie de cours
760, 881, 883, 905, 923.
Gouvernance
- bonne 67, 726, 727, 781, 833, 1004, 1005.
- entreprise (d’) 828.
Groupe de sociétés
225, 226, 227, 228, 229, 230, 231.
551


Page 560
I
Impartialité (principe d’)
598, 599, 603, 616 et s., 638.
Information
précise 102, 110
confidentielle 103, 111
-
-
- déterminante 105, 113
- particulière 104, 112
Information privilégiée
- Présomption de connaissance 119, 120, 121, 122, 123, 124, 127.
- Utilisation 133 et s.
Initié
-
-
primaire 118, 124, 125
Initié secondaire 124, 125
Introduction en bourse
63, 576.
Investisseur institutionnel
5, 12.
Loyauté (devoir de )
753, 814, 894.
L
M
Manquement administratif 110, 185, 524, 539, 562, 878, 879.
- Communication d’une information privilégiée 456, 690,
information fausse 477, 501, 512, 547.
-
initié 434, 461, 483 et s., 488 et s., 674, 678, 691, 694.
-
- manipulation de cours 467, 506, 508, 510 et s. , 692, 694.
552



Page 561
Marché boursier
- définition 9,10.
-
tunisien 5, 34, 37 , 38, 39, 127, 195, 267, 268, 349, 410, 632, 656, 934.
Marché financier
- définition 8.
Marché réglementé
11, 90, 108, 185, 197, 382, 472, 473, 526.
Médiation
592, 969.
Moyen
- de communication de l’information 138, 145, 180
- de diffusion de l’information 178, 180.
Non bis in idem
595, 714, 716.
Nullité
234, 240, 852, 864, 865.
Opt
-
in 931, 932.
- out 931, 932.
Origines (de la bourse)
26, 27, 28.
N
O
553





Page 562
P
Peine
- nature 567.
- proportionnalité 596, 677, 714.
R
Réalisation (de profits)
106, 163, 311
Responsabilité administrative
- définition 24
- domaine 414 et s.
- personne morale 537 et s.
- procédure 593 et s.
Responsabilité civile
- définition 23
- dirigeant 725 et s.,
- société cotée en bourse 834 et s.
Responsabilité pénale
- définition 22
- domaine 80 et s.
- mise en œuvre 261 et s.
- personne morale 210 et s., 344 et s.
S
Sarbanes- Oxlet Act
47, 48, 77, 311, 406.
Scandales boursiers 41 et s., 47, 56, 63, 707
- histoire 41 et s.
554




Page 563
Secret professionnel
73, 609, 581.
Société anonyme
12, 18, 37, 223, 746, 776, 811.
Sociétés en liquidation
232, 233, 234
Sociétés étrangères
243, 244, 245
Sociétés Faisant appel public à l’épargne
11, 26, 286.
Spécificité (des sociétés cotées en bourse)
13
Tentative
T
- délit 135,
- manquement 461, 674, 690 et s.
Transiger
585, 586 et s., 709 et s., 776, 778.
Tribunal de première instance de Tunis
349, 635, 862, 893, 894.
Visa
576.
Voies de recours
293, 294, 392, 969, 981.
V
555


Page 564
TABLE DES MATIERES





















Page 565
Pages
1
INTRODUCTION …………………………………………...................
I- Des notions méconnues, à l’émergence récente……………….
6
II- L’Évolution historique
…………………………………….……….. 20
III- Intérêts de la recherche……………….…………………….……... 34
IV- Délimitation du sujet……………………………………….. 37
37
V- Pourquoi du droit comparé………………………………....
40
VI- Problématique et plan : un équilibre à préserver…...………
PREMIERE PARTIE
La répression pénale : inadaptée mais nécessaire ………………….........……..43
CHAPITRE I :
Des domaines différents………………………………………..……..…......... 51
SECTION I :
Les dirigeants sociaux : des situations différenciées……….………….…...….
52
Paragraphe préliminaire – Une compétence élargie…..….…………......54
Paragraphe I-Une caractérisation différente des opérations d’initié….......57
A) Une caractérisation différente de l’élément matériel…...……………. 59
1-La détention d’une information privilégiée……………..…………...60
a- La notion d’information privilégiée………………………….......... 60
a.1- Une définition vague de l’information privilégiée.……….......…. .
61
a.2- Une large interprétation de la notion d’information privilégiée…..
64
b- La preuve de la détention de l’information privilégiée………..........
69
b.1- Les dirigeants présumés détenir les informations privilégiées.…...69
b.2- Les dirigeants ne sont pas présumés détenir les informations
privilégiées……………………………………………………….…….
72
2- Les actes incriminables : une similitude trompeuse…………............76
a- L’utilisation de l’information privilégiée…………….………..……76
b-
La communication d’une information privilégiée………………......82
B) Un élément moral réduit……………………………………...………..87
1- L’élément moral du délit d’initié…………………………..…………88
2- L’élément moral de la communication d’une information privilégiée.
91
557























Page 566
Paragraphe II - La caractérisation des manipulations de marché :
une différence marquée..…………………………………………………….…
94
A) Une caractérisation différente de l’élément matériel...………………95
1-
Diffusion de fausses informations : Une similarité entre droits
tunisien et français……………………………………….………...
95
une
tunisien et français………………………………………….……..
99
B)
Une caractérisation différente de l’élément moral …………………106
2- Manipulation
différence
cours :
entre
de
droits
1- La diffusion de fausses informations :
une similitude entre droits français et tunisien……….......................107
2- La manipulation de cours :
une différence entre droits tunisien et français…………….............
109
SECTION II :
Les sociétés cotées en bourse : des situations contrastées……….……...........
113
Paragraphe I - Sociétés responsables : Une différence radicale………….. ..114
A) Des sociétés cotées pénalement irresponsables ……………………116
B) Toutes les sociétés cotées sont pénalement responsables…………..118
1- Toute société ayant la personnalité morale est incriminable.......119
a- Toutes les sociétés opérant sur les marches boursiers
disposent de la personnalité morale……………..………….........
119
b-
Quelques situations problématiques…………………….………120
b.1- L’irresponsabilité pénale des groupes de sociétés…….........
121
b.2- Les sociétés en cours de liquidation………………………...124
b.3- La question de la fusion des sociétés……………………….
125
2- Les sociétés étrangères sont incriminables...................………...129
Paragraphe II - Délits punissables : Un différence fondamentale………......131
A) Les délits boursiers ne concernent pas les sociétés cotées ……....131
B) Des sociétés cotées concernées par tous les délits boursiers..........135
558














Page 567
CHAPITRE II :
Une mise en œuvre inégale……………………….………………….……......139
SECTION I :
Les dirigeants sociaux : une inégalité injustifiée…………………………...…
141
Paragraphe I - Une répression à deux vitesses……………………….……..142
A) Une répression laxiste …………………………………………….142
B) Une action pénale encouragée …………………......……………...149
1-
Un accès aisé au procès pénal ……… ……………………..….150
a-
Un accès facilité lors de l’instruction …………………..……...150
b- Une action recevable devant les juridictions de jugement...........
157
2- Une preuve facilitée ………………...……….………………...160
a-
La décharge du fardeau de la preuve …………………………161
b-
Un domaine de responsabilité plus large …...…..……………..164
Paragraphe II - Une dissuasion inégale ……………...…….....................167
A) Des sanctions exagérément clémentes …..………………………167
B)
Une réelle menace pénale …………………………………..……177
1- Le domaine restreint de la délégation ……………………...……
178
2- La responsabilité de la société n’a pas allégé
la responsabilité du dirigeant…………………………………........
180
SECTION II :
Les sociétés cotées en bourse : une inégalité inacceptable…...…….…………184
Paragraphe I - Pour une société cotée pénalement responsable …………….184
Paragraphe II - Une société cotée pénalement responsable ……....………...188
A) Souplesse des conditions de fond ………………………….…………..189
1-
L’élément intentionnel ……………………………………………....189
2- Une infraction pour le compte de la société …………………..…... ..191
a-
Les situations exclues des prévisions de la loi ………..…..……...192
b- Les situations relevant du champ d’application de l’article 121-2 193
559












Page 568
3- Une extension de la notion d’ « organes ou représentants »………. ..195
a-
Une conception large de la notion d’organe………………….… 196
b-
Une large interprétation de la notion de représentant…....…. …..199
B) Simplification des conditions de forme ………………………...…… ..205
Conclusion de la première partie …………………………………......…....210
DEUXIEME PARTIE :
La responsabilité administrative : Une montée en puissance…….……......… 212
CHAPITRE I :
Une responsabilité adaptée………………………...…………..……..………
219
SECTION I :
Des critères souples……………………..……………….………….…….......220
Paragraphe I - L’érosion de l’élément matériel des manquements ................221
A) Une large interprétation de la notion d’information privilégiée…........221
1- Une information précise ………………………………………………
223
2-
Une vision large de l’information non publique ……………..………..227
3-
Une incidence sur le cours ……………………………………………. 231
B) Les actes répréhensibles ………………………………………………..238
1-
La sanction des opérations d’initié………………………………………239
2-
La caractérisation des manipulations de marché………………………...242
a-
Une sanction incertaine des manipulations de marché ………………….242
b-
Une définition précise des manipulations de marché ………………......245
b.1 Une définition précise des manipulations de cours ……………......246
b.2 Une définition large de la diffusion de fausses informations ….......
249
Paragraphe II - Des manquements au caractère objectif ?…………………..251
A) L’élément moral des manquements d’initié ……………………….……...252
1- Un élément moral exigé ?…………………….……………………..253
2- L’objectivisation croissante du manquement d’initié …………........254
560














Page 569
B) L’élément moral des manipulations de marché ……………………..….....264
L’élément moral de la diffusion d’une fausse information ……..265
2- L’élément moral de la manipulation de cours………………...…269
1-
SECTION II :
Une imputation facilitée…………………………………………......………..
274
Paragraphe I - Aux dirigeants sociaux …………………………………… ..274
A) Une imputation même en cas de faute simple……………………….....275
1- La non applicabilité de la théorie de la faute séparable des fonctions....275
2 - La sanction administrative du dirigeant d'un émetteur suppose un texte
d'incrimination……………………………..………………….. …………
278
B) Une imputation « es qualitès »…………………..…………………….281
Paragraphe II - Aux sociétés cotées …………………………………….…..286
A) Une imputation possible aux sociétés cotées en bourse…………..........287
B) Des règles d’imputation rigoureuses ………………………………….290
1-
Une solution rigoureuse…………………………………………291
2-
… Mais atténuée…………………...…………………………….298
CHAPITRE II :
Une responsabilité efficace…………….………………………..…. ………306
SECTION I :
De larges prérogatives ……………………………………….……………….307
Paragraphe I - Des moyens adéquats ……………………………………….307
A) De larges pouvoirs …………………………………………….. ... ..308
B) Des pouvoirs en constante évolution……….……………………….314
Paragraphe II – Des procédures différentes ……………………………....317
A) Une procédure rénovée ……………………………………………. .318
1- Une procédure contestée ………………………………………...…. .319
561














Page 570
2-Une procédure en constante évolution ……………….……………….324
a-
Une refonte de la procédure……………………………………...…324
a.1- Instauration d'une commission des sanctions de l'Autorité des
marchés financiers ………………………………………………....
325
a.2- La rationalisation de la procédure de sanction ………….........
326
b- Des retouches successives ………………………….……………...
330
B) Une procédure jamais éprouvée...........................................................336
1- Un cumul des fonction de poursuite, d’instruction et de sanction…....336
2-
De possibles conflits d’intérêts…………………………………….…341
SECTION II :
Une efficacité variable……………….………………………………..........…344
Paragraphe I - Un pouvoir de dissuasion inégal………………………….…344
A) Des sanctions non dissuasives ………………………………………. .346
1- Un manque de fermeté flagrant ………………………………………..
346
2 - De faibles sanctions……………………………….………… ……....354
a-
Des amendes au montant très bas……………………………………..354
b-
Une publication possible des décisions…………………………....….356
B)
Des sanctions dissuasives………………………………………….….357
1-
Des sanctions au quantum décuplé………………................................. 357
2-
Une publication automatique des décisions de sanction……………. 361
Paragraphe II – Des améliorations possibles……………………………..... 363
A) Des améliorations communes…………………………….……............364
1- Sanctionner toutes les tentatives de manquements…….……………...364
2-
Absence d’une dimension réparatrice………………………………. ...366
B) Des améliorations spécifiques…………………………………..……..372
1-
Un pouvoir de transaction pour le CMF………………………………..372
2-
Eviter le cumul des poursuites en France…………………………........376
Conclusion de la deuxième partie …………..…………………………….380
562












Page 571
TROISIEME PARTIE :
La responsabilité civile : une nécessaire réhabilitation………………….......381
CHAPITRE I :
Responsabilité des dirigeants sociaux : une nécessaire activation.…………...384
SECTION PRELIMINAIRE :
Les fonctions de la responsabilité civile des dirigeants sociaux….…………..384
SECTION I :
Des conditions restrictives…………………….………………………………
387
Paragraphe I- La caractérisation malaisée de la faute du dirigeant………….388
A) La transgression des dispositions législatives ou réglementaires…….. 389
B) La méconnaissance des dispositions statutaires……………………..…393
C) La faute de gestion : Une notion aux vagues contours ………………. 394
Paragraphe II - Un préjudice délicat à établir………………...………. ……398
SECTION II :
Une mise en œuvre entravée………………………….……………………….402
Paragraphe I- L’inadéquation de l’action sociale
à l’encontre des dirigeants sociaux……….…………………..403
A) L’action ut-universi : une mise en œuvre improbable ………………403
B) L’ action ut-singuli : une mise en œuvre difficile………………….......410
Paragraphe II- L’action individuelle restaurée………………………….......413
A) Le bouclier de la faute séparable des fonctions ……………………….414
B) L’action individuelle facilitée des actionnaires ………………..……...416
1 - La non application de la théorie de la faute séparable des fonction.
418
2 - Le préjudice de l’actionnaire est délicat à établir ………………...421
563
















Page 572
CHAPITRE II :
Responsabilité des sociétés cotées : une nécessaire amélioration…………….430
SECTION PRELIMINAIRE :
L’indemnisation des victimes des infractions boursières……………………..431
SECTION I :
Le contrat : fondement inadapté à la responsabilité des sociétés cotées en
Bourse……………………………………………………………………........
433
Paragraphe I- Le contrat : base inadaptée pour obtenir réparation ……........434
Paragraphe II- L’annulation pour vices du consentement ………………….438
A) L’erreur cause improbable d’annulation …………………..……...439
B) Le dol cause possible d’annulation ………………………….……..445
SECTION II :
La responsabilité délictuelle entravée …………………….…………..….…..
448
Paragraphe I- Une faute simple à établir…………………………..……….450
Paragraphe II – Un préjudice difficile à établir…………………………......459
A) La nécessité d’établir un préjudice……………………....……….....459
B) Une difficile évaluation du préjudice ………………...…….............466
CHAPITRE III :
Pour l’introduction de mécanismes permettant les actions de groupe…..........
471
SECTION PRELIMINAIRE :
La notion d’action de groupe………….………………………….…………..471
564



















Page 573
SECTION I :
L’opportunité de l’importation des actions de groupe ……………….………475
Paragraphe I- Un mécanisme avantageux pour les actionnaires ….…...……476
Paragraphe II- Un épouvantail pour les sociétés cotées ?...............................480
SECTION II :
Une introduction possible en droits tunisien et français …………………..….485
Paragraphe I- La prohibition des arrêts de règlement………………….........488
Paragraphe II - L'autorité relative de la chose jugée ………………..……....491
Paragraphe III- L'adage «Nul ne plaide par procureur »…………..……......493
Conclusion de la troisième partie……………………….…………………..499
CONCLUSION GENERALE………………………….……….500
BIBLIOGRAPHIE
………………………….…………..…….....506
TABLE ANALYTIQUE
...............................................................546
TABLE DES MATIERES
……………………………………....556
565
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