Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
13
B. Les garanties de la défense
Toute personne peut faire appel à un avocat de son choix pour protéger et faire valoir ses droits et se
défendre au cours de tous les stades d’une procédure pénale10. Ce droit figure parmi les droits consti-
tutionnels garantis par la loi, conformément aux standards internationaux de référence.
Par conséquent, il incombe qu’il soit accordé à toute personne, lorsqu’elle est arrêtée ou mise en
détention, la faculté d’être assistée par un avocat de son choix et qu’elle soit informée sans délai de
ce droit. De même, le droit de toute personne à être assistée par un avocat de son choix ne peut être
restreint que pour des motifs sérieux liés à la sécurité nationale.
La seule restriction aux droits de la défense instituée par la loi tunisienne a été prévue par les articles
13 ter et 57 du Code de procédure pénale (CPP) en vertu des dispositions de la loi n°2016-5 du 16
février 2016 modifiant et complétant certaines dispositions dudit code. Ces deux articles énoncent la
même disposition suivante : « Si les nécessités de l’enquête dans les affaires de terrorisme l’exigent,
le procureur de la République [le juge d’instruction selon l’article 57], peut interdire à l’avocat de visi-
ter le présumé coupable ou de le rencontrer ou d’assister à son audition ou à sa confrontation avec
une autre personne ou de prendre connaissance du dossier, à condition que la durée d’interdiction
n’excède pas quarante-huit heures à compter de la date de la garde à vue [l’article 57 ajoute : à moins
que le procureur de la République n’ordonne cette interdiction par voie de décision antérieure]» .
Il découle de ces deux articles que :
- L’interdiction doit être prononcée par une décision écrite.
- La décision ne peut être prise qu’au début de la garde à vue seulement (c’est-à-dire la visite ne
saurait être interdite que si la décision de l’interdiction a été prise simultanément avec la décision
de garde à vue. En aucun cas, l’interdiction ne peut s’appliquer à toute la durée de la garde à vue).
- La durée de l’interdiction est de 48 heures seulement.
- La décision d’interdiction ne peut être prolongée ou renouvelée.
- La décision d’interdiction est prise une seule fois par une seule et unique partie (procureur de la
République ou juge d’instruction)
- La décision d’interdiction n’est pas obligatoirement motivée. Elle est tributaire des nécessités de
l’enquête, du ressort du pouvoir discrétionnaire de celui qui est habilité à prendre la décision.
Telle que prévue par le législateur tunisien, cette interdiction s’avère illogique, inadmissible voire même
inconstitutionnelle :
Illogique, dès lors que certaines infractions visées au Code pénal (CP), notamment celles relatives
à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, représentent une menace contre la sécurité publique au
même titre que le terrorisme voire plus. Cependant, nulle interdiction n’a été prévue à ce titre.
Inadmissible, en ce sens qu’elle n’est pas circonscrite par des critères objectifs et clairs. En effet,
l’expression « nécessités de l’enquête » est rédigée en des termes généraux pouvant donner lieu à
des abus. Il en est ainsi effectivement lorsque les premières informations recueillies depuis l’applica-
tion de cette loi ont fait ressortir que l’interdiction automatique s’est érigée en principe, à moins que le
10 Principes de base relatifs au rôle du barreau, adoptés par le huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement
des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990
14
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
Inconstitutionnelle, dans la mesure où les articles 27 et 29 de la Constitution ne tolèrent aucune
exception contrairement au paragraphe premier de l’article 49 qui prévoit que « la loi détermine les
restrictions relatives aux droits et libertés garanties par la présente Constitution, et à leur exercice, sans
que cela ne porte atteinte à leur essence »11.
D’après les observations enregistrées par les observateurs du ROJ, il en découle l’existence de
certaines irrégularités ayant entaché les droits de la défense lors de l’accomplissement de la mission
de l’avocat. Des irrégularités sont également l’émanation de l’avocat lui-même qui s’est soustrait à ses
obligations. Ces irrégularités sont présentées ci-dessous et subdivisées en 1) l’atteinte aux droits de la
défense et 2) l’inobservance des devoirs de la défense.
1. L’atteinte aux droits de la défense
L’actuelle Constitution Tunisienne a garanti le droit de se faire assister par un avocat durant les phases
de la poursuite et du procès. Elle a également consacré le droit à l’assistance d’un avocat commis
d’office ou à bénéficier d’une aide juridictionnelle pour les personnes en situation de vulnérabilité. De
son côté, le Code de procédure pénale a explicitement consacré le droit à l’assistance d’un avocat
dans les articles 13 bis et suivants et les articles 57, 69, 141 et 201, couvrant les différents types
d’infractions (crimes, délits et contraventions) et ce, lors de toutes les phases de la poursuite et du
procès.
i. Le droit d’être informé de son droit à se faire assister par un avocat
L’article 14(3)(b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que « Toute
personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties
suivantes : […]d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un
défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et,
chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle
n’a pas les moyens de le rémunérer ».
Les précédents rapports du ROJ ont fait état de nombreux cas de figure où le tribunal n’a pas
informé l’accusé de son droit. Cela a été également enregistré dans les affaires de terrorisme où les
observateurs ont relevé 12 cas où l’accusé n’a pas été informé de son droit à l’assistance d’un
avocat. Les observateurs ont également enregistré 116 cas en tant qu’hypothèse non applicable, vu
que l’accusé a réellement bénéficié de l’assistance d’avocat qu’il a lui-même choisi12.
Le tribunal a informé l’accusé de son droit d’étre assisté par un avocat
Oui
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
7
5,1
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Accusé
Non
Nombre
Pourcentage
12
8,8
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
116
84,7
11 Les moyens de contrôle ne sont mis en place que par la nécessité que demande un État civil démocratique et pour protéger les droits des tiers
ou pour des raisons de sécurité publique, de défense nationale, de santé publique ou de morale publique et avec le respect de la proportionnalité
et de la nécessité de ces contrôles. Les instances judiciaires veillent à la protection des droits et des libertés de toute violation.
12 Les chiffres concernent 137 audiences observées.
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
15
Ici, il est nécessaire de mettre en évidence le devoir d’informer l’accusé de son droit à se faire
assister par un avocat, ce droit ne pouvant pas se réduire aux crimes mais devant également couvrir
les différentes infractions. A ce titre, le tribunal ne saurait être dispensé de son devoir que si l’accusé
a réellement bénéficié de l’assistance d’un avocat. S’agissant du cas des crimes et exclusivement des
crimes, il incombe au tribunal l’obligation de désigner pour tout accusé, qu’il le demande ou pas, un
avocat commis d’office13.
ii. Le respect du droit de visite
L’article 14(3)(b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques énonce que « Toute
personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties
suivantes […] (b) A disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à
communiquer avec le conseil de son choix ».
Selon les observateurs du ROJ, seulement 1 avocat de la défense a souligné qu’il a été empêché de
visiter son client.
Une autorisation de visite a été accordée à l’avocat
Oui
Nombre
Pourcentage
99
72,26
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
21
15,34
Prison
Non
Nombre
Pourcentage
1
0,7
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
16
11,7
Toutefois les observateurs ont enregistré 3 cas où l’avocat n’a pas bénéficié du temps nécessaire pour
s’entretenir avec son client.
L’avocat a eu le temps nécessaire pour rencontrer le prévenu
Oui
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
96
70,1
Nombre
Pourcentage
19
13,9
Non
Nombre
Pourcentage
3
2,2
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
18
13,1
13 CPP article 141 : « l’assistance d’un avocat est obligatoire devant le tribunal de première instance sis au siège d’une cour d’appel, lorsqu’il
statut en matière de crime, et aussi devant la cour criminelle sise au siège de la cour d’appel. Si l’accusé ne choisit pas un avocat, le président
lui en désigne un d’office».
16
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
Les observateurs du ROJ ont relevé 4 cas où l’administration pénitentiaire est passée outre ses
prérogatives, en empêchant un avocat muni d’une autorisation de visite, conformément à la loi, de
rencontrer son client. Il s’agit là d’une violation grave, dès lors que la loi n’accorde pas ce droit même
aux magistrats.
L’administration pénitentiaire a refusé à l’avocat son droit de visite
malgré l’autorisation du juge
Oui
Nombre
Pourcentage
4
2,9
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
19
13,9
Prison
Non
Nombre
Pourcentage
96
70,1
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
18
13,1
Par ailleurs, les observateurs ont également enregistré 23 cas où l’avocat a été empêché de visiter son
client, en toute discrétion. Il s’agit d’une atteinte au caractère confidentiel de la relation entre l’avocat
et son client, en violation des dispositions du décret-loi portant organisation de la profession d’avocat
de 201114.
La visite est elle secrète est sans contrôle?
Oui
Nombre
72
52,6
Pourcentage
Information
non disponible
Nombre
22
16,1
Pourcentage
Non
Nombre
Pourcentage
23
16,8
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
20
14,6
iii. Le droit de communication et d’information (l’égalité des armes)
L’article 77 de la loi antiterroriste de 2015 énonce que « Les mesures de protection ne peuvent en
tout état de cause porter atteinte au droit du prévenu ou de son avocat ou de la partie civile ou de son
représentant d’accéder aux procès–verbaux et autres pièces du dossier».
Il ressort des dispositions de cet article que les principes généraux du procès équitable sont
obligatoirement applicables même dans les affaires de terrorisme. Cependant, dans l’exercice de leur
mission, les observateurs du ROJ ont fait état de plusieurs cas où l’accusé lui-même ou son avocat
ont été privés de l’égalité des moyens de défense. Ainsi, 4 cas ont été enregistrés où l’avocat de la
défense n’est pas parvenu à accéder au dossier, en temps suffisant, avant la date de l’audience, à front
d’un seul cas où l’avocat de la partie civile a été privé de l’exercice du même droit. Le respect des droits
de la défense incombe au tribunal, qui a l’obligation de permettre à la défense des parties d’accéder
aux pièces du dossier, en application des dispositions de l’article 193 du CPP.
14 Décret-loi n° 2011-79 du 20 août 2011 portant organisation de la profession d’avocat. Art. 31 « L’avocat doit absolument préserver tout secret
que son client lui a confié ou dont il a pris connaissance à l’occasion de l’exercice de sa profession »
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
17
L’avocat de la défense a-t-il obtenu une copie du dossier en temps utile
avant l’audience
Oui
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
112
81,8
Nombre
Pourcentage
18
13,1
Non
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
4
2,9
Nombre
Pourcentage
3
2,2
L’avocat de la victime a-t-il obtenu une copie du dossier en temps utile
avant l’audience
Oui
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
13
9,46
Nombre
Pourcentage
3
2,19
Non
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
1
0,73
Nombre
Pourcentage
120
87,6
3 cas ont été enregistrés où la partie lésée n’était pas en mesure de pouvoir s’exprimer librement au
cours de l’audience, bien que la loi lui garantisse son droit de se faire entendre par le tribunal, qu’elle
soit partie civile ou pas15.
Il en est de même pour 16 accusés qui n’ont pas pu faire entendre leur voix librement devant le
tribunal, ce qui signifie qu’ils ont été privés de leur droit à se défendre eux-mêmes. Plus inquiétant
encore, 8 cas ont été recensés où l’avocat a été empêché de plaider librement, ce qui constitue une
violation manifeste du droit de défense et une contradiction avec le texte de la Constitution (articles
27,29, et 108), ce qui ôte ainsi au jugement toute crédibilité. Ces atteintes s’opposent à la loi de lutte
antiterroriste de 2015 elle-même, qui, en vertu de l’article 73, accorde à l’accusé le droit de la défense
même en cas de péril en la demeure lorsqu’elle prévoit que «En cas de péril en la demeure, le
juge d’instruction ou le président du tribunal peuvent, selon les cas, et si les circonstances l’exigent,
ordonner qu’il soit procédé aux enquêtes ou à la tenue de l’audience dans un lieu autre que son lieu
habituel, sans préjudice du droit de défense reconnu au prévenu».
15 CPP article 143 « le tribunal peut passer outre aux débats et statuer par défaut si le prévenu n’est pas touché personnellement par la convo-
cation ou rendre une décision réputée contradictoire s’il est personnellement touché ».
18
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
La/ les victimes a/ont toutes pu s’exprimer librement
Oui
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
13
9,5
Nombre
Pourcentage
3
2,2
Non
Nombre
Pourcentage
3
2,2
Hypothèse
non applicable
Nombre
118
86,1
Pourcentage
Fait grave, sur les 137 cas étudiés, on a fait état seulement de 42 cas où le tribunal a informé les
accusés de l’objet des poursuites, ce qui incombe au tribunal. Il en ressort donc qu’au moins 68
accusés qui ont été jugées sans avoir pris connaissance des faits imputés et des textes applicables.
Le/tous les prévenus a/ont été informé de l’objet de l’inculpation?
Oui
Nombre
Pourcentage
42
30,7
Non
Nombre
Pourcentage
68
49,6
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Accusé
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
25
18,2
S’ajoute à ce qui précède le fait que le tribunal n’a pas donné suite à la plupart des demandes des
parties en cours du procès. C’est ainsi qu’il a rejeté 12 demandes parmi 17 invoqués par les avocats
de la partie civile et 76 demandes parmi 137 présentés par les avocats des accusés. En contrepartie,
il a été fait l’état de refus de 116 demandes présentées par le ministère public.
Il convient ici de souligner que le tribunal n’est pas juridiquement tenu de déclarer recevable chaque
demande qui lui a été présenté. En revanche, il lui incombe de motiver sa position et de rendre son
jugement à la majorité après délibération en dehors de la salle d’audience. A ce titre, 1 seul cas de
rejet motivé a été signalé par les observateurs. Pour le restant des cas, la motivation a fait défaut.
Le juge a accepté les demandes présentées par :
L’avocat de la victime
Tribunal
L’avocat de la défense
Oui
Nombre
Pourcentage
5
29,4
Non
Nombre
Pourcentage
12
70,6
Oui
Nombre
Pourcentage
61
44,5
Non Nombre
Pourcentage
76
55,5
Le ministère public
Oui
Nombre
Pourcentage
21
15,3
Non
Nombre
Pourcentage
116
84,7
---------------------------------------------------------------
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Le juge a refusé les demandes
Avec
motivation
Nombre
Pourcentage
1
0,7
Sans
motivation
Nombre
Pourcentage
136
99,3
-------------------------------------------------------------------------
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
19
2. L’inobservance des devoirs de défense
L’article 105§2 de la Constitution prévoit que « l’avocat bénéficie des garanties légales le
protégeant et lui permettant d’assurer ses fonctions ». De plus, l’article 36 du décret-loi n°2011-79 portant
organisation de la profession d’avocat dispose que « l’avocat mandaté ou commis d’office doit
accomplir parfaitement sa mission […]». Il découle de ces deux articles, ainsi que des Principes de
base des Nations unies relatifs au rôle du barreau de 1990, qu’aucune négligence ou inobservance
de la part de l’avocat lors de l’accomplissement de sa mission ne peut être tolérée. Cependant, les
précédents rapports du ROJ avaient déjà fait état de cas de négligence imputés à la défense. Ces
mêmes négligences se retrouvent également dans les affaires graves telles que celles liées au
terrorisme.
C’est ainsi que les observateurs du ROJ ont relevé 2 cas où il est l’accusé lui-même à avoir signalé une
négligence de la part de son avocat lors de l’accomplissement de ses devoirs au cours de l’audience16.
Le suspect a déclaré que son avocat a manqué d’exercer son devoir
Oui
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Non
Accusé
Nombre
Pourcentage
135
98,5
En outre, il a été fait état de 37 cas où l’accusé a lui-même soulevé des allégations de torture, ce qui
devrait être fait par l’avocat de la défense, présumé avoir pris connaissance de la situation de son
client ou du moins d’avoir assisté son client en demandant au tribunal de vérifier les allégations. Il est
à signaler, cependant, que dans 32 cas de figure, les avocats de la défense ont accompli leur mission
et ont soulevé cette question17.
Par ailleurs, un seul et unique cas a été enregistré où l’avocat a accepté d’être commis d’office,
séance tenante, par le tribunal. Il s’agit là d’une question dont on a signalé le caractère attentatoire à
la loi et qui n’est autre qu’une simple consécration formelle du droit à la défense de l’accusé. Face à la
persistance des magistrats à faire recours au mécanisme de la désignation du commis d’office lors de
l’audience, il était du devoir de l’avocat de s’abstenir d’accepter la réquisition et de s’attacher à la loi,
c’est-à-dire attendre la décision de la section régionale des avocats de Tunis, ce que le tribunal a fait
dans 7 autres cas.
16 Les chiffres concernent seulement les 137 audiences observées
17 Voir la section C- La prévention de la torture et des traitements inhumains de ce même rapport.
20
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
L’un des prévenus n’avait pas d’avocat et le juge lui en a désigné
immédiatement un
Oui
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
1
0,7
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Non
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
21
15,3
Nombre
Pourcentage
113
82,5
Les observateurs du ROJ ont également relevé une tendance de la part des avocats de la défense à
se contenter de la plaidoirie orale, et cette même pratique a été relevée lors des affaires de terrorisme
en dépit de la gravité de ces affaires et des complications juridiques d’ordre formel et matériel qui s’en
suivent. Les avocats de la défense ont omis de présenter un rapport écrit dans 88 cas. Pire encore,
6 cas ont été enregistrés où les avocats de la partie civile n’ont pas présenté leur rapport écrit, ce qui
pourrait conduire au rejet quant au fond de l’action civile.
Est-ce que l’avocat de la partie civile a présenté ses remarques par écrit ?
Oui
Nombre
Pourcentage
5
29,4
Non
Nombre
Pourcentage
6
35,3
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
6
35,3
Est-ce que l’avocat du défendeur à présenté ses remarques par écrit ?
Oui
Nombre
Pourcentage
21
15,3
Non
Nombre
Pourcentage
88
64,2
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
26
19,0
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
21
S’agissant des cas de présentation des rapports, dans 3 cas la défense de la partie civile n’était pas
en mesure d’obtenir un exemplaire du rapport de l’avocat de l’accusé, alors que dans 9 cas l’avocat
de la défense n’a pas obtenu une copie du rapport de la partie civile et dans 36 cas le ministère public
n’avait pas accès aux rapports des parties au procès.
Dans la pratique, cela veut dire que le tribunal n’a pas pu avoir accès aux rapports dans tous les cas
où la défense en a fait la présentation. Cette question semble être d’usage courant en matière de
procès pénaux, dans la mesure où il est rare de voir la défense présenter une copie de son rapport au
ministère public. Il s’agit d’une conduite qui demande à être évitée à l’avenir.
irrégularités commises par
L’une des plus grandes
la défense est celle de demander
l’ajournement des affaires à maintes reprises sans motif clair, car cela porte parfois préjudice aux droits
des prévenus et prolonge la durée de sa détention pour les besoins de l’instruction. D’ailleurs les
observateurs du ROJ ont fait état de plusieurs cas où le tribunal a été mécontent de la récurrence
des demandes d’ajournement, mettant en garde la défense sur le fait qu’elle n’accepterait le report que
pour une dernière fois et que le dossier était en état d’être jugé.
C. Les garanties de la justice
Chaque personne a droit à un procès équitable offrant les garanties minimales qui consistent en
l’existence d’un tribunal compétent, indépendant, et impartial créé en vertu d’une loi, qui exerce
son pouvoir équitablement et publiquement dans un délai raisonnable. Cela a été consacré par la
Constitution tunisienne dans plusieurs articles
D’après ce qui a été relevé par les observateurs du ROJ, les garanties minimales n’ont pas été
convenablement respectées, que ce soit au niveau du respect de la présomption d’innocence, de la
garantie du principe de confrontation, du devoir de neutralité ou de publicité.
1. La présomption d’innocence et l’obligation du devoir de neutralité
Tel que l’ont relevé les observateurs du ROJ, le respect de la présomption d’innocence était en
dessous du niveau requis par les standards internationaux et la Constitution tunisienne. Nous avons
souligné à plusieurs reprises que le fait de conduire les personnes arrêtées, menottes aux mains, à
la salle des audiences, tient à la conception architecturale du siège du Palais de Justice de Tunis.
Cependant, cela n’est pas une raison suffisante pouvant rendre acceptable une telle pratique pour 83
cas.
Il n’est par ailleurs nullement acceptable que les observateurs du ROJ recensent 4 cas où l’accusé a
comparu menottes aux mains devant le collège du tribunal.
Plus grave encore sont les 17 cas où le tribunal a traité l’accusé en tant que coupable bien avant le
prononcé de son jugement.
22
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
Le magistrat a-t-il qualifié le prévenu de coupable avant
le prononcement du jugement ?
Oui
Nombre
Pourcentage
17
12,4
Non
Nombre
Pourcentage
91
66,4
Accusé
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
29
21,2
En effet, les observateurs du ROJ ont relevé un cas où le juge a contesté l’accusé lors de sa réplique
aux questions et un second cas où il a démenti les dires de l’accusé dans un style rhétorique allant
jusqu’à le taxer de « menteur ».
De telles pratiques constituent une attente grave à la présomption d’innocence pouvant être élevée au
rang de l’expression d’un avis dans une affaire en instance de jugement. Il s’agit là d’un jugement avant
dire droit, rendu avant le jugement définitif, pouvant justifier un dessaisissement de l’affaire.
De plus, il a été recensé 26 cas où le tribunal a exercé une pression sur l’accusé pour extorquer un
aveu de culpabilité.
Le juge a refusé d’écouter un des accusés ?
Oui
Nombre
26
19,0
Pourcentage
Non
Accusé
Nombre
Pourcentage
80
58,4
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
31
22,6
Par ailleurs, les observateurs du ROJ n’ont signalé aucun cas où le tribunal a informé l’accusé de son
droit de ne pas témoigner contre soi-même ou contre un de ses proches.
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
23
Le droit de l’accusé à ne pas témoigner contre lui même ou contre ses proches
lui a été expliqué ?
Oui
Nombre
Pourcentage
0
0,0
Non
Nombre
Pourcentage
103
75,2
Accusé
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
34
24,8
Toutefois, les observateurs du ROJ ont fait mention de 46 cas où l’accusé a exercé pleinement son
droit « à ne pas s’accuser soi-même ».
L’accusé a-t-il exercé ce droit ?
Oui
Nombre
Pourcentage
46
33,6
Information
non disponible
Accusé
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
65
47,4
Il ressort de ce qui précède que le tribunal ne s’est pas tenu aux exigences de la présomption
d’innocence conformément aux standards internationaux. Ce fait ne concerne pas seulement les
affaires de terrorisme mais il s’agit d’une situation qui a été observée lors des précédents rapports du
ROJ relatifs aux affaires de droit commun et de stupéfiants. Il s’agit d’une pratique dominante qui laisse
entrevoir l’impératif de ré-sensibiliser les magistrats aux exigences de la présomption d’innocence et
à l’obligation de ne plus afficher leurs positions dans l’affaire avant de prononcer le jugement, d’autant
que la Constitution les contraint à protéger les droits de l’Homme et les libertés fondamentales.
Par conséquence, étant donné que le droit tunisien garantit la présomption d’innocence, il incombe aux
magistrats de veiller à la bonne application de cette garantie de manière à ce qu’elle ne soit pas vidée
de son contenu. Les magistrats sont ainsi dans l’obligation de statuer dans les affaires qui leur sont
soumises conformément à la loi. Ils doivent protéger les droits et les libertés des individus et respecter
les différents droits procéduraux prévus par le droit national ou le droit international18.
18 Principe n°4 des Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, Nations unies.
24
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
2. Le principe du contradictoire (preuves d’inculpation et d’innocence)
Contrairement au stade de l’instruction, les procédures en phase de jugement ont un caractère
accusatoire et se limitent à un affrontement contradictoire, oral et public. Le magistrat doit être en
mesure d’appuyer son jugement sur les arguments invoqués au cours de la plaidoirie et discutés
oralement devant lui, en présence des parties au procès.
Le principe du contradictoire exige que soient communiquées à la défense les preuves à charge
afin de lui offrir l’occasion de les discuter et de présenter ses preuves d’innocence. Il est établi que
parmi les exigences inhérentes au contradictoire, figure le devoir qui incombe au tribunal de vérifier
l’identité du comparant et de savoir s’il est bien l’individu réclamé. Cependant le tribunal n’a pas obéi à
cette évidence dans 39 cas, ce qui est tout à fait inacceptable, en vertu de l’article 141§1 du CPP qui
prévoit expressément le principe de comparution : « le prévenu poursuivi pour un crime ou pour un délit
puni d’emprisonnement est tenu de comparaître personnellement ». L’application de ce principe n’est
envisageable que lorsqu’il y a vérification de l’identité du comparant devant le tribunal.
Le juge a-t-il fait la vérification de l’identité de l’accusé ?
Oui
Nombre
Pourcentage
86
62,8
Non
Nombre
Pourcentage
39
28,5
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Accusé
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
10
7,3
Malgré la spécificité des infractions de terrorisme, où il est souvent admis l’existence de pièce à
conviction, le tribunal est resté fidèle à la pratique consistant à ne pas présenter les pièces à conviction
dans la salle de l’audience. S’il est vrai que le paragraphe 5 de l’article 143 du CPP dispose que « les
pièces à conviction ou à décharge sont présentées, s’il y a lieu, aux témoins et aux parties », il n’en
demeure pas moins qu’il est regrettable de ne signaler jusqu’à présent aucun cas où les pièces ont été
présentées en audience.
A ce titre, les observateurs du réseau ont fait état de 91 cas où les pièces à conviction n’ont pas été
présentées.
Présentation des pièces à conviction lors de l’audience
Oui
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
0
0,0
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Non
Nombre
Pourcentage
91
66,4
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
44
32,1
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
25
De même, le tribunal n’était pas en mesure de pouvoir désigner d’office un traducteur, ce qui a conduit
une des avocates à se porter volontaire pour la traduction après avoir prêté serment devant le juge, ce
qui est contraire à la loi. Aussi, un autre cas a été signalé où le tribunal a ajourné l’affaire afin d’avoir
accès à un CD, présenté par la défense comme moyen prouvant la présomption d’innocence de son
client. Il aurait été plus opportun de le présenter au débat, au cours d’une audience publique, en
présence de l’accusé, de sa défense et du représentant du ministère public.
3. Le droit à un tribunal compétent, indépendant et impartial
Les tribunaux jouent un rôle central dans la promotion du respect de la loi. Il est donc nécessaire de
veiller à la protection de l’indépendance du pouvoir judiciaire et d’accorder aux justiciables le droit de
comparaître devant un tribunal compétent, indépendant et impartial, comme prévu dans la Constitution
et les instruments internationaux et régionaux.
Ces dernières années, les mécanismes de protection des droits de l’Homme relevant des Nations
Unies ont suscité, dans le contexte des mesures de lutte contre le terrorisme, de vives préoccupations
autour de l’utilisation des tribunaux militaires et des tribunaux spéciaux. Ces mécanismes ont souligné
la nécessité de respecter le droit au procès équitable, même dans les situations d’urgence.
Dans ce contexte, le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies a souligné que le droit à un
procès devant un tribunal indépendant et impartial est « un droit absolu et ne peut souffrir d’aucune
exception ».
Il est incontestable que l’indépendance et la neutralité des juges chargés de statuer sur l’affaire est un
pilier fondamental, de nature à donner satisfaction au suspect. En effet, dans l’exercice de son office,
le juge est censé être impartial et neutre. C’est ce qui a été énoncé par le législateur dans l’article 23
de la loi n° 29 du 14 juillet 1967 relative à l’organisation judiciaire. Selon le Conseil supérieur de la
magistrature et le Statut de la magistrature, « les magistrats doivent rendre impartialement la
justice, sans considération de personnes ni d’intérêts. Ils ne peuvent se prononcer en se fondant sur
la connaissance personnelle qu’ils peuvent avoir de l’affaire. Ils ne peuvent défendre ni verbalement ni
par écrit, même à titre de consultation, les causes autres que celles qui les concernent ».
C’est ainsi que l’existence de tribunaux spécialisés (et non pas spéciaux) selon l’objet du litige est
un fait acceptable. A titre indicatif, l’existence, à titre exceptionnel, de juridictions spécialisées dans
de nombreux systèmes judiciaires pour traiter des affaires administratives, commerciales, familiales,
sociales ou encore liées à la matière pénale concernant certaines parties, tels que les enfants ou les
militaires, est un fait reconnu par le droit international et repose sur la spécificité de ces juridictions.
Dès lors, on ne peut aucunement considérer le pôle judiciaire de lutte contre le terrorismes comme
une juridiction spéciale, dès lors qu’il ne porte pas atteinte au droit des accusés à comparaître devant
leur juge naturel, pourvu que ce pôle soit institué et ses attributions définies en vertu d’une loi et qu’il
permane limité dans le temps et composé de juges civils désignés conformément à la loi, dont on exige
l’expérience et la compétence.
En effet, la justice d’instruction se compose des magistrats de 3ème grade alors que les membres
des chambres juridictionnelles sont censées être du moins de 2ème grade. Ainsi, l’article 143 de loi
antiterroriste de 2015 dispose que « l’instance provisoire de supervision de la justice judiciaire procède
à la nomination des magistrats du pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme conformément à la loi
organique n° 2013-13 du 2 mai 2013 relative à la création d’une instance provisoire pour la
supervision de la justice judiciaire, jusqu’à l’instauration du conseil supérieur de la magistrature. Le
dessaisissement des affaires relatives aux infractions terroristes et les infractions qui leur sont connexes
prévus par la présente loi doit avoir lieu au profit du pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme ».
26
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
Dans ce cas, les observateurs du ROJ n’ont pas enregistré l’existence de procédures d’exception.
Cependant, 7 cas ont été enregistrés où le prévenu a refusé de comparaître devant le tribunal, en
raison de torture en prison. L’un d’entre eux a, par ailleurs, observé une grève de la faim et son état de
santé s’est dégradé.
Est-ce que le suspect a refusé de comparaitre devant le juge ?
Oui
Nombre
Pourcentage
7
5,1
Accusé
Non
Nombre
Pourcentage
130
94,9
L’impartialité du tribunal se définit par l’absence de préjugés ou de partis pris et peut s’apprécier soit
selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle
occasion, soit selon une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes
pour exclure à cet égard tout doute légitime.
A ce sujet, les observateurs ont pu relever 35 cas où le juge est intervenu ou a permis des déclarations
ou des actes contraires aux standards de déroulement de l’audience de la part des parties au procès,
des avocats ou des agents du tribunal.
Le juge a t-il parlé ou agit ou permis que des déclarations ou des actions
contraires à l’éthique soient émises à l’égard de l’un des parties ?
Oui
Nombre
Pourcentage
35
25,5
Accusé
Non
Nombre
102
74,5
Pourcentage
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
27
4. Le droit à un procès public
Le caractère public du procès est une garantie de transparence et un signe d’intégrité du tribunal.
Ce même caractère permet aussi d’assurer le respect des procédures du procès et du jugement
conformément à la loi. Ce droit a été consacré par la Constitution tunisienne dans son article 108
ainsi que par la loi antiterroriste de 2015 en tant que principe général avec une exception19 introduite
par ladite loi qui dispose dans son article 73, paragraphes 3, 4 et 5 que « dans les cas exceptionnels,
et en cas de péril en la demeure, l’autorité judiciaire chargée peut décider de son propre chef ou
sur demande du représentant du ministère public ou à la demande de toute personne ayant intérêt,
d’organiser les audiences à huis clos. Il est interdit dans ce cas de diffuser des informations sur les
plaidoiries ou les décisions qui sont de nature à porter atteinte à la vie privée des victimes ou à leur
réputation, sans préjudice des autres garanties énoncées par les textes spéciaux».
Cependant, aucun cas d’application des dispositions de l’article 73 n’a été enregistré par les
observateurs du ROJ.
Le procès a été public?
Oui
Nombre
Pourcentage
137
100
Non
Accusé
Nombre
Pourcentage
0
0,0
Néanmoins, ce caractère public, n’a pas été conforme aux standards internationaux, du fait qu’il
a été entaché par plusieurs dysfonctionnements, notamment en raison du défaut d’affichage par
le greffe du tribunal de la liste des affaires examinées lors de l’audience, et ce, dans 132 cas. Fait
également défaut l’affichage de la date et du lieu de l’audience ainsi que de la chambre saisie de
l’affaire.
Le tribunal a affiché la liste
Des procès avant l’audience
Oui
Nombre
Pourcentage
5
3,6
Non
Nombre
Pourcentage
132
96,4
Tribunal
Parties du procès
Oui
Nombre
Pourcentage
5
100
Non
Nombre
Pourcentage
0
0,0
Date et lieu de l’audience
Oui
Nombre
Pourcentage
5
100
Non
Nombre
Pourcentage
0
0,0
La chambre de l’audience
Oui
Nombre
Pourcentage
5
100
Non
Nombre
Pourcentage
0
0,0
19 Conseil économique et social des Nations Unies, Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques qui autorisent des restrictions où des dérogations, 28 Septembre 1984, E/CN.4/1985/4 : « Toute restriction au droit à une
audience publique doit avoir un but légitime, c’est à dire, elle doit être nécessaire et fondée sur l’une des raisons prévues par l’article 14-1 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques et doit être proportionnée avec le but légitime recherché comme la préservation de la sécu-
rité nationale et le moyen permettant d’atteindre ce but ». Conseil économique et social des Nations Unies, Principes de Syracuse concernant
les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions où des dérogations, 28 Septembre 1984,
E/CN.4/1985/4 : « Toute restriction au droit à une audience publique doit avoir un but légitime, c’est à dire, elle doit être nécessaire et fondée
sur l’une des raisons prévues par l’article 14-1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et doit être proportionnée avec le but
légitime recherché comme la préservation de la sécurité nationale et le moyen permettant d’atteindre ce but ».
28
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
Les parties ne s’intéressent peut-être pas à ces questions, étant donné que la juridiction saisie est
une juridiction spécialisée dont tout le monde connait le lieu et la date des audiences. Cependant,
les personnes concernées par le caractère public des audiences ne se limitent pas aux parties au
procès et à leurs familles, mais aussi à l’ensemble du public, organisations de la société civile ainsi
que les médias. D’habitude ces derniers ne disposent pas au préalable d’informations sur l’affaire,
alors qu’ils sont en droit d’avoir accès à ces informations facilement et en toute transparence.
Les observateurs du ROJ ont même enregistré plusieurs faits considérés comme une atteinte au
principe de l’audience publique.
En effet, dans 22 cas, des personnes ont été interdites d’accès à la salle d’audience.
Quelqu’un s’est vu refuser l’accès à la salle d’audience ?
Oui
Nombre
Pourcentage
22
16,1
Tribunal
Non
Nombre
Pourcentage
99
72,3
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
16
11,7
Les observateurs du ROJ ont également enregistré l’existence d’instructions données aux agents de
sécurité du tribunal, interdisant l’accès à toute personne ne disposant pas de convocation. De plus,
pour les familles des parties, l’accès était limité à deux personnes seulement.
Ces dysfonctionnements, qui ont déjà été constatés dans les précédents rapports du ROJ, ont connu
une hausse en ce qui concerne les affaires de terrorisme, souvent motivée par des considérations
d’ordre sécuritaire.
5. La délibération et le prononcé du jugement
Indépendamment du sujet de l’affaire, la Constitution et les standards internationaux préconisent que
les délibérés doivent avoir lieu après l’audience publique, ce qui n’a pas toujours été respecté dans le
cadre des audiences observées. En effet, les observateurs du ROJ ont enregistré 6 cas dans lesquels
le tribunal a délibéré séance tenante, en salle d’audience.
Le délibéré a eu lieu dans la salle d’audience
Oui
Nombre
Pourcentage
6
4,4
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
5
3,6
Non
Nombre
Pourcentage
92
67,2
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
34
24,8
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
29
En outre, la majorité des affaires a été ajournée sans observer le droit du prévenu à un jugement
dans un délai raisonnable. Ainsi, 68 cas ont été enregistrés dans lesquels les affaires ont été
ajournées au-delà d’une semaine, et ce, malgré le fait qu’il y avait des personnes en état
d’arrestation dans la plupart d’entre elles.
Date de l’audience
Après une semaine
Nombre
Pourcentage
2
1,5
Plus qu’une semaine
Nombre
Pourcentage
68
49,6
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
67
48,9
Pour ne pas tenir le tribunal pour unique responsable du dépassement des délais raisonnables
pour le jugement dans certaines affaires, il convient de signaler que les formulaires contiennent
des observations montrant que les demandes d’ajournement formulées par la défense étaient
répétitives. Certaines d’entre elles n’étaient pas justifiées donnant lieu à des observations négatives
de la part du tribunal. Le tribunal était parfois contraint d’accorder à la défense un ajournement
définitif soulignant la nécessité de plaider lors de la prochaine audience. Ainsi, il est également
important de rappeler aux avocats leur devoir de respecter le droit de l’accusé à ce que son affaire
soit jugée dans un délai raisonnable.
6. L’individualisation de la peine
Les principes fondamentaux en matière pénale exigent la restriction des peines et leur limitation par le
texte législatif sans les laisser à la seule discrétion du juge et ce d’une manière à permettre à la justice
de les atténuer. Ces principes fondamentaux ne peuvent être enfreints, même dans l’objectif de traiter
sévèrement les infractions dangereuses, et plus particulièrement les infractions terroristes.
La loi antiterroriste de 2003 contenait, dans sa partie relative à la lutte contre le terrorisme, deux
sections, l’une portant sur l’exemption et l’atténuation des peines (Articles 26, 27 et 28), et l’autre
relative à l’aggravation des peines (Articles 29, 30 et 31). Néanmoins, son l’article 7 disposait que « Si
la peine encourue est l’emprisonnement à vie, le minimum est fixé à trente ans d’emprisonnement ; Si
la peine encourue est l’emprisonnement pour une période déterminée, le minimum est fixé à la moitié
du maximum prévu pour l’infraction initiale».
Cependant, la loi antiterroriste de 2015 n’a pas intégré ces mêmes dispositions. Ainsi, le législateur
s’est contenté des dispositions de l’article 10 selon lesquelles « La peine maximale encourue pour
une infraction terroriste doit être prononcée sans préjudice de l’application des circonstances atté-
nuantes relatives aux enfants :
- si l’infraction est commise par ceux auxquels la loi en a confié la constatation et la
répression,qu’ils soient auteurs principaux ou complices.
- si l’infraction est commise par les agents des forces armées, des agents des forces de
sécurité intérieure ou des agents des douanes, qu’ils soient auteurs principaux ou complices.
- si l’infraction est commise par ceux auxquels est confiée l’administration ou la
surveillance des édifices, lieux, services ou par les moyens de transport visés, ou ceux
qui y travaillent,qu’ils soient auteurs principaux ou complices.
30
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
- si l’infraction est commise en y associant un enfant.
- si l’infraction est commise par une organisation terroriste ou entente.
- si l’infraction est un crime transnational ».
A la lumière de ce qui précède, il est possible de déduire, qu’il n’existe pas de texte général
empêchant la justice d’appliquer les dispositions de l’article 5320 du Code pénal relatif aux
circonstances atténuantes aux
l’exception citée ci-dessus,
concernant les mineurs. Il est alors possible pour la justice, même lorsque les textes législatifs
prévoient des limites maximale et minimale, d’abaisser la peine au-dessous du minimum légal et
même de descendre d’un ou de deux degrés conformément aux dispositions de l’article
53 du Code pénal.
terroristes à part
infractions
Les observateurs du ROJ ont relevé 23 cas où le tribunal a appliqué des circonstances atténuantes
alors que dans 20 autres cas les circonstances atténuantes n’ont pas été accordées par le juge.
Toutefois, les observateurs ont enregistré 90 cas en tant qu’hypothèse non applicable, soit parce
qu’il s’agit de la première audience, soit parce que le prononcé du jugement a eu lieu à une
audience ultérieure n’ayant pas fait l’objet d’observation.
Le juge a accordé au(x) prévenu(s) les circonstances atténuantes
Oui
Nombre
Pourcentage
23
16,8
Non
Nombre
Pourcentage
20
14,6
Information
non disponible
Nombre
Pourcentage
4
2,9
Hypothèse
non applicable
Nombre
Pourcentage
90
65,7
Contrairement à ce qui est dit, la loi antiterroriste de 2003 ne prévoyait pas la peine de mort. L’article
4 de cette même loi porte sur la qualification de l’infraction de terroriste, et il s’agit de toute infraction
prévue en dehors de ce texte, commise à l’une des fins citées par le texte, alors que l’article 10 de
la même loi (2003) dispose que « Les dispositions prévues aux articles 7 et 8 de la présente loi sont
applicables aux infractions et aux peines y afférentes régies par le code pénal ainsi que tout autre
texte spécial en vigueur en matière pénale. Sont exclues de l’application desdites dispositions, les
infractions et les peines y afférentes prévues par la présente loi ».
Ainsi, la loi de 2003, contrairement à celle de 2015 n’a pas prévu l’homicide, cette infraction restant
soumise au code pénal, et pouvant donc être punie de mort. Ainsi, et si la loi de 2003 ne permettait
pas la condamnation à mort, le tribunal n’aurait pas été en mesure d’infliger une telle sanction pour
un acte commis avant la promulgation de la loi de 2015 par respect à la loi la plus favorable au
prévenu, ce qui est une règle constitutionnelle prévue par l’article 28 de la Constitution.
20 Selon l’article 53 du code pénal, et plus précisément les paragraphes 1, 3, 4, 6 et 7 : « 1- Lorsque les circonstances du fait poursuivi paraissent
de nature à justifier l’atténuation de la peine et que la loi ne s’y oppose pas, le tribunal peut, en les spécifiant dans son jugement, et sous les
réserves ci-après déterminées, abaisser la peine au-dessous du minimum légal, en descendant d’un et même de deux degrés dans l’échelle
des peines principales énoncées à l’article 5 du présent code. 2- (…) 3- Si la peine encourue est l’emprisonnement à vie, elle ne peut être abais-
sée au-dessous de cinq ans. 4- Si la peine encourue est l’emprisonnement pour une période supérieure ou égale à dix ans, elle ne peut être
abaissée au-dessous de deux ans. 5- (…). 6- Si la peine encourue est l’emprisonnement pour une période supérieure à cinq ans et inférieure
à dix ans, elle ne peut être abaissée au-dessous de six mois (…). 7- Si la peine encourue est l’emprisonnement pour une période inférieure ou
égale à cinq ans, la peine peut être abaissée jusqu’à un jour, elle peut, en outre, être convertie en une amende dont le montant ne peut excéder
le double du maximum prévu pour l’infraction… »
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
31
D. La prévention de la torture et des traitements inhumains
Le droit de ne pas subir des actes de torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants
est un droit absolu, inaliénable et qui s’applique au traitement de toute personne soumise à
l’autorité de l’Etat ou sous sa juridiction21. En outre, la torture et les mauvais traitements ne peuvent
en aucun cas être justifiés, et l’Etat doit prendre des mesures efficaces pour en prévenir, détecter
et poursuivre les responsables lors de sa découverte22.
Dans les faits, la loi tunisienne permettait à la police, à la Garde nationale et aux douanes
d’empêcher les gardés à vue de contacter un avocat pendant la période de garde à vue, période
pendant laquelle les détenus sont souvent soumis à des actes de torture ou de mauvais traitements
pour les pousser à «avouer». Rappelons également que la loi antiterroriste de 2015 a prolongé la
période de la garde à vue dans les affaires de terrorisme jusqu’à 15 jours, divisés en trois périodes
de cinq jours chacune, ce qui a augmenté le risque de torture23.
Dans ce sens, les observateurs du ROJ ont enregistré un nombre considérable de cas de
torture ayant atteint approximativement 1/3 du nombre des affaires observées. Ainsi, la question de
l ’exposition à la torture ou aux mauvais traitements a été soulevée dans 41 cas sur un total de 137.
Dénonciation des actes de torture et de mauvais traitements
Oui
Nombre
Pourcentage
41
29,9
Non
Nombre
Pourcentage
96
70,1
32 cas ont été soulevés simultanément par les avocats de la défense et l’accusé, alors que 37 cas
ont été soulevés seulement par les accusés.
21 Voir Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 7, et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, article 2 et « Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé », avis consultatif,
Rapports de la Cour internationale de Justice pour l’année 2004, paragraphe 109, le document A/HRC/6/17/Add.3, paragraphes 8 et 38, et le
document A/HRC/6/17/Add.4, paragraphe 9.
22 Convention contre la torture, article 2, le document A/HRC/6/17/Add.3, paragraphe 39, et le document A/HRC/6/17/Add.4, paragraphe 18.
23 Human Rights Watch, Rapport mondial, 2016, Tunis, Torture et mauvais traitements.
32
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
Qui a dénoncé la torture ?
Le tribunal
Oui
Nombre
Pourcentage
0
0,0
Non
Nombre
Pourcentage
41
100
L’avocat de l’accusé
Oui
Nombre
Pourcentage
32
78.0
Non
Nombre
Pourcentage
9
22.0
Tribunal
La partie civile
Oui
Nombre
Pourcentage
0
0.0
Non
Nombre
Pourcentage
41
100
Le procureur
Oui
Nombre
Pourcentage
0
0,0
Non
Nombre
Pourcentage
41
100
L’avocat de la victime
Oui
Nombre
Pourcentage
0
0,0
Non
Nombre
Pourcentage
41
100
L’accusé
Oui
Nombre
Pourcentage
37
90.2
Non
Nombre
Pourcentage
4
9.8
Par ailleurs 2 cas de torture ou mauvais traitements ont été signalé portant sur une tierce personne
autre que le prévenu lui-même à l’encontre de l’un des membres de sa famille.
Les cas de torture ou de mauvais traitement ont eu lieu entre les étapes de l’investigation
préliminaire où 34 cas ont été enregistrés au stade de la garde à vue alors que 7 cas ont été
enregistrés lors de la détention provisoire en prison, parmi lesquels 3 durant la période d’instruction
et 4 au cours du procès (en détention).
Le recours a la torture a eu lieu pendant
L’enquête préliminaire
Oui
Nombre
Pourcentage
34
82,9
Non
Nombre
Pourcentage
7
17,1
L’instruction
Oui
Nombre
Pourcentage
3
7.3
Non
Nombre
Pourcentage
38
92,7
La détention provisoire
Oui
Nombre
Pourcentage
4
9,8
Non
Nombre
Pourcentage
37
90,2
Malgré le nombre important de cas de torture et de mauvais traitements enregistrés, les
observateurs du ROJ n’ont pas constaté dans la plupart des cas, une réaction adéquate de la part
de la défense, qui s’est contentée d’une simple évocation dans 27 cas, alors qu’elle a demandé la
nullité des procédures dans 8 cas seulement. La demande de soumission à l’examen médical n’a
été formulée que dans 3 cas, un seul cas de demande d’ouverture d’une enquête a été enregistré,
et la demande d’annulation des aveux de l’accusé résultant de la torture ou de la contrainte n’a
eu lieu que dans 14 cas seulement. Ces chiffres reflètent un manque d’appréciation par certains
avocats de la gravité de la torture et de ses conséquences juridiques.
Chapitre I – Atteintes aux principes du procès équitable dans les affaires de terrorisme
33
En outre, et dans les cas où la défense a soulevé cette question, le tribunal a répondu à ses
demandes dans 6 cas, dont 3 dans lesquels le tribunal a écarté les procès-verbaux de
l’investigation préliminaire et réinterrogé les prévenus. Cependant, le même tribunal a ignoré la
question dans 4 cas alors que les informations étaient absentes dans 4 autres cas.
Quels étaient les demandes présentées ?
Une dénonciation simple
Demande de poursuite
Oui
Nombre
Pourcentage
11
26,8
Non
Nombre
Pourcentage
30
73,2
Oui
Nombre
Pourcentage
8
19,5
Non
Nombre
Pourcentage
33
80,5
Demande d’examen médicale
Oui
Nombre
Pourcentage
3
7,3
Non
Nombre
Pourcentage
38
92.7
Suspension provisoire du procès
Oui
Nombre
Pourcentage
1
2,4
Non
Pourcentage
40
97,6
Demande d’ouverture d’enquète
Oui
Nombre
Pourcentage
1
2,4
Non
Nombre
Pourcentage
40
97,6
Nullité des aveux obtenus sous
la torture
Oui
Nombre
Pourcentage
14
34,1
Non
Nombre
Pourcentage
27
65,9
Il est certain que le comportement du tribunal, de la défense et du ministère public est, dans la
plupart des cas, contraire aux exigences du Protocole d’Istanbul24, et aux Principes fondamentaux
des Nations Unies concernant les trois acteurs précités.
24 Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, Protocole d’Istanbul 9/8/1999, Manuel pour enquêter efficacement sur la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
34
Chapitre II - Atteintes aux libertés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
Chapitre II - Atteintes aux libertés dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme
Le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies a réaffirmé que « la promotion et la protection des
droits de l’Homme pour tous et la primauté du droit sont essentielles dans la lutte contre le terrorisme,
en reconnaissant que des mesures efficaces contre le terrorisme et la protection des droits de l’Homme
sont des objectifs non pas contradictoires mais complémentaires et synergiques» .
Ceci nécessite en réalité la consolidation par chaque Etat du contrôle judiciaire des activités relatives
à l’application de la loi, pour garantir le respect des droits humains durant les poursuites et le procès
relatifs aux affaires terroristes et empêcher les fonctionnaires en charge de l’application de la loi d’agir
dans un contexte d’impunité.
En réalité, l’abus de pouvoir et le recours au traitement sécuritaire des affaires présumées terroristes,
ont fait enregistrer, par les organisations de défense des droits humains opérant en Tunisie, un nombre
important de violations des droits et des libertés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, parmi
lesquelles un nombre important de raids nocturnes, d’analyses génétiques forcées et de suspensions
du travail.
Les violations les plus graves et les plus répétées seraient l’interdiction de voyage et l’assignation à
résidence.
1. L’interdiction de voyage
Depuis 2013, le Ministère de l’intérieur a entamé, sans fondement juridique et sans autorisation
judiciaire, l’application d’un certain nombre de procédures arbitraires de contrôle tels que :
- l’interdiction des jeunes des deux sexes, n’ayant pas dépassé l’âge de 35 ans, de voyager
vers des destinations étrangères considérés à risque, sauf en cas d’autorisation parentale ;
- la non délivrance de passeports aux citoyens soupçonnés de vouloir partir vers des destinations
étrangères considérés à risque ;
- l’application pour environ 100.000 citoyens de la procédure dite « S17 ». Cette procédure
implique l’obligation pour les personnes suspectés, d’informer l’Administration des Frontières
de leurs voyages en dehors du pays et permet à celle-ci de les retenir si nécessaire. Il s’agit
notamment des personnes ayant bénéficié de l’amnistie générale en vertu du décret-loi
n° 2011-1 (soumis d’office à cette procédure) et des personnes ayant été suspectées, par le passé,
dans le cadre d’affaires terroristes.
En outre, cette mesure a été appliquée à l’encontre de certaines personnes pour le simple fait qu’il
existait des renseignements sécuritaires à leur égard avant la révolution de 2011.
25 Résolution adoptée par le Conseil des droits de l’Homme, en date du 1er avril 2015, (S-23/1), (A/HRC/RES/S-23/1) relative aux atrocités
commises par le groupe terroriste Boko Haram et leurs effets sur les droits de l’Homme dans les pays touchés. Notons qu’il y a des résolutions
précédentes de la Commission des droits de l’Homme sur les droits de l’Homme et le terrorisme, ainsi que les résolutions du Conseil des droits
de l’Homme sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste et la résolution
18/10 du 29 septembre 2011 sur les droits de l’Homme et les questions relatives aux prises d’otages par des terroristes, outre les résolutions du
Conseil de sécurité y afférentes à savoir les résolutions 1269 (1999) du 19 octobre 1999, 1368 (2001) du 12 septembre 2001, 1373 (2001) du
28 septembre 2001 et 2133 (2014) du 27 janvier 2014.
26 Voir le rapport de l’observatoire des droits et libertés en Tunisie émis pour le premier trimestre de l’année 2016.
Chapitre II - Atteintes aux libertés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
35
Il s’agit, dans les faits, de procédures accomplies de manière confidentielle, qui n’ont aucun fondement
juridique, voire contraires à la Constitution, à la loi et aux conventions internationales qui garantissent
le droit des individus à la libre circulation. Ainsi, dans les cas d’interdiction du voyage à l’étranger, les
forces de sécurité doivent obtenir une ordonnance du tribunal ou du ministère public conformément aux
dispositions de l’article 15 de la loi relative aux passeports qui a lié tous les cas de retrait du passeport
ordinaire pendant sa période de validité, ou l’interdiction de voyage, à l’existence d’un jugement ou
d’une ordonnance judiciaire dans ce sens.
Cependant, le même article permet au président du tribunal de première instance, le cas échéant, et
même en l’absence de poursuites ou de jugement à l’encontre du porteur du passeport, et à la de-
mande de l’administration via le ministère public, d’interdire le voyage à une personne pour une période
qu’il détermine sur la base de l’une des raisons énumérées dans ledit article 15, et parmi lesquelles la
raison la plus grave et la plus ambiguë est celle selon laquelle le voyage de l’intéressé serait de nature
à porter atteinte à l’ordre ou à la sécurité publiques.
En outre, le texte ajoute une autre exception, encore plus dangereuse, qui accorde au ministère public,
dans le cas de flagrance ou d’urgence, la prérogative de prendre la décision d’interdiction provisoire
de voyage pour une période maximale 15 jours. Dans les faits, la loi sur les passeports ne permet pas
aux forces de sécurité de prendre des décisions interdisant le voyage à une personne sans revenir à
la justice.
Ainsi, la liberté de voyager à l’étranger ne nécessite pas, en principe, d’autorisation préalable, et ce,
conformément aux dispositions explicites du 2eme alinéa de l’article 24 de la Constitution, mais elle
nécessite l’obtention d’un passeport conformément aux dispositions de la loi sur les passeports.
D’ailleurs, le tribunal administratif a considéré que « bien que l’administration dispose d’un pouvoir
discrétionnaire lui permettant de refuser de délivrer le passeport à son demandeur [...] ce pouvoir
ne peut être absous de tout contrôle ou empêcher le juge administratif d’étendre son contrôle à sa
légalité27». Le tribunal a aussi reconnu que « le droit de voyager est l’un des droits fondamentaux de
tout citoyen Tunisien en raison de son association à la liberté de se déplacer à l’extérieur du pays,
garantie par l’article 24 de la Constitution28».
Enfin, il résulte que la législation tunisienne comprend, malgré tout, des garanties judiciaires qui
permettent au Tribunal administratif de contrôler les décisions administratives relatives aux documents
de voyage, et attribue à la justice, seule, le pouvoir de restreindre le droit de circuler à l’intérieur du pays
et de le quitter. Même le décret n° 1978-50 en date du 26 Janvier 1978 relatif à l’organisation de l’état
d’urgence ne confère pas à l’administration le pouvoir d’interdire le voyage à l’étranger29.Ainsi, ces
pratiques sécuritaires sont des actes hors la loi, qui devraient cesser immédiatement, et pour
lesquels les auteurs devraient répondre.
2. L’assignation à résidence
L’assignation à résidence peut être définie comme étant une décision administrative émanant du
Ministre de l’intérieur lors de la déclaration de l’état d’urgence, et en vertu de laquelle, une personne
peut être privée de sa liberté de circuler à l’intérieur de l’une des zones concernées par l’état d’urgence
sans qu’il lui soit adressées des accusations, et ce, pour l’empêcher de quitter son domicile pour des
raisons purement sécuritaires.
27 Tribunal administratif, arrêt (Appel/ Excès de pouvoir) n° 28383, 12 juillet 2011, Ben Hassine contre le ministre de l’intérieur.
28 Tribunal administratif, Jugement en première instance (Excès de pouvoir) n° 139186, 14 juillet 2015, Makram contre le ministre de l’intérieur
29 Dans son intervention devant la commission de la législation générale lors de la discussion du projet de la loi de la lutte contre le terrorisme de
2015, le ministre de l’intérieur a indiqué que la législation française a connu une évolution rapide des textes relatifs à la lutte contre le terrorisme,
et ce, pour suivre celle des organisations terroristes, notamment le dernier texte datant de 2014, ayant interdit le voyage aux foyers de tension,
et que le projet de loi s’oriente vers l’interdiction de voyage en vertu d’un arrêté du ministre de l’intérieur. Cependant la version adoptée n’a pas
inclus cette orientation. Rapport de la commission de la législation générale à propos du projet de la loi de la lutte contre le terrorisme, page 28
36
Chapitre II - Atteintes aux libertés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
Récemment, l’état d’urgence a été déclaré en Tunisie le 24 novembre 2015 pour une période d’un mois
et il a, par la suite, été prolongé à plusieurs reprises. La dernière en date, ce fut en vertu du décret n°
2016-86 du 19 juillet 2016, relatif au prolongement de l’état d’urgence jusqu’au 18 septembre 2016, et
ce, sur la base des dispositions du décret n° 1978-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence.
En vertu des dispositions de l’article 5 de ce décret, « le Ministre de l’Intérieur peut prononcer
l’assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée, de toute
personne résidant dans une des zones prévues à l’article 2 dont l’activité s’avère dangereuse pour la
sécurité et l’ordre publics desdites zones. L’autorité administrative doit prendre toutes les dispositions
pour assurer la subsistance de ces personnes ainsi que celle de leur famille ».
le décret organisant
Cependant,
légitimité
constitutionnelle, qu’il s’agisse de la Constitution de 1959 ou de celle de 2014, qui dispose dans son
article 49 que « la loi fixe les modalités relatives aux droits et aux libertés qui sont garantis dans cette
Constitution ainsi que les conditions de leur exercice sans porter atteinte à leur essence».
l’état d’urgence manque cruellement de
L’article 65 de la Constitution a accordé uniquement à la loi organique, la prérogative de
réglementer les droits humains et les libertés fondamentales, droits et libertés que le décret de 1978
a restreint de façon excessive. En outre, les dispositions de ce décret sont contraires à l’article 80 de la
Constitution 30. Ainsi, par simple logique juridique, le législateur aurait dû suspendre le décret de 1978
jusqu’à la promulgation d’une loi organique réglementant l’état d’urgence et les conséquences de sa
déclaration.
Cependant, justice et administration continuent à appliquer ledit décret, et c’est sur cette base que
l’ancien Ministre de l’intérieur a pris, en date du 28 novembre 2015, une décision d’assignation à
résidence à l’encontre de 138 citoyens pour suspicion de retour dans des zones considérées à risque
ou de rejoindre l’organisation terroriste « Ansar Al Shariaa ».
Il est raisonnable d’affirmer que le Ministère de l’intérieur ne s’est pas conformé à la légalité lors de
l’application des dispositions du décret de 1978. Ainsi, tous ceux qui ont été assignés à résidence
ont certifié que l’administration ne leur a pas délivré une décision motivée, et qu’elle n’a pas pris les
mesures nécessaires pour garantir leur subsistance ainsi que celle de leurs familles.
Le premier président du tribunal administratif a rendu, en date du 17 mai 2016, une décision en
matière de sursis à statuer sous le numéro 419701 (non publiée) en vertu de laquelle il a ordonné la
suspension de la décision du Ministre de l’intérieur portant assignation du demandeur à résidence, et ce,
partiellement en ce qui concerne son obligation de rester à son domicile et de ne pas le quitter en
invoquant que « même si les dispositions de l’article 5 du décret 1978-50 disposent que le Ministre
de l’intérieur peut prononcer l’assignation de toute personne à résidence dans une circonscription
territoriale ou une localité déterminée, une telle résidence ne peut se transformer en une sorte de
détention pour l’intéressé, car ceci constitue une violation des droits fondamentaux garantis par la
Constitution».
30 L’article 80 dispose que « En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le
fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre les mesures qu’impose l’état d’exception, après
consultation du Chef du Gouvernement, du Président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le Président de la
Cour constitutionnelle... Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite, la Cour constitutionnelle peut être
saisie, à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de
l’état d’exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze jours ».
Chapitre II - Atteintes aux libertés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
37
Par ailleurs, le tribunal administratif a déjà posé un principe général en vertu duquel « la théorie
des circonstances exceptionnelles a été prévue par la [précédente] Constitution dans son article
46 et elle est d’ailleurs une véritable obligation, objectivement inévitable sous l’ombre de laquelle
l’administration veille à conduire les affaires publiques, même par des voies et des moyens contraires
à la réglementation, mais sans lui ôter le caractère légal et c’est ce que la jurisprudence comparée a
prouvé et a suivi de manière constante, et ce tribunal estime qu’il convient de consacrer cette théorie
dans ses travaux31».
Sur la base de ce qui précède, l’application par le Ministère de l’intérieur du décret de 1978
est en elle-même contraire à la légalité constitutionnelle et législative résultant de la transition
démocratique suite à la Révolution de 2011. L’illégalité atteint son extrême lorsque cette application est
abusive, non motivée et illimitée dans le temps. Ainsi, la lutte contre le terrorisme ne peut être invoquée
comme prétexte pour porter atteinte aux libertés de manière arbitraire.
31 Affaire n° 105 en date du 15/7/1977 (Excès de pouvoir), Mokhtar Trifi contre le ministre de l’éducation nationale. Recueil des jugements du
tribunal administratif, 1977, p 177.
38
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
L’adoption de la loi organique n° 2015-26 du 07 aout 2015 relative à la lutte contre le terrorisme et le
blanchiment d’argent a été présentée comme faisant partie d’un plan élaboré par le gouvernement
pour lutter contre le terrorisme. Elle comprend une dimension répressive, une dimension juridique et
une dimension sécuritaire.
Cependant, le président de l’ARP n’a fait aucune référence, lors de ses déclarations, à la place
des droits de l’Homme dans la nouvelle loi32. Ainsi, il est normal que les observations et les
recommandations du Comité contre la torture relevant des Nations Unies, suite à l’examen du
troisième rapport périodique de la Tunisie concernant la lutte contre le terrorisme, soient sévères dans
ce sens. Elles mentionnent que « tout en notant le contexte difficile dans lequel l’État partie se trouve,
suite à des attaques terroristes, le Comité est néanmoins préoccupé par l’adoption en 2015 de la loi
organique n°2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme, qui ne définit pas clairement l’acte de
terrorisme et étend la durée maximale de la garde à vue pour des suspects de ces crimes jusqu’à
quinze jours, et la possibilité d’ajourner la présence de l’avocat avec son client dans les affaires
terroristes jusqu’à 48 heures à partir de la date de la garde à vue ».
Dans ce chapitre sera présentée une analyse juridique des principales dispositions de la nouvelle loi
antiterroriste.
1. Les orientations générales de la loi
> La mention du caractère référentiel du droit international des droits de l’Homme et le
Droit humanitaire
Dans son article 2, la loi antiterroriste de 2015 comprend une mention explicite quant au respect
des garanties constitutionnelles et des accords internationaux, régionaux et bilatéraux ratifiés par la
République tunisienne dans le domaine des droits de l’Homme, de la protection des réfugiés et du
Droit international humanitaire. Ainsi, et dans la stratégie antiterroriste internationale des Nations
Unies, réaffirmée par l’Assemblée Générale dans sa résolution 64/29733, les Etats membres sont
convaincus que les actes terroristes visent à détruire les droits de l’Homme, les libertés fondamentales et la
démocratie34 et que les mesures antiterroristes pourraient aussi affecter la jouissance des droits
humains et des libertés fondamentales et elles pourraient aussi porter atteinte à ces droits.
Le respect des droits humains est essentiel pour combattre les facteurs pouvant, à long terme, aider à la
prolifération du terrorisme35, et les mesures antiterroristes efficaces, ainsi que la protection des droits
humains sont des objectifs complémentaires se renforçant mutuellement. L’article 2 aurait dû se
refléter dans l’esprit et la lettre de la loi afin d’obtenir un ensemble cohérent.
32 Dans son allocution suite au vote du projet de loi antiterroriste de 2015, le Président de la Chambre des représentants du peuple, a déclaré
ce qui suit : «Cette loi fait partie d’un plan élaboré par le gouvernement et avec l'approbation de ce Conseil, pour lutter contre le terrorisme. Elle
comprend une dimension répressive, une dimension juridique et une dimension sécuritaire, mais le comité ou le corps formé pour lutter contre
le terrorisme nous présentera des propositions relatives à d'autres réalisations, mesures et décisions dans le sens de lutter contre les divers
aspects du terrorisme, d’en éradiquer les sources et de s’intéresser aux aspects sociaux, économiques, éducatifs, culturels et idéologiques qui
nécessitent une attention, et ce, dans le cadre d’une vision globale de lutte contre le terrorisme. »
33 Résolution A/RES/64/297 du 8/9/2010 relative à la stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies.
34 Voir aussi la déclaration du président du conseil de sécurité en date du 27 septembre 2010, (S/PRST/2010/19), paragraphe 2.
35 Voir par exemple le paragraphe 6 de l’annexe à la résolution 1456 (2003) et le paragraphe 4 de la résolution 1624 (2005) du conseil de sécu-
rité et le paragraphe 3 de l’annexe à la Résolution 60/288 de l’Assemblée Générale des Nations Unies et le paragraphe 12 de la déclaration du
président du conseil de sécurité et le document A/HRC/16/51/Add.4
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
39
> La liaison entre lutte contre le terrorisme et prévention de blanchiment d’argent
Il s’agit d’une liaison résultant d’une confusion persistante entre blanchiment d’argent et financement
du terrorisme. Il aurait plus judicieux de séparer les deux questions.
Blanchiment d’argent
Financement du terrorisme
Le placement
Fonds déposés auprès du système
financier par l’intermédiaire d’une banque
publique, d’une banque commerciale,
d’une caisse postale ou d’une société de
placement.
L’empilement
Fonds transférés vers d’autres institutions
pour en masquer l’origine comme les
compagnies d’assurances et les
institutions financières non bancaires.
L’intégration
Fonds utilisés pour financer des actes cri-
minels et acquérir des avoirs illégitimes,
par exemple des biens immobiliers, des
valeurs mobilières ou du matériel.
L’intégration
Les fonds sont distribués pour financer
des activités terroristes et acquérir des
biens immobiliers, des valeurs mobilières
ou du matériel.
> La création d’une commission nationale de lutte contre le terrorisme
Créée en vertu des articles 66 et 67 de la loi antiterroriste de 2015, son organisation et ses modes de
fonctionnement sont prévus par le décret n° 2015-1777 du 25 novembre 201536.
Cependant, cette commission ne dispose ni de la personnalité morale ni de l’autonomie financière,
et malgré cela, elle est chargée de missions vastes et variées, ce qui fait douter de son effectivité et
efficacité.
36 Il convient de noter que le Conseil de sécurité nationale réuni le 12 février 2015 avait décidé la création d'une commission nationale de lutte
contre l'extrémisme et le terrorisme au sein du Ministère des Affaires étrangères pour élaborer une stratégie nationale de lutte contre le terro-
risme et l’extrémisme, dont les missions prendront fin avec l’élaboration du document qui sera délivré ultérieurement à la commission nationale
de lutte contre le terrorisme prévue par la loi antiterroriste, et ce, après sa constitution. Conformément à un document sommaire publié par
l’agence Tunis Afrique Presse (TAP), et en ce qui concerne le volet prévention, la menace terroriste est définie comme étant la résultante de
divers facteurs liés, essentiellement, à l'extrémisme et au fanatisme violent ainsi qu'au crime transfrontalier, la prolifération des armes et l'insta-
bilité politique dans la région. La stratégie a insisté dans ce contexte que la lutte contre ces risques consiste à barrer la route devant toutes les
tentatives d’attraction faites par les groupes terroristes directement ou indirectement, dans les mosquées et les établissements pénitentiaires
et ce, pour garantir une société non extrémiste et non influençable. La stratégie a également mentionné que la lutte se fait aussi en œuvrant,
en vue d'instaurer la culture du dialogue, de la paix, de la tolérance et du respect des religions, des croyances et des cultures. La stratégie
préconise l'interdiction, par la loi, de toute forme d'incitation aux actes terroristes, parallèlement à la consolidation des approches pédagogiques
et du dialogue pour lutter contre l’idéologie extrémiste outre la lutte contre l'extrémisme dans les prisons et l'encouragement des études sur le
rôle de la femme dans la lutte contre ce fléau. Les différents points de la stratégie soulignent que dans ses différentes étapes, la lutte contre le
terrorisme et l'extrémisme en Tunisie doit être menée dans le respect de la loi et des droits de l’Homme. Pour ce qui est des autres points de la
stratégie, ces derniers ont porté sur la poursuite des exécutants ainsi que les planificateurs et les instigateurs des actes terroristes, ainsi que la
nature des ripostes à ces actes. La commission qui a élaboré la stratégie se compose des représentants de la présidence de la République et
du gouvernement ainsi que des représentants des ministères des Affaires étrangères, de la Justice, de l'Intérieur et de la Défense. La commis-
sion se compose, également, des magistrats relevant du pole judiciaire de la lutte antiterroriste, de la Douane, de la commission des analyses
financières et de l'Agence technique des communications
40
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
> L’interdiction de l'extradition forcée
Les infractions terroristes ne sont pas considérées comme des infractions politiques donnant lieu à
extradition selon la loi 2015. Cependant l’extradition est interdite à chaque fois qu’il il y ait des motifs
sérieux de croire que la personne objet de la demande d’extradition risque d'être soumise à la torture
ou que la demande d’extradition vise à poursuivre ou à punir une personne en raison de sa race ou
de sa couleur ou son origine ou de sa religion, de son sexe, ou de sa nationalité ou de ses opinions
politiques.
> L’approbation du principe de l'indemnisation des victimes
La loi dispose l’assistance sociale nécessaire aux victimes du terrorisme, les soins gratuits dans les
hôpitaux et une assistance juridique spéciale37. En effet, les victimes du terrorisme ont besoin d’une
reconnaissance juridique en cette qualité ainsi que d’une protection permanente de leurs droits
humains y compris leurs droits à la santé, à l’assistance juridique, à la justice, à la vérité et au
dédommagement suffisant, efficace et rapide38.
> La limite de la protection des données personnelles
La lutte contre le terrorisme est souvent confrontée à la recherche d'un équilibre difficile entre
répression et respect des principes de l'État de Droit. La loi de 2015 a suscité de nombreuses critiques
en raison des faibles garanties sur la protection des données personnelles. Bien que la loi impose un
contrôle judicaire lors de l'interception des communications, ces pratiques constituent une attente à la
vie privée et une pratique qui souffre d’abus fréquents. Ces abus ont ralenti l'adoption d'une approche
globale de lutte contre le terrorisme, qui doit intégrer les aspects autres que sécuritaires.
> La protection des témoins et la limitation du principe de confrontation
Le principe de confrontation est l’un des principes fondamentaux du procès équitable visant à révéler
la vérité et à éviter l'injustice et l'arbitraire. Toutefois, l’article 46 de la loi de 2015 a violé ce principe en
autorisant le témoin de s'abstenir de révéler son identité et de confronter le suspect et les autres
témoins.
Ainsi, le juge d'instruction se retrouve dans l’obligation d’occulter l'identité du témoin à l'accusé et
à son avocat sous prétexte de le protéger. Dans les faits, ceci prive l'accusé et la défense de
connaitre les témoins, leur récusation et de pouvoir contester leurs déclarations, ce qui constitue une
violation flagrante de l'intégrité et de la transparence de la procédure et en particulier du principe de la
confrontation. Il est également à reconnaitre que le risque de rétorsions auquel s’exposent les
personnes révélant des informations sur les réseaux terroristes est de nature sérieuse. Toucher ces
témoins ou des membres de leurs familles vise, au-delà de la simple vengeance, à décourager d’autres
témoins à communiquer des informations aux autorités.
Pour ces raisons, le législateur tunisien a pris certaines mesures pour protéger les témoins dans les
affaires de terrorisme. En premier lieu, loi dispose que toutes les données susceptibles d’identifier les
témoins et autres personnes qui ont pris part à la constatation et à la révélation de l’infraction doivent
être mentionnées dans des procès-verbaux indépendants consignés dans un dossier tenu séparément
du dossier initial.
37 La loi de finances pour l’année 2016 a élargi le domaine des dédommagements octroyés par le fonds de lutte contre le terrorisme aux vic-
times du terrorisme, martyrs et blessés pour inclure les civils.
38 Voir la résolution de l’Assemblée Générale 60/288 annexé, première partie, et la résolution 64/168, paragraphe 6 et la déclaration du pré-
sident du conseil de sécurité en date du 27 septembre 2010 (S/PRST/2010/19), paragraphe 10
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
41
En outre, toutes les données et signatures doivent être inscrites sur un registre confidentiel côté et
paraphé par le procureur de la République de Tunis. Ces données ne peuvent être révélées que
lorsque le droit de défense du prévenu l’exige et à condition qu’il n’y a pas lieu à craindre pour la vie ou
les biens de ladite personne ou celles des membres de sa famille.
Aussi, le tribunal peut, et si les circonstances l’exigent, ordonner qu’il soit procédé aux enquêtes ou
à la tenue de l'audience dans un lieu autre que son lieu habituel. La sécurisation du lieu de l’enquête
ou de l’audience constitue une garantie supplémentaire pour les témoins. Ainsi, la loi permet au juge
d'instruction ou au président du tribunal de procéder à l'interrogatoire du prévenu et à l’audition de toute
personne dont ils estiment le témoignage utile en recourant aux moyens de communication visuels ou
auditifs adéquats sans nul besoin de leur comparution personnelle à l’audience. Ils peuvent, en outre,
prendre les mesures appropriées en vue de ne pas dévoiler l'identité des personnes auditionnées et
d’organiser les audiences à huis clos.
La loi dispose aussi que les identités des intéressés et leurs adresses doivent être mentionnées dans
un registre confidentiel auprès du procureur de la République du tribunal de première instance de
Tunis. En cas de péril en la demeure, et si les circonstances l’exigent, toutes les données susceptibles
d'identifier la victime et les témoins peuvent être mentionnées dans des procès-verbaux indépendants
consignés dans un dossier tenu séparément du dossier initial. Bien que l’article 70 dispose que le
prévenu ou son conseil peuvent demander à l’autorité judiciaire saisie de l'affaire que l’identité des
personnes citées leur en soit révélée, ladite autorité judiciaire a le pouvoir absolu pour décider et peut
refuser de révéler les identités du demandeur et de ses témoins.
Toutes ces procédures portent atteinte aux droits de la défense et constituent une violation des normes
internationales, notamment car les termes utilisés dans les articles mentionnés comme « péril en la
demeure » et « si les circonstances l’exigent », sont des expressions vagues pouvant être utilisées en
toute circonstance de manière à ce que toutes les investigations et les poursuites soient menées de
façon confidentielle, ce qui est de nature à porter atteinte aux intérêts légitimes du prévenu et à ses
droits de défense et à le priver de confronter les chefs d’inculpation retenus contre lui.
> La restriction du secret professionnel
L’article 35 de la loi de 2015 punit d'un an à cinq ans d’emprisonnement et d'une amende de cinq à
dix mille dinars quiconque, même tenu au secret professionnel, n'a pas signalé immédiatement aux
autorités compétentes, les faits, informations ou renseignements relatifs aux infractions terroristes
prévues par ladite loi dont il a eu connaissance ou sur l’éventualité de la commission de telles
infractions, exceptés certains membres de la famille ainsi que les avocats. L’exception citée ne s’étend
pas aux informations auxquelles ils ont accès et dont le signalement aux autorités aurait permis d’éviter
la commission d’infractions terroristes dans le futur.
> Le maintien de la peine de mort
Comme nous l’avons signalé plus haut, le législateur a conservé la peine de mort qui, si elle ne figurait
pas dans les dispositions de la loi antiterroriste de 2003, cette dernière se référait aux dispositions
spéciales y afférent, et notamment :
- le code pénal, en ce qui concerne certains cas d’homicide, de kidnapping ou de viol.
- le code de la justice militaire, concernant un nombre important d’infractions punies de mort, et
dont le nombre atteindrait la trentaine distribuées sur vingt articles parmi lesquels les articles
62, 69-1, 70-4, 74, 79, 99-1, 115 et 117.
42
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
- Les articles 93 et 94 du code disciplinaire et pénal maritime qui prévoient la peine de mort pour
tout capitaine ou officier qui s'empare d'un navire par violence ou fraude, et tout membre de
l'équipage d'un navire qui livre ce navire à l'ennemi.
- l’article 53-2° de la loi n° 1998-74 du 19 août 1998, relative aux chemins de fer qui punit de
mort quiconque aura volontairement détruit ou dérangé la voie ferrée, placé sur la voie un objet
faisant obstacle à la circulation ou employé un moyen quelconque pour faire sortir les convois
des rails, s’il y a eu homicide.
- les actes de nature à compromettre la sécurité d’un aéronef entrainant la mort qui était punie de
prison à vie conformément à l’article 150-3° du code de l’aviation civile. Le même délit est
devenu passible de la peine de mort conformément à la modification prévue par la loi n° 2005-
84 du 15 août 2005.
La peine de mort, bien que déjà présente dans les textes précités, a été mentionnée dans 19 articles
la loi de 2015, soit les articles de 14 à 29. L’abolition de la peine de mort dans le domaine de la lutte
contre le terrorisme nécessite tout d’abord sa suppression pour les crimes de droit commun. Ainsi,
l’article 22 de la Constitution dispose que « le droit à la vie est sacré, il ne peut lui être porté atteinte
que dans des cas extrêmes fixés par la loi. » Notons par ailleurs que la Tunisie s’est obligée dans les
faits de suspendre l’exécution de la peine de mort qui n’a pas été appliquée depuis 1991. En autre, la
Tunisie a voté pour la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies appelant à un moratoire
sur l'utilisation de la peine de mort (Résolution 67/176 du 20 décembre 2012).
> L’adoption de délais exceptionnels de garde à vue
L’article 39 de la loi de 2015 permet aux officiers de police judiciaire de placer le prévenu en garde à
vue pour une durée de cinq jours après avoir avisé le procureur de la République auprès du tribunal
de première instance de Tunis, qui dispose, seul, et en vertu de l’article 41 de la même loi, du pouvoir
de prolonger par écrit la période de garde à vue à deux reprises pour la même période, et ce en vertu
d’une décision motivée incluant les éléments de fait et de droit la justifiant. Ceci permet de constater
que la période préliminaire de garde à vue est très longue, et qu’elle est prorogeable deux fois pour
atteindre 15 jours, alors que ceci est contraire aux standards internationaux. Bien que les infractions
terroristes nécessitent des investigations complexes et enchevêtrées, ceci ne doit pas échapper au
contrôle de la justice. Ainsi, il convient d’appliquer les dispositions prévues par l’article 13 bis du CCP,
à savoir, l’adoption d’une période des 48 heures au début de la garde à vue, prorogeable une seule fois
pour une durée ne dépassant pas les 48 heures. Et en cas de nécessité absolue, les actes d’instruction
pourraient se poursuivre par commission rogatoire.
> Le pôle juridictionnel spécialisé
La loi antiterroriste de 2015 a créé un pôle juridictionnel spécialisé dans la juridiction de la Cour d’appel
de Tunis. La volonté du législateur semblerait ici de vouloir permettre de traiter certaines affaires
à l’échelle centrale à travers la désignation d’un groupe de magistrats habilités à traiter certaines
catégories d’affaires y compris des affaires relatives aux crimes terroristes, ce qui permettrait
à un groupe de magistrats, de représentants du ministère public ainsi qu’à des avocats de se
spécialiser dans ce genre d’affaires. Cette centralisation permettrait en autre d’éviter de traiter les
affaires de manière distincte, et de limiter les cas de conflits de compétence et d’assurer une connaissance
profonde de l'environnement dans lequel les terroristes opèrent ainsi que des moyens qu'ils utilisent.
Cette disposition viserait également à faciliter la coopération aux niveaux national et international entre
les organismes chargés de la lutte contre le terrorisme, y compris la coopération avec les organismes
de sécurité et de renseignement internes et externes.
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
43
Cependant, ce pôle spécialisé et ce qui en suit en terme de création d’une chambre d’accusation
et d’une chambre juridictionnelle spécialisées, au sein du tribunal de première d’instance et de la
cour d’appel de Tunis, est de nature à poser plusieurs problèmes juridiques quant à l’impossibilité
d’appliquer les articles relatifs au renvoi de l’affaire par la Courh de cassation à la juridiction qui a rendu
la décision cassée, ladite juridiction étant autrement composée (Article 272 CPP) et plus précisément
en cas de cassation répétée dans la même affaire. Il en va de même pour les dispositions relatives
au renvoi d’un tribunal à un autre (Article 294 CPP) en cas de suspicion légitime ainsi que en cas de
récusation des juges (Articles 296 et suivants CPP). Dans de tels cas, à quel tribunal s’adresser en
l’existence d’une règle de compétence juridictionnelle exclusive ?
Il y aura-t-il la création de chambres d’été ou bien elles seront renvoyées, pendant les vacances judi-
ciaires, aux chambres juridictionnelles ordinaires, ce qui est actuellement le cas, bien que cela soit
contraire à une règle de loi d’ordre public. Toutes ces problématiques sont prévisibles, alors que la loi
de 2015 reste muette sur ces sujets majeurs.
Remarquons aussi que la loi de 2015 n’a pas prévu une disposition spéciale en vertu de laquelle les
chambres juridictionnelles du pôle de lutte contre le terrorisme demeurent compétentes et rendent un
jugement sur le fond, même s’il s’avère qu’il ne s’agit pas d’une affaire à caractère terroriste. Ceci est
légalement inadmissible.
2. L’incrimination de l'incitation, de l’apologie et de l’hommage au terrorisme
Dans sa résolution 1624 /2005 adoptée le 14 septembre 2005, le conseil de sécurité a appelé tous
les États membres à prendre un certain nombre de mesures relatives à la lutte contre le terrorisme y
compris les mesures visant à prévenir l’incitation aux actes terroristes et leur interdiction en vertu de la
loi, et à prendre toutes les mesures nécessaires et adéquates conformément aux obligations qui leur
incombent en vertu du Droit international pour contrecarrer l’incitation aux actes terroristes motivés par
l’extrémisme et l’intolérance et de prévenir les attaques terroristes contre les établissements d’ensei-
gnement et les institutions culturelles et religieuses .
En outre, et conformément au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, la liberté d’expression peut être soumise à certaines restrictions qui doivent toutefois être
expressément fixées par la loi, et qui sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d'autrui
et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. En
faisant le lien entre la résolution du Conseil de sécurité et les dispositions du Pacte international, l’on
peut affirmer que les Etats parties au pacte, y compris la Tunisie, doivent s’assurer que les mesures
antiterroristes sont conformes aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 19.
Ainsi, l’incrimination de l’incitation à commettre des crimes terroristes, ne doit être appliquée qu’aux
actes visant à commettre des violences, à condition que la relation entre l'acte et discours d'incitation
soit directe et causale. Il convient de signaler à ce propos que, dans certains États, la responsabilité
pour l’incitation est déterminée par la constatation qu’un acte d’incitation présumé est susceptible de
mener à la commission ou la tentative de commission d’un acte criminel. L’intention à elle seule n’est
pas suffisante.
39 Le Centre Africain d'Etudes et de Recherche sur le Terrorisme, créé par l’Union Africaine, a observé que tous les instruments connexes, y
compris la Convention de l’OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme a mentionné le danger d’incitation au terrorisme et la nécessité
de son incrimination ainsi que la nécessité d’une riposte internationale coordonnée. La loi modèle africaine contre le terrorisme adoptée par
l’Union Africaine en juillet 2011 a aussi incriminé l’incitation.
44
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
Ainsi les infractions d’incitation, d’apologie et d’hommage du terrorisme ne doivent conduire à la
restriction de la liberté d’expression que lorsque ceci est nécessaire à la sauvegarde de la sécurité
nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques40.
Elles doivent donc être déterminées dans la loi selon un langage précis en évitant toute expression
ambiguë comme « apologie » ou « incitation » du terrorisme41, et elles doivent porter sur un risque
(objectif) réel qu’un tel acte soit commis42. Le texte doit mentionner expressément deux éléments, à
savoir l’intention de mise à disposition du public d’un message, et l’intention d’inciter à la commission
d’une infraction terroriste. Le texte doit en outre préserver le droit de soulever les exceptions et les
principes juridiques conduisant à écarter la responsabilité pénale en faisant référence à une incitation
«illégale» au terrorisme43.
3. Le principe de légalité et l’absence d’une définition précise de l’infraction terroriste
très vagues du
L'adoption de définitions
terrorisme pourrait conduire à une mauvaise
utilisation de ce terme, de façon délibérée - pour riposter, par exemple, aux réclamations des peuples
et à leurs mouvements sociaux - et à des violations involontaires des droits de l'Homme44. En outre,
l'absence de limitation des lois antiterroristes et des mesures de leur mise en œuvre à la seule lutte
antiterroriste comporte en elle-même un risque au vu des restrictions imposées par ces lois et mesures
sur la jouissance des droits et libertés, ce qui constitue une violation des principes de
nécessité et de proportionnalité régissant la légalité de toutes les restrictions aux droits de l'Homme45.
Le fond du problème des lois antiterroristes de 2003 et 2015 réside dans le fait qu’elles ne présentent
pas une définition claire et précise du point de vue conceptuel du terrorisme. Ainsi, la loi de 2015
s’est contentée des dispositions de son article 13 selon lequel « est coupable d'infraction terroriste
quiconque, par
individuelle ou
collective, l’un des actes objet des articles 14 à 36, et que cet acte vise, par sa nature ou son contexte, à
semer la terreur parmi les habitants ou de contraindre indûment un Etat ou une organisation
internationale à faire ce qu’il n’est pas tenu de faire ou à s'abstenir de faire ce qu’il est tenu de faire ».
les moyens, commet en exécution d’une entreprise
tous
Cependant, l’on constate que les articles de 14 à 36 comencent tous par l’expression « est coupable
d'infraction terroriste », expression de nature à faire perdre à l’article 13 son caractère référentiel
encadrant la qualification des actes mentionnés dans les articles de 14 à 36 et sa distinction par
rapport aux infractions du Droit commun. En toute logique, les actes mentionnés dans ces articles
sont qualifiés de terroristes chaque fois lorsqu’ils visent à atteindre les objectifs mentionnés à l’article
13, sinon, comment pourrait-on distinguer par exemple entre l’homicide en tant que crime de
Droit commun conformément à l’article 201 du code pénal et l’homicide en tant qu’infraction
terroriste conformément à l’article 14 de la loi de 2015 ? Ce même raisonnement s’applique à la
majorité des infractions prévues par la loi antiterroriste, les mêmes infractions étant prévues par le code
pénal ainsi que les autres codes et textes spéciaux.
40 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 19 (3).
41 Déclaration conjointe du Rapporteur spécial des Nations Unies (ONU) sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et
d’expression, la Représentante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) sur la liberté des médias, la Rapporteuse
spéciale pour la liberté d’expression de l’Organisation des États Américains (OEA), 21 décembre 2005.
42 Document A/61/267, paragraphe 38 ; Principes de Johannesburg relatifs à la Sécurité Nationale, Liberté d’Expression et Accès à l’Information
(E/CN.4/1996/39), Principe 6.
43 Rapport explicatif de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme, paragraphes 81-83.
44 Voir le document E/CN.4/2006/98 (2005), paragraphe 27 et le document E/CN.4/2006/78, paragraphe 44.
45 Voir le document E/CN.4/2002/18, paragraphe 4(b) et le document E/CN.4/Sub.2/2005/39, paragraphe 33 et les Lignes directrices du Conseil
de l’Europe, sur les droits de l’Homme et la lutte contre le terrorisme, Troisième ligne directrice, (2) et le document E/CN.4/1985/4, paragraphes
10 et 51 et l’observation générale n° 29, Op. Cit., paragraphes 3 – 5.
Chapitre III- Analyse juridique de la loi antiterroriste de 2015
45
On peut affirmer que la mauvaise rédaction de la loi de 2015 revient au fait que ses rédacteurs ont
retranscrit les dispositions de l’article 13 du quatrième chapitre de la loi de 2003 sans prendre en
considération la philosophie générale de cette loi, qui était basée sur la logique du renvoi externe pour
l’incrimination de certains actes lorsqu’ils sont commis à des fins terroristes.
Ainsi, la loi de 2003 n’englobait pas tout ce qui est « considéré comme infraction terroriste » mais
classifiait ces infractions, après l’amendement de 2009 en deux catégories, à savoir : « les
infractions qualifiées de terroristes » et « les infractions considérées terroristes ». Les premières sont
des infractions de droit commun commise dans l’un des objectifs déterminés par l’article 4
de la loi de 2003 auquel correspond l’article 13 de la loi 2015, alors que les deuxièmes sont
les infractions terroristes en elles-mêmes qui étaient prévues par la loi antiterroriste de 2003
dans les articles de 11 à 24. Cependant, la philosophie de la loi de 2015 est basée sur le
groupement de toutes les infractions terroristes dans un seul texte sans renvois externes46.
4. Le droit à la vie privée et les techniques spéciales d’enquête
Les techniques spéciales d'enquête sont un ensemble de techniques et d’opérations utilisées
par les autorités compétentes dans le cadre des investigations pénales, en vue de recueillir des
informations, rechercher et enquêter sur infractions terroristes ou les crimes sérieux, et ce, sans la
connaissance et le consentement des personnes concernées. En effet, ces techniques spéciales
adoptées pour lutter contre le terrorisme ont eu un effet préjudiciable considérable sur l’exercice
d’autres droits fondamentaux et les pratiques policières le démontrent quant aux abus et l’atteinte à
la vie privée des personnes. Egalement ces instruments sont souvent mal compris et mal adapté ce
qui limite le contrôle de la justice et présente par ailleurs une violation aux droits humains. Selon le
rapporteur spécial des Nations unies, la plupart des textes de loi adoptés depuis les événements du 11
septembre 2001 ont cherché à accroître les pouvoirs des gouvernements en matière de surveillance47.
46 La loi antiterroriste de 2015 a prévu un certain nombre d’actes considérés comme étant des infractions terroristes de façon limitative dans les
articles de 14 à 34, à savoir :
*L’homicide, *Les crimes de violence quels que soient leurs effets en coup et blessures * Porter préjudice aux infrastructures publiques et vitales
ou leur exploitation pour mettre en danger la vie des habitants ou leur santé * Se livrer à un acte de violence à l’encontre des aéronefs et des
navires civils * Se livrer à un acte de violence à l’encontre d’une plate-forme fixe située sur un plateau continental que ce soit en se livrant à
un acte de violence à l’encontre d’une personne se trouvant à bord ou à l’encontre de ses installations * livrer, poser, détonner ou exploser
un engin explosif ou conçu pour propager des produits chimiques, biologiques ou radioactifs, avec l’intention de causer des dommages aux
installations et aux personnes * Porter atteinte aux installations nucléaires *Agresser les personnalités jouissant d’une protection internationale
ou les installations qui leurs appartiennent * s’emparer d’une personne, l’arrêter, la détenir, l’agresser et la menacer de mort afin de contraindre
une tierce partie, à savoir un État, une organisation internationale, une personne physique, à accomplir un acte quelconque ou à s’en abstenir
en tant que condition de la libération de l’otage. *adhérer intentionnellement aux organisations terroristes * Procurer, par quelque moyen que ce
soit, des armes de défense, des armes de guerre et leurs munitions qu’elles soient démontées ou montées, et * Faire l’apologie d’une infraction
ou d’une organisation terroriste.
47 Rapport du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste,
Martin Scheinin, Conseil des droits de l’Homme, Treizième session, Décembre 2009, page 10
46
Recommandations
Recommandations
Au pouvoir exécutif
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1- Adopter une approche globale pour la lutte contre le terrorisme, incluant des
moyens politiques, économiques, diplomatiques, sécuritaires et
juridiques.
Les facteurs socio-économiques liés à la radicalisation et l’extrémiste violent doivent
être une priorité afin de comprendre les causes du phénomène et en prévenir
durablement les conséquences. Dans cette approche, les normes nationales,
régionales et internationales en matière de droits humains doivent être respectées.
2- Renforcer le dialogue au niveau communautaire et national, et écouter plus
attentivement
le phénomène
(victimes des actes terroristes et familles des extrémistes violents) et recourir à leur
assistance pour faire face aux appels incitant au terrorisme.
les parties directement
touchées par
toutes
3- Lutter contre la surpopulation carcérale et la radicalisation dans les prisons
en réduisant le recours à la peine d’emprisonnement et en appliquant des peines
alternatives.
4- Etablir de vastes partenariats dans ce domaine entre le gouvernement, les
collectivités locales, la société civile, les médias et le secteur privé, et traiter le
problème des communautés marginalisées ou éliminées à travers l’habilitation
sociale et économique des jeunes et des femmes, notamment par le biais de
programmes d’éducation et d’insertion professionnelle dédiés.
5- Créer des programmes de sensibilisation prônant la modération dans l’exposition
des idées religieuses, dirigés par les grands intellectuels nationaux pour jouer un
rôle de médiation en matière religieuse. Il convient aussi de renforcer le rôle des
médias en chargeant les chaînes de radio et de télévision de renforcer les efforts
visant à promouvoir une culture de la paix et de la tolérance, y compris réalisant des
programmes pour enfants et en créant de sites Web consacrés à diverses questions
religieuses.
6- Mettre en place de programmes de réhabilitation pour aider les anciens
détenus à se réinsérer dans la société, en maximisant leurs chances d’intégrer
l’enseignement et le monde du travail. Aussi prendre en compte les nouvelles
problématiques sociales et juridiques liées au retour des personnes des zones en
conflits .
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