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« DE LA ZATLA DANS LE COLIS D’UN DÉTENU »
23
RAPPEL DU PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ CRIMINELLE PAR
LA COUR D’APPEL DE BÉJA
(ARRÊT DE LA CHAMBRE D’ACCUSATION N° 539 DU 3 MAI 2021,)
Malek GHAZOUANI
Magistrat
SOLUTION :
Ne constitue pas une infraction la tentative de livrer, sans but lucratif, un
produit stupéfiant à un détenu.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 31 décembre 2020, Amor s’est présenté à la prison civile de Béjà muni d’un colis
destiné à son frère détenu. En soumettant le colis à la fouille d’usage, les agents péni-
tentiaires trouvent une matière de couleur marron, cachée dans le col d’une chemise.
Ils soupçonnent qu’il s’agit de stupéfiants.
Informé, le ministère public a ordonné l’ouverture d’une enquête et la mise en garde
en vue du prévenu Amor. Les analyses démontrent que la matière découverte pèse
0,59 gr et contient du cannabis, un stupéfiant.
Après clôture de l’enquête préliminaire, le procureur de la République a ordonné l’ou-
verture d’une instruction contre le prévenu Amor.
Le juge d’instruction saisi a placé le prévenu en détention provisoire. Après avoir
achevé les enquêtes nécessaires, il clôture l’instruction, ordonnant le renvoi de l’in-
culpé à la chambre d’accusation des chefs de détention, possession, offre, transport,
entremise, achat et cession de stupéfiants pour le trafic au sens de l’article 5 de la loi
n° 52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants.
Introduction(s) | De la zatla dans le colis d’un détenu, Rappel du principe de la légalité criminelle Malek GHAZOUANI
24
LA DÉCISION DE LA COUR
« Conformément à l’article 28 de la Constitution, l’article 15 du Pacte international sur
les droits civils et politiques auquel la Tunisie a adhéré par la loi n° 30 du 29 novembre
1968 et l’article premier du Code pénal, nul n’est puni qu’en vertu d’une loi.
S’il est établi des faits que l’inculpé a détenu et a eu en sa possession une matière
stupéfiante, qu’il l’a transportée et a tenté de la livrer à son frère détenu en prison […],
il n’existe cependant aucune loi qui incrimine ces faits.
La juge d’instruction a qualifié ces faits de crimes de détention, possession, offre,
transport, entremise, achat et cession de stupéfiants pour le trafic au sens de l’article
5 de la loi n° 52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants.
L’article 5 de ladite loi dispose que « sera puni de l’emprisonnement de six à dix ans
et d’une amende de cinq mille à dix mille dinars quiconque cultive, récolte, produit,
détient, possède, s’approprie, offre, transporte, s’entremet, achète, cède, livre, distri-
bue, extrait ou fabrique des stupéfiants pour le trafic hors les cas permis par la loi ».
Il en ressort que les faits énumérés dans ledit article 5 ne constituent, tous, des in-
fractions que s’ils sont commis pour le trafic de stupéfiants, c’est-à-dire dans un but
lucratif.
Rien dans le dossier ne permet d’établir que l’inculpé a détenu la matière stupéfiante,
l’a eu en sa possession, transportée et tenté de la livrer pour le trafic. Il est cependant
prouvé qu’il était en possession d’une petite quantité qu’il a transportée à la prison et
a tenté de la remettre à son frère détenu sans que l’instruction n’arrive à établir qu’il
cherchait, à travers ses faits, à se procurer un bénéfice matériel.
S’il est prouvé que l’inculpé a détenu, transporté et tenté de livrer une matière stu-
péfiante pour la consommation de son frère, aucun texte n’incrimine la détention de
stupéfiants pour la consommation d’autrui.
L’article 116 du Code de procédure pénale dispose que « si la chambre d’accusation
estime que le fait ne constitue pas une infraction […] elle déclare qu’il n’y a pas lieu à
suivre, ordonne la mise en liberté de l’inculpé détenu ».
La cour infirme l’ordonnance du juge d’instruction, décide qu’il n’y a pas lieu à suivre le
dénommé Amor car les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas une infraction
et ordonne sa libération […] ».
25
OBSERVATIONS
L’arrêt rendu le 3 mai 2021 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Béja est
une illustration du rôle du juge dans la protection des libertés, en imposant un respect
strict du principe de la légalité criminelle. Mais l’arrêt porte, entre ses lignes, un appel
pressant au législateur pour qu’il incrimine les graves faits du genre posé en l’espèce.
Voilà donc un visiteur qui se présente à un établissement pénitentiaire avec un colis,
communément appelé « couffin », contenant des habits dans lesquels sont minu-
tieusement cachés des stupéfiants, en l’occurrence du cannabis, « zatla » en dialecte
tunisien.
1- Il peut paraitre étonnant, voire sidérant, que puisse échapper aux poursuites celui
qui tente de livrer des stupéfiants à détenu. Cet étonnement n’est point atténué par
le fait qu’il ne s’agit pas d’un « dealeur » qui cherche des bénéfices du trafic des stupé-
fiants dans un établissement pénitentiaire, mais d’un frère qui n’avait d’autre intention
que d’alléger la privation subie par son frère détenu. Dans les deux cas, la tentative
de livrer des stupéfiants en prison, forteresse des défenses absolues et l’un des lieux
les plus sécurisés, constitue une offense inouïe à l’autorité de la loi.
Le principe de la légalité criminelle signifie, dans son sens premier, que nul ne peut
être poursuivi pénalement que pour des faits que la loi incrimine. Et il est communé-
ment admis que, dans ce sens évident, le principe de la légalité s’est tellement ancré
dans la pratique qu’il est inenvisageable de voir des poursuites pénales engagées
pour un fait qui n’est tout simplement pas une infraction. En atteste la rareté, sinon
l’absence, d’applications judiciaires modernes de ce principe.
L’espèce vient démentir ce sentiment. En effet, voilà un individu qui se trouve péna-
lement poursuivi, et même privé de sa liberté pendant 94 jours pour un fait qui ne
tombe sous aucune incrimination.
Le ministère public et le juge d’instruction, confrontés à l’évidente gravité des faits qui
leur ont été soumis, se sont hâtés à les qualifier de toutes les infractions énumérées
dans l’article 5 de la loi n° 52 du 18 mai 1992, ne tenant aucun compte des éléments
posés par le législateur pour la constitution de ces infractions. La précipitation s’est
notamment manifestée dans leur décision de priver le prévenu de sa liberté sans
égard pour la condition première qui doit présider à pareille décision, à savoir l’incri-
mination des faits.
La position du ministère public et du juge d’instruction est à critiquer dans les termes
les plus virulents car ils n’ont pas fait passer leur décision par le tamis des principes
de la légalité et de la liberté individuelle. Ils se sont limités à instruire l’affaire à travers
une optique étroite, cherchant à faire porter un habit pénal à tout fait de détention
Introduction(s) | De la zatla dans le colis d’un détenu, Rappel du principe de la légalité criminelle Malek GHAZOUANI
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de stupéfiants, comme s’il est du rôle du juge de légiférer pour qu’aucun fait lié à la
drogue n’échappe à la sanction. Ils n’ont pas atteint, en l’espèce, la hauteur avec la-
quelle le juge, proclamé défenseur des droits et libertés par les articles 49 et 102 de
la Constitution, devrait traiter les faits.
La chambre d’accusation a remis les choses à leur place en mettant fin aux poursuites
et ordonnant la libération du prévenu, après presque cent jours de détention sans
motif. La leçon à tirer de cette espèce est que la prise de conscience, par le juge,
de la question des droits et libertés est d’une importance capitale. Car les principes
qui paraissent élémentaires et évidents, en théorie, risquent de s’oublier en pratique.
Et les droits et les libertés les plus naturels peuvent être négligés et violés. Il n’est
d’autre solution à ce problème que par la sensibilisation, avec persévérance et sans
discontinuité, sur la mission du juge comme défenseur des droits et libertés. Mais le
législateur doit, de son coté, jouer son rôle au niveau législatif en veillant à fournir au
juge une loi sans brèches aux abus.
2- En imposant le respect du principe de la légalité, la chambre d’accusation a joué
son rôle. Le résultat est qu’un fait, qu’aucun ne conteste sa gravissime dangerosité,
est resté dans l’impunité. Mais c’est la loi. Et il n’est nullement du rôle du juger pénal
de combler les lacunes du droit pénal.
Qui imagine qu’il n’est pas puni celui qui tente de faire entrer des stupéfiants dans
un établissement pénitentiaire ? Qui imagine, qu’en l’état actuel du droit, il est pos-
sible, sans crainte aucune d’être inquiété pénalement, de dissimuler tout genre de
stupéfiants dans le « couffin » d’un détenu, à la seule condition que le « porteur du
couffin » ne soit mû que par l’animus donandi, sans but lucratif. Le seul risque est que
la fouille du « couffin » révèle un don interdit qui sera donc saisi et détruit. La perte de
la matière saisie sera l’unique sanction pour le visiteur porteur du colis, mais il pourra
rentrer chez lui sans qu’aucune poursuite pénale ne puisse l’atteindre.
La lecture de la loi n° 52 du 18 mai 1992 sur les stupéfiants laisse penser que c’est une
loi qui a atteint la perfection s’agissant de l’incrimination des faits en rapport avec ce
fléau, et qu’elle n’a laissé aucun de ces faits sans le soumettre à la loi pénale, comme en
témoigne l’excessive et inopportune incrimination de la simple détention d’une matière
stupéfiante dans l’intention de la consommer, sans que la détention n’ait été suivie de
consommation effective. Mais voilà la pratique qui vient démentir ce sentiment.
Le comble du paradoxe est qu’il y a aussi des faits, autres que ceux de l’espèce, d’une
extrême gravité qui échappent à la loi actuelle. En effet, n’est pas punissable le fait de
donner gratuitement une matière stupéfiante même si elle est donnée à un enfant ou
à une personne en état de faiblesse, comme les personnes en situation d’un handicap
mental ; même si elle est donnée dans un établissement d’enseignement, d’éducation
ou de sport. Donner une matière stupéfiante à un enfant est, selon l’article 11 de la loi
27
52, une circonstance aggravante des faits incriminés dans les autres articles notam-
ment l’article 5 qui n’incrimine la cession que si elle est faite pour le trafic. La cession
simple, sans but lucratif, n’étant pas punissable.
Ce vide législatif trouve sa cause dans une absence d’harmonie entre les dispositions
de la loi.
En effet, l’article 2 dispose que « sont absolument interdits la culture, la consom-
mation, la production, la récolte, la détention, la possession, la propriété, l’achat, le
transport, la circulation, la cession, l’offre, la livraison, le trafic, la distribution, le cour-
tage, l’importation, l’exportation, la fabrication, l’extraction ou la contrebande » des
stupéfiants.
La logique dicte que cette interdiction absolue soit doublée et suivie de l’incrimination
de tout acte de commettre les faits prohibés. Il est donc étonnant de constater que
les autres articles de la loi ne soient pas en totale harmonie avec ce qui a été préa-
lablement proclamé dans l’article 2. L’absence d’harmonie se manifeste notamment
dans l’article 5 qui cite, en énumérant les faits incriminés : la culture, la récolte, la pro-
duction, la détention, la possession, l’appropriation, l’offre, le transport, l’entremise,
l’achat, la cession, la livraison, la distribution, l’extraction et la fabrication de matières
stupéfiantes. Mais il exige, en outre, que tous ces actes soit commis « pour le trafic »,
(littéralement « dans l’intention de faire du commerce » selon le texte arabe de la loi).
Le trafic devient donc un élément essentiel de l’incrimination. Elle n’est pas détermi-
née uniquement par la violation des interdictions initialement posées par l’article 2,
mais il faut aussi prouver l’existence de l’intention de faire du trafic, entendu comme
la volonté de « se procurer un bénéfice matériel » selon les termes de la cour d’appel,
mais sans qu’il ne soit exigé que ce trafic soit fait à titre d’habitude et de façon répé-
tée et durable dans le temps16.
L’absence d’harmonie entre les articles 2 et 5 a engendré des paradoxes clairs comme
celui révélé par l’espèce : la détention, la livraison, la cession et la distribution de
stupéfiants, sans but lucratif, sont des faits prohibés sans toutefois être incriminés !
A titre comparatif, l’intention lucrative n’est nullement exigée dans la législation fran-
çaise sur les stupéfiants. Les mêmes faits soumis à la cour d’appel de Béja, ainsi que
les autres cités qui restent hors champ d’incrimination en Tunisie, tombent, en France,
directement sous le coup de la loi pénale. A cet égard, l’article 229-39 du Code pénal
français dispose que : « La cession ou l’offre illicites de stupéfiants à une personne en
vue de sa consommation personnelle sont punies de cinq ans d’emprisonnement et
de 75000 euros d’amende.
16 Cass. Crim. n° 33879 du 19 mars 2003, cité par I. Lahmar in Les stupéfiants et les matières vénéneuses
dans la loi et la jurisprudence, Tunis 2017 ; selon cet arrêt, le législateur « n’entend pas le commerce au sens
strict du droit commercial, l’infraction se constitue par la réception par le prévenu de la matière stupéfiante
dans le but de la livrer moyennant une contrepartie, l’intention de faire le trafic existe même si le prévenu
n’a pas fait du trafic des stupéfiants sa profession ».
Introduction(s) | De la zatla dans le colis d’un détenu, Rappel du principe de la légalité criminelle Malek GHAZOUANI
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La peine d’emprisonnement est portée à dix ans lorsque les stupéfiants sont offerts
ou cédés, dans les conditions définies à l’alinéa précédent, à des mineurs ou dans des
établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration,
ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très
voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux ».
En droit français, les champs de la prohibition et de l’incrimination sont identiques, ce
qui a donné un texte clair et précis. En revanche, en Tunisie, la prohibition n’emporte
incrimination qu’avec l’intention lucrative. Ceci ne signifie nullement que l’incrimina-
tion en France est plus large et plus lourde, et que la loi tunisienne est plus favorable,
mais la première revêt harmonie, précision et rigueur tandis que la deuxième souffre
de paradoxes et ambiguïtés sources de tergiversation et abus en pratique.
Espérons donc que les responsables de la politique pénale saisissent l’arrêt de la cour
d’appel de Béja pour entamer la réflexion et engager le débat sur les moyens adéquats
pour lutter contre les tentatives de faire entrer des matières stupéfiantes dans les
prisons. Et il n’y a pas lieu à s’étonner qu’une voix de l’incrimination trouve sa voie au
sein d’une tribune de combat pour les droits et libertés, naturellement réfractaire aux
peines et incriminations. En effet, la loi pénale doit absolument être d’une perfection
totale de manière à prévenir tous les abus du genre observé en l’espèce. Nul doute
que la responsabilité des cents jours de privation de liberté, injustement subie par
le prévenu, devrait peser, à égalité, et sur la conscience du juge et sur la conscience
du législateur : le premier n’ayant pas été suffisamment conscient du principe de la
légalité et le deuxième n’ayant pas été suffisamment alerte et vigilant pour prévenir
toute violation du principe.
29
CORPS ADULÉ,
CORPS INCRIMINÉ !
1
Introduction(s) | - Plus de références et documents sur Legaly Docs« Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
30
LA VIE PRIVEE
SUR LES RESEAUX SOCIAUX
31
Ex-directrice des études à l’Institut supérieur de la magistrature
Nejiba ZAIER
Magistrate
SYNTHÈSE17
Les libertés individuelles reconnues par la constitution Tunisienne du 27 janvier 2014
ont, permis aux personnes d’user de leur droit d’accès à la justice pour réclamer la
protection de ces dernières, désormais constitutionnalisées. Toutefois, ces libertés
se trouvent perturbées par le développement de la technologie, et les diffusions des
données à caractère personnel sur les réseaux publics de télécommunications, tel, en
témoignent les faits d’espèce de la décision objet de ce commentaire, n°°7534, en
date du 6 octobre 2018. .
En effet, les procès dans les tribunaux, suite à cela, ont pris les couleurs de la révolu-
tion, et des normes essentielles de la constitution de 2014. Les juges sollicités, sont
débarrassés du joug d’un conservatisme les ayant longuement accablés. On atteste
de nos jours, un débarquement de plus en plus fréquent de la vie privée au prétoire.
Une lecture juridique de la décision précitée, nous révèle que si le juge, dans cette
affaire, parait le gardien principal de la vie privée des personnes (partie I), il n’en
demeure pas moins qu’il soit aussi le garant de cette protection par les mécanismes
dissuasifs et compensatoires (Partie II)
En l’espèce, il apert des faits de l’espèce du jugement indiqué, que (N) le petit ami de
la plaignante(O) a demandé à cette dernière de lui envoyer ses photos en petite-te-
nue, lui promettant toute discrétion, ce qu’elle a fait sans hésiter vue la nature de leur
relation. Rompant cette relation quelques temps après, (O) fut surprise de voir ses
photos publiées sur les réseaux sociaux ; elle s’adressa au juge sur la base de l’article
86 du code des télécommunications, et se constitua partie civile demandant répara-
tion du préjudice moral subi.
Les attendus de la décision objet du présent commentaire, nous révèlent une ère
nouvelle pour le juge Tunisien, engagé pour la protection des libertés individuelles, de
la confidentialité des correspondances et la vie privée des personnes.
17 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
36-51.
Corps adulé, corps incriminé ! | La vie privée sur les réseaux sociaux Nejiba ZAIER
32
Inspiré par les dispositions de l’articles 24 de la constitution, le juge n’hésite pas, à
appuyer cette fonction de gardien principal de la vie privée. Ainsi, et bien qu’il n’ait
pas défini ces notions, tel que l’a fait l’art.4 de la loi organique n° 2004-6318, il n’en
demeure pas moins qu’il ait mis en exergue les éléments essentiels de la consomma-
tion de l’infraction, objet de l’art.86 sus indiqué.
Le juge avance dans cette affaire, une appréciation de l’élément matériel de l’infrac-
tion de l’article 86 susmentionné, estimant que l’utilisation du téléphone portable
pour diffuser la perturbation de la quiétude d’autrui, sur les réseaux publics consti-
tue l’élément matériel de l’infraction citée19.
En outre, l’appréciation du juge de l’élément moral, repose sur l’intime intention qui
a animé le suspect, en transmettant les photos de la victime à une autre personne,
pour les publier sur les réseaux sociaux, sachant pertinemment qu’une telle action
est sanctionnée par la loi. Le juge a démontré que ceci porte atteinte aux sentiments
profonds de la victime, lésée de voir ses photos personnelles, publiés sur les réseaux
sociaux de télécommunication, dans un attendu, court, mais concis pour estimer que :
« Quand à l’élément moral, il est constitué par l’intention de nuire et de perturber la
quiétude d’autrui, sachant pertinemment que ces faits sont prohibés par la loi »
Ainsi, et si le juge dans cette affaire fut le gardien de la vie privée des personnes,
il concrétisa son apport de juge protecteur des libertés, en tant que juge pénal et
réparateur du dommage issu de l’atteinte à la vie et aux données à caractère per-
sonnel. Le juge fonda la présente décision sur les moyens de preuve, spécifiques à
l’infraction, objet de l’art. 86 susmentionné, par le biais des constats opérés par un
huissier de justice, ayant procédé aux captures d’écran sur les réseaux où les photos
furent publiées ; pour prononcer une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis
à l’exécution20.
Au niveau de la forme, le juge déclara recevable, la constitution partie civile par la
plaignante. Quant au fond, considérant que les éléments matériel et moral, indiqués,
causes directes du préjudice subi par la plaignante, passible de réparation21.
18 L’art.4 de la loi organique n° 2004-63, du 27 juillet 2004, relative à la protection des données à caractère
personnel, dispose que ces données sont : « ..Toutes informations …qui permettent directement ou indi-
rectement d’identifier une personne physique ou la rendent identifiable… »
19 « Concernant l’élément matériel, ce dernier nécessite la nuisance à une personne déterminée, ce qui est concrétisé
par le fait d’adresser à cette personne des mots étant de nature à porter à sa réputation, à son honneur ou
à sa personne, en public, ou en usant d’une perturbation constante et répétée de sa quiétude, par le biais d’un
téléphone portable ou d’un ordinateur, et diffusant ces perturbations sur les pages des réseaux sociaux de télé-
communication ». Traduction de l’auteure.
20 Cette peine est confirmée en appel ; arrêt de la Cour d’appel de Nabeul n°5656, du 16 octobre 2019, non
publié
21 « Attendu que le suspect a porté préjudice à la partie civile, comme cause directe des effets de la perturbation
de la quiétude de cette dernière par le biais des réseaux sociaux de télécommunication, ces faits commis par
le suspects ayant porté préjudice à la partie civile, constituent ainsi un dommage ayant pour conséquence un
33
Le juge donna gain de cause à la partie civile, et prononça la réparation par le millime
symbolique comme réparation du dommage moral, sur la base des art.82 et 107 du
COC22.Toutefois, il apert des autres affaires semblables, que la constitution partie
civile par les victimes est réduite ; or, se constituer partie civile est un droit octroyé à
toute personne par le paragraphe 2 de l’art.7 du CPP23,en cas d’atteinte aux libertés
individuelles, les victimes devraient user d’avantage de ce droit, au prétoire tant qu’il
y a désormais un juge à l’écoute.
sentiment de vulnérabilité et d’humiliation pour la victime, préjudices intentionnel, passibles de réparation ».
Traduction de l’auteure.
COC : Code des obligations et des contrats
22
23 CPP : Code de Procédures Pénales
Corps adulé, corps incriminé ! | La vie privée sur les réseaux sociaux Nejiba ZAIER
34
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،ةيبرعا ةضهنلا راد نيجذومنلا يبرعلا نوناقلا يف تانرتنلااو بوساحلا مئارج ةحفاكم نيمويب يزاجح يمويب-
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لامعأ،»يملعلا عقاولاو ينوناقلا سيركتلا نيب يسنوتلا يروتسدلا خيراتلا يف ناسنلاا قوقح« ،ماركإ يديرد-
دهع« رودصل نيتسلاو ةئاملا ىركذلا ةبسانمب( ،ةيبرعلا ةيروتسدلا براجتلا :لوح يبرعلا يملعلا ىقتلملا
.شرطلاا عمجم ،رجاه شيدلقو عفار روشاع نب فارشإ تحت ،2017 ربوتكا 5و 4 مايأ ،)9-9-1857( »ناما
.165.ص،2020.سنوت
-برغملا-سنوت-رصم-نانبل( ،لوب شيرنياه عم نواعتلاب ةنراقم ةسارد ،»ةاضقلا عمجت نيح« رازن .ةيغاص-
.38.ص،2009.نانبل ،رداص ةيقوقحلا تاروشنملا ،قارعلاو رئازجلا
ةركفملا »ىنعم ميهافملل حبصي امدنع وا:ةاواسملاو ةيدرفلا تايرحلل ةيسنوتلا ةنجللا ريرقت»،ديحو.يشيشرف-
.2018 توا ،12 ددع ،ةينوناقلا
.2018 ناوج 1،ةاواسملاو تايرحلو قوقحلا ةنجل ريرقت-
;http://www.akherkhabaronline.com/uploads/FCK_files/Rapport-COLIBE.pdf
35
LA NON- VIRGINITÉ DE L’ÉPOUSE CONSTI-
TUE-ELLE UN MOTIF DU DIVORCE ?
COMMENTAIRE DE L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
N° 2017-46537 DU 21 JUIN 2017
Mme Sonia Mallek EL EUCH
Professeure de Droit à l’Université de Carthage,
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
SYNTHÈSE 24
Par son arrêt n° 2017-46537 du 21 Juin 2017, la cour de Cassation a annulé la déci-
sion rendue par la cour d’Appel concernant une requête de divorce pour « préjudice
subi » déposée par un mari à l’encontre de son épouse. Le motif du divorce étant que
la femme n’était pas vierge lors de la conclusion du contrat de mariage.
L’affaire concerne un mariage conclu et consommé le 5 août 2014. Après une courte
période, le mari s’est adressé au Tribunal de Première Instance de Gabes deman-
dant le divorce pour préjudice. Le Tribunal a rendu son jugement n°43255 du 02
juillet 2015 en prononçant le divorce entre les époux pour préjudice subi (aucune
explication sur le changement du fondement du divorce n’a été avancée par le juge).
L’épouse a fait appel de ce jugement et la Cour d’Appel de Gabès a rendu sa décision
n° 3245 confirmant le jugement de première instance, ce qui a poussé l’épouse à
attaquer cette décision en cassation.
La Cour de Cassation a accepté le pourvoi et a répondu au problème suivant : Est-ce
que la dissimulation par l’épouse de sa non-virginité avant le mariage constitue-t-elle
une violation de sa part de l’obligation de sincérité ce qui justifierait le divorce pour
préjudice subi ?
La Cour de cassation a répondu par la négative et a annulé la décision d’appel, consi-
dérant que le silence de l’épouse concernant sa perte de virginité n’affecte pas la va-
24
Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
52-65.
Corps adulé, corps incriminé ! | La perte de la virginité de l’épouse Sonia Mallek El EUCH
36
lidité du consentement des conjoints et ne peut constituer un motif de divorce pour
préjudice subi (1) et qu’il n’y a pas manquement par l’épouse à l’obligation de sincérité,
et ne constitue pas, par conséquent, un motif du divorce (2).
I. LA DISSIMULATION PAR L’ÉPOUSE DE SA NON-VIRGINITÉ NE CONSTITUE
PAS UNE VIOLATION DE L’OBLIGATION DE SINCÉRITÉ
Pour ce qui est de l’obligation de sincérité, la cour a considéré que contrairement à la
dissimulation d’une maladie contagieuse ou une maladie qui n’est pas sexuellement
transmissible ou un vice qui peuvent influencer le consentement du conjoint, la dissi-
mulation de la perte de virginité n’atteint pas l’obligation de sincérité et n’impacte pas
ainsi le consentement du conjoint. De ce fait, la Cour a confirmé d’un côté l’impor-
tance de la validité du consentement pour les mariages et a reconnu de l’autre côté
l’existence d’une obligation de sincérité.
Le consentement personnel constitue selon la cour une condition de fond du mariage
et aussi des contrats en général. Sauf que contrairement aux dispositions générales
du Code des obligations et des contrats, le Code de statut personnel n’évoque pas
les vices de consentements qui annulent le mariage. Toutefois, sans se référer, dans
sa décision aux vices de consentement, prévus par le Code des obligations et des
contrats, la cour de cassation a plutôt mis l’accent sur le devoir ce sincérité. Cela
n’empêche le lien étroit qui existe entre l’obligation de sincérité et le dol. Ainsi, l’obli-
gation de sincérité suppose que les futurs époux doivent s’informer mutuellement de
tout ce qui pourrait avoir un impact sérieux sur leur vie conjugale, et ce, afin que leur
consentement soit éclairé et ne soit pas vicié.
La cour a aussi clarifié aux juridictions de fond que l’obligation de sincérité incombe
aux conjoints au moment de la conclusion du contrat de mariage et que le divorce
pour préjudice subi ne peut être lié à un manquement antérieur au contrat de ma-
riage. Elle a soulevé la validité du consentement et a exclu le manquement à l’obli-
gation de sincérité la décision de la cour d’appel dans le but de prouver la validité du
contrat de mariage. Selon l’auteure, la Cour de cassation a critiqué les décisions des
juridictions de fond en se basant sur la dénaturation des faits et la violation des droits
de la défense.
La Cour de cassation a aussi affirmé que la virginité a un aspect relatif car c’est une
question qui varie d’une personne à une autre. D’une part, elle a affirmé que la virgi-
nité ne constitue pas une qualité essentielle, sinon elle aurait pu être stipulée dans le
contrat de mariage par le biais d’une « clause conventionnelle ». D’autre part, la Cour
refuse de fonder le divorce pour préjudice sur un manquement préalable au contrat
de mariage.
37
II. LA NON-VIRGINITÉ NE PEUT ÊTRE UN MOTIF DE DIVORCE :
Au sens de l’article 11 du Code de Statut Personnel, les époux peuvent insérer dans
l’acte de mariage « toute clause ou condition relative aux personnes ou aux biens » qui
ne soit pas contraire aux dispositions du Code. Le divorce peut être obtenu si l’une des
clauses ou conditions du contrat de mariage n’a pas été respectée. La cour de cassation
s’est basée sur cet article pour montrer que l’époux aurait pu exiger la virginité de sa
conjointe comme condition dans le contrat de mariage s’il la considère comme qualité
essentielle. Si cette condition existait, il aurait pu dissoudre le contrat par divorce.
Il est incontestable que « la condition conventionnelle » qui trouve son origine dans le
droit musulman reflète la nature contractuelle du mariage, ce qui fait que le mariage
est une institution juridique dont les conditions et les effets sont réglementés par le
législateur, mais qui a aussi laissé de la place à la volonté de choisir les conditions qui
sont inclues dans le contrat de mariage. Ainsi, la possibilité d’insérer une condition
dans le contrat de mariage confirme l’importance de la liberté contractuelle lors de la
conclusion du contrat de mariage. Mais jusqu’où peut s’étendre cette liberté ?
Il est vrai que les dispositions de l’article 11 CSP sont absolues et générales et ne
fixent pas des limites pour les conditions inclues dans un acte de mariage.
Dans cette affaire, la cour de cassation a affirmé que la virginité peut faire objet de la
condition conventionnelle dans l’acte de mariage. Cela exige que cette condition soit
explicite et qui ne laisse pas bénéfice au doute.
Par ailleurs la cour de cassation a refusé de fonder le divorce pour préjudice subi sur
un manquement antérieur au contrat de mariage. Pour elle, le préjudice découle du
manquement du conjoint à une obligation matrimoniale et il doit y avoir faute imputée
à l’époux ou à l’épouse. Or, ces derniers ne peuvent avoir cette qualité d’époux qu’après
la conclusion du contrat de mariage. De ce fait, et suivant l’esprit de l’article 23 du Code
de Statut Personnel, la conduite ou les comportements des conjoints avant le mariage
ne peuvent en aucun cas constituer un manquement aux obligations conjugales.
La Cour de cassation a établi, dans cette affaire, un lien entre le divorce pour préjudice
et le manquement aux obligations matrimoniales et en a ainsi jugé que l’épouse n’a
pas manqué à ses devoirs prévus par l’article 23 du Code de Statut Personnel.
La cour de cassation a ainsi bloqué toutes les issues ouvertes par les juridictions du
fond, en confirmant que la non-virginité de la conjointe ne constitue pas un manque-
ment de sa part à l’obligation de sincérité. Ella a aussi refusé de considérer la virginité
comme qualité essentielle pour le conjoint sinon elle aurait pu être stipulée dans le
contrat de mariage par le biais d’une « clause conventionnelle ». Et enfin, la Cour
refuse de fonder le divorce pour préjudice sur un manquement préalable au contrat
de mariage.
Corps adulé, corps incriminé ! | La perte de la virginité de l’épouse Sonia Mallek El EUCH
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RÉFÉRENCES EN LANGUE FRANÇAISE
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Ph. MALAURIE, Mensonge sur la virginité et nullité de mariage, JCP, 2008.
K. MEZIOU, « Droit Civil, Droit de la famille », Juris-Classeur Droit comparé Tunisie, Ed. LexisNexis
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F. TERRÉ, Le libre choix du conjoint, JCP, 2008.
J.S. SCHWART, Recherche sur l’existence d’un droit commun du couple, Thèse Faculté de droit de
Nantes, Université de Nantes, 2017.
M. BOUGUERRA, « Le juge tunisien et le droit du statut personnel », Actualité Juridique Tunisienne,
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S. NEUVILLE, « Le silence de l’article 180 du Code civil, un héritage équivoque », Dr. fam. 1999.
Chron. 3.
عجارملا ةمئاق
مولعلا ةيلك ،ةيساسلأا ةينوناقلا مولعلا يف ريتسجاملا ةداهش لينل ةلاسر ،جاوزلا يف اضرلا بويع ،لابرغ نب ةفلأ
.2008-2009 ،سنوتب ةيعامتجلااو ةيسايسلاو ةينوناقلا
امو 263 .ص ،2010 ةيملعلا بتكلا راد رشن ،ةيعيرشتلا ةيجهنملا يف ةسارد طلغلا ماكحأ ،يقورزلا ديجملا دبع
.اهدعب
،2005 ةيردنكسلإا ،ةديدجلا ةعماجلا راد رشن ،طرشلاب ءافولا مدعل نيجوزلا نيب قيرفتلا ،مساق يلع دمحم يلع
.201ص
ةيمسرلا ةعبطملا رشن ،ةيصخشلا لاوحلأا ةلجم ،ةلود ةيماسو ةميلس نب نيسح ،دومحم نب ءارهزلا ةمطاف
.2010 ،ةيسنوتلا ةيروهمجلل
تامازتللاا ةلجم ةيوئام باتك ،ةيصخشلا لاوحلأا يضاق مامأ دوقعلاو تامازتللاا ةلجم ،ةرقوب فصنملا دمحم
.2006 ،يعماجلا رشنلا زكرم ،دوقعلاو
برغملا ،ءاضيبلا رادلا ،قرشلا ايقيرفإ راد رشن ،يكلاملا هقفلا يف ثاريملاو ةيصخشلا لاوحلأا ،يدباعلا يولع دمحم
.1996
نمض روشنم ،»1986 ناوج 17 يف خرؤملا 15391 ددع بيقعتلا ةمكحم رارق ىلع قيلعتلا« ،ةميلح نب يساس
.2012 ،يعماجلا رشنلا زكرم ،ةيصخشلا لاوحلأا ةدام يف تارارق ىلع قيلاعت ةعومجم
LE MARIAGE, LA CHAIR ET LE SANG
A PROPOS D’UNE JURISPRUDENCE ÉTABLIE
39
Professeure de droit public à l’Université de Carthage
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Sana BEN ACHOUR
L’affaire dont il est question ici est des plus significatives de l’archaïsme tenace de
certaines institutions du code du statut personnel relatives aux « devoirs conjugaux»
et des conséquences outrageantes à la dignité des personnes tirées de leur manque-
ment.
L’affaire est portée devant le Tribunal de Première Instance de l’ARIANA (circonscrip-
tion du Grand Tunis) siégeant en matière de statut personnel en audience publique
le 03/ 05/2017 (n°34857). Le conflit oppose l’épouse à son mari dont elle demande
le divorce pour faute sur la base de l’article 31 du CSP avec réparation des préju-
dices causés du fait des violences exercées sur elle comme des manquements à ses
devoirs conjugaux : ce dernier - avec qui elle n’a partagé le lit que 3 fois depuis leur
mariage en novembre 2015 - se révélant d’orientation homosexuelle. Récusant les
violences mais admettant son homosexualité, le mari affirme n’avoir jamais touché sa
femme dont il dévoile à son tour le lesbianisme et soutient le caractère mutuellement
consenti de conclure un mariage « fictif » (soury)
Le tribunal, rejetant le motif des violences - comme de jurisprudence lorsque les faits
ne sont pas corroborés d’un jugement au pénal-, ainsi que le moyen du lesbianisme
de l’épouse qu’il considère peu probant, fait droit à la demande de l’épouse en pro-
nonçant le divorce pour faute du fait de l’homosexualité du conjoint au motif qu’il
commet par son abstinence sexuelle un manquement à son devoir conjugal. Il met à
la charge du mari fautif la réparation du préjudice moral et matériel et le condamne
aux dépens.
Les motifs du tribunal sur le moyen retenu de la faute de l’époux pour homosexualité
et manquement au devoir conjugal méritent rappel et traduction.
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
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«Sur le préjudice résultant de l’homosexualité (mithliya jinsiya) du conjoint et la
règle selon laquelle l’aveu est la reine des preuves en matière civile ; Considérant
que, selon procès verbal et déposition par devant le juge rapporteur, le défen-
deur a reconnu son homosexualité et ses penchants pour les pratiques sexuelles
entre hommes ; qu’il n’a eu avec son épouse aucun rapport sexuel du fait de leur
accord mutuel pour conclure un mariage blanc sans plus (…)
Attendu que l’aveu du défendeur en ce sens, constitue un manquement manifeste
aux devoirs que lui imposent la religion (Din), la Loi (Charaâ) et le droit (Qanun)
du seul fait du mariage, principalement, le devoir d’union sexuelle (muâchara
jinsiya) ; que, du reste, l’argument tiré de la connaissance par sa compagne de
son état et de leur mutuel accord de conclure un mariage blanc n’est pas avéré
et ne peut, en tout état de cause, absoudre l’époux de la faute et le préjudice qui
en sont résultés à l’épouse ( …)
Considérant que les allégations du défendeur sur le lesbianisme (sihaq) de sa
femme sont demeurées vagues ; qu’elles ont été récusées par elle et n’ont pu
être prouvées ;
Attendu qu’il est admis en doctrine, en pratique et en droit qu’un des principaux
fondements du mariage et des devoirs mutuels entre époux, est la réalisation
d’une union charnelle sans interdits préférentiels ou moraux qui en empêchent
l’exercice et ce, en considération de la finalité recherchée par le mariage et des
effets y attachés, à savoir en priorité, l’immunisation (Ihçan), la chasteté (taâf-
fuf) et la procréation (injab).
Attendu en ce sens que la cour de cassation a déclaré dans une de ses déci-
sions que « l’abstinence sexuelle de l’époux envers son épouse des mois durant
et le fait de négliger d’assouvir ses besoins charnels pour raison de déviances
sexuelles et d’absence de désir à s’unir à elle de façon naturelle c’est-à-dire par
pénétration de l’endroit naturel (mawten tabiî) a pour effet de causer un pré-
judice à l’ épouse, contrainte de réprimer son désir et de renoncer au plaisir
sexuel ”.
Attendu qu’il ressort de ce qui précède que le défendeur est déviant sexuel, que
par suite et du seul fait de cette anomalie et de cette abstinence sexuelle, il y a
envers l’épouse un préjudice certain, direct et actuel ”.
Ce jugement qui reprend une jurisprudence bien établie, appelle réflexions sur la
ténacité des codes sexuels traditionnels portés par le droit de la famille face aux
changements des rapports de couples sous l’effet de l’affirmation du statut de liberté
de l’individu, de la remise en cause des normes sexuelles du patriarcat et des récentes
avancées constitutionnelles sur les droits et libertés. Naturalisant les rapports so-
ciaux de sexe dans le cadre du mariage (hétérosexuel cela va sans dire), le jugement
41
réactualise trois notions clés de la morale sexuelle de l’édifice patriarcal : la consom-
mation du mariage comme élément de base de l’union contractuelle (I) ; les relations
sexuelles entre conjoints comme composantes clés des devoirs conjugaux (II) ; la
prohibition d’une sexualité non procréatrice comme gage de la reproduction et de la
génération (III).
I. UNE SEXUALITÉ PRESCRITE COMME ÉLÉMENT DE BASE DE L’UNION
CONTRACTUELLE : CONSOMMATION DU MARIAGE, BINA ET DUKHUL
La notion de consommation (bina) qui participe d’une logique de corps et de chair,
est récurrente dans le Code du statut personnel. Elle se vérifie en diverses de ses
dispositions : l’article 7 sur la faculté du curateur de demander l’annulation du mariage
du prodigue avant consommation du mariage ; l’article 11 sur la non indemnisation
de la dissolution du mariage pour non exécution de la clause contractuelle (Khiyar
al-shart) avant consommation du mariage ; l’article 13 sur l’acquittement de la dot par
le mari comme condition de consommation du mariage ; l’article 16 sur la prohibition
du mariage avec les descendantes de l’épouse seulement en cas de consommation du
mariage ; l’article 28 sur la restitution des présents en cas de dissolution du mariage
avant consommation, l’article 34 sur le délai de viduité de l’épouse divorcée après
consommation du mariage ou de la veuve avant et après la consommation, enfin, l’ar-
ticle 38 sur l’obligation alimentaire due par l’époux à sa femme après la consommation
du mariage et durant le délai de viduité en cas de divorce.
Ainsi, la consommation de l’union entre une femme et un homme demeure-t-elle en
droit tunisien, comme dans l’ensemble des droits de tradition juridique médiévale,
musulmane ou autre comme le droit canonique, la condition sine qua non du zawaj,
en tant que reconfiguration moderne de l’ancien âqd al nikah, littéralement, le contrat
légalisant les relations sexuelles. Car en effet si de tradition doctrinale il ne peut y
avoir de relations sexuelles en dehors du mariage - celles-ci étant frappées d’op-
probre et du châtiment du zina (la fornication) -, il ne peut y avoir en retour de mariage
parfait sans consommation de l’union.
En fait, si la consommation de l’union est nécessaire à la formation du mariage en
ouvrant aux deux époux une sorte de droit exclusif à disposer du corps de l’autre,
(seulement, faut-il le rappeler, depuis l’abolition de la polygamie en 1956 et l’institu-
tion juridique du mariage monogamique), elle ne demeure pas moins, dans l’univers
patriarcal qui continue de caractériser le mariage tunisien, un acte viril de prise de
possession physique et de contrôle du corps de la femme par son époux. Diverses
ritualisations en encadrent le surgissement tant au plan anthropologique à travers
la nuit de noce et la lune de miel qu’au plan juridico-religieux à travers le versement
de la dot à la femme. Il n’est pas jusqu’aux constructions jurisprudentielles les plus
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
42
«innovantes » qui n’en soient l’expression. Face aux dérives autour de l’établissement
de l’accouplement à coup de renfort de la médecine légale et ses avilissants tests
vaginaux et ou de virginité, la Cour de cassation a usé de fictions, substituant au fait
concret, la figure symbolique «de la retraite des époux » (Khilwa) (1973, C. cass. n°
9224, 20 février 1973) et celle de « présomption de bina » (1977, C. cass. n° 1229. 15
juillet 1977). Tout cela pour instituer en droit « le bina» ou la consommation comme
acte ou fait déclencheur de la pension alimentaire due par l’époux à son épouse,
devoir qui lui vaut un statut de prévalence dont rend compte son statut de chef de fa-
mille et à elle encore celui de « champ de labour ». Figure coranique de la sourate des
femmes, la plus fréquemment convoquée, elle continue d’agir sur les comportements
et les représentations sociales de la sexualité entre hommes et femmes.
Cette conception charnelle du mariage qui nécessite l’incorporation sexuelle est por-
teuse de violences. Elle en présume le consentement puisque l’on considère d’une
part que le rapport sexuel est de l’essence même du mariage et d’autre part que le
consentement au mariage emporte ipso facto consentement aux relations sexuelles
entre époux. Elle est sans conteste à l’origine du déni du viol entre époux dont le
tabou et le non-dit persistent malgré les évolutions législatives en cours depuis 1993
avec l’obligation mutuelle d’éviter de se porter préjudice et surtout la fin du devoir
d’obéissance pesant anciennement sur l’épouse. Mais les stéréotypes ont la peau
dure. Paradoxalement et contre toute attente des milieux féministes et de défense
des droits humains, c’est cette conception médiévale que fait perdurer encore la loi
2017-58 contre les violences à l’égard des femmes par son silence assourdissant
autour du viol conjugal. La Commission des libertés individuelles et de l’égalité, ins-
tituée auprès du Président de la république le 13 aout 2017 en vue de la réforme
législative par référence à la Constitution du 27 janvier 2014, aux normes internatio-
nales des droits humains et aux orientations contemporaines en la matière, saura-elle
y mettre fin ?
Ce lien d’intimité charnelle qui s’affiche crûment dans le lien du mariage et se nourrit
de la force des rapports de sexe, éclipse jusqu’à le réduire à néant le caractère civil
de l’union que recouvrent sa célébration et son authentification par devant l’officier
d’Etat civil. Mais cela est une autre paire de manche. Car, il va sans dire encore en
droit tunisien qu’entre un mariage non consommé et un mariage consommé les effets
sont diamétralement opposés. Tandis que le premier peut être dissous sans plus, le
second ouvre droit à divorce pour manquement aux obligations réciproques entre
époux, dont une des causes peut être l’inexécution du devoir conjugal. Mais de quoi
s’agit- il au juste ?
43
II. LES RELATIONS SEXUELLES COMME ÉLÉMENT DE BASE DU DEVOIR
CONJUGAL SELON LES US ET COUTUME
Le devoir d’accouplement ou d’union charnelle régulière entre conjoints constitue,
sauf exception, une prescription tirée de la notion générique des devoirs conjugaux
de l’article 23 §2 du Code du statut personnel selon lequel « les deux époux doivent
remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume ». C’est en
réalité à la jurisprudence des tribunaux, fortement inspirée des règles du fiqh malé-
kite, qu’est revenu le soin de définir la sexualité matrimoniale comme composante du
devoir conjugal issu lui-même d’un mariage formé, certes par l’échange de volonté (le
consentement liant les deux (zawj), mais ratifié par la consommation et la fusion des
corps et des sexes.
Le devoir charnel ne recouvre pas bien évidemment la totalité des obligations réci-
proques entre époux. Les articles 23 et 24 du CSP qui s’y rapportent directement
mettent à leurs charges bien d’autres obligations, tantôt des obligations d’équiva-
lence comme le traitement bienveillant, le vivre en bon rapport, la coopération dans
la conduite des affaires familiales et des enfants, tantôt et le plus souvent de préva-
lence sur la base de la division sexuelle des rôles, des attributs et des statuts. C’est
justement le renvoie législatif aux usages et à la coutume qui réactualise le mariage
dans le sexe et le sang, voire la religion malgré les transformations qui en ont touché
la forme et le fond : la majorité à 18 ans, le consentement expresse des futurs époux,
la célébration et l’authentification étatique, le libre choix du conjoint depuis le récent
et peu anodin retrait de la circulaire interdisant le mariage de la tunisienne musulmane
avec un non musulman (18/10/2017). Ne dit-on pas encore que celui qui se marie
acquiert la moitié de sa religion.
Malgré quelques accommodements institutionnels et appropriations législatives aux
nouvelles réalités des couples modernes, le mariage demeure LE conservatoire par
excellence de la société patriarcale. Il suffit ici de reprendre les motifs du juge sur
son éthique sexuelle et ses bienfaits sur les corps et l’esprit (l’immunisation (Ihçan),
la chasteté (taâffuf) et la procréation (injab)) pour s’en convaincre. Car, au-delà de la
relation sexuelle entre conjoints et des vertus morales qu’on lui attribue, le devoir
conjugal a pour visée sociale la fabrique des pères et de la filiation légitime qui s’en
suit. Plus que la régulation des pulsions sexuelles et de leurs redoutables désordres,
la relation sexuelle durant le mariage est l’acte qui, tout en réifiant l’épouse à un corps
porteur, inscrit la présence du père dans le fils et garantit l’inscription du lien légitime
de filiation et du nom dans la chair et le sang. La jurisprudence de la plus haute ju-
ridiction n’a eu de cesse de le rappeler et d’invoquer à la base de sa construction le
fameux Dit du prophète (du reste apocryphe), « l’enfant est du lit et au dévergondé la
pierre » (C. Cass. n° 4393, 6 janvier 1981). Cette filiation par le lit et le sang semble
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
44
si forte qu’elle a fini par envahir et imprimer les institutions sociales les plus radica-
lement étrangères aux liens biologiques comme l’adoption : les couples adoptant de
préférence à leur naissance les neveux ou les petits enfants par le père auxquels ils
sont déjà liés par les liens du sang et du nom. On peut ajouter que c’est ce lien de
chair et de sang formaté dans le mariage qui rend aujourd’hui encore si difficile la
reconnaissance de la maternité célibataire et si paradoxale la loi 1998-75 sur l’attri-
bution du nom patronymique aux enfants abandonnés. Venue en priorité améliorer la
situation civile des enfants et se mettre en conformité avec les nouveaux standards
du code de la protection de l’enfance et de la convention onusienne sur le droit des
enfants, la loi s’est transformée en instrument de combat contre la subversion que
représente la maternité célibataire sur l’ordre social patrilinéaire. Elle a eu pour effet
de réinstaurer à coup de vérité génétique, de tests ADN et d’expertises médicales, la
filiation biologique au père par la semence et le sang.
Il est clair comme le note Yan Thomas, que « nos montages institutionnels s’apparen-
tent de plus en plus à des manipulations d’objets naturels qu’à la faculté de créer du
lien social hors chair » (1998, p.53). C’est en effet en naturalisant les rapports humains
et en les réincarnant dans une sexualité prescrite que les normes du droit et les lois du
genre reproduisent et réinventent les rapports sociaux de sexe. Les colères suscitées
par la simple suggestion de la Commission des Libertés et de l’Egalité de permettre
à l’enfant de prendre à sa majorité en plus du nom du père celui de la mère est signi-
ficatif des crispations autour de la figure du fils dans le père.
III. DE LA PROHIBITION D’UNE SEXUALITÉ NON REPRODUCTIVE À
L’INCRIMINATION DE L’HOMOSEXUALITÉ
Il est choquant de constater combien l’homosexualité est encore objet de déni et de
préjugés. Sans même analyser l’hypothèse d’une impossibilité du maintien d’une vie
conjugale entre un homme et une femme pour orientation sexuelle autre qu’hétéro-
sexuelle, pourtant assumé par le défendeur et pouvant donner droit au divorce sans
avoir à statuer sur la faute - le tribunal a vite fait de s’enfermer dans les catégories
de la sexualité prescrite et normée en considérant l’homosexualité de l’époux comme
constitutive de faute justifiant réparation des préjudices causés.
Le jugement dont le traditionalisme est patent reprend à son compte sans même
douter de leur pertinence au cas de l’espèce, les catégories de l’abstinence conjugale.
Celle-ci comme chacun sait, joue fortement dans les deux sens. Le plus fréquemment
contre les femmes qui se refusent à leur mari considérant qu’elles manquent à leurs
devoirs naturels. Pendant très longtemps on les a affublées de « nushuz », de déso-
béissance et d’insubordination justifiant leur enferment et leur redressement. Mais
elle joue aussi très souvent contre l’époux pour impuissance ou sodomie, pratique
sexuelle jugée déviante et peu conforme aux usages et à la coutume. Car en effet si
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en pays d’islam l’érotisme est glorifié voire déculpabilisé à en croire tout un ensemble
de recueils de fiqh, d’ouvrages savants et de sommes littéraires et poétiques, il ne
reste pas moins strictement encadré par sa finalité socioreligieuse : la procréation et
l’engendrement et plus encore, la génération continue de la communauté des musul-
mans, al umma al islamiya. Ainsi, la sexualité non procréative ou non générative, la so-
domie comme l’homosexualité masculine ou féminine autour desquels on entretient
l’amalgame, se trouve-t-elle condamnée pour pratiques « contre nature » et déviante.
En témoigne l’indécrottable article 230 du code pénal qui, malgré les mobilisations de
la société civile pour son abolition, continue de faire des ravages sur les corps et les
choix des personnes.
Tout cela, se ressource fondamentalement dans la pensée médiévale de la préserva-
tion d’un ordre du genre et contre la transgression de l’édifice binaire et hiérarchi-
sant du patriarcat, construit autour de la virilité, de la prévalence des hommes sur
les femmes, de la filiation patrilinéaire, de la circulation agnatique des biens et de
la sexualité procréatrice dans le cadre du mariage. Qu’est-ce que ces institutions
avilissantes et cruelles des temps médiévaux autour des corps, des sexes et des châ-
timents ont à voir avec l’égale dignité des personnes du temps révolutionnaire ? A
quand la réforme générale du statut personnel ?
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
46
ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
1975, Abdelwaheb BOUHDIBA, Sexualité en Islam, 1ère Edition, Paris Quadrige-PUF.
1998 : Yan THOMAS, « L’union des sexes : le difficile passage de la nature au droit », Entretien, Le
Banquet, n° 12-13, septembre-octobre 1998, p. 53.
2006 : Nawel GAFSIA, « Mariage et logiques familiales en islam », Hommes et Migrations, n°1262,
Juillet-août 2006. Le couple. Attention fragile. pp. 39-48; doi : 10.3406/homig.2006.4489.
http://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2006_num_1262_1_4489
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2015, Le Collectif civil pour libertés individuelles, « Chronique des atteintes aux libertés
individuelles » (en Arabe), Brochure distribuée lors de la Conférence de Presse du 19 janvier 2016
tenue sous le mot d’ordre « ma constitution, ma liberté »
2017 : Sana BEN ACHOUR, Violences à l’égard des femmes, les lois du genre, Publication du
Réseau Euromed droits, Tunis
47
LA DIGNITÉ HUMAINE
DANS LES ESSAIS CLINIQUES
ARRÊT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
N° 415441 DU 3 MARS 2013
Dre. Hanène TURKI
Maître-assistante à l’Université de Tunis El Manar
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis
« Le progrès médical est basé sur la recherche qui, en fin de compte, doit impliquer
des êtres humains »25. Les essais cliniques répondent aux exigences de l’évolution de
la science en vue d’améliorer la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies.
De ce point de vue, la règle juridique intervient pour préserver la dignité et les droits
des sujets volontaires participants à ces essais cliniques.
Le juge administratif dans un arrêt rendu en matière de sursis à exécution le 3 mars
2013 a exigé la nécessité de garantir la sécurité des malades et préserver leur dignité
en cas de participation volontaire à une expérimentation médicale.
Cet arrêt vient suite à une polémique liée à une recherche internationale menée par
l’Institut Pasteur en collaboration avec l’Institut Walter Reed à Washington concer-
nant un traitement contre la leishmaniose cutanée. Dans ce contexte, une requête
a été déposée le 22 janvier 2013 demandant le sursis à exécution de la décision de
refus implicite du ministre de la Santé de s’opposer aux essais cliniques menés par
l’Institut «Waltred » relevant du Département américain de la Défense pour tester
une nouvelle méthode de diagnostic de la leishmaniose cutanée sur des volontaires
tunisiens aux centres de santé à Sidi Bouzid et Gafsa sous la supervision d’un médecin
tunisien à partir de janvier 2013. Le requérant a relevé la non-conformité aux règles
juridiques régissant les essais cliniques. Alors que le ministre de la Santé, en réponse
à la demande de sursis à exécution formulée, a rejeté la demande en raison de l’ab-
sence des conditions de recevabilité, notamment l’intérêt et la qualité juridique à agir,
en ajoutant que la demande n’était pas fondée sur des motifs sérieux qui pourraient
25 Article 5 de la Déclaration d’Helsinki de l’AMM : Principes éthiques applicables à la recherche médicale
impliquant des êtres humains.
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
48
entraîner des conséquences difficilement réversibles. Il convient de préciser que se-
lon l’article 39 de la loi relative au Tribunal administratif26 « le premier président peut
ordonner le sursis à exécution jusqu’à l’expiration des délais de recours ou jusqu’à la date
du prononcé du jugement, et ce, lorsque la demande du sursis repose sur des motifs
apparemment sérieux et que l’exécution de la décision objet du recours est de nature à
entraîner, pour le requérant des conséquences difficilement réversibles ».
Cet arrêt a fait surgir les exigences de sécurité relatives aux expérimentations et aux
recherches sur les personnes, mais aussi a mis en relief la distinction entre l’expéri-
mentation thérapeutique et non thérapeutique telle que consacrée par le Code de
déontologie médicale27. Il convient de préciser que la distinction entre l’expérimenta-
tion thérapeutique et non thérapeutique « est essentielle à l’identification des responsa-
bilités juridiques et éthiques du médecin-chercheur et les droits et attentes corrélatives du
sujet patient ”28. Partant de ce fait, il apparaît nécessaire de définir ces notions afin de
mieux cerner le texte applicable.
D’abord, on entend par essai clinique « toute investigation menée sur des sujets hu-
mains en vue de découvrir ou de vérifier les effets cliniques et pharmacologiques
d’un produit de recherche ou d’autres effets pharmacodynamiques liés à ce produit,
d’identifier toute réaction indésirable à celui-ci, d’étudier la façon dont il est absor-
bé, distribué, métabolisé et excrété afin d’en évaluer la tolérance ou l’efficacité »29. Il
convient, ensuite, de définir l’expérimentation médicale qui correspond à toute re-
cherche médicale impliquant des êtres humains dans le cadre de recherche sur une
maladie qui doit être conduite par des personnes scientifiquement qualifiées et sous
surveillance d’un médecin qualifié30.
Ainsi selon l’article 1er du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les mo-
dalités de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine, « l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments des-
26 Loi n° 72 - 40 du 1er juin 1972, relative au Tribunal Administratif (JORT, n°23 du 2 juin 1972, p.738), telle
que complétée et modifiée par la loi organique n° 83-67 du 21 juillet 1983 (JORT, n°52 du 26 juillet 1983,
p.2018), loi organique n°91-66 du 2 août 1991 (JORT, n°56 du 9 août 1991, p. 1416), loi organique n°
94-26 du 21 février 1994 ( JORT, n°15 du 22 février 1994, p.308), loi organique n° 96-39 du 3 juin 1996
( JORT,n°47 du 11 juin 1996, p.1144), loi n° 2001-79 du 24 juillet 2001 ( JORT, n°59 du 24 juillet 2001,
p.1787), loi organique n° 2002-11 du 4 février 2002 ( JORT, n°11 du 5 février 2001, p.252), loi organique
n° 2002-98 du 25 novembre 2002, ( JORT, n°96 du 26 novembre 2002, p.2761), loi organique 2003-70
du 11 novembre 2003 ( JORT, n°91 du 14 novembre 2003, p.3360), loi organique n° 2008-7 du 13 février
2008 ( JORT, n°14 du 15 février 2008, p.676), loi organique n° 2009-63 du 12 août 2009 ( JORT, n°65 du
14 août 2009, p.2316), loi organique n° 2011-2 du 3 janvier 2011( JORT, n°2 du 07 janvier 2011, p.45).
27 Articles 103-111 du décret n° 93-1155 du 17 mai 1993, portant Code de déontologie médicale, J.O.R.T
n° 40 des 28 mai et 1er juin 1993, p.769 et s.
28 S. -N. Verdun-Jones, D.-N. Weisstub, L’expérimentation non thérapeutique, [En ligne], R.D.U.S. 49, 1997,
: https://www.usherbrooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/RDUS/vo-
p.5 Disponible sur
lume_27/27-12-weisstubverdunjones.pdf
S. Lahouar, Les essais cliniques, in A. Aouij (S/D), Commentaire des grands textes du droit de la santé, CPU,
2012, p.447.
29
30 Ibidem. Voir aussi l’article 99 du Code de déontologie médicale.
49
tinés à la médecine humaine doit se faire conformément aux conventions internationales
relatives à la santé et aux droits de l’homme, dûment ratifiées par la Tunisie et aux règles
de déontologie médicale et de l’éthique, relatives à l’expérimentation sur l’homme ”31. Il
essentiel, à ce propos, de définir le médicament qui est « toute substance ou compo-
sition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des
maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme
ou l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs
fonctions organiques ”32.
Selon le juge, cette expérimentation a pour finalité l’expérimentation d’un test de
diagnostic rapide pour la leishmaniose. Cet arrêt vient dans le cadre d’une expéri-
mentation de la leishmaniose cutanée qui constitue, en effet, en Tunisie un problème
de santé publique. Cette maladie est apparue massivement à Kairouan depuis 1982,
et s’est répandue progressivement dans différentes gouvernant, notamment à Sidi
Bouzid.
Cet arrêt affirme les exigences liées à l’organisation des essais cliniques, afin de pré-
server la dignité des volontaires se prêtant à l’expérimentation. Il convient de préciser
que la Cour des comptes a mené une mission de contrôle à l’Institut Pasteur de Tunis
et a relevé dans son 29ème rapport annuel les défaillances au niveau de l’organisa-
tion de cette expérimentation sur la leishmaniose cutanée33. On constate que depuis
2014 plusieurs textes juridiques ont été adoptés en vue d’organiser les différentes
étapes liées aux essais cliniques34.
31 Tel que modifié par le décret n°2001- 1076 du 14 mai 2001 (JORT, n°40 du 18 mai 2001) et le décret n°
2014-3657 du 3 octobre 2014, (JORT, n° 84 du 17 octobre 2014 , p.2747).
32 Article 21 de la loi n°73-55 du 3 août 1973, organisant les professions pharmaceutiques, telle que mo-
difiée par la loi n°76-31 du 4 février 1976, la loi n°76-62 du 12 juillet 1976, la loi n°89-24 du 27 février
1989, la loi n°89-101 du 11 décembre 1989, la loi n°89-46 du mars 1989, la loi n°92-75 du 3 août 1992
et la loi n° 2008-32 du 13 mai 2008.
33 Voir le 29ème rapport de la Cour des comptes, 2014, p.552 et s. [En ligne] http://www.courdescomptes.
nat.tn/Fr/publications_59_3_0_0_0_0000_0000_vingt-neuvieme-rapport-annuel_48
34 Décret n° 2014-3657 du 3 octobre 2014, modifiant et complétant le décret n° 90-1401du 3 septembre
1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine, JORT, n°84 du 17 octobre 2014, p.2747.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, fixant le modèle du formulaire du consentement éclairé
dans le cadre de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine hu-
maine, JORT, n°9 du 30 janvier 2015, p.314.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, relatif à la création des comités de protection des per-
sonnes se prêtant à l’expérimentation médicale au scientifique des médicaments destinés à la médecine
humaine et fixant leurs attributions, leurs compositions et leurs modalités de fonctionnement, JORT, n°9
du 30 janvier 2015, p.311.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, fixant le modèle du fichier spécial des volontaires sains
participants à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés la médecine humaine,
JORT, n°9 du 30 janvier 2015, p.314.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, fixant le modèle du contrat relatif aux frais et aux mon-
tants des compensations au profit des volontaires sains dans le cadre de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, JORT, n°9 du 30 janvier 2015, p.308.
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
50
Le problème soulevé dans cette affaire est notamment lié à la nature de l’expéri-
mentation effectuée, ce qui permet par la suite de définir les normes juridiques et
éthiques applicables. Il apparait que le juge administratif à travers cet arrêt a mis
en avant les conditions fondamentales des expérimentations médicales et les règles
fondamentales à respecter. Le juge administratif a considéré, à partir des pièces du
dossier, l’absence d’un risque qui pourrait menacer la sécurité des sujets volontaires
ou affecter leur dignité, de ce fait la demande est selon le juge n’est pas fondée sur
des raisons apparemment sérieuses et a par conséquent rejeté la requête. Mais il
convient de préciser que le juge a fondé son argumentation en se référant aux condi-
tions fondamentales pour toutes expérimentations médicales ou scientifiques (I), qui
visent essentiellement la protection des sujets volontaires (II).
I. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DES ESSAIS CLINIQUES
Le juge administratif à travers cet arrêt a mis en avant les principes directeurs pour le
déroulement des essais cliniques. A cet effet, le respect de la dignité de la personne
humaine permet de sauvegarder les droits des sujets volontaires (A). D’autant plus, il
est essentiel de recueillir leur consentement avant tout acte médicale (B).
A. Le respect de la dignité de la personne humaine
Le juge administratif a formulé son argumentation en se basant sur le respect de la
dignité des volontaires aux expérimentations médicales. Il est vrai que « l’usage du
principe de dignité entend réprimer des comportements dégradants de la personne qui
passent par une atteinte au corps ou un certain usage du corps ”35.
Toutefois, la définition de la dignité est un peu complexe dans la mesure où cette
notion renvoie souvent « aux champs sémantiques de la morale, des valeurs, voire de la
religion, toutes choses qui, aujourd’hui, sont marquées du sceau de la sphère privée et du
relativisme »36.
La Constitution tunisienne dans son article 23 dispose que l’Etat protège la dignité de
la personne humaine et son intégrité physique37. On peut affirmer que cette notion a
été mise « sur le devant de la scène que lorsque les droits de l’homme traditionnels,
centrés sur l’individu, sa liberté, sa vie privée, et son autonomie, n’ont plus suffi-
sants »38. Mais toute réflexion faite, « la dignité de la personne humaine n’est pas seule-
ment un droit fondamental en soi, mais constitue la base même des droits fondamentaux
- Arrêté du ministre de la santé du 1er juin 2015, portant approbation de la modification et du complément
du cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine approuvé par l’arrêté du 28 mai 2001, JORT, n°49 du 19 juin 2015, p.1213.
35 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2017, p.11.
36 M. Fabre-Magnan, La dignité en droit : un axiome, Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007, p.1.
37 La notion de dignité est consacrée par les articles 4 et 47 de la Constitution tunisienne.
38 M. Fabre-Magnam, op, cit, p.1.
51
»39. D’ailleurs, la dignité est devenue le fondement le plus « profond du droit »40.
La dignité apparaît donc comme un principe juridique protecteur des droits des vo-
lontaires des essais cliniques, car justement « le principe de dignité sert à énoncer com-
ment il faut traiter les êtres humains et comment il ne faut pas les traiter » 41, et a pour
objectif la protection de leur intégrité corporelle42. On ajoute qu’il est primordial de
souligner que l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt
de la société ou de la science43.
Le recours à la notion de dignité humaine est justifié par le fait que « la dignité est le
principe premier du système juridique parce que la personne humaine est l’horizon ultime
du droit, en réalité sa finalité »44, néanmoins le principe de dignité de la personne hu-
maine a pour finalité la protection de l’humanité en général45. D’ailleurs, la Charte du
malade 46 a préconisé l’importance de protection de la dignité du malade.
Sur le plan international, l’article premier de la Déclaration universelle sur la bioé-
thique et les droits de l’homme adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le
19 octobre 2005, dispose : « la dignité humaine, les droits de l’homme et les libertés fon-
damentales doivent être pleinement respectés ». De même, l’article premier de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que la dignité humaine est
inviolable. Elle doit être respectée et protégée47. En ce qui concerne le droit français,
l’article 16 du Code civil français48 dispose : « la loi assure la primauté de la personne,
interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le
commencement de sa vie ».
Il est donc indéniable de préciser que chaque personne a droit au respect de son
corps49 et il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de
39 Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Journal Officiel de
l’Union européenne, 14 décembre 2007, C303/17.
40 M. Fabre-Magnan, op, cit, p.6.
41
M. Fabre-Magnam, op, cit, p.24.
42 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, op, cit, p.13.
43 Article 2 de la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (STE n° 164), 4 avril 1997.
44 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, op, cit,., p.17
45 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, op, cit,., p.21.
46 Article 1er de la Charte du malade, Circulaire du Ministre de la Santé Publique n° 36/2009 du 19 mai
2009 portant Charte du malade. [En ligne] disponible sur : http://www.santetunisie.rns.tn/images/cir2015/
cir534.pdf
Voir : Brèves réflexions à propos de la circulaire du Ministre de la Santé Publique n° 36/2009 du 19 mai
2009 portant Charte du malade, Bulletin d’information n°23. Juin 2009, [en ligne] disponible sur : http://
www.atds.org.tn/b23.html
47 Plusieurs conventions ont consacré la notion de dignité. A titre d’exemple on peut citer : la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (18 décembre 1979), la Conven-
tion internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (20 décembre
2006), les Accords d’Helsinki (21 juillet 1975)
Cet article est issu de la loi n°94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain, JORF, n° 175
du 30 juillet 1994.
Article 16-1 du Code civil français.
49
48
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
52
nécessité d’une intervention thérapeutique et avec son consentement50. Par consé-
quent, il apparaît que la dignité et le consentement « sont étroitement imbriqués »51.
A ce titre, le juge de cassation français a considéré que le principe de dignité en tant
que principe constitutionnel justifiait la condamnation d’un médecin pour absence de
consentement52.
En revanche, on relève l’existence d’un lien étroit entre le principe de dignité hu-
maine et la nécessité d’encadrer53 toute expérimentation médicale.
B. L’exigence du consentement libre et éclairé
Il convient de préciser qu’aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consen-
tement libre et éclairé du malade, car l’acte médical est « par nature un acte constitutif
d’atteinte à l’intégrité corporelle du patient, il est devenu impératif dans tous les systèmes
juridiques fondés sur l’idée de liberté et de démocratie que tout traitement médical soit
subordonné au consentement du patient »54. A travers cet arrêt, le juge administratif a
exigé l’obtention du consentement préalable du volontaire avant d’entamer l’expéri-
mentation en vue de garantir le respect de son intégrité physique. Autrement dit, le
médecin est tenu donc de recueillir préalablement le consentement des sujets volon-
taires à l’expérimentation médicale.
Cependant, les risques liés aux essais cliniques « ont tendance à être plus graves car
d’une part, les méthodes utilisées n’ont pas été prouvées et d’autre part, leurs effets ne sont
pas forcément tous connus ».55 Conformément à l’article 2 du Code de déontologie mé-
dicale, le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance
le devoir primordial du médecin. A ce sujet, il convient de rappeler qu’il est interdit de
soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou
scientifique56, par conséquent, le consentement constitue une condition fondamen-
tale avant la réalisation des essais cliniques. A cet égard, le médecin est tenu d’obtenir
le consentement du malade aux actes de soin ou de recherche.
L’article 5 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’ex-
périmentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine hu-
50 Article 16-3 du Code civil français.
51 L. Azoux Bacrie, Consentement et dignité : deux concepts fondateurs de la médiation dans le domaine de
la santé, « Droit, Santé et Société », 2019/3 n° 3, p.8.
Cour de cassation, 1ère chambre civile, no 00-14564, M. Franck X contre M. Y et autres.
52
53 B. Mathieu, La dignité, principe fondateur du droit, Journal International de Bioéthique 2010/3 (Vol. 21),
p.77.
54 S. Dabbou Ben Ayed, Le droit à l’information et le principe du consentement, in actes du colloque : « Le
principe du consentement éclairé en matière de soins et de recherche », 2011, p.35.
55 H. Rousseau, C. Magnin, Chapitre 3. Les conditions légales préalables requises pour les essais cliniques
d’après la Déclaration d’Helsinki révisée et la Convention européenne sur les droits de l’homme et la bio-
médecine Legal prerequisites for clinical trials under the re, Journal International de Bioéthique, 2004/1 (Vol.
15), p. 45.
56 Article 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966.
53
maine, ajoute que « préalablement à la réalisation d’un essai clinique sur une personne,
le consentement libre, éclairé et écrit de celle-ci et ou, le cas échéant, de son tuteur légal
doit être recueilli conformément à un modèle fixé par arrêté du ministre de la Santé »,
en ce qui concerne les volontaires illettrés, le consentement doit être recueilli en
présence d’une personne de confiance choisie par le volontaire lui-même et n’ayant
pas d’intérêt direct ou indirect dans la réalisation de l’expérimentation 57.
Concernant l’expérimentation médicale, on relève que l’article 103 du Code de déon-
tologie précise qu’« au cours du traitement, le médecin doit avoir la liberté de recourir à
une nouvelle méthode thérapeutique, s’il juge qui celle-ci offre un sérieux espoir de sauver
la vie, rétablir la santé ou de soulager les souffrances du malade. Il doit, dans la mesure du
possible, et compte-tenu de la psychologie du patient se procurer son consentement libre
et éclairé, et en cas d’incapacité juridique, le consentement du représentant légal remplace
celui du malade ». De même en ce qui concerne l’expérimentation non thérapeutique,
le Code de déontologie médicale exige que l’expérimentation sur un être humain « ne
peut être entreprise qu’avec le consentement libre et éclairé du sujet. » 58 Ceci dit, le sujet
soumis à l’expérience doit être dans un état physique, mental et juridique tel qu’il
puisse exercer pleinement sa faculté de choisir59.
Le consentement doit être recherché60 et donné par écrit. La responsabilité d’une ex-
périence sur un être humain incombe toujours à l’homme de science et elle n’incombe
jamais au sujet qui se soumet de plein gré à l’expérience61. A cet effet, il a été exigé
qu’avant de procéder à une expérimentation médicale sur toute personne, le médecin
traitant doit l’informer préalablement, par tout moyen laissant une trace écrite, en
langage claire et facile à comprendre, qu’elle participe à la réalisation d’une expéri-
mentation thérapeutique, tout en lui clarifiant tous les aspects de l’expérimentation et
ses résultats prévisibles. Au cas d’un mineur ou d’un déficient mental, l’intéressé doit
être informé de l’expérimentation et de ses résultats prévisibles, en présence de son
tuteur légal, en langage qui convient à son niveau de maturité ou discernement selon
le cas, et ce par tout moyen laissant une trace écrite62.
57 Article 5 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine (modifié).
58 Article 107 du Code de déontologie médicale.
59 Article 108 du Code de déontologie.
60
l’article R.4127-36 du code de
la personne examinée ou soignée doit être
le médecin doit respecter ce refus après avoir
le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse
A titre comparatif
la santé publique dispose que « Le
les cas.
consentement de
le traitement pro-
Lorsque
posés,
le malade de ses conséquences.
Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de
confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité.
Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur faisant l’objet d’une
mesure de protection juridique sont définies à l’article R. 4127-42 ».
les
informé
investigations ou
recherché dans
tous
61 Article 109 du Code de déontologie médicale.
62 Article 5 (bis) Décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale
ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, tel que modifié et ajouté par le décret n°
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
54
Selon la jurisprudence du Tribunal administratif « le médecin doit exercer ses activités
dans le cadre du devoir de respecter l’intégrité physique du patient, une intégrité qui
a comme base essentielle d’informer le malade à propos de sa situation et des voies
de soins proposés et leurs risques »63.
Dans ce cadre, l’arrêté du ministre de la Santé du 13 janvier 2015 a fixé un modèle de
formulaire du consentement éclairé dans le cadre de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine64. Le texte a prévu les
sujets d’expérimentation et a consacré des dispositions particulières aux personnes
vulnérables. Pour cette raison, il est essentiel de fixer les règles de réalisation des
essais cliniques.
L’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine
humaine ne peut être effectuée que sur une personne majeure, jouissant de toutes
ses facultés mentales et de sa capacité juridique. L’expérimentation ne peut être ef-
fectuée sur les mineurs ou les déficients mentaux, ainsi que sur des femmes enceintes
ou allaitantes65.
Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes a relevé la participation des mineurs
aux essais cliniques de la maladie la leishmaniose cutanée66. Alors que l’expérimen-
tation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine ne
peut être effectuée que sur une personne majeure, jouissant de toutes ses facultés
mentales et de sa capacité juridique67.
II. LES MESURES DE PROTECTION PRÉCONISÉE
La réalisation des essais cliniques devrait se faire selon les normes juridiques et
éthiques en vue de préserver les droits des sujets volontaires. Par conséquent, les es-
sais cliniques devraient se dérouler conformément à un protocole de bonne conduite
et selon les normes de sécurité (A) afin d’encadrer les modalités d’organisation des
essais cliniques (B).
63
2014-3657 du 3 octobre 2014.
Arrêt de la 3ème chambre de cassation n°38643 du 31 décembre 2007.cité par M. Letaief « Défaut de
consentement du patient et responsabilité administrative : Quel régime pour quelle indemnité ? in actes du
colloque : « Le principe du consentement éclairé en matière de soins et de recherche », 2011, p.113.
64 Tel que modifié par l’arrêté du ministre de la santé du 16 mai 2018, fixant le modèle du formulaire du
consentement éclairé dans le cadre de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments desti-
nés à la médecine humaine modifiant l’arrêté du Ministre de la santé du 13 janvier 2015, JORT, n°9 du 30
janvier 2015, p.317.
Art 2 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, tel que modifié et ajouté par le décret n°
2001-1076 du 14 mai 2001 et le décret n°2014-3657 du 3 octobre 2014.
65
66 29ème rapport annuel de la Cour des comptes, 2014, p. 552 et 567.
67 Article 2 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale
ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, tel que modifié et ajouté par le décret n°
2001-1076 du 14 mai 2001 et le décret n°2014-3657 du 3 octobre 2014.
55
A. La conformité aux normes de sécurité des essais cliniques
« L’objectif premier de la recherche médicale impliquant des êtres humains est de com-
prendre les causes, le développement et les effets des maladies et d’améliorer les inter-
ventions préventives, diagnostiques et thérapeutiques (méthodes, procédures et traite-
ments) »68. A cet égard, il est primordial de préciser que « toute recherche médicale
impliquant des êtres humains doit préalablement faire l’objet d’une évaluation soigneuse
des risques et des inconvénients prévisibles pour les personnes et les groupes impliqués »,
et précisément lorsque « l’importance de l’objectif dépasse les risques et inconvénients
pour les personnes impliquées ».
L’expérience ne peut être tentée légitimement que si l’importance du but visé est en
rapport avec le risque encouru par le sujet69. Il est donc nécessaire d’évaluer soigneu-
sement les risques et les avantages prévisibles pour le sujet avant d’entreprendre une
expérience70.
A cet effet, la sécurité des volontaires était au cœur de préoccupation du juge admi-
nistratif. Il est donc essentiel de respecter les normes de sécurité71préconisées par les
conventions et les textes juridiques relatifs aux essais cliniques.
La recherche de proportionnalité72 entre les risques et les avantages de cette expéri-
mentation implique l’application du principe de précaution73. Ce principe « comporte
deux aspects complémentaires dans ses rapports avec les risques : un aspect procédural,
qui exige l’évaluation des risques, et un aspect substantiel, qui impose la prise de mesure
d’évitement des risques »74. En revanche, ce principe « ne se résume pas à dire “dans le
doute abstiens-toi” mais “dans le doute, évalue les risques liés à l’action et à l’inaction”. […]
le principe de précaution ne proscrit pas l’action qui présente un risque mais invite à mettre
68
Article 6 de la Déclaration d’Helsinki de l’Association Médicale Mondiale.
69 Article 100 du Code de déontologie médicale.
70 Article 101 du Code de déontologie médicale.
71 Voir : ISO 14155, Investigation clinique des dispositifs médicaux pour sujets humains – Bonne pratique clinique.
Règlement (UE) no 536/2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain.
Arrêté du 23 avril 2004, fixant les normes et protocoles applicables aux essais analytiques, toxicologiques et
pharmacologiques ainsi qu’à la documentation clinique auxquels sont soumis les médicaments ou produits
mentionnés à l’article L. 5121-8 du Code de la santé publique.
72 Voir à titre comparatif l’article L1110-5 du Code français de la santé publique :« Toute personne a, compte
tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur
l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques
dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement
possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’inves-
tigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir
de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».
Selon le principe 15 de la Déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement : « Pour
protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon
leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique
absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à
prévenir la dégradation de l’environnement ».
A. AOUIJ (S/D), Quelles précautions pour quels risques ? Regards croisés, Latrach éditions, 2011, p.387.
73
74
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
56
en balance les risques en jeu, étant entendu que nous n’avons jamais le choix qu’entre des
risques ».75
L’évaluation des risques émane de l’intervention des experts et le comité d’éthique.
Le cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médi-
caments destinés à la médecine humaine, tel qu’approuvé par l’arrêté du ministre
de la santé publique du 28 mai 2001, prévoit l’intervention d’un comité consultatif
d’évaluation des expérimentations.
A titre comparatif, le Conseil d’Etat français dans un arrêt en date du 25 septembre
1998 a ordonné le sursis à exécution d’arrêtés ministériels autorisant la culture de
maïs OGM, car le dossier soumis à la Commission pour avis était incomplet. Dans
cette affaire, le juge a donc appliqué le principe de précaution en tant que principe
procédural.
De toute manière, le principe de précaution « sert également à l’appui d’une demande
de sursis à exécution en tant qu’indicateur du caractère grave ou irréparable des risques
encourus au cas d’exécution immédiate de l’acte attaqué »76.
Cette question met en relief le débat sur le rôle du droit en cas d’incertitude scienti-
fique. Ce principe est évoqué en cas de « situations de risque, notamment pour la santé
humaine, qui, sans être fondé sur de simples hypothèses scientifiquement non vérifiées, n’a
pas encore pu être pleinement démontré »77.
Néanmoins, il est important dans ce cas de souligner que la vérité judiciaire « s’écarte
de la vérité scientifique dans la mesure où, tout d’abord, seule une partie des faits doit être
retenue comme objet de preuve pour établir un droit »78. De son côté, le juge administra-
tif considère que la survenance d’un dommage irréversible ne suffit pas à prononcer
le sursis à exécution d’une décision administrative, mais il également nécessaires de
fournir des pièces justificatives sérieuses79.
Mais on constate que depuis 2015 des comités de protection des personnes se
prêtant à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine80 ont été mis en place et ont pour mission de donner un avis
motivé et conforme préalablement à toute expérimentation, et doivent s’assurer que
la recherche est pertinente. Mais ce comité est aussi tenu d’évaluer le rapport entre
75
76
77
78
79
Avis n°79 du Comité consultatif français d’éthique.
M. Prieur, Le principe de précaution, p.7 [En ligne] : https://www.legiscompare.fr/web/IMG/pdf/2-Prieur.pdf
Tribunal de première instance des Communautés européennes, Pfizer Animal Health SA, 11 septembre
2002, point 146.
A. Flueckiger, La preuve juridique à l’épreuve du principe de précaution, Revue européenne des sciences
sociales, Tome XLI, 2003, N° 128, p. 108.
TA, aff n°39 du 21 avril 1971, Club africain c/ Fédération Tunisienne de football.
80 Il convient de préciser que les comités de protection des personnes se prêtant à l’expérimentation médi-
cale ou scientifique des médicaments destinés à la recherche humaine sont créés auprès du ministère de la
santé.
57
les bénéfices et les risques. Il doit aussi vérifier l’exhaustivité et l’intelligibilité des in-
formations écrites que le promoteur est tenu de fournir ainsi que la procédure suivie
pour obtenir le consentement éclairé des participants81. Il convient d’ajouter que les
membres de ce collège ne doivent avoir aucun conflit d’intérêt direct ou indirect avec
les promoteurs et les investigations de l’expérimentation médicale82.
L’objectif de ces mesures est de garantir la sécurité des sujets participants à cette ex-
périmentation. Ainsi, la question de sécurité reflète l’attention que « la société porte
à un moment donné sur la santé de ses membres »83.
B. L’organisation des essais cliniques
Les essais à visée thérapeutique ou scientifique doivent se faire conformément à des
règles éthiques84 et selon un protocole bien déterminé. Selon l’article 22 de la Dé-
claration d’Helsinki, la conception et la conduite de toutes les recherches impliquant
des êtres humains doivent être clairement décrites et justifiées dans un protocole de
recherche. Cet article précise que ce protocole devrait contenir une déclaration sur
les enjeux éthiques en question et indiquer comment les principes de la présente
Déclaration ont été pris en considération. Il devrait inclure aussi des informations
concernant le financement, les promoteurs, les affiliations institutionnelles, les conflits
d’intérêts potentiels, les incitations pour les personnes impliquées dans la recherche
et des informations concernant les mesures prévues pour soigner et/ou dédommager
celles ayant subi un préjudice en raison de leur participation à la recherche85.
L’organisation des essais cliniques exige le respect de certaines procédures confor-
mément aux bonnes pratiques cliniques qui constituent « un ensemble d›exigences
de qualité dans les domaines éthique et scientifique, reconnues au plan international, qui
doivent être respectées lors de la planification, la mise en œuvre, la conduite, le suivi, le
contrôle de qualité, l›audit, le recueil des données, l›analyse et l›expression des résultats
de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine
humaine ”86. Selon l’article 99 du Code de déontologie médicale l’expérience sur un
81
82
83
Article 3 de l’arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, relatif à la création des comités de pro-
tection des personnes prêtant à l’expérimentation médicale au scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine et fixant leurs attributions, leurs compositions et leurs modalités de fonctionnement,
JORT, N°9, du 30 janvier 2015, p.311.
Art.9/2 l’arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, relatif à la création des comités de protection
des personnes prêtant à l’expérimentation médicale au scientifique des médicaments destinés à la méde-
cine humaine et fixant leurs attributions, leurs compositions et leurs modalités de fonctionnement, JORT,
N°9, du 30 janvier 2015, p.313.
J.-M. Clément, Les grands principes du droit de la santé, Les Etudes Hospitalières, 2005, p.165.
84 Voir : J.Ch. Thalabard, Enjeux éthiques de la méthodologie des essais cliniques, in, F. et E. Hisch (S/D),
Ethique de la recherche et des soins dans les pays en développement, Paris, Vuibert, 2005, p. 30.
85 Article 22/ 2 du Protocole Helsinki
86 Extraits de l’annexe de cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médica-
ments destinés à la médecine humaine tel qu’approuvé par l’arrêté du ministre de la santé publique du 28
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
58
être humain doit respecter les principes moraux et scientifiques qui justifient la re-
cherche en médecine humaine. L’expérience sur un être humain doit être menée par
des personnes scientifiquement qualifiées et sous surveillance d’un médecin qualifié.
La mise en place de l’expérimentation devrait être réalisée selon un protocole spéci-
fique qui « décrit les objectifs, la conception, la méthodologie, les remarques d’ordre
statistiques et les diverses étapes d’un essai »87
A ce propos, l’article 18 du décret du 03 septembre 1990 exige que dans le cas où
l’expérimentation a lieu dans un établissement public, elle doit avoir au préalable l’ac-
cord du comité ou du conseil scientifique dudit établissement88. Avant d’entamer une
expertise analytique, pharmaceutique ou toxicologique, les experts ainsi que les fabri-
cants sont tenus de se présenter auprès de l’unité de la pharmacie et du médicament
au ministère de la Santé publique afin de recevoir des exemplaires du présent cahier
des charges ; chacun d’entre eux doit conserver un exemplaire et en déposer un au-
près du même organisme après l’avoir signé à la dernière page, avec légalisation de la
signature auprès des organismes spécialisés. Les fabricants doivent en même temps
fournir au ministre de la santé publique le protocole spécifique à l’expertise ainsi que
le contrat signé entre les différentes parties participantes à l’expérimentation89.
Il convient d’ajouter que les essais cliniques sont soumis à des contrôles en perma-
nence par les autorités de santé. Le ministre de la santé publique est systématique-
ment tenu informé des effets indésirables graves et inattendus des essais ainsi que
d’éventuelles complications apparues en cours d’expertise90. Il peut aussi décider de
l’arrêt provisoire ou définitif de l’expérimentation91.
A contrario, le rapport de la Cour des Comptes a relevé que les essais ont été menés
en l’absence de ce qui atteste que le ministère s’était assuré de la composition du
médicament92.
En définitive, le cadre juridique des essais cliniques a connu une évolution depuis
2014. Mais, on pense que ce domaine nécessite un encadrement juridique plus judi-
cieux, car sur le plan juridique « il est illogique et injustifiable qu’un domaine aussi sensible
que les essais de nouveaux médicaments ne soit encadré que par des textes règlementaires.
Qu’ils soient à visée thérapeutique (volontaires ayant bénéfice direct à l’essai au regard de
mai 2001, tel que modifié et complété par l’arrêté du 1er juin 2015.
87 S. Lahouar, op, cit, p.456.
88 Décret n°90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou scienti-
fique des médicaments destinées à la médecine humaine, tel que modifié notamment par le décret n°2001-
1076 du 14 mai 2001.
Article 6 de l’arrêté du ministre de la santé publique du 28 mai 2001, Tel que modifié et complété par
l’arrêté du 1er Juin 2015, portant approbation du cahier de charges relatif à l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine.
89
90 S. Lahoaur, op, cit, p.450.
91 Article 14 du Cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments
destinés à la médecine humaine.
92 Le 29ème rapport de la Cour des comptes, p.552.
leur maladie) ou scientifique (volontaires sains), ces essais touchent à la libre volonté de
la personne, à sa dignité, à son intégrité physique, risquant de porter atteinte à ses droits
fondamentaux »93. Néanmoins, le rôle du juge demeure important en vue de préserver
et faire prévaloir les droits fondamentaux lors du déroulement des essais cliniques.
59
93
A. Aouij, La nouvelle règlementation relative aux essais thérapeutiques et scientifiques, Bulletin d’informa-
tion n°80. Mars 2015, disponible en ligne : http://www.atds.org.tn/b80.html
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
60
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
A. Aouij, La nouvelle règlementation relative aux essais thérapeutiques et scientifiques, Bulletin
d’information n°80. Mars 2015, disponible en ligne : http://www.atds.org.tn/b80.html
A. AOUIJ (S/D), Quelles précautions pour quels risques ? Regards croisés, Latrach éditions, 2011,
p.387.
L. Azoux Bacrie, Consentement et dignité : deux concepts fondateurs de la médiation dans le
domaine de la santé, « Droit, Santé et Société », 2019/3 n° 3, p.8.
X. Bioy, Le corps humain et la dignité, Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2017,
p.11.
J.-M. Clément, Les grands principes du droit de la santé, Les Etudes Hospitalières, 2005, p.165.
S. Dabbou Ben Ayed, Le droit à l’information et le principe du consentement, in actes du colloque :
« Le principe du consentement éclairé en matière de soins et de recherche », 2011, p.35.
Flueckiger, La preuve juridique à l’épreuve du principe de précaution, Revue européenne des
sciences sociales, Tome XLI, 2003, N° 128, p. 108.
H. Rousseau, C. Magnin, Chapitre 3. Les conditions légales préalables requises pour les essais
cliniques d’après la Déclaration d’Helsinki révisée et la Convention européenne sur les droits de
l’homme et la biomédecine Legal prerequisites for clinical trials under the re, Journal International
de Bioéthique, 2004/1 (Vol. 15), p. 45.
M. Letaief « Défaut de consentement du patient et responsabilité administrative : Quel régime
pour quelle indemnité ? in actes du colloque : « Le principe du consentement éclairé en matière de
soins et de recherche », 2011, p.113.
M. Fabre-Magnan, La dignité en droit : un axiome, Revue interdisciplinaire d’études juridiques,
2007, p.1.
S. Lahouar, Les essais cliniques, in A. Aouij (S/D), Commentaire des grands textes du droit de la
santé, CPU, 2012, p.447.
B. Mathieu, La dignité, principe fondateur du droit, Journal International de Bioéthique 2010/3
(Vol. 21), p.77.
M. Prieur, Le principe de précaution, p.7 [disponible en ligne] : https://www.legiscompare.fr/web/
IMG/pdf/2-Prieur.pdf
J.Ch. Thalabard, Enjeux éthiques de la méthodologie des essais cliniques, in, F. et E. Hisch (S/D),
Ethique de la recherche et des soins dans les pays en développement, Paris, Vuibert, 2005, p. 30.
S. -N. Verdun-Jones, D.-N. Weisstub, L’expérimentation non thérapeutique, [En ligne], R.D.U.S. 49,
1997, p.5 ; Disponible sur : https://www.usherbrooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/
RDUS/volume_27/27-12-weisstubverdunjones.pdf
Corps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine Jeweher SEKHIRI
61
LE DROIT À L’INHUMATION DANS LE PAYS
D’ORIGINE : QUELLE EXCEPTION DANS L’ÉTAT
D’EXCEPTION ?
COMMENTAIRE DU JUGEMENT EN RÉFÉRÉ N°7144774, TRIBU-
NAL ADMINISTRATIF, 11 JUILLET 2020
SYNTHÈSE94
Docteure en Droit public, Enseignante à
Jeweher SEKHIRI
L’Institut supérieur d’études juridiques et politiques de Kairouan
L’épidémie du Covid-19 a provoqué une crise sanitaire d’ampleur. Les États étaient
confrontés à un défi social, politique et juridique majeur.
Quels risques pour les droits et libertés dans le cadre des mesures exceptionnelles
prises par les gouvernements pour faire face à la crise sanitaire ?
Comment concilier entre les différents droits qui ont une valeur constitutionnelle sur-
tout dans un état d’exception ?
Le jugement en référé, en date 11 juillet 2020, en fait l’illustration.
RAPPEL DE LA DÉCISION
En l’espèce, une femme tunisienne a voyagé au Gabon, dans le cadre d’un travail.
Mais, suite au déclenchement de la pandémie il était impossible de retourner en
Tunisie pour cause de fermeture des frontières. Entre temps elle a été décédée par
la Covid-19. Ses proches ont demandé aux autorités administratives concernées, le
rapatriement du corps du défunt en Tunisie depuis le pays du décès. Faute de de
réponse. Ils ont recouru au juge des référés pour ordonner au ministère des affaires
étrangères de leur octroyer un permis de transport du corps de la défunte.
94 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
74-95.
Corps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine Jeweher SEKHIRI
62
Le tribunal devait donc se prononcer sur la question suivante : Est-il possible que
le juge des référés ordonne au ministère des affaires étrangères le rapatriement du
corps du défunt décédé à cause du COVID- 19 ?
La demande a été rejetée sur la base que l’état d’exception relatif à la situation sani-
taire ne le permet pas. En effet, le tribunal administratif a fait prévaloir l’état de santé
des citoyens tunisiens qui ont la priorité d’être protégés.
Nous lisons dans la décision du 11 juillet 2020 :
« Attendu que l’article 25 de la Constitution dispose : aucun citoyen ne peut être déchu
de la nationalité tunisienne, ni être exilé ou extradé, ni empêché de revenir dans son pays.
Les droits relatifs à l’inhumation font partie intégrante des droits culturels tels que garantis
dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 dé-
cembre 1966 ratifié par la Tunisie le 18 mars 1969. Dès lors, priver citoyen de son droit
d’être enterré dans son pays d’origine est une violation de ce droit.
L’article 12 du même Pacte énonce que : les Etats parties reconnaissent le droit qu’a toute
personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’at-
teindre. Ils doivent aussi prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer le plein exercice
de ce droit pour assurer : le traitement des maladies épidémiques ainsi que la lutte contre
ces maladies.
Les droits mentionnés sont deux droits garantis par la Constitution et les conventions in-
ternationales ratifiés par la Tunisie se superposent. L’un prévaut sur l’autre. Il s’agit du droit
d’être enterrer dans son pays d’origine, d’une part et du droit de tous les citoyens de jouir
du meilleur état de santé physique, d’autre part.
Parmi les fonctions principales des établissements de santé publique est de lutter contre
la pandémie du coronavirus. Cela se traduit, en effet, par la prise de toutes les mesures
préventives nécessaires afin d’empêcher la propagation du virus et dans un but de protéger
la santé des citoyens.
En rappelant les conditions des restrictions relatives aux droits et libertés telles que posées
par l’article 49 de la Constitution, le juge affirme son rôle consistant à assurer la protection
des droits et libertés contre toute atteinte.
Le juge tient compte du degré de la gravité des risques qui menacent les droits d’une caté-
gorie importante d’individus. Situation qui amène le juge à limiter le droit dont les risques
sont moindres à l’égard des citoyens. Par contre, il met en œuvre le droit dont les risques
sont plus importants dans le cas où des restrictions sont apportées à son exercice ».
Corps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine Jeweher SEKHIRI