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LES LIBERTÉS
AU PRÉTOIRE !
LES JURIDICTIONS
PROTECTRICES DES LIBERTÉS
RECUEIL DE COMMENTAIRES DE DÉCISIONS
JURIDICTIONNELLES
Sous la direction du Professeur Wahid FERCHICHI
With english synsthesis
Tunis, décembre 2021
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CARACTÉRISTIQUES TECHNIQUES /
Format : 155/235 mm
Papier : OFFSET 100gr / 300 gr couché mat
Volume :572 pages
Edition : 1ère édition, décembre 2021/ Impression Offset- Heidelberg
Conception graphique : ALPHAWIN STUDIO-2021
Couverture : Anis Menzli sur la base d’un dessin offert à l’ADLI par Raed Charaf,
de la Legal-Agenda Beyrouth, qu’il soit vivement remercié
Tirage : 300 exemplaires
ISBN : 978-9973-9860-5-4
© ADLI. Tous droits réservés à l’Association Tunisienne de défense des libertés individuelles
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© ATFD
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PRÉFACE
Remerciements et reconnaissance
À la Grande Sana BEN ACHOUR
L’Association tunisienne de défense des libertés individuelles et dans la continuité de
ses publications annuelles, présente cette année son ouvrage collectif intitulé :
« Les libertés au prétoire : le rôle des juridictions dans la protection des droits et des liber-
tés ”.
Il s’agit d’un recueil de commentaires des décisions juridictionnelles portant sur
les différents droits et libertés.
Ont pris part à cet ouvrage un grand nombre de juristes de différentes pratiques
et générations : des universitaires, des magistrat.e.s judiciaires et administratifs, des
chercheur.e.s en droit… de très jeunes et de moins jeunes…
Ces participant.e.s ont présenté leur profonde lecture des différentes décisions com-
mentées dans tous les aspects liés aux libertés : les libertés corporelles, les libertés
intellectuelles, celles liées aux différentes activités : associatives, syndicales, écono-
miques et sociales… L’apport jurisprudentiel en matière d’égalité, de liberté et de di-
gnité… Des principes qui ont fait l’objet d’une vie dédiée par la Professeure Sana BEN
ACHOUR à la défense des plus démunies : les femmes, les enfants, les LGBTQI++ et
toutes les personnes minorées et discriminées…
En dédiant ce travail à Sana BEN ACHOUR, l’Association tunisienne de défense des
libertés individuelles rend hommage à une génération d’universitaires-militantes…
Sana BEN ACHOUR, nous te remercions pour ce que tu fais, nous te remercions pour
ce que tu es…
Respect et profonde reconnaissance
Pour l’Association Tunisienne de Défense des Libertés Individuelles
Tunis le 10 décembre 2021
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TABLES DES MATIÈRES
5
PRÉFACE : Association tunisienne de défense des libertés individuelles
INTRODUCTION(S)   
             8
Wahid FERCHICHI : « Protecteur des droits et des libertés » !
9
Hafidha CHEKIR : Le juge, les libertés individuelles, l’ordre public,
et les bonnes mœurs
17
Malek GHAZOUANI : De la zatla dans le colis d’un détenu,
Rappel du principe de la légalité criminelle 23
1. CORPS ADULÉ, CORPS INCRIMINÉ ! 29
1.1 Nejiba ZAIER : La vie privée sur les réseaux sociaux
31
1.2 Sonia MALLEK El EUCH : La perte de la virginité de l’épouse.
35
1.3 Sana BEN ACHOUR : Le mariage, la chair et le sang :
A propos d’une jurisprudence établie.
39
1.4 Hanene TURKI : La dignité humaine et les essais cliniques
47
1.5 Jeweher SEKHIRI : Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine 61
2. LA LIBERTÉ DE CHOISIR SON APPARENCE !
67
2.1 Jihen BEN HAMMOUDA, Le Niqab une liberté ou une menace
à l’ordre public?
2.2 Mahdi ELEUCH: Le port de la barbe,
manifestation de la « liberté personnelle »
69
73
3. EGALITÉ ET LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS
79
3.1 Abdelkarim LAOUITI : « Le juge et la discrimination raciale »
80
3.2 Lamia NEJI : Egalité Homme/Femme et Intérêt supérieur de l’enfant 86
3.3 Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI : Egalité et projet de loi organique
relatif aux élections et aux référendum
101
3.4 Souhayma BEN ACHOUR : Disparité de culte, l’appel inéluctable des droits
fondamentaux
118
 
 
 
 
 




















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4. DROITS CIVILS ET POLITIQUES
129
4.1 Aymen CHTIBA : La liberté d’expression sur les réseaux sociaux 130
4.2 Aymen ZAGHDOUDI : La concurrence des lois en matière
de liberté d’expression
4.3 M-Amine JELASSI : L’assignation à résidence
4.4 Khalil FENDRI : La liberté de circulation et la liberté
de choisir sa résidence
136
142
147
4.5 Rabeb MOKRANI : Le juge administratif et le droit de réunion pacifique 151
4.6 Wahid FERCHICHI: La liberté de constituer des associations
156
4.7 M-Anoir ZAYANI : Le droit d’ester en justice en vue de défendre
les intérêts collectifs
4.8 Issam BENHSAN : Les restrictions apportées au droit de se porter
candidat aux élections municipales
5. DROITS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX
5.1 Mabrouka ESSID, Le droit à l’enseignement
5.2 Marwa BEN RHAIEM : Le droit au travail ou de la liberté
du commerce et de l’industrie
5.3 Firas LOUKIL : Les libertés syndicales
6. DROITS DES GROUPES MINORÉS      
6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour
162
167
171
172
175
181
        187
du statut juridique des transsexuel.le.s
188
6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant
et la nécessité de sa protection
ENGLISH SYNTHESIS
197
201



















 
 







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INTRODUCTION(S)
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« LE JUGE GARANT DES DROITS ET LIBERTÉS »
LES JURIDICTIONS ET L’APPROPRIATION
DE LEUR RÔLE CONSTITUTIONNEL
9
Professeur de droit public, Université de Carthage
Directeur du département de droit public et de science politiques
Wahid FERCHICHI
SYNTHÈSE1
La Constitution adoptée le 27 janvier 2014 consacre un nouveau rôle pour les juges
et les instances juridictionnelles. En effet, l’article 49 de la Constitution dispose : « Les
instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute
atteinte. » De même, l’article 102 énonce que : « La magistrature est un pouvoir indé-
pendant, qui garantit … la protection des droits et libertés. »
Il s’en suit que la protection des droits et libertés n’est plus un choix pour les instances
juridictionnelles. Cette protection devient désormais un devoir incombant aux juges :
les juges judiciaires, administratifs, constitutionnels, ceux de la Cour des comptes, et
des tribunaux militaires. Ces derniers sont régis par l’article 110 de la Constitution se
situant dans le chapitre relatif au pouvoir juridictionnel. Dès lors, l’article 102 s’ap-
plique aux tribunaux militaires aussi.
La question qui se pose à ce stade est de savoir si les juridictions garantissent vrai-
ment la protection des droits et libertés telle qu’énoncée par la Constitution? Et est-
ce qu’elles se sont engagées à l’appliquer?
1. DES ORIGINES DE LA PROTECTION DES DROITS ET LIBERTÉS PAR LES
JURIDICTIONS
Il faut rappeler que la magistrature a bel et bien joué un rôle dans la protection des
droits et libertés et ce même avant l’adoption de la Constitution de 2014. Pourtant,
on a souvent l’impression que ce rôle varie selon l’ordre juridictionnel : il parait que le
juge administratif assure une meilleure protection des droits et libertés (1.1) que le
juge judiciaire (1.2).
1
Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
7-13.
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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1.1 Du rôle protecteur de la justice administrative
La justice administrative est née tardivement par rapport à la justice judiciaire (la
Constitution de 1959 a créé le Conseil d’Etat qui se compose du Tribunal adminis-
tratif et de la Cour des comptes). De surcroit, la loi régissant le Tribunal administratif
n’a été adoptée que le 1
er juin 1972. Et ce n’est qu’à partir de 1975 que le Tribunal
administratif a commencé à rendre des jugements.
Depuis la mise en place du Tribunal administratif, le juge s’est autoproclamé le pro-
tecteur des droits et libertés publiques.
2 Ainsi, ce tribunal a rendu plusieurs arrêts
de principe en matière de protection des droits et libertés : la liberté de circulation
et de choisir le lieu de résidence, le droit à un passeport, le droit de propriété, le droit
de créer des associations...
3
D’emblée, il s’agit du rôle naturel du tribunal administratif relevant de sa compé-
tence. Il constitue la juridiction compétente dans le contentieux de l’Etat et de ses
différentes structures. En particulier, le ministère de l’Intérieur qui est l’institution
qui menace le plus les libertés en rapport avec les décisions qu’il adopte. Par consé-
quent, le tribunal administratif demeure le juge des libertés.
Le rôle protecteur du tribunal administratif en matière de droits et libertés publiques
marque une continuité avec le rôle joué par le Conseil d’Etat français. En effet, le
juge administratif se présente comme le juge de la partie faible (citoyen/citoyenne)
face à l’autorité publique. Résultat : plusieurs jugements de principe en matière de
droits et libertés ont été rendus par le tribunal administratif.
En outre, le juge administratif s’est montré indépendant vis-à-vis l’Administration et
ses rouages. Mais, les décisions du tribunal administratif ne prévoient pas de mé-
canismes pour garantir leur exécution par l’Administration. Cette dernière garde la
liberté d’exécuter ou de ne pas exécuter les décisions du juge administratif.
De plus, la première génération des juges administratifs s’est imprégnée de la ju-
risprudence du Conseil d’Etat français. Cette génération a consacré les principes
garantissant les droits et libertés. C’est ainsi que cette consécration ait été sans in-
terruption avec les différentes générations des magistrats. De même, la génération
actuelle a mis en œuvre les dispositions de la nouvelle Constitution en matière des
droits et libertés
4.
Pourtant, ce rôle directeur a été réduit par l’Etat et ce en retirant certaines compé-
tences de la justice administrative en vertu de la loi : les passeports, la nationalité, le
contentieux des associations, de la presse et des médias…
2
4
Tribunal administratif, décision en matière de recours pour excès de pouvoir, n°325 du 14 avril 1981,
Pierre Falcon et autres c. Ministre de l’Agriculture, Recueil des décisions de 1981, Tunis, STD, p. 110.
.2007 ،يعماجلا رشنلا زكرم سنوت ،يرادلإا ءاضقلا هقف يف ىربكلا ماكحلاا ،حينج اضر دمحم :رظنأ 3
Voir les contributions dans cet ouvrage qui ont commenté les décisions du tribunal administratif en la
matière.
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11
Or, l’affaiblissement du rôle de la justice administrative ne l’a pas empêché de conti-
nuer de jouer le rôle de protecteur des droits et libertés dans ces domaines et ce à
chaque fois que l’affaire se rapporte à un acte administratif.
Ainsi, le juge administratif a consacré un nouveau principe qui lui permet de contrô-
ler la légalité des actes administratifs. Il s’agit en effet de la compétence originale de
la justice administrative.
1.2. De l’hésitation du juge judiciaire quant à la protection des droits et libertés
L’impression générale est que le juge judiciaire (et ce contrairement au juge adminis-
tratif) témoigne d’une réticence quant à la protection des droits et libertés. En effet,
il met en avant l’intérêt du groupe au détriment des droits et libertés surtout dans
les affaires se rapportant aux mœurs. Dès lors, si le juge administratif est le garant
des droits et libertés, le juge judiciaire est le protecteur des valeurs morales de la
société. Parmi les causes de cette impression, on cite principalement l’existence d’un
arsenal juridique qui porte atteinte aux libertés.
En effet, la majorité des textes juridiques de cet arsenal date de l’époque coloniale
et de la période de l’autoritarisme :
-le Code des obligations et des contrats de 1906 qui fait la distinction entre musul-
mans et non musulmans
5 et qui contient un décret beylical du 15 mai 1941 interdi-
sant la vente des boissons alcoolisées aux tunisiens musulmans ;
-le Code pénal de 1913 qui emploie encore des expressions comme l’outrage public
à la pudeur et l’atteinte aux bonnes mœurs. Ce Code pénalise aussi l’homosexualité
masculine et féminine, l’excitation à la débauche, l’adultère ;
-le Code de statut personnel de 1956 considère toujours le mari, comme étant le
chef de famille et pose des règles discriminatoires en matière d’héritage.
Dès lors, le juge se trouve contraint d’appliquer ces législations.
Or, cette impression est parfois erronée. En effet, avant l’adoption de la Constitution
de 2014 et même avant la révolution de 2011, le juge judiciaire n’était pas en rup-
ture totale avec les droits et libertés. Il faut rappeler que le juge judiciaire a affirmé
la preuve de la filiation de l’enfant né hors mariage malgré le fait que la loi exigeait
le contrat de mariage comme mode de preuve. La Cour de cassation s’est basée sur
le principe fondamental établissant : « la primauté de droit » et ce afin d’établir la
filiation de l’enfant en l’absence d’un contrat de mariage
6.
Il faut aussi rappeler le courage des juges de fond à Kairouan et à Sousse vers la fin
des années 1980. Ces juges ont affirmé la compétence du juge judiciaire dans le
contrôle de la constitutionnalité des lois
7.
5 Les articles 317, 369, 575, 720, 834, 584, 1107, 1023, 1253, 1428, 1255 et 1463.
6
Cour de cassation, chambre civile, n°5350 du 2 avril 1967, RJL, 1969, p. 25.
Affaire n°51883, Tribunal de première instance de Kairouan du 24 décembre 1987 et l’arrêt de la Cour
d’appel de Sousse n°58519 du 11 avril 1988, RTD, 1989, p. 20.
7
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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Les événements du 17 décembre 2010 - 14 janvier 2011 ainsi que la Constitution
de 2014 ont marqué l’hésitation du juge judiciaire et la détermination du juge ad-
ministratif.
Par conséquent, les décisions juridictionnelles judiciaires et administratives rendues
durant les dix dernières années doivent être analysées à la lumière de l’actualité. Il
s’agit ainsi des libertés d’expression et de l’information qui ont accordé aux juges
une grande marge de liberté dans l’espace public et pour l’action politique.
2. IMPACT DES DIX ANS DE LA RÉVOLUTION SUR LA MAGISTRATURE : UN
BILAN MITIGÉ
La magistrature a été marquée par les événements de la Révolution en matière des
droits et libertés. Ainsi, le juge a pu défendre les droits et les libertés individuels (1.2).
Mais, en parallèle, certaines décisions liberticides ont été rendues (2.2).
1.1 Le juge est le protecteur des libertés
Depuis 2011, les juges ont pris conscience d’un changement qui a touché le sys-
tème des droits humains. Ils sont persuadés que la révolution a renforcé les droits
humains et qu’elle a redéfini le statut de l’individu au sein de ce système. Ceci a été
confirmé dans plusieurs décisions rendues par la justice judiciaire et administrative.
Parmi les décisions qui ont consacré le rôle du juge dans la protection des libertés
individuelles on cite le jugement du Tribunal de première instance de la Manouba
n°2020-1753 du 14 mai 2020 qui affirmait :
« L’adoption du décret-loi n°115 de 2011 avait pour objectif de renforcer la liberté
d’édition et d’expression. Il a aussi réduit les peines privatives de libertés en
prévoyant des sanctions pécuniaires. En rappelant aussi l’obligation de respecter les
conventions internationales ratifiées par la Tunisie, à titre d’exemple le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et ce en vertu de l’article 1er du
décret-loi et conformément à la Constitution tunisienne. »
- La perception du juge selon laquelle une nouvelle philosophie de droits humains
est née à partir de 2011 réaffirme la suprématie des droits et libertés.
Dès lors, toutes les lois internes doivent être en conformité avec ces libertés.
Même dans le cas où la Constitution est abrogée, les libertés demeurent en vigueur
parce qu’elles sont supraconstitutionnelles
8.
Le caractère supraconstitutionnel des droits et libertés a fait que le juge se réfère
en permanence et même d’une façon automatique à tous les textes juridiques ren-
forçant son approche.
8
Voir le jugement rendu en référé par la Cour d’appel de Tunis du 5 février 2013. Il a été jugé que : quoique
la Constitution ait été abrogée, « les dispositions relatives aux droits et libertés demeurent en vigueur car
elles sont de nature irrévocables. »
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13
-Du contrôle de la constitutionnalité des lois : depuis 1988, la Cour de cassation
a refusé que le juge judiciaire exerce un contrôle de la constitutionnalité des lois
9.
Néanmoins, la justice administrative a exercé ce contrôle sans aucune hésitation et
ce dans le cadre de l’exception d’inconstitutionnalité.
Par exemple, dans certaines décisions le juge administratif s’est reconnu le droit de
contrôler la constitutionnalité des restrictions posées par une loi car ceci fait partie
des principes de l’Etat de droit. En effet, l’article 49 de la Constitution du 27 janvier
2014 oblige le juge à veiller à la protection des droits et des libertés
10.
-De l’application « directe » des instruments internationaux : depuis 2011, pour ap-
puyer leurs jugements, les juges judiciaires et administratifs ont appliqué les instru-
ments internationaux. Ceci marque une nouvelle étape dans la magistrature, à savoir
l’ouverture au droit international des droits humains. Ce dernier est ainsi employé en
tant que référence de base en vue d’appuyer le jugement.
Il s’agit d’une approche qui est conforme aux dispositions de la Constitution dis-
posant : « les conventions internationales sont supérieures aux lois (article 20 de la
Constitution de 2014, article 32 de la Constitution de 1959).
Cette approche s’est de plus en plus concrétisée puisque le juge se réfère même
à des déclarations universelles et des conventions internationales qui ne sont pas
contraignantes pour la Tunisie. Dans ce cas, le juge s’y réfère pour montrer qu’une
telle règle, liberté ou droit fait l’objet d’un consensus international et de l’humanité
nonobstant sa culture ou son origine.
Entre temps, le juge met en œuvre les conventions ratifiées par la Tunisie (les deux
pactes de 1966, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples) ainsi que
la Convention européenne des droits de l’Homme. Le juge se réfère aussi à des dé-
clarations universelles non officielles sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre
telles que les Principes de Jogjakarta sur l’application de la législation internationale
des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre et la
déclaration de Montréal sur les droits humains des minorités sexuelles de 2006.
Ceci justifie que le droit ou la liberté fait partie des coutumes internationales. De
telles libertés sont naturelles et n’ont pas besoin d’un texte pour les reconnaitre
11.
La Cour a jugé que :
« L’homosexualité fait partie intégrante du concept « minorités sexuelles » et ce
en se référant aux instruments internationaux des droits humains. Parmi lesquels
les Principes de Jogjakarta, la déclaration de Montréal sur les droits humains
des minorités sexuelles, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le
9
Cour de cassation 1er juin 1988.
10 Tribunal administratif, le droit de se porter candidat aux élections municipales, affaire n°20181015 du 16
mars 2018, commentaire Issam Ben Hssan dans cet ouvrage.
11 Cour de cassation, arrêt n°2019/78864 du 21 février 2020. Chef du contentieux de l’Etat c. Association
Shams.
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, et la Convention européenne des
droits de l’Homme. »
-De l’application de l’article 49 de la Constitution : l’article 49 de la Constitution a
posé les conditions des restrictions apportées aux droits et libertés garantis dans la
Constitution. De telles restrictions sont soumises aux principes de la démocratie. A
cet égard, il ne faut pas porter atteinte à la substance de ces libertés, d’une part. Il
faut aussi respecter le principe de nécessité pour répondre aux exigences d’un État
civil et démocratique et respecter le principe de la proportionnalité entre ces restric-
tions et leurs justifications d’autre part. Et surtout sans porter atteinte aux acquis en
matière de droits de l’Homme et de libertés garantis par la Constitution.
Cet article a exhorté les tribunaux administratifs et judiciaires à l’appliquer en vue
de défendre les droits et les libertés. De ce fait, le contrôle de la conformité des lois,
des actes administratifs et même des décisions des tribunaux avec l’article 49 est
désormais possible
12.
Par conséquent, les juges judiciaires et administratifs plaident pour les droits et les
libertés grâce à cette nouvelle approche.
Cette approche est traitée dans cet ouvrage : au niveau des libertés intellectuelles,
corporelles, les droits civils et politiques, des droits économiques et sociaux, ainsi
qu’au niveau de la protection des groupes … Pourtant, plusieurs décisions rendues
par les tribunaux n’adoptent pas cette approche réaffirmée par la constitution de
2014 ainsi que par les instruments internationaux des droits humains ratifiés par la
Tunisie.
1.2. Des décisions encore hostiles aux droits et libertés !
Les dispositions de la Constitution de 2014 réaffirmant l’égalité dans les droits et
la protection des libertés individuelles et collectives sans discrimination (article
21), la protection de la dignité humaine (article 23), la protection de la vie privée,
l’inviolabilité du domicile, le secret des correspondances, des communications et
des données personnelles, la liberté de choisir son lieu de résidence et de circuler à
l’intérieur du territoire ainsi que du droit de le quitter (article 24), n’ont pas empêché
les tribunaux de rendre des décisions liberticides pour des raisons antérieures à
l’adoption de la Constitution de 2014.
12 Voir à ce niveau :
2021 ةنس ،AEDI تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت ؟ىرخأ ةءارق نم له ،ةيدرفلا تايرحلاو 49 لصفلا ،شابد رثوك
،AEDI تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يروتسدلا يضاقلا ليلد ,ينورمحلا ىولس
2021 ةنس
2021 ةنس ،AEDI تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت :روتسّدلا نم 94 لصفلا قيبطت يف يلدعلا يضاقلا ليلد ،يناوزغلا كلام
،اهتابجومو تايرحلاو قوقحلا طباوض نيب بسانتلا ةبقارم :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يرادلاا يضاقلا ليلد ،جاحلا نيدلا يفص
2021 ةنس ،AEDI تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت
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-Le juge applique les textes juridiques liberticides en vigueur : la non modification du
Code pénal, du Code des obligations et des contrats et du Code de statut person-
nel ainsi que la loi relative aux stupéfiants a fait que les juges les appliquent et les
interprètent d’une manière à rendre des jugements criminalisant l’homosexualité et
autorisant le recours à des traitements inhumains et dégradants.
-Le juge ne contrôle pas la constitutionnalité des lois qui les applique en l’absence
d’une abrogation explicite. En effet, la Constitution empêche le juge d’exercer ce
contrôle. L’article 148-7 dispose : « Les tribunaux sont réputés incompétents pour
contrôler la constitutionnalité des lois. »
-Le juge continue à exercer le rôle du gardien de « l’ordre public moral » :
Le juge joue le rôle de préserver l’équilibre au sein de la société entre les libertés
individuelles et l’intérêt du groupe. Il puise ses arguments d’un référentiel de la
moralité de la majorité (une moralité à fondement religieux). Conséquemment, les
décisions rendues visent à protéger la société de : « la diffusion d’obscénités …, de
vices, et de se retourner contre les enseignements et les fondements de la société,
et contre son identité … de heurter les sentiments d’autrui. »
13
On remarque alors que le juge n’agit plus en conformité des articles 49 et 102 de la
Constitution. Résultat : Des décisions liberticides ont été rendues et des procédures
portant atteinte à la dignité humaine (tests anaux, de virginité et le test d’urine) ont
été ordonnées et appliquées
14.
Cette approche risque d’être réaffirmée surtout au lendemain de la suspension des
travaux de l’Assemblée des représentants du peuple et ce depuis le 25 juillet 2021,
la dissolution de l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets
de loi en vertu du décret n°17 du 22 décembre 2021, la suspension des disposi-
tions de la Constitution à l’exception du préambule et des chapitres 1 et 2 ainsi que
toutes les dispositions qui ne sont pas en contradiction avec le décret n°117, la fer-
meture des sièges de l’Instance de lutte contre la corruption et l’atteinte aux libertés.
Nous craignons que la justice redevienne sous l’emprise du pouvoir politique et que
la censure soit rétablie ainsi que la lecture conservatrice des textes juridiques soit
encore adoptée en fonction du discours populiste et conservateur répandu. Cette
lecture devrait normalement être en harmonie avec le rôle principal des juges : la
protection des droits et des libertés.
13 Tribunal de Première Instance de Kairouan jugement n°6782 du 10 décembre 2015.
14 Voir le n°20 de la revue legal agenda, « la justice tunisienne au temps de la révolution du jas-
min », 4 janvier 2021 (en arabe). https://legal-agenda.com/%D9%82%D8%B6%D8%A7%D8%A1-
%D8%AA%D9%88%D9%86%D8%B3-%D9%81%D9%8A-%D8%B2%D9%85%D9%86-%D8%A7%D9%
84%D9%8A%D8%A7%D8%B3%D9%85%D9%8A%D9%86/
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
En langue française :
- BEN ACHOUR Souhayma, Les libertés individuelles des étrangères et des étrangers en Tuni-
sie, Les métèques de la République, Tunis, ADLI, 2019, 117 p.
- BOSTANJI Sami, «Turbulences dans l’application du Code du statut personnel, le conflit de
référentiel dans l’œuvre prétorienne », RIDC, 2009, n°1, p.25.
- LOUKIL Firas, Juge de l’excès de pouvoir et libertés individuelles, Université de Sfax, Faculté
de Droit de Sfax, 2018.
En langue arabe :
ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يروتسدلا يضاقلا ليلد ,ينورمحلا ىولس -
2021 ةنس ،IDEA تاباختنلااو ةيطارقميدلل
طباوض نيب بسانتلا ةبقارم :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يرادلاا يضاقلا ليلد ،جاحلا نيدلا يفص -
2021 ةنس ،IDEA تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت ،اهتابجومو تايرحلاو قوقحلا
ةركفملا ةلجم ،قوقحلل يماحلا يضاقلا ةركفب سمت ةيلكيه تابوعص ،يرادلاا ءاضقلل ذافنلا ،يرباغلا دامع -
ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت ؟ىرخأ ةءارق نم له ،ةيدرفلا تايرحلاو 49 لصفلا ،شابد رثوك -
.2021 يفناج ،20 ددع ةينوناقلا
2021 ةنس ،IDEA تاباختنلااو
ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يلدعلا يضاقلا ليلد ،يناوزغلا كلام -
2021 ةنس ،IDEA تاباختنلااو
نب حلاص دمحم ديمعلا ىلا ةادهم لامعأ ةعومجم يف ،ةيساسلأا قوقحلا لوح ءاضقلا هقف نم ،يناوزغلا كلام -
نيح تاّيرحلا يضاق ،سنوت يف ءاضقلاب سملا ةيضق يف كيرب نب قيفوت ةمكاحم ،يديعجلا فيفعلا دمحم -
189ص .2020 ةنس ،يعماجلا رشنلا زكرم ،سنوت ،ىسيع
ةركفملا ،ديري سيئر هربخو مّيقي سيئر هؤدتبم ثيدح حيحصتلا قفأ يف ءاضقلا ،يديعجلا فيفعلا دمحم -
.2020 ةيليوج 28 ةركفملا ،مكحلاو مصخلا نوكي
.2121 ربوتكأ 11 يف ةينوناقلا
ةيامحو ةصاخلا ةايحلا ةيامح نيب ةيردنجلا ةيوهلا :يسنجلا لوحتلا نأشب يئاضق مكح« ،يصلاجلا نيمأ دمحم -
فلؤم ،يندملا ءاضقلا هقف نم اماع نوسمخ ،»بيقعتلا ةمكحم تارارق يف ماعلا ماظنلا موهفم« ،يرايعلا رينم -
.2010 ،يعماجلا رشنلا زكرم ،نيدلا فرش لامك دمحم ذاتسلأا فارشإ تحت يعامج
نورّوصتي امك نويسنوت ةاضق ةيئاضقلا تايقلاخلأا لوح ةرامتسا جئاتن يف ةءارق ،مشاهلا ليلخو ةيغاص رازن -
.2018 ةيليوج 9 ،ةينوناقلا ةركفملا ،»ماعلا ماظنلا
يفناج 14 .لولاا ءزجلا .ةيلاقتنلاا ةرتفلا يف ةيرادلاا ةمكحملا ،يجبطسب ةنمآو ةربنق ةيمس ،سيديرك ةرون -
.20 ددع ،ةينوناقلا ةركفملا ،مهتمهم
.2014 يفناج 2011-27
،يعامج فلؤم ،ةيغاص رازن نمض ،سنوت يف ةاضقلل ةيعامجلا تلاتكتلاو ءاضقلا للاقتسا ،يشيشرفلا ديحو -
.205 ص ،2009 رداص راد توريب ،ةاضقلا عّمجت نيح
.2013 ليرفأ 2 ،ةينوناقلا ةركفملا ،ءاغللإل ةلباق ريغ ةيساسلأا تايرحلاو قوقحلا نلعت سنوت فانئتسا ،يشيشرفلا ديحو -
نم ّطحي ةيلثملا ميرجت :230 لصفلا ءاغلإب بلاطت ةيعمج ةينوناق دكؤت سنوت فانئتسا ،يشيشرفلا ديحو -
.2019 ةيليوج 3 ،ةينوناقلا ةركفملا ،ةيناسنلإا ةماركلا
تاحلاصإ دعب يرادلإا ءاضقلا لوح ىقتلم ،طبضلا ريبادت ةباقر يف ةّيرادلإا ةمكحملا تاهاجتا ،يشيشرفلا ديحو -
ةيعمجلا رشن ،2001 ليرفأ 13 و 12،سنوتب ةّيسايسلا و ةيعامتجلاا و ةّينوناقلا مولعلا ةّيلك،1996 ناوج 3
.20.ص ,2002 ,ةيرادلإا مولعلل ةيسنوتلا
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LE JUGE, LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES,
L’ORDRE PUBLIC
ET LES BONNES MŒURS
Vice-présidente de la Fédération internationale des droits humains (FIDH)
Hafidha CHEKIR
Professeure de Droit,
SYNTHÈSE15
La Constitution tunisienne de 2014 a reconnu les libertés individuelles en tant que
droits humains à part entière. Il s’agit du droit à l’inviolabilité de la vie privée et du
domicile, de la liberté de circulation, de la liberté d’opinion, de la liberté de croyance
et de conscience, du secret de la correspondance, et du droit à l’intégrité physique.
Toutefois, la Constitution a ignoré ou négligé d’autres, comme le droit à la sécurité,
la liberté de disposer de son corps et les libertés et droits sexuels et reproductifs, la
liberté de choix du conjoint et la liberté de choisir son sexe/genre.
Et même si ces droits n’étaient pas consacrés de manière expresse par la Constitution,
ils ont été reconnus juridiquement dans des textes internationaux, à commencer par
la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui dispose dans son article premier
que «Tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits », et qui recon-
naît à toute personne le droit à la vie et à la sécurité, le droit à la liberté de circulation
à l’intérieur et à l’extérieur du pays (article 13) et la liberté de pensée, de conscience
et de religion (article 18).
De même, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a affirmé ces
droits et reconnu le droit à la protection de la vie privée, le droit à la liberté et à la
sécurité et la liberté de croyance. Il a garanti également dans son article 17 le droit
à la vie privée. Tous ces droits ont été confirmés par les observations du Comité des
droits de l’homme. Cette contribution cherche à étudier dans un premier lieu l’apport
du juge administratif dans la consécration des droits et des libertés (I), et dans un
deuxième lieu, celui du juge judiciaire (II).
15 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
14-27.
Introduction(s) | Le juge, les libertés individuelles, l’ordre public, et les bonnes mœurs Hafidha CHEKIR
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I. LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES DEVANT LA JUSTICE ADMINISTRATIVE :
RESTRICTION AU NOM DE LA PRÉSERVATION DE L’ORDRE PUBLIC
Le Tribunal administratif n’a pas défini les libertés individuelles mais s’est contenté,
dans plusieurs décisions, de l’examen de la restriction de ces libertés au nom du main-
tien ou la préservation de l’ordre public.
1. Le droit à la liberté de circulation
La liberté de circulation est l’une des libertés fondamentales qui ne peut être
restreinte que dans le cadre de certains cas prévus par la loi et sous contrôle
judiciaire. Comme indiqué dans la décision rendue par du tribunal administratif,
en première instance, dans l’affaire n° 1/10722 du 7 juillet 2010, qui concerne la
détention d’une personne dans un poste de police pendant quatre heures jusqu’à
la fin de la visite de la ville par le Président de la République, était conforme à la loi.
La question s’est posée aussi dans l’affaire n°18326/1, Maurice Moise El Harar
contre le ministre de l’intérieur, dans le jugement rendu le 16 février 2011 dans
laquelle le tribunal a considéré que les décisions restrictives à la liberté d’entrée et
de sortie du territoire tunisien sont soumises au contrôle du juge qui doit vérifier
leur fondement juridique, et puis dans plusieurs autres affaires dans lesquelles le
juge administratif a condamné les mesures restrictives à la liberté de circulation.
2. Le droit de voyager, l’interdiction de quitter le pays et l’interdiction d’obtenir un
passeport
Nous pouvons examiner, à cet égard, la décision rendue par la chambre de première
instance du tribunal administratif dans l’affaire n°153350 en date du 31 décembre
2019, qui a été rendue en réponse à une action en justice en vue d’annuler la
décision du ministre de l’intérieur de ne pas permettre au demandeur d’obtenir un
passeport, étant donné que cette décision a restreint son droit à la circulation en
vertu de l’article 24 de la constitution. Le tribunal a considéré que les restrictions
à ce droit doivent se faire conformément à la Constitution, et que ces restrictions
doivent être interprétées de manière très étroite.
3. Liberté d’apparence et de choix de tenue vestimentaire
A plusieurs reprises, le juge administratif a insisté sur la liberté d’apparence et de
choix de tenue vestimentaire. L’affaire concerne la privation d’une personne de
fréquenter l’École nationale de la garde nationale et de la protection civile pour
avoir refusé de se raser la barbe. Le tribunal a considéré que cette décision est
une atteinte aux libertés individuelles, et elle est contraire à la Constitution, aux
Conventions internationales et aux lois nationales. Il en était de même pour les filles
qui fréquentent l’école et qui ont été autorisées à porter le hijab. Rappelons que
cette interdiction se limite aux agents de sécurité et non aux autres fonctionnaires.
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4. Respect de l’intégrité physique et psychologique
Parmi les questions traitées par le Tribunal administratif, figure le droit à l’intégrité
physique de toute personne en général et des femmes en particulier, dans l’affaire
n° 1/14213, datant du 7 juillet 2010, qui a considéré que l’administration ne peut
permettre la publication d’une image d’une personne sans avoir au préalable obtenu
son consentement explicite en tant que propriétaire des images qui ont été pré-
sentées au public dans le cadre de la campagne de sensibilisation. Ce qui constitue
une violation de ses droits surtout qu’elle a été photographiée dans une situation
d’accouchement où elle se trouvait presque nue.
5. Liberté de choisir son domicile
Rappelons, à cet égard, un arrêt rendu par le Tribunal administratif dans l’affaire n°
1837 du 27 juin 1990 annulant la décision du ministre de l’Éducation nationale, de
l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en date du 20 octobre
1986, qui oblige celui et celle qui réussit à un concours de résider dans la région de
son affectation dans un délai d’un mois, le cas échéant, il sera écarté du poste. Le
tribunal a rappelé les dispositions de l’article 10 de la Constitution du 1er juin 1959,
qui reconnaît à toute personne la liberté de choisir son lieu de résidence dans les
limites de la loi qui doit garantir les droits et les libertés.
Le juge administratif n’est pas le seul à avoir un apport visant à consacrer les droits et
les libertés. Le juge judiciaire, à son tour, a été à l’origine d’une jurisprudence assez
riche en la matière. *
II. LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES DEVANT LA JUSTICE PÉNALE : LES BONNES
MŒURS, L’ÉPÉE DE DAMOCLÈS POUR RESTREINDRE LES LIBERTÉS
INDIVIDUELLES
À ce jour, le pouvoir judiciaire applique encore les dispositions du code pénal édicté
depuis 1913, un code qui reflète une culture criminelle influencée par les idées
répressives du XIXe siècle ainsi que la période de la Troisième République française,
connue pour son caractère conservateur et moraliste. Cela s’est reflété dans les
chapitres du code qui consacre jusqu’à nos jours, des crimes d’attentat à la pudeur,
d’atteinte aux bonnes mœurs, l’incrimination de l’homosexualité, l’adultère...
1. La liberté religieuse et la criminalisation du non-respect du jeûne
Certains citoyens ont été poursuivis pour avoir mangé ou fumé dans des lieux pu-
blics pendant le ramadan. Parmi les affaires liées à cette question figure une décision
rendue par le tribunal de première instance de Bizerte en juin 2017, qui condamne
quatre personnes à un mois de prison pour avoir mangé publiquement dans un parc
public. Après la proclamation du jugement, le porte-parole officiel de ce tribunal a
Introduction(s) | Le juge, les libertés individuelles, l’ordre public, et les bonnes mœurs Hafidha CHEKIR
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confirmé que « la rupture du jeûne du mois de ramadan dans un parc public est un
acte de provocation ».
Cette décision a complètement ignoré l’article deux de la Constitution du 27 jan-
vier 2014, qui consacre l’État civil, ainsi que l’article six, qui reconnaît la liberté
de croyance et de conscience, et l’article 146, qui exige que les dispositions de la
Constitution soient interprétées comme une unité cohérente.
2. L’affaire du baiser
Le 18 octobre 2017, le tribunal de première instance de Tunis, agissant en qualité
de cour d’appel du tribunal de première instance de Carthage, a décidé d’annuler
partiellement le jugement de première instance, qui condamnait un jeune français
d’origine algérienne à quatre ans et demi de prison et son amie tunisienne à trois
mois sur des accusations d’« outrage public à la pudeur ». Une fois de plus, le juge
invoque l’article 226 bis pour sanctionner les personnes qui exercent leurs libertés
individuelles, et pour imposer un droit de regard sur le comportement des personnes.
3. Le choix de l’orientation sexuelle et l’identité du genre
Le 6 juin 2020, le tribunal de première instance du Kef a condamné deux hommes
accusés d’homosexualité à deux ans d’emprisonnement. La police a tenté de
soumettre les accusés à un examen anal pour servir de preuve dans l’affaire, mais ils
ont refusé de se soumettre à cet examen car ils considéraient que leur comportement
sexuel était consensuel et que le différend entre eux était relatif à une plainte qui
concerne des questions pécuniaires.
Cette condamnation contredit le droit à la protection de la vie privée et de
l’intégrité physique mentionnée à l’article 24 de la Constitution de 2014. De plus,
la criminalisation des pratiques sexuelles consensuelles et en privé entre adultes du
même sexe constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
4. La Sourate du Corona : la liberté d’expression et l’atteinte au sacré
Suite à la diffusion d’une image sur les réseaux sociaux qui paraphrase des versets
coraniques de manière satirique, intitulée « la Sourate du Corona », la blogueuse
Amna Al-Shargui a été condamnée pour « incitation à la haine entre les religions,
les races et populations, en incitant à la discrimination » sur la base l’article 52 du
décret-loi n° 115 de 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de
l’édition.
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CONCLUSION
Les juges administratifs et judiciaires ont tous les deux eu un apport intéressant en
matière de droits et de libertés. Si la mission du juge administratif, vu la nature de sa
mission, était directement confronté à des affaires qui touchent directement les droits
et les libertés et qui opposent les personnes à l’Etat, le juge judiciaire devait faire
l’équilibre entre les différents intérêts des personnes qui s’opposent.
Ainsi, le traitement casuistique des affaires dépend de la sensibilité du juge aux
questions des droits et des libertés et ne fait pas encore l’objet d’une politique
protectrice des droits et des libertés, d’où l’importance d’adopter une politique
criminelle basée l’égalité entre les personnes.
Introduction(s) | Le juge, les libertés individuelles, l’ordre public, et les bonnes mœurs Hafidha CHEKIR

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BIBLIOGRAPHIE
EN LANGUE FRANÇAISE
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Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2018.
Stirn B Les libertés en question, 11e éd., Paris, LGDJ, 2019
Théron Sophie Les mutations de la liberté individuelle : bilan d’une notion à géométrie variable
.In regards critiques sur quelques évolutions récentes du droit.T1.Presses de l’Université de
toulouse.2005.p.223-258
ANDRIANTSIMBAZOVINA, « Joël La conception des libertés par le Conseil constitutionnel et
par la Cour européenne des droits de l’homme », Nouveaux cahiers du conseil constitutionnel,
N°32, juillet 2011.
Khahoueji Fadoua. La protection de la vie privée en droit tunisien. Actualités juridiques
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LAPIN, Jim « La sauvegarde des libertés individuelles face à l’utilisation croissante de
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Sizaire, V. Le juge administratif et la protection des libertés. Eléments pour une garde partagée,
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Page 24
« DE LA ZATLA DANS LE COLIS D’UN DÉTENU »
23
RAPPEL DU PRINCIPE DE LA LÉGALITÉ CRIMINELLE PAR
LA COUR D’APPEL DE BÉJA
(ARRÊT DE LA CHAMBRE D’ACCUSATION N° 539 DU 3 MAI 2021,)
Malek GHAZOUANI
Magistrat
SOLUTION :
Ne constitue pas une infraction la tentative de livrer, sans but lucratif, un
produit stupéfiant à un détenu.
FAITS ET PROCÉDURE
Le 31 décembre 2020, Amor s’est présenté à la prison civile de Béjà muni d’un colis
destiné à son frère détenu. En soumettant le colis à la fouille d’usage, les agents péni-
tentiaires trouvent une matière de couleur marron, cachée dans le col d’une chemise.
Ils soupçonnent qu’il s’agit de stupéfiants.
Informé, le ministère public a ordonné l’ouverture d’une enquête et la mise en garde
en vue du prévenu Amor. Les analyses démontrent que la matière découverte pèse
0,59 gr et contient du cannabis, un stupéfiant.
Après clôture de l’enquête préliminaire, le procureur de la République a ordonné l’ou-
verture d’une instruction contre le prévenu Amor.
Le juge d’instruction saisi a placé le prévenu en détention provisoire. Après avoir
achevé les enquêtes nécessaires, il clôture l’instruction, ordonnant le renvoi de l’in-
culpé à la chambre d’accusation des chefs de détention, possession, offre, transport,
entremise, achat et cession de stupéfiants pour le trafic au sens de l’article 5 de la loi
n° 52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants.
Introduction(s) | De la zatla dans le colis d’un détenu, Rappel du principe de la légalité criminelle Malek GHAZOUANI
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LA DÉCISION DE LA COUR
« Conformément à l’article 28 de la Constitution, l’article 15 du Pacte international sur
les droits civils et politiques auquel la Tunisie a adhéré par la loi n° 30 du 29 novembre
1968 et l’article premier du Code pénal, nul n’est puni qu’en vertu d’une loi.
S’il est établi des faits que l’inculpé a détenu et a eu en sa possession une matière
stupéfiante, qu’il l’a transportée et a tenté de la livrer à son frère détenu en prison […],
il n’existe cependant aucune loi qui incrimine ces faits.
La juge d’instruction a qualifié ces faits de crimes de détention, possession, offre,
transport, entremise, achat et cession de stupéfiants pour le trafic au sens de l’article
5 de la loi n° 52 du 18 mai 1992 relative aux stupéfiants.
L’article 5 de ladite loi dispose que « sera puni de l’emprisonnement de six à dix ans
et d’une amende de cinq mille à dix mille dinars quiconque cultive, récolte, produit,
détient, possède, s’approprie, offre, transporte, s’entremet, achète, cède, livre, distri-
bue, extrait ou fabrique des stupéfiants pour le trafic hors les cas permis par la loi ».
Il en ressort que les faits énumérés dans ledit article 5 ne constituent, tous, des in-
fractions que s’ils sont commis pour le trafic de stupéfiants, c’est-à-dire dans un but
lucratif.
Rien dans le dossier ne permet d’établir que l’inculpé a détenu la matière stupéfiante,
l’a eu en sa possession, transportée et tenté de la livrer pour le trafic. Il est cependant
prouvé qu’il était en possession d’une petite quantité qu’il a transportée à la prison et
a tenté de la remettre à son frère détenu sans que l’instruction n’arrive à établir qu’il
cherchait, à travers ses faits, à se procurer un bénéfice matériel.
S’il est prouvé que l’inculpé a détenu, transporté et tenté de livrer une matière stu-
péfiante pour la consommation de son frère, aucun texte n’incrimine la détention de
stupéfiants pour la consommation d’autrui.
L’article 116 du Code de procédure pénale dispose que « si la chambre d’accusation
estime que le fait ne constitue pas une infraction […] elle déclare qu’il n’y a pas lieu à
suivre, ordonne la mise en liberté de l’inculpé détenu ».
La cour infirme l’ordonnance du juge d’instruction, décide qu’il n’y a pas lieu à suivre le
dénommé Amor car les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas une infraction
et ordonne sa libération […] ».
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OBSERVATIONS
L’arrêt rendu le 3 mai 2021 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Béja est
une illustration du rôle du juge dans la protection des libertés, en imposant un respect
strict du principe de la légalité criminelle. Mais l’arrêt porte, entre ses lignes, un appel
pressant au législateur pour qu’il incrimine les graves faits du genre posé en l’espèce.
Voilà donc un visiteur qui se présente à un établissement pénitentiaire avec un colis,
communément appelé « couffin », contenant des habits dans lesquels sont minu-
tieusement cachés des stupéfiants, en l’occurrence du cannabis, « zatla » en dialecte
tunisien.
1- Il peut paraitre étonnant, voire sidérant, que puisse échapper aux poursuites celui
qui tente de livrer des stupéfiants à détenu. Cet étonnement n’est point atténué par
le fait qu’il ne s’agit pas d’un « dealeur » qui cherche des bénéfices du trafic des stupé-
fiants dans un établissement pénitentiaire, mais d’un frère qui n’avait d’autre intention
que d’alléger la privation subie par son frère détenu. Dans les deux cas, la tentative
de livrer des stupéfiants en prison, forteresse des défenses absolues et l’un des lieux
les plus sécurisés, constitue une offense inouïe à l’autorité de la loi.
Le principe de la légalité criminelle signifie, dans son sens premier, que nul ne peut
être poursuivi pénalement que pour des faits que la loi incrimine. Et il est communé-
ment admis que, dans ce sens évident, le principe de la légalité s’est tellement ancré
dans la pratique qu’il est inenvisageable de voir des poursuites pénales engagées
pour un fait qui n’est tout simplement pas une infraction. En atteste la rareté, sinon
l’absence, d’applications judiciaires modernes de ce principe.
L’espèce vient démentir ce sentiment. En effet, voilà un individu qui se trouve péna-
lement poursuivi, et même privé de sa liberté pendant 94 jours pour un fait qui ne
tombe sous aucune incrimination.
Le ministère public et le juge d’instruction, confrontés à l’évidente gravité des faits qui
leur ont été soumis, se sont hâtés à les qualifier de toutes les infractions énumérées
dans l’article 5 de la loi n° 52 du 18 mai 1992, ne tenant aucun compte des éléments
posés par le législateur pour la constitution de ces infractions. La précipitation s’est
notamment manifestée dans leur décision de priver le prévenu de sa liberté sans
égard pour la condition première qui doit présider à pareille décision, à savoir l’incri-
mination des faits.
La position du ministère public et du juge d’instruction est à critiquer dans les termes
les plus virulents car ils n’ont pas fait passer leur décision par le tamis des principes
de la légalité et de la liberté individuelle. Ils se sont limités à instruire l’affaire à travers
une optique étroite, cherchant à faire porter un habit pénal à tout fait de détention
Introduction(s) | De la zatla dans le colis d’un détenu, Rappel du principe de la légalité criminelle Malek GHAZOUANI
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de stupéfiants, comme s’il est du rôle du juge de légiférer pour qu’aucun fait lié à la
drogue n’échappe à la sanction. Ils n’ont pas atteint, en l’espèce, la hauteur avec la-
quelle le juge, proclamé défenseur des droits et libertés par les articles 49 et 102 de
la Constitution, devrait traiter les faits.
La chambre d’accusation a remis les choses à leur place en mettant fin aux poursuites
et ordonnant la libération du prévenu, après presque cent jours de détention sans
motif. La leçon à tirer de cette espèce est que la prise de conscience, par le juge,
de la question des droits et libertés est d’une importance capitale. Car les principes
qui paraissent élémentaires et évidents, en théorie, risquent de s’oublier en pratique.
Et les droits et les libertés les plus naturels peuvent être négligés et violés. Il n’est
d’autre solution à ce problème que par la sensibilisation, avec persévérance et sans
discontinuité, sur la mission du juge comme défenseur des droits et libertés. Mais le
législateur doit, de son coté, jouer son rôle au niveau législatif en veillant à fournir au
juge une loi sans brèches aux abus.
2- En imposant le respect du principe de la légalité, la chambre d’accusation a joué
son rôle. Le résultat est qu’un fait, qu’aucun ne conteste sa gravissime dangerosité,
est resté dans l’impunité. Mais c’est la loi. Et il n’est nullement du rôle du juger pénal
de combler les lacunes du droit pénal.
Qui imagine qu’il n’est pas puni celui qui tente de faire entrer des stupéfiants dans
un établissement pénitentiaire ? Qui imagine, qu’en l’état actuel du droit, il est pos-
sible, sans crainte aucune d’être inquiété pénalement, de dissimuler tout genre de
stupéfiants dans le « couffin » d’un détenu, à la seule condition que le « porteur du
couffin » ne soit mû que par l’animus donandi, sans but lucratif. Le seul risque est que
la fouille du « couffin » révèle un don interdit qui sera donc saisi et détruit. La perte de
la matière saisie sera l’unique sanction pour le visiteur porteur du colis, mais il pourra
rentrer chez lui sans qu’aucune poursuite pénale ne puisse l’atteindre.
La lecture de la loi n° 52 du 18 mai 1992 sur les stupéfiants laisse penser que c’est une
loi qui a atteint la perfection s’agissant de l’incrimination des faits en rapport avec ce
fléau, et qu’elle n’a laissé aucun de ces faits sans le soumettre à la loi pénale, comme en
témoigne l’excessive et inopportune incrimination de la simple détention d’une matière
stupéfiante dans l’intention de la consommer, sans que la détention n’ait été suivie de
consommation effective. Mais voilà la pratique qui vient démentir ce sentiment.
Le comble du paradoxe est qu’il y a aussi des faits, autres que ceux de l’espèce, d’une
extrême gravité qui échappent à la loi actuelle. En effet, n’est pas punissable le fait de
donner gratuitement une matière stupéfiante même si elle est donnée à un enfant ou
à une personne en état de faiblesse, comme les personnes en situation d’un handicap
mental ; même si elle est donnée dans un établissement d’enseignement, d’éducation
ou de sport. Donner une matière stupéfiante à un enfant est, selon l’article 11 de la loi
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52, une circonstance aggravante des faits incriminés dans les autres articles notam-
ment l’article 5 qui n’incrimine la cession que si elle est faite pour le trafic. La cession
simple, sans but lucratif, n’étant pas punissable.
Ce vide législatif trouve sa cause dans une absence d’harmonie entre les dispositions
de la loi.
En effet, l’article 2 dispose que « sont absolument interdits la culture, la consom-
mation, la production, la récolte, la détention, la possession, la propriété, l’achat, le
transport, la circulation, la cession, l’offre, la livraison, le trafic, la distribution, le cour-
tage, l’importation, l’exportation, la fabrication, l’extraction ou la contrebande » des
stupéfiants.
La logique dicte que cette interdiction absolue soit doublée et suivie de l’incrimination
de tout acte de commettre les faits prohibés. Il est donc étonnant de constater que
les autres articles de la loi ne soient pas en totale harmonie avec ce qui a été préa-
lablement proclamé dans l’article 2. L’absence d’harmonie se manifeste notamment
dans l’article 5 qui cite, en énumérant les faits incriminés : la culture, la récolte, la pro-
duction, la détention, la possession, l’appropriation, l’offre, le transport, l’entremise,
l’achat, la cession, la livraison, la distribution, l’extraction et la fabrication de matières
stupéfiantes. Mais il exige, en outre, que tous ces actes soit commis « pour le trafic »,
(littéralement « dans l’intention de faire du commerce » selon le texte arabe de la loi).
Le trafic devient donc un élément essentiel de l’incrimination. Elle n’est pas détermi-
née uniquement par la violation des interdictions initialement posées par l’article 2,
mais il faut aussi prouver l’existence de l’intention de faire du trafic, entendu comme
la volonté de « se procurer un bénéfice matériel » selon les termes de la cour d’appel,
mais sans qu’il ne soit exigé que ce trafic soit fait à titre d’habitude et de façon répé-
tée et durable dans le temps16.
L’absence d’harmonie entre les articles 2 et 5 a engendré des paradoxes clairs comme
celui révélé par l’espèce : la détention, la livraison, la cession et la distribution de
stupéfiants, sans but lucratif, sont des faits prohibés sans toutefois être incriminés !
A titre comparatif, l’intention lucrative n’est nullement exigée dans la législation fran-
çaise sur les stupéfiants. Les mêmes faits soumis à la cour d’appel de Béja, ainsi que
les autres cités qui restent hors champ d’incrimination en Tunisie, tombent, en France,
directement sous le coup de la loi pénale. A cet égard, l’article 229-39 du Code pénal
français dispose que : « La cession ou l’offre illicites de stupéfiants à une personne en
vue de sa consommation personnelle sont punies de cinq ans d’emprisonnement et
de 75000 euros d’amende.
16 Cass. Crim. n° 33879 du 19 mars 2003, cité par I. Lahmar in Les stupéfiants et les matières vénéneuses
dans la loi et la jurisprudence, Tunis 2017 ; selon cet arrêt, le législateur « n’entend pas le commerce au sens
strict du droit commercial, l’infraction se constitue par la réception par le prévenu de la matière stupéfiante
dans le but de la livrer moyennant une contrepartie, l’intention de faire le trafic existe même si le prévenu
n’a pas fait du trafic des stupéfiants sa profession ».
Introduction(s) | De la zatla dans le colis d’un détenu, Rappel du principe de la légalité criminelle Malek GHAZOUANI
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La peine d’emprisonnement est portée à dix ans lorsque les stupéfiants sont offerts
ou cédés, dans les conditions définies à l’alinéa précédent, à des mineurs ou dans des
établissements d’enseignement ou d’éducation ou dans les locaux de l’administration,
ainsi que, lors des entrées ou sorties des élèves ou du public ou dans un temps très
voisin de celles-ci, aux abords de ces établissements ou locaux ».
En droit français, les champs de la prohibition et de l’incrimination sont identiques, ce
qui a donné un texte clair et précis. En revanche, en Tunisie, la prohibition n’emporte
incrimination qu’avec l’intention lucrative. Ceci ne signifie nullement que l’incrimina-
tion en France est plus large et plus lourde, et que la loi tunisienne est plus favorable,
mais la première revêt harmonie, précision et rigueur tandis que la deuxième souffre
de paradoxes et ambiguïtés sources de tergiversation et abus en pratique.
Espérons donc que les responsables de la politique pénale saisissent l’arrêt de la cour
d’appel de Béja pour entamer la réflexion et engager le débat sur les moyens adéquats
pour lutter contre les tentatives de faire entrer des matières stupéfiantes dans les
prisons. Et il n’y a pas lieu à s’étonner qu’une voix de l’incrimination trouve sa voie au
sein d’une tribune de combat pour les droits et libertés, naturellement réfractaire aux
peines et incriminations. En effet, la loi pénale doit absolument être d’une perfection
totale de manière à prévenir tous les abus du genre observé en l’espèce. Nul doute
que la responsabilité des cents jours de privation de liberté, injustement subie par
le prévenu, devrait peser, à égalité, et sur la conscience du juge et sur la conscience
du législateur : le premier n’ayant pas été suffisamment conscient du principe de la
légalité et le deuxième n’ayant pas été suffisamment alerte et vigilant pour prévenir
toute violation du principe.
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CORPS ADULÉ,
CORPS INCRIMINÉ !
1
Introduction(s) | - Plus de références et documents sur Legaly Docs« Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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LA VIE PRIVEE
SUR LES RESEAUX SOCIAUX
31
Ex-directrice des études à l’Institut supérieur de la magistrature
Nejiba ZAIER
Magistrate
SYNTHÈSE17
Les libertés individuelles reconnues par la constitution Tunisienne du 27 janvier 2014
ont, permis aux personnes d’user de leur droit d’accès à la justice pour réclamer la
protection de ces dernières, désormais constitutionnalisées. Toutefois, ces libertés
se trouvent perturbées par le développement de la technologie, et les diffusions des
données à caractère personnel sur les réseaux publics de télécommunications, tel, en
témoignent les faits d’espèce de la décision objet de ce commentaire, n°°7534, en
date du 6 octobre 2018. .
En effet, les procès dans les tribunaux, suite à cela, ont pris les couleurs de la révolu-
tion, et des normes essentielles de la constitution de 2014. Les juges sollicités, sont
débarrassés du joug d’un conservatisme les ayant longuement accablés. On atteste
de nos jours, un débarquement de plus en plus fréquent de la vie privée au prétoire.
Une lecture juridique de la décision précitée, nous révèle que si le juge, dans cette
affaire, parait le gardien principal de la vie privée des personnes (partie I), il n’en
demeure pas moins qu’il soit aussi le garant de cette protection par les mécanismes
dissuasifs et compensatoires (Partie II)
En l’espèce, il apert des faits de l’espèce du jugement indiqué, que (N) le petit ami de
la plaignante(O) a demandé à cette dernière de lui envoyer ses photos en petite-te-
nue, lui promettant toute discrétion, ce qu’elle a fait sans hésiter vue la nature de leur
relation. Rompant cette relation quelques temps après, (O) fut surprise de voir ses
photos publiées sur les réseaux sociaux ; elle s’adressa au juge sur la base de l’article
86 du code des télécommunications, et se constitua partie civile demandant répara-
tion du préjudice moral subi.
Les attendus de la décision objet du présent commentaire, nous révèlent une ère
nouvelle pour le juge Tunisien, engagé pour la protection des libertés individuelles, de
la confidentialité des correspondances et la vie privée des personnes.
17 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
36-51.
Corps adulé, corps incriminé ! | La vie privée sur les réseaux sociaux Nejiba ZAIER
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Inspiré par les dispositions de l’articles 24 de la constitution, le juge n’hésite pas, à
appuyer cette fonction de gardien principal de la vie privée. Ainsi, et bien qu’il n’ait
pas défini ces notions, tel que l’a fait l’art.4 de la loi organique n° 2004-6318, il n’en
demeure pas moins qu’il ait mis en exergue les éléments essentiels de la consomma-
tion de l’infraction, objet de l’art.86 sus indiqué.
Le juge avance dans cette affaire, une appréciation de l’élément matériel de l’infrac-
tion de l’article 86 susmentionné, estimant que l’utilisation du téléphone portable
pour diffuser la perturbation de la quiétude d’autrui, sur les réseaux publics consti-
tue l’élément matériel de l’infraction citée19.
En outre, l’appréciation du juge de l’élément moral, repose sur l’intime intention qui
a animé le suspect, en transmettant les photos de la victime à une autre personne,
pour les publier sur les réseaux sociaux, sachant pertinemment qu’une telle action
est sanctionnée par la loi. Le juge a démontré que ceci porte atteinte aux sentiments
profonds de la victime, lésée de voir ses photos personnelles, publiés sur les réseaux
sociaux de télécommunication, dans un attendu, court, mais concis pour estimer que :
« Quand à l’élément moral, il est constitué par l’intention de nuire et de perturber la
quiétude d’autrui, sachant pertinemment que ces faits sont prohibés par la loi »
Ainsi, et si le juge dans cette affaire fut le gardien de la vie privée des personnes,
il concrétisa son apport de juge protecteur des libertés, en tant que juge pénal et
réparateur du dommage issu de l’atteinte à la vie et aux données à caractère per-
sonnel. Le juge fonda la présente décision sur les moyens de preuve, spécifiques à
l’infraction, objet de l’art. 86 susmentionné, par le biais des constats opérés par un
huissier de justice, ayant procédé aux captures d’écran sur les réseaux où les photos
furent publiées ; pour prononcer une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis
à l’exécution20.
Au niveau de la forme, le juge déclara recevable, la constitution partie civile par la
plaignante. Quant au fond, considérant que les éléments matériel et moral, indiqués,
causes directes du préjudice subi par la plaignante, passible de réparation21.
18 L’art.4 de la loi organique n° 2004-63, du 27 juillet 2004, relative à la protection des données à caractère
personnel, dispose que ces données sont : « ..Toutes informations …qui permettent directement ou indi-
rectement d’identifier une personne physique ou la rendent identifiable… »
19 « Concernant l’élément matériel, ce dernier nécessite la nuisance à une personne déterminée, ce qui est concrétisé 
par le fait d’adresser à cette personne des mots   étant de nature  à porter à sa réputation, à  son honneur ou 
à sa personne, en public, ou en usant d’une perturbation constante  et répétée de sa quiétude, par le biais d’un 
téléphone portable ou  d’un ordinateur,  et diffusant ces perturbations sur les pages des réseaux sociaux de télé-
communication ». Traduction de l’auteure.
20 Cette peine est confirmée en appel ; arrêt de la Cour d’appel de Nabeul n°5656, du 16 octobre 2019, non
publié
21 « Attendu que le suspect a porté préjudice  à la partie civile, comme cause directe des effets de la perturbation 
de  la  quiétude  de  cette  dernière  par  le  biais  des  réseaux  sociaux  de télécommunication,  ces  faits  commis  par 
le suspects ayant porté préjudice à la partie civile, constituent ainsi  un dommage ayant pour conséquence un 
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33
Le juge donna gain de cause à la partie civile, et prononça la réparation par le millime
symbolique comme réparation du dommage moral, sur la base des art.82 et 107 du
COC22.Toutefois, il apert des autres affaires semblables, que la constitution partie
civile par les victimes est réduite ; or, se constituer partie civile est un droit octroyé à
toute personne par le paragraphe 2 de l’art.7 du CPP23,en cas d’atteinte aux libertés
individuelles, les victimes devraient user d’avantage de ce droit, au prétoire tant qu’il
y a désormais un juge à l’écoute.
sentiment  de  vulnérabilité    et  d’humiliation  pour  la  victime,  préjudices  intentionnel,  passibles  de  réparation  ».
Traduction de l’auteure.
COC : Code des obligations et des contrats
22
23 CPP : Code de Procédures Pénales
Corps adulé, corps incriminé ! | La vie privée sur les réseaux sociaux Nejiba ZAIER
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34
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/https://www.alukah.net/sharia/0/50389 :يلاتلا طبارلاب روشنم
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-6626ةيصوصخلا-ةفسلف-ىلإ-لخدم-ةصاخلا-ةايحلا-يه-ام ;/www.mominoun.com/articles
،ةيبرعلا ةضهنلا راد ،نوناقلاو ةيملاسلاا ةعيرشلا يف تنرتنلاا مئارج ، دمحم يفللااو نسح رفاغلا-
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64 .ص،2008،رصم
604.ص ،رصم
لامعأ،»يملعلا عقاولاو ينوناقلا سيركتلا نيب يسنوتلا يروتسدلا خيراتلا يف ناسنلاا قوقح« ،ماركإ يديرد-
دهع« رودصل نيتسلاو ةئاملا ىركذلا ةبسانمب( ،ةيبرعلا ةيروتسدلا براجتلا :لوح يبرعلا يملعلا ىقتلملا
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.2018 ناوج 1،ةاواسملاو تايرحلو قوقحلا ةنجل ريرقت-
;http://www.akherkhabaronline.com/uploads/FCK_files/Rapport-COLIBE.pdf
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35
LA NON- VIRGINITÉ DE L’ÉPOUSE CONSTI-
TUE-ELLE UN MOTIF DU DIVORCE ?
COMMENTAIRE DE L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
N° 2017-46537 DU 21 JUIN 2017
Mme Sonia Mallek EL EUCH
Professeure de Droit à l’Université de Carthage,
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
SYNTHÈSE 24
Par son arrêt n° 2017-46537 du 21 Juin 2017, la cour de Cassation a annulé la déci-
sion rendue par la cour d’Appel concernant une requête de divorce pour « préjudice
subi » déposée par un mari à l’encontre de son épouse. Le motif du divorce étant que
la femme n’était pas vierge lors de la conclusion du contrat de mariage.
L’affaire concerne un mariage conclu et consommé le 5 août 2014. Après une courte
période, le mari s’est adressé au Tribunal de Première Instance de Gabes deman-
dant le divorce pour préjudice. Le Tribunal a rendu son jugement n°43255 du 02
juillet 2015 en prononçant le divorce entre les époux pour préjudice subi (aucune
explication sur le changement du fondement du divorce n’a été avancée par le juge).
L’épouse a fait appel de ce jugement et la Cour d’Appel de Gabès a rendu sa décision
n° 3245 confirmant le jugement de première instance, ce qui a poussé l’épouse à
attaquer cette décision en cassation.
La Cour de Cassation a accepté le pourvoi et a répondu au problème suivant : Est-ce
que la dissimulation par l’épouse de sa non-virginité avant le mariage constitue-t-elle
une violation de sa part de l’obligation de sincérité ce qui justifierait le divorce pour
préjudice subi ?
La Cour de cassation a répondu par la négative et a annulé la décision d’appel, consi-
dérant que le silence de l’épouse concernant sa perte de virginité n’affecte pas la va-
24
Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
52-65.
Corps adulé, corps incriminé ! | La perte de la virginité de l’épouse Sonia Mallek El EUCH
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lidité du consentement des conjoints et ne peut constituer un motif de divorce pour
préjudice subi (1) et qu’il n’y a pas manquement par l’épouse à l’obligation de sincérité,
et ne constitue pas, par conséquent, un motif du divorce (2).
I.  LA  DISSIMULATION  PAR  L’ÉPOUSE  DE  SA  NON-VIRGINITÉ  NE  CONSTITUE 
PAS UNE VIOLATION DE L’OBLIGATION DE SINCÉRITÉ
Pour ce qui est de l’obligation de sincérité, la cour a considéré que contrairement à la
dissimulation d’une maladie contagieuse ou une maladie qui n’est pas sexuellement
transmissible ou un vice qui peuvent influencer le consentement du conjoint, la dissi-
mulation de la perte de virginité n’atteint pas l’obligation de sincérité et n’impacte pas
ainsi le consentement du conjoint. De ce fait, la Cour a confirmé d’un côté l’impor-
tance de la validité du consentement pour les mariages et a reconnu de l’autre côté
l’existence d’une obligation de sincérité.
Le consentement personnel constitue selon la cour une condition de fond du mariage
et aussi des contrats en général. Sauf que contrairement aux dispositions générales
du Code des obligations et des contrats, le Code de statut personnel n’évoque pas
les vices de consentements qui annulent le mariage. Toutefois, sans se référer, dans
sa décision aux vices de consentement, prévus par le Code des obligations et des
contrats, la cour de cassation a plutôt mis l’accent sur le devoir ce sincérité. Cela
n’empêche le lien étroit qui existe entre l’obligation de sincérité et le dol. Ainsi, l’obli-
gation de sincérité suppose que les futurs époux doivent s’informer mutuellement de
tout ce qui pourrait avoir un impact sérieux sur leur vie conjugale, et ce, afin que leur
consentement soit éclairé et ne soit pas vicié.
La cour a aussi clarifié aux juridictions de fond que l’obligation de sincérité incombe
aux conjoints au moment de la conclusion du contrat de mariage et que le divorce
pour préjudice subi ne peut être lié à un manquement antérieur au contrat de ma-
riage. Elle a soulevé la validité du consentement et a exclu le manquement à l’obli-
gation de sincérité la décision de la cour d’appel dans le but de prouver la validité du
contrat de mariage. Selon l’auteure, la Cour de cassation a critiqué les décisions des
juridictions de fond en se basant sur la dénaturation des faits et la violation des droits
de la défense.
La Cour de cassation a aussi affirmé que la virginité a un aspect relatif car c’est une
question qui varie d’une personne à une autre. D’une part, elle a affirmé que la virgi-
nité ne constitue pas une qualité essentielle, sinon elle aurait pu être stipulée dans le
contrat de mariage par le biais d’une « clause conventionnelle ». D’autre part, la Cour
refuse de fonder le divorce pour préjudice sur un manquement préalable au contrat
de mariage.
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37
II. LA NON-VIRGINITÉ NE PEUT ÊTRE UN MOTIF DE DIVORCE :
Au sens de l’article 11 du Code de Statut Personnel, les époux peuvent insérer dans
l’acte de mariage « toute clause ou condition relative aux personnes ou aux biens » qui
ne soit pas contraire aux dispositions du Code. Le divorce peut être obtenu si l’une des
clauses ou conditions du contrat de mariage n’a pas été respectée. La cour de cassation
s’est basée sur cet article pour montrer que l’époux aurait pu exiger la virginité de sa
conjointe comme condition dans le contrat de mariage s’il la considère comme qualité
essentielle. Si cette condition existait, il aurait pu dissoudre le contrat par divorce.
Il est incontestable que « la condition conventionnelle » qui trouve son origine dans le
droit musulman reflète la nature contractuelle du mariage, ce qui fait que le mariage
est une institution juridique dont les conditions et les effets sont réglementés par le
législateur, mais qui a aussi laissé de la place à la volonté de choisir les conditions qui
sont inclues dans le contrat de mariage. Ainsi, la possibilité d’insérer une condition
dans le contrat de mariage confirme l’importance de la liberté contractuelle lors de la
conclusion du contrat de mariage. Mais jusqu’où peut s’étendre cette liberté ?
Il est vrai que les dispositions de l’article 11 CSP sont absolues et générales et ne
fixent pas des limites pour les conditions inclues dans un acte de mariage.
Dans cette affaire, la cour de cassation a affirmé que la virginité peut faire objet de la
condition conventionnelle dans l’acte de mariage. Cela exige que cette condition soit
explicite et qui ne laisse pas bénéfice au doute.
Par ailleurs la cour de cassation a refusé de fonder le divorce pour préjudice subi sur
un manquement antérieur au contrat de mariage. Pour elle, le préjudice découle du
manquement du conjoint à une obligation matrimoniale et il doit y avoir faute imputée
à l’époux ou à l’épouse. Or, ces derniers ne peuvent avoir cette qualité d’époux qu’après
la conclusion du contrat de mariage. De ce fait, et suivant l’esprit de l’article 23 du Code
de Statut Personnel, la conduite ou les comportements des conjoints avant le mariage
ne peuvent en aucun cas constituer un manquement aux obligations conjugales.
La Cour de cassation a établi, dans cette affaire, un lien entre le divorce pour préjudice
et le manquement aux obligations matrimoniales et en a ainsi jugé que l’épouse n’a
pas manqué à ses devoirs prévus par l’article 23 du Code de Statut Personnel.
La cour de cassation a ainsi bloqué toutes les issues ouvertes par les juridictions du
fond, en confirmant que la non-virginité de la conjointe ne constitue pas un manque-
ment de sa part à l’obligation de sincérité. Ella a aussi refusé de considérer la virginité
comme qualité essentielle pour le conjoint sinon elle aurait pu être stipulée dans le
contrat de mariage par le biais d’une « clause conventionnelle ». Et enfin, la Cour
refuse de fonder le divorce pour préjudice sur un manquement préalable au contrat
de mariage.
Corps adulé, corps incriminé ! | La perte de la virginité de l’épouse Sonia Mallek El EUCH
Page 39
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Chron. 3.
عجارملا ةمئاق
مولعلا ةيلك ،ةيساسلأا ةينوناقلا مولعلا يف ريتسجاملا ةداهش لينل ةلاسر ،جاوزلا يف اضرلا بويع ،لابرغ نب ةفلأ
.2008-2009 ،سنوتب ةيعامتجلااو ةيسايسلاو ةينوناقلا
امو 263 .ص ،2010 ةيملعلا بتكلا راد رشن ،ةيعيرشتلا ةيجهنملا يف ةسارد طلغلا ماكحأ ،يقورزلا ديجملا دبع
.اهدعب
،2005 ةيردنكسلإا ،ةديدجلا ةعماجلا راد رشن ،طرشلاب ءافولا مدعل نيجوزلا نيب قيرفتلا ،مساق يلع دمحم يلع
.201ص
ةيمسرلا ةعبطملا رشن ،ةيصخشلا لاوحلأا ةلجم ،ةلود ةيماسو ةميلس نب نيسح ،دومحم نب ءارهزلا ةمطاف
.2010 ،ةيسنوتلا ةيروهمجلل
تامازتللاا ةلجم ةيوئام باتك ،ةيصخشلا لاوحلأا يضاق مامأ دوقعلاو تامازتللاا ةلجم ،ةرقوب فصنملا دمحم
.2006 ،يعماجلا رشنلا زكرم ،دوقعلاو
برغملا ،ءاضيبلا رادلا ،قرشلا ايقيرفإ راد رشن ،يكلاملا هقفلا يف ثاريملاو ةيصخشلا لاوحلأا ،يدباعلا يولع دمحم
.1996
نمض روشنم ،»1986 ناوج 17 يف خرؤملا 15391 ددع بيقعتلا ةمكحم رارق ىلع قيلعتلا« ،ةميلح نب يساس
.2012 ،يعماجلا رشنلا زكرم ،ةيصخشلا لاوحلأا ةدام يف تارارق ىلع قيلاعت ةعومجم
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LE MARIAGE, LA CHAIR ET LE SANG
A PROPOS D’UNE JURISPRUDENCE ÉTABLIE
39
Professeure de droit public à l’Université de Carthage
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Sana BEN ACHOUR
L’affaire dont il est question ici est des plus significatives de l’archaïsme tenace de
certaines institutions du code du statut personnel relatives aux « devoirs conjugaux»
et des conséquences outrageantes à la dignité des personnes tirées de leur manque-
ment.
L’affaire est portée devant le Tribunal de Première Instance de l’ARIANA (circonscrip-
tion du Grand Tunis) siégeant en matière de statut personnel en audience publique
le 03/ 05/2017 (n°34857). Le conflit oppose l’épouse à son mari dont elle demande
le divorce pour faute sur la base de l’article 31 du CSP avec réparation des préju-
dices causés du fait des violences exercées sur elle comme des manquements à ses
devoirs conjugaux : ce dernier - avec qui elle n’a partagé le lit que 3 fois depuis leur
mariage en novembre 2015 - se révélant d’orientation homosexuelle. Récusant les
violences mais admettant son homosexualité, le mari affirme n’avoir jamais touché sa
femme dont il dévoile à son tour le lesbianisme et soutient le caractère mutuellement
consenti de conclure un mariage « fictif » (soury)
Le tribunal, rejetant le motif des violences - comme de jurisprudence lorsque les faits
ne sont pas corroborés d’un jugement au pénal-, ainsi que le moyen du lesbianisme
de l’épouse qu’il considère peu probant, fait droit à la demande de l’épouse en pro-
nonçant le divorce pour faute du fait de l’homosexualité du conjoint au motif qu’il
commet par son abstinence sexuelle un manquement à son devoir conjugal. Il met à
la charge du mari fautif la réparation du préjudice moral et matériel et le condamne
aux dépens.
Les motifs du tribunal sur le moyen retenu de la faute de l’époux pour homosexualité
et manquement au devoir conjugal méritent rappel et traduction.
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
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«Sur le préjudice résultant de l’homosexualité (mithliya jinsiya) du conjoint  et  la 
règle selon laquelle l’aveu est la reine des preuves en matière civile ; Considérant 
que, selon procès verbal et déposition par devant le juge rapporteur, le défen-
deur a reconnu son homosexualité et ses penchants pour les pratiques sexuelles 
entre hommes ; qu’il n’a eu avec son épouse aucun rapport sexuel du fait de leur 
accord mutuel pour conclure un mariage blanc sans plus (…)
Attendu que l’aveu du défendeur en ce sens, constitue un manquement manifeste 
aux devoirs que lui imposent la religion (Din), la Loi (Charaâ) et le droit (Qanun)  
du  seul  fait  du  mariage,  principalement,  le  devoir  d’union  sexuelle  (muâchara 
jinsiya) ; que, du reste, l’argument tiré de la connaissance par sa  compagne de 
son état et de leur mutuel accord de conclure un mariage blanc n’est pas avéré 
et ne peut, en tout état de cause, absoudre l’époux de la faute et le préjudice qui 
en sont résultés à  l’épouse ( …)
Considérant  que  les  allégations  du  défendeur  sur  le  lesbianisme  (sihaq)  de  sa 
femme sont demeurées vagues ; qu’elles ont été récusées par elle et n’ont pu 
être prouvées ;
Attendu qu’il est admis en doctrine, en pratique et en droit qu’un des  principaux 
fondements du mariage et des devoirs mutuels entre époux,  est la réalisation 
d’une union charnelle sans interdits préférentiels ou moraux qui en empêchent 
l’exercice et ce, en considération de la finalité recherchée par le mariage et des 
effets y attachés, à savoir en priorité,  l’immunisation (Ihçan),  la chasteté (taâf-
fuf) et la procréation (injab). 
Attendu en ce sens que la cour de cassation a déclaré dans une de ses déci-
sions que « l’abstinence sexuelle de l’époux envers son épouse des mois durant 
et le fait de négliger d’assouvir ses besoins charnels pour raison de déviances 
sexuelles et d’absence de désir à s’unir à elle de façon naturelle c’est-à-dire par 
pénétration de l’endroit naturel (mawten tabiî)  a pour effet de  causer un pré-
judice    à  l’  épouse,  contrainte  de  réprimer  son  désir  et  de  renoncer  au  plaisir 
sexuel ”.
Attendu qu’il ressort  de ce qui précède  que le défendeur est déviant sexuel, que 
par suite et du seul fait de cette anomalie et de cette  abstinence sexuelle, il  y a 
envers l’épouse un préjudice certain, direct et actuel ”.
Ce jugement qui reprend une jurisprudence bien établie, appelle réflexions sur la
ténacité des codes sexuels traditionnels portés par le droit de la famille face aux
changements des rapports de couples sous l’effet de l’affirmation du statut de liberté
de l’individu, de la remise en cause des normes sexuelles du patriarcat et des récentes
avancées constitutionnelles sur les droits et libertés. Naturalisant les rapports so-
ciaux de sexe dans le cadre du mariage (hétérosexuel cela va sans dire), le jugement
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réactualise trois notions clés de la morale sexuelle de l’édifice patriarcal : la consom-
mation du mariage comme élément de base de l’union contractuelle (I) ; les relations
sexuelles entre conjoints comme composantes clés des devoirs conjugaux (II) ; la
prohibition d’une sexualité non procréatrice comme gage de la reproduction et de la
génération (III).
I. UNE SEXUALITÉ PRESCRITE COMME ÉLÉMENT DE BASE DE L’UNION
CONTRACTUELLE : CONSOMMATION DU MARIAGE, BINA ET DUKHUL
La notion de consommation (bina) qui participe d’une logique de corps et de chair,
est récurrente dans le Code du statut personnel. Elle se vérifie en diverses de ses
dispositions : l’article 7 sur la faculté du curateur de demander l’annulation du mariage
du prodigue avant consommation du mariage ; l’article 11 sur la non indemnisation
de la dissolution du mariage pour non exécution de la clause contractuelle (Khiyar
al-shart) avant consommation du mariage ; l’article 13 sur l’acquittement de la dot par
le mari comme condition de consommation du mariage ; l’article 16 sur la prohibition
du mariage avec les descendantes de l’épouse seulement en cas de consommation du
mariage ; l’article 28 sur la restitution des présents en cas de dissolution du mariage
avant consommation, l’article 34 sur le délai de viduité de l’épouse divorcée après
consommation du mariage ou de la veuve avant et après la consommation, enfin, l’ar-
ticle 38 sur l’obligation alimentaire due par l’époux à sa femme après la consommation
du mariage et durant le délai de viduité en cas de divorce.
Ainsi, la consommation de l’union entre une femme et un homme demeure-t-elle en
droit tunisien, comme dans l’ensemble des droits de tradition juridique médiévale,
musulmane ou autre comme le droit canonique, la condition sine qua non du zawaj,
en tant que reconfiguration moderne de l’ancien âqd al nikah, littéralement, le contrat
légalisant les relations sexuelles. Car en effet si de tradition doctrinale il ne peut y
avoir de relations sexuelles en dehors du mariage - celles-ci étant frappées d’op-
probre et du châtiment du zina (la fornication) -, il ne peut y avoir en retour de mariage
parfait sans consommation de l’union.
En fait, si la consommation de l’union est nécessaire à la formation du mariage en
ouvrant aux deux époux une sorte de droit exclusif à disposer du corps de l’autre,
(seulement, faut-il le rappeler, depuis l’abolition de la polygamie en 1956 et l’institu-
tion juridique du mariage monogamique), elle ne demeure pas moins, dans l’univers
patriarcal qui continue de caractériser le mariage tunisien, un acte viril de prise de
possession physique et de contrôle du corps de la femme par son époux. Diverses
ritualisations en encadrent le surgissement tant au plan anthropologique à travers
la nuit de noce et la lune de miel qu’au plan juridico-religieux à travers le versement
de la dot à la femme. Il n’est pas jusqu’aux constructions jurisprudentielles les plus
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
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«innovantes » qui n’en soient l’expression. Face aux dérives autour de l’établissement
de l’accouplement à coup de renfort de la médecine légale et ses avilissants tests
vaginaux et ou de virginité, la Cour de cassation a usé de fictions, substituant au fait
concret, la figure symbolique «de la retraite des époux » (Khilwa) (1973, C. cass. n°
9224, 20 février 1973) et celle de « présomption de bina » (1977, C. cass. n° 1229. 15
juillet 1977). Tout cela pour instituer en droit « le bina» ou la consommation comme
acte ou fait déclencheur de la pension alimentaire due par l’époux à son épouse,
devoir qui lui vaut un statut de prévalence dont rend compte son statut de chef de fa-
mille et à elle encore celui de « champ de labour ». Figure coranique de la sourate des
femmes, la plus fréquemment convoquée, elle continue d’agir sur les comportements
et les représentations sociales de la sexualité entre hommes et femmes.
Cette conception charnelle du mariage qui nécessite l’incorporation sexuelle est por-
teuse de violences. Elle en présume le consentement puisque l’on considère d’une
part que le rapport sexuel est de l’essence même du mariage et d’autre part que le
consentement au mariage emporte ipso facto consentement aux relations sexuelles
entre époux. Elle est sans conteste à l’origine du déni du viol entre époux dont le
tabou et le non-dit persistent malgré les évolutions législatives en cours depuis 1993
avec l’obligation mutuelle d’éviter de se porter préjudice et surtout la fin du devoir
d’obéissance pesant anciennement sur l’épouse. Mais les stéréotypes ont la peau
dure. Paradoxalement et contre toute attente des milieux féministes et de défense
des droits humains, c’est cette conception médiévale que fait perdurer encore la loi
2017-58 contre les violences à l’égard des femmes par son silence assourdissant
autour du viol conjugal. La Commission des libertés individuelles et de l’égalité, ins-
tituée auprès du Président de la république le 13 aout 2017 en vue de la réforme
législative par référence à la Constitution du 27 janvier 2014, aux normes internatio-
nales des droits humains et aux orientations contemporaines en la matière, saura-elle
y mettre fin ?
Ce lien d’intimité charnelle qui s’affiche crûment dans le lien du mariage et se nourrit
de la force des rapports de sexe, éclipse jusqu’à le réduire à néant le caractère civil
de l’union que recouvrent sa célébration et son authentification par devant l’officier
d’Etat civil. Mais cela est une autre paire de manche. Car, il va sans dire encore en
droit tunisien qu’entre un mariage non consommé et un mariage consommé les effets
sont diamétralement opposés. Tandis que le premier peut être dissous sans plus, le
second ouvre droit à divorce pour manquement aux obligations réciproques entre
époux, dont une des causes peut être l’inexécution du devoir conjugal. Mais de quoi
s’agit- il au juste ?
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II. LES RELATIONS SEXUELLES COMME ÉLÉMENT DE BASE DU DEVOIR
CONJUGAL SELON LES US ET COUTUME
Le devoir d’accouplement ou d’union charnelle régulière entre conjoints constitue,
sauf exception, une prescription tirée de la notion générique des devoirs conjugaux
de l’article 23 §2 du Code du statut personnel selon lequel « les deux époux doivent
remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume ». C’est en
réalité à la jurisprudence des tribunaux, fortement inspirée des règles du fiqh malé-
kite, qu’est revenu le soin de définir la sexualité matrimoniale comme composante du
devoir conjugal issu lui-même d’un mariage formé, certes par l’échange de volonté (le
consentement liant les deux (zawj), mais ratifié par la consommation et la fusion des
corps et des sexes.
Le devoir charnel ne recouvre pas bien évidemment la totalité des obligations réci-
proques entre époux. Les articles 23 et 24 du CSP qui s’y rapportent directement
mettent à leurs charges bien d’autres obligations, tantôt des obligations d’équiva-
lence comme le traitement bienveillant, le vivre en bon rapport, la coopération dans
la conduite des affaires familiales et des enfants, tantôt et le plus souvent de préva-
lence sur la base de la division sexuelle des rôles, des attributs et des statuts. C’est
justement le renvoie législatif aux usages et à la coutume qui réactualise le mariage
dans le sexe et le sang, voire la religion malgré les transformations qui en ont touché
la forme et le fond : la majorité à 18 ans, le consentement expresse des futurs époux,
la célébration et l’authentification étatique, le libre choix du conjoint depuis le récent
et peu anodin retrait de la circulaire interdisant le mariage de la tunisienne musulmane
avec un non musulman (18/10/2017). Ne dit-on pas encore que celui qui se marie
acquiert la moitié de sa religion.
Malgré quelques accommodements institutionnels et appropriations législatives aux
nouvelles réalités des couples modernes, le mariage demeure LE conservatoire par
excellence de la société patriarcale. Il suffit ici de reprendre les motifs du juge sur
son éthique sexuelle et ses bienfaits sur les corps et l’esprit (l’immunisation (Ihçan),
la chasteté (taâffuf) et la procréation (injab)) pour s’en convaincre. Car, au-delà de la
relation sexuelle entre conjoints et des vertus morales qu’on lui attribue, le devoir
conjugal a pour visée sociale la fabrique des pères et de la filiation légitime qui s’en
suit. Plus que la régulation des pulsions sexuelles et de leurs redoutables désordres,
la relation sexuelle durant le mariage est l’acte qui, tout en réifiant l’épouse à un corps
porteur, inscrit la présence du père dans le fils et garantit l’inscription du lien légitime
de filiation et du nom dans la chair et le sang. La jurisprudence de la plus haute ju-
ridiction n’a eu de cesse de le rappeler et d’invoquer à la base de sa construction le
fameux Dit du prophète (du reste apocryphe), « l’enfant est du lit et au dévergondé la
pierre » (C. Cass. n° 4393, 6 janvier 1981). Cette filiation par le lit et le sang semble
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
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si forte qu’elle a fini par envahir et imprimer les institutions sociales les plus radica-
lement étrangères aux liens biologiques comme l’adoption : les couples adoptant de
préférence à leur naissance les neveux ou les petits enfants par le père auxquels ils
sont déjà liés par les liens du sang et du nom. On peut ajouter que c’est ce lien de
chair et de sang formaté dans le mariage qui rend aujourd’hui encore si difficile la
reconnaissance de la maternité célibataire et si paradoxale la loi 1998-75 sur l’attri-
bution du nom patronymique aux enfants abandonnés. Venue en priorité améliorer la
situation civile des enfants et se mettre en conformité avec les nouveaux standards
du code de la protection de l’enfance et de la convention onusienne sur le droit des
enfants, la loi s’est transformée en instrument de combat contre la subversion que
représente la maternité célibataire sur l’ordre social patrilinéaire. Elle a eu pour effet
de réinstaurer à coup de vérité génétique, de tests ADN et d’expertises médicales, la
filiation biologique au père par la semence et le sang.
Il est clair comme le note Yan Thomas, que « nos montages institutionnels s’apparen-
tent de plus en plus à des manipulations d’objets naturels qu’à la faculté de créer du
lien social hors chair » (1998, p.53). C’est en effet en naturalisant les rapports humains
et en les réincarnant dans une sexualité prescrite que les normes du droit et les lois du
genre reproduisent et réinventent les rapports sociaux de sexe. Les colères suscitées
par la simple suggestion de la Commission des Libertés et de l’Egalité de permettre
à l’enfant de prendre à sa majorité en plus du nom du père celui de la mère est signi-
ficatif des crispations autour de la figure du fils dans le père.
III. DE LA PROHIBITION D’UNE SEXUALITÉ NON REPRODUCTIVE À
L’INCRIMINATION DE L’HOMOSEXUALITÉ
Il est choquant de constater combien l’homosexualité est encore objet de déni et de
préjugés. Sans même analyser l’hypothèse d’une impossibilité du maintien d’une vie
conjugale entre un homme et une femme pour orientation sexuelle autre qu’hétéro-
sexuelle, pourtant assumé par le défendeur et pouvant donner droit au divorce sans
avoir à statuer sur la faute - le tribunal a vite fait de s’enfermer dans les catégories
de la sexualité prescrite et normée en considérant l’homosexualité de l’époux comme
constitutive de faute justifiant réparation des préjudices causés.
Le jugement dont le traditionalisme est patent reprend à son compte sans même
douter de leur pertinence au cas de l’espèce, les catégories de l’abstinence conjugale.
Celle-ci comme chacun sait, joue fortement dans les deux sens. Le plus fréquemment
contre les femmes qui se refusent à leur mari considérant qu’elles manquent à leurs
devoirs naturels. Pendant très longtemps on les a affublées de « nushuz », de déso-
béissance et d’insubordination justifiant leur enferment et leur redressement. Mais
elle joue aussi très souvent contre l’époux pour impuissance ou sodomie, pratique
sexuelle jugée déviante et peu conforme aux usages et à la coutume. Car en effet si
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en pays d’islam l’érotisme est glorifié voire déculpabilisé à en croire tout un ensemble
de recueils de fiqh, d’ouvrages savants et de sommes littéraires et poétiques, il ne
reste pas moins strictement encadré par sa finalité socioreligieuse : la procréation et
l’engendrement et plus encore, la génération continue de la communauté des musul-
mans, al umma al islamiya. Ainsi, la sexualité non procréative ou non générative, la so-
domie comme l’homosexualité masculine ou féminine autour desquels on entretient
l’amalgame, se trouve-t-elle condamnée pour pratiques « contre nature » et déviante.
En témoigne l’indécrottable article 230 du code pénal qui, malgré les mobilisations de
la société civile pour son abolition, continue de faire des ravages sur les corps et les
choix des personnes.
Tout cela, se ressource fondamentalement dans la pensée médiévale de la préserva-
tion d’un ordre du genre et contre la transgression de l’édifice binaire et hiérarchi-
sant du patriarcat, construit autour de la virilité, de la prévalence des hommes sur
les femmes, de la filiation patrilinéaire, de la circulation agnatique des biens et de
la sexualité procréatrice dans le cadre du mariage. Qu’est-ce que ces institutions
avilissantes et cruelles des temps médiévaux autour des corps, des sexes et des châ-
timents ont à voir avec l’égale dignité des personnes du temps révolutionnaire ? A
quand la réforme générale du statut personnel ?
Corps adulé, corps incriminé ! | Le mariage, la chair et le sang à propos d’une jurisprudence établie Sana BEN ACHOUR
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ORIENTATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
1975, Abdelwaheb BOUHDIBA, Sexualité en Islam, 1ère Edition, Paris Quadrige-PUF.
1998 : Yan THOMAS, « L’union des sexes : le difficile passage de la nature au droit », Entretien, Le
Banquet, n° 12-13, septembre-octobre 1998, p. 53.
2006 : Nawel GAFSIA, « Mariage et logiques familiales en islam », Hommes et Migrations, n°1262,
Juillet-août 2006. Le couple. Attention fragile. pp. 39-48; doi : 10.3406/homig.2006.4489.
http://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2006_num_1262_1_4489
ةركاذلا يف تارارق : يديبعلا ظفاح ،شاقنلا ليبن دمحم ،رمحلأا ماصع - سنوت ،: 2010
2015, Le Collectif civil pour libertés individuelles, « Chronique des atteintes aux libertés
individuelles » (en Arabe), Brochure distribuée lors de la Conférence de Presse du 19 janvier 2016
tenue sous le mot d’ordre « ma constitution, ma liberté »
2017 : Sana BEN ACHOUR, Violences à l’égard des femmes, les lois du genre, Publication du
Réseau Euromed droits, Tunis
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LA DIGNITÉ HUMAINE
DANS LES ESSAIS CLINIQUES
ARRÊT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
N° 415441 DU 3 MARS 2013
Dre. Hanène TURKI
Maître-assistante à l’Université de Tunis El Manar
Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis
« Le progrès médical est basé sur la recherche qui, en fin de compte, doit impliquer
des êtres humains »25. Les essais cliniques répondent aux exigences de l’évolution de
la science en vue d’améliorer la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies.
De ce point de vue, la règle juridique intervient pour préserver la dignité et les droits
des sujets volontaires participants à ces essais cliniques.
Le juge administratif dans un arrêt rendu en matière de sursis à exécution le 3 mars
2013 a exigé la nécessité de garantir la sécurité des malades et préserver leur dignité
en cas de participation volontaire à une expérimentation médicale.
Cet arrêt vient suite à une polémique liée à une recherche internationale menée par
l’Institut Pasteur en collaboration avec l’Institut Walter Reed à Washington concer-
nant un traitement contre la leishmaniose cutanée. Dans ce contexte, une requête
a été déposée le 22 janvier 2013 demandant le sursis à exécution de la décision de
refus implicite du ministre de la Santé de s’opposer aux essais cliniques menés par
l’Institut «Waltred » relevant du Département américain de la Défense pour tester
une nouvelle méthode de diagnostic de la leishmaniose cutanée sur des volontaires
tunisiens aux centres de santé à Sidi Bouzid et Gafsa sous la supervision d’un médecin
tunisien à partir de janvier 2013. Le requérant a relevé la non-conformité aux règles
juridiques régissant les essais cliniques. Alors que le ministre de la Santé, en réponse
à la demande de sursis à exécution formulée, a rejeté la demande en raison de l’ab-
sence des conditions de recevabilité, notamment l’intérêt et la qualité juridique à agir,
en ajoutant que la demande n’était pas fondée sur des motifs sérieux qui pourraient
25 Article 5 de la Déclaration d’Helsinki de l’AMM : Principes éthiques applicables à la recherche médicale
impliquant des êtres humains.
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
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entraîner des conséquences difficilement réversibles. Il convient de préciser que se-
lon l’article 39 de la loi relative au Tribunal administratif26 « le premier président peut
ordonner le sursis à exécution jusqu’à l’expiration des délais de recours ou jusqu’à la date
du prononcé du jugement, et ce, lorsque la demande du sursis repose sur des motifs
apparemment sérieux et que l’exécution de la décision objet du recours est de nature à
entraîner, pour le requérant des conséquences difficilement réversibles ».
Cet arrêt a fait surgir les exigences de sécurité relatives aux expérimentations et aux
recherches sur les personnes, mais aussi a mis en relief la distinction entre l’expéri-
mentation thérapeutique et non thérapeutique telle que consacrée par le Code de
déontologie médicale27. Il convient de préciser que la distinction entre l’expérimenta-
tion thérapeutique et non thérapeutique « est essentielle à l’identification des responsa-
bilités juridiques et éthiques du médecin-chercheur et les droits et attentes corrélatives du 
sujet patient ”28. Partant de ce fait, il apparaît nécessaire de définir ces notions afin de
mieux cerner le texte applicable.
D’abord, on entend par essai clinique « toute investigation menée sur des sujets hu-
mains en vue de découvrir ou de vérifier les effets cliniques et pharmacologiques
d’un produit de recherche ou d’autres effets pharmacodynamiques liés à ce produit,
d’identifier toute réaction indésirable à celui-ci, d’étudier la façon dont il est absor-
bé, distribué, métabolisé et excrété afin d’en évaluer la tolérance ou l’efficacité »29. Il
convient, ensuite, de définir l’expérimentation médicale qui correspond à toute re-
cherche médicale impliquant des êtres humains dans le cadre de recherche sur une
maladie qui doit être conduite par des personnes scientifiquement qualifiées et sous
surveillance d’un médecin qualifié30.
Ainsi selon l’article 1er du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les mo-
dalités de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine, « l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments des-
26 Loi n° 72 - 40 du 1er juin 1972, relative au Tribunal Administratif (JORT, n°23 du 2 juin 1972, p.738), telle
que complétée et modifiée par la loi organique n° 83-67 du 21 juillet 1983 (JORT, n°52 du 26 juillet 1983,
p.2018), loi organique n°91-66 du 2 août 1991 (JORT, n°56 du 9 août 1991, p. 1416), loi organique n°
94-26 du 21 février 1994 ( JORT, n°15 du 22 février 1994, p.308), loi organique n° 96-39 du 3 juin 1996
( JORT,n°47 du 11 juin 1996, p.1144), loi n° 2001-79 du 24 juillet 2001 ( JORT, n°59 du 24 juillet 2001,
p.1787), loi organique n° 2002-11 du 4 février 2002 ( JORT, n°11 du 5 février 2001, p.252), loi organique
n° 2002-98 du 25 novembre 2002, ( JORT, n°96 du 26 novembre 2002, p.2761), loi organique 2003-70
du 11 novembre 2003 ( JORT, n°91 du 14 novembre 2003, p.3360), loi organique n° 2008-7 du 13 février
2008 ( JORT, n°14 du 15 février 2008, p.676), loi organique n° 2009-63 du 12 août 2009 ( JORT, n°65 du
14 août 2009, p.2316), loi organique n° 2011-2 du 3 janvier 2011( JORT, n°2 du 07 janvier 2011, p.45).
27 Articles 103-111 du décret n° 93-1155 du 17 mai 1993, portant Code de déontologie médicale, J.O.R.T
n° 40 des 28 mai et 1er juin 1993, p.769 et s.
28 S. -N. Verdun-Jones, D.-N. Weisstub, L’expérimentation non thérapeutique, [En ligne], R.D.U.S. 49, 1997,
: https://www.usherbrooke.ca/droit/fileadmin/sites/droit/documents/RDUS/vo-
p.5 Disponible sur
lume_27/27-12-weisstubverdunjones.pdf
S. Lahouar, Les essais cliniques, in A. Aouij (S/D), Commentaire des grands textes du droit de la santé, CPU,
2012, p.447.
29
30 Ibidem. Voir aussi l’article 99 du Code de déontologie médicale.
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tinés à la médecine humaine doit se faire conformément aux conventions internationales 
relatives à la santé et aux droits de l’homme, dûment ratifiées par la Tunisie et aux règles 
de  déontologie  médicale  et  de  l’éthique,  relatives  à  l’expérimentation  sur  l’homme ”31. Il
essentiel, à ce propos, de définir le médicament qui est « toute substance ou compo-
sition  présentée  comme  possédant  des  propriétés  curatives  ou préventives  à  l’égard  des 
maladies humaines ou animales, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme 
ou l’animal en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs 
fonctions organiques ”32.
Selon le juge, cette expérimentation a pour finalité l’expérimentation d’un test de
diagnostic rapide pour la leishmaniose. Cet arrêt vient dans le cadre d’une expéri-
mentation de la leishmaniose cutanée qui constitue, en effet, en Tunisie un problème
de santé publique. Cette maladie est apparue massivement à Kairouan depuis 1982,
et s’est répandue progressivement dans différentes gouvernant, notamment à Sidi
Bouzid.
Cet arrêt affirme les exigences liées à l’organisation des essais cliniques, afin de pré-
server la dignité des volontaires se prêtant à l’expérimentation. Il convient de préciser
que la Cour des comptes a mené une mission de contrôle à l’Institut Pasteur de Tunis
et a relevé dans son 29ème rapport annuel les défaillances au niveau de l’organisa-
tion de cette expérimentation sur la leishmaniose cutanée33. On constate que depuis
2014 plusieurs textes juridiques ont été adoptés en vue d’organiser les différentes
étapes liées aux essais cliniques34.
31 Tel que modifié par le décret n°2001- 1076 du 14 mai 2001 (JORT, n°40 du 18 mai 2001) et le décret n°
2014-3657 du 3 octobre 2014, (JORT, n° 84 du 17 octobre 2014 , p.2747).
32 Article 21 de la loi n°73-55 du 3 août 1973, organisant les professions pharmaceutiques, telle que mo-
difiée par la loi n°76-31 du 4 février 1976, la loi n°76-62 du 12 juillet 1976, la loi n°89-24 du 27 février
1989, la loi n°89-101 du 11 décembre 1989, la loi n°89-46 du mars 1989, la loi n°92-75 du 3 août 1992
et la loi n° 2008-32 du 13 mai 2008.
33 Voir le 29ème rapport de la Cour des comptes, 2014, p.552 et s. [En ligne] http://www.courdescomptes.
nat.tn/Fr/publications_59_3_0_0_0_0000_0000_vingt-neuvieme-rapport-annuel_48
34 Décret n° 2014-3657 du 3 octobre 2014, modifiant et complétant le décret n° 90-1401du 3 septembre
1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine, JORT, n°84 du 17 octobre 2014, p.2747.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, fixant le modèle du formulaire du consentement éclairé
dans le cadre de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine hu-
maine, JORT, n°9 du 30 janvier 2015, p.314.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, relatif à la création des comités de protection des per-
sonnes se prêtant à l’expérimentation médicale au scientifique des médicaments destinés à la médecine
humaine et fixant leurs attributions, leurs compositions et leurs modalités de fonctionnement, JORT, n°9
du 30 janvier 2015, p.311.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, fixant le modèle du fichier spécial des volontaires sains
participants à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés la médecine humaine,
JORT, n°9 du 30 janvier 2015, p.314.
- Arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, fixant le modèle du contrat relatif aux frais et aux mon-
tants des compensations au profit des volontaires sains dans le cadre de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, JORT, n°9 du 30 janvier 2015, p.308.
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
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Le problème soulevé dans cette affaire est notamment lié à la nature de l’expéri-
mentation effectuée, ce qui permet par la suite de définir les normes juridiques et
éthiques applicables. Il apparait que le juge administratif à travers cet arrêt a mis
en avant les conditions fondamentales des expérimentations médicales et les règles
fondamentales à respecter. Le juge administratif a considéré, à partir des pièces du
dossier, l’absence d’un risque qui pourrait menacer la sécurité des sujets volontaires
ou affecter leur dignité, de ce fait la demande est selon le juge n’est pas fondée sur
des raisons apparemment sérieuses et a par conséquent rejeté la requête. Mais il
convient de préciser que le juge a fondé son argumentation en se référant aux condi-
tions fondamentales pour toutes expérimentations médicales ou scientifiques (I), qui
visent essentiellement la protection des sujets volontaires (II).
I. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DES ESSAIS CLINIQUES
Le juge administratif à travers cet arrêt a mis en avant les principes directeurs pour le
déroulement des essais cliniques. A cet effet, le respect de la dignité de la personne
humaine permet de sauvegarder les droits des sujets volontaires (A). D’autant plus, il
est essentiel de recueillir leur consentement avant tout acte médicale (B).

A. Le respect de la dignité de la personne humaine
Le juge administratif a formulé son argumentation en se basant sur le respect de la
dignité des volontaires aux expérimentations médicales. Il est vrai que
« l’usage du 
principe  de  dignité  entend  réprimer  des  comportements  dégradants  de  la  personne  qui 
passent par une atteinte au corps ou un certain usage du corps ”35.
Toutefois, la définition de la dignité est un peu complexe dans la mesure où cette
notion renvoie souvent « aux champs sémantiques de la morale, des valeurs, voire de la 
religion, toutes choses qui, aujourd’hui, sont marquées du sceau de la sphère privée et du 
relativisme »36.
La Constitution tunisienne dans son article 23 dispose que l’Etat protège la dignité de
la personne humaine et son intégrité physique37. On peut affirmer que cette notion a
été mise « sur le devant de la scène que lorsque les droits de l’homme traditionnels,
centrés sur l’individu, sa liberté, sa vie privée, et son autonomie, n’ont plus suffi-
sants »38. Mais toute réflexion faite, « la dignité de la personne humaine n’est pas seule-
ment un droit fondamental en soi, mais constitue la base même des droits fondamentaux
- Arrêté du ministre de la santé du 1er juin 2015, portant approbation de la modification et du complément
du cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine approuvé par l’arrêté du 28 mai 2001, JORT, n°49 du 19 juin 2015, p.1213.
35 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 2017, p.11.
36 M. Fabre-Magnan, La dignité en droit : un axiome, Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2007, p.1.
37 La notion de dignité est consacrée par les articles 4 et 47 de la Constitution tunisienne.
38 M. Fabre-Magnam, op, cit, p.1.
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51
»39. D’ailleurs, la dignité est devenue le fondement le plus « profond du droit »40.
La dignité apparaît donc comme un principe juridique protecteur des droits des vo-
lontaires des essais cliniques, car justement « le principe de dignité sert à énoncer com-
ment il faut traiter les êtres humains et comment il ne faut pas les traiter » 41, et a pour
objectif la protection de leur intégrité corporelle42. On ajoute qu’il est primordial de
souligner que l’intérêt et le bien de l’être humain doivent prévaloir sur le seul intérêt
de la société ou de la science43.
Le recours à la notion de dignité humaine est justifié par le fait que « la dignité est le 
principe premier du système juridique parce que la personne humaine est l’horizon ultime 
du droit, en réalité sa finalité »44, néanmoins le principe de dignité de la personne hu-
maine a pour finalité la protection de l’humanité en général45. D’ailleurs, la Charte du
malade 46 a préconisé l’importance de protection de la dignité du malade.
Sur le plan international, l’article premier de la Déclaration universelle sur la bioé-
thique et les droits de l’homme adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO le
19 octobre 2005, dispose : « la dignité humaine, les droits de l’homme et les libertés fon-
damentales doivent être pleinement respectés ». De même, l’article premier de la Charte
des droits fondamentaux de l’Union européenne dispose que la dignité humaine est
inviolable. Elle doit être respectée et protégée47. En ce qui concerne le droit français,
l’article 16 du Code civil français48 dispose : « la loi assure la primauté de la personne, 
interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le 
commencement de sa vie ».
Il est donc indéniable de préciser que chaque personne a droit au respect de son
corps49 et il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de
39 Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, Journal Officiel de
l’Union européenne, 14 décembre 2007, C303/17.
40 M. Fabre-Magnan, op, cit, p.6.
41
M. Fabre-Magnam, op, cit, p.24.
42 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, op, cit, p.13.
43 Article 2 de la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (STE n° 164), 4 avril 1997.
44 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, op, cit,., p.17
45 X. Bioy, Le corps humain et la dignité, op, cit,., p.21.
46 Article 1er de la Charte du malade, Circulaire du Ministre de la Santé Publique n° 36/2009 du 19 mai
2009 portant Charte du malade. [En ligne] disponible sur : http://www.santetunisie.rns.tn/images/cir2015/
cir534.pdf
Voir : Brèves réflexions à propos de la circulaire du Ministre de la Santé Publique n° 36/2009 du 19 mai
2009 portant Charte du malade, Bulletin d’information n°23. Juin 2009, [en ligne] disponible sur : http://
www.atds.org.tn/b23.html
47 Plusieurs conventions ont consacré la notion de dignité. A titre d’exemple on peut citer : la Convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (18 décembre 1979), la Conven-
tion internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (20 décembre
2006), les Accords d’Helsinki (21 juillet 1975)
Cet article est issu de la loi n°94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain, JORF, n° 175
du 30 juillet 1994.
Article 16-1 du Code civil français.
49
48
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nécessité d’une intervention thérapeutique et avec son consentement50. Par consé-
quent, il apparaît que la dignité et le consentement « sont étroitement imbriqués »51.
A ce titre, le juge de cassation français a considéré que le principe de dignité en tant
que principe constitutionnel justifiait la condamnation d’un médecin pour absence de
consentement52.
En revanche, on relève l’existence d’un lien étroit entre le principe de dignité hu-
maine et la nécessité d’encadrer53 toute expérimentation médicale.
B. L’exigence du consentement libre et éclairé
Il convient de préciser qu’aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consen-
tement libre et éclairé du malade, car l’acte médical est « par nature un acte constitutif 
d’atteinte à l’intégrité corporelle du patient, il est devenu impératif dans tous les systèmes 
juridiques fondés sur l’idée de liberté et de démocratie que tout traitement médical soit 
subordonné au consentement du patient »54. A travers cet arrêt, le juge administratif a
exigé l’obtention du consentement préalable du volontaire avant d’entamer l’expéri-
mentation en vue de garantir le respect de son intégrité physique. Autrement dit, le
médecin est tenu donc de recueillir préalablement le consentement des sujets volon-
taires à l’expérimentation médicale.
Cependant, les risques liés aux essais cliniques « ont tendance à être plus graves car 
d’une part, les méthodes utilisées n’ont pas été prouvées et d’autre part, leurs effets ne sont 
pas forcément tous connus ».55 Conformément à l’article 2 du Code de déontologie mé-
dicale, le respect de la vie et de la personne humaine constitue en toute circonstance
le devoir primordial du médecin. A ce sujet, il convient de rappeler qu’il est interdit de
soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou
scientifique56, par conséquent, le consentement constitue une condition fondamen-
tale avant la réalisation des essais cliniques. A cet égard, le médecin est tenu d’obtenir
le consentement du malade aux actes de soin ou de recherche.
L’article 5 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’ex-
périmentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine hu-
50 Article 16-3 du Code civil français.
51 L. Azoux Bacrie, Consentement et dignité : deux concepts fondateurs de la médiation dans le domaine de
la santé, « Droit, Santé et Société », 2019/3 n° 3, p.8.
Cour de cassation, 1ère chambre civile, no 00-14564, M. Franck X contre M. Y et autres.
52
53 B. Mathieu, La dignité, principe fondateur du droit, Journal International de Bioéthique 2010/3 (Vol. 21),
p.77.
54 S. Dabbou Ben Ayed, Le droit à l’information et le principe du consentement, in actes du colloque : « Le
principe du consentement éclairé en matière de soins et de recherche », 2011, p.35.
55 H. Rousseau, C. Magnin, Chapitre 3. Les conditions légales préalables requises pour les essais cliniques
d’après la Déclaration d’Helsinki révisée et la Convention européenne sur les droits de l’homme et la bio-
médecine Legal prerequisites for clinical trials under the re,
Journal International de Bioéthique, 2004/1 (Vol.
15), p. 45.
56 Article 7 du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966.
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53
maine, ajoute que « préalablement à la réalisation d’un essai clinique sur une personne, 
le consentement libre, éclairé et écrit de celle-ci et ou, le cas échéant, de son tuteur légal 
doit  être  recueilli  conformément  à  un  modèle  fixé  par  arrêté  du  ministre  de  la  Santé »,
en ce qui concerne les volontaires illettrés, le consentement doit être recueilli en
présence d’une personne de confiance choisie par le volontaire lui-même et n’ayant
pas d’intérêt direct ou indirect dans la réalisation de l’expérimentation 57.
Concernant l’expérimentation médicale, on relève que l’article 103 du Code de déon-
tologie précise qu’« au cours du traitement, le médecin doit avoir la liberté de recourir à 
une nouvelle méthode thérapeutique, s’il juge qui celle-ci offre un sérieux espoir de sauver 
la vie, rétablir la santé ou de soulager les souffrances du malade. Il doit, dans la mesure du 
possible, et compte-tenu de la psychologie du patient se procurer son consentement libre 
et éclairé, et en cas d’incapacité juridique, le consentement du représentant légal remplace 
celui du malade ». De même en ce qui concerne l’expérimentation non thérapeutique,
le Code de déontologie médicale exige que l’expérimentation sur un être humain « ne 
peut être entreprise qu’avec le consentement libre et éclairé du sujet. » 58 Ceci dit, le sujet
soumis à l’expérience doit être dans un état physique, mental et juridique tel qu’il
puisse exercer pleinement sa faculté de choisir59.
Le consentement doit être recherché60 et donné par écrit. La responsabilité d’une ex-
périence sur un être humain incombe toujours à l’homme de science et elle n’incombe
jamais au sujet qui se soumet de plein gré à l’expérience61. A cet effet, il a été exigé
qu’avant de procéder à une expérimentation médicale sur toute personne, le médecin
traitant doit l’informer préalablement, par tout moyen laissant une trace écrite, en
langage claire et facile à comprendre, qu’elle participe à la réalisation d’une expéri-
mentation thérapeutique, tout en lui clarifiant tous les aspects de l’expérimentation et
ses résultats prévisibles. Au cas d’un mineur ou d’un déficient mental, l’intéressé doit
être informé de l’expérimentation et de ses résultats prévisibles, en présence de son
tuteur légal, en langage qui convient à son niveau de maturité ou discernement selon
le cas, et ce par tout moyen laissant une trace écrite62.
57 Article 5 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine (modifié).
58 Article 107 du Code de déontologie médicale.
59 Article 108 du Code de déontologie.
60
l’article R.4127-36 du code de
la  personne  examinée  ou  soignée  doit  être 
le  médecin  doit  respecter  ce  refus  après  avoir 
le  malade,  en  état  d’exprimer  sa  volonté,  refuse 
A titre comparatif
la santé publique dispose que
« Le
les  cas.
consentement  de 
le  traitement  pro-
Lorsque 
posés, 
le  malade  de  ses  conséquences.
Si  le  malade  est  hors  d’état  d’exprimer  sa  volonté,  le  médecin  ne  peut  intervenir  sans  que  la  personne  de 
confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité.
Les obligations du médecin à l’égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur faisant l’objet d’une 
mesure de protection juridique sont définies à l’article R. 4127-42 ».
les 
informé 
investigations  ou 
recherché  dans 
tous 
61 Article 109 du Code de déontologie médicale.
62 Article 5 (bis) Décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale
ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, tel que modifié et ajouté par le décret n°
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
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Selon la jurisprudence du Tribunal administratif « le médecin doit exercer ses activités
dans le cadre du devoir de respecter l’intégrité physique du patient, une intégrité qui
a comme base essentielle d’informer le malade à propos de sa situation et des voies
de soins proposés et leurs risques »63.
Dans ce cadre, l’arrêté du ministre de la Santé du 13 janvier 2015 a fixé un modèle de
formulaire du consentement éclairé dans le cadre de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine64. Le texte a prévu les
sujets d’expérimentation et a consacré des dispositions particulières aux personnes
vulnérables. Pour cette raison, il est essentiel de fixer les règles de réalisation des
essais cliniques.
L’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine
humaine ne peut être effectuée que sur une personne majeure, jouissant de toutes
ses facultés mentales et de sa capacité juridique. L’expérimentation ne peut être ef-
fectuée sur les mineurs ou les déficients mentaux, ainsi que sur des femmes enceintes
ou allaitantes65.
Par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes a relevé la participation des mineurs
aux essais cliniques de la maladie la leishmaniose cutanée66. Alors que l’expérimen-
tation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine ne
peut être effectuée que sur une personne majeure, jouissant de toutes ses facultés
mentales et de sa capacité juridique67.
II. LES MESURES DE PROTECTION PRÉCONISÉE
La réalisation des essais cliniques devrait se faire selon les normes juridiques et
éthiques en vue de préserver les droits des sujets volontaires. Par conséquent, les es-
sais cliniques devraient se dérouler conformément à un protocole de bonne conduite
et selon les normes de sécurité (A) afin d’encadrer les modalités d’organisation des
essais cliniques (B).
63
2014-3657 du 3 octobre 2014.
Arrêt de la 3ème chambre de cassation n°38643 du 31 décembre 2007.cité par M. Letaief « Défaut de
consentement du patient et responsabilité administrative : Quel régime pour quelle indemnité ? in actes du
colloque :
« Le principe du consentement éclairé en matière de soins et de recherche », 2011, p.113.
64 Tel que modifié par l’arrêté du ministre de la santé du 16 mai 2018, fixant le modèle du formulaire du
consentement éclairé dans le cadre de l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments desti-
nés à la médecine humaine modifiant l’arrêté du Ministre de la santé du 13 janvier 2015, JORT, n°9 du 30
janvier 2015, p.317.
Art 2 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, tel que modifié et ajouté par le décret n°
2001-1076 du 14 mai 2001 et le décret n°2014-3657 du 3 octobre 2014.
65
66 29ème rapport annuel de la Cour des comptes, 2014, p. 552 et 567.
67 Article 2 du décret n° 90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale
ou scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine, tel que modifié et ajouté par le décret n°
2001-1076 du 14 mai 2001 et le décret n°2014-3657 du 3 octobre 2014.
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55
A. La conformité aux normes de sécurité des essais cliniques
« L’objectif  premier  de  la  recherche  médicale  impliquant  des  êtres  humains  est  de  com-
prendre  les  causes,  le  développement  et  les  effets  des  maladies  et  d’améliorer  les  inter-
ventions  préventives,  diagnostiques  et  thérapeutiques  (méthodes,  procédures  et  traite-
ments) »68. A cet égard, il est primordial de préciser que « toute recherche médicale 
impliquant des êtres humains doit préalablement faire l’objet d’une évaluation soigneuse 
des risques et des inconvénients prévisibles pour les personnes et les groupes impliqués »,
et précisément lorsque « l’importance de l’objectif dépasse les risques et inconvénients 
pour les personnes impliquées ».
L’expérience ne peut être tentée légitimement que si l’importance du but visé est en
rapport avec le risque encouru par le sujet69. Il est donc nécessaire d’évaluer soigneu-
sement les risques et les avantages prévisibles pour le sujet avant d’entreprendre une
expérience70.
A cet effet, la sécurité des volontaires était au cœur de préoccupation du juge admi-
nistratif. Il est donc essentiel de respecter les normes de sécurité71préconisées par les
conventions et les textes juridiques relatifs aux essais cliniques.
La recherche de proportionnalité72 entre les risques et les avantages de cette expéri-
mentation implique l’application du principe de précaution73. Ce principe « comporte 
deux aspects complémentaires dans ses rapports avec les risques : un aspect procédural, 
qui exige l’évaluation des risques, et un aspect substantiel, qui impose la prise de mesure 
d’évitement des risques »74. En revanche, ce principe « ne se résume pas à dire “dans le 
doute abstiens-toi” mais “dans le doute, évalue les risques liés à l’action et à l’inaction”. […] 
le principe de précaution ne proscrit pas l’action qui présente un risque mais invite à mettre 
68
Article 6 de la Déclaration d’Helsinki de l’Association Médicale Mondiale.
69 Article 100 du Code de déontologie médicale.
70 Article 101 du Code de déontologie médicale.
71 Voir : ISO 14155, Investigation clinique des dispositifs médicaux pour sujets humains – Bonne pratique clinique.
Règlement (UE) no 536/2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain.
Arrêté du 23 avril 2004, fixant les normes et protocoles applicables aux essais analytiques, toxicologiques et
pharmacologiques ainsi qu’à la documentation clinique auxquels sont soumis les médicaments ou produits
mentionnés à l’article L. 5121-8 du Code de la santé publique.
72 Voir à titre comparatif l’article L1110-5 du Code français de la santé publique :« Toute personne a, compte
tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur
l’ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques
dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement
possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’inves-
tigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir
de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».
Selon le principe 15 de la Déclaration de Rio de 1992 sur l’environnement et le développement : « Pour
protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent être largement appliquées par les Etats selon
leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique
absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à
prévenir la dégradation de l’environnement ».
A. AOUIJ (S/D), Quelles précautions pour quels risques ? Regards croisés, Latrach éditions, 2011, p.387.
73
74
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
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56
en balance les risques en jeu, étant entendu que nous n’avons jamais le choix qu’entre des 
risques ».75
L’évaluation des risques émane de l’intervention des experts et le comité d’éthique.
Le cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médi-
caments destinés à la médecine humaine, tel qu’approuvé par l’arrêté du ministre
de la santé publique du 28 mai 2001, prévoit l’intervention d’un comité consultatif
d’évaluation des expérimentations.
A titre comparatif, le Conseil d’Etat français dans un arrêt en date du 25 septembre
1998 a ordonné le sursis à exécution d’arrêtés ministériels autorisant la culture de
maïs OGM, car le dossier soumis à la Commission pour avis était incomplet. Dans
cette affaire, le juge a donc appliqué le principe de précaution en tant que principe
procédural.
De toute manière, le principe de précaution « sert également à l’appui d’une demande 
de sursis à exécution en tant qu’indicateur du caractère grave ou irréparable des risques 
encourus au cas d’exécution immédiate de l’acte attaqué »76.
Cette question met en relief le débat sur le rôle du droit en cas d’incertitude scienti-
fique. Ce principe est évoqué en cas de « situations de risque, notamment pour la santé 
humaine, qui, sans être fondé sur de simples hypothèses scientifiquement non vérifiées, n’a 
pas encore pu être pleinement démontré »77.
Néanmoins, il est important dans ce cas de souligner que la vérité judiciaire « s’écarte 
de la vérité scientifique dans la mesure où, tout d’abord, seule une partie des faits doit être 
retenue comme objet de preuve pour établir un droit »78. De son côté, le juge administra-
tif considère que la survenance d’un dommage irréversible ne suffit pas à prononcer
le sursis à exécution d’une décision administrative, mais il également nécessaires de
fournir des pièces justificatives sérieuses79.
Mais on constate que depuis 2015 des comités de protection des personnes se
prêtant à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine80 ont été mis en place et ont pour mission de donner un avis
motivé et conforme préalablement à toute expérimentation, et doivent s’assurer que
la recherche est pertinente. Mais ce comité est aussi tenu d’évaluer le rapport entre
75
76
77
78
79
Avis n°79 du Comité consultatif français d’éthique.
M. Prieur, Le principe de précaution, p.7 [En ligne] : https://www.legiscompare.fr/web/IMG/pdf/2-Prieur.pdf
Tribunal de première instance des Communautés européennes, Pfizer Animal Health SA, 11 septembre
2002, point 146.
A. Flueckiger, La preuve juridique à l’épreuve du principe de précaution, Revue européenne des sciences 
sociales
, Tome XLI, 2003, N° 128, p. 108.
TA, aff n°39 du 21 avril 1971, Club africain c/ Fédération Tunisienne de football.
80 Il convient de préciser que les comités de protection des personnes se prêtant à l’expérimentation médi-
cale ou scientifique des médicaments destinés à la recherche humaine sont créés auprès du ministère de la
santé.
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57
les bénéfices et les risques. Il doit aussi vérifier l’exhaustivité et l’intelligibilité des in-
formations écrites que le promoteur est tenu de fournir ainsi que la procédure suivie
pour obtenir le consentement éclairé des participants81. Il convient d’ajouter que les
membres de ce collège ne doivent avoir aucun conflit d’intérêt direct ou indirect avec
les promoteurs et les investigations de l’expérimentation médicale82.
L’objectif de ces mesures est de garantir la sécurité des sujets participants à cette ex-
périmentation. Ainsi, la question de sécurité reflète l’attention que « la société porte
à un moment donné sur la santé de ses membres »83.
B. L’organisation des essais cliniques
Les essais à visée thérapeutique ou scientifique doivent se faire conformément à des
règles éthiques84 et selon un protocole bien déterminé. Selon l’article 22 de la Dé-
claration d’Helsinki, la conception et la conduite de toutes les recherches impliquant
des êtres humains doivent être clairement décrites et justifiées dans un protocole de
recherche. Cet article précise que ce protocole devrait contenir une déclaration sur
les enjeux éthiques en question et indiquer comment les principes de la présente
Déclaration ont été pris en considération. Il devrait inclure aussi des informations
concernant le financement, les promoteurs, les affiliations institutionnelles, les conflits
d’intérêts potentiels, les incitations pour les personnes impliquées dans la recherche
et des informations concernant les mesures prévues pour soigner et/ou dédommager
celles ayant subi un préjudice en raison de leur participation à la recherche85.
L’organisation des essais cliniques exige le respect de certaines procédures confor-
mément aux bonnes pratiques cliniques qui constituent «  un  ensemble  d›exigences 
de qualité dans les domaines éthique et scientifique, reconnues au plan international, qui 
doivent être respectées lors de la planification, la mise en œuvre, la conduite, le suivi, le 
contrôle de qualité, l›audit, le recueil des données, l›analyse et l›expression des résultats 
de  l’expérimentation  médicale  ou  scientifique  des  médicaments  destinés  à  la  médecine 
humaine ”86. Selon l’article 99 du Code de déontologie médicale l’expérience sur un
81
82
83
Article 3 de l’arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, relatif à la création des comités de pro-
tection des personnes prêtant à l’expérimentation médicale au scientifique des médicaments destinés à la
médecine humaine et fixant leurs attributions, leurs compositions et leurs modalités de fonctionnement,
JORT, N°9, du 30 janvier 2015, p.311.
Art.9/2 l’arrêté du ministre de la santé du 13 janvier 2015, relatif à la création des comités de protection
des personnes prêtant à l’expérimentation médicale au scientifique des médicaments destinés à la méde-
cine humaine et fixant leurs attributions, leurs compositions et leurs modalités de fonctionnement, JORT,
N°9, du 30 janvier 2015, p.313.
J.-M. Clément, Les grands principes du droit de la santé, Les Etudes Hospitalières, 2005, p.165.
84 Voir : J.Ch. Thalabard, Enjeux éthiques de la méthodologie des essais cliniques, in, F. et E. Hisch (S/D),
Ethique de la recherche et des soins dans les pays en développement, Paris, Vuibert, 2005, p. 30.
85 Article 22/ 2 du Protocole Helsinki
86 Extraits de l’annexe de cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médica-
ments destinés à la médecine humaine tel qu’approuvé par l’arrêté du ministre de la santé publique du 28
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
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être humain doit respecter les principes moraux et scientifiques qui justifient la re-
cherche en médecine humaine. L’expérience sur un être humain doit être menée par
des personnes scientifiquement qualifiées et sous surveillance d’un médecin qualifié.
La mise en place de l’expérimentation devrait être réalisée selon un protocole spéci-
fique qui « décrit les objectifs, la conception, la méthodologie, les remarques d’ordre
statistiques et les diverses étapes d’un essai »87
A ce propos, l’article 18 du décret du 03 septembre 1990 exige que dans le cas où
l’expérimentation a lieu dans un établissement public, elle doit avoir au préalable l’ac-
cord du comité ou du conseil scientifique dudit établissement88. Avant d’entamer une
expertise analytique, pharmaceutique ou toxicologique, les experts ainsi que les fabri-
cants sont tenus de se présenter auprès de l’unité de la pharmacie et du médicament
au ministère de la Santé publique afin de recevoir des exemplaires du présent cahier
des charges ; chacun d’entre eux doit conserver un exemplaire et en déposer un au-
près du même organisme après l’avoir signé à la dernière page, avec légalisation de la
signature auprès des organismes spécialisés. Les fabricants doivent en même temps
fournir au ministre de la santé publique le protocole spécifique à l’expertise ainsi que
le contrat signé entre les différentes parties participantes à l’expérimentation89.
Il convient d’ajouter que les essais cliniques sont soumis à des contrôles en perma-
nence par les autorités de santé. Le ministre de la santé publique est systématique-
ment tenu informé des effets indésirables graves et inattendus des essais ainsi que
d’éventuelles complications apparues en cours d’expertise90. Il peut aussi décider de
l’arrêt provisoire ou définitif de l’expérimentation91.
A contrario, le rapport de la Cour des Comptes a relevé que les essais ont été menés
en l’absence de ce qui atteste que le ministère s’était assuré de la composition du
médicament92.
En définitive, le cadre juridique des essais cliniques a connu une évolution depuis
2014. Mais, on pense que ce domaine nécessite un encadrement juridique plus judi-
cieux, car sur le plan juridique « il est illogique et injustifiable qu’un domaine aussi sensible 
que les essais de nouveaux médicaments ne soit encadré que par des textes règlementaires. 
Qu’ils soient à visée thérapeutique (volontaires ayant bénéfice direct à l’essai au regard de 
mai 2001, tel que modifié et complété par l’arrêté du 1er juin 2015.
87 S. Lahouar, op, cit, p.456.
88 Décret n°90-1401 du 3 septembre 1990, fixant les modalités de l’expérimentation médicale ou scienti-
fique des médicaments destinées à la médecine humaine, tel que modifié notamment par le décret n°2001-
1076 du 14 mai 2001.
Article 6 de l’arrêté du ministre de la santé publique du 28 mai 2001, Tel que modifié et complété par
l’arrêté du 1er Juin 2015, portant approbation du cahier de charges relatif à l’expérimentation médicale ou
scientifique des médicaments destinés à la médecine humaine.
89
90 S. Lahoaur, op, cit, p.450.
91 Article 14 du Cahier des charges relatif à l’expérimentation médicale ou scientifique des médicaments
destinés à la médecine humaine.
92 Le 29ème rapport de la Cour des comptes, p.552.
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leur maladie) ou scientifique (volontaires sains), ces essais touchent à la libre volonté de 
la personne, à sa dignité, à son intégrité physique, risquant de porter atteinte à ses droits 
fondamentaux »93. Néanmoins, le rôle du juge demeure important en vue de préserver
et faire prévaloir les droits fondamentaux lors du déroulement des essais cliniques.
59
93
A. Aouij, La nouvelle règlementation relative aux essais thérapeutiques et scientifiques, Bulletin d’informa-
tion n°80. Mars 2015, disponible en ligne
: http://www.atds.org.tn/b80.html
Corps adulé, corps incriminé ! | La dignité humaine et les essais cliniques Hanene TURKI
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60
ÉLÉMENTS BIBLIOGRAPHIQUES
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d’information n°80. Mars 2015, disponible en ligne : http://www.atds.org.tn/b80.html
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Corps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine Jeweher SEKHIRI
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LE DROIT À L’INHUMATION DANS LE PAYS
D’ORIGINE : QUELLE EXCEPTION DANS L’ÉTAT
D’EXCEPTION ?
COMMENTAIRE DU JUGEMENT EN RÉFÉRÉ N°7144774, TRIBU-
NAL ADMINISTRATIF, 11 JUILLET 2020
SYNTHÈSE94
Docteure en Droit public, Enseignante à
Jeweher SEKHIRI
L’Institut supérieur d’études juridiques et politiques de Kairouan
L’épidémie du Covid-19 a provoqué une crise sanitaire d’ampleur. Les États étaient
confrontés à un défi social, politique et juridique majeur.
Quels risques pour les droits et libertés dans le cadre des mesures exceptionnelles
prises par les gouvernements pour faire face à la crise sanitaire ?
Comment concilier entre les différents droits qui ont une valeur constitutionnelle sur-
tout dans un état d’exception ?
Le jugement en référé, en date 11 juillet 2020, en fait l’illustration.
RAPPEL DE LA DÉCISION
En l’espèce, une femme tunisienne a voyagé au Gabon, dans le cadre d’un travail.
Mais, suite au déclenchement de la pandémie il était impossible de retourner en
Tunisie pour cause de fermeture des frontières. Entre temps elle a été décédée par
la Covid-19. Ses proches ont demandé aux autorités administratives concernées, le
rapatriement du corps du défunt en Tunisie depuis le pays du décès. Faute de de
réponse. Ils ont recouru au juge des référés pour ordonner au ministère des affaires
étrangères de leur octroyer un permis de transport du corps de la défunte.
94 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
74-95.
Corps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine Jeweher SEKHIRI
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Le tribunal devait donc se prononcer sur la question suivante : Est-il possible que
le juge des référés ordonne au ministère des affaires étrangères le rapatriement du
corps du défunt décédé à cause du COVID- 19 ?
La demande a été rejetée sur la base que l’état d’exception relatif à la situation sani-
taire ne le permet pas. En effet, le tribunal administratif a fait prévaloir l’état de santé
des citoyens tunisiens qui ont la priorité d’être protégés.
Nous lisons dans la décision du 11 juillet 2020 :
« Attendu que l’article 25 de la Constitution dispose : aucun citoyen ne peut être déchu 
de la nationalité tunisienne, ni être exilé ou extradé, ni empêché de revenir dans son pays.
Les droits relatifs à l’inhumation font partie intégrante des droits culturels tels que garantis 
dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 dé-
cembre 1966 ratifié par la Tunisie le 18 mars 1969. Dès lors, priver citoyen de son droit 
d’être enterré dans son pays d’origine est une violation de ce droit.  
L’article 12 du même Pacte énonce que : les Etats parties reconnaissent le droit qu’a toute 
personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’at-
teindre. Ils doivent aussi prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer le plein exercice 
de ce droit pour assurer : le traitement des maladies épidémiques ainsi que la lutte contre 
ces maladies.
Les droits mentionnés sont deux droits garantis par la Constitution et les conventions in-
ternationales ratifiés par la Tunisie se superposent. L’un prévaut sur l’autre. Il s’agit du droit 
d’être enterrer dans son pays d’origine, d’une part et du droit de tous les citoyens de jouir 
du meilleur état de santé physique, d’autre part. 
Parmi les fonctions principales des établissements de santé publique est de lutter contre 
la pandémie du coronavirus. Cela se traduit, en effet, par la prise de toutes les mesures 
préventives nécessaires afin d’empêcher la propagation du virus et dans un but de protéger 
la santé des citoyens.
En rappelant les conditions des restrictions relatives aux droits et libertés telles que posées 
par l’article 49 de la Constitution, le juge affirme son rôle consistant à assurer la protection 
des droits et libertés contre toute atteinte.
Le juge tient compte du degré de la gravité des risques qui menacent les droits d’une caté-
gorie importante d’individus. Situation qui amène le juge à limiter le droit dont les risques 
sont moindres à l’égard des citoyens. Par contre, il met en œuvre le droit dont les risques 
sont plus importants dans le cas où des restrictions sont apportées à son exercice ».
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L’APPORT EN MATIÈRE DE LIBERTÉS
1. La reconnaissance et l’affirmation des droits relatifs à l’inhumation dans le
pays d’origine
Le droit tunisien est basé sur le respect d’un ensemble de droits et libertés indivi-
duelles.
Dans ce cadre s’insère le droit d’inhumation dans le pays d’origine. Les disposi-
tions constitutionnelles, législatives et les conventions internationales consacrent
un cadre favorable à ce droit.
Pour affirmer ce droit le juge s’est référé à l’article 25 de la Constitution qui dispose :
« Aucun citoyen ne peut être déchu de la nationalité tunisienne, ni être exilé ou
extradé, ni empêché de revenir dans son pays ».
La loi n° 97-12 du 25 février 1997 relative aux cimetières et lieux d’inhumation dis-
pose « Les missions diplomatiques et les postes consulaires à l’étranger délivrent des
laisser-passer pour les dépouilles mortelles des tunisiens décédés dans le ressort de
leurs circonscriptions, en vue de les rapatrier et les inhumer en territoire de la Ré-
publique Tunisienne » consacre d’une part le droit de retourner au pays d’origine et
d’autre par le droit d’obtention des autorisations administratives nécessaires
Mais, la pandémie de la Covid-19 a modifié les conditions d’inhumation et surtout
la prise en charge des défunts testés positifs au coronavirus et ce pour protéger le
droit à la santé et même le droit à la vie.
2. La confirmation de la primauté du droit à la santé
La crise sanitaire causée par la covid-19 a impacté l’exercice des libertés.
La crise sanitaire a fait prévaloir le droit à la santé au détriment d’autres droits. Dans
le jugement objet du commentaire, le juge s’est référé au Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels et surtout à l’article 12 de ce même
Pacte pour justifier le rejet du droit à l’enterrement dans le pays d’origine en période
de crise sanitaire.
L’analyse de cette décision nous permet de constater le rôle du juge dans la conci-
liation entre les différents droits consacrés constitutionnellement, à savoir le droit
de retourner au pays d’origine et le droit à la santé. La relation entre la santé et la
liberté de circulation est en effet marquée par sa complexité. La santé est, en tant
que recherche de sécurité, par nature réductrice de liberté.
L’approche retenue ici, par le juge, vise simplement à essayer de confronter les évo-
lutions de l’état de santé aux problématiques des libertés. Avec, dans un premier
temps, le constat d’un phénomène de liberté contrariée par les multiples réglemen-
Corps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine Jeweher SEKHIRI
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tations et régimes d’interdiction instaurés dans l’intérêt de la santé publique surtout
dans un état d’exception.
La protection de la santé publique emprunte régulièrement le chemin de l’interdic-
tion et de l’obligation.
La liberté est le principe et sa limitation est l’exception. Pour l’intérêt collectif une
liberté individuelle peut être restreinte. Ainsi des limitations administratives des
droits au nom de l’intérêt général peuvent être décidées.
Le juge administratif, garant des libertés, se trouve ainsi devant un dilemme : D’une
part, le juge doit déclarer la légalité des actes adoptés au nom de l’intérêt général et
d’autre part il doit garantir le respect des droits touchés par les dits actes. Le juge se
trouve dans l’obligation de réaliser ce fragile équilibre.
Corps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine Jeweher SEKHIRI
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Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHICorps adulé, corps incriminé ! | Le droit à l’inhumation dans le pays d’origine  Jeweher SEKHIRI
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Rapport :
Democrayreporting international,Epidémie de la COVID-19 en Tunisie, analyse du cadre
juridique mise en application,2020
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LA LIBERTE
DE CHOISIR
SON APPARENCE
2
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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68
La liberté d’apparence | Le Niqab une liberté ou une menace à l’ordre public? Jihen BEN HAMMOUDA
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LE NIQAB UNE LIBERTÉ OU UNE MENACE
À L’ORDRE PUBLIC?
69
COMMENTAIRE DE L’ARRÊT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF EN
DATE DU 3 DÉCEMBRE 2014
Jihen BEN HAMMOUDA
Chercheure en Droit
Doctorante à la faculté des sciences juridiques de Tunis
SYNTHÈSE95
La liberté vestimentaire n’a jamais été expressément prévue dans les lois et les dé-
clarations internationales, mais il s’agit plutôt d’un concept érigé au rang de libertés
fondamentales, à savoir celles de penser, de s’exprimer, de se réunir, de s’associer
à d’autres citoyens et d’observer les préceptes d’une religion. Une affirmation so-
lennelle révolutionnaire confirmant l’autonomie de l’individu par rapport à l’Etat afin
d’éviter toute atteinte à sa dignité humaine96.
La liberté vestimentaire et plus précisément, le voilement du visage par le niqab a
constitué un sujet d’actualité et de débat, envahissant de fait les médias, les col-
loques, les plateaux télévisés mais surtout le prétoire administratif dans l’affaire n°
125265, démontrant ainsi le rôle du juge administratif dans la protection des droits
et libertés fondamentaux.
Dans cette affaire, une étudiante s’est présentée à Faculté des lettres et des sciences
humaines de Sousse pour finaliser les procédures de son inscription, mais l’adminis-
tration a refusé son inscription sous prétexte que la dissimulation du visage entrave
la vérification de son identité, quoique la demanderesse ait proposé de montrer son
visage à une fonctionnaire, ou à une enseignante, ce que l’administration a refusé
95 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
96-99.
96 Duplé (N), « Les libertés d’opinion et d’expression : nature et limites », dans (coll.), La Charte québécoise des
droits et libertés : Origine, nature et défis, Éditions Thémis, 1989, p. 260
La liberté d’apparence | Le Niqab une liberté ou une menace à l’ordre public? Jihen BEN HAMMOUDA
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catégoriquement, en application de la décision du conseil scientifique du 6 octobre
2011 prohibant aux étudiantes portant le voile intégral l’accès aux établissements
universitaires.
Suite à cela, l’étudiante a intenté un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal
administratif à l’encontre de la décision interdisant son inscription en justifiant son
recours par l’atteinte à sa liberté vestimentaire et à son droit à l’enseignement public.
Ainsi le juge administratif à travers son arrêt rendu le 03 décembre 2014, en pour-
suivant la même démarche consacrée par l’article 49 de la constitution de 2014, a
confirmé son rôle de gardien des libertés et droits fondamentaux, notamment la liber-
té vestimentaire (1) en précisant les contours de sa délimitation (2).
1. LE RESPECT DE LA LIBERTÉ VESTIMENTAIRE :
La liberté de se vêtir constitue une expression de l’appartenance identitaire et so-
ciétale de l’individu. Ce n’est nullement un habit qu’on choisit au hasard, mais il est
porteur d’un choix de vie relavant du droit à la vie privée.
Cette liberté vestimentaire est ancrée dans la vie de chaque individu, et malgré le fait
qu’elle ne soit pas consacrée par des textes juridiques, elle relève incontestablement
des droits et libertés fondamentaux de la personne, reconnus constitutionnellement
et internationalement tel qu’énoncé dans l’arrêt précité97.
Ainsi, le juge administratif a confirmé que les libertés relevant des droits fondamen-
taux ne peuvent délimitées même s’il a reconnu le pouvoir et les prérogatives détenus
par le chef de l’établissement public (le doyen de la faculté(, dont dispose tout chef
de service public pour assurer la continuité et la meilleure gestion du service public,
mais qui demeurent limités par le respect du droit à l’enseignement, reconnu consti-
tutionnellement, et ainsi le droit des niqabées à l’enseignement, tel que confirmé par
l’article 49 de la constitution qui a limité considérablement la marge de manœuvre
des autorités pour éroder ces droits.
2. LES CONDITIONS DE DÉLIMITATION DES DROITS ET LIBERTÉS :
En poursuivant la même trajectoire de gardien des droits et libertés, le juge adminis-
tratif a précisé, qu’aucune limitation ne peut être apportée au droit à l’enseignement
, en se référant aux pouvoirs du contrôle dont il dispose, à savoir : la règle de pro-
portionnalité et de nécessité98, lui permettant d’achever son rôle de protecteur des
libertés individuelles.
قيثاوملا و ريتاسدلا ةفاك يف ةلوفكملا ةينيدلا رئاعشلا ةسرامم و دقتعملا ةيرح و سابللا ةيرح نمض لخدي باقنلا ءادترا نإ« 97
»ناسنلإا قوقحل يملاعلا نلاعلإا نم 81 ةداملا اميس لا و ةيلودلا
98 Prévu dans l’article 49 de la constitution du 27 janvier 2014
La liberté d’apparence | Le Niqab une liberté ou une menace à l’ordre public? Jihen BEN HAMMOUDA
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A travers cet arrêt, le juge a confirmé la quête de cet idéal d’harmonie entre les droits
des individus et la réalisation de l’intérêt général, l’objectif ultime de chaque service
public, et cet idéal ne peut être déduit qu’en appliquant le principe de proportionnalité.
Le tribunal a poursuivi son analyse en appliquant conjointement le principe de néces-
sité qui constitue une réponse à la question suivante : est-ce que ce comportement
constitue un danger imminent qui justifie une atteinte grave et manifestement illégale
à une liberté fondamentale99 ?
Selon la même perspective, le tribunal administratif a confirmé les conditions de dé-
limitation annoncées dans l’article 49 prévoyant que les libertés ne peuvent être res-
treintes qu’à travers le pouvoir législatif en interprétant le terme «loi» au sens tricto
sensus, et cette même position a été confirmée à travers plusieurs autres arrêts100.
Dans cette affaire, le tribunal administratif a confirmé la suprématie des droits et li-
bertés fondamentaux tel qu’instaurée par la constitution de 2014 et l’article 49 qui
constitue une pierre angulaire protectrice des droits humains contre toute atteinte ou
violation, mais la liberté vestimentaire et le port du voile intégral demeurera à la merci
des lois et des tribunaux, puisque dans ce jugement relative à la liberté vestimentaire,
cette dernière n’a pas été reconnue explicitement et le débat demeure toujours ouvert.
99 Intervention de Jean-Marc Sauvé lors du colloque organisé pour les dix ans de l’Association française pour
la recherche en droit administratif (AFDA) à l’Université d’Auvergne le 16 juin 2016, https://www.conseil-
etat.fr/actualites/discours-et-interventions/le-juge-administratif-protecteur-des-libertes
100 Arrêt du tribunal administratif n° 154505 du 22 janvier 2019
La liberté d’apparence | Le Niqab une liberté ou une menace à l’ordre public? Jihen BEN HAMMOUDA
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رداصملاو عجارملا ةمئاق
ىقتلم لامعأ : 2014 يفناج 27 روتسد : ةيناثلا ةيروهمجلا روتسد يف تاءارق« ،»يحاتتفلاا ريرقتلا « ،)ن( شوكبلا
قوقحلا ةيلكب هاروتكدلا ةسردم تاروشنم ،»2014 سرام 10و 9 - 8 مايأ ةيسنوتلا ةيروهمجلل ديدجلا روتسدلا
.شرطلأا عمجم ،سقافصب
ةيلودلا ةسسؤملا ،»يسنوتلا روتسدلا نم 49 لصفلا ىلع قيلعتلا :تايرحلا و قوقحلا طباوض« ،)خ( يرجاملا
،2017 ،سنوت تاباختنلااو ةيطارقميدلل
تايرحلا« )و( يشيشرفلا ذاتسلأا فارشا تحت يعامج فلؤم نمض،»ةينيدلا ةيرحلا و يرادلاا يضاقلا« ،)أ( لوغلا
،2015 ،سنوت ،ةيدرفلا تايرحلا نع عافدلل ةيسنوتلا ةيعمجلا ،»سنوت يف ةينيدلا
،ةيرادلاا ةمكحملاب ىلولأا ةيئادتبلاا ةرئادلا ، 2019 يفناج 22 خيراتب رداص 154505 ددع رارق ،ةيرادلإا ةمكحملا
سنوتب ةيايسلا مولعلاو قوقحلا ةيلك ديمع /يفيعلا
سنوت ةيدلب / ناشيرك ، 1995 سرام 14 خيراتب 3897 ددع رارق ،ةيرادلإا ةمكحملا
فيرظلا نيّزلا مأ /ةيدهملا ةيدلب سيئر ،2009 يام 23 خيراتب 26856 ددع رارق ،ةيرادلإا ةمكحملا
La liberté d’apparence | Le port de la barbe manifestation de la « liberté personnelle » Mehdi ELEUCH
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LE PORT DE LA BARBE, MANIFESTATION
DE LA « LIBERTÉ PERSONNELLE »
COMMENTAIRE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF,
HAMZA CHIHAOUI C. MINISTRE DE L’INTÉRIEUR, 18 MARS 2014.
Mahdi ELEUCH
Chercheur en Droit à la Legal Agenda Tunis
www.legal-agenda.com
SYNTHÈSE101
« Considérant qu’il ressort, en revenant aux divers textes constitutionnels, que ce
soient ceux en vigueur lors de l’édiction des circulaires et notes dont l’administration
se prévaut, lors de l’adoption de la décision administrative attaquée, ou à la date du
jugement, que les droits humains et les libertés garantis par ces textes ne sauraient
être restreints que sur la base de lois visant à sauvegarder les droits d’autrui ou la
sûreté publique, et à condition que ces restrictions ne portent pas atteinte à l’essence
des droits et libertés;
Considérant que le port de la barbe constitue l’une des manifestations de la pratique
de la liberté personnelle garantie aux individus, et que, ce faisant, on ne peut y ap-
porter de restrictions que sur la base d’une loi, à condition qu’elle ait pour objectif la
poursuite de l’intérêt général et qu’elle ne porte pas atteinte à l’essence du droit. »
Émis moins de deux mois après la promulgation de la Constitution de 2014, le juge-
ment Chihaoui constitue l’une des toutes premières applications jurisprudentielles
du nouveau texte fondamental, et notamment de son article 49. Les faits remontent
à l’année 2012, lorsque le plaignant, Hamza Chihaoui, sergent à la Protection civile,
a été empêché de suivre une session de formation exceptionnelle, indispensable à
sa promotion au grade d’officier, malgré sa réussite au concours correspondant. La
raison invoquée par le directeur de l’École nationale de la garde nationale et la pro-
tection civile de Bir Bouregba, organisatrice de la formation, était son refus de raser
sa barbe. En attaquant cette décision devant le Tribunal administratif (T.A.), Chihaoui
101 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
111-120.
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a considéré qu’elle porte atteinte sa liberté personnelle, citant l’exemple de ses col-
lègues, femmes, qui étaient, depuis la Révolution de 2011, autorisées à porter le
voile. La comparaison avec le voile n’est pas fortuite. Il s’agit, en effet, dans les deux
cas, d’un choix d’apparence physique qui traduit en même temps une conviction re-
ligieuse. Chihaoui ne s’est pas empêché de le souligner, sans pour autant fonder sa
plainte sur la liberté religieuse.
Or, la qualification juridique de ce type de comportements, exprimant, par un choix
d’apparence physique, une conviction religieuse, ne va pas de soi. D’une part, les
juges, que ce soit en Tunisie ou ailleurs, hésitent souvent à rattacher ces choix à la
liberté religieuse. D’autre part, l’absence d’une consécration expresse, dans les consti-
tutions et les conventions des droits humains, de la « liberté de choisir son apparence
physique », conduit souvent les juridictions à la fonder sur des libertés plus larges.
C’est cette option qu’a retenue le T.A. dans ce jugement, par le recours à la notion
de « liberté personnelle » (I). Néanmoins, alors même qu’elle promet des applications
multiples et une protection plus large des droits et libertés, notamment corporels, la
« liberté personnelle » n’a pas été définie par le juge administratif, ni même rattachée à
un fondement constitutionnel. Pourtant, le tribunal semble, dans le même jugement,
lui appliquer les garanties de l’article 49 de la nouvelle constitution, pour conclure à
l’illégalité de la décision en l’absence de fondement légal (II).
A. RECOURS À LA « LIBERTÉ PERSONNELLE » POUR PROTÉGER LA
LIBERTÉ DE PORTER LA BARBE
En recourant à la notion de « liberté personnelle », le T.A. a implicitement refusé de
rattacher le port de la barbe aux libertés religieuses. Pourtant, celles-ci présentent
l’avantage d’avoir un fondement constitutionnel clair, que ce soit dans la Constitution
de 1959, ou dans celle de 2014 dont l’article 6 a ajouté aux libertés de croyance et
de culte, la liberté de conscience. En outre, l’article 18 du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques inclut, dans la liberté de pensée, de conscience et de
religion, le « droit de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en
commun, tant en public qu’en privé », non seulement par le culte et l’accomplissement
de rites, mais aussi par des « pratiques ». Celles-ci englobent, selon l’Observation gé-
nérale n°22 du Comité des droits de l’homme, les « coutumes telles que l’observation
de prescriptions alimentaires, le port de vêtements ou de couvre-chefs distinctifs ».
Cette exclusion implicite de la liberté religieuse traduit une hésitation dans la jurispru-
dence du T.A. par rapport à « liberté de manifester sa religion ». Le juge administratif
s’est même appuyé, pour protéger la liberté de porter le « foulard », sur l’absence de
lien avec « l’appartenance religieuse ». Ainsi, il semble fuir le débat identitaire, qui
s’est souvent cristallisé autour de ces « manifestations physiques » des convictions
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religieuses. Pourtant, rattacher le voile ou le port de la barbe à la liberté religieuse
ne signifie pas l’adoption, par le juge, d’une quelconque interprétation de la religion.
C’est plutôt la conviction intime du requérant qui fonde ce lien. En outre, le rattache-
ment de ces manifestations à la liberté religieuse ne les aurait pas donné une protec-
tion absolue, car la liberté de manifester sa religion est, contrairement à la liberté de
conscience, susceptible de restriction.
Toutefois, cette hésitation n’est pas l’apanage du juge administratif tunisien. Dans les
affaires impliquant la liberté de porter la barbe, les solutions jurisprudentielles va-
rient. En effet, alors que la Cour suprême américaine a recouru à la liberté religieuse
pour protéger le droit d’un détenu à porter la barbe, la Cour européenne des droits
de l’homme (C.E.D.H.) s’est fondée, dans un cas similaire, ainsi que dans celui d’un
étudiant empêché, à cause de sa barbe, d’accéder à son université, sur le droit à la
protection de la vie privée.
Dans ce jugement, le T.A. a préféré, quant à lui, faire sien l’argument du requérant qui
s’est fondé sur la « liberté personnelle ». Or, contrairement à ce que laisse penser la
lecture des considérants cités, cette notion n’a été consacrée ni par la Constitution de
1959 ni par celle de 2014, où l’on trouve par contre la notion de libertés individuelles.
En outre, la « liberté personnelle » ne semble pas, à notre connaissance, avoir fait
l’objet d’une définition jurisprudentielle, ni n’a-t-elle été suffisamment appliquée pour
que l’on puisse identifier son étendue. C’est donc en recourant au droit comparé que
l’on peut tenter de la cerner.
Si certaines constitutions consacrent la « liberté personnelle », c’est généralement
dans un sens relativement étroit, qui est celui de l’habeas corpus, c’est-à-dire le droit
de ne pas être arrêté ou détenu sans jugement, soit l’équivalent de l’article 29 de la
Constitution de 2014. On retrouve la même conception de la liberté personnelle dans
la convention américaine des droits de l’Homme. Par contre, c’est lorsque la « liberté
personnelle » est une construction jurisprudentielle, qu’elle devient le plus « fertile ».
Ainsi, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français, la liberté personnelle
est d’abord apparue dans le domaine du droit du travail, avant de fonder la liberté du
mariage et la liberté de circulation, dépourvues de base constitutionnelle explicite. De
même, la Cour suprême américaine s’est appuyée sur la liberté personnelle dans le fa-
meux arrêt Roe v. Wade, consacrant le droit des femmes à l’interruption volontaire de
la grossesse. Mais l’oeuvre la plus riche à cet effet reste celle du juge suisse, qui définit
la liberté personnelle comme étant celle qui « inclut toutes les libertés élémentaires
dont l’exercice est indispensable à l’épanouissement de la personne humaine ». Ainsi,
la liberté personnelle fonde aussi bien le droit à l’intégrité physique que celui à l’inté-
grité psychique, le désir d’avoir ou de ne pas avoir des enfants, ou le droit pour une
personne de déterminer le sort de sa dépouille après sa mort, etc. Cette conception
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se rapproche de la notion du droit à l’épanouissement personnel, développée par la
C.E.D.H., et servant à étendre sa protection, notamment en matière de droits sexuels.
Plus proche de l’usage que fait le juge administratif tunisien de la liberté personnelle,
est l’œuvre du Conseil d’Etat français, qui y a rattaché le droit à une pièce d’identité, la
liberté du patient, et surtout la liberté vestimentaire, par rapport au burkini ou même,
récemment, à l’obligation de porter la bavette. Seulement, cette référence à la liberté
personnelle, et non pas à la liberté vestimentaire, s’explique par la procédure du référé-
liberté qui requiert l’atteinte à une liberté fondamentale, condition remplie par la liberté
personnelle, elle-même rattachée par le Conseil constitutionnel à la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, et donc au bloc de constitutionnalité. Le T.A. aurait
donc pu s’appuyer sur la notion de libertés individuelles, comme ce fut déjà le cas
dans l’un des jugements relatifs au voile, d’autant plus qu’elle venait de recevoir une
consécration constitutionnelle, ce qui aurait facilité le recours à l’article 49.
B. APPLICATION MITIGÉE DES GARANTIES DE L’ARTICLE 49 SUR LA
LIBERTÉ PERSONNELLE
Si le juge administratif a évité la référence explicite à l’article 49 de la nouvelle Consti-
tution, l’application de ce dernier apparait clairement dans l’exigence que la restriction
de la liberté, non seulement provienne d’une loi, mais surtout « ne porte pas atteinte
à l’essence du droit ». Pourtant, la première condition, à savoir la nécessité d’une base
légale à la restriction, a suffi au juge administratif pour annuler la décision. En effet, les
différents textes dont s’est prévalu l’administration étaient de valeur infra-législative.
De même, le pouvoir réglementaire du chef de l’administration ne saurait fonder une
telle restriction, non seulement car elle ne parait pas « nécessaire au bon fonction-
nement du service public », mais aussi car elle porte atteinte à des textes de valeur
supérieure, à savoir ici la Constitution. Le jugement Chihaoui s’ajoute ainsi à la longue
liste de jugements en excès de pouvoir, annulant des violations de libertés sans base
légale. Garantie fondamentale contre l’arbitraire du pouvoir exécutif, consacrée aussi
bien dans la Constitution de 1959 que dans celle de 2014, le principe de compétence
exclusive du législateur en matière de droits et de libertés a trop souvent été violé
en Tunisie. L’exemple du décret n°1978-50 relatif à l’état d’urgence est suffisant pour
l’illustrer, sans parler des dizaines de circulaires, souvent jamais publiées, restreignant
des libertés fondamentales.
Néanmoins, en employant les garanties de l’article 49 pour annuler la décision du
directeur de l’École nationale de la garde nationale et la protection civile, le T.A. a
ouvert une brèche dangereuse dans l’interprétation de même article. En effet, en plus
de la condition que la restriction ne porte pas atteinte à l’essence du droit, il a ajouté
une deuxième condition de fond, qui est que la loi vise à la « réalisation de l’intérêt
général ». Or, cette interprétation est contraire à la lettre et l’esprit de l’article 49, qui
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a prévu une liste exhaustive des objectifs pouvant justifier la restriction des libertés,
à savoir la sauvegarde des droits d’autrui, les impératifs de la sûreté publique, de la
défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique. Il est vrai que la
notion d’intérêt général peut être interprétée comme englobant les objectifs énumé-
rés dans l’article 49, mais elle reste plus large, et risque donc de neutraliser l’une des
garanties de cet article, qui est la liste exhaustive des objectifs légitimant la restriction
des libertés. Laquelle ne saurait être absorbée par les autres garanties de cet article, à
savoir la nécessité dans un Etat civil et démocratique, la proportionnalité et la non-at-
teinte à l’essence du droit, aussi importants qu’ils soient.
L’absence de base constitutionnelle explicite à la « liberté personnelle » ne saurait
non plus justifier une protection moindre, car le juge semble clairement la considérer
comme ayant une valeur constitutionnelle, et lui appliquer la protection de l’article
49. D’ailleurs, cette interprétation dangereuse de l’article 49 s’est poursuivie dans
d’autres jugements, impliquant des droits explicitement consacrés dans la Constitu-
tion, comme la liberté de circulation. Heureusement, il semble que les juges admi-
nistratifs, dans d’autres jugements, surtout plus récentes, se contentent de citer les
objectifs limitativement énumérés par l’article 49.
Pour conclure, il est important de rappeler que les textes juridiques, même lorsqu’ils
contiennent un haut degré de protection des libertés, ne sont jamais suffisants et
exhaustifs. Le rôle des juges, non seulement constitutionnels, mais aussi judiciaires et
administratifs, est fondamental non seulement pour protéger les droits déjà explicite-
ment consacrés, mais aussi pour protéger tout ce qui relève des choix de l’individu, et
où l’Etat et la société n’ont pas à avoir un droit de regard. L’usage, même laconique et
imparfait, de la liberté personnelle, reste à cet égard prometteur, surtout s’il sera suivi
par un travail de définition et de rattachement à une base constitutionnelle.
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EGALITÉ
ET LUTTE CONTRE
LES DISCRIMINATIONS
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Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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LE JUGE ET LA DISCRIMINATION RACIALE
COMMENTAIRE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE
INSTANCE DE MEDNINE, AFFAIRE N°39091 DU 12 OCTOBRE 2020
Enseignant chercheur en droit public à l’Université de Kairouan,
Institut supérieur d’Etudes juridiques et politiques
Abdelkarim LAOUITI
SYNTHÈSE102
La lecture et l’analyse de la présente décision ne sont pas sans intérêts. Cette décision
met en relief le rapport de mésestime, plus ou moins direct, qui constitue l’essentiel
des relations entre les « Blancs » et les « Noirs » en Tunisie. En effet, une forme de
racisme ordinaire envers les « Noirs » est sustentée par la représentation stéréotypée
de la part des « Blancs », compromettant une position d’infériorité sociale. Cette re-
présentation stéréotypée est le résultat du passé servile supporté et lié, tant au phé-
notype, qu’aux difficultés de remonter dans leurs origines.
La pratique d’isogamie et la vision du « Noir » n’ont pas vraiment disparu dans la
mesure où les traces du passé indélébile sont gardées par les descendant.e.s des
anciens esclaves. À cet effet, c’est à juste titre que l’anthropologue et historienne Inès
Mrad-Dali souligne : « il n’est pas nécessaire de rappeler… l’importance de l’affiliation
et de la parenté dans le Maghreb et donc en Tunisie. Se voir infligé du nom du maître,
n’est-ce pas se voir accabler de ce que l’on a été, se voir condamné à être son obligé et
le rester aussi longtemps que la mémoire du groupe nous fera, ainsi qu’à nos descen-
dants, porter son nom ? »103C’est à cette question que vient de répondre le jugement
rendu par la Chambre du statut personnel auprès du Tribunal de première instance
de Mednine, qu’il convient de rappeler (I) avant de mettre l’accent sur son apport en
matière des libertés (II).
102 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
123-153.
103 MRAD-DALI (I), De l’esclavage à la servitude. Le cas des Noirs en Tunisie, Cahiers d’études africaines, 2005/3-
4, 179, p. 940.
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RAPPEL DE LA DÉCISION
Il relève des faits d’espèce que les services compétents du ministère de Justice ont
rejeté la demande de changement du nom de famille. Suite à quoi, le requérant s’est
adressé à la justice afin de changer son nom « Atig-Dali » qui signifie « affranchi par ». Il
s’agit d’une référence directe à l’esclavage en Tunisie et d’une forme de discrimination
raciale au sens de la loi organique du 23 octobre 2018104, et qui porte atteinte à sa
dignité humaine.
La réponse du juge a été notablement favorable ; notable, eu égard à l’esprit du juge
qui a donné une impulsion résolument moderne et libérale du droit de l’état civil.
L’APPORT DE LA DÉCISION EN MATIÈRE DES LIBERTÉS
Compte tenu de la particularité de l’affaire portant sur le changement de nom, le juge
a précisé que, puisque le requérant a le droit à une identité non discriminatoire (1), il
n’en reste pas moins que le changement du nom critiqué doit être ordonné eu égard
à son origine esclavagiste touchant la dignité humaine (2).
1. LE JUGE CONFIRME LE DROIT À UNE IDENTITÉ NON DISCRIMINATOIRE
Le juge a commencé par répondre à une première question : que veut-on dire par
l’identité à laquelle le requérant a droit ? En harmonie avec la Cour européenne des
droits de l’homme105, la Chambre du statut personnel indique que l’identité est consti-
tuée des différents caractères juridiques, et en premier rang le nom, le prénom, les
noms de ses ascendants et, généralement, tout élément permettant son apparte-
nance et identification familiales mentionnées dans les documents de l’état civil. De-
rechef, l’identité constitue, également, un caractère de singularité relevant du droit au
respect de la vie privée qui est entendu, de manière classique, comme une protection
contre les intrusions publiques ou privées dans de la sphère d’intimité de chacun, y
compris le droit d’accès aux origines.
Au demeurant, et selon le présent jugement, il ne suffit pas d’affirmer le droit à son
identité, mais il ne faut qu’elle soit discriminatoire dans la mesure où le caractère de
singularité peut, sans doute, être à l’origine de multiples distinctions (raciales, eth-
niques, religieuses, sexuelles, linguistiques, etc.).
Cela étant dit, le principe d’égalité se trouve au cœur du contentieux de l’état des per-
sonnes : entre hommes et femmes, entre époux, entre parents, entre enfants, etc. Le
juge a été confronté à la question fondamentale d’égalité qui apparaît comme la pierre
104 La loi organique n°2018-50 du 23 octobre 2018 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimi-
nation raciale, JORT, n°86, 26 octobre 2018, p. 3582.
105 CEDH, 6 février 2001, Bensaid c. Royaume-Uni, n° 44599/98, § 47.
Egalité et lutte contre les discriminations | « Le juge et la discrimination raciale » Abdelkarim LAOUITI
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angulaire et le principe structurel du système juridique, et lui confère une dimension
sociale et politique que l’on retrouve dans les jurisprudences concordantes du juge
administratif106 et constitutionnel107. En ce sens, l’égalité ne doit pas être exclusive-
ment formelle, mais également substantielle. Ainsi, pour être pleinement effectif, ledit
principe exige inéluctablement l’identité de traitement des situations similaires, mais
il suppose également que des personnes se trouvant dans des situations différentes
soient soumises à des régimes juridiques différenciés.
Par conséquent, l’égalité et la non-discrimination sont appliquées en tant que droits
fondamentaux de la personne. Ainsi, le juge a assimilé la non-discrimination au prin-
cipe d’égalité. Le principe de non-discrimination concrétise un droit subjectif dont
la mise en œuvre offre des instruments effectifs de lutte contre certaines formes
d’inégalité de traitement, et vise la correction du désordre qu’engendrent certaines
formes d’inégalités.
L’idée que le droit tunisien doive être adapté à la singularité des situations appa-
raît notamment dans le droit de l’état civil et du statut personnel108. La définition
matérielle de la non-discrimination implique le contrôle de ses caractéristiques ma-
térielles. Le juge doit systématiquement vérifier la comparabilité des situations afin
d’analyser concrètement des situations de fait qui précèdent et déterminent l’appré-
ciation juridique. Autrement dit, c’est le juge qui va déterminer si le nom « Atig » est
discriminatoire ou non en raison de son origine esclavagiste.
2. LE JUGE ORDONNE LE CHANGEMENT DU NOM « ATIG » EN RAISON
DE SES ORIGINES ESCLAVAGISTES TOUCHANT LA DIGNITÉ HUMAINE
De prime abord, le juge a confirmé l’origine esclavagiste du nom « Atig » en se référant
à l’histoire de la Tunisie, et son emprise sur l’identité des personnes. Ainsi, fruit de
l’expérience historique des sociétés humaines, l’esclavage ne relève plus d’un principe
originaire, la naissance ne doit plus être source d’esclavage par héritage d’une situa-
tion juridique transmise.
L’histoire de la Tunisie affirmait l’égalité première des hommes selon le droit naturel,
mais en même temps légitimait la hiérarchie des statuts selon le droit positif qui cédait
aux exigences historiques de la vie en société. La même histoire réfutait l’esclavage et
le légitimait ; elle affirmait une égalité première et expliquait par des raisons climatiques
entre autres des asservissements ethniques ; elle offrait enfin une vision théocratique,
donc légitime, d’un ordre de la société qui assignait à chacun place et fonction.
106 TA, REP, n°1/17480, 26 mai 2010, Youssef c/ Doyen de la Faculté de droit et des sciences économiques et
politiques de Sousse et le président de l’Université de Sousse, Rec., p. 283 (en arabe).
107 CC, n°79-107 DC du 12 juillet 1979, Loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départe-
mentales
, Rec., p. 31, cons. 4 ; CC, n°98-39DC du 6 mars 1998, Loi relative au fonctionnement des Conseils
régionaux
, Rec., p. 186, cons. 14.
108 Tel est le cas de l’adoption, des effets de l’établissement de la filiation (la filiation biologique et la filiation
adoptive) et l’attribution des noms patronymiques aux enfants abandonnés ou de filiation inconnue.
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En invoquant un droit naturel premier, universel et intangible et en lui opposant un
droit positif nécessairement modifiable et amendable, la doctrine s’inscrivait dans une
ancienne querelle qui puisait ses arguments aussi bien chez Aristote que chez les ju-
risconsultes romains et les anthropologues. D’ailleurs ces derniers ont élaboré un ar-
gumentaire selon lequel les peuples africains restés sauvages étaient tout juste bons
à produire des esclaves qui sont naturellement destinés à servir les autres peuples109.
Pour ces Barbares, la condition servile n’était ni infamante, ni injuste, mais au contraire
juste car les nomos y rejoignaient le droit naturel. De plus, la condition servile s’avérait
avantageuse car ces peuples étaient appelés à vivre au contact civilisateur de leurs
maîtres. Ce discours relayait un développement élaboré sur les variantes climatiques
et leurs conséquences sur les aptitudes des diverses ethnies110.
Il s’agit donc d’un discours qui rationalise cette inégalité : noirs de peau, laids de
visage, inscrits dans l’humanité par l’incontournable monogénisme, les Nègres sont
ainsi situés à la limite supérieure du non-humain, aux franges de l’humanité : point
d’esprit chez eux, ni de raisonnement, ni même d’intelligence réelle ; ils sont conduits
par « l’intérêt de conservation » et la jouissance immédiate ; ils ignorent l’attachement
familial durable, ne travaillent que sous la contrainte qui secoue leur paresse et leur
torpeur111.
En Tunisie si les anciens esclaves aient été affranchis dès 1846, cet affranchissement
avait connu un certain amalgame au niveau des noms attribués aux anciens esclaves,
et qui rappellent à ceux qui l’ignorent qu’il s’agit d’un descendant des esclaves, et
donc d’une mémoire encore vive du temps de l’esclavage, de dénominations em-
preintes de mépris héréditaire au fil des générations.
En définitive, cette situation est expliquée par les lacunes des textes applicables. Il
s’agit, premièrement, des décrets de 1846 et 1890 qui interdisaient l’esclavage sans
éradiquer les traces des servitudes. Ensuite, la politique de l’État indépendant de
rénovation des noms (les lois de 1959112 et 1964113) s’est préoccupée de leur arabisa-
tion, abstraction faite de la discrimination raciale. Enfin, la loi organique du 23 octobre
2018 précitée aurait dû aborder la discrimination indirecte résultant de l’application
de critères neutres. Or, la discrimination indirecte envisage des éléments susceptibles
de concerner, abstraitement, l’ensemble des individus, mais qui se révèlent, concrète-
ment, appartenir à un groupe social identifié à partir d’un critère interdit.
عطاقت :ةيدرفلا تايرحلا« يف ،ةيخيراتو ةيجولوليف ةبراقم .ةيديحوتلا تانايدلا يف صخشلا ىلإ ناسنلإا نم ،ةسيرغ ىولس 109
بتكملا نم معدب ،ةيدرفلا تايرحلا نع عافدلل ةيسنوتلا ةيعمجلا ،يشيشرفلا ديحو ذاتسلأا فارشإ تحت يعامج فلؤم ،»تابراقملا
.8 .ص ،2014 ،سنوت ،يبرعلا يميلقلإا
.96-70 .ص ،2009 ،ةيناثلا ةعبطلا ،توريب ،رداص راد ،ةمّدقملا ،نودلخ نبا نامحرلا دبع
110
111 MRAD-DALI (I), art. précité, p. 953.
112 La loi n°59-53 du 26 mai 1959 rendant obligatoire l’acquisition par chaque Tunisien d’un nom patrony-
mique, JORT, 19-22-26 mai 1959, p. 500.
113 La loi n°66-20 du 28 mai 1964 autorisant certains tunisiens à changer de nom ou de prénoms, JORT, n°27,
n°27, 26-29 mai 1964, p. 638.
Egalité et lutte contre les discriminations | « Le juge et la discrimination raciale » Abdelkarim LAOUITI
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Ceci étant, compte tenu de ces carences, le devoir du juge paraît plus cardinal pour
la protection des droits des descendants des anciens esclaves à une identité non
discriminatoire. Lequel devoir est parfaitement rempli dans le présent jugement car
le juge, après avoir confirmé l’ascendance esclavagiste du nom « Atig », il a estimé
que les ascendants se trouvent placés dans une situation d’infériorité et de mépris
manifestement incompatible avec le principe d’égalité et de non-discrimination prévu
par l’article 21 de la Constitution de 2014, par la Déclaration universelle des droits
de l’Homme ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux
et économiques.
Or, il convient de souligner que le juge aurait dû se référer également aux conventions
internationales ratifiées par la Tunisie, et qui portent directement sur la discrimination
raciale114.
Ainsi, le juge a conclu, impérieusement, à ordonner à l’officier de l’état civil la substi-
tution du nom contesté « Atig-Dali » par le nom « Dali » pour permettre au requérant
de rompre avec son passé obséquieux et pour la protection de sa dignité humaine.
Pour conclure, l’œuvre du juge est, à la fois, indubitable et multiple. Outre la définition
de l’identité, la référence à la Constitution et aux traités internationaux, la référence
au contexte historique tunisien, le constat majeur qu’on relève du présent jugement,
consiste à dire qu’il n’y a pas d’inégalité naturelle, donc pas d’inégalité de droit, et que
la société fondée sur l’hérédité et l’inégalité des statuts n’est plus légitimée.
114 Il s’agit de la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples de 1981, la Convention relative à
l’esclavage de 1926, la Convention relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclavages et des
instituions et pratiques analogues à l’esclavage de 1956, ainsi que la Convention internationale sur l’élimi-
nation de toutes les formes de discrimination raciale de 1965.
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BIBLIOGRAPHIE
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juge-administratif-et-les-discriminations
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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EGALITÉ HOMME/FEMME
ET INTÉRÊT SUPÉRIEUR DE L’ENFANT
COMMENTAIRE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INS-
TANCE DE TUNIS EN DATE DU 12 JUIN 2017
Dre. Lamia NEJI
Maître-assistante à l’Université de Sfax
Faculté de Droit de Sfax
LE JUGEMENT
« Au sujet de l’obligation de la pension alimentaire imposée à la mère :
Considérant que tout le désaccord dans le présent dossier s’est concentré sur deux
lectures différentes de l’article 23 du Code du Statut Personnel,
Considérant que la nouvelle formulation de cet article depuis sa modification en vertu
de la loi n° 1993-74 en date du 12 juillet 1993 consiste en ce que «la femme doit
contribuer aux charges de la famille si elle a des biens»…Une lecture simplifiée et
purement linguistique de l’expression de l’article 23 indique qu’il a pris la forme d’une
proposition subordonnée qui signifie la condition répartie en principale «la femme
doit contribuer aux charges de la famille », la préposition qui signifie la condition «Si»
et la subordonnée «si elle a des biens».
Considérant que la principale a pris la forme d’une obligation conformément à l’ex-
pression « doit» qui désigne évidemment l’obligation,
Considérant que la proposition subordonnée repose sur le principe que si la condi-
tion est favorable, sa clause principale sera établie, et vu qu’une lecture linguistique
de cette proposition subordonnée indique que si la femme possède des biens, elle
devient alors obligée de contribuer aux charges de la famille,
Considérant que l’interprétation juridique de cet article nécessite de se référer d’abord
aux sources du Code du Statut Personnel, en particulier la législation islamique « la
Sharia », deuxièmement aux circonstances historiques de la révision de 1993, troisiè-
mement aux normes supérieures, et en particulier la Constitution tunisienne, et qua-
trièmement aux interprétations jurisprudentielles du même article en vue de sonder
ses profondeurs,
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Considérant d’abord qu’en se référant à la législation islamique « la Sharia », qui est
l’un des piliers les plus importants du Code du Statut Personnel, bien qu’elle ne
représente pas sa source unique, il devient clair que certaines écoles de pensée
jurisprudentielles exigeaient que la mère contribue aux charges de famille quelle que
soit la situation financière du père, à l’instar de la Mu’tazila, tandis que d’autres se
sont contentées de considérer qu’elle est tenue à participer aux charges familiales si
le père est en difficultés, nécessiteux ou décédé.
Considérant que cette distinction indique inévitablement que le législateur tunisien a
choisi la première direction plutôt que la seconde, en se basant d’abord sur la formule
de l’obligation adoptée dans l’article 23 et qui a été expliquée précédemment, et
d’autre part sur la circonstance historique dans laquelle cette révision a été formulée.
Considérant que, deuxièmement, la révision de 1993 a mis en place de nouvelles
bases pour la relation conjugale, à savoir une bonne cohabitation et l’exercice des de-
voirs matrimoniaux sans discrimination suite à la suppression du devoir d’obéissance
imposé à l’épouse, et deuxièmement le droit à la participation de la mère à la gestion
des affaires familiales à travers l’éducation des enfants et la gestion de leurs affaires
et, troisièmement, l’obligation de contribuer aux charges de la famille sur le même
pied d’égalité avec le père.
Considérant que cette révision s’inscrit dans une lecture contemporaine et moderne
de la réalité de la famille tunisienne basée sur la coopération suite à l’accès de la
femme au marché du travail,
Considérant, troisièmement, qu’en se référant à la Constitution tunisienne, l’article
21 inscrit dans le chapitre consacré aux droits et libertés est clair et explicite puisqu’il
dispose clairement « les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs.
Ils sont égaux devant la loi sans discrimination ».
Considérant que cette expression, par son caractère absolu, dépasse la vision infé-
rieure de la femme qui la définit comme un élément faible qui cherche toujours à re-
vendiquer ses droits non respectés pour mettre en place l’image d’une femme active
disposée à remplir tous ses devoirs en échange de se voir reconnaître tous de ses
droits et non pas de les réclamer simplement.
Considérant que selon l’arrêt civil n ° 5482 de la Cour de cassation en date du mois
de février 2005 (A. C. n°3 de l’année 2005, p. 179), «Tous les textes juridiques qui
régissent la famille en Tunisie reconnaissent à la mère et à l’épouse un rôle de pre-
mier plan dans la famille en termes de conseil et de contribution aux charges ; en
l’occurrence, les dispositions de l’article 23 du Code du Statut Personnel qui vont en
harmonie avec le caractère instinct de sacrifice et de générosité chez la femme pour
le bien de sa famille sans avarice ni mépris ».
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité Homme/Femme et Intérêt supérieur de l’enfant Lamia NEJI
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Considérant que, selon l’arrêt civil de la Cour de cassation n° 43623 du 21 mars 2010
(non publié), « Il est incontestable que l’article 23 du Code du Statut personnel, dans
sa nouvelle version tel que révisé en 1993, a abandonné le devoir d’obéissance qui
incombait à l’épouse et a établi la relation conjugale sur d’autres valeurs fondées sur
la coopération et la synergie entre les deux époux ».
Considérant que sur la base de tout ce qui a été susmentionné et en se référant
spécifiquement à la jurisprudence islamique « la Charia », à la Constitution tunisienne,
aux circonstances historiques de la révision de 1993 et à la jurisprudence tunisienne,
il s’avère que l’article 23 impose à la femme de contribuer aux charges familiales si
elle dispose de biens.
Considérant que l’interprétation de l’article 23 de cette manière ne réfute pas l’article
47 du même Code, qui place la mère dans une deuxième classe en termes de dé-
penses en l’absence du père ou s’il se trouve en difficultés et la place avant le grand
père, puisque l’article 23 lui-même ne lui a pas assigné à elle seule l’obligation de
dépenser ni ne lui a attribué de manière originale cette obligation. Il est clair alors à
travers l’expression « contribue », que les deux articles sont complémentaires et non
contradictoires. Quand il existe un père qui assume la charge familiale, la mère contri-
bue aux dépenses, et quand il est absent, la mère devient la personne principale et
essentielle qui prend en charge ce rôle.
Considérant que le désaccord dans l’affaire concernant l’article 23 s’étendait au terme
famille, …Considérant qu’en termes de langage, l’expression « famille » adoptée dans
cet article désigne premièrement le bouclier fort, d’autre part les proches et la tribu
et ils sont ainsi appelés pour la force du lien qui les relie et leur fournit la protection
et l’immunité et troisièmement le groupe qui est relié par une affaire commune, à
l’instar de la famille éducative ou la famille des artistes. Et considérant que dans le
dictionnaire « Lisen Al- Arab » (La langue des Arabes) le terme famille repose sur une
étymologie linguistique qui est le terme « subsister » et les enfants d’un être humain
sont les personnes à sa charge et qui gère et garantit leurs moyens de subsistance.
On cite dans le dictionnaire « Lisen Al- Arab » « Il a pris en charge sa famille : il leur a
fourni les moyens de subsistance et a pris en charge leurs dépenses ».
Considérant que la famille est définie d’un point de vue terminologique par le so-
ciologue Maurice Boro comme suit « l’existence des deux époux est une condition
préalable à la formation d’un foyer, mais ce n’est pas suffisante pour que la famille
s’établisse ». La naissance de l’enfant est le facteur qui crée la famille, c’est-à-dire que
dès que l’enfant existe, la famille s’établit et ne sera pas détruite par l’absence de
relation conjugale, mais par l’absence de cet enfant… considérant qu’il a été prouvé
que les deux fils pour lesquels s’est constitué le présent dossier…n’ont pas atteint l’âge
de la majorité et que l’obligation de dépenser pour eux incombe à leurs deux parents
ensemble, …
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Considérant que le droit des deux enfants dans une situation pareille à une pension
alimentaire de la part d’une mère qui ne réside pas avec eux, qui ne les garde pas,
qui ne les prend pas en charge et qui dispose d’un revenu stable, est devenue claire
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et sans ambiguïté »115.
COMMENTAIRE
L’affaire dont il est question s’attaque aux stéréotypes sur les rôles prétendument
assignés à la femme et à l’homme et qui imprègnent encore la réglementation relative
aux rapports au sein de la famille et spécialement les rapports pécuniaires. Elle est ve-
nue rompre avec un schéma stéréotypé qui montre que le divorce affecte d’une ma-
nière disproportionnée le bien être économique de la femme ainsi que de ses enfants
qui sont souvent à sa charge116. Elle vient également bouleverser la norme actuelle
selon laquelle seuls les pères ont l’obligation de verser la pension alimentaire même
si leurs épouses ou ex-épouses gagnent de meilleurs revenus qu’eux. D’ailleurs, le
jugement répond à une requête déposée par le père qui a la garde des enfants et que
sa situation financière ne permet pas de s’occuper de manière optimale des enfants à
sa charge. De même elle traduit l’effort d’interprétation égalitaire effectué par le juge
face à « un texte qui oscille encore entre esprit de tradition et esprit d’innovation »117
en dépit des réformes de 1993 intervenues en droit de la famille et la claire consé-
cration constitutionnelle de l’égalité des sexes et de l’intérêt supérieur de l’enfant118.
L’affaire est portée devant la 27ème chambre du tribunal de 1ère instance de Tunis
en tant que juge d’appel siégeant en audience publique le 12 juin 2017. Le conflit
oppose le père à son ex-épouse dont il demande sa condamnation à lui verser pour
le compte de ses deux enfants une pension alimentaire. Sa demande en première
instance ayant été rejetée, il a interjeté appel du jugement en se fondant sur le fait
que l’intimée est obligée, au sens de l’article 23 du Code du statut personnel (CSP),
de contribuer aux dépenses pour prendre en charge leurs deux enfants qui sont sous
sa garde. L’appelant insiste sur le fait que l’épouse possède un revenu stable, ce qui
l’oblige à contribuer aux charges des deux enfants. Son ex-épouse refuse de payer la
contribution alimentaire en arguant qu’ils sont en instance de divorce et par consé-
quent la notion de famille est absente ce qui rend l’article 23 du CSP non applicable.
Elle s’est basée sur l’article 47 du CSP qui dispose :« en cas d’indigence du père, la
115 C’est notre traduction.
116 Un stéréotype de genre consacré par les articles 55 et 58 du CSP. A travers ces articles, on peut constater
que le législateur considère encore la garde des enfants comme affaire de femmes.
117 BEN ACHOUR (Sana), « La construction d’une normativité islamique sur le statut des femmes et de la
famille », Texte de la 655ème conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 10 octobre 2007,
https://streaming-canal-u-fmsh.fr/vod/media/canalu/documents//groupe_utls/101007.pdf, 12 pages.
118 V. Ouvrage collectif, Soixantenaire du Code du statut personnel (1956-2016), Sous la direction de Souhayma
BEN ACHOUR et Rachida JELASSI, Tunis, CPU, 2019.
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité Homme/Femme et Intérêt supérieur de l’enfant Lamia NEJI
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mère est appelée avant le grand-père pour servir des aliments à ses enfants ». Selon
l’intimée, cet article la dispense de dépenser car la condition de l’indigence du père
n’est pas remplie.
S’inscrivant dans la frange des juges de fond qui œuvrent à consacrer l’égalité comme
« principe fondateur de l’ordre juridique tunisien »119, le tribunal fait droit à la demande
de l’époux, en jugeant que la femme divorcée qui n’a pas la garde des enfants et qui
ne réside pas avec eux devait participer, conformément à l’article 23 du CSP, au paie-
ment de la pension alimentaire si elle a un revenu stable et condamne l’ex-épouse à
verser une pension alimentaire à son ex-époux qui a obtenu la garde de leurs deux
enfants.
L’article 23 du CSP peut-il servir de fondement pour asseoir la contribution obligatoire
de l’ex-épouse à l’entretien de ses enfants qui ne sont pas sous sa garde ? Tel était le
problème juridique qui s’est posé aux juges.
Le tribunal a interprété l’article 23 du CSP dans le sens où il oblige la femme à contri-
buer aux charges de la famille si elle a des biens (I). Il a opté pour une conception large
de la notion de famille pour intégrer la femme divorcée (II).
I. LA RECONNAISSANCE DE LA CORESPONSABILITÉ PARENTALE DANS
LA PRISE EN CHARGE DES ENFANTS : VERS L’ÉGALITÉ ENTRE HOMMES
ET FEMMES EN TANT QUE PARENTS
Afin d’asseoir l’obligation pour la mère de contribuer à la prise en charge des enfants,
le tribunal s’est basé sur l’article 23 du code du statut personnel (CSP) qui dispose :
« la femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens ». Un article qui,
en dépit de sa révision en 1993 afin de consacrer l’idée de partage et d’entraide entre
époux maintient encore l’institution du chef de famille et fait peser sur le père prin-
cipalement l’obligation de pourvoir aux besoins de son épouse et de leurs enfants120.
Le tribunal a procédé tout d’abord par une lecture purement littérale de l’article 23
afin de chercher la volonté du législateur. Il s’est référé également au fiqh islamique121.
119 Les juges judiciaires sont partagés, d’un côté il y a le courant conservateur qui s’attache encore au modèle
traditionnel de la famille en puisant dans les règles du droit musulman tout en méconnaissant les prin-
cipes constitutionnels, et de l’autre côté une deuxième tendance menée par les jeunes juges qui met au
fondement de l’ordre juridique tunisien les principes d’égalité et de non-discrimination ; V. BEN ACHOUR
(Sana), « Le Code tunisien du statut personnel, 50 ans après : les dimensions de l’ambivalence », L’Année du
Maghreb, II, 2005-2006, p. 55-70, p.62 et s.
120 L’article 23 du CSP dispose : « Chacun des deux époux doit traiter son conjoint avec bienveillance, vivre en
bon rapport avec lui et éviter de lui porter préjudice. Les deux époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux
conformément aux usages et à la coutume. Ils coopèrent pour la conduite des affaires de la famille, la bonne
éducation des enfants, ainsi que la gestion des affaires de ces derniers y compris l’enseignement, les voyages et
les transactions financières. Le mari en tant que chef de famille, doit subvenir aux besoins de l’épouse et des en-
fants dans la mesure de ses moyens et selon leur état dans le cadre des composantes de la pension alimentaire.
La femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens
».
121 Tout en soulignant leur caractère polysémique et l’absence de définitions qui font l’unanimité au sein de la
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En outre, convaincu que l’interprétation juridique du texte ne se limite pas à l’inten-
tion accidentelle du législateur, il a cherché à orienter le sens de la disposition législa-
tive dans la direction des textes qui lui sont supérieurs.
Tenant à la lettre du texte de l’article 23 utilisant une formule différente de celle de
l’article 23 ancien qui disposait : « le mari doit traiter sa femme avec bienveillance,
vivre avec elle en de bons termes, éviter de lui causer du tort, et dans le cadre de
ce qui est communément exigé pour l’entretien d’une femme, assurer sa subsistance
ainsi que celle des enfants qu’il aura avec elle, conformément à leurs situations res-
pectives. Si elle possède des biens, la femme contribue à la subsistance de la famille,
et dans le cadre des prérogatives de ce dernier, elle doit obéir à tous les ordres qu’il
lui donne et remplir ses obligations conjugales conformément à l’usage et à la cou-
tume », le tribunal fait allusion à la différence de terminologie entre les deux versions
de l’article. Alors que sous l’empire de l’ancien article 23 du CSP, la contribution de
la femme était facultative, dans la nouvelle version la femme est dans l’obligation de
participer aux dépenses du ménage.
Outre la lecture littérale du texte, les juges d’appel se sont référés à la sharia islamique,
la considérant comme l’un des piliers du CSP, afin d’interpréter les dispositions de
l’article 23. Malgré l’évacuation par le code du statut personnel de toute référence
au droit musulman comme source formelle de la légalité122, le tribunal admet, comme
il est de coutume123, le fiqh islamique comme source du CSP et reconnait de ce fait
doctrine, on peut tenter de distinguer les notions de sharia, de législation islamique, de droit musulman et de
fiqh islamique. La sharia est généralement entendue dans le sens de religion (identifiée au Coran et la Sunna)
même si cette acception ne fait pas l’unanimité des auteurs classiques. Selon Schacht : «
elle est un ensemble
universel des devoirs religieux, la totalité des commandements d’Allah, qui règlent la vie de chaque musulman sous
tous ses aspects
», SCHACHT (Joseph), Introduction au droit musulman, trad. P. Kempf et A. M. Turki, Paris,
Maisonneuve, coll. «
Islam d’hier et d’aujourd’hui », 1983, Cité par MEZGHANI (Ali), L’Etat inachevé, La ques-
tion du droit dans les pays arabes, nrf. Editions Gallimard, 2011, p. 23.
Quant au fiqh islamique ou la doctrine islamique, il s’agit de l’œuvre des fukaha et il est constitutif avec la
sharia de la législation islamique. Le fiqh islamique est la lecture humaine de la sharia «
c’est le résultat du
travail de la raison humaine appliquée à partir des données révélées et des pratiques et coutumes locales sur
des réalités sociales
», MEZGHANI (Ali), op. cit, p. 24. Selon le professeur Slim LAGHMANI, le fiqh est la
connaissance de la loi divine (sharia). LAGHMANI (Slim), Eléments d’Histoire de la Philosophie du Droit,
Le discours fondateur du Droit, Tome I, Tunis, Cérès production, 1993, p. 191. Pour le droit musulman, il
est composé de la Sharia et du Fiqh, V. MAHFOUDH (Mohamed), Introduction au droit musulman, Sfax,
Sogic, 2018, p. 1 et 2. Mais ces dernières débordent le droit musulman dans le sens où la sharia et le fiqh
recouvrent une réalité plus étendue que le droit : «
Les ouvrages du fiqh étudient, en plus des règles juridiques,
les règles du culte, celles de la bienséance, les mœurs sociales et privées. Seule la première catégorie de règles
correspond à dénomination française de droit musulman
», MEZGHANI (Ali), op. cit, p. 24.
122 « Plus que par ce qu’il accorde, le CSP est remarquable par ce qu’il rejette. C’est qu’il a poussé, à nul autre pareil,
sa logique séculière en refoulant le droit musulman du champ des sources de légalité et en l’évacuant du système
de validité formelle de ses prescriptions, donnant ainsi au droit de la famille tunisienne vocation à l’autonomie
législative et à l’émancipation normative. A l’inverse des autres codes, dont les codes marocain et algérien de la
famille, aucune condition d’islamité ou de conformité à la charia ou à une quelconque école juridique de l’islam ou
à une opinion prévalente d’un rite n’est exigée
», BEN ACHOUR (Sana), « Le Code tunisien du statut personnel,
50 ans après : les dimensions de l’ambivalence », L’Année du Maghreb, II, 2005-2006, p. 55-70, p.55.
123 Il convient de souligner que récemment une nouvelle tendance s’attachant à l’application des principes
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité Homme/Femme et Intérêt supérieur de l’enfant Lamia NEJI
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le fondement religieux du droit de la famille. En faisant allusion à l’hétérogénéité du
fiqh ou disons des écoles de théologie islamique, le tribunal a sélectionné le courant
« rationaliste » représenté par les mu’tazilites124. Ces derniers soutiennent que la mère
contribue aux charges de famille quelle que soit la situation financière du père. Un tel
recours au répertoire islamique, même s’il a permis aux juges d’interpréter l’article 23
dans le sens où il a consacré la contribution obligatoire de l’épouse aux charges de fa-
mille, pêche par son manque de rigueur puisqu’il s’aligne au courant conservateur des
juges qui en s’attachant à une conception religieuse du droit de la famille, hypothèque
les dispositions du CSP par le droit musulman.
En outre, les juges d’appel ont eu recours au contexte historique de la révision de
1993 qui a introduit l’idée de partage125. En effet, en vertu des réformes de 1993,
le partage des responsabilités a remplacé l’obligation d’obéissance de l’épouse vis-à-
vis de son époux qui figurait dans l’article 23 ancien. Selon le tribunal : « la révision
de 1993 a mis en place de nouvelles bases pour la relation conjugale, à savoir une
bonne cohabitation et l’exercice des devoirs matrimoniaux sans discrimination suite
à la suppression du devoir d’obéissance imposé à l’épouse, et deuxièmement le droit
à la participation de la mère à la gestion des affaires familiales à travers l’éducation
des enfants et la gestion de leurs affaires et, troisièmement, l’obligation de contribuer
aux charges de la famille sur le même pied d’égalité avec le père. Considérant que
cette révision s’inscrit dans une lecture contemporaine et moderne de la réalité de la
famille tunisienne basée sur la coopération suite à l’accès de la femme au marché du
travail »126. Les interprétations judiciaires antérieures de l’article 23 tel que modifié en
d’égalité, de non-discrimination de la liberté religieuse en mobilisant les dispositions constitutionnelles et
les conventions internationales ratifiées par la Tunisie ; est enclenchée par les juges de fond et elle a été
validée par la cour suprême. On peut citer à titre d’exemple le jugement du tribunal de première instance
de Tunis en date du 18 mai 2000, la décision de la cour d’appel de Tunis du 14 juin 2002 et la décision de
la cour de cassation du 5 février 2009.
124 Le mu’tazilisme représente un mouvement humaniste né au VIIIème siècle qui cherchait à introduire une
forme de rationalité dans la compréhension du phénomène religieux. La pensée mu’tazilite est structurée
autour de cinq principes à savoir le principe de la justice divine comme fondement de la liberté humaine,
le principe de l’unité divine, le principe de la véracité de la promesse et la menace de Dieu (les mu’tazilites
soutiennent l’unité indissoluble de l’action et de la foi et que les hommes sont jugés par Dieu, qui ne saurait
faillir à ses promesses ou menaces, sur la foi de leurs actes), le principe de l’état intermédiaire et le principe
qui concerne l’obligation pour les musulmans d’agir pour assurer l’ordre moral c’est-à-dire d’ordonner ce qui
est bien et d’inciter à éviter ce qui est mal, LAGHMANI (Slim),
Eléments d’Histoire de la Philosophie du Droit,
Le discours fondateur du Droit, op.cit, pp. 174-181.
125 V. BOURAOUI (Soukeina), « Droit de la famille et relations familiales à la lumière des dernières réformes
juridiques », RTD, 1993, pp. 119-140, p. 130 ; «
Il est important de faire remarquer que dans l’article 23 nou-
veau, le mot famille remplace le mot ménage. C’est une avancée importante vers une responsabilité partagée,
parentale, conforme aux dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ratifiée par
la Tunisie », Ibid.
126 L’apport de la révision de 1993 dans la consécration de l’idée de partage de l’obligation d’entretien a été
souligné par la doctrine tunisienne : «
la situation va changer de manière radicale avec la modification du code
du statut personnel par la loi n°93-74 du 12 juillet 1993 : une évolution certaine vers la notion de famille asso-
ciative se dégage de l’article 23 nouveau infine « la femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des
biens ». Ainsi, il devient clair que la contribution de l’épouse n’est plus facultative ; au contraire, celle-ci devient
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1993 dans le sens où il a donné un rôle actif à la mère et à l’épouse et a consacré les
valeurs de l’entraide et de la collaboration ont servi également de fondement pour
que le tribunal asseye son raisonnement. Les juges d’appel ont cité deux arrêts de la
cour de cassation en date de 2005 et 2010 dans lesquels elle insiste sur l’apport de
la révision de 1993 qui a établi la relation conjugale sur les valeurs de la coopération
et de l’entraide entre époux127.
Convaincus qu’une disposition juridique fait partie de tout un système et que leur
interprétation doit se faire nécessairement dans le cadre du système juridique, les
juges d’appel ont mobilisé, également, les nouvelles dispositions constitutionnelles
relatives à l’égalité entre hommes et femmes. Ils ont interprété l’article 23 à la lumière
des nouvelles dispositions constitutionnelles et spécialement l’article 21 qui dispose :
« les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs. Ils sont égaux de-
vant la loi sans discrimination ».
En confirmant l’existence d’une discrimination entre la mère et le père quant à la prise
en charge de la famille, le tribunal affirme l’absence de contradiction entre les deux
articles 23 et 47 du CSP. Conformément à ces deux articles, c’est au père qu’incombe
principalement l’obligation alimentaire des enfants en tant que chef de famille et tu-
teur alors que la mère y contribue à titre secondaire : « Considérant que l’interpré-
tation de l’article 23 de cette manière ne réfute pas l’article 47 du même Code, qui
place la mère dans une deuxième classe en termes de dépenses en l’absence du père
ou s’il se trouve en difficultés et la place avant le grand père, puisque l’article 23 lui-
même ne lui a pas assignée à elle seule l’obligation de dépenser ni ne lui a attribuée
de manière originale cette obligation. Il est clair alors à travers l’expression « contribue
», que les deux articles sont complémentaires et non contradictoires. Quand il existe
un père qui assume la charge familiale, la mère contribue aux dépenses, et quand il
est absent, la mère devient la personne principale et essentielle qui prend en charge
ce rôle ».
En réalité, les juges ont voulu contourner la rigidité d’un texte qui est devenu incons-
titutionnel et anachronique par rapport aux évolutions sociologiques observées en
matière d’organisation de la vie familiale et face à l’inertie du législateur. L’utilisation
un devoir… un devoir envers la famille », CHEDLY (Lotfi), « Les relations pécuniaires entre époux. Cinquante ans
après l’entrée en vigueur du code du statut personnel tunisien
», in. Revue internationale de droit comparé,
Vol. 59, n°3, 2007, pp. 551-593, p. 562.
127 Arrêt civil n ° 5482 de la Cour de cassation en date du mois de février 2005 (A. C. n°3 de l’année 2005, p.
179) ; Arrêt civil de la Cour de cassation n° 43623 du 21 mars 2010 (non publié).
Il convient de souligner qu’avant la révision de 1993, la jurisprudence tunisienne a vidé la formule utilisée par
l’article 23 in fine « l’épouse contribue aux charges du mariage si elle a des biens » de son utilité en revenant
à la conception traditionnelle de la famille et en considérant la participation de l’épouse aux charges de la
famille secondaire et facultative : elle dépend du seul bon vouloir de l’épouse même lorsqu’elle a des biens,
V. à titre d’exemple, cass. Civ., n°6254 du 16 juillet 1968, RJL, n°6 et 7 en 1969, p. 21 ; cass. Civ., n°5116
du 9 juin 1981, BCC, 1981, 2
ème volume, p. 141, V. CHEDLY (Lotfi), article précité, p. 562.
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de toutes les armes à sa disposition (l’exploration du sens littéral du texte, l’interpréta-
tion de l’article 23 du CSP à la lumière des dispositions supra-législatives et en suivant
l’intention du législateur et même par la recherche de la justification de sa position
par la référence au fiqh islamique), était le moyen pour le juge pour affirmer la cores-
ponsabilité parentale dans la prise en charge des enfants. Une telle position traduit la
prise de conscience de la part des jeunes magistrats de la nécessité de rompre avec
la famille patriarcale fondée sur l’autorité du chef de famille qui l’exerce sur les autres
membres de la famille présumés incapables y compris la mère et l’épouse.
Nonobstant la démarche suivie par les juges d’appel, la norme qu’ils édictent respecte,
à notre sens, les dispositions de l’article 23 du Pacte international relatif aux droits
civils et politique du 16 décembre 1966, ratifié par la Tunisie en vertu de la loi du
29 novembre 1968128 et qui dispose dans son paragraphe 4 : « les Etats parties au
présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l’égalité de droits et de
responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa disso-
lution. En cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d’assurer aux enfants
la protection nécessaire ». De même, elle est conforme à l’article 5 de la convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes du 18
décembre 1979 et ratifiée par la Tunisie par la loi du 12 juillet 1985129 et qui dispose :
« les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour :
a) Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme 
et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques 
coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité 
ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes 
et des femmes ».
Le protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples,
relatif aux droits des femmes en Afrique du 11 juillet 2003 (dit protocole
de Maputo) et ratifié par la Tunisie en vertu de loi n°2018-33 du 6 juin
2018 prévoit, lui aussi, dans son article 7 : « Les Etats s’engagent à adopter 
les dispositions législatives appropriées pour que les hommes et les femmes 
jouissent des mêmes droits en cas de séparation de corps, de divorce et d’an-
nulation du mariage. A cet égard, ils veillent à ce que : ... c) en cas de divorce, 
d’annulation du mariage ou de séparation de corps, la femme et l’homme ont 
des droits et devoirs réciproques vis-à-vis de leurs enfants. Dans tous les cas, 
la préoccupation majeure consiste à préserver l’intérêt de l’enfant ».
128 Loi n°68-30 du 29 novembre 1968 autorisant l’adhésion de la Tunisie au Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
JORT, n°51,
Du 29 novembre-3 décembre 1968, p. 1260.
129 Loi n°85-68 du 12 juillet 1985 portant ratification de la convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes, JORT, n°54, Du 12-16 juillet 1985, p. 919.
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Cette lecture « vivante » d’une disposition législative, s’approche de la
solution admise à l’échelle, régionale et internationale en matière de
garde des enfants. En effet, dans la résolution 1921 (2013) « égalité des
sexes, conciliation vie privée-vie professionnelle et coresponsabilité »,
l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe appelait les autorités
publiques des Etats membres du conseil à respecter le droit des pères à
la coresponsabilité en assurant que le droit de la famille prévoyait, en cas
de séparation ou de divorce, la possibilité d’une garde conjointe des en-
fants dans le meilleur intérêt de ceux-ci, sur la base d’un accord commun
entre les parents130. Plus tard, dans sa résolution 2079 (2015) « égalité
et coresponsabilité parentale : le rôle des pères », l’Assemblée a insisté
sur l’obligation de garantir et de promouvoir l’égalité entre les parents
dès l’arrivée de l’enfant. Elle a appelé à un partage plus équilibré des res-
ponsabilités entre les parents, en particulier après une séparation ou un
divorce, en tant que moyen aussi de dépasser les stéréotypes de genre
sur les rôles prétendument assignées à la femme et à l’homme au sein
de la famille131.
Dès lors, il est temps que la Tunisie introduise conformément aux dispo-
sitions de la constitution du 27 janvier 2014 et des conventions inter-
nationales qu’elle a ratifiées l’égalité effective des parents vis-à-vis de
leurs enfants et qu’elle élimine de sa législation toute différence entre
les parents basée sur leur statut matrimonial132. D’ailleurs, et conformé-
ment au rapport de la commission des libertés individuelles et de l’égalité
(COLIBE)133, « l’étendue du rôle joué par la mère dans la prise en charge des 
enfants conditionne son statut juridique au sein de la famille. Et puisque celui 
qui a l’argent a le pouvoir, le maintien du rôle secondaire de la mère au sein 
de la famille est une arme contre elle pour la priver de son droit à l’égalité »134.
Il est temps que la Tunisie introduise dans sa législation le principe de
la résidence alternée des enfants après divorce tout en limitant les ex-
ceptions aux cas d’abus ou de négligence d’un enfant, ou de violence
130 Assemblée parlementaire, Conseil de l’Europe, Résolution 1921 (2013), Egalité des sexes, conciliation vie
privée-vie professionnelle et coresponsabilité parentale, 8.4.
131 Assemblée parlementaire, Conseil de l’Europe, Résolution 2079 (2015), Egalité et coresponsabilité paren-
tale : Le rôle des pères, 4.
132 Rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), Tunis, 1er juin 2018, (pdf) p.
169-170.
133 La commission des libertés individuelles et de l’égalité a été créée par le président de la République le 13
août 2017 afin d’élaborer un rapport sur les réformes relatives aux libertés individuelles et à l’égalité confor-
mément à la nouvelle constitution du 27 janvier 2014, les normes internationales des droits de l’Homme et
les nouvelles orientations dans le domaine des libertés et de l’égalité, V. Décret présidentiel n°2017-111,
du 13 août 2017 portant nomination des membres de la commission des libertés individuelles et de l’éga-
lité, JORT, n°65, du 15 août 2017, p. 2613.
134 Rapport de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe), Tunis, 1er juin 2018, (pdf), p. 170.
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domestique135. Aujourd’hui, plusieurs systèmes européens optent pour
le partage des responsabilités d’éducation des enfants entre les parents
que ce soit pendant une relation ou un mariage ou de divorce136. Le droit
de la famille marocain, lui aussi, consacre la responsabilité conjointe des
deux époux de la gestion des affaires du foyer et de la protection des
enfants137.
II. LA REDÉFINITION DE LA NOTION DE FAMILLE : VERS LA PRÉVALENCE
DE L’INTÉRÊT DE L’ENFANT
Franchissant la première difficulté de l’interprétation de l’article 23 dans le sens de
l’égalité, le tribunal s’est confronté à un autre obstacle. Comment étendre le champ
d’application de l’article 23 du CSP, placé dans le chapitre intitulé « des obligations
réciproques des époux », au cas d’un couple divorcé.
Afin d’asseoir son raisonnement sur l’article 23 du CSP, le tribunal opte pour une
définition large de la famille axée sur l’enfant pour l’étendre au couple divorcé en
l’existence de filiation. Il conclut que « la naissance de l’enfant est le facteur qui crée la 
famille, c’est-à-dire que dès que l’enfant existe, la famille s’établit et ne sera pas détruite par 
l’absence de relation conjugale, mais par l’absence de cet enfant ». Cette définition de la
famille écarte le couple marié comme caractéristique fondamentale pour opter pour
le lien à l’enfant ou la filiation138. Selon le tribunal de première instance « c’est l’enfant
qui fait la famille » et non le couple. Ce sont les relations entre parents et enfants
qui fondent la famille et non le mariage. Une telle conception est consacrée expres-
sément en droit français : «  en  droit  positif  (français),  la  filiation  suffit  à  établir  l’exis-
tence d’une famille, cette famille n’étant pas liée à la constitution ou à la séparation d’un 
couple »139. En optant pour cette nouvelle définition, le tribunal de première instance
a prévalu l’intérêt supérieur de l’enfant, valeur consacrée et protégée par l’article 47
de la constitution du 27 janvier 2014140. De même, une telle définition est conforme
aux dispositions de la convention du 18 décembre 1979 sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes ratifiée par la Tunisie en 1985 et aux
dispositions de la convention relative aux droits de l’enfant ratifiée par la Tunisie en
1991 et dont elle a levé depuis juin 2008 toutes les réserves la concernant.
135 Assemblée parlementaire, Conseil de l’Europe, Résolution 2079 (2015), Egalité et coresponsabilité paren-
tale : Le rôle des pères, 5.5.
136 Assemblée parlementaire, Conseil de l’Europe, Rapport, Egalité entre les femmes et les hommes et pension
alimentaire des enfants, p. 18.
137 Article 51 alinéa 3 du code de la famille marocain.
138 V. HENNERON (S), La notion de famille en droit positif français, Thèse, Université de Lille II, 2002, p. 277.
139 S. HENNERON, ibid., p. 348.
140 L’article 47 dispose que « La dignité, la santé, les soins, l’éducation et l’instruction constituent des droits garan-
tis à l’enfant par son père et sa mère et par l’Etat. L’Etat doit assurer aux enfants toutes les formes de protection
sans discrimination et conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant
».
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En effet, le paragraphe 1er de l’article 16 de la convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes prévoit : « les Etats parties prennent 
toutes les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination à l’égard des femmes dans 
toutes les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux et, en particulier, 
assurer, sur la base de l’égalité de l’homme et de la femme: ... d) les mêmes droits et les 
mêmes responsabilités en tant que parents, quel que soit leur état matrimonial, pour les 
questions  se  rapportant  à  leurs  enfants  ;  dans tous  les  cas,  l’intérêt  des  enfants  sera  la 
considération  primordiale  ;...f)  les  mêmes  droits  et  responsabilités  en  matière  de  tutelle, 
de  curatelle,  de  garde  et  d’adoption  des  enfants,  ou  d’institutions  similaires,  lorsque  ces 
concepts existent dans la législation nationale ; dans tous les cas, l’intérêt des enfants sera 
la considération primordiale ». Il est vrai qu’en ratifiant la convention en 1985, l’Etat
tunisien a mis les paragraphes d et f sous réserve. Mais en vertu du décret-loi du 24
octobre 2011, les réserves ont été levées.
De même, l’article 18 paragraphe premier de la convention relative aux droits de l’en-
fant dispose : « les Etats parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du 
principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’éle-
ver l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son 
développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants 
légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Face au mutisme du code du statut personnel, le tribunal qui s’est contenté de la
recherche du sens étymologique de famille, aurait dû se référer aux dispositions
conventionnelles et constitutionnelles pour fonder sa définition juridique de la fa-
mille recentrée sur l’enfant afin de préserver l’intérêt supérieur de l’enfant. Une telle
lecture est confirmée par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de
l’Homme (CEDH) qui a interprété l’article 8 de la convention européenne des droits
de l’Homme dans le sens où le divorce ne conduit pas à la disparition de la vie fa-
miliale et de la famille en présence d’un enfant. Dans l’affaire Gül contre Suisse du
19 février 1996, la cour rappelle que « la notion de famille sur laquelle repose l’article 8 
implique qu’un enfant issu d’une union maritale s’insère de plein droit dans cette relation ; 
partant dès l’instant et du seul fait de sa naissance, il existe entre lui et ses parents un lien 
constitutif de « vie familiale » que des évènements ultérieurs ne peuvent briser que dans des 
circonstances exceptionnelles ». De même dans l’affaire Berrehab c. Pays Bas du 21 juin
1988, la cour a considéré que la vie commune n’était pas un élément indispensable
pour qu’il existe une vie familiale entre parents et enfants mineurs141. La doctrine
française va dans le même sens « le droit au respect de la vie familiale ne disparaît pas 
en dépit de la dissolution du couple, la présence d’enfants imposant alors la pérennisation 
du « couple parental » malgré l’échec du « couple conjugal ». Ainsi, la famille désigne-t-elle, 
141 L’article 8 de la convention « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et
de sa correspondance ».
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tout à la fois, la cellule familiale créée en soi par le couple et les divers liens unissant parents 
-biologiques ou non- et enfants »142.
Tel n’était pas le moteur de la cour de cassation qui a critiqué la démarche suivie par le
tribunal et son recours à l’article 23 du CSP qui, vu son emplacement dans un chapitre
qui concerne « les obligations réciproques des époux » nécessite, selon la cour de
cassation, l’existence d’une relation conjugale et que par conséquent il ne peut être
appliqué au cas d’espèce143. Selon la cour de cassation, les dispositions de l’article
23 sont claires et insusceptibles d’interprétation conformément aux dispositions de
l’article 532 du COC144. C’est plutôt l’article 47 du CSP inscrit dans le chapitre « de
l’obligation alimentaire par parenté » qui trouve à s’appliquer en cas de couple divorcé,
affirme la juridiction suprême.
A l’audace du juge de fond, on est confronté au conservatisme du juge de cassation qui
en s’attachant à un certain conformisme va à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant,
principe protégé par la constitution et la convention relative aux droits de l’enfant du
20 novembre 1989. D’ailleurs, l’article 3 de ladite convention dispose que « dans toutes 
les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou 
privées  de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives  ou des organes 
législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ».
En réalité, si la position des juges d’appel semble à première vue « révolutionnaire »,
elle le paraît par la norme qu’ils édictent, et non par la démarche qu’ils adoptent pour
la consacrer. Cette démarche semble manquer de rigueur ce qui a facilité son rejet
par la cour de cassation. D’ailleurs, se contenter de la définition étymologique de la
notion de famille sans puiser dans la définition juridique consacrée par les conven-
tions internationales ratifiées par la Tunisie ou se référer à une position des Mu’tazi-
lites, école de pensée musulmane, sans citer l’ouvrage ou l’article qui l’avait adoptée
semble relever de « l’indélicatesse scientifique ». De même, la recherche des juges
d’appel de la justification de leur position par référence aux éléments du droit musul-
man (le Coran, la Sunna, le fiqh) qui conduit à hypothéquer les dispositions du CSP par
142 LEVINET (M), « Couple et vie familiale », SUDRE (F) (dir.), Le droit au respect de la vie familiale au sens de la
convention européenne des droits de l’homme, Bruylant, Bruxelles, 2002, p.109.
ىلع نيجوزلا نم لكل بجي اميف« ناونع تحت درو 23 لصفلا نا كلذ ةينوناقلا ةيحانلا نم ميلس ريغ ىحنملا اذه نا ثيحو« 143
ردق ىلع ءانبلااو ةجوزلا ىلع قافنلاا ةلئاعلا سيئر هتفصبو جوزلا ىلع ةلاصأ بجوتي ةيجوز ةقلاع مايق ةهادب ضرفي ام »هبحاص
روكذملا لصفلا تايضتقم نوك يف لادجلا ثيحو .لام اهل ناك نا ةرسلاا ىلع قافنلاا يف مهاست نا ةجوزلا ىلعو مهلاحو هلاح
لااجم دجيلا ش ا م نم 23 لصفلاف يلاتلابو .عا م نم 532 لصفلا ماكحلا اذافن ةفلتخم تاءارق ضرفتلاو لدج يا ريثتلا ةحضاو
نود لوحيلا ةلئاعلا سيئر هفصوب جوزلا ىلع لومحملا ةقفنلا بجوم نأ ةرورض نهارلا عازنلا تايدامو عئاقو ىلع هقابطنلا
دض مايقلا نإف قلاطلاو ةقرفلا ةلحرم ناشيعي عازنلا يفرطو ةفلتخم ةيعضولاو امأ لام اهل ناك نغ قافنلاا يف ةجوزلا ةمهاسم
ةلاح تبثأول هدض بقعملا نأو قافنلاا بجاوو راثآ نم هعبتتسي امو امهدلاو ةناضح يف امهو اهينبا ىلع قافنلااب اهمازللإ ةنعاطلا
ملاا نأ ىضتقا يذلا شا م نم 47 لصفلاب لامع قافنلااب ةنعاطلا مازلإ اهجتم نوكي هناف هينبا ىلع قافنلاا نع هزجعو رسعلا
باب يف درو روكذملا لصفلا نا رابتعاب ةبارقلا وه قافنلاا بجوم نوكيو اهدلو ىلع قافنلاا يف دجلا ىلع ةمدقم بلاا رسع لاح
لصفلا اهب ءاج يتلا قافنلاا يف ةمهاسملل ينوناقلا ساسلاا نيب نيبو حضاو قرفلاو ةبارقلا بجومب ةقفنلا مهل بجت نم ماكحا
.1207 ددع بيقعتلا ةمكحم رارق .»ةلجملا سفن نم 47 لصفلا طانم ةبارقلا بجومب بجاولا ينوناقلا ساسلااو شا م نم 23
.2017 ربوتكأ 6 يف خرؤملا 53745
144 L’article 532 du COC dispose « En appliquant la loi, on ne doit lui donner d’autre sens que celui qui résulte de ses expressions, d’après leur ordre grammatical,
leur signification usuelle et l’intention du législateur ».
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99
le droit musulman, maintient cette sorte d’hypocrisie manifeste, consistant à vouloir
modifier un Droit par un ordre juridique sclérotique, alors que le droit tunisien s’est
inscrit depuis des décennies dans une universalité irréversible.
Finalement, si la bonne volonté des juges de fond d’interpréter les dispositions am-
bigües du CSP dans le sens de l’égalité et de la liberté n’est pas toujours bien accueil-
lie par la cour de cassation, n’est-il pas temps que le législateur intervienne afin de
consacrer l’égalité des époux et de débarrasser le CSP de l’ambivalence qui imprègne
ses dispositions145. D’ailleurs, le maintien de l’institution du chef de famille fait obs-
tacle à la consécration du principe fondateur de l’égalité entre homme et femme en
droits et en devoirs et à la réalisation d’une relation équilibrée entre époux fondée
sur la coresponsabilité et la solidarité. Cette institution révolue verrouille, également,
toute perspective d’évolution de la notion de famille vers la prévalence de l’intérêt
supérieur de l’enfant.
145 V. sur la nécessaire modernisation du CSP, MEZIOU (Kalthoum), « Le code du statut personnel, Une révolution 
permanente ? »
, Rapport introductif, in. Soixantenaire du code du statut personnel (1956-2016), op. cit, pp. 5-21.
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité Homme/Femme et Intérêt supérieur de l’enfant Lamia NEJI
Page 101
100
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
- BEN ACHOUR (Sana), « La construction d’une normativité islamique sur le statut des femmes
et de la famille », Texte de la 655ème conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le
10 octobre 2007.
- BEN ACHOUR (Sana), « Le Code tunisien du statut personnel, 50 ans après : les dimensions de
l’ambivalence », L’Année du Maghreb, II, 2005-2006, p. 55-70, p.62 et s
- BEN ACHOUR (Souhayma) et Rachida JELASSI,Ouvrage collectif, Soixantenaire du Code du
statut personnel (1956-2016), Sous la direction de Tunis, CPU, 2019.
- BOURAOUI (Soukeina), « Droit de la famille et relations familiales à la lumière des dernières
réformes juridiques », RTD, 1993, pp. 119-140, p. 13.
- CHEDLY (Lotfi), « Les relations pécuniaires entre époux., in. Revue internationale de droit
comparé, Vol. 59, n°3, 2007, pp. 551-593, p. 562.
- HENNERON (S), La notion de famille en droit positif français, Thèse, Université de Lille II,
2002.
- LAGHMANI (Slim), Eléments d’Histoire de la Philosophie du Droit, Le discours fondateur du
Droit, Tome I, Tunis, Cérès production, 1993, p. 191.
- LEVINET (M), « Couple et vie familiale », SUDRE (F) (dir.), Le droit au respect de la vie familiale
au sens de la convention européenne des droits de l’homme, Bruylant,, 2002, 109.
- MAHFOUDH (Mohamed), Introduction au droit musulman, Sfax, Sogic, 2018, p. 1 et 2.
- MEZGHANI (Ali), L’Etat inachevé, La question du droit dans les pays arabes, nrf. Editions
Gallimard, 2011, p. 23.
- MEZIOU (Kalthoum), « Le code du statut personnel, Une révolution permanente ? », Rapport
introductif, in. Soixantenaire du code du statut personnel (1956-2016),, pp. 5-21.
Page 102
COMMENTAIRE DE LA DÉCISION N° 2014-2 DU 19 MAI 2014 DE 
L’IPCCL RELATIVE À L’ARTICLE 24 DU PROJET DE LOI ORGANIQUE
RELATIF AUX ÉLECTIONS ET AUX RÉFÉRENDUMS
101
Leïla CHIKHAOUI-MAHDAOUI
Professeure en droit public à l’Université de Carthage
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Ministre de l’Environnement
Pour aborder l’analyse de la décision n° 2014-8 du 19 mai 2019 de l’IPCCPL qui
aborde la question de la parité électorale en Tunisie146, il convient en premier lieu
de relire quelques extraits choisis de la décision elle-même (I), avant d’en rappeler
brièvement les faits d’espèce (II) et de la replacer dans son contexte spatio-temporel
(III), afin d’identifier les apports de l’Instance en la matière (IV), au même titre que
d’éventuelles lacunes (V).
I. EXTRAIT DE LA DÉCISION N° 2014-8 DU 19 MAI 2019 SE RAPPORTANT 
À LA PARITÉ HOMMES-FEMMES EN MATIÈRE ÉLECTORALE
Considérant que l’article 21 de la Constitution consacre l’égalité des citoyennes et
citoyens en droits et en devoirs,
Considérant que l’article 46 de la Constitution dispose que l’Etat s’emploie à consa-
crer la parité entre les hommes et les femmes au sein des assemblées élues et que
c’est notamment ce qu’envisage l’article 24 du projet de loi organique relative aux
élections et aux référendums objet du recours, dans la mesure où il prévoit la présen-
tation des candidatures sur la base de la parité entre hommes et femmes,
Considérant que la consécration de la règle de l’alternance entre hommes et femmes
à l’intérieur des listes est nécessaire à la concrétisation du principe de la parité verti-
cale, mais sans exclure pour autant le recours à la parité horizontale le cas échéant,
Considérant que la signification expresse de cette consécration constitutionnelle dé-
signe les efforts déployés pour assurer la représentation des femmes au sein des
assemblées élues en vue de réaliser la parité,
Considérant qu’à la lumière de ce qui précède, l’article 24 du projet de loi est conforme
aux dispositions de la Constitution.
146 A propos de la parité en général et de son rapport avec l’égalité, la littérature est abondante. Une courte
étude est toutefois pertinente à cet égard, mais n’est nullement exhaustive ni représentative : V. CHAM-
PEIL-DESPLATS, « La parité : mise en oeuvre ou rupture du principe d’égalité ? », [s.n.], Jan 2008, Tokyo,
Japon, hal-01665049.
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI

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102
1. Contextualistion de la décision par rapport aux faits d’espèce
Le recours en inconstitutionnalité dirigé contre l’article 24 du projet de loi
organique relative aux élections et aux référendums s’inscrit dans une phase
historique, politique et juridique particulière de la IIe République tunisienne.
En effet, il fait partie de la série des cinq premiers recours en inconstitutionnalité
portés devant l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets
de loi (ci-après IPCCPL), juridiction constitutionnelle de transition créée par
l’article 148, alinéa 7) de la Constitution du 27 janvier 2014147 pour veiller au
respect du nouveau texte suprême, en attendant la mise en place de la Cour
constitutionnelle, créée par l’article 118 du même texte et organisée par la loi
organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015148.
Le législateur constituant a rapidement voté la loi organique n° 2014-14 du 18
avril 2014 qui organise le fonctionnement de cette Instance provisoire dont
les membres, nommés par l’arrêté républicain n° 2014-89 du 22 avril 2014 du
Président de la République transitoire, ont été investis de leurs fonctions le jour
même du dépôt des cinq recours précités149.
Ainsi, dès la prestation de serment de ses membres, l’IPCCPL a été amenée à
participer au processus démocratique transitionnel, puisqu’elle a été saisie
le 7 mai 2014 de 5 recours en inconstitutionnalité pour se prononcer sur la
conformité (ou non) à la nouvelle Constitution de plusieurs dispositions du projet
de la loi organique relative aux élections et aux référendums, accouchant sous la
pression des enjeux électoraux de ses premiers arrêts, lesquels n’ont pas manqué
de susciter critiques et débats, illustrant la portée politique de ses décisions, ainsi
que l’étendue, mais également les limites, de son intervention…150.
147 Selon lequel « Au cours des trois (3) mois qui suivent la promulgation de la Constitution, l’Assemblée nationale
constituante crée par loi organique une instance provisoire chargée du contrôle de constitutionnalité des pro-
jets de loi … ». Pour une étude, voir Asma GHACHEM, « Le « Provisoire » dans la dénomination de l’Instance
provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de lois : quelle signification ?
», Propos introductifs,
In Actes des Journées Abdelfattah AMOR, 25-26 janvier 2018, consacrées à La jurisprudence de l’
IPCCPL,
ATDC, 2018, en cours de publication
148 (JORT n° 98 du 8 décembre 2015, p. 2926)
149 C’est en effet le 7 mai 2014 que les 6 membres de l’Instance ont prêté serment devant Moncef Marzouki,
alors Président de la République provisoire, parmi lesquels 3 hauts magistrats habitués à rendre la justice et
à «
dire le droit », nommés ès-qualités, à savoir le Premier président de la Cour de cassation (Président), le
Premier président du Tribunal Administratif et le Premier Président de la Cour des comptes, respectivement
premier et deuxième vice-président…et 3 autres membres spécialisés en droit «
nommés chacun à égalité
entre eux par le Président de l’ANC, le Président de la République et le Chef du gouvernement
», concrètement
3 professeurs de droit, dont une femme, mêmes si la parité ne faisait pas partie des critères de désignation
des membres de l
’IPCCPL. La parité n’a pas non plus été incluse parmi les conditions de choix des membres
de la Cour Constitutionnelle selon la loi organique n° 2015-50 du 3 déc. 2015 y afférente (JORT n° 98 du
8 déc. 2015).
150 Voir les Décisions n° 2014-2 à 2014-5 de l’IPCCL du 19 mai 2014, rendues à propos de diverses dispo-
sitions du projet de loi organique relative aux élections et aux référendums, la Décision de l’IPCCL du 19
mai 2014, rendue à propos du recours 2014-3 (examen d’urgence du projet de loi organique relative aux
élections et aux référendums) ainsi que le Courrier adressé par l’IPCCPL au Président de la République
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103
Le 7 mai 2014, l’IPCCPL a donc été saisie de l’inconstitutionnalité de l’article 24 du
projet de loi organique relative aux élections et aux référendums par une requête
déposée par la députée Samia HAMOUDA ABBOU, en tant que représentante d’un
groupe de 33 députés de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), au motif
qu’il contredit le préambule de la Constitution et ses articles 21, 34 et 46, en ce que
la représentation des femmes qu’il prévoit ne respecte pas l’égalité, d’où l’allégation
de violation des principes constitutionnels énoncés par le Préambule, par l’article 21
et surtout par l’article 34 de la Constitution, selon lequel l’État est censé garantir
l’égalité des chances entre les sexes pour l’accès aux diverses responsabilités et dans
tous les domaines, de même qu’il lui incombe de consacrer la parité entre eux dans
les assemblées élues.
Les requérants ajoutent que la règle de la parité verticale consacrée par l’article 24
du projet de loi soumis à l’examen de l’Instance ne permet pas d’assurer la parité de
la représentation au sein de l’ARP.
En réponse à cette argumentation qui ne manquait pas de logique, l’IPCCPL a d’abord
rappelé le principe de l’égalité des citoyennes et citoyens en droits et en devoirs
posé par l’article 21 de la Constitution, avant de rappeler la teneur de l’article 46
du texte suprême qui dispose que l’Etat s’emploie à consacrer la parité entre les
hommes et les femmes au sein des assemblées élues, pour affirmer que :
« c’est  notamment  ce  qu’envisage  l’article  24  du  projet  de  loi  organique  relative  aux 
élections et aux référendums objet du recours, dans la mesure où il prévoit la présentation 
des candidatures sur la base de la parité entre hommes et femmes ».
La décision aurait pu s’arrêter à ce stade puisque l’Instance a ainsi prononcé la
constitutionnalité de l’article 24 du projet de loi.
Or, l’Instance a jugé bon de poursuivre son raisonnement pour répondre aux
requérants, donnant par la même occasion une interprétation ouverte et évolutive
des articles de la Constitution relatifs à la parité.
En effet, l’Instance a poursuivi en rappelant que la consécration de la parité à
l’intérieur des listes était certes une règle nécessaire pour concrétiser le principe de
la parité verticale, mais que son adoption n’excluait nullement la possibilité pour le
législateur de consacrer, aussi, la parité horizontale le cas échéant, pour consolider
ladite règle et la rendre effective.
Ainsi, selon l’Instance : « la signification expresse de cette consécration constitutionnelle 
désigne  les  efforts  déployés  pour  assurer  la  représentation  des  femmes  au  sein  des 
assemblées élues en vue de réaliser la parité ».
Ce sont ces deux considérants supplémentaires qui ouvrent la voie à diverses
interprétations et commentaires d’une décision qui pouvait sembler purement
conservatrice et statique, mais qui est en réalité dynamique et porteuse d’évolution.
portant renvoi du recours n° 2014-1 (JORT n° 41 du 23 mai 2014, p 1341-1351).
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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2. Commentaire des extraits de la décision n° 2014-2 par rapport à la
Constitution tunisienne, aux textes internationaux ratifiés, ainsi qu’au droit et
à la jurisprudence comparés (contextualisation spatio-temporelle)
L’IPCCPL a considéré que l’article 24 du projet de loi relatif aux élections et aux
référendums était conforme à la Constitution. De ce fait, la version initiale de cet
article figure dans le texte de la loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 en ces
termes :
« Les candidatures sont présentées sur la base du principe de parité entre femmes et 
hommes et de la règle d’alternance entre eux sur la liste. Toute liste méconnaissant ce 
principe est rejetée, sauf en cas de contrainte imposée par un nombre impair de sièges 
à pourvoir dans quelques circonscriptions »151.
La règle est claire et reprend quasiment mot pour mot le texte de l’article 16
du décret-loi n° 2011-35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection d’une Assemblée
nationale constituante (ANC) selon lequel :
« Les candidatures sont présentées sur la base du principe de la parité entre femmes 
et hommes en classant les candidats dans les listes de façon alternée entre femmes 
et hommes. La liste qui ne respecte pas ce principe est rejetée, sauf dans le cas d’un 
nombre impair de sièges réservés à certaines circonscriptions »152.
A l’époque, l’adoption d’un texte introduisant la parité des candidatures aux
élections d’une future Assemblée nationale constituante avait été saluée de
par le monde comme une mesure sans précédent, porteuse d’espoir en matière
de participation des femmes à la prise de décision politique, plaçant la Tunisie
à la pointe du progrès en matière d’égalité hommes-femmes, car même dans
les anciennes démocraties, cette question demeure encore sensible et difficile
à concrétiser dans les faits. Ainsi, en France, où l’alinéa 3 du Préambule de la
Constitution du 27 octobre 1946 garantissait l’égalité des droits reconnus aux
femmes et aux hommes « dans tous les domaines », comme confirmé par l’alinéa 2
de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 de manière plus précise153, le
Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser la portée du principe de parité,
à sa manière toujours mesurée et prudente154.
151 (JORT n° 42 du 27 mai 2014).
152 Le décret-loi n° 2011-35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection d’une assemblée nationale constituante est,
assez exceptionnellement, doté d’un doté d’un préambule affirmant la « rupture avec l’ancien régime » et
la fidélité «
aux principes de la révolution du peuple tunisien dont les objectifs visent à instaurer une légitimité 
fondée sur la démocratie, la liberté, l’égalité, la justice sociale, la dignité, le pluralisme, les droits de l’homme et 
l’alternance pacifique au pouvoir
» (JORT n° 33 du 10 mai 2011, p. 651 et suivantes).
153 En ces termes : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions 
électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
154 Concrètement, le Conseil constitutionnel français a consacré le principe de parité, tel qu’énoncé à l’alinéa 2
de l’article 1
er de la Constitution de 1958 en deux temps : dans un premier temps, la révision constitution-
nelle du 8 juillet 1999 a inscrit le principe de parité en matière d’accès aux mandats électoraux et fonctions
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En Tunisie, les espérances suscitées par l’article 16 du décret-loi n° 2015-35 ont
cependant été assez rapidement déçues, vu que sur l’ensemble des listes, partis
politiques et indépendants confondus, un seul parti, le Pôle Démocratique et
Moderniste (PDM), réussit en septembre 2011 à présenter 16 femmes têtes de liste
sur l’intégralité de ses 33 listes155.
Au total, sur plus de 1500 listes en lice en 2011, seulement 110 étaient portées par
des femmes, selon les statistiques de l’Instance supérieure indépendante pour les
élections (ISIE) et sur les 217 sièges de l’ANC, seuls 49 (environ 24%) sont allés aux
femmes candidates, dont 42 au parti Ennahda156.
C’est donc pour pouvoir aller au-delà de cette parité « imparfaite » que les requérants
ont critiqué la reprise quasi-intégrale, par l’article 24 du projet de loi organique sur
les élections et les référendums, de l’article 16 du décret-loi n° 2011-35, fondant
leur argumentation sur l’apport de la Constitution du 27 janvier 2014 en la matière.
En effet, alors que dans la Constitution du 1er juin 1959, la femme n’existait qu’à
travers la généralité et la globalité du terme « citoyen », en dépit des nombreuses
modifications dont ce texte a fait l’objet, elle intègre finalement l’espace
constitutionnel le 27 janvier 2014157.
En rappelant également qu’en termes de droits politiques, les femmes tunisiennes
ont obtenu le droit de voter dès le 11 juin 1956, bien avant leurs homologues suisses,
électives dans la Constitution, tout en précisant que « les partis et groupements politiques contribuent à la
mise en oeuvre de ce principe dans les conditions déterminées par la loi » (art. 4, al. 2, de la Constitution).
Par cette révision, il s’est alors agi de revenir sur la jurisprudence constitutionnelle qui s’opposait à l’instau-
ration de quotas de femmes pour les élections municipales (décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982).
Dans un second temps, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a élargi le champ d’application du
principe de parité aux responsabilités professionnelles et sociales afin de contrer une nouvelle fois la juris-
prudence constitutionnelle (décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006). Selon le Conseil constitutionnel,
le principe de parité « n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit », ce dont il résulte
« que sa méconnaissance ne peut donc être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitution-
nalité » (décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015). En vertu de cette jurisprudence, le principe de parité
permet « au législateur d’instaurer tout dispositif tendant à rendre effectif l’égal accès des femmes et des
hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et
sociales. (…). À cette fin, il est loisible au législateur d’adopter des dispositions revêtant soit un caractère
incitatif, soit un caractère contraignant. Il lui appartient toutefois d’assurer la conciliation entre cet objectif
et les autres règles et principes de valeur constitutionnelle auxquels le pouvoir constituant n’a pas entendu
déroger » (décision n° 2015-465 QPC du 24 avril 2015).
155 LE PDM est né d’une coalition politique du centre gauche entre quatre partis politiques (Ettajdid, le Parti
Socialiste de Gauche, La Voie du Centre, Al-Hezb Al-Joumhoury), des initiatives collectives d’indépendants
(« Assez de division », « Appel (nida) pour un pôle démocratique progressiste et culturel », « Initiative Citoyenne », 
« le Collectif national des indépendants du pôle»)
et des personnalités du monde académique, des arts et de
la société civile ( artistes, intellectuels, féministes, etc.). Voir « Le PDM l’a promis, le PDM l’a réalisé », Attariq
Al-Jadid n° 247 du 10 au 16 septembre 2011, Dossier arabe/ français ; ainsi que « Les Indépendants… sans 
les femmes 
», Al-Ousboui, 12 septembre 2011, p.12
156 Site de l’ISIE, statistiques.
157 Voir Neïla CHAABANE, Les droits des femmes dans la Constitution tunisienne de 2014, In La femme et son 
environnement, sa priorité
, Mélanges offerts à la Professeure Soukeïna Bouraoui, Tunis, CPU, 2018, p. 165.
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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lesquelles ont dû attendre jusqu’en 1974 pour qu’un tel droit leur soit reconnu.
En 2014, on trouve dans la nouvelle Constitution non seulement le mot « femme »
mais aussi le terme « citoyenne » et cette transition terminologique qui apparaît
d’ailleurs dès le préambule du nouveau texte suprême, illustre l’évolution du
contexte au lendemain du 14 janvier 2011, reflétant l’amplitude des débats au sein
de l’ANC pour la conservation des acquis de l’Indépendance158.
Cette démarche du législateur constituant s’inscrit dans la logique des engagements
précédents de la Tunisie.
En effet, le pays a adhéré aux Pactes mondiaux sur les droits de l’homme en général
(dont les dispositions s’adressent bien entendu aussi aux femmes)159.
En outre, la Tunisie a ratifié le 7 juillet 1985 la Convention sur l’élimination de toutes
les formes de discrimination à l’égard des femmes adoptée le 18 décembre 1979 par
l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) et entrée en vigueur le 3 septembre
1981, connue sous son acronyme anglais CEDAW (Convention on the Elimination
of all forms of Discrimination against Women).
Si des réserves avaient alors été émises, elles ont fini par être levées en 2011 (décret-
loi du 24 octobre 2011), dans la foulée de l’euphorie révolutionnaire et notification
en a été faite officiellement le 14 avril 2014 au Secrétaire Général de l’ONU,
parachevant la procédure et concrétisant la volonté du pays de donner pleinement
effet à cette mesure. En tant que membre non permanent du Conseil de sécurité,
la Tunisie a en outre voté en faveur de la résolution 1325, adoptée à l’unanimité le
31 octobre 2000, qui constitue l’un des premiers documents officiels reconnaissant
le rôle des femmes en tant qu’agents de changement pour l’établissement et le
maintien de la paix160.
158 Etant rappelé que la promulgation du Code du statut personnel, le 13 août 1956, qui a notamment interdit
la polygamie à compter de cette date, a été la première loi de la Tunisie indépendante, adoptée presque une
année avant la proclamation de la République le 25 juillet 1957 et 3 ans avant le vote de la Constitution de
la Première République du pays, le 1
er juin 1959.
159 Il s’agit notamment du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, adoptés par l’AGNU à New York le 16 décembre 1966, et
respectivement entrés en vigueur le 3 janvier et le 23 mars 1976, auxquels la Tunisie a été autorisée à ad-
hérer en vertu de la loi n° 68-30 du 29 novembre 1968 (JORT n° 51 du 29 novembre au 3 décembre 1968,
p. 1260). Par la suite, le décret-loi n° 2011-3 du 19 février 2011 a approuvé l’adhésion de la République
Tunisienne au Protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif aux droits civils et politiques,
tel que ratifié par le décret n° 2011-551 du 14 mai 2011 (JORT n° 36 du 20 mai 2011, p. 729).
160 Sur le plan international, il convient de rappeler que la Tunisie a ratifié la plupart des instruments interna-
tionaux, notamment ceux visant à garantir les droits des femmes, ainsi que d’autres textes, parmi lesquels :
la Convention sur le travail de nuit (révisée en 1948), ratifiée le 25 avril 1957 et comportant 20 articles,
dont l’article 3 interdisant le travail de nuit des femmes dans le domaine industriel dans les secteurs pu-
blic et privé ; le Protocole de 1990 à la Convention sur le travail de nuit, ratifié par la loi n°92-114 du 30
novembre 1992, comportant 5 articles, dont l’article 2 organisant le travail des femmes ; la Convention
portant création de l’Organisation de la femme arabe (12 septembre 2001) ; le Protocole visant à prévenir,
réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants (15 novembre 2000) ; les
deux protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants
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107
Sur le plan national, la législation a globalement évolué de manière positive pour les
femmes depuis 1956, puisqu’après l’adoption du Code du statut personnel, le Code
du travail a également constitué un progrès en la matière, même si cette avancée n’a
pas réellement été réalisée au moment de sa promulgation par la loi n° 66-27 du 30
avril 1966, mais plus d’une vingtaine d’années plus tard.
En effet, l’égalité des sexes en matière d’emploi a été consacrée par une modification
du Code du travail opérée en 1993, car ce texte considère depuis cette date
la non discrimination comme un principe applicable à tous les aspects de la vie
professionnelle, tels que le recrutement, la rémunération, les conditions de travail et
la rupture du contrat de travail161.
Pour sa part, le Code pénal incrimine le harcèlement sexuel de la femme sur les lieux
de travail, assurant ainsi sa protection.
Après les événements des 17 décembre au 14 janvier 2011, qualifiés de « révolution
du jasmin », le législateur a veillé à ce que les lois relatives à la protection des femmes
soient compatibles avec les normes internationales et avec l’évolution des valeurs
sociales, par le biais de l’adoption de nouveaux textes adaptés aux changements
sociaux et consacrant l’engagement de l’État en faveur de la défense des droits
acquis des femmes, ainsi qu’en matière de renforcement et de valorisation de ces
droits.
Tout ceci s’est cristallisé dans le cadre de la Constitution du 27 janvier 2014 et au-
delà162.
dans les conflits armés et la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène
des enfants, auxquels le pays a été autorisé à adhérer par la loi n°2002-42 du 7 mai 2002 ; le protocole
additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à pré-
venir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier les femmes et les enfants, auquel le pays a été
autorisé à adhérer par la loi n°2003-5 du 21 janvier 2003 ; la Convention relative aux droits des personnes
handicapées et son Protocole facultatif, l’adhésion du pays à ces instruments ayant été approuvée par la
loi n°2008-4 du 11 février 2008.
161 Voir la loi n°93-66 du 5 juillet 1993 modifiant le Code du travail sur ce point. Concrètement, le Code du
travail garantit le droit de la femme au travail sur la base du principe d’égalité et le Code des obligations
et contrats a supprimé toute discrimination à l’égard des femmes en matière de travail. Les conventions
collectives se réfèrent également à l’égalité entre hommes et femmes en matière d’emploi, de titularisation
et de rémunération. Les mesures favorables à la concrétisation des droits économiques et sociaux des
femmes ont notamment été introduites par les textes suivants : la loi n°2000-17 du 7 février 2000 portant
abrogation d’un certain nombre de dispositions du Code des obligations et contrats qui subordonnaient
le droit des femmes de travailler à une autorisation de leur époux ; la loi n°2002-32 du 12 mars 2002
relative au régime de sécurité sociale pour certaines catégories de travailleurs dans les secteurs agricole
et non agricole, qui accorde aux employées de maison le droit de bénéficier d’une couverture sociale ; la
loi n°2006-58 du 28 juillet 2006 instituant un régime spécial de travail à mi-temps au profit des mères,
avec le bénéfice des deux tiers du salaire et la conservation intégrale de leurs droits ; la loi n°2008-58 du 4
août 2008 relative aux femmes détenues, enceintes et allaitantes, prévoyant la mise en place d’un espace
spécialement dédié à ces femmes et à leurs enfants.
162 D’un point de vue institutionnel, le décret gouvernemental n°2016-626 du 25 mai 2016 a créé un Conseil
des pairs pour l’égalité et l’équivalence des chances entre les hommes et les femmes et l’a chargé d’intégrer
l’approche genre dans les divers plans et programmes. L’approche genre est donc en cours d’intégration
dans les plans de développement à tous les niveaux et dans tous les secteurs en vue de garantir l’égalité des
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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C’est dans ce contexte que se situe le recours contre l’article 24 du projet de loi
organique relative aux élections et aux référendums, qui s’est soldé par un rejet
de la part de l’IPCCPL, dans le cadre de sa décision n° 2014-2 du 19 mai 2014
proclamant la conformité de cette disposition à la Constitution.
Néanmoins, si l’attitude de l’Instance a pu sembler conservatrice, il convient de
nuancer cette première impression en replaçant les éléments dans leur contexte,
notamment spatio-temporel.
En effet, l’adoption de la loi organique relative aux élections et aux référendums
se situait dans un calendrier électoral précis et constituait le point de départ
du processus électoral devant donner permettre la mise en place des nouvelles
institutions créées par la Constitution du 27 janvier 2014.
Le temps était réellement compté, d’autant plus que l’Instance ne disposait que
de 10 jours pour se prononcer sur 5 recours d’importance équivalente au sujet du
projet de la loi organique relative aux élections et aux référendums163.
Le bien-fondé du recours contre l’article 24 du projet de loi organique relative aux
élections et aux référendums, instaurant une parité verticale des listes électorales,
n’a pas été admis par l’IPCCPL, qui n’a pas considéré la parité verticale comme une
« fin en soi », mais comme une « contribution » à la réalisation de l’égalité des sexes
au sein des Assemblées élues (ce qui sous-entend une possibilité d’évolution à
chances et de lutter contre la discrimination fondée sur le sexe. L’Assemblée des représentants du peuple a
en outre adopté la loi n°2016-61 du 3 août 2016 relative à la prévention et à la répression de la traite des
personnes, visant à interdire toutes les formes d’exploitation dont peuvent être victimes les personnes, no-
tamment les femmes, ainsi qu’à lutter contre la traite d’êtres humains par la prévention, à punir les auteurs
et à soutenir et aider les victimes, étant précisé que ce texte vise également à renforcer la coordination
nationale et la collaboration internationale dans le domaine de la lutte contre la traite des personnes dans
le cadre des instruments internationaux, régionaux et bilatéraux ratifiés par la Tunisie (JORT n° 66 du 12
août 2016, p. 2524). De même, la loi organique n° 2017-58 relative à à l’élimination de la violence à l’égard
des aux femmes a été promulguée le 11 août 2017, suite à son adoption le 26 juillet de la même année et
son entrée en vigueur a été prévue six mois après sa publication, soit début 2018(JORT n° 65 du 15 août
2017, p. 2604). Cet ensemble de lois fondamentales a reçu un large accueil international, en harmonie
avec le processus de transition démocratique, mais d’autres avancées demeurent possibles, notamment en
matière d’égalité dans l’héritage, comme l’a suggéré la COLIBE en 2018.
163 Cette première expérience a été fondatrice à plus d’un titre, car même si elle s’est soldée par 4 décisions de
rejet et un renvoi, elle a permis à l’Instance de se prononcer sur des questions sensibles, tout en abordant
des aspects procéduraux du contentieux constitutionnel liés à une demande d’examen d’urgence (rejetée),
au choix de ne pas soulever des inconstitutionnalités «
d’office » et à une impossibilité de se prononcer en
cas de parité des voix, celle du Président n’ayant pas été reconnue prépondérante. Les 4 recours rejetés
ont donné l’occasion à l’Instance de se prononcer sur des aspects aussi importants que la parité des can-
didatures féminines et masculines au sein des listes électorales, la légitimité de l’exigence d’une caution
financière en tant que condition de validité des candidatures aux élections présidentielles ou encore les
conditions de convocation du corps électoral et la procédure d’adoption de la loi électorale elle-même. Voir
les Décisions n° 2014-2 à 2014-5 de l’IPCCL du 19 mai 2014, rendues à propos de diverses dispositions
du projet de loi organique relative aux élections et aux référendums, la Décision de l’IPCCL du 19 mai 2014,
rendue à propos du recours 2014-3 (examen d’urgence du projet de loi organique relative aux élections et
aux référendums) ainsi que le Courrier adressé par l’IPCCPL au Président de la République portant renvoi
du recours n° 2014-1 (JORT n° 41 du 23 mai 2014, p 1341-1351).
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109
l’avenir) et cette réponse de l’Instance n’a pas manqué de soulever la critique pour
son manque d’audace.
Or, la signification exacte de la position de l’IPCCPL en matière de parité est à la
fois nuancée et évolutive, voire progressiste. En effet, après avoir rappelé l’article
21 de la Constitution qui consacre l’égalité hommes-femmes, puis l’article 46 qui
dispose que « l’État s’emploie à consacrer la parité entre la femme et l’homme dans les 
assemblées élues », elle affirme qu’en l’espèce l’article 24 du projet de la loi organique
relative aux élections et aux référendums, en adoptant la parité verticale, s’inscrit
« dans le cadre de cette démarche, qui n’exclut pas l’adoption de la parité horizontale le 
cas échéant ».
Cette formulation signifie qu’au moment du recours, la parité réalisée par l’article 24
du projet de loi organique relative aux élections et aux référendums est acceptable
et ne contredit pas le texte constitutionnel, illustrant les efforts alors accomplis par
le législateur, mais que ce dernier peut (voire doit …) les poursuivre ultérieurement
pour consacrer la parité horizontale. Il y a donc une porte ouverte sur l’avenir et
une incitation du législateur à aller plus loin et à ne pas limiter ses efforts à la parité
verticale.
C’est d’ailleurs ce qu’il a fait trois ans plus tard, lorsque la loi organique n° 2014-
16 du 26 mai 2014 relative aux élections et aux référendums a été modifiée et
complétée par la loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017, sans donner lieu à un
recours devant l’IPCCPL164.
II. L’APPORT DE L’IPCCPL EN MATIÈRE DE CONSÉCRATION DE LA PARITÉ
ÉLECTORALE
Quelques mois avant l’adoption du code des collectivités locales (CCL)165, promulgué
en application du chapitre VII de la Constitution du 27 janvier 2014, le législateur a
apporté en février 2017, en prévision des élections municipales prévues en mai de
l’année suivante, diverses modifications à la loi organique relative aux élections et
aux référendums, qui n’ont pas donné lieu à un recours en inconstitutionnalité, parmi
lesquelles un article 49 nonies introduisant la parité à la fois verticale et horizontale
au niveau des listes électorales.
En effet, cet article a commencé par reprendre, dans ses alinéas 1 et 2 la règle de l’al-
ternance à l’intérieur des listes électorales, telle que posée par l’article 24 de la même
loi au sujet des élections législatives nationales, pour ajouter ensuite dans ce qui suit :
164 (JORT n° 14 du 17 février 2017).
165 Loi organique n° 2018-29 du 9 mai 2018 portant promulgation du Code des collectivités locales (JORT n°
39 du 15 mai 2018)
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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« Les candidatures pour le mandat de membre des conseils municipaux et régionaux sont 
également présentées sur la base du principe de parité entre femmes et hommes à la tête 
des listes partisanes et celles de coalition qui se présentent dans plus d’une circonscription 
électorale.  Les  listes  des  partis  ou  des  coalitions  électorales  qui  ne  respectent  pas  cette 
règle sont irrecevables dans la limite des listes contrevenantes, … »166.
Il s’agit certes d’une mesure applicable uniquement à l’échelon local pour le moment,
mais rien n’empêche son extension à l’échelle nationale lors des futures élections
législatives, notamment celles de 2023, puisqu’il s’est agi d’un rendez-vous manqué
en 2019, peut-être parce que l’Instance n’a pas été assez claire ?
III. UNE DÉCISION LACUNAIRE ?
L’IPCCPL aurait-elle pu prendre être plus claire dans sa décision relative à la parité
électorale ? Elle a pourtant donné une interprétation dynamique et évolutive de la
notion, qui a permis au législateur de réaliser une avancée importante lors de la modi-
fication de la loi organique relative aux élections et aux référendums opérée en février
2017 et appliquée lors des premières élections municipales postérieures à 2014, qui
se sont tenues en mai 2018167.
En revanche, les modifications apportées en 2019 à la loi électorale n’ont pas concer-
né l’extension de la parité électorale horizontale à l’échelle nationale, car elles ont
essentiellement porté sur les procédures relatives aux recours électoraux (délais, tri-
bunaux compétents, etc.)168.
Il est alors possible de se demander si cet assourdissant silence du législateur quant à
la question de la parité est imputable à la décision n° 2014-2 du 19 mai 2014, trop ti-
mide, entraînant une baisse de la présence féminine au sein de la nouvelle législature
issue des urnes en 2019 en tant que fâcheux effet collatéral169 ?
Cette baisse de la participation féminine à l’échelle parlementaire est certes regret-
table, mais ne saurait être entièrement imputable à la décision n° 2014-2 du 19 mai
2014 de l’IPCCPL, car elle a clairement ouvert la voie à l’évolution et ne peut en
aucun cas être un facteur de régression.
166 (JORT n° 14 du 17 février 2017).
167 Les élections municipales du 6 mai 2018 ont abouti à un taux de 19,5 % de femmes maires en août de la
même année (65 femmes maires sur 350 présidents de municipalités).
168 Voir la loi organique n° 2019-76 du 30 août 2019, modifiant et complétant la loi organique n° 2014-16 du
26 mai 2014, relative aux élections et aux référendums (JORT n° 70 du 30 août 2019, p. 2563).
169 Ainsi, l’organisation Aswat Nissa a estimé que le taux de représentation des femmes au sein de l’Assemblée
des représentants du peuple (ARP) était faible (une cinquantaine sur les 217 députés, soit environ 23%) et
largement au-dessous du taux enregistré en 2014. Source : Webdo.tn, octobre 2019.
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111
Pour revenir aux résultats mitigés des élections législatives de 2019 en ce qui
concerne la participation des femmes, il convient plutôt de rappeler que le contexte
était alors assez particulier, puisque le décès du Président de la République Béji Caïd
Essebsi, survenu le 25 juillet 2019, a non seulement mis un terme à la possibilité de
promulguer un précédent projet (n° 2018-63) de modification de la loi électorale,
dont la version votée le 18 juin 2019, très contestée, avait été soumise à l’IPCCL qui
s’était prononcée le 8 juillet 2019 (décision n° 2019-4)170 sans donner lieu à publi-
cation (du moins jusqu’en août 2020), mais a aussi abouti à une inversion du calen-
drier électoral (élections présidentielles organisées avant les législatives), occultant
quelque peu les préoccupations de genre de la scène politique à l’automne 2019.
Cet étrange contexte a en outre conduit, de facto, à une mise en veilleuse de l’IPC-
CPL, qui n’a pas été sollicitée depuis cette date par les membres de la nouvelle ARP
sortie des urnes en automne 2019.
Pourtant, 33 lois ont été adoptées depuis le début de la législature jusqu’en juillet
2020, ainsi que 34 décrets-lois, pris sur la base de la loi n° 2020-19 du 12 avril 2020
autorisant le Chef du Gouvernement à légiférer pour faire face aux répercussions de
la propagation du Coronavirus (Covid-19)171 : certains de ces textes auraient peut-
être pu justifier l’intervention de l’Instance à plus d’un titre…
En tout état de cause, il est plus que temps pour l’ARP de désigner les 4 premiers
membres (sur 12) de la future Cour constitutionnelle pour que le contrôle de consti-
tutionnalité puisse poursuivre son évolution en Tunisie et que les beaux discours sur
les droits de l’homme deviennent réalité172.
170 Décision de l’IPCCPL n° 2019-4 du 8 juillet 2019 relative au projet de loi n° 2018-63 relatif à la modifi-
cation de la loi organique n°2014-16 du 26 mai 2014 relative aux élections et aux référendums (NB : les
délais de promulgation de ce texte étant expirés, ainsi que les délais de saisine, en 2ème lecture, de l’ARP
et le Chef de l’État étant décédé le 25 juillet 2019 sans avoir promulgué le texte, il s’agit apparemment d’un
texte qui demeure « dans la poche/manche » du Président …)
171 Travaux préparatoires : discussion et adoption par l’Assemblée des représentants du peuple dans sa séance
du 4 avril 2020 (JORT n° 31 du dimanche 12 avril 2020, p. 762) (parution exceptionnelle du JORT le di-
manche, d’habitude, il paraît le mardi et le vendredi)
172 Pour n’en citer qu’un, en décembre 2019, lors de la célébration du 71e anniversaire de la DUDH (adoptée
le 10 décembre 1948 par l’AGNU), le ministre des affaires étrangères tunisien réaffirmait l’adhésion du pays
aux valeurs universelles partagées et aux principes internationaux qui sous-tendent ce document historique,
ainsi que son engagement à respecter les droits de l’homme dans toutes leurs dimensions, et à promouvoir et
faire progresser la culture des droits de l’homme. De ce point de vue, la Tunisie, affirmait-il, «
continue d’œuvrer
à consolider les acquis de la transition démocratique et à aspirer aux larges perspectives qu’elle a ouvertes dans
le domaine de la garantie des droits de l’homme et du respect des libertés fondamentales grâce à la volonté de
son peuple et au désir de liberté et de dignité
». La déclaration soulignait que la Tunisie cherche « à réaliser une
harmonisation pleine et entière entre le système des droits de l’homme dans son essence onusienne et la légis-
lation nationale, d’une part, et les pratiques quotidiennes, d’autre part, ….
». Voir site du ministère des affaires
étrangères tunisien, Discours du Ministre des affaires étrangères, 10 décembre 2019.
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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IV. ANNEXE : DÉCISION N° 2014-2 DU 19 MAI 2014 DE L’IPCCPL 173
،بعشلا مساب
Au nom du peuple
عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا تردصأ
L’Instance provisoire de contrôle de la
constitutionnalité des projets de loi adopte
ا ّصنو ادنس هنايب يتلآا رارقلا نيناوقلا
la décision suivante :
ةيسنوتلا ةيروهمجلا روتسد ىلع علاطلاا دعب
Tunisienne,
Vu
la Constitution de
la République
14 ددع يساــــسلاا نوـــــناقلا ىلع علاـطلاا دــــعبو
قلعتملاو 2014 ليرفأ 18 يف خرؤملا 2014 ةـــنسل
نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلاب
ةنسل 89 ددع يروهــمجلا رارــــــــقلا ىلع علاطلاا دعبو
نييعتب قلعتملاو 2014 ليرفأ 22 يف خرؤــــــملا 2014
Vu la loi organique n° 2014-14 du 18 avril
2014 relative à l’Instance provisoire de contrôle
de la constitutionnalité des projets de loi
Vu l’arrêté républicain n° 2014-89 du 22
avril 2014 portant nomination des membres
de l’Instance provisoire de contrôle de la
نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا ءاضعأ
constitutionnalité des projets de loi
د ّهعتلا يف
Sur la saisine
Considérant que l’Instance a été saisie par
اهب تمّدقت ةضيرع ىلع ءانب ةئيهلا د ّهعت ناك ثيح
une requête enregistrée le 7 mai 2014 sous
مهلثمت يسيسأتلا ينطولا سلجملا باون نم ةعومجم
2014/02 ددع تحت تم ّسر وّبع ةدو ّمح ةيماس ةديسلا
ةداسلاو تاديسلا مهو ،2014 يام 07 خيراــــتب
le numéro 2014-2, déposée par mme Samia
Hamouda Abbou, en tant que représentante
d’un groupe de députés de l’Assemblée des
représentants du peuple dont les noms suivent :
173 (JORT n° 41 du 23 mai 2014, p 1341 – en langue arabe uniquement). Ndlr : la traduction est proposée par
l’auteure et n’est pas une version officielle publiée au Journal Officiel.
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ةعيرف يعرم ةريمس
1. Samira Merai Fria
يرداق لانم
كوربم ىملس
ديوس ةميرك
يرهفلا نامعن
2. Manel Kadri
3. Selma Mabrouk
4. Karima Souid
5. Noomène Fehri
يدومصملا بوجحم مير
6. Rym Mahjoub Masmoudi
طيسرم ءانسح
ةفيرشلاب يلع
يبرغلا ةمطاف
7. Hasna Marsit
8. Ali Bechrifa
9. Fatma Gharbi
يقوزرملا ءافو ةسيفن
10. Nafissa Wafa Marzouki
ينسح ماشه
11. Hichem Hosni
يدايعلا رصن نب ةينم
12. Monia Ben Nasr Barakati
يديانزلا ىملس
13. Selma Znaïdi
ملاسلا دبع نب ميلس
14. Sélim Ben Abdessalam
راكب ىملس
نابعش ةيدان
يوحرلا يجنم
يبيرجلا ىنبل
ديزوب للاج
15. Selma Baccar
16. Nadia Chaabane
17. Mongi Rahoui
18. Lobna Jribi
19. Jalal Bouzid
يحايرلا يدلوم
20. Mouldi Riahi
لاحر نب رذنملا دمحم
21. Mohamed Mondher Ben Rahal
بّيطلا ريمس
ىسوم لضاف
22. Samir Taïeb
23. Fadhel Moussa
حابصم نب يفطل
24. Lotfi Ben Mosbah
يمهارب رصان
25. Nasser Brahmi
وبع ةدومح ةيماس
26. Samia Hamouda Abbou
نسح نب ةرون
كرابم ةكوربم
يتاكربلا باّطح
يفاسلا دمحا
27. Noura Ben Hassen
28. Mabrouka Mbarek
29. Hattab Barakati
30. Ahmed Safi
فيطل يحتف
31. Fathi Ltaïef
ينودمعلا دارم
32. Mourad Amdouni
سيمخ نب رداقلا دبع
33. Abdelkader Ben Khemis
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI
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لكشلا ثيح نم
En la forme
ينطولا سلجملاب باونلا نم ةعومجم تلدأ ثيح
2014 يام 12 خيراتب ةّيباتك تاظوحلمب يسيسأتلا
لاجعتسلاا هجو ىلع نعطلا يف رظنلا تبلطو
اممو هاوس نود نعاطلل لّوخم بلطلا اذه نأ ثيحو
تافتللاا هجتيو ةفص يذ ريغ نم اعوفرم ابلط هلعجي
،هنود
لاجلآا يفو ةفص هل ن ّمم اعوفرم نعّطلا ناك ثيحو
نيلصفلاب اهيلع صوصنملا تاءارجلإا قفوو ةدّدحملا
لوبقلاب ّيرح وهف يلاّتلابو ةئيهلا نوناق نم 19 و 18
Considérant qu’un groupe de députés
de l’Assemblée nationale constituante a
transmis à l’Instance des observations écrites
le 12 mai 2014 et a demandé l’examen du
recours en urgence
Considérant que
la demande d’examen
d’urgence ne peut être présentée que par les
requérants eux-mêmes et que la demande en
question a été déposée par des personnes
n’ayant pas qualité à cet effet, ce dont il résulte
qu’il convient de ne pas en tenir compte
Considérant que le recours a été déposé
dans les délais légaux, par qui de droit,
conformément aux modalités et procédures
prévues à cet effet par les articles 18, 19
et 20 de la loi relative à l’Instance et qu’il
convient par conséquent d’en prononcer la
recevabilité en la forme
لصلأا ثيح نم
Au fond
24 لصفلا ةيروتسد مدعب حيرصتلا نعاطلا موري ثيح
ءاتفتسلااو تاباختنلال يساسلأا نوناقلا عورشم نم
ام عم هضراعتل 2014 يام ةّرغ يف هيلع قداصملا
ةلوقمب ،46و 34 ،21 هلوصفو روتسدلا ةئطوتب ءاج
ىلع نكت مل يباختنلاا نوناقلا يف ةأرملا ةّيليثمت نأ
صوصنملا ئدابملل قرخ كلذ يفو ،ةاواسملا ساسأ
يذلا 34 لصفلاب ةصاخو 21 لصفلابو ةئطوتلاب اهيلع
ةأرملا ةيليثمت نامض ىلع لمعت ةلودلا نأ نمضتي
صرفلا ئفاكت نمضي امك ،ةيباينلا سلاجملا يف
ةلودلا ّنأو تايلوؤسملا ل ّمحت يف لجرلاو ةأرملا نيب
لجرلاو ةأرملا نيب فصانتلا قيقحت ىلا ىعست
فصانتلا وأ يواستلا ةدعاق نأ ةنعاطلا فيضت ثيحو
نم 24 لصفلاب ةسّركملا نيسنجلا نيب يدومعلا
لا ءاتفتسلااو تاباختنلال يساسلأا نوناقلا عورشم
بعشلا باون سلجم لخاد فصانت قيقحتب حمسي
Considérant que le recours tend à faire
déclarer
l’article
l’inconstitutionnalité de
24 du projet de loi organique relative aux
élections et aux référendums, approuvé
le 1er mai 2014, au motif qu’il contredit le
préambule de la Constitution et ses articles
21, 34 et 46, en ce que la représentation des
femmes qu’il prévoit ne respecte pas l’égalité,
d’où l’allégation de violation des principes
constitutionnels énoncés par le Préambule,
par l’article 21 et surtout par l’article 34 de
la Constitution, qui dispose ce qui suit ::
« L’État veille à garantir la représentativité
de la femme dans les assemblées élues, qu’il
garantit l’égalité des chances entre l’homme
et la femme pour l’accès aux diverses
responsabilités et dans tous les domaines,
de même qu’il s’emploie à consacrer la
parité entre la femme et l’homme dans les
assemblées élues »
Considérant que les requérants ajoutent que
la règle de la parité verticale consacrée par
l’article 24 du projet de loi organique relative
aux élections et aux référendums ne permet
pas d’assurer la parité de la représentation
au sein de l’Assemblée des représentants du
peuple
Page 116
115
يف ةاواسملا أدبم روتسدلا نم 12 لصفلا دّكأ ثيحو
Considérant que l’article 21 de la Constitution
consacre l’égalité des citoyennes et citoyens
تانطاوملاو نينطاوملا نيب تابجاولاو قوقحلا
en droits et en devoirs
نأ روتسدلا نم 46 لصفلا كلذك ىضتقا ثيحو
la parité entre les hommes et les femmes
ةأرملاو لجرلا نيب فصانتلا قيقحت ىلإ ىعست ةلودلا
au sein des assemblées élues et que c’est
Considérant que l’article 46 de la Constitution
dispose que l’Etat s’emploie à consacrer
نم 24 لصفلا هققح ام وهو ةبختنملا سلاجملا يف
صن نيح نعطلا عوضوم يباختنلإا نوناقلا عورشم
فصانتلا أدبم ساسأ ىلع تاحشرتلا ميدقت ىلع
لاجرلاو ءاسنلا نيب
ةمئاقلا لخاد مهنيب بوانتلا ةدعاق ّنأ ربتعإ ثيحو
يدومعلا فصانتلا أدبمل سيركت وهو يرورض رمأ
فصانتلا ىلع دامتعلإا ىلع اقئاع كلذ نوكي نأ نود
كلذ رملأا ىضتقا ّنإ يقفلأا
سّركملا هاجتلإا اذه نم ةحارص دوصقملا ّنأ ثيحو
سلاجملا لخاد ةأرملا ليثمتل ةيانع لذب وه اروتسد
فصانتلا قيقحتل ةبختنملا
نم 24 لصفلا نإف هنايب قبس ام ءوض ىلع ثيحو
ماكحأ عم امجسنم نوكي يباختنلإا نوناقلا عورشم
روتسدلا
notamment ce qu’envisage l’article 24 du
projet de loi organique relative aux élections
et aux référendums objet du recours, dans
la mesure où il prévoit la présentation des
candidatures sur la base de la parité entre
hommes et femmes
Considérant que la consécration de la règle
de l’alternance entre hommes et femmes
à l’intérieur des listes est nécessaire à la
concrétisation du principe de
la parité
verticale, mais sans exclure pour autant le
recours à la parité horizontale, le cas échéant,
Considérant que la signification expresse
de cette consécration constitutionnelle
désigne les efforts déployés pour assurer
la représentation des femmes au sein des
assemblées élues en vue de réaliser la parité
Considérant qu’à la lumière de ce qui précède,
l’article 24 du projet de loi est conforme aux
dispositions de la Constitution
بابسلأا هذهلو
Par ces motifs
نوناقلا نم 23و 20 نيلصفلا تايضتقمب لامعو
ليرفأ 18 يف خرؤملا 2004 ةنسل 14 ددع يساسلأا
لاصأ هضفرو لاكش نعطلا لوبقب ةئيهلا تضق 2014
Sur la base des dispositions des articles 20
et 23 de la loi organique n° 2014-14 du 18
avril 2014, l’Instance prononce la recevabilité
du recours en la forme, le rejette au fond et
déclare la conformité à la Constitution de
يباختنلاا نوناقلا عورشم نم 24 لصفلا ةيروتسدبو
l’article 24 du projet de loi organique relatif
يرجاملا ميهاربإ ديسلا :سيئرلا
دامح نب يزوف دمحم ديسلا :لولأا بئانلا
طارخلا فيطللا دبع ديسلا :يناثلا بئانلا
يبرجلا يماس ديسلا :وضع
يواخيشلا ىليل ةديسلا :وضع
ةنوشرط يفطل ديسلا :وضع
هخيرات يف ررحو
aux élections et aux référendums
Le président de l’Instance : Brahim MEJRI
Le 1er Vice Président : Mohamed Faouzi BEN
HAMMED
Le 2ème Vice-Président : Abdellatif KHARRAT
Membre : Sami JERBI
Membre : Leïla CHIKHAOUI
Membre : Lotfi TARCHOUNA
Rédigé séance tenante
Egalité et lutte contre les discriminations | Egalité et projet de loi organique relatif aux élections et aux référendum Leila CHIKHAOUI-MAHDAOUI

Page 117
116
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l’honneur du professeur Mohamed Salah Ben Aïssa, CPU, Tunis, 2019, p. …. à ….
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legge quadro relativa alle istanze costituzionali indipendenti », in Federalismi.it, Rivista di diritto
pubblico italiano, comparato, europeo, Focus Africa, 20 novembre 2017, n° 2, 2017, p. 1 à 5
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Dissertation (mémoire), Phd, Cornell University, 2017
ةيتقولا ةئيهلا لوح عجارم
باتك
،صتخملا بتاكلل شرطلأا عمجم تاروشنم ،نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا تارارق ،نوعوب دمحأ
.2016 ،سنوت
تلااقم
ةمهاسم ،»ةذفان ريغ ةيروتسد اماكحأ قبطت نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا »،ظوفحم نيمأ
،غنوتفتش لدياس سناه ، ةسوسب ةيسايسلا مولعلا و قوقحلا ةيلك ،سنوت يف يطارقميدلا لاقتنلاا ةسارد يف
.53 ص ىلا 48 ص ،2016
يف يطارقميدلا لاقتنلاا ةسارد يف ةمهاسم ،»14/01/2011 دعب نيناوقلا ةيروتسد ةبقارم»، ظوفحم نيمأ
.76ص ىلا 54 ص ،2016 ،غنوتفتش لدياس سناه ، ةسوسب ةيسايسلا مولعلا و قوقحلا ةيلك ،سنوت
02/2016 ددع نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا رارق ىلع قيلعت« ،يشكارملا يمامهلا فافع
.31 ص ىلا 9ص ،2015 ، 3 ددع ،سقافصب قوقحلا ةيلك ،يسنوتلا ءاضقلا هقف ةيلوح ،»2016 يام 24 خيراتب
ددع ةيضقلا صوصخب نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا رارق لوح تاظحلام »،يروقرقلا زتعم
.41 ص ىلا 35ص ،2014 ، 2 ددع ،سقافصب قوقحلا ةيلك ،يسنوتلا ءاضقلا هقف ةيلوح ،»04/2014
ةيليوج 2 خيراتب 5 ددع نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا رارق لوح تاظحلام »،يروقرقلا زتعم
ةيليوج 11 يف خرؤملا 2016 ةنسل 48 ددع نوناقلا ( ةيلاملا تاسسؤملا و كونبلا نوناق عورشمب قلعتملا 2016
، 3 ددع ،سقافصب قوقحلا ةيلك ،يسنوتلا ءاضقلا هقف ةيلوح ، ») ةيلاملا تاسسؤملا و كونبلاب قلعتملا 2016
.50 ص ىلا 33ص ،2015
هقف ةيلوح ،»نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا نع ةرداصلا تارارقلا يف ةءارق« ،يريهملا ةدنه
.91 ص ىلا 51ص ،2015 ، 3 ددع ،سقافصب قوقحلا ةيلك ،يسنوتلا ءاضقلا
8 خيراتب رداصلا 6 /2014 ددع نيناوقلا عيراشم ةيروتسد ةبقارمل ةيتقولا ةئيهلا رارق ىلع قيلعت« ،شعلا ىودف
مولعلل ةيسنوتلا ةلجملا ،»ةددجتملا ةقاطلا نم ءابرهكلا جاتناب قلعتملا نوناقلا عورشم صوصخب 2014 ربوتكأ
.68 ص ىلا 5 ص ،2017 ، 2 ددع ،سنوتب ةيعامتجلاا و ةيسايسلا و ةينوناقلا مولعلا ةيلك ،ةيسايسلا و ةينوناقلا
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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118
VERS LA CONDAMNATION DÉFINITIVE DE L’EM-
PÊCHEMENT SUCCESSORAL FONDÉ SUR LA DIS-
PARITÉ  DE  CULTE  ?  L’APPEL  INÉLUCTABLE  DES 
DROITS FONDAMENTAUX
COMMENTAIRE DE L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION DU 28 
OCTOBRE 2014 N°4266 (AFFAIRE  MADELEINE ROUSSEAU) 
Professeur, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
Souhayma BEN ACHOUR
Les liens entre droit positif tunisien et droit musulman seront-ils un jour définitive-
ment tracés ? Voila plus d’un demi-siècle que la question passionne la doctrine, agite
la jurisprudence, et tourmente les plaideurs174.
Certes, le législateur tunisien a marqué, au fil du temps, une distance de plus en plus
claire avec le droit musulman. Dès la promulgation du Code du statut personnel,
le 13 août 1956175, il interdit la polygamie et en fait une infraction pénale, abolit
174 Une littérature juridique très abondante a été consacrée au problème des relations entre le droit musulman
et le droit tunisien, notamment,
- S. BEN ACHOUR, « L’interprétation du droit tunisien de la famille, entre référence à l’Islam et appel aux droits 
fondamentaux  »
, in L’interprétation de la norme juridique, colloque organisé par la Faculté des sciences
juridiques, économiques et de gestion de Jendouba, les 5 et 6 avril 2010, Avec le soutien de la Fondation
Hanss Seidel, 2011, p. 17,
- S. BEN HALIMA, «  Religion  et  statut  personnel  en  Tunisie  »,  Revue  tunisienne  de  droit, 2000, p. 107, S.
BONSTANJI,
« Turbulences dans l’application judicaire du Code tunisien du statut personnel, Le conflit de réfé-
rentiel dans l’œuvre prétorienne »,
RIDC. 2009, n°1, p. 7,
- M. BOUGUERRA, « Le juge tunisien et le droit du statut personnel », Actualités juridiques tunisiennes, 2000, n°
14, p. 7,
« Le Code tunisien du statut personnel, un Code laïc ? », Mélanges offerts au Professeur Sassi Ben
Halima, CPU, 2005, p. 529,
- S. BOURAOUI, « Droit de la famille et relations familiales à la lumière des dernières réformes juridiques »,
Revue tunisienne de droit, 1993, p. 119, M. CHARFI,
« Le droit tunisien de la famille entre l’Islam et la mo-
dernité », Revue tunisienne de droit
, 1973, p. 11, « Droits de l’homme, droit musulman et droit tunisien », Revue 
tunisienne de droi
t, 1983, p. 405,
- M-H. CHERIF, « A propos de la modernité et de l’identité dans le Code du statut personnel », Mélanges offerts au
Professeur Sassi Ben Halima, CPU, 2005, p. 583, J. LADJILI ,
« Puissance des agnats, puissance des pères. De 
la famille musulmane à la famille tunisienne », Revue tunisienne de droit
, 1972, p. 25,
- A. MEZGHANI, « Réflexions sur les relations entre le Code du statut personnel avec le droit musulman classique », 
Revue tunisienne de droit, 1975, II, p. 53,
- K. MEZIOU, «Féminisme  et  Islam  dans  la  réforme  du  Code    du  statut  personnel  du  18  février  1981  »,  Revue 
tunisienne de droit
, 1983, p. 253, « Pérennité de l’Islam dans le droit de la famille », in. Le statut personnel des
Musulmans, droit comparé et droit international privé, Bruyant, Bruxelles, 1992, p. 247.
175 Décret du 13 août 1956 portant promulgation du Code du statut personnel (JOT. 1956, n° 104, p. 1742).
Page 120
119
l’institution du tuteur matrimonial, et impose la forme solennelle pour le contrat de
mariage. La dissolution du mariage est judiciaire et totalement égalitaire, les mêmes
causes de dissolution du lien matrimonial étant ouvertes aux deux époux.
La réforme se poursuivra ensuite par petites touches. La loi du 4 mars 1958176,
contredisant ouvertement le droit musulman, institue l’adoption et en fait un mode
privilégié de protection de l’enfant dépourvu de famille. Celle du 3 juin 1966177 sup-
prime l’ordre des dévolutaires de la garde, directement puisé rite malékite, et fait de
l’intérêt de l’enfant l’unique critère pour son attribution. Les lois intervenues le 18 fé-
vrier 1981178, le 12 juillet 1993179, puis le 23 novembre 2015180, restaurent une éga-
lité parentale initialement oubliée, en opérant un empiètement de la garde maternelle
sur la tutelle paternelle. Le 28 octobre 1998, est promulguée une loi qui fait place en
droit tunisien, à la filiation naturelle en permettant de prouver la paternité sur la base
du test d’empreinte génétique et en dehors de tout lien de mariage181. Réformant
cette dernière, la loi du 7 juillet 2003 reconnaît la filiation maternelle naturelle182.
Malgré ce formidable progrès, certaines questions fondamentales restaient toujours
sous l’emprise, plus au moins marquées, du droit musulman. Le Code du statut per-
sonnel continuait ainsi à faire place à des institutions puisées dans le droit musulman,
telles que la dot, le délai de viduité, ou le triple divorce, et à perpétuer le modèle de la
famille patriarcale en continuant à consacrer la notion de «chef de famille».
Mais le Code pêchait surtout par ce qu’il taisait. Le mutisme du législateur sur deux
questions bien connues et particulièrement sensibles : celle du mariage entre la mu-
sulmane et le non-musulman, et celle de l’empêchement successoral fondé sur la dis-
parité de culte183 ravivait continuellement le débat sur les liens entre droit musulman
et droit positif.
176 Loi n° 58-27 du 4 mars 1958 relative à la tutelle publique, à la tutelle officieuse et à l’adoption, JORT. 1958,
n° 19, p.236.
177 Loi n° 66-42 du 3 juin 1966 portant modification du Code du statut personnel, JORT. 1966, n° 24, p. 880.
178 Loi n° 81-7 du 18 février 1981 portant modification de certains articles du Code de statut personnel,
JORT. 1981, n° 11, du 20 février 1981, p. 334.
179 Loi n° 93-74 du 12 juillet 1993 portant modification de certains articles du Code de statut personnel,
JORT. 1993, n° 53, du 20 juillet 1993, p. 1004.
180 Loi organique n° 2015-46 du 23 novembre 2015, modifiant et complétant la loi n° 75-40 du 14 mai 1975,
relative aux passeports et aux documents de voyage, JORT. 2015, n° 95, p. 2824.
181 Loi n° 98-75 du 28 octobre 1998 relative à l’attribution d’un nom patronymique aux enfants abandonnés
ou de filiation inconnue, JORT. 1998, n° 87, du 30 octobre 1998, p. 2119
182 Loi n°2003-51 du 7 juillet 2003 modifiant et complétant la loi du 28 octobre 1998 relative à l’attribution
d’un nom patronymique aux enfants abandonnés ou de filiation inconnue,
JORT. 2003, n° 54, p. 2107.
183 Sur cette question, Sana BEN ACHOUR, « Figures de l’altérité, À propos de l’héritage du conjoint non musul-
man », in Mouvements du droit contemporain, Mélanges offerts au Professeur Sassi Ben Halima, CPU, 2005, p.
823, M. DAOUD-YAAKOUB, «
La différence de religions en matière successorale », Annales de la Faculté des
sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba
, n°1, 2007, p.81, (en langue arabe), K. SGHAÏR,
L’héritage de la non-musulmane devant les tribunaux tunisiens, Mémoire DEA, Faculté des sciences juri-
diques, politiques et sociales, Tunis, 2002.
Egalité et lutte contre les discriminations | Disparité de culte, l’appel inéluctable des droits fondamentauxSouhayma BEN ACHOUR
Page 121
120
Dans un cas, comme dans l’autre, l’enjeu se situait au niveau de l’interprétation de des
textes utilisant des notions ambiguës, ou laissant des lacunes.
Tandis que la question du mariage entre la musulmane et le non-musulman engen-
drait quelques dizaines de décisions, celle de la disparité de culte en matière succes-
sorale fût à l’origine d’un véritable déferlement de décisions tant par les juges du fond,
que par la Cour de cassation.
En réalité la question de savoir si la disparité de culte constitue ou non un empêche-
ment successoral vient d’une lacune laissée par le texte. En effet, l’article 88 du Code
du statut personnel se contente de prévoir que « l’homicide volontaire est un empêche-
ment à la successibilité ». La version arabe du texte, qui seule fait foi,184 prévoit que
l’homicide volontaire est l’un des empêchements à succession185.
L’article 88 est susceptible de recevoir deux interprétations opposées. Selon une
première interprétation, l’article 88 s’étant contenté de déterminer un seul des cas
d’empêchement à successions, à savoir l’homicide volontaire, n’en a pas éliminé celles
que le droit musulman consacre, et notamment la disparité de culte186.
Selon une seconde interprétation, seuls les empêchements mentionnés explicitement
au sein de l’article 88, ou dans d’autres dispositions claires du Code du statut person-
nel, c’est-à-dire dire les articles 76, en cas de rupture de la filiation légitime, 86 relatif
à la situation des comourants et 152 concernant l’enfant né hors mariage, doivent
être pris en considération. La disparité de culte n’étant mentionnée par aucun texte,
elle ne constituerait pas un empêchement successoral en droit tunisien187.
La pratique judiciaire prend, quant à elle, l’allure d’un véritable feuilleton qui démarre
avec le célèbre arrêt Houria rendu en date du 31 janvier 1966188. L’arrêt donne le ton
et marque de sa conception des rapports entre le droit musulman et le droit tunisien
plusieurs décennies de jurisprudence. Un nombre important de décisions refusent
ainsi d’admettre un parent non-musulman à la succession d’un parent musulman et
inversement189. Voyant dans le droit musulman une source du droit tunisien, ces dé-
cisions ont pu considérer que l’article 88 intégrait implicitement la disparité de culte
parmi les empêchements successoraux. En réalité, cette lecture traditionaliste de l’ar-
184 L’article 1er de la loi du 5 juillet 1993 relative à la publication des textes au Journal officiel et à leur exécution
(JORT. 1993, p. 931) prévoit que
« les lois, les décrets-lois, les décrets et les arrêtés sont publiés au Journal officiel 
de la République tunisienne en langue arabe. Ils sont publiés également dans une autre langue, et ce uniquement 
à titre d’information »
. Cet article a été interprété comme signifiant qu’en cas de divergence entre la version
arabe du texte et sa version française, c’est la première qui l’emporte. Ce texte n’était pas en vigueur au mo-
ment où le Code du statut personnel a été promulgué, mais en pratique, on faisait toujours prévaloir la version
arabe du texte puisque l’arabe est, d’après l’article 1
er de la Constitution, la langue officielle du pays.
185 La version arabe du texte utilise les termes « min mawanii al irth ».
186 J. ROUSSIER, « Le Code du statut personnel tunisien », Revue de l’Union française, 1957, p. 219, Y. LINANT DE
BELLEFONDS, Traité de droit musulman comparé, T. II, n° 710.
187 A. MEZGHANI, « Réflexions sur les relations… », article précité, p. 67.
188 Civ, 3384, 31 janvier 1966, RJL. 1967, p. 43, RTD., 1968, p. 114.
189 Pour une étude complète sur cette jurisprudence, Sana BEN ACHOUR, « Figures de l’altérité… », article
précité, p. 823, K. SGHAÏR (K), Mémoire précité.
Page 122
121
ticle 88 du Code du statut personnel s’accompagnait d’une appréciation rigoriste de
la condition de la conversion à l’Islam.
C’est ainsi que s’est développé, en Tunisie, le phénomène des «certificats d’islamisa-
tion» que les intéressés obtenaient auprès de la plus haute autorité religieuse du pays,
le Mufti de la République, et qui servait à prouver leur conversion à l’Islam.
C’est précisément dans cette appréciation de la conversion à l’Islam que se situât
l’amorce d’un revirement de jurisprudence. En effet, plusieurs décisions, sans aller
jusqu’à condamner la disparité de culte en tant qu’empêchement successoral, ont
néanmoins montré une telle souplesse dans l’appréciation de la conversion à l’Islam
qu’elles pourraient être interprétées comme mettant à l’écart, de façon à peine voilée,
la disparité de culte en tant qu’empêchement successoral et semblaient annoncer sa
condamnation totale et définitive par les tribunaux tunisiens190.
D’autres décisions, montrant plus de courage, ont frontalement attaqué la question
en refusant de voir dans la disparité de culte un empêchement successorale.
On croyait le feuilleton achevé avec un arrêt retentissant rendu en date du 5 février
2009, et baptisé Thouraya191. Éloquent et bien argumenté, l’arrêt a voulu marquer
un tournant déterminant. La Cour de cassation fait appel aux droits fondamentaux
qu’elle puise dans la Constitution et des les Conventions internationales pour refuser
l’empêchement successoral fondé sur la disparité de culte.
Mais c’était sans compter avec la ténacité du courant conservateur. Malgré la force
des arguments utilisés, l’arrêt Thouraya du 5 février 2009 n’a pas réussi à mettre fin
à la controverse. Aussi bien la Cour de cassation que les juges du fond reviennent à
une lecture traditionnaliste de l’article 88 du Code du statut personnel, remettant en
cause l’apport de l’arrêt de 2009.
On portera notre attention, à travers le commentaire de l’arrêt Madeleine Rousseau 
sur cette période mouvementée, comprise entre 2009 et 2014, car traversée par une
révolution, et des changements politiques et sociaux profonds. Il est, en effet, permis
de penser que la libération politique que la Tunisie a connue en 2011 fût porteuse
d’un élan vers les droits humains, mais aussi d’un retour en force des conservatismes.
L’arrêt Madeleine Rousseau, objet du présent commentaire, vient renouer avec l’arrêt
de 2009, et mettre fin aux errements de la pratique judiciaire postérieure. Il adopte
les mêmes fondements (I), pour confirmer une rupture franche, et espérons-le défini-
tive, entre droit musulman et droit positif (II).
190 Sur cette jurisprudence, S. BEN ACHOUR, « L’interprétation du droit tunisien de la famille», article précité,
K. SGHAÏR, Mémoire précité.
191 Cass. Civ., 5 février 2009, n° 31115, Sur cette décision, A. BOUHJAR, « La différence de religion et la question 
successorale », in Lectures d’œuvre prétorienne
, I, Unité de Recherches «Jurisprudence», sous la direction de
H. BEN MRAD, CPU, 2018, p. 283, (en langue arabe), M. GHAZOUANI,
« Renouveau dans la lecture des
dispositions du Code du statut personnel, Commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation n° 31115 du 5 février
2009 »
, RJL. 2009, n° 3, mars, p. 91 (en langue arabe).
Egalité et lutte contre les discriminations | Disparité de culte, l’appel inéluctable des droits fondamentauxSouhayma BEN ACHOUR
Page 123
122
I. CONFIRMATION DES FONDEMENTS DE L’ARRÊT DE 2009
L’arrêt Madeleine  Rousseau se base sur deux sortes d’arguments d’une importance
inégale : des arguments d’ordre technique (A), et des arguments tirés des droits fon-
damentaux (B).
A. Les arguments d’ordre technique
Comme de nombreuses décisions qui l’ont précédé, l’arrêt Madeleine Rousseau utilise
une argumentation technique. Il se réfère à l’article 540 du Code des obligations et
des contrats pour mettre à l’écart la disparité de culte. Ce texte dispose que « les lois
restrictives et celles qui font exception aux lois générales ou à d’autres lois ne doivent pas 
être étendues au-delà du temps et des cas qu’elles expriment ».
Le texte pose le principe de l’interprétation restrictive des lois d’exception. Le respect
de la volonté du législateur exige que les exceptions qu’il édicte par rapport au prin-
cipe restent renfermées dans leurs termes littéraux192.
Dans cette optique, les empêchements successoraux sont des exceptions qui restrei-
gnent la liberté matrimoniale et le droit à l’héritage et qui ne doivent pas être étendus
au-delà de ce que prévoit la loi.
L’argument avait été avancé par le Tribunal de première instance de Tunis, dans son
jugement du 18 mai 2000. Pour le Tribunal, « l’exclusion de la veuve du de cujus sur la 
base  de  ses  convictions  religieuses  contredit  les  dispositions  de  l’article  88  du  Code  du 
statut personnel qui a fixé les empêchements successoraux et les a limité au seul homicide 
volontaire. Il ne convient pas d’élargir le domaine de ce texte, et ce conformément à ce que 
stipule l’article 540 du Code des obligations et des contrats ». La Cour d’appel de Tunis se
fonde aussi sur ce texte dans l’arrêt du 6 janvier 2004 et dans celui du 15 juillet 2008.
D’autres décisions s’étaient retournées vers l’article 532 du Code des obligations et
des contrats qui énonce qu’« en interprétant la loi, on ne doit lui donner d’autre sens que 
celui qui résulte de ses expressions, d’après leur ordre grammatical, leur signification usuelle 
et l’intention du législateur ». 
En se basant sur ce texte, les juges du fond, entendaient ainsi restaurer le véritable
sens des articles 5 et 88 du Code du statut personnel et donner la véritable intention
du législateur. L’article 532 du Code des obligations et des contrats se fonde sur
« l’idée d’une suffisance de la lettre de la loi »193. Il y a dans l’interprétation littérale de la
loi une présomption d’adéquation entre la lettre du texte et la volonté du législateur.
La Cour d’appel de Tunis se réfère de façon quasi systématique à l’article 532 du
192 E. ARFAOUI, Les règles écrites d’interprétation de la loi, Essai sur une méthode officielle d’interprétation des lois,
Thèse, Université de Droit, d’économie et de gestion, Tunis, p. 230.
193 E. ARFAOUI, Thèse précitée, p. 231.
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Code des obligations et des contrats. Elle affirme ainsi, dans l’arrêt du 14 juin 2002
qu’« interpréter l’article 88 du Code du statut personnel comme intégrant la disparité de 
culte conduit à ajouter un empêchement que le législateur n’a mentionné ni de façon ex-
presse, ni de façon implicite, à dépasser son intention, et contredit les dispositions de l’ar-
ticle 532 du Code des obligations et des contrats ». Le même argument est repris dans
l’arrêt du 6 janvier 2004, dans celui du 4 mai 2004 et dans celui du 15 juillet 2008194.
B. Les droits fondamentaux
On se souvient que la Cour de cassation s’était adossée, dans son arrêt Thouraya du
5 février 2009, sur les droits fondamentaux, en estimant que « l’article 88 du Code du 
statut personnel doit être interprété par référence aux principes fondamentaux consacrés 
dans  la  Constitution  et  les  Conventions  ratifiées  par  la Tunisie », et que « la liberté de
conscience telle que consacrée dans l’article 5 de la Constitution ainsi que dans l’article 
18 du Pacte sur les droits civils et politiques implique de distinguer entre les droits civils 
et  la  croyance  et  cela  en  empêchant  de  conditionner  l’acquisition  de  ces  droits  selon  la 
croyance ». 
La Cour avait ainsi considéré que « la disparité de culte ne constitue pas un empêche-
ment successorale au sens de l’article 88 du Code du statut personnel » et estime que « le
principe d’égalité, énoncé dans l’article 6 de la Constitution ainsi que dans l’article 26 du 
pacte international sur les droits civils et politiques, nécessite de ne pas distinguer entre les 
citoyens selon des considérations religieuses et, par conséquent, de ne pas conditionner le 
droit à la succession par la foi de l’héritier ».
Ce sont ces mêmes arguments qui sont utilisés dans l’arrêt Madeleine Rousseau. L’ac-
tion ayant été engagée avant l’entrée en vigueur de la Constitution de 2014, c’est sur
la base de la Constitution de 1959 que la Cour devait statuer.
Deux principes fondamentaux consacrés par la Constitution de 1959 sont mis en
œuvre par la Cour de cassation dans l’arrêt Madeleine  Rousseau pour imposer une
lecture moderne du droit tunisien de la famille : le principe de la liberté de conscience
et le principe de l’égalité des citoyens.
La Cour de cassation puise le premier dans l’article 5 de la Constitution de 1959 selon
lequel « la République tunisienne garantit l’inviolabilité de la personne humaine et la liberté 
de conscience, et protège le libre exercice des cultes, sous réserve qu’ils ne troublent pas 
l’ordre public ». Quant au second principe, il est puisé dans l’article 6 de la Constitution
de 1959 qui garantit l’égalité des citoyens en disposant que « tous les citoyens ont les 
mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux devant la loi ».
L’arrêt Madeleine Rousseau vient ainsi confirmer une jurisprudence bien ancré de la
Cour d’appel de Tunis. En effet, plusieurs décisions s’étaient basées sur ces deux
194 S. BEN ACHIOUR, « L’interprétation du droit tunisien de la famille… », article précité, p. 17.
Egalité et lutte contre les discriminations | Disparité de culte, l’appel inéluctable des droits fondamentauxSouhayma BEN ACHOUR
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articles de la Constitution afin de valiser les successions entre musulmans et non-mu-
sulmans, dont quatre arrêts de la Cour d’appel de Tunis du 14 juin 2002195, du 6
janvier 2004196, du 4 mai 2004197 et du 15 juillet 2008198.
La Cour d’appel de Tunis avait ainsi considéré dans son arrêt du 6 janvier 2004 que
« l’intégration de l’élément religieux parmi les empêchements contenus dans les articles 5 
et 88 du Code du statut personnel conduit à contredire l’article 6 de la Constitution qui 
garantit l’égalité entre les citoyens, et aurait pour  conséquence de créer des catégories de 
droits différents, d’accorder aux hommes la liberté d’épouser des non-musulmanes, sans 
accorder cette même liberté aux femmes, d’attribuer à certains une aptitude à succéder en 
raison de l’identité de religion avec le de cujus, et d’en priver d’autres ».
Au delà du principe d’égalité entre les citoyens, c’est toute une philosophie nouvelle
des libertés individuelles que la Cour d’appel avait adoptée, car à travers l’affirmation
de la liberté entre les citoyens, la Cour d’appel faisait siens d’autres principes fon-
damentaux comme l’égalité entre l’homme et la femme, la liberté matrimoniale ou
l’égalité dans l’héritage.
La Cour d’appel de Tunis adoptait également une nouvelle conception de la convic-
tion religieuse la reléguant à la sphère privée. Se fondant sur le principe de la liberté
de conscience, elle refuse de conditionner l’acquisition de la qualité d’héritier par des
considérations confessionnelles.
En choisissant de se baser sur les articles 5 et 6 de la Constitution de 1959, les juges
du fond visent à atteindre deux objectifs en même temps.
En premier lieu, la référence aux dispositions constitutionnelles leur permet de se ré-
fugier dans un rempart certain : celui de la hiérarchie des normes, et particulièrement
de la conformité des dispositions du Code du statut personnel à la Constitution. Les
juges du fond expliquent ainsi la mise à l’écart de la disparité de culte par le caractère
“nécessairement conforme à la Constitution” des articles 5 et 88 du Code du statut
personnel. Le raisonnement entrepris est d’une logique parfaite. En effet, pour que le
principe de la hiérarchie des normes soit respecté, il faut que les dispositions du Code
du statut personnel, texte d’origine législative, soient conformes à la Constitution. Or,
elles ne peuvent être considérées comme conformes à la Constitution que si elles
excluent la disparité de culte en tant qu’empêchement successoral et matrimonial.
En second lieu, la référence aux dispositions constitutionnelles permettait aux juges
de la Cour d’appel de Tunis de mettre à l’écart l’argument tiré de l’article 1er de la
Constitution. Ce texte a permis à de nombreuses décisions jurisprudentielles de fon-
195 CA. Tunis, n° 82861, 14 juin 2002, inédite, rapportée par M. DAOUD-YAAKOUB, « La différence de reli-
gions... », article précité, p. 112 et SGHAÏR (K), Mémoire précité, annexes, p. 171.
196 CA. Tunis, n°120, 6 janvier 2004. JDI. 2005, p.1193, note S. BEN ACHOUR.
197 CA. Tunis, n° 3351, 4 mai 2004, inédite, rapportée par M. DAOUD-YAAKOUB, « La différence de reli-
gions... », article précité, p. 116.
198 CA. Tunis, n° 73928, 15 juillet 2008, RJL. 2009, p. 203.
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der l’idée que le droit musulman constitue une source du droit tunisien non seulement
dans le domaine matrimonial et successoral, mais aussi dans d’autres domaines199.
II. CONFIRMATION DE LA RUPTURE ENTRE DROIT MUSULMAN ET DROIT
POSITIF
En même temps qu’il se fonde sur les droits fondamentaux, l’arrêt Madeleine Rousseau
frappe fort en ce qu’il affirme « tenir compte du seul droit positif tunisien ». Il marque ainsi
ses distances non seulement vis-à-vis des décisions classiques et nombreuses qui
s’étaient fondées sur le droit musulman pour refuser la successibilité entre musulmans
et non-musulmans (A), mais aussi sur celles qui croyaient, à partir d’une lecture éclai-
rée du droit musulman, rendre leurs droits aux héritiers non-musulman (B).
A. Rejet du recours au droit musulman classique  
L’arrêt Thouraya de 2009, malgré sa véhémence, ne réussit pas à mettre fin à la tendance
traditionnaliste. L’arrêt Madeleine Rousseau renoue avec l’arrêt Thouraya et marque ainsi
une rupture avec une jurisprudence qui s’était étalée sur plusieurs décennies et qui
avait refusé les successions en cas de disparité de culte en se référant au droit musul-
man, dans se version la plus sévère. Amorcé par l’arrêt Houria du 31 janvier 1966, cette
tendance conservatrice n’a jamais réellement disparu du paysage judiciaire tunisien. Elle
continuât à exister même après l’arrêt fondamental du 5 février 2009.
C’est ainsi que plusieurs décisions intervenues après l’arrêt de 2009 reviennent au
droit musulman, dans sa conception classique. On citera, en particulier, un arrêt ren-
du à peine quelques mois après l’arrêt Thouraya de 2009 en date du 30 juin 2009200
et dans lequel la Cour voit de nouveau dans la disparité de culte un empêchement
successoral.
Les faits de l’espèce révèlent qu’un conflit avait éclaté à propos de la succession d’un
non-musulman. S’appuyant sur l’article 532 du COC, la Cour de cassation considère
ainsi dans l’arrêt du 30 juin 2009 que la disparité de culte constitue un empêche-
ment successoral au sens de l’article 88. La Cour se contente d’apporter une lecture
exégétique du texte fondée sur la structure linguistique et grammaticale du texte.
Ainsi, pour la Cour de cassation, l’usage, par le législateur du terme « parmi » signifiait
forcément que d’autres empêchements devaient être admis.
199 Le recours à l’article 1er de la Constitution a très souvent été utilisé par les tribunaux tunisiens dans des
décisions ayant refusé d’accorder l’exequatur à des jugements étrangers qui avait attribué la garde d’un
enfant issu d’un père tunisien et d’une mère étrangère (généralement européenne) à cette dernière. Ces
décisions se fondaient sur l’idée que l’attribution de la garde à la mère étrangère ne permettait pas d’assurer
à l’enfant une éducation conforme aux principes de la société arabo-musulmane. Sur cette question, cf., S.
BEN ACHOUR,
Les problèmes juridiques relatifs aux droits de garde et de visite après divorce dans les relations
franco-maghrébines
, Préface de Mme Kalthoum MEZIOU, CPU, 2004, p. 226 et s.
200 Civ, n° 26905, 30 juin 2009 (inédite).
Egalité et lutte contre les discriminations | Disparité de culte, l’appel inéluctable des droits fondamentauxSouhayma BEN ACHOUR

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Afin de déterminer ces empêchements, la Cour da cassation revient, dans cette dé-
cision, au droit musulman et rappelle que la disparité de culte fait partie des empê-
chements successoraux. Quant aux autres empêchements issus du droit musulman la
Cour rappelle qu’ils sont soit consacrées explicitement par le législateur, soit devenus
désuets. Ainsi le Code du statut personnel, tout comme le droit musulman, fait de
la filiation illégitime ou de la situation des comourants, un obstacle à la succession
dans les articles 76, 86 et 152. A l’opposé, d’autres empêchements, consacrés par le
droit musulman sont aujourd’hui désuets, tels est le cas de l’esclavage ou du serment
d’anathème. Quant à la disparité de culte, il serait compris dans l’article 88 du Code
du statut personnel.
La Cour adopte ainsi, dans cette décision du 30 juin 2009, une vision minimaliste,
se contentant de la simple interprétation exégétique du texte et oubliant totalement
l’éclairage des droits fondamentaux.
B. Rejet du recours au droit musulman  « éclairé »
Tout comme elle rejette le recours au droit musulman classique, la Cour rompt aussi
avec le droit musulman «éclairé» que certaines juridictions avaient préconisé.
En effet, deux décisions rendues après l’arrêt de 2009 dénotent par l’approche
qu’elles empruntent. Les deux décisions adoptent une nouvelle lecture des textes reli-
gieux en introduisant une nuance jusque-là inconnue de la jurisprudence tunisienne :
la distinction, dans la catégorie des non-musulmans entre les kouffar, les mécréants et
les kitabbiyin, les gens du livre, c’est-à-dire les chrétiens et les juifs. Seuls les seconds
peuvent hériter des musulmans et inversement.
La première décision a été rendue par le Tribunal cantonal de Tunis en date du 5 août
2009201. En l’espèce le Sieur Ahmed décède en 1995. Le certificat de décès dressé à
la demande de certains membres de la famille ne mentionne pas le nom de sa veuve
Aline, italienne et de confession chrétienne. Celle-ci s’adresse au Tribunal cantonal de
Tunis en demandant l’adjonction de son nom à la liste des héritiers.
Le Tribunal cantonal de Tunis fait droit à sa demande en présentant une explication
très brève et laconique. Il estime ainsi que l’héritière contestée est une kittabiya 
puisqu’elle est chrétienne et qu’à ce titre elle pouvait valablement hériter son époux.
La seconde de décision a été rendue par la Cour d’appel de Nabeul en date du 24
décembre 2009 dans l’affaire Angela202. En l’espèce, la qualité d’héritière de la Dame
Angela lui était déniée par certains membres de la famille au motif qu’elle n’était
pas musulmane et que le droit tunisien interdit la successibilité entre musulmans et
non-musulmans.
201 Tribunal cantonal de Tunis, 5 août 2009, inédit.
202 CA. Nabeul, n° 11901, 24 décembre 2009, inédite.
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Dans une décisions rendue en date du 23 avril 2007, le Tribunal de première instance
de Grombalia avait choisi de se ranger dans la tendance moderniste du droit tunisien
en considérant que la disparité de culte ne constituait pas un empêchement succes-
soral en droit tunisien. Le Tribunal s’était basé sur la Convention de New York du 10
décembre 1962 sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enre-
gistrement du mariage pour considérer comme valable le mariage de la Dame Angela,
de nationalité italienne et de confession chrétienne, avec un Tunisien musulman et lui
reconnaître un droit dans la succession de ce dernier.
Un appel est interjeté contre ce jugement devant la Cour d’appel de Nabeul. Celle-ci
arrive au même résultat que celui auquel était arrivé le Tribunal de première instance
de Grombalia et rejette l’appel formé. Mais le chemin emprunté par la Cour d’appel
de Nabeul est totalement différent de celui suivi par le Tribunal de première instance
de Grombalia.
La Cour d’appel de Nabeul développe son argumentation en trois temps.
Elle commence, tout d’abord, par mettre à l’écart les arguments sur lesquels le Tribu-
nal de première instance de Grombalia s’était basé pour valider le droit de la Dame 
Angela dans la succession de son mari. Elle considère ainsi que le recours à la Conven-
tion de New York de 1962 était infondé dans la mesure où ce texte ne concerne
que le mariage, et ne réglemente pas les successions. La Cour rejette par ailleurs la
conception sécularisée du droit de la famille que le Tribunal de première instance de
Grombalia avait adoptée en revenant à l’article 1er de la Constitution tunisienne selon
lequel l’Islam est la religion de l’Etat.
La Cour d’appel de Nabeul présente, dans un deuxième temps, sa propre conception
des rapports entre droit musulman et droit tunisien. Considérant clairement que le
droit musulman est « la principale source du droit tunisien », elle estime que l’article 88
du Code du statut personnel doit être interprété à la lumière des prescriptions du fikh.
Pour les juges de Nabeul, le droit tunisien, tout comme sa source le droit musulman,
renferme le kofr (mécréance, athéisme) parmi les empêchements successoraux. La
Cour prend appui sur certains ouvrages du fikh islamique pour affirmer ces solutions.
Dans un troisième temps, la Cour d’appel de Nabeul s’adonne à une distinction entre
la notion de kofr et celle de disparité de cultes. Aux yeux des juges de Nabeul, seul le
kofr constitue un empêchement successoral. En revanche, la disparité de cultes n’en
est pas un. Afin d’expliquer sa position, la Cour revient au droit musulman qui distingue
entre les koffar (mécréant) et les kittabiyin (ou gens du livre). La Cour d’appel de Nabeul
estime que seul un hadith du prophète prescrivant « que le mécréant n’hérite pas du 
musulman et que le musulman n’hérite pas du mécréant » doit être pris en considération
et qu’un autre hadith, interdisant la successibilité en raison de la disparité de culte
est « étrange ». Pour la Cour d’appel, il ne peut y avoir d’empêchement successoral
Egalité et lutte contre les discriminations | Disparité de culte, l’appel inéluctable des droits fondamentauxSouhayma BEN ACHOUR
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entre le mari musulman et sa femme kittabiya puisque le Coran lui-même a autorisé
le mariage du musulman et de la kittabiya. Afin de soutenir sa position, la Cour d’appel
de Nabeul cite des versets coraniques.
Certes, les deux décisions ont abouti à accorder à la veuve non-musulmane son droit
à la succession de son mari, et sont, à ce titre, favorable à l’idée d’une successibilité
entre musulmans et non musulmans. Elles encourent cependant trois reproches es-
sentiels.
Tout d’abord, et c’est peut-être là le plus grave, ces décisions semblent faire revivre
les tribunaux charaïques d’antan. Oubliant qu’ils se rattachent à un système de droit
étatique, les juges se perdent dans un autre système normatif, celui du fikh islamique.
Dépassant leur mission, ils délaissent l’interprétation du droit positif pour se consa-
crer à l’interprétation des textes religieux, Coran ou hadith du prophète.
Ensuite, les deux décisions déçoivent en ce sens qu’elles reviennent à une lecture
traditionaliste du droit tunisien de la famille balayant ainsi l’immense progrès qui avait
été atteint par certaines décisions des juges du fond.
Enfin, elles nuisent à la stabilité de la jurisprudence et à l’harmonie de l’interprétation
en détruisant l’édifice fragile nouvellement bâti par les juges du fond et surtout par la
Cour d’appel de Tunis.
L’arrêt Madeleine Rousseau en rompant avec cette vision surannée des choses est-il
annonciateur d’une nouvelle ère dans la jurisprudence tunisienne imprégnée par les
droits fondamentaux ? La certitude n’est pas acquise, mais l’espoir est permis.

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129
DROITS
CIVILS
ET POLITIQUES
4
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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LIBERTÉ D’EXPRESSION
SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
COMMENTAIRE DE L’ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
52620/2016 DU 3 JANVIER 2018
Premier substitut du procureur de la République auprès du TPI de Tunis
Enseignant à l’Ecole Supérieure des Forces de Sécurité Intérieure
Enseignant vacataire à la Faculté de Droit et des sciences politiques de
Aymen CHTIBA
Tunis
SYNTHÈSE203
Considérée comme le vecteur du développement de la société dans les différents
domaines scientifique, artistique, littéraire, la liberté d’expression est définie comme :
« la faculté que possède l’Homme de dire ce qu’il veut comme il le veut sans subir de
contrainte de quelque nature que ce soit ». 204 Cette liberté est garantie par l’article
31 de la Constitution disposant :
« Les libertés  d’opinion,  de pensée,  d’expression,  d’information  et  de  publication  sont 
garanties. Aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés. »
Avant l’adoption de la Constitution de 2014, la liberté d’expression est déjà garantie
par l’article 1er du décret – loi n°115-2011 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté
de presse, d’impression et d’édition qui dispose : « le droit à la liberté d’expression est
garanti et s’exerce conformément aux stipulations du pacte international sur les droits
civils et politiques, des autres traités y relatifs ratifiés par la république Tunisienne et
aux dispositions du présent décret – loi. »
Sur le plan international, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme du 10 décembre 1948 dispose : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion
et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et
203 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
181-199.
204 ELLOUMI.A, « les limites de la liberté d’expression relatives à la protection de certains intérêts publics fonda-
mentaux
», Faculté de Droit de Sfax, 2013, publié sur le site Droit du Net, p.3. (Consulté le 28-03-2021).
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131
celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
De même pour l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
qui énonce que : « le droit à la liberté d’expression comprend la liberté de rechercher,
de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans consi-
dération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par
tout autre moyen de son choix. »
RAPPEL DE LA DÉCISION
En l’espèce, (N.F) a publié le 26 novembre 2014, date de l’élection présidentielle, un
statut sur les réseaux sociaux en déclarant : « Je jure au nom de Dieu si nous soup-
çonnons la falsification des élections et que Beji (Beji Caied Essebsi ; candidat à la
présidence en 2014) devienne président ; nous réglerons ça par le sang et l’usage des
armes. On se retrouve après le vote et je prie pour Marzouki -président sortant et
candidat à l’élection présidentielle de 2014) »205.
Face aux insultes reçues sur sa page, celle-ci décide de supprimer le statut publié sur
facebook et de présenter ses excuses. Elle a été poursuivie en justice conformément
à l’article 54 du décret – loi n°115-2011 pour avoir publié « de fausses nouvelles qui
sont de nature à porter atteinte à la quiétude de l’ordre public ».
La chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis a rendu son
jugement n°18206 du 27 novembre 2014 dans lequel un non – lieu en faveur de
l’accusée a été prononcé. Le parquet a interjeté appel devant la Cour d’appel de Tunis
qui a confirmé le jugement du TPI de Tunis.
Le procureur général avait tout de même intenté un pourvoi en cassation pour vio-
lation des dispositions de l’article 50 du décret – loi n°115-2011 qui punit les infrac-
tions commises par tout autre moyen d’information audiovisuelle ou électronique.
Il considère que l’argument selon lequel les réseaux sociaux ne constituent pas un
moyen d’information n’a pas de fondement juridique.
La Cour de cassation a ainsi jugé que :
« Les réseaux sociaux ne constituent pas un moyen d’information électronique en vertu des 
dispositions du décret-loi n°115-2011 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, 
de l’imprimerie et de l’édition. Le contenu publié sur ces réseaux n’est accessible qu’à des 
personnes agréées par le titulaire du compte et fort peu nombreuses. En d’autres termes, le 
contenu n’est pas ouvert au public. »
تيوصتلا دعب ولباقتن حلاسلا انتانيب دحاو لاق اميكو مدلاب لصفتت املا يجابلا وبيجتو ريوزتلا ةحير ومشن ناك يبرب امسق « 205
.»يقوزرملل وعدأو للها ءاش نإ
Droits civils et politiques | La liberté d’expression sur les réseaux sociaux Aymen CHTIBA
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APPORT DE LA DÉCISION EN MATIÈRE DES LIBERTÉS
Dans cet arrêt l’apport en matière des libertés est très faible. En effet, la Cour n’a pas
souligné que la liberté d’information et d’expression ont été remises en question par
le procureur général.
Il fallait rappeler que selon l’article 31 de la Constitution aucun contrôle préalable sur
ces libertés ne peut être exercé. D’emblée, il s’agit d’une obligation négative qui em-
pêche les autorités d’empiéter sur la liberté d’expression. Dans ce cas, les institutions
étatiques n’ont pas le droit aussi de s’immiscer dans la vie privée des individus (article
24 de la Constitution). Ceci s’explique par le fait que la Cour a considéré que la publi-
cation de ces informations sur facebook ont un caractère « privé ».
Par ailleurs, la Cour considère que l’élément psychologique de l’infraction commise
par voie de presse ou par tous autres moyens de publication ne peut être établi
puisque la personne concernée n’avait pas l’intention de publier l’information pour
le grand public. En effet, la publication sur son compte facebook relève de la sphère
privée. Dès lors, les dispositions de l’article 50 du décret-loi ne peuvent pas être
appliquées puisqu’il ne s’agit pas d’une information publiée « dans les lieux publics ».
Il apparait dès lors, que le point de désaccord concerne essentiellement l’application
des dispositions du décret-loi n° 115-2011 quant à la liberté d’expression sur les
réseaux sociaux.
Il parait nécessaire à ce niveau de s’interroger sur le cadre juridique applicable. Pour
y répondre il serait judicieux d’examiner la nature des réseaux sociaux comme cadre
pour l’exercice de la liberté d’expression et d’analyser l’approche répressive quant à la
gestion du rapport entre la liberté d’expression et les réseaux sociaux.
L’influence de la technologie et de la communication a favorisé l’apparition des ré-
seaux sociaux comme une alternative aux médias traditionnels. Pourtant de nos jours,
ils sont considérés comme un moyen de communication supplémentaire voire même
complémentaire à la presse conventionnelle.
Néanmoins, cette idée est remise en cause à la lecture des critères choisis par la Cour
de cassation dans l’arrêt 56620/2016 à savoir le nombre limité de personnes appar-
tenant au compte et l’accès limité au contenu pour en déduire que les réseaux sociaux
ne pourraient être considérés comme étant un mode de communication numérique
au sens du décret – loi n°115-2011.
La question qui se pose dès lors est de savoir qu’elles sont les éléments d’interpréta-
tion du caractère public sur ces réseaux sociaux ? Une telle problématique s’impose
face à la position de la jurisprudence qui s’attache à la qualité du lien unissant les
différentes personnes, le nombre de destinataires de la publication et les conditions
Page 134
133
d’accès au contenu.206
Le caractère public dépend de la mesure de l’audience effective des propos diffusés
mais aussi de l’audience potentielle.207 A ce niveau, la cour de cassation française a
précisé qu’est public tout message auquel peut accéder un public anonyme et impré-
visible.208 En effet, sur certains réseaux sociaux l’utilisateur n’a pas le pouvoir de choi-
sir les personnes qui auront accès à son contenu, leur adhésion dépend de l’activation
des fonctionnalités de l’abonnement et du suivi.
Certes, si les réseaux sociaux sont le terrain d’exercice de la liberté d’expression à
travers l’échange du contenu, les discussions…. Bien que la cour de cassation prévoit
que les réseaux sociaux ne sont pas un moyen d’information électronique conformé-
ment au décret-loi n° 115-2011, des poursuites ont été engagées à l’encontre des
personnes ayant publié des commentaires et des opinions critiquant les autorités
ou les institutions étatiques en vertu de ce même décret-loi mais aussi conformé-
ment aux dispositions du code pénal du code de télécommunication. En effet, les
tribunaux tunisiens continuent d’appliquer des textes qui devraient être abrogés pour
non-conformité au décret-loi n°115-2011 et à la Constitution de 2014.
L’article 86 du code de télécommunication a été utilisé pour poursuivre des inter-
nautes qui avaient exprimé leurs opinions sur les réseaux sociaux. Cet article prévoit
des peines d’emprisonnement allant d’un an à deux ans et une amende de 100 à
1000 Dinars « quiconque sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à tra-
vers les réseaux publics des télécommunications. »
D’autres articles du code pénal continuent également à être utilisés pour intenter des
procès contre la liberté d’expression. En ce sens, le chapitre VI du code pénal, intitulé
« attentats contre les autorités publiques », énumère les différents crimes pouvant
être commis contre des fonctionnaires publics, dont l’outrage et la diffamation à tra-
vers les articles 125 et 128. La calomnie et la diffamation sont passibles d’une peine
d’emprisonnement de 5 ans maximum en vertu des articles 245 et 247.209
Il est à déduire à ce niveau qu’il est urgent de déterminer les dispositions législatives
qui doivent être abrogées à la lumière du décret-loi 115-2011, et de procéder à sa
révision face à l’incertitude de son champ d’application afin de renforcer les garanties
de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.
206 ZIEGLER.J et SHALABI.I, « Les délits d’opinion sur les réseaux sociaux à l’épreuve de la liberté d’ex-
pression ? », publié sur https://www.village-justice.com/articles/les-delits-opinion-sur-les-reseaux-sociaux-
epreuve-liberte-expression,32966.html, consulté le 28/03/2021.
207 Ibid.
208 Cass. crim., 3 juil.1980,bulletin crim.n°560.
209 Amnesty international, Traduites pour avoir exprimé leurs opinions en ligne : l’utilisation de lois archaïques
et bancales pour limiter la liberté d’expression en Tunisie, 2020, publié sur le site : www.amnesty.org,
consulté le 29/03/2021.
Droits civils et politiques | La liberté d’expression sur les réseaux sociaux Aymen CHTIBA
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LES LIMITES DE LA DÉCISION
La Cour n’a pas expliqué d’une manière claire le rapport entre la publication des idées
et des opinions personnelles sur les réseaux sociaux et les libertés d’expression et
d’information.
De surcroit, aucune mention n’a été faite à l’article 31 de la constitution qui garantit
ces libertés. Néanmoins, elle s’est contentée de citer le décret-loi pour vérifier s’il y a
une exception à la liberté d’information quant à l’utilisation des réseaux sociaux pour
publier des informations. La Cour aurait dû se référer à l’article 49 qui dispose : « la
loi fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à leur 
exercice. » pour vérifier les limites à la liberté d’information.
En outre, la Cour n’a pas saisit l’occasion pour évoquer le droit au respect de la vie
privée puisqu’elle considère implicitement que le compte ou le profil facebook d’une
personne est un lieu privé qui n’est accessible qu’à un nombre restreint de personnes.
Dès lors, les réseaux sociaux constituent même un élément de la sphère privée à
laquelle l’Etat ne doit pas s’immiscer. Notons que l’article 24 de la Constitution oblige
l’Etat à respecter la vie privée dans tous ses aspects.
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135
BIBLIOGRAPHIE
ARTICLES ÉLECTRONIQUES
ELLOUMI.A, « les limites de la liberté d’expression relatives à la protection de certains intérêts
publics fondamentaux », Faculté de Droit de Sfax, 2013, publié sur le site Droit du Net, p.3.
(consulté le 28-03-2021).
ZIEGLER.J et SHALABI.I, « Les délits d’opinion sur les réseaux sociaux à l’épreuve de la liberté
d’expression ? », publié sur https://www.village-justice.com/articles/les-delits-opinion-sur-les-
reseaux-sociaux-epreuve-liberte-expression,32966.html, (consulté le 28/03/2021).
RAPPORT
AMNESTY INTERNATIONAL, l’utilisation de lois archaïques et bancales pour limiter la liberté
d’expression en Tunisie, 2020, publié sur le site : www.amnesty.org, (consulté le 29/03/2021).
ARRÊT
Cass. crim, 3 juil.1980, bulletin crim.n°560.
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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L’INTERPRÉTATION DÉMOCRATIQUE DE LA QUES-
TION DE CONCURRENCE DES LOIS EN MATIÈRE
DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION
COMMENTAIRE DU JUGEMENT N°1753/2020 EN DATE DU 14
MAI 2020 DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE MANOUBA
Dr. Aymen ZAGHDOUDI
Maître-assistant en Droit public
Université de la Manouba
SYNTHÈSE210
Le régime autoritaire en Tunisie a développé ses propres outils et méthodes pour
contrôler l’espace public et intimider toutes les opinions critiques des opposants po-
litiques, des journalistes et des défenseurs des droits humains.
Le code pénal constitue l’un des textes juridiques les plus utilisés pour réprimer la
liberté d’expression et de la presse, instituant un climat de peur qui a prévalu jusqu’à
la chute du régime de Ben Ali (1987-2011).
Le 2 novembre 2011, un nouveau cadre juridique en matière de la liberté d’expres-
sion a vu le jour à savoir le décret-loi n°2011-115 relatif à la liberté de la presse, de
l’impression et de l’édition, qui comprend plusieurs garanties pour l’exercice de cette
liberté très précieuse dans toute société démocratique.
Cependant, plusieurs textes juridiques promulgués durant la période du régime au-
toritaire, et demeurent en vigueur, ont amoindri l’esprit libéral du décret-loi n° 2011-
115, surtout que plusieurs interprétations judiciaires ont refusé soit d’appliquer ledit
décret-loi, soit de limiter son application aux seuls journalistes et excluant ainsi les
autres individus tels que les artistes, les défenseurs des droits humains…etc.
210 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
182-192.
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I. RAPPEL DE LA DÉCISION
Le jugement qui fait l’objet du commentaire, s’inscrit dans ce contexte. En effet, trois
jeunes tunisiens ont publié sur Facebook des posts contenant des expressions consi-
dérées diffamatoires contre deux agents de sécurité en les accusant de corruption.
Après examen des posts, les trois jeunes ont été arrêtés et poursuivis pour imputation
des faits illégaux à un agent public sans en établir la véracité, et pour avoir : « nuit
aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunica-
tions » (article 86 du code des télécommunications).
Conformément aux dispositions des articles 128 du code pénal et 86 du code des
télécommunications.
Lors de leur audition, les trois jeunes ont nié les charges retenues contre eux, en
affirmant qu’ils critiquaient la corruption dans le secteur de la sécurité d’une manière
générale.
De son côté, la défense a présenté plusieurs demandes visant la nullité des procé-
dures de poursuite, étant donné que le texte applicable est le décret-loi n°2011-115
et non pas le code de procédure pénale.
Le tribunal de première instance de Manouba s’est confronté au problème juridique
suivant : la diffamation et l’injure adressées aux agents publics, sont-elles régies par
le code pénal et le code des télécommunications ou plutôt par le décret-loi n° 2011-
115 dans la mesure où ce dernier avait abrogé les premiers ?
Afin de résoudre ce problème juridique, le tribunal a précisé, en amont, la valeur juri-
dique et politique du décret-loi n°2011-115 de 2011 du 2 novembre 2011 relatif à
la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition (1) pour aboutir en second lieu
à confirmer l’abrogation implicite des articles 128 du code pénal et 86 du code des
télécommunications (2).
Droits civils et politiques | La concurrence des lois en matière de liberté d’expression Aymen ZAGHDOUDI
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II. L’APPORT EN MATIÈRE DE LIBERTÉS
1. La nature juridique du décret-loi n° 115 de 2011  
Le tribunal de première instance de la Manouba a confirmé que le décret-loi n° 2011-
115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition
a une valeur législative en vertu des articles 1, 4 et 5, alinéa 5 du décret-loi n° 2011-
14 du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics.
D’un point de vue théorique, les décrets-lois peuvent être définis comme des textes
réglementaires émis par le pouvoir exécutif dans le domaine du pouvoir législatif
et ce, dans différentes situations, telles que l’habilitation législative (article 70 de la
constitution) du Parlement ou dans le cas sa dissolution. Le décret-loi acquiert une
valeur législative lorsqu’il est approuvé par le Parlement.
Toutefois, les décrets-lois qui ont été promulgués lors de la révolution tunisienne ont
posé le problème de leur valeur juridique. En effet, on peut distinguer entre les dé-
crets-lois adoptés conformément aux dispositions de l’article 28 de la Constitution du
1er juin 1959 de ceux adoptés en vertu du décret-loi n° 2011-14 du 23 mars portant
organisation provisoire des pouvoirs publics.
Étant donné que les décrets-lois adoptés entre le 14 janvier 2011 et le 22 mars 2011
nécessitent une approbation législative puisqu’ils ont été adoptés suite à une habi-
tation législative du Parlement avant sa dissolution, les décrets-lois adoptés confor-
mément au décret-loi du 23 mars 2011 n’ont pas besoin d’une approbation puisqu’ils
ont une valeur législative justifiée par le fait qu’ils ont été pris sur la base de la petite
Constitution.211
Le Tribunal Administratif a considéré, à maintes reprises, que les décrets-lois pris sur
la base du décret-loi du 23 mars 2011 portant organisation provisoire des pouvoirs
publics sont des textes législatifs qui ne nécessitent pas une approbation législative
comme les décrets-lois traditionnels. A ce niveau et à titre d’exemple, le jugement
de première instance n° 123 538 du 8 juin 2015 rendu par le Tribunal administratif
a déclaré que « la compétence législative attribuée au Président par intérim de la
République sur la base du décret-loi n° 14 de 2011 est considérée comme une com-
pétence originaire qui ne nécessite aucune procédure d’approbation (...) ».
Sur la base de ce qui précède, nous concluons que le décret n° 2011-115 du 2
novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition a une
valeur législative, puisqu’il a été promulgué sur la base du décret-loi n° 2011-14 du
23 mars.
211 On entend par la petite constitution le décret-loi n° 2011-14 du 23 mars portant organisation provisoire
des pouvoirs publics. L’expression petite constitution signifie un texte juridique qui est relatif aux pouvoirs
publics et aux droits et libertés durant une période transitoire qui joue, généralement, le rôle d’un pont
entre une ancienne constitution abrogée et une nouvelle.
Page 140
139
La principale conséquence de la valeur législative du décret n° 115 est qu’il n’a pas
besoin d’être approuvé par le Parlement.
Le tribunal a évoqué également l’importance du décret-loi n° 115 d’un point de vie
politique en affirmant qu’il s’agit d’un texte révolutionnaire visant le renforcement de
la transition démocratique en Tunisie. De même, le tribunal a eu recours aux conven-
tions internationales qui garantissent le droit à la liberté d’expression afin de prouver
le caractère fondamental de ce droit mais aussi de tracer les frontières entre la place
primordiale de la liberté d’expression dans les régimes démocratiques et sa place
précaire dans les régimes autoritaires.
Par la suite, le tribunal a évoqué la spécificité des procédures de poursuite en matière
de la diffamation et de l’injure par rapport aux procédures communes prévues par le
code de procédure pénale.
2. Les effets juridiques de la  valeur législative du décret-loi n° 115 de 2011
La reconnaissance de la valeur législative des décrets-lois adoptés durant la période
allant du 23 mars 2011 au 16 décembre 2011 a de nombreuses conséquences ju-
ridiques, dont la possibilité d’appliquer la règle prévue par l’article 542 du Code des
obligations et des contrats, qui dispose: « les  lois  ne  sont  abrogées  que  par  des  lois 
postérieures, lorsque celles-ci l’expriment formellement, ou lorsque la nouvelle lois est in-
compatible avec la loi antérieure ou qu’elle règle toute la matière réglée par cette dernière. »
Étant donné que le décret-loi n° 115 a prévu des procédures contraires à celles ap-
plicables dans le code de procédure pénale ou le code des télécommunications, il
devient nécessaire pour le tribunal de soulever cette question procédurale qui fait
partie des moyens d’ordre public.
Tout d’abord, le tribunal a confirmé l’abrogation implicite de l’article 128 du code pé-
nal par l’article 55 du décret-loi n° 115 en se basant sur le fait que l’élément matériel
des deux délits est identique.
Le décret-loi n° 115 dispose dans son article 79 : « Sont abrogés tous les textes anté-
rieurs contraires et notamment le code de la presse promulgué par la loi n° 75-32 du
28 avril 1975, ensemble les textes subséquents, le complétant et le modifiant et les
articles 397, 404 et 405 du code du travail. »
Il en résulte que cet article a explicitement abrogé le code de la presse de 1975212
ainsi que les articles 397, 404 et 405 du code de travail213. En revanche, il a laissé la
porte ouverte aux tribunaux en matière d’abrogation implicite, ce qui a eu des effets
néfastes sur la réelle jouissance de la liberté d’expression dans notre pays pendant la
212 Loi n°1975-32 du 28 avril 1975, portant promulgation du Code de la Presse.
213 Loi n°66-27 du 30 avril 1966, portant promulgation du Code du travail.
Droits civils et politiques | La concurrence des lois en matière de liberté d’expression Aymen ZAGHDOUDI
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révolution, car de nombreux blogueurs, défenseurs des droits humains et artistes ont
été poursuivis sur la base du code pénal au lieu du décret-loi n° 115.
Pourtant l’élément matériel est le même pour les deux délits prévus par l’article
128 du code pénal et l’article 55 du décret-loi n°115, la sanction est très différente
puisque dans le premier cas il s’agit d’une peine d’emprisonnement de deux ans tandis
que pour le second cas il s’agit d’une amende de 1000 à 2000 dinars.
Compte tenu de la grande différence entre les deux crimes au niveau de la sanction,
la question de l’abrogation implicite devient très importante en raison de son impact
sur les droits des individus en particulier et sur la garantie du droit à la liberté d’ex-
pression en général.
Certains tribunaux214 ont adopté cette approche libérale en optant pour la théorie
de l’abrogation implicite. Cependant, d’autres tribunaux ont opté pour une approche
conservatrice215 en appliquant les dispositions de l’article 128 du code pénal chaque
fois que la victime est un agent public, ce qui est une position erronée à notre avis
car elle contredit le rôle naturel du juge en tant que protecteur des droits et libertés
(articles 49 et 102 de la Constitution).
Enfin, le tribunal de première instance de Manouba, dans son jugement n°1753/2020
en date du 14 mai 2020, a fait prévaloir les dispositions du décret-loi n°2011-115
pour arriver à conclure que la procédure de la poursuite est contraire à celle prévue
par ledit décret-loi.
Nous concluons donc que la valeur législative du décret-loi n° 115 a permis au tribu-
nal de déclarer l’abrogation de l’article 128 du code pénal en raison de la similitude de
l’élément matériel par rapport à l’article 55 dudit décret-loi. Nous espérons que cette
interprétation sera adoptée par d’autres juges, non seulement en ce qui concerne
l’article 128 précité, mais aussi aux articles 125 et 245 du code pénal.
214 Voir dans ce sens, FERCHICHI Bechir Manoubi et autres, L’organisation pénale de la liberté de presse, de 
l’imprimerie et de l’édition, Latrach, 2017, Tunis, p. 836.
215 Tribunal de première instance de Ben Arous, jugement n° 2263/2020 en date du 23 juillet 2020 Affaire
Taoufik Ben Brik), non publié.

Page 142
141
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
LECUYER Yannick, Les droits politiques dans la jurisprudence de la CEDH, Dalloz, 2009, Paris.
PECH Laurent, La liberté d’expression et sa limitation, Thèse, LGDJ, 2003, Paris.
ARTICLES
AYADI Habib, « Les décrets-lois : un régime juridique mal maîtrisé (Période transactionnelle ou
transitionnelle ?) (2011-2014) », in. Mélanges en l’honneur du Doyen Mohamed Salah Ben Aissa,
CPU, 2020, Tunis, pp. 405-416.
SAÏD Chafik, « Constitution et liberté de communication », in. Recueil des cours n°7, Académie
internationale de droit constitutionnel, C.P.U, 1999, pp. 279-350.
VERPEAUX Michel, « La liberté d’expression dans les jurisprudences constitutionnelles »,
Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2012. p. 137.
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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142
L’ASSIGNATION À RÉSIDENCE ENTRE
LA PRÉSERVATION DE L’ORDRE PUBLIC
ET LE RESPECT DE LA CONSTITUTION
COMMENTAIRE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF,
AFFAIRE N°150168 DU 2 JUILLET 2018.
SYNTHÈSE216
Dr. Mohamed-Amine JELASSI
Maître-assistant en Droit public
Institut supérieurs d’études juridiques et politiques de Kairouan
LA DÉCISION
« Le pouvoir exécutif et les instances publiques sont dotés d’un pouvoir réglementaire
qui leur permet d’émettre et d’adopter des décrets et d’autres textes réglementaires
afin de servir l’intérêt général ou de sauvegarder la sûreté publique sans que ceux-ci
n’engendrent des restrictions aux droits et libertés, à l’exception de celles fixées par
la loi.
Les motifs de l’assignation à résidence n’ont pas été communiqués par l’administration
au tribunal administratif. Il incombe aux autorités étatiques de prouver que l’activité
de l’assigné à résidence est dangereuse pour la sécurité et l’ordre public.
L’exercice de pouvoirs de police administrative est soumis aux conditions prédéfinies
par la jurisprudence administrative. Ces conditions renvoient au fait que l’adminis-
tration doit se conformer aux lois régissant les droits et les libertés. De même, les
restrictions apportées aux libertés doivent être nécessaires pour la préservation de
l’ordre public.
Le pouvoir discrétionnaire de l’administration n’échappe pas au contrôle de la loi. »
216 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
193-212.

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LE COMMENTAIRE
I. L’APPORT DE LA DÉCISION EN MATIÈRE DE DROITS ET DE LIBERTÉS
Le jugement porte sur le recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une décision
du ministre de l’Intérieur. Le requérant dans cette affaire avait été assigné à résidence
en vertu de l’article 5 du décret n° 78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état
d’urgence.
En analysant les attendus du jugement, le tribunal administratif s’est référé aux dispo-
sitions de la Constitution pour affirmer que l’arrêté a empiété sur les libertés consti-
tutionnelles. Il a en outre ordonné l’annulation de l’arrêté tout en tant qu’autorité
habilitée à contrôler la constitutionnalité des actes administratifs. De plus, en se réfé-
rant à l’arrêté du ministre de l’Intérieur, on remarque que les mesures ont été prises
en vertu du Décret n° 75-342 du 30 mai 1975, fixant les attributions du ministère de
l’Intérieur. Ceci est en fait en rapport avec les prérogatives de la police administrative
visant à empêcher toutes les activités menaçant l’ordre public. Il s’agit ainsi d’une
mesure à caractère préventif. L’apport de cet arrêt est de rappeler à l’administration
que « la liberté est la règle, et la restriction demeure l’exception ». Il s’ensuit que le
ministère de l’Intérieur doit respecter les droits et les libertés tels que garantis par la
Constitution.
Le tribunal administratif a affirmé que la décision d’assigner le requérant à résidence
violait les libertés constitutionnelles d’une part et l’article 49 de la Constitution
d’autre part.
II. LES LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLES
L’arrêté du ministre de l’Intérieur relatif à l’assignation à résidence empiète non seule-
ment sur la liberté de circulation et du choix du domicile mais aussi sur le droit d’accès
à l’information et des principes de l’Etat de droit tels que garantis par la Constitution.
Le droit d’accès à l’information : L’article 15 de la Constitution pose les principes
régissant l’action administrative à savoir la transparence, l’intégrité, l’efficacité et la
responsabilité. De surcroît, le tribunal administratif a jugé que l’absence de motifs
clairs et explicites justifiant la prise de la décision d’assignation à résidence ne permet
pas au juge de vérifier si l’administration a observé la proportionnalité entre le respect
des droits et les libertés constitutionnelles, d’une part et la préservation de l’ordre
public, d’autre part. En d’autres termes, le tribunal vise le droit d’accès à l’information
tel que garanti par l’article 32 de la Constitution. En effet, préciser les motifs de la
décision prise par l’administration équivaut transparence et par là le respect du droit
d’accès à l’information.
Droits civils et politiques | L’assignation à résidence Amine JELASSI
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L’interdiction de la détention arbitraire : Le tribunal administratif a jugé illégal le fait
que l’administration s’est basée sur des textes réglementaires pour limiter la liberté
de circulation et de choisir son domicile. En effet, le tribunal rappelle que les restric-
tions apportées aux droits et libertés sont fixées par une loi. Ainsi, cette mesure viole
l’article 28 de la Constitution qui dispose : « la peine est personnelle et ne peut être
prononcée qu’en vertu d’un texte de loi antérieur ».
Le droit à un procès équitable et l’égalité devant la justice : Ce droit rappelé par le
tribunal administratif se base sur les dispositions suivantes :
L’article 102 de la Constitution : « la magistrature est un pouvoir indépendant, qui
garantit l’instauration de la justice, la suprématie de la Constitution, la souveraineté
de la loi et la protection des droits et libertés. » Et l’article 49 :« les instances juridic-
tionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte. »
Dès lors, protéger les droits et les libertés est un des rôles conférés par la Constitution
à toutes les instances juridictionnelles y compris le tribunal administratif.
Les principes de l’Etat de Droit : le tribunal a considéré que l’administration n’a pas
respecté les principes de l’Etat de droit tels que posés par l’article 49 de la Constitu-
tion. Ainsi, puisque l’assigné n’a pas eu connaissance des motifs de la décision de sa
« détention », il risque de ne pas pouvoir se défendre devant la justice.
III. LE RESPECT DES RESTRICTIONS LÉGALES
Restrictives des libertés, les mesures de police ne sont légales que si elles sont néces-
saires et proportionnées. L’administration doit concilier entre l’exercice de ses pou-
voirs et le respect des libertés. Telle était la décision du tribunal en vérifiant la légalité
de la décision du ministre de l’Intérieur.
Ainsi, le contrôle de proportionnalité par le tribunal administratif s’exerce sur toutes
les mesures qui apportent des restrictions aux libertés, plus particulièrement, celles
relatives à la liberté de circulation.
Reprenant l’article 49, le tribunal administratif a affirmé la nullité de la décision de
l’administration portant atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
« Considérant que le droit à la libre circulation et de quitter le territoire national est
considéré comme l’un des droits fondamentaux garanti à chaque citoyen par l’article
24 de la Constitution, qui ne peut être limité que par une loi, afin de préserver l’intérêt
général, et dont l’interprétation doit être stricte. »
Par conséquent, le tribunal administratif a jugé que le décret n° 78-50 du 26 janvier
1978 réglementant l’état d’urgence comporte des restrictions, du droit à la libre circu-
lation et de choisir sa résidence, qui n’ont pas été établies par une loi conformément
aux dispositions de l’article 49 de la Constitution du 27 janvier 2014. Donc, l’arrêté
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145
du ministère de l’Intérieur ne répond pas aux exigences de l’article 49 à savoir, le
principe de la nécessité et celui de la proportionnalité entre les restrictions et leurs
justifications.
Pourtant, la jurisprudence administrative ne semble pas être stable en ce qui concerne
les affaires de l’assignation à résidence. En effet, dans une affaire récente217, le pre-
mier président du tribunal administratif n’a pas ordonné le sursis à exécution de l’ar-
rêté du ministre de l’Intérieur en vertu duquel le requérant a été assigné à résidence.
Il relève des faits d’espèce que l’assigné à résidence a été informé par téléphone de
cette décision sans clarifier les motifs.
Malgré le fait qu’il a été interdit de quitter son domicile et même de poursuivre son
activité professionnelle, le juge n’a pas considéré qu’il s’agit d’une décision qui viole
les libertés constitutionnelles telles que : le droit à un procès équitable et la liberté
de circulation.
De surcroit, ce qui est différent des décisions précédentes du tribunal administratif en
la matière est que non seulement dans ce jugement le juge a implicitement affirmé la
légalité du décret n° 78-50 du 26 janvier 1978 réglementant l’état d’urgence, mais,
il a aussi ignoré que l’article 49 de la Constitution énonce que toutes les restrictions
aux libertés doivent être fixées par une loi et non pas par un texte réglementaire.
Ainsi, le juge a considéré que les mesures prises par le ministre de l’Intérieur sont
temporaires et en aucun cas elles sont de nature à entraîner, pour le requérant des
conséquences difficilement réversibles.
217 Tribunal administratif, jugement de sursis à exécution, affaire n°4106648 du 30 septembre 2021, inédite.
Droits civils et politiques | L’assignation à résidence Amine JELASSI
Page 147
146
BIBLIOGRAPHIE
Bousta (R.), « Contrôle constitutionnel de proportionnalité. La spécificité française à l’épreuve
des évolutions récentes », Revue française de droit constitutionnel, vol. 88, no. 4, 2011, p.913-
930.
Gros (M.), Droit administratif: L’angle jurisprudentiel, l’Harmattan, Paris, 2012.
Hennebel (L.), et Tigroudja (H.), « le juge, le terrorisme, et l’Etat de droit », in Hennebel (L.) et
Vandermeersch (D.) (dir.), juger le terrorisme dans l’Etat de droit, Bruylant, Bruxelles, 2009, pp.
61-173.
Loukil (F.), Juge de l’excès de pouvoir et libertés individuelles, publications Latrach, Tunis, 2019.
Plantey (A.), « Définition et principes de l’ordre public », in Polin (R.) (dir.), l’ordre public, PUF,
Paris, 1996, pp.27-45.
Pontier (J.M.), Droits fondamentaux et libertés publiques, Hachette supérieur, Paris, 2007.
Page 148
LA LIBERTÉ DE CIRCULATION ET LA LIBERTÉ
DE CHOISIR SA RÉSIDENCE
147
Professeur en droit public à l’Université de Sfax,
Doyen de la Faculté de Droit de Sfax
Khalil FENDRI
SYNTHÈSE218
RAPPEL DE LA DÉCISION
Il relève des faits d’espèce que le requérant a été informé oralement de l’arrêté du
ministre de l’Intérieur de l’assigner à résidence. Le requérant avait été assigné à ré-
sidence en vertu de l’article 5 du décret n° 78-50 du 26 janvier 1978 réglementant
l’état d’urgence, sans en être informé ni en avoir reçu copie, ni connaître ses motifs,
d’autant plus que la police ne l’avait jamais convoqué ni enquêté.
Le demandeur a intenté un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté susmention-
né, demandant son annulation, en faisant valoir que la décision d’assigner le requérant
à résidence violait l’article 24 de la Constitution, qui garantit la liberté de circulation
et la liberté de choix du domicile.
La problématique posée par le tribunal dans ce jugement est de savoir si de jure le
ministre de l’Intérieur pouvait se baser sur un texte réglementaire pour ordonner l’as-
signation à résidence ? Et si de facto la décision de limiter la liberté de circulation et le
libre choix de la résidence pourrait être justifiée par l’insécurité qui règne dans le pays
depuis les attentats terroristes ?
Le Tribunal administratif a jugé que la décision de l’assignation à résidence est illégale.
Ainsi, l’arrêté du ministre de l’Intérieur tombe sous le contrôle de la justice qui a jugé
qu’il n’a pas de base légale et qu’il ne dispose pas de préalable requis.
218 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
213-226.
Droits civils et politiques | Le juge administratif et le droit de réunion pacifique Rabeb MOKRANI4.6 Wahid FERCHICHI: La liberté de constituer des associations4.7 M-Anoir ZAYANI : Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs4.8 Issam BENHSAN : Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales 5. Droits économiques et sociaux 5.1 Mabrouka ESSID, Le droit à l’enseignement 5.2 Marwa BEN RHAIEM : Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie 5.3 Firas LOUKIL : Les libertés syndicales 6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection


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148
L’APPORT DE LA DÉCISION EN MATIÈRE DE DROITS
ET LIBERTÉS
Le Tribunal administratif a jugé que la décision de l’assignation à résidence est illégale.
En d’autres termes, la décision doit pouvoir être justifiée d’une manière acceptable
aussi bien en droit qu’en fait.
Le Tribunal administratif a exercé son contrôle sur l’acte administratif afin de vérifier sa
conformité à la Constitution, et surtout à l’article 49 qui dispose que : « les instances
judiciaires veillent à la protection des droits et des libertés contre toute violation. »
Afin de vérifier la légalité de l’acte administratif, le tribunal s’est référé dans ce ju-
gement à la Constitution, et plus particulièrement au chapitre relatif aux droits et
libertés.
La vérification s’est opérée sur la base de l’article 24 relatif à la liberté de circulation
et le droit de choisir son domicile. Dans ce jugement, le droit de choisir son lieu de
résidence, de circuler librement à l’intérieur du pays, ainsi que le droit de le quitter est
érigé en une liberté fondamentale à laquelle aucune restriction n’est permise sans un
texte de loi, sans porter atteinte à son essence, et ce, pour des raisons de sécurité
publique.
Ces restrictions doivent être interprétées de manière restrictive. En appliquant l’ar-
ticle 49 de la Constitution, le Tribunal administratif rappelle que les restrictions ap-
portées aux libertés ne relèvent pas du pouvoir réglementaire général. L’exercice par
le ministère de l’Intérieur de l’activité de police administrative en matière de libertés
doit s’appuyer sur une loi, et non sur un texte réglementaire.
En vérifiant la légalité de l’acte administratif, le tribunal ne s’est pas contenté de décla-
rer son illégalité. Il s’est permis de contrôler aussi le pouvoir exercé par l’administration
en matière de police administrative. De même, le tribunal a exigé de l’administration
de motiver ses actes, surtout ceux qui apportent des restrictions aux droits et aux
libertés publiques et individuelles.
D’une part, le contrôle des pouvoirs de l’administration en matière de police admi-
nistrative est justifié par la consécration des principes de l’Etat de droit fondé sur le
respect des droits et des libertés. Il s’agit, ici, d’une application des articles 2, 49 et
102 de la Constitution qui exigent que toute restriction apportée aux libertés par
l’administration réponde aux exigences d’un État civil et démocratique.
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149
De surcroit, puisque la liberté est le principe, la restriction est l’exception, le tribunal
a vérifié si les faits et les actes imputés à l’assigné à domicile constituent de véritables
violations de l’ordre public, et ce, afin de décider si les restrictions (de l’administration)
apportées à la liberté de circulation sont nécessaires.
D’autre part, le tribunal a rejeté l’argument de l’administration en ce qui concerne la
confidentialité des renseignements en matière de sécurité.
S’agissant des restrictions qui touchent aux libertés, le tribunal a exigé que l’acte
administratif se réfère à des motifs matériels exacts et pertinents. La simple mention
que l’arrêté attaqué a été adopté en vue de préserver la sécurité et l’ordre public
n’est pas suffisant pour que le tribunal examine les motifs à l’occasion d’un contrôle
de légalité.
Ainsi, à défaut de motivation, le juge de l’excès de pouvoir ne peut pas vérifier l’exac-
titude des faits. Par conséquent, il sera dans l’incapacité de vérifier l’exactitude de la
qualification juridique des faits afin de déterminer le rapport entre les faits et l’ordre
public à préserver.
Dans ce jugement, le Tribunal administratif a considéré que le pouvoir du ministère de
l’Intérieur relève de la police administrative spéciale, c’est-à-dire de sa compétence
liée et non pas de son pouvoir discrétionnaire. Pourtant, le but recherché par l’admi-
nistration est de préserver la sécurité publique, ce qui est de nature à lui attribuer un
pouvoir discrétionnaire.
On en déduit que le ministère de l’Intérieur dispose d’une compétence liée par la
force de la justice et non celle de la loi. C’est ce qui vise à ce que le juge de l’excès de
pouvoir exerce un contrôle plus efficace par rapport au cas dans lequel l’administra-
tion dispose d’une compétence discrétionnaire.
Droits civils et politiques | Le juge administratif et le droit de réunion pacifique Rabeb MOKRANI4.6 Wahid FERCHICHI: La liberté de constituer des associations4.7 M-Anoir ZAYANI : Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs4.8 Issam BENHSAN : Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales 5. Droits économiques et sociaux 5.1 Mabrouka ESSID, Le droit à l’enseignement 5.2 Marwa BEN RHAIEM : Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie 5.3 Firas LOUKIL : Les libertés syndicales 6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection
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INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
Jean Duffar et Henri Oberdorff, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 8ème édition,
Montchrestien, Paris, 2009.
Issam Ben Hassen, Le contrôle des motifs de fait dans le recours pour excès de pouvoir, Edition
Publisud, Paris, 2011.
Imouna Saouli, Ordre public et libertés, recherche sur la police administrative en Tunisie, Thèse
pour le doctorat d’Etat en droit public, FSJPST, 1997/1998.

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LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE DROIT DE RÉUNION
PACIFIQUE
151
Docteure en Droit public, Maître-assistante
Institut supérieur de finances et de fiscalité de Sousse
Rabeb MOKRANI
SYNTHÈSE219
La lecture de la jurisprudence administrative portant sur les droits et libertés nous
permet de constater que le juge administratif a tenté d’élaborer une politique juris-
prudentielle protectrice des droits et libertés. Il a réussi parfois et a échoué à d’autres
moments. En général, cette politique est basée sur l’affirmation que « la liberté est le
principe et les restrictions sont l’exception ».
Le droit de réunion pacifique s’inscrit parfaitement dans cette logique. Il se présente
comme un droit fondamental de l’homme permettant « aux individus de s’exprimer
collectivement et de contribuer à modeler la société dans laquelle ils vivent »220.
Ce droit tire son importance du fait qu’il est un moyen important qui permet aux mi-
norités et aux groupes marginalisés d’exprimer collectivement leurs préoccupations
et leurs opinions. Ainsi, la Commission de Venise a souligné que : « Le droit à la liberté
de réunion pacifique protège les nombreuses façons dont les gens se rassemblent en
public et en privé. Il a été reconnu comme l’un des fondements d’une société démo-
cratique, tolérante et pluraliste dans laquelle des individus et des groupes d’origines
et de croyances différentes peuvent interagir pacifiquement les uns avec les autres.
Le droit à la liberté de réunion pacifique peut donc contribuer à donner la parole aux
opinions minoritaires et à donner de la visibilité aux groupes marginalisés ou sous-re-
présentés »221.
219 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
227-244.
220 Comité des droits de l’homme, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique
(art. 21).
Lien : http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2FPPRiCAqh-
Kb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%2BWPAXj3%2Bho0P51AAHSqSubYW2%2FRjpx65WYTJlg4IbLTUz3p-
DilW4CrHlIIls%2FYX6qNuk6Ze0omKuUloLgpOxEJyoDmb
221 Commission européenne pour la démocratie par le droit (commission de venise) bureau de l’OSCE pour les
institutions démocratiques et les droits de l’homme, Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique.
Lien : https://www.venice.coe.int/webforms/documents/default.aspx?pdffile=CDL-AD(2019)017rev-f
Droits civils et politiques | Le juge administratif et le droit de réunion pacifique Rabeb MOKRANI4.6 Wahid FERCHICHI: La liberté de constituer des associations4.7 M-Anoir ZAYANI : Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs4.8 Issam BENHSAN : Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales 5. Droits économiques et sociaux 5.1 Mabrouka ESSID, Le droit à l’enseignement 5.2 Marwa BEN RHAIEM : Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie 5.3 Firas LOUKIL : Les libertés syndicales 6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection
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Il est également important car il se présente comme un outil essentiel assurant une
résolution pacifique des litiges susceptibles de naître dans une société. Il est aussi un
mécanisme précieux pour la revendication pacifique d’autres droits et libertés civiles
et politiques ainsi que les droits économiques, sociaux et culturels.222Il se présente
donc comme le baromètre de la démocratie.
Une protection efficace du droit de réunion pacifique est donc cruciale pour l’ancrage
de la démocratie. Ainsi, l’article 49 de la Constitution dispose que « Les instances
juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte ».
Le présent commentaire s’inscrit donc dans ce cadre. Il a pour finalité l’évaluation du
rôle joué par le juge administratif dans la protection et la consolidation du droit de
réunion pacifique.
Les affaires objet de notre commentaire se recoupent dans la mise en exergue de
plusieurs principes et aspects liés à ce droit. La problématique qui a été posée au juge
est la suivante :
Quelle est l’étendue de la protection offerte par le droit de réunion pacifique ?
En dépit de la législation archaïque, la position du juge reflète une tentative de pro-
tection de ce droit à travers une reconnaissance relativement exhaustive d’une part,
(I) et un contrôle rigoureux de l’ingérence administrative d’autre part (II).
I. UNE AMPLE RECONNAISSANCE DU DROIT DE RÉUNION PACIFIQUE
Cette reconnaissance relativement exhaustive du droit de réunion pacifique est envi-
sageable sur un double plan.
1. Un fondement multiple de la protection du droit de réunion pacifique
Il est signalé que le droit de réunion pacifique est amplement consacré et sur le plan
interne et sur le plan international. Ce droit possède un fondement constitutionnel
certain. La Constitution de 27 janvier 2014 (article 37) tout comme celle de 1959 a
consacré explicitement ce droit. Cependant, cette consécration n’a pas été accom-
pagnée d’une révision de la loi n°4 de 1969 (Loi n° 69-4 du 24 janvier 1969, règle-
mentant les réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements).
Ce qui rendait la jouissance de ce droit volatile à l’image de la situation politique
caractérisée par l’instabilité. Face à cette situation, le juge a tenté de protéger ce
droit à travers le recours direct à la Constitution et même avant la promulgation de la
Constitution de 2014, le juge a fondé sa protection sur le fondement international de
222 Comité des droits de l’homme, Observation générale no 37 (2020) sur le droit de réunion pacifique
(art. 21). Lien : http://docstore.ohchr.org/SelfServices/FilesHandler.ashx?enc=6QkG1d%2FPPRiCAqh-
Kb7yhsrdB0H1l5979OVGGB%2BWPAXj3%2Bho0P51AAHSqSubYW2%2FRjpx65WYTJlg4IbLTUz3p-
DilW4CrHlIIls%2FYX6qNuk6Ze0omKuUloLgpOxEJyoDmb
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153
ce droit (le pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966). Toutefois, le juge n’a
pas exprimé sa position quant à l’inconstitutionnalité de ladite loi de 1969.
Notons également que le juge a écarté l’application du décret n° 50 de 1978 portant
sur l’état d’urgence, non pas parce qu’il est inconstitutionnel, mais parce que l’admi-
nistration ne s’est pas fondée sur celui-ci lors de la prise de sa décision. Sachant que,
le juge a déclaré ultérieurement l’inconstitutionnalité de ce décret à l’occasion de
l’examen d’une autre affaire. Mais, ce qui est reprochable au juge c’est l’incohérence
de sa position concernant ce même décret.
2. Une diversité des formes de réunion pacifique protégées
     par le juge administratif
L’article 37 de la Constitution dispose que « la liberté de réunion et de manifestation
pacifiques est garantie ». Par conséquent, cet article n’a pas déterminé de formes
spécifiques de rassemblement. Car ce qui compte, c’est le caractère pacifique de la
réunion. Signalant que la loi n° 4 de 1969 distinguait trois formes de rassemblement,
à savoir les réunions, les manifestations et les rassemblements. Cette loi autorisait
les deux premières catégories, tout en interdisant les rassemblements, qu’ils soient
armés ou non. Cette législation est en contradiction avec les normes internationales
régissant la matière.
Le juge administratif a adopté une conception élargie de la réunion pacifique, puisqu’il
considère les réunions et manifestations des partis politiques, les réunions même in-
dividuelles entre dans le champ de protection offert par le droit de réunion pacifique.
Ce que nous pouvons reprocher au juge c’est qu’il retire les réunions non-autorisées
de la sphère de la protection offerte par ce droit.
II. UN CONTRÔLE RIGOUREUX DE L’INGÉRENCE ADMINISTRATIVE DANS
LIMITATION DU DROIT DE RÉUNION PACIFIQUE
S’il est admis que législateur peut intervenir pour apporter des limitations aux libertés
constitutionnellement garanties, il faut qu’il le fasse sous certaines conditions. Ainsi,
pour restreindre le droit de réunion pacifique, les autorités doivent pouvoir démon-
trer que les restrictions découlent d’une la loi, nécessaires et proportionnées pour
répondre à l’un des objectifs énoncés à l’article 49 de la Constitution de 2014.
En conformité de ce qui précède, l’administration doit appliquer les restrictions les
moins perturbatrices des réunions. Dès lors, l’administration doit prouver que le re-
cours à l’interdiction d’une réunion est la seule solution possible pour préserver la
sécurité et l’ordre public.
Droits civils et politiques | Le juge administratif et le droit de réunion pacifique Rabeb MOKRANI4.6 Wahid FERCHICHI: La liberté de constituer des associations4.7 M-Anoir ZAYANI : Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs4.8 Issam BENHSAN : Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales 5. Droits économiques et sociaux 5.1 Mabrouka ESSID, Le droit à l’enseignement 5.2 Marwa BEN RHAIEM : Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie 5.3 Firas LOUKIL : Les libertés syndicales 6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection
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Les restrictions d’une réunion ne doivent pas avoir pour raison le contenu du rassem-
blement.
En application de ce qui précède le juge a exercé un contrôle rigoureux sur les ingé-
rences de l’administration en la matière pour affirmer ce qui suit :
1. Le droit de réunion pacifique est régi par le régime de notification préalable est non
pas par le régime de l’autorisation. Dès lors, le juge a exercé un contrôle rigoureux
sur l’intervention de l’administration en la matière pour s’assurer du fait que l’admi-
nistration n’en profite pas des procédures complexes régissant la notification pour
la transformer en une autorisation déguisée.
2. Les traces de la démarche protectrice adoptée par le juge sont envisageables à
travers sa position consistant en l’interdiction, d’une manière implicite, du contrôle
préalable de l’objet de la réunion pacifique. Le juge n’a pas mis en exergue d’une
explicite la relation symbiotique entre le droit de réunion pacifique et la liberté
d’expression. Toutefois, il a interdit le contrôle préalable du message véhiculé par
un rassemblement déterminé.
Page 156
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
155
- Louis FAVOREU, Patrick GAÏA, Richard GHEVONTIAN, Ferdinand MELIN-SOUCRANIEN,
Annabelle PENA, Otto PFERSMANN, Joseph PINI, André ROUX, Guy SCOFFONI et Jérôme
TREMEAU, Droits des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2016.
- Olivier PETER, « Les rassemblements pacifiques non autorisés sont protégés par la CEDH »,
chroniques, Le courrier, 12 mars 2020.
- Ümit KINC, « La conception de la démocratie militante dans la jurisprudence de la cour
européenne des Droits de l’Homme », revue trimestrielle des droits de l’homme, n°20, avril
2012, pp. 297-329.
- Democraty repoting international, « Droits civils et politiques à la lumière des dispositions de
l’article 49 de la constitution. Analyses de textes juridiques. », 12 juillet 2021.
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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156
LA LIBERTÉ DE CONSTITUER DES ASSOCIATIONS
« LES JURIDICTIONS GARDIENNES DES LIBERTÉS
ASSOCIATIVES »
Professeur en Droit Public, Université de Carthage
Facultés des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Pr. Wahid FERCHICHI
SYNTHÈSE223
RAPPEL DES DÉCISIONS
« La  dénomination  de  l’association  «  association  bahaï  de Tunisie  »  ne  se  contredit  pas 
avec les exigences de l’ordre public. Ceci s’explique par le fait que l’article 1er du décret-loi 
portant organisation des associations pose le principe de la liberté de constituer des asso-
ciations sans prévoir des conditions spécifiques en ce qui concerne le choix de la dénomi-
nation ».
Tribunal administratif, affaire n°133204 du 21 février 2019.
« Plaider pour la protection des droits des personnes homosexuelles est un objectif direct et 
explicite de l’association … tel qu’inscrit dans ses statuts… l’appel à abroger l’article 230 du 
Code pénal (qui punit l’homosexualité masculine et féminine de 3 ans d’emprisonnement) 
relève de son objet. L’association Shams n’a pas empiété sur les lois internes et surtout les 
principes de la Constitution tels que repris par l’article 3 du décret-loi portant organisation 
des associations ».
Cour d’appel de Tunis, affaire n°37442 jugement d’appel en référé du 17 mai 2019.
« L’homosexualité fait partie intégrante du concept « minorités sexuelles » et ce en se réfé-
rant à l’article 532 du Code des obligations et des contrats et des instruments internatio-
naux des droits humains ».
Cour de cassation, arrêt n°2019/78864 du 21 février 2020
223 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
245-260.
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157
L’APPORT EN MATIÈRE DE DROITS ET LIBERTÉS
1. LE JUGE REFUSE L’IMMIXTION DE L’ETAT DANS LA CONSTITUTION DES
ASSOCIATIONS
Dans le jugement rendu par le tribunal administratif en date du 21 février 2019,
le juge administratif affirme que la présidence du gouvernement n’a pas le droit
d’empêcher la constitution d’une association (la liberté de constituer une association
est garantie par l’article 35 de la Constitution).
Dans le but de protéger la liberté de constituer des associations, le juge administratif
réaffirme son rôle de garant des droits et des libertés (conformément aux articles
49 et 102 de la Constitution) et considère que la mise en demeure de l’association
établie par le secrétaire général du gouvernement ne constitue pas un contrôle a
posteriori. Ainsi, le juge administratif décide que la mise en demeure est un acte ad-
ministratif soumis au contrôle de la légalité par le tribunal administratif. D’autant plus
que cet « acte administratif » touche une des libertés garanties par la Constitution.
Sachant que l’association n’a pas encore été constituée conformément à la loi, le
tribunal administratif a considéré que la correspondance de l’administration dans la-
quelle elle demande à la requérante de changer la dénomination de l’association est
un acte administratif.
Le fait d’imposer un contrôle a priori sur une association avant qu’elle ne soit consti-
tuée n’est pas conforme au décret-loi relatif aux associations224 qui a institué un
régime de déclaration et non pas d’autorisation.
A ce niveau, Les juridictions judiciaire et administrative s’accordent que le rôle de
l’imprimerie officielle est de publier les annonces de constitution des associations225.
Or, cet établissement public ne fait que « ralentir » la constitution de l’association ou
même souvent renoncer à publier les annonces. Par conséquent, l’association est
privée de son droit d’acquérir la personnalité juridique afin qu’elle puisse exercer ses
activités et notamment procéder à ouvrir des comptes bancaires auprès des diffé-
rentes banques tunisiennes qui exigent la constitution légale par la publication au
journal officiel.
Afin de confirmer son rôle pour contrôler la légalité des actes administratifs, le juge
administratif rappelle que son rôle est de protéger les droits et les libertés conformé-
ment à l’article 102 de la Constitution.
224 Décret-loi n°2011-88 du 24 septembre 2011 ; relatif aux associations ; JORT n°74 du 30 septembre
2011 ; p. 1996.
225 Jugement en référé du 23 décembre 2015 affaire n° 55108. Fondation Saadaoui contre l’imprimerie offi-
cielle de la République tunisienne.
Le jugement en référé en première instance a ordonné à l’imprimerie officielle de publier l’annonce déposée
depuis le 23 septembre 2015 relative à la constitution de l’association.
Droits civils et politiques | La liberté de constituer des associations Wahid FERCHICHI4.7 M-Anoir ZAYANI : Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs4.8 Issam BENHSAN : Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales 5. Droits économiques et sociaux 5.1 Mabrouka ESSID, Le droit à l’enseignement 5.2 Marwa BEN RHAIEM : Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie 5.3 Firas LOUKIL : Les libertés syndicales 6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection
Page 159
158
De même, le juge conclut que la non publication de l’annonce de la constitution de
l’association dans le journal officiel est non conforme à la Constitution. Il s’agit en
effet, du droit de constituer des associations tel que garanti par l’article 35 de la
Constitution.
En outre, les restrictions relatives aux droits et libertés ne doivent pas porter atteinte
à leur substance.
De surcroit, au niveau législatif, l’administration doit respecter le régime de déclara-
tion de la constitution des associations tel que posé par le décret n°2011-88 du 24
septembre 2011 relatif aux associations. Ainsi, ce régime exclut toute forme d’auto-
risation administrative. L’association est réputée légalement constituée à compter du
jour de l’envoi de la lettre adressée au secrétaire général du gouvernement.
Parallèlement, le juge judiciaire exige de l’imprimerie officielle de publier l’annonce
de la constitution de l’association. En réaffirmant que la loi a institué un régime de
déclaration pour les associations, le juge refuse tout contrôle a priori par l’adminis-
tration. Par la même occasion, il avertit que tout contrôle effectué sur les activités de
l’association est contraire à la liberté de constituer une association.
Dans ces jugements rendus par le juge administratif et le juge judiciaire, les juridic-
tions confirment le rôle accordé par la Constitution aux instances juridictionnelles de
d’assurer la protection des droits et libertés contre toute atteinte (article 49).
Ainsi, le juge se présente comme le gardien de la suprématie de la loi et de la Consti-
tution contre les atteintes qui peuvent émaner de l’administration.
Autrement dit, les juges rappellent les institutions de l’Etat à respecter la loi et les
libertés individuelles garanties par la Constitution.
2. LE JUGE REFUSE LE CONTRÔLE DE L’ADMINISTRATION SUR LES
CARACTÉRISTIQUES DES ASSOCIATIONS
Les juges administratifs et judiciaires insistent sur le fait que la classification, la dé-
nomination et les activités des associations sont régies par le principe de la liberté.
- Le choix de la dénomination d’une association est libre. Cependant, il convient de
vérifier que le nom envisagé pour l’association n’est pas déjà utilisé.
En s’appuyant sur les articles 1 et 4 du décret-loi relatif aux associations, le juge
conclut que le législateur ne pose pas de conditions spécifiques quant au choix de la
dénomination de l’association par les fondateurs.
En plus, le juge applique le principe de l’indivisibilité et de l’interdépendance des
droits et des libertés. Ainsi, il affirme que le libre choix de la dénomination est intime-
ment lié aux libertés de pensée, de conscience et de religion telles que garanties par
la Constitution.
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159
En consacrant les libertés de pensée, de conscience et de religion ainsi que la liberté
de constitution des associations, le juge ne s’est pas référé aux articles de la Consti-
tution garantissant ces libertés. Cependant, il s’est contenté de citer l’article 18 de la
Déclaration universelle des droits de l’Homme et l’article 18 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
Afin d’évaluer la dénomination de l’association, le juge ne vérifie pas si elle porte une
connotation religieuse ou areligieuses. Il vérifie plutôt si les statuts répondent aux
conditions de l’article 4 du décret-loi n°88-2011 qui interdit à l’association de : « de
s’appuyer dans ses statuts ou communiqués ou programmes ou activités sur l’incita-
tion à la violence, la haine, l’intolérance et la discrimination fondée sur la religion, le
sexe ou la région. »
Le juge a conclu que les activités de l’association (l’association Bahaï Tunisie) sont en
conformité avec l’article 4 susmentionné puisqu’elle prône la paix, le respect mutuel
et l’élimination de toutes les formes d’extrémisme. Par conséquent, il a été jugé que la
dénomination de l’association ne reflète pas une sorte de discrimination religieuse et
qu’elle ne se contredit pas avec l’article 4.
Dans cette affaire, le juge a omis de mentionner que le contrôle a priori de l’admi-
nistration sur les caractéristiques de l’association constitue une « usurpation de pou-
voir » puisque c’est au juge de contrôler la légalité de la constitution et des activités
de l’association. Dès lors, l’acte administratif qui consiste en la mise en demeure n’a
pas d’effet sur l’association.
- Le libre exercice des activités des associations : dans le jugement du tribunal admi-
nistratif en date du 21 février 2019 (affaire de l’association Bahaï) et le jugement de
la Cour d’appel de Tunis rendu le 17 mai 2019 (affaire de l’association Shams) le juge
s’attache à la liberté de l’exercice des activités des associations et ce dans le cadre du
respect des statuts, des dispositions du décret-loi n°88-2011, de la Constitution et
des instruments internationaux des droits humains226.
Dans les deux affaires, les juges ont clarifié certains concepts objet du litige comme
la liberté religieuse et l’homosexualité. Ceci contribue à vérifier la légalité de l’activité
des associations sans pour autant s’immiscer dans le contenu même de leurs activités.
Pour appuyer sa position, la Cour d’appel de Tunis s’est référée aux instruments inter-
nationaux des droits humains ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’Homme.
226 Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966.
Droits civils et politiques | La liberté de constituer des associations Wahid FERCHICHI4.7 M-Anoir ZAYANI : Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs4.8 Issam BENHSAN : Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales 5. Droits économiques et sociaux 5.1 Mabrouka ESSID, Le droit à l’enseignement 5.2 Marwa BEN RHAIEM : Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie 5.3 Firas LOUKIL : Les libertés syndicales 6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection

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160
A titre d’exemple, la Cour a proposé de définir l’expression de « minorités sexuelles »
en faisant appel au système universel et régional des droits humains. Elle considère
que l’homosexualité fait partie intégrante de cette expression.
En se basant sur la Constitution et sur les instruments internationaux des droits hu-
mains, la Cour a pu conclure que les activités de l’association Shams, par exemple
sont conformes aux lois et à la Constitution. En effet, l’objet de l’association est de
lutter pour les droits des personnes homosexuelles et d’appeler à l’abrogation de
l’article 230 du Code pénal qui punit d’emprisonnement l’homosexualité masculine
et féminine.
Cet appel est perçu par la Cour comme étant légal puisqu’il traduit les principes
constitutionnels et conventionnels suivants : l’égalité, la non-discrimination, la dignité,
le respect de la vie privée, la diversité, le pluralisme et la différence.
Page 162
161
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES :
- J. AUDINET, « La protection judiciaire des fins poursuivies par les associations », Revue
trimestrielle de droit civil, tome 35, 1955, p. 213-237.
- R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Paris, LGDJ, 2008, 13e édition, p. 1445.
-Louis FAVOREU, Patrick GAÏA, Richard GHEVONTIAN, Ferdinand MELIN-SOUCRANIEN,
Annabelle PENA, Otto PFERSMANN, Joseph PINI, André ROUX, Guy SCOFFONI et Jérôme
TREMEAU, Droits des libertés fondamentales, Paris, Dalloz, 7ème édition, 2016.
- Michelle LECOLLE et Camille NOÛS, « Société civile (lexique) » [En ligne], Publictionnaire,
Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, Mis en ligne le 06 juillet 2020. Disponible
sur : https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02891853/file/societe-civile-lexique.pdf (consulté le 15
aout 2021).
- M. RICHEVAUX, « L’action en justice des syndicats et l’intérêt général », in J. CHEVALLIER (dir.),
Variations autour de l‘idéologie de l’intérêt général, Volume 2, Presses universitaires de France,
Paris, 1979, p. 91-110.
- M. SNOUSSI Mounir, Processus constituants et société civile, in mélanges en l’honneur du
doyen M-L. Fadhel MOUSSA, Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis,
2020.
-Ü. KINC, « La conception de la démocratie militante dans la jurisprudence de la cour européenne
des Droits de l’Homme », revue trimestrielle des droits de l’homme, n°20, avril 2012, pp. 297-
329.
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
Page 163
L’INTERPRÉTATION DÉMOCRATIQUE DE LA QUES-
TION DE CONCURRENCE DES LOIS EN MATIÈRE DE LA
LIBERTÉ D’EXPRESSION
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COMMENTAIRE DU JUGEMENT N°1753/2020 EN DATE DU 14
MAI 2020 DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE MANOUBA
Dr. Aymen ZAGHDOUDI
Maitre-assistant en Droit public
Université de la Manouba
LE DROIT D’ESTER EN JUSTICE EN VUE DE
DÉFENDRE LES INTÉRÊTS COLLECTIFS :
LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE NE CONSISTE QU’À
DÉFENDRE ET PROMOUVOIR LES LIBERTÉS
Mohamed Anoir ZAYANI 
Chercheur en droit à l’Université de Carthage
Secrétaire général de l’association tunisienne de défense
des libertés individuelles
SYNTHÈSE1
SYNTHÈSE227
Le régime autoritaire en Tunisie a développé ses propres outils et méthodes pour
contrôler l’espace public et intimider toutes les opinions critiques des opposants po-
litiques, des journalistes et des défenseurs des droits humains.
Le code pénal constitue l’un des textes juridiques les plus utilisés pour réprimer la
liberté d’expression et de la presse, instituant un climat de peur qui a prévalu jusqu’à
la chute du régime de Ben Ali (1987-2011).
Le 2 novembre 2011, un nouveau cadre juridique en matière de la liberté d’expres-
sion a vu le jour à savoir le décret-loi n°2011-115 relatif à la liberté de la presse, de
l’impression et de l’édition, qui comprend plusieurs garanties pour l’exercice de cette
liberté très précieuse dans toute société démocratique.
Cependant, plusieurs textes juridiques promulgués durant la période du régime au-
toritaire, et demeurent en vigueur, ont amoindri l’esprit libéral du décret-loi n° 2011-
115, surtout que plusieurs interprétations judiciaires ont refusé soit d’appliquer ledit
décret-loi, soit de limiter son application aux seuls journalistes et excluant ainsi les
autres individus tels que les artistes, les défenseurs des droits humains…etc.
1
Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
X-X.
On entend par société civile les organisations qui agissent conformément à la loi, qui
sont à but non lucratif et ne contribuent pas directement à la politique électoraliste,
notamment les associations et les syndicats. Afin d’atteindre leurs objectifs, les orga-
nisations de la société civile ont plusieurs moyens, dont notamment le recours aux
tribunaux.
Si le droit d’ester en justice afin de protéger des intérêts collectifs a été depuis 1966
garantit aux syndicats228. Toutefois, il n’a été reconnu aux associations que tardi-
vement, et ce, à travers le décret-loi n°2011-88 du 24 septembre 2011 relatif aux
associations. Ce droit a été reconnu en pratique dans plusieurs décisions. L’une de ces
premières décisions est celle issue d’un recours introduit par l’Association tunisienne
pour l’intégrité et la démocratie des élections (ATID) en 2013.
227 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
261-273.
228 Le code du travail promulgué en 1966 prévoit dans son article 244 le droit d’ester en justice pour les syn-
dicats pour défendre les intérêts de la profession et de ses membres.

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163
RAPPEL DES DÉCISIONS
C’est dans ce sens, que s’inscrivent les deux décisions objets du commentaire. La
première est une décision non publiée rendue le 14 février 2018 par le Tribunal de
Première Instance de Tunis, sous le n°88184. Elle vient en réponse au procès intenté
par le Syndicat National des Imams et des Cadres de Mosquées contre l’Agence na-
tionale d’Internet et l’Association Shams à travers laquelle le Conseil visait à fermer
la radio lancée par l’association qui œuvre pour la défense des droits des personnes
LGBT229. Le juge ne s’est pas prononcé sur le fond de l’affaire en raison de l’absence
de la qualité d’agir vu l’absence d’effets ni sur les droits et libertés des membres du
syndicat ni sur la profession.
Le deuxième jugement est un jugement non publié rendu par le Tribunal de première
instance de Tunis, n° 52064, en date du 9 juin 2015, qui fait suite au procès intenté
par l’Instance nationale d’appui à la résistance arabe et contre la normalisation et Le
sionisme (qui est une association) contre l’agence de voyages « Expédition ». Cette
affaire vient suite à la publication de cette dernière d’une annonce dans les journaux
au sujet d’un voyage qu’elle a l’intention d’organiser à El Qods (Jérusalem). Ainsi, l’as-
sociation a eu recours à la justice administrative dans le but d’annuler le voyage, le
considérant, à son avis, comme une normalisation avec l’entité sioniste. En saisissant
l’affaire, le tribunal a estimé que l’association n’avait pas le pouvoir d’empêcher le
voyage prévu car l’objet du procès intenté ne visait pas la défense d’intérêts collectifs,
mais consiste plutôt à une action contre les activités d’autrui.
En vue d’analyser à travers ces deux décisions le droit des organisations de la société
civile d’ester en justice pour défendre les intérêts collectifs, il est important de revenir
sur le rôle du juge dans l’appréciation de l’intérêt dont dispose ces organisations pour
agir en justice, d’une part, (1) et dans la limitation de l’exercice de ce droit notamment
en vue de protéger les droits et les libertés (2).
229 Les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transgenres.
Droits civils et politiques | Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs M-Anoir ZAYANI
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164
L’APPORT EN MATIÈRE DE LIBERTÉS
I. LE JUGE APPRÉCIE L’INTÉRÊT DES ORGANISATIONS D’ESTER EN JUSTICE
Dans la première affaire, le juge a qualifié la défense des « intérêts collectifs » par la
défense des objectifs qu’elle vise à réaliser, ce qui fait que la notion d’« intérêt col-
lectifs » diffère de la notion d’intérêt général, et diffère également de l’ensemble des
intérêts particuliers. Ainsi, l’intérêt collectif ne peut être suscité que par les associa-
tions que lorsqu’il est lié à leur domaine d’activité. Dans ce sens, l’intérêt à défendre
les intérêts collectifs des associations a été restreint par le principe de spécialisation
formelle « sur la base duquel sont rejetées toutes les revendications qui sortent du
cadre de l’objet et des objectifs de l’association tels que définis par ses statuts ».
Cette spécialisation permet aux associations qui incluent dans leur objet et leurs ob-
jectifs mentionnés dans leurs statuts de manière précise et claire, la possibilité de
défendre les intérêts collectifs liés à leurs objet et objectifs. Cela a été confirmé par
la justice française230 en n’acceptant pas les recours des associations lorsque leurs
objectifs mentionnés dans leurs statuts sont très généraux et difficilement définis.
S’agissant des syndicats et des organisations professionnelles, la défense de leurs
intérêts collectifs doit, selon le juge porter sur « les faits qui portent atteinte à la pro-
fession qu’elle représente ».
Défendre les faits qui menacent la profession est un droit garanti aux syndicats, coo-
pératives, ordres professionnels et autres organisations représentatives des profes-
sions et des travailleurs. Ce droit n’est pas seulement exercé par les organisations
syndicales nationales, mais également par ses branches régionales ou locales afin
de représenter la profession à ces niveaux, mais aussi dans le but de représenter les
droits des travailleurs quel que soit leur nombre, ainsi que les problèmes sectoriels ou
géographiquement limités qui peuvent toucher à la profession.
Ces problèmes peuvent être de nature matérielle, affectant directement ou indirecte-
ment la profession ou les travailleurs, et il peut être moral, le demandeur doit prouver
le dommage causé. C’est ce que le juge a décidé dans l’affaire Syndicat des imams et
cadres de mosquée contre l’Association Shams, que la radio créée par l’association ne
représente pas un préjudice à la profession en elle-même et aux imams et cadres de
mosquée. Ce qui importe au juge, c’est l’activité de l’association et non la « nature des
personnes qui la dirigent ».
230 L’intérêt pour agir n’est pas recevable lorsque l’objet statutaire d’une association est trop vague (« sau-
vegarde et amélioration de l’environnement naturel, patrimonial, social et humain ») : CAA Lyon, 1er avril
2008, n° 07LY1399.
Page 166
165
II. LE JUGE PROTÈGE LES LIBERTÉS CONTRE LES ORGANISATIONS DE LA
SOCIÉTÉ CIVILE
Le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a un intérêt collec-
tif à défendre. Ce pouvoir lui permet de mesurer la portée de la plainte faite par la so-
ciété civile et sa répercussion sur les droits des tiers. Ainsi, dans l’affaire de l’Instance
(nationale de soutien à la résistance arabe et contre la normalisation et le sionisme,
le juge a estimé que la demande soumise pour annuler le voyage prévu à El Qods
s’inscrit dans les intérêts collectifs que l’association entend protéger à travers ses ob-
jectifs. Cependant, le juge a rejeté l’affaire, estimant que « ce droit trouve ses limites
dans la nécessité de respecter les choix d’autrui et le devoir de ne pas s’immiscer
dans leurs actions par d’autres personnes privées, même s’il s’agit d’associations, sauf
que le procès intenté à cette fin devient une action en responsabilité individuelle que
l’association n’a pas le droit de poursuivre. »
Quant à la deuxième affaire contre l’association Shams, le juge n’a pas soulevé cette
question, alors que l’affaire était portée aussi contre une personne morale. Le juge a
seulement rejeté l’affaire en invoquant l’absence de l’intérêt à ester en justice. Cette
option peut se justifier, à notre avis, en raison du statut juridique du défendeur. Dans
le premier cas, le défendeur est une association qui œuvre selon ses objectifs à la
protection d’intérêts collectifs et par conséquent elle intervient dans les affaires pu-
bliques, mais dans le second cas, le défendeur est une agence de voyages (une entre-
prise), et n’intervient pas vraiment dans des questions d’intérêt collectif et reste limité
à son activité professionnelle.
Ainsi, le juge a rejeté les deux actions en justice pour prévenir les atteintes aux droits
et libertés, ce qui l’a amené, par exemple, dans le cas de l’Instance nationale d’appui
à la résistance, à anticiper et revoir le fond de l’affaire pour établir l’absence de d’in-
térêt d’ester en justice car l’affaire peut affecter les droits et libertés des personnes.
Cela représente l’essence du rôle qui lui est confié, celui du protecteur des droits et
libertés.
Droits civils et politiques | Le droit d’ester en justice en vue de défendre les intérêts collectifs M-Anoir ZAYANI
Page 167
166
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
- J. AUDINET, « La protection judiciaire des fins poursuivies par les associations », Revue
trimestrielle de droit civil, tome 35, 1955, p. 213-237.
- M.P. CAMPROUX DUFFRENE, « La représentation de l’intérêt collectif environnemental devant
le juge civil : après l’affaire Erika et avant l’introduction dans le Code civil du dommage causé à
l’environnement », Vertigo : La revue électronique en sciences de l’environnement. Disponible
sur : https://journals.openedition.org/vertigo/16320 (consulté le 11 octobre 2021).
- R. CHAPUS, «Rapport de synthèse», Actes du colloque du trentième anniversaire des tribunaux
administratifs, CNRS, 1986, p. 338.
- R. CHAPUS, Droit du contentieux administratif, Paris, LGDJ, 2008, 13e édition, p. 1445.
- Michelle LECOLLE et Camille NOÛS, « Société civile (lexique) » [En ligne], Publictionnaire,
Dictionnaire encyclopédique et critique des publics, Mis en ligne le 06 juillet 2020. Disponible
sur : https://hal.univ-lorraine.fr/hal-02891853/file/societe-civile-lexique.pdf (consulté le 15
aout 2021).
- N. MAOUIA, « L’intérêt pour agir en droit tunisien : Une véritable consolidation » [En ligne],
Village de la justice, 20 février 2018. Disponible sur : https://www.village-justice.com/articles/
interet-pour-agir-droit-tunisien-une-veritable-consolidation,27253.html (consulté le 27 avril
2021).
- Y. RENAUD, « Agir en justice : Les usages du recours juridique par les associations », Le
Philosophoire, n° 15, vol. 3, 2001, pages 117 à 131. Disponible sur : https://www.cairn.info/
revue-le-philosophoire-2001-3-page-117.html (consulté le 14 septembre 2021).
- M. RICHEVAUX, « L’action en justice des syndicats et l’intérêt général », in J. CHEVALLIER (dir.),
Variations autour de l‘idéologie de l’intérêt général, Volume 2, Presses universitaires de France,
Paris, 1979, p. 91-110.
- E. C. TIPPETT, « The Legal Implications of the MeToo Movement », Minnesota Law Review,
n°57, 2018, p. 241 et suite. Disponible sur : https://scholarship.law.umn.edu/cgi/viewcontent.
cgi?article=1056&context=mlr (consulté le 3 aout 2021).
- G. VEDEL, Droit administratif, Paris, PUF, 1990.
Page 168
167
LES RESTRICTIONS APPORTÉES AU DROIT
DE SE PORTER CANDIDAT AUX ÉLECTIONS
MUNICIPALES
COMMENTAIRE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
N°20181015 DU 16 MARS 2018
Issam BENHSAN
Maître de conférences à l’Université de Sfax
Faculté de Droit de Sfax
SYNTHÈSE231
RAPPEL DE LA DÉCISION
« Considérant que le requérant s’est limité à soulever le moyen tiré de l’inconstitu-
tionnalité de la loi électorale. En exigeant que la candidature doit être présentée dans
la circonscription électorale dans laquelle le candidat est inscrit, l’article 49 (bis) de la
loi électorale semble, selon le requérant, incompatible avec les articles 34 et 49 de la
constitution du 27 janvier 2014.
Considérant que l’article 148 alinéa 7 de la constitution dispose qu’ «au cours des
trois mois qui suivent la promulgation de la constitution, l’Assemblée Nationale
Constituante crée par loi organique une instance provisoire chargée du contrôle de la
constitutionnalité des projets de loi...Les tribunaux sont réputés incompétents pour
contrôler la constitutionnalité des lois».
Considérant que l’article 21 de la loi n°14 du 18 avril 2014 relative à l’instance provi-
soire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi prévoit que « les
décisions de l’instance s’imposent à tous les pouvoirs».
Considérant que l’interdiction faite aux tribunaux de contrôler la constitutionnalité
des lois ainsi que le caractère obligatoire des décisions de l’instance provisoire char-
gée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi ne concernent que les cas
231 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
271-294.
Droits civils et politiques | Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales Issam BENHSAN

Page 169
168
dans lesquels le juge constitutionnel a statué sur la question de constitutionnalité en
sa qualité du juge compétent en matière de constitutionnalité des lois.
Considérant que l’instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des
projets de loi n’a pas, auparavant, statué sur la constitutionnalité de la condition pré-
vue par l’article 49 (bis) de la loi organique relative aux élections et au référendum,
selon laquelle la candidature doit être présentée dans la circonscription électorale
dans laquelle le candidat est inscrit ; qu’en l’absence de la cour constitutionnalité, le
tribunal administratif ne peut pas transmettre à ladite cour la question de la constitu-
tionnalité en application de l’alinéa 4 de l’article 120 de la constitution.
Considérant que l’exclusion du juge administratif du contrôle de la condition légale
selon laquelle le candidat doit être inscrit dans la circonscription électorale au titre
de laquelle il présentera sa candidature, en dépit de l’absence d’un contrôle préalable
par le juge constitutionnel, entraînera nécessairement l’absence de tout contrôle sur
cette limitation; que l’absence d’un tel contrôle est incompatible avec les fondements
de l’Etat de droit, d’autant plus que l’article 49 de la constitution a chargé le juge de
veiller à la protection des droits et libertés de toute atteintes ou restrictions non jus-
tifiée. De même, l’article 102 de la constitution dispose que le juge est garant de la
suprématie de la constitution.
Considérant que la compétence du tribunal administratif pour statuer sur la constitu-
tionnalité de la restriction précitée ne peut qu’être reconnue».
L’APPORT EN MATIÈRE DES LIBERTÉS
- Le droit de se porter candidat : une des garanties de l’instauration de l’Etat de droit :
Le juge administratif rappelle que l’article 34 de la Constitution garantit les droits
d’élire, de voter et de se porter candidat. En effet, le tribunal administratif met l’accent
sur le fait que le droit de se porter candidat est le principe, alors que les restrictions
apportées à l’exercice de ce droit constituent l’exception.
Dans ce jugement, le Tribunal administratif a jugé qu’il exerce un contrôle sur les res-
trictions posées par la loi quant au droit de se porter candidat afin de vérifier le res-
pect par le législateur des principes de la proportionnalité et de la nécessité prévues
par l’article 49 de la Constitution.
L’intervention du pouvoir juridictionnel dans ce domaine permet de consolider la légi-
timité des élections et d’assurer l’acceptabilité des résultats.
Ainsi, le Tribunal administratif a procédé, dans ce jugement du 16 mars 2018 objet
de commentaire, au contrôle de la constitutionnalité de certaines dispositions de la

Page 170
169
loi électorale. Cette position du juge électoral trouve ses germes dans une série de
décisions rendue par l’Assemblée plénière juridictionnelle du tribunal administratif le
7 novembre 2013. Dans cette série de décisions, le juge administratif a accepté pour
la première fois de contrôler la constitutionnalité d’une loi par voie d’exception. Une
telle jurisprudence mérite d’être saluée.
Par conséquent, le tribunal administratif a reconnu sa compétence en matière de
contrôle de constitutionnalité des lois par voie d’exception. Dans cette affaire objet
de commentaire, le juge a contrôlé la constitutionnalité des restrictions législatives
apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales en particulier.
Pour appuyer sa position, le juge administratif s’est référé aux articles 49 et 102 de
la Constitution.
- Le droit de se porter candidat : une liberté constitutionnelle : Le droit de se porter
candidat est l’un des droits politiques garantis par la Constitution (article 34) et par les
conventions internationales (article 25 du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques).
Les restrictions apportées à l’exercice de ce droit doivent répondre aux exigences pré-
vues par l’article 49 de la Constitution : Ces restrictions ne peuvent être établies que
pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegar-
der les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale,
de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité
entre ces restrictions et leurs justifications.
En vérifiant si les restrictions posées par la loi électorale (article 49 bis) sont conformes
aux conditions de l’article 49 de la Constitution, le tribunal administratif a jugé dans
cette décision que la condition selon laquelle la candidature doit être présentée dans
la circonscription électorale dans laquelle le candidat est inscrit est conforme à l’ar-
ticle 49 puisqu’elle a pour objectif d’assurer l’organisation des candidatures et le bon
déroulement des élections. Cette condition répond aux exigences de la nécessité
puisque le candidat doit être bien informé des attentes des citoyens de la circonscrip-
tion électorale dans laquelle il est inscrit. En outre, cette restriction apportée au droit
de se porter candidat est conforme au principe de proportionnalité dans la mesure où
elle répond aux exigences d’un État civil et démocratique, d’une part et à l’objectif de
sauvegarder aussi bien les droits d’autrui que l’ordre public, d’autre part.
Droits civils et politiques | Les restrictions apportées au droit de se porter candidat aux élections municipales Issam BENHSAN
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170
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
- Y. BEN ACHOUR, Droit administratif, 3ème édition, Tunis, CPU, 2010.
- D. BOUTET, Vers l’État de droit, L’Harmattan, 1991.
- B. BERTÉGI, Le Tribunal administratif, un apprenti sorcier en matière constitutionnelle, Revue
tunisienne des sciences juridiques et politiques, n°2, 2017-2.
- L. HAMON, L’État de droit et son essence, Revue Tunisienne de Droit, 1990.
- L. TARCHOUNA, Le Tribunal administratif et la protection de la constitution, in, Mélanges,
Mustapha FILALI, Tunis, CPU, 2010.
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DROITS
ÉCONOMIQUES
ET SOCIAUX
5
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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LE DROIT À L’ENSEIGNEMENT
COMMENTAIRE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF,
AFFAIRE N°154505 EN DATE DU 22 JANVIER 2019
Docteure en droit, Maître-assistante en droit public
Université de Sfax, Faculté de Droit de Sfax
Mabrouka ESSID
SYNTHÈSE232
RAPPEL DE LA DÉCISION
Protecteur des droits et libertés, tel qu’annoncé dans l’arrêt Pierre Falcon en 1981233,
le Tribunal Administratif (TA) ne cesse de confirmer cette tendance. L’arrêt objet de
notre commentaire rappelle de nouveau cette fonction protectrice de l’un des droits
humains de la 2ème génération à savoir le droit à l’éducation.
Dans cet arrêt, la demanderesse a obtenu son licence en droit public en 2012. Elle
s’est inscrite en 1ère année mastère au cours des années universitaires 2012/ 2013 et
2013/ 2014. Elle a réussi sa 1ère année mastère avec une moyenne de 10,09. Néan-
moins, pour des raisons sociales, elle n’a pas pu poursuivre ses études.
Lors de l’année universitaire 2016/2017, elle a voulu reprendre ses études et s’ins-
crire en 2ème année mastère. Elle a présenté une demande d’inscription au doyen qui
l’a refusée.
Lésée, l’étudiante s’est adressée au TA demandant l’annulation de la décision du
doyen refusant son inscription en 2ème année mastère. Elle reprochait à la décision
de refus de son inscription sa violation des dispositions de l’article 39 de la Constitu-
tion qui consacre le droit à l’éducation.
232 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
293-308.
233 TA, aff, n°325 du 14 avril 1981, PIERRE FALCON c/Ministre de l’Intérieur, Rec, TA, 1981, p.110.
.»ةماعلا اهقفارم رارمتسا ةلودلا ةملاس ىلع هتاذ تقولا يف صيرحلاو ةماعلا تايرحلا يماح وه يرادلإا ءاضقلا«
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173
L’administration a défendu la légalité de sa décision prise en application des disposi-
tions de l’article 7 du décret n°1227 du 1er août 2012 qui prévoit que l’étudiant n’a
droit qu’à quatre inscriptions (une seule inscription pour chaque année/ la possibilité
de bénéficier d’une inscription supplémentaire en cas de redoublement à l’une des
deux années/ la possibilité de passer les examens relatifs aux unités d’enseignement
restantes au cours de l’année suivante). Ceci implique que la demande d’une 5ème
inscription effectuée par la requérante soit dépourvue de tout fondement légal et
viole le principe d’égalité entre les étudiants.
Faisant prévaloir le droit à l’éducation garanti par l’article 39 de la Constitution et
les dispositions de l’article 49 de la Constitution qui énoncent que toute restriction
apportée à un droit ou une liberté doit être fixée par une loi, le TA, donnant raison à
l’étudiante, a annulé la décision de refus de son inscription.
L’APPORT EN MATIÈRE DE LIBERTÉS
LE DROIT DE S’INSCRIRE EST LIÉ AU DROIT À L’ÉDUCATION GARANTI PAR LA
CONSTITUTION
Selon le tribunal administratif, le droit de s’inscrire est intimement lié au droit à l’édu-
cation : le droit à l’inscription est la première étape qui permet à l’étudiant d’exercer
son droit à l’éducation. Priver l’étudiante de son droit de s’inscrire en deuxième année
du master en droit public porte atteinte à son droit à l’éducation et à la substance
même de ce droit garanti par la Constitution.
En outre, le TA n’a pas cherché si la requérante était dans l’impossibilité de s’inscrire.
Pour lui, le droit à l’inscription est un droit permanent qui peut être réclamé à maintes
reprises à condition de respecter le délai de recours à partir de la dernière demande
effectuée.
LES RESTRICTIONS AU DROIT À L’ÉDUCATION SONT LIMITÉES PAR LA
CONSTITUTION
Le droit à l’éducation est une liberté fondamentale garantie par la Constitution. Des
restrictions peuvent, néanmoins, être apportées à son exercice à condition qu’elles
soient fixées par une loi et nécessaires dans le but d’éviter que le législateur ou l’ad-
ministration portent atteinte à leur substance.
En appliquant l’article 49 de la Constitution, le juge administratif rappelle que la loi
fixe les restrictions relatives aux droits et libertés garantis par la Constitution et à
leur exercice. Or, l’administration s’est fondée sur un décret réglementaire (ayant une
Droits économiques et sociaux | Le droit à l’enseignement Mabrouka ESSID

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174
valeur infra-législative) pour priver la requérante de son droit à l’éducation, la décision
attaquée est contraire à la Constitution et le TA a fini par l’annuler. Selon une juris-
prudence administrative bien établie, le droit à l’éducation, indispensable en vue de
l’exercice des autres droits humains, doit être accessible à toutes les personnes, sans
aucune discrimination.
En consacrant les exigences posées par l’article 49 de la Constitution, le juge a affirmé
dans ce jugement que les restrictions apportées au droit à l’éducation ne peuvent être
établies que pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue
de sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique.
Cependant, le tribunal administratif n’a pas vérifié l’existence ou l’absence de l’exi-
gence de la condition de nécessité. Il s’est contenté d’annuler l’acte administratif pour
violation de la Constitution. Le juge a statué que le fait que l’administration s’est ba-
sée sur l’article 7 du décret n°1227 de 2012 n’est pas conforme aux dispositions de
la Constitution garantissant le droit à l’éducation.
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175
LE DROIT AU TRAVAIL OU DE LA LIBERTÉ
DU COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE
COMMENTAIRE DU JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DU 12 JANVIER 2021
Marwa BEN RHAIEM
Magistrate au Tribunal Administratif
SYNTHÈSE234
Le contrôle du juge administratif sur la légalité des actes administratifs a connu ré-
cemment une extension remarquable compte tenu de la multiplication et la diversité
des organismes publics et l’élargissement de leurs domaines d’intervention.
En outre, l’émergence et la croissance du phénomène du terrorisme ainsi que la crise
sanitaire due à la Covid 19, qu’a traversé notre pays depuis plus d’une année, consti-
tuent deux causes majeures qui ont contribué à la croissance de l’intervention des
pouvoirs publics dans la réglementation de l’ordre public et la limitation des libertés
privées.
RAPPEL DE LA DÉCISION
C’est dans ce cadre que se situe l’arrêt n°410548 et 410596 rendu par le juge admi-
nistratif le 12 janvier 2021, objet de commentaire.
En se référant aux faits de la décision mentionnée, le ministre de l’Intérieur a pris une
décision de fermeture totale de l’avenue Jamel Abdel Nasser devant la circulation des
véhicules depuis la date du 28 mars 2020.
234 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
309-326.
Droits économiques et sociaux | Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie Marwa BEN RHAIEM


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176
Face à cette décision, la requérante, qu’est locatrice d’un parc de stationnement dans
l’avenue mentionnée, a déposé une demande de sursis à exécution de ladite décision.
En effet, l’arrêt mentionné a limité la liberté de la requérante d’exercer son activité
économique.
Et afin de vérifier et contrôler l’exactitude de ces faits le juge administratif a effectué
une visite sur le terrain.
En outre, et afin de statuer sur la légalité de la décision attaquée, le juge administra-
tif s’est basé sur les dispositions de l’article 49 de la Constitution tunisienne du 27
janvier 2014.
L’APPORT EN MATIÈRE DE LIBERTÉS
I. L’ÉVOLUTION DU RÔLE DU JUGE ADMINISTRATIF DANS LA PROTECTION DE
LA LIBERTÉ DE COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE
La décision faisant l’objet du commentaire reflète l’idée de l’évolution de la posi-
tion du juge administratif dans la protection du principe de liberté de commerce et
d’industrie, puisque dès ses premières années de travaux, le Tribunal administratif a
considéré que la liberté de commerce et de l’industrie représente un principe général
du droit qui exige un contrôle strict de toutes les limites auxquelles il peut répondre.
Cependant, c’est la première décision rendue par le tribunal administratif en matière
de sursis à exécution, à travers laquelle le juge administratif se fonde sur les disposi-
tions de l’article 49 de la Constitution pour renforcer son contrôle sur les restrictions
que les autorités de police administrative peuvent prendre pour limiter la liberté de
commerce et de l’industrie (1), ce qui traduit, à notre avis, la reconnaissance implicite
de la valeur constitutionnel de cette dernière (2).
1. Le recours aux dispositions de l’article 49 de la constitution pour le renforcement
du contrôle sur les restrictions au principe de la liberté de commerce et de
l’industrie
L’article 49 de la Constitution du 27 janvier 2014 dispose : « la loi détermine les res-
trictions aux droits et libertés garantis par la présente constitution et à leur exercice
sans que cela ne porte atteinte à leur essence. Ces restrictions ne peuvent être dé-
cidées qu’en cas de nécessité exigée par un Etat civil et démocratique dans l’objectif
recherché et leur nécessité. Les instances juridictionnelles se chargent de la protec-
tion des droits et libertés contre toute violation. Aucun amendement ne peut porter
Page 178
177
atteinte aux acquis en la matière de droits de l’Homme et des libertés garanties par la
présente constitution ».
Afin de contrôler la légalité de la décision prise par le ministre de l’Intérieur d’interdire
la circulation des véhicules et ses effets sur l’activité économique de la requérante, le
juge administratif s’est basé sur les dispositions de l’article 49 de la constitution du
27 janvier 2014, malgré le fait que les libertés économiques en général et la liberté de
commerce et de l’industrie en particulier ne sont pas explicitement consacrées dans
le texte de la Constitution.
En outre, le juge administratif rappelle encore une fois que la liberté de commerce et
de l’industrie demeure la règle et la restriction de police l’exception235. De même, le
juge rappelle que l’organisation de la liberté du commerce et de l’industrie ne peut se
faire que dans le cadre d’une loi organique.
En outre, le juge administratif a insisté sur le fait que les restrictions apportées à la
liberté de commerce et de l’industrie ne peuvent pas s’effectuer qu’en respectant les
conditions prévues par l’article 49 de la Constitution. Particulièrement la condition
de proportionnalité, de nécessité et à condition de ne pas porter atteinte à l’essence
de la liberté.
2. Une reconnaissance implicite de la valeur constitutionnelle de la liberté de
commerce et de l’industrie
Dans cette décision, le juge administratif s’est basé sur les dispositions de l’article 49
de la constitution pour contrôler la légalité de la restriction de police limitant la liberté
de commerce et de l’industrie.
Bien que le constituant ait consacré tout un chapitre relatif aux droits et libertés, à
savoir le Chapitre 2 qui comporte 29 articles, la liberté de commerce et de l’industrie
ne figure pas dans cette liste. En effet, cette liberté a été déclassée dans le texte de
la constitution.
Le recours aux dispositions de l’article 49 de la constitution par le juge administratif
reflète une reconnaissance implicite du statut constitutionnel de la liberté de com-
merce et de l’industrie.
235 Arrêt n°150638, du 31 décembre 2020, M.K/ ministre de l’Intérieur. Arrêt n°121327 du 18 janvier 2013,
Société « Elkhadra »/ ministre de l’Agriculture.
Droits économiques et sociaux | Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie Marwa BEN RHAIEM
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178
II. LE JUGE ADMINISTRATIF EXERCE UN CONTRÔLE MAXIMUM SUR LES
MESURES DE POLICE ADMINISTRATIVE LIMITANT LE PRINCIPE DE LA
LIBERTÉ DE COMMERCE ET DE L’INDUSTRIE
Revenant à l’examen des faits de l’affaire en question, on trouve que le ministre de
l’Intérieur a motivé sa décision attaquée par des raisons d’ordre sécuritaire. A ce pro-
pos, le juge administratif se trouve dans la mise en balance de la liberté et de la sécu-
rité. Et afin d’exercer un contrôle approfondi sur cette mesure (2), le juge administratif
a examiné l’étendue des compétences du ministre de l’Intérieur en tant qu’autorité
de police spéciale (1).
1. La liberté de commerce et de l’industrie et l’étendue des compétences du ministre
de l’Intérieur en tant qu’autorité de police administrative spéciale
L’article 46 du code de la route dispose : « le ministre de l’intérieur, dans tous les cas,
le ministre chargé de l’équipement, les gouverneurs et les présidents des municipali-
tés, chacun en ce qui le concerne, peuvent prendre en cas de danger exceptionnel, les
mesures nécessaires pour organiser la circulation sur les routes ».
D’après la lecture de cet article on constate que le législateur a accordé au ministre
de l’Intérieur, en tant qu’autorité de police administrative spéciale, la compétence
d’organiser la circulation sur les routes.
Tout d’abord, il nous semble intéressant de définir la notion de police administrative
générale ainsi que la notion de police administrative spéciale.
La première a pour but essentiel la prévention des atteintes à l’ordre public, pris dans
ses différentes composantes (tranquillité, sécurité, salubrité..). La police administrative
poursuit spéciale quant à elle des buts d’ordre public spécial ou d’intérêt général ex-
trêmement variés (en matière d’environnement, de régulation d’activités, de péril…)236.
Ensuite, il est évident que les mesures de police administrative portent atteinte aux
libertés auxquels elles s’appliquent. Ainsi, un contrôle juridictionnel approfondi doit
être exercé sur cette pratique.
2. La soumission des mesures de police administrative limitant la liberté de commerce
et de l’industrie à un contrôle approfondie exercé par le juge administratif
La conciliation entre les libertés individuelles ou collectifs et le maintien de l’ordre
public demeure une tache à la fois difficile et sensible. Le juge administratif exerce
dans ce propos un contrôle de légalité approfondie. Dans cet arrêt le juge adminis-
tratif rappelle que :
236 « Les police administratives », Les 50 questions, n°331, 2019, p 3.
Page 180
179
Premièrement, la mesure de police administrative ne peut en aucun cas être générale
et absolue vue que ce caractère conduit certainement à vider la liberté de son es-
sence. Et la mesure prise par le ministre de l’Intérieur a privé la requérante d’exercer
son activité économique totalement et son droit au travail d’une manière générale. Il
a rappelé aussi que ce droit constitue un droit universel pour l’être humain237 et qui ne
peut pas être atteint dans le cadre de la proportionnalité et la nécessité.
Deuxièmement, le juge administratif a montré que la décision attaquée n’était pas
nécessaire pour assurer la sécurité publique et protéger l’ambassade de France à Tunis
contre les attaques terroristes.
Il est à noter que le contrôle du juge administratif dans cette affaire s’est étendu
jusqu’à vérifier la proportionnalité des mesures prises dans ce cadre avec les circons-
tances qui l’entourent et les objectifs qu’elle vise à atteindre.
Enfin, le juge administratif a fini par suspendre l’exécution de la décision attaquée
conformément aux dispositions de l’article 39 de la loi organique n°72-40 du 1er juin
1972 relative au tribunal administratif238.
A la lumière de tout ce qui précède, on peut avouer que cet arrêt constitue un gain
pour la protection des libertés économiques en général et pour la liberté de com-
merce et de l’industrie en particulier.
237 Affaire n°2656, 4 mai 1994.
238 L’article 39 de la loi n°72-40 dispose que : « le recours pour excès de pouvoir n’a pas d’effet suspensif.
Toutefois, le premier président peut ordonner le sursis à exécution jusqu’à l’expiration des délais de recours
ou jusqu’à la date du prononcé du jugement, et ce, lorsque la demande du sursis repose sur des motifs
apparemment sérieux et que l’exécution de la décision objet du recours est de nature à entrainer, pour le
requérant, des conséquences difficilement réversibles.
La demande de sursis à exécution est introduite par une requête indépendante de la requête principale et
doit être signée, soit par le requérant ou un avocat à la cour de cassation ou à la cour d’appel, soit par un
mandataire muni d’un pouvoir dument légalisé.
L’instruction des dossiers de sursis à exécution se fait selon la procédure d’urgence et dans les brefs délais.
L’absence de réponse, de la part des parties dans les délais qui leurs sont prescrits, n’empêche pas l’examen
de l’affaire ».
Droits économiques et sociaux | Le droit au travail ou de la liberté du commerce et de l’industrie Marwa BEN RHAIEM
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180
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
-BEN MRAD (H.), La liberté du commerce et de l’industrie, Thèse pour le doctorat d’Etat en
droit, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 1998.
- CHAPUS (R.), « De la valeur juridique des principes généraux de droit et des autres règles
jurisprudentielles du droit administratif », D.1966.
-MOKRANI (R.), Le problème de la liberté dans le constitutionnalisme Tunisien, Thèse pour le
doctorat en droit, faculté de droit et des sciences politiques de Sousse, 2018-2019.
- RIVERO (J.) & HUGUES (M.), Libertés publiques, Paris, PUF, 9éme édition, 2003.
Page 182
181
LES LIBERTÉS SYNDICALES
COMMENTAIRE D’UNE DÉCISION RENDUE PAR LE TRIBUNAL
ADMINISTRATIF, EN PREMIÈRE INSTANCE DANS L’AFFAIRE N° :
139135 EN DATE DU 26 JUIN 2015
Firas LOUKIL
Juge au Tribunal administratif
Enseignant universitaire
SYNTHÈSE239
« Une société sans juge ou même une société dans laquelle le juge serait prié de ne pas se 
mêler de libertés, ce serait une jungle impitoyable, livrée à la violence, à la toute-puissance 
de l’argent et à l’arbitraire étatique. Dans le monde réel, le juge tel qu’il est, est un défenseur 
inespéré et irremplaçable de nos libertés »240.Ainsi, la possibilité pour le citoyen de saisir
un juge constitue la première des libertés parce qu’elle est la garantie de toutes les
autres241.
Dès les premières années de la mise en place du Tribunal Administratif (TA), le juge
administratif tunisien s’est proclamé, dans l’affaire FALCON, comme le protecteur des
libertés242.
Le combat pour les libertés y compris bien des libertés syndicales a été, partout, inti-
mement lié à celui pour la défense des valeurs de la démocratie. L’histoire du mouve-
ment syndical en Tunisie, comme ailleurs, le confirme. Elle atteste aussi que la liberté
syndicale est avant tout une liberté conquise en ce sens que le fait syndical a toujours
précédé la reconnaissance juridique de cette liberté243.
239 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp.
327-344.
240 J-P. COSTA, « Le juge et les libertés », Pouvoirs, n°48, 1998, p.87.
241 DONNEDIEU DE VABRES, « La promotion des droits de l’Homme par les juridictions administratives en
France », E.D.C.E, 1949, p.43.
242 TA, aff, n°325 du 14 avril 1981, PIERRE FALCON c/Ministre de l’Intérieur, Rec, TA, 1981, p.110.
.»ةماعلا اهقفارم رارمتسا ةلودلا ةملاس ىلع هتاذ تقولا يف صيرحلاو ةماعلا تايرحلا يماح وه يرادلإا ءاضقلا«
243 N. MZID, « Liberté syndicale et transition démocratique: propos introductifs », article publié in « Syndicats
et transition démocratique » Actes de colloque tenue à la Faculté de Droit de Sfax, sous la direction du
Professeur Nouri Mzid, Imprimerie SOGIC, Sfax, 2016, p.7.
Droits économiques et sociaux | Les libertés syndicales Firas LOUKIL6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection

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Dans ce cadre, un jugement rendu par la première chambre de première instance du
tribunal administratif daté le 26 juin 2015 (affaire n°139135) dans lequel la Fédéra-
tion générale tunisienne du travail (FGTT) a demandé à plusieurs reprises au chef du
gouvernement de lui accorder les droits et privilèges résultant de son statut d’orga-
nisation syndicale légalement constituée, mais ses demandes ont été accueillies par
le silence. Par conséquent, elle a déposé un recours devant le Tribunal Administratif
le 26 septembre 2014, demandant l’annulation des décisions implicites de rejet, ren-
dues par le chef du gouvernement et le ministre des affaires sociales.
En fait, ce statut permet au syndicat de faire valoir ses droits et privilèges dont no-
tamment de déduire les frais de l’affiliation des travailleurs aux syndicats qui sont
normalement déduits directement par l’administration et les institutions publiques et
privées et puis transférés sur leurs comptes bancaires en tant qu’organisation syn-
dicale légale ainsi que l’affectation à plein temps d’un certain nombre de dirigeants
syndicaux, parmi les agents et employés des institutions publiques et privées, à son
administration pour se consacrer à l’activité syndicale conformément à la réglemen-
tation en vigueur.
Dans cette affaire, le tribunal administratif a souligné que « l’absence de réponse
du gouvernement aux demandes du syndicat a empêché l’exercice du droit syndical
garanti à toute organisation syndicale par la constitution, les traités internationaux
et les lois en vigueur », d’autant plus que l’administration n’a pas « réussi à prouver
que le refus relève des limites au droit constitutionnel tel que prévu à l’article 49 de
la Constitution ». Le TA souligne que « le refus de l’administration d’habiliter la Fédé-
ration générale tunisienne du travail des droits et privilèges résultant de son statut
d’organisation syndicale conduit à vider le principe de la liberté syndicale de ses com-
posantes les plus importantes ».
Garante des droits et des libertés, Le tribunal administratif a reconnu pour la première
fois de pluralisme syndical (1), tout en traçant les limites au droit syndical (2).
1. LE TRIBUNAL RECONNAIT LE PLURALISME SYNDICAL
Universellement proclamée, la liberté syndicale a acquis en Tunisie, depuis 1959, la
vertu d’une liberté publique constitutionnellement garantie244. La Constitution du 27
janvier 2014 est venue renforcer la consistance de cette liberté fondamentale. Tout
en proclament dans son article 35 la liberté de constituer des syndicats, elle annonce
dans son article suivant « le droit syndical est garanti, y compris le droit de grève »245.
244 Article 8 de la Constitution du 1er juin 1959.
245 N. MZID, « Liberté syndicale et transition démocratique: propos introductifs », article publié in « Syndicats
et transition démocratique » Actes de colloque tenue à la Faculté de Droit de Sfax, sous la direction du
Professeur Nouri Mzid, Imprimerie SOGIC, Sfax, 2016, p.8.
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183
Dans cette décision, le tribunal administratif a reconnu le droit de former des syndi-
cats en soulignant la nécessité d’assurer l’exercice du droit syndical. Ainsi, le tribunal
a confirmé que les dispositions constitutionnelles et les traités internationaux ratifiés
par l’Etat tunisien garantissent les droits syndicaux. C’est une liberté garantie aux
travailleurs et aux employés qui leur permet de se syndiquer dans le but de défendre
leurs intérêts professionnels collectifs et d’introduire une forme d’équilibre et de mo-
dération dans le domaine des relations de travail.
Selon le tribunal, il ne fait aucun doute que l’existence de syndicats libres et indépen-
dants est une condition nécessaire et fondamentale des relations professionnelles, ce
qui renforce la position principale du principe de la liberté d’association en tant que
fondement juridique sur lequel l’existence et l’activité des syndicats se fondent sur
un cadre légal permettant la représentation collective des travailleurs. D’ailleurs, il ne
suffit pas de reconnaître l’existence légale d’une structure syndicale, mais plutôt de
faciliter l’exercice du droit syndical, et cela ne peut se faire qu’en lui accordant tous les
privilèges et droits qui en découlent.
Le tribunal ajoute qu’« il ne fait aucun doute que l’une des tâches principales de l’orga-
nisation syndicale est de défendre ses membres et de rechercher des moyens légaux
légitimes à cette fin, telle que la négociation avec les travailleurs ou avec les autori-
tés administratives concernant la situation financière de ses membres ou en termes
d’amélioration de leurs conditions de travail ». Il est également certain que la pérenni-
té de l’organisation Syndicale exige évidemment qu’elle prélève sur ses membres les
cotisations, selon la réglementation en vigueur. Le TA a souligné qu’il est du devoir
de l’administration de traiter toutes les organisations syndicales « sur un pied d’égalité
sans discrimination ni injustice conformément aux textes légaux et réglementaires en
vigueur afin d’activer un véritable pluralisme syndical qui correspond à ce que l’Etat
tunisien a réalisé dans le domaine politique».
Le tribunal réaffirme dans cette décision la légalité des moyens de lutte syndicale.
Dans des décisions antérieures, le Tribunal administratif a considéré que « le recours à
la grève est un moyen d’exercer le droit syndical conformément aux lois et règlements
en vigueur », toutefois, la grève entraîne la retenue automatique du salaire en fonction
de la période d’absence du travail, car aucun paiement ne peut être effectué qu’au
véritable créancier justifiant de ses droits et pour l’acquittement d’un service fait246.
Quant à la négociation, elle revêt une importance particulière dans le système des
relations professionnelles, car certains la considèrent comme une extension naturelle
du droit syndical, ce qui constitue la même position du tribunal dans cette décision,
puisqu’il a reconnu qu’«il ne fait aucun doute que l’une des tâches premières de l’orga-
nisation syndicale est de défendre ses membres et de rechercher des moyens légaux
246 L’article 41 du code de comptabilité publique tunisien.
Droits économiques et sociaux | Les libertés syndicales Firas LOUKIL6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection
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184
légitimes à cette fin : négocier avec les travailleurs ou avec les autorités administra-
tives concernant la situation financière de ses membres ou en ce qui concerne l’amé-
lioration de leurs conditions de travail ».
La négociation est considérée comme un mécanisme de rationalisation des relations
professionnelles, de règlement des différends et de consolidation du droit syndical.
Elle a fait l’objet de plusieurs dispositions conventionnelles à savoir la convention n°
98 de 1949, que notre pays a ratifiée depuis 1957 qui dans son article 4 prévoit que
les Etats prennent les mesures nécessaires pour encourager les procédures de négo-
ciation entre les employeurs et les organisations des travailleurs à plus grande échelle
afin de réglementer les conditions d’emploi par des conventions collectives.
Dans l’arrêt faisant l’objet de commentaire, le juge fait référence à la lenteur du légis-
lateur à mettre en place un système juridique intégré régulant le pluralisme syndical.
Il était indiqué dans la motivation du jugement que : « Si les textes législatifs relatifs à
l’exercice du droit syndical n’ont pas encore été promulgués au sens des dispositions
des articles 35, 36 et 49 de la constitution, il n’est pas contesté que le principe de
garantir le droit syndical et le principe de faciliter l’exercice de ce droit appartiennent à
l’ensemble des principes de la valeur constitutionnelle que l’État est tenu de respecter
et de fournir les éléments de sa garantie ». Ainsi, le pouvoir juridictionnel administra-
tif ne s’est pas contenté de protéger le droit syndical et de consacrer les différents
mécanismes et principes juridiques qui le régissent, mais il a clairement eu pour rôle
d’orienter le pouvoir législatif afin de légiférer conformément aux dispositions de la
constitution et des traités internationaux garantissant le droit syndical.
De même, le tribunal a affirmé qu’en vertu du principe du pluralisme syndical, tous les
syndicats libres et indépendants, légalement constitués, ont le droit à la participation
aux négociations sociales, au dialogue social à tous les niveaux sur la base de la repré-
sentativité proportionnelle et non restrictive. Ils ont également droit aux subventions
et aux détachements.
Une intervention du législateur en vue d’introduire une réforme substantielle du droit
syndical nous semble alors nécessaire. Mais cette réforme doit s’inscrire dans une
démarche globale de modernisation du système de relations professionnelles repré-
sentatives et légitimes. Une telle démarche permettra de réhabiliter les organisations
syndicales des salariés et des employeurs dans leur rôle d’acteurs incontournables de
la démocratie sociale247.
247 N. MZID, « Liberté syndicale et transition démocratique: propos introductifs », article publié in« Syndicats
et transition démocratique » Actes de colloque tenue à la Faculté de Droit de Sfax, sous la direction du
Professeur Nouri Mzid, Imprimerie SOGIC, Sfax, 2016, p.21.
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185
2. LE TRIBUNAL TRACE LES LIMITES AU DROIT SYNDICAL
Dans ce jugement, le tribunal administratif a annulé la décision de l’administration, car
cette dernière « n’a pas réussi à prouver que l’acte de refus remplit les limites prévus
à l’article 49 de la Constitution». En se basant sur ledit article, le juge administratif a
indiqué que la liberté syndicale peut, comme tous les autres droits et libertés consti-
tutionnellement garantis, subir des « restrictions » et son exercice peut être soumis
à des « conditions ». Mais ces restrictions et conditions sont aussitôt encadrées par
cette disposition : elles doivent être prévues par la loi, ne sauraient porter atteinte à
« l’essence » de la liberté en cause, doivent être justifiées par la nécessité, telle qu’elle
peut apparaitre « dans un Etat civil et démocratique », de protéger les droits des tiers
ou d’assurer « (la) sécurité publique, (la) défense nationale, (la) santé publique ou mo-
rale publique » et enfin, doivent répondre à une condition d’adéquation et de propor-
tionnalité à l’objectif visé248. Le tribunal a ajouté que ces restrictions ne doivent pas
porter atteinte à la substance de ce droit. Ces limites ne devraient pas être laissées
à la discrétion de l’administration, mais devraient être régies par les règles fixées par
la constitution elle-même, notamment les dispositions de l’article 49, qui ne donne
qu’au législateur la possibilité d’imposer des limites à l’exercice du droit syndical.
De même, le tribunal administratif a indiqué que le pluralisme syndical doit être mis en
œuvre en Tunisie pour garantir une représentativité effective de tous les travailleurs
et pour favoriser un terrain de concurrence loyale et honnête et contribuer à la pré-
sentation de différents plans et programmes de réformes dans tous les secteurs pour
développer l’économie. Il a, en outre, plaidoyé au développement du cadre législatif
pour faciliter la mise en application du pluralisme syndical.
En guise de conclusion, la justice administrative a joué un rôle remarquable dans la
consolidation de la liberté syndicale et du pluralisme syndical . Elle a « su imposer à
l’administration, au-delà d’une légalité étroite, le respect des principes de liberté et
d’égalité, contribuant ainsi à préserver les fondements d’une société démocratique »249.
248 A. JEAMMAUD,, « Liberté syndicale et démocratie », article publié in « Syndicats et transition démocra-
tique » Actes de colloque tenue à la Faculté de Droit de Sfax, sous la direction du Professeur Nouri Mzid,
Imprimerie SOGIC, Sfax, 2016, p.37.
249 D.LOCHAK, « Le droit administratif, rempart contre l’arbitraire ? », Pouvoirs n°46, 1988, p. 43.
Droits économiques et sociaux | Les libertés syndicales Firas LOUKIL6. Droits des groupes minorés 6.1 Sami BOSTANJI : Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s 6.2 Insaf AYARI : Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection

Page 187
186
INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
OUVRAGES
- M.VERDIER ; Syndicats et droit syndical. Volume 1 : Liberté, structures, action. Dalloz, 2éme
édition, 1987.
- J.J .ISRAEL. , Droit des libertés fondamentales, Précis Dalloz, 4éme édition, 2007.
- X.PHILIPPE, Droit administratif des libertés, Economica, 1998.
George BURDEAU, Les libertés publiques, librairie générale de droit et de jurisprudence, 2éme
édition, 1961.
ARTICLES
- Jean-Paul COSTA , « Le principe de proportionnalité dans la jurisprudence du Conseil d’État
», AJDA, 1988.
- M. Gargouri, « De l’égalité devant la loi à l’égalité par la loi (à propos de l’avis du conseil
constitutionnel n34-2005 concernant un projet de loi d’orientation relatif à la promotion et à la
protection des personnes handicapées), Etudes Juridiques, n°15.
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DROITS
DES GROUPES
MINORÉS
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Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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OMBRES ET LUMIÈRES AUTOUR DU STATUT
JURIDIQUE DES TRANSSEXUELS

RETOUR SUR LE JUGEMENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INS-
TANCE DE TUNIS N° 12304 EN DATE DU 9 JUILLET 2018250
Le Doyen Sami BOSTANJI
Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis
(Droit des relations internationales, des marchés et des négociations)
Directeur du laboratoire DRIMAN
L’examen global de la jurisprudence tunisienne en matière de statut personnel ré-
vèle souvent «une turbulence» dans l’application judiciaire des normes inhérentes à
la matière. Alors même que certains juges font appel au droit musulman en vue de
l’interprétation des normes du statut personnel, d’autres n’hésitent pas à recourir aux
droits fondamentaux en vue d’éclairer ces mêmes règles251.
Au-delà du côté technique, l’appel à l’une ou l’autre de ces démarches constitue un
sérieux indicateur du conservatisme des positions dans la première hypothèse et de
leur modernisme dans la seconde. L’oscillation ainsi observée est révélatrice de tergi-
versations autour de l’approche d’une matière dont la modernisation « par le haut » n’a
pu éliminer les pesanteurs du passé. Cette posture atteint son paroxysme lorsqu’au
sein d’une même décision, les deux référentiels en question sont simultanément
convoqués en vue de fonder la solution juridique entérinée, exprimant par là même
250 Voir déjà sur cette décision :
Souhayma BEN ACHOUR, « Le juge tunisien reconnaît enfin le trouble de l’identité sexuelle, Commentaire
du jugement du Tribunal de première instance de Tunis, Lina/ Rayane, 9 juillet 2018 (n°12304) », in Lectures
de Jurisprudence IV, à paraître ; adde,
ماظنلا ةيامحو ةصاخلا ةايحلا ةيامح نيب ةيردنجلا ةيوهلا :»يسنجلا لوحتلا« نأشب يسنوت يئاضق مكح« ،يصلاجلا نيمأ دمحم
.2018 ربمتبس 7 ،ةينوناقلا ةركفملا ،»ماعلا
251 Sur ce phénomène, cf
S.BOSTANJI, « Turbulences dans l’application judiciaire du Code tunisien du statut personnel : le conflit de
référentiels dans l’œuvre prétorienne », RIDC, I, 2009, pp 7-47 ; voir également,
S. BEN ACHOUR, « L’interprétation du droit tunisien de la famille, entre référence à l’Islam et appel aux
droits fondamentaux », in L’interprétation de la norme juridique, colloque organisé par la Faculté des
sciences juridiques, économiques et de gestion de Jendouba, les 5 et 6 avril 2010, Avec le soutien de la
Fondation Hanss Seidel, 2011, p. 17;
S. BEN HALIMA, « Religion et statut personnel en Tunisie », Revue tunisienne de droit, 2000, p. 107 ;
M.M. BOUGUERRA, « Le juge tunisien et le droit du statut personnel », Actualités juridiques tunisiennes,
2000, n° 14, p. 7, « Le Code tunisien du statut personnel, un Code laïc ? », Mélanges offerts au Professeur
Sassi Ben Halima, CPU, 2005, p. 529.
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189
la schizophrénie d’un système troublé par le changement brusque de paradigmes
pluriséculaires ; un système où la tentation de la modernité est bridée par l’attrait
qu’exerce encore le modèle historique sur nos juges.
La décision rendue par le Tribunal de première instance de Tunis en date du 9 juillet
2018 constitue une déclinaison intéressante de cette réalité juridique.
Les faits de l’espèce révèlent qu’une personne née de sexe féminin a été inscrite
à sa naissance en 1983 au registre de l’état civil sous le prénom de Lina. Dès son
enfance, celle-ci a souffert de troubles de l’identité sexuelle dans la mesure où elle a
toujours ressenti un décalage entre son sexe anatomique et son sexe psychologique.
Ce trouble va l’amener à nier son appartenance au sexe féminin et à vouloir s’apparen-
ter sur les plans physique et comportemental au sexe opposé. Cette discordance fut
d’ailleurs pour elle une source de grande souffrance psychologique qui va la conduire
jusqu’à la tentative de suicide.
Son départ en Allemagne en vue de poursuivre des études supérieures va quelque
peu arranger les choses pour elle. Ainsi, après un suivi psychiatrique de deux ans
et deux opérations chirurgicales destinées à faire coïncider son apparence physique
avec son sexe psychologique, Lina va se placer sur le terrain juridique en demandant
au Tribunal de première instance de Karlsruhe la mise en adéquation des mentions
de l’état civil relatives à son prénom et à son sexe avec son nouvel état physique. En
2009, ce même Tribunal lui donna gain de cause.
Ne pouvant assurer la transcription des décisions allemandes sur le registre public
tunisien de l’état civil, Lina opta pour la voie d’une action au fond devant le Tribunal de
première instance de Tunis. Cette action avait pour objet de demander aux juges tu-
nisiens de consacrer les conséquences juridiques découlant du changement de sexe
opéré en Allemagne et d’ordonner par là même aux officiers tunisiens de l’état civil la
transcription de ses nouveaux prénom (Rayane) et sexe (masculin) sur leur registre.
Saisi de l’affaire, le Tribunal de première instance de Tunis ordonne deux expertises :
la première en psychiatrie et la seconde en médecine légale. Les rapports d’expertise
rendus à cet effet viendront s’ajouter aux différentes pièces du dossier versées par
Lina afin de déterminer les juges à rendre leur décision. En date du 9 juillet 2018,
ce Tribunal donne gain de cause à la demande, se démarquant par là même d’une
jurisprudence antérieure manifestement hostile à l’admission de tout effet juridique à
l’état de transsexualisme252.
La solution consacrée dans cette décision brille par l’ouverture d’une brèche tant
attendue sur le terrain du droit des personnes. Elle fait justice à des personnes dont
252 Pour une vue d’ensemble de cette jurisprudence, S. BEN ACHOUR, article précité ; H. NOUISSER, Changer
de sexe en Tunisie, Ou quand le droit confisque les identités
, Préface de Wahid FERCHICHI, ADLI, Henrich
Böll Stiftung, Afrique du nord, 2018, disponible en ligne, www.adli.org
Droits des groupes minorés | Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s Sami BOSTANJI
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la discordance entre leur sexe physiologique et leur sexe psychologique et social les
jette dans un état de détresse mentale indicible.
L’appel par les juges aux droits fondamentaux et plus précisément au droit de tout
individu au respect de sa vie privée est, de ce point de vue, approprié à la situation
en cause (I). Cependant, cette première séquence du raisonnement du Tribunal est
affaiblie par le relais que donnent les juges à un fondement dérivant du droit musul-
man classique (II).
I. LA PREMIÈRE STRATE DU RAISONNEMENT : L’OUVERTURE AUX DROITS
FONDAMENTAUX
A la faveur de l’essor des droits fondamentaux en droit comparé, les juges du fond
et la Cour de cassation n’hésitent plus désormais à recourir directement à ces droits
en tant que majeure du syllogisme judiciaire253. La présente décision en constitue un
exemple topique (A). Mieux encore, il ressort de l’analyse de ce jugement que ces
droits sont appelés à aiguiller la logique formelle et substantielle de l’effort d’inter-
prétation des juges dès lors qu’il est question de combler les lacunes des sources
textuelles (B).
A. La teneur de la solution 
S’inscrivant dans le sillage de la mouvance favorable aux droits fondamentaux, le
Tribunal de première instance de Tunis cherche à asseoir le fondement juridique de sa
position en faisant état d’un patchwork de solutions dérivant des droits comparés, du
droit international et du droit interne tunisien.
Adoptant une démarche inhabituelle qui donne la priorité au sein de l’exposé des
solutions de droit positif au droit comparé, le Tribunal de première instance de Tu-
nis relève à cet égard les positions permissives entérinées par les droits argentin et
français. Par ailleurs, il vient rappeler les arrêts fondateurs rendus, en la matière, par
la Cour européenne des droits de l’homme dans ses décisions en date du 25 mars
1992254 et du 11 juillet 2002255.
Ces solutions mettent en relief le principe de respect de l’identité sexuelle de l’indi-
vidu ainsi que celui du droit de toute personne au respect de sa vie privée, lequel
principe est consigné au sein de l’article 17 du Pacte international des droits civils et
politiques et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
253 Cf., M. GHAZOUANI, « De la jurisprudence tunisienne en matière de droits fondamentaux » (en langue
arabe), RTD, 2002, pp. 1-26.
254 CEDH, 25 mars 1992, n° 13343/87, Botella c/ France, JCP. G, 1992, II, 21955 ; T. GARÉ, D. 1993, jurispr.
p. 101; J.-P. MARGUÉNAUD, D. 1992, somm. p. 325.
255 CEDH, 11 juillet 2002, n° 28957/95, Godwin c/ Royaume Uni, D. 2003. 525
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Au regard du Tribunal de première instance, ce mouvement libéral à l’égard du chan-
gement de sexe déteint sur le droit tunisien qui, tant sur le plan conventionnel que
sur le terrain constitutionnel, se trouve bien outillé pour accueillir cette solution. Il
est rappelé à cet égard que la Tunisie a non seulement ratifié le Pacte international
susmentionné, mais a également clairement mis l’accent au sein de l’article 24 de la
Constitution de 2014 sur le devoir de l’Etat de protéger la vie privée de tout individu.
L’articulation de l’ensemble des textes exposés par le Tribunal mérite une certaine
attention. En effet, la mise en avant des solutions adoptées par certains systèmes
juridiques étrangers ainsi que par la Cour européenne des droits de l’homme joue ici
le rôle d’un faire-valoir de la position à adopter par les juges du Tribunal de première
instance de Tunis. En creux, les juges cherchent ici à ancrer un premier palier de légi-
timation dans le droit comparé. C’est une manière de dire que si l’attitude favorable
au changement de sexe est en rupture avec les solutions antérieurement consacrées
par la jurisprudence tunisienne, il n’en reste pas moins qu’elle s’inscrit, au regard des
systèmes juridiques étrangers et internationaux précédemment cités, dans «une voie
standardisée» qui fait la part belle aux libertés individuelles et aux droits fondamen-
taux. Cette voie trouve, par ailleurs, de sérieux arguments en sa faveur dans les plus
hautes strates de la pyramide tunisienne des normes (Constitution de 2014 et Pacte
international des droits civils et politiques).
Alors qu’il intervient traditionnellement en tant qu’élément d’appui à la majeure dé-
rivant du droit tunisien, le droit comparé joue, brevitatis causa, le rôle de balise qui
oriente, en amont, le travail des juges dans la perspective de l’admission d’une solu-
tion innovante.
Cet ancrage par le haut de l’admission du changement de sexe et des suites qui y sont
inhérentes, est relayé par une clarification méthodologique importante qui dévoile la
rationalité de la démarche entérinée par le Tribunal.
B. La méthodologie de la solution
Dans un attendu de principe du jugement du 9 juillet 2018, il est affirmé que les
juges étant les garants d’une bonne administration de la justice, de la supériorité de la
Constitution et de la protection des droits et libertés fondamentaux, il leur appartient,
lors de l’interprétation de la loi, d’opérer dans un sens qui renforce l’effectivité de ces
droits et libertés. Il y est ajouté que les juges qui sont appelés à pallier aux lacunes
d’un texte juridique doivent prendre en ligne de compte les Conventions relatives aux
droits de l’homme ainsi que les prescriptions de la Constitution.
Cette position emporte une double exaltation des droits fondamentaux.
Sur le plan formel, elle souligne que l’hypothèse de lacunes des textes juridiques se
résout en contemplation de la logique consacrée par la Constitution et les textes
Droits des groupes minorés | Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s Sami BOSTANJI
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internationaux relatifs aux droits fondamentaux256. On trouve dans ce rattachement
de l’interprétation aux sources primaires de l’ordre juridique tunisien une nette incli-
nation à favoriser une approche systémique de l’interprétation.
Par approche systémique de l’interprétation des textes257, il faut entendre une dé-
marche qui se fonde sur l’analyse de l’ordre juridique comme un système cohérent de
règles et de principes. Selon cette doctrine, le système juridique est l’ensemble struc-
turé, organisé et interdépendant des règles et des mécanismes qui s’appliquent dans
une société258. En ce sens, les nombreuses règles qui composent un système juridique
doivent avoir un sens lorsqu’on les considère ensemble. Ce qui doit le dominer c’est
la cohérence des éléments qui le composent ou mieux une qualité d’organisation.
L’analyse « systémale » du droit repose sur la formule suivante : «Tout se tient»259.
Dans cette optique, l’interprétation est basée sur « l’idée que le système juridique
est logique et rationnel, qu’il ne comporte pas de contradictions, d’antinomies, de
rédactions incorrectes ». Qui plus est, cette manière d’appréhender les textes juri-
diques « suppose à la fois la cohérence de la règle et la cohérence des règles entre
elles. Elle se fonde sur la combinaison des différents textes, l’économie de la loi, l’in-
terdépendance des diverses matières et des principes généraux du droit »260. Ainsi
présentée, l’approche systémique détermine le sens d’un texte en fonction de sa
compatibilité avec d’autres textes de la même matière ou de matières différentes, avec
des principes généraux du droit, voire avec les valeurs fondamentales qui régissent
une société ou encore avec les dispositions des traités internationaux ou les principes
fondamentaux de la société internationale. Le juge devient ici « le dépositaire des
principes fondamentaux » et « le garant de la cohérence de l’ordre juridique»261.
256 Compr. cette solution avec la position adoptée par la Cour de cassation dans l’arrêt Thouraya qui insiste,
lors de l’interprétation de l’article 88 du code du Code du statut personnel, sur la nécessaire contextuali-
sation de cette opération par rapport aux solutions inhérentes aux droits et libertés fondamentaux, consi-
gnées dans la Constitution de 1959 et les textes internationaux ratifiés par la Tunisie ( le Pacte internatio-
nal des droits civils et politiques de 1966 et la Convention CEDAW de 1979 ). Cour de cassation, Thouraya,
n°2008/ 31115 en date du 5 février 2009. Sur cette décision, voir, A. BOUHJAR, «
La différence de religion
et la question successorale
», in Lectures d’œuvre prétorienne, I, Unité de Recherches «Jurisprudence», sous
la direction de H. BEN MRAD, CPU, 2018, p. 283, (en langue arabe) ; adde, M. GHAZOUANI, «
Renouveau
dans la lecture des dispositions du Code du statut personnel, Commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation n°
31115 du 5 février 2009
», RJL. 2009, n° 3, mars, p. 91 (en langue arabe).
257 Le terme interprétation doit être entendu ici lato sensu. Au regard d’une approche extensive, interpréter
un texte englobe «
tous les procédés intellectuels qui servent à déterminer et à préciser le sens d’une disposi-
tion légale pour en rectifier les imperfections, en combler les lacunes, en résorber les contradictions, l’adapter
aux exigences actuelles en précisant sa portée dans une situation particulière
». J-L.BERGEL, Méthodologie
juridique, Paris, Puf, 2001, p. 232.
258 J-L BERGEL, op.cit., spc. p 252.
259 J-L BERGEL, op.cit., spc. p 255.
260 J-L BERGEL, op.cit., spc. p 255.
261 F.OST et M.VAN de KERCHOVE, in Vocabulaire fondamental du droit, t.35, V° « Interprétation », Archives
de philosophie de droit, 1990, p 186.

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Pour le Tribunal de première instance, le système de comblement des lacunes en
matière de statut personnel ne peut jouer au mépris des normes constitutionnelles et
internationales inhérentes aux droits fondamentaux. Bien que l’article 535 du Code
des obligations et des contrats, qui organise la solution à apporter à l’hypothèse de
lacunes des textes juridiques, ne soit pas expressément mentionné par le Tribunal,
la formule «règles générales du droit» consignée dans cette dernière disposition se
trouve, en l’espèce, tournée vers les normes générales du référentiel des droits de
l’homme élaborées au sein des plus hautes strates de l’ordre juridique262.
Sur le plan substantiel, le Tribunal pose la règle suivant laquelle l’interprétation doit être
aiguillée dans un sens qui favorise l’effectivité de ces droits, c’est-à-dire une interpré-
tation orientée vers l’octroi d’une vigueur maximale à ces droits sur un plan pratique,
amenant par là même à donner à ces prérogatives la plénitude de leur expression.
Cette solution brille et par sa modernité et par sa cohérence. Elle aurait pu suffire à
elle seule à fonder la position innovante du Tribunal de première instance de Tunis.
Or il n’en est rien.
Marqués par les pesanteurs d’un courant traditionnaliste hostile au changement de
sexe, les juges vont s’efforcer de rechercher un second palier de légitimation de leur
position en puisant dans le référentiel du droit musulman.
II. LA SECONDE STRATE DU RAISONNEMENT :
LE RELAIS DU DROIT MUSULMAN
Sous l’angle de l’appel au droit musulman, il importe de voir, en premier lieu, la logique
qui anime ce recours (A), avant de procéder, en second lieu, à son évaluation (B).
A. La logique de l’appel au droit musulman  
Dans leur élan de justification de la solution adoptée, les juges du Tribunal de pre-
mière instance de Tunis explorent, dans une deuxième séquence du raisonnement,
la piste du droit musulman. Celui-ci étant, selon leurs dires, une source matérielle du
droit tunisien du statut personnel, il importait, à leurs yeux, de scruter les avis des
jurisconsultes musulmans sur ce point.
Se plaçant dans ce registre, ils font état de la règle principielle de droit musulman sui-
vant laquelle «Les nécessités lèvent les interdits », laquelle règle est non seulement
largement consacrée dans le fonds traditionnel, mais a été également empruntée par la
Cour d’appel de Tunis dans l’affaire du transsexuel Sami/Samia du 22 décembre 1993.
262 L’article 535 du Code des obligations et des contrats énonce :
   « Lorsqu’un cas ne peut être décidé par une disposition précise de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent 
les cas semblables ou des matières analogues ; si la solution est encore douteuse, on décidera d’après les règles 
générales de droit. » 
Droits des groupes minorés | Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s Sami BOSTANJI
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Rappelons à cet égard que dans son arrêt en date du 22 décembre 1993263, la Cour
d’appel de Tunis a confirmé le jugement du tribunal de première instance de Tunis du
8 février 1993 qui a rejeté la demande d’un transsexuel visant à obtenir une décision
de justice qui autoriserait l’officier de l’état civil à changer son prénom, à l’origine
masculin (Sami), par un prénom féminin (Samia) et à modifier sur ses registres l’indi-
cation concernant le sexe de l’intéressé. Après avoir fait état du silence des textes
à propos de cette question, la juridiction d’appel a affirmé la nécessité de recourir
en la matière au droit musulman en sa qualité de source du droit positif tunisien du
statut personnel. Faisant valoir en la matière les règles et principes de la Sharia264, la
Cour d’appel s’oppose à toute modification de l’élément de l’état civil se rapportant
au sexe. A l’appui de sa position, elle souligne, tout d’abord, que le changement de
sexe volontairement opéré ne peut être que déploré et rejeté dans la mesure où il
s’inscrit à l’encontre de la volonté divine. Elle précise, à cet égard, que l’ordre naturel
des choses repose sur un équilibre préétabli par Dieu entre le nombre des hommes
et celui des femmes. Or, changer volontairement de sexe-dont la conséquence iné-
luctable est de faire basculer la balance d’un côté ou d’un autre-ne saurait s’analyser
qu’en une volonté délibérée de rompre cet équilibre préétabli et de perturber l’ordre
naturel des choses.
Certes, ajoute-t-elle, un principe du droit musulman classique implique que « les
nécessités lèvent les interdits », il n’en reste pas moins qu’en l’espèce, rien ne jus-
tifiait l’état de nécessité dans la mesure où l’intervention chirurgicale qui a permis à
l’intéressé d’acquérir les apparences morphologiques du sexe opposé n’était pas, au
regard de l’expertise ordonnée par le Tribunal, inéluctable et que le décalage entre le
sexe vécu et le sexe d’origine aurait pu être traité par un traitement psychologique
adéquat.
Pour le Tribunal de première instance de Tunis, ce rejet par la Cour d’appel du chan-
gement de sexe est conjoncturel dans la mesure où les conditions d’application du
principe classique susmentionné ne se vérifiait pas dans la décision Sami/Samia; ce
qui n’exclut pas le rappel de ce principe et son application dans tous les autres cas qui
se prêtent à sa mise en œuvre. Cela semblait être le cas dans l’affaire Lina/Rayane où
le Tribunal déploie tous les éléments du dossier pour tailler minutieusement l’élément
de nécessité. Celui-ci se trouve, en l’espèce, centré sur la tentative de suicide de
263 Cour d’appel de Tunis, arrêt no 10298 du 22 décembre 1993, RJL, 1994, no 1, Janvier, pp. 109 et s. ; adde
RTD, 1995, pp. 145 et s., note R. JELASSI ; adde encore, H.REDISSI et S.BEN ABID, « L’affaire Samia ou le
drame d’être autre »,
Journal international de bioéthique, 1995, Volume 6, n°2, Rubrique : Ethique et aspects
organisationnels de la transplantation d’organes.
264 Dans cette décision, la Cour d’appel de Tunis n’hésite pas à recourir directement aux prescriptions du
Coran et de la Sunna (ensemble de propos et d’attitudes attribués au prophète) pour étayer sa motivation.
Aussi, évoque-t-elle le Verset 8 de la Sourate 13 suivant lequel : «
Dieu sait ce que porte chaque femelle et la
durée de sa gestation
». De même, qu’elle se réfère à un hadith du Prophète en vertu duquel « Dieu maudit
les hommes qui ressemblent aux femmes et les femmes qui en font autant pour ressembler aux hommes
».
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Lina en raison de troubles affectant son identité sexuelle. La préservation de la vie
humaine est constitutive, suivant le Tribunal, d’un état de nécessité qui justifie, dans le
cas de l’espèce, l’accueil de la demande de Lina. La solution se trouve du coup nimbée
d’une réelle incertitude: la position finalement entérinée aurait-elle été la même si les
troubles qui ont accompagné le syndrome de transsexualisme n’avait pas amené la
personne concernée à faire une tentative de suicide ?
On peut sérieusement en douter. C’est déjà évoquer les tares du raisonnement mené
par les juges.
B. Les tares du raisonnement adopté
Le raisonnement adopté par le Tribunal prête le flanc à la critique.
L’affirmation suivant laquelle le droit musulman constitue la source matérielle du droit
tunisien du statut personnel et doit être, de ce fait, appelé à la rescousse pour com-
bler les lacunes des textes du droit positif révèle un paralogisme certain. En effet, s’il
est vrai que le droit tunisien du statut personnel connait une influence certaine du
droit musulman classique, il est aussi vrai que ce même droit s’émancipe, de manière
non équivoque, du fonds historique à travers l’abolition dans le Code du statut per-
sonnel de ses institutions phares, en l’occurrence la polygamie et la répudiation.
Est-t-il alors de bonne méthode de privilégier un pan du Code au détriment d’autres ?
Assurément non, car cela brouille la démarche et lui confère un aspect arbitraire tant
et si bien qu’à la différence de son homologue marocain265, le législateur tunisien n’a
pas jugé utile de désigner le droit musulman en tant que source de comblement des
lacunes du droit du statut personnel.
Par ailleurs, faut-il voir dans cette solution un retour au référentiel du droit musulman,
via la formule «règles générales du droit» consacrée par l’article 545 du Code des
obligations et des contrats266. La tentation serait grande d’opter pour une telle lecture
qui est soutenue par une frange de la doctrine tunisienne267. Mais dans ce cas préci-
sément la question qui se pose inéluctablement est celle de savoir pourquoi cumuler
les référentiels : droits fondamentaux dans le premier palier du raisonnement et droit
musulman dans le second ? Quel intérêt y a-t-il à doubler le premier référentiel par
un second alors même que celui-là dispense logiquement du recours à celui-ci ? La
sentence de Montesquieu sur ce mode de pensée est sans appel : ce qui est inutile
265 Voir à titre d’exemple, l’article 400 de la Moudawana marocaine qui dispose que « pour tout ce qui n’a pas
été expressément énoncé dans le présent Code, il y a lieu de se référer aux prescriptions du rite malékite et/ou
aux conclusions de l’effort jurisprudentiel (Ijtihad), aux fins de donner leur expression concrète aux valeurs de
justice, d’égalité et de coexistence harmonieuse dans la vie commune que prône l’Islam ».
266 Sur ce texte, cf M.KARI, Note à propos d’un texte ambigüe : l’article 535 du Code des obligations et des
contrats,
RTD, 1992, pp 203-240 ; adde E. ARFAOUI, Les règles écrites d’interprétation, Essai sur une mé-
thode officielle d’interprétation des lois, Latrach Édition, 2021, spc. pp 313 et s.
267 Cf. Mohamed Larbi HACHEM, Cours polycopié, 1ère année de la Licence en droit, 1985-1986, p 23.
Droits des groupes minorés | Ombres et lumières autour du statut juridique des transsexuel.le.s Sami BOSTANJI
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196
affaiblit ce qui est nécessaire. Cela se vérifie dans le cas de l’espèce : le détour inutile
par le droit musulman affaisse la rationalité du raisonnement et sa portée.
Sa rationalité, tout d’abord, dans la mesure où les deux référentiels sont, à plusieurs
égards, incompatibles tant au regard de leur contenu que de l’esprit qui les anime.
Sa portée, ensuite, car en laissant poindre les solutions du droit musulman, les juges
du Tribunal de première instance de Tunis laissent la porte ouverte à un retour au sta-
tu quo ante qui s’opérerait par le truchement des règles du droit musulman. La solu-
tion innovante de la décision Lina/Rayane se trouve du coup sérieusement fragilisée.
Aussi, assiste-t-on ici à un rétropédalage qui éloigne la solution retenue des grands
principes centrés sur les droits fondamentaux de l’individu pour la charrier dans le
sillon casuistique, sinueux et ambigu de l’état de nécessité. L’état de transsexualisme
étant, en l’espèce, indiscutablement diagnostiqué par le Tribunal268, il était, en effet,
superflu de focaliser sur l’état de nécessité caractérisé, aux yeux des juges, par la ten-
tative de suicide de Lina. Faire de ce dernier élément une composante de la solution,
c’est finalement réduire la solution adoptée à sa plus simple expression.
Au-delà de ces éléments d’appréciation, la décision commentée atteste de la survi-
vance au sein de nos tribunaux d’une manière de penser concordiste. Cette démarche
consiste à chercher à faire coïncider les solutions modernes du droit positif avec les
solutions du droit musulman classique. Ce dernier intervient en tant qu’instance de
sur-validation des solutions de droit positif. Tout se passe comme si les normes de ce
dernier système ne se suffisent pas à elles-mêmes pour dire le droit mais requièrent
le visa de l’ordre juridique historique. A suivre cette approche, la légitimité d’une so-
lution juridique ne découle pas du fait qu’elle ait été donnée conformément à un
texte démocratiquement adopté (texte interne) ou approuvé par un parlement élu
(texte international) ou encore qu’elle dérive d’un raisonnement judiciaire opéré en
fonction de ce texte par un juge régulièrement investi dans ses fonctions par l’Etat,
mais plutôt de la recherche d’une jonction entre les solutions de droit positif avec le
droit musulman classique.
Ce constat révèle qu’en dépit de la modernisation de surface qui affecte la solution
de droit positif, les pesanteurs du passé demeurent toujours présentes dans les sou-
bassements des positions adoptées. Cet état contradictoire du droit est, à la vérité,
caractéristique de sociétés en transition où l’ancien système n’a pas encore cédé et
où les nouvelles règles ont du mal à s’imposer définitivement. C’est dire toute l’incer-
titude qui enrobe l’avenir du statut juridique des transsexuels en droit tunisien.
268 Voir les pages 10 et suivantes du jugement du Tribunal de première instance de Tunis en date du 9 juillet
2021.
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197
LES JEUX SUR INTERNET ENTRE LIBERTÉ DE L’EN-
FANT ET LA NÉCESSITÉ DE SA PROTECTION
COMMENTAIRE DU JUGEMENT EN RÉFÉRÉ RENDU PAR LE TRIBU-
NAL DE PREMIÈRE INSTANCE DE SOUSSE LE 5 MARS 2018 : 
Magistrate au tribunal de première instance de l’Ariana
Doctorante à la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Insaf AYARI
SYNTHÈSE269
Le jeu, cette passerelle entre le monde fantasmatique de l’enfant et la réalité du monde
extérieur se traduit à travers le symbolique, l’expression de soi et la communication270.
Désormais, l’interaction du jeu avec la dimension mortifère provoquée par la violence
de la mise en scène crée une appétence traumatique observée chez l’enfant.
Dans ce cadre se dresse le jugement rendu par le tribunal de première instance de
Sousse. Un jugement en référé interdisant les jeux vidéo en ligne « la baleine bleu »
et « Miriam » suite à une plainte déposée auprès du tribunal par une association de
parents d’élèves en coordination avec le délégué de la protection de l’enfance. Le
tribunal a demandé à l’agence Tunisienne d’Internet de bloquer l’accès à ces jeux de
défis sur les réseaux sociaux et sites de téléchargement ainsi que de les interdire
dans les magasins de vente d’application informatique.
Il y a lieu de s’interroger dès lors sur l’impact de ces jeux sur les droits de l’enfant.
Né d’un réseau social russe « VONTAKTE », le jeu « la baleine bleu » consiste à réaliser
une cinquantaine de défis. Partant à première vue d’un caractère inoffensif en ordon-
nant au joueur d’écrire un mot sur sa main, dessiner une baleine sur une feuille pour
en arriver aux défis sinistres : se sacrifier, se frapper, se couper les lèvres, se donner
la mort…271. La pratique de ces jeux est partagée entre interactions sensorielles et
269 Cette synthèse a été réalisée sur la base de la contribution en langue arabe publiée dans cet ouvrage, pp. 350-360.
270 ROMANO.H, « Les jeux dangereux : des pratiques singulières », in le journal des psychologues, n°292, no-
vembre 2011, p.50.
271 VIVAN.P, Suicides et tentatives de suicides en direct sur Internet : Aspect épidémiologiques, psychopatho-
logiques, effet de contagion chez les spectateurs, Thèse pour le diplôme d’Etat de docteur en médecine et
le mémoire du diplôme d’étude spécialisées en psychiatrie, Université de Poitiers, Faculté de Médecine et
de Pharmacie, 2018, p.18.
Droits des groupes minorés | Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection Insaf AYARI
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motrices et celles émotionnelles et narratives. L’apparition d’objets stéréotypés dé-
clenche des émotions dites primaires comme l’angoisse, la peur, la colère et le dégout
d’une part. D’autre part, la manière de jouer peut prendre la forme de rivalité et
d’initiation.272 Bien que le jeu n’ait qu’un caractère virtuel évoquant des images et des
évocations imaginaires, il comprend également une part de la réalité mettant en scène
des cadavres et des scènes de pendaison.
Des cas de décès et plusieurs tentatives de suicides ont été enregistrés chez des
adolescents. Pourtant, la constitution Tunisienne de 2014 prévoit dans son article
22 que le droit à la vie est sacré et il ne peut lui être porté atteinte que dans des cas
extrêmes fixés par la loi. En effet, dès la naissance, tous les enfants ont le droit d’avoir
leur vie protégée, c’est le droit de ne pas être tué. En ce sens, les pays sont tenus de
protéger la vie des enfants des actes d’infanticides, leurs rôles d’assurer aux enfants
la possibilité de se développer d’une façon saine et normale. Ainsi, le droit à la vie
comporte deux aspects : celui d’avoir sa vie protégée et de pouvoir survivre et se
développer convenablement.
Dans cette perspective, l’affirmation du droit de jouer souligne que l’enfant à une
valeur en elle-même et que l’enfance n’est pas seulement une période de formation à
la vie adulte, celle-ci procure des valeurs. La convention relative aux droits de l’enfant
dans son article 6(2) utilise le terme « survie » afin de décrire le droit à la survie et au
développement, un terme assez inhabituel dans les traités sur les droits de l’homme.
Emprunté à la terminologie utilisée dans les discussions sur le développement, l’objet
était d’introduire une certaine dynamique au droit à la vie en insistant sur les décisions
préventives.273
Toutefois, les intérêts des enfants sont considérés comme importants chaque fois que
ces décisions sont prises. Cette idée repose sur le principe de « l’intérêt supérieur de
l’enfant » formulé dans l’article 3 (1) de la Convention sur le droit de l’enfant qui in-
dique que pour toutes décisions qui concernent les enfants qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une
considération supérieure. Une telle énonciation renforcée par l’article 4 du code de
protection de l’enfant mais aussi à travers l’article 47 de la constitution Tunisienne qui
prévoit que : « l’Etat doit garantir toute forme de protection à tous les enfants, sans
discrimination et en fonction de leur intérêt supérieur ».
Il y a lieu de mentionner dans ce cadre, l’intervention du juge de famille face au phé-
nomène « la baleine bleu » à travers sa décision d’interdire l’utilisation de téléphones
intelligents et de tablettes numériques dans les institutions scolaires (de petite en-
272 TISEERON.S, « Le risque de la mort virtuelle, les jeux vidéo », in l’esprit du temps « Topique », 2009/12,
n°107, p.112.
273 Voir le module 5 du cercle des droits, publié sur le site : http://hrlibrary.umn.edu, consulté le 18-02-2021.
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fance, primaires ou secondaires) à l’exception de tout usage pédagogique sous la
supervision des spécialistes. Face à la propagation du phénomène, le juge de référé a
décidé d’interdire ce genre de jeu morbide à travers le blocage de l’application.
Ayant suscitée le débat, cette décision est pour certains une première dans l’histoire
de la justice tunisienne qui reconnait le danger de ce type de jeux pour l’enfant et
l’adolescent. Pour d’autres et notamment les experts en informatique, le blocage est
techniquement impossible et si c’est le cas d’énormes ressources doivent être in-
vesties.274 La solution réside dans des efforts concertés entre les différentes parties
concernées afin de fournir la protection nécessaire pour l’enfant.275 L’Agence Tuni-
sienne d’Internet propose alors pour y faire face le service « Ammar Kids »276 dont la
fonction est la protection de l’enfant tout en évitant une censure sur le Net et une
atteinte aux droits et libertés des internautes. Elle considère que la responsabilité
sociétale exige un terrain consensuel entre les différentes parties concernées notam-
ment la société civile, le Ministère de la Justice, le ministère de la Femme, de la Famille
et de l’Enfance, le ministère de l’Education Nationale dans le respect des principes
des droits et des libertés.277
En déduction de cette analyse, « la baleine bleu », « Miriam », « Momo »… constituent
des jeux qui se présentent comme des défis morbides qui tracent l’itinéraire d’une
légende urbaine sur internet. Ce danger en ligne revêt plusieurs formes qui menacent
aujourd’hui l’accès à l’information et la protection des données personnelles.
274 Le président directeur général de l’Agence Tunisienne d’Internet (ATI) a affirmé en ce sens sur les ondes de
la Radio « Shames FM » le 8/03/2018 : «
Bien que conscients de la nécessité de préserver nos enfants de cer-
taines dérives d’internet, nous devons aussi placer les droits et libertés des internautes au top de nos priorités.
Que la justice exige la censure de certains jeux est très louable et nous ne pouvons que le saluer mais les choses
sont plus complexes que cela
».
275 « Cette application peut être effacée du Player mais elle restera toujours accessible via un lien caché. L’interdire
et encore plus la bloquer est techniquement impossible à moins que les fournisseurs d’accès le fassent, mais
il faudra dans ce cas consacrer beaucoup de ressources, à longueur de journée, pour y parvenir
. », in BENA-
ROUS.R, « Sécurité numérique et dangers en ligne : les journalistes en ligne de mire »,in journal le temps du
18 mars 2018.
276 Ce service consiste en un contrôle parental à la source et permet aux parents de bloquer certains sites
quand ils ne peuvent pas surveiller physiquement leurs enfants. Cette solution a été baptisée « Ammar
Kids » et a été enregistrée, en 2017, à l’Institut National de la Normalisation et de la Propriété Industrielle
(INNORPI).
277 Voir la réponse de l’ATI suite au jugement en référé rendu par le tribunal de première instance de Sousse
le 5 mars 2018 : BELHASSEN.S, «
L’ATI salue la condamnation de la justice de la baleine bleu », publié sur le
site internet : IT News, 17 mars 2018, Consulté le 20/02/2021.
Droits des groupes minorés | Les jeux sur internet entre liberté de l’enfant et la nécessité de sa protection Insaf AYARI
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INDICATIONS BIBLIOGRAPHIQUES
ARTICLES
BENAROUS.R, « Sécurité numérique et dangers en ligne : les journalistes en ligne de mire », in
journal le temps du 18 mars 2018.
ROMANO.H, « Les jeux dangereux : des pratiques singulières », in le journal des psychologues,
n°292, novembre 2011, pp.50-54.
TISEERON.S, Le risque de la mort virtuelle, les jeux vidéo, in l’esprit du temps « Topique »,
2009/12, n°107, pp.107-117.
ARTICLES NUMÉRIQUES
BELHASSEN.S, « L’ATI salue la condamnation de la justice de la baleine bleu », publié sur le site
internet : IT News, 17 mars 2018, Consulté le 20/02/2021.
Le module 5 du cercle des droits, publié sur le site : http://hrlibrary.umn.edu, consulté le
18/02/2021.
THÈSE
VIVAN.P, Suicides et tentatives de suicides en direct sur Internet : Aspect épidémiologiques,
psychopathologiques, effet de contagion chez les spectateurs, Thèse pour le diplôme d’Etat de
docteur en médecine et le mémoire du diplôme d’étude spécialisées en psychiatrie, Université
de Poitiers, Faculté de Médecine et de Pharmacie, 2018.
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ENGLISH
SYNTHESIS
Introduction(s) | « Protecteur des droits et des libertés » ! Wahid FERCHICHI
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THE JUDGE GUARANTEES RIGHTS AND FREEDOMS:
THE JURISDICTIONS AND THE APPROPRIATION OF
THEIR CONSTITUTIONAL ROLE
Professor of Public Law, University of Carthage
Wahid FERCHICHI
The Constitution of January 27, 2014 devotes a new role for judges and jurisdictional
bodies. Indeed, the article 49 of the Constitution states, “Jurisdictional bodies ensure
the protection of rights and freedoms against any infringement.” Similarly, Article 102
states, “The judiciary is an independent power, which guarantees ... the protection of
rights and freedoms.”
It follows that the protection of rights and freedoms is no longer a choice for the
jurisdictional bodies. This protection is now a duty of the judges: the judicial, adminis-
trative, constitutional, Court of Audit, and military courts. The latter are governed by
article 110 of the constitution, which is located in the chapter on jurisdictional power.
Therefore, Article 102 applies to the military courts as well.
The question that arises at this point is whether the courts really guarantee the pro-
tection of rights and freedoms as set out in the Constitution? And are they committed
to applying it?
1. ON THE ORIGINS OF THE PROTECTION OF RIGHTS AND FREEDOMS BY THE
COURTS
We should mention that the judiciary has indeed played a role in the protection of
rights and freedoms even before the adoption of the 2014 Constitution. However,
one often has the impression that this role varies according to the jurisdiction: it
seems that the administrative judge ensures a better protection of rights and free-
doms (1.1) than the judicial judge (1.2).
1.1. On the protective role of the administrative justice 
Administrative justice came into being late in comparison with the judicial justice
(the 1959 Constitution created the Council of State, which is composed of the
Administrative Tribunal and the Court of Audit). Moreover, the law governing the
Administrative Tribunal was only adopted on June 1, 1972. And it was not until
1975 that the Administrative Tribunal began to issue judgments.
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203
Since the establishment of the Administrative Tribunal, the judge has proclaimed
himself the protector of public rights and freedoms1. Thus, this court has issued
several rulings of principles regarding the protection of rights and freedoms: free-
dom of movement and choice of residence, the right to a passport, the right to
property, the right to create associations…2
From the outset, this is the natural role of the administrative court within its juris-
diction. It is the competent jurisdiction in the litigation of the State and its differ-
ent structures. In particular, the Ministry of the Interior is the institution that most
threatens freedoms in connection with the decisions it adopts. Therefore, the ad-
ministrative court remains the judge of freedoms.
The protective role of the administrative court in matters of public rights and free-
doms marks a continuity with the role played by the French Council of State. Indeed,
the administrative judge is the judge of the weak party (citizen) in front of the public
authority. As a result, several judgments of principle in matters of rights and free-
doms have been rendered by the administrative court.
Moreover, the administrative judge has shown himself to be independent of the Ad-
ministration and its machinery. However, the decisions of the administrative court do
not provide mechanisms to guarantee their execution by the Administration. The lat-
ter remains free to execute or not to execute the decisions of the administrative judge.
Moreover, the first generation of administrative judges was imbued with the juris-
prudence of the French Council of State. This generation consecrated the principles
guaranteeing rights and freedoms. Thus, this consecration has been uninterrupted
with the different generations of magistrates. In the same way, the current gener-
ation has implemented the provisions of the new Constitution in the field of rights
and freedoms.3
However, this guiding role has been reduced by the State and this by withdrawing
certain competences of the administrative justice by virtue of the law: passports,
nationality, the litigation of associations, press and media...
However, the weakening of the role of administrative justice has not prevented it
from continuing to play the role of protector of rights and freedoms in these areas,
whenever the case relates to an administrative act.
Thus, the administrative judge has established a new principle that allows him to
control the legality of administrative acts. It is indeed the original competence of the
administrative justice.
1
3
Administrative Tribunal, decision in matters of appeal for excess of power, n°325 of April 14, 1981, Pierre
Falcon and others v. the Minister of agriculture, Compendium of decisions from 1981, Tunis, STD, p. 110.
.2007 ،يعماجلا رشنلا زكرم سنوت ،يرادلإا ءاضقلا هقف يف ىربكلا ماكحلاا ،حينج اضر دمحم 2
See the contributions in this book that have commented on the decisions of the administrative tribunal in
this matter.
English synthesis | The judge guarantees rights and freedoms:The jurisdictions and the appropriation of their constitutional role Wahid FERCHICHI
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1.2 On the hesitation of the judicial judge 
The general impression is that the judicial judge (unlike the administrative judge) is
reluctant to protect rights and freedoms. Indeed, they put forward the interest of
the group to the detriment of rights and freedoms, especially in cases relating to
morality. Therefore, if the administrative judge is the guarantor of rights and liber-
ties, the judicial judge is the protector of the moral values of society. Among the
causes of this impression, we mainly cite the existence of a legal arsenal that infring-
es on freedoms.
Indeed, the majority of the legal texts in this arsenal date from the colonial era and
the period of authoritarianism:
- The Code of Obligations and Contracts of 1906 which distinguishes between
Muslims and non-Muslims and which contains a beylical decree of May 15, 1941
prohibiting the sale of alcoholic beverages to Muslim Tunisians;
- The 1913 Penal Code, which still uses expressions such as public indecency and
offence to public decency. This Code also penalizes male and female homosexuality,
the excitement of debauchery, adultery;
- The 1956 Personal Status Code still considers the husband to be the head of the
family and lays down discriminatory rules regarding inheritance.
Consequently, the judge is forced to apply these laws.
However, this impression is sometimes erroneous. Indeed, before the adoption of
the Constitution of 2014 and even before the revolution of 2011, the judicial judge
was not in total rupture with the rights and freedoms. It should be remembered that
the judicial judge affirmed the proof of parentage of the child born out of wedlock
despite the fact that the law required the marriage contract as a mode of proof. The
Court of Cassation based itself on the fundamental principle establishing: “the rule
of law” in order to establish the parentage of the child in the absence of a marriage
contract. 4
We must also remember the courage of the judges in Kairouan and Sousse in the
late 1980s. These judges affirmed the competence of the judicial judge in reviewing
the constitutionality of laws5.
The events of December 17, 2010 - January 14, 2011 and the Constitution of
2014 have marked the hesitation of the judicial judge and the determination of the
administrative judge.
4
5
Cour de cassation, civil chamber, n°5350 of 2 April 1967, RJL, 1969, p. 25.
Case n°51883, Tribunal of first instance of Kairouan of 24 December 1987 and the decision of the Court
of appeal of Sousse n°58519 du 11 April 1988, RTD, 1989, p. 20.
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205
Therefore, the judicial and administrative jurisdictional decisions rendered during
the last ten years must be analyzed in the light of current events. Thus, it is about
the freedoms of expression and information that have granted judges a wide margin
of freedom in the public space and for political action.
2. IMPACT OF THE TEN YEARS OF THE REVOLUTION ON THE JUDICIARY: A
MIXED ASSESSMENT
The judiciary was marked by the events of the Revolution in terms of rights and free-
doms. Thus, the judge was able to defend individual rights and liberties (2.1.). But, at
the same time, some liberticidal decisions were rendered (2.2).
2.1. The judge is the protector of freedoms 
Since 2011, judges have become aware of a change that has affected the human
rights system. They believe that the revolution has strengthened human rights and
redefined the status of the individual within this system. This has been confirmed in
several rulings by the judiciary and administrative justice.
Among the decisions that have enshrined the role of the judge in the protection of
individual freedoms is the judgment of the Court of First Instance of Manouba No.
2020-1753 of May 14, 2020 which stated:
“The adoption of law- Decree No. 115 of 2011 was intended to strengthen freedom
of publishing and expression. It also reduced the penalties of deprivation of liberty
by providing for monetary penalties. By also recalling the obligation to respect the
international conventions ratified by Tunisia, as an example the International Cov-
enant on Civil and Political Rights and this under Article 1 of the decree-law and in
accordance with the Tunisian Constitution.”
- The judge’s perception that a new philosophy of human rights was born from 2011
reaffirms the supremacy of rights and freedoms.
Therefore, all domestic laws must be in conformity with these freedoms.
Even if the Constitution is repealed, the freedoms remain in force because they are
supra-constitutional6.
The supraconstitutional nature of rights and freedoms has meant that the judge
constantly and even automatically refers to all legal texts that reinforce his approach.
- The control of the constitutionality of laws: since 1988, the Court of Cassation has
refused to allow the judicial judge to control the constitutionality of laws. Neverthe-
less, the administrative justice has exercised this control without any hesitation and
6
See summary judgment of the court of appeal of Tunis of 5 February 2013. It has been held that: although
the Constitution has been repealed, “the provisions relating to rights and freedoms remain in force because
they are irrevocable in nature.”
English synthesis | The judge guarantees rights and freedoms:The jurisdictions and the appropriation of their constitutional role Wahid FERCHICHI
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this within the framework of the exception of unconstitutionality.
For example, in some decisions the administrative judge has recognized the right to
review the constitutionality of restrictions set by a law because this is part of the
principles of the rule of law. Indeed, Article 49 of the Constitution of 27 January
2014 obliges the judge to ensure the protection of rights and freedoms7.
- From the “direct” application of international instruments: since 2011, to support
their judgments, judicial and administrative judges have applied international instru-
ments. This marks a new stage in the judiciary, namely the opening to international
human rights law. The latter is thus used as a basic reference to support the judgment.
This is an approach that is consistent with the provisions of the Constitution provid-
ing: “international conventions are superior to laws (Article 20 of the Constitution
of 2014, Article 32 of the Constitution of 1959).
This approach has become more and more concrete as the judge even refers to univer-
sal declarations and international conventions that are not binding for Tunisia. In this
case, the judge refers to them to show that such a rule, freedom or right is the object of
an international consensus and of humanity notwithstanding its culture or origin.
In the meantime, the judge implements the conventions ratified by Tunisia (the two
covenants of 1966, the African Charter on Human and Peoples’ Rights) as well as
the European Convention on Human Rights. The judge also refers to unofficial uni-
versal declarations on sexual orientation and gender identity such as the Yogyakarta
Principles on the Application of International Human Rights Law in relation to Sexual
Orientation and Gender Identity and the 2006 Montreal Declaration on the Human
Rights of Sexual Minorities.
This justifies that the right or freedom is part of international custom. Such free-
doms are natural and do not need a text to recognize them8.
The Court ruled that: 
“Homosexuality is an integral part of the concept of “sexual minorities” and this with
reference to international human rights instruments. These include the Yogyakarta
Principles, the Montreal Declaration on the Human Rights of Sexual Minorities, the
Universal Declaration of Human Rights, the International Covenant on Economic,
Social and Cultural Rights, the International Covenant on Civil and Political Rights,
and the European Convention on Human Rights.
-On the application of Article 49 of the Constitution: Article 49 of the Constitution
7 Administrative Tribunal, the right to stand as a candidate in municipal elections, case n°20181015 of 16
March 2018, commentary of Issam Ben Hssan in this book.
8 Cour de cassation, judgment n°2019/78864 of 21 February 2020. Chief Legal Officer of the State v. Shams
Association.
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207
has laid down the conditions for restrictions on the rights and freedoms guaranteed
in the Constitution. Such restrictions are subject to the principles of democracy.
In this respect, on the one hand, the substance of these freedoms must not be
infringed. On the other hand, the principle of necessity must be respected in order
to meet the requirements of a civil and democratic state, and the principle of pro-
portionality between these restrictions and their justifications must be respected.
And above all, without undermining the achievements in the field of human rights
and freedoms guaranteed by the Constitution.
This article has urged administrative and judicial courts to apply it in order to defend
rights and freedoms. As a result, the review of the conformity of laws, administrative
acts and even court decisions with Article 49 is now possible. 9.
As a result, judicial and administrative judges are advocating for rights and freedoms
through this new approach.
This approach is addressed in this book: at the level of intellectual freedoms, bodily,
civil and political rights, economic and social rights, as well as at the level of the
protection of groups ... Yet, several decisions rendered by the courts do not adopt
this approach reaffirmed by the 2014 Constitution as well as by international human
rights instruments ratified by Tunisia.
2.2 Decisions still hostile to rights and freedoms! 
The provisions of the 2014 Constitution reaffirming equal rights and the protection
of individual and collective freedoms without discrimination (Article 21), the pro-
tection of human dignity (Article 23), the protection of privacy, the inviolability of
the home, the secrecy of correspondence, communications and personal data, the
freedom to choose one’s place of residence and to move within the territory as well
as the right to leave it (Article 24), have not prevented the courts from issuing lib-
erticidal decisions for reasons that predate the adoption of the 2014 Constitution.
-The judges apply the liberticidal legal texts in force: the non-amendment of the
Penal Code, the Code of Obligations and Contracts and the Code of Personal Status,
as well as the law on narcotics, has let them to apply and interpret in such a way as
to render judgments criminalizing homosexuality and authorizing the use of inhu-
man and degrading treatment.
9
2021 ةنس ،AEDI تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت ؟ىرخأ ةءارق نم له ،ةيدرفلا تايرحلاو 49 لصفلا ،شابد رثوك
تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يروتسدلا يضاقلا ليلد ،ينورمحلا ىولس
2021 ةنس ،AEDI
تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يلدعلا يضاقلا ليلد ،يناوزغلا كلام
2021 ةنس ،AEDI
تايرحلاو قوقحلا طباوض نيب بسانتلا ةبقارم :روتسّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يرادلاا يضاقلا ليلد ،جاحلا نيدلا يفص
2021 ةنس ،AEDI تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلوّدلا ةسسؤملا سنوت ،اهتابجومو
English synthesis | The judge guarantees rights and freedoms:The jurisdictions and the appropriation of their constitutional role Wahid FERCHICHI
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-The judge does not review the constitutionality of the laws which are applied in
the absence of an explicit repeal. Indeed, the Constitution prevents the judge from
exercising this control. Article 148-7 provides, “The courts are deemed incompetent
to review the constitutionality of laws.
-The judge continues to exercise the role of guardian of “moral public order”:
The judge plays the role of preserving the balance within society between individual
liberties and the interest of the group. He draws his arguments from a frame of
reference of the morality of the majority (a morality with a religious basis). Conse-
quently, the decisions rendered aim at protecting society from : “the dissemination
of obscenities ..., vices, and turn against the teachings and foundations of the soci-
ety, and against its identity ... to hurt the feelings of others. 10
It should be mentioned that the judge is no longer acting in accordance with articles
49 and 102 of the Constitution. As a result, liberticidal decisions have been ren-
dered and procedures that violate human dignity (anal, virginity and urine tests) have
been ordered and applied. 11
This approach is likely to be reaffirmed especially in the aftermath of the suspension
of the work of the Assembly of People’s Representatives and this since July 25,
2021, the dissolution of the Provisional Authority to monitor the constitutionality of
bills under Decree No. 17 of December 22, 2021, the suspension of the provisions
of the Constitution with the exception of the preamble and Chapters 1 and 2 as
well as all the provisions that do not contradict the Decree No. 117, the closure of
the seats of the Instance of the Fight against Corruption and the infringement of
liberties.
We fear that the judiciary will once again be under the control of political power
and that censorship will be re-established and that the conservative reading of legal
texts will again be adopted according to the widespread populist and conservative
discourse. This interpretation should normally be in harmony with the main role of
judges: the protection of rights and freedoms.
10 Tribunal of first Instance of Kairouan judgment n°6782 of 10 December 2015.
11 See le n°20 legal agenda review, “Tunisian justice at the time of the Jasmine Revolution”, 4
Janaury
https://legal-agenda.com/%D9%82%D8%B6%D8%A7%D8%A1-
%D8%AA%D9%88%D9%86%D8%B3-%D9%81%D9%8A-%D8%B2%D9%85%D9%86-%D8%A7%D9%
84%D9%8A%D8%A7%D8%B3%D9%85%D9%8A%D9%86/
Arabic).
2021
(in
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BIBLIOGRAPHY :
IN FRENCH
- BEN ACHOUR Souhayma, Les libertés individuelles des étrangères et des étrangers en Tunisie,
Les métèques de la République, Tunis, ADLI, 2019, 117 p.
- BOSTANJI Sami, «Turbulences dans l’application du Code du statut personnel, le conflit de
référentiel dans l’œuvre prétorienne », RIDC, 2009, n°1, p.25.
- LOUKIL Firas, Juge de l’excès de pouvoir et libertés individuelles, Université de Sfax, Faculté
de Droit de Sfax, 2018.
IN ARABIC
ةيطارقميدلل ةيلو ّدلا ةسسؤملا سنوت :روتس ّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يروتسدلا يضاقلا ليلد ,ينورمحلا ىولس
2021 ةنس ،IDEA تاباختنلااو
قوقحلا طباوض نيب بسانتلا ةبقارم :روتس ّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يرادلاا يضاقلا ليلد ،جاحلا نيدلا يفص
2021 ةنس ،IDEA تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلو ّدلا ةسسؤملا سنوت ،اهتابجومو تايرحلاو
ةركفملا ةلجم ،قوقحلل يماحلا يضاقلا ةركفب سمت ةيلكيه تابوعص ،يرادلاا ءاضقلل ذافنلا ،يرباغلا دامع
.2021 يفناج ،20 ددع ةينوناقلا
تاباختنلااو ةيطارقميدلل ةيلو ّدلا ةسسؤملا سنوت ؟ىرخأ ةءارق نم له ،ةيدرفلا تايرحلاو 49 لصفلا ،شابد رثوك
2021 ةنس ،IDEA
ةيطارقميدلل ةيلو ّدلا ةسسؤملا سنوت :روتس ّدلا نم 49 لصفلا قيبطت يف يلدعلا يضاقلا ليلد ،يناوزغلا كلام
2021 ةنس ،IDEA تاباختنلااو
نب حلاص دمحم ديمعلا ىلا ةادهم لامعأ ةعومجم يف ،ةيساسلأا قوقحلا لوح ءاضقلا هقف نم ،يناوزغلا كلام
189ص .2020 ةنس ،يعماجلا رشنلا زكرم ،سنوت ،ىسيع
نوكي نيح تاّيرحلا يضاق ،سنوت يف ءاضقلاب سملا ةيضق يف كيرب نب قيفوت ةمكاحم ،يديعجلا فيفعلا دمحم
.2020 ةيليوج 28 ةركفملا ،مكحلاو مصخلا
ةينوناقلا ةركفملا ،ديري سيئر هربخو مّيقي سيئر هؤدتبم ثيدح حيحصتلا قفأ يف ءاضقلا ،يديعجلا فيفعلا دمحم
.2021 ربوتكأ 11 يف
ةيامحو ةصاخلا ةايحلا ةيامح نيب ةيردنجلا ةيوهلا :يسنجلا لوحتلا نأشب يئاضق مكح« ،يصلاجلا نيمأ دمحم
.2018 ةيليوج 9 ،ةينوناقلا ةركفملا ،»ماعلا ماظنلا
فلؤم ،يندملا ءاضقلا هقف نم اماع نوسمخ ،»بيقعتلا ةمكحم تارارق يف ماعلا ماظنلا موهفم« ،يرايعلا رينم -
.2010 ،يعماجلا رشنلا زكرم ،نيدلا فرش لامك دمحم ذاتسلأا فارشإ تحت يعامج
نورّوصتي امك نويسنوت ةاضق ةيئاضقلا تايقلاخلأا لوح ةرامتسا جئاتن يف ةءارق ،مشاهلا ليلخو ةيغاص رازن
.20 ددع ،ةينوناقلا ةركفملا ،مهتمهم
2011- يفناج 14 .لولاا ءزجلا .ةيلاقتنلاا ةرتفلا يف ةيرادلاا ةمكحملا ،يجبطسب ةنمآو ةربنق ةيمس ،سيديرك ةرون
.2014 يفناج 27
نيح ،يعامج فلؤم ،ةيغاص رازن نمض ،سنوت يف ةاضقلل ةيعامجلا تلاتكتلاو ءاضقلا للاقتسا ،يشيشرفلا ديحو
.205 ص ،2009 رداص راد توريب ،ةاضقلا عّمجت
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ليرفأ 2 ،ةينوناقلا ةركفملا ،ءاغللإل ةلباق ريغ ةيساسلأا تايرحلاو قوقحلا نلعت سنوت فانئتسا ،يشيشرفلا ديحو
.2013
ةماركلا نم ّطحي ةيلثملا ميرجت :230 لصفلا ءاغلإب بلاطت ةيعمج ةينوناق دكؤت سنوت فانئتسا ،يشيشرفلا ديحو
.2019 ةيليوج 3 ،ةينوناقلا ةركفملا ،ةيناسنلإا
3 تاحلاصإ دعب يرادلإا ءاضقلا لوح ىقتلم ،طبضلا ريبادت ةباقر يف ةّيرادلإا ةمكحملا تاهاجتا ،يشيشرفلا ديحو
ةيسنوتلا ةيعمجلا رشن ،2001 ليرفأ 13 و 12،سنوتب ةّيسايسلا و ةيعامتجلاا و ةّينوناقلا مولعلا ةّيلك،1996 ناوج
.20.ص ,2002 ,ةيرادلإا مولعلل

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