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LES NÉGOCIATIONS COLLECTIVES DANS LE CONTEXTE
TUNISIEN POST-RÉVOLUTION : UNE SOLUTION AUX CONFLITS
D’INTÉRÊTS ET UN FACTEUR DE CHANGEMENT
Revue internationale sur le travail et la société
Sarhan ABDENNADHER1, Sami BOUDABBOUS2
Année :
2015
Volume :
13
Numéro :
1
Pages :
34-56
ISSN :
1705-6616
Sujets :
Négociations collectives, contexte tunisien, post-révolution, conflits d’intérêts,
facteur de changement.
RÉSUMÉ
Le contexte tunisien post-révolution a offert aux travailleurs l’opportunité de revendiquer et
exprimer leur mécontentement des conditions de travail et de vie. Leurs demandes concernent
l’augmentation de salaires, le droit à la titularisation, l’amélioration des conditions de travail,
etc. ce qui a généré des conflits avec les propriétaires d’entreprises ; d’où le recours aux
négociations collectives. C’est dans ce champ que s’inscrit notre travail de recherche qui a
pour but de répondre à la question de savoir comment se présente les négociations collectives
dans le contexte tunisien post-révolution ?
Pour répondre à notre problématique, et dans un objectif d’exploration, nous avons mené une
étude qualitative. Nous avons adopté la méthode des cas par entretiens semi-directifs centrés
sur un échantillon de huit interviewés, le propriétaire et un travailleur, appartenant à quatre
entreprises installées à Sfax. Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu.
Elles ont été enregistrées, retranscrites et sont présentées sous forme de verbatim ayant subi
un codage thématique.
Les résultats auxquels nous sommes parvenus confirment le caractère instable du contexte
tunisien post-révolution. Cette instabilité a été aggravée par les revendications qui ont eu lieu
pour demander l’amélioration des conditions de travail de la part des travailleurs ce qui a
engendré des conflits avec les propriétaires. Pour résoudre ces conflits, les deux parties font
1 Assistant-Docteur en Sc. de Gestion, Université de Sfax, Tunisie, U. R. Gouvernance.
Faculté de Droit de Sfax, Route Sidi Mansour Km 10, B.P. 41, Sfax 3061, Tunisie.
Tél. : 00 216 27 330 340
e-mail : sarhanabdennadher@gmail.com

2 Professeur en Sc. de Gestion, Université de Sfax, Tunisie, U. R. Gouvernance.
École Supérieure de Commerce de Sfax, Route de l'Aérodrome km 04, B.P. 1081, Sfax, 3018. Tunisie.
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recours aux négociations collectives effectuées par le syndicat. Ces négociations permettent la
convergence des différentes positions, la réconciliation des intérêts, l’aboutissement à des
accords, et donc le changement de la situation.
ABSTRACT
The Tunisian context post-revolution offered to the workers the opportunity to claim and to
express their dissatisfaction of the conditions of employment and life. Their demands concern
the pay rise, the right for the granting of tenure, the improvement of the conditions of
employment, etc. what generated conflicts with the owners of companies; where from the
appeal to collective negotiation. It is in this field that joins our research work which aims at
answering the question to know how appear collective negotiations in the Tunisian context
post-revolution?
To answer our problem, and in an objective of investigation, we led a qualitative study. We
adopted the case-study method by semi-directive conversations centered on a sample of eight
interviews, the owner and a worker, belonging to four companies installed to Sfax. The
meditative data were the object of an analysis of contents. They were recorded, retranscribed
and are presented in the form of verbatim having undergone a thematic coding.
The results which we reached confirm the unstable character of the Tunisian context post-
revolution. This instability was aggravated by the demands which took place to ask for the
improvement of the conditions of employment on behalf of the workers what engendered
conflicts with the owners. To resolve these conflicts, both parts make appeal to collective
negotiation made by the syndicate. These negotiations allow the convergence of the various
positions, the reconciliation of the interests, the outcome agreements, and thus the change of
the situation.
Key words : collective negotiation, Tunisian context, post-revolution, conflicts of interests,
factor of change.
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INTRODUCTION
À la quête de la liberté, la dignité, la justice, etc., les tunisiens se sont revendiqués entre le 17
décembre 2010 et le 14 janvier 2011 pour exprimer leur mécontentement envers un système
qui les a autant divisés. La chute de l’ancien régime politique est le résultat d’un modèle de
développement qui s’est avéré véritablement inefficace ayant légué une pauvreté rampante, un
nombre inquiétant de chômeurs, des inégalités sociales et régionales croissantes en matière de
répartition du revenu et d’accès à l’emploi, à l’éducation et à la santé, etc.
De ce point de vue, la révolution tunisienne est venue pour exprimer le rejet complet d’un
système qui a fait preuve d’innombrables insuffisances touchant les volets politique,
économique, social, etc. Certes, c’est essentiellement sur le plan socioéconomique que se
situent les principales revendications du peuple tunisien. Actuellement, les efforts des
différentes parties prenantes semblent être unifiés pour réussir cette période transitoire où
l’ancien se défait et le nouveau se construit pour mettre fin à une étape historiquement régit
par un système totalement autoritaire. Dans le cadre de ce système, opérant par le biais de
régulations sociales en menant une politique de compromis fondée sur des concessions
économiques et sociales réelles (Ben Romdhane, 2011), s’inséraient des liens entre le pouvoir
et les pôles représentant les deux fondamentales classes du pays à savoir les travailleurs et les
détenteurs de capitaux. Ces pôles sont principalement constitués par l’UGTT (Union Générale
Tunisienne de Travail), défendant les travailleurs, et l’UTICA (Union Tunisienne de
l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat), représentant les employeurs.
Avec le 14 janvier, il est fort de constater que ces deux grands partenaires ont joué un rôle de
premier plan durant cette phase post-révolution, aussi bien sur les plans économique et social
que politique. C’est dans ce contexte que s’inscrit ce travail de recherche qui a pour but
d’étudier le rôle de l’action syndicale pendant la période de transition en Tunisie. Cependant,
nous nous intéressons dans cette contribution au rôle joué par le syndicat, à travers les
négociations collectives, et ce, pour deux raisons. D’abord, comme le montre Ben Romdhane
(2011), l’UGTT, avec ses 750 000 adhérents, constitue la première force du pays ; « est-il
nécessaire de préciser que le salariat organisé représente la colonne vertébrale de la société
civile, qu’il a constitué, tout au long de l’histoire du pays, un véritable repère, un défenseur
des acquis du pays et une protection contre les projets manichéens ou totalitaires. Dans la
transition démocratique, il pèsera très probablement d’un poids très lourd et sera un point de
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passage obligé, incontournable » (p. 99). Il en découle, ensuite, que l’UGTT représente les
travailleurs qui forment, en fait, la classe socioprofessionnelle la plus touchée par les
retombées négatives de l’ancien régime et celles résultantes de l’instabilité et l’insécurité du
contexte post-révolution. C’est, entre autres, cette catégorie des tunisiens qui s’est
revendiquée pour demander la révision des prix des produits de première nécessité, la hausse
des salaires, les titularisations, etc.
Comment se présente alors les négociations collectives du secteur privé dans le contexte
tunisien post-révolution ? C’est autour de cette question que s’articule notre problématique à
laquelle nous avons voulu donner des éléments de réponse.
1
LES NÉGOCIATIONS COLLECTIVES : DE QUOI PARLONS-NOUS ?
Selon Barrat et Daniel (2002), le terme négociation s’applique, à l’origine, à l’action
d’exercer un commerce puis, par extension, aux démarches permettant de traiter ou régler une
affaire, c’est-à-dire d’arriver à un accord sur les termes d’un échange plutôt que d’user de la
force ou d’en arriver à l’affrontement. Pour les auteurs, ceci suppose que les parties à la
négociation parviennent à s’entendre sur la valeur de l’objet de l’échange ; quoi contre quel
prix.
En ce qui concerne la négociation collective, Hébert (1992, p. 10) la définit comme étant : « le
processus de libre discussion entre deux agents économiques en vue d’une entente collective
relative aux conditions de travail. La détermination conjointe des conditions de travail par les
représentants des employeurs et des salariés implique à la fois une situation conflictuelle et
de convergence d’intérêts, qui exige un certains nombres de compromis ». En tant que
pratique sociale (Couturier, 1994), la négociation collective, comme toute technique
négociatrice, possède deux versants consubstantiels : elle est à la fois une méthode de
réduction d’un antagonisme d’intérêts et une méthode de production de règles (Thuderoz,
2000). Il s’agit d’un exercice complexe, constitué d’échange d’informations, de moyens de
pression, de marchandage et de nécessaires concessions (Hébert, 1992). Un tel exercice
renvoie à la notion de pouvoir étant donné que chaque partie cherche à s’imposer. Selon ces
particularités, les syndicats mobilisent des ressources qui définissent leur pouvoir dans une
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situation donnée (Levesque et Murray, 2010). Les auteurs distinguent quatre types de
ressources :
- La solidarité interne qui renvoie aux mécanismes développés dans les milieux de travail
pour assurer la vitalité délibérative et la cohésion entre les membres.
- La solidarité externe qui se rapporte aux liens horizontaux et verticaux développés par un
syndicat avec d’autres syndicats, avec d’autres groupes au sein de la communauté, et avec
des mouvements sociaux.
- Les ressources narratives qui désignent l’ensemble des histoires ou récits qui donnent un
sens et un sentiment d’efficacité aux actions des syndicats et légitiment leurs modes
d’action.
- Les ressources organisationnelles qui relèvent de l’ensemble des structures, des ressources
matérielles et humaines, des processus, des politiques et des programmes de l’organisation
syndicale.
En effet, la littérature fait apparaître trois approches en matière de négociation collective :
- Négociation distributive : dans ce type de négociation, les activités sujettes de conflits sont
décrites de façon à ce que les deux parties veillent à atteindre, chacune de sa part, ses buts.
Ces derniers s’opposent généralement ; d’où un sous-système qui fait appel aux tactiques et
comportements conflictuels (Faure et al., 2000).
- Négociation intégrative : dans ce type de négociation, Faure et al. (2000) parlent d’un gain
pour les deux parties ; d’où une logique de coopération et de confiance mutuelle.
- Négociation mixte : en partant de l’hypothèse de l’impossibilité de séparation des deux
précédents types de négociations, certains auteurs (Lapointe et al., 2003 ; Bergeron et
Bourque, 2000 ; Faure et al., 2000) proposent plutôt de les mélanger ; d’où la naissance de la
négociation mixte.
Selon Naboulet (2011), la négociation collective, une des formes possibles du dialogue social,
se distingue par le fait qu’elle est intrinsèquement liée au concept d’accord collectif. À la fin
de la négociation, les deux parties, l’employeur et le syndicat représentant les salariés,
influencés par les différents contextes qui les entourent (politique, économique, social, etc.),
vont établir conjointement les règles qui les régissent et aboutir à une convention collective
qui va dessiner les conditions de travail (Bergeron, 2006). La conclusion de l’accord n’est pas
un acte suspendu dans le temps : écho du passé de l’entreprise, il en révèle également l’un des
futurs envisagés par les signataires (Barrat et Daniel, 2002).
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La négociation collective se présente alors comme un processus qui fait intervenir les
employeurs et les représentants des travailleurs, dans lequel s’effectue un échange
d’informations, de positions et de propositions généralement en divergence, et suit auquel se
produit un accord (ou ensemble d’accords), source de changement, qui va engager les deux
parties. Pour Delivré (2013), le déroulement de la négociation collective se présente comme
suit :
Figure 1 : Le déroulement de la négociation collective (Delivré, 2013)
Ainsi, la négociation collective demeure le cœur de la production de règles conventionnelles
dans les entreprises, notamment sur les thèmes centraux que sont les salaires, le temps de
travail ou l’emploi, etc. (Naboulet, 2011). La plupart des projets traditionnellement mis en
avant par les syndicats sont de deux ordres (Levesque et Murray, 2003) :
- Sur le plan des milieux de travail, les syndicats visent à défendre les travailleurs en
améliorant les salaires et les conditions de travail, et en assurant une certaine forme d’équité
dans les décisions concernant les mouvements dans les marchés internes du travail au sein
d’une entreprise.
- Sur le plan de la société dans son ensemble, les syndicats visent à défendre autant le
travailleur que le citoyen (Murray et Verge, 1999). Ils protègent le travailleur en militant en
faveur d’un cadre juridique permettant aux syndicats de jouer un rôle plus actif dans les
milieux de travail. Ils défendent le citoyen en élargissant le champ de l’équité pour la société
dans son ensemble et en favorisant l’adoption de politiques sociales et économiques
émancipatoires sur des enjeux tels les politiques de fiscalité, l’emploi, le salaire minimum et
les soins de santé.
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En fait, les syndicats luttent pour de meilleures conditions de travail et de vie pour les
travailleurs, ainsi que leurs familles, pour les droits de l’Homme et des syndicats, pour
l’égalité des sexes, pour la paix, la liberté et la démocratie (Fleischmann, 2009).
2
LE CONTEXTE TUNISIEN POST-RÉVOLUTION
Suite à l’éboulement de l’État et de son autorité, résultat attendu et délibérément voulu de la
révolution du 14 janvier 2011, la Tunisie a connu une explosion des revendications sociales et
salariales pour se trouver devant un contexte d’insécurité et d’instabilité. Selon le Projet de
Justice Mondial (2014), la Tunisie occupe le 41
ème rang dans le classement général selon
l’indice de l’État de droit parmi les 99 pays inclus dans l’étude. Les détails de ce classement
font apparaître des défaillances en matière de contraintes de pouvoirs gouvernementaux (41ème
place) et de son ouverture (49
ème place). La performance du pays dans tous les autres
domaines fait chute : la corruption (43
ème place), l’ordre et la sécurité (41ème place), la justice
(47
ème place), etc.
Il s’agit d’une période de transition pleine de bouleversement et d’agitation sur tous les plans :
politique, économique, social, législatif, etc. À ce propos, Zittoun et Perret-Clermont (2001)
avancent qu’une période de transition suppose toujours une forme de rupture ou de
bouleversement face à une forme de routine. Les auteurs ajoutent que la notion de transition
inclut deux idées : d’un côté, que la personne vit une forme de rupture avec une forme de vie
antérieure ; de l’autre, que la personne est nécessairement en changement pour s’adapter à de
nouvelles conditions.
Pour Nallari et al. (2012), la réussite des pays en développement et en transition reste
tributaire de la stabilité de l’environnement économique, de la consolidation du marché du
travail et de ses institutions, de la politique industrielle et de l’effet de la globalisation sur la
croissance économique. Toutefois, en Tunisie, le contexte général n’est propice ni à la reprise
de l’investissement ni à la croissance. Les données montrent que la période se caractérise par
une forte récession de l’activité économique (Banque Mondiale, 2014) : des déficits de la
balance courante et du budget, une baisse de la production, de l’investissement, des réserves
en devises, un chômage massif (surtout des jeunes diplômés), une augmentation de
l’endettement du pays avec un recours sans précédents à des prêts auprès des bailleurs de
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fonds internationaux, etc. Tous ces phénomènes ont subi des impacts sérieux sur les équilibres
économiques et financiers du pays. En termes de compétitivité économique, le forum
économique mondial (2014-2015) a classé la Tunisie au 87
ème rang sur un ensemble de 144
pays avec un score de 3,96 sur une échelle de 1 à 7. Il s’agit d’une nette tendance à la baisse
par rapport à l’année précédente (2013-2014) puisqu’elle était au 83
ème rang sur 148 pays avec
un score de 4,1. Sur le plan macroéconomique, elle est à la 111
ème place avec un score de
4,03.
En plus du contexte national complètement défavorable, cette phase présente une conjoncture
régionale et mondiale désavantageuse. La guerre civile en Libye et l’explosion des prix des
produits alimentaires et énergétiques sur les marchés internationaux ont, respectivement,
aggravé la situation du secteur du tourisme et alourdi les dépenses de l’État. En fait, la période
post-révolution marque un pas en avant vers la liberté et la démocratie, mais elle constitue,
comme le montrent les données présentées ci-dessus, des pas en arrière sur le plan
socioéconomique avec une forte aggravation des déséquilibres régionaux, une accélération de
l’inflation, une augmentation des prix des produits de consommation, une remarquable baisse
du pouvoir d’achat des ménages, et ce, malgré l’augmentation des salaires après le 14 janvier
2011, etc. (Banque mondiale, 2014).
Durant cette période, de nombreuses entreprises œuvrant dans les secteurs de l’industrie, du
commerce et des services ont subi d’importants dégâts matériels : incendies, actes de
vandalisme, sit-in, grèves anarchiques, blocages d’activités, fermetures momentanées et
parfois définitives de certaines entreprises, etc. Cette situation se trouve aggravée par la
dégradation de la relation entre les travailleurs et les employeurs. À propos, et selon le rapport
sur la compétitivité globale (2014-2015) du Forum Économique Mondial, les relations
patronat-salariés en Tunisie sont considérées comme peu conflictuelles. En effet, selon cet
indice, la Tunisie se trouve au 118
ème rang (sur 144 pays) avec un score de 3.8 sur une échelle
de 1 (généralement conflictuelle) à 7 (généralement coopérative).
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MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
Notre recherche vise à étudier le rôle des négociations collectives du secteur privé dans le
contexte tunisien durant la période de transition et leur perception par les différentes parties
qui en sont concernées. Par conséquent, l’étude a pour objet de comprendre et d’interpréter un
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phénomène émergent inscrit dans un contexte particulier dans une période de temps
déterminée. En effet, nous avons choisi de situer notre étude exploratoire à l’intérieur des
recherches qualitatives. Selon Bühlmann et Tettamanti (2007), dans les recherches
qualitatives, les chercheurs se préoccupent de mécanismes ou de phénomènes encore peu
étudiés à travers des enquêtes de caractère plus exploratoire, avec un fort accent sur la
description, une focalisation sur la compréhension des phénomènes et le développement de
théories visant à comprendre de la manière la plus complète possible les données recueillies.
Selon Wacheux (1996, p. 15), la recherche qualitative s’attache à « rechercher les
significations, comprendre des processus, dans des situations uniques et fortement
contextualisées ». Miles et Huberman (2003, p.171) envisagent la description comme le
processus selon lequel le chercheur « veut clairement savoir ce qui se passe et comment cela
se passe ». Ils précisent qu’il est nécessaire de passer par une étape de compréhension afin de
développer ensuite une interprétation du déroulement du récit.
Pour répondre à notre problématique, nous avons adopté la méthode des cas par entretiens.
Cette méthode est appropriée lorsque la question de recherche commence par « comment »
(Yin, 2003 ; Wacheux, 1996). Le terme cas désigne à la fois un travailleur et un propriétaire
d’entreprise. Notre unité d’analyse est donc l’individu. En raison de la visée purement
exploratoire de notre recherche, nous avons adopté une étude multi-sites (plusieurs cas). Ce
choix est justifié par deux raisons principales. D’abord, dans une perspective de découverte du
phénomène étudié, un de nos objectifs est de rendre compte le plus possible de la diversité et
de l’hétérogénéité des expériences en matière de négociation collective. Pour que cette
démarche ait un minimum de validité externe, ces construits doivent être représentatifs de
phénomènes qui se retrouvent dans tous les secteurs auxquels appartiennent les entreprises de
notre échantillon et non pas seulement dans un seul secteur particulier. Ensuite, la méthode
multi-sites est particulièrement adaptée lorsque l’on souhaite, comme c’est notre cas, explorer
des aspects peu ou pas étudiés d’un phénomène.
Notre échantillon comprend 16 interviewés appartenant à quatre entreprises installées à Sfax.
Dans chaque entreprise, nous nous sommes entretenus avec le propriétaire et trois travailleurs
qui ont été sélectionnées d’une façon à ce qu’ils répondent le plus possible à notre
problématique de recherche. En ce qui concerne le choix des cas, Miles et Huberman (2003)
avancent que l’échantillonnage doit être orienté, c’est-à-dire non aléatoire ; le choix des cas
doit se faire pour une finalité de théorisation et non pas pour dégager des résultats de type
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statistique. Notre objectif étant l’exploration et la compréhension des négociations collectives
du secteur privé dans le contexte tunisien post-révolution à partir d’une analyse qualitative et
non pas pour un objectif de généralisation.
Les données ont été collectées par des entretiens semi-directifs centrés. Il s’agit d’un mode
d’entretien dans lequel le chercheur amène le répondant à communiquer des informations
nombreuses, détaillées et de qualité sur les sujets liés à la recherche en l’influençant très peu
et donc avec des garanties d’absence de biais qui vont dans le sens d’une bonne scientificité
(Roussel et Wacheux, 2005). Nous nous sommes adressés à l’ensemble des interviewés,
travailleurs et propriétaires d’entreprises, avec la même grille de questions, et ce, afin de
présenter les différentes perceptions, chacun de sa position, des négociations collectives
effectuées pendant la période de transition. La durée moyenne de chaque entretien est de 25
minutes. Le guide d’entretien se structurait autour des questions suivantes :
- Comment trouvez-vous le contexte tunisien post-révolution ?
- Comment voyez-vous
les différentes négociations collectives effectuées après
la
révolution ?
- Ces négociations ont-elles apporté des changements ?
- Comment jugez-vous ces changements ?
Les données recueillies ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Elles ont été enregistrées,
retranscrites dans leur intégralité et sont présentées sous forme de verbatim. Ces verbatim ont
subi par la suite un codage thématique en relation avec notre problématique de recherche
(Paillé et Mucchielli, 2003).
Les entreprises retenues
Activité
Effectifs
A
Meubles et
ameublement
B
C
Constructions
métalliques
Textiles et
habillement
50
45
40
Les interviewés
Les travailleurs
Qualification Âge
Expérience
dans
l’entreprise
Ouvrier
Ouvrier
Ouvrier
Technicien
Ouvrier
Ouvrier
Ouvrière
Technicien
38 ans
28 ans
33 ans
32 ans
36 ans
35 ans
40 ans
29 ans
9 ans
5 ans
7 ans
5 ans
6 ans
10 ans
8 ans
5 ans
O
r
d
r
e
1
2
3
1
2
3
1
2
Les propriétaires
Expérienc
e dans
l’entrepris
e
Âge
60 ans
20 ans
51 ans
17 ans
55 ans
15 ans
43





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Les entreprises retenues
Les interviewés
Les travailleurs
Activité
Effectifs
O
r
d
r
e
Qualification Âge
Expérience
dans
l’entreprise
D
Imprimerie
20
Ouvrier
Technicien
Technicien
Ouvrier
11 ans
3
15 ans
1
10 ans
2
3
8 ans
Tableau 1 : Population de l’enquête
40 ans
45 ans
35 ans
27 ans
Les propriétaires
Expérienc
e dans
l’entrepris
e
Âge
62 ans
25 ans
4
RÉSULTATS ET ANALYSE
4.1 La période post-révolution et l’instabilité du contexte
La révolution du 14 janvier 2011 est survenue principalement pour des raisons d’inégalités
socioéconomiques (chômage, disparités régionales, exclusion sociale, etc.).
« Nous sommes sortis pour exprimer notre mécontentement des conditions sociales et
économiques. Les Tunisiens se sont revendiqués parce qu’il est devenu impossible de
continuer à vivre dans la misère, dans l’absence de liberté et surtout de dignité. Il était temps
de mettre fin à cette dictature et provoquer un juste et vrai changement » (travailleur 1 de
l’entreprise A).
Le propriétaire de l’entreprise D ajoute :
« Avant la révolution, nous étions des sourds-muets. Personne n’avait le droit de s’exprimer
librement. C’est vrai que la situation économique était meilleure, mais les disparités entre les
différentes classes sociales étaient énormes. Les détenteurs de capitaux étaient une cible du
clan quasi- mafieux... Un changement radical était imminent, on s’attendait à une révolution
car tout le peuple en a marre ».
Certes, la période post-révolution marquera pour l’éternité l’histoire de la Tunisie, et ce, par
les profonds bouleversements politiques, économiques et sociaux qui se sont déroulés durant
cette phase de transition. Toutefois, l’économie tunisienne souffre d’énormes difficultés et
connaît les moments les plus sombres.
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« La croissance régulière qu’a connu le pays durant ces dernières années fait partie du
passée. Actuellement, et depuis 2011, l’économie tunisienne se voit sombrer dans une forte
récession. La majorité des indicateurs dévoilés montrent un déficit au niveau de tous les
secteurs économiques. D’ailleurs, un simple coup d’œil sur les taux de croissance des trois
dernières années font preuve de défaillances alarmantes. Dans un contexte pareil, on ne peut
plus parler d’investissement. Ce dernier nécessite de la stabilité, ce qui n’est pas le cas en
Tunisie, et par la suite pas de création de valeur ni d’emploi et encore pas de richesse »
(propriétaire de l’entreprise B).
En effet, l’économie tunisienne vie dans cette période les moments les plus critiques de son
histoire. La défaillance de l’économie dans le contexte post-révolution s’explique, entre
autres, par les différents problèmes vécus par les entreprises tunisiennes qui ont enregistrés
d’innombrables dégâts.
« Nous sommes passés par des moments très difficiles. Il s’agit d’une vraie période de crise et
de récession. Jusqu’aujourd’hui, nous souffrons des dégâts enregistrés après la révolution.
Malheureusement, à chaque fois où la situation commence à s’améliorer, les problèmes
surgissent de nouveaux. Nous assistons encore à des sit-in, des grèves et des revendications.
Le contexte est encore instable ce qui influe négativement notre activité. Cette instabilité du
contexte est renforcée par l’insécurité et surtout la perplexité politique » (propriétaire de
l’entreprise C).
Après un peu moins de cinq ans de la révolution, les conditions générales du pays sont en
défaveur de la croissance économique. Les entreprises souffrent toujours de problèmes
économiques, mais aussi et surtout sociales. À cela s’ajoute l’insécurité et l’ambiguïté qui
règne sur le plan politique. Dès lors, le peuple s’est trouvé devant des conditions de vie de
plus en plus difficiles. Les contestations se poursuivent et la situation continue à s’aggraver.
« Depuis la révolution, les choses n’ont presque pas changé. La situation du pays nous laisse
inquiets sur notre avenir et celui de nos enfants. On s’enfonce davantage dans la misère et la
pauvreté. Les prix des biens de premières nécessités se sont multipliés. Nous ne pouvons plus
assurer le minimum nécessaire. Les politiciens sont dans leur monde et les détenteurs de
capitaux sont loin d’être touchés par les augmentations des prix. La classe moyenne est
disparue. Nous ne pouvons pas garder le silence. Nous allons continuer à lutter pour
un avenir meilleur » (travailleur 3 de l’entreprise C).
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Devant l’insécurité, l’instabilité, la hausse des prix des différents produits, etc., les grèves sont
toujours présentes. Cette vague de grèves a un double objectif, d’abord, exercer une pression
sur les choix des hommes politiques et, ensuite, rechercher l’amélioration des conditions de
travail.
Le travailleur 2 de l’entreprise B s’exprime :
« Nous sommes à la recherche d’un bon climat. Ce que nous demandons est légitime. Nous
sommes conscients de la situation économique, mais, en contrepartie, nous voulons que nos
employeurs nous comprennent. Nos demandes concernent l’augmentation de salaires,
l’application des lois sur la durée du travail, l’annulation de la sous-traitance, la révision des
contrats de travail, le droit à la titularisation, l’amélioration des conditions de travail et de
vie en général, etc. ».
En effet, c’est à cause de l’inflation, des augmentations des prix de plusieurs produits, des
mauvaises conditions de travail, etc. que les travailleurs sont prêts à se mettre en grève. Ils
cherchent à améliorer leurs conditions de vie et celles du travail. Leurs demandes concernent
plusieurs volets et elles sont loin d’être limitées ; elles évoluent en fonction de l’accélération
du rythme de vie, du contexte général du pays, etc. Parmi ces demandes, on cite à titre non
exhaustif : l’augmentation des salaires, le droit à la titularisation, la couverture sociale,
l’annulation de la sous-traitance, le paiement des heures supplémentaires, la révision des
contrats de travail, etc. Dans ce contexte, les employeurs, les gouvernements et les syndicats
sont contraints de revoir leurs modes d’action et de renégocier le cadre dans lequel se
développent leurs échanges (Levesque et Murray, 2003). Cependant, depuis un bon moment,
les mouvements de contestations et de revendications semblent se ralentir, et c’est en grande
partie grâce au pouvoir des négociations collectives effectuées qui ont tissé des accords afin
de permettre la reprise du travail.
4.2 Les négociations collectives comme solution aux conflits d’intérêts
L’avènement de la révolution a permis aux peuples, d’une façon générale, de revendiquer
contre les mauvaises conditions socioéconomiques, et aux travailleurs, d’une façon
spécifique, de protester afin de demander l’instauration d’un meilleur climat de travail. De ce
fait, la scène économique a connu de grands bouleversements et a été marquée par la présence
de plusieurs conflits.
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« Avant 2011, nous ne pouvons pas réclamer nos mécontentements. Nos droits étaient
totalement oubliés, et, malheureusement, par manque de courage, nous étions obligés de
garder la bouche fermée par crainte de licenciement ou par peur de subir des sanctions.
Actuellement, c’est le moment ou jamais pour bouger et défendre nos droits » (travailleur 2 de
l’entreprise A).
« Après la révolution, la tension a beaucoup monté. Les conflits avec les travailleurs étaient
trop fréquents. Il était difficile de trouver un terrain d’entente. Les choses nous ont beaucoup
échappé. Les demandes étaient parfois irréalistes ce qui a rendu impossible de mener des
discussions pouvant aboutir à des fins satisfaisantes pour les deux parties » (propriétaire de
l’entreprise A).
Dans ce contexte, le rôle des syndicats s’avère d’une grande importance puisqu’il a toujours
consisté à réconcilier une multiplicité d’intérêts afin d’éviter les divisions et de construire une
plus grande solidarité (Hyman, 1997). La construction de cette solidarité se fait par le
dialogue et une organisation démocratique au sein de l’entreprise, et notamment par la
coordination latérale et verticale entre les syndicats et avec la communauté (Levesque et
Murray, 2003). En effet, c’est sur la base des revendications et des conflits que s’ouvrent les
négociations entre les syndicats représentant les travailleurs et les employeurs (Grozelier,
2006).
« Le recours à des négociations collectives était inéluctable afin de pouvoir trouver des
compromis pour retrouver les équilibres souhaités et recherchés par les deux parties. Les
représentants syndicaux ont assumé leurs responsabilités et ont joué un rôle très important
dans ce sens » (propriétaire de l’entreprise C).
« Dans ce contexte plein de conflits, la tension avec l’employeur a connu son top et les
relations étaient extrêmement tendues. La seule solution était de faire intervenir les
représentants syndicaux. Ces derniers ont débuté des négociations collectives dans un but de
réconciliation. Nos intérêts et ceux du propriétaire étaient complètement divergents.
Honnêtement, si les négociations n’ont pas eu lieu, les pertes risquaient d’être énormes, et ce,
aussi bien pour nous que pour le propriétaire » (travailleur 2 de l’entreprise C).
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Malgré les divergences d’intérêts, la tension, le refus mutuel des avis et des propositions, etc.,
les travailleurs et les employeurs étaient conscients de la gravité de la situation et du sérieux
danger qui les attend s’ils ne trouvaient pas un terrain d’entente. Pour eux, le recours aux
négociations collectives était à la fois imminent et inévitable. Dans ce sens, la négociation
collective apparaît comme une technique de négociation permettant de converger les intérêts
et produire des règles d’organisation de travail (Thuderoz, 2000).
« Les conflits et les disparités sont légitimes surtout dans un contexte post-révolution dans
lequel chaque partie cherche à défendre ses intérêts afin maximiser ses gains et minimiser ses
pertes. Toutefois, refuser toute initiative pour trouver un compromis n’est pas dans l’intérêt
de personne. Le syndicat, à travers les négociations collectives, a veillé à ce que les barrières
avec les employés seront détruites ce qui a permis de remédier aux problèmes posés »
(propriétaire de l’entreprise B).
Ainsi, les négociations collectives sont en mesures de soulever les malentendus entre les
travailleurs et les détenteurs de capitaux qui sont, en fait, deux interlocuteurs qui se
reconnaissent mutuellement (Dufour et Hege, 2010). Dans le cas de négociations entre des
parties qui partagent des principes de bases qui se rapprochent, des objectifs quoique
différents, mais complémentaires, une histoire et un avenir communs, l’aboutissement à un
accord collectif ne constitue pas en lui-même une surprise. Dans de telles conditions, les
expériences des entreprises ne sont plus les mêmes ; c’est pour cette raison que la nature des
négociations menées diffère d’un cas à un autre. À ce propos, Levesque et Murray (2010)
avancent que les syndicats ont historiquement développé des répertoires d’action collective et
une variété de formes organisationnelles pour répondre aux particularités des économies
politiques dans lesquelles ils évoluent.
« Les problèmes survenus et les conflits vécus dans notre entreprise ne sont plus les mêmes
que ceux des autres entreprises. De ce fait, les solutions diffèrent d’un cas à un autre, et les
négociations sont en quelques sortes spécifiques à chaque entreprise. Mais la chose sûre c’est
que se sont les négociations collectives menées par les syndicats qui ont permis la sortie de
crise en préservant les intérêts des travailleurs et des employeurs, et ce, en conformité avec
les priorités du pays » (travailleur de 1 l’entreprise D).
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En ce sens, la négociation collective s’est surtout attachée à accompagner les politiques
publiques en matière de préservation de l’emploi et de réduction du temps du travail, de
modération salariale et de réforme du marché du travail par l’articulation des notions
d’employabilité et d’activation (Chagny, 2005).
4.3 LES NÉGOCIATIONS COLLECTIVES COMME FACTEUR DE
CHANGEMENT
Les mouvements de revendications qui peuvent se produire dans une entreprise sont
susceptibles de déstabiliser son équilibre. Certes, ces mouvements expliquent le refus des
travailleurs des situations vécues et expriment une forte volonté et un incessant désir de
changement.
« La révolution du 14 janvier, avec tout ce qu’elle a provoqué d’insécurité et d’instabilité,
constitue l’évènement le plus important qui s’est déroulé (après l’indépendance bien sûre)
dans le pays. Cette révolution vient pour exprimer la volonté de changer une situation qui
nous a causé autant de peine. Il était donc impératif de provoquer un grand mouvement pour
mettre fin à une période et débuter une autre. C’est le cas notamment au niveau
professionnel. Nos revendications expriment notre refus des conditions vécues. Il était temps
de passer à une nouvelle étape » (travailleur 3 de l’entreprise A).
Après la révolution, l’environnement général du pays a connu des moments de déstabilisation
sur les plans politique, économique, sociale, etc. Il s’agit d’une période de transition là où on
cherchait à bouleverser la routine pour retrouver une situation meilleure. Toutefois, dans ces
conditions d’instabilité et au niveau professionnel, le rôle des négociations collectives, définit
par Levesque et Murray (2003) comme une discussion du changement, dans la poursuite et la
réussite du dialogue s’avère d’une grande importance. D’ailleurs, les préoccupations des
salariés envers le mauvais contexte (avant et après la révolution) sont à l’origine des
revendications. Dès lors, les syndicats ont pour rôle de proposer des actions urgentes,
efficaces et surtout concrètes pour remédier au malaise social, professionnel et économique.
« Pour que les choses ne nous échappent pas, il était important d’organiser des discussions
pour parler des demandes et des attentes des travailleurs. Il fallait trouver des solutions et
éviter toute sorte d’entrée en crise car ça n’était dans l’intérêt de personne : ni les
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travailleurs ni moi en tant que propriétaire de l’entreprise. À ce niveau, le syndicat a joué un
rôle très important à travers les négociations que nous avons mené ensemble » (propriétaire
de l’entreprise A).
En effet, dans le contexte tunisien post-révolution, les conditions de travail se sont totalement
dégradées, le chômage s’enfonçait chaque jour, l’inflation a fait ses records, les prix se sont
doublés, etc. et, en contrepartie, le pouvoir d’achat n’a pas évolué. Dans ces conditions, les
travailleurs, à la recherche de changements favorables, se tournent davantage vers les
syndicats. Ces derniers réagissent de façon à ce qu’ils parviennent à se saisir de leurs
problèmes, à définir les perspectives et à proposer des stratégies d’action à la hauteur des
enjeux (Grozelier, 2006).
« Suite aux négociations effectuées entre le syndicat et le propriétaire, les choses ont
beaucoup changé. En fait, malgré un refus non déclaré au début, le propriétaire a accepté de
rester sur la même table avec le syndicat pour négocier les points sujets de revendications. Je
parle ici des conditions de travail, de la sécurité, des heures supplémentaires, de la
titularisation, etc. Les négociations étaient positives et les deux parties se sont mis d’accord
sur l’ensemble des points traités. Nous étions sûrs de l’efficacité de ces négociations car nous
avions une forte confiance en la capacité du syndicat de convaincre le propriétaire de l’utilité
des changements souhaités pour tout le monde. Après, l’ambiance dans l’atelier a beaucoup
changé, vers le sens positif je veux dire » (travailleur 3 de l’entreprise D).
Le cadre convivial, le respect mutuel, les bonnes relations, etc. constituent autant d’éléments
qui peuvent faciliter le déroulement des négociations. Le partage d’informations, l’écoute, le
dialogue et l’échange influencent positivement le climat de concertation et permettent aux
deux parties de réussir les négociations. Les travailleurs, d’une part, font recours au syndicat
pour défendre leurs intérêts devant le propriétaire. Selon Levesque et Murray (2003), parmi
les raisons qui justifient l’acte d’adhésion à un syndicat est, sûrement, la croyance que cet acte
fera une différence. D’autre part, les propriétaires des entreprises acceptent de négocier avec
les syndicats parce qu’ils les considèrent comme des gens responsables qui cherchent à
satisfaire les différentes parties. De fait, la légitimité des représentants syndicaux repose aussi
bien sur leur aptitude à assurer la défense des intérêts de leurs membres que leur capacité de
maintenir de bonnes relations avec la direction (Levesque et Murray, 2003). Dans cette même
lancée, Roy et al. (2006) avancent que la gestion des conflits dans les entreprises est une
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question de valeurs partagées entre les différentes parties qui veulent vivre en partenariat et
non pas une question de transformation des rôles.
« Les négociations effectuées après la révolution étaient attendues. La situation était plus
qu’alarmante. Il n’était pas une question d’argents uniquement. Aujourd’hui, l’ambiance est
devenue plus qu’agréable au sein de l’entreprise. Le syndicat a joué un rôle de premier ordre
durant cette période, et c’est grâce à ses efforts que la donne a positivement changé.
L’amélioration de nos salaires nous permet de confronter en quelques sortes les différents
problèmes de la vie quotidienne, entre autres, l’évolution des prix » (travailleur 2 de
l’entreprise A).
La mission du syndicat ne se résume pas uniquement dans la défense des intérêts matériels
des travailleurs. Le côté moral des travailleurs demeure important pour le syndicat. Selon
Sandi (2006), le syndicat ne discute pas uniquement une révision des salaires, mais il exerce
aussi d’importants effets non salariaux sur les différents aspects de la vie industrielle
moderne. Dès lors, le syndicat part dans les négociations collectives afin d’aboutir à des
résultats positifs qui concernent surtout l’amélioration des conditions de travail et du pouvoir
d’achat des travailleurs. De ce fait, les actions proposées par les syndicats constituent un
moteur de changement (Fantasia et Voss, 2003). Certes, le changement, résultat des
négociations collectives, se manifeste en premier lieu dans le passage d’une situation de
conflits à une autre de compromis.
« La chose sûre c’est que l’action syndicale était bénéfique sur tous les plans. L’objectif
ultime de toute négociation est de trouver un consensus. Le contexte post-révolution connaît
plusieurs mutations qui ont touché tous les niveaux : instabilité du pays, évolutions dans le
processus du travail, etc. Dans notre cas, les négociations se sont déroulées d’une façon
fluide, et ce, à cause des qualités et des compétences du syndicat et bien évidemment de notre
acceptation pour dialoguer afin de calmer les esprits et retrouver un compromis pour pouvoir
dépasser la période difficile » (propriétaire de l’entreprise D).
L’évolution du travail dans l’entreprise (automatisation, TIC, informatisation, etc.) et des
différents environnements (politique, économique, social, légal, etc.) sont autant d’éléments
qui endoctrinent le déroulement du processus de changements (Lévesque et Murray, 1998).
Dans cette réalité changeante, le rôle du négociateur est devenu plus complexe et requiert
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maintenant des connaissances et des expertises diversifiées (Brosseau et Lortie, 2012). En ce
sens, il ne s’agit pas d’épouser ni de s’opposer aux nouvelles formes d’organisation du travail,
mais plutôt de mettre en avant un syndicalisme de proposition : de formuler des positions
syndicales autonomes qui reflètent les besoins des travailleurs dans leur milieu de travail et
expriment leurs aspirations quant à la qualité de leurs emplois (Levesque et Murray, 2003).
« En réalité, les négociations effectuées n’auraient pu réussir sans la coopération totale des
deux parties. Le syndicat a su bien gérer la période post-révolution. Le propriétaire était, de
sa part, très compréhensif et a fait preuve d’une grande largeur d’esprit. Grâce aux différents
accords issus des différentes négociations menées, la situation a remarquablement changé.
Les travailleurs se sentent plus à l’aise, et la performance de l’entreprise est nettement
supérieure par rapport aux années précédentes » (travailleur 1 de l’entreprise C).
À travers les négociations menées, le syndicat et le propriétaire d’entreprise cherchent à créer
de bonnes relations de travail, résoudre efficacement et dans la paix les conflits et travailler
dans le même but, et, donc, assurer un changement favorable. D’ailleurs, ce ne sont pas les
conflits qui posent problème, mais plutôt la façon dont ils sont traités par le syndicat et le
propriétaires et leurs effets, qui peuvent aussi bien être constructifs que destructifs (Roy et al.,
2006). Dans ce sens, la mise en place d’un climat favorable nécessite la présence d’une
confiance mutuelle et la création d’une vision commune entre les travailleurs et le
propriétaire. C’est par la volonté des acteurs de renforcer leur dialogue et une prise de
conscience de l’importance d’une gestion conjointe des changements que s’améliore
l’efficacité économique de l’entreprise et le bien-être des travailleurs (Bettache, 2010).
« La réussite des négociations permet l’amélioration des conditions de vie et de travail des
travailleurs. Nous représentons une masse importante de la société. Ainsi, toute amélioration
de notre situation influence sans aucun doute l’ensemble de la société. En effet, la défense de
nos intérêts correspond en quelques sortes à la défense des intérêts de la société. Dès lors,
l’action syndicale coïncide largement avec l’action politique. Cette action, en veillant à
l’amélioration immédiate des conditions de vie et de travail des travailleurs, participe
activement à la préparation des conditions d’un avenir meilleur, et d’un progrès social
durable » (travailleur 2 de l’entreprise D).
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L’action syndicale s’intéresse à tout ce qui concerne le progrès social, la lutte contre le
chômage, les disparités régionales, la santé, l’éducation, l’avenir des jeunes, etc. En d’autres
termes, le syndicat est à l’écoute des revendications qui se produisent au sein ou en dehors de
l’entreprise. Il est le représentant de la classe laborieuse. Il défend les intérêts immédiats des
travailleurs et contribue à la construction de l’avenir de la société entière et donc du pays.
Désormais, le syndicat constitue un agent de transformation politico-sociale (Soussi, 2010).
CONCLUSION
Après le 14 janvier 2011, la Tunisie a connu des bouleversements de différentes natures.
L’instabilité de la scène politique, la forte récession économique, les revendications sociales,
etc., constituent autant de perturbations qui ont frappé le contexte tunisien post-révolution.
Durant cette période, les conditions de vie sont devenues plus difficiles qu’auparavant surtout
avec l’insécurité qui s’est instaurée. Sur le plan économique, les entreprises se trouvent face à
un environnement de plus en plus contraignant.
En effet, les mauvaises conditions de travail, vécues depuis un bon moment, associées aux
difficultés de la vie courante ont poussé les travailleurs à revendiquer. Ces derniers
demandent l’augmentation des salaires, le droit à la titularisation, la couverture sociale,
l’annulation de la sous-traitance, le paiement des heures supplémentaires, la révision des
contrats de travail, etc. Ces demandes se confrontent au refus des responsables et propriétaires
des entreprises. À ce niveau, l’intervention du syndicat, à travers les négociations collectives,
s’avère importante pour jouer un rôle d’intermédiation et de trouver un consensus répondant
aux attentes des deux parties. Le recours à ces négociations permet aux différentes parties, les
travailleurs et les propriétaires d’entreprises, d’éviter des confrontations directes. Le syndicat,
par le biais des négociations collectives, veille au bon déroulement du dialogue et cherche à
instaurer un bon climat d’échanges des points de vue. De ce fait, les négociations collectives
sont en mesure de réconcilier les conflits et d’assurer un terrain d’entente entre les travailleurs
et les propriétaires.
Dans le contexte post-révolution, les relations entre les différentes parties sont devenues plus
tendues. Chaque partie se voit comme victime. Les travailleurs pensent que leurs droits ne
sont pas respectés. Les propriétaires des entreprises, quant à eux, voient que les demandes des
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travailleurs sont irréalistes, illégitimes et loin d’être réalisables. Ainsi, les négociations
collectives, dans ce contexte d’instabilité, semblent être le seul garant pour éviter la rupture et
assurer la continuité de communication entre les deux parties. Ces dernières se trouvent dans
l’obligation de dialoguer, même d’une façon indirecte, et ce, avec les négociations collectives,
dans le but de trouver des compromis. Il est dans l’intérêt des deux parties à aboutir à des
accords afin de pouvoir poursuivre le fonctionnement de l’entreprise.
Avec les négociations collectives, les deux parties ont pu converger les positions. De ce fait,
elles constituent un facteur de changement. D’abord, parce qu’elles assurent une transition
d’une situation conflictuelle à une autre d’accord. Ensuite, elles permettent la réalisation des
demandes des travailleurs, et donc le passage d’un climat refusé et rejeté à un autre voulu et
désiré.
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