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Revue de droit comparé du travail et de la
sécurité sociale
 
1 | 2023
Doctrine
Une nouvelle Constitution tunisienne dans un
contexte de crise
Nouri Mzid et Kamel Baklouti
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rdctss/5521
DOI : 10.4000/rdctss.5521
ISSN : 2262-9815
Éditeur
Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale
Édition imprimée
Date de publication : 1 avril 2023
Pagination : 188-191
ISSN : 2117-4350
Référence électronique
Nouri Mzid et Kamel Baklouti, « Une nouvelle Constitution tunisienne dans un contexte de crise »,
Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 01 avril
2023, consulté le 14 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/rdctss/5521 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/rdctss.5521
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- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/


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NOURI MZID
KAMEL BAKLOUTI
Université de Sfax
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A
I
UNE NOUVELLE CONSTITUTION TUNISIENNE
DANS UN CONTEXTE DE CRISE
Dans un contexte de crise politique, économique et sociale sans précédent,
une nouvelle Constitution a été adoptée en Tunisie le 25 juillet 2022, suite à un
référendum constitutionnel qui s’est déroulé dans une atmosphère tendue et avec
un faible taux de participation (estimé à un peu plus de 30% des électeurs inscrits).
Ce référendum a été organisé un an jour pour jour après le coup de force du
Président de la République, lequel avait annoncé dans une allocution télévisée, au
soir du 25 juillet 2021, l’instauration de l’état d’exception en Tunisie en se fondant sur
l’article 80 de la Constitution de 2014. Dans la même allocution, il avait également
décidé de mettre fin aux fonctions du chef du gouvernement et de geler l’activité du
Parlement - avant de le dissoudre en mars 2022. Contrairement à la Constitution de
2014
1 qui a été le fruit d’un consensus entre les principales forces politiques, dans
le cadre d’un dialogue national engagé par un quartet d’organisations à la légitimité
incontestée
2, la Constitution de 2022 est l’aboutissement d’un processus décidé et
mené en solitaire par le Président de la République Kaïs Saïed.
Composée de 142 articles répartis en 11 chapitres, la nouvelle Constitution
instaure un régime ultra-présidentiel qui accorde au Chef de l’Etat un pouvoir
hypertrophié, face à un Parlement fortement affaibli, et ce en rupture avec le système
qualifié de parlementaire précédemment institué par la Constitution de 2014. Dans
le cadre du Chapitre premier, intitulé « Dispositions générales », c’est principalement
l’article 5 qui a suscité le plus d’inquiétudes et de tensions. Enonçant que « seul l’Etat
doit œuvrer, dans un régime démocratique, à la réalisation des finalités de l’Islam
authentique qui consistent à préserver la vie, l’honneur, les biens, la religion et la
liberté », cet article pourrait conduire à une islamisation de l’Etat, voire à établir un
Etat religieux, en particulier avec la disparition de la mention de l’Etat civil du texte
constitutionnel. Il constitue une porte ouverte à l’introduction de la
Charia comme
fondement du système de gouvernement et, par-là même, comme une source
formelle de l’ordre juridique.
1 Sur la Constitution de 2014, voir « Actualités juridiques internationales - Tunisie », Revue de
droit comparé du travail et de la sécurité sociale, n°2014/1, p. 174.
2 Ce quartet est composé des organisations suivantes  : l’Union générale tunisienne du
travail (principale organisation syndicale des travailleurs), l’Union tunisienne de l’Industrie,
du commerce et de l’artisanat (principale organisation patronale), la Ligue tunisienne des
droits de l’homme, et l’Ordre national des avocats en Tunisie.
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Le deuxième Chapitre de la Constitution, intitulé «  Des droits et libertés  » et
composé de 34 articles
3, consacre une liste exhaustive et variée comportant l’ensemble
des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux.
En reprenant essentiellement les mêmes dispositions consacrées par la Constitution
de 2014, la nouvelle Constitution garantit notamment  : la liberté de croyance
et de conscience (article 27)  ; les libertés d’opinion, de pensée et d’expression
(article  37)  ; le droit d’accès à l’information (article 38)  ; la liberté de constituer
des partis politiques, des syndicats et des associations (article 40)  ; les libertés
académiques (article 45) ; le droit à un environnement sain et équilibré (article 47) ;
ainsi que l’égalité des chances entre homme et femme - tout en affirmant que l’Etat
s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille à les consolider et à les
promouvoir (article 51).
Conformément aux dispositions de l’article 55, aucune restriction ne peut être
apportée aux droits et libertés garantis par la Constitution qu’en vertu de la loi, pour
répondre aux exigences d’un régime démocratique et en vue de sauvegarder les
droits d’autrui, ou pour répondre aux impératifs de la sûreté publique, de la défense
nationale ou de la santé publique. Les restrictions à ces droits et libertés doivent être
justifiées par leurs objectifs, tout en respectant le principe de proportionnalité, et
ne doivent en aucune façon porter atteinte à la substance desdits droits et libertés
constitutionnellement garantis.
S’agissant des droits sociaux
fondamentaux,
la Constitution de
la
IIIème  République n’a pas beaucoup innové par rapport au dispositif de la
4
Constitution de 2014
. D’une part, elle a affirmé les mêmes principes à vocation
générale ayant une signification particulière comme vecteurs des droits sociaux
fondamentaux, à savoir  : les principes de dignité, de solidarité, d’égalité, de
justice sociale et la répartition équitable des richesses nationales entre les citoyens
dans toutes les régions. Il existe entre tous ces principes généraux une relation
étroite en ce sens qu’ils constituent le soubassement nécessaire de la démocratie
économique et sociale, qui est le complément indispensable de la démocratie
politique. D’ailleurs, c’est ce qu’affirme nettement le préambule de la Constitution
du 25 juillet 2022, en annonçant que «  La vraie démocratie ne réussira que si la
démocratie politique est assortie d’une démocratie économique et sociale ».
D’autre part, au niveau de la consistance des droits sociaux fondamentaux,
la Constitution du 25 juillet 2022 a proclamé, dans l’ensemble, les mêmes droits
que ceux qui étaient déjà consacrés par la Constitution de 2014, qu’il s’agisse des
droits s’adressant à tous les citoyens ou des droits propres à certaines catégories
de personnes en fonction de leur situation de vulnérabilité, ou encore des droits
fondamentaux liés au travail. Parmi la première catégorie, figure notamment le
droit à la santé consacré par l’article 43 de la nouvelle Constitution, qui précise
que « L’Etat garantit la prévention et les soins de santé à tout citoyen et fournit les
ressources nécessaires afin d’assurer la sécurité et la qualité des services de santé ».
3 Art. 22 à 55.
4 Sur la place des droits sociaux fondamentaux dans la Constitution tunisienne de 2014,
voir N. Mzid, « L’insertion des droits sociaux fondamentaux dans la nouvelle Constitution
tunisienne : une effectivité à l’épreuve »,
Revue de droit comparé du travail et de la sécurité
sociale, n°2015/1, p. 80.
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Cette consécration du droit à la santé constitue ainsi un standard constitutionnel
impliquant une obligation, à la charge de l’Etat, de garantir à l’ensemble de la
population un accès au système de santé le plus large et le plus équitable possible.
L’article 43 affirme également que l’Etat garantit le droit à la couverture sociale, dans
les conditions fixées par la loi. Cette disposition confirme à ce sujet le rôle central de
l’Etat, dont l’intervention en matière de protection sociale constitue l’épine dorsale
de toute politique de développement humain.
D’autres droits sociaux s’adressent à certaines catégories de personnes en état
de vulnérabilité, ayant besoin d’une protection renforcée adaptée à leur situation
de faiblesse. C’est le cas des enfants auxquels l’Etat doit fournir toutes les formes de
protection, sans discrimination et conformément au principe de l’intérêt supérieur
de l’enfant, selon les termes de l’article 52 de la Constitution. Le même article ajoute
que « l’Etat prend en charge les enfants abandonnés ou de filiation inconnue ». De
plus, la Constitution prévoit, dans son article 53, que l’Etat doit garantir l’aide aux
personnes âgées dépourvues de soutien. L’article 54 prévoit également que l’Etat
protège les personnes handicapées contre toute discrimination et prend toutes les
mesures propres à leur garantir une entière intégration au sein de la société.
La Constitution de 2022 a également consacré
la plupart des droits
fondamentaux liés au travail, sans grande innovation par rapport à la Constitution
de 2014. C’est dans ce cadre que s’inscrit le droit au travail, solennellement affirmé
dans l’article 46, qui prévoit que tout citoyen et toute citoyenne ont droit au travail
dans des conditions décentes et à une juste rémunération. Ce même article précise
que l’Etat prend les mesures nécessaires afin de garantir le droit au travail sur la base
de la compétence et de l’équité. Ceci implique essentiellement que l’Etat adopte
une politique active et incitative visant à promouvoir l’emploi et à lutter contre le
chômage dont le taux ne cesse d’augmenter.
À cet égard, la Constitution de 2022
a mis à la charge de l’Etat l’obligation - formulée dans des termes assez vagues - de
« fournir tous les moyens juridiques et matériels aux personnes en chômage pour la
création de projets de développement » (article 18).
En outre, la nouvelle Constitution consacre le droit syndical dans son article 41,
qui reproduit littéralement les mêmes dispositions de l’article 36 de la Constitution
de 2014, en énonçant que
«  Le droit syndical, y compris le droit de grève, est
garanti… ». Or, cette formule semble maladroite en ce qu’elle laisse entendre que
le droit de grève n’est qu’une composante du droit syndical, et qu’il ne constitue
pas en tant que tel un droit fondamental autonome. La seule nouveauté apportée
par l’article 41 de la Constitution de 2022 réside dans le fait que la liste des services
interdits de grève a été élargie. Désormais, les magistrats, tout comme les forces de
sécurité intérieure et la douane, ne disposent pas du droit de grève.
Comme le droit de grève, la négociation collective constitue un droit
fondamental, intimement lié au droit syndical, conformément aux normes de
l’Organisation internationale du travail. Mais la Constitution de 2022, comme celle
de 2014, a totalement ignoré ce droit, considéré pourtant comme un élément
essentiel de la démocratie économique et sociale.
Enfin, entre le texte et le contexte, le décalage semble énorme. En effet,
l’effectivité des droits fondamentaux consacrés par la Constitution reste douteuse
dans le contexte actuel de la Tunisie, en pleine crise institutionnelle, économique
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et sociale, où les attentes ne cessent d’augmenter et les ressources se font de plus
en plus rares.
À cet égard, on peut reprendre à l’identique ce que nous avions écrit
à propos de la Constitution de 2014  : un contexte de crise générale aussi aigue
« risque d’hypothéquer l’avenir de la Constitution et de mettre en péril tout l’édifice
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social »

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5 N. Mzid, «  L’insertion des droits sociaux fondamentaux dans la nouvelle Constitution
tunisienne : une effectivité à l’épreuve », op. cit., p. 86.
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