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La codification de l’autocratie en Tunisie : le projet de constitution à la lumière du droit
international et des normes internationales
Le 3 janvier 2014, à l'issue d'un processus consensuel de deux ans, la Tunisie a adopté une
nouvelle constitution,
1 laquelle témoignait d'une rupture avec l'ancien ordre constitutionnel non
démocratique du pays.
En particulier, la Constitution de 2014 a renforcé le rôle des pouvoirs législatif et judiciaire de
l'État en tant que mécanismes de contrôle du pouvoir exécutif. En vertu des articles 59 et 60, le
parlement (l'Assemblée des Représentants du Peuple ou « ARP ») est investi de pouvoirs de
contrôle législatif et d'enquête et le rôle et les droits de l'opposition parlementaire sont
reconnus
2. La Constitution de 2014 reconnaissait également l'indépendance du pouvoir
judiciaire et l'indépendance des juges. À cet effet, la Constitution a créé un Conseil supérieur
de la magistrature (CSM) indépendant pour mettre fin à l'ingérence de l'exécutif dans la carrière
des juges.
3 En plus de garantir la séparation des pouvoirs, la Constitution de 2014 a également
renforcé la protection des droits humains.
4
Le 30 juin 2022, le président tunisien, Kais Saied, a publié un nouveau projet de constitution
qui sera soumis aux électeurs par référendum le 25 juillet 2022. Si le résultat du vote est
favorable au président, la constitution proposée remplacera la Constitution de 2014.
5
Entre janvier et juin 2022, le président a conçu et mis en œuvre un processus constitutionnel
dépourvu de base juridique, de légitimité démocratique, de volonté d’inclusion, de
responsabilité et de transparence ; caractéristiques essentielles d'un processus constitutionnel
consensuel efficace.
6 Le président a contrôlé tous les aspects de ce processus, de la commande
de la « consultation » en ligne sur la révision constitutionnelle de la Tunisie, à la limitation de
la participation au prétendu « dialogue national » à ceux qui avaient soutenu sa prise de pouvoir
7
du 25 juillet 2021, à la nomination des membres de l'organe consultatif chargé d'élaborer une
nouvelle constitution,
8 et à la décision sur le texte final qui sera soumis au vote par référendum
le 25 juillet.
Outre la grave préoccupation concernant l'absence de légitimité et l'illégalité de l'ensemble du
processus menant au référendum constitutionnel, le projet de constitution, s'il est adopté,
constitue une grave menace pour l'état de droit, la séparation des pouvoirs – y compris, en
1 Constitution de la République tunisienne du 27 janvier 2014 (ci-après la « Constitution de 2014 »). Pour l'analyse
de ce texte par la CIJ à l'époque, voir ICJ, The Tunisian Constitution in Light of International Law and Standards,
31 janvier 2014, https://www.icj.org/the-icj-assesses-the-new-tunisian-constitution/.
2 Constitution de 2014, 27 janvier 2014, articles 59 et 60.
3 Constitution de 2014, préambule et articles 112 à 114.
4 Comité des droits de l'homme, observations finales sur le sixième rapport périodique de la Tunisie, Nations Unies.
DOC CCPR/C/TUN/CO/6, 24 avril 2020, para. 3 ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
Observations finales concernant le troisième rapport périodique de la Tunisie, Doc. E/C.12/TUN/CO/3, 14
novembre 2016, par. 4.
5 Décret présidentiel n ° 578 du 30 juin 2022 relatif à la publication du nouveau projet de constitution de la
République tunisienne soumis au référendum prévu pour le lundi 25 juillet 2022, disponible au Journal officiel
tunisien, (ci-après le « projet de constitution »).
6 CIJ, Questions et réponses, « L’élaboration d’une nouvelle constitution en Tunisie en 2022 : un processus
fondamentalement défectueux » , 29 juin 2022, https://www.icj.org/wp-content/uploads/2022/06/Tunisia-draft-
constitution-questions-and-answers-legal-briefing-2022-FRE.pdf.
7Agence Tunis Presse, « President Saied meets with
https://www.tap.info.tn/en/Portal-Politics/15160494-president-saied.
8 Décret n ° 30-2022 du 19 mai 2022 portant création de « l'organe consultatif national pour une nouvelle
république ».
legal expert Sadok Belaid », 4 mai 2022,

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particulier, l'indépendance du pouvoir judiciaire – et la protection des droits humains en
Tunisie. Le texte, favorisé par le Président Saied, cristallise la plupart des mesures illégitimes
qu'il a prises depuis le 25 juillet 2021, en violation des obligations de la Tunisie en vertu du
droit international des droits de l'homme et de la Constitution de 2014.
9
Par conséquent, la Commission Internationale de Juristes (CIJ) recommande aux autorités
tunisiennes de retirer le projet de constitution et de veiller à ce que tout processus de réforme
constitutionnelle soit conforme aux obligations de la Tunisie en vertu de la Constitution de 2014
et du droit et des standards internationaux relatifs aux droits de l'homme, y compris en ce qui
concerne l'inclusion, la transparence, la participation effective, la consultation et la redevabilité.
1. Le projet de constitution et la séparation des pouvoirs
Par rapport à la Constitution de 2014, le projet de constitution limite les rôles des pouvoirs
législatif et judiciaire de l'État et donne beaucoup plus de pouvoir au président de la République.
C’est ainsi que le texte habilite le président de la République à dissoudre le parlement, et à
révoquer à la fois le chef du gouvernement et les autres membres du pouvoir exécutif, qui sont
responsables devant le président, plutôt que devant le parlement. En outre, les garanties
essentielles à l'indépendance de certaines institutions établies en vertu de la Constitution de
2014, telles que la commission électorale et le CSM, sont absentes du projet de constitution. Le
texte ne prévoit aucun moyen de tenir le président de la République pour responsable, en
omettant également l'article 88 de la Constitution de 2014 en vertu duquel le parlement pouvait
présenter une motion de destitution du président de la République en cas de violations graves
de la constitution.
Le projet de constitution accroît considérablement les pouvoirs du président de la République
pendant un « état d'exception » et n'envisage aucun contrôle ni sur son déclenchement ni sur sa
résiliation. La CIJ est particulièrement préoccupée par la suppression du rôle de la Cour
constitutionnelle et du parlement dans l’examen de la décision de déclarer un « état
d'exception » et sa validité. Le projet de constitution ne fixe pas de délai pour un « état
d'exception » et n'exige pas de vote parlementaire pour son renouvellement ou sa prorogation.
En outre, il ne précise pas les garanties en matière de droits humains auxquelles il ne peut être
dérogé, et il ne prévoit aucune garantie judiciaire pour faire respecter le principe de la séparation
des pouvoirs et protéger les droits humains en période de « danger public exceptionnel ».
Depuis le 25 juillet 2021, l'exécutif a sapé l'indépendance judiciaire en Tunisie par des
ingérences arbitraires systématiques dans les affaires judiciaires. À la lumière de ce qui précède,
la CIJ est profondément préoccupée par l'absence de toute disposition régissant la composition,
le rôle et les compétences du CSM dans le projet de constitution. La CIJ est également
préoccupée par l'ingérence directe du président de la République dans la nomination, la
mutation et la révocation des juges. Les dispositions relatives à l'indépendance institutionnelle
du pouvoir judiciaire et à l'indépendance individuelle des juges sont soit absentes du projet de
constitution, soit en deçà du droit international et des normes internationales.
Pouvoirs conférés au législateur par le projet de constitution
Le chapitre trois du projet de constitution régit le pouvoir législatif. S'écartant sensiblement de
la Constitution de 2014 et du principe de la séparation des pouvoirs, en vertu de l'article 56 du
9 Depuis le 25 juillet 2021, date à laquelle le président Saied a déclaré un « état d'exception », toujours en vigueur
au moment de la rédaction du présent rapport, il a pris de nombreuses décisions portant atteinte à l'état de droit, à
la séparation des pouvoirs, à l'indépendance judiciaire et à la protection des droits de l'homme dans le pays. Voir
le site Web de la CIJ, publications sur la Tunisie depuis le 25 juillet 2021 pour plus d'informations.

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projet de constitution, le pouvoir législatif n'est plus une branche indépendante de l'État en tant
que tel, mais il est réduit à une simple « fonction » de l'État et est subordonné au pouvoir
exécutif. Ainsi, comme on le verra plus en détail ci-dessous, le projet de constitution permet
d'accorder plus de pouvoirs au pouvoir exécutif tout en réduisant le rôle et les pouvoirs du
pouvoir législatif.
L'article 56 du projet de constitution institue une nouvelle chambre législative, le Conseil
national des régions et des districts (CNRD), qui fait office d'assemblée législative régionale et
de chambre législative secondaire de l'ARP. Le CNRD est composé de représentants élus des
districts et des régions de Tunisie et travaillerait aux côtés de l'ARP pour approuver ou rejeter
les propositions législatives présentées soit par le président de la République, soit par les
membres du parlement.
Le projet de constitution n'est pas conforme aux normes internationales en ce qui concerne le
rôle législatif de l'ARP et du CNRD et permet au pouvoir exécutif de s'immiscer dans ces
institutions.
Aux termes de l'article 97 du projet de constitution, « le président de la République peut
soumettre à référendum des projets de loi relatifs à la réglementation des pouvoirs publics [
c'est-
à-dire
des pouvoirs exécutif, judiciaire ou législatif] et à la ratification de traités
[internationaux] susceptibles d'avoir une incidence sur le fonctionnement des institutions [de
l'État] ». À cet égard, l'article 82 de la Constitution de 2014 dispose que « le président de la
République peut,
dans des circonstances exceptionnelles, dans les délais impartis pour le retour
d'un projet de loi, soumettre à référendum des projets de loi relatifs à la ratification de traités
[internationaux], aux libertés et aux droits de l'homme, ou au statut personnel,
qui ont été
adoptés par le [parlement]
», ajoutant que « la soumission à référendum est considérée comme
une renonciation au droit de renvoyer le projet de loi au [parlement] ». En vertu du projet de
constitution, le président de la République peut, à tout moment et en dehors de toute
circonstance exceptionnelle, soumettre à référendum des projets de loi ayant trait au
fonctionnement du gouvernement ou de l'État. Une délégation constitutionnelle aussi
importante au président sape le rôle du législateur et est difficile à concilier avec le principe de
la séparation des pouvoirs et de l’état de droit.
10
Le projet de constitution ne respecte pas non plus le droit international en permettant au pouvoir
l'exécutif d’interférer avec le pouvoir législatif.
Premièrement, l'article 116 du projet de constitution autorise le président de la République à
dissoudre soit l'ARP, soit le CNRD, ou les deux, dans le cas où le parlement présenterait une
deuxième motion de censure contre le gouvernement au cours de la même législature.
Deuxièmement, l'article 61 du projet de Constitution dispose que « les mandats des membres
du parlement peuvent être révoqués conformément aux conditions énoncées dans la loi
électorale ». La possibilité de révoquer les mandats des membres du parlement n'existait pas
dans la Constitution de 2014. La CIJ est préoccupée par le fait que cette disposition du projet
de constitution affaiblit et menace davantage la sécurité d'emploi des membres du parlement.
En particulier, le projet de constitution est muet sur :
(i)
(ii)
les garanties requises quant à la sécurité d'emploi des membres du parlement ;
l'organe ou les personnes chargés de révoquer le mandat des membres du parlement ;
(iii)
la procédure exacte de révocation ; et
10 CIJ, « Tunisia : No checks and balances on President Saied' s one-man-rule », 29 avril 2022,
https://www.icj.org/tunisia-no-checks-and-balances-on-president-saieds-one-man-rule/.

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(iv)
les garanties contre la politisation et l'abus de cette procédure.
Alors que l'article 61 fait référence à la loi fixant les conditions de ces révocations, la CIJ est
particulièrement préoccupée par le fait que, lu conjointement avec les pouvoirs illimités et
incontrôlés conférés au président de la République par la constitution proposée, y compris pour
proposer et rédiger des projets de loi qui priment sur les propositions législatives des membres
du parlement, l'article 61 peut aussi donner la possibilité au président de révoquer le mandat
des membres du parlement ou de dicter des procédures de révocation inadéquates en violation
de la séparation des pouvoirs, de l'état de droit et des normes internationales.
Troisièmement, le projet de Constitution ne prévoit aucun rôle pour l'opposition au sein de
l'ARP et du CNRD, en omettant l'article 60 de la Constitution de 2014, qui dispose :
« l'opposition est une composante essentielle du [parlement] », et que « [l'opposition] jouit des
droits qui lui permettent d'exercer ses fonctions parlementaires et est garantie d'une
représentation adéquate et effective dans tous les organes du [parlement] ».
Quatrièmement, et d'une manière similaire à la Constitution de 2014, l'article 64 de la
constitution proposée garantit généralement l'immunité parlementaire aux députés. En outre, en
vertu de l'article 65, c'est le parlement lui-même qui peut lever l'immunité de ses membres.
Cependant, contrairement à la Constitution de 2014, l'article 66 du projet de constitution dispose
que les membres du parlement ne jouissent d'aucune immunité parlementaire en ce qui concerne
les crimes de « diffamation et […] de violence commis à l'intérieur ou à l'extérieur du
parlement », ainsi qu'en ce qui concerne les cas d’« entrave au fonctionnement normal du
parlement ». L'article 66 est trop large et ne fournit pas de motifs précis et plus étroits sur la
base desquels les immunités parlementaires peuvent être levées, ce qui compromet davantage
la sécurité du mandat ou l'immunité des membres du Parlement.
Cinquièmement, en vertu de l'article 68 de la constitution proposée, « les lois radicales
proposées par le président de la République ont préséance sur les projets de loi présentés par
les membres du parlement ». Compte tenu des pouvoirs exécutifs proposés et de l'absence d'un
système de contrepoids sur ces pouvoirs, la CIJ craint que l'article 68 ne fasse du président la
principale source de législation dans le pays, sapant ainsi le rôle et la
raison d'être mêmes du
parlement, à savoir légiférer.
Enfin, l'article 96 du projet de constitution modifie également l'article 80 de la Constitution de
2014, qui permet au président de la République de déclarer un « état d'exception » dans
certaines circonstances, en excluant le droit du parlement de saisir la Cour constitutionnelle afin
de vérifier si les circonstances restent exceptionnelles ou non. Au lieu de cela, l'article 96 donne
tous les pouvoirs au président pour déclarer un « état d'exception », après avoir simplement
consulté le chef du gouvernement, le président du parlement et le président du Conseil national
des régions et des districts. Cette décision ne peut faire l'objet d'un contrôle, ni par la Cour
constitutionnelle, ni par le parlement. Une section ci-dessous sur la Cour constitutionnelle
analyse plus en détails le démantèlement de son rôle en tant qu'arbitre final, dans l'examen de
la légalité d'un « état d'exception » et des pouvoirs exercés en vertu de cet état.
La CIJ est profondément préoccupée par le fait que, parce que les parlementaires ne bénéficient
d'aucune garantie effective d'indépendance ou de sécurité de leur mandat ou de leur immunité,
ni d'aucun rôle dans l'approbation du gouvernement ou dans l’action de pouvoir tenir
effectivement le gouvernement pour responsable, – et parce que le parlement lui-même n'a
aucune garantie d'indépendance financière et administrative, ni aucun rôle pour l'opposition –
la constitution proposée subordonne indûment le parlement au pouvoir exécutif, permettant à
ce dernier d'exercer un contrôle étroit sur le premier.

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Pouvoirs du pouvoir exécutif en vertu du projet de constitution
En vertu du projet de constitution, la nomination du gouvernement n'est plus liée aux résultats
des élections parlementaires, et le Parlement n'est plus tenu d'approuver un gouvernement qui
est lui-même placé sous les « directives et les choix » du président de la République
11. Aux
termes de l'article 112 du projet de constitution, « le Gouvernement est responsable de ses actes
devant le président de la République », contrairement à la Constitution de 2014 en vertu de
laquelle le gouvernement était responsable devant le parlement. En supprimant la possibilité
pour le parlement d'approuver le gouvernement, et en dissociant la nomination du chef du
gouvernement et de ses membres des résultats des élections législatives, le projet de constitution
porte atteinte au droit des Tunisiens d'élire leurs représentants et de faire en sorte que ces
derniers fassent office de contrôle du gouvernement.
En vertu du projet de constitution, le président de la République se soustrait à toute
responsabilité pour toute mesure prise en violation des principes constitutionnels, tels que la
séparation des pouvoirs. En particulier, le projet de constitution omet l'article 88 de la
Constitution de 2014, qui permettait au parlement de présenter une motion de destitution du
président de la République en cas de violations graves de la Constitution. Selon l'article 110 du
projet de constitution, « le président n'est pas responsable des actes qu'il pourrait prendre dans
l'exercice de ses fonctions ». Ainsi, en vertu du projet de constitution, le président de la
République n'est responsable devant personne, même en cas de violations graves de la
constitution.
Assurer un contrôle parlementaire efficace de l'exécutif est une protection essentielle contre
l'abus de pouvoir exécutif et l'autoritarisme. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur
l'indépendance des juges et des avocats a affirmé que « […] la compréhension et le respect du
principe de la séparation des pouvoirs sont une
condition sine qua non pour un État
démocratique et revêtent donc une importance capitale pour les pays en transition vers la
démocratie – qui jusqu'à présent se sont caractérisés précisément par l'absence de séparation
des pouvoirs ».
12
Puisque la Tunisie est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP),
les autorités tunisiennes sont tenues d'adopter des lois et des mesures pour reconnaître et
protéger « le droit de chaque citoyen de prendre part à la conduite des affaires publiques ».
13
Dans son Observation générale no 25, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies
déclare que « [l] 'article 25 est au cœur d'un gouvernement démocratique fondé sur le
consentement du peuple et conforme aux principes du Pacte ».
14 Selon le Conseil des droits de
l'homme des Nations Unies (HRC), « les parlements sont les pierres angulaires des systèmes
nationaux de protection des droits de l'homme » et peuvent être efficaces en contribuant à
l'application des obligations internationales en matière de droits de l'homme et en ayant « une
fonction de surveillance du respect des droits de l'homme ».
15 Le HRC a également observé que
les parlements devraient exercer un contrôle sur le pouvoir exécutif, le tenant ainsi responsable
11 Article 111 du projet de constitution.
12 Rapport du Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, document des Nations Unies
E/CN.4/1995/39, 6 février 1995, par. 55.
13 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), article 25.
14 Comité des droits de l'homme de l'ONU, Observation générale no 25 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques : Article 25 (Participation aux affaires publiques et droit de vote), Le droit de participer aux
affaires publiques, le droit de vote et le droit d'accès à la fonction publique dans des conditions d'égalité
, 12 juillet
1996, CCPR/C/21/Rev.1/Add.7, par. 1.
15 Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, 38e session, Contribution des parlements aux travaux du
Conseil des droits de l'homme et à son examen périodique universel - Rapport du Haut-Commissariat des Nations
Unies aux droits de l'homme, 17 mai 2018, A/HRC/38/25, par. 18.

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au nom du peuple, notamment en veillant à ce qu'il remplisse son rôle de respect, de protection
et de promotion des droits de l'homme. Pour le faire avec efficacité, les parlementaires doivent
pouvoir s'exprimer librement, sans crainte de représailles.
16
Pouvoirs conférés au pouvoir judiciaire par le projet de constitution
En vertu du projet de constitution, similairement au cas du pouvoir législatif, le pouvoir
judiciaire n'est plus considéré comme une branche distincte et indépendante de l'État, mais est
réduit à une simple « fonction » de l'État.
17 Le pouvoir judiciaire est soumis au contrôle de
l'exécutif, ce qui menace son indépendance en tant que branche distincte et indépendante de
l'État. Un système de justice indépendant et impartial qui puisse superviser et faire respecter la
séparation des pouvoirs est fondamental.
18
Les articles 112 à 117 de la Constitution de 2014 régissant le Conseil supérieur de la
Magistrature (CSM) sont totalement absents du projet de constitution, ne laissant aucune
disposition constitutionnelle garantissant l'indépendance du CSM et du pouvoir judiciaire et
protégeant contre l'ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire (voir, par exemple,
le décret 11-2022).
19 En outre, d'autres dispositions du projet de constitution compromettent
l'indépendance du pouvoir judiciaire en tant qu'institution et celle des juges en tant qu'individus.
Le projet de constitution limite les pouvoirs du pouvoir judiciaire et du CSM en matière de
nomination des juges et transfère ces pouvoirs au président. En particulier, l'article 120 du projet
de constitution dispose que tous les juges, y compris les juges de rang supérieur, sont nommés
directement par le président de la République par décret présidentiel, sur simple proposition du
CSM. En vertu de la Constitution de 2014, la décision du Président de nommer des juges devait
« correspondre » à la proposition du CSM.
20 Le président pourrait désormais choisir d'adopter
ou non la proposition du CSM.
En outre, le projet de constitution met fin à la protection contre l'ingérence du pouvoir exécutif
dans le système judiciaire, en omettant l'article 109 de la Constitution de 2014, selon lequel
« toute forme d'ingérence dans le fonctionnement du système judiciaire est interdite ». Le
Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies a clairement indiqué qu’une situation dans
laquelle les fonctions et les compétences du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif ne peuvent
pas être clairement distinguées et dans laquelle le second est en mesure de contrôler ou de
diriger le premier est incompatible avec le principe de tribunal indépendant.
21
Le projet de constitution ne respecte pas non plus le droit international et les normes
internationales en ce qui concerne la sécurité d'emploi des juges.
Premièrement, le projet de constitution ne prévoit aucun rôle pour le CSM en ce qui concerne
les questions relatives à la sécurité d'emploi des juges. En particulier, selon l'article 107 de la
Constitution de 2014, « les juges ne peuvent être révoqués ou suspendus de leurs fonctions, ni
faire l'objet de sanctions
disciplinaires, sauf dans les cas régis par la loi et conformément à une
décision motivée du Conseil supérieur de la magistrature ». Au lieu de cela, l'article 121 de la
16 Ibid., par. 21.
17 Projet de constitution, chapitre quatre « La fonction du pouvoir judiciaire », articles 117 à 124.
18 Voir les Directives de la Chambre de Latimer sur la suprématie parlementaire et l'indépendance de la
magistrature (adoptées lors d'une réunion des représentants de l'Association parlementaire du Commonwealth, de
l'Association des magistrats et juges du Commonwealth, de l'Association des avocats du Commonwealth et de
l'Association pour l'éducation juridique du Commonwealth), 19 juin 1998.
19 CIJ, Tunisie : Questions et réponses sur le démantèlement de l’indépendance de la justice en Tunisie : le décret
11 sur le conseil supérieur provisoire de la magistrature, 05 mai 2022, https://www.icj.org/wp-
content/uploads/2022/05/Tunisia-decree11-QA-Publications-legal-briefing-2022-FRE.pdf.
20 Article 106 de la Constitution de 2014.
21 Comité des droits de l'homme de l'ONU, Observation générale no 32, art. 14, Droit à l'égalité devant les
tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable
, 23 août 2007, CCPR/C/GC/32, par. 19.

Page 7
constitution proposée ne donne aucun rôle au CSM dans les décisions relatives au transfert, à
la révocation, à la suspension ou à la sanction des juges. La CIJ est préoccupée par le fait que
cette omission fait écho au décret présidentiel 35-2022 habilitant le Président Saied à révoquer
unilatéralement les juges et à les rendre automatiquement passibles de poursuites pénales. La
CIJ a dénoncé le décret 35-2022 en ce qu’il constitue une violation des principes de séparation
des pouvoirs et d'indépendance judiciaire, ainsi que des garanties d'une procédure régulière en
ce qui concerne la discipline des juges, non seulement en vertu des lois nationales abrogées
depuis le 25 juillet 2021, mais également en vertu du droit international et des normes
internationales.
22 Le projet d'article 121 et le décret 35-2022 vont à l'encontre des obligations
qui incombent à la Tunisie en vertu du droit international, ainsi que des Principes fondamentaux
des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature, qui stipulent clairement que toute
allégation de faute judiciaire doit faire l'objet d'une enquête indépendante, impartiale,
approfondie et équitable, et jugée dans le cadre d'une procédure équitable devant un organe
compétent, indépendant et impartial, dans lequel les droits d'un juge à une procédure régulière
sont respectés.
23 La discipline des juges doit être fondée sur des normes établies de conduite
judiciaire. Les sanctions, y compris les mesures disciplinaires, la suspension ou la révocation,
doivent être proportionnées et doivent pouvoir faire l'objet d'un recours devant un organe
judiciaire indépendant.
24
Deuxièmement, le projet de Constitution n'interdit plus totalement et explicitement le transfert
arbitraire de juges, mais subordonne la question à des considérations liées à « l'intérêt
professionnel », que l'article 121 définit comme « l'intérêt découlant de la nécessité de pourvoir
un poste vacant, de nominations judiciaires fondées sur de nouveaux plans judiciaires ou de
l'augmentation significative du volume de travail ».
25 En raison de son libellé large, l'article 121
ne consacre pas pleinement le principe de la sécurité d'emploi et ne protège pas les juges contre
les transferts arbitraires.
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a affirmé que l'article 14 du PIDCP impose
aux États l'obligation de prendre des mesures garantissant l'indépendance du pouvoir judiciaire
« par le biais de la Constitution ou par l'adoption de lois qui fixent des procédures claires et des
critères objectifs en ce qui concerne la nomination, la rémunération, la durée du mandat,
l’avancement, la suspension et la révocation des magistrats ainsi que les mesures disciplinaires
dont ils peuvent faire l’objet ».
26 L'exigence de la sécurité de leur mandat, pierre angulaire de
l'indépendance des juges, devrait être pleinement inscrite dans la constitution et les lois des
pays. Dans son Commentaire sur les Principes de Bangalore relatifs à la déontologie judiciaire,
le Groupe pour l'intégrité judiciaire a conclu que l'une des « conditions minimales pour
l'indépendance de la magistrature [est] la sécurité de leur mandat : c'est-à-dire un mandat […]
qui est à l'abri de toute ingérence discrétionnaire ou arbitraire de la part de l'exécutif ou de
l'autorité de nomination ».
27
S'écartant de l'article 36 de la Constitution de 2014, le projet de constitution prive également
les juges du droit de grève, imposant une interdiction générale de ce droit à tous les juges.
Comme d'autres personnes, les juges et les procureurs ont le droit d'exercer leurs droits à la
liberté d'expression, d'opinion ou de conviction, d'association et de réunion pacifique sur un
22 CIJ, Tunisie : Des licenciements arbitraires portent un coup à l'indépendance judiciaire, 10 juin 2022,
https://www.icj.org/tunisia-arbitrary-dismissals-a-blow-to-judicial-independence/.
23 Principes de base des Nations Unies relatifs à l'indépendance de la magistrature, par. 17.
24 Ibid.
25 Article 121, paragraphes 3 et 4, de la Constitution proposée.
26 Comité des droits de l'homme, Observation générale no 32, par. 19.
27 Groupe pour l’intégrité judiciaire, Commentaire sur les Principes de Bangalore relatifs à la déontologie
judiciaire, mars 2007, p. 36.

Page 8
justifient
l'introduction de
pied d'égalité avec les autres. Comme l'a souligné le Rapporteur spécial sur l'indépendance des
juges et des avocats, « […] les juges et les procureurs ont des devoirs et des responsabilités
spéciaux qui
libertés
fondamentales ».
28 Toutefois, ces restrictions « […] ne sont légitimes que si elles sont prévues
par la loi et si elles sont nécessaires dans une société démocratique à la poursuite d’un objectif
légitime, tel que la protection de l'indépendance, de l'impartialité et de l'autorité de leurs
institutions ».
29 Le Rapporteur spécial a en outre souligné que « [l]a jurisprudence des tribunaux
régionaux a établi qu'en cas de rupture de l'ordre constitutionnel, les juges peuvent même avoir
le devoir de s'exprimer en faveur du rétablissement de la démocratie et de l'état de droit ».

restrictions spécifiques à
leurs
Tribunaux militaires
Le projet de Constitution omet totalement l’article 110 de la Constitution de 2014, selon lequel
« la création de tribunaux d’exception ou l’édiction de procédures dérogatoires susceptibles
d’affecter les principes du procès équitable sont interdites » et « les tribunaux militaires sont
compétents pour connaître des infractions à caractère militaire. La loi détermine leurs
compétence, composition, organisation, les procédures suivies devant eux et le statut général
de leurs magistrats ». La CIJ est profondément inquiète du recours généralisé aux tribunaux
militaires pour les graves violations des droits humains qui ont été commises pendant le
soulèvement populaire de janvier 2011 et de leur compétence matérielle et personnelle
exceptionnellement large, ainsi que de l’utilisation des tribunaux militaires pour juger les
détracteurs du Président Saied, y compris des membres du parlement, des journalistes et des
défenseurs des droits de l’homme.
Conformément aux normes internationales et au droit international des droits de l’homme, la
compétence des tribunaux militaires doit être limitée aux seules « infractions de nature
purement militaire commises par des militaires »
30. Dans le cadre tunisien, la notion de ce qui
constitue des « infractions de nature purement militaire » doit être interprétée de manière étroite
et être limitée aux « infractions strictement liées à leur statut militaire », y compris les
infractions disciplinaires
31. De surcroit, lorsqu’ils statuent sur ces questions, les tribunaux
militaires doivent en tout état de cause respecter pleinement les normes internationales relatives
au droit à un procès équitable
32. Les tribunaux militaires ne devraient jamais être compétents
pour juger et statuer sur des violations graves du droit international des droits de l’homme et du
droit international humanitaire, y compris les crimes de droit international
33.
28 García-Sayán, Diego, ONU, Conseil des Droits de l'Homme, Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et
des avocats, « Indépendance des juges et des avocats : rapport du Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges
et des avocats », A/HRC/41/48 (Ci-après « Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats »)
29 Rapporteur spécial sur l'indépendance des juges et des avocats, para. 2.
30 Ensemble de principes actualisés pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre
l'impunité, Doc. N.U. E/CN.4/2005/102/Add.1, 8 février 2005, principe 29 ; voir également Commission africaine
des droits de l'homme et des peuples, Principes et directives sur le droit à un procès équitable et à l'assistance
judiciaire en Afrique, Doc. OS(XXX)247, 2003, principe L(a).
31 Projet de principes régissant l'administration de la justice par les tribunaux militaires (Principes Decaux),
principe 8.
32 Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 32 : Droit à l'égalité devant les tribunaux et les cours de
justice et à un procès équitable (article 14), Doc. CCPR/C/GC/32 (23 août 2007), para. 22 ; Commission Africaine
des droits de l’homme et des peuples, Principes et directives sur le droit à un procès équitable et à l'assistance
judiciaire en Afrique, principe L(b) ; Projet de principes régissant l'administration de la justice par les tribunaux
militaires (Principes Decaux), principes 13-17.
33 Projet de principes régissant l'administration de la justice par les tribunaux militaires (Principes de Decaux),
principe 9.



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La Cour constitutionnelle
Conformément aux articles 118 à 124 de la Constitution de 2014, la Cour constitutionnelle de
Tunisie est dotée de pouvoirs importants, en vertu desquels elle est la seule instance compétente
pour contrôler la constitutionnalité des lois qui lui sont soumises, notamment, par le président
de la République, le chef du gouvernement, les membres du parlement ou par les tribunaux
34.
La Cour constitutionnelle devait être composée de 12 hauts magistrats, dont le président de la
République, le parlement et le CSM devaient désigner chacun un tiers des douze membres, soit
quatre membres chacun. L’article 125 du projet de constitution réduit la composition de la Cour
à un banc de neuf juges. Les neuf juges doivent être nommés par un décret présidentiel, dont le
premier tiers (c’est-à-dire trois juges) provient des juges les plus anciens de la Cour de
cassation, le deuxième tiers provient de la Haute cour administrative et le dernier tiers provient
de la Cour des comptes. Les pratiques recommandées en matière de sauvegarde de
l’indépendance du pouvoir judiciaire exigent que les nominations judiciaires soient effectuées
par un organe indépendant et non par le pouvoir législatif ou exécutif
35.
En outre, le projet de Constitution affaiblit les pouvoirs de la Cour constitutionnelle. L’article
127 établit une liste des compétences de la Cour constitutionnelle en matière de contrôle de la
constitutionnalité, entre autres, des projets de révisions constitutionnels, des projets de lois, des
traités et des lois qui lui sont déférées par les tribunaux nationaux.
Contrairement à l'article 80 de la Constitution de 2014, et conformément à l’article 96 du projet
de constitution, la Cour constitutionnelle n’a plus aucun pouvoir ni aucun rôle par rapport à la
déclaration du président de la République de « l’état d’exception ». En particulier, le président
de la République n’est plus tenu d’informer le président de la Cour constitutionnelle avant une
telle déclaration et les membres du parlement n’ont plus le droit de saisir la Cour
constitutionnelle en vue de vérifier si les circonstances nécessitant une telle déclaration restent
valables ou non
36. Afin de préserver l’état de droit et l’indivisibilité de tous les droits de
l’homme, toutes les mesures adoptées pour faire face à un état d’urgence, y compris celles prises
en vertu d’une déclaration d’« état d’exception », doivent être soumises à un contrôle et à un
examen judiciaires
37. Les personnes affectées doivent avoir le droit de contester la légalité de
ces mesures, y compris leur conformité avec le droit national ou international, par le biais de
procédures judiciaires équitables et efficaces.
La CIJ est particulièrement inquiète qu’en vertu du projet de constitution, la Cour
constitutionnelle n’a plus le pouvoir d’examiner les actions du président de la République, y
compris les décisions relatives à « l’état d’exception », ni de décider des conséquences
juridiques requises en cas de violations graves de la constitution par le président de la
République. En particulier, l’article 88 de la Constitution de 2014 prévoit que le parlement peut
présenter « une motion motivée pour mettre fin au mandat du président de la République en
raison d’une violation grave de la constitution », à la suite de quoi la question serait transmise
à la Cour constitutionnelle pour qu’elle vote sur la motion et ordonne la destitution du président
de la République, sans exclure la possibilité d’éventuelles poursuites pénales si nécessaire.
34 Article 120, Constitution tunisienne de 2014.
35 Comité des droits de l'homme des Nations unies, Observations finales sur le Honduras, CCPR/C/HND/CO/1,
para. 16
36 Voir ci-dessous la section intitulée "limitations et dérogations".
37 Voir CIJ, Commentaire juridique de la Déclaration de Genève de la CIJ : La défense de l'état de droit et le rôle
des juges et des avocats en temps de crise, 2011, p. xvi-xvii, disponible sur : https://www.icj.org/wp-
content/uploads/2011/05/ICJ-genevadeclaration-publication-2011.pdf.




Page 10
Il est essentiel que l’organe chargé de contrôler la constitutionnalité de la législation et de se
prémunir contre les actions inconstitutionnelles du pouvoir exécutif et/ou du pouvoir législatif
soit totalement indépendant, dispose d’un mandat complet et soit accessible à tous les individus.
Une cour constitutionnelle indépendante dotée de pouvoirs effectifs de contrôle et de recours
constitutionnels est essentielle pour la protection des droits constitutionnels. Le projet de
constitution est loin de répondre à ces exigences.
Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE)
Conformément à l’article 134 du projet de constitution, « L’Instance supérieure indépendante
pour les élections », est chargée de l’administration des élections et des référendums, de leur
organisation et de leur supervision au cours de leurs différentes phases. Elle assure la régularité,
la sincérité et la transparence du processus électoral et proclame les résultats ». L’ISIE se
compose de neuf membres indépendants, neutres et compétents, qui exercent leurs missions
pour un seul mandat de six ans. Le tiers de ses membres doit être renouvelé tous les deux ans.
Cependant, le projet de constitution passe sous silence la manière avec laquelle les membres de
l’Instance doivent être nommés, par application de quels critères et les personnes les désignant,
et ce, contrairement à la Constitution de 2014. En particulier, l’article 125 de la Constitution de
2014 dispose que les membres de l’ISIE sont élus par le parlement à la majorité qualifiée. Les
membres de l’ISIE sont également responsables devant le parlement et doivent lui soumettre
un rapport annuel. Le projet de constitution omet complètement l’article 125 de la Constitution
de 2014, laissant l’ISIE sans protection contre toute influence ou ingérence du président de la
République, qui a le pouvoir, selon ledit projet de constitution, de proposer des projets de loi.
La CIJ est particulièrement préoccupée par le fait que l’omission de l’article 125 de la
Constitution de 2014 ouvre la voie au pouvoir exécutif pour nommer directement les membres
de l’ISIE, conformément au décret-loi 2022-22, adopté le 21 avril 2022, permettant au président
de la République de nommer et de modifier l’ensemble de la composition de l’ISIE
38. La
Commission de Venise a estimé que le décret-loi 2022-22 « subordonne l’Instance supérieure
indépendante pour les élections au pouvoir exécutif » d’une manière qui « compromet son
indépendance et son impartialité »
39.
2. Définitions, garanties et limitations des droits de l’homme
Si le projet de constitution proposé reproduit la majeure partie du chapitre 2 de la Constitution
de 2014 sur les droits et libertés, la définition et la portée de plusieurs droits de l’homme restent
incompatibles avec les obligations de la Tunisie en vertu du droit international des droits de
l’homme. En 2014, la CIJ a présenté une analyse juridique approfondie de ces dispositions telles
qu’elles figuraient dans la Constitution de 201440. En particulier, le projet proposé soumet les
droits et libertés reconnus dans la constitution à des limitations injustifiées qui vont à l’encontre
des exigences de nécessité et de proportionnalité du droit international des droits de l’homme.
38 Décret-loi n° 2022-22 du 21 avril 2022 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi organique n°
2012-23 du 20 décembre 2012 relative à l’Instance supérieure indépendante pour les élections, https://legislation-
securite.tn/law/105252.
39 Voir Tunisie - Avis urgent "sur le cadre constitutionnel et législatif relatif aux annonces de référendum et
d'élections par le président de la République, et notamment sur le décret-loi n°22 du 21 avril 2022 modifiant et
complétant la loi organique relative à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE)", émis le 27 mai
la Commission de Venise,
l'article 14 bis du
2022 conformément à
https://www.venice.coe.int/webforms/documents/?pdf=CDL-PI(2022)026-e.
40 CIJ, La Constitution tunisienne à la lumière du droit et des normes internationales, 31 janvier 2014, disponible
sur : https://www.icj.org/the-icj-assesses-the-new-tunisian-constitution/.
intérieur de
règlement




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Le projet de constitution proposé omet également un certain nombre de garanties qui sont
inhérentes au droit à un procès équitable.
Les garanties des droits de l’homme doivent être reconnues et prévues en totale conformité avec
le droit international des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne le droit à la vie, le
droit de ne pas être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants, le droit à l’égalité et à la non-discrimination, le droit à la liberté et à un procès
équitable, le principe de légalité et les limitations et dérogations aux droits de l’homme. Les
modifications apportées par le projet de constitution aux dispositions relatives aux droits et
libertés de la Constitution de 2014 sont analysées ci-dessous.
Droit à la vie
Comme la Constitution de 2014, le nouveau projet de constitution ne reconnaît pas le droit à la
vie comme un droit auquel il est interdit de déroger, violant ainsi l’article 6 du PIDCP, auquel
la Tunisie est partie. Conformément à l’article 24 du projet de constitution, le droit à la vie est
sacré et « il ne peut y être porté atteinte, sauf dans des cas extrêmes prévus par la loi ». La CIJ
est préoccupée par cette formulation trop vague et par le fait que, les circonstances dans
lesquelles le droit à la vie peut être violé n’étant pas définies, l’article 24 risque de saper la
nature du droit à la vie. En Tunisie, la peine de mort a été soumise à un moratoire de facto
depuis 1991. La CIJ s’oppose à la peine de mort dans tous les cas, car elle constitue une
violation du droit à la vie.
Droit de ne pas être soumis à la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants
L’article 25 du projet de constitution interdit toute forme de torture physique et psychologique
et prévoit que le crime de torture est imprescriptible, en des termes similaires à ceux de la
Constitution 2014. Cependant, l'article 25 continue de ne pas interdire les autres actes de peine
ou de traitement cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas assimilables à la torture,
comme l’exige l’article 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants (CCT), à laquelle la Tunisie est partie. En outre, alors que
l’article 36 du projet de constitution prévoit que les détenus soient traités avec humanité et
dignité (et que l’État doit envisager de leur assurer ce traitement tout en exécutant des peines
privatives de liberté), ce projet de constitution ne comporte pas d’interdiction globale conforme
à l’article 16 de la CCT.
L’article 25 du projet de constitution ne définit pas l’acte de torture, permettant ainsi à la
définition de la torture contenue dans l’article 101 bis du code pénal tunisien
41 de demeurer en
vigueur. Cette définition ne prévoit cependant pas la responsabilité pénale de ceux qui
consentent aux ou approuvent les actes de torture. Dans son rapport sur la Tunisie, le Rapporteur
spécial des Nations Unies sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants a souligné « [...] l’importance de pénaliser tous les actes d’instigation, de
consentement ou d’approbation à la torture par des fonctionnaires publics ou d’autres personnes
agissant à titre officiel, y compris ceux qui ordonnent à des subordonnés de torturer ou qui
41 L'article 101 bis du Code pénal tunisien définit la torture comme « tout acte par lequel une douleur ou des
souffrances aiguës physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment
d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une
tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou lorsque
la douleur ou les souffrances aigues sont infligées pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination
quelle qu’elle soit
».





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dissimulent la torture après les faits »42. En vertu de la CCT, les États parties doivent veiller à
ce que non seulement les actes de torture mais aussi les tentatives de torture et les actes de
complicité ou de participation à la torture constituent des infractions au regard de leur droit
pénal
43.
Égalité et non-discrimination
Conformément à l’article 23 du projet de constitution, les hommes et les femmes ont les mêmes
droits et obligations et sont égaux devant la loi sans aucune discrimination. L’article 51 affirme
en outre que « l’État s’engage à protéger les droits acquis de la femme et veille à les consolider
et les promouvoir » et garantit « l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour
l’accès aux diverses responsabilités et dans tous les domaines ».
La CIJ est également inquiète qu’en vertu de l’article 23 de la Constitution, l’égalité devant la
loi et la non-discrimination ne sont garanties qu’aux citoyens tunisiens. L’article 2(1) du PIDCP
prévoit que les États parties doivent respecter et garantir les droits qui y sont énoncés « [...] à
tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur juridiction [...] sans distinction
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou
de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation ».
Arrestation, détention et droit à un procès équitable
Les dispositions du projet de constitution relatives au droit à la liberté et au droit à un procès
équitable, en particulier les articles 33, 35, et 123-, omettent des garanties spécifiques contenues
dans le PIDCP. Plus précisément, l’article 35 sur le droit à la liberté n’inclut pas le droit de
toute personne arrêtée ou détenue sur la base d’une accusation d’avoir commis une infraction
pénale d’être traduite dans les plus courts délais devant un juge ou un autre fonctionnaire
exerçant une autorité judiciaire, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ou d’être libéré
pendant le procès, le droit de contester la légalité de toute détention devant un tribunal et le
droit à une réparation en cas d’arrestation ou de détention illégale, comme le prévoit l’article 9
du PIDCP.
Le principe de légalité
Conformément à l’article 34 du projet de constitution, les peines sont individuelles et ne
peuvent être prononcées qu'en vertu d’un texte de loi applicable au moment où les faits ont été
commis. Cependant, telle qu’elle est actuellement formulée, cette disposition ne reflète pas
adéquatement le principe de non-rétroactivité de la loi pénale consacré par l’article 15(1) du
PIDCP, qui prévoit que « [n]ul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne
constituaient pas un acte délictueux d’après le droit national ou international au moment où
elles ont été commises ». L’article 15(2) du PIDCP interdit en outre « [l]e jugement ou [la]
condamnation de tout individu en raison d’actes ou omissions qui, au moment où ils ont été
commis, étaient tenus pour criminels, d’après les principes généraux de droit reconnus par
l’ensemble des nations ».
42 Rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, ou dégradants, Juan E.
Méndez, Mission en Tunisie, Doc. A/HRC/19/61/Add.1, para. 16.
43 Assemblée générale des Nations Unies, Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, Nations Unies, Recueil des Traités, vol. 1465, p. 85, article 4, (ci-
après "CCT").






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Cette omission du droit international en tant que source juridique valable pour déterminer si un
acte ou une omission constituait une infraction pénale au moment où il a été commis est
particulièrement problématique car certains des crimes les plus graves au regard du droit
international, y compris les actes de torture et autres mauvais traitements, n’ont pas été
correctement criminalisés par le droit national en Tunisie, et la poursuite de ces crimes après
l’éviction du président Ben Ali a été largement insuffisante. Le droit tunisien ne doit donc pas
être utilisé pour porter préjudice au procès et à la sanction des responsables d’actes ou
d’omissions qui constituent des crimes au regard du droit international, même si ces actes ou
omissions n’étaient pas des crimes au regard du droit tunisien au moment où ils ont été commis.
Les autorités tunisiennes doivent veiller à ce que les dispositions nationales censées consacrer
les principes de légalité et de non-rétroactivité de la loi pénale en droit interne tunisien ne soient
pas utilisées pour faire échapper les auteurs de crimes internationaux à toute responsabilité.
Limitations et dérogations
Dans le cadre de la Constitution de 2014, une clause générale sur les droits contenus dans la
Constitution est incluse dans l'article 49. Elle prévoit que la loi déterminera les limitations qui
peuvent être imposées à l'exercice des droits et libertés garantis par la présente Constitution
d'une manière qui ne porte pas atteinte à leur nature. Elle prévoit en outre que de telles
limitations ne peuvent être mises en place que pour des raisons « nécessaires à
un État civil et
démocratique
et dans le but de protéger les droits d'autrui, ou fondées sur les exigences de
l'ordre public, de la défense nationale, de la santé publique ou de la morale publique, et à
condition qu'il y ait proportionnalité entre ces restrictions et l'objectif recherché. »
44
L'article 55 du projet de constitution prévoit également une clause de limitation générale des
droits garantis par la constitution qui fait écho à la même clause de la Constitution de 2014.
Toutefois, l'article 55 omet l'expression « nécessaire à un État civil et démocratique », figurant
dans la Constitution de 2014, et la remplace par « nécessaire à un régime démocratique », pour
justifier la limitation des droits et libertés constitutionnellement garantis. En vertu du droit
international des droits de l’homme, la plupart des droits de l’homme peuvent faire l'objet de
limitations dans certaines conditions strictes. Les lois établissant les limitations doivent garantir
que les droits respectifs ne sont pas restreints au-delà des limites établies par le droit
international des droits de l’homme.
45 L'expression « dans une société démocratique »46 fait
partie de ces conditions strictes. Il incombe à l'État qui impose des limitations aux droits de
démontrer que ces limitations n'ont pas d'incidence sur le fonctionnement démocratique de la
société. Une société démocratique peut être définie comme une société qui reconnaît et respecte
le droit international des droits de l’homme.
47
La CIJ craint qu'en vertu de la constitution proposée, des restrictions indues ne soient imposées
aux droits et libertés, en particulier à la lumière de l'article 5 de la constitution proposée, selon
44 Emphase ajoutée.
45 En vertu du PIDCP, la plupart des droits et libertés sont limitables, comme la liberté d'expression, la liberté
d'association et le droit à la vie privée. Ces limitations sont intrinsèquement liées aux droits et libertés. Cependant,
d'autres droits absolus ne peuvent être restreints ou limités, ni même faire l'objet d'une dérogation, même pendant
un état d'urgence déclaré, comme le droit de ne pas être soumis à la torture et à d'autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, et l'interdiction de l'application rétroactive des lois pénales ; Voir la Commission
des droits de l'homme des Nations Unies, Principes de Syracuse concernant les dispositions relatives à la
prescription et à la dérogation dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, E/CN.4/1985/4, 28
septembre 1984, Principe 1, (ci-après "Principes de Syracuse").
46 Voir par exemple le PIDCP, articles 14(1), 21 et 22(2) ; voir également les principes de Syracuse, principes 19-
21.
47 Principes de Syracuse, principe 19.


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lequel l'État, en tant que partie de la nation islamique, est la seule autorité qui a le pouvoir de
« réaliser les buts [et objectifs] de l'islam,
48 y compris la vie, l'honneur, l'argent et la religion ».
Par exemple, si la Tunisie a officiellement levé les principales réserves à la Convention sur
l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), elle a
maintenu une déclaration générale indiquant que le pays « ne prendra aucune décision
organisationnelle ou législative conforme aux exigences de cette convention lorsqu'une telle
décision entrerait en conflit avec les dispositions du chapitre I de la Constitution tunisienne. »
49
Le chapitre I de la Constitution de 2014 prévoyait que la religion de l'État est l'islam. La
constitution proposée va un peu plus loin et donne à l'État le seul pouvoir de réaliser les
prétendus « buts et objectifs de l'islam », même lorsqu'ils pourraient être en contradiction avec
les obligations de la Tunisie en vertu du droit international des droits de l’homme.
En outre, l'article 4(2) du PIDCP énumère les dispositions du traité qui ne peuvent faire l'objet
d'une dérogation. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a expliqué que d'autres
dispositions ne sont pas susceptibles de dérogation par implication.
50 Même si un droit ne figure
pas dans l'article 4 du PIDCP, cela ne signifie pas qu'il peut faire l'objet d'une quelconque
dérogation. Au contraire, toute mesure dérogatoire imposée par les États parties doit être « [...]
strictement requise par les exigences de la situation » et ces mesures ne doivent pas « [...]
impliquer une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion ou l'origine sociale. » Dans son Observation générale n° 29, le Comité des droits de
l’homme des Nations unies a déclaré : « [l]es mesures dérogeant aux dispositions du Pacte
doivent avoir un caractère exceptionnel et temporaire ».
51 En outre, la « dérogation » ne signifie
pas la suspension complète des droits. Comme l'a précisé le Comité des droits de l’homme des
Nations unies, « le simple fait qu'une dérogation autorisée à une disposition spécifique puisse,
en soi, être justifiée par les exigences de la situation ne dispense pas de démontrer que les
mesures spécifiques prises en vertu de la dérogation sont également requises par les exigences
de la situation ». Dans la pratique, cela garantira qu'aucune disposition du Pacte, quelle que soit
la validité de la dérogation, ne sera entièrement inapplicable au comportement d'un État
partie. »
52 L'article 96 de la constitution proposée prévoit les conditions requises pour la
déclaration d'un « état d'exception ». Cependant, il omet de préciser que certains droits et
libertés sont indérogeables même dans le cas d’un état d'exception ou d'une urgence.
Conformité de la Constitution avec le droit et les normes internationales
Le principe de l’état de droit en vertu du droit international peut être garanti de la manière la
plus claire en spécifiant explicitement dans la constitution que tout le droit national doit être
cohérent et conforme à celui-ci, et qu'en cas de conflit, les obligations juridiques internationales
doivent prévaloir. La suprématie du droit international par rapport à la constitution en tant que
telle contribue à prévenir les abus de pouvoir dans les différentes sphères du gouvernement en
liant les pouvoirs législatif et exécutif et en fournissant un cadre interprétatif aux tribunaux.
48 En vertu de la loi islamique, le but spécifique de l'objectif de l'islam est la préservation de cinq éléments
essentiels : la vie, l'honneur (lignée), l'argent, la religion et l'intellect. Voir Abbas Amanat; Fraks Griffel (eds.),
"Islamic Law and Legal Change : The Concept of Maslaha in Classical and Contemporary Legal Theory", Vol.
Shari'a : Islamic Law in the Contemporary Context, Standford University Press, 2007.
49 Voir United Nations, "Reservations to the Convention on the Elimination of all forms of Discrimination Against
Women - Weakening the protection of women from violence in the Middle East and North Africa region",
disponible à l'adresse : https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-205832/.
50 Comité des droits de l'homme des Nations Unies, Observation générale n° 29 du CCPR : Article 4 : Dérogations
pendant un état d'urgence, 31 août 2001, CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, para. 7.
51 Observation générale n° 29, UN Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, para. 2.
52 Observation générale n° 29, UN Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, para. 4.

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L'article 20 de la Constitution de 2014 prévoit que « les accords internationaux approuvés et
ratifiés
par le [Parlement] ont un statut supérieur à celui des lois et inférieur à celui de la
constitution. »
53 Selon l'article 74 de la constitution proposée, « les accords internationaux
approuvés par le président de la République et ratifiés par le parlement ont un statut supérieur
à celui des lois et inférieur à celui de la constitution. »
54
En augmentant les pouvoirs du président dans l'approbation des conventions, en prévoyant que
les traités internationaux ratifiés par la Tunisie sont inférieurs à la constitution, l'article 74 de la
constitution proposée pourrait être utilisé pour réduire la protection offerte par le droit
international des droits de l’homme, tant conventionnel que coutumier, en violation de l'article
27 de la
Convention de Vienne sur le droit des traités selon lequel un État partie « ne peut
invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d'un traité
».
Comme l'a souligné le Comité des droits de l’homme, « Bien que le paragraphe 2 de l'article 2
[du PIDCP] permette aux États parties de donner effet aux droits énoncés dans le Pacte
conformément aux procédures constitutionnelles internes, le même principe s'applique de
manière à empêcher les États parties d'invoquer des dispositions du droit constitutionnel ou
d'autres aspects du droit interne pour justifier un manquement aux obligations découlant du
traité ».
55
A la lumière de ce qui précède, la CIJ appelle les autorités tunisiennes à :
Retirer le projet de constitution proposé, mettre fin à l’« état d'exception » et
rétablir l'ordre constitutionnel ;
Veiller à ce qu'aucune révision constitutionnelle ou processus d'élaboration d’une
constitution n'ait lieu tant que l'ordre constitutionnel n'est pas conforme aux
principes de l'état de droit, de la séparation des pouvoirs, y compris l'indépendance
du pouvoir judiciaire, ainsi qu'au droit international et aux normes internationales
en matière de droits humains ;
Reconnaître clairement et sans ambiguïté la primauté de la constitution sur tous
les autres aspects du droit national, et veiller à ce que les lois nationales soient
adoptées et mises en œuvre en pleine conformité avec la constitution ;
Veiller à ce que la Constitution et les lois nationales soient conformes et
compatibles avec les obligations de la Tunisie découlant du droit international,
dans l'esprit et la lettre ;

Intégrer pleinement l'état de droit dans le cadre du fonctionnement de l'État,
notamment en assurant la séparation des pouvoirs, l'attribution des compétences
et les contrôles et équilibres adéquats entre les pouvoirs législatif, exécutif et
judiciaire, en tant qu'autorités indépendantes et non en tant que simples fonctions
de l'État ;
Préciser clairement que l'immunité présidentielle ne peut être utilisée pour
soustraire le président de la République à l'obligation de rendre des comptes en
cas de violations graves de la Constitution, notamment en cas d'ingérence dans les
pouvoirs législatif et judiciaire ;
53 Emphase ajoutée.
54 Emphase ajoutée.
55 Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 31, Nature de l'obligation juridique générale des États
parties au Pacte, U.N. Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (2004), para.4.

Page 16
Assurer la pleine indépendance du pouvoir judiciaire en tant qu'institution et des
juges en tant qu'individus de toute ingérence de l'exécutif, conformément aux lois
et aux normes internationales, notamment en veillant à ce qu’un CSM indépendant
supervise tous les aspects liés à la sélection, à la nomination, à la mutation et à la
discipline des juges, fondés sur des critères objectifs, basés sur le mérite, et sur des
procédures transparentes, en garantissant l'inamovibilité des magistrats jusqu'à
un âge de retraite déterminé, et en protégeant de manière adéquate les libertés
fondamentales des juges ;
Garantir l'indépendance de la Cour constitutionnelle, notamment l'indépendance
de ses membres, ainsi qu'une procédure de nomination indépendante pour la
sélection de ses membres ;
Garantir l’applicabilité du droit international, y compris les traités relatifs aux
droits de l'homme, dans l’ordre juridique interne ;
Assurer explicitement que le droit à la vie est un droit auquel il n’est pas possible
de déroger, et abolir la peine de mort en toutes circonstances ;
Garantir l'interdiction explicite de tous les actes, peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants qui ne sont pas assimilables à la torture, et garantir
l’adoption d'une nouvelle définition complète de la torture, pleinement conforme
à l'article 1 de la CCT, dans le code pénal tunisien ;

Introduire des réformes juridiques et politiques pour faire respecter et garantir les
droits de toute personne soumise à la juridiction tunisienne, quelle que soit sa
citoyenneté, et préciser les motifs de discrimination interdits, conformément aux
obligations internationales de la Tunisie au titre de l'article 2(1) du PIDCP ;
Prévoir explicitement l'interdiction de toute forme de discrimination à l'égard des
femmes, et étendre la responsabilité aux acteurs publics et privés, conformément
à l’article 2(e) de la CEDAW ; et garantir que toute règle prétendue islamique dans
la constitution soit conforme aux obligations internationales de la Tunisie en vertu
de l'article 1 de la CEDAW ;
Retirer la déclaration générale de la Tunisie à la CEDAW et veiller à ce que la
constitution du pays ne serve pas d'excuse pour ne pas se conformer au droit et
aux normes internationales ;
Veiller à ce que les garanties relatives au droit à la liberté, à la sûreté de la personne
et à un procès équitable et public par un tribunal compétent, indépendant et
impartial établi par la loi soient prévues dans le code pénal tunisien et le code de
procédure pénale tunisien, et le soient conformément aux obligations de la Tunisie
en vertu du droit international et notamment du PIDCP ;
Garantir que toute limitation des droits de l'homme soit conforme aux critères
applicables à de telles limitations en vertu du droit international des droits de
l'homme et, en particulier, qu'elle soit manifestement nécessaire à une société libre
et démocratique. Les limitations doivent identifier le droit à limiter et ne doivent
pas porter atteinte à la nature du droit ; et
Veiller à ce que les dispositions relatives à l’« état d'exception » dans la constitution
soient conformes aux obligations de la Tunisie découlant du droit international,
notamment en intégrant tous les aspects de l'article 4 du PIDCP, ainsi que les droits
supplémentaires auxquels on ne peut déroger mentionnés par le Comité des droits
de l'homme des Nations unies dans son observation générale 29.
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