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LIBERTES FONDAMENTALES ET DROIT EN TUNISIE
À L’EPREUVE D’UNE PANDEMIE, « COVID-19 »
Maher ABDMOULEH*
« L’homme est né libre, et partout il est dans les fers »
Jacques Mourgeon
Abstract: Restrictions on fundamental freedoms represent an ontological issue which has
always been a subject of controversy at the social, legal and political level, even in the most
democratic countries. However, restrictions on civil liberties become greater during health crises
and pandemics, such as the COVID-19 crisis, as stringent measures are taken by governments to
fight the disease outbreak. The situation in a developing country like Tunisia, where dictatorship has
just come to an end, has become more complex and problematic than ever before, mainly because
the national human rights commissions do not have a steady and stable activity and the economic
situation is so difficult that it is quite hard to impose a lockdown without curbing freedoms.
Keywords: Restriction, Rights; freedom fundamental; disproportionate; panidemic.
Introduction
Exiger des pouvoirs publics le respect des droits « fondamentaux » dans une
démocratie émergente (Tunisie), est un défi qui devient plus complexe et plus
difficile en temps de propagation d’une épidémie
1, où il est question des
restrictions des libertés. D’ailleurs, même dans des situations ordinaires, il est
inconcevable de penser la liberté sans lui poser des limites
2.
Mais, cette réflexion sur les libertés et leurs limitations est spécifique à une
situation inédite et grave provoquée par la Covid-19
3 « ou coronavirus », qui
s’installe brusquement, partout dans le monde, suite à sa première apparition en
novembre 2019 dans la ville de Wuhan, en Chine centrale.
Cette recherche sur la situation des droits humains en Tunisie dans ce contexte
difficile est d’un intérêt capital, car elle permet de repérer les carences du système
institutionnel en période de construction et/ou transition démocratique. Elle permet
aussi de pallier les insuffisances pour que le respect des droits fondamentaux soit
* Maher Abdmouleh, Maître-assistant en droit public, IHEC, SFAX
1 Remarque, par manque de moyens la Tunisie (comme certains pays en voie de développement), ne peut
pas procéder à des tests de masse, ce qui pose des problèmes au niveau de la contamination ainsi que sur
le chiffre exact des cas atteint par le virus. Selon le bulletin de veille de l’Observatoire tunisien des Maladies
Nouvelles et Émergentes concernant le COVID 19, et à la date du 19 Avril 2020, le nombre total des cas
confirmés de Covid 19 s’élève à 884 cas dont 641 cas autochtones. L’incidence cumulée est de 8,1/100 000
habitants et l’incidence quotidienne moyenne est de 18 cas. Cent trente et un cas ont été hospitalisés dont
35 en réanimation. Quatre-vingt-dix-sept patients atteints sont des personnels de santé.
2 Jean- Jacques. Israël, droits des libertés fondamentales, Paris, Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence, LGDJ, 1998, p. 310 et s.
3 Bien que certains font usage du covid au masculin, l'Académie française a tranché pour un usage au
féminin: "la" Covid.
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effectif, conforme aux exigences de l’Etat de droit et répondre ainsi à une éthique4
combien convoitée et engloutie.
En Tunisie, la pandémie du Covid-19 s’est développée officiellement depuis le 2
mars 2020
5. A compter du 18 avril 2020, tous les gouvernorats sont touchés. Le 22
mars 2020, c’est le confinement général. La majorité des cas atteints du coronavirus
sont concentrés essentiellement à Tunis (la capitale). Le Nord-Ouest (Le Kef,
Jendouba, Béja), est la région la moins touchée par le virus. Les pouvoirs publics ont
dû recourir à plusieurs textes juridiques pour faire face à cette situation pandémique.
D’abord par le biais de deux décrets présidentiels: décret n°2020-24 du 18 mars 2020
et décret n°2020-28 du 22 mars 2020. A travers ces deux décrets, le président de la
république s’est appuyé sur l’article 80 de la constitution, pour déclarer le couvre-feu.
Du coté du chef du gouvernement, plusieurs mesures ont été prises: d’abord le
décret gouvernemental n° 2020-156 du 22 mars 2020, portant fixation des besoins
essentiels et des exigences nécessaires en vue d’assurer la continuité du
fonctionnement des services vitaux, dans le cadre de la mise en œuvre des mesures
de mise en confinement total. Après des tractations difficiles entre le chef du
gouvernement et l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) une loi habilitant
le chef du gouvernement à prendre des décrets-lois a été votée (4 avril 2020), dans la
douleur. Cette habilitation provisoire (de 2 mois), a permis au chef du gouvernement
de prendre plusieurs décrets-lois en s’appuyant sur l’article 70 de la constitution.
Cinq décrets-lois ont été pris le 14 avril, et six décrets-lois le 18 avril, ceci en
vue de combler le vide juridique et accompagner la situation du confinement total.
Cette étude va se limiter donc à ces textes sans tenir compte des autres textes
qui vont gérer la situation du dé confinement partiel qui débute le 4 mai 20206.
Dans le cadre du confinement total (et même partiel), et le couvre-feu qui
l’accompagne créant ainsi un régime dérogatoire aux droits de l’homme, certaines
libertés doivent être respectées. Sinon, ça pourrait constituer des antécédents et des
références pour que les autorités publiques trouvent des arguments et des alibis pour
légitimer le recours aux violations et à la répression, surtout dans un pays en voie de
développement où la culture des droits de l’homme n’est pas encore intériorisée et que la
transition démocratique piétine. C’est pourquoi, le DROIT, tout en permettant des
dérogations au régime ordinaire des droits de l’homme dans des situations d’exception,
prend le soin de rappeler et de souligner la pérennité et l’intangibilité de certains droits et
4 Bertarnd. Badie, La diplomatie des droits de l’homme. Entre éthique et volonté de puissance, Paris,
Fayard, 2003.
5 Certains soutiennent l’idée selon laquelle cette épidémie existe en Tunisie depuis le mois de décembre 2019!
6 Cette période s’étend jusqu’à la levée du confinement général, c’est-à-dire le 4 mai 2020. La Tunisie
(comme plusieurs pays), s’engage à partir de cette date dans un confinement, dit ciblé. Cette
approche consiste à la levée du confinement général pour certaines catégories (répartit et gradué
selon un calendrier), et son maintient pour d’autres. Avec possibilité de ré adopter le confinement
général si la situation se complique en termes de propagation du virus. La catégorie visée par la levée
du confinement général vise 4 secteurs: l’agroalimentaire, les petits métiers et les artisans, les
secteurs sinistrés, les secteurs où le télétravail est impossible. La catégorie non concernée par le
confinement ciblé, les personnes âgées de plus de 65 ans, les enfants moins de 15 ans, les femmes
enceintes et ceux dont le système immunitaire est vulnérable.
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libertés. C’est le cas des deux pactes internationaux de 1966. Aussi au niveau du droit de
la guerre (droit humanitaire)
7, notion à laquelle le chef du gouvernement ne cesse de s’y
référer pour justifier entre autres la restriction des libertés, faisant ainsi un parallélisme
avec la lutte contre cette pandémie, covid-19. D’ailleurs, ce rapport hâtif et ces raccourcis
que les responsables font entre guerre contre coronavirus et l’état de guerre traduit
a
fortiori
un état de panique provoqué par la pandémie dans la mesure où les porteurs de ce
virus étaient parfois assimilés injustement aux terroristes! Avec tout ce que cela implique
et porte comme préjugés et stéréotypes à tous les niveaux.
Loin de cet amalgame significatif et contestable, l’être humain, doit en tout temps
et quelle que soient les conditions, jouir de certains droits, qualifiés parfois de droits
fondamentaux
8, ou des droits les plus sensibles9, parfois aussi des droits de la première
génération, issus de la théorie libérale
10, ou, sous l’influence de l’école du droit naturel,
des normes impératives du droit international
11 (Jus cogens)12 et l’erga omnes13.
7 C’est-à-dire les conventions de Genève de 1949.
8 Il y a un point de vue qui refuse la thèse selon laquelle, il existe des droits fondamentaux, étant
donnée que les droits, tous les droits sont en corrélations et par conséquent, ils forment une unité et il
n’ya ni préférence ni hiérarchie entre les droits. Voir, Louis. Favoreu, ouvrage collectif,
droit des
libertés fondamentales
, Paris, Dalloz, 2015, p. 150.
9 Les partisans de ce point de vue focalisent leurs réflexions sur les droits de l’enfant et notamment la
femme à travers la question du genre. Ce positionnement a contribué à la légalisation des droits des
homosexuels et des hétérosexuels en tant que catégorie vulnérable. Et c’est ainsi qu’il y a eu petit à
petit reconnaissance des mariages homosexuels et le droit d’adoption malgré les réticences déclarées
même dans les pays démocratiques.
10 Pour ceux qui adoptent la répartition des droits de l’homme en générations, (c’est-à-dire, la première
génération qui correspond aux droits civils et politiques, la deuxième génération aux droits économiques,
sociaux et culturels et la troisième génération pour les droits de solidarité, le développement et
l’environnement), ils considèrent que c’est la première génération enveloppe les droits fondamentaux.
11 Selon la convention de Vienne de 1969 relative au droit des traités (article 53): « Est nul tout traité
qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international
général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est
une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en
tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une
nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère ».
12 La CIJ s'est prononcée pour la première fois sur le jus cogens dans un avis consultatif du 28 mai 1951
concernant les réserves à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en
affirmant l'existence de principes de morale élémentaire obligeant les Etats en dehors de tout lien
conventionnel. Dans sa décision du 5 février 1970 au sujet de l'affaire Barcelona Traction, la Cour
Internationale de Justice affirme qu'«
une distinction doit être établie entre les obligations des Etats envers la
communauté internationale dans son ensemble (Jus Cogens) et celles qui naissent vis-à-vis d'un autre Etat
dans le cadre de la protection diplomatique
». En 1986, dans l'affaire des activités militaires et paramilitaires,
la Cour souligne que « le principe de non-emploi de la force relève du Jus Cogens ».
13 Dans une approche voisine à celle du jus cogens, certains évoquent les obligations erga omnes13, ce
sont aussi des obligations relatives aux droits de l’homme et qui s’imposent à tous les Etats, c’est-à-dire,
sans leur consentement. Cette Thèse est fortement critiquée par les volontaristes (positivistes), qui font
du respect de la souveraineté un
sacro saint, favorisant ainsi l’Etat (en tant que sujet indépassable voire
unique), par rapport à l’individu, ses droits et ses libertés et empêchant ainsi l’évolution du droit
international et de la société internationale vers des formes de coopérations moins conflictuelles plus
développées et des solidarités plus soutenues. C’est dire, une société internationale pour les peuples
(droit des gens), leurs droits et leurs libertés et non pour les Etats au nom du souverainisme. Ceci dit,
cette conception volontariste du DROIT (international), qui prend le contrepied des l’école objective,
postule que les libertés fondamentales ne peuvent être servies et protégées qu’en présence d’un Etat
libre, indépendant et souverain, où rien ne se fait sans son consentement, c’est-à-dire sa volonté.
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Par conséquent, l’Etat à travers son pouvoir législatif, son pouvoir executive et
l’ensemble de ses institutions, se doit de prêter attention à ces considérations
sensibles qui touchent les êtres humains sans discriminations et sans distinctions
aucune en vue de protéger des valeurs morales profondes, notamment la dignité,
véhiculée en tant que norme universelle par excellence, et consacrée pratiquement
par tous les systèmes juridiques. Et que certains Etats l’on hissé au niveau de leur
constitution
14.
Le droit tunisien quant à lui, ne s’est pas écarté de cet élan humanitaire,
notamment après la chute de l’ancien régime
15. Et le souci de cadrer les
agissements de l’Etat et de les soumettre aux principes susmentionnés, s’est traduit
notamment à travers la constitution du 27 janvier 2014. En effet, mises à part de
nombreuses dispositions constitutionnelles qui ont trait aux droits et libertés, il
revient principalement à l’article 49
16 de préciser à travers le principe de nécessité
et de proportionnalité les conditions qui cadrent la restriction des droits et des
libertés afin que leur sort ne dépende pas et plus des aléas des politiques.
Mais, est-ce que ces dispositions constitutionnelles qui s’ajoutent aux autres
garanties via l’indépendance de la justice, les instances constitutionnelles
indépendantes, le rôle de l’opposition et de la société civile ainsi que des médias
(en tant que cartes de pressions),sans parler des mécanismes internationaux qui
opèrent en Tunisie suffisent-elles pour protéger efficacement les droits et les
libertés? A l’instar du: le droit à la santé, le droit à la vie privée et à la
confidentialité, le droit au mouvement et à la liberté, le droit à l’emploi, le droit à la
le droit à
non-discrimination,
l’information…
liberté de réunion et d’expression, et
la
Ces droits et libertés sont souvent impliqués dans les urgences de santé17, en
ajoutant peut être le principe d’égalité conçu comme un droit fondamental consacré
par la charte de l’Organisation des Nations Unies (voir préambule)
18, ainsi que la
Déclaration Universelle des Droits de L’Homme.
14 La constitution tunisienne de 2014 a mentionné la notion de dignité 2 fois dans le préambule et 5 fois
à travers les articles 4-21-23-30 et 47.
15 Maher. Abdmouleh, Droits de l’homme et libertés publiques en Tunisie, (en arabe), Tunis, Latrach
édition, 2020.
16 Article 49 de la constitution: Sans porter atteinte à leur substance, la loi fixe les restrictions relatives
aux droits et libertés garantis par la Constitution et à leur exercice. Ces restrictions ne peuvent être
établies que pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegarder
les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique
ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs
justifications. Les instances juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute
atteinte. Aucune révision ne peut porter atteinte aux acquis en matière de droits de l’Homme et de
libertés garantis par la présente Constitution. L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas
d’effet sur le statut juridique des Parties au conflit.
17 Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA), 2020.
18 C’est ainsi que la charte dispose que « … à proclamer à nouveau notre foi dans les droits
fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de
droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites.
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Quoiqu’il en soit, il s’agit de protéger les libertés et veiller à ce que leurs
limitations doivent être légitimes, nécessaires, proportionnelles et délimitées dans
le temps
19.
Ceci, conduit à poser la problématique suivante:
En cette phase de construction démocratique, dans un climat financier et
économique particulièrement difficile, les décisions aussi exceptionnelles que
nécessaires relatives notamment aux libertés fondamentales, prises par les
autorités tunisiennes dans le cadre du confinement pour lutter contre la
propagation de la pandémie, covid-19, se conforment-elles aux exigences
du DROIT?
En vue de répondre à cette problématique, cette recherche tente de montrer
dans une première partie que le régime des dérogations aux libertés est controversé
et disproportionné
(Partie I). Dans la deuxième partie, on essaie de souligner
quelques défaillances des mécanismes officiels, notamment
le pouvoir
juridictionnel à qui incombent le contrôle et les garanties des droits et des libertés
ainsi que le rôle louable de la société civile dans cette situation de crise sanitaire
(Parie II).
Partie I: Dérogations et dis proportionnalités
On souligne d’abord les controverses liées au régime juridique adopté dans le
cadre de confinement (1), ensuite on s’attarde sur les contradictions qui
accompagnent les mesures prises à cet effet (2).
1.1. Un régime de dérogation source de controverses
En vue de se protéger contre la Covid-19, les pouvoirs publics ont adopté un
certains nombres de mesures (9 mars 2020), il s’agit principalement de
l’avancement des vacances scolaires et
la suspension d’une partie des
communications aériennes et maritimes…, mais avec les cas déclarés affectés par
le virus et les risques de propagation, notamment par comparaison à la situation en
Chine, en Italie, en Espagne, en France…, il a fallu renforcer ces mesures ce qui a
justifié les interventions du président de la république ainsi que le chef du
gouvernement sur le fondement des deux articles 70 et 80 de la constitution.
19 Philippe. Gérard, L’esprit des droits, philosophie des droits de l’homme, Bruxelles, Faculté
Universitaires Saint Louis, 2007, p. 17.
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L’article 8020 donne compétence au président de la république et l’article 7021,
au chef du gouvernement. Or, la controverse que l’on peut souligner c’est justement
le recours simultané à deux articles (70 et 80), de la constitution pour gérer la
situation exceptionnelle. Même, si la situation ne prête pas à des interprétations
relatives aux conflits de compétence entre les deux têtes de l’exécutif
22, cette
question a été évoquée, surtout quand l’assemblée des représentants du peuple
(ARP), a montré une certaine réticence à l’égard de l’habilitation permettant au chef
du gouvernement d’intervenir par le biais des décrets-lois.
Quant aux décrets présidentiels, le premier décret n°2020-24 du 18 mars, est
venu proclamer le couvre-feu sur tout le territoire entre 18h et 6h du matin. Et lors de
son allocution télévisée à propos de ces premières mesures visant la restriction de la
liberté de circulation en vue d’empêcher la propagation de l’épidémie, le président de
la république a demandé au pouvoir législatif de réfléchir et d’adopter des textes en
rapport avec la situation, pourtant l’article 80 lui confère les pleins pouvoirs!
En effet, l’article 80 de la constitution sur lequel le président a fondé sa
décision lui donne le pouvoir de légiférer à la place de l’assemblée des
représentants du peuple, ARP, et de confisquer le pouvoir règlementaire qui
appartient au chef du gouvernement (article 94 de la constitution)
23.
20 En cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et
entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre
les mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du Chef du Gouvernement, du Président
de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le Président de la Cour
constitutionnelle. Il annonce ces mesures dans un message au peuple. Ces mesures doivent avoir
pour objectif de garantir, dans les plus brefs délais, le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs
publics. Durant cette période, l’Assemblée des représentants du peuple est considérée en état de
session permanente. Dans cette situation, le Président de la République ne peut dissoudre
l’Assemblée des représentants du peuple et il ne peut être présenté de motion de censure contre le
Gouvernement. Trente jours après l’entrée en vigueur de ces mesures, et à tout moment par la suite,
la Cour constitutionnelle peut être saisie, à la demande du Président de l’Assemblée des
représentants du peuple ou de trente de ses membres, pour statuer sur le maintien de l'état
d'exception. La Cour prononce sa décision en audience publique dans un délai n’excédant pas quinze
jours. Ces mesures prennent fin dès la cessation de leurs motifs. Le Président de la République
adresse à ce sujet un message au peuple.
21 Article 70: En cas de dissolution de l’Assemblée des représentants du peuple, le Président de la
République peut prendre, en accord avec le Chef du Gouvernement, des décrets-lois qui seront
soumis à l’approbation de l’Assemblée au cours de la session ordinaire suivante. L’Assemblée des
représentants du peuple peut, au trois-cinquième de ses membres, habiliter par une loi, le Chef du
Gouvernement, pour une période ne dépassant pas deux mois et, en vue d’un objectif déterminé, à
prendre des décrets-lois, dans le domaine relevant de la loi. À l’expiration de cette période, ces
décrets-lois sont soumis à l’approbation de l’Assemblée. Le régime électoral est excepté du domaine
des décrets-lois.
22 Bien qu’il soit élu au suffrage universel direct et secret…, comme l’assemblée des représentants du
peuple, ARP, le président de la république n’exerce que très peu de compétences. En effet, il revient
au chef du gouvernement, investit par le législatif, de monopoliser le pouvoir réglementaire général et
de constituer la clé de voute de l’administration. En fait, cela est dû entre autres aux choix de
l’assemblée nationale constituante, ANC, en optant pour un régime parlementaire (ou semi
parlementaire), vu les dérives du régime présidentiel (et présidentialiste notamment avec Ben Ali, le
président déchu), adopté depuis l’indépendance avec la constitution du 1 juin 1959.
23 Le Chef du Gouvernement exerce le pouvoir réglementaire général; il prend les décrets à caractère
individuel qu’il signe après délibération du Conseil des ministres.
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Devant la multiplication des contaminations (notamment verticales)24, le
président de la république a adopté un nouveau décret (n°2020-28 du 22 mars
2020), renforçant ainsi les mesures déjà prises. Il s’agit de l’interdiction de la
circulation des personnes et des véhicules et les rassemblements de plus de trois
personnes dans les voies et les places publiques, et ce en dehors des horaires du
couvre-feu déjà décrété depuis le 18 mars 2020 et appliqué entre 18h00 et 06h00.
Ce décret prévoit également que seuls les besoins essentiels et les urgences
médicales sont exemptés de cette mesure. Ainsi la Tunisie est bel et bien dans le
confinement général.
Il faut souligner que dans le cadre des mesures prises par le président de la
république, un décret gouvernemental a été adopté le 22 mars 2020
25, en vue
d’expliciter davantage les règles permettant à certaines catégories de circuler pour
des nécessités (ce qui a permis aux forces de la police et à l’administration
d’exercer un pouvoir discrétionnaire sans limite), et en interdisant à d’autres de
quitter leur domicile, sauf munis d’une autorisation « qu’on ne peut pas parfois
obtenir
»!
En ce qui concerne les décrets présidentiels (n° 24 et 28), à deux reprises, le
président de la république fonde ses décisions explicitement sur l’article 80 de la
constitution pour limiter les libertés fondamentales. Alors pourquoi n’a-t-il pas
continué dans cette même logique en décidant laisser plus tard cette responsabilité
au chef du gouvernement?
Certes, le recours à l’article 80 est redoutable et c’est d’ailleurs pour cette
raison qu’un juge du tribunal administratif
26 l’a qualifié d’une bombe nucléaire,
sans parler de la violation de l’article 15 de la constitution relatif au service public,
à la transparence et l’efficience.
En fait, si les conditions de l’état d’exception n’existent pas et ne sont pas
réunies alors pourquoi le président de la république en a fait référence à deux
reprises? S’il s’agit d’une légitimation du couvre-feu, la Tunisie est déjà sous ce
régime dans le cadre de l’état d’urgence! En effet, ça fait 5 ans que l’état d’urgence
est décrété (2015)
27, et ce qui devrait être un état temporaire exceptionnel est
devenu la normale! Cet état d’urgence est basé sur le décret n°78-50 du 26 janvier
1978
28, pris après la grève générale décidée par l’Union Générale Tunisienne de
24 La contamination verticale provient d’autres pays, et il s’est avéré que la plupart des cas atteints du
coronavirus sont en provenance de la Chine, l’Italie et l’Egypte.
25 Décret gouvernemental n° 2020-156 du 22 mars 2020, portant fixation des besoins essentiels et des
exigences nécessaires en vue d’assurer la continuité du fonctionnement des services vitaux, dans le
cadre de la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total.
26 Ahmad Soueb.
27 L’ex président a décrété l’état d’urgence le 4 juillet 2015 à la suite de la fusillade sur une plage de
Sousse. L’état d’urgence a été levé en octobre de la même année, mais il a été réinstauré dès le
24 novembre 2015, immédiatement après l’attentat commis contre la garde présidentielle à Tunis. Il a
été renouvelé régulièrement depuis lors, la dernière prolongation datant du 30 avril 2020.
28 Décret n° 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l'état d'urgence.
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Travail, UGTT et les émeutes qui ont eu lieu29. Rappelons aussi, qu’en 1984 au
cours des événements du pain, les pouvoirs publics ont dû recourir à l’état
d’exception.
En fait, le décret du 1978 accorde des pouvoirs très étendus au ministre de
l’intérieur
30, et il est en contradiction substantielle avec la constitution tunisienne
de 2014, notamment son article 49 aux termes duquel toute restriction des droits
humains doit être nécessaire, proportionnée et prévue par la loi. Ce même décret,
viole aussi les traités internationaux ratifiés par la Tunisie
31.
C’est pourquoi une initiative législative relative à l’état d’urgence visant à
remplacer le décret de 1978 a été soumise par l’ex président de la république, à
l’Assemblée des Représentants du Peuple en 2019, restée sans suite
.
En ce qui concerne les décrets-lois pris dans cette situation, le recours à cette
catégorie est prévu par l’article 70 de la constitution. Et à vrai dire, son activation
n’était pas facile. L’Assemblée des représentants du Peuple ou du moins certains
blocs parlementaires, se sont opposés dans une première phase à une renonciation à
leurs compétences. C’est cette situation ambigüe et grave qui est derrière les appels
lancés au président de la république lui sollicitant de s’en tenir à l’article 80 de la
constitution, au détriment de certaines questions de fond et de forme
32, et même eu
égard à cette situation que certains qualifient d’une dictature constitutionnelle
33.
Après plusieurs tractations, le 4 avril, l’ARP adopte une loi, dite loi de
d’habilitation
34, conférant au chef du gouvernement l’exercice de certaines
29 Le bilan est lourd: 52 morts et plus de 365 blessés, selon les chiffres officiels, alors que d’autres
sources évoquent plus de 200 morts et des milliers de blessés. Les représailles du gouvernement
sont rapides: plus de 500 personnes sont condamnées. L’état d’urgence et le couvre-feu sont
également maintenus durant plus d’un mois.
30 Ledit décret accorde au ministre de l’Intérieur des prérogatives exceptionnelles, incluant l’interdiction
de la circulation des personnes et des véhicules, l’assignation de personnes à résidence, l’interdiction
des rassemblements, la fermeture des magasins, le contrôle de la presse, des publications, des
émissions radio et télévisées, des représentations cinématographiques et théâtrales. Et tout cela sans
aucune autorisation légale préalable.
31 La Tunisie est presque le seul pays arabo-musulman ayant ratifié tous les traités de l’ONU portant sur
les droits de l’homme. Et la plupart des réserves formulées ont été retirées après la chute du régime
le 17 janvier 2011.
32 Pour les questions de formes, il s’agit essentiellement de l’inexistence de la Cour constitutionnelle qui
doit être saisi à la demande du Président de l’Assemblée des représentants du peuple ou de trente de
ses membres, pour statuer sur le maintien de l'état d'exception. Mais, puisque le président de la
république a quand même pris deux décrets sur la base de l’article 80, c’est-à-dire il a considéré que
cette saisine ne peut pas avoir lieu et il s’agit dans ce cas de ce qu’on appelle les procédures
impossibles…et qu’il va falloir dépasser. Pour les questions de fond, il s’agit de s’assurer des
conditions de l’état d’exception, si elles sont replies ou non. Par référence à l’article 80, il faut
constater qu’un péril imminent menaçant l'intégrité nationale, la sécurité ou l'indépendance du pays
entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics…. Peut être à ce niveau cette condition fait
défaut..., mais encore une fois, pourquoi le président de la république a fondé les deux décrets sur la
base de cet article?
33 Rafaâ Ben Achour, « Les protections et les garanties constitutionnelles des droits et des libertés en
Tunisie», Tunis, Revue tunisienne de droit, p. 66.
34 Loi n° 2020-19 du 12 avril 2020, habilitant le chef du gouvernement à prendre des décrets-lois dans
l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus (Covid-19).
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compétences législatives en vue de faire face à la pandémie. Cette loi mentionne 4
domaines
35:
- Le premier relatif aux questions financières, fiscales et sociales36,
-
Le deuxième domaine relatif aux droits et libertés,
-
Le
troisièmement domaine
les problèmes
traite
sanitaires et
environnementaux37,
- Et le quatrième domaine a trait au fonctionnement des services publics et
du secteur privé, et des garanties fondamentales des agents publics et
travailleurs…
38.
Parmi les 4 domaines susmentionnés, c’est le deuxième qui embarrasse cette
recherche puisqu’il est spécifique à la détermination des crimes, des délits, des
contraventions, des peines et des procédures devant les juridictions. Aussi, il est
question de réglementer les droits et libertés de manière adaptée aux mesures
préventives nécessaires pour faire face à la propagation et la transmission du
Coronavirus, et ce, en conformité avec les exigences de l’article 49 de la
Constitution. Et enfin, l’incrimination d’actes susceptibles de propager l’infection
par le Coronavirus, ou d’entraver les prescriptions prises pour lutter contre ce virus
et faire face à ses répercussions, et à déterminer les peines encourues pour réprimer
ces actes.
Plusieurs décrets-lois ont été adoptés en application de cette habilitation, et les
mesures qui ont pour objet les restrictions des libertés n’ont pas manqué. Dans ce
qui suit, l’analyse va porter sur l’étendu des restrictions aux libertés, notamment
leur caractère disproportionné.
Mais avant de s’attarder sur les mesures disproportionnées, il est utile de
rappeler que les décrets-lois, en tant qu’actes administratifs
39, sont soumis au
contrôle du juge administratif pour examiner leur légalité. En fait, c’est à travers ce
35 Loi n° 2020-19 du 12 avril 2020, habilitant le Chef du Gouvernement à prendre des décrets-lois dans
l’objectif de faire face aux répercussions de la propagation du Coronavirus (Covid-19) (1).
36 Comprenant les mesures visant à: - l’encadrement, l’appui et l’aide de manière directe ou indirecte
aux individus et aux entreprises affectées par les répercussions du Coronavirus, - la mobilisation, au
profit du budget de l’Etat, des ressources requises pour couvrir les charges destinées à faire face aux
répercussions du Coronavirus, - la modulation des procédures et des modalités de la couverture
sanitaire et sociale des assurés sociaux affectés par le Coronavirus.
37 …d’enseignement et culturel, comprenant les mesures visant à: - fixer les mesures d’organisation en
matière sanitaire et les matières y ayant trait, pour faire face au Coronavirus et ses répercussions, de
manière à garantir sa non-propagation, - la réorganisation de l’année scolaire et des examens, - la
protection de l’environnement
38 Comprenant les mesures visant à: - la prescription de mesures réglementant le fonctionnement des
services publics et du secteur privé, de manière adaptée aux exigences nécessaires pour faire face
au Coronavirus, - la prescription de mesures relatives aux règles régissant les obligations incombant
aux agents publics et aux employés régis par le Code du travail, - la prescription de mesures
dérogatoires et spécifiques aux marchés publics, adaptées aux exigences nécessaires pour faire face
au Coronavirus.
39 Avant leur adoption pat l’assemblée des représentants du peuple, les décrets-lois, sont considérés
comme des actes administratifs et donc soumis au contrôle du juge administratif, mais une fois
adoptés, ils prennent leur place dans l’ordonnancement juridique, et seront intégrés soit dans les lois
ordinaires ou les lois organiques.
49












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Revue europénnee du droit social
contrôle, suite à un recours pour excès de pouvoir, que les libertés sont protégées,
car le juge administratif va s’assurer que ces mesures ne violent pas les lois, les
la
règlements ainsi que
constitution
41. Toutefois, vu que le fonctionnement des tribunaux est limité aux cas
d’urgences, il est possible de s’attaquer aux décrets-lois en demandant au juge un
sursis à exécution
42.
les principes généraux du droit40, voire même
1.2. Des restrictions aux libertés disproportionnées
La faiblesse qui entoure certaines mesures consacrées par les décrets,
proviennent de la complexité de cette situation inédite, mais aussi d’un
positionnement parfois surprenant du chef du gouvernement. A titre d’illustration,
la circulaire que le chef du gouvernement a adressée le 25 mars aux maires,
gouverneurs et directeurs d’établissements publics en dit long. Puisqu’il leur
demande de se conformer aux instructions de l'autorité de tutelle et exigeant de
l’autorité locale qu’elle obtienne l’autorisation préalable de l’autorité centrale avant
l’adoption de toutes décisions en rapport avec la crise sanitaire
43.
En fait, les collectivités locales ont vite réagi par rapport au contexte sanitaire
provoqué par la covid-19. Ce faisant, elles ont procédé à l’interdiction des chichas
dans les cafés et en préconisant l’usage de gobelets en plastique au lieu des tasses
et verres que tous les clients s’en servent avec les risques que cela provoque en
temps de propagation de l’épidémie.
Parallèlement, plusieurs campagnes de sensibilisations ont été assurées en
faveur du citoyen local. Il faut dire que les collectivités locales, profitant de leur
nouveau statut constitutionnel en tant que pouvoir local ainsi que les pouvoirs
étendus que le code des collectivités locales leur procurent (entre autres le principe
de la libre administration), ont pris plusieurs initiatives notables avant même que le
pouvoir central réagisse.
40 Article 5 de la loi 1972 du tribunal administratif, « Le recours pour excès de pouvoir vise à assurer
conformément aux lois et réglementa en vigueur et aux principes généraux du droit le respect de la
légalité par les autorités exécutives ».
41 A plusieurs reprises, en vue de protéger les libertés, les juridictions administratives vérifient la
conformité des actes administratifs par rapport à la constitution, faisant fi de la théorie de la loi écran
qui interdit aux juges administratifs de vérifier la constitutionnalité des actes juridiques, comme le
prévoit à juste titre les dispositions de l’article 5, susmentionnées. Plus est, pendant la période de
transition, le juge administratif, dans le cadre d’un recours par voie d’exception, il s’est autorisé
d’examiner la constitutionnalité des lois, même après l’abrogation de la constitution de 1959 et avant
l’adoption de la constitution de 2014, en puisant de la notion des normes supra constitutionnelles.
42 Article 39 loi relative au tribunal administratif, « Le recours pour excès de pouvoir n’a pas d’effet
suspensif. Toutefois, le premier président peut ordonner le sursis à exécution jusqu’à l’expiration des
délais de recours ou jusqu’à la date du prononcé du jugement, et ce, lorsque la demande du sursis
repose sur des motifs apparemment sérieux et que l'exécution de la décision objet du recours est de
nature à entraîner, pour le requérant des conséquences difficilement réversibles ».
43 Afef Hammami Marrakchi: « Pouvoir local et sanctions administratives? », ledears, 12/04/2020.
https://www.leaders.com.tn/article/23970-
50
















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European Journal of Social Law
En effet, avec les compétences reconnues aux collectivités locales44, il est
surprenant que le chef du gouvernement évoque l’autorisation préalable et la
soumission à l’autorité de tutelle, pourtant la constitution de 2014 n’a consacré que
le contrôle
a posteriori... En fait, cette réaction du chef du gouvernement nous
replace dans la constitution de 1959 avec le système des autorisations ainsi que le
contrôle
a priori exercé par l’administration centrale ainsi que l’administration
déconcentrée, c’est dire que tout le processus de la décentralisation a disparu d’un
seul coup
45!
Ces indices aident à comprendre l’état d’esprit ainsi que la position du chef du
gouvernement, le premier responsable de l’administration à qui incombe
principalement la gestion complexe de cette crise sanitaire!
Le premier train de mesure a démarré deux jours après la loi d’habilitation,
c’est-à-dire, le 14 avril 2020. Cinq décrets-lois ont été adoptés par le Chef du
gouvernement.
Dans ce qui suit on traite uniquement des décrets-lois ayant provoqué quelques
rebondissements. Par conséquent, on écarte le premier46, le deuxième47 et le
quatrième décret-loi
48 du champ de l’analyse et on focalise sur le troisième et le
cinquième décret-loi.
- Le décret-loi, n°349, est venu décider
indemnités
exceptionnelles et provisoires de 200 dinars par mois, au titre des périodes
d’interruption provisoire de travail indépendant.
l’octroi des
Mais, cette somme de 200 dinars, permet-elle de garantir le droit de dignité, le
droit à la santé, le droit de nourriture, voire même le droit à la vie…?
-
Pour le décret n°550, il stipule la soumission des salariés du secteur privé
et public et pensionnés de nationalité tunisienne à une contribution au profit du
44 " chaque collectivité locale gère les intérêts locaux par application du principe de la libre
administration conformément aux dispositions de la constitution et de la loi sous réserve du respect
des exigences de l'unité de l'Etat" et l’article 25 du même Code qui dispose que « la collectivité locale
dispose d'un pouvoir réglementaire qu'elle exerce dans les limites de son champ territorial et de ses
compétences, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires à portée nationale".
45 Afef Hammami Marrakchi, op. cit.
46 Décret-loi du Chef du Gouvernement n° 2020-1. Edition électronique du Journal officiel de la
République tunisienne et fixation de la date d’entrée en vigueur des textes juridiques. Journal Officiel
de la République Tunisienne, n°32 du 14 avril 2020.
47 Décret-loi n°2020-2. Suspension exceptionnelle et provisoire de certaines dispositions du Code du
travail. Journal Officiel de la République Tunisienne, n°32 du 14 avril 2020.
48 Décret-loi n°2020-4. Mesures
(ou actions) sociales exceptionnelles et provisoires pour
l’accompagnement des entreprises et la protection de leurs salariés lésés par les répercussions de la
mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la propagation du
Covid-19. Journal Officiel de la République Tunisienne, n°32 du 14 avril 2020.
49 Décret-loi n°2020-3. Détermination de mesures sociales exceptionnelles et provisoires pour
l’accompagnement de certaines catégories de travailleurs indépendants lésés par les répercussions
engendrées par la mise en œuvre des mesures de mise en confinement total pour la prévention de la
propagation du Covid-19. Journal Officiel de la République Tunisienne, n°32 du 14 avril 2020.
50 Décret-loi n°2020-5. Retenue d’un jour de travail au titre de l’année 2020 au profit du budget de l’Etat.
Journal Officiel de la République Tunisienne, n°32 du 14 avril 2020.
51












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Revue europénnee du droit social
budget de l’Etat. Cette contribution est fixée à une rémunération, un salaire ou une
pension d’un jour retenue au titre du mois d’avril 2020.
Il s’est avéré par la suite que cette retenue n’a pas respecté ce qui a été décidé
avec
l’Union Générale Tunisienne de Travail, UGTT, (la partie initiatrice), car le
calcul été fait par rapport au revenu annuel et non pas par rapport au salaire. De ce
fait, cette retenue a dépassé un jour de travail et a atteint parfois 2 jours de travail
pour quelques catégories. C’est pourquoi, l’UGTT a condamné ce qu’elle a qualifié
de manœuvre mal saine et disproportionnée
, « Le secrétaire général adjoint de
l’
UGTT, a accusé le gouvernement d’avoir abusé de la proposition du syndicat de
faire don d’une journée de salaire, au profit du fond de financement de la lutte
contre la Covid19. Il a assuré que le gouvernement a escroqué les citoyens en
prélevant les sommes qu’il a calculées sur la base du revenu brut annuel ajouté
aux différentes primes. Et ce sans même se concerter avec l’UGTT qui était à
l’origine de l’initiative du don. Ce qui a abouti au prélèvement de plus de deux
journées de travail, dans certains cas »51.
Notons qu’une demande de sursis à exécution contre le décret-loi prévoyant
une retenue d’un jour de travail a été soumise au tribunal administratif.
Encore une fois, cette méthode, sans porter un jugement de valeur, ne
contribue pas à construire cet élan de solidarité plus que jamais sollicité en temps
de crise épidémiologique, si elle ne constitue pas un facteur supplémentaire du
déficit de confiance entre gouvernant et gouverné en Tunisie post révolution. Et là
on est autorisé à poser la question en termes de savoir faire et de compétence. Et en
termes de droit
stricto sensu, c’est la question de la transparence qui est menacée,
et pourtant érigé en tant que norme à valeur constitutionnelle
52.
Le deuxième train de mesure a été lancé le 18 avril, il s’agit de 6 décrets-lois.
On traite ici uniquement le décret-loi n°9
53, les décrets-lois, n°654, 755, 856, 1057 et
51 Tunisie Numérique, « Tunisie – UGTT: Le gouvernement a prélevé jusqu’à deux jours de salaire ».
https://www.tunisienumerique.com/tunisie-ugtt-le-gouvernement-a-preleve-jusqua-deux-jours-de-
salaire/
52 Article 15 de la constitution, « L’Administration publique est au service du citoyen et de l’intérêt
général. Elle est organisée et agit conformément aux principes de neutralité, d’égalité et de continuité
du service public, et conformément aux règles de transparence, d’intégrité, d’efficience et de
redevabilité»
53 Décret-loi n°2020-9. Sanction des violations du couvre-feu et du confinement general Mesures
destinées aux personnes infectées ou suspectées d’être infectées par le Codiv-19. Journal Officiel de
la République Tunisienne, n°33 du 14 avril 2020.
54 Décret-loi n°2020-6. Mesures fiscales et financières pour atténuer les répercussions de la
propagation du Covid-19. Journal Officiel de la République Tunisienne, n°33 du 14 avril 2020.
55 Décret-loi n°2020-7. Mise en place des dispositions exceptionnelles concernant les agents de la
fonction publique et le fonctionnement des institutions et des établissements publics, ainsi que des
services administratifs. Journal Officiel de la République Tunisienne, n°33 du 14 avril 2020.
56 Décret-loi n°2020-8. Suspension des procédures et des délais. Journal Officiel de la République
Tunisienne, n°33 du 14 avril 2020.
57 Décret-loi n°2020-10. Fixation de dispositions particulières pour la sanction des infractions concernant
le dépassement des règles de la concurrence et des prix. Journal Officiel de la République
Tunisienne, n°33 du 14 avril 2020.
52













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European Journal of Social Law
1158, vont être écartés bien que certains d’entre eux aient fait l’objet de certaines
critiques.
Le décret-loi n°6 a institué des sanctions contre les contrevenants des règles de
confinement et du couvre-feu, «
Les personnes ne respectant pas les règles de
confinement et de couvre-feu sont passibles d’une amende de 50 dinars, doublée en
cas de récidive .Les personnes infectées ou suspectées d’être infectées par le
Codiv-19 ne respectant pas les règles de confinement sont passibles d’une amende
allant de 1.000 à 5.000 dinars
». En fait, ce décret-loi doit être lu et compris en
connexion avec les décrets présidentiels susmentionnés, notamment le décret
n°2020-28 du 22 mars 2020
59 qui tout en interdisant la circulation pendant le
confinement, n’a pas prévu des sanctions.
En fait, les sanctions plus haut, s’ajoutent à celles prévues par loi n °92-71 de
1992 relatives aux maladies transmissibles, prévoyant une peine d’un à trois ans de
détention, pour «
quiconque concourt délibérément par son comportement à la
transmission de la maladie dont il est atteint à d’autres personnes ». La même loi
stipule « qu’aucune personne hospitalisée d’office ne peut quitter de son propre
chef l’établissement où elle a été admise, même pour la plus courte durée
», le cas
échéant, elle s’expose à une peine d’un à six mois d’emprisonnement. A noter que
dans les deux cas de figure, la loi prévoit que les sanctions sont purgées en «
milieu
hospitalier approprié
».
Il faut dire que les sanctions, notamment privatives de libertés, est le moins
que l’on puise dire sont assez lourdes et dis proportionnées par rapport à ce
contexte et traduisent aussi un état de panique auprès des décideurs, justifié par la
propagation spectaculaire du covid-19 en France, en Italie, en Espagne,… C’est
pourquoi d’ailleurs, à maintes fois cette situation a été comparée à l’état de guerre
et les malades de coronavirus à des terroristes.
De surcroît, constatant des dépassements exercés par la police de confinement,
l’Organisation contre la Torture en Tunisie (OCTT) a relevé, dans un communiqué,
que la répression des contrevenants au confinement est inadmissible. Et «
certains
membres des forces de sécurité ont fait usage de violences verbales et physiques
sans justification
»60. De même, « la saisie des permis de conduire, des cartes
grises et la confiscation des véhicules. Alors que le Code tunisien de la route
stipule que le retrait du permis de conduire n’est saisi que dans des cas
spécifiques, ne comprenant pas le viol du confinement
»61. Par conséquent, l’OCTT
58 Décret-loi n°2020-11. Révision des impôts et des taxes imposées sur les produits de protection
individuelle et leurs intrants, afin de prévenir la propagation du Codiv-19. Journal Officiel de la
République Tunisienne, n°33 du 14 avril 2020.
59 « … l’interdiction de la circulation des personnes et des véhicules et les rassemblements de plus de
trois personnes dans les voies et les places publiques, et ce en dehors des horaires du couvre-feu
déjà décrété depuis le 18 mars 2020 et appliqué entre 18h00 et 06h00. Ce décret prévoit également
que seuls les besoins essentiels et les urgences médicales sont exemptés de cette mesure ».
60 Mohamed Yassine Jelassi, « Covid-19 en Tunisie: Abus de pouvoir et arbitraire policier », 23 avril, 2020,
Presse Nawaat (fondé en 2004 par des opposants en exil au régime de Zine el-Abidine Ben Ali).
61 Ibid
53












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Revue europénnee du droit social
a recommandé, dans le même communiqué, d’accélérer la codification des
violations du confinement, pour qu’elles ne soient plus évaluées au gré des
interprétations
62.
Après avoir relaté ces éléments inquiétants dans une démocratie qui se veut
émergente, on va tenter de souligner le rôle notable assumé par la société civile
dans cette crise sanitaire, ainsi que les défaillances des mécanismes de contrôle des
droits de l’homme, notamment le pouvoir juridictionnel, en tant que garant des
libertés.
Partie II: Société civile et pouvoir juridictionnel
Devant l’incapacité de l’Etat en matière de soutien que ce soit aux tunisiens
démunis, les nécessiteux ou encore vis-à-vis des étrangers vivant sur le territoire
tunisien, on souligne le rôle de la société civile
(1), et les défaillances des services
de la justice à qui incombe la protection des droits de l’homme (2).
On se contente de traiter les services de la justice vu leurs sensibilités d’un
coté, et vu que les autres garanties des droits de l’homme n’ont pas encore vu le
jour, notamment, la Cour constitutionnelle, l’instance des droits de l’homme,
l’instance du développement durable et des générations futures.
2.1. La société civile acteur d’avant-garde
Devant l’état d’exception, plusieurs carences ont été enregistrées, ce faisant, le
travail de la société civile a été concentré sur les catégories les plus vulnérables. Il
s’agit essentiellement des plus nécessiteux, ainsi que les étrangers (notamment
africains), livrés parfois à eux mêmes.
Les pauvres face à leur destin
-
Bien que l’Etat ait consenti une subvention de 200 dinars pour chaque famille
qui n’a plus de ressources suite à la perte d’emploi comme conséquence du
confinement imposé, il n’en demeure pas moins que cette subvention n’a pas été
généralisée faute d’une base de données fiable. Il se trouve que le ministère des
affaires sociales même s’il dispose de quelques fiches concernant les plus démunis,
ces dernières ne sont pas actualisées et non numérisées! Ceci explique en partie les
raisons pour lesquelles certains fonctionnaires ont bénéficiés de cette allocution
familiale.
Selon l’Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption, presque 4000
fonctionnaires ont bénéficié illégalement de cette subvention, ce qui constitue une
62 Le ministère public a émis 46 mandats de dépôt et déféré devant la justice 72 personnes en état de
liberté pour non-respect des règles de confinement généralisé et de couvre-feu.
54



















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European Journal of Social Law
corruption, sans parler de certains responsables régionaux qui ont trouvé cette
occasion propice pour s’adonner à la corruption
63.
Certes, dans cette cacophonie le chef du gouvernement n’est pas le seul
responsable, mais avant de prendre un décret-loi aussi sensible, il fallait penser aux
modalités de son exécution. D’ailleurs, cette initiative a provoqué des marrées
humaines devant les bureaux de postes, alors que cette mesure vise l’isolation via
le confinement par crainte de contamination de l’épidémie!
Mais, plusieurs se posent la question sur cette somme de 200 dinars par mois:
qu’est ce qu’elle peut assurer, devant la flambée des prix de nourriture. Et certains,
poussés par la misère et le sentiment de désarroi, déclarent préférer mourir du
Covid-19 plutôt que de crever de faim, «
Je veux juste donner à manger à mes
enfants, je ne vais même pas payer le loyer!
», a soutenu une femme qui explique
qu’elle est seule à les élever sans soutien
64.
Mais, la société civile avec ses moyens assez limités s’est trouvée débordée,
comme l’affirme le croissant rouge un acteur clé du tissu associatif en Tunisie:
« Notre objectif est d'atteindre 200 familles dans chacune des 24 régions du pays,
mais il y a certaines régions où plus d'un millier de familles sont dans le besoin,
cela dépasse nos capacités
», souligne-t-il.
Il faut dire que l’Etat a manqué à son devoir par cette subvention insolite, et on
imagine mal comment avec 200 dinars on peut satisfaire au droit de nourriture, les
soins voire le logement
.
En fait, ces droits font partie des droits fondamentaux65, c’est pourquoi,
d’ailleurs, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne a tenu à les
mentionner. Cette conception européenne des droits atteste que les droits ne
peuvent être catégorisés ou fragmentés, les droits constituent en effet une unité
dont la finalité est la protection de la dignité humaine.
D’ailleurs, au niveau du droit tunisien, la constitution de 1959 a pris le soin de
déclarer explicitement à travers son article 5 que les droits de l’homme sont conçus
dans leur globalité et interdépendance, alors que la constitution de 2014 a passé la
question sous silence, bien qu’elle postule à travers l’article 146 que «
les
dispositions de la présente Constitution sont comprises et interprétées les unes par
rapport aux autres, comme une unité cohérente
», mais cela donne à des
interprétations diverses faute d’une mention explicite relative aux droits de
l’homme.
63 Ahmad Nemlaghi, « Le temps n’est plus aux états d’âmes…, chronique juridique, pouvoir
exceptionnel en situation de crise », Tunis, le Temps du 29 avril, 2020.
64 Myriam Ben Zineb, « Quand le peuple a faim, sa colère finit par éclater! », Tunis, Business News, 1
https://www.businessnews.com.tn/quand-le-peuple-a-faim-sa-colere-finit-par-
mai,
eclater,519,96946,3
2020.
65 En revanche, une certaine doctrine autorisée refuse catégoriquement la notion de droit fondamental,
dans la mesure où ce positionnement débouche sur une hiérarchie au niveau des droits de l’homme,
au moment où, de plus en plus, on se rend compte que la plupart des droits sont en corrélation et
interagissent l’un sur l’autre, d’où la naissance de l’unité des droits, notion spectaculairement en
vogue. Jean Rivero, op.cit.
55












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Revue europénnee du droit social
Face à cette situation, plusieurs associations sont venues apporter leur soutien
sous forme d’aide de denrées alimentaires et médicaments. Il faut dire qu’elles ont
pris un risque dans ce contexte de contagion de l’épidémie, qualifiée souvent par
les autorités tunisienne de l’état de guerre. Pourtant, l’état de guerre, comme ça été
signalé impose des engagements en matière de droits de l’homme et de droit
humanitaire, à travers les conventions de Genève
66.
La société civile un soutien déterminant en faveur des étrangers
-
La Tunisie a ratifié les conventions internationales qui lui imposent de soutenir les
étrangers vivant sur le territoire tunisien, notamment dans des situations particulières.
En ce sens, le pacte des droits civils et politiques de 1969, mentionne dans son article
4 que «
Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation
et est proclamé par un acte officiel, les Etats parties au présent pacte peuvent prendre,
dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations
prévues dans le présent pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas
incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et
qu'elles n'entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur,
le sexe, la langue, la religion ou l'origine sociale
».
Mis à part les étudiants ainsi que les travailleurs, plusieurs demandeurs
d’asiles vivent en Tunisie. Parmi eux, un pourcentage de refugiés. La Tunisie est
partie à la convention de Genève de 1951 relative aux réfugiés (depuis 1957) et son
protocole additionnel (1968). Par conséquent, des engagements pèsent sur la
Tunisie pour assister les refugiés et les demandeurs d’asile. La constitution
tunisienne de 2014, profitant de cette dynamique humaniste et juridique a
constitutionnalisé le droit d’asile (article 26)
67.
66 C’est ainsi que l’article 3, commun aux 4 des conventions de Genève dispose qu’en: en cas de conflit armé
ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties
contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes:
1- Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces
armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie,
blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances, traitées avec
humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion
ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.
A cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes
mentionnées ci-dessus:
a- Les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes,
les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices;
b- Les prises d’otages;
c- Les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants;
d- Les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par
un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables
par les peuples civilisés.
2- Les blessés et malades seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le
Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit. Les Parties au
conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur par voie d’accords spéciaux tout ou partie des
autres dispositions de la présente Convention
67 Article 26 « Le droit d’asile politique est garanti conformément à ce qui est prévu par la loi; il est
interdit d’extrader les personnes qui bénéficient de l’asile politique ».
56













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European Journal of Social Law
Aussi, au niveau de la constitution de 2014, il est fait mention dans le
préambule que la Tunisie s’attache aux valeurs humaines, en «
Considérant le
statut de l’Homme en tant qu’être doué de dignité et en vue de consolider notre
appartenance culturelle et civilisationelle
… ». Dans un autre considérant, il est
mentionné que la Tunisie s’inscrit dans les approches universelles, «
Exprimant
l’attachement de notre peuple aux enseignements de l’Islam et à ses finalités
caractérisés par l’ouverture et la tolérance, ainsi qu’aux valeurs humaines et aux
principes universels et supérieurs des droits de l’Homme
».
Cet arsenal juridique n’a pas pour autant était suffisant pour que les autorités
tunisiennes décident de venir en aide des travailleurs et des étudiants étrangers
(principalement africains), livrés à eux même sans logement (ou logement
surpeuplé et insalubre…), sans abri, et bien entendu sans ressources après la
décision du confinement général en
tant que mesure préventive et
obligatoire…Comme l’explique le chargé de la communication du Forum tunisien
pour les droits économiques et sociaux (FTDES), « le gouvernement n’a pas pris
de mesures en direction de ces populations vulnérables et démunies. Les réfugiés et
les demandeurs d’asile sont normalement pris en charge par le Haut Commissariat
des Nations unies pour
les organisations
internationales ne mènent pas d’actions globales les concernant. À Tunis, des
groupes citoyens et des bénévoles ont pris la relève pour leur fournir de la
nourriture. Ailleurs, la panique s’installe faute de prévention»
68.
les réfugiés (UNHCR) mais
Face à cette indifférence, la voie de la société civile a été forte et déterminante
et sur les pages facebooks les critiques et les dénonciations (notamment des
intellectuels et associations et syndicats…), vis-à-vis de cette attitude ont obligé le
gouvernement à réagir. Finalement, «
les ministres de l’Intérieur, des Affaires
Sociales et des droits de
instances
constitutionnelles et la société civile, ont lors d’une réunion le 7 avril pris des
mesures positives en faveur des étrangers résidents en Tunisie. Les dates de fin de
visas et les implications financières sont suspendues, il a été décidé que des aides
financières et en nature seront spécifiquement octroyées et les bailleurs ont
formellement été invités à reporter les loyers des mois de mars et avril 2020...
»69.
l’Homme et des relations avec
les
L’Union Nationale de la Femme Tunisienne a aménagé ses locaux pour
héberger les migrants africains, notamment les étudiants. Cet effort a été soutenu
en termes de nourriture et de soins par la Commune de Tunis, l’Institut Arabe des
droits de l’Homme ainsi que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les
refugiés.
D’ailleurs, certaines collectivités locales, notamment celles qui connaissent
une concentration des étrangers, c’est-à-dire dans les grandes villes (Tunis, Sfax,
68 Frida Dahmani , « En Tunisie, les migrants subsahariens démunis face à la pandémie de
coronavirus », jeune Afrique, 24 mars 2020.
69 Mondafrique, « Le droit des migrants à ne pas mourir du coronavirus », 16 avril, 2020.
https://mondafrique.com/le-droit-des-migrants-a-ne-pas-mourir-du-coronavirus/
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Sousse…), avaient réagi positivement à leurs tours suite aux appels lancés par la
société civile.
Mais, cela ne doit pas occulter une quasi absence des instances officielles à qui
incombent la défense des droits et des libertés dans cette crise, notamment le
pouvoir juridictionnel et derrière lui les services de la justice.
En d’autres termes, que faire, quand on a faim, ou quand on n’a pas de
médicaments et on ne doit pas quitter la maison pour s’en tenir aux règles de
confinement! Et que toute sortie non
« justifiée » provoque des sanctions, même
privatives de libertés! D’ailleurs, quelques jours après le confinement total le porte-
parole du ministère de l’Intérieur a indiqué «
qu’à peu prés 1973 personnes ont été
placées en garde à vue pour le non respect du couvre-feu actuellement en rigueur
(à partir de 18h). On compte, d’un autre côté, 600 personnes placées en garde à
vue pour le non respect du confinement, plus de 60 000 permis de conduire et de
cartes grises retirés et 1163 véhicules saisis sanctions appliquées à ceux qui n’ont
pas présenté de documents juridiquement pertinents pour pouvoir circuler durant
le confinement et le couvre-feu
»70.
Aussi, quand votre véhicule est saisi, parfois sans raison, et que vous êtes
malade, à qui on s’adresse? D’autant plus que les forces de police exercent des
pouvoirs sans limites en l’absence d’un contrôle hiérarchique et juridictionnel!
Certains pensent que la police est entrain de se « venger » de la population par
réaction aux événements post-révolution, où des réactions vives ont été adressées
contre la police qui était la main de la dictature, «
les policiers et les militaires sont
partout, et le pouvoir donné aux forces de sécurité et aux forces armées pourrait
facilement augmenter par mandat populaire. Les partisans de l’État policier qui
s’est effondré en 2011 tentent depuis de le rétablir, et la pandémie leur offre une
nouvelle occasion de tirer parti des niveaux élevés d’inquiétude, qui sont ressentis
encore plus largement par le public
»71.
En fait, cette situation anormale et critique, notamment pour certaines
fonctionner,
justice garante des
libertés doit
la
catégories, exige que
malheureusement, ça n’a pas été le cas.
2.2. Pouvoir juridictionnel en porte-à-faux
De prime abord, il faut souligner que le travail des tribunaux (administratifs,
judicaires et financiers), a été interrompu par les mesures prises dans le cadre de la
prévention du coronavirus. Ainsi, le ministère de la justice a limité l’accueil des
justiciables aux seuls cas justifiant des affaires urgentes.
De son coté, pour appuyer les mesures prises par le ministère de la justice, le
Conseil Supérieur de la Magistrature (ainsi que le conseils de l’ordre judicaire,
70 Lilia Blaise, « Coronavirus: en Tunisie, les autorités confrontées à la défiance des habitants », Le
Monde du 12 mars 2020.
Le
71
Coronavirus:
libertés!,
https://africanmanager.com/coronavirus-le-confinement-ennemi-des-libertes/
confinement,
ennemi
des
24
avril
2020.
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administratif et financier), a décidé de suspendre toutes les audiences sauf quelques
unes, celles qui présentent un caractère d’urgence.
Comme on va le souligner, cette restriction de ce service public relatif à la
justice n’est pas tout à fait justifiée dans une situation où les libertés sont
menacées, d’autant plus le pouvoir juridictionnel constitue le premier rempart
contre l’arbitraire et il est le garant des droits et des libertés au terme des articles 49
et 102 de la constitution
72. Même en cas de conflit armé, ce droit est protégé. En
effet, le droit international humanitaire, via l’article 3 commun aux 4 Conventions
de Genève de 1949, évoque le droit de passer devant un juge avant la
condamnation (droit de la défense et au procès équitable), ainsi que certains
éléments spécifiques aux conflits armés
73.
Dans une décision importante le Conseil Constitutionnel (France, 2015), a
réappelé à travers une question prioritaire de constitutionnalité, « QPC », que le
droit à un recours juridictionnel est un droit fondamental puisque consacré par le
Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (QPC numéro 2014-455
QPC du 6 mars 2015).
Or, devant la fermeture des tribunaux, personne ne peut s’y rendre, ni avocat,
ni justiciable, ni même les juges. Plusieurs parties considèrent que c’est alors le
droit de recours à la justice qui est bafoué, pourtant considéré comme faisant partie
du noyau dur des droits de l’homme, et consacré par la constitution de 2014 (article
108)
74. Cette situation ambiguë explique le communiqué adopté par l’ordre des
avocats (le 29 avril 2020), dénonçant une sorte de déni de justice et invite le
Conseil supérieur de la magistrature à revoir ces mesures qualifiées d’arbitraires et
unilatérales.
Notons de passage l’existence d’un bras de fer entre le Conseil supérieur de la
magistrature et le ministère de la justice. En ce sens, ce dernier a refusé
catégoriquement la décision prise par le gouvernement et particulièrement celle du
ministère de tutelle pour une reprise graduée du travail dans les tribunaux à partir
du 4 mais 2020, date du passage du confinement total au confinement ciblé
(partiel).
Par ailleurs, on a constaté que pendant la période de confinement général la
violence contre la femme s’est multipliée d’une manière remarquable et
inquiétante. Les femmes victimes des violences n’ont aucun recours surtout que
les portes des tribunaux sont verrouillées. Le déplacement n’était non plus
72 Article 102: La magistrature est un pouvoir indépendant, qui garantit l’instauration de la justice, la
suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés.
73 Notamment ceux relatifs aux blessés, aux malades, aux civils, aux enfants, à la femme,
l’environnement, les ressources naturelles (notamment l’eau), les cites archéologiques, l’interdiction
de l’emploi de certaines armes non conventionnelles, …
74 Toute personne a droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable. Les justiciables sont
égaux devant la justice. Le droit d’ester en justice et le droit de défense sont garantis. La loi facilite
l’accès à la justice et assure l’aide judiciaire aux personnes démunies. Elle garantit le double degré de
juridiction. Les audiences des tribunaux sont publiques, sauf si la loi prévoit l’huis clos. Le prononcé
du jugement ne peut avoir lieu qu’en séance publique.
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évident, faute du transport en commun (à son tour en confinement) et doit être
justifié! Et toute sortie sans autorisation, même parfois en cas de nécessité, vous
expose à des interpellations par la police qui applique les règles du confinement
sans scrupule.
En fait, c’est plus qu’un vide juridique, bien que, juridiquement, cette situation
soit soumise aux dispositions de l’article 2 du décret gouvernemental du 22 mars
75
«
…le ministre des Affaires sociales et le ministre d’Etat auprès du Chef du
gouvernement chargé de la fonction publique, de la gouvernance et de la lutte
contre la corruption, fixent par décisions, chacun dans le cadre de ses
compétences, les mesures relatives aux autorisations précitées pour tous les
secteurs. Les décisions et les communiqués y afférents, sont publiés sur le site
électronique de la Présidence du gouvernement ou du ministère de la Santé, et par
les moyens de communication disponibles. Les décisions et les communiqués y
afférents, fixent les services vitaux de chaque secteur, en coordination avec les
ministères intéressés ».
Cette situation drastique a poussé la société civile76 à lancer un appel (le 20
avril 2020), au Conseil Supérieur de la Magistrature pour trouver une solution
d’urgence, notamment vis-à-vis des femmes battues. Pour sa part, la ministre de la
femme a lancé un numéro vert et un service d’accueil psychologique après avoir
reconnu le chiffre énorme des femmes victimes de la violence ainsi que leurs
enfants mineurs et maltraités.
La restriction des services de la justice aux seules affaires présentant un
caractère d’urgence va être analysée sur quelques cas qui on fait polémique au
niveau de la justice judiciaire et administrative.
Au niveau de la justice judiciaire, le fonctionnement a été réduit aux seuls cas
d’urgences, il s’agit d’une forme de justice exceptionnelle et limitée puisque la
notion d’urgence est soumise au pouvoir souverain et discrétionnaire du juge. Le
requérant ne peut que présenter sa requête pour tenter de convaincre le juge de sa
bonne cause.
En ce qui concerne les affaires qui ont fait polémiques au niveau des tribunaux
de l’ordre judicaire, on note la saisine en urgence du tribunal de première instance
de Tunis pour interdire la diffusion d’un feuilleton au moi de Ramadan, traitant des
aspects du mouvement de libération national.
Le 22 avril, le Tribunal de 1ère instance de Tunis a décidé d’interdire à la
télévision nationale de diffuser le feuilleton « Qalb Eddhib » (Cœur de loup). Mais
le 27 avril, la Cour d’appel de Tunis a prononcé le verdict final en faveur des
75 Décret gouvernemental n° 2020/156 du 22 mars 2020, portant fixation des besoins essentiels et des
exigences nécessaires en vue d’assurer la continuité du fonctionnement des services vitaux, dans le
cadre de la mise en œuvre de mise en confinement total.
76 Dont la Ligue des droits de l’homme, la fédération internationale des droits de l’homme, association
des femmes démocrates, le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, le Forum tunisien des
droits sociaux économiques, l’Union générale tunisienne de travail, l’Ordre des avocats…
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producteurs du feuilleton « Galb Dhib » qui pourra désormais être diffusé (sur la
chaîne nationale n°1).
Ici, le juge civil a statué selon le droit, c’est-à-dire, loin des influences de
l’opinion publique qui s’est montrée plutôt hostile au feuilleton en question.
Pour la Chaine de télévision qui a obtenu gain de cause, ce jugement ne fait
que consacrer un principe constitutionnel, qui fait partie de droit d’expression,
d’opinion ainsi que des doits culturels.

Au niveau de la justice administrative, cette dernière fonctionne uniquement
pour les cas ayant un caractère urgent, comme pour la justice judicaire.
On note dans ce cadre que le tribunal administratif a été saisi par une demande
de sursis à exécution
77, tendant de suspendre la décision du ministre de la culture
autorisant le tournage d’un feuilleton ramadanesque
78. Dans sa requête, le
requérant puisant de l’état de confinement décrété, soulève que cette autorisation
viole le principe d’égalité puisque toutes les activités ont été interrompues, sans
parler des risques que provoque le tournage…
Rappelant que la décision du ministre de la culture a été vivement attaquée par
la Chambre syndicale nationale des médias privés, ainsi que par la Haute autorité
indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA) le gendarme de
l’audiovisuel en Tunisie. Ces derniers y voyant une prise de risque non justifiée
pendant la période de confinement général…
Toutefois, aux yeux de certains, le tournage est un droit protégé au niveau de
la constitution, et au niveau du droit international par le pacte international des
droits sociaux économiques et culturels puisqu’il porte sur un droit culturel d’une
part, et d’autre part, l’équipe de tournage a pris toutes les précautions sanitaires.
Le 13 avril, en attendant de statuer sur le fond, le tribunal administratif a
décidé
79 de reporter l’exécution de la décision de la ministre des Affaires
culturelles (affaire n° 4105249), autorisant la reprise du tournage des
feuilletons ramadanesques.
Le juge a estimé que cette autorisation du ministre
viole le décret présidentiel n° 28 du 22 mars 2020, imposant un couvre feu
général et interdisant la circulation…, sauf exceptions…, et viole aussi le décret
gouvernemental n°156 du 22 mars 2020 pris dans le même cadre, c’est-à-dire,
la prévention contre la covid-19.
Mais en dehors de ces affaires « urgentes », à qui le citoyen doit s’adresser???
77 La demande de sursis à exécution est introduite par une requête indépendante de la requête
principale et doit être signée, soit par le requérant ou un avocat à la cour de cassation ou à la cour
d’appel, soit par un mandataire muni d’un pouvoir dûment légalisé. L’instruction des dossiers de sursis
à exécution se fait selon la procédure d’urgence et dans de brefs délais. L’absence de réponse, de la
part des parties dans les délais qui leur sont prescrits, n’empêche pas l’examen de l’affaire.
78 En rapport avec Ramadan, le moi ramadan est pour les musulmans le mois saint par excellence6 car
il constitue le mois du jeûne (ou
saoum) et contient Laylat al-Qadr (la nuit du Destin)7. Le jeûne du
mois de Ramadan constitue l'un des cinq piliers de l'islam.
79 Rappelant qu’en matière de sursis à exécution le président du tribunal siège seul, c’est-à-dire juge
unique.
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Conclusion
Réduire les libertés fondamentales, en temps de propagation d’une pandémie
aussi grave et inédite que « covid-19 », s’inscrit dans le cadre de la protection de la
santé publique qui incombe à l’Etat et à certains établissements publics en premier
chef. Toutefois,
sans nier certaines décisions louables sur le plan préventif et
dissuasif prises dans le cadre de cette crise sanitaire, il est inconcevable que
certaines mesures ne soient pas suffisamment étudiées et objectives, vu les
conséquences fâcheuses qui se répercutent sur la population sollicitée plus que
jamais à être compréhensive (pour s’en tenir aux règles de confinement), et
solidaire (notamment sur le plan matériel).
Au niveau du droit lato sensu, il est regrettable que les mesures prises ne
puissent pas être soumises au contrôle du juge administratif, garant des droits et des
libertés, vu que ce service a été à son tour confiné et réduit aux cas d’urgences!
Certaines restrictions excessives et disproportionnées des libertés traduisent
que le recours aux méthodes arbitraires et bureaucratiques n’a pas disparu, ce qui
confirme d’ailleurs que la transition démocratique en Tunisie n’est pas achevée.
C’est pourquoi, le citoyen (à titre individuel et/ou collectif), se doit de rester
vigilant et attentif pour défendre sa dignité et sa liberté, car dans une situation de
crise, il s’est avéré que les garde-fous en matière de libertés font défaut. Dans cette
perspective, une doctrine autorisée postule en effet, que «
le respect des droits et
des libertés est avant tout question d’une culture
… »80.
80 Rafaâ Ben Achour, op. cit, p. 67.
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