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Examens par les pairs du droit et de la politique de la
concurrence de l’OCDE
TUNISIE
2022
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2
Merci de citer cet ouvrage comme suit :
OCDE (2022), Examens par les pairs du droit et de la politique de la
concurrence de l’OCDE :Tunisie
https://www.oecd.org/fr/daf/concurrence/examens-par-les-pairs-du-droit-
et-de-la-politique-de-la-concurrence-tunisie-2022.htm

Cet ouvrage est publié sous la responsabilité du Secrétaire général de l’OCDE. Les
opinions et les arguments exprimés ne reflètent pas nécessairement les vues officielles de
l’OCDE, des gouvernements de ses pays membres ou de l’Union européenne.
Ce document et toute carte qu’il peut comprendre sont sans préjudice du statut de tout
territoire, de la souveraineté s’exerçant sur ce dernier, du tracé des frontières et limites
internationales, et du nom de tout territoire, ville ou région.
© OCDE 2022
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


























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Préface
Au fil des ans, les examens par les pairs du droit et de la politique de la
concurrence menés par l'OCDE se sont révélés un outil précieux pour les pays
membres de l’OCDE ainsi que pour les pays tiers, en vue de réformer et renforcer
leurs régimes respectifs de droit et politique de la concurrence.
Un examen par les pairs se déroule en deux étapes : premièrement, un rapport
est rédigé par le Secrétariat de l'OCDE sur l'état actuel du cadre de la concurrence
du pays et ses pratiques d'application ; deuxièmement, un examen par les pairs
basé sur le rapport est effectué soit au sein du Comité de la concurrence, soit au
sein du Forum mondial sur la concurrence de l'OCDE.
Le présent examen par les pairs a été mené suite à une requête de la Tunisie et
fait partie d'un projet plus large visant à soutenir des réformes concurrentielles
dans le pays. Ce rapport de l'OCDE a servi de base à l'examen par les pairs en
présence des examinateurs principaux qui a eu lieu le 26 octobre 2021. Les
examinateurs nationaux menant ce processus étaient la Belgique (M. Jacques
Steenbergen), le Canada (M. Matthew Boswell), le Kenya (M. . Francis Kariuki) et
le Japon (Mme Reiko Aoki). La délégation représentant la Tunisie lors des
sessions d'examen par les pairs était composée par : S.E Mme Fadhila Rabhi,
Ministre du Commerce et du Développement des Exportations et M. Ridha Ben
Mahmoud, Président du Conseil de la Concurrence.
Les recommandations ont ensuite été présentées et discutées lors d'une session
virtuelle en marge du Forum mondial sur la concurrence de l'OCDE le 6 décembre
2021.
L'analyse constate que, malgré les progrès apportés par plusieurs réformes, des
améliorations sont encore possibles en vue de renforcer davantage le régime
tunisien de la concurrence, conformément aux instruments de politique de
concurrence de l'OCDE et aux bonnes pratiques internationales. Un chapitre
distinct de ce rapport comprend les recommandations spécifiques élaborées par
les examinateurs principaux et discutées lors du Forum mondial sur la
concurrence de l'OCDE.
Ce rapport a été préparé par Paulo Burnier, Said Kechida et Gaetano Lapenta,
tous de la Division de la concurrence de l'OCDE. Antonio Capobianco, Pedro Caro
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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de Sousa et Federica Maiorano, Menna Mahmoud et Cyriaque Dubois ont apporté
de précieuses contributions. Erica Agostinho, Sofia Pavlidou et Angélique Servin
ont apporté leur aide et soutien à la publication finale du rapport.
Le processus d'examen par les pairs a été largement soutenu par Mme Fathia
Hammed et M. Mohamed Cheikhrouhou du Conseil tunisien de la concurrence et
Mme Fadhila Rabhi et Mme Nawal Khaldi du ministère tunisien du Commerce.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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Table des matières
Préface ........................................................................................................ 3
Résumé ..................................................................................................... 13
Le cadre institutionnel ......................................................... 19
1.1. Le contexte et les fondements ........................................................ 19
1.2. Les objectifs et le champ d’application ............................................ 31
1.3. Les organes chargés de la concurrence ......................................... 37
1.4. L’interface avec les autorités de régulation des régimes sectoriels
spéciaux.................................................................................................. 54

1.5. Les ressources ................................................................................ 58
L’application du droit de la concurrence ........................... 77
2.1. Les types d’infractions ..................................................................... 77
2.2. La procédure d’enquête sur les infractions ..................................... 96
2.3. Le contrôle des concentrations ..................................................... 106
2.4. Le pouvoir judiciaire ....................................................................... 144
La promotion de la concurrence et la coopération
institutionnelle ........................................................................................ 149

3.1. La promotion de la concurrence .................................................... 149
3.2. La coopération au niveau national ................................................ 171
3.3. La coopération au niveau international ......................................... 177
Recommandations ............................................................. 185
4.1. Cadre institutionnel ........................................................................ 185
4.2. Pratiques anticoncurrentielles ....................................................... 187
4.3. Contrôle des concentrations .......................................................... 187
4.4. Pouvoir judiciaire ........................................................................... 189
4.5. Promotion de la concurrence ........................................................ 190
4.6. Coopération internationale ............................................................ 192
Références .............................................................................................. 193
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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6
GRAPHIQUES
21
24
26
59
60
36
39
47
61
63
68
69
Graphique 1.1. Les indicateurs de bien-être pour la Tunisie
Graphique 1.2. Les réglementations sur le marché des produits en Tunisie
Graphique 1.3. Répartition des chiffres d’affaires du top 100 des entreprises
tunisiennes
Graphique 1.4. Indicateur de réglementation du marché des produits de l’OCDE :
contrôle des prix
Graphique 1.5. Organigramme du Conseil de la concurrence
Graphique 1.6. Organigramme de la DGCEE
Graphique 1.7. Évolution des ressources budgétaires (millions TND) et humaines
du Conseil
Graphique 1.8. Répartition des budgets des agences de la concurrence
Graphique 1.9.Budget du Conseil de la concurrence par rapport aux groupes de
pairs
Graphique 1.10. Budget moyen par agent
Graphique 1.11. Répartition du personnel du Conseil par spécialité
Graphique 1.12. Effectifs des autorités de la concurrence, 2018
Graphique 1.13. Effectif du Conseil de la concurrence par rapport aux groupes de
pairs
Graphique 1.14. Effectifs des autorités de la compétition pour 1 million
d'habitants
Graphique 1.15. Taux de réponse par institution et par spécialisation
Graphique 2.1. Décisions du Conseil de la concurrence (2016-2020)
Graphique 2.2. Décisions de cartel du Conseil de la concurrence (2016-2020)
Graphique 2.3. Décisions de cartels dans le monde, moyenne (2016-19)
Graphique 2.4. Décisions de cartels – comparaison entre la Tunisie et d’autres
pays (2015-2019)
Graphique 2.5. Décisions d’abus de position dominante au Conseil de la
concurrence (2016-2020)
Graphique 2.6. Décisions d’abus de position dominante dans le monde (2016-
2019)
Graphique 2.7. Décisions d’abus de position dominante – comparaison entre la
86

Tunisie et d’autres pays (2015-2019)
Graphique 2.8. Décisions du Conseil de la concurrence par type d’infraction (2016-
89

2020)
Graphique 2.9. Décisions d’abus de dépendance économique au Conseil de la
concurrence (2016-2020)
Graphique 2.10. Notifications des concentrations (2015-2019)
Graphique 2.11. Les phases de la procédure de contrôle des concentrations
Graphique 2.12. Juridictions avec un système de contrôle des concentrations en
une ou deux phases
Graphique 3.1. Les étapes de la procédure de consultation obligatoire du Conseil
de la Concurrence
71
74
78
80
82
90
109
118
121
84
70
85
83
152
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TABLEAUX
7
Tableau 1.1. Répartition du personnel de la direction des prix et de concurrence
72

(DGCEE)
Tableau 2.1. Montant total des sanctions infligées par le Conseil de la concurrence
101

(2016-2019) (en dinars)
108

Tableau 2.2. Concentrations notifiées au ministère du Commerce
Tableau 2.3. Concentrations notifiées à la Commission de la Concurrence
COMESA (CCC)
Tableau 2.4. Évolution du chiffre d’affaires fixé pour les notifications des
concentrations économiques au Ministère du Commerce
Tableau 2.5. Appels devant le Tribunal administratif (2016-2020)
Tableau 3.1. Avis émis par le Conseil sur des textes législatifs et réglementaires
portant sur les activités de services
Tableau 3.2. Événements de promotion de la concurrence organisés en 2016-
2020
116
146
111
154
170
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9
Acronymes et
abréviations
ACM
ALECA
ARP
ASEAN
BCT
CCC
CESAO
CGA
CGC
CMF
CNMC
CNUCED
COFECE
COMESA
DGCEE
Autorité de contrôle de la microfinance
Accord de libre-échange complet et approfondi
Assemblée des représentants du peuple
Association des nations de l'Asie du Sud-Est -
Association of Southeast Asian Nations
Banque Centrale de Tunisie
Commission de la Concurrence du COMESA
Commission économique et sociale pour
occidentale
l'Asie
Comité général des assurances
Caisse générale de compensation
Conseil du Marché Financier
Autorité de la concurrence espagnole - Comisión
Nacional de los Mercados y la Competencia
Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le
Développement
Commission
économique
fédérale mexicaine de concurrence
Marché Commun de l’Afrique oriental et australe -
Common Market for Eastern and Southern Africa
Direction générale de la concurrence et des enquêtes
économiques
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10
EIU
ENA
FMI
HAICA
Economist Intelligence Unit
École Nationale d'Administration
Fonds monétaire international
Haute Autorité indépendante de la communication
audiovisuelle
HAICOP
Haute Instance de la Commande Publique
ICA
ICN
INS
INT
MCC
MENA
PCA
PISA
PMR
RIC
SLC
SSNIP
TA
TCA
Autorité
Competition Authority
italienne de
la concurrence
-
Italian
Réseau international de la concurrence - International
Competition Network

Institut national de la statistique
Instance Nationale des Télécommunications
Millennium Challenge Corporation
Afrique du Nord et le Moyen-Orient - Middle East and
North Africa

Autorité portugaise de la concurrence - Portuguese
Competition Authority

Programme international pour le suivi des acquis des
élèves
Indicateurs de l’OCDE sur la régulation des marchés
de produits -
OECD Product Market Regulation
Réseau international de la concurrence
Diminution substantielle de
Substantial Lessening of Competition
la concurrence
-
Augmentation
faible mais significative et non
transitoire des prix -
Small but significant and non-
transitory increase in price

Tribunal administratif
Autorité
turque de
Competition Authority
la concurrence
- Turkish
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11
TFEU
TND
UE
UNESCO
WDI
Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne -
Treaty on the Functioning of the European Union
Dinar tunisien
Union européenne
Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la
science et la Culture -
United Nations Educational,
Scientific and Cultural Organisation

Indicateurs de développement mondial
Development Indicators
- World
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Résumé
La Tunisie fût parmi les premiers pays d’Afrique et du Moyen-Orient à avoir adopté
une loi sur la concurrence. Un premier projet de loi voit le jour en 1985, mais c’est
finalement en juillet 1991 que la Loi n° 91-64 a été adoptée. Cette loi a été révisée
à plusieurs reprises avant d’être abrogée par la Loi n°2015-36 du 15 septembre
2015 relative à la réorganisation des prix et de la concurrence. Celle-ci s’inscrit
dans la continuité de la loi de 1991, consacrant l’ensemble des principes en
matière des pratiques restrictives de concurrence, interdisant les pratiques
anticoncurrentielles ou discriminatoires et établissant un contrôle des
concentrations économiques. Les objectifs de la Loi n° 91-64 et de la Loi n° 2015-
36 sont énoncés dans leurs articles premiers qui sont sensiblement identiques.
Néanmoins, l’article premier de la Loi de 2015 a été remanié en citant
explicitement les objectifs finaux : «
garantir l'équilibre général du marché,
l'efficience économique et le bien-être du consommateu
r ».
Le champ d’application subjectif de la législation sur la concurrence en Tunisie
est large et concerne toute entité exerçant une activité économique susceptible
d’affecter le marché intérieur. Il englobe donc les personnes physiques et les
entreprises nationales et étrangères, des entreprises privées et des entreprises
détenues/gérées par l’État ainsi que des autorités publiques, et des associations
ou d’autres personnes morales sans but lucratif à condition d’exercer une activité
économique et d’affecter l’équilibre général du marché intérieur. Le droit de la
concurrence en Tunisie s’applique de manière transversale à tous les secteurs.
Cependant, les secteurs des assurances, bancaire, de l’audiovisuel et de la
microfinance, sont soumis à des textes spécifiques appliqués par les autorités de
régulations sectorielles. Une autre forme de dérogation au régime de la
concurrence se matérialise à travers le contrôle des prix de plusieurs produits,
notamment alimentaires et énergétiques.
En matière d’organisation institutionnelle, la Tunisie a opté pour un système
bicéphale comportant d’une part une autorité indépendante qui est le Conseil de
la concurrence et d’autre part une direction générale de la Concurrence et des
enquêtes économiques (DGCEE) au sein du ministère du Commerce. Le Tribunal
administratif qui statue sur les recours en appel et cassation des décisions des
organes de la concurrence complète ce dispositif. Le Conseil de la Concurrence
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jouit de la personnalité morale et de l’autonomie financière et assure depuis 1995
deux fonctions principales : une fonction juridictionnelle et une fonction
consultative. Il est composé de quinze membres dont les mandats ne sont plus
renouvelables depuis 2015. La vocation juridictionnelle du Conseil est assurée
par deux organes indépendants : l’organe chargé de l’instruction et l’organe
chargé d’adopter les décisions.
Le ministère du Commerce est responsable de l’élaboration, de l’exécution et de
la bonne application des règles de concurrence par l’intermédiaire notamment de
la direction générale de la Concurrence et des enquêtes économiques (DGCEE).
Le ministère assure l’essentiel de la fonction régulatrice et exerce une influence
majeure sur le Conseil de la concurrence. Depuis la création du Conseil, le
ministre propose au gouvernement le président, les deux vice-présidents et les
membres du Conseil à nommer par décret. La Loi de 2015 précise que le budget
du Conseil est rattaché pour ordre au ministère chargé du Commerce et stipule
que le ministre fixe le régime de rémunération du président et de ses deux vice-
présidents.
Les ressources humaines et budgétaires allouées aux organes de la concurrence
du pays sont relativement modestes selon les normes internationales. Une
analyse des données budgétaires et de ressources humaines par groupes de
pays participants à la base de données COMPSTATS de l’OCDE montre que les
ressources du Conseil de la concurrence tunisien restent bien en deca du niveau
moyen de toutes autorités de concurrence des pays comparables.
Le droit de la concurrence en Tunisie est principalement appliqué par la DGCEE
du ministère du Commerce et par le Conseil de la concurrence. La loi sur la
concurrence n° 2015-36 établit une liste non exhaustive des pratiques
considérées comme anticoncurrentielles en Tunisie, notamment les ententes,
l'abus de position dominante, l'abus de dépendance économique et les prix
abusivement bas.
En matière d'application du droit, le Conseil de la concurrence a rendu 94
décisions au cours de la période 2016-2020 dont 20 sur des ententes, 34 sur des
abus de position dominante, 30 sur des abus de dépendance économique et sur
des prix abusivement bas. Les décisions qui conduisent à des sanctions
comprennent 8 sur les cartels, 5 sur l'abus de position dominante et 9 sur l'abus
de dépendance économique.
Tant la DGCEE que le Conseil de la concurrence peuvent mener des enquêtes
sur les pratiques anticoncurrentielles. Pour éviter la duplication des efforts
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d'enquête, la loi tunisienne stipule que le ministère du Commerce doit informer le
Conseil de la concurrence des enquêtes en cours, et vice versa. Par exemple, les
deux organismes de concurrence peuvent effectuer des inspections et des
perquisitions inopinées.
Une enquête sur une pratique anticoncurrentielle peut être déclenchée de l'une
des trois manières suivantes : i) une plainte d'un tiers, ii) une demande de
clémence ou iii) une auto-saisine (d'office) par l'autorité chargée de l'enquête. Au
cours de la période 2016-2020, il y a eu 23 enquêtes d'auto-saisine (d'office), dont
neuf ont été ouvertes par la DGCEE et 14 par le Conseil de la concurrence.
Environ cinq enquêtes sont ouvertes par auto-saisine chaque année.
En matière de fixation des amendes, le Conseil de la concurrence peut infliger
des amendes aux entreprises jusqu'à 10 % de leur chiffre d'affaires au cours d'un
exercice donné. Pour les particuliers, les sanctions comprennent une peine
d'emprisonnement de 16 jours à un an, une amende de 2 000 TND à 100 000
TND ou les deux. Il s'agit notamment des personnes ayant joué « un rôle
déterminant » (article 45) dans les infractions prévues à l'article 5 de la loi n° 2015-
36 relative à la concurrence et aux prix. Le ministre chargé du commerce est
chargé de l'exécution des décisions de la Conseil de la concurrence ainsi que
pour le recouvrement des amendes.
La compétence horizontale en matière de contrôle des concentrations revient au
ministère chargé du commerce. Toutes les concentrations remplissant les
conditions dont à l’article 7 de la Loi No. 2015-36 relative à la réorganisation de la
concurrence et des prix sur la concurrence doivent être notifiées au ministère
chargé du commerce. Des lois spécifiques dérogent au régime général en
prévoyant un régime spécial dans les secteurs des assurances, de la
microfinance, des banques et de l’audiovisuel. De surcroit, la Tunisie est membre
du COMESA et la Commission de la Concurrence du COMESA a le pouvoir de
les concentrations ayant une dimension régionale. Les autorités
revoir
tunisiennes donnent pourtant une
règles
supranationales concernant l’attribution de la compétence exclusive de revoir ces
transactions.
interprétation différente des
L’article 7 de la loi No. 2015-35 fixe les conditions alternatives pour que les
entreprises soient soumises à une obligation de notification du projet de
concentration. Il s’agit de deux tests alternatifs, l’un fondé sur le chiffre d’affaires
de l’acheteur et l’autre sur les parts de marché, ce dernier test ayant donné lieu à
contentieux concernant le calcul des parts de marché et donc l’existence d’une
obligation de notification. Entre 2015 et 2020, le Ministère du commerce a revu
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26 concentrations. Il en a bloquée une et a autorisé 3 concentrations à condition
de respecter certains engagements.
La notification déclenche le délai de trois mois dans lequel le ministre du
Commerce doit se prononcer sur le projet de concentration. Ces délais
s’appliquent quel que soit le niveau de complexité de l’opération. Une fois la
notification acceptée, le ministre chargé du Commerce demande l’avis non
contraignant du Conseil de la concurrence. Même si le Ministère a tendance à
suivre l’avis du Conseil dans la grande majorité des cas, il n’est pas exclu qu’il
s’en écarte de facto, ce qui a été parfois le cas.
L’analyse concurrentielle du projet de concentration vise à apprécier si celui-ci
porte atteinte à la concurrence et, dans l’affirmative, s’il apporte une contribution
au progrès technique ou économique suffisante pour compenser lesdites
atteintes. L’analyse est principalement juridique, alors que l’analyse économique
est plutôt limitée à la définition des parts de marché et l’appréciation des effets de
la concentration sur la structure de marché. De surcroit, cette appréciation ne se
borne pas aux seules considérations de concurrence, mais elle s’étend à d’autres
considérations d’intérêt public, à savoir la nécessité de la consolidation ou de la
préservation de la compétitivité des entreprises nationales face à la concurrence
internationale. La décision finale sur cette mise en balance revient au Ministre
chargé du commerce.
Lorsque le ministre chargé du Commerce estime que l’opération porte atteinte à
la concurrence et que les gains en termes de progrès technique ou économique,
voire en termes de compétitivité des entreprises nationales, ne sont pas suffisants
pour compenser cette atteinte, il peut soit refuser l’opération soit l’approuver à
condition de respecter certains engagements. Les organes de concurrence
peuvent accepter ou imposer deux types d’engagements : structurels et
comportementaux. L’analyse de la pratique décisionnelle tunisienne a montré que
dans la plupart des cas il s’agit d’engagements comportementaux, alors que
depuis 2016 aucune décision n’a imposé d’engagements structurels.
La mise en œuvre des programmes et plans de sensibilisation et de promotion de
la culture de la concurrence revient aux services compétents du ministère du
Commerce en coopération avec le Conseil de la concurrence conformément à
l’article 14, alinéa 4, de la loi 2015-36.
Lorsque des projets de textes législatifs et réglementaires tendant de manière
directe à imposer des conditions particulières pour l’exercice d’une activité
économique ou d’une profession ou visant à établir des restrictions pouvant
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entraver l’accès à un marché donné sont présentés ou discutés, le Conseil de la
concurrence doit être obligatoirement consulté. Ces textes
législatifs et
réglementaires doivent être accompagnés d’une copie de l’avis du Conseil de la
concurrence ainsi que d’une note explicative comprenant les propositions du
Conseil, le degré de leur prise en considération, les commentaires qu’elles
suscitent et le cas échéant les raisons pour lesquelles ces propositions ne
peuvent être prises en considération.
Au-delà des cas de consultation obligatoire, le Conseil peut aussi être saisi d’une
demande d’avis sur des questions afférentes au domaine de la concurrence par
les commissions parlementaires, le ministre chargé du commerce et les autorités
de régulation sectorielles.
En revanche, s’il n’est guère consulté, le Conseil de la concurrence n’est pas en
mesure de saisir de sa propre initiative le ministre du Commerce ou un autre
ministre du gouvernement afin de soumettre ses propositions lorsque leurs
initiatives posent des entraves à la concurrence.
Les études de marché sont un outil efficace pour aider les autorités de la
concurrence à examiner les conditions concurrentielles prévalant dans un ou
plusieurs secteurs. En revanche, à présent ni le Conseil de la concurrence ni la
DGCEE n’ont réalisé d’études sectorielles de marché. Ils n’ont pas non plus mis
au point des lignes directrices ou une méthodologie qui puissent guider des
futures études de marché.
Le Conseil de la concurrence et la DGCEE disposent aussi d’autres outils visant
à promouvoir la concurrence, tels que leur site internet pour divulguer leurs
décisions ou d’autres
les milieux
universitaires, des publications, des formations, des ateliers et des séminaires, y
compris auprès des acteurs privés et d’autres autorités sectorielles.
informations, des conventions avec
De manière générale, le Conseil de la concurrence et la DGCEE ont développé
des événements, des formations et des activités de promotion de la concurrence
au cas par cas, sans une stratégie générale préalable visant à fixer des priorités
ou à poursuivre ces initiatives qui se sont avérées efficaces dans la diffusion d’une
culture de la concurrence. Le manque d’efficacité de ces événements est par
exemple démontré par le faible taux d’adoption de programmes de conformité par
les entreprises, quelle que soit leur taille.
D’autres améliorations sont envisageables en ce qui concerne la coopération
avec les autorités nationales et étrangères. Au niveau national, à présent,
exception faite pour le Protocol d’accord signé en 2012 avec l’Instance Nationale
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des Télécommunications, il n’existe pas d’accords formels de coopération en
place entre le Conseil de la concurrence et d’autres organismes sectoriels. Au
niveau international, bien que le Conseil de la concurrence ou les services
compétents du ministère chargé du commerce puissent procéder à l’échange
avec des institutions étrangères homologues, des expériences, des informations
et des pièces relatives à l’instruction des affaires de concurrence, le nombre
d’accords de coopération est très limité et les accords existants ne se sont pas
avérés efficaces. Au niveau régional, la Tunisie est membre du COMESA mais à
présent, les dispositions supranationales de droit de la concurrence ont fait l’objet
d’interprétations contradictoires respectivement par les autorités nationales et du
COMESA. Par conséquence, il n’est pas clair à présent si la notification d’une
concentration ayant une dimension régionale à la Commission de la Concurrence
du COMESA exclut toute notification aux autorités nationales de concurrence.
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Le cadre institutionnel
1.1. Le contexte et les fondements
1.1.1. Le contexte du pays
La République Tunisienne est située en Afrique du Nord et a une population
d'environ 12 millions d'habitants, principalement concentrée autour de sa capitale
Tunis et autour de ses villes côtières au centre et au sud, notamment sa deuxième
plus grande ville, Sfax. La Tunisie est bordée au nord et à l'est par la mer
Méditerranée avec plus de 1 500 km de côtes et partage des frontières terrestres
à l’ouest avec l'Algérie et au sud avec la Libye. Berceau de la civilisation
carthaginoise et foyer de plusieurs cultures, la Tunisie est dotée de plus de 3 000
sites archéologiques, dont une dizaine inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial
de l’UNESCO. La Tunisie est de ce fait une des destinations touristiques les plus
populaires dans le bassin méditerranéen.
Un peu plus d’un an après son indépendance en 1956, la monarchie a été abolie
par une assemblée constituante qui a institué la république et a adopté une
nouvelle constitution établissant un régime présidentiel en 1959. Entre son
indépendance et la révolution pour la liberté et la dignité en décembre 2010, la
Tunisie n’avait connu que deux présidents. Dès octobre 2011, le pays a tenu des
élections pour désigner l’assemblée constituante en charge de rédiger la nouvelle
constitution. Celle-ci a été adoptée en janvier 2014 et a établi un régime semi-
parlementaire monocaméral reposant sur la séparation entre les pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire. Élu tous les cinq ans au suffrage universel, le
Président de la République demeure le chef de l’État. Traduisant le saut
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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20
démocratique1, le pays a depuis connu trois rendez-vous électoraux majeurs
qualifiés de libres et transparents par la communauté internationale.
L’inclusion a toujours été une préoccupation majeure de la Tunisie depuis son
indépendance. Le Code du statut personnel, adopté dès 1956, fait de la Tunisie
le pays le plus progressiste du monde arabe en matière de droits des femmes. La
scolarisation, en particulier des filles, est devenue une priorité nationale bien
avant la plupart des pays émergents. L’accès aux services publics de base, de
type électricité et eau, est nettement plus élevé que dans la majorité des pays
émergents. Un socle de protection sociale a été développé dès 1960, avec un
système de retraite par répartition et un système de santé dont la qualité est
relativement élevée (OCDE, 2018). Un programme national de transferts
monétaires et de soins gratuits ou à tarif réduit a été institué pour les familles
pauvres et à revenus limités. Il a été décidé en 2018 d’étendre la gratuité des
soins aux chômeurs. Les nombreux programmes sociaux mis en œuvre depuis
les années 70 ont contribué à la réduction de la pauvreté qui s’établit à 15.2 % en
2019
2 (INS, 2021). Ainsi, en termes de bienêtre, la Tunisie se positionne plutôt
favorablement par rapport aux économies émergentes sur les dimensions santé,
logement et accès aux infrastructures de base (Graphique 1.1).
1 Occupant la 53ème place dans le classement mondial 2020 des pays les plus
démocratiques, publié par The Economist Intelligence Unit (EIU), la Tunisie est classée
première dans le monde arabe et seul pays de la région figurant dans la catégorie «
Démocratie imparfaite ». L’indice synthétique sur la démocratie classe les pays dans quatre
catégories « Démocratie pleine », « Démocratie imparfaite », « Régime hybride » et
« Régime autoritaire ».
2 Le taux de pauvreté extrême était en dessous de 3 % en 2019. Le taux de pauvreté est
défini comme le pourcentage de la population gagnant moins de 1706 TND ou 712 USD
par an (en 2015). Pour la pauvreté extrême, le seuil est de 1032 TND ou 431 USD par an.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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Graphique 1.1. Les indicateurs de bien-être pour la Tunisie
Bien-être, dimensions principales, OCDE = 100
21
Note : Les variables utilisées pour chacune des dimensions sont : i) Logement : part de la population bénéficiant
d'un accès à un assainissement amélioré et part de la population bénéficiant d'un accès à l'électricité ; ii)
Revenu : PIB par habitant exprimé en parité de pouvoir d'achat ; iii) Emploi : taux d'emploi et part des chômeurs
sans travail rémunéré pendant moins d'un an ; iv) Enseignement : résultats moyens des tests PISA en lecture,
mathématiques et sciences et part de la population de plus de 25 ans ayant au moins une qualification au
niveau secondaire supérieur dans la population du même groupe d'âge ; v) Environnement : inverse de la
concentration moyenne annuelle de particules fines (PM2.5) dans l'air et part de la population avec accès à
une source améliorée d'eau potable ; vi) Santé : espérance de vie à la naissance.
Source : Banque mondiale, Indicateurs de développement mondial (WDI) ; INS.
Cependant, le renouveau démocratique est allé de pair avec des difficultés
économiques et sociales. La multiplication des mouvements sociaux conjuguée
aux attaques terroristes et à la crise en Libye qui était le deuxième partenaire
commercial après l’Union européenne ont affecté des secteurs clés de l’économie
et ont provoqué un ralentissement de l’activité3. Le taux de croissance moyenne
s’est limité à 1,6%, durant la période 2011-2019, contre 4,4% entre 2000 et 2010
3 La Banque mondiale estime que la crise libyenne aurait résulté en une baisse de croissance
de 1 point de pourcentage sur la période 2011 à 2015 (Banque mondiale, 2017).
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022
04080120LogementRevenuEmploiEnseignmentEnvironnementSantéOCDE = 100 Tunisie Pays de l'OCDE à faible revenu



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(ITCEQ, 2020). En même temps, les dépenses publiques ont augmenté pour faire
face aux défis de l’insécurité et aux revendications sociales creusant ainsi les
déficits et la dette publics.
Cette détérioration des finances publiques est reflétée, notamment par l’évolution
de la masse salariale qui accapare l’essentiel des dépenses de fonctionnement
de l’État. Les recrutements dans la fonction publique ont été massifs, surtout entre
2011 et 2013, faisant augmenter la rémunération des fonctionnaires de plus de
quatre points de PIB depuis 2010 pour atteindre 14.6 % du PIB en 2019 (FMI,
2021). Le PIB par habitant (en dollars américains courants) a chuté de plus de 20
pour cent depuis 2010 pour s’établir à 3 318 USD en 2019, faisant basculer le
pays de la tranche supérieure à la tranche inférieure des économies à revenu
intermédiaire. La dette externe de la Tunisie a plus que doublé depuis 2010 pour
atteindre 92.8 % du PIB fin 2019 (FMI, 2021).
Ces difficultés se sont aggravées avec la pandémie du COVID-19. Le PIB réel
s'est contracté d'environ 8,8 % en 2020 par rapport à 2019, marquant la pire
récession de l’histoire du pays et creusant d’avantage la dette et les déficits
publics. Le taux de chômage a atteint 17.8 % au première trimestre 2021,
affectant de manière disproportionnée les travailleurs peu qualifiés, les femmes
et les jeunes (INS, 2021). La Banque Mondiale estime une augmentation du taux
de pauvreté à plus de 20 % en 2020. Les prévisions de l’OCDE prévoient une
reprise partielle de la croissance estimée à 3% en 2021 et 3.25 % en 2022. La
consommation privée ne retrouverait pas son niveau d'avant crise avant la fin de
2022, et la confiance des investisseurs reste faible en raison du progrès limité des
réformes structurelles et des incertitudes liées au financement du déficit
budgétaire élevé (OCDE, 2021)
4.
Combler ce déficit et couvrir les besoins de financement du budget de 2021, estimés
par le FMI à 18.3 % du PIB, consacre à présent l’attention des autorités tunisiennes
qui se sont engagées dans des négociations pour conclure le troisième accord de
financement en dix ans avec l’institution financière après l’accord de confirmation
de précaution de 2012 et l’accord élargi de crédit de 2016.
4 Les perspectives peuvent empirer si l'économie s'enfonce davantage dans l'informalité,
principalement en raison de l'attentisme des investisseurs lié à une panoplie d'incertitudes
concernant la situation interne du pays, mais également la difficile reprise attendue des
économies de ses principaux partenaires.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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1.1.2. Le processus de libéralisation de l’économie
La Tunisie a, depuis son indépendance, connu un modèle de développement
caractérisé par un rôle important de l’État. Le modèle économique s’est construit
autour d’une politique industrielle active pour favoriser le développement de
certains secteurs d’activité portés par les grandes entreprises nationales et les
banques publiques. Après l’échec de l’expérience socialiste de collectivisation fin
des années 60, ce modèle de développement, étatiste, a connu une ouverture
graduelle au commerce extérieur et aux investissements directs étrangers à partir
de 1972 avec l’adoption d’une loi qui a instauré un régime fiscal et douanier
favorable pour les entreprises entièrement tournées vers l’exportation – système
dit
offshore.
La Tunisie a connu plusieurs vagues de privatisations, notamment au milieu des
années 80 et en 2006-07. La première vague de privatisations des années 80
a été accompagnée de plusieurs réformes des réglementations dans le cadre d’un
programme d’ajustement structurel avec l’appui du FMI. Adopté en réponse à une
des plus grandes crises des finances publiques de son histoire récente, ce
programme a permis à la Tunisie d’entamer une ouverture progressive de son
économie avec comme corollaire le renforcement de l'efficacité et la promotion
des mécanismes du marché et de la libre concurrence.
Malgré ces efforts, l’économie tunisienne reste caractérisée par une forte
présence de l’État, combinée à un niveau élevé de barrières à l’entrée de
nouvelles entreprises et à des procédures administratives très lourdes. Un rapport
de la Banque mondiale a estimé que plus de 50 pourcent de l’économie tunisienne
demeure soit fermée soit soumis à des restrictions d’accès (Banque mondiale,
2014). Le rapport de l’OCDE sur l’analyse de l’impact concurrentiel des lois et des
règlementations dans les secteurs du commerce et du transport de marchandises
a permis d’identifier plus de 259 barrières règlementaires à la concurrence, dont
certaines sont en place depuis les années 60 (voir Encadré 1.1).
L’indicateur de l’OCDE sur la réglementation des marchés des biens et services
(PMR) révèle que l’intervention directe de l’État dans l’économie demeure plus
forte que dans les pays de l’OCDE et la plupart des économies émergentes, et
que les entreprises publiques dominent de nombreux secteurs (Graphique 1.2).
En plus des secteurs de réseau, tels que l’électricité, les télécommunications ou
le transport ferroviaire, des entreprises contrôlées par l’état opèrent notamment
dans le secteur bancaire, les phosphates, l’exploitation minière et le raffinage, le
matériel de construction, la sidérurgie et l’acier, et le papier. La confiscation en
2011 d’entreprises et d’actifs privés, liés à des malversations de l’ancien régime,
a renforcé la présence de l’état dans certains secteurs, notamment les télécoms.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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Graphique 1.2. Les réglementations sur le marché des produits en
Tunisie
A- Contrôle de l'État sur l'activité des entreprises - Actionnariat public
B- Obstacles réglementaires à l'entrepreneuriat
1. Les données représentent les moyennes simples des pays suivants : Brésil, Inde, Indonésie, Chine et
Afrique du Sud.
Note : Les données se réfèrent à l’année 2016 pour la Tunisie et 2013 pour les autres pays. L’indicateur va de
0 à 6.
Source : Base de données OCDE-Banque Mondiale de la Réglementation des marchés de produits.
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Les 102 entreprises publiques opérant dans différents secteurs, aussi bien
concurrentiels que non concurrentiels, ainsi que dans les services publics
marchands représentaient 9.5 % du PIB et 4 % de l’emploi salarié formel en 2014
(Présidence du gouvernement, 2018). Le poids de ces entreprises dans
l’économie tunisienne est confirmé par leur dominance des chiffres d’affaires des
100 entreprises les plus importantes du pays, réalisant en moyenne plus de 50%
du total de ce chiffre durant la dernière décennie
5 (Graphique 1.3-A). D’un autre
côté, la consolidation par groupe ou conglomérat des chiffres d’affaires réalisés
en 2019 par les 61 entreprises privées ou à participations étrangères de ce
palmarès et qui représentait 51% du chiffre global de la même année montre une
concentration relativement importante de l’activité. En effet, cette part est dominée
par cinq groupes qui ont réalisé 60.6% du total des chiffres d’affaires des
entreprises privées. En prenant en compte la performance des dix plus grands
groupes ou holdings, cette part passerait à plus de 80% du total des chiffres
d’affaires réalisés par les 61 entreprises privées les plus importantes du pays en
2019
6 (Graphique 1.3-B).
5 Il est à noter que le niveau d’activité des entreprises publiques ne reflète pas de véritables
performances commerciales. En dépit d’un chiffre d’affaires de grande envergure, la quasi
majorité de ces entreprises est dans l’incapacité de faire face aux obligations fiscales et
aux charges sociales. Selon le FMI, la situation financière des entreprises publiques
aggrave considérablement la situation budgétaire. Les données sur les informations
financières de 30 entreprises publiques à fin 2019 montrent que leur dette avoisinerait les
40 % du PIB, dont environ 15 % du PIB étaient couverts par des garanties de l’État à la mi-
2020 (FMI, 2021).
6 Il est important de noter que la part de ces mêmes cinq groupes dans le total des chiffres
d’affaires réalisés par les entreprises privées les plus importantes du pays en 2010 était
d’environ 28%. Elle a donc plus que doublé en une décennie.
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Graphique 1.3. Répartition des chiffres d’affaires du top 100 des
entreprises tunisiennes
A- Répartition des chiffres d’affaires par structure d’actionnariat (2009-2019)
Publique
Privée
Étrangère
Joint venture
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
B- Répartition des chiffres d’affaires par conglomérat (2019)
Source : Calculs de l’OCDE basés sur les données du palmarès des entreprises tunisiennes de l’Économiste
Maghrébin
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lourdes qui
les procédures administratives
L’indicateur PMR montre aussi que les licences et autorisations préalables, ainsi
que
les accompagnent, sont
particulièrement restrictives en Tunisie (Graphique 1.2-B). Les restrictions sur
l’entrée, l’investissement et l’activité des entreprises créent des situations de rentes
pour les entreprises en place ce qui inhibe leur incitation à améliorer la qualité des
services fournis. Le morcellement des textes législatifs avec une multitude de
modifications, couplée à l’absence de consolidation et à l’existence de législation
obsolète, peut aussi agir comme une barrière réglementaire en créant une
incertitude juridique, risquant de soulever des problèmes de conformité et des frais
juridiques pour les fournisseurs surtout pour les nouveaux entrants (OCDE, 2019).
Encadré 1.1. Examens de l’OCDE pour l’évaluation de l’impact sur
la concurrence en Tunisie
L'OCDE s'est associée au gouvernement tunisien et à la Millennium Challenge
Corporation (MCC) en 2018 pour procéder à une évaluation approfondie et
indépendante de la concurrence afin d'identifier les règles et réglementations
qui pourraient entraver le fonctionnement efficace des marchés dans deux
secteurs clés de l’économie, à savoir le transport routier et maritime de
marchandises et le commerce de gros et de détail, avec un focus sur le
commerce des fruits et légumes et de la viande rouge. Les secteurs du transport
et du commerce représentaient environ 16% du PIB et 18% de l'emploi salarié
formel en 2018. Dans l’ensemble, l’examen a fait état de 259 barrières
réglementaires potentielles dans 251 textes juridiques et réglementaires
étudiés aux fins de cette évaluation. L’analyse approfondie implique une
évaluation qualitative des conséquences néfastes sur les consommateurs et
sur
l’économie découlant de ces barrières en s’appuyant sur une
documentation économique de nature théorique et empirique, ainsi que sur
des études comparées de règlements dans le cadre législatif d’autres pays.
Le rapport a formulé 220 recommandations spécifiques pour pallier l’atteinte à
la concurrence. Ces recommandations ont concerné, entre autres, des
aspects relatifs au contrôle des prix, aux hypermarchés et aux marchés de
gros pour le secteur du commerce ainsi que des aspects en lien avec les
activités de transports de marchandises pour autrui et des services portuaires,
y compris les exigences en moyens et en qualifications professionnelles. Si
elles étaient mises en œuvre, ces recommandations bénéficieraient aux
consommateurs tunisiens et à l’économie tunisienne à travers les deux
secteurs analysés. De manière plus spécifique, l’OCDE a estimé l’effet positif
sur l’économie tunisienne à environ 0.6 % du PIB.
Source : (OCDE, 2019)
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Les obstacles à l’entrée et à la sortie des firmes freinent également la réallocation
des ressources, tant entre les secteurs qu’entre les entreprises d’un même
secteur. Le Répertoire national des entreprises de l’INS révèle que 98.3 % des
entreprises privées employaient moins de 10 salariés en 2019, un pourcentage
qui ne cesse de progresser depuis la fin des années 90. Après leur création, les
entreprises tunisiennes restent généralement de petite taille, faisant face à
d’importantes contraintes d’accès au marché, des réglementations restrictives,
une fiscalité lourde et des difficultés d’accès au financement (OCDE, 2018). Une
étude réalisée en 2017 sur la relation entre les réglementations d'accès au
marché et la capture de l'État en Tunisie démontre que les entreprises connectées
(politiquement) sont environ quatre fois plus susceptibles d'opérer dans les
secteurs soumis à autorisation et à restriction des IDE que les entreprises non
connectées (Rijkers, Freund, & Nucifora, 2017). Plusieurs entreprises restent, de
ce fait, dans l’informalité contribuant à un environnement de concurrence déloyale
qui pénalise d’avantage les entreprises formelles
7.
1.1.3. L’évolution de la législation sur la concurrence depuis 1991
La Tunisie fût parmi les premiers pays d’Afrique et du Moyen-Orient à avoir adopté
une loi sur la concurrence. Un premier projet de loi voit le jour en 1985, mais c’est
finalement en juillet 1991 que la Loi n° 91-64 a été adoptée. Cette loi a été révisée
à plusieurs reprises, notamment en 1993, 1995,1999, 2003, et 2005 afin de
prendre en compte l’évolution des besoins et des enjeux posés par l’économie
tunisienne ainsi que les obligations découlant de certains accords tel que l’article
36, litera a) et b) de l’accord d’association avec l’UE de 1995. Elle est finalement
abrogée par la Loi n°2015-36 du 15 septembre 2015 relative à la réorganisation
des prix et de la concurrence.
Dès son adoption, la Loi n°91-64 du 29 juillet 1991 consacrait le principe de la
liberté des prix, posait les règles de transparence et de bon fonctionnement du
marché, et interdisait tous les comportements portant atteinte à la concurrence.
Cette loi s’est nettement inspirée du droit français, et notamment de l’ordonnance
n°86-1243 du 1 décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence,
7 Selon les sources et la définition, l’économie informelle représenterait entre 30 % et 45 %
de l’emploi total (Banque mondiale, 2014 ; CRES, 2016).
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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comme en témoignent l’accent mis sur la liberté des prix et les similitudes entre
les cadres institutionnels.
Les multiples modifications de la Loi n°91-64 au fil du temps ont permis d’élargir
le champ d’application du droit de la concurrence en Tunisie et de renforcer les
pouvoirs des organes chargés d’appliquer ce droit. La modification de 1993 (Loi
n°93-83) a permis, entre autres, l’élargissement de la liste des agents habilités à
constater les infractions aux dispositions des chapitres II et III du titre IV de la loi
8
alors que celle de 1995 (Loi n°42-95) a instauré le contrôle des concentrations et
l’interdiction
per se des contrats de concessions et de représentation exclusive et
a permis l’élargissement du champ d’intervention du Conseil de la concurrence.
La modification de 1999 (Loi n°41-99) a élargi les attributions du Conseil,
notamment à travers l’instauration de l'obligation de produire les documents
demandés par les enquêteurs et a permis l’assouplissement des contrats de
concession et de représentation
9.
La procédure de clémence a été instaurée en 2003 (Loi n°74-2003) en plus de la
reconnaissance de l’accès à l’information auprès des entreprises et des
administrations, la consolidation du droit de la défense et l’assouplissement dans
les consultations urgentes en adaptant le quorum requis
10. La révision de la loi en
2003 a également instauré le double degré de juridiction. Les décisions du Conseil
de la concurrence sont devenues susceptibles d’appel devant le Tribunal
administratif renforçant ainsi les droits de défense.
8 La loi 93-83 a habilité les agents du contrôle économique, conformément à leur statut
particulier, les agents de la réglementation municipale, désignés par arrêté du Ministre
chargé du commerce et les officiers de la police judiciaire.
9 Le régime des contrats de concession et de représentation exclusive a connu des
transitions lors des révisions introduites à la loi. Il est passé d’une interdiction per se, à un
système d’autorisation et enfin à un traitement au cas par cas, permettant une exemption
individuelle à tout auteur justifiant la garantie d’un progrès technique ou économique et la
procuration aux utilisateurs d’une partie équitable du profit qui en résulte. Cette souplesse
est justifiée par la nécessité du développement des modes de distribution et l’incitation à
l’investissement dans le secteur du commerce, afin d’améliorer les services connexes.
10 La loi n° 2003-74 du 11 novembre 2003 a introduit des procédures plus souples pour les
consultations en urgence ou celles qui sont transmis pendant les vacances. L’assemblé
plénière peut statuer en présence du tiers des membres avec la présence de deux
magistrats.
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La révision de 2005 (Loi n°60-2005) a été particulièrement importante avec
l’attribution de la personnalité morale et de l’autonomie financière au Conseil de
la concurrence et
l’élargissement de ses prérogatives consultatives et
juridictionnelles, notamment à travers l’instauration de l’auto-saisine et l’obligation
pour le Ministre du commerce de saisir le Conseil pour tout projet de
concentration. La révision des critères de contrôle des opérations de
concentration économique et
l’élargissement du champ des pratiques
anticoncurrentielles à l’offre ou la pratique de prix abusivement bas, ainsi que la
levée de l’interdiction
per se sur les contrats de concession et de représentation
commerciale exclusive, ont également fait partie de cette révision. Enfin, la
modification de 2005 a jeté les bases de la relation entre le Conseil de la
concurrence et les autorités sectorielles de régulation, ainsi que des relations de
coopération entre les autorités nationales chargées de la concurrence et leurs
homologues étrangères (voir Chapitre 3. ).
1.1.4. La loi sur la réorganisation des prix et de la concurrence de
2015
La Loi de 2015 s’inscrit dans la continuité de la précédente, consacrant l’ensemble
des principes en matière des pratiques restrictives de concurrence, interdisant les
pratiques anticoncurrentielles ou discriminatoires et établissant un contrôle des
concentrations économiques. Globalement, la structure et le contenu des deux
lois sont assez proches. Toutefois, certaines dispositions ont été ajoutées et
d’autres modifiées voire supprimées. La loi est en outre augmentée de 6 articles
en comptant les différentes modifications, passant de 72 à 78. Le cadre juridique,
tel qu’il se présente aujourd’hui, est exhaustif, proche de la réglementation
européenne et relativement adapté aux exigences nationales et internationales.
Parmi les principales modifications apportées par la Loi du 15 septembre 2015
figure le renforcement du caractère répressif des infractions en augmentant le
plafond des sanctions pécuniaires à 10% du chiffre d’affaires contre 5%
précédemment, et en instaurant des sanctions administratives (voir 2.2). Les
pouvoirs d’investigation des agents du contrôle économique de la DGCEE et des
rapporteurs du Conseil ont été renforcés avec des dispositions spécifiques
assurant la protection des agents du contrôle économique. Tout en abolissant la
reconduction des mandats de ses membres, le collège du Conseil a été élargi en
permettant au rapporteur général et aux rapporteurs d’assister à la délibération
sans voix délibérative toutefois, ainsi qu’en rendant possible le recours aux
experts pour solliciter leurs avis.
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En matière de contrôle des concentrations économiques, le seuil de notification
des opérations, notamment celui relatif au chiffre d’affaires des entreprises
concernées, a été modifié en passant de 20 million TND à 100 million TND tout
en gardant le seuil alternatif relatif à la part de marché inchangé à 30% (voir 2.3).
La notification est désormais obligatoire et le contentieux de défaut de notification
a été transféré du juge judiciaire au Conseil de la Concurrence.
En matière de pratiques anticoncurrentielles (PAC), le droit de la concurrence
tunisien, que ce soit à travers la Loi de 1991 ou celle de 2015, a appréhendé de
manière relativement stable la prohibition des ententes et concertations
expresses ou tacites, l’exploitation abusive d'une position dominante ou d’un état
de dépendance économique, ou encore l’offre de prix ou pratique de prix
abusivement bas. En plus, de nouvelles dispositions ont été introduites pour
consolider la transparence des décisions, notamment la réduction des délais de
traitement des demandes, la motivation de la décision et la publication de
l’exemption au Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT).
1.2. Les objectifs et le champ d’application
1.2.1. Les objectifs
Les objectifs de la Loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 et de la Loi n° 2015-36 du 15
septembre 2015 sont énoncés dans leurs articles premiers qui sont sensiblement
identiques, comme en témoigne le début : «
La présente loi a pour objectif de fixer
les dispositions régissant la liberté des prix, d'établir les règles présidant à la libre
concurrence
». Néanmoins, l’article premier de la Loi de 2015 a été quelque peu
remanié par rapport au précédent, et on notera notamment qu’il cite explicitement
les objectifs finaux : «
garantir l'équilibre général du marché, l'efficience
économique et le bien-être du consommateu
r ». Cette précision n’est pas
anodine. Elle s’inscrit dans un objectif de sensibilisation du public aux effets
positifs de la concurrence, ce dernier percevant encore «
quelquefois la
concurrence comme plus menaçante pour lui que la réglementation des prix qui
rassure le consommateur
»11. Il est à noter que des politiques sectorielles sont
envisageables et peuvent être adoptées pour la réalisation des objectifs
spécifiques de développement, mais les considérations d’ordre social restent
11 Examen collégial volontaire de la politique de concurrence : Tunisie, (CNUCED, 2006)
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présentes dans les choix consacrés par le législateur (articles 3, 4 et 6 de la Loi
du 15 septembre 2015).
1.2.2. Le champ d’application
Le champ d’application subjectif de la législation sur la concurrence en Tunisie
est large et concerne toute entité exerçant une activité économique susceptible
d’affecter le marché intérieur. Il englobe donc les personnes physiques et les
entreprises nationales et étrangères, des entreprises privées et des entreprises
détenues/gérées par l’État ainsi que des autorités publiques, et des associations
ou d’autres personnes morales sans but lucratif à condition d’exercer une activité
économique et d’affecter l’équilibre général du marché intérieur. D’ailleurs, le
Conseil de la concurrence à travers sa jurisprudence a avancé une définition large
de la notion d’entreprise économique. Selon cette jurisprudence, l'entreprise
économique est toute entité exerçant une activité économique quel que soit son
statut juridique, même si elle ne dispose pas de personnalité juridique :
(…) Considérant que la notion d’entreprise économique ne peut être déterminée
selon un critère purement juridique, mais plutôt sur la base d’un critère
économique lequel ne suppose pas forcément l’existence de la personnalité
juridique (…)
12.
Il s’ensuit que les dispositions de l’article 5 de la Loi du 15 septembre 2015
relatives aux pratiques anticoncurrentielles s’appliquent à tout type de société,
d’organisme, de groupement et à toutes les personnes exerçant une activité
économique ayant trait à la production, distribution et services, et ce quel que soit
leur nature : publique ou privée, morale ou physique, nonobstant leur forme et
qu’elles aient une existence juridique ou de fait. Par ailleurs, la jurisprudence du
Conseil de la concurrence a apporté des précisions importantes quant à
l’applicabilité du droit de la concurrence aux entreprises publiques. Dans une
décision du 26 juillet 2004, il a affirmé que les personnes du droit public sont
soumises au droit de la concurrence au même titre que les personnes du droit
privé tant qu’elles exercent une activité économique de production, de distribution
12 Contribution de la Tunisie au Forum mondial sur la concurrence de 2018 sous le titre
« Le droit de la concurrence et les entreprises publiques ».
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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ou de service13. Ainsi, le Conseil a condamné des opérateurs publics pour abus
de position dominante
14. Dans une décision du 10 novembre 2005, le Conseil a
précisé que les actes unilatéraux impliquant l’exercice de prérogatives de
puissance publique par l’administration demeurent néanmoins du ressort du juge
administratif
15.
Il est également important de noter que le droit tunisien peut s’appliquer extra-
territorialement, en tenant compte des effets dirigés sur son marché, de la même
façon que le droit d’autres pays membres de l’OCDE ainsi que de l’Union
européenne. L’article premier de la Loi de 2015 stipule que celle-ci s’applique à
toutes les pratiques anticoncurrentielles, «
y compris les pratiques et accords
nées à l’étranger et ayant des effets nuisibles sur le marché intérieur
».
Les régimes sectoriels spéciaux
Le droit de la concurrence en Tunisie s’applique de manière transversale à tous
les secteurs. Cependant, les secteurs des assurances, bancaire, de l’audiovisuel
et de la microfinance, sont soumis à des textes spécifiques appliqués par les
autorités de régulations sectorielles (voir 1.4). Dans le cas du secteur des
assurances, la dérogation au droit de la concurrence se limite aux accords de
tarification qui sont notifiés au Comité général des assurances et approuvés par
le Ministre des finances. L’article 92 du Code des assurances (Loi n° 92-24 du 9
mars 1992) stipule que :
« Tout accord conclu par des entreprises d’assurances et des entreprises de
réassurances soumises aux disparitions du présent code, entre elles ou dans le
cadre de leur association professionnelle en matière de tarifs, de conditions
générales de contrats d’assurances, de concurrence ou de gestion financière,
doit être adressé au ministre chargé des finances. L’accord ne peut être mis en
13 Décision n°3152 du 26 Juillet 2004 (La Société des Loisirs de Tabarka contre le Club
Municipal de Plongée).
14 Décision n°5181 du 10 novembre 2005 (Société «MEDIFET» contre la Pharmacie
Centrale de Tunisie et deux sociétés médicales et Décision n°161419 du 12 juillet 2018
(orange Tunisie et orange Tunisie internet contre Tunisie télécom et Topnet.
15 Décision n°5181 du 10 novembre 2005 (Société «MEDIFET» contre La pharmacie
centrale de Tunisie et deux sociétés médicales).
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application que si, dans un délai de deux mois à compter de la date de sa
notification, le ministre chargé des finances n’y a pas fait opposition ».
Le Conseil de la concurrence a, par ailleurs, soulevé cette question dans son avis
n° 82235 du 14 mai 2009 et a évoqué que ces accords faussent la concurrence
dans ce marché, sont nuisibles aux consommateurs et a recommandé
l’harmonisation du code des assurances aux règles de la concurrence.
Pour les secteurs bancaire et audiovisuel, la dérogation concerne les opérations
de concentration économiques qui sont soumises à l’accord de la Banque
Centrale de Tunisie (BCT) pour le secteur bancaire (article 34 de la Loi n°48-2016
du 11 juillet 2016) alors qu’elles sont simplement interdites dans le secteur de
l’audiovisuel (article 15 du Décret-loi n° 2011-116 du 2 novembre 2011) (voir 2.3).
Il est également important de noter que pour certains secteurs comme
l’agriculture et l’artisanat, des dérogations à l’application des règles de
concurrence sont envisageables afin de soutenir certaines activités. De même
dans le domaine des achats publics, il y a des dérogations au profit des petites et
moyennes entreprises (PME) dans la mesure où l’acheteur public leur réserve
annuellement un pourcentage dans la limite de 20 % de la valeur prévisionnelle
des marchés de travaux, de fourniture de biens et de services et d’études.
Le contrôle des prix
Une autre forme de dérogation au régime de la concurrence se matérialise à
travers le contrôle des prix. Dans son article 3, la loi sur la concurrence stipule
que «
sont exclus du régime de la liberté des prix visé à l'article 2 ci-dessus, les
biens, produits et services de première nécessité ou afférents à des secteurs ou
zones où la concurrence par les prix est limitée soit en raison d'une situation de
monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement du marché soit par l'effet
de dispositions législatives ou réglementaires
».
L’État tunisien exerce donc un contrôle direct sur les prix de plusieurs produits,
notamment alimentaires et énergétiques. Le système a été établi dans les années
70 avec l’adoption de la Loi nº 70-26 du 19 mai 1970 et de ses décrets
d’application. La base juridique actuelle pour le contrôle des prix est assurée par
la Loi de 2015 qui reprend l’article correspondant de la Loi nº 91-64. Les
conditions et modalités de fixation des prix de revient ou de vente des produits en
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question est fixée par le Décret n°91-1996 du 23 Decembre1991.16 Depuis la mise
en place du contrôle des prix, la liste des produits concernés n’a fait l’objet que
de deux révisions, la dernière datant d’il y a plus de 25 ans (Décret nº 95-1142 du
28 juin 1995). Le décret définit trois listes de produits et services exclus du régime
général de la liberté des prix :
La liste A comprend 16 produits soumis au régime de l’homologation des
prix à tous les stades (au niveau de la production, de la vente en gros et
de la vente au détail) tel que le pain, la farine et la semoule subventionnés,
les pâtes, les huiles alimentaires et le sucre subventionnés ainsi que les
carburants, y compris le gaz de pétrole liquéfié (GPL), l’électricité, le gaz
et l’eau.
La liste B se compose de 8 produits soumis au régime de l’homologation
des prix au stade de la production tel que le sel, le café torréfié, la bière,
le ciment gris
17 et le rond à béton et le gaz comprimé.
La liste C se compose de 33 produits soumis à encadrement des marges
de distribution tel que le riz, les fruits et légumes, les voitures particulières
et autres types de véhicules, le papier et les cahiers scolaires.
Le régime de contrôle des prix en Tunisie s’accompagne d’un système de
subventions qui s’applique à la liste A, y compris un programme de subventions
aux produits énergétiques et un programme de subventions aux produits
alimentaires de base géré par la Caisse générale de compensation (CGC). Les
subventions alimentaires datent de 1945 et de la création du premier fonds de
subvention
18. Presque 25 ans plus tard, la CGC a été établie par la Loi nº 70-26
du 29 mai 1970
19.
16 Décret n°91-1996 du 23 Decembre1991 relatif aux produits et services exclus du régime
de la liberté des prix et aux modalités de leur encadrement tel que modifié par le décret
n°93-59 du 11 Janvier 1993 et le décret n°95-1142 et le décret n°2015-307 du 1 Juin 2015.
17 Les prix du ciment gris ont été libéralisés en 2014, à la suite de la levée des subventions à
la consommation d’énergie aux industries énergivores, y compris le secteur du ciment gris.
18 Décret du 28 juin 1945.
19 L’organisme chargé de gérer le fonds est l’Unité de compensation des produits de base.
Elle a été mise en place par le Décret 2002-2145 et est rattachée au ministère du
Commerce.
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De surcroît, l’Article 4 de la Loi de 2015 réserve au ministre du Commerce, lors
d’une hausse excessive ou un effondrement des prix, la possibilité de prendre des
mesures temporaires (pendant une période maximum de six mois) motivées par
une situation de crise ou de calamité par des circonstances exceptionnelles ou
par une situation de marché manifestement anormale. De telles fluctuations
pourraient survenir, par exemple, en raison d’une catastrophe naturelle qui
limiterait gravement la production. Dans certains cas, les prix ou les cours
minimum ont été utilisés afin de tenter de soutenir les revenus des fournisseurs
d’un produit ou d’un service donné. Dans ce cadre le ministère du Commerce agit
en tant que garant pour la mise en œuvre d’une politique des prix rationnelle
reposant sur la protection du consommateur et la pérennité du tissu économique.
Dans la pratique toutefois, ces mesures peuvent être renouvelées indéfiniment et
sans restriction, bien que les données sur la mise en œuvre et les effets réels de
l’imposition de ces restrictions n’aient pas pu être identifiés (OCDE, 2019). Par
ailleurs, l’indicateur de réglementation du contrôle des prix de l’OCDE pour la
Tunisie reflète le degré de contrôle exercé par l’État sur les prix. Comme illustré
dans le Graphique 1.4, le score de la Tunisie est particulièrement au-dessus de
la moyenne des pays émergents et sensiblement plus élevé que la moyenne des
pays membres de l’OCDE (OCDE, 2018).
Graphique 1.4. Indicateur de réglementation du marché des produits
de l’OCDE : contrôle des prix
1. Les données représentent les moyennes simples des pays suivants : Brésil, Inde, Indonésie, Chine et Afrique
du Sud.
Note : Pour la Tunisie, les données concernent l’année 2016. Pour les autres pays, elles concernent l’année 2013.
Source : Base de données OCDE-Banque Mondiale de la Réglementation des marchés de produits
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Le secrétariat de l’OCDE a été informé lors des échanges avec les autorités
tunisiennes que le décret nº 95-1142 fait actuellement l’objet d'un projet
d'amendement visant la mise en conformité du statut juridique de certains produits
dont les prix ont été libéralisés.
1.3. Les organes chargés de la concurrence
La Tunisie a opté pour un système bicéphale comportant d’une part une autorité
indépendante qui est le Conseil de la concurrence et d’autre part une direction
générale de la Concurrence et des enquêtes économiques (DGCEE) au sein du
ministère du Commerce avec 24 directions régionales. Le Tribunal administratif
qui statue sur les recours en appel et cassation des décisions des organes de la
concurrence complète ce dispositif. Les attributions du Conseil de la concurrence
et du ministère du Commerce ont grandement évolué depuis l’adoption de la
première loi de la concurrence, mais il y a une grande marge d’amélioration
concernant le partage de compétences et la coordination.
1.3.1. Le Conseil de la concurrence
Fonctions et responsabilités
À l’origine, l’article 9 de la Loi de 1991 instituait une commission spéciale
dénommée commission de la concurrence appelée à connaître des requêtes
afférentes aux pratiques anticoncurrentielles et dont l’avis pouvait être requis par
le ministre chargé de l’Économie sur tout projet de texte législatif et réglementaire
afférent au domaine de la concurrence. C’est à partir de 1995 (Loi 95-42 du 24
avril 1995) que l’organe prend le nom de Conseil de la concurrence. Ce dernier
jouit de la personnalité morale et de l’autonomie financière depuis 2005. Depuis
sa création, le Conseil de la concurrence s’est distingué par l’évolution constante
de ses attributions et de sa composition. Le Conseil de la concurrence a depuis
1995 deux fonctions principales : une fonction juridictionnelle et une fonction
consultative dont les pouvoirs en la matière ont été renforcés au fil du temps. Le
Conseil s’est vu plus récemment chargé de responsabilités nouvelles, y compris
la sensibilisation et la promotion de la culture de concurrence (voir Chapitre 3. ).
Comme mentionné précédemment, à l’origine, la commission de la concurrence
en 1991 est appelée «
à connaitre des requêtes afférentes aux pratiques
anticoncurrentielles
». La même formule va être conservée à l’article 9 de cette
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première loi au fil des modifications en 1995, 1999, 2003 et 2005. Dans la Loi de
2015, bien que la numérotation ait changé, on retrouve également cette formule
à l’article 11. Pour autant, après sa transformation en Conseil de la concurrence
en 1995, ce dernier va prendre progressivement la forme d’une véritable
juridiction administrative. Lui-même s’auto-qualifie depuis 2008 «
d’organe
juridictionnel spécialisé intégrant l’ordre juridictionnel administratif
» 20. Les
aspects relatifs à la fonction juridictionnelle du Conseil, notamment la saisine et
les sanctions sont analysés en détails dans le Chapitre 2. sur l’application du droit
de la concurrence.
L’article 9 de la Loi du 29 juillet 1991 disposait dans sa première version que l’avis
de cette commission pouvait être requis par le ministre de l’Économie sur tout
projet de texte législatif et réglementaire afférent au domaine de la concurrence.
Après l’intégration d’un contrôle des opérations de concentration dans le droit
tunisien de la concurrence, le législateur, en 1995, ajoute dans le même article
que le ministre peut également soumettre, s’il le juge nécessaire, à l’avis du
Conseil de la concurrence tout projet de concentration ou toute concentration. La
Loi n°2005-60 du 18 juillet 2005, notamment l’article 9, a profondément modifié la
fonction consultative du Conseil et a rendu sa consultation obligatoire dans
certains cas. Les détails relatifs à cette fonction et à son évolution sont analysés
dans le Chapitre 3. sur la promotion de la culture de la concurrence
Outre ses activités de juridiction et de conseil, le Conseil de la concurrence a été
doté de nouvelles prérogatives par la Loi du 15 septembre 2015 dans une optique
de plus grande accessibilité aux ressources et de sensibilisation du public. Ainsi,
l’article 14 de la loi indique que le Conseil doit procéder à une veille concurrentielle
et à l’élaboration d’une base de données sur l’état des marchés ainsi que sur les
informations collectées par le Conseil à l’occasion des enquêtes et investigations
et susceptibles d’être échangées avec le reste des services de l’État. Il est
également chargé de la mise en œuvre des programmes et plans de
sensibilisation et de promotion de la culture de concurrence. Ces missions se font
en partenariat avec les services compétents du ministère du Commerce. En outre,
le Conseil doit procéder à la publication de ses décisions et avis sur son site web
(voir le Chapitre 3. ).
20 Décision n° 71140 du Conseil de la concurrence du 17 juillet 2008 (l’affaire « Topnet »).
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Composition et fonctionnement
Composition et organisation
Avec le passage d’une commission de la concurrence à un Conseil de la
concurrence par l’adoption de la Loi du 24 avril 1995, l’article 16 a prévu la
création de plusieurs sections au sein du Conseil dont la présidence est assurée
par son Président ou l’un des deux Vice-présidents. La composition de ces
sections et leurs membres sont désignés au début de chaque année judiciaire par
le Président. L’organisation du Conseil, que l’on retrouve désormais à l’article 21
de
identique depuis 1995
(Graphique 1.5). À noter toutefois que si le siège du Conseil demeure à Tunis, la
Loi de 2015 ajoute dans son article 11 que le Conseil peut, le cas échéant, tenir
ses séances à tout autre endroit du territoire de la République.
la Loi de 2015, est demeurée relativement
Graphique 1.5. Organigramme du Conseil de la concurrence
Source : Conseil de la Concurrence
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Président du Conseil 2èmevice-président 1ervice-président Rapporteur général Secrétaire permanent Sous direction chargée du secrétariat Service financier Service administratif Service documentation et informatique Rapporteurs Bureau d’ordre central Organe décisionnel «collège» Les sections


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La composition et les obligations pesant sur les membres du Conseil ont en
revanche plus significativement évolué. En effet, l’article 10 de la Loi de 1991,
modifié en 1995, prévoyait que le Conseil de la concurrence serait composé de
treize membres. On comptait un président, deux vice-présidents (un conseilleur
au Tribunal administratif et un conseiller auprès d’une des deux chambres
chargées du contrôle des entreprises publiques à la Cour des comptes), quatre
magistrats de l'Ordre judiciaire du deuxième grade au moins, quatre personnalités
ayant exercé ou exerçant dans le domaine de la production, de la distribution, de
l'artisanat ou des prestations de service, et deux personnalités choisies en raison
de leur compétence en matière économique ou en matière de concurrence ou de
consommation.
Cette composition a été légèrement modifié par la Loi de 2015. Désormais le
Conseil est composé de quinze membres, puisque ce sont quatre personnalités
qui seront choisies en raison de leur compétence en matière de droit, d’économie,
de concurrence ou de consommation, et non plus deux. Le Président et les deux
vice-présidents exercent leurs fonctions à plein temps contrairement aux autres
membres.
Un commissaire du gouvernement est nommé auprès du Conseil, également par
décret gouvernemental sur proposition du ministre du Commerce. Le
commissaire est principalement chargé de défendre l’intérêt général dans les
affaires relatives aux pratiques anticoncurrentielles et de présenter
les
observations de
le Conseil. Le commissaire du
gouvernement est généralement incarné par le directeur général de la
Concurrence et des enquêtes économiques.
l’administration devant
Le personnel du Conseil de la concurrence est recruté essentiellement auprès des
fonctionnaires du ministère du Commerce, principalement
via des mutations de la
direction générale de la Concurrence, ou auprès des élèves du cycle supérieur de
l’École Nationale d’Administration (ENA). Aucun concours de recrutement externe
n’a eu lieu durant les cinq dernières années.
En matière d’organisation interne, il n’y a pas de répartition thématique ou par
activité du personnel. Le Conseil semble fonctionner selon un modèle intégré où
l’ensemble du staff est impliqué dans plusieurs dossiers à la fois, y compris les
affaires relatives à l’application du droit de la concurrence et celles qui concernent
plus la protection des consommateurs. Lors des consultations avec le personnel du
Conseil, il a été mentionné que la répartition des dossiers à instruire se base sur
deux éléments, notamment l’expérience des rapporteurs (surtout pour les avis) et
le volume de dossiers pris en charge par chacun. Une enquête en ligne réalisée par
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le Secrétariat de l’OCDE auprès du personnel du Conseil a permis de démontrer
que presque les deux tiers des participants estiment que l’absence de spécialisation
des équipes ne facilite pas l’instruction des dossiers (voir Encadré 1.6).
La vocation
indépendants :
juridictionnelle du Conseil est assurée par deux organes
L’organe chargé de l’instruction : composé par un rapporteur général et
des rapporteurs nommés par décret gouvernemental parmi les magistrats,
tel que prévu à l'article 13 de la Loi de 2015, ou parmi les fonctionnaires de
la catégorie « A ». Ils prêtent serment et disposent d’une carte
professionnelle qui leur est attribuée. Le rapporteur général assure la
coordination, le suivi, le contrôle et la supervision des travaux des
rapporteurs, ainsi que toute autre mission qui lui est confiée par le président
du Conseil. Le rapporteur procède à l’instruction des requêtes qui lui sont
confiées par le président du Conseil. À cet effet, il peut : (i) réclamer aux
personnes physiques et morales concernées, sous le sceau du président,
tous les éléments complémentaires nécessaires aux investigations, (ii)
procéder dans les conditions légales, et après autorisation du Président, à
toutes enquêtes et investigations sur place, (iii) se faire communiquer tous
documents qu'il estime nécessaires à l'instruction de l'affaire et (iv)
demander, sous le sceau du Président, que des enquêtes ou expertises
soient effectuées, notamment par les agents de l’administration chargés du
contrôle économique ou technique. Il est à noter qu’à l’occasion de
l’instruction des affaires dont ils ont la charge, les rapporteurs contractuels
disposent des mêmes prérogatives prévues à l’article 67 de la Loi de 2015.

L’organe chargé d’adopter la décision : composé par une ou plusieurs
sections dont la présidence est assurée par le président du Conseil ou l’un
de ses deux vice-présidents. En effet, au début de chaque année
judiciaire, le président du Conseil fixe la composition de chaque section et
désigne ses membres. Chaque section est composée d’un président et
de quatre membres dont au moins un magistrat rendant ses décisions sur
les affaires qui lui sont transmises par le président du Conseil à la majorité
des voix et en audience publique.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que dans la composition du Conseil, l’Ordre
judiciaire est représenté par quatre magistrats alors que le Tribunal administratif,
organe de recours pour les décisions du Conseil n’est représenté que par un seul
magistrat, notamment le 1
er vice-président. Lors de la mission d’exploration,
certaines parties prenantes ont plaidé pour un rééquilibrage de la répartition des
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magistrats au sein du Conseil afin de mieux refléter le rôle du Tribunal
administratif dans l’organisation institutionnelle du régime de la concurrence en
Tunisie et de permettre en même temps de renforcer l’expertise des juges
administratifs en matière de concurrence (voir 1.3.3). La même remarque a été
mentionnée par rapport à la représentativité de la Cour des comptes dans un
objectif de renforcement des volets analyse économique, enquête et contrôle des
marchés publics.
Nomination et révocation
Nommés par décret gouvernemental sur proposition du ministre du Commerce,
le président du Conseil et ses deux vice-présidents ont vu les critères de leur
nomination renforcées. Outre ses compétences en matière économique, de
concurrence ou de consommation, le Président, nommé parmi les magistrats ou
les personnalités ayant une des compétences évoquées, doit depuis 2015
disposer d’au moins vingt ans d’ancienneté. S’agissant des vice-présidents, une
condition d’ancienneté existait déjà, mais elle a été doublée, passant de cinq à
dix ans. La condition d’ancienneté de 5 ans appliquée aux magistrats quant à elle
n’a pas été modifiée depuis 1995. À l’image du commissaire du gouvernement, le
secrétaire permanant du Conseil, le rapporteur général et les rapporteurs sont
tous nommés par décret gouvernemental. Il est toutefois important de noter que
le Secrétariat de l’OCDE n’a pas pu identifier s’il existe une procédure de sélection
et d’évaluation des candidats avant leur nomination effective.
S’agissant des mandats, d’une durée de 5 ans depuis 1995 pour le président, les
vice-présidents et les magistrats, ils ne sont plus renouvelables depuis 2015. Plus
aucun des quinze membres ne peut donc voir son mandat renouvelé. Quant aux
experts, leur mandat a été réduit de 6 à 4 ans, ce qui coïncide avec la durée du
mandat, inchangée, des personnalités ayant exercé ou exerçant dans le domaine
de la production, de la distribution, de l’artisanat.
La logique de la Loi de 2015 ne prévoit pas l’inamovibilité des membres du Conseil
durant la durée de leur mandat. L’article 21 dispose cependant que le ministre
chargé du Commerce peut, sur rapport du président du Conseil, proposer le
remplacement de tout membre du Conseil qui n’a pas participé, sans motif
valable, à trois séances consécutives du Conseil. De façon générale et se référant
au principe de parallélisme des procédures, la révocation du président, de ses
vice-présidents et d’autres dirigeants du Conseil de la concurrence est soumise
aux mêmes procédures de leurs nominations.
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Cette situation pourrait rendre le processus de nomination et de révocation des
dirigeants du Conseil perméable aux interférences politiques. Responsables en
dernier ressort de l’adoption des décisions de l'autorité, les membres du conseil
ou le président de l'autorité risquent fortement d'être soumis à des pressions
extérieures. C'est pourquoi il est primordial de protéger le ou les décideurs de
toute influence indue. Revoir ce système revêt donc une importance capitale pour
renforcer la transparence et l’équité des procédures et partant l’indépendance de
l’institution.
Il est possible de limiter, dans une certaine mesure, les possibilités d'atteinte à
l'indépendance de la prise de décision par des procédures de sélection, de
nomination et de révocation des membres du conseil ou du président de l'autorité.
Afin de dissiper toute présomption de proximité indue entre les membres du
conseil et le gouvernement, il est important de veiller à ce que le processus de
sélection et de nomination soit transparent et repose sur des critères objectifs et
qualitatifs (Alves, Capiau, & Sinclair, 2015), (Monti, 2014), (Commission
européenne, 2014), (Commission européenne, 2014), (Gal, 2004), (Ottow, 2015).
L'instauration de comités de nomination indépendants peut constituer un moyen
efficace de garantir l'impartialité de la direction (OCDE, 2016) (voir Encadré 1.2).
Encadré 1.2. Missions des comités de nomination au Royaume-
Uni et au Mexique
Au Royaume-Uni, les membres du conseil de l'Autorité de la concurrence et
des marchés (Competition and Markets Authority - CMA) sont nommés par le
secrétaire d'État. Cette décision est supervisée par le Commissaire chargé
aux nominations publiques qui s'assure que les personnes nommées ne sont
pas soumises à une influence d'ordre personnel ou politique. La Commission
de la fonction publique réglemente le recrutement dans la fonction publique.
Ses commissaires président les jurys de sélection du conseil et des plus hauts
dirigeants de la CMA.
Au Mexique, les commissaires de la Commission fédérale de concurrence
économique (COFECE) sont nommés à l'issue d'un processus mené par un
comité d'évaluation autonome. Par le biais d'un processus d'examen impartial,
le comité d'évaluation établit une liste de candidats et la communique au
président mexicain qui sélectionne alors des personnes dont le Sénat doit
ensuite valider la nomination.
Source : (OCDE, 2016)
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En matière de révocation, il est légitime de s'interroger sur l’aptitude et l’incitation
du président d’une autorité de la concurrence à agir en toute indépendance (c'est-
à-dire à prendre des décisions sans crainte de représailles) lorsqu’il peut être
révoqué sur simple décision du chef d'État ou de l’exécutif. Aussi de nombreuses
juridictions ont mis en place des règles qui prévoient qu'une révocation ne soit
prononcée que dans un certain nombre de circonstances bien définies et soit
motivée, par exemple, par une faute lourde, une impossibilité à s'acquitter des
missions confiées, une condamnation pénale, une infraction aux règles de
confidentialité ou de conflit d'intérêt (OCDE, 2016).
Garanties d’impartialité
L’article 14 de la Loi du 15 septembre 2015 a introduit de nouvelles obligations
pesant sur les membres du Conseil, dans un souci d’assurer l’impartialité de
l’organe. Ainsi, avant d’exercer leurs fonctions, les membres du Conseil doivent
prêter serment devant l’assemblée plénière du Conseil. Ils doivent également
procéder à la déclaration de leurs biens et informer le président du Conseil de tout
risque de conflits d’intérêts en vue de prendre les dispositions nécessaires.
L’article 21 de la Loi de 2015 stipule qu’aucun membre ne peut délibérer dans
une affaire où il a un intérêt ou s'il représente ou a représenté une des parties
intéressées. Toute partie concernée peut récuser tout membre du Conseil par
voie de demande écrite soumise au président du Conseil qui tranche
définitivement la question dans un délai de cinq jours après l'audition des deux
parties. En cas de récusation du président, la question est tranchée par le ministre
du Commerce. Il est également important de noter que la Loi de 2015 ne prévoit
pas d’interdiction pour les membres du Conseil quittant l’institution d’exercer
d'activités professionnelles dans des domaines liés à l'application de la loi sur la
concurrence.
1.3.2. Le ministère du Commerce
Fonctions et responsabilités
Le ministère du Commerce est responsable de l’élaboration, de l’exécution et de
la bonne application des règles de concurrence par l’intermédiaire notamment de
la direction générale de la Concurrence et des enquêtes économiques (DGCEE).
Ainsi, depuis 1999, le ministre compétent est habilité à prendre toutes les mesures
nécessaires pour l'exécution des décisions, au besoin forcées, du Conseil de la
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concurrence, selon l’article 35 de la Loi de 1991, transposé à l’article 44 de la Loi
de 2015.
Dans le cas d’un appel de la décision du Conseil devant le Tribunal administratif,
le commissaire du gouvernement auprès du Conseil, nommé par décret
gouvernemental sur proposition du ministre du Commerce est chargé de
représenter la partie publique, y compris le Conseil qui à l’instar des autres
parties, doit transmettre au commissaire toute réponse et observation en lien avec
l’affaire en question. L’article 18 de la Loi de 2015 dispose que le commissaire du
gouvernement est mandaté pour :
« Présenter des observations et des réponses sur ces pratiques et intervenir
dans les différends y afférents auprès du tribunal administratif, et ce, nonobstant
les dispositions de l’article premier de la loi n°88-13 du 7 mars 1988, relative à
la représentation de l’État et des établissements publics à caractère administratif
et des entreprises sous-tutelle de l’État auprès des tribunaux ».
Depuis 1991 le ministère du Commerce peut également prendre par arrêté et pour
une durée ne pouvant excéder six mois, des mesures temporaires motivées par
une situation de crise ou de calamité, par des circonstances exceptionnelles ou
par une situation de marché manifestement anormale dans un secteur déterminé,
en vue de faire face à des hausses excessives ou un effondrement des prix. Ces
mesures sont renouvelables et requièrent la consultation du Conseil de la
concurrence (voir 1.2.2).
Le ministère, à travers la DGCEE et ses agents répartis sur l’ensemble du
territoire, est l’organe le plus apte à mener des investigations des pratiques
anticoncurrentielles. À cette fin, il collabore étroitement avec le Conseil de la
concurrence qui peut notamment lui demander de mener des enquêtes. En plus
de mener des enquêtes approfondies, le ministère est également chargée de
saisir les tribunaux ou le Conseil des faits susceptibles de constituer des
infractions relevant de la compétence de ces derniers.
En outre, depuis 1995, selon l’article 6 de la Loi du 29 juillet 1991, il accorde par
un arrêté motivé et après avis du Conseil, des exemptions aux pratiques ou
catégories de contrats dont les auteurs justifient qu'ils sont indispensables pour
garantir un progrès technique ou économique et qu'ils procurent aux utilisateurs
une partie équitable du profit qui en résulte. Le législateur a ajouté deux conditions
supplémentaires à l’octroi de ces exemptions depuis 2015 : ces pratiques ne
doivent pas conduire à imposer des restrictions qui ne sont pas indispensables
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pour atteindre les objectifs visés, ou à éliminer complètement la concurrence sur
le marché en cause ou sur une partie substantielle de ce marché.
Organisation et fonctionnement
L’article 29 du décret nº 2966-2001 du 20 décembre 2001 portant organisation du
ministère du Commerce précise les fonctions et l’organisation de la DGCEE qui
est composée de deux directions : (i) la direction des prix et de la concurrence et
(ii) la direction des enquêtes économiques. Deux autres structures sont
rattachées à la direction : (i) l’observatoire national de l’approvisionnement et prix
et (ii) la sous-direction du contentieux dans les domaines des prix et des enquêtes
économiques (Graphique 1.6).
L’article 30 du décret de 2001 précise que la direction des prix et de la
concurrence est chargée d'assurer, en coordination avec les services enquêteurs,
l'analyse des résultats des
la rédaction des rapports
investigations et
administratifs dans les domaines de la concurrence et des prix. La direction est
également chargée d’assurer la liaison avec le Conseil de la concurrence, y
compris la préparation des saisines. En matière de contrôle des concentrations,
la direction assure l’instruction, le suivi et l’octroi des autorisations aux opérations
de concentrations économiques notifiées et ce après avis du Conseil de la
concurrence. De plus, la direction instruit les demandes d’autorisations relatives
aux contrats de concession et de la représentation commerciale dues au progrès
économique. Ces fonctions sont assurées par deux services : (i) le service de la
concentration économique et (ii) le service de la concurrence et des relations avec
le Conseil de la concurrence.
Les prérogatives de la DGCEE lui confèrent également la mission de veiller au
fonctionnement normal des marchés, de centraliser et d’enrichir les indices des
pratiques anti-concurrentielles ainsi que d’élaborer des programmes et des
enquêtes en matière de concurrence et de veiller à leur suivi et exécution.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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Graphique 1.6. Organigramme de la DGCEE
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Source : Ministère du Commerce
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022
Ministre du commerce Direction générale de la concurrence et des enquêtes économiques Sous-direction de la caisse générale de compensation Observatoire national de l'approvisionnement et des prix Direction des enquêtes économiques Directiondes prix et de la concurrence Sous-direction de la concurrence Sous-direction des prix Service des tarifs publics Service des études et des produits encadrés Servicede la concentration économique Service de la concurrence et des relations avec le Conseil Service des études et des prévisions Service de la gestion de la caisse Sous-direction des enquêtes économiques et de loyauté des transactions Sous-direction de l'animation Service des enquêtes dans les domaines de la concurrence, des prix et de loyauté des transactions Service des enquêtes spéciales et des renseignements économiques Service de la programmation, de la coordination et du suivi Sous-direction du suivi et des enquêtes Sous-direction des études et de la gestion de la base de données Service du suivi des produits agricoles et industriels Service des enquêtes et du suivi des prix et des services Service des études et prévisions et de la gestion de données Sous-directiondu contentieux dans les domaines des prix et des enquêtes économiques Service du contentieux économique et des relations avec les tribunaux


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Interactions avec le Conseil de la concurrence
Comme évoqué plus haut, les demandes de consultation du Conseil sur les textes
législatifs et réglementaires doivent transiter par le ministre du Commerce selon
les procédures fixées par le décret n°2016-1148 du 19 aout 2016. Il en est de
même des avis du Conseil qui sont transmis au ministre du Commerce qui
transmet une copie de ces avis aux ministères concernés par les projets de textes
objet de la consultation. Bien que la fonction consultative du Conseil ait été
renforcé au fil des modifications législatives, le ministère n’est pas lié par ces avis.
Il exerce donc toujours l’essentiel de la fonction régulatrice. De plus, il exerce une
influence majeure sur le Conseil. En effet, depuis la création du Conseil, le
ministre propose au gouvernement le président, les deux vice-présidents et les
membres du Conseil à nommer. Leur nomination s’effectue ensuite par décret.
Cette règle n’a pas changé. Le législateur a même prévu dans la Loi de 2015 que
le ministre fixe le régime de rémunération du président du Conseil et de ses deux
vice-présidents selon la même procédure
21. Par ailleurs, depuis 2015, l’article 11
de la Loi de 2015 précise que le budget du Conseil est rattaché pour ordre au
ministère chargé du Commerce.
Au vue de ces éléments, il parait judicieux de poser la question du niveau
d’indépendance du Conseil de la concurrence. Il est communément admis parmi
les acteurs de la concurrence que l'indépendance à l'égard des ingérences
politiques est nécessaire pour que la concurrence produise les effets voulus pour
le bien de l'ensemble de la société (Encadré 1.3). L'indépendance n'est pas
intrinsèquement dans l'intérêt des autorités de la concurrence, mais constitue
plutôt une condition préalable qui leur permet de prendre des décisions sur des
critères juridiques et économiques uniquement, sans être influencés par des
groupes politiques (ou économiques).
Une enquête de l'OCDE consacrée aux autorités de la concurrence (2003) a
montré qu'une « plus grande indépendance » était l'élément requis le plus cité
pour faciliter la réalisation d'objectifs en matière de droit et de politique de la
concurrence (OCDE, 2016). De même, dans une étude de KPMG menée auprès
21 Le décret gouvernemental fixant le régime de rémunération des deux vice-présidents,
en application de l’article 13 de la loi 2015 n’a pas vu le jour jusqu’à la date de parution de
ce rapport.
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de responsables des autorités de la concurrence, de juristes et d'économistes
spécialisés dans la concurrence, ainsi que de représentants des milieux d'affaires,
l'indépendance à l'égard du pouvoir politique constituait sur l'ensemble de
l'échantillon le troisième facteur déterminant de l'efficacité d'un régime de
concurrence (KPMG, 2017)
22. Pour les entreprises et les autorités de la
concurrence, il s'agissait du facteur le plus important.
L'indépendance des autorités de la concurrence présente une valeur symbolique.
« De même que l'indépendance des tribunaux est un symbole de l'état de droit,
celle des autorités de la concurrence est celui de l'attachement au libre jeu du
marché » (Wilks & Bartle, 2002). L'indépendance des autorités de la concurrence
envoie un signal aux entreprises sur l'attachement des pouvoirs publics à des
marchés libres et concurrentiels. C'est pourquoi lorsque l'indépendance des
autorités de la concurrence est menacée, leur valeur symbolique ainsi que leur
image dans la société en général sont mises à mal.
Comme expliqué dans Thatcher et Sweet (Theory and practice of delegation to
non-majoritarian institutions, 2002) , «
lorsque la délégation de compétences vise
à assurer la crédibilité de l'engagement, le principal ne peut pas imposer de
nombreux contrôles ex post sur un agent sans porter atteinte à l'objectif même de
cette délégation de compétences
. » Toutefois, dans certaines instances de
réglementation, il est possible que les contrôles
ex post ou la mise en suspens de
l'indépendance n'aient pas de conséquences importantes et n'altèrent pas les
signaux sous-jacents adressés à la société car «
lorsque des responsables
délèguent des compétences afin de renforcer l'efficience technique, de réduire
leur charge de travail ou d'obtenir davantage d'informations, des contrôles ex post
étendus sont souvent davantage compatibles avec les objectifs
» (Thatcher &
Sweet, 2002).
22 D'après l'enquête de KMPG, les facteurs contribuant à l'efficacité du régime de
concurrence (classés du plus important au moins important) sont les suivants : 1. la
compétence technique en matière d'analyse juridique ; 2. la compétence technique en
matière d'analyse économique ; 3. l'indépendance à l'égard du pouvoir politique ; 4. la
détention d'un réel droit de recours ; 5. la clarté des procédures ; 6. la capacité des agents
chargés du dossier ou de l'enquête de formuler des recommandations indépendantes et
impartiales à leurs supérieurs ; 7. la capacité du régime à appliquer des sanctions
suffisamment lourdes ; 8. les ressources disponibles pour traiter les dossiers; 9. l'efficience
des enquêtes et l'efficacité de la politique de la concurrence ; 10. la rapidité de la prise de
décision ; 11. la compétence technique du personnel administratif ; 12. la capacité des
principaux intervenants du régime à communiquer avec les parties prenantes extérieures ;
13. une charge minimale pour les entreprises.
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Encadré 1.3. L'indépendance des autorités de la concurrence
selon la Commission européenne
La Commission européenne a accordé une attention particulière à la question
de l’indépendance des autorités de la concurrence. Dans une communication
au Conseil et au Parlement européens en 2014, la commission indique qu'il
est nécessaire d'instaurer des garanties minimales
juridiquement
contraignantes dans le cas des autorités de la concurrence afin d'assurer leur
indépendance. Les facteurs d'indépendance considérés comme importants
dans cette communication sont:
L’existence de procédures de nomination transparentes et reposant
sur le mérite et l'établissement de motifs de révocation des hauts
responsables objectifs et clairement définis;
Des ressources suffisantes et stables et l'autonomie budgétaire ;
Des règles encadrant les conflits d'intérêt et les incompatibilités.
Source : (Commission européenne, 2014); (Commission européenne, 2014).
Par ailleurs, l’indépendance juridique (officielle, statutaire et en droit), ne
correspond pas toujours à « l'indépendance de fait (effective, réelle et en dehors
de tout cadre officiel) ». Même si l'indépendance juridique n'entraîne pas
importante. Les
automatiquement
caractéristiques de
la
concurrence un minimum de garde-fous qui certes ne permettent pas toujours
d'éviter toutes les pressions politiques, mais qui les rendent néanmoins moins
probables. Dans ce sens, les garde-fous juridiques renforcent les capacités
d'action des autorités et permettent d'accroître leur indépendance de fait.
reste
juridique offrent aux autorités de
l'indépendance de
l'indépendance
fait, elle
L'indépendance de fait dépend de différents facteurs. L'un des principaux
déterminants de l'indépendance de fait est l'environnement dans lequel l'autorité
de la concurrence évolue. Une autorité de la concurrence s'inscrit dans le système
administratif du pays et elle est inévitablement influencée par la situation politique,
sociale et économique. En particulier, les règles et les traditions administratives
et politiques tacites d'une juridiction peuvent jouer un rôle important. Elles peuvent
réduire ou accroître le degré d'autonomie qui est formellement spécifié dans les
textes juridiques et entraîner des écarts considérables dans les pratiques
effectives de l'autorité (Kovacic & Wineman, The Federal Trade Commission as
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an Independent Agency: Autonomy, Legitimacy and Effectiveness, 2015), (RIC,
2005), (RIC, 2002), (CNUCED, 2008), (Kovacic, Competition Agencies,
Independence, and the Political Process’ in Competition Policy and the Economic
Approach, edited by Josef Drexl, Wolfgang Kerber and Rupprecht Podszun,
2011), (Jenny, 2016).
La personnalité des hauts dirigeants peut également avoir une incidence sur
l'indépendance de fait des autorités de la concurrence. Les cadres dirigeants qui
font connaître le travail de leur autorité peuvent contribuer à donner une grande
notoriété à leur autorité au sein des entreprises et de la société dans son
ensemble (CNUCED, 2008). Enfin, l'indépendance de fait d'une autorité de la
concurrence dépend également de son propre bilan. De bons résultats en matière
façon considérable son
d'application peuvent également accroître de
indépendance de fait en renforçant sa réputation et son image dans la société
(OCDE, 2005), (Ottow, 2015), (RIC, 2002).
Encadré 1.4. Indépendance des autorités de la concurrence et
efficacité des régimes de concurrence : études empiriques
S'il est largement admis que l'indépendance des autorités de la concurrence
renforce l'efficacité des régimes de concurrence, très peu d'études étayent
l'existence d'une relation positive entre les deux. Dutz et Vagliasindi
(Competition Policy Implementation in Transition Economies: An Empirical
Assessment, 2000) ont testé la relation entre l’efficacité institutionnelle des
autorités de la concurrence et l’intensité de la concurrence sur le marché à
partir d'un échantillon de 18 autorités de la concurrence. Dans cette étude,
l'efficacité institutionnelle était évaluée en fonction de trois facteurs : i) le degré
d'indépendance de l'autorité à l'égard du pouvoir politique, ii) la transparence
et iii) l'efficacité du processus d'appel en fonction de la pertinence de la
décision rendue.
D'après les résultats de cette étude, il existe une relation positive entre d'une
part, l'efficacité de l'application du droit et de la politique de la concurrence et
celle de l'institution et d'autre part, l'intensité de la concurrence sur les
marchés. L'étude a aussi montré que l'effet institutionnel était plus de deux fois
supérieur à l'effet en matière d'application du droit et de la politique de la
concurrence. D'après les auteurs, « cela implique que les facteurs liés à
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l'efficacité institutionnelle sont en réalité cruciaux pour que la politique de la
concurrence produise les effets voulus dans l'ensemble de l'économie. Le lien
plus étroit entre l'efficacité de l'application et la facilitation de l'expansion des
entreprises productives laisse penser qu'une réputation d'indépendance, de
transparence et de pertinence en matière de prise de décision peut constituer
une condition préalable importante pour permettre aux autorités nationales de
la concurrence d'appliquer plus efficacement le droit et la politique de la
concurrence et de mieux promouvoir la concurrence » (Dutz & Vagliasindi,
2000).
Guidi (Does Independence Affect Regulatory Performance? : The Case of
National Competition Authorities in the European Union, 2011) s'est appuyé
sur le nombre d'enquêtes ouvertes et sur le nombre de décisions prises pour
évaluer l'efficacité des autorités. Il a testé l'hypothèse suivante : plus une
autorité de la concurrence est indépendante, plus le nombre d'affaires
instruites et de sanctions prises est élevé. Les résultats de son analyse
statistique ont corroboré cette hypothèse et montré «
qu'une indépendance en
bonne et due forme avait un effet positif sur l'efficacité des autorités de la
concurrence. Cela signifie que l'indépendance ne produit pas seulement un
effet de réputation mais qu'elle améliore également les performances
objectives de ces autorités
» (Guidi, Does Independence Affect Regulatory
Performance? : The Case of National Competition Authorities in the European
Union, 2011). Ce chercheur s'est également
l'effet de
l’indépendance sur la performance des autorités de la concurrence en utilisant
comme indicateurs l'investissement direct étranger et l'indice des prix à la
consommation. Dans ce cas, il a obtenu des résultats contradictoires et abouti
à la conclusion suivante «
les résultats indiquent que l'indépendance en bonne
et due forme d'une autorité de la concurrence n'avait pas d'effet significatif sur
les indicateurs, ce qui remet en question l'hypothèse selon laquelle
l'indépendance améliore les performances en matière de réglementation
»
(Guidi, he Impact of Independence on Regulatory Outcomes: the Case of EU
Competition Policy, 2015).
intéressé à
Une étude empirique qui analyse la relation entre l'indépendance et l'efficacité
d'une autorité de la concurrence doit nécessairement définir ce qu'est une «
autorité de la concurrence efficace » pour faire des comparaisons entre
juridictions. Mais, parvenir à une définition satisfaisante dans une optique
comparative est une tâche particulièrement complexe. Il est très difficile de
choisir un indicateur qui mesure correctement l'efficacité d'une autorité à un
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moment donné. Les autorités de la concurrence, par exemple, peuvent avoir
des effets semblables par le biais de différents types d'activités ou d'affaires,
ou en imposant des amendes de montants différents. Il est toutefois possible
que cela ne révèle pas grand-chose sur l'efficacité du régime de concurrence.
Une autorité de la concurrence peut résoudre de nombreux conflits par des
engagements/accords ou parvenir à prévenir la formation de nouvelles
ententes simplement grâce à ses décisions passées. En outre, le travail de
promotion de la concurrence pourrait avoir des retombées considérables sur
l'ensemble de l'économie bien que cela puisse être difficile à observer à court
terme. Ces éléments sont difficiles à saisir à travers un indicateur.
Source : (OCDE, 2016)
1.3.3. Le Tribunal administratif
Le Tribunal administratif (TA) constitue un ordre juridictionnel indépendant.
Pendant longtemps, le Tribunal administratif faisait figure de juge unique en
l’absence de voie de recours contre ses décisions. La Loi organique n° 2001-79
du 24 juillet 2001 a instauré le principe du double degré de juridiction, sans pour
autant entraîner la création d’autres tribunaux. Le TA se compose désormais de
plusieurs chambres faisant office de juge de première instance, d’appel et de
cassation. Plus précisément, il est composé de sept chambres de première
instance, de cinq chambres d'appel, de trois chambres de cassation, de deux
chambres consultatives ainsi que d'une assemblée plénière compétente en
matière de cassation.
Les chambres de première instance et les chambres d'appel connaissent
essentiellement des recours en annulation dirigés contre les actes ou décisions
pris par les autorités administratives. L'assemblée plénière dans ses fonctions en
matière de cassation statue essentiellement sur les pourvois en cassation dirigés
contre les jugements rendus en matière indemnitaire, fiscale, ordinale et
électorale.
Le Tribunal administratif s’est vu confier le rôle de la juridiction de contrôle des
décisions rendues par diverses autorités de régulation sectorielle, y compris les
décisions de la Commission bancaire, du Comité général des assurances ou
encore de la Commission de services financiers. Le Tribunal administratif est
également l’organe juridictionnel qui statue sur les recours en appel et cassation
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des décisions prononcées par le Conseil de la concurrence. De plus, le Tribunal
administratif statue également en tant qu’organe juridictionnel d’appel sur les
recours d’annulation dirigés contre les actes ou décisions prises par les autorités
administratives en matière d’exemption et de concentration. Le Tribunal
administratif peut en appel réformer les décisions du Conseil et du ministère en
remplaçant le raisonnement de la décision attaquée par son appréciation des faits.
Lors d’échanges avec les parties prenantes, le problème de la spécialisation des
magistrats du Tribunal administratif a été évoqué à plusieurs reprises. La rareté
des offres de formation d’un côté, et l’absence de chambre ou de section
spécialisée en matière de droit de la concurrence de l’autre entravent
l’accumulation de connaissances techniques et d’expertise institutionnelle. Ceci
rend difficile la tâche des juges limitant souvent leur appréciation aux aspects de
forme plutôt que le fond. Ces difficultés se reflètent, par ailleurs, presque
naturellement dans
le Tribunal
administratif, incluant l'appel et la cassation, qui va de 5 à 10 ans (voir 2.4).
la durée moyenne d’une action devant
1.4. L’interface avec les autorités de régulation des régimes
sectoriels spéciaux
1.4.1. L’Instance nationale des télécommunications (INT)
L’INT est un organe collégial doté de la personnalité civile et de l’autonomie
financière créé par l'article 63 du Code des télécommunications. Elle a pour
mission de réguler le marché des télécommunications, de veiller au respect par
les opérateurs de télécommunications du cadre législatif et réglementaire, et
d’organiser les relations entre les opérateurs de façon non discriminatoire
instaurant une concurrence saine et loyale entre les différents acteurs du marché
(opérateurs et fournisseurs de services de télécommunications). L’INT a
également des pouvoirs de décision, d’investigation et d’enquête (y compris l’auto
saisine), de règlement des litiges et de sanction à l’encontre des opérateurs ou
des fournisseurs de services qui méconnaîtraient les dispositions législatives ou
règlementaires régissant le secteur ou une décision prise par l’INT. De ce fait, il
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existe un vrai risque de conflit de compétence avec le Conseil de la concurrence
comme l’indique la double instruction de l’affaire « offre
familia » en 201223.
Afin de mieux prévenir ce genre de conflits, un Protocol d’accord a été signé par
les deux parties en juin 2012 stipulant que le Conseil de la concurrence n'a pas
compétence pour émettre des jugements sur les affaires liées aux décisions
réglementaires de l'INT, et que l’INT n’est pas compétente pour juger les recours
qui lui sont soumis et qui concernent des pratiques anticoncurrentielles telles que
stipulées par l’article 5 de la Loi de 2015 sur la concurrence et les prix
24. Par
ailleurs, l’INT a aussi la faculté de soumettre au Conseil une demande d’avis sur
des questions de concurrence ou de déposer une requête concernant des
pratiques anticoncurrentielles
25. Lors des consultations, le Secrétariat de l’OCDE
a été informé que le nouveau code des télécommunications (en cours de
préparation) proposerait un partage des rôles entre les deux institutions avec des
compétences
ex-ante pour l’INT et ex-post pour le Conseil. Le secrétariat a
également appris qu’une première étude sectorielle est en cours de préparation
par l’INT. Cependant, il n’a pas été possible de confirmer que le Conseil y prendra
part activement.
1.4.2. La Banque Centrale de Tunisie (BCT)
La BCT assure la supervision et la stabilité du secteur bancaire. Elle combine les
missions de surveillance, de régulation et de sanctions. Elle est également
habilitée à traiter les questions relatives à la concurrence au sein du secteur, y
compris sur des projets de concentrations concernant des banques et
établissements financiers (voir 2.3). La Commission d’agrément, créé par l’article
26 de la loi n° 2016-48 du 11 juillet 2016 relative aux banques et aux
23 Affaire instruite et jugée par l’INT sous la référence 38/2012 et en même temps par le
Conseil de la concurrence sous la référence n° 121191, sans jugement à ce jour.
24 Ce principe a aussi été confirmé dans la décision du Conseil de la Concurrence No.
121322 du 29 décembre 2014, dans laquelle le CC observe que la compétence de l’INT
ne couvre pas les pratiques de l’art. 5 en matière de télécommunications. Étant donné que
le code des télécoms ne parle pas de pratiques anticoncurrentielles et ne renvoie pas à la
loi sur la concurrence.
25 Voir par exemple l’avis du Conseil de la Concurrence No. 122444 du 12 septembre 2012
émis suite à une demande d’avis de l’INT à proposer d’un litige porté devant elle par Tunisie
Télécom à l’encontre de Tunisiana.
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établissements financiers, est responsable, entre autres, d’émettre les décisions
concernant toute opération d’achat directe ou indirecte des actions et/ou droits de
vote d’une banque ou d’un établissement financier ainsi que les actions de concert
explicites entre actionnaire après consultation du Conseil de la concurrence (article
27 et article 29 de la Loi bancaire). Le Conseil n’est pas représenté au sein de la
Commission et il n’existe pas de cadre formel de coopération entre les deux
institutions bien que le Conseil ait demandé à ce qu’un représentant de la BCT soit
nommé parmi ses membres.
La BCT reçoit des réclamations de particuliers et d’entreprises concernant
certaines pratiques des banques, tels que des ruptures abusives de crédit ou
manque de transparence des taux d’intérêt pratiqués, mais généralement elles ne
conduisent pas à des sanctions. Le Gouverneur de la BCT est habilité à infliger
des sanctions à l’encontre des banques et des établissements financiers (article
169 de la Loi bancaire), y compris l’avertissement ou une amende dont le montant
ne doit pas dépasser 15% du capital minimum en cas de non-respect des
dispositions légales et réglementaires en vigueur. La BCT, à travers la
Commission de sanctions peut également émettre des sanctions pécuniaires ou
administratives allant jusqu’au retrait de l'agrément pour des infractions
bancaires. Lors des consultations, le Secrétariat de l’OCDE a été informé que la
Commission de sanctions est peu active et qu’à ce jour, aucune sanction n’a été
décidée par la BCT. Le Conseil de la concurrence est également peu actif dans
ce secteur. Mis à part la décision n° 3150 du 25 juin 2004 concernant l’entente
entre les banques relatives aux commissions sur chèques, le Conseil s’est
autosaisi d’une deuxième affaire en juin 2021 concernant les pratiques bancaires
relatives au remboursement reporté des prêts en raison de la pandémie du
coronavirus.
1.4.3. Le Comité général des assurances (CGA)
Le CGA est l’autorité de tutelle et de contrôle du secteur des assurances. Crée
par la Loi n° 2008-8 du 13 février 2008, il est doté de la personnalité morale et de
l’autonomie financière et combine les missions de surveillance, de régulation et
de sanctions qui peuvent être prononcées par la commission de discipline
émanant du collège du CGA. Les décisions concernant l’agrément, les fusions et
les concentrations économiques sont prises par le ministre des Finances sur la
base d’un rapport du Comité qui n’est pas obligé de consulter le Conseil de la
concurrence (voir 2.3). Toutefois, l’article 180 du code des assurances prévoit que
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« le comité peut également échanger des informations avec les autorités
chargées de la concurrence dans le cadre de leurs missions respectives
».
Malgré l’absence de cadre formel de coopération avec le Conseil de la
concurrence, le Secrétariat de l’OCDE a été informé lors de la mission
d’exploration que des échanges réguliers ont lieu entre les deux institutions sur
les questions relatives au respect des règles de la concurrence dans le secteur.
Cependant, mis à part l’avis n° 82235 du 14 mai 2009 concernant les accords de
tarification cité plus haut, le Conseil n’a pas traité d’affaires concernant le secteur
des assurances.
1.4.4. L’Autorité de contrôle de la microfinance (ACM)
L’ACM est un comité doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière.
Créée par le décret n°2012-2128 du 28 septembre 2012, l’ACM exerce un rôle
important dans le processus d’octroi d’agrément par l’instruction de la demande
et l’établissement du rapport de microfinance. Elle est également dotée des
pouvoirs disciplinaires nécessaires permettant de
la
réglementation aux institutions de microfinance assujetties à son contrôle. Les
décisions concernant l’agrément, les fusions et les concentrations économiques
sont prises par le ministre des Finances après avis de l’ACM. Il est d’ailleurs
important de noter que l’article 25 du Décret-loi n° 2011-117 du 5 novembre 2011
qui concerne les opérations de fusions dans le secteur ne prévoit pas de
consultation des organes de concurrence.
respecter
faire
1.4.5. La haute Autorité indépendante de la communication
audiovisuelle (HAICA)
La HAICA est une instance constitutionnelle. Créée par le Décret-loi n° 2011-116
du 02 novembre 2011 et dotée de larges pouvoirs réglementaires et consultatifs, la
HAICA a pour mission de veiller à l’organisation et à la régulation de la
communication audiovisuelle. Elle peut intervenir, par auto-saisine sur demande
préalable, pour contrôler le degré de respect des principes généraux d’exercice des
activités de communication audiovisuelle est et peut sanctionner les infractions
commises. La HAICA a également pour mission d’empêcher la concentration dans
la propriété dans les médias audiovisuels et d’instaurer une concurrence loyale au
sein du secteur (article 15 du Décret-loi de 2011). De ce fait, les interactions avec
les organes de concurrence sont
quasi inexistantes (voir 2.3).
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Dans son avis n°202750 du 23 octobre 2020 au sujet du nouveau projet de loi
relatif à la liberté de la communication audiovisuelle, le Conseil de la concurrence
a proposé de supprimer l’interdiction de la concentration dans la propriété dans
les médias audiovisuels et de s’inspirer d’expériences comparées pour adopter
des critères et des seuils propres au secteur de manière à respecter les principes
de pluralisme d’un côté et de libre circulation des capitaux de l’autre.
1.5. Les ressources
Disposer d'un personnel et d'un budget suffisants est une condition préalable
fondamentale pour permettre le bon fonctionnement et l'indépendance d’une
autorité de la concurrence (Commission européenne, 2014). De manière
générale, les ressources des autorités de concurrence, que ce soit les jeunes ou
les plus anciennes, demeurent soumises à des contraintes sous une forme ou
une autre et elles ont tendance à le rester dans la durée (OCDE, 2009). Si toutes
les autorités s’emploient à accroître leur budget, il est primordial de faire en sorte
d’utiliser leurs deniers avec la plus grande efficience possible.
1.5.1. Les ressources budgétaires
Les autorités de la concurrence sont habituellement financées par les recettes
publiques générales. Si le pouvoir en place approuve ou non les décisions de
l'autorité, il peut augmenter ou réduire le budget de l'autorité en fonction de ses
performances (Commission européenne, 2014), (Commission européenne,
2014), (Monti, 2014), (Alves, Capiau, & Sinclair, 2015), (Gal, 2004), (Kovacic &
Wineman, The Federal Trade Commission as an Independent Agency:
Autonomy, Legitimacy and Effectiveness, 2015), (Ottow, 2015). De son côté,
l'autorité peut avoir tendance à adapter ses décisions aux attentes du pouvoir en
place afin de préserver ses ressources. L'allocation du budget est un paramètre
crucial qui peut faire l'objet d'une pression indue et qu'il convient d'encadrer par
des garde-fous adéquats.
Selon l’article 11 de la Loi de 2015, le budget du Conseil de la concurrence est
financé par le budget général de l’État. Il est rattaché pour ordre au budget du
ministère du Commerce. Le décret n°2006-477 du 15 février 2006, fixant les
modalités d’organisation administrative et financière et de fonctionnement du
Conseil de la concurrence, prévoit dans le chapitre relatif à l’organisation
financière, qu’il revient au président du Conseil de préparer le projet du budget.
Ledit budget est reparti en deux titres : titre 1 dit, le budget de fonctionnement, et
titre 2 nommé le budget d’équipement.
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Ce budget comprend les prévisions des dépenses nécessaires au fonctionnement
ordinaire du Conseil et la réalisation de son programme d’investissement. Le
Conseil (tout en étant un programme) prépare chaque année son budget sous le
contrôle du ministère du Commerce (tout en étant une mission). Ce projet de
budget est discuté avec les services du comité général de l'Administration du
budget de l'État au ministère des Finances, dans le cadre des travaux
d'élaboration du budget annuel de la mission dite ministère du Commerce. Le
ministère des Finances valide et consolide ensuite les projections de l'ensemble
des institutions du secteur public, qu'il transmet à l'Assemblée des représentants
du peuple (ARP) pour approbation du budget annuel de l'État, partie intégrale de
la Loi de finances.
Le président du Conseil est l’ordonnateur du budget. Toutes les dépenses du
Conseil doivent passer par un contrôle préalable comme pour l’ensemble des
institutions publiques. En effet, ceci est concrétisé par l’obligation du visa du
contrôleur des dépenses avant tout engagement de crédit. Un deuxième contrôle
est exercé avant le paiement par le comptable.
Graphique 1.7. Évolution des ressources budgétaires (millions TND)
et humaines du Conseil
Source : OCDE basé sur les données du Conseil de la Concurrence
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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Avoisinant les 0.65 millions EUR en 2020 et en augmentation de près de 9 % en
moyenne sur la période 2015-2020 (Graphique 1.7), le budget du Conseil de la
concurrence reste très modeste selon les normes internationales. En 2018, les
autorités de la concurrence prises en compte dans la base de données
COMPSTATS
26 de l'OCDE disposaient d’un budget moyen de 20 millions EUR,
mais ce montant est quelque peu faussé par la prise en compte d’un certain
nombre d’autorités de la concurrence de grande taille. Le chiffre médian de
l’ensemble des budgets était de 9 millions EUR (environ 10.6 millions USD). Le
budget moyen des autorités de la concurrence, en termes nominaux, a augmenté
d'environ 1% entre 2015 et 2018, en tenant compte des effets de taux de change.
D’un autre côté, le budget moyen des 26 autorités de la concurrence des petits
pays (mois de 12 millions d’habitants) prises en compte dans COMPSTATS était
de 6.3 millions EUR, presque 10 fois celui du Conseil de la concurrence.
Graphique 1.8. Répartition des budgets des agences de la
concurrence
Note : Calculé pour les 43 autorités de la base de données CompStats qui ont fourni des données budgétaires
pour quatre ans pour les activités liées à la concurrence uniquement.
Source : Base de données COMPSTATS de l’OCDE
26 La base de données COMPSTATS de l’OCDE comprend des données sur 55 juridictions
à travers le monde. Les informations sur la base de données COMPSTATS sont compilées
dans
l'OCDE 2020 » :
https://www.oecd.org/daf/competition/OECD-Competition-Trends-2020.pdf
la publication « Tendances de
la concurrence de
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Une analyse des données budgétaires par groupes de pays participants à la base
de données COMPSTATS de l’OCDE permet d’avoir une idée plus claire de la
situation du Conseil par rapport aux autorités de concurrence des pays
comparables, notamment en matière de PIB et de PIB par tête d’habitant,
d’enveloppe budgétaire, de nombre du personnel ou encore d’âge de l’autorité de
concurrence. Le Graphique 1.9 montre que les ressources budgétaires du
Conseil de la concurrence tunisien restent bien en deca du niveau moyen de tous
les pays comparables à travers tous les critères cités ci-haut.
Graphique 1.9.Budget du Conseil de la concurrence par rapport aux
groupes de pairs
Tunisie
2015 EUR million
Non-OCDE
PIB-G1
PIB par habitant-G1
Staff-G1
Âge de l'Autorité-G2
2015
2016
2017
2018
2019
16
14
12
10
8
6
4
2
0
Note : les pays participants à la base de données ont été répartis en trois groupes de pays affichant des
performances comparables selon les cinq critères de comparaison retenues pour cet exercice. Au-delà du
groupe « non-OCDE » qui regroupe 18 pays non-membres de l’Organisation, le groupe « PIB-G1 » auquel
appartient la Tunisie comprend 22 pays ayant un PIB en dessous de 250 milliards EUR, le groupe « PIB par
tête d’habitant-G1 » comprend 26 pays ayant un revenu moyen par habitant de moins de 25.000 EUR, le
groupe « Personnel-G1 » comprend 22 pays ayant un nombre de fonctionnaires dédiés aux activités liées à la
concurrence de moins de 35 et le groupe « Âge de l’autorité-G2 » comprend 29 pays dont les autorités de
concurrence ont un âge d’existence entre 25 et 50 ans.
Source : Base de données COMPSTATS de l’OCDE.
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La base de données COMPSTATS permet également une comparaison du
budget par rapport au personnel des autorités de concurrence. Graphique 1.10-A
montre qu’en 2018, le budget par agent était en moyenne plus élevé dans les
pays de l'OCDE (124 000 EUR) que dans les juridictions non membres (52 000
EUR). Pour les 26 pays comparables en terme de population, ce chiffre était de
114 000 EUR. En comparaison, le budget moyen par agent pour la Tunisie était
en dessous de 33 000 EUR en 2018. Bien qu’il soit passé à environ 37 000 EUR
en 2020, ce chiffre reste très modeste en termes absolus ainsi que relatifs compte
tenu de la performance moyenne des différents groupes de pays comparables et
prouve encore
la concurrence
le manque de moyens du Conseil de
(Graphique 1.10-B).
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022



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Graphique 1.10. Budget moyen par agent
A – Budget par agent par région*
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B- Budget par agent pour la Tunisie par rapport aux groupes de pairs
Tunisie
Non-OCDE
PIB-G1
PIB par habitant-G1
Staff-G1
Âge de l'Autorité-G2
2015 EUR thousand
250
200
150
100
50
0
2015
2016
2017
2018
2019
Note : * Calculé pour les 43 autorités de la base de données COMPSTATS qui ont fourni des données
budgétaires pour quatre ans pour les activités liées à la concurrence uniquement.
Source : Base de données COMPSTATS de l’OCDE
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Historiquement, le ministère des Finances a souvent alloué un budget moins
élevé que celui demandé par le Conseil. Le budget, accordé au Conseil chaque
année en janvier, ne subit pas de modifications au cours de l'année ce qui confère
une certaine stabilité. Le titre 1 du budget relatif au fonctionnement et qui est dédié
aux dépenses de rémunération (salaires) accapare les trois quarts des ressources
du Conseil. Le quart restant est dédié en majeure partie aux dépenses de gestion
(équipements). En pratique, l’exécution du titre 2 du budget est souvent source
de complications car certains achats sont centralisés par le ministère du
Commerce.
Les sources de financement qui ne dépendent pas exclusivement de la discrétion
du pouvoir en place peuvent soustraire les autorités de la concurrence aux
ingérences politiques indues. Une autorité qui se finance elle-même n'a pas à
négocier ses ressources avec le pouvoir en place. Certains mécanismes
d'autofinancement reposent sur certains impôts et cotisations prélevés sur les
entreprises (Italie et Turquie notamment) (voir Encadré 1.5) ou sur des
commissions perçues sur certains services comme les notifications de fusion
(Canada, Autriche, États-Unis et Zambie entre autres).
Toutefois, dépendre exclusivement de ces sources de financement présente des
limites et peut engendrer d'autres difficultés pour les autorités. Ainsi, en particulier
durant une crise économique, l'autorité peut manquer de ressources en raison
d'une baisse des notifications de fusion (Jenny, 2016), (Kovacic & Wineman, The
Federal Trade Commission as an Independent Agency: Autonomy, Legitimacy
and Effectiveness, 2015). Afin de réduire les risques découlant de la dépendance
à l'égard d'une seule source de financement, il est généralement recommandé de
s'appuyer sur une combinaison de différentes sources, comme une combinaison
de recettes générales et de commissions.
En outre, l’exercice de priorisation des activités prend tout son sens dans un
environnement ou les ressources sont très limitées. Afin d'assurer l'efficacité de
ses actions, il est nécessaire pour une autorité de la concurrence de pouvoir dans
une certaine mesure définir ses priorités de façon indépendante (Ottow, 2015),
(Commission européenne, 2014), (Jenny, 2016).
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Encadré 1.5. Financement de certaines autorités de la
concurrence des pays de l’OCDE
L’exemple de l’Italie
Le financement de l'autorité italienne de la concurrence (Italian Competition
Authority - ICA) était assuré jusqu'à 2012 par deux sources principales : le
budget de l’État et les redevances versées par les entreprises soumises à
l'obligation de notification de fusion. Le décret n. 1/2012 a modifié le système
de financement de l'ICA, qui repose désormais sur des cotisations obligatoires
imposées aux sociétés de droit italien dont le chiffre d'affaires dépasse un seuil
de 50 millions d'euros. Les revenus de ces contributions remplacent toutes les
formes de financement antérieures. Le niveau de cotisation, initialement fixé à
0,06 pour mille, a été progressivement abaissé par l'ICA à 0,055 pour mille.
Les états financiers de l'Autorité doivent être approuvés au plus tard le 30 avril
de l'année suivante et sont soumis au contrôle de la Cour des comptes.
L'ancien système de
le risque d'éventuelles
financement comportait
fluctuations du montant du budget annuel, en raison de l'imprévisibilité du
nombre de fusions notifiées et du financement de l'État. Le nouveau système
met l'ICA à l'abri de ce risque, permettant ainsi une planification des activités
et de recrutements plus stable. Le nouveau système de financement est
considéré comme une reconnaissance indirecte du rôle positif joué par l'ICA
pour favoriser un environnement de concurrence sain et équitable, ce qui
justifie l'imposition d'une petite contribution aux plus grandes entreprises de
droit italien.

L’exemple du Portugal
Le financement de l'autorité portugaise de la concurrence (Portuguese
Competition Authority - PCA) est assuré par des transferts de la part des
instances nationales de réglementation, des commissions prélevées dans le
cadre de ses activités et les amendes qu'elle inflige. En dernier recours, elle
peut aussi utiliser le budget de l'État, ce qui ne s'est toutefois encore jamais
produit. Les transferts des instances nationales de réglementation constituent
sa principale source de financement et représente environ 81 % de son
budget. D’après l'article 35 des nouveaux statuts de la PCA, les contributions
sont comprises entre 5.5 % et 7.0 % des recettes totales des autorités
nationales de réglementation. Cet article établit également un taux par défaut
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de 6.25 % au cas où l'ordonnance ministérielle fixant le taux que les autorités
nationales de réglementation doivent verser n'est pas adopté. L'autorité de la
concurrence reçoit également 40 % des amendes infligées, les 60 % restants
sont alloués au budget de l’État. Elle n'est pas la seule à recourir aux amendes
pour se financer, il s'agit d'une pratique courante pour l'ensemble des autorités
administratives. Les tribunaux prononcent les arrêts finaux concernant les
amendes : ils peuvent confirmer ou modifier (à la hausse comme à la baisse)
le montant des amendes infligées par l'autorité. En 2014, ce mode de
financement représentait 4 % du budget de l'autorité portugaise de la
concurrence.
L’exemple de la Turquie
L'autorité turque de la concurrence (Turkish Competition Authority - TCA) est
financée par le budget de l'État, par les impôts prélevés sur certaines
entreprises et par les ventes de publications. Les amendes constituaient
auparavant une source de financement de cette autorité. L'article qui lui
octroyait le droit de retenir 25 % de l'amende imposée a été abrogé en 2003
en réponse aux critiques des entreprises selon lesquelles l'autorité avait
tendance à infliger des amendes pour se financer. En outre, si les tribunaux
peuvent accepter ou rejeter une décision de la TCA, ils ne peuvent pas décider
du montant de l'amende, ce qui donne une grande marge de manœuvre à la
TCA sur ce point. Depuis sa création en 1997, la TCA n'a reçu aucun
financement de la part de l'État et, à la suite du changement opéré en 2003,
son financement repose exclusivement sur les recettes fiscales. L'impôt
s'élève à 0.04 % des capitaux de toute société à responsabilité limitée de droit
turc nouvellement constituée et des nouveaux capitaux en cas d'augmentation
de capital.

Source : (OCDE, 2016)
la direction générale de
Concernant
la Concurrence et des enquêtes
économiques, il convient de noter que celle-ci n’a pas de budget autonome. Ses
ressources proviennent du budget du ministère du Commerce. Néanmoins, une
estimation de ses dépenses budgétaires montre que ces ressources sont plus
importantes que celles du Conseil.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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1.5.2. Les ressources humaines
Les ressources humaines jouent un rôle essentiel dans le bon fonctionnement
des autorités de la concurrence. Les agents instruisent les dossiers, rassemblent
toutes les données et les informations requises, font les recoupements et les
analyses nécessaires et préparent les rapports sur lesquels le conseil de l'autorité
fonde ses décisions
finales. Le manque d'agents compétents mine
nécessairement la capacité d'une autorité de la concurrence à faire preuve de
professionnalisme ce qui peut alors compromettre son indépendance.
Le Conseil de la concurrence compte actuellement 34 employés à temps plein
composant essentiellement le corps des rapporteurs et le corps des cadres
administratifs. Les deux tiers du staff (62 %) sont affectés aux principales activités
de concurrence du Conseil. En termes de spécialisation, les juristes forment 38 %
et les économistes 21 % du staff alors que 21 % du personnel détiennent d'autres
informatique, gestion
diplômes d'études supérieures, principalement en
formation
d'entreprise et comptabilité. 42% du personnel a suivi une
complémentaire à l’École Nationale d’Administration (ENA) alors que 20 %,
principalement du personnel de soutien administratif, n'ont pas de diplômes
d'études supérieures.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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Graphique 1.11. Répartition du personnel du Conseil par spécialité
Juristes
Économistes
Autres
Sans diplômes
21%
21%
38%
20%
Source : Conseil de la Concurrence
Deux principaux faits ressortent des données relatives aux ressources humaines
du Conseil. Tout d'abord, le pourcentage relativement important du personnel
administratif non-spécialiste dans le domaine de la concurrence et non-affecté
aux activités s’y référant. Deuxièmement, la prédominance des juristes sur les
économistes, dans un rapport de 13 juristes pour 7 économistes. De plus, il n'y a
pas d'économiste en chef pour fournir des informations économiques et
coordonner l’approche économique du Conseil.
De manière plus générale, les ressources humaines du Conseil demeurent très
en deçà des normes internationales. Selon la base de données COMPSTATS de
l’OCDE de 2018, le nombre médian d’employés spécialisés dans le domaine de
la concurrence est de 84 et la moyenne, également biaisé en raison des grandes
autorités de la concurrence, est de 153. En outre, la moyenne des 26 autorités de
la concurrence dans les petits pays (ayant une population inférieure à 12 millions
d'habitants) était de 53 employés, plus du double du nombre des employés du
Conseil. Cet écart se réduit et se rapproche de la norme dans les pays
comparables si on prend en considération le nombre des employés de la DGCEE.
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Graphique 1.12. Effectifs des autorités de la concurrence, 2018
69
Note : Basé sur les 49 juridictions qui ont fourni des données pour les quatre années.
Source : Base de données COMPSTATS de l’OCDE.
La comparaison des ressources humaines du Conseil de la concurrence avec les
autorités de pays comparables selon les mêmes critères mentionnés dans le
Graphique 1.9, permet de prendre la mesure de l’écart et du besoin de
renforcement de ces ressources.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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Graphique 1.13. Effectif du Conseil de la concurrence par rapport
aux groupes de pairs
Tunisie
Non-OCDE
PIB-G1
PIB par habitant-G1
Budget-G1
Âge de l'Autorité-G2
125
100
75
50
25
0
2015
2016
2017
2018
2019
Source : Base de données COMPSTATS de l’OCDE
La moyenne de l’effectif réservé aux fonctions de la concurrence au sein des
autorités de concurrence participantes à la base de données COMPSTATS pour
1 million d'habitants était de 2,2 personnes en 2018. Cette moyenne est nettement
plus élevée dans les pays de l'OCDE 4,3 personnes pour 1 million d'habitants
contre 0,8 personne pour 1 million d'habitants dans les juridictions non membres.
Pour la Tunisie, cette moyenne était de 1.58 en 2018 en comptant seulement
l’effectif du Conseil et de 3.5 en ajoutant celui de la DGCEE. En mesurant le
nombre de personnel dédié à la concurrence pour chaque million d'euros de PIB,
les autorités de la concurrence employaient en moyenne 1 personne pour 100
millions d'euros de PIB. Ce chiffre était autour de 0.5 pour la Tunisie en 2018. En
ajoutant le personnel de la DGCEE, il monte à 1.2.
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Graphique 1.14. Effectifs des autorités de la compétition pour 1
million d'habitants
A - Effectifs pour 1 million d'habitants par région, 2018
B - Effectifs pour 1 million d'habitants en Tunisie par rapport aux groupes de pairs
Tunisie
Non-OCDE
Autres
PIB par habitant-G1
Budget-G1
Staff-G1
Âge de l'Autorité-G2
15
12
9
6
3
0
2015
2016
2017
2018
2019
Source : Base de données COMPSTATS de l’OCDE
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La DGCEE, notamment la direction des prix et de la concurrence, compte 23
employés dédiés aux différentes activités au niveau central et 55 répartis à travers
les 24 gouvernorats du pays. Les juristes et les économistes constituent la quasi
majorité du staff de la direction. Le ministère du Commerce est de ce fait bien plus
outillé que le Conseil de la concurrence, notamment en ce qui concernant les
enquêtes terrain et les perquisitions qui ne peuvent être conduite que par les
inspecteurs de contrôle économique.
Tableau 1.1. Répartition du personnel de la direction des prix et de
concurrence (DGCEE)
Domaine ou unité
Nombre
Formation académique
Direction des prix et de concurrence
Animation / enquêtes en matière des
pratiques anti concurrentielles
Contrôles des opérations de concentrations
et exemptions
Consultations
Études sectorielles
Culture de la concurrence
Observation commissaire du gouvernement
Suivi exécution des décisions du conseil de
la concurrence
Suivi et statistique
Directions régionales du commerce
Détections régionales du commerce
Animation / enquêtes en matière des
pratiques anti concurrentielles
Contrôles des opérations de concentrations
et exemptions
Source : Ministère du Commerce
4
2
3
4
2
4
2
2
48
5
2
Juristes + économistes
Économistes
Juristes
Juristes + économistes
Juristes + économistes
Juristes
Juristes
Administrateurs
Juristes économistes
Ingénieurs
Juristes + économistes
Économistes
En matière de rémunération, les salaires des employés du Conseil et du Ministère
sont déterminés par l'échelle de rémunération de la fonction publique, qui classe
tous les fonctionnaires dans six catégories ou grades à 25 niveaux de
rémunération chacune, et sont donc équivalents aux salaires des autres
institutions publiques. Le régime de rémunération du président du Conseil et de
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ses deux vice-présidents est fixé, comme évoqué plus haut, par décret
gouvernemental sur proposition du ministre du Commerce.
Les salaires de départ dans la fonction publique en Tunisie sont relativement
compétitifs par rapport au secteur privé. Au fur et à mesure que les employés
gagnent en expertise et montent en hiérarchie, l'écart salarial entre le public et le
privé tend à augmenter en faveur de ce dernier. Dans les postes de niveau
intermédiaire, les fonctionnaires gagnent généralement un peu moins que leurs
équivalents du secteur privé, tandis que pour les postes de haute responsabilité,
les salaires ne sont pas compétitifs par rapport au secteur privé. Ceci est
doublement problématique, car il devient difficile de garder les talents au sein du
Conseil de même que de les attirer de l'extérieur. De plus, la faiblesse du salaire
ne semble pas être compensée par un projet de carrière attractif. L’enquête en
ligne réalisée par le Secrétariat auprès du personnel du Conseil de la concurrence
a, en effet, révélé que 50% des participants estiment ne pas bénéficier d’un projet
de carrière attractif avec des perspectives claires.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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Encadré 1.6. Enquête en ligne auprès du Conseil de la
concurrence et de la DGCEE
Afin de compléter les informations recueillies à travers le questionnaire de
l’examen par les pairs ainsi que lors des entretiens organisés dans le cadre de
la mission exploratoire, le Secrétariat de l’OCDE a réalisé une enquête en ligne
auprès du personnel du Conseil de la concurrence et de la Direction générale
de la concurrence et des enquêtes économiques (DGCEE) du ministère du
Commerce. L’enquête a eu lieu entre juillet et août 2021. Elle a été conduite
dans le but de recueillir des informations sur les conditions de travail du
personnel dédié à la concurrence. Le questionnaire portait sur dix questions à
échelles d’intervalle de satisfaction allant de 1 à 5. Les thèmes évoqués
incluent les conditions matérielles de travail, le projet de carrière, la formation,
la spécialisation des équipes, la coopération avec les autorités de régulation
sectorielle, les activités de sensibilisation et la reconnaissance du travail des
organes de la concurrence par le grand public. Le taux de réponse a été de
56% pour le personnel du Conseil de la concurrence et de 52% pour le
personnel au sein de la direction centrale de la DGCEE.
Graphique 1.15. Taux de réponse par institution et par
spécialisation
Juristes
Économistes
Autres
DGCEE
Conseil de la concurrence
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
Source : Enquête en ligne de l’OCDE
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Une autorité de la concurrence doit consacrer une énergie et des efforts
particuliers pour définir une politique efficace en matière de ressources humaines.
Une considération particulière doit être donnée aux questions relatives au
recrutement et à la gestion des carrières. Afin de limiter le risque que le
recrutement de personnel ne soit utilisé pour orienter abusivement l'autorité, celle-
ci doit être habilitée à définir ses propres critères de recrutement et employer son
propre personnel. Pour dissiper tout soupçon de partialité des agents, le
processus de recrutement doit reposer sur un concours transparent et fondé sur
le mérite. La sélection transparente et objective des agents peut également
contribuer à la création d'une culture institutionnelle d'indépendance.
Il enfin est essentiel pour une autorité de la concurrence de renforcer sa politique
du personnel de façon tant à attirer et qu'à retenir à son service un personnel
qualifié. La création d'un cadre de travail qui encourage et récompense le
perfectionnement professionnel peut contribuer à inciter le personnel à rester
dans l'institution et à accumuler les connaissances professionnelles nécessaires
au sein de l'organisation. Une offre de formation pointue et en phase avec les
défis émergeants peut également contribuer à attirer et à fidéliser des
collaborateurs compétents (OCDE, 2009). Les résultats de l’enquête en ligne
réalisée auprès du personnel du Conseil montrent cependant que 70% des
participants n’estiment pas bénéficier d’une offre de formation qui répond à leurs
besoins.
Il est également important de veiller soigneusement aux incitations non
monétaires car elles peuvent compenser l'écart de rémunération avec le secteur
privé (OCDE, 2016). Accorder une importance particulière au sens du service
public, permettre un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle et
offrir davantage de possibilités de perfectionnement professionnel et de
perspectives professionnelles au sein de l'organisation sont des solutions
possibles. La compétence et la réputation de l'autorité au sein de la société peut
également contribuer à attirer et à retenir un personnel plus qualifié (Gal, 2004).
L’enquête en ligne réalisée auprès du personnel du Conseil et de la DGCEE a
néanmoins révélé que beaucoup de travail reste à faire dans ce domaine. En effet,
90% des participants du Conseil et 75% des participants du Ministère estiment
que le travail des deux institutions n’est pas assez reconnu et respecté par la
population en général.
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L’application du
droit de la concurrence
Le droit de la concurrence est essentiellement appliqué par la direction générale
de la Concurrence et des enquêtes économiques (DGCEE) du ministère du
Commerce et par le Conseil de la concurrence. Comme évoqué dans le chapitre
précédent, certains secteurs sont soumis à un régime spécial de contrôle des
concentrations avec leur régulateur sectoriel respectif. Cette section analyse les
types d’infractions concernant les pratiques anticoncurrentielles, la procédure
d’enquête, le contrôle des concentrations, ainsi que les aspects relatifs au pouvoir
Judiciaire.
2.1. Les types d’infractions
La loi nº 2015-36 du 15 septembre 2015 établit une liste des pratiques qui sont
considérées comme anticoncurrentielles en Tunisie, et donc interdites. Selon
l’article 5 de la loi, cela concerne notamment les ententes, les abus de position
dominante, les abus de dépendance économique et les prix abusivement bas.
Cette liste est indicative et non limitative des pratiques prohibées selon la
jurisprudence du Conseil de la concurrence et la doctrine tunisienne (Madani, Le
Juge et la Concurrence, 2021).
27 Le graphique ci-dessous montre le nombre de
27 Selon (Madani, Le Juge et la Concurrence, 2021), « Il y a des pratiques
anticoncurrentielles qui ne sont pas citées par l’article 5 mais qui sont condamnées par le
Conseil de la concurrence lorsqu’elles faussent le jeu de la libre concurrence. Il s’agit des
cas de concurrence déloyale ou encore d’infractions économiques relevant en en principe
de la compétence du juge judicaire et qui ne constituent pas, au sens juridique du terme
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décisions du Conseil de la concurrence par type d’infraction pendant les cinq
dernières années (2016 à 2020) :
Graphique 2.1. Décisions du Conseil de la concurrence (2016-2020)
Décisions du Conseil de la Concurrence
2016
2017
2018
2019
2020
25
20
15
10
5
0
21
10
7
8
7
7
7
5
5
5
5
5
5
4
3
3
3
11
10
9
11
6
6
8
4
1
3
2
1
0
Cartel
Abus de position
dominante
Abus de
dépendance
économique
Prix abusivement
bas
Mesures d'urgence
Autres*
Note : * Les décisions de rejet par absence de juridiction, par demande d’abandon, par délai de prescription,
entre autres.
Source : élaboré par le Secrétariat de l’OCDE avec les informations du site du Conseil de la Concurrence
L’analyse préliminaire du graphique révèle que le Conseil de la concurrence
consacre un temps considérable sur des affaires qui ne sont pas au cœur du droit
et de la politique de la concurrence de la plupart des pays membres de l’OCDE,
c’est-à-dire des affaires de cartel et d’abus de position dominante. Autrement dit,
le Conseil de la concurrence mobilise des ressources importantes pour enquêter
des pratiques anticoncurrentielles. Or, le Conseil de la concurrence se déclare compétent,
selon les dispositions de l’article 5 de la loi de la concurrence, dès lors que ces pratiques
faussent le jeu du marché » (pp. 190 et suivants).
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022



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sur des pratiques dites de dépendance économique et de prix abusivement bas.
Il en va de même pour les demandes de mesures conservatoires ou d’urgence,
la plupart étant liée à des contrats de distribution commerciale et aux appels
d’offres.
En ce qui concerne les procédures en phase d’instruction, le nombre est resté
relativement stable ces dernières années, autour de 120 procédures par an. La
qualification par type d’infraction, ainsi que le rejet par absence de juridiction ou
pour d’autres raisons se font pendant l’analyse des dossiers.
Les sous-sections suivantes examinent chaque type d’infraction prévue dans la
législation tunisienne sur la concurrence et les prix : les ententes, les abus de
position dominante, les abus de dépendance économique et les prix abusivement
bas.
2.1.1. Les ententes
La législation tunisienne précise que « sont prohibées, les actions concertées, les
cartels, et les ententes expresses ou tacites ayant un objet ou un effet
anticoncurrentiel et lorsqu’elles visent à : faire obstacle à la fixation des prix par
le libre jeu de l’offre et de la demande ; limiter l’accès au marché à d’autres
entreprises ou le libre exercice de la concurrence ; limiter ou contrôler la
production, les débouchés, les investissements, ou le progrès technique ; répartir
les marchés ou les sources d’approvisionnement » (Article 5 de la loi nº 2015-36
du 15 septembre 2015). Nettement inspiré de l’actuel article 101 du TFEU, cet
article vise expressément certains types de pratiques en fonction de leurs effets
(fixation de prix, limitation de l’accès au marché, limitation de la production,
répartition des marchés). Cette disposition est restée inchangée en Tunisie depuis
1991 et a été reprise comme telle dans la loi du 15 septembre 2015.
La définition légale du type d’infraction paraît conforme aux standards des pays
membres de l’OCDE qui interdisent strictement les ententes injustifiables (OECD,
Recommandation du Conseil de l’OCDE concernant une action efficace contre
les ententes injustifiables, 2019). Ces dernières sont des accords entre
concurrents ayant pour objet la fixation des prix, le partage des marchés ou des
soumissions concertées. Elles constituent la forme la plus nuisible de violation du
droit de la concurrence et doivent être sévèrement sanctionnées.
Au cours de la période 2016-2020, une vingtaine de décisions et une dizaine de
condamnations ont été rendues par le Conseil de la concurrence en matière
d’entente. On constate également une légère augmentation dans le nombre des
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décisions rendues en matière de cartel ces dernières années, ce qui est un signe
positif pour la politique de concurrence en Tunisie comme le montre le graphique
ci-dessous :
Graphique 2.2. Décisions de cartel du Conseil de la concurrence
(2016-2020)
Source : Élaboré par le Secrétariat de l’OCDE avec les informations du site du Conseil de la Concurrence
Une affaire illustre bien l’application du droit de la concurrence sur ce terrain.
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Encadré 2.1. L’affaire de cartel sur le marché public de fourniture
de mobiliers scolaires
En 2018, le Conseil de la concurrence a sanctionné un cartel agissant sur le
marché public de la fourniture de mobiliers scolaires aux établissements
d’enseignement. À la suite d’une plainte du Ministère du Commerce, le dossier
a révélé que les sociétés défenderesses ont fait des offres à des prix
identiques. Le Conseil de la concurrence a constaté que le processus
d’échange d'informations avait conduit à la répartition des appels d’offres entre
les parties concernées, grâce à l’échange de données et un comportement
collusif entre les sociétés concernées. Les offres soumises par les sociétés
ont été identifiées comme des offres dites de rotation, qui consistent en une
forme de collusion en matière de marchés publics et qui se traduisent par une
augmentation de la valeur des offres. Pour ces raisons, le Conseil de la
concurrence a qualifié ces pratiques d’entente et a condamné les trois
entreprises à des sanctions financières ainsi qu’à la publication de la décision
dans deux journaux à leurs frais.
Source : Décision n° 141346 du Conseil de la concurrence du 4 janvier 2018
Cependant, le nombre de décisions finales et surtout de condamnations en la
matière reste faible en Tunisie lorsqu’on le compare au nombre moyen de
décisions dans d’autres pays, comme le montre le graphique ci-dessous :
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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Graphique 2.3. Décisions de cartels dans le monde, moyenne (2016-19)
2015
2016
2017
2018
0
5
10
15
20
25
2019
30
35
Toutes les jurisdictions
Non-OCDE
OCDE
Les Amériques
Asie-Pacifique
Europe
Autres
Source : OECD Trends (2021)
Le graphique ci-dessous montre une comparaison, en termes de décisions de
cartels, entre la Tunisie et les regroupements de pays comme définis dans la
1.5.1. Ces données montrent que le nombre de décisions de cartels effectuées
au Conseil de la concurrence est considérablement moindre que dans d’autres
pays comparables.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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Graphique 2.4. Décisions de cartels – comparaison entre la Tunisie
et d’autres pays (2015-2019)
Tunisia
Non-OECD
Budget-G1
Staff-G1
Law Age-G2
Agency Age-G2
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
2015
2016
2017
2018
2019
Note : Les regroupements des pays ont été définis dans la section 1.5.1, Graphique 1.9.
Source : OECD CompStats.
2.1.2. Les abus de position dominante
La loi nº 2015-36 du 15 septembre 2015 établit que « Est également prohibée,
l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché intérieur ou sur une
partie substantielle de celui-ci (…). L’exploitation abusive d’une position dominante
(…) peut consister notamment en refus de vente ou d’achat, en ventes ou achats
liés, en l’imposition d’un prix minimum pour la revente, en l’imposition des conditions
de vente discriminatoires ainsi que la rupture de relations commerciales sans motif
valable ou au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions
commerciales abusives » (Article 5).
La loi tunisienne interdit ainsi « l'exploitation abusive d'une position dominante sur
le marché intérieur ou sur une partie substantielle de celui-ci », de la même façon
que l’article 102 TFUE. Cette disposition a également été conservée à l’identique
dans la loi du 15 septembre 2015.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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Le graphique ci-dessous indique le nombre de décisions et de condamnations
d’abus de position dominante rendues par le Conseil de la concurrence de 2016
à 2020.
Graphique 2.5. Décisions d’abus de position dominante au Conseil
de la concurrence (2016-2020)
Source : élaboré par le Secrétariat de l’OCDE avec les informations du site du Conseil de la concurrence.
Le nombre des décisions en matière d’abus de position dominante sont en ligne
avec la moyenne dans le monde comme indiqué dans le graphique ci-dessous :
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Graphique 2.6. Décisions d’abus de position dominante dans le
monde (2016-2019)
2015
2016
2017
2018
2019
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
Toutes les jurisdictions
Non-OCDE
OCDE
Les Amériques
Asie-Pacifique
Europe
Autres
Source : OECD Trends (2021)
Il s’agit du type d’infraction le plus fréquent parmi les décisions rendues par le
Conseil de la concurrence sur cette période. L’affaire ci-dessous qui concerne le
secteur des télécommunications est un bon exemple de l’application de ces règles
par le Conseil de la concurrence.
Le graphique ci-dessous montre une comparaison, en termes de décisions d’abus
de position dominante, entre la Tunisie et les regroupements de pays comme
définis dans la section 1.5.1,Graphique 1.9.
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Graphique 2.7. Décisions d’abus de position dominante –
comparaison entre la Tunisie et d’autres pays (2015-2019)
Tunisie
Non-OCDE
Budget-G1
Staff-G1
Âge de la loi-G2
Âge de l'Autorité-G2
10
8
6
4
2
0
2015
2016
2017
2018
2019
Note : Les regroupements des pays ont été définis dans la section 1.5.1, graphique 1.9.
Source : OECD CompStats.
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Encadré 2.2. L’affaire d’abus de position dominante dans le
secteur de télécommunications
Deux décisions rendues le même jour ont condamné la société Tunisie
Télécom à une amende totale de 1 700 000 TND et à la publication des
décisions dans deux journaux. Dans l’une de ces deux affaires, le Conseil de
la concurrence a également sanctionné la société Topnet à une amende de
200 milles TND.
Dans une première affaire, la société Tunisie Télécom était accusée de refuser
l’accès à son infrastructure, ce qui serait nécessaire pour la commercialisation
des services de connexion internet avec la technologie fibre optique à haut
débit, et d’en faire bénéficier la société Topnet au détriment d’autres
fournisseurs. Le Conseil de la concurrence a considéré que Tunisie Télécom
détenait une position dominante sur le marché pertinent, et que sa qualité de
fournisseur unique de l’infrastructure lui imposait l’obligation d’étendre le
service à toutes les parties du marché et de ne pas accorder à Topnet ou à
d’autres un avantage concurrentiel au détriment du reste des fournisseurs. Le
Conseil de la concurrence a considéré que ce comportement constituait un
abus de position dominante et avait porté atteinte à l'équilibre général du
marché de la distribution de services internet au détail. En outre, la
commercialisation de l’offre commerciale par Topnet sans avoir obtenu
l'approbation de l’Instance nationale des télécommunications, a constitué
également une violation des règles de concurrence.
Dans l’autre affaire, une plainte déposée par Orange Tunisia Internet
reprochait à Tunisie Télécom d’exploiter sa position dominante en promouvant
une double offre ADSL SMART qui engageait l’accès au réseau avec la
promotion de l’offre Internet à travers la société Topnet. Cela conduisait à une
pratique d’exclusion, les clients migrant vers le fournisseur Topnet par la voie
d’un system de guichet unique. Le Conseil de la concurrence a rapporté la
preuve que Tunisie Télécom a commis des pratiques constitutives de
comportements discriminatoires visant à amener les clients la société Orange
Tunisia Internet, de manière illégale, à utiliser le service au guichet unique.
Source : Décisions nº 161429 et nº 161419 du Conseil de la concurrence du 12 juillet 2018
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Dans l’exemple ci-dessus, il y a une application classique du droit de la
concurrence, en particulier de la lutte contre les abus de position dominante, avec
une utilisation standard des étapes d’analyse concurrentielle de ce type
d’infractions à savoir la définition de marché pertinent, l’existence d’une position
dominante, l’identification d’un abus de position dominante, et les effets
anticoncurrentiels sans gain d’efficiences justifiable.
Dans d’autres affaires d’abus de position dominante, on constate un lien étroit
entre le droit de la concurrence et le droit du consommateur. Tel était le cas dans
l’affaire des yaourts « Délice » dans laquelle la baisse du prix du yaourt de 50
centimes s’était accompagnée d’une réduction du poids du produit. L’analyse a
conclu qu’il s’agissait d’un cas de publicité mensongère. Or, étant donné que
l’entreprise en question jouissait d’une position dominante, cette pratique a été
qualifiée d’abus de position dominante.28
2.1.3. Les abus de dépendance économique
L’abus de dépendance économique est également prévu dans l’Article 5 de la loi
nº 2015-36 du 15 septembre 2015 : « Est également prohibée, l’exploitation
abusive (…) d’un état de dépendance économique dans lequel se trouve une
entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solutions alternatives, pour
la commercialisation,
la prestation de service.
L’exploitation abusive d'une position dominante ou d’un état de dépendance
économique peut consister notamment en refus de vente ou d’achat, en ventes
ou achats liés, en l’imposition d’un prix minimum pour la revente, en l’imposition
des conditions de vente discriminatoires ainsi que la rupture de relations
commerciales sans motif valable ou au seul motif que le partenaire refuse de se
soumettre à des conditions commerciales abusives ».
l’approvisionnement ou
Celui trouve sa source dans l’ordonnance française de 1986, c’est à dire le fait
d’exploiter abusivement « d’un état de dépendance économique dans lequel se
trouve une entreprise cliente ou fournisseur qui ne dispose pas de solutions
alternatives, pour la commercialisation, l’approvisionnement ou la prestation de
service ». Cette disposition a également été conservée à l’identique dans la loi du
15 septembre 2015.
28 Décision n° 3146 du Conseil de la Concurrence du 27 mars 2004.
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Les affaires sur ce type d’infraction représentent une quantité importante des
décisions prises par le Conseil de la concurrence dans les dernières années :
Graphique 2.8. Décisions du Conseil de la concurrence par type
d’infraction (2016-2020)
Source : Élaboré par le Secrétariat de l’OCDE avec les informations du site du Conseil de la concurrence
Il s’observe dans des relations commerciales verticales, généralement entre un
fournisseur et son client, où une des parties profitant abusivement de l’état de
dépendance dans lequel se trouve l’autre partie afin de lui imposer ses conditions
ou rompre la relation contractuelle unilatéralement. Certains pays font référence
à la notion de «
bargaining power » pour analyser les problèmes concurrentiels
causés par ces relations.
La plupart des décisions de condamnation rendues par le Conseil de la
concurrence au cours des 5 dernières années concerne notamment ce type
d’infraction :
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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Graphique 2.9. Décisions d’abus de dépendance économique au
Conseil de la concurrence (2016-2020)
Source : élaboré par le Secrétariat de l’OCDE avec les informations du site du Conseil de la concurrence.
En général, le Conseil de la concurrence exige quatre critères cumulatifs pour
examiner l’infraction d’abus de dépendance économique: (i) la notoriété de la
marque du fournisseur, (ii) sa position sur le marché, (iii) sa part de marché sur
les transactions du requérant, et (iv) l’impossibilité pour le distributeur d’obtenir
d’autres fournisseurs des produits équivalents. Ces critères ressortent d’une
jurisprudence constante du Conseil de la concurrence :
« Présence d’éléments qui placent un commerçant dans une situation dans
laquelle il est difficile pour celui-ci de se soustraire à l’incidence que son
fournisseur a sur ses activités et bénéfices. De tels éléments incluent : la
notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché
considéré et dans le chiffre d’affaires du revendeur ainsi que de l’impossibilité
pour ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits équivalents pour
autant que cette impossibilité ne résulte pas des choix stratégiques de
l’entreprise qui allègue qu’elle est en situation de dépendance. La dépendance
économique doit nécessairement résulter d’une contrainte et non du libre
choix »
29.
29 Décision nº 131341 du Conseil de la Concurrence du 26 novembre 2015.
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Selon la doctrine tunisienne, l’objectif premier d’une telle prohibition est celui de
la protection de la partie plus faible au contrat, puisque des abus peuvent être
commis par la partie la plus forte économiquement (Madani, Le Juge et la
Concurrence, 2021). Il paraît que cette pratique est généralement provoquée par
les grands groupes tunisiens qui se rapprochent des entreprises étrangères et les
convainquent de rompre leurs relations commerciales établies avec les petites et
moyennes entreprises qui les représentent dans le marché local depuis plusieurs
années. Ceci pose un problème par rapport à leurs investissements tenant
compte la dépendance économique crée par la notoriété des marques et la
continuité de ces activités.
Il est intéressant de noter que l’impact de cette pratique sur les consommateurs
n’est pas évoqué parmi les critères utilisés par le Conseil de la concurrence. La
protection du consommateur ne semble donc pas d’être un élément dans
l’analyse de ces infractions.
On constate également un grand nombre de demandes de mesures
conservatoires ou d’urgence dont la plupart est liée à ce type d’infraction.
Souvent, une société dépose une telle demande auprès du Conseil de la
concurrence dans le but de maintenir une relation de distribution commerciale ou
similaire. L’affaire ci-dessous concernant le secteur de la distribution des
détergents, des couches pour bébés et des shampoings, illustre le fait qu’une
demande de mesure conservatoire accompagne fréquemment les demandes
relatives aux abus de dépendance économique.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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Encadré 2.3. L’affaire d’abus de dépendance économique dans le
secteur de distribution des détergents, des couches de bébés et
des shampoings
L’affaire concerne une plainte relative à un abus de dépendance économique
déposée à l’encontre de la société ID sur le marché de distribution de plusieurs
produits consommables dont des détergents, des couches de bébés et des
shampoings.
Le Conseil de la concurrence a considéré que la société ID avait rompu
arbitrairement la relation commerciale qu’elle avait avec un client, en
s’abstenant de lui fournir les produits demandés. L’analyse se concentre sur
deux éléments : l’existence d’une dépendance économique, et l’étendue de
l’exploitation abusive de l’état de dépendance économique.
Après avoir examinée la plainte, le Conseil a conclu qu’il existait d’une situation
de dépendance économique en raison du manque de solutions alternatives
pour la partie plaignante. La nature, la taille et la durée de la relation
commerciale l’ont empêchée de diversifier la base de ses fournisseurs et limité
sa capacité à trouver et à conclure des contrats dans un délai raisonnable avec
d’autres fournisseurs de même taille, ce qui lui aurait permis de compenser la
perte du chiffre d’affaires due à la rupture de la relation commerciale existante.
Ainsi, la nature exclusive de la relation commerciale, sa durée, la notoriété des
marques du défendeur et l’importance du chiffre d'affaires en jeu ont fait partie
des facteurs pris en compte par le Conseil de la concurrence.
Le Conseil a rendu une décision d’urgence ordonnant à la société ID de rétablir
la relation commerciale jusqu’à ce que le Conseil prenne sa décision. N’ayant
pas respecté la mesure d’urgence, le Conseil a imposé une amende de 100
000 TND pour non-respect de la mesure conservatoire. Par ailleurs, sur le
fond, le Conseil a décidé de sanctionner la société ID pour abus de
dépendance économique et lui a infligée une amende de 978 911 946 TND
ainsi que la publication de la décision dans deux journaux.
Source : Décision nº 141362 du Conseil de la concurrence du 27 août 2020
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Enfin, certaines affaires sont analysées à la fois sous l’angle de l’abus de position
dominante et de l’abus de dépendance économique. Il reste donc possible qu’une
décision de condamnation soit fondée sur les deux infractions.
30
Une originalité concerne « l’abus de dépendance économique collective », qui
qualifie la situation d’une entreprise victime d’un abus provenant de plusieurs
personnes juridiques. En 2015, le Conseil de la concurrence a décidé que la
société STID était dans une situation de dépendance économique collective par
rapport aux grandes et moyennes surfaces (GMS): Carrefour, Magasin Général,
et Monoprix, notamment sur le marché de la distribution des détergents.
31 Il
s’agirait d’un type spéciale de dépendance économique, et le Conseil a imposé
des sanctions aux GMS allant de 500 000 à 800 00 TND. Le Tribunal administratif
a cependant révisé cette décision et a requalifié la pratique anticoncurrentielle
pour écarter la dimension « collective » de la pratique non prévue dans la
législation.
32
2.1.4. Les prix abusivement bas
La législation tunisienne interdit également « toute offre de prix ou pratique de prix
abusivement bas susceptible de menacer l’équilibre d’une activité économique et
la loyauté de la concurrence sur le marché » (Article 5 de la loi nº 2015-36 du 15
septembre 2015). L’infraction a été créé par la loi 2005-60 du 18 juillet 2005 qui a
ajouté un alinéa supplémentaire prohibant toute offre de prix ou pratique de prix
abusivement bas susceptible de menacer l'équilibre d'une activité économique et
la loyauté de la concurrence sur le marché. Cette disposition a été maintenue
depuis.
30 Voir par exemple l’affaire « Black & Decker » où la société a été condamné à la fois pour
abus de position dominante et pour abus de dépendance économique. Décision n° 51102
du Conseil de la Concurrence du 27 décembre 2007.
31 Décision n° 121301 du Conseil de la Concurrence du 25 décembre 2015.
32 Pour une analyse critique de la décision, voir (Knani, 2017). À noter également que la
décision du Tribunal administratif concernant l’affaire STID n’est pas une décision finale et
donc on ne peut pas avancer que le Tribunal administratif a écarté en définitif la dimension
« collective » de la pratique.
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En pratique, cette infraction est généralement constatée dans le cadre de
marchés publics. L’article 65 de décret n° 2014-1039 du 13 mars 2014, portant
réglementation des marchés publics stipule que :
Si une offre de prix est jugée anormalement basse, l'acheteur public propose de
la rejeter, et ce, après avoir demandé par écrit les précisions qu'il juge utiles et
après vérification des justifications fournies. L’acheteur public informe le ministre
chargé du commerce des offres financières éliminées en raison des prix
excessivement bas portant atteinte à la concurrence loyale. Le ministre chargé
du commerce peut saisir le conseil de la concurrence d’une requête à l’encontre
des soumissionnaires de ces offres
33.
Elle peut avoir lieu à toutes les étapes de la procédure d’appel d’offre, c’est-à-dire
avant ou après la signature du contrat.
La règle s’inspire de la législation française qui interdit « les offres de prix ou
pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux
coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces
offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un
marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses
produits » (Article L420-5 du Code de commerce en France). Cependant, la
limiter son application aux «
jurisprudence
consommateurs finaux » et ainsi exclure son application aux offres d’achat public
qui sont régies par le droit de la commande publique
34.
française a évolué pour
En Tunisie, cette infraction n’est pas conditionnée par l’existence préalable d’une
position dominante. Le Conseil de la concurrence affirme d’ailleurs que «
des
entreprises ne tenant aucune position dominante sont sanctionnées
»35 par cette
33 Art. 65 du décret n° 2014-1039 du 13 mars 2014.
34 Décision nº 09-D-20 du 11 juin 2009 de l’Autorité française de la concurrence : « cette
appréciation [de l’Article L. 420-5 par l’Autorité de la concurrence] vise exclusivement le
offres de prix ou de services faites au consommateur final. À plusieurs reprises, lorsqu’il a
été saisi au regard de l’article L. 420-5 d’offres de prix en matière de marchés publics de
collectivités locales, le Conseil de la concurrence a rappelé qu’une collectivité locale ne
pouvait être assimilée à un consommateur final ».
35 Réponses au questionnaire de l’OCDE de mars 2021.
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pratique. Il suffit qu’il y ait un lien de causalité entre une pratique de prix
abusivement bas et un comportement qui vise à l’élimination des concurrents du
marché. La jurisprudence du Conseil de la concurrence va dans la même
direction
36.
l’analyse des coûts de production, de
L’analyse des prix abusivement bas obéit à une logique similaire à celle des prix
prédateurs mis en place par une entreprise dominante, notamment en ce qui
concerne
transformation et de
commercialisation des produits. Cependant les infractions de prix abusivement bas
ne se limitent pas aux pratiques des entreprises détenant une position dominante.
Le Conseil de la concurrence a déjà eu l’occasion de se pencher sur la distinction
entre le prix prédateur et le prix abusivement bas.
La position dominante et les effets sur la concurrence
L’existence d’une position dominante est généralement une étape préliminaire
pour l’analyse des effets concurrentiels sur le marché. Inversement, lorsqu’une
autorité de la concurrence estime qu’il n’existe pas de position dominante, une
pratique commerciale unilatérale n’est normalement pas en mesure de produire
des effets négatifs sur le marché.
Enfin, les effets sur la concurrence restent néanmoins différents lorsqu’il s’agit
d’une pratique commise par une entreprise qui détient ou non une position
dominante. Ceci devrait jouer un rôle dans le cadre d’une amélioration de la
politique nationale de la concurrence.
2.1.5. Les exemptions
Alors que l’Article 5 de la loi nº 2015-36 définit les types d’infractions, l’Article 6
établit ensuite une procédure d’autorisation préalable pour les pratiques qui ne
font pas objet d’une enquête ou d’une décision par le Conseil de la concurrence.
Il dispose que les pratiques mentionnées (les ententes, les abus de position
dominante, les abus de dépendance économique, et les prix abusivement bas)
sont légales lorsqu’elles sont «
indispensables pour garantir un progrès technique
36 Décision 141349 du 24.07.2014 du Conseil tunisien de la concurrence relative aux prix
abusivement bas dans le secteur de l’auto-école.
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ou économique et qu’elles procurent aux utilisateurs une partie équitable du profit
qui en résulte
» à condition qu’elles ne conduisent pas à une élimination
substantielle de la concurrence sur le marché concerné.
La procédure pour présenter une demande d’exemption a été fixée par le décret
gouvernemental No. 2016-1204 du 18 octobre 2016.
37 Les exemptions sont
accordées, dans un délai de trois mois à compter du jour de la réception du
dossier, par le ministre du Commerce par un arrêté motivé après avis du Conseil
de la concurrence émis dans un délai de deux mois à compter du jour de la
transmission du dossier, et publiée au Journal Officiel (JORT). Le Ministre peut
déterminer la durée de l’exemption dans la limite de cinq ans renouvelables, ainsi
que la soumettre à une révision périodique.
2.2. La procédure d’enquête sur les infractions
La procédure d’enquête sur les infractions comprend les phases de détection,
d’instruction, et les sanctions qui seront examinées ci-dessous. Une analyse sera
également faite pour les transactions faisant office de solution alternative pour la
clôture des dossiers, ainsi que pour l’équité et la transparence des procédures.
2.2.1. La détection
Le déclenchement d’une procédure d’enquête sur une pratique anticoncurrentielle
peut se faire par trois moyens : une plainte d’un tiers, une demande de clémence
ou une auto-saisine par l’autorité d’enquête.
L’article 15 paragraphe 1 fixe la liste des organes qui peuvent saisir le Conseil de
la concurrence : le ministre du Commerce (ou toute personne ayant une
délégation à cet effet),
les organisations
professionnelles et syndicales,
les organisations ou groupements de
consommateurs légalement établis, les chambres de commerce et d’industrie, les
autorités de régulation, et les collectivités locales. À cet égard, on retrouve que la
les entreprises économiques,
37 Décret gouvernemental No. 2016-1204 du 18 octobre 2016, portant fixation des
procédures de présentation des demandes d’exemption et de sa durée en application de
la loi No. 2015-36 du 15 septembre 2015, relative à la réorganisation de la concurrence et
des prix.
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plupart des enquêtes a été ouverte suite à une plainte, par exemple déposée par
de l’Organisation de défense du consommateur (ODC).
On constate tout d’abord que le nombre de personnes pouvant saisir le Conseil
dans le cadre de sa mission juridictionnelle a augmenté avec la loi de 2015. En
1991, l’article 11 disposait que la commission pouvait être saisie des requêtes
«
soit à l’initiative du ministre chargé de l’économie, soit à l’initiative des
entreprises, des organisations professionnelles ou syndicales, des organismes ou
de groupements de consommateurs agrées, des chambres d’agriculture, ou de
commerce et d’industrie
». Depuis 2005, se sont ajoutés à cette liste, les autorités
de régulation et les collectivités locales. On la retrouve désormais à l’article 15 de
la loi du 15 septembre 2015. De manière plus significative, la possibilité de l’auto-
saisine va être introduite en 1999. L’article 11 n’envisage alors que les cas où la
requête, dans un premier temps déposée par les parties, aurait été ensuite retirée.
Cette condition est finalement abandonnée en 2005. L’article dispose que «
le
conseil de la concurrence peut, sur rapport du rapporteur général et après avoir
entendu le commissaire du gouvernement, se saisir d'office des pratiques
anticoncurrentielles sur le marché
». Cette formule a été transposée à l’identique
à l’article 15 de la loi du 15 septembre 2015.
Au cours de 5 dernières années, il y a eu 23 enquêtes ouvertes d’office (auto-
saisine) dont 9 par la DGCEE et 14 par le Conseil de la concurrence. Environ 5
enquêtes été ouvertes via l’auto-saisine chaque année.
On constate également qu’un programme de clémence est en place depuis 2003.
Le dernier alinéa de l’article 19 disposait ainsi que «
le conseil peut, après audition
du commissaire du gouvernement, exonérer de la sanction ou l'alléger pour
quiconque qui apporte des
informations pertinentes non accessibles à
l'administration et de nature à révéler des accords ou des pratiques
anticoncurrentielles auxquels il a pris part
». Le programme de clémence a été
complété et modernisé par la loi du 15 septembre 2015, notamment par l’article
26 et les détails ressortant du décret gouvernemental No. 2017-252 du 8 février
2017
38. Une distinction est faite entre le bénéficiaire de l’exemption totale et le
bénéficiaire de l’exemption partielle. Désormais l’exemption totale n’est accordée
38 Décret gouvernemental n° 2017-252 du 8 février 2017, portant fixation des procédures
de présentation des demandes d'exonération totale de la sanction ou de sa réduction en
application des dispositions de l 'article 26 de la loi n° 2015-36 du 15 septembre 2015,
relative à l a réorganisation de la concurrence et des prix.
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l’existence d’une
qu’à celui qui fournit, le premier, des informations dont l’administration ou le
Conseil ne disposaient pas et qui permettent de procéder à une enquête sur les
infractions à la concurrence sur un marché donné, ou qui fournit des éléments de
preuve déterminants permettant de prouver
infraction.
L’exemption partielle est accordée à celui, peu importe son rang, qui fournit des
éléments de preuve apportant une valeur ajoutée significative, ou ne conteste pas
l’existence des pratiques qui lui sont reprochées. Enfin, il en va de même pour
celui qui prend l’initiative de mettre en œuvre des mesures qui conduisent à
rétablir la concurrence sur le marché. Les conditions suivent en général le
standard présent dans d’autres pays de l’OCDE, mise à part l’exigence d’entendre
au préalable le commissaire du gouvernement au sein du Conseil de la
concurrence, qui réduit
de facto l’autonomie du Conseil dans l’application du
programme de clémence.
Cependant il n’existe aucune affaire déclenchée par telle voie de détection, ce qui
pose une question légitime de politique publique sur les raisons d’une telle
statistique. Lors de la mission d’exploration, plusieurs raisons ont été évoquées
pour expliquer cette absence dont notamment le manque d’une culture de la
concurrence, l’insuffisance d’informations sur la procédure (selon l’Article 1 du
décret la demande peut être présentée à la DGCEE ou au rapporteur général du
CC), ou encore une certaine méfiance à l’égard de l’administration publique. On
pourrait également ajouter le nombre limité de sanctions à l’égard des cartels et
le faible montant des amendes, ce qui réduit leur caractère dissuasif et n’incite
pas les entreprises à participer au programme de clémence.
39
Dans ce contexte, les études menées par l’OCDE démontrent qu’il est avantageux
de trouver un équilibre entre les méthodes proactives (par exemple les auto-
saisines) et réactives (par exemple les programmes de clémence) d’enquête,
l’une pouvant renforcer l’efficacité de l’autre (OECD, Table-ronde de l’OCDE sur
"Ex-Officio Cartel Investigations and the Use of Screens to Detect Cartels", 2013).
En effet, le membre d’un cartel serait plus incité à dénoncer l’entente en cas d’une
crainte réelle de faire l’objet d’une investigation par auto-saisine de l’autorité de la
39 Il faut préciser que le Conseil de la Concurrence applique généralement une amende de
10% sur le chiffre d’affaires des entreprises concernées, et celles-ci sont la plupart des cas
de moyenne taille. Les faibles montants des amendes sont ainsi une conséquence du texte
juridique, et pas forcément de la performance du Conseil de la Concurrence.
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concurrence. Un plus grand équilibre entre les moyens de détection serait ainsi
positif pour la politique de la concurrence en Tunisie.
2.2.2. Les pouvoirs d’enquête
La DGCEE et le Conseil de la concurrence peuvent mener des enquêtes portant
sur les pratiques anticoncurrentielles. Selon les informations communiquées par
les autorités tunisiennes, les enquêteurs des deux organes ont une compétence
similaire sur ce terrain. Pour éviter une duplication des enquêtes sur le même
objet, la loi tunisienne précise que le ministre du Commerce doit informer le
Conseil de la concurrence des enquêtes en cours, et vice-versa.
Les deux organes de concurrence peuvent faire des inspections inopinées et des
perquisitions. Selon les Articles 67 et 68 de la loi nº 2015-36, une autorisation
préalable du Procureur de la République est nécessaire en cas d’inspection ou
de perquisition en dehors des heures de
travail. Lorsqu’une pratique
anticoncurrentielle est détectée, la DGCEE peut transmettre le dossier au Conseil
de la concurrence. Alors que les inspecteurs (avec l’autorisation du ministre du
Commerce) font les perquisitions au nom du ministère, les rapporteurs (avec
l’autorisation du président du Conseil) les font au nom du Conseil de la
concurrence. Celles-ci sont appelées perquisitions « ordinaires » et elles sont les
plus fréquentes. Il existe également des perquisitions dites « extraordinaires » qui
sont faites par un inspecteur du contrôle économique général (Ministère) ou par
un rapporteur (Conseil de la concurrence) sous le contrôle du Procureur et, dans
ces hypothèses, sans l’autorisation préalable du ministre ou du président du
Conseil de la concurrence.
Seulement 5 inspections inopinées ont été réalisées au cours des 5 dernières
années,
40 ce qui semble très limitée. À la fin de l’enquête, un rapport final
d’enquête doit être rédigé.
La duplication des compétences entre la DGCEE et le Conseil de la concurrence
peut engendrer plusieurs problèmes. D’abord, elle peut engendrer de coûts de
coordination entre les deux organes de concurrence, ce qui peut réduire
l’efficacité de l’action administrative. Une telle duplication réduit également
l’indépendance et l’autonomie du Conseil de la concurrence puisque le
40 Réponses au questionnaire de l’OCDE de mars 2021.
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gouvernement, par la voie de la DGCEE, pourrait obtenir des informations
concernant toute enquête ouverte par le premier.
Les autorités de concurrence doivent également demander l’avis technique des
organes de régulation lorsque les enquêtes concernent les secteurs dont ils sont
respectivement chargés. La législation ne prévoit pas de délai pour l’envoi de cet
avis technique, ce qui pourrait trainer la marche normale des investigations. En
revanche, certains pays de l’OCDE prévoient ainsi un délai pour telle
manifestation technique (par exemple 30-60 jours), ou bien rendent cet avis
facultatif.
En ce qui concerne la diversité des secteurs économiques enquêtés, on constate
que la plupart des affaires reste concentrée sur certains marchés, notamment
ceux liés à la distribution, la santé, les télécommunications, et l’électricité. Les
investigations sur d’autres secteurs économiques, comme le tourisme et les
finances, sont quasi-inexistantes. Puisque les autorités de concurrence en
Tunisie ne semblent pas avoir une politique de priorisation pour l’ouverture ou
l’instruction des enquêtes anticoncurrentielles, la priorisation des enquêtes est
donc un domaine qui pourrait s’améliorer. Ceci permettrait de concentrer les
efforts sur certains marchés, par exemple ceux qui joue un rôle important dans le
développement du pays ou qui touche en particulier les plus pauvres.
Enfin s’agissant du délai de prescription, l’article 11 de la loi du 29 juillet 1991
prévoyait que les actions afférentes à des pratiques anti-concurrentielles
remontant à plus de trois ans étaient prescrites. L’article 14 de la loi du 15
septembre 2015 allonge ce délai et en précise le point de départ : «
Sont
prescrites les actions afférentes à des pratiques anticoncurrentielles à l’expiration
de cinq ans après la date de commission de la pratique
».
2.2.3. Les sanctions et les transactions
Si la pratique est avérée, la décision rendue par le Conseil de la concurrence
comporte obligatoirement la condamnation des auteurs de cette pratique selon
l’article 27 de la loi de 2015. Cette obligation de sanctionner se retrouve encore à
l’article 43 de la loi du 15 septembre 2015. La sanction elle-même en revanche a
évolué au fil des évolutions législatives. Dans l’article 34 de la première version
de la loi du 29 juillet 1991, il était prévu que le montant de l’amende pécuniaire
infligée par la commission de la concurrence ne pouvait excéder 5% du chiffre
d’affaires réalisé en Tunisie par l’opérateur concerné au cours du dernier exercice
écoulé. Seul un plafond proportionnel était donc prévu. Cet article va ensuite être
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modifié en 1995. Le plafond proportionnel demeure fixé à 5% du chiffre d’affaires
jusqu’à la réforme de 2015. À celui-ci s’ajoute un plafond fixe dans le cas où le
contrevenant est une personne morale ou une organisation n’ayant pas un chiffre
d’affaires propre. L’amende varie alors entre 1 000 et 50 000 TND.
Toutefois, en pratique le Conseil de la concurrence a dans un premier temps peu
utilisé son pouvoir de sanction. Entre 1990 et 2000 par exemple, dans seulement
17% des cas, la décision était accompagnée d’une sanction. Une amélioration a
pu être notée par la suite. En 2004, la moitié des cas était sanctionnée. Le manque
de caractère répressif et dissuasif de la sanction pécuniaire a ainsi souvent été
pointé du doigt. La loi du 15 septembre 2015 est donc venue renforcer le pouvoir
de sanction du Conseil de la concurrence. L’article 43 prévoit en effet un
rehaussement des plafonds au double. Désormais, s’agissant du plafond
proportionnel, le montant de ladite amende ne peut excéder 10 % du chiffre
d'affaires réalisé en Tunisie par l'opérateur concerné au cours du dernier exercice
écoulé. Si la personne morale n’a pas de chiffre d’affaires propre, l’amende
pécuniaire varie de 2 000 à 100 000 TND.
En ce qui concerne les personnes physiques, les sanctions comprennent une
peine de prison allant de seize jours à un an, et/ou une amende de 2 000 à
100 000 TND. Cela s’applique notamment aux personnes ayant pris « une part
déterminante » (article 45) dans les infractions prévues par l’article 5 de la loi nº
2015-36 sur la concurrence.
Le Tableau ci-dessous montre le montant des sanctions infligées par le Conseil
de la concurrence entre 2016 et 2019.
Tableau 2.1. Montant total des sanctions infligées par le Conseil de
la concurrence (2016-2019) (en dinars)
Ententes
horizontales
Abus de position
dominante
2016
2017
2018
2019
2020
140 000
1 800 000
740 850
50 000
612 500
2 200 000
1 640 000
Abus de
dépendance
économique
100 000
150 000
2 574 500
946 978 911
Prix abusivement
bas
30 000
180 000
Source: Conseil de la Concurrence
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On constate cependant que certaines condamnations sont prononcées sans
imposition de sanction pécuniaire, ce qui les prive de leur caractère dissuasif.
Cela s’est vérifié par exemple dans le cas du cartel des tomates concentrées,
ayant fait l’objet d’une condamnation par le Conseil de la concurrence en 2018
41.
Encadré 2.4. L’affaire de cartel de tomates concentrées
À la suite de la décision des autorités tunisiennes de libéraliser les prix du
double concentré de tomate en 2013, les prix au détail du concentré ont
augmenté d’environ 9% pour le boîtes de 800 g et de 20% pour celles de 400
g. L’Organisation de défense du consommateur (ODC) a porté une affaire de
collusion et de fixation de prix à la consommation devant le Conseil de la
concurrence qui a lancé une enquête sur 24 producteurs de concentré de
tomates en 2014.
L’enquête menée par le Conseil de la concurrence a démontré l’importance de
ce produit pour les consommateurs tunisiens : le pays est l’un des plus gros
consommateurs de double concentré de tomates avec une consommation
annuelle de 109 000 tonnes soit une consommation annuelle moyenne par
ménage de 57 kg, comparé à 35 kg aux États-Unis ou 24 kg en Italie.
L’enquête a aussi confirmé l’existence d’augmentation coordonnée des prix à
la suite de l’entrée en vigueur de l’Arrêté du ministre du Commerce du 22
février 2014 qui entérinait une politique de liberté des prix sur le double
concentré de tomates. Des échantillons de factures de vente examinés par le
Conseil ont révélé que les prix atteignaient 1.23 dinar pour la boîte de 400 g
et 2.05 dinars pour celle de 800 g pour 22 marques sur l’ensemble du pays.
Le Conseil de la concurrence a condamné le comportement anticoncurrentiel
sur la base de l’Article 5 de la Loi nº 2015-36 relative à la réorganisation de la
concurrence et des prix. Elle a exigé que les défendeurs cessent leurs
pratiques immédiatement, mais n’a pas imposé d’amende.
Source : Décision nº 141356 du Conseil de la concurrence du 10 mai 2018
41 Décision 141356 du 10.05.2018 du Conseil de la concurrence relative au cartel de
tomates concentrées.
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le Conseil de
la concurrence peut prononcer des mesures
En outre,
supplémentaires ou alternatives à la sanction pécuniaire. La première version de
la loi du 29 juillet 1991 prévoyait dans un article 20 que la commission de la
concurrence peut également :
« Adresser les injonctions aux opérateurs concernés pour mettre fin aux
pratiques anti-concurrentielles, dans un délai déterminé, ou leur imposer des
conditions particulières dans l’exercice de leur activité; prononcer la fermeture
provisoire de ou des établissements incriminés, pendant une période n’excédant
pas trois mois. Toutefois, la réouverture desdits établissements ne peut
intervenir qu’après que ces établissements aient mis fin aux pratiques objet de
leur condamnation.
Transmettre le dossier au parquet en vue d’engager les poursuites pénales ».
En 1995, cette disposition a été légèrement remanié dans sa structure,
notamment en séparant la possibilité de faire des injonctions de celle de
prononcer une fermeture provisoire. Surtout, le législateur a ajouté la possibilité
pour le Conseil, dans le cas d’un abus de position dominante résultant d’un cas
de concentration, de proposer au ministre chargé du Commerce d’enjoindre le
cas échéant conjointement avec le ministre dont relève le secteur intéressé, par
décision motivée, à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause, de modifier,
de compléter ou de résilier, tous accords et tous actes par lesquels s’est réalisée
la concentration qui a permis les abus, et ce, nonobstant l’accomplissement des
procédures prévues aux articles 7 et 9 de la présente loi (procédure de
notification).
À présent, la législation tunisienne permet au Conseil de la concurrence d’imposer
des injonctions à l’encontre des sociétés condamnées, ainsi que de prononcer la
fermeture provisoire des établissements incriminés pour une période n’excédant
pas trois mois (Article 27 de la loi nº 2015-36). La possibilité de fermeture
d’établissement est également évoquée dans d’autres situations prévues par la
loi. L’intention serait de toucher la réputation de l’entreprise dans l’expectative que
cela la dissuade à pratiquer à nouveau les infractions. Mais la sanction de
fermeture pourrait aussi nuire au bien être des consommateurs en réduisant leur
choix pendant la période de fermeture.
Enfin, depuis 2005, le Conseil de la concurrence peut également ordonner la
publication de ses décisions ou d’un extrait de celles-ci dans les journaux qu’il
désigne, et ce, aux frais du condamné. L’ensemble de ces mesures a été repris
à l’article 27 de la loi du 15 septembre 2015.
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Le Conseil de la concurrence peut également transmettre le dossier au Parquet
en vue d’engager des poursuites pénales (Article 27 de la loi nº 2015-36). Ceci
peut se faire à l’encontre de toute personne physique qui, par des moyens
détournés, aura pris une part déterminante dans la violation des interdictions
édictées par l'Article 5 de la loi nº 2015-36, c’est-à-dire toutes les ententes, les
abus de position dominante, les abus de dépendance économique, et les prix
abusivement bas. L’emprisonnement peut aller de 16 jours à 1 an, et une amende
de 2 000 à 100 000 TND peut être prononcée de manière complémentaire ou
alternative à la prison. À cet égard, on constate que l’emprisonnement est
généralement limitée aux ententes dans les pays membres de l’OCDE qui ont
adopté une responsabilité pénale dans le domaine de la concurrence. Ceci
s’explique à la fois en raison de l’atteinte grave que constitue les ententes, mais
également en raison du contexte imprécis dans lequel s’insère les abus de
position dominante.
En ce qui concerne les transactions, la loi tunisienne permet au Ministre du
commerce de terminer les investigations sur certaines infractions prévues dans la
loi nº 2015-36. Mais ceci ne s’applique pas aux infractions anticoncurrentielles
indiquées à l’Article 5 de la loi : «
À l’exception des infractions aux dispositions
des articles 5, 7, 8, 9, 10, et 69 de la présente loi et sur demande du contrevenant,
le ministre chargé du commerce peut, avant l’engagement de l’action publique,
ou le tribunal saisi de l’affaire, autoriser la conclusion d’une transaction, et ce tant
qu’un jugement définitif n’a pas été prononcé
» (Article 73 de la loi nº 2015-36).
Le Conseil de la concurrence n’est pas habilité à faire de transaction. À ce propos
l’expérience des pays membres de l’OCDE montre que les transactions
permettent d’économiser des ressources publiques, et les rapporteurs peuvent
ainsi consacrer leurs temps à d’autres investigations. De même, l’autonomie et
l’indépendance de l’autorité compétente pour conclure des transactions semblent
décisives pour que le recours à cet instrument soit une réussite.
Le Conseil de la concurrence peut enfin statuer en référé (art 15) ce qui arrive
souvent dans le cadre des procédures concernant l’abus de dépendance
économique. Ceci permet aux entreprises de demander au Conseil qu’il ordonne
des mesures provisoires, mais rapides tendant à préserver les droits du
demandeur.
2.2.4. La transparence et l’équité procédurale
La loi nº 2015-36 prévoit certaines obligations pour assurer la transparence des
actions menées par les autorités de concurrence en Tunisie. Dans ce contexte, la
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législation oblige le Conseil de la concurrence à établir un rapport annuel sur ses
activités, ainsi qu’à publier ses décisions et avis sur son site internet (Article 14
de loi nº 2015-36).
En pratique, on retrouve facilement les décisions, les avis, et le rapport annuel du
Conseil de la concurrence sur son site internet. Ces documents sont disponibles
en arabe. Une traduction intégrale ou partielle en français pourrait élargir son
audience (y compris internationale). Les décisions relatives au contrôle des
concentrations rendues par la DGCEE devraient en principe être présentes sur le
site internet du ministère du Commerce mais elles ne sont que rarement
disponibles. L’absence de transparence à cet égard constitue un frein au
développement de la politique de concurrence en Tunisie et pourrait être
facilement corrigée.
En ce qui concerne l’équité procédurale, il semble important de renforcer la
séparation entre les fonctions d’enquête et de jugement. Par exemple pour
l’affectation des dossiers aux rapporteurs, le président du Conseil de la
concurrence devrait s’abstenir d’y participer et laisser cette attribution au
rapporteur général. Ceci permettrait de mieux séparer
fonctions
d’investigations et de jugement au sein du Conseil.
les
La législation établit que les infractions anticoncurrentielles doivent être
constatées par procès-verbal établit par deux agents du contrôle économique (ou
deux agents relevant du ministère du Commerce) et les officiers de la police
judiciaire. L’original et une copie de ces procès-verbaux sont directement
adressés au ministre chargé du Commerce, et ils doivent contenir la date, le lieu,
l’objet, les agents verbalisateurs, entre autres.
Quant au secret professionnel, le Conseil de la concurrence affirme que les
communications entre les avocats et leurs clients sont protégées par le secret
professionnel. Il n’est pas clairement établi que le même principe s’applique à la
DGCEE. De plus, les perquisitions dans les cabinets d’avocat doivent rester
interdites, ou du moins exceptionnelles, les rapports entre avocats et clients étant
au cœur du droit de la défense.
2.2.5. L’exécution des décisions
Le ministre du Commerce est chargé de l’exécution des décisions du Conseil de
la concurrence ainsi que du recouvrement des amendes, conformément à l’Article
44 de la loi nº 2015-36. La législation prévoit aussi que le recouvrement des
montants des amendes s’effectue selon les mêmes méthodes et procédures que
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pour les créances publiques auprès du ministère des Finances (Article 75),
notamment en collaboration avec la direction générale de la Comptabilité publique
du ministère chargé des Finances.
Selon le ministère du Commerce, le recouvrement des amendes infligées aux
entreprises nationales est presque à 100%, alors que pour les entreprises
étrangères la procédure est compliquée et l’administration est appelée à conclure
des accords bilatéraux pour qui prévoit une procédure en la matière. Par
conséquence aucune amende n’est recouverte concernant les amendes
imposées aux entreprises étrangères.
Il serait important d’avoir un suivi rigoureux des montants qui ont été recouvrés
car le paiement effectif des amendes est primordial pour dissuader de commettre
des infractions.
2.3. Le contrôle des concentrations
Le premier projet de loi sur la concurrence en 1985 prévoyait un titre spécial relatif
au contrôle des concentrations. Ce titre n’a finalement pas été retenu dans la loi
originale du 29 juillet 1991, notamment parce que l’économie tunisienne n’était
pas encore suffisamment développée pour mettre en place ce type de contrôle.
La loi ne prévoyait donc pas de contrôle des concentrations initialement. Le projet
de loi va finalement être repris et un contrôle des concentrations va être introduit
dans la loi de 1991 par la loi n° 95-42 du 24 avril 1995.
Aujourd’hui le contrôle des concentrations est régi par la loi No. 2015-36 du 15
septembre 2015, relative à la réorganisation de la concurrence et des prix.
Certaines dispositions sectorielles prévoient des dérogations au régime général,
telles qu’en matière bancaire ainsi que dans les secteurs des assurances, de la
microfinance et de l’audiovisuel. Ces exceptions feront l’objet d’une analyse dans
la section 2.3.5 ci-dessous.
2.3.1. Les autorités compétentes
Le ministère du Commerce et le Conseil de la concurrence
En vertu de l’article 7 de la loi No. 2015-36, le contrôle horizontal des
concentrations relève de la compétence du ministre chargé du commerce, auquel
tout projet de concentration
les entreprises concernées doivent notifier
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économique remplissant les critères énumérés à l’article 7 (voir section 2.3.2 ci-
dessous). Certaines lois sectorielles prévoient une compétence dérogatoire,
notamment dans le secteur des assurances conformément au Code des
assurances, dans le secteur bancaire, conformément à la loi No. 2016-48 du 11
juillet 2016 relative aux banques et aux établissements financiers, dans le secteur
de la microfinance, conformément au décret-loi No. 2011-117 et dans le secteur
audiovisuel, conformément au décret-loi n° 2011-116 du 2 novembre 2011 (voir
section 2.3.5 ci-dessous). De surcroit, la Tunisie est membre du Marché Commun
de l’Afrique oriental et australe (COMESA), qui prévoit des règles spécifiques, y
compris en ce qui concerne l’autorité chargée de recevoir les notifications, en
matière de concentrations ayant une dimension régionale.
Le Tableau 2.2 montre que sur la période 2015-2020, le ministère du Commerce
a examiné 26 projets de concentration : 22 ont été autorisés sans conditions, 3
avec engagements, et un refusé en 2017
42. Autrement dit, 88% des
concentrations ont été approuvées sans conditions.
43 À titre de comparaison,
d’après les statistiques
OECD Competition Trends44, sur la période 2015-2019,
42 Voir avis du Conseil de la concurrence No. 162623 du 26 janvier 2017. Il s’agit de
l’acquisition de l’intégralité du capital de SGTM par Mosni Gas Bottles (MGB), qui affecte les
deux marchés interconnectés de la galvanisation et de la production de tubes en fer. Le
Conseil a estimé que la concentration allait à l’encontre de l’intérêt des consommateurs. En
particulier, elle n’aurait pas contribué au progrès technique et économique et aurait créé une
position de monopole à la fois sur le marché de la galvanisation des métaux et sur celui de
la production de tuyaux en fer.
43 Les avis du Conseil de la concurrence concernant les concentrations sont publiés en
arabe sur son site web, conformément à l’obligation prévue par l’article 14, dernier alinéa,
de la loi No. 2015-36. Le site dispose d’une section pour la publication des avis en version
PDF, mais il n’est pas possible de filtrer les avis en fonction de leur objet (par exemple, s’il
s’agit d’avis issus de son rôle consultatif en matière législative ou d’avis concernant une
concentration économique), de mots-clefs ou de la décision proposée par le Conseil. Une
obligation de publication similaire est aussi prévue pour les décisions du Ministre du
commerce en vertu de l’article 10, alinéa 2, de la loi No. 2015-36 mais dans la pratique les
décisions du ministère du commerce concernant les concentrations ne sont pas
promptement publiées sur le site internet et par conséquent elles ne sont pas toujours
disponibles en ligne ou sont publiées des années après leur adoption.
44 La base de données OECD Competition Trends (2020) comprend les données de 56
pays, dont 19 juridictions qui ne sont pas membres de l’OCDE.
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108
97.9% des concentrations notifiées ont été autorisées sans engagements, soit en
phase 1 soit en phase 2, et seulement 0.22% des concentrations ont été bloquées
suite à un examen approfondi en phase 2.
Tableau 2.2. Concentrations notifiées au ministère du Commerce
Années
Nombre de
décisions
relatives aux
concentrations
Nombre d’avis
émis par le
Conseil de la
Concurrence
Nombre d’avis
du Conseil non
suivis par le
Ministère du
Commerce
Nombre de
concentration
s autorisées
Nombre de
concentrations
autorisées avec
engagements
Nombre de
concentra-
tions
refusées
2015
2016
2017
2018
2019
2020
TOTAL
7
6
5
2
3
3
26
7
6
5
2
3
3
26
6
6
4
1
3
2
22
1
1
1
..
..
1
..
1
3
..
..
1
..
..
..
1
Source : Conseil de la concurrence ; Ministère du Commerce
Le graphique ci-dessous montre une comparaison, en termes de nombres de
concentrations notifiées à l’autorité de la concurrence, entre la Tunisie et des
regroupements de pays comme définis ci-dessous. Ces données montrent que le
nombre de notifications effectuées au Ministère du Commerce est
considérablement moindre que dans d’autres pays comparables.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022






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Graphique 2.10. Notifications des concentrations (2015-2019)
109
Note : Budget G1 comprend 20 juridictions ; Staff G1 comprend 22 juridictions ; Age de la loi G2 comprend 25
juridictions ; Age de l’Autorité G2 comprend 29 juridictions.
Source : OECD CompStats.
Le contrôle des concentrations en Tunisie est également fait par certains
régulateurs sectoriels qui seront analysés dans la 2.3.5 ci-dessous. Il s’agit de
dérogations au régime général sur le contrôle des concentrations dont sont
chargés les organes de concurrence.
La Commission de la Concurrence du COMESA
En tant que membre du COMESA,45 la Tunisie est aussi assujettie aux règles de
concurrence du COMESA. L’article 24 des règlements relatifs à la concurrence
45 Les pays membres du COMESA sont : Burundi, Djibouti, Égypte, Érythrée, Eswatini,
Éthiopie, Kenya, Libye, Madagascar, Malawi, Maurice, Ouganda, République
démocratique du Congo, Rwanda, Seychelles, Somalie, Soudan, Tunisie, Union des
Comores, Zambie et Zimbabwe.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022
02040608010012020152016201720182019 Tunisie Non-OCDE Budget-G1 Staff-G1 Âge de la loi-G2 Âge de l'Autorité-G2 Pays ayant un système à une phase*



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110
du COMESA dispose que les parties concernées doivent notifier à la Commission
de la Concurrence du COMESA (CCC) tout projet de concentration remplissant
les conditions fixées à l’article 23 des mêmes règlements
46. L’article 23(3)(a)
prévoit que l’obligation de notification concerne les concentrations dans lesquelles
les parties sont actives dans deux ou plusieurs États membres du COMESA.
Cependant ces dispositions supranationales ne
l’objet d’une
interprétation uniforme dans tous les États membres.
font pas
D’une part, le paragraphe 3.10 des lignes directrices du COMESA sur le contrôle
des concentrations interprète l’article 23(3)(a) à la lumière de sa nature
supranationale qui justifierait une attribution de compétence exclusive à la CCC
et non pas à l’autorité nationale compétente en matière de contrôle des
concentrations ayant une dimension régionale. D’autre part, la loi tunisienne ne
prévoit aucune dérogation à l’obligation de notification pour les concentrations de
dimension régionale et, par conséquent, d’après l’interprétation des autorités
tunisiennes, lorsque les conditions établies par la loi nationale sont remplies, les
entreprises concernées sont soumises à l’obligation de notification au ministère
chargé du commerce conformément à l’article 7 de la loi No. 2015-36. Cette
interprétation est actuellement fournie par le Ministre du Commerce, qui estime
qu’une notification à la CCC ne suffirait pas à déroger à l’obligation de notification
en Tunisie (Jabnoun, 2021) (Baker McKenzie, 2019).
47
46 L’article 23 des Règlement COMESA donne au Conseil des commissaires de la CCC le
pouvoir de fixer les seuils de notifications basés sur le chiffre d’affaires ou les actifs. Ceux-
ci ont été fixés par les « Règles sur la détermination des seuils de notifications des
concentrations and leur méthode de calcul ». En particulier, l’article 4 dispose qu’une
concentration doit être notifiée lorsque (a) le chiffre d’affaire annuel ou les actifs combinés
dans le marché commun dépassent 50 millions de dollars COMESA ; et (b) le chiffre
d'affaires ou le montant des actifs totales réalisés individuellement dans COMESA par au
moins deux des entreprises concernées représentent un montant supérieur à 10 millions
de dollars COMESA, à moins que chacune des entreprises concernées réalise plus des
deux tiers de son chiffre d'affaires total dans le COMESA à l'intérieur d'un seul et même
État membre.
47 D’après (Baker McKenzie, 2019), « Even though the COMESA treaty suggests that
under certain conditions the filing with the COMESA Competition Commission substitutes
the merger filing domestically, we do not have information confirming such an interpretation
under the domestic competition law. »
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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111
À ce propos, l’OCDE, dans la Recommandation du Conseil sur le contrôle des
fusions, recommande que
Les pays Membres sont encouragés à faciliter une coopération et une
coordination efficaces en matière de contrôle des fusions et à envisager des
initiatives, y compris par la voie législative nationale ainsi qu'au moyen de
conventions bilatérales ou multilatérales ou d'autres instruments, permettant
d'éliminer ou de réduire les obstacles à la coopération et la coordination.
Le Tableau 2.3 montre les opérations de concentration notifiées à la CCC sur la
période 2015-2020. D’après les décisions disponibles, certains projets de
concentrations notifiés à la CCC avaient aussi des effets en Tunisie mais ils n’ont
pas été notifiés au ministère du Commerce tunisien ou, le cas échéant, aux autres
régulateurs sectoriels en Tunisie48.
Tableau 2.3. Concentrations notifiées à la Commission de la
Concurrence COMESA (CCC)
Années
Nombre total de
concentrations traitées
Concentrations
autorisées sans
engagements
Concentrations
autorisées avec
engagements
2015
2016
2017
2018
2019
21
32
34
45
46
16
19
18
35
37
2
7
3
4
6
Note : les données sur les notifications en 2020 ne sont disponibles que jusqu’à mars 2020 et n’ont donc pas
été inclues dans le tableau.
Source
https://www.comesacompetition.org/?p=1286.
la Concurrence COMESA, Statistiques sur
: Commission de
les concentrations,
48 Voir décision CCC/MER/12/33/2020 du 16 avril 2021 concernant l’acquisition de la
branche l’assurance médicale de Jubilee Holdings Limited par Allianz Africa Holding
GmbH ; décision CCC/MER/8/20/2020 du 12 novembre 2020 concernant l’acquisition du
contrôle de Società Finanziaria Macchine Automatiche S.p.A. par BC European Capital et
BC Partners Fund XI ; décision CCC/MER/6/16/2020 du 4 septembre 2020 concernant
l’entreprise commune de Ford Motor Company et Mahindra and Mahindra Limited ;
décision CCC/MER/11/41/2019 du 22 décembre 2019 concernant la concentration de
Marinvest S.r.l., Ignazio Messina & C. S.p.A. and RORO Italia S.r.l.
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2.3.2. Le champ d’application
Notion de concentration
En vertu de l’article 7 de la loi No. 2015-36 du 15 septembre 2015, relative à la
réorganisation de la concurrence et des prix, est considéré comme une
concentration économique :
tout acte, quelle que soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de
jouissance de tout ou partie de biens, droits ou obligations d’une entreprise ayant
pour effet de permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer
directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autre entreprises une
influence déterminante.
La loi ne donne pas de définition précise et objective de « concentration » et ne
définit pas explicitement si certaines opérations, telle que la création d’une
entreprise commune, doivent être aussi considérées comme concentrations
économiques et donc soumises au régime prévu par l’article 7. Par exemple, le
texte de la loi ne semble pas couvrir une prise de contrôle
de facto, lorsqu’un
actionnaire acquière
fragmentation des participations
précédemment majoritaires et compte tenu du niveau de participations des autres
actionnaires, et semble en revanche conditionner l’obligation de notification d’une
concentration à
juridique entre deux entreprises
l’existence d’un acte
indépendantes conférant un contrôle
de jure sur l’entreprise.
le contrôle par
En l’absence de dispositions explicites fixant une définition précise de la notion
de concentration économique et de contrôle, les organes de concurrence ont
expliqué que dans la pratique une opération de concentration est considérée avoir
lieu lorsque :
Deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
Une ou plusieurs personnes physiques ou juridiques, détenant déjà le
contrôle d’une entreprise, acquièrent, directement ou indirectement, le
contrôle de l'ensemble ou d’une partie d'une ou plusieurs autres
entreprises, que ce soit par prise de participation au capital ou achat
d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen.
Lors des discussions avec les organes de concurrence et en dépit de l’absence
de dispositions législatives ou réglementaires sur ce point, il a été déterminé que
la création d’une entreprise commune accomplissant de manière durable toutes
les fonctions d’une entité économique autonome constitue une concentration. En
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022

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113
revanche, en vue de l’absence de dispositions claires et publiques sur ce point,
les entreprises pourraient ne pas être au courant de l’obligation de notifier ce type
de transactions.
49
Conditions fixées pour l’obligation de notification
L’article 7, alinéa 3, fixe les conditions alternatives pour que les entreprises soient
soumises à une obligation de notification du projet de concentration. Il s’agit de
deux tests alternatifs
50 :
Un test basé sur le chiffre d’affaires : le chiffre d'affaires global réalisé par ces
entreprises sur le marché intérieur dépasse un montant déterminé par décret
gouvernemental. Ce montant a été fixé à 100 000 000 TND (cent million de
dinars) par l’article 1 du décret gouvernemental No. 2016-780 du 13 juin 2016,
portant fixation du seuil du chiffre d’affaires global à partir duquel les opérations
de concentration sont soumises à une autorisation préalable. Il n’existe pas de
lignes directrices concernant la méthode de calcul du chiffre d’affaires mais il
relève d’une pratique courante d’inclure le chiffre d’affaires de toutes les
entreprises faisant partie du même groupe d’entreprises, à savoir l’entité
concernée par la transaction ainsi que toutes les entreprises soumises au contrôle
d’une même entité (Jabnoun, 2021) ;
Un test basé sur les parts de marché : la part moyenne des entreprises réunies
dépasse durant les trois derniers exercices 30% des ventes, achats ou toutes
autres transactions sur le marché intérieur pour des biens, produits ou services
substituables, ou sur une partie substantielle de ce marché. Par ailleurs, dans
certains cas, ce test a permis de soumettre à l’obligation d’autorisation préalable
49 Dans une décision récente, le Conseil de la Concurrence a refusé de donner son avis
sur une opération de concentration résultant de la création d’une entreprise commune
(décision No. 211475 du 14 juillet 2021).
50 Contrairement aux lois successives, la loi 95-42 du 24 avril 1995 prévoyait des seuils
cumulatifs en chiffres d’affaires et en parts de marché. Ce n’est qu’avec la loi 2005-60 du
10 juillet 2005 que les deux seuils conditions sont devenus alternatifs. Ce modèle a été
répliqué lors de la loi actuellement en vigueur.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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des transactions qui n’atteignaient pas le seuil de chiffre d’affaires prévu par le
décret gouvernemental
51.
Si les deux tests concernent les entreprises parties à la concentration de façon
unitaire, ces dispositions ne fixent pas de seuils concernant les deux entreprises
séparément ou concernant spécifiquement l’entreprise cible. Ainsi, il existe un
risque qu’une entreprise ayant une taille significative et dépassant de façon
autonome ces seuils soit soumise à une obligation de notification même lors du
rachat d’une entreprise de petite dimension ou lors d’une opération n’entrainant
pas de changement significatif de la structure du marché ou n’ayant pas de
véritable impact sur la concurrence en Tunisie. Cet aspect des seuils de
notification unitaires a fait l’objet d’un débat à l’occasion de la Table Ronde de
l’OCDE sur le « Lien juridictionnel dans les régimes de contrôle des fusions », qui
a eu lieu en 2016 et où il a été noté que
Par exemple, une opération dans laquelle une des parties seulement a un lien
avec la juridiction présente à l’évidence une forme de rattachement local.
Pourtant, l’objectif des seuils de notification étant de veiller à ce que seules les
fusions susceptibles d’avoir un impact important sur la concurrence dans la
juridiction concernée fassent l’objet d’un contrôle, on peut faire valoir que ce
contrôle ne doit être déclenché que si chacune d’au moins deux parties à
l’opération est présente dans cette juridiction ; si le chiffre d’affaires réalisé
localement par une seule des parties à la fusion était suffisant pour déclencher
une notification, un très grand nombre de fusions ayant un impact très faible,
voire nul, sur la concurrence dans le pays seraient soumises à une obligation de
notification.
52
Les deux tests prévus par la loi No. 2015-36 exigent un lien avec le marché
tunisien, lorsqu’ils requièrent, dans le premier test, une part de marché combinée
51 Voir avis du Conseil de la Concurrence No. 182588 du 16 mai 2016 concernant la fusion
entre les filiales de Coty et Procter & Gamble. Le Conseil observe que le chiffre d’affaires
des parties concernées ne dépassait pas 20 millions de dinars, mais en revanche leurs
parts de marché combinées dépassaient 30%, ce qui soumet la concentration à l’obligation
d’obtenir l'approbation du ministre chargé du commerce.
52 Voir la synthèse de la table ronde sur le lien juridictionnel dans les régimes de contrôle
des fusions, tenue au sein du Groupe de travail No. 3 sur la coopération et l’application de
la loi le 14-15 juin 2016.
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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de 30% sur le marché intérieur et, sous le deuxième test, un montant de chiffre
d’affaires réalisé sur le marché intérieur fixé par décret. En ce qui concerne le
premier test, la détermination des parts de marché au stade de la notification peut
toutefois exiger une évaluation complexe du marché pertinent et des activités des
entreprises, nécessitant des données spécifiques sur les marchés concernés.
Cela peut entrainer des couts élevés pour les entreprises concernées et générer
une incertitude considérable sur l’appréciation de l’obligation de notification qui
peut à son tour causer des délais significatifs dans les notifications voire des
doutes sur l’existence d’une telle obligation.
53
Pour cette raison, la Recommandation de l’International Competition Network
(ICN) sur les bonnes pratiques en matière de fixation des seuils de notifications
n’encourage pas l’utilisation des parts de marché en tant que critère de notification
(International Competition Network - Merger Working Group, 2008). De la même
manière, dans le but d’éviter d’imposer des coûts et des charges excessives aux
parties à la fusion, dans sa Recommandation du Conseil sur le contrôle des
fusions, l’OCDE recommande d’utiliser
des critères clairs et objectifs pour déterminer si et quand une fusion doit être
notifiée ou, dans les pays n’ayant pas prévu de notification obligatoire, si et
quand une fusion va répondre aux conditions d’un contrôle.
Par ailleurs, d’après (OECD, 2021), sur les 54 pays qui ont fourni des données
statistiques, 51 d’entre eux prévoient des critères basés sur le chiffre d’affaires,
alors que seulement 12 prévoient des conditions fondées sur les parts de marché
des entreprises.
Il est opportun que la Tunisie prenne en compte attentivement les avantages d’un
test basé sur les parts de marché (à savoir, le fait que ce type de seuils soient de
nature à déclencher une notification alors même que les entreprises concernées
ont un faible chiffre d’affaire) avec ses désavantages (en particulier, les
53 Pour un exemple, voir le contentieux né de l’acquisition en 2017 de la totalité du capital
de l’école supérieure privée des sciences de la santé UPSAT Sousse par le groupe
Université Centrale. Suite à la décision du ministère du commerce qui avait estimé que
l’acquisition ne remplissait pas les critères de notification, l’université concurrente
Mahmoud El Materi a porté plainte devant le tribunal administratif pour excès de pouvoir,
estimant que la condition fondée sur les parts de marché était remplie. La question
concerne notamment la définition du marché pertinent. Au moment de la rédaction de ce
rapport, le tribunal administratif n’a pas encore adopté de décision.
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116
incertitudes liées à ce type de test ainsi que la nécessité de mener une analyse
complexe et moins objective, étant donné que le calcul des parts de marché
requiert de définir en amont le marché pertinent et d’identifier les principaux
concurrents).
Comme indiqué ci-dessous dans le Tableau 2.4, le seuil du chiffre d’affaires global
à partir duquel les opérations de concentration sont actuellement soumises à une
autorisation préalable du ministre du Commerce a été fixé par le décret
gouvernemental No. 2016-780 du 13 juin 2016 à 100 000 000 D (cent million de
dinars). Ce décret a abrogé le décret précédent No. 2005-3238 du 12 décembre
2005 qui fixait ce seuil à 20 000 000 TND (vingt millions de dinars) et qui à son
tour avait augmenté le seuil précédent s’élevant à 3 000 000 TND (trois millions
de dinars). Comme montré dans le Tableau 2.2 ci-dessus, à l’heure actuelle le
nombre de concentrations notifiées au ministère chargé du commerce semble
être limité, s’élevant en moyenne à cinq notifications par an entre 2016 et 2020.
Tableau 2.4. Évolution du chiffre d’affaires fixé pour les notifications
des concentrations économiques au Ministère du Commerce
Décret No. 2016-780 du
13 juin 2016
Chiffre d’affaires
100 millions
Décret No. 2005-3238
du 12 décembre 2005
20 millions
Loi No. 95-42 du 24
avril 1995
3 millions *
Note : * Contrairement aux lois successives, la loi 95-42 du 24 avril 1995 prévoyait des seuils cumulatifs en
chiffres d’affaires et en parts de marché.
Source : Décret No. 2016-780 du 13 juin 2016 ; Décret No. 2005-3238 du 12 décembre 2005 ; Loi No. 95-42
du 24 avril 1995.
De manière générale, d’une part, les seuils de notification doivent être assez
élevés afin d’éviter que les autorités de la concurrence avec des ressources
limitées étudient de trop nombreux projets de concentrations, ce qui pourrait
entrainer des coûts d’opportunité trop élevés et ainsi soustraire des ressources à
d’autres activités de détection et de répression des pratiques anticoncurrentielles.
D’autre part, les seuils de notification doivent assurer que les projets de
concentrations susceptibles de poser des problèmes de concurrence sur le
marché intérieur soient notifiés à l’autorité compétente (International Competition
Network - Merger Working Group, 2008).
En Tunisie, l’augmentation progressive des seuils au cours des années visait à
exclure des transactions d’importance mineure qui n’avaient pas d’impact
EXAMENS PAR LES PAIRS DE LA CONCURRENCE DE L’OCDE: TUNISIE © OCDE 2022


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significatif sur le marché intérieur afin de mobiliser les ressources (financières,
techniques et humaines) des organes de concurrence sur les transactions les plus
importantes, susceptibles d’affecter le bon fonctionnement du marché (Gani,
2012). Cependant
le nombre de notifications semble être aujourd’hui
particulièrement dérisoire, en partie à cause du seuil de chiffre d’affaires trop
élevé, par rapport à la réalité économique du pays, fixé par le décret
gouvernemental No. 2016-780.
Enfin, il est important de noter que, lorsqu’un projet de concentration économique
remplit les conditions énumérées par la loi No. 2015-36 sans que les entreprises
se conforment à l’obligation de notification, elles sont passibles d’une amende
conformément à l’article 43, deuxième alinéa, de la loi No. 2015-36, pouvant aller
jusqu’à 10% du chiffre d’affaires réalisé en Tunisie par les entreprises
concernées. Comme confirmé par certaines parties prenantes, ce dispositif
s’applique aussi bien à une infraction intentionnelle qu’à une omission par
négligence. Cependant dans la pratique il n’y a jamais eu d’amendes imposées
pour violation de l’obligation de notification (Jabnoun, 2021)
54.
2.3.3. La procédure
Conformément à l’article 7 de la loi No. 2015-36 du 15 septembre 2015, relative
à la réorganisation de la concurrence et des prix, est soumis à une notification
obligatoire préalable devant le ministre chargé du Commerce «
tout projet ou
opération de concentration économique de nature à créer ou à renforcer une
position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de ce
marché
».
Comme le montre le Graphique 2.11 ci-dessous, la procédure de contrôle des
concentrations se compose de différentes phases.
54 Par exemple, dans sa décision No. 111289 du 16 mai 2019 le Conseil de la concurrence
a trouvé que l’une des entreprises accusées (SNMVT) avait acquis une autre société (SGS
TOUTA) en 2003 sans que l’opération ait été notifiée. Bien que l’opération replissât les
conditions de notification, le droit de poursuivre la violation de l’obligation de notification
avait expiré. Similairement, une autre opération a eu lieu en 2009 par la même entreprise
SNMVT qui avait acquis la société SAHARA CONFORT mais qui avait notifié l’opération
hors délais (avis du Conseil de la concurrence No. 102400 du 9 aout 2012).
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Graphique 2.11. Les phases de la procédure de contrôle des
concentrations
Pre-notification
Examen par le
Conseil de la
concurrence et
avis; examen
parallèle par le
Ministère
Publication de la
décision du
ministre du
Commerce
Notification
Prise de décision
par le ministère
du Commerce
sur la base de
l'avis du Conseil
Source : élaboré par le Secrétariat de l’OCDE
Pré-notification
La phase de pré-notification est facultative et elle est déclenchée à l’initiative
des entreprises parties au projet de concentration souhaitant consulter la DGCEE
au sujet de l’existence d’une obligation de notification de l’opération dans le cas
d’espèce ou, dans le cas d’opérations complexes, afin d’entamer le processus
d’évaluation de
l’opération et ainsi anticiper d’éventuels aménagements
nécessaires à son approbation. Cette première prise de contact se déroule de
manière officieuse. Elle ne produit aucun engagement ou effet mais permet aux
entreprises et à la DGCEE d’échanger des informations, de définir le marché
pertinent, d’identifier les données nécessaires à fournir et ainsi construire de
manière concertée le dossier de notification dans le but de permettre plus
rapidement une meilleure analyse des effets de l’opération. Cette phase permet
ainsi de minimiser les risques d’incomplétude du dossier lorsque celui-ci est
formellement notifié au ministre chargé du Commerce conformément à l’article 7.
En effet, une fois le dossier notifié et lorsque la DGCEE estime que le dossier est
incomplet, cette dernière peut demander des informations additionnelles aux
entreprises concernées avec sursis du délai jusqu’à leur communication,
conformément à l’article 9, alinéa 6.
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Notification
En vertu de l’article 9, premier alinéa, les parties à la concentration doivent en
informer le ministre chargé du commerce dans un délai de 15 jours à compter de
la date de la conclusion de l’accord, de la fusion, de la publication de l’offre d’achat
ou d’échanges des droits ou obligations, ou de l’acquisition d’une participation de
contrôle.
La notification du projet de concentration au ministre chargé du commerce n’est
soumise à aucun frais de notification (Jabnoun, 2021). De manière générale, le
nombre de concentrations notifiées aux autorités de la concurrence ou leur niveau
de complexité échappent au contrôle de ces dernières, et par conséquent, les
autorités de la concurrence peuvent devoir analyser plusieurs transactions
complexes en même temps et dans les délais prévus par la loi. Afin de gérer les
coûts qu’entraine la procédure de contrôle, il n’est pas rare que les autorités
chargées de cette fonction imposent des frais de notification raisonnables et
adaptés.
55 Si les frais de notification ne sont pas en mesure de couvrir l’entièreté
des couts entrainés par la procédure de contrôle des concentrations, leur
versement permet, entre autres, de contribuer au renforcement de l’autonomie
budgétaire de l’autorité. En même temps, il est important que ces frais soient
adaptés et raisonnables, compte tenu des coûts générés par la procédure de
contrôle, sans qu’ils soient imposés afin de couvrir les coûts liés aux autres
fonctions et activités de l’autorité.
L’ouverture de la phase de notification déclenche le délai de trois mois dans
lequel le ministre du Commerce doit se prononcer sur le projet de concentration.
Plus précisément, cette phase s’ouvre seulement une fois que le service chargé
de la réception du dossier au sein de la DGCEE a vérifié que le dossier soumis
comporte tous les éléments énumérés à l’article 9, alinéa 5
56.
55 D’après (OECD, 2021), sur les 54 pays qui ont fourni des données statistiques, 35
prévoient des frais de notifications des concentrations.
56 L’article 9, alinéa 5, dispose qu’il incombe aux parties de présenter un dossier en double
exemplaire comprenant : 1) une copie de l'acte ou du projet d'acte soumis à notification et
une note sur les conséquences attendues de cette opération ; 2) la liste des dirigeants et
des principaux actionnaires ou associés des entreprises parties à l'acte ou qui en sont
l'objet ; 3) les états financiers des trois derniers exercices des entreprises concernées et
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Si le ministre du Commerce n’a émis aucune décision dans le délai imparti, la
concentration économique telle qu’elle résulte de la lettre de notification est
considérée comme autorisée.
Ces délais s’appliquent quel que soit le niveau de complexité de l’opération. En
effet, le système tunisien ne prévoit aucune différentiation de la procédure et des
délais, selon la complexité de l’opération et les résultats d’une première analyse.
Autrement dit, même si les problèmes de concurrence sont aisément identifiables
et peuvent être facilement résolus dans de cours délais, aussi grâce à la
coopération des parties qui proposent des engagements dès le début de la
procédure, le délai pour obtenir une prononciation du ministre reste le même, à
savoir quatre-vingt-dix jours à compter de la notification.
En revanche, l’opportunité d’avoir une procédure avec potentiellement différentes
étapes selon le niveau de complexité de l’opération sous examen voire des
problématiques soulevées par celle-ci est un principe reconnu par l’OCDE dans
la Recommandation du Conseil sur le contrôle des fusions, dans laquelle il est
recommandé de
prévoir des procédures qui visent à s’assurer que les fusions qui ne suscitent
pas de préoccupations importantes du point de vue de la concurrence fassent
l’objet d’une procédure d’examen et d’approbation accélérée.
Par ailleurs, d’après (OECD, 2021), sur les 56 pays qui ont fourni des données
statistiques, 47 d’entre eux prévoient un système de contrôle des concentrations
en deux phases, comme le montre le Graphique 2.12.
les parts de marché de chaque société intéressée ; 4) la liste des entreprises filiales, avec
indication du montant de la participation au capital ainsi que la liste des entreprises qui leur
sont économiquement liées au regard de l'opération de concentration ; 5) une copie des
rapports des commissaires aux comptes ; 6) un rapport sur les avantages économiques
du projet de concentration.
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Graphique 2.12. Juridictions avec un système de contrôle des
concentrations en une ou deux phases
121
Source : (OECD, 2021, p. 15)
L’article 9, deuxième alinéa, prévoit que la notification peut être assortie
d’engagements destinés à atténuer les effets sur la concurrence et ces
engagements doivent également être considérés comme approuvés en cas
d’acceptation tacite de l’opération de concentration par le ministre.
Effet suspensif de la notification
Pendant le délai de trois mois donné au ministre chargé du commerce pour
évaluer les informations lui ayant été soumises, les entreprises concernées « ne
peuvent prendre aucune mesure rendant la concentration irréversible ou
modifiant de façon durable la situation du marché ». Les organes de concurrence
interprètent cette disposition comme imposant un
effet suspensif sur toute
opération de concentration, qui ne peut donc pas être réalisée avant d’obtenir
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Système inexistant 2Système à deux phases47 Système à 7


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l’approbation du ministre chargé du commerce. Il a été précisé que, dans la
pratique, il s’agit donc d’un système de contrôle préalable et obligatoire des
concentrations, compte tenu du fait que les entreprises tendent à notifier les
projets de concentrations ou leurs mémorandums d’accord. Cependant l’article 9
permet également de procéder à la notification de l’opération suite à « l’acquisition
d’une participation de contrôle », ce qui, d’un point de vue purement juridique,
semblerait permettre aussi un contrôle des concentrations
ex post, à savoir une
fois l’opération réalisée.
De surcroit, l’article 7, dernier alinéa, prévoit aussi une dérogation explicite à cette
obligation de suspension. Cette disposition donne aux tribunaux, statuant sur des
affaires concernant des entreprises en difficultés économiques, le pouvoir
d’envisager la cession de ces entreprises à leurs concurrents. Dans ce cas de
figure, le tribunal peut demander l’avis technique et non contraignant du ministre
chargé du Commerce s’il estime que ladite cession peut conduire à une
concentration de nature à créer ou à renforcer une position dominante sur le
marché.
Avis du Conseil de la concurrence
Une fois la notification acceptée, l’article 11, alinéa 8, prévoit que le ministre
chargé du Commerce demande l’
avis du Conseil de la concurrence. Le dossier
de l’opération est donc inscrit au bureau d’ordre du Conseil et au greffe consultatif
avec l’attribution d’un numéro d’identification. Le dossier est ensuite attribué à un
ou plusieurs rapporteurs chargés de rédiger un rapport à soumettre lors de la
séance plénière du Conseil
57. À cet effet, conformément à l’article 20, le Conseil
peut procéder à l’audition des parties concernées (par exemple pour demander
des clarifications sur les engagements proposés),
58 qui peuvent se faire
représenter par leurs avocats. Suite à l’audition des parties et à l’analyse du
57 Conformément à l’article 22, le Conseil ne peut valablement délibérer en séance plénière
que si au moins la moitié de ses membres dont au moins quatre magistrats sont présents,
sauf s’il s’agit d’un cas de demande consultative urgente ou de demande transmise au
Conseil pendant les vacances judiciaires. Ainsi siégeant en séance plénière, le Conseil
doit donner son avis dans un délai ne dépassant pas 60 (soixante) jours à compter de la
date de réception de la demande d’avis.
58 Voir avis du Conseil de la concurrence No. 202744 du 18 octobre 2020 concernant le
secteur des établissements d’enseignement supérieur privé.
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Conseil, un rapport consultatif est rédigé et envoyé à la séance plénière du
Conseil pour que celle-ci adopte son avis, mais ce rapport consultatif ainsi que
l’avis émis par le Conseil ne sont pas accessibles aux parties.
De manière générale, il est opportun que toute la procédure de contrôle assure
la
la
l’équité procédurale aux parties à
Recommandation du Conseil de l’OCDE sur le contrôle des fusions :
fusion et, comme prévu par
notamment la possibilité pour elles d'obtenir en temps opportun les informations
suffisantes sur les préoccupations significatives pour la concurrence suscitées
par une fusion, une véritable opportunité de répondre à ces préoccupations et le
droit de demander la révision par une instance distincte statuant en dernier
ressort, d'une décision finale défavorable sur la légalité d'une fusion. Une telle
révision doit être effectuée dans des délais raisonnables.
En ce qui concerne les tierces parties à la concentration, la Recommandation de
Conseil de l’OCDE sur le contrôle des fusions prévoit également que :
Les tiers ayant un intérêt légitime dans la fusion examinée, conformément aux
lois relatives aux fusions du pays procédant au contrôle, doivent avoir une
véritable opportunité d'exprimer leurs avis au cours du processus de contrôle de
la fusion.
Ce principe semble être respecté en Tunisie. Comme indiqué par les organes
chargés de la concurrence en Tunisie, les tierces partie peuvent aussi être
convoquées pour être entendues par le rapporteur chargé du dossier et elles
peuvent aussi demander d’être auditionnées lorsque la concentration peut avoir
un effet sur le marché dans lequel elles sont actives. Par ailleurs, en dépit du
silence du texte législatif, une obligation de diligence incombe aux rapporteurs
instruisant le dossier, qui doivent collecter des informations fiables et tangibles, y
compris auprès des tierces parties si nécessaire.
Lorsqu’il se prononce, le Conseil doit apprécier si le projet de concentration porte
atteinte à la concurrence et, dans l’affirmative, s’il apporte une contribution au
progrès technique ou économique suffisante pour compenser lesdites atteintes à
la concurrence. L’appréciation du Conseil ne se borne pas aux seules
considérations de concurrence, mais, conformément à l’article 12 de la loi No.
2015-36, elle s’étend à d’autres considérations d’intérêt public, à savoir «
la
nécessité de la consolidation ou de la préservation de la compétitivité des
entreprises nationales face à la concurrence internationale
» (voir 2.3.4 ci-
dessous).
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Le Conseil peut aviser le ministre de :
Autoriser l’opération dans les conditions proposées par les entreprises
concernées ;
Autoriser l’opération sous conditions, tout en imposant aux entreprises
concernées l'exécution des engagements visant à rééquilibrer les progrès
économiques attendus avec les atteintes à la concurrence
Refuser d’approuver l’opération.
Si le Conseil n’a pas émis son avis dans le délai de 60 jours susmentionné, le
ministre du Commerce est en droit d’exercer ses prérogatives, y compris
l’adoption d’une décision sans l’avis du Conseil.
Ainsi qu’il ressort du Tableau 2.2, le Conseil a émis son avis dans toutes les
affaires sur lesquelles le ministère chargé du Commerce s’est prononcé. Dans un
seul cas sur les dernières cinq années, le Conseil de la concurrence a exprimé
un avis négatif en s’opposant en 2017 à l’autorisation de l’acquisition de
l’intégralité du capital de SGTM par Mosni Gas Bottles (MGB) dans les deux
marchés interconnectés de la galvanisation et de la production de tubes en fer
59.
Par ailleurs, il s’agit aussi de la seule affaire dans laquelle le ministre du
commerce s’est explicitement écarté de l’avis du Conseil et a autorisé l’opération
en vue des considérations économiques et sociales telles que le maintien de
l’emploi et l’augmentation de la capacité de production (voir Encadré 2.5). Dans
la plupart des cas, le Conseil a proposé d’autoriser les projets de concentrations
sans engagements et dans deux cas depuis 2016 il a avisé le ministre de
conditionner l’autorisation de l’opération au respect de certains engagements
comportementaux
60.
59 Voir avis du Conseil de la Concurrence No. 162623 du 26 janvier 2017. Il s’agit de
l’acquisition de l’intégralité du capital de SGTM par Mosni Gas Bottles (MGB), qui affecte les
deux marchés interconnectés de la galvanisation et de la production de tubes en fer. Le
Conseil a estimé que la concentration allait à l’encontre de l’intérêt des consommateurs. En
particulier, elle n’aurait pas contribué au progrès technique et économique et aurait créé une
position de monopole à la fois sur le marché de galvanisation des métaux et sur celui de la
production de tuyaux en fer.
60 À titre d’exemple, voir avis relatif à la prise de participation par les sociétés Total et Mobil
dans le capital de la société ESSO ; avis relatif à la concentration entre la société
tunisienne de peinture Astral et la société Flash.
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Encadré 2.5. Le refus d’autorisation de l’acquisition de SGTM par MGB
L’avis du Conseil de la concurrence portait sur l’acquisition de l’intégralité du
capital de la société de galvanisation et transformation des métaux (SGTM) par
Mosni Gas Bottles (MGB). La société MGB appartient au groupe Poulina
Holding (GPH), qui est actif sur différents marchés tels que la construction,
l'immobilier et la sidérurgie et possède plusieurs filiales et entreprises actives
sur le marché national et les marchés étrangers.
L’opération a été notifiée au ministère du Commerce car le chiffre d’affaires des
entreprises concernées dépassait les cent millions de dinars, rendant obligatoire
l’obtention d’une autorisation préalable.
Le marché pertinent
La procédure de concentration concernait deux marchés de référence, à
savoir le marché de la galvanisation et de l'industrie des tuyaux en fer. Tenant
compte que les tuyaux en fer nécessitent dans tous les cas une galvanisation,
le Conseil a considéré les deux marchés comme interconnectés.
L'offre sur le marché de la galvanisation provient des entreprises possédant
les moyens de production nécessaires à la galvanisation des métaux, sachant
que de nombreuses entreprises combinent l'activité de galvanisation avec
d'autres activités liées à la sidérurgie et à la transformation de métaux. Ce
marché se caractérise par le nombre réduit de producteurs, ce qui s'explique
par l'importance des barrières à l'entrée, car en plus de l'importance du capital,
l'activité de galvanisation est considérée comme une activité polluante
nécessitant l'obtention de plusieurs licences du ministère de l'environnement.
L'activité de galvanisation est considérée comme une activité complémentaire
essentielle qui permet à l'usine d'obtenir un produit final commercialisable.
L'accent est mis à cet égard sur les moyens de production des entreprises
opérant sur le marché de la galvanisation. SGTM dispose d'une technologie qui
contribue à réduire les coûts de production, car ses deux pools de galvanisation
fonctionnent de manière automatique, rendant la galvanisation plus rapide. Par
conséquent, la présence d'autres entreprises sur le marché de la galvanisation
aux côtés de SGTM ne constitue pas une alternative à ses services au motif que
le reste des entreprises actives sur le marché de la galvanisation ne disposent
pas des mêmes moyens de production. De plus, le Conseil a trouvé dans les
documents du dossier qu’il était expressément indiqué que SGTM détenait le
monopole de ce type de production.
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Quant au marché des tuyaux en fer, il représente le deuxième marché de
référence dans le projet de concentration. Il est à noter que le rapport envoyé
par les parties au processus de concentration au Conseil a abordé seulement le
marché de la galvanisation. En revanche, le marché de l'industrie des tuyaux en
fer n'a pas été mentionné, alors qu'il s'agissait d'un marché directement lié au
marché de la galvanisation.
L’analyse concurrentielle et la théorie du préjudice
Après l’étude du marché pertinent et les documents du dossier du projet de
concentration, le Conseil est arrivé à la conclusion que le processus de
concentration permettrait aux entreprises appartenant au groupe Poulina
Holding d’acquérir un monopole dans le marché de la galvanisation des métaux
d'une longueur comprise entre 13 et 15 mètres, avec une capacité de production
annuelle totale de 70 000 tonnes (à savoir, 30 mille tonnes de MBG et 40 mille
tonnes de SGTM). De plus, PAF (l’autre société appartenant avec MBG au
groupe Poulina Holding) aurait renforcé sa position dominante sur le marché de
l'industrie de la tuyauterie et le projet de concentration lui aurait permis de
fabriquer des tuyaux en fer de grande taille suite à l’acquisition de la société
SGTM (lui permettant de galvaniser des métaux de cette taille) et ainsi de
monopoliser la fabrication de ce type de tuyaux.
Suite à l’identification des potentiels effets anticoncurrentiels, conformément au
chapitre 12 de la loi de la concurrence et des prix, le Conseil a examiné 1) dans
quelle mesure le projet de concentration économique aurait contribué au
progrès technique ou économique permettant de compenser le préjudice à la
concurrence ; et 2) la nécessité d'améliorer ou de maintenir la compétitivité des
entreprises nationales face à la concurrence internationale.
D'après les informations fournies dans le dossier de notification, MBG se
contenterait d'exploiter les moyens de production de SGTM, sans aucun impact
sur de nouveaux investissements ou sur la création de technologie moderne au
niveau de ce marché. Par conséquent, rien ne permet de conclure que la
concentration aurait permis d’attendre un progrès technique et économique.
Quant à l'aspect lié au maintien et à l'amélioration de la compétitivité des
entreprises face à la concurrence étrangère, le Conseil souligne que le projet de
concentration se limiterait au renforcement de la position de MBG sur le marché
étranger, mais cet élément ne constitue pas une compensation suffisante en
raison de l'impact important de la concentration sur le marché national des
métaux de galvanisation, qui se répercuterait inévitablement sur l'équilibre de
nombreux autres secteurs économiques, tels que le secteur de constructions et
l'agriculture, et sur les prix de divers services et produits.
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Quant au marché des tuyaux en fer, le Conseil aboutit aux mêmes conclusions.
Si, d’un côté, la concentration aurait consolidé la position dominante de PAF et
lui aurait permis d’imposer des prix de monopole entrainant l’augmentation de
coûts de production des entreprises utilisant ce type de tuyaux pour fabriquer
leurs produits, avec les conséquences néfastes sur le pouvoir d'achat du
consommateur final, de l’autre côté, la concentration n’aurait pas eu d’effets
positifs sur le progrès technique ou économique car l’opération se limiterait à
faciliter l'exploitation des moyens de production dont dispose SGTM.
Par conséquent, le Conseil est arrivé à une conclusion que le projet de
concentration va créer une position dominante à la fois sur le marché de la
galvanisation des métaux et sur le marché de l’industrie de tuyaux en fer. En
revanche, la transaction ne contribuera pas au progrès technique et économique
et n’aura pas généré de bénéfices sur le bien-être du consommateur.
Le refus du Conseil de la concurrence
Pour ces raisons, le Conseil a proposé au ministère du Commerce de ne pas
approuver le projet de concentration économique.
La décision du Ministre du commerce
Le ministre a finalement autorisé la concentration en vue des considérations
économiques et sociales, telles que le maintien de l’emploi, la maitrise des couts
et l’augmentation de la capacité de production en Tunisie.
Source : Conseil de la Concurrence, avis No. 162623 du 26 janvier 2017, http://www.cct.gov.tn/wp-
content/uploads/2019/07/162623.pdf.
Décision par le ministre du Commerce
Une fois que le Conseil de la concurrence a émis son avis ou une fois le délai de
60 jours dépassé sans que le Conseil n’ait émis aucun avis, le ministre du
Commerce est en droit d’exercer ses prérogatives et d’émettre une
décision sur
la concentration
dans le respect du délai de trois mois à compter du moment où
le service chargé de la réception du dossier du projet de concentration au sein de
la DGCEE a vérifié que celui-ci comporte tous les éléments énumérés à l’article
9, alinéa 5. Le cas échéant, à savoir lorsque le ministre chargé du commerce a
besoin d’informations additionnelles, celles-ci peuvent être demandées avec
sursis du délai jusqu’à leur communication. Même si les demandes d’informations
additionnelles peuvent potentiellement porter atteinte aux parties, par exemple
elles peuvent donner lieu à des sanctions en cas de non-respect de l’obligation
de répondre ou encore le refus ou défaut de coopération peuvent constituer une
circonstance aggravante, ces demandes d’informations additionnelles ne peuvent
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pas faire l’objet d’un recours, étant donné que seules les décisions finales peuvent
être attaquées devant le tribunal administratif. Par conséquent, le manque d’une
voie de recours efficace peut donner lieu à des demandes indument onéreuses,
excessives, disproportionnées ou sans rapport avec l’opération soumise à
examen. Ces demandes peuvent aussi être utilisées comme un moyen de
prolonger les délais prévus par la loi ou peuvent potentiellement porter atteinte
aux normes de protection des informations confidentielles.
Il ressort de la pratique décisionnelle que la procédure de contrôle, compte tenu
de la phase de pré-notification et du besoin que la notification soit accompagnée
de toutes les informations pertinentes et complètes, prend entre 6 et 12 mois pour
une opération complexe et entre 6 et 8 mois pour les transactions plus simples
(Baker McKenzie, 2019, p. 127).
Le silence gardé par le ministre du Commerce pendant trois mois vaut acceptation
tacite du projet de concentration ou de l’opération de la concentration ainsi que
des engagements soumis par les parties dans la lettre de notification.
L’avis du Conseil de la concurrence n’est pas contraignant et le Ministre peut s’en
écarter et décider en vertu de l’article 10 de la loi No. 2015-36 du 15 septembre 2015
d’approuver l’opération de concentration dans les conditions proposées
par les entreprises concernées ;
d’approuver l’opération de concentration tout en imposant aux entreprises
concernées l’exécution des conditions visant à rééquilibrer le progrès
économique avec les atteintes à la concurrence ;

refuser l’opération.
Même si le Ministère a tendance à suivre l’avis du Conseil dans la grande majorité
des cas, car ceci se fonde toujours sur une plus précise analyse des données
61,
il n’est pas exclu qu’il s’en écarte
de facto. Par exemple, dans l’affaire de
l’acquisition de la SGTM par MBG (une filiale du groupe tunisien Poulina), dans
la décision du ministre, les considérations sur les avantages sociaux et industriels
61 Entre 2015 et 2020, dans un seul cas en 2017 le ministre s’est explicitement
écarté de l’avis du Conseil de la Concurrence (voir Tableau 2.2. Concentrations
notifiées au ministère du Commerce

.
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de l’opération semblent primer sur les risques concurrentiels identifiés par le
Conseil, sans que le ministre ne réfute l’objection du Conseil fondée sur
l’existence d’alternatives permettant de sauvegarder la pérennité de l’outil de
production et de l’emploi
62. De surcroit, le caractère succinct des décisions du
ministre publiées sur le site de la DGCEE ne permet pas toujours de comprendre
les raisons pour lesquelles il s’écarte de l’avis du Conseil ou pourquoi il estime,
suite à leur mise en balance, que d’autres considérations (telles qu’énumérées
dans la 2.3.4 ci-dessous) priment sur l’atteinte à la concurrence. En vue de
l’obligation de motiver ses décisions conformément à l’article 10 de la loi No.
2015-36, l’absence de motivation dans la décision du ministère du Commerce
peut justifier un recours envers la décision devant le Tribunal administratif.
Engagements
Lorsque le ministre chargé du Commerce estime que l’opération porte atteinte à
la concurrence et que les gains en termes de progrès technique ou économique,
voire en termes de compétitivité des entreprises nationales, ne sont pas suffisants
pour compenser cette atteinte, il peut soit refuser l’opération soit l’approuver à
condition de respecter certains engagements. Ces engagements peuvent être
proposés par les parties et ensuite rendu obligatoires par le ministre dans sa
décision d’autorisation.
Conformément à l’article 9, deuxième alinéa, les parties ont le droit de soumettre
une notification assortie d’engagements afin d’atténuer les effets de la
concentration économique sur la concurrence. Suite à leurs propositions, le
Ministre du commerce, après avis du Conseil, peut imposer aux entreprises
concernées l’exécution de ces engagements visant à rééquilibrer le progrès
technique ou économique attendu et les atteintes à la concurrence.
62 Dans son avis, le Conseil avait observé que la cession des actions SGTM n'avait pas fait
l'objet d'un processus de publicité, mais s'était faite par mutualisation et par contacts
personnels. Ainsi, l'absence d'annonce de la cession d'actions n'avait pas permis de proposer
des offres alternatives, la seule offre disponible étant plutôt une offre qui impliquait le
renforcement de la position dominante des sociétés affiliées au groupe Poulina Holding et
constituait une menace pour l'équilibre général du marché de la galvanisation et du marché
de l'industrie de la tuyauterie. D’après le Conseil, les difficultés économiques de SGTM
pouvaient être surmontées sans céder inévitablement ses parts à MBG.
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En vertu de l’article 43, deuxième alinéa, en cas de non-respect des engagements
pris, les entreprises sont passibles d’une amende allant jusqu’à 10% du chiffre
d’affaires réalisé en Tunisie au cours du dernier exercice écoulé. La constatation
de non-respect des engagements est effectuée par le Ministre du commerce à
travers une requête déposée devant le Conseil de la Concurrence (sur la base
d’un rapport rédigé par les agents du contrôle économique habilités à intervenir
sur des questions de concurrence, auquel fait suite une requête déposée par le
ministre du commerce devant le Conseil de la concurrence). En outre, suite à
leur acceptation, la loi prévoit deux possibilités de révoquer voire de modifier les
engagements :
L’article 10, dernier alinéa donne au ministre chargé du Commerce le
pouvoir de retirer son approbation de la concentration lorsque les
entreprises ne respectent pas leurs engagements ou s’il s’avère que les
informations fournies par les parties étaient erronées ;
L’article 27, deuxième alinéa, prévoit qu’en cas d’exploitation abusive
résultant d’un cas de concentration
d’une position dominante
d’entreprises, le Conseil de la concurrence peut proposer au ministre
chargé du commerce de « modifier, de compléter ou de résilier tous
accords et tous actes par lesquels s’est réalisée la concentration qui a
permis les abus ».
Pour que les engagements proposés par les parties soient acceptés, il faut qu’ils
respectent plusieurs conditions :

Ils doivent être efficaces et ainsi permettre de remédier de façon efficace
aux atteintes à la concurrence ;
Leur mise en œuvre ne doit pas soulever de doutes. Dans ce but, ils
doivent être rédigés de manière précise et sans ambiguïté et les parties
doivent fournier suffisamment de détails concernant leur mise en œuvre ;
Leur mise en œuvre doit être rapide, pour éviter de porter atteinte à la
concurrence pendant leur délai de mise en œuvre ;