Le principe d’égalité homme-femme. Analyse critique de
l’influence du système juridique français sur le système
juridique tunisien
Assia Jamai
To cite this version:
Assia Jamai. Le principe d’égalité homme-femme. Analyse critique de l’influence du système juridique
français sur le système juridique tunisien. Droit. Université Côte d’Azur, 2021. Français.
NNT :
2021COAZ0001. tel-03602268
HAL Id: tel-03602268
https://theses.hal.science/tel-03602268
Submitted on 9 Mar 2022
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LE PRINCIPE D’ÉGALITÉ HOMME-FEMME
Analyse critique de l’influence du système juridique français
sur le système juridique tunisien
ASSIA JAMAI
Groupe de Recherche en Droit, Économie et Gestion (GREDEG)
UMR 7321 CNRS/UCA
Présentée en vue de l’obtention
du grade de docteur en droit
d’Université Côte d’Azur
Dirigée par : M. Patrice REIS
Soutenue le : 8 mars 2021
Devant le jury, composé de :
Céline LAGEOT, Professeure, Université
de Poitiers, rapporteur
Ali MEZGHANI, Professeur, Université
de Tunis, rapporteur
Jean-Jacques SUEUR, Professeur émérite,
Université de Toulon
Marina Teller, Professeure, Université
Côte d’Azur
1
LE PRINCIPE D’ÉGALITÉ HOMME-FEMME
Analyse critique de l’influence du système juridique français
sur le système juridique tunisien
Jury :
Présidente du jury
Marina TELLER, Professeure, Université Côte d’Azur
Rapporteurs
Céline LAGEOT, Professeure, Université de Poitiers,
rapporteur
Ali MEZGHANI, Professeur, Université de Tunis,
rapporteur
Examinateur
Jean-Jacques SUEUR, Professeur émérite, Université
de Toulon
2
3
Titre de la thèse :
Le principe d’égalité homme-femme.
Sous-titre de la thèse :
Analyse critique de l’influence du système français sur le système
tunisien.
Résumé :
Le principe d’égalité homme-femme a fait l’objet de plusieurs études à ce jour. Celle que
l’on va lire propose d’étudier l’influence du système juridique français sur celui de la Tunisie.
1 — Le degré d’influence du système français sur le système tunisien est réel, il débouche sur une
divergence de positions et de contenu du droit et révèle ainsi l’existence de rapports conflictuels
entre les systèmes. Ainsi, positive ou négative, la formulation du principe d’égalité homme-femme
reste ambiguë. Au surplus, ce principe doit aussi s’incarner. Or, comment les droits positifs français
et tunisien peuvent-ils incarner ce principe alors même qu’ils ne consacrent pas de dispositions
spécifiques à définition formelle de ce dernier ? Celui-ci peut se présenter comme étant une
composante du principe d’égalité. A priori, les systèmes juridiques tunisien et français ne font que
proclamer ce droit en lui attribuant à chaque fois, un domaine d’application particulier.
2 — C’est pour rendre compte de cette complexité et de ces insuffisances de part et d’autre, venant
de l’histoire, que nous avons fait le choix d’une méthode critique, d’inspiration structuraliste. Ce
choix s’explique par plusieurs raisons qui se recoupent. En effet, plusieurs dimensions s’attachant
à l’analyse de l’influence du système français sur celui de la Tunisie. Le caractère équivoque du
principe nous a conduits à faire appel à l’analyse structurale pour mieux saisir la nature spécifique
de ce rapport d’influence, en faisant provisoirement abstraction des données politiques, pour les
introduire ensuite, de manière détaillée, dans le cadre de l’analyse. Abstraire pour mieux
comprendre. Le structuralisme est apparu également comme un gage d’objectivité scientifique
(relative) de la recherche : il permet, tel un rempart, d’étudier des fonctions et de dégager des
invariants dans les sociétés étudiées.
Ainsi, l’analyse critique des déterminants permet de comprendre une société dans le moment
présent. L’analyse de facteurs matériels, économiques et sociaux, permet de constater que dans
cette imbrication de données, la culture au sens large, incluant la religion et le droit, joue un rôle
central : elle est à la fois une entrave et un levier pour la concrétisation du principe d’égalité des
sexes.
Mots-clés : Égalité homme-femme, Principe, équité, Discrimination, équité, justice, Influence,
Droit tunisien, Droit français, Structuralisme, Pluralisme juridique, Mariage, Divorce, Successions,
4
Successions, Structure, Système, Constitution, Maghreb, Europe, Afrique, Droit de l’homme,
Universalisme, Islam, Charia, Droit des femmes, Genre.
Thesis title :
The principle of
equality between men
and woman
Thesis sub-title :
Critical analysis of the influence of the French system on the
Tunisian system.
Abstract :
The principle of equality between men and women has been the subject of several studies
to date. The one that will be read proposes to study the influence of the French legal system on
that of Tunisia.
1 - The degree of influence of the French system on the Tunisian system is real, it leads to a
divergence of positions and content of the law and thus reveals the existence of conflicting
relationships between the systems. Thus, whether positive or negative, the formulation of the
principle of equality between men and women remains ambiguous. Moreover, this principle must
also be embodied. Yet, how can French and Tunisian positive law embody this principle when it
does not enshrine specific provisions formally defining it? The latter can be presented as a
component of the principle of equality. A priori, the Tunisian and French legal systems only
proclaim this right by attributing to it, each time, a particular field of application.
2 - It is to take into account this complexity and these inadequacies on both sides, coming from
history, that we have chosen a critical method, of structuralist inspiration. This choice is explained
by several overlapping reasons. In fact, several dimensions of the analysis of the influence of the
French system on that of Tunisia. The equivocal nature of the principle led us to call upon
structural analysis to better grasp the specific nature of this relationship of influence, temporarily
disregarding political data, and then introducing them, in a detailed manner, in the framework of
the analysis. Abstract to better understand. Structuralism has also emerged as a guarantee of the
(relative) scientific objectivity of research: it allows, like a bulwark, the study of functions and the
identification of invariants in the societies studied.
Thus, the critical analysis of determinants makes it possible to understand a society in the present
moment. The analysis of material, economic and social factors shows that in this interweaving of
data, culture in the broad sense, including religion and law, plays a central role: it is both an obstacle
and a lever for the realization of the principle of gender equality.
5
Keywords : Equality between men and women, Principle, Equity, Discrimination, Equity, Justice,
Influence, Tunisian Law, French Law, Structuralism, Legal Pluralism, Marriage, Divorce, Estates,
Successions, Structure, System, Constitution, Maghreb, Europe, Africa, Human Rights,
Universalism, Islam, Sharia, Women's Rights, Gender.
6
REMERCIEMENTS
Au seuil de cette étude, j’adresse mes sincères remerciements à Monsieur Reis qui a accepté de
reprendre la direction de ce travail de recherche. Sans son concours et son immuable
bienveillance, cette thèse n’aurait pu atteindre cette phase si difficile d’achèvement. Qu’il sache
l’infinie gratitude que je porte à son égard.
C’est également au professeur Jean-Jacques Sueur que j’exprime mes vifs remerciements. Ce
dernier a été un accompagnateur fidèle, un guide constamment disponible et un phare qui a en
permanence essayé d’éclairer. Nos nombreux échanges ont permis de défaire des sujets souvent
complexes et de m’orienter vers des lectures auxquelles les juristes sont peu familiers. Je retiens
notamment un enseignement précieux qu’il m’a transmis : en droit, comme dans toute science
sociale, il existe très rarement une solution obvie. Assurément, cette thèse lui doit beaucoup.
J’adresse en outre mes profonds remerciements aux membres du jury lesquels ont aimablement
accepté de prendre de leur temps pour lire et porter un jugement à ce travail.
C’est aussi à ma famille, en particulier à mes parents et mes frères, que j’aimerai remercier
pour avoir toujours été présente à mes côtés.
Je tiens également à remercier ma sœur qui a été un soutien de tous les instants et qui a su
trouver les mots justes dans les périodes de doute ayant inévitablement jalonné ces années de
travail. Sa permanente disponibilité et les nombreux moments partagés ensemble m’ont permis
d’avoir des temps de respiration indispensables à l’accomplissement de cette étude.
Enfin, c’est à mon époux que j’aimerais exprimer ici une aimante et chaleureuse pensée. Sa
patience et son soutien constant ont été une aide précieuse durant ces dernières années de
recherche. Qu’il sache que ses profuses attentions m’ont sincèrement touchée.
7
8
SOMMAIRE
PREMIÈRE PARTIE — LES FONDEMENTS DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ HOMME-
FEMME
TITRE I — LE PLURALISME DES FONDEMENTS DE L’ÉGALITÉ
Chapitre I – La portée du fondement constitutionnel de l’égalité homme-femme
Chapitre II – L’accentuation jurisprudentielle du morcellement des normes de référence
TITRE II — LA CONCURRENCE DE LÉGITIMITÉS
Chapitre I – Les résistances culturelles
Chapitre II – Les obstacles structurels
Chapitre III – L’influence déterminante du droit international en tant que vecteur de l’égalité
en Tunisie
SECONDE PARTIE — LA DIVERSITÉ DES FACTEURS DE STRUCTURATION
TITRE I – L’ANALYSE DES DÉTERMINANTS
Chapitre I – Les facteurs permanents
Chapitre II – Les facteurs conjoncturels
Chapitre III – Le rapport de connexité entre les systèmes
TITRE II — LES LIMITES DU PROCESSUS DE STRUCTURATION
Chapitre I – L’influence contrastée du féminisme
Chapitre II – Des rapports de conflictuels entre systèmes : la double structuration
9
10
LISTE DES ABRÉVIATIONS
A
AAI
Autorité Administrative Indépendante
AFEP
Association Française des Entreprises Privées
Al
Alinea
AJDA
Actualité Juridique. Droit Administratif
ANC
Assemblée Nationale Constituante
ANCT
Assemblée Nationale Constituante Tunisienne
ARP
Assemblée des Représentants du Peuple
ARPP
Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité
Art
Article
AV. J.-C.. Avant Jésus-Christ
C
C.Civ
Code Civil
CDH
Conseil des Droits de l’Homme
CE
Conseil d’État
CEDAW
CEDEF
Convention sur l’Élimination de toutes les formes de Discrimination à
l’Égard des Femmes
CESDH
Convention Européenne des Droits de l’Homme.
CEDH
Cour Européenne des Droits de l’Homme
CJCE
Cour de Justice de la Communauté Européenne
CJUE
Cour de Justice de l’Union Européenne
CNCDH Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme
COM
Commission
CONF
Conférence
11
COLIBE Commission des Libertés Individuelles et de l’Égalité
Cons. C. Conseil Constitutionnel
Cons
Considérant
C. cass
Cour de cassation
CP
CPP
CPR
CSA
Code Pénal
Conseil Paritaire de la Publicité
Congrès Pour la République
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel
CSEP
Conseil Supérieur à l’Égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes
CSP
Code du Statut Personnel
D
D.
Receuil Dalloz
Déc.
Décision
E
ECOSOC Conseil Economique et Social
EPU
Examen Périodique Universel
G
Gaz. Pal. La Gazette du Palais
H
HALDE Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité
HAICA
Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle
HCEFH
Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes
HCE
Haut Conseil à l’Égalité
I
INLUCC Instance Nationale de Lutte Contre la Corruption
INRIC
Instance Indépendante chargé de Réformer l’Information et la Communication
IRMC
Institut de Recherche sur le Maghreb Contemporain
12
IVG
Interruption Volontaire de Grossesse
J
JCP G
La Semaine juridique. Édition Générale
J.DP
Jury de Déontologie Publicitaire
J.O
Journal Officiel
J.O.R.F
Journal Officiel de la République Française
J.O.R.T
Journal Officiel de la République Tunisienne
L
LPA
Les Petites Affiches
LTDH
Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme
M
MEDEF Mouvement Des Entreprises de France
MTI
Mouvement de Tendance Islamique
O
OCDE
Organisation de Coopération et de Développement Economique
OCI
OIT
Organisation de la Conférence Islamique
Organisation Internationale du Travail
ONG
Organisation Non Gouvernementale
ONFP
Office National de la Famille et de la Population
ONU
Organisation des Nations Unies
OMD
Objectifs du Millénaire pour le Développement
OUA
Organisation de l’Unité Africaine
P
PNEA
Programme National d’Enseignement des Adultes
PNUD
Programme des Nations Unies pour le Développement
PVD
Pays en Voie de Développement
13
Q
QPC
Question Prioritaire de Constitutionnalité
R
RCD
Rec.
Rassemblement Constitutionnel Démocratique
Recueil
Rec. JD
Recueil de Jurisprudence
RES
Résolution
RTD civ Revue Trimestrielle de Droit civil
RSC
Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal Comparé
RDT
Répertoire de Droit du Travail
S
SA
Société Anonyme
SCA
Société en Commandite par Actions
T
T.A
Tbl
Inst
Tribunal Administratif
1ère
Tribunal de Première Instance
TFUE
Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne
U
UE
Union Européenne
UGTT
Union Générale des Travailleurs Tunisiens
UNFT
Union Nationale de la Femme Tunisienne
UTICA
Union Tunisienne de l’Industrie du Commerce et de l’Artisanat
14
15
GLOSSAIRE
A
Aceb
L’héritier universel qui reçoit une partie ou l’ensemble des biens laissés par le
défunt
Agnats
Parent par agnation, descendant d’une même souche masculine
Amazigh
Berbère1
B
Bey
C
Charia
Commandant des troupes qui est spécialement chargé de lever l’impôt et de
surveiller les tribus
« Loi canonique islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle,
appliquée de manière stricte dans certains Etats musulmans. (Les Etats où la Charia
est le plus largement appliquée sont en Asie, l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Pakistan,
l’Afghanistan, l’Iraq, le Yémen, Oman et les Émirats Arabes Unis, et, en Afrique, le
Soudan et le Nigeria) »2.
Chiite
Qui appartient au chiisme
D
Destour
Constitution
Dey
Capitaine qui est chargé de commander la milice en collaboration avec l’agha
Djezirat al-
Maghrib
Les îles du Maghreb
Djizya
Capitation, tribut, taxe.
F
Fard
En islam ce sont les héritiers de premiers rangs dont la part successorale est
légalement déterminée (héritiers réservataires). Le mot fard vient du mot arabe
« fardh » qui désigne ce qui est obligatoire.
1 http://dictionnaire.reverso.net
2 www.larousse.fr
16
« Désigne la “compréhension” de la Charia, à savoir le droit positif regroupant
tous les aspects de la vie, religieux, politiques et privés »3.
Fiqh
H
Hadana
Le droit de garde de l’enfant au Maroc
Hadîth
Récit. « Dans la religion islamique, recueil des actes et paroles de Mahomet et
de ses compagnons, à propos de commentaires du Coran ou de règles de
conduite »4.
Hybris
Démesure
I
Istihsan
Préférence juridique/équité
K
Kouloughlis Métis Turcs et Tunisiens
M
Machrek
« Le levant » ce terme désigne les pays du soleil levant, l’Orient arabe
Madhhab
École juridique musulmane
Maghreb
Le terme Maghreb désigne les pays du soleil couchant, l’Occident Nord-africain,
par opposition au Machrek
Mahdûr
L’interdit
Makrûh
Désapprouvé, déconseillé
Mandûb
Recommandé
Moudawwan
a
Le Code de la famille marocain
Mu‘âwiyya
Calife de Damas
Mubâh
Licite, autorisé
Musawa
Égalité
Mutakamila Complémentarité
N
3 www.larousse.fr
4 www.larousse.fr
17
Equivalence d’une pension alimentaire, la prise en charge de l’entretien de
l’épouse et de ses enfants par l’époux en cas de divorce, mais aussi le droit des
parents nécessiteux de demander une pension à leurs enfants.
Nafaqa
O
Oumma/Um
ma
A l’origine, le terme Oumma ou Umma fait référence à la « communauté
d’Allah » (Oummat Allah). Elle désigne donc la communauté islamique ou la
communauté musulmane.
P
Pacha
Il est à la tête de la régence et il est nommé par le Sultan
S
Salam
Paix
Samaha
Tolérance
Sultan
« Titre de souverains musulmans donné à partir des Seldjoukides (Xème siècle)
par le calife à ceux à qui il déléguait le pouvoir effectif »5.
Le sunnisme représente le « courant majoritaire de l’islam, qui s’appuie sur la
sunna et le consensus communautaire qu’elle suscite. Réunissant environ 90 %
de la communauté musulmane, le sunnisme se présente comme la voie moyenne
de la religion musulmane (entre le chiisme et le kharidjisme). Les sunnites sont,
par définition, les hommes du Coran et de la sunna, c’est-à-dire de la tradition
de tout l’enseignement du prophète Mahomet.
Sunnite
S’appuyant sur la sunna et sur le consensus communautaire, les sunnites ont
reconnu comme successeurs du Prophète les quatre premiers califes, puis les
Omeyyades et les Abbassides, tandis que les chiites ont réservé cette charge à
Ali et à sa descendance.
Le sunnisme correspond donc à l’ensemble des communautés musulmanes se
caractérisant par l’accent mis sur la fidélité à la sunna (Tradition du Prophète)
qui, relatant l’enseignement, les dires, les faits et les gestes de Mahomet, sert de
législation, d’exemple et de modèle aux sunnites. Consignée dans les hadiths, la
sunna constitue la deuxième source de l’islam sunnite, après la parole révélée
du Coran.
5 www.larousse.fr
18
À travers la sunna, le Prophète est pour les croyants une source d’imitation, un
modèle de comportement, aussi bien sur le plan de l’éthique individuelle que
sur celui du droit communautaire »6.
T
Talaq
Ce terme désigne la séparation c’est-à-dire la répudiation et le divorce. En droit
tunisien, il désigne le divorce. Les règles relatives au divorce de l’homme sont
citées en partie dans la sourate « at talaq » S 65.
Tamazight
Dialecte berbère parlé de nos jours au Maroc dans le Haut Atlas, le Moyen Atlas
et le Rif ainsi qu’en Algérie (Kabylie) où il est devenu la langue nationale à côté
de l’arabe
Tedjdid
Renouvellement
R
Rifq
U
Bienveillance
Uléma
Docteur de la loi musulmane, juriste et théologien7.
6 http://www.larousse.fr/encyclopédie/divers/sunnisme/94575
7 www.larousse.fr
19
20
la
« Et
femme demeure, au moins en France,
singulièrement défavorisé quant au droit de suffrage. Il y
a bien peu d’élues ! C’est une observation du même ordre
que l’on peut faire quant au "droit au juge". Elle en
bénéficie. Elles sont même nombreuses à être juges, plus
nombreuses que les hommes. Mais en nombre infime dans
la haute hiérarchie. Ce qui est évidemment paradoxal
s’agissant du système juridique qui devrait assurer en
premier l’égalité des sexes ! »
G. Farjat, « Préface » in Droits de l’homme et libertés de
la personne (R. Charvin et J.-J. Sueur), LexisNexis-Litec,
2007, p. IX.
21
22
INTRODUCTION
1.
Le structuralisme en tant qu’outil d’analyse des systèmes juridiques. Tout comme
en France, la Tunisie a connu de nombreuses sources d’influences dans la construction et
l’évolution de la notion d’égalité des sexes. Pour comprendre le statut de la femme en Tunisie
comme en France, il faut nous interroger sur le caractère équivoque du principe, ce qui conduit
à faire appel à l’analyse structurale8 pour mieux saisir la nature spécifique de ces rapports9 entre
les deux systèmes juridiques10. Comment ? En faisant provisoirement abstraction des données
politiques, pour les introduire ensuite, de manière détaillée, dans le cadre de l’analyse. Abstraire
pour mieux comprendre. Le structuralisme11 apparaît ainsi comme un gage d’objectivité
scientifique relative de la recherche12 : il permet, tel un rempart, d’étudier des fonctions et de
dégager des invariants dans les sociétés étudiées. Autrement dit, la méthode structuraliste est
une boîte à outils à laquelle nous emprunterons quelques instruments pour analyser les systèmes
8 Comme nous l’explique à juste titre le Professeur Sueur, « le choix de la méthode structuraliste s’inscrit dans la
tradition de l’école française de sociologie et de son fondateur […] Durkheim ». J.J SUEUR, « Pour un structuralisme
tempéré », in Mélange en l’honneur du professeur Dominique Rousseau, LGDJ, 2020, p. 736.
9 On entend ici par le mot « rapport » à la fois les effets que le système juridique français a exercés sur celui de la
Tunisie ; un rapport qui peut être aussi bien néfaste que bénéfique et l’idée d’un dialogue entre les deux systèmes
juridiques. A cet égard, les rapports entre les deux systèmes juridiques sont tardifs au Maghreb par rapport à
d’autres, mais ils demeurent significatifs. En outre, ces rapports se déroulent sur deux plans différents. Tout
d’abord, comme nous l’avons déjà évoqué, les rapports juridiques entre le système français et celui de la Tunisie.
Ensuite, les rapports entre systèmes s’entendent en termes de rayonnement moral et intellectuel au sein d’une
doctrine déterminée qui va avoir des conséquences d’une part sur le système juridique, et d’autres part sur le
chercheur lui-même. Dans le premier cas de figure, le rayonnement moral et intellectuel français au sein de la
doctrine tunisienne va avoir des effets sur différentes sphères tel que le Pouvoir politique, économique de l'État.
Dans le second cas, l’influence doctrinale et intellectuelle que jouent certains auteurs dans la construction du travail
de recherche contribue de manière certaine à prendre une certaine hauteur et procurant par là-même une forme
d'objectivité.
10 Le système juridique tunisien étant trop éloigné de celui de la France, leur comparaison se révèle donc très difficile.
Il est nécessaire de trouver un biais, quelque chose qui permette de faire le lien entre deux situations dissemblables sur
un point qui leur est commun. C’est pourquoi il semble plus aisé de conditionner la comparaison des deux droits à
l’analyse des rapports entre les deux systèmes mais également les rapports internes du système juridique tunisien entre
les forces et facteurs en présence, y compris culturels. C’est ainsi que le travail de thèse a bien pour objet l’idée de
structure qui implique le rapport non conscient, mais agissant auprès des parties prenantes, et qui sont susceptibles à
ce titre de donner des clés de compréhension d’autres rapports.
11 La théorie du structuralisme considère qu’une structure est « un Tout formé de phénomène solidaires tels que chacun
dépend des autres et ne peut être ce qu'il est que par sa relation avec eux ». J.B. FAGES, Comprendre le structuralisme,
Privat, 1968. Citée par J. CHEVALLIER, Essai d’analyse structurale du Préambule, n°5, p. 3. Autrement dit, Le
structuralisme consiste donc « à chercher les relations qui donnent aux termes qu’elles unissent une valeur de position
dans un ensemble organisé ». J. POUILLON et al., « Problèmes du structuralisme », In Les Temps modernes, n°
246, 1966, p. 769.
12 Comme l’explique le Professeur Sueur, le concept de structuralisme qui implique celui de structure « signifient
seulement que ces plans [strates] sont des étapes qui doivent être franchies ou escaladées, comme on escalade une
montagne ou les marches d’un escalier, pour arriver au sommet de la montagne ou à l’étage supérieur, d’où l’on pourra
admirer le paysage, la rue d’à côté, ou nos proches voisins ». J.J SUEUR, « Pour un structuralisme tempéré », op.cit.,
ibidem.
23
juridiques. À cet égard, l’idée de structure13 se présente comme le moyen de penser le réel en
prenant de la distance avec lui, cette distance qui nous manque au départ, et ce, dans l’objectif
de considérer dans l’égalité des sexes quelque chose comme une structure élémentaire de toute
sociabilité.
L’analyse critique des déterminants et des rapports permettent de comprendre une société dans
le moment présent. L’analyse de facteurs matériels, économiques et sociaux, permet de
constater que dans cette imbrication de données, la culture au sens large, incluant la religion et
le droit, joue un rôle central : elle est à la fois une entrave et un levier pour la concrétisation du
principe d’égalité des sexes. Par ailleurs, l’utilisation d’un structuralisme modéré permet
d’introduire un peu de science politique, sans perdre de vue le sujet traité.
2.
La signification de l’égalité homme-femme à l’aune de l’histoire. Envisager l’égalité
des sexes suppose nécessairement d’étudier l’histoire pour comprendre la place qu’occupe ce
droit dans les différentes structurations juridiques. Si l’on reprend GEORGESCO, « La force et
le sens de l’évolution historique doivent toujours être cherchés dans le milieu influencé, dans
le milieu récepteur. C’est uniquement la place que l’influence réussit à tenir dans l’ensemble
des conditions historiques de ce milieu qui lui donne une signification et détermine son contenu
réel et efficient ».14 Aussi, « nous définissons la réception »15 du droit français dans le système
juridique tunisien « comme un ensemble cohérent de processus intègre de l’histoire du droit »16
tunisien. Ainsi, « tout est à la fois le même et différent : le fleuve n’est pas le même parce que
l’eau se renouvelle sans cesse […] L’homme ne voit qu’un aspect des choses sans saisir
l’harmonie du tout, qui naît du mouvement, de la discorde et du conflit. Il voit identité là où il
y a processus et métamorphose »17. Ici, le droit n’est pas le même, car la société se renouvelle
sans cesse. C’est dans ces cadres de processus et métamorphose que la perception de la femme
au sein des sociétés française et tunisienne s’est progressivement détachée d’une vision
péjorative qui a perduré pendant des siècles et qui trouve dans nos sociétés contemporaines une
harmonisation du contenu et de la signification de l’égalité des sexes. Toutefois, « les obstacles
13 Selon le Professeur Sueur, le concept de structure constitue « l’instrument de mesure » qui ne doit pas se confondre
avec « la chose mesurée » qui renvoie aux écrits de Foucault, notamment la pensée du dehors. Voy. n.b.p n° 8 de J.J
Sueur, Texte de Foucault de 1966, M. FOUCAULT, « La pensée du dehors », Reproduit in Dits et Écrits I. 1954-1975,
Quarto/Gallimard, 2001 [1994], p. 546. Cité par J.J SUEUR, « Pour un structuralisme tempéré », op.cit. Ibidem.
14 V. GEORGESKU, « La réception du droit romano-byzantin dans les Principautés roumaines (Moldavie et
Valachie) » in Droits de l’antiquité et sociologie juridique – Mélanges Henri Lévy-Bruhl, Sirey, 1959, pp. 373-391
15 Ibid.
16 Ibid.
17 L. DEVILLAIRS (dir.), Les 100 citations de la philosophie, PUF, 2017, pp. 15-124.
24
culturels ne doivent pas être négligés non plus »18, car « les anciens droits, les anciennes
pratiques font donc de la résistance »19. L’objectif poursuivi consiste à déterminer si l’égalité
homme-femme en Tunisie s’apparente à la conception française et si la réponse est positive,
dans quelle mesure elle s’en distingue. Ensuite, sur ce premier constat, il conviendra de
déterminer le domaine respectif de ces deux conceptions de l’égalité des sexes en consacrant
un ordre public de l’égalité homme-femme destiné à préserver une vision et une conception
communes à ce droit. Il est vrai que « l’histoire nous éclaire en effet, en partie, sur la nature du
rapport droit-État cela peut-être un rapport de type fonctionnel ou instrumental typique de l’État
des sociétés occidentales […] »20. Le Professeur Sueur nous rappelle à juste titre que « le
passage des sociétés dites traditionnelles aux sociétés modernes s’accompagne (seulement)
d’une modification dans “le champ du contrôle social juridique” et des “innovations dans la
nature de ses formulations et de sa sanction”. Il n’y a donc pas une, mais des formes du
juridique, et “le droit ne se réduit pas à la formulation qu’en ont fait les sociétés occidentales” ;
il n’est pas lié, notamment, à l’existence de règles objectives, clairement repérables à l’intérieur
du champ social. Il n’en existe pas moins une corrélation étroite entre le type d’organisation
politique dominant dans une société donnée et le mode de production du droit qui prévaut à
l’intérieur de cette société »21. Si le doyen Vedel exprimait l’idée que « le premier des droits de
l’homme, et le fondement de tous les autres » est celui de l’égalité, ce dernier est également
« pacificateur de la fraternité »22. La notion d’égalité était la force d’expansion de l’Islam23.
Aussi, « jusqu’à une date récente dans les sociétés dominées par l’Islam, le pouvoir civil est
totalement étranger au processus de création du droit. Le droit musulman, par exemple, se
constitue dès l’origine (c’est-à-dire depuis le VIIIe siècle) en marge des catégories du droit
occidental, tout en donnant de lui-même l’image du droit par excellence, un droit indifférencié,
non spécialisé dans lequel tout se tient »24.
18 J.-J. SUEUR, Une introduction à la théorie du droit, L’Harmatan, 2001, p. 60.
19 Ibid.
20 Ibid. p. 68.
21 Ibid. pp. 45-46.
22 G. CORNU, « LA fraternité. Des frères et sœurs par le sang dans la loi civile », in « les orientations du droit
contemporain », écrit en l’honneur de Jean SABATIER, P.U.F, p.129.
23 En effet, L’Islam s'est facilement propagé car il était considéré comme un moyen de libération par les nombreux
esclaves et pour ceux qui se sentaient opprimés par le christianisme byzantin. C’est ainsi que la conversion à l'Islam
permettait aux esclaves de s’affranchir.
24 J.J SUEUR, Op. Cit. p. 50 ; Selon la description de J. BERQUE à propos des sociétés du Haut Atlas. J.
BERQUE : structures sociales du Haut- Atlas, P.U.F, 1978, p.79.
25
3.
Le droit comparé dans un monde globalisé. Le XXIe siècle est marqué par
l’internationalisation et par « la globalisation »25 dans tous les domaines, notamment dans celui
du droit comparé qui deviendrait de « plus en plus international »26. Ce processus de
« globalisation » correspond à l’adoption par des sociétés non occidentales, notamment de
« règles » et « de raisonnement juridique » dont le résultat serait « la juridicisation de leur
univers symbolique et de leur monde vécu »27. Notre appréhension du Droit global28 résulterait
de « l’aboutissement d’un processus historique de généralisation planétaire du juridisme
occidental, le triomphe de la civilisation, entendue, sans jeu de mots, comme celui de l’Empire
du droit civil »29. Cette évolution a catalysé d’autres semblances de subordination dans le cadre
de la colonisation30. Aussi, les notions de globalisation et de mondialisation ne renvoient pas à
un processus d’échanges mondialisés qui renfermerait exclusivement des échanges
économiques31. Ce processus engendre aussi des échanges culturels32 qui ne relèvent pas de
l’ordre du marchand, mais de celui du savoir33. Dès lors, il y a eu une « systématisation » d’une
comparaison des systèmes juridiques34 dans un processus dont la « réalisation » se justifie par
25 M. XIFARAS, « Après les Théories Générales de l’État : le Droit Global ? », Jus Politicum, n° 8, disponible en
ligne sur [http://juspoliticum.com/article/Apres-les-Theories-Generales-de-l-Etat-le-Droit-Global-622.html].
26 X. Blanc-Jouvan et alii, L’avenir du droit comparé : un défi pour les juristes du nouveau millénaire, Société de
législation comparée, 2000, p. 15.
27 B. FRYDMAN, « Comment penser le droit global ? », in J.-Y. CHEROT et B. FRYDMAN (dir.), La science
du droit dans la globalisation, Bruylant, 2012, pp17-48.
28 « Si le terme “global” est apparu en anglais voici plus de 400 ans, en revanche, l’utilisation du concept
de globalisation (globalization en américain) ne remonte qu’aux années soixante. En effet, le premier dictionnaire
à en donner une définition est le Webster ». E. C. CUNNINGHAM-SABOT, G. BAUDELLE. « La mondialisation
vue de France et des États-Unis : discussion sémantique contre débat médiatique », L’Information géographique,
vol. 72, n°2, 2008, pp. 6-16.
29 B. FRYDMAN, « Comment penser le droit global ? », op.cit.
30 Dans la colonisation, une « nation civilisée » impose le juridisme occidental à une « nation à civiliser » (soit
directement, à la française, soit indirectement, à la britannique, soit toute la gamme nuancée de ce qui se trouve
entre les deux). Dans l’ouverture, la « nation à civiliser » est contrainte par la (ou les) « nations civilisatrices » à
adopter elle-même le juridisme occidental (Japon, Turquie attention aux exemples le Japon n’a pas été colonisé,
ni l’empire otoman au contraire ils ont été colonisateurs etc.). B. FRYDMAN, op.cit. Voy. également sur le sujet
de la colonisation. P. BLANCHARD, N. BANCEL, S. LEMAIRE (dir.), La Fracture coloniale. La société
française au prisme de l’héritage colonial. La Découverte, 2006, 322 pages ; F. GAULME, « Notes de
lecture », Études,2006, n°5, pp. 684-693.
31 La mondialisation et la globalisation se réfèrent au phénomène de la « libéralisation des échanges, des
investissements et des flux de capitaux ainsi qu’à l’importance croissante de tous ces flux et de la concurrence
internationale dans l’économie mondiale » L. BOY, « Le déficit démocratique de la mondialisation du droit
économique et le rôle de la société civile », Revue internationale de droit économique, 2003, p. 471 reprenant la
définition donnée par le BIT, L’emploi dans le monde 1996/1997. Les politiques nationales à l’heure de la
mondialisation, Genève, 1996, p. 1. Cité également par G. RABU, « La mondialisation et le droit : éléments
macrojuridiques de convergence des régimes juridiques », Revue internationale de droit économique, n° 3, 2008,
pp. 335-356.
32 Ch. EBERHARD, « Le droit au miroir des cultures. Pour une autre mondialisation », Droit et Société, n°
13,2006.
33 G. RABU, op. cit..
34 N. FLIGSTEIN, « Rhétorique et réalités de la "mondialisation" », Actes de la recherche en sciences sociales.
1997. n° 119, pp. 36-47.
26
son caractère « multiscalaire »35. La méthode comparatiste peut être présentée comme celle qui
établit « des rapports de ressemblances et de différences entre les termes d’un savoir » tout en
permettant « d’en mesurer l’ampleur, en chercher les raisons et en apprécier la valeur »36. Aussi,
l’étude du droit comparé est présentée comme essentielle à « l’édification d’un “droit commun
de l’humanité”, tout ou moins entre les droits déjà proches les uns des autres »37. Pourtant, le
droit tunisien et le droit français sont assez éloignés l’un de l’autre. Si l’on doit reprendre les
différentes classifications des systèmes juridiques, il serait difficile d’en choisir un qui serait
totalement adéquat pour véritablement correspondre à l’étude envisagée. En effet, le caractère
« européocentriste »38 de la vision du droit de certains auteurs39 ne pourrait réellement servir la
comparaison entre les deux systèmes juridiques. Ainsi cette méthode de classification serait peu
satisfaisante. Pour notre recherche, l’utilisation de cette méthode comparatiste aura une double
ambition. D’une part, nous chercherons à identifier des règles communes afin de nous
rapprocher d’un « système juridique idéal »40. Autrement dit, nous mettrons en perspective le
« décalage entre l’affirmation d’un principe et la réalité »41. En effet, les trois caractéristiques
de l’égalité juridique des sexes en ce début de XXIe siècles se traduisent par « une certaine
indigence théorique, une certaine effervescence législative, et une certaine ineffectivité
pratique »42. Cette citation est à juste titre la réalité actuelle du système juridique français et
tunisien. Dans les deux États, le législateur a adopté de nombreuses mesures dans le sens d’un
aboutissement juridique de la question égalitaire. Toutefois, l’effectivité n’a pas toujours été
constatée. Comme l’expliquait le Doyen Carbonnier, de manière fort tautologique cependant,
l’effectivité correspond à « l’application effective »43 de la règle de droit. Selon cette
conception, une règle est considérée comme appliquée lorsque les destinataires la respectent ou
bien lorsqu’elle est exécutée par les autorités chargées de sa mise en œuvre. D’autre part, nous
35 G. RABU, op. cit.
36 C. HAGUENAU-MOIZAED, introduction au droit comparé en 10 thèmes, Dalloz, 2018, p. 5 ; Voy. également
sur le sujet Y.-M. LAITIER, Droit comparé, Dalloz, 2009, 264 pages.
37 C. HAGUENAU-MOIZAED, op. cit., loc. cit.
38Ibid., p. 9.
39 R. DAVID, K. ZWEIGERT ET H. KÖTZ, « Einfuhrung in die Rechtsvergleichung auf dein Gebiete des
Privatrechts, t. II, Institutionen ». In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 21 N°4, Octobre-décembre,
1969. n°4, pp. 906-907.
40 E. LAMBERT, « Conception générale et définition de la science du droit comparé, sa méthode, son histoire »,
Procès verbaux des séances et documents, Vol. 1, LGDJ, 1905, p. 26.
41 C. HAGUENAU-MOIZAED, op.cit., p. 5.
42 F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, la question juridique de l’égalité des sexes, observatoire des inégalités, 4 avr.
2004., p.2.
43J. CARBONNIER, « Effectivité et ineffectivité de la règle de droit », L’Année sociologique, LVII, 1958, p. 3 ;
Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, 9e éd., LGDJ, 1998, p. 133.
27
mettrons en exergue les structurations44 et les structures45 des différents systèmes juridiques. À
ce titre, la notion de structure, c’est-à-dire le rapport d’interaction qui fait sens, rend possible la
comparaison entre des ensembles différents. En raison des liens historiques entre les deux
systèmes et de certaines spécificités propres aux droits occidentaux, il nous semble légitime
d’aller puiser dans un des deux systèmes qui se trouve avoir été dominant, en l’occurrence le
système français, pour identifier des éléments de comparaison entre eux. En effet, la structure
est la propriété de la structuration et les deux ont une relation de rétroaction l’une avec l’autre46.
Elle nous permet de voir au-delà de l’universalisme affiché des systèmes en évaluant les
éléments structurants. L’étude de cette structure nous permettra de mettre en exergue le cadre
hybride du droit tunisien dans lequel un certain modèle de valeurs47 du droit peut être saisi.
Dans ce cadre, il existe des valeurs étrangères et des valeurs existantes qui conduisent presque
inévitablement à une certaine tension et une relation conflictuelle. Dans le cadre de notre étude,
nous essayerons de déterminer si les valeurs étrangères sont idéalement acceptées et si les
valeurs existantes persistent de façon réaliste contre la perméabilité des valeurs étrangères.
44 Selon Hasegawa, la structuration du droit par les valeurs est constituée par les couches de contrôle normatif et
les sphères d’objets normatifs. De manière générale, le droit et la société ont une relation interactive pour la
formation et le maintien de l'ordre social. Ici, pour saisir la structure de cette interrelation, il est utile de distinguer
les couches de contrôle normatif des sphères d'objets contrôlés. Concernant les couches de contrôle normatifs,
l’auteur distingue trois dimensions : les principes juridiques, les lois et la performance juridique. Secondement,
l’auteur distingue au moins trois sphères d’activités humaines d'entre elles : la sphère politique dans laquelle les
activités politiques telles que la formation et le changement des rapports de pouvoir entre les personnes sont
répandues ; la sphère économique dans laquelle prédominent des activités économiques telles que la production et
la consommation de biens ou les relations de travail ; et la sphère culturelle dans laquelle les activités culturelles
concernant la famille, l'éducation ou la sécurité sociale sont au premier plan. De cette manière, la structuration du
droit par les valeurs conduit à la formation d’un « droit hybride ». Dans ce cadre, la matrice indique que la fonction
d'intégration par la loi de la société varie de manière multidimensionnelle avec le fonctionnement de valeurs
complexes. Aussi, selon l’auteur on peut saisir l'interaction entre le droit et la société en se référant à la matrice
suivante constituée d'une combinaison des trois couches et des trois sphères. En utilisant cette matrice, nous
pouvons saisir la structure de la relation interactive entre le droit et la société comme l'intégration dimensionnelle
à neuf cellules de la société par le droit. En outre, dans cette veine, nous pouvons saisir un certain modèle de
valeurs du droit, dans les neuf cellules dans lesquelles les valeurs étrangères et les valeurs existantes ont une
certaine tension et une relation conflictuelle. K. HASEGAWA. Op.Cit., p. 324.
45 La structure signifie habituellement un cadre statique de la pratique sociale ; c’est l'essentiel des règles établies
ou des modèles macroscopiques d'activités collectives dans la société. La structure est aussi une contrainte sur les
activités des êtres humains ou des groupes dans la société ; elle fonctionne pour intégrer diverses activités sociales.
46K. HASEGAWA, the structuration of law and its working in the japanese legal system, In : La structure des
systèmes juridiques, XVIe Congrès de l’Académie internationale de droit comparé, O. MORETEAU, J.
VANDERLINDEN (Dir), Bruylant, 2003, p. 320.
47 Selon Hasegawa, le modèle de valeurs est constitué par des principes juridiques en tant que valeurs abstraites
fondamentales de la morale politique, telles que la liberté ou l'égalité, et peuvent être acceptées au-delà du mur
d'une culture particulière, même si c’est symboliquement. Elles sont le plus souvent confirmées en droit
constitutionnel dans une société et deviennent ainsi des principes fondamentaux pour l'établissement du système
juridique. Les lois se réfèrent au système de lois positives générales ou spéciales établies dans le cadre d'un ordre
constitutionnel. Ils sont valides en vertu de la Constitution et concrétisent les principes constitutionnels dans divers
contextes de problèmes sous des formes différentes. Selon l’auteur, la structuration profonde du droit est celle du
droit par les valeurs. K. HASEGAWA. op. cit., p. 324.
28
Parfois, les valeurs existantes sont fondamentalement soutenues et d’autres circonstances les
valeurs étrangères envahissent une partie du système existant.
4.
Le droit comme mode de structuration de la société. Au-delà de son aspect formel,
le droit peut être vu comme un mode de structuration sociale48. Le droit est également « une
partie de la structure de la société »49, qui en tant qu’unité indestructible permet de comprendre
les rapports qui naissent au sein de la société globale. En outre, il constitue un schéma
d’organisation de modèles « d’actions collectives menées par des êtres humains ou des
groupes »50. Ce point de vue est essentiel, car il existe un processus dynamique de structuration
profonde qui détermine la transformation d’un système juridique derrière les caractéristiques
apparentes du droit. Aussi, il existerait une structuration profonde du droit qui se réalise au
moyen des valeurs51. Au sein des couches de contrôle normatif, on retrouve dans les différentes
dimensions celles des principes juridiques. Les principes juridiques en tant que valeurs
abstraites fondamentales de la morale politique, notamment celui de l’égalité, peuvent être
acceptés au-delà du mur d’une culture particulière, même si cela reste de l’ordre du symbolique.
Le principe d’égalité est initialement confirmé de manière générale en droit constitutionnel
français et tunisien et est devenu ainsi un principe fondamental pour l’établissement du système
juridique. Ce principe est consacré en termes abstraits et universels52.
48Selon Hasegawa le terme structuration peut être utilisé au moins de trois manières pour comprendre la
transformation du droit. Je ferai référence à la structuration par l’action, la structuration par les attributs et la
structuration par les valeurs. La structuration du droit par l’action concerne le processus de transformation du droit
selon les sphères d’activité sociale humaine que le droit cherche à contrôler. La structuration du droit par les
attributs concerne les propriétés des normes en droit. Selon Hasegawa, la structuration du droit par les valeurs est
constituée par les couches de contrôle normatif et les sphères d’objets normatifs. De manière, le droit et la société
ont une relation interactive pour la formation et le maintien de l'ordre social. Ici, pour saisir la structure de cette
interrelation, il est utile de distinguer les couches de contrôle normatif des sphères d'objets contrôlés.
Concernant les couches de contrôle normatifs, l’auteur distingue trois dimensions : les principes juridiques, les
lois et la performance juridique. Secondement, l’auteur distingue au moins trois sphères d’activités humaines
d'entre elles : la sphère politique dans laquelle les activités politiques telles que la formation et le changement des
rapports de pouvoir entre les personnes sont répandues ; la sphère économique dans laquelle prédominent des
activités économiques telles que la production et la consommation de biens ou les relations de travail ; et la sphère
culturelle dans laquelle les activités culturelles concernant la famille, l'éducation ou la sécurité sociale sont au
premier plan. K. HASEGAWA, op .c it., p. 324.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Le Professeur Farjat, à travers une analyse substantielle, s’est également intéressé à la question des valeurs qu’il
désigne comme « l’essentiel » et qui caractérise les valeurs communes dans des sociétés économiques qui
permettent le vivre-ensemble. Selon lui, « le vrai sens de la vie est ailleurs », c’est-à-dire en dehors de l’économie
puisque l’une des fins de la vie des hommes reste « l’éthique, ou les fragments d’un discours moral » qui « recouvre
les constructions empiriques qui correspondent aux besoins de valeurs qui accompagnent toutes les activités
humaines ». G. FARJAT, « Le droit économique et l'essentiel (pour un colloque sur l'éthique) », Revue
internationale de droit économique, vol. t. xvi, 1, no. 1, 2002, pp. 153-166.
52 Ce principe universel est consacré par le « bloc de constitutionnalité », c'est-à-dire des normes de valeur
constitutionnelle. (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Préambule de la Constitution du 27
octobre 1946 , ainsi que par la Constitution du 4 octobre 1958 et son Préambule.) Aussi, l’article 1er de la
Déclaration de 1789 ; « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». C'est ce qui explique
également la place de l'égalité au sein de la devise républicaine - « Liberté, Égalité, Fraternité » (art. 2, al. 4, de
29
5.
Le droit en temps qu’orchestration de la justice. Plusieurs auteurs s’accordent sur le
fait qu’il reste difficile de répondre à la question « qu’est-ce que le droit ? »53. Il est « difficile
de déterminer sa substance et délimiter ses frontières »54. Ainsi, comme l’explique Michel
Troper, « puisque la science du droit doit décrire son objet, qui est le droit, il importe de
commencer par le définir. […] On ne peut se passer d’une définition de l’objet droit [...] et cette
définition ne peut être fournie par la science du droit, mais seulement par la métascience —
autrement dit, par la théorie du droit. [...] Le droit n’est pas donné, mais construit par la théorie
qui en traite »55. De manière plus précise, la règle de droit en tant que « règle de conduite dans
les rapports sociaux, générale, abstraite et obligatoire, dont la sanction est assurée par l’autorité
publique »56 va servir alternativement à poursuivre un idéal et à protéger des « injustices
sociales ». La justification de la justice en tant que règle de droit implique tout d’abord la
justification même de la règle de droit. Hans Kelsen considère qu’« une théorie pure du droit
la Constitution de 1958) - et de « l'idéal commun » sur lequel sont fondées nos institutions (voir le Préambule de
la Constitution de 1958 et l'art. 72-3, al. 1er, de la Constitution de 1958). Cf. C.C, La Constitution, L’égalité,
Disponible sur le site [https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/l-egalite]. Déclaration universelle des
droits de l'Homme de 1948, PRÉAMBULE « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les
membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la
justice et de la paix dans le monde » […] Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont
proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne
humaine, dans l'égalité des droits des hommes et des femmes, et qu'ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès
social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Plusieurs articles de cette même
Déclaration consacrent ce principe et ceux de manière transversale ; Article premier (Tous les êtres humains
naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns
envers les autres dans un esprit de fraternité), Article 7 (Tous sont égaux devant la loi et ont droit sans distinction
à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la
présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination), Article 10(Toute personne a droit, en
pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et
impartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle)Article 16(A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race,
la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du
mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution). Article 21(Toute personne a droit à accéder, dans des
conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays), Article 23 (Toute personne a droit au travail, au libre
choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
Tous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal). Article 26 (Toute personne a
droit à l'éducation. L'éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et
fondamental. L'enseignement élémentaire est obligatoire. L'enseignement technique et professionnel doit être
généralisé ; l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite). Voy.
sur le sujet des droits et libertés fondamentales S. HENNETTE-VAUCHEZ, D. ROMAN, Droits de l'Homme et
libertés fondamentales, Dalloz, HyperCours, 2017, 854 pages ;H. OBERDORFF, Droits de l'homme et libertés
fondamentales, LGDJ, 2019, 732 pages ; V. BARBE, Droit des libertés fondamentales, Gualino, 2018, 218 pages,
Ch. DENIZEAU, Droit des libertés fondamentales, VUIBERT,2019 416 pages ; X. DUPRE DE BOULOIS,
Droits des libertés fondamentales, PUF, 2018, 576 pages.
53 B. BARRAUD, Qu’est-ce que le droit ? Théorie syncrétique et échelle de juridicité, thèse 2017 ; H. L. A. HART,
Le concept de droit, trad. M. VAN DE KERCHOVE, 2e édition., Publications des Facultés universitaires Saint-
Louis (Bruxelles), 2005, p. 19 ; J. COMMAILLE, J-F. PERRIN, Le modèle de Janus de la sociologie du droit in
Droit et société 1985, n°1, pp. 95-110.
54 B. BARRAUD, Qu’est-ce que le droit ? Théorie syncrétique et échelle de juridicité, 2017, op. cit., p. 13.
55 M. TROPER, Philosophie du droit, PUF, 4e éd., 2015, pp. 43, 45-46 et
123.
56 R. CABRILLAC, Introduction générale au droit, Dalloz, 2013, p.6.
30
ne s’oppose en rien à l’exigence d’un droit juste, mais se déclare incompétente pour décider si
tel ordre juridique est ou n’est pas juste, ainsi que pour déterminer l’élément fondamental de la
justice »57.
Dans un ouvrage publié en 1991, Le professeur BOURETZ faisait remarquer que le droit serait
l’orchestration de la justice qui, écrivait-il, « est en quelque sorte l’orchestration sur le mode
majeur d’une multitude de partitions écrites par des voix différentes. Les droits de l’homme
donneraient tout à la fois la gamme des principes avec lesquels chacun se compose une
existence et la tonalité commune nécessaire au respect d’autrui. Interprétées et jugées, les
normes et les lois formeraient à leur tour le texte où s’inscrit l’histoire d’une communauté, la
trace des conflits qu’elle rencontre et des solutions qu’elle leur invente. Comme si le droit
pouvait être l’un des récits de l’aventure d’un homme devenu autonome, capable de s’orienter
par la raison et de déchiffrer ses relations à ses semblables sans user de violence. Comme si
l’histoire, après avoir été contenue dans le récit sans sujet du mythe des origines, après avoir
été référée à l’auteur unique des Écritures, était désormais vouée à demeurer un texte écrit à
plusieurs voix, humaines, rien qu’humaines. La force du droit emprunterait alors à celle de ces
mots qui donnent sens à l’idée d’une vie en commun, voulue et réfléchie »58. Alors, dans cette
partition écrite par des voix humaines différentes, le principe d’égalité homme-femme figure-
t-il comme un droit consacré dans la Constitution dans laquelle s’inscrit l’histoire de la
Communauté de l’humanité au service de la justice ?
La Constitution est
6.
constitutionnalisme59 part du postulat que les droits fondamentaux et le pouvoir souverain
la pierre angulaire du droit constitutionnel. Le
doivent être protégés par une Constitution écrite. Cette théorie repose sur la place accordée à la
Constitution dans la hiérarchie des normes. Pour certains auteurs le constitutionnalisme est
considéré comme un pilier de la démocratie60. Par ailleurs, le constitutionnalisme est envisagé
comme un instrument de la démocratie61. La démocratie libérale qui est largement diffusée dans
le monde suppose que son organisation juridique soit corollaire à une importante structuration
57 H. KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Dalloz, 2e éd., 1962 p. 58.
58 P. BOURETZ (dir.), La force du droit. Panorama des débats contemporains, op. cit., p. 89.
59Voy. O. BEAUD, « Constitution et constitutionnalisme », dans Philippe Raynaud, Stéphane Rials
(dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996, p. 118.
60Voy. J. LECA, « La démocratisation dans le monde arabe : incertitude, vulnérabilité et légitimité », in G.
SALAME (dir.), Démocraties sans démocrates. Politiques d’ouverture dans le monde arabe et islamique, Paris,
Fayard, 1994, p. 48 et 50.
61 M. ROUYER, « Les promesses du constitutionnalisme », Raisons politiques, vol. no 10, no. 2, 2003, pp. 7-23.
31
hiérarchique. Cette
d’un
constitutionnalisme62. La violation d’un droit fondamental par le législateur pourra être
démocratie
l’existence
préalable
présume
libérale
censurée par le juge constitutionnel et par le juge ordinaire dans le cadre du contrôle de
conventionalité où il peut écarter une loi qui lui est soumise dans le cadre du litige, car celle-ci
ne serait pas conforme aux conventions et traités internationaux ratifiés par les deux États63.
C’est pourquoi « le constitutionnaliste contemporain est confronté à des difficultés qui sont
autant de défis à la capacité du droit constitutionnel de répondre aux interrogations et remises
en cause du monde actuel »64. Dans le cadre de cette adaptation du droit constitutionnel aux
évolutions de la société, la Constitution prendrait la figure du phénix65. D’ailleurs, c’est à juste
titre qu’il est rappelé que « la tâche des constitutionnalistes contemporains est importante et
lourde de conséquences »66. En effet, en étant « la doctrine »67, cette dernière « ne doit être
guidée par les seules méthodes d’analyse normativiste au risque d’oublier que le droit est une
recherche obstinée du juste et du bien dans la société »68.
62 Voy. sur le constitutionnalisme tunisien, la thèse de C. YARED, La construction du constitutionnalisme
tunisien : étude de croit comparé, Université de Bordeaux, 2021, soutenue le 12 mars 2021.
63 En France, le Conseil constitutionnel s’était déclaré incompétent concernant le contrôle de conventionalité
(Cons. const., déc. n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, décision prise à l'occasion de l'examen de la loi sur l'.I.V.G.
du 15 janvier 1975 ; « Faut-il maintenir la jurisprudence issue de la décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 ?
», Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 7, 1999, p. 99.). Nonobstant, il restait les juridictions ordinaires des ordres
administratif (CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo, Rec., p. 190. Le juge administratif doit écarter la loi qui serait
contraire aux traités internationaux, même si cette loi est postérieure.) et judiciaire (C. Cass., chambre mixte, 24
mai 1975, Société des Cafés Jacques Vabre, JCP, 1975.La Cour de cassation a fait prévaloir le traité international
sur une loi postérieure non-conforme.) qui se sont déclarées toutes deux compétentes en la matière même si
pendant longtemps le Conseil d’Etat a refusé d’opérer un tel contrôle et qui a eu pour conséquence d’instaurer une
divergence entre les deux juridictions ordinaires. Le Conseil constitutionnel est venu apporter des clarifications
quant à la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes à la suite d’un « imbroglio » (E. SAULNIER-
CASSIA, « Imbroglio autour de la question prioritaire de constitutionnalité », D. 2010, p. 1234.) engendré par
certaines décisions de la Cour de cassation en 2010 (C. Cass., 16 avril 2010, n° 10-40.001 et 10-40.002. Inédit.
Décision qui va donner lieu à la fameuse jurisprudence européenne Melki et Abdeli 22 juin 2010, affaire C-188/10).
En effet, la Cour de cassation a renvoyé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’union européenne la
question de la compatibilité entre le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité et les principes du
droit de l’Union européenne. Par conséquent, le conseil a confirmé que le fait d’imposer « l'examen par priorité
des moyens de constitutionnalité avant les moyens tirés du défaut de conformité d'une disposition législative aux
engagements internationaux de la France, le législateur organique a entendu garantir le respect de la Constitution
et rappeler sa place au sommet de l'ordre juridique interne » ( Cons. const., déc. n° 2009-595 DC du 3 décembre
2009, cons. 14 ; Voy. sur ce sujet, G. BERGOUGNOUS, « Le Conseil constitutionnel et le législateur », Nouveaux
cahiers du conseil constitutionnel n° 38, In « Dossier : le conseil constitutionnel et le parlement », JANV. 2013. ).
Dans le cadre du contrôle de légalité, plus précisément en matière d’exception d’illégalité dans le domaine des
règlements autonomes, le Conseil d’Etat peut vérifier la conformité de l’acte aux dispositions constitutionnelles et
internationales ainsi qu’aux principe généraux du droit. Selon la nature de la juridiction, les juridictions civiles
peuvent être saisies d’une exception d’illégalité de règlement, c’est-à-dire qu’il pourra écarter ce dernier lorsqu’il
est déclaré illégal dans l’hypothèse où par exemple celui-ci porte atteinte à une liberté individuelle.
64 F. BORELLA, « La situation actuelle du droit constitutionnel », Revue française de droit constitutionnel, , 2012,
pp. 3-10.
65 F. DELPEREE, « Le renouveau du droit constitutionnel », Revue française de droit constitutionnel 2008, vol.
74, no. 2, pp. 227-237.
66 F. BORELLA, op. cit., 2012, pp. 3-10.
67 Ibid.
68 Ibid.
32
7.
Le standard en tant que dénominateur commun des droits étatiques. Au centre de
toute technique juridique, on trouve les « rules-principles-conceptions-standards »69. Le
« standard juridique » n’est pas une notion facilement définissable. Néanmoins, elle a fait
l’objet de nombreuses études70 et il semblerait que l’idée de « standards juridiques » ait été
présentée pour la première fois dans une communication du Doyen Pound en 191971. Il
considère qu’il existe des règles bien déterminées et également d’autres règles beaucoup plus
vagues qui se décomposent en plusieurs types72. Les standards seraient des mesures de
comportement définies légalement à appliquer par ou sous la direction des juridictions73. Il
définit le standard comme « une mesure moyenne de conduite sociale correcte »74. De la sorte,
« le bon père de famille », « l’intérêt sérieux » ou encore la notion de « raisonnable »75
constituent, à titre d’exemple, des standards. Au même titre que la directive est un moyen de
rapprochement des législations au sein des États membres, les standards « répondent dans les
différents pays à un dénominateur commun »76. Ils forment un instrument de jugement de la
conduite des individus sur la base d’un modèle de référence. Son caractère général, imprécis et
vague donne une marge d’appréciation et d’interprétation importante pour permettre au juge
d’adapter les rapports sociaux multiples en constante évolution ; alors même que,
majoritairement, le droit est constitué de règles précises et formelles.
69 R. POUND, « The Administrative Application of Legal Standard », Allocution à la rencontre de l’American Bar
Association, présenté à Boston, 2 novembre 1919, p. 10.
70 Notamment de l’Egyptien A-R. AL-SANHOURY dont le directeur fut Edouard Lambert. AL-SANHOURY,
« Le Standard Juridique », in Recueil d'études sur les sources du droit en l'honneur de François GENY, t. II : Les
sources générales des systèmes juridiques actuels, Paris, Librairie du recueil Sirey, 1934, pp. 144 et s., voir aussi
Holleaux A., Dissolution et réincarnation du droit, Les Petites Affiches 1990, n° 118, p ; 4 ; S. Rials, Le juge
administratif français et la technique du standard, Thèse paris II, 1980 ; M-A. Hermitte, Le rôle des concepts mous
dans les techniques de déjuridicisation, L‟exemple des droits intellectuels, Arch. De Philo. du Droit, 1985, p. 351 ;
L. DUONG, « La sécurité juridique et les standards du droit économique, » in La sécurité juridique et le droit
économique (dir. L. BOY, J.B. RACINE et F. SIIRIAINEN), Larcier, 2007, spéc. pp. 209-234.
71 Une communication adressée par le doyen Roscoe POUND à un congrès de Y American Bar Association en
1919 Roscoe POUND, « The Administrative Application of Legal Standard », Allocution à la rencontre de
l’American Bar Association, présentée à Boston, 2 novembre 1919 [POUND]. Sur sa philosophie du droit voir
notamment Roscoe POUND, An Introduction to the Philosophy of Law, 2e éd, New Haven, Yale University Press,
1952.
72R. POUND, op. cit., p. 10. Ainsi, il distingue les règles, les principes, les concepts et les standards.
73 Ibid., p.12.
74 O. AWALOU. « Standard et standardisation : la normativité variable en droit international », Revue Québécoise
de droit international 2013, p. 170.
75 L. DUONG, La notion de raisonnable en droit économique, thèse Nice 2004, 896 pages ; D. MAINGUY, « Le
"raisonnable" en droit des affaires » in Les concepts émergents en droit des affaires, (dir. Erik Le Dolley), LGDJ,
2010, p. 307.
76Le Doyen Limpens.
33
8.
Le principe en tant que standard juridique nécessaire à un état démocratique.
Selon Dworkin, il existerait dans chaque système juridique national un ensemble de valeurs77
morales composant le soubassement et la motivation du droit en vigueur78. Aussi, existe-t-il un
consensus sur les principes déjà admis par la majorité de la communauté79. Malgré « le
pluralisme raisonnable » ne pourrait-il pas exister un accord entre les citoyens sur un ordre
moral commun de valeur comme on le trouve dans le droit naturel ? Ne pourrions-nous pas
envisager l’existence d’un principe universel supérieur de l’égalité homme-femme ? Autrement
dit, l’égalité homme-femme n’est-elle pas une vision morale partagée par une communauté
universelle ? Ce droit n’est-il pas l’une des caractéristiques de nos sociétés démocratiques
modernes80 ?
La théorie des principes de Dworkin peut fournir une base de réflexion pertinente à l’étude de
principes directeurs du droit lorsqu’il s’agit de prendre des décisions difficiles81. Alors que les
politiques fixent un objectif à atteindre, le principe est « un standard qu’il faut appliquer, non
pas parce qu’il assurera la survenue ou la protection d’une situation économique, politique ou
sociale jugée désirable, mais parce qu’il est une exigence dictée par la justice, l’équité ou
quelque autre dimension de la morale »82. Joseph Raz fait partie des positivistes qui
reconnaissent l’existence de ces standards moraux83.
9.
Le principe en tant que standard basé sur un ordre moral de valeurs servant de
guide d’interprétation au juge. La plupart des auteurs admettent que le juge en « disant le
droit » inéluctablement « collabore » diligemment avec le législateur par son interprétation de
la loi en vue de découvrir la règle. Autrement dit, « le juge explicite ce qu’a voulu l’auteur de
77 P. RICŒUR, « Le chrétien et la civilisation occidentale » in Autres Temps. Cahiers d’éthique sociale et politique,
n° 76-77 (2003), p. 25. Ici, le terme « valeurs » désigne « « des vertus privées et sociales, qui sont pratiquées par
une élite ou par la masse, qui sont des jugements, des appréciations, ou des mœurs effectivement pratiquées, qui
sont des sentiments ou des maximes rationnelles »
78R. DWORKIN, L’Empire du droit, op. cit., p. 286.
79J. RAZ, "Legal principles and the limits of law", Yale Law Journal, no 81, 1972, pp. 842 et suiv.
80Dans le même sens, voir M. ROSENFELD, "Dworkin and the one law principle : a pluralist critique", article à
paraître précité, notamment son cinquième point : "The pluralist case against Dworkin’s theory".
81R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, 1977, p. 79. Il écrit : « ma stratégie s’organise autour du fait que
dans leurs raisonnements ou leurs discussions au sujet des droits et des obligations juridiques, tout spécialement
lorsqu’il s’agit de cas difficiles où les problèmes avec ces concepts semblent les plus aigus, les juristes font appel
à des normes qui ne fonctionnent pas comme des règles mais opèrent différemment, comme des principes, des
politiques et d’autres types de standards. Je soutiendrai que le positivisme est le modèle d’un système de règles et
pour un tel système et que sa notion centrale d’un test unique, fondamental pour le droit nous empêche de
reconnaître le rôle important joué par ces standards qui ne sont pas des règles ».
82R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, op. cit., p. 80.
83Voir notamment J. RAZ, The morality of freedom, Oxford, Clarendon Press, 1986; P. HACKER et J. RAZ, Law,
morality and Society: Essays in honor of H.L.A. HART, Oxford, Clarendon Press, 1977 et les contributions, M.
COHEN (sous la direction de).
34
la norme et c’est ce dernier qui s’exprime par la voix du juge »84. Ici, « interpréter c’est
connaître »85. C’est ainsi que l’objectif du standard est « la lutte pour la liberté du juge à l’égard
du texte de la loi ». Hercule est la figure du juge. Aussi « l’esprit d’intégrité [...] serait violé si
Hercule devait prendre sa décision autrement qu’en choisissant l’interprétation qui lui paraît la
meilleure du point de vue de la morale politique dans son ensemble »86. Autrement dit, il choisit
l’interprétation qui lui semble la plus adaptée du point de vue de la morale politique dans son
ensemble. C’est dans cette situation qu’apparaît le rôle important joué par ces standards. C’est
notamment en raison de cette nécessité d’un instrument servant de guide d’interprétation que
les citoyens doivent s’accorder sur des standards ou des principes basés sur un ordre moral de
valeurs. Il deviendrait un dénominateur commun traduisant une vision d’une morale
universellement partagée dans les sociétés démocratiques modernes. Ce postulat implique ainsi
un consensus. En effet, comme pour Hercule, la morale interviendrait dans la prise de décision
qui tirerait sa justification de principes, de standards acceptés majoritairement par la
communauté87. Au sein de chaque système juridique national réside un ensemble de valeurs
morales qui forment la base et la légitimation du droit en vigueur88. D’ailleurs, Mireille Delmas-
Marty89 rattache le développement de ces standards et principes à l’apparition d’une nouvelle
source du droit qui est constituée par le juge. En effet, elle décrit « un mouvement général
caractérisé par le surgissement de nouvelles sources de droit dont, une, qui n’est pas des
moindres, est celle des juges »90. Ce mouvement transparaît par le biais de principes généraux
du droit qui peut résulter « de la philosophie politique (principe d’égalité) »91. C’est la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui affirme les droits de l’homme.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces droits n’ont cessé d’être réaffirmés92. Le principe
d’égalité des sexes est reconnu par le droit international des droits de l’homme ainsi que
plusieurs textes internationaux. Ces textes consacrent le principe d’égalité devant la loi et ils
84R. CHAPUS, « De la soumission au droit des règlements autonomes », D. 1960, chr.119, p. 106.
85 P. BRUNET. Les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes. L’architecture du droit. Mélanges en
l’honneur de M. TROPER, Oct 2006, Paris, France. p 3.
86 R. DWORKIN, L’Empire du droit, op. cit., p. 286.
87 J. RAZ, « Legal principles and the limits of law », Yale Law Journal, no 81, 1972, pp. 842 et s.
88J.-F. NIORT et G. VANNIER, "Sur la théorie du droit de Dworkin : de l’interprétation des principes à leur
application aux cas difficiles", Droits, no 19, 1994, p. 166.
89 M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, Seuil, 1994, 314 p.
90 P. AUBERTEL, M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, 1994. In: Les Annales de la recherche urbaine,
N°68-69, 1995. Politiques de la ville. Recherches de terrains. pp. 230-231.
91 Ibid.
92Voy. S. Rials, « La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » in Revue internationale de droit comparé.
1989. pp. 819-820. Le droit international s’est beaucoup inspiré de la DDHC de 1789, notamment en posant comme
postulat le principe d’égalité, v. sur le sujet., Y. Madiot. « L'influence de la Déclaration universelle des droits de
l'Homme et du citoyen de 1789 sur le droit international des droits de l'Homme ». In : Revue Québécoise de droit
international, 1989. pp. 1-1.
35
affirment que les hommes et les femmes ont droit sans discrimination à une égale protection de
la loi. Cette protection doit être efficace, car « la loi doit interdire toute discrimination et garantir
à toutes les personnes, une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment
[…] de sexe… ». Cette protection est étendue aux domaines des droits économiques sociaux et
culturels93, et cela dans plusieurs dispositions qui vont jusqu’à garantir des conditions de travail
« justes » et un salaire « équitable »94. L’existence et la persistance de formes de discriminations
à l’égard des femmes ont poussé la communauté internationale à prévoir un instrument
spécifique pour lutter contre ces discriminations aux multiples visages. La Convention pour
l’élimination de toutes les formes de Discrimination à l’égard des femmes (CEDEF ou
CEDAW) est entrée en vigueur en 1981 en France et a été ratifiée par 187 États, dont la Tunisie.
Pour garantir un contrôle efficace de cette Convention, la communauté a prévu un protocole
facultatif95 pour prévoir des acteurs de défense96 du principe notamment à travers des
compétences particulières97. En plus de ces discriminations, les femmes sont celles qui sont les
plus nombreuses à subir des violences par rapport aux hommes98. C’est parce que les femmes
restent souvent dans le monde dans une position inégalitaire par rapport aux hommes99 qu’il a
93 Article 3 : « Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer le droit égal qu’ont l’homme et la femme au
bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels qui sont énumérés dans le présent Pacte » ; Article
22. : « Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans
discrimination aucune fondée sur […] le sexe… ».
94 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966. Article 7 du Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966 : « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le
droit qu’à toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment : a) La
rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs : i) Un salaire équitable et une rémunération égale
pour un travail de valeur égale sans distinction aucune ; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que
les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et
recevoir la même rémunération qu’eux pour un même travail ».
95 Protocole facultatif à la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,
1999,
96 Ce dernier donne la faculté au Comité CEDAW à examiner les plaintes d’une femme ou d’un groupe de femmes
qui s’estiment victime d’une violation d’un droit consacré par la Convention à la condition que tous les recours
internes ont été épuisés.
97 Ce protocole autorise le comité à mener des enquêtes sur des violations graves ou systématiques de la
Convention ; Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 20 décembre 1993.
98 Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 20 décembre 1993, la Déclaration se
positionne sur la question des violences à l’égard des femmes en définissant cette dernière de manière assez large :
–Article 1er : « Aux fins de la présente Déclaration, les termes « violence à l’égard des femmes » désignent tous
actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des
souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation
arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée. ».
99 En matière de violences conjugales et sexuelles en France, l’Institut national d’étude démographique dans son
enquête Virage portant sur les violences précise que 14,5 % des femmes ont déclaré avoir vécu au moins une forme
d’agression sexuelle contre seulement 3,9 % des hommes pour l’année 2015. En matière d’écart salarial, celui des
femmes est inférieur de 24 % à celui des hommes en 2014 selon l’Insee. Voy. sur le sujet, A-A. DURAND, « Les
inégalités femmes-hommes en 2 chiffres et 6 graphiques », Le Monde, 2017, Disponible en ligne :
[https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/03/07/les-inegalites-hommes-femmes-en-12-chiffres-et-6-
graphiques_5090765_4355770.html].
36
fallu remédier à celles-ci en prévoyant des instruments de promotions transversales,100 mais
aussi des outils de protection à travers plusieurs résolutions101 relatives aux situations de guerre
et en allant jusqu’à l’ériger en principe directeur sur la protection internationale102. Le droit de
l’Union européenne anciennement dénommé droit communautaire a eu une influence
déterminante sur les progrès de l’égalité des sexes. C’est d’abord, sous la forme de l’égalité de
traitement entre les travailleurs et les travailleuses prévu par le Traité de Rome 103de 1957 que
s’est traduit la conception de l’égalité entre les hommes et les femmes. Par la suite, le Traité de
Rome qui a institué la communauté européenne a été modifié en 1997 par le Traité
d’Amsterdam104 dont l’objectif était de continuer de construire sur la première pierre de
l’édifice posée par le Traité de Rome des instruments visant à consolider le principe d’égalité
des sexes. Pour ce faire, le traité va axer ses actions autour de la question de la promotion du
Selon un récent rapport du PNUD, non seulement l’égalité des sexes ne sera pas atteinte dans le monde en 2030.
(« The world is not on track to achieve gender equality by 2030 ». Rapport PNUD, « Tackling social norms: A
game changer for gender inequalities », United Nations Development Programme 1 UN Plaza, New York, USA,
2020, p. 1. Disponible en ligne [http://hdr.undp.org/sites/default/files/hd_perspectives_gsni.pdf]) mais elle sera
mise à mal par une inégalité en matière de pauvreté entre sexes qui se trouve renforcée avec la crise de la Covid-
19 (Voy. M. SANCHEZ, « La COVID-19 creusera l’écart de pauvreté entre femmes et hommes, selon ONU
Femmes et PNUD », Centre de Presse PNUD, 2 septembre 2020. Disponible en ligne,
[https://www1.undp.org/content/undp/fr/home/newscentre/news/2020/_COVID19_will_widen_poverty_gap_bet
ween_women_and_men_.html] ; Voy. également en ce sens, Rapport d’ONU FEMMES, « From insignts to
Action : Gender Equality in the wake of COVID-19 », UN Woman 2020, États-Unis, Disponible en ligne
[https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2020/gender-
equality-in-the-wake-of-covid-19-en.pdf?la=en&vs=5142].
100 Déclaration de Beijing, 15 septembre 1995 relative à la promotion de la femme et l’égalité des sexes et demande
aux États de mettre en œuvre tous les moyens vers une réelle égalité homme/femme, en veillant à ce qu’une
perspective « sexo-spécifique » soit appliquée à toutes les politiques et tous les programmes au niveau national,
régional et international ».
101 Il existe également plusieurs résolutions du conseil de sécurité qui ont pour objet la protection des femmes dans
les situations de guerre. Résolution 1325 du Conseil de sécurité du 31 octobre 2000 (Résolution spécifique à
l’impact des guerres sur la situation des femmes ; Résolution 1820 (2008),1888(2009), 1889(2009), 1960(2010)
relatives à la place et le rôle des femmes dans les affaires de guerre et de paix.
102 Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), principes directeurs sur la protection
internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1 A(2) de la convention de 1951, 8 juillet
2008. Conseil de l’Europe, Résolution 855 (1986) relative à l’égalité entre les hommes et les femmes,
Recommandation 1229 (1994) relative à l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, Recommandation
relative1269 (1995) relative à un progrès tangible des droits des femmes à partir de 1995, Recommandation 1271
(1995) relative aux discriminations entre les hommes et les femmes pour le choix du nom de famille et la
transmission du nom des parents aux enfants, Recommandation relative 1899 (2010) augmenter la représentation
des femmes en politique par les systèmes électoraux.
103 Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne– Article 119 : « Chaque État membre
assure au cours de la première étape, et maintient par la suite, l’application du principe de l’égalité des
rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail. Par rémunération
il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres
avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison
de l’emploi de ce dernier. L’égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le sexe, implique : a) que la
rémunération accordée pour un même travail payé à la tache soit établie sur la base d’une même unité de mesure ;
b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même poste de travail. »,
104 Traité instituant la communauté européenne modifié par le Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997.
37
principe105, l’élimination des inégalités106 et la lutte contre les discriminations107. En outre, le
droit de l’Union européenne a eu une influence déterminante sur les progrès de l’égalité des
sexes108. Une influence qu’il continue toujours à exercer sur le système juridique français109
105 Traité instituant la communauté européenne modifié par le Traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997. – Article
2 : « La Communauté a pour mission […] de promouvoir dans l’ensemble de la Communauté un développement
harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé,
l’égalité entre les hommes et les femmes… »,
106Ibid. – Article 3 : « 2. Pour toutes les actions visées au présent article, la Communauté cherche à éliminer les
inégalités, et à promouvoir l’égalité, entre les hommes et les femmes »,
107 Ibid. « – Article 13 « Sans préjudice des autres dispositions du présent traité et dans les limites des compétences
que celui-ci confère à la Communauté, le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission et après
consultation du Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination
fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation
sexuelle ».
108 Article 141 (ex-article 119) : « 1. Chaque État membre assure l’application du principe de l’égalité des
rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail ou un travail de même
valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement ordinaire de base ou
minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur
au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. L’égalité de rémunération, sans discrimination fondée sur le
sexe, implique : a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche soit établie sur la base d’une
même unité de mesure; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps soit la même pour un même
poste de travail. 3. Le Conseil, statuant selon la procédure visée à l’article 251 et après consultation du Comité
économique et social, adopte des mesures visant à assurer l’application du principe de l’égalité des chances et de
l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière d’emploi et de travail, y compris le principe de
l’égalité des rémunérations pour un même travail ou un travail de même valeur. 4. Pour assurer concrètement une
pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche
pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter
l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages
dans la carrière professionnelle ».
109 Traité sur l’Union européenne (rédaction actuelle) :– Article 2 : L’Union est fondée sur les valeurs de respect
de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de
l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États
membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité
et l’égalité entre les femmes et les hommes, – Article 3 : « [L’Union] combat l’exclusion sociale et les
discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la
solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant ».Traité sur le fonctionnement de l’Union
européenne (rédaction actuelle), – Article 8 : « Pour toutes ses actions, l’Union cherche à éliminer les inégalités,
et à promouvoir l’égalité, entre les hommes et les femmes », – Article 10 : « Dans la définition et la mise en œuvre
de ses politiques et actions, l’Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine
ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, « – Article 19 : « 1. Sans
préjudice des autres dispositions des traités et dans les limites des compétences que ceux-ci confèrent à l’Union,
le Conseil, statuant à l’unanimité conformément à une procédure législative spéciale, et après approbation du
Parlement européen, peut prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le
sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».–
Article 153 « En vue de réaliser les objectifs visés à l’article 151, l’Union soutient et complète l’action des États
membres dans les domaines suivants: i) l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le
marché du travail et le traitement dans le travail; » – Article 157 « 1. Chaque État membre assure l’application du
principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour un même travail
ou un travail de même valeur. 2. Aux fins du présent article, on entend par rémunération, le salaire ou traitement
ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en
nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier. L’égalité de rémunération, sans
discrimination fondée sur le sexe, implique :a) que la rémunération accordée pour un même travail payé à la tâche
soit établie sur la base d’une même unité de mesure; b) que la rémunération accordée pour un travail payé au temps
soit la même pour un même poste de travail. 3. Le Parlement européen et le Conseil, statuant selon la procédure
législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, adoptent des mesures visant à assurer
l’application du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes en
matière d’emploi et de travail, y compris le principe de l’égalité des rémunérations pour un même travail ou un
38
alors que la Tunisie ne connaît pas ce mode d’influence régional. Néanmoins, comme pour la
France110 il existe des instruments régionaux de protection des droits fondamentaux, mais qui
ne disposent pas de la même portée111 et du même degré d’effectivité. En effet, les instruments
régionaux de la Tunisie peuvent être classés en deux catégories : les instruments de sauvegarde
des droits de l’homme africains112 et les instruments islamiques des droits de l’homme113,
notamment ceux proposés par l’Organisation de la Conférence Islamique114. Chacune de ces
travail de même valeur. 4. Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie
professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter
des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par
le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle »,
110 Convention européenne des droits de l’homme de 1950.
111 Convention européenne des droits de l’homme de 1950 envisage globalement le principe d’égalité des sexes à
travers l’article 14 qui dispose que « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention
doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion,
les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité
nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, Protocole n°7 à la Convention de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales. D’autres dispositions égalitaires sont prévues : –Article 5 de la CESDH :
« Les époux jouissent de l’égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations
avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n’empêche
pas les États de prendre les mesures nécessaires dans l’intérêt des enfants », Protocole n°12 à la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Préambule, « Les États membres du Conseil de
l’Europe, signataires du présent Protocole, Prenant en compte le principe fondamental selon lequel toutes les
personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi ; Résolus à prendre de nouvelles
mesures pour promouvoir l’égalité de tous par la garantie collective d’une interdiction générale de discrimination
par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre
1950
112 Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique
(2003), la Déclaration solennelle sur l’égalité entre les hommes et les femmes en Afrique (2003)
113 Il existe plusieurs déclarations islamiques des droits de l’homme. Ici, nous faisons référence tout d’abord aux
textes émanant de l’Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I) et ceux qui émanent d’ONG par exemple le
Conseil islamique d’Europe. Cette dernière a adopté plusieurs textes, mais le plus important parmi ces derniers est
Déclaration islamique universelle des droits de l’homme adoptée le 19 septembre 1981 par son Secrétaire général
au siège de l’UNESCO. Ce sont des instruments qui relèvent de la Soft Law. Le Conseil islamique d’Europe vise
essentiellement la conception européenne de l’égalité à travers le droit à l’égalité devant la loi et la prohibition de
toute discrimination (Art. 3. et Art. 19 de la Déclaration islamique universelle des droits de l’homme de 1981),
d’une part, et les droits de la femme mariée, d’autres part. (Ibid. Article 20. Voy. aussi sur le sujet : R. ARON,
« Pensée sociologique et droits de l’Homme » in Études sociologiques, Paris, PUF, pp. 227 et s.). Elle prévoit aussi
le droit à la justice qui prévoit l’obligation de protester contre l’injustice et d’obtenir un jugement équitable (Art.
4 de la Déclaration islamique universelle des droits de l’homme de 1981). Concernant les textes émanant de
l’O.C.I, il existe la Déclaration de Decca sur les droits de l’Homme en Islam tenue en décembre 1983 lors de la
quatrième conférence des ministres des Affaires étrangères de l’O.C.I (Voy. sur le sujet M-A. AL MIDANI, les
droits de l’homme et l’Islam. Textes des Organisations arabes et islamiques, Association des Publications de la
Faculté de Théologie protestante, Université Marc Bloch, Strasbourg, 2003, pp. 67 et s.). Ensuite, nous faisons
également référence à la Déclaration du Caire sur les droits de l’Homme en Islam adoptée le 2 août 1990 par la
résolution n° 49/19-P lors de la dix-neuvième Conférence des ministres des Affaires étrangères de l’O.C.I.
114 La République tunisienne est membre depuis 1969. Juridiquement, cette organisation se définit comme étant
une association d’États à l’échelle internationale et donc intergouvernementale qui « est dotée d’organes
permanents et poursuivant certains objectifs d’intérêts communs » (T. BOUACHBA. « L’Organisation de la
Conférence islamique », in, Annuaire français de droit international, volume 28, 1982. pp. 265-291). Comme nous
l’explique à juste titre T. BOUACHBA, le fait que les États membres se situent sur différents continents, il ne peut
être affirmé de manière valable que cette organisation constitue « une organisation régionale au sens strict »
(ibidem). Cette organisation est considérée par la doctrine comme étant « une organisation partielle » (Voy.
M. VIRALLY, « Définition et classifications des Organisations internationales », in, Le concept d’Organisation
internationale, UNESCO, 1980, p.81.). En plus des deux Déclarations précités (La Déclaration de Decca sur les
39
catégories d’instruments dispose d’une conception propre du principe d’égalité des sexes ainsi
que d’acteurs inhérents à chaque catégorie y compris en Europe.
10.
Les droits de l’homme comme lien unificateur des systèmes juridiques. Aussi, ces
droits de l’homme permettent de considérer un rapprochement, et non pas une unification des
différents systèmes juridiques115. Cette harmonisation est mise en œuvre en partie par un
agencement opéré conformément à des principes communs, dont celui du principe d’égalité
homme-femme. Grâce à la souplesse de cet outil juridique, certaines valeurs dominantes qui
fondent la cohésion sociale vont devenir, par le biais du standard, une directive générale qui a
vocation à orienter le juge dans la mise en œuvre du droit dont le contenu tend à être de plus en
plus complexe. Les principes n’ont matériellement aucune autre justification que la
« justice »116. Les juges, en consacrant des principes, font le choix de valeurs, qui sont elles-
mêmes justifiées par d’autres valeurs. C’est à travers l’opinion du juge que va se réaliser une
forme de justice. Voilà comment le juge arrive à consacrer des principes qui revêtent un
caractère plus que technique. Il ne s’agit pas uniquement de pallier une lacune du texte
juridique, mais de véritablement dégager une norme juridique à part entière. C’est ainsi que le
Conseil constitutionnel peut dégager un principe à valeur constitutionnelle dont le respect
s’impose au législateur et aux autres organes de l’État. Le Conseil extrait des normes dont le
but est de conférer une valeur constitutionnelle à la protection des droits fondamentaux des
personnes. Ces principes se rattachent au bloc de constitutionnalité dont le Conseil
constitutionnel est le gardien. Ces droits de « l’irréductible humain »117 seraient enrichis par
plusieurs sources.
11.
Le principe d’égalité homme-femme est resté pendant longtemps une vitrine de la
société démocratique. L’égalité se comprend ici comme l’aequalitas. 118 La philosophie s’est
droits de l’Homme en Islam de 1983, Déclaration du Caire sur les droits de l’Homme en Islam du 2 août 1990),
l’O.C.I dispose également d’une Convention portant sur le statut de l’organisation pour le Développement de la
Femme dans les États membres de l’OCI. Dans le cadre de son préambule, la charte prévoit comme objectif de
« rehausser le statut de la femme, et fait de son bien-être et de sa protection » à travers une politique de promotion.
115 M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, op. cit.
116 P. BRUNET, « Les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes » in L’architecture du droit.
Mélanges en l’honneur de M. TROPER, Economica, 2006, p. 11.
117 M. DELMAS-MARTY, « Le crime contre l'humanité, les droits de l'homme et l'irréductible humain », Revue
de science criminelle et de droit pénal comparé, 1994, n° 3, pp. 477-490.
118Cette dernière « est le caractère d’un rapport : relation d’identité entre deux termes référés à une norme. L’égalité
est donc doublement relative : elle suppose, d’une part, la relation entre les termes que l’on compare et, d’autre
part, la relation entre ces termes et l’unité de référence. Ainsi, deux corps peuvent être égaux en poids sans être
égaux en taille » https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/égalité/45976
40
intéressée à la question de l’égalité de nature, l’égalité de droit et l’égalité économique.
L’égalité homme-femme, notion fluctuante et polymorphe, suscite une controverse au sein de
la doctrine. La tentative de la définition du concept d’égalité homme-femme se heurte à
l’absence de cohérence. Cette dernière découlerait de la distinction entre la conception de
l’égalité comme un objectif, au sens de Dworkin avec la non-discrimination (§2), et l’égalité en
tant que règle ou principe (§1). Cela passe tout d’abord par la détermination du concept du
principe d’égalité homme-femme au sens juridique comme en d’autres domaines s’y afférant.
Si la notion est aujourd’hui fréquemment utilisée, son concept fait l’objet d’une multitude de
questions, car aucun consensus ne s’est réalisé sur la signification même à lui attribuer. La
notion présente un caractère hétéroclite qui se complexifie avec l’évolution de la représentation
de la figure de la femme et celle de l’homme. Ainsi, le comparatisme nous permettra de mesurer
les différences de représentations en identifiant le modèle de valeur du droit dans la société,
dans la mesure où en Tunisie la société a connu un certain « processus de structuration de la
loi ». Ce processus a évolué au fil des influences connues par la Tunisie. Apparemment, c’est
dans l’importation du droit public musulman à la société tunisienne et dans le transport
volontaire du droit inspiré des idées de la philosophie des lumières à la société tunisienne que
le modèle formateur est identifié. Il s’agit ici de la surface ancienne ou de la structure profonde.
La structure de surface est composée de valeurs existantes révisées par des valeurs étrangères.
Il existe des différences de représentations et croyances qui peuvent mettre en difficulté
l’importation ou mettre en exergue des conflits et des tensions entre les valeurs Françaises et
Tunisienne. Derrière ces différentes représentations de l’égalité homme-femme qui résultent de
systèmes culturels différents. Il n’existe pas de valeurs « arabo-musulmane » opposées à des
valeurs occidentales. Il existerait une « Constitution hybride ».
§1. L’égalité homme-femme comme principe
12.
L’égalité une condition sine qua non à la démocratie. Dès l’antiquité l’égalité est
envisagée comme une condition nécessaire dans un système démocratique119. En ce sens
Montesquieu soutenait que « l’amour de la démocratie est celui de l’égalité »120. Par ailleurs,
selon Tocqueville, l’égalité est l’un des deux impératifs qui sont au cœur de la démocratie, avec
119 A. FOUCHARD. « L’égalité dans la cité grecque », Cahier de philosophie juridique et politique 1985, n°8,
p.33 ; L. SFEZ, « L’égalité à Athène » in Leçons sur l’égalité, Presse de la fondation nationale des sciences
politiques, 1984, pp. 39 et s. ; F. MEIN-SOUCRAMANIEN, Le principe d’égalité dans la jurisprudence du
Conseil constitutionnel, Thèse Aix-Marseille, 1996, p.13.
120 MONTESQUIEU, L’esprit des lois, 1748, Première partie. Livre V, chapitre III.
41
celui de la liberté. Il affirme que l’égalité prime sur la liberté, car « les peuples veulent l’égalité
dans la liberté et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage »121. En effet,
cette « passion ardente, insatiable, éternelle, invincible » constitue « une passion mâle et
légitime pour l’égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés » 122. En dépit
du fait que chacun donne un contenu différent à l’égalité123, on peut constater que la notion a
un caractère hybride.
13.
Le caractère hybride de la notion d’égalité. L’égalité est toujours ambiguë, car elle
n’a pas de définition « théorique précise ». En effet, pour Lucien Sfez, « hybride, la notion
d’égalité […] doit sa survie à son absence de détermination théorique précise : ainsi la foire
d’empoigne peut-elle être source de confusion stérile autant que d’innovation par concurrence
et rivalités sécrétées… Prenant appui sur les événements et les structures, sur le mouvement des
idées et sur les jalousies, en somme sur le collectif et l’individuel, le sociologique et le
psychologique, la métaphysique et le positivisme, elle joue sur tous les tableaux. La soif de
justice permet tous les trafics »124. On est tenté de capituler face au difficile défi du concept
d’égalité, comme si on renonçait volontairement à se confronter à un objet d’étude hétéroclite
et instable, dont l’identité n’est pas encore déterminée ou les frontières délimitées. En voulant
réfléchir à la définition de l’égalité, on touche nécessairement à une affaire complexe.
Néanmoins, on peut déjà cibler un faisceau lumineux qui nous permettrait, par son utilisation,
comme un outil, de délimiter les frontières du concept d’égalité. En effet, quelle signification
donner à l’idée d’égalité entre les hommes et les femmes ? Il est souvent affirmé que la justice
c’est l’égalité. A contrario, l’inégalité serait injuste. Toutefois, on peut se demander si dans
certaines situations l’égalité peut être une source d’injustice et par conséquent si l’inégalité peut
être source de justice. Autrement dit, la balance est-elle le symbole adéquat de la justice ?
Dans le cadre de ce travail, il importe de se pencher sur les perceptions collectives de cette
notion. Émile Durkheim inculquait que « ce qu’il importe de savoir, ce n’est pas la manière
dont tel penseur individuellement, se représente telle institution, mais la conception qu’en a le
groupe ; seule, en effet, cette conception est socialement efficace »125. Comme nous l’avons vu
plus haut, l’égalité est une question éminemment philosophique qui, en tant que telle, n’a pas
121A. TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, Folio, II, 1999, pp.137-142.
122 Ibid.
123 P. ROSANVALLON et J-P FITTOUSSI, Le nouvel âge des inégalités, Seuil, 1996, p.97.
124 L. SFEZ, Leçons sur l’égalité, Presses de la Fondation de sciences politiques, Paris, 1984, p. 288 cité par S.
BARLES, « Complexité et mutabilité du concept d'égalité » in Hommes et Migrations, n°1232, Juillet-août 2001,.
pp. 83-89.
125 É. DURKHEIM, Les règles de la méthode sociologique, 2e éd. (1937), PUF, 1973, p. 15.
42
de réponse unique. Aussi, nous avons émis l’idée que pour certains auteurs la question de
l’égalité est au fond celle de la justice.
14.
Les prémices : le fondement philosophique de la justice. Aux origines de la justice
se retrouve la quête des hommes du bonheur et de la vérité. En effet, en philosophie, la justice
et l’égalité entretiennent des liens étroits et ces notions convergent pour donner naissance au
concept même du bonheur ou à celui de la vérité. Dès l’antiquité, Platon (428-347 av. J.-C)
dans La République126, comme Aristote (384-322 av ; J.-C) dans Éthique à Nicomaque, 127vont
participer à la réflexion et à la conceptualisation de la justice. Cette initiative est centrale, car
c’est uniquement en explorant la justice en partant à la recherche de ses origines et de sa propre
nature que d’autres pourront plus tard tenter de la définir. La plupart des auteurs s’accordent
pour identifier Platon comme l’initiateur de la réflexion sur la justice, mais Aristote reste le
premier à émettre l’idée que la justice revêt également une forme particulière qui se fonde sur
l’égalité.
Remarquons tout d’abord que chez Aristote, l’égalité est au moins une composante de la justice
ou elle la définit. C’est probablement ce qui justifierait que la philosophie, en envisageant la
question importante de la justice, évoque à travers cette question celle de l’égalité, comme en
témoignent certains écrits. En ce sens, Aristote faisait remarquer que « ce qui est juste est
quelque chose d’égal ». Selon lui, « si donc l’injuste, c’est l’inégal, le juste est l’égal »128. La
justice particulière, contrairement à la justice légale, ne se définit pas par rapport à la loi, mais
par rapport à la notion d’égalité. Aristote privilégie cette seconde catégorie de justice. En accord
avec Platon, Aristote129 considère que la justice universelle ou légale est une vertu130. En ce
sens, même si les lois ont pour finalité « l’utilité commune », elles commandent également
d’accomplir des actes guidés par certaines vertus. Selon ces deux initiateurs de la justice dans
la pensée philosophique, la justice se caractériserait par une double valeur ; la justice en tant
que vertu et la justice en tant qu’obligation. En d’autres termes, il existerait une manifestatio
sociale de la justice. Le terme manifestatio signifie en latin la « révélation ». Ainsi, cette
126 Platon, La République, Livre IV, 441d-444c-e.
127 Aristote, Ethique à Nicomaque, Livre V, 1129a-1130b, trad. J. TRICOT, Ed. Vrin, 1990.
128 Ibid., V,6.
129 Ibid., Livre V, 1129a-1130b, pp. 216-222.
130 Il affirme que l’« on considère généralement comme étant injuste à la fois celui qui viole la loi, celui qui prend
plus que son dû et enfin celui qui manque à l’égalité, de sorte que de toute évidence l’homme juste sera à la fois
celui qui observe la loi et celui qui respecte l’égalité ».
43
révélation de la justice est particulièrement perceptible dans le rapport à autrui131. On peut
expliquer ce lien à autrui en se référant à Michel VILLEY qui se réfère lui-même à Aristote132.
La justice est donc ce qui fait qu’une société persiste, parce que la justice garantit la légitimité
du lien social et justifie les privations que l’individu consent à l’ordre social »133.
La justice peut donc être une vertu ou une obligation. La justice en tant que vertu, comme nous
l’avons vu avec Platon appelle à la raison,134 mais elle appelle également à la morale135. Aussi,
le concept de justice peut être analysé comme un Janus à double visage à la fois possible et
impossible136.
15.
La justice, un Janus au double visage. Le concept de la justice revêt deux
caractéristiques. Possible, car la justice en tant qu’obligation envers autrui et également envers
soi-même est envisageable137. Impossible, car cette situation est cependant peu satisfaisante,
voire contestable, car la justice véhicule derrière ce concept une horde de concepts qui
pourraient difficilement être conciliables avec certaines conceptions théoriques du droit. Il faut
songer ici tout particulièrement à l’objectif de vérité de la justice ou encore de la règle
applicable de cette obligation de justice138. Ces concepts pourraient montrer l’impossible mise
en œuvre de cette obligation puisque pour être juste « il faudrait être Dieu » 139en ce qu’il est
omniscient pour les croyants. Partant, « l’accomplissement moral de l’individu n’est possible
que dans l’ordre politique, et cet ordre doit promouvoir un ensemble de réalités morales
inaccessibles à l’individu isolé ou au groupe familial. L’idée est partagée par Platon et Aristote,
mais le premier a, dans La République, fait de la justice une réalité substantielle structurant
l’ordre politique »140.
Aussi, dans cet ordre de valeur la justice a pour finalité la recherche du bonheur dans un ordre
social établi. D’ailleurs, selon Kelsen un ordre social juste est un ordre qui « régit la conduite
131Ibid.
132 M. VILLEY, Philosophie du droit. I. Définitions et fins du droitDalloz, 4 éd., 1986, n°31, p. 57. « Selon
l’analyse d’Aristote, si nous avons dit d’Aristote qu’il est « un homme juste », il est vrai que cela signifie qu’il est
bon, courageux, honnête…, qu’il réunit toutes les vertus, mais l’on considère ces vertus du point de vue de
l’avantage qu’en tirent les autres et le corps social : le courage et la tempérance ou la prudence d’Aristide profitait
à toute la cité, le constituaient vis-à-vis d’elle dans un rapport juste. Toute justice est sociale »
133 W. BARANES, M-A. FRISSON-ROCHE La justice, L’obligation impossible, op. cit., p. 13.
134 Platon, La République, op. cit., Livre IV, 441d-444c-e.
135 Idem.
136 W. BARANES, M-A. FRISSON-ROCHE La justice, L’obligation impossible, op. cit., p. 11.
137 Ibid., p. 12.
138 Ibid..
139 Ibid.
140 Ibid. Voy égal. M. CANTO-SPERBER, « la vertu individuelle, modèle politique »., op. cit., p.28.
44
des hommes d’une façon satisfaisante pour tous, d’une façon telle que tous les hommes y
trouvent leur bonheur ».
16.
Le bonheur, catégorie juridique. L’aspiration à la justice, c’est l’éternelle aspiration
de l’homme au bonheur. Ce bonheur que l’individu ne peut trouver dans la solitude, il le
recherche dans la société141. La justice, c’est le bonheur social »142. Dès lors, le mythe antique
de la justice en tant que vertu trouve la finalité recherchée par les individus dans une société.
L’une des citations la plus représentative est celle du Professeur Bouretz qui écrit : « la vie
bonne, avec et pour autrui dans des institutions justes »143. Selon cet auteur « la vie bonne » est
la représentation que chacun de nous peut avoir d’une vie accomplie, c’est-à-dire la formulation
d’un projet qui lui donne sens et dont la réalisation est synonyme de bonheur. La recherche de
ce bonheur connaît des limites ou du moins doit être encadrée. Cette limite réside dans
« l’autre ». On retrouve alors la manifestatio sociale de la justice et son caractère
intrinsèquement partagé144. Le propos de Bouretz est plus orienté sur le caractère universel de
la justice en tant que valeur du monde moderne. Pour lui, la « finalité de l’action, la notion de
« vie bonne » doit donc être pensée en termes de capacité. Capacité de l’individu à s’arracher à
ses déterminations afin de concevoir pour soi-même ce que devrait être une existence réussie
dans les registres de la profession, de la culture ou de l’affection. Capacité aussi à
inlassablement interpréter ses choix à l’aune de cette « nébuleuse d’idéaux et de rêves
d’accomplissement au regard de laquelle une vie est tenue pour plus ou moins accomplie ou
inaccomplie »145. Donc, il estime que les individus dans une société juste dont la finalité est la
« vie bonne » doivent être capables d’avoir une « vie accomplie » selon leur propre conception
du bonheur.
141 Le bonheur est également une préoccupation du droit économique. G. FARJAT, « Le bonheur en droit
économique », in Le bonheur est une idée neuve. Mélanges J. Bart, Dijon, Centre Georges Chevrier, 1999 ;
Voy. Sur l’apport de G. Farjat au débat doctrinal et notamment la question du bonheur, G. MARTIN J, J.-
B. RACINE. « Gérard Farjat et la doctrine », Revue internationale de droit économique, vol. t. xxvii, no. 4, 2013,
pp. 409-418.
142 H. KELSEN. op.cit., p.58.
143P. BOURETZ. op. cit., p. 202.
144 Idem.p.58. « On ne saurait résoudre ces questions au moyen de la connaissance rationnelle. Toute réponse à ces
questions est un jugement de valeur déterminé par des facteurs émotionnels et, à ce titre, subjectifs par nature,
valables uniquement pour le sujet jugeant, et donc relatifs. La réponse varie selon qu’elle est formulée par un
chrétien, qui accorde plus d’importance au salut de son âme dans l’au-delà qu’aux biens terrestres, ou par un
matérialiste qui ne croit pas en une vie après la mort ; la réponse sera tout aussi différente si elle provient d’un
partisan du libéralisme, qui considère la liberté individuelle comme le bien suprême, ou d’un fidèle du socialisme
pour qui la sécurité sociale et l’égalité entre les hommes priment plutôt que la liberté ».
145 Idem. p. 210.
45
Cette capacité passe nécessairement par l’existence d’une égalité entre les individus. En effet,
l’article premier de la Constitution française du 4 octobre 1958 dispose que la République
« assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de
religion ». La juridicité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dans
laquelle est contenue l’égalité n’a pas été consacrée en même temps que la Constitution de
1958. En effet, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est reconnue comme le
modèle de référence146 de toutes les dimensions de l’égalité. C’est ainsi que la consécration du
bloc de constitutionnalité a permis de renforcer la place de l’impératif d’égalité. Ainsi, ce
dernier attribue un domaine significatif à l’exigence d’égalité. Cet impératif se manifeste par la
mise en place soit d’un principe d’égalité notamment homme-femme, soit d’une règle de non-
discrimination qui se traduit par l’interdiction de discrimination fondée sur le critère du sexe ou
d’égalité de traitement147. Les hommes et les femmes font partie d’une même catégorie
juridique et ils ne peuvent être perçus comme étant divisés en deux groupes. Donc il n’existe
pas juridiquement un clivage entre les deux sexes. De cette manière, la conception classique de
la discrimination en France consiste à traiter de manière défavorable une personne ou un groupe
en raison de critères prohibés, déterminés par la loi. Tandis que la discrimination se présente,
selon Didier Fassin comme le « chaînon manquant » entre les idéologies et les inégalités. Il
estime que l’étude de la discrimination met en exergue les mécanismes des idéologies dans la
constitution des inégalités entre les individus148.
Contrairement au principe d’égalité qui constitue l’identité juridique qui s’est depuis longtemps
cristallisée autour de caractéristiques bien identifiables, le paysage juridique a été modifié avec
l’émergence du principe de non-discrimination qui est venu s’imbriquer dans le concept
d’égalité entre les sexes. Ce qui a eu pour conséquence de transformer le cadre juridique du
principe d’égalité entre les sexes. À l’origine, l’instrument constitutionnel ayant donné
naissance au droit à l’égalité ne prévoyait pas explicitement l’égalité devant la loi de tous les
citoyens sans distinction de sexe.
§2. La non-discrimination, un objectif de valeur constitutionnelle
146 V. LASSERRE-KIESOW, « L’égalité », JCP G 2010, n°23, p. 643.
147 Voy. J. PORTA, « Non-discrimination, égalité et égalité de traitement. À propos des sens de l’égalité » in Le
droit social, l’égalité et les discriminations (dir. G. BORENFREUND et I. VACARIE), Dalloz, 2013, p. 9.
148 D. FASSIN, « L’invention française de la discrimination », Revue Française de Science Politique, 52(4), 2002,
pp.403-423.
46
17.
Les femmes n’entrent pas dans la catégorie « diversité ». La question de la
discrimination en Europe et en France apparaît tardivement dans le débat public. En effet, dans
les sociétés mondialisées, pour ne pas dire « la mondialisation de la culture »149, l’interdiction
de discrimination avait pour objectif de mettre fin aux injustices envers les minorités. C’est
dans le cadre de la question de la « diversité » que le débat s’est longtemps figé. Souvent, cette
question de la discrimination est venue se confondre avec d’autres interrogations telles que
celles relatives à l’identité et à la mémoire150. Pourtant, cette notion implique d’autres critères,
notamment celui du sexe. Ainsi en va-t-il de la question de la discrimination selon le sexe. En
effet, comme nous l’avons déjà évoqué les femmes ne sont pas une minorité et ne font pas partie
de la « diversité »151. L’appréciation du traitement juridique qu’il convient de réserver à la
discrimination implique de saisir le sens de la question suivante ; en quoi consiste la non-
discrimination ?
18.
Les raisons de
l’introduction du principe de non-discrimination. La
conceptualisation de la non-discrimination s’est faite grâce à de la jurisprudence qui fut
influencée par le droit européen. En effet, pour contourner les insuffisances quant à l’égalité
des droits entre les hommes et les femmes, le législateur européen introduit des dispositions
spécifiques permettant de trouver un équilibre entre deux conceptions de l’égalité, à savoir la
garantie des droits identiques pour tous et la promotion de l’égalité des sexes. Afin de maintenir
une relation équilibrée entre le principe d’égalité et le principe de non-discrimination, le
législateur a cherché à ériger des dispositions permettant à la fois de respecter et de protéger
l’égalité des droits tout en prévoyant des dispositions qui ont la capacité d’éliminer toutes
formes de discriminations fondées sur des critères prohibés. Conscient qu’un dispositif
juridique permettant de faciliter la contestation des discriminations fondées sur des critères
clairs et précis était crucial, le législateur a intégré dans la loi du 27 mai 2008 diverses
dispositions consacrant des critères de discrimination interdits par la loi, calquées sur la liste
des critères de l’article 225-1 du Code pénal152. Cette nouvelle loi apparaît comme une base
149 J.P WARNIER, La mondialisation de la culture, Editions La découverte, Paris, 2008, p. 3 : « L’expression
« mondialisation de la culture » désigne cette circulation de produits culturels à l’échelle du globe. Elle suscite des
réactions contrastées. Les uns y déchiffrent les promesses d’une planète démocratique unifiée par une culture
universelle- une planète réduite par les médias aux dimensions d’un « village global » comme le disait Marshall
MCLUHAN. D’autres y voient la cause d’une inéluctable perte d’identité qu’ils déplorent. D’autres enfin militent
pour affirmer leurs particularismes jusqu’à faire usage de la violence ».
150 E. BENBASSA (Dir), Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations, Larousse, 2010. p.1.
151Sauf si l’on considère le cas des femmes issues de la diversité. Ici le raisonnement porte sur la femme de manière
globale.
152 Article modifié par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016-art. 86 ; « Constitue une discrimination toute
distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de
47
juridique solide. Elle permet d’uniformiser les dispositions relatives aux discriminations. À
cette fin, elle prévoit l’adaptation du droit européen dans le domaine dans une disposition
législative qui s’aligne sur les critères prévus par le Code pénal. En pratique, la loi offre un
cadre juridique significatif qui s’enrichit par la jurisprudence. Bien avant cette loi, la
discrimination disposait également d’une multitude de sources textuelles. Cette multitude de
textes rendait ambiguës les normes de références applicables, et mena le législateur à
harmoniser sa législation en la matière.
19.
La non-discrimination une notion contemporaine. Pour pallier des situations
discriminatoires qui n’étaient pas en adéquation avec la notion de l’égalité formelle découlant
de l’approche républicaine de l’égalité, une notion nouvelle a été introduite, découlant de l’idée
d’une égalité réelle. Afin de sanctionner
les discriminations édictées par certains
comportements, le législateur s’est vu forcé de respecter ses obligations, trouvant ainsi des
moyens juridiques de faire échec à la conception absolue de l’égalité.
Introduire le principe de non-discrimination apparaît comme une tâche très ardue. Aussi la
notion de discrimination pénétra concrètement le droit français d’abord par la voie du droit
international des droits de l’homme à partir des années 1950153, puis par le développement du
droit positif en droit interne. En effet, à la suite d’une série d’arrêts de la Cour de justice des
Communautés européennes, le principe a été affirmé par la transposition de deux directives
européennes154. Ce principe issu du modèle anglo-saxon n’a pas été rapidement intégré dans le
famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation
économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé,
de leur perte d'autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation
sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur
capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance,
vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée.
Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales sur le fondement de
l'origine, du sexe, de la situation de famille, de la grossesse, de l'apparence physique, de la particulière vulnérabilité
résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, du patronyme, du lieu de résidence, de
l'état de santé, de la perte d'autonomie, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation
sexuelle, de l'identité de genre, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de la capacité à s'exprimer
dans une langue autre que le français, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie,
une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes
morales ».
153 La notion de discrimination est introduite dans les traités à compter des années 1920. Elle sera concrètement
consacrée après la Seconde guerre mondiale. Cf : convention de l’OIT sur la discrimination au travail, 1958 ;
convention de l’UNESCO sur la discrimination dans l’enseignement, 1960 ; convention de l’ONU sur la
discrimination raciale, 1965 ; convention de l’ONU sur la discrimination des femmes, 1979 ; Déclaration de
l’ONU sur les discriminations religieuses, 1981.
154 Les discriminations fondées sur le sexe dans le cadre professionnel ont toujours été interdites par les traités de
l’Union européenne.
48
système juridique français. Il a fallu que la Commission engage une procédure de manquement
devant la Cour de justice des Communautés européennes pour qu’apparaisse enfin en procédure
d’urgence la loi du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d’adaptation au droit européen
dans le domaine des luttes contre les discriminations. Désormais, les individus ne sont plus
abstraits et dotés des mêmes droits conformément à l’égalité formelle, leurs droits doivent être
modulés en fonction des situations propres, pour que des individus se trouvant dans des
situations différentes puissent être traités de manière adaptée. Autrement dit, le droit à la non-
discrimination permet aux individus qui se trouvent dans des situations similaires d’être traités
de manière similaire et non de façon moins avantageuse, uniquement car ils ont une
caractéristique particulière protégée par la loi. L’objectif est d’assurer l’équité155 et l’égalité des
chances pour certaines catégories de personnes. Ainsi, comme pour le principe de l’égalité,
différentes sources du droit de l’Union européenne établissent des normes qui prohibent la
discrimination. Aussi, la législation de l’Union européenne interdit à toute personne morale ou
physique, ainsi qu’aux institutions européennes et aux États membres, d’exercer une
discrimination, notamment lorsque leurs actes enfreignent une interdiction de discrimination
fondée sur le sexe.
20.
Le principe de non-discrimination non assimilable au principe d’égalité. Le terme
discrimination vient du latin discriminis. Il indique à l’origine qu’une distinction, une
séparation, une différenciation peut être établie entre des objets. Cependant, la discrimination
dans son sens courant revêt une connotation négative156. Selon l’ancienne HALDE,
« discriminer, c’est interdire ou limiter l’accès d’une personne à un emploi, un logement, à des
biens et des services ou à une formation pour des raisons interdites par la loi »157. Autrement
dit, la discrimination résulte d’une rupture de l’égalité pour un motif prohibé158. Ainsi, le
concept de discrimination dépend étroitement du concept d’égalité sans y être assimilable.
155 Voy. sur le sujet, Thèse, M. FOULETIER, Recherches sur l’équité en droit public français, soutenue en 1999
à Poitiers, sous la direction de Bernard Pacteau, LGDJ, 2003, 312 p.
156 M. BOSSUYT, L'interdiction de la discrimination dans le droit international des droits de l'homme, Bruxelles,
Bruylant, 1976.
157 Dossier d’information la HALDE, Contre les discriminations et pour l’égalité́, 2005.
158 Le principe de non-discrimination est défini à l’article 1132-1 du Code du travail, selon lequel « aucune
personne ne peut […] faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […], en raison de son origine,
de son sexe, de ses mœurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa
grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée,
à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses
convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de
son handicap ».
49
En effet, l’expression de « principe de non-discrimination » a pu sembler similaire à celui du
principe d’égalité. Toutefois, ce n’est pas réellement le cas. Lorsqu’on parle du principe
d’égalité des sexes, on fait référence aux « principes objectifs d’égalité »159. L’affirmation du
principe d’égalité affirme une exigence de façon positive. Il est plus favorable aux personnes
discriminées dans le sens où l’inégalité se constate plus aisément à partir du moment ou des
individus ne sont pas traités de la même manière alors que rien ne peut objectivement justifier
une telle différence de situation. À l’inverse, l’interdiction de la discrimination est la
formulation négative du principe d’égalité. Alors le principe de non-discrimination impliquerait
pour la victime de déceler et de distinguer les critères sur lesquels s’est fondée la discrimination.
En effet, la discrimination est déterminée comme un principe « subjectif d’égalité »160. Dans le
cadre du principe « subjectif », la prise en compte du critère du sexe constitue a priori une
discrimination. Toutefois, cette interdiction est relative puisque le droit161 tolère une différence
de traitement lorsque cette dernière est justifiée par la démonstration de la « raisonnabilité » et
de « la nécessité »162. Parmi « les exceptions aux discriminations interdites »163, en dehors des
discriminations positives, on retrouve les discriminations relatives au sexe qui « échappent
également à toute incrimination lorsqu’elles sont déterminantes pour l’exercice d’un “emploi”
ou d’une activité professionnelle et qu’elles sont prévues par le Code du “travail” ou par les
dispositions légales concernant la fonction publique ». Aussi, le Code du travail autorise que
les emplois artistiques ou ceux de modèles et mannequins puissent justifier cette distinction
entre les sexes164. En outre, ces deux types de principes font partie des principes spéciaux
d’égalité165. Aussi, le compromis recherché dans les deux systèmes juridiques résultait de
l’équilibre entre ces deux notions antagoniques : l’une universelle et l’autre différentialiste.
159 Ils ont pour objectif de poser une « règle spéciale d’égalité dans un domaine objectif déterminé. A titre
d’exemple on peut citer l’égalité dans le domaine du suffrage et des emplois publics).
160 Ils ont pour objectif d’interdire « la prise en compte de certains critères personnels ou la soumettent à des
conditions plus rigoureuses » .
161 Art. R. 1142-1 du Code du travail : « Les emplois et activités professionnelles pour l'exercice desquels
l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue la condition déterminante sont les suivants: 1o Artistes appelés à
interpréter soit un rôle féminin, soit un rôle masculin; 2o Mannequins chargés de présenter des vêtements et
accessoires; 3o Modèles masculins et féminins. — [Anc. art. R. 123-1.] ».
162 Voy. par ex., CE Ass., 6 janv.1956, Syndicat national autonome du cadre d’administration générale des
colonies, Rec., 4.
163 Y. ROUSSEAU, « Agences d'emploi privées », RDT 2012 (actualisation : Octobre 2018).
164 Conf art. L. 1142-2 du code du travail et art. R. 1142-1 du même code. « La liste de ces activités
M.-
professionnelles avait été déterminée par décret en Conseil d'État en 1984 ». Cf.
T. LANQUETIN « Construction du droit de la non-discrimination » RDT,2010 ; Thibault, J-P. « Discriminations
et Droit du Travail dans l'Entreprise. Présentation de la Réglementation en vigueur », Humanisme et Entreprise,
2009, pp. 17-27.
165 O. Jouanjan., Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, Paris, Economica, 1992., p.213
50
21.
Principe d’égalité ou de non-discrimination, deux approches antagoniques. Bien
que l’objectif de la non-discrimination soit le même que celui du droit à l’égalité, c’est-à-dire
celui d’assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, l’approche des deux notions est
considérée comme antagonique. D’ailleurs, M. Jean-Marie Delarue, en 2014 alors Contrôleur
général des lieux de privation de liberté, résumait ces deux approches ainsi : « la discrimination
est, pour le juge français, le versant antagoniste de l’égalité »166. C’est pourquoi « le refus de la
discrimination repose sur l’affirmation d’un principe d’égalité entre plusieurs individus, qui
devrait rendre impossible l’application d’un traitement différent »167.
De manière générale, le principe d’égalité est souvent énoncé pour justifier l’interdiction de
certaines discriminations, en l’occurrence celle fondée sur le sexe. En ce sens, le principe de
non-discrimination peut se définir comme l’interdiction d’établir des différenciations de
traitement entre les individus en raison de critères formellement prévus par la Constitution ou
par d’autres normes, tels que la croyance, l’âge ou le sexe. À vrai dire, l’article 1er de la
Constitution de 1958 et l’alinéa 3 du Préambule de la Constitution de 1946 prohibent les
distinctions qui se fondent sur l’origine, la race, la religion, les croyances et le sexe. En effet,
l’article premier de la Constitution de 1958 dispose que la République « assure l’égalité devant
la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Selon certains
critères, ce principe de non-discrimination est également encadré par la loi, notamment celle du
27 mai 2008168.
Si, comme l’a souligné Maurice Hauriou, celui-ci représenta « la force agissante dans la
révolution »169, le principe de non-discrimination se fonde sur le principe d’égalité. Ce dernier
a pour corollaire celui de non-discrimination. Partant, « avec le droit européen, la conception
classique de l’égalité évolue vers la non-discrimination »170. Comme nous l’avons déjà constaté,
l’égalité est un principe constitutionnel qui prohibe strictement une distinction discriminatoire.
Même si le droit français tolère que la différence de situation justifie la différence de traitement,
166 Rapport d'information n°94 (2014-2015) de Mme E. BENBASSA et M. J. R LECLERF, fait au nom de la
commission des lois, déposé le 12 novembre 2014, La lutte contre les discriminations : de l'incantation à l'action,
[https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-094-notice.html].
167 Ibidem.
168 Loi n°2008-496 du 27 mais 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaires dans le
domaine de la lutte contre les discriminations, JORF n°0123 du 28 mai 2008.
169 M. HAURIOU, La science sociale traditionnelle, Larose, Paris, 1896, p. 80.
170B. STIRN, président de la section du contentieux du Conseil d’État, « Le juge administratif et les
discriminations » in, Colloque « 10 ans de droit de la non-discrimination » organisé par le Défenseur des droits,
Cour de cassation - 5 octobre 2015. Paris
51
il interdit que certaines distinctions puissent être réalisées. En ce sens, la discrimination est
légitime lorsque la loi l’autorise, lorsque l’intérêt général la justifie ou lorsque la situation
présente des différences qui justifient la différence de traitement171. La position, sur ce point,
du Conseil d’État est conforme à celles des Cours européennes172. Toutefois, une nuance existe
entre les deux approches. Pour le Conseil d’État, cette obligation de traiter des situations
différentes de manière différente n’existe pas173. Le Conseil constitutionnel n’a pas non plus
affirmé dans sa jurisprudence une telle exigence174. En effet, le conseil considère, qu’aux termes
de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La loi est l’expression
de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs
représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle
punisse ; que si, en règle générale, le principe d’égalité impose de traiter de la même façon des
personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à
traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes »175. Il eut
l’occasion de réitérer sa position176.
22.
Le renouvellement progressif de la notion de discrimination. Le droit français
connaît depuis longtemps la discrimination directe. La discrimination indirecte est plus
contemporaine. En effet, la loi du 27 mai 2008 consacra la discrimination indirecte177.
Toutefois, cette notion fut développée en droit américain dès 1971 par la jurisprudence178. En
effet, la Cour suprême, notamment le juge Brennan, avait estimé que toute différence fondée
sur le sexe n’est justifiée que si elle répond à un objectif bien précis ou qu’elle est déterminée
par un intérêt gouvernemental impératif a compelling governmental interest179. Afin
d’examiner les cas de discriminations sexuelles, la Cour suprême a adopté un test dit de niveau
intermédiaire, avec la notion de heightened scrutiny. Par la suite, la notion est reprise en droit
français dans le cadre de la transposition de directives européennes. En effet, la loi du 27 mai
171 CE 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, n°88032, 88148 ; Cons. const. 12 juill. 1979, déc. 79-107 DC, Pont à
péage.
172 Aussi, « le principe d’égalité des sexes ne signifie pas nivellement total, aussi des exceptions sont-elles tolérées
lorsque la différence biologique ou fonctionnelle due au sexe exclut absolument une égalité des traitements ».
173 CE 28 mars 1997, société Baxter ; CE 22 novembre 1999, R.
174 Cons. const., 29 décembre 2003, déc. 2003-489 DC, Loi de finances pour 2004 et CONS. CONST., 9 août 2012,
déc. 2012-654 DC, Loi de finances pour 2004.
175 Cons. const., 29 décembre 2003, déc. 2003-489 DC, Loi de finances pour 2004, cons. 37.
176 Cons. const., 9 août 2012, déc. 2012-654 DC, Loi de finances pour 2004, cons. 19.
177Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le
domaine de la lutte contre les discriminations.
178Cour Suprême, 429 U.S. 190. Affaire Craig v. Boren, 1976.
179É. BOULOT, « La Cour suprême, les droits des femmes et l'égalité des sexes », Revue française d’études
américaines 2001/1 (no87), p. 87-101.
52
2008 avait pour vocation d’assurer la transposition en droit français de cinq directives portant
sur la lutte contre les discriminations, dont celle mettant en œuvre le « principe de l’égalité de
traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique »180. En droit
interne français, l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 définit ainsi ces deux notions : « Constitue
une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou
de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses
convictions, son âge, son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de
résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été
ou ne l’aura été dans une situation comparable. » Autrement dit, la discrimination est directe
lorsqu’elle est délibérée et qu’elle concerne cette liste exhaustive des critères prohibés. À titre
d’exemple, on peut citer une décision qui a considéré comme étant une discrimination directe
un article d’un règlement intérieur réservant aux hommes seulement la faculté de demeurer dans
l’entreprise au-delà de 50 ans. Ici, il s’agit d’une discrimination de sexe et d’âge181. Par ailleurs,
« constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en
apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un
désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette
disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que
les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ». Cette définition a permis
« de débusquer derrière une “apparence neutre” des comportements
réellement
discriminatoires »182. Autrement dit, la discrimination indirecte apparemment neutre exclut un
groupe ou une personne de l’accès à un droit ou un service en le désavantageant183. Cette
approche juridique classique de la discrimination est assez réductrice, car elle se cantonne à la
réduire à ces deux catégories et ainsi rendre la discrimination de nature systémique invisible184.
Le juge européen confirma la condamnation des discriminations directes et indirectes contenues
180Directive 2000/43 du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les
personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique ; Directive 2000/78 du 27 novembre 2000 portant création
d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail ; Directive 2002/73 du 23
septembre 2002 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce
qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail ;
Directive 2004/113 du 13 décembre 2004 mettant en œuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes
et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services ; Directive 2006/54 du 5
juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre
hommes et femmes en matière d'emploi et de travail.
181Cass., soc., 7 déc. 1993, n° 88-41422.
182Rapport d'information n°94 (2014-2015) de Mme Esther BENBASSA et M. Jean-René LECERF, fait au nom
de la commission des lois, déposé le 12 novembre 2014, La lutte contre les discriminations : de l'incantation à
l'action, [http://www.senat.fr/rap/r14-094/r14-0942.html].
183 À titre d’exemple, le fait de demander des compétences disproportionnées au poste à pourvoir ou encore des
cautions exorbitantes pour la location d’un logement constituent de tels comportements.
184 M. MINE, « Les concepts de discrimination directe et indirecte », ERA-Forum. 2003, 4(3), pp .30-44.
53
dans le droit français. Ainsi, s’agissant des discriminations directes, l’ancienne C.J.C.E
condamna la France, en mars 1997, pour manquement aux obligations lui incombant, en raison
d’une interdiction du travail de nuit des femmes dans l’industrie185. Aussi, la Cour jugea que le
fait qu’une réglementation nationale prive une femme de congé de maternité pour la raison
qu’elle ne pourrait alors pas être notée dans la perspective de bénéficier d’une promotion
professionnelle constitue une discrimination directe186. Ainsi, la Cour jugea que le refus de
notation constituait une discrimination directe sur le fondement du sexe187. La Cour eut aussi
l’occasion de confirmer la condamnation des discriminations indirectes. En octobre 1997188,
elle rappela qu’« il y a discrimination indirecte lorsque l’application d’une mesure nationale,
bien que formulée d’une façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de
femmes que d’hommes »189, à partir de là cette mesure doit être considérée comme non
conforme à la directive 76/207190. En outre, une abondante jurisprudence existe en matière
d’égalité professionnelle191. En matière de droit national, la jurisprudence est plus timide dans
le domaine. En 1996, le juge vint réaffirmer qu’une mesure par laquelle l’Opéra de Paris mit
fin au contrat d’une danseuse, au motif que celle-ci avait atteint l’âge conventionnel d’ouverture
des droits à la retraite pour le personnel de la danse, qui était de 40 ans pour les femmes, mais
de 45 ans pour les hommes192, aboutissait à une discrimination directe.
185 CJCE., 13 mars 1997, aff. C-197/96, Commission des communautés européennes c/ République française, Rec.,
p. I-1496 , En effet, le juge considéra la disposition contestée contraire au principe de l’égalité de traitement
formulée dans la directive 76/207
186CJCE., 30 avril 1998, aff. C-136/95, C.N.A.V.T.S. c/ Mme Thibault. En effet, en l’espèce, Madame Thibault
s’était vue refuser une notation pour l’année 1983 en raison de son absence pour maternité. De ce fait elle n’a pas
pu bénéficier d’une inscription au tableau d’avancement du choix du salarié, une disposition conventionnelle
exigeant 6 mois de présence sur l’année de référence.
187Voy. sur la situation particulière des salariées en état de grossesse au regard de la jurisprudence communautaire,
J. CONAGHAN, « Pregnancy, Equality and the European Court of Justice : interrogating Gillespie », International
Journal of Discrimination and the Law, 1998, vol. 3, pp. 115-133.
188 CJCE., 2 octobre 1997, aff. C-1/95, Gester c/ Freistaat Bayern, Rec., p. I-5253 ; CJCE, 2 octobre 1997, aff. C-
100/95 Kording, Rec. p. I-5289. Voir sur ces deux arrêts la note de N. BUSBY, «Full-Time Rights for Part-Timers
», The Juridical Review 1998, part III, pp. 196-199; Voy. aussi sur ces decisions, note, L. IDOT, Europe 1997,
Comm. nº 384, p.14.
189Sur ce point, voir M. HEDEMANN-ROBINSON, Indirect Discrimination Law in the E.E.C., appearance rather
than reality?, International Journal of Discrimination and the Law, 1996, vol. 2, p. 85-117.
190Directive 76/207/CEE du Conseil du 9 fév. 1976 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement
entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion
professionnelle, et les conditions de travail, JOCE du 14 fév. 1976, pp. 40-42 , qui permet aux États membres
d'adopter et/ou maintenir en vigueur les « mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et
femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait pouvant exister dans la réalité de la vie sociale » ; et
dans l'accord sur la politique sociale annexé au Traité de Maastricht.
191E. SAULNIER, « L'égalité professionnelle femmes-hommes en France et en Europe : développements récents »,
LPA, n°121, 1998, p.8.
192 CA Paris, 26 septembre 1996, Sordoillet, R.J.S., 1997, n°537.
54
23.
L’absence du « sexe » dans les critères prohibés par la Constitution française de
1958. De manière générale, les nombreuses dispositions qui fondent la notion de discrimination
s’articulent autour de trois sources qui le plus souvent se complètent : le droit international, les
textes européens193 et le droit interne194. Comme nous l’avons déjà vu, l’égalité des droits entre
les hommes et les femmes s’appuie d’abord sur la Constitution française de 1946, laquelle
affirme dans son préambule que « la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits
égaux à ceux des hommes ». L’article 1er de la Constitution est également une source textuelle
sur laquelle la non-discrimination peut se fonder. En effet, il indique de manière précise quelles
sont les discriminations que le législateur ne peut établir sans justification. Il en résulte cinq
motifs de discrimination expressément interdits par la Constitution de 1958. Ceux fondés sur la
race, la religion et les croyances. Ainsi, « la France est une République indivisible » qui affirme
un principe d’égalité entre tous les citoyens qui sert de fondement au refus de discrimination,
entre les individus selon « l’origine, la race ou la religion. Elle respecte toutes les croyances ».
Autrement dit, ces dispositions rendent impossible l’application d’un traitement différent en
fonction de ces critères. Mais le critère du « sexe » ne fait pas partie des dispositions de l’article
1er de la Constitution. Comme pour le principe d’égalité, la Constitution reste silencieuse sur la
question. Elle ne définit pas la discrimination et ne fait pas du « sexe » un critère prohibé en
matière d’égalité. En effet, la reconnaissance juridique de la discrimination est subordonnée à
l’appartenance de la victime à un groupe racial, ethnique ou religieux. Les femmes ne sont pas
considérées par la Constitution comme un groupe, pour ne pas dire qu’elles ne sont initialement
pas considérées du tout par la Constitution. Toutefois, à la lumière de l’interprétation donnée à
l’article 1er de la Constitution et au regard du Préambule de 1946, le critère du « sexe » peut-
être ajouté. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fonde également le principe
d’égalité et suppose qu’il n’existe pas de distinction entre les citoyens195.
24.
Le principe de non-discrimination dans la législation française. Le Code pénal
français prévoit des sanctions en matière de discrimination. Il contient en la matière un nombre
considérable de critères196. Les domaines d’application de la notion de non-discrimination sont
193 Ici il s’agit du droit de l’union européenne et des droits de l’homme consacrés dans la CESDH.
194 La Constitution et les lois issues du droit français.
195 Ainsi, l’article 1 dispose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions
sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». De plus, l’article 6 dispose que « la loi est
l’expression de la volonté générale » ; tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs
représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.
196 En effet, l’article 225-1 du Code pénal (Modifié par la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2018. Art.86.) dispose
que « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques » sur le fondement de 20
critères, dont celui du sexe et de l’état de grossesse. Il fait également référence à l’identité de genre. Le Code du
55
également étendus, la différence de traitement fondé sur le sexe étant prohibée dans l’ensemble
de l’activité professionnelle, c’est-à-dire dans l’accès à l’emploi et dans son exercice. Ainsi, on
peut se fonder sur cette énumération pour déduire certains actes discriminatoires proscrits.
D’autre part, le harcèlement est aussi une forme de discrimination. Il peut s’exprimer197 sur le
terrain de la discrimination fondée sur le sexe et le genre. La défense contre la discrimination
doit aboutir à assurer l’absence de discrimination fondée sur le sexe, en fait comme en droit.
Autrement dit, elle vient pallier la logique selon laquelle l’égalité doit être uniquement assurée
de manière formelle. L’approche nouvelle de la non-discrimination permet la reconnaissance
de la singularité des individus y compris de leur sexe. Cette notion permet d’envisager l’égalité
de manière différenciée ce qui implique une catégorisation des personnes selon le sexe et
également selon d’autres critères. La notion est très large, mais elle est étayée par la
jurisprudence. Elle coexiste avec le principe de l’égalité. L’utilité de l’élargissement de la
notion de discrimination nous paraît évidente. Non seulement la disposition qui le prévoit
respecte les droits entre les sexes, mais surtout, préserve par ricochet les situations propres aux
femmes. Plus précisément, la multiplication des critères a permis également de protéger la
femme de manière spécifique notamment, comme nous l’avons déjà évoqué, lorsqu’elle est en
état de grossesse. En effet, grâce au caractère large de la notion, la femme se retrouvera dans
une situation très protectrice dans la mesure où ses droits ne seront pas niés. De cette façon, la
travail prévoit qu’aucun salarié ne peut être écarté d’un recrutement, d’une formation ou encore sanctionné ou
licencié ou voir son déroulement de carrière remis en cause en raison de critères discriminatoires dont celui du
sexe. De même, la loi du 6 juillet 1989 pose le principe de non-discrimination en matière d’accès au logement avec
un aménagement de la charge de la preuve au profit du locataire. La loi du 16 novembre 2001 élargit les critères
de discriminations prohibés, et aménage la charge de la preuve en droit du travail.
197 En parlant d’expression, on peut également évoquer le phénomène #MeToo ou #BalanceTonPorc qui met en
lumière la difficile et ancienne question de la libération sociale et juridique de la parole des femmes victimes
d’agressions sexuelles. La journaliste Sandra Muller qui a lancé le mouvement « #balancetonporc » pendant le
contexte de « l’affaire Weinstein » a participé à cette libération de la parole. L’expression des femmes sur certains
faits de sociétés, notamment d’harcèlement sexuels, d’agressions, sexuels et de situation discriminatoire, ont
démontré la difficulté juridique à qualifier les différentes infractions pénales notamment au regard de la dimension
social et d’intérêt général du phénomène et de la possibilité pour les femmes d’exprimer et de libérer la parole.
Une finalité et un contexte qui ont été pris en considération par la Cour d’appel. La Cour d’appel a confirmé les
propos qui présentent un caractère diffamatoire, elle estime que le hastag # balancetonporc vise a dénoncé le
harcèlement sexuel au sens général et s’inscrivent dans le cadre d’un débat d’intérêt général « dès lors qu'ils visent
à dénoncer les comportements à connotation sexuelle et non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes
afin que ces agressions physiques ou verbales très longtemps tolérées ou passées sous silence soient largement
connues et ne puissent ainsi se perpétuer ». Cette libération de la parole des femmes est ainsi soutenue par la cour,
en admettant le bénéfice de la bonne foi à Sandra Muller dans le cadre d’une interprétation moins strictes des
éléments constitutifs de l’infraction. C’est pourquoi elle conclut que « le prononcé d’une condamnation même
seulement civile, porterait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et serait de nature à emporter un
effet dissuasif pour l'exercice de cette liberté. Le jugement est donc infirmé ». C. LAMY, « #BalanceTonPorc : la
condamnation en diffamation de la journaliste Sandra Muller infirmée en appel », Dalloz actualité, 2021,
n°19/19081. CA, Paris, 31 mars 2021, n° 19/19081.
Le phénomène #Metoo pose également des questions juridiques au regard de la présomption d’innocence. M.B,
[Vidéo], « La présomption d’innocence à l’heure de # MeToo » . Dalloz actualité, 24 septembre 2020.
56
non-discrimination permettra à la victime d’éviter une concurrence potentielle entre deux
statuts, celui de femme et celui de mère.
25.
La nécessaire harmonisation législative en matière de non-discrimination. Comme
nous venons de le montrer, la multiplication des textes, en particulier en ce qu’ils instituent des
motifs de discriminations différents apparaissent comme un frein très important à la lisibilité
du droit en la matière, allant même jusqu’à le rendre « invisible »198. Pour réduire son effet de
dissuasion, le législateur français a alors érigé une technique de renvoi au bénéfice de
l’article 225-1 du Code pénal, qui comporte à ce jour la liste la plus exhaustive de ces motifs.
Cette technique incitative a été initiée par le député Lionel Tardy. C’est lors de l’examen de la
loi du 24 mars 2014 relative à l’accès au logement et un urbanisme rénové199, alors que le texte
initial se contentait de compléter la liste des motifs de discrimination qui figurait à l’article 1er
de la loi du 6 juillet 1989200 pour la mettre à niveau sur celle du Code pénal, que la commission
des affaires économiques de l’Assemblée nationale, dont M. Tardy était député, a modifié
l’article 1er de façon à substituer à l’énumération un renvoi vers l’article 225-1. Le rapporteur
indiquait privilégier la technique du renvoi sur celle consistant à compléter l’énumération au
motif que cette dernière « solution présente [...] un léger inconvénient, en ce que toute
modification de la législation pénale impliquerait une modification de la loi de 1989, puisque
rien ne justifie que les discriminations réprimées par la loi diffèrent entre le secteur du logement
et le droit commun »201. Cette position a été confirmée par l’adjonction d’un nouveau motif de
discrimination (le lieu de résidence) par l’article 15 de la loi du 21 février 2014202. Ainsi,
l’initiative de la démarche débutée avec la loi du 24 mars 2014 mériterait d’être continuée et
étendue pour accorder au droit de la discrimination une cohérence qui lui fait aujourd’hui
défaut. De plus, le cadre juridique de la lutte contre les discriminations semble aller à l’encontre
d’une cohérence des normes de références. En effet, dans certaines situations, le choix de la
198Mme Gwénaële CALVES lors de son audition. Sénat, Commission des lois constitutionnelles, de législation,
du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, Rapport n°94 : Projet de loi relatif à la lutte
contre les discriminations, présenté par Mme Esther BENBASSA et M. Jean-René LECERF, 12 nov. 2014.
[http://www.senat.fr/]
199 Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 relative à l’accès au logement et un urbanisme rénové.
200 Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989.
201 Rapport n° 1329 (XIVe législature) de M. Daniel GOLDBERG et Mme Audrey LINKENHELD, fait au nom
de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
202 (Loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.) De même, il n’était
pas non plus nécessaire d’intervenir dans la loi du 6 juillet 1989 (Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée.) alors
que l’harmonisation des dispositions législatives du 27 mai 2008 (Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précitée) et du
Code du travail était nécessaire afin d’accorder toute sa portée à ce nouveau critère.
57
base juridique de référence semble difficile. On assiste à une fragmentation et une disparité des
dispositions relatives à la non-discrimination.
D’ailleurs, le rapport du Conseil d’État sur le principe d’égalité de 1996 énonce que « la non-
discrimination […] constitue une application stricte du principe d’égalité entre les sexes,
affirmé par le préambule de la Constitution de 1946 toujours en vigueur. En revanche, elle ne
peut avoir pour prétention de réaliser l’égalité réelle des hommes et des femmes dans tous les
aspects de la vie sociale »203.
26.
Le maintien des inégalités entre les hommes et les femmes. Ayant ainsi délimité le
domaine de la recherche, notre propos consistera à démontrer que, malgré l’invocation
constante d’un principe d’égalité homme-femme en droit, la pratique permet largement de
constater qu’il existe encore des inégalités204 homme-femme. Sans doute, la question ne semble,
à première vue pas novatrice, du moment où l’égalité homme-femme en droit a déjà fait l’objet
de nombreuses analyses et par d’éminents auteurs. De même, la rupture d’égalité homme-
femme correspond parfois à des situations bien connues en droit constitutionnel. On songe par
exemple à la question de la pension de retraite205. Cette rupture d’égalité de traitement trouve
bien une place dans la jurisprudence, la loi et la Constitution. En somme, pendant fort longtemps
l’égalité n’avait qu’une valeur ornementale, car la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen qui en représente la base initiale n’était pas, elle-même, juridiquement consacrée. Force
est de noter que c’est dans la recherche du « juste », que la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen a été élaborée. D’ailleurs, la doctrine affirmait que cette dernière n’avait fait que
formuler des « principaux axiomes dégagés par les philosophes et les publicistes, comme les
fondements d’une organisation politique juste et rationnelle »206. En effet, sans valeur
juridique207, l’égalité demeurait une « recommandation politique »208 ou « une simple
promesse »209.
203 Rapport du Conseil d’État, Sur le principe d’égalité, Paris, La documentation française, 1998, p. 1.
204Dictionnaire Littré, (en ligne) sens 1 : « qualité de ce qui n’est pas égal » ; Dictionnaire Larousse (en ligne) :
« Caractère, état de choses ou de personnes inégales entre elles ».
205 CE, 29 juillet 2002, Griesmar, Req. n° 141112.
206A. ESMEIN, Eléments de droit constitutionnel français et comparé, t. 1, 7e éd. Sirey, 1921, p. 553.
207 M. HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, 2e éd. Sirey, 1929, p. 640.
208 R. CARRE de MALBERG, Contribution à la théorie générale de l’Etat spécialement d’après les données
fournies par le droit constitutionnel français, t. 1, éd. Sirey, 1920, p. 298.
209 A. ESMEIN, Elément de droit constitutionnel français et comparé, revue par N. NEZARD, t. 1, 8e éd. Sirey,
1927, p. 600, selon qui l’exercice d’un droit ou d’une liberté suppose « une réglementation que doit en faire le
législateur et tant que cette réglementation n’a pas eu lieu, le droit déposé, garanti dans la constitution, ne peut être
exercé ; il reste là comme une simple promesse ».
58
27.
Intérêt du sujet. L’intérêt du sujet tient en ce qu’il permet d’analyser le degré
d’effectivité du droit à l’égalité entre homme-femme. De plus, ce travail permettra d’expliquer
pourquoi le droit n’arrive pas à mettre en œuvre une égalité de facto. En effet, si l’on ne peut
pas définir avec précision la notion d’égalité des sexes, on peut néanmoins supposer que traiter
de l’égalité des sexes revient en conséquence à relater les aspirations de la femme et de l’homme
à supprimer certaines inégalités dans un objectif de justice. On peut ainsi saisir « les hésitations
du Droit à réaliser »210 cette égalité. La doctrine s’accorde sur un point essentiel, celui de
« l’existence fondamentale d’une hiérarchie des sexes et, plus précisément, sur l’universalité de
la domination masculine »211. En utilisant cette hiérarchie, nous pouvons saisir « la structure de
la relation interactive entre le droit et la société » comme l’enracinement de « la division
sexuelle » de la société par le droit, en particulier dans cette domination masculine et cette
hiérarchie. En outre, dans cette veine, nous pouvons saisir un certain modèle de valeur du droit
qui érige comme standard commun universel la hiérarchie des sexes et la domination masculine.
Ici, cette conception ne permettait pas à la femme d’avoir un statut social. Elle n’était qu’une
génitrice. Souvent elle était réduite à une propriété du mari et incapable juridiquement. Même
si « la notion d’égalité des sexes est donc, par origine, revendicatrice. Elle est la revendication
d’un changement de “status” et de l’accès à un autre status ». Ce faisant, elle procède elle-même
de ce système de pensée »212. De plus, comme pour la structuration, la notion d’égalité des sexes
est « dynamique et revendicatrice » ce qui « implique une idée de mouvement par rapport à un
état, mais c’est une notion qui n’est jamais globale, elle repose sur des balances globales
particulières, spécifiques à tels droits ou valeurs auxquels la femme n’accède pas ou pas aussi
aisément que le mâle »213.
28.
Si la structuration a pour effet la production de modèles dans la société, cela inclut
également « un mode de transformation du droit plus profond qu’on ne le suppose
habituellement dans la comparaison des systèmes juridiques »214. Aussi, nous devons saisir le
processus d’accueil des valeurs issues d’une tradition patriarcale et celles issues d’une
revendication portant sur un idéal de justice qui remet en cause la répartition des droits sur la
balance particulière de l’égalité homme-femme. Souvent, on peut constater des conflits et des
tensions entre ces différentes valeurs, c’est-à-dire celles qui existent déjà dans le système
210 589 D. ALLAND, S. RIALS (dir). Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, p. 589.
211 Ibid.
212 Ibid., p. 591.
213 Ibid.
214 K. HASEGAWA, « The structuration of law and its working in the japanese legal system », op. cit., p. 320.
59
juridique et celles qui sont en cours d’introduction. Opérant toujours de la même représentation
des sexes, le Droit a eu généralement une attitude protectrice de la femme. En ce sens, la femme
était avant tout une épouse et une mère potentielle qui dispose d’une condition physique plus
faible que celle de l’homme.
29.
L’ancienne Constitution tunisienne du 1