Page 1
N° BLE/66 - 26 mars 1873
LE MARIAGE
DANS LE CODE DE STATUT PERSONNEL TUNISIEN
Lucie Pruvost smnda
Comme tous les autres éléments du Statut Personnel Tunisien (CSP), la réglementation du
mariage et de ses suites est en grande partie influencée par le Droit Musulman classique qui, lui-
même, a modelé les us et coutumes des pays arabes. La chose est d'un intérêt extrême. En tout pays,
les traditions, religieuses ou sociales, trouvent dans le droit de la famille un terrain de choix pour
survivre au-delà de toute révolution juridique. Bien que le législateur tunisien ait voulu remodeler la
conception tunisienne de la famille en mettant l'homme et la femme sur un certain pied d'égalité
(abolition de la polygamie, consentement des 2 époux au mariage, introduction du divorce judiciaire,
causes de divorce définies sans discrimination quant au sexe du demandeur, etc... ), il n'en demeure
pas moins que bien des domaines sont encore régis conformément à la loi religieuse traditionnelle (ou
Shar
c) telle que l'exprime le droit musulman classique ou fiqh.
Cela ne va pas sans influencer fortement la situation juridique issue du "mariage mixte". Il faut
entendre ici par mariage mixte le fait pour les deux époux d'être de nationalité différente. La
conclusion et les effets du mariage mixte sont habituellement régis, dans chaque pays, par les normes
du droit international privé en vigueur dans ce pays. Ces normes, appelées "règles de conflits! ou de
"rattachement", peuvent être d'origine jurisprudentielle, comme en France par exemple. En Tunisie, le
droit applicable au mariage mixte et à ses conséquences, est défini par l'article 4 du Décret du 12
juillet 1956, fixant le statut personnel des étrangers. Suivant la situation considérée, conclusion du
mariage, filiation, divorce, le rattachement varie.
Le plus souvent, le droit applicable est celui du mari. Ce peut être aussi la loi personnelle de
chaque partie appliquée alors distributivement. Il faut ajouter à cela qu'en Tunisie l'époux de
nationalité tunisienne bénéficie d'un certain privilège de nationalité, qui, fait que le juge tunisien refuse
d'appliquer une disposition légale étrangère qui mettrait la partie tunisienne dans une situation que ne
reconnaît pas le droit tunisien. C'est ainsi par exemple qu'une tunisienne mariée à un italien a bénéficié
de l'application de la loi tunisienne pour obtenir le divorce que prohibait la loi italienne normalement
applicable en raison de l'article 4 du décret de 1956.
Avant d'étudier la situation juridique créée par le M. M. , il parait nécessaire d'avoir quelque
idée de la conception du mariage en droit tunisien, ou pour employer un terme plus juridique, de la
nature du mariage. C'est de la nature du mariage, en effet, que découlent toute une série de
conséquences qui n'ont pas leur équivalent dans les droits européens marqués par l'influence du droit
romain, du droit canonique et d'une certaine civilisation largement christianisée.
Le mariage tunisien tient à la fois du contrat et de l'institution.










Page 2
C'est un contrat. Dans ce sens, le mariage crée entre deux personnes qui y ont consenti un
rapport de droit auquel chacun est libre de mettre fin quand il le désire. C'est pourquoi, lors de sa
conclusion, les parties sont libres d'insérer au contrat qui constate leur consentement toute disposition
d'ordre tant pécuniaire que personnel (CSP 11), à condition de ne pas contrevenir à l'essence même du
mariage (CSP 21). La sanction de l'inexécution de l'une ou l'autre clause sera le divorce (CSP 11).
Le droit tunisien fait aussi du mariage une "institution", c'est-à-dire qu'il en réglemente les
conditions et certains effets, encore que l'on puisse se demander si cette réglementation ne peut pas
être mise en échec au moins en partie par les dispositions du contrat.
Bien qu'en ses termes exprès, la loi tunisienne ne fasse pas de discrimination entre l'homme et
la femme, en fait la situation est différente selon que l'époux tunisien est le mari ou la femme.
Les cas les plus courants sont sans doute ceux où l'épouse n'est ni tunisienne, ni musulmane.
On rencontre cependant de plus en plus de projets de mariage où la fiancée est tunisienne et le fiancé
étranger et non musulman. En droit autant qu'en fait, les 2 situations sont différentes, même si la
législation tunisienne ne fait aucune discrimination entre l'homme et la femme.
Il faut savoir que le droit musulman s'appuyant sur le Coran autorise le mariage du musulman
avec une non musulmane, à condition que celle-ci appartienne à une religion révélée, judaïsme ou
christianisme. Mais il prohibe absolument l'union d'une musulmane avec un non musulman. Une telle
disposition repose essentiellement sur l'idée que si la femme demeure libre de rester dans sa religion,
les enfants suivent toujours la religion de leur père. L'idée revêt encore aujourd'hui une importance
extrême en raison de ses conséquences. Une chrétienne qui épouse un musulman doit s'attendre à
rencontrer des difficultés certaines en ce qui concerne une éventuelle éducation chrétienne de ses
enfants, surtout si le ménage réside en Tunisie. Un non tunisien d'origine chrétienne qui épouse, en
Tunisie, une tunisienne musulmane doit donner une preuve de sa qualité de musulman en fournissant
un "certificat de bon musulman", délivré après le prononcé de la Chahada par les autorités religieuses
compétentes. Cette exigence, que ne formule aucun texte de loi et qui va même à l'encontre de la loi
positive tunisienne (cf. loi 1967/ conv. N. Y), ressort d'une circulaire adressée par le Ministère de la
Justice à toutes les municipalités. Elle a été confirmée dans sa substance par un arrêt de la Cour de
Cassation, qui déclare : "il est incontestable que la femme musulmane qui épouse un non musulman
commet un péché impardonnable ; la loi musulmane tient un tel mariage pour nul et non avenu" (Civ.
31 janvier 1966.
Revue tunisienne de droit 1968 p. 114 n. E de Lagrange). Encore que l'on puisse
considérer cette exigence comme une simple formalité d'ordre administratif et non comme une
apostasie de la part du chrétien, ceux qui veulent y échapper peuvent faire célébrer le mariage dans
leur pays d'origine.
La célébration d'un M. M. entre un national et un étranger doit nécessairement se faire devant
l'officier d'état civil ordinaire (maire ou président de municipalité) et non devant le consul étranger.
L'étranger doit cependant fournir un certificat de son consul attestant qu'il peut contracter mariage. Or,
on constate que le certificat délivré en France, au moins à une tunisienne qui veut épouser un non
tunisien, n'exige pas du futur époux qu'il soit musulman, se conformant ainsi à la loi et à l'esprit du
législateur.
A l'inverse, si l'on veut bénéficier des particularités de la conception tunisienne du mariage, il
semble préférable de conclure le mariage d'un tunisien avec une étrangère en Tunisie, en la forme
locale, soit devant l'officier d'état civil ordinaire (président de municipalité) soit devant deux notaires
(loi du 1
er août 1957 sur l'état civil, art. 31).
Du fait de la nature contractuelle du mariage, il est possible d'insérer à l'acte qui le constate
certaines clauses. Une telle disposition, légale on l'a vu, peut présenter un très grand intérêt, encore
qu'il faille se garder de l'utiliser dans un esprit de méfiance, peu conforme à la psychologie de deux
fiancés au jour de leur mariage. D'une manière générale, ces clauses ont pour but de protéger l'épouse
contre l'arbitraire éventuel de son époux. C'est en ce sens que l'on peut dire que le contrat sauvegarde
l'avenir du foyer, en constatant d'une manière authentique les promesses que les fiancés ont pu se faire
à propos par exemple des enfants à naître, de leur éducation, de la possibilité pour la femme de
pratiquer sa religion, etc... C'est sur la rédaction de ces clauses, en effet, que reposait l'essentiel de la
liberté de la tunisienne : le droit ne l'admettait pas à demander la séparation d'avec son époux, même
dans les situations les plus désespérées, alors que le mari pouvait répudier sa femme sans grande
formalité. C'est ainsi, par exemple, que les femmes de Kairouan préservaient leur aspiration à la
monogamie et la stabilité de leur union en faisant insérer au contrat des clauses appropriées dont
l'irrespect par le mari pouvait lui coûter cher, pécuniairement parlant.
2
Se Comprendre N° BLE/66


Page 3
On ne voit pas pourquoi une étrangère épousant un tunisien en Tunisie ne pourrait pas faire
usage de cet acte contractuel. Elle pourrait même y trouver une assurance pour l'avenir en prenant soin
d'y faire insérer les clauses qu'elle jugerait utiles tant pour elle-même que pour les enfants à naître de
l'union. Ce faisant, elle se conformerait tout à fait aux coutumes du pays de son époux sans que
personne n'ait quoi que ce soit à lui reprocher. On notera qu'en droit français tout au moins, on ne
trouve aucune trace de cette idée contractuelle du mariage.
Même s'il est réglementé par des textes qui n'opèrent pas discrimination raciale ou religieuse,
le régime du M. M. n'en demeure pas moins fortement influencé par le droit musulman, surtout
lorsque l'époux non tunisien est une femme. Car, si c'est la loi personnelle de chaque partie qui régit
les conditions de fond du mariage, c'est la loi personnelle du mari, en vigueur à la célébration du
mariage, qui s'applique aux droits et devoirs réciproques des époux, aux régimes matrimoniaux, au
divorce et à la séparation. C'est encore à la loi personnelle du père que l'on fait appel en matière de
filiation (Décret 12 juillet 1956, art. 4).
Étudier la question sous l'angle des droits et obligations de la femme revêt ainsi un intérêt
particulier. Car, au grand nombre de mariages contractés entre un tunisien et une étrangère non
musulmane, il faut ajouter l'originalité certaine du droit tunisien en la matière.
Quelle est donc la situation juridique de la femme étrangère mariée à un tunisien ? D'une
manière générale, on ne peut pas dire qu'une discrimination se fasse dont le critère serait la nationalité.
Cependant, intervient dans certaines matières le fait que la Tunisie est un pays musulman, où le statut
personnel demeure imprégné de religieux. Il convient d'analyser la situation de la femme sous
différents angles : dans les relations des époux entre eux (1), vis-à-vis des enfants issus du couple (2),
au regard des droits publics (3).
Chapitre I : RELATIONS DES ÉPOUX ENTRE EUX
Ces relations sont toujours soumises à la loi personnelle du mari, en vigueur à la célébration
du mariage : droits et devoirs réciproques des époux, régimes matrimoniaux, divorce.
Il nous faut distinguer selon que l'union dure ou est dissoute.
A. Pendant que dure le mariage.
1. Quant aux personnes.
Éliminons les cas pathologiques, qui ne sont pas d'un très grand intérêt : polygamie et adultère.
Le CSP a aboli la polygamie, dont il a fait un délit pénal ; l'adultère de l'homme est réprimé sur le plan
pénal avec autant de sévérité que celui de la femme.
Dans le courant de la vie, l'autorité du mari en tant que chef de famille est clairement exposée
dans le Code. L'épouse lui doit obéissance (CSP 23 al 3). En contre-partie, celui-ci doit traiter sa
femme avec bienveillance et vivre en bons rapports avec elle (CSP. 23 al 1).
2. Les questions financières.
Lorsque la femme a des biens personnels, elle est entièrement libre de les gérer à sa guise,
sans aucun contrôle de l'époux (CSP 24). Le Droit tunisien ne connaît pas la communauté de biens
entre époux et le régime matrimonial au sens français ne peut exister que dans la mesure où le contrat
de mariage le stipule expressément.
Si elle a des biens, la femme doit contribuer aux charges du ménage (CSP 23 al 2), sans que
pour autant le mari soit déchargé de l'obligation alimentaire envers son épouse et ses enfants (CSP 38)
obligation qui prend sa source dans le mariage (CSP 37). Si le mari est indigent, son obligation tombe.
Mais alors, la femme peut demander le divorce, que le juge doit prononcer.
La différence de religion n'empêche pas les époux de se faire donation de leurs biens pendant
leur vie (CSP 200). Il suffit de se conformer aux conditions définies par le législateur (CSP 201 à 206).
Se Comprendre N° BLE/66
3


Page 4
B. La situation quand le mariage est dissous.
Le mariage peut être dissous par la mort de l'un des époux ou la décision du juge prononçant le
divorce.
1. Le divorce.
Comme dans les droits occidentaux, et contrairement au droit musulman, le divorce ne peut
avoir lieu que par devant le tribunal.
a) Causes du divorce.
En droit musulman classique, le mari peut seul répudier sa femme, sans que quiconque l'en
empêche. L'épouse, elle, ne peut que demander, dans des cas très restreints, au juge de prononcer lui-
même le divorce. Le juge demeure libre d'apprécier et a pouvoir de refuser le divorce. Le cas-type
d'une telle demande est le non-respect des clauses insérées au contrat de mariage.
Le CSP ne fait aucune différence : les deux époux jouissent du même droit de divorcer. Il faut
noter qu'aucune fin de non-recevoir ne peut être invoquée par celui des époux qui voudrait maintenir le
lien conjugal.
En effet, le juge n'a aucun pouvoir d'appréciation pour accorder ou refuser le divorce. Il ne
peut que tenter de réconcilier les époux (CSP 32), et en cas de non conciliation, prononcer le divorce.
La nature contractuelle du mariage explique cette circonstance : personne, pas même l'autorité
publique, ne peut intervenir pour maintenir un contrat privé, sans limitation de durée, lorsque l'un des
2 contractants au moins en demande la résolution.
Le divorce est largement ouvert à quiconque, homme ou femme, le désire.
1. Le divorce "sanction" (CSP 31 1°).
Le mari ou la femme peuvent demander le divorce lorsque l'autre époux n'a pas rempli les
devoirs que lui impose le Code. Il faut se référer au petit résumé de morale conjugale que constitue
l'article 23. L'éventail est très large, depuis l'adultère jusqu'à la simple incompatibilité d'humeur. La
femme peut également demander le divorce lorsque son mari indigent ne lui fournit pas d'aliments
(CSP 39 et 40). Le juge prononcera également le divorce si le mari nie être le père d'un enfant conçu
ou né pendant le mariage (CSP 75 et 76).
Cause de divorce également, le fait pour l'un ou l'autre époux de ne point respecter les clauses
insérées au contrat de mariage (CSP 11).
2. Le divorce "remède" (CSP 31 2°).
Le juge ne peut que s'incliner devant le consentement mutuel des époux.
3. Le divorce "caprice" (CSP 31 3°).
On se trouve là devant la survivance de la répudiation unilatérale-discrétionnaire du droit
classique, avec cette différence cependant qu'elle est ouverte à la femme autant qu'à l'homme.
L'époux demandeur n'a aucun motif à fournir à l'appui de sa demande. Il devra cependant
payer le prix de son caprice en versant à sa victime, "innocente" par hypothèse, des dommages et
intérêts calculés par le juge, en référence à divers éléments, dont la durée du mariage, la situation
sociale des époux. En somme, on mesure le préjudice subi par l'époux "répudié" pour tenter de le répa-
rer sur le plan pécuniaire.
b) Les conséquences du divorce.
1. Sur le plan des personnes.
La femme divorcée doit observer un délai de viduité de trois mois accomplis (CSP 35).
4
Se Comprendre N° BLE/66


Page 5
Le problème des enfants sera envisagé plus loin, dans les Rapports de la femme avec ses
enfants.
2. Sur le plan pécuniaire.
- La dot : Lorsque le mariage a été conclu en la forme tunisienne et que une dot a été stipulée,
sans avoir été versée (par le-mari) avant le mariage, quelle que soit la raison de ce divorce, cette dot
doit être versée à la femme au moment de la dissolution du mariage.
Ce point montre l'un des intérêts pour l'épouse, même étrangère et chrétienne, d'un mariage
célébré en la forme tunisienne. Les familles tunisiennes ont cette coutume de stipuler une dot
importante : une petite partie seulement en est versée au moment du contrat, le reste étant dû, en cas de
divorce, au moment de la dissolution. L'intérêt de l'opération est d'éviter le divorce-caprice, demandé
par le mari, qui pourrait ainsi lui coûter cher.
- Les aliments : En droit tunisien, l'obligation alimentaire prend sa source dans le mariage, la
parenté ou l'engagement volontaire (CSP 37).
Dès lors que le mariage est dissous par le divorce, les deux époux ne se doivent plus aucun
aliment ; la notion de mariage-contrat éclaire ce point. Une fois le contrat résolu, aucune relation
juridique n'existant plus entre les anciens époux, l'obligation alimentaire n'a plus aucun support (CSP
31). On est loin de la conception française qui impose à l'époux coupable de verser une pension à
l'autre, en se fondant sur la survivance (contestable) de l'obligation de secours mutuel née du mariage.
Cependant, le mari doit des aliments à sa femme pendant 1a durée du délai de viduité (3 mois)
ou jusqu'à l'accouchement, dans le cas où elle est enceinte au moment du divorce (CSP 38 et 35).
L'obligation alimentaire du mari envers les enfants dont la garde a été attribuée à l'épouse
continue d'être exigible. Cette obligation ayant sa cause dans la parenté, le divorce ne change en rien
les rapports ascendants-descendants existant entre le père et ses enfants (CSP 43 b).
- Les dommages-intérêts : Lorsque le divorce est demandé par l'époux sur la base de l'article
31 3°, celui-ci doit à la femme des dommages-intérêts, dont on a vu plus haut que le juge les calcule
compte-tenu du préjudice subi par la femme.
Inversement, la femme ne peut obtenir le divorce sur cette même base qu'en versant au mari
une indemnité également calculée par le juge.
2. Le décès.
a) Sur le plan personnel.
La femme doit observer un délai de viduité de 4 mois et 10 jours. Le délai de viduité, pour la
femme enceinte, prend fin avec l'accouchement.
b) Sur le plan matrimonial.
- Les biens communs : Au décès de l'un des époux, ces biens sont partagés conformément aux
articles 26 et 27 entre le conjoint survivant et les héritiers du défunt. Il ne peut s'agir que de biens
meubles constituant le mobilier du ménage.
- Le problème de la succession :
Ordinairement, le conjoint survivant tunisien musulman a droit à une quote-part importante de
la succession de son époux prédécédé, variant selon les cas entre la moitié, le quart ou le huitième.
Mais lorsque l'épouse est chrétienne ou présumée telle, la question se pose de savoir si les 2
époux peuvent hériter l'un de l'autre.
Se Comprendre N° BLE/66
5


Page 6
En droit musulman classique, il n'existe pas de vocation successorale entre personnes de
religion différente. En effet, alors que les droits européens classent les successions dans le droit des
biens, le droit musulman, et à sa suite le droit tunisien, en font une matière de statut personnel.
Le fait que le CSP ne reprenne point explicitement la prohibition n'est pas, pour le moment du
moins et en l'état actuel de la jurisprudence tunisienne, en faveur de l'établissement d'une vocation
successorale entre époux de religion différente. Une controverse s'est établie autour du sens de l'article
88 du CSP tel qu'il est rédigé en arabe. Les juges, se fondant sur un argument grammatical,
interprètent cet article dans le sens du droit musulman classique.
Il suffit pour s'en convaincre de lire l'arrêt rendu par la Cour de Cassation tunisienne le 31
janvier 1966 (
Revue tunisienne de droit 1968 p. 114). Une tunisienne musulmane se voyait refuser par
ses co-héritiers l'accès à la succession de sa mère : on lui reprochait d'avoir apostasié l'Islam en
épousant un non-musulman. Les co-héritiers se fondaient sur l'article 88. Si la Cour rejette leur
demande, c'est parce qu'ils ne prouvent pas l'apostasie de leur sœur. Mais elle entérine l'interprétation
qui est faite du texte, comblant ainsi le silence du législateur par le recours au droit classique. C'est
bien dans ce sens que l'arrêt a été compris par ses commentateurs (CSP 6° édition par M. T. Es-
Snoussi n° 1 sous art. 88 - cf. note à la RTD loc. cit. ).
Un palliatif peut être apporté à cette situation, en soi, injuste, par le testament. Dans la mesure
de la quotité disponible, chacun des époux est libre de léguer à l'autre une part de sa fortune. Un
testament garde toute sa validité entre personnes de religion différente (CSP 174). Pour un tunisien, la
quotité disponible représente le tiers du patrimoine, à moins que les héritiers ne consentent au
dépassement, après le décès du testateur (CSP 179). L'épouse étrangère devra se référer à sa loi
personnelle qui détermine la part de son patrimoine dont chacun peut disposer par testament, les
quotités disponibles variant considérablement suivant les législations.
Chapitre II : SITUATION DE LA FEMME VIS-A-VIS DE SES ENFANTS
Le droit applicable pour tout ce qui concerne la filiation est la loi personnelle du père.
Les problèmes qui peuvent se poser varient cependant selon que l'on envisage la période où le
mariage dure et celle où il est dissous.
A. Durant le mariage.
Le père est LE titulaire de la puissance paternelle. Il est donc responsable de l'éducation de ses
enfants.
Le principe qui ressort de l'ensemble des textes, comme de la psychologie sociale appuyée sur
la tradition coranique, est que les enfants ont nécessairement la même religion que leur père. Ce sont
donc des musulmans. Ce qui pose le problème de l'éducation religieuse de ces enfants et leur droit à
être insérés à part entière dans le milieu tunisien auquel ils appartiennent en priorité par leur père.
La garde des enfants appartient, durant le mariage, aux père et mère (CSP 57). La garde
comprend : nourriture, logement, éducation (CSP 54).
B. Après la dissolution du mariage.
1. La garde des enfants.
a) En cas de divorce.
Pour déterminer l'attribution de la garde, le juge ne tient pas compte du degré de culpabilité
des époux vis-à-vis l'un de l'autre. La garde des enfants est un droit des parents sans doute ; mais en
principe, on considère l'intérêt des enfants.
En définitive, le choix du titulaire de la garde est laissé au juge qui apprécie selon sa propre
conscience dans quel sens va cet intérêt. On ne voit pas pourquoi un juge tunisien et musulman ferait
abstraction, dans son appréciation, de l'aspect religieux et social de la question. Il est normal qu'il ait
6
Se Comprendre N° BLE/66


Page 7
tendance à penser que l'enfant d'un tunisien doit pouvoir être éduqué conformément aux coutumes du
pays auquel il appartient par son père.
Il n'en demeure pas moins que, lorsque la garde est attribuée à la mère chrétienne, cette
attribution est définitive. L'article 59 est clair. En droit musulman strict, la titulaire de la garde, fût-elle
la mère, ne peut exercer son droit qu'autant que l'enfant n'a pas atteint un certain âge, variable selon les
"rites", l'enfant retournant ensuite sous la garde de son père. A l'heure actuelle, si la titulaire de la
garde est d'une confession autre que celle du père de l'enfant, il faut distinguer : la titulaire de la garde
n'est pas la mère (ce peut être la grand'mère maternelle, etc... ) "elle ne pourra exercer ce droit
qu'autant que l'enfant n'aura pas 3 ans révolus et qu'il n'y aura aucun sujet de crainte qu'il ne soit élevé
dans une religion autre que celle de son père" (CSP 59 1°). Si la titulaire est la mère, l'alinéa 1 de
l'article 59 ne s'applique pas à elle.
Cependant, la mère titulaire du droit de garde peut en être déchue dans la mesure où elle
empêche que le droit de visite du père ou du tuteur ne s'exerce normalement. L'article 60 explicite un
aspect important du droit de visite : droit de regard sur les affaires de l'enfant, pouvoir de pourvoir à
son éducation et de l'envoyer à l'école (de son choix ?), avec cette limite que l'enfant ne peut passer la
nuit que chez celui qui en a la garde, sauf décision contraire du juge prise dans l'intérêt de l'enfant. Un
arrêt de la Cour de Cassation de Tunis casse une décision de la Cour d'Appel de Sfax qui n'avait pas
déchu la mère (musulmane) de son droit de garde, alors que, s'étant définitivement établie avec l'enfant
à Sfax, elle empêchait en fait le père, demeurant à Tunis, d'exercer le droit de regard de l'article 60
(Cass. 20 déc. 1965, RTD 1966-67 p. 191).
b) En cas de décès.
C'est au conjoint survivant que revient toujours la garde des enfants, sans que l'on distingue
entre le père et la mêre (CSP 67).
Des litiges ont pu s'élever sur ce point entre, par exemple, la mère et la famille paternelle.
Alors, le juge tranchait dans l'intérêt de l'enfant. Mais l'article 67 actuel règle la question d'une manière
très nette.
2. La tutelle des enfants.
La tutelle et la garde sont deux institutions différentes. Elles sont confondues en la personne
du père tant que dure le mariage. Elles peuvent être dissociées après la dissolution du mariage. Le
tuteur est la personne dont les autorisations sont requises pour donner validité aux actes juridiques du
mineur, que ces actes concernent les biens ou la personne du mineur (mariage, par exemple).
Le père est toujours, "tuteur" de ses enfants mineurs (CSP 155). La notion de "wilâya" (tutelle)
est quelque peu différente de la notion française de tutelle. En droit musulman, le "wâli" (tuteur) est
ordinairement un homme, le plus proche des parents agnats (par les hommes).
On comprend dès lors que le Droit tunisien ne donne pas, de plein droit, à la survivante la
tutelle de ses enfants. Le CSP est muet sur les droits de la mère en la matière. Pour que la mère soit
nommée tutrice, il faut : soit une disposition testamentaire expresse de son époux qui la nomme
"tutrice testamentaire" soit une décision du juge (CSP 154).
C. Les relations successorales entre la mère et ses enfants.
Le problème de différence de religion se retrouve dans les mêmes termes qu'entre époux.
En droit tunisien, la mère a droit à une part du patrimoine de ses enfants prédécédés, variant,
selon que ceux-ci laissent ou non une descendance, entre le sixième et le tiers. Si la mère n'est pas
musulmane, la présomption étant que ses enfants nés d'un père musulman sont nécessairement musul-
mans, il y a absence de vocation successorale entre mère et enfants. Chacun ne peut hériter de l'autre
qu'en vertu d'un testament dans la limite de la quotité disponible.
Se Comprendre N° BLE/66
7


Page 8
Chapitre III : LA SITUATION DE LA FEMME ÉTRANGÈRE VIS-À-VIS DE LA
TUNISIE
Le principe est que la nationalité tunisienne n'est pas acquise automatiquement par le mariage,
à moins que, en vertu de sa loi nationale, l'épouse perde sa propre nationalité en épousant un étranger
(Code de la Nationalité article 13). On ne veut pas en faire une apatride. En dehors de ce risque
d'apatridie, rien ni personne ne peut obliger l'épouse étrangère d'un tunisien à prendre la nationalité
tunisienne.
Si elle veut devenir tunisienne, elle se trouve cependant privilégiée par rapport aux étrangers
ordinaires. Elle n'a pas à faire de demande de naturalisation, avec toutes les conditions qu'une telle
demande suppose. La nationalité lui est accordée, sur sa demande, par "bienfait de la loi", à condition
que le ménage réside en Tunisie depuis au moins deux ans (C. N. 14), encore que le Président de la
République puisse s'opposer à cette attribution (C. N. 15). Pendant 5 ans à dater de sa déclaration, elle
demeure soumise aux incapacités habituelles en la matière (droit de vote, participation à la fonction
publique).
Lucie PRUVOST

S. M. A. Comprendre
20, rue du Printemps
PARIS
C. C. P. : 15 263 74
8
Se Comprendre N° BLE/66




Page: 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8