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Réflexions critiques sur le droit des nullités en droit privé des contrats
Le droit des nullités a vieilli !
Certes, la vieillesse est parée de nombreux charmes : la sagesse, l’expérience, la hauteur de vue.
En ce sens, un cinéaste disait de la vieillesse qu’elle est
« comparable à l’ascension d’une montagne. Plus
vous montez, plus vous êtes fatigué et hors d’haleine, mais combien votre vision s’est élargie ».
L’effet du temps,
l’écoulement des années depuis le Code civil de 1804 et les efforts conjugués de la jurisprudence
et de la doctrine permettent aujourd’hui d’avoir, effectivement, une vision plus large de cette
sanction phare du droit des contrats : la nullité.
Mais la vieillesse, c’est aussi perdre de sa mobilité, de sa flexibilité, de certains sens. Non sans
humour, on a pu faire remarquer que
« Quand on est vieux tout notre corps nous fait souffrir, et ce qui ne
nous fait pas souffrir ne fonctionne plus ».
La nullité en droit des contrats a donc le charme et la sagesse des années écoulées, mais le
handicap d’un corps usé par le temps et d’un esprit parfois en décalage avec son époque. En
d’autres termes, la notion de nullité semble dépassée par la complexité croissante du droit et le
régime souffre encore d’un excès de systématisation.
Ces réflexions critiques sont notamment inspirées du récent avant-projet de réforme du Titre III
du Livre III du Code civil français réalisé sous la présidence de M. le Professeur Pierre Catala. Il
s’agit d’un travail doctrinal ayant réuni plusieurs professeurs pendant 30 mois. Cet avant-projet
relatif au droit des obligations et au droit de la prescription a été déposé sur le bureau du Ministre
de la justice le 22 septembre 2005. Il prévoit notamment l’introduction au sein du Code civil de
dispositions diverses traitant des nullités, articles qui font affreusement défaut. De son côté, au
contraire, le droit tunisien des obligations, plus jeune, consacre les articles 325 et suivants du
Code des obligations et des contrats à l’élaboration d’une forme de droit commun des nullités.
Le sujet est vaste. C’est pourquoi seuls certains aspects du droit des nullités sont ici traités. La
question des restitutions ne sera, par exemple, pas abordée. Les restitutions renvoient davantage à
une question d’équilibre entre les patrimoines
1 alors que la nullité dans son prononcé est avant
tout une sanction juridique destinée à rétablir la légalité transgressée
« par la suppression de la
situation juridique illicite créée par la conclusion du contrat au mépris d’une règle impérative»
2.
Si le Code civil de 1804 est peu prolixe sur les nullités, que doit-on entendre par droit des nullités ?
La richesse du droit des nullités, grâce ou a cause du poids des années, est d’être une œuvre
éclectique et collective : il est le résultat d’un véritable dialogue entre les sources du droit : la
disparité des textes légaux, la créativité de la doctrine et la réactivité de la jurisprudence.
Dans ce contexte, quel est l’objectif de ces réflexions critiques ? Celles-ci devraient permettre de
prendre conscience des liens étroits qui unissent la nullité et la règle de droit, d’un côté, et la
nullité et la notion d’intérêt, de l’autre.
1 Sur cette idée, v. C. Guelfucci-Thibierge, Nullité, restitutions et responsabilité, Préf. J. Ghestin, L.G.D.J., Bibliothèque de droit
privé, Tome 218, 1992, spéc. n° 634 et ss., pp. 368 et ss.
2 Ibid, n° 375, p. 223.












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D’un côté, la nullité est la sanction d’une règle de droit qui a été violée. La sanction est un
accessoire de la règle juridique
3. Par ce biais, le droit pénètre dans le réel. La nullité s’impose
comme la sanction normale et naturelle du contrat illicite
4. Or, toute évolution des caractères de
la règle de droit doit naturellement rejaillir sur cette sanction qu’est la nullité. Aussi pour
déterminer précisément ce que recouvre la notion de nullité encore faut-il être clair sur la règle à
laquelle on la rattache. Il n’est plus possible de réduire le droit à un ensemble de règles de droit
étatiques au sens positiviste, règles formelles, mises en œuvre par le juge par la méthode du
syllogisme formel. Tout d’abord, la règle de droit n’est plus seulement le droit posé et doit en
permanence prendre en compte les valeurs fondamentales d’une société donnée à un moment
donné. La dignité humaine, les droits fondamentaux, le marché sont autant de paramètres à
prendre en compte lorsqu’il s’agit de déterminer la validité d’un acte. Ensuite et surtout, l’illicéité
d’un acte suppose parfois une acception pragmatique de la question de la validité, au sens où
certains actes ne seront nuls qu’en raison des effets qu’ils produisent au sein de l’ordre juridique.
En somme, si la règle de droit devient plus flexible, plus souple voire plus axée sur des valeurs
fondamentales, la notion de nullité doit s’adapter à cette nouvelle réalité, ce qui ne semble pas
encore être formellement le cas en droit positif.
D’un autre côté, la nullité entretient des rapports étroits avec la notion d’intérêt sur
laquelle d’ailleurs repose l’ensemble de son régime juridique. L’intérêt s’affirme comme la
notion fédératrice du régime des nullités
5. Cette complicité entre l’intérêt et la nullité vient
principalement du lien commun qu’ils entretiennent, chacun de leur côté, avec la règle de
droit. La nullité assure la défense d’une règle de droit, qui elle-même assure la protection d’un
intérêt
6.Cet état de fait complique naturellement le droit des nullités. Le législateur ne peut
parvenir au sein de lois spéciales à identifier et à concilier tous les intérêts en présence. En outre,
ce législateur exprime rarement ses intentions : protéger l’intérêt général ou protéger certains
intérêts particuliers. Cette distinction est d’autant plus importante que le droit français rattache la
nullité absolue aux règles protégeant l’intérêt général et la nullité relative à celles qui protègent des
intérêts particuliers. Le droit tunisien des obligations adhère d’ailleurs à cette dichotomie. Dans ce
contexte, la nullité suppose un rôle actif et prépondérant du juge se livrant souvent à une
pondération des intérêts en présence.
3 R. Japiot, Des nullités en matière d’actes juridiques. Essai d’une théorie nouvelle, Thèse Dijon, Librairie nouvelle de droit et de
jurisprudence, Arthur Rousseau, éditeur, Paris, 1909
, spéc. p. 167 : « Il ne faut envisager la nullité que comme un accessoire des règles
juridiques
».
4 En ce sens, G. Farjat, L’ordre public économique, Préf. B. Goldman, Thèse Dijon, L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, Tome
37, 1963, n° 382, p. 311 : elle est la
« sanction de droit commun » ; O. Gout, Le juge et l’annulation du contrat, Préf. P. Ancel, P.U.A.M.,
1999, n° 4, pp. 20 et ss. : elle est la sanction qui
« semble la plus appropriée » ; Ph. Malaurie, Les contrats contraires à l’ordre public (Etude de
droit civil comparé : France, Angleterre, U.R.S.S.),
Thèse Paris, Ed. Matot-Braine, Reims, 1953, n° 304, p. 203 : « la nullité est la mesure la
plus logique et la plus complexe (…). Dans un système de droit purement juridique elle sera la sanction normale, anéantissant un acte dont le Droit ne
veut pas »
; N. Rontchevsky, L’effet de l’obligation, Préf. A. Ghozi, Economica, Coll. Droit civil, 1998, n° 729, p. 390 : la nullité est la
« sanction de droit commun » en cas de violation de l’ordre public ; Fr. Terré, Introduction générale au droit, 6ème éd., Dalloz, Coll. Précis,
2003
, n° 302, p. 323 : la nullité est la « sanction naturelle » lorsque les conditions de validité d’un acte ne sont pas réunies. Pour une
étude historique et de droit comparé, v. M. Cumyn,
La validité du contrat suivant le droit strict ou l’équité : étude historique et comparée des
nullités contractuelles,
Préf. J. Ghestin, L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, Tome 376, 2002.
5 L’ensemble de la thèse de R. Japiot s’appuie sur ce constat d’une multitude d’intérêts différents qui doivent être conciliés,
th. préc., spéc. p. 306 : une confrontation permanente se réalise entre l’intérêt de la validité et l’intérêt de la nullité de l’acte.
L’ensemble de la thèse de F. Drogoul est également fondé sur une théorie des intérêts, F. Drogoul,
Essai d’une théorie générale des
nullités. Etude de droit civil,
Paris, Librairie nouvelle de droit et de jurisprudence, A. Rousseau, 1902. V. égal. M. Luby, A propos des
sanctions de la violation de l’ordre public, C.C.C.,
février 2001, Chr. n° 3, spéc. n° 8. Conclusion similaire à propos de la nullité des
obligations postcontractuelles, C. Caseau-Roche, Les obligations postcontractuelles. Contribution à l’étude des stipulations relatives à la rupture
de relations contractuelles continues,
Thèse Paris I, Dactyl., 2001, n° 479, p. 382. Même rapprochement entre intérêt et nullité en droit
du travail, v. not. J. Djoudi,
Les nullités dans les relations individuelles de travail, D., 1995, Chr., pp. 192-196, spéc. p. 196 : l’auteur
observe que la spécificité des nullités en droit du travail permet de concilier les intérêts du salarié et de l’employeur.
6 Sur ce syllogisme, v. L. Grosclaude, Le renouvellement des sanctions en droit des sociétés, Thèse Paris I, Dactyl., 1997, spéc. n° 739,
p. 392 : « la sanction défend la règle, qui elle même protège un intérêt ».





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Finalement, les réflexions critiques dont il va ici être question ne sont pas les premières, loin de
là. En outre, la critique, au sens négatif du terme, est toujours un exercice plus aisé à
entreprendre. Mais l’exercice est nécessaire. Il s’agit de mettre l’accent sur les imperfections du
droit français des nullités et de lancer une discussion à travers certaines propositions qui n’ont pas
la prétention de régler définitivement la question. Ces discussions seront d’ailleurs très utiles au
droit tunisien des nullités, assez proche du droit français, droit qui, quoique plus jeune, rencontre
des difficultés assez similaires.
La plupart des critiques qui ont à l’origine été formulées contre le droit des nullités ont eu pour
objet premier son régime. Or, il semble que pour mieux critiquer le régime et en proposer
certains assouplissements, il convient au préalable de revenir sur la notion même de nullité.
Aussi, après avoir exposé quelques réflexions critiques sur la notion de nullité, conviendra-t-il de
livrer quelques réflexions critiques sur le régime des nullités.
I – Réflexions critiques sur la notion de nullité
Deux idées reçues doivent être remises en cause parce qu’elles sont erronées ou dépassées : la
nullité n’est pas une question relevant de la seule formation du contrat ; la nullité n’est pas par
principe intégrale.
Pour combattre ces deux idées reçues, il est possible et souhaitable d’effectuer un double
rapprochement entre nullité et validité du contrat, d’une part, et entre nullité et pérennité du lien
contractuel, d’autre part.
A/ Nullité et validité du contrat
En amont, la règle de droit violée est devenue plurielle et ne se réduit pas à la loi. Le contrat doit
être conforme au droit et non plus seulement à la loi dans une acception pluraliste du droit. En
aval, la nullité se veut plus pragmatique et suppose une prise en considération croissante des
effets de l’acte litigieux, signe d’une acception plus pragmatique du droit des nullités. Ce
pragmatisme relativise le lien entre nullité et formation du contrat.
La notion de nullité est donc perturbée par le pluralisme juridique dominant, tout d’abord, et par
le pragmatisme juridique ambiant, ensuite.
1°/ Nullité et pluralisme juridique dominant
La nullité doit supprimer les effets juridiques de l’acte dans la mesure nécessaire au rétablissement de la
légalité transgressée
. Il faut alors mettre à mal un certain nombre de postulats erronés.
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a) La validité du contrat n’est pas une simple validité formelle. La nullité est le pendant de
la validité. Lorsque la nullité est mise en œuvre, c’est que l’acte juridique ne peut pas être
considéré comme valable.
La validité peut être définie comme « le caractère de la norme ou de l’acte juridique auxquels on reconnaît,
dans un ordre juridique donné, qu’ils ont les effets juridiques que leurs auteurs entendent leur conférer »
7. Or, on
observe aujourd’hui que la validité du contrat ne relève pas du seul paradigme pyramidal propre
7 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., V° Validité, par F. O., pp. 635-639. Pour une vue très
complète de la question, v. Fr. Ost et M. van de Kerchove,
De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Publications
des Facultés universitaires Saint-Louis, n° 94, Bruxelles, 2002
, pp. 307 et ss.













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au système positiviste légaliste8.La validité doit être pensée de manière plurielle9. La validité du
contrat peut être triple.
Elle est d’abord formelle. Elle renvoie à une question de stricte légalité au sens de conforme à la
loi. Elle appartient généralement au courant positiviste légaliste qui réduit le droit à la loi et
l’application de la loi au syllogisme formel déductif sans possibilité de création des interprètes
10 .
La validité est aussi axiologique. C’est alors une question de légitimité. La validité des actes ou
normes est appréciée par référence à une table de valeurs méta-positives. Elle est adoptée par
ceux adhérant à une conception jusnaturaliste du droit
11.
La validité est, enfin, empirique ou factuelle lorsqu’elle est rattachée aux courants réalistes et
sociologiques. La validité de l’acte ou de la norme dépend de son
« aptitude à atteindre l’objectif
poursuivi au moindre coût économique et social »
12.
Prononcer la nullité d’un contrat, c’est aujourd’hui combiner ces trois dimensions de la validité13.
La nullité du contrat est alors souvent conditionnée dans un monde pluraliste par une vérification
formelle (conformité à la loi interne, au droit communautaire), par une appréciation axiologique
(conformité à la dignité humaine par ex.) et par un bilan empirique (bilan économique et moral en
droit de la famille, bilan économique et social en droit de la concurrence).
Le droit des nullités doit donc d’abord évoluer sous la pression du pluralisme juridique dominant
mais il doit, ensuite, prendre en compte le pragmatisme juridique ambiant.
2°/ Nullité et pragmatisme juridique ambiant
Le pragmatisme juridique ambiant permet de relativiser le rattachement de la nullité à une
question de formation du contrat.
Quelle que soit la définition retenue de la nullité, les auteurs français se focalisent sur une
étape bien précise de la convention : sa formation
14. Le Code civil tunisien lui-même au sein
de l’article 325 du Code des obligations et des contrats dispose que
« L'obligation est nulle de plein
droit : 1/ Lorsqu'elle manque d'une des conditions substantielles de sa formation ; 2/ Lorsque la loi en édicte la
nullité dans un cas déterminé ».
8 Dans cet esprit, citons la formule significative de MM. Ph. Malaurie et L. Aynés, Cours de droit civil, Les obligations, Cujas,
1985, n° 301 :
« (…) les règles du droit des contrats deviennent relatives : un contrat est maintenant plus ou moins obligatoire, plus ou moins
opposable, plus ou moins synallagmatique, plus ou moins aléatoire ; une nullité ou une résolution est plus ou moins étendue ».

9 Fr. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ?…, op. cit., pp. 308 et 309 : « s’accommoder d’un processus de validation
pluriel (basé sur des critères formels, intrasystémiques, mais aussi des critères empiriques et axiologiques, méta-positifs), relatif (susceptible de recevoir des
intensités et donc des effets très variables), et récursif (non pas seulement produit d’en haut, par le législateur, ou d’en bas, par les sujets de droit, mais
résultant d’une interaction continue de l’ensemble des acteurs) ».

10 Ibid, pp. 326 et ss.
11 Ibid, pp. 337 et ss.
12 Ibid, pp. 328 et ss., spéc. p. 329.
13 Sur ce point, ibid, pp. 339 et ss. : l’art. 1134 al. 1 C. civ. serait le fondement d’une validité formelle ; l’art. 1135 C. civ. par sa
référence à l’équité renverrait à une validité axiologique (de même pour la cause licite des art. 1108, 1131 et 1133 C. civ. ainsi que
l’art. 6 C. civ.) ; l’usage visé par l’art. 1135 C. civ. concernerait lui une validité empirique.
14 J. Carbonnier, Droit civil, Tome 4, Les obligations, 21ème éd., P.U.F., Coll. Thémis Droit privé, 1998, n° 104, p. 195 : « Le
contrat est inefficace si, au moment de sa formation, il manque de l’une des conditions qui lui sont essentielles, ou si telle de ces conditions se trouve
viciée »
; A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, 10ème éd., 2005, Montchrestien, Domat-Droit privé, n° 214, p. 161 : à propos de la
question des pouvoirs du juge, l’auteur souligne que lorsque le juge
« constate que l’une des conditions légales de formation du contrat fait
défaut, il doit prononcer l’annulation » » ; Chr. Larroumet, Droit civil, Tome 3, Les obligations, Le contrat, 3ème éd., Economica, Coll. Droit
civil, 1996, n° 524, p. 507 :
« Lorsque l’une des conditions de formation du contrat n’est pas respectée, l’accord des volontés ne peut créer un rapport
d’obligation »
; H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, Tome II / premier vol., Obligations, Théorie générale, 9ème éd. par Fr.
Chabas, Montchrestien, 1998, n° 292, p. 297 : lorsque les conditions de validité
« font défaut, ou lorsque les règles les concernant n’ont pas
été respectées,
le contrat n’a pas pu se former : il est nul » ; B. Starck, Roland et L. Boyer, Droit civil, Les obligations, 2/ Contrat, 6ème éd.
par H. Roland et L. Boyer, Litec, 1998
, n° 1002, p. 354 : les auteurs lient la formation du contrat et la sanction de la nullité.







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Réduire la nullité à une question de formation reste une figure de style qui n’a plus de réelle
consistance tant en raison de la relativité de la distinction entre formation et exécution du contrat
(a) qu’en raison de la prise en compte de plus en plus fréquente des effets de l’acte litigieux (b).
a) Le pragmatisme juridique explique la relativité de la distinction entre formation et
exécution du contrat.
Il y a une sorte de va-et-vient permanent entre formation et exécution
concernant certains instruments du droit des contrats
15. En ce sens, la bonne foi dans l’exécution
du contrat (art. 1134 al. 3 C. civ.) s’impose aussi au stade de la formation. Quant à la cause,
condition de formation du contrat, elle s’étend à ses effets
16. Le contentieux relatif au prix est
passé, suite aux arrêts de la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière du 1
er décembre
1995, d’une question de formation à une question d’exécution
17.
Le juge ne semble donc pas s’embarrasser de cette distinction systématique entre formation et
exécution et a davantage égard au but poursuivi par la règle concernée.
b) Ce pragmatisme est surtout visible dans la prise en compte croissante des effets du
contrat.
La prise en compte des effets de l’acte juridique afin de savoir si la nullité doit être prononcée
n’est pas un phénomène nouveau. Mais, non seulement ce phénomène est, notamment dans le
cas d’une contrariété à l’ordre public, formalisé là où il était pendant longtemps simplement
implicite, surtout il s’intensifie dans certaines hypothèses devant le progrès de ce que l’on appelle
le contrôle de proportionnalité.
1/ Depuis longtemps, la contrariété d’un acte juridique à l’ordre public est censée s’apprécier
de manière concrète et suppose la prise en compte des effets de l’acte contrôlé
18. Cette tendance
est aujourd’hui clairement affichée par la jurisprudence.
La jurisprudence la plus récente abonde en ce sens. Prenons cet exemple d’une clause de
résiliation introduite par une clinique dans un contrat la liant à un médecin en exercice libéral.
Cette clause prévoyait la possibilité pour la clinique de mettre fin unilatéralement au contrat sans
indemnité si les résultats de la clinique ne permettaient pas de continuer à profiter de ses services.
La clinique a vu sa situation se dégrader au cours des années et met en œuvre cette clause de
résiliation. Cette clause a été jugée potestative dès le stade de la formation. Mais plutôt que d’en
prononcer la nullité, les juges de la Cour de cassation approuvent les juges du fond de s’être
15 V. Chr. Jamin, Pour en finir avec la formation du contrat !, P.A., 6 mai 1998, n° 54, pp. 25-27 : le contrat s’exécute de moins en
moins en un trait de temps et ne se réduit pas à une simple transaction en devenant le support d’une organisation qui est destinée
à perdurer. L’ensemble vient relativiser la distinction entre formation et exécution ; H. Lécuyer,
Le contrat, acte de prévision, in
L’avenir du droit,
Mélanges Fr. Terré, Dalloz, P.U.F., éd. Juris-classeur, 1999, pp. 643-659, spéc. pp. 645 et ss. : l’auteur relativise la
distinction entre formation et effets du contrat. Comp. P. Ancel,
Force obligatoire et contenu obligationnel…, op. cit. et loc. cit. :
distinguant la force normative du contrat et les effets obligationnels du contrat, il contribue à renouveler le débat relatif à la
distinction entre formation et exécution du contrat.
16 V. not. à propos d’une clause limitative de responsabilité réputée non écrite sur le fondement de l’article 1131 du Code
civil, Cass. com., 22 octobre 1996,
J.C.P. (G), 1997, II, 22881, note D. Cohen ; J.-P. Chazal, Théorie de la cause et justice contractuelle. A
propos de l’arrêt
Chronopost (Cass. com., 22 octobre 1996), J.C.P. (G), 1998, I, 152.
17 J.C.P. (G), 1996, II, 22565, concl. Jéol, note J. Ghestin ; D., 1996, pp. 13 et ss., concl. Jéol, note L. Aynès.
18 En ce sens, N. Rontchevsky, th. préc., n° 730, pp. 391 et 392 ; adde, G. Durry, L’inexistence, la nullité et l’annulabilité des actes
juridiques en droit civil français, in Inexistence, nullité et annulabilité des actes juridiques, Journées de Turin, 4-7 juin 1962,
Travaux de
l’Association H. Capitant,
Tome XIV, Dalloz, 1965, pp. 611-630, spéc. p. 613. Comp. à propos de la preuve de l’illicéité de la
cause qui reposerait sur les effets du contrat, J. Rochfeld, Cause et type de contrat, Préf. J. Ghestin, L.G.D.J., Bibliothèque de droit
privé, Tome 311, 1999
, spéc. n° 539 et ss., pp. 487 et ss. Sur le rapprochement entre effets du contrat et efficience des nullités, v.
L. Amiel-Cosme,
L’efficience des nullités, Dr. et patrimoine, juin 2000, n° 83, pp. 89-102, spéc. pp. 94 et ss. L’idée doit être rapprochée
de la règle
« pas de nullité sans grief » du droit judiciaire privé que M. X. Lagarde applique à la question des nullités d’ordre public de
protection face aux pouvoirs des juges de les relever d’office, X. Lagarde,
Office du juge et ordre public de protection, J.C.P. (G), 2001, I,
312, spéc. n° 10 et ss.








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placés au stade de la mise en œuvre de la clause afin d’en apprécier le caractère potestatif et la
nullité éventuelle. Au regard des circonstances, lors de sa prise d’effet, cette clause n’était pas
potestative et devait être maintenue et produire tous ses effets
19.
Toutes les branches du droit sont concernées. En droit de la concurrence, ce sont les effets de
l’entente contractuelle sur le marché qui conditionnent sa validité ou sa sanction
20. En droit de la
distribution, la jurisprudence récente de la Cour de cassation rappelle que la violation de l’article
1
er de la loi Doubin du 31 décembre 1989 (devenu art. L. 330-3 C. com.), imposant une obligation
précontractuelle d’information, n’entraîne la nullité du contrat qu’à la condition qu’elle ait eu pour
effet de vicier le consentement
21. Le droit de la consommation offre également de nombreuses
illustrations. Par exemple, l’article L. 132-1 C. cons. renvoie aux clauses ayant pour objet ou
pour
effet
d’entraîner un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties22. Le droit des
sociétés n’est pas en reste comme en témoigne la jurisprudence conditionnant l’annulation des
conventions extra-statutaires à l’existence d’un effet préjudiciable
23.
La validité de la convention est donc conditionnée à ses effets au sein de l’ordre juridique.
2/ Cette tendance est amenée à se renforcer sous l’effet d’un essor constant du contrôle
de proportionnalité.
L’objectif d’une sanction juridique en matière contractuelle est de
rétablir la légalité dans la mesure de ce qui est nécessaire. La proportionnalité est donc
d’abord une finalité
24. Elle est, ensuite, parfois, l’objet même de la règle violée. Il est fréquent
que la norme de référence permettant de vérifier la légalité du contrat contienne une condition
de proportionnalité. Cette condition est de plus en plus fréquente. Notamment parce que
lorsque deux droits fondamentaux sont en conflit – ex. liberté d’entreprise et liberté du travail
– il est impossible de dire de l’un ou l’autre droit lequel est absolument supérieur. Il n’y a pas
de hiérarchie entre les droits fondamentaux. Il faudra alors opérer une conciliation de ces
droits au cas par cas et la prévalence accordée à un droit sur un autre devra être justifiée par
une atteinte proportionnée. C’est ce qu’on appelle le contrôle de proportionnalité qui, devant
la prolifération des droits fondamentaux, est amené à jouer un rôle de plus en plus important
au sein du système juridique français. La proportionnalité conduit à
« relativiser, en la
contextualisant à l’extrême, la validité de la norme examinée »
25. Le droit du travail offre des
exemples topiques. La validité des clauses de non-concurrence, des clauses d’exclusivité et
19 Cass. 1re civ., 16 octobre 2001, Bull. civ. I, n° 257 ; J.C.P. (G), 2002, I, 134, obs. J. Rochfeld.
20 Sur cette question, v. not. M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, Préf. J. Ghestin, Dalloz, 2003, n°
398 et ss.
21 Cass. com., 10 février 1998, Bull. civ. IV, n° 71 ; D., 1998, Somm. com., p. 334, obs. D. Ferrier ; C.C.C., 1998, com. N° 55,
note L. Leveneur ; dans le même sens, v. Cass. com., 21 novembre 2000,
C.C.C., 2001, n° 20, note L. Leveneur ; R.J.D.A.,
2/2001, n° 147, p. 142 ; P.A., 9 juillet 2001, n° 135, pp. 10 et 11, obs. M. Petitier : la Cour de cassation censure les juges du fond
qui ont prononcé la nullité du contrat pour violation de l’article 1
er de la loi du 31 décembre 1989 aux motifs que « sans rechercher si
le défaut d’information prévu par la loi du 31 décembre 1989 avait eu pour effet de vicier le consentement du franchisé, la Cour d’appel n’a pas donné de
base légale à sa décision (…) » ; adde,
Cass. com., 5 décembre 2000, P.A., 9 juillet 2001, n° 135, pp. 11-13, obs. M. Petitier. Contra,
Cass. com., 24 février 1998, R.T.D. civ., 1999, pp. 86 et 87, obs. J. Mestre.
22 Comp. le défaut d’information sur les prix des produits ou des services (art. L. 113-3 C. cons.) qui n’est pas en soi une
cause de nullité, à moins que le professionnel ait su qu’en gardant le silence il trompait son cocontractant, Cass. 1
re civ., 15
décembre 1998,
D., 2000, Somm. comm., p. 46, obs. J.-P. Pizzio. V. à propos de la violation de l’art. L. 311-33 C. cons., les
critiques de M. D. Mazeaud qui, à l’instar de ce qui se passe en cas de violation de l’art. L. 312-33 C. cons., voudrait instaurer un
système de nullité à la condition que la violation ait eu des effets sur le consentement, note sous Cass. 1
re civ., 17 juillet 2001, D.,
2002, pp. 71-74.
23 V. par exemple Cass. com., 1er octobre 1996, Bull. Joly, 1997, § 46, pp. 138-141, note P. Le Cannu : application de l’article
105 de la loi du 24 juillet 1966 qui suspend la validité d’une convention réglementée aux effets du contrat. Sur l’ensemble de cette
question, v. les développements complets de M. N. Rontchevsky,
th. préc., n° 493 et ss., pp. 243 et ss.
24 C. Guelfucci-Thibierge, th. préc., n° 379, p. 227 : « La sanction de nullité revêt un caractère proportionné à la violation de la loi ».
25 Fr. Ost et M. van de Kerchove, De la pyramide au réseau ?…, op. cit., spéc. p. 319.





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des clauses de mobilité, par exemple, peut être appréciée au moment de leur mise en œuvre
afin de vérifier si, dans leurs effets, elles ne sont pas excessives, disproportionnées
26.
La nullité du contrat n’est plus alors une opération purement formelle reposant sur un syllogisme
rigoureux, mais suppose une appréhension plus souple Une prise de conscience de cette flexibilité
juridique justifie un rôle plus actif du juge
27.
La validité du contrat est donc une question plus pragmatique. Cette sanction proportionnée doit
désormais être mise en relation avec une autre préoccupation : la protection de la pérennité du
lien contractuel.
B/ Nullité et pérennité du contrat
Garantir la pérennité du lien contractuel peut reposer sur deux motifs. Le premier : le contrat a
encore un intérêt et il peut paraître juste et utile de lui faire produire tous ses effets en ne
supprimant que l’illicite. Le second : le contrat est le support de droits fondamentaux (liberté
d’entreprise, liberté du travail, liberté d’association…) ou le vecteur d’une situation de première
nécessité (bail, assurance, travail) supposant d’en protéger la pérennité.
Si l’on veut que la nullité soit, ce qu’elle devrait être, une sanction proportionnée, tout en
protégeant la pérennité du contrat, il faut remettre en cause une idée bien établie. La nullité
partielle n’est plus une exception à la nullité intégrale, elle est un principe concurrent.
Or, la
consécration d’un tel principe suppose la recherche d’un critère opérationnel de répartition entre
nullité intégrale et nullité partielle, ce que ne fournit pas le droit positif français actuel.
Il convient alors d’étudier le principe de la nullité partielle, tout d’abord, et le critère de répartition
en nullité partielle et nullité intégrale, ensuite.
1°/ Le principe de la nullité partielle
Ce principe doit être au moins considéré comme un principe égal à celui de la nullité
intégrale. Le droit tunisien des contrats fait, de son côté, de la nullité intégrale un principe et
de la nullité partielle une simple exception ce que semble affirmer nettement l’article 327
alinéa 1
er du Code des obligations et des contrats : « la nullité d’une partie de l’obligation
annule l’obligation pour le tout ».
Et l’article 327 de ce même Code poursuit avec l’exception
de la nullité partielle :
« à moins que celle-ci puisse continuer à subsister à défaut de la partie
atteinte de nullité, auquel cas elle continuera à subsister comme contrat distinct
».
Quant au droit français, la nullité est, par principe, intégrale28. La nullité intégrale serait un gage de
perfection de la sanction. Elle aurait un effet dissuasif et serait la plus respectueuse de la volonté
26 Sur ce contrôle, v. M. Mekki, L’intérêt général et le contrat. Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit privé, Préf.
J. Ghestin, L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, Tome 411, spéc. n° 903 et s., p. 537 et s. A la question de savoir si l’employeur
peut invoquer un cas de nullité lié par exemple au défaut de limite dans le temps d’une clause de non-concurrence, la Cour de
cassation répond par la négative. Outre le fait qu’il s’agit d’une
« nullité instituée seulement pour assurer la protection et la liberté du travail
des salariés »
, la Cour de cassation souligne que « l’absence de limitation dans le temps de la clause de non-concurrence n’était pas de nature à
préjudicier à la société »,
v. par ex. Cass. soc., 18 décembre 1968, Bull. civ. V, n° 610.
27 Cette observation est faite notamment en droit du travail, v. sur ce point, M. Grévy, La sanction civile en droit du travail,
Dr. soc., 2001, pp. 598-609, p. 608.
28 Sur cette question, v. O. Gout, th. préc., n° 514 et ss., pp. 361 et ss. Elle est considérée comme la nullité de principe au
regard de l’ordre public économique.
Contra, G. Farjat, th. préc., n° 472, p. 373: l’ordre public économique répugne à l’annulation
totale. La nullité intégrale doit rester la mesure ultime et, en tout état de cause, atteste de l’échec de l’ordre public dans la
« direction » du contrat.










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des parties29. Pourtant, ces justifications sont assez paradoxales lorsque l’on sait que l’objectif
premier de la nullité est de se calquer sur l’étendue de l’illicéité
30 !
Ce faisant, progressivement, la nullité partielle devrait être considérée comme une sanction de
principe
31. La nullité partielle est la mieux à même d’assurer une combinaison plus souple entre
les intérêts en présence.
Trois séries d’arguments confortent ce principe32. Premièrement, la nullité partielle correspond à
la nature même du concept de nullité. La nullité doit restaurer la légalité dans la stricte mesure du
nécessaire. Il est moins question d’annuler un acte que d’effacer ses effets illicites
33.
Deuxièmement, la nullité partielle s’impose en raison de son domaine d’intervention. Plus
précisément, elle est le reflet de l’ordre public
34. Elle en est sa sanction naturelle et la plus
opportune. L’existence d’un
« ordre public positif »35, exigeant plus une mise en conformité, un
remodelage
36 qu’une suppression de l’acte litigieux, contribue à étendre le domaine de la nullité
partielle
37. Troisièmement, la nullité partielle est plus opportune dans ses résultats. Elle renforce
l’efficacité de la sanction. Elle prévient l’illicite en évitant qu’on instrumentalise la nullité pour
échapper à ses obligations contractuelles
38.
Que doit-on alors entendre par nullité partielle ? La nullité partielle consiste dans la suppression
de l’illicite afin de rétablir la légalité d’un contrat ou d’une clause contractuelle. La singularité de
cette sanction réside dans le maintien d’un tout malgré l’extraction d’un de ses éléments. Peu
importe que cette suppression se fasse par adjonction, réduction, réfaction, révision : quel que
soit le terme, il est toujours question de maintenir l’acte en supprimant les éléments illicites
39.
C’est donc une conception large de la nullité partielle qui peut être adoptée.
29 Sur l’ensemble de ces arguments, v. O. Gout, th. préc., n° 516, pp. 361 et 362 ; adde, exposé et critiques, G. Farjat, th.
préc., n° 454 et ss., pp. 362 et ss.
30 Sur cette idée, v. C. Guelfucci-Thibierge, th. préc., spéc. n° 495, p. 293. En ce sens en droit de la concurrence, v. M.
Chagny, th. préc., n° 726 et ss., pp. 658 et ss.
31 Pour un exposé complet, v. J. Ghestin, Traité de droit civil sous la direction de Jacques GHESTIN, La formation du contrat,
2ème éd., L.G.D.J., 1988, n° 870 et ss. ; Ph. Simler, La nullité partielle des actes juridiques, Préf. A. WEILL, L.G.D.J., Bibliothèque de
droit privé, Tome 101, 1969,
passim ; adde, C. Guelfucci-Thibierge, th. préc., n° 486 et ss., pp. 286 et ss. ; M.-E. Pancrazi-Tian, Lamy
Droit des contrats,
1999, n° 270-1 et ss.
32 Sur les bienfaits de la nullité partielle en droit de la concurrence, v. M. Chagny, th. préc., n° 734 et ss., pp. 664 et ss. :
raisonnant en termes de « correction proportionnée et efficace », l’auteur souligne qu’elle conforte l’efficacité de la sanction et
spécialement en droit de la concurrence, elle s’adapte à la nature des injonctions prononcées par les autorités spécialisées.
33 En ce sens, R. Japiot, th. préc., p. 271. Dans le même sens en matière économique, v. G. Farjat, th. préc., n° 471, p. 373.
34 V. en ce sens, G. Farjat, th. préc., n° 455 et ss., pp. 362 et ss. ; Ph. Malaurie, th. préc., n° 378 et ss., pp. 242 et ss.; M.-E.
Pancrazi-Tian,
th. préc., n° 164 et ss., pp. 144 et ss. ; Ph. Simler, th. préc., n° 331, pp. 402 et p. 403. Pour une application en droit de
la concurrence, v. M. Chagny,
th. préc., n° 408 et ss., pp. 370 et ss.
35 Sur ce point, v. G. Farjat, th. préc., n° 121 et ss., pp. 97 et ss.
36 R. Japiot, th. préc., p. 296 ; G. Farjat, th. préc., n° 470, p. 371 : par la nullité, le contrat est modifié, modelé ; Ph. Simler,
th. préc., n° 27 et ss., pp. 26 et ss. Même conclusion pour les contrats administratifs, D. Pouyaud, La nullité des contrats administratifs,
L.G.D.J., Bibliothèque de droit public, 1991, n° 508 et ss., pp. 343 et ss.
37 Sur cette idée, v. J. Ghestin, La formation…, 2ème éd., L.G.D.J., 1988, n° 895, p. 1034, n° 905 et ss.
38 Demander la nullité intégrale d’un contrat est souvent un moyen d’échapper à ses obligations même en cas
d’inexécution fautive. Sur cette fonction préventive de la nullité partielle, v. O. Gout,
th. préc., n° 541 et ss., pp. 381 et ss. Pour une
conclusion identique en matière d’obligations postcontractuelles, v. C. Caseau-Roche,
th. préc., n° 416, pp. 337 et ss. : la nullité
intégrale est souvent un moyen d’échapper à l’exécution des obligations postcontractuelles.
39 Il est vrai que la nullité partielle n’est pas sans inconvénients. Elle encourage une certaine spéculation sur l’illicite,
difficilement tolérable. En ce sens, à propos de la substitution d’une clause d’indexation licite à une clause illicite, F.-X. Testu,
note sous Cass. com., 27 mars 1990, D., 1991, pp. 289 et ss., spéc. p. 292, n° 19. Contra, O. Gout, th. préc., n° 673, p. 457, pour qui
le risque est sérieux mais doit être relativisé face aux intérêts de ce qu’il nomme la réfaction. Elle demeure la sanction la plus juste
dont les effets pervers doivent être compensés, par exemple, par la mise œuvre d’une action en responsabilité plus souple à
l’encontre des demandeurs de mauvaise foi. Pour une proposition similaire, v. C. Caseau-Roche,
th. préc., n° 470, p. 377 ; O. Gout,
th. préc., n° 673 et ss., pp. 457 et ss.








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2°/ Recherche d’un critère de répartition
La question est la suivante : à quelle condition peut-on prononcer la nullité partielle d’un
contrat ? La jurisprudence demeure sur ce point hésitante et son cœur balance entre critère
subjectif et critère objectif
40 même si certains arrêts marquent une nette priorité accordée au
respect de l’ordre public. Ainsi en est-il d’un arrêt rendu par la troisième Chambre civile de la
Cour de cassation du 31 janvier 2001 à propos d’une clause de fourniture exclusive illicite
introduite dans un contrat de bail : la dite clause
« générale et absolue, portait atteinte au
droit au renouvellement en assurant au bailleur, en raison de la menace d’annulation du bail
tout entier, la pérennité d’une stipulation interdite par une disposition d’ordre public, la cour
d’appel a décidé, à bon droit, nonobstant le fait que les parties étaient convenues que cette
clause était essentielle, que son annulation ne devait pas entraîner celle du bail »
41.
A dire vrai la jurisprudence n’est que le reflet d’une doctrine oscillant elle aussi entre ces
deux critères
42. La doctrine française accorde une prévalence, soit au respect de la volonté des
parties, critère subjectif
43, soit au respect de la légalité et à l’efficacité de la sanction, critère
objectif
44.
Que ce soit en droit français ou en droit tunisien, le choix d’un critère à dominante subjective est
discutable. Cette construction est, tout d’abord, trop attachée au dogme de l’autonomie de la
volonté faisant de la convention l’égale de la loi et interdisant toute immixtion du juge. Ensuite, il
est difficile pour le juge de retrouver de façon rétrospective l’intention réelle des parties
45. Cette
volonté est donc souvent hypothétique. Enfin, certaines obligations se prêtent mal à une telle
interprétation. Il en va ainsi des obligations postcontractuelles qui sont
« par nature accessoires »
mais
« par destination essentielles »46.
40 Jurisprudence d’autant plus confuse que souvent elle se cache derrière la volonté des parties pour appliquer un critère
qui est en réalité de nature objective, sur cette question et pour un ensemble d’exemples, v. O. Gout,
th. préc., n° 553 et ss., pp. 389
et ss. ;
adde, Ph. Malaurie, th. préc., n° 387, pp. 247 et 248 ; J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Droit civil. Les obligations, 1/ L’acte
juridique,
11ème éd. par J.-L. Aubert et E. Savaux, Armand Colin, 2004, n° 360, pp. 275 et 276.
41 Cass. 3ème civ., 31 janvier 2001, J.C.P. (G), 2001, I, 354, n° 1-10, obs. Y.-M. Serinet.
42 Ce débat existe aussi en droit tunisien sur le fondement des dispositions de l’article 327 du Code des obligations et
des contrats.
43 Interprétation à laquelle invitaient les articles 900 et 1172 du Code civil, sur cette question, v. J. Ghestin, La
formation…,
2ème éd., op. cit., n° 882 et ss., pp. 1016 et ss. ; O. Gout, th. préc., n° 528 et ss., pp. 372 et ss. ; Ph. Malaurie, th. préc.,
380, p. 244 ; Ph. Simler, n° 37 et ss., pp. 42 et ss.
Adde, Ph. Simler, th. préc., n° 314, p. 383 : après avoir étudié les critères proposés
par la jurisprudence de cause impulsive et déterminante, de condition et d’indivisibilité subjective, l’auteur en conclut à un critère
unique qui est
« l’intention des parties ». Critère de principe écarté de manière exceptionnelle en cas d’impératifs d’ordre public. Sa
théorie est très attachée à l’autonomie de la volonté.
En ce sens également, Y. Picod, Rép. Dalloz, op. cit., n° 94. Comp. J. Flour, J.-
L. Aubert et E. Savaux,
L’acte juridique…, op. cit., n° 359 et 360, pp. 275 et 276 : ils posent le principe du critère intentionnel et, en
soulignant l’artifice du critère, le tempèrent par référence au critère tiré du respect de l’ordre public. L’étendue de la nullité
reposerait sur un critère subjectif pour la majorité des auteurs en droit de la concurrence, v. not. sur cette question E. Claudel,
Les
ententes anticoncurrentielles et le droit des contrats,
Thèse Paris X, microfiche, 1994, n° 583 et ss., pp. 476 et ss., spéc. n° 601, p. 489 :
l’auteur considère que l’autonomie de la volonté n’autorise pas à annuler partiellement un contrat contraire à l’ordre public
concurrentiel.
44 O. Gout, th. préc., n° 564, p. 394 : « C’est (…) seulement après avoir apprécié l’efficacité de la sanction que le juge devra s’interroger
sur la volonté des parties, la prise en compte de la première devant toujours primer sur la seconde ».
Dans le même sens, J. Ghestin, La
formation…,
2ème éd., L.G.D.J., 1988, n° 895, p. 1034 ; Fr. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 9ème éd., Dalloz,
Coll. Précis, 2005, n° 420, p. 415 : il existerait un rapport de hiérarchie entre le critère dominant téléologique (le but poursuivi par
le législateur) et le critère subjectif (les intentions des parties). Dans le même sens en droit de la concurrence, v. M. Chagny,
th.
préc., n° 731, pp. 661 et 662. En ce sens égal. au regard du droit de la concurrence, v. M. Chagny, th. préc., n° 412 et ss., pp. 372 et
ss. : après s’être livré à une analyse de la jurisprudence, l’auteur relève certaines décisions qui mettent au premier rang le critère
subjectif reposant sur l’intention des parties, mais considère que l’élément objectif visant à protéger l’ordre public et l’efficacité de
la sanction l’emporte dans la plupart des autres hypothèses.
45 En ce sens égal., v. O. Gout, th. préc., n° 537, pp. 377 et ss.
46 Formule empruntée à Mme C. Caseau-Roche, th. préc., n° 429, p. 344.






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Le critère devrait être objectif mais sa mise en œuvre doit s’opérer in concreto. L’objectif premier
des autorités compétentes est de réintégrer le contrat dans l’ordre juridique. L’efficacité de la
sanction doit toujours être privilégiée
47. Pour ce faire, seul un critère purement objectif doit être
pris en considération. Cependant, celui-ci doit être souple et adaptable en fonction des intérêts en
présence. Il doit rétablir la légalité dans la stricte mesure de l’illicite. A cet effet, l’appréciation doit
se faire
in concreto, ce qui suppose la prise en considération de tous les intérêts, dont ceux des
parties au contrat. Or, comment prendre en compte leurs intérêts si ce n’est par le biais de la
volonté qui les concrétise ? Il n’y a pas de critère intentionnel, mais une mise en œuvre
in concreto
du critère objectif. Bien entendu, dès lors qu’un intérêt est a priori considéré comme supérieur par
l’ordre public, c’est lui qui devra être présumé déterminer l’étendue de la nullité. A l’opposé,
parfois,
« le maintien ou la disparition du surplus de l’acte (est) indifférent au regard des dispositions impératives
violées »
48. Rien n’exclut, dans ce cas, rare il faut l’avouer, de revenir au strict respect de la volonté
des parties
49.
Finalement, la notion de nullité ne peut aujourd’hui être conçue que de manière pragmatique. Or,
ce changement de visage de la nullité rejaillit directement sur son régime, ce qu’il convient
d’étudier, en second lieu.
II – Réflexions critiques sur le régime des nullités, en second lieu
Tout le régime des nullités repose sur une distinction dogmatique entre nullité absolue, d’un côté,
et nullité relative, de l’autre, à laquelle on applique la théorie du droit de critique de E. Gaudemet
et R. Japiot. La nullité est conditionnée par le but de la règle violée. Elle est absolue lorsque la
règle violée poursuit un intérêt général ; elle est relative lorsque la règle violée protège un intérêt
particulier. Bien que critiquée en droit français
50, cette dichotomie est également celle retenue par
le droit tunisien, même si le terme de
« nullité de plein droit » figurant au sein de l’art. 325 du C.O.C.
est des plus ambiguë.
En droit français, cette distinction et le régime respectif applicable sont à l’origine d’un droit
incohérent, d’une part, (A) qui justifie une adaptation nécessaire du régime des nullités, d’autre
part.
A/ Un droit incohérent
Cet état plutôt pessimiste repose sur un triple constat : l’impressionnisme jurisprudentiel (1), la
fragilité des critères (2) et la méfiance inopportune à l’encontre du juge (3).
47 En ce sens, J. Ghestin, La formation…, 2ème éd., op. cit., n° 895 et ss., pp. 1033 et ss. : prenant en compte l’efficacité de la
sanction, M. J. Ghestin distingue les hypothèses selon qu’il est question d’un intérêt particulier ou de l’intérêt général.
48 Fr. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, op. cit., n° 420. Dans le même sens, v. O. Gout, th. préc., n° 569 et ss.,
pp. 395 et ss., spéc. n° 571, p. 397 : pour l’auteur, dès lors que l’efficacité de la règle violée ne dépend pas de l’étendue de sa
sanction, il est opportun de revenir sur la volonté des contractants.
49 Pour une application de ce raisonnement en droit des ententes, v. E. Claudel, th. préc., n° 601, pp. 489 et ss.
50 Pour une adaptation de la théorie du droit de critique, v. C. Dupeyron, La régularisation des actes nuls, thèse Toulouse
(1971), Préf. P. Hébraud, L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, Tome 127, 1973 : cet auteur propose de recentrer la question de la
nullité
« dans l’état de l’acte lui-même, dans le vice dont il est entaché, le droit de critique n’étant issu de cette situation que comme un corollaire ou une
réaction ».
M. C. Dupeyron considère que la théorie du droit de critique ne permet pas d’expliquer la régularisation des actes nuls
par la validation de l’acte ou la disparition de la cause de nullité. Mme M. Bandrac défend également, dans sa thèse, l’existence
d’un droit de critique, distinct du droit substantiel lui-même. Le droit substantiel est ce qui permet au juge de dire si l’action est
bien ou mal fondée. Ainsi, la substance du droit de critique résiderait-elle dans l’état de l’acte, ce qu’auraient négligé les
précurseurs de la théorie moderne, M. Bandrac,
La nature juridique de la prescription extinctive en matière civile, Economica, 1984, n° 152
et ss. Pour Mme C. Guelfucci-Thibierge, le vice n’est pas originairement dans l’acte, seule la cause de la nullité se trouve dans
l’acte. Cette cause repose, elle, sur les
« effets juridiques de l’acte qui sont au cœur de la théorie de la nullité car ce sont eux que la nullité supprime,
plus ou moins complètement, suivant l’étendue de leur illicéité », th. préc.,
n° 357, pp. 212 et 213.









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1°/ L’impressionnisme jurisprudentiel
Cet impressionnisme témoigne des limites de la théorie du droit de critique. Certains vices
entachant l’acte sont sanctionnés, tantôt par une nullité relative, tantôt par une nullité absolue,
sans qu’aucune explication n’émane des décisions ainsi rendues
51. Il en va ainsi de l’absence
de cause
52. Destinée à établir, maintenir ou rétablir un certain équilibre entre les prestations,
elle est censée protéger un intérêt particulier, celui d’une partie au contrat
53. La nullité devrait
ainsi être relative
54. Pourtant, hormis certains arrêts isolés55, la nullité retenue par la Cour de
cassation est, le plus souvent, une nullité absolue
56. La cause est un exemple parmi d’autres57.
A dire vrai, le problème réside en amont dans la fragilité des critères.
2°/ La fragilité des critères
Afin de déterminer s’il s’agit de nullité absolue ou de nullité relative, la jurisprudence, faisant
application de la théorie du droit de critique, propose généralement de se référer à la
dichotomie intérêt général/intérêt particulier. Or, le critère fondé sur la distinction entre intérêt
général/intérêt particulier n’est pas satisfaisant malgré son caractère didactique et
pédagogique indéniable
58. Tout d’abord, il n’y a qu’une différence de degrés entre l’intérêt
51 Pour une synthèse des ambiguïtés du droit positif, v. not. O. Gout, th. préc., n° 323 et ss., pp. 216 et ss.
52 Sanctionnée par une nullité absolue selon la doctrine traditionnelle, C. Demolombe, Cours de Code napoléon, Tome XXIV,
Traité des contrats et des obligations conventionnelles en général,
3ème éd., 1863-1867, n° 381, pp. 366 et ss. ; G. Ripert et Fr. Boulanger,
Traité de droit civil (d’après le traité de M. Planiol), Tome II, Les obligations, L.G.D.J., 1957, n° 300, p. 122.
53 Sur ce constat, v. G. Couturier, La confirmation des actes nuls, Préf. J. Flour, L.G.D.J., Bibliothèque de droit privé, Tome 121,
1971
, n° 223, p. 188 ; J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, L’acte juridique…, 11ème éd., Armand-Colin, 2004, n° 262, p. 192 : dans les
contrats synallagmatiques, la
« cause joue ici un rôle de protection individuelle » ; Fr. Terré et alii, Les obligations, 9ème éd., Dalloz, 2005,
n° 336, p. 348 :
« la cause est posée dans un souci de protection individuelle ». Comp. J. Carbonnier, Les obligations, op. cit., 21ème éd., n°
59, pp. 123 et n° 65, p. 133 : l’auteur voit dans l’existence de la cause des contrats synallagmatiques une question se rattachant à
l’équilibre du contrat et à son intérêt ;
adde, Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Defrénois, 2004, n° 622, p.
290 ; H., L., J. Mazeaud et Fr. Chabas,
Les obligations…, op. cit., n° 263, pp. 265 et 266 : « On assiste (…) de plus en plus à un phénomène
de « globalisation » de la cause, celle-ci n’étant plus comprise comme la contreprestation, mais l’ensemble de l’
économie du contrat voulue par les
parties ».

54 V. en ce sens, G. Couturier, th. préc., n° 221 et ss., pp. 186 et ss., spéc. n° 223, p. 188 ; Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph.
Stoffel-Munck, Les obligations, op. cit., n° 622, p. 290.
55 Cass. 1re civ., 9 novembre 1999, D., 2000, pp. 507-510, note A. Cristau : « attendu que la nullité du contrat d’assurance pour
absence d’aléa est une nullité relative qui ne peut être invoquée que par celui dont la loi qui a été méconnue tendait à assurer la protection ».
56 C’est le cas des ventes consenties sans prix sérieux, v. par ex. Cass. 1re civ., 10 février 1993, C.C.C., 1993, n° 128, note L.
Leveneur. Il en va de même dans les contrats de rente viagère. La Cour de cassation considère que le contrat est dépourvu de
cause lorsque les arrérages sont inférieurs aux revenus du bien aliéné, Cass. 3
ème civ., 13 novembre 1986, Bull. civ. III, n° 160. La
loi prévoit la nullité absolue du contrat si le crédirentier est décédé au jour du contrat ou dans les 20 jours de la conclusion du
contrat de rente viagère (art. 1974 et 1975 C. civ.). Au-delà des 20 jours, le contrat est nul pour absence de cause, à la condition de
prouver que le cocontractant avait connaissance de la gravité de l’état de santé du crédirentier, réduisant presque à néant l’aléa du
contrat, v. par ex. en ce sens, Cass. 1
re civ., 16 avril 1996, Bull. civ. I, n° 184 ; adde, Cass. 3ème civ., 2 février 2000, J.C.P. (N), 2000,
pp. 1636-1638, note J.-F. Weber.
57 La violation, par exemple, d’une règle d’ordre public de protection, destinée à protéger une partie faible au contrat justifie
normalement une nullité relative. En ce sens, G. Couturier,
th. préc., n° 282 et ss., pp. 247 et ss. ; G. Farjat, th. préc., n° 393 et ss.,
pp. 321 et ss.. Elle est pourtant parfois sanctionnée par une nullité absolue Pour un ensemble d’exemples, v. J. Hauser et J.-J.
Lemouland,
Ordre public et bonnes mœurs, Rép. civ. Dalloz, spéc., n° 142 et ss. V. par exemple à propos d’une sanction voisine, la
déchéance du droit aux intérêts, C.A. Versailles, 29 janvier 1999,
D. aff., 1999, p. 790, obs. C. Rondey : application d’une
prescription de 30 ans à une action des emprunteurs en déchéance du droit aux intérêts en application de l’art. L. 312-33 al. 4 C.
cons. alors qu’elle se rapporte en principe à des dispositions appartenant à l’ordre public de protection.
58 Cette distinction est à ce titre souvent utilisée par la doctrine contemporaine, v. par ex. A. Bénabent, Les obligations, 10ème
éd., 2005, Montchrestien
, n° 206 et ss., pp. 153 et ss. ; J. Carbonnier, Les obligations…, 21ème éd., op. cit., n° 105, p. 196 : « (…) la
nullité absolue a pour fondement l’intérêt public, la nullité relative un intérêt privé » ; J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, L’acte juridique…, op.
cit.,
n° 328, p. 244 : la nullité absolue est « protectrice de l’intérêt général », la nullité relative est « protectrice d’intérêts privés ». Malgré les
critiques, cette distinction est
« une ligne directrice qui mérite d’être retenue » ; Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations,
op. cit.,
n° 702, p. 316 : « la nullité relative a pour raison d’être de protéger un intérêt individuel », la nullité absolue a pour but la protection d’un
intérêt général »
(n° 703, p. 317) ; H., L., J. Mazeaud et Fr. Chabas, Les obligations…, op. cit., n° 293, p. 297 : la nullité absolue protège
l’intérêt commun et n° 299, p. 301 : la nullité relative est d’intérêt privé alors que la nullité absolue est d’ordre public ; Fr. Terré,







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public et l’intérêt privé59. Cette différence est d’autant plus mince depuis que les intérêts
privés s’affirment comme des vecteurs de droits fondamentaux, pouvant faire d’un individu à
un procès le défenseur d’un intérêt touchant à l’Humanité donc à l’intérêt le plus général.
Ensuite, toute règle légale est, par nature, si ce n’est par essence, d’intérêt général
60. En tout
état de cause, la protection des intérêts privés est toujours inspirée par une certaine conception
du Bien commun
61. Enfin, à la base de tout litige, il y a toujours un intérêt individuel, quelle
que soit la règle violée
62. Une distinction tranchée entre intérêt général et intérêts particuliers
ne serait qu’
« une illusion »63.
Autre faiblesse du régime des nullités, enfin, les pouvoirs du juge.
3°/ La méfiance inopportune à l’égard du juge
Les pouvoirs du juge sont limités de manière illégitime en raison de la distinction entre nullité
relative et nullité absolue. Aussi bien la notion que le régime de la nullité présupposent un rôle
actif et central du juge
64. Si le principe du rôle actif du juge en matière de nullité n’est pas en lui-
même contesté
65, il en va autrement lorsqu’il s’agit d’en déterminer l’étendue. Controverse que
connaît également le droit tunisien où la doctrine reste encore partagée sur les pouvoirs du juge
face à la violation d’une règle d’ordre public.
En droit français66, si, au départ, la Cour de cassation considérait qu’un cas de nullité même
relative pouvait être relevé d’office par le juge
67, elle a par la suite changé de position. Par un arrêt
Ph. Simler et Y. Lequette, Les obligations, op. cit., n° 393, pp. 398 et 399 : nullité relative et intérêt privé, face à nullité absolue et
intérêt général.
59 Conclusion à laquelle aboutissent certains auteurs lorsqu’ils étudient la notion d’ordre public, en ce sens, R. Japiot, th. préc.,
p. 302.
60 En ce sens, v. J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, L’acte juridique…, op. cit., n° 328, p. 244 : « (…) il n’existe pas de frontière
tranchée entre l’intérêt général et les intérêts privés : toute disposition légale présente toujours, peu ou prou, un certain caractère d’intérêt général ; sinon,
elle n’aurait pas été édictée ».
61 En ce sens, J. Chevallier, Rapport général, in Inexistence, nullité et annulabilité des actes juridiques, in Travaux de l’Association H.
Capitant, Journées de Turin 4-7 juin 1962, Tome XIV, Dalloz, 1965, pp. 513-520, spéc. p. 517.
62 En ce sens, G. Durry, Rapport en droit civil français, in Inexistence, nullité et annulabilité des actes juridiques, in Travaux de
l’Association H. Capitant, op. cit., pp. 611-630, spéc. p. 621.
63 J. Chevallier, Rapport général, op. cit., spéc. p. 515.
64 Quant au ministère public, v. les flux et reflux de la jurisprudence, G. Farjat, n° 434 et ss., pp. 347 et ss. ; J. Ghestin, 2ème
éd.,
op. cit., n° 771 et ss., pp. 917 et ss. ; O. Gout, th. préc., n° 372 et ss., pp. 250 et ss. Aux termes de l’art. 423 N.C.P.C. le ministère
public
« peut agir pour la défense de l’ordre public à l’occasion de faits qui portent atteinte à celui-ci ». En droit des contrats, cela se réduit à
l’ordre public au sens strict, autrement dit l’illicéité de l’objet ou de la cause. L’ordre public croissant aurait pu entraîner
corrélativement un rôle plus important du ministère public. Pourtant son rôle reste résiduel, v. en ce sens la conclusion de M. O.
Gout,
ibid, n° 374, pp. 251 et 252. Les raisons sont variables : il s’agirait de la tradition méfiante à l’égard de l’immixtion d’une
autorité publique dans la sphère contractuelle, en ce sens, v. G. Farjat,
th. préc., n° 430 et ss., pp. 346 et ss., spéc. n° 430, p. 347. Le
manque de moyens a pu également être invoqué, en ce sens, P. Durand,
Le rôle des agents de l’autorité publique dans la formation du
contrat, R.T.D. civ.,
1948, pp. 155 et ss., spéc. n° 24, p. 175. Pour G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil d’après le traité de M.
Planiol, Tome II, Obligations (contrat-responsabilité), Droit réels (Biens-propriété),
L.G.D.J., Paris, 1957, n° 713, le ministère public
n’intervenait que dans des matières indisponibles, c’est-à-dire en matière extrapatrimoniale. Cela est moins vrai face au
phénomène de contractualisation des droits de la personnalité, C. Filippone,
La contractualisation des droits de la personnalité, Thèse
Paris I, Dactyl., 2002
, passim. Souvent, enfin, son intervention est perçue comme un « coup d’épée dans l’eau », car si les parties sont
d’accord pour continuer leur relation juridique, il ne peut rien y faire, en ce sens, G. Couturier,
th. préc., n° 305, pp. 270 et ss. ; G.
Farjat,
th. préc., n° 436, pp. 351 et 352 ; R. Japiot, th. préc., p. 596.
65 En droit des sociétés notamment le juge dispose de pouvoirs importants pour éviter une nullité. Il peut accorder un délai
pour régulariser (art. 1844-13 C. civ. et art. L. 235-4 C. com., anc. art. 363 L. 24 juillet 1966). Il peut aussi écarter la nullité pour
non respect de certaines formalités, si la fraude n’est pas établie (art. L. 235-2 C. com., anc. art. 361 L. 24 juillet 1966). Cette
dernière hypothèse est expressément prévue par la loi, mais le juge va plus loin et dans de nombreuses hypothèses peut refuser de
prononcer la nullité : ex. art. L. 225-104 C. com., anc. art. 159 L. 24 juillet 1966 ; art. L. 225-121 al. 2 C. com., anc. art. 173 al. 2 L.
24 juillet 1966. A ce propos la doctrine a pu relever que
« dans ces cas le juge n’est pas obligé de prononcer la nullité de l’acte, même en l’absence
de toute régularisation. Il peut ne pas retenir cette sanction s’il l’estime inopportune ou encore non préjudiciable au demandeur ou à la société »,
J. Mestre
et G. Flores,
Lamy Droit des sociétés, 1987, n° 2224.
66 En ce sens, not. R. Japiot, th. préc., p. 337.






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de la Chambre commerciale du 3 mai 199568, la Cour de cassation a décidé que le juge ne peut
relever d’office que les cas de nullité sanctionnant une violation de l’ordre public de direction
protégeant l’intérêt général
69.
Cette jurisprudence est critiquable.
Tout d’abord, cette distinction entre ordre public de direction et ordre public de protection est
fictive. Le découpage n’est pas fiable et de nombreuses règles impératives sont souvent à la fois
de protection et de direction
70. Ensuite, refuser au juge le pouvoir de relever d’office un cas de
nullité relative qui se rattacherait à l’ordre public de protection, en soulignant que seule la
personne protégée par la loi peut l’invoquer, est erroné. Le juge n’invoque pas la nullité, mais la
relève
71. Le juge prononce la nullité sans droit de critique. Par conséquent il échappe, par nature,
à la question de la qualité pour agir
72.
Prôner une liberté totale du juge dans la mise en œuvre des cas de nullité serait, cependant,
tomber dans l’excès inverse qui consisterait à croire que l’intérêt général à rétablir la légalité d’un
acte s’impose
a priori et de manière absolue aux parties au contrat. C’est par une combinaison des
règles substantielles et des règles processuelles qu’un équilibre pourra être trouvé, notamment par
le respect de l’objet du litige et du principe du contradictoire. Ces liens entre droit substantiel et
droit processuel ont récemment été approfondis par de nombreux auteurs français
73.
Le bilan est donc pessimiste. Il faut donc prôner une adaptation de cette distinction, d’autre part.
67 En faveur du pouvoir de relever d’office un cas de nullité relative, v. par ex. Cass. 1re civ., 22 mai 1985, Bull. civ. I, n° 159 ;
R.T.D. civ., 1986, pp. 149 et ss., obs. Ph. Rémy ; Cass. 3ème civ., 20 novembre 1985, Bull. civ. III, n° 153. V. égal. en matière de
clauses abusives, C.J.C.E., 27 juin 2000,
R.T.D. civ., 2001, n° 6, pp. 878-880., obs. J. Mestre et B. Fages : les juges nationaux
peuvent relever d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle.
68 Cass. com., 3 mai 1995, Bull. civ. IV, n° 128 ; D., 1997, pp. 124 et ss., note crit. Fr. Eudier.
69 Conf. Cass. 1re civ., 15 février 2000, J.C.P. (G), 2001, II, 10477, note crit. O. Gout ; C.C.C., 2000, n° 116, note G.
Raymond. Dans le même sens en matière de déchéance du droit aux intérêts, v. Cass. 1
re civ., 10 juillet 2002, D., 2003, pp. 549-
552, note crit. O. Gout : de nouveau, en l’espèce, la Cour de cassation reproche aux juges du fond d’avoir relevé d’office la
déchéance de tout droit à intérêts prévue par l’article L. 311-9 C. cons. (offre préalable comprenant des informations destinées à
éclairer le consommateur en matière de crédit accordé à titre habituel à une personne physique ou morale) alors que
« la
méconnaissance des exigences des textes susvisés, même d’ordre public, ne peut être opposée qu’à la demande de celui que ces dispositions ont pour objet de
protéger ».
Il était encore question dans les faits d’un consommateur qui n’avait pas comparu, ce qui peut expliquer la sévérité de la
décision rendue.
70 C. Guelfucci-Thibierge, th. préc., n° 376, p. 224 : la finalité de protection des plus faibles est d’intérêt général. La Cour de
cassation a d’ailleurs en matière de baux d’habitation censuré les juges du fond qui n’y voyaient que des dispositions protectrices
du seul preneur, Cass. 3
ème civ., 2 juin 1999 et 16 février 2000, D., 2000, pp. 733-736, note S. Beaugendre : le 2 juin 1999, la
troisième Chambre civile de la Cour de cassation censure la décision des juges du fond dans laquelle ils avaient retenu que les
statuts locatifs prévus par les lois du 1
er septembre 1948, du 23 décembre 1986 et du 6 juillet 1989 ne protégeaient que les seuls
preneurs. Pour la Cour de cassation,
« les dispositions de l’article 25 de la loi du 23 décembre 1986, d’ordre public, ne sont pas destinées à assurer
la seule protection du preneur ».
Deux interprétations possibles : soit cela signifie qu’elle protège aussi le bailleur, en ce sens, S.
Beaugendre,
préc., n° 10, p. 735 ; soit les dispositions reposent à la fois sur un ordre public de protection et un ordre public de
direction, en ce sens, F. Collart-Dutilleul obs. sous Cass. 3
ème civ., 2 juin 1999, R.D. immob., 1999, p. 466 : si la Cour avait voulu
soutenir que le bailleur était aussi protégé elle aurait dit au lieu de
« la seule protection du preneur », « la protection du seul preneur ». A dire
vrai, la loi du 6 juillet 1989 protège à la fois preneur et bailleur (art. 1
er : équilibre des droits et obligations des parties au contrat de
bail) tout en réalisant une certaine politique du logement. A propos des baux ruraux, G. Farjat,
th. préc., n° 396 et ss., pp. 323 et
ss. : l’auteur observe l’existence fréquente de dispositions à finalités multiples.
71 Le droit de critique n’est qu’un moyen, sur cette idée, v. C. Guelfucci-Thibierge, th. préc., n° 359 et ss., pp. 213 et ss. En ce
sens égal., v. J. Ghestin,
L’annulation d’office d’un contrat, in Le juge entre deux millénaires, Mélanges P. Drai, Dalloz, 2000, pp. 593-607,
spéc. p. 603 ; Fr. Eudier, L’ordre public substantiel et l’office du juge, Thèse Rouen, 1994, spéc. n° 169, p. 260 : le droit de critique
concerne les parties qui invoquent la nullité. Le juge n’invoque pas la nullité, il
« la relève et la prononce ».
72 En ce sens, il n’y aurait pas atteinte au principe de neutralité du juge, dans le même sens, v. X. Lagarde, Office du juge et ordre
public de protection, J.C.P. (G), 2001, I, 312, spéc. n° 6.
73 G. Couturier, th. préc., n° 304, pp. 259 et ss. ; G. Farjat, th. préc., n° 438 et ss., pp. 352 et ss. Fr. Eudier, th. préc., spéc. n° 166
et ss., pp. 255 et ss. ; J. Ghestin,
L’annulation d’office…, op. cit., pp. 593-607 ; O. Gout, th. préc. : toute la thèse de l’auteur s’articule
autour d’une combinaison entre règles procédurales et règles substantielles, spéc. n° 394 et ss., pp. 264 et ss. ; C. Guelfucci-
Thibierge,
th. préc., n° 360, pp. 214 et 215







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B/ Une adaptation nécessaire
Cette adaptation passe notamment par la combinaison d’un critère quantitatif et qualitatif (1), par
une mise en œuvre réaliste de la distinction toujours guidée par l’efficacité de la sanction (2) et par
la reconnaissance d’une action imprescriptible pouvant prendre la forme de l’inexistence (3).
1°/ La combinaison d’un critère quantitatif et qualitatif
Il ne paraît pas opportun de rejeter de façon catégorique la distinction didactique entre nullité
relative et nullité absolue en arguant de la diversité et de la multiplicité des intérêts empêchant
toute construction cohérente
74. On ne peut, sur une question aussi essentielle que les nullités, se
passer d’une certaine systématisation.
En revanche, le régime des nullités réparti entre nullité relative et nullité absolue ne peut reposer
sur un critère purement quantitatif tiré de la distinction entre intérêt particulier et intérêt général
75.
A titre de point de départ, plutôt que d’évoquer l’existence d’intérêts publics ou privés, il convient
d’opter pour un terme, plus neutre et plus explicite, d’
intérêt supérieur.
Quels sont ces intérêts a priori supérieurs ? Il s’agit des intérêts véhiculant des valeurs jugées
essentielles protégées par l’ordre public. Outre l’ordre politique et moral indispensable pour
maintenir un minimum d’ordre social
76, il est surtout question aujourd’hui de la dignité de la
personne humaine. Plus qu’une affaire d’intensité de l’intérêt bafoué par la violation de la règle,
c’est l’efficacité de la sanction et de la règle violée qui doit toujours guider le choix du type de
nullité. Au regard de la dignité de la personne humaine, c’est souvent la nullité absolue qui
s’impose avec force. Tout citoyen est directement ou indirectement intéressé par une telle
question.
Quant à la nullité relative, elle doit s’imposer dans tous les autres cas, c’est-à-dire dans les
hypothèses où l’intérêt propre à toute vie en société ou ce qui fait l’humanité de l’homme n’est
pas en question. Cela revient fréquemment à ne sanctionner par une telle sanction que les seules
atteintes à un intérêt de nature patrimoniale
77.
Finalement, le régime découlant de la nullité absolue et de la nullité relative doit continuer à
être appliqué de façon rigoureuse, mais pas de manière rigoriste.
2°/ Une mise en œuvre réaliste de la distinction et la recherche de l’efficacité de la
sanction
Le réalisme du régime impose d’admettre que certains cas de nullité absolue puissent être l’objet
d’une confirmation. Le caractère temporaire de l’illicéité peut parfois justifier une telle
confirmation
78. C’est concevoir, ensuite, que certaines nullités absolues ne puissent pas être
74 En faveur d’une déstructuration du régime des nullités, v. G. Durry, Rapport français…, op. cit., spéc. pp. 626 et 629 ; adde, J.
Chevallier,
Rapport général…, op. cit., spéc. pp. 516 et 517 ; déjà, F. Drogoul, th. préc., pp. 223 et ss. Comp. C. Guelfucci-Thibierge,
th. préc., n° 376 et ss., pp. 224 et ss. : il existerait entre la nullité relative et la nullité absolue une simple différence de nature. Il ne
faut pas confondre le but de la nullité qui est de rétablir la légalité dans l’intérêt général commun aux deux nullités et l’intérêt du
demandeur.
75 En ce sens, D. Fenouillet, Les bonnes mœurs sont mortes ! Vive l’ordre public philanthropique, in Le droit privé français à la fin du
XXème siècle, Etudes P. Catala, Litec, 2001, pp. 487-528, n° 39, pp. 521 et ss.
76 V. par ex. J. Carbonnier, Les obligations…, 21ème éd., op. cit., n° 70, p. 139 : l’ordre public politique « veille à ce que, par le jeu
contractuel, ne soient pas ébranlées les colonnes de la cité (…) ».
77 En ce sens, D. Fenouillet, Les bonnes mœurs…, op. cit., n° 39, p. 521.
78 V. sur cette question, J. Ghestin, La formation…, 2ème éd., op. cit., n° 843 et ss., pp. 986 et ss. Le caractère temporaire de
l’illicéité peut justifier la confirmation bien qu’il s’agisse d’un cas de nullité absolue. L’indisponibilité du droit de critique serait
limitée dans le temps, en ce sens, v. G. Couturier,
th. préc., n° 319 et ss., pp. 283 et ss. Contra, J. Ghestin, Ibid, n° 845, pp. 987 et ss.
Dans le même sens, v. J. Flour et
alii, L’acte juridique…, op. cit., n° 348, p. 264. En principe le propre de la nullité absolue est
d’exclure toute possibilité de confirmation et partant de renonciation. Ainsi la violation d’une règle d’ordre public de direction









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invoquées par certaines personnes qui y ont pourtant intérêt79. Ainsi, celui contre qui la règle a été
posée, ne peut-il se prévaloir de sa violation
80.
3°/ La consécration de la sanction de l’inexistence
L’intérêt principal de l’inexistence est son imprescriptibilité. L’absence d’un délai d’action est
indispensable lorsque la valeur atteinte par le contrat est si grave qu’elle suppose de se placer hors
du temps et de le sanctionner quelle que soit la date de mise en œuvre de l’action
81.
L’équation provisoire serait donc la suivante : la nullité serait une sanction remettant en cause la
validité du contrat. Validité formelle, axiologique et empirique, supposant la prise en
considération des effets de l’acte contrôlé. Cette nullité serait relative ou absolue en fonction de
l’intérêt jugé supérieur, nullité pourvue d’un régime souple susceptible de s’adapter aux
circonstances et à la complexité croissante du droit positif.
Comme le disait Henri Matisse : « on ne peut empêcher la vieillesse mais on peut éviter d’être vieux ». Dans
le même esprit, concernant la nullité, il n’y a pas de solution miracle, mais avec ces quelques
adaptations, la nullité aura certes vieilli mais ne sera pas considérée comme une vieille institution.
Février 2006
Mustapha Mekki
Professeur à l’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand I)
Directeur du Centre de droit des affaires

devrait donner lieu à une nullité absolue et toute renonciation doit être considérée comme irrecevable. Sur les conditions de la
renonciation lorsqu’il est question d’un ordre public de protection, v. G. Couturier,
th. préc., n° 287 et ss., pp. 251 et ss. : après
avoir souligné les inconvénients du critère des droits acquis, M. G. Couturier propose le critère de la protection renforcée justifiée
par l’existence d’une dépendance et d’une infériorité économique. En faveur d’une telle renonciation à des dispositions d’ordre
public de protection, v. égal., G. Farjat,
th. préc., n° 617, p. 502. Pour l’auteur, l’ordre public inférieur est susceptible de
renonciation,
ibid, n° 531, p. 424. La confirmation ou la renonciation est refusée lorsqu’un intérêt supérieur est en jeu, en ce sens,
G. Farjat,
th. préc., n° 527, p. 420. Cela est donc exclu si l’ordre public politique est en question, en ce sens, G. Farjat, ibid, n° 617,
p. 502. Elle est également exclue pour la violation d’une règle d’ordre public de protection collective selon M. G. Farjat,
th. préc.,
n° 404 et ss., pp. 327 et ss. Contra, G. Couturier, th. préc., n° 288, p. 252.
79 Sur cette question, v. O. Gout, th. préc., n° 360 et ss., pp. 243 et ss. La « nature des choses » veut que la règle ainsi posée et
violée ne se retourne pas contre celui qu’elle était censée protéger ou au profit de celui qu’elle était censée sanctionner, en ce sens,
G. Farjat, th. préc., n° 413, p. 334. C’est « un principe de raison », R. Japiot, th. préc., p. 621. C’est une question de « bon sens », P. Voirin,
note sous Nancy, 11 février 1931,
D.P., 1932, 2, p. 17.
80 La doctrine est quasi-unanime sur ce point, G. Farjat, th. préc., n° 413, p. 334 et n° 444 et ss., pp. 356 et ss. : c’est moins
une
« dénonciation à tout prix qu’une dénonciation à bon escient » qui importe ; O. Gout, th. préc., n° 360, p. 244 ; R. Japiot, th. préc., p. 621 ;
P. Kayser,
Les nullités d’ordre public, R.T.D. civ., 1933, pp. 1115-1140, spéc. n° 11, p. 1132.
81 Dans le même sens, v. D. Fenouillet, Les bonnes mœurs…, op. cit., n° 40, pp. 524 et 525.













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