Traité de
Droit civil
Sous la direction de
Jacques Ghestin
Introduction
générale
Tome II
Droit de la preuve
Abus de droit, fraude
et apparence
Jacques Ghestin
Professeur émérite de l’Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne
Hugo Barbier
Professeur à l’Université d’Aix-Marseille
5e édition
TRAITÉ DE DROIT CIVIL
sous la direction de J. GHESTIN
Introduction générale :
par J. GHESTIN et G. GOUBEAUX, avec le concours de M. FABRE-MAGNAN, 4e éd., 1994.
par J. GHESTIN et H. BARBIER, avec le concours de J.-S. BERGÉ, Tome I : Droit objectif et droits subjectifs – Sources du
droit, 5e éd., 2018.
par J. GHESTIN et H. BARBIER, Tome II : Droit de la preuve – Abus de droit, fraude et apparence, 5e éd., 2020.
Les obligations :
La formation du contrat, par J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, 4e éd., 2013.
Tome 1 : Le contrat – Le consentement.
Tome 2 : L’objet et la cause – Les nullités.
Les effets du contrat, par J. GHESTIN, Ch. JAMIN et M. BILLIAU, 3e éd., 2001.
Introduction à la responsabilité, par G. VINEY, 4e éd., 2019.
Les conditions de la responsabilité, par G. VINEY, P. JOURDAIN et S. CARVAL, 4e éd., 2013.
Les effets de la responsabilité, par G. VINEY, P. JOURDAIN et S. CARVAL, 4e éd., 2017.
Le régime des créances et des dettes, par J. GHESTIN, M. BILLIAU et G. LOISEAU, 2005.
Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, G. VINEY, P. JOURDAIN et S. CARVAL, 4e éd., 2017.
Les personnes :
par G. GOUBEAUX, 1989.
La famille :
1er volume : Fondation et vie de la famille, par J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, 2e éd., 1993.
2e volume : Dissolution de la famille, par J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, 1991.
Les biens :
par J.-L. BERGEL, S. CIMAMONTI, J.-M. ROUX et L. TRANCHANT, 3e éd., 2019.
Les principaux contrats spéciaux :
par J. HUET, G. DECOCQ, C. GRIMALDI et H. LÉCUYER, avec la collaboration de J. MOREL-MAROGER, 3e éd., 2012.
La publicité foncière :
par S. PIEDELIÈVRE, 2000.
Les sûretés personnelles :
par A.S. BARTHEZ et D. HOUTCIEFF, 2010.
Les sûretés réelles :
Droit spécial des sûretés réelles, par J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, 1996.
Droit commun des sûretés réelles, par J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, 1996.
Les contrats de consommation. Règles communes :
par N. SAUPHANOR-BROUILLAUD, C. AUBERT DE VINCELLES, G. BRUNAUX, L. USUNIER, 2e éd., 2018.
TRAITÉ DES CONTRATS
sous la direction de J. GHESTIN
La vente :
par J. GHESTIN et B. DESCHÉ, 1990.
Les contrats de la distribution :
par M. BEHAR-TOUCHAIS et G. VIRASSAMY, 1999.
Les contrats de travail :
par F. GAUDU et R. VATINET, 2001.
Les sociétés :
par Y. GUYON, 5e éd., 2002.
La vente internationale de marchandises :
par V. HEUZÉ, 2000.
Contrats et vivant :
par F. BELLIVIER et C. NOIVILLE, 2006.
Le contrat d’entreprise :
par F. LABARTHE et C. NOBLOT, 2008.
© 2020, LGDJ, Lextenso
1, Parvis de La Défense
92044 Paris La Défense Cedex
www.lgdj-editions.fr
ISBN 978-2-275-06460-4
SOMMAIRE
Liste des abréviations ........................................................................................................
7
9
11
Introduction ............................................................................................................................
Première partie
Droit de la preuve
Titre I. — Droit de la preuve en général......................................................................
Chapitre 1. — Nature, sources et finalités du droit de la preuve .............
17
Chapitre 2. — Fardeau de la preuve .....................................................................
53
Chapitre 3. — Administration de la preuve....................................................... 129
Titre II. — Droit des preuves ............................................................................................ 247
Chapitre 1. — L’écrit................................................................................................... 249
Chapitre 2. — Les témoignages et présomptions de fait ............................. 301
Chapitre 3. — L’aveu et le serment ...................................................................... 331
Titre III. — Droit de la preuve appliqué ...................................................................... 347
15
Chapitre 1. — La preuve dans le contrat et le régime général
de l’obligation ............................................................................................................ 349
Chapitre 2. — La preuve dans la responsabilité civile ................................. 431
Deuxième partie
Respect des finalités du système juridique :
abus de droit, fraude et apparence
459
Titre I. — L’abus de droit................................................................................................... 461
Chapitre 1. — Domaine de l’abus de droit ........................................................ 465
Chapitre 2. — Critères de l’abus de droit .......................................................... 489
Chapitre 3. — Les sanctions de l’abus de droit ............................................... 537
Titre II. — La fraude ............................................................................................................ 541
Chapitre 1. — Analyse de la fraude ..................................................................... 545
Chapitre 2. — Sanction de la fraude .................................................................... 563
Chapitre 3. — Place de la théorie de la fraude parmi d’autres moyens
de contrôle des agissements blâmables ........................................................... 575
Titre III. — L’apparence ..................................................................................................... 585
Chapitre 1. — Notion d’apparence........................................................................ 587
Chapitre 2. — Mise en œuvre de la théorie de l’apparence ....................... 603
Index ........................................................................................................................................... 625
LISTE DES ABRÉVIATIONS
AJDA
APD
BJB
BJS
Bull. civ.
C. civ.
C. com.
C. consom.
Cass. 1re civ.
Cass. 2e civ.
Cass. 3e civ.
Cass. com.
Cass. crim.
Cass. soc.
CE
CEDH
CJCE
CJUE
Cons. const.
D.
DH
Gaz. Pal.
JCP
JCP G
JCP S
JDI
JO
LPA
RCADI
RDC
RDI
RDSS
Rec. Cons. const.
Rép. civ. Dalloz
Rev. dr. local
Rev. dr. trav.
Rev. jur. env.
Rev. législ.
Actualité juridique droit administratif
Archives de philosophie du droit
Bulletin Joly Bourse
Bulletin Joly Sociétés
Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, chambre civile
Code civil
Code de commerce
Code de la consommation
Cour de cassation, première chambre civile
Cour de cassation, deuxième chambre civile
Cour de cassation, troisième chambre civile
Cour de cassation, chambre commerciale
Cour de cassation, chambre criminelle
Cour de cassation, chambre sociale
Conseil d’État
Cour européenne des droits de l’homme
Cour de justice des Communautés européennes
Cour de justice de l’Union européenne
Conseil constitutionnel
Recueil Dalloz
Dalloz hebdomadaire
Gazette du Palais
La Semaine juridique
La Semaine juridique, édition générale
La Semaine juridique, édition Sociale
Journal de droit international
Journal officiel
Les Petites Affiches
Recueil des cours de l’Académie de droit international
de La Haye
Revue de droit des contrats
Revue de droit immobilier
Revue de droit sanitaire et social
Recueil des décisions du Conseil constitutionnel
Répertoire civil Dalloz
Revue de droit local
Revue de droit du travail
Revue juridique de l’environnement
Revue législative
8
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Rev. loyers
RFDA
RGCT
RGDIP
RIDC
RRJ
RTD civ.
RTD com.
RTD eur.
S.
SSL
Revue des loyers
Revue française de droit administratif
Revue générale des collectivités territoriales
Revue générale de droit international public
Revue internationale de droit comparé
Revue de la recherche juridique
Revue trimestrielle de droit civil
Revue trimestrielle de droit commercial
Revue trimestrielle de droit européen
Sirey
Semaine sociale Lamy
INTRODUCTION
1. Le second tome de cette Introduction générale est tourné vers l’étude de la
réalisation des droits, c’est-à-dire celle des différents mécanismes juridiques des-
tinés tout autant à permettre aux justiciables de faire advenir de façon concrète
leurs droits subjectifs (et plus largement la règle de droit dont ils entendent béné-
ficier), qu’à encadrer l’utilisation des droits subjectifs (et du droit objectif) par les
justiciables afin qu’elle ne dégénère pas en une instrumentalisation.
Quant aux règles de droit tournées vers la concrétisation des droits subjectifs
et plus globalement de la règle de droit, ce sont celles relatives à la preuve
(partie 1) qui doivent concentrer l’attention (1), dans la mesure où chacun sait
qu’elles sont la pierre angulaire de l’effectivité du droit objectif et des droits
subjectifs.
En ce qui concerne les règles destinées à encadrer cette utilisation du droit
objectif et des droits subjectifs par les sujets de droit, elles sont vouées au respect
des finalités du système juridique (partie 2), en ce sens qu’elles visent à corriger
les écueils, de diverses sortes, auxquels pourrait conduire une application méca-
nique du droit objectif et des droits subjectifs. Les trois principaux mécanismes
remplissant cette fonction sont l’abus de droit, la fraude, et l’apparence.
1. Les règles de droit qui organisent le procès civil, lieu essentiel de réalisation du droit objectif et des droits
subjectifs, font l’objet du droit de la procédure civile, étudié dans des ouvrages spéciaux.
PREMIÈRE PARTIE
DROIT DE LA PREUVE
2. Cette cinquième édition de l’Introduction générale aborde, en ce second
tome, le droit de la preuve (1) au moyen d’un plan d’étude remanié. Celui-ci
reprend le plan initial de la première édition en ses deux premiers titres, tournés
vers l’énoncé des principes du droit de la preuve en général et du droit des preu-
ves. S’y ajoute désormais un troisième, traitant du droit de la preuve appliqué,
c’est-à-dire consacré à la mise en œuvre de ces principes, principalement dans
le droit des contrats, le régime des obligations et la responsabilité civile.
3. Droit de la preuve en général et droit des preuves. Ainsi, la preuve doit
être, avant toute chose, étudiée comme un tout, c’est-à-dire en tant qu’objet juri-
dique régi par un ensemble de règles liées par une nature, des sources et finalités
communes, visant à attribuer le fardeau de la preuve ainsi qu’à administrer la
preuve durant le procès. C’est ce que l’on peut nommer le droit de la preuve en
général (titre 1). Ensuite, chaque mode de preuve doit être envisagé en lui-même,
ce qu’on peut appeler le droit des preuves (titre 2). MM. Ghestin et Goubeaux
avaient déjà ainsi structuré leurs développements sur la preuve dans la première
édition de cet ouvrage datant de 1977 en indiquant que « nous envisagerons
d’abord le mécanisme dans son ensemble. C’est ce qu’on peut appeler le droit
de la preuve en général. Nous étudierons ensuite les règles particulières à chacun
des procédés de conviction proposés au juge, qui constituent le droit spécial des
preuves ». Dans leur ouvrage paru en 2015, M. Vergès, Mme Vial et M. Leclerc,
ont parfaitement justifié tout l’intérêt d’adopter une telle approche pour bâtir un
1. Outre les ouvrages généraux, V. BENTHAM, Traité des preuves judiciaires, extrait des manuscrits de Ben-
tham, par DUMONT, 2 vol., 1823 – BONNIER, Traité des preuves en droit civil et en droit criminel, 5e éd. par LAR-
NAUDE, 1888 – LESSONA, Traité des preuves, 3e éd., 1922 – DECUGIS, L’évolution des preuves en droit comparé,
Bull. soc. législ. comp., 1939, 77 et s. – LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil, permanences et transfor-
mations, thèse Poitiers, 1954, LGDJ, 1955, préf. R. SAVATIER – HAMEL, HOUIN, R. SAVATIER, Études sur les pro-
grès de la science et le droit de la preuve, Trav. Assoc. H. Capitant, t. 7, 1956, p. 515, 556, 607 – CHEVALLIER,
Cours de doctorat Paris 1958-1959 – SICARD, La preuve en justice après la réforme judiciaire, 1960 – La
preuve, Rec. soc. Jean Bodin, t. 19, 1963 – H. LÉVY-BRUHL, La preuve judiciaire, étude de sociologie juridique,
1964 – CHAMOUX, La preuve dans les affaires, de l’écrit au microfilm, 1979 – DAIGRE, La production forcée des
preuves dans le procès civil, 1979, préf. LOMBOIS – DEVÈZE, Contribution à l’étude de la charge de la preuve en
matière civile, thèse Toulouse, 1980 – PERELMAN et FORIERS, La preuve en droit, Travaux du Centre national de
recherches de Logique, Bruxelles, 1981 – X. LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, thèse Paris I,
1992, LGDJ 1994, préf. J. GHESTIN – J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, préf. B. TEYSSIÉ, Éd. Panthéon-Assas,
2003 – N. HOFFSCHIR, La charge de la preuve en droit civil, préf. S. AMRANI-MEKKI, Dalloz, 2016.
12
INTRODUCTION GÉNÉRALE
droit de la preuve satisfaisant en structurant leur ouvrage autour d’une théorie
générale de la preuve, doublée d’un droit des preuves spéciales (2).
Ce n’est sans doute pas là la vision la plus proche des textes. Nous rejoignons
ainsi Étienne Vergès lorsqu’il énonce que « contrairement à ce qui est affirmé
dans le rapport, le Code civil ne contient pas de théorie de la preuve, pas plus
qu’il n’observe la summa divisio entre la théorie générale de la preuve – qui
énonce des principes transversaux – et le droit des preuves spéciales – qui définit
le régime propre à chaque mode de preuve » (3). Pourquoi alors persister dans
l’approche retenue à l’origine par le présent traité, et ne pas s’adapter à la struc-
ture du Code civil dans la forme qu’il prend depuis la réforme du 10 février
2016 ? Tout simplement parce que le législateur s’en est tenu à une structure
qui n’est guère convaincante, selon nous, abordant dans un premier chapitre
« les dispositions générales », puis dans un deuxième, « l’admissibilité de la
preuve », et enfin dans un troisième « les différents modes de preuve ». Il ne
nous semble guère opportun de ne pas intégrer l’admissibilité de la preuve dans
les dispositions générales, car la question de l’admissibilité d’une preuve
demeure commune à tout mode de preuve. Les nouveaux textes contribuent
ainsi à masquer l’unité du droit de la preuve, lequel est bien porteur de règles
générales couvrant non seulement l’objet et la charge de la preuve (qu’on peut
réunir sous la bannière du fardeau de la preuve) mais aussi les modes de preuve
(qu’on peut encore nommer l’administration de la preuve). Chaque mode de
preuve s’inscrit dans ces règles générales et fait l’objet de précisions propres à
sa spécificité.
S’il faut maintenant en passer par la distinction entre droit commun et droit
spécial, voilà ce qu’il faut en dire. L’ensemble que représente le droit de la preuve
en général et le droit des preuves constitue un droit commun de la preuve auquel
les droits spéciaux (droit du travail, droit commercial, etc.) peuvent déroger.
Encore faut-il remarquer que certains auteurs ont brillamment mis en doute
l’existence d’un droit commun de la preuve (4), principalement en raison de l’ab-
sence d’un ensemble de règles applicables à toutes les branches du droit (civil,
pénal, administratif, etc.) qui aborderaient la question de la preuve (5). On peut
bien sûr rejoindre ce constat si l’on donne à la notion de droit commun une
dimension particulièrement vaste, englobant l’ensemble des branches du droit.
Il nous semble néanmoins que mérite le titre de droit commun un corpus de
règles bien moins ambitieux que cela et énoncé dans le Code civil, pour la simple
2. E. VERGES, G. VIAL, O. LECLERC, Droit de la preuve, PUF, 2015, nº 41 et s.
3. E. VERGÈS, « Réforme du droit de la preuve civile. Quelle perspective après l’échec de l’ordonnance du
10 février 2016 ? », JCP G 2017, p. 875, nº 5.
4. S. DEPELLEY, P.-Y. VERKINDT, « Les dérogations au droit commun de la preuve dans le droit du contrat de
travail », Droit social 2017, p. 705.
5. S. DEPELLEY, P.-Y. VERKINDT, Ibid. « L’absence d’une “théorie générale” de la preuve qui engloberait la
preuve en justice et la preuve lato sensu, entendue comme tout moyen tendant à établir soit la vérité soit la
réalité de quelque chose, rend illusoire la recherche des ressources d’un “droit commun” que viendrait contre-
dire un “droit spécial” de la preuve applicable au droit du contrat de travail ». Adde E. VERGÈS, G. VIAL et
O. LECLERC, Droit de la preuve, préc., nº 1 : « il n’existe pas en France, d’école du droit de la preuve, pas de
loi ou de code qui rassemblerait les principales règles de la matière, et pas de manuel ou de traité consacré à la
question dans toutes ses dimensions, et dans les différentes branches du droit ».
DROIT DE LA PREUVE
13
raison que le droit civil est en général perçu en tant que droit commun (6). Sinon,
il faudrait aussi considérer que le droit des contrats contenu dans le Code civil
n’est pas un droit commun des contrats. Par conséquent, il nous semble que le
droit de la preuve énoncé par le Code civil est bien un droit commun de la
preuve. Qu’il ne porte à première vue, au regard de sa source, que sur la matière
civile ne lui ôte en rien cette dimension. Nous en voulons pour preuve la force de
rayonnement des articles majeurs du titre IV bis du Code civil relatif à la preuve
des obligations, qui inspirent directement le droit de la preuve dans toutes les
branches du droit (7), ainsi que le traitement jurisprudentiel de ces mêmes règles,
bel et bien vues par la jurisprudence comme un droit commun auquel les droits
spéciaux peuvent déroger, qu’il s’agisse d’autres dispositions du Code civil ou
d’autres lois (8).
4. Le droit de la preuve appliqué. Pour cette nouvelle édition, le parti a été
pris de ne pas s’en tenir à l’étude des règles et principes gouvernant le droit de la
preuve en général et le droit des preuves, mais d’analyser la manière dont ils sont
mis en œuvre, c’est-à-dire appliqués à telle ou telle problématique spécifique. Ce
choix se justifie par une observation très simple : il n’est en rien évident de mettre
en application les principes énoncés – par exemple, celui selon lequel la charge
de la preuve pèse sur celui qui se prévaut d’une obligation – en raison de la diver-
sité des situations contentieuses et des problématiques de fond traitées. Un pas
supplémentaire aidant le juriste à se repérer, qu’on peut caractériser comme
l’étude du droit de la preuve en action, ou encore le droit de la preuve appliqué
(titre 3), nous a semblé opportun. La limite de cet exercice tient naturellement
dans la grande variété des branches du droit, que l’on ne saurait couvrir dans
cet ouvrage. Il a fallu faire un choix, inspiré à la fois par l’angle général du traité,
concentré sur le droit civil, et par l’importance des matières communes que sont
le droit des contrats, le régime général des obligations, et le droit de la responsa-
bilité. C’est dans ces trois domaines que seront mises en application et approfon-
dies les règles de preuve, dans l’espoir que les droits spéciaux, nécessairement
rattachés à ce droit commun, soient indirectement éclairés par de tels développe-
ments.
6. V. sur l’aptitude du droit civil à être un droit commun : Introduction générale, t. 1, nº 1.
7. Pour ne prendre qu’un seul exemple, c’est bien à partir de l’ancien article 1315 du Code civil, devenu
1353 du même Code depuis 2016, que la charge de la preuve a été pensée dans toutes les branches du droit
français.
8. V. par ex. Cass. 1re civ., 14 nov. 2012, nº 11-24320, affirmant que les « dispositions de l’article 1924 du
Code civil (droit spécial du dépôt, nous ajoutons) [sont] exclusives de celles de l’article 1348 du même code
(ancien article relatif à l’impossibilité de se procurer un écrit ou de le conserver, devenu l’article 1360, nous
ajoutons) ».
TITRE I
DROIT DE LA PREUVE EN GÉNÉRAL
5. Après avoir envisagé dans un premier chapitre la toile de fond du droit de
la preuve, réunissant sa nature, ses sources et finalité, seront étudiés, d’abord, le
fardeau de la preuve, à savoir les règles d’attribution et de transfert de ce fardeau
sur l’une des parties au procès, ensuite l’administration de la preuve, c’est-à-dire
les règles d’admissibilité, de production et d’appréciation de la preuve présentée
en justice.
CHAPITRE 1
NATURE, SOURCES ET FINALITÉS
DU DROIT DE LA PREUVE
6. La preuve en matière juridique est une preuve judiciaire, ce qui
oriente sa nature, ses sources et finalités. Prouver, au sens courant du terme,
est faire apparaître ou reconnaître quelque chose comme vrai, réel, certain ; la
preuve est donc ce qui sert à établir qu’une chose est vraie. Il n’en est pas autre-
ment en matière juridique. La preuve sert alors à étayer une prétention fondée sur
l’invocation d’une règle de droit. Encore faut-il préciser que c’est le juge qu’il
s’agit de convaincre de la vérité d’une allégation : la preuve juridique est une
preuve judiciaire. Sans doute, une question de preuve peut-elle être examinée
en dehors de tout procès. Mais elle s’apprécie alors en fonction de ce que déci-
derait le juge si un litige était formé.
Cette liaison avec le procès fait l’originalité de la matière par rapport aux
questions de preuve se posant en d’autres domaines, notamment dans les domai-
nes scientifiques ou historiques (1). Certes, la démarche intellectuelle tendant à
établir la véracité d’une proposition est toujours de même nature. Mais le cadre
du procès civil dans lequel se règle la contestation ne laisse pas les mêmes liber-
tés d’investigation qu’en d’autres secteurs. Surtout, la nécessité de trancher le
litige ne permet ni de laisser la question en suspens faute d’aboutir à une véritable
certitude, ni de remettre en cause la force des preuves accueillies par une décision
revêtue de l’autorité de la chose jugée. Si toute preuve tend à établir la vérité, en
matière juridique, c’est la vérité judiciaire, à la fois relative et irrévocable, à
laquelle conduit la preuve (2). Cette limitation des ambitions révèle que la recher-
che de la vérité n’est pas l’unique objectif de la preuve produite en justice (3). Il
1. V. not. E. TRUILHÉ-MARENGO, Preuve scientifique, preuve juridique, Larcier, 2011 – P. GORDON, « Preuve
scientifique et preuve juridique : y a-t-il un “paradoxe” de l’expert », Gaz. Pal., 23 juill. 1999, nº 204, p. 13 –
B. DEFOORT, « Incertitude scientifique et causalité : la preuve par présomption. Le traitement juridictionnel du
doute et l’exigence de précautions dans son application », RFDA 2008, p. 549.
2. BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIÈRE, t. 9, par PERROT, nº 1138 – PLANIOL et RIPERT, t. 7, par GABOLDE,
nº 1407 – AUBRY et RAU, t. 12, 6e éd. par ESMEIN, § 749, p. 52, note 3 – MARTY et RAYNAUD, nº 210 – CHEVALLIER,
Cours préc., p. 8 et s. – FORIERS, « Considérations sur la preuve judiciaire », La preuve en droit, études publiées
par PERELMAN et FORIERS, préc., p. 315 et s. – V. tout particulièrement sur la preuve du lien de causalité entre
deux événements, V. Ph. BRUN, « Causalité juridique et causalité scientifique », in Les distorsions du lien de
causalité, Actes du colloque de Rennes, RLDC 2007, suppl. au nº 40, p. 15 – Ch. RADÉ, « Causalité juridique
et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique », D. 2012, p. 112.
3. Xavier Lagarde formule même l’hypothèse selon laquelle « un droit de la preuve, qui est autre chose
qu’une simple branche du droit processuel, se construit nécessairement en polémique avec l’idée de vérité. De
18
INTRODUCTION GÉNÉRALE
faut au moins tenir compte de l’impératif de sécurité juridique (4). Sans doute y
a-t-il lieu de considérer aussi la fonction de « légitimation » des décisions judi-
ciaires que remplit la preuve : justifiée par la mise en œuvre des règles de preuve,
la décision échappe au reproche d’arbitraire et devient acceptable par la partie qui
succombe (5).
Ainsi, au service des règles du fond mais d’essence judiciaire, tournée seule-
ment partiellement vers la vérité, la preuve peine à être définie dans sa nature
substantielle ou procédurale (section 1), repose sur des sources conjuguant règles
de fond et de procédure (section 2) et répond à des finalités complexes, mêlant
protection des droits subjectifs et respect des grands principes procéduraux (sec-
tion 3).
Section 1
Nature du droit de la preuve
7. La preuve se situe à un carrefour des règles de fond et des règles de
procédure. S’agissant de preuve judiciaire, les règles qui la gouvernent touchent
étroitement au rôle du juge et au déroulement du procès. Il peut dès lors paraître
logique, à l’instar de certains droits étrangers, de confier la réglementation de la
preuve aux textes régissant la procédure. Mais un lien étroit existe entre le sys-
tème probatoire et le fond du droit. En effet, la sanction judiciaire d’un droit
contesté ne pourra être obtenue que si la preuve de l’acte juridique ou du fait
qui lui a donné naissance est rapportée. L’importance de la preuve à cet égard
est telle qu’un adage venu de l’Ancien Droit énonce qu’il y a équivalence entre
l’absence de droit et l’absence de preuve : « idem est non esse et non probari ».
Certes, la formule ne doit pas être prise à la lettre. Un droit existe indépen-
damment de sa preuve. Ainsi, lorsqu’un acte juridique a été passé, ses effets
remontent au jour de sa conclusion, même si un écrit destiné à faire la preuve
de son existence n’a été dressé que postérieurement ; si un droit n’est pas
il peut être ramené à exécution bien que sa preuve ne soit pas
contesté,
rapportée... Il faut donc distinguer les règles de preuve et les conditions d’exis-
tence du droit. En particulier, lorsqu’un texte impose la rédaction d’un écrit, il
faut déterminer s’il pose une règle de preuve ou une règle de forme : lorsque
l’écrit est exigé à titre de preuve (ad probationem), son défaut ou sa nullité n’af-
fecte pas le droit lui-même ; lorsque l’écrit est érigé en condition de forme (ad
cette dernière, le droit ne sait rien ; s’il s’y intéresse, ce n’est donc pas pour en permettre la manifestation, mais
bien plutôt pour l’encadrer, et, au besoin, interdire d’y accéder » : X. LAGARDE, « Finalités et principes du droit
de la preuve », JCP G 2005, I, 133, note 14, nº 2.
4. V. Ph. THÉRY, « Les finalités du droit de la preuve en droit privé », Droits, 1996, p. 41 et s. – X. LAGARDE,
Finalités et principes du droit de la preuve, préc. – Adde J.-F. CESARO, Le doute en droit privé, préf. B. TEYSSIÉ,
Ed. Panthéon-Assas, 2003.
5. X. LAGARDE, op. cit. L’auteur mène sa réflexion critique entièrement à partir de ce point de vue, sans avoir
recours aux idées de vérité ou de sécurité.
NATURE, SOURCES ET FINALITÉS DU DROIT DE LA PREUVE
19
solemnitatem), sa validité conditionne l’existence du droit (6). Mais il demeure
vrai qu’en pratique si le titulaire d’un droit n’est pas en mesure d’en faire la
preuve, il est en grand danger de ne jamais pouvoir l’exercer, car il suffit que
surgisse une contestation pour que la protection judiciaire lui soit refusée. « En
réalité, l’existence juridique d’un fait dépend tellement de sa preuve que celle-ci
en reste la première condition d’efficacité » (7). Lorsque la loi facilite la preuve
en certains domaines ou la rend plus ardue ailleurs, la politique juridique suivie
est le plus souvent inspirée par des considérations tenant au fond.
Aussi, le droit français accueille-t-il le double aspect des règles de preuve en
les distribuant, selon leur fonction, entre les lois de fond et les lois de procédure.
Sont des lois de fond celles qui définissent le fait à prouver, celles qui détermi-
nent les moyens de preuve admissibles selon la matière du litige, celles enfin qui
fixent la force probante de certains procédés de preuve. Au contraire, les lois qui
gouvernent l’administration de la preuve en justice et les incidents qu’elle peut
susciter ressortissent à la procédure (8).
C’est à propos des obligations, dans les articles 1353 à 1386-1, que le Code
civil expose l’essentiel des règles de fond concernant la preuve. La méthode n’est
pas très satisfaisante, car la généralisation des solutions ne va pas sans quelques
difficultés. Il est également délicat de combiner ces principes avec d’autres dis-
positions traitant de la preuve de façon en quelque sorte incidente, à l’occasion de
la réglementation de matières déterminées. Au total, un véritable système d’en-
semble fait défaut au plan législatif.
Quant aux règles de procédure sur la preuve en justice, elles constituent une
pièce importante du Code de procédure civile dont l’essentiel des dispositions à
ce sujet est repris d’un décret du 17 décembre 1973.
De l’ensemble de ces textes résulte notre régime probatoire. Son orientation
générale peut être caractérisée à partir des options prises à l’égard de quelques
questions fondamentales : le choix entre la méthode de la preuve légale et celle
de la preuve morale, la définition du pouvoir d’initiative du juge et la part de
liberté laissée aux parties elles-mêmes pour aménager les règles de preuve régis-
sant leurs rapports.
§ 1. — Le rattachement à la loi du fond
8. Les règles de preuve n’influencent pas la validité d’un acte. Il est clas-
sique de relever que parmi les divers formalismes qui existent en droit, doivent
être séparés les formalismes (exigence d’un écrit ou d’une mention manuscrite
particulière notamment) dits ad validitatem et ad probationem. Alors que l’ac-
complissement des premiers conditionne la validité de l’acte, l’observation des
6. V. M. A. GUERRIERO, L’acte juridique solennel,
thèse Toulouse, 1973, LGDJ, 1975, préf. VIDAL,
p. 165 et s.
7. GÉNY, Science et technique en droit privé positif, t. 3, nº 205.
8. Cette répartition de la réglementation de la preuve présente de l’importance pour trancher les conflits de
lois dans le temps et dans l’espace (MOTULSKY, Encycl. Dalloz droit international, Vº Preuve) – Sur la répartition
du droit de la preuve entre règles de fond et de procédure, V. DEVÈZE, thèse préc.
20
INTRODUCTION GÉNÉRALE
seconds détermine son existence aux yeux du juge. Bien qu’ils soient de physio-
nomie tout à fait semblable, leurs effets juridiques diffèrent profondément et l’un
ne pourrait s’épancher sur l’autre. Notamment, le formalisme légal ad validitatem
ne saurait être transformé par le juge en règle de fond. En témoigne un arrêt
rendu par la Cour de cassation le 18 janvier 2017 (9) à propos d’un cautionne-
ment. Lorsqu’un tel contrat est consenti au bénéfice d’un créancier professionnel
par une personne physique, celle-ci est protégée par un formalisme ad validita-
tem formulé à l’article L. 331-1 du Code de la consommation, lequel requiert la
présence dans l’acte de la mention : « en me portant caution de X., dans la limite
de la somme de... ». L’article n’indique pas néanmoins si la somme doit être
écrite à la fois en lettres et en chiffres. Or, un autre formalisme, ad probationem
cette fois, applicable aux engagements unilatéraux de payer une somme d’argent
(dont fait partie le cautionnement), l’article 1376 du Code civil (ancien arti-
cle 1326), prévoit de son côté que la somme promise doit être écrite en lettres et
en chiffres. En l’espèce, la caution avait écrit le montant du cautionnement en
chiffres et non en lettres. Lorsqu’elle fut assignée en paiement par la banque prê-
teuse, elle tenta d’y voir une violation du formalisme légal ad validitatem posé
par l’article L. 341-2 du Code de la consommation (nouvel article L. 331-1 du
même code). Les juges du fond accueillirent sa demande en retenant que l’exi-
gence générale posée par l’article 1326 du Code civil d’écrire en chiffres et en
lettres le montant de l’engagement de la caution, devait s’appliquer aux disposi-
tions de l’article L. 341-2 du Code de la consommation, car elle avait précisément
pour but, par la répétition de la somme, sous deux formes différentes, de faire
prendre conscience au souscripteur de l’importance de son engagement. La
Cour de cassation a censuré très justement la décision, énonçant que « l’article
L. 341-2 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à l’ordon-
nance du 14 mars 2016, n’impose pas la mention du montant de l’engagement
de la caution à la fois en chiffres et en lettres, la cour d’appel, qui a ajouté à la
loi une condition qu’elle ne comporte pas, a violé ce texte ». En vertu du principe
d’indépendance entre règles de fond et règles de preuve, les juges n’avaient pas à
étoffer le formalisme ad validitatem du texte spécial par le recours au texte géné-
ral de portée uniquement probatoire.
9. Pour les conflits de loi dans l’espace, en droit international privé, l’ob-
jet et la charge de la preuve sont rattachés à la loi du fond. Le droit interna-
tional privé, confronté à la question du rattachement de la preuve à une règle de
conflit de lois, distingue nettement selon les pans du droit de la preuve. Beaucoup
d’entre eux sont rattachés aux lois du fond.
L’objet de la preuve est ainsi, en général, régi par la loi du fond. L’objet de la
preuve est en effet indissociable du fond dans la mesure où « ce qui doit être
prouvé, ce sont les éléments de fait qui correspondent au présupposé » (10). En
droit de la filiation notamment, il est prévu que le mari doit prouver pour établir
9. Cass. com., 18 janv. 2017, nº 14-26604, AJ Contrat 2017, p. 122, obs. D. HOUTCIEFF ; RTD civ. 2017,
p. 444, obs. P. CROCQ.
10. V. par ex. P. MAYER, V. HEUZÉ, B. RÉMY, Droit international privé, 12e éd., LGDJ, 2019, nº 523.
NATURE, SOURCES ET FINALITÉS DU DROIT DE LA PREUVE
21
sa non-paternité selon la loi applicable à la filiation. La lex fori entre en scène
uniquement pour assurer le respect de l’ordre public du for, ou pour les besoins
d’interprétation d’un traité international.
Il en va de même pour la charge de la preuve, elle aussi rattachée aux lois
régissant le fond du litige. Il est d’ailleurs très nettement affirmé par l’article 1353
du Code civil (ancien article 1315), que la charge de la preuve revient à celui qui
invoque l’existence d’une obligation, ou bien, une fois cette existence établie, à
celui qui s’en prétend libéré. C’est bien dire que la charge de la preuve est établie
par référence à l’obligation litigieuse, donc par référence au fond, et non par réfé-
rence à la position procédurale de demandeur ou défendeur à l’instance.
10. Pour les conflits de lois dans le temps, l’objet et la charge de la
preuve sont rattachés à la loi du fond. On retrouve de semblables raisonne-
ments en matière de conflits de lois dans le temps. La Cour de cassation a pu
juger que les règles relatives à la charge de la preuve ne constituent pas des règles
de procédure, applicables aux instances en cours, mais touchent le fond du droit,
en sorte que les règles de la charge de la preuve applicables sont celles en vigueur
au jour de l’introduction de l’instance (11).
On peut sans doute en dire autant des règles relatives à l’objet de la preuve,
elles aussi intimement liées au fond du litige. Quant aux conflits de loi dans l’es-
pace, on vient de voir que le droit international privé n’a pas hésité à rattacher les
règles relatives à l’objet de la preuve, tout comme les règles relatives à la charge
de la preuve, aux lois du fond (12).
§ 2. — Le rattachement à la loi de procédure
11. Pour les conflits de loi dans l’espace, l’administration de la preuve,
dont son admissibilité, ainsi que sa force probante, sont régies, non sans
nuances, par la loi de la procédure. La difficulté de savoir quelle est la loi qui
détermine les modes de preuve admissibles dans un procès a été tranchée en deux
temps. Quant à la preuve des actes juridiques, la jurisprudence a d’abord retenu la
loi du fond, assimilant ainsi les formes probatoires aux formes solennelles des
actes. Par la suite, dans un important arrêt « Isaac » du 24 février 1959, elle a
finalement retenu l’application de la loi du for, considérant désormais que les
règles d’admissibilité des preuves contribuent à la bonne administration de la jus-
tice, à l’efficacité du tribunal qui statue (13). Mais cet arrêt a posé une nuance de
taille, énonçant que « s’il appartient au juge français d’accueillir les modes de
preuve de la loi du for, c’est néanmoins sans préjudice du droit pour les parties
de se prévaloir également des règles de preuve du lieu étranger de l’acte ». Désor-
mais, le Règlement Rome I sur la loi applicable aux obligations contractuelles
11. Cass. com., 7 nov. 1989, Bull. civ., IV, nº 281, p. 191 – Cass. soc., 13 déc. 2007, nº 06-44080, Bull. civ.,
V, nº 208 ; D. 2008, p. 162.
12. V. supra, nº 9.
13. Cass. civ., 24 févr. 1959, D. 1959, p. 485, note Ph. MALAURIE – Cass. 1re civ., 25 nov. 1981, Rev. crit. DIP
1982, p. 701, note J.-P. ANCEL – Cass. 1re civ., 5 janv. 1999, Rev. crit. DIP 1999, p. 293, note J. HUET –
V. P. MAYER, V. HEUZÉ, B. RÉMY, préc., nº 525.
22
INTRODUCTION GÉNÉRALE
reprend l’esprit de cette solution dans son article 18, 2 (14). En réalité, comme le
remarquent MM. Mayer, Heuzé et Rémy, « la compétence de la loi du for n’est
pas écartée ; c’est elle qui ordonne au juge de prendre en considération la loi
locale (ou plus largement la lex formae) pour tenir compte de l’extranéité de
l’acte » (15). En guise de véritable exception à l’application de la loi du fond,
ces auteurs finissent par énoncer que « c’est seulement lorsque l’admissibilité
des modes de preuve paraît, dans un domaine déterminé, être par nature indisso-
ciable du fond que l’on peut écarter la loi du for. La jurisprudence a jugé qu’il en
était ainsi en matière d’établissement de la filiation, et l’on peut estimer, en effet,
que ce qui caractérise le lien juridique de filiation, en le distinguant du lien bio-
logique, est précisément le fait que sa preuve est réglementée ».
Enfin, en ce qui concerne les autres aspects de l’administration de la preuve,
comme sa production, dont les règles sont d’ailleurs énoncées par le Code de
procédure civile et non le Code civil, son rattachement au juge est si fort qu’il
est très nettement admis que cette question est gouvernée par la loi du for (16).
Quant à la question de la force probante d’un acte, elle relève en général de la
loi du for. La conviction du juge est ainsi guidée par son droit national. Cela vaut
à la fois pour les preuves écrites (17) et non écrites. Pour autant, les actes rédigés
afin de constater des conventions (acte authentique, acte sous seing privé contre-
signé par avocat) ont la force probante que leur attribue la loi qui en règle la
forme, et ce afin de respecter les prévisions des parties (18).
On notera néanmoins que plusieurs travaux doctrinaux assez récents militent
en faveur du rattachement des modes de preuves et de la force probante à la loi
du fond (19).
12. Pour les conflits de loi dans le temps, les règles relatives aux modes de
preuve et à l’administration de la preuve sont rattachées au régime des lois
de procédure. Le rattachement aux lois de procédure, avec une exception
majeure, a été clairement affirmé quant aux modes de preuve, par la Cour de
cassation, notamment dans un arrêt du 28 avril 1986, par lequel sa première
chambre civile a affirmé que « si, en général, les règles gouvernant les modes
de preuve sont celles en vigueur au jour où le juge statue, il en est autrement en
14. « Les actes juridiques peuvent être prouvés par tout mode de preuve admis soit par la loi du for, soit par
l’une des lois visées à l’article 11, selon laquelle l’acte est valable quant à la forme, pour autant que la preuve
puisse être administrée selon ce mode devant la juridiction saisie ».
15. V. P. MAYER, V. HEUZÉ, B. RÉMY, préc., nº 525. Ces auteurs préconisent d’étendre cette solution à la
preuve des faits juridiques dans les cas, assez rares, où la preuve d’un fait n’est pas libre aux yeux d’une loi
nationale.
16. V. P. MAYER, V. HEUZÉ, B. RÉMY, préc., nº 528.
17. Cass. 1re civ., 14 juin 1983, Rev. crit. DIP 1984, p. 316, note J.-P. ANCEL – Cass. 1re civ., 12 nov. 1986,
Rev. crit. DIP 1987, p. 557, note E. POISSON-DROCOURT.
18. V. P. MAYER, V. HEUZÉ, B. RÉMY, préc., nº 527.
19. H. GROUD, La preuve en droit international privé français, PUAM, 2000. L’auteur fait notamment valoir
des raisons historiques pour le rattachement à la loi du fond, et un raisonnement par opposition à l’approche
anglo-américaine qui analyse essentiellement la preuve sous le prisme de la procédure – Adde E. FONGARO, La
loi applicable à la preuve en droit international privé, préf. B. BEIGNIER et J. FOYER, LGDJ, 2004, qui propose
des solutions ne consacrant pas pleinement l’une ou l’autre approche mais respectant la nature hybride de la
preuve.
NATURE, SOURCES ET FINALITÉS DU DROIT DE LA PREUVE
23
ce qui concerne les preuves préconstituées, qui sont soumises aux règles en
vigueur au jour de l’acte qu’il s’agit de prouver » (20). On voit que les juges
réservent le cas des actes juridiques soumis à des formalismes particuliers, et
pour lesquels il est logique de prendre en compte la loi au jour de la constitution
de l’acte. On retrouve semblable raisonnement en droit international privé en
matière de preuve d’acte juridique, où il est demandé au juge du for de tenir
compte de la loi du fond qui gouverne l’acte litigieux (21).
En toute hypothèse, ici comme ailleurs, le législateur peut expressément sou-
mettre une loi sur la preuve à la rétroactivité, dans les limites désormais classi-
ques des lois exceptionnellement rétroactives (22). Par exemple, la loi du 25 juin
1982, qui a modifié l’article 334-8 du Code civil en admettant comme mode de
preuve de la filiation naturelle la possession d’état, a été déclarée applicable aux
enfants naturels nés avant son entrée en vigueur, mais ceux-ci ne peuvent l’invo-
quer dans les successions déjà liquidées (23).
Pour ce qui est de la force probante, on peut appliquer un raisonnement simi-
laire. La force probante est en principe une question liée à la procédure, précisé-
ment à la conviction du juge, et doit donc être rattachée aux lois de procédure et à
leur régime transitoire. Mais pour ce qui est des actes constatant des conventions
et dotés d’une force probante légale particulière (par exemple l’acte authentique),
on devrait considérer que l’acte est rattaché au régime transitoire applicable aux
lois du fond. Il faudrait donc appliquer la disposition législative sur la force pro-
bante d’un acte en vigueur au moment de la rédaction de ce dernier, afin de res-
pecter les prévisions des parties.
Enfin, quant aux dispositions nouvelles venant modifier les règles relatives à
l’administration de la preuve, elles sont en principe d’application immédiate (24).
Roubier justifiait une telle règle en énonçant que « la procédure probatoire a pour
objet, non pas de créer une situation juridique pour les parties, mais d’éclairer la
décision du juge ; et il en résulte que, tant que le juge n’a pas statué, cette procé-
dure reste en suspens et peut être atteinte par les lois nouvelles comme toute
situation en cours » (25).
20. Bull. civ., I, nº 106, p. 108.
21. V. supra, nº 9.
22. V. Introduction générale, t. 1, nº 566.
23. V. D. HUET-WEILLER, « L’établissement de la filiation naturelle par la possession d’état (commentaire de
la loi du 25 juin 1982 modifiant l’article 334-8 C. civ.) », D. 1982, chron., p. 185 et s. – La succession liquidée
s’entend de la succession dans laquelle est intervenu un acte de partage définitif entre les parties : Cass. 1re civ.,
3 nov. 1988, Bull. civ., I, nº 301, p. 205.
24. V. par ex. Cass. 1re civ., 2 avr. 2008, nº 06-10256 et 07-11639, Bull. civ., I, nº 101 ; D. 2008. p. 2363, obs.
CHAUVIN.
25. P. ROUBIER, Le droit transitoire, 2e éd., Dalloz-Sirey, 1960, p. 561.
24
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Section 2
Sources du droit de la preuve
13. C’est le Code civil qui constitue la principale source du droit de la
preuve (§1), bien que d’autres sources, dont le Code de procédure civile naturel-
lement, jouent aujourd’hui un rôle majeur en la matière (§2).
§ 1. — Le Code civil
14. La conception de la preuve dans le Code civil de 1804 : un droit des
preuves sans guère de droit de la preuve en général. Le Code civil de 1804
demeure le siège principal du droit de la preuve. Or, il n’avait presque pas été
modifié sur ce point avant la réforme de 2016. Il est vrai que ses dispositions
originelles, bien que nombre d’entre elles aient finalement pris un tour suranné
au regard de l’évolution des techniques, n’étaient pas dénuées de qualités. Cer-
tains articles ont été de véritables réussites, comme l’ancien article 1315 notam-
ment, relatif à l’attribution de la charge de la preuve et repris à l’identique par le
nouvel article 1353, l’ancien article 1341 porteur du principe de légalité de la
preuve des actes civils qui a, lui aussi, été largement repris en substance par l’ar-
ticle 1359, ou encore les présomptions de fait de l’article 1353, largement reprises
au nouvel article 1382.
Pour autant, ce droit de la preuve proposé par le législateur de l’époque était
surtout un droit des preuves. Il y apparaît assez nettement que la preuve n’avait
pas été pensée comme un objet juridique en soi, méritant une théorie générale,
ou, a minima, des principes généraux. Aucun article, si l’on excepte principale-
ment les articles 1315 et 1341, ne proposait de tels principes aptes à bâtir une
théorie générale. Seuls comptaient les modes de preuve et leur particularisme,
notamment les dispositions relatives aux écrits. Mis à part quelques modifications
cosmétiques dans les années 80 (26), c’est surtout la réforme de 2000, accueillant
la preuve électronique, qui a substantiellement modifié le corpus existant (27). La
réforme du droit des obligations en 2016 était donc l’occasion idéale pour revoir
en profondeur l’ensemble des règles à l’aune des réelles améliorations qu’a
connue la théorie de la preuve durant les deux siècles écoulés. Le résultat n’est
néanmoins pas à la hauteur des attentes, bien que les textes nouveaux aient des
mérites certains.
15. Une habilitation législative modeste (28). Alors que l’ambition de la
réforme du droit des contrats et du régime général des obligations était affichée,
celle du droit de la preuve a pu paraître en retrait dans les préoccupations du
26. La loi du 12 juillet 1980 a opéré un certain nombre de modifications, notamment en matière d’exigence
d’une mention manuscrite dans les actes civils dépassant un certain montant : V. infra, nº 339.
27. Loi nº 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’infor-
mation, sur laquelle : V. infra, nº 353 et s.
28. Sur ce constat, V. notamment : A. AYNÈS, « Droit de la preuve » (chron.), D. 2016, p. 2535 – J. DEVÈZE,
« La non réforme du droit de la preuve », JCP G 2017, p. 684.
NATURE, SOURCES ET FINALITÉS DU DROIT DE LA PREUVE
25
législateur. Il suffit, pour s’en rendre compte, de se référer à l’article 8 la loi d’ha-
bilitation en date du 16 février 2015 (29), qui avait assigné l’étendue des missions
du gouvernement en ce domaine. Alors que l’habilitation législative pour le droit
des contrats ne comportait pas moins de neuf points (30) et exigeait du gouver-
nement l’affirmation d’un certain nombre de règles nouvelles, en plus de la cla-
rification et de la modernisation des règles anciennes, et que celle pour le régime
général des obligations comportait certes deux points seulement (31) mais faisant
état de la nécessité d’« introduire un régime général de l’obligation » et de
« consacrer certaines actions », en plus là encore d’une modernisation et d’une
clarification, on ne retrouve rien de tout cela dans l’unique point d’habilitation
relatif à la preuve. L’habilitation législative, en ce lieu, se contente de fixer pour
objectif au gouvernement de « clarifier et simplifier l’ensemble des règles appli-
cables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d’abord celles rela-
tives à la charge de la preuve, aux présomptions de droit, à l’autorité de chose
jugée, aux conventions sur la preuve et à l’admission de la preuve ; préciser,
ensuite, les conditions d’admissibilité des modes de preuve des faits et des actes
juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de
preuve » (32). On le voit, si l’habilitation ne s’est pas contentée d’enjoindre au
gouvernement de fixer à droit constant les règles et apports jurisprudentiels accu-
mulés en deux siècles d’existence des dispositions initiales du Code civil, dans la
mesure où une simplification et une clarification étaient demandées, ainsi qu’une
précision et un détail des règles en la matière, rien dans la loi d’habilitation ne
transparaît d’une volonté de réformer réellement le droit de la preuve, de lui don-
ner un nouveau souffle, un régime général, des règles innovantes.
Cela étant dit, malgré la timidité de l’habilitation législative, le gouvernement
aurait tout de même pu saisir l’occasion pour procéder à une réforme substan-
tielle de la matière. Après tout, alors que l’habilitation législative ne l’autorisait
qu’à « regrouper les règles applicables à l’inexécution du contrat », il ne s’est pas
privé de les modifier si ce n’est de les bouleverser sans que le Conseil d’État n’y
trouve à redire (33). Il aurait pu faire de même avec le droit de la preuve. Il n’en a
rien été.
16. La réforme de la preuve n’a pas eu lieu (34). La réforme s’est finale-
ment résumée à des retouches si cosmétiques que la doctrine n’a pas hésité à la
29. Loi nº 2015-177 du 16 févr. 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procé-
dures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
30. Loi préc., art. 8, 1º au 9º.
31. Loi préc., art. 8, 10º et 11º.
32. L. nº 2015-177, art. 8, 12º, 16 févr. 2016.
33. H. BARBIER, « Remarques introductives : étude de la conformité de l’ordonnance à l’habilitation législa-
tive », LPA 1er sept. 2015, nº 176, p. 12.
34. E. VERGÈS, « Réforme du droit de la preuve civile. Quelle perspective après l’échec de l’ordonnance du
10 février 2016 ? », JCP G 2017, p. 875, nº 3 – G. LARDEUX, « Commentaire du Titre IV bis du nouveau Livre III
du Code civil intitulé “De la preuve des obligations” ou l’art de ne pas réformer », D. 2016, p. 85.
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