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Pour une théorie générale des sûretés
Corine Namont Dauchez
To cite this version:
Corine Namont Dauchez. Pour une théorie générale des sûretés. Revue de la Recherche Juridique -
Droit prospectif, 2016, vol. 3, p. 1121. ￿hal-01459327￿
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Depuis le milieu du XXe siècle, il existe un corpus de règles juridiques en droit des sûretés, exposé au sein de
manuels spécifiques, mais la théorie générale des sûretés peine à se construire, car la notion de sûreté est
« introuvable » à partir des notions fondamentales de droit privé : le patrimoine et le contrat. La pièce manquante
à la théorie générale des sûretés pourrait alors bien se trouver en droit public, invitant ainsi à reconsidérer le rôle de
l’Etat dans l’économie moderne, et plus particulièrement en droit du crédit. Au delà de sa fonction politique, l’Etat
est effectivement un acteur juridique majeur du droit des sûretés : il est le maître du crédit public dont les sûretés
sont l’accessoire. Ainsi, lieu d’une fusion des volontés individuelles et de la volonté collective, le droit des sûretés est
un droit « mutant » destiné à rejoindre la cohorte des droits mixtes.
- Plus de références et documents sur Legaly DocsSince the middle of the 20th century, a corpus of legal rules has been settled in law on secured transactions,
contained in specific handbooks. However, a general theory of secured transactions is difficult to find, as the concept
of security interests cannot be defined from private basic concepts of contract and asset. The missing piece of this
general theory might be found in public law in order to re-think the role of the state in modern economy, more
particularly in credit law. Indeed, beyond its political function, the state is a cornerstone of law on secured
transactions. The state controls public credit and security interests are its tools. Thus, law on secured transactions is
intended to evolve to mixed law, where individual and collective wills meet.
Pour une théorie générale des sûretés
Corine Dauchez
Maître de conférences à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense
Membre du CEDCACE (EA 3457)
1. L’absence d'unité des sûretés. La doctrine civiliste, dépassant l’Exégèse, a couronné le
contrat et le patrimoine des lauriers d’une théorie générale
1. Aussi, depuis longtemps, un appareil
juridique d’envergure permet d’appréhender l’échange, la richesse et l’appauvrissement. En
revanche, le droit des sûretés, dont le rôle n’est pas moins primordial, puisqu’il consiste à diffuser
la confiance entre les acteurs économiques en sécurisant la circulation des richesses, n’a pas fait
l’objet d’une théorie d’ensemble. S’il existe bien une matière intitulée « droit des sûretés » et des
manuels de « droit des sûretés », la théorie générale des sûretés n’existe pas. En effet,
l’enseignement du droit des sûretés emprunte toujours la distinction binaire, si pédagogique, des
sûretés personnelles et des sûretés réelles. Les premières sont rattachées au droit des obligations,
tandis que les secondes sont rattachées au droit des biens. Une notion unique de sûreté ne
parvient alors pas à émerger car, à s’en tenir à la distinction classique, le droit réel n’est pas
réductible au droit personnel. Aussi, une théorie générale des sûretés personnelles peut être
esquissée, tout autant qu’une théorie générale des sûretés réelles
2, mais la théorie générale des
sûretés ne peut être érigée.
2. L’attitude de la doctrine contemporaine. Face à cette difficulté, la doctrine contemporaine
réagit en ordre dispersé. Pour les plus pessimistes, la recherche de la notion de sûreté est vaine. Sa
définition serait « soit impossible, (…) soit inutile »
3. « Introuvable »4, la sûreté ne serait même pas
une notion, tout juste « une étiquette qui s’accommode du disparate »
5. Aussi, tout récemment,
1 Pour la définition de la théorie générale, Ph. Jestaz et Ch. Jamin, in La doctrine, Dalloz, 2004, p. 230 : « un ensemble
de définitions et de principes ordonnés autour d’un certain objet dans le dessein d’expliquer de manière cohérente les
solutions positives et de guider les solutions futures ».
2 J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Traité de droit civil. Droit commun des sûretés réelles, LGDJ, 1996.
3 Ph. Terry, Sûretés et publicité foncière, PUF, 2ème éd., 1998, n°6, in fine.
4 M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Petel, Droit des sûretés, LexisNexis, 10ème éd., 2015, n°2.
5 Ibid.
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certains auteurs sont revenus à une présentation du droit des sûretés telle qu’elle existait avant la
première moitié du XX
e siècle. Ils détachent les sûretés personnelles des sûretés réelles pour les
rattacher au droit des obligations dans un ouvrage dont l’intitulé est évocateur : « Cours de droit
civil, sûretés personnelles, supplément aux obligations »
6. Cette présentation ôte tout espoir de
voir naître un jour une théorie générale des sûretés. Toutefois, une autre partie de la doctrine,
plus optimiste, persévère. Une définition spécifique de la notion de sûreté a ainsi été proposée
tentant d’unir les sûretés réelles et personnelles
7. Cependant, la définition est fondée sur le droit
d’agir conféré par la sûreté ; or il est vrai que le droit de saisir et vendre n’est pas un élément
spécifique de la sûreté réelle, car il « relève du « régime patrimonial primaire » applicable à tout
créancier »
8. L’impossible définition de la sûreté conduit ainsi certains auteurs, sans renier la
spécificité de la matière, à adopter une conception fonctionnelle
9. Par ailleurs, un « régime
primaire » des sûretés
10 fait son apparition dans les manuels qui n’en continuent pas moins de se
dresser sur l’opposition traditionnelle des sûretés personnelles et réelles, arc-boutés contre la
distinction binaire indépassable des droits patrimoniaux. La théorie générale des sûretés est donc
en cours d’élaboration, mais elle est encore morcelée, tel un puzzle, dont on ne parvient pas à
assembler les pièces. L’ouvrage ne doit pas pour autant être abandonné, car il se situe dans la
continuité d’un travail doctrinal de près de deux siècles qui mérite d’être parachevé.
3. Le rassemblement doctrinal. En effet, les premiers traités de droit civil consacraient un
tome spécifique aux hypothèques et privilèges et exposaient le droit du cautionnement avec le
droit des obligations. Le droit des sûretés se résumait, pour ainsi dire, aux sûretés réelles, et
principalement à l'hypothèque et aux privilèges. Toutefois, l'unité de la matière a toujours été
perceptible. Pothier ne voyait pas les choses autrement. Il exposait le cautionnement dans son
traité des obligations, mais il le comprenait également dans la catégorie des contrats accessoires,
qu’il formait avec le nantissement. Il indiquait d'ailleurs que le cautionnement aurait pu être
abordé à cette occasion, mais qu'il y avait consacré suffisamment de développements lors de
l'étude des obligations
11. Par la suite, au cours du XIXe siècle, les auteurs s’en sont tenus à l’ordre
du Code civil, mais ils n’en avaient pas moins conscience que la « vraie place »
12 du
cautionnement se trouvait juste avant le nantissement. Puis, au cours du XX
e siècle, la doctrine a
lentement détaché le cautionnement du droit des obligations pour le joindre aux sûretés réelles,
d’ores et déjà regroupées autour de l’hypothèque. L’hypothèque, que l’on dénomme encore la
« reine des sûretés », mais qui en est bien plutôt la « mère », a ainsi rallié à elle le cautionnement
et, à sa suite, toutes les autres sûretés personnelles dont il est le modèle. Des manuels de droit des
sûretés se sont alors substitués aux traités des hypothèques et privilèges. L’évolution doctrinale
6 Fr. Zénati-Castaing et Th. Revet, Cours de droit civil. Sûretés personnelles. Supplément aux obligations, PUF, 2013.
7 Voir la définition proposée par P. Crocq, Propriété et garantie, thèse Paris II, LGDJ, 1995, n°282 ; L. Aynès et P.
Crocq,
Droit des sûretés, 10ème éd., LGDJ, Lextenso éditions, 2016, n°2.
8 Voir, la critique de Ph. Théry, op. cit., n°6.
9 Ph. Simler et Ph. Delebecque, Droit civil. Les sûretés. La publicité foncière, Dalloz, 7ème éd., 2016, n°37.
10 M. Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachellier, Droit des sûretés, Sirey, 5ème éd., 2016, n°39 et s.; J. Mestre, E.
Putman et M. Billiau,
op. cit., n°8 et s.; D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, LGDJ, 11ème éd., 2016, n°24 et
s. ; Ph. Simler et Ph. Delebecque,
op. cit. qui intitulent leur introduction « Théorie générale et classification des
sûretés », n°2 et s. ; M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Petel,
op.cit., n°2, qui donnent, tout de même, une
définition « descriptive » de la sûreté ; adde, M. Bourassin, Vers un droit commun des sûretés ?, D. 2006, p. 1386.
11 Pothier, Traités sur les différentes matières de droit civil, appliquées à l’usage du barreau et de jurisprudence françoise, t. 2, in Traité
du contrat de nantissement, Paris, chez J. Debure, MDCCLXXIII, p. 945.
12 L. Guillouard, Traités du cautionnement et des transactions, A. Pedone, 2ème éd., 1895, n°2. Adde, Troplong, Le droit civil
expliqué suivant l’ordre des articles du Code, depuis et y compris le titre de la vente, Du cautionnement et des transactions, commentaires
des titres XIV et XV du livre III du Code civil
, t. XVII, Charles Hingrau, Libraire-éditeur, 1846, n°13, n°38.
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s’est ainsi achevée au milieu du XXe siècle13. Un corpus spécifique nommé "Droit des sûretés" était
né.
4. Le rassemblement législatif. Ce rassemblement doctrinal des sûretés n'était pas un outrage
au Code civil originel ; il en suivait l'esprit. En effet, si le Code traitait du cautionnement entre le
mandat et la transaction, les jurisconsultes qui avaient participé à son élaboration entendaient
bien le regrouper avec le nantissement, les hypothèques et les privilèges
14. En outre, la place du
cautionnement, siégeant à la suite du prêt, du dépôt et du mandat, n’était pas si incongrue, la
confiance personnelle était au cœur de ces « petits contrats »
15, or la confiance est certainement de
l’essence de la sûreté. De surcroît, ce regroupement doctrinal des sûretés a été récemment
consacré par l'ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006, qui a réformé le droit des sûretés sous
l'impulsion de l'Association Henri Capitant. Désormais, un livre IV intitulé « Des sûretés » siège
au sein du Code civil. Son premier titre est consacré aux sûretés personnelles et le second aux
sûretés réelles. Cette innovation symbolique a mis ainsi en forme législative le regroupement des
sûretés maladroitement initié au début du XIX
e siècle par le législateur. Le droit des sûretés existe
donc bien, sa reconnaissance légale et doctrinale en témoigne, mais si le
corpus est bien là, la
théorie générale peine à prendre son envol.
5. L’élément catalyseur. Il ne s’agira nullement ici de proposer une théorie générale des sûretés,
ce qui nécessiterait un travail de bien plus longue haleine, au demeurant démesuré, mais d’essayer
de défricher une voie qui permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives, propices à faire
progresser la théorie générale des sûretés. Dans cet état d’esprit, on peut se demander s’il ne
manquerait pas une pièce majeure au puzzle de la théorie générale des sûretés, ce qui expliquerait
que sa construction soit aujourd’hui dans l’impasse. L’objet n’est donc pas d’élaborer une théorie
générale des sûretés, dont l’exposé serait prématuré, mais de trouver un élément qui pourrait lui
faire défaut. Cependant, s’il ne fallait qu’une seule pièce, même essentielle, pour parachever le
puzzle, il serait aisé de la découvrir, car l’assemblage des autres pièces laisserait un vide qu’il
suffirait de combler. Il y a donc certainement des pièces, dans la boite du puzzle de la théorie
générale des sûretés, qui y ont été placées dès l’origine et ne lui appartiennent pas. Jeu de patience
que le puzzle… Il faut donc le défaire entièrement et faire à nouveau le tri en écartant
soigneusement les pièces, même essentielles, qui présentent de fortes accointances avec le droit
des sûretés, mais lui sont pourtant étrangères. Cette étape est décisive, car l’assemblage des pièces
laissera alors un espace qui révèlera le contour de celle dont on cherche la trace. Ainsi, pour avoir
quelque chance de construire la théorie générale des sûretés, il faut refaire le tri de ses pièces
existantes (I), pour tenter d’en identifier la pièce manquante (II).
I – Les pièces existantes
6. Les pièces du droit privé. L’objectif n’étant pas de construire une théorie générale, mais de
trouver des pièces discordantes majeures, le champ d’observation doit être limité aux institutions
structurelles du droit des sûretés, celles sur lesquelles le droit des sûretés s’est construit depuis le
XIX
e siècle. Aussi, à n’en point douter, la figure majeure des sûretés réelles est l’hypothèque, à
laquelle le législateur a consacré 110 articles dans le 18
ème titre du Code civil, qui débutait par
l’emblématique ancien article 2092
16. L’influence de la technique hypothécaire sur les autres
13 J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, Traité de droit civil. Droit commun des sûretés réelles, op. cit., n°1, note de bas de page
n°2, les auteurs notent que « le dernier grand traité de droit civil à procéder ainsi est celui de M. Planiol et G.
Ripert ».

14 Code civil avec les notes explicatives rédigées par des jurisconsultes qui ont concouru à la confection du Code, t. VIII, Paris, De
l’imprimerie de J. Gratiot, 1807, p. 4.
15 J. Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 6ème éd., 1988, p. 293.
16 Aujourd’hui, art. 2284 c. civ.
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sûretés réelles ne s’est jamais démentie ; elle vient encore d’être confirmée par la réforme de
2006
17. Du côté des sûretés personnelles, le cautionnement est la sûreté modèle ; on peut même
également, sans trop forcer le trait, dire qu’il est sous « influence hypothécaire » dès lors qu’il a
rejoint l’hypothèque dans les manuels de droit des sûretés, délaissant les contrats spéciaux, depuis
le milieu du XX
e siècle. Il convient donc de laisser glisser le regard sur l’hypothèque et le
cautionnement pour y trouver quelques anomalies substantielles, ce qui n’empêchera pas
toutefois de regarder parfois en coin quelques autres sûretés. Il apparaît alors que les sûretés
traditionnelles s’emboîtent fort mal avec les éléments fondamentaux du droit privé : le patrimoine
et le contrat. En effet, si l’on peut dire, d’une manière générale, que les sûretés sont des droits
patrimoniaux, car elles se rapportent au patrimoine, c’est là le premier sens de la définition de
l’adjectif « patrimonial », il est plus délicat d’affirmer qu’elles sont « dans le patrimoine », car elles
devraient alors avoir une valeur pécuniaire propre, c’est là le second sens accordé à l’adjectif
18.
Or, à ce titre, la patrimonialité de la sûreté est suspecte. De ce qu’elle se rapporte au patrimoine,
la sûreté ne serait peut-être pas pour autant un droit patrimonial. Par ailleurs, la théorie de
l’autonomie de la volonté, dont on a souligné l’avènement dans le Code civil et l’épanouissement
doctrinal au XIX
e siècle19, est étonnement faible en droit des sûretés. Les volontés individuelles
ne font pas, à elles seules, la loi dans le contrat de sûreté. La volonté générale, exprimée par la loi,
prend place aux côtés des volontés individuelles pour conférer au contrat une étrange mixité.
Ainsi, ce ne sont pas moins que le patrimoine (A) et le contrat (B), autrement dit notre vision
exclusivement patrimoniale et contractuelle du droit des sûretés, qui empêcheraient l’élaboration
d’une théorie générale, mais indiqueraient son chemin…
A) Le patrimoine
7. Confiance et richesse. L’hypothèque est rattachée au droit des biens, tandis que le
cautionnement est rattaché au droit des obligations. Le bien et l’obligation sont des utilités
matérielles susceptibles d’une évaluation pécuniaire. Ces utilités enrichissent leur titulaire. En
revanche, les sûretés ne sont pas des utilités matérielles ; un créancier n’est jamais riche de sa
sûreté
20. Le créancier garanti, titulaire d’une hypothèque (1°) ou d’un cautionnement (2°) est plus
confiant, mais la
confiance n’est pas la richesse.
1°) L’hypothèque
8. Ni usus, ni fructus, ni abusus. La sûreté réelle est traditionnellement présentée comme un
droit réel accessoire « vidé de sa substance matérielle ; il n’en reste que les attributs juridiques -
droits de préférence et parfois de suite -, offerts au créancier afin de garantir son droit »
21. Le
créancier, titulaire d’une hypothèque, n’a donc ni l’
usus, ni le fructus, ni l’abusus. Il n’est titulaire
d’aucune prérogative matérielle. En effet, l’hypothèque n’est pas un démembrement de propriété,
ce qui ne s’entendait guère au début du XIX
e siècle22, mais s’est ensuite progressivement imposé à
17 Voir, l’extension au gage de la formalité de l’écrit qui s’est substituée à la dépossession, du respect du principe de
spécialité et de la formalité de l’inscription, voir encore l’influence sur le gage immobilier (art. 2388 c. civ.).
Egalement les interrogations doctrinales récentes sur l’introduction d’une sûreté hypothécaire unique, colloque
CEDAG, Quelle réforme pour le droit des sûretés ?, RDBF, 2016, dossiers 12 à 16.
18 Vocabulaire juridique, sous la direction de G. Cornu, op. cit., Association Henri Capitant, PUF, 11ème éd. mise à
jour Quadrige, 2016,
Patrimonial.
19 Fr. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, Dalloz, 11ème éd., 2013, n°18.
20 Rappr. de la définition proposée de la sûreté par le groupe de travail Grimaldi, non retenue par le législateur, art.
2287 du Code civil du projet : « La sûreté garantit l’exécution d’une obligation. Elle ne peut procurer au créancier
aucun enrichissement ».
21 L. Aynès et P. Crocq, op. cit., n°400.
22 V. not. V. Marcade, Explication théorique et pratique du Code Napoléon contenant l’analyse critique des auteurs et de la
jurisprudence et un traité résumé après le commentaire de chaque titre
, t. 2, 5ème éd., 1859, p. 349 : « Non ; l’hypothèque n’est
pas un démembrement de la propriété de l’immeuble (…). Nous sommes, nous l’avouons, le premier écrivain qui
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mesure que la matière des sûretés se formait et se détachait de sa conception retenue sous
l’ancien droit. La doctrine classique a alors progressivement substitué
23 à cette conception de la
sûreté réelle, démembrement de propriété, la théorie du droit réel au second degré. L’hypothèque
porterait sur le bien, plus précisément sur la valeur du bien hypothéqué. Pour autant, la valeur
n’existe pas en tant que bien et seules les utilités matérielles du bien valent quelque chose. La
valeur ne vaut rien. Elle est l’outil de l’échange ; elle n’est pas celui de l’enrichissement. Seule la
propriété et ses démembrements sont susceptibles d’une évaluation pécuniaire et sont
stricto sensu
des droits patrimoniaux. Dès lors qu’il est admis que l’hypothèque n’est pas un démembrement
de propriété, qu’elle porte sur la valeur du bien, il faut admettre qu’elle n’est pas, en elle-même,
susceptible d’une évaluation pécuniaire. La théorie du droit sur la valeur marque le passage à une
conception « dématérialisée » de l’hypothèque. Elle a une simple utilité figurative, elle permet à
l’esprit de retrouver le confort d’une pensée patrimonialiste habituée au « droit sur ».
L’hypothèque est assimilée à un droit réel, or le droit réel porte nécessairement « sur » quelque
chose, on y a commodément placé la valeur, qui ne vaut rien par elle-même. La théorie du droit
réel sur la valeur, considérée comme un « bien », n’est que transitoire ; elle est destinée à évoluer
pour saisir la réalité de la sûreté réelle et « gommer » sa rigidité, conséquence de sa patrimonialité.
9. Le droit réel de couverture. Cette théorie manifeste d’ailleurs ses limites, lorsque
l’hypothèque est générale et qu’elle « porte » sur tous les biens présents et à venir, ou sur un bien
futur. Une telle sûreté implique que le droit réel qu’elle confère n’ait pas nécessairement d’objet
existant ou déterminé lors de sa constitution
24. A l’instar de la proposition formulée par Mouly
pour le cautionnement, il faudrait ici recourir à l’existence d’un « droit réel de couverture », puis à
la naissance de « droits réels de règlement » au fur et à mesure de l’entrée des biens dans le
patrimoine du constituant. Cependant, ce « droit réel de couverture » ne déterminerait, comme
dans le cautionnement
25, qu’une période de garantie. Dans cette situation, l’hypothèque existe
bien dès la conclusion de la convention par les parties, mais on ne peut pas dire que le créancier
soit titulaire d’un droit patrimonial, susceptible d’une évaluation pécuniaire, car il n’y a
absolument rien à évaluer. A suivre la conception classique, l’hypothèque est alors un droit réel
sur « rien ». L’hypothèque doit donc être détachée des droits patrimoniaux
26 qui sont seuls
susceptibles d’évaluation pécuniaire, car ils incarnent la richesse. Le créancier n’est pas « deux fois
riche », une fois de sa créance, une autre fois de son hypothèque. Il y a là deux utilités distinctes :
la
richesse et la confiance. Ce n’est pas, pour autant, dire que la sûreté n’est pas une utilité
économique, car la confiance diffusée par la sûreté est essentielle à l’économie, mais elle est une
utilité économique non-patrimoniale. La sûreté échappe à la patrimonialité. Cette phase de
« dématérialisation » de l’hypothèque marquée par l’abandon de la conception du démembrement
de propriété, l’hypothèque a attiré à elle le cautionnement qu’elle a fini de détacher du droit des
obligations au milieu du XX
e siècle. Pour autant, la « dématérialisation » du cautionnement n’a pas
encore eu lieu.
2°) Le cautionnement
10. Obligatio/debitum. La doctrine considère, en effet toujours, que le cautionnement rend la
caution débitrice à l’égard du créancier, qui dispose alors de « deux débiteurs au lieu d’un »
27 : le
osions dire que l’hypothèque n’est qu’un jus ad rem. Dumoulin, Pothier, Delvincourt, M. Tarrible, M. Battur, M.
Persil, M. Troplong, etc (…) ».
23 Sur le passage de la conception « démembrement de propriété » à celle de la théorie du droit réel sur la valeur, Ch.
Gijsbers, Sûretés réelles et droit des biens, préf. M. Grimaldi, Economica, 2016, n°40.
24 Voir l’admission de l’hypothèque générale (art. 2401 et 2420 c. civ.).
25 Voir infra n°10.
26 On a par ailleurs montré la spécificité des attributs juridiques des sûretés réelles, voir la thèse remarquée consacrée
aux relations entre le droit des biens et le droit des sûretés réelles, Ch. Gijsbers,
op. cit., n°131 et s.
27 L. Aynès et P. Crocq, op.cit., n°5.
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débiteur principal et la caution, à chacun son obligation. La caution doit donc la dette du
débiteur, mais l’obligation de la caution présente une particularité : le
debitum28 de son obligation
est emprunté à l’obligation principale. En revanche, l’
obligatio est autonome et propre à la caution.
Le cautionnement est alors accessoire à l’obligation principale, à laquelle il est lié par un lien de
dépendance structurelle. En effet, si l’on peut discuter de l’existence de l’obligation, lorsque seul
le
debitum existe, à l’exclusion de l’obligatio, il n’existe pas d’obligation sans debitum. Le débiteur doit
toujours quelque chose : dans le cautionnement, la dette du débiteur principal. L’obligation de la
caution est donc un accessoire par production de l’obligation principale, qui lui fournit la dette
sans laquelle elle ne saurait exister
29. Ainsi, il est impossible d’affirmer que la caution doit la dette
du débiteur lorsque celle-ci n’existe pas, notamment lorsque le cautionnement est
omnibus ou qu’il
garantit une dette future. Dans ces cas, la caution ne peut pas devoir la dette que le débiteur ne
doit pas lui-même, la dette principale n’existe pas, et par conséquent l’obligation de la caution qui
est dans sa dépendance structurelle ne peut pas exister non plus. Le cautionnement existe bien,
mais la caution ne doit rien
30, pas plus que le débiteur principal. L’obligation de couverture
dégagée par Mouly, pour expliquer que la caution soit tenue alors même que le débiteur ne doit
rien, couvre plutôt l’absence d’obligation. L’obligation de la caution est dépourvue de
debitum ; il
ne reste que l’
obligatio, inapte à obliger la caution. Aucune prestation n’existe qui puisse faire
l’objet d’une évaluation pécuniaire.
11. L’absence d’utilité matérielle. D’ailleurs, si le créancier avait bien deux débiteurs, il devrait
être « deux fois riche ». Or, ce n’est pas le cas : le créancier titulaire d’une créance de 100.000
euros et d’un cautionnement indéfini, n’est pas à la tête d’un capital de 200.000 euros. Il y a donc
nécessairement une obligation qui ne vaut rien… celle qui, soi-disant, emprunte son
debitum à
l’obligation du débiteur. L’ « obligation » de la caution est, à l’instar du droit réel d’hypothèque, «
vide » de toute utilité matérielle : elle n’a pas de
debitum. Le contrat de cautionnement n’est pas la
source d’un enrichissement du créancier. Dès lors, si le propre de la patrimonialité est d’être
susceptible d’une évaluation pécuniaire, le cautionnement n’est pas patrimonial, car seule la
prestation due par le débiteur principal peut être évaluée et la caution ne la doit pas. Elle ne fait
que prêter « au débiteur son crédit, c'est-à-dire, au sens premier du terme crédit –
credere – la
confiance qu’elle inspire »
31, mais là encore la confiance n’est pas la richesse. D’ailleurs, si la caution
devait la prestation principale, le créancier devrait pouvoir en exiger l’accomplissement, or le
créancier ne peut pas faire condamner la caution à l’exécution en nature de la prestation. La
caution est seulement tenue de se laisser saisir pour payer le créancier d’un équivalent monétaire
sur le prix de vente de ses biens. Le droit de poursuite sur les biens de la caution forme l’essentiel
du cautionnement
32. Or, le simple droit de poursuite sur ses biens ne suffit pas, à défaut de
28 G. Cornil, Debitum et obligatio. Recherches sur la formation de la notion de l’obligation romaine, extrait des mélanges P.F.
Girard, Libraire A. Rousseau éditeur, 1912. Pour une reprise en droit des sûretés de la distinction, L. Aynès et P.
Crocq,
op. cit. n°121 ; Ph. Simler et Ph. Delebecque, op.cit., n°47 ; Ph. Simler, Cautionnement. Garanties autonomes.
Garanties indemnitaires, LexisNexis, 5ème éd., 2015, n°47 ; Y. Picod, Droit des sûretés, PUF, 3ème éd., 2016, n°30 ; sur
l’appréciation critique de l’analyse dualiste, M. Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachelier,
op. cit. n°141 et s. ;
J. François,
Droit civil, t. VII, Les sûretés personnelles, Economica, 2004, n°40 et s.
29 G. Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 93, 1969, n°22 et 23 ; Pothier, Traités
sur les différentes matières du droit civil appliquées à l’usage du barreau ; et de jurisprudence françoise
, t. 1er, Traité des obligations,
traité du contrat de vente, traité des retraits, Paris, chez J. Debure, MDCCLXXIII, p. 176, n°366 et p. 180, n°377.
30 Voir P. Ancel, Droit des sûretés, LexisNexis, 7ème éd., 2014, p. 71, qui conteste l’existence technique de l’obligation de
couverture. L’obligation de règlement est, quant à elle, une véritable obligation ; P. Ancel,
Force obligatoire et contenu
obligationnel
, RTDCiv. 1999, p. 771 ; A-S. Barthez et D. Houtcieff, Traité de droit civil. Les sûretés personnelles, LGDJ,
Lextenso 2010, n°416 : « L’obligation de couverture n’est pas une obligation. Obligations de couverture et de
règlement sont des paraboles : elles livrent à l’intelligence autre chose que ce qu’elles signifient » ; rappr. M. Bourassin,
V. Brémond et M-N. Jobard-Bachelier,
op. cit. n°143, pour ces auteurs, l’obligation de couverture est « à la fois plus et
autre chose que l’obligation du débiteur principal ».
31 Ph. Simler, op. cit., n°13.
32 Ce qui s’évince du régime du cautionnement, la caution peut ainsi échapper aux poursuites du créancier en lui
opposant le bénéfice de discussion, ce qui implique qu’elle lui indique des biens suffisants appartenant au
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prestation, à former une obligation. Le rapport noué entre le créancier et la caution est un rapport
de crédit qui se soutient tout seul, indépendamment de toute considération matérielle. La réforme
de 2006 a d’ailleurs enclenché un mouvement officiel de dématérialisation des sûretés en
détachant le cautionnement et les sûretés réelles du livre III du Code civil consacré aux
différentes manières dont on acquiert la propriété. Les sûretés ne sont donc pas des droits
patrimoniaux
. En outre, les contrats qui les constituent présentent bien des particularités qui les
éloignent du droit commun des contrats.
B) Le contrat
12. L’autonomie de la volonté. En 1938, Josserand33, soulignant la pénétration du droit civil par
l’esprit du droit public
34, observait déjà que le contrat avait « cessé d’être véritablement et en tout
état de cause un
negotium, au sens traditionnel du mot, une affaire purement privée, pour devenir
en quelque mesure et sur bien des points, une affaire publique et presque une « affaire d’Etat »
35 :
les volontés privées avaient à compter avec la volonté publique qui les faisait reculer
36. Josserand
décrivait ainsi la tension permanente existant entre la loi, expression de la volonté générale, et le
contrat, expression des volontés individuelles. Le droit des sûretés semble non seulement
perméable à cette « publicisation », dont Josserand s’était fait l’éclaireur à l’échelle générale du
contrat, mais on pourrait même être tenté d’y voir là un de ses caractères substantiels, tant les
contrats de sûreté dérogent au principe de l’autonomie de la volonté
37, qui forme la base du droit
contractuel, que l’on considère la formation du contrat de sûreté (1°), son effet à l’égard des tiers
(2°), son contenu et sa force obligatoire (3°).
1°) La formation du contrat de sûreté
13. L’hypothèque. En droit commun des contrats, les volontés sont libres. La loi n’intervient
pas pour enserrer leur expression dans l’étau d’une forme. Le principe est le consensualisme. Si,
par exception, les parties devaient se soumettre à un quelconque formalisme, celui-ci serait encore
inféodé aux volontés individuelles, car il n’aurait d’autre but que de protéger le consentement
d’une des parties au contrat. En droit commun des contrats, la forme sert les volontés
individuelles. En revanche, en droit hypothécaire, le formalisme semble s’émanciper des volontés
individuelles : le législateur impose la rédaction d’un acte notarié à peine de nullité absolue de
l’hypothèque. Ici, la forme ne peut être justifiée par la protection du constituant que l’on devrait
protéger contre un acte dangereux. Si tel était le fondement, le défaut d’acte notarié serait plus
opportunément sanctionné par la nullité relative, protectrice de l’intérêt privé du constituant, et
les promesses d’hypothèque par acte sous seing privé devraient être interdites
38. De même, depuis
1804, l’hypothèque est soumise au principe de spécialité. L’acte qui la constitue doit mentionner
le bien hypothéqué ainsi que les créances garanties à peine, là encore, de nullité absolue. La
débiteur (art. 2298 et s. c. civ.). Par ailleurs, si la caution devient insolvable, le débiteur est tenu d’en fournir une
nouvelle au créancier (art. 2297 c. civ.).
33 L. Josserand, « La publicisation » du contrat, in Introduction à l’étude du droit comparé, Recueil d’étude en l’honneur
d’Edouard Lambert, t. 3, LGDJ, 1938, § 145, p. 143, n°7. Voir la pensée de l’auteur récemment mise à l’honneur,
in
Un ordre juridique nouveau ? Dialogues avec Louis Josserand, dir. W. Dross et Th. Favorio, Mare & Martin, 2014, not. P.
Ancel,
Dirigisme contractuel et publicisation du contrat, p. 245, Ph. Delebecque, Journées Josserand – Aperçu général des tendances
actuelles de la théorie des contrats
, p. 259.
34 L. Josserand, op. cit., n°2.
35 L. Josserand, op. cit., n°2.
36 L. Josserand, op. cit., n°2.
37 Voir sur ce thème, Ph. Dupichot, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, préf. M. Grimaldi, Editions
Panthéon-Assas, 2005, l’auteur démontre un double mouvement stigmatisant une contractualisation des sûretés
réelles corrélative à une institutionnalisation des sûretés personnelles qui tend à rapprocher les deux catégories de
sûreté. Le mouvement décrit par l’auteur illustre à merveille la progression vers l’unité des sûretés.
38 C. Dauchez, op. cit., n°26.
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protection du crédit du constituant est alors invoquée, mais le caractère absolu de la nullité
conduit, là aussi, à douter du fondement
39. L’intervention du notaire ne peut donc être justifiée
par la protection des volontés individuelles. Le notaire, dont le statut d’officier public ministériel
délégataire de puissance publique n’a jamais fait l’objet de bien d’attention, est donc peut-être ici
autant la « bouche de la loi » que celle des parties.
14. Le gage. La sanction du défaut d’écrit, qui est d’ailleurs une condition de forme commune à
toutes les sûretés réelles
40, laisse d’ailleurs la doctrine perplexe en matière de gage, depuis qu’il
s’est substitué à la dépossession en 2006. Certains auteurs optent pour la nullité, mais n’en
précisent pas la nature
41. Pour d’autres, le défaut d’écrit rend la sûreté inexistante, car elle n’est
pas formée
42. La sanction de l’inexistence ou de la nullité absolue est logique dès lors que l’écrit a
remplacé le formalisme de la dépossession : la dépossession était de l’essence du gage, l’écrit ne
l’est pas moins
43.
15. Le cautionnement. En droit des sûretés personnelles, cette reconnaissance d’un formalisme
autonome est actuellement à l’œuvre. En effet, le cautionnement s’éloigne progressivement de la
catégorie des contrats consensuels
44. Ainsi, dans un premier temps, au cours des années 1980, la
Cour de cassation a décidé de faire jouer un rôle substantiel à l’article 1376 du Code civil (anc.
1326 c. civ.). La mention manuscrite, requise à titre probatoire, a mué en condition de forme
ad
validitatem
, destinée à protéger le consentement de la caution. Cette jurisprudence abandonnée au
début des années 1990
45, le législateur a pris le relais. Depuis la loi Neiertz du 31 décembre 1989,
le cautionnement consenti par une personne physique par acte sous seing privé en faveur d’un
consommateur de crédit, mobilier ou immobilier, doit, à peine de nullité, être écrit et comporter
une mention écrite de sa main dont les termes sont impérativement fixés par l’article L 314-15 du
Code de la consommation (anc. L 313-7 c. cons.). Puis, l’exigence a été étendue à tous les
cautionnements consentis par de personnes physiques par acte sous seing privé à des créanciers
professionnels par la loi Dutreil du 1
er août 2003 (L 331-1 à 3 c. cons., anc. L 341-2 et L 341-3 c.
cons.)
46. La jurisprudence applique le texte non seulement à la personne physique profane, mais
également au dirigeant de société rompu aux affaires, le gérant de la société débitrice ou encore
un associé
47. Bien que la nullité ne soit que relative, l’extension de ce formalisme à des personnes
39 C. Dauchez, op. cit, n°118 et s.
40 Pour l’hypothèque conventionnelle, art. 2416 C. civ., 2423 C. civ., 2418 C. civ., le gage immobilier, art. 2388 C.
civ., la fiducie-sûreté immobilière, art. 2019 C. civ., 2018 C. civ. et 2488-2 C. civ. Pour les sûretés mobilières : gage,
2336 C. civ. ; nantissement de meubles incorporels, 2355 C. civ. ; nantissement de créances, 2356 C. civ. ; réserve de
propriété, 2368 C. civ. ; fiducie-sûreté, 2018, 2372-2 ; nantissement de fonds de commerce, L 142-3 C. com., de films
cinématographiques, art. 33 C. ind. Cin., nantissement des droits d’exploitation des logiciels, L 132-34 CPI,
nantissement de l’outillage et du matériel, L 525-3 C. com., le gage de stocks, L 527-1 C. com. …
41 Ph. Simler et Ph. Delebecque, op. cit., n°624 et 629 ; D. Legeais, op. cit., n°459 ; voir, M. Bourassin, V. Brémond et
M-N. Jobard-Bachellier, op. cit., n°820, pour qui le gage est un contrat formel où l’écrit « paraît » s’imposer à peine de
nullité ; M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel,
op. cit., n°764, également prudents sur la sanction de la
nullité.
42 L. Aynès et P. Crocq, op. cit., n°506 : l’écrit est « une règle de « perfection » du gage (art. 2336) c'est-à-dire de
formation ; le gage cesse d’être réel, mais il devient solennel ; en l’absence de cet écrit, il est informe, non formé, ce
qui paraît désigner une inexistence, plus encore qu’une nullité ».
43 Voir cependant, la solution adoptée pour le gage commercial par Com. 17 février 2015, amplement commentée,
not. D. 2015, p. 787, N. Borga ; RTDCiv. 2015, p. 437, P. Crocq ; JCP éd. G, 2015, 604, n°16, Ph. Delebecque ;
Droit et patrimoine, octobre 2015, p. 99, Ph. Dupichot ; AJCA 2015, p. 176, C. Albiges ; Gaz. Pal. 19 mars 2015, p.
18, M.-P. Dumont-Lefrand ; Petites Affiches, 16 déc. 2015, p. 10, C. Dauchez.
44 M. Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachellier, op. cit., p. 114 ; D. Legeais, op. cit., n°47.
45 Not. Civ. 1ère, 20 octobre 1992, BC I, n°259.
46 Pour une analyse détaillée de ce mouvement, voir M. Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachellier, op. cit., p.
115 et s.
47 L. Aynès et P. Crocq, Droit des sûretés, op. cit., n°210, Com. 10 janvier 2012, BC IV, n°2 ; Civ. 1ère, 8 mars 2012, BC
I, n°53.
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dont le consentement n’a nullement besoin d’être protégé permet de constater, en droit du
cautionnement, l’émergence d’un formalisme qui s’émancipe de la volonté des parties.
16. La garantie à première demande. Le mouvement touche également la garantie à première
demande, qui est un contrat consensuel, bien qu’en pratique, elle soit toujours constatée dans un
écrit
48. Ainsi, le législateur vient d’introduire dans le Code de l’environnement un régime
impératif de constitution par écrit, même dans le cas où elle est fournie par un établissement de
crédit, une société de financement, une entreprise d'assurance ou une société de caution
mutuelle
49, ce qui est, par ailleurs, conforme à l’évolution des règles uniformes internationales qui
optent également pour le formalisme
50. A l’étranger, le droit de l’OHADA, récemment réformé,
requiert aussi l’écrit à peine de nullité de la garantie autonome alors même qu’elle ne peut être
souscrite par des personnes physiques
51. L’exigence d’un instrumentum commence donc à gagner
du terrain non seulement lorsque la sûreté est conférée par une personne physique, mais
également lorsqu’elle est concédée, dans des relations d’affaires d’envergure, par des personnes
morales ou des établissements financiers, si bien que la protection du consentement du garant ne
peut pas lui servir de fondement. D’une manière générale, la volonté en droit des sûretés a
toujours été empreinte d’une certaine raideur, devant bien souvent être exprimée expressément
52.
Mais aujourd’hui, le formalisme s’émancipe de l’emprise de la volonté individuelle, qu’il
concurrence au titre de la formation de la sûreté, même en droit des sûretés personnelles. La
condition de forme imposée par la loi paraît bien muter en une véritable condition de
fond autonome : la forme légale se substantialise et s’impose aux côtés de la volonté des parties
pour former la sûreté, lui conférant une étrange mixité légale et conventionnelle.
2°) L’effet du contrat de sûreté à l’égard des tiers
17. L’hypothèque. L’émancipation du contrat de sûreté des volontés individuelles apparaît
davantage encore au regard de ses effets à l’égard des tiers. Le contrat, fruit des volontés
individuelles ne devrait pas pouvoir rayonner au delà des parties et, corrélativement, les tiers ne
devraient pas pouvoir s’immiscer dans la relation contractuelle qui leur est étrangère (art. 1165 c.
civ.). Ils doivent respecter la situation juridique née du contrat et s’abstenir de tout
comportement visant à faire obstacle à son exécution
53. En droit des sûretés, c’est tout l’inverse.
Il semblerait même que la convention n’ait été contractée que pour permettre à un tiers de
s’immiscer dans une relation contractuelle à laquelle il n’est pas partie. Ainsi, suivant l’analyse
traditionnelle, l’hypothèque est un droit réel et elle bénéficie de l’opposabilité absolue de tous les
droits réels. Il faudrait en déduire que le transfert de propriété conclu entre le constituant et le
tiers acquéreur est inopposable au créancier, dès lors que celui-ci aura préalablement inscrit son
hypothèque. La publicité foncière permettrait ici de régler le conflit entre les ayants cause tenant
leur droit du même auteur : l’acquéreur et le créancier hypothécaire. La vente serait donc
48 Ph. Simler, op. cit., n°974.
49 Art. R 512-80, I, 1° et 3° du Code de l’environnement, issu du décret n°2015-1004 du 18 août 2015, art. 1er, en
application de l’article L 521-21, issu de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme
rénové.
50 La convention de la CNUDCI sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand by prévoit « une forme
préservant un enregistrement complet » du texte de l’engagement. De même, bien qu’il ne s’agisse que d’une règle à
valeur contractuelle, les règles uniformes sur les garanties sur demande adoptées par la Chambre de Commerce
Internationale, le 3 décembre 2009, prévoient la rédaction d’un écrit irrévocable du garant, Ph. Simler,
op. cit., n°904
et s. et n° 974.
51 OHADA, Acte uniforme du 15 déc. 2010 portant organisation des sûretés, art. 40 et 41 (AUS), in Le nouvel acte
uniforme portant organisation des sûretés. La réforme du droit des sûretés de l’OHADA
, dir. P. Crocq, Editions Lamy, 2012,
n°153.
52 Pour les deux sûretés majeures : le cautionnement (art. 2292 c. civ.) ; l’hypothèque, voir C. Dauchez, op. cit., n°51;
v. égal. la fiducie (art. 2012). Il y a, peut-être là, matière à établir un principe de droit commun des sûretés.
53 Fr. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, op.cit., n°490.
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inopposable au créancier qui pourrait saisir le bien hypothéqué entre les mains du tiers acquéreur
en vertu de son droit de suite. Cette présentation est cependant « inexacte »
54, car la vente est
opposable au créancier hypothécaire : « Le créancier hypothécaire ne saisit pas l’immeuble
comme si la vente n’avait pas eu lieu. Le tiers acquéreur n’est poursuivi qu’en sa qualité de tiers
acquéreur »
55. La convention d’hypothèque rayonne donc au delà des parties et permet
l’immixtion du créancier dans le rapport du constituant et du tiers acquéreur, alors même que le
contrat de vente lui est opposable. Ainsi, la procédure de purge ne purge pas le bien de
l’hypothèque, car l’hypothèque n’est pas un
jus in re, mais elle purge le contrat translatif de
propriété de l’hypothèque, ainsi que l’indique l’article 2475 du Code civil (art. 2181 c. civ.
originel).
le
législateur a soumis son opposabilité à
18. L’inscription. Sous l’ancien droit, ce dynamisme du contrat56 d’hypothèque était une source
d’insécurité majeure dans les transactions immobilières, car l’hypothèque était occulte. Ainsi, en
1804,
l’accomplissement d’une formalité
administrative
57 : une inscription à la conservation des hypothèques. Depuis, la convention
notariée ne suffit plus à former complètement l’hypothèque ; elle donne naissance à un véritable
droit d’inscription
58 soumis à un régime de nullité qui lui est propre59, qui permet d’y voir un
véritable acte juridique
60. L’opposabilité de l’hypothèque est subordonnée à l’exercice de ce droit
l’inscription
61. Le formalisme ad opposabilitatem dans
par
l’hypothèque participe à la formation de l’hypothèque, tout autant que l’acte notarié. La
distinction traditionnelle entre le régime des inscriptions hypothécaires et celui de la publication
des transactions immobilières est donc parfaitement justifiée
62. En effet, la publicité hypothécaire
légale imposée en 1804 vise à assurer la sécurité générale des transactions, car l’hypothèque
permet la remise en cause des transactions immobilières par un tiers à qui elles sont opposables,
tandis que la publication des transactions immobilières vise seulement à régler des conflits privés
entre les ayants cause d’un même auteur.
la formalité administrative de
19. Le cautionnement. Prima facie, le cautionnement ne porte pas atteinte au principe de l’effet
relatif. En effet, la caution et le débiteur ont chacun une relation avec le créancier qui leur est
propre. Cependant, s’il est tenu pour acquis que le créancier cautionné a bien deux débiteurs, l’un
principal et l’autre accessoire, il faut aussi admettre que le débiteur principal a lui-même deux
créanciers, l’un principal et l’autre accessoire, la caution, qui a son recours personnel contre le
débiteur et peut, d’ailleurs, l’exercer à titre préventif, avant même d’avoir payé le créancier (art.
2309 et 2316 c. civ.). Le contrat de cautionnement déroge alors au principe de l’effet relatif,
puisqu’il met à la charge du débiteur principal une obligation, alors qu’il n’est pas partie au
54 L. Aynès et P. Crocq, op. cit., n°689.
55 L. Aynès et P. Crocq, op. cit., n°689.
56 Pour l’expression, L. Josserand, op. cit., n°12.
57 D’une manière générale, l’opposabilité des sûretés réelles est actuellement subordonnée à une publicité organisée
par des services administratifs : le greffe des tribunaux de commerce pour le gage de droit commun, le gage de
stocks, le nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement, l’hypothèque fluviale, le nantissement de fonds de
commerce; la préfecture, pour le gage automobile ; le bureau des douanes, pour l’hypothèque maritime ; le ministère
de l’aviation civile, pour l’hypothèque aérienne…
58 Voir les observations du Tribunal de cassation, C. Dauchez, op. cit., n°140.
59 C. Dauchez, op. cit., n°120 et s.
60 M-A. Guerriero, L’acte juridique solennel, LGDJ, Bibl. de droit privé, t. 137, 1975, p. 214.
61 C. Dauchez, op. cit., n°80.
62 L’inscription a toujours été considérée comme le seul mode légal de publicité de l’hypothèque (L. Aynès et P.
Crocq, op. cit., n°670). La connaissance par les tiers de l’existence de la sûreté n’a jamais permis de suppléer au défaut
d’inscription. En jurisprudence, la solution inverse était retenue jusqu’à récemment pour la publication des
transactions, voir l’évolution récente de la portée de la formalité (Civ. 3
ème, 12 janvier 2011, L. Aynès, D. 2011, p.
851 ; Civ. 3
ème, 15 oct. 2015, A. Posez, D. 2015, p. 2613, RLDC, mars 2016, obs. B. Parance, p. 61). La réforme du
droit des obligations a mis un terme à l’alignement du régime de l’inscription et de la publication (art. 1198, al. 2 C.
civ. issu de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016).
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contrat de sûreté et que celui-ci peut même avoir été conclu à son insu (art. 2291 c. civ.). Par
ailleurs, dès lors que l’obligation de la caution est accessoire et qu’elle emprunte son
debitum à
l’obligation principale
63, la portée de l’effet relatif s’en trouve considérablement atténué64. Ainsi, la
caution est admise à demander la résolution du contrat principal en cas d’inexécution par le
créancier
65, la défaillance d’une condition suspensive affectant l’obligation principale au moment
de son engagement
66 ou la compensation des dettes réciproques du créancier et du débiteur
principal
67. Récemment, la caution solidaire, qui n’avait pas été partie à l’instance arbitrale, a été
autorisée à former tierce opposition à la sentence arbitrale déterminant le montant de la dette du
débiteur principal à l’égard du créancier
68. Le cautionnement paraît bien alors avoir pour unique
objet d’introduire un tiers dans la relation contractuelle du créancier et du débiteur principal. Les
sûretés traditionnelles ont alors pour trait commun de déroger au principe de l’effet relatif du
contrat. Ainsi, le contrat de sûreté semble bien cesser « d’être un
negotium relatif et privé, pour
s’imprégner de l’acte public, susceptible de développer ses effets au-delà des parties contractantes
»
69.
3°) Le contenu et la force obligatoire de la sûreté
20. Le fondement légal des droits des créanciers. Enfin, la loi établit un « règlement
collectif » qui constitue le socle des droits de tous les créanciers (art. 2285 et 2286 c. civ.). Le
désintéressement des créanciers s’opère par contribution sur le prix de vente des biens saisis, à
moins qu’il n’y ait entre eux des causes légitimes de préférence. Ainsi, les sûretés dérogent au
« règlement collectif » établi par la loi, sur lequel elles viennent se greffer. Elles sont le lieu d’une
rencontre entre la volonté générale et les volontés individuelles, ce que l’on conçoit fort bien
pour l’hypothèque qui confère un droit de préférence et permet au créancier qui en est titulaire
d’être désintéressé avant les autres créanciers. Mais la même solution doit être admise pour le
cautionnement. En effet, dès lors que la caution n’est pas personnellement débitrice du
créancier
70, le créancier n’a aucune raison de saisir les biens de la caution : seuls « les biens du
débiteur sont le gage commun de ses créanciers ». Le cautionnement doit donc être, lui-même,
considéré comme une cause légitime de préférence. Le concours du créancier du débiteur
principal avec les créanciers de la caution est une cause de préférence ; les autres créanciers
doivent se contenter « des biens du débiteur ».
21. L’intervention des pouvoirs publics dans les sûretés. Par ailleurs, le législateur intervient
naturellement dans le droit des sûretés qui se situe dans le prolongement de la procédure de saisie
que les sûretés aménagent. C’est un lieu commun de constater que le législateur a sacrifié sur
l’autel de la procédure collective les droits des créanciers titulaires de sûretés. Ainsi, à partir de
1967, le « droit des faillites » s’est transformé en un véritable « droit des entreprises en
63 Voir supra n°10.
64 Rappr. M. Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachellier, op. cit., n°148, la possibilité pour la caution de
s’immiscer dans la convention unissant le débiteur et le créancier constitue une « dérogation avérée au principe de
l’effet relatif des contrats ». D’ailleurs, la Cour de cassation a surpris en refusant à la caution la possibilité d’invoquer
la nullité pour dol du débiteur principal, invoquant justement que la caution n’était pas partie au contrat principal et
considérant que la nullité relative fondée sur le dol était une exception purement personnelle au débiteur, qu’elle était
destinée à protéger, Ch. Mixte, 8 juin 2007,
BC ch. Mixte, n°5, L. Aynès et P. Crocq, op. cit., n°129.
65 Civ. 1ère, 20 décembre 1988, BC I, n°368, D. 1989, p. 166, note L. Aynès ; Civ. 1ère, 29 avril 1997, BC I, n°133, Déf.
1997, art. 36703, n°160, obs. L . Aynès.
66 Civ. 1ère, 29 avril 1997, BC I, n°133, Déf., 1997, art. 36703, n°160, obs. L. Aynès.
67 Civ. 1ère, 1er juin 1983, BC I, n°165, RTDCiv. 1984, p. 330, obs. Ph Rémy ; Com. 26 oct. 1999, BC I, n°181.
68 Com. 5 mai 2015, BC IV, n°424, RTDCiv. 2015, p. 933, obs. Ph. Théry.
69 Josserand, n°15 in fine.
70 Voir supra n°10.
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difficulté »71. La procédure ne vise plus à désintéresser les créanciers, mais à préserver le débiteur
des mesures d’exécution dont il est l’objet, lorsqu’il exploite une entreprise « dont la survie est
d’intérêt général et dont la protection relève, aux yeux du législateur, de l’ordre public
économique et social »
72. Les droits du créancier, titulaire d’une sûreté réelle constituée
antérieurement à l’ouverture d’une procédure collective, ont perdu de leur efficacité contractuelle
et sont soumis à une réglementation impérative à laquelle ils ne peuvent échapper
73, raison pour
laquelle la propriété-sûreté a ressurgi
74. Les créanciers titulaires de sûretés personnelles ne sont
pas eux-mêmes à l’abri de voir leurs poursuites suspendues à l’encontre de la caution du débiteur
soumis à la procédure
75. Le traitement du surendettement des particuliers a également consacré
des atteintes aux sûretés réelles consenties par le débiteur
76. En outre, en respect d’un impératif
d’éthique contractuelle
77, en dehors de toute procédure, depuis les années 1980, le créancier se
voit imposer des obligations légales qui peuvent conduire à l’extinction partielle ou totale de ses
droits : obligation d’information de la caution (L 313-22 CMF, L 1
er mars 1984), obligation de
mise en garde à l’égard de la caution non avertie
78 ou encore obligation de souscrire un
cautionnement proportionné aux facultés contributives de la caution (L 332-1 c. cons.). Ces
devoirs légaux ne remettent pas en cause le caractère unilatéral de la sûreté
79 ; ils invitent alors à
penser que le créancier est soumis à un véritable statut qui s’impose à lui, sans qu’il puisse en
négocier les termes. Ainsi, les volontés individuelles sont loin d’être maîtresses en droit des
sûretés ; elles n’y font pas la loi. Cette emprise de la volonté générale, conjuguée au défaut de
patrimonialité de la sûreté, conduit alors à se détourner du droit privé pour trouver la pièce
manquante à la théorie générale des sûretés.
II – La pièce manquante
22. L’éclairage public du droit des sûretés. La théorie générale des sûretés ne peut émerger
car elle tente de s’élever sur le patrimoine et le contrat, qui sont au demeurant des notions
fondamentales de droit privé. Il faut alors chercher du côté du droit public la pièce qui lui fait
défaut. En effet, si la sûreté est un droit « vide » de toute utilité matérielle privée et que les
volontés privées y apparaissent étrangement mêlées à la volonté générale, il faut peut-être en
déduire qu’une utilité immatérielle publique pourrait s’être glissée à l’intérieur et colorerait la
71 J. Paillusseau, Du droit des faillites au droit des entreprises en difficulté…, Etudes offertes à Roger Houin, problèmes
d’actualité posés par les entreprises, 1985, p. 109.
72 Fr. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ, 10ème éd., 2014, n°1.
73 Pour un début de liste des déboires rencontrés par le créancier : il ne pourra mettre en œuvre aucune procédure
d’exécution à l’encontre de son débiteur (L 622-21 c. com). Une formalité de déclaration de créance lui est imposée à
peine d’inopposabilité (L 622-25 c. com.). S’il n’a pas inscrit sa sûreté, il ne peut plus le faire (L 622-30 c. com. (S), L
631-14, al. 1
er, c. com. (RJ), L 641-3, al. 1er, c. com. (RJ) et l’interdiction de l’inscription « permet, dans le même
temps, d’affecter les biens (sur lesquels aurait dû normalement porter la sûreté) en garanties de dettes nées après le
jugement d’ouverture pour renforcer le crédit de l’entreprise » (M-L. Coquelet, Entreprises en difficulté. Instruments de
paiement et de crédit,
Dalloz, 5ème éd., 2015, n°272). Sa sûreté réelle peut être annulée de plein droit dès lors qu’elle aura
été consentie en période suspecte pour garantir une dette antérieurement contractée (L 632-1, I, 6° c. com). Si elle y
échappe, elle peut encore être annulée à titre facultatif (L 632-2 c. com.). Lors de la distribution, le créancier est
primé par le super-privilège des salariés, les frais de justice, les créanciers titulaires d’un privilège de conciliation (art.
611-11 c. com.)…
74 M. Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachellier, op. cit., p. 763 et s.
75 Voir not., la suspension des poursuites à l’encontre du débiteur qui profite aux personnes physiques coobligés ou
ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie (L 622-28, al. 2 c. com).
76 Not. l’inopposabilité de la sûreté à défaut de déclaration, art. L 331-3 c. cons., l’interdiction de l’inscription des
sûretés au cours de la procédure de surendettement (renvoi de l’article 2427, al. 3, c. civ. au livre VI du Code de
commerce)…, sur l’ensemble des implications en droit des sûretés de la procédure de surendettement, voir M.
Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachellier, p. 275 et s. et 697 et s.
77 M. Bourassin, V. Brémond et M-N. Jobard-Bachellier, op. cit., n°265.
78 Com. 13 février 2007, BC IV, n°31 ; Com. 13 nov. 2007, BC IV, n°236.
79 Com. 8 avril 2015, BC IV, n°377, Droit et patrimoine, obs. Ph. Dupichot, oct. 2015, p. 82.
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convention de sûreté d’une teinte publique. La sûreté privée serait ainsi l’accessoire d’une utilité
publique. Cette utilité publique n’aurait jamais été perçue, tant le droit des sûretés, dont l’utilité
est fondamentale à l’économie moderne, apparaît rivé au droit privé. En effet, l’économie relève
en principe de la sphère privée
80. Depuis la fin du XVIIIe siècle, le libéralisme a supplanté
« l’étatisme économique ». La « main invisible » d’Adam Smith a recouvert le marché dont l’ordre
spontané repose, depuis lors, sur le contrat et la propriété privée
81. L’Etat prend en charge les
activités régaliennes qui touchent aux prérogatives de « souveraineté », qui « constituent le noyau
irréductible et la finalité ultime de son institution : pour le reste, il est censé n’avoir qu’un
domaine d’action résiduel, lié aux défaillances ou aux insuffisances de l’initiative privée »
82. Ses
fonctions sont essentiellement politiques (armée, police, justice). Suivant cette répartition des
rôles, l’Etat ne peut être titulaire d’aucune utilité économique. Cependant, il n’est pas moins vrai
que les sûretés ne sont pas à leur aise en droit privé et que si la sûreté est introuvable à partir des
notions fondamentales de droit privé, les recherches pourraient bien avancées si elles se
tournaient vers le droit public. Il est donc possible que l’Etat joue un rôle économique en droit
du crédit, mais qu’il ait été occulté sous l’influence des idées libérales. L’Etat serait un acteur
majeur du crédit, si bien que les sûretés qui sont la garantie du crédit se mâtineraient d’un vernis
public, qui expliqueraient le caractère exorbitant du droit commun des conventions qui les
constituent. Le crédit public serait donc la pièce manquante à l’élaboration de la théorie générale
des sûretés. Il faut à présent le mettre à jour, ce qui suppose que l’on puisse retracer la genèse (A)
d’une prérogative dont personne n’aurait, jusqu’à présent, conçu qu’elle puisse être une utilité
économique étatique, pour en ébaucher la notion (B).
A – La genèse du crédit public
23. L’histoire de l’hypothèque. Pour retrouver la trace du crédit public et élaborer sa genèse, il
faut partir de l’histoire de l’hypothèque qui a fondé le droit moderne du crédit au début du XIX
e
siècle. En effet, l’hypothèque n’a pas toujours été cet instrument que l’on connaît. Fruit de la
« mutation capétienne », elle est née au XIII
e siècle dans les forges de l’Etat. Elle s’est imposée
comme un instrument de crédit fondamental à mesure de l’affermissement de l’autorité de l’Etat.
A l’époque, son attribut essentiel est le droit de gage général, accompagné de deux prérogatives
accessoires, le droit de préférence et le droit de suite. Puis, le Code civil a fait son œuvre,
l’hypothèque a été dépossédée du droit de gage général ; privée de son attribut principal, elle s’est
repliée sur ses deux attributs accessoires. L’histoire privée de l’hypothèque (1°) a cependant
occulté son histoire publique (2°), or seule la combinaison des deux facettes de son histoire
permet de retracer l’institution d’une véritable utilité économique publique : le droit de gage
général.
1°) L’histoire privée de l’hypothèque
24. L’absence d’hypothèque au Moyen Âge. Au Moyen Âge, les immeubles ne peuvent pas
être saisis par les créanciers («
Qui n’a que des immeubles est insolvable »)83. En revanche, les meubles
sont saisissables, car ils sont le prolongement de la personne
(« Seuls les meubles sont sièges de
dettes »)
84. En principe, le créancier doit demander l’autorisation de la justice, bien qu’il s’en
dispense souvent en pratique. La saisie a donc tendance à être privée et le créancier se fait ainsi
80 M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 2ème éd., Dalloz 2015, reproduction du précis de droit constitutionnel de
1929, p. 105, pour la présentation de la distinction des pouvoirs économiques, qui relèvent de la sphère privée, des
pouvoirs politiques, qui relèvent de la sphère publique ; J. Chevallier,
L’Etat, Dalloz, 2ème éd., 2011, p. 67, 69.
81 J. Chevallier, op. cit., p. 69.
82 J. Chevallier, op. cit., p. 67.
83 J-P. Lévy et A. Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, 2ème éd., 2010, n°697.
84 J. Bart, Histoire du droit privé de la chute de l’Empire romain au XIXè siècle, Montchrestien, 2ème éd., 2009, p. 88.
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justice à lui-même85. Pour se prémunir contre l’inexécution de l’obligation, le créancier peut se
faire consentir une sûreté.
Dans le Haut Moyen Âge, le cautionnement est davantage pratiqué que
les sûretés réelles
86. L’hypothèque est en grande partie ignorée du Moyen Âge87. Le gage est la
sûreté réelle par excellence. Il se pratique dans un premier temps sur les meubles, car la terre
n’était pas susceptible d’appropriation privée, puis à partir du VI
e siècle sur les immeubles88. Le
vocabulaire emprunté par les juristes médiévaux désigne alors sous l’unique vocable
pignus à la
fois le gage et l’hypothèque
89 selon que le gage porte sur un meuble ou immeuble.
25. La naissance de l’hypothèque au XIIIe siècle. Ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle que les
créanciers demandent à leurs débiteurs « des garanties immobilières »
90 par convention spéciale
insérées dans les actes notariés. Ainsi, naît l’obligation générale dont Beaumanoir cite la formule :
le débiteur oblige « moi et mes hoirs et tout le mien présent et à venir, meubles et héritages »
91.
Cette stipulation a pour « but essentiel de conférer au créancier l’autorisation de faire vendre
l’immeuble à une époque où la saisie des immeubles n’est pas admise »
92. Jusqu’alors, le créancier
était seulement autorisé à entrer en possession des biens et à se placer ainsi dans la situation d’un
gagiste. L’
obligatio se distingue alors bien « du gage, pour lequel l’idée de « placement » apparaît
essentielle »
93. Elle « asseyait le gage des créanciers sur tout le patrimoine du débiteur ». Elle est le
fruit de la combinaison d’un contrat de prêt et d’une autorisation de saisir et vendre insérée dans
un acte notarié
94. A la fin du XIIIe siècle et au début du XIVe, la doctrine prend conscience de
l’identité propre du gage et de l’hypothèque
95. C’est alors, au même moment, à partir du XIVe
siècle, que l’
obligatio change de dénomination et devient l’hypothèque96. L’hypothèque est générale
ou spéciale. Elle produit le droit de préférence et le droit de suite à partir du XIV
e-XVe siècle97,
solution définitivement acquise au XVII
e siècle et formulée par Dumoulin dans un adage dont la
formule ne sera plus remise en cause : «
Regulariter tantum operantur generalis hypotheca quantum
specialis
».
26. Les attributs de l’hypothèque sous l’ancien droit. Le droit de gage général et l’hypothèque
ne font donc qu’un, ce dont il faut avoir bien conscience, et le droit de gage produit tous les
effets de l’hypothèque. L’hypothèque, au sens de droit de gage général, est entendue comme un
droit réel démembré qui s’ajoute à l’obligation. Ainsi, pour Pothier, « le
jus ad rem est le droit que
nous avons, non dans la chose, mais seulement par rapport à la chose, contre la personne qui a
contracté envers nous l’obligation de nous la donner. C’est celui qui naît des obligations, & qui ne
consiste que dans l’action personnelle que nous avons contre la personne qui a contracté
l’obligation … »
98. L’obligation se distingue ainsi de
l’hypothèque, qu’il définit ainsi :
« L’hypothèque, ou droit de gage, est le droit qu’un créancier a dans la chose d’autrui, qui consiste
85 Ibid.
86 Ibid.
87 J. Bart, op. cit., p. 89.
88 J. Bart, op. cit., p. 90 ; N. Kermabon, La contribution romano-canonique à la distinction entre le gage et l’hypothèque (XII-XIVè
siècle)
, p. 161.
89 N. Kermabon, op. cit., p. 151.
90 P. Ourliac et J de Malafosse, Histoire du droit privé, 1/Les obligations, PUF, 2ème éd. 1969, n°337.
91 Ibid.
92 P. Ourliac et J de Malafosse, op. cit., n°340.
93 P. Ourliac et J de Malafosse, op.cit., n°337.
94 Voir, C. Dauchez, op. cit., n°63 et s.
95 N. Kermabon, op. cit., p. 170.
96 J-P. Lévy et A. Castaldo, op.cit., n°761.
97 J-P. Lévy et A. Castaldo, op. cit., n°761.
98 Pothier, Traités sur les différentes matières de droit civil, appliquées à l’usage du barreau ; et de jurisprudence françoise, t. 4, Traité
du droit de domaine de propriété, Paris, chez J. Debure, MDCCLXXIV, p. 343, n°1.
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à pouvoir la faire vendre, pour, sur le prix être payé de sa créance »99. L’hypothèque est un jus in
re,
un démembrement du droit de propriété100. L’obligation est soit hypothécaire, soit
chirographaire, elle est, en ce dernier cas, démunie de droit de gage général
101. Domat indique
également, au livre III « Des suites qui ajoutent aux engagements, ou les affermissent » de ses
Loix civiles dans leur ordre naturel, que « la première et la plus fréquente de toutes les suites des
engagements, qu’ils naissent des conventions, ou qu’ils se forment sans convention, est le Gage
ou Hypothèque, c’est à dire, l’affectation des biens d’une personne pour un engagement où elle se
rencontre »
102. L’hypothèque ou droit de gage est donc une utilité matérielle prise sur le droit de
propriété qui confère au créancier le droit de vendre les biens de son débiteur. A s’en tenir là,
l’hypothèque n’est qu’une utilité économique privée. Cependant, son histoire publique montre
qu’elle est apparue au XIII
e siècle corrélativement à la montée en puissance de l’Etat dont elle est
une véritable émanation.
2°) L’histoire publique de l’hypothèque
27. La naissance de l’Etat au XIIIème siècle et la captation du notariat. L’Etat s’est
développé en opposition à l’ordre médiéval, qui avait lui-même perdu le monopole de la violence
légitime
103. La royauté capétienne a reconstitué l’autorité publique. Au milieu du XIIIe siècle, la
primauté de la monnaie royale
104 est affirmée par deux ordonnances ; les juridictions royales
connaissaient un véritable succès et « chapeautent toutes les autres »
105 : « le roi est source de
toute justice ». Ainsi, à la fin du XIII
e siècle, Beaumanoir peut affirmer que chaque baron est
souverain dans sa baronnie, mais que
« le roi est souverain par-dessus tous »106. Pour asseoir la diffusion
de son autorité, la royauté capétienne s’est appuyée sur le notariat jusqu’alors sous la coupe des
autorités ecclésiastiques et féodales. En effet, dans la France médiévale, les particuliers cherchent
à conférer une valeur authentique à leur convention et imaginent des moyens pour qu’ils soient
exécutés
107. L’acte authentique apparait à partir du XIIe siècle. Celui-ci se distingue de l’acte établi
par de simples particuliers, en tant qu’il émane d’une autorité détentrice du pouvoir d’imposer la
fides publica (de délivrer des actes faisant « pleine preuve »)108. Deux systèmes existent. Dans le
midi de la France, sous l’influence du notariat public italien, se développe un notariat public à
partir du XIII
e siècle ; les notaires instrumentaient en forme publique et ont progressivement
authentifiés leurs actes, parce qu’ils les signèrent en tant que délégués de la puissance publique
109.
Le Nord de la France connaît différentes modes d’authentification, mais peu à peu la juridiction
gracieuse, sous le sceau des autorités ecclésiastiques ou féodales, les a supplantés, avant que
99 Pothier, Traités sur différentes matières de droit civil, appliquées à l’usage du barreau ; et de jurisprudence françoise, t. 1er, op. cit., p.
82, n°188.
100 Pothier, Traités sur différentes matières de droit civil, appliquées à l’usage du barreau ; et de jurisprudence françoise, t. 4, op. cit., p.
343, n°1.
101 Pothier, Traités sur différentes matières de droit civil, appliquées à l’usage du barreau ; et de jurisprudence françoise, t. 1er, op. cit.,
p. 82, n°188.
102 J. Domat, Les loix civiles dans leur ordre naturel, 2ème éd., MDCXCVII, t. 2, chez P. Auboüin, P. Emery et Ch.
Clouzier, p. 168.
103 Ph. Sueur, Histoire du droit public français, t. 1, La constitution monarchique, Thémis, 4ème éd., 2008, p. 26.
104 J-L. Harouel, J. Barbey, E. Bournazel et J. Thibault-Payen, Histoire des institutions de l’époque franque à la Révolution,
PUF, 11ème éd., 2006, n°279.
105 R. Beauthier, Droit et genèse de l’Etat, 4ème éd., Editions de l’université de Bruxelles, 2011, p. 232.
106 J-L. Harouel, J. Barbey, E. Bournazel et J. Thibault-Payen, op. cit., n°279.
107 R-H. Bautier, L’authentification des actes privés dans la France médiévale. Notariat public et juridiction gracieuse, in Chartes,
Sceaux et chancelleries. Etudes de diplomatique et de sillographie médiévales, t. 1, Paris, Ecole des Chartes, 1990,
(Mémoires et documents de l’Ecole des Chartes, 34), p. 269.
108 Fr. Roumy, Les origines canoniques de la notion moderne d’acte authentique ou public, in Der einfluss der kanonistik auf die
europäische rechtskultur
, t. 2 : Öffentliches Recht, éd. F. Roumy, M. Schmoeckel, O. Condorelli, Köln-Weimar-Wien, 2011,
p. 337.
109 Fr. Roumy, Histoire du notariat et droit notarial en France, in Handbuch zur geschichte des notariats der europäischen traditionen,
M. Schmoeckel et W. Schubert (éd.), Baden-Baden, Nomos, 2009, p. 127.
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l’autorité royale dans sa marche vers
la centralisation
d’être, elle-même, « captée par
monarchique »
110. Après bien des évolutions, dues « à l’évolution de la pratique et aux efforts
déployés par les Capétiens pour tenter d’unifier les règles gouvernant les terres progressivement
rattachées à la Couronne »
111, les deux systèmes confluèrent. Puis, le notariat méridional fut
absorbé par le développement du notariat royal et un tabellionage fut mis en place au nord. Au
XV
e siècle, le renforcement de l’autorité royale conduit à une fusion des fonctions de tabellion et
de notaire
112. Le notariat est alors définitivement lié à l’autorité du Roi.
28. L’hypothèque, attribut de l’authenticité113. Parallèlement, la force des actes notariés ne
cesse de se renforcer. Au début du XIV
e siècle, les actes de justice volontaire des notaires ont la
même force que ceux établis par le juge. Les notaires sont investis du droit de dessaisir le vendeur
et d’investir l’acquéreur, leurs actes produisent de plein droit le transfert de propriété et ils en
viennent à produire de plein droit l’hypothèque générale sur tous les biens présents et à venir du
débiteur
114. Les juridictions volontaire et contentieuse sont séparées au milieu du XVIe siècle, ce
qui interdit au juge de recevoir les actes de juridiction gracieuse. A partir du XVI
e siècle115, les
actes notariés sont seuls suffisants pour produire l’hypothèque. L’hypothèque, dit-on, est tacite, il
n’y a plus besoin d’insérer de clause expresse dans les actes notariés pour la faire produire. Ainsi,
l’hypothèque est instituée par l’autorité du roi, solution résumée par L’Hommeau dans une
maxime célèbre : «
L’hypothèque ne vient pas de la convention des parties, mais de l’autorité du roi »116.
Pothier le confirme : « L’autorité publique du sceau dont ils sont munis est ce qui leur fait
produire hypothèque »
117. Ainsi, l’obligation constatée par acte notarié, dénommée l’« obligation
notariée », accorde au créancier le droit de gage général, et ses attributs ; le titulaire d’une
obligation par acte sous seing privé n’est que chirographaire. Il doit aller en justice pour obtenir
l’hypothèque. Sous l’ancien droit, c’est donc le titre authentique, jugement ou acte notarié, qui
institue le créancier hypothécaire. Le droit de gage général est intimement lié à l’autorité de l’Etat
qui s’est progressivement affirmée à partir du XIII
e siècle.
29. La « mutation napoléonienne ». Le Code civil a réformé en profondeur l’hypothèque. Il en
a changé la conception.
L’hypothèque de l’ancien droit a été divisée en deux. D’un côté, son
attribut essentiel, le droit de gage général a trouvé place dans l’article 2092 du Code civil originel
en tête de son 18
ème titre « Des privilèges et hypothèques » au sein du 1er chapitre sur les
dispositions générales. D’un autre côté, le droit de suite et le droit de préférence, privés de leur
attribut essentiel, ont formé l’hypothèque moderne. « L’extraction » du droit de gage général de
l’hypothèque, conçue comme un démembrement de propriété, a consacré sa dématérialisation. Le
droit de gage général n’est plus un droit patrimonial. Il était parvenu à maturité avec l’Etat dont il
est l’émanation ; il s’est déclaré en 1804 comme une utilité économique dégagée de toute emprise
matérielle privée. La « mutation napoléonienne » de l’hypothèque a bien eu lieu, mais elle n’a pas
reçu de consécration conceptuelle. L’autonomie du droit de gage général n’a jamais été reconnue,
car il a tout de suite été « capturé » par l’obligation dont il est devenu la sanction, passant du
jus in
re
au jus ad rem, tandis que ses anciens attributs secondaires sont demeurés, dans un premier
temps, dans la propriété. Ainsi, le droit de gage général n’est pas considéré comme une utilité
économique en droit moderne ; il est tenu au secret de l’obligation, ce qui empêche toute
110 R-H. Bautier, L’authentification des actes privés dans la France médiévale. Notariat public et juridiction gracieuse, op. cit., p. 271.
111 Fr. Roumy, Histoire du notariat et droit notarial en France, op. cit., p. 129.
112 Fr. Roumy, Histoire du notariat et droit notarial en France, op. cit., p. 130.
113 Pour cette évolution, voir C. Dauchez, op. cit., n°66 et.
114 P. Ourliac et J. de Malafosse, op.cit., n°339 : « A Rome, l’hypothèque naissait de la simple volonté des parties. En
France, l’apparition des premières obligations générales ou spéciales est liée à la pratique des lettres de juridictions :
lettres d’officialités ou lettres scellées du sceau royal ; à Paris, lettres du Châtelet ».
115 J-P. Levy et A. Castaldo, op. cit., p. 1118.
116 J-P. Levy et A. Castaldo, op. cit., p. 1118.
117 Cité par A. Colin et H. Capitant, Cours élémentaire de droit civil français, t. 2, Dalloz, 6ème éd., 1931, p. 876.
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construction de la théorie générale des sûretés dont il est pourtant le catalyseur, car il forme le
principal de la sûreté. La position qu’il occupe actuellement dans le Code civil, en tête du livre IV
sur les sûretés, indique qu’il est aujourd’hui l’heure de lui donner sa place en droit moderne, sous
la forme du
crédit public.
B) La notion de crédit public
30. La conception libérale de l’Etat. Selon la fameuse définition héritée des Institutes de
Justinien, l’obligation est « un lien de droit (
vinculum juris) par la rigueur duquel nous sommes
astreints à exécuter une prestation conformément au droit de notre cité »
118. La formule a
prospéré sous la plume des plus grands auteurs : « On appelle obligation civile celle qui est un lien
de droit,
vinculum juris, et qui donne à celui, envers qui elle est contractée, le droit d’exiger en
justice ce qui y est contenu »
119. Elle est reprise par les manuels contemporains sans autre
discussion
120. L’Etat intervient en vue de sanctionner l’obligation : il est le justicier de l’obligation
dont il assure l’exécution forcée, en exerçant un pouvoir de contrainte sur les biens de son
débiteur. L’Etat libéral n’assume ainsi qu’une fonction politique, « vide » de toute utilité
économique. En réalité, suivant sa genèse, le droit de gage général n’est pas inhérent à l’obligation
dont il se distingue. Il est une utilité économique immatérielle qui lui est adjointe. Certes, le droit
de gage général ne rend pas riche le créancier, mais l’économie ne se réduit pas à la richesse. Le
droit de gage rend le créancier confiant, ce qui est certainement une utilité économique moderne
spécifique.
Richesse et confiance ne se confondent pas, mais notre conception juridique de
l’économie est uniquement tournée vers les utilités matérielles qui enrichissent les individus.
Ainsi, notre conception libérale de l’Etat, tout autant que notre vision matérialiste de l’économie,
empêche l’émergence du crédit public. Pourtant, le droit de gage général ne permet pas
l’exécution de l’obligation (1°), il n’en est pas la sanction ; il en assure la liquidation (2°) et lui
confère ainsi du crédit monétaire.
1°) L’exécution de l’obligation
31. In obligatione/in solutione. Il n’y a d’obligation qu’autant que le créancier peut demander
le secours de la justice étatique pour obtenir l’exécution forcée de la prestation qui lui est due par
le débiteur. Le
vinculum juris est un lien de justice d’Etat ; il est un lien public dès lors qu’il
subordonne les individus au pouvoir de contrainte de l’Etat. La justice d’Etat n’assume alors
qu’un rôle politique. Ce que le débiteur doit, la justice le lui impose par la force dont l’Etat a le
monopole. Le créancier est titulaire d’une action personnelle, exercée
in personam et ne peut donc
l’être qu’à l’encontre du débiteur (ou de ses ayants cause)
121 pour obtenir l’exécution de la
prestation due
122. La sanction étatique est donc l’exécution forcée de la prestation. Aussi, que
l’exécution de l’obligation soit volontaire ou forcée, ce qui est dû
in obligatione doit se retrouver in
solutione
. L’obligatio n’ajoute rien au substrat économique du debitum. Elle l’enveloppe de la force de
la justice étatique dont elle ne peut s’émanciper.
32. L’exécution indirecte de l’obligation. Pourtant, il est aujourd’hui unanimement admis que
« la force contraignante dont l’obligation est […] assortie se manifeste normalement dans des
118 J. Gaudemet, Naissance d’une notion juridique, les débuts de l’obligation dans la Rome antique, in L’obligation, APD, 2000,
p. 29.
119 Pothier, Traités sur les différentes matières de droit civil, appliquées à l’usage du barreau ; et de jurisprudence françoise, t. 1, op. cit.,
n°173.
120 Ph. Jestaz, La sanction ou l’inconnue du droit, D. 1986, p. 197 ; E. Jeuland, L’énigme du lien de droit, RTDCiv. 2003, p.
455 et s.
121 L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 9ème éd., 2016, n°338.
122 Pothier, Traités sur les différentes matières de droit civil, appliquées à l’usage du barreau et de jurisprudence françoise, t. 4, op. cit.,
p. 343.
17







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pouvoirs reconnus au créancier sur le patrimoine du débiteur »123. Ainsi, le droit de gage général
est la sanction de l’obligation. Cette présentation introduit une distorsion entre l’
obligatio et le
debitum. En effet, l’obligatio ajoute alors un supplément économique au debitum. Elle autorise le
créancier a demandé en justice la liquidation des biens du débiteur corrélative à une liquidation de
la créance pour obtenir un règlement en monnaie étatique. Ainsi, le créancier poursuit autre
chose que ce qui lui est du, et ce quelle que soit la nature de la créance inexécutée
124. Le droit de
l’exécution n’est donc « pas totalement soluble dans le droit des obligations »
125. On pourrait
objecter, lorsque l’obligation est monétaire, que la saisie permet d’obtenir l’exécution par
équivalent de l’obligation, car à l’issue de la procédure le créancier obtient ce qui lui est dû : une
somme d’argent. Cependant, si le créancier reçoit bien
in solutione, ce qui lui a été promis in
obligatione,
l’utilité économique du droit de gage général ne réside pas dans la richesse qu’il apporte
au créancier, mais dans la fonction liquidative exercée par l’Etat
126 qui traduit l’existence d’un
pouvoir de contrainte monétaire. Il y a là une utilité économique immatérielle mise à disposition
des particuliers par l’Etat par la voie de la saisie. Le droit de gage général n’est donc pas la simple
sanction de l’obligation. Il est une utilité économique sanctionnée par des actions qui lui sont
propres et qui préexistent, d’ailleurs, à l’inexécution de l’obligation : l’action paulienne et l’action
oblique. La sanction ne saurait précéder l’inexécution. Si elle la précède, c’est qu’elle sanctionne
autre chose que l’obligation. Le droit de gage général est donc structurellement autonome de
l’
obligatio.
33. La dimension indemnisatrice de l’obligation. Pour expliquer cette distorsion entre le
debitum et l’obligatio, on préfère ajouter une dimension indemnisatrice au debitum : « Outre le devoir
qui oblige le débiteur à effectuer sa prestation, l’obligation comporte une dimension
indemnisatrice qui permet au créancier impayé d’obtenir réparation de l’inexécution de ce devoir
grâce à l’argent qu’il peut obtenir de la vente forcée des biens de son débiteur »
127. Le droit de
gage général sanctionnerait ainsi
la nature serait substantiellement
l’obligation dont
indemnitaire
128. La spécificité de la sanction conduit alors à remodeler le debitum à l’aune de
l’
obligatio. Cependant, plutôt que de métamorphoser l’économie de l’obligation, remontant le
chemin de l’histoire du droit de gage général, qui n’a jamais été considéré sous l’ancien droit
comme la sanction de l’obligation, on doit présenter le droit de gage général comme un attribut
fonctionnel doté d’une utilité économique distincte de l’obligation : le crédit de l’obligation qui
permet aux particuliers de demander à l’Etat d’en obtenir la liquidation en justice.
2°) La liquidation de l’obligation
34. Confusion de l’obligation et du crédit. Actuellement, la créance est confondue avec le
crédit, qui désigne l’opération par laquelle une personne met une somme d’argent à la disposition
d’une autre personne. Or, le crédit désigne également la
confiance. La conception actuelle de
l’obligation regroupe et confond la
richesse (la créance) et la confiance (le droit de gage général). Les
deux notions sont, on l’a déjà dit, des utilités économiques distinctes, mais l’obligation a
couronné la première asseyant ainsi son règne sur les mérites de la seconde. Le crédit est l’élan
économique de l’obligation avec laquelle il ne se confond pas. On pourrait même dire qu’il la
précède toujours ; il est le levier économique de l’obligation.
Par ailleurs, la confiance qu’il génère
123 J. Carbonnier, Droit civil, vol. II, Les biens. Les obligations, Quadrige, 1ère éd., 2004, n°1281; Fr. Terré, Ph. Simler et
Y. Lequette,
op. cit., n°1096 ; J. Mestre, E. Putman et M. Billiau, op. cit., n°115.
124 N. Cayrol, Droit de l’exécution, LGDJ, 2ème éd., 2016, n°378.
125 Ibid, n°24.
126 Rappr. N. Cayrol, op. cit., n°378 : « En effet, avant de recevoir ce qui lui est dû, c'est-à-dire de l’argent, le créancier
doit s’emparer d’une chose qui ne l’intéresse pas (ou qui ne le désintéresse pas), puis la fait vendre et, enfin
seulement, se payer sur le prix. Voilà bien une exécution indirecte »
127 Fr. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n°1 ; F. Rouvière, L’obligation comme garantie, RTDCiv., 2011, p. 2.
128 Fr. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n°1 ; F. Rouvière, op. cit., p. 2.
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ne sert pas seulement l’intérêt du créancier, mais également l’intérêt général. En effet, l’économie
de marché repose sur la confiance des acteurs économiques, qui sont autant d’acteurs juridiques.
Le crédit sécurise ainsi non seulement le créancier, agent économique individuel, mais participe
également à sécuriser l’économie nationale en suscitant la confiance collective. L’Etat est alors un
acteur majeur du crédit, dont il assure la protection et la promotion en mettant sa force au service
de l’économie. Ce rôle de l’Etat au service de l’économie a été étouffé par l’approche
individualiste et matérialiste du droit privé qui a permis à l’obligation privée de tenir le crédit
public sous son emprise.

35. Une prérogative de puissance publique. Pour dégager le crédit de l’obligation, il faut partir
de la présentation traditionnelle du droit de gage général. Il est considéré comme la sanction de
l’obligation. En dépit de la dénomination de « droit » de gage général, il est alors seulement
l’action qui sanctionne le droit subjectif, prérogative individuelle qui existe sur la tête d’une
personne, titulaire du droit
129. En réalité, le législateur, en 1804, en ouvrant l’action de saisie à tout
créancier a mis à disposition de chacun le crédit de l’Etat. Tout créancier peut exercer par
l’intermédiaire de la justice étatique le crédit, qui est une prérogative de puissance publique. En
effet, le crédit suppose la contrainte et la monnaie étatique. Ces attributs ont été monopolisés par
l’Etat à compter du XIII
e siècle, époque à laquelle est né le droit de gage général au Moyen âge.
L’Etat est, depuis lors, en mesure d’exercer un pouvoir de contrainte monétaire sur les
particuliers ; il peut se passer du consentement du débiteur pour le dessaisir de ses biens, l’obligé
à les vendre et lui imposer un règlement dans sa monnaie qui est l’équivalent général
130, sur leur
prix de vente. La monnaie et la contrainte sont alors à la source d’un pouvoir économique de
contrainte non patrimonial, celui de liquider. L’Etat qui les monopolise peut faire crédit
131.
36. Une utilité économique publique. Le droit de gage général n’exécute donc pas l’obligation,
mais il la liquide. Une somme d’argent est remise au créancier, peu importe ce qui était promis,
que l’objet de l’obligation soit monétaire ou en nature. Cet équivalent monétaire de la créance est
pris sur le prix de vente des biens du débiteur. Ainsi, la saisie peut porter de manière
indifférenciée sur n’importe quel bien appartenant au débiteur, pour liquider n’importe quelle
obligation. Le crédit est marqué par l’indifférence à l’identité des biens et des créances. Le
pouvoir de liquider suppose la patrimonialité des biens saisis et des obligations… mais il n’est pas
« pris » sur le droit de propriété, il n’en est pas un démembrement. L’Etat crédite ainsi toute
obligation d’un pouvoir de contrainte monétaire qui rassure le créancier, bien qu’il ne l’enrichisse
pas, tout comme le débiteur ne s’en appauvrit pas. Le créancier, titulaire du droit de gage général,
n’est donc « pas plus riche », mais il est « plus sûr ». A l’inverse, le débiteur qui subit la saisie ne
s’appauvrit pas du crédit, mais de sa créance. Le pouvoir de contrainte monétaire n’est pas un
droit patrimonial
132 ; il est une utilité économique publique. En revanche, lorsque l’exécution
forcée est directe, que le créancier reçoit l’exécution de la prestation, même monétaire, l’Etat ne
fait qu’assurer l’exécution de l’obligation. Il ne la liquide pas. Il n’exerce pas de rôle économique
spécifique. Il assure simplement la justice de l’obligation.
37. Une atteinte à la liberté individuelle. Le crédit ne doit donc pas être envisagée sous la
question de la patrimonialité, bien qu’il la suppose, mais plutôt sous l’angle de la liberté. Il
consacre une atteinte à la liberté individuelle du débiteur dans l’intérêt général. On peut même
129 Vocabulaire juridique, sous la direction de G. Cornu, op. cit., Subjectif.
130 Th. Revet, L’argent et la personne, ADP 42 (1997), p. 43.
131 L’Etat n’est lui-même pas soumis à la procédure de saisie, v. l’insaisissabilité du domaine privé, art. L. 2311-1 du
CGPPP.
132 L’absence de patrimonialité est une des caractéristiques du pouvoir d’Etat, M. Hauriou, Précis de droit constitutionnel,
2
ème éd., Dalloz, 2015, p. 105 : « Historiquement, au moyen âge, lorsque le pouvoir d’Etat se reconstitue sous le nom
de pouvoir royal, c’est bien comme un pouvoir purement politique qu’il se dégage progressivement des éléments de
patrimonialité de l’organisation féodale et, par conséquent, de la propriété des terres ».
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aller jusqu’à dire qu’il est un service public. Sous l’ancien droit, le notariat assumait la diffusion du
crédit de l’Etat dans l’économie privée. En effet, la plupart des obligations étaient consenties sous
forme notariée pour conférer au créancier le droit de gage général : le débiteur venait
volontairement requérir le crédit de l’Etat auprès du notaire, délégataire de la puissance publique.
« L’obligation hypothécaire » n’était qu’un acte de soumission volontaire du débiteur au pouvoir
de contrainte monétaire de l’Etat. Le créancier hypothécaire, quant à lui, ressortait de l’office
notarial « fort » du crédit de l’Etat, mais pas plus riche. Depuis le Code civil, la requête officielle
auprès d’un représentant de l’Etat n’est plus nécessaire. La loi crédite
de plano tout débiteur, car si
le crédit public chirographaire emporte une atteinte à la liberté individuelle du débiteur, elle
n’entraîne plus de conséquences pour les tiers, qui n’ont plus à subir les risques du crédit public,
dès lors que le droit de suite et le droit préférence en ont été détachés. Toutefois,
si le crédit n’est
plus judiciairement concédé, il est en revanche exercé sous contrôle de l’autorité judiciaire,
gardienne des libertés individuelles, tant la puissance monétaire étatique porte atteinte à la liberté
du débiteur.
38. Vers un droit des sûretés mixte. La théorie générale des sûretés ne peut donc prendre son
envol, car il lui manque un personnage majeur : l’Etat. Cantonné à une fonction politique, il n’est
pas un acteur de l’économie moderne monopolisée par la sphère privée. Pourtant, il joue un rôle
économique majeur. Il est le maître du
crédit, véritable utilité économique publique, dont les
sûretés sont autant d’instruments accessoires mis à disposition des particuliers pour en renforcer
les effets. Cette approche publique de la sûreté pourrait permettre de trouver la cohérence de la
matière. On craindra peut-être une « outre-publicisation » des sûretés, car c’est vrai qu’il y a là
plus
133 qu’une « pénétration du droit civil par les disciplines et par l’esprit du droit public »134 déjà
décrite par Josserand. Plus qu’un contrat « dirigé »
135, la sûreté est un contrat « digéré » par l’Etat
dont la monnaie diffuse la confiance et la contrainte dans les relations privées. L’évolution n’est
pas blâmable en soi ; elle ne doit tout simplement pas, pour reprendre une dernière fois les mots
de Josserand, « conduire au désordre et à l’arbitraire, mais à l’organisation et la sécurité »
136. Par
ailleurs, ce serait une vision bien simpliste de considérer que la sûreté s’arrête aux intérêts privés.
La sûreté a un versant collectif qui lui échappe ; les volontés privées s’unissent à la volonté
collective tendue vers la protection de l’intérêt général. Cette dimension collective de la sûreté,
dont l’Etat est le pivot, a été occultée par l’approche individualiste et matérialiste du droit des
sûretés adoptée en droit privé. Pourtant le droit privé et le droit public ne doivent pas s’ancrer
dans un rapport de force stérile, mais se sustenter l’un de l’autre pour tenter de résoudre la
« contradiction fondamentale de la condition humaine d’être à la fois individuelle et collective »
137.
Le droit des sûretés serait alors un droit « mutant »
138 destiné à rejoindre la cohorte des droits
mixtes.

133 Les propos ici tenus ne sont nullement à attribuer à Josserand dont une partie de l’œuvre est consacrée à la
critique de la « publicisation » du contrat. Cependant, son souci de l’équilibre et de la mesure a également été
souligné, J-P. Chazal,
« Relire Josserand », oui mais… sans le trahir !, D. 2003, p. 1777, not. n°2 : ainsi, « loin de s’insurger
contre l’évolution du droit qui tend à assurer le primat du collectif sur l’individuel, de l’intérêt général sur l’égoïsme,
de la dimension sociale des droits subjectifs sur leur conception absolutiste, Josserand l’a, durant sa carrière,
encouragée et approuvée ».
134 L. Josserand, La « publicisation » du contrat, op. cit., p. 143.
135 L. Josserand, Le contrat dirigé, D.H., 1933, p. 89 et.
136 L. Josserand, op. cit., n°24.
137 J. Gicquel et J-E. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, LGDJ, Lextenso éditions, 30ème éd., 2016, n°33
et s., sur cette contradiction, conception du doyen M. Hauriou reprise par les auteurs.
138 Pour l’emploi de l’expression à propos des contrat dirigés, Ph. Delebecque, op. cit., p. 265.
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