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Novembre 2021 80
Les réformes en cours des systèmes de
protection sociale au Maroc et en Tunisie
dans le contexte de l’impact de la COVID-19
João Pedro Dytz, Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive 1
Comme la plupart des États membres des Nations Unies, la Tunisie et le Maroc ont souscrit à un ensemble de standards et normes
relatives aux droits sociaux et économiques, parmi lesquels le droit à la protection sociale (sécurité sociale), au sein du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté en 1966.
2 L’article 9 du Pacte garantit le droit à la sécurité
sociale et à l’assurance, de sorte à protéger les personnes contre les risques qui peuvent porter atteinte à leur capacite productive,
de manière permanente comme temporaire (maladie, handicap, maternité, accident de travail, chômage ou vieillesse, par exemple),
et assure le soutien adéquat aux familles, protégeant les survivants et les orphelins. En outre, son article 10 garantit le droit des
familles à la protection et à l’assistance sociale, en particulier lorsqu’elles sont responsables du soin et éducation de ses enfants. La
protection sociale devrait également être offerte aux femmes pendant leur grossesse et après la naissance des enfants, ce qui inclut
des bénéfices relatifs à la maternité (comme les congés maternité) ainsi que ceux qui protègent les enfants de l’exploitation sociale
et économique. Le Pacte pousse les gouvernements à établir un niveau minimum de sécurité de revenu et de bien-être socio-
économique général pour sa population.
La Recommandation n°202 sur les socles de protection sociale de l’OIT (R202), adoptée en 2012, développe cette idée davantage :
les États doivent développer un « socle de protection sociale » minimum, qui assure une sécurité de revenu basique ainsi que l’accès
aux services de santé essentiels, en particulier pour les enfants, les personnes en âge « actif » qui sont incapables d’avoir un revenu du
fait de maladies, chômage, maternité et handicap, ainsi que pour les personnes âgées. La R202 indique aussi que les pays devraient
formuler des stratégies d’extension de la couverture de la sécurité sociale pour mettre en place des socles de protection sociale. Ceci est
particulièrement important dans le contexte des Objectifs de Développement Durable, puisque l’augmentation de la couverture des
socles de protection sociale constitue l’une de ses cibles (1.3). De plus, la crise de la COVID-19 et les réponses des gouvernements pour
protéger les emplois, les revenus et les moyens de subsistance mis en danger par la propagation de la maladie et les mesures nécessaires
pour la contenir ont mis en exergue les lacunes de couverture des systèmes de protection sociale existants.
Les deux pays examinés dans ce document, la Tunisie et le Maroc, ont planifié leur réforme des systèmes de protection sociale en accord
avec les recommandations des socles de protection sociale. Ces pays ont été proactifs dans l’utilisation d’outils de protection sociale
pour répondre à la crise de la COVID-19, démontrant une volonté politique et un engagement pour réduire les lacunes de couverture
de la protection sociale. Néanmoins, un espace fiscal et un cadre juridique appropriés doivent encore être développés pour mettre
en œuvre le socle dans les années à venir. Des différences entre comment les réformes étudiées ici ont été affectées par la crise de la
COVID-19 subsistent, avec un effet plutôt « positif » dans le cas du Maroc, alors que les efforts pour changer le système du côté de
la Tunisie continuent à être endigués.
Dans ce document, nous présenterons le système de protection sociale actuel des deux pays, en examinant différents aspects et les
politiques qui sont mises en place ; dans un deuxième chapitre, nous analyserons les réformes proposées qui sont discutées ou mises en
œuvre en ce moment en Tunisie et au Maroc. Enfin, les effets de la COVID-19 sur les réformes vont être surlignés, ainsi que les différences
de ces effets sur les deux pays.
1 Le système de protection sociale existant
Le système tunisien
La Tunisie est des systèmes les plus complets dans la région en matière de protection sociale,3 puisque la plupart des éventualités
décrites par la Convention 102 de l’OIT sur les standards minimum de protection sociale sont couvertes.
4 90% de la population active
dans le secteur formel est couverte par 3 principaux fonds d’assurance (contributoires) : il s’agit de la CNRPS (couvrant les retraites, les
prestations d’invalidité et de survivants pour les fonctionnaires publics), la CNSS (le fonds national de sécurité sociale pour les travailleurs
privés) et la CNAM (assurance santé, gérant l’assurance maladie ainsi que les accidents de travail et les maladies professionnelles).
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Le Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive est un partenariat entre leProgramme des Nations Unies pour le développement et le Gouvernement brésilien.research briefISSN 2358-1379
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En revanche, les travailleurs informels sont peu couverts,
même s’ils représentent 37% des travailleurs actifs dans
le secteur privé (33% dans le secteur non-agricole contre
52% dans le secteur agricole).
Les mécanismes d’assurance sociale dépendent principalement
des fonds de la CNRPS et de la CNSS. Pour les travailleurs du
secteur privé, la CNSS couvre la plupart des risques (vieillesse,
survivants, handicap, maternité et décès), mais avec 8 régimes
différents qui dépendent du secteur de travail (il s’agit, par
exemple, des travailleurs salariés, non-salariés, des étudiants,
des travailleurs ruraux…). Ces plans incluent également les
allocations familiales pour jusqu’à 3 enfants dans les ménages :
12% des ménages ont toutefois dû couvrir des coûts très élevés
de santé entre 2006 et 2015.
6 Les raisons pour cela incluent
la baisse qualité du service public disponible, l’absence de
couverture pour les produits pharmaceutiques et les quotas
importants qui doivent encore être payés pour recevoir le
traitement subventionné par l’État.
L’assurance sociale en Tunisie ne parvient toutefois pas à
protéger les travailleurs en cas de chômage, puisqu’il n’y a
pas de mécanisme qui assure un revenu minimum pour les
travailleurs lorsqu’ils ne sont pas employés.7 Ces lacunes de
couverture sont particulièrement problématiques dans le
contexte de la crise de la COVID-19 ; la Tunisie a néanmoins mis
en place des réponses spécifiques pour répondre à l’impact
de cette crise, comme une assistance monétaire pour les
travailleurs indépendants, ou pour ceux travaillant dans le
secteur touristique et les artisans, ainsi qu’une assistance pour
le « chômage technique », ce que nous explorerons davantage
plus loin. Lors du premier trimestre de 2021, 17,8% de la
population tunisienne en âge actif était au chômage, comparé à
15,1% lors du premier trimestre de 2020.
8
Du côté des interventions dans le marché du travail, la Tunisie
s’est focalisée dans le développement des compétences et sur
les subventions salariales à travers le FNE (Fonds National pour
l’Emploi), avec des travaux publics, le paiement d’une partie
des salaires de diplômés de l’éducation supérieure pour leur
premier emploi ainsi que le paiement des contributions sociales
des employeurs, et le paiement de salaires de stagiaires. Le FNE
soutient également l’insertion, la réinsertion et l’adaptation
de contrats dans le marché du travail.
9 Le Fonds est sous la
responsabilité du Ministère du Travail,
10 financé à travers les
dons de personnes et entités privées, contributions à partir
des privatisations et par les investissements propres au fonds
(ainsi que « toutes autres ressources qui pourraient lui être
affectées »).
11 Au total, 405000 personnes ont été couvertes
par des programmes relatifs au marché de travail entre 2011
et 2014. Les subventions salariales, par exemple, ont bénéficié
114000 travailleurs en 2011, mais cela semble avoir été plutôt
focalisé sur les travailleurs hautement qualifiés.
12 Des travaux
publics de haute intensité ont inclus 180000 personnes dans ce
même laps de temps, mais des problèmes relatifs à la conclusion
des travaux semble être importants.13
Enfin, les programmes d’assistance sociale non-contributifs
sont sous la compétence du Ministère d’Affaires Sociales, en
coordination avec le Ministère de l’Éducation et le Ministère de
la Santé, à travers cinq principaux programmes non-contributifs
(à l’exception des subventions d’énergie et alimentaires) :
14
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y
y
y
Le Programme National d’Aide aux Familles
Nécessiteuses (PNAFN) ;
Le Programme d’Allocations Scolaires (PPAS) ;
L’assistance à la rentrée scolaire pour les élèves à bas
revenu au début de l’année scolaire ;
Le programme d’Assistance Médicale Gratuite
(AMG1 et AMG2) ;
y
Le programme d’alimentation scolaire.
Le programme central d’assistance sociale, le PNAFN, a été créé
en 1986. Ce programme vise les ménages pauvres, puisque
l’éligibilité est déterminée tout d’abord par la ligne supérieure
de pauvreté de TND 1308 par personne par an, définie par
l’Institut National de la Statistique tunisien, ce qui englobe
8,3% de la population en 2017 (225,525 ménages bénéficiaires)
avec un transfert monétaire de TND 150 et une couverture
médicale gratuite ; la plupart de ces ménages ont un chef de
ménage qui est retraité, inactif, ou au chômage.
15 Un transfert
mensuel additionnel sous la forme du PPAS y est lié, et est fourni
aux ménages bénéficiaires du PNAFN avec des enfants en âge
scolaire, de sorte à améliorer leurs résultats d’éducation.16
Pour ce qui est de la couverture médicale, la Tunisie offre deux
types d’assistance médicale : L’AMG1 et l’AMG2 – assistance
médicale de type 1 (qui est gratuite) et 2 (subventionnée, avec
le paiement d’un montant annuel fixe).
17 Les deux mécanismes
d’assistance médicale, combinés avec les mécanismes
d’assurance sociale (tout particulièrement à travers la CNAM)
parviennent à couvrir environ 73% des ménages (l’AMG1 a
couvert 225 525 ménages en 2016, et l’AMG2, 620 000), ce qui
signifie qu’une partie importante de la population reste sans
couverture.
18 En 2019, 17,1% de la population n’était couverte
par aucun programme de protection sociale.
19
Pour répondre à ces lacunes de couverture, la Tunisie est en train
de développer « l’Amen Social », qui a été adopté en tant que loi le
30 janvier 2019, de sorte à fonctionner en tant que programme de
revenu minimum, se fondant sur les programmes existants dans le
but de fournir un système de protection sociale complet qui garantit
la réalisation des articles 12 et 38 de sa Constitution.
20 L’objectif est
de mettre en place un système de protection sociale qui couvre la
population entière, basé sur l’approche du cycle de vie et qui ne
laisse personne derrière grâce à l’inclusion de parties importantes
de la population dans des programmes d’assistance sociale, tout en
limitant et réformant les programmes de subvention alimentaires.
21
Le système de protection sociale au Maroc
D’après un rapport du Conseil Économique, Social et
Environnemental du Maroc (CESE), le système de protection
sociale marocain est fragmenté, fragile, et plutôt limité
du fait de la baisse couverture de la population.
22 Ceci est
largement attribué à l’absence de complémentarité entre les
différents éléments d’un système, qui est dispersé, et qui laisse
d’importants risques sans couverture, tel que les accidents
du travail et les pensions vieillesse, et n’a qu’une couverture
médicale limitée. Ce dernier point implique que des dépenses
importantes doivent venir de la poche des familles du Maroc
en matière de santé. Cette fragmentation et absence de
2 Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive
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couverture23 ont mené à un grand débat sur le besoin de
réformer le système de protection sociale.
24
L’assurance sociale contributive est fournie aux travailleurs
formels du secteur privé à travers la CNSS, le fonds national
de sécurité sociale, et à travers la CNOPS pour les travailleurs
du secteur public ; elles sont également liées à la couverture
médicale. Ces deux fonds gèrent l’AMO (l’Assurance Médicale
Obligatoire), qui couvre un total de 10,7 millions de personnes.
En outre, le système a récemment été étendu pour couvrir
les travailleurs indépendants, qui représentent 36% de la
population active,
25 mais le progrès là-dessus a été lent.
Les pensions contributives ont également une couverture limitée :
ensemble, seulement 40% de la population active contribue aux
pensions vieillesse de la CNSS ou de la CNOPS. Dans le secteur
agricole, 50% des travailleurs sont inscrits à la CNSS mais travaillent
moins six mois de travail dans l’année. Seulement 15 pour cents des
femmes et 37 pour cent des hommes dans le secteur agricole sont
inscrits pour douze mois (c’est-à-dire, l’année entière). Lorsque l’on
considère tous les secteurs, le nombre de travailleurs inscrits pour
l’année entière est de 49 pour cent.
26
Bien qu’une assistance chômage existe, elle est plutôt limitée.
Des conditions strictes à l’IPE (Indemnité pour Perte d’Emploi)
signifie que moins de 100.000 bénéficiaires ont reçu l’assistance
de ce programme entre la création de l’IPE en 2014 et 2020,
27
alors que le taux de chômage était d’environ 10 pour cent au
long de cette période.
Le système d’assistance sociale du Maroc pour les personnes
pauvres et vulnérables a été particulièrement focalisé sur deux
dimensions, l’assistance médicale gratuite et le soutien à l’accès
à l’éducation pour les enfants :
y
y
y
Le RAMED (Régime d’Assistance Médicale) donne le droit à des
services gratuits de santé dans les hôpitaux. Avant la crise de la
COVID-19, il y avait environ 14,4 millions de personnes qui ont
bénéficié de ce système.
28 Ce programme complémente l’AMO
– cependant, environ 39,5% de la population du Maroc ne
bénéficie d’aucun des deux programmes, ce qui signifie qu’ils
n’ont pas ou peu d’accès aux services de santé.
29
Un autre aspect important de la protection sociale au
Maroc est la couverture des enfants. Outre les allocations
familiales liées aux programmes d’assurance qui couvrent
environ 3 millions d’enfants entre 0 et 21 ans qui sont
à l’école, université ou reçoivent un entraînement
professionnel, un programme conditionnel de transfert
monétaire pour les enfants entre 6 et 15 ans touche 2
millions d’écoliers, à condition qu’ils soient présents à
l’école. Ces deux programmes couvrent presque la moitié
de la population d’enfants du Maroc.
D’autres programmes pour répondre aux autres besoins des
enfants existent, tels que le programme 1 million de cartables,
qui fournit le matériel scolaire pour 4,3 millions d’enfants, ou le
DAAM, une assistance monétaire pour les veuves en situation
vulnérable et qui sont responsables pour un ou plusieurs
enfants, touchant 97000 ménages. Enfin, des internats
(Dar Attalib et Dar Attaliba) pour enfants de ménages
vulnérables en milieu rural, touchent 104 000 étudiants.
2 La réforme propose en Tunisie
Une fois la nouvelle constitution adoptée en 2014, la Tunisie s’est
inscrite dans un processus de réorganisation et réforme de son
système de protection sociale dans l’objectif de rendre effectifs
les droits qui y sont définis.
30 Le plan de développement social
et économique 2016-2020 de la Tunisie,
31 par exemple, a mis en
place une sélection de bénéficiaires améliorée et un système de
protection sociale plus juste en tant que l’un de ses objectifs.
Couverture médicale étendue
La réforme propose en Tunisie vise à étendre la couverture vers
un accès à la santé universel qui contient,
a minima, l’inclusion de
ceux qui sont au chômage ainsi qu’aux autres familles vulnérables
qui ne sont pas inclues en ce moment dans l’AMG2. Avec la loi
d’Amen Social,
32 la pauvreté multidimensionnelle est prise en
compte (revenue, santé, éducation, habitation, accès aux services
publics et conditions de vie)
33 pour étendre l’accès aux soins de
santé publics. Avec les réformes proposées, l’accès aux soins de
santé devraient être généralisés, de sorte à remplir les lacunes
existantes malgré la couverture proposée par l’AMG1 et l’AMG2.
Développement de l’assistance sociale
La Tunisie a pour objectif de mettre en œuvre un large ensemble
de réformes qui prendraient en compte les besoins spécifiques
des différentes phases du cycle de vie, et établirait un seuil de
protection sociale dans le pays. Le Centre de Recherches et
d’Etudes Sociales (CRES) a mis en avant une étude de faisabilité
qui indique quels seraient les principaux objectifs de la réforme.
34
Tout d’abord, l’un des objectifs centraux serait d’assurer un
revenu minimum pour toutes les familles avec des enfants dans
le pays à travers une allocation universelle pour les enfants –
pour l’instant, les ménages qui reçoivent les transferts mis en
avant par la loi de l’Amen Social de 2019 bénéficieront d’aides
plus importantes selon le nombre d’enfants. Toutefois, un
nouveau transfert monétaire de TND 30 pour les enfants âgés
de moins de 5 ans, avec l’assistance de l’UNICEF et de la Banque
Mondiale, sera mis en place pour couvrir tous les bénéficiaires
de l’Amen Social (PNAFN, AMG1 et AMG2).
Pour ceux en âge actif, les objectifs de la réforme sont tout d’abord
(i.) d’assurer un revenu minimum pour les ménages pauvres – ce
qui engloberait une sécurité de revenu pour ceux qui ne reçoivent
aucun transfert de la part du gouvernement – (ii.) de soutenir les
personnes ayant un handicap à travers des allocations handicap
(pour assurer le respect de l’article 48 de la Constitution). Le décret
de 2020 sur l’Amen Social n’a, pour l’instant, fait que définir les
conditions pour recevoir cette allocation.
L’objectif de la réforme est également d’instituer un revenu
minimum pour les personnes âgées : l’éligibilité à une pension
de base dépendrait si la personne ne reçoit pas une pension
contributoire ou si la valeur de la pension est en-deçà de la ligne
minimale de revenu.
Mettre en œuvre un ensemble de prestations en ligne avec
l’approche de cycle de vie qui meut la réflexion derrière la réforme,
avec une focalisation sur les enfants et les personnes âgées.
Avec cette nouvelle approche, les bénéficiaires potentiels devront
répondre à moins de conditions pour recevoir un revenu minimum
(qui serait universel pour les enfants, et pour les personnes âgées, ne
pas recevoir de pension ou seulement une pension de faible valeur).
Policy Research Brief 3
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3 La réforme proposée au Maroc
En 2018 et 2019, Sa Majesté le Roi Mohammed VI35 a incité des
réformes sociales majeures pour un système de protection
sociale plus efficace et juste, ayant en vue l’inclusion de groupes
qui sont actuellement exclus. Ces réformes se sont basées sur
le diagnostic discuté dans la section précédente, selon lequel
le système de protection sociale souffre d’importantes lacunes,
en particulier pour les enfants, les chômeurs et les personnes
âgées, outre l’existence d’un nombre important de programmes
sans coordination qui se superposent et n’ont pas d’objectifs
clairs et des mécanismes de sélection cohérents.
Cette réforme a été déclinée dans un document adopté
récemment, la « PPIPS » (Politique Publique Intégrée de
Protection Sociale). Il adopte une approche de cycle de vie,
adressant les risques et vulnérabilités tant pour chaque phase
de vie que de manière transversale. L’action proposée pour
répondre à ces risques suit six axes : (i) la promotion d’un
environnement favorable au développement de l’enfant ;
(ii) le renforcement des instruments existants pour répondre
aux risques relatifs à l’âge actif ) ; (iii) la garantie progressive de
l’universalisation de couverture de la protection sociale pour
les personnes âgées ; (iv) l’universalisation de la couverture
médicale ; (v) le renforcement du soutien de protection
sociale pour les personnes vivant avec un handicap ;
(vi) le renforcement et la diversification des outils pour
soutenir les personnes en situation difficile (personnes sans
domicile fixe, personnes en prison, etc…). Enfin, la Politique
adopte trois axes transversaux en matière de gouvernance,
sur les mécanismes de sélection et de suivi, et en matière
de financement et visibilité. Ces axes visent à améliorer le
secteur entier de la protection sociale, ce qui inclut la mise
en œuvre d’un Registre Social Unique (RSU) et par la durabilité
du financement du secteur.
L’approche de cycle de vie de la PPIPS
Spécifique à chaque phase de vie
La réforme propose au Maroc vise à répondre aux risques qui
affectent sa population vulnérable à travers leur cycle de vie.
Pour les enfants, une composante importante de la réforme
est la généralisation de l’allocation familiale, ce qui inclurait le
programme non-contributoire principal, le Tayssir, qui devrait
finir par toucher tous les enfants vulnérables dans le pays
(tant en zone rurale comme en zone urbaine) et remplacer les
autres programmes d’assistance sociale qui visent les enfants,
comme le programme « 1 million de cartables ». Dans l’idée
initiale de la réforme, cela mènerait à étendre le programme
progressivement avec des bénéfices additionnels pour une
partie importante de la population.
Pour ce qui est de ceux en âge actif, la PPIPS vise à faciliter
l’accès à l’assurance chômage. Comme nous avons dit
précédemment, un nombre infime de travailleurs est éligible
à cette aide, malgré un taux de chômage au-dessus de 10%.
Enfin, un système contributoire plus large est inclus dans les
réformes, outre un nombre de mesures complémentaires
(qui fourniraient des formes d’assistance non-monétaires),
mais des doutes subsistent sur la mise en place d’un système
non-contributoire, ou sur le temps pour que celui-ci soit mis
en place ; des doutes sur la définition de qui seraient
les bénéficiaires (les ménages, ou les individus).
Éléments transversaux
y
La réforme au Maroc se focalise également sur l’extension
de la couverture médicale, ce qui inclurait l’intégration du
RAMED (la couverture médicale assistancielle) au sein d’une
AMO élargie, un système unique avec des subdivisions, qui
dépendrait des contributions (ou non) par les bénéficiaires,
ce qui devrait mener à une meilleure inclusion de la
population dans le système de santé.
y
y
La PPIPS a mis en avant de nouvelles formes de protection
pour les personnes vivant avec un handicap, en particulier
en leur étendant la couverture d’assistance sociale et des
mesures qui visent à améliorer les services sociaux mise à
disposition pour cette partie de la population.
Enfin, une partie de la réforme vise les « personnes en
situation de difficulté », qui inclut les personnes vulnérables
non inclues dans les autres piliers de la réforme. Il s’agit
principalement des personnes sans domicile fixe, les
prisonniers, et les marocains de retour de l’étranger, pour
qui des services sociaux et mesures liées à la protection
sociale sont développés.
Piliers transversaux et gouvernance
La gouvernance en matière de protection sociale constitue
3 piliers de la réforme (sur un total de 9), dans l’objectif de
rationaliser le procès (comme la substitution de subventions
avec des transferts monétaires plus précis), avec une meilleure
coordination et moins d’institutions avec des compétences
similaires. De plus, un registre social est en cours de
développement, avec des intentions d’inclusion des ménages
vulnérables à travers le territoire – ce RSU devrait commencer
à être mis en œuvre en 2021, avec une Agence Nationale du
Registre nouvellement créée, en août 2020, qui est en charge
de ce mécanisme.
36
4 L’impact de la COVID-19 sur les réformes
La crise de la COVID-1937 a eu des impacts distincts sur le
rythme des réformes dans les deux pays. Alors que ces deux
pays sont dans le processus de développement et mise
en œuvre de réformes de grande envergure en matière de
protection sociale, seul le Maroc a donné un signe que les
réformes vont être accélérées pour répondre aux lacunes de
couverture qui ont été fortement mises en évidence avec la
réponse de protection sociale à la crise de la COVID-19.
Les propositions tunisiennes, en revanche, n’ont pas bénéficié
d’une accélération similaire, et les expansions de la protection
sociale sont restées, en grande partie, à un niveau similaire
à celui d’avant la crise.
La réforme tunisienne et l’impact de la COVID-19
En réponse à la crise de la COVID-19, et de manière à permettre
aux travailleurs informels et aux ménages de respecter les
mesures pour contenir le virus, ce qui a inclus un confinement
strict qui a duré environ 76 jours (entre le 21 mars et le 4 juin),
la Tunisie a mis en place un transfert monétaire d’urgence,
utilisant les bases de données du PNAFN, AMG1 et AMG2 pour
identifier les bénéficiaires. Cette assistance monétaire d’urgence
a pris la forme tout d’abord d’un ajout de TND 50 pour 273 000
bénéficiaires de l’AMG1/PNAFN et une nouvelle aide monétaire
de TND 200 pour 470 000 ménages bénéficiant de l’AMG2,
38
annoncée le 22 mars 2020.
39
4 Centre International de Politiques pour la Croissance Inclusive
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Fin avril, une mesure additionnelle a été édictée, de sorte à
inscrire 300 000 nouveaux ménages dans l’AMG2 à travers une
campagne SMS et en croisant les données avec d’autres bases
de données. Ces ménages ont pu ainsi recevoir le transfert
de TND 200. Enfin, en mai, une loi sur l’identifiant unique a
également été adoptée, préparant le terrain pour de futurs
programmes de protection sociale et leur extension.
Dans le cas des enfants, avec le soutien de l’UNICEF et le
financement de la Banque Allemande de développement (KfW),
50 000 enfants âgés de moins de 6 ans ont reçu un transfert
monétaire de TND 30, et presque 310 000 étudiants entre 6 et 18
ans ont reçu une assistance unique de TND 50 pour les assister
avec les dépenses de la rentrée scolaire en septembre 2020.
40
les personnes devaient s’inscrire de sorte à recevoir l’assistance
mise en place, et l’information sur la vulnérabilité de certaines
personnes qui n’étaient pas auparavant enregistrées a mené
à de changements importants au Maroc. Pendant la crise,
la volonté de mettre en place le RSU a été rendue plus claire :
la loi qui crée l’Agence Nationale du Registre a été adoptée et,
en outre, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, lors de son discours
du trône de 2020,
46 a surligné le besoin d’accélérer
le développement de ce Registre à partir de 2021.
En outre, le discours a mené à un nombre de changements
dans la réforme, dans l’objectif d’accélérer celle-ci dans les 5
prochaines années. Cela veut dire que la réforme va se focaliser
sur les points suivants, d’après la loi-cadre adoptée en Février,
entre 2021 et 2025 :
47
Pour ce qui est des travailleurs formels, 210 000 de ceux-ci
ont pu recevoir deux mois d’assistance chômage technique
(TND 200) lorsque les entreprises ont subi une réduction
d’heures de travail du fait des restrictions du début de la
pandémie. 32 000 travailleurs indépendants (artisans et petites
entreprises) ont eux aussi reçu un transfert unique de TND 200,
ainsi que les travailleurs dans l’industrie du tourisme, qui ont
reçu une aide de 200 TND pour six mois.
y
y
y
y
Généralisation d’un système universel de santé à travers l’AMO ;
Généralisation d’allocations familiales ;
Généralisation de l’assistance chômage ;
Généralisation des pensions pour les personnes âgées.
Toutefois, contrairement au Maroc, la crise de la COVID-19 ainsi
que la crise politique qui était déjà en place mais qui a été
aggravée par les chocs additionnels ont toutes deux paralysé
la réforme. À cause de ces problèmes, la réforme du socle de
protection sociale n’a pas avancé ces dernières années, sans
importantes évolutions et sans discussions en ce moment,
malgré son objectif de mise en œuvre en 2021.
Cependant, dans une note plus positive, l’assistance monétaire
pour les enfants âgés de moins de 5 ans s’est vu étendre
pour servir de filet de sécurité sociale pour ceux dans l’Amen
social (bénéficiaire du PNAFN, de l’AMG1 et de l’AMG2).
41
Ce programme a été adopté et est en cours d’expansion entre
2021 et 2023, avec le soutien de la Banque Mondiale, de
sorte à assurer que tous les enfants de jusqu’à 5 ans dans les
programmes de l’Amen Social reçoivent le transfert de TND 30
tous les mois. Cela devrait servir d’assistance additionnelle pour
les ménages vulnérables avec des enfants entre 0 et 5 ans.
Les effets « positifs » de la COVID-19 au Maroc
Les transferts monétaires d’urgence ont été mis en place au début
de la crise en utilisant les mécanismes de sélection et identification
existants – ce qui a signifié, dans un premier temps, la couverture
des détenteurs de la carte RAMED avec des transferts de trois mois.
Les « ramedistes » ont dû s’inscrire par SMS ou en ligne (à partir du
30 mars 2020).
42 Pour continuer avec cela, le mois suivant (le 23
avril 2020), les travailleurs informels qui n’étaient pas « ramedistes »
ont pu recevoir la même assistance monétaire. Le transfert a varié
entre MAD 800 (pour les ménages de deux personnes ou moins),
MAD 1000 (pour les ménages composés de 3 personnes)
et MAD 1200 (pour les ménages de 4 personnes ou plus).
Le gouvernement a entrepris une autre phase d’inscription en
ligne et par SMS pour déterminer si les ménages étaient éligibles.43
En fin de compte, ce transfert a bénéficié 5,5 millions
de ménages,
44 soit environ 71% de la population.45
Néanmoins, cela signifie que les axes en relation avec les
personnes vivant avec un handicap et les personnes en situation
difficile ne sont pas inclues avec un niveau similaire de priorité
que les autres réformes en cours. Celles-ci sont encore inclues en
tant qu’une réforme plus large, une fois appliquées les objectifs
mis en avant par la loi-cadre de février.
Avec la crise de la COVID-19, la protection sociale est devenue
une priorité pour l’action gouvernementale, et a mené à la
priorisation de ces quatre actions pour les cinq prochaines
années, menant à des réformes plus larges et un système plus
compréhensif, fondé sur les lessons de la crise.
1. Nous voudrions remercier Dr. Fábio Veras Soares pour son appui dans
l’écriture et pour avoir transmis ses commentaires sur ce document. Nous
voudrions également remercier M. Remy Pigois (UNICEF MENARO) pour avoir
fourni des informations additionnelles sur la situation Tunisienne, et nous
voudrions remercier les contributions de Samir Bouzekri (UNICEF Tunisie)
et Karima Kessaba et Mahdi Haldi (UNICEF Maroc).
2. Voir : <https://www.ohchr.org/EN/ProfessionalInterest/Pages/CESCR.aspx >.
3. Cf. le « One-Pager » de l’IPC-IG sur la Tunisie : <https://bit.ly/3A3KFDC>.
4. Il s’agit des soins médicaux, la maladie, le chômage, les prestations
vieillesse, les accidents du travail et maladies professionnelles, les prestations
aux familles et les prestations maternité, invalidité et de survivants. Cf.
<https://bit.ly/2ZVNtq5>.
5. Ben Cheikh, 2013.
6. World Bank Group, 2015.
7. CF le profil de protection sociale du pays de l’UNESCWA de 2016 :
<https://bit.ly/2YhnWav>.
8. Voir : <http://www.ins.tn/publication/indicateurs-de-lemploi-et-du-
chomage-premier-trimestre-202>.
9. Cf. le décret n° 2009-349 du 9 février 2009.
10. Cf. le Décret-Loi n° 2011-16 du 26 mars 2011.
11. Cf. l’article 14 de la Loi n° 99-101 du 31 décembre 1999.
12. World Bank Group, 2015.
13. Idem.
14. Cf. le « One-Pager » de l’IPC-IG sur la Tunisie : <https://bit.ly/3uDo0Nn>.
En raison de l’absence de couverture de parties importantes de
la population, une procédure spéciale a été mise en place, où
15. CRES, 2017.
16. En 2017, cela couvrait environ 90000 enfants.
Policy Research Brief 5
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17. Il est important de mentionner que l’AMG1 couvre tous les ménages
bénéficiaires du PNAFN.
32. Loi organique n. 2019-10, 30 January 2019.
33. Ibid, article 2.
18. CRES, 2017.
19. Cf. Les Garanties du Socle National de la Protection Sociale : Faisabilité,
Coût et Financement, Note d’orientation, 2019 et <https://bit.ly/3A7g33Z>.
20. Il s’agit du droit à la justice sociale et du droit à la santé.
21. En effet, 21% de toutes les subventions alimentaires ont été dirigées au
quintile le plus riche, contre 16,3% au quintile le plus pauvre de la population.
Seulement 12% des subventions alimentaires ont touché les ménages définis
comme pauvres en 2014 : <https://bit.ly/3DcTwom>.
22. Pour en savoir plus, cf. le rapport de 2018 du CESE sur la Protection
sociale au Maroc : <https://bit.ly/3uBzJvW>.
23. Pour les personnes avec handicap, par exemple, deux tiers n’ont pas
accès à aucun type de couverture de sécurité sociale, selon le CESE.
24. Cela inclut également des réformes sur les subventions, qui sont
critiquées pour leur manque d’efficacité et d’équité, puisqu’elles favorisent
les ménages les plus riches et les chaînes d’approvisionnement, alors qu’elles
coûtaient 6,6% du PIB en 2013 (World Bank Group, 2015).
25. Ce qui inclut les travailleurs indépendants ainsi que les professions
libérales – Cf. le Rapport de 2018 du CESE : <https://bit.ly/3A8Eq1w>.
26. CESE, 2018.
27. Voir : <https://bit.ly/3iwB7uK>.
28. Voir : <https://bit.ly/2WHZ1fm>.
29. Idem.
30. Cf. la Loi Organique n. 2019-10 du 30 janvier 2019 et le Décret
n. 2020-317 du 19 mai 2020.
31. Cf. le lien ici : <https://bit.ly/3bxuYMj>.
34. Cf. l’étude de faisabilité du CRES de 2019 : <https://bit.ly/3l8vbtE>.
35. Cf. les discours du Trône de 2019 : <https://bit.ly/3Fb6F3j> et 2018:
<https://bit.ly/3uGihpS>.
36. La loi 72-18 crée l’Agence Nationale des Registres, qui est en charge de la
gestion du Registre National de la Population et le Registre National Unifié.
Elle est également en charge de la supervision de la collecte de données et
de comment les données personnelles sont utilisées.
37. Les estimations de la Banque Mondiale est d’un impact de -6,3% sur la
croissance du PIB au Maroc en 2020, et de -9,1% sur le PIB tunisien dans la
même année <https://www.worldbank.org/en/publication/global-economic-
prospects#data>.
38. Une sélection a été faite, de sorte à identifier seulement certains
ménages de l’AMG2.
39. Cf le tableau de bord de l’IPC-IG : <https://bit.ly/DashboardIPC>.
40. Cf. le communiqué de presse de l’UNICEF ici : <https://uni.cf/3l8xuwT>.
41. Pour plus de details, cf. <https://uni.cf/3DcoVaw>.
42. Un mécanisme de réclamations a été mis en place pour ceux qui
ont été exclus lors des premiers paiement, mais qui considéraient être
éligibles ; ce mécanisme a fini par inclure 1 million de ménages nouveaux
dans le programme.
43. Les critères utilisés n’ont pas été rendus publics.
44. Cf. Kessaba, Halmi, 2021.
45. Cf le tableau de bord de l’IPC-IG : <https://bit.ly/DashboardIPC>.
46. Voir : <https://bit.ly/3uGkCBx>.
47. Voir : <https://bit.ly/3iuhZO0>.
Bibliographie :
Ben Cheikh. CRES. « L’Extension de la Protection Sociale à l’Économie Informelle à l’Épreuve de la Transition en Tunisie ». May 2013.
CRES. « Évaluation de la performance des programmes d’assistance sociale en Tunisie ». May 2017.
Kessaba K., Halmi M. IPC-IG. “Morocco’s Social Protection Response to COVID-19 and Beyond – Towards a Sustainable Social Protection Floor”. Policy in Focus, Vol. 13, Issue No. 1,
March 2021.
World Bank Group. « Consolidation de la Politique de Protection Sociale et d’Emploi en Tunisie – Renforcer les Systèmes, Connecter à l’Emploi ». Policy Note. December 2015.
World Bank Group. “Morocco – Social Protection and Labor: Diagnostic”. Social Protection and Labor Brief. May 2015.
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Les opinions exprimées dans cet article appartiennent seulement aux auteurs et ne représentent donc pas nécessairementl’opinion du Programme des Nations Unies pour le développement ou du Gouvernement brésilien.
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