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Décentralisation et renforcement du pouvoir local : La
Tunisie à l’épreuve des réformes institutionnelles
Ines Labiadh
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Ines Labiadh. Décentralisation et renforcement du pouvoir local : La Tunisie à l’épreuve des ré-
formes institutionnelles. Maillages territoriaux, démocratie et éléction, Syfacte, RIATE, Paris Diderot,
IDEES, Jan 2016, Monastir, Tunisie. ￿halshs-01293413￿
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DECENTRALISATION ET RENFORCEMENT DU POUVOIR LOCAL : LA
TUNISIE A L’EPREUVE DES REFORMES INSTITUTIONNELLES
Ines LABIADH
Université Grenoble-Alpes
Contact : labiodh_ines@yahoo.fr
Mots clés : Constitutions ; décentralisation ; élections ; réformes administratives et
institutionnelles ; Tunisie.
Introduction
La révolution tunisienne de 2011 a remis en cause un bon nombre des principes politiques de
la république et entamé un processus de réformes et de remaniements institutionnels multi-
niveaux (économique, social, éducatif..).
On se propose dans cette communication d'aborder le renouveau du système de découpage
administratif en Tunisie selon une entrée qui questionne l'articulation entre l'échelon local et
le pouvoir central. Les prérogatives extrêmement limitées accordées aux collectivités locales
du temps de la première république de Bourguiba et de Ben Ali sont aujourd'hui revues à
travers
l'ensemble des
collectivités. Ce qui serait en mesure de démocratiser le pouvoir local en reconnaissant les
échelons de base comme partenaires dans la conception, la programmation et l'exécution des
plans d'aménagement et de développement. En outre, la nouvelle constitution, entrée en
vigueur en
la
constitutionnalisation de ce principe ainsi que d’autres principes directeurs tel que la
gouvernance locale et l’autonomie une base solide pour l’affermissement des fondements de
la régionalisation et de la démocratisation du pouvoir.
la décentralisation territoriale et offre à travers
la généralisation du processus électoral à
janvier 2014, prône
l'élargissement et
1. La décentralisation : un transfert de pouvoir mais pas seulement
La décentralisation se définit comme la délégation ou le transfert de pouvoir de l’Etat central
vers le plan local, au bénéfice d’agents élus par les citoyens et regroupés dans des collectivités
locales. De par son contenu à la fois politique et administratif, la décentralisation est un
processus qui permet d’amplifier le pouvoir des collectivités locales, sans pour autant affaiblir
celui de l’Etat qui continue à exercer un pouvoir de contrôle sur la structure décentralisée qui
se situe alors sous sa tutelle.
Pour accroitre le pouvoir des collectivités locales, la décentralisation doit s’accompagner d’un
transfert, de l’Etat vers les structures décentralisées, d’enveloppes budgétaires qui leur
permettent d’exercer pleinement les fonctions et les prérogatives qui leurs sont attribuées par
la loi. Avec des ressources propres et une autonomie de décision concédées par l’Etat et
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cadrées par la législation, les collectivités locales jouissent, dans le cadre de la décentralisation,
d’une liberté dans l’administration et la gestion des affaires locales, sans laquelle «
la
décentralisation ne serait qu’un artifice et la notion de collectivité locale une appellation
trompeuse d’une simple circonscription du pouvoir central »
(Belaid, 2000).
A l’échelle locale, la décentralisation permet l’élargissement des marges de manœuvre des
acteurs de base qui trouvent dans ce principe le meilleur cadre opérationnel pour penser et
mettre en œuvre des actions relatives à leur territoire, sans avoir à se conformer à des
schémas directeurs conçus et prescrits au niveau central et souvent détachés de la réalité des
sociétés dans lesquelles ils sont appliqués. La décentralisation est particulièrement propice aux
principes de la bonne gouvernance puisqu’elle renforce l’autonomie des acteurs locaux. Elle
profite en particulier aux zones marginalisées "victimes" d'un découpage administratif et des
plans d'aménagement cherchant à tout prix l'homogénéisation spatiale, l'unité nationale et le
maintien de la dichotomie qui sépare les régions loties de celles pauvres et sans avenir
prometteur.
2. La post-révolution : l’entame des réformes administratives et le renforcement du statut
des collectivités locales
La question de la décentralisation a été abordée en Tunisie depuis la fin des années cinquante
dans un contexte postcolonial de construction du nouvel Etat. Les principales orientations de
l’indépendance furent le nationalisme et la modernisation qui s’étaient opérées en partant de
prérogatives développementalistes, reprenant pour la plupart le modèle colonial français et
ses valeurs, dont la décentralisation qui était alors retenue comme élément stratégique pour la
réforme des structures administratives. Seulement, comme le rappelle Gérard Marcou
« l’examen de réformes qui ont touché l’administration locale et régionale […] montre qu’elles
ont été inspirées essentiellement par les objectifs de la politique de développement mais sans
aller jusqu’à une réforme politique qui ferait de la décentralisation le fondement d’une nouvelle
stratégie »
(Marcou, 1999) ; d’autant plus que «souvent invoquée, la décentralisation comme
mode de partage de pouvoir entre l’Etat et des collectivités représentatives du peuple
ne vise
parfois
que des mesures de déconcentration consistant à découper en sous-unités l’espace
national afin de faciliter l’application des politiques de l’Etat» (Ibid.).
La révolution de 2010 avait comme principale revendication la dignité pour tous les habitants à
travers un équilibre entre les régions et une équité dans le partage des richesses. Cela
impliquait nécessairement de reconsidérer la conception du développement régional et local.
Dans ce cadre, des réformes institutionnelles et politiques étaient entamées en 2011 et la
première résultante fut la création de deux nouveaux ministères chargés d’appliquer les
orientations de l’Etat en matière de développement et d’atténuation des disparités régionales.
L’un s’est chargé de la gouvernance et de la lutte contre la corruption ; l’autre, anciennement
rattaché au ministère de l’intérieur, est devenu une structure à part entière, il s’agit du
ministère du développement régional qui publie en 2011 un livre blanc intitulé « Tunisie : une
nouvelle vision du développement régional»
. Ce livre traduit l’évolution dans le traitement de
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la question du développement régional et prône, à cet effet, la capacité et la responsabilité de
chaque région tunisienne à définir et à bâtir son propre développement économique et social.
Il aspire également, comme mentionné dans son introduction, à concrétiser une vision du
développement régional d’essence démocratique.
Dès le début de la phase de construction de la nouvelle république, la volonté d’un
développement décentralisé, où les collectivités locales sont plus autonomes, était donc
clairement affichée et le coup d’envoi fut donné pour renouveler le cadre constitutionnel des
collectivités locales après une longue histoire centralisatrice et un pouvoir local affaibli voire
inexistant face à la prééminence de l’Etat central.
On se propose, dans ce qui suit, de suivre de plus près l’évolution du statut des collectivités
locales à travers une lecture croisée de la constitution de 1959 et celle de 2014 via le prisme
du découpage administratif et de l’exercice du pouvoir. Cela nous permettra d’éclairer
l'orientation actuelle de la Tunisie en termes d'inclusion régionale et d'enrichissement
financier et managérial des collectivités locales en particulier pour ce qui concerne le plus petit
échelon de décision : la municipalité.
2.1 Amélioration du cadre constitutionnel
La première remarque à faire consiste au passage d’un seul article dédié aux collectivités
locales dans la constitution de 1959 (article 71) à un chapitre entier consacré au pouvoir local
dans la constitution de 2014 (chapitre 7), auquel s’ajoute un article dans les principes généraux
de la constitution et qui rappelle l’engagement de l’Etat sur le chemin de la décentralisation
(article 14). Cela prouve la prise de conscience des décideurs de l’importance que revêt la
question du développement régional et du partage de pouvoir.
2.2 Densification des structures de la décentralisation
la constitution de 1959,
Dans
l’existence de deux niveaux de
l’article 71 stipule
décentralisation dans le pays : les conseils municipaux et les conseils départementaux
(gouvernorats). A ce binôme, la constitution de 2014 ajoute un troisième niveau à savoir celui
des régions (article 131). Un enrichissement des niveaux de décentralisation s’est donc opéré,
ce qui traduit la recherche d’une meilleure représentabilité du peuple en favorisant les
structures qui leurs sont plus proches et plus à même de traiter les affaires locales. L’article
131 stipule également la généralisation du processus de décentralisation, ce qui signifie la
présence de toutes les catégories des collectivités locales sur l’ensemble du territoire. Ce fait
est particulièrement important si on note que la Tunisie était à plus de 50% non municipalisée
ce qui privait plus du tiers de la population du choix de ses représentants à l’échelle
municipale. Cet aspect est particulièrement éloquent dans l’espace rural où il n’existait aucune
institution représentative élue ; les membres des conseils ruraux étant nommés par le
gouverneur.
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Gouvernorats
Municipalités
Municipalités
=
=
Communes
Communes
urbaines
urbaines
Régions
Gouvernorats
=
Départements
Municipalités
=
Communes urbaines et
rurales
Figure 1 : Passage de deux à trois niveaux de la décentralisation
Source : Labiadh (2015)
Il importe aussi de souligner la création du conseil supérieur des collectivités locales (article
141) qui est une instance nouvelle qui
«examine les questions liées au développement et à
l’équilibre entre les régions, et donne son avis sur les projets de lois relatifs à la planification, au
budget et aux finances locales»
(constitution tunisienne, 2014). Le siège de ce conseil est
localisé en dehors de la capitale Tunis dans un désir d’atténuer la domination de la capitale sur
l’ensemble du territoire.
2.3 Démocratisation du mode de sélection des représentants du peuple
La réforme institutionnelle a permis aussi la revue du code électoral et avancé sur la
généralisation du processus électoral sur les trois niveaux administratifs nouvellement érigés
(municipalités, départements et régions). Les élections municipales, prévues pour l’année
2016, sont les plus attendues puisque les plus «démocratisantes» de l’exercice du pouvoir de
par leur plus grande proximité et l’inscription locale des élus municipaux. Par ailleurs, le projet
de loi des élections locales publié en octobre 2015 (DGCL, 2015) stipule dans son introduction
que les élections locales sont plus importantes que les nationales puisqu’il s’agit de l’outil
opérationnel permettant de mettre en œuvre une démocratie de proximité.
L’ancienne organisation administrative de la Tunisie stipule que seuls les membres du conseil
municipal sont élus par les citoyens. Dans les conseils ruraux des zones non érigées en
communes, les représentants du peuple étaient nommés par le gouverneur et le conseil
possède un rôle uniquement consultatif sans avoir le droit à un budget. Leurs attributions sont
extrêmement faibles par rapport à celles du gouverneur qui fut l’homme le plus fort de
l’administration territoriale puisque possédant l’autorité sur l’ensemble des fonctionnaires de
sa division et concentrant la tutelle sur le gouvernorat, les délégations, les communes et les
conseils ruraux.
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L’unique article de la constitution de 1959 se rapportant aux collectivités locales reste muet
sur la question de l’élection des membres des conseils régionaux et locaux. L’article 133 de la
constitution de 2014 corrige ce manquement et généralise le processus électoral aux conseils
municipaux, régionaux et conseils des districts. En outre, l’élection au niveau des communes et
des départements se fait selon un suffrage direct contrairement à celle au niveau des régions
qui devra s’opérer d’une manière indirecte.
Elus par les membres des
Conseils municipaux et
départementaux
Elus au suffrage universel,
libre, secret et direct, intègre
et transparent
Conseils
Régionaux
Conseils
Départementaux
Conseils
municipaux
Figure 2 : Mode d’élection des conseils des collectivités locales selon l’article 133 de la
constitution
Source : Labiadh (2015)
L’on conclut donc que le principe de l’élection, indispensable à tout exercice démocratique de
pouvoir, était complètement absent dans la constitution de 1959 avant de devenir une
condition cardinale de la décentralisation dans le système administratif de l’après-révolution.
2.4 Explicitation des principes de la décentralisation et développement des
orientations
Dans la constitution de 1959, la décentralisation avait une portée purement et uniquement
administrative et dépourvue de toute précision pouvant guider le législateur dans la gestion et
la conduite des affaires des collectivités locales. L’article 71, très peu explicite et dépourvu de
toute portée opérationnelle, manquait ainsi de normativité et n’apportait aucun mot sur les
valeurs à installer et les outils à adopter en faveur de la démocratie locale.
Les articles du chapitre VII de la constitution de 2014 sur le pouvoir local ont pu combler ce
manquement et détailler sur les différents aspects qui cadrent la relation des collectivités
locales avec le pouvoir central. Ces éléments sont exposés dans le tableau ci-contre.
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Principe de gestion et de fonctionnement
Description
Autonomie et
rapport à l’Etat
libre administration par
Relative au volet
administratif
juridique,
financier et
Répartition des compétences avec l’autorité
centrale
collectivités
Les
locales possèdent des
compétences propres, des compétences
partagées avec l’Etat et d’autres qui lui sont
transférées par celui-ci.
Adéquation
transférées et
disposition
entre
les
les
compétences
ressources mises à
Le principe de subsidiarité
Le contrôle à priori est annulé. Les
collectivités locales jouissent désormais de
plus de liberté et son soumises uniquement
à un contrôle à posteriori
Un ensemble de principes diversifiés qui
s’intègrent
la
démocratie locale
le cadre de
tous dans
collectivités
locales disposent de
Les
ressources propres et «
Toute création ou
transfert de
l'autorité
locales doit
collectivités
centrale aux
s’accompagner d’un transfert des ressources
correspondantes»
(article 135).
compétences de
locale située à
Ce principe stipule d’affecter la compétence à
la collectivité
l’échelle
administrative la plus proche de l’habitant si
elle est la mieux habile à l’exercer. Avec celui
de l’autonomie, le principe de subsidiarité
s’avère le plus démonstratif du lancement
fictif de la décentralisation et de la conduite
de la gouvernance à plus petite échelle.

Cela signifie que la collectivité locale est libre
des programmes et actions qu’elle met en
place et n’a, désormais, plus besoin du feu
vert de l’autorité centrale avant l’entrée en
vigueur des actes. L’autorisation préalable
n’est donc plus une condition pour réaliser
ses activités.

Bonne gouvernance, gouvernance ouverte,
garantie de la représentation des jeunes dans
les conseils locaux et leur implication dans
tous les aspects de la vie particulièrement
politique, appui à
la coopération et au
partenariat entre les collectivités à l’échelle
nationale et à l’international, garantie de
participation citoyenne et civile.
Tableau 1 : Principe de la décentralisation et gages constitutionnels de la démocratie du
pouvoir
Source : Labiadh (2015)
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Conclusion
La Tunisie postrévolutionnaire s’est engagée de plain-pied sur la voie de la décentralisation.
Les réformes institutionnelles qui en ont découlé favorisent les organes de la décentralisation
et témoignent de l’intérêt que le pouvoir attache à une évolution administrative et politique
dans ce sens.
Cependant, un nombre de questions d’ordre pratique demeurent suspendues. Les
compétences locales sont-elles préparées aux instruments de la décentralisation ? Faut-il les
former ? Comment ? Des problèmes de financement ont toujours existé, seront-ils
surmontés ? La finance locale trouvera-elle dans le nouveau cadre administratif et politique la
garantie monétaire pour financer convenablement les actions de développement local ?
La participation des citoyens et de la société civile et désormais protégée par la constitution et
la loi. Mais le concept de la participation est flou. Si la représentation de ces acteurs dans les
conseils locaux est maintenant garantie, comment éviter les anciennes dérives telles que la
confusion fréquente entre consultation et participation ou la préservation des intérêts de
certains (élus, hommes politiques, grands hommes d'affaires, notables, etc.) en passant outre
aux besoins et droits légitimes de la population.
Au final, le chemin est surement entamé et même si les fruits mettront du temps avant d’être
récoltés, l’engagement sur la voie de la démocratie locale et l’
empowerment des acteurs
locaux est en lui-même un mérite dont témoigne le dernier prix Nobel de la paix décerné à la
Tunisie.
Bibliographie
BELAID, N., (2000), l’expérience tunisienne, in actes du séminaire international autonomie
locale et régionalisation en Méditerranée
, Rabat Maroc, pp 37-47.
de
Constitution
http://www.e-
justice.tn/fileadmin/fichiers_site_francais/org_juridictionnelle/Constitution_de_la_republique_
tunisiennefr.pdf (consulté le 26/11/2015).
tunisienne,
république
1959,
la
Constitution
2014,
http://majles.marsad.tn/uploads/documents/Constitution_Tunisienne_VF_Traduction_Non_O
fficielle_Al_Bawsala.pdf (consulté le 10/10/2015).
tunisienne,
république
de
la
DGCL, 2015, Projet de
(en
http://www.ccl.tn/bundles/pdf/projet_de_loi.pdf (consulté le 29/11/2015).
loi organique des élections
locales
langue arabe),
MARCOU, G.,
les enjeux de
(1999), L’administration territoriale en Tunisie et
décentralisation
, in décentralisation et démocratie en Tunisie, L’Harmattan, Paris, pp 7-50.
la
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