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Économie politique de la répression : le cas de la Tunisie
Béatrice Hibou
To cite this version:
Béatrice Hibou. Économie politique de la répression : le cas de la Tunisie. Raisons politiques, 2005,
20, pp.9-36. ￿10.3917/rai.020.0009￿. ￿hal-01719397￿
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BÉATRICE HIBOU
Économie politique de la répression :
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A TUNISIE A ÉTÉ LE SUJET, ces dernières années, de
nombreux tableaux, souvent partisans, mais néan-
moins informatifs. La multiplicité de ces écrits
peut cependant se résumer en l’expression de deux grandes traditions
d’interprétations : « la Tunisie de Ben Ali » et « la Tunisie écono-
mique et politique ».
« La Tunisie de Ben Ali » : par cette expression, je voudrais res-
tituer un premier courant d’analyses de science politique ou d’éco-
nomie politique ainsi que des ouvrages ou des prises de position par-
tisans. Ces travaux partagent trois caractéristiques : 1) l’homme fort,
le sultan ou encore le chef est au centre de l’analyse politique ; 2) en
conséquence, les relations de pouvoir y sont analysées comme des
relations du propriétaire à son bien ; 3) dans une perspective très glo-
bale, en ne rentrant jamais dans le détail et la description des méca-
nismes propres à l’exercice du pouvoir. Il s’agit de travaux purement
politiques, centrant leurs analyses sur le « régime autoritaire », en
tant que dictature où le chef de l’État contrôlerait tous les méca-
nismes policiers et répressifs
1 ; d’études d’économie politique libé-
rale de l’autoritarisme développant des raisonnements relativement
fonctionnalistes sur le rôle de l’économie dans le régime
2 ; ou encore
1. Lisa Anderson, The State and Social Transformation in Tunisia and Libya, 1830-1980,
Princeton, Princeton University Press, 1987.
2. Par exemple, pour une analyse de la Tunisie comme sultanisme voir Houchang E. Chehabi
et Juan J. Linz (éds.),
Sultanistic Regimes, Baltimore & London, Johns Hopkins University
Raisons politiques, n° 20, novembre 2005, p. 9-36.
© 2005 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
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d’écrits engagés de militants de droits de l’homme et d’associations
humanitaires qui mettent en avant l’importance de la police et de la
répression institutionnelle, l’absence de liberté d’expression
3 ou, au
contraire, de thuriféraires du régime qui attribuent les performances
économiques, sociales et politiques de la Tunisie au président Ben Ali
en personne
4.
« La Tunisie économique et politique » : cette seconde expres-
sion entend souligner la coupure, plus ou moins nette selon les
auteurs, entre sphère économique, sphère sociale et sphère politique.
Ces travaux ont également en commun de mettre l’accent sur les
résultats économiques et parfois politiques ou sociaux, souvent en
termes de réussite ou d’échec, sans s’attarder sur les processus, le
fonctionnement des relations de pouvoir et les détails des rouages
permettant d’atteindre tel ou tel résultat. Ces ouvrages sont parfois
le fait de politologues
5 qui ne considèrent que de façon marginale les
rouages économiques, voire sociaux, ou de
political economists 6, qui
voient le plus souvent le champ politique comme exogène et entrent
rarement dans les dynamiques des jeux de pouvoir. Mais pour la plu-
part, ces écrits sont le fait d’observateurs plus engagés, dont les posi-
tions peuvent varier du soutien inconditionnel aux critiques les plus
sévères
7.
Press, 1998 ou comme exemple de « Bully praetorian states », voir Clement M. Henry
et Robert Springborg,
Globalization and the Politics of Development in the Middle East,
Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 134-167, pour lesquels le sultanisme
se caractérise par une forte personnalisation du pouvoir, par l’ampleur des décisions
arbitraires perturbant le fonctionnement administratif, par un système de loyauté fondé
sur la peur et la gratification du chef et par l’absence d’une forte pénétration du pouvoir
dans la société associée à l’apathie et à la passivité de cette dernière.
3. Cf. Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), Conseil national
pour les libertés en Tunisie (CNLT), Human Rights Watch (HRW), Amnesty Interna-
tional (AI) et Reporters sans frontières.
4. Sadok Chaabane, Ben Ali et la voie pluraliste en Tunisie, Tunis, Cérès éditions, 1996.
5. Stephen Benedict, « Tunisie, le mirage de l’État fort »,
in « Le philosophe, la morale et le
citoyen »
, Esprit, mars 1997, p. 27-42 ainsi que Michel Camau et Vincent Geisser, Le
Syndrome autoritaire. Politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali
, Paris, Presses de
Sciences-Po, 2003.
6. Eva Bellin, Stalled Democracy. Capital, Labor and the Paradox of State-Sponsored Develop-
ment
, Ithaca & London, New York, Cornell University Press, 2002 ; Emma C. Murphy,
Economic and Political Change in Tunisia. From Bourguiba to Ben Ali, Londres, Mac-
Millan Press and St Martin’s Press, 1999 ; Lisa Anderson, « The Prospects for democracy
in the Arab world »,
in Middle Eastern Lectures, n° 1, 1995, p. 59-71.
7. Pour des exemples d’appréciations louangeuses ou d’autosatisfaction qui se traduisent
par la théorisation du « miracle tunisien » – mixte de franc succès économique, de préoc-
cupations sociales et de marche décidée et maîtrisée vers la démocratie, voir les livres à la
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Il est inutile ici de revenir sur le panorama général : cela est
maintenant bien connu, la Tunisie est un régime autoritaire qui se
caractérise par des violations permanentes des droits de l’homme,
le musellement de la presse et l’absence de toute liberté d’expres-
sion, mais simultanément aussi, par un fonctionnement écono-
mique et social qui a permis, jusqu’à aujourd’hui, une réelle crois-
sance et un développement significatif. Toutefois, au-delà de ce
constat, on n’a rien dit, ou presque, sur l’exercice même du pouvoir
en Tunisie.
gloire de Ben Ali et de sa philosophie d’action et, par exemple, Salvatore Lombardo, Un
printemps tunisien. Destins croisés d’un peuple et de son président
, Marseille, Éditions
Autres Temps, 1998. Voir également les publicités financées directement par le gouver-
nement tunisien (
cf. supplément Média France inséré régulièrement dans Le Monde ou
suppléments équivalents dans
The Herald Tribune et Financial Time) ou, indirectement,
les publicités financées par les grands groupes du pays (par exemple, celle payée par le
groupe Poulina dans
Le Monde du 16 octobre 1999, en préparation des élections, et van-
tant les mérites d’un pays stable et prospère). Pour un exemple de soutien inconditionnel
exprimé par la croyance au « miracle économique » et la compréhension approbatrice de
la spécificité de la démocratisation d’un pays comme la Tunisie, voir Philippe Séguin :
« Ce n’est pas la démocratie qui crée le développement, c’est le développement qui crée
la démocratie » (cité par
Le Monde du 30 octobre 1999) ; il justifiait ainsi la philosophie
officielle adoptée par la Tunisie quant au caractère nécessairement spécifique de la démo-
cratie dans les pays non occidentaux et non développés, sous-entendu, handicapés par
rapport à la trajectoire occidentale en tant que pays musulmans, en voie de développe-
ment, anciennement colonisés ou à tradition de chef. Pour un exemple de soutien ciblé
et centré sur les préoccupations sociales et économiques, négligeant la dimension poli-
tique, lire la citation qui suit, tirée d’un document confidentiel rédigé par une agence
économique européenne et qui égrène, de façon presque exhaustive, les différents ingré-
dients du satisfecit accordé à la Tunisie : « La Tunisie poursuit sa
croissance à un rythme
annuel proche de 5 % depuis 10 ans, tout en
préservant la cohérence de son tissu social
grâce à une politique active en matière de santé, d’éducation, de logement et de moderni-
sation de la société civile
. La prudence et la rigueur de sa politique économique lui permet-
tent de maintenir ses
grands équilibres fondamentaux. Incontestablement, ce pays
continue à être le “bon élève” de la région sur le plan économique » (souligné par moi).
Pour un exemple de soutien critique par reconnaissance d’une réussite économique qui
serait en quelque sorte « gâchée » par un renfermement, voire une crispation politique,
se référer aux critiques ouvertes qui soulignent la contradiction entre réussite écono-
mique et répression politique féroce : Nicolas Beau et Jean-Pierre Tuquoi,
Notre ami Ben
Ali. L’envers du « miracle tunisien »
, Paris, La Découverte, 1999 ; Zakya Daoud,
« Tunisie, chronique intérieure »,
in L’Islam pluriel au Maghreb, Paris, CNRS Éditions,
coll. Études de l’Annuaire de l’Afrique du Nord 1994, 1996 ; et des journaux tels
Le
Monde
, avec des reportages détaillés et, par ailleurs, très intéressants : cf. série d’articles
de Catherine Simon des 21, 22 et 23 octobre 1999 ; mais aussi, paradoxalement, des
organisations de défense de droits de l’homme qui n’étendent pas leurs critiques à l’éco-
nomique, reprenant les analyses courantes dans ce domaine.
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Le rêve politique de la peste au concret
L’objet de mon questionnement est précisément de tenter de
surmonter ces écueils en centrant ma recherche sur cette contradic-
tion apparente : non de faire le compte des erreurs, des naïvetés, des
partis pris et des positionnements moraux des travaux précédem-
ment cités, mais, en adoptant une démarche foucaldienne, de
repérer, à partir de situations concrètes localisées, les mécanismes
d’exercice du pouvoir, les bases socio-économiques sur lesquelles il
repose, de mettre en évidence ses techniques, ses procédés et les pro-
cédures de savoir qui caractérisent le politique en Tunisie aujour-
d’hui. Et, dans une tradition wébérienne, j’essaie d’être attentive à la
plasticité des formes sociales – qui interdit de préjuger des
connexions entre variables, ainsi qu’à la diversité et à la multiplicité
des agencements
8. Cela a été montré depuis bien longtemps : aucun
gouvernement n’est exclusivement fondé sur la violence et la répres-
sion, y compris les formes les plus accomplies de totalitarisme et le
système autoritaire, voire totalitaire, fonctionne bien au-delà de la
mécanique de l’appareil policier
9. Par ce travail, je voudrais suggérer
que les rouages économiques fondent aussi ces relations de pouvoir
qui autorisent la domination.
A partir des mêmes constats sur la contradiction apparente
entre « économie » et « politique », mes recherches sur la Tunisie
conduisent à une autre lecture. Ce sont les mécanismes mis en avant
par le « régime » ou par les bailleurs de fonds pour louer la capacité
d’adaptation et de réforme de la société tunisienne, ainsi que
l’« intelligence économique et sociale du régime » qui constituent,
simultanément, les rouages fondamentaux du système de domina-
tion. Il va de soi que la police et ses techniques de répression
stricto
sensu
(emprisonnements, tortures, interdictions de rassemblements,
harcèlement des opposants, etc.) jouent un rôle indéniable dans la
vie politique tunisienne. Il n’est pas question d’en sous-estimer la
part de violence, de peur et de méfiance généralisée. Mais ces pro-
cédés ne concernent que les militants actifs et, dans le cas des isla-
8. Sur l’économie politique wébérienne, voir évidemment l’œuvre de Max Weber et,
notamment, Max Weber,
Essais sur la théorie de la science, Paris, Press Pocket Plon, 1965,
Max Weber,
Sociologie des religions, Paris, Gallimard-NRF, 1996 et Max Weber, Œuvres
politiques (1895-1919)
, Paris, Albin Michel, 2004. Pour l’utilisation que j’en fais, voir
Béatrice Hibou,
L’Afrique est-elle protectionniste ? Les chemins buissonniers de la libéralisa-
tion extérieure
, Paris, Karthala, 1996, introduction, p. 7-43.
9. Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, Paris, Quarto-Gallimard, 2002.
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mistes, leurs entourages ; ce qui est insuffisant, malgré l’impact que
cela peut avoir sur les esprits, pour caractériser les modalités d’exer-
cice du pouvoir. En revanche, les pages qui suivent entendent mon-
trer que les mécanismes de contrôle de l’ensemble de la population
tunisienne s’ancrent dans les relations de pouvoir les plus banales.
La surveillance et la normalisation passent avant tout par des acti-
vités et des comportements économiques et sociaux qui s’inscrivent
eux-mêmes dans des relations et des rapports de force internes à la
société, au sein de luttes disséminées dans cette dernière. Mais ces
pratiques peuvent tout aussi bien servir à la coercition, voire à la
répression que permettre au « miracle économique » de se réaliser.
Elles autorisent l’exercice d’une punition et d’une gratification,
mais assurent également une sécurité économique et sociale. Elles
participent du paternalisme et du contrôle social et permettent
simultanément contrôle et ascension sociale, surveillance et créa-
tion de richesse. C’est pour cela qu’il ne s’agit fondamentalement
pas de répression et que si domination il y a, elle est souvent
acceptée.
Une situation concrète a réorienté ma recherche et m’a mise sur
la voie de l’impossible séparation et, au contraire, de ce continuum
entre répression et contrôle politique d’une part et, de l’autre, pra-
tiques économiques et sociales les plus banales. C’est la répression
contre les islamistes qui s’est développée, pour devenir féroce, après
le succès relatif de ces derniers aux élections de 1989. Certains docu-
ments ont d’ores et déjà dévoilé les conditions inhumaines qu’ont dû
*
alors subir les militants du MTI
10devenu par la suite Ennahda **, et
que, pour certains d’entre eux, ils continuent à endurer
10 : arresta-
tions dans des conditions violentes ; multiples maltraitances et
tortures qui ont pu conduire jusqu’au décès des victimes : restriction
*
10. MTI : Mouvement de la Tendance Islamiste.
**
Ennahdha ou Nahdha : Renaissance.
10. Voir CNLT,
Rapport sur la situation dans les prisons en Tunisie, Tunis, miméo,
20 octobre 1999 ; CNLT,
Rapport sur l’état des libertés en Tunisie, Tunis, miméo,
15 mars 2000 ; CNLT,
Deuxième rapport sur l’état des libertés en Tunisie. Pour la réha-
bilitation de l’indépendance de la justice
, Tunis, miméo, 2002 ; LTDH (Ligue tuni-
sienne des droits de l’Homme),
Rapports annuels 2001 et 2002, Tunis, miméo ; ainsi
que les communiqués de l’Association internationale de soutien aux prisonniers poli-
tiques (AISPP). Pour un récit d’expérience personnelle, voir le livre d’Ahmed Manaï
qui est l’un sinon le premier, à avoir décrit la répression contre les islamistes : Ahmed
Manaï,
Supplice tunisien, le jardin secret du Général Ben Ali, Paris, La Découverte,
1995.
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des droits de visite et du droit de « couffin » (nourriture et vêtements
apportés par la famille) et isolement extrême pouvant durer des
années ; surpopulation carcérale ; absence de lit et d’espace pour se
coucher et privation de sommeil ; sous-alimentation et carence en
eau ; mauvaise hygiène et propagation de maladies et négligence,
laxisme, voire défaut de suivi médical et parfois même privation de
soin ; développement de la toxicomanie, de l’usage de psychotropes
et de neuroleptiques ; travail dans des conditions de servage ; impos-
sibilité de prier ; fouilles systématiques et humiliantes ; violences
physiques et traitement cruels et dégradants, agressions sexuelles et
viols… Tout est fait pour broyer les êtres et les déshumaniser comme
l’attestent le nombre de grèves de la faim, les suicides ou les tentatives
de suicide
11. Ces conditions inhumaines des prisonniers politiques,
mais également des prisonniers de droit commun qui subissent eux
aussi ces traitements dégradants et humiliants, suggèrent qui plus est
que la prison et le traitement policier des problèmes de société cons-
tituent des modes de gouvernement à part entière, au même titre que
la recherche de l’ordre public par atteinte à la vie privée et au plus
intime de soi
12.
En revanche, très peu a été écrit sur les conditions de vie des
anciens prisonniers politiques à leur sortie du milieu carcéral
13. Dans
la perspective de ce travail, les pratiques discriminatoires qu’ils subissent
11. Voir CNLT, Rapport sur la situation dans les prisons en Tunisie, op. cit. ; LTDH, Les murs
du silence. Rapport sur les prisons
, Tunis, miméo, 2004 et les divers rapports annuels des
organisations de défense des droits de l’Homme.
12. Le dernier rapport de la LTDH sur les prisons souligne cette généralité et l’inhumanité
de traitement des prisonniers de droit commun. Voir LTDH, Les murs du silence. Rap-
port sur les prisons, op. cit. L’article de Souhayr Belhassen, « Les legs bourguibiens de la
répression »,
in Michel Camau et Vincent Geisser (dirs.), Habib Bourguiba. La trace et
l’héritage
, Paris, Karthala-IEP d’Aix en Provence, 2004, p. 391-404, montre aussi que
la torture n’est pas uniquement cantonnée aux détenus politiques. Elle atteint les pri-
sonniers de droit commun et elle s’exerce non seulement dans les prisons mais égale-
ment dans les postes de police, dans les locaux de la Sûreté nationale et de la Garde
nationale ou dans les casernes.
13. Tout ce paragraphe est avant tout basé sur une série d’entretiens que j’ai menés avec
d’anciens prisonniers politiques, des membres de familles de détenus, des avocats et des
l’homme à Tunis, notamment en décembre 2001,
militants des droits de
décembre 2002 et décembre 2003 ; ainsi qu’à Paris, notamment en novembre 2001 et
janvier 2002. Voir également quelques évocations dans Reporters sans frontières
(dirs.),
Tunisie, le livre noir, Paris, La Découverte, 2002, qui reprend les principaux rap-
ports du CNLT, de la LTDH, de Human Rights Watch, d’Amnesty International. Et,
plus particulièrement, voir dans LTDH,
Rapport annuel 2001, op. cit. et la troisième
partie du rapport d’Amnesty International,
Le cycle de l’injustice, MDE 30/001/2003,
Londres, juin 2003.
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sont d’autant plus dignes d’intérêt qu’elles sont révélatrices des
modalités disciplinaires et normalisatrices de l’exercice du pouvoir
en Tunisie. Elles montrent, notamment, le brouillage de ce qui est
« public » et de ce qui est « privé », le processus de criminalisation de
toute activité politique qui ne serait pas agréée par le pouvoir cen-
tral
14 et le rôle capital des rouages économiques dans l’exercice de la
domination, voire de la répression. Les pratiques discriminatoires
qu’ils subissent alors sont vécues par eux comme plus difficiles
encore que la prison, alors même que la violence physique a disparu.
Le contrôle administratif oblige les anciens prisonniers politiques à
se présenter à un commissariat de police – qui peut être très éloigné
de leur domicile – plusieurs fois par jour, ce qui, très concrètement,
les empêche de retrouver un emploi et d’avoir une vie sociale mini-
male. S’ils ne subissent pas ou plus le contrôle administratif, ils ont
tout autant de difficultés à travailler et à s’insérer à nouveau dans la
société : les anciens fonctionnaires sont licenciés ; les patrons d’en-
treprises privées qui les employaient précédemment ou qui seraient
prêts à le faire font l’objet de pressions et de menaces (chantage au
contrôle fiscal ou de la sécurité sociale notamment) qui les dissua-
dent définitivement de les embaucher ; les anciens détenus qui ten-
tent de se lancer dans une activité indépendante sont harcelés par le
fisc, la police municipale ou tout autre représentant de l’administra-
tion. Par ailleurs, les épouses de détenus peuvent être contraintes à
divorcer et les familles et les proches sont amenés à renoncer à les
aider (par la violence avec des intrusions policières dans les maisons
ou par le chantage, par exemple, sur leur emploi ou sur les aides
sociales). De plus, les cartes de sécurité sociale des anciens détenus
peuvent être détruites, supprimant par-là même tout accès aux soins.
Et les étudiants sont empêchés de s’inscrire dans les universités et de
partir à l’étranger poursuivre leurs études, etc. Après avoir connu de
près la mort physique, ils connaissent hors de prison, ce qu’ils nom-
ment eux-même « une mort sociale » qui leur est généralement plus
insupportable encore. Cet exemple dramatique suggère que, là aussi,
les mécanismes de contrôle et de domination absolue transitent
essentiellement par des mécanismes économiques et sociaux, non
par des interventions directes de la police. Avec pour ambition un
14. Sur la répression à l’encontre de l’islamisme politique à travers une criminalisation de
ce mouvement et du politique en général, voir Olfa Lamloum, « La politique étrangère
de la France face à la montée de l’islamisme : Algérie, Tunisie, 1987-1995 », Thèse de
doctorat en science politique, Université de Paris VIII, décembre 2001.
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effet de normalisation et non pas une recherche d’exclusion défi-
nitive : s’ils consentent à entrer dans les règles et les normes du sys-
tème politique dominant – c’est-à-dire, concrètement, à renoncer à
l’islamisme politique et à toute critique du régime, ces anciens isla-
mistes et ces anciens prisonniers politiques sont alors réintégrés dans
la vie économique et sociale.
Cet exemple peut être examiné selon la configuration classique
de l’inclusion, que Michel Foucault a analysée de façon aussi
brillante qu’expressive à travers son « modèle de la peste ». Ce dernier
est caractérisé par des technologies positives du pouvoir telles l’inclu-
sion, l’observation, la formation de savoir, la multiplication des effets
de pouvoir à partir du cumul de l’observation et du savoir
15 : « La
peste, c’est le moment où le quadrillage d’une population se fait
jusqu’à son point extrême, où rien des communications dangereuses,
des communautés confuses, des contacts interdits ne peut plus se
produire. Le moment de la peste, c’est celui du quadrillage exhaustif
d’une population par un pouvoir politique, dont les ramifications
capillaires atteignent sans arrêt le grain des individus eux-mêmes,
leur temps, leur habitat, leur localisation, leur corps »
16.
Mécanismes et procédés généraux de contrôle,
de domination et… de répression
On ne peut comprendre la spécificité de l’exercice du pouvoir
en Tunisie sans entrer dans le détail, les petites choses de la vie quo-
tidienne, les procédures et techniques concrètes de pouvoir et d’assu-
jettissement, y compris ou même surtout, dans les champs écono-
miques et sociaux ; sans observer non plus le continuum des
relations de pouvoir qui vont des grandes stratégies globales et des
grandes machines de l’appareil étatique, à commencer par la police,
jusqu’aux tactiques les plus infinitésimales pour toucher le « grain de
l’individualité » (Michel Foucault).
« Ce qui pèse sur nous est en même temps ce qui nous protège »
me disait un entrepreneur tunisien, lors d’un entretien, tandis qu’un
15. Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.
16. Michel Foucault,
Les Anormaux. Cours au Collège de France 1974-1975, Paris, Galli-
mard et Le Seuil, coll. Hautes Études, 1999, p. 44.
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autre confirmait : « le système qui contrôle est celui qui donne ». Ces
expressions, comme d’autres plus radicales encore (« l’économie du
pays est une rente politique pour le régime »), révèlent une concep-
tion volontariste du « régime Ben Ali » et la représentation d’un pré-
sident démiurge et omnipotent. Que disent, à travers ces formules,
les acteurs économiques ? Incontestablement, l’entrepreneur ressent
de façon pesante la contrainte du système politique et, à certains
moments du moins, il perçoit effectivement ce dernier comme un
système d’observation et de contrôle. Néanmoins, ce même entre-
preneur sera le premier à affirmer, et pas seulement par intériorisa-
tion de la contrainte et du politiquement correct, qu’il « doit au
“régime” » la paix sociale et la stabilité géopolitique, que les
contraintes sont pour ainsi dire « compensées » par une série de
bénéfices très concrets, tels que la protection des marchés ou l’obten-
tion d’exonérations fiscales, d’exemptions administratives et d’avan-
tages divers, favorables à la santé financière de l’entreprise… Et, plus
encore, à la sienne. De même, un individu peut considérer que « le
“régime” peut me pousser à la faim », suggérant ainsi l’immixtion –
largement considérée comme hostile – du politique dans sa vie quo-
tidienne. Mais, simultanément, il va reconnaître une légitimité cer-
taine du gouvernement et même du « régime » pour sa capacité à
« offrir un mode de vie », un bien-être relativement plus élevé
qu’ailleurs, un niveau de consommation en progression et une stabi-
lité sociale certaine
17.
Adhérer à cette interprétation en termes de compensation, de
contrepartie inéluctable et de machination gouvernementale cons-
ciemment pensée amènerait à réduire le politique au « régime », à un
bien et à un échange de satisfactions. Cependant, la critique de cette
vision ne doit pas amener à passer sous silence ou à négliger ce que
disent les acteurs. Tous, entrepreneurs, fonctionnaires, consomma-
teurs, artisans et commerçants affirment ainsi quelque chose de
fondamental : les mécanismes administratifs, économiques et sociaux
sont par nature ambivalents et équivoques, permettant, simultané-
ment, du contrôle et de la marge de manœuvre, de la domination et
de la résistance, des contraintes et des opportunités économiques,
des coûts et des avantages financiers… Autrement dit, les acteurs
économiques, comme les individus, subissent le pouvoir discipli-
naire et policier du système politique tunisien mais le relayent aussi
17. Toutes ces expressions sont tirées d’entretiens, Tunis, divers terrains.
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bien en alimentant cette logique de négociations, d’arrangements et
d’accommodements. L’exemple de la « mise à niveau » permet
d’entrer très précisément dans ces méandres de relations écono-
miques décidément très politiques.
L’idéal panoptique de la mise à niveau
Le programme de « mise à niveau » est le symbole du volon-
tarisme étatique, de la modernisation et de l’ouverture éco-
nomique. Le projet s’achevait officiellement en 2001 mais il se
perpétue en se réorientant vers les PME. Les résultats de ce pro-
gramme sont loin d’être déshonorants et la Tunisie reste, dans la
région, une économie relativement dynamique. Les bailleurs de
fonds soulignent le volontarisme et la détermination du gouverne-
ment tandis que les Tunisiens font valoir l’ampleur des investisse-
ments et de la modernisation industrielle réalisés dans ce cadre.
Néanmoins, que ce programme soit considéré comme un succès est
étonnant. En 2004, parler de modifications des comportements
entrepreneuriaux, de modernisation des modalités de financement
et d’amélioration des performances industrielles est abusif. Depuis
le début du programme, l’économie tunisienne n’est pas extraordi-
nairement montée dans la hiérarchie internationale des spécia-
lisations, les principales activités générant des devises demeurant
le tourisme, le textile et l’industrie mécanique. Le pays n’a pas
réussi à percer dans les technologies modernes, dans les biens de
consommation courante ou dans l’économie de la communica-
tion 18.
Le secteur textile-habillement est aujourd’hui en grande diffi-
culté alors même que les entreprises de ce secteur représentent le plus
gros bataillon des entreprises mises à niveau. Tous les rapports souli-
gnent l’absence d’évolution significative du modèle de production
depuis 1997. Et, malgré le programme, le secteur ne s’est pas diver-
sifié, il n’y a pas eu de remontée de filière, pas d’intensification en
18. Isabelle Bensidoun et Agnès Chevallier, Europe-Méditerranée : le pari de l’ouverture,
Paris, Economica, collection du CEPII, 1996 (et actualisations des données chiffrées
dans les bulletins du CEPII) ; Jacques Ould Aoudia, « Les enjeux économiques de la
nouvelle politique méditerranéenne de l’Europe »,
in Monde arabe, Maghreb-Machrek,
Paris, La Documentation Française, n° 153, juillet-septembre 1996.
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capital et les niches sélectionnées comme prometteuses (haut de
gamme, chaîne d’ordre courte…) ont été peu explorées
19.
Dans ces conditions, il semble qu’il faille chercher ailleurs les
fondements de cette appréciation positive. La sociologie historique
de l’économique permet de comprendre ce paradoxe apparent : la
mise à niveau est moins une politique économique, une stratégie
d’adaptation au libre-échange qu’une technique de discipline, une
procédure censée pouvoir inspecter, enregistrer et évaluer en perma-
nence, une sorte de
Panopticon (Bentham) de la réglementation
industrielle et entrepreneuriale. Les pages qui suivent entendent
montrer que la force du réformisme réside dans cette capacité à syn-
thétiser et à inclure à travers le contrôle.
La rationalité économique de la mise à niveau
La « mise à niveau » est une politique industrielle destinée à
aider les entreprises à affronter la concurrence internationale
20. A
cette fin, le gouvernement a mis en place un dispositif très structuré,
au ministère de l’Industrie : le Bureau de la mise à niveau conceptua-
lise et coordonne les actions en faveur des entreprises, l’Agence de
promotion de l’industrie (API) met en place concrètement les dispo-
sitifs de modernisation et, notamment, l’adaptation aux nouvelles
normes européennes. Après l’établissement d’un diagnostic pointant
leurs faiblesses, les entreprises sont agréées par une instance, le
Comité de pilotage (COPIL). Les diagnostics sont faits par des
bureaux d’études tunisiens, seuls ou associés à des bureaux euro-
péens. Entre 1996 et 2001, l’objectif du dispositif était d’entraîner
19. CETTEX-GHERZI, « Mise à jour de l’étude stratégique du secteur textile-habillement »,
Rapport de synthèse, mai 2004 ; Jean-Raphael Chaponnière, Jean-Pierre Cling et
Mohamed Ali Marouani,
Les conséquences pour les pays en développement de la suppres-
sion des quotas dans le textile-habillement : le cas de la Tunisie
, Document de travail,
Paris, DIAL, DT/2004/16 ; Jean-Raphael Chaponnière et Serge Perrin,
Le textile-
habillement tunisien et le défi de la libéralisation. Quel rôle pour l’investissement direct
étranger ? Notes et Documents
, Paris, AFD, mars 2005.
20. Pour la description et le fonctionnement de la mise à niveau, je me suis fondée sur des
entretiens (Tunis, 1997-2000 surtout, ainsi que Bruxelles, mai 1997 et mai 2002) et
sur une littérature grise assez importante. Voir notamment Sarah Marniesse et Ewa Fili-
piak,
Compétitivité et mise à niveau des entreprises, Paris, AFD, Notes et Documents
n° 1, novembre 2003, notamment p. 99-123 ; UTICA,
L’Accord de libre-échange
Tunisie-Union européenne : impact sur l’entreprise tunisienne
, Tunis, Centre de forma-
tion des dirigeants des PME, Projet UTICA-FKA, 1995 ; Ministère de l’Industrie,
Bureau de la mise à niveau,
Le Programme de mise à niveau, Tunis, 1995 ainsi que Pro-
cédure de mise à niveau
, Tunis, 1995.
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2000 entreprises à se mettre à niveau, soit un rythme annuel de 400
par an : l’État subventionnait 70 % du montant des diagnostics et
10 % (ou 20 % pour les entreprises installées dans l’intérieur du
pays) de celui des investissements matériels
21. Les modalités de
financement ont évolué dans le temps : en 1996, les entreprises
devaient avancer la totalité des frais d’études et attendre d’être rem-
boursées par l’État. Cependant, dès 1998, devant les réticences des
entrepreneurs à s’engager dans le programme, elles obtinrent de ne
débourser que leur part, soit les 30 % du montant du diagnostic,
tandis que les 70 % subventionnés par l’État étaient directement
versés au bureau d’études sélectionné. Entre 1996 et 2001, 1062
entreprises sur les 2000 anticipées ont été « mises à niveau », soit un
taux de réalisation de 53 %. Selon les enquêtes de suivi, ces entre-
prises ont massivement investi pour une somme globale de
2 milliards de dinars tunisiens (MDT) – ce qui représente une
somme macro-économiquement significative – grâce à des subven-
tions elles aussi importantes et représentant 275 MDT (soit 13,5 %
des investissements entrepris). Ces derniers équivaudraient, en
moyenne pour les années 1996-2000, à 40 % de l’investissement
manufacturé privé – selon une définition large du secteur « privé »
qui comprend, ici, les entreprises publiques des secteurs concurren-
tiels. En mars 2004, date de la dernière publication statistique, 2906
entreprises avaient adhéré au programme et 1729 d’entre elles
avaient obtenu l’approbation de leur dossier pour un total d’investis-
sement prévu (et non pas réalisé) de 2 693 MDT et des subventions
de 384 MDT.
Cette politique a produit des effets économiques positifs
puisque ces investissements ont participé à la croissance et qu’ils ont
permis d’accroître l’emploi, les exportations et les performances éco-
nomiques en général. En revanche, il est plus difficile d’évaluer l’effi-
cience de l’allocation des ressources subventionnées, notamment en
l’absence d’études comparatives
22. Comme l’indique sa réorienta-
21. Toutes les données chiffrées mentionnées dans ce paragraphe sont, sauf avis contraire,
issues de sources officielles et notamment du Bureau de la mise à niveau (accessibles au
siège, à Tunis ou sur le net www.pmn.nat.tn) entre 1996 et 2003 et de l’API
(www.tunisieindustrie.nat.tn).
22. Remarque très libérale émise par des institutions internationales et notamment par le
FMI lors de revues intermédiaires ; elle a été très mal reçue en Tunisie et, dans le pro-
cessus de négociation des rapports caractéristique de ces agences, cette critique a été
gommée.
Cf. Entretiens, Tunis, 2000.
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tion en 2001 vers les PME, le programme de mise à niveau avait
d’abord privilégié les grandes entreprises et celles à participations
publiques, sans doute parce que d’un point de vue administratif la
tâche était plus facile, mais certainement aussi, j’y reviendrai plus
bas, parce que ces entreprises font l’objet d’une surveillance plus
aisée. Quoi qu’il en soit, le programme de mise à niveau a créé de
nouveaux besoins pour la majorité des entreprises. Auparavant, les
normes ISO (Organisation internationale de normalisation), par
exemple, leur étaient inconnues, tout comme la garantie qualité ;
même si elles n’ont pas été vraiment intégrées dans le fonctionne-
ment des entreprises, aujourd’hui, tout le monde en parle. L’échec
relatif de la politique en faveur des investissements immatériels
suggère cependant que si elle existe, la modernisation n’en est qu’à
ses débuts. De l’aveu même du gouvernement, ce volet est décevant
malgré des subventions supérieures pour les investissements imma-
tériels
23. La situation délicate dans laquelle se trouvent banquiers
et entrepreneurs, révélée par la baisse de rentabilité des entre-
prises
24 et par la nécessité de faire adopter une loi sur les entreprises
en difficulté
25, explique sans aucun doute ce manque d’enthou-
siasme que le dynamisme des organismes publics n’est pas arrivé à
tempérer. Malgré la mobilisation de l’API et son investissement par
les bailleurs de fonds, le programme de mise à niveau n’a pas pu
modifier une situation caractérisée, selon les termes mêmes du
ministère de l’Industrie, par une mauvaise gestion, un sous-enca-
drement technique, l’aggravation des problèmes financiers (endet-
tement excessif, manque de ressources propres, insuffisance de
23. Ils ne représenteraient pas plus de 10 % du total des investissements et leur taux de réa-
lisation ne s’élèverait qu’à 29 % au lieu de 59 % pour l’ensemble des investissements.
Ces chiffres sont ceux de 2001. Malheureusement, je n’ai pas eu accès à des données
plus récentes et le dernier Bulletin de la mise à niveau ne donne pas de données quan-
titatives. Cependant, tout laisse à penser que le problème perdure puisque la publica-
tion officielle de juin 2004 mentionne la « préoccupation du président Ben Ali » en la
matière, qui demande aux entreprises d’accorder « un intérêt accru aux investissements
immatériels, notamment en œuvrant à améliorer le taux d’encadrement, à promouvoir
les systèmes-qualités et à consolider les rouages de l’entreprise » (Bulletin de la mise à
niveau, Tunis, juin 2004).
24. La rentabilité des entreprises, évaluée à l’aide de l’ICOR (incremental capital output
ratio
ou coefficient marginal de capital) a baissé dans tous les secteurs même si, à l’inté-
rieur de chacun d’eux, certaines entreprises peuvent avoir accru leur compétitivité.
Voir
Béatrice Hibou et Louis Martinez, « L’Afrique du Nord et le partenariat euro-
méditerranéen : les ambivalences d’une intégration régionale », Étude pour le Com-
missariat général au Plan, Paris, miméo, octobre 1997.
25. Loi de 1995 modifiée en juillet 1999 pour en étendre l’usage.
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22 – Béatrice Hibou
fonds de roulement, recours abusif au crédit de court terme),
l’impréparation à l’ouverture extérieure (moins due à la suppres-
sion de la protection qu’au développement de l’informel), à l’aug-
mentation des taux d’intérêts et à la politique de dévaluation
26. La
mise à niveau ne semble donc pas permettre l’évaluation du pro-
cessus de modernisation du tissu industriel tunisien. L’inventaire
des critiques et des louanges adressées à ce programme permet en
revanche d’apprécier les modalités d’exercice du pouvoir dans le
champ économique.
La mise à niveau, « affaire d’État »
Le programme de mise à niveau est une expression presque cari-
caturale du volontarisme étatique tunisien. Je serai brève sur ce point
qui a été de nombreuses fois souligné par ses déçus, ses détracteurs,
ses promoteurs et ses partisans, ainsi que par les analystes extérieurs
et indépendants
27. Je voudrais en souligner ici un aspect important :
l’interventionnisme pointilleux est, simultanément, une mobilisa-
tion plus ou moins forcée, une adhésion plus ou moins réelle, une
surveillance plus ou moins effective. Lorsque les bailleurs de fonds
louent le volontarisme tunisien et contribuent au financement,
même partiel, de ce genre de politiques, ils donnent en même temps
un blanc-seing aux techniques de contrôle et à des modalités d’exer-
cice du pouvoir qui ne sont pas nécessairement conformes aux règles
qu’ils entendent, par ailleurs, promouvoir, par exemple, celles de
l’État de droit et de la bonne gouvernance. Qu’ils en soient ou non
conscients, peu importe finalement, dans la mesure où leur soutien
équivaut à une légitimation extérieure consciencieusement exploitée
par les autorités tunisiennes. Il est en revanche évident que, pour les
entrepreneurs, la mise à niveau est avant tout une « affaire d’État
28 »,
26. Rapport du ministère de l’Industrie cité et résumé par Marchés Tropicaux et méditerra-
néens, 6 août 1999 et repris dans des entretiens en décembre 2000.
27. Jean-Pierre Cassarino, Tunisian New Entrepreneurs and their Past Experiences of Migra-
tion in Europe: Resource Mobilisation, Networks, and Hidden Disaffection
, Londres,
Ashgate Publishing, 2000 ; Michel Camau, « D’une République à l’autre. Refondation
politique et aléas de la transition libérale »,
Monde arabe, Maghreb-Machreck, La Docu-
mentation Française, n° 157, juillet-septembre 1997, p. 3-16.
28. Selon l’expression de M. Camau (dans « D’une République à l’autre. Refondation poli-
tique et aléas de la transition libérale », art. cité) élaborée à partir du travail de Jean-
Pierre Cassarino mentionné plus haut (
op. cit.).
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dans la logique d’un interventionnisme libéral et autori-
taire
29.
Affaire d’État, en premier lieu, parce que le programme est aux
antipodes du libéralisme et de l’apprentissage des mécanismes de
marché et qu’il perpétue bien plutôt une tradition d’intervention-
nisme. Le discours qui entoure la mise à niveau entretient l’illusion
que les investissements subventionnés vont protéger le personnel et
l’entreprise. Cette interprétation est d’autant plus crédible qu’elle est
conforme aux pratiques antérieures et que le taux de protection
effective a réellement augmenté depuis le début de l’ouverture – la
protection des biens produits localement n’ayant pas ou très peu
baissé – alors que les intrants non produits localement et les biens
d’équipement ont vu leur taxation à l’importation diminuer. Les
subventions constituent en outre une autre modalité de la protection
et sont interprétées comme une aide à un investissement, souvent
déjà prévu, pas forcément comme une incitation à la modernisation.
Les évaluations quantitatives publiées dans le but de mobiliser les
acteurs économiques ne mettent d’ailleurs pas en avant le raisonne-
ment libéral. Elles jouent plutôt sur des données-choc à l’instar de la
fameuse règle des trois tiers (un tiers des entreprises va survivre, un
tiers va mourir et un tiers aura du mal à résister) qui ne repose sur
aucune étude sérieuse. Elles misent également sur les effets de légiti-
mation par la scientificité, comme le prouve la mention récurrente
des résultats positifs des modèles d’équilibre général calculable
30,
29. Eva Bellin, notamment dans « Tunisian industrialists and the state », in I. William
Zartman (dir
.), Tunisia: the Political Economy of Reform, Boulder, Lynne Rienner
Publishers, 1991, montre bien que, quel que soit le discours et la dénomination de la
politique économique, celle-ci s’est traduite, concrètement et sur la durée, à la fois par
un interventionnisme étatique important et par une orientation favorable au secteur
privé. Suzan Waltz, quant à elle (
cf. « Clientelism and reform in Ben Ali’s Tunisia », in
I. W. Zartman, op. cit.) met particulièrement bien en évidence l’autoritarisme du
régime : cependant, elle conclut à l’opposition inévitable entre réformes et autorita-
risme et culte de la personnalité, ce que les évolutions récentes infirment.
30. Pour la Tunisie, il existe au moins cinq applications du modèle d’équilibre général cal-
culable dans le cadre de la création de la zone de libre-échange : voir Thomas F. Rutherford,
Elisabeth Ruström et David Tarr, « The free trade agreement between Tunisia and the
European Union », Policy Research Department, Washington D.C., The World Bank,
1995 ; Banque mondiale,
Republic of Tunisia. Country Economic Memorandum
Towards the 21st Century
, Middle East and North Africa Regional Office, Washington
D. C, 1995 ; Abdelali Jbili et Klaus Enders, « L’accord d’association entre la Tunisie et
l’Union européenne »,
Finance et Développement, septembre 1996, p. 18-21 ; Comete
Engineering,
Étude prospective de l’impact sur l’économie tunisienne de la mise en place
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dont ne sont rappelées ni la complexité des facteurs qui influent sur
les résultats de la libéralisation (investissement extérieur, capacité de
modernisation des entreprises, orientation des politiques écono-
miques, financements extérieurs, flexibilité et adaptation de la main
d’œuvre, demande étrangère)
31, ni l’exigence d’enchaînements ver-
tueux qui ne vont pourtant pas de soi, par exemple, l’entraînement
positif de l’ouverture sur les systèmes productifs, sur les politiques
économiques et sur les comportements des acteurs économiques
nationaux et étrangers…
32 Cette mobilisation administrative laisse
paraître une méconnaissance des mécanismes de marché et véhicule,
en creux, une vision très étatiste d’une insertion internationale com-
pétitive. La rhétorique paternaliste du pouvoir central conforte aussi
l’idée que les aides ont pour ambition finale de profiter à l’ensemble
de la population, autrement dit, que la mise à niveau fait partie de ce
dispositif complexe que j’ai analysé plus haut en termes de pacte de
sécurité destiné à stabiliser et à défendre l’ordre social tunisien.
d’une zone de libre-échange entre la Tunisie et l’Union européenne, Tunis, ministère de
l’Économie nationale, Centre de promotion des exportations, novembre 1994 ; Dru-
silla Brown, Alan Deardorff et Robert Stern, « Some economic effects of the free trade
agreement between Tunisia and the European Union »,
in une communication pour
The Egyptian Center for Economic Studies Conference, « How can Egypt benefit
from a free trade agreement with the EU », Le Caire, 26-27 juin 1996 ; Mahmoud Ben
Romdhane, « L’accord de libre-échange entre la Tunisie et l’Union européenne : un
impératif, des espoirs, des inquiétudes »,
Confluences Méditerranée, n° 21, printemps
1997, p. 49-64.
Selon ces évaluations, les gains en bien-être attendus, obtenus par la
rationalisation des achats (suppression des coûts nés de la protection douanière et
meilleur respect de la « vérité des prix ») seraient plus importants que les pertes (impos-
sible reconversion de la totalité du capital en raison de sa spécificité ou de son obsoles-
cence, et du travail, du moins à court terme). Par conséquent, le libre-échange serait au
pire neutre ou très légèrement négatif et sinon positif en termes de croissance (mais pas
en termes d’emploi). Plus récemment, application de ce modèle dans le cadre de la fin
des AMF, voir J.-R. Chaponnière, J.-P. Cling et M. A. Marouani,
Les conséquences pour les
pays en développement de la suppression des quotas dans le textile-habillement : le cas de la
Tunisie, op. cit.
, et Mohamed Ali Marouani, Effets de l’Accord d’association avec l’Union
européenne et du démantèlement de l’Accord multifibres sur l’emploi en Tunisie : une ana-
lyse en équilibre général intertemporel
, Document de travail, DIAL, DT/2004/01.
31. Larabi Jaïdi, « La zone de libre-échange Union européenne/Maroc : impact du projet
sur l’économie marocaine »,
Cahiers du GEMDEV, Paris, n° 22, octobre 1995 ; Bachir
Hamdouch, « Perspectives d’une zone de libre-échange entre le Maroc et l’Union
européenne : enjeux et impacts »,
Reflets et perspectives de la vie économique, t. 35, n°3,
3
ème trimestre 1996, p. 273-296 ; Khaled A. Galal et Bernard Hoekman, « Egypt and
the partnership agreement with the EU: the road to maximum benefits », The Egyp-
tian Center for Economic Studies Working Paper, n° 9603, juin 1996.
32. Pour une analyse détaillée de ces conditions nécessaires, voir B. Hibou et L. Martinez,
L’Afrique du Nord et le partenariat euro-méditerranéen : les ambivalences d’une intégra-
tion régionale
, op. cit.
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Affaire d’État, en second lieu, parce que les autorités publiques
semblent bien plus concernées par la réussite du programme que ne
le sont les entrepreneurs qui ne participent que mollement à la dyna-
mique de la mise à niveau. La logique bureaucratique s’exprime par
la volonté de « faire du chiffre » : la présentation régulière des avan-
cées du processus fait état, par exemple, du nombre de dossiers
approuvés par le Bureau et non du nombre des entreprises concer-
nées, ce qui serait plus pertinent dans une pure logique économique.
Or ces chiffres sont respectivement de 1885 et de 245, soit une
moyenne de 8 dossiers par entreprise
33. La présentation ainsi fournie
a pour objectif évident de montrer par la quantification une dyna-
mique en cours, ainsi que l’efficacité du volontarisme étatique. En
suivant les procédures concrètes de « mises à niveau » des entreprises,
on comprend les qualificatifs prononcés pour désigner ce processus
administratif : « sorte de gosplan » selon un bailleur de fonds ou
« conception soviétique de l’intervention publique » selon un entre-
preneur
34. Les modalités de la mobilisation fortement contrainte des
hommes d’affaires accroissent souvent cette impression de contre-
productivité. Dans la presse, à la télévision, dans les enceintes du
parti et des syndicats patronaux, dans les réunions associatives et
dans les colloques, la prolifération des interventions finit par lasser.
L’expression de « mise à niveau » est tellement ressassée, elle est
appliquée si systématiquement à des situations autrement hétéro-
gènes qu’elle en devient vide pour des entrepreneurs habitués aux
« campagnes », aux formules magiques, aux inévitables décalages
entre discours et réalité. Lors des entretiens que j’ai pu mener avec
des banquiers et des hommes d’affaires, ces derniers n’hésitaient pas
à m’affirmer, sous le sceau de la confidentialité, que « les autorités en
33. Entretiens, Tunis. Les chiffres sont ceux donnés oralement par le Bureau de la mise à
niveau mais également cités dans l’Union générale tunisienne du travail, UGTT,
Le sec-
teur textile-habillement en Tunisie et le défi de la réinsertion professionnelle des salariés
licenciés
, Département des études et de la documentation avec le soutien du BIT, rap-
port final réalisé par Saïd Ben Sédrine, avril 2005.
34. Mais ces caractéristiques ne sont pas, loin de là, spécifiques à la « mise à niveau » : on
en retrouve un autre exemple dans les agences d’incitation, de promotion et d’aide à
l’export qui sont de grosses administrations avec des charges lourdes. Il en va de même
des zones industrielles créées dans une vision d’aménagement du territoire de façon très
bureaucratique et qui restent vides. Voir l’étude du Foreign Investment Advisory Ser-
vice (organisme dans la mouvance de la Banque mondiale),
Marchés Tropicaux et Médi-
terranéens
, divers numéros et, notamment, celui du 28 juin 1996 ; Banque mondiale,
Actualisation de l’évaluation du secteur privé, 2 volumes, Washington D.C., The World
Bank, mai 2000.
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font trop », que ce faisant « elles ne sont plus crédibles », que la mise
à niveau « tourne peu à peu sur elle-même
35 » et n’arrive pas à
dépasser sa dimension procédurale et bureaucratique
36. Les études
sont faites parce qu’il faut faire des études ; les entreprises se font
forcer la main pour entrer dans le programme, pour en faire la publi-
cité, pour participer aux délégations à l’étranger et vanter les mérites
de la Tunisie
37
De sorte que ces glissements progressifs des encouragements à
entrer dans le programme vers des pressions qui peuvent rapidement
s’intensifier pour devenir une quasi-obligation constituent l’autre
face du volontarisme étatique
38. La mise à niveau n’a décidément
plus rien à voir avec la libéralisation. Elle fait partie du dispositif dis-
ciplinaire des autorités tunisiennes. Avec le rapprochement de la date
butoir de 2001, cette dimension est apparue de façon plus crue :
l’objectif de préparation à la concurrence a été éclipsé par la nécessité
administrative et politique de remplir le contrat (2000 entreprises
mises à niveau) pour montrer un succès qui ne pouvait aller qu’avec
la mobilisation clientéliste et rentière des réseaux de pouvoir. Ce qui
ne veut pas dire que la mise à niveau est pure fiction et qu’elle n’a pas
de consistance bureaucratique. Bien au contraire, comme le montre
l’institutionnalisation des mécanismes bureaucratiques à travers des
fonds (par exemple, le Fond de promotion et de maîtrise de la tech-
nologie, le FOPROMAT, géré par l’API) ou des procédures finan-
cières (par exemple, la prime pour les investissements en Recherche
& Développement). Le très faible investissement de ces institutions
par les acteurs concernés suggère cependant la principale dimension
de la mise à niveau : « l’impulsion institutionnelle et financière
35. Entretiens, Tunis et Sfax, avril-mai 1997, avril 1998 et janvier 1999.
36. Comme l’avaient fait auparavant d’autres politiques, à l’instar de la collectivisation des
terres (voir Mouldi Lahmar,
Du mouton à l’olivier, Tunis, Cérès Éditions, coll. Hor
Maghrebin, 2003 ; Jean-Paul Gachet, « L’agriculture : discours et stratégies »,
in
Michel Camau (dir.), Tunisie au présent, Paris, Éditions du CNRS, 1987, p. 181-228)
ou de la restructuration des entreprises publiques dans les années 1980 (les manuels de
modernisation des procédures administratives et de gestion des entreprises publiques
ont rapidement été mis de côté et oubliés, voir Entretiens, Tunis, 1997, 1998).
37. Entretiens, Tunis, 1997-2000. Sur les réticences des entreprises à entrer dans le pro-
cessus, voir également J.-P. Cassarino,
Tunisian New Entrepreneurs and their Past Expe-
riences of Migration in Europe : Resource Mobilisation, Networks, and Hidden Disaffec-
tion
, op. cit. Pour leur comportement dans les années récentes, voir UGTT, Le secteur
textile-habillement en Tunisie et le défi de la réinsertion professionnelle des salariés licenciés,
op
. cit.
38. Jean-Pierre Cassarino, « The EU-Tunisian association agreement and Tunisia’s struc-
tural reform program », The Middle East Journal, Volume 53, n° 1, 1999.
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donnée par l’État (…) suit un parcours circulaire qui le ramène à
lui », la mise à niveau étant « menée par et pour l’État
39 ». Processus
bureaucratique disciplinaire, elle permet donc à l’État et à son admi-
nistration de repousser ses propres ajustements qui pourraient
remettre en cause les mécanismes de contrôle. L’objectif de forma-
tion d’un tissu industriel compétitif apparaît finalement marginal et
il est d’ailleurs compris ainsi par les principaux partenaires étrangers
de l’État tunisien, à savoir les bailleurs de fonds. Pour la Banque
mondiale, par exemple, la mise à niveau est un «
safety net 40 » et la
Direction générale des investissements l’explicite ouvertement
lorsque ses responsables affirment que ce programme est avant tout
un moyen de réaliser les critères contenus dans les accords de parte-
nariat avec l’Europe, en mettant l’accent sur la dimension sécuritaire
de Barcelone
41.
La mise à niveau, une discipline intégrée
Ce genre d’intervention étatique et autoritaire rencontre bien
évidemment des résistances de la part d’entrepreneurs souvent réti-
cents à ouvrir les comptes de leur société et à multiplier les relations
avec la bureaucratie d’État. Mais il n’est pas moins évident que, dans
l’économie politique tunisienne, ces tensions et ces résistances abou-
tissent fort rarement à de véritables affrontements. Le plus souvent,
elles se transforment d’autant plus facilement en négociations et en
compromis que les intérêts entrepreneuriaux et étatiques sont enche-
vêtrés et se confondent. La peur, dans ce domaine comme dans
d’autres, n’est certes jamais absente et fait partie de cet exercice dis-
ciplinaire du pouvoir. Les entreprises interprètent le programme de
mise à niveau comme un processus de contrôle et de domestication.
Le profil bas des entrepreneurs, au tout début du programme, doit
être compris dans ce contexte historiquement construit d’appréhen-
sion du politique, réactualisé par la prolifération des paroles offi-
cielles, par la mobilisation des appareils bureaucratiques et partisans,
par l’envahissement de l’espace public par des slogans répétitifs.
Beaucoup me l’ont répété au cours de mes recherches, le langage offi-
ciel fait habituellement peur et pousse au repli sur soi. Mais la peur
39. François Siino, Science et pouvoir dans la Tunisie contemporaine, Paris, Karthala, 2005,
p. 322-323.
40. Entretien, Paris, juillet 2004.
41. Entretiens, Tunis, 2000 et 2005.
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seule n’explique pas l’entrée d’un nombre malgré tout important
d’entreprises dans le programme de mise à niveau ; une certaine
forme d’adhésion existe, sinon à la forme concrète que prend l’éta-
tisme, du moins aux types de relations de pouvoir qu’expriment ces
programmes étatistes. Les entrepreneurs sont nombreux à douter de
la réussite de la libéralisation et de l’ouverture effective de l’économie
tunisienne, mais ils adhèrent au programme pour des raisons finan-
cières, parce qu’ils bénéficient ainsi de subventions, alors même qu’ils
avaient déjà programmé ces investissements, pour des raisons poli-
tiques surtout, afin de « se faire bien voir » ou, pour employer le
vocable officiel, « par geste citoyen ». D’autres critiquent les moda-
lités de l’aide, les retards de paiement ou les difficultés administra-
tives pour l’obtention des subventions, mais soulignent l’écoute des
autorités et leur souci de préserver le tissu industriel tunisien. Les uns
et les autres considèrent avant tout la mise à niveau comme la nou-
velle expression des relations entre entreprises et pouvoir central, for-
malisées en termes administratifs et financiers. Le programme maté-
rialiserait ainsi une nouvelle étape dans le renforcement des liens
entre État et entrepreneurs, ces derniers étant récompensés par
l’obtention de « titres de noblesse », par une reconnaissance sociale
ou par une certaine visibilité médiatique
42.
Le vocabulaire est ici significatif : on se fait « bien voir » du
pouvoir central si l’on « va » à la mise à niveau et si l’on « adhère » au
programme, pas si l’on modernise l’entreprise par ses propres
moyens. La dimension politique est illustrée par les péripéties qui
ont accompagné le choix des entreprises qui, les premières, sont
entrées dans le programme, en 1996 et 1997
43. A l’instar de l’entrée
en bourse ou de la qualité des arrangements avec le fisc, cette sorte
de cooptation a joué le rôle d’un baromètre des relations avec les
autorités et constitué un lieu de négociation avec lui. Certaines
entreprises auraient été « choisies » et d’autres non, certains entrepre-
neurs auraient été, à cette occasion, rendus « visibles » et d’autres non,
le pouvoir central garantissant ou non le succès de l’opération. La part
de surinterprétation est peut-être importante, mais il demeure
qu’entrepreneurs, observateurs avertis du monde des affaires et une
42. Ce point a été très bien mis en évidence par J.-P. Cassarino, Tunisian New Entrepreneurs
and their Past Experiences of Migration in Europe: Resource Mobilisation, Networks, and
Hidden Disaffection
, op. cit.
43. J.-P. Cassarino, « The EU-Tunisian association agreement and Tunisia’s structural
reform program », art. cité.
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grande majorité des Tunisiens interprètent avant tout la mise à
niveau en termes politiques.
Le programme de mise à niveau a certes pour ambition de
conditionner les entreprises à la concurrence internationale. Mais,
alors même que les entreprises tunisiennes vivent protégées depuis
leur création, les mécanismes du marché ne sont pas explicités.
Comme par le passé, le déroulement du programme et le contrôle
des activités semblent plus importants que sa dimension pédago-
gique
44. Peu de questions sont posées quant à la rationalité écono-
mique ultime de la mise à niveau ou à son coût en ressources. Les
autorités ne semblent pas vraiment préoccupées par des évolutions
pour le moins inattendues, comme le développement des réexporta-
tions, une certaine spécialisation dans l’intermédiation et l’entrepo-
sage, la poursuite de stratégies de scission d’entreprise – une partie
produisant, l’autre commercialisant les produits importés –, de faux
investissements dans l’immatériel, l’inadéquation et la sous-utilisa-
tion des formations ou encore la poursuite d’une spécialisation
accrue dans les services
45. En revanche, elles déclinent les qualités de
l’entreprise idéale : la mise à niveau n’a pas pour cible l’entreprise
réellement existante, mais l’entreprise normative, qui dit ce que doit
être l’entreprise, les normes qu’elle se doit de respecter, les démarches
qu’elle doit suivre et les objectifs qu’elle doit atteindre
46. La mise à
niveau est une tentative, peut-être inconsciente, de mise en pratique
de l’idéal panoptique du pouvoir central, une surveillance continue
des entrepreneurs, l’illustration symbolique d’un « imaginaire tech-
nique de la discipline sociale
47 ». Lorsque le pouvoir central définit
44. Voir notamment Pierre Signoles, « Industrialisation, urbanisation et mutations de l’espace
tunisien »,
in Pierre Robert Baduel (dir.), États, territoires et terroirs au Maghreb, Paris, Édi-
tions du CNRS, 1985, p. 277-306, qui distingue bien entre d’une part, le volontarisme
étatique (dans l’industrialisation, l’urbanisation et la transformation de l’espace tunisien)
et, d’autre part, les résultats, l’efficacité et même l’effectivité des mesures concrètes.
45. Entretiens, Tunis, 1997/2000. Sur les activités d’entreposage et d’intermédiation,
Zakya Daoud, « Tunisie. Chronique intérieure »,
Annuaire de l’Afrique du Nord, t. 33,
1994, p. 713-745 ; sur la stratégie de scission des entreprises dans l’agroalimentaire et
le textile, entretiens, janvier 1999 et juillet 2000. Voir également Néji Baccouche, « Les
implications de l’accord d’association sur le droit fiscal et douanier »,
in Mélanges en
l’honneur de Habib Ayadi
, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2000, p. 5-27.
46. Voir Jean-Pierre Durand,
La chaîne invisible. Travailler aujourd’hui : flux tendu et servi-
tude volontaire, Éditions du Seuil, coll. Économie humaine, 2004, p. 255-258.
47. Philippe Minard, La Fortune du colbertisme : État et industrie dans la France des
Lumières
, Paris, Fayard, 1998, p. 116 à propos des statistiques des inspecteurs de
l’industrie.
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le « bon » – ou le « mauvais » – entrepreneur, il est sans doute moins
intéressé à mettre en valeur la dimension éthique et morale de l’éco-
nomique
48 qu’à voir s’exercer une technique disciplinaire. Ce que dit
Foucault à propos des mécanismes de normalisation disciplinaire
s’applique parfaitement à la mise à niveau. De fait, celle-ci « consiste
à poser d’abord un modèle, un modèle optimal qui est construit en
fonction d’un certain résultat, et l’opération de [mise à niveau]
consiste à essayer de rendre les gens, les gestes, les actes conformes à
ce modèle, le normal étant précisément ce qui est capable de se
conformer à cette norme et l’anormal, ce qui n’en est pas capable.
Autrement dit, il y a un caractère primitivement prescriptif de la
discipline
49 ».
Les entrepreneurs ne s’y trompent pas. Ceux qui « adhèrent » le
font, on l’a vu, pour se faire « bien voir », c’est-à-dire pour être dans
la norme. D’autres « évitent » le programme parce qu’il est jugé ina-
dapté et parce que la « confidentialité n’est pas respectée » ; ce qui
revient à dire qu’ils refusent le processus de normalisation qui est
aussi un processus de mise en lumière et de suppression d’autres
« zones d’ombre ». D’autres encore, qui ont adhéré au programme,
en « sortent » dès la phase de diagnostic achevée, parce que « le pro-
cessus est extrêmement compliqué bureaucratiquement » ou « parce
qu’on sait déjà ce qu’on doit faire et les subventions ne valent pas le
coup » : ils estiment le « prix à payer », en termes de contrôle et de
surveillance, trop élevé. La mise à niveau est ainsi un mécanisme effi-
cace de surveillance et de normalisation : est bon celui qu’on peut
enregistrer dans le processus, celui que l’on peut inscrire dans la liste
des entreprises mises à niveau, celui que l’on peut classer comme
exportateur… L’obsession de la surveillance et de l’ordre n’est pas
sans rappeler celle des inspecteurs et des différents corps techniques
de l’administration colbertiste que Philippe Minard a magnifique-
ment analysés.
Même si la mise à niveau est rationnellement élaborée et mise
en œuvre, avec des objectifs par secteurs et par régions, avec un souci
réel de modernisation et d’adaptation à la concurrence internatio-
nale, avec une volonté, aussi, de répondre aux inquiétudes du monde
48. Thèse développée par J.-P. Cassarino, Tunisian New Entrepreneurs and their Past Expe-
riences of Migration in Europe: Resource Mobilisation, Networks, and Hidden Disaffec-
tion
, op. cit.
49. Michel Foucault, Sécurité, territoire, population : cours au Collège de France (1977-1978),
leçon du 25 janvier, Paris, Éditions du Seuil, coll. Hautes Études, 2004, p. 59.
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économique, le programme est naturellement inséré dans l’ethos
diffus du réformisme. L’entrée dans le programme pilote a été inter-
prétée comme un geste de la part du pouvoir central, comme une
faveur. Depuis lors, les entrepreneurs lisent la mise à niveau dans les
termes du lexique qui leur est familier ; ils comprennent donc le pro-
gramme en termes de rapports de force, de contrôle administratif et
politique sur le monde des entreprises, dans la droite ligne des poli-
tiques antérieures dont les fondements étaient précisément à
l’opposé des politiques actuelles. De ce fait, la mise à niveau n’est pas
interprétée comme un apprentissage au libre-échange mais, égale-
ment, comme une subvention protectrice et comme une surveillance
bienveillante et néanmoins inquisitrice. A l’inverse du libéralisme
même, la « mise à niveau » est une opportunité supplémentaire
d’obtention d’une aide, la poursuite, sous de nouvelles modalités,
d’une politique publique économiquement interventionniste et
politiquement clientéliste. La subvention sort de son cadre écono-
mique pour devenir gratification honorifique, regard importun, pro-
tection rassurante et, simultanément, dangereuse
50. Le manque de
crédibilité économique de la mise à niveau provient aussi de cette
alliance d’un discours libéral et de pratiques interventionnistes, d’un
discours d’ouverture et d’interprétations protectionnistes et poli-
tiques de celui-ci
51.
Cette technique de surveillance est donc légitimée par les entre-
preneurs dès lors que la mise à niveau est intégrée aux modes de gou-
vernement et à l’ethos réformiste tunisiens. Mais elle l’est également
par les partenaires étrangers qui y voient volontarisme d’État et
mobilisation des capacités nationales. Sans que cela soit expressé-
ment dit, le fait que l’État apparaisse déterminé constitue un élément
fondamental de l’appréciation de « bon élève ». Lors d’entretiens et
de discussions informelles, j’ai pu constater qu’en dépit de leur phi-
losophie libérale, les bailleurs de fonds appréciaient l’État tunisien en
raison, précisément, de cet activisme, symbole de modernité. Adop-
tion du langage de l’ouverture, acceptation des règles de la concur-
50. Jean-Yves Grenier a très bien montré cette sortie de l’économique pour les aides de
l’État français aux industriels du 18
ème siècle. Voir Jean-Yves Grenier, L’Économie
d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude
, Paris, Albin Michel, 1996.
51. J.-P. Cassarino, « The EU-Tunisian association agreement and Tunisia’s structural
reform program », art. cité et surtout
Tunisian New Entrepreneurs and their Past Expe-
riences of Migration in Europe: Resource Mobilisation, Networks, and Hidden Disaffec-
tion
, op. cit.
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rence et des normes imposées par le contexte international, réalisa-
tion de projections, définition de programmes… Tout cela est analysé
comme une preuve que la Tunisie n’est ni « archaïque » ni passéiste.
Les réformes et la compétitivité incarnent la modernité économique,
de même que le multipartisme et la laïcité incarnent la modernité
politique. Les donateurs apprécient un pays où « il existe des poli-
tiques économiques
52 » et où les décisions politiques « font du
bruit
53 ». Peu importe que le programme soit ou non effectif pourvu
qu’existe cette conceptualisation conforme aux canons internatio-
naux : « ici, ils savent ce qu’ils veulent, ils ont un plan, ce qui est glo-
balement positif » pouvait conclure un fonctionnaire international,
malgré les nuances qu’il avait lui-même apportées tout au long d’un
entretien consacré aux résultats – considérés par lui mitigés – de la
« mise à niveau ». Et l’Union européenne de souligner combien la
Tunisie « réagit bien » et est « imaginative » en proposant des
« programmes évolutifs et diversifiés » qu’elle « a elle-même conçus »,
précisant que la mise à niveau est une initiative tunisienne
54.
Contrairement à beaucoup d’autres pays africains ou moyen-orien-
taux, le discours tunisien est technocratique, articulé et construit
autour des thèmes dominants de la communauté internationale. De
sorte que les bailleurs de fonds ne se considèrent pas en terrain
inconnu, même si la mise en œuvre ne suit pas. Ils participent acti-
vement à la mise à niveau, notamment en finançant des organismes
(par exemple l’API), des structures de conseil et des programmes sec-
toriels
55. Le réformisme, c’est cela aussi, même si les réformes se révè-
lent,
in fine, assez minces, pour ne pas dire fictives : les mesures éco-
nomiques sont toujours insérées dans un discours général sur la
libéralisation, sur la privatisation, sur la compétitivité ou sur l’assai-
52. Entretien, Tunis, juillet 2000.
53. Entretien, Paris, juillet 2004, mon interlocuteur parlant de « sound policies ».
54. Il n’existe pas de telles procédures dans les autres pays tiers méditerranéens. Le Maroc,
par exemple, a adopté une approche beaucoup plus « libérale » en multipliant des
études (particulièrement sur les grappes de compétitivité), mais sans offrir d’incitations
financières ou fiscales particulières. Entretiens, Casablanca et Rabat, juin 1998,
février 1999, septembre-octobre 1999, octobre 2000.
55. La Banque mondiale participe surtout au financement des volets « formation
professionnelle », « assistance technique financière » et « audits » ; l’Union européenne
privilégie une aide aux investissements additionnels et à l’assistance (notamment à tra-
vers le financement du Bureau d’études Europe-Tunisie-Entreprise) ; enfin, des
bailleurs de fonds bilatéraux peuvent offrir des financements complémentaires, à
l’instar de l’Agence Française de développement. Voir les rapports annuels de chacune
de ces institutions.
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nissement financier ; elles n’apparaissent donc ni contradictoires
entre elles ni comme le fruit de décisions politiciennes et discrétion-
naires. Les autorités tunisiennes l’ont bien compris qui usent et abu-
sent de cet argument et prennent en otage l’Union européenne dans
la perspective d’une renégociation du calendrier d’ouverture, dans
l’espoir d’aménager des dérogations au nom de la stabilité, de l’équi-
libre social et de la
success story dont l’Europe a besoin 56. Au nom
d’un réformisme tunisien nécessairement positif et légitime, « cela va
de soi ».
Conclusion
Cet article ne peut développer les nombreux exemples néces-
saires pour étayer cette thèse
57, mais je voudrais ici uniquement
mentionner quelques-uns des principaux lieux d’infiltration de la
logique policière, de contrôle et de répression : tels la fiscalité, la
sécurité sociale, les programmes sociaux d’aide aux personnes dému-
nies, les politiques de développement rural ou urbain, le crédit ban-
caire et, de façon plus générale, les mécanismes financiers, les aides
et passe-droits divers aux entreprises, les privatisations d’entreprises
et la libéralisation du commerce intérieur et extérieur (comme aupa-
ravant les nationalisations, la protection et les licences), la solidarité
et l’appel à la société civile, la « gestion » de l’islam, le contrôle des
pratiques illicites, illégales et informelles…
De la même manière, je ne peux ici mener une analyse détaillée
de l’ensemble des procédures et des techniques par lesquelles ces
logiques de contrôle, de domination, voire de répression, infiltrent
les mécanismes économiques et sociaux. Outre le jeu sur le flou entre
« public » et « privé », il faut noter l’alimentation permanente des
processus d’arrangements sociaux, d’échanges et de négociations, le
56. Béatrice Hibou, « Les marges de manœuvre d’un “bon élève” économique : la Tunisie
de Ben Ali »,
Les Études du CERI, Paris, CERI-Sciences-Po, n° 60, décembre 1999. Un
fait révélateur à ce propos : beaucoup d’entrepreneurs pensent que l’accord de libre-
échange et le désarmement douanier ne seront jamais appliqués dans leur totalité, que
le patronat sera en mesure de faire pression pour aménager et conserver la tradition-
nelle politique protectionniste. Outre mes entretiens, voir J.-P. Cassarino, « The EU-
Tunisian association agreement and Tunisia’s structural reform program », art. cité et
Nord-Sud Export, 27 janvier 1996.
57. Voir pour cela, Béatrice Hibou, Surveiller et réformer. Économie politique de la servitude
volontaire en Tunisie
, mémoire d’habilitation à diriger des recherches, IEP de Paris,
7 novembre 2005.
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34 – Béatrice Hibou
recours aux principes nationalistes de base et, parallèlement, à la
nécessité d’une bonne insertion internationale ou encore la cons-
truction de discours sur le « miracle économique » et sur la « stabilité
et la sécurité de la Tunisie ». Je ferai un petit aperçu rapide sur ce der-
nier point : à partir de nombreuses techniques, tels le choix des
repères comparatifs et des périodes, l’oubli systématique des perfor-
mances passées, l’appropriation par l’administration et le pouvoir
central de dynamiques sociales, l’élaboration et l’occultation de don-
nées, l’usage du secret, des rumeurs, de la « transparence » et de
« l’opacité », l’absence de presse et d’analyse critique, la sélectivité des
informations utilisées et leur mise en scène, l’habillage selon les
modes et les rhétoriques internationales, les difficultés d’accès à
l’information… le « miracle économique » est devenu tout à la fois
discours de vérité et technique de pouvoir – ce qui n’est pas propre à
la Tunisie
58 mais trouve ici une application systématique et centrale
le dispositif de production de savoir. Le « miracle
dans
économique » constitue pour ainsi dire une fiction qui ne supporte
ni atteinte à son intégrité ni une remise en cause, ne serait-ce que
partielle
59. C’est la raison pour laquelle, certaines années, les statis-
tiques du chômage ou du niveau de pauvreté sont sciemment occul-
tées.
De même, c’est le discours sur la stabilité et l’efficacité de
l’option sécuritaire du régime qui a amené les autorités tunisiennes à
nier pendant quatre jours la thèse du terrorisme islamiste après
l’attentat de Djerba (présenté comme un accident). Mais encore une
fois, on ne peut comprendre la prégnance et l’acceptation de l’option
sécuritaire sans rappeler qu’elle est moins le choix d’un homme, le
président Ben Ali, issu de ce sérail et contraint à cette stratégie pour
« rester au pouvoir », qu’elle ne s’enracine dans les luttes politiques
tunisiennes : le succès relatif des islamistes en 1989 a été massive-
ment vécu comme un séisme et comme une menace des acquis de la
société tunisienne. Autrement dit, les autorités tunisiennes ont cer-
tainement manipulé l’opinion pour créer ce péril, mais cette stratégie
n’a fonctionné que parce qu’elle avait de puissants relais dans la
société et parce qu’elle s’enracinait dans la forte division de la société
58. Voir par exemple, P. Minard, La Fortune du colbertisme : État et industrie dans la France
des Lumières, op. cit.
59. Sur la « fiction » et le monde fictif, voir H. Arendt, Les origines du totalitarisme, op. cit.
et Pierre Ricœur qui met l’accent sur cette impossibilité de ne pas agir « conformément
aux règles d’un monde fictif » dans sa préface à la
Condition de l’Homme moderne de
Hannah Arendt, Paris, Calmann-Lévy, coll. Pocket, réédition de 1983, p. 11.
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tunisienne sur cette question de l’islam politique 60 ; division qui ren-
voyait elle-même à d’autres oppositions historiques
61 et qui se per-
pétue aujourd’hui jusque dans l’opposition, alors même que
Ennahda a été laminé par des années de répression et que tous parta-
gent leur « haine » de Ben Ali
62.
Par ces quelques développements, j’ai voulu montrer que les
mécanismes de répression n’étaient en rien le monopole du président
ni même du « régime de Ben Ali », c’est-à-dire de son entourage et
de l’institution policière. Au contraire, ils sont profondément insérés
dans la société et dans les mécanismes de pouvoir et, ceci, d’autant
plus qu’ils se moulent dans les processus de formation de l’État. Le
contrôle et le système répressif, indéniables en Tunisie, résultent
d’une « multiplicité de processus souvent mineurs, d’origine diffé-
rente, de localisation éparse, qui se recoupent, se répètent ou s’imi-
tent, prennent appui les uns sur les autres, se distinguent selon leur
domaine d’application, entrent en convergence et dessinent peu à
peu l’épure d’une méthode générale
63 ». (cid:2)
Béatrice Hibou est chercheur CNRS au CERI/Sciences-Po. Dans
une tradition wébérienne de l’économie politique, elle travaille sur la signi-
fication politique de l’économique et, notamment, des réformes libérales.
Elle est l’auteur de
L’Afrique est-elle protectionniste ? Les chemins buissonniers
de la libéralisation extérieure
, Paris, Karthala, 1996 et de La criminalisation
de l’État en Afrique
(en collaboration avec Jean-François Bayart et Stephen
Ellis), Bruxelles, Complexe, 1997. Elle a dirigé
La privatisation des États,
Paris, Karthala, 1999. Son dernier ouvrage
Surveiller et réformer. Économie
politique de la servitude volontaire en Tunisie
sera publié en 2006.
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60. O. Lamloum, « La politique étrangère de la France face à la montée de l’islamisme :
Algérie, Tunisie, 1987-1995 », op. cit.
61. Jocelyne Dakhlia, L’oubli de la cité, Paris, La Découverte, 1990.
62. Sadri Khiari,
Tunisie : coercition, consentement, résistance. Le Délitement de la cité, Paris,
Karthala, 2003.
63. M. Foucault, Surveiller et punir, op. cit., p. 162-163.
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36 – Béatrice Hibou
RÉSUMÉ
Économie politique de la répression : le cas de la Tunisie
A la croisée de deux traditions intellectuelles (l’économie politique wébérienne et
l’analyse foucaldienne de l’exercice du pouvoir et de la domination), cet article
entend suggérer que les rouages économiques fondent aussi les relations de pou-
voir qui autorisent la domination, et parfois la répression. A partir d’un terrain
localisé (la Tunisie) et d’une situation concrète (la mise à niveau industrielle), il
entend montrer que les mécanismes de contrôle de l’ensemble de la population
s’ancrent dans les relations de pouvoir les plus banales et que ces pratiques peuvent
tout aussi bien servir à la coercition, voire à la répression, que permettre au
« miracle économique » de se réaliser.
The political economy of repression : Tunisia as a case in point
At the confluence of two intellectual traditions (Weberian political economy and the
Foucauldian analysis of the exercise of power and domination), this article suggests that
the cogwheels of the economy also drive the power relations engendering the domina-
tion, and sometimes repression, of the people. Based on a case study of a specific country
(Tunisia) and situational context (industrial modernization), the article shows that
the mechanisms controlling the populace as a whole are anchored in the most common-
place power relations and that these practices may serve as much to coerce, even repress,
the citizenry as to pave the way for an “economic miracle”.
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