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Le droit administratif, « droit essentiellement jurisprudentiel » : l’intuition
pionnière de Macarel ?
Le recul du caractère jurisprudentiel du droit administratif a été au cœur de nombreuses
études depuis le milieu du xx
e siècle1. La multiplication des lois, l’influence du droit de l’Union
européenne et l’entreprise de codification sont autant d’éléments qui font progresser la part du
droit écrit en droit administratif et qui ébranlent l’idée selon laquelle le droit administratif est un
droit essentiellement jurisprudentiel. Le thème qui nous a été confié dans le cadre de cette demi-
journée d’étude consacrée à Macarel conduit à s’interroger sur la naissance de cette idée et invite
plus particulièrement à se demander si Macarel est celui qui a vu le premier que le droit
administratif puisait sa source principale dans la jurisprudence administrative.
Louis-Antoine Macarel2 figure, à côté de Joseph-Marie de Gérando3 et du vicomte de
Cormenin
4, parmi les fondateurs du droit administratif du début du XIXe siècle. C’est de cette
façon qu’Alexis de Tocqueville les perçoit dès 1846
5. Aujourd’hui encore, ces trois publicistes
sont souvent présentés comme étant les pères du droit administratif
6. Cependant, leur apport à la
la construction de ce droit n’est pas le même.
Gérando fait partie des codificateurs du XIXe siècle7. Ses Institutes du droit administratif français
français ou élémens du code administratif publiés en quatre volumes en 1829 ont en effet pour objet de
rassembler les textes épars applicables à l’administration, qu’il s’agisse de lois ou de règlements
administratifs, afin de faciliter la connaissance du droit administratif. L’auteur prend le soin de
préciser qu’il exclut du code qu’il se propose de rédiger, « les maximes qui ne s’appuient encore
que sur la jurisprudence seule » car « il serait dangereux de leur faire accorder un degré d’autorité
qui les érigeât en règles positives »
8.
Cormenin et Maracel s’opposent à Gérando précisément sur ce point. Ils ont centré leurs
travaux non pas sur les textes mais sur la jurisprudence administrative. Et, dans cette tâche,
Macarel apparaît comme étant celui qui, selon Maurice Hauriou, a eu
« le plus d’initiative » et a
été « le plus créateur »
9. En effet, il a été le premier à promouvoir la jurisprudence administrative
et à lui donner une visibilité qui lui permettra par la suite de jouer un rôle fondamental dans la
construction du droit administratif.
L’étude des travaux de Macarel relatifs à la jurisprudence administrative ne manque pas
d’interpeler compte tenu du décalage temporel qui existe entre le développement des idées de
l’auteur et sa carrière professionnelle. En effet, si on reprend la chronologie de sa vie
10, on
1 V. par ex. : G. Vedel, « Le droit administratif peut-il être indéfiniment jurisprudentiel ? », EDCE, 1979-1980, n° 31, p. 31 ; S.
Théron, « La substitution de la loi à la jurisprudence administrative : la jurisprudence codifiée ou remise en cause par la loi »,
RFDA, 2004, p. 230 ; F. Melleray, « Le droit administratif doit-il redevenir jurisprudentiel ? Remarques sur le déclin paradoxal de
son caractère jurisprudentiel », AJDA, 2005, p. 637 ; U. Ngampio-Obele-Bele, « Le droit administratif est-il encore l’oeuvre du
juge administratif ? Brèves observations sur les évolutions du droit administratif », RRJ, 2008, p. 1011.
2 Né en 1790 et mort en 1851.
3 Né en 1772 et mort en 1842.
4 Né en 1788 et mort en 1868.
5 A. de Tocqueville, « Rapport sur le cours de droit administratif de M. Macarel », Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et
politiques
, t. 9, 1846, p. 105, spéc. p. 106 ; V. égal. : L. Aucoc, Conférences sur l’Administration et le droit administratif, t. 1, 2ème éd., 1876,
p. 4.
6 G. Guglielmi, « Vu par ses pères fondateurs, le droit administratif », Le droit administratif en mutation, PUF, 1993, p. 41 ; T.
Fortsakis,
Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, LGDJ, Coll. « Bibliothèque de droit public », t. 152, 1987, p. 52.
7 M. Touzeil-Divina, La doctrine publiciste 1800-1880. Eléments de patristique administrative, Ed. La mémoire du droit, 2009, spéc. p. 49.
8 J.M. Gérando, Institutes du droit administratif français ou élémens du code administratif, t. 1, 1829, p. 7.
9 M. Hauriou, « De la formation du droit administratif français depuis l’an VIII », RGA, 1892, t. 2, p. 385, et t. 3, p. 15, spéc.
p. 394.
10 V. notamment les différentes biographies suivantes : A.C. Becquerel, Notice biographique sur Louis-Antoine Macarel, Société
nationale et centrale d’agriculture, 1852 ; P.S. Nibelle, « M. Macarel »,
Moniteur universel, 29 décembre 1852, p. 2220 ; J.
Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) »,
Biographie universelle ancienne et moderne, Michaud, 1860, t. 25, p. 592 ; R. Drago, J. Imbert
et J. Tulard,
Dictionnaire biographique des membres du Conseil d’Etat, 1799-2002, Fayard, 2004, p. 295 ; J.J. Clère, « Macarel Louis-






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s’aperçoit que l’importance donnée aux arrêts du Conseil d’Etat par Macarel n’est pas le fruit de
l’expérience de toute une vie de la jurisprudence administrative. C’est au contraire à l’aube de sa
carrière que Macarel manifeste un intérêt pour les arrêts rendus par le Conseil d’Etat.
Licencié en droit en 1811, il publie dès 1818, à l’âge de 28 ans, son premier ouvrage en
deux tomes intitulé
Elémens de jurisprudence administrative1 dans lequel il rassemble toutes les
décisions du Conseil d’Etat. Trois ans plus tard, en 1821, il fonde le
Recueil des arrêts du Conseil
d’Etat
. Certes, à cette date, Macarel a déjà un parcours impressionnant mais les postes qu’il
occupe ne le placent pas auprès du Conseil d’Etat. En effet, en 1813, alors qu’il se destine au
métier d’avocat au barreau de Paris, il doit, en raison du décès de son père, mettre son projet de
côté et trouver un travail lui permettant de subvenir à ses besoins et à ceux de sa mère
2. C’est
ainsi qu’il s’initie aux fonctions d’administrateur. Il devient successivement chef de cabinet de
plusieurs préfets ; secrétaire particulier du ministre de la Marine (en 1814) et agent de la direction
générale des postes (en 1815). Macarel n’a toutefois pas abandonné son projet initial. Son mariage
avec la fille de Champion de Villeneuve, ancien ministre de l’Intérieur sous Louis XVI et avocat
au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, l’incite à le concrétiser. Macarel devient ainsi avocat à
la cour royale de Paris à partir de 1817. C’est d’ailleurs cette qualité qui est mentionnée sur le
premier tome du recueil des arrêts du Conseil d’Etat qu’il publie en 1821.
Or ces fonctions, pour l’essentiel administratives, ne font pas de Macarel un praticien de la
jurisprudence administrative et ne sont donc pas à même d’expliquer son initiative tendant à la
diffusion des arrêts du Conseil d’Etat en 1818 et 1821. Tout au plus, elles lui ont permis de
s’apercevoir du chaos de la législation administrative
3 et de rencontrer d’illustres personnes,
notamment Cormenin
4 qui était déjà à cette date membre du Conseil d’Etat. C’est, semble-t-il, sur
les conseils de ce dernier que Macarel s’est alors intéressé aux arrêts de cette institution à partir de
1814-1815
5. Tout en conservant son poste dans l’administration, et grâce à l’aide de son beau-
père
6, il entreprend un travail difficile qui allait occuper ses nuits : mettre de l’ordre dans ce
dédale législatif grâce à l’étude de la jurisprudence administrative. Et ce n’est que quelques années
plus tard, postérieurement donc à la publication des premiers ouvrages livrant le fruit de ses
recherches, que ses fonctions le rapprocheront du Conseil d’Etat. Il succède d’abord à la charge
d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation de son beau-père en 1822
7, et ce jusqu’en
1827
8. Il est ensuite nommé au Conseil d’Etat en 1830 en qualité de maître des requêtes en
service ordinaire, puis, quelques mois plus tard, en qualité de conseiller d’Etat
9.
Ce décalage temporel montre à quel point Macarel a eu très tôt l’intuition que la
jurisprudence administrative était une source du droit administratif et qu’il fallait la promouvoir
(I). Pour autant, l’apport de Macarel ne doit pas être surestimé. Il nous paraît difficile de soutenir
que Macarel ait vu dans la jurisprudence administrative la source première du droit administratif
(II).
Antoine », Dictionnaire historique des juristes français : XIIe-XXe siècles (dir. P. Arabeyre, J.-L. Halpérin et J. Krynen), PUF, coll.
« Quadrige. Dicos Poche », 2007, p. 525 ; J. Savoye,
Quelques aspects de l’œuvre de Louis-Antoine Macarel (1790-1851), thèse Lille, 2 vol.,
1970, p. 20 et s.
1 L.A. Macarel, Elémens de jurisprudence administrative, Extraits des décisions rendues, par le Conseil d’Etat, en matière contentieuse, Ed.
Dondey-Dupré, 2 t., 1818.

2 J. Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) », préc., p. 592.
3 J. Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) », préc., p. 593.
4 A.C. Becquerel, Notice biographique sur Louis-Antoine Macarel, préc., p. 2.
5 J. Savoye, Quelques aspects de l’œuvre de Louis-Antoine Macarel (1790-1851), préc., p. 37.
6 P.S. Nibelle, « M. Macarel », préc., p. 2220 ; R. Drago, J. Imbert et J. Tulard, Dictionnaire biographique des membres du Conseil d’Etat,
1799-2002
, préc., p. 295.
7 R. Drago, J. Imbert et J. Tulard, ibid.
8 J. Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) », préc., p. 594.
9 J. Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) », préc., p. 594 : Louis-Antoine Macarel fut alors attaché au comité de législation et de
justice administrative. Devenu directeur de l’administration départementale et communale en 1837 au sein du ministère de
l’Intérieur, il réintègre le Conseil d’Etat en 1839 et devient président de la section d’administration en 1849.





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I. La jurisprudence administrative comme source du droit administratif selon
Macarel
L’apport essentiel de l’œuvre de Macarel est d’avoir mis la lumière sur la jurisprudence
administrative comme source du droit administratif. Tel est l’objet de ses premières publications.
Le point de départ de son raisonnement réside dans le constat de l’insuffisance des lois
administratives. Dans son ouvrage précité de 1818
1, et dans un article publié à la revue Thémis en
1819 et 1820
2, Macarel déplore le caractère obscur, incomplet et indigeste des lois administratives
administratives ainsi que leur caractère variable et changeant. Sans doute est-il possible
d’expliquer cette situation. Reprenant les propos de Cormenin, Macarel précise que les lois
administratives, qui concernent les moyens d’action des gouvernements, ont été sans cesse
modifiées depuis la révolution en raison de la succession des gouvernements, si bien que leur
évolution n’a reposé sur aucun souci de cohérence
3.
C’est alors qu’émerge l’utilité de la jurisprudence administrative. Selon Macarel, celle-ci ne
se borne pas à faire application des textes. Elle apporte également de la clarté et de l’ordre lorsque
les lois administratives se révèlent contradictoires et imprécises et apparaît comme « le seul
guide »
4 pour les juges administratifs lorsque ces mêmes lois sont silencieuses. En d’autres termes,
termes, la jurisprudence administrative « peut suppléer aux vices et aux lacunes de notre Code
administratif »
5.
Mais pour qu’elle puisse pleinement jouer ce rôle, il fallait la faire connaître. En effet, faute
d’être publiée dans un recueil officiel, la jurisprudence ne peut avoir, selon Macarel, aucune
autorité et ne peut constituer une véritable source du droit
6. C’est la raison pour laquelle Macarel
entreprend des démarches tendant à la divulgation de la jurisprudence administrative. Sur ce
point, l’apport de Macarel se dédouble. L’auteur est d’abord l’initiateur de la publication
périodique des arrêts du Conseil d’Etat (A). Il est également l’instigateur de l’analyse de cette
jurisprudence administrative (B).
A. L’initiateur de la publication périodique des arrêts du Conseil d’Etat
Lorsqu’il commence à s’intéresser à la jurisprudence administrative, Macarel ne peut que
constater que, depuis la création du Conseil d’Etat par la Constitution du 13 décembre 1799, et
l’institution, en son sein, d’une commission du contentieux par les décrets des 11 juin et 22 juillet
1806, les arrêts rendus par cette instance n’ont fait l’objet d’aucune publication. Si quelques-uns
ont été insérés dans le bulletin des lois, la plupart sont enfouis dans les archives de la
commission. C’est ce que Maurice Hauriou appelle la phase « d’élaboration secrète »
7 du droit
administratif. Les premières règles jurisprudentielles ont bien été dégagées dès cette époque, mais
personne n’en avait connaissance. Ce n’est qu’après la chute de l’empire napoléonien qu’une
évolution s’engage, évolution que l’on ne doit pas seulement à l’auteur ici étudié.
En 1818, quelques semaines après la parution des Elémens de jurisprudence administrative de
Macarel, Jean-Baptiste Sirey, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, publie à son tour,
en parallèle d’un livre sur le Conseil d’Etat
8, un recueil en quatre tomes regroupant de manière
chronologique l’essentiel des décisions rendues par le Conseil d’Etat entre 1806 et 1818
9.
1 L.A. Macarel, Elémens de jurisprudence administrative, Extraits des décisions rendues, par le Conseil d’Etat, en matière contentieuse, préc.,
p. VII.
2 L.A. Macarel, « Introduction à la jurisprudence administrative », Thémis, t. 1, 1819, p. 25 et p. 232, et t. 2, 1820, p. 255 et p. 329,
spéc. p. 34.
3 L.A. Macarel, Elémens de jurisprudence administrative, Extraits des décisions rendues, par le Conseil d’Etat, en matière contentieuse, préc.,
p. VII-VIII.
4 Ibid., p. X.
5 L.A. Macarel, « Introduction à la jurisprudence administrative », préc., p. 35.
6 Ibid., p. 248 : Macarel s’exclame en ces termes : « quelle autorité peut avoir une jurisprudence qui ne se manifeste par aucun
recueil officiel, et qui par conséquent doit être presque généralement inconnue ! » ; V. également : L.A. Macarel,
Des tribunaux
administratifs ou Introduction à l’étude de la jurisprudence administrative
, Ed. J-P Roret, 1828, p. 21, n° 33.
7 M. Hauriou, « De la formation du droit administratif français depuis l’an VIII », préc., p. 390.
8 J.B. Sirey, Du Conseil d’Etat selon la charte constitutionnelle ou notions sur la justice d’ordre politique et administratif, 1818.
9 J.B. Sirey, Jurisprudence du Conseil d’Etat depuis 1806, 1818, 4 t.





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S’inspirant pour cela du Recueil général des lois et des arrêts en matière civile, criminelle, commerciale et de
droit public
dont il assure la publication depuis 1800, il présente, pour chaque décision, la question
de droit, l’exposé des faits et des moyens des parties, puis la décision. Par ce recueil, Jean-Baptiste
Sirey cherche à faire sortir le Conseil d’Etat de l’ombre et à repousser les critiques formulées
contre ce dernier. Sans remettre en cause l’apport de cette initiative, Macarel estime qu’il faut aller
plus loin et formule le vœu d’une publication périodique des arrêts du Conseil d’Etat qu’il juge
indispensable.
1. Une publication périodique nécessaire selon Macarel
Si l’idée était présente en filigrane dans l’avertissement figurant en tête du premier ouvrage
de Macarel
1, c’est surtout dans son article précité de 1819 que celui-ci affirme clairement la
nécessité de publier la jurisprudence administrative à intervalles réguliers
2. Selon l’auteur, il
convient de mettre fin au caractère secret de cette jurisprudence pour trois raisons principales.
D’abord, les décisions rendues par le Conseil d’Etat sont méconnues tant des citoyens que
des autorités administratives qui n’ont accès qu’aux décisions rendues à propos de leurs propres
arrêtés. Dès lors, tous ignorent largement leurs droits et leurs devoirs qui découlent de la
jurisprudence administrative. Cette situation de fait conduit à
l’édiction de décisions
involontairement erronées et à la naissance de nouveaux contentieux qui pourraient, selon
Macarel, être évités grâce à la diffusion périodique de la jurisprudence.
Ensuite, la plupart des membres du Conseil d’Etat eux-mêmes méconnaissent largement
les décisions rendues par leurs prédécesseurs, ce qui engendre d’inévitables changements de
jurisprudence. Macarel laisse ainsi entendre que la publication améliorerait la qualité de la
jurisprudence administrative : rendue au regard des décisions antérieures, celle-ci présenterait une
plus grande stabilité.
Enfin, l’administration n’a aucun intérêt à cacher les décisions contentieuses. Macarel
souligne, non sans une pointe de provocation, que si le caractère secret des décisions du Conseil
d’Etat se conçoit dans un gouvernement absolu, il n’a plus sa place dans un gouvernement
constitutionnel tel que la France le connaît depuis peu à l’époque. Ainsi, la publication est
essentielle si l’on veut faire cesser les reproches d’arbitraire adressés à l’encontre des jugements.
Dès lors, Macarel recommande la mise en place d’un « bulletin administratif officiel »3
similaire à celui créé pour la publication officielle des arrêts de la Cour de cassation par les lois
des 28 vendémiaire an V et 22 ventôse an VII. Il note qu’une demande a été déposée en ce sens
au ministre de la Justice
4. Mais cette sollicitation n’ayant eu aucune suite, Macarel décide en 1821
de rédiger lui-même un recueil annuel, ce qui « marque une petite révolution dans le monde des
publicistes »
5.
2. Une publication périodique assurée par Macarel
Le recueil que Macarel publie à compter de 1821 et qui a immédiatement connu un franc
succès
6 reproduit chaque année tous les arrêts du Conseil d’Etat de manière intégrale selon un
ordre chronologique
7. L’auteur se détache ainsi de son projet initial présenté en 1819 par lequel il
préconisait la création d’un bulletin qui ne publierait qu’une sélection de décisions, à savoir les
« ordonnances d’un intérêt général et qui introduiraient une nouvelle jurisprudence ou
consacreraient, avec plus de force et de netteté, les règles de l’ancienne »
8.
1 L.A. Macarel, Elémens de jurisprudence administrative, Extraits des décisions rendues, par le Conseil d’Etat, en matière contentieuse, préc., p. V
et s.
2 L.A. Macarel, « Introduction à la jurisprudence administrative », préc., p. 35 et s.
3 Ibid., p. 36.
4 Ibid., p. 38.
5 T. Fortsakis, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, préc., p. 58.
6 « Compte rendu sur le Recueil des arrêts du Conseil », Moniteur universel, 26 octobre 1821, reproduit in Recueil des arrêts du Conseil,
1822, p. 1, spéc. p. 6.
7 L.A. Macarel, Recueil des arrêts du Conseil, 1821, Prospectus, p. 1, note 1.
8 L.A. Macarel, « Introduction à la jurisprudence administrative », préc., p. 37.






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Macarel assure seul cette publication privée jusqu’en 1827. Parce que l’ampleur de la tâche
est immense et qu’il cesse ses fonctions d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, il
s’adjoint, à partir de cette date, l’aide matérielle et financière de Deloche, lui-même avocat aux
Conseils. En 1831, il cesse de participer à cette publication, laquelle sera poursuivie par Deloche
jusqu’en 1835, par Beaucousin jusqu’en 1838, puis par Félix Lebon, tous avocats aux Conseils
1. A
l’heure actuelle, la publication du recueil demeure une publication privée puisqu’elle est assurée
par les éditions Dalloz, mais elle intervient, depuis 1947 et selon l’indication qui figure sur la
couverture, « sous le haut patronage du Conseil d’Etat ». En d’autres termes, ce sont désormais
les membres du Conseil d’Etat qui rédigent le recueil. Si l’ordre chronologique a été maintenu, en
revanche, la publication intégrale de toutes les décisions n’a pu perdurer compte tenu de
l’augmentation du nombre d’arrêts rendus annuellement par le Conseil d’Etat
2.
On comprend alors que le recueil Lebon, puisque c’est de lui dont il s’agit ici, porte mal son
nom. Ce recueil a été fondé par Louis-Antoine Macarel et non par Félix Lebon, lequel ne prend
en charge la publication du recueil qu’en 1838, soit dix-sept ans après sa création. Si Lebon a
durablement attaché son nom au recueil, c’est sans doute parce qu’il en a assuré la publication
pendant plus de trois décennies (jusqu’en 1870). C’est évidemment regrettable que le nom de
Macarel ait été oublié. Paradoxalement, la couverture actuelle du recueil fait apparaître l’année de
sa création (1821) mais ne mentionne pas le patronyme de son fondateur. Seuls y figurent les
noms de Lebon et de certains de ses successeurs. Il faut toutefois noter que le nom de Macarel
n’a pas toujours été absent : on le trouve par exemple sur les recueils publiés entre 1871 et 1920
et entre 1929 et 1932. En revanche, sauf erreur de notre part, il n’apparaît plus depuis 1933. Pour
rétablir une vérité historique, il pourrait être utile que la couverture intègre à nouveau le nom de
Macarel. La paternité du recueil lui serait ainsi rendue.
B. L’instigateur de l’analyse des arrêts du Conseil d’Etat
Selon Macarel, la diffusion de la jurisprudence administrative est essentielle mais elle n’est
pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’une réflexion sur les arrêts du Conseil d’Etat consistant
à les ordonner et à dégager les règles de jurisprudence qu’ils contiennent. Se livrant lui-même à ce
travail, Macarel fait alors partie de ceux qui ont ouvert la voie à l’analyse des arrêts du Conseil
d’Etat. Cette initiative visait à combler un décalage existant au début du
XIXe siècle entre la
jurisprudence administrative, qui faisait l’objet de très rares études, et la jurisprudence judiciaire
dont les arrêts étaient déjà exposés et discutés dans divers recueils et ouvrages
3.
1. La réalisation par Macarel de travaux consacrés à l’analyse de la jurisprudence
administrative
L’objet même du premier livre écrit par Macarel est de recenser et d’organiser les décisions
rendues par le Conseil d’Etat depuis 1806, date de la création de la commission du contentieux.
Intitulé
Elémens de jurisprudence administrative, Extraits des décisions rendues, par le Conseil d’Etat, en
matière contentieuse
et publié en 1818, cet ouvrage est donc issu d’une exploration des arrêts du
Conseil d’Etat avant même que la publication de ces derniers ait été réalisée.
Dans l’avertissement, Macarel expose sa méthode de travail : après avoir analysé les
archives pour prendre connaissance des décisions du Conseil d’Etat, il a décidé de les « recueillir
par ordre de matières, et de les rédiger en un corps de doctrine où leurs motifs [ont été] [...]
réduits en règles brèves, substantielles et dégagées de tout commentaire »
4. Ainsi, il se propose
d’extraire des arrêts les principes de jurisprudence qui régissent les différentes matières du
1 V. pour l’historique intégral des propriétaires du recueil : M. Laine, « L’évolution du recueil des arrêts du Conseil d’Etat statuant
au contentieux (Recueil Lebon) »,
EDCE, 1951, p. 153, spéc. p. 154 ; V. égal. : J. Lapanousse, « L’ordre des avocats au Conseil
d’Etat et à la Cour de cassation devant l’histoire »,
Le Conseil d’Etat, Livre jubilaire publié pour commémorer le 150ème anniversaire du Conseil
d’Etat
, Sirey, 1952, p. 351, spéc. p. 362 ; C. Maugue et J.H. Stahl, « Sur la sélection des arrêts du Recueil Lebon », 1998, p. 768.
2 M. Laine, « L’évolution du recueil des arrêts du Conseil d’Etat statuant au contentieux (Recueil Lebon) », préc., p. 155 et s.
3 L.A. Macarel, Des tribunaux administratifs ou Introduction à l’étude de la jurisprudence administrative, préc., p. 24 et s., n° 35.
4 L.A. Macarel, Elémens de jurisprudence administrative, préc., p. X-XI.






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contentieux administratif. Et sans jamais reproduire le texte même des arrêts, il livre le résultat de
son travail sur la base d’un plan articulé en trois parties (les règles de compétence ; les règles de
procédure contentieuse ; et les règles de fond de toutes les matières du contentieux administratif
rangées par ordre alphabétique (telles que les baux administratifs, les contributions directes et
indirectes ou encore les domaines nationaux, l’expropriation pour cause d’utilité publique, les
travaux publics, etc.). Pour chaque partie, la structure est identique. Macarel commence par une
présentation de l’idée générale de la matière, poursuit par l’établissement d’un tableau de la
législation et termine par l’exposé de la jurisprudence sous forme de principes, lesquels sont
accompagnés des références des arrêts desquels ils ont été tirés.
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Cet ouvrage, qui constitue le premier de son genre et pose les prémices du futur travail
doctrinal sur la jurisprudence administrative, a connu un grand succès dès sa publication et a fait
naître un intérêt pour la jurisprudence administrative. Selon Boulatignier, disciple de Macarel, il
serait en partie à l’origine de la création d’un cours de droit public positif et administratif à la
Faculté de Paris par une ordonnance royale du 24 mars 1819
1, cours pour lequel Macarel a
d’ailleurs été désigné suppléant de Gérando en 1820
2.
Evidemment, l’ouvrage présente de nombreuses imperfections que plusieurs auteurs n’ont
pas manqué de relever. On lui a reproché d’être confus
3 et de contenir peu de citations directes
des décisions du Conseil d’Etat
4. En outre, comme les matières y sont classées par ordre
alphabétique dans la troisième partie, il est aisé de constater que la tentative d’organisation de la
jurisprudence y est minimale et que la présentation de l’organisation administrative reste
descriptive. Si l’ouvrage demeure donc pour l’essentiel une compilation de règles, il tire son
originalité du matériau jurisprudentiel qui a été exploité pour les dégager.
Par la suite, Macarel a poursuivi ce travail dans des matières circonscrites. Il l’a fait par
exemple à l’occasion de plusieurs travaux qui ont été publiés dans la deuxième partie de la revue
Thémis consacrée à la jurisprudence5. Macarel a par ailleurs réalisé d’autres ouvrages dans des
matières déterminées pour lesquelles il s’est efforcé de dégager les règles jurisprudentielles
existantes. Tel est le cas notamment de son
Manuel des ateliers dangereux, insalubres ou incommodes
publié en 1827. Contrairement à l’ouvrage général de 1818, les arrêts y sont partiellement
reproduits. Classés selon un plan thématique, ils sont accompagnés d’un résumé des faits, de
l’exposé de la règle générale établie par l’arrêt, et parfois d’observations ou de notes de bas de
page renvoyant à d’autres références.
Enfin, et surtout, Macarel a continué l’exploitation de l’ensemble de la jurisprudence
administrative à travers son recueil. Pour plusieurs raisons, celui-ci est en effet apparu dès
l’origine comme un instrument d’analyse
6. D’abord, il ne se borne pas à reproduire les arrêts de
manière chronologique. Pour chacun d’eux, l’auteur identifie les mots-clefs et rédige le problème
de droit. Il élabore en outre à la fin de chaque volume une table alphabétique recensant les
différents arrêts par matière. Enfin, dès le premier tome publié en 1821, il indique en
avertissement qu’il a, pour chaque espèce, pris le soin de renvoyer à d’autres décisions analogues
qui forment avec la décision reproduite, un corps de jurisprudence. Le recueil ainsi créé se veut
être un outil tendant à la mise en perspective et en cohérence des arrêts.
Si ces différents écrits font de Macarel un véritable « exploiteur prétorien »7, il ne faut pas
perdre de vue que l’analyse qu’ils proposent de la jurisprudence administrative n’en est qu’à ses
1 J. Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) », préc., p. 593.
2 Ibid., p. 594.
3 M. Hauriou, « De la formation du droit administratif français depuis l’an VIII », préc., p. 394.
4 B. Pacteau, Le Conseil d’État et la fondation de la justice administrative française au XIXe siècle, PUF, coll. « Léviathan », 2003, p. 115.
5 V. par ex. : L.A. Macarel, « Jurisprudence administrative », Thémis, t. 2, 1820, p. 433.
6 J. Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) », préc., p. 593 ; aujourd’hui encore, le recueil Lebon est considéré comme un « ouvrage
doctrinal de tout premier ordre » (B. Plessix,
L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, Ed. Panthéon-Assas, 2003,
p. 63, n° 52).
7 M. Touzeil-Divina, La doctrine publiciste 1800-1880. Eléments de patristique administrative, préc., p. 63, n° 67 : selon l’auteur, sont des
explorateurs prétoriens les auteurs du
XIXe siècle qui « ont eu pour ambition de ne pas simplement divulguer une ou des




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balbutiements. Leur intérêt est surtout d’avoir saisi « l’importance du fait jurisprudentiel »1 et
d’avoir fait de la jurisprudence administrative un objet d’étude. Plusieurs auteurs vont alors
immédiatement s’inscrire dans le sillage de Macarel et accorder à leur tour une importance toute
particulière à cette source du droit administratif.
2. La multiplication des travaux sur la jurisprudence administrative grâce à Macarel
Cormenin, dont on a dit précédemment qu’il était en partie à l’origine des travaux de
Macarel, est le premier à avoir prolongé l’initiative de ce dernier. Après avoir produit plusieurs
notes d’arrêts dans la revue
Thémis2, il publie en 1822 ses Questions de droit administratif. Cet ouvrage
approfondit le travail accompli par Macarel en 1818
3 au point que Maurice Hauriou estimera à la
fin du siècle qu’il « absorbe et fait disparaître le livre de Macarel »
4. Macarel lui-même a reconnu la
très grande qualité de l’ouvrage de Cormenin, tout en précisant que, de par sa position de maître
des requêtes au Conseil d’Etat, celui-ci était le mieux placé pour exposer la jurisprudence
administrative et en indiquer l’esprit
5.
L’ouvrage, qui en arrive d’ailleurs à sa quatrième édition en 1837, consiste « à relier les
espèces, à les élever au rang d’axiomes, et à déduire de ces axiomes les conséquences
jurisprudentielles qui s’y attachent »
6. A chaque édition, des matières nouvelles sont introduites,
avec toujours le même soin pour l’indication des sources jurisprudentielles.
Bien que le
classement y soit encore alphabétique, cet ouvrage offre « une des premières systématisations de
la jurisprudence du Conseil d’Etat »
7. Sa refonte en 1840, sous l’intitulé Cours de droit administratif,
permet à Cormenin d’aller plus loin encore. L’auteur réussit en effet à conférer à ses travaux une
dimension théorique en proposant une synthèse des principes jurisprudentiels
8.
Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, Gabriel Dufour est un autre exemple
d’auteur ayant consacré un ouvrage à l’analyse prétorienne. Il s’agit de son volumineux
Traité
général de droit administratif appliqué
dont la première édition est publiée en 1845. Dans son
introduction, l’auteur, qui n’hésite d’ailleurs pas à mentionner ses prédécesseurs, Cormenin et
Macarel
9, explique que la jurisprudence lui a fourni « les plus précieuses ressources »10.
Ces différents travaux, comme ceux de Macarel, n’ont pas une grande portée scientifique
dès lors que l’approche théorique et transversale y est limitée. La présentation du droit y est
découpée par matières et vise principalement à donner un état des lieux du droit administratif tel
qu’il existe lors de la première moitié du
XIXe siècle. Il s’agissait en définitive d’ouvrages qui
avaient pour objet de construire un corpus de règles administratives jurisprudentielles et qui
étaient essentiellement destinés aux praticiens. Plusieurs auteurs de l’époque le leur ont d’ailleurs
reproché (A. de Tocqueville, E.-V. Foucart, A.-F. Vivien, ou encore R. Dareste)
11.
Il n’en demeure pas moins que l’apport de Macarel est exceptionnel. Comme cela a pu être
dit en 1820, il a « en quelque sorte créé la jurisprudence administrative »
12 en dégageant les règles
jurisprudences administratives mais de les présenter et de les mettre en avant à l’intérieur d’un exposé -qui se veut parfois
théorique- et qui prétend donner un état des lieux, positif, du droit administratif français » (p. 59, n° 64).
1 T. Fortsakis, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, préc., p. 60.
2 V. par ex. : Cormenin, « Jurisprudence administrative », Thémis, t. 1, 1819, p. 418 ; et Cormenin, Thémis, t. 3, 1821, p. 26.
3 P.S. Nibelle, « M. Macarel », préc., p. 2220 : selon l’auteur de la biographie, Macarel aurait apporté son ouvrage à Cormenin en
lui disant : « Prenez […], vous m’avez ouvert la voie, posez les problèmes de la science ».
4 M. Hauriou, « De la formation du droit administratif français depuis l’an VIII », préc., p. 396.
5 L.A. Macarel, Des tribunaux administratifs ou Introduction à l’étude de la jurisprudence administrative, préc., p. 24.
6 Cormenin, Questions de droit administratif, 4ème éd., 1837, préface, p. XV.
7 M. Touzeil-Divina, La doctrine publiciste 1800-1880. Eléments de patristique administrative, préc., p. 64, n° 69 ; V. égal. : P. Soudet,
« Une tentative plus que centenaire de systématisation des principes juridictionnels du Conseil d’Etat : Cormenin »,
Le Conseil
d’Etat
, Livre jubilaire publié pour commémorer le 150ème anniversaire du Conseil d’Etat, Sirey, 1952, p. 295.
8 V. en ce sens : M. Touzeil-Divina, La doctrine publiciste 1800-1880. Eléments de patristique administrative, préc., p. 66, n° 71.
9 G. Dufour, Traité général de droit administratif appliqué, t. 1, 1845, p. VII : Gabriel Dufour précise que c’est par l’ouvrage de
Cormenin que « le droit administratif s’est révélé dans ses innombrables points de contacts avec les intérêts et les droits au milieu
desquels s’agite la vie privée ».
10 Ibid., p. XI.
11 M. Touzeil-Divina, La doctrine publiciste 1800-1880. préc., p. 61, n° 65 et s.
12 Isambert, « Rapport sur Elémens de jurisprudence administrative par Macarel », Thémis, t. 2, 1820, p. 149, spéc. p. 156.





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jurisprudentielles des arrêts du Conseil d’Etat et a très tôt compris l’importance de cette source
dans la construction du droit administratif. En outre, en déplaçant l’angle de vue des lois
administratives vers la jurisprudence administrative, Macarel a permis à celle-ci de devenir un
véritable objet d’étude et a ouvert la voie à une théorisation du droit administratif fondée sur la
jurisprudence administrative au cours de la seconde partie du
XIXe siècle.
Cependant, être convaincu de l’importance de la jurisprudence administrative est une
chose ; en faire la source essentielle du droit administratif en est une autre. C’est sur ce point qu’il
faut mettre une limite à l’apport des travaux de Macarel. En effet, il nous semble que son œuvre
ne peut être analysée comme faisant des décisions du Conseil d’Etat la source principale du droit
administratif.
II. La jurisprudence administrative comme source complémentaire du droit
administratif selon Macarel
A vrai dire, il n’est pas facile de déterminer la position de Macarel sur la place qu’occupe,
ou que doit occuper, la jurisprudence administrative par rapport aux sources écrites du droit
administratif. Le fait que l’auteur ait cherché à faire la lumière sur les arrêts du Conseil d’Etat ne
dit rien sur l’ampleur de la source jurisprudentielle par rapport au droit écrit.
Il ressort toutefois de ses travaux que Macarel considère la jurisprudence administrative
comme une source, importante certes, mais qui reste subsidiaire. L’idée n’est jamais clairement
exprimée par l’auteur. Elle peut malgré tout se déduire de ce que la législation administrative
conserve une place de choix dans son œuvre (A). En réalité, ceci peut difficilement lui être
reproché dès lors que le caractère essentiellement jurisprudentiel du droit administratif
n’apparaîtra que plus tard (B).
A. L’importance des lois administratives dans les travaux de Macarel
L’importance des lois administratives dans l’œuvre de Macarel se manifeste à deux niveaux.
D’une part, les lois administratives sont omniprésentes dans ses écrits. Même dans les premiers
ouvrages, pourtant consacrés à la jurisprudence administrative, celle-ci n’éclipse jamais totalement
les lois administratives. D’autre part, l’enseignement du droit administratif que Macarel dispense
dans la seconde partie de sa vie est largement centré sur la source écrite de ce droit.
1. Les lois administratives dans les ouvrages consacrés à la jurisprudence administrative
Si le dessein de Macarel est de mettre l’accent sur la jurisprudence administrative dès ses
premières publications, cela ne le conduit jamais à nier l’existence de textes applicables à
l’administration. Au contraire même, ses différents ouvrages accordent une place non négligeable
au droit écrit.
Les Elémens de jurisprudence administrative publiés en 1818 en fournissent un exemple
symptomatique. Ils s’intéressent « aux sources véritables »
1 du droit administratif :
la
jurisprudence principalement mais aussi les textes. De l’aveu même de l’auteur, l’ouvrage a pour
but de « faire connaître l’ensemble de la législation et de la jurisprudence administratives »
2. Sa
lecture conforte incontestablement cette idée. Pour chaque matière étudiée, la présentation de la
jurisprudence n’intervient que dans un second temps car elle est systématiquement précédée d’un
recensement des textes applicables. Cette première publication de Macarel sera d’ailleurs en partie
saluée pour l’exposé de la législation qu’elle contient, exposé qui présente le mérite de rapprocher
les lois anciennes et nouvelles, c’est-à-dire les textes de l’Ancien Régime et ceux édictés depuis la
révolution
3.
1 T. Fortsakis, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, préc., p. 59.
2 L.A. Macarel, Des tribunaux administratifs ou Introduction à l’étude de la jurisprudence administrative, préc., p. 23, n° 34.
3 « Rapport de la commission chargée de l’examen de l’ouvrage de M. Macarel intitulé : Elémens de jurisprudence administrative »,
Annales de la société royale des sciences, belles-lettres et arts d’Orléans, 1819, t. 2, p. 146 : « l’exposé de la législation met en présence, et
souvent avec un utile rapprochement, les lois anciennes et modernes, qui se trouvent toutes soumises à une judicieuse et fidèle
analyse ».







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Le Manuel des ateliers dangereux, insalubres ou incommodes publié en 1827 repose sur une
approche similaire. Dès les premières lignes, Macarel précise qu’il entend examiner « à quel ordre
de lois appartiennent les règlements sur les ateliers dangereux, incommodes et insalubres ; quel
est leur esprit et leur but ; et quelles sont les règles établies jusqu’ici par la jurisprudence de
l’administration et des tribunaux en cette matière »
1. Ainsi, l’étude de la jurisprudence
administrative n’est pas l’objet exclusif de cette monographie.
Par ailleurs, les différents écrits de Macarel lui donnent l’occasion d’insister sur la nécessité
pour le législateur d’améliorer les lois administratives. « On sent qu’une bonne législation
administrative manque à l’harmonie des pouvoirs et au complément de nos libertés civiles. C’est
un besoin impérieux, c’est un droit des citoyens, c’est un devoir du gouvernement, dans la
monarchie constitutionnelle. S’il y a donc aujourd’hui un objet qui, par son importance et par
l’universalité de ses effets, appelle la sollicitude du législateur, c’est celui-ci »
2, précise-t-il dès
1819. Cette assertion révèle incontestablement la place prédominante du droit écrit aux yeux de
Macarel. Celui-ci admet toutefois que la jurisprudence administrative, qui supplée les lacunes de la
loi, a un rôle à jouer dans cette réforme de la législation : elle doit être une source d’inspiration
pour le législateur. Par exemple, dans le troisième tome de son ouvrage
De la fortune publique en
France et de son administration
publié en 1840, Macarel affirme dans une note de bas de page que la
jurisprudence administrative fournit, bien souvent, au législateur la matière pour faire de bonnes
lois
3.
Le raisonnement de l’auteur est donc circulaire : le chaos législatif sert à mettre en avant
l’intérêt des arrêts du Conseil d’Etat, lesquels deviennent, dans l’esprit de Macarel, un modèle
pour le législateur. En définitive, la jurisprudence est présentée comme un droit transitoire de
qualité qui doit servir à l’élaboration d’une législation meilleure.
2. Les lois administratives dans les enseignements dispensés par Macarel
Les différents cours dispensés par Macarel fournissent un indice plus fort encore de
l’importance donnée à la source législative. En effet, l’auteur ne se borne pas à rappeler
l’existence des lois administratives à côté de la jurisprudence administrative comme il le fait dans
ses premières publications. Il semble au contraire replacer les sources écrites au premier plan.
Le 5 mai 1840, Macarel ouvre un cours d’administration générale à l’Ecole de droit de Paris
en vertu d’une ordonnance royale du 22 mars 1840. Publié au
Moniteur universel4, le discours
d’ouverture, largement axé sur les lois administratives, ne manque pas d’interpeler. L’auteur y
explique que l’administration française est encadrée par des règles que l’on trouve écrites dans les
lois administratives et qui tracent l’organisation et les attributions des agents administratifs. Il
déplore alors que l’étude de ces lois administratives soit négligée alors qu’elle est essentielle pour
connaître l’étendue des droits et devoirs des citoyens dans ses rapports avec l’administration.
La même remarque peut être faite à propos du cours de droit administratif que Macarel
assure à la Faculté de droit de Paris à la mort de Gérando en 1842
5. Ce cours publié à partir de
1844 en quatre tomes est particulièrement déroutant tant l’accent est mis sur les lois
administratives et non sur la jurisprudence du Conseil d’Etat. Dès les premières pages du cours,
1 L.A. Macarel, Manuel des ateliers dangereux, insalubres ou incommodes, p. IV, n° 1.
2 L.A. Macarel, « Introduction à la jurisprudence administrative », préc., p. 35 ; propos réitérés dix ans plus tard : L.A. Macarel, Des
tribunaux administratifs ou Introduction à l’étude de la jurisprudence administrative
, préc., p. 21, n° 32.
3 L.A. Macarel, et J. Boulatignier, De la fortune publique en France et de son administration, t. 3, 1840, p. 147, note 1 : « Ordinairement les
lois administratives, du moins les bonnes, ne font guère que coordonner les résultats de [...] [la] jurisprudence [du Conseil d’Etat] ;
cela se conçoit à merveille : le Conseil d’Etat est constamment appelé à [se] prononcer sur des faits très variés [...] ; cette variété de
faits lui révèle les vrais besoins du pays dans les différentes branches des services publics, et il approprie ses décisions à ces
besoins. Quand la législature veut poser des règles nouvelles pour un service, elle trouve ainsi son œuvre tout naturellement
préparée par le Conseil d’Etat ».
4 L.A. Macarel, « Cours d’administration générale-Discours d’ouverture, Séance du 5 mai 1840 », Moniteur universel, 24 août 1840,
p. 1868, et 25 août 1840, p. 1873.
5 Une incertitude a émergé sur sa qualité de titulaire de la chaire ; V. J. Savoye, Quelques aspects de l’œuvre de Louis-Antoine Macarel
(1790-1851)
, préc., p. 70.





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on constate, avec Gilles J. Guglielmi, une « nette inflexion dans l’abord de la matière »1 par
rapport aux premiers écrits de Macarel puisque l’auteur fait « partir sa réflexion d’ensemble des
sources écrites : les lois administratives »
2. L’objectif du cours est d’enseigner ce que Macarel
appelle « le
corps du droit administratif » qui est composé de lois administratives et de règlements pris
pour leur exécution
3. Avant d’étudier ces textes, Macarel esquisse même une typologie de ces lois
administratives en fonction de leur objet. Il distingue les «
lois de principe » (qui « déterminent, sur
chaque matière d’intérêt public, les droits et les devoirs respectifs de l’administration et des
citoyens »), les « lois d’
organisation et d’attributions » (qui « déterminent et organisent les divers
services administratifs, c’est-à-dire qui établissent la nature, la hiérarchie et les attributions des
agents institués ») et les « lois de
procédure administrative » (qui « tracent la forme dans laquelle
l’administration et les citoyens doivent agir pour accomplir leurs obligations respectives »)
4. Une
fois cette typologie exposée, la délimitation du cours s’achève en ces termes : « quant au vaste
champ de la jurisprudence administrative, je n’en extrairai [...] que ce qui me semblera nécessaire
pour vous donner la saine intelligence des textes que je devrai vous faire connaître »
5.
Effectivement, rares sont les références faites aux arrêts du Conseil d’Etat dans la suite du cours,
ce qui rompt nettement avec l’ensemble de ses précédentes publications.
Doit-on conclure qu’il y a eu un revirement de la part de Macarel ? Sa collaboration à
l’élaboration des
Institutes du droit administratif français de Gérando et ses fonctions d’administrateur
à la direction de l’administration départementale et communale entre 1837 et 1839 (qui le font
participer à la rédaction de plusieurs lois) l’ont-elles conduit à relativiser l’importance de la
jurisprudence administrative ?
En réalité, Macarel persiste à penser, et il l’exprime brièvement dans son cours lors de la
présentation du Conseil d’Etat, que celui-ci « est parvenu à fonder, sur presque toutes les matières
du droit administratif, une jurisprudence assise sur de nombreux précédents, qui ont éclairci les
textes, fixé les doctrines et facilité l’application des lois administratives »
6 et que « l’administrateur,
« l’administrateur, le magistrat, le jurisconsulte, l’homme d’affaires ne peuvent se dispenser
d’étudier cette jurisprudence, en même temps que les textes »
7.
Il semble ainsi que le but initial de Macarel a été, non pas de présenter la jurisprudence
administrative comme la source unique du droit administratif, mais de « poser la jurisprudence
comme base du droit administratif, au même titre que la loi ou le règlement »
8. Parce que la
juridiction administrative et son œuvre, la jurisprudence, étaient ignorées de tous, Macarel a voulu
les faire connaître et leur donner la publicité qu’elles méritaient. Voilà la raison pour laquelle il a
mis le Conseil d’Etat et la jurisprudence administrative en avant dans ses premiers travaux. Mais,
comme le note Boulatignier, Macarel a procédé ainsi « sans jamais perdre de vue l’ensemble » des
institutions
9. C’est pourquoi, « après avoir, au début de sa carrière, éclairé une partie très
importante de notre édifice administratif, la juridiction, il a successivement porté la lumière sur
les autres »
10. Selon nous, cette idée est transposable aux sources du droit administratif. Après
avoir d’abord attiré l’attention sur la jurisprudence administrative pour la faire découvrir, Macarel
s’est tourné vers les autres sources du droit administratif, les lois et les règlements, et a ainsi
replacé la jurisprudence à la place qu’il estimait être la sienne, c’est-à-dire derrière les textes. Tel
était d’ailleurs bien l’état du droit au cours de la première moitié du XIX
ème siècle.
1 G. Guglielmi, « Vu par ses pères fondateurs, le droit administratif », préc., p. 47.
2 Ibid.
3 L.A. Macarel, Cours de droit administratif 1842-1843, t. 1, 1844, p. 20.
4 Ibid., p. 19-20.
5 Ibid., p. 21.
6 L.A. Macarel, Cours de droit administratif 1842-1843, t. 2, 1844, p. 853-854.
7 Ibid., p. 854.
8 T. Fortsakis, Conceptualisme et empirisme en droit administratif français, préc., p. 61.
9 J. Boulatignier, « Macarel (Louis-Antoine) », préc., p. 597.
10 Ibid.





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B. Le caractère essentiellement jurisprudentiel du droit administratif postérieur à Macarel
Il serait erroné d’affirmer que, dès la création de la commission du contentieux au sein du
Conseil d’Etat, le droit administratif est devenu essentiellement jurisprudentiel. On ne peut donc
pas reprocher à Macarel de n’avoir pas envisagé la jurisprudence administrative comme la source
principale du droit administratif. En revanche, il a incontestablement créé un contexte favorable à
l’essor de cette source du droit.
1. L’absence du caractère jurisprudentiel du droit administratif à l’époque de Macarel
Georges Vedel expliquait en 1979 que « le caractère jurisprudentiel du droit administratif
français ne tient pas à des facteurs quantitatifs » car « ce qui caractérise un droit "jurisprudentiel"
par rapport à un droit "écrit" c’est une certaine structure »
1. Un droit écrit est un droit dans lequel
lequel « les lignes de force » ont été posées par le législateur et dans lequel la jurisprudence
apparaît comme « une structure secondaire dérivée de la première »
2. A l’inverse, dans un droit
jurisprudentiel, « les principes fondamentaux [...] sont d’origine jurisprudentielle » et la législation
fournit « le droit d’exception »
3.
Or il n’existe rien de tel lorsque Macarel commence à s’intéresser à la jurisprudence
administrative puisque le droit administratif n’en est qu’à ses débuts. A l’époque, ce droit se
construit grâce au développement parallèle de la législation administrative et de la jurisprudence
administrative, sans que l’une ou l’autre puisse être considérée comme établissant les règles
générales du droit administratif. Durant la première moitié du
XIXe siècle, la jurisprudence
administrative émerge, des règles peuvent être dégagées des arrêts du Conseil d’Etat, mais
l’ensemble reste confus et fluctuant. En d’autres termes, les décisions rendues sont loin de poser
les grandes lignes du droit administratif.
Pour plusieurs auteurs, ceci explique d’ailleurs que la production intellectuelle de cette
période n’ait pu proposer un véritable travail de systématisation et qu’elle s’en soit tenue à un
travail de compilation des règles jurisprudentielles. Jean-Jacques Bienvenu estime par exemple, à
propos de la période allant de 1800 à 1850, que « c’est parce que le code civil a fourni une matière
puissamment catégorisée que s’est développée une doctrine civiliste » et « c’est au contraire parce
que la jurisprudence administrative n’a pas encore fourni cet aliment minimum que la doctrine n’a
pu ou n’a su effectuer son travail de systématisation »
4. Il ne s’agit pas de nier l’existence de la
jurisprudence administrative mais de souligner qu’en raison de « son incohérence, son flou et son
imprécision »
5, elle n’a pas encore atteint le statut de source principale du droit administratif. Et
Macarel, qui restait, on l’a vu, attaché aux lois administratives, n’a pas, selon nous, prédit cette
évolution.
C’est à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, date qui coïncide avec la mort de Macarel,
que le Conseil d’Etat va véritablement s’emparer de la création du droit administratif. Grâce à
l’amélioration de la rédaction des jugements, à la publication des conclusions des commissaires
du gouvernement et aux synthèses et efforts de définition de Aucoc et de Laferrière
6, la
jurisprudence administrative « devient la source privilégiée du droit administratif »
7. Si on ne peut
pas affirmer que Macarel avait perçu cette transformation, on peut considérer qu’il y a contribué.
1 G. Vedel, « Le droit administratif peut-il être indéfiniment jurisprudentiel ? », préc., p. 31.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 J.J. Bienvenu, « Les origines et le développement de la doctrine », Rev. adm., 1997, n° spécial, p. 13, spéc. p. 14.
5 B. Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, préc., p. 362, n° 364.
6 V. sur ces trois facteurs : J.J. Bienvenu, « Les origines et le développement de la doctrine », préc., p. 14-15.
7 Ibid., p. 15.






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2. La création par Macarel d’un contexte favorable à l’émergence d’un droit administratif
jurisprudentiel
Le droit administratif est devenu essentiellement prétorien non pas en un jour mais en
plusieurs décennies. Comme l’explique Bernard Pacteau, « pour y parvenir, il aura fallu la réunion
de plusieurs atouts, voire de plusieurs circonstances »
1.
Ce sont d’abord des éléments structurels qui ont permis à la jurisprudence administrative
de devenir la source première du droit administratif. En effet, si le Conseil d’Etat a pu faire
émerger un droit administratif jurisprudentiel, c’est en raison de sa proximité originelle avec le
pouvoir
2 et de sa position de « juge définitif de tout le contentieux administratif, grâce à l’appel et
à la cassation »
3.
L’absence de codification de la matière a par ailleurs laissé place à une profusion de lois
éparses, ce qui a eu pour effet de renforcer l’autorité du juge
4. Celui-ci a pris conscience de la
nécessité de rendre cohérent le droit administratif en lui donnant une ligne directrice. Or en
élaborant un droit administratif équilibré reposant sur la conciliation entre les intérêts publics et
les intérêts privés, le Conseil d’Etat a su asseoir son action et son œuvre créatrice.
A ces divers éléments, s’ajoute, et il ne faut pas l’oublier, l’existence d’une doctrine
favorable et réceptive aux arrêts du Conseil d’Etat. Et c’est précisément sur ce point que l’on doit
beaucoup à Macarel. L’intérêt doctrinal pour la jurisprudence administrative a été éveillé grâce à
la publication de la jurisprudence administrative et à la mise en lumière du Conseil d’Etat. Par son
œuvre, Macarel a, en définitive, largement contribué à la légitimation de cette institution et de ses
décisions, légitimation qui était indispensable pour que le Conseil d’Etat puisse prétendre créer
l’essentiel du droit administratif.
Alice MINET
Maître de conférences en droit public,
Université Panthéon-Assas (Paris 2)
1 B. Pacteau, « La jurisprudence, une chance du droit administratif ? », Rev. adm., 1999, n° spécial, p. 70, spéc. p. 74.
2 Ibid., p. 74.
3 M. Hauriou, « De la formation du droit administratif français depuis l’an VIII », préc., p. 389.
4 M. Hauriou, « Droit administratif », Rép. du droit administratif, 1897, t. 14, p. 10, n° 43.







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