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LA JUSTICIABILITÉ DES DROITS
ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
Cadres juridiques et pratique
jurisprudentielle pour la Tunisie
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La justiciabilité des droits économiques,
sociaux et culturels :
Cadres juridiques et pratique jurisprudentielle
pour la Tunisie
2016-2017
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But du Manuel
Les droits économiques, sociaux et culturels font partie du système juridique international des
droits de l’homme, où tous les droits sont universels, indissociables, interdépendants et intimement
liés. Tout comme les droits civils et politiques, ils visent à protéger la dignité humaine en imposant
aux États des obligations aussi bien positives que négatives.
Il a donc paru essentiel d’accompagner ce processus de promotion, de protection et d’avancement
des droits économiques, sociaux et culturels en Tunisie par le renforcement de la capacité
des différentes parties concernées à comprendre ces droits, mais aussi les obligations qui en
découlent, ainsi que les moyens (notamment judicaires) qui sont à disposition pour oeuvrer à
leurs pleins respect et réalisation.
Le cadre législatif tunisien en place à ce jour y est en effet particulièrement favorable et doit être
pleinement utilisé.
L’objectif de cet ouvrage est de fournir aux praticiens du droit tunisiens, ie. magistrats aussi bien
qu’avocats comme au grand public intéressé par la question, un Manuel de référence qui leur
permettra :
(1) de se familiariser avec la nature, les principes et les spécificités des obligations de l’État
tunisien à l’égard de ces droits ;
(2) d’identifier les violations éventuelles des obligations de l’État tunisien au regard de ses
engagements en matière de droits économiques, sociaux, et culturels.
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Remerciements
Les auteurs de ce Manuel tiennent tout particulièrement à remercier la Commission Internationale
de Juristes dont la publication « Adjudicating Economic, Social and Cultural Rights at National
level. A Practitioners Guide, 2014 » a servi de base à ce Manuel. Un partenariat spécifique
a été signé avec la Commission Internationale de Juristes pour une adaptation du contenu de
cette publication au système de droit romano-civiliste, même si des exemples de jurisprudence
comparée, issus dans le cadre du système de la Common Law, ont parfois été choisis pour
illustrer des points importants.
Les auteur(e)s et autres contributeurs et contributrices à l’ouvrage sont :
Coordinatrices du projet
• Seynabou Dia, Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), Tunisie.
• Hajer Bouyahia, Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), Tunisie.
Consultants
• Dolly Hamad Najjar, Docteur en Droit.
• Issam Lahmar, Magistrat.
• Sandra Ratjen, Commission internationale des Juristes (ICJ), Suisse.
Comité technique de suivi du projet
• Mohamed Taher Hamdi, Directeur général, Institut supérieur de la Magistrature (ISM) – Tunisie.
• Mohamed Said, Directeur des études et des formations, Institut supérieur de la profession
d’avocats (ISPA) – Tunisie.
• Riad Essid, Directeur général, Centre des études juridiques et judicaires (CEJJ) – Tunisie.
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Mot du Représentant du Haut-
Commissariat des Nations Unies aux
Droits de l’Homme en Tunisie
« Le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme en Tunisie (HCDH)
se réjouit de mettre à la disposition des praticiens du droit en Tunisie et du grand public cet
ouvrage qui présente les connaissances et les informations en rapport avec un thème émergent
et de plus en plus pertinent de par le monde : celui de la justiciabilité des droits économiques,
sociaux et culturels, catégorie des droits de l »homme à part entière..
Si les droits de l’homme sont universels, indivisibles et interdépendants, et justiciables comme
tous droits, certaines des obligations des États en matière de droits économiques, sociaux et
culturels sont spécifiques. Il est donc nécessaire de bien connaitre ces obligations dans l’objectif
d’assurer une promotion ou une défense juste et efficace de ces droits.
En effet, face à la particularité des obligations de l’État en matière des droits économiques,
sociaux et culturels, la résolution des litiges ayant trait à ces droits requiert certaines connaissances
permettant d’apprécier si les droits économiques sociaux et culturels sont effectivement respectés,
protégés et réalisés. Elle requiert, en outre, une bonne connaissance des mécanismes et des
moyens permettant et facilitant la justiciabilité de ces droits tels qu’adoptés et pratiqués au
niveau de la jurisprudence nationale, régionale et internationale.
De par l’élaboration et la diffusion d’un tel ouvrage, le bureau du Haut-Commissariat des Nations
Unies aux Droits de l’Homme en Tunisie (HCDH) espère mieux faire connaître ces droits et les
modalités de leur justiciabilité en Tunisie mais également contribuer à plus long terme à :
(i) une jurisprudence plus large et favorable aux droits économiques, sociaux, et culturels ;
ii) un meilleur accès à la justice et une plus grande égalité des citoyen-ne-s tunisien-ne-s et de
migrants en Tunisie sur les questions économiques, sociales, et culturelles ;
iii) l’avancement des droits économiques, sociaux et culturels en Tunisie par un plus grand
respect, une meilleure protection, et une pleine mise en oeuvre de ces droits.
Bonne lecture à vous toutes et tous !
Dimiter Chalev
Représentant
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Mot du Directeur Général de l’Institut
supérieur de la magistrature
La fonction de juger a subi à travers une transformation radicale, Le juge n’est plus le simple
technicien de droit qui exprime religieusement la volonté du législateur... il joue moins le rôle de
l’arbitre... il est plutôt l’entraîneur qui crée le jeu, l’ordonne et le dirige.
Le juge de notre époque est appelé à jouer le protecteur d’un ordre social et moral... on parle
donc du juge protecteur de l’enfant... de la famille... de l’entreprise en difficulté et surtout on
parle du juge protecteur des droits et libertés, une mission noble prévue expressément par notre
constitution dans son article 49.
Cette nouvelle dimension de l’exercice de la fonction de juger, fait appel à une nouvelle culture,
même une idéologie celle des droits de l’homme.
Cela étant dit, l’institut supérieur de la magistrature doit jouer son rôle à faire le marketing de
cette nouvelle culture universaliste et humaniste par le biais des programmes et formations dédiés
aux auditeurs de justice et magistrat on exercice.
Le guide sur la justiciabilité des droits économiques, sociaux, et culturels, est un outil pédagogique
précieux de la formation.
Je remercie par la même occasion le HCDH pour son détermination à promouvoir les droits de
l’homme et Tunisie en insistant sur le rôle du juge protecteur.
Mohamed Taher HAMDI
Directeur Général de l’institut supérieur de la magistrature
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Mot du Directeur Général du Centre
des études judiciaires et juridiques
(CEJJ)
Avec la consécration constitutionnelle des droits économiques, sociaux et culturels (D.E.S.C) et
après l’adhésion de notre pays aux différentes conventions internationales et régionales qui y
sont relatives et leur ratification, la mise en œuvre de ces droits représente un vrai défi surtout
dans une phase de transition.
Ces droits nouveaux indissociables et à caractère universel sont l’une des préoccupations
majeures de tous les législateurs contemporains et font désormais partie intégrante du droit
interne. Les D.E.S.C sont devenus une composante à part entière de notre droit. Ils tendent même
à en devenir la partie la plus dynamique.
L’enjeu principal en matière de DESC consiste à ce qu’ils soient appliqués, respectés et dûment
protégés. L’effectivité de ces droits et l’efficience de la protection en découlant sont tributaires de
leur dissémination, diffusion, et vulgarisation à un large spectre. Cela passe inéluctablement par
la sensibilisation et l’appropriation des autorités publiques, des acteurs de la société civile et
des citoyens, toutes tendances confondues. Le guide proposé en est le moyen le plus approprié.
Le rôle des juges, est prépondérant en matière de justiciabilité et de protection de ces droits.
L’abondante et riche jurisprudence en la matière en est une preuve irréfutable.
Conçu dans une perspective pluridisciplinaire, sous un angle à la fois théorique et pratique et
avec des synthèses rigoureuses, ce guide propose un brassage entre le droit interne et le droit
international, un état des lieux complet sur les D.E.S.C avec un regard sur la jurisprudence
comparée.
Tout en louant les efforts de ceux qui ont pris l’initiative de ce travail, de l’organiser, d’en assurer
la coordination scientifique et d’y participer, et également ceux qui ont contribués à faire de cet
ouvrage un succès, nous souhaitons qu’il ne reste pas figé et qu’il soit annonciateur de futures
mises à jour et enrichissements aussi fructueux dans un domaine très fluctuant et progressif.
Le vœu du Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires, qui s’est investi dans les différentes phases
du guide, est que les magistrats, avocats, juristes et autres praticiens du droit retrouvent dans cet
ouvrage un outil de travail incontournable notamment dans la résolution des conflits en rapport
avec ces droits et qu’il leur permettra d’aller toujours plus loin dans la découverte du droit au-
delà des différents systèmes juridiques.
Riadh Essid
Magistrat - Directeur Général du Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires
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Mot du Directeur de l’Institut supérieur
de la profession d’avocat (ISPA)
Les droits économique et sociaux tirent leur importance du fait qu’ils couvrent des domaines à
la fois étendus et vitaux. C’est la raison pour laquelle , tous les Etats sont appelés à s’engager,
dans la limite de leurs moyens, bien entendu, à prendre toutes les mesures nécessaires et en
particulier l’adoption de textes garantissant la protection de ces droits . Cependant, quoique
indispensables, de bonnes lois comme les bonnes intentions , demeurent insuffisantes.
La reconnaissance légale de ces droits ne peut produire ses effets que si les Etats donnent la
preuve de leur efficience.
La société civile en général et les avocats en particulier sont appelés à jouer un rôle prépondérant
dans la mise en œuvre de ces droits . Ils doivent encourager et inciter les citoyens à saisir la justice
chaque fois que l’un de leurs droits économiques et sociaux est lésé. Se fondant notamment sur
les divers textes de la constitution ainsi que sur les différents traités internationaux et régionaux
auxquels la Tunisie a adhéré , nos juges doivent contribuer à cet effort pour promouvoir et
protéger ces droits
Le présent ouvrage constitue un bon plaidoyer pour la mise en œuvre de ces droits fondamentaux
.il se distingue par la diversité et la richesse de son contenu et constitue à cet égard un excellent
référentiel et un excellent outil de travail pour tous les acteurs impliqués dans la promotion et la
protection des droits économiques et sociaux .
Nouredine ghazouani
Directeur de l’Institut supérieur de la profession d’avocat
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Liste des abréviations
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al.
Alinéa
art.
Article
c.
Contre
CADHP Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
CDE Convention internationale sur les droits de l’enfant
CDPH Convention internationale sur les droits des personnes handicapées
CEDEF Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à
l’égard des femmes (aussi connue en Tunisie sous son acronyme Anglais CEDAW)
CIJ Commission internationale des juristes (ICJ en anglais)
CnADHP Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
COC Code des obligations et des contrats
CODESC Comité des droits économiques sociaux et culturels
CrEDH Cour européenne des droits de l’homme
DDH Droits de l’homme
DESC Droits économiques sociaux et culturels
HCDH Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
NU Nations Unies
OET Obligations extraterritoriales
OG Observation générale
OIT Organisation internationale du travail
ONG Organisation non-gouvernementale
ONU Organisation des Nations Unies
p. Page
PF-PIDESC Protocole facultatif au Pacte international relatif aux DESC
PIDESC Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels
s. Suivant
§ Paragraphe
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Table des Matières
Introduction
1. La justiciabilité des DESC : démantèlement des préjugés .......................................................................................................14
2. De la justiciabilité à l’accès à la justice ...................................................................................................................................................... 15
a. Le droit à un recours effectif en droit international ............................................................................................................... 15
b. Le droit à un recours effectif et la place réservée aux DESCdans l’ordre juridique interne ...16
CHAPITRE I : Le contenu normatif des DESC
I. Le Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels ..................................................................... 20
II. Le Comité des DESC et ses Observations générales ..................................................................................................................... 21
III. Les autres Conventions internationales des droits de l’homme ..................................................................................... 26
CHAPITRE II : Les mécanismes de protection des DESC aux niveaux
international et régional
I. Au niveau international : les mécanismes du système des droits de l’homme des Nations Unies .........31
1.1 Le travail des organes des traités ............................................................................................................................................................... 32
i. Une fonction quasi-juridictionnelle ............................................................................................................................................................ 32
ii. Une fonction de veille ............................................................................................................................................................................................ 37
1.2 Les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme ........................................................................................ 38
1.3 L’examen périodique universel ...................................................................................................................................................................... 40
II. Au niveau régional : Les instruments et mécanismes de l’Union Africaine ........................................................ 41
2.1 La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ............................................................................................ 42
2.2 La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples .............................................................................. 43
i. Les communications individuelles ............................................................................................................................................................... 43
ii. Autres mécanismes de la Commission ................................................................................................................................................ 45
2.3 La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples .................................................................................................. 47
CHAPITRE III : Le contrôle par les organes juridictionnels et quasi-
juridictionnels nationaux
I. Le contrôle du respect des obligations des États en matière de DESC ....................................................................... 49
1.1 Les obligations spécifiques aux DESC .................................................................................................................................................... 49
i. L’obligation de réalisation progressive et l’interdiction des mesures régressives ................................. 50
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ii. Les obligations immédiates ......................................................................................................................................................................... 51
iii. Les obligations liées au contenu essentiel et au niveau de vie suffisant ................................................ 53
iv. L’assistance et la coopération internationales .................................................................................................................... 55
1.2. Les obligations générales et principes relatifs aux droits de l’homme ........................................................ 55
i. L’obligation de respecter ................................................................................................................................................................................. 56
ii. L’obligation de protéger ................................................................................................................................................................................. 56
iii. L’obligation de mettre en oeuvre ........................................................................................................................................................ 60
iv. le respect des principes universels et fondamentaux des droits de l’homme .................................... 62
II. Exemples de manquements aux obligations internationales des États dans le domaine des
DESC
........................................ ................................................................................................................................................................................................... 67
2.1 Violations par omission des États ......................................................................................................................................................... 67
2.2 Violations par action ........................................................................................................................................................................................... 68
i. Expulsions forcées et droit au logement adéquat ............................................................................................................... 68
ii. Violations du droit à prendre part à la vie culturelle .................................................................................................... 69
iii. Violations du droit à l’éducation ........................................................................................................................................................ 69
iv. Violations du droit à une alimentation suffisante .............................................................................................................. 70
v. Violations du droit à la santé ................................................................................................................................................................... 70
vi. Violations du droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant
de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont la personne est l’auteur
.................... 71
vii. Violations du droit à la sécurité sociale ..................................................................................................................................... 71
viii. Violations du droit à l’eau ...................................................................................................................................................................... 71
ix. Violations du droit au travail .................................................................................................................................................................. 72
x. Violations des principes d’égalité et de non-discrimination .................................................................................. 72
2.3 Autres qualifications possibles des violations ......................................................................................................................... 75
III. Le contrôle du respect des principes généraux de droit ................................................................................................. 78
3.1 Caractère raisonnable ....................................................................................................................................................................................... 78
i. Le caractère raisonnable dans le contentieux des DESC ........................................................................................... 79
ii. Application : Exemples de variantes dans différentes juridictions ................................................................ 79
3.2 Proportionnalité de la restriction au droit .................................................................................................................................... 80
3.3 Equité procédurale et respect des garanties offertes par la loi ........................................................................... 81
CHAPITRE IV : Aspects procéduraux
I. Initier une procédure .................................................................................................................................................................................................. 84
1.1. Examen du bien-fondé ...................................................................................................................................................................................... 85
1.2 - Fournir aux victimes/clients des informations sur leurs droits et recours .............................................. 85
1.3. Accessibilité matérielle : aide judiciaire ......................................................................................................................................... 86
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II. Questions autour de l’administration de la preuve ................................................................................................................. 89
2.1 Le droit à l’information ..................................................................................................................................................................................... 89
2.2 Le renversement de la charge de la preuve .............................................................................................................................. 90
2.3 L’invocation par l’Etat du manque de ressources ................................................................................................................ 90
2.4 Alliés dans la production de preuves ................................................................................................................................................ 91
2.5 Sources d’information et d’analyse utiles .................................................................................................................................... 93
III. Recours et réparations ........................................................................................................................................................................................... 94
3.1 Objectif : éviter un dommage irréparable .................................................................................................................................. 95
3.2 Types de recours et de réparations ..................................................................................................................................................... 96
IV. Suivi de l’application des décisions de justice ................................................................................................................... 99
CHAPITRE V : Recours contre les violations des DESC en Tunisie
I. Compétence et procédures .................................................................................................................................................................................. 101
1.1 Compétence ................................................................................................................................................................................................................. 101
i. La justice judiciaire et administrative ............................................................................................................................................. 101
ii. La Cour constitutionnelle .............................................................................................................................................................................. 102
iii. Les instances constitutionnelles indépendantes ................................................................................................................ 102
1.2 Procédures .................................................................................................................................................................................................................... 103
II. Les DESC en droit tunisien .................................................................................................................................................................................. 106
2.1 Le droit à la santé .................................................................................................................................................................................................. 106
i. Cadre normatif ......................................................................................................................................................................................................... 106
ii. Exemples de jurisprudence ....................................................................................................................................................................... 108
2.2 Le droit à l’éducation.......................................................................................................................................................................................... 108
i. Cadre normatif ........................................................................................................................................................................................................ 108
ii. Exemples de jurisprudence ....................................................................................................................................................................... 109
2.3 Le droit au travail .................................................................................................................................................................................................. 111
i. Cadre normatif ......................................................................................................................................................................................................... 111
ii. Exemples de jurisprudence ....................................................................................................................................................................... 114
2.4 Le droit à la sécurité et à la protection sociale ..................................................................................................................... 122
i. Cadre normatif ......................................................................................................................................................................................................... 122
ii. Exemples de jurisprudence ....................................................................................................................................................................... 123
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2.5. Le droit au logement ......................................................................................................................................................................................... 124
i. Cadre normatif ....................................................................................................................................................................................................... 124
ii. Exemples de jurisprudence ..................................................................................................................................................................... 124
2.6. Le droit à l’eau et à l’assainissement ............................................................................................................................................ 125
i. Cadre normatif ....................................................................................................................................................................................................... 125
ii. Exemples de jurisprudence ..................................................................................................................................................................... 125
2.7. Les droits culturels ............................................................................................................................................................................................... 126
i. Cadre normatif ....................................................................................................................................................................................................... 126
ii. Exemples de jurisprudence ..................................................................................................................................................................... 127
ANNEXES
Annexe 1 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels...................................129
Annexe 2 Observation générale n°3 : la nature des obligations des Etats parties, Comité sur
les droits économiques, sociaux et culturels, cinquième session (1990)
............................................................ 139
Annexe 3 Observation générale n°9 : application du Pacte au niveau national, Comité sur les
droits économiques, sociaux et culturels, dix-neuvième session (1998)
............................................................... 144
Annexe 4 Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement.......................................................... 151
Annexe 5 Exemple d’un cas de plainte devant le CODESC : communication 1/2013, Miguel
Ángel López Rodríguez contre Espagne, droit à la sécurité sociale, Comité sur les droits
économiques, sociaux et culturels, cinquante-septième session (2016)
...............................................................155
Annexe 6 Exemple d’un cas de plainte devant le CODESC : communication 2/2014, I.D.G
contre Espagne, droit à un logement suffisant, Comité sur les droits économiques, sociaux et
culturels, cinquante-cinquième session (2015)
................................................................................................................................ 172
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Introduction
CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE
Les droits économiques, sociaux et culturels (DESC) sont les droits fondamentaux qui concernent
le lieu de travail, la sécurité sociale, la vie familiale, la participation à la vie culturelle et l’accès
au logement, à l’alimentation, à l’eau, aux soins de santé et à l’éducation
1.
Ces droits :
• S’appliquent à tous les êtres humains sur un pied d’égalité et sans discrimination.
• Donnent lieu à des obligations concrètes de l’Etat.
• Sont justiciables.
Sont qualifiés de justiciables les droits qui peuvent être invoqués devant une juridiction et sur
lesquels celle-ci peut se prononcer.
Les tribunaux se sont toujours montrés réticents, partout dans le monde, à l’idée de s’occuper
des DESC, estimant que ceux-ci relèvent de la compétence des décideurs et des responsables
politiques. Toutefois, après un lent démantèlement des préjugés (1), il est désormais largement
établi que ces droits sont justiciables et offrent le droit à un recours effectif y compris devant les
juridictions nationales (2) à l’instar des droits civils et politiques.
1. La justiciabilité des DESC : démantèlement des préjugés
Les préjugés et la méconnaissance autour des DESC qui ont longtemps découragé les organes
juridictionnels et quasi-juridictionnels de jouer un rôle actif dans la protection de ces droits, ont
trait à la fois à la nature des droits (et par conséquent à la nature des obligations étatiques
correspondantes), et à la capacité et légitimité des organes juridictionnels et quasi-juridictionnels
à statuer sur ces violations.
En ce qui concerne la première catégorie de préjugés sur le caractère excessivement vague
des DESC:
tout d’abord, le caractère général des dispositions des premiers traités de droits de
l’homme n’est pas le seul attribut des DESC : on le retrouve par exemple pour les droits civils
et politiques. Par ailleurs, avec le temps, l’évolution de l’interprétation des normes nationales
et internationales a permis de prouver que le contenu des DESC n’est pas fondamentalement
différent de celui des droits civils et politiques. Tous les droits comprennent un mélange de
libertés et de droits, et impose ainsi des obligations à la fois négatives et positives aux Etats. Et
comme c’est le cas pour tous les droits de l’homme, la mise en place de mesures législatives et
administratives, ainsi que l’interprétation par le juge, sont nécessaires pour spécifier le contenu
des DESC.
A cet égard, il est important de souligner que le développement d’une jurisprudence émanant
des organes onusiens a eu- et continue d’avoir- un impact significatif sur la disponibilité et
l’efficacité des recours nationaux, ainsi que sur le développement de la jurisprudence et des
normes de DESC aux niveaux régionaux et nationaux, comme présenté aux Chapitres II et III du
présent Manuel.
1) Questions fréquemment posées concernant les droits économiques, sociaux et culturels, HCDH, Fiche d’information n° 33, p. 2.
LA JUSTICIABILITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
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INTRODUCTION
En ce qui concerne la deuxième catégorie de préjugés contre la justiciabilité des DESC : les
arguments sont essentiellement politiques et procéduraux ; Ceux-ci incluent notamment les
hypothèses selon lesquelles en faisant l’examen de certaines politiques et législations sociales ou
en prenant des décisions ayant des implications financières en terme de fonds publics, le pouvoir
judiciaire outrepasserait ses pouvoirs et empièterait sur ceux des pouvoirs législatifs et exécutifs.
De surcroît, il est souvent avancé que les organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels ne
sont pas bien équipés en termes de procédures et d’expertise technique pour juger d’affaires
collectives et/ou complexes touchant aux politiques sociales et économiques. Or, de par
le monde, et comme cela sera détaillé dans le chapitre IV du présent Manuel, les organes
juridictionnels ou quasi-juridictionnels trouvent de plus en plus des solutions aux obstacles perçus
comme empêchant la justiciabilité des DESC, prouvant ainsi que les tribunaux et autres organes
juridictionnels peuvent et doivent remplir le rôle qui leur revient dans la réalisation des DESC.
2. De la justiciabilité à l’accès à la justice
Après avoir été l’objet de vifs débats et d’oppositions, la justiciabilité des DESC est de plus en
plus largement acceptée, et de grands progrès ont été faits ces dernières décennies pour garantir
un recours effectif en cas de violation d’un DESC.
a. Le droit à un recours effectif en droit international
Il s’agit d’un principe général du droit que la garantie de tout droit doit s’accompagner de la
mise à disposition d’un recours effectif en cas de violation.
On constate une acceptation rapide et grandissante de ce concept au niveau international,
qui tient notamment au fait que les juridictions internes de nombreux États sont fréquemment
amenées à traiter des questions liées à ces droits (voir Chapitre III du présent Manuel). Dans son
Observation générale n° 3, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CODESC)
affirme que parmi « les mesures qui pourraient être considérées comme appropriées figurent,
outre les mesures législatives, celles qui prévoient des recours judiciaires au sujet de droits qui,
selon le système juridique national, sont considérés comme pouvant être invoqués devant les
tribunaux».
Le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels (CODESC) est l’organe, constitué de
18 experts, en charge du suivi du respect et de la mise en oeuvre par les Etats parties du PIDESC.
Ce Comité a pour rôle de guider les Etats dans leur mise en oeuvre du Pacte par la production
de recommandations (appelées « Observations finales ») lors de l’examen des rapports soumis
périodiquement par les Etats parties sur le degré de réalisation du Pacte dans leur pays, ou
de façon ad hoc par la production d’ « Observations générales » sur des questions d’actualité
ou pour préciser les contenus et obligations relatifs à certains articles du Pacte. Des Comités
similaires existent pour chacune des grandes conventions internationales des droits de l’homme
2.
Pour être « effectif », un recours doit assurer à ceux qui souhaitent le poursuivre qu’ils aient un
accès prompt à une autorité indépendante dotée du pouvoir de déterminer si une violation a eu
lieu, d’ordonner la cessation de celle-ci ainsi que la réparation du préjudice causé.
2) Chaque comité est composé d’experts indépendants possédant une compétence reconnue dans le domaine des droits de l’homme,
qui sont désignés et élus par les États parties pour un mandat de quatre ans renouvelable. Des élections ont lieu tous les deux ans pour
la moitié des membres de chaque comité. Le mandat des membres des organes conventionnels les plus récents (le Sous-Comité pour la
prévention de la torture, le Comité des droits des personnes handicapées et le Comité des disparitions forcées) est renouvelable une seule
fois.
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INTRODUCTION
Le droit à un recours effectif est défini en droit international par un certain nombre d’instruments
des droits de l’homme qui reconnaissent ce droit de manière explicite en cas de violations des
droits et libertés qu’ils garantissent : par exemples, tant la Déclaration universelle des droits
de l’homme (art. 8) que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 2 § 3)
reconnaissent que toute personne dont les droits ont été violés a droit à un recours effectif
3 ; En
ce qui concerne la justice pour les victimes de violations des DESC, le CODESC
4 a réitéré à
plusieurs occasions que les Etats parties au Pacte doivent assurer la disponibilité de recours aux
titulaires de droits :
Dans son Observation générale n° 9 en particulier qui établit la portée des obligations des Etats
au niveau national en termes de DESC, e Comité a affirmé comme un principe général du droit
international que : « toute personne ou groupe lésé doit disposer de moyens de réparation ou
de recours appropriés, et les moyens nécessaires pour faire en sorte que les pouvoirs publics
rendent compte de leurs actes doivent être mis en place»
5. Le Comité a également indiqué qu’il
considérait la mise en place de recours juridictionnels nationaux en cas de violations des DESC
comme étant un élément intégral des obligations des Etats au titre de l’article 2.1 du PIDESC
qui impose aux Etats d’ « agir… par tous les moyens appropriés » pour la réalisation des droits
du Pacte, et a ajouté que « les autres moyens utilisés risquent d’être inopérants s’ils ne sont pas
renforcés ou complétés par des recours juridictionnels»6.
Mais afin de remplir ses obligations, y compris celles au titre de l’article 2 du PIDESC, l’Etat ne
doit pas seulement mettre à disposition un recours, mais celui-ci doit être « effectif» (permettant
d’alléguer des violations de droits, accessible et adéquat) : un élément essentiel du droit à un
recours effectif est qu’il doit aboutir à la cessation de la violation ainsi qu’ « une réparation pleine
et effective, … notamment sous les formes suivantes : restitution, indemnisation, réadaptation,
satisfaction et garanties de non-répétition»
7.
b. Le droit à un recours effectif et la position des DESC dans l’ordre juridique
interne
Les titulaires de droits cherchent en général à obtenir justice en priorité au niveau national. Il en
3) On cite également :
• La Déclaration des Nations Unies des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus
de pouvoir pose les principes d’accès à la justice et d’un traitement équitable des victimes.
• Les Directives de Maastricht relatives aux violations des droits économiques, sociaux et culturels (1997) qui traitent de l’importance de
ce groupe de droits, des violations de ces droits par commission ou omission, de la responsabilité des violations et du droit des victimes
à des recours utiles.
• Les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit
international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, tels qu’adoptés par consensus en 2005 à
l’Assemblée générale des Nations Unies.
4) CODESC, Observation générale n° 9, § 2 et 3.
5) CODESC, Observation générale n° 9, § 2.
6) Ibid., § 2 et 3. Voir également : Les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes
de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.
7) Voir Partie IX “Réparation du préjudice subi” des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation
des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire.
Les organes de surveillance des traités des Nations Unies ont également affirmé que ces formes et éléments de la réparation du préjudice
subi sont inhérents aux obligations au titre de leurs traités respectifs. C’est le cas, notamment, du Comité des droits de l’homme dans
son Observation générale n° 31, Doc. ONU CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (2004), § 16-18. Le Comité contre la torture, quant à lui,
adopte la même définition de la réparation dans son Observation générale n° 3, Doc. ONU CAT/C/GC/3 (2012), notamment à son
paragraphe 6.
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INTRODUCTION
est ainsi pour des raisons pratiques : recourir aux organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels
demande un investissement important en temps et en moyens financiers, ainsi que la précondition
générale d’épuisement des voies de recours internes avant qu’une victime puisse se tourner vers les
mécanismes internationaux
8. L’incorporation du PIDESC au droit interne est donc fondamentale.
Toujours selon l’Observation générale 9 du CODESC, il est exigé des Etats parties au PIDESC
qu’ils garantissent que la protection nationale des droits du Pacte soit au moins équivalente à ce
qu’elle peut être quand le Pacte est directement et pleinement applicable.
Au minimum, les juges nationaux doivent interpréter le droit national en conformité avec les
obligations internationales de leur Etat au titre du PIDESC.
A la lumière de ces dispositions de droit international des droits de l’homme qui se complètent
et se renforcent mutuellement, et en vue de se conformer pleinement et sans ambiguïté avec
ces dispositions, plusieurs Etats qui ont mené un processus de réforme transitionnelle et
constitutionnelle ont incorporé, dans leurs nouveaux cadres constitutionnels ou législatifs, les
normes de droit international des droits de l’homme, y compris celles concernant les DESC, et ont
spécifié les mécanismes d’application et de recours disponibles en cas de violations.
La reconnaissance constitutionnelle des DESC (tel est le cas de la Constitution tunisienne de
2014- Voir Chapitre V du présent Manuel) garantis dans les traités internationaux de droits de
l’homme, ou du moins dans la législation des pays, offre en général la protection la plus complète
des DESC. C’est également la meilleure manière d’assurer sécurité et prévisibilité juridiques. La
clarté qui est ainsi offerte aux acteurs du système de justice ainsi qu’aux titulaires de droits est
une condition essentielle pour assurer l’accès à la justice aux victimes des violations des droits.
Les DESC garantis par la Constitution tunisienne de 2014 : Aucun droit économique, social
ou culturel n’était garanti dans la Constitution de 1959 mis à part une référence au droit de
propriété (qui est généralement classé comme un droit civil). On peut donc considérer que c’est
là une avancée majeure de la nouvelle Constitution qui reflète bien, sur ce point, les aspirations
des citoyens à l’origine de la révolution de Janvier 2011. Tout d’abord, un article spécifique
rend hommage à la jeunesse (art. 8) en la qualifiant de force vive de la Nation et surtout engage
l’Etat à développer leurs capacités et à généraliser leur participation dans le développement
social, économique, culturel, et politique. L’article 12 prend aussi note des frustrations exprimées
lors de la révolution et fait de la justice sociale et du développement équilibré entre les régions
(en prévoyant le recours éventuel à la discrimination positive) une des mentions des obligations
prises par l’Etat qui s’engage
8également à l’exploitation raisonnées des richesses nationales.
Enfin, l’Etat tunisien est tenu d’assurer de façon générale aux citoyens « les conditions d’une vie
décente » (art. 20), et l’article 10 fait référence au devoir de paiement de l’impôt, à la lutte contre
la corruption et à la bonne gestion des deniers publics et à la lutte contre la fraude et l’évasion
fiscale (qui permettra d’assurer ces engagements). Par ailleurs, on trouve la plupart des DESC
figurant dans le PIDESC: à savoir les libertés académiques et la liberté de recherche scientifique
(art. 32), le droit à la santé (art. 37) qui inclut notamment les soins mais aussi la prévention et
qui prévoit une gratuité des soins et une couverture sociale pour les plus démunis, le droit au
travail (art. 39), le droit à la propriété (art. 40), le droit à la culture (art. 41), le droit aux activités
sportives et de loisirs (art. 42), et la préservation du climat et le droit à un environnement sain
et équilibré (art. 44). L’article 38 sur le droit à l’éducation a finalement été adopté en ajoutant
à la mention au « renforcement et à la généralisation de la langue arabe et l’enracinement de
la jeunesse dans son identité arabo-islamique» (qui a créé une polémique) «l’ouverture sur les
langues étrangères, les civilisations et la culture des droits humains». Cependant, certains DESC
sont absents de la Constitution comme le droit à l’alimentation et le droit au logement.
8) Voir note 9.
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INTRODUCTION
La justiciabilité des DESC est désormais clairement reconnue dans beaucoup de pays. Des
juridictions d’États aussi divers que l’Afrique du Sud, l’Argentine, le Canada, la Finlande, la
France et les Philippines, pour n’en citer que quelques-uns, se sont prononcées dans des affaires
mettant en jeu les DESC. Dans de nombreux cas, aussi bien les requérants que les tribunaux
ont fait directement référence au PIDESC, les premiers dans leur argumentation et les seconds
dans leurs décisions finales. En plus des procédures engagées à l’échelon national, on voit se
mettre en place pour les DESC une jurisprudence régionale fondée sur les décisions d’organes
régionaux s’occupant des droits de l’homme, tels que le Comité européen des droits sociaux9 ou
la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples
Au–delà des garanties constitutionnelles, la reconnaissance et la mise en oeuvre des DESC en
droit administratif et par des règlements jouent elles aussi un rôle primordial dans la mesure
où les constitutions et législations à caractère moins détaillé n’établissent que des protections
et principes généraux. L’élaboration détaillée des modalités pour mettre en oeuvre les droits
constitutionnels et/ou conventionnels est fondamentale afin de rendre la justice accessible à tous
et d’imposer la jouissance des droits dans la pratique.
9) Droits économiques, sociaux et culturels, Manuel destiné aux institutions nationales des droits de l’homme, Nations Unies 2004, p. 92.
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CHAPITRE I
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CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE
CHAPITRE I
Le contenu normatif des DESC
Ce chapitre se concentrera largement sur l’exposé du contenu des normes internationales
en matière de DESC afin d’encourager les praticiens du droit tunisien à les appliquer le plus
largement possible dans leur travail au niveau des juridictions nationales.
La Constitution tunisienne de 2014 consacre dans son article 20 la suprématie des traités
internationaux ratifiés, y compris ceux relatifs aux droits de l’homme, sur la législation nationale :
« Les conventions approuvées par le Parlement et ratifiées sont supérieures aux lois et inférieures
à la Constitution ». Ces traités se situent, ainsi, entre la Loi et la Constitution dans la hiérarchie
des normes tunisiennes. Il est donc particulièrement important que les praticiens du droit tunisien
connaissent et puissent utiliser les normes internationales pertinentes pour tout contentieux portant
sur les DESC. Ainsi, la référence aux normes internationales définissant les obligations et les
violations de DESC peut contribuer à surmonter les lacunes juridiques existantes (éventuellement)
en Tunisie en la matière, ainsi qu’à élaborer et interpréter les dispositions existantes qui seraient
pertinentes pour la protection de ces droits.
I – Le Pacte international sur les droits économiques sociaux et culturels
Les dispositions du PIDESC forment une source première d’obligations en matière de DESC.
Ce Pacte, principal traité international portant sur les DESC, garantit un ensemble de droits qui
comprend :
1. Le droit à l’autodétermination (art. 1er) ;
2. Le droit à l’égale jouissance des DESC par les hommes et les femmes (art. 3) ;
3. Des droits relatifs au travail et à des conditions favorables de travail (art. 6 et 7) ;
4. Le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer (art. 8) ;
5. Le droit à la sécurité et à la protection sociale (art. 9) ;
6. Le droit à une protection et à une assistance familiale (art. 10) ;
7. Le droit à un niveau de vie suffisant, y compris le droit à l’alimentation, le droit à un
logement convenable, le droit à l’eau et à des vêtements (art. 11) ;
8. Le droit à la santé (art. 12) ;
9. Le droit à l’éducation (art. 13), y compris à l’enseignement primaire, gratuit et obligatoire
et à l’enseignement secondaire et supérieur accessible à tous (art. 14) ;
10. Les droits culturels, y compris le droit de tous de participer à la vie culturelle, et de
bénéficier du progrès scientifique ; et le droit des auteurs de bénéficier de la protection des
intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique
(art. 15).
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CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE
À la date de parution de ce Manuel, 164 États sont parties au PIDESC, dont la Tunisie. Ces
États se sont engagés formellement à respecter, protéger et mettre en oeuvre les DESC tels
qu’énoncés dans le Pacte.
La Tunisie a signé le PIDESC le 30 avril 1968 et l’a ratifié – sans émettre de réserves- le 18 mars
1969.
Comme tous les autres droits de l’homme, les DESC sont à la fois des droits « libertés » et des
droits « créances ». Comme cela sera détaillé dans le Chapitre III du présent Manuel, les États
ont pour obligation de s’abstenir d’entraver la jouissance des DESC. Ils ont pour obligation,
également, de prendre toutes les mesures afin d’empêcher les tiers d’entraver la jouissance de
ces droits. Enfin, les États doivent prendre diverses mesures positives permettant de garantir et
d’assurer un niveau toujours plus élevé de jouissance des droits par tous.
II. Le Comité et ses Observations générales
La surveillance de l’application du PIDESC est assurée par le Comité de l’ONU pour les droits
économiques sociaux et culturels (CODESC). Créé par une résolution du Conseil économique
et social du 28 mai 1985 (soit 9 ans après l’entrée en vigueur du PIDESC), le Comité a en effet
pour fonction de mener à bien les tâches de surveillance confiées au Conseil économique et
social. En plus de ces tâches de suivi g de la mise en oeuvre du Pacte par les États parties, le
Comité a également un rôle primordial en matière d’interprétation des dispositions du Pacte. Il
fournit, dans ce contexte et ce depuis 1989 des recommandations sur les modalités de mise en
oeuvre du Pacte (appelés « Observations générales »-OG) qui ont pour objectif de permettre une
meilleure réalisation des DESC et qui touchent à 4 grands domaines :
• Les modalités de soumission des rapports périodiques par les États parties et les mesures
d’assistance techniques en matière de DESC.
• le contenu détaillé et précisé des obligations des États pour la plupart des DESC figurant
dans le Pacte.
• le contenu plus détaillé et plus précis des obligations des États pour garantir la jouissance
des DESC à certains groupes spécifiques.
• Des recommandations sur des questions générales concernant les États et le statut des ESC
au niveau national.
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
Liste des Observations générales produites par le PIDESC à ce jour10
DESC et relations avec l’Etat au
niveau national
DESC spécifiques
DESC de groupes spécifiques
OG 3 :
Nature des obligations des Etats, 1990
OG 8 :
Sanctions économiques et respect des
DESC, 1997
OG 9 :
Application du PIDESC au niveau natio-
nal, 1998
OG 10 :
Rôle des institutions nationales des droits
de l’homme dans la protection des DESC,
1998
OG 4 :
Droit à un logement suffisant ,1991
OG 7 :
Droit au logement : expulsions forcées,
1997
OG 11 :
Plan d’action pour l’Enseignement pri-
maire, 1999
OG 12 :
Droit à une nourriture suffisante, 1999
OG 13 :
Droit à l’éducation, 1999
OG 14 :
Droit à la santé, 2000
OG 15 :
Droit à l’eau, 2002
OG 17 :
Droit à la propriété intellectuelle, 2005
OG 18 :
Droit au travail, 2005
OG 19 :
Droit à la sécurité sociale, 2007
OG 21 :
Droit à la culture, 2009
OG 22 :
Droit à la santé sexuelle et reproductive11
, 2016
OG 23 :
Droit à des conditions de travail justes et
favorables
12, 2016
OG 5 :
DESC et personnes handicapées, 1994
OG 6 :
DESC et personnes âgées, 1995
OG 16 + rectificatif : Egalité hommes-
femmes dans les DESC, 2005
OG 20 :
Non-discrimination et DESC, 2009
Autres Observations générales :
OG 1 : Rapports des États parties, 1989
OG 2 : Mesures internationales d’assistance technique (art. 22 du Pacte), 1990
10) Observations générales du CODESC en plusieurs langues disponibles sur le lien suivant : http://urlz.fr/698i
11) Partie intégrante du droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre
(art. 12 du PIDESC).
12) Le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables est un droit à toute personne sans distinction ; L’article 7 du PIDESC dresse
une liste non exhaustive des éléments fondamentaux pour garantir des conditions justes et favorables de travail. La référence au terme «
notamment » indique que les autres éléments, non explicitement mentionnés, sont également pertinentes. Dans ce contexte, le CODESC
a systématiquement souligné les facteurs suivants : l’interdiction du travail forcé et l’exploitation économique et sociale des enfants et des
adolescents ; l’interdiction de la violence et du harcèlement, y compris le harcèlement sexuel ; le congé payé pour maternité, paternité et
parental (§ 5 et 6).
La référence et la connaissance du contenu de ces Observations générales sont d’autant plus
importantes que les DESC ont longtemps été et sont encore souvent victimes d’idées reçues et
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
d’une mauvaise compréhension de leur contenu. Par exemple, le droit à un logement convenable
ne signifie pas que l’État doit fournir un logement pour chacun. De même pour le droit au travail
qui ne signifie pas que l’État doit fournir un travail pour chaque personne.
Il est de même pour le droit à la santé qui ne signifie pas que l’État doit garantir à chaque
personne une bonne santé.
En fait, le contenu des DESC, tel qu’il a notamment été défini et élaboré par le CODESC montre
plutôt que ces droits impliquent des libertés par rapport à des comportements abusifs et arbitraires
et qu’ils doivent donner un accès physique et économique à des biens, services et informations
de bonne qualité et culturellement acceptable.
Composantes essentielles et constitutives des DESC
En effet, les Observations générales du CODESC définissent également -pour chaque DESC-,
leurs composantes essentielles et constitutives.
Ces composantes sont en général :
La disponibilité : c’est-à-dire l’existence même dans le pays concerné en nombre suffisant
des biens, infrastructures, personnel et autres, essentiels à la jouissance de ce droit par les
populations.
L’accessibilité : Elle revêt des dimensions qui se chevauchent :
• La non-discrimination : le droit doit être accessible à tous en droit et en
pratique, sans discrimination d’aucune sorte, et notamment pour les groupes
les plus vulnérables.
• L’accessibilité physique : elle peut être géographique (des centres de santé en
zones rurales, des écoles dans les quartiers), purement physique (équipements
pour personnes handicapées), ou technique (enseignement à distance via
technologies modernes).
• L’accessibilité économique : c’est-à-dire financièrement à la portée de tous.
L’acceptabilité et l’adaptabilité : c’est-à-dire les biens, infrastructures, personnel et autres,
essentiels à la jouissance du droit concerné doivent être adaptés, par exemple à la culture
(dans la langue de la minorité ethnique du pays s’il y en a), à l’âge (services pédiatriques et
gériatriques de santé), au sexe (services de santé sexuelle et reproductive pour les femmes), etc…
- Plus de références et documents sur Legaly DocsLa qualité : il n’y aura pas pleine et entière jouissance du droit si les services, biens, infrastructures
ou autres ne sont pas d’un niveau de qualité suffisant et satisfaisant.
Ainsi, à ce jour, le CODESC a plus précisément défini 9 DESC et a plus spécifiquement détaillé
les obligations incombant aux États en ce qui concerne leur respect, leur protection, et leur mise
en oeuvre.
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
Droit et article du
PIDESC
OG 18
Contenu essentiel et Observations générales du CODESC
• Protection contre le travail forcé ; droit à un travail librement consenti.
• Droit à un salaire équitable et à une rémunération égale pour un travail de
valeur égale.
• Droit à la sécurité et à l’hygiène du travail.
• Protection de l’accès à l’emploi et protection contre le licenciement illicite,
sans discrimination, en particulier pour les individus et groupes défavorisés et
marginalisés, leur permettant d’avoir une existence digne.
• Droit à des loisirs et à la limitation raisonnable du travail.
• Droit de former des syndicats et de s’y affilier, droit de grève.
OG 23
• Salaire équitable
• Rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune
• Rémunération procurant à tous les travailleurs une existence décente pour eux
et leur famille
• Prévention des accidents et des atteintes à la santé liés au travail
• Promotions sur la seule considération de la durée de service et les aptitudes
• Limitations de la durée de travail quotidienne et hebdomadaire
• Périodes de repos journalières et hebdomadaires, congés annuel payés et
jours fériés officiels rémunérés
• Formules souples d’organisation du travail
OG 19
• Jouissance égale de tous d’une protection adéquate contre un ensemble
fondamental de risques et d’aléas sociaux.
• Accès à un régime de sécurité sociale qui garantit, au minimum, à l’ensemble
des personnes et des familles un niveau essentiel de prestations, qui leur permet
de bénéficier au moins des soins de santé essentiels, d’un hébergement et d’un
logement de base, de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, de
denrées alimentaires et des formes les plus élémentaires d’enseignement.
• Droit de ne pas se voir refuser une couverture sociale arbitrairement ou
abusivement.
OG 4 et 7
• Sécurité d’occupation garantie à tous pour protéger contre les expulsions
forcées et ne pas rendre sans-abri.
• Accès facile aux aménagements et commodités de base pour tous.
OG 12
• Satisfaction pour tous du noyau dur du droit : être à l’abri de la faim.
• Disponibilité de nourriture pour tous, en quantité et qualité suffisantes pour
satisfaire les besoins nutritionnels des individus, exempte de toute substance
nocive et acceptable sur le plan.
OG 15
• Accès de tous à une quantité minimale nécessaire d’eau de qualité adéquate
pour satisfaire les besoins personnels et domestiques et prévenir les maladies.
Droit au travail /
article 6
Conditions de
travail justes et
favorables/article 7
Droit à la sécurité
sociale / article 9
Droit à un logement
convenable /article
11
Droit à une
nourriture
suffisante/ article
11
Droit à l’eau /
article 11
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
OG 14
• Accès de tous aux soins de santé de base, y compris à des services, biens et
infrastructures, et médicaments essentiels.
• Droit à la prophylaxie de maladies endémiques et droit lié à la santé sexuelle
et génésique.
• Droit de travailler dans un milieu sain ; Accès à un niveau minimum essentiel
de nourriture, de logement et d’assainissement.
OG 22
• Nombre suffisant d’établissements, de services, de biens et de programmes
pour offrir à tous la gamme des soins de santé sexuelle et procréative.
• Accès assuré en termes d’accessibilité physique, géographique, de régions
isolées et de groupes marginalisés.
• Services de santé sexuelle et procréative doivent être abordables à tous
financièrement.
• Droit de tous les individus et groupes, y compris les adolescents et les jeunes, à
une information factuelle sur tous les aspects de la santé sexuelle et procréative.
OG 13
• Accès à l’éducation de base et garantie d’un enseignement primaire
obligatoire et accessible gratuitement à tous.
• Droit à l’enseignement secondaire et supérieur accessible à tous.
• Liberté pour les parents de choisir les écoles pour leurs enfants.
OG 17
• Protection efficace des intérêts moraux et matériels des auteurs comme étant les
créateurs de leurs productions scientifiques, littéraires et artistiques.
Droit à la santé /
article 12
Droit à l’éducation
/ article 13
Droit de bénéficier
de la protection des
intérêts moraux et
matériels découlant
de toute production
scientifique,
littéraire ou
artistique dont il est
l’auteur / article 15
OG 21
Droit de chacun de
participer à la vie
culturelle / article
15
• Création et promotion d’un environnement dans lequel une personne,
individuellement ou en association avec d’autres, ou dans une communauté ou
un groupe, peut participer à la vie culturelle de son choix.
• Droit de chacun de s’identifier ou non avec une ou plusieurs communautés, et
le droit de changer leur choix.
• Droit de chacun d’exercer ses propres pratiques culturelles.
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
Les observations générales du CODESC portant sur un DESC spécifique sont en général structurées
comme suit :
• Introduction et principes de base.
• Contenu normatif du droit concerné (éléments constitutifs).
• Thèmes spéciaux de portée générale.
• Obligations incombant aux Etats parties (obligations juridiques générales, obligations
juridiques spécifiques, obligations internationales, obligations fondamentales).
• Manquement aux obligations (de respecter, de protéger, de mettre en oeuvre).
• Mise en oeuvre au niveau national.
• Obligations incombant aux acteurs autres que les États parties.
III - Les autres conventions internationales des droits de l’homme
Les droits humains étant indivisibles, interdépendants et intimement liés les uns aux autres, la
plupart des autres traités de droits de l’homme comportent également des éléments relatifs aux
DESC.
Il sied de noter que les instruments pour la protection des droits civils et politiques ou pour la
protection des droits des travailleurs doivent aussi être pris en compte et utilisés, le cas échéant,
par les praticiens du droit engagés dans le contentieux des DESC. A cet égard,
les conventions
et recommandations de l’Organisation internationale du travail (OIT)
établissent des normes et
donnent des orientations pour la protection des droits au travail, y compris dans le domaine de
la sécurité et santé au travail, des libertés syndicales, ou du temps de travail et des salaires
13.
Enfin,
certains instruments de droits de l’homme protégeant des titulaires de droit particuliers
apportent des précisions et compléments importants aux dispositions du PIDESC.
Liste des instruments internationaux des droits de l »homme dont la Tunisie est partie à ce jour:
• Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) - depuis 1969.
• Protocole facultatif au PIDCP portant procédure de recours individuels – depuis 2011.
• Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(CEDR) - depuis 1967.
• Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes
(CEDEF) – depuis 1985.
• Protocole facultatif à la CEDEF portant procédure de recours individuels – depuis 2008.
• Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(CCT) – depuis 1988.
• Protocole Facultatif à la CCT établissant un système préventif de visites – depuis 2011.
• Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) – depuis 1991.
• Protocole facultatif à la CDE concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés – depuis
2002.
• Protocole facultatif à la CDE concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la
pornographie mettant en scène des enfants – depuis 2002.
• Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) – depuis 2008.
• Protocole facultatif à la CDPH portant procédure de recours individuels – depuis 2008.
• Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions
forcées (CDF) – depuis 2011.
13 Pour une liste complète des normes de l’OIT, voir :
LA JUSTICIABILITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
A titre d’exemples :
Parmi les droits pertinents garantis aux femmes au titre de la CEDEF, on trouve :
• Droits égaux à l’éducation des femmes et des hommes en ce qui concerne l’enseignement
préscolaire, général, technique, professionnel et technique supérieur, ainsi que dans tout autre
moyen de formation professionnelle (art. 10) ;
• Droits égaux au travail, à la rémunération et à avoir accès aux mêmes possibilités d’emploi
(art. 11) ;
• Droit à la protection de la santé et à la sécurité des conditions de travail, y compris la
sauvegarde de la fonction de reproduction (art. 11) ;
• Droit à la sécurité sociale et aux congés payés (art. 11) ;
• Droit d’accès aux soins de santé y compris ceux concernant la planification de la famille
(art. 12) ;
• Droit à des services appropriés pendant la grossesse, pendant l’accouchement et après
l’accouchement, ainsi qu’une nutrition adéquate pendant la grossesse et l’allaitement (art.
12)
14
• Droit aux prestations familiales sans discrimination (art. 13) ;
• Droit aux prêts bancaires, prêts hypothécaires et autres formes de crédit financier (art. 13) ;
• Droit de participer aux activités récréatives, aux sports et à tous les aspects de la vie culturelle,
sans discrimination (art. 13) ;
• Droit à bénéficier du développement rural par le biais de la participation à l’élaboration et à
la mise en oeuvre des plans de développement ; de l’accès à des services de santé adéquats ;
le bénéfice de programmes de sécurité sociale ; la formation et l’éducation ; la jouissance de
conditions de vie adéquates notamment en matière de logement, d’assainissement, d’électricité,
d’accès à l’eau, aux transports et aux moyens de communications (art. 15) ;
• Droit de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein
consentement (art. 16) ;
• Mêmes droits et responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution, ainsi qu’en
matière de tutelle, de curatelle, de garde et d’adoption des enfants (art. 16) ;
• Mêmes droits à chacun des époux en matière de propriété, d’acquisition, de gestion,
d’administration, de jouissance et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu’à titre
onéreux (art. 16)15.
Les dispositions de la CDE particulièrement pertinentes pour les DESC des enfants incluent :
• Droit de l’enfant à avoir accès à une information et à des matériels provenant de sources
nationales et internationales diverses, notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être
social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale (art. 17) ;
• Droit des enfants dont les parents travaillent de bénéficier des services et établissements de
garde d’enfants (art. 18) ;
• Droits des enfants mentalement ou physiquement handicapés de mener une vie pleine et
14 Voir la Recommandation générale n° 24 sur l’article 12 de la CEDEF de 1999.
http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB.
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et
facilitent leur participation active à la vie de la collectivité (art. 23) ;
• Droit des enfants handicapés de bénéficier de soins spéciaux et d’une aide adaptée à l’état
de l’enfant et à la situation de ses parents ou de ceux à qui il est confié (art. 23)16 ;
• Droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services
médicaux et de rééducation (art. 24)17 ;
• Droit de tout enfant de bénéficier de la sécurité sociale, y compris les assurances sociales
(art. 26) ;
• Droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique,
mental, spirituel, moral et social (art. 27) ;
• Droit à l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous ; et à l’accès à l’enseignement
supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés (art. 28) ;
• Droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des activités récréatives propres à son
âge, et de participer librement à la vie culturelle et artistique (art. 31)18 ;
Au titre de la CDPH, les droits suivants des personnes handicapées sont particulièrement à
prendre en considération :
• Droits des femmes et des filles handicapées de jouir pleinement et dans des conditions
d’égalité de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales pour assurer leur
plein épanouissement, leur promotion et leur autonomisation (art. 6) ;
• Droit à la jouissance effective du droit à la vie, sur la base de l’égalité avec les autres (art.
10) ;
• Droit des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de posséder des
biens ou d’en hériter, de contrôler leurs finances et d’avoir accès aux mêmes conditions que
les autres personnes aux prêts bancaires, hypothèques et autres formes de crédit financier (art.
12);
• Droit des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, d’avoir accès, dans
les communautés où elles vivent, à un enseignement primaire inclusif, de qualité et gratuit, à
l’enseignement secondaire, à l’enseignement tertiaire général, à la formation professionnelle,
à l’enseignement pour adultes et à la formation continue (art. 24) ;
• Droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap
(art. 25) ;
• Droit des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, au travail,
notamment à la possibilité de gagner leur vie en accomplissant un travail librement choisi ou
accepté sur un marché du travail et dans un milieu de travail ouvert, favorisant l’inclusion et
accessible aux personnes handicapées (art. 27);
• Droit à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale sans discrimination fondée sur le
handicap (art. 28).
• Droit des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, de participer à la
vie culturelle et récréative, aux loisirs et aux sports (art.30)
15) Voir la Recommandation générale n° 29 sur l’article 16 de la CEDEF de 2013.
16) Voir Observation générale n° 9 du Comité des droits de l’enfant (2006) : Les droits des enfants handicapés.
17) Voir Observation générale du Comité des Droits de l’enfant n° 15 sur le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible
(art. 24), 17 avril 2013.
18) Observation générale du Comité des droits de l’enfant n° 17 sur le droit de l’enfant au repos, aux loisirs, au jeu, et à des activités
récréatives, culturelles et artistiques (art. 31).
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LE CONTENU NORMATIF DES DESC
Quel lien entre les DESC et le Droit au développement?
« Chacun a le droit de participer, de contribuer à et de bénéficier d’un développement
économique, social, culturel et politique, dans lequel tous les droits de l’homme et les libertés
fondamentales soient pleinement réalisés «, a déclaré la Déclaration des Nations Unies sur le
droit au développement adoptée le 4 décembre 1986 par l’Assemblée générale des Nations
Unies.
Par cette Déclaration, les États membres des Nations Unies (dont la Tunisie) ont reconnu le
développement comme un processus complet : c’est à dire non seulement économique, mais
aussi social, culturel et politique.
Cette Déclaration rappelle que la poursuite de la croissance économique n’est pas une fin en
soi et fait de la jouissance des libertés fondamentales et des droits humains (DESC y compris),
une condition nécessaire pour la réalisation du développement. La Déclaration rappelle ainsi
explicitement le caractère indivisible et interdépendant des droits humains.
Le droit au développement met par ailleurs les personnes au centre du processus de développement
qui vise à améliorer « le bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus sur
la base de leur participation active, gratuite et significative ». Ainsi, le droit au développement
n’est pas une affaire de charité, mais concerne l’habilitation et l’autonomisation des personnes:
la Déclaration identifie les obstacles au développement, habilite les individus et les peuples,
appelle à un environnement propice et à une bonne gouvernance aux niveaux national et
international et améliore la responsabilité des porteurs d’obligations - gouvernements, donateurs
et bénéficiaires, organisations internationales, sociétés transnationales et société civile.
Ainsi, promouvoir et défendre les DESC inscrits dans le PIDESC (qui est contraignant- la
Déclaration n’ayant pas de valeur contraignante) peut contribuer à la mise en oeuvre pratique
du Droit au développement en Tunisie.
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CHAPITRE II
L e s m é c a n i s m e s d e p r o t e c t i o n d e s D E S C
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CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE
CHAPITRE II
Les mécanismes de protection des DESC
aux niveaux international et régional
Force est de constater qu’une fois les DESC reconnus, le problème de leur mise en oeuvre vient se
poser pour rappeler que la simple reconnaissance et intégration des DESC dans les législations
nationales ne suffit pas pour garantir la jouissance de ces droits humains. Afin d’assurer leur
effectivité, des systèmes de protection et de surveillance des droits de l’homme ont été développés
au niveau international et au niveau régional. Ces systèmes comprennent des mécanismes aussi
bien quasi-juridictionnels que non-juridictionnels qui sont détaillés dans ce Chapitre et auxquels
les praticiens du droit pourraient se référer.
Attention Les victimes de violations des DESC et leurs représentants peuvent envisager de
porter leur affaire à l’attention des mécanismes quasi-juridictionnels de protection des droits
de l’homme internationaux ou régionaux, seulement après épuisement des voies de recours
nationales ou lorsque les lois ou les mécanismes juridictionnels du pays n’existent pas ou sont
inefficaces en pratique. Comme l’a mentionné la CnADHP dans l’affaire de SERAC et CESR
c. le Nigéria de 2002 (155/96), « L’un des objectifs visés par la condition d’épuisement des
voies de recours internes est de donner la possibilité aux juridictions internes de statuer sur des
cas avant de les porter devant un forum international, pour éviter des jugements contradictoires
par des lois nationales et internationales. Lorsqu’un droit n’est pas bien prévu par la législation
interne et qu’aucun procès ne peut être prévu, toute possibilité de conflit est écartée. De même,
lorsque le droit n’est pas bien prévu, il ne peut y avoir des recours efficaces ou un recours
quelconque. Une autre justification de l’épuisement des voies de recours internes est qu’un
gouvernement devrait être informé d’une violation des droits de l’homme afin de pouvoir y
remédier, avant d’être appelé devant un tribunal international » (§ 37 et 38)
19.
I. Au niveau international : les mécanismes du système des droits de
l’homme des Nations Unies
Les mécanismes du système international des droits de l’homme étant de fait limités par la
souveraineté des États, ils portent largement sur le partage d’information et l’analyse de la
situation de ces droits en général ou des DESC en particulier.
Cependant, au-delà de l’opportunité qu’ils donnent d’attirer l’attention sur une affaire dans le
contexte du suivi des politiques et des rapports périodiques des États, certains mécanismes
internationaux offrent également des procédures de plaintes et d’enquête.
Ces mécanismes sont de deux sortes :
- les organes créés au nom des traités internationaux des droits de l’homme dits Organes de
19) http://www.achpr.org/fr/communications/decision/155.96.
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LES MÉCANISMES DE PROTECTION DES DESC AUX NIVEAUX INTERNATIONAL ET RÉGIONAL
Traités ou Comités, chargés du suivi de la mise en oeuvre de ces conventions (1.1), et ;
- les organes de la Charte des Nations Unies, dont le Conseil des droits de l’homme avec ses 2
procédures de suivi des droits de l’homme que sont les Procédures spéciales (1.2) et l’Examen
périodique universel (1.3).
1.1. Le travail des Organes de Traités
i. Une fonction quasi-juridictionnelle
Ces organes de traités ou Comités 20 ou organes quasi-juridictionnels peuvent émettre des
décisions sur des plaintes (communications individuelles) qui leur sont soumises par un ou des
individus et cette décision est censée être appliquée par l’État concerné.
Cette fonction quasi-
juridictionnelle leur est donnée soit via la ratification par les États parties d’un Protocole facultatif
soit par le biais de dispositions dans le traité lui-même à accepter par déclaration par les États
parties qui leur permet d’examiner ces communications individuelles et de lancer des enquêtes en
cas d’allégations de violations des droits concernés par leur Convention dans les États parties
21.
Il y a dix organes de traités sur les droits de l’homme qui surveillent la mise en oeuvre des
principaux traités internationaux sur les droits de l’homme et tous peuvent examiner des plaintes
individuelles à certaines conditions:
1. Le Comité des droits de l’homme (grâce à son premier protocole optionnel adopté le 16
décembre 1996, entré en vigueur le 23 mars 1976).
2. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (grâce à son protocole optionnel
adopté le 10 décembre 2008, entré en vigueur le 5 mai 2013).
3. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (si déclaration est faite par l’Etat
concerné selon l’art. 14 de la Convention).
4. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (grâce à son protocole
optionnel adopté le 10 décembre 1999, entré en vigueur le 20 décembre 2000).
5. Le Comité contre la torture (si déclaration est faite par l’Etat concerné selon l’art. 22 de la
Convention).
6. Le Sous-Comité pour la prévention de la torture.
7. Le Comité des droits de l’enfant (grâce à son troisième protocole optionnel de 2011).
8. Le Comité des travailleurs migrants (le protocole optionnel n’est pas encore en vigueur
n’ayant pas encore reçu le nombre minimum d’adhésions nécessaire).
9. Le Comité des droits des personnes handicapées (grâce à son protocole optionnel adopté le
13 décembre 2006, entré en vigueur le 3 mai 2008).
10. Le Comité des disparitions forcées22 (si une déclaration est faite par l’Etat concerné selon
l’art. 31 de la Convention).
20) http://www.ohchr.org/FR/HRBodies/Pages/HumanRightsBodies.aspx.
21) Pour obtenir la liste des mécanismes en vertu des traités de droits de l’homme et pour plus d’informations sur les organes conventionnels
des Nations Unies pour recevoir les plaintes, veuillez visiter :
http://www.ohchr.org/EN/HRBodies/TBPetitions/Pages/IndividualCommunications.aspx#ftn1.
22) http://www.ohchr.org/FR/HRBodies/Pages/HumanRightsBodies.aspx.
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Il n’existe donc un tel protocole facultatif au PIDESC (PF-PIDESC) que depuis le 10 décembre
2008, entré en vigueur le 5 mai 2013, soit trois mois après le dépôt du dixième instrument
de ratification et 47 ans après l’adoption du Pacte En effet, les idées fausses et les préjugés
(mentionnés en introduction de ce Manuel) ont, pendant longtemps, empêché la mise en place
d’un mécanisme de plaintes ou communications auprès du CODESC. Ainsi, si les deux traités
internationaux généraux portant sur les droits de l’homme, à savoir le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques (PIDCP) et le PIDESC ont été adoptés simultanément en 1966,
seul le PIDCP a immédiatement bénéficié de l’adoption d’un mécanisme de communications
individuelles par le biais d’un protocole lui étant rattaché et auquel actuellement 155 États sont
parties23,
Critères de recevabilité des plaintes :
Les mécanismes de communications créés par ces protocoles facultatifs appliquent tous les
mêmes critères de recevabilité des communications que les praticiens doivent connaître afin de
pouvoir les utiliser efficacement.
Ces critères incluent les conditions suivantes :
• Les communications doivent concernées les dispositions des traités concernés ;
• Les communications peuvent être présentées par et au nom d’individus (ou groupes
d’individus) relevant de la juridiction de l’État partie ;
• Les communications ne doivent pas être anonymes et ne pas représenter un abus du droit
de présenter une telle communication ou être incompatibles avec les dispositions du traité
concerné ;
• Les communications ne doivent pas concerner une question déjà en cours d’examen devant
une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et tous les recours internes
disponibles doivent avoir été épuisés sauf si les procédures de recours excèdent des délais
raisonnables.
Concernant les DESC plus précisément, l’article 3 du PF-PIDESC prévoit les conditions de
recevabilité devant le CODESC comme suit :
1. Le Comité n’examine aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes
ont été épuisés. Cette règle ne s’applique pas dans les cas où la procédure de recours excède
des délais raisonnables.
2. Le Comité déclare irrecevable toute communication qui :
a) N’est pas présentée dans les douze mois suivant l’épuisement des recours internes, sauf dans
les cas où l’auteur peut démontrer qu’il n’a pas été possible de présenter la communication
dans ce délai;
b) Porte sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du présent Protocole à l’égard de
l’État Partie intéressé, à moins que ces faits ne persistent après cette date ;
c) A trait à une question qu’il a déjà examinée ou qui a déjà fait l’objet ou qui fait l’objet
d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement au niveau
international
23) Premier protocole facultatif au Pacte International relatif aux droits civils et politiques (adopté le 16 décembre 1966, entré en vigueur
le 23 mars 1976).
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d) Est incompatible avec les dispositions du Pacte ;
e) Est manifestement mal fondée, insuffisamment étayée ou repose exclusivement sur des
informations diffusées par les médias ;
f) Constitue un abus du droit de présenter une communication ;
g) Est anonyme ou n’est pas présentée par écrit ».
Contenu de la plainte
Il existe en général un formulaire à remplir disponible sur la page internet de chaque Comité.
Cependant, il est bon de savoir que les informations suivantes sont requises sur les points suivants:
Sur la victime et/ou l’expéditeur :
La plainte doit fournir les renseignements de base sur la victime présumée ainsi que sur l’Etat
concerné.
Si la plainte est envoyée au nom d’une autre personne, son consentement doit être prouvé
(pas de format particulier requis) ; Si le consentement ne peut être prouvé, l’expéditeur de la
plainte doit préciser pourquoi.
En cas d’informations sensibles et les plaintes étant publiées sur la page internet du Comité
concerné, l’expéditeur peut demander à ce que son identité (ou celle de la victime présumée)
et/ou les éléments pouvant permettre son identification restent confidentiels. Les comités
peuvent également décider à leur discrétion de ne pas rendre certains éléments publics.
Sur les faits :
Il est essentiel de présenter les faits dans l’ordre chronologique et de manière la plus complète
et précise qui soit. Il est fortement recommandé par les Comités d’indiquer quel(s) droit(s) le
requérant considère violé(s) par ces faits et pourquoi. Il est également de bonne pratique de
mentionner quels recours le plaignant espère de la part de l’Etat concerné dans le cas où le
Comité conclurait que les faits constituent effectivement une violation.
Sur l’épuisement des recours :
L’expéditeur de la plainte doit détailler toutes les étapes prises devant chaque juridiction
nationale, et ce jusqu’à la plus haute juridiction possible ou existante. Si certains de ces
recours sont en attente de jugement ou n’ont pas été épuisés, cela doit être spécifié.
L’auteur de la plainte doit également indiquer si une plainte a été déposée à un autre
mécanisme d’enquête ou de médiation international.
Les copies, et non les originaux, des documents doivent être fournis dans une des langues
officielles du système des NU24 (et si possible en Anglais ou en Français). Si les documents
sont dans une langue non officielle du système des NU, l’intégralité ou un résumé dans une des
langues officielles doit être fourni. Les documents doivent être classé par ordre chronologique,
numérotés en conséquence et accompagnés chacun d’une brève description du contenu. La
plainte ne doit pas dépasser 50 pages ; Si elle en dépasse 20, un résumé de 5 pages
maximum doit être fourni.
24) Les langues officielles du système des NU sont l’Arabe, le Chinois, l’Anglais, le Français, le Russe et l’Espagnol.
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Description de la procédure
- Enregistrement de la réception de la plainte : à réception de la plainte et si les éléments listés
ci-dessous sont remplis, la plainte est officiellement enregistrée comme devant être examinée par
le Comité ; L’expéditeur est notifié.
- Examen de l’admissibilité de la plainte : cette phase consiste en l’examen de questions de
forme que la plainte doit remplir comme spécifié pages XXX ; Si la plainte est admissible, l’Etat
concerné est notifié et a alors 6 mois pour répondre à partir de la date de notification par le
Comité. Il peut contester l’admissibilité de la plainte, mais doit le faire dans les 2 premiers mois.
- Le plaignant est informé des observations envoyées par l’Etat et a alors l’opportunité de
commenter les observations faites par l’Etat.
- Si l’Etat concerné ne répond pas dans le délai imparti, le Comité examine alors la plainte sur
la base des seules informations reçues par le plaignant.
- Examen des mérites de la plainte : cet examen porte sur la substance de la plainte et est mené
par le Comité en session fermée, et pour la plupart des comités sur la seule base des informations
écrite reçues (le Comité n’enquête pas).
- Décision du Comité : une fois une décision émise sur la plainte par le Comité, elle est
simultanément transmise à l’Etat concerné et au plaignant, et elle est mise en ligne sur la page
web du Comité comme faisant part de sa jurisprudence.
• Si le Comité conclut qu’il n’y a pas eu violation, le cas est clos
• Si le Comité conclut à une violation, l’Etat a 180 jours pour répondre au Comité et expliquer
quelles décisions ou mesures il compte prendre pour mettre en oeuvre les recommandations
figurant dans la décision du Comité ; La réponse de l’Etat est alors transmise au plaignant pour
commentaire. La communication et le dialogue entre l’Etat et le Comité se poursuit jusqu’à ce
que des mesures satisfaisantes soient mises en oeuvre par l’Etat.
Nota : Il n’y a pas de procédure d’appel aux décisions du Comité. Leurs décisions constituent
une jurisprudence de par leur autorité d’interprétation du traité concerné. Tous les Comités ont
développé des procédures de suivi de leurs décisions puisqu’ils considèrent que les Etats, en
ayant accepté cette procédure via la ratification d’un protocole optionnel ou via une déclaration,
s’engagent par là même à accepter leurs décisions.
La Tunisie n’est pas encore partie au PF-PIDESC. Les praticiens de droit tunisiens ne peuvent
donc pas pour l’instant utiliser cette procédure. Pour avoir un aperçu des cas de plaintes (en
nombre limité, le PF-PIDESC étant en vigueur depuis mai 2013 seulement) et de leur traitement
par le CODESC, voir un exemple en annexe et se référer à la page web suivante :
https://goo.
gl/MLiAMY
Par contre, on rappelle que la Tunisie est actuellement partie aux autres instruments
portant procédure de recours individuels suivants: Protocole facultatif au PIDCP ; Protocole
facultatif à la CEDEF ; Protocole facultatif à la CDPH. Ces instruments procéduraux permettent
les plaintes ou communications individuelles, en vigueur en Tunisie et peuvent donc être utilisés
immédiatement par les praticiens tunisiens pour dénoncer les violations des dispositions et des
DESC contenus dans ces traités respectifs.
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Pour un exemple de décision du CODESC sur une plainte individuelle, voir en annexes 4 et 5.
Un exemple de traitement d’une plainte par le Comité sur les droits des personnes handicapées
(Communication n° 2/2010, date des constatations le 4 avril 2014) portant sur un DESC, ici le
droit au travail, figure ci-dessous :
L’auteure de la communication est Liliane Gröninger, de nationalité française. Elle présente cette
communication au nom de son fils, handicapé, de son mari, et en son nom propre. L’auteure
affirme que son fils est victime de violations par l’Allemagne des droits qui lui sont garantis par
les articles 3, 4, 8 et 27 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (la
Convention).
Le Comité a pris note de l’argument de l’auteure qui affirme que l’aide à l’insertion est la
seule mesure de discrimination positive disponible pour aider son fils à intégrer le marché du
travail. Il fait observer que les alinéas d et e du paragraphe 1 de l’article 27 de la Convention
consacrent le droit de bénéficier de mesures appropriées de promotion de l’emploi, telles que le
droit d’avoir effectivement accès aux services de formation professionnelle ainsi qu’à l’aide à la
recherche et à l’obtention d’un emploi. a et b du paragraphe 1 de l’article 4 et le paragraphe
1 de l’article 5 de la Convention.
Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention est
d’avis, à la lumière de ce qui précède, que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations qui
lui incombent (en vertu des alinéas d, e et h du paragraphe 1 de l’article 27, lus conjointement
avec les alinéas a, b, c et e de l’article 3, les alinéas a et b du paragraphe 1 de l’article 4
et le paragraphe 1 de l’article 5 de la Convention). Le Comité fait donc les recommandations
suivantes à l’État partie
25 :
a) Recommandations concernant le fils de l’auteure :
L’État partie est tenu de prendre des mesures pour remédier à son manquement aux obligations
que lui impose la Convention envers le fils de l’auteure, notamment en réexaminant son cas et en
appliquant toutes les mesures prévues en droit interne pour promouvoir efficacement l’emploi à
la lumière des dispositions de la Convention. L’État partie devrait également accorder au fils de
l’auteure une indemnisation appropriée, notamment pour les dépenses engagées pour soumettre
la présente communication.
b) Recommandations générales :
Etant donné que la législation de l’État partie relative à cette question a été adoptée avant la
ratification de la Convention, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour que de telles
violations ne se reproduisent pas, notamment en révisant la teneur et le fonctionnement du
programme d’octroi d’aides à l’insertion aux personnes qui présentent un handicap permanent,
afin de garantir le plein respect des principes établis dans la Convention, et en faisant en sorte
que les employeurs potentiels puissent effectivement bénéficier du programme s’il y a lieu (§ 7).
Enfin, et conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur
du Comité, l’État partie est invité à transmettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse
écrite dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura pu prendre à la lumière des présentes
constatations et recommandations du Comité. Il est également invité à rendre publiques les
présentes constatations, à les faire traduire dans la langue officielle et à les diffuser largement,
25) http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CRPD/C/D/2/2010&Lang=en.
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sous une forme accessible, auprès de tous les secteurs de la population (§ 8).
Les praticiens souhaitant obtenir des informations détaillées concernant les protocoles facultatifs,
y compris sur les procédures créées par ces instruments et les modalités de présentation de
communications, trouveront des liens utiles de la Base de données de l’ONU rassemblant
toutes les décisions des organes de surveillance des traités de droits de l’homme : http://juris.
ohchr.org/
ii. Une fonction de veille, via un processus de suivi régulier et de partage
d’informations
Les Comités effectuent ce travail de veille sur la base des rapports officiels soumis périodiquement
par les États parties ainsi que sur la base des rapports alternatifs déposés par la société civile et
les agences des Nations Unies présentes dans le pays concerné. Ce processus de suivi régulier
de la mise en oeuvre de la Convention concernée par les États qui lui sont parties offre la
possibilité de soumettre purement des informations sur des situations spécifiques de violations
des droits de l’homme.
Le processus est le suivant :
Etape 1: Les rapports des États parties : un rapport initial suivi de rapports périodiques
Dans l’année suivant son entrée en vigueur, l’État partie présente un rapport appelé « initial »
qui décrit les mesures d’ordre législatif, judiciaire, administratif ou autre qu’il a adoptées pour
appliquer la convention.
Ensuite, l’État partie est tenu de préparer un rapport appelé « périodique » puisqu’il doit être
soumis une fois tous les quatre ans (normalement). Il décrit les avancées, les bonnes pratiques
mais également les obstacles rencontrés dans la mise en oeuvre de chacun des articles de la
Convention sur la période donnée, ainsi que les mesures éventuelles prises pour donner suite
aux observations finales précédentes du Comité26.
Nota : le Comité recommande aux États parties d’associer la société civile à l’établissement de
leurs rapports et demande de spécifier dans le rapport si cela a été fait ou pas.
Etape 2: Les rapports alternatifs et la liste de questions
En plus du rapport soumis par l’État, le Comité va également examiner deux autres rapports,
dits «alternatifs » : le rapport alternatif de la société civile et le rapport des agences des
Nations Unies présentes dans le pays.
Ces rapports sont cruciaux puisqu’ils permettent aux membres du Comité de compléter les
informations données par l’État et d’approfondir leur compréhension du niveau d’application
de la Convention dans le pays donné. Ils vont en effet se servir de ces deux rapports pour
demander à l’État des précisions et des compléments d’information, ou pour soulever des
questions que l’État n’avait pas mentionnées dans son rapport en leur envoyant une liste de
questions additionnelles. C’est pourquoi de plus en plus d’ONG nationales et internationales
s’associent pour préparer ensemble des rapports alternatifs.
Nota : Les praticiens Tunisiens engagés dans le contentieux des DESC peuvent donc envisager
de contacter les groupes de la société civile qui présentent des rapports alternatifs.
26) Directives concernant les rapports spécifiques tels que les Etats parties doivent soumettre conformément aux articles 16 et 17 du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, E/C. 12/2008/2, CODESC, 24 mars 2009.
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Etape 3 : Dialogue interactif et Observations finales
Une fois les rapports nationaux et alternatifs examinés, le Comité va demander des compléments
d’information à l’État puis recevoir une délégation gouvernementale au Palais des Nations à
Genève pour discuter de toutes les informations qu’il a reçues lors d’un «dialogue interactif».
A l’issue de cette rencontre où l’État a pu expliquer les avancées et les difficultés rencontrées,
les membres du Comité vont produire leurs conclusions et recommandations à l’État concerné:
ce sont les observations finales.
Les observations finales comprennent généralement :
• Une rubrique sur les « aspects positifs », respectant l’ordre des articles de la Convention ;
• Une rubrique, intitulée « principaux sujets de préoccupation et recommandations » qui
comprend les questions d’importance particulière pour le pays examiné, classées par ordre
d’importance et présentant les propositions concrètes du Comité pour l’aider à résoudre ces
sujets de préoccupation.
Le CODESC a examiné le 3ème rapport périodique de la Tunisie à la 33ème session du Conseil
des droits de l’homme qui s’est tenue en septembre 2016. Le rapport de l’État tunisien, la
liste des questions additionnelles demandées par le Comité à la Tunisie, les rapports alternatifs
soumis par la société civile, ainsi que les recommandations finales du Comité à la Tunisie sont
disponibles sur la page suivante : http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/TreatyBodyExternal/
countries.aspx?CountryCode=TUN&Lang=FR Les praticiens tunisiens pourront se référer à la
même page Web pour trouver tous les rapports périodiques et alternatifs sur la Tunisie soumis au
CODESC (et autres organes de traité) depuis la ratification du PIDESC.
1.2. Les Procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme
Il s’agit d’experts indépendants élus/nommés par les États membres du Conseil des droits de
l’homme qui travaillent soit seuls (on les appelle alors les Rapporteurs spéciaux ou Experts
indépendants), soient en groupe de 4-5 experts (on les appelle alors un Groupe de travail) et qui
suivent la situation générale des droits de l’homme dans un pays bien précis (mandat par pays)
ou par thèmes (mandat thématique).
Les experts indépendants traitent de questions conceptuelles importantes dans des rapports
thématiques ou de visite qui peuvent être utiles aux praticiens recherchant des preuves matérielles
et des expertises. Il peut donc être utile et intéressant de consulter la page de la procédure
spéciale concernée pour voir comment interpréter les obligations de l’État en général, sur le
droit concerné (rapports généraux) et/ou les obligations de la Tunisie en particulier, en cas de
rapports suite à une visite officielle effectuée dans le pays.
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Les Procédures spéciales des Nations Unies qui sont à ce jour chargées des DESC sont les
suivantes (leurs pages contiennent les adresses postales et email auxquelles les contacter) :
• Rapporteur spécial sur le droit au développement (mandat créé en 2016, expert en attente
d’être nominé)
• Groupe de travail sur la question des droits de l’homme et des sociétés transnationales et
autres entreprises (2011) :https://goo.gl/9HXKbu (en anglais)
• Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et de l’environnement (2012):
https://goo.gl/hvVea6
• Rapporteur spécial dans le domaine des droits culturels (2009): https://goo.gl/sv9Pys
• Rapporteur spécial sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement (2008):
https://goo.gl/b6yJdZ
• Rapporteur spécial sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et
mentale susceptible d’être atteint (2002) : https://goo.gl/cc11cC
• Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones (2001): https://goo.gl/YjpH9R
• Expert indépendant chargé d’examiner les effets de la dette extérieure et des obligations
financières internationales connexes des États sur le plein exercice de tous les droits de l’homme,
en particulier des droits économiques, sociaux et culturels (2000) : https://goo.gl/uL1F7w
• Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie
suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard (mandat créé en 2000):
https://goo.gl/DVaXFn
• Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation (2000): https://goo.gl/ac2dwi
• Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation (1998): https://goo.gl/9L1hpo
• Rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme (1998):
https://goo.gl/SrmQSs
• Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination
écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux (1995) :https://goo.gl/d8EwX2
(en anglais) Les pages web de chaque Procédure spéciale contiennent leurs adresses email et
postales pour les contacter ainsi que des questionnaires à remplir pour l’envoi d’informations.
Les praticiens qui souhaitent envoyer des informations sur des allégations de violations aux
Procédures spéciales trouveront des renseignements utiles sur la page suivante : http:///ohchr.
org/FR/HRBodies/SP/Pages/Communications.aspx
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Les Procédures spéciales ont généralement un triple mandat :
1. Elles examinent et surveillent des situations dans le domaine des droits de l’homme,
conseillent et font rapport publiquement sur ces situations ;
2. Elles font également des visites de pays pour examiner la manière dont les droits sont
appliqués, présentent leurs conclusions au Conseil des droits de l’homme et font des
recommandations aux pays concernés ;
3. La plupart répondent à des plaintes émanant de particuliers concernant les droits de
l’homme relevant de leur mandat en envoyant des lettres aux États par lesquelles elles leur
transmettent des allégations ou des communications et les prient de prendre des mesures pour
protéger les DESC.
Cette dernière procédure ressemble à une procédure de plainte par laquelle les victimes ou
leurs représentants demandent à un détenteur de mandat de procédure spéciale d’intervenir
dans une affaire en engageant le dialogue avec l’État concerné. L’expert indépendant peut aussi
demander à l’État de prendre des mesures immédiates de prévention de dommage irréversible
pour une victime avérée ou potentielle, ce qui se rapproche beaucoup des mesures provisoires
des organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels.
Au lendemain de la révolution de 2011, la Tunisie a envoyé une lettre d’invitation ouverte aux
Procédures spéciales. Cela veut dire que tous les experts peuvent demander à effectuer une
visite officielle en Tunisie et peuvent envoyer des lettres d’allégations ou des appels urgents au
Gouvernement tunisien. Depuis, 8 Procédures spéciales ont effectué des visites officielles à la
Tunisie. 2 de ces visites ont directement concerné les DESC : - celle du Rapporteur spécial sur le
droit à l’éducation, effectuée du 30 Avril au 9 Mai 2012 (voir extrait de son rapport de visite
en annexe).
- celle de l’Expert indépendant sur les effets de la dette extérieure et des autres obligations
financières internationales sur les droits de l’homme en général, et sur les DESC en particulier,
effectuée du 20 au 28 Février 2017.
1.3. L’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme
Enfin, l’Examen périodique universel (EPU) a été établi par la résolution 60/251 de l’Assemblée
générale des Nations Unies, le 15 mars 2006 et est à l’origine de la création du Conseil des
droits de l’homme. C’est une procédure intergouvernementale de contrôle régulier par les États-
pairs visant à évaluer la situation des droits de l’homme dans les pays.
On l’appelle « Périodique » parce que chaque État est examiné (un par un par cycle et cela
prend 4-5 ans de tous les examiner) au Palais des Nations à Genève (Suisse), et « Universel
» parce que tous les États membres des Nations Unies sont examinés. Aucun autre mécanisme
universel de ce type n’existe à l’heure actuelle.
Il s’agit d’un mécanisme coopératif, fondé sur un dialogue interactif, avec la pleine participation
du pays concerné et compte tenu de ses besoins en matière de renforcement des capacités.
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Même si la place réservée aux questions relatives aux DESC est limitée, les ONG et les praticiens
peuvent utiliser ce processus pour encourager les États à discuter de ces questions et à faire des
recommandations pertinentes pour trouver des solutions.
Pour préparer cet examen, l’État qui va être examiné doit envoyer un rapport à 3 États membres
(tirés au sort et appelés « la Troïka ») qui vont mener les discussions ; Comme en ce qui concerne
les organes de traités, le rapport est complété par des rapports alternatifs de la société civile
et des agences des Nations Unies. Il est donc possible à des individus, à des associations et
à des praticiens du droit d’attirer l’attention sur des violations individuelles dans ces rapports
alternatifs.
Les praticiens qui souhaitent en savoir plus sur l’EPU peuvent se référer à l’information fournie sur
le site de l’ONG « UPR Info » à l’adresse suivante : http://www.upr-info.org/fr
La Tunisie est déjà passée deux fois à l’examen universel : une première fois en 2008 et une
seconde fois en 2012. Le prochain examen aura lieu en Mai 2017. Pour accéder au contenu
des rapports de l’État tunisien, des rapports alternatifs et des recommandations faites par les
États au Gouvernement tunisien, se référer aux pages suivantes : - Examen du 1er cycle : 8
Avril 2008 http://ohchr.org/EN/HRBodies/UPR/Pages/TNSession1.aspx - Examen du 2ème
cycle: 22 Mai 2012 http://ohchr.org/EN/HRBodies/UPR/Pages/TNSession13.aspx - Examen
du 3ème cycle : Mai 2017
II. Au niveau régional : les instruments et mécanismes de l’Union Africaine
Au niveau régional, les systèmes de protection des droits de l’homme offrent, eux aussi, des
opportunités variées.
La Tunisie, étant membre de l’Union africaine (UA) et partie à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples, les praticiens du droit peuvent se référer au catalogue de droits que
la Charte garantit, y compris en matière de DESC (2.1). Outre les dispositions de la Charte,
une riche jurisprudence a été également développée par la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples (2.2).
L’autre système régional qui aurait pu concerner la Tunisie est celui de la Ligue Arabe. Mais ce
système n’est pour l’instant pas applicable, la Tunisie n’ayant pas ratifié la Charte arabe des
droits de l’homme de 2004 (d’ailleurs fortement critiquée pour son non-respect des principes et
standards du droit international des droits de l’homme).
La Tunisie est membre de l’Union africaine27 ; Elle était membre de l’Organisation de l’Unité
africaine qui a précédé à l’Union africaine depuis sa création en 1963. Elle a ratifié la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples en 1983. Toutefois, la Tunisie n’est pas encore
partie aux autres instruments de droits de l’homme africains tels que le Protocole à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (dit «
Protocole de Maputo ») ou la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.
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2.1 La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples28 (CADHP) est un instrument régional
des droits de l’homme qui est entré en vigueur en 1986 et compte actuellement 53 États parties
29,
soit la quasi-totalité des États du continent (à l’exception du Maroc et du Soudan du Sud).
La CADHP se base sur les principes constitutifs de la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine
(désormais l’Union Africaine) qui consacre comme objectifs centraux la liberté, l’égalité, la
justice et la dignité, et qui réaffirme l’indivisibilité et l’universalité de tous les droits de l’homme :
civils, politiques, économiques, sociaux et culturels
30.
La CADHP consacre également l’obligation d’éliminer toutes formes de discrimination fondée
sur la race, l’appartenance ethnique, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou les opinions
politiques. Elle réitère, enfin, l’adhésion des États africains aux principes des droits de l’homme
contenus dans les instruments adoptés sous les auspices des Nations Unies
31.
Outre ces principes fondamentaux, la CADHP garantit des DESC spécifiques, notamment :
• le droit à la propriété qui ne peut être limité que par la loi, qu’en cas de nécessité publique
et au profit de l’intérêt général (art. 14) ;
• le droit au travail dans des conditions équitables et satisfaisantes et le droit à une rémunération
égale pour un travail égal (art. 15) ;
• le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint
(art. 16) ;
• le droit à l’éducation (art. 17) ;
• le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la Communauté (art. 17) ;
• le droit à la protection de la famille (art. 18).
Parmi les autres dispositions pertinentes relatives aux DESC, les articles 20 et 21 contiennent des
dispositions importantes concernant des droits collectifs et garantissent, respectivement, l’auto-
détermination des peuples et la libre disposition des richesses et des ressources naturelles. De
même, l’article 24 garantit le droit de tous les peuples à un environnement satisfaisant et global,
propice à leur développement.
L’article 26 consacre une disposition spécifique en faveur de la garantie de recours juridictionnels
en cas de violations des droits de la CADHP, et établit l’obligation des États de « garantir
l’indépendance des Tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions
nationales appropriées chargées de la promotion et de la protection des droits et libertés… ».
Enfin, la CADHP met en place une commission pour la surveillance de sa mise en oeuvre et pour
l’examen de plaintes (ou « communications ») : la Commission africaine des droits de l’homme
et des peuples (ci-après la CnADHP)32. Ses mécanismes sont décrits ci-dessous.
27) L’acte constitutif de l’UA est fait à Lomé (Togo) le 11 juillet 2000.
28) Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adoptée le 27 juin 1981, OUA CAB/LEG/67/3 rev. 5, 21 I.L.M. 58 (1982),
entrée en vigueur le 21 octobre 1986.
29) http://www.achpr.org/fr/instruments/achpr.
30) Préambule de la CADHP.
31) Préambule de la CADHP.
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2.2. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et ses procédures
A travers sa jurisprudence et en conformité avec le droit international, la Commission africaine
des droits de l’homme et des peuples (CnADHP) a interprété la CADHP comme incluant des
droits du PIDESC qui n’étaient pas explicitement garantis par la Charte. Elle a aussi grandement
contribué au développement d’une compréhension accrue des obligations des États au titre des
DESC, comme montré dans le chapitre III du présent Manuel.
Au-delà des mécanismes juridictionnels et quasi-juridictionnels et leurs procédures de
communications, le système africain offre d’autres opportunités d’obtenir des informations utiles,
ainsi que des déclarations concernant les questions juridiques et politiques sous-tendant une
affaire de violation des DESC.
i. Les communications individuelles
Les individus et les groupes ont la possibilité de présenter des communications à la CnADHP dans
des cas d’allégations de violations des droits garantis par la CADHP, sous certaines conditions
de recevabilité qui sont établies à l’article 56 de la CADHP, à savoir :
1. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Commission de garder
l’anonymat ; 32 Articles 30 à 62 de la CADHP.
2. Etre compatibles avec la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine [OUA ayant précédé
l’UA] ou avec la présente Charte ;
3. Ne pas contenir des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’État mis en cause, de
ses institutions ou de l’OUA.
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par des moyens de
communication de masse ;
5. Etre postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale
6. Etre introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes
ou depuis la date retenue par la Commission comme faisant commencer à courir le délai de
sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément soit aux principes de la
Charte des Nations Unies, soit de la Charte de l’Organisation de l’Unité Africaine et soit des
dispositions de la présente Charte.
Les praticiens souhaitant en savoir plus peuvent visiter les sites suivants :
• https://goo.gl/SkvEYi
• https://goo.gl/hYwGXW
En outre, ils trouveront des informations sur la jurisprudence de la CnADHP aux liens suivants :
• https://goo.gl/U6RW36
• https://goo.gl/4h8tc8
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La CnADHP a pris d’importantes décisions sur des affaires concernant les DESC. Une des plus
célèbres est l’affaire de SERAC et CESR contre le Nigéria de 2002 (155/96) qui touche à
un large éventail de droits économiques et sociaux et fait référence à deux interprétations du
CODESC (Observations générales n° 4 et 7).
Tout d’abord, la Commission résume les faits comme suit :
« La communication allègue que le gouvernement militaire nigérian est directement impliqué
dans l’exploitation du pétrole par le biais d’une société d’État, le Nigeria National Petroleum
Company (NNPC), laquelle est actionnaire majoritaire dans un consortium avec Shell Petroleum
Development Corporation (SPDC); et que les activités de ce consortium ont causé de graves
dommages à l’environnement et des problèmes de santé au sein la population Ogoni du fait de
la contamination de l’environnement »33.
Puis la Commission établit ce que l’on attend généralement des gouvernements en vertu de la
Charte (…), et plus spécifiquement eu égard aux droits économiques, sociaux et environnementaux:
• « Le droit à un environnement général satisfaisant tel que garanti en vertu de l’article 24 de
la Charte africaine ou le droit à un environnement sain, comme c’est bien connu, impose en
conséquence des obligations claires au gouvernement. Cela requiert de l’État de prendre des
mesures raisonnables et d’autres mesures pour prévenir la pollution et la dégradation écologique,
favoriser la préservation de l’environnement et garantir un développement écologiquement
durable et l’utilisation des ressources naturelles » (§ 52).
« Le respect par le gouvernement de l’esprit des articles 16 et 24 de la Charte africaine doit
également inclure le fait d’ordonner ou au moins de permettre la surveillance scientifique
indépendante des environnements menacés, d’exiger et de publier des études sur l’impact social
et environnemental avant tout développement industriel majeur; d’entreprendre la surveillance
appropriée et d’informer les communautés exposées aux activités et produits dangereux et
d’offrir aux individus la possibilité d’être entendus et de participer aux décisions relatives au
développement affectant leurs communautés » (§ 53).
• Concernant le droit au logement, au strict minimum, ce droit « oblige le gouvernement nigérian
à ne pas détruire les maisons de ses citoyens et de ne pas faire obstruction aux efforts des
individus ou des communautés pour reconstruire les maisons détruites. L’obligation de l’État de
respecter les droits au logement exige que ce dernier, et de ce fait, tous ses organes et agents,
s’abstiennent de mener, de sponsoriser et de tolérer des pratiques, politiques ou mesures légales
violant l’intégrité des individus ou d’empiéter sur leur liberté d’utiliser ce matériel ou d’autres
ressources à leur disposition, d’une manière qu’ils trouvent des plus appropriée pour satisfaire
les besoins en logement de l’individu, de la famille, du ménage ou de la communauté. Ses
obligations de protéger l’obligent à empêcher la violation du droit de tout individu au logement
par tout autre individu ou des acteurs non étatiques tels que les propriétaires, les promoteurs
immobiliers et les propriétaires fonciers, et lorsque ces violations se produisent, il devrait agir
de sorte à empêcher davantage de privations et garantir l’accès aux voies de recours. Le droit
à l’abri va même plus loin qu’un toit au-dessus de la tête. Il englobe le droit de l’individu d’être
laissé [tranquille] et de vivre en paix, que ce soit sous un toit ou non » (§ 61).
33) Les Plaignants allèguent que le gouvernement nigérian a violé le droit à la santé et le droit à un environnement propre, tels que
reconnus aux termes des articles 16 et 24 de la Charte africaine en négligeant d’accomplir les obligations minimales liées à ces droits.
Les Plaignants allèguent en outre que le gouvernement a fait cela en : participant directement aux activités de contamination de l’air, de
l’eau et du sol, nuisant, en ce faisant, à la santé du peuple Ogoni; négligeant de protéger la population Ogoni contre les torts causés
par le Consortium Shell NNPC, et en utilisant plutôt ses forces de sécurité pour faciliter les dommages causés; négligeant de fournir ou
de permettre la conduite d’études sur les risques éventuels ou réels sur l’environnement et la santé, causés par les activités pétrolières.
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La protection des droits garantis par les articles 14, 16 et 18 (al. 1) mène à la même conclusion.
En ce qui concerne le droit précédent, et dans le cas du peuple Ogoni, le gouvernement du
Nigéria n’a pas rempli ces deux obligations minimums. Le gouvernement a détruit les maisons et
villages des populations Ogoni et ensuite à travers ses forces de sécurité, il a provoqué, harcelé,
battu et dans certains cas, tué et tiré sur des citoyens innocents qui ont essayé de retourner pour
reconstruire leurs maisons détruites. Ces actions constituent des violations graves du droit au
logement prévu par les articles 14, 16 et 18 (al. 1) de la Charte africaine (§ 62). La Commission
fait également référence dans sa décision à l’observation générale n° 4 (1991) du CODESC
sur le droit à un logement adéquat qui énonce que : « toutes les personnes devraient être
en possession d’un certain bail assuré qui garantit une protection légale contre les expulsions
forcées, le harcèlement et d’autres menaces »
34, et en vertu duquel la Commission a considéré
que le comportement du gouvernement nigérian démontre nettement une violation de ce droit
dont jouit le peuple Ogoni en tant que droit collectif (§ 63).
• Pour ce qui est du droit à l’alimentation, il est « inextricablement lié à la dignité des êtres
humains et il est par conséquent essentiel à la jouissance et à la réalisation des autres droits
tels que les droits à la santé, à l’éducation, au travail et à la participation politique. La Charte
africaine et le droit international exigent du Nigéria de protéger et d’améliorer les sources
alimentaires existantes et de garantir l’accès à une alimentation adéquate pour tous les citoyens.
Sans toucher à l’obligation d’améliorer la production alimentaire et de garantir son accès, le
droit à l’alimentation exige que le gouvernement nigérian ne détruise ni contamine les sources
alimentaires. Il ne devrait pas permettre aux agents privés de détruire ou de contaminer les
sources alimentaires et entraver les efforts déployés par les populations pour s’alimenter » (§ 65).
La Commission conclut enfin que « les droits collectifs, environnementaux, économiques et
sociaux sont des éléments essentiels des droits de l’homme en Afrique (…). La Commission saisit
cette occasion pour clarifier qu’il n’y a pas de droit dans la Charte africaine que l’on ne puisse
mettre en oeuvre. Comme indiqué dans les paragraphes précédents, le gouvernent nigérian n’a
pas satisfait au minimum des attentes de la Charte africaine » (§ 68).
« La Commission africaine ne souhaite pas mettre en cause les gouvernements qui travaillent
dans des conditions difficiles en vue d’améliorer le niveau de vie de leurs populations. Toutefois,
la situation du peuple Ogoni exige, du point de vue de la Commission, une révision de l’attitude
du gouvernement face aux allégations contenues dans la communication en question » (§ 69)
35.
ii. Autres mécanismes de la Commission
Tout comme les mécanismes internationaux des droits de l’homme des Nations Unies, la CnADHP
a aussi la compétence d’examiner les rapports périodiques des États concernant leur performance
quant à la mise en oeuvre des dispositions de la CADHP. Suite à cet examen, la CnADHP publie
des observations finales qui peuvent fournir aux praticiens des déclarations intéressantes sur
une question particulière ou sur la situation d’un pays. Elle a également la possibilité d’envoyer
des délégations dans des États membres particuliers avec le consentement de ces derniers. Ces
missions peuvent avoir pour objectif d’enquêter sur des problèmes ou de promouvoir les droits
36.
De surcroît, la CnADHP peut créer des mécanismes spéciaux qui sont en charge de questions ou
de processus spécifiques, y compris l’examen de communications
37. Parmi ces mécanismes, ceux
décrits ci-après sont particulièrement pertinents pour la promotion et la protection des DESC:
35) http://www.achpr.org/fr.
36) Rapports de missions se trouvent sur la page suivante : http://www.achpr.org/mechanisms.
37) La CnADHP a mis en place un groupe de travail spécifique sur les Communications à sa 50ème Session ordinaire tenue du 24 octobre
au 5 novembre 2011, dans le respect de son règlement intérieur et afin de faciliter le traitement des communications reçues et préparer
ses décisions sur la recevabilité et le fond de ces communications.
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Groupes de travail - Un des groupes de travail créé par la CnADHP qui est particulièrement
pertinent pour les DESC est le Groupe de travail sur les droits économiques, sociaux et culturels
(GT-DESC).
Se fondant sur les normes ancrées dans la CADHP et sur la jurisprudence progressiste de
la CnADHP, le GT-DESC a adopté et lancé en 2011 un document qui complète et précise
les dispositions contenues dans la Charte. Il s’agit des Directives et Principes sur les Droits
économiques, sociaux et culturels dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples
38.
Avec cet instrument non contraignant, la CnADHP se propose de guider les États parties pour
qu’ils comprennent mieux et puissent donc mieux remplir leurs obligations au titre de la Charte
dans le domaine des DESC.
Le GT-DESC a aussi adopté les Lignes directrices relatives aux rapports des États Parties sur
les droits économiques sociaux et culturels dans la Charte Africaine des Droits de l’Homme et
des Peuples (Lignes directrices de Tunis de 2011) ; Ces lignes ont été adoptées pour guider les
États parties à la CADHP dans la préparation de leurs rapports sur la mise en oeuvre de leurs
obligations de réaliser la jouissance des DESC aux termes de l’article 62 de la Charte. Ces
lignes directrices doivent être utilisées conjointement avec les Lignes directrices de 1989 relatives
à la préparation des Rapports périodiques nationaux aux termes de la Charte.
Il doit également faire référence aux Principes et Lignes directrices sur la mise en oeuvre des
DESC dans la CADHP, adoptés le 26 mai 2010 qui expliquent de manière plus détaillée les
obligations des États parties en vertu de la Charte.
Outre le GT-DESC, la CnADHP a établi d’autres organes dont le travail est pertinent pour la
promotion et la protection des DESC. Ces organes incluent notamment le Comité sur la protection
des droits des personnes vivant avec le VIH (PVVIH), des personnes à risque, vulnérables et
affectées par le VIH ; le Groupe de travail sur les droits des personnes âgées et des personnes
handicapées ; et le Groupe de travail sur les industries extractives, l’environnement et les
violations des droits de l’homme.
Rapporteurs spéciaux - Les mandats des Rapporteurs spéciaux créés par la CnADHP
peuvent offrir des opportunités supplémentaires d’obtenir des déclarations publiques sur des
questions particulières et des situations dans des pays, ainsi que de sensibiliser divers acteurs
autour d’une affaire spécifique. Les Rapporteurs spéciaux ont la tâche de promouvoir les
droits et les dispositions de la CADHP en lien avec leur mandat, notamment à travers l’écriture
d’études thématiques et de rapports ; l’élaboration de résolutions sur des aspects importants
de leur mandat; des visites et missions d’enquête dans des pays ; et, à travers la collaboration
avec les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux pertinents aux niveaux national et
international.
Les mandats pertinents pour les DESC incluent entre autres le Rapporteur spécial sur les
défenseurs des droits de l’homme ; le Rapporteur spécial sur les droits des femmes en Afrique ;
ou le Rapporteur spécial sur les réfugiés, les demandeurs d’asile, les migrants et les personnes
déplacées.
Pour obtenir la liste complète des mécanismes spéciaux de la CnADHP, leur composition et leur
travail, les praticiens pourront consulter le site suivant : http://www.achpr.org/fr/mechanisms/
38) Directives et Principes sur les droits économiques sociaux et culturels dans la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples,
adoptés par le Groupe de travail sur les droits économiques, sociaux et culturels de la CnADHP et lancé publiquement le 25 octobre 2011
lors de la 50ème session ordinaire de la CnADHP qui s’est tenue du 24 octobre au 5 novembre 2011.
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LES MÉCANISMES DE PROTECTION DES DESC AUX NIVEAUX INTERNATIONAL ET RÉGIONAL
2.3 - La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
Créée par le Protocole de Ouagadougou le 9 Juin 1998, la Cour africaine des droits de l’homme
et des peuples (CrADHP) complète les fonctions de protection que la CADHP a conférées à la
CnADHP (art. 2 du Protocole de Ouagadougou).
Elle a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est
saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés. En cas de
contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide (art. 3 du Protocole).
En ce qui concerne les plaintes introduites par les ONG et les individus, les articles 6 et 34(6)
du Protocole créant la Cour prévoient les critères de recevabilité ci-après : « en sus des sept
conditions de recevabilité édictées à l’article 56 de la CADHP, les affaires portées directement
devant la Cour par les individus et les ONG ne sont recevables que lorsque l’État contre lequel
la plainte est introduite a fait une déclaration aux termes de l’article 5(3) du Protocole créant la
Cour acceptant la compétence de la Cour pour recevoir de telles plaintes ». Or, la République
tunisienne n’a pas fait la déclaration prévue à l’article 34(6). Les communications individuelles
ne peuvent donc être présentées qu’à la CnADHP.
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CHAPITRE III
L e c o n t r ô l e p a r l e s o r g a n e s j u r i d i c-
t i o n n e l s e t q u a s i - j u r i d i c t i o n n e l s
n a t i o n a u x
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CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE
CHAPITRE III
Le contrôle par les organes juridictionnels
et quasi-juridictionnels nationaux
Les organes juridictionnels et quasi-juridictionnels nationaux sont appelés à jouer un rôle majeur
dans la protection des DESC en contrôlant, eux aussi, le respect des obligations des États.
Comme l’a remarqué le CODESC dans son Observation générale n° 3 (La nature des obligations
des États parties, art. 2 § 1 du PIDESC) de 1990, «Parmi les mesures qui pourraient être
considérées comme appropriées figurent, outre les mesures législatives, celles qui prévoient des
recours judiciaires au sujet de droits qui, selon le système juridique national, sont considérés
comme pouvant être invoqués devant les tribunaux » (§ 5)39.
Ce chapitre va donc s’attacher à présenter aux praticiens du droit la nature des diverses
obligations des États spécifiques aux DESC (I) mais également générales (c’est-à-dire valables
pour tous les droits humains), puis donnera des exemples et illustrations de possibles violations
de ces obligations (II), avant de se pencher sur le contrôle du respect des principes généraux du
droit qui se doit également d’être effectué (III).
I- Le contrôle du respect des obligations des États en matière de DESC
Au titre du droit international, les violations des DESC se produisent lorsque les États manquent à
leur obligation, de garantir la jouissance de ces droits sans discrimination, en les respectant, en
les protégeant et en les mettant en oeuvre : soit par leurs actes soit par leurs omissions,.
Par ailleurs, en plus des obligations générales qui s’appliquent à tous les droits de l’homme,
qu’ils soient civils, politiques, économiques, sociaux et culturels (1.2), le CODESC a contribué
de manière significative à « démystifier » les DESC en précisant la nature et l’étendue des
obligations spécifiques des États en ce qui les concerne (1.1), remettant par là-même en question
l’idée selon laquelle accepter la justiciabilité de ces droits ouvrirait la porte à toutes sortes de
demandes déraisonnables contre l’État.
1.1. Les obligations spécifiques aux DESC
Selon l’article 2 du PIDESC,
1. Chacun des États parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par
l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique,
au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice
des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier
l’adoption de mesures législatives.
39) http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=INT%2fCESCR%2fGEC%2f4758&Lang=en.
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2. Les États parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés
seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue,la
religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la
naissance ou toute autre situation.
3. Les pays en voie de développement, compte dûment tenu des droits de l’homme et de leur
économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront les droits économiques
reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants».
Ces obligations, mentionnées pour une première fois dans le PIDESC, ont ensuite été détaillées
par le CODESC dans ses Observations générales : tout d’abord via une observation sur la
nature des obligations en matière de DESC en général (Observation générale n° 3), puis, au fur
et à mesure des années, par des observations portant sur des DESC bien précis selon l’évolution
des grandes questions internationales en matière socio-économique et culturelle (cf. tableau
Chapitre II, page xxxxx)
Ainsi, il est entendu que les obligations des États spécifiques aux DESC consistent à garantir ces
droits de façon progressive (i) mais tout en utilisant le maximum des ressources disponibles (ii).
Un minimum essentiel (iii) de ces droits doit ainsi, et de toutes les façons, être mis à disposition de
la population, si nécessaire en faisant appel à l’assistance et la coopération internationales (iv).
i. L’obligation de réalisation progressive
Le concept de « réalisation progressive » se fonde sur l’idée que la réalisation des DESC dans
leur ensemble « ne peut généralement pas être assurée en un court laps de temps… compte tenu
des réalités du monde et des difficultés que rencontre tout pays qui s’efforce d’assurer le plein
exercice de [ces] droits»
40.
Cette limitation a souvent été utilisée pour justifier l’inaction des États. Cependant, le CODESC a
précisé que la progressivité « ne saurait être interprétée d’une manière qui priverait l’obligation
en question de tout contenu effectif»
41. Considérant la raison d’être du Pacte, le CODESC a ainsi
établi que l’article 2 (1) « impose l’obligation d’oeuvrer aussi rapidement et aussi efficacement
que possible » en faveur du plein exercice des droits du Pacte
42. Les États ne peuvent rester
inactifs et ne peuvent pas reporter à plus tard la conception et la mise en oeuvre de mesures
visant à atteindre ce plein exercice des DESC. Ces mesures doivent en outre être délibérées,
concrètes et ciblées afin de remplir les obligations imposées par le Pacte
43.
« Le Comité souligne que, même en temps de grave pénurie de ressources, en raison d’un processus
d’ajustement, de la récession économique ou d’autres facteurs, les éléments vulnérables de la
société peuvent et doivent être protégés grâce à la mise en oeuvre de programmes spécifiques
relativement peu coûteux »
44.
L’État doit, ainsi, fournir tous les efforts possibles afin de favoriser la jouissance de ces droits au
maximum des ressources disponibles, même lorsqu’elles sont limitées. Ces ressources peuvent
êtres financières, humaines, ou logistiques (internes ou externes).
40) CODESC, Observation générale n° 3, § 9.
41) Ibid.
42) Ibid.
43) Ibid, § 2.
44) Ibid, § 12.
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On note que beaucoup de conventions des droits de l’homme reconnaissent que la réalisation de
certains DESC demande du temps et permettent, comme montré ci-dessous, aux États de réaliser
ces droits de manière progressive (
Clauses de «réalisation progressive» dans les instruments des Nations Unies relatifs aux DDH45
• PIDESC (art. 2, § 1) : Chacun des États parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par
son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les
plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer
progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens
appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives.
• Convention relative aux droits de l’enfant (art. 4) : Les États parties s’engagent à prendre toutes
les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en oeuvre les
droits reconnus dans la présente Convention. Dans le cas des droits économiques, sociaux et
culturels, ils prennent ces mesures dans toutes les limites des ressources dont ils disposent et, s’il
y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale.
• Convention relative aux droits des personnes handicapées (art. 4, § 2) : Dans le cas des
droits économiques, sociaux et culturels, chaque État partie s’engage à agir, au maximum des
ressources dont il dispose et, s’il y a lieu, dans le cadre de la coopération internationale, en vue
d’assurer progressivement le plein exercice de ces droits, sans préjudice des obligations énoncées
dans la présente Convention qui sont d’application immédiate en vertu du droit international.
ii. Les obligations immédiates
Bien que le PIDESC établisse une obligation de réalisation progressive en ce qui concerne les
droits garantis dans le Pacte (art. 2 1), le CODESC et d’autres autorités ont identifié que certains
éléments des droits n’étaient pas soumis à cette progressivité.
L’obligation « d’agir…en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits… par tous
les moyens appropriés » impose également des obligations à effet immédiat de prendre des
mesures délibérées et ciblées
46. Ces dernières incluent les mesures législatives, telles que celles
visant à la transposition du PIDESC en droit interne, ainsi que la mise à disposition de recours
judiciaires et administratifs. Elles peuvent aussi inclure d’autres mesures telles que des mesures
administratives, financières, éducatives ou sociales
47.
Les obligations à effet immédiat incluent donc les éléments suivants :
• Développer des plans d’action nationaux dans le domaine de l’éducation, de la santé ou
de l’eau et de l’assainissement.
• Abolir et criminaliser toutes formes de discrimination (basées sur le sexe, l’origine ethnique,
l’âge, le handicap, l’appartenance géographique, etc.). Exemples : ne pas inscrire des enfants
d’une certaine catégorie à l’école, ne pas donner à une certaine catégorie de la population
active accès à l’emploi, limiter le droit à l’héritage pour les femmes ;
45) Questions fréquemment posées concernant les droits économiques, sociaux et culturels, HCDH, Fiche d’information n° 33, p. 17.
Disponible sur : http://www.ohchr.org/Documents/Publications/FactSheet33fr.pdf.
46) CODESC, Observation générale n° 3, § 2.
47) Ibid, § 3, 5, 7.
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• Assurer les obligations minimales relatives à chaque droit
• Ne pas prendre de mesures qui peuvent conduire à la dégradation de la situation des
détenteurs des droits (principe de non-régression). Exemples : instaurer des frais de scolarité
dans l’enseignement primaire ; Abolir la gratuité des soins pour des catégories vulnérables ;
• Réaliser tous les droits qui ne demandent pas de ressources. Exemples : le droit de constituer
et de s’affilier à des syndicats (art. 8 du PIDESC), le droit de recevoir un salaire égal pour un
travail équivalent sans discrimination (art. 7.a).
Par ailleurs, dans ses Observations générales, le CODESC a établi que certaines dispositions
du PIDESC sont « susceptibles d’être immédiatement appliquées par des organes de caractère
judiciaire et autre dans le cadre de nombreux systèmes juridiques nationaux »
48.
Ces dispositions incluent :
• La non-discrimination (art. 2, al. 2) ;
• L’égalité homme-femme (art. 3) ;
• Le droit de former des syndicats et de s’y affilier et le droit de grève (art. 8) ;
• L’obligation de protéger les enfants et adolescents contre l’exploitation économique et
sociale (art. 10, § 3) ;
• Le droit à une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune
(art. 7, al. a i);
• L’enseignement primaire obligatoire et accessible gratuitement à tous (art. 13, § 2 a) ;
• L’obligation de respecter la liberté des parents de choisir pour leurs enfants des établissements
autres que publics, mais conformes aux normes minimales en matière d’éducation
(art. 13, § 3) ;
• L’obligation de protéger la liberté des individus et des personnes morales de créer et de
diriger des établissements d’enseignement conformes aux normes minimales (art. 13, § 4) ;
• L’obligation de respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités
créatrices (art. 15, § 3).
Ces obligations continuent de s’appliquer en tout temps, même en temps de crise économique49.
Les obligations d’application immédiate sont également liées au concept de garantie du « noyau
fondamental ou contenu minimum » de chaque DESC. Cette obligation inclut un niveau minimum
d’obligations fondamentales de l’État telles que l’obligation négative de ne pas interférer de
manière arbitraire avec l’exercice des droits de l’homme par les individus.
Un point fondamental : l’interdiction des mesures régressives.
Par ailleurs, en imposant une obligation de progresser le plus rapidement et efficacement possible
pour atteindre les buts fixés par le PIDESC, le CODESC interdit de manière générale les mesures
qui peuvent impliquer un retour en arrière dans le niveau de jouissance des DESC
50. A cet
égard, le Comité parle de « mesures régressives » pour décrire certaines pratiques étatiques qui
affectent la protection existante des DESC : « … toute mesure délibérément régressive dans ce
domaine doit impérativement être examinée avec le plus grand soin, et pleinement justifiée par
référence à la totalité des droits sur lesquels porte le Pacte, et ce en faisant usage de toutes les
ressources disponibles ». Les mesures régressives sont prima facie non conformes au PIDESC. Les
États ont donc la charge de la preuve lorsqu’ils veulent justifier de la légalité de telles mesures,
48) CODESC, Observation générale n° 3, § 5.
49) Ibid, § 12.
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en prenant dûment en compte les dispositions sur les limitations à l’article 4 du PIDESC51. Un
État qui prend une mesure régressive devra par conséquent prouver que celle-ci est absolument
nécessaire pour atteindre un objectif impératif, et qu’il n’existe aucune alternative, qu’aucune
mesure moins restrictive n’est disponible
52.
iii. Les obligations liées au contenu essentiel et au niveau de vie suffisant
Contenu essentiel - Un aspect-clé dans le domaine des DESC est le concept de contenu essentiel
de chaque droit. Ce contenu essentiel (aussi appelé « noyau dur » ou « minimum vital »)
génère une obligation immédiate pour les États de satisfaire au moins ce seuil. Ce concept a
initialement été élaboré afin de ne pas laisser aux États une trop grande marge d’appréciation
dans l’interprétation et l’application de leurs obligations en matière de DESC
53.
Bien que le but ultime pour les États soit le plein exercice de tous les droits, certains éléments de
ceux-ci sont considérés comme les plus essentiels ou fondamentaux et les obligations d’atteindre
ces niveaux de jouissance minimums doivent se voir accorder la priorité et avoir un effet immédiat.
La garantie de la jouissance du contenu essentiel peut donc être considérée comme un seuil
inviolable devant être assuré pour tous et en toutes circonstances, et à partir duquel la réalisation
progressive doit être envisagée par les États54. Si ce seuil n’est pas atteint, il y aura manquement
présumé de l’État à ses obligations de garantir les droits. La réalisation progressive des droits
doit ainsi se faire, en plus et à partir de la satisfaction du contenu essentiel de chaque droit.
Le CODESC a décrit la portée de cette obligation comme suit : «… chaque État partie a
l’obligation fondamentale minimum d’assurer, au moins, la satisfaction de l’essentiel de chacun
des droits»
55.
Le contenu essentiel de certains DESC est plus clair que pour d’autres. L’article 14 du PIDESC,
par exemple, établit clairement que, au minimum, l’éducation primaire doit être gratuite et
obligatoire pour tous.
Il faut noter que le contenu essentiel des droits de l’homme n’est pas un concept figé et continue
d’évoluer avec les progrès scientifiques et technologiques, et avec les changements sociétaux.
Le CODESC a affirmé que les limitations que peuvent rencontrer les États en termes de ressources
peuvent être prises en considération lors de l’évaluation du respect de leurs obligations de
satisfaire le contenu essentiel, tout en gardant également à l’esprit que ces ressources peuvent
être mobilisées grâce à l’assistance et à la coopération internationales.
50) CODESC, Observation générale n° 3, § 2.
51) Ibid, § 9.
52) Ibid : « … C’est une façon de reconnaître le fait que le plein exercice de tous les droits économiques, sociaux et culturels ne peut
généralement pas être assuré en un court laps de temps…cette clause impose l’obligation d’oeuvrer aussi rapidement et aussi efficacement
que possible pour atteindre cet objectif ».
53) Voir l’Observation générale du CODESC n° 3 et Magdalena Sepúlveda, « The Nature of the Obligations under the International
Covenant on Economic, Social and Cultural Rights, Intersentia », 2003, p. 25-75.
54) Selon les Directives de Maastricht relatives aux violations des DESC, « Le fait que la plupart des droits économiques, sociaux et culturels
ne puissent être pleinement réalisés que de façon progressive, ce qui vaut également pour la plupart des droits civils et politiques, ne
modifie nullement la nature de l’obligation juridique qui impose aux États de prendre immédiatement certaines mesures et d’autres au plus
tôt. C’est donc à l’État qu’il appartient de démontrer qu’il réalise des progrès quantifiables en vue de la pleine réalisation des droits en
question. L’État ne saurait se servir de la disposition visée à l’article 2 du Pacte, qui prévoit «d’assurer progressivement le plein exercice des
droits», comme prétexte pour ne pas respecter ses engagements. De même, un État ne saurait justifier des dérogations ou des limitations
aux droits reconnus dans le Pacte en mettant en avant des particularités sociales, religieuses ou culturelles » (§ 8).
« En tout état de cause, comme cela est prévu aux paragraphes 25 à 28 des Principes de Limburg, et confirmé par la jurisprudence
naissante du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, la faiblesse des ressources n’exonère pas les États de certaines obligations
minimums de mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels » (§ 10).
55) CODESC, Observation générale n° 3, § 10.
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Toutefois, indépendamment du niveau de ressources, le CODESC a souligné que les États sont
tenus d’utiliser la totalité de leurs ressources disponibles pour assurer en priorité la jouissance du
contenu essentiel de chaque droit : « … même en temps de grave pénurie de ressources, … les
éléments vulnérables de la société peuvent et doivent être protégés grâce à la mise en oeuvre de
programmes spécifiques relativement peu coûteux »
56.
Le principe du contenu essentiel a été reconnu par divers systèmes nationaux. En Allemagne, par
exemple, les tribunaux ont décidé que les principes constitutionnels de l’État providence (ou État
social) et de la dignité humaine peuvent se traduire en obligations positives pour l’État qui doit
assurer aux personnes dans le besoin un « minimum vital » comprenant l’accès à l’alimentation,
au logement et à l’assistance sociale
57.
Niveau de vie suffisant - Bien que ce soit un principe indépendant dans certaines juridictions, le
droit à un niveau de vie ou de subsistance minimum est étroitement lié au concept de contenu
essentiel de chaque DESC et de l’obligation pour les États de le satisfaire.
Il a été utilisé notamment par les tribunaux allemands et suisses pour protéger les DESC,
particulièrement pour protéger un niveau essentiel de jouissance du droit à l’assistance sociale,
du droit à un niveau de vie suffisant, et du droit à l’éducation.
Devant la Cour constitutionnelle allemande (18 juillet 2012), la question en jeu était si le montant
des prestations sociales en espèces pour les demandeurs d’asile était compatible avec le droit
fondamental à un niveau minimum d’existence comme découlant du droit à la dignité humaine
(art. 1.1 de la Loi fondamentale allemande) lu en combinaison avec le principe de la protection
sociale (art. 20.1 de la Loi fondamentale).
La Cour a statué que les dispositions qui régissent les prestations en espèces en question violent
le droit fondamental à la garantie d’une existence minimum digne, protégée en vertu de la Loi
fondamentale allemande (§ 1 et C.I.1). Ce droit est universel et s’applique
à la fois aux nationaux et aux ressortissants étrangers (§ C.I.1.a). Il comprend « ... l’existence
physique des êtres humains, à savoir la nourriture, des vêtements, des articles ménagers, un
logement, un chauffage, hygiène et santé, et des garanties de la possibilité de maintenir des
relations interpersonnelles et à un degré minimal de participation à la vie sociale, culturelle et
politique, dès lors qu’un être humain existe nécessairement dans un contexte social» (§ C.I.1.b).
La Cour a affirmé que « les considérations de la politique d’immigration de minimiser des
allocations versées aux demandeurs d’asile et des réfugiés pour éviter les incitations à
l’immigration... ne peuvent généralement justifier aucune réduction des prestations au-dessous
des besoins physiques socio-culturels de l’existence minimum... La dignité humaine... ne peut pas
être modifiée à la lumière des considérations de politique migratoire » (§ C.II.2.c). En outre, la
Constitution ne permettant pas de différenciation entre les bénéficiaires de prestations sociales
fondamentales conformément à leur statut de résidence, le législateur doit toujours être guidé par
les besoins concrets pour garantir l’existence de la personne (§ C.I.1.DD).
En conclusion, la Cour a ordonné au législateur d’adopter immédiatement des nouvelles
dispositions en ce qui concerne les prestations en espèces pour les demandeurs d’asile qui leur
garantiraient une existence minimum digne
58.
56) CODESC, Observation générale n° 3, § 12.
57) ICJ Justiciability Study, p. 25. Voir aussi le chapitre 5 du “ICJ Practitioners Guide No.8”.
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IV. L’assistance et la coopération internationales
Il arrive souvent que les États en développement ou en transition ne disposent pas des ressources
nécessaires pour assurer le plein exercice des DESC à tous leurs citoyens directement ou à brève
échéance. C’est pour cela que le Pacte prescrit non pas une mise en oeuvre pleine et immédiate
mais une réalisation progressive de ces droits dans les limites des ressources disponibles.
Cependant, il impose aussi aux États d’accepter, le cas échéant, une assistance extérieure à
cette fin. Les États doivent donc exécuter leurs obligations au titre de l’article 2 du PIDESC « tant
par [leur] effort propre que par l’assistance et la coopération internationales». Cette disposition
comporte une double obligation : celle d’accepter une assistance et celle d’en fournir une.
Lorsqu’un État est incapable de satisfaire à ses obligations au regard des DESC et qu’une
assistance extérieure est disponible, il ne peut opter pour l’isolationnisme ni se retrancher derrière
une idéologie fondée sur l’autosuffisance immédiate
59. Une telle assistance doit être considérée
comme faisant partie des ressources disponibles.
Quant aux États qui ont des moyens suffisants pour apporter un soutien à d’autres États
financièrement incapables d’assurer la jouissance des DESC à toutes les personnes relevant de
leur juridiction, ils sont tenus de le faire. La prescription relative à l’assistance et à la coopération
internationales vaut dans ces deux sens. Les États qui sont en mesure de fournir une assistance
auront à rendre des comptes concernant leurs actions ou omissions en cas de manquement total
ou partiel à l’obligation d’assistance
60.
1.2. Les obligations générales et principes transversaux des droits de l’homme
En plus des obligations qui s’appliquent de façon spécifique aux DESC, les États se doivent
également de prendre des mesures qui leur permettent de respecter les obligations et principes
généraux et transversaux qui s’appliquent à tous les droits de l’homme, quelle que soit leur
nature, à savoir :
1) l’obligation de respecter,
2) l’obligation de protéger contre des violations commises par des tiers ; et,
3) l’obligation de mettre en oeuvre les droits61.
58) http://www.bundesverfassungsgericht.de/en/decisions/ls20120718_1bvl001010en.html.
59) Selon l’Observation n° 3 du CODESC, « Un dernier point du paragraphe 1 de l’article 2 sur lequel il convient d’appeler l’attention
est que chacun des États parties s’engage à «agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales,
notamment sur les plans économique et technique». Le Comité fait observer que, pour les auteurs du Pacte, l’expression «au maximum
de ses ressources disponibles » visait à la fois les ressources propres d’un État et celles de la communauté internationale, disponibles
par le biais de l’assistance et de la coopération internationales. En outre, les dispositions expresses des articles 11, 15, 22 et 23
mettent elles aussi l’accent sur le rôle essentiel de cette coopération lorsqu’il s’agit de faciliter le plein exercice des droits en question.
Pour ce qui est de l’article 22, le Comité a déjà insisté, dans l’Observation générale no 2 (1990), sur un certain nombre de possibilités
et de responsabilités en ce qui concerne la coopération internationale. Quant à l’article 23, il y est expressément dit que «la fourniture
d’une assistance technique», ainsi que d’autres activités, figurent au nombre des «mesures d’ordre international destinées à assurer la
réalisation des droits reconnus dans le Pacte» (§ 13).
60) Droits économiques sociaux et culturels, Manuel destiné aux institutions des droits de l’homme, Nations Unies, 2004, p. 15.
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I. L’obligation de respecter
L’obligation de respecter exige que l’État s’abstienne, dans l’exercice de ses fonctions, de nuire
à la jouissance existante d’un droit par les titulaires de ce droit.
Les obligations de respecter imposent un nombre d’obligations négatives (càd de ne pas violer
le droit), qui dans la plupart des cas ne sont pas soumises à la réalisation progressive. Ces
obligations s’appliquent pleinement et immédiatement et ne diffèrent pas dans leur nature des
obligations au titre des droits civils et politiques.
Il faut cependant noter que, comme toute obligation de droits de l’homme, cette obligation de
respecter implique aussi des mesures positives telles que la mise en place d’institutions adéquates
et la garantie d’un système de justice efficace pour conduire les enquêtes et fournir les recours et
réparation en cas de violations des droits par les agents de l’État.
Dans une affaire devant la Cour suprême jordanienne (n° 43/1968), le Conseil Municipal a
interdit à un vendeur de légumes et fruits d’exercer sa profession ; Or la Constitution jordanienne
prévoit le droit au travail au paragraphe 1er de l’article 23.
Ce droit est garanti pour ceux qui travaillent dans le secteur public ainsi que ceux qui travaillent
pour leur propre compte ; l’État impose toutefois des lois pour réglementer la pratique libre de
professions.
Les juges ont estimé que le Conseil Municipal a dépassé ses pouvoirs parce que, même si
le système de contrôle et d’organisation des fonds publics, professions et industries dans la
région de la municipalité permet au Conseil Municipal de rendre des décisions déterminant
l’emplacement des marchés publics et les types de biens et de produits qui peuvent être exposés,
et consacrer certains de ces marchés à un type déterminé de professions ou interdisant la pratique
de certaines professions, l’exercice de ce pouvoir ne devrait pas
affecter le droit des personnes à pratiquer leur profession conformément à l’article 23 de la
Constitution (les juges consacrent la formulation du PIDESC)
62.
II. L’obligation de protéger
L’obligation de protéger exige de l’État qu’il prenne des mesures pour empêcher des tierces
personnes de nuire à la jouissance d’un droit.
Elle s’applique particulièrement dans les situations d’inégalité de pouvoir entre un individu et un
tiers, notamment quand celui-ci est une grande entreprise privée
63.
Cette obligation met l’accent sur l’action de l’État qui est nécessaire à prévenir, mettre un terme
ou obtenir réparation et/ou punition en cas d’interférence de tierces parties.
En effet, les acteurs privés peuvent eux aussi commettre des violations des DESC et avoir à
en répondre. Le droit relatif aux droits de l’homme ne relève plus simplement du domaine du
61) Sur les trois obligations, voir: Olivier De Schutter, International human rights law: cases, materials, commentary - Cambridge University
Press, United Kingdom, 2010.
Aussi : CODESC, Observation générale n° 12, § 15 ; n° 14, § 34 - 37 ; n° 19, § 43.
62) Jurisprudence in the application of Human Rights Standards in Arab Courts, Samia Bourouba, Raoul Wallenberg Institute, 2016, p.
81 et s.
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droit public, mais s’étend aussi, désormais, à la sphère privée. Les acteurs privés sont tenus de
respecter les droits de l’homme et l’État a l’obligation correspondante de garantir la protection
de ces droits contre des violations par des tiers qui ne sont pas liés de manière générale à l’État.
C’est ainsi qu’en juin 2011, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a entériné les «
Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme »64. Ces 31 principes, issus
de 6 ans de consultations avec des entreprises, des gouvernements, des membres de la société
civile, de juristes, des investisseurs et d’autres acteurs concernés, clarifient la responsabilité des
entreprises en matière de droits de l’homme, tout en rappelant l’obligation fondamentale qui
importe aux États de protéger les droits de l’homme contre les violations commises par des tiers,
notamment des entreprises.
Nota : Pour des exemples jurisprudentiels sur ce point, se référer à la Commission internationale
des juristes (CIJ) UI a produit une série d’études sur l’accès à la justice pour les victimes d’abus
commis par des acteurs privés65. Bien que ces études se concentrent sur le contexte juridique
propre au pays auquel chaque étude est consacrée, elles fournissent des indications très utiles
concernant les opportunités et défis que les victimes rencontrent dans
leur effort de saisir les tribunaux contre les abus d’acteurs privés. Elles offrent également une
analyse détaillée des recours nationaux, de leur disponibilité et efficacité. Les praticiens tunisiens
pourront trouver utile de consulter ces documents pour une analyse comparative, en se concentrant
particulièrement sur les études de pays ayant une tradition juridique similaire.
Cette obligation de l’État est normalement remplie à travers :
• La régulation par l’État de la conduite des acteurs privés, ainsi que le contrôle et l’évaluation
de leur respect des droits ;
• L’application de sanctions administratives et judiciaires à l’encontre de tiers non respectueux
des droits, tels que des employeurs, des propriétaires de logements, des fournisseurs de services
de santé ou d’éducation, des industries polluantes ou des fournisseurs privés de nourriture ou
d’eau
66 ;
• La mise à disposition de voies de recours pour les victimes d’abus commis par des tiers.
Cette obligation vient donc compléter d’autres activités de l’État, telles que la régulation ou
l’application de la loi.
63) Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme: mise en oeuvre du cadre de référence «protéger, respecter
et réparer» des Nations Unies, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de l’homme et
des sociétés transnationales et autres entreprises, adopté par le Conseil des droits de l’homme dans sa résolution A/HRC/RES/17/4
(2011) : « Les États ont l’obligation de protéger lorsque des tiers, y compris des entreprises, portent atteinte aux droits de l’homme sur
leur territoire et/ou sous leur juridiction. Cela exige l’adoption de mesures appropriées pour empêcher ces atteintes, et lorsqu’elles
se produisent, enquêter à leur sujet, en punir les auteurs, et les réparer par le biais de politiques, de lois, de règles et de procédures
judiciaires ».
Sur les obligations d’État liées à des abus par les entreprises commerciales qui touchent les enfants, voir le Comité des droits de
l’enfant, Observation générale n° 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale
(art. 3, § 1), CRC/C/GC/16 (2013).
64) Ces principes sont disponibles sur le lien suivant : http://www.ohchr.org/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_
FR.pdf 65 Les études de la CIJ en Chine, Afrique du Sud, Colombie, Pologne, Inde, Brésil, République démocratique du Congo et Pérou
sont disponibles sur : http://www.icj.org/category/publications/?theme=international-economic-relations.
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L’obligation de protéger doit assurer une protection concrète contre un nombre de conduites
abusives, comme :
• Les expulsions forcées conduites par des acteurs privés ;
• Les mauvaises conditions de travail sur le marché de l’emploi dans le secteur privé ;
• Les manquements aux normes sanitaires et éducatives dans le secteur privé ;
• La discrimination dans les contrats de fournitures de services de base tels que la santé, l’eau,
le logement ou l’éducation ; ou
• Les ruptures ou modification abusives de ces contrats67.
Dans deux affaires (Massacre de Mapiripán c. Colombie, 15 septembre 200568 (violation
de la liberté de mouvement et de résidence) et Massacres d’Ituango c. Colombie, 1er juillet
200669), la Cour interaméricaine des droits de l’homme a considéré les massacres perpétrés
par des groupes paramilitaires en Colombie comme un non-respect par l’État colombien de
l’obligation de protéger les DESC. Les massacres entraînèrent l’expulsion forcée et le déplacement
de la population civile, ainsi que la perte pour celles-ci de leur domicile et de leurs moyens de
subsistance.
Des décisions des tribunaux nationaux traitant de la violation de l’obligation de respecter
notamment T-377/95, la Cour constitutionnelle colombienne, 24 août 1995 ; T-065/93, Cour
constitutionnelle colombienne, 26 février 1993 ; Molski c. Gleich, Cour d’appel fédérale
(Californie du Sud), Roberto E. Etcheverry c. Omint Sociedad Anónima y Servicios, Cour
suprême d’Argentine, 13 mars 2001.
Dans les deux cas, les juges constatent que l’État est responsable, entre autres, de ne pas avoir
protégé la population civile contre les attaques des groupes paramilitaires, tâche qui incombait
à l’armée colombienne qui exerçait l’autorité dans la région
70.
Au Kenya, l’affaire de la Cour suprême (Patricia Asero Ochieng et autres c. Procureur général
et autres du 20 avril 2012)
71 se concentre sur la constitutionnalité de la loi anti-contrefaçon
de 2008, en raison de son impact négatif sur l’accès aux médicaments génériques de VIH/
sida. Des articles de la loi tendaient en effet à confondre des médicaments génériques avec
des médicaments contrefaits, l’application de ces dispositions entrainant des sanctions civiles
et pénales pour les entreprises pharmaceutiques fabricant des médicaments génériques et donc
restreignant sévèrement l’accès à des médicaments abordables au Kenya. Ce manque d’accès
à son tour porte atteinte au droit à la dignité humaine, la santé et la vie.
La Cour, en accord avec l’évaluation de l’impact de la loi tel qu’indiqué par le requérant, a jugé
66) Directives de Maastricht (1997) : « De réglementer des activités exercées par des individus ou des groupes, afin de les empêcher de
violer des droits économiques, sociaux et culturels » (§ 15-d).
67) Des cas des tribunaux internationaux et les organes conventionnels qui traitent de l’obligation de protéger comprennent : SERAC et
CESR c. Nigeria, CnADHP, Communication n° 155/96, 13-27 octobre 2001 ; Massacres de Mapiripán c. Colombie, Cour interaméricaine
des droits de l’homme, 15 septembre 2005 ; Massacres d’Ituango c. Colombie, Cour interaméricaine des droits de l’homme, 1er juillet
2006 ; Commission internationale de juristes c. Portugal, Comité européen des droits sociaux, réclamation n° 1/1998, 10 septembre
1999 ; Hajrizi Dzemajl et consorts c. Yougoslavie, Comité de l’ONU contre la Torture, Communication n° 161/2000, 2 décembre 2002.
68) § 167-189.
69) § 172-200.
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que les articles en question étaient inconstitutionnels et a conclu qu’il incombe à l’État de revoir
les dispositions de l’article 2 de la loi anti - contrefaçon (§ 87 (b) (v) et 88), statuant que le droit
à la vie, la dignité humaine et la santé tel que protégé par la Constitution comprend l’accès
aux médicaments essentiels et abordables, y compris les médicaments génériques (87.a). Elle
a également estimé que les droits fondamentaux (dans l’affaire les droits à la vie, la dignité
humaine et la santé) priment sur le droit de propriété intellectuelle (86).
La Cour dans sa décision fait référence au PIDESC ainsi que l’observation générale n° 14 sur le
droit à la santé et considère que l’échec de l’État à mettre en place des conditions dans lesquelles
ses citoyens peuvent mener une vie saine signifie qu’il a enfreint, ou est susceptible de violer leur
droit à la santé (§ 58-59 et 61-63)
72.
Une décision de la justice sociale marocaine en est également une illustration de l’obligation de
l’État de protéger les droits de l’homme et les DESC en particulier. Le cas concerne un employé
d’une société textile depuis de nombreuses années et qui a été licencié pour avoir porté un des
produits (selon lui défectueux) de la société contrairement au règlement administratif. La Cour
de première instance a débouté le demandeur et l’a obligé à verser une indemnité pour arrêt de
travail. Par conséquent, le demandeur a déposé un recours en annulation.
Selon le tribunal, les relations de travail sont parmi celles qui sont étroitement réglementées par
des textes juridiques différents ; Le PIDESC inclut dans l’article 6-1 le droit au travail et contraint
les États parties à prendre les mesures nécessaires pour protéger ce droit, dont l’engagement de
protéger contre le licenciement abusif. Afin d’assurer une meilleure protection pour les salariés,
la Convention concernant la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur
(1982) prévoit dans son article 4 ce qui suit :
« Un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié
à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de
l’entreprise, de l’établissement ou du service ».
La Convention lie également l’employeur à suivre certaines procédures avant d’entreprendre tout
licenciement afin de permettre à l’employé de se défendre. Le Maroc a ratifié cette convention
et sa législation prévoit aussi - dans le respect de ces engagements internationaux- en vertu du
Code du travail des dispositions concernant les cas de cessation du travail (art. 35).
Se référant au Code du travail, les juges ont décidé cependant que porter un produit du type qui
n’est pas propre à la consommation ne constitue pas une grave erreur, surtout que l’article 38
du Code du travail prévoit que l’employeur doit adopter le principe des sanctions disciplinaires
progressives.
Les juges ont décidé que l’employeur n’a pas respecté les procédures et n’a pas permis au
travailleur de se défendre conformément aux dispositions des articles 62 et 63 du Code du
travail, alors que le travailleur a respecté les règles relatives à la réconciliation et s’est tourné vers
l’inspecteur du travail. Ce qui précède a été abordé par la Convention n° 158 de l’OIT (1982).
70° Les tribunaux et l’application des Droits économiques sociaux et culturels, Etude comparative d’expériences en matière de justiciabilité,
Commission internationale de juristes, 2010, p. 49.
71) Cette affaire porte sur des obligations de l’État dans le contexte des droits, en particulier l’obligation de respecter et de protéger.
72) http://donttradeourlivesaway.files.wordpress.com/2012/04/Kenya-Judgment-petition-no-409-of-2009.pdf.
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Les juges ont donc décidé que le travailleur a été abusivement licencié et qu’il mérite une
indemnité, conformément aux instruments internationaux et nationaux
73.
III. L’obligation de mettre en oeuvre
L’obligation de mettre en oeuvre reflète le principe de « par tous moyens appropriés » contenu dans
l’article 2 (1) du PIDESC et exige des États de prendre des mesures législatives, administratives,
budgétaires, judiciaires et autres en faveur du plein exercice des droits, y compris en comptant
sur la coopération et l’assistance internationales. Cette obligation peut inclure des devoirs de :
• Faciliter l’accès à des biens et services nécessaires à la jouissance des droits, ainsi que
l’accès à l’information ;
• De promouvoir la jouissance des droits, y compris grâce à des campagnes de sensibilisation ;
et d e fournir directement des biens et services nécessaires à la jouissance des droits comme
dans le cas de l’aide alimentaire par exemple, lorsque des individus ne sont pas en état de se
nourrir par eux-mêmes pour des raisons indépendantes de leur volonté.
La portée et le contenu précis de l’obligation de mettre en oeuvre dépendent du contexte
particulier, mais, en général, celle-ci implique la mise en place par l’État d’un cadre institutionnel
pour permettre la réalisation des droits en pratique. Ceci peut prendre différentes formes.
Ainsi, au Brésil, les tribunaux ont indiqué qu’au vu de la disposition précise de la constitution
nationale qui établit le droit à l’éducation, l’État a l’obligation d’assurer aux enfants jusqu’à six
ans l’accès à une crèche ou un jardin d’enfants. La Cour suprême fédérale brésilienne a ainsi
estimé que la mise en oeuvre de cette disposition constitutionnelle ne peut être laissée au libre
choix des autorités administratives
74.
En prenant en considération les problèmes de ressources, la CnDAHP a déclaré, dans l’affaire
Purohit et Moore c. Gambie (2003)
75, que l’État devait « prendre des mesures concrètes et
ciblées, tout en utilisant pleinement les ressources dont il disposait » pour mettre en oeuvre le
droit à la santé. La législation s’appliquant aux personnes souffrant de troubles mentaux, du
fait qu’elle était dépourvue d’objectifs thérapeutiques et de dispositions relatives aux ressources
nécessaires et aux programmes de traitement à mettre en oeuvre, a été considérée comme
violant le droit à la santé.
La Commission a demandé à l’État d’abroger et de remplacer les textes législatifs en cause et
de faire en sorte que les personnes souffrant de troubles mentaux bénéficient d’une protection
médicale et matérielle suffisante.
En d’autres termes, il est attendu des États qu’ils adoptent une approche proactive afin d’accroître
l’accès aux DESC et d’assurer à tous la jouissance, au minimum, du contenu essentiel de ces
droits.
Le CODESC note que l’obligation de donner effet aux droits considérés englobe, en fait, deux
composantes : celle de
faciliter l’exercice de ces droits et celle de l’assurer. La première de ces
obligations suppose que des initiatives positives soient prises pour assurer la pleine jouissance
73) Jurisprudence in the application of Human Rights Standards in Arab Courts, Samia Bourouba, Raoul Wallenberg Institute, 2016, p.
81 et s.
74) Tribunal suprême fédéral du Brésil, RE 436996/SP (opinion écrite par le juge Celso de Mello), 26 octobre 2005.
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des DESC. La seconde impose à l’État de fournir des services directs ou indirects lorsque des
individus ou des groupes se trouvent, pour des raisons indépendantes de leur volonté, dans
l’impossibilité d’exercer les droits visés avec les moyens dont ils disposent.
L’obligation de mettre en oeuvre impliquant des actions positives/actives, ceci signifie par
conséquent que les violations de cette obligation se font par omissions de la part de l’État
76.
Bien que le respect ou non de ce niveau d’obligation puisse paraître plus difficile à définir et
à délimiter, les décisions de justice de nombreuses juridictions prouvent qu’un contrôle dans ce
domaine est possible.
Cette obligation met l’accent sur :
• L’identification de situations problématiques ;
• L’apport de secours en cas de nécessité ;
• La création de conditions qui permettent aux titulaires de droits de gérer librement leur accès
aux allocations et aux protections obtenus au titre de leurs droits
• L’élimination des obstacles au plein exercice des droits ; et ;
• La mise en oeuvre de mesures pour changer les attitudes et modèles sociaux et culturels
discriminatoires qui pénalisent les groupes marginalisés et désavantagés.
L’obligation de mettre en oeuvre peut aussi fournir une protection contre :
• Les manquements aux normes fondamentales relatives à la qualité des services ;
• Les manquements aux normes procédurales en matière de planification, mise en oeuvre et
évaluation des services ;
• L’allocation insuffisante de moyens ;
• Les manquements aux obligations législatives ; ou
• Les manquements à la fourniture de services à des ayants-droit77.
Exemples d’obligations de respecter, de protéger et de mettre en oeuvre des DESC
• Le droit au travail Respecter : l’État ne doit pas recourir au travail forcé ni refuser des possibilités
d’emploi à des opposants politiques. Protéger : l’État doit veiller à ce que les employeurs, tant
dans le secteur public que dans le secteur privé, appliquent le salaire minimum. Mettre en oeuvre
: l’État doit promouvoir l’exercice du droit au travail en élaborant, par exemple, des programmes
didactiques et informationnels à l’intention de la population.
• Le droit à l’eau Respecter : l’État ne peut couper l’eau à quelqu’un sans respecter la procédure
réglementaire. Protéger : lorsque l’approvisionnement en eau est assuré ou contrôlé par le secteur
privé, l’État doit instaurer une réglementation adéquate des prix de manière que les tarifs, le cas
échéant, soient abordables. Mettre en oeuvre : l’État doit prendre des mesures pour garantir que
tous soient progressivement raccordés à un réseau d’approvisionnement en eau potable.
• Le droit à la santé Respecter : l’État ne doit pas refuser l’accès aux équipements de santé sur une
base discriminatoire. Protéger : l’État doit contrôler la qualité des médicaments commercialisés
dans le pays par des fournisseurs publics ou privés. Mettre en oeuvre : l’État doit faciliter l’exercice
du droit à la santé en lançant, par exemple, des campagnes de vaccination universelle pour les
enfants.
73) Jurisprudence in the application of Human Rights Standards in Arab Courts, Samia Bourouba, Raoul Wallenberg Institute, 2016, p.
81 et s.
74) Tribunal suprême fédéral du Brésil, RE 436996/SP (opinion écrite par le juge Celso de Mello), 26 octobre 2005.
75) http://www.achpr.org/files/sessions/33rd/comunications/241.01/achpr33_241_01_fra.pdf. 76 Voir la section 2 de ce Chapitre.
77) Des cas des tribunaux internationaux et organes conventionnels traitant de la violation de l’obligation de mettre en oeuvre comprennent:
R.K.B. c. Turquie, Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Communication n° 28/2010, 24 février 2012 ;
l’Association internationale « Autisme-Europe » c. France, Comité européen des droits sociaux, n° 1/2002, 7 novembre 2003.
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• Le droit à l’éducation Respecter : l’État doit respecter le droit des parents de choisir librement
l’école de leurs enfants. Protéger : l’État doit veiller à ce que des tiers, y compris les parents,
n’empêchent pas les filles d’aller à l’école. Mettre en oeuvre : l’État doit prendre des mesures
concrètes pour garantir que l’éducation soit culturellement appropriée aux minorités et aux
peuples autochtones et de bonne qualité pour tous. Questions fréquemment posées concernant
les droits économiques, sociaux et culturels, HCDH, Fiche d’information n° 33, p. 15 et 16.
IV. Le respect des principes universels et fondamentaux des droits de l’homme
En plus des obligations relatives au contenu normatif de chaque DESC, les juridictions peuvent
également se baser sur les principes de conduite et les principes fondamentaux des droits de
l’homme pour effectuer leur contrôle.
a. La dignité humaine
Combinée à d’autres principes (comme ceux de contenu essentiel ou de niveau de vie minimum
présentés plus haut) ou en tant que norme indépendante, la protection de la dignité humaine est
souvent utilisée par les cours constitutionnelles pour protéger les DESC. Ceci est particulièrement
important dans les contextes dans lesquels ces droits ne sont pas explicitement garantis par la
législation nationale.
L’affaire Leon Joseph and Others v. City of Johannesburg and Others de la Cour Constitutionnelle
de l’Afrique du Sud du 9 octobre 2009 (cas CCT 43/09) fournit un exemple de cas dans lesquels
les organes juridictionnels ont interprété des aspects des DESC comme éléments nécessaires à
la protection de la dignité.
Dans cette affaire, l’interruption de l’approvisionnement en électricité a été considérée par la
Cour constitutionnelle comme constituant non seulement une mesure rétrogressive, en violation de
l’obligation de respecter le droit à un logement convenable garanti en vertu de la Constitution,
mais également comme une atteinte à la dignité humaine
78.
b. L’égalité et la non-discrimination
Les principes transversaux d’égalité et de non-discrimination sont applicables à tous les droits
humains, y compris aux DESC.
En effet, l’interdiction de la discrimination fondée sur « la race, la couleur, le sexe, la langue, la
religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la
naissance ou toute autre situation » est prescrite par l’article 2 (2) du PIDESC en tant que principe
suprême s’appliquant à tous les droits du Pacte.
En outre, l’article 3 du PIDESC impose des obligations aux États parties de réaliser le droit à
l’égalité entre les femmes et les hommes concernant la jouissance de tous les droits du Pacte.
Le PIDESC donne également une signification et une application particulière de l’obligation de
Des décisions des tribunaux nationaux traitant de la violation de l’obligation de mettre en oeuvre comprennent notamment : le
Gouvernement de la République de l’Afrique du Sud et autres c. Irene Grootboom et consorts, Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud,
2001 (1) SA 46 (CC), 4 octobre 2000 ; Oberti c. « Board of Education of the Borough of Clementon School District, Cour d’Appel des
Etats Unis, 99 F.2d 1204 (3d Cir. 1993), 28 mai 1993 ; Union du peuple pour les libertés civiles c. « Union of India » et autres, Cour
suprême de l’Inde, 2 mai 2003 ; Asociación Benghalensis y otros c. Misiterio de Salud y Accion Social – Estado Nacional s/amparo ley
16.688, Cour suprême d’Argentine, 1er juin 2000 ; Soobramoney c. Ministère de la santé, Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud,
1998 (1) SA 765 (CC), 27 novembre 1997.
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non-discrimination et d’égalité à des droits spécifiques, comme l’application du principe de
non-discrimination et de salaire égal ou de l’enseignement primaire obligatoire et gratuit, pour
tous
79.
Dans son Observation générale n° 2080, le CODESC a clarifié la portée de l’article 2 (2) et des
obligations spécifiques des États qui en découlent. Il a aussi spécifié la liste des motifs proscrits
de discrimination directe ou indirecte, et notamment, quels motifs pouvaient être sous-entendus
dans le terme « ou toute autre situation » de l’article 2 (2) du PIDESC : au-delà des motifs de
discrimination explicitement mentionnés dans le PIDESC, le CODESC a donc interprété la liste
non exhaustive de l’article 2 (2) comme incluant le handicap, l’âge, la nationalité, la situation
familiale et matrimoniale, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, l’état de santé, le lieu de
résidence ou la situation économique et sociale
81.
L’importance de la non-discrimination et de l’égalité pour le contentieux des DESC est renforcée
par le fait que le droit international ne conçoit par l’application de ces principes comme se
limitant au seul niveau formel.
En effet, le CODESC a précisé que l’égalité ne devrait pas être considérée comme étant limitée à
l’égalité de droit ou formelle (égalité d’opportunités). Elle comprend en effet aussi l’égalité de fait
(égalité d’accès aux opportunités) ou concrète (égalité de résultat). Elle implique la nécessité de
prendre des mesures positives - que celles-ci soient temporaires ou permanentes selon les besoins
-afin de compenser certaines formes de discrimination historique ou systémique. Le CODESC
affirme que les « États parties peuvent, et doivent dans certains cas, adopter des mesures
spéciales pour atténuer ou supprimer les situations qui perpétuent la discrimination. Ces mesures
sont légitimes dès lors qu’elles représentent un moyen raisonnable, objectif et proportionné de
remédier à une discrimination de facto… »
82.
Enfin, en plus des normes auxquelles ont adhérées les États parties au PIDESC, la CEDEF et
la CEDR, la CDE et la CDPH contiennent des obligations spécifiques pour les États parties en
matière de respect de la non-discrimination et de l’égalité de protection.
Egalité et non-discrimination fondée sur le sexe – L’obligation de garantir la jouissance égale des
femmes de tous les droits y compris, les DESC, et la non-discrimination fondée sur le sexe, est
également imposée par la CEDEF. Cette dernière impose aux États de prendre un large éventail
de mesures ciblées pour combattre et empêcher la discrimination envers les femmes
83. Entre
autres choses, la convention exige des États des mesures particulières nécessaires au respect
et à la garantie des droits égaux des femmes dans les domaines de la santé
84, de l’emploi85,
de l’éducation
86, et de la famille et des relations matrimoniales87. L’approche choisie par le
CODESC dans l’Observation générale n° 20 est donc conforme aux dispositions de l’article 4
de la CEDEF en ce qui concerne les mesures spéciales temporaires visant à atteindre l’égalité
de fait
88.
Egalité et non-Discrimination fondée sur la race - En ce qui concerne les mesures spéciales
temporaires de discrimination positive, il faut noter que la CEDR prescrit, elle aussi, aux États
parties de prendre de telles mesures lorsqu’elles sont nécessaires pour garantir la jouissance
égale de tous les droits, y compris des DESC
89, à tous les groupes qui sont désavantagés en
78) http://www.saflii.org/za/cases/ZACC/2009/30.html
79) L’article 7 du PIDESC garantit « un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune
» ; ou l’article 13 qui prévoit que « Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l’éducation ».
80) CODESC, Observation générale n° 20, E/C.12/GC/20 (2009).
81) Ibid, § 27-35.
82) Ibid, § 9.
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raison de leur race, de leur couleur, de leurs origines, de leur nationalité ou origine ethnique.
Dans l’affaire Brown c. « Board of Education » de 1954, la Cour suprême des États-Unis a
considéré que la ségrégation raciale à l’école était une violation de la clause de la Constitution
des États-Unis protégeant l’égalité de traitement. La Cour suprême a indiqué : « Nous concluons
que, dans le domaine de l’éducation publique, la doctrine de «séparés mais égaux» n’avait
pas sa place. Des établissements scolaires séparés constituent de par leur nature même une
inégalité…»
90.
Egalité et non-Discrimination fondée sur l’âge - Dans le domaine des droits de l’enfant, la CDE
requiert que : « [D]ans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des
institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives
ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale»
91.
L’affaire S.L. et J.L. c. Croatie (CrEDH, 7 mai 2015) concerne les conditions dans lesquelles fut
conduite la cession d’une villa qui appartenait à deux enfants mineurs. L’arrêt souligne l’étendue
du rôle des autorités de l’État dans la protection des intérêts patrimoniaux des enfants
92.
L’intérêt jurisprudentiel de l’affaire porte sur les obligations positives à la charge de l’État lorsque
les intérêts financiers d’enfants sont en jeu. La Cour a déjà souligné l’importance primordiale
de la protection de l’intérêt supérieur des enfants dans les décisions les concernant. Le présent
arrêt en tire des conséquences sous l’angle de l’article 1 du Protocole n° 1. Pour la Cour, tant les
services sociaux que les instances judiciaires sont visés par la nécessité d’assurer concrètement
la protection des intérêts patrimoniaux des enfants, y compris contre les agissements malhonnêtes
de tiers. Or, en l’espèce, les décisions prisent par les autorités compétentes impliquées dans la
transaction révèlent diverses lacunes, et notamment: les services sociaux n’ont pas apporté la
rigueur nécessaire à l’appréciation de l’impact potentiellement négatif de l’accord d’échange
sur les intérêts des enfants ;les juridictions civiles ont omis de prendre en considération les
particularités de la situation dans laquelle se trouvaient les personnes concernées par cette
cession de propriété
93.
Egalité et non-Discrimination fondée sur le handicap - Concernant la CDPH, les États parties sont
obligés de garantir l’absence de discrimination et l’égalité concrète en faveur des personnes
vivant avec un handicap en prenant les mesures nécessaires à un aménagement raisonnable
des besoins de ces personnes
94. L’article 2 de la CDPH définit « l’aménagement raisonnable
» comme étant « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de
charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée,
pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité
83 Article 2 de la CEDEF. Voir aussi le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale
n° 28 concernant les obligations fondamentales des Etats parties découlant de l’article 2 de la CEDEF, CEDAW/C/GC/28 (2010).
84 Article 12 de la CEDEF. Voir aussi le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale
n° 24 « Les femmes et la santé », A/54/38/Rev.1, Chapitre I (1999).
85) Article 11 de la CEDEF.
86) Article 10 de la CEDEF.
87) Article 16 de la CEDEF. Voir aussi le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale
n° 21 « Egalité dans le mariage et les rapports familiaux », A/47/38 (1994).
88) Article 4(1) de la CEDEF. Voir aussi le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Recommandation générale
n° 25 « Mesures temporaires spéciales » (2004) :
http://tbinternet.ohchr.org/_layouts/treatybodyexternal/TBSearch.aspx?Lang=en&TreatyID=3&DocTypeID=11.
89) Article 5 de la CEDR.
90 http://caselaw.findlaw.com/us-supreme-court/347/483.html.
91) Article 3 (1) de la CDE.
92) La mère des enfants et son mari (père d’une des deux fillettes) décidèrent de procéder à la vente de la villa, ce qui impliquait d’obtenir
l’autorisation des services sociaux. Le mari fit parallèlement l’objet d’une procédure pénale et fut placé en prison. Son avocat entreprit, de
son côté, des démarches s’agissant de cette propriété et décida de ne pas procéder à une vente, mais plutôt à un échange au profit de
sa propre belle-mère pour un bien de moindre valeur. Après avoir entendu la mère, les services sociaux donnèrent leur accord en faveur
de l’échange. Par la suite, le mari, en qualité de tuteur des enfants, entreprit des démarches en vue de l’annulation de l’accord d’échange
défavorable aux intérêts des propriétaires, mais en vain. Les juridictions nationales le déboutèrent sans prendre en compte les éléments
en jeu tels que le fait que les propriétaires étaient deux mineures dont le tuteur était en détention et dont la mère était en grande difficulté
financière et en détresse, et que l’intervention de l’avocat dans le processus de cession du bien présentait un conflit d’intérêt.
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avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales»95.
Egalité et non-discrimination à l’égard des migrants - Le CODESC a expressément reconnu
l’applicabilité des DESC aux migrants et a indiqué dans son Observation générale n° 20 (2009)
sur la non-discrimination dans l’exercice des DESC (art. 2, § 2) que : « Les droits visés par le
Pacte s’appliquent à chacun, y compris les non-ressortissants, dont font partie notamment les
réfugiés, les demandeurs d’asile, les apatrides, les travailleurs migrants et les victimes de la traite
internationale de personnes, indépendamment de leur statut juridique et titres d’identité ».
V. Les obligations extraterritoriales des États dans le domaine des DESC
Toutes ces obligations des droits de l’homme, y compris celles relatives aux DESC, s’appliquent
également extra territorialement. Le rythme accru de la mondialisation économique a rendu le
respect de ces obligations un élément encore plus essentiel du domaine des droits de l’homme.
En effet, dans un monde connaissant des interdépendances grandissantes, conserver une
conception traditionnelle des obligations et responsabilités de droits de l’homme qui tendent à
considérer l’État territorial comme le principal débiteur d’obligations risque de créer des lacunes
graves dans la protection. L’impact d’acteurs autres que l’État national sur la réalisation des
droits de l’homme, y compris les DESC, est indéniable et largement documenté par le mouvement
des droits de l’homme. Ce rôle d’autres acteurs pose de nouveaux problèmes et questions aux
praticiens du droit à divers niveaux.
Cet état de fait a amené la CIJ et l’Université de Maastricht à initier un processus qui a abouti à
l’élaboration des Principes de Maastricht relatifs aux obligations extraterritoriales des États dans
le domaine des droits économiques, sociaux et culturels
96,développés par des experts juridiques
internationaux de haut niveau comprenant des Rapporteurs spéciaux des Nations Unies et des
membres des organes de traités de l’ONU. Ces Principes ont été définitivement adoptés en
2011 dans le but de clarifier cette dimension extraterritoriale de la protection des droits de
l’homme en indiquant ce qui peut constituer des manquements à celles-ci, en clarifiant quand la
responsabilité des États est susceptible d’être engagée, et en suggérant des éléments-clé en ce
qui concerne les recours en cas de manquements et de violations.
Ils définissent donc les obligations extraterritoriales (ci-après les OET) de respecter, protéger et
mettre en oeuvre les droits de l’homme individuellement et collectivement comme suit :
a) les obligations relatives aux actes ou aux omissions d’un État, sur ou au-delà de son
territoire, qui ont des effets sur la jouissance des droits de l’homme en dehors du territoire
dudit État ; et
b) les obligations ayant un caractère mondial, énoncées dans la Charte des Nations Unies et
93) hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf?library=ECHR.
94) Art. 5 de la CDPH, « Égalité et non-discrimination :
1. Les États Parties reconnaissent que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et ont droit sans discrimination
à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi.
2. Les États Parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et
effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.
3. Afin de promouvoir l’égalité et d’éliminer la discrimination, les États Parties prennent toutes les mesures appropriées pour faire en sorte
que des aménagements raisonnables soient apportés.
4. Les mesures spécifiques qui sont nécessaires pour accélérer ou assurer l’égalité de facto des personnes handicapées ne constituent pas
une discrimination au sens de la présente Convention ».
95) Art. 2 de la CDPH.
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dans les instruments relatifs aux droits de l’homme, de prendre des mesures, séparément et
conjointement dans le cadre d’une coopération internationale, afin de réaliser les droits de
l’homme au niveau universel»
97.
Les Principes de Maastricht établissent un fondement pour la compétence et la responsabilité qui
permet d’appliquer les OET et d’en évaluer le respect. En particulier, les Principes précisent que
les OET s’appliquent dans les :
a) situations dans lesquelles l’État exerce son autorité
• Ou son contrôle effectif, que ce contrôle s’exerce ou non en conformité
• Avec le droit international
b) situations dans lesquelles les actes ou les omissions de l’État entraînent des effets prévisibles
sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, que ce soit sur ou en dehors de
son territoire ;
c) situations dans lesquelles les États, agissant séparément ou conjointement, que ce soit
par le biais de leur pouvoir exécutif, législatif ou judiciaire, sont en position d’exercer une
influence décisive ou de prendre des mesures afin de réaliser les droits économiques, sociaux
ou culturels au-delà de leur territoire, et ce dans le respect du droit international »98.
La responsabilité d’un État sera engagée si sa conduite - ou un acte ou une omission d’un acteur
non étatique pour lesquels la responsabilité de l’État peut être attribuée - viole ses obligations au
titre du droit international des droits de l’homme
99. Les États ont des OET négatives et positives.
Ils ne doivent pas nuire aux DESC des personnes vivant dans un autre État ; ils doivent protéger
ces mêmes personnes contre les dommages causés par des tiers qu’ils régulent, contrôlent ou
sont en position d’influencer ; et ils doivent contribuer à la mise en oeuvre mondiale des DESC
en utilisant le maximum des ressources disponibles.
Enfin, la dernière partie des Principes de Maastricht est dédiée à l’obligation de rendre des
comptes et à la question des recours en cas de manquements aux OET. Ces questions sont
indéniablement de première importance pour le travail des praticiens du droit. Les mécanismes
nationaux et internationaux permettant d’obliger les États à rendre des comptes sont souvent mal
équipés pour traiter des affaires impliquant la responsabilité d’acteurs étrangers et d’entreprises
transnationales, ou bien encore les manquements de la communauté des États en général.
On note que des progrès sont faits dans ce domaine : certaines procédures spéciales ou organes
de traités des Nations Unies ont commencé à évaluer et à traiter des situations dans lesquelles ils
ont qualifié des actes et omissions d’États étrangers ou d’autres acteurs « extraterritoriaux » de
violations des obligations de ces acteurs au titre du droit international des droits de l’homme (du
fait qu’en leur qualité de mécanismes non-judiciaires, ils ne sont pas limités par des considérations
procédurales ou normatives comme peuvent l’être les tribunaux nationaux).
Ces mécanismes internationaux n’ont pas toujours l’efficacité des mécanismes judiciaires ou
administratifs dont les décisions ont force de loi, dans la mesure où certains États considèrent
leurs observations et vues comme de simples recommandations. Mais ce domaine du contentieux
des DESC va c très probablement connaître d’importantes évolutions dans les années à venir.
96) Principes de Maastricht relatifs aux obligations extraterritoriales des Etats dans le domaine des droits économiques, sociaux et
culturels (2011), disponibles à l’adresse suivante :
http://www.etoconsortium.org/nc/en/library/maastricht-principles/?tx_drblob_pi1%5BdownloadUid%5D=22.
97) Principes de Maastricht relatifs aux obligations extraterritoriales des Etats dans le domaine des droits économiques, sociaux et
culturels (2011), Principe 8.
98) Principe 9 des Principes de Maastricht.
99) Principes 11 et 12 des Principes de Maastricht.
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En attendant, les experts universitaires et les défenseurs des droits de l’homme ont commencé à
analyser des situations réelles et hypothétiques concernant des OET qui pourraient faire l’objet
d’examen par des tribunaux et autres organes juridictionnels et quasi-juridictionnels nationaux
et internationaux
100.
II. Exemples de manquements aux obligations internationales des États
dans le domaine des DESC
Les exemples donnés dans ce Manuel sont des illustrations de ce que peut constituer une violation
des DESC.
2.1. Violations par omission des États
La vaste majorité des affaires qui ont été considérées par des tribunaux nationaux et internationaux
concernant les DESC sont fondées soit sur l’allégation que l’administration ne se conforme pas
à une obligation législative, soit sur la non-conformité d’une loi ou d’un règlement avec des
obligations législatives ou constitutionnelles en faveur des droits, soit encore que les autorités
violent une interdiction d’une certaine conduite.
Ainsi, les organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels effectuent beaucoup moins souvent le
contrôle d’une omission complète de la part de l’État
101, et doivent plus fréquemment statuer
sur des lois ou règlements qui semblent mettre en oeuvre de façon inadéquate des devoirs ou
interdictions constitutionnels, conventionnels, ou législatifs. Par exemple, la (célèbre) affaire sud-
africaine Grootboom relative au droit au logement, ou l’affaire Treatment Action Campaign
concernant le droit à la santé
102, illustrent comment les juges ont trouvé des violations par
omissions partielles de la part de l’État. Dans ces affaires, la Cour constitutionnelle sud-africaine
a considéré que le programme public adopté pour mettre en oeuvre un certain DESC ne suffisait
pas à respecter les normes juridiques en vigueur pour ce droit. En d’autres termes, les moyens
choisis étaient insuffisants par rapport aux obligations juridiques car ils excluaient un certain
groupe d’individus. Dans d’autres affaires
103, l’omission ne concernait pas l’exclusion d’un
groupe de titulaires de droits mais plutôt l’exclusion d’importants aspects d’un droit, de biens ou
services essentiels pour la réalisation des DESC, ou le manque de moyens financiers ou matériels
alloués à la mise en oeuvre pratique du programme concerné.
Au-delà des omissions législatives, les violations par omission peuvent également provenir de
l’absence de programme ou de plan administratifs que l’État aurait dû élaborer pour donner effet
à un droit constitutionnel ou conventionnel dans la pratique. Des omissions se produisent aussi
souvent dans le domaine de la régulation des activités des entreprises et de la prévention d’abus
100 Pour des exemples sur les OET et les Principes de Maastricht voir l’adresse du « ETO Consortium » :
http://www.etoconsortium.org/.
En particulier, le CODESC a émis plusieurs recommandations récentes sur l’Autriche, la Belgique et la Norvège pour des obligations
extraterritoriales : voir les Observations finales sur l’Autriche de 2013, E/C.12/AUT/CO/4, § 11 et 12 ; Belgique, E/C.12/BEL/CO/4,
§ 22 ; la Norvège, E/C.12/NOR/CO/5, § 6.
Sur le plan national, voir aussi l’avis consultatif de la Commission des droits de l’homme française concernant le futur Plan National sur
les entreprises et les droits de l’homme qui fait explicitement référence aux Principes de Maastricht et plus précisément à l’obligation de
l’État français pour protéger les personnes à l’étranger contre les violations des droits de l’homme générées par des actes de sociétés
relevant de sa juridiction, disponible sur:
http://www.cncdh.fr/sites/default/files/13.10.24_avis_entreprises_et_droits_de_lhomme_0.pdf, § 63.
67 Voir par exemple décision 53-2005/55-2005 de février 2013, Chambre constitutionnelle de la Cour suprême en El Salvador,
concernant une totale omission du législateur d’adopter une loi déterminant les compensations pour les travailleurs. L’adoption des
principales mesures législatives et administratives nécessaires pour mettre en oeuvre les dispositions de la Constitution est fondamentale
pour éviter les incertitudes juridiques et les défis pour les utilisateurs de la justice. Cet impératif a été réitéré dans la décision 53-
2005/55-2005 de février 2013 ci-dessus. Dans la décision, la Chambre constitutionnelle a condamné une omission totale de l’Etat
qui, conformément à l’article 252 de la Constitution, aurait dû adopter une loi visant à réglementer et à donner effet à l’article 38 de la
Constitution, qui garantit les droits des travailleurs en cas de démission.
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que celles-ci peuvent commettre. Comme il a été rappelé plus haut, l’État doit s’assurer, par
exemple au titre de son obligation de protéger, qu’il a mis en place les lois et règlementations
nécessaires à empêcher des tiers, dont des entreprises, de nuire à la jouissance des DESC.
2.2. Violations par action des États
Les États peuvent également violer les DESC par leurs actions.
Sans prétendre être exhaustifs, les paragraphes ci-dessous donnent des extraits du travail
d’interprétation Observations générales du CODESC et, ainsi, offrent des exemples d’actes
susceptibles d’être considérés comme constituant des violations de divers DESC au titre du droit
international des droits de l’homme. Ils identifient aussi par conséquent ce qui pourrait faire
l’objet de recours au niveau national.
i. Expulsions forcées et droit au logement adéquat
Il existe une riche jurisprudence traitant de violations du droit à un logement adéquat et d’autres
droits provoquées par des expulsions qui ne respectent pas les normes de procédures prescrites
par le droit international des droits de l’homme ou le droit national. Selon le cadre normatif
applicable, les décisions de justice se sont fondées sur le droit à un logement adéquat lui-même,
ou sur d’autres droits et principes constitutionnels tels que, par exemple, le droit à la propriété,
le droit à la vie privée, le droit à vivre dans la dignité, la non-discrimination et l’égalité devant
la loi.
Au-delà des expulsions forcées, le droit à un logement adéquat peut être violé par les États
notamment si ceux-ci empêchent les personnes de construire un habitat dans le respect de leur
culture et de leurs besoins.
Le droit au logement et l’interjection de l’intérêt général :
Une question qui prend de plus en plus d’importance pour les praticiens du droit est la limitation
des DESC justifiée par les États sur la base d’arguments liés à l’intérêt public ou général ou
bien encore le bien commun. Ceci se produit tout particulièrement dans les cas d’expulsions, de
déplacements et d’expropriations. Bien que les États aient des objectifs et plans de développement
légitimes, les arguments d’intérêt général ont souvent été utilisés pour justifier des situations dans
lesquelles les droits d’individus ou de groupes d’individus ont été violés.
Ce type d’affaires met les juges (et d’une certaine façon les avocats impliqués dans ces affaires)
face à des questions complexes et politiquement sensibles à régler et qui exigent qu’ils concilient
des intérêts contradictoires. Les organes juridictionnels et quasi-juridictionnels ont produit un
important ensemble de décisions sur ces questions, dans lesquelles ils ont été amenés à juger
de la légitimité des arguments d’intérêt général et à ordonner des mesures allant de la cessation
de projets au respect de normes procédurales, notamment celui de l’obligation de consultation
véritable des personnes concernées lorsqu’elle avait été ignorée. Une grande partie de cette
jurisprudence concerne les terres de populations autochtones. A cet égard, la décision de
2010 de la CnADHP concernant la communauté autochtone des Endorois au Kenya fournit
un cadre récent et utile pour l’examen des arguments d’intérêt général. Prenant en compte les
normes et décisions internationales pertinentes, la CnADHP a spécifié que l’article 14 de la
CADHP établit une double justification qui seule pourrait autoriser l’empiétement sur les terres
102) Le Gouvernement de la République d’Afrique du sud et autres c. Irene Grootboom et autres, Cour constitutionnelle de l’Afrique du
Sud, Décision 2001 (1) SA 46 (CC) (2000); Ministère sud-africain de la santé c. Treatment Action Campaign, Cour constitutionnelle de
l’Afrique du Sud, Décision 2002 (5) SA 721 (2002).
103) ICJ Justiciability Study, p. 40 et 41.
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des Endorois: dans l’intérêt d’une nécessité publique ou pour l’intérêt général de la communauté
et en conformité avec les lois pertinentes. La CnADHP a ainsi refusé de se satisfaire du seul
argument avancé par l’État selon lequel il avait agi dans l’intérêt général. De plus, la CnADHP
a réitéré le principe de proportionnalité qui devrait être appliqué dans ce type d’affaires, et a
rappelé que toute limitation ou restriction des droits doit être proportionnelle au but recherché et
absolument nécessaire pour atteindre ce dernier
104.
ii. Violations du droit à prendre part à la vie culturelle
Dans son observation générale n° 21, le CODESC cite comme exemple de violations possibles :
• L’obstruction d’accès par les individus et les communautés à la vie culturelle, aux pratiques,
aux biens et services
105 ;
• « [toute] forme de discrimination fondée sur l’identité culturelle, l’exclusion ou l’assimilation
forcée [;] ... [tout acte empêchant] d’accéder et de participer à des échanges d’informations
variés et d’accéder aux biens et services culturels, considérés comme vecteurs d’identité, de
valeurs et de sens [;] ... la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités
créatrices [;] ... le libre accès des minorités à leur culture, leur patrimoine et autres formes
d’expression qui leur sont propres, ainsi que le libre exercice de leur identité et de leurs
pratiques culturelles »
106.
iii. Violations du droit à l’éducation
Dans son observation générale n° 13, le CODESC cite :
• « le non-respect de la fourniture de services éducatifs en fermant pas les écoles privées»107
; la non-protection de l’accessibilité à l’éducation en veillant à ce que des tiers, y compris des
parents et des employeurs, n’empêchent pas les filles de fréquenter l’école; la non-facilitation
de l’acceptabilité de l’éducation en ne prenant pas des mesures concrètes pour faire en sorte
que l’éducation convienne du point de vue culturel aux minorités et aux peuples autochtones
et qu’elle soit de bonne qualité pour tous; la non-assurance de l’adaptabilité de l’éducation en
n’élaborant et en ne finançant pas des programmes scolaires qui reflètent les besoins actuels des
étudiants dans un monde en mutation ;
• « l’adoption ou la non-abrogation de dispositions législatives qui établissent en matière
d’éducation une discrimination à l’encontre d’individus ou de groupes, fondée sur un quelconque
des motifs sur lesquels il est précisément interdit de la fonder; ... l’interdiction d’établissements
d’enseignement privés; ... le déni des libertés académiques au personnel et aux étudiants; la
fermeture d’établissements d’enseignement en période de tensions politiques, en violation de
l’article 4 [du PIDESC]»
108.
La CnADHP dans l’affaire « Rights Free Legal Assistance Group and Others » c. Zaire (1995) a
considéré que la fermeture durant deux ans des universités et des écoles secondaires au Zaïre
(tel que c’était le cas à ce moment-là) à cause d’une mauvaise gestion évidente des finances
publiques, était une violation du droit à l’éducation (art. 17) tel que le stipule la CADHP
109.
102) Le Gouvernement de la République d’Afrique du sud et autres c. Irene Grootboom et autres, Cour constitutionnelle de l’Afrique du
Sud, Décision 2001 (1) SA 46 (CC) (2000); Ministère sud-africain de la santé c. Treatment Action Campaign, Cour constitutionnelle de
l’Afrique du Sud, Décision 2002 (5) SA 721 (2002).
103) ICJ Justiciability Study, p. 40 et 41.
104) http://www.achpr.org/files/sessions/46th/comunications/276.03/achpr46_276_03_fra.pdf.
105) Voir : CODESC, Observation générale n° 21, Doc. ONU E/C.12/GC/21 (2009), § 62.
106) Ibid, § 49.
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iv. Violations du droit à une alimentation suffisante
Dans son observation générale n° 12, le CODESC cite à titre illustratif :
• L’« abrogation ou suspension formelle de la législation nécessaire à l’exercice permanent
du droit à l’alimentation ; le déni de l’accès à l’alimentation à certains individus ou groupes...
; la prévention de l’accès à l’aide alimentaire à caractère humanitaire en cas de conflit
interne ou d’autres situations d’urgence ; l’adoption de mesures législatives ou de politiques
manifestement incompatibles avec les obligations juridiques préexistantes touchant le droit à
l’alimentation»
110.
Dans l’affaire María Delia Cerrudo et autres c. les autorités de la ville de Buenos Aires, une famille
a été arbitrairement privée d’aide alimentaire à la suite de réformes apportées au programme
d’aide dans ce domaine. Cette mesure arbitraire a mis la vie des enfants de la famille en danger
et il a fallu procéder à des hospitalisations. Le tribunal des litiges administratifs argentin a
ordonné que, pour que le droit à la santé et le droit à la vie des enfants soient protégés, la famille
soit provisoirement admise à bénéficier du nouveau programme en attendant que son droit à en
bénéficier à long terme soit définitivement établi
111.
v. Violations du droit à la santé
Dans son observation générale n° 14, le CODESC cite :
• « l’abrogation ou la suspension officielle de la législation qui est nécessaire pour continuer
d’exercer le droit à la santé ou l’adoption de lois ou de politiques manifestement incompatibles
avec des obligations juridiques préexistantes de caractère interne ou international ayant trait
au droit à la santé»
112.
• « le déni d’accès aux équipements sanitaires et aux divers autres biens et services en rapport
avec la santé dont sont victimes certains individus ou groupes sous l’effet d’une discrimination
de jure ou de facto; la rétention ou la déformation délibérée d’informations qui sont cruciales
quand il s’agit de protéger la santé ou d’adopter une démarche thérapeutique; la suspension
de la législation en vigueur ou l’adoption de lois ou de politiques qui font obstacle à l’exercice
de l’une quelconque des composantes du droit à la santé… »
113.
• « …le fait de ne pas protéger les consommateurs et les travailleurs contre des pratiques
nocives pour la santé, par exemple de la part des employeurs ou des fabricants de médicaments
ou de produits alimentaires; le fait de ne pas décourager la production, la commercialisation
et la consommation de tabac, de stupéfiants et d’autres substances nocives; le fait de ne
pas protéger les femmes contre les violences dirigées contre elles ou de ne pas poursuivre
les auteurs de violences; le fait de ne pas décourager le maintien en vigueur de certaines
pratiques médicales ou culturelles traditionnelles qui sont nocives; et le fait de ne pas adopter
de lois ou de ne pas assurer l’application de lois destinées à empêcher la pollution de l’eau,
de l’atmosphère et des sols par les industries extractives et manufacturières »
114
108) Ibid, § 59.
109) http://www.right-to-education.org/fr/issue-page/la-justiciabilité.
110) CODESC, Observation générale n° 12, § 19.
111) Questions fréquemment posées concernant les droits économiques, sociaux et culturels, HCDH, Fiche d’information n° 33, p. 42.
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vii. Violations du droit de bénéficier de la protection des intérêts moraux et
matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique
dont la personne est l’auteur
Dans son observation générale n° 17, le CODESC cite :
• « l’enfreinte au droit des auteurs d’être reconnus comme créateurs de leurs productions
scientifiques, littéraires ou artistiques et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre
modification de ces productions ou à toute autre atteinte à ces mêmes productions qui seraient
préjudiciables à leur honneur ou à leur réputation… [;] le fait de porter atteinte de façon
injustifiée aux intérêts matériels des auteurs qui sont essentiels pour leur permettre d’avoir un
niveau de vie suffisant »
115.
• « l’abrogation formelle ou la suspension injustifiée de la législation portant protection des
intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire et artistique»
116.
viii. Violations du droit à la sécurité sociale
Dans son observation générale n° 19, le CODESC cite comme exemples :
• « le fait de … se livrer à une quelconque pratique ou activité consistant, par exemple: à
refuser ou restreindre l’accès sur un pied d’égalité à un régime de sécurité sociale adéquat ; …
s’immiscer arbitrairement ou déraisonnablement dans des dispositifs personnels, coutumiers
ou traditionnels de sécurité sociale ; … s’immiscer de manière arbitraire ou déraisonnable
dans les activités d’institutions mises en place par des particuliers ou des entreprises pour
fournir des prestations de sécurité sociale»
117.
• « l’abrogation ou la suspension officielle de la législation indispensable à la poursuite de
l’exercice du droit à la sécurité sociale; de l’appui actif à des mesures adoptées par des tiers
qui sont contraires au droit à la sécurité sociale ; … l’imposition aux personnes défavorisées et
marginalisées de conditions d’admissibilité −au bénéfice des prestations d’assistance sociale
− différentes en fonction de leur lieu de résidence ; … le refus actif de reconnaître leurs droits
aux femmes ou à des personnes ou groupes particuliers »
118.
La Cour constitutionnelle lettonne a déclaré en 2000 que l’absence de mesures gouvernementales
contraignant tous les employeurs à verser la totalité des primes dues au titre de l’assurance
sociale sur un fonds en faveur de leurs employés constituait une violation du droit à la sécurité
sociale ; et que si les employeurs ne procèdent pas au versement de ces primes, le Gouvernement
devrait les y contraindre
119.
112) CODESC, Observation générale n° 14, § 48.
113) Ibid, § 50.
114) Ibid, § 51.
115) CODESC, Observation générale n° 17, E/C.12/GC/17 (2005), § 30.
116) Ibid, § 42.
117) CODESC, Observation générale n° 19, § 44.
118) Ibid, § 64.
119) Questions fréquemment posées concernant les droits économiques, sociaux et culturels, HCDH, Fiche d’information n° 33, p. 41.
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ix. Violations du droit à l’eau
Dans son observation générale n° 15, le CODESC cite les violations suivantes :
• « exercer une quelconque pratique ou activité qui consiste à refuser ou à restreindre l’accès
en toute égalité à un approvisionnement en eau adéquat ;… s’immiscer arbitrairement dans
les arrangements coutumiers ou traditionnels de partage de l’eau ; … limiter la quantité d’eau
ou polluer l’eau de façon illicite, du fait par exemple des déchets émis par des installations
appartenant à des entreprises publiques ou de l’emploi et de l’essai d’armes ; … restreindre
l’accès aux services et infrastructures ou de les détruire, à titre punitif, par exemple en temps
de conflit armé en violation du droit international humanitaire »
120.
• « abroger ou suspendre officiellement la législation nécessaire pour continuer d’exercer le
droit à l’eau, ou de l’adoption de lois ou de politiques manifestement incompatibles avec des
obligations juridiques préexistantes de caractère interne ou international ayant trait au droit
à l’eau»
121.
• « manquements aux obligations: de promulguer ou d’appliquer des lois visant à prévenir
la contamination et le captage injuste de l’eau; de réguler et de contrôler efficacement les
fournisseurs de services; de protéger les systèmes de distribution d’eau (réseaux d’adduction,
puits, etc.) des entraves, dommages et déprédations »
122
x. Violations du droit au travail
Dans son observation générale n° 18, le CODESC cite :
• « refuser ou amoindrir l’égalité d’accès de tous à un travail décent, surtout les individus
et groupes défavorisés et marginalisés, dont les détenus, les membres de minorités et les
travailleurs migrants»
123.
• « l’abrogation ou la suspension officielle de la législation nécessaire à l’exercice permanent
du droit au travail ; le déni de l’accès au travail à certains individus ou groupes, que cette
discrimination repose sur la législation ou sur la pratique ; et l’adoption de mesures législatives
ou de politiques manifestement incompatibles avec les obligations juridiques préexistantes
touchant le droit au travail»
124.
xi. Violations des principes d’égalité et de non-discrimination
Comme déjà mentionné plus haut, la non-discrimination et l’égalité ont une valeur intrinsèque
et instrumentale essentielle pour la protection des DESC125. En effet, la non-discrimination et
l’égalité, dont notamment l’égalité devant la loi, sont reconnues comme des droits en soi en droit
international et dans la plupart des cadres normatifs nationaux. De plus, l’obligation particulière
de garantir l’exercice de tous les autres droits sans discrimination est une obligation transversale
et immédiate au titre du droit international en matière de DESC
126.
120) CODESC, Observation générale n° 15, § 21.
121) Ibid, § 42.
122) Ibid, § 44.b
123) CODESC, Observation générale n° 18, § 23.
124) Ibid, § 32.
125) ICJ Justiciability Study, p. 54-61.
126) Pour plus de détails sur les principes de l’égalité et de la non-discrimination : Voir I, 1.2, iv, b du présent Chapitre.
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Les affaires résumées ci-après illustrent comment les organes juridictionnels dans différents
systèmes se sont largement appuyés sur les dispositions normatives nationales concernant
l’interdiction de la discrimination et sur l’égalité pour protéger les DESC, ainsi que comment ils
ont sanctionné les lois et pratiques discriminatoires affectant divers autres DESC concernant un
éventail de motifs de discrimination interdits
127.
Discrimination envers les enfants handicapés et droit à l’éducation
L’affaire de la Cour Suprême de l’Afrique du Sud (Western Cape Forum for Intellectual Disability
c. Gouvernement de la République de l’Afrique du Sud, Gouvernement de la Province de Western
Cape, 11 novembre 2010), concernait les droits des handicapés mentaux de situation grave
et profonde dans le Western Cape (Cape Town) et les allégations que leurs besoins éducatifs
n’étaient pas adéquatement comblés par le « South African national » et les gouvernements de
Western Cape. Les enfants handicapés ne reçoivent des soins que dans des places limitées dans
les centres gérés par des ONG, qui étaient en nombre insuffisant. Les enfants qui ne pouvaient
pas obtenir l’accès à ces centres n’ont reçu aucune éducation. On prétend que les dispositions
pédagogiques de l’État faites pour ces enfants ont été beaucoup réduites par rapport aux autres
enfants et les dispositions prises étaient insuffisantes pour répondre aux besoins éducatifs des
enfants concernés.
La Cour a conclu que les défendeurs avaient omis de prendre des mesures raisonnables afin de
prévoir les besoins éducatifs des handicapés dans le Western Cape, en violation des droits de
l’enfant à une éducation de base, protection contre la négligence ou la dégradation, l’égalité,
la dignité humaine (§ 52 (1).
La Cour a conclu que l’État avait violé le droit à l’éducation, tant en ce qui concerne sa dimension
positive en omettant de fournir aux enfants concernés une éducation de base, mais aussi en ce
qui concerne sa dimension négative, de ne pas admettre les enfants concernés dans les écoles
spéciales ou autres (§ 45). La Cour a conclu qu’il n’y a aucune justification à cette violation.
L’État n’a pas réussi à établir que sa politique était raisonnable et justifiable dans une société
ouverte et démocratique fondé sur la dignité humaine, l’égalité et la liberté (§ 42).
La Cour a en outre jugé que les droits de l’enfant à la dignité ont été violés car le fait d’être
confrontés à la discrimination les avait en effet amenés à être marginalisés et ignorés (§ 46).
L’omission de fournir l’éducation aux enfants les a placés au risque de négligence, car cela
signifiait qu’ils devaient souvent être éduqués par des parents qui n’avaient pas les compétences
pour le faire. L’incapacité des enfants à développer leur propre potentiel, même limité, est
une forme de dégradation. Cela, sans justification, a violé leur droit à la protection contre la
négligence et la dégradation (§ 46 et 47).
A la lumière de ces constatations, le jugement a demandé à l’État de prendre des mesures
raisonnables (y compris des étapes intermédiaires) pour assurer l’accès à l’éducation pour
127) Pour des exemples de jurisprudence concernant les migrants et les décisions constatant la discrimination fondée sur la nationalité
ou le statut juridique, voir le Guide de la CIJ sur les migrations et les droits de l’homme, disponible en anglais, italien et grec sur : http://
www.icj.org/practitioners-guide-on-migration-and-international-human-rights-law-practitioners-guide-no-6/.
Pour les cas concernant la discrimination en raison de l’orientation sexuelle et identité de genre (SOGI) dans le domaine de l’emploi,
d’héritage et des avantages sociaux, voir la base de jurisprudence de SOGI CIJ sur : http://www.icj.org/sogi-un-database/ et http://
www.icj.org/sogi-casebook-introduction.
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chaque enfant handicapé mental dans le Western Cape, fournir les fonds nécessaires pour les
centres de soins spéciaux et le transport des enfants à ces centres et d’élaborer un plan d’action
pour remédier aux violations susmentionnées (§ 52)
128.
Discrimination en matière de travail
Un exemple est donné par la Cour constitutionnelle de la Colombie (29 avril 2009).
Un groupe de ramasseurs de déchets de la municipalité de la ville de Cali a interjeté appel de
protection juridique contre plusieurs entités municipales qui avaient prétendument violé leurs
droits au travail et à une vie décente par le biais de la fermeture de la décharge de déchets
Navarro et par le non-respect de la promesse qui leur avait été faite de possibilités d’emploi, de
programmes de renforcement des capacités, de services de santé et d’éducation,
129.
La Cour a jugé que les autorités municipales avaient violé le droit fondamental des ramasseurs
de déchets de Navarro à une vie décente dans le cadre du droit au travail (§ III.9.1.1). Elle
a également précisé que les entités défenderesses ont établi des lois discriminatoires et des
politiques qui ont affecté les demandeurs (§ III.2).
La décision du Tribunal a mis au point une jurisprudence établie dans des décisions antérieures
concernant les droits des recycleurs informels au cours de la privatisation de la collecte des
déchets, a suspendu le processus d’appel d’offres, a condamné l’État à adopter toutes les
mesures nécessaires pour assurer l’application effective du droit à la santé, à l’éducation et à
l’alimentation des recycleurs, et à leur assurer l’accès à d’autres services sociaux. La décision a
également inclus les recycleurs dans les programmes de collecte des déchets et les a reconnus
comme des entrepreneurs solidaires autonomes (§ IV).
L’affaire a insisté sur les mesures positives que l’État doit prendre pour surmonter l’inégalité
entre les groupes. La Cour a déclaré que « l’égalité est un des piliers sur lequel repose l’État
colombien. La Constitution reconnaît l’égalité comme un principe, une valeur et comme un
droit fondamental qui va au-delà de la formule classique de l’égalité devant la Loi, utilisée
pour générer un postulat qui pointe vers la réalisation des conditions d’égalité matérielle.
Dans cette perspective, l’objectif central de la clause d’égalité sont la protection des groupes
traditionnellement victimes de discrimination ou marginalisées : d’un côté, comme un mandat de
l’abstention ou l’interdiction d’un traitement discriminatoire et, de l’autre côté, comme un mandat
d’intervention, grâce auquel l’État est tenu d’effectuer des actions orientées vers le dépassement
de l’inégalité matérielle contre de tels groupes
130» (§ III.3).
Un autre exemple est donné par la Cour de Cassation jordanienne (décision n° 2298/1998
du 31 mars 1999) sur le droit de la femme au travail sans discrimination ; La Cour a conclu à
l’interdiction de licencier une femme travailleuse enceinte en raison de sa grossesse (licenciement
abusif) conformément aux article 3 (droits égaux des femmes et des hommes) et 7.a.i du PIDESC
et à l’article 11.2.a de la CEDEF
131.
Discrimination envers des étrangers/migrants et droit à la sécurité sociale
128) http://www.SAFLII.org/za/cases/ZAWCHC/2010/544.html.
129) Sur le site de Navarro, les ramasseurs de déchets de la municipalité avaient mis au point au cours de 30 années l’activité de
recyclage afin de fournir les moyens d’existence pour eux et leurs familles.
Les activités de recyclage ont été traditionnellement entreprises en Colombie par des secteurs extrêmement pauvres et marginalisés de la
société. Mais peu à peu, comme le recyclage est devenu plus rentable, une tendance à la privatisation s’est mise en place avec les sociétés
de gestion des déchets qui dominent la scène.
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Un exemple est donné par la Cour de l’appel de Hong Kong (17 décembre 2013) ; Le contrôle
judiciaire de la demande du plaignant évalue la constitutionnalité de l’exigence de résidence de
sept ans d’un non-national pour avoir accès aux prestations de la sécurité sociale.
La Cour a jugé que la croissance de la population, la population vieillissante et la hausse des
dépenses de sécurité sociale n’étaient pas des justifications rationnelles à l’exigence de sept ans,
étant donné qu’il existe d’autres moyens de résoudre ces problèmes (§ 66, 75, 96).
La Cour a indiqué que l’immigration dissuasive et la capacité des immigrants de s’appuyer sur
des organismes de bienfaisance ne sont pas des arguments en faveur de la proportionnalité
raisonnable de l’exigence de sept ans (articles L.1 et L.2).
Elle a déclaré à l’unanimité que l’exigence de résidence de sept ans est inconstitutionnelle,
rétablissant l’exigence précédente d’une année (§ 144).
Ce qui distingue ce jugement c’est qu’il a pris en compte le droit international des droits de
l’homme et qu’il a mis l’accent sur les garanties constitutionnelles pour tous les résidents de Hong
Kong, y compris ceux non-permanents comme la plaignante
132.
2.3. Autres qualifications possibles des violations
Comme indiqué précédemment, les violations peuvent être générées par des actes ou des
omissions de la part des Etats. Les violations ont toutefois d’autres caractéristiques qu’il est aussi
pertinent d’analyser et d’interpréter.
Les violations peuvent être de nature individuelle ou de grande ampleur. Dans les deux cas, le
degré de gravité133 peut varier, tout comme leur caractère systématique134. Par exemple, une
violation individuelle peut être grave sans être le résultat d’un manquement systématique d’une
politique adéquate ou d’une pratique systématiquement discriminatoire.
Les violations individuelles peuvent mener à l’identification d’un problème plus large de non-
respect d’obligations internationales. Dans le cadre d’une affaire individuelle, les organes
juridictionnels et quasi-juridictionnels ont ainsi dans certains cas ordonné une réparation du
problème de fond en plus de la réparation du dommage individuel, quelques fois sous la
forme d’une ordonnance de réforme de la loi et des politiques. Certaines décisions de la Cour
constitutionnelle colombienne concernant le droit à la santé illustrent ceci
135.
Réciproquement, les organes juridictionnels et quasi-juridictionnels, qui traitent d’une violation
supposée d’une disposition constitutionnelle ou conventionnelle dans l’abstrait, peuvent ordonner
des mesures qui pourront alors s’appliquer pour protéger les droits d’un individu dans une affaire
spécifique.
Identifier les différents types de violations peut avoir des implications concrètes pour les
praticiens du droit dans la mesure où la nature et la portée des violations peuvent, dans certaines
circonstances, avoir un impact sur la disponibilité des recours, du moins aux niveaux régional
et international.
130) http://www.corteconstitucional.gov.co/Relatoria/2009/t-291-09.htm
131) La jurisprudence arabe en application des Conventions relatives aux Droits de la femme, Samia Bourouba, Institut Raoul Wallenberg,
2016, p. -63
132) http://legalref.Judiciary.gov.HK/LRS/Common/Ju/ju_frame.jsp?dis=90670.
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Par exemple, dans le cadre du Protocole facultatif au PIDESC136, comme c’est le cas dans la
plupart des mécanismes onusiens, seules les violations « graves et systématiques » des DESC
peuvent faire l’objet d’une procédure d’enquête
137. Cette procédure permet aux avocats et aux
militants des droits de l’homme de demander une enquête sur une situation grave et étendue qui
génère des violations des DESC. Par rapport à la procédure de communications individuelles,
la procédure d’enquête peut être une réponse plus opportune et plus flexible, particulièrement
parce qu’elle n’exige pas l’épuisement des voies de recours internes.
133 Il convient de noter que tous les instruments de droits de l’homme évoquent le caractère «
grave » et « systématique » de certaines violations des droits de l’homme mais ne donnent pas
une définition claire de ce qui peut d’une manière générale constituer une violation « grave » ou
« systématique ».
Au niveau des instruments internationaux de droits de l’homme, les références à la « violation
grave » se trouvent dans le Protocole facultatif à la Convention de 1979 sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le PF-PIDESC.
Au niveau de la pratique internationale, il existe des listes de violations graves ainsi que des
critères retenus par les organismes et mécanismes de droits de l’homme.
Conséquences des violations des DESC : Ne pas protéger les DESC peut avoir de très graves
conséquences. Par exemple :
• Le déni des DESC peut avoir des effets catastrophiques. Des déplacements ou expulsions
forcés peuvent faire que des personnes se retrouvent sans abri et sans moyens de subsistance,
entraîner la destruction des réseaux sociaux et avoir des effets très graves sur le plan
psychologique. La malnutrition a des répercussions très nettes sur la santé, en particulier
celle des enfants de moins de 5 ans ; elle affecte tous leurs organes pour toute la vie et a
notamment des effets sur le développement de leur cerveau, de leur foie et de leur coeur
ainsi que sur leur système immunitaire ;
• Le déni des DESC peut toucher un grand nombre de personnes. Par exemple, la
déshydratation diarrhéique due au manque d’eau potable tue près de 2 millions d’enfants
chaque année et en a tué davantage au cours des dix dernières années que les conflits n’ont
tué de personnes depuis la Seconde Guerre mondiale ;
• Les violations graves des DESC ont compté parmi les causes fondamentales de conflits et
l’absence de mesures en cas de discrimination systématique et d’inégalités dans la jouissance
de ces droits peut nuire au relèvement après un conflit. Par exemple, la discrimination quant
à l’accès à l’emploi, l’utilisation de l’éducation comme outil de propagande, l’expulsion
forcée de communautés hors de leurs logements, l’entrave à l’acheminement de l’aide
alimentaire par des opposants politiques et la pollution des sources d’eau sont autant de
violations des DESC qui ont alimenté des conflits dans le passé ;
• Le déni des DESC peut entraîner la violation d’autres droits fondamentaux. Par exemple,
il est souvent plus difficile à des personnes qui ne savent ni lire ni écrire de trouver du
travail, de participer à des activités politiques ou d’exercer leur liberté d’expression. La
non-protection du droit d’une femme à un logement convenable (par exemple le défaut de
sécurité d’occupation résidentielle) peut l’exposer davantage à la violence familiale, car
elle peut avoir à choisir entre rester dans une relation violente ou se retrouver sans abri
138.
134) La violation des droits de l’homme et en l’occurrence des DESC pourrait être qualifiée de systématique si elle s’inscrit dans le cadre
d’une politique planifiée par l’État ou d’un plan dirigé à l’encontre de l’ensemble ou d’une partie de la population dans une région/ou
partie du territoire quelconque et qui a permis à la violation de se répéter et de durer dans le temps.
135) Voir par exemple Alicia E. Yamin et Oscar Parra Vera, “Judicial Protection of the Right to Health in Colombia: From Social Demands
to Individual Claims to Public Debates”, dans Hastings International & Comparative Law Review; 33(2), 2010, p. 431-459.
136) Entré en vigueur le 5 Mai 2013 mais non encore ratifié par la Tunisie.
137) Voir l’article 11 du PF-PIDESC : la procédure d’enquête est une procédure dite facultative et ne concerne donc que les Etats ayant
fait la déclaration expresse nécessaire.
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Il convient de noter que certaines violations graves aux DESC peuvent également être qualifiées
de
crimes internationaux dans certaines conditions, et relèvent par conséquent de la compétence
de la Cour pénale internationale (la Tunisie est partie depuis 2011).
A titre d’exemple:
Violation grave des DESC
Droit violé
La soumission intentionnelle d’un groupe national,
ethnique, racial ou religieux à des conditions
d’existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle (telles que la famine),
et les mesures visant à entraver les naissances au
sein du groupe : constituent le crime de génocide
au sens de l’article 6 du statut de Rome (créant la
Cour pénale internationale).
La prostitution forcée, la grossesse forcée et la
stérilisation forcée commises dans le cadre d’une
attaque généralisée ou systématique : constituent
des crimes contre l’humanité au sens de l’article 7
du statut de Rome.
Constituent des crimes de guerre les actes suivants:
• Le fait de diriger intentionnellement des attaques
contre des bâtiments consacrés à l’enseignement,
à l’art, à la science, des monuments historiques ;
• Le fait de soumettre des personnes d’une partie
adverse à des mutilations ou à des expériences
médicales ou scientifiques non motivées par un
traitement médical ;
• La prostitution forcée et la grossesse forcée ;
• Le fait d’affamer délibérément des civils comme
méthode de guerre en les privant de biens
indispensables à leur survie.
• Droit à la santé (art. 12 du PIDESC).
• Droit à un niveau de vie suffisant y compris
le droit à l’alimentation, le droit à un logement
convenable, le droit à l’eau et à des vêtements
(art. 11 du PIDESC).
Droit à la santé.
• Droit à l’éducation (art. 13 du PIDESC).
• Droits culturels (art. 15 du PIDESC).
• Droit à la santé.
• Droit à un niveau de vie suffisant y compris
le droit à l’alimentation, le droit à un logement
convenable, le droit à l’eau et à des vêtements.
Le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie a eu l’occasion de statuer sur une violation
grave des droits culturels
dans l’affaire Enver Hadzihasanovic et Amir Kibura. Pour la Chambre
d’Appel (11 mars 2005), « Une protection spéciale est accordée aux biens qui présentent une
grande importance pour le patrimoine culturel des peuples. Cette protection découle de l’article
53 du Protocole I [aux Conventions de Genève de 1949)]… » (§ 46).
Dans le même contexte, la Chambre de première instance de la Cour pénale internationale a
rendu son jugement dans l’affaire Le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi le 27 septembre
2016. Statuant à l’unanimité, la Chambre a conclu, au-delà de tout doute raisonnable, qu’Ahmad
Al Mahdi était coupable, en tant que coauteur, du crime de guerre consistant à avoir dirigé
intentionnellement des attaques contre des bâtiments à caractère religieux et historique sis à
Tombouctou, au Mali, en juin et juillet 2012
139.
138) Questions fréquemment posées concernant les droits économiques, sociaux et culturels, HCDH, Fiche d’information n° 33, p. 5 et 6.
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III. Le contrôle du respect des principes généraux du droit
Certaines affaires de contentieux comme évoquées plus haut traitent directement d’un ou de
plusieurs DESC ou sur des principes de conduite prônés par l’approche « droits de l’homme ».
Cependant, il arrive également que des affaires de contrôle de constitutionnalité, par exemple,
se fondent sur des dispositions qui ne sont pas explicitement des garanties de droits de l’homme,
mais plutôt des principes plus généraux d’État de droit ancrés dans la Constitution. Ces principes
incluent, par exemple, la non-rétroactivité de la loi, le principe de légalité ou le principe de la
protection des droits acquis dont les individus peuvent se prévaloir dans de nombreux systèmes
juridiques afin de remettre en question la légalité d’un changement législatif ou administratif
affectant leurs intérêts et droits.
En Tunisie, les principes généraux de droit sont prévus dans l’art. 535 du Code des Obligations
et de contrats (COC)
qui stipule que : « Lorsqu’un cas ne peut être décidé par une disposition
précise de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent les cas semblables ou des matières
analogues ; si la solution est encore douteuse, on décidera d’après les règles générales de droit»
(art. 535 du COC).
Il est à noter que la version initiale du texte tel que rédigée en langue arabe fait renvoi aux
principes généraux du droit.
L’art. 5 de la Loi n° 72-40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif140 fait également
référence à ces principes généraux en ce qui concerne le recours pour excès de pouvoir.
Ci-après, des exemples sont donnés de diverses catégories de critères de jugement utilisés dans
le cadre du contrôle constitutionnel. La liste n’est en aucun cas exhaustive. Il n’est, de plus,
pas rare que certaines affaires, notamment celles impliquant des faits ou questions de droit
complexes, voient plusieurs de ces critères appliqués simultanément.
3.1. Caractère raisonnable
Le caractère raisonnable est un critère de jugement souvent utilisé par les tribunaux afin de
déterminer la constitutionnalité ou la légalité de législations ou règlementations, notamment dans
les pays de common law. Ici, les juges évaluent si la loi ou la pratique litigieuse peut être justifiée
par rapport aux objectifs poursuivis et aux droits constitutionnels à protéger.
Le critère du caractère raisonnable peut être invoqué dans des contextes et dans des buts variés
dans le domaine du contentieux des DESC. Il recouvre donc des concepts qui peuvent différés
d’une affaire à l’autre. Le degré de déférence envers les choix des autorités législatives ou
administratives varie lui aussi de façon significative. Il a ainsi été utilisé très fréquemment par
des organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels, notamment dans des affaires concernant des
obligations positives des États de mettre en oeuvre les DESC.
139) https://www.icc-cpi.int/Pages/item.aspx?name=pr1242&ln=fr.
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i. Le caractère raisonnable dans le contentieux des DESC
Un contrôle du caractère raisonnable a été inclus dans le Protocole facultatif au PIDESC. Selon
l’article 8.4 de ce Protocole, le CODESC doit considérer le caractère raisonnable des mesures
prises par l’État partie en relation avec les droits du PIDESC. Dans une déclaration de 2007
publiée dans le cadre des négociations du PF-PIDESC, le CODESC a donné des indications
quant aux éléments qui seraient pris en compte pour évaluer si les mesures prises par un État
partie peuvent être considérées comme « adéquates ou raisonnables » :
« En examinant une communication portant sur la non-adoption présumée par un État partie
de mesures au maximum de ses ressources disponibles, le Comité se penchera sur les mesures
effectivement prises par l’État partie dans le domaine législatif ou autre. Pour déterminer si ces
mesures sont « suffisantes» ou «raisonnables», le Comité se demandera notamment :
a) Dans quelle mesure les dispositions prises étaient délibérées, concrètes et axées sur la
réalisation des droits économiques, sociaux et culturels ;
b) Si l’État partie a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière non discriminatoire et non
arbitraire ;
c) Si la décision de l’État partie d’allouer (de ne pas allouer) les ressources disponibles est
conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme ;
d) Lorsque plusieurs possibilités existent, si l’État partie a choisi celle qui est la moins restrictive
pour les droits reconnus dans le Pacte ;
e) Dans quel délai les mesures ont été prises ;
f) Si les mesures qui ont été prises ont tenu compte de la situation précaire des personnes ou
groupes défavorisés et marginalisés, si ces mesures étaient non discriminatoires et si elles ont
accordé la priorité à des situations graves ou comportant des risques»
141.
Dans ce domaine, la jurisprudence sud-africaine a joué un rôle exemplaire, notamment dans
l’affaire Grootboom (mentionnée page 60), tranchée par la Cour Sud-africaine)
142.
Saisie d’une allégation de violation du droit à un logement adéquat garanti par la Constitution,
la Cour a estimé que la politique étatique du logement n’était pas raisonnable et donc était
inconstitutionnelle dans la mesure où elle se concentrait sur la création à long terme de logements
sans prévoir de fournir à court terme une solution aux personnes sans-abris. L’affaire Grootboom
a influencé le développement de la doctrine des cours sud-africaines et d’organes juridictionnels
et quasi-juridictionnels dans d’autres pays dans les litiges concernant des obligations positives
dans le domaine des DESC
143.
ii. Application : Exemples de variantes dans différentes juridictions
Dans certains cas, un test plus strict de la « rationalité » plutôt que du caractère raisonnable a été
utilisé pour juger d’une limitation des DESC. C’est le cas, en l’occurrence, dans l’affaire Ministère
de l’agriculture c. Moreno où la Cour suprême des États-Unis a déclaré qu’un programme
d’assistance d’une agence étatique était « sans aucun fondement rationnel » parce qu’il privait
du bénéfice de coupons alimentaires tout foyer comprenant une personne sans lien de parenté
avec les autres membres
144. Il existait des motifs de penser que la loi avait été formulée ainsi afin
140) Voir Chapitre V du présent Manuel.
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d’éviter que les personnes vivant en communautés alternatives puissent demander l’assistance
sociale.
Dans l’affaire Eldridge c. British Columbia (1997)145, la Cour suprême du Canada a estimé
que le gouvernement n’a pas été en mesure de démontrer qu’il avait un motif raisonnable pour
refuser de fournir les services d’interprètes en milieu médical en raison de leur coût. Afin de
justifier la limitation d’un droit de la Charte des droits de l’homme, la Cour a estimé que le
gouvernement devait établir que celle-ci est « prescrite par la loi » et est « raisonnable » dans
une « société libre et démocratique ».
L’affaire Lindiwe Mazibuko et autres c. Ville de Johannesburg et autres (du 8 octobre 2009
résumée ci-dessous) concerne une allégation de violation du droit d’avoir accès à une quantité
d’eau suffisante au titre de la section 27 de la Constitution, la Cour constitutionnelle de l’Afrique
du Sud a estimé que le droit d’accès à suffisamment d’eau protégé en vertu de la Constitution
exige que l’État prenne des mesures législatives et autres raisonnables pour la réalisation du droit
au moyen des ressources disponibles (§ 50) :
De l’avis de la Cour, la politique de l’eau de base gratuite mise en place par la ville de
Johannesburg, qui charge les usages d’eau supérieurs à six kilolitres, s’inscrivait dans les limites
du caractère raisonnable (§ 9).
En ce qui concerne les obligations positives de l’État quant aux DESC qui découlent de la
Constitution, elles seront appliquées par les tribunaux dans au moins l’une des manières
suivantes : Si le gouvernement ne prend aucune mesure pour réaliser les droits, les tribunaux
exigeront le gouvernement à prendre des mesures ; si les mesures adoptées du gouvernement
sont déraisonnables, les tribunaux exigeront de la même façon qu’elles soient revues afin de
satisfaire à la norme constitutionnelle...
Enfin, l’obligation de réalisation progressive impose une obligation au gouvernement de
continuellement revoir ses politiques afin de s’assurer que la réalisation du droit est progressivement
réalisée » (§ 67).
3.2. Proportionnalité de la restriction du droit
Le critère de jugement de proportionnalité requiert que la limitation ou la restriction d’un droit
de l’homme soit proportionnée à leurs motifs (légitimes). Les justifications typiques de limitations
proportionnées incluent la sécurité ou la souveraineté nationale, la protection d’autres droits
fondamentaux, et la protection contre un danger grave et imminent.
L’arrêt Junta Rectora Del Ertzainen Nazional Elkartasuna (ER.N.E.) c. Espagne (CrEDH, 21 avril
2015) traite de la question de l’absence d’un droit de grève pour des membres des forces de
sécurité de l’État.
Le syndicat requérant se plaignait de l’interdiction légale d’exercer le droit de grève pour ces
agents publics. Il invoquait en particulier l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la CEDH) qui cite expressément les forces
armées et la police parmi ceux qui peuvent, tout au plus, se voir imposer par les États des «
141) CODESC, Déclaration : Appréciation de l’obligation d’agir « au maximum de ses ressources disponibles » dans le contexte d’un
protocole facultatif au Pacte », E/C.12/2007/1 (2007), § 8.
142) La décision est disponible sur : http://www.constitutionalcourt.org.za/Archimages/2798.PDF.
Pour des cas : Voir ICJ Justiciability Study, p. 38 et 39.
143) Le caractère raisonnable a été adopté par le groupe de travail intergouvernemental nommé pour élaborer le protocole facultatif se
rapportant au PIDESC, basé en partie sur l’expérience sud-africaine.
Voir le Protocole facultatif au PIDESC.
Voir aussi Bruce Porter, le caractère raisonnable de l’article 8, § 4, « Nordic Journal » pour les droits de l’homme, Vol. 27, n ° 1 (2009),
p. 39-53.
144) Ministère de l’agriculture américain c. Moreno, 413 US 528 (1973).
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restrictions légitimes », sans pour autant que le droit à la liberté syndicale de leurs membres ne
soit remis en cause. Ces restrictions ne doivent pas porter atteinte à l’essence même du droit de
s’organiser (Matelly c. France).
Le présent arrêt est intéressant en ce qu’il prend en considération, dans l’examen du respect
de l’article 11 de la CEDH, les responsabilités spécifiques auxquelles des agents publics de
maintien de la sécurité de l’État sont astreints. La Cour a conclu à la non-violation de l’article 11
et a estimé que les faits soulevés par la situation spécifique du syndicat requérant indiquent qu’il
y a eu une ingérence dans son droit à la liberté d’association, celle-ci n’était pas injustifiée, car
le syndicat a pu exercer le contenu essentiel de son droit. En
effet, contrairement à l’affaire Enerji Yapı-Yol Sen c. Turquie, la restriction prescrite par la loi en
cause ne s’appliquait pas à l’ensemble des fonctionnaires publics mais visait exclusivement les
membres des forces et corps de sécurité de l’État qui sont les garants du maintien de la sécurité
publique. La loi accorde à ces corps une responsabilité accrue leur exigeant d’intervenir à tout
moment et en tout lieu en défense de la loi, que ce soit pendant les heures de travail ou pas.
La Cour a notamment souligné ce qui suit : « (...) cette nécessité d’un service ininterrompu et
le mandat armé qui caractérise ces « Agents de l’Autorité » distinguent ce collectif d’autres
fonctionnaires tels que les magistrats ou les médecins et justifient la limitation de leur liberté
syndicale. En effet, les exigences plus sévères les concernant ne vont pas au-delà de ce qui est
nécessaire dans une société démocratique, dans la mesure où elles permettent de préserver les
intérêts généraux de l’État et, en particulier, d’en garantir la sécurité, la sûreté publique et la
défense de l’ordre, principes énoncés à l’article 11 § 2 de la Convention » (§ 38).
« Par ailleurs, la nature spécifique de leurs activités justifie l’existence d’une marge d’appréciation
suffisamment large de l’État pour développer sa politique législative et lui permettre ainsi de
réglementer, dans l’intérêt public, certains aspects de l’activité du syndicat, sans pour autant
priver ce dernier du contenu essentiel de ses droits au titre de l’article 11 de la Convention (...)
» (§ 39)
146.
3.3. Equité procédurale et respect des garanties offertes par la loi
L’assurance de l’équité procédurale et du respect des garanties offertes par la loi est un élément
important du droit à l’égalité devant les tribunaux et à un procès équitable tel que reconnu
en droit international
147. La réalisation de ce droit exige que l’administration de la justice soit
capable de garantir un ensemble de droits spécifiques et que personne ne soit privée en termes
procéduraux du droit de réclamer justice148. En particulier, ce droit comprend notamment la
garantie de l’« égalité des armes » et l’interdiction de la discrimination entre les parties au
procès
149.
Au niveau national, la protection constitutionnelle du respect des garanties offertes par la loi
et de l’équité procédurale est assurée par les organes juridictionnels et quasi-juridictionnels et
ce, dans un grand nombre d’affaires et de procédures. Ainsi, elles sont importantes pour la
protection des DESC ou de certains éléments de ces derniers
150.
145) 3 S.C.R. 624.
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LE CONTRÔLE PAR LES ORGANES JURIDICTIONNELS ET QUASI-JURIDICTIONNELS NATIONAUX
Dans une affaire devant le Juge des référés de Beyrouth (Liban) du 2 février 2011, le Comité
administratif de la Fédération libanaise de ski a décidé d’interdire à une skieuse de participer
à des compétitions sportives nationales et internationales pour le Liban et ceci pour une période
de 3 ans du fait qu’elle n’a pas respecté les instructions du chef de la délégation aux jeux
olympiques.
La demanderesse (la skieuse) prétend ne pas avoir bénéficié de son droit à la défense et que
la décision de la Fédération avait réellement pour motif le fait que la joueuse a critiqué certains
membres de la délégation.
Le juge a conclu que la pratique de sport et la participation à des compétitions sportives sont des
droits fondamentaux et naturels pour tout être humain.
Bien que la loi accorde des pouvoirs à la Fédération pour organiser la pratique sportive et pour
prendre des mesures disciplinaires contre les joueurs allant jusqu’à l’interdiction de participer à
des compétitions au nom de leur pays, toutefois, la Fédération est tenue de respecter le minimum
requis pour un procès équitable vu la gravité de ces mesures et leur répercussion sur un droit
fondamental (le droit au sport)
151.
Pour plus de détails sur le droit à un procès équitable dans des affaires relatives aux DESC en
droits nationaux et en droit international, voir ICJ Justiciability Study, p. 61-64.
146) hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library.
147) En particulier, ce droit est garanti à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
148) Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 32, CCPR/C/GC/32 (2007), § 2 et 9.
149) Ibid, § 8.
150)
151) La jurisprudence arabe en application des Conventions relatives aux Droits de l’Homme (en arabe), Ahmad Achkar, Institut Raoul
Wallenberg, 2016, p. 181.
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CHAPITRE IV
A s p e c t s p r o c é d u r a u x
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CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE
CHAPITRE IV
Aspects procéduraux
Une fois le contenu normatif de chaque droit bien cerné (chapitre II) et la violation identifiée
et caractérisée (chapitre III), les avocats engagés dans le contentieux des DESC et souhaitant
saisir des organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels doivent prendre en considération divers
éléments stratégiques au cours des différentes étapes de la procédure. Plusieurs questions se
doivent d’être posées en effet avant d’initier une procédure (I). Les questions de l’administration
de la preuve doivent être elles aussi stratégiquement considérées au préalable (II) ainsi que les
moyens de résoudre les difficultés qui pourraient surgir quant à l’exécution de la décision de
justice (IV). Les praticiens du droit se devront, également, d’être clairs sur les différents possibles
recours et leurs effets attendus (III).
I. Initier une procédure
Même si une partie significative du contentieux des DESC impliquent deux parties privées, celui-ci
comme pour tout litige concernant les droits de l’homme a lieu intrinsèquement et essentiellement
entre un individu s’estimant lésé et l’État ou les autorités publiques. Cet état de fait pose un
certain nombre de questions, y compris :
• Le potentiel de « politisation » des sujets considérés : les affaires et questions impliquant des
syndicats et les droits de travail par exemple sont souvent conçues comme étant plus politiques
que purement juridiques ;
• Le possible déséquilibre des forces entre les parties au litige ;
• La possible déférence que le pouvoir judiciaire peut avoir par rapport aux décisions, aux
omissions et aux actions des pouvoirs législatif et exécutif, en ayant à concilier la garantie du
droit à un recours effectif, d’une part, et la séparation des pouvoirs d’autre part ;
• Les difficultés de faire appliquer les jugements, y compris les injonctions et les ordonnances
à l’encontre de l’État ou d’une autorité publique à différents niveaux
152.
Face à ces défis, il est important de se rappeler que l’indépendance du pouvoir judiciaire
est un élément fondamental de l’État de droit et une condition « sine qua-non » pour une
protection efficace des droits de l’homme. Des normes en faveur du respect et de protection de
l’indépendance du judiciaire doivent être garanties
153. En particulier, les dispositions concernant
l’expertise, la sélection et l’inamovibilité des juges, notamment dans les plus hautes juridictions,
peuvent influencer leur capacité à prendre des décisions à l’encontre de l’État en cas d’actions
ou d’omissions de ce dernier et d’ordonner des réparations systémiques.
En Tunisie, le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire a une valeur constitutionnelle
en vertu de l’article 102 de la Constitution selon lequel « La magistrature est un pouvoir
indépendant…Le magistrat est indépendant ».
A cet égard, il « ne peut être muté sans son consentement. Il ne peut être révoqué, ni faire l’objet
de suspension ou de cessation de fonctions, ni d’une sanction disciplinaire, sauf dans les cas
et conformément aux garanties fixés par la loi et en vertu d’une décision motivée du Conseil
supérieur de la magistrature » (art. 107).
152 Voir la section IV du présent Chapitre.
153) Voir les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés à Milan en 1985 et confirmés par l’Assemblée
générale des Nations Unies dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985.
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1.1 Examen du bien-fondé
Aussi, une question fondamentale qui peut devoir être réglée est si le recours à la justice est
la meilleure option dans une situation donnée. Ainsi que le montrent de nombreuses affaires
emblématiques concernant les DESC, le contentieux peut n’être qu’un élément parmi d’autres
d’une stratégie. Dans de tels cas, le plaidoyer juridique et politique peut jouer un rôle significatif
pour assurer que si des décisions positives sont prises et des réparations sont ordonnées, elles
soient appliquées largement et entièrement. Ceci est particulièrement vrai lorsque les décisions
de justice impliquent des changements structurels dans la loi et dans les politiques publiques.
Dans certains cas, même si le recours aux tribunaux n’a pas abouti à une décision favorable aux
victimes, des changements positifs ont toutefois pu être obtenus grâce à la campagne médiatique
et au travail de plaidoyer réalisés autour d’une affaire.
Dans l’affaire Lindiwe Mazibuko et autres c. ville de Johannesburg et autres, la Cour
constitutionnelle de l’Afrique du Sud (CCT 39/09), (2009) ZACC 28, 8 octobre 2009, fournit
une bonne illustration d’un changement positif par le biais de campagne publique et de plaidoyer,
compensant une décision relativement conservatrice de la Cour
154.
1.2. Fournir aux victimes/clients des informations sur leurs droits et recours
Les études relatives aux considérations stratégiques sur le contentieux des DESC ainsi que les
témoignages de praticiens dans une variété de juridictions confirment l’importance fondamentale
d’assurer une connaissance générale de la part des individus sur leurs droits et sur les obligations
étatiques pour la réalisation de ces droits
Indéniablement, un bon niveau d’éducation générale et, en particulier, d’éducation aux droits de
l’homme de la population facilite l’accès à la justice en cas de violations des DESC
155. Les titulaires
de droits doivent avoir la capacité d’exiger le respect, la protection et la réalisation de ces droits.
Or, même si la situation varie d’un pays à l’autre, les titulaires de droits connaissent généralement
très peu leurs droits et encore moins les possibilités d’une protection juridictionnelle. Par exemple,
les lois et d’importantes décisions judiciaires pertinentes pour les DESC ne sont souvent que
publiées dans les journaux officiels ou autres documents de ce type qui sont peu accessibles pour
une grande partie de la population et, notamment, pour les individus appartenant à des groupes
marginalisés ou désavantagés qui sont plus susceptibles d’être victimes de violations des DESC.
A cet égard, les avocats et les juges peuvent jouer un rôle significatif dans la mise à disposition
et la bonne compréhension de l’information. La création et l’actualisation régulière de base de
données de jurisprudence par les pouvoirs judiciaires et par les praticiens du droit sont un moyen
intéressant de rendre l’information plus accessible.
En outre, il existe des initiatives pédagogiques et de transparence intéressantes qui pourraient
être reproduites, telle que celle menée au Salvador où des juges de la Cour constitutionnelle
dédient du temps régulièrement pour informer la population sur leur rôle et travail, la constitution
et les droits qu’elle garantit
156. Au Kenya, un programme pilote a été lancé en 2013 pour former
tous les étudiants de premier cycle de l’université de Laikipia dans le domaine des normes
nationales et internationales relatives aux droits de l’homme
157.
154) Voir, par exemple, Dugard Jackie, dans « les droits sociaux et économiques en Afrique du Sud : symboles ou Substance ? ».
155) Les études de la CIJ concernant l’accès à la Justice des droits sociaux au Maroc et en El Salvador, sont respectivement disponibles
en Français et en espagnol sur :
http://www.icj.org/new-icj-study-on-access-to-justice-for-economic-social-and-cultural-rights-in-morocco/, et
http://www.icj.org/new-icj-study-analyses-obstacles-preventing-salvadorians-to-access-justice-effectively/.
156 Le site Internet de la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême du Salvador : http://www.csj.gob.sv/SALAS_CSJ.html#
157 Pour plus d’informations, voir le rapport annuel du HCDH, priorités thématiques : l’impunité et la primauté du droit, p. 40 :
http://www2.ohchr.org/english/OHCHRReport2013/WEB_version/pages/thematic_priorities.html; et le site de « Laikipia University »:
http://laikipia.ac.ke/home/humanrights.html.
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ASPECTS PROCÉDURAUX
L’information sur les droits donnée aux individus n’est pas seulement indispensable dans l’abstrait
mais devient absolument fondamentale lorsque ceux-ci deviennent effectivement victimes d’une
violation. Selon la gravité, les faits particuliers et les questions de droit en jeu, ainsi que les
réparations demandées, les avocats vont souvent devoir trouver un équilibre entre les intérêts
particuliers de leurs clients et les considérations d’impact global en termes de législation et de
politiques publiques qui peuvent émerger dans le cadre d’une affaire. Idéalement, une implication
constante et active, sur la base d’une bonne information, des titulaires de droits devrait ainsi être
assurée tout au long de la procédure de contentieux et dans la prise de décisions stratégiques.
La sensibilisation aux droits n’est pas seulement importante dans des affaires spécifiques traitant
de violations ayant eu lieu, elle joue aussi un rôle essentiel dans la prévention de telles violations.
Ainsi, les fonctionnaires et les détenteurs d’obligations doivent, eux aussi, connaître le cadre et
les principes juridiques qu’ils doivent respecter dans la fourniture de biens et services publics
nécessaires à la réalisation des DESC. A cet égard, il est intéressant de noter les progrès réalisés
dans la formation aux droits de l’homme dans la fonction publique. Par exemple en Bolivie, l’État
a lancé un nouveau programme pour former tous les fonctionnaires publics aux normes de droits
de l’homme et pour lutter contre les attitudes et actes discriminatoires dans l’administration
158.
Des agents publics bien informés sont plus à même de prévenir des violations des droits et
de contribuer plus activement et efficacement à leur réalisation. En cas de plaintes contre de
mauvais fonctionnements des services publics, ils peuvent aussi être plus susceptibles de fournir
une solution immédiate ou du moins opportune par des mesures administratives qui peuvent
garantir une cessation d’une violation, éviter une aggravation et être plus accessibles aux
titulaires de droits. Dans cette perspective, l’importance de la formation en droits de l’homme
des agents publics est aussi évidente dans le domaine des DESC que dans le domaine des droits
de l’homme, en général. Elle joue, en effet, un rôle majeur dans la garantie de tous les éléments
d’une réparation adéquate telle que définie en droit international, ce qui inclut la garantie de
non-répétition.
En Tunisie, plusieurs instituts sont susceptibles de fournir de telles formations dont notamment :
• L’Institut supérieur de la magistrature (ISM) qui assure des cours relatifs aux droits de l’homme
que ce soit dans le cadre de la formation initiale que dans le cadre de la formation continue
159;
• L’Institut supérieur de la profession d’avocat (ISPA) qui a la charge de préparer au métier
d’avocat comme garant des droits de la défense, et d’assurer une formation continue.
• Le Centre de formation et d’appui à la décentralisation (CFAD), placé sous la tutelle du
Ministère de l’intérieur et dont la mission consiste notamment à l’organisation de sessions
de perfectionnement et de formation à l’intention des cadres et agents des gouvernorats et
des communes et agents de l’administration centrale, l’organisation de sessions d’étude, de
stages, etc
160.
1.3. Accessibilité matérielle : aide judiciaire
Il ressort clairement que le manque de moyens financiers est globalement un obstacle fréquent
à l’accès à la justice pour les victimes de violations des droits de l’homme
161. Or, cet obstacle
s’accentue dans le domaine des DESC car :
158) Voir le rapport du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme sur les activités de son bureau dans l’Etat de Bolivie,
A/HRC/22/17/Add.2 (2013), § 34 :
http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session22/A-HRC-22-17-Add-2_en.pdf
159 A cet égard, et en partenariat avec le HCDH, l’Institut a organisé une journée d’étude sur « La justiciabilité des DESC » le 1er avril
2016.
160 A cet égard, en partenariat avec le HCDH, le CFAD a organisé un projet-pilote des formations intégrant un module sur les obligations
de l’Etat en matière de DESC à près de 75 cadres en 2016.
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• Les victimes de violations des DESC appartiennent souvent aux secteurs les plus marginalisés
et désavantagés de la société ;
• En raison du contenu de ces droits, l’impact de leurs violations place souvent les victimes
dans une situation économique difficile, voire désespérée ;
• Les programmes d’aide judiciaire sont souvent limités et excluent les domaines du droit civil
ou constitutionnel pour ne couvrir que les procédures pénales ;
• Même lorsque les programmes d’aide judiciaire sont relativement étendus et complets, les
coûts engendrés par le recours à la justice ne se limitent pas aux frais de représentation par
un avocat et les frais de procédure, mais ils peuvent aussi inclure les dépenses générales que
les victimes doivent engager telles que celles liées aux déplacements et aux transports, à la
certification de documents, ou bien la perte de revenu liée à l’obligation de s’absenter du
travail pour les besoins de la procédure. Les victimes peuvent être particulièrement réticentes
à engager ces dépenses et accepter ces pertes de gains si elles manquent de confiance en la
capacité du système de justice à leur apporter réparation.
A cet égard, deux remarques peuvent être faites concernant l’implication des praticiens du
droit au niveau national dans la mise en oeuvre et la promotion de l’aide judiciaire. D’une
part, l’importance de l’aide judiciaire pour la protection des droits a été largement reconnue
même dans les pays ayant des ressources limitées. D’autre part, cette aide a été intégrée dans
les projets et actions soutenus dans le cadre de la coopération et l’assistance internationales.
Ces dernières sont explicitement reconnues comme élément fondamental pour la réalisation des
DESC dans l’article 2 du PIDESC qui implique aussi que les États doivent garantir des recours
effectifs en cas de violations
162.
L’initiative d’un plan ambitieux de développement d’aide judiciaire lancé en 2011 au Botswana
est un exemple encourageant de collaboration entre l’État, à travers le bureau du procureur
général, le Barreau et les avocats privés, les organisations de la société civile en général, et les
bailleurs de fonds internationaux
163.
En plus du travail pro bono (pour le bien public) d’avocats privés, les demandeurs dans les
affaires de DESC peuvent quelques fois bénéficier du soutien d’un nombre croissant de « legal
clinic » basés dans les universités
164, qui peuvent jouer un rôle important dans les recherches et
l’accompagnement au cours de la procédure.
Il convient de noter que certains organes juridictionnels et quasi-juridictionnels ont protégé les
droits procéduraux et pris en compte la position de désavantage dans laquelle les titulaires de
droits se trouvent dans certaines affaires, comme le montre l’affaire devant la Cour constitutionnelle
russe résumée ci-dessous.
L’affaire de la Cour constitutionnelle de la Russie (13 octobre 2009) soulève la question de
la constitutionnalité de l’article 393 du Code du travail de la Fédération de Russie qui prévoit
l’exemption des employés du paiement des frais de justice dans les litiges du travail
165.
Dans son raisonnement, la Cour a déclaré que le droit à une protection juridictionnelle fait partie
161) Sur les obstacles matériels d’accès à la justice pour les DESC, voir le rapport général du Secrétaire général des Nations Unies sur la
question de la réalisation dans tous les pays des droits économiques, sociaux et culturels (2013), A/HRC/25/31, § 16-24.
162) Article 2 (1) du PIDESC. Voir le Chapitre III du présent Manuel.
163) Pour une analyse du projet pilote d’aide judiciaire au Bostwana, voir l’étude de la CIJ, l’accès des femmes à la Justice au Botswana:
identifier les Obstacles et besoin de changement, (2013), p. 38 et 39 :
http://www.icj.org/meaningful-action-needed-to-advance-womens-access-to-justice-in-botswana/
164) https://revdh.revues.org/339.
165) En janvier 2009, la demanderesse, « Red Star Consulting » LLC, a poursuivi un ancien employé devant la Cour de Archangelsk
pour tenter de récupérer une compensation pour les frais judicaires, y compris les services juridiques de l’avocat, découlant d’un conflit
du travail entre les deux parties. La Cour a statué contre le « Red Star Consulting » LLC, tout en préservant en partie les revendications
de l’employé. La Cour régionale d’appel d’Archangelsk a confirmé la décision sans modifications. « Red Star Consulting » a par la
suite déposé une requête devant la Cour constitutionnelle, alléguant que l’article 393 du Code du travail violait la Constitution russe, en
particulier l’article 19, § 1, qui prévoit le droit à l’égalité devant les tribunaux. Le requérant a aussi allégué qu’il n’y avait aucun précédent
en Russie, par une Cour de juridiction générale, sur la question de l’applicabilité de l’article 393 du Code du travail au contentieux des
affaires civiles.
La Cour constitutionnelle a rejeté les demandes du requérant et déclaré sa demande irrecevable (§ 2.1).
fondamentaux de la réglementation du travail au sein de la Fédération de Russie comme un État de droit (art. 1, partie 1, al. 2 et art. 7
de la Constitution).
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des libertés et des droits fondamentaux et inaliénables de l’homme et, constitue, par ailleurs, une
garantie pour la jouissance de tous les autres droits et libertés (§ 2.3).
Les dispositions de l’article 37 de la Constitution russe prévoient la liberté du contrat de travail,
ainsi que le droit de l’employé et l’employeur de résoudre, par consentement mutuel, les
questions découlant du contrat de travail. Ces dispositions déterminent également l’obligation
du gouvernement d’assurer une protection appropriée des droits et des intérêts légitimes de
l’employé comme étant la partie la plus faible économiquement, dans la relation de travail. La
Cour souligne que cela est compatible avec les objectifs
Par conséquent, le législateur établit des garanties procédurales pour la protection des droits
du travail des employés lors de l’examen des litiges du travail devant la justice, en l’absence de
laquelle (c’est-à-dire garanties), le droit à un procès équitable resterait inachevé.
Parmi ces garanties de procédure, la Cour mentionne : la possibilité de désigner un syndicat
ou un avocat en charge de la défense des droits des salariés (art. 391 du Code du travail de
la Fédération de Russie), l’attribution de la charge de la preuve à l’employeur (par exemple,
dans les cas prévus par l’article 247 du Code du travail ou dans un litige sur la réinsertion du
personnel dont le contrat du travail a été rompu à l’initiative de l’employeur) et l’exemption de
l’employé du paiement des frais de justice (art. 393 du Code du travail) (§ 2.5).
La Cour conclut en soulignant que la règle d’exempter l’employé de frais judicaires vise à
garantir son droit à la protection juridique, afin de lui fournir l’égalité d’accès à la justice et
de respecter le principe de l’égalité, incorporé dans l’article 19 § 1 de la Constitution de la
Fédération de Russie (§ 2.6)
166.
Possibilité de l’aide judiciaire
Plusieurs textes nationaux consacrent le principe du bénéfice de l’aide judiciaire :
i. La Constitution : La loi assure l’aide judiciaire aux personnes démunies (art.108).
ii. La Loi n° 52-2002 du 3 Juin 2002 relative de l’aide judiciaire : L’aide judiciaire peut être
accordée en matière civile à toute personne physique demanderesse ou défenderesse, et ce, à
toute phase de la procédure. Elle peut être octroyée en matière pénale (art. premier) ; L’aide
judiciaire est accordée à condition que son demandeur prouve ce qui suit :
1. qu’il n’a pas de revenus ou que son revenu annuel certain est limité et ne suffit pas à couvrir
les frais de justice et d’exécution sans que ses exigences vitales soient affectées d’une manière
substantielle,
2. qu’il apparaît que le droit allégué paraisse être fondé lorsqu’il s’agit d’une demande d’aide
judiciaire en matière civile (art. 3).
iii. La Loi n° 72 - 40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal Administratif : L’aide juridictionnelle
peut être accordée devant le tribunal administratif, conformément aux textes en vigueur. La
demande d’aide juridictionnelle interrompt les délais de recours et de pourvois. Les décisions
du bureau de l’aide juridictionnelle ne peuvent faire l’objet d’aucun recours y compris par voie
d’excès de pouvoir (art. 30 nouveau).
166) http://www.ksrf.ru/RU/Decision/pages default.aspx.
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II. Questions autour de l’administration de la preuve
Un autre défi en termes de procédures qui revêt une importance fondamentale dans le contentieux
des DESC concerne la production d’informations factuelles qui peuvent être utilisées comme
preuves à l’appui d’une plainte.
Le contentieux des DESC implique naturellement de répondre aux exigences de normes et
techniques en termes d’administration de la preuve que les organes juridictionnels et quasi-
juridictionnels peuvent et ont appliqué. Comme indiqué en introduction de ce chapitre, il est
probable qu’un certain déséquilibre existe quand un individu ou un groupe d’individus lésés
veulent se plaindre contre un acte préjudiciable de la part de l’État ou de ses autorités qui sont
susceptibles d’avoir plus facilement accès à l’information.
2.1. Le droit à l’information
En vue de corriger certains de ces déséquilibres, il est important de porter une attention
particulière au droit à l’information tel que reconnu notamment à l’article 19 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, ainsi que dans le Pacte international relatif aux droits civils
et politiques167. Dans divers cadres juridiques nationaux, le droit à l’information a évolué pour
inclure non seulement le droit d’échanger et diffuser l’information en tant qu’élément du droit
à la liberté d’expression, mais aussi le droit d’accéder et recevoir l’information de la part des
autorités publiques
168. Le droit à l’information peut s’avérer essentiel pour les titulaires de droits
et pour les praticiens du droit qui ont besoin d’obtenir des documents administratifs clés.
Depuis 2014, le droit à l’information a une valeur constitutionnelle : en effet, « L’État garantit
le droit à l’information et le droit d’accès à l’information. L’État oeuvre en vue de garantir le
droit d’accès aux réseaux de communication » (art. 32 de la Constitution). Dans ce cadre, le
législateur tunisien a adopté la loi organique n° 2016-22 du 24 mars 2016 relative au droit
d’accès à l’information, entrée en vigueur le 29 mars 2017
Il faut naturellement souligner que toutes les affaires de DESC ne sont pas hautement complexes
ou posent de grands défis en termes de production de preuves. Les défis en termes de preuves
vont ainsi apparaître essentiellement dans des affaires complexes et/ou qui soulèvent des
questions structurelles de politiques publiques défaillantes, exigeant une solution systémique.
Par exemple, les affaires dans lesquelles l’exploration ou l’exploitation de ressources minières
sont considérées comme représentant une menace de violation des droits au logement, à l’eau
ou à l’alimentation, les victimes de cette menace peuvent avoir à produire des études d’impact
alternatifs, des rapports d’expertise environnementale, des preuves médico-légales de l’impact
de certains polluants sur la santé humaine, ou des rapports d’expertise sur les changements dans
les écosystèmes sur lesquels les moyens de subsistance de ces personnes reposent. Cela pose
un problème plus large d’établissement du lien de causalité entre un acte ou une omission et le
dommage causé à une victime présumée
169, ce qui ne concerne pas exclusivement le contentieux
des DESC mais est vrai pour un grand nombre de domaines.
167) Ce droit est consacré à l’article 19 § 2 du Pacte international des droits civils et politiques : « Toute personne a droit à la liberté
d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans
considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ».
168) Voir, par exemple, Principes de Tshwane sur la sécurité nationale et le droit à l’information (2013) :
http://www.opensocietyfoundations.org/publications/global-principles-national-security-and-freedom-information-tshwane-principles.
Principe 1: « Chacun a le droit de rechercher, recevoir, utiliser et faire connaître des informations détenues par des autorités publiques ou
pour leur compte, ou des informations auxquelles les autorités publiques ont légalement le droit d’accéder », et principe 10.
169) Le problème d’établir le lien de causalité est aussi posé notamment dans le cas de la santé au travail par exemple.
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2.2. Le renversement de la charge de la preuve
L’une des conséquences du déséquilibre dans la facilité d’accéder à l’information est que,
dans certaines circonstances, l’équité procédurale peut exiger un renversement de la charge
de la preuve. En général, dans les affaires non pénales, la charge de la preuve incombe au
demandeur. Toutefois, il peut arriver que cette charge de la preuve soit renversée. Dans certains
litiges concernant les DESC, il revient à l’État de prouver que ses actes ou omissions n’ont
pas contribué à la violation ou que les mesures prises (ou leur absence) sont raisonnables ou
proportionnelles au but à atteindre.
Il est à noter que ce renversement de la charge de la preuve est explicitement requis par le
CODESC dans les cas de mesures rétrogrades et de manquement à satisfaire le contenu essentiel
des droits, qui sont des cas de violations prima facie du PIDESC. Dans son Observation générale
n° 3, le CODESC affirme :
« … toute mesure délibérément régressive dans ce domaine doit impérativement être examinée
avec le plus grand soin, et pleinement justifiée par référence à la totalité des droits sur lesquels
porte le Pacte, et ce en faisant usage de toutes les ressources disponibles…. Pour qu’un État partie
puisse invoquer le manque de ressources lorsqu’il ne s’acquitte même pas de ses obligations
fondamentales minimum, il doit démontrer qu’aucun effort n’a été épargné pour utiliser toutes
les ressources qui sont à sa disposition en vue de remplir, à titre prioritaire, ces obligations
minimum»
170.
La Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) dans une affaire traitant d’une discrimination
indirecte d’élèves roms en République tchèque
171, a établi que dans les cas de discrimination
indirecte, c’est-à-dire ceux impliquant des normes apparemment neutres qui toutefois ont un
impact négatif disproportionné sur certains groupes, la charge de la preuve devrait être renversée
et les règles de preuve moins strictes. La CrEDH, prenant en compte la difficulté pour les victimes
de prouver la discrimination indirecte, a reconnu le besoin d’accepter des moyens de preuves
variés, y compris des données statistiques. Ces dernières, si elles sont fiables et significatives,
peuvent donc constituer une preuve primafacie dans de telles affaires, et la charge incombera à
l’État de prouver qu’il n’y a pas discrimination indirecte
172.
La CrEDH affirme que : « [S]i une présomption réfragable de discrimination relativement à l’effet
d’une mesure ou d’une pratique est ainsi établie par le requérant alléguant une discrimination
indirecte, il incombe ensuite à l’État défendeur de réfuter cette présomption en démontrant que
la différence en question n’est pas discriminatoire… »
173.
2.3. L’invocation par l’État du manque de ressources
Il est indéniable qu’il est difficile de déterminer une violation des DESC lorsque l’État avance un
manque présumé de ressources. Souvent, dans des affaires qui ont des implications financières
significatives, l’État oppose un manque de moyens et l’impossibilité de réparer les violations sans
170) CODESC, Observation générale n° 3, E/1991/23 (1990), § 9 et 10.
171) D.H. et autres c. République Tchèque, Cour européenne des droits de l’homme, requête n° 57325/00, 2007. L’affaire a été
présentée par un groupe d’élèves Roms alléguant que les enfants Roms ont été massivement placés dans des écoles spéciales pour les
enfants ayant des difficultés d’apprentissage et ils dispensaient d’une éducation inférieure pour des motifs raciaux au lieu d’être basée
sur leur capacité intellectuelle.
172) D.H. et autres c. la République Tchèque, Cour européenne des droits de l’homme, requête n° 57325/00, 2007, § 186-188.
173) Ibid, § 189.
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imposer une charge inacceptable pour les finances publiques nationales ou locales.
Dans certains cas, les organes juridictionnels et quasi-juridictionnels vont hésiter à contredire cet
argument de l’État.
Toutefois, des juridictions ont fait preuve de plus de volonté d’exercer leur contrôle même si une
réparation pouvait avoir des implications budgétaires importantes.
En septembre 2013, la plus haute juridiction d’appel d’Afrique du Sud (Supreme Court of Appeal)
a clairement affirmé que la charge incombait à l’État de prouver son impossibilité de réparer une
violation en raison d’un manque de moyens. Dans l’affaire Baphiring Community et autres c.
Tshwaranani Projects CC et autres, la Cour devait trancher un litige concernant un bien foncier
sdans le cadre de la loi de restitution des terres de 1994 (Restitution of Land Rights Act 22).
Une question essentielle faisant l’objet de l’Appel concernait la faisabilité de la restitution des
terres à une communauté spoliée de celles-ci pendant l’apartheid par rapport à celle d’accorder
des terres de remplacement appartenant à l’État ou à celle d’une indemnisation. La Cour a
estimé que les preuves apportées par l’État pour justifier de l’impossibilité de restituer les terres
litigieuses étaient absentes ou inadéquates. En particulier, la Cour a reproché à l’État l’absence
d’étude de faisabilité. Dans son analyse des motifs d’appel de la décision de la juridiction
inférieure d’ordonner la non-restitution, la Cour a considéré que le fait qu’une telle étude n’ait
pas été exigée constituait une irrégularité matérielle et viciait l’ordre de non-restitution. La Cour,
de plus, a affirmé que l’État devait fournir des preuves crédibles à l’appui de son affirmation qu’il
est dans l’incapacité de financer les coûts entraînés par la restitution
174.
Plusieurs affaires en Afrique du Sud vont dans ce sens, et notamment l’affaire City of Johannesburg
Metropolitan Municipality c. Blue Moonlight Properties 39 (Pty) Ltd et autre
175.
2.4. Alliés dans la production de preuves
Prenant en compte les réalités décrites ci-dessus, les tierces parties ont souvent un rôle important
à jouer dans le contentieux des DESC. : le contentieux concernant les DESC peut grandement
bénéficier de l’expertise de tierces parties telles que les institutions nationales des droits de
l’homme, ou les ONGs, les syndicats et les associations de consommateurs, etc… peuvent être
activement impliqués dans la présentation de plaintes collectives ou d’actions de contentieux
d’intérêt public ; et/ou dans la représentation et la défense des intérêts de personnes,
individuellement ou collectivement.
Les ONG (de droits de l’homme), les syndicats et les associations de consommateurs peuvent
être activement impliqués dans la présentation de plaintes collectives ou d’actions de contentieux
d’intérêt public ; et/ou dans la représentation et la défense des intérêts de personnes,
individuellement ou collectivement.
Tel était le cas dans l’affaire devant le Comité africain d’experts sur les droits et le bien-être de
l’enfant (15 avril 2014) où le Centre pour les Droits de l’Homme (Université de Pretoria) et la
Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’Homme (Sénégal) ont présenté une plainte
contre le Gouvernement du Sénégal alléguant des violations par omission de l’Etat sénégalais
174) The Baphiring Community c. Tshwaranani Projects CC, Haute juridiction d’appel d’Afrique du Sud, Affaire 806/12 [2013], ZASCA
99 (2013), § 22.
175) City of Johannesburg Metropolitan Municipality c. Blue Moonlight Properties 39 (Pty) Ltd et autre, Cour constitutionnelle de l’Afrique
du Sud, Affaire CCT 37/11 [2011] ZACC 33.
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des droits de 10,000 enfants talibés à l’éducation, à la santé et au non-travail des enfants,
notamment
176.
Ces structures peuvent également entreprendre un suivi régulier des politiques publiques et
d’analyse des budgets, ce qui peut être utile pour apprécier des questions telles que la disponibilité
des moyens susceptibles d’être consacrés aux DESC.
Dans l’arrêt concernant l’affaire Gouvernement de la République sud-africaine et consorts c.
Grootboom et consorts 2000 (mentionné plus haut), la Cour constitutionnelle de l’Afrique du
Sud a rendu des décisions d’une portée considérable au sujet des DESC consacrés par la
Constitution sud-africaine suite à l’intervention de tierces parties demandées de participer à la
procédure en raison de leur expertise sur la question
177.
Le 5 juin 2014, le Tribunal de première instance de Monastir a condamné cinq sociétés
tunisiennes (SUNCO, THT, JJ Fashion, Liatex et JBG), membres du groupement textile belge
Jacques Bruynooghe Global (JBG) pour non-respect de la législation sociale.
Licenciées abusivement en 2013, 311 ouvrières avaient déposé plainte contre ces usines, où
elles travaillaient. Elles ont obtenu gain de cause en se voyant accorder la quasi-totalité des
indemnités qui leur étaient dues : salaires arriérés, primes et indemnités de licenciement abusif.
Ces travailleuses ont été assistées dans leur démarche par un avocat mandaté par l’ONG
Avocats Sans Frontières (ASF Tunisie) dans le cadre du projet de défense des droits économiques
et sociaux des personnes vulnérables des régions de Monastir et du bassin minier (Gafsa).
Financé par l’Union européenne, ce projet est mené en partenariat avec le Forum tunisien pour
les droits économiques et sociaux (FTDES)
178.
De plus, grâce au travail de suivi, d’évaluation et de plaidoyer que ces structures réalisent, elles
possèdent souvent une compréhension des questions structurelles qui sous-tendent les affaires
individuelles. Elles peuvent ainsi fournir une analyse essentielle, des opinions d’experts et des
preuves dans le cadre d’une affaire.
De telles interventions peuvent fournir aux tribunaux des normes de droit comparé et de droit
international très utiles, ce qui les aide à saisir l’opportunité des affaires dont ils traitent pour
donner une interprétation et une portée les plus larges possibles aux droits fondamentaux de
leurs constitutions. A tous les niveaux, les organes juridictionnels et quasi-juridictionnels peuvent
bénéficier grandement de l’intervention de tierces parties et d’experts afin d’intégrer une
perspective de DESC le plus tôt possible dans l’affaire
179.
176) Décision N° 003/Com/001/2012.
177) Irene Grootboom et 900 autres personnes déplacées, qui vivaient dans des conditions épouvantables dans une zone d’habitat
informel appelée Wallacedene, ont décidé d’aller s’installer sur un terrain libre d’occupation qu’elles ont baptisé «New Rust». Ce terrain,
qui appartenait à un particulier, était réservé à la construction de logements sociaux. En mai 1999, les occupants de New Rust ont été
expulsés par la force sur ordre du tribunal de première instance. Leurs habitations ont été rasées et incendiées, et leurs biens détruits. Les
personnes délogées se sont alors réfugiées sur le terrain de sport de Wallacedene, où elles se sont aménagé des abris de fortune. Elles
ont par ailleurs introduit une requête urgente auprès de la Haute Cour, qui a ordonné à l’État de leur fournir un toit. L’État a fait appel de
cette décision devant la Cour constitutionnelle. La Commission sud-africaine des droits de l’homme et le Centre du droit communautaire de
l’Université de Western Cape ont été admis sur leur demande à intervenir dans la procédure et ont présenté une argumentation écrite et
orale à la Cour, laquelle a salué leur approche détaillée, constructive et novatrice des questions complexes et délicates que soulevait cette
affaire. La Cour constitutionnelle a ordonné à l’État de s’acquitter de l’obligation constitutionnelle qui lui incombe de concevoir, financer,
mettre en oeuvre et superviser des mesures destinées à fournir un secours à ceux qui en ont absolument besoin. La Cour a rappelé que
la Constitution imposait à la Commission sud-africaine des droits de l’homme de surveiller et d’évaluer le respect des droits de l’homme
sur le territoire de la République, et elle a chargé la Commission de vérifier que l’État exécutait bien ses obligations constitutionnelles
conformément à la sentence prononcée par la Cour dans cette affaire, ainsi que de faire rapport à ce sujet.
178) http://africanmanager.com/tunis-le-groupe-belge-jbg-condamne-pour-licenciements-abusifs.
179) Il y a un grand nombre de cas dans lesquels de tierces interventions ont joué un rôle important. Voir : http://www.escr-net.org/
caselaw. Pour plus d’informations, voir: http://www.icj.org/guatemala-condenado-por-violaciones-a-derechos-economicos-sociales-y-
culturales.
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Enfin, les institutions nationales des droits de l’homme, peuvent jouer un rôle important et actif
dans la mise en oeuvre et la protection des DESC, particulièrement si elles répondent à des critères
d’indépendance et bénéficient des capacités et moyens nécessaires à leur bon fonctionnement.
Ces institutions, selon leur mandat, peuvent avoir diverses possibilités de traiter et de contribuer
à la réparation des violations des DESC. Grâce à leurs fonctions d’évaluation des politiques et
de conseil au gouvernement et au parlement, elles peuvent attirer l’attention sur des violations
des DESC potentielles ou avérées et contribuer à les empêcher. Dans certains cas, elles peuvent
jouer un rôle actif dans le contentieux et la présentation de plaintes devant les tribunaux.
Le Comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés fondamentales est l’institution nationale
des droits de l’homme en Tunisie (un projet de loi pour la réformer et la mettre au niveau « A
» des principes de Paris est en cours). Il devrait avoir parmi ses compétences celle de recevoir
et d’examiner les requêtes et les plaintes relatives aux droits de l’homme ; de procéder, le cas
échéant, à l’audition des victimes alléguant des violations, et de les informer des moyens de
faire valoir leurs droits ; et enfin, de transmettre les requêtes et les plaintes à toute autre autorité
compétente.
2.5. Sources d’information et d’analyse utiles
En ce qui concerne les preuves écrites, les informations contenues dans les rapports et autres
documents soumis aux organes de traités des droits de l’homme des NU, ainsi que d’autres
documentations produites par les agences des Nations Unies peuvent s’avérer précieuses.
Les analyses qui peuvent émerger des évaluations fondées sur les droits de l’homme et l’utilisation
d’indicateurs basés sur ces droits peuvent aider les avocats, les juges et les organes quasi-
juridictionnels, tels que le CODESC, à juger du caractère raisonnable des progrès réalisés dans
la réalisation des DESC et dans l’utilisation du maximum des ressources disponibles comme le
prescrit le PIDESC.
Enfin, il est important de noter l’évolution dans le domaine des études d’impact sur les droits de
l’homme préalables aux investissements, à la conclusion de nouveaux accords internationaux et/
ou le lancement de nouveaux projets de développement, que les États et les entreprises sont de
plus en plus appelés à mener pour se conformer au droit international
180.
Plus particulièrement, les États ont souvent reçu la recommandation de réaliser des études d’impacts
sur les droits de l’homme dans le domaine du commerce et des accords d’investissements
181.
Par exemple, le Comité des droits de l’enfant a explicitement prescrit de telles études, y compris
dans la phase d’élaboration des politiques de développement
182.
180) Voir les principes directeurs sur les études d’impact des droits de l’homme des accords de commerce et d’investissement, Rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, O. de Schutter, Annexe du rapport, A/HRC/19/59/Add.5 (2011) ; Voir aussi les
Principes directeurs du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies sur les entreprises et droits de l’Homme, A/HRC/17/31 (2011).
181 Voir CODESC, observations finales sur l’Équateur, E/C.12/1/Add.100 (2004), § 56 ; Comité des droits de l’enfant, observations
finales sur El Salvador, CRC/C/15/Add.232 (2004), § 48 ; Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes,
observations finales sur la Colombie, CEDAW/C/COL/CO/6 (2007), § 29 ; Comité sur l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes, observations finales sur les Philippines, CEDAW/C/PHI/CO/6 (2006), § 26 ; et le Comité pour l’élimination de la discrimination
à l’égard des femmes, observations finales sur le Guatemala, CEDAW/C/GUA/CO/6 (2006), § 32 ;
Voir aussi Rapporteur spécial des NU sur le droit à l’alimentation, O. de Schutter, rapport sur sa mission à l’Organisation mondiale du
commerce, A/HRC/10/5/Add.2 (2009), §. 37 et 38.
182) Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 5, Mesures d’application générales de la Convention relative aux droits de
l’enfant, CRC/GC/2003/5 (2003), § 45.
Voir aussi Comité sur les droits de l’enfant, Observation générale n° 16 sur les obligations des Etats concernant les incidences du secteur
des entreprises sur les droits de l’enfant, CRC/C/GC/16 (2013), § 78-81.
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Ces études peuvent contenir des preuves écrites très importantes pour les acteurs du contentieux
des DESC.
Enfin, les dernières décennies ont vu d’importants progrès dans les méthodes d’évaluation de
la compatibilité des politiques et stratégies publiques avec les normes de droits de l’homme.
Ces méthodes s’appliquent aux différentes phases de développement de ces politiques et
stratégies : de l’élaboration à l’évaluation en passant par la mise en oeuvre. En particulier, le
Haut-commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies (HCDH) a développé une série
d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs permettant de juger de l’efficacité pour la réalisation des
DESC des choix opérationnels faits par les États en termes de structures (cadre normatif et
institutionnel), de processus (participation et transparence notamment) et de résultats (statistiques
et mesures des progrès).
Pour obtenir plus d’information sur les indicateurs de droits de l’homme, les praticiens pourront
consulter le site suivant : https://goo.gl/LwgDkj
Un domaine important du suivi des politiques publiques concernent également l’évaluation
des budgets nationaux et locaux. Toute action de l’État, en particulier en ce qui concerne ses
obligations positives de mettre en oeuvre les droits, ne pourra être réellement efficace que si
les moyens notamment financiers sont à la hauteur des objectifs et des ambitions affichés. En
outre, ce suivi est pertinent pour évaluer si l’État remplit son obligation au titre de l’article 2.1 du
PIDESC qui exige l’utilisation du maximum des ressources disponibles. A cet égard, les praticiens
du droit peuvent être amenés à porter une attention particulière aux lois de finances.
Comme mentionné à plusieurs endroits de ce Manuel, une part importante des violations des
DESC est directement ou indirectement liée à des problèmes systémiques, structurels et requiert
donc une réparation comprenant des changements de programmes et politiques publics. Plus ces
derniers suivront une approche basée sur les droits de l’homme et plus ils seront susceptibles de
faciliter la réalisation des DESC et de prévenir les violations de ces droits.
III. Recours et réparations
Les recours en cas de violations des DESC, comme pour tous les droits de l’homme, ont pour
finalité d’obtenir justice et de réparer les dommages subis par les victimes. Dans certains cas,
les réparations ordonnées consistent à imposer à l’État de prendre des mesures qui engendrent
des changements de la loi, des politiques et des pratiques, ce qui a un impact bien au-delà
des victimes individuelles parties au litige particulier. Cependant, la réparation des violations
des DESC n’implique pas toujours des mesures systémiques incluant des réformes juridiques ou
politiques de grande ampleur ou ayant des implications budgétaires significatives. Néanmoins,
la phase de détermination des réparations dans le contentieux des DESC est habituellement
importante pour clarifier les mesures nécessaires à la réalisation de ces droits en général.
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3.1. Objectif : éviter un dommage irréparable
Dans certains litiges concernant les DESC, réparer un dommage n’est pas l’objectif premier. Le
recours aux tribunaux a plutôt pour but d’éviter que le dommage se produise. On demande ainsi,
quelques fois de façon urgente, d’ordonner des mesures, potentiellement de nature temporaire,
visant à prévenir un dommage irréparable.
Ce serait le cas, par exemple, dans une situation dans laquelle un projet minier ou de barrage
hydroélectrique détruirait irréversiblement les moyens de subsistance et l’environnement dont
dépendent des communautés; dans les cas où le refus d’un traitement médical particulier de la
part des autorités sanitaires affecterait la santé et menacerait la vie d’un patient; ou bien dans les
cas où une décision abusive d’un établissement scolaire affecterait irréversiblement la capacité
d’un élève à poursuivre ses études.
La plupart des traités internationaux de droits de l’homme prévoient la possibilité pour les
organes juridictionnels ou quasi-juridictionnels en charge de prescrire des mesures provisoires
ou conservatoires, soit directement soit au titre de leurs règlements intérieurs
183. L’impossibilité
d’ordonner de telles mesures pour ces organes rendrait dans de nombreux cas tout recours futile
et le priverait de sa raison d’être.
Au niveau national, les organes juridictionnels et quasi-juridictionnels ont, eux aussi, des
procédures à disposition pour ordonner des mesures correctives provisoires et urgentes afin
d’éviter un dommage irréparable qui ne pourrait pas être indemnisé par le biais de dommages
et intérêts et réparations pécuniaires. Dans de nombreux pays de tradition civiliste comme la
Tunisie, la procédure de référé en droit civil et administratif offre la possibilité au juge de donner
une réponse urgente, en l’espace de quelques jours, sous la forme de toutes mesures nécessaires
pour éviter une atteinte irréparable à un droit ou pour préserver des preuves matérielles
importantes
184.
Pour un exemple jurisprudentiel, on cite un jugement précité du Juge des référés de Beyrouth
(Liban) du 2 février 2011 (saisi vu l’urgence, en l’occurrence le risque de perdre des opportunités
sportives) contre une décision du Comité administratif de la Fédération libanaise de ski d’interdire
à une skieuse de participer à des compétitions sportives nationales et internationales
185.
Possibilité de la procédure de référé dans le droit tunisien Dans tous les cas d’urgence, il est
statué en référé par provision et sans préjudice au principal. Il peut, cependant, être accordé
au demandeur, avec ou sans caution, une provision soit pour les besoins des frais de soins
nécessaires ou des dépenses à caractère alimentaire, soit pour sauvegarder des droits ou des
intérêts en péril, à condition que la créance ne fasse pas l’objet d’une contestation sérieuse, et que
le demandeur ait intenté une action quant au fond concernant cette même créance. La demande
est introduite devant le président du tribunal saisi de l’affaire quant au fond au premier degré.
Les jugements rendus sur la base du présent alinéa et les recours sont soumis aux dispositions
relatives à la justice en référé (art. 201 du Code de procédure civile et commerciale).
En matière de travail, le défendeur condamné à l’exécution provisoire peut saisir, par la voie
du référé, le Président du Tribunal d’Appel, à l’effet de faire ordonner la suspension de cette
183) Voir l’article 63.2 de la Convention américaine des droits de l’homme (adoptée le 21 novembre 1969, entrée en vigueur le 18
juillet 1978), OAS Treaty Series n° 36 ; l’article 5 du Protocole facultatif au PIDESC (adopté le 10 décembre 2008, entré en vigueur le 5
mai 2013); l’article 6 du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de
communications (adopté le 19 décembre 2011, entré en vigueur le 14 avril 2014), A/RES/66/138 ; l’article 5 du protocole facultatif à
la Convention internationale sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (adopté le 10 décembre 1999, entré en vigueur le
20 décembre 2000), A/54/49 (Vol. I) ; l’article 4 du protocole facultatif à la Convention internationale relative aux droits des personnes
handicapées (adopté le 13 décembre 2006, entré en vigueur le 3 mai 2008), A/61/106 (2006) etc…
184) En France par exemple, et selon l’article L4732-1 et L4732-2 du code de travail, l’inspecteur du travail saisit le juge judiciaire
statuant en référé pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque, telles que la mise hors service, l’immobilisation, la
saisie des matériels, machines, dispositifs, produits ou autres, lorsqu’il constate un risque sérieux d’atteinte à l’intégrité physique d’un
travailleur résultant de l’inobservation des dispositions suivantes de la présente partie ainsi que des textes pris pour leur application.
185) La jurisprudence arabe en application des Conventions relatives aux Droits de l’Homme (en arabe), Ahmad Achkar, Institut Raoul
Wallenberg, 2016, p. 181.
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exécution provisoire conformément aux dispositions de l’article 146 du code de Procédure civile
et commerciale jusqu’à ce qu’il ait été statué en appel. Les parties sont convoquées à cette
instance de référé par le greffier de la Juridiction d’Appel, dans les délais les plus brefs, dans les
formes prévues à l’article 202 (art. 219 du Code de travail). Dans les cas urgents, le Président
du Conseil de Prud’hommes peut émettre des ordonnances sur les requêtes qui lui sont présentées
en vue de prendre les mesures conservatoires nécessaires pour empêcher que les objets donnant
lieu à une réclamation ne soient enlevés, déplacés ou détériorés (art 208). Devant le Tribunal
administratif, dans tous les cas d’urgence, les présidents de chambres de première instance
ou d’appel peuvent respectivement ordonner, en référé, toutes mesures provisoires utiles sans
préjuger du fond et à condition de ne pas entraver l’exécution d’une décision administrative (art.
81 nouveau de la loi n° 72 - 40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif).
3.2. Types de recours et de réparations
La notion de « recours » varie d’une juridiction à l’autre. Dans certains cas, le recours fait
essentiellement référence aux aspects de procédures liées aux mesures correctives ; dans d’autres
le recours recouvre la réparation substantielle. En droit international, au minimum, un recours
effectif doit pouvoir aboutir à la cessation de la violation et à la garantie d’une réparation.
Cette réparation peut inclure la restitution, l’indemnisation et la réadaptation, mais aussi la
satisfaction des victimes et la garantie de non-répétition. Cette dernière, en particulier, exigera
souvent des réformes dans la loi et les politiques publiques lorsque des lacunes normatives ou
programmatiques sont à l’origine de la violation.
Dans certains cas, la réparation nécessaire sera très spécifique et limitée à l’affaire concernée.
Par exemple, il peut s’agir du paiement d’un salaire dû ou d’une allocation de sécurité sociale en
cas d’une décision abusive de la part d’une administration envers un individu ; de la réintégration
d’un employé après un licenciement abusif ou l’admission d’un étudiant dont l’inscription a été
rejetée illégalement pour un motif discriminatoire. Dans de tels cas, les violations ne révèlent pas
nécessairement un problème structurel ou systémique lié à une loi ou une politique publique.
Dans d’autres cas, les violations ne seront pas identifiées dans le cadre d’un contrôle abstrait de
constitutionnalité d’une loi ou d’un acte de l’administration mais dans le contexte d’un contrôle
concret. Dans cette perspective, le requérant peut chercher à obtenir une simple déclaration,
comme dans l’affaire résumée ci-après
186, où les requérants demandaient la clarification d’une
question de droit à travers un jugement déclaratoire de la Cour suprême des États-Unis (6 janvier
2012) , et, plus particulièrement, de la question de savoir si l’exclusion d’immigrants (en situation
régulière résidant depuis moins de cinq ans dans le pays) du bénéfice du programme de soins
de santé publique, était discriminatoire et donc inconstitutionnelle.
En effet, la Cour suprême judiciaire de Massachusetts a décidé que l’exclusion de la catégorie
d’immigrants légitimes et non citoyens du programme d’assurance susmentionnés a été en
violation de la clause d’égale protection de la Constitution du Massachusetts. Il a été jugé que
les préoccupations exclusivement fiscales, qui avaient motivé l’exclusion ne pouvaient jamais
constituer un intérêt impérieux du gouvernement (§ 237-242). En outre, la Cour a conclu que
l’État n’a pas cherché à répondre à des exigences procédurales rigoureuses visant à garantir
que la législation était étroitement adaptée pour poursuivre un intérêt impérieux (§ 242-249).
186) Dorothy Ann Finch et autres c. Commonwealth Health Insurance Connector Authority, Cour supreme de Massachusetts, Affaire n°
SJC-11025 (MA S. Jud. Ct., 5 Janvier 2012).
Voir aussi Joseph c. Cité de Johannesbourg, Cour constitutionnelle de l’Afrique du Sud, Affaire CCT 43/09 (2009).
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ASPECTS PROCÉDURAUX
Dans sa conclusion, la Cour déclare que les minorités reposent sur l’indépendance de la justice
pour garantir leurs droits constitutionnels contre les incursions de la majorité... « Si le droit des
demandeurs à une égale protection des lois a été violé... alors il est de notre devoir de le dire»
(§ 249)
187.
De même, dans une affaire de 2013 jugée par la Cour constitutionnelle de l’Ouganda,
Advocates for Natural Resources et autres c. Procureur général
188, un arrêt déclaratoire a été
rendu concernant la constitutionnalité d’une loi au regard de l’article 137 de la Constitution. La
déclaration de la Cour a annulé la section 7 (1) de la loi sur l’acquisition de terres en raison de
sa non-conformité avec l’article 26 (2) de la Constitution relatif au droit à la propriété, dans la
mesure où cette section ne prévoyait pas la garantie d’un paiement préalable d’indemnisation
en cas d’acquisition forcée de terres par le gouvernement. La Cour a également déclarée
inconstitutionnelle, au titre du même article 26 (2) de la Constitution, les actes de l’autorité routière
nationale qui avait pris possession de terres sans paiement préalable d’une indemnisation.
Les tribunaux sud-africains, indiens et colombiens offrent des exemples intéressants de réparations
systémiques incluant des ordres d’élaborer des plans ou d’étendre le bénéfice d’allocations à
des groupes spécifiques de la population. Ces affaires concernent notamment une violation du
droit constitutionnel à un logement adéquat en Afrique du Sud ; la restriction de la fourniture
de médicaments antirétroviraux à une femme enceinte séropositive, considérée comme une
violation des droits à la vie et à la santé en Colombie ; une violation du droit à l’alimentation
résultant en des morts dues à la famine malgré l’existence de réserves de céréales en Inde ; et
une violation des droits reproductifs, tels que garantis par la Constitution, de deux femmes vivant
en dessous du seuil de pauvreté auxquelles l’accès à des soins de santé maternelle adéquats
avaient été refusés en Inde. Dans ces affaires, les tribunaux ont rendu un éventail d’arrêts et
ordonné diverses injonctions pour forcer les autorités à agir
189.
L’affaire de la Haute Cour de l’Inde (6 avril 2010) porte sur la violation des droits constitutionnels
de reproduction de deux femmes au-dessous du seuil de pauvreté qui n’avaient pas accès à des
soins maternels adéquats, pendant et après leur grossesse. Le manque d’accès aux services de
santé a entraîné la mort de l’une des femmes.
La Cour a jugé qu’il y avait eu un échec complet et systémique de la part du gouvernement
à mettre efficacement en oeuvre les services prénatals et postnatals pour réduire la mortalité
maternelle et infantile. Cela a gravement touché non seulement les deux femmes, au nom duquel
les pétitions ont été portées, mais aussi un grand nombre de femmes et d’enfants placés dans
des situations similaires dans tout le pays (§ 1, 2 et 40).
La Cour a souligné comment la pétition est axée sur deux droits de survie inaliénables qui font
partie du droit à la vie : le droit à la santé (ce qui comprendrait le droit d’accès et de recevoir
un minimum de traitement et des soins en établissements de santé publique) et en particulier les
droits reproductifs de la mère. L’autre droit, appelant à une protection immédiate et application
de la loi vis-à-vis des pauvres, est le droit à l’alimentation (§ 2 et 19)
190.
Le jugement considère que le lourd fardeau sur les pauvres pour prouver leur admissibilité
187) http://masscases.com/cases/SJC/461/461mass232.html.
188) Advocates for Natural Resources et autres c. Attorney General et autres, Cour constitutionnelle de l’Ouganda, Requête n° 40 de
2013, [2013] UGCC 10 (2013).
189) Voir, par exemple, le Gouvernement de la République d’Afrique du Sud et autres c. Irene Grootboom et consorts, Cour constitutionnelle,
décision 2001 (1) SA 46 (CC) (2000) ; Ministre sud-africain de la santé c. Treatment Action Campaign, la Cour constitutionnelle d’Afrique
du Sud, SA décision de 2002 (5) 721 (2002) ; Union des libertés civiles c. Union of India et autres (PUCL), Cour suprême de l’Inde,
Requête (civile) n° 196/2001 (2001) ; Laxmi Mandal c. l’Hôpital Deen Dayal Harinagar et autres, Haute Cour de Delhi, décision W.P.(C)
8853/2008 (2009).
190) S’appuyant sur le droit international des droits de l’homme et de la jurisprudence nationale, la Cour illustre comment tous ces droits
sont interdépendants et indivisibles. Le fondement juridique sur lequel la Cour a fondé sa décision et a constaté des violations des droits
constitutionnels a été essentiellement la nécessité de préserver, protéger et faire respecter les différentes facettes du droit fondamental à
la vie garanti en vertu de l’article 21 de la Constitution (§ 19-27).
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ASPECTS PROCÉDURAUX
aux services de santé, en l’occurrence l’exigence d’avoir une carte valide pour accéder aux
services, constitue un obstacle important pour eux d’accéder aux services ; et a souligné que
le gouvernement avait l’obligation de faciliter l’accès à ces services essentiels et assurer une
couverture de plus de la population cible (§ 48).
La Cour a déclaré que lorsqu’il s’agit de la question de la santé publique, aucune femme, en
particulier une femme enceinte, ne devrait être privée du traitement à tout moment quel que soit
son contexte social et économique. C’est le droit inaliénable à la santé qui est inhérent au droit
à la vie (§ 48)
191.
Le dommage réparable :
En droit commun, tout fait qui cause sciemment et volontairement à autrui un dommage matériel
ou moral oblige son auteur à réparer le dommage à condition d’établir que ce fait est la cause
directe du dommage (art. 82 COC
192). Ces dispositions s’appliquent également à l’État (art. 83
COC). Les dommages réparés dans ces conditions sont :
• la perte effective éprouvée par le demandeur ;
• les dépenses nécessaires qu’il a dues ou devait faire afin de réparer les suites de l’acte
commis à son préjudice ;
• les gains dont il est privé dans la mesure normale en conséquence de cet acte (art. 107
COC). Quant au recours pour excès de pouvoir devant le Tribunal administratif, il tend à
l’annulation de l’acte de l’administration (art. 3 nouveau et art. 8 de la loi n° 72 - 40 du 1er
juin 1972 relative au Tribunal Administratif). La décision d’annulation oblige l’administration
à rétablir intégralement la situation juridique que l’acte annulé a modifiée ou supprimée (art. 9
de la loi n° 72 de 1972). A noter que toute personne qui justifie d’un intérêt matériel ou moral
à l’annulation d’une décision administrative est recevable à se pourvoir contre cette décision
par la voie du recours pour excès de pouvoir (art. 6 de la loi n° 72 de 1972).
Les dispositions de droit commun (COC) et les dispositions du recours pour excès de pouvoir
devant le tribunal administratif s’appliquent en cas de violations des DESC. A titre d’exemple,
en cas d’une circulaire établissant une discrimination en matière d’éducation à l’encontre d’un
groupe de personnes.
191) https://goo.gl/je2NN4
192) Code des obligations et des contrats.
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IV. Suivi de l’application des décisions de justice
Le respect et la mise en oeuvre de bonne foi des décisions judiciaires définitives par les
pouvoirs exécutif et législatif est un élément fondamental de l’État de droit
193. Or, l’application
des décisions de justice, particulièrement dans les affaires politiquement sensibles et/ou dans
lesquelles d’importants intérêts économiques sont en jeu, représente un défi réel et récurrent dans
le domaine de la protection des DESC.
Au niveau national, il existe en principe des procédures pour imposer l’application de ces
décisions de justice.
Les dispositions de droit commun et les dispositions du recours pour excès de pouvoir devant le
tribunal administratif s’appliquent en cas de violations des DESC.
Dans les juridictions de droit civil comme dans le système français, le demandeur qui veut
faire exécuter une décision en sa faveur peut faire appel à un huissier de justice pour imposer
l’exécution forcée d’une décision exécutoire du juge civil. Il peut aussi saisir le juge de l’exécution.
En cas de non-exécution d’une décision du juge administratif contre l’État ou une autre autorité
publique, le requérant peut engager des procédures d’aide à l’exécution ou d’astreinte.
En matière civile : voir le Code de procédure civile et commerciale (CPCC), Titre VIII- Des voies
d’exécution. L’exécution est due aux jugements revêtus de la formule exécutoire : 1/s’ils sont
en force de chose jugée ; 2/ s’ils sont assortis de l’exécution provisoire, même s’ils ne sont pas
passés en force de chose jugée (art. 286 du CPCC).
En matière administrative : l’inexécution volontaire des décisions du Tribunal Administratif
constitue une faute lourde qui engage la responsabilité de l’autorité administrative en cause (art.
10 de la Loi n° 72 - 40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif).
Particulièrement en cas de réparations systémiques et impliquant des mesures complexes et
multiples, certains organes juridictionnels et quasi-juridictionnels ont entrepris de faire le suivi de
la mise en oeuvre de leurs ordonnances et injonctions.
Dans des affaires telles que People’s Union for Civil Liberties c. Union of India et autres de
2001 concernant le droit à l’alimentation, la Cour suprême de l’Inde a décidé de rester saisie
pour surveiller l’application des diverses ordonnances émises aux termes des réparations des
violations constatées dans cette affaire
194.
Plus généralement, l’application et la mise en oeuvre des décisions de justice nécessitent souvent
de grandes campagnes de mobilisation de l’opinion publique sur les questions de droits de
l’homme posées par une affaire, afin de soutenir les revendications des victimes, leur assurer
la compréhension du public au sens large et pour faire pression sur les autorités afin qu’elles
appliquent les décisions.
193) Principes a2 de la Déclaration de Genève de la CIJ : http://www.icj.org/legal-commentary-to-the-icj-geneva-declaration-upholding-
the-rule-of-law-and-the-role-of-judges-lawyers-in-times-of-crisis/
194) People’s Union for Civil Liberties v. Union of India & Others (PUCL), Supreme Court of India, Petition (Civil) No. 196/2001 (2001).
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CHAPITRE V
R e c o u r s c o n t r e l e s v i o l a t i o n s d e s
D E S C e n T u n i s i e
CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE LA JUSTICIABILITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
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CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIE
CHAPITRE V
Recours contre les violations des DESC
en Tunisie
Ce chapitre a pour but d’aider les praticiens du droit tunisiens à faire une évaluation du meilleur
moyen d’obtenir justice et satisfaction dans un cas de violation, notamment en leur fournissant
pour chaque principal DESC :
• le cadre normatif applicable au contentieux envisagé,
• un ou des exemples de jurisprudence de la juridiction identifiée.
• les recours et réparations recherchés et susceptibles d’être obtenus.
La justiciabilité des droits humains en général est garantie en Droit tunisien soit à travers le
contentieux de droit commun où le juge intervient pour garantir ou rétablir la jouissance d’un
droit et pour réparer les conséquences de la violation, soit à travers le contentieux administratif
de l’excès de pouvoir, et enfin à travers le contentieux constitutionnel tel que prévu à l’article 118
et suivants de la Constitution.
Ainsi, les DESC font partie du Droit tunisien et sont justiciables à ce titre (II) devant différentes
juridictions nationales (I).
I. Compétences et procédures
1.1 Compétences
Selon la Constitution tunisienne, le pouvoir juridictionnel est réparti entre la justice judiciaire,
administrative, financière
195 (art. 106 et suivants) et la Cour constitutionnelle (art. 118 et
suivants). Des instances indépendantes sont également créées pour oeuvrer « au renforcement
de la démocratie » (art. 125).
i. La justice judiciaire et administrative
La Constitution prévoit la justiciabilité des droits de l’homme en général où les instances
juridictionnelles assurent la protection des droits et libertés contre toute atteinte (art. 49), un
principe repris à l’article 102 selon lequel « La magistrature est un pouvoir indépendant, qui
garantit l’instauration de la justice, la suprématie de la Constitution, la souveraineté de la loi et
la protection des droits et libertés…».
La justice administrative est compétente pour connaître de l’excès de pouvoir de l’administration196
195) La justice financière, composée de la Cour des comptes et ses différents organes, se charge du contrôle de la bonne gestion des
deniers publics (art. 117 de la Constitution).
196) Loi n° 72-40 du 1 juin 1972 relative au Tribunal Administratif, modifiée par la loi organique n° 96-39 du 3 Juin 1996.
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RECOURS CONTRE LES VIOLATIONS DES DESC EN TUNISIE
et des litiges administratifs (art. 116 de la Constitution). Elle est composée d’une Haute Cour
administrative, de cours administratives d’appel et de tribunaux administratifs de première
instance
Les juridictions d’ordre judiciaire, Cour de cassation, tribunaux de second degré et tribunaux de
première instance, sont régit par les dispositions du Code de Procédure Civile et Commerciale
promulgué par la loi n 59-130 du 5 octobre 1959.
ii. La Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité des lois que
lui renvoient les tribunaux, suite à une exception d’inconstitutionnalité soulevée par l’une des
parties, dans les cas et selon les procédures prévues par la loi (art. 120 de la Constitution).
Selon la loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle,
la Cour est un organe judiciaire indépendant garant de la suprématie de la constitution. Elle
protège le régime républicain démocratique et les droits et les libertés dans le cadre de sa
compétence et de ses pouvoirs tels que prescrits par la Constitution et énoncées dans l’article
1er de la loi.
Par ailleurs, la Constitution offre des garanties procédurales à « toute personne » comme suit :
• Toute personne a droit à un procès équitable et dans un délai raisonnable.
• Les justiciables sont égaux devant la justice.
• Le droit d’ester en justice et le droit de défense sont garantis. La loi facilite l’accès à La justice
et assure l’aide judiciaire aux personnes démunies.
• La loi garantit le double degré de juridiction. (art. 108 de la Constitution)
iii. Les instances constitutionnelles indépendantes
La Constitution a créé plusieurs instances constitutionnelles indépendantes qui sont au nombre
de cinq ; On peut citer notamment l’Instance des Droits de l’Homme qui contrôle le respect des
libertés et des droits de l’Homme et oeuvre à leur renforcement ; elle formule des propositions en
vue du développement du système des droits de l’homme
197.
L’Instance enquête sur les cas de violation des droits de l’homme, en vue de les régler ou de les
soumettre aux autorités compétentes… (art. 128).
Parmi les autres instances constitutionnelles en relation avec les DESC, on peut citer l’Instance du
développement durable et des droits des générations futures qui est obligatoirement consultée sur
les projets de loi relatifs aux questions économiques, sociales, environnementales, ainsi que sur
les plans de développement. Elle pourra donner son avis sur les questions se rapportant à son
domaine de compétence… (art. 129 de la Constitution).
197) Elle est par ailleurs obligatoirement consultée sur les projets de loi se rapportant à son domaine de compétence.
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1.2. Procédures
Les questions relatives aux procédures découlent de plusieurs textes législatifs tels que le Code
du travail, le Code des obligations et des contrats, ou la Loi organique relative à la Cour
constitutionnelle.
i. Devant la Cour constitutionnelle
Selon la Loi organique n° 2015-50 du 3 décembre 2015 relative à la Cour constitutionnelle,
les parties opposées dans les instances en cours devant les juridictions peuvent exciper de
l’inconstitutionnalité de la loi
198 applicable au litige (art. 54).
Les juridictions doivent, en cas d’exception d’inconstitutionnalité des lois, renvoyer immédiatement
la cause à la Cour constitutionnelle ; La décision de renvoi n’est susceptible d’aucun recours,
même devant la Cour de cassation (art. 56).
La Cour constitutionnelle examine les renvois transmis dans la limite des moyens soulevés ; Quand
celle-ci décide l’inconstitutionnalité d’une loi ou des dispositions d’une loi, elle en interrompt
l’action envers tout dans la limite de ce qu’elle a jugé, sans qu’il y’ait d’effet rétroactif quant
aux droits acquis et quant aux affaires précédemment jugées d’une manière définitive (art. 60).
Le tribunal administratif s’est prononcé sur l’étendue des dispositions de l’art 148 de la constitution
interdisant aux tribunaux le contrôle de la constitutionnalité des lois durant la période qui précède
la mise en place de la Cour constitutionnelle et le domaine d’application de l’art 120 octroyant
à La Cour constitutionnelle compétence exclusive pour contrôler la constitutionnalité; Le tribunal
administratif déclare que les dispositions des-dits articles ne constituent aucune entrave pour le
juge –chargé de garantir la souveraineté de la loi et la protection des droits et libertés en vertu
de l’art 102 de la constitution – de statuer sur les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées par
l’une des parties tant que l’instance constitutionnelle ne s’est pas prononcée sur l’article objet
d’exception d’inconstitutionnalité
199.
ii. Devant le Tribunal administratif
Le Tribunal administratif est compétent pour statuer sur les recours pour excès de pouvoir200
tendant à l’annulation des actes pris en matière administrative (art. 3 nouveau de la Loi n° 72 -
40 du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif)
201.
Le recours pour excès de pouvoir vise à assurer conformément aux lois et réglementations en
vigueur et aux principes généraux du droit le respect de la légalité par les autorités exécutives
(art. 5).
Toute personne qui justifie d’un intérêt matériel ou moral à l’annulation d’une décision
administrative est recevable à se pourvoir contre cette décision par la voie du recours pour
excès de pouvoir (art. 6).
Les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir sont :
1) l’ incompétence;
198) L’exception d’inconstitutionnalité est soulevée en vertu d’un mémoire indépendant, motivé et rédigé par un avocat près la Cour de
cassation, contenant l’exposé des motifs du moyen de défense et la description détaillée des dispositions de la loi attaquée (art. 55).
199) Cassation ; Tribunal administratif arrêt n° 314524 du 31 /05/2016 ;Il s’agit en l’espèce de l’exceptions d’inconstitutionnalité
soulevée contre l’art 105 de la loi 60/30 du 14 décembre 1960, relative à l’organisation des régimes de sécurité sociale, instaurant les
états de liquidation décernés par le Président Directeur -Général de la caisse nationale de sécurité sociale en recouvrement des cotisations
patronales impayées.
200) Rappel : dans le même sens l’article 116 de la Constitution.
201) Modifié par la loi organique n° 2002-11 du 4 Février 2002.
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2) la violation des formes substantielles ;
3) la violation de la règle de droit ;
4) le détournement de pouvoir ou de procédure (art. 7).
Lorsque le recours pour excès de pouvoir est reconnu fondé, le Tribunal administratif prononce
l’annulation de la décision attaquée.
Les décisions rendues par le Tribunal administratif sur recours pour excès de pouvoir ont l’autorité
absolue de la chose jugée lorsqu’elles prononcent une annulation totale ou partielle ; elles n’ont
en cas de rejet des conclusions présentées à l’appui du recours que l’autorité relative de la chose
jugée.
Les décisions administratives annulées pour excès de pouvoir sont réputées n’être jamais
intervenues (art. 8).
La décision d’annulation oblige l’administration à rétablir intégralement la situation juridique que
l’acte annulé a modifiée ou supprimée (art. 9).
L’inexécution volontaire des décisions du Tribunal administratif constitue une faute lourde qui
engage la responsabilité de l’autorité administrative en cause (art. 10).
i. En ce qui concerne le droit au travail
Les conseils de prud’hommes ont pour attributions de résoudre les conflits individuels qui peuvent
surgir entre les parties contractantes à l’occasion de l’exécution des contrats de travail ou
d’apprentissage dans les activités régies par les dispositions du code du travail. Leur compétence
s’étend également aux différends nés entre salariés à l’occasion du travail.
Cependant, ils ne peuvent connaître des actions fondées sur des accidents du travail et des
maladies professionnelles (qui relèvent de la compétence exclusive du juge cantonal) ainsi que
des litiges relatifs aux régimes de sécurité sociale (qui sont de la compétence exclusive du juge
de la sécurité sociale) (art. 183 du Code du travail).
L’instance est introduite par une requête écrite présentée au greffier du conseil de prud’hommes.
Il est aussitôt délivré une convocation portant le numéro de l’affaire et la date de l’audience (art.
201).
Les conseils de prud’hommes202 statuent en premier ressort dans toutes les actions relevant de
leur compétence quel que soit le montant de la demande. Cependant, ils statuent en dernier
ressort dans les actions relatives à la délivrance des pièces que l’employeur est tenu de fournir
au travailleur conformément aux dispositions légales ou conventionnelles (art. 216).
L’appel des jugements des conseils de prud’hommes rendus en premier ressort est porté devant
les cours d’appel (art. 221).
Quant au règlement des conflits collectifs de travail, la loi impose à la partie la plus diligente de
202) Le Conseil de Prud’hommes, est présidé par un magistrat de deuxième grade ayant fonction de vice-président, et comprend un
prud’homme patron et un prud’homme salarié.
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soumettre toute difficulté qui surgie entre l’employeur et les travailleurs susceptible de provoquer
un conflit collectif doit être soumise à la commission consultative d’entreprise en vue de lui trouver
des solutions convenant aux deux parties au conflit.
Si le conflit n’a pas été résolu au sein de l’entreprise, il sera obligatoirement soumis par la
partie la plus diligente au bureau régional de conciliation et à défaut à l’inspection du travail
territorialement compétente (art. 376).
Si la solution proposée par la commission régionale ou la commission centrale de conciliation
n’est pas acceptée par l’une des parties, celles-ci peuvent convenir par écrit de soumettre le
conflit à l’arbitrage
203 (art. 381).
On note que les agents de l’inspection du travail sont chargés de veiller à l’application des
dispositions légales, réglementaires et conventionnelles organisant les relations du travail ou qui
en découlent, dans tous les domaines d’activité prévus à l’article premier du code du travail.
Ils sont également chargés de fournir des informations et des conseils techniques aux employeurs
et aux travailleurs sur les moyens les plus efficaces d’appliquer la législation du travail.
Ils doivent porter à l’attention des autorités compétentes toute déficience ou abus qui n’est pas
spécifiquement couvert par les dispositions légales en vigueur (art. 170).
ii. En ce qui concerne le droit à la sécurité et à la protection sociales
« Il est créé près des tribunaux de première instance la fonction de juge de la sécurité sociale.
Il est compétent en matière de litiges relatifs à l’application des régimes légaux de la sécurité
sociale dans les secteurs public et privé, à l’exception des litiges relatifs aux accidents de travail
et aux maladies professionnelles »
204 (art. premier de la Loi n° 2003 – 15 du 15/02/2003
portant création de l’institution du juge de la sécurité sociale). Les régimes complémentaires ou
conventionnels de sécurité sociale demeurent de la compétence des chambres civiles au Tribunal
de première instance.
iii. En matière de responsabilité des individus/ Etat
Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son
fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe. Toute stipulation
contraire est sans effet. La faute consiste, soit à omettre ce qu’on était tenu de faire, soit à faire
ce dont on était tenu de s’abstenir, sans intention de causer un dommage (art. 83 du COC).
La responsabilité établie s’applique également à l’Etat, même lorsqu’il agit comme puissance
publique, aux communes et aux administrations publiques, pour les faits ou les fautes imputables
à leurs représentants, agents et fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions, sans préjudice
de la responsabilité directe de ces derniers envers les parties lésées (art. 84).
Le fonctionnaire ou employé public qui, par son dol ou sa faute lourde, cause à autrui un
dommage matériel ou moral dans l’exercice de ses fonctions ou de son service, est tenu de
réparer le dommage, lorsqu’il est établi que son dol ou sa faute en sont la cause directe ;
cependant, en cas de faute simple, les parties lésées n’ont action contre le fonctionnaire qu’à
défaut de tout autre moyen de se faire indemniser (art. 85).
203) Au cas où le conflit concerne un service essentiel, sa soumission à l’arbitrage peut être décidée par Arrêté du Premier ministre. Est
considéré comme service essentiel, le service ou l’interruption du travail mettrait en danger la vie, la sécurité ou la santé des personnes
dans l’ensemble ou dans une partie de la population.
204) Qui relèvent de la compétence exclusive du juge cantonal.
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II. Les DESC en droit tunisien
2.1. Le droit à la santé
i. Cadre normatif
Texte
Disposition
Constitution
« Tout être humain a droit à la santé. L’État garantit la préven-tion et les soins de santé
à tout citoyen et assure les moyens nécessaires à la sécurité et à la qualité des services
de santé.
L’État garantit la gratuité des soins pour les personnes sans soutien ou ne disposant pas
de ressources suffisantes» (art.38).
Conventions du droit
international des Droits de
l’homme
205
- PIDESC : art. 12 ; Obs. générales n° 14 (2000) et 22 (2016).
- CEDEF : art. 12 ; Obs. générales n° 14 (1990), 15 (1990), 24 (1990), 27 (2010),
27 (2010), 29 (2013) et 34 (2016).
- CDE : art. 23 ; Obs. générales n° 3 (2003), 4 (2003) et 15 (2013).
- CDPH : art. 25.
« Ce code garantit à l’enfant le droit de bénéficier des différentes mesures préventives
à caractère social, éducatif, sanitaire et des autres dispositions et procédures visant
à le protéger de toute forme de violence, ou préjudice, ou atteinte physique ou
psychique, ou sexuelle ou d’abandon, ou de négligence qui engendrent le mauvais
traitement ou l’exploitation » (art. 2).
« L’enfant placé dans une institution éducative de protection ou de rééducation ou mis
dans un lieu de détention, a droit à la protection sanitaire, physique et morale. Il a
aussi droit à l’assistance sociale et éducative tout en considérant son âge, son sexe,
ses potentialités et sa personnalité » (art. 15).
« L’enfant handicapé mental ou physique a droit, en plus des droits reconnus à
l’enfance, à la protection et aux soins médicaux ainsi qu’à un degré d’enseignement et
de formation qui consolide son auto-prise en charge et facilite sa participation active à
la vie sociale » (art. 17).
Toute personne a droit à la protection de sa santé dans les meilleures conditions
possibles (art. premier).
L’obligation de se faire examiner et traiter par un médecin (art. 9 nouveau).
Il est institué un régime de réparation des préjudices résultant des accidents du travail
et des maladies professionnelles au profit des victimes ou de leurs ayants droit
208(art.
premier).
Code de protection de
l’enfant
Loi n° 91-63 du 29
juillet 1991 relative à
l’organisation sanitaire
Loi n° 92-71 du 27
juillet 1992 relative aux
maladies transmissibles
206
Loi n° 94-28 du 21 février
1994 portant régime de
réparation des préjudices
résultant des accidents du
travail et des maladies
professionnelles
207
Loi n° 95-56 du 28 juin
1995 portant régime
particulier de réparation
des préjudices résultant
des accidents du
travail et des maladies
professionnelles dans le
secteur public
209 .
205) En application de l’article 20 de la Constitution.
206) Telle que modifiée et complétée par la loi n° 2007-12 du 12 février 2007.
207) Telle que modifiée par la loi n° 95-103 du 27 novembre 1995.
208) La loi de 1994 fixe les modalités de détermination et d’octroi de l’indemnisation aux victimes et à leurs ayants droits.
209) Telle que modifiée par la loi n° 2000-19 du 7 février 2000.
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RECOURS CONTRE LES VIOLATIONS DES DESC EN TUNISIE
Loi n° 94-114 du 31
octobre 1994 relative à la
protection des personnes
âgées
La famille assume la responsabilité de la protection de ses membres âgés et de la
satisfaction de leurs besoins. L’Etat aide, le cas échéant, la famille à accomplir son rôle
dans ce domaine...
La protection des personnes âgées repose sur des principes tels que le principe de
préserver leur santé et garantir leur dignité en l’aidant à surmonter aux difficultés
qu’elles rencontrent dans leur vie quotidienne et qui sont dues à leur âge (art. 2).
Loi n° 2004-71 du 2 août
2004 portant institution d’un
régime d’assurance maladie
Il est instauré un régime d’assurance maladie…fondé sur le principe de la solidarité et
l’égalité des droits (art. premier).
Les actions en responsabilité : art. 22 et s.
Les prestations sanitaires et la prise en charge sociale (art. 14 et s.).
Si la personne dont la signature est légalisée est porteuse d’un handicap profond
relatif à l’ouïe, la parole, ou la vue ou autres handicaps similaires, il est dressé un
procès-verbal de lecture en présence d’un témoin sachant signer et ayant la capacité
nécessaire pour contracter choisi par le contractant porteur d’un handicap (art. 3).
« La personne âgée prise en charge par une famille d’accueil et ne bénéficiant pas
d’un régime de couverture sociale ou d’une carte de soins gratuits, supporte la totalité
de ses frais de soins. La famille d’accueil d’une personne âgée nécessiteuse peut
bénéficier d’une aide matérielle conformément aux dispositions de l’article 18 de la loi
susvisée n° 114 du 31 octobre 1994» (art. 6).
Le bénéfice de la gratuité des soins et de l’hospitalisation dans les structures sanitaires
publiques relevant du ministère de la santé publique est accordé à tout tunisien
indigent, à son conjoint et à ses enfants légalement à charge. Le bénéfice de cette
gratuité est accordé sur présentation d’une carte de soins gratuits comportant le nom
de la personne concernée (art. 2).
Gratuité des soins (art. 8 et 9 deuxièmement).
Loi n° 2005-83 du 15
août 2005 relative à
la promotion et à la
protection des personnes
handicapées
Loi n° 2008-66 du 3
novembre 2008 portant
assouplissement des
transactions des personnes
porteuses d’un handicap
moteur
Décret n° 96-1016 du
27 mai 1996 fixant les
conditions et les modalités
de prise en charge par
les familles des personnes
âgées sans soutien
Décret n° 98-1812 du 21
septembre 1998 fixant les
conditions et les modalités
d’attribution et de retrait de
la carte de soins gratuits
210
Décret-loi n° 2011-97 du
24 octobre 2011 portant
indemnisation des martyrs
et blessés de la révolution
du 14 janvier 2011
Autres textes
• Loi n° 95-56 du 28 juin 1995 portant régime particulier de réparation des préjudices résultant
des accidents du travail et des maladies professionnelles dans le secteur public
211.
• Décret n° 96-1767 du 30 septembre 1996, fixant les conditions et le montant de la contribution
de la personne âgée ou de sa famille aux frais des services sociaux et sanitaires fournis à
domicile.
• Décret n° 98-409 du 18 février 1998, fixant les catégories des bénéficiaires des tarifs réduits
de soins et d’hospitalisation dans les structures sanitaires publiques relevant du Ministère de
la Santé Publique ainsi que les modalités de leur prise en charge et les tarifs auxquels ils sont
assujettis
212.
• Arrêté du ministre de la santé publique du 18 novembre 2008 fixant la liste des centres et
établissements sanitaires dans lesquels le dépistage anonyme des infections par VIH/SIDA est
effectué de façon volontaire
213.
210) Tel que modifié par le décret n° 99-1514 du 5 juillet 1999 et le décret n° 2004-2731 du 31 décembre 2004.
211) Telle que modifiée par la loi n° 2000-19 du 7 février 2000.
212) Tel que modifié par le décret n° 99-1372 du 21 juin 1999, le décret n° 2004-2730 du 31 décembre 2004, le décret n° 2005-2886
du 24 octobre 2005 et le décret n° 2009-1034 du 13 avril 2009.
213) Tel que complété par l’arrêté du 4 septembre 2009 et l’arrêté du 25 mars 2011.
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ii. Exemples de jurisprudence
Juridiction : Tribunal administratif.
Date : Arrêt n° 26606 du 12.3.2010214.
Objet : Responsabilité de l’Etat de mettre en oeuvre.
Faits d’espèces : Il s’agit d’un accouchement dans une clinique privée où le nouveau-né connait
une insuffisance respiratoire ; Il a été transféré en urgence au centre national d’accouchement.
Ce dernier a refusé de l’accepter en prétendant qu’il ne dispose pas de place pour le recevoir
ce qui a engendré le décès du nouveau-né.
Le droit à la santé pour tout citoyen est une garantie consacrée par le Préambule de la
Constitution (de 1959) et réaffirmée à l’article 34 qui prévoyait que la loi détermine les principes
fondamentaux de la santé publique, ce qui implique que l’Etat est responsable, directement ou
par l’intermédiaire de ses établissements sanitaires, du fonctionnement de ce service public, et
par conséquent il est tenu de prendre toutes les mesures qui garantiraient ce droit constitutionnel
et devrait fournir aux prestataires les soins nécessaires en mettant à leur disposition un cadre
médical et paramédical compétent et fournir tous les services essentiels pour assurer le traitement
dans des circonstances appropriées.
2.2. Le droit à l’éducation
i. Cadre normatif
Texte
Disposition
Constitution
Conventions du droit international des Droits de l’homme
« L’instruction est obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans.
L’État garantit le droit à l’enseignement public et gratuit à
tous ses niveaux.
Il veille à mettre les moyens nécessaires au service d’une
éduca-tion, d’un enseignement et d’une formation de
qualité.
L’État veille également à l’enracinement des jeunes
générations dans leur identité arabe et islamique et leur
appartenance natio-nale.
Il veille à la consolidation de la langue arabe, sa
promotion et sa généralisation.
Il encourage l’ouverture sur les langues étrangères et les
civilisa-tions. Il veille à la diffusion de la culture des droits
de l’Homme » (art. 39).
- PIDESC : art. 13 et 14 ; Obs. générales n° 11(1999) et
13 1999).
- CEDEF: art. 10.
- CDE: art. 28.
- CDPH : art. 24 et Obs. générale n° 4 (2016).
214) Jurisprudence du Tribunal administratif, 2010, p. 645.
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Code de protection de l’enfant
Loi n° 2005-83 du 15 août 2005 relative à la promotion
et à la protection des personnes
Loi n° 2008-9 du 11 février 2008 modifiant et
complétant la loi d’orientation n° 2002-80 du 23 juillet
2002 relative à l’éducation et à l’enseignement scolaire
Loi n° 2008-19 du 25 février 2008 relative à
l’enseignement supérieur
ii. Exemples de jurisprudence
Juridiction : Tribunal administratif.
Date : Arrêt n° 41/2861 du 14 mai 2009215.
« L’enfant placé dans une institution éducative de
protection ou de rééducation ou mis dans un lieu de
détention, a droit à la protection sanitaire, physique et
morale. Il a aussi droit à l’assistance sociale et éducative
tout en considérant son âge, son sexe, ses potentialités et
sa personnalité » (art. 15).
« L’enfant handicapé mental ou physique a droit, en plus
des droits reconnus à l’enfance, à la protection et aux
soins médicaux ainsi qu’à un degré d’enseignement et
de formation qui consolide son auto-prise en charge et
facilite sa participation active à la vie sociale » (art. 17).
L’Etat œuvre pour l’insertion, dans les programmes de
l’enseignement et de la formation, au niveau des sections
et des spécialités universitaires et professionnelles,
des modules relatifs au handicap, aux spécifités des
personnes handicapées et leurs besoins à l’intégration
(art. 4).
L’éducation et la formation : art. 19 et s.
L’éducation est une priorité nationale absolue et
l’enseignement est obligatoire de 6 à 16 ans.
L’enseignement est un droit fondamental garanti à tous
les Tunisiens sans discrimination fondée sur le sexe,
l’origine sociale, la couleur ou la religion (art. 1).
L’Etat garantit le droit à l’enseignement gratuit dans les
établissements scolaires publics (art. 4).
L’enseignement supérieur public est gratuit (art. 7).
La recherche scientifique dans les établissements
d’enseignement supérieur et de recherche constitue un
élément infiniment lié à l’enseignement (art. 31).
Objet : Le renvoi définitif de tous les établissements éducatifs constitue une violation du droit
à l’éducation.
Faits d’espèces : Il s’agit en l’espèce d’une décision administrative en matière disciplinaire
rendue à l’encontre d’un élève au secondaire suite à son mauvais comportement à l’égard de
son enseignant.
La décision de renvoi du fils de demandeur au pourvoi du lycée dont il était inscrit est réputée
être une décision de renvoi définitif de tous les établissements éducatifs, a pour effet de priver le
fils de demandeur d’être inscrit dans tous les établissements ce qui viole son droit à l’éducation
et justifie la suspension d’exécution de ladite décision.
215) Jurisprudence du tribunal administratif, 2009, p. 783.
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Juridiction : Tribunal administratif.
Date : Jugement n° 1/17480 du 26 mai 2010216.
Objet : Droit à l’éducation, droit fondamental qui ne peut être limité ou restreint que dans les
conditions fixées par la loi.
Faits d’espèces : Un étudiant de la quatrième année de la licence en droit a interrompu ses
études en raison d’un cas de force majeure comme il prétend ; Il a par la suite présenté une
demande de réinscription et il a obtenu l’accord du recteur, mais la direction de la faculté de
droit a refusé de lui remettre son certificat d’inscription et sa carte d’étudiant.
Le Tribunal administratif a insisté sur la distinction entre les inscriptions au premier cycle des
études universitaires qui sont limitées par le décret n° 2000-2881 du 7 décembre 2000 et
les inscriptions au deuxième cycle des études universitaires qui ne sont pas soumises à cette
restriction.
Il est convenu en doctrine et en jurisprudence que le droit à l’éducation est l’un des droits
fondamentaux garantis par la Constitution (de 1959) qui prévoit dans son article 5 que la
République tunisienne garantit les libertés fondamentales et les droits de l’homme dans leur
acception universelle, globale, complémentaire et interdépendante ; De ce fait, le droit à
l’éducation figure parmi les droits fondamentaux indispensables pour les membres de la société
et qui ne peut être limité ou restreint que dans les conditions fixées par la loi.
Juridiction : Tribunal administratif.
Date : Arrêt n° 121842 du 31.12.2012217.
Objet : Responsabilité de protéger : retrait de licence pour non-conformité aux normes
minimales en matière d’éducation.
« Il est constaté d’après les rapports de l’administration réalisés à plusieurs reprises que l’institut
en question ne répond pas aux exigences minimales requises, en particulier le manque de
conformité des salles de cours aux conditions d’espaces minimales et l’absence de salles
consacrées à l’enseignement des sciences de la vie et terre et sciences physiques, sciences
techniques, et le manque d’une cour aménagée pour accueillir les étudiants inscrits et l’absence
d’une espace sanitaire répondant aux conditions et spécifications techniques, ce qui a justifié
la qualification de l’institut de 3ème catégorie des établissements éducatifs. Par conséquent, la
décision de l’administration de retirer la licence de la demanderesse est justifiée ».
216) Jurisprudence du Tribunal administratif, 2010, p. 283.
217) Inédit.
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2.3. Le droit au travail
i. Cadre normatif
Texte
Disposition
Constitution
Droit au travail :
« Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail. L’État prend les mesures nécessaires afin de le
garantir sur la base du mérite et de l’équité.
Tout citoyen et toute citoyenne a droit au travail dans des conditions favorables et avec un salaire
équitable » (art. 40).
Droit syndical/droit de grève :
La liberté de constituer des partis politiques, des syndicats et des associations est garantie (art. 35).
« Le droit syndical, y compris le droit de grève, est garanti.
Ce droit ne s’applique pas à l’Armée nationale.
Le droit de grève ne s’applique pas aux forces de sécurité intérieure et à la douane » (art. 36).
Conventions
du droit
international
des Droits
de l’homme
- PIDESC : art. 6, 7 et 8 ; Obs. générales n° 18 (2006) et 23 (2016).
- CEDEF : art. 11 ; Obs. générales n° 13 (1989) et 26 (2008), 27 (2010), 29 (2013) et 34 (2016).
- CDE : art. 18.
- CDPH : art. 27.
OIT : Conventions fondamentales n° 29 (1962), 87 (1957), 98 (1957), 100 (1968), 105 (1959),
138 (1995), 111 (1958), 138 (1995) et 182 (2000).
Salaire minimal :
Le paiement de salaires inférieurs aux minima fixés par les dispositions législatives ou réglementaires,
les conventions collectives, accords ou sentences arbitrales rendues obligatoires, est passible des
peines prévues à l’art. 234 du Code du Travail (art. 3).
La rémunération des travailleurs de toutes catégories est déterminée, soit par accord direct entre les
parties, soit par voie de convention collective, dans le respect du salaire minimum garanti fixé par
décret (art. 134).
Egalité professionnelle homme-femme :
Il ne peut être fait de discrimination entre l’homme et la femme dans l’application des dispositions du
code du travail et des textes pris pour son application (art. 5 bis).
Conditions du licenciement :
L’employeur qui a l’intention de licencier un travailleur est tenu d’indiquer les causes du licenciement
dans la lettre de préavis.
Est considéré abusif le licenciement intervenu sans l’existence d’une cause réelle et sérieuse le
justifiant ou sans respect des procédures légales, réglementaires ou conventionnelles (art. 14 ter.).
La faute grave est considérée comme l’une des causes réelles et sérieuses justifiant le
licenciement
218(art. 14 quater.).
Il appartient au juge d’apprécier l’existence du caractère réel et sérieux des causes du licenciement
et le respect des procédures légales ou conventionnelles y afférentes, et ce, sur la base des éléments
de preuve qui lui sont présentés par les parties au conflit. Il peut à cet effet ordonner toute mesure
d’instruction qu’il estime nécessaire (art. 14 quinter).
La maladie suspend le contrat de travail. Elle ne constitue un motif de rupture que si elle est
suffisamment grave ou prolongée et si les nécessités de l’entreprise obligentl’employeur à remplacer
le salarié malade.
La suspension du travail par la femme pendant la période qui précède et suit l’accouchement ne peut
être une cause de rupture, par l’employeur, du contrat de travail, et ce à peine de dommages-intérêts
au profit de la femme. Celle-ci devra avertir l’employeur du motif de son absence.
Code du
travail
217) Inédit.
218 Peuvent être considérés comme fautes graves selon les circonstances dans lesquelles ont été commises notamment les cas suivants :
1) l’acte ou la carence volontaire de nature à entraver le fonctionnement de l’activité normale de l’entreprise ou à lui causer un dommage au
patrimoine ;
2) la réduction du volume de production ou de sa qualité due à une mauvaise volonté évidente ;
3) l’inobservation des prescriptions d’hygiène et de sécurité, durant le travail ou la négligence de prendre les mesures nécessaires pour assurer
la sécurité du personnel dont il est responsable ou pour sauvegarder les objets qui lui sont confiés;
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Au cas où l’absence de la femme à la suite d’une maladie attestée par certificat médical comme
résultant de la grossesse ou des couches, mettant l’intéressée dans l’incapacité de reprendre son
travail, se prolongeait au-delà du terme fixé à l’article 64 du code du travail sans excéder douze
semaines, l’employeur ne pourrait lui donner congé pendant cette absence (art. 20).
Tout employeur qui a l’intention de licencier ou de mettre en chômage pour des raisons
économiques ou technologiques tout ou partie de son personnel permanent, est tenu de la notifier
au préalable à l’inspection du travail territorialement compétente (art. 21).
L’inspection du travail territorialement compétente ou la Direction Générale de l’Inspection du
Travail, selon le cas, doit procéder à une enquête concernant la demande de licenciement ou de
mise en chômage et tenter la conciliation des deux parties concernées et ce, dans un délai de
quinze jours à partir de la date de sa saisine. L’employeur doit présenter à l’inspection du travail
toutes les informations et tous les documents nécessités par l’enquête (art. 21-3).
Licenciement abusif :
Sont abusifs, le licenciement ou la mise en chômage intervenus sans l’avis préalable de la
commission régionale ou la commission centrale de contrôle du licenciement, sauf cas de force
majeure ou accord entre les deux parties concernées (art. 21-12).
La rupture abusive du contrat du travail par l’une des parties ouvre droit à des dommages-intérêts
qui ne se confondent pas avec l’indemnité due pour inobservation du délai de préavis ou avec la
gratification de fin de service visée à l’article 22 du code du travail.
Il n’est pas permis de renoncer préalablement au droit éventuel de demander des dommages-
intérêts.
Toute demande en vue d’obtenir des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail
par l’une des parties doit être, à peine de déchéance, introduite auprès du greffe du conseil de
prud’hommes dans l’année qui suit la rupture (art. 23).
Code du
travail
En cas de licenciement abusif, le préjudice donne lieu à des dommages-intérêts dont le montant
varie entre le salaire d’un mois et celui de deux mois pour chaque année d’ancienneté dans
l’entreprise sans que ces dommages-intérêts ne dépassent dans tous les cas le salaire de trois
années. L’existence et l’étendue du préjudice résultant de ce licenciement sont appréciées par le
juge compte tenu notamment de la qualification professionnelle du travailleur, de son ancienneté
dans l’entreprise, de son âge, de son salaire, de sa situation familiale, de l’impact du dit
licenciement sur ses droits à la retraite, du respect des procédures et des circonstances de fait.
Toutefois, dans le cas où il s’avère que le licenciement a eu lieu pour une cause réelle et sérieuse
mais sans respect des procédures légales ou conventionnelles, le montant des dommages-intérêts
varie entre le salaire d’un mois et celui de quatre mois. L’évaluation des dommages-intérêts est
effectuée compte tenu de la nature des procédures et des effets de celles-ci sur les droits du
travailleur.
Il est tenu compte, pour la détermination des dommages - intérêts219, du salaire perçu par le
travailleur au moment du licenciement compte tenu de tous les avantages n’ayant pas le caractère
de remboursement de frais (art. 23 bis).
Travail des enfants :
Les enfants de moins de 16 ans ne peuvent être employés dans toutes les activités régies par le
code du travail, sous réserve des dispositions spéciales prévues par ce code (art. 53).
Les enfants de moins de 18 ans ne peuvent être employés dans toutes les activités qu’après un
examen médical approfondi justifiant leur aptitude d’effectuer le travail dont ils seront chargés. Cet
examen comporte le cas échéant les examens cliniques, radioscopiques et de laboratoire (art. 61).
Ils ne peuvent être chargés d’effectuer des heures supplémentaires au-delà de la durée normale du
travail à laquelle ils sont soumis (art. 63-2).
Ne peut être inférieur à dix-huit ans l’âge minimum d’admission dans n’importe quel type de travail
susceptible, de par sa nature ou les circonstances dans lesquelles il est exécuté, d’exposer la santé,
la sécurité ou la moralité des enfants au danger (art. 58).
4) le refus injustifié d’exécuter les ordres relatifs au travail émanant formellement des organes compétents dans l’entreprise employant le
travailleur ou de son supérieur ;
5) le fait d’avoir d’une façon illicite obtenu des avantages matériels ou accepté des faveurs en rapport avec le fonctionnement de l’entreprise
ou au détriment de celle-ci ;
6) le vol ou l’utilisation par le travailleur, pour son propre intérêt ou pour celui d’une tierce personne, de fonds, de titres ou d’objets qui lui
sont confiés en raison du poste de travail qu’il occupe ;
219) Les dommages-intérêts dus pour rupture abusive du contrat de travail à durée déterminée du fait de l’employeur sont fixés à un montant
égal au salaire correspondant à la durée restante du contrat ou au travail restant à accomplir (art. 24 du Code du travail).
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Droits de la femme en matière de travail :
Dans les entreprises de toute nature, à l’exception des établissements où sont exclusivement
employés les membres d’une même famille, la femme :
a) aura droit à l’occasion de son accouchement, sur production d’un certificat médical, à un
congé de repos de 30 jours.
Ce congé peut être prorogé, chaque fois, d’une période de 15 jours, sur justification de
certificats médicaux.
b) aura droit dans tous les cas, si elle allaite son enfant et pendant une année à compter du jour
de la naissance, à deux repos d’une demi-heure chacun durant les heures de travail pour lui
permettre l’allaitement.
Ces deux repos sont indépendants des repos prévus à l’article 89 (du code du travail). L’un est
fixé pendant le travail du matin, l’autre pendant l’après-midi. Ils peuvent être pris par les mères
aux heures fixées d’un accord entre elles et les employeurs. A défaut d’accord, ces repos sont
placés au milieu de chaque période. Ces repos sont considérés comme heures de travail et
ouvrent droit à rémunération.
Une chambre spéciale d’allaitement doit être aménagée dans tout établissement occupant au
moins cinquante femmes (art. 64).
Les locaux des entreprises de toute nature dans lesquels les marchandises et objets divers sont
manutentionnés ou offerts au public par un personnel féminin doivent être, dans chaque salle,
munis d’un nombre de siège égal à celui des femmes qui y sont employées (art. 75).
Dispositions communes femme-enfant :
Les chefs des entreprises dans lesquelles sont employés des enfants de moins de dix-huit ans ou
des femmes, doivent veiller au maintien des bonnes mœurs et à l’observation de la décence
publique (art. 76).
Les femmes quel que soit leur âge et les enfants de moins de 18 ans ne peuvent être employés à
des travaux souterrains dans les mines et carrières (art. 77). Repos hebdomadaire, congé et jours
fériés :
Les entreprises non agricoles ou leurs dépendances, de quelque nature qu’elles soient, sont
tenues de donner à leur personnel, sous réserve des dérogations prévues dans le code du travail,
un repos hebdomadaire de vingt-quatre heures consécutives (art. 95).
Les jours fériés, chômés et payés sont fixés par décret ou par les conventions collectives.
Il ne doit pas résulter de l’octroi de ces jours l’arrêt de l’activité de l’entreprise pendant plus de
48 heures consécutives. Les modalités d’application de ces dispositions sont fixées par arrêté du
Ministre chargé des Affaires Sociales pris après consultation des organisations professionnelles
des employeurs et des travailleurs (art. 107).
Tout salarié a droit, chaque année, à un congé payé à la charge de l’employeur dans les
conditions fixées dans le code du travail (art. 112).
Prestations de santé et de sécurité au travail :
Les prestations de santé et de sécurité au travail couvrent toutes les entreprises et activités régies
par le code du travail.
Les frais nécessités par ces prestations sont supportés par l’employeur (art. 152).
Dans toute entreprise employant 500 travailleurs au moins, l’employeur est tenu de créer et
d’équiper un service de médecine du travail propre à cette entreprise. Les entreprises employant
moins de 500 travailleurs sont tenus soit d’adhérer à un groupement de médecine du travail soit
de créer un service autonome de médecine du travail (art. 153).
Code du travail
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RECOURS CONTRE LES VIOLATIONS DES DESC EN TUNISIE
Liberté de créer des syndicats :
Des syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession,
des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l’établissement de produits
déterminés, ou la même profession libérale, peuvent se constituer librement. Les mineurs
âgés de plus de 16 ans peuvent adhérer aux syndicats, sauf opposition de leur père ou
tuteur. Peuvent continuer à faire partie d’un syndicat professionnel, les personnes qui ont
quitté l’exercice de leur fonction ou de leur profession si elles l’ont exercée au moins un an
(art. 242).
Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts
économiques et sociaux de leurs adhérents (art. 243).
Grève/lock-out :
Toute décision de grève ou de lock-out doit être précédée d’un préavis de 10 jours,
adressé par la partie intéressée à l’autre partie et au bureau régional de conciliation
ou, à défaut, à l’Inspection Régionale du Travail territorialement compétente. Le délai de
préavis commence à courir à partir de la saisine du Bureau Régional de Conciliation ou de
l’Inspection Régionale du Travail.
En outre, la grève ou le lock-out doit être approuvé par la centrale syndicale ouvrière ou
par l’organisation centrale des employeurs (art. 376).
L’emploi : art. 26 et s .220
Code du travail
Loi n° 2005-83 du 15
août 2005 relative
à la promotion
et à la protection
des personnes
handicapées modifiée
en 2016
ii. Exemples de jurisprudence
Juridiction : Tribunal de première instance de Tunis.
Date : Jugement n° 39131 du 13 janvier 2005.
Objet : Clause de non – concurrence et privation d’exercer le droit au travail. Faits d’espèce :
Il s’agit en l’espèce d’un contrat de travail assortie d’une clause de non – concurrence pendant
les cinq années qui suivent la rupture du contrat sur tout le territoire tunisien. Le tribunal a fait
clairement référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme et des conventions
ratifiées par la Tunisie.
Attendu que l’application de la clause de non-concurrence telle qu’elle est inscrite, doit être
appréhendé non seulement dans le cadre du droit civil général, mais également dans le cadre
de la politique du législateur abordant les relations de travail, lesquelles se distinguent par une
tendance protectrice du salarié fondée sur l’idée d’ordre public social, ce qui est mis en exergue
par plusieurs règles impératives, qu’elles soient de fond ou de procédure.
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que bien que la clause de non-concurrence soit légale du
point de vue principe, il n’en demeure pas moins qu’elle doit être limitée dans le temps et dans
l’espace.
220 Art. 29 (nouveau) modifié par la loi n° 2016-41 du 16 mai 2016 : Il est réservé un taux d’au moins 2% des recrutements annuels dans la fonction
publique, à attribuer par priorité à des personnes handicapées qui remplissent les conditions prévues par la présente loi et qui jouissent des aptitudes
pour accomplir le travail demandé. Art. 30 (nouveau) modifié par la loi n° 2016-41 du 16 mai 2016) :Toute entreprise ou établissement public ou privé
employant habituellement entre 50 et 99 travailleurs, est tenue de réserver au moins un poste de travail à des personnes handicapées. Toute entreprise ou
établissement public ou privé employant habituellement 100 personnes et plus, est tenue de réserver un taux d’au moins 2% des postes de travail à des
personnes handicapées. Le même taux est réservé au moins dans l’octroi des autorisations professionnelles par les ministères, établissements publics, les
autorités locales et régionales et les organisations professionnelles. La mise en oeuvre du recrutement des personnes handicapées est effectuée dans les
mêmes délais des autres personnes.
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Attendu que bien que la clause, objet de la demande d’annulation, soit limitée dans le temps (5
ans), il n’en demeure pas moins qu’elle n’était pas localisée dans l’espace, dans la mesure où
il est établi en consultant le contrat, base de l’action, qu’il interdit au demandeur de travailler
sur tout le territoire tunisien ; Par conséquent l’une des deux conditions concomitantes demeure
absente.
Attendu que l’interdiction faite, au demandeur, de travailler sur tout le territoire tunisien durant
cinq années entraine sa
privation d’exercer le droit au travail garanti par la constitution dans son
préambule et la Déclaration universelle des droits de l’homme dans son article 23, la Convention
internationale du travail n° 122 relative à la politique de l’emploi
publiée au journal officiel de la
République tunisienne et ratifiée par la loi n° 1965-44 du 21 décembre 1965, laquelle renvoie
à son tour à l’article 23 de la déclaration sus visée.
Attendu que le fait pour la défenderesse d’arguer que la clause est compatible avec l’article
118 du COC demeure inacceptable, dès lors que ce texte exige au sein de cette dérogation
que la partie s’interdirait d’exercer une certaine industrie, pendant un temps ou dans un rayon
déterminé ; ce qui signifie que le législateur lui-même a limité le domaine de l’interdiction dans
un rayon déterminé du pays et non pas sur tout le territoire tunisien, et si la volonté du législateur
était orienté vers le contraire de ce qu’il a prévu, il n’aurait pas employé l’expression de « rayon
déterminé » et que l’interdiction engloberait tout le territoire tunisien, pour garder le sens général
du terme, et ce, en application de l’article 533 du COC. Et partant étendre géographiquement
la clause de non-concurrence renvoie au principe d’interdiction prévu à l’alinéa premier du
même article, d’où la nullité de ladite clause. »
Commentaire L’employeur peut insérer dans le contrat de travail une clause qui interdit au salarié
de travailler chez des concurrents en cas de rupture du contrat. Mais cette clause s’oppose au
droit au travail. C’est pour cette raison que l’interdiction devait être limitée dans le temps et dans
l’espace.
Juridiction : Conseil constitutionnel.
Date : Avis n° 64 -2006 sur un projet de loi portant approbation de la Convention internationale
du travail n° 135 concernant les représentants des travailleurs.
Objet : Droit syndical- Egalité.
Faits d’espèce : La question qui s’est posée au Conseil constitutionnel à l’occasion du projet
de loi portant approbation de la Convention de l’Organisation internationale du travail n°
135 concernant les représentants des travailleurs est de savoir si les avantages accordés aux
représentants des travailleurs ne portent pas atteinte au principe d’égalité.
« Considérant que le projet de loi soumis vise l’approbation par la Chambre des députés de
la Convention internationale du travail n° 135 concernant les représentants des travailleurs,
adoptée par la conférence internationale du travail à Genève le 23 juin 1971.
Considérant que la convention comprend des dispositions visant à protéger les représentants des
travailleurs contre toutes mesures qui pourraient leur porter préjudice, y compris le licenciement,
et qui seraient motivées par leur qualité ou leurs activités de représentants des travailleurs,
leur affiliation syndicale ou leur participation à des activités syndicales ; Que la convention
comprend, également, des dispositions accordant à cette catégorie de travailleurs les facilités
nécessaires pour l’exercice efficace de leurs fonctions.
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Considérant que la Constitution [de 1959] prévoit dans son article 6 le principe d’égalité.
Considérant que les facilités et les mesures spéciales prévues au profit des représentants des
travailleurs n’affectent pas le principe d’égalité avec les autres salariés, tant que les travailleurs
en question appartiennent, de par leur qualité de représentants, à une catégorie particulière de
travailleurs justifiée par des considérations objectives, surtout que ladite qualité et la nature de
leurs missions dans la défense des droits des travailleurs les exposant à des situations nécessitant
leur protection dans l’exercice desdites missions.
Considérant que l’exercice de l’activité syndicale s’insère dans le cadre de la garantie consacrée
par l’article 8 de la Constitution.
Considérant que la Convention précitée prévoit un cadre juridique général à cet effet.
Considérant qu’il apparaît de l’étude du projet soumis que les articles de la Convention objet
de l’approbation ne sont pas contraires aux dispositions de la Constitution et sont compatibles
avec celle-ci ; Que le projet de loi approuvant ladite convention est, par conséquent, conforme
à la Constitution ».
Juridiction : Conseil constitutionnel.
Date : Avis n° 25-2007 sur un projet de loi portant modification de certaines dispositions du
code du travail.
Objet : Droit syndical - Egalité.
Faits d’espèce : Le projet de loi visant à renforcer et à élargir le champ de la protection
spéciale prévue au profit des représentants du personnel a octroyé la priorité au maintien en
emploi aux délégués du personnel et représentants syndicaux en cas de mise en chômage
pour des raisons économiques ou technologiques.
« Considérant que l’examen du Conseil constitutionnel se limite à l’amendement apporté au
projet qui lui a été précédemment soumis ;
Considérant que ledit amendement consiste à ajouter, au sein de l’article 2 du projet adopté, un
article 166 bis au code du travail ;
Considérant que l’article ajouté prévoit d’accorder la priorité au maintien en emploi aux
représentants du personnel, qu’ils soient membres de la commission consultative d’entreprise,
délégués du personnel ou représentants syndicaux, à l’occasion de licenciement ou de mise en
chômage pour des raisons économiques ou technologiques ;
Considérant que la Constitution [de 1959] prévoit dans son article 6 le principe d’égalité ;
Considérant que les dispositions ajoutées assurent aux représentants du Personnel une protection
spéciale qui n’affecte pas le principe d’égalité entre eux et le reste des salariés de l’entreprises
et s’insèrent dans le cadre de la garantie de l’exercice du droit syndical, pour les considérations
déjà évoquées Par le Conseil dans son avis n° 63-2006 en date du 20 décembre 2006 ;
Considérant qu’il apparaît de l’étude de cet amendement qu’il n’est pas contraire à la Constitution
et est compatible avec celle-ci ».
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Commentaire
L’Etat Tunisien a ratifié la convention internationale du travail n° 135 concernant les représentants
des travailleurs en vertu de la loi n° 2007-15 du 12 mars 2007, ce qui a suscité l’amendement
du code de travail en vue d’adapter ses dispositions aux exigences de la Convention n° 135
221;
Le projet de loi a été transmis pour la deuxième fois au Conseil constitutionnel pour examiner
les amendements qui lui ont été apportés par les deux chambres parlementaires relatives à la
priorité du maintien en emploi aux représentants du personnel.
Juridiction : Conseil constitutionnel. Date : Avis n° 63/ 2007 sur un projet de loi portant
modification de certaines dispositions du code du travail.
Objet : Droit syndical - Egalité.
Faits d’espèce : Suite à la ratification de la Convention de l’Organisation internationale du
travail n° 135 concernant les représentants des travailleurs, le Gouvernement tunisien a
présenté un projet de loi visant à renforcer et à élargir le champ de la protection spéciale
prévue au profit des représentants du personnel.
« Considérant que le projet soumis comprend un ensemble de dispositions obligeant les
employeurs à faciliter la mission des membres des commissions consultatives d’entreprise ainsi
que celle des délégués du personnel dans certaines entreprises et des représentants syndicaux,
dans la limite de ce que leur permettent les lois et les conventions collectives et selon des
conditions déterminées ;
Considérant que le projet prévoit, également, pour les représentants du personnel précités, des
mesures spéciales afin de les protéger du licenciement abusif à cause de leur activité ou leur
qualité en tant que représentants des travailleurs dans lesdits commissions ou syndicats ;
Considérant que la Constitution [de 1959] prévoit dans son article 6 le principe d’égalité :
Considérant que les facilités et la protection spéciale prévues au profit desdits représentants ou
délégués du personnel ou pour les représentants syndicaux n’affectent pas le principe d’égalité
avec le reste des salariés de l’entreprise, du moment que, de par leur qualité, lesdits représentants
appartiennent à une catégorie spéciale de personnel reposant sur des considérations objectives
; leur qualité ainsi que la nature de leurs missions dans la défense des droits des travailleurs les
mettent, par ailleurs, dans une situation nécessitant leur protection lors de l’exercice desdites
missions ;
Considérant que ces facilités et protection prévues, notamment, au profit des représentants
syndicaux s’insèrent dans le cadre de la garantie de l’exercice du droit syndical prévu par
l’article 8 de la Constitution ;
Considérant qu’il apparaît de l’étude des dispositions du projet qu’elles ne sont pas contraires à
la Constitution et sont compatibles avec celle-ci ».
221 Loi n° 2007-19 du 2 avril 2007, portant modification de certaines dispositions du Code de travail.
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Juridiction : Tribunal administratif.
Date : Avis consultatif n° 636/2014 sur la répartition possible de recrutement au profit des
enfants d’agents des établissements publics conformément à des accords avec les parties
sociales222.
Objet : Droit au travail et égalité.
Faits d’espèce : Suite au conflit collectif opposant le syndicat au conseil d’administration d’une
entreprise publique, la chambre consultative auprès du Tribunal Administratif a été saisie par
le gouvernement dans le cadre de la consultation facultative de la question de la légalité du
privilège octroyé aux enfants des employés relatif à la priorité d’emploi.
« La règle du recours au concours de la fonction publique pour les postes permanents de l’Etat
ou ses établissements trouve son fondement dans le principe de l’égalité devant la loi ; La
Constitution de 2014 a consacré ce principe dans son article 26…Elle a également prévu dans
son article 40 que « Le travail est un droit pour chaque citoyen et citoyenne. L’État prend les
mesures nécessaires à sa garantie sur la base de la compétence et de l’équité. Tout citoyen et
citoyenne a le droit au travail dans des conditions décentes et à salaire équitable ».
« Par conséquent, la règle du recours au concours de la fonction publique est fondée sur un
principe constitutionnel inhérent qu’il faut respecter et minimiser ses exceptions qui doivent, dans
tous les cas, être liés à une nécessité juridique ou pratique qui justifie les exigences du mérite et
de l’équité telles qu’il était le cas en adoptant les lois relatives à la justice transitionnelle (amnistie
générale et l’indemnisation des blessés de la révolution) ou pour la réhabilitation des personnes
handicapées».
Juridiction : Tribunal administratif.
Date : Avis consultatif n° 640/2015223.
Objet : Légitimité d’une déduction du salaire des salariés grévistes en l’absence d’un texte qui
définit les conditions de l’exercice du droit de grève pour les fonctionnaires.
« Le droit à la rémunération est lié à l’achèvement du travail et l’absence d’achèvement du travail
pendant la grève justifie la déduction des montants correspondants à la période de cessation
du travail.
Le tribunal a motivé sa position en se référant aux dispositions de l’article 36 de la Constitution
de 2014 selon lesquelles « Le droit syndical, y compris le droit de grève, est garanti… » et que
l’exercice de ce droit nécessite en vertu de l’article 49 de la Constitution une loi qui définit les
conditions de l’exercice de ce droit : « La loi détermine les restrictions relatives aux droits et
libertés garanties par la présente Constitution, et à leur exercice, sans que cela ne porte atteinte
à leur essence. Ces restrictions ne peuvent être décidées qu’en cas de nécessité exigée par un
Etat civil et démocratique et dans l’objectif de protéger les droits d’autrui, la sécurité publique,
la défense nationale, la santé publique ou la morale publique, en respectant le principe de la
proportionnalité des restrictions à l’objectif recherché ».
Par conséquent, et en l’absence d’un texte juridique qui régit les conditions d’exercice du droit
222) Inédit.
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de grève des fonctionnaires de l’Etat, les dispositions du système juridique demeurent valides tant
qu’elles sont conformes à la substance de ce droit.
De ce fait, la grève constitue un abandon volontaire du travail et une renonciation à l’exercice
des fonctions confiées à l’agent public prévu par l’article 6 de la loi sur la fonction publique
ainsi que les règlements spéciaux qui lui sont applicables qui donnent le droit à un salaire au
fonctionnaire.
Tant que la règle juridique dans la comptabilité publique est que le droit au salaire est équivalent
au travail accompli, à défaut de l’accomplir pendant la grève justifie la déduction des montants
durant la période de la cessation de travail. Il ne s’agit pas d’une sanction administrative et ne
peut être considérée comme une restriction au droit de grève car cette règle constitue un équilibre
entre deux articles de la Constitution, le premier relatif au droit de grève (art. 36) et le 2ème
c’est la bonne gestion des deniers publics et la continuité du service public (articles 10 et 15).
Le tribunal a conclu que l’administration a respecté les dispositions constitutionnelles lorsqu’elle
a déduit les jours de cessation de travail pour les fonctionnaires concernés pour leur travail
inachevé pendant la période de grève, sous réserve que cette déduction ne soit pas automatique
et généralisée et qu’elle s’applique exclusivement aux agents qui se sont abstenus d’accomplir
leur travail pendant les heures de travail déterminées par les règlements de l’administration
publique, chacun selon le secteur à lequel il appartient ». REMARQUE Le Tribunal administratif
dans son avis consultatif a fait prévaloir un principe constitutionnel (la bonne gestion des deniers
publics et la continuité du service public) sur un autre (droit de grève). Il semble que la justice
tunisienne, en l’absence d’un texte législatif qui réglemente les conditions d’exercice de grève par
les fonctionnaires publics, veut réduire le champ de l’exercice de ce droit. On note qu’en droit
français à titre comparatif, « le droit de grève est un droit constitutionnel, reconnu à tout salarié
dans l’entreprise. Cependant, pour être valable, une grève doit respecter certaines conditions.
Elle entraîne une retenue sur le salaire du salarié gréviste (sauf exceptions) »
224.
Juridiction : Cour de cassation.
Date : Arrêt n° 20260 du 23.11.2015.
Objet : Conditions du licenciement, Protection juridique aux délégués des salariés.
Faits d’espèce : L’employé, membre de la commission consultative de l’entreprise, a commis
une faute grave en omettant l’enregistrement des ventes effectuées. Il a été traduit devant le
conseil de discipline après avoir demandé l’avis de la commission consultative de l’entreprise
et celui du directeur général de l’inspection du travail et de la conciliation ; L’employé allègue
l’inobservation des mesures juridiques de protection des délégués des salariés.
« Attendu que contrairement à ce qui est avancé par la juridiction de l’arrêt attaqué, et bien que
la Convention de l’organisation internationale du travail n° 135, ratifiée en vertu de la loi n°
2007-18, prévoie une protection juridique aux délégués des salariés contre tous les agissements
les visant, y compris le licenciement conformément aux articles 1 et 3, et ce, compte tenu de leur
qualité de représentant, il n’en demeure pas moins que cette protection juridique est concrétisée
à travers les procédures légales prévues par le code du travail, notamment l’article 166 et
suivants.
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Attendu que l’article susvisé requiert la présentation du dossier disciplinaire au directeur général
de l’inspection du travail et de la conciliation, et ce, chaque fois que l’employeur envisage de
licencier un membre de la commission consultative de l’entreprise ou un délégué du personnel.
Attendu que dès lors que les procédures de protection du délégué du personnel ont été accomplies,
la décision de licenciement est conforme à la loi, tant que l’arrêt attaqué a fondé sa sentence sur
une base valable en fait et en droit, d’où il appartient d’écarter ce moyen ».
Juridiction : Tribunal administratif.
Date : Jugement n° 139135/2015225.
Objet : Les restrictions et les exceptions aux droits syndicaux.
Faits d’espèce : La Confédération générale Tunisienne du Travail (CGTT), organisation syndicale
nouvellement fondée (26 mars 2011) a contesté la position du gouvernement qui refuse d’effectuer
les retenues sur salaire pour les affiliés de la CGTT et d’accorder des facilités à ces représentants.
« Attendu que la présidence du gouvernement n’a pas répondu à la requête malgré la demande
formulée à cet effet le 28 novembre 2014 et la sommation faite dans ce cadre le 10 mars 2015,
d’où la poursuite de l’instruction de l’affaire sans s’enquérir de ce que cette sommation visait.
Attendu que la demanderesse a fondé son action sur le fait que l’organisme défendeur n’a pas
tiré de conclusions en fait et en droit par rapport à son existence juridique en tant que structure
syndicale depuis sa constitution le 26 mars 2011, et ce, en se basant sur les dispositions
de la constitution garantissant les droits syndicaux ainsi que les conventions internationales
approuvées par l’Etat tunisien, illustrant par-là, le dépassement de la simple consécration du droit
de s’organiser syndicalement à la garantie d’exercice de ce droit.
Attendu que les dispositions de l’article 35 de la constitution stipule que : « la liberté de constituer
des partis politiques, des syndicats et des associations est garantie », en plus l’article 36 dispose
que : « le droit syndical est garanti, y compris le droit de grève ».
Attendu que bien qu’il soit incontestable que l’exercice des droits garantis par la constitution
est naturellement soumis à des impératifs et à des limites, il n’en demeure pas moins que ces
restrictions ne doivent pas dépendre du pouvoir discrétionnaire de l’administration, mais elles
demeurent gouvernées par les règles posées par la constitution elle-même qui prévoit dans son
article 49 que : « La loi détermine les restrictions relatives aux droits et libertés garanties par
la présente constitution, et à leur exercice, sans que cela ne porte atteinte à leur essence. Ces
restrictions ne peuvent être décidées qu’en cas de nécessité exigée par un Etat au caractère
civil et démocratique, et aux fins de protection des droits du tiers ou pour impératifs de sécurité
publique, de défense nationale, de santé publique ou de morale publique … ».
Attendu que l’octroi par l’article 49 de la Constitution au législateur de la compétence de
règlementer l’exercice du droit syndical, déterminer, le cas échéant, ses restrictions et les
exceptions y afférentes, ne peut entrainer une atteinte à la substance de ce droit, ni outrepasser
les cas prévus par l’article susmentionné.
Attendu que bien que les textes réglementaires, en relation avec l’exercice du droit syndical
au sens des dispositions des articles 35, 36 et 49 sus cités, n’aient pas été promulgués, il n’en
224) https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F117.
225) Inédit.
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demeure pas moins que le principe de garantie du droit syndical et le principe de facilitation
de son exercice appartiennent au groupe des principes à valeur constitutionnelle qui requiert de
l’Etat son respect et de corroborer les substrats de leur garantie. Attendu qu’il appert en se référant
aux conventions internationales du travail approuvées par L’Etat tunisien qu’elles comportent
l’engagement de chaque Etat membre de l’OIT où ses conventions sont en vigueur, de prendre
les mesures nécessaires et appropriées pour garantir l’exercice par les salariés leurs droits de
s’organiser en toute liberté et de fournir toutes les facilités aux délégués des salariés afin qu’ils
puissent accomplir leur mission avec célérité et en toute efficience tel que prévu à l’article 4 de
la convention internationale du travail n° 151 concernant les relations de travail dans la fonction
publique approuvée par la loi n° 2013-7 du 1er avril 2013 qui dispose que : « Les agents
publics doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant
à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi », ainsi que les dispositions de l’article
6 de la même convention qui met en exergue la nécessité afin que : « Des facilités doivent être
accordées aux représentants des organisations d’agents publics reconnues, de manière à leur
permettre de remplir rapidement et efficacement leurs fonctions aussi bien pendant leurs heures
de travail qu’en dehors de celles-ci ». Attendu que la législation nationale a consacré à son
tour le droit syndical et le principe de facilitation de son exercice à travers l’alinéa premier de
l’article 242 du Code du travail stipulant que : « Des syndicats ou associations professionnelles
de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes
concourant à l’établissement de produits déterminés, ou la même profession libérale, peuvent se
constituer librement », ainsi que l’article 243 du même code disposant que : « Les
syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques
et sociaux de leurs adhérents ». Attendu qu’il résulte de ce qui précède que les textes de loi
sus visés confèrent aux organisations syndicales d’être traités sur un même pied d’égalité sans
discrimination et sans dol par les organismes administratifs conformément aux textes juridiques
et réglementaires en vigueur pour rendre effectif un véritable pluralisme syndical à l’image
du pluralisme politique effectif réalisé par l’Etat tunisien. Attendu qu’il est établi des pièces du
dossier que la Confédération Générale Tunisienne du Travail a présenté à la présidence du
gouvernement plusieurs demandes visant à bénéficier des droits et avantages qui lui sont dus
en tant qu’organisation syndicale ; Toutefois, l’administration concernée n’a pas répondu à ses
requêtes, ni démontrer les dispositions légales concernant les conditions et les procédures qui
font obstacle à ces droits et avantages.
Attendu que le fait pour la Présidence du gouvernement de s’abstenir à répondre aux demandes
de la requête a fait obstacle à l’exercice du droit syndical conféré à toute organisation syndicale
en vertu de la Constitution, des Conventions internationales et des textes de loi et puisque
la Présidence du gouvernement n’a pu prouver que la base du refus relève du chapitre des
restrictions et limites prévues à l’article 49 de la Constitution, le refus de l’administration de ne
pas avoir accordé à la Confédération Générale Tunisienne du Travail les droits et les privilèges
découlant de sa qualité d’organisation syndicale a vidé le principe de liberté d’exercice du droit
syndical de sa plus importante composante, ce que n’admet pas la bonne interprétation des
textes législatifs susmentionnés, il en résulte que la décision critiquée est non fondée en fait et en
droit, sur cette base elle s’avère être nulle ».
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2.4. Le droit à la sécurité et à la protection sociale
i. Cadre normatif
Constitution : L’Etat « garantit le droit à une couverture sociale conformément à ce qui est prévu par la
loi » (art. 38).
Conventions du droit international des Droits de l’homme
- PIDESC : art. 9 et 10 ; Obs. générale n° 19 (2008).
- CEDEF : art. 11.e et 13.a ; Obs. générales n° 27 (2010), 29 (2013) et 34 (2016).
- CDE : art. 26, et 23.
- CDPH : art. 28.
Loi n° 60 - 30 du 14 décembre I960, relative à l’organisation des régimes de sécurité.
Loi n° 60 - 33 du 14 décembre 1960 instituant un régime d’invalidité, de vieillesse et de survie et un
régime d’allocation de vieillesse et de survie, dans le secteur non agricole.
Loi n° 65 - 17 du 28 juin 1965, étendant les régimes de sécurité sociale aux étudiants.
Loi n° 1981 - 6 du 12 Février 1981, organisant les régimes de sécurité sociale dans le secteur
agricole.
Loi n° 85 - 12 du 5 mars 1985, portant régime des pensions civiles et militaires de retraite et des
survivants dans le secteur public.
Loi n° 95 - 105 du 14 décembre 1995, portant institution d’un système unique de validation des
services au titre des régimes légaux de vieillesse, d’invalidité et de survivants.
Loi n° 2002 - 32 du 12 mars 2002, relative au régime de sécurité sociale pour certaines catégories de
travailleurs dans les secteurs agricole et non agricole.
Loi n° 2002 - 104 du 30 décembre 2002, relative au régime de sécurité sociale des artistes, des
créateurs et des intellectuels.
Loi n° 2003 - 8 du 21 janvier 2003, portant liquidation des droits des personnes bénéficiant de la
couverture de plusieurs régimes légaux d’assurances vieillesse, invalidité et décès.
Loi n° 2004-71 du 2 août 2004, portant institution d’un régime d’assurance maladie.
Loi n° 2006 - 51 du 24 juillet 2006, relative à la couverture sanitaire des diplômés.
Décret n° 74 - 499 du 27 avril 1974 relatif au régime de vieillesse, d’invalidité et de survivants dans le
secteur non agricole tel que modifié et complété par les textes subséquents.
Décret n° 77 - 546 du 15 Juin 1977, tel que modifié et complété par les décrets n° 80 - 103 du 23
janvier 1980 et n°82 - 1028 du 8 juillet 1982, organisant la sécurité sociale des pêcheurs.
Décret n° 89 - 107 du 10 janvier 1989 étendant le régime de sécurité sociale aux travailleurs tunisiens
à l’étranger.
Décret n° 93 - 308 du 1er février 1993 relatif au régime du capital décès.
Décret n° 95 - 1166 du 3 juillet 1995, tel que modifié et complété par le décret n° 2008 - 172 du 22
janvier 2008, relatif à la sécurité sociale des travailleurs non-salariés dans les secteurs agricole et non
agricole.
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ii. Exemples de jurisprudence
Juridiction : Conseil constitutionnel.
Date : Avis n° 26-2007 sur un projet de loi modifiant et complétant les lois régissant les
pensions servies au titre des régimes de retraite, d’invalidité et de survivants dans les secteurs
public et privé et des régimes spéciaux.
Objet : Régime de retraite.
Faits d’espèce : Le conseil constitutionnel était appelé à statuer sur la constitutionalité du projet
de loi modifiant certaines conditions de la mise à la retraite et l’octroi, à la fille sans soutien,
de la pension des orphelins.
« Considérant que le projet examiné porte sur la révision des taux des contributions de l’employeur
ainsi que de l’assuré social, au régime des pensions civiles et militaires de retraite et de survivants
dans le secteur public et aux régimes spéciaux de retraite des membres du gouvernement, des
députés, des membres de la Chambre des conseillers et des gouverneurs.
Considérant que les nouvelles dispositions déterminent, également, les conditions relatives à
l’ancienneté et à l’âge, dans le secteur public, pour que l’agent, et quelle qu’en soit la fonction,
acquière le droit d’être mis à la retraite ; que les dispositions soumises modifient, en outre, le
régime relatif à l’octroi, à la fille sans soutien, de la pension des orphelins dans le secteur public
et à étendre ces dispositions à certains régimes de sécurité sociale dans le secteur privé.
Considérant que l’article 34 de la Constitution [de 1959] prévoit, notamment, que la loi détermine
les principes fondamentaux de la sécurité sociale.
Considérant qu’il ressort de l’article 5 de la Constitution que l’Etat et la société oeuvrent à ancrer
les valeurs de solidarité entre les individus, les groupes et les générations.
Considérant que l’adhésion aux régimes de retraite soumet les personnes concernées à une
position statutaire et à des règles et prescriptions qui sont à même de réaliser l’objectif assigné à
l’établissement desdits régimes et qui sont fondées sur le principe de solidarité entre les différents
individus, groupes et générations ; qu’il s’ensuit que, pour garantir la pérennité de ces régimes
et assurer leur efficacité, il est loisible au législateur de leur apporter les modifications qu’il juge
nécessaires.
Considérant que les dispositions du projet de loi soumis s’insèrent dans le cadre des attributions
conférées au législateur par l’article 34 de la Constitution et sont, également, compatibles avec
les principes consacrés par la Constitution dans son article 5».
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2.5. Le droit au logement
i. Cadre normatif
Texte
Constitution
Conventions du droit international des Droits de
l’homme
Loi n° 94-114 du 31 octobre 1994 relative à la
protection des personnes âgées
RECOURS CONTRE LES VIOLATIONS DES DESC EN TUNISIE
Disposition
L’État garantit aux citoyens les libertés et les droits
individuels et collectifs. Il veille à leur assurer les
conditions d’une vie digne (art. 21).
- PIDESC : art. 11 ; Obs. générales n° 4 (1992) et
7 (1997).
- CEDEF : art. 14.h et 15.4 ; Obs. générales n°
27 (2010), 29 (2013) et 34 (2016).
- CDE : art. 23.
- CDPH : art. 6.
La protection des personnes âgées repose sur
des principes tels que le principe de tenir compte
de leurs besoins spécifiques dans la conception
des programmes de logement, d’utilisation des
moyens de transport public et de simplification des
procédures administratives (art. 2).
ii. Exemples de jurisprudence
Juridiction : Tribunal administratif.
Date : jugement n° 1/15283 du 19 octobre 2007227.
Objet : Droit au logement, garantie nécessaire à la réalisation de la dignité humaine.
Faits d’espèce : La législation tunisienne a mis en place plusieurs mécanismes d’assistance
sociale à tout tunisien indigent et à certaines catégories de tunisiens en vue d’améliorer les
conditions d’habitat et ce dans le cadre des programmes et projets relatifs à l’éradicationdes
logements rudimentaires. La demanderesse avait déposé une demande auprès du Ministère
des affaires sociales pour bénéficier de l’assistance sociale. La demande avait été déboutée
pour la simple raison que la gestion de ces programmes est confiée au Fond national
de solidarité. Le Tribunal administratif -après avoir rappelé des principes qui régissent la
responsabilité de l’Etat d’améliorer les conditions d’habitat dans les quartiers populaires- a
annulé la décision du Ministère des affaires sociales qui a privé la demanderesse de jouir de
son droit au logement.
« Le droit au logement est l’une des garanties nécessaires à la réalisation de la dignité humaine,
comme un cadre qui assure son intégrité et son inviolabilité et lui permet de développer sa
personnalité et est une condition pour pouvoir parler des autres droits et libertés individuelles ».
226) La loi définit les mesures appropriées de la protection des personnes âgées (art. 3 et s).
227) Les libertés individuelles, L’Association tunisienne pour la défense des libertés individuelles, Tunis 2014, p. 208.
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RECOURS CONTRE LES VIOLATIONS DES DESC EN TUNISIE
2.6. Le droit à l’eau et à l’assainissement
i. Cadre normatif
Texte
Constitution
Disposition
« Le droit à l’eau est garanti.
Il est du devoir de l’État et de la société de préserver l’eau et de veiller à la
rationalisation de son exploitation » (art. 44).
« Les ressources naturelles appartiennent au peuple tunisien. L’Etat exerce sa
souveraineté sur ces ressources au nom du peuple… » (art.13).
Conventions du droit
international des

Droits de l’homme
- PIDESC : art. 11 ; Obs. générale n° 15 (2003).
- CEDEF: art. 15 et 14.h.
- CDE: art. 27.
- CDPH : art. 28.
Code des eaux du
31 mars 1975
Le Domaine public Hydraulique (de l’article premier à l’article 7).
La conservation et la police des eaux du Domaine public Hydraulique (art. 8 à
20).
La création des périmètres d’interdiction, de sauvegarde et d’aménagements
et d’utilisation des eaux : les articles 12, 15 et 16 concernent les zones
où la conservation ou la qualité de l’eau est mise en danger par le degré
d’exploitation des ressources existantes.
Le droit d’usages d’eau : (art. 21 à 39).
Les servitudes : (art. 40 à 51).
Les autorisations ou les concessions intéressant les eaux du Domaine public
Hydraulique (art. 52 à 85).
Effets utiles de l’eau : (art. 86 à 106 bis) le principe de soumettre la
consommation dépassant les besoins à un tarif progressif (art.92).
La planification de l’utilisation des ressources en eau en se référant à la notion
de la valorisation maximale de la production du m3 d’eau (articles 96 nouveau
et 112).
ii. Exemples de jurisprudence
Juridiction : Cour de cassation.
Date : Arrêt n° 7221 du 16.12.2004.
Objet : Responsabilité pénale des personnes morales pour pollution des eaux.
Faits d’espèce : Décès d’un père et ses deux enfants dans un puits ; L’enquête menée par le juge
d’instruction a révélé que la cause du décès est l’asphyxie résultant de l’infiltration du gaz H2S
dans le puits. L’expertise a prouvé la pollution des deux couches du sol par les produits pétroliers
appartenant aux deux voisins Stations de pétrole ; D’où l’existence du mono oxyde de carbone
qui a causé le décès. La Cour de cassation a déclaré coupable la personne morale propriétaire
des dites stations.
« Le rapport technique des résultats du Comité requis a prouvé l’existence d’un lien de causalité
228) Les textes d’application de cette loi sont :
• Le décret n° 95 - 2022 du 16 octobre 1995 fixant la composition et les modalités de fonctionnement du conseil national de la
conservation des eaux et du sol.
• Le décret n° 95 - 2023 du 16 octobre 1995 relatif à l’organisation et au mode de fonctionnement des associations de la conservation
des eaux et du sol.
• Le décret n° 95 - 2024 du 16 octobre 1995 portant approbation des statuts-type des associations de la conservation des eaux et du sol.
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directe entre la pollution produite à l’intérieur du puits, et les deux couches polluées par les
produits pétroliers aux deux Stations de pétrole appartenant à la société d’une part et entre la
mort d’autre part, et cela a un impact sur le jugement à rendre dans l’affaire, ce qui constitue
une insuffisance de motivation et une violation de la loi ».
2.7. Les droits culturels
i. Cadre normatif
Texte
Disposition
Constitution
Liberté académique :
Les libertés académiques et la liberté de la recherche scientifique sont
garanties. L’Etat fournit les moyens nécessaires au développement de la
recherche scientifique et technologique (art. 33).
Le droit à la culture :
Le droit à la culture est garanti.
La liberté de création est garantie. L’État encourage la créativité culturelle
et soutient la culture nationale dans son enracinement, sa diversité et son
renouvellement, en vue de consacrer les valeurs de tolérance, de rejet de
la violence, d’ouverture sur les différentes cultures et de dialogue entre les
civilisations.
L’État protège le patrimoine culturel et en garantit le droit au profit des
générations futures (art. 42) .
Conventions du droit
international des

Droits de l’homme
- PIDESC : art. 15 ; Obs. générales 17 (2006) et 21 (2009).
- CEDEF : art. 13 ; Obs. générales n° 27 (2010) et 34 (2016).
- CDE : art. 31.
- CDPH : art. 30.
Loi n° 94-114 du 31
octobre 1994 relative
à la protection des
personnes âgées
« Indépendamment de la saisie administrative du film, sera punie d’une
amende de 100 dinars à 2.000 dinars, toute infraction aux prescriptions du
présent code et des textes pris pour leur application, et notamment la mise
en circulation ou la représentation de films cinématographiques, sans visa
d’exploitation ou en violation des conditions auxquelles a été subordonné le
visa.
Le jugement pourra, en outre, prononcer à l’encontre du délinquant,
l’interdiction, temporaire ou définitive d’exercer toute activité dans l’industrie
cinématographique et condamner, solidairement, au paiement de l’amende, la
personne physique dont il était le préposé, ou la personne morale dont il était
soit le préposé, soit le gérant » (art. 13).
229) Par ailleurs, l’État encourage le sport et s’emploie à fournir les moyens nécessaires à l’exercice des activités sportives et de loisir
(art. 43).
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Autres textes :
• Code du patrimoine archéologique, historique et des arts traditionnels.
• Loi n° 1994-36 du 24 février 1994 relative à la propriété littéraire et artistique.
• Loi n° 2005-83 du 15 août 2005 relative à la promotion et à la protection des personnes
handicapées (art. 36 et s).
• Loi organique n° 2015-37 du 22 septembre 2015 relative à l’enregistrement et au dépôt légal.
ii. Exemples de jurisprudence
Juridiction : Cour de cassation, Chambres réunies.
Date : Arrêt n° 9335 du 28.02.2008.
Objet : Droits voisins.
Attendu que les droits voisins constitués par les droits des interprètes, des producteurs des
enregistrements audio et des établissements de radiodiffusion ne sont pas protégés par une loi
spécifique à l’instar du droit d’auteur qui est protégé par la loi relative à la propriété littéraire et
artistique n° 1994-36 du 24 février 1994. Attendu que la requérante, bien qu’elle ait procédé
à l’inscription de son activité à l’organisme de protection des droits d’auteur afin de reproduire
la copie originale de la bande son de la chanson « doul mouch habeyeb » de l’artiste George
Wassouf, enregistrée à la société Rotana sous le n° 199 et déposée au centre de la musique
arabe, il n’en demeure pas moins que la requérante n’a pas apporté la preuve de l’autorisation
d’utiliser l’oeuvre émise par son propriétaire ou par son représentant, et ce, conformément aux
prescriptions de l’article 32 de la loi sur la propriété littéraire et artistique qui dispose que :
« Aucun exploitant ne peut fabriquer ou faire fabriquer, dans un but commercial, un certain
nombre d’exemplaires d’une oeuvre protégée, par le biais de l’enregistrement mécanique sur
disques ou sur bandes magnétiques (phonogramme) ou audiovisuelles (vidéogramme) ou par
n’importe quel autre procédé d’enregistrement sauf par contrat écrit, établi avec l’auteur de
l’oeuvre ou son représentant ».
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ANNEXES
ANNEXES
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Annexe 1
Texte original
Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
0.103.1
Conclu à New York le 16 décembre 1966
Approuvé par l’Assemblée fédérale le 13 décembre 1991
1
Instrument d’adhésion déposé par la Suisse le 18 juin 1992
Entré en vigueur pour la Suisse le 18 septembre 1992
Les Etats parties au présent Pacte,
considérant que, conformément aux principes énoncés dans la Charte des Nations
Unies, la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille
humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté,
de la justice et de la paix dans le monde,
reconnaissant que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne hu-
maine,
reconnaissant que, conformément à la Déclaration universelle des droits de
l’homme, l’idéal de l’être humain libre, libéré de la crainte et de la misère, ne peut
être réalisé que si des conditions permettant à chacun de jouir de ses droits écono-
miques, sociaux et culturels, aussi bien que de ses droits civils et politiques, sont
créées,
considérant que la Charte des Nations Unies impose aux Etats l’obligation de pro-
mouvoir le respect universel et effectif des droits et des libertés de l’homme,
prenant en considération le fait que l’individu a des devoirs envers autrui et envers
la collectivité à laquelle il appartient et est tenu de s’efforcer de promouvoir et de
respecter les droits reconnus dans le présent Pacte,
sont convenus des articles suivants:
Première partie
Art. 1
1. Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils
déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement
économique, social et culturel.
2. Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs ri-
chesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui décou-
lent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt
mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses
propres moyens de subsistance.
RO 1993 725; FF 1991 I 1129
1
RO 1993 724
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0.103.1
Droits de l’homme et libertés fondamentales
3. Les Etats parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité
d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus
de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respec-
ter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies.
Deuxième partie
Art. 2
1. Chacun des Etats parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort pro-
pre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans
économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’as-
surer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par
tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législa-
tives.
2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont
énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le
sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine na-
tionale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
3. Les pays en voie de développement, compte dûment tenu des droits de l’homme
et de leur économie nationale, peuvent déterminer dans quelle mesure ils garantiront
les droits économiques reconnus dans le présent Pacte à des non-ressortissants.
Art. 3
Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer le droit égal qu’ont l’homme
et la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels qui sont
énumérés dans le présent Pacte.
Art. 4
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent que, dans la jouissance des droits
assurés par l’Etat conformément au présent Pacte, l’Etat ne peut soumettre ces droits
qu’aux limitations établies par la loi, dans la seule mesure compatible avec la nature
de ces droits et exclusivement en vue de favoriser le bien-être général dans une so-
ciété démocratique.
Art. 5
1. Aucune disposition du présent Pacte ne peut être interprétée comme impliquant
pour un Etat, un groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer à une
activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus
dans le présent Pacte ou à des limitations plus amples que celles prévues dans ledit
Pacte.
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2. Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits fondamentaux
de l’homme reconnus ou en vigueur dans tout pays en vertu de lois, de conventions,
de règlements ou de coutumes, sous prétexte que le présent Pacte ne les reconnaît
pas ou les reconnaît à un moindre degré.
Troisième partie
Art. 6
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend
le droit qu’a toute personne d’obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail
librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder
ce droit.
2. Les mesures que chacun des Etats parties au présent Pacte prendra en vue
d’assurer le plein exercice de ce droit doivent inclure l’orientation et la formation
techniques et professionnelles, l’élaboration de programmes, de politiques et de
techniques propres à assurer un développement économique, social et culturel cons-
tant et un plein emploi productif dans des conditions qui sauvegardent aux individus
la jouissance des libertés politiques et économiques fondamentales.
Art. 7
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir
de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment:
a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs:
i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur
égale sans distinction aucune; en particulier, les femmes doivent avoir
la garantie que les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont
pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même
rémunération qu’eux pour un même travail;
ii) Une existence décente pour eux et leur famille conformément aux dis-
positions du présent Pacte;
b) La sécurité et l’hygiène du travail;
c) La même possibilité pour tous d’être promus, dans leur travail, à la catégorie
supérieure appropriée, sans autre considération que la durée des services ac-
complis et les aptitudes;
d) Le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les
congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés.
Art. 8
1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer:
a) Le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats et de
s’affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par
l’organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts éco-
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nomiques et sociaux. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des
seules restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessai-
res, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou
de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés d’autrui.
b) Le droit qu’ont les syndicats de former des fédérations ou des confédérations
nationales et le droit qu’ont celles-ci de former des organisations syndicales
internationales ou de s’y affilier.
c) Le droit qu’ont les syndicats d’exercer librement leur activité, sans limita-
tions autres que celles qui sont prévues par la loi et qui constituent des me-
sures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité
nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et les libertés
d’autrui.
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.
2. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice
de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction pu-
blique.
3. Aucune disposition du présent article ne permet aux Etats parties à la Convention
de 1948
2 de l’Organisation internationale du Travail concernant la liberté syndicale
et la protection du droit syndical de prendre des mesures législatives portant atteinte
– ou d’appliquer la loi de façon à porter atteinte – aux garanties prévues dans ladite
convention.
Art. 9
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à la sécu-
rité sociale, y compris les assurances sociales.
Art. 10
Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent que:
1. Une protection et une assistance aussi larges que possible doivent être ac-
cordées à la famille, qui est l’élément naturel et fondamental de la société, en
particulier pour sa formation et aussi longtemps qu’elle a la responsabilité de
l’entretien et de l’éducation d’enfants à charge. Le mariage doit être libre-
ment consenti par les futurs époux.
2. Une protection spéciale doit être accordée aux mères pendant une période de
temps raisonnable avant et après la naissance des enfants. Les mères sala-
riées doivent bénéficier, pendant cette même période, d’un congé payé ou
d’un congé accompagné de prestations de sécurité sociale adéquates.
3. Des mesures spéciales de protection et d’assistance doivent être prises en fa-
veur de tous les enfants et adolescents, sans discrimination aucune pour des
raisons de filiation ou autres. Les enfants et adolescents doivent être proté-
gés contre l’exploitation économique et sociale. Le fait de les employer à des
RS 0.822.719.7
2
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travaux de nature à compromettre leur moralité ou leur santé, à mettre leur
vie en danger ou à nuire à leur développement normal doit être sanctionné
par la loi. Les Etats doivent aussi fixer des limites d’âge au-dessous des-
quelles l’emploi salarié de la main-d’œuvre enfantine sera interdit et sanc-
tionné par la loi.
Art. 11
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un
niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un
vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses
conditions d’existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour
assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essen-
tielle d’une coopération internationale librement consentie.
2. Les Etats parties au présent Pacte, reconnaissant le droit fondamental qu’a toute
personne d’être à l’abri de la faim, adopteront, individuellement et au moyen de la
coopération internationale, les mesures nécessaires, y compris des programmes con-
crets:
a)
b)
Pour améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribu-
tion des denrées alimentaires par la pleine utilisation des connaissances
techniques et scientifiques, par la diffusion de principes d’éducation nutri-
tionnelle et par le développement ou la réforme des régimes agraires, de ma-
nière à assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources na-
turelles;
Pour assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales
par rapport aux besoins, compte tenu des problèmes qui se posent tant aux
pays importateurs qu’aux pays exportateurs de denrées alimentaires.
Art. 12
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de
jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre.
2. Les mesures que les Etats parties au présent Pacte prendront en vue d’assurer le
plein exercice de ce droit devront comprendre les mesures nécessaires pour assurer:
a) La diminution de la mortinatalité et de la mortalité infantile, ainsi que le dé-
veloppement sain de l’enfant;
b) L’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène in-
dustrielle;
c) La prophylaxie et le traitement des maladies épidémiques, endémiques, pro-
fessionnelles et autres, ainsi que la lutte contre ces maladies;
d) La création de conditions propres à assurer à tous des services médicaux et
une aide médicale en cas de maladie.
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Art. 13
Droits de l’homme et libertés fondamentales
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à
l’éducation. Ils conviennent que l’éducation doit viser au plein épanouissement de la
personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l’éducation doit
mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favori-
ser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les
groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités
des Nations Unies pour le maintien de la paix.
2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu’en vue d’assurer le plein exer-
cice de ce droit:
a) L’enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à
tous;
b) L’enseignement
secondaire,
formes, y compris
l’enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et
rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par
l’instauration progressive de la gratuité;
ses différentes
sous
c) L’enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité,
en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et no-
tamment par l’instauration progressive de la gratuité;
d) L’éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure
possible, pour les personnes qui n’ont pas reçu d’instruction primaire ou qui
ne l’ont pas reçue jusqu’à son terme;
e)
Il faut poursuivre activement le développement d’un réseau scolaire à tous
les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon
continue les conditions matérielles du personnel enseignant.
3. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté des parents et,
le cas échéant, des tuteurs légaux, de choisir pour leurs enfants des établissements
autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales qui
peuvent être prescrites ou approuvées par l’Etat en matière d’éducation, et de faire
assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs pro-
pres convictions.
4. Aucune disposition du présent article ne doit être interprétée comme portant at-
teinte à la liberté des individus et des personnes morales de créer et de diriger des
établissements d’enseignement, sous réserve que les principes énoncés au paragra-
phe 1 du présent article soient observés et que l’éducation donnée dans ces établis-
sements soit conforme aux normes minimales qui peuvent être prescrites par l’Etat.
Art. 14
Tout Etat partie au présent Pacte qui, au moment où il devient partie, n’a pas encore
pu assurer dans sa métropole ou dans les territoires placés sous sa juridiction le ca-
ractère obligatoire et la gratuité de l’enseignement primaire s’engage à établir et à
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Droits économiques, sociaux et culturels
0.103.1
adopter, dans un délai de deux ans, un plan détaillé des mesures nécessaires pour
réaliser progressivement, dans un nombre raisonnable d’années fixé par ce plan, la
pleine application du principe de l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour
tous.
Art. 15
1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent à chacun le droit:
a) De participer à la vie culturelle;
b) De bénéficier du progrès scientifique et de ses applications;
c) De bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de
toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.
2. Les mesures que les Etats parties au présent Pacte prendront en vue d’assurer le
plein exercice de ce droit devront comprendre celles qui sont nécessaires pour assu-
rer le maintien, le développement et la diffusion de la science et de la culture.
3. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté indispensable à
la recherche scientifique et aux activités créatrices.
4. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent les bienfaits qui doivent résulter
de l’encouragement et du développement de la coopération et des contacts interna-
tionaux dans le domaine de la science et de la culture.
Quatrième partie
Art. 16
1. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à présenter, conformément aux dis-
positions de la présente partie du Pacte, des rapports sur les mesures qu’ils auront
adoptées et sur les progrès accomplis en vue d’assurer le respect des droits reconnus
dans le Pacte.
2. a) Tous les rapports sont adressés au Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, qui en transmet copie au Conseil économique et social, pour
examen, conformément aux dispositions du présent Pacte;
b) Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies transmet égale-
ment aux institutions spécialisées copie des rapports, ou de toutes parties
pertinentes des rapports, envoyés par les Etats parties au présent Pacte qui
sont également membres desdites institutions spécialisées, pour autant que
ces rapports, ou parties de rapports, ont trait à des questions relevant de la
compétence desdites institutions aux termes de leurs actes constitutifs res-
pectifs.
Art. 17
1. Les Etats parties au présent Pacte présentent leurs rapports par étapes, selon un
programme qu’établira le Conseil économique et social dans un délai d’un an à
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Droits de l’homme et libertés fondamentales
compter de la date d’entrée en vigueur du présent Pacte, après avoir consulté les
Etats parties et les institutions spécialisées intéressées.
2. Les rapports peuvent faire connaître les facteurs et les difficultés empêchant ces
Etats de s’acquitter pleinement des obligations prévues au présent Pacte.
3 Dans le cas où des renseignements à ce sujet ont déjà été adressés à l’Organisation
des Nations Unies ou à une institution spécialisée par un Etat partie au Pacte, il ne
sera pas nécessaire de reproduire lesdits renseignements et une référence précise à
ces renseignements suffira.
Art. 18
En vertu des responsabilités qui lui sont conférées par la Charte des Nations Unies
dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Conseil
économique et social pourra conclure des arrangements avec les institutions spécia-
lisées, en vue de la présentation par celles-ci de rapports relatifs aux progrès accom-
plis quant à l’observation des dispositions du présent Pacte qui entrent dans le cadre
de leurs activités. Ces rapports pourront comprendre des données sur les décisions et
recommandations adoptées par les organes compétents des institutions spécialisées
au sujet de cette mise en œuvre.
Art. 19
Le Conseil économique et social peut renvoyer à la Commission des droits de l’homme
aux fins d’étude et de recommandation d’ordre général ou pour information, s’il y a
lieu, les rapports concernant les droits de l’homme que communiquent les Etats con-
formément aux articles 16 et 17 et les rapports concernant les droits de l’homme que
communiquent les institutions spécialisées conformément à l’article 18.
Art. 20
Les Etats parties au présent Pacte et les institutions spécialisées intéressées peuvent
présenter au Conseil économique et social des observations sur toute recommanda-
tion d’ordre général faite en vertu de l’article 19 ou sur toute mention d’une recom-
mandation d’ordre général figurant dans un rapport de la Commission des droits de
l’homme ou dans tout document mentionné dans ledit rapport.
Art. 21
Le Conseil économique et social peut présenter de temps en temps à l’Assemblée
générale des rapports contenant des recommandations de caractère général et un ré-
sumé des renseignements reçus des Etats parties au présent Pacte et des institutions
spécialisées sur les mesures prises et les progrès accomplis en vue d’assurer le res-
pect général des droits reconnus dans le présent Pacte.
Art. 22
Le Conseil économique et social peut porter à l’attention des autres organes de
l’Organisation des Nations Unies, de leurs organes subsidiaires et des institutions
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Droits économiques, sociaux et culturels
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spécialisées intéressées qui s’occupent de fournir une assistance technique toute
question que soulèvent les rapports mentionnés dans la présente partie du présent
Pacte et qui peut aider ces organismes à se prononcer, chacun dans sa propre sphère
de compétence, sur l’opportunité de mesures internationales propres à contribuer à
la mise en œuvre effective et progressive du présent Pacte.
Art. 23
Les Etats parties au présent Pacte conviennent que les mesures d’ordre international
destinées à assurer la réalisation des droits reconnus dans ledit Pacte comprennent
notamment la conclusion de conventions, l’adoption de recommandations, la four-
niture d’une assistance technique et l’organisation, en liaison avec les gouverne-
ments intéressés, de réunions régionales et de réunions techniques aux fins de con-
sultations et d’études.
Art. 24
Aucune disposition du présent Pacte ne doit être interprétée comme portant atteinte
aux dispositions de la Charte des Nations Unies et des constitutions des institutions
spécialisées qui définissent les responsabilités respectives des divers organes de
l’Organisation des Nations Unies et des institutions spécialisées en ce qui concerne
les questions traitées dans le présent Pacte.
Art. 25
Aucune disposition du présent Pacte ne sera interprétée comme portant atteinte au
droit inhérent de tous les peuples à profiter et à user pleinement et librement de leurs
richesses et ressources naturelles.
Cinquième partie
Art. 26
1. Le présent Pacte est ouvert à la signature de tout Etat Membre de l’Organisation
des Nations Unies ou membre de l’une quelconque de ses institutions spécialisées,
de tout Etat partie au Statut de la Cour internationale de Justice
3, ainsi que tout autre
Etat invité par l’Assemblée générale des Nations Unies à devenir partie au présent
Pacte.
2. Le présent Pacte est sujet à ratification et les instruments de ratification seront
déposés auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
3. Le présent Pacte sera ouvert à l’adhésion de tout Etat visé au paragraphe 1 du pré-
sent article.
4. L’adhésion se fera par le dépôt d’un instrument d’adhésion auprès du Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies.
3
RS 0.193.501
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Droits de l’homme et libertés fondamentales
5. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies informe tous les Etats
qui ont signé le présent Pacte ou qui y ont adhéré du dépôt de chaque instrument de
ratification ou d’adhésion.
Art. 27
1. Le présent Pacte entrera en vigueur trois mois après la date du dépôt auprès du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du trente-cinquième instru-
ment de ratification ou d’adhésion.
2. Pour chacun des Etats qui ratifieront le présent Pacte ou y adhéreront après le dé-
pôt du trente-cinquième instrument de ratification ou d’adhésion, ledit Pacte entrera
en vigueur trois mois après la date du dépôt par cet Etat de son instrument de ratifi-
cation ou d’adhésion.
Art. 28
Les dispositions du présent Pacte s’appliquent, sans limitation ni exception aucune,
à toutes les unités constitutives des Etats fédératifs.
Art. 29
1. Tout Etat partie au présent Pacte peut proposer un amendement et en déposer le
texte auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Le Secré-
taire général transmet alors tous projets d’amendements aux Etats parties au présent
Pacte en leur demandant de lui indiquer s’ils désirent voir convoquer une conférence
d’Etats parties pour examiner ces projets et les mettre aux voix. Si un tiers au moins
des Etats se déclarent en faveur de cette convocation, le Secrétaire général convoque
la conférence sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies. Tout amende-
ment adopté par la majorité des Etats présents et votants à la conférence est soumis
pour approbation à l’Assemblée générale des Nations Unies.
2. Ces amendements entrent en vigueur lorsqu’ils ont été approuvés par l’Assemblée
générale des Nations Unies et acceptés, conformément à leurs règles constitution-
nelles respectives, par une majorité des deux tiers des Etats parties au présent Pacte.
3. Lorsque ces amendements entrent en vigueur, ils sont obligatoires pour les Etats
parties qui les ont acceptés, les autres Etats parties restant liés par les dispositions du
présent Pacte et par tout amendement antérieur qu’ils ont accepté.
Art. 30
Indépendamment des notifications prévues au paragraphe 5 de l’article 26, le Secré-
taire général de l’Organisation des Nations Unies informera tous les Etats visés au
paragraphe 1 dudit Article:
a) Des signatures apposées au présent Pacte et des instruments de ratification et
d’adhésion déposés conformément à l’Article 26;
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Annexe 2
Cinquième session (1990)1*
Observation générale no 3: La nature des obligations
des États parties (art. 2, par. 1, du Pacte)
1.
L’article 2 a une importance particulière pour bien comprendre le Pacte et il faut
bien voir qu’il entretient une relation dynamique avec toutes les autres dispositions de cet
instrument. On y trouve exposée la nature des obligations juridiques générales assumées
par les États parties au Pacte. Ces obligations comprennent à la fois ce qu’on peut appeler
(en s’inspirant des travaux de la Commission du droit international) des obligations de
comportement et des obligations de résultat. L’accent a parfois été mis très fortement sur
la distinction qui existe entre les formules employées dans le passage en question du Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et celle qui figure dans
l’article 2 équivalent du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais on ne dit
pas toujours qu’il existe aussi sur ce point d’importantes analogies. En particulier, si le Pacte
prévoit effectivement que l’exercice des droits devra être assuré progressivement et reconnaît
les contraintes découlant du caractère limité des ressources disponibles, il impose aussi
diverses obligations ayant un effet immédiat, dont deux sont particulièrement importantes
pour comprendre la nature précise des obligations des États parties. Une obligation dont il est
question dans une observation générale distincte, que le Comité étudiera à sa sixième session,
est que les États parties «s’engagent à garantir» que les droits considérés «seront exercés sans
discrimination».
2.
L’autre obligation réside dans le fait que, aux termes du paragraphe 1 de l’article 2, les
États s’engagent à prendre des mesures, obligation qui, en elle-même, n’est pas nuancée ou
limitée par d’autres considérations. On peut aussi apprécier tout le sens de l’expression qui
figure dans le texte en considérant certaines de ses versions. Dans le texte anglais, l’obligation
est «
to take steps» (prendre des mesures); en français, les États s’engagent «à agir» et, dans
le texte espagnol, «
a adoptar medidas» (à adopter des mesures). Ainsi, alors que le plein
exercice des droits considérés peut n’être assuré que progressivement, les mesures à prendre
à cette fin doivent l’être dans un délai raisonnablement bref à compter de l’entrée en vigueur
du Pacte pour les États concernés. Ces mesures doivent avoir un caractère délibéré, concret
et viser aussi clairement que possible à la réalisation des obligations reconnues dans le Pacte.
3.
Les moyens qui doivent être utilisés pour satisfaire à l’obligation d’agir sont, pour
citer le paragraphe 1 de l’article 2, «tous les moyens appropriés, y compris en particulier
l’adoption de mesures législatives». Le Comité estime que, dans de nombreux cas, le
recours à la législation est hautement souhaitable et que, dans certains cas, il peut même être
indispensable. Par exemple, il peut être difficile de lutter efficacement contre la discrimination
s’il n’existe pas, pour les mesures qui s’imposent, une base législative solide. Dans des
domaines tels que la santé, la protection des enfants et des mères, et l’éducation, ainsi que
dans les domaines dont il est question dans les articles 6 à 9, la législation peut aussi être un
élément indispensable pour nombre d’objectifs visés.
4.
1
Le Comité note qu’en général les États parties exposent, consciencieusement et
* Figurant dans le document E/1991/23.
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de manière détaillée tout au moins, certaines des mesures législatives qu’ils ont prises à
cet égard. Il tient à souligner toutefois que l’adoption de mesures législatives, qui est
expressément prévue par le Pacte, n’épuise nullement les obligations des États parties. Au
contraire, il faut donner à l’expression «par tous les moyens appropriés» tout le sens qu’elle a
naturellement. Certes, chaque État partie doit décider pour lui-même des moyens qui sont le
plus appropriés, vu les circonstances en ce qui concerne chacun des droits, mais le caractère
«approprié» des moyens choisis n’est pas toujours évident. Il est donc souhaitable que les
rapports des États parties indiquent non seulement quelles sont les mesures qui ont été prises
mais aussi les raisons pour lesquelles elles sont jugées le plus «appropriées» compte tenu des
circonstances. Toutefois, c’est le Comité qui, en fin de compte, doit déterminer si toutes les
mesures appropriées ont été prises.
Parmi les mesures qui pourraient être considérées comme appropriées figurent, outre
5.
les mesures législatives, celles qui prévoient des recours judiciaires au sujet de droits qui,
selon le système juridique national, sont considérés comme pouvant être invoqués devant
les tribunaux. Le Comité note, par exemple, que la jouissance des droits reconnus, sans
discrimination, est souvent réalisée de manière appropriée, en partie grâce au fait qu’il existe
des recours judiciaires ou d’autres recours utiles. En fait, les États parties qui sont également
parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques sont déjà tenus (en vertu
des paragraphes 1 et 3 de l’article 2 et des articles 3 et 26 du Pacte) de garantir que toute
personne dont les droits et libertés (y compris le droit à l’égalité et à la non-discrimination)
sont reconnus dans cet instrument auront été violés «disposera d’un recours utile» (art. 2,
par. 3, al.
a). En outre, il y a dans le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels un certain nombre d’autres dispositions, y compris celles des articles 3,
7 (al.
a, i)), 8, 10 (par. 3), 13 (par. 2, al. a, et par. 3 et 4) et 15 (par. 3) qui, semble-t-il, sont
susceptibles d’être immédiatement appliquées par des organes de caractère judiciaire et autre
dans le cadre de nombreux systèmes juridiques nationaux. Il serait difficile de suggérer que
les dispositions indiquées ne sont pas, étant donné leur nature, applicables en elles-mêmes et
par elles-mêmes.
Dans les cas où des mesures expresses visant directement à assurer l’exercice des
6.
droits reconnus dans le Pacte ont été adoptées sous forme législative, le Comité souhaitera
qu’on lui fasse savoir, notamment, si les lois en question créent ou non, pour les individus ou
les groupes qui estiment que leurs droits ne sont pas pleinement respectés, le droit d’intenter
une action. Dans les cas où des droits économiques, sociaux ou culturels spécifiques sont
reconnus par la constitution, ou lorsque les dispositions du Pacte ont été incorporées
directement à la loi nationale, le Comité souhaitera qu’on lui dise dans quelle mesure ces
droits sont considérés comme pouvant être invoqués devant les tribunaux. Il souhaitera aussi
avoir des renseignements précis sur tout cas où la teneur des dispositions de la constitution
relatives aux droits économiques, sociaux et culturels aura été édulcorée ou sensiblement
modifiée.
7.
Les autres mesures qui peuvent être considérées comme «appropriées» aux fins
du paragraphe 1 de l’article 2 comprennent, mais non pas exclusivement, les mesures
administratives, financières, éducatives et sociales.
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8.
Le Comité note que la disposition selon laquelle les États parties s’engagent «à
agir [...] par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures
législatives» n’exige ni n’empêche qu’une forme particulière de gouvernement ou de système
économique serve de véhicule aux mesures en question, à la seule condition qu’elle soit
démocratique et que tous les droits de l’homme soient respectés. Ainsi, du point de vue des
systèmes politiques ou économiques, le Pacte est neutre et l’on ne saurait valablement dire
que ses principes reposent exclusivement sur la nécessité ou sur l’opportunité d’un système
socialiste ou capitaliste, d’une économie mixte, planifiée ou libérale, ou d’une quelque autre
conception. À cet égard, le Comité réaffirme que l’exercice des droits reconnus dans le Pacte
est susceptible d’être assuré dans le cadre de systèmes économiques ou politiques très divers,
à la seule condition que l’interdépendance et le caractère indivisible des deux séries de droits
de l’homme, affirmés notamment dans le préambule du Pacte, soient reconnus et reflétés dans
le système en question. Il constate par ailleurs que d’autres droits de l’homme, en particulier
le droit au développement, ont également leur place ici.
La principale obligation de résultat dont il est fait état au paragraphe 1 de l’article
9.
2, c’est d’«agir [...] en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus
[dans le Pacte]». On emploie souvent la notion de réalisation progressive pour définir
l’intention sous-jacente à ce membre de phrase. C’est une façon de reconnaître le fait que le
plein exercice de tous les droits économiques, sociaux et culturels ne peut généralement pas
être assuré en un court laps de temps. En ce sens, cette obligation est nettement différente de
celle qui est énoncée à l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui
est une obligation immédiate de respecter et de garantir tous les droits pertinents. Néanmoins,
le fait que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit
une démarche qui s’inscrit dans le temps, autrement dit progressive, ne saurait être interprété
d’une manière qui priverait l’obligation en question de tout contenu effectif. D’une part, cette
clause permet de sauvegarder la souplesse nécessaire, compte tenu des réalités du monde
et des difficultés que rencontre tout pays qui s’efforce d’assurer le plein exercice des droits
économiques, sociaux et culturels; d’autre part, elle doit être interprétée à la lumière de
l’objectif global, et à vrai dire de la raison d’être du Pacte, qui est de fixer aux États parties
des obligations claires en ce qui concerne le plein exercice des droits en question. Ainsi, cette
clause impose l’obligation d’œuvrer aussi rapidement et aussi efficacement que possible pour
atteindre cet objectif. En outre, toute mesure délibérément régressive dans ce domaine doit
impérativement être examinée avec le plus grand soin, et pleinement justifiée par référence à
la totalité des droits sur lesquels porte le Pacte, et ce en faisant usage de toutes les ressources
disponibles.
10.
Fort de l’expérience considérable que le Comité − comme l’organe qui l’a précédé −
a acquise depuis plus de dix ans que les rapports des États parties sont examinés, il est
d’avis que chaque État partie a l’obligation fondamentale minimum d’assurer, au moins, la
satisfaction de l’essentiel de chacun des droits. Ainsi, un État partie dans lequel, par exemple,
nombreuses sont les personnes qui manquent de l’essentiel, qu’il s’agisse de nourriture, de
soins de santé primaires, de logement ou d’enseignement, est un État qui, à première vue,
néglige les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. Le Pacte serait largement
dépourvu de sa raison d’être si de sa lecture ne ressortait pas cette obligation fondamentale
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minimum. De la même façon, il convient de noter que, pour déterminer si un État s’acquitte
de ses obligations fondamentales minimum, il faut tenir compte des contraintes qui pèsent sur
le pays considéré en matière de ressources. En vertu du paragraphe 1 de l’article 2, chacun
des États parties est tenu d’agir «au maximum de ses ressources disponibles». Pour qu’un
État partie puisse invoquer le manque de ressources lorsqu’il ne s’acquitte même pas de ses
obligations fondamentales minimum, il doit démontrer qu’aucun effort n’a été épargné pour
utiliser toutes les ressources qui sont à sa disposition en vue de remplir, à titre prioritaire, ces
obligations minimum.
Le Comité tient à souligner cependant que, même s’il est démontré que les ressources
11.
disponibles sont insuffisantes, l’obligation demeure, pour un État partie, de s’efforcer d’assurer
la jouissance la plus large possible des droits pertinents dans les circonstances qui lui sont
propres. En outre, le manque de ressources n’élimine nullement l’obligation de contrôler
l’ampleur de la réalisation, et plus encore de la non-réalisation, des droits économiques,
sociaux et culturels, et d’élaborer des stratégies et des programmes visant à promouvoir ces
droits. Le Comité a déjà traité ces questions dans son Observation générale n
o 1 (1989).
12.
De même, le Comité souligne que, même en temps de grave pénurie de ressources,
en raison d’un processus d’ajustement, de la récession économique ou d’autres facteurs, les
éléments vulnérables de la société peuvent et doivent être protégés grâce à la mise en œuvre
de programmes spécifiques relativement peu coûteux. À l’appui de cette thèse, le Comité
citera l’analyse faite par l’UNICEF, intitulée
L’ajustement à visage humain: protéger les
groupes vulnérables et favoriser la croissance
1, celle qui a été faite par le PNUD dans le
Rapport mondial sur le développement humain 19902 et celle de la Banque mondiale dans le
Rapport sur le développement dans le monde 19903.
13.
Un dernier point du paragraphe 1 de l’article 2 sur lequel il convient d’appeler
l’attention est que chacun des États parties s’engage à «agir, tant par son effort propre que
par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et
technique». Le Comité fait observer que, pour les auteurs du Pacte, l’expression «au maximum
de ses ressources disponibles» visait à la fois les ressources propres d’un État et celles de
la communauté internationale, disponibles par le biais de l’assistance et de la coopération
internationales. En outre, les dispositions expresses des articles 11, 15, 22 et 23 mettent elles
aussi l’accent sur le rôle essentiel de cette coopération lorsqu’il s’agit de faciliter le plein
exercice des droits en question. Pour ce qui est de l’article 22, le Comité a déjà insisté, dans
l’Observation générale n
o 2 (1990), sur un certain nombre de possibilités et de responsabilités
en ce qui concerne la coopération internationale. Quant à l’article 23, il y est expressément
dit que «la fourniture d’une assistance technique», ainsi que d’autres activités, figurent
au nombre des «mesures d’ordre international destinées à assurer la réalisation des droits
reconnus dans le Pacte».
Le Comité tient à souligner que, en vertu des Articles 55 et 56 de la Charte des
14.
Nations Unies, des principes confirmés du droit international et des dispositions du Pacte
lui-même, la coopération internationale pour le développement et, partant, pour l’exercice
des droits économiques, sociaux et culturels est une obligation qui incombe à tous les États.
Elle incombe tout particulièrement aux États qui sont en mesure d’aider les autres États
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à cet égard. Le Comité attire notamment l’attention sur l’importance de la Déclaration sur
le droit au développement, adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 41/128 du
4 décembre 1986, et sur la nécessité pour les États parties de tenir pleinement compte de
tous les principes qui y sont énoncés. Si les États qui le peuvent ne mettent pas activement
en œuvre un programme de coopération et d’assistance internationales, la pleine jouissance
des droits économiques, sociaux et culturels restera une aspiration insatisfaite. Le Comité
rappelle, à ce propos, le texte de son Observation générale n
o 2 (1990).
Notes
(Endnotes)
1
2
3
G. A. Cornia, R. Jolly et F. Stewart, éd., Paris, Economica, 1987.
Economica, Paris, 1990.
Economica, Paris, 1990.
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Annexe 3
NATIONS
UNIES
Conseil Économique
et Social
COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,
SOCIAUX ET CULTURELS
Dix-neuvième session
Genève, 16 novembre - 4 décembre 1998
Point 3 de l'ordre du jour
E
Distr.
GÉNÉRALE
E/C.12/1998/24
28 décembre 1998
FRANÇAIS
Original : ANGLAIS
QUESTIONS DE FOND AU REGARD DE LA MISE EN OEUVRE DU PACTE INTERNATIONAL
RELATIF AUX DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
Projet d'observation générale No 9 :
Application du Pacte au niveau national */
*
Adopté par le Comité à sa 51ème séance, tenue le 1er décembre 1998
(dix-neuvième session).
GE.98-14837 (F)
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E/C.12/1998/24
page 2
A.
Obligation de donner effet au Pacte dans l'ordre juridique interne
Dans son Observation générale No 3 (1990), le Comité a traité de
1.
questions relatives à la nature et à la portée des obligations des États
parties. La présente observation générale vise à préciser certains éléments
abordés dans cette observation. La principale obligation qui incombe aux États
parties au regard du Pacte est de donner effet aux droits qui y sont reconnus.
En exigeant des gouvernements qu'ils s'en acquittent "par tous les moyens
appropriés", le Pacte adopte une démarche ouverte et souple qui permet de
tenir compte des particularités des systèmes juridiques et administratifs
de chaque État ainsi que d'autres considérations importantes.
2.
Mais cette souplesse va de pair avec l'obligation qu'a chaque État
partie d'utiliser tous les moyens dont il dispose pour donner effet aux droits
consacrés dans le Pacte. Dans cette optique, il faut tenir compte des règles
fondamentales du droit international relatif aux droits de l'homme. En
conséquence, les normes du Pacte doivent être dûment reconnues dans le cadre
de l'ordre juridique national, toute personne ou groupe lésé doit disposer de
moyens de réparation, ou de recours, appropriés et les moyens nécessaires pour
faire en sorte que les pouvoirs publics rendent compte de leurs actes doivent
être mis en place.
3.
Les questions relatives à l'application du Pacte au niveau national
doivent être envisagées à la lumière de deux principes du droit international.
Le premier, tel qu'il est énoncé à l'article 27 de la Convention de Vienne
sur le droit des traités de 1969, est que "[u]ne partie ne peut invoquer
les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution
d'un traité". En d'autres termes, les États doivent modifier selon qu'il
convient l'ordre juridique afin de donner effet à leurs obligations
conventionnelles 1/. Cette question a été approfondie par le Comité dans son
Observation générale No 12 (1998). Le second principe est énoncé à l'article 8
de la Déclaration universelle des droits de l'homme : "Toute personne a droit
à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre
les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la
Constitution ou par la loi". Le Pacte ne contient aucune disposition
correspondant directement au paragraphe 3 b) de l'article 2 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, qui oblige, entre
autres, les États parties à "développer les possibilités de recours
juridictionnel". Néanmoins, un État partie qui cherche à se justifier du fait
qu'il n'offre aucun recours interne contre les violations des droits
économiques, sociaux et culturels doit montrer soit que de tels recours ne
constituent pas des "moyens appropriés" au sens du paragraphe 1 de l'article 2
du Pacte ou qu'ils sont, compte tenu des autres moyens utilisés, superflus.
Cela n'est pas facile à montrer et le Comité estime que, dans biens des cas,
les "autres moyens" utilisés risquent d'être inopérants s'ils ne sont pas
renforcés ou complétés par des recours juridictionnels.
1
A/CONF.39/27.
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B.
Place du Pacte dans l'ordre juridique interne
D'une manière générale, les normes internationales contraignantes
4.
relatives aux droits de l'homme devraient s'appliquer directement et
immédiatement dans le cadre du système juridique interne de chaque État partie
et permettre ainsi aux personnes de demander aux tribunaux nationaux d'assurer
le respect de leurs droits. La règle relative à l'épuisement des recours
internes renforce la primauté des recours internes à cet égard. L'existence
de procédures internationales pour l'examen de plaintes individuelles et le
développement de telles procédures sont certes importants, mais ces procédures
ne viennent en définitive qu'en complément de recours internes effectifs.
5.
Le Pacte ne définit pas concrètement les modalités de sa propre
application dans l'ordre juridique national. Et il ne contient aucune
disposition obligeant les États parties à l'incorporer intégralement au droit
national ou à lui accorder un statut particulier dans le cadre de ce droit.
Bien que les modalités concrètes pour donner effet, dans l'ordre juridique
national, aux droits qui sont reconnus dans le Pacte soient laissées à la
discrétion de chaque État partie, les moyens utilisés doivent être appropriés,
c'est-à-dire qu'ils doivent produire des résultats attestant que l'État partie
s'est acquitté intégralement de ses obligations. Les moyens choisis sont
en outre soumis à contrôle dans le cadre de l'examen par le Comité de la
manière dont l'État partie s'acquitte de ses obligations au titre du Pacte.
Une analyse de la pratique des États montre qu'ils utilisent divers
6.
moyens. Certains n'ont pris aucune mesure particulière. Parmi ceux qui ont
pris des mesures, certains ont fait des dispositions du Pacte des dispositions
du droit national, en complétant ou en modifiant la législation en vigueur,
sans pour autant reprendre les termes mêmes du Pacte. D'autres l'ont "adopté"
ou "incorporé" au droit national en gardant telles quelles ses dispositions et
en leur donnant officiellement effet dans l'ordre juridique national. Pour ce
faire, ils ont généralement eu recours à des dispositions constitutionnelles
accordant aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits
de l'homme la priorité sur toute législation nationale incompatible avec ces
dispositions. La façon dont les États abordent le Pacte dépend dans une large
mesure de la manière dont les instruments internationaux en général sont
envisagés dans l'ordre juridique interne.
Quelle que soit la démarche choisie, plusieurs principes découlent de
7.
l'obligation de donner effet au Pacte, qui doivent à ce titre être respectés.
Premièrement, l'État partie doit choisir le moyen d'application propre à lui
permettre de s'acquitter de ses obligations en vertu du Pacte. La nécessité
d'assurer l'invocabilité des droits reconnus dans le Pacte (voir par. 10
ci-après) doit être prise en considération aux fins de déterminer le meilleur
moyen de donner effet à ces droits au niveau interne. Deuxièmement, il faut
tenir compte des moyens qui se sont révélés être les plus efficaces pour la
protection d'autres droits fondamentaux dans le pays concerné. Dans les pays
où les moyens utilisés pour donner effet au Pacte diffèrent considérablement
de ceux servant à appliquer d'autres instruments relatifs aux droits
de l'homme, l'utilisation de tels moyens doit répondre à une nécessité
impérieuse, compte tenu du fait que le libellé des dispositions du Pacte est,
dans une large mesure, comparable à celui des dispositions des instruments
relatifs aux droits civils et politiques.
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8.
Troisièmement, même si le Pacte n'oblige pas formellement les États à
incorporer ses dispositions dans la législation interne, une telle démarche
est souhaitable. Une incorporation directe des dispositions du Pacte permet,
en effet, d'éviter les problèmes que peut poser la transformation des
obligations conventionnelles en dispositions de droit interne et donne la
possibilité aux personnes d'invoquer directement les droits reconnus dans le
Pacte devant les tribunaux nationaux. Pour ces raisons, le Comité encourage
vivement l'adoption officielle ou l'incorporation du Pacte au droit national.
C.
Rôle des recours
Recours juridictionnels ou recours judiciaires ?
9.
Le droit à un recours effectif ne doit pas être systématiquement
interprété comme un droit à un recours judiciaire. Les recours administratifs
sont, dans bien des cas, suffisants, et les personnes qui relèvent de la
juridiction d'un État partie s'attendent légitimement à ce que toutes les
autorités administratives tiennent compte des dispositions du Pacte dans leurs
décisions, conformément au principe de bonne foi. Tout recours administratif
doit être accessible, abordable, rapide et utile. De même, il est souvent
utile de pouvoir se prévaloir d'un recours judiciaire de dernier ressort
contre des procédures administratives de ce type. D'ailleurs, pour certaines
obligations, telles que celles qui ont trait (entre autres) à la
non-discrimination 2/, il est nécessaire d'offrir un recours judiciaire, sous
une forme ou une autre, si l'on veut s'acquitter des dispositions du Pacte.
En d'autres termes, chaque fois qu'un droit énoncé dans le Pacte ne peut être
exercé pleinement sans une intervention des autorités judiciaires, un recours
judiciaire doit être assuré.
Invocabilité
Dans le cas des droits civils et politiques, on tient généralement pour
10.
acquis qu'il est essentiel de pouvoir disposer de recours judiciaires contre
d'éventuelles violations. Malheureusement, le contraire est souvent affirmé en
ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels. Cette différence
de traitement n'est justifiée ni par la nature de ces droits ni par les
dispositions pertinentes du Pacte. Le Comité a déjà précisé qu'il considérait
que de nombreuses dispositions du Pacte se prêtaient à une application
immédiate. À cet égard, il a cité, à titre d'exemple, dans son Observation
générale No 3, les articles 3, 7 a) et i), 8, 10 3), 13 2) a), 13 3), 13 4)
et 15 3) du Pacte. Il est important à ce propos de distinguer entre
l'invocabilité (terme utilisé dans le cas des questions sur lesquelles les
tribunaux doivent se prononcer) et l'application directe (dans le cas des
normes que les tribunaux peuvent mettre en oeuvre telles quelles). La démarche
générale de chaque système de droit doit certes être prise en compte mais
il n'existe dans le Pacte aucun droit qui ne puisse être considéré, dans
la grande majorité des systèmes, comme comportant au moins quelques aspects
importants qui sont opposables. Il est parfois affirmé que les questions
2
En application du paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte, les États
"s'engagent à garantir que les droits qui sont énoncés [dans le Pacte] seront
exercés sans discrimination aucune".
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d'allocation de ressources sont du ressort des autorités politiques et non des
tribunaux. Il faut bien sûr respecter les compétences respectives des
différentes branches de l'État mais il y a lieu de reconnaître que,
généralement, les tribunaux s'occupent déjà d'un vaste éventail de questions
qui ont d'importantes incidences financières. L'adoption d'une classification
rigide des droits économiques, sociaux et culturels qui les placerait, par
définition, en dehors de la juridiction des tribunaux serait, par conséquent,
arbitraire et incompatible avec le principe de l'indivisibilité et de
l'interdépendance des deux types de droits de l'homme. Elle aurait en outre
pour effet de réduire considérablement la capacité des tribunaux de protéger
les droits des groupes les plus vulnérables et les plus défavorisés de la
société.
Application directe
Le Pacte n'exclut pas la possibilité de considérer les droits qui y sont
11.
énoncés comme directement applicables dans les systèmes qui le permettent.
En effet, au moment de son élaboration, des tentatives pour y inclure une
clause tendant à rendre ces droits "non applicables d'une manière directe"
ont été fermement rejetées. Dans la plupart des États, c'est aux tribunaux,
et non au pouvoir exécutif ou législatif, qu'il appartient de déterminer
si une disposition conventionnelle est directement applicable. Afin qu'ils
puissent s'acquitter efficacement de cette fonction, les tribunaux et autres
juridictions compétents doivent être informés de la nature et de la portée
du Pacte et du rôle important des recours judiciaires dans son application.
Ainsi, lorsque des gouvernements sont par exemple impliqués dans une procédure
judiciaire, ils doivent s'efforcer de promouvoir les interprétations de la
législation interne qui favorisent la réalisation des obligations qui leur
incombent au titre du Pacte. De la même manière, il devrait être pleinement
tenu compte du principe d'invocabilité du Pacte dans la formation des
magistrats. Il est particulièrement important d'éviter toute présomption de
non-application directe des normes du Pacte. En fait, bon nombre de ces normes
sont libellées en des termes qui sont au moins aussi clairs et précis que
ceux des autres instruments relatifs aux droits de l'homme dont les tribunaux
considèrent généralement les dispositions comme directement applicables.
D.
Place accordée au Pacte par les tribunaux nationaux
Dans les directives du Comité concernant les rapports des États parties,
12.
il est demandé à ces derniers d'indiquer si les dispositions du Pacte peuvent
"être invoquées devant les tribunaux, d'autres instances ou les autorités
administratives" et "être directement appliquées par eux" 3/. Certains États
fournissent déjà de tels renseignements mais il faudra accorder une importance
accrue à cet aspect dans les futurs rapports. Le Comité attend en particulier
des États parties qu'ils fournissent des précisions sur toute décision
importante de leurs juridictions nationales s'appuyant sur les dispositions
du Pacte.
3
Directives concernant les rapports des États parties,
document E/C.12/1990/8, annexe IV.
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Il ressort des informations disponibles que la pratique au sein des
13.
États n'est pas uniforme. Le Comité note avec satisfaction que certains
tribunaux appliquent les dispositions du Pacte, soit directement soit en tant
que normes d'interprétation. D'autres tribunaux sont disposés à reconnaître,
sur le plan des principes, l'utilité du Pacte pour interpréter le droit
national, mais dans la pratique l'impact de ses dispositions sur leur
argumentation et l'issue de leurs délibérations est extrêmement limité.
D'autres encore ont refusé de faire le moindre cas des dispositions du Pacte
lorsque des personnes ont essayé de s'en prévaloir. Dans la plupart des pays,
les tribunaux sont encore loin de s'appuyer suffisamment sur le Pacte.
Dans les limites de l'exercice de leurs fonctions de contrôle
14.
judiciaire, les tribunaux doivent tenir compte des droits énoncés dans le
Pacte lorsque cela est nécessaire pour garantir que le comportement de l'État
soit conforme aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. Le déni
de cette responsabilité est incompatible avec le principe de la primauté du
droit qui doit toujours être perçu comme englobant le respect des obligations
internationales relatives aux droits de l'homme.
Il est généralement reconnu que le droit interne doit être interprété
15.
autant que faire se peut d'une manière conforme aux obligations juridiques
internationales de l'État. Ainsi, lorsqu'un organe de décision interne doit
choisir entre une interprétation du droit interne qui mettrait l'État
en conflit avec les dispositions du Pacte et une autre qui lui permettrait
de se conformer à ces dispositions, le droit international requiert que
l'on choisisse la deuxième. Les garanties en matière d'égalité et de
non-discrimination doivent être interprétées, dans toute la mesure du
possible, de manière à faciliter la pleine protection des droits économiques,
sociaux et culturels.
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Droits économiques, sociaux et culturels
0.103.1
b) De la date à laquelle le présent Pacte entrera en vigueur conformément à
l’article 27 et de la date à laquelle entreront en vigueur les amendements
prévus à l’article 29.
Art. 31
1. Le présent Pacte, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe font
également foi, sera déposé aux archives de l’Organisation des Nations Unies.
2. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies transmettra une copie
certifiée conforme du présent Pacte à tous les Etats visés à l’article 26.
(Suivent les signatures)
11
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Annexe 4
41/128 Déclaration sur le droit au développement
L'Assemblée générale,
Ayant à l'esprit les buts et principes de la Charte des Nations Unies relatifs à la réalisation de la coopération
internationale en résolvant les problèmes internationaux d'ordre économique, social, culturel ou humanitaire et en
développant et encourageant le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction de
race, de sexe, de langue ou de religion,
Consciente que le développement est un processus global, économique, social, culturel et politique, qui vise à améliorer
sans cesse le bien-être de l'ensemble de la population et de tous les individus, sur la base de leur participation active,
libre et significative au développement et au partage équitable des bienfaits qui en découlent,
Considérant que, conformément aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'homme, toute personne a
droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans
ladite Déclaration puissent y trouver plein effet,
Rappelant les dispositions du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques,
Rappelant en outre les accords, conventions, résolutions, recommandations et autres instruments pertinents de
l'Organisation des Nations Unies et des institutions spécialisées concernant le développement intégral de l'être humain
et le progrès et le développement de tous les peuples dans les domaines économique et social, y compris les instruments
concernant la décolonisation, la prévention de la discrimination, le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, le maintien de la paix et la sécurité internationales et la promotion accrue des relations amicales et de la
coopération entre les Etats conformément à la Charte,
Rappelant le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, en vertu duquel ils ont le droit de déterminer librement leur
statut politique et d'assurer librement leur développement économique, social et culturel,
Rappelant également le droit des peuples à exercer, sous réserve des dispositions pertinentes des deux Pactes
internationaux relatifs aux droits de l'homme, leur souveraineté pleine et entière sur leurs richesses et leurs ressources
naturelles,
Consciente de l'obligation que la Charte impose aux Etats de promouvoir le respect universel et effectif des droits de
l'homme et des libertés fondamentales pour tous sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de
langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance
ou de toute autre situation,
Considérant que l'élimination des violations massives et flagrantes des droits fondamentaux des peuples et des
individus qui se ressentent de situations telles que celles qui résultent du colonialisme et du néocolonialisme, de
l'apartheid, du racisme et de la discrimination raciale sous toutes leurs formes, de la domination et de l'occupation
étrangères, de l'agression et des menaces contre la souveraineté nationale, l'unité nationale et l'intégrité territoriale, ainsi
que des menaces de guerre, contribuerait à créer des conditions propices au développement pour une grande partie de
l'humanité,
Préoccupée par l'existence de graves obstacles au développement, ainsi qu'à l'épanouissement complet de l'être humain
et des peuples, obstacles qui sont dus notamment au déni des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels,
et considérant que tous les droits de l'homme et libertés fondamentales sont indivisibles et interdépendants et que, pour
promouvoir le développement, il faudrait accorder une attention égale et s'intéresser d'urgence à la mise en œuvre, à la
promotion et à la protection des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels et qu'en conséquence la
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promotion, le respect et la jouissance de certains droits de l'homme et libertés fondamentales ne sauraient justifier le
déni d'autres droits de l'homme et libertés fondamentales,
Considérant que la paix et la sécurité internationales sont des éléments essentiels pour la réalisation du droit au
développement,
Réaffirmant qu'il existe une relation étroite entre le désarmement et le développement, que des progrès dans le domaine
du désarmement contribueraient dans une mesure considérable à des progrès dans le domaine du développement et que
les ressources libérées grâce à des mesures de désarmement devraient être consacrées au développement économique et
social et au bien-être de tous les peuples, en particulier ceux des pays en développement,
Considérant que l'être humain est le sujet central du processus de développement et qu'en conséquence il devrait être
considéré comme le principal participant à ce processus et son principal bénéficiaire par toute politique de
développement,
Considérant que c'est aux Etats qu'il incombe au premier chef de créer les conditions favorables au développement des
peuples et des individus,
Consciente que les efforts déployés au niveau international pour promouvoir et protéger les droits de l'homme devraient
s'accompagner d'efforts tendant à instaurer un nouvel ordre économique international,
Réaffirmant que le droit au développement est un droit inaliénable de l'homme et que l'égalité des chances en matière de
développement est une prérogative aussi bien des nations que des individus qui les composent,
Proclame la Déclaration sur le droit au développement ci-après :
Article premier
1. Le droit au développement est un droit inaliénable de l'homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les
peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans
lequel tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier
de ce développement.
2. Le droit de l'homme au développement suppose aussi la pleine réalisation du droit des peuples à disposer d'eux-
mêmes, qui comprend, sous réserve des dispositions pertinentes des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de
l'homme, l'exercice de leur droit inaliénable à la pleine souveraineté sur toutes leurs richesses et leurs ressources
naturelles.
Article 2
1. L'être humain est le sujet central du développement et doit donc être le participant actif et le bénéficiaire du droit au
développement.
2. Tous les êtres humains ont la responsabilité du développement individuellement et collectivement, compte tenu des
exigences du plein respect de leurs droits de l'homme et de leurs libertés fondamentales et eu égard à leurs devoirs
envers la communauté, qui seule peut assurer l'entier et libre épanouissement de l'être humain et qui doit donc
promouvoir et protéger un ordre politique, social et économique propre à favoriser le développement.
3. Les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but
l'amélioration constante du bien-être de l'ensemble de la population et de tous les individus, fondée sur leur participation
active, libre et utile au développement et à la répartition équitable des avantages qui en résultent.
Article 3
1. Les Etats ont la responsabilité première de la création des conditions nationales et internationales favorables à la
réalisation du droit au développement.
2. La réalisation du droit au développement suppose le plein respect des principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies.
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3. Les Etats ont le devoir de coopérer les uns avec les autres pour assurer le développement et éliminer les obstacles au
développement. Les Etats doivent exercer leurs droits et s'acquitter de leurs devoirs de façon à promouvoir un nouvel
ordre économique international fondé sur l'égalité
4. souveraine, l'interdépendance, l'intérêt commun et la coopération entre tous les Etats et à encourager le respect et la
jouissance des droits de l'homme.
Article 4
1. Les Etats ont le devoir de prendre, séparément et conjointement, des mesures pour formuler des politiques
internationales de développement en vue de faciliter la pleine réalisation du droit au développement.
2. Une action soutenue est indispensable pour assurer un développement plus rapide des pays en développement. En
complément des efforts que les pays en développement accomplissent, une assistance internationale efficace est
essentielle pour donner à ces pays les moyens de soutenir un développement global.
Article 5
Les Etats prennent des mesures décisives pour éliminer les violations massives et flagrantes des droits fondamentaux
des peuples et des êtres humains qui se ressentent de situations telles que celles qui résultent de
l'apartheid, de toutes les
formes de racisme et de discrimination raciale, du colonialisme, de la domination et de l'occupation étrangères, de
l'agression, de l'intervention étrangère et de menaces contre la souveraineté nationale, l'unité nationale et l'intégrité
territoriale, de la menace de guerre ainsi que du refus de reconnaître le droit fondamental des peuples à disposer d'eux-
mêmes.
Article 6
1. Tous les Etats doivent coopérer afin de promouvoir, d'encourager et de renforcer le respect universel et effectif de
tous les droits de l'homme et des libertés fondamentales au profit de tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou
de religion.
2. Tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales sont indivisibles et interdépendantes; la réalisation, la
promotion et la protection des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels doivent bénéficier d'une
attention égale et être envisagées avec une égale urgence.
3. Les Etats doivent prendre des mesures pour éliminer les obstacles au développement résultant du non-respect des
droits civils et politiques, ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels.
Article 7
Tous les Etats doivent promouvoir l'instauration, le maintien et le renforcement de la paix et de la sécurité
internationales et doivent, à cette fin, faire tout leur possible pour réaliser le désarmement général et complet sous un
contrôle international effectif et pour assurer que les ressources libérées à la suite de mesures effectives de désarmement
soient employées aux fins du développement global, en particulier celui des pays en développement.
Article 8
1. Les Etats doivent prendre, sur le plan national, toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au
développement et ils assurent notamment l'égalité des chances de tous dans l'accès aux ressources de base, à l'éducation,
aux services de santé, à l'alimentation, au logement, à l'emploi et à une répartition équitable du revenu. Des mesures
efficaces doivent être prises pour assurer une participation active des femmes au processus de développement. Il faut
procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d'éliminer toutes les injustices sociales.
2. Les Etats doivent encourager dans tous les domaines la participation populaire, qui est un facteur important du
développement et de la pleine réalisation de tous les droits de l'homme.
Article 9
1. Tous les aspects du droit au développement énoncés dans la présente déclaration sont indivisibles et interdépendants
et chacun d'eux doit être considéré compte tenu de l'ensemble.
2. Aucune disposition de la présente déclaration ne peut être interprétée d'une manière qui serait contraire aux buts et
aux principes des Nations Unies ou qui impliquerait qu'un Etat, un groupement ou un individu a le droit de se livrer à
une activité ou d'accomplir un acte ayant pour but la violation des droits énoncés dans la Déclaration universelle des
droits de l'homme
2 et dans les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme24
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Article 10
Des mesures doivent être prises pour assurer l'exercice intégral et un renforcement progressif du droit au
développement, y compris la formulation, l'adoption et la mise en œuvre de mesures politiques, législatives et autres sur
les plans national et international
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Annexe 5
Nations Unies
Conseil économique et social
E/C.12/57/D/1/2013
Distr. générale
20 avril 2016
Français
Original : espagnol
Comité des droits économiques, sociaux et culturels
Communication no 1/2013
Constatations adoptées par le Comité à sa cinquante-septième session
(22 février-4 mars 2016)
Objet :
Question(s) de fond :
Question(s) de procédure :
Accès d’une personne privée de liberté à
des prestations d’invalidité non contributives
Exercice des droits énoncés dans le Pacte sans
discrimination ; droit à la sécurité sociale
Présentation de la communication dans le délai
d’un an après épuisement des recours internes ;
compétence
ratione temporis du Comité
Article(s) du Pacte :
2 et 9
Article(s) du Protocole
facultatif
:
3 (par. 2 a) et b))
GE.16-06490 (F) 150616 170616

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E/C.12/57/D/1/2013
Annexe
Constatations du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels en vertu du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte (cinquante-septième session)
concernant la
Communication no 1/2013*
Présentée par :
Miguel Ángel López Rodríguez (représenté
par un avocat, Valentín J. Aguílar Villuendas,
de
l’Association Pro Derechos Humanos
d’Andalousie)

Au nom de :
État partie :
L’auteur
Espagne
Date de la communication :
6 novembre 2013, transmise à l’État partie
le 6 décembre 2013
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, institué en vertu de la
résolution no 1985/17 du Conseil économique et social,
Réuni le 4 mars 2016,
Ayant achevé l’examen de la communication no 1/2013 présentée en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 1 de l’article 9
du Protocole facultatif.
1.1
L’auteur de la communication est Miguel Ángel López Rodríguez, majeur, de
nationalité espagnole. Il se déclare victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il
tient des articles 2 et 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels (le Pacte)
1. L’auteur est représenté par un conseil.
Le 6 décembre 2013, le Comité a décidé que la recevabilité de la communication
1.2
serait examinée séparément du fond.
1.3 Dans les présentes constatations, le Comité résume d’abord les renseignements et les
arguments exposés par les parties. Il examine ensuite les questions de recevabilité et de
fond qui se posent dans la communication puis formule des conclusions et des
recommandations.
* Conformément au paragraphe 1 c) de l’article 5 du règlement intérieur provisoire relatif au Protocole
facultatif, M.
Mikel Mancisidor de la Fuente n’a pas pris part à l’examen de la communication.
1 Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013.
2
GE.16-06490
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A. Résumé des renseignements et des arguments exposés par les parties
Rappel des faits présentés par l’auteur
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2.1 Au moment de la présentation de la communication, l’auteur était incarcéré au
centre pénitentiaire de Séville depuis mars 2003. À une date antérieure, la Délégation
provinciale de Cordoue
du Conseil pour l’égalité et la protection sociale de la Junte
d’Andalousie (le Conseil) lui avait accordé une prestation (pension) d’invalidité non
contributive d’un montant de 301,55
euros par mois. Par décision du 23 mars 2006,
le Conseil a réduit ce montant à 147,71 euros par mois, estimant que, pour fixer la pension,
le montant des dépenses liées à la subsistance de l’auteur au centre pénitentiaire, soit
2 062,25 euros annuels, devait être comptabilisé dans les revenus ou les ressources de
l’auteur.
Le 1er octobre 2006, l’auteur a déposé une plainte administrative contestant la
2.2
réduction de sa pension, qui a été rejetée le 11 octobre 2006. Le 27
novembre 2006, l’auteur
a fait appel de la décision du Conseil devant le tribunal des affaires de sécurité sociale no 4
de Cordoue en demandant le rétablissement de l’intégralité de sa pension et le
recouvrement des montants non versés depuis que la réduction avait été décidée. Il
contestait le fait que les dépenses nécessaires à sa subsistance au centre pénitentiaire soient
considérées comme des revenus personnels pour calculer ses ressources et déterminer le
montant de sa pension d’invalidité non contributive.
2.3
Le 17 mars 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale a estimé que le recours
de l’auteur était partiellement fondé, a annulé la décision du Conseil du 23 mars 2006, et a
ordonné le rétablissement du montant de 301,55 euros ainsi que le recouvrement des
sommes non versées à l’auteur depuis que sa pension avait été réduite. Le tribunal a indiqué
que la jurisprudence faisait défaut en la matière dans la mesure où le Tribunal suprême
s’était prononcé sur le sujet à deux reprises seulement et de façon contradictoire.
Le jugement renvoie à deux arrêts du Tribunal suprême : l’un en date du 14 décembre 1999,
dans lequel le Tribunal suprême concluait que même si les coûts d’entretien d’un détenu
étaient comptabilisés, celui-ci conservait le droit de percevoir la pension non contributive
dans son intégralité, et l’autre en date du 20 décembre 2000, dans lequel il adoptait une
position contraire. Le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale disposait que le
montant correspondant aux dépenses de logement et d’alimentation du détenu au centre
pénitentiaire ne constituait pas un revenu du capital ou du travail, dans la mesure où il ne
provenait pas d’une activité indépendante ou salariée. Il ne faisait pas non plus partie des
prestations reconnues par les divers régimes de prévoyance sociale, car le service fourni par
l’administration pénitentiaire ne constituait pas un service public, mais une obligation qui
incombait à l’administration en raison de la privation de liberté du détenu. Le Conseil a fait
appel du jugement devant le tribunal supérieur de justice d’Andalousie.

2.4
Le 10 juin 2009, le
tribunal supérieur de justice d’Andalousie a annulé la décision
du tribunal des affaires de sécurité sociale et débouté l’auteur de sa demande. Le tribunal
supérieur a indiqué que l’arrêt du Tribunal suprême du 20
décembre 2000 avait été
confirmé par un autre arrêt en date du 30 janvier 2008, qui disposait que le montant des
frais d’entretien des personnes incarcérées dans des établissements pénitentiaires devait être
comptabilisé dans les « éléments matériels et droits […] liés à une prestation » visés à
l
’article 144.5 de la loi sur la sécurité sociale aux fins de déterminer les revenus et les
ressources du bénéficiaire. Il était donc possible de déduire les dépenses d’entretien en
prison du montant dû au titre d’une pension d’invalidité non contributive. L’auteur s’est
pourvu en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence auprès du Tribunal suprême,
en invoquant comme précédent un jugement du tribunal supérieur de justice de Castille-et-
León en date du 29 novembre 2007.
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2.5
Le 27 mai 2010, le Parquet général près le Tribunal suprême a estimé que le pourvoi
en cassation était recevable, dans la mesure où la pension d’invalidité non contributive était
un droit des bénéficiaires, qui était soumis aux mêmes conditions que le reste des
prestations du sy
stème, les seuls critères requis étant la résidence en Espagne, l’insuffisance
des ressources et le degré d’invalidité établi. En outre, les frais d’entretien d’une personne
incarcérée ne pouvaient pas être assimilés à un revenu remplaçant celui d’un trava
il ni à une
prestation complémentaire financée par des ressources publiques ou privées, au sens de
l’article 12.2 du décret royal no 357/1991, dans la mesure où ils ne correspondaient pas à
une activité volontaire du bénéficiaire, mais constituaient une obligation incombant à
l’administration pénitentiaire du fait de la privation de liberté du détenu, ainsi que le
prévoyait l’article 21.2 de la loi pénitentiaire.
2.6
Le 29 septembre 2010, le Tribunal suprême a rejeté le pourvoi en cassation aux fins
d’unification de la jurisprudence au motif que la jurisprudence en la matière avait déjà été
unifiée par ses arrêts du 20 décembre 2000 et du 15 juillet 2008. Il a estimé que la finalité
des prestations non contributives était de garantir des prestations minimum aux personnes
démunies, et n’avaient plus lieu d’être s’il était pourvu aux besoins de subsistance des
intéressés par d’autres moyens. Par ailleurs, il a indiqué qu’une réduction éventuelle du
montant de la pension non contributive d’invalidité n’avait pas d’incidence négative sur les
obligations familiales du bénéficiaire, dans la mesure où ces obligations sont traitées par
une autre voie. En outre, les frais d’entretien des détenus pouvaient être assimilés à une
prestation d’aide sociale. À cet égard, le
Tribunal suprême a indiqué que bien qu’il ne
s’agisse pas d’une prestation de
la sécurité sociale, l’article 144.5 de la loi sur la sécurité
sociale n’imposait pas que ce soit le cas puisqu’il visait les « éléments matériels et droits
[…] liés à une prestation d’aide sociale » d’une manière générale. Une interprétation
contraire avantagerait les détenus par rapport à d’autres bénéficiaires ou demandeurs, dont
tous les revenus sont pris en considération pour déterminer le plafond des prestations
auxquelles ils ont droit.
Le 9 décembre 2010, l’auteur a présenté un recours en amparo devant le Tribunal
2.7
constitutionnel, en invoquant une violation des droits qu’il tenait des articles 14 (égalité
devant la loi), 24.1 (droit à une protection effective) et 25.2 (droit des personnes privées de
liberté aux prestations prévues par le régime de sécurité sociale) de la Constitution.
En
particulier, l’auteur a indiqué qu’il était porté atteinte à son droit à l’égalité devant la loi
par rapport à d’autres personnes dans
une situation analogue à la sienne qui se trouvaient
dans d’autres communautés autonomes de l’État partie, ainsi que par rapport aux détenus
non bénéficiaires de prestations non contributives et aux personnes en liberté qui peuvent
bénéficier de repas dans des établissements analogues tels que les hôpitaux ou les cantines
populaires sans que leurs prestations soient réduites.
2.8
Le 29
octobre 2012, le Tribunal constitutionnel a débouté l’auteur de sa demande et
indiqué que ses allégations de traitement discriminatoire étaient générales et insuffisantes
et
n’étaient pas étayées par des éléments de preuve.
Teneur de la plainte
L’auteur affirme que les faits exposés font apparaître une violation des droits qu’il
3.1
tient des articles 2 et 9 du Pacte.
L’auteur fait valoir que l’État partie a porté atteinte à son droit à la sécurité sociale et
3.2
à l’exercice de ce droit sans discrimination et dans des conditions d’égalité, étant donné que
la mesure prise par le Conseil instaure une inégalité de traitement par rapport aux autres
détenus, y compris ceux qui sont autonomes sur le plan économique, reçoivent d’autres
prestations ou n’en reçoivent aucune mais ne supportent pas les frais nécessaires à leur
subsistance ; par rapport aux détenus incarcérés dans d’autres communautés autonomes qui
ne se voient pas appliquer de réductions de leurs prestations d’invalidé non contributives,
4
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car comme cela a été constaté lors des procédures judiciaires, au moins une communauté
aurait modifié et appliqué un critère distinct pour la détermination du montant en
considérant que les frais d’entretien en prison ne constituaient pas une prestation d’aide
sociale ; et par rapport aux personnes libres qui fréquentent d’autres services publics
comme les hôpitaux, les centres d’accueil ou les cantines sociales où ils reçoivent des repas
gratuits sans pour autant que leurs prestations de sécurité sociale soient réduites.
3.3
L’auteur fait valoir que les autorités n’ont pas pris en considération la Constitution
de l’État partie, qui prév
oit que les personnes privées de liberté jouissent de tous les droits
fondamentaux, ni l’article 3 de la loi pénitentiaire, en vertu duquel les mesures voulues
doivent être adoptées pour que les détenus et leur famille conservent les droits aux
prestations
de la sécurité sociale acquis avant l’incarcération.
3.4
L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes. Bien que les faits ayant porté
atteinte à ses droits se soient produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, la
violation en question persistait au moment où la communication a été présentée au Comité.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1
Le 28
février 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et
demandé que la communication soit déclarée irrecevable conformément à l’alinéa a) du
paragraphe
2 de l’article 3 du Protocole facultatif.
4.2
L’auteur a présenté sa communication plus d’un an après l’épuisement des recours
internes, le jugement du Tribunal constitutionnel ayant été publié le 29 octobre 2012.
Les jugements du Tribunal constitutionnel qui tranchent les recours en
amparo ne sont pas
seulement notifiés aux parties ; ils sont également publiés au Journal officiel afin que le
public en ait connaissance. Dans le cas de l’auteur, le jugement a été publié au Journal
officiel le 28
novembre 2012. Le délai imparti pour la saisine d’une instance internationale
doit être décompté non pas à partir de la date de publication au Journal officiel mais à partir
de la date à laquelle le jugement est
communiqué officiellement à l’intéressé, qui est alors
réputé avoir pris connaissance de la décision finale rendue dans l’affaire qui le concerne.

4.3
Comme l’a conclu le Tribunal constitutionnel, l’application des règles nationales en
matière de sécurité sociale n’a pas porté atteinte aux droits garantis à l’auteur par les
articles 2 et 9 du Pacte. Dans son jugement du 29 octobre 20122, le Tribunal constitutionnel
a pris note de l’interprétation du Tribunal suprême selon laquelle la prestation alimentaire
perçue par une personne en détention est assimilable à une prestation de service public et
comptabilisée comme revenu aux fins de la détermination du droit à la pension d’invalidité
non contributive.
4.4
L’auteur n’a pas été défavorisé par rapport à d’autres bénéficiaires du même type de
prestations exécutant une peine d’emprisonnement. Les mêmes règles s’appliquent de la
même façon sur l’ensemble du territoire de l’État partie à tous les condamnés bénéficiaires
d’une pension non contributive de la sécurité
sociale.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
au sujet de la recevabilité
Le 20 mars 2014, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la
5.1
recevabilité.
5.2
En ce qui concerne la condition prévue à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du
Protocole facultatif, l’auteur fait valoir qu’aux termes de l’article 164.1 de la Constitution
de l’État partie, « les jugements rendus par le Tribunal constitutionnel sont publiés au
2 L’État partie se réfère au jugement 189/2012.
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Journal officiel accompagnés, le cas échéant, des opinions individuelles s’y rapportant. Ils
ont l’autorité de la chose jugée à partir du lendemain de leur publication
». Sans cette
formalité indispensable, le jugement est sans effet juridique et ne peut pas faire l’objet d’un
recours.
5.3
Par
ailleurs, l’auteur indique que le jugement lui a été communiqué le 6 novembre
2012 et non, comme l’a affirmé l’État partie, le 29 octobre 20123. Il ajoute que,
conformément à la réglementation nationale, les délais mensuels ou annuels commencent à
courir
le lendemain du jour où intervient la notification. En tout état de cause, s’agissant
d’une personne privée de liberté, il convient d’opter pour une interprétation souple qui
tienne compte de sa situation exceptionnelle.
Observations de l’État partie quant au fond
Le 22 mai 2015, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la
6.1
communication. Il considère qu’aucune violation du droit à la sécurité sociale ne s’est
produite, et qu’il n’y a pas eu d’application discriminatoire de la loi.

6.2
L’article 41 de la Constitution de l’État partie dispose que les pouvoirs publics
assurent à tous les citoyens un régime public de sécurité sociale, qui garantit une assistance
et des prestations sociales suffisantes pour faire face aux situations de nécessité,
spécialement en cas de chômage. La loi générale sur la sécurité sociale prévoit, dans ce
cadre, parmi les critères à remplir pour bénéficier des prestations non contributives,
l’absence de revenus suffisants. L’article 145.2 de la loi énonce ainsi : « [l]es montants de
la prestation non contributive sont compatibles avec les ressources ou les revenus annuels
dont dispose individuellement chaque bénéficiaire, pour autant que ceux-
ci n’excèdent pas
35 % du montant annuel de la prestation non contributive ». Par ailleurs, le paragraphe 5 de
l’article 144 dispose : « seront considérés comme des ressources ou des revenus à
comptabiliser les éléments matériels et les droits de toute nature, qu’ils proviennent du
travail ou du capital, ou qu’ils soit liés
à une prestation ». Par ailleurs, le décret royal
n
o 3765/1991 dispose que l’on assimilera à des revenus de remplacement des revenus du
travail toute autre prestation complémentaire de ces revenus à la charge de fonds publics ou
privés, et que l’on prendra en considération les revenus et les ressources de toute nature
dont le demandeur est en droit de bénéficier ou de disposer.
6.3
La limite prévue au paragraphe
2 de l’article 145 de la loi générale sur la sécurité
sociale a été librement appréciée par le législateur, après évaluation des divers intérêts
économiques et de l’ensemble des droits protégés par la loi. Cette règle a pour objet
d’établir des motifs d’incompatibilité raisonnables et logiques d’après lesquels une
prestation publique et son montant effectif ne peuvent être perçus compte tenu des
ressources ou des revenus annuels du bénéficiaire, à plus forte raison si elle est financée au
moyen du budget de l’État, sans cotisation préalable du bénéficiaire.
6.4
La prestation d’invalidité non contributive a été accordée à l’auteur de manière
égalitaire et sans discrimination aucune par rapport à toute autre personne se trouvant dans
la même situation, c’est-à-dire les autres bénéficiaires de la même catégorie de prestations
qui feraient l’objet d’une privation de liberté à la suite d’une condamnation et relèveraient
ainsi du régime pénitentiaire. Par son jugement du 29 septembre 2010, le Tribunal suprême
a estimé que les autorités administratives avaient correctement appliqué les articles 144
et 145 de l
a loi générale sur la sécurité sociale au cas de l’auteur et que ce dernier n’avait
subi aucun traitement différent de celui appliqué à toute personne se trouvant dans la même
3 L’auteur joint une attestation du Tribunal constitutionnel en date du 12 mars 2014 qui spécifie que le
jugement du Tribunal concernant la procédure d’amparo engagée par l’auteur a été prononcé le
29 octobre 2012 et communiqué au représentant de l’auteur au procès le 6 novembre 2012.
6
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situation. Par la suite, le Tribunal constitutionnel a considéré, dans son jugement relatif au
recours en
amparo de l’auteur, qu’il n’était pas porté atteinte aux droits fondamentaux de
l’auteur reconnus dans la Constitution et qu’il n’était pas privé des avantages du régime de
sécurité sociale, en particulier de la prestation d’inval
idité non contributive. Le Tribunal a
aussi constaté que l’auteur n’avait pas reconnu au cours du procès le fait que dans d’autres
cas où le bénéficiaire d’une prestation non contributive est aidé par des prestations
publiques qui répondent à ses besoins fondamentaux, la situation n’est pas prise en
considération aux fins du calcul de la pension non contributive reconnue.
L’État partie soutient que toute personne exécutant une condamnation pénale
6.5
privative de liberté dans un établissement pénitentiaire bénéficie gratuitement de son
entretien à la charge de l’État, à titre de droit subjectif reconnu par la loi. Conformément
aux articles 3 et 21 de la loi organique no 1/1979 du 26 septembre 1979 (loi organique
générale pénitentiaire), l’administration publique est tenue de veiller à la vie, à l’intégrité et
à la santé des détenus, y compris à leur entretien. Il s’agit d’un droit pour le détenu, quelle
que soit sa situation personnelle ou patrimoniale. Ces règles n’empêchent pas cependant
que, du point de vue de la sécurité sociale, le montant des frais d’entretien soit considéré
comme déductible pour fixer le montant d’une autre catégorie de prestations publiques,
telle la prestation d’incapacité non contributive. Ainsi, en cas de dépassement de la limite
de ressources ou de revenus annuels en vigueur, l’excédent peut être déduit dans une
proportion raisonnable compte tenu de la catégorie de prestations considérée.
6.6
L’octroi d’une prestation non contributive de la sécurité sociale se fonde sur la
reconnaissance d’une situation réelle et objective de nécessité et de précarité du
bénéficiaire. Seule la situation personnelle est prise en considération, il n’existe aucune
condition liée à l’existence d’apports préalables du bénéficiaire (versements de contrepa
rtie,
épargne ou montant des cotisations préalables au régime). Puisqu’il s’agit d’une prestation
publique financée par les fonds publics et donc, par l’effort économique générale du pays
il s’ensuit logiquement que la perception en est réglementée aux termes des articles 144 et
suivants de la loi générale sur la sécurité sociale par un régime d’incompatibilités et de
déductions. C’est la raison pour laquelle, si le bénéficiaire perçoit en même temps un autre
type de prestations publiques à la charge de l’État, sans contrepartie, ni cotisations
préalables, une déduction doit être opérée pour en tenir compte.
Lorsqu’une personne perçoit une prestation et se trouve privée de liberté, la
6.7
prestation correspondant à l’entretien du détenu dans l’établissement pénitentiaire est
maintenue, tout en réduisant le montant de l’autre prestation, comme c’est le cas en
l’espèce. L’option retenue par le législateur de l’État partie est légitime, au nom de l’intérêt
économique de l’État partie en tant que prestataire
de biens publics soumis à la rareté.
6.8
En pratique, l’auteur n’a pas subi de discrimination par rapport à d’autres personnes
privées de liberté dont la situation personnelle est identique et qui perçoivent une prestation
d’invalidité non contributive de la sécurité sociale. L’auteur n’a pas établi que d’autres
personnes se trouvant dans la même situation, dans le même centre pénitentiaire, n’ont pas
fait l’objet d’une déduction de la prestation non contributive dans une proportion
équivalente à celle du coût de l’entretien auquel elles ont droit au centre pénitentiaire. Il n’a
pas établi non plus que la différence de traitement supposée soit intervenue par rapport à
des détenus se trouvant dans d’autres centres pénitentiaires d’autres communautés
autonomes, ou dans un autre type d’établissement fermé4. Par ailleurs, l’État partie soutient
4 Le Tribunal constitutionnel a ajouté ce qui suit : « […] en tout état de cause, vu l’interprétation
juridique des articles 144 et 145 de la loi générale sur la sécurité sociale établie par le Tribunal
suprême dans le cadre de sa compétence exclusive, le droit à l’égalité devant la loi ne peut en aucun
cas avoir pour effet que les décisions adoptées par les communautés autonomes qui en ont appliqué le
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l’auteur n’a pas établi non plus qu’il existe une différence de
que
traitement
comparativement aux personnes séjournant dans d’autres lieux soutenus par des fonds
publics comme les hôpitaux, les orphelinats, les maisons de retraite et les centres militaires.
Même s’il existait une différence, la comparaison n’est pas pertinente car la situation
personnelle objective des personnes qui s’y trouvent n’est pas la même que celle d’une
personne condamnée à une peine privative de liberté pour la commission d’un délit.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant au fond
Par correspondance datée du 10 juillet 2015, l’auteur a présenté ses commentaires
7.1
sur les observations de l’État partie quant au fond de la communication. Il indique avoir
subi un traitement inégal, tant de la part des autorités chargées de la gestion des pensions
non contributives que de celle des autorités pénitentiaires. La législation qui régit les
prestations non contributives, en particulier les articles 144 et suivants de la loi générale sur
la sécurité sociale, ne dispose pas expressément qu’il faille déduire du montant des
prestations non contributives des personnes privées de liberté le montant correspondant au
coût estimatif de leur entretien. La diminution des prestations appliquée à ces cas est
imputable à une décision du Gouvernement central ou des gouvernements régionaux,
lorsque les compétences dans ce domaine leur ont été
transférées, d’après une certaine
interprétation des normes juridiques correspondantes, comme dans le cas du Gouvernement
régional de l’Andalousie. En raison du manque de clarté des normes en vigueur, les
autorités ont appliqué des critères différents et les tribunaux ont rendu des jugements
contradictoires.
L’État partie indique d’un côté que toute personne privée de liberté a droit à son
7.2
entretien, les frais étant assumés gratuitement par l’État. Néanmoins, en pratique, les
personnes visées par la mesure en question supportent leur entretien par une réduction de
leurs prestations non contributives. L’auteur ajoute que, conformément à l’article 3 de la loi
générale pénitentiaire, des mesures doivent être adoptées pour que les détenus et les
membres de leur famille conservent leurs droits aux prestations de la sécurité sociale acquis
avant le placement en détention, du fait que les prestations bénéficient aussi à la famille du
bénéficiaire
5.
7.3 Au sujet de l’observation de l’État partie selon laquelle il ne serait pas pertinent de
comparer le traitement reçu par les personnes privées de liberté dans un centre pénitentiaire
avec celui d’autres personnes séjournant dans d’autres lieux financés par des fonds publics
comme les hôpitaux, les orphelinats et les maisons de retraite, l’auteur indique qu’il
s’abstient de tout commentaire dès lors que cette observation comporte en soi des
connotations discriminatoires, et que les personnes privées de liberté bénéficiaires de
prestations non contributives sont pénal
isées dans l’État partie à titre de peine accessoire,
en devant payer leur entretien, par rapport à d’autres catégories de personnes, notamment
les personnes hospitalisées ou placées dans des centres de traitement de la toxicomanie.
Ainsi, en pratique, les articles 144 et suivants de la loi générale sur la sécurité sociale sont
appliqués et interprétés de manière différente pour les bénéficiaires qui seraient privés de
liberté.
7.4
L’auteur fait valoir que quand bien même le jugement du Tribunal suprême aurait
établi que l’entretien dans les hôpitaux publics fait partie de la prestation sanitaire, celui-ci
principe soient annulées par le fait, même prouvé, que d’autres communautés autonomes ne
l’appliquent pas
».
5 L’auteur se réfère à un jugement du Tribunal suprême du 14 octobre 2014 aux termes duquel
« la pension alimentaire ne peut être suspendue du simple fait du placement en détention du soutien
de famille, de sorte que l’obligation de soutien des enfants mineurs serait laissée à la charge exclusive
de la mère ».
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constitue également un droit subjectif, prévu dans la gamme de services communs du
système national de santé, qui inclut l’alimentation dans le cas de l’hospitalisation au sein
d’un établissement. Ainsi, en dépit de la similitude de situations et de circonstances des
bénéficiaires, dans la pratique les personnes qui ne font pas l’objet d’une peine privative de
liberté peuvent accéder à une alimentation gratuite financée par des sources publiques ou
privées sans que leurs prestations sociales en soient affectées.
B. Délibérations du Comité sur la recevabilité et sur le fond
Examen de la recevabilité
8.1 À sa cinquante-troisième session, le 26 novembre 2014, le Comité a examiné la
recevabilité de la communication.
8.2 À la lumière des documents mis à sa disposition par les parties en vertu du
paragraphe
1 de l’article 8 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même
question n’a pas déjà fait
l’objet, ni ne fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre
procédure d’enquête ou de règlement au niveau international. Par conséquent, le Comité
estime qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la présente communication,
conformément au paragraphe 2
c) de l’article 3 du Protocole facultatif.
8.3
Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication
est irrecevable du fait qu’elle a été présentée plus d’un an après l’épuisement des recours
internes, soit après expiration du délai prévu à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du
Protocole facultatif. Le Comité a noté cependant que d’après l’attestation établie par le
Tribunal constitutionnel le 12 mars 2014, le jugement du Tribunal, par lequel les recours
internes ont été épuisés, a été prononcé le 29 octobre 2012 et communiqué au représentant
de l’auteur au procès le 6 novembre 2012. À cet égard, le Comité a considéré que le délai
prévu à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif commence à courir
au moment où l’auteur ou son représentant sont suffisamment informés du jugement
définitif pour pouvoir élaborer leur communication au Comité et se prévaloir de
l’épuisement des recours internes. Quand l’auteur d’une communication a le droit d’être
informé de la décision finale de l’instance nationale marquant l’épuisement des recours
internes, ou en est informé au moyen d’une copie de la décision, il convient de considérer
que le délai prévu à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif
commence à courir à partir du lendemain de la date de la notification. Par conséquent,
le
Comité a estimé qu’il n’était pas empêché, au regard de l’alinéa a) du paragraphe 2 de
l’article 3 du Protocole facultatif, d’examiner les griefs que tire l’auteur des articles 2 et 9
du Pacte.
8.4
Le Comité a pris note de la position de l’auteur, qui fait valoir que les faits à
l’origine de la violation de ses droits, bien qu’ils se soient produits avant l’entrée en vigueur
du Protocole facultatif pour l’État partie, persistaient au moment où la communication a été
présentée et qu’il y a donc lieu de considérer que le Comité était compétent pour examiner
ses griefs. Le Comité a noté également que l’État partie n’avait pas soulevé d’objections au
regard de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. À cet égard,
le Comité a constaté que les griefs de violations du Pacte formulés dans la communication
ont trait aux décisions des autorités de l’État partie ayant entraîné la réduction de la pension
non contributive de l’auteur ainsi qu’à la pension ainsi réduite. Bien que ces mesures,
y compris l’ensemble des décisions judiciaires des autorités nationales, aient été prises
avant le 5 mai 2013, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Espagne,
l’auteur avait continué jusqu’à ce jour de percevoir une pension réduite. Par conséquent,
dans les circonstances de l’espèce, le Comité a estimé qu’il n’était pas empêché par
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l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif d’examiner la présente
communication.
8.5
Le Comité a estimé que les griefs que
tire l’auteur des articles 2 et 9 du Pacte
avaient été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En conséquence, il a déclaré la
communication recevable en
ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles 2 et 9
du Pacte.
Examen au fond
Faits et points de droit
Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toute la
9.1
documentation qui lui a été soumise, conformément à l’article 8 du Protocole facultatif.
L’auteur fait valoir que l’État partie a porté atteinte à son droit à la sécurité sociale
9.2
du fait que le Conseil pour l’égalité et la protection sociale de la Junte d’Andalousie
(le Conseil) a réduit le montant de sa prestation d’invalidité non contributive au motif qu’il
était nécessaire de déduire les frais d’entretien de l’auteur au centre pénitentiaire dans
lequel il exécute sa peine privative de liberté. L’auteur fait valoir que les personnes privées
de liberté doivent jouir de tous leurs droits, et que les autorités doivent donc adopter les
mesures voulues pour que les détenus et les membres de leur famille conservent leurs droits
aux prestations de la sécurité sociale acquis avant le placement en détention. L’auteur
estime également que la décision de réduire le montant de sa prestation constitue un
traitement discriminatoire par rapport : a)
aux autres personnes privées de liberté, qui n’ont
pas à payer leurs frais d’entretien en prison
; b) par rapport aux détenus qui résident dans
d’autres communauté autonomes qui ne se voient pas appliquer de réduction de leurs
prestations d’invalidité non contributives
; et c) par rapport aux personnes libres qui
séjournent temporairement dans des lieux financés par des fonds publics ou qui sont
utilisateurs de services publics comme les hôpitaux, les centres d’accueil, les cantines
sociales, et les centres de traitement de la toxicomanie, où ils sont alimentés gratuitement,
sans diminution d’autres prestations accordées par la sécurité sociale.
9.3
L’État partie soutient que la réduction de la prestation d’invalidité non contributive
de l’auteur est conforme à la l
oi, en particulier aux articles 144 et suivants de la loi générale
sur la sécurité sociale. Et que, de plus, cette réduction est j
ustifiée puisqu’il s’agit d’une
prestation non contributive, dont la reconnaissance découle de l’état de nécessité du
bénéficiaire, et non de contributions préalables au système que celui-ci aurait effectuées.
D’après l’État partie, comme toute personne privée de liberté a droit à des prestations
d’entretien gratuitement, quelle que soit sa situation personnelle ou patrimoniale, il est donc
logique que, pour protéger les ressources publiques, les coûts de cet entretien puissent être
déduits du montant effec
tif de la prestation non contributive puisqu’il est déjà pourvu aux
besoins du bénéficiaire. L’État partie soutient également qu’il n’y a pas de discrimination
étant donné que la réduction a été appliquée égalitairement par rapport à toute autre
personne dont la situation personnelle serait identique à celle de l’auteur. Comme il s’agit,
en outre, d’une pension non contributive, la comparaison pertinente doit être faite avec les
autres bénéficiaires de la même catégorie de prestations qui feraient l’objet d’une privation
de liberté à la suite d’une condamnation et relèvent donc du régime pénitentiaire, dans le
même centre pénitentiaire ou dans tout autre établissement. Or, d’après l’État partie,
l’auteur n’a prouvé, ni devant les tribunaux nationaux ni devant le Comité, l’existence d’un
traitement différent par rapport à ces personnes. Par ailleurs, selon l’État partie, l’auteur n’a
pas établi non plus qu’il existe une différence de traitement, comparativement aux
personnes séjournant dans d’autres lieux fina
ncés par des fonds publics, comme les
hôpitaux, les orphelinats, les maisons de retraite et les centres militaires. L’État partie fait
valoir que même si une telle différence avait existé, la comparaison ne serait pas pertinente
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dans la mesure où la situation personnelle objective des personnes qui y séjournent n’est
pas la même que celle d’une personne condamnée à une peine privative de liberté pour la
commission d’un délit.

Le Comité note qu’il n’est contesté par aucune des parties que le Conseil a accordé à
9.4
l’auteur une prestation d’invalidité non contributive d’un montant de 301,55 euros par
mois ;
qu’en mars 2003, l’auteur a été incarcéré au centre pénitentiaire de Séville ; et que le
26 mars 2006, le Conseil a réduit le montant de la prestation à 147,71 euros par mois, ayant
estimé qu’il convenait, pour établir le montant de la prestation, de comptabiliser dans les
revenus ou les ressources de l’auteur le montant correspondant à son entretien au centre
pénitentiaire, soit 2 062,25 euros annuels.
9.5
Le Comité ayant examiné les faits de l’espèce, vu les allégations de l’auteur et de
l’État partie, il est d’avis que les deux problèmes distincts mais connexes posés par la
présente communication sont de savoir : a) si la réduction du montant de la prestation
d’invalidité non contributive de l’auteur, équivalente au coût de son entretien en prison,
constitue en soi une violation directe du droit à la sécurité sociale prévue à l’article 9 du
Pacte ; b) si cette réduction constitue un traitement discriminatoire et une violation de
l’article 2 du Pacte, lu parallèlement à l’article 9. Pour répondre à ces questions, le Comité
commencera par rappeler certains éléments du droit à la sécurité sociale, en particulier ceux
qui concernent les prestations non contributives, les personnes handicapées et les personnes
privées de liberté, avant d’analyser séparément chacune des questions.
Droit à la sécurité sociale et droit d’obtenir des prestations sociales
non contributives sans discrimination
10.1 Le Comité rappelle que le droit à la sécurité sociale revêt une importance
fondamentale pour garantir la dignité humaine de toutes les personnes confrontées à des
circonstances qui les privent de la capacité d’exercer pleinement les droits énoncés dans le
Pacte. Ce droit joue un rôle important pour éviter l’exclusion sociale et favoriser l’insertion
sociale. Le droit à la sécurité sociale englobe le droit d’avoir accès à des prestations, en
espèces ou en nature, et de continuer à en bénéficier, sans discrimination6.
10.2 Les prestations, en espèces ou en nature, doivent être d’un montant et d’une durée
adéquats afin que chacun puisse exercer ses droits à la protection de la famille et à l’aide à
la famille, à un niveau de vie suffisant et aux soins de santé. En outre, les États parties
doivent respecter pleinement le principe de la dignité humaine, énoncé dans le préambule
du Pacte, et le principe de la non-discrimination, de façon à éviter toute répercussion
néfaste sur le niveau et la forme des prestations
7.
10.3 Le Comité rappelle que si l’exercice du droit à la sécurité sociale a des incidences
financières importantes pour les États parties, ces derniers ont l’obligation d’assurer, au
minimum, la satisfaction de l’essentiel de ce droit prévu par le Pacte
8. Ils doivent
notamment assurer l’accès à un régime de sécurité sociale qui garantisse, au minimum, à
l’ensemble des personnes et des familles un niveau essentiel de prestations, qui leur
permette de bénéficier au moins des soins de santé essentiels, d’un hébergement et d’un
6 Observation générale no 19 (2008) du Comité sur le droit à la sécurité sociale (art. 9 du Pacte), par. 1
à 3.
7 Ibid., par. 22.
8 Ibid., par. 41. Voir également la Déclaration du Comité sur l’appréciation de l’obligation d’agir « au
maximum de ses ressources disponibles » dans le contexte d’un protocole facultatif au Pacte
(E/C.12/2007/1), par. 4.
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logement de base, de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, de denrées
alimentaires et des formes les plus élémentaires d’enseignement
9.
10.4 Les États parties sont aussi tenus d’assurer l’exercice du droit à la sécurité sociale
quand des individus ou groupes sont incapables, pour des motifs jugés raisonnablement
indépendants de leur volonté, de l’exercer eux-mêmes avec leurs propres moyens dans le
cadre du système de sécurité sociale existant. Ils doivent adopter à cet effet des régimes non
contributifs ou d’autres mesures d’assistance sociale pour aider les individus et les groupes
incapables de verser des cotisations suffisantes pour assurer leur propre protection10.
10.5 S’agissant des personnes handicapées qui, du fait de leur incapacité ou pour des
raisons qui y sont liées, ont perdu temporairement leur revenu ou l
’ont vu diminuer ou se
sont vu refuser un emploi ou qui sont atteintes d’une incapacité permanente, les plans de
sécurité sociale et de maintien des revenus revêtent une importance particulière11.
Ils
doivent permettre à ces personnes de bénéficier d’un niveau de vie suffisant, de mener
une vie indépendante et d’être intégrées dans la collectivité, de façon digne
12. En outre,
l’aide fournie devrait aussi couvrir les membres de la famille et les autres prestataires
informels de soins
13.
10.6 Le Comité rappelle que le Pacte interdit toute discrimination, qu’elle soit de droit ou
de fait, directe ou indirecte, dont l’intention ou l’effet est de rendre impossible ou
d’entraver la jouissance ou l’exercice sur un pied d’égalité du droit à la sécurité sociale
14.
Conformément au paragraphe
1 de l’article 2 du Pacte, les États parties doivent adopter des
mesures concrètes, et les revoir régulièrement si nécessaire, au maximum de leurs
ressources disponibles, en vue de réaliser intégralement le droit de toutes les personnes sans
discrimination à la sécurité sociale
15.
La sécurité sociale et les personnes privées de liberté
dans un établissement pénitentiaire
11.1 Les personnes privées de liberté dans un établissement pénitentiaire jouissent des
droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le Pacte sans discrimination, sauf
pour ce qui est des limitations qui sont évidemment rendues nécessaires par leur
incarcération
16. Le Comité rappelle que chacun a certes droit à la sécurité sociale, mais que
les États parties devraient être spécialement attentifs aux individus et aux groupes qui de
tout temps éprouvent des difficultés à exercer ce droit, dont les détenus
17.
11.2 Le Comité rappelle également que le droit à la sécurité sociale comprend le droit de
ne pas être soumis à des restrictions arbitraires et déraisonnables du bénéfice du dispositif
de sécurité sociale existant, qu’il soit d’origine publique ou privée, ainsi que le droit de
jouir sur un pied d’égalité d’une protection adéquate contre les risques et aléas sociaux18.
9 Voir observation générale no 19 (2008), par. 59. Voir également la Déclaration du Comité sur les
socles de protection sociale : un élément essentiel du droit à la sécurité sociale et des objectifs de
développement durable (E/C.12/2015/1), par. 7 et 8.
10 Voir observation générale no 19 (2008), par. 50.
11 Voir observation générale no 5 (1994) du Comité sur les personnes souffrant d’un handicap, par. 28.
12 Ibid., par. 16. Voir également la Convention relative aux droits des personnes handicapées, en vigueur
pour l’État partie depuis le 3 mai 2008, en particulier l’article 28.
13 Voir observations générales no 5 (1994), par. 28 et no 19 (2008), par. 20.
14 Voir observation générale no 19 (2008), par. 29.
15 Observation générale no 19, par. 4.
16 Voir également le principe 5 des principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, adoptés et
proclamés par l’Assemblée générale dans sa résolution 45/111 du 14 décembre 1990.
17 Observation générale no 19, par. 31.
18 Observation générale no 19, par. 9.
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Les conditions d’admissibilité au bénéfice des prestations doivent être raisonnables,
proportionnées et transparentes. Le retrait, la réduction ou la suspension des prestations
devrait être limité, reposer sur des motifs raisonnables et faire l’objet de dispositions
législatives nationales19.
11.3 Compte tenu de ce qui précède, une prestation non contributive ne peut, en principe,
être retirée, réduite ou suspendue par suite de la privation de liberté du bénéficiaire, sauf si
la mesure est prévue par la loi, est raisonnable et proportionnée, et garantit au minimum un
niveau essentiel de prestations (voir
supra, par. 10.3). Le caractère raisonnable et
proportionné de la mesure doit être évalué cas par cas, compte tenu de la situation
personnelle du bénéficiaire. En conséquence, dans le cas des personnes privées de liberté,
la
réduction du montant d’une prestation non contributive peut être compatible avec le
Pacte si elle est prévue par la loi, et si les mêmes dépenses sont couvertes dans le cadre des
services fournis aux personnes privées de liberté dans le centre pénitentiaire.
Analyse de l’affaire
12.
Le Comité rappelle que sa tâche, en examinant une communication, se limite à
analyser si les faits décrits dans la communication dénotent une violation par l’État partie
des droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le Pacte. Le Comité estime qu’il
appartient en premier lieu aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les
éléments de preuve dans une affaire donnée, ainsi que la manière dont la législation
pertinente a été appliquée, et que son rôle consiste seulement à dire si l’appréciation des
éléments probants ou l’application du droit in
terne ont été manifestement arbitraires, ou ont
constitué un déni de justice qui a porté atteinte à un droit reconnu dans le Pacte
20.
Analyse des griefs faisant état d’une violation du droit à la sécurité sociale
13.1 Le Comité examinera en premier lieu si la réduction du montant de la prestation
d’invalidité non contributive de l’auteur, équivalente au coût de son entretien en prison (soit
une diminution de 301,55 à 147,71 euros par mois) constitue en soi une violation de
l’article 9 du Pacte. Le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels la
prestation ayant un caractère non contributif et étant à la charge de l’État, il y a lieu, lorsque
l’État verse concurremment des prestations qu’il prend également à sa charge, d’appliquer
une déduction pour en tenir compte ; et que la réduction de la prestation de l’auteur a été
effectuée conformément à la loi.
13.2 Comme on l’a vu précédemment, la diminution du montant d’une prestation non
contributive est compatible avec les obligations énoncées dans le Pacte, pour autant que la
mesure soit prévue par la loi et soit raisonnable et proportionnée (voir
supra, par. 11.2
et
11.3). Dans le cas de l’auteur, vu les articles 144 et suivants de la loi générale sur la
sécurité sociale, la diminution du montant de sa prestation d’invalidité non contributive est
due au fait qu’une partie des dépenses essentielles –
logement et alimentation auxquelles
correspondait le montant initial de la prestation sont couvertes par l’entretien auquel
pourvoit directement et gratuitement l’établissement pénitentiaire, et il apparaît donc
qu’elle est autorisée par les articles susmentionnés, conformément à l’interprétation
formulée par la juridiction suprême espagnole. Il s’agit donc d’une diminution autorisée par
la loi.
13.3 Cette diminution constitue en outre un moyen raisonnable d’atteindre un but
compatible avec le Pacte, à savoir la protection des ressources publiques, lesquelles sont
nécessaires à la réalisation des droits des personnes. Dans le cas particulier des prestations
19 Observation générale no 19, par. 24.
20 Voir communication no 2/2014, I. D. G. c. Espagne, décision adoptée le 17 juin 2015, par. 13.1.
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non contributives qui sont exclusivement à la charge de l’État et ne sont pas subordonnées à
des contributions préalables du bénéficiaire, les États parties ont une certaine latitude pour
disposer des ressources budgétaires de la meilleure façon possible, aux fins de garantir la
pleine effectivité des droits reconnus dans le Pacte et d’assurer, notamment, un système de
sécurité sociale qui offre à toutes les personnes et toutes les familles un niveau essentiel
minimum de prestations (voir
supra, par. 10.3). Le Comité estime donc raisonnable qu’afin
de répartir plus efficacement les ressources de l’État, une prestation non contributive puisse
être éventuellement réduite, si les besoins du bénéficiaire qui ont été pris en compte pour
déterminer le mon
tant de la prestation initiale changement. En l’espèce, les besoins de
l’auteur ont changé en raison de l’entretien dont il bénéficie dans l’établissement
pénitentiaire à la charge de l’État partie.

13.4 Enfin, le Comité constate qu’après la mesure en question, l’auteur a continué de
recevoir une pension non contributive de 147,71 euros, parallèlement à l’entretien dont il
bénéficie dans le centre pénitentiaire où il est incarcéré. L’État partie a donc remplacé la
prestation qu’il accordait en espèces lorsque l’auteur était en liberté par une prestation en
nature, à savoir la prise en charge de son entretien pendant la période de privation de
liberté. À cet égard, le Comité considère qu’un État partie n’a pas toute latitude pour
remplacer une prestation en espèces par une autre forme d’assistance. Dans certains cas, le
remplacement en lui-même ou le niveau de réduction de la prestation en espèces peut
constituer une violation du droit à la sécurité sociale, si cette mesure a un effet
disproportionné sur la p
ersonne. La compatibilité d’une telle mesure avec les obligations
énoncées dans le Pacte doit être évaluée cas par cas. En l’espèce, le Comité considère qu’il
n’est pas établi que le remplacement d’une partie de la prestation d’invalidité non
contributive en espèces par l’entretien assuré dans le centre pénitentiaire ait des effets
préjudiciables graves sur l’auteur. De fait, l’auteur n’a pas présenté d’éléments ou de
documents qui indiquent que la mesure en question soit disproportionnée parce qu’elle
aurait compromis la satisfaction des besoins essentiels auxquels la prestation non
contributive vise à répondre, pour lui ou pour les membres de sa famille (voir
supra,
par. 10.3) ; ou que cette mesure lui serait particulièrement préjudiciable en raison de son
handicap. En conséquence, vu les faits de la cause, le Comité estime que la plainte de
l’auteur et les renseignements présentés par ce dernier ne lui permettent pas de conclure que
la réduction du montant de la prestation non contributive de l’auteur constitue en soi une
violation de l’article
9 du Pacte.
Analyse des griefs concernant le traitement discriminatoire et la jouissance
du droit à la sécurité sociale
14.1 En deuxième lieu, le Comité examinera si la diminution du montant de la prestation
non contributive de l’auteur constitue un traitement discriminatoire en ce qui concerne son
droit à la sécurité sociale. À cet égard, le Comité rappelle que toute différence de traitement
n’est pas constitutive de discrimination, si les critères motivant la différenciation sont
raisonnables et objectifs et si l’on cherche à atteindre un but légitime au regard du Pacte
21.
Le Comité prend note de ce que l’auteur est une personne handicapée et qu’il est en outre
privé de liberté, ce qui l’expose davantage à la discrimination que le reste de la population
(voir supra, par. 10.5 et 11.1). Il s’ensuit que l’examen du Comité quant à la discrimination
dont l’auteur a pu faire l’objet doit obéir à de
s critères plus stricts.
14.2 Le Comité analyse tout d’abord les allégations de l’auteur selon lesquelles il n’aurait
pas été traité sur un pied d’égalité avec certaines personnes privées de liberté dont les
prestations non contributives n’auraient pas été réduites. En l’espèce, le Comité est d’avis
21 Voir l’observation générale no 20 (2009) sur la non-discrimination dans l’exercice des droits
économiques, sociaux et culturels (art. 2, par. 2, du Pacte), par. 13.
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que le critère de comparaison proposé par l’auteur paraît approprié dès lors qu’il s’agit,
dans le contexte de l’affaire examinée, de personnes dont la situation est sensiblement
identique à celle de l’auteur.
Certes, les décisions judiciaires et la documentation
communiquées par l’auteur paraissent témoigner d’une période pendant laquelle il y aurait
eu des décisions judiciaires contradictoires au sujet de l’interprétation et de l’application
des articles 144 et suivants et de la loi générale sur la sécurité sociale concernant la
méthode de calcul de la prestation non contributive en faveur des personnes privées de
liberté. Cependant, l’auteur n’a pas démontré, en se référant par exemple à des normes
juridiques ou à leur application, qu’il existe effectivement un traitement différencié lié au
calcul de la prestation non contributive des personnes privées de liberté dans d’autres
centres pénitentiaires d’autres communautés autonomes. Qui plus est, le jugement du
Tribunal suprême du 29 septembre 2010 a établi que la doctrine en la matière a été
harmonisée par ses jugements du 20 décembre 2000 et du 15 juillet 2008, qui autorisent la
déduction d’un certain montant correspondant aux frais d’entretien du montant des
prestations. L’auteur n’a pas prouvé qu’une différence de traitement soit apparue dans la
pratique entre les diverses communautés autonomes après lesdits jugements du Tribunal
suprême. En conséquence, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner si le traitement
inégal présumé entre les diverses communautés autonomes peut constituer une violation du
Pacte. Partant, le Comité estime que les éléments dont il dispose ne lui permettent pas de
conclure que la décision du Conseil par laquelle la prestation de l’auteur a été réduite
constitue un traitement inégalitaire par rapport aux autres personnes privées de liberté des
établissements pénitentiaires situés dans d’autres communautés autonomes.
14.3 Le Comité passe à l’examen des griefs de l’auteur faisant état d’un traitement
inégalitaire par rapport à d’autres personnes privées de liberté qui ne bénéficient pas d’une
prestation non contributive et qui reçoivent gratuitement des prestations d’entretien au
centre pénitentiaire. D’après l’auteur, il y aurait discrimi
nation dans la mesure où lui-même
paierait son propre entretien tandis que les autres détenus n’auraient pas à le faire.
14.4 Le Comité est d’avis que l’auteur part en l’espèce d’une prémisse erronée, qui
l’amène à établir un point de comparaison impropre.
L’auteur part du principe que la
prestation financière non contributive fait partie de ses revenus et constituerait un élément
de son patrimoine, de sorte que la réduction de ce revenu en contrepartie de son entretien
revient pour l’auteur à devoir « payer » l’entretien en question. Or, ce n’est pas le cas dans
la mesure où la prestation financière dont il bénéficie est non contributive et présente des
caractéristiques semblables à celles décrites au paragraphe 13.3 ci-dessus, et ne constitue
donc pas un r
evenu de l’auteur provenant de l’épargne de ses cotisations, comme dans le
cas d’une prestation contributive, mais lui a été accordée en raison de certains besoins qu’il
n’était pas en mesure de satisfaire par d’autres revenus ou prestations. Telle est la
raison
pour laquelle le montant de la prestation initiale peut être réduit
: l’auteur perçoit d’autres
revenus ou prestations qui lui permettent de satisfaire auxdits besoins. Il n’est donc pas
exact que l’auteur doive payer son propre entretien au centre
pénitentiaire tandis que
d’autres détenus n’auraient pas à le faire, étant donné que, dans son cas, le montant
correspondant à l’entretien est pris en considération, en tant que ressource ou que revenu,
pour calculer le montant de sa pension non contributive. La situation de l’auteur est
différente de celle de personnes privées de liberté qui ne sont pas bénéficiaires d’une
prestation non contributive. En conséquence, le Comité estime que les différences de
traitement dont l’auteur s’affirme victime ne constituent pas une violation des articles 2 et 9
du Pacte.
14.5 Le Comité examine en dernier lieu le grief de l’auteur selon lequel il aurait subi un
traitement discriminatoire par rapport aux personnes en liberté qui fréquentent des lieux
soutenus par les fon
ds publics où l’alimentation et parfois l’hébergement leur sont fournis
gratuitement, tels que les hôpitaux, les centres d’accueil et les centres de traitement de la
toxicomanie, sans que cela motive une réduction des prestations non contributives
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accordées par la sécurité sociale. Le Comité estime que l’auteur n’a présenté d’éléments
pertinents ni de documents qui indiquent qu’une telle différence de traitement existe en
pratique ; et que même si les cas invoqués par l’auteur étaient pertinents, il n’y aurait pas eu
de traitement discriminatoire à son égard.
14.6
Il existe certes des similitudes entre la situation de l’auteur et celle d’une personne
en liberté qui serait titulaire d’une pension non contributive et bénéficierait de prestations
d’alimentation et d’hébergement gratuites dans un établissement de soins publics, à titre
d’exemple un hôpital. Il s’agit dans les deux cas de personnes qui bénéficient d’une
prestation financière non contributive et reçoivent une autre prestation en nature de l’État,
et l’on pourrait donc en conclure que l’État doit accorder le même traitement pour les deux
situations : soit garder la prestation financière inchangée aux deux personnes, ou diminuer
celle-
ci proportionnellement. Le Comité estime cependant qu’en dépit de ces similitudes,
il
existe aussi entre les deux situations des différences sensibles qui justifient que l’État
puisse leur appliquer un traitement différent sans commettre de discrimination. Le Comité
est d’avis que la situation d’une personne privée de liberté en raison d’une condamnation
pénale est différente de celle des autres personnes mentionnées par l’auteur (telles qu’un
malade recevant des soins dans un hôpital ou une personne bénéficiant de repas dans un
centre d’accueil) au moins à deux égards.
14.7 En premier lieu, une personne condamnée est privée de liberté pour exécuter une
peine imposée par un organe judiciaire pendant une période déterminée, généralement de
quelques mois ou de quelques années. Cette personne a donc un statut juridique particulier.
Qui plus est, il est relativement aisé de déterminer le coût de son entretien, le caractère
suffisant de l
entretien assuré au centre pénitentiaire pour couvrir les besoins ou la partie
des besoins auxquels correspondait la prestation non contributive initiale, et la période
pendant laquelle l
entretien doit être accordé. À l’inverse, la situation des personnes en
liberté qui fréquentent les services publics mentionnés par l’auteur, hôpitaux ou centres de
soins notamment, est distincte de la situation d’une personne privée de liberté pour avoir
commis un délit, car ces personnes fréquentent en principe ces services de leur propre gré et
acceptent éventuellement de séjourner dans ces centres pour obtenir la protection de droits
essentiels, pour des périodes dont ils ne peuvent prévoir la durée mais qui sont souvent
courtes. Il est donc beaucoup plus incertain, en pareil cas, de parvenir à ce qu’une réduction
du montant de la prestation n’ait pas d’incidences sur la satisfaction des besoins pour
lesquels la prestation non contributive est prévue. Qui plus est, en raison du caractère
indéterminé et temporaire des services, il est très probable que la réduction intervienne
après que la personne bénéficiaire ait déjà quitté l’hôpital ou le centre de soins dans lequel
elle recevait la prestation.
14.8 En second lieu, même si les usagers bénéficient d’un hébergement et de repas dans
ces lieux, ces prestations ne doivent pas être entendues comme un service supplémentaire
ou autonome, mais comme un élément à part entière des services qui leur sont fournis par
l’État pour leur permettre de faire face à la situation de vulnérabilité dont ils sont victimes,
généralement de façon temporaire, et qui sont nécessaires pour garantir la protection de
droits essentiels comme le droit à la santé ou le droit à l’alimentation.
14.9 Partant, le Comité estime qu’il existe des similitudes entre la situation de l’auteur et
celle des personnes libres d’après les él
éments de comparaison présentés. Néanmoins,
compte tenu des différences importantes indiquées dans les paragraphes précédents, l’État
partie n’a pas l’obligation d’appliquer un traitement identique aux bénéficiaires de pensions
non contributives qui sont privés de liberté et aux personnes libres qui fréquentent des
hôpitaux, des centres de soins ou des centres d’accueil. Partant, les différences qui sont
alléguées par l’auteur, même si elles étaient avérées, ne constituent pas un traitement
discriminatoire eu égard aux articles 2 et 9 du Pacte.
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C. Conclusion
15.
Compte tenu des éléments de fait et de droit qui précèdent, le Comité, agissant en
vertu du paragraphe
1 de l’article 9 du Protocole facultatif, estime que la diminution du
montant de la prestation
d’invalidité non contributive de l’auteur ne constitue pas une
violation des droits reconnus à l’auteur en vertu des articles 2 et 9 du Pacte.
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Annexe 6
Nations Unies
Conseil économique et social
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Distr. générale
13 octobre 2015
Français
Original : espagnol
Comité des droits économiques, sociaux et culturels
Communication no 2/2014
Constatations adoptées par le Comité à sa cinquante-cinquième
session (1er-9 juin 2015)
Objet :
Question(s) de fond :
Absence d’accès effectif aux tribunaux en
vue de protéger le droit à un logement
suffisant

Mesures prises pour assurer le plein exercice
des droits reconnus dans le Pacte, droit à un
logement suffisant

Question(s) de procédure :
Compétence ratione temporis du Comité
Article(s) du Pacte :
2 (par. 1) et 11 (par. 1)
Article(s) du Protocole
facultatif
:
3 (par. 2 b))
GE.15-17368 (F) 231015 101115
*1517368*
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Annexe
Constatations du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels au titre du Protocole facultatif
se rapportant au Pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels
(cinquante-cinquième session)
concernant la
Communication no 2/2014
Présentée par :
Au nom de :
État partie :
I. D. G. (représentée par deux conseils,
Fernando Ron et Fernando Morales)
L’auteure
Espagne
Date de la communication :
28 janvier 2014 (date de réception par le Comité)
Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (ci-après le Comité),
institué en vertu de la résolution n o 1985/17 du Conseil économique et social,
Réuni le 17 juin 2015,
Ayant achevé l’examen de la communication no 2/2014 présentée en vertu du
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (ci
-après le Protocole),
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 1 de l’article 9
du Protocole facultatif
1.1 L’auteure de la communication est M me I. D. G., de nationalité espagnole, née le
28
juin 1965. Elle se déclare victime d’une violation par l’État partie des droits que lui
confèrent l’article
11 et le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels
1. L’auteure est représentée par un conseil.
1.2 Dans les présentes constatations, le Comité résume d’abord les renseignements
fournis et les arguments avancés par les parties. Il examine ensuite les questions de
recevabilité et de fond qui se posent dans la communication puis formule des
conclusions et des recommandations.

A. Résumé des renseignements fournis et des arguments
avancés par les parties
Rappel des faits présentés par l’auteure
2.1 L’auteure vit à Madrid. Le 15 juin 2007, elle a acheté un logement avec une
grande partie de ses économies et au moyen d’un prêt bancaire assorti d’une garantie
hypothécaire. D’après elle, la valeur de ce logement a été estimée, aux fins de sa mise
aux enchères, à 742
890,68 euros.
__________________
1 Le Protocole est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013.
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2.2 Du fait de la grave crise économique dans l’État partie et pour raisons
personnelles
2, l’auteure n’a pas honoré plusieurs échéances de remboursement de
l’emprunt hypothécaire qui représentent un total d’environ 11
000 euros. Elle fait
valoir que la banque (l’entité créancière) n’a pas accepté de négocier.

2.3 L’entité créancière a engagé la liquidation de la totalité de l’emprunt et lancé une
procédure spéciale de saisie de biens hypothéqués auprès de la chambre n
o 31 du
tribunal de première instance de Madrid (ci
-après le tribunal) en vue de mettre son
logement aux enchères. Le 21 juin 2012, le tribunal a engagé la procédure de saisie
hypothécaire pour un remboursement de principal de 381
153,66 euros, d’intérêts
ordinaires de 5
725,80 euros et d’intérêts moratoires de 856,77 euros.
2.4 Sur ordre du tribunal, les 6, 27 et 28 septembre 2012, le Service commun des
notifications et des saisies de Madrid a tenté de notifier à l’aut eure la demande et
l’avis de saisie hypothécaire à l’adresse du bien hypothéqué, indiquée par l’auteure
dans les documents du prêt. L’agent notificateur n’y a pas trouvé l’auteure. À la
troisième tentative, il a indiqué par écrit que «
personne ne répondait ni n’ouvrait bien
qu’il ait sonné à plusieurs reprises au domicile indiqué de l’intéressée
» et a ajouté la
note suivante
: « Après avoir vérifié que le nom de la débitrice figurait sur la boîte aux
lettres, je suis entré dans l’immeuble, j’ai sonné à la porte de l’appartement mais n’ai
pas obtenu de réponse. Le concierge affirme qu’il travaille depuis peu dans cet
immeuble, que l’intéressée figure sur la liste des personnes qui y habitent mais qu’il
ne la connaît pas car il arrête son service à 18 heures
»3. Enfin, le 4 octobre 2012, à
21
h 24, un agent s’est de nouveau présenté chez l’auteure, sans succès. L’auteure fait
valoir qu’elle ne se trouvait pas chez elle chaque fois qu’un agent est venu lui remettre
l’avis de saisie.

2.5 Le 30 octobre 2012, le tribunal a décidé qu’un avis serait apposé sur le panneau
d’affichage des annonces légales du tribunal afin de notifier l’avis et la procédure de
saisie. L’auteure fait valoir que la publication de cet avis n’a fait l’objet d’aucune
publicité à l’extérieur du tribunal, ni dans un organe de presse officiel ni au Journal
officiel. Elle indique que le tribunal ne la trouvant pas à son domicile habituel aurait
dû remettre l’avis au concierge, qui était présent dans son immeuble les 6 et
28
septembre 2012, ou à un voisin. Par conséquent, le tribunal ne lui a pas notifié
l’ouverture de la procédure d’une manière qui lui permettait de se défendre.

2.6 Le 11 février 2013, le tribunal a ordonné la mise aux enchères du logement
hypothéqué. Les 1
er et 21 mars 2013, le Service commun des notifications et des
saisies de Madrid a tenté, sans succès, de notifier à l’auteure cette mise aux enchères,
à l’adresse du bien hypothéqué. À la seconde tentative, l’agent notificateur a consigné
qu’il avait «
laissé un avis de retrait à la poste avant le 5 avril 2013 »4. Le 4 avril
2013, l’auteure, par le biais d’un mandataire, a fini par retirer l’avis. L’auteure affirme
que ce n’est qu’à ce moment
-là qu’elle a pris connaissance de la procédure de saisie
hypothécaire et de la mise aux enchères de son logement.

2.7 Le 10 ou le 11 avril 2013, l’auteure a formé un recours en rétractation auprès du
tribunal concernant son ordonnance du 11
février 2013, dont elle a demandé la nullité,
ainsi que celle de l’ensemble de la procédure de saisie hypothécaire jusqu’au moment
de la citation, puisque la demande de saisie hypothécaire ne lui avait pas été notifiée
aux différentes adresses dont l’entité créancière avait connaissance, notamment le
__________________
2 L’auteure apporte pour preuve ses déclarations d’impôt (pour personnes physiques) pour les exercices 2011
et 2012 dans lesquelles il apparaît que le total de ses revenus imposables s’élevait respectivement à
4
406 euros et à 22 741,86 euros.
3 La copie des actes du Service commun des notifications et des saisies de Madrid du 6, du 27 et
du 28 septembre 2012, fournie par l’auteure, corrobore ses allégations.
4 La copie des actes du Service commun des notifications et des saisies de Madrid du 1 er et du
21 mars 2013, fournie par l’auteure, corrobore ses allégations.
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domicile d’un proche ou son lieu de travail, contrevenant notamment ainsi à l’exercice
des droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif. L’auteure a fait
valoir que, d’après les articles
156 et 164 du Code procédure civile et la jurisprudence
du Tribunal constitutionnel et du Tribunal suprême, la notification par voie d’affichage
ne peut être employée qu’une fois que tous les moyens de notification à personne et de
localisation du défendeur à d’autres adresses ont été épuisés.

2.8 Le 23 avril 2013, le tribunal a rejeté le recours de l’auteure. Dans sa décision, il
a indiqué que le commandement de payer devait être délivré au domicile fixé par les
parties, qu’il s’agisse du domicile initialement établi ou d’un autre établi par la suite,
conformément à l’article
683 du Code de procédure civile. D’après le tribunal,
«
depuis la révision de l’article 686 3) du Code de procédure civile, dans le cadre des
procédures simplifiées de saisie hypothécaire, les tribunaux passent directement à la
notification par voie d’affichage
» sans qu’il soit nécessaire de notifier
le
commandement de payer sur le lieu de travail ou à toute autre adresse du défendeur.
Dans le cas de l’auteure, le tribunal a indiqué que le Service commun des notifications
et des saisies de Madrid avait dûment tenté de lui re mettre l’avis à trois reprises, dont
deux fois l’après
-midi, puisque le concierge de l’immeuble avait laissé entendre
qu’elle se trouvait chez elle plutôt à ce moment
-là. Par ailleurs, le tribunal a indiqué
qu’il n’était pas compétent pour examiner la nullité de la décision du 11
février 2013,
en vertu des articles 5 et 562, paragraphe 2, du Code de procédure civile et de
l’article
455 de la loi organique du pouvoir judiciaire.
2.9 Le 23 mai 2013, l’auteure a formé un recours en amparo auprès du Tribunal
constitutionnel et affirmé que la décision du tribunal, qui avait rejeté son recours en
rétractation, contrevenait à l’exercice des droits de la défense et au droit à un recours
juridictionnel effectif que prévoient les articles
24 et 25 de la Constitution de l’État
partie, et que le tribunal ne suivait pas la jurisprudence du Tribunal constitutionnel.
L’auteure a fait valoir que le tribunal ne lui avait pas notifié la demande de saisie
hypothécaire, ni l’ouverture de la procédure ni tout autre acte antérieur à l’ordonnance
de mise aux enchères, et qu’il n’avait pas épuisé tous les moyens existants pour lui
remettre la notification, comme le prévoient les articles
155, 156 et 683 du Code de
procédure civile.

2.10 Le 16 octobre 2013, le Tribunal constitutionnel a débouté l’auteure de son
recours du fait de «
l’absence manifeste de violation d’un droit fondamental protégé
par l’
amparo », conformément aux articles 44, paragraphe 1, et 50, paragraphe 1 a), de
la loi organique du Tribunal constitutionnel.

Teneur de la plainte
3.1 L’auteure affirme que l’État partie a enfreint son droit à un logement suffisant
consacré par le paragraphe
1 de l’article 11 du Pacte.
3.2 L’auteure souligne que son cas se produit dans un contexte de grave crise sociale
dans l’État partie où plus de 400 000 expulsions et saisies hypothécaires ont eu lieu
entre 2007 et la date de la présentation de la communication au Comité.
3.3 L’auteure fait valoir que, à la lumière des droits garantis par le Pacte, les
autorités judiciaires doivent veiller à la notification des décisions et actes judiciaires.
Toutefois, dans son cas, le tribunal, n’ayant pu lui notifier en personne la décision à
son domicile, a directement procédé à la notification par voie d’affichage, sans
recourir aux autres formes ou moyens de notification prévus par le Code de procédure
civile. Du fait du défaut de diligence du tribunal, ni la demande de saisie hypothécaire
déposée par l’entité créancière, ni l’ouverture de la procédure, ni tout autre acte
antérieur à la mise aux enchères ne lui ont été notifiés. L’auteure affirme que, dans la
pratique, l’absence de notification l’a empêchée de donner juridiquement suite à la
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demande de saisie hypothécaire et de faire valoir son droit au logement devant les
tribunaux puisqu’elle n’a pris connaissance de l’existence de la procédure qu’une fois
que le tribunal eut ordonné la mise aux enchères de son logement. N’ayant pas pu
déposer de recours juridictionnel effectif en temps utile, l’auteure prétend être privée
de moyens de défense et plongée dans l’incertitude et l’angoisse, ce qui a de graves
répercussions sur sa santé.

3.4 D’après l’auteure, l’absence d’accès effectif aux tribunaux de l’État partie l’a
empêchée de contester auprès d’eux le caractère abusif des clauses contra ctuelles
5 et
de s’opposer par exemple à la façon dont l’entité créancière avait calculé les intérêts
qu’elle devait payer.

la
législation qui régit
3.5 L’auteure affirme que
les procédures de saisie
hypothécaire ne protège pas suffisamment le droit des personnes de défendre
véritablement leur logement devant les tribunaux. En pareil cas, les personnes
concernées apprennent souvent que les créanciers ont déposé une demande de saisie
hypothécaire au moment de leur éviction ou expulsion. En outre, les règle s de
procédure de l’État partie interdisent au juge saisi de prendre des mesures
conservatoires garantissant la pleine efficacité de sa décision finale, par exemple en
cas de clauses contractuelles abusives. À cet égard, se référant au paragraphe
1 de
l’article
2 du Pacte, l’auteure fait valoir que l’État partie n’a pas adopté les mesures
législatives nécessaires pour assurer le plein exercice du droit au logement, consacré
au paragraphe
1 de l’article 11 du Pacte.
3.6 Comme mesures de réparation, l’auteure prie le Comité de demander à l’État
partie de revenir au stade précédant les actes de procédure concernant la saisie
hypothécaire de son logement, à savoir au moment de la première notification de la
demande de saisie hypothécaire afin de garantir véritablement son droit au logement et
de lui permettre de défendre son droit devant les juridictions ordinaires ou alors, de lui
verser 250
000 euros au titre du préjudice moral subi. Par ailleurs, elle demande que
l’État partie adopte les mesures législatives nécessaires pour garantir les droits
consacrés par le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Le 13 octobre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et
sur le fond de la communication. S’agissant des faits qui y sont exposés, l’État partie
dit que, bien que l’auteure affirme au Comité que le logement en question constitue
son domicile, dans le recours en rétractation qu’elle a formé le 10
avril 2013, elle a
fait valoir que le tribunal aurait dû lui remettre la notification non seulement à
l’adresse du logement hypothéqué, qu’elle avait elle
-même indiquée dans les
documents du prêt, mais aussi à un autre domicile familial ou, à défaut, sur son lieu de
travail, dont l’entité créancière connaissait, d’après elle, les adresses.

4.2 L’État partie indique que, dans l’avis de saisie hypothécaire du 21 juin 2012, le
tribunal a indiqué à la débitrice qu’elle pouvait s’opposer à cette saisie en faisant
valoir les motifs mentionnés à l’article 695 du Code de procédure civile. Cette
procédure n’empêche pas le débiteur concerné de saisir les tribunaux ordinaires non
administratifs sur des questions relatives à la défense de ses droits et intérêts. L’État
partie ajoute que le Tribunal constitutionnel a conclu que la procédure de saisie
hypothécaire et plus précisément les articles
695 et 698 du Code de procédure civile
n’affectent pas le droit à un recours juridictionnel effectif en ce qui concerne l’égalité
des parties au cours de la procédure et le droit à un logement digne et suffisant pour
__________________
5 L’auteure mentionne l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (première chambre)
du
14 mars 2013 dans l’affaire C-415/11, Mohamed Aziz c. Caixa d’Estalvis de Catalunya,
Tarragona
i Manresa (Catalunyacaixa).
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autant que la décision prise dans le cadre de cette procédure n’a pas force de chose
jugée et que la voie de la procédure ordinaire reste ouverte
6.
4.3 L’État partie indique que la décision du tribunal a été notifiée au domicile que
l’auteure a indiqué dans les documents du prêt. Conformément aux articles
682, 683
et
686 du Code de procédure civile, le commandement de payer, acte qui enclenche la
procédure de saisie hypothécaire, et les notifications sont remis au domicil e
volontairement indiqué par le débiteur. Ils ne sont donc pas délivrés à une adresse
fixée de manière arbitraire par le créancier ou l’autorité judiciaire. Cela est
indispensable au bon fonctionnement de la procédure car il serait impossible
d’imposer au créancier la charge de vérifier l’adresse de domicile du débiteur.

4.4 Selon l’État partie, ce n’est qu’après plusieurs tentatives infructueuses de
notification à l’auteure que le tribunal a décidé de notifier la saisie hypothécaire par
voie d’affichage, conformément au paragraphe
3 de l’article 686 du Code de
procédure civile. Cette forme de
notification est conforme aux exigences du droit à un
recours juridictionnel effectif. Une
fois affichée la notification de la procédure de
saisie hypothécaire, conformément à l’article
691 du Code de procédure civile, il a été
procédé à la mise aux enchères du bien hypothéqué par l’ordonnance du 11 février
2013, dont le mandataire de l’auteure a recueilli l’avis le 4 avril 2013, après deux
tentatives infructueuses de notification à l’adresse que l’auteure avait indiquée.

4.5 L’État partie indique que l’auteure a uniquement formé un recours en rétractation
contre la décision du 11
février 2013 dans laquelle le tribunal ordonnait la mise aux
enchères du logement hypothéqué et que cette forme de recours permet d’examiner la
légalité de la décision contestée mais pas de l’annuler au motif de violation de droits
fondamentaux. Il ajoute que l’auteure n’a pas introduit de demande incidente
d’annulation des actes de procédure, voie à suivre pour obtenir l’annulation des actes
qui risquent de porter atteinte à des droits fondamentaux. C’est pour cela que le
Tribunal constitutionnel n’a pas pu, par la suite, examiner si la notification par voie
d’affichage avait violé un droit fondamental et statuer sur la nullité de cet acte.

4.6 L’État partie indique que, l’auteure ayant épuisé les recours internes, l’objet de la
communication est la notification soi
-disant indue de la procédure de saisie
hypothécaire, et qu’il ne saurait porter sur d’autres questions ou circonstances
relatives à cette procédure ou à la saisie hypothécaire.

4.7 L’État partie indique que, au moment où il présente ses observations, aucune
expulsion n’a eu lieu, que le logement hypothéqué où vit l’auteure n’a pas été saisi ni
mis aux enchères, et que l’auteure a présenté au tribunal une demande de suspension
de la procédure d’enchères au motif de la nullité de certaines clauses du contrat de
prêt hypothécaire. Le 4 octobre 2013, le tribunal a en partie fait droit à cet te demande
incidente en déclarant la nullité de la sixième clause du contrat ( «
intérêts
moratoires
»).
la protection des débiteurs hypothécaires, à faciliter
4.8 Afin de garantir la réalisation du droit consacré au paragraphe 1 de l’article 11
du Pacte, l’État partie a promulgué la loi n o 1/2013 du 14 mai relative aux mesures
visant à renforcer
la
restructuration de la dette et à favoriser l’accès au logement social, ainsi que le décret
-
loi royal no 27/2012 du 15 novembre relatif aux mesures d’urgence visant à mieux
protéger les débiteurs hypothécaires. Par ailleurs, l’État partie estime que la procédure
de saisie hypothécaire réglementée par le Code de procédure civile respecte
strictement les exigences découlant du droit à un recours juridictionnel effect if. Il
souligne en particulier qu’il incombe au débiteur d’indiquer un domicile où les
décisions et actes peuvent lui être notifiés, qu’il peut le modifier en tout temps, que
__________________
6 L’État partie se réfère à l’ordonnance du Tribunal constitutionnel TC 112/2011 du 19 juillet 2011.
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plusieurs tentatives de notification à personne doivent être effectuées avant qu’ il ne
soit procédé à titre exceptionnel, si la notification à personne est impossible, à une
notification par voie d’affichage, qu’à tout moment un débiteur peut saisir une
juridiction de jugement en invoquant tout point concernant la défense de ses droits et
intérêts, que la procédure peut être suspendue et la nullité des clauses abusives du
contrat de prêt hypothécaire demandée et que, à tout moment de la procédure,
l’intéressé peut introduire une demande incidente d’annulation des actes de procédure
s’il estime que le droit à un recours juridictionnel effectif a été enfreint au cours de la
procédure de saisie.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie
concernant la recevabilité et le fond
5.1 Par un courrier daté du 10 décembre 2014, l’auteure a présenté ses commentaires
sur les observations de l’État partie. Elle conteste les arguments selon lesquels elle
possède un autre bien immobilier et ne vit pas dans la résidence en question et elle
joint des documents attestant que le logement hypothéqué en question est bien son
domicile habituel
7 et le lieu où elle vit. Elle fait valoir que l’État partie a accès à
différents registres publics et archives, comme le registre d’état civil, celui du fisc et
les registres des habitants de chaque municipalité, mais qu’il conteste les faits sans
apporter de preuve ni de justificatif. Elle ajoute que, divorcée et sans enfants, elle vit
seule dans le logement hypothéqué et que, lorsqu’elle a indiqué, dans le recours
qu’elle a formé, que la notification aurait pu lui être remise au domicile d’un proche,
elle se référait au domicile de sa mère, dont l’entité créancière connaissait l’adresse.

5.2 L’auteure souligne que sa communication pour violation du paragraphe 1 de
l’article
11 du Pacte vient du fait qu’elle n’a pas été notifiée de la demande de saisie
hypothécaire et du déclenchement de la procédure, ce qui l’a empêchée de défendre
son droit au logement auprès des tribunaux.

5.3 D’après l’auteure, le paragraphe 3 de l’article 686 du Code de procédure civile
autorise la notification par voie d’affichage uniquement lorsqu’il a été au préalable
impossible de notifier le débiteur. En outre, d’après les règles de procédure de l’État
partie et la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, en règle général e, il n’est
procédé à la notification par voie d’affichage que lorsque tous les autres moyens
possibles de notification à personne ont été épuisés, et qu’au moins un avis de passage
a été déposé dans la boîte aux lettres de l’intéressé
8.
5.4 L’auteure souligne que le tribunal n’a pas agi de la sorte lorsqu’il lui a notifié la
mise aux enchères du bien hypothéqué puisque, après deux tentatives infructueuses de
notification à personne, un avis a été déposé afin qu’elle en soit informée.

5.5 L’auteure fait valoir que les recours qu’elle a formés permettaient au tribunal
d’examiner la violation de ses droits fondamentaux au motif de la notification par voie
d’affichage et de remédier à cette situation. Elle affirme également que, conformément
à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, la demande incidente d’annulation de la
décision de mise aux enchères mentionnée par l’État partie ne constitue pas un recours
nécessaire et adapté qu’elle devait former avant de pouvoir saisir en
amparo le
Tribunal constitutionnel
9.
__________________
7 L’auteure a joint un certificat d’inscription au registre des habitants, daté du 14 novembre 2014,
délivré par la mairie de Madrid et copie de la taxe foncière et du reçu de la taxe d’enlèvement des
ordures ménagères, de la mairie de Madrid de
2014, établis par le Bureau des impôts de Madrid,
sur
lesquels l’adresse du logement hypothéqué figure en tant que domicile de l’auteure.
8 L’auteure se réfère au paragraphe 4 des considérants de l’arrêt du Tribunal constitutionnel no 59/2014
du 5 mai 2014.
9 L’auteure mentionne l’arrêt no 216/2013 du Tribunal constitutionnel du 19 décembre 2013.
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5.6 L’auteure estime que les références de l’État partie à la modification de son ordre
juridique en vue de renforcer la protection des débiteurs hypothécaires ne sont pas
pertinentes en l’espèce.

Intervention de tiers
6.1 Le paragraphe 3 de l’article 8 du Protocole facultatif prévoit que, dans le cadre
des règles relatives à l’examen des communications et sur autorisation préalable du
Comité, des tiers peuvent fournir des documents pertinents pour l’étude d’un cas.
Cette documentation doit être communiquée aux parties intéressées. Le 4
février 2015,
le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a autorisé
l’organisation non gouvernementale (ONG) International Network for Economic,
Social and Cultural Rights
10 à communiquer des documents, conformément à
l’article
8 du Protocole et au point 14 du règlement intérieur provisoire du Comité
relatif au Protocole facultatif. Le 26 février 2015, le Comité a transmis la contribution
de l’International Network for Economic, Social and Cultural Rights du 24
février
2015 à l’État partie et à l’auteure, en leur demandant de lui faire part de leurs
observations et commentaires.

6.2 L’ONG indique que, en matière de logement, l’État partie connaît une situation
générale difficile et préoccupante du fait de la récession économique et du fort taux de
chômage et que, entre 2008 et 2010, quelque 400
000 saisies hypothécaires ont été
effectuées
11. Elle indique aussi que la Cour de justice de l’Union européenne a conclu
que la loi espagnole offrait une protection «
incomplète et insuffisante » aux
détenteurs d’hypothèques, en particulier lorsque le bien hypothéqué était le domicile
familial
12. Selon elle, les mesures législatives adoptées par l’État partie, tels le décret -
loi royal no 6/2012 et la loi no 4/2013, ne permettent pas de répondre à l’urgence
sociale liée aux saisies hypothécaires car le cadre juridique espagnol continue de
favoriser les entités financières au détriment des intérêts des personnes touchées.

6.3 L’ONG précise que, compte tenu des droits consacrés par le Pacte, une expulsion
ne peut être exécutée que dans des circonstances exceptionnelles, après examen de
toutes les autres possibilités notamment des autres moyens de s’acquitter de la dette,
en consultation avec la ou les personne(s) concernée(s), dans le cadre d’une procédure
régulière permettant notamment de former un recours effectif et octroyant un délai de
préavis suffisant et raisonnable, et s’il est certain que l’expulsion ne privera pas la
__________________
10 Les membres de l’ONG qui ont participé à l’élaboration de cette contribution sont le Center
for Economic and Social Rights, la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights
et le Socio-Economic Rights Institute of South Africa.
11 L’ONG indique qu’il s’agit d’une estimation fondée sur des données partielles publiées par le
pouvoir judiciaire espagnol et elle renvoie aux sources suivantes : Journal d’informations statistiques
du Conseil général du pouvoir judiciaire no 31 de septembre 2012, intitulé « Estimación del
incremento de carga de los órganos judiciales atribuible a la crisis económica
» (Estimation de la
hausse de la charge pesant sur les organes judiciaires du fait de la crise économique) et «
Ejecuciones
hipotecarias presentadas al Tribunal Superior de justicia, impacto de la crisis en los órganos del
poder judicial
» (Demandes de saisies hypothécaires auprès du Tribunal supérieur de justice, effets
de la crise sur les organes du pouvoir judiciaire), du Conseil général du pouvoir judiciaire, Madrid
2013, dans
Emergencia habitacional en el estado español. La crisis de las ejecuciones hipotecarias
y
los desalojos desde una perspectiva de derechos humanos (Urgence en matière de logement en
Espagne. La crise des saisies hypothécaires et des expulsions du point de vue des droits de
l’homme), de l’Observatori DESC et Plataforma de los afectados por la hipoteca
(Plateforme des
victimes des hypothèques), 2013, p.
12, note 17.
12 L’ONG se réfère à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire
Mohamed Aziz c. Catalunya Caixa (note 5 supra), par. 60 et 61.
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personne concernée de logement ou ne l’exposera pas à une violation d’autres droits
de l’homme
13.
6.4 L’État partie doit assurer la plus grande sécurité de tenure et notamment prévoir
un contrôle judiciaire adapté. En ce sens, l’ONG indique qu’il est indispensable
d’assurer un contrôle judiciaire de la procédure de saisie hypothécaire et que les
créanciers qui souhaitent recouvrer une créance liée à des titres hypothécaires doivent
démontrer à l’autorité judiciaire l’intérêt justifiant la vente du logement d’une
personne, compte tenu de toutes les circonstances de chaque cas
14. L’organe judiciaire
doit examiner non seulement la légalité de l’expulsion au regard du droit interne mais
également les arguments de fond concernant la proportionnalité et la nécessité de la
mesure
15.
6.5 D’après l’ONG, l’État partie doit fournir un préavis suffisant et raisonnable à
l’intéressé avant la date d’expulsion prévue
16. S’agissant de la notification des
citations, les tribunaux sud
-africains ont reconnu que, lorsque les débiteurs ne
s’opposaient pas à des procédures de saisie ou qu’ils négociaient au sujet d’éléments
concernant la notification avant l’introduction de l’instance, il convenait de garantir
strictement le contrôle judiciaire, et en particulier de s’assurer que la notification de
citation avait été dûment effectuée
17.
Commentaires de l’auteure sur l’intervention de tiers
7.
Par un courrier daté du 12 mars 2015, l’auteure a présenté au Comité ses
commentaires sur l’intervention de tiers. Elle maintient que le droit de recevoir un e
notification avant une expulsion fait partie des garanties judiciaires qui doivent être
respectées. Elle réitère que son droit à un recours juridictionnel n’a pas été respecté et
que, par conséquent, elle n’a pas pu prendre part à la procédure et défendr e comme il
convenait son droit au logement auprès des tribunaux en l’absence de notification de
__________________
13 L’ONG se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme Connors
c. Royaume-Uni, no 66746/01, par. 81, 2004-I; Winterstein et autres c. France, no 27013/07, par. 76,
2013;
McCann c. Royaume-Uni, no 19009/04, par. 53, 2008; Stankova c. Slovaquie, no 7205/02,
par.
60, 2007-IV; et Yordanova et autres c. Bulgarie, no 25446/06, par. 133, 2012; à la jurisprudence
du Tribunal constitutionnel sud
-africain dans l’affaire Gundwana v Steko Development CC and
others
, 2011 (3) SA 608 (CC) (Gundwana); et à la jurisprudence de la Haute Cour de Pretoria
(Afrique du Sud) dans l’affaire
First Rand Bank v Folscher, 2011 (4) SA 314 (GNP), par. 40.
Elle
renvoie aussi aux conclusions formulées en 2011 par le Comité européen des droits sociaux
concernant Andorre (document 2011/def/AND/31/2/EN), le Portugal (2011/def/PRT/31/2/EN),
la
Roumanie (2011/def/ROU/16/EN) et l’Ukraine (2011/def/ROU/16/EN).
14 L’ONG indique par exemple que, en vertu de l’article 26 3) de la Constitution sud-africaine, les
tribunaux sud-africains doivent exercer un contrôle judiciaire sur les saisies bancaires et les saisies
spéciales de logements résidentiels. Elle mentionne la décision du Tribunal constitutionnel
sud
-africain dans l’affaire Gundwana, ibid., par. 41, ainsi que dans l’affaire Folscher, ibid., par. 41,
dans laquelle la Haute Cour de Pretoria a établi une liste non exhaustive de 19
facteurs qu’un
tribunal peut examiner au moment de décider s’il autorise ou non une saisie hypothécaire afin de
garantir la
sécurité de tenure, y compris si le débiteur a été informé avant l’engagement de la
procédure.

15 L’ONG se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires
Orlic c. Croatie, no 48822/07, par. 65, 2011, et Winterstein et autres c. France, voir note ci-dessus,
par. 82.

16 L’ONG se réfère à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel sud-africain dans les affaires
Kubyana v. Standard Bank of South Africa Ltd, 2014 (3) SA 56 (CC) (Kubyana); et Sebola and
Another v.
Standard Bank of South Africa Ltd and Another, 2012 (5) SA 142 (CC) (Sebola), par. 75
et
77.
17 L’ONG se réfère aux affaires ABSA Bank Ltd c. Lekuku (32700/2013) [2014] ZAGPJHC 244
(14 octobre 2014) (Lekuku), par. 39 et Master of the High Court Northern Gauteng High Court,
Pretoria c. Motala NO et autres
, 2012 (3) SA 325 (SCA), par. 11 et 12.
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la demande de saisie hypothécaire déposée par l’entité créancière et du déclenchement
de la procédure par le tribunal.

Observations de l’État partie sur l’intervention de tiers
8.1 Le 19 mars 2015, l’État partie a présenté ses observations sur l’intervention de
l’ONG. Il maintient que l’auteure a eu accès à tous les recours et qu’elle a bénéficié de
toutes les garanties de procédure.

8.2 L’État partie affirme que la loi no 1/2013 et le décret-loi royal no 27/2012 visant
à protéger les débiteurs hypothécaires contiennent un extraordinaire système de
protection qui permet entre autres à l’ancien propriétaire de rester, après l’expulsion,
dans son logement pendant deux ans en tant que locataire, et d’obtenir des allocations
de logement. De
même, il réaffirme que la procédure de saisie hypothécaire régie par
le Code de procédure civile respecte scrupuleusement les exigences découlant du droit
à un recours juridictionnel effectif.

8.3 L’État partie souligne que l’auteure a toujours la jouissance de son logement et
que ses droits ne sont pas violés. Par ailleurs, par décision du tribunal du 25
avril
2013, la procédure de saisie hypothécaire a été suspendue afin d’étudier l’éventuel
caractère abusif de la clause du contrat de prêt hypothécaire qui fixe les intérêts
moratoires, ainsi que le taux de l’intérêt légal.

8.4 L’État partie affirme que les notifications relatives à la procédure de saisie
hypothécaire ont été réalisées au domicile indiqué par l’auteure, qu’il a été tenté à
plusieurs reprises de lui remettre la notification, que, sur l’acte de notification du
28
septembre 2012, la factrice a indiqué qu’« après avoir vérifié que le nom de la
débitrice figurait sur la boîte aux lettres, elle était entrée dans l’immeuble, avait sonné
à la porte de l’appartement mais n’avait pas obtenu de réponse. Le concierge affirme
qu’il travaille ici depuis peu mais que l’intéressée
vit bien à cette adresse »18 et que,
par conséquent, on doit en déduire que l’auteure a volontairement refusé de recevoir
les notifications concernant la procédure de saisie hypothécaire.

B. Délibérations du Comité sur la recevabilité et sur le fond
Examen de la recevabilité
9.1 Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité
doit, conformément à l’article
9 de son règlement intérieur provisoire relatif au
Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable. Le
Comité
n’examinera que les communications répondant aux critères de recevabilité établis
dans le Protocole facultatif.

9.2 À la lumière des documents mis à sa disposition par les parties en vertu du
paragraphe 1 de l’article 8 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même
question n’a pas déjà fait l’objet ni fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre
procédure d’enquête ou de règlement au niveau international. Par conséquent, le
Comité estime qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la présente
communication, conformément au paragraphe 2
c) de l’article 3 du Protocole
facultatif.

__________________
18 Italiques de l’État partie. Le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun document étayant ses
propos et qu’il n’a pas expressément contesté l’authenticité de la copie des actes de notification du
Service commun des notifications et des saisies de Madrid (voir notes 3 et 4
supra).
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9.3 En vertu du paragraphe 2 b) de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité ne
peut examiner les violations présumées du Pacte qui portent sur des faits antérieurs à
la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État Partie intéressé, à
moins que ces faits ne persistent après cette date. En l’espèce, le Comité constate
qu’une partie des faits ayant donné lieu aux violations alléguées par l’auteure s’est
produite avant le 5
mai 2013, date à laquelle le Protocole facultatif est entré en
vigueur pour l’État partie. Cependant, la décision du Tribunal constitutionnel qui a
rejeté le recours en
amparo de l’auteure a été rendue le 16 octobre 2013. À cette
occasion le Tribunal constitutionnel aurait pu examiner les allégations de violation des
droits fondamentaux de l’auteure en lien avec la présente communication, étant donné
que l’objet de ce recours n’était pas l’examen d’aspects purement formels ou d’erreurs
de droit mais bien l’éventuelle violation de droits fondamentaux de l’auteure en lien
avec la plainte faisant l’objet de la présente communication. Par conséquent, c’est à
cette date
-là que se serait produite l’éventuelle violation du droit de l’auteure. De ce
fait, le Comité estime qu’il est compétent
ratione temporis pour examiner la présente
communication
19.
9.4. Le Comité constate que l’État partie n’a présenté aucune objection quant à
l’épuisement des recours internes mentionné au paragraphe 1 de l’article 3 du
Protocole facultatif. Bien que l’État partie ait indiqué au Comité que, par la suite,
l’auteure avait déposé une requête au tribunal, conformément au paragraphe 3 de
l’article
695 du Code de procédure civile, qui a permis de suspendre la saisie
hypothécaire tandis qu’était analysée la nature éventuellement abusive d’une clause du
contrat de prêt, il n’a en revanche jamais demandé que la communication soit déclarée
irrecevable au motif d’un éventuel épuisement des recours internes.

9.5 Le Comité considère que si un État partie souhaite faire valoir ce motif
d’irrecevabilité, il doit le faire dès le début, de manière claire et en indiquant
précisément les recours −
suffisants et effectifs − qui auraient dû être épuisés, ce qui
n’est pas le cas ici. Le Comité comprend donc que, en ce qui concerne les allégations
de l’auteure, les recours prévus par la juridiction interne ont été épuisés après la
décision du Tribunal constitutionnel du 5 mai 2013.

9.6 L’auteure a présenté la communication au Comité le 28 janvier 2014, dans les
délais prévus au paragraphe 2
a) de l’article 3 du Protocole facultatif.
9.7 Le Comité considère que la communication remplit les critères de recevabilité
énoncés à l’article
3, en particulier au paragraphe 2 e), du Protocole facultatif. Il s’agit
d’une communication qui pose la question d’une éventuelle violation du droit de
l’auteure à un logement, du fait d’une notification de la procédure de saisie
hypothécaire qui n’aurait pas été correctement réalisée, ce qui l’aurait empêchée de se
défendre comme
la communication est
suffisamment étayée pour être examinée quant au fond.

il convenait. Le Comité estime que
Examen au fond
Faits et points de droit
10.1 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toute la
documentation qui lui a été soumise, conformément à l’article 8 du Protocole
facultatif.

10.2 L’auteure fait valoir que, suite au non-paiement de plusieurs échéances de
remboursement de l’emprunt hypothécaire contracté sur son logement habituel, en
2012, l’entité créancière a engagé une procédure de saisie hypothécaire à son encontre
__________________
19 Voir Comité des droits des personnes handicapées, communication no 5/2011, Jungelin c. Suède,
constatations adoptées le 2 octobre 2014, par. 7.6.
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dont elle n’a pas été dûment notifiée. Elle n’a donc pris connaissance de cette
procédure qu’une fois la mise aux enchères de son logement ordonnée. De ce fait, elle
estime que, dans la pratique, elle n’a pas pu exercer un recours juridictionnel effectif
en temps utile, ce qui l’a empêchée de donner juridiquement suite à la demande de
saisie hypothécaire et de faire valoir son droit au logement devant les tribunaux, et qui
l’a jusqu’à présent privée de moyens de défense et plongée dans l’incertitude et
l’angoisse.

10.3 L’État partie fait valoir que l’auteure, dans son recours en rétractation, a
mentionné un autre domicile familial, laissant entendre que le logement en question ne
serait pas son logement habituel, que le tribunal a procédé à la notification du
déclenchement de la procédure de saisie hypothécaire conformément à la loi au
domicile indiqué par l’auteure dans les documents du prêt, que ce n’est qu’après
plusieurs tentatives infructueuses de notification à personne que le tribunal a ordonné
la notification par voie d’affichage, conformément au paragraphe
3 de l’article 686 du
Code de procédure civile et que ce mode de notification est conforme aux exigences
du droit à un recours juridictionnel effectif. En
outre, l’État partie soutient que, lors
des formalités de notification du 28
septembre 2012, l’auteure a volontairement refusé
de recevoir la notification de la demande de saisie hypothécaire et de déclenchement
de la procédure par le tribunal (voir par.
8.4 supra). Enfin, l’État partie a indiqué au
Comité qu’il n’avait été procédé à aucune expulsion, saisie ou mise aux enchères du
logement hypothéqué puisque l’auteure avait présenté un recours ordinaire suspensif,
qu’elle vivait donc toujours dans le logement en question et que ses droits n’avaient
pas été violés.

la nature du
logement hypothéqué objet de
10.4 S’agissant de
la présente
communication, le Comité prend note des explications de l’auteure selon lesquelles
lorsqu’elle a fait mention d’un autre logement familial durant la procédure de saisie
hypothécaire, elle se référait au logement d’un membre de sa famille (voir par. 5.1),
elle vit dans le logement en question et elle n’est propriétaire d’aucun autre logement.
Les pièces fournies par l’auteure (voit note de bas de page 7,
supra), qui n’ont pas été
contestées par l’État partie, corrobore ses allégations. Aucune pièce fournie au Comité
n’indique que le logement en question n’était pas le domicile habituel de l’auteure ou
qu’elle était propriétaire d’un autre logement. Par conséquent, à la lumière des pièces
du dossier et des renseignements communiqués par les parties, le Comité estime qu’il
s’agit bien du logement habituel de l’auteure.

10.5 En ce qui concerne l’absence de l’auteure le 28 septembre 2012, date de la
notification de la demande de l’entité créancière et de l’avis de déclenchement de la
procédure de saisie du tribunal, le Comité observe que ni la copie de l’avis de passage
du Service commun des notifications et des saisies de Madrid en date du 28 septembre
2012, fournie par l’auteure, ni aucun autre document n’indique que l’auteur était
présente à son logement habituel et qu’elle a refusé de recevoir la notification du
tribunal (voir par. 2.4, et notes de bas de page 3 et 18
supra).
10.6 Le Comité ayant examiné les faits de l’espèce, il est d’avis que le problème
juridique fondamental posé par la présente communication est de savoir si le dr oit au
logement de l’auteure, défini au paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte, a été violé par
l’État partie à l’issue d’une procédure de saisie dans laquelle l’auteure, selon ses dires,
n’a pas été notifiée de la demande, ce qui l’a empêché de défendre le s droits qu’elle
tient du Pacte. Pour répondre à cette question, le Comité commencera par rappeler
certains éléments du droit au logement, en particulier ceux qui concernent la
protection juridique de ce droit, avant d’examiner les faits.

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Le droit au logement et sa protection légale
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11.1 Le droit de l’homme à un logement suffisant est d’une importance capitale pour
la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels
20 et est intégralement lié à
d’autres droits de l’homme, y compris ceux énoncés dans le Pacte international relatif
aux droits civils et politiques
21. Le droit au logement devrait être assuré à tous sans
distinction de revenus ou de toutes autres ressources économiques
22 et les États parties
devraient prendre
la pleine
réalisation
23. Un grand nombre d’éléments constitutifs du droit à un logement suffisant
sont étroitement liés à l’existence de recours internes assurant la jouissance effective
de ce droit
24.
les mesures nécessaires pour en garantir
toutes
11.2 Le Comité rappelle également que chaque personne a droit à un certain degré de
sécurité qui garantit la protection légale contre l’expulsion, le harcèlement ou autres
menaces
25 et que les évictions forcées sont prima facie contraires aux dispositions du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et ne peuvent
être justifiées que dans les situations les plus exceptionnelles et conformément aux
principes applicables du droit international
26.. De l’avis du Comité, les États parties
doivent veiller à ce que les procédures appliquées dans les cas d’expulsion forcée ou
les procédures pouvant toucher la sécurité de tenure et éventuellement aboutir à une
expulsion respectent les garanties en la matière, notamment la possibilité de consulter
véritablement les intéressés et un délai de préavis suffisant et raisonnable à toutes les
personnes visées par une expulsion avant la date d’expulsion prévue
27.
11.3 Le Comité rappelle en outre que l’article 2 du Pacte définit plusieurs obligations
à effet immédiat
28. Par conséquent, conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du
Pacte, les États parties doivent adopter des mesures visant à assurer l’exercice des
droits reconnus dans le Pacte «
par tous les moyens appropriés, y compris en
particulier l’adoption de mesures législatives
». Cela comprend notamment l’adoption
de mesures qui garantissent l’accès à des recours judiciaires effectifs pour la
protection des droits reconnus par le Pacte étant donné que, comme le Comité l’a noté
dans son observation générale n
o 9, il ne peut y avoir de droit sans moyen de recours
permettant de le protéger
29.
11.4 Par conséquent, en vertu de l’obligation énoncée au paragraphe 1 de l’article 2
du Pacte, les États parties doivent garantir que les personnes dont le droit à un
logement suffisant pourrait être touché, par exemple, par des expulsions forcées ou
des saisies hypothécaires, disposent d’un recours effectif et adéquat
30.
__________________
20 Observation générale no 4 (1992) du Comité sur le droit à un logement suffisant (art. 11, par. 1
du Pacte), par. 1.
21 Ibid., par. 7 et 9.
22 Ibid., par. 7.
23 Ibid., par. 12.
24 Ibid., par. 17.
25 Ibid., par. 8 a).
26 Ibid., par. 18, et observation générale no 7 (1997) du Comité sur le droit à un logement suffisant
(art. 11, par. 1, du Pacte) : expulsions forcées, par. 1.
27 Observation générale no 7 du Comité, par. 15.
28 Voir observation générale no 3 (1991) du Comité sur la nature des obligations des États parties
(art. 2, par. 1 du Pacte), par. 1.
29 Voir observation générale no 9 (1998) du Comité sur l’application du Pacte au niveau national, par. 2.
30 Voir Observations générales no 3, par. 5; no 7, par. 9, 11 et 15; et no 9, par. 2.
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Notification appropriée dans le cadre d’une procédure de saisie hypothécaire
qui peut avoir des incidences sur le droit au logement
12.1 Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 7, la
protection appropriée en matière de procédure et le respect de la légalité sont des
aspects essentiels de tous les droits de l’homme mais qui sont particulièrement
importants s’agissant d’une question comme celle des expulsions forcées, et que ces
garanties de procédure sont notamment le fait pour l’État partie de prévoir un délai de
préavis suffisant et raisonnable à toutes les personnes concernées avant la date
d’expulsion prévue et de fournir à ces personnes un accès aux recours prévus par la loi
afin qu’elles puissent se défendre
31. Le Comité estime que cette protection est
également valable et appropriée dans des situations analogues, comme les procédures
de saisie hypothécaire dans lesquelles le droit au logement peut être gravement altéré.

12.2 Le Comité estime que, pour s’acquitter des obligations évoquées plus haut, les
autorités doivent prendre toutes les mesures et initiatives raisonnables pour veiller à ce
que les formalités de notification des décisions et actes liés à une procédure
administrative ou judiciaire soient dûment et efficacement effectuées afin que les
personnes concernées puissent prendre part à la procédure et défendre leurs droits.

12.3 La notification par voie d’affichage peut constituer un moyen approprié de
notification d’une décision de justice conforme au droit à un recours effectif; le
Comité estime toutefois que son utilisation dans des cas susceptibles de donner lieu à
une possible violation des droits de l'homme tel le droit à un logement convenable, cas
devant faire l’objet d’un contrôle judiciaire, doit être une mesure de dernier recours,
surtout en ce qui concerne les décisions qui aboutissent au déclenchement de la
procédure. Son utilisation doit être strictement limitée où tous les moyens de
notification à personne ont été épuisés, en garantissant une publicité et un préavis
suffisants afin que la personne concernée puisse prendre réellement connaissance du
déclenchement de la procédure et comparaître en personne.

12.4 Par conséquent, une notification indue d’une demande de saisie hypothécaire
empêche l’intéressé de défendre son droit au cours de la procédure et entraîne une
violation du droit au logement. Le Comité procède donc à l’a nalyse de la notification
du cas à l’examen afin de déterminer si elle a été réalisée dans des conditions
acceptables ou non.

Analyse de l’affaire
13.1 Lorsque le Comité examine une communication, il ne lui incombe pas de vérifier
si les procédures judiciaires et administratives internes ont été menées dans le respect
du droit interne. Sa tâche se limite à examiner si les faits établis de la communication
constituent une violation par l’État partie des droits économiques, sociaux et culturels
énoncés dans le Pacte. Le Comité estime donc qu’il appartient en premier lieu aux
juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une
affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il
ne soit établi que cette appréciation, ou cette application, a été clairement arbitraire ou
a constitué un déni de justice, ce qui impliquerait la violation d’un droit reconnu dans
le Pacte.

13.2 D’après les pièces de procédure, le 21 juin 2012, le tribunal a autorisé la
procédure de saisie hypothécaire du logement de l’auteure. Celle
-ci n’a cependant pris
connaissance de cette procédure que le 4 avril 2013 lorsqu’elle a retiré l’avis de mise
aux enchères de son logement et n’a donc pas pu se défendre pendant la p rocédure de
saisie. En septembre et en octobre 2012, il a été procédé à quatre reprises à la
__________________
31 Voir observation générale no 7 du Comité, par. 15.
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notification de la décision du tribunal autorisant la procédure, sans succès, puisque
l’auteure ne se trouvait pas chez elle, à l’adresse qu’elle
-même avait communiquée en
tant que domicile. L’agent notificateur a confirmé qu’il y avait une boîte aux lettres à
son nom dans cet immeuble et que, à deux reprises au moins, le concierge de
l’immeuble était présent, faits qui ont été consignés dans les actes du Service co mmun
des notifications et des saisies de Madrid (voir note de bas de page
3 supra) et qui, par
conséquent, étaient ou devaient être connus du tribunal. Le 30
octobre 2012, le
tribunal a décidé qu’un avis serait apposé sur le panneau d’affichage des annonce s
légales du tribunal aux fins de notification, notification dont l’auteure n’a pas eu
connaissance en temps utile.

13.3 Dans le cas présent, le Comité prend note des efforts répétés du tribunal pour
notifier directement à l’auteure l’avis de saisie et le déclenchement de la procédure. Il
estime néanmoins que l’État partie n’a pas démontré que le tribunal avait épuisé tous
les moyens disponibles pour procéder à une notification à personne, par exemple en
expliquant pourquoi aucune note ni avis n’avait été l aissé dans la boîte aux lettres ou
pourquoi aucun autre moyen de notification prévu par le Code de procédure civile,
comme le fait de confier l’avis au concierge ou au voisin présent le plus proche,
n’avait été employé, puisqu’il se contente d’indiquer qu’après plusieurs tentatives
infructueuses, il avait été décidé de procéder à une notification par voie d’affichage,
comme la loi le prévoit. L’État partie n’a apporté aucun élément solide étayant son
affirmation selon laquelle l’auteure se serait même caché e une fois pour ne pas
recevoir la notification. Par conséquent, le Comité considère que, même si l’on
estimait que la notification par voie d’affichage avait été réalisée conformément au
Code de procédure civile, cette notification de la demande de saisie hypothécaire doit
être appropriée et conforme aux normes du Pacte applicables au droit au logement,
comme indiqué aux paragraphes 11.1 et 12.4 plus haut, ces normes n’ayant pas été
respectées en l’espèce. La notification n’a donc pas été réalisée dans des conditions
acceptables.

13.4 Cette grave irrégularité quant à la notification pourrait ne pas entraîner de
violation du droit au logement si elle n’avait pas de conséquences majeures sur le droit
de l’auteure de défendre la jouissance effective de son logement, par exemple au
moyen d’une autre procédure adaptée pour faire valoir son droit et ses intérêts. Cela
semble être la position de l’État partie lorsqu’il laisse entendre, sans étayer ce point de
vue, que l’incapacité de l’auteure de se manifester dans le cadre de la procédure de
saisie n’a pas de conséquences graves puisque, quoi qu’il en soit, les possibilités de
défense du débiteur dans ces procédures sont juridiquement très limitées alors qu’il
peut saisir une juridiction ordinaire pour contester, sans limitations, le remboursement
du prêt hypothécaire. Il rappelle que l’auteure a introduit un recours en vertu du
paragraphe 3 de l’article 695 du Code de procédure civile demandant l’annulation de
certaines clauses du contrat de prêt hypothécaire, reco urs qui a eu un effet suspensif
sur la saisie et la vente aux enchères de son logement puisque, suite à un récent arrêt
de la Cour de justice de l’Union européenne, ces recours ordinaires permettent même
de suspendre la saisie et la vente aux enchères du b ien hypothéqué.
13.5 Du fait de la spécificité du problème de la notification indue posé par l’auteure,
il
n’incombe pas au Comité, dans le cadre de la présente communication, d’examiner
de manière générale si les normes internes de l’État partie régissant les procédures de
saisie et, en fin de compte, de vente aux enchères des biens hypothéqués, qui peuvent
être des logements, respectent ou non le droit au logement. Par conséquent, dans le cas
d’espèce, le Comité se borne à examiner si la notification indue de l’auteure, qui a
déjà été constatée, a vraiment eu ou non des incidences sur le droit de l’auteure de se
défendre au point d’impliquer une violation du droit au logement.

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accordées par la sécurité sociale. Le Comité estime que l’auteur n’a présenté d’éléments
pertinents ni de documents qui indiquent qu’une telle différence de traitement existe en
pratique ; et que même si les cas invoqués par l’auteur étaient pertinents, il n’y aurait pas eu
de traitement discriminatoire à son égard.
14.6
Il existe certes des similitudes entre la situation de l’auteur et celle d’une personne
en liberté qui serait titulaire d’une pension non contributive et bénéficierait de prestations
d’alimentation et d’hébergement gratuites dans un établissement de soins publics, à titre
d’exemple un hôpital. Il s’agit dans les deux cas de personnes qui bénéficient d’une
prestation financière non contributive et reçoivent une autre prestation en nature de l’État,
et l’on pourrait donc en conclure que l’État doit accorder le même traitement pour les deux
situations : soit garder la prestation financière inchangée aux deux personnes, ou diminuer
celle-
ci proportionnellement. Le Comité estime cependant qu’en dépit de ces similitudes,
il
existe aussi entre les deux situations des différences sensibles qui justifient que l’État
puisse leur appliquer un traitement différent sans commettre de discrimination. Le Comité
est d’avis que la situation d’une personne privée de liberté en raison d’une condamnation
pénale est différente de celle des autres personnes mentionnées par l’auteur (telles qu’un
malade recevant des soins dans un hôpital ou une personne bénéficiant de repas dans un
centre d’accueil) au moins à deux égards.
14.7 En premier lieu, une personne condamnée est privée de liberté pour exécuter une
peine imposée par un organe judiciaire pendant une période déterminée, généralement de
quelques mois ou de quelques années. Cette personne a donc un statut juridique particulier.
Qui plus est, il est relativement aisé de déterminer le coût de son entretien, le caractère
suffisant de l
entretien assuré au centre pénitentiaire pour couvrir les besoins ou la partie
des besoins auxquels correspondait la prestation non contributive initiale, et la période
pendant laquelle l
entretien doit être accordé. À l’inverse, la situation des personnes en
liberté qui fréquentent les services publics mentionnés par l’auteur, hôpitaux ou centres de
soins notamment, est distincte de la situation d’une personne privée de liberté pour avoir
commis un délit, car ces personnes fréquentent en principe ces services de leur propre gré et
acceptent éventuellement de séjourner dans ces centres pour obtenir la protection de droits
essentiels, pour des périodes dont ils ne peuvent prévoir la durée mais qui sont souvent
courtes. Il est donc beaucoup plus incertain, en pareil cas, de parvenir à ce qu’une réduction
du montant de la prestation n’ait pas d’incidences sur la satisfaction des besoins pour
lesquels la prestation non contributive est prévue. Qui plus est, en raison du caractère
indéterminé et temporaire des services, il est très probable que la réduction intervienne
après que la personne bénéficiaire ait déjà quitté l’hôpital ou le centre de soins dans lequel
elle recevait la prestation.
14.8 En second lieu, même si les usagers bénéficient d’un hébergement et de repas dans
ces lieux, ces prestations ne doivent pas être entendues comme un service supplémentaire
ou autonome, mais comme un élément à part entière des services qui leur sont fournis par
l’État pour leur permettre de faire face à la situation de vulnérabilité dont ils sont victimes,
généralement de façon temporaire, et qui sont nécessaires pour garantir la protection de
droits essentiels comme le droit à la santé ou le droit à l’alimentation.
14.9 Partant, le Comité estime qu’il existe des similitudes entre la situation de l’auteur et
celle des personnes libres d’après les él
éments de comparaison présentés. Néanmoins,
compte tenu des différences importantes indiquées dans les paragraphes précédents, l’État
partie n’a pas l’obligation d’appliquer un traitement identique aux bénéficiaires de pensions
non contributives qui sont privés de liberté et aux personnes libres qui fréquentent des
hôpitaux, des centres de soins ou des centres d’accueil. Partant, les différences qui sont
alléguées par l’auteur, même si elles étaient avérées, ne constituent pas un traitement
discriminatoire eu égard aux articles 2 et 9 du Pacte.
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CADRES JURIDIQUES ET PRATIQUE JURISPRUDENTIELLE POUR LA TUNISIELA JUSTICIABILITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS
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tenu des observations générales nos 4 et 7 du Comité; et b) de rembourser à l’auteure
les frais de justice liés à la présente communication.

Recommandations à caractère générale
individuelles peuvent
17. Le Comité considère que, en principe, les réparations recommandées dans le
contexte de communications
inclure des garanties de
non
-répétition et rappelle que l'État partie est tenu d’empêcher que des violations
analogues ne se reproduisent. Prenant note des mesures prises par l'État partie, y
compris le décret
-loi royal no 27/2012 et la loi no 1/2013, comme suite à l'arrêt de la
Cour de justice de l'Union européenne du 14 mars 2013, le Comité estime que l'État
partie doit s’assurer que sa législation et sa mise en œuvre sont conformes aux
obligations définies dans le Pacte
32. En particulier, l’État est tenu :
a) D’assurer l’accès aux recours juridiques aux personnes concernées par des
procédures de saisie hypothécaire pour non-remboursement d’emprunt;
b) D’adopter des mesures législatives et/ou administratives appropriées afin
de veiller à ce que, dans les procédures de saisie hypothécaire, la notification par voie
d’affichage soit strictement limitée aux cas où tous les moyens possibles de remettre
une notification à personne ont été utilisés, en garantissant une publicité et un préavis
suffisants afin que la personne concernée puisse prendre dûment connaissance du
déclenchement de la procédure et comparaître en personne;

c) D’adopter des mesures législatives appropriées pour garantir que la
procédure de saisie hypothécaire et les règles de procédur e établissent des conditions
(voir par. 12.1 à 12.4, 13.3 et 13.4
supra) et procédures appropriées à suivre avant
qu’il ne soit procédé à la mise aux enchères d’un logement ou à une expulsion,
conformément au Pacte et compte tenu de l’observation générale n
o 7 du Comité.
18. Conformément au paragraphe 2 de l’article 9 du Protocole facultatif et du
paragraphe 1 de l’article 18 du règlement intérieur provisoire relatif au Protocole
facultatif, l’État partie doit adresser au Comité, dans un délai de six mois, des
renseignements écrits sur les mesures prises pour donner effet aux présentes
constatations et recommandations du Comité. L’État partie est invité en outre à rendre
celles
-ci publiques et à les diffuser largement, sur des supports accessibles, afin que
tous les groupes de la population en prennent connaissance.

__________________
32 Voir, par exemple, les observations finales du Comité concernant le cinquième rapport périodique de
l’Espagne (E/C.12/ESP/CO/5), par. 21 et 22.
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