L’ETAT DE L’AIDE LEGALE
EN TUNISIE
ETUDE PUBLIÉE EN 2014
Avec le soutien du Programme des Nations Unies
pour le Développement et du Ministère des Affaires
Etrangères du Royaume des Pays-Bas
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Remerciements
Cette étude est le résultat d’un travail collectif et chaque contribution ayant permis sa
publication fut précieuse.
Nos remerciements vont avant tout au Programme des Nations Unies pour le Développement
et à l’Ambassade du Royaume des Pays Bas en Tunisie qui ont patiemment soutenu la réalisation
de ce projet.
Nous sommes également redevables à tous les acteurs du système judiciaire, à ceux des
pouvoirs publics, ainsi qu’à tous les acteurs de la société civile qui ont accepté de répondre à
nos questions, afin de donner leur éclairage sur la situation de l’aide légale en Tunisie.
Nous remercions Maître Mansour Jerbi pour avoir soutenu l’équipe de l’étude dans
l’élaboration de la méthodologie de l’enquête empirique par le biais du questionnaire et la
formation des enquêteurs. Notre gratitude s’adresse également aux 15 superviseurs et aux
30 enquêteurs de terrain ainsi qu’au personnel de saisie de d’exploitation des données – et
particulièrement Madame Sarra Ben Amarapour leur investissement dans la réalisation de
l’enquête quantitative.
Nous saluons également le soutien apporté par les membres de l’ATL ainsi que de ceux
d’ASF – tant au siège de Bruxelles qu’au sein de la mission permanente de Tunis – pour leurs
remarques, leurs suggestions, leur disponibilité et leur indéfectible volonté visant à faire de
cette aventure un vrai travail d’équipe.
Mais nous sommes, surtout, particulièrement reconnaissants aux 5964 justiciables1 qui ont
accepté- et ont pris le temps nécessaire - de répondreà nos questions, à travers les différentes
régions qui composent la nation tunisienne.
Cette étude leur est dédiée, en espérant qu’elle puisse contribuer à la nécessaire réflexion sur
la question de l’aide légale en Tunisie.
L’équipe des consultants
M. Sénim Ben Abdallah, sociologue, coordonnateur de l’étude
Mme Salsabil Klibi, juriste
M. Habib Fourati, statisticien
Mme Claude Maon, juriste, consultante internationale
1 Dont 4233 âgés de plus de 18 ans répondant aux questions.
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SYNTHESE
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Les cours et tribunaux tunisiens sont très engorgés et
traitent plus de 2.000.000 dossiers par an. Aucun
filtre ne permet de canaliser les recours, ni au se-
cond degré de juridiction ni au niveau de la cour de
cassation. Si le nombre de magistrats apparaît dans
un ratio suffisant par rapport à la densité de po-
pulation, ces derniers souffrent cependant de mau-
vaises conditions de travail et d’une image négative
de corruption auprès du public. Leurs relations avec
le corps des avocats sont très tendues et ils assument
en outre également des tâches qui ne sont intrinsè-
quement pas les leurs en tant qu’institution d’orienta-
tion des justiciables. Enfin, il faut noter que la carte
judiciaire n’est pas assez développée, surtout dans le
sud et l’ouest du pays.
Les Tunisiens ont une confiance très moyenne dans
la justice rendue par leurs cours et tribunaux, ré-
servant leurs certitudes pour les institutions qui se
sont pratiquement illustrées pendant la révolution,
comme l’armée ou la police. Moins d’1 homme tuni-
sien sur 2 estime le système judiciaire équitable et
plus de 2 sur 3 estiment qu’il n’est pas indépendant
des moyens de pression émanant de personnes in-
fluentes, du pouvoir exécutif et des partis politiques.
Une majorité des Tunisiens estime néanmoins satisfai-
sant le rendement des cours et tribunaux, même si ce
sentiment faiblit lorsqu’il concerne spécifiquement les
personnes ayant été confrontées à la justice durant
les 5 dernières années.
Au niveau national, le recours à la justice concernerait
un peu plus de 10% des Tunisiens, 15% d’hommes
et 6,6% de femmes, dont les représentants de pro-
fessions commerciales sont plus représentés. Une
presque parfaite égalité entre droit civil et droit pé-
nal s’observe sur le podium des recours en justice,
avec en tête les matières civiles toutes confondues,
suivies des affaires d’agression sur autrui, les infrac-
tions sur les biens et les affaires de statut personnel.
Un cadre législatif encadrant l’aide légale dans sa
composante « assistance judiciaire » existe en Tunisie
et il régit les mécanismes de l’aide judiciaire et de la
commission d’office. Ces normes connaissent cepen-
dant de nombreuses carences et ne sont pas toujours
en adéquation avec les standards internationaux
des conventions pourtant ratifiées par la Tunisie.
Elles ne sont en outre pas réellement appliquées
dans la pratique, sans que cela ne mène à une sanc-
tion de l’Etat ou de ses prestataires. Malgré la ré-
cente constitutionnalisation de l’aide légale, aucune
réforme ne semble programmée à l’agenda poli-
tique, à l’exception notable de la modification du
Code Pénal, notamment en son article 13 encadrant
la présence de l’avocat en garde à vue.
Le budget réservé à la justice est lacunaire, peu
structuré et insuffisant dans sa globalité. La seule
ligne qui concerne l’aide légale – à l’exclusion du
bureau d’aide judiciaire dont on ignore le mode de
financement – est réservée à la commission d’office
dans une mesure en inadéquation avec la réalité des
désignations effectuées par l’ONAT et les cours et
tribunaux.
Il n’existe aucun service étatique ou paraétatique de
conseil juridique en Tunisie pour les personnes indi-
gentes. Si les médias semblent regagner la confiance
des Tunisiens, que les radios prennent de l’ampleur et
qu’Internet semble être un vecteur de communication
efficace en matière d’informations sur le droit et le
système judiciaire, l’information et la sensibilisation
aux droits – et donc la propagation de leur connais-
sance par la population – reste un phénomène assez
marginalisé en Tunisie.
L’Ordre des avocats – qui bénéficient d’un monopole
de représentation et de l’absence de concurrence de
professions juridiques ou parajuridiques officielles
– est très puissant et reconnu d’une part pour des
raisons historiques et d’autre part pour son implica-
tion récente dans le processus de transition démo-
cratique. Avec 7.945 avocats inscrits en 2014, il a
multiplié par 10 son coefficient en 30 ans, sans que
la population tunisienne n’ait augmenté en pareille
mesure et sans que le marché du droit ne justifie un
tel boom en pleine période de récession économique
post-révolution. Les avocats sont inégalement répar-
tis sur le territoire, avec plus de 75% de ce nombre
qui preste dans les 3 plus grandes villes du pays.
La situation des jeunes avocats et des avocats sta-
giaires est particulièrement préoccupante, tant en
termes économiques qu’en termes d’apprentissage
de la profession, laissés sans encadrement et bien
souvent sans contentieux.
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Les chiffres de prise en charge des dossiers d’aide
judiciaire et de commissions d’office sont difficiles à
obtenir et ne concordent pas suivant les différentes
sources de provenance (greffes, sections ONAT, BAJ,
etc.).
Les organisations de la société civile n’ont pas – ou
vraiment très peu – pris le relais dans le cadre de
l’appui à l’aide légale et dans la mise en place de
services de consultation gratuite. Ce constat s’opère
tant sur les
« anciennes » OSC actives sous l’ancien régime que
pour les « nouvelles » qui ont fleuri à profusion après
la révolution:
- Pour les premières, ces ONGs historiques de ré-
sistance sont aujourd’hui très sollicitées et peinent
à se restructurer en interne pour prioriser leur
terrain d’action et la mise en œuvre d’objectifs
concrets impliquant une réelle administration et
structure de gestion quotidienne des projets. Lors-
qu’elles mettent en œuvre des activités d’aide lé-
gale, elles le font ponctuellement, sur des dossiers
d’assistance judiciaire défendant des droits em-
blématiques proches de leur engagement militant
et font appel à des avocats proches de l’asso-
ciation qui interviennent en pro deo de manière
isolée.
- Pour les secondes, l’aide légale semble ne rele-
ver que de la compétence exclusive du barreau,
la justice apparaît techniquement trop peu abor-
dable et trop compliquée pour les non-initiés, sans
compter l’absence de financement permettant de
payer des honoraires d’avocats ou la gestion d’un
service de juristes.
Les rares initiatives qui émergent concernent en gé-
néral des thématiques précises et limitées (droits
de la femme, lutte contre la torture, etc.) et visent
presque toujours un contentieux spécifique destiné à
l’assistance judiciaire. Il n’existe pratiquement nulle
part de service d’aide juridique qui accueillerait un
indigent dans le besoin qui souhaiterait être informé
de ses droits.
Le Barreau et les avocats – au vu de la réalité qui
précède – estiment donc que tout service de conseil
juridique ou de représentation judiciaire ne peut
relever que de leur initiative et considèrent comme
de la concurrence déloyale toute prise en charge
qui ne respecterait pas les barèmes de l’ONAT ou
leur situation économique. La profession peine à re-
connaître de manière officielle le besoin d’aide juri-
dique des indigents.
Le BAJ n’est en réalité pas un lieu de rencontre et
de discussion des citoyens indigents avec le monde
judiciaire mais une commission prévue par la loi qui
statue sur les dossiers de demande déposés par les
requérants dans les greffes des Palais de Justice.
Dans la pratique, cette commission ne se réunit pas et
ceux sont les substituts du Procureur désignés à cette
fin qui approuvent ou non les demandes d’aide judi-
ciaire – tant sur des frais de justice divers que sur les
désignations d’avocats gratuits – et qui renvoient les
demandes de désignation aux sections de l’ONAT.
Ces dernières désignent des avocats en leur sein, ce
qui fait bien souvent l’objet de jalousies et d’accu-
sations de favoritisme et d’opacité organisée. Aucun
suivi des avocats désignés ne semble ensuite opéré
pour s’assurer de la bonne gestion des dossiers alors
que les bénéficiaires de l’aide judiciaire sont extrê-
mement mécontents des services qui leur sont fournis.
Le certificat d’indigence délivré par les omdas est
le moyen le plus régulièrement utilisé pour démonter
l’indigence dans le chef des requérants de l’aide ju-
diciaire mais il est décrié de tout part et son mode
de délivrance – suspecté de complaisance – large-
ment mis en doute.
La commission d’office ne concerne que les matières
criminelles – pour les non récidivistes – et ceux sont
exclusivement les avocats stagiaires qui en héritent,
lesquels sont inexpérimentés et non encadrés dans la
gestion de dossiers parfois très sensibles. Ici encore,
aucun contrôle de qualité n’est opéré. La double
compétence des présidents de tribunaux et de sec-
tions de l’ONAT continue également d’alimenter le
débat sur les critères du choix des désignations et
l’opacité qui en découle. Ici encore, les bénéficiaires
semblent assez peu satisfaits des services rendus.
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SYNTHESE
Pourtant et malgré tout ce qui précède, la majori-
té des personnes interrogées – actives de près ou
de loin dans le secteur de l’aide légale – dans le
cadre de cette enquête estiment qu’il y a un vrai
besoin d’encadrement juridique des personnes in-
digentes et que de nombreux tunisiens n’ont accès
ni à l’information légale qu’ils méritent, ni à la
qualité des services de représentation judiciaire
auxquels ils ont droit.
Si cette réalité peut s’expliquer par le nombre expo-
nentiel de « chantiers » ouverts en Tunisie depuis la ré-
volution – et ce à tous les niveaux de la démocratie et
de la citoyenneté, elle n’en reste pas moins un appel
à tous les acteurs du secteur pour amener la Tunisie à
permettre l’accès et la connaissance au droit de tous ses
justiciables. Au vu de ce qui précède, des recomman-
dations envisageant d’atteindre cet objectif pourraient
concerner 3 pistes spécifiques d’action:
1) Améliorer ce qui existe déjà
- Agir sur le cadre juridique de l’aide judiciaire
- Agir sur la transparence des résultats et des be-
soins actuels de l’aide légale étatique
- Agir sur le financement de l’aide légale étatique
- Agir sur l’accès à l’aide judiciaire
- Agir sur la qualité de l’aide judiciaire proposée et
de l’assistance lors des commissions d’office
- Agir sur la déontologie des avocats actifs en ma-
tière d’aide légale
2) Contribuer à créer ce qui devrait exister
- Agir sur la nécessaire diffusion du concept de l’aide
légale, de son fonctionnement et de son utilité…
- sur les justiciables et la population
- sur les avocats
- Agir sur le développement de l’aide juridique
- Développer le marché du droit
- Agir sur la coordination des acteurs du secteur de
l’aide légale
3) Adresser spécifiquement la question aux bailleurs de
fonds
Si les tunisiens ont en général une bonne connais-
sance de ce qu’est un avocat et où le trouver, ils
sont très peu nombreux à estimer qu’il a un rôle
de conseiller juridique en dehors de ses fonctions
de plaideur et près d’un tiers des justiciables
ayant eu accès à la justice estime que justice ne
leur a pas été rendue par un biais de responsa-
bilité touchant au rôle de son avocat. Les tunisiens
connaissent très mal les mécanismes de l’aide lé-
gale et y ont un accès infiniment limité si l’on en
croit les chiffres mis en lumière par cette étude. Le
taux de satisfaction des services fournis par ces
mécanismes est en outre extrêmement alarmant.
Enfin, les Tunisiens qui se défendent seuls en justice
estiment soit que c’est trop cher de faire autre-
ment, soit qu’il n’est pas nécessaire de se faire
défendre par un conseil, ce qui témoigne a priori
d’une méconnaissance flagrante de ses droits et
de la réalité judiciaire puisqu’en tout temps et en
tout lieu, la justice est un monde hostile pour les
non-initiés et qu’ester seul devant un tribunal est
rarement un gage de qualité de défense et de
renforcement du droit que l’on poursuit.
La conclusion que l’on peut tirer à la lumière de
tous ces constats est que le besoin en matière
d’aide légale est bien présent pour les tunisiens –
surtout ceux du monde rural – mais qu’il n’est ac-
tuellement la priorité ni du gouvernement tunisien,
ni du barreau et des avocats, ni des organisations
de la société civile.
2 Le développement des recommandations est disponible au point 8 intitulé « le Futur : recommandations pour une nécessaire amélioration de la prise en charge
de l’aide légale » du présent rapport, p. 90.
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LISTE DES
ABREVIATIONS
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AA
AMT
ANC
ASF
ATJA
ATL MST/SIDA
ATFD
BAJ
CSP
CDIS
INS
ISPA
LTDH
MAF
MJDH
MST
ND
NU
OCTT
OMCT
ONAT
ONG
OSC
PARJ
PNUD
RGPH
SIDA
SMT
TPI
UE
UGTT
UTICA
UNICEF
action associative
association des magistrats tunisiens
assemblée nationale constituante
avocats sans frontières
association tunisienne des jeunes avocats
association tunisienne de lutte contre les MST et le SIDA
association tunisienne des femmes démocrates
bureau d’aide judiciaire
code de statut personnel
centre de défense et d’intégration sociale
institut national de la statistique
institut supérieur de la profession d’avocat
ligue tunisienne des droits de l’homme
ministère des affaires sociales
ministère de la justice, des droits de l’homme et de la justice transitionnelle
maladie sexuellement transmissible
non déclaré
nations unies
organisation contre la torture en Tunisie
organisation mondiale contre la torture
ordre national des avocats de Tunisie
organisation non-gouvernementale
organisation de la société civile
programme d’appui à la réforme de la justice
programme des nations unies pour le développement
recensement général de la population et de l’habitat
syndrome d’immuno-déficience acquise
syndicat des Magistrats Tunisiens
tribunal de première instance
union européenne
union générale tunisienne du travail
union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (patronat)
fonds des nations unies pour l’enfance
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QUELQUES
DEFINITIONS UTILES 3
3 Définitions issues de « Etude de base sur l’aide légale au Burundi », ASF sous la direction de Julien Moriceau, Juin 2011, p.22 et « Etude sur l’aide légale en RDC »,
ASF et PARJ sous la direction d’Antoine Meyer, Janvier 2014, p.10.
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Aide Légale
Ensemble des actions menées en vue d’aider et d’assister le justiciable confronté à la justice. Elle comprend
principalement les activités d’accueil, de conseil, d’orientation, rédaction d’écrits, de référencement, d’ac-
compagnement devant les juridictions et d’assistance judiciaire.
Aide Juridique
Part de l’aide légale qui regroupe toutes les activités qui ne nécessitent pas de représentation légale devant
les tribunaux : accueil, orientation, conseil, référencement, accompagnement devant les juridictions, rédaction
d’écrits.
Assistance Judiciaire
Part de l’aide légale regroupant la représentation et l’assistance des justiciables devant les juridictions tuni-
siennes. Selon le décret-loi organisant la profession d’avocat, les avocats ont le monopole de la représenta-
tion des justiciables devant les tribunaux.
Aide Judiciaire
Dans le cas spécifique de la Tunisie, l’aide judiciaire se définit comme la part de l’aide légale pouvant être
prise en charge par l’Etat, étant l’assistance judiciaire d’un avocat devant les tribunaux mais également la
prise en charge de tous les frais de justice pouvant être mis à la charge des parties (frais d’expertise, indem-
nités de retard, droits d’enregistrement, délivrance des actes notariés, frais de traduction, frais d’annonces
légales, frais de descentes sur les lieux, frais de citation et notification, frais d’exécution).
Commission/Réquisition d’office
Fait pour une autorité judiciaire de charger un conseil de la défense des intérêts de la défense des intérêts
d’une partie non assistée dans une procédure judiciaire.
Désignation d’office
Fait pour un bâtonnier ou une autorité ordinale de charger un avocat de la défense judiciaire des intérêts
d’une partie indigente qui la sollicite4.
Pourvoyeur d’aide légale
Personne ou structure exécutant des activités relevant de l’aide légale.
4 En Tunisie, au vu de la double compétence prévue dans les textes pour la mise en œuvre de la commission d’office, ces deux termes de « commission » et «
désignation » ont tendance à se recouper.
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CARTE DE LA TUNISIE
(24 GOUVERNORATS)
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
1. PRÉLIMINAIRES INTRODUCTIFS :
LE CONTEXTE GÉNÉRAL D’UNE ÉTUDE SUR L’AIDE LEGALE
EN TUNISIE
Cette section permettra de faire œuvre de rappel du contexte historique (1.1.) dans lequel s’est inscrite
cette étude et de développer les raisons qui ont mené à son élaboration (1.2.) par les différentes parties
prenantes de ce projet (1.3.).
Elle exploitera également et brièvement la méthodologie mise en œuvre et appliquée pour la réalisation de
cette étude (1.4.) avant de développer les limites (1.5.) dans le cadre duquel elle s’est également inscrite.
1.1. CONTEXTE HISTORIQUE
Depuis l’indépendance nationale5 , la suppression des tribunaux « sharaïques »6 et l’unification du système
juridictionnel tunisien, en vertu du décret beylical du 25 septembre 1956, ont constitué l’œuvre la plus im-
portante de l’Etat tunisien pour la modernisation de la justice.
En dehors de cet évènement qui a ancré la justice tunisienne dans le droit positif, pour ne laisser au droit
musulman qu’une place limitée de source matérielle du droit, le pouvoir politique tunisien n’a jamais accordé
à l’institution juridictionnelle la place qu’elle mérite dans un Etat de droit.
La Constitution du 1er juin 1959, qui fut celle de l’indépendance de l’Etat tunisien et resta celle de la Répu-
blique jusqu’au 27 janvier 20147, illustre parfaitement cette réalité.
En effet six articles laconiques seulement y étaient réservés au pouvoir juridictionnel8 .
L’Etat de droit est celui où la garantie des droits fondamentaux est assurée et où la justice occupe une place
centrale. Il repose sur deux idées fondamentales : le respect par tous, en premier lieu par l’Etat lui-même,
des règles de droit et le droit pour toute personne de pouvoir obtenir la reconnaissance et l’exécution de
ses droits par un tribunal.
Ce qui précède implique que la qualité du service de justice offert par un Etat à ses justiciables renvoie à
une série de principes qui sont en réalité des droits fondamentaux.
Il s’agit notamment de :
• L’accès à la justice (proximité du tribunal mais aussi aide juridique et assistance judiciaire) ;
• Le droit à un procès équitable avec ce qu’il comporte comme droit de la défense et comme délais rai-
sonnables pour rendre les décisions ;
• Le droit d’être conseillé et assisté (par un avocat mais aussi par un interprète) ;
• Le droit à ce que chaque justiciable soit entendu par un tribunal indépendant (ce qui suppose un statut
qui protège la justice des interventions des autres pouvoirs) et impartial (ce qui implique un code de
conduite des juges et le pouvoir d’engager leur responsabilité personnelle en cas de corruption par
exemple).
5 Indépendance de la France, le 20 mars 1956.
6 Tribunaux spécialisés notamment dans les affaires concernant le droit de la famille (statut personnel) et qui appliquent donc la shariaa pour la solution de ce
type de litiges.
7 Date de promulgation de la nouvelle Constitution tunisienne par l’assemblée Nationale Constituante.
8 Quatre articles étaient réservés à la justice judiciaire – qui se rapportent à la question de l’indépendance des juges et de la magistrature – et deux autres
consacrés l’un à la haute cour, l’autre au conseil d’Etat composé d’un tribunal administratif – qui ne sera créé que treize ans plus tard – et d’une cour des comptes.
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Au cours des années 2000, de nombreux Tunisiens se sont indignés face à certains constats de la vie publique
: on peut citer entre autres le faible rôle des partis politiques, le musèlement de la société civile, l’importance
des disparités régionales, la censure exercée sur les médias, le développement de la corruption, les viola-
tions des droits humains.
La conjugaison de ces facteurs a participé à la chute d’un régime politique autoritaire, ouvrant par ailleurs
la porte aux révolutions du printemps arabe dans toute la région.
Dans l’histoire contemporaine de la Tunisie, la date du 14 janvier 2011 marque non seulement la fin d’un
régime en manque de légitimité, mais également le démarrage d’un long processus complexe de réformes
à tous les niveaux de l’Etat.
Les élections du 23 octobre 2011 ont permis aux Tunisiens de choisir les membres de l’Assemblée Nationale
Constituante qui ont eu pour mission principale l’élaboration d’une nouvelle Constitution qui fut historiquement
votée le 27 janvier 2014.
Mais si la victoire de l’adoption de la Constitution doit être soulignée, la Tunisie doit encore faire face à un
accroissement de l’insécurité, à de très fortes tensions sociales, à une diminution des recettes issues du secteur
du tourisme et des investissements étrangers.
La reprise économique et l’incontournable baisse du taux de chômage – notamment celui des jeunes – consti-
tuent, à l’heure actuelle, un véritable défi.
Dans ce contexte, la transition démocratique se présente comme un processus délicat qui s’inscrit dans la du-
rée et ne peut se concevoir sans la réforme de la justice et plus précisément sans une sérieuse refonte des mé-
canismes d’accès à celle-ci, de telle sorte que l’égalité devant la loi et devant la justice devienne une réalité.
Mais la période de transition démocratique n’est pas seulement une occasion pour l’Etat d’entreprendre des
réformes de ce type, elle est aussi et surtout une opportunité pour la société civile d’exiger la mise à niveau
du service de justice.
On observe la conjonction de deux mouvements, celui des associations de simples citoyens qui appellent à
une garantie efficace d’une justice pour tous – impartiale et indépendante – et celui des associations des
professionnels qui exigent à leur tour l’amélioration de leurs conditions de travail et leur affranchissement de
la mainmise du pouvoir exécutif.
Dans cette perspective, la présentation de recommandations relatives à l’amélioration de l’accès à la justice
pour tous et de tous les principes de l’aide légale qui lui sont connexes, ne peut se faire sans un état des
lieux touchant à la fois le vécu des citoyens et celui des professionnels de la justice, de même que l’état de
la législation et de la recherche dans ce domaine.
1.2. RAPPEL DES OBJECTIFS DE L’ÉTUDE
Un certain nombre d’études sur l’accès à la justice ont été menées en Tunisie9 , mais la parole y a été princi-
palement accordée aux acteurs institutionnels et centraux. Il n’existait pas, jusqu’à quelques mois10 , d’étude
sur l’accès à la justice en Tunisie réalisée sur la base d’une enquête prenant en compte la vision et les attentes
de l’ensemble des parties prenantes de l’accès à la justice : les justiciables en premier lieux, et particulière-
ment les justiciables en situation de vulnérabilité face à la justice, mais aussi les acteurs de la société civile
locale et nationale de même que les acteurs institutionnels locaux.
9Voir références bibliographiques, Annexe VII.
10 Voir « Consultation Nationale sur la Réforme de la Justice », Ministère de la Justice tunisienne, PNUD et OHCHR, publié en décembre 2013.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
L’objectif général de cette étude est de contribuer à la réflexion menée par les acteurs étatiques et non
étatiques sur la question de l’accès à la justice des personnes en situation de vulnérabilité en Tunisie.
L’objectif spécifique est de réaliser une étude sur l’accès à la justice de la population tunisienne.
Cette étude a pour vocation de :
• Dresser un état des lieux pertinent et actuel de l’accès à la justice de la population
• Dresser un état des lieux des besoins et attentes de la population vis-à-vis des services publics d’aide
légale
• Établir une « baseline » de la situation de l’accès à la justice de la population tunisienne qui pourra
servir dans le futur dans le cadre de l’évaluation d’impact de la réforme de la justice en Tunisie
• Dresser un état des lieux illustratif des interventions d’aide légale (intervenants, couverture géogra-
phique, approches, résultats, visions, perspectives)
• Élaborer des propositions concrètes d’amélioration progressive des interventions et de structuration des
services d’aide légale.
Cette étude tente d’apporter des réponses aux questions suivantes:
• La connaissance / perception / attente de la population vis-à-vis du service public de la justice,
• La connaissance / perception / attente de la population vis-à-vis des dispositifs d’aide légale,
• La satisfaction de la population par rapport aux services d’aide légale,
• Les limites et manquements des dispositifs publics d’aide légale,
Les résultats de cette étude permettront d’identifier les recommandations pour l’élaboration d’une stratégie
nationale de l’aide légale en Tunisie. Cette recherche pourrait donc poser les jalons pour la mise en place
d’un système d’aide légale efficace et pérenne en Tunisie.
1.3. PRÉSENTATION DES PARTIES PRENANTES DE L’ÉTUDE
La présente étude a été réalisée par l’Association tunisienne de lutte contre les MST et le SIDA (ATL) sur de-
mande et en collaboration directe avec Avocats Sans Frontières (ASF).
L’ATL est une ONG de droit tunisien créée en 1990 à l’initiative d’un groupe de médecins universitaires
(actuellement elle s’est élargie à d’autres professions : journalistes, éducateurs, étudiants, etc.) et qui œuvre
d’une part dans le soutien et la prise en charge pluridisciplinaire des personnes vivant avec une MST et
d’autre part dans le plaidoyer y relatif11. Dans le cadre de ses activités, l’ATL a développé des compétences
reconnues en matière de statistiques et de collecte de données, notamment à travers de multiples collabora-
tions avec l’INS. Elle met ses compétences au service d’autres organisations aux fins de financer ses propres
projets.
ASF est une ONG de droit belge créée en 1992 dont l’objectif principal est de contribuer à la mise en place
de mécanismes permettant l’accès à une justice indépendante et impartiale, capable d’assurer la sécurité ju-
ridique et de garantir la protection et l’effectivité des droits fondamentaux (civils et politiques, économiques
et sociaux), entre autres le droit au procès équitable12 . La présente étude, au sein d’ASF, s’inscrit dans la
continuité de travaux similaires menés au Burundi et en République Démocratique du Congo.
Cette étude a été cofinancée par le Programme des Nations Unies pour le Développement et le Ministère
des Affaires Etrangères du Royaume des Pays-Bas qui engagent tous deux des fonds et des efforts sur le
terrain de l’appui à la gouvernance et de la réforme de la justice en Tunisie.
11 L’ATL a installé 10 bureaux dans le pays : Sfax, Tunis, Gabes, Nabeul, Sousse, Gafsa, El Kef, Kasserine, Médenine et Tataouine. Son siège central est situé à Sfax.
12 ASF a son siège à Bruxelles et des bureaux permanents en RDC, Burundi, Ouganda, Tunisie et Népal. Elle a également 1 représentant pays au Tchad, en Tanzanie et en
Thaïlande.
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1.4. BRÈVE PRÉSENTATION DE LA MÉTHODOLOGIE
Cette étude de recherche s’est basée sur les outils suivants :
• La recherche documentaire a permis l’analyse des documents relatifs à l’accès à la justice et l’aide lé-
gale en général et en Tunisie en particulier. Elle a concerné l’analyse des textes de lois nationaux et de
conventions internationales, des documents stratégiques, d’études et de rapports divers déjà publiés en la
matière en Tunisie et ailleurs, de doctrine, d’actes de séminaires, de documents administratifs issus de la
pratique de l’aide légale tunisienne et de l’organisation du système juridictionnel lui-même de même qu’à
l’exercice des professions qui gravitent autour de lui.
• Des entretiens qualitatifs avec les acteurs-clés du système judiciaire (avocats, magistrats, greffiers) et
des pouvoirs publics (Ministères de la Justice et des affaires sociales, ANC) ont permis de confronter le
prescrit des textes et leur mise en œuvre dans la réalité concrète du monde judiciaire et juridique.
• Des entretiens qualitatifs avec des acteurs du secteur associatif tunisien ont permis de faire le point sur
l’état des lieux de la réalité de la pratique du service de l’aide légale en dehors du monopole étatique.
• L’enquête quantitative, enfin, a permis d’interroger 1500 ménages, soit 5964 justiciables – dont 4233
âgés de plus de 18 ans ayant réellement répondu aux questions – à travers les différentes régions du
pays ayant pour certains d’entre eux été confrontés à l’aide légale et/ou au système judiciaire. Des
questionnaires13 ont été élaborés, focalisant la recherche d’informations sur les perceptions des citoyens
quant à la justice en général, l’accès à la justice, l’aide légale mais également le taux de satisfaction des
usagers et les raisons d’une éventuelle insatisfaction.
Remarques :
• Une présentation synthétique et graphique du panel des personnes interrogées est disponible à l’annexe I.
• Un aperçu des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête qualitative est disponible à l’annexe II.
• Des précisions techniques sur l’échantillonnage et la collecte de données sont disponibles à l’annexe III.
1.5. LIMITES DE L’ÉTUDE
La rédaction de cette étude a également dû tenir compte de certaines limites auxquelles ce travail a été
confronté dans sa mise en œuvre.
• Limite géographique
La limite de l’échantillon quantitatif et de la désagrégation géographique vise des grappes de ménages
dans 3 grandes sous-régions étant les zones urbaines centrales, les zones urbaines périphériques et les zones
rurales. Pour des raisons d’analyse d’exploitation statistique, les résultats nationaux et globaux ne sont donc
désagrégeables que par 6 régions distinctes14, sans que des références spécifiques puissent être faites par
ville ou par sous-région distincte. L’enquête quantitative a cependant été effectuée sur la majeure partie du
territoire tunisien.
13 1 questionnaire relatif au ménage, 1 questionnaire relatif aux individus (voir Annexe IV).
14Les 6 régions qui se distinguent dans l’analyse quantitative sont définies comme suit : Grand Tunis (Tunis, Ariana, Ben Arous et Manouba), Nord-Est (Nabeul, Zaghouan et Bizerte), Nord-
Ouest (Béjà, Jendouba, Le Kef et Seliana), Centre-Est (Sousse, Monastir, Mahdia et Sfax), Centre-Ouest (Kairouan, Kasserine et Sidi Bouzid) et Sud du pays (Gabès, Médenine, Tataouine,
Gafsa, Tozeur et Kébili).
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Pour des raisons de contrainte financière et de temps, la majorité des entretiens de l’enquête qualitative se
sont déroulés dans la région du Grand Tunis.
Les entretiens avec les régions se sont déroulés par téléphone.
Le système tunisien ayant toujours été extrêmement centralisé, cette contrainte peut aussi être considérée
comme une certaine forme de réalité d’une part de la perception et d’autre part de l’accès à l’information
par les Tunisiens.
• Limite de l’échantillon des personnes ayant eu accès à la justice
L’échantillon sélectionné dans le cadre de cette étude a eu vocation à représenter les perceptions générales
des tunisiens face à la justice, l’accès à la justice et l’aide légale.
Cette étude n’a donc pas focalisé exclusivement – même si elles sont également analysées dans leur me-
sure – sur les perceptions spécifiques des justiciables ayant déjà eu affaire à la justice, mais sur celles des
justiciables tunisiens en général.
Les conclusions découlant des chiffres présentés doivent prendre en compte cette réalité.
• Limite de disponibilité des acteurs du monde judiciaire et de la société civile
Les acteurs judiciaires sont assez impliqués dans le processus de la transition démocratique en cours depuis
le 14 janvier 2011. Entre obligations professionnelles et implication politique, l’un des constats de cette en-
quête est qu’il leur est très difficile de se ménager du temps dans le cadre des démarches nécessaires à la
collecte de données.
En outre, des débats houleux reflètent régulièrement l’état des relations entre magistrats et avocats15 et oc-
cupent régulièrement le centre de l’attention du monde judiciaire, et ce au détriment du reste des questions
pendantes.
• Limite de l’intérêt des acteurs – y compris des OSC – quant à la question de l’aide légale
En corollaire du point qui précède – et face à la multitude de questions à traiter au cœur d’une transition
démocratique où chaque organisation et chaque ordre continue de chercher sa place dans la nouvelle Tuni-
sie en marche – le temps de tous est compté. Et lorsque le temps fait défaut, certaines priorités se dégagent.
Force est de constater que l’aide légale ne fait pas partie de la zone d’action prioritaire, ce qui a également
impacté les possibilités de rencontres et d’échanges sur la question centrale de cette étude.
Il échet de tenir compte de ces limites dans la compréhension et la lecture des résultats de cette étude, même
si ces entraves sont déjà – pour certaines d’entre elles – l’occasion d’un début de compréhension de la situa-
tion de l’aide légale en Tunisie sur laquelle les pages qui suivent ne manqueront pas de revenir.
15Et ce encore particulièrement en février 2014, où des grèves de magistrats et des manifestations d’avocats firent suite à l’arrestation d’un avocat après un interrogatoire devant le juge
d’instruction sans la présence du Président de section, considérée - de par et d’autre - comme « la goutte d’eau » faisant déborder un vase trop plein de tensions entre les deux ordres
régnant sur le monde judiciaire.
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2. CADRE JURIDIQUE INTERNATIONAL DE RÉFÉRENCE
DE L’AIDE LEGALE :
RAPPEL DES PRINCIPES GÉNÉRAUX
L’article 108 de la récente Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 énonce que:
« Toute personne a droit à un procès équitable dans des délais raisonnables. Les justiciables sont égaux de-
vant la justice. Le droit d’ester en justice et le droit de la défense sont garantis. Le droit facilite le recours à la
justice. L’aide judiciaire est garantie aux personnes indigentes. Le double degré de juridiction est garanti. Les
audiences de justice sont publiques sauf disposition contraire de la loi »
La Constitution évoque aussi – dans son article 20 – que les traités approuvés par l’Assemblée représentative
et ratifiés ont une autorité « supra-législative et infra – constitutionnelle ». Dès lors, les 2 dispositions ci-des-
sous – étant les charnières des principes internationaux en matière de droit à l’aide légale – s’appliquent
de manière directe et son directement invocables devant les juridictions tunisiennes. Ils sont importants à
rappeler.
Le Pacte International des droits Civils et Politiques, pacte ratifié par la Tunisie 196817, dont l’article 14
dispose que :
« 1. Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi,
qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations
sur ses droits et obligations de caractère civil. Le huis clos peut être prononcé pendant la totalité ou une partie
du procès soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société
démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où
le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la pu-
blicité nuirait aux intérêts de la justice; cependant, tout jugement rendu en matière pénale ou civile sera public,
sauf si l’intérêt de mineurs exige qu’il en soit autrement ou si le procès porte sur des différends matrimoniaux
ou sur la tutelle des enfants.
2. Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été
légalement établie.
3. Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:
a) A être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la
nature et des motifs de l’accusation portée contre elle;
b) A disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le
conseil de son choix;
c) A être jugée sans retard excessif;
d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix; si
elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice
l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer;
17 Adhésion par la loi n°68-30 du 29 novembre 1968 publiée au journal officiel n° 51 du 29 novembre/3 décembre 1968, p. 1260.
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e) A interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la comparution et l’interrogatoire des
témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
f) A se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée
à l’audience;
g) A ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable.
4. La procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore majeurs au regard de la loi pénale tiendra
compte de leur âge et de l’intérêt que présente leur rééducation.
5. Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supé-
rieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi.
6. Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée
parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne
qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne
soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie.
7. Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou
condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays.
La Charte Africaine des Droit de l’Homme et des Peuples adopte un principe similaire dans son article 7
qui énonce que :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend :
a) le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui
sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur;
b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compé-
tente;
c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix;
d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale.
2. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constituait pas, au moment où elle a
eu lieu, une infraction légalement punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été prévue au
moment où l’infraction a été commise. La peine est personnelle et ne peut frapper que le délinquant. »
D’autres instruments internationaux utiles doivent également être pris en compte dans le cadre de la com-
préhension des principes relatifs à l’aide légale, étant entre autres et notamment18 :
• Les Lignes directrices des Nations Unies sur l’accès à l’assistance judiciaire dans le système de justice
pénale,
2012
• La Déclaration et plan d’action de Lilongwe sur l’accès à l’assistance juridique dans le système pénal en
Afrique, 2004
• L’observation générale n°32 du Comité des Droit de l’Homme des Nation Unies, 2007
• Les Directives et principes relatifs au droit à un procès équitable et à l’assistance juridique en Afrique,
2001
• Principes de base relatifs au rôle des Barreaux, 1990
18 Des extraits de ces textes de référence sont disponibles à l’annexe V.
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3. CADRE NATIONAL D’INSCRIPTION DE L’AIDE LEGALE TUNISIENNE :
RAPPEL DES BASES DE L’ORGANISATION JURIDICTIONNELLE
Cette section a pour but de brièvement rappeler le fonctionnement de l’ordre judiciaire (3.1.), d’en présen-
ter les organigrammes (3.2.) de même que la carte judiciaire nationale (3.3.), avant de faire le point sur le
rendement des cours et tribunaux (3.4.).
3.1. LE FONCTIONNEMENT DE L’ORDRE JUDICIAIRE
• Les Cours et Tribunaux
L’organisation juridictionnelle de la Tunisie comprend essentiellement, depuis l’unification de la justice – mais
aussi et surtout depuis l’adoption de la première constitution de la Tunisie indépendante à savoir celle du 1er
juin 1959 – deux grands ordres juridictionnels : l’ordre judiciaire et l’ordre administratif.
1. L’ordre judiciaire est composé des juridictions de l’ordre judiciaire et des juridictions immobilières.
La carte des juridictions judiciaires est constituée comme suit :
• 27 tribunaux de première instance19,
• 10 cours d’appel,
• 85 tribunaux cantonaux,
• 1 cour de Cassation.
Quant au tribunal immobilier, son siège est à Tunis et il possède quinze sections régionales.
Même si un effort a été fait par l’Etat tunisien en vue de développer la carte judiciaire – puisque le nombre
de juridictions est passé de 97 à 139 en 25 ans20 –, certaines zones du sud du pays notamment, connues
pour leur faible densité démographique, disposent seulement de juridictions cantonales.
La dernière réforme en date21 portait création de 3 nouveaux tribunaux de première instance dans les
gouvernorats de Tunis, de Sousse et de Sfax ainsi que de 2 tribunaux cantonaux. Son objectif était de rap-
procher la justice des justiciables et d’alléger le fardeau de certains tribunaux dont le volume de travail ne
cesse de s’accroitre à la lumière de l’extension urbaine et de la densité démographique que connaissent les
délégations qui en relèvent22.
2. Le second ordre de juridictions est constitué du Conseil d’Etat composé, à son tour, de la Cour des comptes
et du Tribunal administratif. La Cour des comptes est un organe de contrôle de la légalité des opérations
comptables ordonnées par les organes public. La particularité de l’ordre administratif vient de ce qu’il ne
comprend jusqu’à aujourd’hui qu’un seul tribunal dont le siège est à Tunis23.
19 Il y a 1 TPI dans chaque gouvernorat, sauf pour les gouvernorats de Tunis, Sfax et Sousse où il y en a 2.
20 Le nombre total de juridictions est passé de 97 en 1987 à 139 aujourd’hui (Ministère de la justice, www.e-justice.tn).
21 Décret n°2002-1806 du 13 Mai 2008.
22 « Etude sur l’accès à la justice et l’aide judiciaire dans les pays partenaires européens », Projet EuroMed Justice II, 2011, p.34.
23 Cette situation de fait pose évidemment le problème de la proximité de la justice, qui est l’une des conditions première de son accessibilité.
23
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Outre cette représentation exclusive de la juridiction administrative au sein de la capitale, on observe aussi
que de très nombreux citoyens de l’intérieur du pays ignorent jusqu’à l’existence même du tribunal admi-
nistratif et donc de leur droit de contester devant lui une décision illégale d’un conseil municipal ou d’un
gouverneur, qui leur porterait un préjudice quelconque.
Même si, à l’occasion de l’une des nombreuses révisions de la loi relative au tribunal administratif24, il a été
prévu que des chambres administratives de première instance soient créées au niveau des régions, celles-ci
n’ont pas encore vu le jour, malgré l’augmentation de la pression sur le tribunal administratif dont le nombre
d’affaires enrôlées – aussi bien en vue de l’annulation d’actes administratifs que dans le contentieux indem-
nitaire – ne cesse d’augmenter.
En cas de conflit de compétences entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif un conseil de conflits des
compétences tranche le litige pendant25.
A titre informatif, il échet de constater que la Tunisie se situe – avec un coefficient de 0,26 – au bas de la
liste des pays de la région MENA – ex æquo avec la Palestine – derrière le Maroc, la Jordanie, l’Israël et
l’Algérie, quant au nombre de juridictions de première instance (TPI) par habitant26.
• La Magistrature
Le système juridictionnel tunisien, qu’il s’agisse de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif, est fondé sur
le recours à des juges professionnels qui sont formés et recrutés pour exercer leur fonction à titre principal
et à plein temps27.
Le nombre total des magistrats de l’ordre judiciaire en exercice à l’ouverture de l’année judiciaire 2012-
2013 était de 1.814 juges, dont 44 présidents de Cours28. Sur ces 1814 magistrats, 670 sont des juges
de première classe, 539 de deuxième classe et 605 de troisième classe29. Le chiffre de 1945 magistrats
de l’ordre judiciaire en exercice en 2014 est par contre avancé par le Conseil Supérieur provisoire de la
Magistrature30.
Les magistrats en exercice au sein de l’ordre administratif sont au nombre de 13031.
Ce chiffre ne comprend pas les magistrats en détachement. Parmi ces 130 magistrats, 37 ont été recrutés
entre juillet 2012 et septembre 2013.
24 Loi n° 72-67 du 1er août 1972, révisée par la loi organique n° 96-38 du 3 juin 1996.
25 ibidem.
26« Etude sur l’accès à la justice et l’aide judiciaire dans les pays partenaires européens », Projet EuroMed Justice II, 2011, p.36.
27 C’est ce qui ressort de la loi n°67-29 du 14 juillet 1967 relative à l’organisation judiciaire, au conseil supérieur de la magistrature et au statut des magistrats
notamment dans ses articles 29 et 32. C’est également ce qui ressort de la loi n° 72-67 du 1er août 1972 relative au fonctionnement du Tribunal Administratif,
notamment en son article 17.
28 Informations délivrées sur demande par le MJDH.
29 Selon l’article 13 de la loi n°67-29 du 14 juillet 1967 relative à l’organisation judiciaire, les juges de premier grade sont les magistrats auprès des tribunaux de
1ère instance et du tribunal immobilier ainsi que les substituts du Procureur de la République. Quant aux juges de deuxième grade ce sont les conseillers à la
cour d’appel ainsi que les substituts du Procureur Général auprès de la cour d’appel. Enfin les juges de troisième classe sont les conseillers à la cour de cassation
et l’avocat général auprès de cette même cour.
30 Source émanant du Conseil Supérieur Provisoire de la Magistrature.
31Source émanant d’un membre du Tribunal Administratif.
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Il convient de noter que – contrairement au nombre de TPI par habitant précisé ci-avant – la Tunisie se situe
largement en tête de liste des pays de la région MENA quant au nombre de juges professionnels par habi-
tants, offrant 15,3 juges par 100.000 habitants en 200832.
D’après les renseignements collectés par l’Union européenne lors de récents travaux de diagnostic de l’état
du système judiciaire tunisien, les salaires des magistrats ne sont pas très élevés, tournant en moyenne autour
de 1100 DT net par mois (environ 500 euro)33. Une grande partie, sinon la majorité, des magistrats tunisiens
seraient endettés34.
Malgré la haute représentation de juges, la charge moyenne de dossiers serait d’environ 3.000 cas par
an par magistrat35. Les conditions matérielles du travail des magistrats semblent marquées par une énorme
surcharge de dossiers et un manque considérable de secours matériel. En général, les bureaux des magis-
trats – lorsqu’ils bénéficient d’un espace à cet usage, ce qui n’est pas toujours le cas – sont très exigus et
munis d’un équipement très modeste. Leurs conditions de travail sont régulièrement décriées, tout comme la
disproportion de la charge de travail36.
Salle des pas perdus du Palais de justice de Tunis
32 Pour comparaison, l’Israël n’en offre que 2.1, la Palestine 4.7, le Maroc 7.8, l’Algérie 7.9 et la Jordanie 10.5, voir « Etude sur l’accès à la justice et l’aide judiciaire dans
les pays partenaires européens », Projet EuroMed Justice II, 2011, p.23.
33 Un auditeur recevrait un traitement de 648 DT, un magistrat du 1er degré environ 1004 DT, un conseiller du deuxième degré en toucherait 1100, et celui du
troisième degré environ 2000 DT (net) par mois.
34 Voir EuroMed II, Diagnostic UE, p.13.
35 Voir EuroMed II, Diagnostic UE, p.16.
36 Voir EuroMed II, Diagnostic UE, p.16.
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3.2. ORGANIGRAMME DE L’ORDRE JUDICIAIRE TUNISIEN
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3.3. CARTE JUDICIAIRE DE LA TUNISIE
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3.4. LE RENDEMENT ET L’ENCOMBREMENT DES COURS ET TRIBUNAUX
« Je fais tout à la main : je consomme 4 stylos bic par jour»
Un substitut du Procureur
« La nuit pendant la semaine, je ne dors presque pas en général : on m’appelle tout
le temps, je me rattrape le week-end… »37
Un substitut du Procureur
En ce qui concerne les affaires de droit commun, les Cours et Tribunaux traitent en moyenne près de 2.000.000
dossiers par an, conformément aux chiffres du Ministère de la Justice, des Droits de l’homme et de la justice
transitionnelle38.
Année judiciaire 2010-201139
Année judiciaire 2011-201240
Les quelques 2.000 magistrats tunisiens en poste auraient donc à connaître annuellement de ce nombre
très élevé de dossiers avec l’assistance d’un personnel de greffe en nombre manifestement insuffisant et ne
bénéficiant d’aucune formation initiale. Il est estimé qu’un juge du tribunal de première instance traite entre
1.70141 et 3.00042 dossiers par an.
La situation des TPI et des cours d’appel apparaît par ailleurs – et de manière assez étonnante –comme
étant assez comparable. L’encombrement semble également frapper le fonctionnement des juridictions qui
interviennent au second degré. En effet, il apparaitrait que la plupart des décisions de première instance
puissent être sujettes à un appel et à un pourvoi en cassation. Aucun filtre ne permettrait aux cours d’appel et
de cassation de rejeter les dossiers. Il est dès lors courant de jouer sur les voies de recours comme manœuvres
dilatoires destinées à ralentir les procédures.
Le nombre très élevé d’avocats43 et cette absence de filtre expliquerait un taux d’appel colossal – estimé
à environ 80 %44 – qui s’observerait même au niveau de la Cour de cassation45, ce qui est particulièrement
surprenant puisque ses critères de compétences sont intrinsèquement assez restrictifs.
37 Pour exemple, 15 meurtres et 200 arrestations furent déplorées dans la nuit du mardi 24 au mercredi 25 février 2014, sur le seul territoire de la ville de Tunis : « c’était
une grosse nuit, c’est quand même plus que la moyenne ».
38 Ce chiffre est plus bas que celui avancé par l’Inspection Générale dans le cadre du diagnostic émis de l’UE qui fait état de 3.200.000 dossiers par an, p.29.
39 Chiffres disponibles auprès du MJDH, de même que sur le site du portail de la Justice.
40 Idem.
41 Chiffre avancé par le MJDH, voir EuroMed II, Diagnostic UE, p.122.
42 Chiffre avancé par l’UE, voir EuroMed II, Diagnostic UE, p. 16 et 29.
43 Voir infra p. 52.
44 Voir EuroMed II, Diagnostic UE, p.29.
45 Voir EuroMed, Diagnostic UE, p.29.
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Un autre facteur pouvant expliquer l’engorgement des juridictions est la délivrance par celles-ci, notamment
par le tribunal de première instance, d’une quantité innombrable d’attestations, documents et certificats ainsi
que la prise en charge de la tenue d’archives (notariales - commerciales).
L’institution du juge aiguilleur, instaurée depuis quelques années dans chacun des tribunaux de première
instance du pays46 , rajoute encore des responsabilités d’orientation du justiciable aux jeunes magistrats du
Parquet.
Ces activités mobilisent un nombre important de personnels de greffes et de magistrats déjà visiblement
dépassés par la tâche initiale qui leur incombe dans le cadre de leur mission juridictionnelle.
Palais de justice d’Ariana – Février 2014
46 Voir infra p.46 et 64.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
4. LE CONSTAT :
LES PERCEPTIONS GÉNÉRALES SUR L’INSTITUTION JUDICIAIRE ET LE
RECOURS A LA JUSTICE
Cette section a pour but – avant de se pencher plus spécifiquement sur la relation du citoyen à l’aide lé-
gale47 – de situer les perceptions générales de la population tunisienne quant à l’institution judiciaire et
l’opportunité d’y faire recours.
En l’espèce, il sera observé la place de la confiance en la justice en général (4.1.), celle par rapport aux
autres instances étatiques (4.2.), les perceptions quant à l’équité et l’indépendance de la justice (4.3.) et
l’estimation de l’efficacité du rendement de la justice par la population (4.4.). Il sera également analysé la
fréquence globale du recours à la justice (4.5.) et le type de matières privilégiées qui portent le justiciable
à saisir la justice (4.6).
4.1. LA CONFIANCE DANS LA JUSTICE EN GÉNÉRAL
Quel est votre degré de confiance dans l’institution
judiciaire ?
Quel est votre degré de confiance
dans l’institution judiciaire ?
La majorité des interrogés au niveau national (38,3%) déclare avoir une confiance moyenne dans le système
judiciaire avec environ un quart des enquêtés qui rapporte avoir une très forte ou forte confiance dans le
système judiciaire, et 23,9 % d’entre eux qui juge cette confiance faible, très faible voire nulle.
L’attitude des interrogés est mitigée à l’égard du système judiciaire qui semble avoir du mal à gagner la
confiance inconditionnelle des Tunisiens48.
On observe cependant des disparités régionales. Les régions Centre-Ouest (30,3%), Nord-Est (37,4%) mais
surtout Centre-Est (62,5%) sont caractérisées par une majorité d’interrogés arguant d’un fort ou très fort
sentiment de confiance dans la justice. La région Nord-Ouest présente quant à elle une majorité d’interrogés
(20,3 %) affichant un sentiment très faible, voire nul, de confiance en la justice.
La région du Grand Tunis maintient le sentiment global national d’une confiance relative dans l’institution.
Presque 60% des interrogés présentent une confiance moyenne à faible dans l’institution judiciaire, alors
même que les modes d’accès à la justice – à tout le moins géographiques – y sont facilités par rapport au
reste du pays.
47 Voir infra, p.75.
48 Ce constat est largement partagé par le MJDH lui-même qui expose le manque de confiance des citoyens comme le « problème critique » de son action, comme il
le développe dans le Plan Stratégique de son Ministère, voir Plan Stratégique du MJDH 2012-2016, p.15.
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4.2. LA JUSTICE PARMI LES AUTRES INSTITUTIONS ÉTATIQUES
A la question de savoir quelle est l’institution en qui les enquêtés ont le plus confiance, l’armée est la plus citée
puisque 79,6% des interrogés déclare avoir une très forte (44,2%) ou forte (35,4%) confiance en elle. Une
minorité d’interviewés rapporte avoir un manque ou une absence de confiance dans l’armée. Cette dernière
continue à être valorisée par les Tunisiens, grâce à l’image de neutralité véhiculée depuis les événements de
la fin de l’année 2010.
52 % des interrogés déclare avoir une très forte (24,1%) ou forte (27,9%) confiance dans la police. Le
sentiment d’insécurité chez la population tunisienne, les assassinats politiques et les actes terroristes connus
par le pays au cours des dernières années, pourraient expliquer la valorisation du rôle de la police par bon
nombre de Tunisiens.
En ce qui concerne l’ANC, le gouvernement, la présidence de la République et les partis politiques, la ma-
jorité des interrogés rapporte avoir peu voire pas du tout confiance dans ces acteurs. Le fossé entre gou-
vernants et gouvernés ne cesse de se creuser. L’image des politiques et de l’action politique n’a pas profité
du processus de transition démocratique. Si l’on en croit ces chiffres, de nombreux citoyens tunisiens seraient
déçus par le monde politique.
Concernant les médias, environ un quart des interrogés déclare avoir une très forte ou forte confiance dans
les moyens d’information et de communication et 29,2% des interrogés rapportent y réserver une confiance
moyenne.
Le paysage médiatique et la consommation des médias ont connu des transformations importantes depuis
le 14 janvier 201149. Les médias auraient ainsi profité de la transition démocratique pour gagner une
meilleure place dans la confiance des Tunisiens. L’ancienne image des médias associée à la propagande
politique semble céder la place à une valorisation de leur rôle critique des politiques.
Pour ce qui de la confiance dans les syndi-
cats, 19,2% des interrogés déclarent ne pas
être en mesure de se prononcer sur cet as-
pect. Le rôle des syndicats semble être flou
chez bon nombre de Tunisiens, fluctuant entre
la défense des intérêts des syndiqués et l’im-
plication de l’UGTT dans la sphère politique
depuis sa participation au Quartet50.
Citoyen tunisien offrant des fleurs à un soldat – Février 2011 _ Crédit : Nawaat.org
49 A ce sujet, on peut entres autres citer : la dissolution du Ministère de la communication, la restructuration de plusieurs médias, le développement de la place de
l’information et des débats politiques dans les médias privés et publics, la consommation croissante des médias par les Tunisiens, la liberté plus importante dans
le traitement de l’information, etc.
50 Le Quartet composé de l’ONAT, l’UGTT, UTICA et la LTDH a pris un rôle prépondérant dans la reprise du Dialogue National après la grave crise politique faisant
suite à l’assassinat de Mohamed Brahmi, le 25 juillet 2013. Luttant de toute son influence pour réussir à remettre autour de la table les 21 partis – dont Ennahdha,
le parti islamiste au pouvoir – il a largement contribué à la créationd’une plateforme de décision pour ce qui devait être la dernière étape de la transition
démocratique, sur base de nouvelles règles communes adoptées par tous.
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Quel est votre degré de confiance dans les institutions suivantes ?
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
4.3. L’ÉQUITÉ ET L’INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE
Pour la majorité des interrogés (52,2%), le système judiciaire tunisien n’est pas équitable à l’heure actuelle.
Pensez-vous que le système judiciaire tunisien soit équitable aujourd’hui ?
Les interrogés résidant en milieu
urbain (56,7%) considèrent que le
système judiciaire est moins équi-
table que ceux issus du milieu rural
(42,6%). Par ailleurs, la répartition
de l’évaluation du système judiciaire
en matière d’équité selon le sexe
révèle que les hommes (57,1%)
sont sensiblement moins satisfaits
que les femmes (47,6%). Cet écart
s’explique probablement par la
confrontation moins importante des
femmes au système judiciaire que
celle de leurs homologues masculins.
Pensez-vous que le système judiciaire tunisien soit équitable aujourd’hui ?
Pensez-vous que le système judiciaire tunisien soit indépendant aujourd’hui ?
La majorité des enquêtés (59,5%) estime que le système judiciaire n’est pas indépendant. Seulement 37%
des personnes interrogées estiment le système indépendant.
Ce chiffre diminue encore lorsqu’on focalise sur les
interrogés résidant en milieu urbain qui sont encore
plus critiques (64,4%) à l’égard de l’indépendance
du système judiciaire que leurs homologues habitant
le milieu rural (48,7%).
Dans les milieux urbains, moins d’1 personne sur 3 es-
time que le système est indépendant, ce qui est parti-
culièrement inquiétant. La transition démocratique est
donc encore très loin d’avoir réconciliée les Tunisiens
avec la justice et l’image de partialité qu’elle renvoie.
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Pensez-vous que le système judiciaire tunisien soit indépendant aujourd’hui ?
Par ailleurs, les hommes sont plus nombreux que les femmes à penser que le système judiciaire n’est pas in-
dépendant (66,5% des interrogés de sexe masculin contre 52,6% des interrogés de sexe féminin).
Cette moyenne de confiance baisse donc encore puisque seuls 31,4 % de la population masculine tunisienne
interrogée dans le cadre de cette enquête estime le système indépendant.
Malgré le changement de régime, l’image du manque d’indépendance du système judiciaire ne semble pas
voir changé dans l’esprit des Tunisiens51.
Pensez-vous que le système tunisien judiciaire soit indépendant aujourd’hui ?
51 Les cas symptomatiques comme de celui du juge Mokhtar Yahyaoui, démis de ses fonctions en 2001 suite à la rédaction d’une lettre ouverte exposant les doléances
de la profession au gouvernement ne semble pas si loin. Voir entre autres EuroMed, « Tunisie : l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire », Janvier 2008.
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Selon votre avis, quelles sont, aujourd’hui, les parties qui exercent des pressions sur le système judiciaire tunisien
(plusieurs possibilités de réponse) ?
Les personnes influentes, les partis politiques et le pouvoir exécutif sont les 3 réponses les plus citées quant
aux potentiels agents de pression sur le système judicaire par l’ensemble des personnes interrogées.
Ces chiffres relatifs à l’indépendance du
système judiciaire sont similaires – même
si encore plus sévères dans le cadre de la
présente enquête – avec ceux récemment
collectés et analysés dans le cadre de la
Consultation Nationale pour la Réforme
de la Justice où il est fait état de ce que «
59,2% des Tunisiens pensent que les magis-
trats sont influencés par la politique et que
seul 33,6% des répondants pensent que la
magistrature tunisienne est neutre et impar-
tiale »52. Il y est également rapporté que
« près de 68% des personnes interrogées
pensent que la magistrature tunisienne
privilégie certaines catégories sociales », cette perception provoquant soit un sentiment d’injustice, soit un
sentiment d’impunité en fonction des concernés53. La raison principale du manque de confiance dans les ma-
gistrats et le rendu de la justice serait d’ailleurs des soupçons de corruption selon 45% de la population
interrogée54.
4.4. LE RENDEMENT ET L’EFFICACITÉ DU SYSTÈME JUDICIAIRE
Pour ce qui est de l’évaluation du système judiciaire, la majorité des interrogés (44%) estime que le rende-
ment de ce système est moyen. Selon les données recueillies, 22,1% des enquêtés considère que le rende-
ment du système judiciaire est bon et 2,8% pense qu’il est très bon. Pour 18% des interviewés, le rendement
du système judiciaire est médiocre ou très médiocre.
Les Tunisiens tendent donc – de manière assez paradoxale – à être relativement satisfaits du rendement du
système judiciaire, et ce malgré l’image négative de cette institution avant le 14 janvier 2011, ses difficultés
actuelles pour défendre son indépendance et l’encombrement démontré de ces instances.
Comment évaluez-vous, aujourd’hui, le travail du système judiciaire en Tunisie ?
Il est cependant notable que le niveau d’éducation in-
fluence également ces perceptions, les interrogés dé-
tenteurs d’un diplôme supérieur étant plus critiques de
ce postulat : 24% des personnes identifiant un ren-
dement médiocre et 22% d’un rendement moyen font
partie de cette catégorie qui n’est représentée qu’à
12,4% quand il s’agit de le qualifier de
« très bien ».
52 « Consultation Nationale sur la Réforme de la Justice », Ministère de la Justice tunisienne, PNUD et OHCHR, Décembre 2013, p.42
53 Idem p.36.
54 Idem p.35
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Comment évaluez-vous, aujourd’hui, le travail du système judiciaire en Tunisie ?
Ce taux de satisfaction est cependant très relatif car il est sensiblement modifié lorsque la même question –
avec la dimension d’implication personnelle ajoutée – se pose exclusivement à ceux qui ont été confrontés au
système judiciaire dans les 5 dernières années55.
Ainsi 40,8% des interrogés qui ont été confrontés au système judiciaire au cours des cinq dernières années
déclarent que la justice n’est pas efficace et que justice n’a pas été rendue lors du traitement de leurs af-
faires judiciaires.
Cette impression que la justice n’a pas été rendue est plus présente chez les interrogés de sexe masculin
(42,8%) que chez les interrogés de sexe féminin (36,5%) et elle est plus observée chez les enquêtés en mi-
lieu rural (45%) que chez leurs homologues en milieu urbain (38,7%).
Pensez-vous que le système judiciaire vous ait rendu justice lorsque vous y avez été confronté ?
Concernant les causes expliquant la non-sa-
tisfaction du jugement rendu par le système
judiciaire, 43% des personnes évoquent l’ab-
sence d’impartialité du système judiciaire. Les
autres principales causes citées sont l’exis-
tence de lois injustes (23%), l’incompétence
de l’avocat (18,9%) et l’absence de moyens
financiers pour payer un avocat (7,8%)56 .
55 Pour rappel, il s’agit d’un échantillon de 10,8%, voir infra sur la page 38.
56 Voir infra p.79.
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4.5. LA FRÉQUENCE MOYENNE DU RECOURS À LA JUSTICE
10,8% des enquêtés déclarent avoir été confrontés au système judiciaire en qualité de demandeur, défen-
deur, témoin ou tuteur légal, au cours des cinq dernières années précédant l’enquête. Cette proportion est
plus de deux fois plus élevée chez les hommes (15%) que chez les femmes (6,6%).
L’écart entre milieux urbain et rural en matière de confrontation des interrogés au système judiciaire est
quant à lui quasi-nul (0,4 points). Au niveau régional, par contre, on observe que les régions du Centre-Est
(12,8%) du Sud (12,3%) et du Centre-Ouest (11,1 %) sont au-dessus de cette moyenne nationale, quand la
région du Nord-Ouest affiche un taux nettement inférieur (6,4%). La région de Tunis (10,4%) est au niveau
de la moyenne nationale (10,8%).
Si on projette les résultats de la présente étude au niveau national, on pourrait dès lors en conclure – sans
garantie scientifique toutefois – que 15% des hommes tunisiens ont déjà eu recours à la justice dans leur vie
et/ou y seront confrontés au cours de leur vie et que s’ils vivent dans le Sud ou le Centre du pays, ils seront
plus nombreux dans ce cas.
Répartition des enquêtés selon leur confrontation à
la justice dans les 5 dernières années (demandeur,
défendeur, témoin ou tuteur légal)
Répartition des enquêtés ayant eu une confrontation à la
justice dans les 5 dernières années (demandeur, défendeur,
témoin ou tuteur légal) par sexe
Les interrogés exerçant la profession de gérant déclarent avoir été confrontés au système judiciaire au cours
des cinq dernières années à raison de 27,1%, suivis par le personnel des services et vendeurs de magasins
et marchés (21,2%), les conducteurs d’installation et de machines et ouvriers de l’assemblage (18,6%), les
agriculteurs et ouvriers qualifiés de l’agriculture et de la pêche (17,2%), les directeurs et hauts cadres de
l’administration (16,5%).
Répartition des enquêtés ayant été confrontés au système judiciaire au cours des cinq dernières années précédant
l’enquête par profession
Les professions commerciales sont donc plus
visées par le recours en justice, suivies des
artisans et agriculteurs et en bas de liste, les
professions dites intellectuelles et adminis-
tratives.
Il ressort enfin des données collectées que
87% des enquêtés rapportent avoir eu af-
faire à la justice une seule fois.
11,4% rapportent avoir été confrontés à la
justice 2 fois et une tranche de 1,5% des in-
terrogés l’ont été 3 fois au cours de leur vie.
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4.6. LE TYPE DE MATIÈRES PRIVILÉGIÉES LORS DES RECOURS EN JUSTICE
En ce qui concerne les matières traitées par les Cours et Tribunaux dans le cadre des recours auxquels
furent confrontés les personnes interrogées, les affaires civiles sont citées dans 35,4% des cas, suivies des
affaires d’agression sur autrui (19,4%) et les affaires d’infraction sur les biens publics ou privés (18,1%). Une
presque parfaite égalité entre droit civil et droit pénal s’observe donc sur le podium des recours en justice.
Les affaires de droit de la famille dites « de statut personnel », soit 12,1% des cas cités, sont également
l’une des causes de plus en plus importantes de recours en justice, dans un pays qui légiféra sur le divorce57et
l’avortement 58 bien avant la grande majorité des pays occidentaux, faisant ainsi figure d’exception dans le
paysage régional et religieux de l’Afrique du Nord dès la seconde moitié du XXème siècle. Restait encore à
voir ces droits s’appliquer de facto, ce qui continue d’être un défi quotidien pour les Tunisiennes qui souhaitent
connaître et faire valoir leurs droits en la matière.
Les affaires de mœurs (1,9%), d’ordre public (1,7%) et les affaires foncières (1,1%) sont citées en dernier
lieu.
Quelles sont les affaires pour lesquelles vous avez été confrontés à la justice au cours des 5 dernières années ?
57 Le CSP promulgué le 13 août 1956 et entré en vigueur le 1er janvier 1957 donne à la femme une place inédite dans la société tunisienne et dans le monde arabe en
général, abolissant notamment la polygamie, créant une procédure judiciaire pour le divorce et n’autorisant le mariage que sous consentement mutuel des deux
époux.
58 Le recours à l’avortement est légal en Tunisie depuis l’année 1973 et se pratique jusqu’à 3 mois de grossesse.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Quelles sont les affaires pour lesquelles vous avez été confrontés à la justice au cours des 5 dernières années
(par sexe) ?
Si l’on observe la désagrégation par sexe des matières faisant l’objet d’un recours en justice, on constate
que les femmes citent – à concurrence de 60% des interrogées – les cas de statut personnel.Elles ne sont par
contrepas concernées par les affaires liées à la drogue et à l’alcool.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
5. LA THÉORIE :
L’AIDE LÉGALE PRÉVUE ET FINANCÉE PAR LES TEXTES TUNISIENS
« L’Etat devrait plus s’impliquer sur la question de l’aide légale. On n’a pas besoin
de lois, elles existent déjà. C’est leur mise en œuvre et l’administration qui pose pro-
blème ».
Un avocat du Nord-Ouest
Cette section a pour vocation de décrire les mécanismes légaux tunisiens, tels qu’ils sont prévus dans les
textes, étant l’aide judiciaire (5.1), la commission d’office (5.2) et le juge conseiller (5.3.).
Elle fera aussi un bref point sur les possibilités de services en ligne offerts en la matière par internet (5.4.),
les prévisions de réformes législatives en matière d’aide légale (5.5.) et quelques considérations budgé-
taires et démographiques liées à la prise en charge (5.6.).
Cette section ne fait que présenter ces mécanismes – en relevant d’ores et déjà quelques observations
flagrantes au niveau de la rédaction des textes –, l’observation de leur mise en application dans la pratique
sera traitée ci-après (v. infra 6.)
L’aide légale, essentiellement dans sa composante relative à l’assistance judiciaire à tout le moins est prévue
par le droit positif tunisien. Ce dernier en adopte même une conception extensive puisqu’il l’étend à la com-
mission et la désignation d’avocats gratuits, mais aussi à l’exonération des frais de justice, des frais d’experts
et des frais d’exécution.
5.1. L’AIDE JUDICIAIRE
• L’aide judiciaire « classique »
Elle est prévue en Tunisie depuis le décret beylical du 13 août 192259. Cependant elle n’était admissible –
jusque là – qu’en matière civile. Pour la justice judiciaire classique, l’aide judiciaire est aujourd’hui régie par
la loi n° 2002-52 du 3 juin 2002.
Cette loi est venue étendre le domaine d’application de l’aide judiciaire au champ pénal mais en a cepen-
dant limité les bénéficiaires ainsi que le nouveau champ d’application.
Par ailleurs, la loi n° 2007-27 du 7 mai 2007 est venue la compléter en étendant son champ d’application
aux affaires criminelles faisant l’objet d’un pourvoi en cassation.
Article 1 de la loi n° 2002-52 du 3 juin 2002 :
« L’aide judiciaire peut être accordée en matière civile à toute personne physique demanderesse ou défenderesse,
et ce, à toute phase de la procédure. Elle peut être octroyée en matière pénale à la partie civile et au demandeur
en révision ainsi que dans les délais passibles d’une peine d’emprisonnement au moins égale à 3 ans, à condition
que le requérant de l’aide judiciaire ne soit pas en état de récidive légale ».
Champ d’application de l’aide judiciaire
En matière civile, il est relativement large, dans la mesure où l’aide peut être allouée à n’importe quelle
phase de la procédure, que ce soit par le demandeur ou par le défendeur au procès60 .
59 Ce dernier a été modifié plusieurs fois, notamment en 1956 et en 1959.
60 On peut relever, par contre, l’absence dans ce texte d’une mention faite aux mineurs. On ne sait pas si ces derniers sont éligibles à une aide judiciaire et s’ils ont le
droit de la demander. Cette question se pose précisémenten matière civile, car le code des obligations et des contrats déclare dans son article 5 que les enfants de
plus de treize ans accomplis ont la capacité de contracter.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Observation :
• Une condition visant le caractère préalablement «fondé » du droit allégué est cependant exigée, ce qui
tend à préjuger de l’issue de l’action intentée au niveau de la décision de l’octroi de l’aide judiciaire61.
En matière pénale, le bénéfice d’une aide judiciaire a un champ d’application limité. En effet, la loi déclare
que l’aide n’est admissible que pour les délits passibles d’une peine d’au moins trois ans de prison, et elle ne
l’est en tout état de cause pas en cas de récidive62.
Observations :
• Ce qui précède implique que la petite délinquance n’ouvre pas le droit à une aide judiciaire alors que
cette dernière peut justement être déterminante dans le comportement futur du prévenu ou du condamné.
• Par ailleurs, l’exclusion des récidivistes du champ des bénéficiaires de l’aide judiciaire constitue une dis-
crimination inacceptable au regard des normes internationales –entre autres du Pacte sur les Droits civils
et politiques – pourtant ratifiées par la Tunisie63.
Bénéficiaires de l’aide judiciaire
La loi de 2002 ouvre le bénéfice de l’aide judiciaire aux personnes physiques64 mais aussi aux personnes
morales exerçant une activité à but non lucratif65.
Cette extension de l’aide aux personnes morales est positive car elle peut bénéficier notamment aux asso-
ciations, qui en vertu du décret-loi n° 88 du 24 septembre 2011 relatif aux associations ont désormais le
droit d’introduire des actions en justice sur des questions touchant leur champ d’action.
Observation :
• Connaissant les problèmes de moyens dont souffrent beaucoup d’associations en Tunisie, on peut penser
qu’une telle mesure est de nature à faciliter leur accès au juge, et permettre donc de donner à leur action
de contrôle de l’action des pouvoirs publics, par exemple, un caractère à la fois effectif et efficace. Ce
recours semble ceci dit assez peu connu et utilisé.
La loi de 2002 reconnait le droit à une aide judiciaire aux citoyens tunisiens, mais également aux étran-
gers établis en Tunisie66.
Observation :
• Cette dernière mention qui, à première vue, vient simplifier le régime juridique des étrangers au regard
de l’aide judiciaire reste cependant tributaire de l’existence d’une convention de coopération judiciaire
en matière d’aide, entre la Tunisie et l’Etat dont le demandeur est ressortissant, en plus de la réserve de
réciprocité.
Conditions d’octroi de l’aide judiciaire
L’ouverture de ce droit est soumise à la condition de ne pas avoir de revenu ou que le revenu annuel certain
soit limité et ne puisse permettre de payer les frais de justice et d’exécution, « sans que les exigences vitales
soient affectées de manière substantielle »67.
Cette condition est tout à fait logique dans la mesure où la raison d’être de l’aide judiciaire est la précarité
des conditions économiques des personnes éligibles à cette prestation.
61 Article 3 de la loi de 2002.
62 Article 1 de la loi de 2002.
63 Pour de plus amples précisions sur le sujet, voir le 3ème rapport du Réseau d’Observation de la justice (ROJ), « le procès pénal équitable : regard croisé sur les
standards internationaux, les normes nationales et les pratiques tunisiennes – Analyse et recommandations », Janvier 2014, p.32.
64 Article 1de la loi de 2002.
65 Article 2 de la loi de 2002.
66 Article 2 de la loi de 2002.
67Article 3 de la loi de 2002.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Observations :
• On note cependant une absence de la définition de l’indigence ou du seuil de pauvreté qui justifie le
bénéfice de ce type d’assistance. Ce problème peut être particulièrement difficile lorsqu’il s’agit de per-
sonnes morales.
• Aucun critère de détermination ou de preuve de la pauvreté n’est défini ; ce qui laisse au demandeur
la liberté d’en apporter la preuve par tous les moyens68 et un pouvoir discrétionnaire d’appréciation69 à
la commission chargée de statuer sur ces demandes.
• Une inégalité entre les demandeurs de l’aide est donc éminemment possible dans la mesure où il n’existe
pas de critères précis, ni objectifs, qu’utiliseraient de manière uniforme les commissions compétentes afin
de statuer sur les demandes.
Procédure d’obtention de l’aide judiciaire
La procédure relative à la demande d’aide judiciaire est définie dans les textes comme étant relativement
simple, dans la mesure où elle peut être présentée soit directement au président du bureau du tribunal com-
pétent pour connaitre du litige, soit par voie postale sur pli recommandé70.
Les pièces devant être soumises lors de la demande sont les suivantes:
• les pièces d’identité du demandeur,
• le cas échéant, le numéro de l’affaire si le dossier est déjà en cours,
• La preuve de l’indigence du demandeur, c’est à dire le caractère limité de ses revenus ou leur absence
totale (voir les observations flagrantes, supra)71,
• les pièces qui appuient le droit dont il se prévaut dans l’affaire pour laquelle il demande cette aide72.
Observation:
• Cette dernière condition, si elle se justifie par le fait qu’elle permet de filtrer les demandes abusives,
peut cependant constituer une entrave pour les justiciables qui ont précisément recours à la justice parce
qu’ils ont des difficultés à prouver les droits dont ils se prévalent.
La loi attribue à la commission chargée de statuer sur ces demandes de faire des investigations sur la sin-
cérité des déclarations de revenu des demandeurs d’aide. Ces investigations peuvent entrainer, si les décla-
rations du demandeur de l’aide s’avèrent inexactes, soit la réduction du montant ou le champ de l’aide, soit
son retrait. Les déclarations frauduleuses entrainent aussi des sanctions pénales (une peine de 15 jours à six
mois de prison et une amende de 100 à 500 dinars)73.
Concernant l’organe compétent pour statuer sur les demandes d’aide, la loi prévoit une commission mixte
dénommée « bureau d’aide judiciaire »(BAJ).
La commission compétente pour statuer sur les demandes est officiellement constituée :
• d’1 magistrat,
• d’1 avocat,
• d’1 représentant du ministère des finances.
Ce BAJ doit se réunir mensuellement mais peut, si le nombre de demandes l’exige se réunir en conséquence.
En matière pénale, il est tenu de traiter les demandes en tenant compte des délais de recours.
Les décisions de refus d’accorder l’aide ne sont susceptibles d’aucun recours74.
68 Article 6 de la loi de 2002.
69 Article 8 de la loi de 2002.
70 Article 5 de la loi de 2002 relative à l’aide judiciaire et article 7 de la loi de 2011 sur l’aide judiciaire devant le tribunal administratif.
71 Article 6 de la loi de 2002, article 7 de la loi de 2011.
72 Article 6 de la loi de 2002 relative à l’aide judiciaire et article 7 de a loi de 2011 relative à l’aide judiciaire devant le tribunal administratif.
73 Article 31 de la loi de 2002.
74 Article 13 de la loi de 2002.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Observation :
• Cette disposition est contraire aux Principes et lignes directrices des Nations Unies sur l’accès à l’assis-
tance judiciaire dans le système de justice pénale et plus précisément l’article 9 qui précise que : « Les
États doivent mettre en place des recours et des garanties efficaces qui s’appliquent lorsque l’accès à
l’assistance juridique est compromis, retardé ou refusé, ou lorsque les personnes n’ont pas été dûment in-
formées de leur droit à l’assistance juridique » et la ligne directrice 1. d) qui stipule que : « Les personnes
qui se voient refuser l’assistance juridique au motif qu’elles ne remplissent pas les conditions de ressources
aient le droit de faire appel de cette décision ».
Frais couverts par l’obtention de l’aide judiciaire
L’aide couvre un grand nombre de frais qui sont exigibles depuis l’introduction de la requête, jusqu’à l’exé-
cution du jugement.
L’aide judiciaire totale ou partielle couvre les frais normalement mis à la charge des parties et notamment75:
• Les droits d’enregistrement et le timbre fiscal afférents aux pièces que la partie requérante présente
pour établir ses droits.
• Les indemnités de retard et les amendes encourues pour non-paiement des droits d’enregistrement et du
timbre fiscal dans les délais légaux.
• Les frais d’expertise et les différentes missions ordonnées par le tribunal.
• Les frais d’actes notariés dont la délivrance est autorisée.
• Les frais de descente de juges sur les lieux.
• La rémunération de l’avocat désigné.
• Les frais de citations et de notifications.
• Les frais d’annonces légales.
• Les frais de traduction le cas échéant.
• Les frais d’exécution.
Il est important de noter que le bénéfice de l’aide judiciaire dispense le justiciable pour lequel elle a été
accordée des avances pour frais d’expertise ainsi que de la consignation des montants dus pour l’exercice
du droit de recours.
•L’aide judiciaire en matière administrative
Concernant la justice administrative, l’aide judiciaire est prévue par la loi 2011-3 du 3 janvier 2011.
Cette loi est venue se substituer au décret n° 74-882 du 26 septembre 1974 relatif à l’aide judiciaire, ainsi
qu’à l’article 30 de la loi du 1er juin 1972 relative au tribunal administratif, telle que modifiée par la loi
du 3 juin 1996.
Il semblerait que cette loi ait été adoptée en vue d’aligner le régime de celle-ci à l’aide devant les tribunaux
judiciaire puisque les bénéficiaires, les frais et la procédure sont sensiblement identiques.
La commission mixte, « bureau d’aide judiciaire », étant ici composée :
• d’1 magistrat,
• d’1 avocat,
• d’1 représentant du ministère des finances,
• d’1 représentant du ministère des affaires sociales.
L’article 13 de la loi de 2011 relative à l’aide judiciaire devant le tribunal administratif prévoit la possibili-
té, pour l’intéressé, de demander une révision de la décision de refus ; droit non reconnu devant les bureaux
d’aide judiciaire des juridictions non administratives.
75 Article 14 de la loi de 2002.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
5.2. LA COMMISSION/RÉQUISITION D’OFFICE
La commission d’office est une « mesure par laquelle un avocat est désigné d’autorité pour assister dans
sa défense une personne inculpée, un prévenu ou un accusé »76. Cette assistance fondée sur le principe de
présomption d’innocence est prévue pour garantir le droit de la défense et le droit à un procès équitable
en matière pénale.
Elle est assurée sans considération des ressources financières du prévenu ou de l’accusé.
De surcroit, elle ne passe pas et n’est pas décidée par la commission d’aide judiciaire, mais relève de la
compétence du juge chargé de l’instruction. C’est ce qui la distingue de l’aide judiciaire.
Le droit tunisien a consacré cette institution uniquement en matière de crimes, laissant ainsi les matières dé-
lictuelles et correctionnelles hors champ d’application77. C’est l’article 141du Code du Procédure Pénale qui
énonce le principe.
Article 141 du CPP
« L’assistance d’un avocat est obligatoire devant le tribunal de première instance sis au siège d’une cour d’appel,
lorsqu’il statue en matière de crime, et aussi devant la cour criminelle sise au siège de la cour d’appel. Si l’accusé
ne choisit pas un avocat, le président lui en désigne un d’office ».
L’article 38 du Code de Procédure Pénale Militaire, soumettant les procès militaires aux règles du Code de
Procédure Pénale, a consacré le même principe.
L’article 69 du Code de Procédure Pénale78 traite quant à lui de la réquisition.
Article 69 du CPP
« Lors de la première comparution, le juge d’instruction constate l’identité de l’inculpé, lui fait connaître les faits
qui lui sont imputés et les textes de la loi applicables à ces faits et reçoit ses déclarations, après l’avoir averti
de son droit de ne répondre qu’en présence d’un conseil de son choix. Mention de cet avertissement est faite au
procès-verbal.
Si l’inculpé refuse de choisir un conseil ou si ce dernier, régulièrement convoqué, ne se présente pas, le juge
d’instruction passe outre.
A défaut de choix, quand le prévenu est inculpé de crime et demande qu’on lui désigne un défenseur, un conseil
doit lui être désigné d’office.
La désignation est faite par le Président du tribunal. Mention de cette formalité est faite au procès-verbal ».
Observations:
• Cet article prévoit que le juge d’instruction peut procéder à l’interrogatoire même lorsque l’inculpé re-
fuse de choisir un avocat, ou si ce dernier ne répond pas à l’invitation qui lui est faite.
• Ce même article prévoit que l’absence d’avocat ne peut entraver le déroulement de l’interrogatoire, ce
qui constitue une violation grave du droit de la défense.
L’article 65 du Décret relatif à la profession d’avocat traite également de la réquisition.
Article 65 du Décret-Loi n°2011-79 du 20 août 2011 portant organisation de la profession d’avocat
« Le Président de section (de l’ONAT) est exclusivement investi de la prérogative de désigner les avocats dans
le cadre de la réquisition ou de l’aide judiciaire ».
76 Définition proposée par le « Lexique des termes juridiques », élaboré sous la direction de Serge Guinchard, Paris Dalloz, 2009, p. 144.
77 Infractions passibles de plus de 5 ans de prison.
78 Tel qu’amendé par la loi n° 2000-43, datée du 17 avril 2000.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Observation :
• La double compétence permettant aux Présidents de section de l’ONAT et aux Présidents des tribunaux
de désigner les avocats dans le cadre de la réquisition soulève régulièrement la polémique, chaque corps
arguant de son exclusivité d’intervention. Des risques de favoritisme et d’incapacité des jeunes avocats
sont également renvoyés de part et d’autre.
Le Code de la Protection de l’Enfant a le mérite d’étendre l’application de la règle de désignation d’office
d’un avocat à l’instruction.
Article 93 du Code de Protection de l’Enfant :
« Le juge d’instruction pour enfant prévient des poursuites les parties, tuteur ou gardien connus. A défaut de
choix d’un conseil pour l’enfant ou pour son représentant légal, le juge charge le président de la section du
conseil national de l’ordre des avocats de lui désigner un conseil d’office ».
Article 77 du Code de Protection de l’Enfant :
« Les officiers de la police judiciaire ne peuvent procéder à l’audition de l’enfant inculpé, ni à entreprendre
aucune procédure à son encontre qu’après avoir donné avis au procureur compétent. Si les faits imputés à
l’enfant sont d’une gravité majeure, le procureur de la République doit commettre un avocat d’office pour
assister l’enfant si celui-ci n’en a pas choisi un ».
Observation :
• On retrouve, là encore, le droit à l’assistance d’un avocat soumis à l’appréciation du procureur et exi-
gible uniquement en matière criminelle. C’est du moins ce que suggère l’expression « si les faits imputés
à l’enfant sont d’une gravité majeure ». Quel que soit le fait imputé à l’enfant, il ne devrait pouvoir être
entendu par qui que ce soit hors la présence d’un conseil.
5.3. L’INSTITUTION DU JUGE CONSEILLER/AIGUILLEUR
L’institution d’un juge aiguilleur est mentionnée sur le site internet du MJDH.
« Le juge aiguilleur est chargé d’orienter les justiciables désirant connaître une procédure déterminée, le suivi
d’un dossier au tribunal ou le déblocage d’une difficulté entravant le cours normal d’une affaire. Le bureau du
juge aiguilleur est installé au siège du tribunal de première instance »79.
La base légale de la création de cette institution semble cependant très difficile à identifier80.
Sa portée réelle sera analysée ci-après81.
79 http://www.e-justice.tn/index.php?id=712.
80 Aucun avocat, magistrat ou praticien rencontré dans le cadre de l’enquête n’a semblé maîtriser cette question (en ce compris les juges aiguilleurs eux-mêmes).
Par ailleurs, aucun moteur de recherche législative ne connaît ces termes associés de juge aiguilleur ou juge conseiller.
81 Voir infra p.64.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
5.4. LES PERSPECTIVES ACTUELLES DE RÉFORME TOUCHANT L’AIDE LÉGALE
« Malgré la constitutionnalisation de ce droit, la réforme de la législation sur l’aide
légale n’est pas une priorité à l’heure actuelle. »
Un parlementaire de l’ANC
« L’assemblée constituante a - pour des raisons morales - abordé l’aide légale, mais
cela ça n’ajoute rien parce que ce droit est déjà organisé par une loi, et ensuite la
Constitution ne doit pas devenir un fourre-tout… »
Un magistrat
La réforme constitutionnelle
La nouvelle Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 a consacré un article de son chapitre V – consacré au
Pouvoir judiciaire – à l’aide judiciaire, rendant ce droit constitutionnellement garanti à toutes les personnes
les plus démunies82.
Article 108 de la Constitution du 27 janvier 2014
« Toute personne a droit à un procès équitable dans un délai raisonnable. Les justiciables sont égaux devant la
justice. Le droit d’ester en justice et le droit à la défense sont garantis. La loi facilite l’accès à la justice et assure
l’aide judiciaire aux plus démunis. Elle garantit le droit au double degré de juridiction. Les audiences devant les
tribunaux sont publiques, sauf si la loi prévoit le huis-clos. Le jugement est impérativement prononcé en séance
publique. »
La législation existant déjà en la matière, la position actuelle se limite à avancer que la Constitution n’a fait
qu’énoncer un droit qui était déjà offert aux indigents tunisiens par les différentes lois qui ont été abordées
ci-avant. L’article 108 n’est pas cité dans les dispositions transitoires comme devant faire l’objet d’un délai
d’entrée en vigueur83, ce qui implique son entrée en vigueur immédiate. Pourtant, certaines normes et pra-
tiques ne sont pas en adéquation avec l’article 108. Malgré ce qui précède, la circonstance que le mandat
de l’ANC soit strictement limité84 explique qu’aucune réforme de la législation actuellement applicable n’est
encore envisagée.
Gageons que ces questions seront traitées dans le cadre du futur Parlement élu, lequel devra mettre en
conformité l’actuelle législation avec les normes internationales et le nouveau principe constitutionnel.
Observations :
• En l’état actuel – et comme observé ci-avant – le droit à un avocat en matière pénale est garanti unique-
ment pour les crimes, et est possible – mais non systématique – pour les matières délictuelles ; à l’exclusion
des peines de moins de 3 ans et de la récidive.
• En l’état actuel de la loi, le droit à un avocat en matière civile n’est pas garanti. Il est possible, mais à
la condition que le droit allégué soit considéré préalablement comme « fondé ».
Il n’en reste pas moins que l’article 108 de la Constitution permettra aux indigents mécontents du système
et de leur traitement de se pourvoir devant les plus hautes instances pour demander l’application de leur
droit à l’aide judiciaire.
82 L’ancienne Constitution de 1959 ne faisait état que d’un article laconique 12§2 énonçant que « tout accusé d’un crime est considéré innocent jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie dans un procès où lui sont offertes la garantie nécessaire pour se défendre ».
83 Article 148, §2, al.3 de la Constitution.
84 Article 148, §1 de la Constitution.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
La réforme du Code de Procédure pénale
Il échet d’énoncer la réforme en cours du Code de Procédure Pénale, laquelle est inscrite à l’agenda de
l’ANC dans le courant du 1er semestre 2014.
Le projet d’article 13 pourrait – s’il est adopté dans une compréhension extensive des standards internatio-
naux – rendre la présence d’un avocat obligatoire85 pour toute personne en garde à vue, impliquant dès
lors la commission d’office systématique d’un avocat pour toute personne indigente incapable de faire appel
elle-même à un avocat.
Projet du nouvel article 13 de la réforme du CPP
« (…) L’officier de police judiciaire doit informer le suspect dans la langue qu’il comprend de la mesure
prise à son encontre, de sa cause, de son délai et lui dicte ce que lui garantit la loi, notamment (…)le droit
de choisir un avocat qui sera présent alors, dans le cas de crime ou de délit nécessitant une sanction d’em-
prisonnement. »
Cette réforme permettrait de régulariser la situation récemment observée et dénoncée par le dernier
rapport de Human Rights Watch, lequel a attiré l’attention des responsables politiques tunisiens sur cette
question après le suivi de personnes détenues dans les centres de détention provisoire. Le rapport fait un
constat sans appel des violations des droits de l’Homme commises sur les prévenus, en l’absence totale de
l’assistance d’un avocat avant leur comparution devant un juge86.
Les priorités du MJDH en matière d’aide légale
On peut noter que la question de la réforme du CPP est une priorité émise dans le cadre du Plan Straté-
gique 2012-2016 du MJDH87, qui visait spécifiquement cette réforme au terme du produit 2.1. du résultat
2 consacré à la révision du cadre législatif.
Force est cependant de constater qu’à l’exception d’une mention laconique qui reconnaît – aux termes de
la liste globale des faiblesses observées – un « manque de connaissance des citoyens à l’égard du droit et
du système de justice»88, c’est malheureusement la seule allusion relative à la question de l’aide légale qui
figure au sein des priorités stratégiques communiquées par le MJDH.
Aucun agenda ne semble concerner de possibles réformes en la matière du côté du pouvoir exécutif, même
si a été faite de la necessité de révisée le systéme actuel d’aide judiciaire aux personnes vulnérables » lois
de la consulation nationale sur la reforme de la justice.
5.5. L’AIDE LÉGALE EN LIGNE
« Je n’ai pas de compte email, mais j’aiun compte Facebook ! »
Un avocat du Grand Tunis
Le site web du ministère de la justice89 offre un service de prestations judiciaires en ligne, grâce auquelles les
justiciables peuvent trouver de très nombreux formulaires ou modèles de demandes de prestations diverses,
dont l’intérêt réside dans le fait qu’ils contiennent la procédure à suivre et la nature des documents à fournir
en vue de l’obtention du service demandé.
85 Les débats sont actuellement en cours et le caractère « obligatoire » ou « incontournable sur demande de l’intéressé » de la présence d’un conseil n’est pas encore
tranché, ce qui n’aura évidemment pas le même impact en matière de mise en œuvre effective de la garantie de ce droit.
86 « Des failles dans le système : la situation des personnes en garde à vue en Tunisie » Human Rights Watch, décembre 2013.
87 Plan stratégique du Ministère de la Justice 2012-2016.
88 Idem, p.12.
89 Portail de la justice : www.e-justice.tn.
89 Rapport de la consultation nationale sur la réforme de la justice, p.45.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Ce service à distance permet aux justiciables et aux avocats, grâce à la base de données des juridictions,
d’effectuer le suivi des plaintes, procès-verbaux et affaires dans toutes les juridictions. Il est cependant dif-
ficile de vérifier l’état de la mise à jour des données qui y sont indexées.
Les services à distance du MJDH offrent également une panoplie de formulaires à télécharger, tels que ceux
relatifs à la constitution d’une personne morale (société par exemple), déclaration de cessation d’activité de
clôture ou de liquidation d’une personne morale, demande de mise à jour d’un titre foncier, etc.
C’est un service qui permet enfin d’obtenir diverses attestations notamment celles relatives à l’enrôlement des
affaires devant les différentes Cours et Tribunaux.
Ce service est important dans la mesure où il permet aux usagers de préparer leurs dossiers à distance
sans avoir à se déplacer, mais il permet aussi et surtout d’épargner à bon nombre de justiciables du service
public de la justice, de voir leurs demandes rejetées en raison d’un dossier incomplet ou d’une absence de
justificatifs nécessaires. Cela constitue pour l’usager tant un gain en termes de coûts qu’en termes de temps
face aux démarches entreprises.
Il faut cependant relever que les attestations demandées ne sont pas toujours disponibles en ligne et que
le paiement de ces attestations se fait lui aussi par voie électronique. Il est donc criant que les personnes en
situation de vulnérabilité, telles que les analphabètes ou les indigents, ne sont donc pas visées par ce type
de services.
Les Tunisiens ont cependant un accès très répandu à internet et sont particulièrement actifs sur les réseaux
sociaux depuis la Révolution, ce qui donne à ces services à distance une vraie légitimité et utilité dans la
Tunisie moderne.
On peut citer également les sites suivants, en termes d’accès au droit et à l’information :
• Le site internet de l’imprimerie officielle (www.iort.gov.tn) permet d’accéder, dans les trois jours de leur
publication, aux textes juridiques (Constitution, lois y compris celles portant approbation des conventions
internationales, règlements). De même sont accessibles sur ce site les différentes lois organisées sous forme
de codes.
• Le site du centre national universitaire de documentation scientifique et technique (CNUDST) permet lui
aussi une recherche avancée de tout texte juridique tunisien à travers son site (www.cnudst.rnrt.tn).
• Le portail tunisien de la législation (http://www.legislation.tn) est également un outil utile pour avoir
accès à la législation via un moteur de recherche par mot-clé.
5.6. LES DONNÉES BUDGÉTAIRES OFFICIELLES DE LA PRISE EN CHARGE
« Disons-le, le budget réservé à la Justice est vraiment trop faible… et pas assez struc-
turé. »
Un membre du MJDH
« Je n’ai pas la moindre idée du budget réservé à l’aide judiciaire »
Un magistrat
« Environ 30% de la population tunisienne bénéficie de mesures sociales, la situation
est difficile… »
Un membre du MAF
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
L’ensemble des acteurs de la justice peinent à avancer des montants chiffrés et l’ensemble des acteurs d’ap-
pui au système90 sont confrontés au problème de l’absence de données financières sur le système judiciaire
en général, et sur l’aide légale en particulier.
Le budget total de l’année 2013 pour le Ministère de la Justice serait de 376.151.00091 de DT, soit environ
188.000.000 €92.
La seule ligne budgétaire disponible en matière d’aide légale semble être celle relative à la réquisition
d’office qui présente un chiffre de 1.300.000 DT pour le budget de l’année 2013 – diminué de 100.000 DT
par rapport à l’année 2012 –, soit à peine 650.000 €.
En outre, la ligne budgétaire qui la mentionne cite également les expertises judiciaires à imputer sur le même
montant.
Extrait du budget 2013 du MJDH
Chapitre I. Dépenses de gestion
Rubrique II. Dépenses spécifiques
X1000
1. Administration centrale
Dépenses loyers
Dépenses essence
Commission d'office + expertise judiciaire
Nettoyage/Entretien
Maintenance et équipement des Tribunaux
Année
2012
Année
2013
2100
2350
1400
200
1500
1843
3000
1300
190
1500
Sachant que les indemnités des avocats commis d’office se montent à 180 DT par dossier93, ce chiffre permet
de prendre en charge – et si on exclut toute expertise judiciaire – environ 7.000 dossiers de commissions
d’office par an – soit une vingtaine de dossiers par jour pour tout le pays – ce qui semble d’une part déri-
soire et d’autre part non conforme à la réalité94.
Les prestations de l’aide judiciaire comme les honoraires des avocats désignés dans le cadre du BAJ, semblent
ne même pas apparaître sur le budget public du MJDH.
Quand on prend en compte le fait que le dernier recensement, qui date de 200495, estime le nombre total
d’analphabètes tunisiens à 1.925.771 personnes96– soit environ 20% de la population totale du pays97– les
mécanismes d’aide légale apparaissent clairement sous-financés.
90 L’attribution et l’affectation de fonds en faveur du développement de la justice et de ses acteurs requièrent au préalable une connaissance des agrégats et des
budgets de fonctionnements par grands postes des diverses composantes du système judiciaire. C’est notamment le cas du budget affecté à l’aide juridictionnelle.
Or, aucun de nos interlocuteurs n’a été en mesure de donner un montant indicatif des fonds qui lui sont consacrés, ni même un ordre de grandeur, ce qui par
conséquent ne permet pas d’apprécier l’importance qui lui est accordée ni les moyens financiers à mettre en œuvre », Diagnostic UE, p.94.
91 Disponible sur le site du Ministère des finances, seulement en arabe, http://archive.wikiwix.com/cache/?url=http://v2.portail.finances.gov.tn/index.
php?option=com_jdownloads%26Itemid=613%26view=finish%26cid=55%26catid=1%26lang=fr&title=Budget%20du%20ministère%20de%20la%20
Justice%20(Ministère%20tunisien%20des%20Finances).
92 Pour comparaison, on peut retenir que le budget du Ministère de la Justice français tourne en moyenne autour de 7,5 milliards d’euros quand celui de la Belgique
– pays à la démographie de 11.000.000 habitants, relativement similaire à la Tunisie – tourne autour de 1,8 milliards d’euros par an.
93 Article 1 du Décret n° 2011-1178 du 23 août 2011, portant attribution d’une indemnité de réquisition au profit des avocats stagiaires désignés d’office dans des
affaires criminelles.
94 Voir infra p61. les chiffres avancés par la section de Tunis et les greffes.
95 Le prochain recensement est prévu pour le printemps 2014.
96 Chiffre divisé en 626.544 hommes et – un peu plus du double – 1.299.227 femmes.
97Institut National de la Statistique, http://www.ins.nat.tn/indexfr.php.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Par ailleurs, il est estimé que 15,5% des Tunisiens vivent en-dessous du seuil de pauvreté national98, et ce
alors que le PNB annuel par habitant ne dépasse pas 4.150 $99.
Les bénéficiaires des cartes de soins gratuits100 permettant l’accès gratuit aux soins de santé dans les hôpi-
taux publics sont estimés à 235.000 ménages101, soit plus d’1 million de personnes ou 10% de la population
nationale. Le carnet de soins à tarifs réduit102 quant à lui été attribué à 600.000 ménages, soit près de
2.500.000 personnes 103. La délivrance de ces prestations sociales fait l’objet d’une procédure rigoureuse
par les commissions locales et régionales du MAF, le critère principalement retenu – outre la taille de la fa-
mille, la situation du logement, l’accès aux services publics, les membres de la famille handicapés, etc. – étant
un revenu moyen annuel inférieur à 1.000 DT (en fonction du milieu de vie).
Au vu de ce qui précède, il semble difficile de croire que les maigres montants affichés dans le budget du
MJDH puissent permettre de répondre aux besoins d’une telle population de vulnérables en matière d’accès
au droit et à l’aide légale.
98 Idem et confirmé par la banque mondiale, http://donnees.banquemondiale.org/pays/tunisie.
99 Banque Mondiale, http://donnees.banquemondiale.org/pays/tunisie.
100 Décret n° 98-1812 du 21 septembre 1998 fixant les conditions et les modalités d’attribution et de retrait de la carte de soins gratuits.
101 Information délivrée sur demande par le Ministère des affaires sociales.
102 Décret n° 98-409 du 18 février 1998 fixant les catégories des bénéficiaires des tarifs réduits de soins et d’hospitalisation dans les structures sanitaires publiques
relevant du Ministère de la santé publique ainsi que les modalités de leur prise en charge et les tarifs auxquels ils sont assujettis.
103 Idem.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
LA PRATIQUE :
6.
LES SERVICES D’AIDE LÉGALE RÉELLEMENT DISPONIBLES EN TU-
NISIE
Cette section présente un aperçu de l’offre légale disponible suivant ses principaux acteurs, étant le Barreau
et les avocats (6.1.), les services publics (6.2.), les associations locales (6.3.) et les acteurs internationaux
(6.4.).
6.1. LE BARREAU ET LES AVOCATS
• Les Avocats
Couverture numérique et géographique
Le nombre total des avocats inscrits à l’ONAT en février 2014 est de 7.945 avocats104 dont plus de 35%
sont encore stagiaires.
La population nationale globale est estimée en 2013 à un peu plus de 10 886 000 habitants105.Le ratio est
donc d’1avocat pour 1 370 habitants (1/1.370), ce qui constitue le haut du tableau de la région MENA,
derrière Israël et la Jordanie106 et probablement l’un des meilleurs taux de tout le continent africain107 (pour
comparaison, le tableau ci-dessous donne le ratio d’avocat par habitant d’une série de pays africains)108.
Le nombre d’avocats en Tunisie a cru de manière particulièrement vertigineuse sur les 30 dernières années.
Entre 1980 et 1992, le nombre d’avocats a augmenté de 96 %, passant de 707 à 1 429 ; puis entre 1992
et 2004, il a augmenté de 200 % ; et entre 2004 et 2008, de plus de 30 %.
104 Chiffre transmis par le Secrétariat de l’ONAT en février 2014.
105 Chiffres de l’INS, http://www.ins.nat.tn/indexfr.php.
106 En 2008, Israël présentait un ratio de 1/185 et la Jordanie de 1/738, la Tunisie présentait alors un ratio de 1/1721 qui a augmenté largement sur les 6 dernières
années (v. page suivante), cfr « Etude sur l’accès à la justice et l’aide judiciaire dans les pays partenaires européens », Projet EuroMed Justice II, 2011, p.28.
107 Ce chiffre est de 1/1190 en France (assez similaire), de 1/600 en Belgique (siège de l’UE et de toutes les procédures européennes) et de 1/278 au Luxembourg, haute
place de la finance – voir « Profession Avocat : les chiffres clés de six pays de l’Union Européenne », Legalworld, Mars 2013.
108 Chiffres issus de « Access to Legal Aid in criminal justice systems in Africa. Survey Report », UNODC, Le Vienne, 2011, p.11.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
La population totale tunisienne n’a évidemment pas augmenté au même rythme que celle des avocats (environ 6
millions d’habitants en 1985 contre près de 10 millions en 2007).
Entre 2008 et le début de 2011, le barreau a encore vu l’inscription de 1 500 avocats supplémentaires109.
Évolution du nombre d’avocats en Tunisie depuis 1991 (Crédit : Eric Gobe110)
9000
8000
7000
6000
5000
4000
3000
2000
1000
0
total
avocats près la Cour de cassation
avocats près la cour d'appel
stagiaires
1991
1996
2001
2006
2011
Pour un marché lucratif du droit particulièrement restreint dans un pays dont l’économie est à bout de souffle
depuis 3 ans de recherche de stabilisation politique préoccupant tous les agendas – à l’exclusion logique de
presque toute autre question d’affaire courante – le nombre d’avocats tunisiens apparaît comme démesuré
et générant évidemment une concurrence effrénée dans la recherche de dossiers et de clientèle.
Sans entrer dans des considérations historiques qui peuvent très logiquement expliquer qu’un régime poli-
tique autoritaire ait – subtilement mais sûrement – misé sur la dévalorisation et la division d’une profession
dont l’essence même est par extension la contestation des injustices et des discriminations et la promotion de
la défense des droits, il ne faut cependant pas perdre de vue que « les avocats tunisiens ne constituent une
profession unifiée et homogène. De nombreuses raisons ont contribué à fragmenter et à massifier une pro-
fession au sein de laquelle les différences de statuts socioéconomiques sont désormais patentes. »111 Cette
perspective est capitale dans la compréhension du contexte de l’aide légale en Tunisie et doit être gardée
à l’esprit à tous les niveaux de l’analyse.
Toutefois, si le nombre d’avocats est impressionnant, il reste cependant inégalement réparti sur le territoire
tunisien, de sorte qu’en dehors des grandes villes le nombre d’avocats est souvent et paradoxalement jugé
insuffisant aussi bien par les justiciables que par les professionnels de la justice aux mêmes.
Répartition géographique des avocats en Tunisie (février 2014)
Il existe donc une polarisation d’avocats dans la région du Grand Tunis qui totalise à elle seule plus de 57%
de l’avocature nationale. Si on ajoute la population des sections ONAT de Sousse et Sfax, autres centres
névralgiques de la pratique du droit112 en Tunisie, c’est plus de 75% des avocats qui pratiquent dans les 3
plus grosses villes de Tunisie.
Il existe donc un déséquilibre structurel entre la présence des avocats en zone urbaine et en zone rurale.
Cela a un impact sur les services possibles à offrir à la population en matière d’aide légale.
En outre, la pratique des avocats tunisiens semble avoir une vocation « généraliste » – à comprendre éga-
lement comme un manque de continuité de formation sur les spécialisations - ce qui implique une difficulté
supplémentaire pour se faire défendre par un spécialiste de la matière concernée.
109 Eric Gobe, « Les avocats tunisiens dans la Tunisie de Ben Ali : économie politique d’une profession juridique », in Droit et Société, 79 (2011), p.733-757.
110 Éric Gobe, « La structure sociale du barreau tunisien dans les années 2000 »,SociologieS, Dossiers, Professions et métiers autour de la Méditerranée, mis en ligne
le 09 mai 2012, URL : http://sociologies.revues.org/4.
111 Idem.
112 Il existe 5 Facultés publiques de Droit en Tunisie, 2 se trouvant à Tunis (la Faculté des sciences juridiques de Carthage et la Faculté de Droit et des sciences politique
de Tunis, El Manar), 1 à Sousse (Faculté des sciences juridiques de Sousse) et 1 à Sfax (Faculté de Droit de Sfax). La 5ème se trouve à Jendouba (Faculté de Droit de
Jendouba).
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Copyright : C. Maon
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Statut et monopole d’une profession
« Le besoin d’aide légale existe, c’est clair. Mais c’est vrai qu’il est difficile à mettre en
place dans la conjoncture actuelle de la situation économique des avocats… »
Un membre de la section de Tunis de l’ONAT
« Il faut changer la mentalité de l’avocat, qu’il arrête de tout voir sous l’angle de son
fond de commerce… L’image de l’avocat par rapport à lui-même et par rapport à la
société doit évoluer… ».
Une avocate du Grand Tunis
La nouvelle Constitution tunisienne du 27 janvier 2014 a intégré, de manière par ailleurs assez unique dans
le paysage constitutionnel mondial, dans son chapitre V relatif au pouvoir juridictionnel, un article consacré
à la profession d’avocat. En effet, l’article 105 proclame que « le barreau est une profession libérale et
indépendante qui contribue à l’instauration de la justice et à la défense des droits et libertés. L’avocat jouit
des garanties légales nécessaires à sa protection et à l’accomplissement de ses fonctions ».
On aurait pu souhaiter qu’à l’instar de ce qui a été prévu pour les magistrats113, il y ait à côté des garanties
offertes par la Constitution à ce corps professionnel, un alinéa relatif aux obligations et devoirs – de probité
et d’intégrité déontologiques par exemple – allant de pair avec les droits octroyés. Ce n’est cependant pas
le cas.
La constitutionnalisation du statut de l’avocat s’explique certainement par le rôle historique d’opposition
joué par cet Ordre durant la période du régime des Présidents Bourguiba et Ben Ali114 mais également par
l’implication décisive jouée ensuite par l’ONAT durant les 3 années qui suivirent la Révolution et, entre autres,
son intégration au quartet politique qui permit de passer outre la grave crise institutionnelle de l’été 2013115.
Fort de cette reconnaissance historique, l’ONAT se présente en acteur incontournable de la société civile, à
la légitimité et au mandat incontestable.
L’article premier du décret-loi n° 79 du 20 août 2011 relatif à la profession d’avocat déclare que « la
profession d’avocat est une profession libérale et indépendante, elle participe à l’instauration de la justice
et défend les libertés et les droits humains ».
Son article 2 ajoute que « l’avocat est exclusivement investi de la mission de représenter les parties, quel
que soit leur statut légal, de les défendre, les assister et les conseiller et de mener en leur nom toutes les
procédures auprès des tribunaux et toutes les instances judiciaires, administratives, disciplinaires et de ré-
gulation ainsi que devant la police judiciaire, et ce conformément aux dispositions législatives relatives aux
procédures civiles, commerciales, fiscales et pénales. »
Contrairement à de nombreux autre pays d’Afrique où des professions juridiques ou parajuridiques peuvent
cohabiter et apporter un complément à la profession d’avocat, il n’existe pas en Tunisie d’autres professions
liées à la défense des droits des personnes. Les avocats sont exclusivement compétents pour avoir mandat
de représentation en justice116.
113 L’article 103 « le juge doit être compétent, il est dans l’obligation d’être impartial et intègre il devra répondre de toute défaillance dans l’accomplissement de son
devoir »
114 Pour plus de détails et d’approfondissement sur ces questions, voir les écrits d’Eric Gobe.
115 Voir supra p.32.
116 Cette diversité est pourtant encouragée par les principes et lignes directrices des Nations unies sur l’accès à l’assistance judiciaire dans le système de justice pénale
(et notamment les lignes directrices 14,15 et 16) mais également par la Déclaration de Lilongwe sur l’accès à l’assistance juridique dans le système pénal en Afrique
(et notamment ses recommandations 6 et 7) qui visent à diversifier les systèmes d’assistance juridique aux fins de ne pas faire peser toute la charge de l’aide légale
sur les avocats et ce notamment dans les régions rurales où ils sont difficiles d’accès.
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A cette réalité légale et déontologique, se greffe également – par extension et par protectionnisme corpo-
ratiste et économique – le sentiment et la conviction de la profession que le conseil juridique est également
une prérogative exclusive de l’avocat, au détriment de tout autre acteur quelle que puisse être son intention
ou son statut.
Cette circonstance rend la dispense de service d’aide légale par des acteurs autres que les avocats extrê-
mement compliquée. Ces derniers estiment qu’il y a violation de leurs prérogatives exclusives d’accès aux
justiciables quand des initiatives sont entreprises pour proposer des conseils gratuits, et ce même lorsque les
bénéficiaires de ces services sont des indigents incapables de s’acquitter des honoraires d’un conseil (lequel
n’accepterait donc pas forcément de les prendre en charge à cette condition).
Avocats manifestant à Tunis – Décembre 2013 – AFP/FethiBelaid
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
Accès financier au service d’un avocat : les barème de l’ONAT
« Offrir des services de conseil gratuits, c’est de la concurrence déloyale ! ».
Un avocat du Grand Tunis
Si la question de la rémunération et de la prévision des honoraires est au cœur des débats depuis longtemps,
des mesures concrètes ont été prises par l’ONAT depuis quelques mois aux fins de règlementer la pratique
des honoraires.
Si aucun barème117 officiel n’existe au niveau national, les différentes sections commencent toutes à émettre
leur propre barème , lequel vise donc les honoraires minimaux à solliciter par les avocats dans le but d’har-
moniser les pratiques et de « veiller à la sauvegarde et à la crédibilité de la profession »118. Le non-respect
de ces montants peut mener à des sanctions disciplinaires.
Extrait du barème de la section de Tunis, entré en vigueur le 18 juillet 2013
117 C’est la section de Sfax qui a, la première, pris des dispositions en la matière, rapidement suivie par les sections de Tunis et de Sousse. La section de Kasserine s’est
également dotée d’un barème et la plupart des sections sont en train de se conformer à la pratique en cours. Les montants sont sensiblement identiques dans les
différentes sections.
118 Cfr le texte précédant le tableau des montants du barème.
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L’ETAT DE L’AIDE LEGALE EN TUNISIE
« Si un avocat veut faire du pro deo et aider la veuve et l’orphelin, qu’il le fasse discrè-
tement, à l’ombre de son cabinet et sans en faire étalage : c’est sa décision »
Un membre du Conseil de l’Ordre
Il ressort de ce barème que les prestations des avocats sont donc soumises à une rémunération minimale
et que les prestations gratuites officielles ne sont a priori pas admises en matière d’assistance judiciaire
(contrairement aux consultations juridiques et conseils qui ne sont pas visés par ces barèmes et qui peuvent
donc a priori faire l’objet d’un honoraire parfaitement libre).
Outre le fait que ce barème semble en net décalage avec le niveau de vie de bon nombre de Tunisiens
incapables de payer de pareils montants, la question de la mise en œuvre de l’aide légale gratuite aux
indigents se pose également : si elle est pratiquée gratuitement, elle ne se conforme pas au barème. Si elle
est mise en œuvre par des organisations extérieures119 à la profession mais faisant appel à des avocats
pour des besoins d’assistance judiciaire (représentation exclusive de l’avocat en justice), elle devrait donc
également se plier au respect du barème120 .
Par ailleurs, aucun service de conseil ou d’assistance au justiciable n’est organisé par le Barreau. L’avocat
qui souhaiterait offrir des prestations gratuites à des personnes dans le besoin doit donc le faire dans la
discrétion la plus totale, à ses propres dépens et sans aucune supervision de qualité des prestations ou de
redevabilité à son Ordre.
Qualité et Impact : la formation des avocats
• la formation initiale des avocats
Depuis la première promotion diplômée en 2010, la formation des futurs avocats relève de l’ISPA121. Le
recrutement des élèves s’opère par voie de concours organisé chaque année.
Avant 2008, le 3ème cycle en droit donnait un accès direct à la profession. Ce n’est plus le cas depuis l’ins-
tauration de l’examen d’entrée qui donne accès à l’ISPA pour 2 ans pour les titulaires d’un diplôme équi-
valent à 3 ans d’étude et pour 1 an à ceux bénéficiant déjà d’une spécialisation en droit (4 ans d’étude).
Environ 2000 à 3000 candidats se présentent chaque année pour entre 150 et 200 places à pourvoir. Cette
affluence s’expliquant également par le fait que le Barreau attire a priori tous les étudiants qui sortent
d’une faculté de droit et qu’une très forte concentration d’étudiants se soient inscrits en 2007 juste avant le
passage obligé du concours pour avoir accès à la profession.
Les admis reçoivent une formation théorique et pratique par des enseignants émanant du corps acadé-
mique, de la magistrature et du Barreau dont la sélection n’apparaît pas forcément comme transparente.
La faiblesse du niveau académique des élèves avocats et les difficultés corrélatives à assumer pleinement
la fonction d’école d’application sont régulièrement décriées de part et d’autre par l’ISPA, le Barreau et les
enseignants122.
119 Voir infra p. 65.
120 Un barème « alternatif » a été mis au point entre l’ONAT et ASF en mars 2013 devant servir de base pour des services d’aide légale aux indigents. Il est cependant
contesté.
121 L’ISPA est l’Institut pour la profession d’avocat, créé par la loi n°2006-30 du 15 mai 2006 qui modifie et complète la loi n°89-87 du 7 septembre 1989 portant
organisation de la profession d’Avocat. Il a ouvert en décembre 2008 et forme – en 1 ou 2 ans en fonction du diplôme antérieur – les aspirants avocats sortis de
l’université ayant réussi le concours d’entrée de la profession d’avocat.
122 L’UE en collaboration avec ASF France a mené, de février 2011 à août 2013, un projet d’appui à l’ISPA, basé sur les 5 volets suivants : 1.Renforcement institutionnel
& modernisation, 2. Formation de formateurs, 3.Formation initiale, 4.Formation continue, 5.Coopération régionale et internationale.
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• la formation continue des avocats
La formation continue des avocats est organisée par le Barreau qui ne fait pas état d’une stratégie très
développée en la matière et semble actuellement y procéder au gré des possibilités qui apparaissent, des
partenariats ponctuels qui se proposent et des financements disponibles123 .
Le mandat de l’ISPA est également destiné à apporter une contribution en la matière mais la collaboration
entre le Barreau et l’ISPA ne paraît pas particulièrement approfondie sur cette question.
Aucun système de points de formation ne semble exister et les obligations de formation pour les jeunes avo-
cats ne paraissent pas non plus être de mise.
Sur le contenu des formations, les matières susceptibles de contentieux rémunérateurs semblent être privilé-
giées par rapport aux thématiques relatives à la déontologie de l’avocat. Les techniques et mécanisme de
l’aide légale ne font pas partie des thèmes choisis lors de sessions qui s’organisent.
• Le Bureau d’Aide Judiciaire
« Je n’ai jamais réussi à rencontrer le BAJ… »
Un membre d’une ONGI
« Cette commission ne se réunit pas vraiment dans les faits, c’est trop compliqué…On
doit gagner du temps ! »
Un substitut du Procureur
Fonctionnement du BAJ dans la pratique
Il existe normalement 1 BAJ auprès de chaque tribunal de première instance. Comme déjà considéré ci-
avant, la réalité de cette institution ne fonctionne pas sur base d’un conseil de première ligne. Aucun service
d’aide juridique ou d’orientation n’est organisé par le BAJ.
Salle d’attente devant le greffe recevant les demandes
d’aide judiciaire – Palais de Justice de Tunis
Les justiciables qui ont connaissance de ce mécanisme – pour lequel par ailleurs aucune publicité ni informa-
tion n’est disponible au sein des Palais de justice et souhaitant bénéficier d’une prestation de l’aide judiciaire
doivent en réalité se rendre dans l’un des greffes du Palais qui s’est vu confier – entre multiples autres tâches
– la mission de recevoir les indigents qui déposent un dossier de demande. Le greffier collecte les documents
exigés et inscrit la demande dans le registre de l’aide judiciaire.
123 ASF France, Union Européenne (UE), International Legal Assistance Consortium (ILAC), International Bar Association (IBA), Union Internationale des Avocats
(UIA), etc.
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Le greffier communique ensuite ce registre et les pièces au Substitut du Procureur qui à la tâche de jouer –
seul – le rôle de Bureau d’Aide Judiciaire prévu par la loi ; fonction qui lui a été dévolue en interne par le
Parquet local.
Ce dernier convoque les parties – en général 1 fois par semaine, toutes les demandes de la semaine étant
examinée en même temps – et décide souverainement d’accorder ou non l’aide judiciaire aux requérants.
Cette décision n’est pas susceptible d’appel.
Si l’aide judiciaire est octroyée, une demande est envoyée à la section locale de l’ONAT demandant la dé-
signation d’un avocat. Il relève alors de la responsabilité de la section de désigner un conseil.
Un autre courrier est envoyé aux administrations concernées si l’aide judiciaire vise une expertise ou un autre
type de prestation.
Accès financier : le certificat d’indigence
L’octroi de l’aide judiciaire nécessite la démonstration de l’état de besoin du requérant. Comme déjà consi-
déré ci-avant, cette preuve peut être apportée par tout moyen124 et aucun critère n’est défini par la loi.
Dans la pratique, il apparaît cependant que cette condition se démontre presque systématiquement par la
production d’un « certificat d’indigence ». Ce document est délivré par les services du Ministère de l’Inté-
rieur125.
L’annexe 7.3. de l’arrêté y relatif126 énonce les modalités de délivrance du document :
Condition d’obtention : « avoir besoin d’une aide de toute nature »
Pièce à fournir : « carte d’identité nationale »
Etapes de la prestation :
1. présenter une demande orale ou écrite au chef de secteur « omda » territorialement compétent;
2. enquête sur l’identité de l’intéressé;
3. remise du certificat par le chef de secteur omda.
Délais : « immédiatement sauf les cas nécessitant une enquête en dehors du périmètre imada ».
« Il n’y a rien de transparent chez nous ! Ce certificat, c’est souvent des attesta-
tions de complaisance. Souvent, les gens qui ont les moyens profitent du système »
Une avocate du Nord-Est
« Ce certificat ne sert plus à offrir aucune autre prestation sociale depuis long-
temps…je ne savais pas qu’on l’utilisait encore en justice »
Un chercheur en droit social
Le omda est le chef de secteur de la plus petite unité de décentralisation du pays127 . Il peut être assimilé
à un maire et dans les zones rurales où « tout le monde se connaît », il est réputé avoir une idée précise du
niveau de vie de ses concitoyens. Même si une enquête est annoncée – sans critères spécifiques toutefois – il
semble que dans la pratique, cette attestation se délivre régulièrement sans qu’une preuve quelconque de
l’indigence soit apportée.Certaines pratiques de paiement d’une somme modique pour l’obtention du certi-
ficat sont également rapportées.
124Voir article 6 de la loi de 2002.
125 Circulaire du Premier Ministre n°59 du 18 décembre 1991 et Circulaire du Ministre de l’Intérieur n°50 du 11 décembre 1991.
126C’est l’annexe 7.3. du chapitre IV consacré au « domaine de la prestation : Attestations et autorisations délivrées par les gouverneurs et les omdas » de « l’Arrêté
du Ministre de l’intérieur et du développement local du 01.08.2006, relatif aux prestations administratives fournies par les services relevant du Ministère de
l’Intérieur et du développement local et les établissements sous tutelle et aux conditions de leur octroi », qui vise ce document.
127 Le gouvernorat constitue l’unité administrative la plus grande. Chaque gouvernorat est subdivisé en délégations lesquelles sont divisées en secteurs, dénommé
aussi «imada» qui représentent l’entité administrative la plus petite (on dénombre en moyenne 8 secteurs par délégation).Le pays est composé de 264 délégations,
lesquelles sont subdivisées en 2083 secteurs. Les gouverneurs, les délégués et les « omdas » qui sont respectivement les premiers responsables régionaux au niveau
des gouvernorats, des délégations et des secteurs sont désignés comme fonctionnaires de l’Etat. Les présidents des municipalités et les membres du conseil
municipal sont élus lors des élections municipales se font tous les 5 ans.
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Il échet en outre de constater que ce certificat n’est plus utilisé par le Ministère des Affaires Sociales qui
base la délivrance de services sociaux à la production du carnet de soins128 dont l’octroi est soumis à une
procédure spécifique menée par les 1.500 assistants sociaux recrutés à cette fin.
Impact, qualité et rémunération des avocats
Tout comme sur la question budgétaire, il est extrêmement difficile d’obtenir des chiffres globaux sur la prise
en charge des dossiers d’aide judiciaire par le BAJ.
Il n’existe pas de chiffres disponibles publiquement et au vu de la sensibilité des questions de désignations,
de rémunération et de budgétisation du service, on peut penser que cette opacité de fait n’est peut-être pas
le fruit du hasard.
Les chiffres rapportés varient énormément en fonction des régions et des pratiques rapportées par les avo-
cats eux-mêmes129.
A titre d’exemple, la section de l’ONAT de Tunis 1 rapporte que le nombre de dossiers pris en charge par
l’AJ pour les sections de Tunis 1, Ben Arous et Ariana se monterait pour le 4ème trimestre de 2013 à la
somme de 104 dossiers à raison de 79 pour Tunis 1, 16 pour Ben Arous et 9 pour Ariana, soit une moyenne
de 35 dossiers par mois pour 3 sections130.
Le registre de l’AJ pour le seul tribunal de Tunis 1 fait par contre état d’une moyenne de 58 dossiers traités
par mois pour une seule section131 , dont plus de 70% serait pourtant des désignations d’avocats. Il ne semble
pas y avoir de concordance entre des chiffres traitant pourtant de mêmes données.
Le registre du BAJ présenté ne contient que les décisions prises, étant soit un octroi de l’aide, soit un refus de
l’aide (grande majorité d’octroi).
128 Egalement dénommé « livret blanc » par les populations analphabètes.
129 Entre multiples exemples, à Sousse, 1 avocat rapporte être désigné 1 à 2 fois par an par le BAJ mais ne jamais être rémunéré. Au Kef, un avocat rapporte être
désigné environ 20 fois par an et toucher des honoraires. A Kasserine, 1 avocat rapporte ne jamais avoir été désigné alors qu’il manifeste sa disponibilité.
130 Chiffres communiqués par la section de Tunis 1 de l’ONAT.
131 Chiffres communiqués suite à la consultation du registre près le greffe de support du BAJ de Tunis 1.
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L’encadrement des prestations n’est pas spécialement organisé par les sections, ce qui peut cependant s’avé-
rer moins problématique pour l’aide judiciaire que pour la commission d’office dans la mesure où il semble
assez avéré par la pratique– et rapporté de manière unanime par tous les avocats interrogés – que les
désignations du BAJ concernent quasiment exclusivement des dossiers en matière civile qui sont confiés à des
avocats qui ne sont plus des stagiaires.
Dans la pratique, les dossiers en matière pénale semblent réservés à la commission d’office ; ce qui démontre
bien que seuls les crimes sont considérés pour la prise en charge de l’aide légale étatique.
En ce qui concerne la rémunération des dossiers, la procédure veut que lorsque le dossier est clôturé, l’avo-
cat intervenant dépose un dossier de paiement d’honoraires devant le Président du Tribunal aux fins de la
fixation de ses honoraires132.
Les critères suivants sont pris en compte pour la fixation du montant133:
• le degré du tribunal saisi de l’affaire,
• la nature de l’affaire,
• l’effort fourni par l’avocat,
• la section du tableau des avocats à laquelle appartient l’avocat concerné.
Ces critères apparaissant assez laconiques, des différences de traitement existent en fonction des zones, des
dossiers et des confrères, ce qui continue d’alimenter l’opacité autour de la question économique de l’aide
légale.
Dans la pratique, des forfaits officieux de prise en charge voient néanmoins le jour, ce qui apparaît comme
plus approprié et plus équitable : comme par exemple au Kef où des montants de 150 DT, 250 DT et 300
DT sont systématiquement octroyés pour toute procédure se tenant respectivement devant les juridictions
cantonales, le TPI et la CA.
• La Commission d’office
« Bien sûr que j’aimerais être désignée, mais cela ne m’est jamais arrivé, en 5 ans : ce
sont toujours les mêmes à qui l’on confie des dossiers »
Une avocate du Centre-Ouest
Dans la pratique, la commission d’office reste exclusivement la chasse gardée des avocats stagiaires qui
voient dans ce mécanisme avant tout la possibilité d’une petite rémunération et l’opportunité de se prévaloir
d’une expérience de plaidoirie quand les dossiers personnels sont extrêmement difficiles à décrocher.
Ici encore, les chiffres sont difficiles à obtenir et à croiser. La section de Tunis 1 fait pour exemple état de
170 dossiers de commissions d’office pour le 4ème trimestre de 2013134 soit une moyenne de 57 dossiers par
mois.Les greffes font quant à eux état d’une moyenne de 4 désignations135 par semaine pour chacune des
5 « grandes chambres » criminelles du TPI de Tunis 1, soit 20 désignations par semaine et donc 80 dossiers
par mois pour le seul TPI 1 de Tunis 1. Il n’y a pas de concordance entre des chiffres qui concernent pourtant
les mêmes données.
132 Décret n° 2007-1812 du 17 juillet 2007 portant régime spécial de fixation des honoraires des avocats et la rémunération des experts désignés par décision
d’octroi de l’aide judiciaire lorsque ces frais sont mis à la charge du bénéficiaire de cette aide.
133 Article 4 du décret ci-dessus.
134 Soit 65 dossiers de plus que pour la même période en 2012 (105 dossiers répertoriés).
135 Information communiquée par les greffiers des chambres 1 et 2 du TPI de Tunis 1.
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« J’aime bien être désignée, comme ça, ça me permet de tester mon niveau parce que
je ne plaide pratiquement jamais…c’est très difficile d’avoir des dossiers… »
Une avocate stagiaire
Une enquête précédente136 exclusivement menée parmi les avocats avait également permis d’obtenir
quelques données chiffrées.
Nombre de commissions d’office obtenues par les avocats-stagiaires durant les douze
derniers mois (en %, n = 110)
Crédit : Eric Gobe137
Comme déjà considéré ci-avant, la double compétence de désignation des Présidents de section de l’ONAT
et des magistrats en audience pose un souci dans la pratique. Les premiers considèrent que le choix des
avocats commis d’office par les Présidents de tribunaux obéit à un certain favoritisme, basé sur la seule
présence en salle d’audience, ce qui pousse certains avocats à attendre parfois plusieurs heures dans ce
seul but. Les seconds s’inquiètent de ce que l’ONAT ne désigne que les avocats stagiaires inexpérimentés sur
base d’une liste de stagiaires détenues par les sections qui évoquent le respect de l’ordre d’inscription pour
la désignation des dossiers.
Ces stagiaires n’étant par ailleurs que très rarement encadrés par les avocats chez qui ils effectuent leur
stage, il est acquis que cette pratique est de nature à compromettre sérieusement l’effectivité des droits de
la défense.
Quant au mode de rétribution des avocats désignés, l’article 1 du décret n° 2011- 1178 en date du 23 août
2011 portant attribution d’une indemnité de réquisition pour les avocats stagiaires commis d’office dans les
affaires criminelles prévoit que : « Il est alloué à tout avocat stagiaire désigné d’office dans une affaire
criminelle devant les tribunaux judiciaires ou militaires une indemnité de réquisition dont le montant est égal
à 180 dinars138 pour chaque affaire. »
Ce chiffre est également sous-évalué par rapport au montant des honoraires pratiqués et peut entrainer un
effet de désintéressement des désignés – ou un sentiment qu’ils traitent des dossiers de second ordre – et
mener à un manque de diligence dans le traitement des affaires qui leurs sont confiées, et ce quoiqu’en dise
la loi139 ou la déontologie de la profession.
136 Éric Gobe, « La structure sociale du barreau tunisien dans les années 2000 », SociologieS, Dossiers, Professions et métiers autour de la Méditerranée, mis en ligne
le 09 mai 2012, URL : http://sociologies.revues.org/4.
137 Idem.
138 De ce montant doit être déduit la taxe de 15%, ce qui équivaut à un net d’environ 150 DT par dossier.
139 Selon les entretiens effectués auprès des avocats, ces derniers sont unanimes à déclarer la rémunération offerte, soit sur commission d’office soit sur désignation
dans le cadre d’une aide juridictionnelle, dérisoire.
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6.2. LES SERVICES PUBLICS
• Le juge aiguilleur
« Nous sommes des entonnoirs »
Un substitut du Procureur
Dans la pratique, des substituts du Procureur reçoivent – près chaque TPI – le rôle d’aiguiller les justiciables
en manque d’orientation dans leurs dossiers. Ils peuvent aider au renseignement sur une procédure, le suivi
ou le déblocage d’un dossier en cours.
Sur base d’une organisation en interne et d’un planning, ils sont censés faire une rotation de présence au sein
d’un bureau d’orientation installé dans le tribunal.
En réalité, vu le défilé permanent de justiciables, ces substituts restent dans leur bureau au sein du Parquet
et les personnes concernées attendent devant leur bureau pour leur voler un peu de temps quand cela s’y
prête. Les aiguilleurs annoncent que s’il en était autrement, ils n’auraient tout simplement aucune possibilité
de faire avancer les dossiers relevant de leur tâche en tant que représentant du Ministère Public.
Si l’institution semble assez méconnue parmi les avocats ou dans le monde judiciaire, les guichetiers et autres
greffiers qui évoluent dans l’environnement des juridictions les connaissent bien et leur envoient tous les ci-
toyens perdus devant le cheminement procédural à suivre.
Faute d’un vrai service de conseil juridique organisé par ailleurs, ces juges aiguilleurs sont contraints de pas-
ser de nombreuses heures quotidiennes à donner des conseils de première ligne et d’opportunité de pour-
suites judiciaires ou de défense des droits puisque, ravis de parler à quelqu’un, les citoyens ne font aucune-
ment la différence entre les procédures en cours et les questions qu’ils se posent pour faire valoir leurs droits.
Cette institution fait un peu figure de maigre alibi, et semble en elle-même constituer un aveu d’échec du
système étatique d’aide juridique. Elle a en effet pour conséquence de ralentir les services du Parquet140 et
ne répond pas aux besoins de la population en aide juridique puisque :
• ces magistrats effectuent une tâche qui n’est pas la leur et ne requiert pas forcément leur compétence,
• ils sont censés en rester aux informations procédurales des dossiers déjà en cours,
• étant membre du Parquet, ils sont spécialisés en procédure pénale alors qu’ils reçoivent des questions
de tous bords juridiques,
• ils sont complètement dépassés par le reste des dossiers et ne peuvent trouver le temps nécessaire au
bon déroulement des entretiens.
• Le bureau des relations avec le citoyen
Le décret n°1549 du 26 juillet 1993 avait créé, dans le but de l’information sur la réforme administrative,
l’institution du bureau des relations avec le citoyen dans tous les Ministères de la Tunisie.
Encore une réalité aujourd’hui, celui du MJDH est ouvert de 8h30 à 17h30 tous les jours ouvrables, et compte
2 employés qui renseignent de facto les citoyens et justiciables sur :
• des questions de procédure administrative relevant effectivement du Ministère de la Justice (demande
de grâce, demande de nationalité, demande de liberté conditionnelle),
140Un juge aiguilleur annonce en février 2014 avoir réceptionné à Tunis – si on ne fait aucune distinction entre les fonctions qu’il remplit également comme
Substitut – plus de 7.000.000 de courriers depuis la rentrée judiciaire de septembre 2013.
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• des questions de procédure judiciaire,
• des questions juridiques de première ligne.
Une ligne verte serait également en vigueur et ce bureau joignable par les régions141 .
Sa fréquentation serait de 400 personnes par mois à raison de 20 personnes par jour142 .
6.3. LES OSC NATIONALES
• La position de la société civile sur l’aide légale
« La société civile doit s’impliquer sur l’aide légale, parce que les besoins sont très
grands et l’Etat ne peut à lui seul tout prendre en charge. »
Un magistrat
Un constat indéniable doit être posé sur la question du rôle joué par les OSC tunisiennes en matière d’aide
légale: son manque d’implication.
Dans de nombreux pays où les initiatives officielles d’assistance judiciaire d’une part – mais surtout d’aide
juridique d’autre part – sont considérées comme faisant au moins partiellement défaut, il est très courant
d’observer la mise en œuvre de service parallèles par le biais d’organisations syndicales, ONGs et autres
organismes associatifs divers.
Sous différentes formes et moyennant des modes d’accès ou de prise en charge variés, des pourvoyeurs
d’aide légale privés apparaissent et tentent à leur niveau de pallier les carences judiciaires et étatiques en
la matière. Force est de constater que le paysage associatif tunisien ne répond pas – ou à tout le moins pas
encore et certainement pas à une échelle notable – à ce schéma.
Pourtant, nombreuses sont les associations actuelles qui disent estimer que le besoin en aide juridique des
vulnérables est criant, et plus encore – selon elles – celui de l’assistance judiciaire. Arguant être confrontées
de manière quotidienne à une population qui ne connaît pas ses droits et sait encore moins comment les faire
valoir ou les défendre, ces organisations admettent aussi avec fatalisme n’avoir aucune piste d’action en la
matière, le système juridique paraissant trop compliqué, trop fermé, trop peu fiable, trop cher et ses modes
d’accès trop sclérosés, chasse gardée centenaire d’une profession corporatiste.
• Le rôle des OSC historiques et le poids du passé
« Nous devons nous restructurer, nous trouver un nouveau souffle après autant d’années de
résistance : nous sommes très sollicités et les besoins sont partout… »
Un membre d’une ONG de Droits de l’Homme
Il faut évidemment tenir compte des réalités historiques pour aider à appréhender cet état de fait. Une pé-
riode de 50 ans de régime autoritaire n’a évidemment pas laissé beaucoup de place à une société civile qui
s’est essentiellement construite sur la résistance.
Au milieu d’une majorité d’associations créées pour « jouer le jeu » du régime et servant de relais au pouvoir
en place n’ayant que peu d’ancrage et d’intérêt pour les vraies questions de société, une minorité composée
d’une dizaine d’associations autonomes a cependant contribué à la défense des droits humains avant le
déclenchement de la révolution.
141 Même si les essais d’appel effectués dans le cadre de la présente étude n’ont pas été concluants.
142 Chiffres émanant de la personne en charge des permanences du Bureau au MJDH.
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Cette minorité est représentée « par des associations de défense des droits de l’homme comme la Ligue tu-
nisienne de droit de l’homme (LTDH), l’Association de lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), la section locale
d’Amnesty International, le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), des associations féministes
comme l’ATFD et l’AFTURD, des organisations syndicales et professionnelles comme l’UGTT. Il n’est pas exclu
d’avancer que cette poignée d’associations aient vraiment jeté les bases d’une culture d’action actuellement
à l’œuvre »143 .
Ces organisations historiques qui avaient appris à œuvrer dans l’ombre, de manière militante et bénévole,
se sont retrouvées sous les feux des projecteurs après le 14 janvier 2011, fortes de leur victoire obtenue
mais croulant également sous les espoirs d’une société qui renouait avec la démocratie et qui adressait lo-
giquement une partie de ses attentes aux organisations leaders historiques de la société civile. Beaucoup
sollicitées et s’impliquant également politiquement dans la transition démocratique, ces organisations ont
pour certaines du mal à faire aujourd’hui œuvre de priorisation d’interventions et surtout de restructuration
interne et d’organisation dans le but de la mise en œuvre de projets concrets, de stratégies construites et
d’objectifs à atteindre.
• Les nouvelles OSC
« J’aime les proverbes, alors je vous dirais que la nature a horreur du vide…Et que
pour mieux se gratter, il faut utiliser son propre doigt… »
Un membre d’une OSC
Parallèlement aux organisations plus anciennes, la situation actuelle a vu et voit encore éclore un véritable
florilège d’OSC.
Au début de l’année 2013, la Tunisie comptait 14.966144 associations recensées145 , soit une association pour
724 habitants. Entre le mois de janvier 2011 et le mois de décembre 2012, 5.000 OSC ont été créées, soit
une moyenne de 2.500 par an, contre une moyenne tournant autour de 200 OSC par an pendant tout la
première décennie des années 2000.
Le secteur associatif a évidemment connu une dynamique exceptionnelle au lendemain de la Révolution, et ce
particulièrement par le biais de la création d’organisations actives en matière de droits humains, lesquelles
étaient spécialement marginalisées sous l’ancien régime.
Rapidement, la voie de l’appui à la société civile a été privilégiée par les bailleurs internationaux, certains
alimentant leur volonté d’appui par l’analyse de l’état des forces et des faiblesses des organisations.
143 « Etude sur les organisations de la société civile en Tunisie », Foundation for the future, Janvier 2013, p.8
144 « Etude sur les organisations de la société civile en Tunisie », Foundation for the future, Janvier 2013, p.7
145 En 2014, ce chiffre dépasse les 16.000 OSC.
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Le cadre ci-dessous énonce pour exemple l’analyse résumée de l’UE en mars
2012146 .
146 « Rapport de Diagnostic de la société civile tunisienne - Mission de formulation programme d’appui à la société civile en Tunisie », mars 2012, COWI – UE, p.31.
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Force est d’observer que 2 ans plus tard, ces constats et bien d’autres peuvent encore s’appliquer aux OSC,
en tous les cas – pour l’analyse qui intéresse la présente étude – à celles souhaitant s’investir en matière de
défense des droits humains et de l’aide légale.
• La position des structures historiques
Les grosses structures historiques semblent avoir du mal à entrer dans une logique de prise en charge systé-
matique ou ouverte à tous en matière d’accès à des services d’aide légale.
Elles continuent de se focaliser sur des dossiers isolés et issus de leurs pratiques passées, généralement
constitués aujourd’hui par les victimes de violations de droits de l’homme emblématiques et les martyrs de
la Révolution.
Aucune grille de filtre ou de critères précis ne semble exister sur le choix de la prise en charge.
Ces organisations fonctionnent sur une base d’assistance judiciaire au cas par cas et travaillent en collabo-
ration avec des avocats bénévoles proches de leur engagement, lesquels reçoivent un honoraire symbolique
– ou parfois rien du tout – mais ne prennent donc que quelques dossiers au gré du hasard et des disponibi-
lités. Ces initiatives restent ponctuelles. Aucun service d’assistance juridique n’existe officiellement en ce sens
au sein des structures.
• Les associations focalisant sur certaines thématiques
Il existe aussi des associations qui organisent un service d’aide légale de manière plus construite mais en se
focalisant sur une thématique bien précise.
Les thématiques privilégiées sont généralement les suivantes :
• La lutte contre la torture
• La promotion du droit des femmes
• La lutte contre les violences basées sur le genre
• Les martyrs de la Révolution
• La défense des islamistes discriminés
Ces organisations ont des modes de fonctionnement différents les unes des autres et se sont petit à petit
construites une pratique.
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« On ne peut pas faire confiance au BAJ pour le suivi de nos dossiers… Nos af-
faires sont trop délicates… »
Un représentant d’une ONG de défense des droits de la femme
• De rares initiatives ouvertes à tout indigent
Quelques très rares initiatives font de l’accès à l’aide juridique et judiciaire une possibilité pour tout potentiel
justiciable indigent.
« Cette femme avait été condamnée à 2 mois de prison, parce qu’elle occupait un
logement social de manière illégale: elle n’a rien. Sa fille de 3 ans a été incarcérée
avec elle, elle était malade… L’avocat qu’on leur a assigné via l’association a pu
les faire sortir, elles n’avaient rien à faire là… »
Un membre d’une OSC
« La demande est énorme : mais il faut gérer la demande d’accès à la justice
avant son accès en lui-même… »
Un travailleur social
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