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EURO-MEDITERRANEAN HUMAN RIGHTS NETWORK
RESEAU EURO-MEDITERRANEEN DES DROITS DE L’HOMME
L’état des libertés et des droits de
l’Homme en Tunisie
Rapport publié par le Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme
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Copenhague, novembre 1999
Secrétariat du réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme
Le Centre Danois des Droits de l’Homme
Studiestraede 38
1455 Copenhagen K
Denmark
Phone: +45 33 30 88 88
Fax:
+45 33 30 88 00
E-mail: msp@humanrights.dk
ISSN: 1398-7313
________________________
Information bibliographique d’après le Format Standard de l’HURIDOCS:
Titre: L’état des liber tés et des dro its de l’Hom me en T unisie
Auteu r collectif : Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme
Séries: Publications du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme
Mots clefs: Droits de l’homme/Liberté d’expression/Liberté de circulation/Médias/Liberté d’association
Termes géographiques: Pays méd iterranéens / E urope / Afriq ue du No rd / Mo yen Orient / T unisie
Traduction en français: Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme
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TABLE DES MATIERES
Introduction
1ère partie: LES DROITS INDIVIDUELS
Le droit à la protection de la vie privée
Le droit à la sauvegarde de l’intégrité physique
Le droits à la libre circulation
2ème partie: LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES ET PUBLIQUES
Les libertés d’opinion et d’expression
La liberté de presse et le droit à l’information
La liberté d’association et d’organisation
Conclusion
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Introduction
La Tunisie vient de connaître une période électorale. Des élections présidentielles et législatives
se sont déroulées le 24 Octobre. Pour la première fois dans l'histoire de la Tunisie, plusieurs
candidats se sont présentés: Le Président Ben Ali, candidat sortant occupant la Présidence de
la République depuis 12 ans et se présentant pour un nouveau mandat de 5 ans; M. Amor
Belhaj, Président du Parti de l'Unité Populaire (PUP); et Abderrahmane Tlili, Président de
l'Union Démocratique et Unioniste (UDU). Les résultats de ces élections confirment la
persistance tenace du système de Parti Unique et l'incapacité de ce système à accepter le
pluralisme, ne serait-ce qu'un pluralisme un tant soit peu crédible
1
A l'occasion de la tenue de la réunion du Conseil d’ Association entre la Tunisie et l’Union
européenne dans le cadre du processus de Barcelone, le 16 novembre 1999, nous faisons ci-après
le point sur l'état des libertés et des droits de l'Homme en Tunisie.
Il ne s'agit pas d'un rapport exhaustif. Il ne s'agit pas d'un inventaire des violations commises contre
les droits de l'Homme et les libertés. Il s'agit d'un ensemble d'éléments qui permettent de pouvoir
répondre aux questions suivantes: les obligations de l’Etat Tunisien, qui a ratifié la quasi-totalité des
pactes et des conventions en matière de droits de l'Homme, sont-elles généralement respectées?
L'obligation contractée par le Gouvernement tunisien dans l'article 2 de l'Accord d'Association avec
les 15 États de l’Union Européenne quant au respect des principes démocratiques et des droits de
l'Homme est-elle généralement respectée ?
Pour répondre a ces questions, nous passerons en revue la situation des libertés essentielles et
des droits fondamentaux de l'Homme au cours de la dernière période.
1 Les résultats officiels des élections ont donné 99,44 % des votes au Président Ben Ali et 92% des votes au
RCD.
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1ère PARTIE: LES DROITS INDIVIDUELS
1) Le droit à protection de la vie privée.
Cette notion, affirmée dans la législation tunisienne, est très fréquemment violée.
- Plus de références et documents sur Legaly Docs
* L'inviolabilité du domicile en particulier, pourtant reconnue et réglementée par la loi est une
notion quasiment étrangère aux « représentants de la loi » en Tunisie. Si la loi précise les cas
dans lesquels les perquisitions peuvent avoir lieu le soir, les policiers tunisiens « ne regardent
jamais l'heure » pour y procéder.
* L'inviolabilité de la correspondance
Les lettres ouvertes, les correspondances saisies sont monnaie courante. Les communiqués
publiés par la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) et envoyés de Tunis par la poste
aux sections de la ligue à l'intérieur du pays sont souvent interceptés.
“Le Code de la Poste”, promulgué par une loi votée par l'Assemblée Nationale en juin 1998
soulève bien des inquiétudes, notamment ses articles 20 et 21 qui parlent tout bonnement de la
saisie de « toute correspondance de nature à troubler l'ordre public » , avec « établissement
d'un PV de saisie à transmettre au Procureur de la République pour poursuites judiciaires
éventuelles! ».
Les communications téléphoniques sont l'objet de façon fréquente d'écoutes illégales. Beaucoup
de personnalités, un bon nombre d'Associations, et les domiciles de leurs responsables, leurs
bureaux ou cabinets sont sur écoute permanente. C'est le cas de la LTDH depuis une très longue
période.
Dans plusieurs cas, et régulièrement, les lignes téléphoniques sont coupées sans raison, les
services de la Poste disent souvent qu' « ils n'y sont pour rien ». Des dizaines de militants des droits
de l'Homme ou de militants politiques sont systématiquement
«écoutés», et fréquemment « coupés ».
Les communications par fax sont organisées selon une législation extrêmement sévère, quand il
s'agit de taxiphones destinés au public. Les décrets publiés en 1995 sont édifiants: la
correspondance par fax est assimilée aux articles de presse. Elle est régie par le Code de la
Presse, notamment au niveau de ce qui constituerait de la « diffamation », ou d'atteinte à l'ordre
public », ou de « diffusion de fausses nouvelles ». Le gestionnaire du Taxiphone Public est à ce titre
assimilé à un directeur d'un organe de presse et donc passible de poursuites judiciaires sur la base
du Code de la Presse.
Pour ce qui concerne les fax privés, les lignes sont très fréquemment perturbées. Souvent les
associations, les militants, constatent que les fax envoyés ne parviennent pas à destination, et que
ceux qui leur sont adressés leur parviennent souvent en blanc!
Lors de l'arrestation de M. Mohamed Mouada Président du parti d'opposition Mouvement des
Démocrates Socialistes (MDS ) en 1995 puis celle d'un des dirigeants de ce même parti M.
Khemais Chammari en 1996, et des poursuites judiciaires engagées contre eux, l'une des bases
de l'accusation consistait en des copies de fax interceptées de façon illégale.
Des arrestations ont été effectuées en 1997 suite à l'écoute sur des communications téléphoniques
privées par téléphone portable, et ce dans les heures qui ont suivi la communication incriminée.
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2) Le droit à la sauvegarde de l'intégrité physique,
Bien que l'Etat Tunisien ait ratifié depuis 1988 et sans réserve aucune, la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la pratique de la torture
est restée extrêmement répandue.
Lors qu'il s'agit de personnes arrêtées par la police pour des délits de droit commun, « les passages
à tabac » dans les postes de police sont considérés comme des choses habituelles. Des inculpés
sont présentés à la justice, notamment dans les cas de flagrant délit, dans un état de délabrement
physique manifeste.
Lorsqu'il s'agit de personnes arrêtées par la police politique pour des motifs politiques, les locaux
de la Direction de la Sûreté de l'Etat (DSE) qui se trouvent dans une aile du Ministère de l'intérieur
en plein centre de la capitale sont un véritable lieu de souffrance pour les militants accusés
d'appartenir à l'opposition. Des salles, des bureaux, des réduits, des salles de bain sont utilisés
durant des séances longues et répétées pour torturer les militants, d'abord pour les « punir », et
ensuite pour les obliger à signer des aveux dictés par leur tortionnaires et qui leur coûteront
quelques temps après plusieurs mois et même plusieurs années de prison à travers des procès
totalement « montés ».
Dans un rapport présenté par la F.I.D.H au Comité contre la torture de l'ONU en Novembre 1998,
rapport de 30 pages consacré aux pratiques de la torture en Tunisie, les exemples cités
franchissent incontestablement les limites de l'admissible
2.
Les affaires à caractère politique représentent la plupart des dossiers suffisamment établis et
détaillés pour indiquer, par leur nombre et leur concordance, l'ampleur de l'usage de la torture
dont les plaignants ont été victimes. La torture a été recensée sous les formes les plus diverses
à toutes les étapes et sur les différents lieux d'intervention policière:
1.
2.
3.
4.
Sur la voie publique et les lieux privés
A l'intérieur des postes de police
Dans les locaux du Ministère de l'Intérieur (Direction de la Sécurité de l'Etat D.S.E.)
Dans les prisons
Des personnes ont succombé à ces pratiques. Citons quelques cas parfaitement établis:
* Mourad Jendoubi en Septembre 1997 à Bizerte.
* Mme Ghezala Hannachi le 5 Septembre 1997 à Jendouba.
* Ammar Beji décédé en 1994 à Jebeniana.
* Ezzedine Ben Aicha décédé en août 1994.
Plusieurs militants ou citoyens arrêtés par la police politique ont témoigné des sévices qu’ils ont
subis - Néjib Hosni, Hamma Hammami, Abdelmounem Belanes, Imane Derwiche, les
etudiants du Parti Ouvrier Communiste de Tunisie (POCT) récemment condamnés et bien
d'autresavant eux ont eu à subir dans leur chair les souffrances infligées par des tortionnaires
qui sont d'autant plus déterminés qu'ils se savent couverts par une impunité totale.
La récente annonce d'un projet d'amendement du Code de Procédure Pénale (CPP) afin que
2 Tunisie: des violations caractérisées, graves et systématiques. Rap port alternatif au deuxième rapport
périodique de la Tunisie au Comité contre la torture de l’ONU, rapport FIDH, no. 267, novembre 1998.
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soit précisée la définition de la torture telle que visée par les articles du CPP sanctionnant tout
fonctionnaire qui se rendrait coupable de sévices contre une personne détenue, est restée au
niveau de l'intention. Dans tous les cas, la torture est tellement systématique qu'elle fait
précisément partie intégrante du système de répression .
Des tortionnaires tristement célèbres ont même été décorés par les plus hautes autorités de
l'Etat: nous pouvons citer Hassen Abid et Mohamed Ennaceur responsables haut placés de la
police politique.
3) Le droit à la libre circulation,
*Le droit de voyager à l'étranger
Le droit d’obtenir un passeport et de partir en voyage est depuis de longues années l’objet de
très grandes restrictions. La loi de 1975 qui régit la question des passeports accorde au
Ministre de l'Intérieur le pouvoir discrétionnaire absolu de refuser de délivrer un passeport,
notamment s'il juge que « la présence de l'intéressé (le demandeur) à l'étranger est de nature à
troubler l'ordre public ou de porter atteinte au prestige de la Tunisie ». Au cours des 25
dernières années, et à l'ombre de cette loi, des milliers de personnes, notamment des militants
politiques, des syndicalistes, des activistes des droits de l’Homme ont été « interdites de voyage
» d'une façon tout à fait arbitraire et parfois pour de très longues années.
En novembre 1998 une loi a été adoptée par le Parlement portant amendement de la loi de
1975 sur les titres de voyage. Il avait été annoncé auparavant que l'amendement présenté avait
pour objectif de rendre cette loi conforme à la Constitution, reconnaissant ainsi officiellement
(discours du Président de la République le 7 Novembre 1997 ) que cette loi, datant de 1975
était anti-constitutionnelle. Il était annoncé en même temps que la nouvelle loi stipulerait que
seule l'autorité judiciaire aurait la prérogative d'interdire les voyages.
La loi votée et qui a soulevé l'hostilité des associations indépendantes dont la LTDH, consacre
en réalité le pouvoir sans limites du Ministre de l'Intérieur.
Pour l'obtention ou le renouvellement de la validité d'un passeport, c'est en effet le Ministre de
l'Intérieur qui décide seul et arbitrairement d'accorder ou non le passeport. Lorsqu'il s'agit
d'interdire à une personne de voyager alors qu'elle dispose d'un passeport en cours de validité,
la loi (et c'est cela la seule disposition nouvelle) stipule que le Ministre de l'Intérieur présente
une requête dans ce sens au Président du Tribunal de première instance territorialement
compétent, lequel prend la décision et cela sans entendre la personne concernée ni son avocat,
et sans lui donner le droit de recours.
La loi amendée en 1998 ne constitue nullement un progrès par rapport aux dispositions
précédentes. Elle maintient intégralement le pouvoir discrétionnaire du Ministre de l'Intérieur, en
fait le dictat de la police politique quand il s'agit de passeports pour les militants de l'opposition
ou les militants des droits de l'Homme. Cette loi est de surcroît devenue un monstre juridico-
politique en mettant l'appareil judiciaire, dans des conditions inadmissibles, au service de la
volonté du Ministère de l'Intérieur et de la police politique
Aujourd'hui la situation en matière de liberté de voyager reste donc très préoccupante.
Plusieurs dizaines de citoyens sont arbitrairement privés de cette liberté. Plusieurs associations
indépendantes, à l'initiative de la LTDH, ont mené au printemps dernier une campagne en
faveur de la liberté de circulation. Quelques passeports ont été alors effectivement délivrés,
mais la liste reste longue de ceux et celles qui en sont encore privés.
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Au mois de Mai dernier la LTDH, l'Association des Femmes Démocrates, l'Association des
Jeunes Avocats ont demandé au Ministre de l'Intérieur de recevoir une délégation composée de
leurs trois Président(e)s pour l'entretenir de la gravité des restrictions à la liberté de voyager,
Cinq mois après le Ministre de l'Intérieur n'a toujours pas répondu à cette requête. A ce jour la
LTDH continue de réclamer les passeports de nombreux citoyens et militants parmi lesquels
nous pouvons citer le Vice-Président de la LTDH Khémais Ksila, récemment libéré de prison et
privé de son passeport depuis août 1996, Salah Hamzauoi, universitaire, son fils Yassine
étudiant en 3eme cycle inscrit dans une Université Canadienne et empêche jusqu'ici de partir,
de Maître Radia Nassraoui, Maître Anouar Kousri, dirigeant de la section de Bizerte de la LTDH,
Maître Jamel Bida et d'autres avocats du barreau, le Docteur Mustapha Ben Jaafar ex-
Secrétaire Général du M.D.S, Sihem Ben Sedrine, le journaliste Taoufik Ben Brik, en y ajoutant
les cas du Dr Marzouki et de Omar Mestiri privés de leur passeport par décision judiciaire
* La liberté de circuler à l'intérieur du pays
Les assignations à résidence sont une pratique courante et constituent une atteinte à la liberté
de circuler dans le pays, Le Ministère de l'Intérieur en use et en abuse. Plusieurs dizaines de
personnes souvent plus ou moins liées aux groupes condamnés dans le cadre des poursuites
engagées contre le mouvement intégriste Ennadha, ont été assignées à résidence avec
obligation de signer une ou deux fois par jour au poste de police le plus proche.
Des personnes condamnées par les tribunaux uniquement à des peines de prison sans peines
complémentaires telles précisément l'assignation à résidence, ont été dès leur sortie de prison
assignées à résidence par décision unilatérale du Ministère de l'Intérieur, parfois même par le
responsable régional ou local de la police. D'autres personnes, du seul fait qu'ils sont parents
ou proches de détenus ou d'anciens détenus fiés à Ennahdha, ont également, en grand
nombre, et pour de longues périodes, subi cette mesure discriminatoire et totalement illégale. Il
faut signaler le cas de Monsieur Bedoui enseignant à Kébili qui après avoir été condamné à 3
ans de prison ferme pour appartenance au mouvement intégriste Ennahdha, a été libéré après
avoir purgé sa peine et immédiatement assigné à résidence avec obligation de signer un
registre de présence au poste de police. Ayant contesté cette mesure illégale, il a été par deux
fois traduit en justice et condamné a 6 mois de prison ferme.
La situation dans laquelle se trouve un grand nombre de personnes ainsi assignées à résidence
est extrêmement pénible. Elle est véritablement inadmissible et totalement illégale. Certaines
personnes ont perdu leur travail du fait qu'il était exigé d'eux de se déplacer deux fois par jour
au poste de police pour signer.
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2ème PARTIE: LES LIBERTÉS INDIVIDUELLES ET PUBLIQUES
1) Les libertés d'opinion et d'expression
Les libertés, garanties formellement par la Constitution et par le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques ratifié par la Tunisie, sont traitées en Tunisie dans le cadre, non pas du
nécessaire respect des droits de l'Homme, mais du système politique fondé encore sur le Parti
Unique, qui monopolise l'ensemble de la vie politique, dont l'appareil est confondu avec
l'appareil de l'Etat et de l'Administration.
L'opinion critique ou contestataire, dans le domaine politique mais pas seulement, est
considérée comme suspecte. Il y a des opinions « tabous », donc dangereuses pour celui qui
les porte ou les exprime. L'image de la Tunisie présentée par les Autorités est celle « d'un
peuple totalement mobilisé et uni derrière son Président et son Parti ». L'opposition tolérée,
notamment les partis représentés au Parlement depuis 1994, ne sortent pas de ce consensus.
Tous les Tunisiens sont donc unanimes, ou plutôt, doivent l'être. Dans ces conditions, l'opinion
divergente n'est pas tolérée. Des opinions critiques, même modérées ne sont pas admises.
Pour avoir, en septembre 1997, protesté dans une déclaration publique diffusée aux agences
de presse et à certaines ONG, contre les tracasseries dont lui et sa famille étaient victimes,
pour avoir attiré l'attention sur la dégradation des libertés et des droits de l'Homme au cours de
la dernière période, notamment à travers un contrôle et un embrigadement sur l'ensemble de la
Société, Khémais Ksila, vice-président de la LTDH a été arrêté et condamné à 3 années de
prison ferme. Il a été libéré deux ans plus tard suite à une longue campagne de solidarité en
Tunisie et à l'étranger.
Les prises de position de la LTDH sous forme de communiqués publics sur des questions de
droits de l'Homme, sont totalement ignorées par les médias et considérées par le pouvoir
comme subversives et « portant atteinte à l'intérêt national». Le Premier Ministre, en décembre
1998, dans un discours officiel à l'Assemblée Nationale a violemment pris à parti la LTDH
l'accusant d'être « à la solde de l'étranger » puisqu'elle a participé à l'élaboration d'un rapport
destiné à l'ONU sur les pratiques de la torture en Tunisie !
Toute opinion critique qui sort du « Consensus National » non seulement ne trouve aucun
journal pour la publier mais peut amener son auteur devant les tribunaux. Au printemps dernier
Mohamed Guerfi un grand professeur de musique, très connu dans le pays par sa production
artistique de valeur, a été traduit en justice pour une série d'articles qu'il a écrits dans le
quotidien en langue arabe
Essabah sur les festivals organisés chaque année par le Ministère
de la Culture. Il avait eu « le tort » d'écrire que le niveau de ces festivals était très bas, que
l'argent de l'Etat était ainsi jeté par la fenêtre, que la plupart des troupes et des chanteurs qui
s'y produisent sont tout à fait médiocres, etc. Il a été jugé par le tribunal de Tunis coupable de
diffamation, selon les disposition du Code de la Presse, et condamné à une amende. Taoufik
Chammari, haut cadre du Ministère de l'Aménagement et PDG d'une entreprise publique a été
en juillet dernier démis de ses fonctions et jeté en prison sous l'accusation d'avoir proféré, dans
une réunion interne tenue dans les locaux de l'entreprise dont il était le chef, des propos
diffamatoires et des fausses nouvelles. Il a été condamné à un an de prison ferme toujours sur
la base des disposition du Code de la Presse. Il a été libéré quelques semaines plus tard « pour
raisons de santé ».
La système est tel que même les personnes appartenant à des partis soutenant le Chef de
l'Etat dans le cadre du « consensus national » sont assez fréquemment victimes d'ostracisme
surtout à l'intérieur du pays et dans les zones rurales. Les cellules du RCD se chargeant très
souvent de la distribution des aides sociales, de l'attribution des cartes d'indigents ou des cartes
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de soins médicaux gratuits, ceux qui ne sont pas destouriens sont souvent exclus. A plus forte
raison quand on leur connaît ou on leur attribue des opinions « contre le Gouvernement ».
2) La liberté de presse et le droit à l'information
L'opinion contraire n'ayant pas droit de cité, personne aujourd'hui ne trouverait un journal qui
accepterait de lui ouvrir ses colonnes pour écrire les opinions et les questionnements critiques.
Beaucoup de lois, parmi celles qui régissent et organisent l'exercice des libertés, telles le Code
de la Presse, la Loi sur les Associations, la Loi sur les Passeports sont des Lois contraires à la
Constitution ».
Il faut dire que le Code de la Presse est extrêmement répressif. Un très grand nombre d'articles
de ce Code énumère les interdictions et les sanctions. C'est une épée de Damoclès en
permanence suspendue sur la tête des journalistes, des responsables de journaux, des
publicistes mais aussi de tous ceux qui écrivent, qui publient ou qui exposent leurs opinions
dans des réunions, conférences, colloques ou séminaires. C'est le Code de la Presse qui a
constitué l'instrument essentiel pour réprimer et faire condamner par les tribunaux ceux qui «
dérangent » le Consensus.
Au mois de Mai dernier, le Groupe de travail sur la détention arbitraire auprès de la Commission
des droits de l’homme des Nations Unies a eu à se prononcer sur une plainte pour détention
arbitraire présentée en relation avec l'arrestation et la condamnation de Khémais Ksila, Vice-
Président de la LTDH (avis no 5/1999). Dans les conclusions de la résolution adoptée, le
Groupe de Travail a considéré qu'un certain nombre de dispositions du Code Tunisien de la
Presse telles que les articles 41, 42, 50, 51 et 52 sont contraires aux libertés d'opinion et
d'expression garanties par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et demande
solennellement au Gouvernement Tunisien de les abroger.
1
« Le dépôt légal » constitue en Tunisie un autre instrument pour empêcher les publications non
désirées. Tous les journaux, toutes les revues, tous les livres, toutes les gravures, bref tout ce
qui s'édite et se publie est soumis, selon le Code de la Presse, à la formalité du Dépôt légal.
Théoriquement, il s'agit simplement de déposer avant toute diffusion un certain nombre
d'exemplaires de la publication au Ministère de l'Intérieur. Théoriquement toujours, les services
de ce Ministère sont tenus de délivrer un reçu selon lequel le dépôt a été effectué. Dans la
pratique ce reçu n'est pas donné d'une façon automatique. Le refus de le délivrer signifie
toujours dans la pratique la non diffusion.
Des livres ont été ainsi bloqués à l'imprimerie pendant plusieurs semaines et même plusieurs
mois. En 1994 un chercheur universitaire a été obligé, à la demande expresse du Ministère de
la Culture, de retirer et de récrier quelques pages d'un livre déjà imprimé et ce comme condition
à l'autorisation de publication. Au mois d'avril dernier, à la veille de son Congrès National,
l'Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) a élaboré un livre de plus de 400 pages
comportant diverses contributions de spécialistes, d'universitaires, de chercheurs, syndicalistes
ou proches du syndicalisme, portant sur de nombreuses questions économiques en Tunisie en
cette fin de siècle. Le dépôt légal a été effectué mais le livre reste jusqu'à ce jour bloqué par la
1 Y -a-t-il un lien entre ces recommandations du Groupe de Travail de l'ONU et la promesse
annoncée par le Président Ben Ali au cours de sa récente campagne électorale d'engager
prochainement une réforme du Code de la Presse ?
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volonté du Ministère de l'Intérieur. Cette année également, et pour n'avoir pas accepté de
prendre en charge la diffusion d'un livre « officiel écrit sur commande », une maison d'édition et
de diffusion du livre a subi des pressions et des représailles.
Revenons à la Presse proprement dite. Le droit à l'information qui est un droit fondamental du
citoyen n'est pas considéré comme tel. Tout se passe comme si le Gouvernement considérait
qu'en réalité le citoyen a le devoir d'être informé par le Gouvernement sur ce que pense le
Gouvernement, sur ce qu'il réalise « au profit du peuple », etc.
Rien ne ressemble plus à la Une d'un quotidien Tunisien que la Une des autres quotidiens. A la
télévision, à la radio, dans les journaux, seule l'information officielle, et avec présentation
uniforme de surcroît, a droit de cité, En 1996, Monsieur Mohamed Moada Président du MDS a
été condamné à 12 ans de prison. La même année Monsieur Khémais Chammari, dirigeant du
même Parti a été condamné à 5 ans de prison. En 1997, Monsieur Khémais Ksila, Vice-
Président de la LTDH a été condamné à 3 ans de prison. En juin 1999, plusieurs militants
d'extrême-gauche dont Maître Radia Nassraoui, sont traduis en justice et pour certains d'entres
eux lourdement condamnés. Ni en 1996 ni en 1997, ni en 1999, aucun journal Tunisien, sans
parler évidement de la TV et de la radio, n'a publié ne serait-ce qu'une ligne sur ces affaires et
ces très lourdes condamnations.
Les journalistes tunisiens, du moins ceux qui croient fermement à leur noble éthique, sont
complètement marginalisés. Ils passent le clair de leur temps à faire, non pas du journalisme
mais de l'auto-censure. Plusieurs d'entre eux du reste émigrent ou aspirent fortement à
l'émigration.
Dernièrement une chaîne de télévision arabe a décidé de recruter deux ou trois journalistes
tunisiens appelés à travailler hors de Tunisie. Elle a reçu 150 demandes.
En fait une formule pourrait traduire la réalité: si en Algérie à une époque donnée on a tué les
journalistes, en Tunisie aucun journaliste n'a été assassiné mais on a tué le journalisme.
Le journaliste Taoufik Ben Brik qui travaille pour des médias étrangers, subit depuis plusieurs
mois des pressions, des menaces et même des agressions caractérisées pour le dissuader de
continuer à écrire dans la presse étrangère. Les journaux étrangers diffusés en Tunisie sont
l'objet d'une censure tatillonne dont les cibles préférées semblent être les quotidiens français Le
Monde et Libération. En Mars 1994, immédiatement après les élections présidentielles et
législatives ils ont été l'objet d'interdiction totale pendant un ans. En 1997, Le Monde a été saisi
27 fois entre janvier et cctobre, soit presque une fois tous les 10 jours. Au cours des 6 premiers
mois de 1999, Le Monde a été saisi 17 fois.
3) La liberté d’Association et Organisation
La législation dans ce domaine est constituée de 2 textes: la Loi sur les partis politiques (1988)
et la Loi sur les Associations promulguée en 1959 et amendée plusieurs fois depuis.
* Pour ce qui est de la Loi sur les partis dont certaines dispositions, notamment celles qui
interdisent la création de partis sur des bases religieuses ont été récemment intégrés au texte
de la Constitution, elle donne des droits discrétionnaires au Ministre de l'Intérieur pour accorder
ou refuser le visa, Une demande déposée en 1994 par un groupe d'opposants pour la création
d'un parti politique dénommé « Forum Démocratique » a été depuis tout simplement ignorée
par le Ministère. Des pressions ont même été exercées sur les fondateurs de ce parti pour qu'ils
renoncent à leur projet.
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* La Loi sur les Associations, elle, a une longue histoire en Tunisie, en particulier à travers le
conflit qui a opposé en 1992/1993 le Gouvernement et la LTDH, qu'un amendement introduit
par le Gouvernement à la Loi existante visait à museler.
Le mouvement associatif Tunisien a toujours été dynamique, diversifié et très actif. Diverses
Associations à caractère professionnel (avocats, ingénieurs, médecins, etc) ou catégoriel (
étudiants, femmes, jeunes, etc. ) ou encore à caractère culturel, ont constitué durant de
longues années un tissu extrêmement dense.
Aujourd'hui sur plusieurs milliers d'associations, une très grande partie n’existe que sur le
papier. Un certain nombre d'autres ont été « investies » par le RCD et les représentants de
l'administration. Plus aucune Association ne peut être créée par des citoyens n'appartenant pas
au RCD et à l'administration. Au cours de la dernière période, des demandes de création
d'associations ont été rejetées par le Ministère de l'Intérieur; le motif invoqué est toujours le
même : « les Statuts de l'Association ne sont pas conformes à la Loi sur les Associations ».
Dernièrement, un groupe de militants de diverses sensibilités (Moncef Marzouki, Omar Mestiri,
Taoufik Ben Brik, Mustapha Ben Jaafar, Siham Ben Sedrine, et d'autres) a présenté une
demande de visa pour un « Conseil National des Libertés ». Le Ministère de l'Intérieur a
répondu par la négative toujours en invoquant le même motif. Deux fondateurs de ce conseil
non légalisé - MM. Marzouki et Mestiri ont été entendus par le juge d'instruction et des
poursuites judiciaires engagées contre eux.
Les associations indépendantes existantes mènent leurs activités dans des conditions difficiles,
la LTDH, l'Association Tunisienne des Jeunes Avocats, l'Association des Femmes Démocrates,
La Section Tunisienne d'Amnesty International, l’Union Générale des Étudiants de Tunisie sont
certes légalement reconnues et ont pignon sur rue, mais elles sont en permanence surveillées,
mises sur écoutes, harcelées par la police. Leurs activités sont perturbées et quelquefois
interdites, leurs prises de position totalement ignorées par les médias. Les militants des droits
de l'Homme sont régulièrement l'objet de campagnes de presse dans certains journaux
devenus spécialisés en la matière qui diffament sans vergogne ces militants et militantes, et
vont jusqu'à mettre en cause leur patriotisme.
Les autorités n'ont pas hésité à créer leurs propres « ONG ». En 1996, des associations ont été
créées très officiellement par certains ministres dans leurs bureaux. « Avocats sans frontières
», « Association pour la défense des tunisiens à l’étranger », « L'Association des mères» sont
des officines gouvernementales, auxquelles on a donné la forme juridique d'ONG. Depuis leur
création, leur seule activité consiste à publier des communiqués défendant le gouvernement
chaque fois que celui est l'objet, à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, de critiques notamment
par les organisations internationales de droits de l’Homme. Ce sont des « ONG »
gouvernementales que les autorités envoient chaque fois que cela est possible dans des
colloques ou rencontres d'ONG de la région où elles jouent le rôle de véritables auxiliaires du
gouvernement.
Conclusion
L'Etat Tunisien se targue d'avoir ratifié un grand nombre de conventions internationales
relatives aux droits de l’Homme. Plusieurs fois le Gouvernement Tunisien a été mis sur la
sellette dans des conférences ou dans des réunions traitant de la question des droits de
l'Homme, notamment des organismes de l'ONU spécialisés en la matière. Il s'est engagé
chaque fois à tout faire pour améliorer la situation des droits de l’Homme. La réalité vécue
confirme qu'entre le discours sur la démocratie et les droits de l'Homme et le vécu des citoyens
et des militants, le fossé ne s'est guère réduit.
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Pour cela, le REMDH lance un appel aux états membres de l’UE et au gouvernement tunisien
d’inclure dans l’agenda de la réunion du Conseil d’association l’évaluation de la situation de
droits de l’Homme en Tunisie relatif à l’article 2 de l’Accord d’association en vue d’assurer la
protection et la promotion des droits de l’Homme en Tunisie.
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