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LES MODES ALTERNATIFS DE REGLEMENT DES CONFLITS:
UN OBJET NOUVEAU DANS LE DISCOURS DES JURISTES FRANCAIS ?
AUTEURS :
INSTITUT :
- Plus de références et documents sur Legaly DocsMarie-Claire RIVIER, Pascal ANCEL, Gérard BLANC, Marianne COTTIN,
Olivier GOUT, Xavier HAUBRY, Latékoué LAWSON-BODY, Jean-Louis
POURRET, Isabelle SAYN
Centre de Recherches Critiques sur le Droit - CERCRID
Unité associée au CNRS, rattachée à l’Université Jean Monnet de Saint Etienne
DATE :
Mai 2001
PUBLICATION :
Ronéo. 74 pages
Méthodologie et présentation de la recherche
Dans le cadre de cette étude, nous avons choisi d’examiner un objet à travers le
“ discours doctrinal ”, entendu comme une activité qui tend à produire un savoir né de
travaux essentiellement individuels, traditionnellement considérés par les juristes comme
constituant leur “ recherche ”, et véhiculé par des publications dans le champ de la doctrine
juridique. Cette activité de publication a une double fonction.
Elle est d’abord le moyen privilégié de circulation des informations, des idées, à
l’intérieur de ce que l’on peut appeler la communauté des juristes, spécialement universitai-
res, pour lesquels cette production constitue l’un des premiers instruments de travail.
Elle est ensuite un élément fondamental dans la formation dispensée aux futurs
juristes dans les facultés de droit. Elle a ainsi un rôle pédagogique, et oriente l’appréhension
du droit par les étudiants. Le discours doctrinal est ainsi une pièce du droit qui s’apprend,
et se transmet.
Les modes alternatifs de règlement des conflits constituent un objet qui est
incontestablement entré dans le discours des juristes français. Comment est-il apparu, quand,
dans quels contextes et dans quels domaines du droit, quelle place a-t-il prise, comment
a-t-il été intégré et reçu, peut-on constater une évolution dans la littérature juridique à ce
sujet, a-t-il été l’occasion ou l’origine d’un changement dans le discours des juristes sur la
question de la résolution des différends, sur la justice, et plus généralement sur le droit ?
La difficulté de cerner l’objet étudié provient tout d’abord du fait qu’il a la particu-
larité d’être transversal, et surtout, d’être caractérisé par une très grande hétérogénéité
terminologique. Le recours à ce terme ou aux différentes formules qui sont ici utilisées,
s’avère relativement aléatoire : dans le discours doctrinal, les “ modes alternatifs ” sont un
contenant, un cadre, dont la mention n’a rien de nécessaire. Comme le montre cette étude,
les “ MARC ” sont considérés par les juristes comme une catégorie floue, ouverte, recou-
vrant, selon les disciplines, les périodes, les auteurs, des notions assez diverses. A deux
exceptions près, la recherche n’a pu être effectuée que par un dépouillement manuel, suppo-
sant une investigation, notamment à partir des index alphabétiques, sur un nombre étendu
de termes.
Après un premier examen exploratoire, nous avons choisi de retenir deux
types de documents.
Les ouvrages recensés sont les manuels et traités concernant le droit
processuel
: procédure civile ou droit judiciaire privé, procédure pénale, contentieux admi-
nistratif, institutions judiciaires ou juridictionnelles. Le dépouillement effectué a conduit à
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l’établissement de 88 fiches concernant les ouvrages, représentant 44 auteurs. Dans la
masse documentaire étudiée, l’espace de temps couvert est de 20 ans (l980-2000).
Les revues retenues sont, d’abord, les revues juridiques généralistes (Dalloz,
J.C.P., Gazette du Palais, Les Petites Affiches). Nous avons, d’autre part, sélectionné un
“ panel ” de
revues nationales de large diffusion, spécialisées dans différents domaines.
Quant aux revues, la masse documentaire totale est de
336 fiches, sur une pé-
riode de 30 ans (1970-2000).
La recherche impliquait de remonter dans le temps, à travers les publications
étudiées. La borne de départ a été fixée à l’année 2000. La détermination du
dies ad quo
s’est avérée nettement plus délicate. Nous avons tenté de vérifier comment ce que recou-
vre la formule de “ modes alternatifs ” était présenté, situé, analysé avant que cette for-
mule n’apparaisse. Quant aux manuels, la plus ancienne édition saisie date de 1980, alors
que, dans ce type de documents, la formule “ modes alternatifs ” apparaît en 1996. Quant
aux revues, le document saisi le plus ancien date de 1970, alors que le mot “ alternatives ”
apparaît pour la première fois, dans les revues que nous avons sélectionnées, en 1974.
A partir de l’analyse de cette masse documentaire, deux axes d’étude se sont
imposés.
Tout d’abord, le constat que les discours tenus se présentent en ordre très dis-
persé, marqué par une grande diversité des termes utilisés, nous a conduit à consacrer la
première partie à l’étude de la terminologie dans le discours doctrinal. Il s’agit de recher-
cher quand et comment les “ modes alternatifs ” sont entrés dans ce discours, et d’exami-
ner ce que recouvre l’hétérogénéité terminologique qui en constitue l’aspect le plus frap-
pant.
Ensuite, nous avons voulu examiner comment les juristes se sont saisis de cet
objet, en consacrant la seconde partie à l’analyse du contenu du discours doctrinal.
La terminologie dans le discours doctrinal
L’entrée du terme “ alternatifs(ves) ” dans le discours des juristes s’opère de façon
assez discrète au sein des revues examinées dans la période 1970-1984, la première revue
dans laquelle le terme apparaît étant la Revue de sciences criminelles. Le droit pénal, avec
la sociologie du droit (Droit et société) font figure de précurseurs. Après 1985, le mot se
diffuse, pour faire son apparition dans les manuels en 1996 seulement. La dernière période
(1995-2000) est marquée par une augmentation considérable de la production doctrinale,
traduisant l’implantation de la formule “ modes alternatifs ” dans toutes les branches du
droit, spécialement en droit processuel civil, et en droit de la famille.
L’évolution tend à l’effacement du discours de type théorique, au profit d’une
production massivement technique. Les explications fournies sur l’origine de la formule
“ modes alternatifs ” renvoient à l’ADR nord-américaine, et se font de plus en plus rares,
démontrant une sorte de “ naturalisation ” du terme. De même, la proportion des auteurs
étrangers cités est décroissante par rapport aux auteurs français, dont la production de-
vient suffisante pour alimenter le fond de références. On peut aujourd’hui parler de “ fami-
liers du discours sur l’alternatif ”, juristes français constituant le “ noyau dur ” des auteurs
publiant des études sur la question, repérables par l’analyse des références, dans la me-
sure où ils sont à la fois “ citant ” et “ cités ”.
En parallèle avec l’expansion du discours sur les modes alternatifs, on constate
l’hétérogénéité de la terminologie, certes probablement en voie de réduction, mais encore
patente, tant quant aux mots que quant aux choses que ces mots recouvrent.
L’objet étudié a été dès les origines, et est encore désigné par des formules assez
diverses. Ce n’est que dans la période récente qu’on peut observer une certaine faveur
pour la formule “ modes alternatifs de règlement des conflits ”, abrégée sous la forme de
MARC, mais cette formule est encore loin d’être utilisée à titre exclusif. Il est assez difficile
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d’expliquer cette évolution terminologique, la plupart des auteurs n’exposant pas pourquoi
ils utilisent tel mot plutôt que tel autre.
Dans un premier temps, on rencontre surtout la forme substantivée “ alternati-
ves ”, qu’on oppose à des voies traditionnelles diverses : alternatives “ à la justice ”, “ au
judiciaire ”. Le qualificatif “ alternatif ” se trouve ensuite accolé à des substantifs variés : on
parle de “ systèmes alternatifs ”, de “ procédés alternatifs ”. Ce n’est qu’assez tardivement
que s’impose la terminologie “ modes ” aujourd’hui dominante, et qui apparaît comme ca-
ractérisée par sa neutralité.
Modes alternatifs de quoi ? Au fur et à mesure que la formule se précise, apparaît
une nette préférence pour le mot “ règlement ”, qui est d’abord en concurrence avec le mot
“ résolution ”. La domination de “ règlement ” sur “ résolution ” peut s’expliquer par l’idée
que ce second mot renvoie davantage à un résultat que le premier, qui est peut-être mieux
approprié pour désigner le processus qui conduit à un résultat en lui-même incertain. Mais,
dans cette optique, le terme de “ traitement ”, qui est encore plus neutre que celui de “ règle-
ment ” quant au résultat, aurait sans doute pu s’imposer. Les raisons euphoniques ont pu
jouer ici un rôle particulièrement important : l’abréviation “ MATC ” ou “ MATL ” aurait été
de ce point de vue assez malheureuse.
Quant à la troisième partie de la formule, on constate une très nette évolution. Au
départ, cette troisième partie est le plus souvent absente : on parle de “ modes alternatifs de
règlement ” sans autre précision. Puis, les termes de “ conflits ” et de “ litiges ” s’imposent,
l’emportant sur le mot “ différends ”. Si les mots “ conflit ”, “ litige ”, “ différend ” ne corres-
pondent pas, dans le langage du droit, à des catégories juridiques distinctes, ils peuvent
être affectés, dans le langage des juristes, de significations différentes, au moins sur le
terrain de la théorie et de la sociologie du droit. Des trois termes, le terme de conflit apparaît
ainsi comme celui qui est le moins lié à la saisine d’une juridiction, et qui a la connotation
juridique la moins forte.
En tout cas, aucun de ces termes ne satisfait les pénalistes, qui observent que les
affaires à régler par la voie de la médiation pénale ne sont pas véritablement des conflits,
encore moins des litiges, et qui préfèrent logiquement parler d’alternatives aux poursuites
ou au classement sans suite.
Il est clair, d’autre part, que tous les auteurs qui étudient ou qui évoquent les
modes alternatifs de traitement des conflits, en utilisant une des formules précédemment
évoquées, ne leur donnent pas la même signification. Le souci des auteurs de donner une
explication est très variable avec le temps : au début des années 1990, période au cours de
laquelle la notion de “ modes alternatifs ” fait véritablement son entrée dans la doctrine
juridique française, on trouve presque toujours une explication. Mais, dans la période plus
récente, le taux d’explication diminue, alors même que croit sensiblement le nombre de textes
contenant la formule : c’est que, désormais, les “ MARC ” sont intégrés dans le langage
juridique commun, et qu’il ne paraît plus toujours nécessaire d’en expliciter le sens.
Lorsqu’une explication est donnée, elle peut l’être de trois manières : par exclusion,
par équivalent, ou par contenu. Dans le discours doctrinal, ces trois types d’explications se
combinent fréquemment.
L’explication par exclusion revient à indiquer à quoi les modes de règle-
ment étudiés sont alternatifs. Dans leur grande majorité, les auteurs se partagent entre deux
positions : celle qui consiste à présenter les modes alternatifs en opposition aux modes
juridictionnels (40% des fiches contenant une explication) et celle qui y voit une alternative
au judiciaire (40,7%). Beaucoup plus rarement la frontière est située entre l’étatique et le
non-étatique (12,4%), ou entre le formel et l’informel (7,6%). Les autres explications sont
marginales : alternatif au contentieux, alternatif à institutionnel, ou encore, alternatif aux
poursuites chez les pénalistes.
L’explication par équivalent est relativement peu fréquente. Les auteurs
qui donnent une explication de ce type utilisent des termes présentés comme ayant une
signification approchante: alternatif est alors le plus souvent présenté comme synonyme
d’amiable (51 fiches), plus rarement de conventionnel (16) ou de consensuel (15). Dans les
trois cas, on est donc censé s’intéresser à des modes de règlement qui reposent sur la
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volonté, sur l’accord des parties, plutôt que sur l’intervention d’un tiers qui imposerait sa
solution aux personnes en conflit: l’assimilation au consensuel ou au conventionnel va
logiquement de pair avec l’opposition au juridictionnel, et les deux explications sont du
reste parfois combinées.
L’utilisation du terme “ conventionnel ” ne recèle pas moins d’ambiguïtés : il peut
désigner, en effet, soit l’origine de la formule de règlement - les parties se sont mises
d’accord pour recourir à telle ou telle formule - soit le processus de règlement lui-même - le
litige est réglé par accord des parties.
Quant au terme “ informel ”, qui permet, dans onze écrits recensés, d’expliquer ce
qu’est un mode alternatif, il n’a pas de signification bien précise: il peut simplement signi-
fier, chez certains auteurs, que les parties n’ont pas à respecter les formes requises pour un
procès devant une juridiction étatique.
Il est surtout très instructif, pour montrer l’hétérogénéité des discours sur les
modes alternatifs, de confronter aux deux explications précédentes la liste des modes de
règlement que les différents auteurs considèrent comme “ alternatifs ”. Si la majorité des
auteurs s’accordent pour ranger sous cette bannière médiation et conciliation, les opi-
nions sont beaucoup plus diversifiées pour la transaction et pour l’arbitrage. D’autres
procédés apparaissent de manière très marginale dans le discours doctrinal.
Le contenu du discours doctrinal
Les propos tenus présentent, comme une constante, la particularité d’être à la
fois, et de façon liée, un discours de “ mode ” et un discours de “ crise ”. En revanche, plus
variable est la dimension argumentative de ce discours : propos “ militant ” et propos
“ technique ” s’entrecroisent, le second type de propos s’avérant quantitativement domi-
nant.
Discours de mode, discours de crise
L’examen des documents le démontre : les modes alternatifs de règlement des
conflits sont “ en vogue ”. Le terme de mode revient avec une beaucoup de régularité,
une vogue venue de l’étranger, dont on se demande si elle est un objet à la mode ou un
simple “ effet ” de mode. Mode et “ engouement ” se mêlent, mais l’opinion semble
aujourd’hui l’emporter, qui voit dans cette tendance un mouvement durable, en France
comme à l’étranger, favorisée qu’elle est par le législateur contemporain.
Constatant la vogue des modes alternatifs, le discours des juristes apporte par
là même sa contribution au phénomène. On ne compte plus le nombre des études consa-
crées aux modes alternatifs. En l’espace de trois ans, trois revues parmi celles que nous
avons sélectionnées ont consacré un numéro spécial aux modes alternatifs de règle-
ment. L’objet prend de l’importance parce qu’une revue l’a considéré comme intéressant
: il acquiert, pour la communauté juridique des lecteurs, une visibilité plus grande, et il
affirme son caractère de sujet “ d’actualité ”.
Il est ainsi de mode, pour les juristes français, de parler des modes alternatifs
de règlement, qu’il s’agisse de les étudier, ou - simplement d’y faire référence pour inté-
grer les propos tenus dans un cadre plus vaste, ou pour illustrer ta modernité du méca-
nisme étudié. La nouveauté des MARC, sur le plan terminologique, induit une opposi-
tion entre les discours d’actualité et ceux qui ne se présentent pas comme tels, les “
opposants ” semblant rangés dans la catégorie des juristes “ classiques ”, “ tradition-
nels ”, comme dans une espèce de guerre des “ anciens ” et des “ modernes ”.
Peut-on aborder le thème des MARC sans le rattacher au constat d’une “ crise ”?
C’est de la crise des appareils de justice dont il est question. La liaison entre la crise la
justice et les MARC est faite, quels que soient l’époque, le pays concerné ou l’auteur du
discours. Les pouvoirs publics eux-mêmes y contribuent, en intégrant les récentes réfor-
mes relatives aux modes alternatifs dans les mesures destinées à améliorer le fonctionne-
ment de la justice.
Les MARC sont un symptôme des maux dont souffre la justice, et l’on retrouve
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dans le discours des juristes consacré aux modes alternatifs de règlement l’évocation de
toutes les défaillances de l’institution judiciaire : justice trop coûteuse, trop complexe, trop
lourde, trop lente, mais aussi crise de la confiance que les justiciables français ont dans leur
justice. C’est cette “ désaffectation pour la justice étatique ” qui a expliqué le développe-
ment de l’arbitrage, lui-même aujourd’hui, “ victime de son succès ”, marqué par des “
dérives ”, et dès lors concurrencé par les MARC.
C’est sans beaucoup de surprise que l’on constate la liaison, systématiquement
faite, entre les MARC et le phénomène d’encombrement, d’engorgement, de l’appareil
juridictionnel. Cette observation fait l’unanimité, et “ l’explosion des contentieux ” est
maintes fois relevée. Ce constat n’est pas propre à la France : les études consacrées à ces
modes de règlement à l’étranger contiennent un discours similaire. Certes, les pouvoirs
publics se défendent, en privilégiant le développement des modes alternatifs, de chercher
avant tout à remédier à l’ encombrement des tribunaux. Mais ces déclarations d’intention ne
semblent guère convaincre, dans le cadre d’une politique que nombre d’auteurs estiment
guidée avant tout par des “ nécessités de gestion publique ”.
Quant à la question de savoir si les MARC peuvent constituer un remède efficace
à la crise, les opinions sont partagées, et les auteurs très prudents. Résponse “ qualitative ”
et non “ quantitative ” à la crise, les modes alternatifs ne sauraient être une “ panacée ”.
Discours militant, discours technique
Quelles appréciations, quels jugements, les juristes portent-ils sur les MARC ?
Leurs positions ont-elles évolué à leur égard ? Le discours doctrinal, tel que nous l’avons
étudié, peut difficilement être considéré comme “ pro ” ou “ anti ” MARC. A la question
“ pour ou contre? ”, la réponse est plus que nuancée. Quant à la mesure de la portée du
changement que les modes alternatifs de règlement ont suscité dans ce discours -
évolution
ou révolution
?
le constat opéré est celui d’une adaptation, non celui d’un bouleversement.
Pour ou contre ?
Le discours technique : discours ayant pour objet d’analyser les mécanismes
juridiques concernés, de les classer ou catégoriser, d’en examiner la nature au regard des
qualifications, par le recours au procédé qui est l’opération intellectuelle nécessaire et
centrale par laquelle les juristes opèrent le passage du fait au droit, d’en examiner le régime
et les règles ou difficultés de mise en œuvre.
Le discours théorique : celui qui, dans le cadre de la théorie ou de la sociologie du
droit, et à propos des MARC, s’interroge sur le système juridique, son évolution, ses
fonctions, et la philosophie qui l’inspire.
Le discours empirique : celui qui entend faire état d’une expérience quant à la mise
en œuvre des MARC, et a vocation à informer sur la pratique.
Le discours d’actualité : ce type de propos a pour objet de mettre en évidence les
projets, le contenu des politiques actuellement suivies, l’existence de lieux ou d’organes de
réflexion (colloques projetés ou tenus, commissions d’études créées, etc).
Ainsi classés, les documents que nous avons analysés sont, en large majorité, de
type technique (59,9 %) Ce constat n’a évidemment rien de surprenant au regard de la
sélection ayant déterminé le champ de la recherche : dans les manuels ou traités, dans les
revues juridiques généralistes ou spécialisées, les auteurs sont, à une incontestable majo-
rité (63,8 %) des juristes français universitaires.
La “ méfiance ” traditionnelle des juristes français à l’égard des modes alternatifs,
encore parfois présente, serait en voie de disparition. Le débat “ de principe ” sur la finalité
sociale des MARC, justice d’apaisement, favorisant le dialogue, n’est plus d’actualité, mais
demeure la crainte, assez vivace, de l’instauration d’une “ justice à deux vitesses ”, justice
“ au rabais ”, aux côtés de la justice “ classique ”. Les MARC portent ici les stigmates de leur
naissance, liés qu’ils sont à “ l’état de crise ”.
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Quantitativement, le recours aux MARC est présenté comme une possibilité qui
ne peut concerner qu’un nombre limité de conflits.
Qualitativement, les auteurs s’interrogent sur l’identification des types de con-
tentieux dans le traitement desquels le recours aux modes alternatifs peut être considéré
comme adapté. Le repérage de cette adéquation est extrêmement variable d’un secteur du
droit à l’autre, voire d’un auteur à l’autre. Dans le contentieux administratif, en droit du
travail, quant aux conflits familiaux, au sein des contentieux relevant des tribunaux d’ins-
tance, en matière commerciale, dans le secteur pénal, le choix des domaines et configura-
tions de contentieux présentés comme se prêtant à un règlement par les “ voies alternati-
ves ” S’avère très disparate, et parfois contradictoire.
Affirmée, suggérée, ou seulement sous-jacente, la distinction entre le traitement
des “ petits ” et des “ grands ” dossiers, en termes d’enjeu social ou économique, n’est
sans doute pas étrangère à l’appréciation de l’opportunité du recours aux MARC. Mais,
comme en témoigne l’arbitrage, le lien entre la dimension économique et financière du
conflit et le choix du mode de règlement est complexe, et certainement pas à sens unique.
L’examen de la masse documentaire conduit à une observation La distinction
entre différends à égalité des armes et différends à inégalité de situation n’est, au stade de
l’examen des catégories de contentieux jugées adéquates à la mise en œuvre des MARC,
que peu présente, peu visible, dans le discours des juristes français, en matière de justice
civile.
Le législateur (au sens large) français ayant, depuis plusieurs années, entrepris
d’intervenir en matière de conciliation et de médiation, par un mouvement d’institutionna-
lisation que l’on peut aussi constater dans le domaine du commerce international, le nom-
bre des dispositifs juridiques prenant expressément pour objet la médiation ou la concilia-
tion a considérablement augmenté. Les juristes ont pris acte de ce développement, et ont
très vite pointé l’état de désordre, la confusion des termes et des genres, considérés
comme un frein à l’acclimatation et au développement des MARC. La prolifération des
organes institués en tant que médiateurs ou conciliateurs, de techniques et processus
qualifiés de médiation ou de conciliation, est jugée “ anarchique ” et source de désordre.
Les MARC, loin de se discuter dans le “ vide juridique ”, connaissent une pléthore de
termes et de formules, laquelle n’est pas considérée comme favorable à leur développe-
ment. L’absence de définition claire est vue comme un frein à leur essor, comme un manque
de visibilité de nature à décourager les justiciables
Les MARC constituent-ils des modes efficaces de règlement des différends ?
Cette question, évidemment fondamentale pour le devenir des modes alternatifs,
constitue, dans la masse documentaire étudiée, un aspect peu élucidé, sinon rarement
examiné. A la question de l’efficacité, la réponse reste souvent dubitative, sauf peut être
dans le domaine pénal toutefois, où les procédures alternatives telles que la médiation ou
la transaction ont été mises en place assez tôt, la mesure de l’efficacité de ces processus
faisant l’objet d’une grande attention. Il faut relever que la visibilité du fonctionnement
pratique, et donc de l’aptitude des MARC à atteindre leur but, est évidemment variable
selon leur degré d’intégration ou de proximité avec un appareil juridictionnel étatique. De
plus, et surtout, la notion d’efficacité est ambiguë : se mesure-t-elle au nombre de média-
tions ou de conciliations tentées ?, au nombre des accords obtenus ?, ou bien doit-elle
prendre en compte l’exécution de l’accord et l’existence - ou non - d’une contestation
ultérieure de l’acte ?
Evolution et non révolution
Les modes alternatifs sont-ils une manifestation de la mise à l’écart du droit dans
le cadre du règlement des différends ? Dans le droit ou dans son “ ombre ”, le débat
présuppose l’adoption d’une définition du droit, et pose la question du changement de
modèle dans le système normatif
L’affirmation selon laquelle l’avènement des modes alternatifs de règlement des
conflits conduit les juristes français à devoir ranger au musée leur conception classique de
l’ordre juridique n’est pas confirmée par l’étude. Le concept de “ droit post-moderne ”
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reste très étranger aux juristes, qui, dans le cadre de la sociologie du droit, débattent de la
question du “ pluralisme ” juridique, sans d’ailleurs que cette controverse n’occupe une
grande place dans une littérature essentiellement technique.
Dès lors que les MARC se sont imposés comme un objet nécessaire, au sens où
son existence devenait incontestable, les juristes se sont interrogés sur la signification de
ce phénomène dans les sociétés contemporaines. Dans le vocabulaire des pénalistes, il
s’agit de déjudiciarisation. Plus récemment, et y compris en matière pénale, l’évolution est
évoquée en termes de privatisation et de contractualisation, ce dernier terme renvoyant à
l’observation de l’importance prise aujourd’hui par le “ droit négocié ”, et “ la nouvelle
régulation par le droit ” mentionnée par le Ministère de la justice.
Existence d’une nouvelle sensibilité sociale, recherche de l’accord tenant à l’esprit
du temps, complexité du droit, inflation de textes, mais aussi effacement des consensus
sociaux (sur les comportements familiaux ou relevant de la vie privée, sur les transforma-
tions économiques, sur la finalité du droit répressif ou du droit du travail, sur la portée de
l’ordre public, etc...) ont fait advenir le temps du doute quant à l’aptitude de la règle juridi-
que, telle qu’appliquée par un juge sommé de “ dire le droit ”, à apporter réponse au règle-
ment des différends. Dans ce climat de doute, on transige, et du processus de règlement,
l’intérêt se déplace vers l’acte de règlement : la transaction trouve un regain d’actualité à
être aujourd’hui rangée dans le discours relatif aux MARC.
Passé le temps de la découverte, les juristes se mettent au travail, c’est-à-dire qu’ils
entreprennent de développer à propos de ce nouvel objet l’activité doctrinale, qui analyse
et synthétise, “ décortique ” pour chercher à qualifier, à mettre de l’ordre dans le désordre.
D’une part, on a constaté une tendance à la réduction de l’hétérogénéité
terminologique. Certes, l’uniformisation est bien loin d’être acquise, mais la formule de “
modes alternatifs de règlement des conflits ” (MARC) gagne du terrain, et tend à devenir
majoritaire, adoptée d’ailleurs sans beaucoup d’enthousiasme.
D’autre part, à l’intérieur de ce contenant, la conciliation peut être considérée
comme en perte de vitesse, au profit de la médiation, “ figure centrale ” dans la vogue des
mode alternatifs. Autre mécanisme très présent dans l’actualité juridique : la transaction, “
reine de la justice ”.
Par leurs analyses, les auteurs proposent des classifications. La plus largement
utilisée est la distinction entre les modes judiciaires de règlement et les modes convention-
nels. Cette distinction apparaît, ouvertement ou en filigrane, dans les études s’interrogeant
sur le caractère “ autonome ”, ou non, des modes alternatifs, et les avis sont partagés, dans
la mesure où on privilégie soit les inconvénients, soit les avantages, d’un rattachement du
mode alternatif au judiciaire. La tendance du droit français est plutôt en faveur d’une inté-
gration à la sphère judiciaire des MARC qu’il organise, et la place faite au juge dans ces
dispositifs amène d’ailleurs à douter de l’existence d’une véritable alternative en la matière.
Le rattachement d’objets jusque là épars au “ thème ” des modes alternatifs de
règlement a permis les comparaisons, les rapprochements ou les oppositions, et tend, très
progressivement, à la constitution d’un vocabulaire commun. La tendance à la constitution
de catégories transversales, pouvant avoir sens dans chaque discipline, est une consé-
quence de l’entrée des MARC dans le discours des juristes ; elle introduit une perméabilité
entre les disciplines. L’affirmation des MARC, comme objet devenu incontournable, se
traduit aussi par le lien fortement établi entre la procédure et le fond, et, par là même, par la
“ montée en puissance ” des processualistes.
L’attention se porte alors sur l’organisation du régime juridique des modes alterna-
tifs, essentiellement, dans le cadre de notre masse documentaire, autour de trois questions
: tout d’abord, celle du contradictoire et de l’impératif de confidentialité, ensuite, celle de
l’impartialité du tiers et du médiateur-juge, et enfin, celle de la nature de l’accord transaction-
nel. Dans chaque cas, l’analyse s’opère par référence, ou plus souvent par opposition, avec
le “ modèle classique ” du processus juridictionnel.
A titre de conclusion
L’entrée, certes tardive (1996), mais aujourd’hui incontestable des MARC dans les
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manuels de droit, ayant vocation à former les apprentis juristes, le démontre : il est désor-
mais difficile de “ mettre sur le marché ” des ouvrages concernant la justice un manuel qui
ne contient pas, dans ses développements, ses références, voire sa structure même, men-
tion des modes alternatifs de règlement. La présentation peut être favorable, nuancée,
réservée, critique, ou simplement descriptive. Il n’empêche que l’objet fait aujourd’hui
partie de toute présentation de la justice, appareil ou fonction.
L’image des modes alternatifs de règlement que présente aujourd’hui le dis-
cours doctrinal est celle d’un objet qui n’est plus guère discuté dans son principe, ce que
manifeste le caractère technique des propos tenus. L’heure n’est pas au débat théorique,
et nombre de points sont considérés comme acquis : l’origine anglo-saxonne des MARC,
leur adéquation avec la vision d’une société privilégiant le consensus, le dialogue, l’ac-
cord, le lien avec le constat d’une situation de crise (de la justice, de l’arbitrage, du droit,
de la régulation sociale), la nécessité de redéfinir les instruments d’analyse et de classifi-
cation, en proportion de l’intérêt qu’ils suscitent. Les modes alternatifs cessent d’être un
objet de curiosité, ils trouvent une place privilégiée dans la description de la gestion
juridique des conflits. La faveur dont ils font l’objet leur confère une “ normalité ” qui, bien
que parfois vue comme un affaiblissement de la “ normativité ” du droit, semble bien
considérée comme un phénomène irréversible. Par le recours aux néologismes utilisés
pour décrire ou expliquer l’état actuel du droit (responsabilisation, contractualisation,
privatisation, procéduralisation), le discours des juristes inscrit le mouvement dans le
cadre plus général d’une évolution politique et sociale. Chaque branche du droit a intro-
duit le thème des MARC dans un fond de préoccupations “ classiques ” : l’intérêt des
recours préalables et du pré-contentieux en droit public ; la recherche de l’efficacité de la
justice pénale en termes de “ réponses ” à une attente du corps social , les mérites de la
transaction comme mécanismes d’éviction du procès en droit du travail, mais aussi en
droit administratif; l’encadrement le plus “ informel ” possible pour le traitement des con-
tentieux économiques, sans réelle concurrence avec l’arbitrage - phase amiable et phase
arbitrale organisant leur éventuelle articulation - ; la gestion des conflits familiaux plus “
douce ” et plus en adéquation avec l’importance prise par les standards en droit de la
famille, mais aussi moins lourde pour le juge. Faire preuve à l’égard de ces processus d’une
réticence, ou d’une méfiance “ de principe ”, mettre en doute leur réelle nouveauté, ou
s’interroger sur leur aptitude à constituer un progrès de “ l’Etat de droit ” n’est pas ou
plus, pour l’heure, de mise.
SOMMAIRE
Introduction
I - L’objectif de la recherche
II - Les préalables méthodologiques
A - L’identification de l’objet de l’étude
B - La délimitation du champ de l’étude
III - Présentation de la recherche
Première partie : Analyse de la terminologie dans le discours doctrinal
Chapitre I - L’entrée du terme “ alternatif ” dans le discours
A - Les modalités de diffusion du terme alternatif
B - Les explications fournies sur l’historique de la formule ou des MARC
C - Les agents de diffusion du terme alternatif
Chapitre II - L’hétérogénéité de la terminologie
A - La diversité des formules
B - Diversité des significations
Deuxième partie : L’analyse du contenu du discours doctrinal
Chapitre I - Discours de la méthode, Discours de crise
A - Discours de la méthode
B - Discours de crise
Chapitre II - Discours militant, discours technique
A - Pour ou contre ?
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B - Evolution et non révolution
A titre de conclusion
Table des matières
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