LES  MODES  ALTERNATIFS  DE  RESOLUTION  DES  CONFLITS:
Approche  générale  et  spéciale
AUTEURS :
Jean-Baptiste RACINE
INSTITUT :
Centre de recherche en droit économique (CREDECO)
Centre d’études et de recherches sur les contentieux (CERC)
DATE :
Mars 2001
PUBLICATION :
Ronéo. 216 pages
Il semble utile de présenter d’abord les axes principaux de la recherche sous la forme d’une
problématique générale (I) avant de tenter de dégager les principales conclusions de cette
recherche en étudiant les lignes directrices de celle-ci (II).
I) Problématique générale.
Le thème des modes alternatifs de règlement des conflits est passionnant à plusieurs égards.
Tout d’abord, le développement des modes alternatifs est à son début. Beaucoup
de  choses  restent  encore  à  faire  tant  au  plan  de  la  pratique  qu’au  plan  de  la  réflexion
théorique, même si les publications sur ce thème se sont multipliées récemment. Le cher-
cheur bénéficie d’une matière en grande partie vierge qu’il lui revient de découvrir. Il serait
cependant inexact de présenter les modes alternatifs comme une véritable nouveauté. Cette
forme de justice est très ancienne, certainement plus ancienne que la justice d’Etat. Histori-
quement, c’est la justice étatique qui est alternative à la justice spontanée, informelle. La
tendance actuelle n’est pas d’inventer de nouvelles formes de justice mais bien plutôt de
redécouvrir des formes de justice ancestrales. C’est avant tout l’essor et l’engouement pour
ce que l’on nomme les modes alternatifs qui confèrent à ce phénomène sa nouveauté.
Ensuite, l’étude des modes alternatifs est un défi pour les juristes français habitués
à raisonner par rapport à un droit d’origine étatique mis en œuvre par des juges investis de
l’autorité de l’Etat. Les juristes doivent donc, au contact des modes alternatifs, se défaire de
leurs habits conceptuels afin d’appréhender une illustration particulièrement éclairante du
pluralisme juridique1. Le pluralisme juridique implique le pluralisme des méthodes de résolu-
tion des litiges. Mais ce pluralisme ne refoule pas l’existence de règles communes. C’est
pourquoi, la présente étude des modes alternatifs de résolution des conflits s’inscrit, plus
généralement, dans une démarche de droit processuel qui vise à décrire et à comprendre le
droit commun du procès2.
Il existe une première difficulté liée à la définition des modes alternatifs de règlement des
conflits. Deux conceptions sont susceptibles d’être mises en œuvre. La première intègre les
modes juridictionnels de résolution des conflits tels que l’arbitrage et les autorités adminis-
tratives indépendantes. La seconde n’englobe que les modes non juridictionnels de résolu-
tion des conflits, au premier chef, la conciliation et la médiation. C’est la seconde conception
que nous avons choisi. Tout d’abord, afin de limiter le champ de la recherche qui, sinon,
aurait été trop étendu. Ensuite, parce que l’arbitrage et les autorités administratives indé-
pendantes posent des questions spécifiques liées, précisément, au caractère juridictionnel
ou quasi-juridictionnel de leur activité.
1  Sur  cette  notion,  V.  J.
Carbonnier,  Sociologie  ju-
ridique,  PUF,  Quadrige,
1994.
2  V.  S.  Guinchard,  M.
Bandrac,  X.  Lagarde,  M.
Douchy,  Droit  processuel
Droit  commun  du  procès,
Dalloz,  2001.
3 Souligné  par  nous.
Les modes alternatifs de résolution des conflits ne sont pas une catégorie juridique aux
contours tranchés. Comme le relève M. Cadiet, il s’agit avant tout d’un “état d’esprit3 qui
pousse à la recherche d’une solution des litiges qui soit acceptée, voire négociée entre les
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4 Découvrir la justice, Dalloz,
1997,  p.  67.
5 V.  Ch.  Jarrosson,  “La  mé-
diation  et  la  conciliation:  es-
sai  de  présentation”,  Droit  et
patrimoine,  Décembre  1999,
p.  36.
parties, directement ou non, plutôt qu’imposée par un juge institué par l’Etat”4.  Cette
imprécision quasi structurelle rend l’étude des modes alternatifs difficile. En employant la
terminologie de modes alternatifs de résolution des conflits, l’analyste ne se réfère pas à
une catégorie précise et certaine5. La terminologie est en effet changeante. On parle indif-
féremment de modes alternatifs de résolution des conflits (MARC), de règlement alternatif
des différends (RAD), d’alternative dispute resolution (ADR), de solutions de rechange
au règlement des conflits (SORREL). Nous avons choisi d’utiliser l’expression de modes
alternatifs de résolution (ou de règlement) des conflits (MARC). La réalité est identique
quels que soient les termes employés: les conflits sont résolus au moyen de processus
non juridictionnels qui ont un degré d’indépendance plus ou moins marqué par rapport à
l’Etat et au juge.
Le premier trait marquant est le caractère non juridictionnel des modes de résolution des
conflits: le conflit n’est pas éteint au moyen d’une décision qui tranche le litige en attri-
buant ou en refusant des droits; le conflit prend fin par l’accord des parties. La solution
n’est pas imposée par un tiers mais elle est négociée et finalement acceptée par les parties
en litige. C’est une justice consensuelle car elle suppose l’adhésion des parties à la solu-
tion retenue. En ce sens, il s’agit, a priori, de la meilleure forme de justice possible car elle
aboutit à une solution acceptée par tous. La paix sociale est rétablie par la concorde.
6 V. infra, E), sur la notion de
conflit.
7 L’un  des  derniers  textes  si-
gnificatifs  en  la  matière  est
la  loi  du  18  décembre  1998
(D.  1999,  Lég.,  p.  71).  Cette
loi étend le bénéfice de l’aide
juridictionnelle  à  la  tentative
de  transaction  faite  avant
l’introduction  de  l’instance.
De  même,  cette  loi  prévoit
la création de maisons de jus-
tice  et  du  droit  destinées  no-
tamment  à  permettre  les  me-
sures  alternatives  de  traite-
ment  pénal  et  les  actions  ten-
dant  à  la  résolution  amiable
des  litiges.
L’indépendance par rapport à l’Etat et au juge est le second trait caractéristique des modes
alternatifs de résolution des conflits. Illustrant l’autonomie du droit par rapport à l’Etat, les
modes alternatifs sont un exemple de justice “hors l’Etat” (même s’il faut être prudent dans
l’utilisation du terme de justice en matière de modes alternatifs de résolution des conflits6).
L’Etat n’a pas le monopole du droit, et, partant, n’a pas le monopole de la justice. Il existe
une justice à coté de l’Etat (Toutefois, l’indépendance par rapport à l’Etat ne s’est pas
construite contre l’Etat. Le développement des modes alternatifs de résolution des con-
flits est voulu et incité par l’Etat7) . L’indépendance caractérisant les modes alternatifs
permet de donner son sens au terme “alternatif”. Il s’agit d’une alternative à la justice
étatique, au juge institué par l’Etat pour dire le droit. Cette indépendance ne saurait cepen-
dant être totale. Il existe, d’une part, des différences selon que les modes alternatifs sont
plus ou moins indépendants de la justice étatique (ce qui renvoie notamment à la distinc-
tion entre médiation judiciaire et médiation conventionnelle). D’autre part, les modes alter-
natifs ne peuvent se concevoir comme complètement détachés de l’influence de l’Etat. Un
contrôle du juge est parfois possible, généralement a posteriori.
La médiation et la conciliation illustrent particulièrement bien les modes alternatifs de
résolution des conflits. Ce sont ces modes de résolution des conflits qui ont retenu le plus
notre  attention.  Il  a  été  fait  cependant  référence  ponctuellement  à  d’autres  formes  de
modes alternatifs comme par exemple le mini-trial ou le med-arb.
Notre approche a visé à poser une question fondamentale: dans quelle mesure les modes
alternatifs sont-ils intégrés dans le système juridique? Ne sont-ils pas des modes alterna-
tifs au droit et pas simplement au juge? Trois questions fondamentales communes à tous
les types de modes alternatifs de résolution des conflits ont été formulées:
-  Quelle  est  la  place  de  la  règle  de  droit  dans  les  modes  alternatifs?  Le  tiers
conciliateur rappelle-t-il les droits de chacun afin d’établir une base de discussion ou bien
fait-il abstraction du droit? Si le droit est exclu du champ de la discussion, le médiateur fait-
il appel à des normes sociales ou bien essaie-t-il de résoudre le conflit selon le bon sens ou
sa définition personnelle de la justice et de l’équité? Partant peut-on transposer le concept
de jurisprudence aux modes alternatifs de résolution des conflits? Quelle est la place de
l’ordre public dans le cadre des modes alternatifs? Les parties à un litige peuvent-elles
échapper à des règles d’ordre public en décidant de se passer du recours à un juge et saisir
un médiateur?
- Quelle est la place de la procédure dans les modes alternatifs? Le conflit appelle
classiquement la procédure. Cette question permet de préciser le terme de conflit (ou de
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litige ou de différend). Le conflit dans un mode alternatif est “dépolémisé”. S’agit-il toujours
d’un conflit au sens propre? Les parties sont, en effet, d’accord pour trouver une solution
négociée.  N’y  a-t-il  pas  conflit  lorsque  l’opposition  d’intérêts  est  totale  et  ne  peut  être
tranchée que par un tiers au moyen d’une décision juridictionnelle? Dès lors les modes
alternatifs ne sont-ils pas bâtis plus sur un processus que sur une procédure? Ainsi, faut-il
appliquer les principes fondamentaux du procès, et au premier chef, le principe de la contra-
diction?
-  Quelle  est  l’issue  des  modes  alternatifs?  Comment  se  formalise  l’accord  des
parties? C’est en répondant à de telles questions que l’on observera l’entrée dans la vie
juridique des modes alternatifs. L’issue d’un mode alternatif peut être purement informelle,
comme l’était la procédure elle-même. Les parties peuvent en effet s’entendre pour mettre fin
au litige sans pour autant que l’accord prenne une forme particulière. Mais, le plus souvent,
l’accord se formalise juridiquement. Il peut s’agir d’un contrat de transaction (qui peut
désormais être revêtu de la force exécutoire par le juge), d’un jugement d’expédient ou un
jugement de donné acte (autrement appelé contrat judiciaire) ou bien d’un accord qui sera
homologué par le juge (art. 25 de la loi du 8 février 1995 sur la médiation). Lorsque le juge
intervient, le mode alternatif est réintégré dans le circuit judiciaire. Quel est la nature de
l’accord homologué? S’agit-il d’un acte de nature contractuelle, juridictionnelle, hybride?
II) Lignes directrices.
A) La place du droit dans les modes alternatifs de résolution des conflits.
8  Outre  les  analyses  célè-
bres  de  J.  Carbonnier  sur
ce  sujet,  V.  plus  récem-
ment,  A.  Sériaux,  “Ques-
tion  controversée:  la  théo-
rie  du  non-droit”,  RRJ,
1995,  p.  13;  M.  Douchy,
“La  notion  de  non-droit”,
RRJ,  1992,  p.  433.
9 Ces expressions sont ins-
pirées  de  J.M.  Olivier,
“Les  sources  administrati-
ves  du  droit  des  obliga-
tions”,  in  Le  renouvelle-
ment  des  sources  du  droit
des  obligations,  LGDJ,
1997,  p.  109,  spéc.,  p.
112.
10  V.  en  matière  d’assu-
rance,  la  contribution  de
Chantal  Russo.
Le thème central de la recherche est fondé sur la place du droit dans le cadre des modes
alternatifs de règlement des conflits. Il semble que, dans la pratique, il y ait une gradation.
Selon les cas, il est possible que le droit ne tienne aucune place ou bien au contraire que les
modes alternatifs soient une réplique de la justice institutionnelle (respect des principes de
procédure, application du droit au fond du litige... ). La majorité des hypothèses se situe
sans doute entre ces deux extrêmes: le droit n’est pas complètement évacué mais il n’est pas
appliqué de la même manière que devant un juge étatique. Son rôle est plus réduit, les modes
alternatifs tendent ainsi à assouplir la rigueur du droit, à le rendre plus flexible, plus malléa-
ble. Dans la plupart des hypothèses, il est donc probable que les modes alternatifs gravitent
non pas dans une pure zone de non-droit mais plutôt dans une “zone grise” où le droit est
présent mais de manière différente que devant le juge d’Etat. Si les modes alternatifs n’ap-
partiennent pas complètement au droit, il ne s’agit donc pas non plus de non-droit8. Ceux-ci
appartiennent, dès lors, à ce que l’on peut appeler l’infra-droit, le para-droit, le quasi-droit,
ou le pré-droit9. En outre, il semble que la justice rendue par les modes alternatifs ne remplit
aucune  fonction  normative.  En  général,  aucune  jurisprudence,  sinon  une  jurisprudence
“sociale”10 ne découle d’une conciliation ou d’une médiation. En effet, la solution au litige
est purement individuelle et n’est pas généralisable. De plus, la confidentialité empêche que
les tiers aient connaissance de l’issue du litige. Enfin, si la solution n’est pas rendue en
droit, elle n’est pas susceptible d’être reproduite à l’identique.
11 V. la contribution de JB.
Racine.
12 V.  la  contribution  de  E.
Girardot-Rouhette.
L’autre question portant sur la place du droit dans les modes alternatifs intéresse non pas le
droit substantiel mais le droit processuel. Cette interrogation est liée à la place des principes
fondamentaux de procédure dans les modes alternatifs de règlement des litiges11. Il résulte
de notre étude que le principe de la contradiction ne s’applique pas à la médiation et à la
conciliation. Mais, afin d’assurer la loyauté du processus de médiation, il semble possible
de proposer l’application du standard de la bonne foi contractuelle.
Une question semble-t-il majeure, et jusque là passée sous silence, a été abordée: celle de la
nature juridique des relations entre le médiateur ou le conciliateur et les parties et plus
largement  celle  du  statut  du  médiateur  et  du  conciliateur12.  Les  parties  pourraient-elles
reprocher au médiateur d’avoir mal conduit la médiation? Mme Girardot-Rouhette le pense
et émet un certain nombre de propositions dans ce sens en étudiant la mission du tiers
médiateur (ou conciliateur) tant au regard des obligations qui lui incombent et de la respon-
sabilité qui en découle.
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13 Il  semble  possible  de  voir
dans un récent avis de la Cour
de  cassation  (20  oct.  2000,
JCP.  Ed.  G,  2001,  11,  10479
obs.  Y.  Desdevises)  un  indice
plutôt  favorable  à  la  nature
contractuelle  de  la  transac-
tion  homologuée.  En  effet  la
Cour de cassation a été d’avis
que  la  transaction  homolo-
guée  n’est  pas  un  titre  exécu-
toire au sens de l’article 61 de
la  loi  du  9  juillet  1991  per-
mettant  l’expulsion.  Toute-
fois,  un  tel  chemin  doit  être
suivi  avec  précaution  car  la
Cour de cassation ne s’est pas
prononcée  directement  sur  la
nature  juridique  de  la  transac-
tion  homologuée.  Elle  a  sim-
plement  refusé  d’assimiler  au
sens de l’article 61 de la loi de
1991  un  tel  acte  à  une  déci-
sion  de  justice  (qui  présente
bien  entendu  un  caractère  ju-
ridictionnel)  ou  à  un  procès-
verbal  de  conciliation  exécu-
toire (qui, quant à lui, présente
une  nature  contractuelle).
14 V. Y. Desdevises, “Les tran-
sactions  homologuées:  vers
des  contrats 
juricliction-
nalisables?”,  D.  2000,  chr.,  p.
284.
15 Pour  une  attitude  critique,
E.  Camous,  Règlements  non
juridictionnels des litiges de la
La formalisation de l’accord mettant fin au processus de médiation ou de conciliation fait
passer ce processus de la zone du quasi-droit à la zone du droit. Il n’y a pas de contribution
dans le présent ouvrage qui traite spécialement cette question. Mais un début de réponse
peut être donné. C’est la nature juridique de l’acte constatant l’accord des parties pour
mettre fin à leur litige qui pose le plus de problèmes et qui doit être précisée. A priori, deux
qualifications sont susceptibles d’être apportées à cet acte: soit une qualification contrac-
tuelle soit une qualification juridictionnelle. Il semble peut-être nécessaire de sortir des
sentiers battus et de proposer une nouvelle qualification. Une récente réforme de la tran-
saction invite à aller dans ce sens. L’article 1441-4 NCPC permet depuis le décret du 28
décembre 1998 au président du tribunal de grande instance, saisi sur requête par une partie
à la transaction, de conférer force exécutoire à l’acte qui lui est présenté. La nature juridi-
que de la transaction homologuée est discutée13. Il semble cependant possible de voir
dans cet acte un hybride de contrat et de jugement formant une catégorie intermédiaire
entre ces deux pôles14. Mais la recherche est encore à son début. Ainsi, le régime qui
découlerait d’une telle qualification reste encore à inventer et pourrait faire l’objet d’une
étude à part entière.
B) Approche critique des modes alternatifs de résolution des conflits.
Cette approche vise à trancher avec le discours dominant qui ne voit globalement dans les
modes alternatifs que des aspects positifs. Il est apparu que les modes alternatifs présen-
taient parfois des dangers et étaient potentiellement porteurs de régression.
1) La spécificité de certaines matières montre que les modes alternatifs peuvent être dan-
gereux.  Il  en  est  ainsi  dans  les  cas  où  une  partie  en  état  de  faiblesse  bénéficie  d’une
protection légale. Les domaines concernés sont, par exemple, le droit de la consomma-
tion15 et le droit des assurances16 . Les modes alternatifs risquent de permettre aux profes-
sionnels de contourner les obligations que la loi leur impose en vue de protéger le consom-
mateur ou l’assuré. Le consommateur n’a-t-il pas à craindre que les professionnels utili-
sent les modes alternatifs afin d’éviter les sanctions qu’un juge étatique leur infligerait? La
confidentialité des modes alternatifs permet, au surplus, aux professionnels d’éviter la
publicité d’une condamnation éventuelle qui pourrait porter atteinte à leur image auprès
du public. La justice perd ici sa fonction d’exemplarité. C’est donc une approche critique
qui prévaut en ces matières de manière à mettre en exergue les risques inhérents au déve-
loppement des modes alternatifs. Une distinction se dégage donc, distinction entre les
modes alternatifs s’appliquant à des rapports équilibrés qui, a priori, ne présentent aucun
danger, et les modes alternatifs s’appliquant à des rapports déséquilibrés, qui doivent faire
l’objet d’une vigilance particulière.
2) Il ne faut pas non plus idéaliser à l’excès les modes alternatifs. Certains auteurs pensent
qu’il s’agit de la meilleure forme de justice imaginable car l’ensemble des parties au litige
accepte la solution proposée. La solution n’est plus imposée, elle est acceptée. Mais, il ne
faut pas sous-estimer les conflits d’intérêts qui subsistent. Il y a certes un intérêt commun
à la résolution négociée du litige mais derrière la négociation, il demeure des conflits
d’intérêts. Il est même possible de “perdre” à l’issue d’une médiation comme il est possible
de conclure un contrat désavantageux.
3) La réflexion portant sur les modes alternatifs de règlement des litiges a permis également
d’aborder une question subversive: celle du marché de la justice. Il en résulte trois séries
de remarques.
- Le développement des modes alternatifs réalise une forme de déréglementation (cons-
ciente ou inconsciente, en tout cas favorisée par l’Etat) du secteur de la justice. Or la
déréglementation concerne ici la justice, -c’est-à-dire un service public administratif, une
activité ancrée au cœur de la conception française du service public. Le mouvement ne
pourrait-il pas dès lors s’apparenter à l’ouverture à la concurrence d’autres services pu-
blics tels que celui des télécommunications, de la poste ou de l’électricité? Tous les servi-
ces  publics,  y  compris  celui  de  la  justice,  sont  touchés  par  la  logique  de  marché.  Le
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développement  des  modes  alternatifs,  dans  cette  optique,  s’inscrit  dans  le  cadre  d’une
politique plus générale de privatisation (au sens large) des services publics.
- La justice privée a tendance à s’organiser en marché. Cette remarque s’applique parfaite-
ment au centres d’arbitrage qui sont, entre eux, en situation objective de concurrence. La
création de nouvelles formes de résolution du contentieux s’apparentent à certains égards
à la création de nouveaux services offerts sur le marché de la justice et destinés à attirer la
clientèle des litigants. Les modes alternatifs sont donc destinés à concurrencer l’arbitrage.
Les  centres  proposant  des  modes  alternatifs  entendent  ainsi  conquérir  des  parts  sur  le
marché de la justice privée. Il existe en outre une concurrence entre les centres privés de
médiation.
- Le développement des modes alternatifs de règlement des litiges va également poser à
terme  la  question  de  la  formation  des  médiateurs  et  des  conciliateurs.  Certains  centres
offrent déjà des formations spécialisées et délivrent l’équivalent de diplômes. Au surplus, il
faudra se demander si la fonction de médiateur ou de conciliateur est susceptible de devenir
à terme une véritable profession. Pour certains, cette perspective est à rejeter. Selon M.
Pluyette,  “la  médiation  judiciaire  n’est  pas  et  ne  doit  pas  être  une  profession,  c’est  un
concours apporté volontairement au service de la justice pour favoriser l’apaisement des
conflits;  elle  participe  donc  d’un  esprit  de  service”17.  Il  est  cependant  possible  qu’une
véritable profession émerge en raison de l’existence d’un marché de la justice privée. De
plus, de nombreux médiateurs et conciliateurs perçoivent une rémunération. Rien ne s’op-
pose a priori à l’éclosion d’une profession, au départ à un stade informel.
C) La grande diversité des disciplines concernées par les modes alternatifs de résolution
des conflits.
De nombreuses disciplines sont touchées par le phénomène des modes alternatifs de réso-
lution des conflits. Il n’a pas été effectué un recensement exhaustif. Mais la présente étude
montre que de multiples domaines du droit, au demeurant fort différents les uns des autres,
ouvrent leur porte aux modes alternatifs. Ces derniers présentent donc de multiples facettes.
Il n’est pas certain que des traits absolument communs à toutes les expériences de modes
alternatifs puissent être dégagés tant leur diversité est grande. Les modes alternatifs relève
bien d’un même “état d’esprit” mais leurs modalités concrètes et techniques varient assez
profondément d’une discipline à une autre.
Les relations d’affaires sont, bien entendu, un terrain propice aux modes alternatifs, particu-
lièrement dans les affaires internationales. Dans cette matière, les modes alternatifs permet-
tent de résoudre des conflits portant généralement sur des sommes considérables. Ce sont
des gros litiges qui sont ainsi tranchés. Mais les modes alternatifs ne sont pas limités aux
relations d’affaires et appréhendent également des petits litiges, les litiges du quotidien, des
litiges de masse. Il en est ainsi en droit de la consommation. Gros litiges, petits litiges: tout
litige, quel que soit son montant, peut donner lieu à un processus de mode alternatif de
résolution des conflits. Mais les modes alternatifs ne portent pas uniquement sur les litiges
d’ordre pécuniaire comme le montre la conciliation en matière sportive18. En cette matière, la
conciliation présente une grande originalité qui réside, notamment, dans le caractère obliga-
toire de la conciliation tentée devant le Comité national olympique et sportif français (CNOSF).
Certains types de litiges, où pourtant l’intérêt général est particulièrement présent, peuvent
faire l’objet d’un règlement alternatif. Il s’agit tout d’abord de la matière familiale dans
certains cas. Deux contributions permettent d’aborder un tel phénomène. La première con-
cerne  le  droit  de  l’adoption19.  La  seconde  s’intéresse  à  l’étendue  du  champ  contractuel
ouvert à la médiation familiale20. Il s’agit ensuite du droit pénal21 . Dans cette dernière
hypothèse, la médiation n’a pas pour effet d’éteindre l’action publique mais de réconcilier,
afin de rétablir la paix sociale, le délinquant et la victime. Même le droit pénal, paradigme de
droit  contraignant,  s’assouplit.  La  conciliation  est  même  connue  du  droit  du  travail  (la
tentative de conciliation est obligatoire devant le conseil des prud’hommes). En cette ma-
tière, la conciliation prend même parfois une dimension collective. Il existe d’autres formes
de conciliation collective comme par exemple les procédures de surendettement portées
devant la commission départementale de surendettement et la conciliation prévue par la loi
Page 5
17  “Principes  et  applica-
tions  récentes  des  décrets
des 22 juillet et 13 décem-
bre  1996  sur  la  concilia-
tion  et  la  médiation  judi-
ciaires”,  Rev.  arb.  1997.,
p.  505,  spéc.,  p.  520.
18 V.  la  contribution  de  M.
Ngo.
19  V.  la  contribution  CE.
Roman.
20 V.  la  contribution  de  N.
Balbo-lzarn.
21 Pour une étude de la pra-
tique  de  la  médiation  pé-
nale  à  Toulon  et  Dragui-
gnan,  V.  la  contribution  de
G. Dorvaux, C. Leveel e S.
Benmaad.
22 Sur  la  conciliation  en  ma-
tière  de  défaillances  des  en-
treprises, V. la contribution de
V.  GomezBassac.
23  V.  A.J.  Arnaud,  Pour  une
pensée  juridique  européenne,
PUF,  coll.  Les  voies  du  droit,
1991;  J.  Chevallier,  “Vers  un
droit  post-moderne?”,  in  Les
transformations  de  la  régula-
tion  juridique,  sous  la  direc-
tion de G. Martin, LGDJ, Coll.
Droit  et  société,  1998,  p,  21.
24 V.,  G.  Timsit,  “La  régula-
tion,  naissance  d’une  notion”,
in Archipel de la norme, PUF,
1997,  p.  161.  Pour  une  autre
approche,  V.  M.A.  Frison-
Roche, “Le droit de la régula-
tion”,  D.  2001,  p.  610.
25  A.  Jeammaud,  “Introduc-
tion  à  la  sémantique  de  la  ré-
gulation  juridique”,  in  Les
transformations  de  la  régula-
tion  juridique,  op.  cit.,  p.  52.
26 Les enjeux de la déréglemen-
tation,  RDP,  1987,  p.  281.
de 1984 sur les difficultés des entreprises22.
De  cette  diversité  peuvent  être  déduites  deux  conclusions.  Tout  d’abord,  l’essor  des
modes alternatifs de résolution des conflits est bien un mouvement de fond qui affecte le
système  juridique  dans  son  entier.  Ensuite,  des  disciplines  du  droit  où  l’Etat  est  très
présent et où l’ordre public est très fort, comme par exemple le droit pénal, sont touchées
par le flux des modes alternatifs.
Ainsi,  l’épanouissement  des  modes  alternatifs  de  règlement  des  conflits  est  bien  plus
qu’un effet de mode (même si cet effet, en provenance des Etats-Unis ne doit pas être
négligé). Le recours aux modes alternatifs est bien plus qu’un remède aux dysfonctionne-
ments du service public de la justice, à la crise, tant structurelle que conjoncturelle, de la
justice (dont la lenteur est le révélateur le plus marquant). Le développement des modes
alternatifs révèle, en réalité, une mutation profonde du système juridique contemporain.
Cette mutation recouvre le passage d’un droit imposé à un droit négocié. L’ère de l’Etat
tout puissant est révolue (durant cette période la loi, puis le règlement, étaient les modes
privilégiés de régulation). L’Etat s’est fait plus modeste. Nous vivons à l’heure actuelle
dans une société qui fait plus de place au contrat. Le droit existe en dehors de l’Etat. Ces
mutations  du  système  juridique  ont  naturellement  une  influence  sur  la  résolution  des
litiges. On passe alors de la justice imposée à la justice négociée, de la justice rigide à la
justice souple. Le développement des modes alternatifs de règlement des conflits en est
l’illustration la plus frappante. L’étude des modes alternatifs de résolution des conflits
confirme donc concrètement le désengagement de l’Etat de la résolution des litiges et le
mouvement de contractualisation de la société sur ce terrain.
D) Les modes alternatifs de résolution des conflits confrontés à la notion de régulation.
Replacés dans leur environnement, les modes alternatifs de résolution des conflits permet-
tent de révéler la notion nouvelle de régulation. La notion de régulation est, en grande
partie, neuve dans la science juridique. Pour l’instant, cette notion est encore assez mal
connue de la communauté des juristes. Pourtant, la régulation présente, au niveau de la
théorie du droit, une grande utilité. Cette notion permet de révéler l’existence d’un droit
post-moderne23. La régulation serait une réponse à la complexité de la société contempo-
raine, complexité qui appelle une adaptation des modes d’élaboration et d’application de la
règle de droit. Cette adaptation se fait alors sur le mode de la flexibilité. Par la régulation, les
normes se font souples, négociées, évolutives. La régulation est difficile à définir24. Ses
contours sont fuyants. Comme le relève un auteur, il s’agit d’un “terme omnibus ou passe-
partout”25.
La définition de la régulation est alors tributaire de la formulation d’hypothèses.
La régulation n’est pas un synonyme de réglementation. C’est une notion originale. Deux
sens, a priori, peuvent être donnés à ce concept.
Il s’agit tout d’abord d’un autre mode d’élaboration et d’intervention du droit. La
régulation juridique opère un changement voire une rupture par rapport au droit classique
dit “droit moderne”. La régulation permet de décrire les nouvelles formes du droit.
Dans un second sens, qui n’exclut pas au demeurant le premier, la régulation est
plus vaste que le droit. Il y a hétéronomie (partielle) de la régulation par rapport au droit.
Dans sa mise en œuvre concrète, la régulation ne fait pas appel qu’au droit mais aussi à
d’autres disciplines normatives.
La seconde hypothèse repose sur les causes de la régulation. C’est le mouve-
ment de déréglementation qui a donné naissance à la régulation. Les expressions de déré-
glementation  et  de  dérégulation  sont  souvent  considérées  comme  synonymes.  A  tort.
Comme l’a montré J. Chevallier26, il ne faut pas confondre déréglementation et dérégulation.
Au contraire, la déréglementation appelle la régulation. La déréglementation n’opère pas
un passage vers la liberté totale, la liberté sauvage, sans contrôle. C’est la régulation qui se
substitue à la réglementation. Il est certain que le concept de régulation permet de décrire
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le retrait de l’Etat de la régulation sinon sociale du moins économique. L’Etat n’est plus le
seul régulateur. Il y a d’autres modes de régulation que les modes étatiques.
On s’est intéressé en doctrine à la régulation par rapport aux sources du droit et aux trans-
formations de la norme. La régulation permet aussi de mettre en valeur les transformations
qui affectent le rôle du juge. L’essor considérable des modes alternatifs de résolution des
conflits correspond en effet au mouvement de régulation. Le juge étatique n’est plus le seul
organe de régulation. Ces modes alternatifs ont pour objectif d’éviter le recours au juge
étatique. Selon S. Guinchard, il y a “déjudiciarisation des rapports sociaux”27. Le but est
d’obtenir une solution à un litige de manière plus souple et plus adaptée. On passe alors de
la justice publique à la justice privée, de la justice rigide à la justice souple. Les modes
alternatifs de résolution des conflits sont l’une des formes que revêt la régulation.
Le conciliateur ou le médiateur intervient en tant que régulateur. On sait que la régulation au
sens général n’est pas entièrement synonyme de droit. Le droit est un mode de régulation
parmi d’autres. Mais il y a régulation par d’autres normes que des normes juridiques. Très
souvent un même organe de régulation dispose de ces différents moyens de réguler: le droit
et d’autres normes sociales. “La régulation suppose le recours à une panoplie de moyens
d’action, les uns juridiques, les autres non-juridiques”28. L’une des caractéristiques majeu-
res de la régulation est donc de ne pas être exclusivement juridique (ce qui montre aussi
l’ouverture du droit sur d’autres systèmes). Cette remarque s’applique particulièrement aux
modes alternatifs de résolution des conflits. Les médiateurs et conciliateurs peuvent utiliser
des  instruments  juridiques  pour  inciter  les  parties  à  trouver  un  accord.  Mais  ils  ont  le
privilège de pouvoir utiliser un panel de normes beaucoup plus étendu que celui offert au
juge. Le juge, sur le fondement de l’article 12 NCPC, a le devoir de statuer en droit. Le
médiateur ou le conciliateur peut prendre appui sur toute norme de référence de son choix
qu’il estime utile. Il peut même ne pas se référer à une norme en particulier et simplement
laisser vivre la discussion entre les parties pour que celles-ci trouvent un accord.
La régulation est une réponse à la complexité. C’est parce que le système est trop complexe
que  la  réglementation  étatique  est  inadaptée.  Il  faut  de  la  souplesse  pour  répondre  à  la
complexité. Par exemple, Internet est à la fois un système complexe et autonome. La régle-
mentation classique, sans pour autant être totalement inefficace, est largement inadaptée. Il
faut recourir à des modes de régulation. Les modes alternatifs de résolution des conflits
sont un mode adapté aux spécificités d’Internet29. Il n’est donc pas étonnant que le réseau
Internet ait créé lui-même des processus de résolution des conflits qui sont de nouvelles
formes  de  modes  alternatifs  de  résolution  des  conflits.  Concernant  Internet,  les  modes
alternatifs de résolution des conflits favorisent clairement l’autorégulation du système.
E) L’étude des modes alternatifs de résolution des conflits permet de préciser la notion de
conflit.
L’objet des modes alternatifs de résolution des conflits étant fuyant, il est utile d’essayer de
dresser des cadres d’analyse à l’aide d’une typologie. C’est pourquoi, la typologie de la
médiation dressée par M. Six peut aider à clarifier l’étude30. Cet auteur distingue quatre
types de médiation. Il y a, selon lui, la médiation “créatrice” destinée à susciter entre des
personnes de nouveaux liens; la médiation “rénovatrice” qui réactive des liens distendus; la
médiation “préventive” qui évite la survenance d’un conflit; la médiation “curative” qui
aide les parties à éteindre un conflit31Ces définitions sont empreintes d’une acception large
de la médiation. Pour ce qui concerne la présente étude, il convient de restreindre principa-
lement le sujet aux modes alternatifs de résolution des conflits “curatifs”. L’hypothèse de
départ repose sur l’existence d’un conflit entre des parties. La fonction du mode alternatif
mis en œuvre sera d’éteindre ce conflit. Cette notion de conflit nous semble fondamentale.
C’est pourquoi, il est utile d’en préciser le sens.
La notion de conflit est avant tout une notion relevant de la sociologie et non du droit. La
matière juridique est plus habituée à employer les termes de procès ou de contentieux. Il faut
tenir pour établi que les notions de conflit, de litige, de contestation et de différend sont
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27 “L’évitement  du  juge  ci-
vil”,  in  Les  transforma-
tions  de  la  régulation  juri-
dique,  op.  cit.,  p.  221.
28 J.  Chevallier,  “Vers  un
droit  post-moderne?”,  op.
cit.,  p.  38.
29 V.  la  contribution  de  F.
Siiriainen.
30  J.F.  Six,  Le  temps  des
médiateurs, Le Seuil, 1990,
31 V.  aussi,  M.  Guillaume-
Hofnung  (La  médiation,
Coli.  Que  sais-je?,  1995,
p.  72)  qui  propose  de  dis-
tinguer  entre  les  média-
tions  en  dehors  de  tout
conflit  et  les  médiations
conflictuelles
32 L.  Cadiet,  Droit  judiciaire
privé,  Litec,  1998,  p.  3
33  L.  Cadiet,  Droitjudiciaire
privé,  op.  cit.,  p.  3.
34 V.,  Le  Monde,  16  septem-
bre  1999,  “Des  séances  de
médiation  pour  se  démarier
pour  de  bon”.  Le  médiateur
interrogé  explique  que  les
couples  qu’il  reçoit  peuvent
“exprimer  leurs  sentiments,
leur  colère,  mais  aussi  leur
bonne  volonté”.  S’agissant
d’un  couple  en  particulier,  le
même  médiateur  ajoute:  “Ici,
ils  sont  en  train  de  se  “déma-
rier”  pour  de  bon.  Ce  n’est
certainement  pas  devant  la
justice  que  cela  se  fait”.
35  “  La  place  de  la  médiation
familiale  dans  le  droit  de
l’adoption  ”,  infra.
36  Sur  ce  terme,  V.,  J.B.
Bonafé-Schmitt,  La  média-
tion,  une  justice  douce,  Alter-
natives  Sociales,  1992.
37 V.  M.E.  Cartier,  “Les  mo-
des  alternatifs  de  règlement
des  conflits  en  matière  pé-
nale”,  RGDP.  1998,  p.  1.
38   V.,  la  loi  du  23  juin  1999
(D.  1999,  lég.,  p.  311)  qui  a
modifié  le  code  de  procédure
pénale  et  qui  a  introduit,  no-
tamment,  la  composition  pé-
nale  (V.,  J.  Pradel,  “une  con-
sécration du “plea bargaining”
à  la  française:  la  composition
pénale”,  D.  1999,  chr.,  p.
379).
39   V.  Ch.  Jarrosson,  “La  mé-
diation  et  la  conciliation:  es-
sai  de  présentation”,  op.  cit.,
p.  38.  Sur  cette  conception,
V., J.F. Six, Le temps des mé-
diateurs,  op.  cit.
40  V. F. Terré, “Esquisse d’une
sociologie  des  procès”,  in  Le
procès,  Archives  de  philoso-
phie  du  droit,  Sirey,  1995,  p.
274. Du même auteur, V., “Au
cœur  du  droit,  le  conflit”,  in
La justice, l’obligation impos-
sible,  sous  la  direction  de  W.
Baranès  et  M.A.  Frison-Ro-
che,  Séries  morales  Essais,
Points, 1999, p. 108. V. aussi,
J.G.  Belley,  Conflit  social  et
pluralisme  juridique  en  socio-
logie  du  droit,  Th.  Paris,  11,
1997,  Dactyl.,  p.  166  et  s.
41 F.  Terré,  op.  cit.
42 M.A.  Frison-Roche,  Intro-
duction,  in  Les  transforma-
tions  de  la  régulation  juridi-
que,  op.  cit.,  p.  288.
43 V.  J.F.  Guillemin,  “Les  si-
tuations  de  nature  à  nécessi-
ter  un  recours  aux  ADR”,
Droit  et  patrimoine,  Décem-
bre  1999,  p.  50.
synonymes. Il serait possible de distinguer de telles notions entre elles. Mais de telles
distinctions  seraient  sans  doute  trop  subtiles  pour  être  opératoires.  On  peut  définir  le
litige comme étant un conflit de volontés32L’originalité des modes alternatifs de résolution
des conflits est de transformer ce conflit de volontés en accord de volontés. Il faut en
revanche nettement distinguer le conflit du contentieux. Le conflit ne devient contentieux
que lorsqu’un juge est saisi. Dans les modes alternatifs de résolution des conflits, il est
impossible de parler de contentieux ni même de procès.
Les modes alternatifs de résolution des conflits ne portent pas toujours sur un litige au
sens strict. “Le litige peut être défini comme un différend présentant un caractère juridi-
que”33. Dans le litige porté devant le juge, l’objet du différend ne peut être que juridique.
Le conflit résolu par un mode alternatif n’est pas forcément toujours juridique. Par exem-
ple, les conflits familiaux comme les conflits au sein d’un couple peuvent être résolus à
l’aide de la médiation34. De même, comme le montre Melle E. Roman35 les conflits nés entre
la famille d’adoption et la famille d’origine relativement à la levée du secret des origines
peuvent  être  résolus  par  le  biais  d’une  médiation.  Ce  conflit  n’est  pas  exclusivement
juridique et, par conséquent, n’appelle pas seulement la mise en œuvre de normes juridi-
ques. Ainsi, les modes alternatifs ont un rôle privilégié à jouer dans le domaine des rela-
tions sentimentales et affectives. Les modes alternatifs, en tant que justice “douce”36 sont
particulièrement bien adaptés à la sphère des sentiments. Mais le conflit n’est alors pas
juridique. Une remarque similaire peut être faite à propos de la médiation pénale37. Il n’y a
pas au sens propre de litige. La médiation a pour objet d’assurer la réparation du dommage
causé à la victime, de mettre fin au trouble résultant de l’infraction ou de contribuer au
reclassement de l’auteur des faits38. La médiation n’a pas pour objet de trancher un litige.
Sa  raison  d’être  tient  à  la  nécessité  de  renouer  le  lien  social,  de  faciliter  les  rapports
sociaux, de rétablir une communication disparue39.
Il existe des degrés dans le conflit. Un conflit peut être plus ou moins difficile à résoudre.
Bien sûr, les modes alternatifs de résolution des conflits ne sont envisageables que si le
conflit peut être résolu par un accord de volonté entre les parties. Certains travaux ont
permis  de  dresser  une  typologie  des  conflits.  Il  a  par  exemple  été  distingué  entre  les
conflits d’intérêts et les conflits de valeurs40 . Le conflit d’intérêts opposent des individus
à propos d’un bien qui est trop rare pour que toutes les parties soient satisfaites. Ce type
de conflit incite au partage. Le conflit de valeurs, quant à lui, porte sur un antagonisme
relatifs à des valeurs sociales. Les solutions négociées dans ce dernier type de conflit sont
beaucoup plus difficiles à obtenir. Si l’on suit cette première typologie, les modes alterna-
tifs de résolution des conflits sont plus adaptés aux conflits d’intérêts qu’aux conflits de
valeurs. Selon une deuxième typologie, il serait possible de distinguer entre les conflits
réalistes et les conflits non réalistes41. Dans les premiers, le conflit est un moyen utilisé
pour atteindre un objectif déterminé. Dès lors, si le résultat peut être atteint d’une manière
différente, les parties seront incitées à suivre cette dernière manière, par exemple en recou-
rant à un mode alternatif de résolution des conflits. Dans les seconds, le conflit est une fin
en soi. Le conflit focalise l’agressivité qui existe entre les parties. Dans ce type de conflit,
le recours à un mode alternatif semble exclu. Ces deux typologies rejoignent une dernière
distinction, celle entre contentieux “chaud” et contentieux “froid”42. Dans le contentieux
chaud, les parties investissent leur personne et leurs valeurs dans le contentieux. Dans le
contentieux froid, les parties se contentent d’ajuster leurs intérêts. Les modes alternatifs
de résolution des conflits conviennent mieux aux contentieux “froids” qu’aux contentieux
“chauds”.
Les modes alternatifs de résolution des conflits ont un rôle particulier à jouer dans la vie
des affaires. En effet, les échanges économiques créent des liens particuliers entre les
partenaires, liens susceptibles de favoriser la recherche d’un accord amiable. Principale-
ment, lorsque deux agents économiques sont en relations d’affaires continues, il est de
l’intérêt de tous de rechercher une solution de compromis au moyen d’un accord plutôt
que d’entamer un procès43. C’est en réalité une logique économique qui favorise une telle
démarche. La volonté d’éviter une perte de temps et d’argent ajoutée au souci de maintenir
une relation de confiance avec un partenaire efficace justifient la recherche d’une solution
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44 Comme l’écrit un auteur,
“Une  attitude  légaliste  se-
rait  surtout  étrangère  à  la
logique  de  l’échange  éco-
nomique  qui  doit  présider
à  la  recherche  d’un  arran-
gement  satisfaisant  pour
les  deux  parties.  Cette  lo-
gique  enseigne  que  l’op-
portunité  et  même  la  légi-
timité  des  comportements
doivent  s’apprécier  en
fonction  de  leur  contribu-
tion  à  l’augmentation  des
profits.  Elle  incite  à  con-
sacrer  plus  de  temps  et  de
ressources  à  améliorer  les
échanges  futurs  qu’à  répa-
rer les fautes du passé. Elle
dispose  à  accepter  un  rè-
glement  qui  ne  compense
qu’en  partie  le  préjudice
subi,  s’il  contient  la  pro-
messe  du  renouvellement
d’une  relation  commer-
ciale  profitable”.  V.  J.G.
Belley,  “Vous  qui  êtes  un
client  juste  et  honnête...”,
in  La  justice,  l’obligation
impossible,  op.  cit.  p.  122,
spéc.,  p.  129.  Dans  le  ca-
dre d’une étude de cas por-
tant sur une entreprise qué-
bécoise,  cet  auteur  établit
trois  critères  -la  domina-
tion,  la  dépendance  et  la
confiance-  qui  permettent
d’expliquer quelles sont les
motivations  poussant  les
acteurs  économiques  à  re-
chercher  des  solutions  né-
gociées.
45 Les  réflexions  qui  sui-
vent  sont  en  partie  dues
aux 
que
discussions 
l’auteur de ces lignes a eues
avec  Monsieur 
Jean
Timsit,  président  du  Cen-
tre  de  résolution  des  con-
flits.  L’auteur  tient  à  le
remercier.
46 Découvrir  la  justice,  op.
cit.,  p.  68.
47 La  Cour  de  cassation  a
toutefois  admis  récem-
ment qu’un contrat de tran-
saction  pouvait  être  an-
nulé  pour  violence  écono-
mique, V. Cass., 1ère civ, 30
mai  2000,  D.  2000,  jur,  p.
879,  note  J.P.  Chazal.
négociée44. pour Ce qui nous intéresse, il faut constater que cette tendance à la recherche
d’un accord négocié s’applique opportunément aux modes alternatifs.
Les modes alternatifs de résolution des conflits se situent sans doute entre la négociation
directe entre les parties et le recours au procès ordinaire. Dans la négociation directe, les
parties entretiennent une relation de confiance telle qu’elles peuvent surmonter seules le
conflit qui les oppose. Dans le procès ordinaire, les parties sont désunies totalement et seul
un juge peut autoritairement trancher le conflit.
Lorsqu’un conflit est susceptible d’être résolu par un mode alternatif, celui-ci s’apparente
plutôt à une simple opposition d’intérêts45. C’est pourquoi, les modes alternatifs de résolu-
tion  des  conflits  sont  souvent  plus  proches  de  l’institution  du  contrat  que  de  celle  du
jugement. La remarque s’applique particulièrement aux modes alternatifs de résolution des
conflits conventionnels. Les modes alternatifs judiciaires restent en partie dans l’orbite du
juge et présentent une nature contractuelle moins marquée.
Il y a dans un contrat une opposition d’intérêts évidente entre les parties. Pour prendre un
exemple très simple, le vendeur veut vendre le plus cher possible et l’acheteur veut acheter
le moins cher possible. Il n’y a pas véritablement conflit entre les contractants. Mais il y a
simple opposition d’intérêts. Dans le cadre d’un mode alternatif de résolution des conflits,
l’opposition d’intérêts entre les parties n’est pas fondamentalement différente de celle qui
existe dans un contrat. La similitude est d’autant plus frappante lorsque les modes alterna-
tifs se terminent par la conclusion d’un contrat. Prenons l’exemple d’un contrat de transac-
tion. Dans ce cas, le mode alternatif employé s’apparente à un processus de négociation du
contrat de transaction. Ainsi, la médiation et la conciliation conventionnelles organisent les
pourparlers destinés à conclure le contrat de transaction.
La médiation et la conciliation conventionnelles ne sont donc rien d’autres que l’organisa-
tion, notamment par l’intervention d’un tiers, de pourparlers destinés à la conclusion d’un
accord de volonté mettant fin au conflit. Ce qui distingue ces pourparlers des pourparlers
“classiques”, c’est l’intervention d’un tiers dont le rôle est de faciliter la conclusion d’un
accord.  Ce  tiers,  dénué  de  tout  pouvoir  juridictionnel,  n’est  rien  d’autre  qu’un  “accou-
cheur”. Il permet aux parties à la négociation de réduire leur opposition d’intérêts afin de
déboucher sur un accord.
Enfin,  l’une  des  questions  fondamentales  est  celle  de  savoir  si  la  notion  de  justice  est
adaptée aux modes alternatifs de résolution des conflits? Peut-on parler au sens propre de
justice alternative? S’agit-il toujours de justice? En effet, les parties au conflit résolvent ce
dernier par un accord de volonté. Le terme de justice ne devrait-il pas être réservé aux cas
dans  lesquels  un  juge  intervient  en  tranchant  la  contestation  au  moyen  d’une  décision
juridictionnelle? La justice issue des modes alternatifs de résolution des conflits n’est pas
une justice institutionnelle mais une justice contractuelle. Autrement dit, la justice, dans les
modes alternatifs de résolution des conflits, résulte du contrat. Il s’agit d’une justice au
sens  substantiel.  La  justice  n’est  pas  rendue  par  un  juge;  elle  émane  de  la  volonté  des
parties au litige. Ce questionnement permet d’aborder l’un des thèmes majeurs du droit des
contrats: l’accord contractuel est-il nécessairement juste? Contrairement à ce que pouvait
penser Fouillée, qui dit contractuel ne dit pas forcément juste. La justice qui doit être recher-
chée dans les modes alternatifs de résolution des conflits devraient consister dans la re-
cherche d’un équilibre substantiel dans l’accord des parties mettant fin au litige. Comme
l’écrit M. Cadiet, il conviendrait d’aboutir dans le règlement amiable à “l’équité de la situa-
tion juridique née du contrat, à l’équilibre des intérêts de chacun des contractants”46. Le
contrôle du juge sur l’accord mettant fin au litige pourrait être conçu comme garantissant cet
équilibre. Le droit positif ne va pourtant pas dans ce sens. Ainsi, par exemple, il est expres-
sément prévu que le contrat de transaction ne peut être rescindé pour lésion (art. 2052 al. 2
C. Civ)47 . En revanche, le nouvel article 1441-4 du nouveau Code de procédure civile pour-
rait être conçu comme permettant au juge d’apprécier l’équilibre du contrat de transaction
avant de lui conférer force exécutoire. Mais, à l’inverse, un contrôle trop poussé du juge
risque de détourner les parties du recours à la transaction homologuée. Difficile équilibre à
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trouver entre la liberté contractuelle et l’égalité substantielle, entre la force obligatoire du
contrat et l’interventionnisme judiciaire...
SOMMAIRE
Résumé
Introduction par JB. Racine
I) Partie générale
- Estelle Girardot-Rouhette, “La mission du tiers dans les modes alternatifs des conflits:
une mission aux contours incertains”.
- J.B. Racine, “Les garanties de loyauté dans les modes alternatifs des conflits”.
II) Partie spéciale
- Ch. Russo, “Les modes alternatifs de règlement des conflits dans le domaine des assu-
rances: l’exemple de la médiation”.
- F. Siiriainene, “Réflexions sur les modes alternatifs de règlement des conflits (MARC)
dans le commerce électronique”.
- E. Roman, “La place de la médiation familiale dans le droit de l’adoption”.
- N. Balbo-Izarn, “L’étendue du champ contractuel ouvert à la médiation familiale”.
- V. Gomez-Bassac, “Les modes amiables de résolution des défaillances des entreprises”.
- M.A. Ngo, “La conciliation sportive obligatoire devant le Comité National Olympique et
Sportif Français”.
- G. Dorvaux, C. Leveel, S. Benmaad, “La médiation pénale: bilan d’application et perspec-
tives d’évolution (Etude pratique dans les ressorts de Toulon et de Draguignan)”.
Synthèse par L. Boy et J.J. Sueur
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