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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES
PUBLIQUES PENDANT
LES ÉLECTIONS
2022
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Auteurs
Soumaya Gombra

Présidente de section consultative au Tribunal Administratif, Tunisie,
Óscar Sánchez Muñoz
Professeur à l’Université de Valladolid, Espagne,
Afifa Khanfous
Directrice générale à la présidence du gouvernement, Tunisie,
Bertrand Simon
Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, France,
Essia Labidi
Présidente du Tribunal de première instance de Manouba, Tunisie,
Sofiène Ben Abid
Expert-comptable, Tunisie,
Walid Ammous
Expert-Comptable, Tunisie,
Mourad Ben Gassouma
Procureur d’Etat près la Cour des comptes, Tunisie.
Coordinateur du projet
Lotfi Blel
Expert électoral au PNUD Tunisie
Rédactrice en chef
Soumaya Gombra
Consultante PNUD Tunisie
Lecture pré-édition
Lotfi Larguet
Universitaire, chroniqueur et journaliste
Conception graphique
Ines Jaziri
Infographiste au PNUD Tunisie
Avertissement
Les idées et les opinions exprimées dans cet ouvrage sont celles des
auteurs et ne reflètent pas les points de vue du PNUD ni ceux de la
Commission de Venise ou du Conseil de l’Europe ou leurs partenaires.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES
PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)
Projet d’assistance électorale en Tunisie II (PAET II)
En tant qu’agence principale des Nations Unies pour le développement
international, le PNUD travaille dans 170 pays et territoires pour
éradiquer la pauvreté et réduire les inégalités. Nous aidons les pays à
développer des politiques, des compétences en matière de leadership,
des capacités de partenariat, des capacités institutionnelles et à
renforcer la résilience pour atteindre les Objectifs de développement
durable. Notre travail se concentre sur trois domaines d’intervention:
le développement durable, la gouvernance démocratique et la
consolidation de la paix, et la résilience au climat et aux catastrophes.
www.undp.org
2022
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction générale
Chapitre premier : Cadre général
Section 1 : Définition de la notion d’abus d’usage
des ressources publiques
1. La notion des ressources publiques
2. La notion d’abus d’usage
3. La période concernée par l’abus d’usage des ressources publiques
4. Les parties concernées par l’interdiction d’abus d’usage des
ressources publiques
Section 2 : Les critères de distinction entre usage légal et usage
illégal des ressources publiques en période
électorale
1. Eléments à considérer dans la définition du cadre juridique
2. Le rôle des codes de conduite et des critères d’interprétation
issus des autorités de contrôle, comme complément des normes
impératives
Section 3 : Principes généraux et standards internationaux
1. Les principes généraux
2. Les standards internationaux
Chapitre 2 : Expériences comparées des différents types
d’utilisation abusive des ressources de l’Etat
en période électorale
Section 1 : L’utilisation abusive des ressources financières
de l’État (le financement public direct et indirect)
1. Problèmes relatifs aux règles régissant l’allocation des fonds aux
partis politiques et aux candidats dans le cadre du financement
public direct
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2. Problèmes relatifs au détournement des fonds publics à des fins
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électorales
3. Problèmes liés au financement indirect : l’exemple de l’allocation
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de temps d’antenne
Section 2 : L’utilisation abusive des ressources humaines de
l’État
1. Problèmes liés à la participation des élus et des hauts cadres de
l’État à la campagne électorale
2. Problèmes liés à la participation des agents d’exécution à la
campagne électorale
Section 3 : L’utilisation abusive des ressources matérielles de
l’État
1. Usage des biens immobiliers de l’État
2. Usage des biens mobiliers de l’État
Section 4 : L’utilisation abusive des communications
institutionnelles
1. Les campagnes d’information sur le processus électoral
2. Les campagnes de publicité institutionnelles dans les médias,
lorsqu’elles portent sur des aspects non directement liés au
processus électoral
3. Autres activités de communication institutionnelle
Section 5 : L’utilisation abusive des ressources immatérielles
de l’Etat
1. Usage des prérogatives de puissance publique
2. Usage de la notoriété publique
Chapitre 3 : L’abus d’usage des ressources publiques en
droit tunisien
Section 1 : L’abus d’usage des ressources financières publiques
1. Le financement public direct
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2. Le financement public indirect
Section 2 : L’abus d’usage des ressources humaines publiques
1. L’abus d’usage des ressources humaines et le statut général de la
fonction publique
2. L’abus d’usage des ressources humaines et le statut général
applicable aux agents des établissements et entreprises publiques
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3. L’abus d’usage des ressources humaines et le code de déontologie
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et de bonne conduite des agents publics
4. L’abus d’usage des ressources humaines dans les circulaires
émises par le Chef du gouvernement
5. L’usage des ressources humaines liées à la fonction politique
Section 3 : L’abus d’usage des ressources matérielles publiques
1. L’abus d’usage des biens immobiliers
2. L’abus d’usage des biens mobiliers
Section 4 : L’abus d’usage des ressources immatérielles
1. L’abus d’usage des prérogatives de puissance publique
2. L’abus d’usage de la notoriété publique
Chapitre 4 : La notion d’abus de ressources d’Etat et des
moyens de communication publics
Section 1 : Abus et système
Section 2 : Les principes d’un cadre global fiable
1. Principe de dissociation
2. Accorder le principe de dissociation avec les autres principes
Section 3 : Un cadre juridique et organisationnel
1. Le champ d’action des autorités administratives indépendantes
2. La complémentarité du droit électoral
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Chapitre 5 : L’usage des ressources de l’Etat dans la
communication politique en période
électorale en Tunisie
Section 1 : Les règles qui régissent la communication politique
en période électorale
Section 2 : Spécificités des règles régissant la communication
politique selon le moyen de communication utilisé
1. Les médias audiovisuels publics
2. L’usage de la presse écrite
3. L’usage des médias publics électroniques
4. L’abus de l’usage des médias privés par les hauts responsables de
l’Etat
Section 3 : Autres moyens de communication
Chapitre 6 : Méthodes d’évaluation comptable d’abus
d’usage des ressources publiques en période
électorale
Section 1 : Nomenclature des ressources pouvant faire l’objet
d’une évaluation financière et règles d’évaluation
1. Nomenclature des ressources pouvant faire l’objet d’une
évaluation financière
2. Règles d’évaluation des ressources pouvant faire l’objet d’une
évaluation financière
Section 2 : Nomenclature des ressources ne pouvant pas
faire l’objet d’une évaluation financière et règles de
prise en considération
1. Nomenclature des ressources ne pouvant pas faire l’objet d’une
évaluation financière
2. Règles de prise en considération des ressources ne pouvant pas
faire l’objet d’une évaluation financière
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Chapitre 7 : Le contrôle exercé par la Cour des comptes
sur les abus d’usage des ressources publiques
pendant les élections
Section 1 : Détection des cas d’abus d’usage des ressources
publiques dans le cadre du contrôle du financement
des campagnes électorales par la Cour des comptes
1. Outils de contrôle des abus d’usage des ressources publiques
2. La détection des abus d’usage des ressources publiques face aux
problématiques de la limitation des moyens de preuve
Section 2 : Poursuite des cas d‘abus d’usage des ressources
publiques
1. Transmission des actes susceptibles de constituer des abus
d’usage des ressources publiques au juge pénal
2. Sanction des candidats aux élections pour abus d’usage des
ressources publiques
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204
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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les plus
l’un des piliers
Les élections constituent
importants
de la démocratie. Pour que des élections soient véritablement
démocratiques, elles doivent être fondées sur le respect de la loi
et de la Constitution. Il faut dire que l’inhérence des élections à la
démocratie est affirmée par la Déclaration universelle des droits de
l’homme qui prévoit que « la volonté du peuple est le fondement de
l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des
élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage
universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente
assurant la liberté du vote »
1.
En réalité, l’organisation des élections est régie par des principes
fondamentaux et des procédures qui garantissent le droit de chaque
citoyen à être candidat aux élections et d’exercer son droit au vote en
toute liberté et dans le respect du principe d’égalité, de transparence
et de neutralité. C’est à ce niveau que se pose la question de
l’utilisation abusive des ressources publiques pendant les élections.
En effet, l’usage des ressources publiques pendant les élections se
trouve au cœur du débat sur les conditions d’organisation d’élections
démocratiques car le fait de ne pas mettre en place les mécanismes
nécessaires pour répondre à la problématique de l’usage abusif des
ressources publiques pendant les élections risque de biaiser tout le
processus électoral basé sur la sincérité du scrutin.
Il faut dire que l’abus d’usage des ressources publiques pendant les
élections est un phénomène qui a longtemps caractérisé plusieurs
systèmes électoraux dans le monde. On peut dire même que dans
certains pays, ce sont des pratiques enracinées dans leur culture
générale.
Aujourd’hui, la question de l’usage abusif des ressources publiques
pendant les élections se pose avec de plus en plus d’acuité car dans
plusieurs pays non démocratiques et même démocratiques, des
candidats à une élection se retrouvent souvent en concurrence avec
des candidats ou des partis au pouvoir qui gèrent, du fait de leurs
1. Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 21, al. 3.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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fonctions, des ressources publiques. Ceci leur offre la possibilité
d’utiliser ces ressources dans le cadre de la campagne électorale les
mettant ainsi en position favorable par rapport à leurs concurrents.
Une situation pareille ne peut certainement que nuire à la sincérité
du scrutin.
Vu l’impact de l’utilisation abusive des ressources d’État sur les
élections, il semble fondamental que les législations nationales
mettent en place les mécanismes juridiques nécessaires pour garantir
l’égalité des chances entre les candidats.
Pour pouvoir faire face à ce phénomène, plusieurs études et directives
ont été élaborées. Dans ce cadre, la Commission de Venise a publié
plusieurs rapports portant sur les lignes directrices visant à prévenir
et à répondre à l’utilisation abusive des ressources administratives
pendant les élections.
1 Elle a également veillé à éditer des critères
en vue de l’évaluation du respect des normes et bonnes pratiques
internationales en matière de prévention de l’utilisation abusive des
ressources électorales aux niveaux local et régional
2.
Ainsi et au niveau de la terminologie, plusieurs précisions doivent
être apportées:
ressources
Ressources administratives : Les ressources humaines, financières,
matérielles, en nature et autres
immatérielles
dont disposent les élus [candidats et candidats sortants] et les
fonctionnaires lors des élections grâce au contrôle qu’ils exercent sur
le personnel, les finances et les affectations au sein du secteur public,
à l’accès dont ils jouissent aux équipements publics, ainsi qu’au
prestige ou à la visibilité publique que leur confère leur statut d’élu
ou de fonctionnaire. Elles peuvent être interprétées comme un appui
politique ou toute autre forme de soutien
3.
1. Voir les rapports adoptés par la Commission de Venise, le 6-7 décembre 2013 et le 11-12 mars 2016.
2. Voir l’avis conjoint adopté par la Commission de Venise 10-11 mars 2017.
3. COMMISSION DE VENISE, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus
électoraux, 2013
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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Usage de ressources administratives : Il devrait être admis par la
loi. Il s’agit de la possibilité d’utiliser de façon licite des ressources
administratives au cours d’un processus électoral pour faire
fonctionner l’institution, tout en veillant à ce qu’elles ne soient pas
détournées à des fins de campagne
1.
Abus de ressources administratives : Il doit être réprimé par la loi
comme une infraction aux règles d’utilisation licite des ressources
financées sur des fonds publics lorsque ces ressources sont utilisées
par des candidats sortants et des fonctionnaires à des fins de
campagne
2.
Utilisation abusive des ressources de l’Etat : « Les avantages indus
obtenus par certains partis ou candidats en utilisant leurs positions
officielles ou leurs liens avec les institutions gouvernementales pour
influencer le résultat des élections »
3.
Abus de la fonction officielle publique : « L’abus de fonction officielle
fait référence au fait d’utiliser la fonction et les privilèges y afférents
dans le but de promouvoir les intérêts électoraux d’un candidat ou
d’un parti politique (généralement, le titulaire de la fonction publique
ou son parti), ou pour désavantager des partis ou des candidats »
4.
En Tunisie, l’abus d’usage des ressources publiques était une pratique
constante et omniprésente avant 2011. Le parti au pouvoir était en
fait le parti de l’Etat qui avait droit à toutes ses ressources. Après la
révolution, la Tunisie en tant que jeune démocratie encore soumise
à ses anciennes pratiques, n’est toujours pas épargnée par ce
phénomène et doit faire face à ce défi.
1. COMMISSION DE VENISE, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus
électoraux, 2013
2. COMMISSION DE VENISE, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus
électoraux, 2013
3. Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l’Homme de l’Organisation pour la Sécurité
et la Coopération en Europe (BIDDH/OSCE), Manuel pour l’Observation du financement de campagne
(Handbook for the Observation of Campaign Finance 66 [2015])
4. ACE PROJECT, le réseau du savoir électoral
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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La Constitution du 27 janvier 2014 a consacré certains principes
fondamentaux qui constituent le fondement de l’interdiction de
l’utilisation abusive des ressources publiques tels que le principe
d’égalité des chances entre les candidats, le principe de la neutralité
de l’administration et le principe de la transparence.
Certes, la valeur constitutionnelle attribuée par les constituants à
ces principes fondamentaux les érige en haut de la pyramide des
lois, mais leur application effective passe par leur consécration
au sein des législations et des règlements applicables dans l’ordre
juridique tunisien. A cet effet, la loi électorale a interdit expressément
l’utilisation des ressources et moyens publics au profit d’une liste de
candidats, d’un candidat ou d’un parti. Mais malgré ces avancées, les
contours de la règle de l’interdiction de l’abus d’usage des ressources
publiques pendant les élections restent difficiles à déterminer et les
règles qui lui sont applicables ne semblent pas parfois très claires.
Le but de cet ouvrage est de clarifier les contours de cette notion et
de déterminer les règles applicables en matière d’utilisation abusive
des ressources publiques pendant les élections pour permettre une
application effective de la loi et garantir une réelle égalité des chances
entre les candidats.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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CHAPITRE PREMIER :
CADRE GÉNÉRAL
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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INTRODUCTION
Avant d’étudier de près le régime juridique applicable en cas
d’abus d’usage des ressources publiques pendant les élections
et les différents cas pratiques qui peuvent se présenter, il
convient de mettre cette notion dans son cadre général. En
effet, la notion d’abus d’usage des ressources publiques est une
notion qui touche à plusieurs aspects juridiques, ce qui nous
amène à bien la délimiter.
il s’agira en premier lieu de définir la notion d’abus d’usage
des ressources publiques pendant les élections. Pour savoir de
quelles ressources on parle, que peut-on qualifier d’utilisation
abusive, quelle est la période concernée par l’interdiction et
quelles sont les parties qui peuvent etre concernées par cet
abus
(section 1).
En deuxième lieu, Il faut noter que les difficultés d’application
de cette notion proviennent parfois de la confusion qui existe
entre usage légal et usage illégal des ressources publiques. Il
s’agit de comprendre de manière claire et précise quels sont
les critères de distinction entre usage légal et usage illégal des
ressources publiques pendant les élections
(section 2).
En dernier lieu, il est important de préciser quels sont les
principes généraux qui régissent la matière tels que le principe
de neutralité de l’administration et le principe d’égalité des
chances entre les candidats. Il est également important
de déterminer les standards internationaux applicables en
matière d’usage des ressources de l’État en période électorale
(section 3).
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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SECTION 1 :
DÉFINITION DE LA NOTION D’ABUS D’USAGE DES
RESSOURCES PUBLIQUES
Par Soumaya GOMBRA
Présidente de section consultative au Tribunal Administratif
La question d’abus d’usage des ressources publiques a toujours
été un thème central pendant le déroulement des élections, mais
paradoxalement cette notion demeure imprécise et sujette à plusieurs
interprétations.
La loi électorale tunisienne a règlementé la question dans le cadre des
règles applicables pendant la campagne électorale. En effet, l’article
53 de la loi électorale prévoit qu’il est interdit d’utiliser les ressources
et moyens publics au profit d’une liste de candidats, d’un candidat ou
d’un parti.
Reste que cette notion doit être étudiée sous tous ses aspects. En
fait, plusieurs précisions doivent être apportées à la définition des
ressources publiques concernées par l’interdiction (1), celle de la
notion d’abus d’usage (2), de la période concernée par l’interdiction
d’abus d’usage des ressources publiques (3) et les parties concernées
par l’interdiction d’abus d’usage des ressources publiques (4).
1. La notion des ressources publiques
Les ressources publiques sont généralement classées en trois
catégories à savoir les ressources humaines qui sont les agents publics,
les ressources matérielles qui sont les biens publics et les ressources
financières qui sont les fonds publics.
Pour mettre l’accent sur l’importance et la gravité que revêt l’usage des
ressources publiques, le législateur tunisien a choisi de mentionner
expressément dans l’article 53 de la loi électorale que l’interdiction
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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concerne « les ressources et moyens publics », mais en réalité le
terme « ressources » est générique et peut couvrir également « les
moyens publics ». Le législateur tunisien a également choisi d’utiliser
le terme « public » qui est un terme pouvant paraitre plus large par
rapport à d’autres termes comme « ressources administratives » ou
« ressources de l’Etat ».
En fait, les termes invoqués par la loi électorale sont généraux ce
qui implique que la notion de l’usage des ressources publiques
comprend l’usage de toute forme de ressources publiques qu’elles
soient financières, humaines, matérielles, immatérielles et même les
ressources en communication.
La Commission de Venise utilise plutôt le terme « ressources
administratives ». Elle le définit comme « les ressources humaines,
financières, matérielles, en nature et autres ressources immatérielles
dont disposent les candidats sortants et les fonctionnaires lors des
élections grâce au contrôle qu’ils exercent sur le personnel, les
finances et les affectations au sein du secteur public, à l’accès dont ils
jouissent aux équipements publics, ainsi qu’au prestige ou à la visibilité
publique que leur confère leur statut d’élu ou de fonctionnaire, et qui
peuvent être interprétés comme un appui politique ou toute autre
forme de soutien »
1.
D’autres ouvrages utilisent le terme « ressources de Etat ». Il est défini
comme suit «The term “state resources” (sometimes referred to as
“public” or “administrative” resources) is defined in this document
as any resources belonging to the government of a political entity
(encompassing both political and administrative entities at national,
regional and local level). State resources are sometimes exclusively
thought of as financial, including funding streams and the government
budget and assets. This is a logical notion, but it must be acknowledged
that there are many forms of state resources which can be used to
1. Commission européenne pour la démocratie et le droit (Commission de Venise), rapport sur l’abus des
ressources administratives pendant les processus électoraux, 20 décembre 2013 page 6.
Voir aussi les lignes directrices conjointes visant à prévenir et répondre à l’utilisation abusive de
ressources administratives pendant les processus électoraux 14 mars 2016.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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support, or abused to undermine, democratic governance. »1
Les ressources de l’Etat sont également définis comme « the abuse
of state resources for political gain encompasses any activities that
affects the financing of political parties or of elections in such a way as
to favour one party or candidate at the expense of other contenders”
2.
D’autres ouvrages précisent qu’il s’agit de « ressources administratives
liées à des acteurs spécifiques (élus, sortants, candidats) lors des
élections incluant les ressources humaines, financières, matérielles,
en nature et immatérielles. Le fait que les sortants et les élus, en
particulier, ont accès aux personnels, aux finances, aux allocations
et aux équipements publics – et exercent un contrôle sur tous ces
moyens – est déterminant lors des campagnes électorales, car ils
peuvent en tirer un avantage sur les autres candidats. Les ressources
administratives peuvent aussi être utilisées à des fins de prestige ou
de notoriété et pour améliorer l’image publique des sortants, des
élus et des candidats, ce qui peut conduire à une caution politique ou
à d’autres formes de soutien. »
3.
Dans son guide sur le financement de la campagne électorale pour les
élections législatives et présidentielles de 2019, l’Instance supérieure
indépendante des élections prévoit que les ressources administratives
peuvent être divisées en quatre catégories distinctes, à savoir les
ressources légales, les ressources institutionnelles (qui inclut les
ressources matérielles, techniques, humaines et de communication
de l’Etat et les ressources financières et coercitives.
1. Abuse of state ressources, brief introduction to what it is, how to regulate against it and how to
implement such regulations resources, Magnus Ohman, IFES July 2011.
Voir aussi, Unfair advantages: the abuse of state ressources in elections, Mars 2017.
2. Milking the system, fighting the abuse of public ressources for re-election, Bruno Speck, Alessandra
Fontana, Anti-corruption Ressource Centre, February 2011.
3. Ressources administratives et élections équitables, Guide pratique à l’usage des responsables
politiques et agents publics locaux et régionaux, Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe, juin 2018.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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2. La notion d’abus d’usage
En revenant à sa définition linguistique, on trouve que l’action
d’abuser d’une chose, c’est d’en faire un usage mauvais, excessif.
Dans la terminologie juridique, on utilise plutôt le terme « abus de
pouvoir » qui est l’acte d’une personne qui dépasse les limites légales
de sa fonction et qui en fait un usage déloyal.
Dans le contexte électoral, certains définissent l’abus d’usage comme
étant “les avantages indus obtenus par certains partis ou candidats en
utilisant leurs positions officielles ou leurs liens avec les institutions
gouvernementales pour influencer le résultat des élections”
1.
En Tunisie, et même si l’article 53 de la loi électorale prévoit
« l’interdiction de l’usage des ressources et moyens publics » au profit
d’une liste de candidats, d’un candidat ou d’un parti, mais, il faut
préciser qu’il s’agit plutôt d’interdire l’usage abusif des ressources de
l’Etat. En effet, et comme on va le voir, l’usage des ressources de l’Etat
au profit d’un candidat ou d’une liste candidate n’est pas toujours
interdit. On peut ici donner l’exemple de la location par un candidat ou
une liste candidate d’un local appartenant à l’Etat ou à la collectivité
locale pour l’utiliser dans un meeting électoral ou bien le fait de louer
des moyens de transport appartenant à une entreprise publique pour
transporter des militants. On peut constater à travers ces exemples
que l’usage des moyens de l’Etat n’est pas interdit en soi à condition
qu’il soit règlementé par la loi et en accord avec les principes d’égalité
et de neutralité. En fait, il faut distinguer entre l’usage licite et l’usage
illicite des ressources publiques.
L’usage licite des ressources publiques : L’Etat permet aux candidats
d’utiliser ses ressources pendant les élections à condition de
respecter le principe d’égalité entre les candidats. En effet, les
dispositions concernant les utilisations autorisées des ressources
de l’Etat devraient s’appliquer de façon claire et sans discrimination
aux candidats du parti au pouvoir ou ceux de l’opposition, et « ne
devraient pas être plus favorables ou discriminatoires envers quelque
1. Manuel pour l’Observation du financement de campagne, Bureau des Institutions Démocratiques et
des Droits de l’Homme de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (BIDDH/OSCE),
IFES, MARS 2018.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 20
parti ou candidat que ce soit »1.
L’usage illicite ou abusif des ressources publiques : Il s’agit «d’un
bénéfice non mérité qu’un parti ou un candidat peut avoir à travers
l’exploitation de son poste officiel ou de ses relations avec les
institutions de l’Etat et ce pour influencer les résultats des élections»
2.
L’usage illicite ou abusif des ressources publiques est considéré
comme étant un financement public indirect ou déguisé de la
campagne électorale qui porte atteinte au principe de la transparence
et de l’égalité entre les candidats.
Il faut noter à cet égard qu’une distinction claire doit être faite
entre le fonctionnement du gouvernement, les activités de la
fonction publique et la conduite de la campagne électorale. En effet,
concernant les personnes qui ont des postes de responsabilité dans
le gouvernement ou dans l’administration, et même les fonctionnaires,
l’usage des ressources publiques est licite même en période électorale
s’il s’insère dans le cadre de leurs fonctions et a pour objectif la
réalisation de l’intérêt général. Cependant, il y a parfois des difficultés
pour distinguer l’usage à but électoral et l’usage qui s’inscrit dans le
fonctionnement normal de l’administration.
3. La période concernée par l’abus d’usage des ressources
publiques
3.1. La pré-campagne, la campagne et le silence électoral
La détermination de la période concernée par l’interdiction de l’abus
d’usage des ressources publiques dans la campagne électorale est
en étroite relation avec la définition de la notion même de dépense
électorale. Car l’abus d’usage des ressources publiques est considéré
comme étant un financement déguisé. Il est comptabilisé comme
étant une dépense électorale. L’article 3 de la loi électorale définit les
dépenses électorales comme étant le total des dépenses en numéraire
1. Manuel pour l’Observation du financement de campagne, Bureau des Institutions Démocratiques et
des Droits de l’Homme de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (BIDDH/OSCE),
IFES, MARS 2018 p 3.
2. Guide de contrôle du financement électoral, bureau des établissements démocratique, OSCE page 14.
20
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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et en nature contractées durant la période électorale ou la période
référendaire par le candidat ou la liste de candidats ou le parti, ou
pour leur compte, et qui ont été consommées ou versées afin de
payer les frais de la campagne électorale ou la campagne référendaire
en vue d’avoir la confiance de l’électeur et obtenir son vote.
En partant de cette définition de la dépense électorale, on peut dire
que l’interdiction de l’abus d’usage des ressources publiques pendant
les élections commence avec la phase de pré-campagne, se poursuit
durant la phase de la campagne électorale et prend fin avec le silence
électoral.
Il faut rappeler que selon l’article 50 de la loi électorale la campagne
électorale commence vingt-deux jours avant le scrutin. Elle est
précédée par la phase pré-campagne électorale ou pré-campagne
de référendum et s’étale sur deux mois. Au cas où il est procédé à
un second tour des élections présidentielles, la campagne électorale
est ouverte le lendemain de la proclamation des résultats définitifs
du premier tour. La campagne est clôturée, dans tous les cas, vingt-
quatre heures avant le jour du scrutin, c’est le silence électoral.
La loi électorale a permis de faire de la propagande électorale
durant la phase de pré-campagne électorale exception faite de
quelques interdictions comme la publicité politique, sauf pour les
journaux partisans et les candidats aux élections présidentielles.
Il est également interdit d’annoncer par le biais des médias, la mise
en place d’une ligne téléphonique gratuite, d’une boite vocale ou
d’un centre d’appel en faveur d’un candidat, d’une liste candidate ou
d’un parti.
Mais, cette définition restrictive de la période concernée par
l’interdiction de l’abus d’usage des ressources publiques parait
insuffisante pour garantir le respect du principe d’égalité des chances
entre les candidats. En effet la campagne électorale au sens large du
terme peut commencer bien avant la période électorale pour couvrir
l’année électorale et même tout le cycle électoral.
21
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 22
3.2. L’année électorale et le cycle électoral
Il faut dire que, même si la loi électorale ne le prévoit pas, l’interdiction
de l’abus d’usage des ressources publiques pour des fins électorales
hors période électorale, devrait être envisagée. Cette interdiction
est un principe fondamental qui doit couvrir tout le processus
électoral surtout durant l’année électorale comme lors du dépôt des
candidatures ou le choix des membres du bureau de vote.
En réalité, et pour garantir l’application des principes d’égalité, de
transparence et de neutralité, la règle d’interdiction de l’abus d’usage
des ressources de l’Etat doit être applicable pendant tout le cycle
électoral, dans la mesure où l’inscription des électeurs au registre
électoral est une opération continue qui se poursuit toute l’année.
4. Les parties concernées par l’interdiction d’abus d’usage
des ressources publiques
En application de l’article 53 de la loi électorale, l’interdiction d’abus
d’usage des ressources publiques concerne trois parties qui sont les
candidats pour les élections présidentielles, les listes candidates pour
les élections législatives et locales et les partis pour le référendum.
En fait, cet article ne cite que les parties bénéficiaires de manière
directe de l’usage des ressources publiques qui sera sanctionné pour
infraction à la loi et dont la valeur sera comptabilisée dans le compte
de campagne.
En réalité, L’interdiction de l’usage abusif des ressources publiques
est une obligation qui pèse non seulement sur les candidats, les listes
candidates et les partis mais également sur leurs sympathisants ou
autres qui ne sont pas candidats.
C’est une obligation qui concerne surtout les hauts responsables
politiques et civils dans l’administration que ce soit au niveau central,
régional ou local car ce sont eux qui disposent des ressources
publiques. Cette obligation pèse également sur tout agent public.
22
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 23
Au niveau central, on doit citer les hauts responsables politiques à
leur tête le Président de la République, le Chef du gouvernement, le
Président de l’Assemblée parlementaire, les députés, les ministres,
les secrétaires d’Etat.
Quant à l’administration centrale, il faut préciser que l’article 2 de la
loi n° 2015-33 du 17 aout 2015 fixant les emplois civils supérieurs
conformément aux dispositions de l’article 92 de la constitution
prévoit que sont considérés comme emplois civils supérieurs au sens
de la présente loi :
• Chef ou directeur du cabinet du chef du gouvernement,
• Chef de cabinet ministériel,
• Chargé de mission à un cabinet ministériel,
• Attaché à un cabinet ministériel,
• Secrétaire général de ministère,
• Chefs des comités généraux ou instances supérieures,
• Directeur général d’administration centrale.
Au niveau des établissements publics, des entreprises publiques on
peut citer :
• Président-directeur général d’entreprise publique,
• Directeur général ou directeur d’établissement public à caractère
non administratif,
• Directeur général ou directeur d’établissement public
administratif.
A cela, il faut ajouter tous les agents publics qui sont nommés dans
des emplois fonctionnels tel que prévu par le décret n° 2006-1245 du
24 avril 2006, fixant le régime d’attribution et de retrait des emplois
fonctionnels d’administration centrale et qui sont la fonction de chef
de service, sous-directeur, directeur, directeur général, secrétaire
général de ministère et autres emplois fonctionnels au niveau des
établissements publics et entreprises publiques.
23
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 24
Au niveau régional, la loi du 13 juin 1975 portant organisation
administrative du territoire de la République détermine les cadres
l’administration régionale. Les circonscriptions
supérieurs de
administratives sont dirigées par un corps de fonctionnaires régionaux
comprenant les Gouverneurs, les Premiers Délégués, les Secrétaires
généraux, les Délégués, assistés dans les secteurs territoriaux de
chefs de secteur.
Le gouverneur dispose d’attributions importantes. Il est le dépositaire
de l’autorité de l’Etat et le représentant du gouvernement dans son
gouvernorat. Il a une autorité sur le personnel des services de l’Etat
exerçant dans son gouvernorat. Il assure, sous l’autorité du ministre
de l’intérieur, l’administration générale du gouvernorat et le maintien
de l’ordre public. Le gouverneur a également une délégation de
pouvoir des membres du gouvernement.
Il faut signaler également qu’en application de l’article 87 bis du Code
de la comptabilité publique, le gouverneur a la qualité d’ordonnateur
principal du budget du Conseil du gouvernorat. Il est chargé
d’ordonnancer les crédits inscrits aux budgets des départements
ministériels et destinés aux dépenses de fonctionnement et
d’équipement à caractère régional et qui sont transférés par les
ministres au profit des conseils de gouvernorats.
Toutes ces prérogatives font que la fonction du gouverneur et toute
l’administration du gouvernorat représentent la première autorité sur
le plan régional dont dépend la bonne application de l’interdiction
d’abus d’usage des ressources de l’Etat pendant les élections.
On doit citer également, les présidents et les membres des conseils
régionaux, et des districts surtout après l’organisation des élections
régionales prévues par le Code des collectivités publiques.
Au niveau local, on doit citer le président de la commune, qui
dispose d’attributions importantes au niveau local prévues par
l’article 256 et suivant du Code des collectivités locales. C’est aussi
le cas pour le secrétaire général de la commune qui « est chargé,
sous la responsabilité du président de la commune, de veiller au
fonctionnement de l’administration municipale » conformément à
l’article 272 du Code.
24
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 25
Enfin, on peut dire que cette obligation pèse sur tous les agents
publics au sens large. L’article 4 de loi n° 2018-46 du 1
er août 2018
portant déclaration des biens et des intérêts, de la lutte contre
l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêt dans le secteur public
définit l’agent public comme tout fonctionnaire au sens de l’article
82 nouveau du Code pénal. Le même article dispose « est réputé
fonctionnaire public soumis aux dispositions de la présente loi, toute
personne dépositaire de l’autorité publique ou exerçant des fonctions
auprès de l’un des services de l’Etat ou d’une collectivité locale ou d’un
office ou d’un établissement public ou d’une entreprise publique, ou
exerçant des fonctions auprès de toute autre personne participant
à la gestion d’un service public. Est assimilé au fonctionnaire public
toute personne ayant la qualité d’officier public, ou investie d’un
mandat électif de service ou désignée par la justice pour accomplir
une mission judiciaire ».
De son côté, le Code de déontologie et de bonne conduite de l’agent
public définit ce dernier comme étant toute personne investie des
prérogatives de l’autorité publique ou qui travaille pour l’un des
services de l’Etat, d’une collectivité territoriale, ou d’un établissement
ou entreprise publics, ou relevant d’une autre entité qui assure le
fonctionnement d’un service public.
25
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 26
SECTION 2 :
LES CRITÈRES DE DISTINCTION ENTRE USAGE LÉGAL
ET USAGE ILLÉGAL DES RESSOURCES PUBLIQUES EN
PÉRIODE ÉLECTORALE
Par Óscar SÁNCHEZ MUÑOZ
Professeur à l’Université de Valladolid; Espagne
L’usage des moyens ou des ressources d’État en période de
campagnes électorales, et plus généralement, dans le cadre de
processus électoraux, ne doit pas toujours être interprété comme
illégitime. Bien au contraire, il est tout à fait normal que les candidats
ou les partis politiques, puissent utiliser toutes sortes de ressources
publiques pour faire parvenir leurs messages aux électeurs (comme,
entre autres, l’accès à des locaux publics pour se réunir, la possibilité
de financer des activités de campagne, ou encore, l’obtention d’une
allocation de temps d’antenne dans les médias publics). Pour être
légitime, cet usage doit faire l’objet d’une réglementation préalable,
garantissant un accès équitable à tous les concurrents afin d’empêcher
que l’un d’entre eux puisse obtenir un avantage indu.
Dès lors, l’établissement d’un cadre juridique adéquat, distinguant
clairement entre les pratiques autorisées ou non, représente la
première exigence pour lutter contre les cas d’abus. Ce cadre juridique
doit être accessible aux personnes concernées et être appliqué de
manière cohérente. Une telle réglementation se doit en particulier
d’encadrer les domaines cruciaux relatifs aux périodes électorales
notamment en ce qui concerne les activités de campagne, son
financement , celui des partis politiques et l’accès aux médias publics.
Cet ensemble de réglementations nationales doit bien sûr être
encadré par les principes constitutionnels et les droits fondamentaux
régissant le processus électoral, ainsi que par les standards et les codes
de bonnes pratiques internationaux, comme abordé dans la section
suivante. À cet égard, il est important de souligner le caractère général
de la plupart des normes et règles internationales qui laissent une
26
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 27
grande marge d’appréciation aux États, et impliquent une variabilité
considérable entre les différentes législations nationales.
1. Éléments à considérer dans la définition du cadre
juridique
Malheureusement, aucun critère universel, clair et précis en
matière de cadre juridique n’existe à ce sujet. Les législateurs et
les administrateurs nationaux doivent donc s’adapter au contexte
spécifique de chaque pays, en prenant en compte une multiplicité
d’éléments, et notamment ceux abordés dans les sections suivantes.
1.1 L’importance de la culture politique
La culture politique d’un pays peut avoir une influence sur la manière
dont l’opinion publique et les acteurs principaux du processus
électoral perçoivent certains comportements douteux.
En effet, la culture politique est avant tout conditionnée par les
caractéristiques de son propre système. Par exemple, dans la plupart
des régimes parlementaires, le chef du gouvernement et les ministres
ne sont pas inéligibles et peuvent se porter candidats aux élections
législatives. Il apparaît pourtant comme évident que l’exercice du
pouvoir permet aux candidats de bénéficier d’une notoriété accrue
face à l’électorat. Cette pratique est couramment admise dans la
culture politique – appelée Kanzlerbonus en Allemagne – et il semble
nécessaire que les médias puissent contrebalancer cet avantage, en se
concentrant d’avantage sur le discours des candidats de l’opposition.
Les spécificités de chaque pays, comme par exemple, l’existence de
profonds clivages sociaux et politiques, le manque de ressources
économiques – surtout pour les pays en développement - ou les
difficultés dérivées des processus de transition, peuvent aussi avoir
une influence sur la culture politique
1.
1. ACE Project, L’Encyclopédie ACE : Intégrité électorale, 2013, p. 17.
27
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 28
Dans certains cas, les pratiques abusives sont tellement ancrées
dans la culture politique d’un pays, qu’elles apparaissent comme
raisonnables. Au Malawi par exemple, lors de l’adoption d’une
nouvelle loi en 2018 interdisant la distribution de cadeaux aux
électeurs (qui jusqu’alors, étaient souvent payés avec l’argent public),
des hauts responsables de partis politiques et des représentants du
gouvernement ont exprimé leur scepticisme quant à l’application de
celle-ci, qualifiant les cadeaux comme « un élément essentiel de la
culture et de la tradition malawiennes »
1.
Pour les pays dont le processus de démocratisation reste récent,
et notamment pour ceux ayant connu un régime de parti unique,
la confusion entre l’État et le parti au pouvoir demeure souvent
difficile à éradiquer. Dans ces cas, même si l’instauration de mesures
réglementaires à courte portée sont nécessaires (l’interdiction
d’utiliser des véhicules et de mobiliser des fonctionnaires par
exemple), elles peuvent manquer d’efficacité pour faire face à ce
problème. Il est alors essentiel d’élargir le débat pour pouvoir mettre
en œuvre des réformes plus profondes du secteur public
2.
En somme, il existe des cultures politiques plus permissives exigeant
un effort plus intense, non seulement en termes de réglementation
juridique, mais aussi d’éducation publique et de formation des
personnes impliquées dans le processus électoral ; et des cultures
politiques dans lesquelles le niveau d’exigence éthique de la société
rend superflue l’adoption de mesures plus strictes. Les pays nordiques,
par exemple, préfèrent traditionnellement l’autorégulation et les
accords volontaires entre les partis politiques par rapport à une
législation très détaillée
3.
Paradoxalement et en ce qui concerne l’abus des ressources d’État,
une culture politique plus permissive peut coexister avec un haut
degré de cynisme dans la société face à la classe politique et de
méfiance à l’égard des institutions. Cela doit être pris en compte
1. Malawi, Tripartite Elections 2019, EU Election Observation Mission Final Report, p. 19.
2. OCDE, Money in politics: sound political competition and trust in government, 2013 p. 17.
3. Commission de Venise, CDL-AD(2013)033, Rapport sur l’abus de ressources administratives
pendant les processus électoraux, 2013, paragraphe 30.
28
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 29
pour déterminer le cadre juridique et les structures nécessaires pour
prévenir les pratiques abusives.
Il est également important de tenir compte de la présence (ou non)
d’une véritable volonté politique de la part du gouvernement pour
s’attaquer aux abus
1, un élément en rapport direct avec l’engagement
éthique et démocratique de l’ensemble des acteurs politiques.
1.2. Les droits fondamentaux des personnes impliquées
En élaborant les normes juridiques interdisant certaines activités
pour préserver la neutralité des responsables politiques et des
fonctionnaires au service de l’État, il est essentiel que le législateur
tienne compte de l’impact que ces normes peuvent avoir sur les
droits fondamentaux de ces individus. Par exemple, l’interdiction
de faire campagne en faveur d’un candidat peut empiéter sur les
libertés d’expression ou de réunion des fonctionnaires
2. De même, les
restrictions à se présenter aux élections pour certains groupes (tels
que les juges, les militaires ou les policiers), peuvent entrer en conflit
avec leur droit à la participation politique.
Dès lors, un véritable équilibre doit être trouvé entre d’une part,
l’élaboration de règles du jeu équitables pour tous les candidats et,
d’autre part, les limitations des droits fondamentaux des individus
concernés. À cet égard, il est nécessaire d’établir une certaine
gradation des restrictions imposées en fonction des différentes
catégories de responsables politiques ou fonctionnaires, en passant
par l’interdiction de faire campagne jusqu’à la suspension ou même la
démission d’une fonction donnée pour un candidat avant qu’il puisse
se présenter aux élections.
Par ailleurs, des dispositions trop drastiques pourraient avoir un effet
dissuasif pour les individus voulant participer à la vie politique et par
conséquent, affecter négativement la sélection des élus politiques.
1. Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux, [Rapport CG31(2016)07final] L’utilisation abusive de
ressources administratives pendant les processus électoraux : le rôle des élus et agents
publics locaux et régionaux, 2016, paragraphe 24.
2. Ibid., paragraphe 29.
29
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 30
1.3. Le bon fonctionnement des institutions
Les règles visant à prévenir l’utilisation abusive des ressources
administratives peuvent introduire des limitations dans l’exercice de
certaines des missions des institutions publiques. Par conséquent,
ces règles doivent être examinées en fonction de leur incidence sur
le bon fonctionnement des institutions ainsi que sur la continuité et
l’efficacité du travail de l’administration publique.
Il faut bien distinguer entre les projets élaborés en dehors de
toute campagne électorale (projets à long terme ou mesures
urgentes), des activités ayant un objectif électoral
1. Cette distinction
est particulièrement
lorsqu’il s’agit d’activités de
communication, où la ligne de démarcation entre les communications
nécessaires au bon fonctionnement des services publics et celles
cherchant à avoir une influence sur l’élection est souvent floue.
importante
2. Le rôle des codes de conduite et des critères
d’interprétation issus des autorités de contrôle, comme
complément des normes impératives
Souvent, l’existence d’un cadre juridique clair et composé de normes
impératives, même si nécessaire, n’est pas suffisant pour réussir à
différencier les activités autorisées de celles interdites. L’élaboration
de normes déontologiques, tels que les codes de conduite et
d’éthique, jouent alors un rôle
important et permettent aux
candidats, partis politiques, médias publics et autres personnes
travaillant dans les administrations, d’obtenir des lignes directrices
complémentaires : « pour la Commission de Venise, les codes de
bonnes pratiques et les normes éthiques, concernant en particulier
l’administration des élections et le contentieux électoral, devraient
être définis et réunis dans des documents auxquels les agents
publics aient aisément accès »
2.
1. Ibid., paragraphe 28.
2. Commission de Venise, CDL-AD(2013)033, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant
les processus électoraux, paragraphe 21.
30
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 31
Ces codes peuvent également être le résultat d’accords entre les
concurrents électoraux. Malgré leur caractère non contraignant, ces
dispositions se sont avérées très efficaces pour prévenir les abus
par rapport aux procédures réglementaires, réputées plus lourdes.
En Inde par exemple, les partis politiques et les candidats doivent
respecter un « Code de conduite modèle »
1, édicté par la Commission
électorale indienne après consensus des partis politiques. Ce code
offre des orientations sur les comportements considérés comme
acceptables pour les partis et les candidats, ainsi que des directives
par rapport à l’utilisation abusive des ressources gouvernementales
par le parti au pouvoir pendant les élections.
Ces codes de conduite peuvent aussi être élaborés par des
organisations de
la société civile ou des organisations non
gouvernementales internationales, travaillant pour la promotion des
valeurs démocratiques. Le modèle de code de conduite élaboré par
l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale
(International IDEA)
2 appartient à cette catégorie.
Néanmoins, la distinction précise entre les formes légitimes et
illégitimes d’utilisation des ressources d’État dépend souvent des
circonstances de chaque cas d’espèce, car il est impossible de prévoir
toutes les situations de façon détaillée. Le cadre juridique national
doit accorder aux autorités chargées du contrôle électoral une
certaine marge de manœuvre pour qu’elles puissent procéder à une
appréciation au cas par cas. Les critères d’interprétation issus de ces
autorités deviennent ainsi une sorte de doctrine jurisprudentielle très
utile pour guider le comportement des acteurs impliqués.
1. Election Commission of India, Model code of conduct for the guidance of political parties and
candidates, disponible sur https://ceoharyana.gov.in/Website/ELECTIONCOMMISSION/
Images/1d29246e-82e1-457f-b202-85f6903ff2bc.pdf
2. IDEA, Code of Conduct for Political Parties: Campaigning in Democratic Elections, 1999, disponible
sur https://www.idea.int/es/publications/catalogue/code-conduct-political-parties-campaigning-
democratic-elections
31
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 32
SECTION 3 :
PRINCIPES GÉNÉRAUX ET STANDARDS
INTERNATIONAUX
Par Óscar SÁNCHEZ MUÑOZ
Professeur à l’Université de Valladolid, Espagne
1. Principes généraux
Les standards internationaux applicables en matière d’élections
démocratiques, signalent des exigences générales indispensables,
telles que l’adhésion aux principes généraux de l’Etat de droit et le
respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dans
ce cadre général, certains principes se révèlent être obligatoires
pour lutter contre l’utilisation abusive de ressources administratives.
Il s’agit, entre autres des principes de neutralité de l’État, de celui
de l’égalité des chances entre les candidats et partis politiques
participant aux élections, et du principe de transparence du processus
électoral.
1.1. Le principe de neutralité de l’État
L’idée selon laquelle un État démocratique doit être neutre sur le plan
politique est aujourd’hui considérée comme une évidence. D’abord
consacrée dans les démocraties modernes en matière religieuse,
la neutralité de l´État a été plus tard étendue à tous les champs,
notamment philosophique et politique. Cette idée est en réalité un
corolaire du principe d’égalité, obligeant les autorités publiques à
traiter de manière égale tous les citoyens, quelles que soient leurs
convictions. Elle est aussi intimement liée au principe de pluralisme
politique, base fondamentale de toute société démocratique.
Le principe de neutralité se manifeste d’abord dans la neutralité des
services publics, ce qui implique une égalité d’accès aux services
publics pour les usagers et une égalité de traitement sans considération
des opinions politiques, religieuses ou philosophiques. Il se manifeste
32
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 33
ensuite dans l’obligation de neutralité des fonctionnaires et des
agents publics, ce qui implique pour ces mêmes acteurs une obligation
de s’abstenir de manifester leurs croyances religieuses, opinions
politiques et philosophiques à l’égard des autres.
Dans le contexte électoral, le principe de neutralité de l’État signifie
que les autorités de tous niveaux doivent rester à l’écart du processus
électoral afin de ne pas causer de distorsions en s’appuyant sur leur
autorité, leurs ressources ou les capacités de l’État pour favoriser l’un
des partis ou candidats en présence, au détriment de l’équité et de
l’impartialité qui doivent présider à la tenue d’élections
1. Ce principe
s’étend aux diverses formes d’intervention des pouvoirs publics
dans le processus électoral, c’est-à-dire, qu’il s’applique lorsqu’ils
interviennent en tant que régulateurs du processus (fonction
législative et réglementaire), en tant qu’organisateurs du processus
électoral (administration électorale), en tant qu’autorités de
contrôle du processus (justice électorale, organes de règlement des
différends) et surtout, en tant que sujets impliqués dans le processus
de communication venant précèder la décision électorale.
1.2. Le principe d’égalité des chances entre les concurrents
électoraux
Dans un État démocratique, l’accès au pouvoir est le résultat d’une
concurrence entre candidats et partis politiques (les « concurrents
électoraux ») qui se disputent le soutien des électeurs. Dans ce
contexte, l’authenticité du processus exige que l’égalité des chances
entre les concurrents soit garantie : ils doivent pouvoir rivaliser dans
des conditions permettant un accès équitable aux moyens nécessaires
pour faire parvenir leurs messages à l’électorat. En particulier, cela
signifie que le processus de communication qui précède la décision
électorale doit être libre et ne pas subir d’abus d’influence de la part
de l’un des concurrents. Le principe d’égalité des chances est ainsi
directement connecté aux garanties relatives à la liberté de choix des
électeurs.
1. Commission de Venise, CDL-AD(2013)033, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant
les processus électoraux, paragraphe 15.
33
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 34
les
identifié
Jusqu’à présent,
essentiellement
trois situations permettant aux concurrents
électoraux d’obtenir un avantage et donc, d’exercer une influence
abusive sur l’électorat :
législations électorales ont
(1) Un avantage découlant de l’exercice du pouvoir public ;
(2) Un avantage financier ; et
(3) Un avantage médiatique, largement dérivé des deux autres.
il est possible d’identifier une nouvelle source
Actuellement,
d’influence abusive dans la conduite des campagnes électorales,
relative à l’utilisation des données personnelles et au traitement de
données massives (big data) des électeurs.
• En considérant ces situations d’influence abusive, et en
particulier celle relatives à l’exercice du pouvoir, il apparaît
évident que le principe de neutralité représente une exigence
incontournable du principe d’égalité des chances entre les
concurrents électoraux. Appliqué à l’utilisation des ressources
d’État,
le principe d’égalité des chances comprend une
dimension positive et négative : La dimension négative se
traduit par l’élaboration de règles juridiques venant interdire
certaines conduites considérées comme abusives (l’interdiction
de participer à
la campagne électorale pour certaines
catégories de fonctionnaires, l’interdiction de l’utilisation de
biens mobiliers ou immobiliers des administrations à des fins
de campagne, etc.)
• La dimension positive se traduit par la création de mandats
d’optimisation régulés par les pouvoirs publics pour organiser
de manière équitable l’accès des concurrents électoraux aux
ressources publiques (mise à disposition de locaux publics pour
des réunions électorales, financement public des dépenses
de campagne, allocation de temps d’antenne dans les médias
publics, etc.). En ce sens, l’égalité des chances peut être
interprétée comme une égalité « stricte », lorsque les partis
sont tous considérés de la même manière, indépendamment de
leur force politique ; ou comme une égalité «proportionnelle»,
34
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 35
lorsque les partis politiques sont considérés en fonction de leur
soutien électoral ou de leur représentation parlementaire
1.
1.3. Le principe de transparence
Le principe de transparence apparaît comme étant le plus efficace
pour prévenir l’abus des ressources d’État. La transparence, au même
titre que les mécanismes d’évaluation qui en découlent, constitue une
source de motivation très importante pour que les acteurs impliqués
agissent dans le respect des règles établies. En général, la confiance
de l’électorat dans le processus électoral augmente s’il a accès à des
informations détaillées sur l’ensemble des opérations électorales.
Les exigences en matière de transparence sont particulièrement
pertinentes pour tout ce qui touche au financement des campagnes
ou des partis politiques. Il est donc préférable que les rapports
élaborés par les autorités de contrôle soient ouverts à l’examen
public, permettant ainsi à l’électorat – soutenu par la société civile et
les observateurs électoraux – d’obtenir les informations nécessaires
sur l’utilisation des ressources publiques.
2. Les standards internationaux
2.1. Les normes contraignantes établies dans les traités
internationaux
En prévoyant des exigences générales pour encadrer le processus
électoral, le droit international donne des lignes directrices pour
lutter contre l’utilisation abusive des ressources d’État. Les standards
internationaux les plus importants en la matière, découlent du droit
international des droits de l’homme, et en particulier des libertés
d’expression, de réunion et d’association et du droit à la participation
politique, tels qu’établis par le Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP, articles 19, 21, 22 et 25).
1. Commission de Venise, CDL-AD(2002)023rev2-cor Code de bonne conduite en matière électorale,
Lignes directrices et Rapport explicatif, 2002, paragraphe 18.
35
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 36
En réalité, l’interdiction de l’utilisation abusive des ressources
administratives est une exigence inhérente au droit à prendre part
à des élections libres et régulières (article 25 PIDCP). L’Observation
générale 25, adoptée par le Comité des Droits de l’Homme, fournit
des arguments très clairs à cet égard : les électeurs ne doivent
pas être soumis « à des influences indues ou à une coercition de
quelque nature que ce soit, qui pourraient fausser ou entraver la
libre expression de la volonté des électeurs » et être libres de « se
forger leur opinion en toute indépendance, sans être exposés à des
violences ou à des menaces de violence, à la contrainte, à des offres
de gratification ou à toute intervention manipulatrice ».
1
D’autres principes peuvent être déduits des traités régionaux sur les
droits de l’homme - notamment la Convention européenne des droits
de l’homme (CEDH) - afin de lutter contre une utilisation abusive des
ressources d’État. D’après l’article 3 du Protocole No. 1 de la CEDH, les
élections sont libres quand elles garantissent « la libre expression de
l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif », duquel l’exigence
de la neutralité de l’État et l’adoption de mesures contre l’abus des
ressources administratives découlent.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme nous
offre quelques exemples de cette interprétation des « élections
libres » : la Cour a admis que l’État a une obligation positive de veiller
à la neutralité des médias audiovisuels et de garantir une certaine
visibilité aux partis et candidats de l’opposition
2. La Cour a également
admis à plusieurs reprises que des candidats potentiels peuvent être
écartés en raison des fonctions qu’ils occupent afin de préserver le
corps électoral des pressions des titulaires de fonctions publiques
3.
En outre, la Cour a ajouté que l’inéligibilité des fonctionnaires
constitue une réponse proportionnée à l’exigence d’indépendance
de la fonction publique. Il en va de même de l’inéligibilité des juges,
un critère ayant pour finalité de garantir aux justiciables la protection
1. Comité des Droits de l’Homme, Observation générale No 25 (57) 1, 1996, paragraphe 19
2. CEDH, Parti communiste de Russie et autres c. Russie, n° 29400/05, 19 juin 2012 (extraits)
3. CEDH, Gitonas et autres c. Grèce, 1er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IV ; voir aussi
CEDH, Ahmed et autres c. Royaume-Uni, 2 septembre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI
36
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 37
de leurs droits conformément à l’article 6 de la Convention1.
Il est également possible de mentionner le rôle de la Convention
des Nations Unies contre la corruption (2003)
2 qui mentionne, au
sein de l’article 19, les abus de fonctions commis intentionnellement
par des agents publics aux fins d’obtenir un avantage indu, article
applicable dans le contexte électoral. L’article 7.3 invite aussi les pays
à prendre des mesures appropriées pour renforcer la transparence
du financement des campagnes et des partis politiques.
2.2 Les codes de bonnes pratiques (soft law)
instruments non contraignants, notamment
issus des
Des
engagements politiques pris par les États dans le cadre des
organisations internationales, offrent des orientations précieuses
pour lutter contre l’utilisation abusive des ressources d’État dans les
processus électoraux.
Le Document de Copenhague de l’OSCE, adopté en 1990,3 souligne
ainsi au paragraphe 5.4, l’importance d’une séparation claire entre
les États et les partis politiques. Le document réaffirme également
la prévention de
d’autres éléments s’avérant cruciaux pour
l’utilisation abusive des ressources administratives en faveur des
partis au pouvoir, et notamment : le respect du principe de non-
discrimination entre les candidats (paragraphe 7.5), l’égalité de
traitement devant la loi et les autorités des partis concurrents
(paragraphe 7.6), la garantie du déroulement des campagnes dans un
climat d’équité et de liberté excluant toute pression administrative,
violence ou intimidation (paragraphe 7.7), et le libre accès aux médias
sur la base de la non-discrimination (paragraphe 7.8).
1. CEDH, Briķe c. Lettonie (déc.), n°47135/99, 29 juin 2000
2. Résolution 58/4 de l’Assemblée générale, du 31 octobre 2003
3. Document de la réunion de Copenhague de la Conférence sur la dimension humaine, Conférence sur
la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), 1990
37
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 38
Toujours dans les années 90, la Déclaration sur les critères pour des
élections libres et régulières du Conseil interparlementaire,
1 rappelle
la responsabilité des États à « garantir la séparation de l’Etat et des
partis et établir des conditions équitables de concurrence pour les
élections législatives » (paragraphe 4.1). En outre, la Déclaration
fait valoir l’importance de « l’institution d’un mécanisme neutre,
impartial ou équilibré d’administration des élections » chargé, entre
autres tâches, de « veiller à ce que les responsables des divers
aspects du déroulement des élections bénéficient d’une formation
et agissent de façon impartiale » (paragraphe 4.2). Finalement, le
document rappelle que les États doivent garantir « que les partis et
les candidats (…) jouissent de l’égalité d’accès aux médias officiels
et du service public » et « que les mesures nécessaires soient prises
pour assurer une couverture non partisane de la campagne dans les
médias officiels et du service public » (paragraphe 4.3).
Plus récemment encore, les documents de la Commission de Venise
établissent des critères très détaillés pour prévenir une utilisation
abusive des ressources de l’État. Ainsi, les premières Lignes directrices
et rapport sur le financement des partis politiques, élaborés en 2001
2,
rappellent l’importance de l’exigence de la transparence
3 et du principe
d’égalité des chances dans le contexte du financement des partis
politiques et des campagnes électorales
4. Le Code de bonne conduite
en matière électorale de 2002
5 possède quant à lui, une importance
toute particulière car il traite spécifiquement de l’égalité des chances
entre les partis et les candidats et met en évidence trois domaines
dans lesquels une attitude neutre des autorités de l’État doit être
maintenue : (1) la campagne électorale, (2) la couverture médiatique
(notamment par les médias publics) et (3) le financement public des
1. Déclaration sur les critères pour des élections libres et régulières, adoptée à l’unanimité par le Conseil
interparlementaire lors de sa 154ème session (Paris, 26 mars 1994)
2. Commission de Venise, CDL-INF(2001)008-f Lignes directrices et rapport sur le financement des partis
politiques, adoptés par la Commission de Venise lors de sa 46ème réunion plénière (Venise, 9-10 mars
2001).
3. Ibid. Paragraphes A.5, A.7 et B.12
4. Ibid. Paragraphes A.4 et B.8.
5. Commission de Venise, CDL-AD(2002)023rev2-cor Code de bonne conduite en matière électorale :
Lignes directrices et rapport explicatif, adoptées par la Commission de Venise lors de sa 51e session
(Venise, 18-19 octobre 2002).
38
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 39
partis politiques et des campagnes électorales1. Il est également
important de rappeler que le financement des partis, des candidats
et des campagnes électorales doit être transparent
2. En parlant de
« la libre formation de la volonté de l’électeur », le document établit
que « les autorités publiques ont un devoir de neutralité » portant
notamment sur les médias, l’affichage, le droit de manifester sur la
voie publique, et (encore une fois) le financement des partis et des
candidats
3. Il souligne également que « les violations du devoir de
neutralité et de la libre formation de la volonté de l’électeur doivent
être sanctionnées »
4. En ce qui concerne les garanties procédurales,
le document signale que « en l’absence d’une longue tradition
d’indépendance de l’administration face au pouvoir politique, des
commissions électorales
impartiales doivent
être créées, du niveau national au niveau du bureau de vote »
5.
Cependant, comme l’indique le Rapport explicatif, « dans les Etats
où existe une longue tradition d’indépendance de l’administration
face au pouvoir politique, la fonction publique applique le droit
électoral indépendamment des pressions du pouvoir politique. Il
est dès lors d’usage, et admissible, que les opérations électorales
soient organisées par l’administration, et notamment qu’elles soient
supervisées par le ministère de l’Intérieur »
6.
indépendantes et
En 2008, le Code de bonne conduite en matière de partis politiques7
vient reprendre certains des principes clés relatifs au financement
des partis politiques et des campagnes électorales, même si les
autorités publiques ne sont pas considérées comme les destinataires
finaux du Code. Les Lignes directrices sur la réglementation des
partis politiques, élaborées conjointement par l’OSCE/BIDDH et la
1. Ibid., paragraphe I.2.3.a.
2. Ibid., paragraphe I.2.3.d.
3. Ibid., paragraphe I.3.1.a.
4. Ibid., paragraphe I.3.1.c.
5. Ibid., paragraphe II.3.1.b.
6. Ibid., paragraphe 69.
7. Commission de Venise, CDL-AD(2009)021 Code bonne conduite en matière de Partis politiques adopté
par la Commission de Venise lors de sa 77ème Session plénière (Venise, 12-13 décembre 2008) et
Rapport explicatif adopté par la Commission de Venise lors de sa 78ème session plénière (Venise, 13-14
mars 2009)
39
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 40
Commission de Venise en 2010 et revisées en 20201, s’adressent
en revanche aux autorités publiques. Des principes généraux, tels
que l’égalité de traitement
2, le pluralisme politique3 et la bonne
administration de la législation relative aux partis politiques, qui
comprend l’impartialité des organes chargés de la mise en œuvre de
la législation visant les partis politiques
4 sont recueillis dans ce code
et sont, par la suite, traduits dans des domaines particuliers de la
réglementation, notamment en matière de financement
5.
En ce qui concerne la neutralité de l’État, les Notes interprétatives des
Lignes directrices
précitées, établissent que « les autorités publiques
devraient traiter l’ensemble des partis politiques sur un même pied
d’égalité et, à ce titre rester neutres en ce qui concerne la création,
l’enregistrement et les activités des partis politiques. Les autorités
doivent s’abstenir de prendre des mesures qui pourraient privilégier
certains partis politiques et en désavantager d’autres. Tous les partis
politiques doivent avoir la possibilité de participer aux élections sans
distinction ou traitement inégal de la part des autorités »
6.
En outre, les Notes interprétatives considèrent comme admissibles
« les restrictions à la libre association politique des fonctionnaires
(...) en tant que moyen pour garantir les droits et libertés d’autrui,
en particulier le droit à une gouvernance représentative» ; « bien
que généralement légitimes, de telles restrictions peuvent être
considérées comme des infractions injustifiées si elles sont appliquées
de manière trop large, par exemple à toutes les personnes au service
du gouvernement »
7.
1. Commission de Venise, Lignes directrices sur la réglementation des partis politiques, adoptées par la
Commission de Venise lors de sa 125e session plénière (en ligne, 11-12 décembre 2020). La première
édition a été adoptée lors de la 84e session plénière (Venise, 15-16 octobre 2010)
2. Ibid., paragraphes 54 et suivantes.
3. Ibid., paragraphes 46 et suivantes.
4. Ibid., paragraphe 61.
5. Ibid., Partie IV, paragraphes 204 et suivantes.
6. Ibid., paragraphe 136.
7. Ibid., paragraphe 148.
40
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 41
Ce document consacre également une section spécifique à l’usage
abusif des ressources d’État
1 : « S’il existe un avantage naturel et
inévitable de la fonction de titulaire, la législation sur le financement
politique doit veiller à ne pas perpétuer ou renforcer ces avantages.
Les candidats et les partis en place ne doivent pas utiliser les fonds
ou les ressources de l’État (c’est-à-dire les matériaux, les contrats de
travail, les transports, les employés, etc.) à leur propre avantage »,
en rappelant le principe de séparation nette entre l’Etat et les partis
politiques établi dans le paragraphe 5.4 du Document de Copenhague
2.
En outre, il fait appel à la législation des États pour définir clairement
les critères permettant de conclure à un usage abusif des ressources
de l’État
3.
Enfin, les Notes interprétatives établissent que « Les autorités de l’État
doivent agir de manière impartiale, non discriminatoire et objective en
ce qui concerne le processus d’enregistrement des partis politiques (le
cas échéant), le financement des partis politiques et la réglementation
des activités des partis. En principe, tous les partis doivent être soumis
aux mêmes dispositions réglementaires et bénéficier d’un traitement
égal dans la mise en oeuvre des règlements, bien que les exigences
et l’application puissent être moins strictes pour les petits partis. »
4.
Néanmoins, la persistance des pratiques abusives a amené la
Commission de Venise à se pencher sur ce problème d’une manière
plus spécifique. Sur la base du Rapport sur l’abus de ressources
administratives pendant les processus électoraux de 2013
5 et des
conclusions de la 11
ème Conférence européenne des administrations
électorales (qui a abordé ce sujet les 26 et 27 juin 2014 à
Helsinki), la Commission de Venise a finalement adopté en 2016,
conjointement avec l’OSCE/BIDDH, les Lignes directrices conjointes
visant à prévenir et à répondre à l’utilisation abusive de ressources
1. Ibid., paragraphes 250 - 254.
2. Ibid., paragraphe 251.
3. Ibid., paragraphe 252.
4. Ibid., paragraphe 266.
5. Commission de Venise, CDL-AD(2013)033, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant
les processus électoraux, adopté par le Conseil des élections démocratiques lors de sa 46ème réunion
(Venise, 5 décembre 2013) et par la Commission de Venise lors de sa 97ème session plénière (Venise,
6 - 7 décembre 2013)
41
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 42
administratives pendant les processus électoraux1, qui constituent,
jusqu’à présent, le code de bonnes pratiques le plus complet en la
matière. Ses objectifs principaux visent à « promouvoir la neutralité
et l’impartialité des processus électoraux ; promouvoir l’égalité de
traitement entre les différents candidats et partis relativement aux
ressources administratives ; mettre sur un pied d’égalité toutes les
parties prenantes, y compris les candidats sortants ; et protéger
contre l’utilisation abusive éventuelle de ressources administratives
à des fins partisanes »
2.
Les Lignes directrices n’ont pas pour but d’établir un cadre normatif
exhaustif de caractère impératif. Elles visent plutôt « à aider les
législateurs et les autres autorités nationales à adopter des lois et à
prendre des mesures concrètes pour lutter contre l’utilisation abusive
de ressources administratives pendant les processus électoraux.
Elles ne forment donc pas un corps de règles contraignantes »
3 ;
elles offrent ainsi « des orientations qui peuvent être suivies par les
législateurs, conformément aux principes démocratiques »
4. Quant
à leur projection sur le contexte de chaque pays, « certains des
éléments qui figurent dans les lignes directrices peuvent nécessiter
une base constitutionnelle ou législative formelle dans certains
ordres nationaux tandis que d’autres peuvent être prévus par les
codes de déontologie, les codes relatifs au service public ou à la
fonction publique ou résulter de l’application et de l’interprétation
de la législation nationale par les tribunaux compétents. Il importe
que, dans tous les cas, la législation, les règlements et les décisions
de justice soient conformes à ces éléments et évitent les lacunes, les
ambigüités et les contradictions »
5.
Les Lignes directrices comportent trois parties. La première identifie
les principes fondamentaux applicables pour l’élaboration d’un cadre
1. Commission de Venise et OSCE/BIDDH, CDL-AD(2016)004, Lignes directrices conjointes visant à
prévenir et à répondre à l’utilisation abusive de ressources administratives pendant les processus
électoraux
, adoptées par le Conseil des élections démocratiques à sa 54ème réunion (Venise, 10 mars
2016) et par la Commission de Venise à sa 106ème session plénière (Venise, 11-12 mars 2016)
2. Ibid., paragraphe 3.
3. Ibid., paragraphe 2.
4. Ibid., paragraphe 15.
5. Ibid., paragraphe 14.
42
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 43
juridique pour prévenir l’abus des ressources de l’État et y répondre :
primauté du droit, respect des libertés politiques, impartialité,
neutralité, transparence et égalité des chances (partie II. A.). Les
lignes directrices proprement dites apportent des suggestions pour
les types de mécanismes qui devraient être disponibles dans le cadre
juridique, que ce soit dans la législation électorale ou dans le droit
commun, afin de prévenir et réprimer les pratiques abusives (partie
II. B.) ; finalement elles apportent aussi des orientations en matière
de recours et de sanctions concrètes (partie II. C.).
la soft
law doivent être
D’autres documents appartenant à
considérés, et en particulier
les recommandations du Conseil
de l’Europe, parmi lesquelles ressortent la Recommandation du
Comité des Ministres Rec(2003)4 sur les règles communes contre
la corruption dans le financement des partis politiques et des
campagnes électorales
1 et la Recommandation du Comité des
Ministres Rec (2007)15 sur la couverture des campagnes électorales
par les médias
2.
De même, les documents élaborés par le Groupe d’Etats contre
la corruption (GRECO), en particulier ceux du Troisième cycle
d’évaluation sur la transparence et la supervision du financement des
partis politiques, se sont avérés très utiles pour identifier les pratiques
abusives au niveau national.
1. Adoptée le 8 avril 2003.
2. Adoptée le 7 novembre 2007.
43
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 44
CHAPITRE 2 :
EXPÉRIENCES COMPARÉES DES
DIFFÉRENTS TYPES D’UTILISATIONS
ABUSIVES DES RESSOURCES
DE L’ÉTAT EN PÉRIODE
ÉLECTORALE
Par Óscar SÁNCHEZ MUÑOZ
Professeur à l’Université de Valladolid,
Espagne
44
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 45
SECTION 1 :
L’UTILISATION ABUSIVE DES RESSOURCES
FINANCIÈRES DE L’ÉTAT
(LE FINANCEMENT PUBLIC DIRECT ET INDIRECT)
Afin d’assurer l’égalité des chances entre les concurrents électoraux
et d’endiguer le phénomène de corruption, la plupart des pays ont
adopté des règles relatives au financement politique des campagnes
en introduisant des limitations dans les contributions et les dépenses
électorales, et en imposant certaines obligations de transparence.
De même, différentes formes de financement public des dépenses
électorales et de l’activité ordinaire des partis politiques ont été
établies pour minimiser l’influence des donneurs privés. Néanmoins,
un éventuel abus peut également apparaître lorsque l’usage de
l’argent public se fait d’une façon biaisée, à la faveur du parti au
pouvoir. Il est donc indispensable que les règles régissant le
financement public soient claires et qu’elles garantissent un accès
équitable aux fonds publics pour les partis politiques et les candidats.
Le financement public peut être direct ou indirect : direct lorsque
l’État transfère des fonds monétaires aux partis politiques ou aux
candidats ; indirect lorsque les candidats ou les partis politiques sont
autorisés à accéder à certains biens ou services publics gratuitement
ou à un tarif réduit. Ce dernier type de financement comprend aussi
les exonérations fiscales.
Les règles régissant l’allocation directe des fonds aux candidats et
aux partis doivent être élaborées attentivement car elles ont une
influence cruciale sur la concurrence électorale. Des règles biaisées
pourraient dès lors octroyer une influence indue à certains des
concurrents et constituer une forme d’utilisation abusive de l’argent
public. D’ailleurs, les différents types de déviations des fonds du
budget public à des fins électorales représentent encore aujourd’hui
une utilisation abusive fréquente dans plusieurs pays.
45
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 46
1. Problèmes relatifs aux règles régissant l’allocation des
fonds aux partis politiques et aux candidats dans le
cadre du financement public direct
Les conditions d’allocation des fonds publics peuvent jouer un rôle
très important dans la garantie du principe d’égalité des chances.
Poussées à l’extrême, elles peuvent entraîner un processus de
cartellisation des partis politiques, car l’introduction de barrières
et d’obstacles au financement public peut contribuer à limiter la
capacité concurrentielle des nouveaux partis politiques, au bénéfice
des partis traditionnels
1.
Des seuils trop élevés ou des critères trop restrictifs pour accéder
aux fonds (par exemple, un accès limité aux partis représentés au
Parlement) peut porter atteinte à l’égalité des chances des petits
partis. Le financement public des candidats indépendants, tel que
prévu en Albanie
2 et en Roumanie3 par exemple, illustre exactement
ce phénomène. À Chypre
4, les subventions ne sont offertes qu’aux
candidats soutenus par les partis parlementaires. Toutes ces règles
sont contraires aux Lignes directrices sur la réglementation des partis
politiques
5.
En plus des règles sur l’accès au financement, d’autres aspects
doivent être pris en compte, comme la formule de partage – qui doit
éviter que le résultat soit disproportionné en créant un monopole ou
un oligopole en faveur de certains partis – ou le moment de la remise
des fonds. Ainsi, au Paraguay où les subventions publiques sont
remises 40 jours après les élections, les nouveaux ou petits partis
politiques, dont les ressources économiques sont limitées, font face
1. OCDE, Money in politics: sound political competition and trust in government, 2013, p. 19.
2. OSCE/BIDDH, Albania, Parliamentary Elections, 25 June 2017, Election Observation Mission Final
Report, p. 16.
3. OSCE/BIDDH, Romania, Presidential Election, 10 and 24 November 2019, Election Assessment Mission
Final Report, p. 13.
4. OSCE/BIDDH, Cyprus, Presidential Election, 28 January and 4 February 2018, Election Assessment
Mission Final Report, p. 2.
5. Commission de Venise, OSCE/BIDDH, CDL-AD(2020)032, Lignes directrices sur la réglementation des
partis politiques, 2ème édition, adoptées par la Commission de Venise lors de sa 125e session plénière
(en ligne, 11-12 décembre 2020), paragraphes 239, 242.
46
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 47
à des difficultés de financement pour mener la campagne électorale1.
2. Problèmes relatifs au détournement des fonds publics à
des fins électorales
L’utilisation des fonds du budget de l’État à des fins de campagne
électorale ou de financement des partis politiques, peut revêtir des
formes très diverses. Parfois, les entreprises publiques ou même les
organes administratifs s’engagent directement dans les activités de
campagne, en conduisant des recherches (sondages d’opinion), en
élaborant des matériaux, ou en payant certaines activités (ou même
en embauchant du personnel), à la faveur d’un parti ou d’un candidat.
Parfois, des intermédiaires, tels que les organisations à but non
lucratif soutenues par le budget public, sont utilisés pour canaliser ces
activités. En Biélorussie par exemple, plusieurs associations publiques
subventionnées par l’État ont offert des contributions monétaires et
en nature et ont fait activement campagne en faveur du Président
2.
Bien sûr, il existe des systèmes plus ou moins sophistiqués de
détournements des fonds publics au bénéfice des partis politiques.
La méthode la plus traditionnelle reste peut-être l’attribution des
marchés publics à des entreprises privées à des taux gonflés, pour
pouvoir par la suite détourner une partie de ces ressources financières
vers le parti gouvernemental – et souvent aussi, vers les personnes
impliquées. Dans le cadre des évaluations nationales menées dans
le domaine de la transparence du financement des partis politiques,
le GRECO a constaté que les fonds gérés par les ministères étaient
particulièrement exposés au risque d’utilisation abusive, y compris
à des fins de financement politique lorsque les autorités élues
avaient une marge de manœuvre excessive ou que les règlements
spéciaux prévoyaient des dérogations aux conditions générales de
1. EU Election Observation Mission, Paraguay, General Elections, 22 April 2018, Final Report, p. 17.
2. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, pp. 12, 14.
47
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 48
transparence et de responsabilité1.
Ces pratiques abusives sont fréquentes et particulièrement graves
dans les nouvelles démocraties sortant de régimes à parti unique, où
la confusion entre l’État et le parti au pouvoir est encore fortement
enracinée dans la culture politique. En Pologne, le détournement
de fonds publics pour financer le parti politique au pouvoir a été
une pratique fréquente dans les années 1990
2. Des marchés publics
étaient attribués à des entreprises et des organismes publics par des
sociétés de relations publiques, à un prix supérieur à celui du marché
afin que celles-ci puissent canaliser une partie de l’argent perçu
au bénéfice du parti au pouvoir, ou tout simplement pour pouvoir
financer des activités liées à la campagne électorale.
Une forme très simple de détournement des fonds publics consiste à
acheter des matériaux pour la campagne électorale
3, ou même d’offir
des « cadeaux électoraux »
4. En fonction de la valeur des cadeaux,
il est possible de parler directement d’achat de voix. Au Sri Lanka,
pendant l’élection présidentielle de 2015, des fonds publics ont
été utilisés pour acheter une grande variété d’articles (vêtements,
téléphones portables,…) pour être distribués aux électeurs
5.
Une question assez controversée est celle des coûts générés par les
déplacements des hauts fonctionnaires. En France, la Commission
nationale des comptes de campagne et des financements politiques
a estimé que le Président Nicolas Sarkozy devait inclure, dans ses
dépenses pour la campagne présidentielle de 2012, les coûts afférents
aux réunions publiques qu’il avait tenues en province, dans l’exercice
de son mandat présidentiel, même si certaines de ces réunions avaient
1. Commission de Venise, OSCE/BIDDH, CDL-AD(2016)004, Lignes directrices conjointes visant à prévenir
et à répondre à l’utilisation abusive de ressources administratives pendant les processus électoraux,

adoptées par le Conseil des élections démocratiques à sa 54
e réunion (Venise, 10 mars 2016) et par la
Commission de Venise à sa 106ème session plénière (Venise, 11-12 mars 2016), paragraphe 6.
2. WAŁECKI, Marcin, Illegal funding of politics: combating abuse of state resources and illegal campaign
finance, IFES, 2009, p. 6.
3. OSCE/BIDDH, Russian Federation, State Duma Elections, 4 December 2011, Election Observation
Mission Final Report, p. 11.
4. Mission d’observation de l’APCE, Moldavie, Élections législatives anticipées, 28 novembre 2010,
Rapport final, paragraphe 40.
5. IFES, Unfair Advantage: The Abuse of State Resources in Elections, 2017, p. 14
48
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 49
eu lieu avant qu’il se déclare candidat. Le compte de la campagne a
été finalement rejeté par le Conseil constitutionnel
1.
Une autre problématique regarde le financement des fondations
ou instituts liés aux partis politiques avec des fonds publics. En
Espagne, les fondations affiliées aux partis politiques peuvent
légalement recevoir des dons sans limitation quantitative provenant
d’entreprises privées, même de la part de celles ayant des relations
contractuelles avec les administrations publiques. Ce phénomène est
d’autant plus grave car les entreprises (et même les administrations
publiques) peuvent souscrire des accords de collaboration avec ces
fondations pour mener des projets conjoints. La Cour des comptes a
signalé à plusieurs reprises que ces accords doivent fixer clairement
et concrètement les activités que les fondations s’engagent à réaliser
en contrepartie de l’argent reçu, ce qui n’a pas été le cas à plusieurs
occasions. Le GRECO a d’ailleurs critiqué l’ampleur des exceptions
prévues dans la loi par rapport aux sources autorisées de revenus
pour ces entités
2.
3. Problèmes liés au financement indirect : l’exemple de
l’allocation de temps d’antenne
Cette section traite uniquement des problèmes liés à l’allocation de
temps d’antenne aux partis politiques et aux candidats. Les autres
formes de financements indirects sont abordées dans la section
relative à l’usage des ressources matérielles de l’État.
Les bonnes pratiques
reconnaissent que « la
internationales
répartition du temps d’antenne des médias est essentielle pour que
tous les partis politiques, y compris les petits partis, puissent présenter
1. Commission de Venise, CDL-AD(2013)033, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant
les processus électoraux, adopté par le Conseil des élections démocratiques lors de sa 46e réunion
(Venise, 5 décembre 2013) et par la Commission de Venise lors de sa 97e session plénière (Venise, 6-7
décembre 2013), paragraphe 84
2. GRECO, Troisième cycle d’évaluation, Deuxième Rapport de Conformité sur l’Espagne, 2013,
paragraphe 38
49
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 50
leurs programmes à l’électorat »1. Le principe d’égalité des chances
entre les concurrents électoraux exige que « le temps d’antenne
gratuit (...) soit attribué à tous les partis sur une base raisonnable ».
Ce traitement égalitaire doit s’appliquer « non seulement au temps
d’antenne(...), mais aussi au moment et à l’emplacement de cet
espace
»2.
En Géorgie, la nouvelle règle de distribution de temps d’antenne
introduite en 2016 favorise de façon disproportionnée le bloc des
partis au pouvoir au détriment de l’opposition
3. De même, la formule
appliquée en Azerbaïdjan contribue à une disparité encore plus
grande entre les partis politiques
4. En Grèce, les petits partis ont
critiqué l’absence de couverture aux heures de grande écoute
5.
1. Commission de Venise, OSCE/BIDDH, CDL-AD(2020)032, Lignes directrices sur la réglementation des
partis politiques
, 2ème édition, adoptées par la Commission de Venise lors de sa 125e session plénière
(en ligne, 11-12 décembre 2020), paragraphe 199.
2. Ibid. paragraphe 200.
3. Transparency International Georgia, Misuse of Administrative Resources during Electoral Processes:
2016 Parliamentary Elections in Georgia (Interim Report), 2016, p. 10.
4. OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Parliamentary Elections, 9 February 2020, Election Observation
Mission Final Report, p. 18.
5. OSCE/BIDDH, Greece, Early Parliamentary Elections, 7 July 2019, Election Assessment Mission Final
Report, p. 3.
50
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 51
SECTION 2 :
L’UTILISATION ABUSIVE DES RESSOURCES
HUMAINES DE L’ÉTAT
En principe, le mandat de neutralité des pouvoirs publics comporte
l’interdiction de toutes sortes d’activités susceptibles d’influencer
la décision de l’électorat. Cette interdiction s’étend aux personnes
exerçant des fonctions publiques, lesquelles sont tenues de ne pas
intervenir pendant la campagne électorale, que ce soit en faveur (ou
contre) un candidat ou un parti politique.
Néanmoins, une première nuance nous amène à distinguer
l’application de ce mandat de neutralité aux personnes exerçant
des mandats publics à la suite d’une élection ou d’une nomination
politique (en bref, les politiciens), des simples fonctionnaires ou, plus
largement, des agents publics
1.
1. Problèmes liés à la participation des élus et des hauts
cadres de l’État à la campagne électorale
L’intervention publique des hauts fonctionnaires d’État en période
électorale pour manifester leur soutien à un candidat ou un parti,
représente sûrement la question la plus polémique en la matière. Ces
manifestations peuvent être faites lors de discours publics (dans des
réunions ou dans les médias), de conférences de presse, d’entretiens
dans les médias, ou dans les réseaux sociaux.
En principe, comme indiqué précédemment, le mandat de neutralité
devrait interdire ce type de manifestations. Cependant, dans le cas
de personnes élues ou désignées en fonction de leur appartenance
le mandat de neutralité peut admettre quelques
politique,
1. Dans le même sens, Commission de Venise, CDL-AD(2013)033, Rapport sur l’abus de ressources
administratives pendant les processus électoraux, adopté par le Conseil des élections démocratiques
lors de sa 46e réunion (Venise, 5 décembre 2013) et par la Commission de Venise lors de sa 97e
session plénière (Venise, 6-7 décembre 2013), paragraphe 119.
51
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 52
modulations pour être mis en balance avec la liberté d’expression
des personnes concernées. Dans beaucoup de pays,
il est
généralement admis que ces acteurs puissent manifester leur
soutien pour un candidat ou un parti politique donné, et même qu’ils
prennent activement part à la campagne électorale.
Or, il est nécessaire de fixer certaines limites à leurs actions, puisque
ces dernières ne doivent en aucun cas compromettre l’autorité
publique exercée par ces mêmes personnes. À cette fin, il faut
tenir compte de deux situations spécifiques qu’il est nécessaire de
considérer au cas par cas : (1) si les manifestations se sont produites
dans l’exercice des fonctions ou en dehors de cet exercice ; (2) si la
diffusion de ces manifestations a nécessité l’emploi de fonds publics.
Le Tribunal électoral du Mexique a ainsi jugé quelques cas relatifs
aux manifestations publiques du Président sortant (non-candidat
à la réélection) au cours d’un acte public
1, dans une conférence de
presse
2, dans un entretien avec le New York Times3, dans la réunion
du Conseil consultatif d’une société privée (Banamex)
4, et sur réseau
social Twitter à travers le compte officiel de la Présidence de la
République
5.
La participation des hauts cadres du gouvernement à des actes de
campagne a été aussi signalée dans plusieurs pays : en Ukraine, le
Président sortant et candidat a fait le tour du pays à titre officiel
6 ;
en Biélorussie, alors que le Président lui-même n’a pas participé
directement dans la campagne, des hauts fonctionnaires (dont
beaucoup n’avaient pas pris de congés), ont toujours fait campagne
en son nom
7 ; en Azerbaïdjan, des hauts fonctionnaires ont participé
à des rassemblements électoraux en tant que conférenciers ou
1. TEPJF, SUP-RAP 119/2010 y acumulados.
2. TEPJF, SUP-RAP 119/2010 y acumulados.
3. TEPJF, SUP-RAP 545/2011.
4. TEPJF, SUP-RAP 206/2012.
5. TEPJF, SUP-JIN 359/2012.
6. OSCE/BIDDH, Ukraine, Presidential Election, 31 March, 21 April 2019, Election Observation Mission
Final Report, p. 2.
7. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, pp. 2, 12.
52
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 53
en occupant des postes importants1 ; en Mongolie, un candidat a
utilisé sa position de Président du Parlement pour faire campagne
2 ;
au Paraguay, le Président sortant a fait campagne pendant son
mandat en tant que candidat au Sénat et a accompagné le candidat
à la présidence de son parti politique dans divers événements de
campagne
3 ; en République de Macédoine du Nord, le Premier
ministre s’est adressé à l’électorat dans des réunions publiques et a
régulièrement utilisé son compte Twitter officiel pour envoyer des
messages de campagne
4.
En outre, en Russie, bien que le Président sortant ne participe pas
aux débats ni à la campagne électorale, une couverture médiatique
étendue et incontestée de ses activités officielles lui fournit une
présence dominante dans les médias
5. En Géorgie, la loi permet aux
responsables politiques de participer à des événements de campagne :
le Premier ministre a ainsi largement profité de l’occasion pour
présenter des candidats de son parti politique dans toutes les régions
du pays
6. De même, la Commission électorale centrale a admis, de
manière très controversée, l’utilisation de pages web institutionnelles
de hauts fonctionnaires pour promouvoir la campagne électorale de
leurs partis politiques respectifs
7.
1. OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Presidential Election, 11 April 2018, Election Observation Mission Final
Report, p. 13.
2. OSCE/BIDDH, Mongolia, Presidential Election, 26 June and 7 July 2017, Limited Election Observation
Mission Final Report, p. 2.
3. EU Election Observation Mission, Paraguay, General Elections, 22 April 2018, Final Report, p. 17.
4. OSCE/BIDDH, The former Yugoslav Republic of Macedonia, Municipal Elections, 15 October and 29
October 2017, Election Observation Mission, Final Report, p. 13.
5. OSCE/BIDDH, Russian Federation, Presidential Election, 18 March 2018, Election Observation Mission
Final Report, p. 2.
6. OSCE/BIDDH, Georgia, Local Elections, 21 October and 12 November 2017, Election Observation
Mission Final Report, p. 11.
7. APCE, Géorgie, élection présidentielle, 28 octobre et 28 novembre 2018, Mission d’observation,
Rapport final, p. 6.
53
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 54
2. Problèmes liés à la participation des agents d’exécution
à la campagne électorale
En ce qui concerne les simples fonctionnaires ou agents publics, le
mandat de neutralité régit entièrement l’exercice de leurs fonctions.
Mais dans le cadre de leur vie privée, ces acteurs jouissent pleinement
des droits fondamentaux et peuvent effectuer des actes ou des
manifestations de soutien aux différents candidats et partis politiques.
Néanmoins, pour certaines catégories de fonctionnaires, le mandat
de neutralité devrait être appliqué de manière renforcée, compte
tenu des fonctions qu’ils occupent et/ou de l’influence qu’ils peuvent
exercer sur l’électorat. Il s’agit principalement des membres des forces
armées, des forces de l’ordre, du pouvoir judiciaire et des autorités
de contrôle électoral. Ainsi, les Lignes directrices conjointes sur l’abus
des ressources administratives révèlent qu’« il est de la plus haute
importance de veiller à l’intégrité des juges, des procureurs, des
policiers et des militaires, ainsi que des contrôleurs des comptes des
candidats dans l’exercice de leurs fonctions officielles. La question de
l’intégrité devrait faire l’objet de mesures concrètes, afin d’assurer
une telle neutralité officielle de ces personnes pendant l’ensemble du
processus électoral »
1.
La différence entre le mandat de neutralité générique et le mandat de
neutralité renforcé signifie que, dans le cas de ces catégories spéciales
de fonctionnaires, l’interdiction d’intervenir dans la campagne
possède un caractère absolu. Ces personnes ne peuvent donc pas
manifester publiquement leur soutien à un candidat ou à un parti,
même lorsqu’elles agissent en dehors de l’exercice de leurs fonctions.
Cette interdiction ne s’applique cependant pas à une simple présence
dans une réunion électorale, en dehors de la journée de travail (si
bien sûr, ces acteurs sont habillés en civil dans le cas des militaires ou
des policiers).
1. Commission de Venise et OSCE/BIDDH, CDL-AD(2016)004, Lignes directrices conjointes visant à
prévenir et à répondre à l’utilisation abusive de ressources administratives pendant les processus
électoraux, adoptées par le Conseil des élections démocratiques à sa 54e réunion (Venise, 10
mars 2016) et par la Commission de Venise à sa 106e session plénière (Venise, 11-12 mars 2016),
paragraphe A.4.3.
54
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 55
En Biélorussie, dans un rassemblement organisé par le Ministère de la
défense on a appelé tous les militaires actuels et retraités, ainsi que
leurs familles, à soutenir publiquement la candidature du Président
1.
Au Sri Lanka, des manifestations de soutien à un candidat se sont
produites de la part de personnalités militaires de haut niveau, y
compris du commandant de l’armée en exercice. On a constaté aussi
l’usage d’uniformes de l’armée et de la police dans des matériaux
publicitaires en ligne
2. D’autres exemples de participation à des
événements de campagne par des militaires ont également eu lieu en
Mongolie
3 et en Turquie, où des juges ont aussi participé4.
La participation des fonctionnaires et des agents publics à des activités
de campagne est une des pratiques abusives les plus répandues

dans le monde. Dans les démocraties nouvelles ayant connu des
régimes à parti unique, cette pratique est liée à la persistance d’une
confusion entre l’Etat et le parti au pouvoir. Dans les démocraties plus
anciennes, la dépolitisation de l’administration a souvent fait l’objet
d’une longue lutte. Aux États-Unis, après de nombreuses années
passées sous la tradition de politisation introduite par le spoil system
(système des dépouilles), c’est le « Hatch Act », adopté en 1939, qui
a finalement interdit à tout employé fédéral de s’engager dans des
activités politiques partisanes
5.
La participation aux campagnes électorales des employés
d’administrations publiques peut revêtir plusieurs formes et être de
différents degrés. Elle peut aller de la simple présence à une réunion
ou un événement électoral
6, à la collecte de signatures, en passant
1. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, pp. 2, 12
2. EU Election Observation Mission, Sri Lanka, Presidential Election, 16 November 2019 Final Report,
pp. 26, 27
3. OSCE/BIDDH, Mongolia, Presidential Election, 26 June and 7 July 2017, Limited Election Observation
Mission Final Report, p. 12
4. OSCE/BIDDH, Turkey, Early Presidential and Parliamentary Elections, 24 June 2018, Election
Observation Mission Final Report, p. 16
5. IFES, Unfair Advantage: The Abuse of State Resources in Elections, 2017, p. 9
6. Voir, APCE, Géorgie, Élection présidentielle, 28 octobre et 28 novembre 2018, Mission d’observation,
Rapport final, p. 6 ; EU Election Observation Mission, El Salvador, Presidential Election, 3 February
2019, Final Report, p. 17
55
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 56
par la distribution et l’élaboration de matériaux de campagne, la
réalisation d’activités de recherches pour un candidat ou parti
1, la
participation en tant qu’observateur national
2, ou encore aux actions
de boycottage
3.
L’engagement dans la campagne électorale des fonctionnaires ou
agents publics provient, dans certains cas, du libre choix de ces
acteurs. Mais il peut aussi être le résultat d’intimidations ou
autres pressions exercées par leurs supérieurs, pratiques pourtant
catégoriquement interdites par les bonnes pratiques internationales
4.
Au cours des dernières années, différentes formes de pression sur
les employés publics ont été constatées dans plusieurs pays, parmi
lesquels l’Arménie
5, l’Azerbaïdjan6, la Biélorussie7, la Géorgie8, le
1. En Géorgie, on a constaté la participation d’employés d’administrations publiques dans l’élaboration
de bases de données d’électeurs susceptibles de voter pour le candidat sortant. Voir OSCE/BIDDH,
Georgia, Presidential Election, 28 October and 28 November 2018, Election Observation Mission Final
Report, p. 12
2. APCE, Biélorussie, élections législatives anticipées, 17 novembre 2019, Rapport d’observation, p. 9
3. En Albanie, lorsque les partis de l’opposition ont décidé de ne pas participer aux élections locales
de 2019, des employés municipaux ont participé à des actions de boycottage des opérations de
l’administration électorale dans les municipalités gouvernées par l’opposition. Des confrontations
entre la police municipale et la police nationale se sont produites dans certains cas. Voir OSCE/BIDDH,
Albania, Local Elections, 30 June 2019, Election Observation Mission Final Report, p. 13
4. Commission de Venise, OSCE/BIDDH, CDL-AD(2020)032, Lignes directrices sur la réglementation des
partis politiques
, 2ème édition, adoptées par la Commission de Venise lors de sa 125e session plénière
(en ligne, 11-12 décembre 2020), paragraphe 253.
5. OSCE/BIDDH, Armenia, Parliamentary Elections, 2 April 2017, Election Observation Mission Final
Report, p. 1 ; cependant, dans les élections anticipées réalisées en décembre 2018 après le
changement de gouvernement, on note une évolution très positive non seulement dans la loi, mais
aussi dans la pratique. Voir OSCE/BIDDH, Armenia, Early Parliamentary Elections, 9 December 2018,
Election Observation Mission Final Report, p. 2
6. OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Presidential Election, 11 April 2018, Election Observation Mission Final
Report, p. 13
7. APCE, Biélorussie, élections législatives anticipées, 17 novembre 2019, Rapport d’observation, p. 9
8. OSCE/BIDDH, Georgia, Local Elections, 21 October and 12 November 2017, Election Observation
Mission Final Report, p. 2
56
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 57
Kazakhstan1, la Moldavie2, le Monténégro3, la Russie4 et la Serbie5.
Une des formes de pression les plus répandues est celle exercée sur
les employés d’administrations publiques pour qu’ils contribuent
économiquement à financer les candidats aux élections ou le parti au
pouvoir. Cette dernière peut se manifester sous différentes formes,
certaines plus subtiles que d’autres, et aller jusqu’à l’extorsion. Des
pressions de ce type ont notamment été signalées en Bolivie
6 et
au Paraguay
6. Au Honduras, ces donations sont parfois déduites
directement sur la feuille de paie des fonctionnaires
7.
L’éducation s’avère être un des secteurs de la fonction publique les
plus sensibles aux pressions. En Géorgie, les allégations concernant
l’engagement des enseignants pour mobiliser le soutien du parti
au pouvoir, parfois sous pression, sont fréquentes
8. Plusieurs cas
de licenciements politiques de directeurs d’écoles et de crèches
ont aussi pu être constatés
9. En Albanie, des participants à une
réunion électorale du parti au pouvoir, ont d’ailleurs reconnu avoir
été encouragés par les instituteurs de leurs enfants
10. En Arménie
aussi la pression sur les enseignants et les parents était une pratique
1. OSCE/BIDDH, Kazakhstan, Early Presidential Election, 9 June 2019, Election Observation Mission Final
Report, p. 2
2. OSCE/BIDDH, Moldova, Parliamentary Elections, 24 February 2019, Election Observation Mission
Final Report, p. 12
3. OSCE/BIDDH, Montenegro, Presidential Election, 15 April 2018, Election Observation Mission Final
Report, p. 11
4. OSCE/BIDDH, Russian Federation, Presidential Election, 4 March 2012, Election Observation Mission
Final Report, p. 1 ; voir aussi OSCE/BIDDH, Russian Federation, Presidential Election, 18 March 2018,
Election Observation Mission Final Report, p. 12
5. OSCE/BIDDH, Serbia, Presidential Election, 2 April 2017, Election Assessment Mission Final Report, p. 8
6. Bolivia, General Elections, 20 October 2019, EU Election Expert Mission Final Report, p. 19.
6. Paraguay, General Elections, 22 April 2018, UE Election Observation Mission Final Report, p. 17.
7. OECD (2013): Money in politics: sound political competition and trust in government, p. 21.
8. Georgia, Local Elections, 21 October and 12 November 2017, OSCE/ODIHR Election Observation
Mission Final Report, p. 12.
9. Transparency International Georgia (2016): Misuse of Administrative Resources during Electoral
Processes: 2016 Parliamentary Elections in Georgia (Interim Report), p. 9.
10. Albania, Parliamentary Elections, 25 June 2017, OSCE/ODIHR Election Observation Mission Final
Report, p. 15.
57
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 58
généralisée par le parti au pouvoir jusqu’en 20181. En 2012, la
délégation de l’APCE a rapporté que des enseignants et des autorités
locales avaient demandé aux parents d’assister à des réunions du parti
au pouvoir et a constaté la présence de matériels de campagne et des
drapeaux du parti dans plusieurs bâtiments scolaires
2. D’ailleurs, en
2017, il a été révélé que des directeurs d’écoles avaient élaboré des
listes détaillant l’orientation politique des parents d’élèves
3.
Le cas spécifique des conseillers politiques et des membres de
cabinets embauchés à différents niveaux administratifs, représente
une autre problématique particulière. Certes, leur nomination est
politique, mais puisque ces acteurs sont rémunérés par des fonds
publics, leurs mandats exigent qu’ils travaillent pour l’intérêt général.
Dans la pratique, ils mènent des activités de recherche et élaborent
des stratégies politiques pour le parti au pouvoir, ce qui constitue une
pratique abusive en permettant à celui-ci d’obtenir des avantages
indus. Cet avantage peut d’ailleurs être conséquent si le nombre
de personnes concernées est élevé. En Pologne, par exemple, il a
été estimé que 1000 personnes embauchées comme conseillers au
gouvernement consacrent la plupart de leur temps de travail à des
activités partisanes
4.
Certaines législations – en Espagne notamment – concèdent des
congés payés aux employés d’administrations publiques qui se
portent candidats aux élections. Cette possibilité, censée garantir
l’indépendance des candidats, peut cependant devenir une source
d’abus lorsque les partis politiques remplissent leur listes électorales
avec des noms de fonctionnaires pour les postes n’ayant pas de
possibilités d’être élus, afin de profiter de la collaboration de ces
1. Ces pratiques semblent avoir diminué après le changement de gouvernement intervenu en 2018.
Afin d’éviter l’utilisation abusive des ressources administratives et les pressions exercées sur les
fonctionnaires, les autorités ont émis des avertissements publics et informé les directeurs d’école, les
agents de santé, les fonctionnaires locaux et d’autres personnes au sujet des interdictions pertinentes.
Armenia, Early Parliamentary Elections, 9 December 2018, OSCE/ODIHR Election Observation Mission
Final Report, p. 11.
2. Arménie, Élections législatives, 6 mai 2012, Rapport d’observation d’élection de l’APCE, paragraphe 30.
3. Armenia, Parliamentary Elections, 2 April 2017, OSCE/ODIHR Election Observation Mission Final
Report, pp. 12-13.
4. WAŁECKI, Marcin, Illegal funding of politics: combating abuse of state resources and illegal campaign
finance, IFES, 2009, p. 6.
58
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 59
personnes comme volontaires pendant la campagne. Cette pratique
est toutefois aussi bien utilisée par le parti au pouvoir que par les
partis de l’opposition.
59
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 60
SECTION 3 :
L’UTILISATION ABUSIVE DES RESSOURCES
MATÉRIELLES DE L’ÉTAT
L’utilisation des ressources matérielles de l’État pour une campagne
électorale constitue une source de financement indirecte de la part
des candidats ou des partis politiques, qui équivaut à une donation
en nature. Cette pratique devient abusive lorsque cet usage n’est
pas réglementé et ne garantit pas des conditions équitables et
transparentes pour tous les concurrents.
Bien que l’égalité ne soit pas absolue par nature, un système
permettant de déterminer la répartition proportionnelle (ou équitable)
du soutien financier ou en nature de l’État doit être objectif, équitable
et raisonnable »
1.
Le troisième cycle d’évaluation du GRECO, relatif à la transparence
du financement des partis politiques, a mis en évidence l’ampleur du
problème des donations en nature provenant des sources publiques
dans un bon nombre de pays, principalement dans l’Europe de l’Est2.
Cet usage abusif des ressources de l’État peut concerner des biens
mobiliers ou immobiliers.
1. Usage des biens immobiliers de l’État
Outre la reconnaissance de la liberté de réunion pacifique, qui s’étend
aussi au droit à accéder à tout endroit ou service conçu pour un usage
public
3, la législation de nombreux pays permet aux partis politiques
ou aux candidats aux élections d’utiliser des bâtiments publics
1. Commission de Venise, OSCE/BIDDH, CDL-AD (2020) 032, Lignes directrices sur la réglementation des
partis politiques, 2ème édition, adoptées par la Commission de Venise lors de sa 125e session plénière
(en ligne, 11-12 décembre 2020), paragraphe 235.
2. DOUBLET, Yves-Marie, Fighting Corruption. Political Funding: Thematic Review of GRECO’s Third
Evaluation Round, GRECO – Council of Europe, 2013, paragraphe 26.
3. Commission de Venise, OSCE/BIDDH : Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique.
CDL(2009)062, 4 juin 2008
60
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 61
(bureaux, salles de réunion, écoles publiques, centres sportifs), du
moment où tous les concurrents électoraux peuvent en disposer
dans les mêmes conditions. Mais en pratique, les partis au pouvoir
jouissent d’un accès privilégié à ces biens et souvent, des obstacles
empêchent ou rendent plus difficile l’accès à ces mêmes biens pour
d’autres partis ou candidats.
De nombreux cas relatifs à une utilisation privilégiée de bâtiments
publics ont eu lieu au Kazakhstan, où un certain nombre de bureaux
appartenant au parti au pouvoir sont situés dans les mêmes bâtiments
que les institutions gouvernementales de l’État et des collectivités
locales
1 ; de même, en Ouzbékistan, les bureaux des partis politiques
étaient parfois situés dans les locaux des organes exécutifs locaux
(
Hokimiyats)2 ; en Biélorussie, des réunions avec les électeurs se sont
déroulées dans des entreprises d’État
3 ; en Mongolie, des événements
relatifs à une campagne électorale ont eu lieu à l’intérieur de locaux
appartenant au gouvernement, et seuls les employés étaient invités
à y assister
4 ; enfin, au Salvador, des observateurs de l’UE ont signalé
que les maires utilisaient fréquemment les installations municipales
pour stocker du matériel de campagne
5.
En ce qui concerne l’accès des concurrents électoraux aux endroits
publics afin de réaliser des actions de campagne, des pratiques
abusives ont été constatées au Kazakhstan, où les conditions légales
sont très restrictives
6 ; en Azerbaïdjan, où plusieurs candidats se sont
plaints du nombre limité de salles disponibles, relevant par ailleurs
que certaines d’entre elles étaient petites et difficiles d’accès
7 ; en
1. OSCE/BIDDH, Kazakhstan, Early Parliamentary Elections, 20 March 2016, Election Observation Mission
Final Report, p. 12
2. OSCE/BIDDH, Uzbekistan, Parliamentary Elections, 22 December 2019, Election Observation Mission
Final Report, p. 15
3. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, p. 13
4. OSCE/BIDDH, Mongolia, Parliamentary Elections, 29 June 2016, Election Observation Mission Final
Report, p. 14
5. EU Electoral Observation, El Salvador, Presidential Elections, 3 February 2019, , Final Report, p. 17
6. OSCE/BIDDH, Kazakhstan, Early Presidential Election, 9 June 2019, Election Observation Mission Final
Report, p. 13
7. APCE, Azerbaïdjan, Élections législatives anticipées, 9 février 2020, Rapport d’observation, p. 7
61
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 62
Moldavie, où des salles de réunion ont été fournies gratuitement
dans quelques cas, mais pas dans d’autres, favorisant dès lors certains
partis
1 ; et en Russie, où la procédure de notification des événements
d’une campagne électorale a été appliquée d’une manière tellement
sélective de la part les autorités locales
2, que certains candidats de
l’opposition se sont vus offrir des salles et des créneaux horaires de
réunions peu favorables
3.
2. Usage des biens mobiliers de l’État
Il existe une grande diversité de situations dans lesquelles des
candidats ou des partis politiques utilisent du matériel appartenant
à l’administration à des fins de campagnes électorales. Les cas les
plus communs sont l’usage de véhicules officiels, d’équipements
informatiques ou de moyens de communication – matériel, logiciels,
accès à Internet et aux bases de données – et d’équipements de
bureau en général. Une fois de plus, la clé pour distinguer un usage
légitime d’une utilisation illégitime est la garantie de l’égalité des
chances entre les concurrents électoraux.
Une des plus grandes controverses est souvent liée à l’usage de
véhicules officiels. La question relative à l’utilisation de l’Air force
one par le Président des États-Unis pour assister à des événements
de campagne représente un exemple très connu. La loi détermine
que les véhicules payés avec des fonds publics ne doivent pas être
utilisés à des fins de campagne, à moins que leurs coûts ne soient
remboursés. Lorsque le Président profite d’un voyage officiel pour
mener des activités partisanes en parallèle, un problème se pose
en pratique. Dans ces cas-là, il existe une formule pour partager les
coûts, mais cette dernière a fait l’objet de critiques dû au manque
1. OSCE/BIDDH, Moldova, Parliamentary Elections, 30 November 2014, Election Observation Mission
Final Report, p. 11
2. OSCE/BIDDH, Russian Federation, State Duma Elections, 18 September 2016, Election Observation
Mission Final Report, p. 2.
3. OSCE/BIDDH, Russian Federation, Presidential Election, 18 March 2018, Election Observation Mission
Final Report, p. 12.
62
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 63
de transparence1. Des normes similaires existent dans d’autres
pays et notamment en Géorgie, où le Code électoral autorise les
fonctionnaires à se servir de leurs véhicules de fonction pour faire
campagne, à condition de rembourser les frais d’essence
2.
Un exemple assez extrême, toujours relatif à l’usage des moyens
de transport, a été signalé au Sri Lanka, où les observateurs de l’UE
ont noté l’utilisation d’avions et d’hélicoptères militaires au cours de
la campagne sans avoir pu constater le paiement de ces services
3.
D’autres actions de ce type ont été constatées au Paraguay
4, au Timor-
Leste
5 et en Azerbaïdjan6.
Des véhicules appartenant à l’État ou aux collectivités territoriales
ont également été utilisés pour transporter des membres ou
des sympathisants de partis politiques à des rassemblements de
campagne (au Sri Lanka
7 et en Serbie8 notamment) ou comme supports
publicitaires pour la campagne (en Arménie
9 et en Ukraine10).
1. JACKSON, David et FRITZE, John, « Donald Trump slammed Obama for using Air Force One for election
campaigning. Now he does the same », USA TODAY, 16/12/2019
2. Commission de Venise, CDL-AD(2013)033, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant
les processus électoraux,
adopté par le Conseil des élections démocratiques lors de sa 46e réunion
(Venise, 5 décembre 2013) et par la Commission de Venise lors de sa 97e session plénière (Venise, 6-7
décembre 2013), paragraphe 48.
3. European Union Election Observation, Sri Lanka, Presidential Election, 16 November 2019, Mission
Final Report, pp. 25, 26
4. Le Président sortant a participé à la campagne du candidat de son parti toujours à l’aide des véhicules
officiels. Voir EU Election Observation Mission, Paraguay, General Elections, 22 April 2018, Final Report,
p. 17
5. Les membres du gouvernement qui étaient candidats aux élections législatives de 2018 ont été
observés à l’aide de véhicules de l’État pendant la campagne. Voir European Union Election Experts
Mission, Timor-Leste, Early Legislative Elections, 12 May 2018, Final Report, p. 16
6. Des véhicules appartenant à l’État ont été utilisés pour transporter les responsables du parti à
des événements. Voir OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Presidential Election, 11 April 2018, Election
Observation Mission Final Report, p. 13
7. Le Sri Lanka est un pays où cette question est particulièrement grave et visible. Par exemple, au cours
du processus électoral de 2015, l’usage de plus de 2 400 autobus appartenant à la Commission des
Transports a été documenté. IFES, Unfair Advantage: The Abuse of State Resources in Elections, 2017, p. 12
8. OSCE/BIDDH, Serbia, Presidential Election, 2 April 2017, Election Assessment Mission Final Report, p. 8
9. OSCE/BIDDH, Armenia, Parliamentary Elections, 6 May 2012, Election Observation Mission Final
Report, p. 12
10. OSCE/BIDDH, Ukraine, Local Elections, 25 October-15 November 2015, Election Observation Mission
Final Report, p. 15
63
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 64
SECTION 4 :
L’UTILISATION ABUSIVE DES COMMUNICATIONS
INSTITUTIONNELLES
Il est nécessaire d’effectuer une première distinction entre les
communications faites par les responsables politiques (traitées dans
la section sur l’abus des ressources humaines) et les communications
institutionnelles des administrations publiques au sens strict, qui
peuvent avoir des buts très divers. Pour les besoins de cette analyse,
trois cas de figure se prêtant fréquemment à des abus pendant les
périodes électorales sont distingués dans les sections suivantes.
1. Les campagnes d’information sur le processus électoral
le processus électoral
Appréhendée dans son acception la plus large, une campagne
d’information sur
les
campagnes d’éducation et de sensibilisation des électeurs. Ces
communications doivent rester neutres, c’est-à-dire, qu’elles ne
doivent comporter aucun contenu politique explicite ou implicite. Ces
campagnes peuvent être particulièrement problématiques lors des
referendums, où une simple incitation à la participation électorale
peut constituer une violation de la neutralité.
inclue également
En Russie, des rapprochements entre la campagne menée par la
Commission électorale centrale pour encourager à la participation
avec celle menée par le Président sortant ont été signalés par de
nombreux observateurs
1. En Biélorussie, le style graphique du matériel
informatif électoral semblait participer à la diffusion du message de
campagne du Président sortant
2.
1. OSCE/BIDDH, Russian Federation, Presidential Election, 18 March 2018, Election Observation Mission
Final Report, p. 13
2. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, p. 12
64
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 65
2. Les campagnes de publicité institutionnelles dans
les médias, lorsqu’elles portent sur des aspects non
directement liés au processus électoral
Ces campagnes peuvent violer la neutralité lorsqu’elles servent
à améliorer l’image des partis politiques ou des candidats, ou à
promouvoir certains projets ou positionnements politiques.
En Hongrie, la capacité des candidats à concourir sur une base égale
a été considérablement compromise par les dépenses publicitaires
excessives du gouvernement. Tout au long de la campagne, les
observateurs ont en effet constaté un chevauchement omniprésent
entre les nombreuses campagnes d’information du gouvernement et
les messages de campagne de la coalition au pouvoir
1.
L’augmentation des dépenses publicitaires des administrations
pendant les années électorales représente un bon indicateur d’une
utilisation abusive de la publicité institutionnelle. Au Guatemala par
exemple, on a constaté une augmentation significative des dépenses
pendant les élections
2. L’étendue des campagnes montrant les
réalisations des gouvernements a soulevé aussi des préoccupations
au Salvador
3 et à Malte4 entre autres.
l’interdiction
légale de diffuser de
En Bolivie,
la propagande
gouvernementale dans les 30 jours précédant l’élection a été
compromise par une interprétation de la Cour constitutionnelle
qui a fait la distinction entre « propagande gouvernementale »
(qui est interdite) et «l’information publique sur les activités
gouvernementales » (qui est autorisée). Cela a permis au Président
et à d’autres candidats affiliés au parti au pouvoir, de profiter
d’une couverture médiatique étendue pour communiquer sur
l’inauguration de nombreux projets et programmes de travaux
1. OSCE/BIDDH, Hungary, Parliamentary Elections, 8 April 2018, Limited Election Observation Mission
Final Report, pp. 2, 13, 17
2. OCDE, Money in politics: sound political competition and trust in government, 2013, p. 21.
3. EU Election Observation Mission, El Salvador, Legislative and Municipal Elections, 4 March 2018, Final
Report, p. 21
4. OSCE/BIDDH, Malta, Early Parliamentary Elections, 3 June 2017, Election Assessment Mission Final
Report, p. 2
65
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 66
la période de campagne électorale. Les
publics pendant
observateurs ont ainsi signalé une quantité
importante de
propagande gouvernementale dans les mois précédant l’élection
1.
On trouve aussi des réglementations laxistes en Géorgie, où le Code
électoral interdit seulement la diffusion de matériaux publicitaires
financés par le budget faisant directement référence aux partis ou
aux candidats
2 ; et en Mongolie, où la promotion des réalisations du
gouvernement est aussi admise par la loi
3.
Un autre aspect doit être pris en considération à ce sujet, est l’effet
que la publicité institutionnelle peut avoir sur l’indépendance des
médias privés. Constituant une partie non négligeable des recettes
publicitaires, la publicité institutionnelle peut devenir un moyen pour
financer les médias proches du gouvernement ou pour étouffer les
voix de l’opposition. Deux exemples récents ont eu lieu en Bolivie,
où certains médias ont licencié plusieurs journalistes d’investigation
pour ne pas perdre les revenus obtenus grâce à la publicité officielle
4 ;
et en Hongrie, où le manque de transparence dans la distribution
des appels d’offres publics pendant les campagnes électorales, rend
possible des pratiques arbitraires et oriente de manière partisane la
couverture médiatique
5.
3. Autres activités de communication institutionnelle
Dans la catégorie des activités servant à promouvoir les projets et
les réalisations des administrations, il est possible d’inclure toute
sorte d’actions de promotion organisées par les administrations
(fêtes locales, événements culturels ou sportifs, congrès ou réunions,
1. EU Election Expert Mission, Bolivia, General Elections, 20 October 2019, Final Report, pp. 9, 19, 20
2. Transparency International Georgia, Misuse of Administrative Resources during Electoral Processes:
2016 Parliamentary Elections in Georgia (Interim Report), 2016 p. 17
3. OSCE/BIDDH, Mongolia, Parliamentary Elections, 29 June 2016, Election Observation Mission Final
Report, p. 12
4. EU Election Expert Mission, Bolivia, General Elections, 20 October 2019, Final Report, p. 22
5. OSCE/BIDDH, Hungary, Parliamentary Elections, 8 April 2018, Limited Election Observation Mission
Final Report, pp. 2, 13, 17
66
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 67
inaugurations, présentations des projets, etc.). Ces activités
deviennent problématiques lorsqu’elles servent de plate-forme
publicitaire pour certains candidats ou partis.
Les exemples sont très nombreux : en Biélorussie, lors de 58 concerts
publics organisés dans tout le pays par la Fédération des syndicats, le
Ministère de la Culture et la chaîne publique ONT TV, les observateurs
ont pu constater la présence de symboles et de slogans de la campagne
du Président
1. En Géorgie, le laxisme de la loi permet aux autorités
d’organiser des événements sportifs ou culturels en les finançant
avec des fonds publics, ce qui leur permet, dans de nombreux cas, de
transformer ces évènements en des actes de propagande partisane
avec la présence de hauts fonctionnaires du parti au pouvoir
2. La
Fédération géorgienne de football, financée par l’État, a ainsi organisé
un match de charité avec la participation d’anciennes stars du football
en présence du candidat du parti au pouvoir à la mairie de Tbilissi
3.
En Albanie, des cérémonies d’ouverture de routes, d’hôpitaux, de la
centrale hydraulique, ainsi que d’autres manifestations officielles ont
eu lieu
4. En Serbie, au cours des derniers jours précédant l’élection
présidentielle de 2017, au moins 20 événements publics impliquant
des ministres et des secrétaires d’État ont été organisés pour ouvrir
des routes, des écoles, des maisons pour personnes âgées et de
nouvelles entreprises
5. En Turquie, le Président a inauguré cinq
projets financés par l’État pendant la campagne de 2018
6. En
Pologne, plusieurs hauts fonctionnaires, y compris des ministres et
des sous-ministres qui étaient également candidats aux élections
parlementaires de 2019, ont participé à des événements financés
par l’État, y compris à des forums et à des inaugurations de projets
1. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, p. 12
2. Transparency International Georgia, Misuse of Administrative Resources during Electoral Processes:
2016 Parliamentary Elections in Georgia (Interim Report), 2016, pp. 14-15
3. OSCE/BIDDH, Georgia, Local Elections, 21 October and 12 November 2017, Election Observation
Mission Final Report, p. 12
4. APCE, Albanie, élections législatives, 28 juin 2009, Rapport de la mission d’observation, paragraphes
38 et 39
5. OSCE/BIDDH, Serbia, Presidential Election, 2 April 2017, Election Assessment Mission Final Report, p. 8
6. OSCE/BIDDH, Turkey, Early Presidential and Parliamentary Elections, 24 June 2018, Election
Observation Mission Final Report, p. 15
67
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 68
d’infrastructure et de nouvelles casernes de police et de pompiers1.
Enfin, il est également possible d’inclure d’autres exemples de
pratiques abusives détectées pendant les périodes électorales dans
cette section, telles que l’usage des sites web ou les réseaux sociaux
institutionnels
2, les communications directes aux électeurs par des
messages de type SMS et des courriels
3.
1. OSCE/BIDDH, Poland, Parliamentary Elections, 13 October 2019, Limited Election Observation Mission
Final Report, p. 14
2. En Russie des collectivités locales ont utilisé des moyens de communication officiels, comme leur site
web ou leurs organes de presse, pour soutenir la campagne de M. Poutine. Voir OSCE/BIDDH, Russian
Federation, Presidential Election, 4 March 2012, Election Observation Mission Final Report, p. 1
3. En Géorgie, trois semaines avant les élections, les autorités locales ont envoyé massivement des
sms et des courriels aux citoyens les informant de l’achèvement des projets d’infrastructure. Voir
Transparency International Georgia, Misuse of Administrative Resources during Electoral Processes:
2016 Parliamentary Elections in Georgia
(Interim Report), 2016 p. 16
68
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 69
SECTION 5 :
L’UTILISATION ABUSIVE DES RESSOURCES
IMMATÉRIELLES DE L’ÉTAT
1. Usages des prérogatives de puissance publique
Les décisions des différents pouvoirs de l’État peuvent avoir une
influence sur les élections, octroyant dès lors un avantage indu à
certains concurrents. Il est possible de distinguer entre les décisions
qui affectent le processus électoral en tant que tel, des décisions qui
affectent la formation de la volonté des électeurs.
1.1 Intervention sur le processus électoral
L’intervention des organes de l’État s’étend tout au long du
processus électoral : de la définition du cadre juridique (les règles
du jeu), en passant par l’organisation administrative des opérations
électorales, jusqu’au contrôle du processus. Tous les pouvoirs de
l’État interviennent, à savoir le législatif, l’exécutif et le judiciaire.
L’expérience a démontré que le risque de biais politique est présent
dans chacune des décisions de chacun des organes intervenant dans
chacune des phases du processus.
Un des exemples, aux effets particulièrement perturbateurs, est la
manipulation du découpage électoral (
gerrymandering)1. Même
s’il n’y a pas d’intention explicite de manipuler ce découpage, une
distribution inégale des sièges porte atteinte au principe de l’égalité
du suffrage et peut avoir un biais politique. C’était le cas en Espagne
1. On peut trouver plusieurs exemples dans le découpage des districts pour les élections à la Chambre
des représentants des États-Unis. Voir LI, Michael, Extreme maps, Brennan Center, 2017, disponible
sur <https://www.brennancenter.org/our-work/research-reports/extreme-maps>
69
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 70
en 20191, en Moldavie en 20192 et en Hongrie en 20183.
D’autres types d’interventions étatiques pour modifier les règles
du jeu et qui affectent l’égalité des chances entre les différents
concurrents électoraux existent comme le calendrier électoral
4,
les règles sur le financement
5, les procédures d’enregistrement
des candidats ou des partis
6, la composition des organes de
l’administration électorale, les exigences de l’exercice du suffrage
7,
ainsi que le recensement électoral
8.
Un aspect très important de l’intervention des pouvoirs de l’État
dans le déroulement du processus électoral est celui qui regarde
le maintien de la sécurité. Malheureusement, il y a des occasions
dans lesquelles les forces de l’ordre ne respectent pas les exigences
de neutralité et exercent des pressions, des intimidations ou même
1. OSCE/BIDDH, Spain, Parliamentary Election, 28 April 2019, Election Expert Team Final Report, p. 4
2. OSCE/BIDDH, Moldova, Parliamentary Elections, 24 February 2019, Election Observation Mission Final
Report, p. 6
3. OSCE/BIDDH, Hungary, Parliamentary Elections, 8 April 2018, Limited Election Observation Mission
Final Report, p. 6.
4. Un calendrier trop court peut limiter la capacité des concurrents pour sélectionner leurs candidats ou
pour recueillir les signatures requises. Voir ACE Project,
Intégrité électorale, révision 2012, 2013, p.
117
5. Des règles trop strictes sur le financement privé peuvent annuler la capacité de concurrence des partis
de l’opposition. Voir OCDE, Money in politics: sound political competition and trust in government,
2013, p. 22
Dans d’autres cas, comme par exemple aux États-Unis, l’inexistence du financement public, couplée à
des dépenses illimitées, peut saper les règles du jeu équitables et fausser le libre choix des électeurs.
Voir OSCE/BIDDH, United States of America, Mid-term Congressional Elections, 6 November 2018,
Limited Election Observation Mission Final Report, p. 19
En Biélorussie, l’absence du financement public et les restrictions placées sur le financement privé
nuisent à l’égalité des chances des concurrents électoraux. Voir OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential
Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final Report, p. 14
6. Dans certains pays, les exigences légales, le nombre de signatures requises ou le processus de
vérification des signatures constituent potentiellement des obstacles à la concurrence.
7. Aux États-Unis, plusieurs exigences introduites par la législation des États ont conduit à des pratiques
d’exclusion
(vote suppression). Voir JOHNSON, Theodore R. et FELDMAN, Max, The New Voter
Suppression, Brenan Center, 2020, disponible sur < https://www.brennancenter.org/our-work/
research-reports/new-voter-suppression>
8. Des moyens insuffisants, des problèmes de logistique ou des barrières ou erreurs administratives
peuvent exclure certains segments de la population et introduire un biais du point de vue politique. En
Bolivie, les récents changements dans les listes d’électeurs, avec des chiffres de croissance inhabituels
dans certains endroits, ont soulevé des soupçons de manipulations. Voir EU Election Expert Mission,
Bolivia, General Elections, 20 October 2019, Final Report, pp. 14-15
70
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 71
des actes d’harcèlement à l’encontre des électeurs, des candidats
ou des membres des partis politiques. Des pratiques abusives ont
notamment été dénoncées en Azerbaïdjan
1, en Géorgie2, en Russie3
et en Turquie
4. Des comportements partisans de
la part de
fonctionnaires de police ont été aussi signalés au Malawi
5 et au
Mozambique
6.
Finalement, le pouvoir judiciaire peut aussi intervenir de manière
décisive dans plusieurs aspects du processus électoral et donc être
utilisé d’une façon partisane dans les pays où l’indépendance de la
justice n’est pas complètement assurée. Des décisions douteuses
sur l’enregistrement des candidats
7, ainsi que des enquêtes ou des
poursuites sélectives à l’encontre des candidats ou des membres des
1. Un parti politique a dénoncé des interrogatoires et des détentions. Voir OSCE/BIDDH, Azerbaijan,
Early Presidential Election, 11 April 2018, Election Observation Mission Final Report, p. 14
2. Plusieurs cas d’intimidations des candidats et des membres des partis ont été dénoncés. Transparency
International Georgia,
Misuse of Administrative Resources during Electoral Processes: 2016
Parliamentary Elections in Georgia
(Interim Report), 2016, p. 4.
3. Les détentions et le harcèlement policier des candidats et des membres des partis de l’opposition a
été l’objet de dénonciations fréquentes. Voir OSCE/BIDDH, Russian Federation, State Duma Elections,
18 September 2016, Election Observation Mission Final Report, p. 13.
Dans les dernières élections présidentielles, des activistes proches d’Alexeï Navalny, qui avaient
appelé au boycott, ont fait face à de nombreuses détentions, à la confiscation de matériel et à d’autres
mesures qui limitaient leur liberté d’exprimer leurs opinions et d’organiser des réunions pacifiques.
Voir OSCE/BIDDH, Russian Federation, Presidential Election, 18 March 2018, Election Observation
Mission Final Report, p. 12
4. OSCE/BIDDH, Turkey, Early Presidential and Parliamentary Elections, 24 June 2018, Election
Observation Mission Final Report, p. 15
5. EU Election Observation Mission, Malawi, Tripartite Elections 2019, Final Report, pp. 17-18
6. EU Election Observation, Mozambique, General and Provincial Assembly Elections, 15 October 2019,
Mission Final Report, p. 2
7. En Moldavie, un parti a été radié du registre la veille des élections. Voir OSCE/BIDDH, Moldova,
Parliamentary Elections, 30 November 2014, Election Observation Mission Final Report, p. 21. Au
Pakistan, des disqualifications de plusieurs candidats ont été aussi signalées comme douteuses.
Pakistan, General Elections, 25 July 2018, EU Election Observation Mission Final Report, p. 29
71
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 72
partis de l’opposition1, sont autant de sources de préoccupation et
peuvent miner la confiance dans le système politique.
1.2. Intervention sur la formation de la volonté
des électeurs
Les décisions des pouvoirs publics peuvent être utilisées par les
candidats sortants ou les partis au pouvoir pour exercer différents
degrés d’influence sur la volonté des électeurs : de l’achat direct
des voix jusqu’à l’extorsion ou la menace, en passant par d’autres
formes de conditionnement. Dans certains cas, par exemple lorsque
des candidats utilisent des fonds publics pour soudoyer des électeurs
en leur proposant de l’argent, de la nourriture ou des cadeaux en
échange de leur vote, il s’agit de décisions qui entrent dans le terrain
de l’arbitraire et peuvent donc être considérées comme illégales.
Dans ce contexte, la plus grande problématique est principalement
l’efficacité des mécanismes de contrôle. Cependant, dans d’autres cas,
il s’agit de décisions légales, mais adoptées avec une intentionnalité
électorale. Il s’agit alors d’une zone grise, qui exige la définition d’un
cadre juridique très précis. Il convient d’examiner certaines de ces
pratiques de façon plus détaillée.
Un premier ensemble de décisions concerne les prestations publiques.
Assez souvent, dans les mois ou les semaines avant les élections, les
administrations publiques décident d’améliorer des services, aides
sociales ou prestations publiques, dans un but clairement électoral.
Ainsi, il arrive de trouver l’existence de paiements, non prévus dans
1. En Azerbaïdjan, on a observé des poursuites pénales systématiques à l’encontre des personnes qui
expriment des opinions critiques. Le président d’un parti non enregistré a été emprisonné malgré les
arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme demandant sa libération. Des responsables d’un
autre parti sont aussi en prison et le président de ce parti a fait face à de vastes restrictions à sa liberté
de mouvement. Il fait l’objet d’une interdiction de voyager depuis 2005, malgré un arrêt de la Cour
européenne des droits de l’homme. Voir OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Presidential Election, 11 April
2018, Election Observation Mission Final Report, p. 5 ;
Au Kirghizstan, la justice a ouvert plusieurs affaires pénales contre les politiciens de l’opposition
et leurs partisans. OSCE/BIDDH, Kyrgyz Republic, Presidential Election, 15 October 2017, Election
Observation Mission Final Report, pp. 2, 11-12 ;
En Moldavie, un parti a allégué des poursuites sélectives contre ses militants, y compris des
perquisitions à domicile et des poursuites pénales. Voir OSCE/BIDDH, Moldova, Parliamentary
Elections, 30 November 2014, Election Observation Mission Final Report, p. 21
72
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 73
le budget et issus de fonds publics, destinés à certaines catégories
ou groupes de personnes. Parmi les exemples les plus courants, il
est possible de citer l’augmentation des montants des retraites
1, du
salaire minimum
2 ou des bourses3, la distribution de médicaments4,
la réduction du prix des transports publics
5 ou des services publics
pour les ménages
6, la mise en œuvre d’aides financières pour réduire
l’endettement
7, ou des subventions pour les habitants de certaines
zones
8.
Parfois, c’est même le parti politique au pouvoir qui distribue
directement des biens ou des avantages dans le cadre de programmes
sociaux étatiques. Au Honduras, le parti du président sortant stockait
et distribuait des biens appartenant à un programme social au siège
1. En Ukraine, le mois précédant les élections, le gouvernement a décidé d’octroyer un paiement
extraordinaire pour les retraités. Voir OSCE/BIDDH, Ukraine, Presidential Election, 31 March, 21 April
2019, Election Observation Mission Final Report, p. 18 ;
En Géorgie, une augmentation des pensions a été décidée trois mois avant le scrutin. Voir
Transparency International Georgia,
Misuse of Administrative Resources during Electoral Processes:
2016 Parliamentary Elections in Georgia
(Interim Report), 2016, pp. 18-19 ;
En Turquie, le mois avant l’élection, le Parlement a adopté un projet de loi proposé par le Conseil
des ministres accordant des primes aux retraités. Voir OSCE/BIDDH, Turkey, Early Presidential and
Parliamentary Elections, 24 June 2018, Election Observation Mission Final Report, p. 16 ;
En Hongrie, lors du mois avant l’élection, le gouvernement a accordé une prime spéciale de 10.000
florins (presque 30 euros) pour tous les retraités. OSCE/BIDDH, Hungary, Parliamentary Elections, 8
April 2018, Limited Election Observation Mission Final Report, pp. 13-14
2. OSCE/BIDDH, The former Yugoslav Republic of Macedonia, Municipal Elections, 15 October and 29
October 2017, Election Observation Mission Final Report, p. 13
3. OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Presidential Election, 11 April 2018, Election Observation Mission Final
Report, p. 13
4. EU Election Observation Mission, Paraguay, General Elections, 22 April 2018, Final Report, p. 17
5. OSCE/BIDDH, Mongolia, Presidential Election, 26 June and 7 July 2017, Limited Election Observation
Mission Final Report, pp. 2, 12
6. OSCE/BIDDH, Hungary, Parliamentary Elections, 8 April 2018, Limited Election Observation Mission
Final Report, pp. 13-14
7. En Géorgie, avant le second tour de l’élection présidentielle, une série d’initiatives sociales et
financières ont été annoncées, en particulier, l’allégement de la dette de 600 000 personnes par
une institution financière privée liée au président du parti au pouvoir. Voir OSCE/BIDDH, Georgia,
Presidential Election, 28 October and 28 November 2018, Election Observation Mission Final Report,
p. 2
8. Par exemple, en Géorgie, des subventions et d’autres bénéfices pour les personnes qui habitent les
régions de montagne. Voir Transparency International Georgia, Misuse of Administrative Resources
during Electoral Processes: 2016 Parliamentary Elections in Georgia (Interim Report),
2016 pp. 18-19
73
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 74
de ce même parti1.
l’utilisation de
l’aide humanitaire ou des
Dans certains cas,
programmes d’aide au développement peut être observée. Au
Malawi, par exemple, une distribution de maïs à la population a été
organisée à des fins de campagne. De même, certains projets de
développement financés par la communauté internationale ont été
lancés peu avant les élections et présentés comme des réalisations
gouvernementales
2.
susceptibles d’être
Un deuxième ensemble de décisions
instrumentalisées à des buts électoraux, concerne l’
emploi public.
Les décisions des administrations sur l’embauche, le licenciement, les
salaires ou les promotions, sont un mécanisme fréquent pour obtenir
des appuis ou exercer des pressions en vue de l’élection.
Au Monténégro, des violations de l’interdiction de recrutement
dans le secteur public pendant la campagne électorale ont souvent
été signalées
3. À Malte, un nombre élevé d’offres d’emploi dans
le secteur public pendant la période précédant l’élection a pu être
constaté, ainsi qu’une série de promotions pour les employés
publics, y compris pour les membres de l’armée
4. Au Sri Lanka, le
recrutement à tous les niveaux de l’administration publique pendant
la campagne a souvent été signalé5. Au Malawi, quatre semaines
avant les élections, le gouvernement a promu 20.210 enseignants et
8.602 policiers
6. Au Kosovo, des promotions d’emplois dans le secteur
public, des prolongations de contrats temporaires ou de nouveaux
postes auraient été offerts dans l’attente d’un soutien de la part
des employés et de leurs familles. De même, les sociétés publiques
d’électricité et d’exploitation minière ont annoncé un grand nombre
1. EU Election Observation Mission, Honduras 2017, Final Report on the General Elections, pp. 4, 12
2. EU Election Observation Mission Malawi, Tripartite Elections 2019, Final Report, pp. 18-19
3. OSCE/BIDDH, Montenegro, Early Parliamentary Elections, 14 October 2012, Limited Election
Observation Mission Final Report, page 1 ; voir aussi OSCE/BIDDH, Montenegro, Presidential Election,
15 April 2018, OSCE/ODIHR Election Observation Mission Final Report, p. 11
4. OSCE/BIDDH, Malta, Early Parliamentary Elections, 3 June 2017, Election Assessment Mission Final
Report, p. 10
5. EU Election Observation Mission, Sri Lanka, Presidential Election, 16 November 2019, Final Report, p. 5
6. EU Election Observation Mission, Malawi, Tripartite Elections 2019, Final Report, p. 19
74
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 75
de nouvelles possibilités d’emploi juste avant les élections1. Des
augmentations des salaires des employés publics ont été constatées
en Azerbaïdjan
2 et en Ukraine3.
Au-delà des décisions étroitement liées aux processus électoraux,
la politisation du personnel au service de l’administration publique
est un phénomène généralisé dans certains pays où la tradition de
remplacer un grand nombre de fonctionnaires à chaque fois qu’il y a
un changement de gouvernement persiste encore (
spoil system). Par
exemple, dans l’administration publique brésilienne, 40.000 postes de
la fonction publique doivent être pourvus après chaque changement
dans le gouvernement national. Un tel degré de politisation impacte
forcément l’efficacité et la neutralité de l’administration publique
4.
Au Monténégro, où environ 40 % des emplois sont directement ou
indirectement liés aux différentes administrations publiques, il y a
des allégations persistantes – même si elles n’ont pas été prouvées
– quant à une corrélation entre l’emploi dans la fonction publique et
l’affiliation au parti au pouvoir
5.
En République de Macédoine du Nord, selon plusieurs témoignages,
la politisation perçue des nominations dans le secteur public crée une
attente pour les employés quant à leur soutien du parti au pouvoir,
même en l’absence d’instructions explicites6.
Enfin,
le troisième ensemble est celui relatif aux
décisions
administratives
qui favorisent certaines personnes physiques ou
morales, pour gagner leur soutien. Parfois, le parti au pouvoir ou les
candidats sortants délivrent des autorisations administratives qui
favorisent certains individus, peu de temps avant le jour du scrutin ou
1. EU Election Observation Mission, Kosovo, Early Legislative Elections, 6 October 2019, Final report, p. 4
2. OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Presidential Election, 11 April 2018, Election Observation Mission Final
Report, p. 13
3. OSCE/BIDDH, Ukraine, Presidential Election, 31 March, 21 April 2019, Election Observation Mission
Final Report, p. 3
4. OCDE, Money in politics: sound political competition and trust in government, 2013, p. 24.
5. OSCE/BIDDH, Montenegro, Parliamentary Elections, 16 October 2016, Election Observation Mission
Final Report, p. 2
6. OSCE/BIDDH, North Macedonia, Presidential Election, 21 April and 5 May 2019, Election Observation
Mission Final Report, p. 2
75
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 76
d’une manière non conforme aux décisions antérieures. Il s’agit, par
exemple, des licences administratives, des permis de construire, des
décisions sur l’occupation des sols, ou des certificats de légalisation
de propriété
1.
Dans d’autres occasions, les administrations prennent des décisions
qui favorisent certaines entreprises. Il peut s’agir de subventions
(destinées aux entreprises, aux associations locales, aux syndicats
ou aux médias) ou de décisions sur les marchés publics. Ces contrats
peuvent aussi conditionner la création de postes de travail qui peuvent
être utilisés pour récompenser le soutien de certaines personnes. Par
exemple, au Kosovo, le Ministre de l’Innovation et de l’Entrepreneuriat
sortant a lancé un fonds de 4 millions d’euros pour soutenir les petites
et moyennes entreprises jusqu’à hauteur de 100.000 euros, avec de
vagues critères de sélection et dont la date limite pour les candidatures
était le lendemain de l’élection. De même, la Ministre de l’Agriculture
a fait la promotion d’une subvention de 3 millions d’euros pour les
agriculteurs sur son compte Facebook personnel avec le drapeau du
parti positionné bien en évidence sur la vidéo
2.
Il existe donc tout un ensemble de décisions qui sont prises ou
annoncées peu avant le scrutin afin d’être utilisées comme arguments
de campagne : il peut s’agir de projets d’infrastructures (routes,
parcs, habitations, projets environnementaux), des projets sociaux
(santé, éducation, centres pour personnes âgées), ou des projets ou
événements culturels ou sportifs. Ces décisions sont souvent liées
à des campagnes de publicité institutionnelles ou à la présence de
responsables politiques (candidats) dans les médias pour faire les
annonces. Des actes d’inauguration en présence des candidats sont
aussi fréquents.
1. OSCE/BIDDH, Albania, Local Elections, 21 June 2015, Election Observation Mission Final Report,
pp. 2, 13
2. EU Election Observation Mission, Kosovo, Early Legislative Elections, 6 October 2019, Final report, p. 21
76
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 77
2. Usages de la notoriété publique
Il est incontestable que le prestige, l’image, en somme, la notoriété
publique représente un « capital » dont les dirigeants du parti au
pouvoir ou les candidats sortants peuvent profiter pour obtenir
un avantage face aux autres concurrents, moins connus du public.
Cet avantage n’est pas – en principe – illégitime. Bien au contraire,
la connaissance non seulement de la gestion, mais aussi des traits
personnels des candidats sortants, peut et doit être un facteur pris en
compte dans la formation de la décision électorale.
Cette question doit être mise en relation avec les problèmes liés à
l’intervention publique des hauts fonctionnaires de l’État pendant
les campagnes électorales, tels que traités dans
les sections
précédentes.
L’usage de la notoriété doit aussi être mis en relation avec les règles
du financement politique : si les plafonds des dépenses ou des
contributions sont très bas, il peut s’avérer difficile pour les nouveaux
candidats d’améliorer leur notoriété en face des candidats sortants.
Bien évidemment, la question de la notoriété est directement liée
avec la présence dans les médias. Il est tout à fait logique que l’activité
des dirigeants du parti au pouvoir, des membres du gouvernement
et des candidats sortants, mobilise considérablement l’attention
publique, y compris de la part des médias. Cette présence accrue
octroie sans doute un avantage qui est admis dans les systèmes
démocratiques, à condition qu’il ne devienne pas un avantage
abusif. L’usage légitime ou illégitime de la notoriété devient alors
particulièrement lié aux principes de la liberté de la presse et de la
neutralité des médias publics. Il semble évident que dans un système
où la liberté de la presse est en vigueur, la notoriété est une arme à
double tranchant qui peut être positive et négative pour les candidats
sortants. En revanche, dans les pays où les médias – surtout les médias
publics – sont politiquement instrumentalisés par le gouvernement,
la présence continue des candidats sortants et des dirigeants du parti
au pouvoir dans les médias peut porter atteinte d’une façon très claire
au principe d’égalité des chances entre les concurrents électoraux.
77
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 78
la campagne,
le Président sortant a bénéficié d’une
En Biélorussie, par exemple, alors qu’il ne participe pas directement
à
large
couverture par les médias audiovisuels, qui rapportaient ses activités
institutionnelles. Les médias publics ont façonné leur couverture
d’une manière telle, qu’elle venait suggérer des messages politiques
lui étant favorables. Deux documentaires mettant l’accent sur ses
réalisations ont été diffusés à plusieurs reprises sur deux chaînes de
télévision publiques
1.
La notoriété est aussi utilisée lorsque les candidats du parti au
pouvoir participent à des événements en présence de responsables
gouvernementaux ou étrangers, ce qui peut être interprété comme
un appui politique
2. Bien qu’il s’agisse d’une pratique douteuse
d’un point de vue éthique, elle reste tout de même très difficile à
réglementer
juridiquement.
L’utilisation de la notoriété liée à l’influence des leaders religieux,
peut aussi être inclue au sein de cette section. En Pologne, par exemple,
l’Église catholique joue toujours un rôle actif dans les campagnes
électorales. Parfois, des manifestations relatives à des campagnes
électorales ont été organisées à l’intérieur d’institutions religieuses,
du matériel de campagne d’un parti politique a été observé sur les
murs de lieux de culte, et des responsables de l’Église ont fait des
déclarations publiques de soutien
3. En Biélorussie, peu avant le jour de
l’élection, l’Exarque de l’Église orthodoxe russe a soutenu le Président
sortant lors d’une cérémonie religieuse largement médiatisée
4.
Des préoccupations ont été aussi soulevées quant à l’influence des
autorités traditionnelles dans la campagne électorale. Au Malawi,
1. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, p. 14.
2. En Azerbaïdjan, le président sortant a reçu pendant la campagne de nombreux visiteurs internationaux
de haut niveau. Voir OSCE/BIDDH, Azerbaijan, Early Presidential Election, 11 April 2018, Election
Observation Mission Final Report, pp. 2, 13.
Au Kazakhstan, le président sortant a bénéficié du soutien actif lors des apparitions publiques du
Premier Président (Nazarbaïev) avec une large couverture médiatique. Voir OSCE/BIDDH, Kazakhstan,
Early Presidential Election, 9 June 2019, Election Observation Mission Final Report, pp. 2, 13, 18
3. OSCE/BIDDH, Poland, Parliamentary Elections, 13 October 2019, Limited Election Observation Mission
Final Report, p. 13
4. OSCE/BIDDH, Belarus, Presidential Election, 11 October 2015, Election Observation Mission Final
Report, p. 12
78
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 79
les dirigeants traditionnels, y compris les chefs suprêmes, qui sont
nommés par le gouvernement, jouent parfois un rôle politique
très marqué. En novembre 2018, les autorités traditionnelles ont
signé un code de conduite qui les oblige à rester neutres. Mais les
exigences inscrites ont été formulées d’une manière ambiguë et,
dans la pratique, les observateurs ont pu constater de nombreux
comportements partisans
1.
1. EU Election Observation Mission, Malawi, Tripartite Elections 2019, Final Report, p. 18
79
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 80
CHAPITRE 3 :
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES
PUBLIQUES EN DROIT TUNISIEN
Par Afifa KHANFOUS
Directrice générale à la présidence
du gouvernement tunisien
Et
Soumaya GOMBRA
Présidente de section au
Tribunal administratif tunisien
80
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 81
L’ancien Code électoral tunisien émis par la loi 69-25 du 8 avril
1969, n’a pas prévu de dispositions interdisant l’abus d’usages des
ressources publiques. Le législateur s’est contenté d’interdire dans
son article 32 à tout agent public de distribuer des bulletins de vote,
professions de foi et circulaires de candidats. En fait, la question de
l’utilisation abusive des ressources publiques par le parti au pouvoir
était à l’époque une pratique courante en Tunisie.
Après la révolution de 2011, le décret-loi n°35 du 10 mai 2011 relatif
à l’élection de l’Assemblée nationale constituante a consacré les
principes généraux qui représentent le fondement de l’interdiction
de l’usage abusif des ressources publiques, sans pour autant aborder
la question expressément. En effet, l’article 37 dudit décret-loi a
prévu que la campagne électorale est soumise à certains principes
fondamentaux comme la neutralité de l’administration, des lieux
de culte et des médias nationaux, la transparence de la campagne
électorale au niveau des sources de financement et des procédés
d’utilisation des fonds y affectés, l’égalité entre tous les candidats,
mais il n’y avait aucune interdiction expresse de l’abus d’usage des
ressources publiques.
C’est avec la promulgation de la loi n° 16 du 26 mai 2014, relative
aux élections et referendums que la règle de l’interdiction de l’usage
des ressources publiques pendant les élections fut consacrée de
manière expresse dans l’article 53 qui dispose : « il est interdit,
dans l’administration et les entreprises et établissements publics de
distribuer des documents, de diffuser des slogans ou des discours liés
à la propagande électorale ou référendaire, quelle que soit sa forme
ou sa nature, et ce, par le chef de l’administration, le personnel y
exerçant, les préposés de l’administration ou le personnel s’y trouvant.
Il est interdit d’utiliser les ressources et moyens publics au profit
d’une liste de candidats, d’un candidat ou d’un parti ».
Cette consécration
législative puise son fondement dans un
ensemble de principes généraux contenus dans la Constitution
tunisienne du 27 janvier 2014. Ainsi, l’article 15 de la constitution
dispose que « l’administration publique est au service du citoyen
81
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 82
et de l’intérêt général. Elle est organisée et agit conformément
aux principes de neutralité, d’égalité et de continuité du service
public, et conformément aux règles de transparence, d’intégrité,
d’efficience et de redevabilité ». L’article 10 consacre un autre
principe constitutionnel en vertu duquel « l’Etat veille à la bonne
gestion des deniers publics et prend les mesures nécessaires pour
les utiliser conformément aux priorités de l’économie nationale. Il
agit en vue d’empêcher la corruption et tout ce qui est de nature à
porter atteinte à la souveraineté nationale ». Enfin l’article 117 relatif
à la justice financière a défini les principes généraux qui gouvernent
les attributions de la Cour des comptes en matière du contrôle de
la bonne gestion des deniers publics : les principes de la légalité, de
l’efficacité et de la transparence.
La loi électorale contient également plusieurs principes généraux
de droit qui fondent l’interdiction de l’abus d’usage des ressources
publiques. l’article 52 de la loi dispose ainsi que la campagne électorale
est régie par les principes essentiels suivants :
• La neutralité de l’administration et des lieux de culte,
• La neutralité des médias nationaux,
• La transparence de la campagne électorale quant aux sources de
son financement et modalités de dépense des fonds qui lui sont
alloués,
• L’égalité des chances entre tous les candidats,
• Le respect de l’intégrité physique, de l’honneur et de la dignité
des candidats et électeurs,
• Ne pas porter atteinte à la vie privée et aux données personnelles
des candidats,
• Ne pas inciter à la haine, à la violence, à l’intolérance et à la
discrimination. »
Il faut rappeler qu’en matière électorale, l’application du principe
de l’égalité des chances est en étroite relation avec le principe
de neutralité dans le sens où il implique que l’administration
électorale, et l’administration en général, traite les listes candidates,
82
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 83
les candidats et les partis en toute neutralité et impartialité, sans
distinction aucune. En application du principe de neutralité de
l’administration, le fonctionnaire public doit se comporter avec les
candidats sans distinction sur la base de leurs idées ou croyances
religieuses ou politique
1.
L’article 3 de la loi électorale a défini la neutralité comme suit « la
neutralité signifie traiter l’ensemble des candidats avec objectivité
et honnêteté, être impartial envers toute liste de candidats, tout
candidat ou tout parti, ne pas entraver la campagne électorale d’une
liste de candidats ou d’un candidat, ou d’un parti pour la campagne
référendaire, et éviter toute action susceptible d’influencer la volonté
des électeurs ».
C’est en application du principe de neutralité de l’administration,
que l’article sus-indiqué interdit la distribution des documents
et la diffusion des slogans ou des discours liés à la propagande
électorale ou référendaire, quelle que soit sa forme ou sa nature dans
l’administration et les entreprises et établissements publics, et ce,
par le chef de l’administration, le personnel y exerçant, les préposés
de l’administration ou le personnel s’y trouvant.
L’application du principe de la transparence pose la question du
financement public de la campagne électorale. Il faut rappeler à cet
égard que l’article 75 de la loi électorale prévoit que « le financement
de la campagne électorale des candidats et des listes de candidats
et la campagne de référendum, se fait par l’autofinancement, le
financement privé et le financement public conformément à ce qui
est prévu par la présente loi. »
Qu’il soit un autofinancement ou un financement privé ou public, le
financement de la campagne électorale est subordonné au principe
de la transparence du financement. L’article 52 de la loi électorale
pose le principe de la transparence de la campagne électorale quant
aux sources de son financement et modalités de dépense des fonds
qui lui sont alloués.
1. Plusieurs principes généraux de droit dérivent du principe de neutralité et la Constitution tunisienne a
consacré certains de ces principes tels que le principe de la neutralité de l’administration prévu à
l’article 15, et la neutralité des mosquées et des lieux de culte de l’exploitation partisane dans l’article
6 et la neutralité des institutions éducatives de l’exploitation partisane consacré dans l’article 16.
83
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 84
Dans ce cadre, le financement public peut être un financement direct
sous forme d’une subvention publique versée par l’Etat aux candidats
ou aux listes candidates pour les aider à couvrir les dépenses
électorales, comme il peut être sous forme de subventions publiques
aux partis politiques sous certaines conditions. Le financement public
peut être également indirect dans la mesure où il prend la forme de
services gratuits ou à coût réduit rendu par l’Etat à un candidat ou un
parti.
D’autres textes juridiques consacrent ces principes. On peut citer par
exemple, le Code des collectivités locales qui consacre également les
principes de neutralité, d’égalité, de sincérité, de transparence, de
redevabilité, de continuité du service public et d’efficacité. Il prévoit
dans son article 270 que « l’administration municipale agit au service
de tous les habitants dans le respect de la loi, conformément aux
principes de neutralité, d’égalité, de sincérité, de transparence, de
redevabilité, de continuité du service public et d’efficacité. Elle assure
la protection des intérêts de la commune et de ses biens ». Tous
ces principes fondamentaux visent à garantir un usage neutre des
ressources publiques pour la réalisation de l’intérêt général.
Les ressources publiques sont généralement classées en trois
catégories à savoir les ressources humaines qui sont les agents
publics, les ressources matérielles qui sont les biens publics et les
ressources financières qui sont les fonds publics.
Dans son guide sur le financement de la campagne électorale
pour les élections législatives et présidentielles de 2019, l’Instance
indépendante des élections a énuméré les dépenses interdites
rappelant les règles prévues par l’article 53 de la loi électorale qui
interdit l’utilisation des ressources et moyens publics au profit
d’une liste candidate , d’un candidat ou d’un parti et elle a procédé
au classement des ressources administratives en quatre catégories
distinctes qui sont les ressources légales, institutionnelles, financières
et coercitives. Elle désigne par Les ressources institutionnelles, les
ressources matérielles, techniques, humaines et de communications
de l’Etat. L’utilisation de ces ressources institutionnelles inclut
l’utilisation par les forces politiques en place des équipements, des
84
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 85
bureaux, des employés, des véhicules ou des médias appartenant à
l’Etat, à des fins de campagne électorale.
Dans le but de bien détailler les différentes catégories de ressources
publiques qui pourront faire l’objet d’abus d’usage pendant les
élections, on a opté pour la classification suivante des ressources
les ressources
publiques à savoir
humaines, les ressources matérielles, les ressources immatérielles et
les ressources de communication.
les ressources financières,
85
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 86
SECTION 1 :
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES FINANCIÈRES
PUBLIQUES
Le droit tunisien prévoit certaines formes de financement public de la
vie politique. Ce financement peut prendre la forme d’un financement
direct ou indirect . Dans les deux cas de figure, ce financement peut
constituer un abus d’usage des ressources publiques de l’Etat.
1. Le financement public direct
Le financement public direct peut prendre plusieurs formes. En effet,
des fonds publics sont alloués directement par l’Etat pour financer des
partis politiques ou pour financer des candidats ou listes candidates
lors de la campagne électorale.
1.1. Financement public des partis politiques
Il vise à éviter le financement de la vie politique en général par des
ressources illégales et à respecter le principe d’égalité des chances
entre les différentes forces et partis politiques
1. Plusieurs législations
en droit comparé permettent le financement direct des partis
politiques en leur allouant une subvention ou une allocation dont les
conditions d’octroi varient d’un pays à un autre. Mais, il faut préciser
que les conditions d’allocations des fonds publics peuvent être en
elles-mêmes une source d’abus d’usage des ressources publiques si
la loi prévoit des seuils trop élevés ou des critères trop restrictifs pour
accéder aux fonds, ce qui peut favoriser les partis traditionnels ou les
1. Voir Les lignes directrices sur la règlementation des partis politiques adoptées par la Commission de
Venise, octobre 2010 p 44 « le financement public et la réglementation connexe (y compris celle
limitant le montant des dépenses, la divulgation et l’exécution impartiale) ont été conçus et adoptés
comme un moyen potentiel d’empêcher la corruption, de consacrer le rôle important joué par les
partis politiques et de mettre un terme à la dépendance excessive envers les donateurs privés ».
86
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 87
grands partis aux dépens des petits ou nouveaux partis1 .
En Tunisie, c’est la loi n° 97- 48 du 25 juillet 1997 qui a introduit pour
la première fois en droit tunisien un mécanisme de financement
public des partis politiques. Après la révolution de 2011, le décret-loi
87 du 24 septembre 2011, portant organisation des partis politiques
a prévu dans son article 21 que « Les partis politiques bénéficient
du financement public » sans pour autant déterminer les conditions
d’octroi de ce financement. En réalité, hormis le financement public
de la campagne électorale, aucun financement public direct n’a été
mis en œuvre en Tunisie. En vue de répondre aux exigences de la
Constitution, et surtout ses articles 35 et 65, un projet de loi organique
relatif à l’organisation des partis politiques et à leur financement
a été préparé par le gouvernement. Ce projet prévoit le paiement
d’allocations annuelles aux partis parlementaires, et aussi aux partis
non représentés au parlement, à condition que ces derniers se soient
présentés au moins dans cinq circonscriptions et qu’ils aient obtenu
un certain nombre de voix au niveau national
2.
1. Eric Thiers, RAPPORT Atelier sur la législation et le financement des partis politiques en Tunisie :
Perspectives comparatives Tunis, 12 et 13 Mai 2011 « Les ressources publiques sont autorisées
depuis 1988 en France (montant de 75 millions d’euros). Le critère de la représentativité détermine
la répartition du financement public entre les partis est contrôlé par une instance indépendante.
Ces crédits sont répartis entre les partis et groupements, pour moitié à raison de leurs résultats aux
dernières élections législatives («1ère fraction») et pour moitié à ceux qui perçoivent la 1ère fraction,
en fonction de leur représentation au Parlement («2ème fraction»). L’aide de l’État est devenue,
désormais, la première source de financement des partis politiques en France. La répartition est
publiée chaque année au Journal officiel ».
2. Voir l’avis de loi sur le projet de loi organique relatif à l’organisation des partis politiques et à leur
financement, adopté par la Commission de Venise, Octobre 2018.
87
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 88
1.2. Financement public de la campagne électorale
Le financement public de la campagne électorale en Tunisie prend la
forme d’un remboursement des dépenses électorales
1 qui est attribué
aux listes candidates ayant :
• Obtenu au moins 3% des suffrages déclarés,
• Déposé dans les délais leurs états financiers auprès de la Cour
des comptes,
• Respecté les obligations légales relatives à la campagne électorale
et son financement,
• Publié leurs états financiers dans un quotidien en Tunisie dans un
délai de 2 mois à partir de la date de proclamation des résultats
définitifs des élections.
2. Le financement public indirect
Le financement public indirect peut prendre la forme d’un avantage
fiscal en faveur des partis politiques ou d’apparition dans les
médias publics ou l’usage des moyens de transport de l’Etat pour
l’organisation des meetings électoraux ou l’impression de matériel
électoral ou l’usage des services postaux de l’Etat.
Pour ne pas être qualifié d’abusif, l’accès à ces services publics doit
être garanti à tous les candidats dans la stricte observation du principe
d’égalité.
1. Le régime de financement de la campagne électorale prévoit à côté du financement public,
un financement privé et autofinancement selon ces conditions :
• Le financement privé de la part des personnes physiques est permis dans la limite d’un plafond.
Le financement provenant de toute personne morale ou tout financement étranger est quant à lui
interdit.
• L’autofinancement couvre les ressources privées des membres de la liste, ou encore des ressources
du parti ou de la coalition de ses listes candidates.
• Prévoir un plafond pour les dépenses électorales.
• Dépôt des états financiers auprès de la Cour des comptes dans un délai de 45 jours de la date de
proclamation des résultats définitifs et la publication des états financiers des listes et le rapport de
la Cour des comptes.
88
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 89
Le droit tunisien accorde aux partis un seul financement qu’on peut
qualifier comme indirect. Il s’agit de certains avantages fiscaux prévus
dans la loi n° 33 du 3 Mai 1988 relative aux avantages fiscaux au profit
des partis politiques qui stipule que « les partis politiques légalement
autorisés bénéficient des avantages fiscaux suivants :
• Exonération du droit de mutation sur la propriété des immeubles
nécessaires à leur activité en cas d’achat, de don ou d’échange.
• L’enregistrement des contrats conclus avec les tiers, relatifs aux
immeubles et nécessaires à leur activité, au droit fixe seulement.
• Exonération du droit d’enregistrement immobilier en cas de
recours devant le tribunal immobilier ».
La décision conjointe de l’Instance supérieure indépendante des
élections et de la Haute instance de la communication audiovisuelle
du 5 juillet 2014 concernant les règles spéciales de la campagne
électorale aux moyens de communication audiovisuels et leurs
procédures a prévu dans les articles 17 et suivants que la radio et
la télévision publiques assurent des séances d’expression directe en
faveur des candidats.
Il faut noter à cet égard que l’autorité électorale tunisienne a
qualifié de financement déguisé, « toute affectation de ressources
publiques ou privées, sans titre légal, pour promouvoir directement
ou indirectement une liste candidate, un candidat ou un parti. Est
considéré comme des formes de financement déguisé :
• L’utilisation des agents publics ou des moyens et des ressources
publics dans la campagne des listes candidates ou des candidats ;
• L’exercice par des associations d’activités liées à la promotion
directe ou indirecte, d’une liste candidate, d’un candidat ou d’un
parti, ou leur participation à l’organisation de telles activités ».
1
1. Article 18 de la décision ISIE n°20-2014 du 8 aout 2014
89
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 90
Le guide du financement de la campagne électorale pour les élections
législatives et présidentielles 2019 considère que l’utilisation abusive
des ressources financières comprend l’utilisation abusive des budgets
de l’Etat ou des collectivités locales en faveur des forces politiques
en place comme la mise en place de prestations sociales ou de
programmes sociaux pendant la campagne électorale.
90
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 91
SECTION 2 :
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES HUMAINES
PUBLIQUES
Contrairement aux moyens publics, la loi électorale ne fait pas
expressément mention à l’interdiction de l’utilisation abusive des
ressources humaines publiques dans la campagne électorale, mais
la notion générique « ressources publiques » couvre bien évidement
les ressources humaines. A ce titre, il faut noter que l’article 18 de
la décision règlementaire n° 20 - 2014 du 8 aout 2014 émise par
l’Instance supérieure indépendante des élections relatives à la
fixation des règles de financement de la campagne électorale,
ses procédures et ses modalités, considère comme financement
déguisé l’utilisation des agents publics dans la campagne des listes
candidates ou des candidats.
L’usage abusif des ressources humaines de l’État en Tunisie pouvait
se manifestait avant la révolution de 2011 sous plusieurs aspects
comme l’intimidation des employés du secteur public en les obligeant
par exemple d’assister à un rassemblement de soutien au parti au
pouvoir. Ils sont parfois contraints de verser de l’argent à un fonds
opaque dont l’argent est censé financer des projets d’ordre social.
L’utilisation abusive des ressources humaines peut prendre d’autres
formes diverses comme :
• L’utilisation des agents publics pour des prestations liées à la
campagne électorale.
• Conception, impression et distribution des affiches et dépliants
électoraux par des agents publics.
• Propositions de services gratuits par des pouvoirs locaux dans les
mois ou semaines avant les élections.
• Désignation de membres du cabinet d’un ministre ou ses
conseillers pour
l’élaboration des stratégies électorales.
91
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 92
• Le recrutement d’agent contractuel ou temporaire par l’organisme
public pour des prestations liées à la campagne électorale.
La loi électorale a émis des règles visant à garantir le respect de
l’obligation de neutralité de l’administration pendant les élections.
Elle prévoit dans son article 55 que l’autorité compétente est tenue
de prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect de
l’obligation de neutralité. Le chef de l’administration qui constate
un manquement à l’obligation de neutralité, est tenu de dresser un
rapport à cet effet, accompagné des moyens de preuve nécessaires
et en transmettre une copie à l’Instance. Mais malgré l’importance
de ces dispositions, elles demeurent insuffisantes pour lutter contre
l’abus d’usage des ressources humaines.
Dans ce contexte, il importe de rappeler que tout agent public est
soumis à un ensemble de règles prévues au statut général. Il lui
incombe l’obligation de respecter le principe d’égalité et le principe
de neutralité de l’administration, ces règles viennent s’ajouter aux
dispositions spécifiques prévues par la loi électorale.
En Tunisie, Les agents publics sont soumis principalement à deux
statuts généraux, il s’agit du Statut général de la fonction publique et
le Statut général des agents des entreprises publiques.
1. L’abus d’usage des ressources humaines et le statut
général de la fonction publique
Le Statut général de la fonction publique ne fait pas référence de
manière expresse à l’abus d’usage des ressources publiques ou à
l’obligation pour le fonctionnaire de respecter le principe de neutralité
de l’administration ou le principe d’égalité, mais en contrepartie, on
trouve d’autres articles ayant une relation indirecte avec ces principes.
En effet, l’article 3 du Statut prévoit que l’agent doit, dans le service
comme dans la vie privée, éviter tout ce qui serait de nature à
compromettre la dignité de la fonction publique et est tenu, en toute
circonstances, de respecter et de faire respecter l’autorité de l’Etat.
Malgré la généralité des termes utilisés « compromettre la dignité de
92
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 93
la fonction publique », pour les fonctionnaires, cela relève sûrement
de leur dignité de ne pas utiliser les moyens de l’Etat pendant les
élections, et ce, pendant le service comme dans leur vie privée.
L’article 5 du statut prévoit qu’il est également interdit à tous les
agents publics d’exercer à titre professionnel, une activité privée
lucrative de quelque nature que ce soit. Cet article peut être la base
juridique pour interdire à un fonctionnaire d’exercer une activité
lucrative à quelque titre que ce soit pour le compte d’un candidat ou
d’une liste candidate.
L’article 7 du statut dispose qu’indépendamment des règles prévues
dans le Code pénal en matière de secret professionnel, tout agent
public est lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout
ce qui concerne les faits et les informations dont il a connaissance
dans l’exercice de ses fonctions. En application de cet article, le
fonctionnaire public ne peut divulguer des donnés professionnelles,
qui ne sont pas accessibles aux publics, à un candidat ou à une liste
candidate pour qu’ils puissent les utiliser en sa faveur ou à l’encontre
d’un concurrent.
Enfin, il importe de préciser que l’article 10 paragraphe 2 du Statut
stipule qu’en aucun cas, ne peut figurer aux dossiers personnels
de l’agent public une mention faisant état des opinions politiques,
philosophiques et religieuses de l’intéressé.
A travers tous ces articles on peut dire que le Statut général de la
fonction publique ne prévoit pas de règles expresses interdisant aux
fonctionnaires l’usage des moyens de l’Etat pendant les élections et
ne prévoit pas également de sanction spécifique à cette infraction.
Cependant, l’article 56 du Statut prévoit qu’en cas de faute grave
commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses
obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun,
l’auteur de cette faute est immédiatement suspendu de ses fonctions
par ordre de son chef direct, à charge pour ce dernier, d’en référer
immédiatement au chef de l’administration qui doit prendre la
décision nécessaire. Lorsque la faute commise constitue un délit ou un
crime, et notamment lorsqu’il s’agit de corruption de détournement
de deniers publics, de faux ou de violation du secret professionnel, le
ministère public doit être saisi sans délai.
93
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 94
Il faut aussi rappeler que les fonctionnaires sont soumis au Code
pénal qui sanctionne dans son chapitre III, intitulé des infractions
commises par les fonctionnaires publics ou assimilés dans l’exercice
ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, la corruption, la
concussion, l’abus d’autorité ou manquement au devoir d’une charge
publique.
2. L’abus d’usage des ressources humaines et le Statut
général applicable aux agents des établissements et
entreprises publiques
Contrairement au Statut général de la fonction publique, on peut dire
que le Statut applicable aux agents des établissements publics non
administratif et des entreprises publiques semble être plus explicite
et plus précis concernant la question de l’abus d’usage des moyens
de l’Etat.
En effet, l’article 8 du statut stipule que l’agent chargé d’assurer la
marche d’un service est responsable à l’égard de ses chefs, de l’autorité
qui lui a été conférée pour cet objet et de l’exécution des ordres qu’il
a donnés. Il est tenu de prendre soin des moyens d’exploitation mis à
sa disposition et d’en faire un usage rationnel.
Il considère également dans son article 9 comme faute grave, le fait
d’abuser de sa situation ou outrepasser ses pouvoirs, ce qui peut
représenter la base juridique à l’interdiction de l’abus d’usage des
ressources de l’Etat pendant les élections.
Mais, il importe de signaler que le Statut prévoit que tout refus
injustifié d’exécuter les ordres relatifs au travail donné formellement
par les organes compétents de l’organisme employeur ou par le
supérieur hiérarchique constitue une faute grave pouvant engendrer
la responsabilité disciplinaire de l’agent en question conformément
aux dispositions du Code du travail. Tel que rédigé, cet article peut
servir de fondement pour tout agent public d’exécuter les ordres de
son chef même si ces ordres s’insèrent dans le cadre d’un usage abusif
des ressources humaines de l’Etat. On verra que cette disposition
a été atténuée dans le Code de déontologie par l’invocation de la
94
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 95
notion de l’ordre manifestement illégal, mais ceci reste insuffisant vu
la différence de valeur juridique.
D’un autre côté, le Statut interdit de se procurer des avantages
matériaux ou d’accepter des faveurs en relation avec le fonctionnement
de l’organisme ou au détriment de celui-ci.
Il est également interdit à l’agent d’utiliser, dans son propre intérêt ou
dans l’intérêt d’une tierce personne, de fonds, de titres ou d’objets
qui lui sont confiés en raison du poste qu’il occupe.
Mis à part leurs statuts particuliers, les agents publics sont également
soumis à un code de bonne conduite et de déontologie.
3. L’abus d’usage des ressources humaines et le code de
déontologie et de bonne conduite des agents publics
En 2014, et à l’occasion de l’organisation des élections législatives et
présidentielles de 2014, un code de bonne conduite et de déontologie
applicable aux agents publics a été émis. Il fut approuvé par le décret
gouvernemental n°2014-4060 du 3 octobre 2014.
Le chef du gouvernement a également émis la circulaire n°34 du
24 décembre 2014 incitant les ministres, les Secrétaires d’Etat, les
gouverneurs, les présidents des municipalités et présidents des
établissements et entreprises publiques à respecter ce code.
Le Code de déontologie est applicable à tout agent public. Il semble
soucieux de mettre en place et clarifier les règles applicables en
matière de bonne conduite et déontologie dont fait partie la question
d’abus d’usage des moyens de l’Etat.
En effet, il prévoit que l’agent public veille, dans l’exercice de
ses fonctions, au respect de la loi et à la légalité de ses actes. En
application du principe de l’égalité, l’agent veille à traiter de manière
égale et équitable tous les usagers ou clients du service public auquel
il appartient, quel que soient leur genre, religion, race, langue ou
appartenance philosophique ou politique.
95
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 96
L’agent public est tenu d’exercer ses fonctions avec dévouement et
honnêteté sans rechercher à réaliser un intérêt personnel.
En application du principe de La neutralité, l’agent public veille, dans
l’exercice de ses fonctions, à n’accorder aucun traitement de faveur,
ou à être partial vis-à-vis des prestataires de services.
Il est tenu d’être intègre dans son travail tout en respectant le texte
et l’esprit du texte de la loi et n’utilise pas ses fonctions pour en tirer
un profit ou un avantage personnel tout en veillant à maintenir la
confiance du citoyen et ce, en accordant une attention particulière à
la bonne performance et à l’exactitude des procédures applicables à
la prestation.
Le Code de déontologie règlemente également les relations de l’agent
public avec ses supérieurs. En effet, l’agent public est tenu de respecter
ses supérieurs sans tenter de rentrer dans leurs bonnes grâces en
usant de flatteries serviles. II est également tenu à se soumettre à son
supérieur direct et exécuter ses ordres et ses instructions sauf s’ils
sont en violation flagrante de la loi. Dans ce cas, l’agent doit, par écrit,
attirer l’attention de son supérieur sur cette violation et n’exécuter
ces ordres et instructions que si son supérieur l’enjoint, par écrit, de
le faire. Dans tous les cas, l’agent public est tenu de refuser l’exécution
d’instructions qui constituent un délit ou un crime puni par la loi
L’agent public est tenu de respecter les droits et les intérêts des
citoyens et de leur accorder le même traitement sans distinction de
race, de sexe, de nationalité, de religion ou de conviction, d’opinion
politique, d’appartenance régionale, de fortune, ni aucune autre
forme de discrimination.
Le Code de déontologie prévoit, que dans l’exercice de ses fonctions,
l’agent public doit s’abstenir de tout comportement pouvant nuire à
une personne ou groupe de personnes ou entité que ce soit, et il tient
compte des droits, obligations et intérêts légitimes d’autrui.
Dans son activité politique, l’agent public doit veiller à ce que sa
participation dans des activités politiques ou intellectuelles n’affecte
pas la confiance du public ou de ses employeurs dans sa capacité à
s’acquitter de sa mission avec impartialité et loyauté.
96
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 97
1. L’agent public s’abstient d’user de son poste à des fins politiques
ou partisanes.
2. L’agent public a le devoir de se conformer à toute restriction légale
relative à l’exercice d’une activité politique ou partisane en raison
de sa position ou de ses fonctions.
3. L’agent public doit exercer ses fonctions avec impartialité et
objectivité en faisant abstraction de ses opinions politiques ou de
son appartenance à un parti politique.
Mais, malgré l’approbation de ce code par un décret gouvernemental
et l’importance des règles qu’il énonce pour prévenir l’abus d’usage
des moyens de l’Etat, sa valeur obligatoire reste discutable, et fait
partie de ce qu’on appelle « soft Law ». Il serait plus opportun
d’introduire certaines de ses règles dans le Statut général applicable
aux agents publics.
4. L’abus d’usage des ressources humaines dans les
circulaires émises par le Chef du gouvernement
Depuis les élections législatives et présidentielles de 2014, la
Présidence du gouvernement a, à chaque fois, adopté des circulaires
relatives à la neutralité de l’administration en période électorale.
• La circulaire du chef du gouvernement n°11-2014 du 7 avril
2014 concernant l’aide à apporter à l’Instance supérieure
indépendante des élections pour réaliser ses tâches. Elle prévoit
l’attribution des ressources matérielles et humaines nécessaires
pour le travail de l’ISIE.
• La circulaire du chef du gouvernement n° 27 – 2017 du 19
décembre 2017 concernant l’engagement de l’administration
à respecter le devoir de neutralité à l’occasion des élections
municipales.
• La circulaire du chef du gouvernement n° 20-2019 du 16 août
2019 concernant l’engagement de l’administration à respecter
le devoir de neutralité à l’occasion des élections législatives et
présidentielles pour l’année 2019.
97
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 98
5. L’usage des ressources humaines liées à la fonction
politique
Il importe de préciser que les personnes exerçant certaines fonctions à
vocation politique et les hautes fonctions civiles dans l’administration
bénéficient de ressources humaines spécifiques qui leurs sont
attribuées en raison des postes qu’ils occupent.
Il s’agit surtout des hautes fonctions politiques comme celles exercées
par le Président de la République, le Chef du gouvernement et le
Président de l’Assemblée des représentants du peuple, mais il peut
s’agir également du poste de ministre, de gouverneur ou de président
directeur général d’une entreprise publique.
Un personnel est mis à leur disposition. Il peut s’agir de secrétaires,
de chauffeurs, de gardiens, de femmes de ménages, comme il peut
s‘agir de gardes rapprochés et de conseillers. A titre d’exemple, et en
application du décret du 12 février 1992, le chef du gouvernement et
les ministres bénéficient d’avantages en nature qui comprennent la
garde de domicile du Chef du gouvernement et des ministres par les
autorités sécuritaires compétentes, des agents chargés des travaux
ménagers, des chauffeurs.
Concernant les gouverneurs, le décret gouvernemental n° 769 - 2020
du 18 septembre 2020 portant sur le régime de paiement et des
avantages des gouverneurs, prévoit que le gouverneur bénéficie de
la garde de domicile par les autorités sécuritaires compétentes et de
deux agents chargés des travaux ménagers, de deux voitures, deux
chauffeurs.
Lors des élections présidentielles de 2014, la question de l’abus
d’usage des ressources de l’Etat, s’est posée pour l’utilisation de la
garde présidentielle dans la sécurisation des déplacements électoraux
du président sortant candidat à sa propre succession. L’autorité
électorale et le juge électoral n’ont pas qualifié ces faits comme des
cas d’abus d’usage des ressources publiques.
98
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 99
SECTION 3 :
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES
MATÉRIELLES PUBLIQUES
Les ressources matérielles sont l’ensemble des biens physiques qui sont
utilisés par une organisation pour mener à terme ses activités. Parmi
les principales ressources matérielles de l’Etat, on peut citer les biens
immobiliers tels que les bâtiments, les terrains ; et les biens mobiliers
tels que les moyens de transports, les équipements et matériels,
les meubles, les équipements informatiques et de communications,
les fournitures de bureau et tous autres équipements et matériels
publics.
supérieure
l’Etat ». Elles englobent
En matière électorale,
indépendante
l’instance
des élections a utilisé dans son guide sur le financement de la
campagne un terme plus générique qui est celui « des ressources
institutionnelles de
l’utilisation des
ressources matérielles et humaines, l’utilisation par les forces
politiques en place des équipements, des bureaux, des employés,
des véhicules ou des médias appartenant à l’Etat, à des fins de
campagne électorale. Il donne comme exemple l’utilisation pour la
campagne électorale des moyens mis par une collectivité publique
à la disposition d’un élu également candidat à l’élection (téléphone,
courrier, secrétariat, véhicule de fonction, etc…)
1.
Pour pouvoir lutter contre l’usage abusif des ressources matérielles
publiques, il est nécessaire d’énumérer ces ressources de façon
détaillée et préciser le régime juridique applicable à chacune d’entre
elles pendant les élections.
1. Le guide sur financement de la campagne électorale pour les élections législatives et présidentielles
de 2019.
99
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 100
1. L’abus d’usage des biens immobiliers
Concernant l’utilisation des biens immobiliers, il peut s’agir de
plusieurs types d’utilisation :
• Exploitation d’espaces d’affichage appartenant au domaine public.
• Exploitation d’espaces publics : bureaux, salles de réunion, salles
de fêtes, écoles publiques, centres sportifs gratuitement ou à des
tarifs avantageux.
En fait, on doit distinguer entre deux régimes juridiques différents : il
existe une catégorie où l’usage est interdit et une autre catégorie où
l’usage est possible mais soumis à un certain nombre de règles.
1.1. Interdiction de l’usage des établissements scolaires,
universitaires et des lieux de culte
La Constitution tunisienne prévoit dans son article 6 que « L’État
protège la religion, garantit la liberté de croyance, de conscience et
de l’exercice des cultes. Il assure la neutralité des mosquées et des
lieux de culte de l’exploitation partisane ». Elle prévoit également
dans l’article 16 que « L’État garantit la neutralité des institutions
éducatives de l’exploitation partisane ».
C’est ce qui explique que l’article 54 de la loi électorale interdit les
propagandes électorales et référendaires sous toutes ses formes,
dans les établissements scolaires, universitaires et de formation, ainsi
que dans les lieux de culte. Il est également interdit d’y donner des
discours ou conférences, de distribuer des annonces ou documents,
ou d’entreprendre toute action de propagande.
En application de cet article de la loi électorale, tout usage des
établissements scolaires, universitaires et de formation, et des
lieux de culte, dans le cadre de la campagne électorale, est interdit
et devrait être considéré comme étant une utilisation abusive des
ressources de l’État.
100
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 101
1.2. Usage règlementé du domaine public
Il peut s’agir de l’usage du domaine public de l’Etat ou de la commune
telle que l’occupation d’une place publique par un parti politique pour
faire la campagne électorale de son candidat ou de sa liste.
Il s’agit dans ce cas de figure d’une occupation temporaire du domaine
public par un candidat ou une liste candidate. En effet, en application
de l’article premier du décret n° 2007-362 du 19 février 2007
déterminant les conditions et modalités de l’occupation temporaire
et de la concession du service public dans le domaine public
municipal, l’occupation temporaire de parties du domaine public
communal demeure possible mais elle est soumise à l’autorisation du
président de la commune concernée dans le cadre de l’exercice de ses
pouvoirs. L’autorisation est accordée contre le paiement d’un droit.
Il faut signaler également que l’article 62 de la loi électorale prévoit
que tout affichage en dehors des emplacements des affiches prévus
par les communes est interdit.
Il peut s’agir également de l’usage par un candidat ou une liste
candidate d’une salle de sport ou une salle de conférence pour faire
un meeting électoral. Cet usage des ressources matérielles de l’Etat
n’est pas un usage abusif dans la mesure où le principe d’égalité des
chances est respecté.
En effet, aucun candidat ou liste candidate ne doit être favorisé
aux dépens de ses concurrents en profitant gratuitement ou à un
prix préférentiel de la location du bien. Il peut s’agir également de
pouvoir profiter d’un bon timing pour réaliser le meeting comme la
veille du jour de silence électoral. Toutes ces pratiques peuvent être
considérées comme étant un abus d’usage des moyens de l’Etat car
elles peuvent contribuer à créer des conditions d’inégalité politique
et fausser ainsi la concurrence au profit des candidats et des partis
politiques au pouvoir.
Il faut rappeler que selon la loi électorale, l’Instance supérieure
indépendante n’a pas de rôle à jouer à ce niveau. L’article 64 de la
loi électorale stipule que les réunions publiques, manifestations,
cortèges et rassemblements électoraux ou référendaires sont libres.
101
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 102
L’Instance doit uniquement être informée par tout moyen laissant
une trace écrite, deux jours au moins avant sa tenue. La notification
doit contenir notamment le lieu, l’heure et les noms des membres
du bureau de la réunion publique ou de la manifestation ou du
défilé ou du rassemblement pour pouvoir contrôler le déroulement
l’évènement.
2. L’abus d’usage des biens mobiliers
Concernant l’usage des biens mobiliers, Il faut faire la différence entre
l’usage de biens mobiliers mis à la disposition du service public et
l’usage des biens mobiliers liés aux avantages de la fonction.
2.1. L’usage de biens mobiliers mis à la disposition du
service public
Généralement, tous les biens mobiliers mis à la disposition d’un
service public visent à permettre le bon fonctionnement du service
public et à réaliser un intérêt général. De ce fait, on peut dire que tout
usage de ces ressources à des fins politiques ou électorales représente
un usage abusif des ressources de l’Etat.
Il s’agit essentiellement des moyens de transports tels que les
voitures, les bus, les engins, l’hélicoptère, l’avion, et aussi les
dépenses inhérentes à savoir le carburant, les frais en charge des
voitures de l’Etat. Il peut s’agir également de l’usage du téléphone,
internet, fax, photocopie, scanner, papiers…
• Utilisation des
véhicules
l’administration à des fins de campagne.
automobiles
appartenant
à
• Utilisation des bus des entreprises publiques à titre gratuit ou à
des prix avantageux.
• Transport du personnel ou du matériel pour les campagnes
électorales.
• Distribution des bons de carburant à titre exceptionnel pour les
besoins de campagne.
102
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 103
• Utilisation des moyens de l’administration publique (imprimante,
photocopieur, scanners…) pour les besoins de campagne.
• L’utilisation de matériels de sonorisation ou d’éclairage, utilisation
de matériels informatique… ;
• Consommation de fournitures de bureau, utilisation du courant
électrique, des lignes téléphoniques ou d’internet dans les
diverses formes de propagandes électorales.
• Utilisation du téléphone de l’administration publique pour faire
des appels liés à la campagne.
Concernant l’usage des bus de transport en commun, on peut signaler
par exemple que la Cour des comptes a relevé, dans son rapport sur
le contrôle des élections présidentielles de 2019, en se basant sur les
procès-verbaux de l’ISIE, qu’un candidat, qui occupait le poste de chef
du gouvernement, a utilisé, pendant la campagne électorale, deux bus
appartenant à des sociétés publiques de transport pour transporter
des partisans de son parti vers un grand meeting électoral. Mais, le
candidat concerné a nié les faits
1.
Cette question a été également soulevée devant le juge électoral
pendant les élections législatives de 2014. Une liste candidate a
invoqué l’usage d’équipements du ministère de l’agriculture dans la
campagne électorale et aussi l’usage d’une voiture administrative
pour la distribution de la nourriture aux représentant des listes
candidates
2.
Concernant l’usage des voitures de l’Etat, il faut préciser qu’en
application du décret n° 88-189 du 11 février 1988 relatif à l’utilisation
des voitures de l’Etat et des collectivités locales et des établissements
publics à caractère administratif tels que complété et modifié par le
décret n° 2172 - 1992 du 16 décembre 1992 et du décret n° 11 2005
du 10 janvier 2005, il y a deux catégories de voitures, les voitures de
service et les voitures de fonctions.
1. Voir rapports de la Cour des comptes pour le contrôle des élections présidentielles et législatives
de 2019 pp. 42-43.
2. Arrêt de la Chambre d’appel du Tribunal administratif n° 2014/20036.
103
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 104
- Les voitures de service doivent être utilisées exclusivement pour les
besoins du service. Le chauffeur doit avoir un ordre de mission, et de
ce fait tout usage d’une voiture de service dans un but électoral peut
être considéré comme un abus d’usage des ressources publiques.
Mais il faut préciser qu’accessoirement les voitures de service peuvent
être utilisées à des fins personnelles sur décision motivée du chef de
l’administration et le visa du contrôleur de dépenses.
- Les voitures de fonction constituent un avantage lié à la fonction.
Elle est attribuée aux cadres supérieurs ayant le rang de secrétaire
général de ministère, de directeur de cabinet, de chef de cabinet ou
directeur général d’administration centrale. Les chargés de missions
peuvent bénéficier des mêmes avantages par arrêté du chef du
gouvernement. Ce dernier peut aussi accorder des autorisations
individuelles d’utilisation des voitures de fonction. La voiture de
fonction est un avantage accordé aux hauts cadres de L’Etat et, peut,
de ce fait, être utilisée à des fins personnelles. Dans ce sens, son
usage dans le cadre de l’élection ne contredit pas expressément les
règles juridiques en vigueur mais pourrait heurter la morale politique.
On peut citer également les avantages liés à d’autres emplois
supérieurs de l’Etat tels que les présidents directeurs généraux et les
directeurs généraux des établissements et entreprises publiques
1.
2. 2. Usage des ressources matérielles liées à des fonctions
politiques
Certaines fonctions ont une vocation politique. Ils bénéficient, à
cet effet, d’autres avantages en nature. Il s’agit au premier plan du
Président de la République, du Chef du gouvernement et du Président
de l’Assemblée des représentants du peuple.
1. Voir loi n° 2015-32 du 17 août 2015 fixant les emplois supérieurs conformément aux dispositions de
l’article 78 de la Constitution et la loi n° 2015-33 du 17 août 2015 fixant les emplois civils supérieurs
conformément aux dispositions de l’article 92 de la Constitution.
104
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS

Page 105
Il peut s’agir également des ministres, des gouverneurs, des présidents
des collectivités locales (le président de la commune, le président du
conseil régional, le président de secteur).
Certains avantages sont attachés à l’exercice de certaines fonctions
politiques comme la fonction présidentielle ou celle de Chef du
gouvernement, et ne peuvent en être détachés.
A titre d’exemple, et en application du décret du 12 février 1992, le
Chef du gouvernement et les ministres bénéficient d’une maison de
fonction et de voitures de fonctions.
Concernant les gouverneurs, le décret gouvernemental n° 769 -2020
du 18 septembre 2020 portant sur le régime de paiement et des
avantages des gouverneurs, prévoit que le gouverneur bénéficie
d’un logement de fonction principal et unique dont les charges
d’ameublement et de réparations nécessaires sont imputées sur le
budget de l’Etat, après autorisation préalable du ministre de l’intérieur.
Sont également imputées sur le budget de l’Etat, les charges des
services inhérents au logement, à savoir l’électricité, le gaz, l’eau et le
téléphone, dans la limite d’un taux et d’un plafond fixés par arrêté du
Chef du Gouvernement. Ils bénéficient également de deux voitures et
de bons d’essence de 500 litres par mois.
Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel français a considéré dans sa
décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013 que « la législation relative
au financement des campagnes électorales n’a ni pour objet ni pour
effet de limiter les déplacements du Président de la République
non plus que sa participation à des manifestations publiques
s’inscrivant dans l’exercice de sa charge; que les dépenses relatives
aux manifestations auxquelles il participe n’ont à figurer au compte
de campagne que s’il apparaît que celles-ci ont revêtu un caractère
manifestement électoral ».
Il a également considéré que « du fait du caractère électoral de cette
réunion publique à Toulon, il y a lieu de réintégrer au compte de
campagne les dépenses afférentes à cette réunion, déduction faite
des frais de protection et de transport attachés à l’exercice du mandat
du Président de la République ».
105
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 106
Pour résumer, on peut dire que pour pouvoir qualifier l’usage des
ressources publiques matérielles d’abusif, il faut voir le cadre général
dans lequel est prise la décision d’usage de ces ressources ainsi que
le contexte. On peut se poser la question de savoir par exemple si la
décision d’augmentation des pensions de retraite, ou l’inauguration
de projets publics, ou l’augmentation des salaires s’insèrent dans
une stratégie à long terme prévue d’avance ou bien sont-elles des
décisions concomitantes avec le processus électoral.
106
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 107
SECTION 4 :
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES IMMATÉRIELLES
PUBLIQUES
Une ressource immatérielle est un bien qui n’a pas d’existence
physique. Les principales ressources immatérielles d’une entreprise
par exemple sont les brevets, l’image de marque, les concessions, les
licences d’utilisation, les logiciels. Les ressources immatérielles de
l’Etat peuvent se manifester sous plusieurs aspects qui apparaissent
dans les prérogatives accordées aux dirigeants de l’Etat comme le
Président de la République, le Chef du gouvernement, les ministres
et autres.
Il faut préciser que concernant les élections présidentielles, la loi
électorale ne prévoit pas la démission du candidat sortant ou du Chef
du gouvernement ou des ministres ou autres dirigeants politiques
pour pouvoir se porter candidat et éviter ainsi tout abus d’usage des
ressources publiques pendant les élections et garantir l’égalité des
chances entre les candidats.
Lors des élections présidentielles de 2014 et de 2019, la question de
la démission comme condition de candidature à la présidence de la
république a été posée avec acuité en Tunisie. En effet, et à la suite
de demandes de démission, le Chef du gouvernement en exercice à
l’époque et candidat aux élections présidentielles
1 a émis le décret
gouvernemental n° 2019-769 du 23 août 2019 portant délégation
des pouvoirs du Chef du gouvernement au ministre de la Fonction
publique, de la modernisation de l’administration et de la politique
publique, lui-même président du Conseil national du parti présidé par
le Chef du gouvernement.
Concernant les élections législatives la loi électorale a prévu des
dispositions qui peuvent atténuer l’effet de cette notoriété dans
1. A l’époque le chef du gouvernement, était candidat au scrutin présidentiel du 15 septembre 2019,
en lice avec 25 autres candidats dont l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE)
avait annoncé l’acceptation des dossiers de candidature.
107
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 108
certains cas. En effet, l’article 20 de loi électorale prévoit que « les
électeurs suivants ne peuvent se porter candidats au mandat de
l’Assemblée des représentants du peuple qu’à condition de présenter
leur démission ou leur mise en disponibilité conformément à la
législation en vigueur :
• Les magistrats,
• Les chefs de missions et de postes diplomatiques et consulaires,
• Les gouverneurs,
• Les premiers délégués, les secrétaires généraux des gouvernorats,
les délégués et les chefs de secteurs.
Ils ne peuvent se porter candidats dans une circonscription électorale
dans laquelle ils ont exercé leurs fonctions susmentionnées pendant
un an au moins avant le dépôt de leur candidature. »
Concernant les élections locales et régionales l’article 49 ter de la
loi électorale prévoit que « ne peuvent se porter candidats dans les
circonscriptions au sein desquelles ils exercent leurs fonctions, les
personnes ci-après citées :
• Les magistrats,
• Les gouverneurs,
• Les premiers délégués, les secrétaires généraux des gouvernorats,
les délégués et les chefs de secteurs,
• Les comptables municipaux et régionaux,
• Les agents des municipalités et des régions,
• Les agents des gouvernorats et des délégations.
Elles ne peuvent se porter candidats dans les circonscriptions
électorales au sein desquelles elles ont exercé leurs fonctions
susmentionnées durant
leur
candidature. »
l’année précédant
le dépôt de
108
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 109
Les ressources immatérielles de l’Etat peuvent être classées en deux
catégories. La première catégorie des ressources immatérielles se
manifeste en l’usage des prérogatives de puissance publique dont
disposent les dirigeants en exercice du fait des postes qu’ils occupent,
la seconde catégorie consiste en l’usage de la notoriété publique pour
influencer l’électeur.
1. L’abus d’usage des prérogatives de puissance publique
la puissance publique sont des moyens
Les prérogatives de
juridiquement reconnus dont
l’Etat est doté afin de remplir
pleinement ses missions d’intérêt général et d’imposer sa volonté à
des personnes privées.
Parmi les prérogatives de puissance publique de l’administration,
on retrouve la police administrative qui est l’ensemble des pouvoirs
accordés aux autorités administratives et qui permettent à celles-
ci d’imposer, en vue d’assurer l’ordre public, des limites aux droits
et libertés des individus. Il s’agit d’une police essentiellement
préventive qui s’exerce :
• Soit par règlements des autorités administratives
• Soit par décisions particulières d’interdiction, d’injonction ou
d’autorisation
• Soit par la coercition, pour prévenir ou faire cesser un désordre.
L’utilisation abusive des prérogatives de puissance publique consiste
à utiliser ces prérogatives pour réaliser un intérêt électoral. Il faut
rappeler que la notion d’abus de pouvoir ou le détournement de
pouvoir est une notion qui existe en droit administratif tunisien. Le
Tribunal administratif tunisien le définit comme étant le fait que
l’administration ou l’instance publique chargée de gérer un service
public se détourne de sa mission de service public en utilisant les
moyens et les avantages que la loi lui a donnés pour réaliser des
objectifs étrangers à l’intérêt général
1.
1. L’arrêt de la Chambre d’appel n°30015/2014 du 10 octobre 2014
109
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 110
Le détournement de procédure est défini comme étant l’usage des
procédures légales pour un intérêt différent que celui prévu par le
texte même s’il est en harmonie avec l’intérêt général.
L’usage des prérogatives de puissance publique pour réaliser un intérêt
privé, qui est dans ce cas un intérêt électoral, peut revêtir plusieurs
aspects comme le pouvoir règlementaire général dont dispose le
Chef du gouvernement. Ainsi est le cas du Chef du gouvernement qui
procède, dans une période très rapprochée des élections, à annoncer
ou à émettre des règlements ou bien à annoncer des projets qui
n’étaient pas prévus auparavant. Il peut s’agir également de l’autorité
dont dispose le président de la commune ou le gouverneur à émettre
des documents administratifs qui sont en relation avec le dépôt de
candidature aux élections ou bien d’accorder des autorisations ou
des contrats de location pour pouvoir organiser un meeting de la
campagne électorale.
Il peut s’agir également d’exercer l’autorité de police administrative
par l’usage de la force publique à l’égard d’un concurrent ou une liste
concurrente. Il peut s’agir aussi de l’usage des données statistiques
et des prévisions et des études ayant été réalisées par l’Etat pour
déterminer le programme électoral du candidat sortant. Ainsi, ce
dernier aura plus de visibilité sur l’avenir.
2. L’abus d’usage de la notoriété publique
L’usage des ressources immatérielles de l’Etat peut se traduire par
l’abus d’usage de la notoriété publique. Il s’agit du fait d’user du
prestige du poste et se présenter en mettant en avant sa fonction
(Mr le ministre, Mr le gouverneur…) ou en promettant à des gens
de les aider à régler certains problèmes (obtenir une autorisation,
intervenir pour faciliter l’obtention d’un emploi, rendre un service
administratif…)
Il peut se traduire aussi par exemple par l’usage de pressions sur des
fournisseurs de l’administration publique pour l’obtention de tarifs
avantageux qui soient compensés sur des facturations de l’Etat ou
110
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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en contactant des fournisseurs de restauration ou des traiteurs, déjà
fournisseurs de l’administration publique, pour l’octroi de conditions
avantageuses qui seront imputées sur les prestations avec l’Etat.
L’usage de la notoriété publique peut se manifester également à
l’occasion des passages médiatiques des ministres par exemple. Dans
ce cadre, on peut citer qu’en 2014, le Chef du gouvernement a émis
une circulaire n°25-2014 du 6 octobre 2014 concernant l’apparition
médiatique des ministres et des secrétaires d’Etat. Cette circulaire
prévoit, que pour garantir la neutralité de l’administration, les
ministres et les secrétaires d’Etat doivent solliciter l’avis préalable
de la présidence du gouvernement avant la participation dans des
émissions télévisées ou à la radio, ou donner des déclarations à la
presse écrite ou électronique.
Dans les décisions règlementaires relatives à la couverture de la
campagne électorale, l’ISIE et la HAICA ont prévu qu’il est interdit
pendant la campagne de diffuser tout discours officiel ou toute
intervention médiatique émanant de la présidence de la République,
du gouvernement, des membres de l’Assemblée des représentants
du peuple, des conseils régionaux ou municipaux, des délégations
spéciales, ou, de toute autre autorité publique, et contenant une
quelconque forme de propagande électorale, sauf dans les cas
d’extrême urgence et lorsque l’intérêt général l’exige, et à condition
que les dites interventions ne comportent pas de propagande
électorale.
On peut signaler également que lors de l’organisation des élections
partielles locales,
1 la présence d’un Secrétaire d’Etat, d’un directeur
régional et d’un délégué dans un meeting ayant été présentés par
leurs fonctions, a été considérée comme étant un usage abusif de la
notoriété publique. En revanche, le Tribunal administratif a estimé
qu’il n’y a pas eu d’usage de la notoriété publique suite à l’échange
de poignée de main en public entre le président de la commune et un
candidat aux élections législatives pendant la campagne électorale
2.
1. Les élections partielles locales de Souk Jdid, gouvernorat de Sidi Bouzid.
2. Arrêt de la Chambre de 1ère instance du Tribunal administratif n°139992, avril 2018
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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Lors des élections municipales de 2018, on a invoqué devant le juge
électoral l’exploitation d’un député de sa qualité pour influencer les
électeurs1. On a invoqué également lors des élections législatives
de 2014, l’exploitation par le président d’une commune l’usage de
sa notoriété publique lors de la campagne électorale portant ainsi
atteinte au principe d’égalité des chances
2.
Il faut dire que l’existence d’un abus d’usage des ressources
immatérielles de l’Etat est très difficile à détecter. Il est encore
plus difficile à prouver et à mesurer son impact sur le résultat des
élections. Il s’agit, en réalité, d’un ensemble de faits, de circonstances,
de plusieurs faisceaux d’indices qui sont qualifiés par l’instance
électorale ou le juge électoral comme étant un abus d’usage des
ressources
immatérielles de
l’administration.
1. Arrêt de la Chambre d’appel du tribunal Tribunal administratif n°20183042 du 25 mai 2018
2. Arrêt de la Chambre d’appel du tribunal Tribunal administratif n°201410093 du 21 septembre 2014
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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CHAPITRE 4 :
LA NOTION D’ABUS DE RESSOURCES
D’ÉTAT ET DES MOYENS DE
COMMUNICATION PUBLICS
Par Bertrand SIMON
Professeur à l’université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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influencer
l’observation électorale et
La notion d’abus de ressources administratives est définie par
la Commission de Venise comme « une pratique
illicite mais
communément admise, consistant pour des fonctionnaires, des
candidats sortants et des partis au pouvoir à mettre à profit leurs
fonctions ou leurs relations au sein d’institutions gouvernementales
le résultat d’une élection »
1. Cette définition
pour
doit toutefois être précisée, en soulignant que, dans la pratique
de
les
dysfonctionnements relevés montrent que cette accusation d’abus
de ressources publiques est beaucoup plus souvent imputable à des
candidats sortants et à leurs entourages au sein de l’administration
publique, les candidats sortants bénéficiant d’un avantage par rapport
à leurs concurrents. Cet avantage remettant en cause le principe
d’égalité des chances, et donc le caractère sincère du scrutin, l’abus
de ressources publiques doit être considéré comme particulièrement
grave.
jurisprudences
locales,
les
Ces abus sont très souvent le signe d’une trop faible différenciation
entre État et pouvoir politique, voire d’une forme de tutelle du
pouvoir politique sur l’administration. Cette faible différenciation
s’observe plus encore dans les pays où le pluralisme politique est
faible, a fortiori lorsque l’on a affaire à un parti unique qui exerce le
pouvoir, comme cela a pu être longtemps le cas en Afrique, ainsi que
l’a souligné Michel Rambourg
2 : en ce cas, l’administration ne dispose
d’aucune indépendance, car le parti unique doit être certain que
l’administration agira exactement comme il le souhaite.
Dans le champ académique, on souligne la nécessité d’une distinction
forte entre le politique d’une part, qui renvoie à la fois à la notion
de souveraineté et à la compétition entre représentants d’intérêts,
et l’administration d’autre part, qui relève quant à elle de la mise en
œuvre des décisions publiques. Woodrow Wilson, qui fut professeur
avant d’être Président, écrivait que « la vérité la plus importante à
observer, et, heureusement, déjà tant soulignée par nos réformateurs
1. Cf. Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus électoraux adopté par
le Conseil des élections démocratiques lors de sa 46e réunion (Venise, 5 décembre 2013) et
par la Commission de Venise lors de sa 97e session plénière (Venise, 6-7 décembre 2013), p. 5.
2. Cf.RAMBOURG Michel, Parti Unique et Administration en Afrique, in Canadian Journal of African
Studies / Revue Canadienne des Études Africaines, Automne, 1968, Vol. 2, No. 2 pp. 137-146.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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de la fonction publique, c’est que l’administration ne relève pas de
la sphère politique. Les questions administratives ne sont pas des
questions politiques. Bien que la politique définisse les tâches de
l’administration, il ne devrait pas être toléré qu’elle la manipule »
1.
Mais au-delà de ce grand principe, une sociologie attentive aux
rapports entre politique et administration montre que les rapports
entre ces deux univers intimement imbriqués sont si complexes que
ces idéaux-types et ces principes connaissent de nombreux écarts,
y compris dans des pays où cette différenciation est un principe
constitutionnel, et une tradition séculaire.
Les médias de service public ne font pas exception à cette règle,
d’autant que leur création a été intimement liée à l’action des pouvoirs
politiques en Europe. En France, en Italie, et même au Royaume-Uni,
les médias de service public sont nés d’une décision des partis au
pouvoir, et se sont retrouvés durant quelques décennies sous la
domination des partis qui gouvernaient. L’ORTF a servi le général de
Gaulle, la RAI a été contrôlée par la démocratie chrétienne, et même
la BBC, dont l’indépendance est pourtant vantée au point d’être érigée
en mythe, n’a pas toujours été préservée de
l’influence du
pouvoir politique, et s’est parfois fait le relais d’une propagande
gouvernementale, comme l’ont montré Daniel Ruff
2 ou Renée
Dickason
3. Toutefois, dans le cadre des processus électoraux, les
gouvernants ont assez tôt pris le soin de définir un cadre légal qui
instaurait le respect du pluralisme et la garantie d’une égalité
d’accès et de traitement aux candidats. Par exemple, la Loi n° 62-
1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la
République au suffrage universel impose aux médias audiovisuels
que soit respecté « le principe d’égalité en ce qui concerne la
1. WILSON Woodrow, The Study of Administration, in Political Science Quaterly, Vol.2, N°2, Juin 1887,
p. 211 : « Most important to be observed is the truth already so much and so fortunately insisted
upon by our civil-service reformers; namely, that administration lies outside the proper sphere of
politics. Administrative questions are not political questions. Although politics sets the tasks for
administration, it should not be suffered to manipulate its offices. »
2. RUFF Daniel, Margaret Thatcher et la BBC : régulation ou manipulation ?, in Revue LISA, Littératures,
Histoire des Idées, Images, Sociétés du Monde Anglophone, Vol. IV - n°3 | 2006, Media, Images,
Propaganda
, pp.191-206.
3. DICKASON Renée, La BBC, imperméable à la propagande ? De la guerre des Malouines aux guerres
du Moyen-Orient, in Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 2003/4 no 80, Presses de Sciences Po, pp.
71-81.
115
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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reproduction et les commentaires des déclarations et écrits des
candidats et la présentation de leur personne »
1.
L’essor et la consolidation de la notion de pluralisme dans le patrimoine
électoral européen ont conduit à renforcer l’indépendance des
médias de service public par rapport au pouvoir politique, et la mise
en place d’autorités administratives indépendantes, comme, par
exemple, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) en France, ou
la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle
en Tunisie (HAICA) ont permis de garantir ce respect du pluralisme
dans les processus électoraux. Mais, même si un tel cadre légal
global, défini par des lois et porté par des autorités de contrôle ayant
pouvoir de sanction, existe dans de nombreux pays, cela ne signifie
pas pour autant qu’aucune dérive ne peut aujourd’hui être observée,
et que l’on ne peut pas assister à des cas d’abus de ressources dans le
domaine des médias publics.
Comme toujours, disposer d’un cadre légal est indispensable,
mais l’inscription de ce dernier dans les mentalités et les usages
quotidiens des personnes est la véritable et première condition de
son efficience. Tant que demeurera, de façon systémique, l’idée que
les médias publics, parce qu’ils sont des médias d’État, peuvent être
à la disposition de ceux qui dirigent l’État ou, du moins, sous leur
influence, on assistera à des abus, et les processus électoraux ne
pourront donc se dérouler réellement dans le respect du principe
d’égalité des chances qui est un des facteurs de garantie de la sincérité
des scrutins.
Nous allons donc nous efforcer de voir, dans ce chapitre, comment il
est encore possible d’assister à des cas d’abus de moyens publics de
communication, en quoi consistent ces abus, et comment y remédier.
Pour cela, nous allons tout d’abord réfléchir à la notion d’abus, puis
présenter successivement les principes d’un cadre global, et des
solutions juridiques et organisationnelles possibles, afin de réduire
au maximum le nombre d’infractions de ce type.
1. Cf. Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage
universel, Article 3. Consultable en sa version consolidée du 23 juin 2019 à cette adresse : https://
www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000684037
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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SECTION 1 :
ABUS ET SYSTÈME
En général, la notion juridique d’abus implique l’usage excessif
d’un droit qui vient, du fait même de cet excès, porter atteinte aux
droits d’autrui. L’usage excessif, ou le dépassement des limites peut
intervenir par détournement de la finalité de ce droit, ou dans le but
délibéré de nuire à autrui.
Afin de mieux poser le cadre de cette notion d’abus, il nous paraît
important de comprendre en quoi peuvent consister les deux
acceptions classiques de l’abus, par détournement de finalité, ou
par volonté de nuire à autrui. Tout d’abord, ces deux modalités nous
paraissent avoir un point commun, à savoir le caractère intentionnel
de l’abus. Le candidat sortant qui utilise les médias audiovisuels
publics à son profit, fait campagne dans un bulletin municipal,
ou, simplement, utilise le site internet de la commune ou de son
ministère pour une opération de communication sur son bilan,
détourne intentionnellement le média de sa finalité, ainsi que son
droit de communiquer dans l’exercice de sa fonction. Quant à la
volonté de nuire à ses concurrents, elle est aussi, nécessairement,
intentionnelle. Ainsi, on pourrait donc bâtir une première forme de
typologie, consistant à distinguer abus systémiques d’une part, et
abus intentionnels de l’autre.
Mais cette typologie ne serait ni assez précise, ni assez éclairante,
notamment pour le juge électoral chargé de statuer sur un contentieux
de ce type. En effet, la volonté de nuire à ses concurrents peut,
éventuellement, être démontrée, mais à condition que des indices
suffisants puissent être observés : des traces écrites attestant de cette
volonté, par exemple, ou bien des actes délictueux commis en sus
de l’abus et venant attester d’une réelle intention de nuire, comme
l’abus de pouvoir, la corruption, la tentative de monnayer auprès d’un
journaliste ou un dirigeant du média public un traitement médiatique
favorable contre une promotion, ou, inversement, la menace de
révocation ou de sanction. Il en va de même pour le détournement de
117
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 118
finalité. Mais, dans un cas comme dans l’autre, l’exercice de la preuve
est difficile, et souvent long. Or, lorsque le juge électoral se doit
souvent de statuer dans l’urgence et dans les délais les plus courts,
il peut être compliqué et contreproductif de se lancer dans une telle
tâche.
En outre, cette définition classique mérite d’être tempérée et
complétée, dans le cadre de l’abus des moyens de communication
publics. En effet, il nous paraît également important de souligner
ici qu’un autre cas de figure existe, très courant pour des candidats
sortants qui recherchent à se faire réélire, à savoir celui d’un abus
systémique. Par abus systémique, nous entendrons donc ici tous les
usages liés à l’exercice même de la fonction occupée par le candidat,
et qui sont susceptibles d’instaurer un déséquilibre dans l’accès aux
médias, et les temps de parole et les temps d’antenne observés,
même sans détournement de finalité ni volonté de nuire avérés.
Par exemple, en mars 2020 devaient avoir lieu les deux tours
des élections municipales en France. Cependant, les mesures de
confinement prises par le gouvernement français et la situation
sanitaire du pays ont conduit au report du second tour de ces élections
à la fin du mois de juin. Or, la gestion de la crise de la COVID-19 en
France, a impliqué, de la part des maires, de nombreuses prises de
paroles et des usages nombreux et répétés de moyens publics de
communication. On peut donc légitimement se demander si ces
prises de paroles, ces apparitions dans les médias de service public,
ces usages des sites Internet, comptes de réseaux sociaux et bulletins
municipaux, pourtant absolument nécessaires dans le cadre de
la gestion de la crise, n’ont pas contribué à créer des situations de
déséquilibre favorables aux maires sortants en exercice qui n’avaient
pas été élus dès le premier tour
1. Dans ce cas précis, on ne peut pas
parler de volonté de nuire à autrui, ni même de détournement de
finalité, car il n’y a pas nécessairement intentionnalité de tirer un
avantage de sa position pour bénéficier d’une couverture médiatique
plus importante et plus favorable que celle de ses concurrents. En
1. À Lille, deux recours ont ainsi été portés devant le Tribunal administratif, tous deux faisant État
de communications de l’exécutif local à destination de cibles spécifiques, comme les commerçants,
susceptibles d’avoir influencé les votes.
118
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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effet, la seule chose que l’on puisse objectivement constater et que
le maire sortant, candidat à sa réélection, a communiqué comme
l’exigeait l’exercice de sa fonction en temps de crise, et ce sans préjuger
de ses intentions. Dans ce cas précis, l’exercice même de la fonction
implique déjà un usage excessif de moyens de communication
publics pouvant instaurer des situations de déséquilibre contraires au
principe de l’égalité des chances entre les candidats.
S’il peut donc exister des cas de figures, nombreux, où le juge électoral
ne pourrait constater ni détournement de finalité ni volonté de nuire
à ses concurrents, où l’abus est donc, comme nous proposons de
le nommer, systémique, peut-être faut-il mieux renoncer, au moins
temporairement, à statuer sur la nature de l’abus et les intentions
de ceux qui abusent, et poser la question de l’usage abusif des
moyens de communication publics et de ses conséquences en
termes systémiques également. Cela permettrait ainsi de trouver des
remèdes, d’empêcher des abus d’usage des médias et des moyens
de communication publics, indépendamment de notre capacité
à déterminer ou non l’intention qui les aurait guidés. En somme,
il s’agirait de lutter contre les conséquences, autrement dit les
déséquilibres entre les candidats en termes d’accès aux médias et de
traitement médiatique, sans s’interroger sur leurs causes dans une
perspective de typologie étiologique exhaustive.
Pour résumer, il s’agit de créer un cadre à la fois juridique et pratique,
si peu favorable aux abus d’usage des moyens de communication
publics que ceux-ci seraient de plus en plus rares, jusqu’à disparaître
totalement. Cela revient donc à utiliser le système pour le modifier,
et modifier aussi le comportement des éléments qui le composent.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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SECTION 2 :
LES PRINCIPES D’UN CADRE GLOBAL FIABLE
Définir un cadre global qui permettrait de garantir la sincérité d’un
scrutin et l’égalité des chances entre les candidats implique que ce
cadre puisse reposer sur plusieurs principes majeurs, que nous allons
détailler dans cette partie. Mais, il faut aussi que le cadre global,
juridique et organisationnel, ait pour particularité de garantir les
principes sur lesquels il repose, et même de les renforcer afin de les
ancrer dans les mentalités et les pratiques.
1. Principe de dissociation
Comme nous le disions en introduction, une des clefs de voûte
d’un système où l’abus de ressources administratives n’existerait
dans un aucun domaine, y compris celui des médias et moyens
de communication publics, est la dissociation entre politique et
administration. Toutefois, il est évident que, dans les démocraties les
plus anciennes, cette différenciation est largement ancrée dans les
principes même de leur fonctionnement. Ce qui est vrai dans l’exercice
quotidien du pouvoir politique et de l’exécution bureaucratique,
ne l’est cependant pas toujours dans le domaine de l’exercice de la
démocratie électorale.
1.1 Dissocier l’élu en fonction et le candidat
C’est pourquoi la dissociation doit également ici scinder en deux corps
distincts la personne qui cherche à se faire réélire : il est maire
d’un côté, ou ministre, ou président, il exerce donc une fonction
politique. Mais il est aussi candidat. Cette dissociation majeure doit
permettre d’identifier de façon précise ce qui relève de l’exercice
de la fonction politique et ce qui relève de la campagne électorale.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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Dissocier ces deux entités pourtant réunies en une seule personne ne
suffit pourtant pas. Il est aussi nécessaire de dissocier les temporalités,
celle de l’exercice du pouvoir politique et celle de la campagne
électorale. En parlant de dissociation des temporalités, nous faisons
référence à la création de périodes durant lesquelles certains usages
des médias et moyens de communication publics seront déconseillés,
prohibés, ou strictement encadrés pour les hommes politiques.
En outre, s’il convient de dissocier le candidat de l’élu en fonction, il
s’avère aussi nécessaire, en vertu de cette dissociation globale entre
administration et pouvoir politique, de distinguer le fonctionnaire
de l’individu. Un fonctionnaire qui souhaiterait se présenter à une
élection se devrait ainsi de ne pas afficher ouvertement son statut.
S’il n’est pas candidat mais simplement militant, le fonctionnaire
ukrainien peut participer à une campagne électorale, mais ne
peut le faire ni sur ses heures de travail, ni sur son lieu de travail
1.
Inversement, des missions d’observation électorale ont pu constater
que des collectivités locales mettaient leurs moyens de communication
publics à disposition de candidats. Le rapport réalisé par la mission
de l’OSCE menée durant l’élection présidentielle de 2012 en Russie
souligne que de nombreuses collectivités locales ont ainsi utilisé
leurs sites internet ou leurs bulletins municipaux pour soutenir la
campagne de Vladimir Poutine
2.
1. 2. Dissociation et périodisation
Cette dissociation du candidat et de la fonction qu’il occupe implique
également, nous serons amenés à le revoir, une distinction entre
des périodes. On peut ainsi distinguer, bien entendu, la période de
campagne officielle, une période plus large de campagne électorale, et
une période non-électorale. Dans cette dernière, les règles définissant
le pluralisme ne sont généralement pas les mêmes que celles qui le
1. Cf. par exemple Art 74.3 de la loi No. 4061-VI concernant l’élection des députés du peuple du 17
novembre 2011.
2. Cf. OSCE/BIDDH, Russian Federation, Presidential Election, 4 March 2012, Election Observation
Mission Final Report, page 1. Consultable à l’adresse : www.osce.org/odihr/90461, p.2 et p.11.
121
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 122
régissent durant les périodes électorales. La règle globale est que le
pluralisme soit évalué en tenant compte de l’actualité et en suivant
finalement le rythme. Certains pays, comme la France, ajoutant à cela
une règle de proportionnalité des temps de parole et d’antenne. La
période de campagne officielle est, quant à elle, généralement définie
par les lois électorales. La période dite de campagne électorale (non-
officielle), n’existe pas toujours dans le droit électoral de chaque État,
et, lorsqu’elle existe, les modalités qui la définissent et la régissent
peuvent aussi varier.
Ces distinctions de périodes définissent également, comme nous le
verrons plus bas, des interdictions ou des permissions définies par
le droit électoral, afin de favoriser l’égalité des chances entre les
candidats, quel que soit leur statut initial. Par exemple, il peut être
interdit, dans les 6 mois qui précèdent un scrutin local, que le maire
sortant communique sur son bilan, de façon à ne pas bénéficier d’un
avantage concurrentiel sur les autres candidats.
1. 3. Différentes formes de dissociation
Cette dissociation peut prendre plusieurs formes : soit le principe
de dissociation sert de principe de référence dans le cadre de la
législation concernant les élections et les campagnes électorales et
son organisation, soit le principe de dissociation est appliqué de façon
radicale, comme c’est le cas au Pakistan.
En effet, depuis 2017, la nouvelle loi électorale pakistanaise a prévu
une mesure radicale de dissociation puisque, afin d’éviter tout abus de
position officielle, et donc de ressources administratives ou d’usage
des médias de la part des candidats sortants, le gouvernement
fédéral ou les gouvernements locaux doivent être remplacés par
un gouvernement provisoire durant toute la période électorale.
Ce gouvernement, nommé par la loi « caretaker government », est
chargé du traitement des affaires courantes, et ne peut en aucun
cas prendre une décision majeure, sauf en cas d’urgence, ni aucune
décision qui pourrait engager le futur gouvernement élu ou définir
ses orientations. Le texte de loi définit aussi pour ce gouvernement
provisoire un certain nombre de missions, comme celle d’assister
122
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 123
la Commission Électorale dans l’organisation des élections, et faire
preuve d’impartialité à l’égard de tous les candidats
1.
Le premier scrutin fédéral à avoir connu cette forme radicale de
dissociation ont été les élections législatives de 2018.
Le gouvernement et son Premier Ministre ont exercé leurs fonctions
jusqu’à la date de fin de la législature en cours, à savoir le 31 mai 2018.
Au 1
er juin, et jusqu’au 25 juillet, date des élections, un gouvernement
resserré, dirigé par l’ancien Président de la Cour Suprême, M. Nasirul
Mulk, a ainsi été désigné.
Le processus de désignation est lui aussi précis et codifié : dans un
premier temps cette prérogative revient au Premier ministre et au
chef de l’opposition parlementaire. S’ils échouent à désigner un
candidat commun, une commission parlementaire spéciale prendra le
relais. Elle doit être composée d’un nombre égal de parlementaires de
la majorité et de l’opposition. Si cette commission spéciale ne trouve
pas non plus d’accord, il revient alors à la Commission Électorale du
Pakistan de désigner le Premier ministre intérimaire.
Le but du législateur est ici d’empêcher que le scrutin ne soit faussé
et que le principe de l’égalité des chances entre les candidats ne
soit remis en cause. La loi électorale pakistanaise instaure donc, de
facto, une dissociation entre candidat et élu, mais elle le fait de façon
radicale, en mettant tout simplement un terme aux fonctions de l’élu
et en nommant un gouvernement intérimaire. Cette mesure semble,
sur le papier du moins, avoir le mérite de placer tous les candidats
dans une position d’égalité stricte, dans la mesure où ils ne sont,
précisément, que des candidats.
À notre connaissance, seul le Pakistan a souhaité mettre en place une
forme de dissociation aussi radicale. Les autres législations électorales
se contentent de dissocier le candidat de la fonction qu’il occupe,
d’assortir ce principe de dissociation de diverses interdictions, et de
faire assurer le contrôle du respect de cette dissociation, dans ses
différents aspects, par des autorités administratives indépendantes
et les juges électoraux. Bien entendu, le principe de dissociation
ne doit pas simplement être inscrit dans les cadres juridiques, mais
1. Cf. Elections Act of Pakistan, publiée le 2 octobre 2017, Chapter XIV.
123
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 124
aussi pleinement dans la pratique électorale. Ce qui implique le
développement d’une culture de l’autolimitation, et l’émergence
d’une forme de déontologie chez les candidats et les élus. Il va sans
dire que l’existence de mesures d’interdictions strictes, ainsi que
l’existence de sanctions, contribuent à ancrer peu à peu les bonnes
pratiques liées au principe de dissociation dans les mentalités des
candidats.
2. Accorder le principe de dissociation avec les autres
principes
Par ailleurs, le principe de dissociation doit également s’accorder
avec les autres principes qui président au déroulement d’une élection
sincère et équitable. Selon la Commission de Venise, aussi bien dans
son Guide des bonnes pratiques en matière électorale que dans
son Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les
processus électoraux, ces principes fondamentaux, sans lesquels il
ne peut y avoir de scrutin sincère, sont le « principe de transparence
et de liberté d’information », le « principe de neutralité », et le
« principe d’égalité des chances ».
2. 1. Principe de transparence et de liberté d’association
Ainsi, le principe de transparence et de liberté d’information
apparaît tout d’abord comme indispensable à la prévention des abus
de ressources administratives ou d’usage des médias et moyens de
communication publics, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il
est nécessaire que tous les acteurs du processus électoral, du candidat
à l’électeur, soient parfaitement informés des dispositions prévues
par la loi, et qu’ils puissent en débattre. Comme le souligne le Rapport
sur l’abus de ressources administratives pendant les processus
électoraux1 de la Commission de Venise, « il est indispensable que
tout dysfonctionnement ou toute erreur puisse faire l’objet d’un
débat ouvert dans les médias et au sein de l’opinion publique ».
1. Cf. Commission de Venise, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus
électoraux, décembre 2013, p. 35.
124
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 125
Cette transparence et cette liberté d’information placent ainsi les
candidats exerçant des fonctions publiques dans une position de
responsabilité devant l’opinion publique et le corps électoral, en plus
de leur responsabilité devant la loi et les juges électoraux. Comme le
souligne le Rapport, « si ces derniers ont commis des abus, ils sont
susceptibles d’en subir les conséquences telles que des enquêtes,
des sanctions politiques, des actions civiles ou des poursuites
pénales ».
2. 2. Principe de neutralité
En second lieu, le principe de neutralité implique qu’aucun candidat
ne soit favorisé ou défavorisé par rapport à ses concurrents, ce qui
contraint le comportement des fonctionnaires, dans la fonction
publique d’État, dans la fonction publique territoriale, ou dans les
organismes parapublics, semi-publics, ou les autorités administratives
indépendantes, à demeurer véritablement neutre et non-partisan.
Par exemple, un journaliste ou un dirigeant d’une télévision publique,
qu’elle soit nationale ou locale, se doit d’être neutre et impartial vis-
à-vis de tous les candidats, ce qui signifie qu’il doit leur donner un
accès à ses antennes équitable, et les traiter de façon égale. Dans la
plupart des pays européens par exemple, et en particulier en France,
le respect du pluralisme et l’exigence de neutralité sont inscrits dans
le statut des médias de service public, qui est lui-même défini par
la loi. Ainsi, l’article 43-11 de la Loi du 30 septembre 1986 relative
à la liberté de communication définit ainsi les missions des sociétés
de l’audiovisuel public : « Elles assurent l’honnêteté, l’indépendance
et le pluralisme de l’information ainsi que l’expression pluraliste des
courants de pensée et d’opinion dans le respect du principe d’égalité
de traitement et des recommandations du Conseil supérieur de
l’audiovisuel »
1.
Il convient de souligner que les médias audiovisuels privés, ou
associatifs, peuvent se voir imposer les mêmes contraintes. En
effet, toujours en France, l’autorisation d’émettre est soumise à
l’approbation par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel d’un cahier
1. Cf. Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (Loi Léotard), Version
consolidée au 27 juin 2020, Article 43-10.
125
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 126
des charges, où les mêmes obligations en matière de neutralité,
d’impartialité et de respect du pluralisme sont inscrites. De sorte
qu’un média audiovisuel privé ou associatif y est lui aussi soumis. Sur
cette base, il est possible de sanctionner un média audiovisuel pour
ne pas avoir respecté ce principe de neutralité et de garantie d’une
expression pluraliste des courants et idées politiques.
À titre d’exemple, on trouvera dans la jurisprudence électorale un
cas de contentieux électoral impliquant une radio locale associative à
la Réunion, Radio Free Dom : lors de l’élection régionale de 1992, et
plus exactement à partir de novembre 1991, cette radio associative
réunionnaise avait mis son antenne à disposition d’un candidat pour
une émission quotidienne, lors de laquelle il tenait de façon répétée
des propos favorisant l’élection de la liste qu’il conduisait. Le Conseil
d’État avait à l’époque considéré que les 208 heures de ce programme
radiodiffusé devaient être considérées, d’une part, comme un don,
dépassant très largement le plafond fixé par l’article L52-8 du Code
électoral, et, d’autre part, pouvaient aussi relever, au titre de l’article
L52-1, de la publicité commerciale
1.
2. 3. Principe d’égalité des chances
Enfin, le principe de dissociation doit aussi, bien entendu, s’articuler
avec
le principe d’égalité des chances. Ici, il s’agira donc de s’assurer
que les élus en fonction, tout comme les agents du service public,
n’usent pas de leur pouvoir, ni des prérogatives que leur fonction
leur confère, pour établir une quelconque discrimination, positive ou
négative, envers un ou des candidats. A fortiori, comme le souligne
le Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les
processus électoraux de la Commission de Venise, « les candidats
sortants devraient veiller à ce que leurs concurrents bénéficient de
l’égalité d’accès aux ressources administratives afin qu’ils ne subissent
pas de discrimination »
2.
1. Cf. CE, sect., 7 mai 1993, Él. rég. de la Réunion, M. Lallemand et a., req. no 135815, consultable à l’adresse
suivante : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?idTexte=CETATEXT000007836112.
2. Cf. Commission de Venise, Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus
électoraux, décembre 2013, p. 36.
126
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 127
Une décision du Conseil d’État français concernant une requête en
annulation du scrutin des élections municipales de Cluses en 2001
s’avère très instructive sur ce point précis. Le juge électoral a en effet
rejeté les motifs en annulation du requérant. Ce dernier contestait la
sincérité du scrutin, car la télévision locale, Canal C, exploitée en régie
municipale et dépendant directement de la mairie, avait retransmis
durant les trois mois précédant l’élection, un entretien avec le
maire et un reportage sur le bilan de l’équipe municipale sortante.
Le Conseil d’État a estimé que « les émissions diffusées par Canal C,
dont le contenu n’a pas été modifié dans la période précédant les
élections municipales, n’ont pas révélé une différence de traitement
des différentes listes en présence, qui aurait fait bénéficier certaines
d’entre elles d’un accès privilégié à ce moyen audiovisuel et aurait
été de nature à rompre l’égalité des moyens de propagande entre
candidats »
1. Le comportement des fonctionnaires et des autorités
publiques semble donc, on le voit, déterminant pour que le principe
d’égalité soit respecté en ce qui concerne l’accès aux médias et aux
moyens de communication publics et le traitement des candidats.
1. Cf. CE 29 nov. 2002, Élection municipale de Cluses, req. No 239766, consultable à l’adresse suivante :
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008135200/
127
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 128
DISSOCIATION
• Administration/
Pouvoir politique
• Politique/candidat
• Fonctionnaire/
Candidat
ÉGALITÉ
• Devant la loi
• D’accès aux médias
• De traitement
NEUTRALITÉ
• Des fonctionnaires
• Des médias
• Des autorités
publiques
TRANSPARENCE
• Des règles régissant la
campagne
• Des comptes de campagne
• Des actions de
communication
Quatre principes pour une élection sincère
Si nous quittons le niveau local pour une vision plus macro-politique
de la question, nous pouvons également constater que, dans un
rapport sur les médias de service public
1, l’UNESCO souligne que l’un
des piliers des médias de service public est leur indépendance, par
rapport aux pressions économiques, et par rapport à l’ingérence des
pouvoirs politiques.
1. BANERJEE Indrajit et SENEVIRATNE Kalinga (dir.), La Radiotélévision de service public : Une sélection de
bonnes pratiques, UNESCO, 2005.
128
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 129
SECTION 3 :
UN CADRE JURIDIQUE ET ORGANISATIONNEL
L’ensemble des principes que nous venons d’évoquer doivent ainsi
définir les grandes orientations d’un cadre juridique et organisationnel
susceptible de garantir une véritable égalité des chances entre les
candidats à l’élection. C’est nécessairement autour d’eux, et grâce
à eux, que les dispositifs légaux et organisationnels qu’ils inspirent
peuvent être mis en œuvre. Ce cadre repose à la fois sur des textes
juridiques, des autorités de contrôle, des répertoires de bonnes
pratiques, et des processus déontologiques d’autoréglementation
dérivant de ces bonnes pratiques.
En ce qui concerne les textes juridiques, on peut ainsi en recenser
plusieurs types : les textes internationaux de référence abordant la
question des élections, les textes régionaux abordant les mêmes
sujets, les constitutions locales, les lois locales sur la communication
et les médias, les lois portant création des autorités de contrôle
indépendantes, les lois électorales, le Code électoral, éventuellement
des décrets, décisions et résolutions ad hoc pour certains types de
scrutins ou certaines périodes spécifiques, et enfin, bien entendu, la
jurisprudence issue des travaux des juges électoraux.
En ce qui concerne les autorités de contrôle, sont généralement
impliquées dans ce cadre les organismes de gestion des élections
(OGE), les autorités administratives indépendantes en charge des
médias, comme la HAICA tunisienne ou le CSA français, les autorités
de contrôle des comptes de campagne, du financement et de la
transparence de la vie politique, éventuellement les autorités de lutte
contre la corruption, les autorités de contrôle des sondages, et les
juges électoraux.
129
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 130
Conseil
constitutionnel
Conseil
supérieur de
l’audiovisuel
Conseil d’Etat
Commission
des sondages
Commission
nationale des
comptes de
campagne et
des financemens
politiques
Commission
nationale de
contrôle de la
campagne en
vue de l’élection
présidentielle
Les autorités impliquées en France
Enfin, les acteurs politiques eux-mêmes, partis et candidats, les
journalistes ou du secteur
organisations professionnelles des
des médias, et plus généralement les acteurs de la société civile
peuvent également être impliqués dans le processus, par leurs
actions déontologiques de codification des bonnes pratiques, et
aussi par leurs actions de plaidoyer en faveur des principes du cadre
général. Bien entendu, les missions d’observation électorale peuvent
également jouer un rôle dans le fonctionnement de ce cadre global,
et le contrôle du respect des principes qui le régissent.
130
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 131
1. Le champ d’action des autorités administratives
indépendantes
Les autorités administratives de contrôle qui interviennent dans le
cadre global visant à assurer la sincérité du scrutin et l’égalité des
chances entre les candidats, ont avant tout pour missions, dans ce
contexte précis, d’empêcher ou de sanctionner les abus d’usage des
moyens de communication publics. Chacune a son rôle, qui peut être
plus ou moins étendu, et regarde en général un domaine fonctionnel
particulier, comme les médias, par exemple, ou le contrôle des
comptes de campagne et du financement de la vie politique.
1. 1. Le rôle des autorités des médias et de la
communication
Dans le contexte électoral, les autorités administratives indépendantes
en charge des médias peuvent avoir des champs d’action plus ou
moins étendus. En France, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA)
dispose de moyens d’action sur les médias audiovisuels, télévisions
et radios, qu’ils soient privés ou publics. Ce champ d’action et de
compétence s’est récemment étendu aux médias digitaux. Il en va
de même au Maroc, avec la Haute Autorité de la Communication
Audiovisuelle (HACA), dont les compétences ont connu la même
extension, ou encore en Allemagne, où les Medienanstalten s’occupent
aussi bien de la garantie du pluralisme dans les médias audiovisuels
que de la neutralité de l’Internet. Au Bénin, la Haute Autorité de
l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC) voit en revanche son
champ d’action, défini par la Constitution, étendu à l’ensemble de la
presse et des moyens de communication de masse.
Ces autorités ont coutume de distinguer les périodes électorales des
périodes dites « normales », chacune étant réglementée par des
textes et faisant l’objet d’une mise en place de dispositifs spécifiques.
Par exemple, en Italie, l’Autorità per le Garenzie nelle Communicazioni
(AGCOM), impose aux médias audiovisuels privés d’assurer, hors
période électorale, un partage équilibré des temps d’antenne entre
les différents partis politiques. Les médias de service public sont
131
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 132
assujettis aux mêmes obligations, mais ils doivent en plus diffuser des
programmes courts d’information politique émanant des différents
partis. Les médias, de service public comme privés, sont tenus,
mensuellement, de transmettre un relevé des temps de parole et
d’antenne équilibré entre les formations politiques
1.
Le dispositif français est très proche, mais il a connu des évolutions
suite à une réflexion de fond menée entre 2007 et 2009 consécutive
aux changements de pratiques induits par le passage du septennat
au quinquennat, et à une décision du Conseil d’État
2. En effet, le
précédent dispositif de mesure des équilibres, la règle dite des « trois
tiers », impliquait que deux tiers du temps de parole était accordé
au pouvoir législatif, un tiers à la majorité, un tiers à l’opposition, et
le troisième tiers au gouvernement ; le président de la République,
considéré par la Constitution comme le président de tous les Français
et s’exprimant « pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique »
3,
n’apparaissait pas comme un acteur partisan entièrement dédié à
sa fonction, ce qui impliquait que ses temps de parole n’étaient pas
décomptés. Cela ne posait, finalement, que fort peu de problèmes,
dans la mesure où les interventions des présidents successifs dans les
médias étaient rares et ritualisées, et que, lorsqu’un président était
candidat à sa réélection, le CSA le traitait alors comme un candidat.
Mais, la présidentialisation accrue du régime liée au quinquennat et
à la quasi simultanéité des cycles et des durées des mandats
législatifs et exécutifs, ainsi que les évolutions de la communication
politique vers une plus grande personnalisation, avaient introduit
un déséquilibre fort : Nicolas Sarkozy s’exprimait très régulièrement
dans les médias, alors que son temps de parole et d’antenne n’était
pas comptabilisé, tandis que son Premier ministre et les membres
du gouvernement se faisaient rares. Par conséquent, la quasi-totalité
de la communication de l’exécutif n’était pas décomptée, ce qui
condamnait l’opposition parlementaire à ne disposer que d’un temps
1. La liste des textes législatifs et juridiques encadrant le dispositif est consultable à cette adresse :
https://www.agcom.it/disciplina-della-par-condicio-.
2. Cf. CE, Lecture du mercredi 8 avril 2009, No 311136, consultable à l’adresse :
http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/analyse/2009-04-08/311136.
3. Cf. CE, Lecture du vendredi 13 mai 2005, No 279259, consultable à l’adresse :
http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/analyse/2005-05-13/279259.
132
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 133
de parole très restreint. C’est pourquoi, à partir de 2009, le Conseil
Supérieur de l’Audiovisuel a choisi d’inclure dans le calcul des temps
toutes les interventions médiatiques du président de la République et
de ses conseillers, afin de prévenir cette situation de déséquilibre, qui
s’apparente à un abus d’usage des médias, hors période électorale.
Hors période électorale, l’actualité politique peut aussi conduire à
des situations de déséquilibre, en particulier lorsque des partis
politiques organisent des primaires afin de désigner leur candidat
à l’élection présidentielle. Ce phénomène, de plus en plus courant,
n’étant pas généralement prévu par les lois et les codes électoraux,
il implique de la part des autorités de régulation des médias des
adaptations. Si le meilleur moyen de réduire les déséquilibres, dans
ce cas précis, consisterait à modifier le Code électoral pour prévoir
d’éventuelles primaires et définir un cadre les régissant, faute de
volonté du législateur, les autorités sont réduites à proposer des
lissages sur la durée des déséquilibres instaurés par ces primaires.
Ainsi, en France par exemple, le CSA allonge les délais impartis
aux médias audiovisuels pour leur permettre de compenser les
déséquilibres que la focalisation médiatique sur une primaire ne
manque jamais d’instaurer
1.
En période électorale, les autorités peuvent ainsi mettre en place
des mesures encore plus contraignantes, en vue de préserver la
sincérité du scrutin et de garantir l’égalité des chances entre les
candidats. Par ailleurs, ces règles ne sont pas forcément identiques
pour chaque élection. C’est le cas en Italie, par exemple, et en France.
En Italie, l’AGCOM, se basant en particulier sur la loi 28-2000
du 22 février 2000 dont l’objectif principal est de garantir un
traitement égal et impartial des partis et candidats, impose une
égalité des conditions dans la présentation des opinions et prises
de positions des différents mouvements politiques et candidats.
On retrouve en France le même souci, mais avec des exigences
diverses, en fonction de la période et du type d’élection. On
1. Le CSA a ainsi élaboré deux délibérations autorisant ce « lissage » sur la durée :
Cf. Délibération n°2016-20 du 29 juin 2016 relative à la période d’appréciation du pluralisme politique
dans les services de radio et de télévision et Délibération n°2016-22 du 27 juillet 2016 relative aux
modalités de transmission des temps d’intervention des personnalités politiques.
133
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 134
distingue en effet les périodes de campagnes officielles des périodes
électorales, et suivant le type d’élection, le traitement réservé aux
candidats peut y être différent. Ainsi, pour l’élection présidentielle, le
CSA distingue une période de pré-campagne, sous le régime de l’équité
(les temps de parole et d’antenne sont proportionnels au poids du
candidat ou du parti dans la vie politique ; une période intermédiaire,
sous le régime de l’équité renforcée (les temps varient toujours en
fonction du poids politique, mais les conditions d’accès à l’antenne,
comme par exemple l’heure de diffusion, sont identiques) ; et enfin
une période de campagne officielle, sous le régime de l’égalité.
Pour toutes les élections, le statut particulier du président de la
République, dont nous avons parlé plus haut, implique que chacune
de ses interventions soit scrupuleusement examinée, afin de voir si
elles concernent le débat électoral ou non, ou apportent un soutien
à un candidat ou un parti. Elles font ainsi l’objet d’un relevé différent,
et, s’il y a lieu, à des contreparties en temps de parole offertes aux
autres candidats
1.
Tous ces dispositifs permettent d’assurer avant tout une recension
minutieuse, et presque exhaustive, des interventions médiatiques, ce
qui rend plus visibles les cas d’abus, et, globalement, les empêche.
1. 2. Le rôle exercé par les organes de contrôle des
financements
En ce qui concerne les autres moyens de communication, comme les
réunions publiques, les événements organisés, les médias digitaux
et les réseaux sociaux, les publications imprimées, les organismes de
contrôle des comptes de campagne facilitent eux aussi la détection
d’éventuels abus.
1. Cf. CSA, Délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les
services de radio et de télévision en période électorale, modifiée par la Délibération n° 2011-55 du 22
novembre 2011 : « Conformément à la jurisprudence du Conseil d’État, les interventions éventuelles
du président de la République qui, en raison de leur contenu et de leur contexte, relèvent du débat
politique lié aux élections, notamment celles qui comportent l’expression d’un soutien envers un
candidat ou une liste de candidats, un parti ou groupement politique, font l’objet d’un relevé distinct.
Les éditeurs en tiennent compte en veillant à ce que les autres candidats, listes, partis ou groupements
politiques bénéficient, en contrepartie, d’un accès équitable à l’antenne ».
134
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 135
En effet, les normes juridiques en vigueur en Europe tendent à
systématiser la procédure de désignation d’un mandataire et de
transparence des comptes, qui implique la traçabilité de chaque
dépense de campagne. Dans le code électoral français, il est précisé
que toute dépense engagée avant désignation du mandataire par
le candidat ou ses soutiens doit être remboursée par le mandataire
et inscrite dans les comptes de campagne
1. De cette façon, si l’on
identifie que des actions de communication, comme des réunions
publiques par exemple, ont été organisées par un candidat sortant
et qu’elles ne figurent pas sur les comptes de campagne, on peut
légitimement se demander si l’on a ou non affaire à un abus de
moyens de communication publics.
l’exercice de
la République, de
Ainsi, durant la campagne présidentielle de 2012, Henri Guaino,
conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, avait organisé plusieurs
déplacements et opérations de communication événementielle
avant l’annonce officielle de sa candidature, et après cette dernière.
Ces réunions publiques et événements relevaient, selon la présidence
de
la fonction présidentielle.
Cependant, la Commission Nationale des Comptes de Campagne et
des Financements Politiques (CNCCFP) a estimé que ces événements
participaient de la campagne électorale, et non de l’exercice de la
fonction présidentielle, ce que le candidat a contesté. Le Conseil
constitutionnel, après un examen minutieux, a cependant rejeté in
fine en 2013 les comptes de campagne du candidat Sarkozy sur ce
motif, ce qui a contraint son parti politique, l’UMP, à rembourser à
l’État la somme de 11 millions d’euros. Pour le Conseil constitutionnel
en effet, « ces réunions ont eu pour objet principal de présenter
des éléments de bilan du mandat de M. Sarkozy, d’appeler à la
candidature de M. Sarkozy et de promouvoir celle-ci ; que, compte
tenu des fonctions exercées alors par M. Guaino à la Présidence de
la République et de la publicité donnée à ces réunions, elles n’ont
pu avoir lieu sans l’assentiment du futur candidat ; que, par suite,
la commission était fondée à procéder, en raison de leur caractère
1. Cf Code Électoral français, Art. 52-4.
135
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 136
électoral, à la réintégration des sommes dont il s’agit » 1.
2. La complémentarité du droit électoral
Le droit électoral s’avère, bien entendu, indispensable pour éviter
les abus, à condition qu’il soit suffisamment clair et précis, que
les mécanismes de recours soient simples, et que des sanctions
dissuasives soient prévues.
Dans le droit électoral français, les articles L. 52-1 et L. 52-8 du
Code Électoral définissent par exemple des interdictions strictes,
qui permettent d’éviter que des moyens de communication publics
soient mis à disposition des candidats sortants.
Le deuxième alinéa de l’article L. 52-1 stipule ainsi que, « ...à compter
du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel
il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne
de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une
collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités
intéressées par le scrutin ». La finalité de cet alinéa est précisément
d’empêcher que les sortants n’utilisent les outils de communication
institutionnelle de la collectivité au profit de leurs campagnes.
Toutefois, la notion de « promotion publicitaire » n’est pas aussi
claire qu’il y paraît, d’autant que le législateur n’a pas pris la peine
de la définir. La jurisprudence, ainsi que les débats et travaux
parlementaires autour de cette question, permettent heureusement
de disposer d’une indication précieuse, sur laquelle peuvent s’appuyer
aussi bien les candidats que les citoyens ou les juges électoraux :
on peut en effet parler de « promotion publicitaire » lorsqu’une
communication sort du cadre de la simple information pour mettre
en avant et valoriser l’équipe ou le candidat sortants. Ainsi, le Conseil
d’État, amené à statuer sur des recours portant sur cette question,
1. Cf. République française, Conseil constitutionnel, Décision du Conseil constitutionnel sur un recours de
M. Nicolas Sarkozy dirigé contre la décision du 19 décembre 2012 de la Commission nationale des
comptes de campagnes et des financements politiques (Décision n° 2013-156 PDR du 4 juillet 2013).
Cf. également Maligner, Bernard, « Quels sont les motifs du rejet du compte de campagne de Nicolas
Sarkozy ? »,
Actualité juridique. Droit administratif, 23 septembre 2013, n° 31, p. 1810-1815.
136
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 137
a considéré que des publications informatives sur l’évolution du
budget d’une commune
1, sur les réalisations et les perspectives
futures d’une commune
2, ou encore sur l’évolution de travaux
d’aménagement de certains quartiers
3, ne pouvaient être considérées
comme des formes de promotion publicitaire.
Lorsqu’il est saisi, le juge électoral peut également prendre en compte
l’écart de voix, afin de déterminer si une opération litigieuse pouvant
s’apparenter à de la promotion publicitaire est ou non susceptible
d’avoir affecté la sincérité du scrutin et l’égalité des chances entre
les candidats. Ainsi, une communication considérée comme de la
promotion publicitaire ne conduira pas à une annulation des résultats
si l’écart de voix est suffisamment significatif. En revanche, cette action
de communication sera réintégrée dans les comptes de campagne
du candidat ou de la liste. La jurisprudence du Conseil d’État français
révèle ainsi un cas emblématique, où l’équipe municipale sortante
d’un arrondissement de Paris avait fait réaliser et diffuser à 80000
exemplaires une publication de 32 pages vantant ses réalisations
durant son mandat, dont le coût a été réaffecté sur les comptes de
campagne de la liste
4.
Toutefois, l’élu sortant peut très bien, en vertu de la dérogation
instaurée par l’article 23-1 de la loi n°2001-2 du 3 janvier 2001,
communiquer sur son bilan s’il le souhaite. Mais cette communication
sera considérée comme relevant de la communication du candidat,
et, de fait, les dépenses afférentes entreront dans les comptes de
campagne de ce dernier.
L’article L 52-8 du Code électoral français porte quant à lui sur la
prohibition de dons de la part de personnes morales, ce qui est une
autre façon d’envisager l’usage abusif des moyens de communication
publics. La CNCCFP définit le don prohibé comme un financement
consenti par un tiers à titre gracieux, y compris sous forme d’un
1. Cf. CE 24 janv. 1994, M. Boisel c/ M. Genies, Él. cant. de Pointe-À-Pitre, req. no 138173.
2. Cf. CE, sect., 10 juill. 1996, Él. cant. de Chamonix-Mont-Blanc, req. no 162564.
3. Cf. CE 9 oct. 1996, Él. mun. de Cherbourg, req. nos 176783, 176795 et 176824.
4. Cf. CE, ass., 18 déc. 1996, Él. dans le 16e arrondissement des membres du Conseil de Paris et du Conseil
d’arrondissement, req. no 176283.
137
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 138
don en nature. C’est la raison pour laquelle une publication dans le
bulletin d’information d’une collectivité peut être considérée comme
un don prohibé. Là encore, toute la difficulté tient dans la façon
d’appréhender une opération de communication institutionnelle,
et de savoir si elle relève de la simple information des citoyens ou
cherche à valoriser le bilan, l’action ou la personne du candidat
sortant. Ainsi, lorsque la publication est diffusée avec une périodicité
régulière aux citoyens, lorsque son contenu, durant la période de 6
mois avant le scrutin, ne présente pas de différence significative par
rapport au contenu habituel, elle ne peut être considérée comme un
don prohibé, ni comme une opération de promotion publicitaire
1.
Cependant, la prudence semble de plus en plus caractériser l’action
des élus et des gouvernants. En France, par exemple, sur la base
de l’article L52-8 du Code électoral pour les élections générales ou
locales, et celle de la loi du 6 novembre 1962 pour l’élection
présidentielle, le Premier ministre rappelle fréquemment à ses
ministres, en période électorale, la nécessité de s’abstenir « de se
déplacer dans l’exercice de leurs fonctions à l’approche d’opérations
électorales »
2. Ainsi, si un ministre souhaite ou doit effectuer un
déplacement durant cette période, participer à un événement par
exemple ou visiter un site, il ne peut le faire qu’avec l’accord du
Premier Ministre et du Secrétariat Général du Gouvernement, qui
vont vérifier que ce déplacement ne peut avoir de répercussions sur
la campagne électorale et ne constitue donc pas un abus de ressources
administratives. Il s’agit en effet non seulement d’empêcher l’abus
de ressources administratives, mais surtout d’empêcher toute
interférence ministérielle dans la campagne. Ainsi, dans une circulaire
publiée à l’occasion de l’élection des conseillers à l’Assemblée de
Corse et d’élections sénatoriales partielles dans trois départements
français, Édouard Philippe a ordonné à ses ministres de « prendre
garde à ne pas intervenir dans la campagne électorale en votre qualité
de membre du gouvernement »3.
1. Cf. CE 15 mars 2002, Él. mun. de Valence-d’Agen, req. no 236247.
2. Cf Note N°5909/SG du 18 janvier 2017, par exemple ; ou Circulaire N°6063/SG du 19 février 2019.
3. Cf. Circulaire N°5977/SG du 30 octobre 2017.
138
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 139
Cette prudence illustre le pouvoir essentiel du droit, celui d’influer
sur les pratiques et les mentalités, de faire réfléchir les acteurs
politiques sur la portée de leurs actions, la légalité de leurs pratiques,
et l’importance du respect de l’égalité des chances entre les candidats
pour la sincérité du scrutin.
On le voit clairement, la définition d’un cadre juridique prenant en
compte la notion d’abus d’usage des moyens de communication
publics est plus que jamais nécessaire à la préservation de l’égalité
des chances entre les candidats. Si les législateurs ne réfléchissent
pas à la portée de ces abus et ne souhaitent pas les réprimer, jamais
un scrutin ne pourra être totalement sincère. C’est précisément ce
à quoi l’on assiste dans des régimes autocratiques qui disposent
pourtant d’un cadre satisfaisant sur le plan du droit électoral, cadre
qui respecte les standards internationaux et les bonnes pratiques en
matière électorale. Dans ces régimes, le pouvoir en place peut user
et abuser des moyens de communication publics afin de se maintenir
au pouvoir, ce qui lui confère un avantage majeur sur ses adversaires.
En introduisant dans le droit électoral la notion d’abus de ressources
administratives en général, et d’abus d’usage des moyens de
communication publics en particulier, les législateurs renforceront la
démocratie électorale, en permettant que les scrutins se déroulent
toujours dans le respect de l’égalité des chances entre les candidats.
Mais cela ne peut se faire que si le principe de dissociation entre
pouvoir politique et administration est fort, et respecté. Sans cette
dissociation, il ne peut y avoir ni d’État de droit, ni de démocratie
électorale fiables et efficaces.
139
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 140
CHAPITRE 5 :
L’USAGE DES RESSOURCES DE L’ETAT
DANS LA COMMUNICATION POLITIQUE
EN PÉRIODE ÉLECTORALE EN TUNISIE
Par Essia LABIDI
Présidente du Tribunal de première instance de Manouba Tunisie
Et
Ancienne membre du Conseil de la Haute Instance
De Communication Audiovisuelle en Tunisie
140
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 141
L’encadrement de la communication politique pendant les périodes
électorales est une question d’une importance majeure. Elle est en
rapport direct avec les garanties de la sincérité des élections dont
notamment le principe de l’égalité des chances et l’interdiction de
se servir et d’abuser des moyens et des ressources publiques. Cet
encadrement permet de mesurer le degré de l’engagement des
autorités dans la concrétisation de l’Etat de droit.
Garantir l’accès équitable aux médias pour les différents partis
politiques en compétition et interdire toute utilisation abusive des
supports de communications institutionnelles en faveur d’un candidat
ou d’un parti au pouvoir ou à l’encontre de ses concurrents aide à
instaurer un climat de confiance mutuelle entre les différentes parties
prenantes et à restaurer la crédibilité des responsables politiques, et
surtout à préserver la démocratie et consolider le pluralisme et la
diversité.
C’est dans un souci de prudence et dans le but d’instaurer un
climat de confiance, que l’ex-chef du gouvernement Mehdi
Jomaa, même avec son engagement et celui de son
gouvernement de ne pas se présenter aux élections législatives
et présidentielles de 2014, a promulgué
la circulaire
n°25 du 06 octobre 2014 dans laquelle il a appelé les
ministres de son gouvernement et les secrétaires d’Etat à
respecter le principe de la neutralité de l’administration.
Elle ajoute aussi que toute participation à un débat dans
les médias audiovisuels, les déclarations et les interviews
dans la presse écrite ou électronique sont soumises à son
accord préalable. Les hauts responsables des différentes
institutions et organismes sont soumis à la même obligation.
De nos jours, les moyens de communication utilisés par les candidats
pendant la campagne électorale sont variés du fait surtout de
l’évolution technologique et de l’apparition de nouveaux supports
auxquels l’accès est plus facile.
Toutefois, les médias traditionnels continuent à jouer un rôle très
141
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 142
important pendant les élections notamment les médias du service
public qui sont tenus à mettre en place les outils nécessaires pour
la concrétisation du principe de l’égalité des chances de manière à
permettre que l’accès aux médias se passe dans des conditions qui
favorisent la transparence et l’impartialité.
La déclaration sur les critères pour des élections libres et
régulières adoptée par le Conseil interparlementaire lors de sa
session du 26 mars 1994 considère que « tout candidat à une
élection et tout parti politique doit avoir la possibilité d’accéder
dans des conditions d’égalité aux médias en particulier aux
médias de communication de masse, pour faire connaitre leurs
vues politiques »
Toutefois,
l’usage des médias et des différents outils de
communication pendant la période électorale, en tant qu’outil de
propagande et de publicité politique surtout dans un contexte de
transition démocratique, mérite d’être suivi et réglementé avec
beaucoup de soin. En effet, il arrive que le parti au pouvoir abuse des
médias du service public ou des différents outils de communication
institutionnelle dans le but d’influencer les élections au profit d’un
candidat ou d’une liste candidate, ou de nuire à un concurrent dans
l’opposition ce qui altère nécessairement la sincérité du processus
électoral.
Est considéré comme abus de ressources administratives
selon la définition de la Commission de Venise « une pratique
illicite mais communément admise, consistant pour des
fonctionnaires, des candidats sortants et des partis au pouvoir
à mettre à profit leurs fonctions, ou leurs relations au sein
d’institutions gouvernementales pour influencer le résultat
d’une élection »
1
1. Cf. Rapport sur l’abus de ressources administratives pendant les processus électoraux adopté par
le Conseil des élections démocratiques lors de sa 46ème réunion (Venise, 5 décembre 2013) et par la
Commission de Venise lors de sa 97ème session plénière (Venise, 6-7 décembre 2013), page 5.
142
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 143
Dans le cadre de ce chapitre, nous allons essayer de mettre l’accent
sur les principes fondamentaux et les règles qui régissent la
communication politique. On va insister surtout sur l’importance de
mettre à la disposition des institutions concernées un cadre juridique
clair et précis contenant un certain nombre de garde-fous pour
prémunir le processus électoral de tout abus.
Nous considérons aussi qu’il est important d’évaluer les voies de
recours possibles qui permettent de mettre fin à l’impunité de ceux
qui n’hésitent pas à abuser des moyens de communication publics à
des fins de propagande.
La sincérité des élections suppose que les lois et les règlements en
vigueur doivent permettre aux candidats, aux listes candidates et
aux partis, pendant la période électorale, de communiquer avec les
électeurs pour présenter leurs programmes et leurs visions et les
solutions qu’ils proposent par rapport aux différents sujets qui ont
un rapport avec les défis et les difficultés auxquelles la société est
confrontée sur la base d’un certain nombre de droits et de principes
dont :
1. Le droit à la liberté d’expression.
2. Le droit d’accès aux médias.
3. L’égalité des chances.
4. La neutralité de l’administration.
5. La transparence du financement de la campagne.
Le législateur tunisien, s’inspirant des traités et des standards
internationaux, a opté après la révolution pour la consécration des
droits et des principes susvisés à travers la mise en place d’un cadre
juridique qui garantit le droit à la liberté d’expression et le droit
d’accès aux médias sur un pied d’égalité surtout dans les contextes
électoraux et interdit l’utilisation des biens publics de manière illégale
et abusive.
143
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 144
Ce cadre juridique régit l’utilisation des médias du service public et
les différents moyens de communication institutionnelle. Il consacre
également l’indépendance de l’instance chargée de l’organisation
des élections et des institutions avec lesquelles elle partage les
prérogatives de contrôle du respect des règles qui régissent la
communication politique pendant la campagne électorale. Il prévoit
aussi les prérogatives de sanction en cas d’infraction commise par
un parti, un candidat ou une liste candidate ou par un média ou un
journaliste.
144
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 145
SECTION 1 :
LES RÈGLES QUI RÉGISSENT LA COMMUNICATION
POLITIQUE EN PÉRIODE ÉLECTORALE
Les instances et les organes concernés par le contrôle de la
transparence et de la sincérité des élections se basent, dans
l’accomplissement de
juridique et
leur mission, sur
règlementaire régissant la communication politique pendant la
période électorale
le cadre
:
• La Constitution (l’art 31, 32).
• Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art 25
le droit à la participation politique).
• La Convention des Nations-Unies contre la corruption (art 7-17-
19 abus des fonctions).
• La loi organique n°16-2014 du 26 mai 2014 relative aux élections
et référendums.
• Le décret-loi n°11-2011 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de
la communication audiovisuelle et portant création d’une Haute
autorité indépendante de la communication audiovisuelle.
• Les décisions conjointes de L’ISIE et LA HAICA concernant les
règles et les procédures relatives à la couverture médiatique de
la campagne électorale dans les médias audiovisuels
1.
• La décision de L’ISIE n°8 du 20 février 2018 concernant les règles
et les procédures que les médias sont tenus de respecter pendant
la campagne électorale et la campagne du référendum.
2
• Les recommandations de la HAICA concernant la couverture
médiatique de la période préélectorale des élections législatives
et présidentielles 2019.
1. JORT n°14 du 16 février 2018 - 2/ JORT n°32 du 20 avril 2018 - 3/ JORT n° 68 du 23 aout 2019
2. JORT n 17 du 27 février 2018
145
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 146
• La décision de l’ISIE n°20-2014 du 8 août 2014 fixant les règles,
les procédures et les modalités de financement de la campagne
électorale.
Ce cadre juridique met un certain nombre de principes et d’obligations
que les différentes institutions concernées sont tenues de veiller à
leur respect abstraction faite du moyen de communication utilisé
par l’acteur politique en question : média traditionnel, média
électronique, bulletin d’une collectivité ou un site Web ou une page
Facebook d’un organisme public.
Art. 68 de la loi électorale dispose que « tous les principes
régissant la campagne sont applicables aux différents médias
électroniques et aux différents messages adressés au public
par voie électronique, visant à faire de la propagande électorale
ou référendaire. Ces principes sont également applicables aux
sites électroniques officiels des entreprises de communication
audiovisuelle, et ce, sous le contrôle de la Haute Autorité
Indépendante de la Communication Audiovisuelle ».
Le juge électoral et les instances de régulation, chacun selon son
domaine de compétence, ont aussi essayé de creuser dans ces
principes qui servent de base pour contrôler les agissements des
candidats et le comportement des médias. Ils tentent de mettre en
place un certain nombre de règles et de critères d’évaluation du
degré d’engagement des différentes parties prenantes dans le respect
des lois et des règlements en vigueur concernant la communication
politique en période électorale, notamment l’obligation de s’abstenir
de tout usage abusif des moyens et des ressources de l’Etat.
Ces règles et ces critères diffèrent selon la spécificité de l’outil de
communication utilisé par l’acteur politique.
146
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 147
SECTION 2 :
SPÉCIFICITÉS DES RÈGLES RÉGISSANT LA
COMMUNICATION POLITIQUE SELON LE MOYEN
DE COMMUNICATION UTILISÉ
1. Les médias audiovisuels publics
Comme tout bien de l’Etat qui a pour finalité de répondre à un besoin
d’intérêt général, l’utilisation des médias du service public doit se
faire en tenant compte des principes et des règles qui régissent
l’utilisation de ces biens.
Les médias du service public sont financés par des fonds publics et
sont donc assujettis à un certain nombre d’obligations. Les partis
et les candidats, notamment ceux qui sont au pouvoir, doivent
s’abstenir de profiter de manière abusive des biens mis à la
disposition de l’audiovisuel public.
Les médias audiovisuels publics restent, malgré les mutations du
paysage
médiatique, la source d’information la plus fiable pour
l’électeur. De ce fait, ils sont tenus à respecter les lois et les règles
qui régissent la couverture médiatique des élections et surtout
à remplir leur devoir d’informer le public avec neutralité et
impartialité.
Il en découle un certain nombre d’obligations que les médias
audiovisuels doivent respecter et qui permettent de sauvegarder
leur neutralité pour assurer une couverture impartiale et équilibrée
de la campagne électorale.
• Les médias audiovisuels publics sont tenus à couvrir les activités
de tous les candidats à pied d’égalité et à des conditions
équitables et équilibrées. Ils doivent respecter le principe de la
neutralité de l’administration et éviter qu’ils soient exploités par
les représentants des pouvoirs publics d’une manière directe
ou indirecte pour des fins de propagande surtout à l’occasion
d’évènements officiels, ou, même à l’occasion de fêtes nationales
ou religieuses.
147
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 148
• Il est interdit pendant la période électorale de diffuser tout
discours officiel ou intervention médiatique présentée par la
présidence de la république, le gouvernement, les députés, les
représentants des collectivités locales ou tout autre pouvoir
public qui comporte de la propagande directe ou indirecte au
profit d’un candidat ou d’une liste de candidats
1.
• Les médias du service public doivent, dans le but d’éviter tout
abus des ressources et des moyens de l’Etat, et dans le cadre du
respect du principe de l’égalité des chances, interdire l’apparition
des journalistes, des animateurs, des chroniqueurs et des
responsables qui se présentent en tant que candidats pour les
élections dans les programmes non dédiés à la couverture des
élections.
• Chaque parti et chaque candidat a le droit d’accéder aux médias
publics, d’exposer son programme aux électeurs et de se faire
connaitre par l’électorat.
• L’accès aux médias audiovisuels s’effectue pour
listes
candidates aux élections législatives, municipales ou régionales
sur la base du principe d’équité. Le temps d’antenne et le
temps de parole leur est affecté proportionnellement à leur
représentativité.
les
L’équité est définie dans le cadre de la décision conjointe du
14 février 2018 en tant que « critère sur la base duquel est
déterminé le temps dédié aux différentes listes candidats
aux médias audiovisuels proportionnellement à
leur
représentativité qui est évaluée à travers le nombre de listes
candidates sur le plan national ou régional.
• Les médias doivent s’abstenir d’entraver la campagne d’un
candidat ou d’une liste de candidats au profit d’un concurrent
institutionnel.
1. Art 28 de la décision conjointe ISIE/HAICA du 21 août 2019 + l’art 27 de la décision conjointe
ISIE/HAICA du 18 avril 2018
148
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 149
• Les médias doivent s’engager à ne pas confondre entre les
programmes d’information qui concernent la couverture de la
campagne et les programmes de divertissement. Car certains
médias peuvent contourner les règles qui régissent la couverture
médiatique en invitant certains candidats dans des programmes
de divertissement pour leur permettre de faire de la publicité
politique afin d’éviter que le temps de parole qui leur est
alloué soit comptabilisé par l’instance de régulation. En plus de
l’obligation de s’abstenir d’inviter les candidats dans les émissions
qui n’ont pas de rapport avec la couverture des élections, la
réglementation en vigueur est allée jusqu’à la comptabilisation
dans la couverture médiatique de la campagne chaque apparition
dans les médias dans laquelle un candidat s’est exprimé soit en
sa qualité de candidat soit par toute autre qualité, sauf s’il s’agit
d’un droit de réponse ou d’un rectificatif.
• Les médias doivent s’engager à garantir des conditions similaires
de production et de diffusion des programmes dédiés à la
couverture médiatique.
• Ils doivent permettre la rectification rapide des informations
fausses ou inexactes qui visent à discréditer les candidats de
l’opposition en faveur du parti au pouvoir. A cet égard, ils doivent
permettre le droit de réponse à tout candidat visé par une
information. Le droit de réponse et le rectificatif doivent être
diffusés dans les délais prévus par la loi et les règlements en
vigueur.
• Les médias du service public doivent éviter de faire bénéficier
le parti et les candidats au pouvoir d’un traitement de faveur
et leur faire de la propagande sous le prétexte de la diffusion
d’informations d’actualités (inaugurations de projets et autres).
• Les médias audiovisuels doivent accorder aux candidats du
temps d’antenne pour des émissions d’expression directe sur
la base du principe d’équité pour les élections législatives et du
principe
d’égalité pour les élections présidentielles.
• L’octroi du temps d’antenne aux candidats et l’ordre de leur
passage lors de la diffusion des émissions
d’expression directe
doit se faire sur la base de critères transparents et objectifs.
149
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 150
Les règles régissant le débat présidentiel et les émissions
d’expression directe
La HAICA et L’ISIE ont prévu, dans le cadre de la décision conjointe
du 21 août 2019, les règles régissant le débat présidentiel et les
émissions d’expression directe qui doivent être assurées par les
médias du service public selon l’article 33 de la décision.
Youssef Chahed Chef de gouvernement, Abdelkrim Zbidi
ministre de la défense étaient deux candidats institutionnels
aux élections présidentielles de 2019
Un certain nombre d’obligations ont été prévues afin de
préserver et garantir le respect du principe de l’égalité des
chances entre les différents candidats et permettre d’éviter
toute tentative de traitement de faveur pour les candidats
sortants.
L’article 39 de la décision prévoit que la production et la
diffusion des émissions d’expression directe doit se faire dans
des conditions identiques entre les différents candidats
• Pour concrétiser le principe de l’égalité des chances entre
les différents candidats, toutes les procédures régissant
l’organisation du débat doivent être soumises au tirage au
sort en présence d’un huissier notaire.
• Les journalistes chargés d’animer les émissions du débat
présidentiel doivent faire preuve de neutralité envers les
candidats dans la manière avec laquelle ils posent les
questions, dans l’expression du visage et du gestuel. Ils
sont tenus aussi, selon les termes de la décision, d’assurer
l’égalité entre les candidats et s’abstenir de nuire à
quiconque.
Une commission conjointe entre L’ISIE et la HAICA est tenue
de vérifier si le principe de l’égalité entre les candidats aux
élections présidentielles est respecté à travers la supervision
des opérations du tirage au sort et le déroulement des
émissions.
150
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 151
2. L’usage de la presse écrite
L’utilisation de la presse écrite a diminué de nos jours avec l’apparition
de nouveaux supports de diffusion de l’information. Elle est la moins
règlementée et n’est pas assujettie à l’autorisation préalable.
L’article 57 de la loi électorale stipule que « la publicité
politique est interdite dans tous les cas, durant la période
électorale. Il est loisible aux journaux partisans de faire de
la propagande durant la campagne électorale sous forme
d’annonces publicitaires, uniquement en faveur du parti
dont ils sont les porte-paroles et des candidats ou des listes
de candidats au nom du parti. Le candidat aux élections
présidentielles peut utiliser des moyens publicitaires, dont les
conditions sont fixées par l’Instance ».
L’Instance supérieure indépendante pour les élections a insisté, dans
sa décision n°8 du 20 février 2018 fixant les règles que les médias
doivent respecter pendant la période électorale à faire preuve de
neutralité et à garantir l’égalité des chances entre les candidats.
La presse écrite financée par les fonds publics est tenue de respecter
ses engagements vis-à-vis des électeurs et des différents acteurs
politiques ; et de couvrir les élections de manière équitable, équilibrée
et impartiale.
151
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 152
3. L’usage des médias publics électroniques
L’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la
communication a engendré une évolution de taille sur le déroulement
du processus électoral.
D’après les termes de l’article 67 de la loi électorale, l’ISIE fixe les
règles régissant la campagne dans les médias électroniques.
Article 68 de la loi électorale : « tous les principes régissant
la campagne sont applicables aux différents médias
électroniques et aux différents messages adressés au public
par voie électronique, visant à faire de la propagande électorale
ou référendaire. »
Ces principes sont également applicables aux sites électroniques
officiels des entreprises de communication audiovisuelle, et ce,
sous le contrôle de la Haute Autorité Indépendante de la
Communication Audiovisuelle.
Il faut distinguer entre les médias en ligne d’un radiodiffuseur public
ou privé et les médias exclusivement en ligne.
les nouvelles
Dans le cadre du renforcement du pluralisme et de la diversité, les
institutions concernées sont appelées à encourager les médias
du service public à faire pleinement usage des possibilités offertes
par
la
communication pour préserver leur place et leur continuité dans
le paysage médiatique. Ainsi, ils peuvent participer à maintenir un
certain équilibre afin de sauvegarder la sincérité des élections à
travers le respect du principe de l’égalité des chances entre les partis
et les candidats.
l’information et de
technologies de
152
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 153
4. L’abus de l’usage des médias privés par les hauts
responsables de l’État
L’article 67 prévoit dans son alinéa 4 que « l’Instance et la Haute
Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle,
fixent par décision conjointe, les règles et procédures de
la campagne concernant les médias audiovisuels ainsi que
les conditions relatives à la production de programmes,
de reportages et de rubriques relatives aux campagnes
électorales.
Les deux instances déterminent la durée des émissions et
programmes dédiés aux différents candidats, listes candidates
ou partis, ainsi que leur répartition et horaire à travers les
différents médias audiovisuels, en se basant sur le respect
des principes de pluralisme, d’équité et de transparence. »
Le cadre législatif tunisien assujettit les médias publics, médias privés
et médias associatifs aux mêmes obligations pendant la période
électorale (l’article 3 de la loi électorale), à l’exception des émissions
dédiées à l’expression directe des candidats et les débats présidentiels
dont l’exclusivité de production et de diffusion est octroyée aux
médias du service public.
Toutefois, peut-on dans le cadre de l’étude de l’abus des moyens et
des ressources de l’Etat en période électorale traiter la question
de l’abus d’usage des médias privés par les hauts responsables
institutionnels ?
Il arrive que le candidat en fonction essaye de détourner la loi et les
règles qui régissent la campagne électorale notamment en ce qui
concerne l’interdiction de l’utilisation des ressources et des moyens
de l’Etat à des fins de propagande du fait que son statut de candidat
institutionnel lui facilite la possibilité d’intimider un média privé
153
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 154
pour obtenir un privilège et un traitement de faveur par rapport à
ses concurrents, candidats de l’opposition.
Peut-on considérer que le fait d’utiliser, dans sa communication, des
informations et des données qu’il a eu la possibilité de se procurer
dans le cadre de l’accomplissement de sa fonction institutionnelle,
constitue une utilisation abusive des moyens de l’Etat et une atteinte
au principe de l’égalité des chances ? Car le candidat sortant peut
utiliser les données et les informations pour communiquer sur son
bilan dans le but d’influencer les électeurs surtout si nous tenons
compte de la définition avancée par la Commission de Venise
concernant la notion de ressources administratives :
Les ressources administratives ont été définies comme
étant des ressources humaines, financières, matérielles, en
nature et autres ressources immatérielles dont disposent
les candidats sortants et les fonctionnaires lors des élections
grâce au contrôle qu’ils exercent sur le personnel, les finances
et les affectations au sein du secteur public, à l’accès dont ils
jouissent aux équipements publics,
ainsi qu’au prestige ou
à la visibilité publique que leur confère leur statut d’élu ou
de fonctionnaire et qui peuvent être interprétés comme un
appui politique ou toute autre forme de soutien
.1
1. Rapport de la Commission de Venise sur l’utilisation abusive durant les processus électoraux
16 décembre 2013…voir p 26)
154
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 155
SECTION 3 :
AUTRES MOYENS DE COMMUNICATION
Il faut d’abord distinguer entre les sites et les pages conçues sur les
réseaux sociaux pour servir de support pour la campagne électorale
et qui doivent être communiqués à l’ISIE, et les sites et les pages
dédiés aux institutions (gouvernement, collectivités, ministères,
etc…) que la loi électorale interdit d’en abuser au profit des candidats
ou dans le but de nuire à leurs adversaires.
De nos jours, la diversification des outils de communication nécessite
la multiplication des efforts des
institutions
concernées pour répondre à un besoin impérieux d’encadrer la
communication institutionnelle et trouver les solutions adéquates
qui permettent de contourner certaines pratiques qui peuvent altérer
la sincérité des élections.
instances et des
C’est la raison pour laquelle, il a été considéré que tous les supports
de communication et d’informations utilisés pendant la période
électorale sont concernés par les lois, les règlements et les principes
qui encadrent la communication institutionnelle selon l’article 68
de la loi.
Toutefois, la question essentielle à laquelle il faut répondre est la
suivante :
Comment distinguer entre communication
institutionnelle et
communication du candidat, et, comment peut-on les dissocier ?
Pour répondre à cette question, le juge électoral français fonde ses
décisions sur un faisceau d’indices qui peut l’aider à détecter les
dépassements dans les cas où le statut institutionnel d’un candidat
sortant ou d’un parti au pouvoir lui procure la chance de profiter
des outils de communication dédiés à l’institution pour faire de la
publicité politique ou dans le but de nuire à l’image des candidats
de l’opposition.
155
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 156
Ce faisceau a comme référence quatre principes :
1. La neutralité : C’est un principe qui exige la vérification si
le contenu diffusé est strictement informatif et qu’il ne cite
d’aucune manière les élections.
2. L’antériorité : C’est un principe qui exige la vérification si la
diffusion du contenu a un caractère habituel ou non.
3. La régularité : C’est un principe qui exige la vérification de
la périodicité de la publication et s’il y a eu modification par
rapport à son format habituel ou son contenu.
4. L’identité : C’est un principe qui nécessite la vérification s’il y a eu
modification des aspects formels du support de communication
tel que l’aspect visuel, les couleurs, ou le type de police, etc…
Quelques exemples de supports de communications et
application des principes susmentionnés
Les bulletins d’information
De nos jours, les différentes institutions telles que les ministères ou
les collectivités utilisent ce support de communication pour diffuser
l’information aux citoyens.
En période électorale, l’institution concernée est tenue de s’abstenir
d’user de cet outil d’une manière directe ou indirecte pour faire de la
propagande au profit du candidat institutionnel sortant.
En application des principes déjà cités, la régularité et la périodicité
de son apparition ne doit pas changer, et la charte graphique ne doit
pas être modifiée. Il faut aussi être très attentif au contenu publié afin
de préserver sa neutralité et veiller au respect strict de son caractère
informatif.
156
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 157
Le Conseil d’Etat français a considéré dans sa décision
n°353979 du 16 juillet 2012 que la diffusion d’un bulletin
d’information largement distribué par la commune sans
périodicité habituelle et qui rappelle de façon détaillée les
travaux réalisés par la municipalité sur 10 ans constitue une
campagne de promotion politique.
Les moyens de communication numérique
Les moyens de communication numérique sont des moyens qui se
caractérisent par l’interactivité. Ils permettent plus de visibilité du fait
surtout qu’ils constituent un support approprié à la diffusion et au
partage d’informations d’où la nécessité d’un degré élevé de vigilance
et de contrôle, surtout que le cadre légal est peu restrictif.
numérique,
communication
« La
appelée
(communication digitale) est un champ des sciences de
l’information relatif à l’utilisation de l’ensemble des médias
numériques : le Web, les médias sociaux ou les terminaux
mobiles par exemple. Ces médias sont utilisés comme des
canaux de diffusion, de partage et création d’informations »
1
parfois
a. Les sites Internet
Le site internet d’une institution publique obéit aux mêmes règles et
aux mêmes principes :
neutralité, antériorité, régularité et identité.
L’institution concernée est tenue de s’abstenir de l’utiliser pour
diffuser un contenu qui a un rapport avec les élections pour faire
de la publicité politique pour les candidats institutionnels sortants.
Il est primordial de veiller à ce que le principe de neutralité des
1. Source : Wikipedia.
157
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 158
moyens de l’Etat soit respecté et ne pas confondre entre
communication institutionnelle et communication politique.
Cas d’espèce : le Conseil d’Etat français a considéré, dans sa
décision n°356271 du 04 octobre 2012, que le fait d’héberger,
quelques semaines avant les élections, des articles favorables
à un candidat tout en critiquant son adversaire, a contribué
à la campagne électorale de l’intéressé et que les dépenses
afférentes à ce site auraient dû être retracées dans le compte
du candidat concerné.
b. Le site personnel d’un candidat en fonction
La loi électorale n’interdit pas que les candidats disposent d’un
site personnel. Toutefois, les candidats en fonction doivent faire
preuve de beaucoup de vigilance pour ne pas user des informations
institutionnelles dont ils disposent pour faire de la publicité politique.
Ils doivent éviter de diffuser des contenus semblables à ceux diffusés
sur le site de l’institution au sein de laquelle ils exercent leurs
fonctions. Ils doivent également s’abstenir de faire un renvoi d’un
site à l’autre afin de ne pas abuser des moyens de communication de
l’Etat et d’éviter toute confusion dans l’esprit de l’électeur.
c. Les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter)
Les différentes institutions de l’Etat peuvent avoir recours aux réseaux
sociaux en tant qu’outil de communication à condition de respecter
les mêmes obligations et les mêmes restrictions, et que les candidats
en fonction s’abstiennent d’en abuser.
Les réseaux sociaux offrent plus d’opportunités de communication en
période électorale mais la pratique a montré que leur utilisation est
une source de risque de dérapage.
158
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 159
La jurisprudence du juge électoral Français a démontré que les
critères d’appréciation de l’ampleur de la diffusion d’une publication
sur un réseau social et du degré de son influence sur les résultats du
scrutin se fonde essentiellement sur :
• Le nombre d’amis, de fans, de followers.
• Le nombre de vues de la publication.
• Son statut public ou privé.
• Le potentiel « partage » de ladite publication par un autre
membre du réseau social.
• La date et l’heure à laquelle elle a été diffusée
Le requérant soutient que l’appel du maire de Fillinges, le 14
juin 2017, sur la page Facebook de la mairie, à voter en faveur
du candidat élu constitue une manœuvre de nature à avoir
influencé le vote. Il résulte des pièces versées au dossier que,
pour regrettable qu’elle soit, cette diffusion de l’appel à voter
en faveur du candidat élu n’a pas revêtu un caractère massif
et que, eu égard à l’écart des voix constaté, elle n’a pu altérer
la sincérité du scrutin. Dès lors, le grief doit être écarté »1
1. Cons. constit, AN 3ème circ. Haute savoie, n 2017-5066
Municipales 2020 : la campagne électorale et l’utilisation d’internet –par Valérie Farrugia, avocat
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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CHAPITRE 6 :
MÉTHODES D’ÉVALUATION COMPTABLE
D’ABUS DES RESSOURCES PUBLIQUES EN
PÉRIODE ÉLECTORALE
par M. Sofien BEN ABID
Expert-comptable Tunisie
M. Walid AMMOUS
Expert-comptable Tunisie
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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INTRODUCTION
Malgré le changement qu’a connu la Tunisie en matière de pratiques
l’expérience des échéances électorales vécues
démocratiques,
depuis 2011 a montré clairement que des générations de candidats
et de hauts fonctionnaires publics considèrent encore la pratique
de l’utilisation des ressources de l’Etat et des avantages des postes
officiels publics, qu’ils occupent, à des fins électorales comme
normale et inhérente à tout processus électoral.
Néanmoins, en réalité, ces utilisations des ressources de l’Etat
constituent un abus et peuvent compromettre l’intégrité d’une
élection, créer un terrain de jeu inéquitable (ou nuire à la compétitivité)
et réduire la confiance du public dans la légitimité du processus et de
ses résultats.
C’est pourquoi, il est indispensable de s’engager dans les activités
de prévention contre cet abus et d’apporter le soutien aux autorités
compétentes quant aux critères de qualification de ladite pratique
et à l’évaluation de son impact financier, pour la prise en compte
de ces apports dans la détermination des plafonds des dépenses de
campagne, et c’est dans ce cadre que s’insère le présent ouvrage.
Mais au préalable il conviendrait de fournir une liste des critères
destinés en particulier à qualifier l’utilisation des ressources publiques
comme étant abusive et à la considérer, par la suite, comme une
infraction.
En effet, les éléments généraux constitutifs de l’infraction de
l’utilisation abusive des ressources publiques
impliquent :
• L’utilisation de fonds, d’équipements, de matériel, de services ou
de fournitures publics ;
• Par les personnes qui y ont officiellement accès ;
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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• Ces ressources ne sont pas accessibles dans les mêmes conditions
pour d’autres personnes sur la base d’un accès libre et équitable ;
• Ces ressources sont utilisées aux fins de la campagne, ou pour
fournir soutien et assistance à une campagne.
En se basant sur les infractions constatées durant les échéances
électorales passées, nous allons essayer d’élaborer une
nomenclature indicative énumérant des cas pratiques d’abus de
ressources publiques en période électorale.
Nous allons essayer également de proposer des éléments permettant
aux organes de contrôle du financement des campagnes électorales
d’évaluer l’impact financier de ces abus sur les ressources et les
dépenses électorales d’une liste ou d’un candidat, ou, en cas
d’impossibilité d’une évaluation financière, d’évaluer l’impact de ces
infractions sur les résultats des élections.
Ce chapitre est divisé en deux parties portant sur les thèmes suivants :
• La nomenclature des ressources pouvant faire l’objet d’une
évaluation financière et les règles de leur évaluation ;
• La nomenclature des ressources ne pouvant pas faire l’objet d’une
évaluation financière et les règles de leur prise en considération.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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SECTION 1 :
NOMENCLATURE DES RESSOURCES POUVANT FAIRE
L’OBJET D’UNE ÉVALUATION FINANCIÈRE
ET RÈGLES D’ÉVALUATION
La pratique d’utilisation abusive des ressources de l’Etat, en matière
électorale, peut prendre des formes diverses. La période la plus
sujette au risque d’abus de ressources publiques est la période de
campagne électorale notamment en cas de confusion des rôles entre
l’État et le parti politique ou au cas où les fonctions de campagne
et les fonctions officielles ne sont pas dissociées. Dans ces cas, le
candidat ou le parti politique :
• Peut utiliser les ressources humaines (fonctionnaires, agents
publics) et/ ou les ressources financières et matérielles (voitures
officielles, locaux publics, outils de télécommunication) aux fins
de la campagne.
• Il peut aussi exercer des pressions sur les agents du secteur
public et les fonctionnaires. Il peut s’agir aussi de l’importance
disproportionnée accordée à un candidat bien particulier
(notamment dans les médias publics et les organismes publics
de radiodiffusion), etc.
Dans cette partie, nous allons essayer de dresser une nomenclature
indicative des cas pratiques d’abus de ressources publiques en
période électorale inspirée des cas d’abus réels signalés aux autorités
de contrôle et qui illustre, en quelque sorte, la diversité des formes
que peut prendre ce phénomène.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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1. Nomenclature des ressources pouvant faire l’objet
d’une évaluation financière
1.1. Actifs immobiliers
Il s’agit de l’exploitation des espaces appartenant au domaine public
à des fins de campagne électorale. On peut citer :
• Exploitation d’espaces d’affichage appartenant au domaine
public, en dehors des espaces et selon les procédures prévues
par la loi.
• Exploitation d’espaces publics (bureaux, salles de réunion, salles
de fêtes, écoles publiques, centres sportifs) pour l’organisation
de manifestations électorales, sans que ces espaces ne soient
disponibles aux autres candidats, et en dehors des procédures
prévues par l’organisme de gestion électorale.
1.2. Actifs mobiliers et autres
• Cette catégorie concerne l’abus des actifs corporels autres que
les immobilisations : Exploitation de matériels ou mobiliers
appartenant au domaine public dans les campagnes électorales :
utilisation de matériel sono ou d’éclairage, utilisation de matériel
informatique…
• Utilisation des
véhicules
l’administration à des fins de campagne ;
automobiles
appartenant
à
• Consommation de fournitures de bureau, utilisation du courant
électrique, des lignes téléphoniques ou d’internet propriété
du domaine public dans les diverses formes de propagande
électorale.
1.3. Actifs financiers
C’est l’exploitation des moyens financiers de l’Etat dans les diverses
formes d’activités de la campagne électorale, que ce soit par des
engagements ou des paiements supportés par la caisse de l’Etat ou
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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des entités publiques :
• Utilisation des fonds publics pour soudoyer des électeurs :
proposition de l’argent, de la nourriture ou des cadeaux en
échange de vote.
• Subvention d’entreprises, d’ONG locales ou des médias, sur les
fonds publics, en échange de leur soutien lors des élections.
• Financement sur le budget public de projets spécifiques en vue
d’obtenir le soutien d’électeurs de la collectivité concernée.
1.4. Ressources de communication
Est considéré comme abus d’usage des ressources publiques de
communication :
• Utilisation de médias publics à des fins de campagne, sans que ce
moyen de communication soit disponible aux autres candidats,
dans les mêmes conditions ;
• Des médias publics accordent une couverture plus vaste ou
plus favorable à un candidat par rapport aux autres candidats,
et diffusent des informations partiales et préjudiciables à leurs
opposants.
1.5. Ressources humaines
Il s’agit de l’exploitation des agents publics dans les diverses formes et
étapes de la propagande électorale. On peut citer :
• Conception, impression et distribution des affiches et dépliants
électorales par des agents publics.
• Conception et administration des pages Web électorales par des
agents publics.
• Transport du personnel ou du matériel pour les campagnes
électorales.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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• Propositions de services gratuits par des pouvoirs locaux dans les
mois ou semaines avant les élections.
• Participation à des activités de campagne par des fonctionnaires
ou agents publics sur leur temps de travail ou usage de leur
fonction pour s’assurer des voix. Par exemple, la contribution des
membres du cabinet d’un ministre à l’élaboration de stratégies
de campagne.
2. Règles d’évaluation des ressources pouvant faire l’objet
d’une évaluation financière
En dehors des cas où il est inadapté de parler de valorisation
financière, les actifs publics qui ont fait l’objet d’un abus de la part
d’un candidat ou d’un parti doivent être évalués à
la juste valeur
des éléments apportés, et à défaut, à
leur valeur de réalisation.
La juste valeur est le prix qui serait reçu pour la vente d’un actif ou
payé pour le transfert d’un passif lors d’une transaction normale entre
des intervenants du marché à la date d’évaluation.
La juste valeur peut être approchée par la notion de valeur de
marché qui est le prix d’échange d’un bien sur un marché actif.
A défaut d’une valeur de marché, nous pouvons approcher la juste
valeur par la méthode du coût de
remplacement, qui consiste à
considérer que la valeur d’un actif est égale à l’ensemble des coûts
qui seraient engendrés par son remplacement par un actif similaire
ou par sa reconstitution à l’identique.
Par ailleurs, la période durant laquelle l’abus des ressources
publiques est décompté
, est celle qui permet de considérer ledit
abus comme une dépense électorale, soit les dépenses en espèces ou
en nature consommées durant la campagne électorale, avec comme
objectif de gagner la confiance de l’électeur et d’obtenir sa voix.
Ainsi, la valorisation des abus nous amène à ne pas considérer que
la valeur de la consommation des biens qui sont définis comme des
immobilisations, cela équivaudrait à considérer la valeur d’utilisation
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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durant la période de la campagne électorale.
Enfin, pour les biens et services appartenant au domaine public, et
qui n’ont pas été acquis ou consommés à titre gratuit mais plutôt à
des conditions avantageuses pour la liste ou le candidat, la valeur de
l’abus sera celle de la différence entre la juste valeur du bien ou du
service d’un côté, et du prix d’acquisition appliqué de l’autre côté.
2.1. Evaluation des actifs immobiliers
L’utilisation des ressources immobilières publiques est évaluée à la
valeur de marché qui correspond, dans ce cas, aux frais de location
d’un local similaire (notamment en termes de superficie, de nombre
de pièces, d’ancienneté…), dans le même emplacement ou région.
Exemple : La tête de liste du parti X, occupant le poste de directeur
au sein du ministère « Y », a mis à la disposition de son parti l’espace
culturel « Z », appartenant à l’Etat, à l’occasion de la manifestation
qui a été organisée le 18/01/N. En effectuant ses contrôles, la Cour
des comptes s’est rendue compte que le local, appartenant à l’Etat,
a été mis à la disposition du parti X à titre gratuit et a considéré, par
la suite, cette pratique comme une utilisation abusive des ressources
de l’Etat. Cette utilisation doit être évaluée à sa valeur de marché qui
correspond au prix de location habituel du même espace à d’autres
personnes dans d’autres événements similaires. Dans le cas d’espèce,
l’espace en question est loué d’habitude à un prix de 3 000 DT par
évènement. Par conséquent, ce montant doit être pris en compte
dans le calcul du plafond des dépenses de la campagne pour le parti
en question.
2.2. Evaluation des actifs mobiliers et autres
• Exploitation de matériels ou mobiliers appartenant au domaine
public :
L’utilisation des ressources mobilières publiques sont évaluées à
la valeur de marché qui correspond, dans ce cas, au prorata de la
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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dotation aux amortissements de l’année.
Exemple 1 : Supposant qu’un fonctionnaire de l’Etat, militant au
parti X, a apporté l’imprimante de son bureau, au sein du ministère
Y, le (05/01/N) au local dédié à la campagne électorale de son parti.
Ladite imprimante a été utilisée du 05/01/N jusqu’au 21/01/N soit
la date de fin de la campagne. La Cour des comptes a considéré
cette pratique comme utilisation abusive des ressources publiques
et a décidé d’évaluer l’utilisation de ce bien et de la prendre en
considération pour le calcul du plafond des dépenses de la campagne.
L’imprimante a été achetée depuis une année à peu près. Pour évaluer
cette utilisation abusive, il va falloir estimer le prix de l’imprimante et
calculer la dotation aux amortissements pour la période d’utilisation.
En introduisant les caractéristiques de l’imprimante ainsi que son
ancienneté sur le site web X dans lequel se vendent des objets
d’occasion de toute nature, on constate que le prix approximatif
d’une imprimante ayant des caractéristiques similaires est de 450 Dt.
Tout en sachant que la durée de vie restante de cette imprimante
est de 2 ans soit (3 ans - 1 année), la dotation annuelle par année
sera 225 DT (450/2). L’imprimante a été utilisée du 05/01/N jusqu’à
21/01/N soit 17 jours (21-05+1).
Donc le prorata d’amortissement qui correspond à la valeur de
l’utilisation est de 225*(17 Jours) /360 soit un montant de 10.625
DT, lequel doit être pris en compte dans le calcul du plafond des
dépenses de la campagne pour le parti en question.
Exemple 2 : A l’occasion de la manifestation organisée au cours de la
période de campagne, la liste X, dont un des membres est un directeur
dans une entreprise publique de transport, a loué 2 bus auprès de
ladite entreprise à un prix largement inférieur au tarif appliqué au
public.
En procédant à son contrôle, la Cour des comptes a considéré cette
pratique comme utilisation abusive des ressources publiques et a
décidé d’évaluer le coût de location au tarif appliqué au public et
non pas au coût supporté par la liste. Ainsi, le différentiel de prix
est pris en compte pour le calcul du plafond des dépenses de la
campagne.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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• L’utilisation de véhicules automobiles de l’Etat :
Celle-ci est évaluée en se référant au prix de location d’une voiture
ayant les même caractéristiques (Marque, Modèle, nombre de CV,
âge …), dans la même période de l’année et dans un emplacement
similaire.
Exemple : A l’occasion de la manifestation organisée par le Parti
X un Samedi au cours de la période de campagne, trois militants,
occupant chacun le poste de chauffeur dans une entreprise publique
Y, ont utilisé leurs trois véhicules (Bus), appartenant à l’entreprise de
rattachement, au cours de la journée de manifestation. En procédant
à son contrôle, la Cour des comptes a considéré cette pratique comme
utilisation abusive des ressources publiques et a décidé d’évaluer
l’utilisation des trois véhicules et de la prendre en considération
pour le calcul du plafond des dépenses de la campagne. L’utilisation
desdits véhicules doit être évaluée à la valeur de la location des
véhicules ayant les mêmes caractéristiques et dans la même période.
Tout en sachant que le prix de location pratiqué durant cette période
de l’année pour des véhicules similaires est en moyenne 70 DT par
jour, cette utilisation est évaluée à 210DT [70*3], laquelle somme doit
être prise en compte dans le calcul du plafond des dépenses de la
campagne pour le parti en question.
• L’utilisation des ressources publiques à caractère de charge
Celle-ci est évaluée au prix de marché du bien ou du service utilisé.
Exemple : La tête de liste appartenant au parti X, occupant le poste de
directeur au sein du ministère Y, a décidé de prendre en charge tous
les achats de fournitures de bureau de la campagne. Il a effectué une
commande, au nom du ministère, contenant des stylos, des boites
d’archives, des blocs notes, des marqueurs, des tableaux d’affichage…
qui totalisent un montant de 300 DT. Procédant à son contrôle, la
Cour des comptes a découvert cette pratique, l’a considérée comme
utilisation abusive des ressources publiques et a décidé de prendre
en compte cet achat, soit un montant de 300 DT, dans le calcul du
plafond des dépenses de la campagne.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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2.3. Evaluation des actifs financiers
L’utilisation des ressources publiques à caractère financier est
évaluée aux fonds avancés, à la subvention octroyée ou au montant
du financement du projet donné en contrepartie du soutien lors des
élections
Exemple : La tête de liste du parti X, occupant le poste de directeur
dans une entreprise publique d’industrie agro alimentaire Y, a décidé
de promouvoir la position de son parti dans la région Z, considérée
comme pauvre et défavorisée. Il a décidé d’offrir une marchandise
(pâtes) totalisant un montant de 2 000 DT (don) aux habitants de
ladite zone. Dans son discours prononcé en distribuant les produits
alimentaires, il a promis aux habitants d’accorder une attention
particulière à leur zone pour réduire la pauvreté et de créer des
postes de travail pour réduire le taux de chômage. Il a demandé, en
contrepartie, aux habitants de voter pour son parti afin de pouvoir
concrétiser ses promesses. En procédant à son contrôle, la Cour des
comptes a découvert cette pratique, l’a considéré comme utilisation
abusive des ressources publiques et a décidé de prendre en compte
ce don, soit un montant de 2 000 DT, dans le calcul du plafond des
dépenses de la campagne.
2.4. Evaluation des ressources de communication
L’utilisation des ressources médiatiques publiques est évaluée par
référence au coût de passage d’un spot publicitaire dans le même
horaire et pour la même période.
Exemple : Une tête de liste du parti X a été invitée par la chaine
de télévision Y, appartenant à l’Etat, trois fois durant la période de
campagne électorale et ce dans le programme dédié aux élections
qui passe chaque jour de 20h30 à 21h15. Ledit programme est animé
par un militant du parti X.
Tout en sachant que les deux instances (ISIE et HAICA) ont exigé des
médias le respect de la pluralité, de l’équité et de la transparence
dans le traitement médiatique avec les différents candidats ou listes
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 171
candidates que ce soit en termes de répartition ou d’horaire de
passage, la Cour des comptes a découvert lors de son contrôle que
le parti X a bénéficié de 20 minutes supplémentaires de passage
dans la chaine X par rapport aux autres candidats.
Outre, la pénalité qui pourrait être infligée à la chaine en question
par la HAICA, la Cour des comptes a considéré ces 20 minutes comme
utilisation abusive de ressources publiques et a décidé d’inclure
leur coût dans le plafond global des dépenses. Tout en sachant que
les 30 secondes de publicité dans la chaine de télévision Y coûtent,
dans cette plage horaire (de 20h30 à 21h15) qui est considérée
comme prime time, 2500 DT, les dépenses à prendre en compte dans
le plafond des dépenses de campagne s’élève à 2500*[(20*60) /30]
=100 000 DT.
2.5. Evaluation des Ressources Humaines
L’utilisation des agents publics dans la propagande électorale est
considérée comme une utilisation abusive de ressources publiques
et est évaluée selon une clef de répartition qui correspond à la part
consacrée par l’agent public à la campagne électorale
Exemple : La tête de liste du parti X, occupant un poste de directeur
dans le ministère Y, a affecté deux agents publics pour aider son
parti à l’organisation de la campagne électorale (impression des
brochures, distribution des affiches …) et ce vu que ces 2 agents n’ont
pas beaucoup de charges pendant cette période d’été (mois d’août)
au sein du ministère. La Cour des comptes a détecté l’infraction en
faisant ses investigations et ses recoupements et a considéré cette
pratique comme un abus d’utilisation des ressources de l’Etat par
la tête de liste. Cet abus doit être évalué au prorata de la charge
de personnel relative à ces deux salariés dans leur structure
d’attachement (Ministère Y). Le total charge de personnel par mois
de ces deux salariés, au sein du ministère, s’élève à 1 800 DT. La partie
de la charge à prendre en compte dans le plafond des dépenses
électorale est 1 260 DT [1 800* (21/30].
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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SECTION 2 :
NOMENCLATURE DES RESSOURCES NE POUVANT PAS
FAIRE L’OBJET D’UNE ÉVALUATION FINANCIÈRE ET
RÈGLES DE PRISE EN CONSIDÉRATION
1. Nomenclature des ressources ne pouvant pas faire
l’objet d’une évaluation financière
Certaines ressources publiques ne se prêtent pas à une évaluation
financière : c’est le cas notamment des actifs symboliques liés à
l’abus du poste public, c’est le cas également de l’utilisation des
prérogatives de puissance publique
1.1. Actifs Symboliques : Abus du poste public
Cette catégorie est la plus difficile à cerner. Elle rentre dans ce qui
semble être incorporel et symbolique. C’est l’abus de la fonction
publique pour bénéficier d’avantages non accessibles aux concurrents
politiques, tels que :
• L’amalgame entre activités officielles et organisation de
campagnes électorales, y compris le cas de déplacements
financés par l’État ou l’utilisation des locaux publics aux fins de
campagne ;
• L’utilisation abusive d’autres avantages du poste, telles que
les voitures de fonction ou la protection sécuritaire, à des fins
politiques. Cette catégorie rejoint la notion d’utilisation abusive
des ressources administratives, abordée séparément ci-dessous,
mais est de nature plus générale ;
• Des candidats lancent des projets d’infrastructures (voirie,
trottoirs, plantation d’arbres ou création d’espaces verts) qui
n’avaient pas été jugés prioritaires précédemment, ou aussi,
le cas de clôture de projets d’infrastructure totalement ou
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 173
partiellement ou même avant les délais, en vue d’obtenir le
soutien d’électeurs de la collectivité concernée.
• Les déplacements similaires à ceux d’une campagne électorale
dans la région où une élection est organisée, en montrant un
intérêt « officiel » plus élevé que d’habitude et/ou en mettant en
service de nouveaux équipements publics au profit des électeurs
de ces secteurs ; et/ou
• La réalisation d’activités officielles, notamment en accordant
ou en refusant des autorisations ou des demandes, de manière
déséquilibrée et politiquement partiale.
• La participation à l’inauguration ou l’ouverture officielle de
projets d’infrastructures en présence de responsables publics
afin d’accroître le prestige en cours de campagne.
• L’incitation des fonctionnaires ou agents publics à voter
pour certains candidats ou à participer à des meetings ou
des activités de campagne, souvent par des menaces de
licenciement ou la promesse de perspectives de carrière.
• La promotion de certains agents publics peu avant le jour
du scrutin, bien que cette décision aurait pu être prise
précédemment, et ce dans un but d’appui électoral.
• L’appel de certains enseignants à leurs élèves ou étudiants
à voter, ou inciter leurs parents à voter pour un candidat au
détriment d’un autre.
1.2. Ressources juridiques : Prérogatives de puissance
publique
Cette catégorie se différencie de la précédente par le fait qu’elle
concerne aussi bien le candidat que la majorité au pouvoir, et
s’intéresse plutôt aux abus d’utilisation du pouvoir législatif et du
pouvoir
juridictionnel :
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 174
• Des élus adoptent des décisions de dernière minute modifiant la
législation électorale à leur avantage ou au désavantage de leurs
opposants. Cela consiste notamment à modifier la délimitation
des circonscriptions électorales, à modifier
les règles du
financement électoral, de réduire les centres de vote dans
certaines circonscriptions par des alibis sécuritaires par exemple,
ou de réduire les horaires de vote pour les mêmes alibis…
• Des candidats incitent à l’ouverture d’enquêtes contre leurs
opposants politiques sur des motifs douteux. Les enquêtes
impliquent la participation de juges, de procureurs et des forces
de l’ordre.
1.3. Autres actifs incorporels
Il peut s’agir, par exemple, de l’utilisation des bases de données
appartenant à des organismes publics contenant des informations
personnelles de citoyens.
2. Règles de prise en considération des ressources ne
pouvant pas faire l’objet d’une évaluation financière
Pour cette raison, nous pouvons aller directement à l’étude d’impact
de ces dépassements sur les résultats du scrutin sans passer par
l’étude de l’impact financier sur le compte de campagne.
L’impact sur les résultats peut être approché en prenant en
considération
les critères suivants :
- La réglementation : certaines pratiques sont plus lourdement
sanctionnées par la loi que d’autres, ce qui présage une lourdeur
équivalente en impact électoral.
- L’ampleur : certains cas portent sur des ressources d’une ampleur
limitée ; d’autres concernent des ressources, en personnel ou en
équipements…, d’un montant ou d’une ampleur importante ;
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 175
- La fréquence : certains cas constituent des incidents isolés
d’utilisation abusive de ressources administratives ; d’autres peuvent
être considérés comme une pratique continue ou comme un problème
systémique ;
- Les conséquences : certaines pratiques ont des conséquences
limitées pour la concurrence électorale et la confiance globale des
électeurs vis-à-vis des élections ; d’autres nuisent gravement au
processus électoral, comme l’achat de voix ou l’exercice de pressions
sur des électeurs ou des fonctionnaires ou l’exercice d’activités de
campagne durant les jours de silence électoral et/ou autour des
centres de vote.
175
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 176
ANNEXE
Classement de l’utilisation abusive des ressources de l’Etat parmi des
dépenses électorales
Dépenses de la campagne
électorale
Exemples d’utilisation abusive des
ressources de l’Etat
CH1 : Dépenses liées aux
locaux (location, eau,
électricité…)
CH2 : charges salariales /
bourses…
CH3 : Dépenses liées
aux transports (location
de voitures / bons de
carburant)
• Exploitation d’espaces d’affichage
appartenant au domaine public
• Exploitation d’espaces publics : bureaux,
salles de réunion, salles de fêtes, écoles
publiques, centres sportifs gratuitement
ou à des tarifs avantageux.
• Utilisation des agents publics pour des
prestations liées à la campagne sur
leur temps de travail ou usage de leur
fonction : agent de saisie, coursier, agent
d’appel ou de sondage…
• Propositions de services gratuits par
des pouvoirs locaux dans les mois ou
semaines avant les élections.
• Désignation de membres du cabinet
d’un ministre ou ses conseillers pour
l’élaboration des stratégies.
• Utilisation des véhicules automobiles
appartenant à l’administration à des fins
de campagne.
• Utilisation des bus des entreprises
publiques à titre gratuits ou à des prix
avantageux.
• Transport du personnel ou du matériel
pour les campagnes électorales.
• Distribution des bons de carburant à
titre exceptionnel pour des besoins de
campagne.
176
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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CH4 : dépenses
d’impression et de
publications
• Conception, impression et distribution
des affiches et dépliants électorales par
des agents publics.
• Utilisations des moyens de
l’administration publique (imprimante,
photocopieur, scanners…) pour des
besoins de campagne.
• Faire de la pression sur des fournisseurs
de l’administration publique pour
l’obtention de tarifs avantageux
qui seraient compensés par des
surfacturations de l’administration
publique.
CH5 : Dépenses de
réception (manifestations,
réception)
• L’utilisation de matériels de sonorisation
ou d’éclairage, utilisation de matériels
informatique… ;
CH6 : Dépenses
publicitaires (productions
audio-visuelle…)
CH7 : achats consommés
• Contacter des fournisseurs de
restauration ou des traiteurs déjà
fournisseurs de l’administration publique
pour l’octroi de conditions avantageuses
qui seront imputées sur les prestations
avec l’administration.
• Utilisation de médias publics à des fins
de campagne, sans que ce moyen de
communication soit disponible aux autres
candidats, dans les mêmes conditions ;
• Des médias publics accordent une
couverture plus favorable à un candidat
par rapport aux autres candidats.
• Consommation de fourniture de bureau,
utilisation du courant électrique, des
lignes téléphoniques ou d’internet
propriété du domaine public dans
les diverses formes de propagandes
électorales.
177
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 178
Dépenses de la campagne
électorale
Exemples d’utilisation abusive des
ressources de l’état
CH8 : Location et
consommation de
matériaux
CH 9: Frais de
télécommunication
(téléphone, poste et
internet)
• Utilisations des moyens pour des besoins
de campagnes.
• Utilisation du téléphone de
l’administration publique pur faire des
appels liés à la campagne.
178
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 179
CHAPITRE 7 :
LE CONTRÔLE EXERCÉ PAR LA COUR DES
COMPTES SUR LES ABUS D’USAGE DES
RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES
ÉLECTIONS
Par Mourad BEN GASSOUMA
Procureur de l’Etat
près la Cour des comptes
179
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 180
Même s’ils sont jugés comme étant récurrents et manifestes, les
cas abus d’usage des ressources publiques dans le financement des
campagnes électorales font toujours l’objet de controverses quant
à leur véritable matérialité et les suites qui leur sont réservées par
les parties prenantes au processus du contrôle du financement des
campagnes électorales dont, entre autres, la Cour des comptes.
Ceci est d’autant plus évident que des rapports de sources différentes
et convergentes citent des cas d’abus d’usage des ressources
publiques. Ces cas sont présentés comme
irréfutables car
matériellement prouvés et établis par des agents publics
assermentés. En revanche, plusieurs questionnements demeurent
et ne semblent pas faire l’objet d’une large acceptation par les
parties prenantes au processus électoral.
interdit, dans
l’administration et
Il faut avouer que ces questionnements coulent de source de la
simple lecture de l’article 53 de la loi électorale.
1 Cet article dispose
qu’Il est
les entreprises et
établissements publics de distribuer des documents, de diffuser
des slogans ou des discours liés à la propagande électorale ou
référendaire, quelle que soit sa forme ou sa nature, et ce, par le
chef de l’administration, le personnel y exerçant, les préposés de
l’administration ou le personnel s’y trouvant. Cette interdiction
s’applique aux entreprises privées ne recevant pas du public.
Le même article dispose également qu’Il est interdit d’utiliser les
ressources et moyens publics au profit d’une liste de candidats, d’un
candidat ou d’un parti.
Les violations aux dispositions dudit article se traduisent par des
sanctions pénales. L’Article 159 de la Loi électorale dispose que
« toute violation aux dispositions du dernier alinéa de l’article 53
ainsi que de l’article 56 de la présente loi est passible d’une peine
d’emprisonnement allant de six mois à un an. »
La toute première des questions est de savoir si cette catégorie de
manquements classés sous le vocable d’abus d’usage, mérite un
traitement particulier ou bien elle devrait, au même titre que toutes
1. La loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et référendums telle que modifiée
et complétée par la loi organique n°2019-76 du 30 août 2019.
180
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 181
les autres catégories de faits incriminés par la loi électorale, être
abordée avec la même démarche et entrainer les mêmes effets.
Il semble qu’à cet égard, qu’à la différence des autres crimes
électoraux, les cas d’abus d’usage font impliquer des tierces parties
qui modifient radicalement la donne. Ce ne sont plus essentiellement
ou bien uniquement les listes électorales qui sont sujettes à
incrimination mais plutôt les administrations ou organismes publics
dont la responsabilité peut être engagée.
Il s’ensuit qu’avec l’implication des tierces parties en l’occurrence les
administrations publiques, qui ne sont pas du reste, des moindres,
il y a bien de raisons sérieuses de pousser la réflexion dans le sens
de vérifier si les moyens de preuve doivent impérativement changer
et si, en conséquence, les modalités d’exercice du contrôle changent
également. En outre et en corolaire à cette problématique, il s’agit de
trancher au sujet de l’imputabilité des listes électorales en relation
avec les violations commises par les entités publiques.
La deuxième question centrale qui se pose tient à l’idée de la
nécessité de porter un jugement sur la nature et les formes d’usage
des ressources publiques. Doit-on distinguer forcément entre usage
régulier dans le cadre des campagnes électorales et abus d’usage.
Dans ce cas, quels critères faut-il appliquer pour distinguer entre les
deux cas de figures ?
La troisième question concerne directement la Cour des comptes.
Tout initié à la gestion publique se demanderait à juste titre, qu’étant
garante de la bonne gestion des deniers publics, la Cour serait
l’acteur le mieux placé pour détecter et apporter les preuves de la
violation des dispositions de l’article 53 sus-indiqué.
Il faut noter à cet égard que l’association entre les attributions
confiées à la Cour des comptes en tant que juridiction financière
compétente pour exercer son contrôle sur les entités publiques
et la détection des cas d’abus d’usage n’est pas si aussi évidente
puisque
les deux cas s’opère
postérieurement à l’action de financement. Ceci pose également le
problème des contraintes auquel la Cour doit faire face en termes de
l’intervention de
la Cour dans
181
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 182
moyens de preuve.1
Force est de préciser en outre que la Cour n’est pas l’unique
intervenant dans le processus du contrôle et des poursuites des
infractions et crimes électoraux. L’ISIE, le juge électoral et le juge
pénal sont bien présents, et interviennent soit pour constater soit
pour sanctionner les crimes d’abus d’usage des ressources publiques
dans le cadre des campagnes électorales.
Pour apporter des éléments de réponse à cette série de questions
et clarifier, un tant soit peu, les contours du contrôle exercé par
la Cour des comptes sur les opérations ayant trait à l’utilisation
des ressources publiques dans le financement des campagnes
électorales, nous sommes partis d’un principe élémentaire : celui
de chercher à apprécier l’efficacité de ce contrôle eu égard aux
moyens de preuve dont dispose la Cour pour détecter les cas d’abus.
Ainsi, la Cour fait référence à un cadre juridique et use de moyens
de preuve pour détecter des cas d’abus d’usage des ressources
financières des campagnes électorales (partie 1). Une fois détectées,
les violations à l’article 53 font l’objet de poursuite et de sanctions
(Partie2).
1. Farouk Hfasni « la force probante des arrêts de la Cour des Comptes relatifs aux crimes électoraux
auprès du juge pénal » Recueil des études sur les crimes électoraux publication du projet d’assistance
électorale du PNUD Tunisie, 2020
https://www.tn.undp.org/content/tunisia/fr/home/library/democratic_governance/etudes-sur-les-
crimes-electoraux-.html
يــف اــهرابتعاب اهفاــشتكا تابــساحلما ةــمكحم ناكــمإب نا لوــقلا زاــج نــئل هــنا ةــميرجلا هذــه صوــصخب ظــحلالماو
،ةــفلتخم تاــهج نــم رــيراقت اــهيلع درــت اــمك ماــع لكــشب ةــلودلا تاباــسحو ةــيمومعلا تاــسسؤلما بــقارت هــسفن نلآا
ةــلودلا دراوــمو لئاــسو لامعتــسا يــف لــثمتي ةــميرجلا هذــهل يداــلما نــكرلاف .بــعص رــمأ ةــميرجلا هذــه تاــبثإ نا لاا
لمعتــست دــق يــتلا ةــيمومعلا لــقنلا لئاــسو لمــشت لئاــسولاو .حــشرتملل ةــيباختنلاا ةــلمحلا ةدــئافل اــهعون ناك يأ
ةــعابطلا تاودأ وأ بيــساوحلاك ةــلودلل ةــعباتلا تادــعلما لامعتــسا وأ ةــيرادلإا تارايــسلا لامعتــسا وأ ةــيناجم ةــفصب
دراوــلما اــمأ .ةــلمحلا للاــخ ةيبعــشلا تاــعامتجلاا دــقعل ةــيمومعلا تاءاــضفلا لامعتــسا كــلذكو ةــعابطلا قاروأ وأ
لئاــسو لامعتــسا ىــلا دمعيــس اــنيعم احــشرتم لاــخن لاو .ةــلودلا ىــلع لااوــمأ ردــي نا هنأــش نــم اــم لك لمــشتف
لــبق نــم ةــميرجلا هذــه ةــنياعم ةــيناكملإ روــفلا ىــلع هــضرعي اــمب فوــشكم لكــشب ةــيباختنلاا هــتلمح للاــخ ةــلودلا
ىــلع لاــضف .لكاــيهلا دــيدع نــم ةــمراص ةــبقارلم عــضخت ةــلودلا دراوــم نا اــمك .ةــئيهلل نــعباتلا ةــباقرلا ناوــعأ
ةــلجلما نــم
99 لــصفلل اــقبط ةــيمومع لاوــمأ ىــلع ءلايتــسلاا ةــميرج لــجا نــم لــعفلا اذــه فرــتقم عــبتت ةــيناكمإ
.اــماع نيرــشع ةدــم نجــسلا ىــلا اــهيف باــقعلا لــصي يــتلاو ةــيئازجلا
182
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 183
SECTION 1 :
DÉTECTION DES CAS D’ABUS D’USAGE DES
RESSOURCES PUBLIQUES DANS LE CADRE DU
CONTRÔLE DU FINANCEMENT DES CAMPAGNES
ÉLECTORALES PAR LA COUR DES COMPTES
Il faut noter au départ que le contrôle exercé par la Cour des
comptes sur les abus d’usage des ressources publiques s’inscrit dans
le cadre d’un processus global dont les principes et les principales
règles remontent à la première expérience de la Cour des comptes
en matière électorale. Il s’agit du décret-loi n° 2011-35 relatif à
l’élection d’une A.N.C.
Par application de ce Décret-Loi, le financement de la campagne
électorale a fait l’objet d’un contrôle a posteriori de la Cour des
comptes, qui publie un rapport en la matière au Journal Officiel de
la République tunisienne.
Après l’adoption de la nouvelle Constitution de la Tunisie le 26 janvier
2014, une nouvelle loi électorale1 a été adoptée et a confié à la Cour
des comptes la charge du contrôle du financement des campagnes
électorales. L’article 97 de cette loi dispose que la Cour des comptes
établit un rapport général comprenant les résultats du contrôle de
financement de la campagne dans un délai maximum de six mois
à compter de la date de proclamation des résultats définitifs des
élections.
En application de ces dispositions, la Cour doit établir deux rapports
sur les résultats du contrôle du financement des campagnes
électorales législatives puis présidentielles qu’elle a publiés sur son
site officiel.
En dépit de son refus explicite de se faire confier les attributions
du contrôle du financement des campagnes électorales suivant les
1. Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et référendums.
183
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 184
mêmes formes et procédures, la Cour s’est vue confier à quelques
détails près, en fin de compte et après moult discussions, les mêmes
attributions pour les élections municipales
1.
1. Outils de contrôle des abus d’usage des ressources
publiques
La Cour des comptes exerce son contrôle du financement
Il s’agit
des campagnes électorales sous différentes angles.
respectivement du contrôle des comptes des listes électorales,
l’évaluation des dispositifs de contrôle par les parties prenantes
et le contrôle des comptes des partis politiques.
Dans chacune de ces modalités, la Cour peut détecter des cas
d’abus d’usage des ressources publiques. Ceci est assuré, non sans
de véritables problèmes, en termes de moyens de preuve et de
pertinence des référentiels de contrôle.
Par souci de simplicité, nous abordons
démarches de contrôle comme suit :
les deux principales
1.1. Dans le cadre du contrôle administratif des comptes
des listes électorales
Abstraction faite des résultats de ce contrôle, l’exercice par la
Cour des comptes de ses attributions pose un certain nombre de
problématiques qui s’appliquent de la même façon, ou presque,
à toutes les catégories de violation des règles de financement y
compris celles portant sur les cas d’abus d’usage des ressources
les
publiques. Ces problématiques concernent essentiellement
outils de contrôle,
listes
électorales et la justification de la dépense électorale financée par
des ressources publiques.
la notion du compte financier des
1. Loi organique n° 2017-7 du 14 février 2017, modifiant et complétant la loi organique n° 2014-16 du 26
mai 2014 relative aux élections et référendums
184
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 185
a. Des manquements variés
Le contrôle des comptes individuels des listes électorales a permis à
la Cour des comptes de détecter une variété de manquements ayant
trait aux abus d’usage des ressources publiques. A titre d’exemple,
on peut citer les cas de figures relatés dans le rapport de la Cour relatif
au contrôle du financement des campagnes électorales de 2018 :
Circonscription
électorale
Liste
électorale
Date de
constatation
de l’infraction
Nature de l’infraction
Kssiba we
thrayet
Tajerouine
Al amal
15/04/2018
17/04/2018
Echabab
nahwa
erriada
Le kef
El kef godwa 14/04/2018
Rejich
El mouatana
erjich
18/04/2018
Jendouba
Harakat
echaab
04/05/2018
Mednine
Jendouba
Nidaa
Tounes
Nidaa
Tounes
22/05/2018
02/05/2018
185
Abus d’usage de
l’administration publique
dans le cadre de la
campagne électorale
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
Diffusion d’information
électorale dans un
théâtre
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
Infraction au principe
de l’impartialité de
l’administration
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 186
Circonscription
électorale
Liste
électorale
Jendouba
Nidaa
Tounes
Date de
constatation
de l’infraction
20/04/2018
Mahdia
Nahdha
01/05/2018
Mednine
Nahdha
15/04/2018
Jendouba
Nahdha
15/04/2018
Bouaraada
Nahdha
15/04/2018
Mnihla
Liste naaam
nasstatii
01/05/2018
Hamam Echaat Madinatona 15/04/2018
Nature de l’infraction
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
Propagande électorale
dans un établissement
public
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
(voitures administratives
de service)
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
Abus d’usage des
ressources publiques
dans le cadre de la
campagne électorale
(voitures administratives
de service)
186
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 187
En se référant aux rapports individuels des listes électorales citées
dans le tableau ci-dessus, il y a lieu de faire état des constats suivants :
• L’essentiel porte sur l’utilisation des voitures administratives et
l’exploitation des lieux et espaces publics mis à la disposition des
listes électorales
• Des cas assez fréquents d’organisation de propagandes au profit
des candidats au sein des administrations ont été constatés.
Dans leurs réponses, les listes électorales ont réfuté les faits et
apporté des justificatifs et des arguments non recevables.
En revanche, les cas détectés restent limités et se trouvent être
fondés quasi-exclusivement sur les procès-verbaux transmis par
l’ISIE à la Cour des comptes.
Ceci est dû au fait que le contrôle administratif des comptes
individuels des
listes électorales se trouve confronté à des
liées aux outils de contrôle peu adaptés et une
contraintes
contexture des comptes non suffisamment explicite. Ce sont des
considérations que nous discutons dans les paragraphes suivants :
b. Des outils de contrôle peu adaptés
En dépit des larges compétences accordées à la Cour par les lois
électorales et un droit de communication très large, l’exercice de ces
compétences a buté sur des difficultés liées au fait que les moyens de
contrôle et de preuve sont, en réalité, limités.
Selon l’article 92 de la loi électorale : « les procédures prévues par la
loi réglementant la Cour des comptes sont applicables au contrôle du
financement de la campagne des candidats, des partis politiques et
des listes de candidats, sauf si elles sont expressément inconciliables
avec les dispositions de la présente loi.
Ledit contrôle s’exerce sur pièces ou sur le terrain, et il est exhaustif
ou sélectif et ultérieur ou concomitant à la campagne. Le contrôle
s’exerce d’office quant aux candidats et listes de candidats qui
187
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 188
remportent les élections. Le contrôle est réalisé en concomitance
avec le contrôle financier du parti, quant aux partis et listes ayant
remporté les élections. »
Tout lecteur pourrait conclure, en lisant ces dispositions, que le
périmètre de contrôle est large puisqu’il peut être exercé sur pièces.
Ceci veut dire que la Cour peut vérifier les pièces que les listes
électorales lui produisent. En revanche, la même loi fixe une liste de
pièces qui constituent le compte que toute liste doit produire. Ce
compte est substantiellement insuffisant pour exercer un contrôle
matériel et significatif sur l’activité du financement des campagnes
électorales y compris celle portant sur l’intervention des entités
publiques. Ainsi, et en limitant les pièces que la liste doit produire,
la loi a limité l’étendue de ce contrôle.
Cette insuffisance aurait pu être comblée par le fait que le contrôle
sur pièces est appuyé par un contrôle sur terrain. Encore une fois, un
contrôle de terrain dans des organismes bien établis comparables à
ceux que la Cour a pris l’habitude de contrôler pendant des années
peut être très bénéfique et efficace. L’expérience a démontré
qu’essentiellement des personnes physiques non organisées ou des
partis faiblement organisés, les listes électorales, objet des visites
de terrain, étaient peu utiles. La Cour butait sur des difficultés
incontournables. Même les visites réalisées par la Cour à l’occasion
des campagnes électorales se sont montrées peu utiles, faute de
moyens de preuve.
En outre, désigner d’une manière expresse que les procédures
prévues par la loi régissant la Cour des comptes soient applicables
au contrôle du financement de la campagne sauf si elles sont
expressément inconciliables avec les dispositions de la présente loi,
est également incohérent. L’activité du financement des campagnes
électorales reste substantiellement peu matérielle et peu organisée.
Appliquer des procédures établies pour le contrôle d’organismes
locales, établissements publics
publics (ministère, collectivités
et entreprises publiques) s’est révélé à son tour incohérent. Les
procédures contradictoires et écrites que la Cour applique pour
ces entités publiques s’adaptent peu à la matière des campagnes
électorales qui pose en premier lieu un handicap lié au nombre très
188
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 189
élevé des entités objet du contrôle que sont les listes électorales et
les partis politiques.
La durée très courte pour la réalisation du contrôle a été une
contrainte supplémentaire rendant le périmètre des attributions
confiées à la Cour au titre du contrôle de financement des campagnes
électorales faussement étendu.
Cette durée s’est avérée contraignante dans la mesure où le contrôle
du financement des campagnes électorales vise des objectifs très
variés. En effet, l’article 93 dispose que le contrôle par la Cour des
comptes du financement de la campagne vise à s’assurer :
• De la réalisation, par les candidats, partis politiques ou listes
de candidats, de toutes les dépenses relatives à la campagne, à
travers le compte bancaire unique ouvert à cet effet et déclaré
auprès de l’Instance,
• De la tenue, par chaque candidat, parti politique ou liste de
candidats, d’une comptabilité crédible comportant des données
exhaustives et précises sur toutes les opérations d’encaissement
et de paiement ayant trait au financement de la campagne,
• Que les recettes proviennent de sources licites,
• Du caractère électoral de la dépense,
• Que les candidats, les listes de candidats ou les partis respectent
le plafond des dépenses électorales,
• Que les candidats n’ont pas commis d’infractions électorales.
Cette question se pose particulièrement pour l’instruction des cas
d’usage des ressources publiques qui demandent des recoupements
auprès des organismes publics dont les ressources ont été dédiées
au profit de candidats aux élections. La contrainte des délais se
traduit parfois par l’abandon des recoupements ou l’obtention de
réponses tardives en comparaison avec les délais impartis à la phase
administrative du contrôle exercé par la Cour.
189
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 190
c. Le compte des campagnes électorales :
Un concept encore flou
Étant une interrogation capitale, le dispositif du contrôle des comptes
des campagnes électorales, exige que soient établis plusieurs maillons
de la chaîne dont notamment le compte, son contenu, la norme de
contrôle et l’organe de contrôle.
Le compte des campagnes électorales trace l’ensemble des opérations
en recettes et en dépenses réalisées par un parti politique à l’occasion
d’une élection.
Cette définition très générique mérite quelques précisions. Le compte
des campagnes électorales est substantiellement différent du compte
annuel que les partis politiques sont tenus de produire. En effet, le
compte annuel doit retracer l’ensemble des opérations en recettes
et en dépenses réalisées par un parti politique au titre d’une année.
La question temporelle n’est pas la seule différence substantielle entre
les deux types de comptes. En effet, le compte annuel est exhaustif
puisqu’il englobe toutes les opérations de recettes et de dépenses
réalisées au cours d’une année. Alors que le compte d’une campagne
électorale ne retrace que celles engagées à l’occasion de l’élection en
question.
Même si cela peut paraître une lapalissade, cette distinction n’a rien
de banal. En effet, elle est considérée comme l’une des principales
difficultés du contrôle de financement des campagnes électorales
à savoir l’éligibilité des dépenses engagées au financement, sans
oublier bien évidemment une problématique de rattachement aux
activités de campagne.
Par ailleurs, une autre différence substantielle entre les deux comptes
mérite d’être soulignée. Tout compte est composé d’un certain nombre
d’écritures comptables appuyées de pièces justificatives mais la liste
des pièces justificatives d’un compte annuel est incontestablement
différente de celle d’un compte de campagne.
Ce constat sur les différences entre les deux catégories de comptes
étant établi, il faut bien s’entendre sur la substance du contrôle d’un
190
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 191
compte de campagne électorale. Il ne s’agit pas de définir la notion
du contrôle mais de déterminer les différentes investigations que tout
contrôleur doit réaliser lors de l’examen d’un compte de campagne
électorale.
Le contrôle des comptes des campagnes électorales s’intéresse à la
régularité. En effet, le droit tunisien en matière de finances publiques
est marqué par des préoccupations de régularité qui est appréciée
surtout par rapport aux lois et règlements relatifs aux opérations
budgétaires ou financières. Outre les textes régissant les finances
publiques, le texte électoral fournit les principales normes par rapport
auxquelles la régularité peut être appréciée.
le risque que
La notion de compte des campagnes électorales reste floue au
les opérations de financement des
point que
campagnes électorales soient réalisées, pour l’essentiel, en dehors
de ce compte n’est pas minime. Les abus d’usage des ressources
publiques ne seraient pas de toute façon établis dans le compte
financier électoral étant donné que c’est une forme de financement
illicite. De ce fait, l’espérance de pouvoir détecter des cas d’abus
d’usage sur simple contrôle des comptes financiers est sans doute
quasi-utopique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la Cour a
entrepris dans le cadre de missions transversales de pallier cette
insuffisance en procédant à chaque élection à la conduite d’une
évaluation et contrôle des dispositifs.
1.2. Dans le cadre des missions d’évaluation
des dispositifs du contrôle du financement des
campagnes électorales
a. L’étendue de la mission de contrôle transversal
La Cour des comptes décrit dans les rapports qu’elle publie à l’occasion
de ses contrôles de financement des campagnes électorales la
logique de sa démarche transversale qui touche le contrôle de la
régularité du financement de ces campagnes. La Cour cite, avec des
termes explicites, qu’elle ne se limite pas aux comptes produits par
les listes électorales. Elle procède à des vérifications sur le terrain
191
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 192
parmi les principaux acteurs impliqués dans la gestion et le contrôle
du financement des campagnes électorales. Il s’agit en premier lieu
de l’ISIE, la Banque centrale, le Ministère en charge des finances dont
notamment la direction générale des douanes, la direction générale
de la comptabilité publique et du recouvrement, la direction générale
des Impôts et bien d’autres organismes publics et privés
1.
Cette démarche se fonde sur deux principes :
• Le recoupement des informations consignées dans les comptes
individuels produits par les listes électorales pour s’assurer de
leur conformité et régularité.
• Collecter des preuves matérielles sur les opérations de
financement réalisées par les listes électorales en dehors des
comptes financiers.
• Ne pas se limiter aux comptes uniques ouverts au titre des
campagnes électorales et porter le contrôle aux comptes
bancaires personnels des candidats.
Cette démarche a permis de faire face aux limites du contrôle des
comptes individuels puisqu’elle a été une occasion pour la Cour pour
faire le recoupement des violations de l’article 53. C’est ainsi que les
équipes de la Cour ont envoyé des demandes d’information et de
demandes de documents pour justifier l’usage fait par les candidats
des ressources publiques dans le cadre des campagnes électorales.
Cette démarche a été favorisée par l’élargissement du pouvoir de
communication de la Cour en matière de contrôle du financement
des campagnes électorales.
1. Rapport de la Cour des comptes relatif au contrôle du financement des campagnes électorales
législatives de 2014
لــبق نــم ةذــختلما تاءارــجلإا يــف رــظّنلا ىــلإ ةرــئادلا ةــباقر تّدــتما ،قاــفنلإاو دراوــلما ةّيعورــشم ةــباقر نــع لاــضفو
كــنبلاو يرــصبلاو يعمــ ّسلا لاــصتلاا ةــئيهو تاــباختنلاا ةــئيه رارــغ ىــلعف .لاــجلما يــف ةــلخدتلما فارــطلأا فــلتخم
)ةــناويّدلل ةــّماعلا ةرادلإاو صلاختــسلااو ةــيمومعلا ةبــساحملل ةــماعلا ةرادلإا( ةــيلالما ةرازوو يــسنوتلا يزــكرلما
ىــلع علاــطلاا ةرــئادلا تــلوت اــمك .ةــموكحلا ةــسائرب ةيــسايسلا بازــحلأاو تاــّيعمجلل ةــماعلا ةرادلإا نــع لاــضف
بــناجلأاو مــهنم نيــسنوتلا ةــّ
يباختنلاا ةــيلمعلل نــظحلالماو يــندلما عــمتجلما تاــنّوكم لــبق نــم ةزــجنلما لاــمعلأا جــئاتن
.ةــلمحلا ةطــشنأ فــلتخمب ةــطاحلإل تاــنايبلاو تاــيطعلما عــيمجتل
192
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 193
b. Un droit de communication plus large
La loi électorale accorde, certes, à la Cour un pouvoir d’investigation
large puisqu’elle précise d’une manière explicite
1 que la Cour des
comptes peut :
• Demander aux autorités administratives compétentes de lui
fournir un relevé détaillé des déclarations déposées pour
l’organisation des manifestations et activités réalisées durant la
campagne,
• Demander à toute partie, toute pièce ayant trait au financement
de la campagne, susceptible d’être utile pour la réalisation de
l’action de contrôle confiée à la Cour, dans ce cadre.
En outre la loi électorale apporte une précision capitale quant au
droit de communication. L’article 96 de ladite loi dispose que « les
institutions bancaires intéressées et quelconque organisme public,
ne peuvent opposer le secret bancaire à la Cour des comptes et
l’Instance, pour s’abstenir de leur communiquer les données et
documents nécessaires afin d’accomplir leurs travaux. »
Cette nouveauté vient renforcer le droit de communication prévu par
l’article 47 de la loi 68-8
2 qui dispose, que sous réserve de la législation
en vigueur, la Cour des comptes est habilitée à se faire communiquer
tous documents, de quelque nature que ce soit, relatifs à la gestion
des finances publiques.
Si ces documents contiennent des données à caractère confidentiel,
la Cour des comptes prend à leur égard toutes les dispositions pour
garantir le secret de ses investigations.
Il va sans dire que le renforcement du droit de communication a été
très utile pour la Cour des comptes dans l’exercice de son contrôle
de financement des campagnes électorales. Les vérifications des
opérations de financement des candidats ne pouvaient pas se limiter
aux comptes et pièces présentés à l’appui des campagnes, et devraient
1. Article 95 de loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014, relative aux élections et référendums
2. Modifié par la loi organique n° 2008-3 du 29 janvier 2008
193
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 194
impérativement s’exercer sur les opérations bancaires effectuées par
les listes électorales ainsi que par tous les autres intervenants dont
les associations et les partis politiques.
2. La détection des abus d’usage des ressources publiques
face aux problématiques de la limitation des moyens de
preuves
La question des moyens de preuve des cas d’abus d’usage s’articule
autour de plusieurs dimensions. Il s’agit de la force probante des
procès-verbaux de l’ISIE auprès de la Cour des comptes, la limitation
des moyens de preuve d’une juridiction financière et les formes et
contexture des pièces justificatives. S’ajoute à ces questions, celle
de la nécessaire distinction entre usage régulier et abus d’usage des
ressources publiques.
2.1. Les moyens de preuve des abus d’usage
des ressources publiques
a. La force probante des procès-verbaux de l’ISIE
auprès de la Cour des comptes
Même si les modalités de constatation des dépassements de la loi
électorale ont été déjà établies au niveau de l’article 47 du décret-
loi n° 35 du 10 mai 2011 relatif à l’élection de l’Assemblée nationale
constituante, on observait que ledit décret était caractérisé par le
flou de certaines dispositions attribuant à l’ISIE la faculté de prendre
les mesures nécessaires en vue de mettre fin aux dépassements
constatés lors de la campagne électorale
1.
Ce flou a été dissipé avec la nouvelle loi 2014-16 puisqu’il est cité au
niveau de l’article 72 que « L’Instance recrute des agents sur la base
de la neutralité, l’indépendance et la compétence, elle leur confie la
1. Rafaâ Ben Achour, Sana Ben Achour « LA TRANSITION DÉMOCRATIQUE EN TUNISIE :
ENTRE LÉGALITÉCONSTITUTIONNELLE ET LÉGITIMITÉ RÉVOLUTIONNAIRE » Presses Universitaires de
France | « Revue française de droit constitutionnel » 2012/4 n° 92 | pages 715 à 732
194
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 195
mission de constater et relever les infractions. Ils prêtent le serment
suivant devant le juge cantonal territorialement compétent : «Je jure
par Dieu Tout-Puissant de remplir mes fonctions avec dévouement et
en toute neutralité et indépendance, et je m’engage à veiller à assurer
l’intégrité du processus électoral».
La question des pouvoirs attribués aux agents de l’ISIE revêt une
importance capitale pour les limites du contrôle exercé par la Cour
des comptes sur le financement des campagnes électorales et en
particulier pour ce qui est de l’établissement des violations à la loi
électorale. Ayant ainsi ces PV comme source principale pour détecter
les cas d’abus d’usage des ressources publiques, la Cour devait statuer
en premier lieu sur leur force probante.
Il faut avouer que cette question s’est posée également pour le
juge électoral et le juge pénal. En effet, « le juge électoral a eu
l’occasion de prouver la valeur procédurale et juridique de certains
moyens évoqués par la loi électorale et les décisions de l’ISIE. En
effet, la détection des infractions électorales ne constitue pas une
compétence exclusive des agents assermentés de l’ISIE selon les
termes des articles 71 et 72 de la loi électorale, car le juge administratif
peut, en tant que juge électoral, utiliser tout autre moyen pouvant
prouver l’existence d’infractions électorales de manière qui ne laisse
pas place au doute. Le juge électoral a évoqué dans ses jugements
les éléments d’accusation et les moyens présentés par le requérant
qui doivent contenir un minimum de données permettant de prouver
que les accusations revêtent un caractère sérieux pour être pris en
compte »
1.
Cette même position a été adoptée par le juge financier qui considère
que les procès-verbaux établis par les agents assermentés de l’ISIE
sont des moyens de preuve dont la Cour doit revêtir de présomption
de régularité. Elle est également d’avis qu’elle doit compléter ces PV
par d’autres moyens de preuve. La Cour procède, à cet effet, et dans le
cadre de ses procédures contradictoires, à la communication des faits
établis dans les procès-verbaux aux réponses des listes électorales.
1. Rapport Final « Regards croisés internationaux sur les techniques du contrôle du financement
des campagnes électorale » Atelier de travail du 29 mars 2017 coorganisé et publié par le projet
d’assistance électorale du PNUD Tunisie
195
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 196
A l’instar du juge électoral1, la Cour des comptes élargit ses moyens de
preuve pour prouver les cas d’abus d’usage des ressources publiques.
C’est ainsi que les formations de la Cour utilisent tous les moyens
possibles à commencer par le recoupement des faits consignés dans
les PV avec les informations et documents à fournir par les organismes
publics dont les ressources ont été usées d’une manière abusive pour
faire profiter des candidats aux élections. Ceci comporte également
les rapports de la société civile ainsi que tout autre rapport fournissant
des preuves matérielles des cas de violations objet des PV.
Ainsi, il appartient à la formation de jugement de décider si les moyens
mis en œuvre pour prouver les cas d’abus d’usage au même titre que
toute autre infraction sont suffisants et probants. De ce fait, le juge
financier exerce son contrôle quant à la véracité du contenu de ces PV
établis par les agents assermentés de l’ISIE.
b. Des moyens de preuve limités pour établir les cas d’abus
d’usage des ressources publiques
La loi électorale confie à la Cour des comptes la charge de s’assurer
que les recettes proviennent de sources licites.
L’ISSAI 400 relative aux principes d’audit de conformité exige que
l’auditeur se base sur des preuves probantes pour formuler une
conclusion. Cette norme stipule : « L’auditeur doit collecter des
éléments probants, suffisants et appropriés pour étayer la conclusion
ou l’opinion. Le caractère suffisant est la mesure de la quantité
d’éléments probants, tandis que le caractère approprié concerne
leur qualité, à savoir leur pertinence, leur validité et leur fiabilité.
La quantité d’éléments probants nécessaires dépend du risque
d’audit (la quantité requise sera d’autant plus grande que le risque
1. Jugement en appel n° 2014-20027 en date du 8 novembre 2014, il a été décidé que les infractions
électorales pouvaient être prouvées par tous les moyens possibles et pas uniquement sur la base
des rapports de l’ISIE et des PV rédigés par les agents de contrôle assermentés permettant ainsi la
prise en compte des rapports préliminaires des organisations de la société civile à condition que ces
rapports soient assez sérieux, précis et qu’ils aient un rapport direct avec les questions soulevées dans
le cadre du contentieux soumis au juge. Par un arrêt de l’Assemblée plénière n° 2014-50006 en date
du 19 novembre 2014, il a été jugé que la prérogative octroyée par la loi aux agents de contrôle leur
permettant de rédiger les procès-verbaux n’empêchait pas le juge d’exercer son contrôle quant à la
véracité du contenu de ces PV.
196
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 197
d’audit sera élevé) et de la qualité de ces éléments probants (la
quantité requise sera d’autant moindre que la qualité sera meilleure).
Les caractères suffisant et approprié sont donc interdépendants.
Toutefois, la simple obtention d’un plus grand nombre d’éléments
probants ne compense pas leur moindre qualité. La fiabilité de ces
éléments est influencée par leur source et par leur nature, et dépend
des circonstances spécifiques du contexte dans lequel ils ont été
recueillis. L’auditeur doit tenir compte à la fois de la pertinence et de
la fiabilité des informations à utiliser comme éléments probants. Il
doit respecter la confidentialité de l’ensemble des éléments probants
et des informations reçues. »
La problématique du respect de ces exigences en matière de
contrôle de financement des campagnes électorales s’est posée
essentiellement en matière de contrôle du financement étranger,
du financement déguisé et de détection des cas d’abus d’usage des
ressources publiques.
En outre et en définissant les formes du financement déguisé au
niveau du même arrêté sus-indiqué, l’ISIE a mis en évidence un risque
supplémentaire du financement illicite des campagnes électorales
sans toutefois identifier de moyens de preuve pour établir les cas
de cette catégorie d’infractions. En effet, l’article 18 dudit arrêté
apporte plus de précisions en prévoyant que l’affectation irrégulière
de ressources publiques ou privées pour promouvoir d’une manière
directe ou indirecte une liste électorale ou un parti politique, peut
être considérée comme financement déguisé. Ceci comporte, entre
autres, les activités réalisées par des associations et le financement
médiatique.
Le financement déguisé par des ressources publiques se recoupe avec
les dispositions de l’article 53 de la Loi électorale. Qu’il soit déguisé ou
déclaré, l’utilisation des ressources publiques se trouve en face d’une
problématique de moyens de preuve.
Quoiqu’explicites quant à
l’interdiction des abus d’usage des
ressources publiques et du financement déguisé via les associations
ou les médias, la loi électorale et l’arrêté de l’ISIE n° 20 du 8 août 2014
n’établissent pas de moyens de preuve spécifiques à cette matière.
197
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 198
Ceci revient, bien évidemment, au principe évoqué plus haut exigeant
que la Cour des comptes applique les mêmes procédures prévues par
son cadre juridique dont notamment la loi 2019-41.
Cette insuffisance s’est révélée très contraignante dans la mesure où
les textes régissant les procédures de la Cour des comptes nécessitent
d’apporter des preuves probantes au sujet des questions suivantes :
• Le lien entre les entités publiques et le parti politique ou liste
électorale ou candidat aux élections ;
• Le lien entre la source du financement public illicite et le
financement des campagnes électorales ;
• Le lien entre l’établissement médiatique public et la liste
électorale ou le candidat ayant bénéficié de financement
médiatique
déguisé ;
• Le lien entre les opérations financières opérées durant la
période électorale.
Les difficultés rencontrées par la Cour pour établir ces liens résultent
du fait que les moyens de preuve prévus par ces textes se limitent
pour l’essentiel à l’écrit. Un moyen qui n’est pas pertinent et
inadmissible pour la matière électorale. Force est de préciser à
cet égard qu’à la différence du droit civil et du droit fiscal, le cadre
juridique régissant les juridictions financières n’a pas établi d’une
manière explicite les moyens de preuve dont disposent les juges
financiers.
Pour ce qui est du droit civil, l’article 427 du Code des obligations et
contrats (COC) dispose que les moyens de preuve reconnus par la loi
sont :
1) l’aveu de la partie ;
2) la preuve littérale ou écrite ;
3) la preuve testimoniale ;
4) la présomption ;
198
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 199
5) le serment et le refus de le prêter.
Le Code des droits et procédures fiscaux prévoit trois moyens de
preuve. Il s’agit de la preuve écrite, de l’aveu et de la présomption.
Il y a lieu de préciser que l’article 16 de la loi 85-87 relative à la
Cour de discipline financière a prévu comme moyen de preuve le
serment. C’est ainsi que ledit article dispose que des témoins peuvent
être entendus, soit à la requête de la Cour, soit sur l’initiative du
commissaire du gouvernement, soit enfin à la demande de l’intéressé.
Dans ce dernier cas, la citation est accordée après autorisation du
président de la Cour. Ces témoins sont entendus sous foi de serment,
dans les conditions prévues par le Code de procédure pénale.
Les règles juridiques applicables au juge financier en matière de
preuve n’autorisent pas le recours à la présomption qui reste le
moyen le plus approprié pour la matière de contrôle du financement
des campagnes électorales.
Rappelons que l’article 479 du COC définit les présomptions comme
étant des indices au moyen desquels la loi ou le juge établit l’existence
de certains faits inconnus.
Les présomptions légales constituent « un facteur de perturbation
du jeu normal des principes gouvernant la charge de la preuve, en
ce sens que ces présomptions légales aboutissent généralement à
déplacer la charge de la preuve et à alléger la position probatoire de
l’une des parties au conflit en faisant directement supporter à son
adversaire le risque de la preuve »
1.
La présomption légale paraît souvent intervertir la position des
parties dans la preuve, en offrant à celle qui devait normalement
justifier des éléments de son droit, un objectif si aisé à établir, que
cette partie semblera avoir ainsi une preuve toute faite, que son
adversaire devra s’efforcer de renverser
2.
Le recours aux présomptions légales, telles que définies, pour
1. Hatem KOTRANE « Introduction à l’étude du droit, cadre juridique des relations économiques »,
C.E.R.P. 1994, Tunis, p. 245.
2. F.GENY, « Science et technique en droit privé positif », Paris, Sirey 1921, t. III, p. 281, n° 232.
199
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 200
apporter la preuve du financement illicite, aurait permis au juge
financier de faire face aux difficultés rencontrées pour établir les cas
d’abus d’usage des ressources publiques et du financement déguisé.
2.2. Les pièces justificatives des abus d’usage
Même si la Cour a divers moyens pour confirmer la matérialité des
preuves relatifs aux cas d’abus d’usage des ressources publiques.
En revanche, la Cour s’efforce en premier lieu de ne pas confondre
entre l’usage régulier et l’abus d’usage. Pour faire la distinction entre
les deux situations, ce sont les pièces justificatives des ressources
dédiées au candidat qui doivent l’éclairer.
a. La nécessaire distinction entre usage régulier
et abus d’usage
Les cas de l’utilisation régulière des ressources publiques par les
listes électorales sont multiples et assez courants dans le processus
de financement des campagnes électorales. Pour illustrer cette idée,
prenons le cas assez fréquent de l’utilisation des moyens de transport
des sociétés de transport régional.
En effet, plusieurs candidats aux élections législatives ou présidentielles
ont recours aux sociétés de transport régional. Ces sociétés, qui sont
publiques, mettent leurs bus à la disposition des candidats et ce, à
titre onéreux c’est-à-dire en contrepartie d’un prix que le candidat
paye et inscrit dans son compte de campagnes. Le même cas se pose,
par exemple, pour les collectivités locales qui louent leurs espaces
en l’occurrence des salles aux candidats pour l’organisation des
évènements de propagande.
Pour justifier que leur utilisation des ressources des organismes
publics est régulière, les candidats doivent apporter la preuve que
cette utilisation n’a pas été à titre gratuit et que le prix payé n’était
pas un prix de faveur, ce qui pourrait constituer à son tour une forme
d’avantage assimilable à un abus d’usage.
200
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 201
Ainsi, lorsque les candidats apportent les pièces justificatives que le
financement s’inscrit dans le cadre d’une transaction de prestation
de service par l’organisme public, cet usage des ressources publiques
n’est pas abusif.
Il faut préciser que pour certaines utilisations dans des organismes
qui ne sont pas autorisés à rendre des services en contrepartie de
prix, donc n’ayant pas la vocation commerciale, tout usage de leurs
ressources par un candidat se traduit forcément par un abus d’usage.
b. Abus d’usage des ressources publiques et traçabilité
des dépenses électorales
Tout dispositif électoral génère des opérations de natures diverses.
Quand il s’agit des dépenses, celles-ci sont regroupées sous une
catégorie communément qualifiée de « dépenses électorales ».
Ces dépenses peuvent être financées par le biais de fonds publics
ou privés. Quand elles sont financées par des dotations publiques,
ces dépenses acquièrent
le caractère public et se trouvent
automatiquement soumises aux règles qu’imposent les exigences de
régularité des dépenses publiques.
Le niveau du détail des dépenses électorales est une question
capitale car il conditionne l’établissement de la nomenclature des
pièces justificatives nécessaires pour justifier les dépenses dont un
usage régulier des ressources publiques. Cette nomenclature sert le
besoin aussi bien de la production des comptes que du contrôle de
ces comptes.
justificatives des
L’élaboration d’une nomenclature des pièces
dépenses vise à satisfaire plusieurs objectifs. La clarification des
échanges entre organes de contrôle et partis politiques. En effet, une
nomenclature constitue un cadre de référence commun permettant
de faciliter la préparation et la présentation des comptes.
La nomenclature des pièces justificatives des dépenses répond
également à un besoin de contrôle dans la mesure où le contrôle de
201
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 202
la régularité des dépenses est opéré par la Cour des comptes, entre
autres, conformément à cette nomenclature.
Outre ces deux premiers objectifs, l’élaboration de la nomenclature
des pièces justificatives répond à la nécessité de mettre au même
niveau d’information tous les acteurs de la chaîne d’exécution
des dépenses publiques sur les pièces exigées pour la justification
des dépenses. Le cas des dépenses électorales qui font intervenir
plusieurs utilisateurs est très éloquent. Les partis politiques doivent
savoir avec précision quoi fournir comme pièces pour se faire
rembourser des dépenses qu’ils ont engagées ou tout simplement
pour produire leur compte de campagne électorale.
L’établissement d’une nomenclature spécifique aux dépenses
électorales doit prendre en compte les différentes réglementations
et les exigences résultant de l’application des textes relatifs à
l’organisation des élections et du financement des campagnes
électorales. Elle doit énoncer avec exhaustivité toutes les pièces
devant servir de justification aux dépenses électorales.
Il est utile de préciser que pour chaque genre de dépenses, la
production des pièces énumérées est obligatoire et opposable à tous
les acteurs de la chaîne des dépenses publiques.
Signalons au passage que dans le contexte tunisien, la nomenclature
des pièces justificatives des dépenses publiques est établie par une
instruction générale
1 qui spécifie pour chaque type de dépenses,
les pièces justificatives devant être produites à l’appui. Cette
nomenclature couvre une variété de dépenses publiques telles
que les dépenses de rémunération du personnel, des dépenses
d’administration générales, des dépenses dans le cadre des marchés
publics et des acquisitions immobilières. Elle réserve également une
partie bien distincte pour les justifications spéciales (dépenses au
profit des mineurs, des analphabètes, des héritiers…).
1. Instruction générale de la D.G.C.P n° 2 en date du 5 novembre 1996, fixant la nomenclature des
pièces justificatives des dépenses publiques.
202
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 203
En France, la dernière version de l’instruction codificatrice relative
à la nomenclature des pièces justificatives des dépenses publiques
1
fait renvoyer, pour ce qui est des dépenses électorales
2, aux notes
de service afférentes à chaque élection. Le choix de fixer la
nomenclature des pièces justificatives relatives aux élections selon le
cas, est justifié par la diversité quant aux modalités, aux circuits
et aux règles de chaque type d’élection. Les notes de services
visent pour l’essentiel à établir les conditions et modalités de
règlement des dépenses imputables au budget de l’État.
La nomenclature des pièces justificatives des dépenses électorales
est importante pour le besoin de l’établissement des infractions
financières dont l’abus d’usage des ressources publiques. Ceci est
d’autant plus important que l’usage peut être régulier donc justifié.
Exiger des pièces justificatives de la part des organismes publics et
élargir le périmètre de la nomenclature de ces pièces pour ne pas
se limiter à celles produites par les listes électorales et exiger que
soient également annexées aux comptes des pièces à produire par
les organismes publics, pourraient bien améliorer la traçabilité des
dépenses en cas d’utilisation des ressources publiques.
1. Texte publié au Bulletin Officiel de la Comptabilité publique du mois de juin 2010.
2. Les dépenses relatives aux élections sont classées dans la rubrique des dépenses de
fonctionnement spécifiques.
203
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 204
SECTION 2 :
POURSUITE DES CAS D’ABUS D’USAGE DES
RESSOURCES PUBLIQUES
En faisant impliquer les listes électorales et les organismes publics,
la constatation d’une violation des dispositions de l’article 53 de la
loi électorale se traduit par deux formes de poursuite. Le premier
concerne le crime d’abus d’usage commis par l’organisme public qui
est transmis au juge pénal alors que les listes électorales bénéficiaires
peuvent être poursuivies pour infractions financières et être privées
de subvention publique ou soumises aux amendes.
1. Transmission des actes susceptibles de constituer
des abus d’usage des ressources publiques
au juge pénal
Rappelons au départ que la Cour des comptes est une juridiction
car elle juge les comptes. Mais elle n’a nullement des pouvoirs
exclusivement juridictionnels. Elle est dotée également de pouvoirs
administratifs en vertu desquels elle procède à des investigations pour
détecter des irrégularités qu’elle ne peut pas réprimer elle-même
étant donné que les personnes concernées ne sont pas soumises à
sa juridiction. Qu’ils soient relevés dans le cadre de l’une ou l’autre
de ses compétences, la Cour des comptes est appelée à dénoncer les
faits qu’elle considère susceptibles de constituer des fautes pénales
aux tribunaux répressifs.
Par ailleurs, la transmission des affaires au juge pénal requiert une
sorte de pré qualification des faits pour justifier l’engagement des
poursuites.
204
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 205
1.1. La transmission ou signalement des cas d’abus
d’usage au juge pénal
La transmission au procureur de la République territorialement
compétent se fait exclusivement par l’intermédiaire du Parquet près
de la Cour des comptes. Les magistrats, rapporteurs, assistants ou
fonctionnaires de la Cour n’ont pas compétence pour transmettre
personnellement aux autorités judiciaires des faits ou documents
dont ils ont eu connaissance dans l’exercice de leurs missions de
contrôle des listes électorales.
Les procédures établies au sein de la Cour font que les décisions de
signalement au juge pénal se fait au vu des résultats du contrôle
des comptes des listes électorales. Si la chambre donne une suite
favorable à la proposition de signalement avancée par le rapporteur
dans son rapport d’instruction des comptes de la liste électorale pour
abus d’usage des ressources publiques, la procédure est déclenchée
par la chambre. Le signalement peut être également déclenché du
propre chef du ministère public dans ses conclusions.
A côté de ces cas les plus fréquents, le ministère public peut effectuer
une transmission pénale à l’autorité judiciaire sur le fondement
des dispositions de l’article 29 du Code des procédures pénales qui
dispose que « Toutes les autorités et tous les fonctionnaires publics
sont tenus de dénoncer au procureur de la République les infractions
qui sont parvenues à leur connaissance dans l’exercice de leurs
fonctions et de lui transmettre tous les renseignements , procès-
verbaux et actes y relatifs. En aucun cas, ils ne peuvent être actionnés
en dénonciation calomnieuse ni en dommages-intérêts, en raison
des avis qu’ils sont tenus de donner par le présent article, à moins
d’établir leur mauvaise foi. »
Les faits pouvant constituer des fautes pénales sont transmis au juge
pénal par référence au cadre légal régissant la Cour des comptes.
La procédure de transmission est prévue par l’article 24 de la loi
organique 2019-41 du 30 Avril 2019 portant sur la Cour des comptes
205
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 206
dispose que le ministère public devra, entre autres, informer les
représentants du ministère public près des juridictions de droit
commun de tous les faits dont la sanction relève de ces juridictions.
Il y a lieu de préciser que dans le cas particulier de la détection de faits
susceptibles de motiver l’ouverture d’une action pénale, la décision
de la juridiction financière de saisir le juge pénal est obligatoirement
adressée par le ministère public.
La communication à adresser par le Parquet doit signaler les faits
et être assortie des pièces justificatives. Cette communication doit
principalement faire état des présomptions d’infractions pénales.
En signalant les présomptions, le Parquet procède à une
préqualification en se bornant à justifier l’existence de l’élément
matériel et l’élément moral. La nature de l‘infraction pénale présumée
ainsi que le texte qui l’appréhende sont également des considérations
à prendre en compte.
La préqualification des faits pouvant constituer des infractions pénales
posent, d’un autre côté, des difficultés pratiques. C’est ainsi que la
distinction entre des actes de non-conformité ou des irrégularités
pouvant constituer des infractions pénales n’est pas évidente.
Le cas d’abus d’usage des ressources publiques sont difficiles à
détecter vue que l’investigation des juridictions financières se limite
pour l’essentiel aux listes électorales telles que décrites plus haut.
La détermination de l’existence de l’élément moral pour ce type
d’infractions est également une autre difficulté.
Il faut dire que face à ces difficultés, et à l’image du droit comparé,
les magistrats de la Cour des comptes s’efforcent de collecter des
présomptions concordantes selon le procédé du faisceau d’indices.
206
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 207
1.2. Matérialité des signalements et droit de la défense
Les cas d’abus d’usage des ressources publiques sont soumis aux
mêmes règles que les autres catégories d’infractions en termes de
matérialité et exigences du respect des droits de défense.
a. Le contenu des signalements et matérialité des faits
Au même titre que tout autre fait susceptible de constituer des
fautes pénales, le signalement des cas d’abus d’usage des ressources
publiques doit être complet et précis afin d’éclairer au mieux les
autorités judiciaires sur les faits, les protagonistes et le raisonnement
suivi par la collégialité pour considérer que des infractions sont
susceptibles d’être constituées.
A cet égard, le Parquet près de la Cour des comptes s’efforce de
rechercher de l’efficience dans ses signalements. Le parquet fait en
sorte d’inviter les formations de faire preuve de sélectivité et de
discernement quant au périmètre des faits transmis et aura veillé à
fournir toutes informations utiles aux enquêteurs.
Le signalement doit aussi respecter un certain formalisme. A ce titre,
quatre éléments doivent être distingués :
Le signalement est appuyé d’une note de synthèse qui est
généralement préparée par le rapporteur. Elle comprend l’exposé
des faits et se réfère expressément aux pièces sur lesquelles se
fondent
les observations.
Cette note est généralement précise et didactique car elle est souvent
transmise telle quelle aux services d’enquête par l’autorité judiciaire.
Elle doit aussi être explicite quant à l’analyse du procureur financier
et du rapporteur sur les faits et la qualification pénale qu’ils sont
susceptibles de revêtir.
Le ministère public élabore, de son côté, une note de transmission
proprement dite qui doit exposer succinctement l’économie générale
207
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 208
du signalement ainsi que la qualification pénale des faits, de
prescription et les personnes mises en cause pour abus d’usage des
ressources publiques.
Les pièces sur lesquelles se fonde le signalement doivent être
indexées à la note de synthèse. Les pièces transmises sont composées
de l’ensemble des pièces recueillies en cours d’instruction sur
lesquelles s’appuie le signalement et qui sont utiles à la compréhension
de l’affaire ainsi que des pièces (demandes écrites, enregistrement
du greffe) formalisant l’exercice du droit à communication du
rapporteur pour obtenir ces pièces.
Pour le cas des signalements des cas d’abus d’usage, et outre
les pièces comptables et les procès-verbaux de l’ISIE, le dossier
comporte les demandes de recoupement adressées par le rapporteur
lors de la phase d’instruction, matériellement les services et le prix
des services rendus aux candidats aux élections.
b. Transmission et droits de la défense lors de la publication
des rapports relatifs au contrôle du financement des
campagnes électorales
Au-delà de ces exigences de qualité, les faits ayant trait aux actes
pouvant constituer des infractions pénales sont soumises à des
limites bien spécifiques. C’est ainsi que la formulation ne doit ni
préjuger ni des décisions finales de la Cour, ni empiéter sur les
compétences des tribunaux
judicaires.
La formulation des observations qui ne préjuge pas des décisions
finales de la Cour veut dire, en des termes plus simples, que la
Cour ne doit pas relater les faits ou évoquer les intéressés objet des
procédures juridictionnelles de la Cour des comptes ou de la Cour
de discipline financière de façon à préjuger de l’issue finale de ces
procédures.
Cette exigence est la conséquence de l’application du principe
d’impartialité et de droit de défense qui font obstacle à ce que la
Cour évoque une affaire dans un rapport public en relevant
208
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 209
l’irrégularité des faits avant qu’une décision juridictionnelle, lancée
en parallèle et au sujet des mêmes faits, ne soit pas encore rendue
d’une manière définitive.
Quand il est possible, la Cour n’exprime pas des opinions sur les
d’affaires susceptibles de suites juridictionnelles de sa part. Quand
des affaires sont évoquées, elles sont rapportées avec précaution.
La qualification juridique des faits et la détermination des personnes
responsables ne sont pas expressément citées dans les rapports.
Il va sans dire que les rapports de la Cour ne doivent pas énoncer
des qualifications pénales. En aucune façon, la formulation des
observations ne doit se baser, quant à ses différentes composantes,
sur une qualification pénale. Les rapporteurs veillent à éviter
d’esquisser des qualifications pénales sous peine de prendre le
risque d’être ensuite démentis par des autorités judicaires, de
compliquer la recherche ultérieure de preuves dans l’organisme
faisant l’objet d’investigations, ou de favoriser des divulgations dont
les conséquences peuvent être graves indépendamment de l’issue
de la procédure pénale.
Il n’en demeure pas moins qu’une telle contrainte est discutable.
Attendre que le contentieux pénal soit achevé avant de pouvoir
mentionner les affaires qui ont fait l’objet de telles procédures dans
son rapport, ne peut qu’affecter l’intérêt du contenu du rapport. En
effet, rapporter seulement les affaires dont l’issue finale a été connue
reviendrait à relater des fautes pénales qui remontent à plusieurs
années.
Pour soutenir l’intérêt du rapport et au risque de ne pas rapporter
les fautes pénales d’une manière implicite voire même de les relater
entre les lignes, la Cour des comptes est tenue par le respect du
droit de la défense et du principe d’impartialité à relater les faits de
manière mesurée qui exclut tout pré-jugement.
En revanche, la lecture du rapport de la Cour exige de tout lecteur
de garder à l’esprit que les exigences des principes d’impartialité
et de droit de la défense, et l’obligation de ne pas empiéter sur les
compétences des juridictions répressives sont bien présentes dans
209
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 210
ces rapports. Les faits existent bel et bien avec des termes mesurés
et implicites.
L’exemple des cas d’abus d’usage des ressources publiques ont été
cités dans le rapport sur le contrôle de financement des électorales
de 2018 sans que les entités publiques ou agents publics responsables
des faits qualifiés d’abus d’usage n’aient été mentionnés.
2. Sanction des candidats aux élections pour abus
d’usage des ressources publiques
Au-delà de la question de la responsabilité des organismes et agents
publics ayant commis la violation des dispositions de l’article 53 et qui
sont incriminés par l’article 159 de la loi électorale, la question qui
reste posée consiste à savoir quelles sont les suites à donner des cas
d’abus d’usage pour ce qui est des listes électorales.
Cette question du reste, centrale, se trouve étroitement liée avec
l’imputabilité des listes électorales pour des faits qui ne sont pas
sanctionnés par la loi électorale. Le financement déguisé, l’abus
d’usage des ressources publiques et la publicité politique en sont les
exemples les plus fréquents.
Le traitement de la question d’imputabilité des listes électorales
pour ces cas de figure n’est pas sans poser des problématiques qui
se trouvent être liées avec les sanctions prévues par la loi électorale.
2.1. Imputabilité des candidats aux élections dans les
cas d’abus d’usage des ressources publiques
Pour l’exercice des pouvoirs de sanction aux amendes au titre des
infractions financières électorales prévues par des textes spéciaux,
les lois électorales en l’occurrence, la Cour des comptes a dû
appliquer les mêmes règles utilisées pour le jugement des comptes et
la sanction aux amendes. Étant donné les différences notables entre
210
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 211
la matière de jugement des comptes et celle électorale, d’une part ;
et l’entrée en vigueur des principes du procès équitable introduits
par la Constitution de 2014 pour les juridictions financières, d’autre
part ; la Cour des comptes devait se mettre à résoudre certaines
problématiques que cette évolution a mis en exergue.
Voyons tout d’abord quelles infractions électorales la Cour peut
sanctionner.
Les infractions financières électorales sont multiples mais l’essentiel
porte sur le non-dépôt des comptes et le non-remboursement des
avances au titre de l’aide publique au financement des campagnes
électorales.
Pour ce qui est du non-dépôt des comptes, l’article 98 de la loi
électorale
1 dispose : « Si le dépôt du compte financier d’une liste,
d’un candidat ou d’un parti n’a pas eu lieu, la Cour des comptes met
en demeure la partie contrevenante, et lui accorde un délai de grâce
de trente jours. En cas de non-dépôt du compte pendant ce délai,
la Cour des comptes condamne la partie contrevenante à payer une
amende égale à vingt-cinq fois le plafond de dépenses. Si la Cour
des comptes décide de rejeter le compte financier d’une liste, d’un
candidat ou d’un parti, sans qu’il ait dépassé le plafond de dépenses,
elle le condamne à payer une amende égale à 10 % du plafond de
dépenses.
En cas de dépassement du plafond de dépenses électorales dans
l’une des circonscriptions électorales, la Cour des comptes inflige à la
liste, au candidat ou au parti les sanctions suivantes :
• Une sanction pécuniaire égale au montant du dépassement du
plafond, si le dépassement est dans les limites de 10 %,
• Une sanction pécuniaire égale à dix fois le montant du
dépassement du plafond, si le dépassement est supérieur à 10 %
et dans la limite de 30 %,
1. Loi organique n° 2014-16 du 26 mai 2014 relative aux élections et référendums.
211
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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• Une sanction pécuniaire égale à vingt fois le montant du
dépassement du plafond, si le dépassement est supérieur à 30 %
et dans la limite de 75 %,
• Une sanction pécuniaire égale à vingt-cinq fois le montant du
dépassement du plafond, si le dépassement est supérieur à 75 %.
En cas de non-dépôt du compte financier conformément à l’alinéa
premier du présent article ou de dépassement du plafond de
dépenses de plus de 75 %, la Cour des comptes déclare la déchéance
du mandat de chaque membre de l’Assemblée des représentants du
peuple ayant été candidat sur l’une de ces listes ».
Pour l’entrave aux travaux de la Cour, l’article 99 de la loi électorale
dispose que « La Cour des comptes inflige une sanction pécuniaire
allant de cinq cents dinars à deux mille cinq cents dinars aux
candidats, listes de candidats ou partis politiques qui entravent
délibérément ses travaux en lui communiquant avec retard les pièces
requises pour la réalisation des contrôles qui lui sont dévolus ».
Enfin, et pour les autres infractions, le même article 99 ajoute : « La
Cour des comptes peut également infliger une sanction pécuniaire
allant de mille dinars à cinq mille dinars aux candidats, listes de
candidats ou partis politiques qui contreviennent aux dispositions
prévues aux articles 78 et 84 à 86 de la présente loi ».
L’application de l’amende est également prévue contre les partis
politiques n’ayant pas été conformes aux dispositions de l’article 84
qui dispose que « Tout parti politique qui présente plus d’une liste
de candidats aux élections législatives, doit tenir une comptabilité
consolidée rassemblant toutes les opérations effectuées dans les
différentes circonscriptions électorales dans lesquelles il présente
des listes de candidats. La transcription comptable doit se faire sans
rature tout en observant l’ordre chronologique des enregistrements
comptables et la signature des registres par la liste de candidats,
le candidat ou le parti et ce, outre la comptabilité propre à chaque
circonscription électorale établie par la liste du parti intéressée ».
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 213
Le passage du système d’avance au système du remboursement exige
de la Cour de statuer sur l’éligibilité des dépenses électorales. En
effet, l’article 78 de la loi électorale dispose qu’il est versé à chaque
candidat ou liste candidate qui a recueilli au moins 3 %des suffrages
exprimés dans la circonscription électorale, une subvention publique
forfaitaire au titre de remboursement des dépenses électorales. Ce
versement est effectué après la proclamation des résultats définitifs
des élections, la production d’un justificatif de dépôt des états
financiers auprès de la Cour des comptes et après vérification du
respect par le candidat ou la liste candidate des obligations légales
relatives à la campagne électorale et son financement.
La Cour des comptes détermine, pour chaque candidat ou liste
candidate, la valeur des dépenses électorales servant de base au
calcul du montant de la subvention publique due.
Dans tous les cas, la valeur de la subvention publique ne peut excéder
le montant de l’autofinancement du candidat ou de la liste électorale
intéressée. Elle ne peut également excéder le plafond global des
dépenses visé à l’article 81 de la loi électorale.
Est privé de la subvention publique au titre de remboursement des
dépenses électorales, le candidat ou la liste candidate qui ne publie
pas les états financiers conformément aux dispositions de l’article 87
de la même loi.
Il se dégage ainsi de la présentation des différents cas de figures en
matière de responsabilisation des listes électorales pour les cas d’abus
d’usage des ressources publiques peut être appréhendée sous deux
formes principales, la privation de la subvention publique au titre
de remboursement des dépenses pour non-respect des obligations
légales relatives à la campagne électorale et son financement, et
l’amende pour financement illicite des campagnes électorales.
213
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 214
2.2. Procédures de sanction des listes électorales
pour abus d’usage des ressources publiques
a. Le Parquet en tant qu’autorité de poursuite
Au même titre que les autres cas de financement illicite, les cas d’abus
d’usage des ressources publiques font l’objet de poursuite suivant
les mêmes règles. A ce sujet, le ministère financier s’érige en tant
qu’autorité de poursuite.
Il faut rappeler que ce partage des rôles est dicté par les exigences
d’impartialité du juge financier. Nous distinguons entre « l’impartialité
personnelle » ou subjective, et « l’impartialité fonctionnelle » ou
objective. L’impartialité du juge est appréciée donc par rapport à
plusieurs considérations liées les unes aux autres. L’impartialité du
juge peut être remise en cause. Ceci est envisageable lorsque le juge
est personnellement concerné. Il s’agit par exemple des situations
de conflits d’intérêt. En outre, le respect du principe d’impartialité
exige que la décision à prendre par une formation de jugement
doive être établie sans l’influence des magistrats instructeurs et des
représentants du ministère public
1.
L’impartialité est structurelle lorsque la juridiction souffre tant au
niveau de son organisation que des moyens mis à sa disposition, ce qui
pourrait limiter son champ d’intervention et réduire son impartialité
intellectuelle.
La question de l’impartialité structurelle est à considérer également
sous l’angle du partage des attributions entre Cours et Parquets.
Pour être impartial, un juge des comptes ne peut pas engager une
poursuite, instruire et juger en même temps.
La nouvelle loi relative à la Cour des comptes vient renforcer les
attributions du ministère public. Il s’agit en premier lieu d’attribuer
au parquet un véritable pouvoir de poursuite. Désormais, aucune
sanction aux amendes ne pourra être lancée sans un réquisitoire du
ministère Public. Ceci concerne tant la sanction des fautes de gestion
1. Mourad Bengassouma « Listes électorales, comptables publics et procès équitable »,
Infos Juridiques, 2019.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
Page 215
que la sanction aux amendes dans le cadre du jugement des comptes.
Ladite Loi met également au clair la fameuse problématique de la
sanction des amendes au titre des infractions financières électorales.
En effet, tel que précisé dans l’article 24 de cette loi, le ministère public
est compétent pour engager les poursuites en matière de fautes de
gestion, en matière de sanction aux amendes au titre des jugements
des comptes et au titre des attributions qui lui sont conférées par des
textes spéciaux. L’engagement des poursuites est opéré par voie de
réquisitoire.
Le réquisitoire est donc l’acte par lequel le ministère public
déclenche les poursuites contre le comptable pour lui infliger
une amende. Il faut bien préciser que cette procédure n’est pas
systématique puisque dans les cas des procédures inquisitoires ce
sont les chambres qui engagent d’elles-mêmes les procédures sans
passer par le ministère public.
En effet, la Cour des comptes prononce les amendes soit sur
réquisition du ministère public, soit d’office sur le rapport d’un
de ses membres. En tout état de cause, ce rapport est transmis au
ministère public qui engage les poursuites. Tous les rapports sur les
condamnations à l’amende sont communiqués au Ministère Public
pour avis avant d’y être statué.
1
Le recours à la sanction aux amendes peut être déclenché soit au vu
d’un rapport du rapporteur en charge d’instruire du poste comptable
en question, soit à l’initiative du ministère public. Quand le ministère
public estime nécessaire de sanctionner à l’amende, il requiert la
Cour de prononcer une amende proportionnelle au nombre de mois
écoulés entre la date de production réglementaire et, soit celle du
réquisitoire, soit celle de la production effective du compte.
Le réquisitoire est accompagné d’un dossier comportant la preuve
du retard constaté et les échanges de courriers. Le réquisitoire est
transmis au président de la Cour des comptes. Une fois engagée, la
procédure de la sanction aux amendes suit la même démarche avec
un arrêt provisoire et un arrêt définitif.
1. Articles 106 et 107 de la Loi 41-2019 relative à la Cour des Comptes
215
L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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Outre les réquisitoires au titre des amendes pour non-production
des comptes, la Cour peut, en vertu des textes spéciaux, engager
les mêmes procédures en matière électorale. C’est ainsi, que faute
d’avoir établi des procédures et des règles de jugement spécifiques
pour la matière électorale, la loi électorale avait renvoyé d’une
manière explicite aux mêmes règles que la Cour des comptes applique
pour le jugement des comptes des comptables publics. Ainsi, l’article
92 de la loi électorale dispose que les procédures prévues par la loi
réglementant la Cour des comptes sont applicables au contrôle du
financement de la campagne des candidats, des partis politiques et
des listes de candidats, sauf si elles sont expressément inconciliables
avec les dispositions de la présente loi.
De ce fait, la sanction des listes électorales pour abus d’usage des
ressources publiques est déclenchée par un réquisitoire du ministère
financier par respect au principe de l’impartialité objective du juge
financier.
b. Abus d’usage des ressources publiques
et jurisprudence de la Cour des comptes
La première question posée aux formations de jugement au sein de
la Cour est l’établissement des liens entre les cas d’abus d’usage des
ressources publiques et l’exigence du respect par le candidat ou la liste
candidate des obligations légales relatives à la campagne électorale
et son financement.
A cet égard, une certaine divergence a été constatée quant
aux positions relatives à l’interprétation des obligations légales
concernant
la campagne électorale et son financement. Pour
certaines formations de jugement, l’implication des listes électorales
dans des situations d’abus d’usage fait indéniablement partie des cas
de figure qui sont qualifiés de non-respect des obligations légales.
Le financement illicite constitue l’infraction centrale que les listes
électorales peuvent commettre.
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L’ABUS D’USAGE DES RESSOURCES PUBLIQUES PENDANT LES ÉLECTIONS
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Dans le camp opposé, certaines autres formations considèrent que
la privation des listes électorales des subventions publiques ne doit
pas être interprétée d’une manière large. Ce sont les conditions
formulées d’une manière explicite au niveau de l’article 78 nouveau
de la loi électorale qui doivent être les seuls justificatifs de privation
et ce, en sus des autres cas de privation cités dans l’article 98 nouveau
de la même loi. En dehors de ces cas, toute interprétation large serait
excessive.
Le deuxième point d’analyse jurisprudentielle ayant trait aux cas
d’abus d’usage des ressources publiques est
limites
d’interprétation des dispositions de l’article 84 et des possibilités
de rejet des comptes financiers en relation avec les violations des
dispositions de l’article 53 de la loi électorale. Pour ces questions bien
précises, la Cour n’a pas encore établi une jurisprudence constante.
lié aux
217
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218
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Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD)
international,
le
En tant qu’agence principale des Nations Unies pour
développement
le PNUD travaille dans 170
pays et territoires pour éradiquer la pauvreté et réduire les
inégalités. Nous aidons les pays à développer des politiques,
des compétences en matière de leadership, des capacités de
partenariat, des capacités institutionnelles et à renforcer la
résilience pour atteindre les Objectifs de développement durable.
Notre travail se concentre sur trois domaines d’intervention:
le développement durable, la gouvernance démocratique et
la consolidation de la paix, et la résilience au climat et aux
catastrophes.
www.undp.org
2022
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