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Université de Carthage
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis
Les enjeux du
processus électoral
Sous la direction de Rafaâ Ben Achour
Colloque international organisé le 3 décembre 2013 à Tunis
(Hôtel Africa)
Par l'Unité de recherche en droit international, juridictions
internationales et droit constitutionnel comparé
Et
La Konrad-Adenauer- Stiftung
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Tous droits réservés : Konrad-Adenauer-Stiftung
Impression : Simpact
ISBN : 978-9973-797-18-6
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Table de matières
Préface .................................................................................................................................................................................................................................. 5
Allocution du Dr. ostry .......................................................................................................................................................................... 7
Dr. Hardy Ostry
Représentant Résident de la Konrad-Adenauer-Stiftung en Tunisie/Algérie/Libye
Rapport introductif ......................................................................................................................................................................................... 9
Prof. Rafâa Ben Achour
Directeur de l’URDIJIDCC
Les enjeux de la nouvelle loi sur l’ISIE ....................................................................................................................... 19
Mme.Mouna Kraïem Dridi
Maître-Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis
Les enjeux de l'observation internationale des élections .......................................................... 31
M. Tommaso Caprioglio
Expert international auprès des Organisations internationales en matière électorale
Respecter le calendrier électoral: un défi majeur ................................................................................... 41
Mme Nadia Akacha
Assistante à la Faculté de Droit et de Sciences politiques de Tunis, doctorante à la
Faculté des Sciences juridiques, politiques et Sociales de Tunis.
Les défis de la nouvelle administration électorale ................................................................................. 51
M. Cyril Kulenovic
Expert international
Les enjeux de l’inscription des électeurs .............................................................................................................. 59
Mme Sana Gouia
Doctorante à la Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis
Financement des partis politiques : le cas de la Tunisie ................................................................. 73
M.Nicolas Kaczorowski
Directeur, Fondation internationale pour les systèmes électoraux, Tunisie
Les enjeux du contentieux électoral (texte non disponible)
Mme Raoudha Mechichi
Premier Président du Tribunal administratif
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Les défis du contrôle du financement de la campagne électorale par la Cour
des comptes (texte non disponible)
Mme Fadhila Gargouri
Juge à la Cour des comptes
Major challenges to elections with integrity .................................................................................................... 81
M. Ashraf Shuaibi
Directeur exécutif adjoint de la Commission électorale palestinienne
Méthodologie d’analyse des résultats électoraux ................................................................................... 85
Dr Thierry Coosemans
Membre de l’Association Belge de Science Politique
Collaborateur scientifique auprès du CEVIPOL de l’Université Libre de Bruxelles
La couverture médiatique des élections : Contraintes, enjeux et défis ........ 101
Mme Hager Ben Cheikh Ahmed
Assistante à l’Ecole supérieure de l’audiovisuel et du cinéma
Les codes de bonnes conduites réglementant le rôle des médias pendant le
cycle électoral
................................................................................................................................................................................................. 127
Mme Fatma Raâch Regaya
Docteur en Droit
Assistante à la Faculté de Droit et des sciences politiques de Tunis

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Préface
Cet ouvrage est un recueil des interventions présentées lors de la
journée d'étude organisée, à Tunis le 3 décembre 2013, conjointement par
l'Unité de Recherche en Droit International, Juridictions internationales et Droit
Constitutionnel Comparé et la Fondation Konrad Adenauer. Plusieurs questions
essentielles liées au thème des enjeux du processus électoral y ont été
débattues. Les communications présentées par des universitaires tunisiens et
étrangers, ainsi que par des praticiens et experts étrangers, de très haut niveau,
ont analysé les enjeux des prochaines échéances électorales avec perspicacité
et ont démontré l'importance de soulever cette question dans une pareille
circonstance en Tunisie.
En effet, échéances électorales attendues avant la fin 2014 présentent des
enjeux multiples et des défis importants. Il appartient à tous les acteurs
politiques, à toutes les composantes de la société civile et à tout le peuple
tunisien de les relever.
Ces élections marqueront une étape importante dans l'histoire politique
de la Tunisie, en ceci qu'elles mettront fin à une étape de la transition
démocratique, restitueront l'autorité de l'Etat et renforceront la légitimité des
institutions nationales.
Le premier enjeu est ainsi le retour à l'ordre constitutionnel après une
deuxième période transitoire assez alambiquée, il s'agit de restaurer l'autorité
de l'Etat, restaurer la confiance des tunisiens à l'endroit de la République
tunisienne et de la nouvelle Constitution, ainsi que de faire face au grand défi
qui reste l'apaisement des tensions politiques, la sécurité, le redressement
économique et social.
Il s'agit également de mettre en place des dirigeants qui désormais ont le
pouvoir de décider pour le moyen et long terme. Si l'attention est focalisée sur
les élections présidentielles, les élections législatives sont également importantes
puisqu'elles vont permettre de connaître les forces réelles des différents partis
politiques tunisiens. Ces nouvelles échéances électorales dresseront une
reconfiguration de l'espace politique de la Tunisie.
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Dans la logique des choses, le retour à l'ordre constitutionnel va
permettre ainsi à la Tunisie de reprendre les coopérations internationales aussi
bien sur le plan bilatéral que multilatéral, et de jouer son rôle aussi bien sur le
plan international que régional.
En ce qui concerne le plan économique, la tenue des élections va
restaurer la confiance des investisseurs nationaux et internationaux afin de
permettre dans le meilleur délai de redresser l'économie nationale.
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allocution du Dr. ostry
Dr. Hardy ostry
Représentant Résident de la Konrad-Adenauer-Stiftung
en Tunisie/Algérie/Libye
Mesdames, Messieurs,
La présente publication, intitulée «les défis du processus électoral», est le
résultat d’une étroite collaboration entre la Konrad-Adenauer-Stiftung et l’Unité
de Recherche en Droit International, Juridictions Internationales et Droit
Constitutionnel Comparé. Ayant à l’esprit l’expérience tunisienne et les
développements internationaux, les deux institutions ont organisé, en décembre
2013, une conférence à Tunis afin de s’intéresser de plus près aux élections, à
leur importance et leurs exigences.
Les élections, et nous tomberons rapidement d’accord sur ce point, sont
une condition sine qua none de la Démocratie et de l’Etat de droit. Mais, nous
savons tous, et l’Histoire de nombreuses transitions l’a montré, que les élections
à elles seules ne suffisent pas à garantir l’établissement de la Démocratie. De
nombreuses expériences ces dernières années, nous ont ainsi enseigné à ne
pas sous-estimer leur importance, mais surtout à prêter une attention
particulière à l’environnement social, juridique et politique dans lequel elles se
déroulent.
La loi électorale revêt une importance particulière à cet égard, cette
dernière devant naturellement satisfaire les critères et standards démocratiques
et de la primauté du droit, tout en prenant en considération et répondant aux
développements politiques et sociaux d’un pays. Une loi électorale prévoyant
un système à deux voix (Zwei-Stimmen-System), comme en Allemagne par
exemple, présuppose un système des partis stable et développé, pour que la
deuxième voix puisse avoir l’effet escompté.
Les premières élections libres et à bulletin secret, du 23 octobre 2011,
ont mis la Tunisie et sa transition sur la voie vers un ordre démocratique,
reposant sur la primauté du droit. Malgré les contraintes, caractéristiques d’un
scrutin organisé en pleine phase transitoire, les observateurs électoraux,
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nationaux comme internationaux, ont certifié le déroulement relativement
équitable des élections. Des questions, néanmoins restées en suspens, sont à
prendre en considération au moment de la préparation des prochaines
élections. Plus particulièrement, la question de la participation, considérée
comme trop faible par de nombreux observateurs, si l’on considère l’historicité
du moment pour la Tunisie, est décisive notamment du point de vue politique,
pour les questions juridiques et procédurales.
C’est pourquoi, en plus des aspects formels et juridiques à prendre en
compte lors de la préparation d’un scrutin électoral, la question de la
participation semble également être un aspect déterminant, en tant que garante
et miroir de la crédibilité du processus politique. Plus de trois ans après la
Révolution, la Tunisie entre à présent dans une nouvelle phase de sa transition
avec l’adoption de la nouvelle Constitution, à laquelle il s’agit maintenant de
donner vie politiquement. Le nombre croissant – selon l’ensemble des sondages
- de ceux qui n’ont pas l’intention d’aller voter ou qui ne savent pas à quel parti
donner leur voix devrait faire réfléchir l’ensemble des parties concernées : les
décideurs politiques comme les partis, la société civile comme les médias. Une
phrase banale, mais sans cesse confirmée par l’Histoire, nous apprend qu’«une
Démocratie a besoin de démocrates». Nous, Allemands, en avons fait
l’expérience douloureuse au cours de l’Histoire. Au-delà des institutions elles-
mêmes, qui sont incontestablement importantes, il faut pouvoir leur insuffler
esprit et vie. Il en va de même pour une élection. Une participation importante
au cours d’un scrutin, ayant pour but de donner la légitimité à ceux qui
concourent dans l’arène politique pour recevoir la responsabilité de façonner le
pays, augmente le message et le pouvoir de persuasion de ces dernières.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à la préparation de cette
publication, en particulier l’Unité de Recherche en Droit International, Juridictions
Internationales et Droit Constitutionnel Comparé sous la direction de Prof.
Rafâa Ben Achour, ainsi que son équipe. Cette publication représente le résultat
des efforts communs et des réflexions, qui ont été échangés au cours de la
conférence du même nom. Il ne me reste qu’à souhaiter à cette publication une
large diffusion et un écho positif.
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Rapport introductif
Par Pr. Rafâa Ben Achour
Directeur de l’URDIJIDCC
L’expression de la démocratie passe nécessairement par le vote. C’est par
cet acte libre, conscient et loyal que s’exprime le Souverain (le peuple ou la
Nation) pour désigner ses représentants ou exprimer sa volonté et ses choix
politiques, économiques, sociaux et culturels. Toutefois, en lui-même l’acte de
vote, le jour du scrutin, n’est qu’un élément d’un processus qui n’est pas
strictement technique dont la réussite dépend de plusieurs facteurs politiques,
juridiques, sécuritaires, intellectuels, etc.
Le processus électoral est un cheminement, plus ou moins long et
complexe, vers les élections. Pour schématiser, il peut consister en trois étapes
qui sont d’égale importance :
- L’étape pré-électorale : c’est la phase de la préparation du cadre juridique
des élections (loi électorale, financement des partis politiques, création d’un
organe de gestion des élections), l’installation de l’administration électorale
(l’ISIE) chargée de la préparation des élections, de leur supervision et de leur
contrôle, l’inscription des électeurs. Cette phase peut aussi comprendre des
activités de sensibilisation citoyenne, d’éducation civique et politique notamment
dans la société civile. Elle s’achève avec la compagne électorale. Celle-ci ouvre
sur la concurrence des partis politiques et des candidats qui présentent leurs
programmes en vue de recueillir le plus grand nombre de voix des électeurs.
- L’étape des élections : il s’agit du jour du scrutin. Ce jour couvre non
seulement le vote mais aussi l’observation électorale (des partis politiques, de
la société civile et des organisations internationales), dépouillement des voix, et
proclamation des premiers résultats dans les bureaux de vote.
- L’étape post-élections : cette phase commence par la proclamation des
résultats par l’administration électorale. Elle comprend le contentieux électoral
puis la déclaration des résultats définitifs et leur publication officielle. Elle inclut
aussi la préparation du rapport évaluatif sur les élections par l’administration
électorale.
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En Tunisie le processus électoral n’a pas encore réellement démarré.
Notre pays vit en effet, depuis plus d’une année, c’est-à-dire depuis que
l’Assemblée nationale constituante et les institutions qui en sont issues ont
épuisé leur mandat et leur légitimité électorale, dans l’attente :
- Attente d’une Constitution dont on ne voit pas encore les contours
définitifs et sur laquelle le consensus ne s’est toujours pas cristallisé. Les
Tunisiens aspirent depuis plus de deux ans à ce nouvel ordre constitutionnel
démocratique, pluraliste et moderne susceptible de leur redonner confiance, de
rétablir les valeurs de la République civile et de promouvoir la sécurité et le
redressement économique et social ;
- Attente de la composition de l’Instance électorale (Isie) sujette à des
marchandages politiques et à des censures répétées de la juridiction
administrative ;
- Attente de la loi électorale dont on n’entrevoit même pas les grandes
lignes ;
- Attente de la désignation d’un chef de gouvernement de compétences
nationales et de l’application d'une feuille de route de sortie de crise dont
toutes les échéances sont obsolètes ;
- Attente des élections dont ni la date, ni la nature, ni les modalités
pratiques, ni l’encadrement juridique ne sont encore connus et qui le resteront
encore longtemps vu les embûches que rencontre le dialogue national. Cette
indétermination des échéances pose le problème de l’absence de visibilité de
l’avenir immédiat du pays et est à l’origine de la dégradation de la situation
internationale du pays.
Pourtant tout le monde s’accorde, opposition comme partis au pouvoir,
et depuis plus d’une année, sur l’urgence de fixer ces échéances définitivement
et avec précision pour mettre fin à une situation transitoire qui n’a que trop
duré et pour engager le pays dans la voie de réformes plus que nécessaires.
Ainsi, les échéances électorales attendues sont vitales. Elles sont l’objet
d’enjeux multiples et lancent des défis importants. Il appartient à tous les
acteurs politiques, à toutes les composantes de la société civile et à tout le
peuple tunisien de les relever.
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L'organisation d’élections présidentielles, législatives, locales et régionales
est de nature à mettre fin à une étape de transition (commencée le 14 janvier
2011 en début de soirée), à restituer l'autorité de plus en plus diluée de l'Etat et
à asseoir les nouvelles institutions constitutionnelles sur une légitimité actualisée.
Ainsi, le retour à l'ordre constitutionnel constituera le premier enjeu des
élections attendues.
Il s'agit également de désigner des dirigeants qui seront investis du
pouvoir de décider pour le moyen et le long terme. Si l'attention est aujourd’hui
focalisée sur les élections présidentielles et législatives, les élections locales et
régionales sont également importantes. Elles permettront aux citoyens de
choisir les représentants chargés de gérer les affaires quotidiennes de leurs
cités. Les échéances électorales prochaines dessineront la nouvelle configuration
de l'espace politique de la Tunisie.
Enfin, la mise en place d’institutions pérennes soumises à un cadre
constitutionnel moderne et démocratique replacera la Tunisie sur le plan
international et mettra fin à la dégradation de l’image de marque de la politique
étrangère de notre pays, à la perte de confiance des investisseurs étrangers et
à la chute libre des notes souveraines de la Tunisie par les agences de notation
internationales.
Après l’expérience, somme toute satisfaisante, des élections du 23
octobre 2011, la Tunisie est en attente de la deuxième date qui lui permettra
de passer vers une nouvelle phase de son histoire post révolution. Toutefois, le
processus électoral ne cesse de se heurter à des obstacles de taille qui
l’entravent et qui l’entachent de flou et d’incertitude.
Cette journée d’étude est consacrée à l’étude des enjeux du processus
électoral attendu. Ces enjeux, malgré leur diversité et leur complexité peuvent
être regroupés en deux catégories : les enjeux d’ordre politique d’une part (I)
et les enjeux d’ordre juridique d’autre part (II).
I - Enjeux d’ordre politique
Les enjeux politiques tiennent à trois considérations essentielles :
- D’abord la considération relative de la légitimité de l’Assemblée
Nationale Constituante
. Institution issue des élections du 23 octobre 2011,
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l’ANC a été élue pour rédiger une nouvelle Constitution pour la Tunisie dans le
délai d’une année. Toutefois, l’ANC entrée dans sa troisième année d’existence
n’est toujours pas arrivée à remplir son mandat. L’expression de la volonté
populaire est de ce fait bloquée. La loi constituante n° 2011 – 6 du 16 décembre
2011 portant organisation provisoire des pouvoirs publics a opéré un véritable
détournement de mandat. Elle a en effet investi l’Assemblée de fonctions
législative et de contrôle reléguant la fonction essentielle, la fonction constituante,
au second plan : un seul article de la loi a été consacré au pouvoir constituant
(article 3), alors que pratiquement tout le reste du texte est consacré au pouvoir
législatif et à des questions marginales. La loi sur l’organisation provisoire des
pouvoirs publics s’est par ailleurs défait de l’engagement juridique, politique et
moral qui était à la base des élections d’octobre 2011, celui de rédiger une
Constitution en une année. Ce texte provisoire qui dure a ainsi contribué de
manière directe à détourner la volonté populaire exprimée lors les élections du
23 octobre 2011. Le processus électoral se trouve profondément affecté par
cette situation. Hormis une loi portant création de l’Isie, qui n’a pas encore fini
de révéler ses contradictions et ses faiblesses, rien n’a été encore accompli :
jusqu’à aujourd’hui, l’ANC n’a sur son ordre du jour aucun projet de loi
électorale. Elle n’a pas encore fixé la date d’adoption de la constitution et
n’arrive pas à surmonter l’imbroglio juridique dans lequel elle s’est engouffrée.
Bien évidemment, l’élaboration de l’ensemble des textes juridiques encadrant le
processus électoral reste tributaire de l’adoption de la Constitution elle-même
qui fixera les conditions d’éligibilité à la présidence de la République et à
l’assemblée parlementaire et posera les principes de base du droit électoral.
Face à l’incurie de l’ANC une crise de confiance publique et un grand
désenchantement citoyen se sont installés. Ils n’ont pas manqué de semer le
doute quant à l’aboutissement de cette phase transitionnelle.
- Le deuxième enjeu des prochaines échéances électorales se rapporte à
des
considérations relatives à la participation des électeurs. Le risque
d’abstentionnisme est réel et grandiose et les différents sondages d’opinion
révèlent un taux d’abstention proche de la moitié des électeurs. Ce phénomène
est fort préoccupant dans un pays où le citoyen est censé assoiffé d’exercer
librement son droit à choisir ses représentants. L’abstention est un acte politique
qui traduit la crise de confiance citoyenne dans tout le processus politique. Les
secousses qu’a connues le pays pendant les deux dernières années aussi bien
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sur le plan politique qu’économique et social ont contribué à creuser le fossé
entre le peuple et une grande partie de la classe politique. Le manque de
visibilité par rapport à l’avenir, l’instabilité des institutions et la dégradation de la
condition socioéconomique et sécuritaire implique un repli du citoyen. Ce bilan
négatif constitue un véritable défi au processus électoral. La réussite de ce
dernier ne peut nullement avoir lieu sans une participation massive aux
élections. Il n’en demeure pas moins que la légitimité politique se mesure à
l’aune de la participation citoyenne aux élections. L’abstentionnisme sera ainsi
un risque d’échec pour le processus électoral dans un contexte de transition.
En effet, ce processus est censé paver la voie pour des institutions politiques
véritablement représentatives.
- Le dernier enjeu politique est lié aux considérations tenant au
processus transitionnel
. Les élections constituent en effet le point de départ
de la mise en place d’un nouveau régime politique. Contrairement aux élections
du 23 octobre 2011, qui se limitaient à désigner une assemblée constituante,
les prochaines élections seront celles de la mise en place d’un nouveau régime
politique en vertu de la nouvelle Constitution. Toutefois, ce nouveau régime
politique ne dépendra pas seulement du texte de la nouvelle Constitution, il
est largement lié à l’architecture partisane et la clarté de ses variétés (identités
politiques, programmes et promesses électorales) ainsi qu’à la qualité des
nouvelles institutions créées par la Constitution. Le processus électoral sera en
ce sens la première épreuve à franchir pour tester la qualité de la Constitution
et sa vocation démocratique.
Parallèlement aux enjeux politiques du processus électoral attendu, il y a
lieu de signaler un certain nombre d’autres enjeux intimement liés aux premiers
mais qui présentent un caractère juridique dominant.
II - Enjeux d’ordre juridique
Les enjeux juridiques accompagnent toutes les phases du processus
électoral. Dans le cas de notre pays, ils témoignent de manière on ne peut plus
claire de l’ampleur des dégâts causés par la mauvaise gestion du processus
transitionnel par les autorités transitoires. Depuis les élections du 23 octobre
2011, la scène politique se caractérise par l’absence d’une vision claire du
déroulement du processus électoral, la multiplication des calendriers avancés au
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pied levé pour faire face à la pression nationale et internationale en plus de
toutes sortes de manœuvres dilatoires et de divertissements par rapport aux
questions essentielles de la transition. Tous ces éléments ont eu pour effet de
retarder les échéances du processus électoral. Encore aujourd’hui, personne ne
peut s’aventurer à prédire la date, même approximative des prochaines
échéances électorales. (Nadia Akacha nous démontrera si besoin est que le
respect du calendrier électoral est un défi majeur du processus électoral).
Ainsi, la loi électorale, qui est le texte de base du processus électoral
n’est pas encore envisagée. Comme indiqué plus haut, aucun projet de loi n’a
été déposé à l’ANC et il semble que la réflexion sur la question n’a pas encore
débuté. Pourtant, la loi électorale devra réglementer des questions capitales
pour l’honnêteté du scrutin telles que l’inscription des électeurs, le mode de
scrutin, le découpage électoral, l’attribution des sièges par circonscription, le
déroulement et le financement de la campagne électorale, les différents
contentieux, le contrôle des opérations de vote, etc.
Ce retard est d’autant plus inquiétant que la constitution elle même n’est
pas prête d’être adoptée de sitôt. Dans sa feuille de route le quartet, parrain
du dialogue national, a envisagé de confier la mission de rédiger la loi électorale
à un comité d’experts, le rôle de la Constituante étant réduit à l’adoption
formelle du texte. Or, et compte tenu du blocage du dialogue national depuis
plusieurs semaines, rien de cela n’a été encore accompli.
Le seul texte qui a été adopté est la loi relative à l’Isie (dont Mouna
Kraiem vous parlera en détail). Cependant, les contestations répétées de la
désignation des 36 candidats à l’élection du Conseil de l’Isie a mis à nu les
imperfections du texte et les détournements de procédure qui ont accompagné
sa mise en application. Suite aux décisions du tribunal administratif on en est
encore à la discussion byzantine des modalités d’application des décisions
juridictionnelles et une nouvelle révision de la loi, notamment de son célèbre
article 6 est envisagée. Tant que l’Isie n’est pas constituée, on ne pourra pas
parler de déclenchement du processus électoral. En effet, il faudra, que l’Isie se
dote, une fois mise en place, d’un organe exécutif et qu’elle commence à
remplir ses fonctions dont celle de l’inscription des électeurs qui, à son tour,
pose problème puisque les avis divergent entre ceux qui sont pour l’inscription
passive et ceux qui optent pour l’inscription active.
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Au-delà de l’inscription des électeurs (sujet qui sera développé par Sana
Gouia), chaque étape du processus apportera son lot de problèmes et de
difficultés juridiques et techniques. La loi sur l’Isie est porteuse de plusieurs
problèmes prévisibles qui risquent de retarder encore l’échéance électorale. Il
en est ainsi de la «faculté» de créer des IRIE, ou des larges attributions
reconnues à l’organe exécutif de l’Isie qui risquent de mettre ce dernier en
concurrence avec le Conseil de l’Isie. Il en est de même concernant les rapports
ambigus que devrait avoir l’organe exécutif central avec les organes exécutifs
régionaux et les éventuelles IRIE. Il est donc normal que certains soient très
sceptiques quant à la tenue d’élections à moyen terme tant que l’Isie n’est pas
le temps d’accomplir
constituée ni assurée d’avoir
convenablement ses fonctions. M. kamel Jendoubi, fort de son expérience des
élections de 2011 estime qu’une élection sérieuse, honnête et transparente ne
pourra avoir lieu que dans un délai d’une année après la mise en place
complète de l’Isie.
les moyens et
Un autre enjeu juridique de taille du processus électoral attendu est
relatif à la question de l’observation nationale et internationale des élections
(objet de la communication de Tommaso Caprioglio). En effet, un processus
électoral honnête et transparent est un processus accompagné par une
observation qui atteste de la liberté du vote et du bon déroulement de toutes
les étapes du processus. L’observation nationale et internationale donnent du
crédit au processus électoral et contribuent à l’acceptation des résultats du
scrutin par tous les candidats. L'observation du processus électoral est une
garantie de l'intégrité, de la transparence et la sincérité du vote (Alex Jones
traitera de ce sujet). L'observation internationale, aide beaucoup les autorités
nationales à se familiariser avec les normes internationales et les standards
gouvernant l'organisation d'élections libres, transparentes et honnêtes
nécessaires pour construire une démocratie sur des bases solides.
Quant au contrôle de la campagne électorale il devrait permettre
d'empêcher les dépassements qui ont entaché les élections du 23 octobre
2011, et les dysfonctionnements survenus dans la gestion de cette étape
cruciale.
Dans la même logique, le contrôle du financement aussi bien des partis
politiques, que de la campagne électorale présente un enjeu majeur. Il devrait
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garantir l'égalité et la légalité des moyens financiers dont dispose les
concurrents. (Ces deux sujets feront respectivement l'objet des interventions
de Monsieur Nicolas Kaczorowski et de Madame Fadhila Gargouri).
Enfin, le contentieux électoral mérite toute l’attention dans la mesure où
ce sont les juridictions qui sont juridiquement garantes de l'intégrité et de la
sincérité de l'opération électorale et de l'Etat de droit. On ne peut que relever
avec respect le rôle joué par la juridiction administrative lors des élections du
23 octobre 2011 ainsi dernièrement relativement à la désignation des 36
candidats à l’élection du Conseil de la future Isie (Madame Raoudha Mechichi,
Premier Président du Tribunal administratif nous donnera une analyse plus
réfléchie sur les enjeux du contentieux électoral).
Par ailleurs, il faut simplifier les procédures devant les juridictions
compétentes et les accélérer et fixer des délais raisonnables afin que le droit
de recours soit effectif. A cet égard, une coordination entre l’Isie et les
différentes juridictions compétentes est nécessaire pour assurer la transmission
à temps des dossiers et l’échange d’informations.
Le contrôle doit s’exercer aussi et peut être surtout sur le financement
des campagnes électorales. En effet, le financement illégal peut altérer les
résultats des élections et pourrir la vie politique même. La Cour des comptes
peut jouer à cet égard un rôle de premier plan si les prérogatives nécessaires
pour contrôler les comptes et les dépenses globales de campagne lui sont
attribuées.
Enfin, le bon déroulement du processus électoral requiert un contrôle
des médias notamment durant la période de la campagne électorale. Les
médias sont un moyen puissant pour influer sur l’opinion publique et la
façonner même et à cet égard, ils ne doivent pas être au service ou un
instrument de propagande d’un parti politique ou d’un candidat quel qu’il soit
(Hajer Ben Cheikh Ahmed et Fatma Raach développeront ces aspects).
Parmi les recommandations qui ont été déjà faites par la société civile
il y a celle de l’interdiction du recours aux médias internationaux en tant que
support de campagne électorale vu que cela entraîne une inégalité flagrante
des chances entre les différents candidats. Les interdictions en ce sens doivent
être accompagnées de sanctions de nature à en garantir l’effectivité des
dispositions juridiques.
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Tels sont schématiquement les enjeux du processus électoral attendu.
Cette journée d’étude est destinée de les identifier, à les analyser, à les évaluer
afin de préparer l’assise nécessaire à un choix démocratique franc et massif.
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Les enjeux de la nouvelle loi sur l’ISIE
Par Mouna Kraïem Dridi
Maître-Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis
Se référant au dictionnaire Larousse, l’enjeu est ce que l’on risque dans
un jeu, en particulier, une somme d’argent et qui revient au gagnant ou ce que
l’on peut gagner ou perdre dans une entreprise quelconque.
Partant de cette définition, parler de l’enjeu dans la loi sur l’ISIE revient à
déterminer ce que cette loi nous permet de gagner ou de perdre.
Il n’est pas inutile de rappeler dans ce cadre que la volonté du peuple est
le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer
par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement au suffrage
universel et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la
liberté de vote.
Il est évident qu’au regard de ce que les élections subissaient sous l’ancien
régime, le choix a été au lendemain de la révolution du 14 janvier de les confier
à une instance indépendante du pouvoir exécutif et de l’influence partisane et
qui prendrait en charge le processus électoral du début jusqu’à la fin.
Le consensus entre les différentes composantes de l’instance supérieure
pour la réalisation des objectifs de la révolution s’est traduit par le décret-loi
n°35 du 10 mai 2011 qui confie à cette instance la préparation, la supervision
et le contrôle des élections de l’ANC. Une mission ponctuelle donc qui de
l’avis de tous les observateurs a été accomplie avec succès ; marquant ainsi une
rupture avec les pratiques du passé. Cette réussite ne pouvant évidemment pas
cacher certains manquements et lacunes.
Il est à noter que les prochaines élections seront différentes de celles du
23 octobre 2011 pour la simple raison qu’elles seront des élections à la fois
présidentielles, parlementaires, locales, régionales sans oublier les référendums ;
ce qui a nécessité la mise en place d’une instance permanente en charge
d’assurer le déroulement d’élections démocratiques, transparentes et honnêtes.
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Une élection libre et transparente est tributaire de la réunion de
plusieurs éléments. Le plus important de ces éléments étant l’élément subjectif
à savoir la volonté politique d’organiser des élections qui respectent les bases
de la démocratie à savoir l’égalité des chances, la transparence et le respect
du droit de chacun d’être élu et d’élire celui qui le représentera et agira en
son nom.
La loi organique n°23 du 20 décembre 2012 précise dans son article
premier qu’est créée une instance publique indépendante et permanente
dénommée «instance supérieure indépendante pour les élections» jouissant de
la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière». L’article
2 de la même loi ajoute que l’instance supérieure indépendante pour les
élections veille à garantir des élections et référendums démocratiques, libres,
pluralistes, honnêtes et transparentes.
La neutralité de l’administration et son indépendance par rapport aux
différents partis et concurrents de la course électorale est sans doute l’élément
le plus important à fournir dans cette quête. L’administration électorale est
entendue ici dans ses deux significations : son sens organique, à savoir l’organe
qui assurera la logistique et l’exécution de chaque étape du processus électoral
et son sens fonctionnel du terme ; c’est dire donc une gestion de tout le
processus assujettie aux critères de la transparence, de l’égalité et de la justice.
Cette nouvelle loi sur l’ISIE comporte 38 articles relatifs aux prérogatives
confiées à l’ISIE, à la composition de son conseil de direction, aux conditions à
remplir par les candidats à ce conseil, à la création de directions régionales, à la
direction d’un directeur exécutif qui assurera ses fonctions sous la supervision
du conseil de direction de l’instance et enfin à la gestion et au contrôle des
comptes financiers de l’ISIE.
Quels sont les enjeux de cette nouvelle loi ? La réponse à cette question
est plus qu’évidente. L’enjeu majeur de cette loi n’est autre que l’organisation
d’élections libres, honnêtes et transparentes. Mais pour cela, encore faudra-t-il
faire face à un enjeu immédiat et un enjeu différé.
L’enjeu immédiat : La mise en place de l’ISIE
Pour pouvoir atteindre son objectif, l’ISIE doit voir le jour. Or, sa naissance
peine à se concrétiser en raison des dépassements constatés au niveau de la
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commission de tri au sein de l’Assemblée nationale constituante. Il convient à
cet égard de s’arrêter sur la qualité des candidats et la procédure de
sélection.
1/ La qualité des candidats :
Que prévoit la loi ?
La loi de 2012 prévoit dans son article 5 la composition du conseil de
l’ISIE ainsi que les conditions requises pour la candidature au dit conseil.
Aux termes de l’article 5, le conseil de l’ISIE se compose comme suit :
- Un magistrat de l’ordre judiciaire.
- Un magistrat administratif.
- Un avocat.
- Un notaire ou un huissier de justice.
- Un enseignant universitaire.
- Un ingénieur spécialisé en logiciels et en sécurité informatique.
- Un expert en communications.
- Un expert en finances publiques.
- Un représentant des Tunisiens à l’étranger.
Les conditions requises pour la candidature au conseil de l’ISIE sont les
suivantes :
- Avoir la qualité d’électeur.
- Etre âgé de 35 ans au moins.
- L’intégrité, l’indépendance et l’impartialité.
- La compétence et l’expérience.
- Ne pas être un membre élu dans un ordre professionnel.
- Ne pas avoir adhéré à un parti politique.
- Ne pas avoir assumé une responsabilité au sein du RCD.
21
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- Ne pas avoir assumé une responsabilité au sein du gouvernement ni
avoir occupé le poste de gouverneur ou de secrétaire général du gouvernement
ou de délégué ou de chef de district durant le gouvernement du président
déchu.
Il est à noter que les fausses déclarations à des fins de dissimulation
tombent sous le coup de la loi et sont punissables par une peine de six mois
de prison et d’une amende de mille dinars.
La complexité de tous ces critères et l’absence d’objectivité de certains
paramètres risque de rendre la sélection des dossiers très pénible.
A titre d’exemple, la condition relative à l’âge a fait l’objet d’une vive
controverse. Ses détracteurs dénoncent une mesure discriminatoire envers la
jeune génération dans le processus de construction démocratique.
D’autres critères sont difficilement quantifiables. Comment s’assurer, en
effet, de l’intégrité, de l’indépendance et de l’impartialité. Ces conditions
semblent être une denrée rare en ce moment en Tunisie vu le contexte dans
lequel se trouve le pays. Rares sont, en effet, les personnes qui n’ont pas de
parti pris. S’assurer de l’impartialité devient une tâche très ardue. Il en est de
même du critère de la compétence.
2/ Les modalités d’élection des membres :
Une commission ad hoc est créée au sein de l’ANC chargée de l’étude
et du tri des dossiers de candidature. Elle se compose selon le mode de
représentativité proportionnelle sur la base d’un membre sur dix députés en
optant pour les plus forts restes entre groupes parlementaires et ceux qui
n’appartiennent pas aux groupes.
La commission ad hoc établit une grille d’évaluation qui sera suivie par
l’étude des dossiers de candidature. Cette grille est arrêtée par les membres
de la commission de tri.
La commission sélectionne les 36 candidats sur la base de quatre
candidats par catégorie en optant pour la parité par le biais du vote à la
majorité des 3/4 de la commission ad hoc dans des tours successifs jusqu’à
parvenir au nombre voulu. Le président de la commission ad hoc soumet à la
plénière de l’ANC une liste nominative classée par ordre alphabétique, selon
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les catégories, comprenant des noms des 36 candidats pour l’élection des neufs
membres du conseil de l’ISIE, à une majorité des 2/3 de l’assemblée constituante
par vote secret à des tours successifs.
Tout constituant choisit neuf membres de la liste des candidats selon la
composition prévue par l’article 5. Les candidats ayant obtenu une majorité des
2/3 sont classés par ordre préférentiel selon le nombre des voix obtenues.
Entre autres dispositions, la loi prévoit des délais pour la réception des
candidatures. Au mois de mai, le président de la commission, Ben Jaafar, décide
de proroger les délais de réception des candidatures. Le 14 mai, le tribunal
administratif décide le gel des activités de la commission de tri des candidatures
pour l’instance électorale indépendante.
La prorogation des délais décidée par le président de la commission a
été jugée portant atteinte au principe d’égalité et à l’égalité des chances par le
juge administratif, en ce qu’elle ne respectait pas les dispositions de la loi
publiée au JORT et émanant d’une volonté en contravention avec le principe
de parallélisme des formes et des procédures. (il est à rappeler également que
la décision du président de la commission de sélection a ajouté des conditions
non prévues par le texte de la loi comme l’ajout du critère basé sur les
diplômes universitaires, la notation chiffrée de l’expérience en matière
électorale, la notation chiffrée de l’âge différente suivant la catégorie
professionnelle).
Certes cette décision de la justice administrative n'a pas fait l'unanimité
et a même été considérée comme décision revêtant un caractère politique
hostile à l'institution de l'ANC aux prises avec une large partie de l'opinion
publique la considérant comme illégitime. Certains juges administratifs ont
même été accusés de servir des intérêts particuliers de certains partis
politiques et de s'être éloignés de l'obligation de d'indépendance qui leur
incombe.
loin des polémiques houleuses de la politique, cette décision du tribunal
administratif est une illustration du rôle fondateur de celui-ci en matière
électorale et spécialement dans un contexte constituant qui formera ainsi un
précédent, certes conforme à sa jurisprudence constante, fondateur qui déteint
sur toute opération future et lui pose des canons de légitimité plus que la
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légalité. En rejetant la décision du président de la commission le tribunal
administratif n'a pas uniquement rappelé les principes qui doivent gouverner
chaque opération de sélection et le travail de l'administration en général mais
a permis de régulariser une situation qui aurait pu jeter de l'ombre sur tout le
processus électoral et constituant. C'est dans ce sens-là précisément que le
rôle du juge administratif en cette phase est très important et permet même
de le qualifier de constituant subsidiaire. Il est le garant de la régularité et du
bon déroulement de chaque étape du processus transitionnel et du processus
électoral même avant son commencement effectif, en particulier.
Le tribunal administratif a rendu, le 20 septembre 2013, six sursis à
exécution concernant la décision de présélection des 36. Le recours introduit
par Atide est le seul réalisé par un non candidat qui reproche notamment à la
commission d’avoir violé l’article 6 de la loi et ne pas avoir voté sur les dossiers
des candidats en respectant l’ordre de mérite issu de la grille d’évaluation. Là
s’est posée la question de l’intérêt pour agir mais le tribunal administratif avait
déjà pris position à ce sujet en considérant (je traduis) que «la composition de
l’instance est un enjeu national d’une extrême importance qui confère aux non
candidats la qualité et l’intérêt à agir pour intenter un recours…».
Rappelons que les textes prévoyaient une grille d'évaluation des
différents candidats ainsi qu'une procédure détaillée du dépouillement et de la
sélection des candidats, notamment les articles 5, 6 et 7.
Le Tribunal administratif annulant la sélection de 4 membres des 9 à
sélectionner annule de fait tout le processus de sélection du conseil de l'ISIE. le
tribunal a jugé que le travail de la commission de tri des candidatures ne s'est
pas fait comme il se devait et a mis de côté les dispositions des articles 6 et 7,
«la commission subissait les contraintes politiques» et «que les membres de la
commission se sont montrés plus confiants que ce qu’il fallait et ont donc
commis des erreurs impardonnables..» déclarait à l'opinion publique l'un des
juges du tribunal administratif.
La question de la sélection des membres du conseil de l'ISIE et face au
sursis à exécution prononcé par le tribunal administratif est devenue un des
points capitaux du dialogue national et une phase nécessaire à la levée du
blocus politique dans lequel est jeté le pays. Face à cette crise le président de
l'assemblée nationale constituante et à l'issue des réunions consacrée à la
24
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question en marge du dialogue national s'engage à reprendre la sélection dès le
début et d'appliquer dans ce processus les décisions du tribunal administratif.
Certes la réalité politique finit par rattraper le juridique et la solution adoptée
finalement mit de côté la grille d'évaluation, mais cela n'amoindrit en rien le
rôle joué par le tribunal administratif dans le processus électoral en sa phase
constitutive. Bien au contraire, l'évolution des événements propulsera encore
une fois le tribunal administratif aux devants de la scène. En effet suite à la
deuxième opération de sélection des membres de l'ISIE le tribunal administratif
refuse de connaitre du contentieux produit par cette opération pour le motif
que la loi ne fut pas encore promulguée par le président de la république ni
publiée au JORT. Le Tribunal administratif (TA) a déclaré «ne pas reconnaître la
loi amendée sur l’Instance supérieure indépendante pour les élections» avant
d’être promulguée par le président de la République et publiée au Journal
officiel une loi non entrée en vigueur selon le tribunal administratif.
Certains députés de l'ANC rappellent cependant que la loi amendée est
«une loi organique dont l’un des articles énonce expressément qu’elle entre en
vigueur dès son adoption par l’Assemblée constituante, le plus haut pouvoir
dans le pays en cette étape transitoire». Le tribunal administratif rappelle face à
cet argument les règles établies et «constitutionnelles» d'entrée en vigueur des
lois qui imposent leur promulgation par le président de la république et leur
publication au JORT et leurs dépôts.
C'est ainsi que certaines voix se sont élevées pour dénoncer le Tribunal
administratif qui s’est aventuré sur un terrain qui va au-delà de ses compétences
et qui est censé faire partie du champ de compétence de la future Cour
constitutionnelle. Mais nous trouvons que cette position est biaisée sinon
erronée dans la mesure où le contrôle de la légalité suppose obligatoirement
un contrôle de la régularité des procédures le juge administratif n'étant tenu
que par l'application des lois en vigueur. C'est donc ainsi que le tribunal
administratif joue le rôle de constituant subsidiaire en fournissant une
jurisprudence qui servira de ligne directrice aux instances législatives et
constitutionnelles par la suite et également en jouant le rôle du garde-fou de
l'administration en général et spécialement l'administration électorale.
Encore une fois, par une décision en date du 11 novembre, le tribunal
administratif décide de rejeter la liste des candidats qui devait être proposée
25
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pour examen à la séance plénière. Le tribunal administratif a remis en cause la
procédure de classement et de vote au motif qu’elle est incohérente et
discriminatoire. Incohérente dans la mesure où le recours au vote pour la
désignation des futurs membres de l’ISIE se contredit avec le principe du
scoring. Discriminatoire à cause du risque d’élimination des candidats les mieux
classés et de choix de candidats classés au rang inférieur.
Afin de dépasser ce blocage, les magistrats du tribunal administratif
préconisent de revoir le choix des candidats sur la base du score obtenu et du
classement attribué. Le cas échéant, leur élimination doit être motivée par des
arguments sérieux et palpables.
Certains députés ont proposé de passer outre la décision du tribunal
administratif. Cette solution, si jamais elle serait adoptée, sera un précédent
très grave dans la Tunisie post révolutionnaire, venant de l’organe qui incarne le
pouvoir constituant, le refus d’obtempérer ne pourra que nuire à la transition
démocratique et va à l’encontre du principe de l’Etat de droit en vertu duquel
la justice veille à la bonne application de la loi et ses décisions doivent être
appliquées par l’ensemble des structures qui composent l’Etat.
D’autres imperfections entachent le texte relativement à la question de
sélection des candidats. Il en est ainsi, à titre d’exemple, des lacunes relatives à
la majorité des 3/4 qui est une majorité trop élevée ; le texte ne prévoyant pas
une solution dans le cas où elle ne pourra pas être obtenue. Il est à relever
également son silence en ce qui concerne la démission d’un membre avant la
constitution de l’ISIE.
L’enjeu différé : l’organisation d’élections libres, honnêtes et
transparentes
Nous distinguons trois séries d’attributions :
- Préparation de l’opération électorale :
Dans cette première série d’attributions, communes à l’ancienne et à la
nouvelle Instance, l’ISIE est chargée de préparer les élections, les superviser et
de contrôler les opérations électorales. Pour cela :
- Elle arrête les listes électorales et les met à jour.
- Fixe le calendrier des élections et des référendums.
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- Reçoit les dossiers de candidatures.
- Assure le suivi des compagnes électorales et veille à assurer l’égalité
entre tous les candidats et candidates.
- Veille à garantir le droit d’élection à tout électeur.
- Fixe le calendrier des élections et référendums, le publie et l’exécute
conformément aux dispositions législatives et constitutionnelles.
- Forme les observateurs.
- Organise des compagnes pour vulgariser le processus électoral et incite
à la participation aux élections.
- Trie les bulletins de vote et déclare les résultats des élections.
- Prépare un rapport annuel sur l’activité de l’instance durant l’année
écoulée à soumettre à l’Assemblée plénière de l’organe législatif et un rapport
spécial sur le déroulement de l’opération électorale à soumettre aux chefs des
trois pouvoirs.
Une deuxième série d’attributions est constituée par des fonctions que
la première ISIE n’était pas appelée à assumer et prévues par les articles 13 et
14 de la nouvelle loi. Nous y trouvons :
- Le contrôle de l’application des règles relatives au déroulement de la
campagne électorale, et en assure le respect en collaboration avec les
organismes publics. (sans autre précision !!).
- Le contrôle du financement des campagnes électorales et la prise des
décisions adéquates à ce propos.
Une attribution consultative :
L’ISIE émet un avis sur tous les projets de lois en rapport avec les
élections et les référendums. (article 16).
A ce niveau de l’analyse, certaines remarques s’imposent relativement au
degré d’autonomie de l’instance et à ses méthodes de travail.
Tout d’abord, une attention particulière est portée sur l’article 22 de la
loi dispose que toutes les administrations publiques sont tenues «dans la
mesure du possible» de mettre à la disposition de la haute instance toutes les
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ressources matérielles et humaines etc. afin de l’aider à accomplir sa mission.
Les services du premier ministère œuvrent pour faciliter la collaboration de
toutes les administrations publiques avec l’instance supérieure pour les élections.
Comme nous pouvons le constater, il ne s’agit là que d’une obligation de
moyen qui incombe à l’administration d’aider l’instance électorale. Par
conséquent, cette loi gagnerait à être améliorée en prévoyant par exemple des
sanctions à l’encontre de quiconque entraverait son action.
Le gouvernement devra également faire en sorte que l’administration
d’une façon générale et l’administration territoriale d’une façon particulière
respectent le principe d’impartialité dans leurs rapports avec les différents
acteurs du processus électoral, étant donné le rôle qu’elles jouent dans le
déroulement des élections, notamment dans la phase qui précède le jour du
scrutin (assurer la sécurité, la liberté de réunion et d’expression…).
Par ailleurs, il convient d’indiquer que les fonctions au sein de l’instance
supérieure pour les élections sont réparties entre le conseil et l’organe exécutif
qui aux termes de l’article 24 de la loi exerce sous la tutelle du conseil des
compétences administratives, financières et techniques et il est dirigé par un
directeur exécutif. Les compétences entr e les deux structures ne sont pas
réparties de manière claire, par conséquent un conflit de compétences peut
avoir lieu et il serait judicieux de prévoir dans la loi électorale les dispositions
adéquates pour une répartition claire et précise au sein et entre les différents
organes de l’ISIE tout en réservant le pouvoir règlementaire au conseil de l’isie
afin d’éviter les contradictions entre les mesures prises par le conseil et celles
prises par les organes régionaux.
Enfin, et concernant le budget de l’instance, il est permis de douter de
son indépendance financière dans la mesure où son budget doit être soumis au
gouvernement avant d’être approuvé par l’ANC.
Au terme de cette analyse, il est légitime de conclure que la loi sur l’ISIE
est à son stade actuel inapte à relever le défi d’élections libres, honnêtes et
transparentes.
La commission de tri est appelée à se conformer de façon honnête aux
décisions du tribunal administratif et les constituants devraient revoir la loi dans
le sens de plus d’autonomie au profit de l’instance supérieure.
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Je conclurai mes propos par une déclaration de M. Kamel Jendoubi par
laquelle il affirmait qu’une vraie indépendance est une indépendance structurelle
par rapport au gouvernement et aux partis politiques. Une indépendance
fonctionnelle qui accorde à l’administration électorale la compétence exclusive
d’organiser et de diriger l’opération électorale à toutes ses étapes.
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Les enjeux de l’observation internationale
des élections
Par Tommaso Caprioglio
Expert international auprès des Organisations
internationales en matière électorale
Clefs de voûte des processus de transition démocratique, les élections
constituent un baromètre de la santé démocratique des États. L’observation
internationale des élections joue un rôle important dans la garantie de la
transparence, de la sincérité et de l’intégrité de tout processus électoral.
L’observation internationale des élections peut fournir une évaluation
détaillée, indépendante et impartiale d’un processus électoral. Étant donné que
l’observation des élections renforce la transparence et la responsabilité, elle
peut conforter la confiance des citoyens dans le processus électoral et
encourager ainsi la participation des électeurs.
Les enjeux de l’observation internationale sont majeurs, les Etats
concernés par une ou plusieurs missions d’observation internationale des
élections gagneraient donc à bénéficier de ce qu’apporte le «processus
d’observation» en terme de renforcement des institutions démocratiques et de
restauration de la confiance des citoyens dans les processus électoraux.
Remarques préliminaires
1 - Il faut distinguer Assistance électorale1, vérification des processus électoraux2,
1 L’assistance électorale est une prestation fournie par les Organisations internationales universelles ou régionales en vue d’aider un
Etat dans l’élaboration d’un cadre légal conforme aux standards internationaux en matière d’organisation d’élections démocratiques,
libres, transparentes et honnêtes. L’assistance électorale vise aussi à renforcer les capacités de l’administration électorale.
2 Dans les années 1960, les Nations Unies intervenaient dans «les territoires non autonomes», c'est-à-dire, les colonies,
ou dans «les territoires sous tutelle» pour vérifier les élections, conformément au chapitre 10 de la Charte des Nations
Unies et à la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de l'Assemblée Générale. Par
le biais du mandat du Conseil de Tutelle, l'ONU a procédé à des vérifications qui ont pris des formes diverses : supervision,
surveillance ou vérification. La vérification a cédé place graduellement à l'assistance électorale, surtout après la chute du
mur de Berlin dans les années 90. Les Nations Unies ont donc laissé progressivement l'observation aux organisations
régionales comme l'Union Européenne, l'Organisation des Etats d'Amériques, l'Union Africaine, etc.
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certification internationale des élections3 et Observation internationale des
élections
4. L’observation internationale des élections est une manifestation de
l’attachement des organisations internationales observatrices au développement
d’élections démocratiques dans le cadre plus général du soutien à la
démocratie, à l’Etat de droit et aux droits de l’homme. L’observation
internationale des élections acquiert une importance double quand il s’agit
d’élections dans des pays en processus de démocratisation. En effet, la garantie
d’un processus électoral honnête et démocratique est fondamentale pour
assoir une paix durable et une stabilité générale. Toute observation
internationale des élections se base sur une invitation à observer, préalable,
reçue des autorités de l’Etat et/ou des autorités électorales.
2 - L’observation internationale des élections fonctionne selon un mandat
précis et méthodologique. Dans ce cadre, savoir observer et analyser un
contexte électoral requiert un savoir-faire et un savoir-être particuliers, et
répond à des méthodologies bien précises. En effet, une observation
internationale ne se contente pas d’observer le jour du scrutin mais englobe
toutes les étapes du cycle électoral. L’observation internationale des élections
se base ainsi, sur une évaluation impartiale, indépendante, détaillée et à long
terme du processus électoral en accord avec les normes et standards
internationaux. Toute observation internationale des élections passe au peigne
fin toutes les étapes du processus électoral. Les observateurs internationaux
présents dés le début du cycle électoral doivent observer toutes les étapes de
ce cycle : inscription des électeurs, enregistrement des candidatures, campagne
électorale, jour du scrutin, proclamation des résultats préliminaires et définitifs
ainsi que tous les types de contentieux pré ou post scrutin.
3 La certification internationale des élections est une activité exclusive et récente de l'ONU. Elle date des années 2000.
Lorsqu'après une crise profonde, la population et les acteurs politiques, d'un Etat membre manquent cruellement de
confiance dans les institutions nationales impliquées dans les élections (administration électorale, Ministère de l’intérieur,
Ministère de la justice, forces de l’ordre...), des accords politiques avalisés par une résolution du Conseil de Sécurité
peuvent les amener à une demande de certification des élections. La certification est une procédure internationale qui
atteste que les étapes fondamentales du processus électoral se sont déroulées selon les normes et principes
internationaux de transparence, de sincérité, d’honnêteté et d’équité. Ce type de mandat reste rare. Dans l’histoire de
l’ONU, cette procédure a été mise en place 3 fois : Timor-Est 2007, Népal 2008 et en Côte d’Ivoire.
4 L’observation internationale des élections se fait par des organisations internationales, gouvernementales ou non
gouvernementales (UE, OSCE, UA, Carter Center...). L’observation internationale des élections a pour fonction de garantir
la tenue d’élections libres, démocratiques, crédibles et transparentes.
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3 - Le mandat d’une mission d’observation internationale, général dans sa
portée, permet d’observer la totalité des composantes de la machine
électorale. Les rapports des missions d’observation internationale des élections,
ont valeur de recommandations, mais cela n’empêche pas les missions
d’observations d’avoir un impact très important dans le déroulement du
processus électoral. L’observation électorale, internationale notamment,
constitue un vecteur d’influence et un puissant instrument de «soft power» et
participe pleinement à la construction démocratique. Les observateurs
internationaux accompagnent les intervenants dans le processus électoral. Le
rôle d’une observation internationale des élections est celui de l’orientation, de
l’encadrement, de l’accompagnement et de l’aiguillage des autorités nationales
souveraines. Ce rôle est considérable et décisif dans des circonstances de
tensions, de crises politiques. Le rôle des missions d’observation internationale
des élections est donc celui du garant impartial, actif et inclusif de l’intégrité du
scrutin.
En cas de manquement des autorités compétentes à certaines de leurs
prérogatives, ou en cas d’incompétence négative,
les observateurs
internationaux n’hésitent pas à solliciter ces dernières pour exercer pleinement
leur pouvoir à savoir pallier les insuffisances réglementaires ou opérationnelles
afin d’assurer une organisation du processus électoral en bonne et due forme
et une optimisation de la qualité du processus électoral.
Une mission d’observation internationale des élections renforce suivi du
déroulement des préparatifs électoraux et, au cas où les mesures clés
concernant la transparence et la sincérité du vote seraient récusées ou jugées
non conformes à la législation nationale et surtout aux standards
internationaux, une mission d’observation internationale et les partenaires
étrangers, devraient se désengager du processus pour ne pas cautionner des
élections irrégulières.
I - Les enjeux de l’observation internationale des élections
en général
Les enjeux d’une observation internationale des élections peuvent être
multiples et varient d’un Etat à un autre selon les spécificités politiques,
juridiques, sociales de l’Etat hôte. Cette diversité des enjeux n’empêche pas un
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socle commun autour duquel gravitent les fins assignées à toute mission
d’observation internationale.
1 - Vulgarisation et propagation des bonnes conduites en matière
électorale. Toutes les parties intervenantes dans le processus électoral
(administration électorale, partis politiques, candidats, observateurs nationaux,...)
peuvent se familiariser avec les normes et bonnes pratiques électorales en
collaborant régulièrement avec les observateurs internationaux. Les rapports
des missions peuvent être des sources d’inspiration notamment en ce qui
concerne les recommandations qu’ils contiennent.
2 - Prévenir et combattre la fraude électorale. En effet, la présence d’experts
étrangers impartiaux est un moyen persuasif pour limiter le recours à la fraude.
3 - Diagnostiquer et dépister les disfonctionnements et les activités
douteuses et poser des questions à l’administration électorale pour réfléchir le
cas échéant sur les solutions adéquates. L’anticipation des problèmes éventuels
peut aider à trouver les meilleures solutions dans le respect du chronogramme
électoral.
4 - Consolidation d’un processus fragile. Dans certains cas de crises ou
de situations conflictuelles ou de transition avec complications, la présence
d’observateurs internationaux peut, jusqu’à un certain point, décourager le
recours à la violence et à l’intimidation. La présence des observateurs étrangers
peut en effet avoir un effet rassurant et tranquillisant pour les électeurs et les
candidats. Elle peut aussi convaincre les politiciens de l’opposition qu’il est
préférable de se faire concurrence aux élections que de s’engager dans des
actes de désobéissance ou de violence.
5 - Toutefois, une MOE a pour vocation d’évaluer non seulement un
processus électoral particulier, mais également
l’état de développement
démocratique
dans un pays donné et à un moment donné. Les élections sont
une miniature du processus démocratique en général.
6 - Les missions d’observation électorales fondent leur analyse sur la
façon dont le processus électoral se conforme à la législation nationale d’un
pays, aux engagements régionaux et aux obligations internationales. Une MOE
ne compare pas les processus électoraux de différents pays – ces comparaisons
ne sont pas très utiles pour établir les progrès d’un pays.
34
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7 - Eviter d’interférer dans le processus : L’objet d’une mission
d’observation est d’accompagner un processus et non pas d’interférer dans ce
processus. Les missions internationales invitées à observer un processus
électoral et les observateurs sont liés par un code de conduite, ce qui signifie
que les observateurs doivent être impartiaux dans leur travail. De nombreuses
organisations internationales ont signé la Déclaration de principes pour
l’observation internationale des élections. Si la mission d’observation
internationale se prononce sur certaines questions durant le processus électoral
on pourrait dire, à juste titre, qu’elle outrepasse son mandat et interfère dans le
processus.
8 - Les MOU (protocoles d’accords) de l’Union européenne : un exemple
à suivre. Les observateurs internationaux ont le devoir de respecter les lois du
pays observé. Une MOE UE ne sera déployée que quand elle aura reçu une
invitation de l’État et/ ou des autorités électorales du pays hôte. Les
Mémorandums d’entente (MOU) entre la Commission européenne et le pays
hôte exposeront les droits et les responsabilités des deux parties. Le MOU
fera référence au mandat de la MOE UE par lequel il lui incombe d’agir avec
impartialité et de ne pas s’ingérer dans le processus électoral. En retour, les
MOU devront établir et garantir qu’une MOE UE jouit des conditions
nécessaires pour une observation efficace et crédible.
Cela suppose : i) un accès libre à tous les aspects du processus électoral
et à toutes les personnes concernées par les élections ; ii) la liberté d’agir sans
interférence, y compris la liberté de publier des déclarations publiques et
rapports ; iii) la liberté de circuler dans tout le pays et dans des conditions qui
garantissent la sécurité des observateurs ; iv) une accréditation adéquate
délivrée sur des bases non discriminatoires ; v) des garanties qu’aucune action
défavorable ne sera entreprise à l’encontre de son personnel national ou
étranger ou contre d’autres personnes assistant la MOE UE dans son travail.
9 - Un arbitre ? Un auditeur ? Un certificateur ? : Les MOE prodiguent
conseils et recommandations concernant des problèmes mais pas pendant la
campagne et pas avant le jour du scrutin. D’une part, parce qu’il faut du
temps pour parvenir à une analyse exhaustive. D’autre part, les observateurs
doivent demeurer impartiaux et s’abstenir d’interférer dans le processus. Ce
n’est pas le rôle des observateurs d’arbitrer un processus ou de le certifier.
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Le rôle de l’observation électorale est d’accompagner un processus et non
d’y interférer. Les observateurs ne peuvent pas s’impliquer dans la gestion ou
la modification de procédures électorales car c’est du ressort de
l’administration électorale. C’est la tâche de ceux qui prennent part aux
processus électoraux et politiques que de donner leur avis sur les problèmes
qui surviennent durant le processus et de les résoudre.
Case study: le cas de
la Guinée (voir article de RFI).
9 - Impact et nombre limité des observateurs : Premièrement, une
élection c’est bien davantage que ce qui se passe dans les bureaux de vote le
jour des élections. C’est la raison pour laquelle les MOE sont intéressées par
l’observation à long terme de l’ensemble du processus électoral, de la
campagne électorale au travail de la commission électorale, à l’enregistrement
des partis et des candidats, en passant par le jour du vote et par la suite la
compilation des résultats ainsi que toutes les plaintes et appels. Ce que les
MOE produisent en fin de compte est une évaluation qualitative approfondie
et détaillée du processus électoral et non une évaluation quantitative basée sur
des échantillons statistiques.
Pour résumer et prenant en compte la littérature dans la matière :
Afin de surveiller efficacement l’intégrité d’une élection, l’observation
internationale devrait viser l’ensemble du processus électoral et non seulement
un aspect spécifique comme la votation ou le dépouillement des votes. Les
observateurs devraient être qualifiés et formés adéquatement. Une des plaintes
principales faites au sujet de l’observation internationale est qu’elle est devenue
une occasion de faire du «tourisme électoral» ; les observateurs sont parfois
perçus comme étant sans expérience professionnelle et n’arrivent au pays que
quelques jours avant la date de l’élection.
Afin d’assurer l’efficacité et la fiabilité des missions d’observation, plusieurs
conditions devraient être respectées :
- Période suffisamment longue : Les missions d’observation devraient avoir
suffisamment de temps pour s’organiser et pour observer les étapes qui
précèdent les élections (comme l’enregistrement des candidats et l’inscription
des électeurs) ainsi que celles qui suivent la votation (le dépouillement des
votes, la consolidation des résultats ainsi que l’application de la loi, s’il y a lieu).
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- Ressources suffisantes : Les missions efficaces nécessitent des
observateurs qualifiés en nombre suffisant et des moyens (communications,
transport, interprètes) leur permettant d’accomplir leur travail adéquatement.
- Observateurs qualifiés : Les observateurs devraient être qualifiés et
formés afin d’assurer la crédibilité de leur travail.
- Couverture exhaustive : Les observateurs devraient observer le processus
électoral de la façon la plus complète possible afin de pouvoir porter un
jugement crédible. Les vérifications à grande échelle qui couvrent l’ensemble du
processus électoral, qui ont une envergure nationale plutôt que régionale et qui
couvrent tous les endroits plutôt que seuls les endroits problématiques sont les
plus efficaces.
II - Les enjeux de l’observation internationale du prochain
processus électoral en Tunisie
Les enjeux de l’observation internationale du prochain processus électoral
en Tunisie peuvent être expliqués entre autres, par la portée de la présence
des observateurs en 2011 lors de l’élection de l’ANC :
observateurs nationaux
Près de 13.800 observateurs nationaux ont été accrédités. Ils étaient
présents dans 70% des BV observés. Certaines de ces plateformes ont reconnu
avoir déployé un nombre d’observateurs inférieur aux cartes d’accréditation
reçues de l’ISIE, sans que cela n’affecte leur méthodologie.
Chahed, ATIDE, Mourakiboun, l’Observatoire national et OFYIA, les
principales plateformes nationales d’observation électorale ont communiqué
leurs observations et recommandations préliminaires sur le déroulement des
élections lors de conférences de presse tenues quelques jours après le scrutin.
Ces plateformes ont jugé que le scrutin s’était déroulé de manière acceptable,
en dépit de plusieurs irrégularités et manquements observés, mais sans
incidence sur les résultats. En revanche, elles ont dénoncé les entraves à
l’observation et le climat d’opacité qui a régné durant les compilations. Les
observateurs nationaux ont noté que dans plusieurs circonscriptions, les
compilations avaient été interrompues la nuit pour ne reprendre qu’à 8 heures
du matin.
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Dans d’autres circonscriptions, les observateurs ont été interdits d’accès
ou bien écartés de la zone de tabulation. ATIDE s’est démarquée du consensus
prévalant au sein des autres acteurs nationaux de l’observation électorale qui
jugent que le processus s’est déroulé globalement dans la transparence.
La conduite de leurs activités, et le fait d’avoir disposé tardivement des
procédures et des accréditations, leur ont laissé peu de temps pour se
coordonner, à l’exception notable de la demande de prorogation du délai
d’accréditation adressée à l’ISIE le 7 octobre.
La MOE UE qui a initié des rencontres hebdomadaires informelles le
mois précédant le scrutin avec les observateurs nationaux, s’est rendu compte
que ceux-ci l’assimilaient aux individus européens qui auraient, selon eux,
observé et approuvé les élections en 2009.
observateurs internationaux
Les missions internationales d’observation électorale ont mobilisé près de
600 observateurs. L’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), le
National Democratic Institute (NDI), l’«International Republican Institute» (IRI),
l’Assemblée Parlementaire de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération
en Europe (OSCE-PA), l’Union Africaine (UA), le Réseau arabe d’observation
des élections et le Centre Carter ont présenté leurs déclarations préliminaires.
Les principales critiques ont porté sur l’identification des électeurs, les
délais tardifs de communication des procédures de vote et de compilation par
l’ISIE, le manque d’information aux électeurs. Les observateurs internationaux
ont salué l’ISIE pour son organisation de l’ensemble du processus et considèrent
que les élections se sont globalement bien déroulées en dépit des quelques
défaillances observées.
Au moment de leur publication, les déclarations des observateurs
internationaux n’incluaient pas l’observation dans les centres de compilation, ce
qui explique leur ton globalement positif.
- Les déjeuners de presse : une première en Tunisie à répéter ?
Il a fallu faire face cependant de la part de plusieurs médias tunisiens à une
certaine passivité, et surtout à des critiques récurrentes : sur l’attitude supposée
de l’UE faussement accusée d’avoir cautionné le régime Ben Ali notamment en
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envoyant une mission d’observation électorale pour les élections de 2009 en
Tunisie, sur le «tourisme électoral» prêté à nos observateurs, sur l’inutilité de
notre présence alors que les observateurs nationaux suffiraient selon nos
détracteurs ou sur un supposé agenda politique caché de l’UE en Tunisie.
La MOE UE a donc organisé, chaque samedi matin, et ce pendant six
semaines consécutives, un petit déjeuner de presse hebdomadaire afin de
tenter d’améliorer la perception de la Mission auprès des journalistes tunisiens.
Lors de ces rencontres qui ont parfois pris une tournure très vive, les membres
de la mission sont fréquemment intervenus afin de rectifier l’image de la
Mission et donner des informations précises sur la MOE UE, le processus
électoral et le monitoring de la campagne dans les médias.
Ces petits déjeuners, auxquels assistaient régulièrement de 20 à 35
journalistes issus des principaux médias, généraient chaque week-end une série
de reportages dans les journaux, radios et télévisions.
A titre de précaution, toutes ces rencontres avec la presse étaient
entièrement enregistrées en vidéo de manière à conserver sur DVD, en cas de
contestation, l’intégralité des propos tenus par les uns et les autres. De même,
un interprète était présent pour traduire les questions formulées en arabe.
Le dispositif a, semble-t-il, été efficace, les principales critiques et
accusations erronées ayant totalement disparues après le quatrième de ces
petits déjeuners laissant pour les deux dernières éditions la place aux questions
essentielles portant sur le champ électoral et politique factuel.
- Les communiqués de presse un instrument important dans les médias tunisiens :
Un communiqué ad hoc a été publié le 4 novembre pour souligner
certaines lacunes de l’ISIE dans l’affichage et la proclamation des résultats
préliminaires et dans la mécanique juridique du contentieux postélectoral. Ce
communiqué a fait l’objet de nombreuses reprises dans la presse et a même
suscité une réaction de l’ISIE sous forme d’une intervention en direct, par
téléphone, du président de la commission électorale nationale dans le principal
journal télévisé de la mi-journée.
Eviter l’ingérence mais aussi avoir une approche de dialogue auprès des
autorités (administration électorale, instance judiciaire responsable du
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contentieux électoral) sont les principales fins de toute observation
internationale des élections.
Notes :
Ace projet : http://aceproject.org
MOE UE Tunisie 2011 - Rapport final :
http://eeas.europa.eu/eueom/pdf/missions/rapport-final-moe-ue-tunisie-
2011_fr.pdf
Manuel d’observation électorale de l’Union européenne - deuxième
édition : http://eeas.europa.eu/eueom/pdf/handbook-eueom-en-
2nd-edition_fr.pdf
40
Page 43
Respecter le calendrier électoral :
un défi majeur
Nadia Akacha
Assistante à la Faculté de Droit et de Sciences politiques de Tunis,
Doctorante à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et Sociales de Tunis
La transition démocratique est un processus, c’est à dire, un ensemble
d’activités corrélées et interactives qui transforme des éléments
d’entrée en éléments de sortie. Comme tout processus, la transition
démocratique doit donc être une dynamique temporisée. Les
différentes étapes dont le processus de transition démocratique se
compose, sont ainsi enchainées et synchronisées afin de réaliser le
résultat escompté dans les meilleurs délais.
Il va sans dire que les élections sont les principales étapes
fondatrices de toute transition démocratique. Libres, honnêtes,
transparentes, sincères, les élections doivent aussi être régulières. La
régularité des élections s’apprécie du point de vue de leur conformité
ou du moins du respect des normes et standards internationaux en
matière électorale, de la législation nationale encadrant cette opération,
mais aussi du point de vue de la régularité de leur organisation qui doit
se faire selon des échéances légales prédéterminées encadrant les
mandats représentatifs quels qu’ils soient.
Dans toute démocratie, dans toute construction démocratique,
les élections doivent être tenues selon des échéances fixées à l’avance
dans un cadre juridico-politique approprié. Dans une transition
démocratique, la conception des étapes formant le passage d’un régime
dictatorial vers un régime démocratique résulte de données différentes
dont la conjoncture détermine la spécificité de chaque expérience de
transition démocratique.
Le calendrier de la transition démocratique est fixé au début du
processus, et prédétermine ainsi chaque étape électorale nécessaire
pour avancer dans la construction démocratique. Des ajustements de
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Page 44
ce calendrier peuvent survenir pour prendre en considération les
changements de circonstances ou des revendications citoyennes.
Ces rectifications nécessaires ne doivent pas toucher la régularité
des étapes électorales. En effet, dans une construction démocratique, la
planification électorale est une question essentielle. On peut toujours
faire avancer les échéances électorales, en organisant des élections
anticipées, suite à des crises politiques mais on ne peut retarder les
échéances à moins de freiner ou de remettre en cause tout le
processus de construction démocratique.
Le facteur temps est un facteur primordial qui doit être pris en
considération lors de la planification des échéances électorales (
Le
temps des élections
) mais aussi lors de la détermination des délais de
chaque étape du calendrier électoral (
Le temps dans les élections).
I - Le temps des élections :
En Tunisie, la première étape de la transition démocratique fût
l’élection de l’ANC le 23 octobre 2011, la transition démocratique s’est
accompagnée alors d’une transition constitutionnelle qui s’éternise! En
effet, les tunisiens ont élu à cette date une ANC chargée de rédiger
une nouvelle Constitution
et ce, dans le délai d’un an comme le stipule
le décret n°2011-1086 du 3 août 2011, portant convocation des
électeurs pour élire
l’Assemblée Nationale
les membres de
Constituante. Ce délai du mandat de l’ANC a fait même l’objet d’un
accord entre différents partis politiques ; engagement politique et moral
resté lettre morte. Il est à signaler que l’ANC ne s’est pas fixée un délai
au terme duquel elle devrait remettre aux électeurs tunisiens leur
nouvelle Constitution.
Le mandat de l’ANC a été alors laissé ouvert, extensible et non
prévisible au détriment de la feuille de route initiée au début de la
première période de la transition démocratique.
Plusieurs déclarations qu’on ne saurait qualifier ni d’officielles ni
d’officieuses sont venues fixer la date des futures élections: 23 octobre
2012, janvier 2013, juin 2013, 17 décembre 2013, avril 2014, juin 2014...
(on peut jouer à pronostiquer, les élections semblent renvoyées aux
42
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calendes grecques). Il va sans dire qu’on ne connaitra la date des
prochaines élections qu’ après la mise en place de la nouvelle ISIE, toute
question de timing électoral est connexe à cette étape.
Dans ce cadre, tous les standards internationaux exigent le respect
de la périodicité des échéances électorales. Aussi bien le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques que le Protocole additionnel à la Convention
européenne des droits de l’homme prévoient le caractère périodique des
élections.
En réalité, le fait de reporter les élections à chaque foiset d’étendre au
maximum la durée du mandat représentatif ne peut qu’affecter le droit de
chaque citoyen de choisir périodiquement ses représentants et son droit à
l’information. En effet, le droit de chaque citoyen à avoir une information fiable
quant à l’exercice de son droit de vote est bafoué surtout en présence de
déclarations contradictoires. Différer à chaque fois la date des élections porte
atteinte à une certaine «sécurité juridique électorale» très importante pour
rebâtir la confiance entre les citoyens et les pouvoirs publics.
Reporter continuellement les échéances électorales dans un contexte de
crise généralisée ne peut que provoquer le désenchantement, la lassitude et
l’exaspération des électeurs. Cette psychologie négative et passive ne peut que
se répercuter sur le taux de participation et fausser ainsi le jeu électoral.
Sachant que les élections restent avant tout une affaire du peuple, et de chaque
citoyen, si le peuple reste à l’écart du processus, en présence du risque de
l’abstention de voter, les résultats seront catastrophiques et le développement
démocratique serait le cadet des préoccupations.
Par ailleurs, l’ajournement des échéances électorales peut avoir pour effet de
friser la corruption, le clientélisme et le mercantilisme qui peuvent atteindre des
proportions incommensurables au point de pouvoir biaiser les élections d’avance.
Dans ce contexte de crise prolongée, où le dialogue, solution du blocage,
est lui même bloqué, heurté voire même biaisé, le premier défi est donc celui
de fixer une date raisonnable pour un prochain cycle électoral qui aura pour
enjeu d’apaiser les tensions politiques et de réduire au maximum les points de
friction. Le respect de la nouvelle échéance électorale aidera à reconstruire un
minimum de confiance dans le dispositif électoral.
43
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II - Le temps dans les élections
On passe ici à la gestion du temps dans le processus électoral, une fois la
date de
E-day est fixée. En effet, étant une opération complexe, à ramifications,
le processus électoral fait l’objet d’une programmation bien à l’avance. La
planification électorale est axée sur trois moments qui déterminent le timing
électoral. Ainsi, la gestion électorale est construite sur une planification
stratégique, une planification opérationnelle et un calendrier électoral.
- La planification stratégique : C’est une conception du processus
électoral par objectifs, dans sa globalité; une maquette du projet
électoral arrêtée par une projection conditionnée par les moyens dont
dispose l’administration électorale et le but recherché. Il est important
que l’élaboration du plan stratégique soit inclusive et en concertation
avec toutes les parties prenantes du processus électoral. Le plan
stratégique est l’outil de gestion duquel découlent les décisions fondamentales
sur l’activité de l’administration électorale : planification et hiérarchisation
opérationnelles, allocation des ressources et normes de service.
Le plan stratégique fournit à l’administration électorale un plan directeur
pour la prestation de services, le renforcement, l’intégration et l’amélioration de
l’organisation. Il permet à l’organisme de gestion des élections de comprendre
les évolutions de son environnement et d’agir dans cet environnement. (D’être
donc réactif aux changements de circonstances).
Le plan stratégique est également un document public qui rend compte
de ce que représente l’administration électorale, de ce qu’elle fait et pourquoi
et de ce qu’elle projette d’accomplir. Véritable feuille de route qui guide et
motive l’administration pour un nombre d’années précis, le plan stratégique
offre également d’importantes références aux parties prenantes qui évaluent la
performance de l’administration.
Une administration électorale sans plan stratégique c’est comme un pilote
sans boussole.
Un plan stratégique efficace présente l’administration électorale comme
une institution ouverte, démocratique et responsable. Il doit être cohérent
avec le mandat de l’administration électorale et mis en œuvre dans le cadre de
la Constitution et de la loi électorale. Il prend en compte tous les facteurs
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connus pouvant affecter la performance de l’administration électorale, tels que
l’environnement réglementaire, la technologie, les risques de conflit, la
participation des parties prenantes ou l’indifférence des électeurs, ainsi que les
relations administration électorale-gouvernement.
Il est rare que le plan stratégique couvre plus d’un cycle électoral national
puisque les évaluations post-scrutin peuvent entraîner des changements
considérables dans l’environnement de l’administration électorale. Un plan
stratégique n’est pas immuable : c’est un guide stratégique pratique pour
l’administration électorale, qui doit évidemment évoluer si des changements
importants dans l’environnement externe ou interne exigent une révision de sa
stratégie.
L’analyse des forces, des faiblesses, des opportunités et des menaces
(
Strengths, weaknesses, opportunities and threats), appelée «analyse SWoT» et
réalisée par l’administration électorale est un outil important qui permet de
faciliter l’élaboration d’un plan stratégique. L’identification des éléments
contextuels sur lesquels sont basés les résultats attendus du plan stratégique
est nécessaire pour émettre un jugement pertinent sur les réalisations. Chaque
pays est susceptible de connaître des situations qui lui sont propres.
- La planification opérationnelle : Aux termes du plan stratégique, le plan
opérationnel fournit le cadre de planification opérationnelle. Il est important
que le premier soit intégré au cycle électoral et que la seconde soit liée à
chaque phase du cycle. Le concept opérationnel tient compte de
l’établissement, d’un cadre juridique adapté ainsi que de la nature et du champ
des processus électoraux. Il doit reconnaître toute limite à la planification de
l’administration et être réaliste dans ses hypothèses relatives à des questions
telles que la sécurité et la stabilité, et à toute circonstance imprévue qui
pourrait affecter la gestion électorale, la préparation et la conduite des
élections. L’importance d’obtenir la participation entière des parties prenantes
est une question à prendre en compte dans la conception opérationnelle.
Aux fins d’une planification détaillée et d’une administration efficace, le
plan opérationnel peut diviser un processus électoral en plusieurs phases, avec
par exemple, la mise en place d’un cadre juridique et administratif, les
préparatifs pour l’inscription des électeurs, la mise en œuvre de l’inscription des
électeurs, les préparatifs du scrutin et du dépouillement, l’enregistrement des
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candidats, la campagne électorale, le scrutin, le dépouillement et la proclamation
des résultats ainsi que
les activités postélectorales. Chaque activité
opérationnelle doit être ciblée sur les objectifs définis dans le plan stratégique.
La planification opérationnelle est plus efficace lorsque le personnel
chargé de la mise en œuvre des activités est impliqué dans leur planification. Le
plan opérationnel peut fixer des objectifs, mensuels et hebdomadaires, en
tenant compte de la disponibilité des ressources ainsi que des échéances
légales et opérationnelles pour assurer un service électoral efficace. (Les cartes
J- ! dans les couloirs de l’ancienne ISIE : une motivation pour gagner le challenge
du temps qui presse toujours)!
- Le Calendrier électoral : C’est une répartition du processus électoral
en séquences consécutives et connexes : une prévision du timing nécessaire à
chaque activité du processus électoral. L’objectif premier du calendrier électoral
est d’aider l’administration électorale à effectuer sa planification et ses
préparatifs dans les temps impartis afin de respecter ses échéances légales ou
administratives. Le calendrier donne également des informations au public, aux
partis politiques et aux médias sur les dates de début et de fin des principales
activités électorales, ce qui renforce la transparence et crée une image publique
positive pour une administration électorale.
Un logiciel de gestion de projet peut permettre à l’administration
électorale d’élaborer des calendriers électoraux complets présentant de
manière claire les étapes, les délais, et l’interdépendance des activités.
Ce calendrier peut devenir par la suite un plan d’opérations sophistiqué
qui peut être partagé avec le personnel pour servir de base à la gestion des
progrès et de l’exécution des tâches, mais aussi avec les parties prenantes, à
titre informatif.
Un calendrier électoral est particulièrement utile pour permettre
l’approvisionnement, en temps et en heure, des fournitures et du matériel
nécessaires à l’inscription des électeurs et au vote.
Il va sans dire que toutes les séquences du processus ne sont pas
demandeuses de temps d’une manière égale, et que certaines opérations
prennent beaucoup plus de temps que d’autres.
46
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Un examen exhaustif du calendrier électoral, après chaque élection,
permet d’identifier si le temps imparti était inapproprié pour réaliser certaines
tâches. Cet examen peut déterminer les domaines dans lesquels une modification
de la structure organisationnelle ou des allocations de ressources ou encore des
cadres législatifs ou réglementaires, améliorerait les opérations électorales.
Il découle de ce qui précède, qu’en réalité, le respect du calendrier
électoral est tributaire du respect du plan stratégique et du plan opérationnel
qui fonde les prévisions en terme de durée de chaque activité du cycle
électoral.
Le défi majeur du respect du calendrier électoral, défi de gestion
temporelle qui s’impose à l’administration électorale peut être donc relevé en
tenant compte des expériences des cycles électoraux précédents et des écarts
enregistrés pour chaque étape. Bien que les futures élections semblent être
une course contre la montre, en voici quelques leçons à tirer du calendrier des
élections du 23 octobre 2011
- Inscription des électeurs : L’étape de l’inscription des électeurs est une
étape de base, qui représente le soubassement de la délimitation de la force
électorale à même de participer au scrutin. L’ancienne ISIE a entamé
l’élaboration du fichier électoral, il revient donc à la nouvelle ISIE de choisir
entre continuer le travail fait par sa devancière et engager une actualisation du
fichier existant ou bien effacer tout et opter pour un réenregistrement de tous
les électeurs.
De ce choix découle la mesure de l’espace temps qui devrait être réservé
à cette opération, sachant que l’opération de l’inscription des électeurs
comporte toujours des retards techniques, en raison de la lenteur et du
prolongement des opérations d’inscriptions. D’ailleurs, l’ancienne ISIE avoue
dans son rapport général sur la conduite des élections, avoir accusé des retards
accumulés concernant l’inscription des électeurs.
En effet, l’inscription active a été prorogée à deux reprises du 23 au 30
septembre, puis du 1er au 10 octobre en Tunisie comme à l’étranger y compris
les inscriptions exceptionnelles ! La prorogation des délais des procédures
d’inscription s’est répercutée en retard par rapport à la date initialement
prévue pour l’affichage des listes électorales.
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- Enregistrement des candidatures : L’ancienne ISIE ne s’est pas tenue
aux délais d’enregistrement des candidatures fixés initialement dans le calendrier
électoral. Ce retard s’est traduit en un chevauchement entre les délais de
notification des décisions de refus de candidatures et les délais de recours
subséquents, les délais impartis aux juridictions qui statuaient sur la question et
les délais de la campagne électorale. Ceci a engendré un anachronisme avec
des situations biscornues où un candidat confirmé par la juridiction compétente
ne pouvait pas faire campagne que très tard ou ne pouvait plus la faire suite à
la forclusion des délais.
- Campagne électorale : En réalité, le délai de la campagne électorale fait
l’objet d’un «consensus international», 30 jours suffisants à chaque candidat
pour présenter son programme et le promouvoir. L’équité veut que chaque
concurrent bénéficie du même délai ce qui risque de ne pas arriver en cas de
déclassement des activités électorales précédentes.
- Déclaration des résultats préliminaires : En absence de délai légal
concernant la proclamation des résultats préliminaires (dans le décret-loi
électoral n°2011-35 tel que modifié par le décret-loi n°2011-72 du 3 août
2011), on a eu droit à une valse de déclarations préliminaires par différentes
IRES. Cette cacophonie a heurté le principe de clarté et de transparence en
plus de celui de la traçabilité des résultats... Des délais raisonnables de
proclamation des résultats préliminaires devraient aussi être imposés à
l’administration électorale et respectés par elle.
- Les délais du contentieux : Pour les délais du recours pour refus
d’inscription sur les listes électorales ou celui du recours pour refus de
candidature, le respect est lié aux respect des délais des activités précédentes
comme cela a été démontré.
Pour le contentieux postélectoral, les délais d’introduction des recours et
les délais de leur traitement par le TA devraient être étendus pour être adaptés
à la réalité d’un processus lourd et complexe. Le délai de deux jours prévu par
le décret-loi électoral pour introduire un recours auprès du TA est inadapté
aux exigences des plaignants, et serait peut être la cause du grand nombre de
rejet pour vice de forme, et mérite d’être donc étendu. Les délais de dépôts
de recours doivent commencer à courir quand tous les résultats préliminaires
sont proclamés dans leur intégralité.
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En réalité, chaque processus électoral a sa logique interne propre,
construite sur une cadence rythmée, le moindre écart entraine sans doute un
chamboulement de la conception qui entraînera un risque sur le bon
déroulement du processus. L’accumulation des retards risque d’aboutir à une
crise électorale (pré ou post-scrutin) ou à un scrutin bâclé qui ne peuvent être
évités que par un accord politique préalable sur «un calendrier de secours».
En effet, en prévention des blocages ou crises pouvant survenir à toutes
les étapes du processus électoral, un scénario électoral alternatif aurait
l’avantage d’encadrer même les reports inévitables.
En guise de conclusion, je ne manquerai pas d’insister sur le fait que le
dilemme du timing électoral enseigne que tenir des élections reportées d’une
manière soutenable vaut mieux que d’avoir des simulacres d’élection.
Références :
- Concevoir la gestion électorale : le Manuel d’IDEA international
- Rapport final MOE EU
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Les défis de la nouvelle administration
électorale
Par Cyril Kulenovic
Expert international
Si la nomination des membres de la nouvelle Instance supérieure
indépendante pour les élections (ISIE) apparaît aux yeux du grand public, mais
aussi souvent des hommes politiques, comme le point de départ d’un cycle
électoral permettant de fixer une date de scrutin, malheureusement il ne s’agira
que de clôturer l’ancien cycle, engager un transfert de compétences et définir
les contours juridiques, techniques, financiers et humains permettant d’arrêter
un calendrier de travail. Avant de parler des défis qui attendent la future
administration électorale tunisienne, quel contexte prévaut aujourd’hui pour la
mise en place de cette commission?
Trois préalables sont à prendre en considération :
1/ L’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a été
créée spécifiquement à l’issue d’un décret-loi n°27 du 18 avril 2011, avec pour
mandat de préparer, superviser et contrôler les élections de l’Assemblée
nationale constituante. Son mandat, qui ne devait prendre fin qu’à la prise de
fonction d’une nouvelle équipe, laisse place à une période de relative vacance
électorale depuis la publication de son rapport final en février 2012.
2/ Il apparaît essentiel de se repositionner dans le «temps électoral» :
depuis le dernier scrutin du 23 octobre 2011, le cycle électoral n’est pas tout à
fait achevé. Des étapes impérieuses telles que le renforcement institutionnel, le
développement professionnel de l’institution, des réformes juridiques nécessaires,
l’archivage et un travail de recherche, d’audit et d’évaluation ou encore la mise
à jour des listes électorales doivent aujourd’hui être conduites pour permettre
de clôturer le cycle électoral précédant et s’engager sereinement vers les
prochaines élections générales. Le nouveau cycle électoral ne démarrera en ce
sens qu’après adoption de la Constitution et de la législation afférente, après
avoir développé des codes de conduite, déterminé le corps électoral, finalisé le
découpage électoral et bien sûr arrêté le système électoral.
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3/ Les prochains scrutins sont de nature et de format différents entre
eux (élections législatives, présidentielles, locales) et nécessiteront des
adaptations significatives et particulières, s’agissant en particulier de l’organisation
du vote des Tunisiens de l’étranger, du système de représentation, adapté à
chaque mode de scrutin, ou encore les modalités de financement associés.
Si les élections de 2011 ont été conduites majoritairement en respectant
les normes internationales et les textes nationaux dédiés, des failles ont été
néanmoins relevées et des pistes de progrès dressées. Les groupes
d’observateurs nationaux et internationaux mais aussi l’ISIE I ont su dresser un
bilan de la première mandature et préconiser des axes de travail permettant
d’améliorer la conduite de prochains cycles électoraux.
La nouvelle ISIE aura donc la lourde tâche de prendre en compte ces
préconisations tout en s’engageant dans une appropriation des outils, du cadre
juridique et des besoins nouveaux exprimés. Ces préalables associés à la
nécessaire professionnalisation des membres de l’ISIE représentent un défi pour
cette nouvelle institution, qui devra probablement s’engager dans la conduite
d’un cycle électoral dans un calendrier contraint et serré.
Sortir de la crise de sélection des membres de l’ISIE
Le premier défi de l’administration reste d’exister pour pouvoir fonctionner
et ce, en l’absence de consensus autour des 9 personnalités composant son
futur organe exécutif. Les nécessaires voix de 145 députés représentent un
risque sérieux d’enlisement de cette procédure de sélection, auxquels de
possibles démissions de membres élus relanceraient sans cesse cette procédure.
Les décisions du Tribunal administratif portant notamment sur la grille
d’évaluation et l’ordre de mérite des candidats présélectionnés sont tout autant
un défi lancé aux décideurs politiques qu’au cadre juridique prévalant mais aussi
au futur pouvoir réglementaire de l’instance. Les membres de l’ISIE auront donc
à faire face à un double contrôle, tant politique que judiciaire.
Capitaliser l’expérience et les acquis
La mission d’observation électorale de l’Union européenne présente
en Tunisie en 2011 recommandait de «
pérenniser l’ISIE tout en
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restructurant l’institution pour un cycle électoral complet». L’ISIE I a
également exprimé le souhait de ne pas revenir sur les acquis techniques
et rentabiliser les moyens existants tels les données, les logiciels mais aussi
de pérenniser le capital humain fort de personnels d’ores et déjà formés
et expérimentés.
Une refonte complète du système ou de ses ressources humaines, alors
même que le cycle électoral s’annonce davantage complexe, représenterait un
risque de dérapage technique et logistique.
La répartition des compétences
Sans reproduire les déviances divisionnistes de l’ISIE I, la nouvelle ISIE doit
clairement, au travers de son futur règlement intérieur mais aussi de ses
mécanismes décisionnels et de mise en œuvre technique, mettre en place son
organe exécutif.
L’ISIE I comme les organisations de la société civile ont recommandé de
dissocier les structures administratives et financières, des compétences
d’exécution technique. L’ISIE va plus loin en séparant les prérogatives
organisationnelles, de contrôle et d’exécution, réparties entre la commission
centrale, l’OTAF (organe technique et financier) et une structure administrative,
de gestion et de suivi.
La nécessaire mise en œuvre de l’organe technique et
financier
La mise en place de l’OTAF, de son directeur exécutif et de ses membres
au niveau national et régional est appelée des vœux de tous, après l’élection
des membres du conseil. Cette structure d’exécution doit néanmoins être
pensée et structurée en amont.
Il appartiendra donc à la nouvelle ISIE de ne pas céder aux penchants
naturels des administrations électorales en période de transition, en centralisant
tous les pouvoirs au sein d’un seul organe décisionnel et réglementaire en lieu
et place de techniciens et professionnels de la logistique, de l’assistance, de
l’administration électorale ou des finances.
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La maîtrise des fonctionnements internes à l’institution
L’ISIE I a su tirer les fruits de son expérience en termes de prise de
décision et de relation avec les instances déconcentrées en préconisant
notamment, dans son rapport, «
d’accorder plus de souplesse dans la prise de
décisions concernant les questions courantes et urgentes et clarifier la nature des
relations
». La définition d’un règlement intérieur concerté et cohérent doit
permettre de déterminer les rôles, missions et limites de chacun au sein de
l’institution ou dans sa relation avec les partenaires.
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Le pouvoir de réglementer offert à cette future instance
autonome
C’est peut être l’un des points les plus délicats à aborder à l’issue de la
phase d’installation de l’institution. Tous les acteurs doivent lui accorder la
confiance de pouvoir réglementer. Ce pouvoir est élémentaire pour permettre
une résolution en cas de divergences ou de vides juridiques ou tout simplement
pour statuer rapidement sur des imprécisions ou lacunes. Des impératifs de
temps, de ressources ou de moyens nécessitent toujours de pallier ces manques
en mettant en œuvre rapidement une procédure adaptée. Au politique et au
pouvoir judiciaire d’accorder également la confiance nécessaire à l’institution.
A ce pouvoir réglementaire, certaines organisations de la société civile
proposent également d’accroître ses prérogatives d’auto saisine mais aussi de
sanctions en matière électorale, à la condition de pouvoir contester ces
décisions devant une juridiction clairement identifiée.
L’autonomie de l’institution a été l’un des points centraux du rapport de
l’ISIE I, préconisant de consacrer son autonomie organique, fonctionnelle et
financière dans la constitution et dans la loi. En effet, face à des délais de mise
en œuvre souvent très courts voire trop courts en période de transition, du
fait de l’impatience de recouvrer une stabilité démocratique, l’administration
électorale doit jongler entre différentes administrations et institutions et tenir
son calendrier en dépit de difficultés externes.
Si les décisions et engagements sur ce point restent timides, reste à voir
si la réforme de la loi électorale permettra de répondre favorablement à
l’expression de ce besoin.
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Gestion des délais et du calendrier
Comment ne pas être tenté, pour les instances de transition, d’annoncer
une date «d’apaisement» qui plus est dans une période de contestation. En
matière électorale, le politique ne fixe pas la date d’un scrutin de manière
unilatérale, sans que des préalables techniques ne soient remplis. La fermeté de
Kamel Jendoubi sur ce point en 2010 aura, nous l’espérons, ramené toutes les
parties prenantes à la raison lorsqu’il s’agit de définir un chronogramme,
préalable nécessaire à l’annonce d’une date de scrutin.
Le calendrier électoral est en effet consécutif à la mise à jour des listes
électorales voire d’un recensement, de réformes juridiques, d’un renforcement
institutionnel, de la définition d’un cadre juridique, du système électoral retenu,
de la budgétisation et des questions logistiques associées à sa mise en œuvre.
Sur ce point, les parties prenantes présentent des délais différents. Quand
la mission d’observation électorale de l’Union européenne parlait de 6 mois
nécessaires, les organisations de la société civile avancent 8 mois à compter de
la mise en place fonctionnelle de l’organe exécutif de l’ISIE et du cadre
juridique. L’essentiel restera donc de permettre à l’institution d’aborder un
calendrier de long-terme maîtrisé et concerté entre les instances décisionnelles
et techniques.
En ce sens, fixer un délai maximum pour chaque étape du processus et
valider un chronogramme précis avant l’annonce d’une date de scrutin est
élémentaire. L’ISIE I recommandait même de prévoir un délai de recours pour
chacune desdites étapes et de le dissocier dans le calendrier électoral pour
permettre le temps aux juridictions concernées de statuer.
La question de l’inscription sur les listes électorales reste également
cruciale pour déterminer ce calendrier électoral. Ainsi, dissocier l’inscription sur
les listes électorales pour ne comprendre que l’inscription exceptionnelle
pendant la phase pré-électorale, tel que proposé par l’ISIE I, n’implique pas les
mêmes délais ni la même communication ou mise en œuvre.
La bonne gestion des deniers publics
La définition du cadre juridique doit être accompagnée, en parallèle, d’une
évaluation logistique et financière permettant de mettre en adéquation la
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structure, les besoins et les coûts. Cette question est relativement délaissée
dans les phases pré-électorales et se veut être traitée au fur et à mesure ou
pire à postériori. L’ISIE I rappelle à juste titre que l’appel d’offres doit être la
règle et est un mécanisme complexe de détermination des besoins et de
sélection des solutions envisagées.
Transparence de l’institution
Si le travail précité doit accompagner les premières étapes de ce cycle
électoral, et en particulier les phases pré-électorales de planification et de mise
en œuvre, la transparence doit être le maître mot de chaque étape de
validation. Cette transparence doit permettre tant aux parties prenantes mais
aussi aux électeurs d’être tenus informés des décisions prises mais aussi de
pouvoir engager des requêtes, le cas échéant, auprès des juridictions
compétentes. C’est à ce titre que des organisations de la société civile
tunisienne recommandaient une publication trimestrielle de l’état du budget
consacré.
La nouvelle ISIE sera cependant confrontée à un dilemme : comment
jouer la carte de la pleine transparence dans un climat de défiance, tout en
évitant le risque de contentieux permanent ou de blocage politique ?
La constitution des listes électorales
Deux défis majeurs s’annoncent pour l’ISIE II mais aussi pour l’ANC :
régler la question de l’inscription volontaire et de l’inscription d’office mais aussi
définir le fonctionnement et la source dudit fichier.
L’inscription d’office a représenté un véritable défi pour l’administration
électorale précédente tant en termes de gestion du fichier que d’organisation
des bureaux et des opérations de vote. Elle a également représenté un défi
pour l’électorat. Les missions d’observation nationales et internationales
recommandent de conserver un seul système et en l’occurrence, l’inscription
volontaire. En conséquence, le cadre juridique doit se pencher sur cette
question essentielle, relative à la qualité d’électeur et aux procédures
d’inscription sur les listes électorales.
Le fichier électoral doit également être mis en œuvre, mais de quelle
manière et par qui ? L’ISIE II doit-elle de nouveau s’engager dans une gestion
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conjointe avec le Ministère de l’intérieur et les institutions judiciaires ? L’ISIE I
préconisait une inscription continue au travers d’une application nationale
dédiée. Cette proposition est-elle envisageable dans de courts délais et avec
l’appui d’une communication forte à l’électorat, aujourd’hui tendant à se
démobiliser ?
D’autres défis seront à relever, s’agissant notamment du traitement des
personnes décédées, des décisions judiciaires ou du traitement des doublons.
En fonction des décisions prises et de leur mise en œuvre par l’ISIE, cette
dernière n’est cependant pas la seule actrice du processus. Comme le
rappellent à juste titre les organisations de la société civile, si le registre des
cartes d’identité sert de base de travail pour le fichier électoral, quid des
procédures d’obtention et de l’exonération des droits de timbre ?
En conclusion, la reprise d’un fichier existant et audité n’est jamais simple
et sans risques. Il s’agit d’une opération complexe et le traitement des données
nécessite des compétences accrues, s’agissant notamment du transfert de
données vers un autre logiciel.
Deux autres problématiques doivent être prises en compte par la
nouvelle administration électorale : garantir l’universalité du droit de vote et ce
sans oublier la question du vote des forces de sécurité, tel que recommandé
par la mission d’observation de l’Union européenne, mais aussi d’aborder
l’organisation du vote des Tunisiens de l’étranger. Comment ces derniers
participeront-ils aux différents modes de scrutins prévus ? Comment se fera la
mise à jour des listes électorales de l’étranger et qui pilotera les inscriptions ?
La mission d’observation de l’Union européenne présente en 2011 préconisait
de cibler les élections nationales et de réformer les opérations de vote pour
cette population électorale par le biais, par exemple, d’un vote par procuration,
par voie postale ou par internet. Tous ces systèmes sont cependant souvent
complexes à mettre en œuvre voire coûteux. De plus, quelles équipes
ressources et quelle assistance seront nécessaires ?
Découpage des circonscriptions électorales
Du découpage électoral découle tant la représentativité territoriale, le
poids de l’électorat afférent, que l’organisation de l’administration électorale.
Cette étape est donc essentielle et sensible.
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C’est en ce sens qu’une partie de la société civile tunisienne a préconisé
de conserver le découpage territorial de 2011, permettant d’éviter ainsi des
blocages politiques. Cependant, l’attribution du nombre de sièges, s’agissant
d’élections législatives doit respecter les standards internationaux en la matière
et permettre une juste représentativité.
La cartographie des bureaux de vote doit enfin permettre un accès
équitable à toute la population électorale et fluidifier les opérations de vote. Si
la Tunisie s’engage dans des élections présidentielles, il est important de ne pas
sous-estimer le taux de participation d’un tel scrutin national.
Education civique et sensibilisation au vote
Ce temps essentiel à l’électorat pour se familiariser avec le mode de
scrutin et d’inscription est souvent sous-estimé. Une parfaite coopération des
acteurs et une bonne information de l’électorat sur ses droits de recours ne
doivent pas être délaissés, davantage dans le cas d’un processus d’inscription
volontaire. Le temps de la communication est donc primordial et doit être
dédié.
Avec une première expérience électorale démocratique et une société
civile riche et engagée, la nouvelle ISIE et l’ANC devront fortement s’appuyer
sur ces acteurs tout comme sur l’ancienne ISIE et les impliquer tout au long
des étapes de définition du cadre juridique, réglementaire, organisationnel et
technique du processus. Comment et par quels moyens intégrer ces acteurs ?
Comment les concerter au mieux ? Voici autant de défis que devra relever la
nouvelle instance électorale tunisienne.
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Les enjeux de l’inscription des électeurs
Par Sana Gouia
Doctorante à la Faculté des Sciences Juridiques,
Politiques et Sociales de Tunis
Introduction
Le poète et écrivain français Victor HUGO (1802-1885) a déclaré que,
pour lui, la meilleure loi électorale, c’est quand «
Article premier : Tout citoyen est
électeur
». Cette citation traduit le souci des penseurs à propos des notions
d’électeur et d’élection.
En étymologie, le terme «Election» provient du verbe latin «eligere» et de
son substantif «
electio» qui désignent, respectivement, choisir et choix. Elle a
pour objectif de mener à la «
désignation, par le vote d’électeurs, de représentants
(une personne, un groupe, un parti …
) destinés à les représenter ou occuper une
fonction en leur nom1». Cette désignation passe par «le vote de la majorité2» de
l’ensemble des électeurs encore désigné par
corps électoral.
Dans un suffrage universel, la notion d’électeur ou de corps électoral ne
doit pas se confondre avec les notions de citoyen ou de nation. En effet, ce n’est
pas tout citoyen ou toute la nation qui ira aux urnes, comme le voudrait Victor
HUGO. La compétence ou l’incompétence d’être un électeur sont définies par
la loi, par des critères d’inclusion ou d’exclusion. Les critères d’inclusion peuvent
découler d’un «
droit général se voulant être immuable, ou résulter d’une compétence
d’attribution ou de délégation
3». Les critères d’exclusion résultent de «l’état ou de
la qualité d’une personne, en application d’un règlement
ou d’un usage4».
Les élections, dans un système politique démocratique, tant que la liberté
et la transparence sont garanties, restent le
moyen «le plus légitime pour
1 - Encyclopédie libre Wikipédia.
2 - Ibid.
3 - Ibid.
4 - Ibid.
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l’ascension au pouvoir5» et sont une condition nécessaire (toutefois non
suffisante) pour qu’un peuple établisse un lien de confiance correctement fondé
avec la caste politique dirigeante.
Les émeutes populaires qui ont débuté en décembre 2010 ont été une
occasion pour le peuple tunisien d’exprimer sa revendication pour instaurer un
régime politique démocrate. En effet, la Tunisie, malgré six décennies de régime
républicain, n’a connu que des élections strictement contrôlées par le parti au
pouvoir.
L’évolution exceptionnelle des émeutes vers le renversement du pouvoir
de Ben Ali le 14 janvier 2011, a ouvert, soudainement, un accès vers la
réalisation de cette revendication. Ainsi, le premier rendez-vous électoral qui
s’en suivait a été à la une par une double particularité : En Tunisie, s’organise la
première élection transparente, libre et multipartite et, en plus, cette élection a
pour objet le choix des députés d’une nouvelle assemblée nationale
constituante (la deuxième dans l’histoire moderne du pays) qui sera chargée
de rédiger une nouvelle constitution en remplacement de celle de 1959,
déclarée suspendue. Deux particularités qui découlent de la volonté de rompre
avec le passé dictatorial du pays.
La réalisation d’un suffrage universel visant à accomplir ces objectifs, et sous
la pression du contexte politico-social très particulier du moment, a constitué un
vrai défi pour les autorités provisoires installées après le 14 janvier 2011.
Dans la phase pré-électorale, préparatoire de ces élections, l’inscription
des électeurs a été à l’origine de challenges qui devaient être surmontés.
Obligées de revoir le cadre juridique des élections, les autorités ont été
amenées à une nouvelle approche de la définition du corps électoral. En même
temps, et dans un souci de s’harmoniser avec le processus de changement que
connait le pays, les autorités ont cherché à assurer le recrutement maximum,
voire de tout électeur potentiel dans les élections. La recherche d’un
recrutement maximum des électeurs a été accentuée par une volonté
d’instaurer, en Tunisie, une démocratie participative qui se démarque de la
démocratie représentative. Dans ses modalités de fonctionnement une
démocratie participative (ou délibérative), vise à «partager l’exercice du
5 - Ibid.
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pouvoir, par le renforcement de la participation des citoyens à la prise de
décision politique».
6 La démocratie représentative constitue «un système
politique dans lequel on reconnaît à un organisme le droit de représenter une
nation ou une communauté»
7. Dans les suites des événements de l’hiver 2010-
2011, il est naturel que le conscient collectif tunisien se penche vers un système
politique basé sur une démocratie participative. En effet, la démocratie
représentative, encore appelée oligarchie, se recoupe, dans plusieurs de ses
aspects, avec un système politique totalitaire où un petit groupe règne tandis
qu'il soumet le reste de la population à son autorité
La réponse aux défis de cette étape n’est pas évidente. En effet, des
écueils se dressent devant l’approche du processus d’inscription des électeurs.
Les enjeux résident, principalement, dans l’établissement, sur le plan juridique,
de critères loyaux de l’électeur et d’éviter les possibilités d’erreurs ou de fraude
devant une procédure d’inscription voulue facile et rapide.
A distance de ces élections, la revue de leur cadre juridique et
administratif ainsi que de certains de leurs aspects statistiques permet
d’apporter une lumière sur la résultante mitigée de l’approche des critères
juridiques de l’électeur (Partie première) et de mettre en évidence les risques
accentués d’erreurs et de fraude devant une logistique discutable de
recrutement des d’électeurs (Deuxième partie).
Partie Première
La résultante mitigée de l’approche des critères juridiques
de l’électeur des élections du 23 octobre 2011
L'élection des députés de l’Assemblée Nationale Constituante n’est pas
en soi une première en Tunisie. En effet, le 25 mars 1956, les tunisiens se sont
dirigés aux urnes pour élire leur première assemblée constituante dans les
suites immédiates de l’acquisition de l’indépendance en application des décrets
beylicaux du 29 décembre 1955 et du 6 janvier 1956.
Le moment historique qu’a connu la Tunisie en 1956 présente, sur le plan
juridique, plusieurs similarités avec l’atmosphère imprégnant la Tunisie le
6 - Wikipédia : Démocratie participative.
7 - Wikipédia : Démocratie représentative.
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lendemain du 14 janvier 2011. Ainsi, tel un laboratoire grandeur nature, l’étude
de cet événement et la décortication de l’évolution du cadre juridique de
l’inscription des électeurs entre 1956 et 2010, permet d’apporter une meilleure
lumière sur la qualité de l’approche du législateur par rapport à ce même volet
des lois électorales la veille des élections du 23 octobre 2011.
En adoptant cette démarche, un phénomène insolite se dessine devant
nous. En effet, si pendant la dictature, le cadre juridique de l’inscription des
électeurs était, malgré les lacunes, une traduction de la réconciliation nationale
et une assise qui a évolué dans le sens de l’élargissement de l’électorat (premier
paragraphe), en revanche après les événements du 14 janvier 2011, ce cadre a
été déformé, du moins en partie, par la pression politique du moment
(deuxième paragraphe).
Premier paragraphe :
Le cadre juridique de l’inscription des électeurs avant le 14 janvier 2011 :
une traduction de la réconciliation nationale malgré les lacunes
Dans les élections de l’assemblée constituante de 1956, les critères
juridiques du corps électoral sont avancés par les articles 2, 3, 4 et 5 du décret
beylical du 6 janvier 1956. Ces critères, à travers une lecture synthétique de ces
articles, sont comme suit :
- L’électeur ne peut être que de nationalité tunisienne, de la gente
masculine et doit être âgé au moins de 21 ans.
- Ne peuvent s’inscrire sur la liste électorale les militaires en activité de
service.
- Ne peuvent s’inscrire sur la liste électorale ceux qui ont fait l’objet d’une
peine d’emprisonnement de 3 mois et plus, ainsi que des faillis non réhabilités
et les aliénés.
- Sont acceptés dans les listes électorales ceux qui ont été condamnés
pour mobile d’ordre politique et syndical ainsi que ceux qui ont commis des
délits d’imprudence sauf cas de fuite concomitante.
Ceci dit, les critères d’inclusion et d’exclusion ont suivi des schémas
logiques par rapport au cadre général de toute opération électorale. La
restriction du droit de vote aux hommes se comprend vu les circonstances
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temporelles : A l’époque, l’affranchissement de la femme en Tunisie n’a pas eu
encore lieu et il fallait attendre la promulgation du code du statut personnel en
date du 13 août 1956 pour que la femme tunisienne se hisse, juridiquement, au
même niveau que son co-citoyen masculin.
Plus spécifiquement, il est remarquable que ce texte a permis la
réhabilitation de ceux qui ont participé à la lutte contre le colonialisme et qui
ont été incriminés pour leurs actions, sans, toutefois, discréditer les citoyens
tunisiens qui ont collaboré avec les autorités coloniales. Cette attitude est une
traduction directe de la politique de la Tunisie, nouvellement indépendante, et
qui se voulait être réconciliante entre les tunisiens. Ainsi, dans le cadre de cette
volonté politique, la rupture avec l’ancienne époque passe par le pardon. Seuls
les tunisiens auteurs de crimes de sang dans le cadre de la collaboration avec
le protectorat ont été, implicitement, exclus des listes électorales car ils faisaient
partie, logiquement, de ceux à l'encontre desquels avaient été prononcées
contre eux des peines de plus de trois mois.
A la fin des travaux de l’assemblée constituante en 1959, fut promulguée
la loi 59-86 relative aux élections du président de la république et des députés
de l’assemblée nationale. D’emblée, dans cette loi, nous notons l’élargissement
important du potentiel des électeurs. Ainsi, dans son article 3, il est précisé que
«
sont électeurs tous les tunisiens et tunisiennes âgés de vingt années grégoriennes
accomplies, possédant la nationalité tunisienne depuis cinq ans au moins, jouissant
de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacités prévues
par la loi».
Par rapport aux élections de 1956, le potentiel d’inscription dans les listes
électorales s’est vu largement augmenté en incluant les femmes (par impact de
la promulgation du code de statut personnel) et les jeunes âgés entres 20 et
21 ans, du fait du passage de l’âge de maturité légale de 21 à 20 ans.
Les critères d’exclusion n’ont pas trop changé par rapport aux textes de
1956. L’extension à ce niveau n’a concerné que le corps de la garde nationale.
En date du 8 avril 1969, la loi n°69-25 a porté promulgation du code
électoral. L’article 2, révisé par la loi organique n°2009-19 du 13 avril 2009 et
les articles 3 et 4 de ce code définissent les critères d’inclusion et d’exclusion
par rapport à la liste électorale. La lecture synthétique de cette définition, la
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dernière en vigueur, avant les événements de décembre 2010 - janvier 2011, et
valable pour les élections municipales, bicamérales et présidentielles et les
référendums, permet de dégager que les modifications de la définition de
l’électeur se sont manifestées par :
- une diminution de la limite inférieure de l’âge des électeurs de 20 à 18
ans ce qui correspond à un élargissement de l’électorat.
- l’exclusion des faillis non réhabilités et les interdits judiciaires. Ces
empêchements n’avaient aucune dimension politique.
Qu’en est-il du cadre juridique de l’inscription des électeurs au lendemain
des émeutes du 14 janvier 2011?
Deuxième paragraphe :
Le cadre juridique de l’inscription des électeurs au lendemain du 14
janvier 2011 :
Une déformation partielle de l’approche juridique par la pression politique
du moment
Le code électoral tunisien ne statue pas sur des élections d’une nouvelle
assemblée constituante. En outre, et sans déclarer, explicitement sa caducité, il a
été signifié que ce code «
n’a pas pu assurer des élections démocratiques,
pluralistes, transparentes et honnêtes
» aux termes du préambule du décret-loi
2011-35 du 10 mai 2011.
Résultant d’un consensus politique, ce même décret-loi a constitué le
cadre juridique qui a entouré les élections du 23 octobre 2011. Parmi les
dimensions développées par ce texte vient celui de la définition des électeurs.
Ainsi, il postule, dans son article 2, qu’«
ont le droit de voter tous les tunisiens et
tunisiennes âgés de 18 ans accomplis le jour précédant les élections, possédant la
nationalité tunisienne, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans
aucun cas d’incapacités mentionnées dans le présent décret-loi
». Les critères
d’exclusion sont mentionnés dans l’article 4 relatif aux militaires et au personnel
des forces de l’intérieur et dans l’article 5 qui stipule qu’«il est interdit aux
personnes suivantes de voter :
- les personnes condamnées pour crime ou pour délit infamant puni par une
peine d’emprisonnement ferme de plus de 6 mois et qui n’ont pas été réhabilités,
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- les personnes pourvues d’un conseil judiciaire,
- les personnes dont les biens ont été confisqués après le 14 janvier 2011».
Ainsi, dans leur ensemble, les critères de définition de l’électeur sont
restés dans le même esprit que les définitions précédentes, sauf pour le
troisième critère d’exclusion qui montre, dans son écriture, l’impact des
événements récents qu’a connu la Tunisie. Cette approche du législateur le
démarque et enregistre une régression par rapport au texte de 1956, qui
rappelons-le, s’est voulu être réconciliant entre les tunisiens et mettant en
valeur le sacrifice des personnes qui ont lutté contre le colonialisme.
Dans ce sens, le critère «les personnes dont les biens ont été confisqués
après le 14 janvier 2011
» veut faire allusion aux personnes qui se sont enrichies
dans le cadre de la mise en place et du maintien du régime de Ben Ali. Ce
critère d’exclusion qui est, exclusivement, de nature politique est imposé par la
pression du moment.
Toutefois, même si cette attitude trouve une légitimité sur le plan
populaire et politique, il est à noter qu’elle a poussé le législateur, et à notre
avis, dans une zone de flou où des questions restent sans réponse :
- En matière de collaboration avec l’ancien régime, l’obtention illicite de
biens est-il le seul critère à considérer ? Est-on sûr qu’il n’y a pas eu de personnes
qui ont, pleinement, aidé l’ancienne caste dirigeante à se mettre en place et à se
maintenir en contre partie de faveurs qui ne sont pas d’ordre pécuniaire ?
- De manière pratique, près de 10 mois ont séparé les événements du
14 janvier des élections de l’assemblée nationale constituante. Cette période
est-elle suffisante pour dénicher tous ceux qui se sont enrichis illicitement en
profitant de l’ancien régime ? Et, une personne dont les biens ont été confisqués
dans les suites des évènements a-t-elle, vraiment, suffisamment le temps pour
prouver son innocence ? Rappelons, dans ce cadre, que la Tunisie, dans les suites
des évènements, a connu plusieurs mois de panne et de ralentissement de
l’appareil sécuritaire et judiciaire.
- Comment considérer une personne dont les biens ont été confisqués
après le 14 janvier 2011, et ce, dans le cadre d’une affaire qui n’a aucune
relation avec l’ancien régime politique ?
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- Sous l’ancien régime, plusieurs opposants ont été neutralisés dans leurs
actions par des procès de droit commun et ont purgé des peines
d’emprisonnement de plus de six mois. Comment ces personnes peuvent
accéder au droit de vote alors qu'elles ne font pas l’objet de clause particulière
au sein du texte du décret-loi ?
Toutes ces questions restent, juridiquement, sans réponse et traduisent la
résultante mitigée de ce texte. Le décret-loi a cité et a mis en valeur le
soulèvement populaire qui a poussé au départ du dictateur et a réussi d'un
point de vue pratique à neutraliser les voix des principaux acteurs de l’ancienne
caste dirigeante. Toutefois, et même si certains objectifs sont réalisés, les failles
et les incongrues des conséquences de l’application du troisième critère
d’exclusion sont multiples et parfois dangereuses.
Partie II
Des risques accentués d’erreurs et de fraude devant une
logistique discutable de recrutement des électeurs
Entre 1956 et 2010, la Tunisie n’a connu, pratiquement, que des élections,
strictement, contrôlées, aussi bien dans la procédure que dans les résultats, par
la caste dirigeante et le parti politique au pouvoir. Ce contrôle s’est effectué à
travers plusieurs niveaux et par plusieurs moyens dont l’utilisation des failles
juridiques semées, volontairement, dans le code électoral. Parmi les astuces
utilisées il y a celles qui se rattachent à la procédure d’inscription des électeurs
sur les listes électorales.
Devant ce constat, et comme une réponse réflexe innée, le cadre
juridique et administratif de la procédure de l’inscription des électeurs lors des
élections du 23 octobre 2011 s’est voulu être, complètement, détaché de toute
similitude avec la situation telle qu’elle se présentait avant le 14 janvier 2011.
A distance de ces élections, nous pouvons établir un bilan comparatif des
deux cadres administratifs et juridiques de l’inscription des électeurs avant et
après les événements de fin 2010 - début 2011. Par cette approche, se
manifestent devant nous les mécanismes qui ont permis à la dictature d’utiliser
le suivi des listes électorales dans la finalité de les manipuler (premier
paragraphe) et en même temps apparaissent évidentes, lors des élections du
23 octobre 2011, les failles d’une procédure d’inscription qui ont entaché la
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volonté de la rendre facile et accessible à tout électeur potentiel (deuxième
paragraphe).
Premier paragraphe :
Le suivi des données des listes électorales avant le 14 janvier 2011 : Les
mécanismes de manipulation
En général d'un point de vue procédural un électeur ne peut se présenter
dans un bureau de vote que s’il est en possession d’une carte électorale. Dans
le code électoral tunisien, le contenu, les procédures de l’établissement et de
délivrance de la carte électorale à l’électeur sont réglées par les articles 23, 24
et 25. Sur cette carte établie et délivrée par le président de la commune ou le
chef du secteur, sont rapportés les noms, prénoms, date et lieu de naissance et
la résidence de l’électeur ainsi que son numéro d’inscription sur la liste
électorale et la localité et le bureau où doit se faire le vote.
La carte électorale est établie pour ceux qui sont inscrits sur la liste
électorale de la commune ou du secteur. L’article 8 bis du code électoral tel
que modifié par la loi organique n° 88-144 du 29 décembre 1988, puis abrogé
et remplacé par la loi organique n° 2003-58 du 4 août 2003 stipule que cette
inscription peut se faire à la demande de l’électeur. Toutefois, il n’a pas été
écarté l’éventualité d’une inscription passive des électeurs (sans leur demande)
par les responsables des communes et des secteurs. Aux termes de l’article 6
bis du code électoral, ajouté par la loi organique n° 88-144 du 29 décembre
1988, l’inscription sur cette liste est ouverte aux électeurs natifs de la
commune ou le secteur, aux électeurs ayant leur domicile réel dans la
commune ou le secteur, les électeurs ayant acquitté, durant deux années
consécutives avant l’inscription, un impôt ou une taxe pour les biens situés sur
le territoire de la commune ou du secteur, les électeurs qui, exerçant une
profession quelconque dans la commune ou le secteur sans être résidents, ont
déclaré vouloir y exercer leurs droits électoraux et les électeurs qui, sur
justification des liens de mariage, ont demandé leur inscription sur la même
liste électorale sur laquelle sont inscrits les noms de leurs conjoints. Les listes
électorales, aux termes de l’article 6 du code tel qu’abrogé et remplacé par la
loi organique n° 2003-58 du 4 août 2003, font l’objet d’une révision continue
par le président de la commune ou du secteur soutenu par des commissions
spéciales.
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La complexité de cette procédure et son rattachement à une structure
communale ou sectorielle a été de nature à garantir une mise à jour continue
de la base de données des listes électorales. Ce suivi permet de détecter les
électeurs qui ont perdu leur droit de vote et de vérifier l’authenticité de
l’appartenance de l’électeur à la zone où il est inscrit ou en cours d’inscription.
Toutefois, ce système complexe a été dérouté dans ses finalités et est devenu
un outil de surveillance dans les mains des dirigeants pour sélectionner les
électeurs qui voteront, sûrement, pour le parti et le président au pouvoir et de
limiter l’inscription des opposants. En plus, l’inscription passive des électeurs, a
été, souvent, utilisée pour mettre sur la liste électorale des personnes décédées
qui «
votent d’une manière interposée». Dans ce contexte, l’absence de photo
sur la carte électorale rend impossible une identification certaine des électeurs.
Ainsi, une personne qui se présente plusieurs fois pour voter, dans plusieurs
bureaux et avec plusieurs cartes électorales peut passer inaperçue.
Deuxième paragraphe :
La procédure d’inscription des électeurs lors des élections de 2011 :
Des failles qui défigurent une procédure facile et largement accessible
Par leur corruption, il est évident que les listes électorales ne sont pas
valides comme base de données des électeurs pour les élections du 23 octobre
2011. Donc, et pour contourner cet obstacle et le plus rapidement possible,
l’article 3 du décret-loi n° 2011-35 du 10 mai 2011 a stipulé que «
L’électeur
exerce le droit de vote à l’aide de la carte d’identité nationale
» et que «l’instance
supérieure indépendante pour les élections détermine les procédures d’inscription
pour l’exercice du droit de vote et se charge d’en informer le public
».
L’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE) a été créée
en application de l’article 7 du décret-loi n°2011-27 du 18 avril 2011. Selon le
rapport de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), la création
de cette instance a été recommandée par l’Instance Supérieure de la Protection
des Objectifs de la Révolution (IPSOR) qui a, aussi, et selon le même rapport,
exprimé son souhait que l’inscription des électeurs soit active c’est-à-dire
qu’elle n’est réalisée que par la présentation de la personne voulant voter à l’un
des 1000 centres d’inscription. La lenteur de cette procédure a rendu
nécessaire, en partie, le report des élections du 24 juillet 2011 au 23 octobre
de la même année.
68
Page 71
Le choix de la procédure d’inscription active avec simple présentation des
cartes d’identité a permis de résoudre le problème des listes électorales
manipulées et d’éviter des votes interposés et/ou répétés. Toutefois, cette
procédure n’a pas pu anéantir ou réduire un certain nombre de risques
inhérents aux élections du 23 octobre 2011.
En effet, la base de données des cartes d’identité nationale n’est pas,
constamment, mise-à-jour surtout en ce qui concerne les adresses qui restent
erronées dans 13% des cas. Ainsi, il a été impossible de lier un électeur à une
région comme cela a été prévu dans le code électoral. Les organisateurs des
élections ont été obligés d’accepter que l’électeur choisisse à sa guise le centre
d’élection qu’il souhaite, ce qui ouvre la voie à une manipulation des résultats.
Dans un tel contexte, il reste, toujours, possible qu’un parti ayant la certitude
d’une très large majorité dans une région, déplace d’une manière programmée
un certain nombre de ses sympathisants vers une autre région où ses chances
ne sont pas aussi fortes. Une telle manœuvre offre, ainsi, à ce parti la possibilité
de plus de sièges dans l’Assemblée Nationale Constituante pour un même
nombre d’électeurs.
Le choix de la carte d’identité nationale comme équivalent de carte
électorale pose un autre problème. Par une difficulté technique, les électeurs
potentiels, en possession de cartes d’identité du format ancien, se sont trouvés,
automatiquement, exclus de l’inscription et du vote car la base de données
disponible pour les besoins des élections ne prend pas en considération ces
cartes. Ainsi, cette difficulté a été à l’origine de la création involontaire d’un
critère d’exclusion qui ne peut être surmonté que par le changement de la
carte d’identité nationale.
Suite à cette expérience très particulière, la perspective du futur se
dessine à travers la préparation du terrain pour une nouvelle procédure
d’inscription des électeurs. La première balise de cette inscription est dessinée
dans l’article 3 de la loi organique n° 23-2012 du 20 décembre 2012 relative à
l’ISIE, qui donne à cette instance la responsabilité de la tenue et de la mise à
jour permanente du registre des électeurs. Selon l’article 22 de la même loi,
dont une révision est en cours de discussion8, les administrations de l’Etat sont
8 - Projet de loi 2013-56.
69
Page 72
tenues à coopérer avec l’ISIE en matière de consultation des bases de données
et des statistiques utiles au fonctionnement de l’ISIE. L’accès aux bases de
données est de nature à être fort utile pour la mise à jour rapide des registres
des électeurs.
Sur le plan statistique démographique, le nombre des tunisiens en Tunisie
et à l’étranger est de près de 11 millions de personnes dont près de 2/3 sont
âgés de plus de 18 ans. L’instance supérieure indépendante pour les élections, a
annoncé en date du 15 octobre 2011 que 62% des électeurs potentiels se
sont inscrits soit près de 4.5 millions d’électeurs. Selon le rapport de l’OIF, l’ISIE
a été responsable, en raison d’un retard de la campagne médiatique, de la faible
affluence des électeurs vers les centres d’inscription. Les reports répétés de la
date limite des inscriptions n’ont pas été suffisants pour recruter un nombre
d’électeurs qui va de pair avec l’importance de l’évènement. L’ISIE a essayé de
résoudre ce dysfonctionnement en dressant une liste passive des électeurs
dans le but d’accepter tout électeur non encore inscrit et qui se présenterait,
éventuellement, le jour des élections à l’un des bureaux de vote dressé à cet
effet. Cette procédure assimilable à une démarche d’inscription en urgence
n’est pas dénuée de risque car il devient impossible de vérifier d’une façon
certaine que la personne qui s’est présentée pour le vote ne soit interdite de
le faire. Déjà, en dehors de toute urgence, et malgré la présence d’un service
informatique au sein de l’ISIE et son étroite collaboration avec le Centre
National de l’Informatique (CNI), un certain nombre de difficultés ont été
observées au niveau des procédures informatiques selon le rapport de l’OIF.
Cette difficulté à recruter les électeurs s’est manifestée dans la différence
significative qui s’est creusée entre le nombre total des inscrits des deux listes
(passive et active) qui est de 7,5 millions contre un nombre total de votants
ayant dépassé de peu le chiffre de 4 millions. Le taux de participation des
jeunes a, été, semble-t-il plus bas que les attentes, un phénomène qui donne à
réfléchir du moment que ce sont des mouvements de jeunes qui ont été à
l’origine de l’émeute populaire générale qui a permis de mettre fin à l’ancien
régime.
Un autre résultat statistique s’impose par sa significativité. Du fait du
mode de scrutin proportionnel plurinominal à liste bloquée, près du tiers des
électeurs n’ont pas eu de représentants dans l’assemblée nationale constituante.
70
Page 73
Ce résultat a fait trébucher les efforts pour lancer le pays dans un processus
de démocratie participative. L’impact n’est pas, uniquement, immédiat par la
qualité de la représentativité dans l’Assemblée Nationale Constituante, mais
aussi va se faire sentir dans le futur du fait de l’ébranlement de la confiance de
l’électeur dans le système électoral.
Conclusion
L’article premier du décret-loi 2011-35 a stipulé que «les membres de
l’assemblée nationale constituante sont élus au suffrage universel, libre, direct et
secret, selon les principes de la démocratie, de l’égalité, du pluralisme, de l’honnêteté
et de la transparence
». Le fait de citer, dans cet article et dans le contexte du
moment, tous ces termes vecteurs de valeurs universelles a constitué une
source d’espoir pour l’électeur tunisien de voir son vote respecté sur tous les
plans en commençant par son droit d’accéder aux urnes.
Toutefois, faire venir dans la réalité toutes ces valeurs constitue une autre
paire de manche. Des choix de procédures et des détails parfois insignifiants
qui s’insinuent dans les textes juridiques, d’une manière volontaire ou
involontaire, peuvent entacher le processus électoral par des dérapages, des
erreurs voire même, des fraudes, semant, de surcroît, les graines du doute et
de la méfiance dans l’esprit de la population.
Le processus électoral du 23 octobre 2011, en dépit de l’aspect glorieux
du moment, a renfermé un certain nombre de défauts dont certains ont
touché le processus d’inscription des électeurs. Un tel constat aggravé par le
dérapage flagrant de l’Assemblée Nationale Constituante a abouti à une
rupture du lien de confiance qui a, un jour lié les gouvernés rêveurs aux
gouvernants. Une indifférence et une passivité se sont installées et qui cachent,
parfois, des sentiments amers de mépris envers la caste politique dirigeante.
Toutefois, l’ébranlement de ce lien de confiance et des espoirs des jeunes
qui ont porté leur rêve en habitant les rues et les places publiques ne doit pas
faire oublier que les élections du 23 octobre sont rentrées dans l’expérience
collective de tous les tunisiens et que quelque part une dimension positive de
l’évènement est restée intacte et qu’elle peut être l’assise d’une élection future
pouvant, éventuellement, corriger la trajectoire de la nation.
71
Page 74
Page 75
Financement des partis politiques :
le cas de la Tunisie
Par Nicolas Kaczorowski
Directeur, Fondation internationale
pour les systèmes électoraux, Tunisie
Comme dit l’adage populaire, la démocratie n’a pas de prix, mais elle a
un coût, un coût parfois élevé. En effet, les partis politiques ont besoin d’argent
pour mener campagnes, faire connaître leurs programmes aux électeurs et
remporter les suffrages des électeurs. Cet aspect est d’autant plus important
dans un contexte de transition démocratique. En effet de nouveaux partis
politiques émergent ; ils sont souvent peu connus de l’électorat et ne disposent
pas forcément de ressources suffisantes.
L’argent est nécessaire pour faire vivre une démocratie pluraliste. Il
permet aux partis de jouer leur rôle de porte-parole des revendications
populaires, de traduire la volonté des peuples et d’encourager la participation
aux affaires publiques. L’argent en politique ne doit donc pas être
systématiquement stigmatisé, décrié ou condamné, mais il doit être encadré.
L’argent politique doit être régulé pour :
- Assurer des ressources suffisantes aux partis politiques
- Promouvoir le pluralisme politique
- Limiter les risques de corruption
- Eviter l’accaparement de l’Etat par des intérêts privés et pour
- Assurer enfin que les candidats abordent la compétition électorale sur
un pied d’égalité.
La Tunisie se prépare aux prochaines échéances électorales ; les partis
politiques réfléchissent à leur programme, élaborent leur stratégie politique,
collectent des fonds et partiront bientôt à la rencontre des électeurs. La Tunisie
est cependant dans une situation particulière en matière de financement
politique. En effet, le décret-loi 2011-87 portant organisation des partis
73
Page 76
politiques est lacunaire et parcellaire en matière de financement. De surcroit il
n’est pas appliqué. En outre, les dispositions législatives de 2011 en matière de
financement des campagnes électorales ne sont plus en vigueur.
Revenons tout d’abord sur les dispositions du décret-loi 87-2011 relatives
au financement des partis politiques avant d’aborder les mécanismes de
financement de la campagne de 2011.
Quelles sont-elles les forces et les faiblesses des dispositions juridiques en
matière de financement politique c’est-a-dire a la fois le financement des partis
politiques et le financement des campagnes électorales ? Il s’agit de revenir sur
l’expérience passée pour la dépasser et en tirer quelques enseignements utiles
pour les prochains scrutins.
Trois textes à valeur législative organisent le financement de la vie
politique en Tunisie : les décrets-lois 35, 91 et 87. Les deux premiers textes
portent uniquement sur le financement des campagnes électorales, tandis que
le décret-loi 87, portant organisation des partis politiques, comporte trois
chapitres relatifs au financement des partis politiques.
Le financement des partis politiques
Le DL 87 consacre le principe d’un financement mixte privé/public : les
dons de personnes physiques sont autorisés, mais plafonnés à hauteur de
60 000 dinars par an et par personne et les partis politiques bénéficient d’un
financement public. Cependant, ni le montant, ni les modalités d’attribution de
ce financement public ne sont clairement définis.
Le décret-loi a notamment abrogé la loi de 1997 relative au financement
des partis politiques qui prévoyait l’allocation d’une aide publique annuelle sous
la forme d’une partie fixe (de 60 000 dinars payables en deux tranches) et
d’une partie variable calculée en fonction du nombre de députés de chaque
parti. Il n’existe plus actuellement de dispositions, dans la législation pertinente,
relatives au mode de calcul et d’allocation de l’aide publique.
Le financement direct ou indirect des personnes morales ou de sources
étrangères, de même que les dons anonymes sont interdits.
Chaque parti doit ouvrir un compte bancaire unique et désigner un
mandataire financier responsable de l’établissement des états financiers du parti.
74
Page 77
Ces états financiers font l’objet d’un audit annuel, par un ou deux commissaires
aux comptes, qui ont la charge de rédiger un rapport.
Ce rapport d’audit est soumis à une commission présidée par le premier
président du tribunal administratif qui approuve ou désapprouve les états
financiers. Ce rapport est ensuite remis au Premier ministre dans un délai de
un mois à compter de la date de la remise des états financiers du parti par les
commissaires aux comptes.
Les états financiers des partis, accompagnés du rapport du commissaire
aux comptes, doivent être publiés.
De plus, chaque parti présente à la Cour des comptes un rapport annuel
comportant une description détaillée de ses sources de financement et de ses
dépenses. Cependant, l’étendue du contrôle de la Cour des comptes n’est pas
précisée. Il est difficile d’évaluer l’efficacité de ce système de contrôle à plusieurs
étages puisqu’il est nouveau et n’a pas encore été mis en œuvre.
Les sanctions prévues par le décret-loi 87 ne sont que des sanctions
pénales qui peuvent être prononcées – de la mise en demeure à la dissolution
en passant la suspension des activités du parti mis en cause - , sur demande du
Premier ministre, par le tribunal de première instance de Tunis. Des sanctions
financières peuvent également être décidées à l’encontre des partis politiques
qui ont méconnu certaines règles relatives au financement.
À de nombreux égards, la législation applicable au financement des partis
politiques est lacunaire et parcellaire. Il n’existe pas de véritable contrôle
externe – en plus du contrôle ‘interne’ opéré par les commissaires aux
comptes – sur les sources de financement des partis politiques. La Cour des
comptes n’est investie d’aucune compétence autre que celle de réceptionner
les rapports annuels. À ce titre, elle ne peut imposer aucune sanction. Les
rapports remis à la Cour des comptes ne sont pas destinés à être rendus
publics ce qui pose un problème de transparence du financement de la vie
politique.
Les thématiques du financement des campagnes électorales et des partis
politiques sont imbriquées. Les partis politiques ont besoin d’un financement
approprié pour assumer leurs principales fonctions à la fois en période
électorale et entre deux élections. Il pourrait ainsi être envisagé de lier les
75
Page 78
modalités d’allocation du financement public aux résultats électoraux – en
termes de suffrages obtenus et de sièges au sein du Parlement - des partis
politiques aux dernières élections, en prenant également en compte, leur assise
géographique
1.
Le financement des campagnes électorales
En outre des dispositions parcellaires sur le financement des partis
politiques, il n’existe pas encore de cadre juridique électoral qui définisse les
mécanismes de financement des campagnes. Alors que les stratégies électorales
pour 2014 s’échafaudent, il n’y a actuellement aucune règle qui encadre le
financement des partis politiques, ni la collecte de fonds pour la campagne à
venir.
Ce vide juridique comporte des risques en matière de transparence de la vie
politique tunisienne et de redevabilité des politiques envers les citoyens
.
Lors de l’élection de l’Assemblée nationale constituante d’octobre 2011,
la question du financement de la campagne électorale a fait l’objet de larges
débats et a représenté un défi majeur pour les différents intervenants dans le
processus électoral, notamment l’Instance supérieure indépendante pour les
élections (ISIE), les partis politiques, les candidats et la Cour des comptes.
Aujourd’hui le débat est toujours d’actualité à l’heure où les discussions sur le
nouveau cadre juridique vont prochainement s’engager.
En 2011, bien qu’adoptées tardivement les dispositions qui encadraient le
financement de la campagne et son contrôle reprenaient un bon nombre de
standards internationaux. Notamment, la législation a
- Prévu des restrictions et limitations relatives aux contributions des
personnes privées ;
- Interdit l’utilisation des ressources administratives de l’État pendant la
campagne ;
- Imposé l’application de critères équitables quant à l’allocation de l’aide
financière publique ;
1 Cela peut être fait en prenant en compte leur représentation nationale, régionale ou locale. Ainsi, un parti ayant un
siège national et des représentations dans chacun des Gouvernorats pourrait prétendre à un financement plus important
dans la mesure où il a des ramifications dans tout ou partie du pays. Cela conduirait également à prendre en compte
des partis politiques locaux en leur assurant un minimum de subvention.
76
Page 79
- Instauré un plafond des dépenses engagées au cours de la campagne
électorale ; et
- Prévu la mise en place de mécanismes de régulation et de contrôle
indépendants.
Voilà pour le côté forces qui constituent un acquis non négligeable sur
lequel il faut construire !
Côté faiblesses, les décrets lois ont été adoptés tardivement - 29
septembre 2011 pour le décret-loi 2011-91 sur les modalités de contrôle de la
Cour des comptes - ce qui a conduit à une méconnaissance des règles de
financement et donc une déficience de leur mise en oeuvre par les parties
concernées.
Le système de
financement reposait essentiellement sur un
financement public qui visait à éviter la corruption, encourager la
participation dans cette première expérience démocratique, et mettre les
candidats sur un pied d’égalité. Malgré ces intentions positives, la subvention
a priori a conduit à l’enrichissement sans cause de candidats inscrits sur des
listes «fantômes».
L’absence d’une définition juridique de la dépense électorale, surtout
concernant le statut des dons en nature, a généré de la confusion et compliqué
la préparation des comptes de campagne.
La fixation du plafond de dépenses à un niveau trop bas a conduit les
partis à ne pas reporter sur leurs comptes un certain nombre de dépenses de
nature électorale. Enfin, les règles de financement ne s’appliquant qu’à la
période trop courte de la campagne officielle a conduit les partis à engager des
dépenses avant le démarrage de la campagne sans avoir l’obligation de l’intégrer
à leur compte.
Cela a permis de contourner le niveau des plafonds de dépenses jugés
irréalistes pour financer une campagne.
Même si ces insuffisances devront être corrigées dans la prochaine loi, ces
lacunes ne sont pas les plus essentielles. En effet, à mes yeux, les règles relatives
au financement de la campagne de 2011 ont été peu efficaces et le contrôle
partiellement inopérant – essentiellement le contrôle exercé par les medias et
77
Page 80
le public – en raison de l’absence de publication des comptes et l’absence de
sanctions dissuasives.
Bien que la législation en vigueur en 2011 obligeait toutes les listes à
remettre leur compte de campagne à la Cour des comptes, 6 partis sur 17 et
14 Listes indépendantes sur 31 qui siègent à l’ANC n’ont pas soumis leur
compte comme la législation le prévoyait. Sans reddition des comptes, il est
bien évident que le contrôle est impossible.
Qui plus est, les partis politiques n’ont pas joué le jeu de la transparence.
A ma connaissance, aucun partis ou liste n’a publié ses comptes détaillés de
campagnes. Alors que l’élection de 2011 a été quasiment exclusivement
financée sur les deniers publics et donc par l’argent du contribuable, le citoyen
a le droit d’exiger que les candidats rendent des comptes sur comment l’argent
public est utilisé par une publication régulière de leurs comptes. Sans publication,
le contrôle de la société civile, des medias et du public dans son ensemble est
impossible.
Bien que la législation prévoyait deux autorités indépendantes de contrôle
– l’ISIE et la Cour des comptes –, toutes les deux pourvues d’un pouvoir de
sanctions, elle n’a pas permis d’éviter les dépassements ni de sanctionner les
contrevenants. La législation a donc été peu efficace.
La raison principale est un déséquilibre en matière de moyens entre les
deux organes de contrôle et de pouvoirs de sanctions. Je m’explique : l’ISIE a
exercé un contrôle
a priori mais elle disposait de peu de moyen de contrôle,
de peu d’expertise et de peu de temps pour vérifier l’application des règles de
financement. Cependant, elle disposait de pouvoir de sanctions fortes et
dissuasives telles que la perte de qualité de candidat ou d’élu et voire même
des sanctions pénales.
Quant à la Cour des comptes, elle exerçait un contrôle a posteriori, avait
six mois pour exercer un contrôle plus en profondeur, bénéficiait de l’expertise
des juges financiers mais n’avait à sa disposition que des sanctions financières
non-dissuasives. En effet, la Cour ne pouvait prononcer que des peines
financières très modestes.
En résumé, l’ISIE avait le pouvoir de prononcer des sanctions dissuasives
qui auraient pu prévenir les abus, mais elle n’avait pas forcément le temps de
78
Page 81
mener des investigations longues et difficiles et donc d’exercer un contrôle
rigoureux. Quant à la Cour qui a fait état dans son rapport de 2012 de
dépassements et de violations des dispositions en matière de financement,
notamment l’utilisation de fonds privés interdit par la loi, n’a pas pu dûment
sanctionner les contrevenants par un manque d’un arsenal de sanctions sévères
et diversifiées.
Pour conclure mon propos, je dirai qu’en l’absence de mise en oeuvre du
décret-loi 2011-87 sur les partis politiques et leur financement, il est
indispensable que la nouvelle loi électorale prévoit des mécanismes de contrôle
robuste du financement des campagnes basés sur la reddition des comptes et
leur publication de même que sur un éventail de sanctions dissuasives et
proportionnées a l’infraction. Cela ne va évidemment pas sans une autorité de
contrôle forte et indépendante qui exercera un contrôle rigoureux du respect
des règles en la matière.
Sans transparence, il n’y ait pas de contrôle qui soit efficace et effectif.
Sans sanction dissuasive, les règles de financement politique ont peu de chance
d’être respectées par les candidats en lice. Sur ces deux aspects fondamentaux
en matière de contrôle de financement politique – la transparence et les
sanctions -, le cadre juridique de 2011 était lacunaire et à mon sens devrait
être amendé afin d’imposer la reddition des comptes, d’obliger les listes à
rendre leur compte public et en cas de non-respect des règles relatives au
financement de prévoir des sanctions sévères, dissuasives mais proportionnées
à l’infraction. Sans quoi, les dispositions en matière de financement continueront
à être bafouées.
A mon sens, c’est un des enjeux de la réforme juridique à venir. Cette
réforme courageuse appelle une volonté politique forte pour refuser que le
différentiel de richesses entre partis politiques et candidats ne vienne
injustement fausser le jeu démocratique en faveur des plus argentés, pour
assurer que les intérêts privés n’influencent pas indûment la vie politique
nationale et enfin pour garantir une égalité d’armes entre tous les partis et
candidats.
79
Page 82
Page 83
Major challenges to elections with integrity
Ashraf Shuaibi
Directeur exécutif adjoint de la Commission
électorale palestinienne
Democracy has spread across the world, from small to big countries, rich
to poor, peaceful to war torn. Crucial to any democracy is the people’s right to
choose, to place their vote. But it is not enough that a country may hold an
election. Elections can further democracy but yet they can also undermine it.
To further it, elections have to have “electoral integrity”.
When elections have integrity, the foundation of a true democracy,
citizens can choose, they can choose their leaders and they can hold them
accountable. Elections that lack integrity can only lead to a flawed democracy,
one in which the citizens cannot choose at their free will, one in which the
politicians that claim to represent them do not, and one in which these same
politicians are not held accountable to the public. In short an election without
integrity makes empty shells of democratic institutions and leaves the word
“democracy” with a hollow echo.
So then what does it mean to have elections with integrity? An Election
with integrity means an election based upon the democratic principles of
universal suffrage and political equality. One in line with international standards
of impartiality, transparency, professionalism, and values set forth in the
international agreements that form the cornerstones of the human rights
regime globally. And these standards and values must be met, before, during
and post elections day, through every stage of the electoral process.
Integrity in elections means there are multiple stakeholders, from the
winning party to the defeated one, from political parties to those who vote
for them, and to the CSO’s and media that observe the elections. An
election with integrity requires all to play a role and all to have a stake in
democracy.
For an election to have integrity there are some essential components.
Firstly, integrity hinges on the observance and respect for the rule of law. Rule
81
Page 84
of law is not tangible; it cannot be created overnight, nor by coercion. It is
deeply political, embedded in society, everyday. It is also necessary.
The old saying “not only must Justice be done, it must also be seen to be
done,” is applicable when we talk of electoral integrity. Elections must have
integrity, of course, but they must also be perceived to have integrity.
Elections must be built upon a strong legal framework. Establishing the
“rules of the game” for elections should be a vital concern to political parties,
candidates and citizens alike. Parties need to be able to analyze legislation and
regulations and advocate for appropriate provisions. Citizens and CSO’s need
to be knowledgeable about legal frameworks, engage in their development, and
monitor their implementation. A strong legal framework is the protective guard
of the integrity of elections.
This brings us to the role of the national Electoral Management Bodies.
The role of the EMB is to follow this law, and to implement the legal framework
in a concise and professional manner. There role is of great importance.
Proficient, independent EMB’s are the key institutions for promoting and
protecting elections with integrity. EMB’s are responsible for ensuring that
elections are credible on both a technical level and perceived as fair, free and
credible by voters.
There are also some essential components to conducting elections with
integrity which are specific to Tunisia and the challenges it is now facing in light
of the coming elections.
Right now there is much focus on selecting the Commissioners, the right
Commissioners. The selection of Commissioners must take into account more
than anything that the EMB is purely technical; it is not a political body. They
must come to the EMB as neutral. Unlike the last elections, the number of
Commissioners has been negotiated at 9, 7 less than previously. This is a good
sign of progress, having so many Commissioners created divisions and splits in
the Commission that can only hamper it. But there is still work to be done.
While the Commissions are indeed a crucial part of a functioning EMB,
currently there is too much focus on their role and what they are representing.
The focus should be not on this but on building a strong, neutral,
technical, Electoral Administration. In my opinion the role of the Commissioners
82
Page 85
should be only in observing the implementation of their strategies and policies.
What they must not do is micro-manage the whole organization, this is where
the importance of the EMB’s Electoral Administration becomes very apparent.
The Commissioners will rotate; they will come and go but an Electoral
Administration that is well trained and invested in, will ensure that the electoral
legacy gained will not leave with the Commissioners.
This is what I saw in last election. When the Commissioners left, the
entire EMB disappeared and with it all the knowledge and experience gained
from what was a successful democratic election turned to dust. Let us learn
from this. Each election is lesson, a lesson in democracy, how can one advance
if they throw away the knowledge they have gained?
Let’s come to the issue of security, of particular concern in Tunisia’s
coming elections. Right now there’s a climate of intimidation, even political
assassinations. For elections to have integrity the countries citizens have to feel
secure. Today, the situation in Tunisia is tenser, more fraught, than during the
last elections, so in-order for these elections to be conducted with integrity
there must be a focus on security. Voters must have confidence that they can
place their vote in safety; they must have confidence that they have the right
to choose and that choice is based on their own free will, exercised without
fear.
As said before, elections can promote democracy, but they can also
undermine it. Think of the post election violence of Nigeria, with 800 people
dead following the 2011 elections, or the intimidation in the pre-election under
Mugabe in Zimbabwe, think even of Palestine, and it’s 2006 elections, the
Fatah/Hamas conflict and split, and how this has carved up the political terrain
along territorial lines making a united Palestine difficult to achieve.
Security extends beyond citizens. When elections have integrity, the
resulting government is constrained by the rule of law and defeated parties feel
free to participate in political activity without threat of violence. The resulting
government does not have to fear retaliation when losing power either.
Therefore democracies with electoral integrity create a mutual security, in
which it is better for political actors and groups to take part in the electoral
process instead of reverting to violent struggle.
83
Page 86
For Tunisia, the last elections, the first after the revolution which ignited
the Arab Spring, were an event of celebration. I witnessed the peoples hope
and excitement. Unlike the peaceful post-uprising elections, the coming election
faces additional challenges, particularly in regards to security. The current moves
to delay elections are also a challenge to the democratic nature of the elections.
Creating a legal framework whereby the electoral calendar must be respected
must be ensured.
We should not forget that having a clean, reliable and accurate voters list
is very essential to conduct any successful election and this will be a big
challenge to any upcoming commission.
The Arab Spring ignited a fire that spread across the region, over seating
dictators in the hope of installing democracies. But the fight is not over. For
these revolutions to bear fruits that will not wither and die, elections must have
integrity. Elections are after all the flower of democracy. Tunisia stands at another
momentous occasion, facing new challenges and new chances. The events over
this election have the power to define the nation and its citizen’s future.
All that is left for me to say is good luck Tunisia, good luck in the coming
elections and good luck as you continue to travel down the path of
democracy.
84
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Méthodologie d’analyse des résultats
électoraux
Par Dr Thierry Coosemans
Membre de l’Association Belge de Science Politique
Collaborateur scientifique auprès du CEVIPOL
de l’Université Libre de Bruxelles
1. Introduction
Au fur et à mesure que progressait le suffrage universel (ou du moins
l’élargissement du droit de suffrage) en Europe et aux Etats-Unis, que s’imposait
la dimension de «classe» pour expliquer les rapports sociaux, qu’étaient créés
des (proto-) partis politiques plus ou moins structurés, mais aussi
qu’apparaissaient de nouvelles idéologies totalitaires (comme le communisme
et le nazisme dans toutes leurs variantes), il s’est trouvé des intellectuels pour
tenter d’appréhender les différentes facettes de cette nouvelle forme de régime
politique : la démocratie.
La littérature s’accorde à faire remonter les prémisses de l’analyse
sociologique électorale aux travaux du français André Siegried au début du
XX
ème siècle. Après une triste période pour l’idéal démocratique que fut
l’entre-deux-guerre, l’intérêt pour l’analyse électorale connaît un renouveau
après la IIème guerre mondiale.
En France, les travaux de Maurice Duverger impriment à la sociologie
politique un saut conceptuel majeur. Aux Etats-Unis, on évoquera surtout le
modèle dit «de Columbia», qui veut que «une personne pense politiquement
comme elle est socialement», ainsi que le modèle dit «de Michigan». Ces
différents courants restent bien entendu marqués par leur contexte, ethno-
centré et limité à l’observation de «vieilles démocraties» de part et d’autre de
l’Atlantique.
Depuis 25 ans, l’évolution géopolitique a engendré un processus de
démocratisation qui, bien que parfois chaotique, a permis la multiplication de
processus électoraux : en Europe centrale et orientale d’abord, dans certains
85
Page 88
pays d’Afrique sub-saharienne ensuite, et plus récemment dans le monde
arabo-musulman – la Tunisie jouant, à cet égard, un rôle précurseur.
L’électorat d’un parti est son bien le plus précieux. Le connaître est un
atout décisif pour une formation politique qui veut s’inscrire dans la durée,
soucieuse d’aborder la compétition électorale avec professionnalisme en étant
capable de gérer ses victoires autant que de tirer les leçons de ses défaites.
La vie politique d’une démocratie pleine et entière se déroule selon une
dynamique qui voit se succéder les scrutins : élections présidentielles, législatives,
provinciales, municipales, voire supra-nationales ou référendaires. Au-delà des
enjeux, parfois très différents, chaque élection peut obéir parfois à des règles
propres : les mandats n’ont pas nécessairement la même durée, les modes de
scrutin et le découpage des circonscriptions peuvent varier. Dans les
«démocraties émergeantes», où cet aspect de la compétition partisane est
encore peu maîtrisé, l’analyse électorale donne souvent un avantage comparatif
certain, voire décisif, à ceux qui s’y sont investis.
En dépit de techniques de communication et de marketing toujours plus
sophistiquées, une campagne électorale relève, dans une certaine mesure, d’une
approche intuitive, fondée sur des éléments «humains», des «impressions», des
opportunités ou de l’opportunisme.
L’analyse des résultats électoraux, qui doit être initiée au stade le plus
précoce suivant le dernier scrutin, relèvera d’une autre logique : une logique
académique, scientifique et pluridisciplinaire.
2. L’élément central : le système électoral
Avant d’aller plus loin, arrêtons-nous quelques instants sur le cadre de
notre travail, le cadre du processus de démocratie représentative : le système
électoral que l’on définira comme
l’ensemble des règles qui président à
l’organisation des élections dans un Etat (Frognier,1998 : 3).
Un système électoral est articulé autour de 3 composantes majeures
- Le mode de scrutin
- Le découpage des circonscriptions (uninominales ou plurinominales) ;
- Le principe d’un scrutin de liste ou d’un scrutin de candidats.
86
Page 89
Sans entrer dans des détails qui justifieraient en soi une conférence
spécifique, on distingue actuellement 3 grands modes de scrutin, offrant chacun
diverses options ou variantes.
Il s’agit du :
- Mode de scrutin majoritaire, dit du «winner takes all», avec des
variantes : à 1 ou 2 tours, à majorité relative ou à majorité absolue ;
- Mode de scrutin proportionnel, dit «chacun selon ses mérites», avec
diverses formules de calcul pour attribuer les sièges ;
- Mode de scrutin mixte offrant de nombreuses combinaisons possibles.
Ce rappel est fondamental car le mode de scrutin est un déterminant
essentiel pour l’analyse électorale. Il produit 3 effets : un effet mécanique (sur la
représentation parlementaire et donc sur l’échiquier partisan), un effet
psychologique (l’adaptation ou non du comportement de l’électeur par rapport
au mode de scrutin) et, enfin, il produira un effet sur la qualité de la démocratie
parlementaire et représentative.
3. Une approche en 3D
L’analyse des résultats électoraux relève d’une vision «en 3D», puisqu’elle
devra prendre en compte, dans une perspective comparée, de trois éléments
(«3T») :
- Le facteur temps : ou la succession des élections selon un continuum ;
- Le facteur technique : le mode de scrutin, ses particularités, ses
contraintes ;
- Le facteur territorial : la circonscription, sa magnitude, du plus haut au
plus bas niveau;
87
Page 90
4. Une démarche scientifique et pluri-disciplinaire
L’analyse des résultats électoraux va donc solliciter une grande souplesse
d’esprit dans le chef de ses artisans. Mais elle devra être une démarche
scientifique qui mobilisera de nombreuses disciplines illustrant la richesse et la
diversité des sciences politiques : les statistiques ; le droit (constitutionnel,
administratif, électoral, etc) ; la sociologie au sens large (pyramide des âges,
genre, appartenance et pratique religieuse, etc) ; la géographie, y compris
urbanisme ; l’histoire, etc. Personne n’est omniscient : une approche
multidisciplinaire suppose donc une équipe pluri-disciplinaire.
5. Un cycle en 4 étapes
L’analyse des données électorales suivra un cycle de 4 étapes :
- La collecte des données;
- La présentation ;
- L’interprétation et l’analyse ;
- L’exploitation
88
Page 91
5.1. Etape n°1 : la collecte des données
La collecte des données devra se réaliser sur base de chiffres vérifiés et
confirmés tels que publiés par les instances compétentes : commission
électorale, Ministère de l’intérieur, etc.
On s’abstiendra de travailler sur des résultats partiels, des extraits de
presse, des sondages «sorties des urnes», etc.
Le cas échéant, les additions et les totaux seront vérifiés – les logiciels et
feuilles de calcul Excell peuvent connaître des «bugs». A titre d’exemple, le
rapport officiel de l’ISIE concernant les élections constituantes de 2011
comprend des erreurs dans le pourcentage accordé aux différentes listes, celui-
ci étant calculé sur base du nombre de votants alors qu’il aurait du l’être sur
base du nombre de suffrages exprimés.
Une analyse complète suppose la prise en compte des résultats complets,
c’est-à-dire jusqu’au niveau de dépouillement le plus bas possible.
Quelle sera la nature des données collectées ?
D’un point de vue «théorique», on distinguera :
89
Page 92
- Les données agrégatives, où l’unité d’observation est le «collectif» ;
- Les données individuelles, qui peuvent être le fruit d’enquêtes, de
sondages, d’interviews – soit autant d’outils dont on connaît les limites :
l’échantillon, le contexte, etc ;
Je préférerais, à titre personnel, considérer que ces données s’articulent
globalement autour de 3 piliers :
- Les agrégats de base, à savoir :
- Le nombre d’inscrits ;
- Le nombre de votants ;
- Le nombre de suffrages exprimés et donc le taux de participation ;
- Le nombre de bulletins blancs et nuls (selon qu’ils ont été comptés
séparément ou non lors du dépouillement) ;
- Les chiffres découlant directement de ces données et ayant une
implication sur la dévolution des sièges : le quotient électoral, etc ;
- Les résultats électoraux proprement dits, à savoir :
- Les résultats du candidat du parti aux élections présidentielles ;
- Les résultats du parti lors d’élections législatives, régionales, locales ;
- Les résultats d’une plate-forme de partis alliés (formellement ou non) ;
- Les voix de préférence des candidats individuels (le cas échéant) ;
- Toutes données sociologiques (au sens large) qui seront utiles lors de
l’analyse, comme par exemple :
- Un recensement et des projections démographiques ;
- Les données issues des registres d’état-civil ;
- Les données issues d’autres registres officiels : permis de conduire, etc
- Les registres privés : institutions religieuses (naissances, mariages, etc)
- Les études sociologiques crédibles (universitaires, etc) sur divers aspects
de la société : alphabétisation et scolarisation, niveau de vie socio-économique,
ruralité et urbanisation, etc
90
Page 93
Si un parti veut inscrire sa démarche dans la pérennité, des dispositions
seront bien entendu prises pour garantir la conservation de ces données au
sein de ses propres structures, car elles ne seront pas nécessairement
disponibles ad vitam aeternam sur le site de l’instance chargée de l’organisation
des scrutins.
5.2. Etape n°2 – La présentation des données
S’agissant de la présentation de l’ensemble de ce matériel, il n’existe pas de
modèle uniforme, puisqu’elle dépendra du nombre et de la nature des données
disponibles. Le célèbre diagramme de Pareto sera bien souvent d’un précieux
secours. On pourra mettre à profit les nombreuses possibilités graphiques
offertes par des logiciels (cartographiques, etc) disponibles sur le marché.
5.3. Etape n°3 – Interprétation et analyse
L’analyse et l’interprétation des résultats électoraux s’inscriront donc dans
cette perspective en «3D» mentionnées supra. Outre la «souplesse d’esprit»
qu’exige l’exercice, le maîtremot sera la recherche de «corrélations», de
tendances «lourdes», qui se reproduisent avec plus ou moins de récurrence.
On cherchera des permanences et des évolutions.
Le comportement électoral peut être considéré sous 2 aspects, pas
nécessairement opposés, souvent complémentaires, mais non dénués de charge
«idéologique» dans un monde où l’individualisme progresse et où le collectif se
redéfinit. Une approche dite «collective» s’intéressera au contexte
géographique, social, historique, du scrutin. L’approche «individuelle» se
concentrera sur les caractéristiques personnelles de l’électeur, son système de
valeur, ses références sociales.
A ce stade, trois précautions doivent être prises. D’une part, on ne peut
comparer que ce qui est comparable, ce qui pose le problème de la
territorialité des données, de l’échantillonnage fourni. D’autre part, la mise en
évidence d’une relation, d’une corrélation, n’implique pas nécessairement une
causalité. Et même en cas de causalité, encore faut-il s’accorder sur son sens.
Enfin, on s’attachera à distinguer, le cas échéant, les explications politiques des
explications sociologiques.
La science politique s’accorde à reconnaître 3 grands paradigmes des
études électorales, à savoir :
91
Page 94
- Le paradigme structuraliste-sociologique ;
- Le paradigme constructiviste psycho-cognitiviste ;
- Le paradigme du choix rationnel, du vote sur enjeu (issue voting).
Voilà qui complique singulièrement les choses, me direz-vous. Vous m’aviez
convié à ce colloque pour y voir plus clair, et je manque à tous mes devoirs
d’hôte.
Plaçons-nous dès lors dans la peau d’un responsable politique et
considérons le problème de son point de vue.
Au moins 4 niveaux d’analyse s’imposent :
4.3.1. Analyse des agrégats
L’analyse des agrégats permettra de mettre en lumière un certain nombre
de comportements de l’électeur :
- Le taux d’inscription dans telle circonscription: est-il supérieur ou
inférieur à la moyenne ?
Existe-t-il des éléments d’explication objectifs ? Insécurité, menaces,
pressions – de quelque camp que ce soit, tant en faveur d’une mobilisation des
électeurs que d’un boycott ? Disposer d’une carte d’électeur offre-t-il d’autres
avantages que le seul droit de vote (passer plus aisément un check-point de
sécurité par exemple, ou accéder à une aide humanitaire) ?
Second agrégat important : le taux de participation qui, rappelons-le,
constitue la différence entre le nombre d’inscrits et le nombre de votants. Il
illustre le taux de mobilisation de l’électorat le «Jour J» mais aussi, en quelque
sorte, sert de «thermomètre» au caractère sincère, «militant» de cette
mobilisation.
Dans les zones difficiles d’accès (mais pas seulement), il est fréquent
que des partis incitent des électeurs à s’inscrire en assurant leur transport
(accompagné d’un viatique) jusqu’au bureau d’enregistrement. Ils se retrouvent
fort marris lorsqu’ils constatent, le jour J, une faible participation : il n’y avait
en effet plus de bus ni de viatique… On débattra à l’envi du caractère
«éthique» de ce genre d’assistance au déplacement des populations lors des
élections.
92
Page 95
- Troisième élément important à surveiller dans la liste des agrégats, mais
cette fois à la fin du processus, lors du dépouillement : les bulletins blancs et
nuls. Dans certains cas, ils sont comptabilisés séparément, dans d’autres cas, ils
sont répertoriés sous une dénomination globale de «bulletins non valides». Ces
bulletins sont non seulement des cibles faciles lors de fraudes mais s’ils sont
interceptés à temps, le fraudeur est rapidement confondu et identifié.
Dans tout processus électoral, même dans les démocraties les plus
aguerries, des bulletins sont remplis par des électeurs qui ne connaissaient pas
la règle à suivre pour sélectionner un parti ou un candidat. Dans de plus rares
cas, ils servent de supports à des inscriptions insultantes ou à des oeuvres d’art
éphémères. Les bulletins blancs relèvent d’une autre signification : aucun
candidat ne me convient, donc je ne vote pour personne tout en assumant ma
responsabilité citoyenne. Ils peuvent aussi être le fait d’électeurs analphabètes
qui voudraient voter pour la liste «X» mais qui, dans la confusion du bureau de
vote, se sentent désemparés. Personne n’ayant vu leur trouble, ils déposent
dans l’urne le même bulletin, vierge tel qu’ils l’avaient reçu, espérant que cette
maladresse de leur part passera inaperçue.
Mais alors que le décompte des bulletins s’organise sous la direction du
Président du bureau de dépouillement, l’attention se focalise évidemment sur les
partis ou candidats présentés comme favoris. Et les bulletins blancs et nuls sont
mis à l’écart, oubliés de tous – enfin, de presque tous. C’est ce moment qui sera
choisi par des esprits retors pour remplir les bulletins blancs et griffonner
n’importe quoi sur un bulletin valable pour en faire un bulletin «non valide».
On l’aura compris : tout bureau de dépouillement doit avoir un « stock »
de bulletins blancs et nuls, car ils correspondent à des actes posés, souvent en
toute bonne foi, par des personnes peu éduquées. Mais leur volume peut être,
à coup certain, la trace d’une fraude organisée et planifiée.
4.3.2. L’analyse des voix
Une fois ce cadre déterminé, l’analyse au niveau des chiffres, des voix
s’impose bien évidemment comme une donnée essentielle. Nous allons nous
focaliser sur les «voix en termes bruts, et ce pour les 3 récipiendaires de voix
possibles : le candidat dans une élection uninominale (présidentielles par
exemple) ; les voix réunies par une liste déposée par un parti et, le cas échéant,
si le mode de scrutin le permet, les voix des différents candidats sur cette liste.
93
Page 96
S’agissant des voix recueillies par des candidats dans des circonstances
peu comparables (l’un dans une grande circonscription, l’autre dans une petite),
on utilisera la technique du «taux dit de pénétration qui établit le ratio entre le
résultat personnel d’un candidat par rapport à l’ensemble des autres candidats.
C’est un baromètre de popularité efficace puisqu’il relie le candidat et sa
circonscription. Ainsi, les scores personnels des uns et des autres deviennent
comparables.
4.3.3. L’analyse de la dévolution des sièges
On abordera ensuite l’analyse de la dévolution des sièges.
Pour ce faire, à titre préalable, on disposera d’une connaissance pointue
des modes de dévolution prévus par les différents systèmes électoraux : la
règle D’Hondt ou Sainte- Lagüe, le Quotient de Hare, de Droop, Imperiali
n’auront plus de secrets pour vous.
C’est en effet à travers ces méthodes aux noms barbares que les voix si
chèrement obtenues seront transformées en sièges. Bien plus que le nombre
de voix obtenues ou de pourcents, c’est ce chiffrage magique du nombre de
sièges occupés qui positionnera (ou non) un parti sur l’échiquier partisan et
parlementaire en position dominante ou en position de faiblesse.
Sans entrer dans les détails, je vous présente ci-dessous une simulation de
dévolution de sièges, lors d’une élection fictive entre 5 partis (de A à E).
Le 1er tableau est basé sur l’application du Quotient de Hare.
Votes
Reste
Partis
Sièges
restants
Quotient de Hare = Votes / Sièges
Sièges avec
quotient
entier
2
A
3
B
2
C
1
D
3
E
11
Total
Le quotient de Hare est calculé en divisant le nombre total des votes (1500) par
le nombre total de sièges (15). Dans cet exemple le quotient est égal à 100.
Divisé par
le quotient
de Hare
2.90
3.80
2.70
1.95
3.65
290
380
270
195
365
1500
0.9
0.8
0.7
0.95
0.65
Total des
sièges
3
4
3
2
3
15
1
1
1
1
0
4
94
Page 97
Le second tableau applique la règle d’Hondt
Règle d’Hondt
Parti
A
B
Votes
Total
290
Votes/1
Votes/2
Votes/3
Votes/4
Votes/5
290 (3ème)
145 (8ème)
97 (13ème)
73
Total des
sièges
3
380
380 (1ème)
165 (6ème)
127 (10ème) 95 (14ème)
76
4
90
65
C
D
E
135 (9ème)
98 (12ème)
183 (7ème)
270 (4ème)
195 (5ème)
365 (2ème)
270
195
365
Total 1500
La formule d’Hondt fait une série de comparaisons en appliquant les nombres
1,2,3, etc. comme diviseurs. Les nombres entre parenthèses montrent l’ordre
dans lequel les sièges sont attribués
122 (11ème) 91 (15ème)
2
2
4
15
Comparaison de formules de représentation proportionnelle
Formule / quotient
Avec 15 sièges
Quotient de Hare
Quotient de Droop
Quotient Imperiali*
Formule d’Hondt
Formule Sainte-Laguë modifiée
Avec 16 sièges
Tous quotient / formule
Parti
C
3
2
2
2
3
3
D
2
2
2
2
2
3
B
4
4
4
4
4
4
E
3
4
4
4
3
4
A
3
3
3
3
3
3
* Avec 15 sièges, le quotient Imperiali 16 sièges
et les résultats ont donc été recalculés avec le quotient de Droop
Dans le cas de circonscriptions uninominales, de type « first-pas-the-
post», la dévolution est simple puisque le siège reviendra au candidat ayant
obtenu le plus de voix. L’attention se portera ici, non seulement sur l’avance
que le candidat élu a sur ses poursuivants, mais aussi sur l’éclatement des voix
entre candidats se revendiquant d’un même camp.
L’exercice sera presque identique dans le cadre d’un mode de scrutin à
deux tours : en fonction du pourcentage requis pour pouvoir se maintenir au
95
Page 98
second tour, quels seront les reports de voix, qu’ils soient «naturels» ou à
l’appel de candidats éliminés ?
Si les sièges obtenus sont certes importants, on n’oubliera pas d’examiner
le score des candidats, certes non élus, mais ayant obtenu un bon résultat : soit
ils n’ont qu’un faible retard sur le dernier siège obtenu, soit ils témoignent d’une
progression constante au fil des scrutins. Dans chaque cas, les responsables de
leur parti pourraient considérer favorablement «d’investir» sur de tels candidats
prometteurs.
Dans le même ordre d’idées, chaque élu sortant serait inspiré de se
souvenir des conditions dans lesquelles il a décroché son siège, en particulier
s’il a obtenu le dernier siège à pourvoir avec une faible avance sur son premier
poursuivant.
4.3.4 Analyse de l’adéquation voix-sièges
La proportionnalité de la translation voix-sièges dépend de plusieurs
facteurs : le mode électoral, la magnitude des circonscriptions, leur découpage,
l’existence d’un seuil d’éligibilité, etc
Plusieurs scientifiques se sont efforcés de modéliser cette adéquation afin
de déterminer le mode de scrutin présentant le moins de «distorsion». Le plus
connu d’entre eux est l’index dit «de Gallagher», puisqu’établi par le politologue
irlandais Michael Gallagher
n
1
LSq = -- (V
i - Si)2
2
i=1
S’il se trouve d’aventure des mathématiciens parmi nous, ils auront
compris que cette formule d’apparence pour le moins rébarbative consiste à
prendre la racine carrée de la moitié de la somme des carrés de la différence
entre le % des voix et le % des sièges pour chacun des partis politiques.
Quel intérêt, me demanderez-vous, pour un responsable de parti
politique, de maîtriser cette donnée ?
Les intérêts sont multiples. Mais à titre premier, je voudrais souligner à quel
point une bonne connaissance des mécanismes électoraux peut contribuer à un
processus électoral serein, en particulier lors du dépouillement où la tentation
96
Page 99
peut être grande d’invoquer une fraude lorsque le nombre de sièges n’est pas à
la hauteur des espérances. Ce qui est dénoncé comme frauduleux peut, parfois,
s’expliquer par un effet, certes pervers mais légal, du mode de dévolution des
sièges. Lorsque la méconnaissance s’ajoute à l’inexpérience, à la nervosité et,
parfois aussi, à la mauvaise foi, c’est tout un processus qui peut être menacé.
Ainsi, à titre d’exemple, il peut se produire qu’un recensement électoral
débouche sur une augmentation dans l’enregistrement des électeurs alors que,
dans cette circonscription, le nombre de sièges à pourvoir reste identique
(accroître le nombre de sièges à pourvoir est très mal perçu par la population
qui y voit une source de dépenses somptuaires inutiles). Dès lors, il est
parfaitement normal qu’un parti ou un candidat progresse en voix, sans que
cela ne se traduise en sièges. On peut même gagner beaucoup de voix en plus
tout en perdant des strapontins – tout dépend du système électoral, de la
magnitude de la circonscription et, bien entendu aussi, des résultats obtenus par
les autres listes.
L’articulation voix-sièges pourra également être un élément central dans le
cadre d’une négociation politique sur une réforme du système électoral ou du
découpage des circonscriptions, cette dernière pouvant parfois être «camouflée»
par un changement d’apparence anodin des structures administratives.
A cet égard, et à titre presque caricatural, on évoquera évidemment le
gerrymandering, un concept d’origine nord-américaine qui illustre un découpage
des circonscriptions électorales fait «sur-mesure» pour accorder un avantage
décisif à un parti, à un candidat, ou à un groupe donné.
Théorie du gerrymander
97
Page 100
Enfin, une bonne connaissance de l’articulation voix-sièges pourra
permettre des ajustements dans la stratégie à développer dans une
circonscription
listes
concurrentes, etc), où un siège serait particulièrement menacé ou à portée de
main.
(mobilisation des militants, désistements entre
Je ne voudrais pas clôturer ce chapitre sans rappeler qu’il n’y a pas,
selon moi, de «bon» ou de «mauvais» mode de scrutin. Le premier critère
doit être celui de l’adhésion citoyenne, que les électeurs considèrent que tel
ou tel modèle est effectivement de nature à les représenter, tout en étant
conscients que tout modèle comporte, pour eux, des avantages et des
inconvénients. Accepter ceci, c’est témoigner d’un sens élevé de la
responsabilité citoyenne.
Ce qui ne veut pas dire qu’un mode de scrutin soit immuable. Mais
sa modification devra utilement être alimentée par un débat public et
respecter des règles constitutionnelles et légales strictes afin que, comme
nous l’a appris Montesquieu, «par la nature des choses, le pouvoir arrête le
pouvoir».
4.4. Etape n°4 – L’exploitation
A priori, l’exploitation des analyses électorales relève des instances
décisionnelles du parti et n’a pas pour vocation première à être divulguée en
dehors de ce cercle. Il s’agit d’une aide à la prise de décision, qui peut
déboucher sur des recommandations «tous azimuts», tant au niveau de
l’organisation du parti que de la mobilisation de ses cadres, de sa
communication, de sa stratégie d’alliance, ou encore de confection de ses listes
de candidats.
Attention : ces analyses permettent des simulations «toutes choses étant
égales par ailleurs» mais fondées sur des chiffres qui attestent d’un
comportement électoral passé, mais réel. Elles ne doivent pas être confondues
avec des projections sur base de sondages qui prédisent (ou préjugent) un
comportement de l’électeur dans l’avenir.
Pourvu qu’ils répondent à des critères «professionnels» (échantillons
représentatifs, etc), ces sondages-projections constituent certes des outils
intéressants, mais relevant d’une autre logique.
98
Page 101
Enfin, il existe des modèles théoriques qui permettent, même sur base
d’échantillons réduits, de déterminer les mouvements d’électorat entre partis,
leur stabilité, leur volatilité, leurs reports.
99
Page 102
Page 103
La couverture médiatique des élections
Contraintes, enjeux et défis
Par Hager Ben Cheikh Ahmed
Juriste, enseignante à l’Ecole supérieure
de l’audiovisuel et du cinéma
Les droits et les libertés, assortis d’élections libres et transparentes
constituent les piliers sur lesquels repose l’édifice démocratique. Les élections
sont la concrétisation matérielle du choix citoyen et de la participation de
celui-ci à la vie politique et à la prise de décisions. Les élections, contribuent
ainsi à renforcer le processus démocratique, mais leur réussite dépend
impérativement de la trajectoire qu’emprunteront les institutions, les lois et les
médias. Certains diraient que cette réussite dépendra d’un certain climat
électoral.
La démocratie a besoin d’espace pour se développer et s’épanouir, elle
s’exerce dans l’espace public et au profit de tous. Les médias sont de part
leur ouverture et leur accessibilité, des espaces publics par excellence, qui
vont jusqu’à investir la sphère privée des personnes, mais ça c’est un autre
débat.
Un espace public, un espace d’expression, les médias sont aussi un espace
d’échange et de libre circulation des idées et des opinions, qu’elles soient
convergentes ou dissidentes, un espace de communication et de participation.
L’importance de l’espace médiatique dans le processus électoral est un
fait indéniable. En effet, l’instantanéité de l’information, sa proximité, son analyse,
l’investigation, les débats et les enquêtes, sont autant de techniques destinées à
informer, mais aussi à influer sur le choix des électeurs, sur les résultats et sur
les orientations de l’opinion publique.
Balançant entre un rôle de contre-pouvoir, ou parfois dans un rôle de
quatrième pouvoir invisible, auquel on ne fait pas ou fait peu de place dans
l’organisation des pouvoirs, les médias bousculent, interpellent, dénoncent,
analysent voire même heurtent et choquent ou «
inquiètent l’Etat ou une fraction
de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture
101
Page 104
sans lesquels il n’est pas de société démocratique» dirait la jurisprudence de la
Cour européenne des Droits de l’Homme
1.
La révolution dont on parle depuis trois ans est en réalité et
essentiellement une révolution des médias
2. Véhiculée dans les médias,
propulsée par les médias, et développée grâce aux médias, ce vent de
changement qui a soufflé sur la Tunisie, a concerné le «quatrième pouvoir»
3
plutôt que les trois pouvoirs en place. Près de deux cent périodiques
4 sont
publiés en Tunisie, en plus de plusieurs chaines de radios et de télévision,
constituent la trame de fond du secteur médiatique.
Mais le monde de la presse et le traitement de l’information est un
monde sans pitié. La course à l’audimat, les tentations du lucre, le calcul du
rapport efficience et rentabilité, conduisent souvent à sacrifier sur l’autel de la
réussite à tout prix, les valeurs et les principes élémentaires qui doivent
véhiculer le travail médiatique.
La crédibilité et l’indépendance sont ainsi souvent reléguées au second
plan, derrière les ambitions commerciales des institutions et les ambitions
professionnelles des journalistes.
Mais qui veut aller loin, doit avant de ménager sa monture, s’en doter
d’une. Car il n’est point de travail réussi, sans le respect des lois et des règles
déontologiques, qui font souvent défaut à quelques médias. Cependant, ce défaut
de déontologie qu’on pourrait reprocher au secteur médiatique ne signifie pas
sa négation, même si le cadre juridique demeure imparfait et insuffisant.
Par conséquent, les médias sont aujourd’hui indispensables au processus
électoral, ils sont même quelque part, l’un des éléments garants, sinon le garant,
d’une transparence et d’une bonne conduite électorale.
1 C.E.D.H, Handyside C/ United kingdom, décision du 7 décembre 1976, paragraphe 49.
2 Organisation Internationale de la Francophonie, Délégation à la paix, aux droits de l’Homme et à la démocratie,
Rapport de la Mission d’observation de la francophonie, Election de l’assemblée nationale constituante du 23 octobre
2011 en Tunisie, P.13-14
3 Terme désignant habituellement les médias.
4 Selon le rapport cité supra : «187 périodiques, de qualité variable, ont obtenu leur récépissé légal de parution
(quotidiens, hebdomadaires, autres périodiques) et publient en toute liberté sur des sujets jusque-là tabous, sans hésiter
parfois à mettre en cause des personnalités en faisant preuve de peu de professionnalisme». Page 13.
102
Page 105
Mais les médias ne peuvent s’engager dans le processus électoral que
dans un climat électoral favorable à cela, c’est-à-dire que si les institutions sont
indépendantes, les droits et les libertés garanties, et les règles du jeu
démocratique respectées.
Il appert alors, que dans tout processus électoral, les médias seront les
partenaires de ce processus (première partie) même si, comme je le
développerais dans un second point, ils y laissent parfois quelques « plumes »
(seconde partie).
Section première :
Les médias partenaires du processus électoral
Les médias sont les partenaires du processus électoral, mais c’est eux qui
conditionnent aussi sa réussite. En effet, grâce aux médias, la campagne
électorale devient moins pénible et plus rapide pour les candidats. Le passage
dans les médias leur permet d’accéder à une masse plus importante d’électeurs,
mais aussi de réduire les frais et la durée de la campagne électorale. Certaines
critiques et sondages d’opinions font même état d’un certain recul de la
campagne sur le terrain au profit de la campagne audiovisuelle.
Malgré cette emprise audiovisuelle sur le processus électoral, certains
médias sont restés à l’écart – ou pire encore en recul – des règles
indispensables à la couverture médiatique des élections. En effet, devenus
partenaires à part entière dans les élections (notamment les médias publics, sur
lesquels pèse une obligation de faire), ceux-ci se doivent de se doter de
mécanismes nécessaires à la réussite de leur mission. Il s’agit de :
- Une assise juridique qui leur permettra de mener leur mission dans le
respect de la légalité, d’abord. Qu’il s’agisse du cadre juridique général relatif
aux élections ou encore des règles déontologiques propres au secteur, ou enfin
de charte interne spécifique à chaque média (paragraphe premier).
- Contourner les contraintes auxquelles pourrait se heurter un média
lors du processus électoral, ensuite (paragraphe deuxième).
- Une stratégie de travail qui prendra en considération les besoins
spécifiques à chaque média, en combinant moyens matériels, humains et savoir-
faire professionnel, enfin (paragraphe troisième).
103
Page 106
Paragraphe premier : Les outils de veille électorale
Ce sont les instruments indispensables aux médias pour réaliser dans les
meilleures conditions, leur mission de couverture des élections. Ces instruments
sont également le pilier de tout système démocratique, sans lesquels l’édifice
s’écroulerait. Il s’agit des droits et libertés d’une part (A), et des règles de
déontologie d’autre part (B).
A - les droits et libertés :
La liberté de communiquer et de s’exprimer librement, sont aujourd’hui
la base et le fondement même, oserais-je dire l’essence, de tout système
démocratique, même si souvent elles ont été bâties pierre par pierre. Elles sont
également à la base de tout processus électoral.
La liberté d’expression chèrement extorquée depuis la révolution du 14
janvier 2011 a bouleversé le paysage politique, social et audiovisuel en Tunisie, lui-
même métamorphosé par la naissance de nouveaux médias. Une liberté
d’expression encore inconnue, car refoulée par le régime et par l’autocensure que
s’imposaient journalistes et citoyens. De ce fait, pendant des années, les citoyens
méconnaissaient et ignoraient leurs droits les plus élémentaires. Les médias,
monopole du secteur public, et partisans pour la plupart, n’y aidaient pas du tout.
C’est ainsi que des notions fondamentales comme celle de démocratie,
de liberté ou de citoyenneté et ce qu’elles impliquent comme droits humains
et libertés publiques, s’étaient développées dans le moule du régime dictateur
imposé, méconnues des citoyens eux-mêmes, ignorées des médias, malmenées
par le pouvoir.
Par ailleurs, comment parler de liberté d’expression, même si celle-ci était
garantie dans la constitution de 1959
5, sans ses corollaires que sont la liberté
de pensée, la liberté de conscience ou encore la liberté de communiquer ? Car
les libertés sont perméables, interdépendantes et complémentaires, en bafouer
une, revient également à en bafouer l’autre.
Il faut savoir au préalable, que la liberté d’expression est un droit pour le
citoyen avant d’être un droit pour le journaliste, et peut très bien s’inscrire dans
5 Article 8 de la constitution du 1er juin 1959 : «les libertés d’opinion, d’expression, de presse, de publication, de réunion
et d’association sont garanties et exercées dans les conditions définies par la loi».
104
Page 107
le droit de chaque citoyen d’accéder à une information vérifiée et transparente.
Droit de connaître la vérité, droit de savoir, mais également le droit de dire ce
que l’on pense, de l’écrire et de le diffuser de la manière qu’on juge opportune
pour ce faire.
Une «liberté – carrefour» selon jacqueline de Guillenschmidt6, et qui
lorsqu’elle est niée peut conduire à l’avortement des révolutions, à la négation
des libertés et à la détérioration de la démocratie.
Cette liberté implique selon la déclaration universelle des droits de
l’homme promulguée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10
décembre 1948
7, que la liberté d’expression comprend : «la liberté de rechercher,
de recevoir et répandre des informations et des idées de toute espèce sans
considération de frontières
»8. Le même article sera repris dans l’article 19 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques
9. Mais c’est la convention
européenne des droits de l’homme qui en donnera une définition plus large et
disposera dans son article 10 que ce droit «
comprend la liberté d’opinion et la
liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il
puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière
»
avec cependant une nuance, qui donne la possibilité aux Etats de «
soumettre les
entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime
d’autorisations
»10.
6 De Guillenschmidt (J.), in colloque sur «les garanties normatives et institutionnelles de la liberté d’expression», organisé à
Tunis les 2 et 3 avril 2013, à l’initiative du conseil de l’Europe, de l’institut arabe des droits de l’homme, avec le soutien de
l’organisation internationale de la francophonie et la principauté de Monaco.
7 Déclaration universelle des droits de l’homme (D.U.D.H), promulguée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10
décembre 1948, à Paris, en vertu de la résolution 217 A (III).
8 Article 19 de la D.U.D.H : «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas
être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les
informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit».
9 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (P.I.D.C.P) : Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à
l’adhésion par l’Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, Entrée en vigueur : le 23
mars 1976, conformément aux dispositions de son article 49.
10 Article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales telle
qu’amendée par les protocoles n°11 et n°14 :
- «Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération
de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de
télévision à un régime d’autorisations.
105
Page 108
Cette liberté est donc sacrée mais pas absolue, et peut être restreinte,
pour des motifs liés à l’intérêt général (dont on sais par ailleurs que c’est une
notion vague), de sécurité nationale, d’intégrité territoriale, de sureté publique,
de défense de l’ordre public, de la prévention des crimes, de la protection de la
santé, ou de la morale (là aussi, la notion est vague), de la protection de la
réputation ou de la santé d’autrui, et enfin de la garantie de l’autorité et de
l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Cette liberté d’expression est indissociable d’autres libertés publiques.
Emmanuel Kant en fait la condition sine qua none de l’exercice de la liberté de
pensée, parce que la liberté de s’exprimer est aussi tributaire de la liberté de
pensée
11, parce que le pouvoir «qui dérobe aux hommes la liberté de
communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser».
La liberté d’expression est également tributaire de la liberté de
communication ou d’information, laquelle implique la liberté de la presse, qui
signifie la liberté pour un organe de presse de diffuser ou de ne pas diffuser
des informations sous sa responsabilité avec le droit de bénéficier d’une
protection de ses sources d’informations et de ses journalistes, quitte à en
répondre devant la justice
12.
Si la liberté d’expression était garantie et s’exerçait dans les limites de la
loi, dans la constitution de 1959, il n’en allait pas de même pour la liberté de
communiquer, car il n’était toujours pas possible de communiquer ses pensées
au public, en raison notamment du contrôle sur l’accès aux médias. C’est ainsi,
- L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités,
conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société
démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la
prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui,
pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir
judiciaire».
11 Kant (E.) : «Certes, on dit : la liberté de parler, ou d’écrire peut nous être retirée par un pouvoir supérieur mais
absolument pas celle de penser. Toutefois, quelles seraient l’ampleur et la justesse de notre pensée, si nous ne pensions
pas en quelque sorte en communauté avec d’autres à qui nous communiquerions nos pensées et qui nous
communiqueraient les leurs ! On peut donc dire que ce pouvoir extérieur qui dérobe aux hommes la liberté de

communiquer en public leurs pensées, leur retire aussi la liberté de penser», Que signifie s’orienter dans la pensée ? (texte
publié en octobre 1786 dans le Berlinische Monatsschrift), VIII, 144, traduction de Jean-François Poirier et Françoise Proust,
dans Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle ... et autres textes, Paris, Flammarion, 1991, p. 69.
12 Décret-loi n°115 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, d’impression et d’édition
106
Page 109
que le code des télécommunications13 est muet sur la question, tout comme la
constitution et les lois en vigueur.
La liberté de communication n’était donc pas garantie en Tunisie. En
revanche, en France elle a été consacrée dans une loi de 1982 puis de 1986
14,
et bien qu’elle trouve sa source dans l’article 11 de la déclaration des droits de
l’homme et du citoyen du 26 août 1789
15 qui consacre la liberté de la presse,
cette liberté fut cependant longtemps niée
16. Toutefois, cette liberté de
communiquer était toujours considérée par rapport au public et à son droit à
l’information, et d’accès à celle-ci, mais rarement du côté du producteur-
investisseur c’est-à-dire comme un droit d’émettre. Le conseil constitutionnel
ira jusqu’à débouter des radios contestant des mises en demeure infligées par
le C.S.A, en justifiant sa décision par le fait que les autorités administratives
indépendantes agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique,
ont une mission assortie d’un pouvoir de sanction nécessaire à
l’accomplissement de leur mission, «
dès lors que l’exercice de ce pouvoir est
assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés
constitutionnellement garantis
»17.
Mais pour revenir au cas tunisien, il faut dire que dans la pratique il y a un
mauvais usage de la liberté de s’exprimer et celle de communiquer. Car, il fut
pensé à tort que celles-ci étaient absolues et ne pouvaient souffrir aucune limite.
D’ailleurs, pendant longtemps l’idée la plus répandue était que les médias
assuraient une liberté de communication grâce aux principes du service public,
puisque l’audiovisuel en était un : le principe d’égalité assurait l’accès de tous à
l’antenne dans le respect des différences, le principe de continuité s’opposait au
droit de grève (décision du conseil constitutionnel français 1979), le principe de
13 Promulgué par la loi n°2001- 1 du 15 janvier 2001, J.O.R.T n°5 du 16 janvier 2001, pages 83 à 92.
14 Par la loi du 29 juillet 1982 puis par la loi du 30 septembre 1986.
15 L’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose : «La libre communication
des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer
librement sauf à répondre des abus de cette liberté dans des cas déterminés».
16 Voir à ce sujet, Debbasch (Ch.) : «la liberté de la communication audiovisuelle en France», in Revue Internationale de
Droit Comparé, 1989, Volume 41, n°2, p. 305 à 312.
17 Décision du Conseil constitutionnel français n°2013-359 du 13 décembre 2013, Sud Radio service et autres (mise en
demeure par le conseil supérieur de l’audiovisuel).
107
Page 110
mutabilité soumettait les médias à une adaptation constante de leurs moyens
aux nouvelles technologies.
Pourtant, les citoyens dans les régions ne cessaient de dénoncer une
certaine ignorance de la part des médias, d’un dénigrement de leurs droits
citoyens. Ainsi, les sujets qui occupaient la Une n’avaient pas forcément trait aux
processus électoral, certains évènements importants étaient occultés par des
faits divers ou des scandales, et enfin, certains sujets contribuaient tout
simplement à diviser l’opinion publique et à fractionner l’électorat.
La faible présence des médias à l’échelle régionale, avait été dénoncée
par le rapport d’observation de la mission de la francophonie qui ramène cette
faiblesse à la forte centralisation des médias tunisiens vers la capitale
18.
Mais la reconnaissance des droits ne vaut pas grand-chose si elle n’est pas
assortie d’une mise en œuvre réelle et efficace. Celle-ci se manifeste également
à travers la mise en place d’un code déontologique.
B - les règles déontologiques
Après la révolution du 14 janvier 2011, et en raison de l’absence d’un
encadrement juridique, le secteur médiatique a fonctionné de manière
anarchique, jusqu’à la création de l’instance qui allait le réformer.
Mais d’abord, la haute instance pour la réalisation des objectifs de la
révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, créée
au lendemain de la révolution
19, a eu du mal à faire passer les deux textes
18 Rapport de la Mission d’observation de la francophonie, Election de l’assemblée nationale constituante du 23 octobre
2011 en Tunisie,
précité, précise que : «Les électeurs des provinces ont été insuffisamment informés sur les listes
régionales ou les candidats locaux de partis nationaux. Une prime a donc été donnée aux listes bénéficiant d’une forte
exposition nationale ou aux listes locales bénéficiant d’importantes ressources financières pour se faire connaître au sein
de la population (selon des méthodes parfois peu éthiques et populistes telles celles du Mouvement de la pétition
populaire pour la liberté, la justice et le développement – Al Aridha al Chaabia à Sidi Bouzid). Peu de titres écrits sont
apparus dans les provinces. Les radios privées régionales nouvellement autorisées n’ont pas commencé à émettre à
temps pour la campagne (sauf une, dans la région de Bizerte). Si les radios privées et les médias écrits nationaux ont
disposé parfois de correspondants régionaux, d’ailleurs peu formés, ceux-ci étaient le plus souvent pigistes occasionnels ou
journalistes amateurs (souvent instituteurs, fonctionnaires ou libraires)».
19 La haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique,
Créée le 15 mars 2011, par la fusion entre le conseil de défense de la révolution, groupe bénéficiant d’une légitimité
révolutionnaire, et de la commission supérieure de la réforme politique (dont la création a été annoncée dès le 17 janvier
2011, et la composition fixée le 28 janvier 2011). C’est l’une des trois commissions nommées au lendemain de la
révolution pour réformer les institutions de l’Etat tunisien, durant le processus transitoire.
108
Page 111
relatifs à la réforme du secteur, à savoir les décrets – lois n°115 et
n°116
20.
Elaborés par une sous-commission chargée de la réforme du secteur
médiatique et relevant du comité d’experts issu de cette haute instance, la
première version des textes avait fait le choux gras de la presse qui y
voyait un verrouillage de la liberté d’expression, un dénigrement des
particularités du secteur, voire un retour à la dictature. Ces textes avaient
été vivement critiqués d’autant qu’ils n’avaient aucune assise
constitutionnelle, puisque la constitution de 1959 avait été suspendue et la
nouvelle non promulguée à ce jour. Leur promulgation tardive, après les
élections, fera échapper le processus électoral de 2011 à l’application des
règles qui y sont fixées.
C’est la création d’une instance nationale pour la réforme de l’information
et la communication, l’I.N.R.I.C
21, qui va bouleverser un peu le cours des choses,
instance consultative chargée entre autres d’émettre ses propositions sur la
réforme du secteur en se référant – en l’absence d’une constitution – aux
normes internationales et au droit comparé.
Dans ce contexte, où commençait à s’installer une grave crise de
confiance dans les institutions et en ceux qui les gouvernent, trois obstacles
majeurs étaient à dépasser :
Primo, la difficulté à faire admettre le travail et réorganiser le secteur sur
la base des nouvelles libertés acquises depuis la révolution et en tenant compte
des principes issus de la révolution également tel que le développement
régional, la dignité, la liberté….etc.
Secundo, dépasser le vide juridique et aboutir à l’adoption d’un code
déontologique et des textes réglementaires régissant le secteur.
20 Le décret-loi n°116 du 2 novembre 2011 relatif à la liberté de communication audiovisuelle et à la création d’une
Haute Instance Indépendante pour la Communication Audiovisuelle (H.A.I.C.A).
21 Cette instance devait – selon son texte constitutif – en outre «évaluer l’état du secteur dans toutes ses composantes»,
et «proposer des scénarios pour assurer la mise à niveau des médias et de la communication», mais également de
proposer les textes législatifs nécessaires à une restructuration du secteur. Enfin, l’I.N.R.I.C était chargée aussi d’émettre
des avis concernant les demandes présentées pour la création de chaines radiophoniques ou télévisées, en attendant
l’adoption d’un texte définitif réglementant le secteur.
109
Page 112
Tertio, faire face également aux revendications des professionnels et leurs
craintes.
A cet effet, sans règles éthiques, les médias ne sauraient fonctionner,
c’est pour cela que lors des élections du 23 octobre 2011, l’Instance
Supérieure Indépendante pour les Elections (I.S.I.E) a mis au point un code
déontologique pour les médias, dit «code de conduite des journalistes». La
couverture médiatique des élections s’était donc faite selon le code
électoral, les arrêtés relatifs à la campagne électorale, et le code de
conduite établi par l’I.S.I.E et adressé aux journalistes. Journalistes et non
médias, pourtant la différence est de taille. Car combien même le journaliste
à son échelle peut être respectueux des us et règles du métier, il demeure
tout de même «à la merci» de sa rédaction, et donc lié à l’orientation
politique et idéologique, et à la ligne éditoriale du média auquel il est
rattaché.
Car le travail journalistique en période électorale ne se limite pas
seulement à réaliser des interviews, mais aussi et surtout à vérifier l’exactitude
de certaines informations, de certaines déclarations ou allégations, à faire de
l’investigation, ou encore à décrypter les sondages.
Dans ce texte destiné aux journalistes, l’I.S.I.E avait posé à la charge de
ceux –ci le respect des lois et règlements en vigueur et notamment le respect
des arrêtés régissant la campagne électorale
22.
Ce document fonde la mission des journalistes sur :
- la responsabilité à travers notamment leur rôle «d’informer les électeurs
sur le système électoral, les modalités de vote, et les différentes procédures
corrélatives au processus électoral».
- la neutralité, en assurant une «couverture médiatique objective,
équilibrée, et impartiale du processus électoral»
- La neutralité appelle également à l’impartialité, puisque les journalistes
doivent «s’abstenir de faire des déclarations au public susceptibles de porter
atteinte à la crédibilité du processus électoral et/ou faisant appel à la violence».
22 Trois arrêtés de l’I.SI.E du 3 septembre 2011, relatifs aux élections du 23 octobre 2011, J.O.R.T n°67 du 6 septembre
2011.
110
Page 113
Et là je reviendrais tout à l’heure sur ce point concernant la crédibilité et
notamment la conduite à respecter en cas de fraude électorale.
- l’indépendance, en refusant tout don donné proposé pour diffuser, ou
publier une information erronée ou pour occulter une information occulte.
Néanmoins, ce texte focalisé essentiellement sur la couverture pendant
les élections, ne contient aucune disposition relative à la campagne électorale,
qui constitue une étape importante du processus électoral. En effet, les débats
et les interviews réalisés durant la campagne doivent garantir le respect de la
pluralité et de l’équilibre entre les différentes parties.
Force est donc de constater que ce texte élaboré par l’I.S.I.E pour pallier
au vide juridique laissé par l’absence d’un code de la presse adapté à la nouvelle
réalité politique tunisienne, fut insuffisant et inapte à répondre aux besoins du
secteur. Les rapports élaborés après les élections par des ONG, ou des
missions d’observation démontrent
l’existence d’un défaut de déontologie,
notamment pour la presse écrite
23 qui est essentiellement dû à une confusion
entre commentaires et informations
24. Même si la presse publique demeure
plus neutre que la Presse privée
25, et ceci s’explique sans doute par le fait que
beaucoup de journaux qui ont vu le jour après la révolution, sont en fait des
journaux de partis politiques.
Les stations de Radio n’ont pas échappé à ce piège, et même si la plupart
des chaines avaient réalisé un certain équilibre lors de la couverture des
élections, les journaux d’information radiophoniques sont restés plus partisans
à près de 30% selon ce même rapport. Les chaines de télévision, ont quant à
elles, réalisé un contenu partisan à 35,84%.
Certains médias ont rédigé et adopté leur propre charte interne de
déontologie
26, se démarquant ainsi de la masse, et ce qui explique peut être les
écarts de conduite entre les médias.
23 Rapport Coalition des ONG, Medias-MONITORING-TUNISIE-2011, ATFD-AFTURD-LTDH-CNLT-SNJ, publié sur
internet.
24 Selon ce rapport : durant la phase préélectorale, 32,06% de la matière observée est marquée par le parti-pris.
25 Même source de référence.
26 Il s’agit de Radio express FM, tel qu’il ressort du rapport de la Mission d’Observation de la Francophonie, précité
supra.
111
Page 114
Paragraphe deuxième : les contraintes
Un certain nombre d’obstacles scrutent les médias en période électorale.
La précarité du climat politique, auquel s’ajoute parfois une certaine insécurité,
sur fond de crise économique et sociale, complique la mission médiatique et la
rend parfois insurmontable. Ces contraintes se manifestent à un double niveau :
- au niveau de l’accès aux médias d’abord.
- au niveau de l’insécurité du climat électoral ensuite.
A - L’accès aux médias27
L’accès équitable aux médias est l’un des principes fondamentaux des
élections. La plupart des organismes internationaux utilisent le terme d’accès
équitable et non d’égal accès. En réalité, la différence est de taille.
En effet, l’égal accès aux médias, impose à ceux-ci, publics comme privés,
de traiter sur le même pied d’égalité tous les candidats et/ou tous les partis en
lice, sans distinction. L’article 11 de l’arrêté du 3 septembre 2011 fixant les
règles que les médias doivent observer lors de la campagne électorale, avait
même utilisé le terme d’
«égalité proportionnelle», en précisant que celle-ci
implique un temps de parole et de présence à l’antenne, égal pour tous les
candidats et leurs supporters, mais aussi proportionnel à la présence de ses
candidats ou ces listes ou groupe politique au niveau de chaque circonscription
électorale.
Tandis un accès équitable, donnerait la possibilité aux médias privés de
choisir de soutenir un candidat ou une liste, et donc d’avoir une ligne éditoriale
partisane, tout en respectant la déontologie du métier et en accordant aux
autres candidats et/ou listes un droit de réponse.
Certaines voix voudraient donc que l’on distingue entre médias publics
et médias privés mais ceci est erroné :
- les médias publics sont un service public et doivent se conformer aux
règles déontologiques : heures de grande audience, représentativité, contenu
des programmes, et ne doivent pas être le prolongement du discours en place,
27 Voir à ce sujet le Rapport de la Mission d’observation de la francophonie, Election de l’assemblée nationale
constituante du 23 octobre 2011 en Tunisie, précité, P.39.
112
Page 115
notamment en réservant une grande partie à la couverture des activités
gouvernementales.
- les médias privés : sont financés par des capitaux privés, ce qui au
jugement de certains pourrait justifier un écart de la ligne éditoriale.
En réalité, dans les médias assurant un service public, c’est un accès
égalitaire qui est préconisé et non un accès équitable, car seul le principe
d’égalité est le garant de la neutralité et l’indépendance des médias, de plus, il
n’est pas de leur devoir de faire de la différenciation de traitement dans un but
correctif, pour accorder plus d’espace à un candidat méconnu du public, ou à
une liste indépendante par exemple, car tous les candidats doivent pouvoir
partir avec les mêmes
chances. Les obligations fixées par les textes, pèsent donc
à la charge de tous les médias, à partir du moment où ils décident de couvrir
le processus électoral.
B - Le contexte difficile
Dans les pays en transition démocratique ou même les pays en conflit ou
sujet à des guerres intestines, le travail des médias devient plus compliqué, voire
même insurmontable. L’insécurité, les conflits régionaux, les catastrophes, les
menaces terroristes, la violence politique, sont autant de facteurs qui rendent la
tâche difficile et fragilisent le contexte d’action.
A cela s’ajoutent d’autres difficultés qui entravent l’exercice du métier,
telles que les difficultés matérielles, la violation de l’éthique professionnelle
par des médias concurrents, les agressions des journalistes et le renvoi des
équipes de certains meetings avec destruction de matériel etc. Ainsi, les
différents rapports de monitoring des médias présentés à l’issue des élections
du 23 octobre 2011, avaient relevé «
une faible présence médiatique régionale»,
à tous les niveaux, que ce soit dans la presse écrite ou dans l’audiovisuel. Pire
encore, «
les cinq radios publiques régionales ne disposent pas (ou peu) de
correspondants locaux dans les autres villes de leur zone de couverture. Quant à
l’agence de presse nationale, la T.A.P, dispose de 24 correspondants régionaux
dont 80% sont des salariés, cependant peu formés et équipés, sans aucun
photographe
»28.
28 Ibid.
113
Page 116
Le rôle des médias dans un tel contexte est indéniable, il est destiné à
attiser la crise et non à la nourrir, à se limiter à couvrir toutes les zones en
toute impartialité et indépendance.
Enfin, il est à noter que la sécurité doit comprendre aussi bien la sécurité
juridique que physique, sauf que ces deux notions n’avaient été introduites
qu’après les élections du 23 octobre 2011, dans le décret-loi n°115 relatif à la
liberté de la presse.
Paragraphe troisième : la stratégie des médias
Au-delà de l’information et de la communication, les médias se doivent
d’avoir une stratégie avant, pendant et après les élections. Celle-ci doit être
préservée de toutes tendances partisanes.
Une stratégie, ce n’est pas de prendre parti, mais tracer une ligne de conduite
à adopter, et se placer à égale distance de toutes les parties prenantes au processus
électoral. Pour ce faire les médias doivent d’abord évaluer leurs besoins, et se doter
du savoir-faire nécessaire pour le traitement de l’information et des discours.
Cette stratégie doit pouvoir également faire face aux difficultés que pose
la couverture médiatique et notamment en période de crise ou en zones de
conflits.
A - Evaluation des besoins29
Les élections ne sont pas une mince affaire, c’est même une grande
entreprise, et les médias ne peuvent y prendre part s’ils ne sont pas
suffisamment outillés en moyens humains et matériels pour ce faire.
Car la couverture des élections, que ce soit pour la campagne, ou pour
le déroulement des élections, impose de couvrir toutes les circonscriptions sans
exclusion géographique, ou politique. Cependant, seules
les chaines
financièrement prospères pourront le faire, car cela nécessite un investissement
spécial, or il n’y a pas de subventions spéciales pour les médias en période
électorale, et la publicité électorale, qui pourrait être une ressource importante
pour les médias, est expressément interdite
30.
29 Voir à ce sujet, le chapitre consacré à la question dans le rapport de la Mission d’observation de la francophonie,
Election de l’assemblée nationale constituante du 23 octobre 2011 en Tunisie, précité, P.51.
30 Les arrêtés de l’I.S.I.E du 3 septembre 2011 pour les élections du 23 octobre 2011, et plus tard le Décret-loi n°116,
précité.
114
Page 117
Les frais de déplacement et de couverture ne sont pas les seuls obstacles,
car la chaine doit prévoir une restructuration de sa programmation en
consacrant suffisamment d’espace pour les débats, les tables rondes et les
interviews.
Toute cette programmation spéciale nécessite en outre un suivi continu
et exceptionnel de l’actualité. A cet effet, un espace doit être consacré à
l’éducation citoyenne et à la diffusion de spots d’information à l’intention des
citoyens. Lors des élections de 2011, certains médias avaient diffusé les spots
d’information de l’I.S.I.E, tout en produisant leurs propres spots destinés à
informer les citoyens sur les différentes étapes du processus électoral. De
même, une charte interne doit être adoptée au niveau de chaque média, afin
d’obliger le personnel et les journalistes à s’y conformer.
Les élections imposent aux médias également une certaine mise à niveau
de leur personnel et la formation de celui-ci au processus électoral, car la
couverture médiatique suppose une certaine connaissance des lois et
règlements en vigueur, du code électoral, des droits et libertés, de la
déontologie, du monde politique, du droit comparé…etc.
Enfin, des dispositions particulières doivent être prises afin d’assurer la
sécurité des journalistes ou des locaux.
B - le traitement de la matière électorale
La communication politique, et spécialement celle utilisée en période
électorale a pour but essentiellement de battre sur leur propre terrain les
médias. Les discours, les entretiens, sont menés de manière différente et tout le
travail des médias en général et des journalistes en particulier, consistera à
bousculer les politiques, à déranger, à décrypter discours et déclarations ; Il faut
donc éviter de tomber dans le piège de la communication politique destinée
parfois à créer le buzz, à déranger, et à surprendre.
C’est ici que la différence entre information et opinion ou commentaire
de l’information prendra toute sa signification, en effet, les médias se doivent
d’informer en toute neutralité et indépendance. Les commentaires qui doivent
suivre, doivent se faire sur la base d’une interview d’experts afin d’analyser,
comparer l’information, voire décortiquer ou même décrypter celle-ci sans
prise de position. Plusieurs précautions sont à observer :
115
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- Distinguer activités officielles et activités électorales
- Distinguer entre informations et communiqués
- Distinguer les sondages et ne pas se fier à une seule source
- Vérifier l’information
Toutefois, des difficultés risquent de se poser lorsque l’information est
donnée à chaud et qu’elle nécessite un traitement rapide, qui conduit parfois à
induire en erreur ou à faire des commentaires qui réduisent sa crédibilité.
Pour conclure sur ce premier axe de réflexion, nous dirons que les
médias, au-delà de leur pouvoir de persuasion ou de dissuasion, sont avant tout
les «veilleurs» du processus électoral (je n’oserais pas dire les gardiens), mais
qu’ils ne peuvent mener à bien leur mission s’ils ne sont pas suffisamment
outillés pour ce faire, juridiquement et matériellement.
Veilleurs, observateurs du processus électoral, partenaires, garants de la
transparence et de l’instantanéité de l’information et des résultats, ils n’en sont
pas moins les victimes, en raison notamment des retombées auxquelles
l’expérience électorale pourrait conduire.
Section Deuxième :
Les médias «victimes» du processus électoral :
En effet, en dehors des acteurs politiques, s’il y a des institutions qui «payent»
de leur engagement au profit du processus électoral, c’est bien les médias. Car
l’engagement pris aura des conséquences qui se manifesteront à plus d’un titre :
D’abord, l’engagement au profit du processus électoral est purement
stratégique et non lucratif, car à partir du moment où ils s’y engagent les
médias, devront consacrer un budget à la chose. Les arrêtés de l’I.S.I.E du
3 septembre 2011 mettent à la charge des médias tous les frais de la
campagne, y compris les spots d’éducation citoyenne, et les obligent même à
renoncer à la diffusion de spots publicitaires, si nécessaire.
Ceci va donc augmenter les dépenses et réduire les recettes.
Mais ce n’est pas tout, car l’engagement au profit du processus électoral
est aussi une question de prestige, puisque le public risque de se détourner du
116
Page 119
média en question, si celui-ci ne suit pas ou ne couvre pas l’actualité et le
processus électoral.
Enfin, les médias risquent de se retrouver serrés tel dans un étau du fait
de cette participation au processus électoral, et cela se manifeste
essentiellement à trois niveaux :
- Au niveau de la rigueur des textes, d’abord.
- Au niveau de leur positionnement dans le paysage médiatique, ensuite.
- Et au niveau de la régulation dont ils font l’objet, enfin.
Paragraphe premier :
Rigueur juridique et liberté de communication audiovisuelle ne font pas
bon ménage ensemble
La liberté de communiquer, fut le grand absent des élections de 2011,
puisqu’elle n’était consacrée dans aucun texte juridique
31. Le code des
télécommunications
32 est muet sur la question, tout comme la constitution de
1959, suspendue en mars 2011. Le texte qui devrait la consacrer, à savoir le
décret-loi n°116 en l’occurrence, a été promulgué le 2 novembre 2011, donc
tout juste après les élections du 23 octobre 2011. Pourtant, la reconnaissance
de cette liberté n’est pas seulement d’ordre stratégique, car il s’agit avant tout
de la reconnaissance du caractère exceptionnel de la communication
audiovisuelle, qui pour des raisons historiques, politiques, économiques et
culturelles, nécessite l’application d’un régime spécifique et distinct par rapport
à ce qui est applicable dans le secteur de la presse écrite, le cinéma ou encore
les télécommunications. Mais sans pour autant être une simple application de la
liberté d’expression au support audiovisuel, car elle constitue une liberté à part
entière.
31 En revanche, en France, la liberté de communiquer a été consacrée dans une loi du 29 juillet 1982 puis par la loi du
30 septembre 1986, elle trouve pourtant sa source dans le même article 11 de la déclaration des droits de l’homme et
du citoyen (Promulguée par l’assemblée nationale française, le 26 août 1789. L’article 11 de la déclaration dispose : «La
libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc
parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre des abus de cette liberté dans des cas déterminés»), qui consacre la
liberté de la presse.
32 Promulgué par la loi n°2001- 1 du 15 janvier 2001, J.O.R.T n°5 du 16 janvier 2001, pages 83 à 92.
117
Page 120
A l’heure actuelle, cette liberté est consacrée dans le Décret-loi n°11633,
comme étant la liberté de mettre à la disposition du public, de services auditifs
et/ou visuels, quelque soit le mode de présentation. Elle fait également l’objet
d’une disposition, dans le projet de la nouvelle constitution.
Or, cette liberté nous parait incompatible avec la rigueur imposée aux
médias lors du processus électoral, en effet, même si la liberté de
communication audiovisuelle a évolué graduellement d’un monopole à la
concurrence, il n’en reste pas moins que cette liberté de communiquer était
toujours considérée par rapport au public et à son droit à l’information, et
d’accès à celle –ci, mais rarement du côté du producteur-investisseur c’est-à-
dire comme un droit d’émettre. Par conséquent, les restrictions que posera le
code électoral et les textes y associés, vont conduire à la restriction de cette
liberté.
Ainsi, les médias seront dans l’obligation de respecter:
- le contrôle du temps d’antenne
- le contrôle sur la répartition et le contenu des programmes
- l’interdiction de la publicité électorale ou politique
- le cahier de charges pour l’enregistrement de spots qui oblige les
médias à se conformer à certaines normes techniques
- la restriction de la ligne éditoriale : interdiction de divulguer les résultats
des sondages, les commentaires, études et analyses dès le début de la campagne
électorale, ainsi que l’obligation de produire et diffuser des spots d’éducation
citoyenne au profit de l’I.S.I.E
En définitive, et sans frôler l’atteinte à cette liberté de communication, les
règles juridiques de la couverture médiatique du processus électoral vont en
restreindre les contours de manière soutenue. Ce qui nous pousse à nous
interroger sur la teneur de cette liberté de communication et de son utilité ?
Est-elle une liberté pour le public ? Ou une liberté pour le média ?
En réalité, et même si l’orientation générale du droit comparé, s’achemine
vers la considération de la liberté de communication comme une liberté
er
33 Article 1
du décret-loi n°116, précité.
118
Page 121
orientée vers le public plutôt que vers les entreprises médiatiques, comme c’est
le cas en France, où le conseil constitutionnel français persiste à la défendre
comme un droit pour le public, la liberté de communication, ainsi qu’elle
ressort du décret-loi n°116, est à notre sens, orientée vers les entreprises
médiatiques. En effet, outre la reconnaissance de cette liberté, le texte prévoit
la création d’une Haute Instance indépendante pour la Communication
audiovisuelle (H.A.I.C.A), en vue de garantir la pluralité de celle-ci. En outre, le
texte régit le fonctionnement de cette instance et les règles qu’elle est appelée
à régir.
En réalité, la distinction du sens donné à cette liberté aura pour
conséquence le constat suivant :
- Lorsque cette liberté est orientée vers le public, c’est-à-dire comme un
droit pour le public de communiquer à travers les médias, les restrictions
dictées par le processus électoral peuvent être justifiées par
l’uniformisation
des règles d’accès aux médias.
- En revanche, lorsqu’elle est orientée vers les entreprises, c’est-à-dire plus
comme une liberté d’entreprendre, et le droit de communiquer ou de ne pas le
faire et de la manière que l’entreprise juge opportune de le faire, les règles
juridiques peuvent constituer ainsi
une restriction ou une limite à celle-ci.
Paragraphe deuxième :
Performance médiatique et positionnement lors du processus électoral
L’enjeu du processus électoral pour les médias, c’est la performance
médiatique, car pourquoi sinon s’y impliquer ?
Il faut noter au préalable qu’il n’existe aucune obligation pour les médias
privés de s’impliquer dans le processus électoral, car il s’agit selon les trois
arrêtés du 3 septembre 2011 d’une obligation qui pèse à la charge des médias
publics, d’expression arabe
34.
Les enregistrements des spots pour la radio et la télévision de la
campagne électorale s’étaient faits dans les locaux de la télévision nationale. Les
34 A l’exclusion de Radio Tunis Chaine Internationale (R.T.C.I), radio publique relevant de l’entreprise Radio Tunisienne, et
ce en raison de la langue de diffusion, car il s’agit d’une radio arabe d’expression française, avec également des
programmes de langues étrangères.
119
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arrêtés promulgués par l’I.S.I.E n’imposent pas aux médias privés de couvrir la
campagne électorale, mais ceux qui souhaitaient le faire, devaient en faire la
demande à l’I.S.I.E au moins deux semaines avant le démarrage de la campagne
électorale, quant aux spots de la campagne, ceux-ci devaient être à la charge
des médias privés. Ce qui explique que la plupart des médias s’étaient limités
aux émissions de débats et d’interviews au lieu de l’enregistrement des spots
de la campagne.
En l’absence donc d’un texte obligeant les médias privés à s’impliquer
dans la campagne électorale, quelles seraient les motivations qui pourraient
pousser un média à y prendre part ?
Tout d’abord, il y a le fait de satisfaire les attentes du public et donc
d’assurer la course vers l’audimat, et la période électorale, constitue comme
tout événement national, une occasion pour se positionner à la tête des
médias.
Il y a ensuite, le fait de satisfaire l’intérêt général, les médias assurant un
service public, celui-ci se doit d’être accessible et utile à la fois. Les utilisateurs
du service public audiovisuel doivent se sentir concernés par les programmes
offerts.
Enfin, il y a cette nouvelle légitimité issue des médias. En effet, outre la
célébrité, les médias offrent l’opportunité d’être accessibles à une masse plus
importante et plus homogène d’électeurs. Ils offrent ainsi une nouvelle légitimité
politique aux parties politiques. Ce phénomène est aussi réversible vers les
médias, en ce sens que le succès médiatique de certains politiciens fait aussi le
succès commercial des médias, et par ricochet, le succès professionnel des
journalistes.
Paragraphe troisième :
la régulation médiatique et le réajustement des orientations éditoriales
En dépit des règles de conduite mises en place, les médias commettent
bien souvent des écarts pour ne pas dire des incartades lors du processus
électoral. Les raisons de ces écarts se justifient souvent par le manque
d’expérience
en matière de couverture électorale, que ce soit en ce qui
concerne la programmation et la répartition des programmes, qu’en ce qui
concerne également la connaissance du processus électoral, et du droit
120
Page 123
électoral. Très souvent la connaissance du code des bonnes conduites, se limite
à une circulaire interprétative diffusée par voie hiérarchique, ou des consignes
orales prodiguées lors des réunions de rédaction. Ces écarts se justifient aussi
par le manque de moyens matériels et le désir d’assurer quand même une
couverture aux moindres frais, ce qui conduit à faire l’économie de certaines
procédures.
Néanmoins, ces écarts sont inévitables. D’où la nécessité d’une régulation
du secteur audiovisuel.
La régulation est l’acte de régler, ou de rendre régulier un mouvement ou
un débit. Ce terme désigne également l’ensemble des procédés et des
mécanismes mis en œuvre pour réguler un secteur, c’est-à-dire y assurer un
certain équilibre en luttant contre le monopole, et en instaurant des règles
éthiques de loyauté et de transparence.
Lors des élections de 2011, et en l’absence d’une instance spéciale de
régulation, cette mission fut confiée à l’I.S.I.E ainsi qu’il ressort de l’arrêté du 3
septembre 2011 portant fixation des règles et procédures relatives à la
campagne électorale. L’article 30 de cet arrêté confie à l’I.S.I.E le soin de
contrôler les médias lors du processus électoral, à travers notamment le
recrutement d’observateurs ou contrôleurs des médias.
Les différents rapports présentés par les O.N.G ou par l’I.S.I.E elle-même
à l’issue du processus électoral montrent que malgré le souci d’assurer un
certain équilibre, le format des émissions a été «peu courant», c’est ce qui
ressort en tout cas du rapport de la mission d’observation de la francophonie,
qui fait état en outre d’un manque de formation et d’expérience des médias,
qui ont conduit à «une certaine partialité partisane» et à «l’incivisme de
certaines directions de médias de la presse écrite et de chaines de télévision
privées»
35. Par ailleurs, le rapport présenté par la coalition de quelques
O.N.G
36, dont la ligue tunisienne des droits de l’homme et le syndicat national
des journalistes font état de :
- un défaut de déontologie pour la presse écrite, même si la presse
publique demeure plus neutre par rapport à la presse privée
35 Rapport précité supra.
36 Rapport Coalition des ONG, Medias-MONITORING-TUNISIE-2011, 29 février 2012, précité.
121
Page 124
- les stations de radio ont dans l’ensemble réalisé un certain équilibre des
programmes mais que l’information demeure partisane à près de 30%
- Plus de 35% des informations véhiculées sur les chaines de télévision
avaient un caractère partisan.
- L’absence d’un journalisme d’enquête et/ou d’investigation, ou encore
d’un journalisme d’investigation
- Enfin, la présence des femmes est minime et quasi-inexistante, sur tous
les supports médiatiques37.
Quant au rapport de l’unité de monitoring des médias de l’I.S.I.E sur la
couverture médiatique des élections de 2011, il fait état également de l’absence
d’un journalisme de proximité et/ou d’enquête. Ainsi, même si la couverture fut
«neutre dans l’ensemble», il n’en reste pas moins que certains médias n’ont pas
cherché à cacher leurs tendances partisanes, ainsi des actes de partialité, de
publicité politique ou de publicité masquée avaient été relevées. L’absence de
neutralité avait même effleuré le «sensationnalisme» quelques fois.
Dans son rapport d’activité sur la réforme du secteur médiatique, l’I.N.R.I.C
fait état également de «pressions subies», ce qui a démontré «
des réticences
d’acteurs médiatiques à se conformer aux règles encadrant la campagne et à
accepter l’émergence d’un régulateur indépendant. Les initiatives de réflexion et
positionnement déontologiques n’ont pu dès lors relever que d’initiatives internes à
chaque média, rendant sporadique l’adoption de chartes internes dédiées à la
couverture des élections et ayant freiné l’émergence de premières initiatives
collégiales et sectorielles d’autorégulation
»38.
A l’heure actuelle, la question de la régulation audiovisuelle lors des
prochaines élections législatives doit prendre en considération deux éléments
essentiels :
1° D’abord, l’existence de chaines de télévision qui diffusent sur satellite
en extra-territorialité, et l’existence de chaines de radios sur internet
. Ces
médias diffusent sans autorisation préalable.
37 10% sur la télévision publique, 20% sur une des chaines privées.
38 Rapport général d’activité de l’I.N.R.I.C présenté à la fin de sa mission, avril 2012. Disponible en ligne : www.inric.tn
122
Page 125
Absente des deux décrets-lois n°115 et n°116, la notion de territoire est
pourtant une notion clé, car les autorisations d’émettre sont aujourd’hui
octroyées sur la base du découpage administratif du pays en gouvernorats.
Fortement critiqué lors des dernières élections du 23 octobre 2011, ce
découpage est aujourd’hui remis en cause, en ce qu’il ne tient pas compte des
réalités économiques, géographiques et démographiques des régions, et par
conséquent certains jugent l’octroi des licences d’émettre sur cette base
complètement erroné.
A un niveau plus général, l’extra-territorialité n’a pas fait l’objet des
préoccupations de l’I.N.R.I.C et de son rapport sur la situation du secteur
audiovisuel.
En réalité, il s’agit d’un phénomène qui a pris de l’ampleur ces
dernières années à tel point que certaines chaines de télévision ont fini non
pas seulement par envahir, mais tout simplement par étouffer le paysage
audiovisuel. Ces télévisions qui n’ont pas reçu d’autorisation pour émettre sur
le territoire national, mais émettent à partir de l’étranger en n’étant pas
soumises aux cahiers de charges, tout en s’arrogeant de grosses parts du
marché publicitaire
39.
Cette extra-territorialité les fait échapper également à tout contrôle sur
le contenu, ce qui les rend «intouchables» en cas de débordements, puisqu’ils
échappent ainsi aux procès.
Cette extra-territorialité les fait également échapper au chapitre IV prévu
par le décret-loi n°116, et qui dans les articles 33 à 38, limite la concentration
des médias sur la base de la concurrence loyale. Couramment connue sous le
nom de loi anti-trust.
2° Ensuite, le second point à prendre en considération pour les
prochaines élections, ce sont les dispositions du Décret-loi n°116 et
notamment les articles 42 et 45 :
- L’article 42, qu’il faudrait à notre sens réformer impose aux partis
politiques d’utiliser uniquement les médias tunisiens lors de la campagne
39 En termes d’audimat, mais aussi de recettes publicitaires, et même en termes de contenu des programmes,
puisqu’étant à la tête des sondages, ils réussissent à avoir les invités qui font la une et même très souvent aussi, des
scoops, C’est le cas de la chaine de télévision «Ettounsiya» à la tête des sondages et qui réussit à faire jusqu’à 6 millions
de téléspectateurs (source : sondages SIGMA conseil).
123
Page 126
électorale, ce qui pose le problème des inégalités territoriales : les
candidats devront se déplacer en Tunisie, et à Tunis surtout, pour faire
campagne dans les médias, avec tout ce que cela emporte comme
problèmes de coûts, de décalage horaire de la diffusion des spots,
d’accessibilité aux chaines etc.
- L’article 45 qui interdit expressément la publicité électorale en
exposant à des amendes pécuniaires, les médias qui diffusent des
programmes, ou des annonces, ou des spots de publicité au profit d’un parti
politique, ou d’une liste électorale, que ce soit à titre gratuit ou onéreux. Le
texte ne précise pas cependant, s’il y a une limite ou des règles particulières
quant au nombre de passages dans les émissions de débat ou les reportages
télévisés. Or, ces passages qui prennent souvent l’allure d’une information,
constituent souvent une autre forme de publicité ou de propagande, dite
publicité masquée et expressément interdite par les arrêtés de l’I.S.I.E du 3
septembre 2011, et fortement critiquée et sanctionnée même en droit
comparé, ainsi qu’il ressort d’une décision du C.S.A français du mois de
septembre 2013
40.
En somme, le rôle d’une instance de régulation, n’est pas d’être le
gendarme de l’audiovisuel, mais de se prononcer sur les abus et les
dépassements qui sont commis dans les médias : insultes, diffamation, propos
incitant à la haine, appel au meurtre...etc., et qui sont nuisibles aussi bien aux
droits de l’homme qu’à la stabilité du processus démocratique, parce que si
les choses demeurent telles qu’elles sont, il ne pourra y avoir d’élections
démocratiques et transparentes, les médias étant le principal outil de la
propagande électorale. Or l’actuelle H.A.I.C.A soulève quelques critiques
quant à :
- son indépendance : sa composition et ses modalités de fonctionnement
ne garantissent en effet pas sa totale indépendance
- ses moyens d’action : car il ne s’agit pas seulement d’adresser des
injonctions aux médias, le plus important étant d’instaurer un code de
déontologie et de fixer les règles qui constituent des infractions.
40 Décision du C.S.A du 18 septembre 2013 (publiée le 9 octobre 2013), présentation d’ouvrages d’animateurs, France
Télévision mise en garde et mise en demeure, publiée en ligne : www.csa.fr
124
Page 127
- Dans le projet de constitution, un article unique est dédié à l’instance
de l’information
41 (c’est le nom retenu dans le projet de la future constitution),
Par ce choix de la commission de rédaction et de coordination de l’A.N.C,
l’article 124 du projet de constitution ne prévoit que la constitutionnalisation
de la commission, ses principales prérogatives, ainsi que le nombre de ces
membres. Ce qui ne remet pas en cause pour l’instant, et suis tentée de dire
dommage, le décret-loi n° 116, qui fixe tous les détails relatifs, au
fonctionnement et à la composition de cette commission.
Enfin, il échait de remarquer que le droit comparé est très mitigé quant
aux effets de la régulation, certains affirment que les médias publics ne sont pas
soumis aux mêmes règles que les médias privés et peuvent même être
exempts de certaines restrictions. En réalité, il n’existe pas de règles particulières
mais celles-ci varient en fonction du système juridique :
- Ainsi, en Espagne comme en Allemagne, il n’existe aucune instance
autonome de régulation des médias publics. Quant au cadre général, il est fixé
en Allemagne par la jurisprudence de la cour constitutionnelle. En Espagne,
comme en Italie, c’est une commission parlementaire qui est chargée du
contrôle permanent des médias publics. Tandis que les médias privés sont
contrôlés par des établissements publics autonomes. La même solution a été
privilégiée aux Pays-Bas également.
Conclusion
D’aucuns pourraient soutenir que les médias sont un danger pour le
processus démocratique : manque de transparence, risque de manipulation,
mainmise des médias sur les campagnes électorales…etc., autant de facteurs
préjudiciables au processus électoral. Aujourd’hui, et pour les prochaines
élections, le code électoral ainsi que les textes qui y seront associés, doivent
tenir compte de la particularité – oserais-je dire fragilité – du secteur
médiatique.
41 C’est l’article 124 du projet de constitution (version juin 2013), et qui dispose : « L'instance de l'information est
chargée de la régulation et du développement du secteur de l’information, elle veille à garantir la liberté d’expression et
d’information, le droit d’accès à l’information et l’instauration d’un paysage médiatique pluraliste et intègre.
L'instance est obligatoirement consultée pour les projets de lois relatifs à son domaine de compétence.
L’instance se compose de neuf membres indépendants, neutres, compétents, expérimentés et intègres qui effectuent leur
mission pour un mandat unique de six ans avec renouvellement du tiers de ses membres tous les deux ans ».
125
Page 128
Afin de mener à bien la mission qui leur est impartie, les médias se
doivent d’être outillés sur tous les plans pour ce faire. Une bonne assise
juridique, une stratégie particulière respectueuse du contexte de transition, et
une mission capable de résister et faire face à toute épreuve, sont les
ingrédients d’une réussite.
Et pour ne pas avoir à faire face à des retombées négatives du processus
électoral, et se trouver pris au piège des textes, renforcés en cela par une
régulation encore imparfaite et un cadre juridique aux contours imprécis, il
importe de prendre certaines précautions en vue des prochaines élections :
D’abord, le paysage médiatique audiovisuel doit se débarrasser de ses
écueils régionaux cloisonnant et préjudiciables à la démocratie
. Il faudrait
pour cela repenser à re-centraliser les médias afin de ne pas diviser davantage
l’opinion publique et créer une distorsion entre les médias fondées sur le
critère géographique (problème d’accessibilité, publicité, audimat…) et les
disparités financières.
Ensuite, il importe de concilier d’abord entre la liberté d’expression et la
liberté de communiquer, toutes deux interdépendantes et indivisibles.
Mais aussi, les médias se doivent de sacrifier leur égo médiatique, car la
couverture du processus électoral est aussi et surtout une opportunité de
positionnement ou de repositionnement sur le marché du secteur audiovisuel.
Enfin, la nécessité de régulation comme vecteur d’ouverture du secteur
sur un espace de dialogue et de libertés fondé sur la responsabilisation des
médias d’abord, de la liberté de communiquer ensuite, de la pluralité politique
enfin, fondements même de la démocratie et par là même aussi de la réussite
de tout processus électoral.
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Les codes de bonnes conduites
réglementant le rôle des médias pendant le
cycle électoral
Par Fatma Raâch Regaya
Docteur en Droit
Assistante à la Faculté de Droit et des sciences politiques de Tunis
Les élections ne devraient pas être entendues comme étant une
opération ponctuelle qui se limite au vote des électeurs. Tout au contraire, le
cycle électoral se compose de plusieurs étapes, à savoir d’une phase pré-
électorale, électorale et postélectorale. Ces phases connaissent l’intervention
de plusieurs acteurs. Leurs interventions respectives doivent être réglementées
afin de garantir la réalisation d’élections indépendantes. Une réglementation qui
doit prendre en considération les différentes phases ainsi que leurs impératifs.
Il faudra donc, une loi électorale déterminant l’organe de gestion des élections
(OGE), précisant ces attributions ainsi que les différentes opérations nécessaires
au déroulement ses élections. La règlementation juridique de l’opération
électorale devrait porter, également, sur le comportement des différents
acteurs impliqués à savoir : les candidats, les partis politiques, les médias et les
observateurs.
Dans le cadre de cette présentation, nous allons nous intéresser à
l’encadrement juridique de l’action des médias lors de l’opération électorale et
plus particulièrement le rôle des codes de bonne conduite dans cette
opération.
Le principe fondamental qui régit le rôle des médias dans les élections est
le respect de la liberté de presse et d’expression. Un principe reconnu par
l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui prévoit
que : «Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui
implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher,
de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations
et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit». Il en découle que les
médias doivent bénéficier de la protection contre la censure et l’ingérence, du
127
Page 130
libre accès à l’information nécessaire et du pluralisme dans les médias. La
règlementation de l’intervention des médias dans le cycle électoral devrait donc
concilier entre le souci d’assurer la liberté d’expression, l’égalité entre les
candidats et leur traitement impartial afin de ne pas fausser le choix des
électeurs.
Il s’agit donc d’un exercice encadré de la liberté d’expression pour réaliser
un certain équilibre entre ces droits interdépendants. D’autant plus que les
médias ont un rôle à jouer vis-à-vis des différents acteurs : ils ont un devoir
d’éduquer les électeurs en matière électorale, de les informer sur les différents
partis politiques en compétition, de donner la parole aux partis et aux candidats
pour débattre entre eux et se faire connaitre etc.
La règlementation de l’intervention des médias tout au long du cycle
électoral fait, donc, l’objet d’une règlementation juridique. La loi portant création
de l’organe de gestion des élections contient le plus souvent des dispositions
portant sur l’égalité entre les candidats, comme par exemple la délimitation du
temps qui leur est imparti dans les médias pour se faire connaitre. Mais, il existe
un autre mode de règlementation différent de ce mode de règlementation
classique du rôle des médias dans les élections. Il s’agit des codes de conduite,
qui ont été définis comme étant : «L’ensemble des règles qui viennent s’ajouter
au corpus juridique électoral (la constitution, la loi etc.). Elles ont un caractère
plutôt éthique et visent à réglementer le comportement des différents acteurs
du processus et l’attitude qu’ils doivent avoir dans leurs rapports entre eux,
qu’il s’agisse de partis politiques, d’observateurs, de médias, ou encore d’agents
de l’administration électorale»
1.
Ces codes de bonne conduite ont un rôle supplétif et complémentaire à
la législation classique en la matière
(A) et consacrent la pratique internationale
établie en la matière
(B).
a - Le caractère supplétif des codes de bonnes conduites
Les codes de bonnes conduites sont essentiellement des règles éthiques,
leur force obligatoire dépend du modèle adopté par le pays. Mais en tout état
de cause, ces règles ont essentiellement pour objectif la moralisation de la vie
1 Lexique de Terminologie électorale, PNUD Tunisie, 2012, p. 60.
128
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politique et le renforcement de la confiance des électeurs dans le processus
électoral. C’est pour cette raison qu’ils sont souvent formulés dans des
documents élaborés, en fonction du pays, soit par l’OGE qui est un organe qui
bénéficie de la confiance des électeurs, par un collectif de partis politiques, ou
bien par les différents acteurs de l’opération électorale. Ces documents
pourront être par la suite intégrés dans la loi électorale ou garderont leur
forme souple tout en demandant aux différentes parties prenantes de respecter
les règles éthiques qu’ils contiennent. Comme il a été le cas en Côte d’Ivoire
2.
L’exemple de la loi n° 2012-006 portant Code d’éthique et de bonne
conduite politique des acteurs politiques pendant la transition qui a été adopté
au Madagascar, représente un excellent exemple en la matière. Puisque ce code
a été publié au Journal officiel et a pris la forme d’une loi. En effet, dans son
chapitre 4 portant sur les dispositions applicables aux médias, le code rappelle
le rôle des médias dans la sensibilisation des acteurs à l’apaisement social et à
la solidarité nationale et rappelle leur obligation de procéder «au traitement
égalitaire envers tous les acteurs et partis politiques»
3.
En ce qui concerne la Tunisie, à l’occasion de l’organisation des élections
du 23 octobre 2011, nous avons connu une expérience qui se rapproche des
expériences cités précédemment. En effet, et en application de son rôle
d’«assurer le suivi des campagnes électorales et veille à assurer l’égalité entre
tous les candidats et candidates» tel que mentionné dans l’article 4 du Décret-
les
médias
congolais,
2 Dans ce sens Voir, le code de bonnes conduites des partis politiques, des groupements, forces politiques et candidats
aux élections, qui a été élaboré en Côte d’Ivoire, http://aceproject.org/ero-en/regions/africa/CI/cote-divoire-code-
de-bonne-conduite-des-partis/view ; la RDC avait également adopté un code de bonnes conduites pour les partis
http://acpcongo.com/index.php?option=com_
et
politiques
content&view=article&id=3143
3 Article 21. - Les dispositions du présent Code s’appliquent aux médias tant publics que privés. Ils sont appelés à
sensibiliser les acteurs politiques à l’apaisement social et à la solidarité nationale. Ils sont tenus de procéder au traitement
égalitaire envers tous les acteurs et partis politiques. Ils s’interdisent de semer des troubles au sein de l’opinion publique.
En cas de manquement, les acteurs politiques et partis politiques peuvent saisir le Haut Conseil pour la Défense de la
Démocratie et de l’Etat de droit.
Ils doivent se garder de porter atteinte à la dignité humaine et de ne pas traiter de la vie privée et de l’appartenance
sociale d’autrui dans un esprit de dénigrement.
Article 22. - En matière d’élection, les médias publics réservent un traitement égalitaire et équilibré aux partis politiques
et aux candidats à l’élection. Ils doivent s’interdire de tout commentaire partisan, tout dénigrement ou propos malveillants
à l’égard des partis politiques, des candidats et de leurs programmes.
http://aceproject.org/ero-en/regions/africa/MG/madagascar-loi-nb0-2012-2010-006-portant-code/view
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loi n° 2011-27 du 18 avril 2011 portant création d’une instance supérieure
indépendante pour les élections. Ainsi qu’à sa mission d’«assurer des élections
démocratiques, pluralistes, honnêtes et transparentes» (art. 2). L’ISIE a adopté
l’Arrêté du 03 septembre 2011 fixant les règles auxquelles les médias
audiovisuels doivent se conformer pendant la campagne électorale
4. Un arrêté
qui concilie entre le droit des médias d’accéder à l’information et de
communiquer toutes les informations concernant la campagne (art. 2). Tout en
respectant les principes d’impartialité et de sincérité (art. 3) et en délimitant le
temps de parole et d’apparition de chaque parti ou liste candidate (art. 11 et
12).
Avec la mise en place de la Haute Autorité Indépendante de la
Communication Audiovisuelle (HAICA)
5, celle-ci serait l’organe chargé de fixer
les règles à suivre par les médias durant les campagnes électorales. Elle pourra
en vertu de ses attributions recourir à la confection d’un code de bonne
conduite si elle le jugera nécessaire puisque l’article 44 du Décret-loi
N° 2011-116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la
communication audiovisuelle et portant création d’une Haute Autorité
Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA), dispose
que : «La HAICA fixe les règles de la campagne électorale, dans les médias
audiovisuels, ses procédures et notamment les temps impartis aux émissions et
programmes réservés aux différents candidats, leurs répartitions et horaires,
dans les différents médias audiovisuels et ce, en concertation avec toutes les
parties concernées, sur la base du respect». Ce qui contribue au renforcement
du caractère participatif dans la règlementation de l’intervention des médias.
B - Les codes de bonnes conduites, consécration des bonnes
pratiques dégagées par les instances internationales
La mise en œuvre et le respect des codes de bonnes conduites par les
reposent
différentes parties
essentiellement sur le facteur moral et éthique. La crédibilité des acteurs, qui
est un élément d’une très grande importance dans la détermination des
l’opération électorale
impliquées dans
4 http://www.isie.tn/Fr/image.php?id=665
5 Décret-loi N° 2011-116 du 2 novembre 2011, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle
et portant création d’une Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA).
130
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résultats, est en jeu. Mais, il y a un autre élément qui peut contribuer à la mise
en œuvre de ces codes par les acteurs participant à l’opération électorale. Il
s’agit du fait que ces règles constituent une pratique établie dans les pays qui
ont une tradition démocratique ancrée et qu’ils ont été confirmées comme
étant de bonnes pratiques par les instances internationales.
En effet, le code de bonne conduite en matière électorale adopté par la
Commission de Venise,6 considère que :
«La libre formation de la volonté de l’électeur se confond pour une part
avec l’égalité des chances. Elle implique que l’Etat – et les autorités publiques en
général – respectent leur devoir de neutralité, notamment en ce qui concerne
l’usage des mass media, l’affichage, le droit de manifester sur la voie publique ou
le financement des partis et des candidats».
Il ajoute que :
«L’égalité des chances doit être assurée entre les partis et les candidats.
Elle implique la neutralité des autorités publiques, en particulier relativement :
i. à la campagne électorale ;
ii. à la couverture par les médias, notamment les médias publics ;
iii. au financement public des partis et campagnes.
(…) L’égalité des chances porte notamment sur le temps de parole à la
radio et à la télévision, les subventions publiques et les autres formes de
soutien».
En outre, la Recommandation n° R (99) 15 du Comité des Ministres aux
Etats membres relative à des mesures concernant la couverture des campagnes
électorales par les médias
7, a rappelé le principe fondamental de l’indépendance
éditoriale des médias en période électorale et que «la couverture des élections
par les médias du secteur de la radiodiffusion devrait être équitable, équilibrée
6 Code de bonne conduite en matière électorale, lignes directrices et rapport explicatif, adoptés par la Commission de
Venise lors de sa 52e session (Venise, 18-19 octobre 2002), http://www.venice.coe.int/webforms/documents/CDL-
AD(2002)023rev.aspx
7 Adoptée par le Comité des Ministres le 9 septembre 1999 lors de la 678e réunion des Délégués des Ministres http://
www.venice.coe.int/webforms/documents/CDL-AD(2011)020.aspx
131
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et impartiale». Elle a également souligné : «le rôle important des mesures
d’autorégulation des professionnels des médias - par exemple sous la forme de
codes de conduite - qui établissent des lignes directrices définissant de bonnes
pratiques pour une couverture responsable, exacte et équitable des campagnes
électorales» ainsi que «le caractère complémentaire entre les mesures de
régulation et d’autorégulation dans ce domaine».
Ces facteurs ne pourraient que plaider en faveur du recours aux codes
de bonnes conduites qui apparaissent comme une appropriation, par les
acteurs participants dans l’opération électorale et plus particulièrement des
médias, des bonnes pratiques en matière de couverture médiatique de
l’opération électorale et dans la mission de formation qu’assurent les médias en
période électorale afin d’assurer une éducation électorale aux électeurs.
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