La force dissuasive de la responsabilité délictuelle
Jean Lefebvre
To cite this version:
Jean Lefebvre. La force dissuasive de la responsabilité délictuelle. Revue juridique de la Sorbonne /
Sorbonne Law Review, 2021. hal-03344355
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1
Revue Juridique de la Sorbonne – Sorbonne Law Review
Comité scientifique
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Mireille BACACHE, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1
Panthéon-Sorbonne
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Paris 1 Panthéon-Sorbonne
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Juin 2021, n° 3
2
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- Volet édition :
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Revue semestrielle (2 numéros/an ; juin et décembre)
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ISSN : 2739-6649
Dépôt légal : juin 2021, mise en ligne le 1er juillet 2021.
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Juin 2021, n° 3
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Sommaire
Édito ..................................................................................................................................... 3
Du notaire à la blockchain notariale : les tribulations d’un tiers de confiance entre
confiance interindividuelle, confiance institutionnelle et méfiance généralisée .. 7
Camille CHASERANT, Corine DAUCHEZ, Sophie HARNAY
La « tolérance royale » dans la rhétorique de la monarchie absolue : une figure de
style ancien .......................................................................................................................59
Vincent GOBIN
La force dissuasive de la responsabilité délictuelle ...................................................82
Jean LEFEBVRE
L’élément manquant à l’équation de la chose jugée au pénal sur le civil ............. 115
Soufyane MAHSAS
Les centres d’arbitrage de l’espace OHADA face aux technologies de l’information
et de la communication (TIC) ...................................................................................... 124
Dr. Céline NDONGO DIMOUAMOUA
Droit et émotion ............................................................................................................ 146
Emmanuel JEULAND (sous la direction de)
Présentation du cycle de séminaires ............................................................................ 149
Emmanuel JEULAND
Le consentement comme polarité dynamique, entre émotion et raison ...................... 153
Emma BRETON
Les ordalies à l’aune des émotions ............................................................................... 162
Laura VIAUT
Le droit de la preuve et l’émotion .................................................................................. 173
Pierre GAUTIER
Propriété intellectuelle et émotion ................................................................................ 181
Tristan AZZI
Propriété littéraire et artistique et émotion ................................................................. 195
Clara GAVELLI
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Juin 2021, n° 3
6
Droit des entreprises en difficulté et émotions .............................................................212
David LEMBERG
Quelle place pour les émotions dans l’activité de travail, le droit social et le contentieux
social ? ...........................................................................................................................217
Pierre-Yves VERKINDT
L’impact des émotions liées à la pandémie sur le traitement du télétravail ............... 232
Mathilde DE SLOOVERE
Nationalité française : des émotions aux sentiments .................................................. 237
Étienne PATAUT et Apolline SCHAAL
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Juin 2021, n° 3
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La force dissuasive de la responsabilité délictuelle
Jean LEFEBVRE1
Docteur en droit privé, enseignant-chercheur à l’université d’Angers
Centre Jean Bodin
Résumé : Si la responsabilité délictuelle revêt une fonction préventive, la mise en œuvre de
sanction complémentaire à la réparation apparaît comme un moyen puissant d’influer en amont
sur le comportement des acteurs juridiques. Cette logique est traditionnellement présente dans
le droit positif et revêt une dimension binaire. La gravité de la faute emporte une qualification
de cette faute qui influera tantôt sur la responsabilité de son auteur, tantôt sur son droit à
réparation. La sanction délictuelle permet de dépasser ce cadre. D’une part, ces sanctions
permettent de dépasser le plafond pécuniaire induit par le principe de réparation intégrale du
dommage. D’autre part, ces sanctions mises en œuvre de manière proportionnelle sont
progressives notamment en fonction de la gravité de la faute. Ce faisant, la sanction permet
d’assurer l’effectivité de certaines normes de comportement comme la prudence, la prévention.
En cela, elle confère à la responsabilité une dimension dissuasive sur les auteurs potentiels de
faits dommageables.
Cette effectivité est enfin garantie par la place centrale du juge qui doit pouvoir s’auto-saisir,
indépendamment des parties prenantes au procès afin de permettre le prononcé de la sanction
délictuelle.
Mots-clés : Responsabilité délictuelle, réparation intégrale du dommage, prévention, sanction
délictuelle, gravité de la faute, faute lucrative, faute scélérate, dissuasion, proportionnalité, office
du juge, auto-saisine.
The dissuasive force of delictual responsibility
- Plus de références et documents sur Legaly DocsSummary: While responsibility has a preventive function, the implementation of a penalty
complementary to compensation appears to be a powerful means of influencing the behavior of
legal actors upstream. This logic is traditionally present in positive law and has a binary dimension.
The seriousness of the fault entails a qualification of the fault which will sometimes influence the
responsibility of its author, as well as his right to compensation. The penalty makes it possible to
go beyond this framework. On the one hand, these sanctions make it possible to exceed the
financial ceiling induced by the principle of full compensation for damage. On the other hand, these
sanctions implemented in a proportional manner are progressive, in particular according to the
seriousness of the fault. In doing so, the sanction makes it possible to ensure the effectiveness of
certain standards of behavior such as caution and prevention. In this, it gives responsibility a
dissuasive dimension on the potential perpetrators of harmful facts.
1 @ : jean.lefebvre@univ-angers.fr ; idHAL : 1034150.
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This effectiveness is finally guaranteed by the central position of the judge, who must be able to
take a decision on his own, independently of the parties to the trial in order to allow the
pronouncement of the tort sanctions.
Keywords: Delictual responsibility, full compensation for damage, prevention, delictual sanction,
gravity of the fault, lucrative fault, villainous fault, dissuasion, proportionality, judge’s office, self-
referral.
Pour citer cet article : Jean LEFEBVRE, « La force dissuasive de la responsabilité délictuelle »,
Revue juridique de la Sorbonne [en ligne], n° 3, juin 2021, p. 82-114.
URL : https://irjs.pantheonsorbonne.fr/sites/default/files/inline-files/La_force_dissuasive_de_
la_responsabilite_delictuelle_J_LEFEBVRE.pdf
*
La prévention constitue « un ensemble de mesures et institutions destinées à
empêcher – au moins à limiter – la réalisation d’un risque, la production d’un dommage,
l’accomplissement d’actes nuisibles, etc., en s’efforçant d’en supprimer les causes et les
moyens »2.
À l’évidence, la prévention a pour vocation de réduire les risques. Cette
neutralisation en amont des conséquences dommageables causées par la réalisation des
risques est évidemment fondamentale et bénéfique pour la Société.
La responsabilité civile délictuelle intègre dans une certaine mesure la prévention
des risques dans la détermination de la responsabilité3.
Ainsi, paradoxalement, alors que la prévention est décisive pour réduire les risques,
elle n’est prise en compte que sporadiquement par le droit positif4.
L’enjeu est alors de renforcer cette prévention en agissant, a priori, sur le
comportement des acteurs juridiques. Ce faisant, la fonction préventive de la
responsabilité civile peut s’ancrer dans la crainte de la sanction à laquelle s’expose
2 G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Paris, PUF, 2003, coll. « Quadridge »,
p. 669 s.
3 C. THIBIERGE, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l'avenir », D. 2004, p. 557 ; C. THIBIERGE,
« Libres propos sur l’évolution du droit de la responsabilité », RTD civ. 1999, p. 561 ; M. BOUTONNET, Le
principe de précaution en droit de la responsabilité civile, éd. LGDJ, 2005 ; M. BOUTONNET, « Bilan et avenir
du principe de précaution en droit de la responsabilité civile », D. 2010.2662 et s. ; G. VINEY, P. JOURDAIN
et S. CARVAL, Les conditions de la responsabilité, LGDJ 2013, p. 87 s. et p. 153 s ; G.-J. MARTIN, « Apparition
et définition du principe de précaution », Le principe de précaution, Colloque Paris 1, LPA, 30 nov. 2000,
p. 9 ; L. MAYAUX, « Réflexions sur le principe de précaution et droit des assurances », RGDA, 2003, p. 27 ;
S. GRAYOT, Essai sur le rôle des juges dans la prévention des dommages, préf. G. Viney, éd. LGDJ 2009, p. 154
s. ; A. GUEGAN-LECUYER, Dommages de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain éd. LGDJ 2006, p. 188
et 281 s. ; C. LACROIX, La réparation du dommage en cas de catastrophe naturelle, préf. M.-F Teinle-
Feuerbach, éd. LGDJ 2008.
4 L. WILLIATTE-PELLITTERI, Contribution à l’élaboration d’un droit civil des évènements aléatoires
dommageables, préf. F. Dekeuwer-Defossez, éd. LGDJ 2009, p. 255 s.; J. LEFEBVRE, « La responsabilité
délictuelle face aux mesures préventives », LPA, 8-9 sept. 2020, n°180, p. 5 s.
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Juin 2021, n° 3
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l’acteur juridique fautif, et ce, en plus de sa condamnation à réparer les conséquences de
sa faute. Ainsi, la prévention fondée sur la responsabilité peut être fondée sur sa force
dissuasive.
Pourtant, la fonction traditionnelle de la responsabilité civile est d’indemniser la
victime du dommage5. Celui qui commet une faute doit réparer le dommage qu’il cause6.
La logique est de replacer la victime dans la situation où elle se trouvait avant la
survenance du dommage7, sans perte ni profit8.
La Cour de cassation considère traditionnellement que « le propre de la
responsabilité civile consiste à rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par
le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte
dommageable n’avait pas eu lieu »9.
Se pose immédiatement la question de savoir si cette condamnation à payer des
dommages et intérêts devant réparer le préjudice peut avoir un impact, a priori, sur le
comportement des acteurs juridiques, au-delà de sa propension naturelle à respecter la
loi. Autrement dit, un acteur juridique va-t-il modifier son comportement pour éviter
d’engager sa responsabilité ? Ce changement de comportement revêtirait, dès lors, une
dimension préventive.
D’emblée, on peut en douter dans la mesure où l’indemnisation n’est pas
déterminée en fonction de la faute ou du comportement de l’auteur de l’acte, mais
uniquement du préjudice subi par la victime qu’il convient de réparer.
Or en l’état du droit, l’auteur d’une faute d’imprudence subira les mêmes
conséquences financières que l’auteur d’une faute dolosive, protégé par le principe de
réparation intégrale du dommage qui plafonne l’indemnité à l’entier préjudice, mais pas
plus10.
Pourtant, au-delà de cette fonction réparatrice de la responsabilité civile délictuelle,
et de la cessation de l’illicite11, la responsabilité civile peut revêtir une fonction punitive,
de par la sanction à laquelle s’expose l’auteur fautif du dommage. La sanction s’entend
5 Y. CHARTIER, La réparation du dommage, Paris, Dalloz, 1983 ; M. E. ROUJOU DE BOUBÉE, Essai sur la notion
de réparation, th. Toulouse, préf. P. HEBRAUD, Paris, LGDJ, 1975 ; C. COUTANT-LAPALUS, Le principe de la
réparation
intégrale en droit privé, préf. F. POLLAUD-DULLIAN, Aix-en-Provence, PUAM, 2002 ;
C. LE GALLOU, La notion d’indemnité en droit privé, préf. A. SERIAUX, Paris, LGDJ, 2007.
6 C. civ., art. 1240.
7 Cass. civ. 2e, 28 oct. 1954, Bull. civ. II, no 328 ; JCP G, 1955.II.8765, n. R. SAVATIER.
8 Cass. civ. 2e, 8 juill. 2004, Bull. civ. II, no 393 ; RTD civ., 2004.739, obs. P. JOURDAIN : « Les dommages-
intérêts alloués à la victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni
profit » ; P. STOFFEL-MUNCK, P. MALAURIE et L. AYNÈS, Droit des obligations, Paris, Lextenso,
9782275082318, sept. 2020, no 153 s. ; C. SINTEZ, La sanction préventive en droit de la responsabilité civile,
préf. C. THIBIERGE et P. NOREAU, Paris, Dalloz, 2011, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », p. 364 s.
9 Cass. civ. 2e, 28 oct. 1954, Bull. civ. II, no 328.
10 Cass. civ. 2e, 8 juill. 2004, ibid.
11 C. BLOCH, La cessation de l’illicite, Recherche sur une fonction méconnue de la responsabilité civile
extracontractuelle, éd. Dalloz 2008, p. 133 s. ; S. GRAYOT, op. cit., p. 174 s. ; B. MENARD, L’anormalité en droit
de la responsabilité civile, préf. S. Porchy-Simon, éd. LGDJ 2020, p. 433.
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Juin 2021, n° 3
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alors du « moyen destiné à assurer le respect et l’exécution effective d’un droit ou d’une
obligation »12.
À cet égard, la sanction est privilégiée dans son acception punitive et non
préventive13.
La responsabilité peut ainsi donner lieu à des sanctions privées, cumulées à la
réparation du dommage. Ce faisant, la responsabilité délictuelle peut dégager une force
dissuasive. Cette force est susceptible de modifier a priori le comportement des acteurs
juridiques incités à privilégier un comportement plus prudent, limitant les risques14.
Cet effet dissuasif importe en ce qu’il va contraindre l’auteur à modifier, en amont,
son comportement afin d’éviter le dommage, renforçant ainsi l’objectif de prévention et
l’effectivité de normes préventives.
L’enjeu est d’éviter les fautes les plus graves, et plus encore celles d’entre elles qui
sont commises par esprit de lucre : les fautes lucratives ; ainsi que les fautes volontaires,
scélérates, celles pour lesquelles l’auteur, ne pouvant ignorer les conséquences de ses
actes, a persisté dans sa voie dommageable. Indépendamment du lucre, cette persistance
doit être sanctionnée pour moduler, en amont, le comportement des acteurs juridiques.
La dissuasion permet ainsi d’éviter les comportements à risque et sert donc un objectif
de prévention.
Traditionnellement, la fonction punitive de la responsabilité civile est déjà active
dans le droit positif. Elle repose sur la prise en compte de la gravité de la faute du
responsable pour aggraver la responsabilité de son auteur.
D’abord, la gravité de la faute prive son auteur de certaines immunités qui
l’exonéraient de sa responsabilité.
En outre, le droit positif intègre déjà cette logique en sanctionnant l’auteur des
fautes les plus graves et en adaptant la sanction à la gravité de la faute, sur la base du
principe de proportionnalité. Cependant, le principe de proportionnalité assurant une
certaine progressivité de la sanction à la gravité de la faute n’est pas appliqué
systématiquement et reste cantonné à certains domaines du droit.
Ensuite, la gravité de la faute emporte une qualification spécifique de la faute,
faute dolosive, qui va emporter des conséquences
la
comme par exemple
fondamentalement liées à cette qualification.
La prise en compte de la gravité achoppe, donc, sur une forme d’effet de seuil : la
qualification emporte des conséquences automatiques. Ce faisant, si le droit positif
prend en considération la faute pour aggraver sa responsabilité ou réduire son droit à
réparation, cette prise en considération n’est pas progressive en fonction de la gravité de
12 G. CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., p. 793.
13 Cf. S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, préf. G. VINEY, Paris, LGDJ, 1995,
coll. « Bibliothèque de droit privé ».
14 A. TUNC, « Responsabilité civile et dissuasion des comportements antisociaux », in Aspects nouveaux de
la pensée juridique, Mélanges offerts à M. Ancel, t. 1, Paris, Pedone, 1975, p. 407 s.
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Juin 2021, n° 3
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la faute, elle est binaire (Partie 1). Cette dimension binaire doit être dépassée par une
application progressive de la sanction assurée par la mise en œuvre du principe de
proportionnalité (Partie 2).
Ce changement de paradigme quant à la sanction délictuelle est confronté à un
enjeu important : l’effectivité de la sanction comme corollaire de l’effectivité des normes
transgressées. Cette effectivité doit être garantie par l’office du juge, qui doit avoir un
rôle essentiel dans la mise en œuvre des sanctions délictuelles (Partie 3).
Partie 1.– L’influence binaire de la gravité de la faute
sur la responsabilité de l’auteur
Le droit positif prend effectivement en compte la gravité de la faute de son auteur.
Traditionnellement, ce dernier se verra privé tantôt de mécanisme protecteur ou
exonératoire (I), tantôt de son indemnisation intégrale lorsque l’auteur est aussi une
victime (II).
I.- L’influence de la faute sur l’exonération de responsabilité de son auteur
La personne physique, en raison de ses fonctions, peut bénéficier d’une immunité
la protégeant des fautes qu’elle commet dans leur cadre (A). La personne morale, en tant
que personne juridique autonome, confère aussi une immunité à certaines de ses parties
prenantes en ce qu’elle monopolise la responsabilité en raison de leurs actes (B).
Pourtant, les bénéficiaires de cette protection juridique peuvent perdre leur immunité,
en raison de la gravité de leur faute. Ce faisant, en prenant en considération la faute des
auteurs pour les priver d’une immunité, la responsabilité contient une dimension
dissuasive.
A.- La faute de l’auteur exclusive d’immunité civile
La faute prive son auteur de l’immunité qui le protège dans le cadre de ses
fonctions15 ou en raison du cadre de son exercice16. Dans ce cas, la faute traduit un
comportement dont l’objet ou l’excès est incompatible avec les fonctions de son auteur,
si bien que la protection que sa profession lui confère n’a plus lieu d’être. Si le salarié
bénéficie d’une immunité conférée par son employeur, la personne morale confère à
plusieurs parties prenantes des sociétés une forme d’immunité dont leur faute peut les
priver.
15 Conv. de Vienne, 18 avr. 1961, art. 31.
16 L’immunité judiciaire prévue par l’article 41, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
dispose que : « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu
fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les
tribunaux ». La Cour de cassation lui a toujours reconnu une fonction primordiale : garantir la liberté
d’expression et d’argumentation des avocats pour la défense de leurs clients, dans leurs plaidoiries et leurs
conclusions. Cf. Cass. crim., 14 novembre 2006, no 06-83.120, F-P+F, Bull. crim., no 283 ; Cass. crim.,
8 juin 999, no 96-82519, PB, Bull. crim., no 127.
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1.- Le salarié fautif est privé de la responsabilité de son employeur
En principe, l’employeur est responsable de plein droit des fautes commises par son
salarié17. Le salarié est donc exonéré de toute responsabilité18. Si le salarié commet la
faute dans le cadre de son travail, le commettant est systématiquement responsable
quelle que soit la gravité de la faute du salarié19. La victime ne peut pas engager la
responsabilité personnelle du salarié, pas plus qu’elle ne peut cumuler les deux
responsabilités20.
Cependant, la gravité de la faute du salarié va le priver de cette immunité. D’une
part, lorsque sa faute est constitutive d’un abus de fonction. Dans ce cas, il a agi hors des
fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses
attributions21.
D’autre part, alors même que le salarié a agi dans le cadre de ses fonctions, la gravité
de sa faute le prive de son immunité et fonde sa responsabilité personnelle pour faute.
Ainsi, le préposé qui commet une infraction pénale intentionnelle – qu’il soit déjà
condamné22 ou non23 – ou une faute civile intentionnelle24.
Dans la même logique, le préposé, titulaire d’une délégation de pouvoir, est
responsable de la faute d’imprudence25 ou de la violation, de façon manifestement
délibérée, d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité qu’il a commise26
dans le cadre de ses fonctions.
17 C. civ., art. 1244 al. 5.
18 Cass. crim., 27 mai 2014, no 13-80.849.
19 Cass. ass. plén., 25 févr. 2000, no 97-17.378, no 97-20.152 : Cass. civ. 2e, 12 mai 2011, FS-P+B, no 10-20.590,
concernant des faits de violence ; Cass. civ. 2e, 17 mars 2011, no 10-14.468, Bull. 2011, II, no 69, concernant
des faits de pédophilie ; Cass. crim., 16 févr. 1999, no 96-86.225, Bull. crim., 1999 no 23 p. 53, concernant
des faits de vol.
20 Cass. civ. 2e, 28 mai 2009, no 08-13.310, Bull. 2009, II, no 128 ; Cass. crim., 27 mai 2014, no 13-80.849, Bull.
crim., 2014, no 137.
21 Cass. civ. 2e, 12 mai 2011, FS-P+B, no 10-20.590.
22 Cass. ass. plén., 14 déc. 2001, no 00-82.066 ; Cass. crim., 11 sept. 2018, no 16-84.059 ; Cass. crim.,
10 avr. 2002, no 00-82.029, concernant des faits d’escroquerie.
23 Cass. crim., 7 avr. 2004, no 03-86.203. En l’espèce, le tribunal, saisi de la seule action civile, a déclaré
l’infraction constituée en tous ses éléments et n’a prononcé contre lui aucune condamnation pénale.
24 Cass. civ. 2e, 20 déc. 2007, no 07-13.403.
25 Au sens de l’article L. 121-3 du Code pénal : « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise
en danger délibérée de la personne d’autrui. Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute
d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par
la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte
tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du
pouvoir et des moyens dont il disposait. »
26 Cass. crim., 28 mars 2006, no 05-82.975 ; Cass. crim., 12 nov. 2008, no 08-80.681 ; adde CA Douai,
29 nov. 2012, no 11/04237 ; Cass. crim., 13 mars 2007, no 06-85.422.
REVUE JURIDIQUE DE LA SORBONNE – SORBONNE LAW REVIEW
Juin 2021, n° 3
88
2.- Les parties prenantes d’une société, fautives, sont privées de l’immunité fondée sur
l’autonomie de la personne morale
En principe, en application de la théorie de la représentation, la personne morale
fait écran entre le dirigeant et les tiers27. La personnalité morale autonome d’une société
concentre exclusivement la responsabilité liée à son activité. Il existe au profit de ces
parties prenantes une forme d’immunité assurée par la société. La société assume la
responsabilité, du fait de ses organes comme son représentant légal agissant au nom de
la société et dans le cadre de ses fonctions.
Pourtant, lorsque les parties prenantes de cette société – dirigeant, liquidateur,
actionnaire – causent un préjudice à raison de leur faute d’une certaine gravité, la
personnalité morale de la société s’efface au profit de leur propre personnalité juridique.
D’abord, la chambre sociale de la Cour de cassation a admis, sur le fondement de
l’article 1240 du Code civil, que des salariés engagent une action en responsabilité
extracontractuelle à l’encontre d’une société qui n’est pas leur employeur si celle-ci a
commis des manquements ayant contribué à la dégradation des résultats de leur
employeur et aux licenciements qu’ils ont subis28.
Dans la même logique, la responsabilité de la société mère peut être engagée du fait
de la perte d’emploi de plusieurs salariés, dès lors qu’elle a commis un ensemble
d’agissements préjudiciables à la filiale et imputables à la société mère, qui a privilégié
systématiquement son propre intérêt. La faute a ainsi consisté en la contribution de la
filiale au groupe, au-delà de ses moyens financiers, au transfert gratuit d’une licence à
une autre société du groupe, à une garantie immobilière au profit d’une autre société,
vente d’un stock faisant l’objet d’un droit de rétention, factures partiellement acquittées
par les autres sociétés du groupe pour les services rendus par la filiale29.
À cet égard, la Cour de cassation fait référence à la seule faute et non pas à la légèreté
blâmable30. Il ne peut, en revanche, s’agir « seulement » de l’absence de concours de la
société mère : son refus de financer à perte un plan sauvegarde de l’emploi (PSE), ou son
abstention à mettre en place une stratégie industrielle et commerciale ou une politique
de gestion des ressources humaines, de nature à prévenir la dégradation de la situation
économique de sa filiale, ne suffisent pas à engager sa responsabilité31.
27 F. DANOS, « La réparation du préjudice individuel de l’actionnaire », RJDA, 5/2008, chron., no 29.
28 Cass. soc., 28 sept. 2010, no 09- 41.243 F-D : RJS 12/10, n 897 ; Cass. soc., 8 juil. 2014, n 13-15.573 FS-PB et
no 13-15.845 FS-D : RJS 10/14, no 676 ; Cass. soc., 8 juil. 2014, no 13-15.470 FS-PB : RJS 10/14, no 703.
29 Cass. soc., 24 mai 2018, no 16-18.621, PB. Cass. soc., 24 mai 2018, no 16-22.881, PB ; Cass. soc., 13 juin 2018,
no 16-25.873, PB.
30 Cass. soc., 8 juil. 2014, no 13-15.573 FS-PB et no 13-15.845 FS-D : RJS 10/14, no 676.
31 Cass. soc., 24 mai 2018, no 16-18.621.
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Ensuite, un associé engage sa responsabilité personnelle à l’égard des tiers de la
société s’il commet une faute intentionnelle d’une particulière gravité, incompatible
avec l’exercice normal des prérogatives attachées à sa qualité d’associé32.
Par exemple, la responsabilité délictuelle d’actionnaires majoritaires a pu être
engagée en raison du vote d’une augmentation de capital réalisée en fraude des droits
des minoritaires33.
Enfin, à l’égard des tiers, la société est en principe responsable du fait des fautes
commises par le dirigeant qui en est le mandataire social et qui la représente. La
responsabilité des dirigeants ne peut être engagée que s’ils ont commis une faute
séparable de leurs fonctions et qui leur soit imputable personnellement34. Il en est ainsi
lorsque le dirigeant commet, intentionnellement, une faute d’une particulière gravité,
incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales35.
La responsabilité personnelle du dirigeant peut être retenue même s’il n’a pas
excédé les limites de ses attributions36.
À défaut d’établir l’existence d’une faute séparable, le tiers ne peut obtenir
réparation de son préjudice qu’en agissant en responsabilité contre la société. Seule cette
dernière peut être tenue de réparer le dommage causé par elle, du fait, par exemple, de
la non-exécution de ses obligations contractuelles37.
Dans ce cas, c’est la particulière gravité de la faute qui prive le dirigeant de
l’exonération de sa responsabilité assumée par la société.
B.- La faute de l’auteur exclusive des causes d’exonération
La responsabilité civile délictuelle revêt aussi un caractère dissuasif en ce qu’elle
prive l’auteur d’un dommage de cause d’exonération fondée sur la faute de la victime ou
sur la force majeure.
32 Cass. com., 18 févr. 2014, no 12-29.752, Bull. 2014, IV, no 40.
33 Cass. com., 30 sept. 2020, no 18-22.076. J.-F. HAMELIN, « La dilution frauduleuse d’un minoritaire par les
majoritaires, comme un parfum d’abus… ? », LEDC, déc. 2020, no 113p4, p. 6 ; E. GUEGAN, « La collusion
frauduleuse des actionnaires, source de responsabilité civile », BJS, déc. 2020, no 121p0, p. 22 ;
X. LEMARECHAL, « La collusion frauduleuse des associés majoritaires au détriment d’un associé minoritaire
constitue une faute engageant leur responsabilité civile », Gaz. Pal., 15 déc. 2020, no 392q7, p. 75 ;
« Apport : caractérisation de la collusion frauduleuse des associés majoritaires au détriment d’un associé
minoritaire », Defrénois flash, 21 oct. 2020, no 158g1, p. 12.
34 Cass. com., 27 janv. 1998, no 313 : RJDA, 5/98 no 610 ; Cass. com., 12 janv. 1999, no 91 : RJDA, 3/99 no 301 ;
Cass. com., 20 mai 2003, no 851.
35 Cass. com., 20 mai 2003, no 851 ; Cass. com., 7 juil. 2004, no 1158 ; Cass. com., 18 sept. 2019, no 16-26.962,
PB, concernant une faute pénale intentionnelle.
36 Cass. com., 10 fév. 2009, no 07-20.445 ; Cass. com., 18 juin 2013, no 12-17.195 ; Cass. com., 10 fév. 2009,
no 07-20.445, F-PB, Sté de gestion Pierre Cardin c/ Lucky : RJDA, 5/09, no 445 ; Cass. com., 18 fév. 2013,
no 12-17.195 F-D, Sté Étoiles de nuit c/ Le Goff : RJDA, 12/13, no 1022.
37 Cass. com., 21 oct. 2008, no 07-18.310.
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1.- La faute inexcusable de l’employeur exclusive de l’exonération à raison de la faute de la
victime
Dès lors que l’employeur a commis une faute inexcusable, il ne peut pas se prévaloir
de la faute du salarié pour réduire l’indemnisation qui lui est due.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-
ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies
professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés dans
l’entreprise ; le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable38,
lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le
salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver39 et notamment les
mesures de prévention nécessaires pour éviter le dommage40.
Si le salarié a commis une faute, cela ne fait en aucun cas obstacle à son
indemnisation. Ainsi, peu importe que la faute inexcusable commise par l’employeur ait
été la cause déterminante de l’accident du travail survenu à un salarié ; il suffit qu’elle
en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors
même que d’autres fautes, dont celle de la victime, auraient concouru au dommage41.
La jurisprudence rappelle, ainsi, que la faute de la victime n’a pas pour effet
d’exonérer l’employeur de la responsabilité encourue en raison de sa faute inexcusable,
seule la propre faute inexcusable commise par le salarié42 – c’est-à-dire une faute d’une
exceptionnelle gravité, exposant sans raison son auteur à un danger dont il aurait dû
avoir connaissance – pouvant permettre une réduction de la rente et non sa
suppression43.
2.- La faute de l’auteur du dommage exclusive de l’exonération fondée sur la force majeure
La jurisprudence prive la SNCF du bénéfice exonératoire de la force majeure, dans
la mesure où les manquements en matière de prévention neutralisent le critère
d’imprévisibilité permettant de caractériser la force majeure.
38 Au sens de l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale.
39 Cass. soc., 28 févr. 2002, no 99-17201, no 99-21255, no 99-18839 : Bull. civ. V, no 81 ; Dr. ouvrier, 2002,
p. 166, note F. MEYER ; D. 2002, p. 2696, note X. PRETOT ; Dr. soc., 2002, p. 445, note A. LYON CAEN ; et
étendue aux accidents du travail Cass. soc., 11 avr. 2002, no 00-16535, Bull. civ. V, no 81.
40 Cass. civ. 2e, 8 oct. 2020, no 18-26.677, PB ; Cass. civ. 2e, 8 oct. 2020, no 18-25.021, PB.
41 Cass. ass. plén., 24 juin 2005, no 03-30.038, Bull. 2005 Ass. plén. no 7, p. 16 ; Cass. soc., 31 oct. 2002, Bull.
2002, V, no 336, pourvoi no 00-18.359 ; Cass. soc., 19 déc. 2002, Bulletin 2002, V, no 400 (2), p. 394 ;
Cass. 2e civ., 27 janv. 2004, Bulletin 2004, II, no 25, p. 20.
42 Au sens de l’article L. 453-1 du Code de la sécurité sociale.
43 CA Toulouse, 4e ch. sect. 3 : 6 mars 2020, no 19/04002 ; 25 oct. 2019, no 18/02463 ; 5 juill. 2019,
no 18/01501 ; 24 mai 2019, no 15/05988 ; 28 sept. 2018, no 16/01588.
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La jurisprudence a pu considérer que :
« Le transporteur est tenu à une obligation de sécurité de résultat envers le voyageur à partir
du moment où celui-ci commence à monter dans le véhicule, jusqu’au moment où il achève
d’en descendre et ne peut s’en exonérer totalement que par la preuve d’une faute exclusive de
la victime présentant les caractères de la force majeure, ou d’un fait imprévisible et irrésistible
à l’origine exclusive du dommage.
Une telle preuve n’est pas rapportée dans l’hypothèse d’un accident survenu à la suite de
l’ouverture d’une portière par un tiers, ce qui aurait pu être évité par la mise en place d’un
système approprié interdisant cette ouverture pendant la marche du train »44.
La Cour de cassation a, à plusieurs reprises, censuré les décisions qui avaient retenu,
pour exonérer la SNCF des conséquences d’une chute, qu’un système de fermeture
absolue des portières n’était pas exigé par la réglementation45 ou qu’il n’était pas
démontré que la SNCF avait l’obligation d’installer sur ce type de train un système de
verrouillage empêchant l’ouverture des portes avant l’arrêt complet46. Un arrêt a même
relevé, pour écarter la force majeure, que l’accident « aurait pu être évité par la mise en
place d’un système approprié, interdisant l’ouverture des portières pendant la marche du
train »47. Plus généralement, la circonstance qu’une précaution ne soit pas imposée par
la réglementation n’est pas de nature à dispenser de la prendre, dès lors que la prudence
l’impose48.
Cette position de la Cour de cassation est conforme à la logique de la CEDH, qui
considère que vu le nombre important et la gravité des manquements aux prescriptions
de sécurité observées dans la présente affaire, la Cour n’estime pas que les autorités
nationales puissent légitimement se retrancher derrière l’imprudence des victimes.
Celles-ci n’ont pas pris les mesures de sécurité les plus élémentaires susceptibles de
préserver la vie des proches des requérants. L’État a manqué ainsi à son obligation
positive de mettre en œuvre une réglementation visant à protéger la vie des voyageurs49.
En somme, le défaut de précaution rend prévisible la survenance du dommage,
neutralisant dès lors le critère d’imprévisibilité de la force majeure.
C’est la logique retenue par la jurisprudence en matière de pollution de l’eau.
La réalisation du risque de pollution, engendré par le défaut de mesures jugées trop
coûteuses par le fournisseur, était prévisible. La force majeure n’est donc pas constituée.
La Cour de cassation et les juges du fond ont ainsi reconnu la responsabilité des
distributeurs d’eau potable pour avoir délivré à un contractant une eau impropre à la
44 Cass. civ. 1re, 21 oct. 1997, no 95-19.136, Bull. 1997 I, no 288, p. 194.
45 Cass. civ. 2e, 27 févr. 2003, P. JOURDAIN, note D. 2006, 1577 et obs. RTD civ., 2006, 775 ; P. BRUN, obs. D.
2006, Somm. 1933.
46 Cass. civ. 2e, 15 mars 2001, P. JOURDAIN, note D. 2006, 1577.
47 Cass. civ. 1re, 21 oct. 1997, op. cit.
48 V. not. P. JOURDAIN, obs. RTD civ., 2001, 376 ; F. CHABAS, note Gaz. Pal., 2002, p. 1761.
49 CEDH (2e sect.), Aff. Kalender c/ Turquie, 15 décembre 2009, 4314/02.
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consommation courante, en raison du taux de nitrates et de pesticides. Dans chacune
des affaires, le distributeur d’eau potable invoquait la force majeure comme cause
d’exonération de son obligation contractuelle de résultat.
La Cour de cassation constate l’absence d’événement imprévisible et irrésistible
constitutif d’un cas de force majeure, le débiteur d’eau potable ayant estimé
considérables le coût et l’ampleur des travaux permettant d’assainir l’eau50.
II.- L’influence de la faute sur le droit à réparation de son auteur
La gravité de la faute peut influer sur la fonction réparatrice de la responsabilité, dès
lors que la victime commet une faute d’une certaine gravité. La victime fautive se voit
tantôt privée d’indemnisation, tantôt sa réparation est réduite.
A.- La gravité de la faute de la victime, cause d’exclusion de son indemnisation
En premier lieu, à titre de sanction de son comportement fautif, le processus
d’indemnisation d’un assuré est exclu dès lors qu’il a commis les fautes les plus graves.
Ainsi, le droit des assurances exclut le droit à réparation, en cas de faute dolosive.
L’assuré se voit privé de son droit à garantie, en cas de faute intentionnelle ou de faute
dolosive51.
D’une part, le comportement qui a pour effet de rendre inéluctable la réalisation du
dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque, constitue une
faute dolosive excluant la garantie de l’assureur52.
D’autre part, la faute intentionnelle implique que l’assuré a voulu non seulement
l’action ou l’omission génératrice du dommage, mais encore le dommage lui-même53.
Ce qui est sanctionné est la volonté d’influencer l’aléa attaché à la couverture du
risque, en le faisant disparaître ou en le faussant54.
50 Cass. civ. 1re, 30 mai 2006, no 03-16.335, Bull. 2006 I, no 279, p. 244 ; Cass. civ. 2e, 15 juin 1972, no 71-10.368,
Bull. civ. II, n. 187, p. 151.
51 L’article L. 113-1 al. 1er du Code des assurances dispose que : « Les pertes et les dommages occasionnés par
des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et
limitée contenue dans la police ». L’article L. 113-1 al. 2 du Code des assurances dispose que « l’assureur ne
répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ».
52 Cass. civ. 2e, 25 oct. 2018, F-P+B, no 16-23.103 ; Cass. civ. 2e, 12 sept. 2013, no 12-24.650 ; Cass. civ. 2e,
28 fév. 2013, no 12-12.813 ; Cass. civ. 2e, 14 juin 2012, no 11-17.367 ; Cass. civ. 2e, 30 juin 2011, no 10-23.004 ;
Cass. civ. 2e, 28 févr. 2013, no 12-12813, PB : RDC, 2013, p. 1435, note F. LEDUC ; D. BAKOUCHE, « La faute
dolosive exclusive de garantie », Resp. civ. et assur., 2013, étude 8, no 9 ; F. LEDUC, « Faute de l’assuré
excluant l’aléa : autonomie de la faute dolosive (suite) », RDC, 2014, no 110k5, p. 239.
53 Cass. civ. 1re, 4 juin 1991, no 88-18.097, Bull. 1991 I, no 174, p. 115 ; Cass. civ. 1re, 19 déc. 1989, Bull. 1989, I,
no 395, CA Versailles, 12e ch., 15 sept. 2015, no 13/06160. Cass. civ. 1re, 16 juin 1987, no 84-14.762, Bull. 1987 I,
no 194, p. 143. Cass. civ. 2e, 18 oct. 2012, no 11-13084, Resp. civ. et assur., 2013, comm. no 36, note H. GROUTEL ;
RGDA, 2013, p. 59, note J.-P. KARILA ; Cass. civ. 1re, 15 janv. 1985, no 83-14742 : Bull. civ., I, no 20 : « Mais
attendu que la cour d’appel a justement estimé que, dans une assurance de chose, telle que l’assurance-
incendie, la faute intentionnelle devait s’apprécier à l’égard de l’assureur » ; Cass. civ. 1re, 11 oct. 1994, no 93-
11295 : Bull. civ., I, no 277.
54 Cass. civ. 2e, 14 juin 2012, no 11-17.367 ; Cass. civ. 2e, 30 juin 2011, no 10-23.004.
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Dans la même logique, la victime d’accident de la circulation peut aussi voir son
droit à réparation neutralisé par la sanction de sa faute. En effet, la victime non-
conductrice est indemnisée des dommages qu'elle a subis, sans que puisse lui être
opposée sa propre faute. Cependant, sa faute inexcusable pourra lui être opposée si elle
a été la cause exclusive de l'accident55. La Cour de cassation la définit comme la « faute
volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un
danger dont il aurait dû avoir conscience »56.
Pour autant, les victimes « surprivilégiées »57 sont, dans tous les cas, indemnisées
des dommages résultant des atteintes à leur personne qu’elles ont subis.
Toutefois, la victime n’est pas indemnisée par l’auteur de l’accident des dommages
résultant des atteintes à sa personne, lorsqu’elle a volontairement recherché le dommage
qu’elle a subi58.
La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de
limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis59.
Les juges doivent examiner dans quelle mesure la faute a contribué à l’accident ; car
il peut y avoir une faute qui n’a pas contribué à l’accident ; ou bien encore une faute qui
y contribue de manière importante. Il faut donc apporter cette nuance dans
l’appréciation des faits.
Or, le comportement de l’autre conducteur n’a pas à être pris en compte.
« Les juges devaient, abstraction faite du comportement de l’autre conducteur dont le véhicule
était impliqué dans l’accident, rechercher si le conducteur avait commis une faute qui était de
nature à limiter ou à exclure son droit à indemnisation »60.
Ainsi, le fait que le défendeur n’ait commis aucune faute n’implique pas la privation
totale et automatique de l’indemnisation du conducteur.
Le juge doit apprécier dans quelle mesure la faute a contribué à la réalisation du
dommage « lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation,
chaque conducteur a droit à l’indemnisation des dommages qu’il a subis, directement ou
par ricochet, sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice ;
il appartient alors au juge d’apprécier souverainement si cette faute a pour effet de limiter
l’indemnisation ou de l’exclure ».
55 L. n° 85-677, 5 juil. 1985, art. 3, al. 1er ; Cass. civ. 2ème, 28 mars 2019, n° 18-15.168 ; Cass. civ. 2ème, 28 mars
2019, nos18-14.125 et 18-15.855.
56 Cass., ass. plén., 10 nov. 1995, n° 94-13.912.
57 Loi no 85-677, 5 juil. 1985, art. 3, al. 2 : « les victimes surprivilégiées sont âgées de moins de seize ans ou
de plus de soixante-dix ans, ou lorsque, quel que soit leur âge, elles sont titulaires, au moment de
l’accident, d’un titre leur reconnaissant un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à
80 %. »
58 Ibid., art. 3, al. 3.
59 Ibid., art. 4.
60 Cass. civ. 2e, 11 juil. 2002, no 00-22445, Cass. crim., 3 mai 2017, no 16-84485.
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La jurisprudence analyse chaque situation, au cas par cas, pour réduire61 voire
supprimer62 le droit à réparation du conducteur fautif. La Cour applique le principe de
proportionnalité entre la gravité de la faute et le dommage.
Ainsi, la faute de victime peut exclure son indemnisation. Dans une logique binaire,
la qualification de telle faute, caractérisée par sa gravité, vient exclure l’indemnisation.
Pour autant, cette logique binaire est atténuée lorsque la faute de la victime vient
seulement limiter sa réparation.
B.- La faute de la victime, cause de limitation de son indemnisation
Le salarié qui subit un accident résultant de sa faute intentionnelle ou de sa faute
inexcusable perd en toute ou partie son indemnisation63.
En matière de transport ferroviaire, la faute du passager d’un train va réduire son
droit à réparation.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 décembre 201964 considère qu’en
application du droit communautaire, la faute de la victime est exonératoire de
responsabilité pour le transporteur (la SNCF) dans le cadre d’un trajet national.
Avant l’arrêt du 11 décembre 2019, les juges du fond avaient déjà exonéré le
transporteur ferroviaire de sa responsabilité en raison de la faute de la victime65. Les
juges du fond ont ainsi modulé le droit à réparation de la victime, en fonction de la
gravité de la faute ayant concouru à son dommage.
D’une part, les juges du fond avaient exonéré le transporteur, en raison d’une faute
d’imprudence et d’inattention de la victime66.
La jurisprudence retient la faute d’inattention et le défaut de vigilance manifeste de
la victime, qui a chuté en étant dans un état d’imprégnation alcoolique avéré. Les juges
ne manquent pas de caractériser le rôle causal important de la faute dans la réalisation
de son dommage67.
D’autre part, les juges du fond ont pu retenir l’exonération du transporteur en cas
de comportement dangereux et déraisonnable de la victime.
61 Cass. civ. 2e, 28 mai 2009, no 08-16672, concernant un excès de vitesse ; Cass. crim., 18 nov. 2014,
no 13- 85391, concernant un excès de vitesse et une faute d’inattention par mauvais temps.
62 Cass. civ. 2e, 7 oct. 2010, no 09-11259, concernant le non-respect d’un panneau cédé le passage ;
Cass. civ. 2e, 9 juill. 2009, no 08-10483, concernant un dépassement interdit d’une file de voiture à l’arrêt ;
Cass. civ. 2e, 3 sept. 2009, no 08-18298, concernant un conducteur roulant en sens inverse.
63 Art. 453-1, C. séc. soc.
64 Cass. civ. 1re, 11 déc. 2019, no 18-13.840, PB.
65 CA Paris, pôle 2, ch. 3, 25 sept. 2019, no 17/16119 ; CA Poitiers, 8 avr. 2016, no 14/04688 ; CA Douai, 3e ch.,
22 juin 2017, no 16/03119 ; CA Paris, pôle 2, ch. 3, 12 mars 2018 / no 2018/45, RATP ; CA Versailles, ch. 3,
26 juin 2008, no 07/05533.
66 CA Paris, pôle 2, ch. 3, 25 sept. 2019, no 17/16119. En l’espèce le transporteur ne démontre pas la faute
d’inattention de la victime. CA Poitiers, 8 avr. 2016, no 14/04688 ; CA Douai, 3e ch., 22 juin 2017,
no 16/03119 ; CA Paris, 14 sept. 2015, no 14/07264.
67 CA Versailles, ch. 3, 26 juin 2008, no 07/05533.
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La cour d’appel de Paris68 a réduit le droit à réparation de la victime en retenant la
faute de la victime : le comportement prohibé et d’une particulière dangerosité caractérise
une faute d’imprudence grave, à savoir tenter de monter dans un train en marche, portes
fermées, en état d’alcoolémie important.
Partie 2.– L’influence de la gravité de la faute
sur la progressivité de la sanction délictuelle
Le système actuel de responsabilité civile délictuelle est fondé sur le principe de
réparation intégrale du dommage.
Ce principe constitue, malgré lui, un plafond aux conséquences pécuniaires de la
responsabilité de l’auteur du fait dommageable. Il n’existe pas, en droit civil, de sanction
pécuniaire cumulée à la réparation du dommage.
Dès lors, ce principe cantonne le risque auquel s’expose l’auteur en commettant une
faute civile, et ce, quelles que soient la nature et la gravité de sa faute.
Le fautif intentionnel sera traité de la même manière que l’auteur d’un quasi-délit.
Il existe donc une rupture d’égalité de l’auteur du dommage qui est sanctionné de
la même manière, indépendamment de la gravité de sa faute.
Sans remettre en cause le principe de réparation intégrale du dommage, la mise en
œuvre du principe de proportionnalité permettrait d’adapter les conséquences
pécuniaires de la faute dues par l’auteur à la gravité de sa faute : d’une part, la sanction
plancher reste l’indemnisation intégrale du dommage (I). D’autre part, la sanction peut
être aggravée par le recours à des pénalités financières supplémentaires fondées sur la
gravité de la faute (II).
I.- Une influence limitée par le principe de réparation intégrale du préjudice
L’influence de la gravité de la faute est fondée sur le principe de proportionnalité. A
priori, plus la faute sera grave, plus les conséquences pour son auteur seront lourdes (A).
Pourtant, cette logique n’est pas évidente concernant les conséquences pécuniaires
du fait dommageable. En effet, dès lors que ces conséquences sont qualifiées
d’indemnité, l’application du principe de réparation intégrale du dommage constitue un
plafond limitant le jeu du principe de proportionnalité (B).
A.- L’influence de la gravité de la faute fondée sur le principe de proportionnalité
Plus la faute sera grave, plus la peine sera lourde. Le principe de proportionnalité
vient assurer l’égalité du responsable quant à la gravité de sa faute. Cette égalité est
altérée par le « plafonnement » de l’indemnisation dont bénéficie l’auteur des fautes les
plus graves.
68 CA Paris, pôle 2, ch. 2, 14 mars 2019, no 16/02225 ; CA Paris, pôle 2, ch. 3, 12 mars 2018, no 2018/45 RATP.
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L’application du principe de proportionnalité permet de sanctionner le fautif au-
delà de la seule réparation du dommage et donc de dépasser ce seuil. L’objectif est de
neutraliser l’économie de la faute lucrative spéculative, selon laquelle l’acteur juridique
décide de transgresser les normes car cette transgression est rentable pour lui. Dans
cette logique, la responsabilité civile revêt un caractère punitif.
En matière d’appréciation de la faute et de ses conséquences, la jurisprudence fait
déjà application du principe de proportionnalité pour sanctionner la faute.
D’abord, le principe de proportionnalité69 est appliqué pour sanctionner la faute des
dirigeants de société en procédure collective70. La jurisprudence doit vérifier l’influence
de la faute de gestion du dirigeant dans la génération du passif de la société, dans le
cadre de l’interdiction de gérer71 ou de faillite personnelle72.
Toutefois, le principe de proportionnalité ne s’applique pas en matière d’action en
comblement de passif qui n’est pas considérée comme une sanction73, contrairement à
la faillite personnelle74.
Pour autant, l’application du principe de proportionnalité s’étend à d’autres
domaines du droit dont il était, jusqu’alors, exclu. En droit des biens, l’empiétement
réalisé sur l’assiette d’une servitude conventionnelle de passage ne peut être démoli sans
rechercher, au préalable, si cette mesure n’est pas disproportionnée au regard du droit
au respect du domicile invoqué par son propriétaire75. Traditionnellement, que l’auteur
de l’empiétement soit de bonne foi ou que l’empiétement soit minime, la jurisprudence
fait prévaloir le droit de propriété sur tout autre droit pour ordonner la démolition pour
empiétement76. La Cour a progressivement assoupli sa position en prenant en
69 Décision no 89-260 DC du 28 juillet 1989, Loi relative à la sécurité et à la transparence du marché
financier, cons. 22 ; Décision no 2014-415 DC ; Cons. const., 7 mars 2014, no 2013-371 QPC ; Cons. const.,
24 juin 2016, no 2016-545 QPC ; Cons. const., 24 juin 2016, no 2016-546 QPC ; Cons. const., 18 mars 2015,
no 2014453_454 QPCET ; Cons. const., 4 déc. 2013, no 2013-679 DC ; Cons. const., 22 juill. 2016, no 2016-556
QPC ; Cons. const., 23 nov. 2018, no 2018-745 QPC ; Cons. const., 1er juill. 2016, no 2016-550 QPC.
70 Décision no 2016-570 QPC du 29 septembre 2016.
71 Cass. com., 17 avr. 2019, no 18-11.685, RJDA 8-9/19, no 584. Aux termes de l’article L. 651-2 du Code de
commerce, en cas de liquidation judiciaire d’une personne morale faisant apparaître une insuffisance
d’actif, « le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider
que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de
droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion » ; Cass. com., 14 juin 2017,
no 15-27.851.
72 Cass. com., 16 janv. 2019, no 17-25.778 ; Cass. com., 12 juin 2019, no 16-25.025 ; Cass. com., 28 févr. 2018,
no 16-27.591 ; Cass. com., 1er déc. 2009, no 08-17.187, Bull. 2009, IV, no 155.
73 Cass. crim. QPC 11-9-2019 no 19-90.026 F-D. L’action en comblement de passif n’est pas considérée
comme une sanction, au sens de l’article 8 de la déclaration des DHC : DC 26 septembre 2014.
74 Cons. const., 29 sept. 2016, no 2016-570 QPC et no 2016-573 QPC : RJDA, 1/17, no 40.
75 Cass. civ. 3e, 19 déc. 2019, no 18-25113, FS-PBI. En l’espèce, les propriétaires d’un fonds servant avaient fait
construire une maison d’habitation empiétant sur l’assiette d’une servitude de passage. Les propriétaires
du fonds dominant, qui bénéficiaient de cette servitude conventionnelle depuis près de trente ans, les ont
assignés en démolition de la construction et en suppression de tous les équipements et plantations
obérant la servitude.
76 Cass. civ. 3e, 14 mars 1973, no 72-11752 ; Cass. civ. 3e, 26 juin 1979, no 78-10567.
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considération l’ampleur de l’empiétement77 ou encore ses effets limités78 pour écarter
une démolition systématique. Ce faisant, la Cour a introduit récemment la nécessité
d’opérer un contrôle de proportionnalité en ce domaine79.
Si le principe de proportionnalité est appliqué dans certains domaines pour adapter
la sanction, le principe de réparation intégrale du dommage vient limiter le jeu de cette
proportionnalité.
B.- La limitation de la proportionnalité par le principe de réparation intégrale du
dommage
La réparation du préjudice doit effectivement être intégrale c’est-à-dire que la
victime doit être replacée dans l’état où elle se serait trouvée si le dommage n’était pas
survenu. Il y a donc une équivalence entre le dommage et la réparation. Le responsable
doit certes réparer tout le dommage qu’il a causé80, mais rien que ce dommage. Ainsi, la
victime ne doit pas subir de perte, mais ne doit pas non plus faire de profit par le jeu de
la réparation81.
Ce principe constitue, malgré lui, un plafond aux conséquences pécuniaires de la
responsabilité du l’auteur. Il n’existe pas, en droit civil, de sanction pécuniaire
supplémentaire à la réparation du dommage.
Dès lors, ce principe cantonne le risque auquel s’expose l’auteur en commettant une
faute civile, et ce, quelle que soit sa faute.
Du point de vue de la réparation du dommage, le fautif intentionnel sera sanctionné
de la même manière que l’auteur d’un quasi-délit. En conséquence, la « sanction » à
laquelle il est exposé, la réparation du dommage causé, n’est pas dissuasive. L’auteur
d’une faute grave, voire intentionnelle, n’est absolument pas dissuadé par les
conséquences pécuniaires de sa faute puisque l’indemnité qu’il devra payer sera
déterminée par l’étendue du préjudice et non par la gravité de sa faute.
Ainsi, le principe de réparation intégrale du dommage est contreproductif. Il
protège l’auteur du fait dommageable qui voit les conséquences pécuniaires de sa faute
plafonnées.
77 Cass. civ. 3e, 23 juin 2015, no 14-11870.
78 Cass. civ. 3e, 14 janv. 2016, no 14-20247.
79 Cass. civ. 3e, 10 nov. 2016, no 15-25113 ; Cass. civ. 3e, 19 déc. 2019, no 18-25113, FS–PBI.
80 Cass. civ. 2e, 20 décembre 1966, N. 979, D. 1967, p. 670, note M. LE ROY ; Cass. civ. 2e, 24 mai 1976, no 75-
10.353, Bull. civ. II, n. 174, p. 135. Cass. civ. 3e, 21 nov. 2019, no 18-18.826 ; Cass. civ. 3e, 16 mai 2019, no 18-
14.477 ; Cass. civ. 3e, 18 avr. 2019, no 17-26.768.
81 CA Versailles, 16e ch., 19 mars 2020, no 19/05427 suite à Cass. civ. 1re, 22 mai 2019, no 18-13.246 ; CA Paris,
pôle 2, ch. 2, 12 mars 2020, no 18/02931 ; Cass. civ. 3e, 30 janv. 2020, no 19-10.176, PB ; Cass. civ. 3e,
23 janv. 2020, no 18-21.357 ; Cass. crim., 17 déc. 2019, no 19-80.298 ; Cass. soc., 4 déc. 2019, no 18-16.937 ;
Cass. civ. 3e, 21 nov. 2019, no 18-23.081.
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C’est d’ailleurs pourquoi les juges du fonds peuvent utiliser leurs pouvoirs
souverains82 d’appréciation du préjudice pour surévaluer les dommages et intérêts83 afin
de prendre en compte la gravité de la faute de l’auteur84.
Cette pratique dénature le principe de réparation intégrale du dommage et de sa
fonction exclusivement indemnitaire85. Il apparaît donc opportun de qualifier les
conséquences de la faute de sanction pour quitter le domaine de l’indemnisation86.
L’avantage est d’appliquer le principe de proportionnalité, sans limite, seul mécanisme
à même de dissuader l’auteur du fait dommageable.
II.- Une influence libérée par la mise en œuvre d’une « sanction » délictuelle
Le caractère dissuasif de la fonction punitive de la responsabilité s’infère du libre jeu
du principe de proportionnalité qui doit adapter la sanction à la gravité de la faute sans
que son amplitude soit entravée.
Dans une logique dissuasive, l’enjeu est alors de reconnaître une sanction
délictuelle87 qui, cumulativement à l’indemnité, vient sanctionner l’auteur de la faute
(A) de manière proportionnelle à la gravité de sa faute (B).
A.- Contours de la sanction délictuelle
L’opportunité de consacrer une sanction délictuelle pour moduler en amont le
comportement des acteurs juridiques est évidente tant ses vertus préventives sont
réelles. Cette sanction peut prendre deux formes. D’un côté, avant la consécration légale
de l’amende légale (2), la jurisprudence a pu étendre le champ d’application de la
responsabilité par le recours à la solidarité, dans une logique a priori punitive (1).
82 Cass. civ. 1ère, 23 mai 1911, DP 1912. 1. 421
83 L. MAZEAUD et A. TUNC, Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et contractuelle,
t. III, éd. Montchrétien 1960, n° 2365. Les auteurs considèrent que les juges « chiffrent le dommage en
pesant la faute ».
84 Cass. civ. 1ère, 3 janvier 2006, 04-11016, concernant l’allocation de 100 000 euros de dommage et intérêt
en réparation du préjudice résultat des circonstances d’une rupture de concubinage ; contra CA Colmar,
ch. 2 b, 8 janv. 2010, n° 07/03468 ; Cass. civ. 2ème, 8 mai 1964, Bull. civ., II, n° 358 : la Cour de cassation
sanctionne rarement cette modulation implicite du préjudice (cf. Cass., ass. plén., 26 mars 1999, no 95-
20.640, Bull. ass. plén., n°3; adde C. COUTANT DE LAPALUS, Le principe de réparation intégrale en droit privé,
éd. PUAM 2002, p. 428 s. ; S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, préf. G. Viney,
éd. LGDJ 1995, p. 135. ; M.-S. BONDON, Le principe de réparation intégrale du préjudice, contribution à une
réflexion sur l’articulation des fonctions de la responsabilité civile, éd. PUAM 2020, p. 130.
85 Contra : B. STARCK, Essai d’une théorie générale de la responsabilité considérée en sa double fonction de
garantie et de peine privée, éd. LGDJ 1947, p. 423 ; C. COUTANT DE LAPALUS, ibid., n°539 ;
86 G. VINEY, Le déclin de la responsabilité individuelle, préf. A. Tunc, éd. LGDJ 1965, n° 225 s. ; L. HUGUENEY,
L’idée de peine privée en droit contemporain, th. Dact. Dijon 1904 et Rev. crit. 1906, L. HUGUENEY, « L'idée
de la peine privée en droit contemporain, Revue critique de législation et de jurisprudence », 55e année,
nouvelle série, tome XXXV, 1906, p. 416 s. et p. 490 s.
87 Cf. C. SINTEZ, La sanction préventive en droit de la responsabilité civile, préf. C. THIBIERGE et P. NOREAU,
Paris, Dalloz, 2011, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses ».
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1.- Une sanction indirecte par le recours à la solidarité des auteurs
Certes, la condamnation in solidum des coresponsables délictuels ayant causé un
même dommage est un principe acquis88. Mais, dans certains cas, la jurisprudence opte
pour une condamnation solidaire des responsables, alors que ni l’origine de la faute, ni
le lien de causalité, ni l’intérêt réparatoire de la victime ne le commandent. La
jurisprudence prend ainsi le contre-pied du projet de réforme selon lequel les coauteurs
responsables de leur fait personnel ne contribuent à la réparation du dommage qu’à
concurrence de leurs fautes respectives89.
En effet, le recours punitif à la solidarité, notamment en matière de responsabilité
civile professionnelle, découle d’une mise en œuvre extensive, sinon forcée, des
conditions de la responsabilité du professionnel.
Un arrêt de la première chambre de la Cour de cassation du 9 décembre 202090 vient
l’ensemble des
illustrer cette pratique consistant à condamner solidairement
professionnels intervenus dans une opération de restructuration patrimoniale.
En l’espèce, un avocat conseille à ses clients souhaitant transmettre la nue-propriété
des actions qu’ils détiennent dans une société à leurs enfants en bénéficiant de
l’exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit91. Cette exonération est
subordonnée à la modification des statuts qui doivent limiter les droits de vote de
l’usufruitier aux décisions portant sur l’affectation du résultat, le reste des prérogatives
revenant au nu-propriétaire92. Si cette condition avait été transmise par l’avocat en
charge de la globalité du dossier dans l’une de ses consultations, le notaire en charge
exclusivement de la donation des actions ne l’avait pas rappelée. De plus, les clients
avaient souhaité gérer eux-mêmes la modification des statuts.
Or, les clients n’ont jamais modifié les statuts et l’administration fiscale a notifié un
redressement à hauteur de l’exonération des droits de mutation indue, faute d’avoir
rempli la condition statuaire.
Les clients ont engagé la responsabilité de l’avocat et du notaire et la Cour de
cassation, comme la cour d’appel, ont retenu la responsabilité solidaire de l’avocat et du
notaire.
Cet arrêt illustre le recours sévère, sinon punitif, à la solidarité et une interprétation
très large des conditions de la responsabilité du notaire, pour l’inclure dans le champ de
la responsabilité et ainsi assurer sa sanction.
88 P. DELEBECQUE et F. J. PANSIER, Droit des obligations, responsabilité civile, Délit et quasi délit, Paris,
LexisNexis, 2000, p. 273.
89 Cf. article 1378 al. 2 de l’avant-projet CATALA et article 1265 issu du projet de réforme du 13 mars 2017
selon lequel « Si toutes ou certaines d’entre elles ont commis une faute, elles contribuent entre elles à
proportion de la gravité et du rôle causal du fait générateur qui leur est imputable (…) ».
90 Cass. civ. 1re, 9 déc. 2020, no 19-14.016.
91 CGI, art. 787 B.
92 Ibid.
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100
En effet, le notaire est sanctionné parce qu’il ne devait instrumenter que la donation
(n’étant mandaté que pour cet acte) et ne pas gérer la transmission d’actions dans un
cadre fiscal exceptionnel.
D’abord, concernant la faute, il est reproché au notaire le défaut d’information
concernant la refonte des statuts. Or, cette condition avait été expliquée au client qui
devait finalement s’en charger. Ce faisant, selon la Cour, le notaire aurait dû vérifier
l’intégralité des étapes du dossier global, bien au-delà de sa mission, dès lors que les
actes accomplis par les parties pouvaient avoir une incidence sur l’acte instrumenté93.
D’une part, le notaire devient le censeur des autres conseils et d’autre part, il doit lui-
même informer les clients de l’ensemble des conditions, sauf à refuser d’instrumenter94.
Ensuite, au niveau du lien de causalité, l’abstention du notaire a un lien causal très
ténu, distendu, avec le préjudice subi (le montant réclamé par l’administration). La Cour
semble faire application de la théorie de l’équivalence des conditions95 pour déceler
artificiellement une cause du dommage dans l’intervention du notaire.
Enfin, concernant le préjudice, la responsabilité du notaire n’apporte rien au client
dont le préjudice sera intégralement réparé par la mise en œuvre de la responsabilité de
l’avocat et de son assureur. Le risque de défaut de l’avocat est nul.
Ainsi, le notaire devient responsable du fait des autres professionnels à l’origine du
montage juridique dans lequel il intervient de manière périphérique96. Dès lors, la
solidarité apparaît comme une démonstration de sévérité à l’égard du notaire, qui aurait
93 Cass. civ. 1re, 14 nov. 2012, no 11-24726.
94 Règl. national du notariat , art. 3. 2. 2. Adde Règl. national du notariat, art. 2.
95 Cass. civ. 2e, 2 juin 2005, Bull. civ. II, no 146 ; JCP G, 2006.I.111, no 6, obs. P. STOFFEL-MUNCK : éboueur
contaminé par le virus du sida après s’être piqué en manipulant un sac d’ordures contenant, entre autres
déchets d’un cabinet médical, une seringue usagée ; responsabilité du syndicat des copropriétaires de
l’immeuble où se situe le cabinet, car si l’éboueur a dû manipuler ce sac, c’est parce qu’il n’était pas dans
le bac collectif où il aurait dû être. Le principe vaut aussi pour la responsabilité contractuelle : Cass. com.,
16 nov. 2004, no 02-10337, n.p. B. : « le fait qu’un dommage procède d’une pluralité de causes, et non
seulement de l’inexécution reprochée au défendeur, ne justifie pas à lui seul l’absence de lien de cause à
effet entre le fait générateur de responsabilité et le préjudice subi et, partant, l’exclusion de toute
indemnité ».
96 Cass. civ. 1re, 3 avr. 2007, no 06-13304 : Bull. civ. I, no 143 : « Attendu que
le notaire, tenu
professionnellement d’éclairer les parties et de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il
instrumente, ne peut décliner le principe de sa responsabilité en alléguant qu’il n’a fait qu’authentifier l’acte
établi par les parties » ; Cass. civ. 1re, 25 mars 1991, no 89-21221 : Bull. civ. I, no 110 : « Le notaire ne peut
décliner le principe de sa responsabilité en alléguant qu’il n’a fait que donner la forme authentique aux
opérations conclues par les parties ». En matière de conseil : Cass. civ. 1re, 28 avr. 2011, no 10-14809, D : RCA,
comm. no 265 ; Cass. civ. 1re, 11 oct. 1966 : D. 1967, p. 209 s., note M. ANCEL.
96 Cass. civ. 1re, 30 mai 2012, no 11-18166 : Gaz. Pal., 29 nov. 2012, p. 21, J1617, obs. M. MEKKI ; Cass. civ. 1re,
1er déc. 2011, no 10-18066 : Gaz. Pal., 9 févr. 2012, p. 23, I8595, obs. M. MEKKI : « qu’il résultait de ses
constatations que le notaire avait laissé Mme Y régler directement avec les vendeurs la difficulté liée à la
jouissance de l’emplacement de stationnement sans établir lui avoir au moins prodigué les conseils
nécessaires à la rédaction d’un acte propre à assurer l’efficacité de ce droit, la cour d’appel a violé
l’article 1382 du Code civil ».
96 Cass. civ. 1re, 13 déc. 2012, no 11-19098 : l’omission d’un bien dans une convention définitive homologuée
engage la responsabilité du notaire qui n’aurait pas dû se contenter de la déclaration spontanée des parties,
mais vérifier le mode de financement du bien litigieux.
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Juin 2021, n° 3
101
pu a minima bénéficier d’un partage de responsabilités, en fonction de son degré
d’implication dans le dommage.
Cette sévérité vient finalement sanctionner l’obligation de produire un acte
efficace97, fondée sur l’exigence de sécurité juridique98, et le défaut de prévention du
notaire qui n’a pas été assez prudent dans l’analyse du dossier.
Pour autant, si la sanction du fautif s’avérait justifiée, ne serait-il pas plus pertinent
de lui infliger une sanction directe, plutôt que de dénaturer les conditions de sa
responsabilité en vue de sanctionner l’auteur du fait dommageable ?
2.- Une sanction directe par l’amende civile
L’enjeu est dès lors de qualifier de sanction la conséquence pécuniaire mise à la
charge de l’auteur fautif du dommage, en plus des dommages-intérêts et d’en déterminer
les critères.
a. Une qualification naturelle de sanction
Certains auteurs ont préconisé de qualifier les conséquences pécuniaires,
complémentaires des dommages et intérêts, de dommages-intérêts punitifs ou de
dommages-intérêts restitutoires consistant à reverser à la victime le gain réalisé par
l’auteur de la faute99. Cette approche n’est pas pertinente, dans la mesure où, si ces
dommages et intérêts sont qualifiés comme tels, ils seront soumis au plafond de la
réparation intégrale des dommages.
De plus, du point de vue dissuasif, exposer l’auteur de la faute à une privation de ses
gains qu’il devrait restituer à la victime, n’est pas une mesure dissuasive. Le seul risque
du fautif est la privation d’un gain illicite. Il ne perd finalement rien. Il n’a donc aucun
intérêt, aucune dissuasion à changer de comportement en s’abstenant de commettre une
faute.
97 Cass. 1re civ., 29 juin 2016, no 15-15683, F-PB : D. 2016, p. 1497.
98 P. THERY, « L’efficacité de l’acte notarié : forces et faiblesses », JCP N, 2012, no 1249, no 20 ; T. DOUVILLE,
« Refus du notaire d’instrumenter un acte et sécurité juridique : bref état des questions », LPA,
30 avril 2015, no PA201508606, p. 21. – M. LATINA, « Le notaire et la sécurité juridique », JCP N, 2010, 1325.
De manière générale sur la notion de sécurité juridique : T. PIAZZON, La sécurité juridique, thèse, Univ.
Paris II, préf. L. LEVENEUR, Paris, Defrénois, 2009, coll. « Doctorat et Notariat ». – B. TEYSSIE, « L’impératif
de sécurité juridique », in Écrits rédigés en l’honneur de Jacques Foyer, Le monde du droit, Paris, Economica,
2008, p. 985 s. – F. POLAUD-DULIAN, « À propos de la sécurité juridique », RTD civ., 2001, p. 487 s. –
A. CRISTAU, « L’exigence de sécurité juridique », D., 2002, chron., p. 2814 s.
99 Cf. S. CARVAL, « L’amende civile », JCP G 2016, suppl. au nos 30-35, p. 42 et spéc. nos 15 et s., p. 45 ;
R. MESA, « L'opportune consécration d'un principe de restitution intégrale des profits illicites comme
sanction des fautes lucratives », Recueil Dalloz 2012 p. 2754.
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102
Au vrai, la nature de sanction d’une conséquence pécuniaire ajoutée à la stricte
réparation du préjudice, s’évince notamment de la jurisprudence de la Cour EDH et du
Conseil constitutionnel, rendue en matière d’amende civile100.
Pour appliquer le principe du procès équitable et ses émanations, la Cour intègre
dans le domaine des « accusations en matière pénale », les amendes civiles en raison de
la sévérité de la sanction encourue par l’auteur de la norme transgressée. Il doit s’agir
notamment d’une amende infligée par une autorité administrative, ayant un but
préventif et répressif101. Le critère de la sévérité est notamment retenu en matière
d’amende pour pratique anticoncurrentielle102 et en matière fiscale103.
Pour autant, la qualification de sanction relevant de la « matière pénale »104 n’est pas
évidente car elle suppose la défense d’un intérêt général105. Or, le contentieux de la
responsabilité oppose principalement des intérêts particuliers sauf peut être en cas de
recours collectif106.
Les sanctions sont déjà applicables en droit positif, notamment en matière
procédurale, pour sanctionner les procédures abusives107 ou en matière de secret des
100 Cons. const., 23 mars 2017, no 2017-7 portant sur la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères
et des entreprises donneuses d’ordre ; Cons. const., 18 mai 2016, no 2016-542 : RJDA, 8-9/16 no 649.
101 Cour EDH, 21 février 1984, Öztürk c/ Allemagne : série A, no 73.
102 Cons. const., 18 mai 2016, no 2016-542 : RJDA, 8-9/16, no 649.
103 Cour EDH, 24 février 1994, no 3/1993/398/476, aff. Bendenoun c/ France : RJF, 4/94 no 503 ; JCP 1995, II,
22372, note S. FROMMEL ; Cour EDH, 3 juin 2003, Morel c/France : RJF, 11/03, no 1337.
104 C. GRARE-DIDIER, Recherches sur la cohérence de la responsabilité délictuelle, l’influence des fondements
de la responsabilité sur la réparation, 2005, Dalloz, p. 387, n° 514.
105 M. MEKKI, L’intérêt général et le contrat, Contribution à une étude de la hiérarchie des intérêts en droit
privé, préf. J. Ghestin, éd. LGDJ 2004, n°27 s.
106 Ibid. n° 34.
107 CPC, art. 32-1 : « Celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une
amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient
réclamés. » Cf. aussi les articles 32-1, 207, 295, 305, 559, 581, 628, 1180-19 et 1216 du Code de procédure civile,
R. 121-22 et R. 213-8 du Code des procédures civiles d’exécution et R. 3252-25 du Code du travail. Le juge
civil est autorisé, dans des situations très ponctuelles et prévues par des dispositions spécifiques, à
condamner à des peines d’amende les parties à un procès. Le champ d’application de ces sanctions est
actuellement circonscrit, puisque celles-ci ne concernent que les condamnations pécuniaires, fixées par
le juge au cours d’un procès civil, contre celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive. Ce type
de sanction financière peut ainsi être prononcé tant devant le tribunal d’instance ou le tribunal de grande
instance (article 32- 1 du CPC) que devant la cour d’appel (article 559 du CPC) ou la Cour de cassation
(article 628 du CPC). Ces sanctions, qui relèvent du Code de procédure civile, sont établies par le pouvoir
réglementaire. T. prox. Nogent-sur-Marne, 5 juin 2020, 287/2020.
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affaires108, en droit de la propriété intellectuelle pour sanctionner la contrefaçon109, en
droit de la concurrence110, en droit douanier111 et en droit fiscal112.
L’évolution du droit traduit d’ailleurs un renforcement de leur quantum. Le décret
no 2017-892 du 6 mai 2017 portant diverses mesures de modernisation et de
simplification de la procédure civile porte de 3 000 à 10 000 euros le montant maximal
des amendes civiles113.
Cette logique est poursuivie dans le domaine de la responsabilité délictuelle, selon
le projet de loi du 13 mars 2017 proposant d’instituer une amende civile en cas de faute
lucrative.
Ainsi, la sanction délictuelle, source de dissuasion, est intégrée dans le droit. Il reste
nécessaire, au-delà du principe, d’en déterminer les critères d’appréciation en
poursuivant la logique retenue en droit de la concurrence.
b. Critères d’appréciation
Préalablement, l’amende civile étant qualifiée de sanction, elle doit être conforme
au principe de légalité des peines. Ce principe impose que la sanction soit définie en des
termes suffisamment clairs et précis, pour que le déclenchement de la répression puisse
être prévisible114.
Dans cette logique, l’amende civile vient sanctionner une faute115. D’une part, il s’agit
de la faute lucrative « qui est commise avec l'intention de procurer à son auteur un profit
108 C. com, art. L. 152-8 : « Toute personne physique ou morale qui agit de manière dilatoire ou abusive (en
matière de protection du secret des affaires) peut être condamnée au paiement d’une amende civile dont
le montant ne peut être supérieur à 20 % du montant de la demande de dommages et intérêts. En l’absence
de demande de dommages et intérêts, le montant de l’amende civile ne peut excéder 60 000 €. L’amende
civile peut être prononcée sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts à la partie victime de la
procédure dilatoire ou abusive ».
109 CPI, art. L. 614-12 et 613-25 in fine selon lesquels « La partie qui, lors d’une même instance, procède à
plusieurs limitations de son brevet de manière dilatoire ou abusive peut être condamnée à une amende
civile d’un montant maximum de 3 000 euros, sans préjudice de dommages et intérêts qui seraient
réclamés. » ; T. AZZI, « La loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, présentation générale »,
D. 2008, p. 700. Cf. C. CARON (dir.), « L’évaluation du préjudice de la contrefaçon », Cah. dr. entr., 2007,
no 4, études nos 20 à 28.
110 Cass. com., 12 févr. 2020, no 17-31614, PBRI, JCP G, 2020, 792, n. V. REBEYROL ; RDC, juin 2020, p. 36, obs.
S. PELLET ; Contrats, conc. consom., 2020, comm. 62, n. M. MALAURIE-VIGNAL ; ibid., comm. 35, n.
S. BERNHEIM-DEVAUX.
111 C. Douanes, art. 414 prévoyant une amende comprise en une et deux fois la valeur de l’objet de la fraude ;
art. 465 en matière de transfert de capitaux.
112 CGI, art. 1759 à titre d’exemple.
113 D. no 2017-892, 6 mai 2017 portant diverses mesures de modernisation et de simplification de la
procédure civile validé par CE, 6e et 5e ch. réunies, 24 avril 2019, no 412271.
114 Cons. const., 23 mars 2017, no 2017-7 portant sur la Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères
et des entreprises donneuses d’ordre. Cons. const., 8 décembre 2016, no 2016-741 portant sur la Loi relative
à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ; Cons. const.,
13 janv. 2011, no 2010-85 QPC, à propos de l’article L. 442-6, I, 2, du Code de commerce.
115 A. GARAUD, « La faute lucrative et sa sanction, ou l'ombre pénaliste sur les effets de la responsabilité
civile », LPA 16 janv. 2017, n° 123b5, p. 5 ; M. ATTAL, « Le droit français est-il devenu favorable aux
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supérieur à la somme que représentait la réparation du dommage subi par la victime et qui
a effectivement engendré ce profit »116.
C’est sur la base de cette définition que le projet de réforme du 13 mars 2017 propose
la mise en œuvre d’une amende civile, lorsque l’auteur du dommage a délibérément
commis une faute en vue d'obtenir un gain ou une économie. Le juge peut le condamner,
à la demande de la victime ou du ministère public, et par une décision spécialement
motivée, au paiement d’une amende civile117.
D’autre part, dans une logique dissuasive, il est trop réducteur de limiter l’amende
à la faute ayant généré un gain pécuniaire illégitime. Il convient d’étendre les amendes
aux fautes scélérates, c’est-à-dire celles dont l’auteur, indépendamment de son esprit de
lucre, ne pouvant ignorer les conséquences de ses actes, a persisté dans sa voie
dommageable.
Ces fautes reposent à la fois sur un critère objectif à savoir l’avantage procurer par
la faute et sur un critère subjectif118 découlant du caractère délibéré de la faute119. Ces
critères sont alternatifs pour étendre le pouvoir d’appréciation du juge120 et ainsi
renforcer le caractère dissuasif de la sanction.
dommages et intérêts punitifs ? », Dr. et patr., juill.-août 2011. 42 ; G. VINEY, « Quelques propositions de
réforme du droit de la responsabilité civile », D. 2009. 2944
116 G. VINEY, « L'espoir d'une recodification du droit de la responsabilité civile », D. 2016. 1378 ; N. FOURNIER
DE CROUY, La faute lucrative, éd. Economica 2018, p. 192 s. ; N. FOURNIER DE CROUY, « Consécration de la
faute lucrative en droit commun : pourquoi ne dit-elle pas son nom ? Regard porté sur la constitutionnalité
et l'efficacité de l'article 1266-1 du projet de réforme de la responsabilité civile », LPA 8 nov. 2017, n° 128f3,
p. 5 ; P. JOURDAIN, « Rapport introductif », in « Faut-il moraliser le droit français de réparation du
dommage ? », colloque M. BEHAR-TOUCHAIS (dir.), LPA 20 nov. 2002, p. 3 ; S. CARVAL, « L’amende civile »,
JCP G 2016, numéro spécial, p. 42 ; N. RIAS, « L'amende civile : une fausse bonne idée ? », D. 2016. Point de
vue 2072 ; E. DREYER, « L'amende civile, concurrente de l'amende pénale ? », JCP E 2017. Étude ; E. DREYER,
« La sanction de la faute lucrative par l'amende civile. Article 1266-1 du projet de réforme de la
responsabilité civile », D. 2017. Chron. 1136 ; E. DREYER, « La faute lucrative des médias, prétexte à une
réflexion sur la peine privée », JCP G 2008, doctr. 201 ; D. FASQUELLE, « L'existence de fautes lucratives en
droit français », LPA 20 nov. 2002, p. 27 ; D. FASQUELLE et R. MESA, « Les fautes lucratives et les assurances
de dommages », RGDA 2005. 351.
117 Projet d’Article 1266-1 du Code civil, issu du projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017.
Le projet de loi plafonne l’amende, qui ne peut être supérieure au décuple du montant du profit réalisé.
Si le responsable est une personne morale, l’amende peut être portée à 5 % du montant du chiffre d'affaires
hors taxes le plus élevé, réalisé en France au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui
au cours duquel la faute a été commise. Afin de contrer toute logique spéculative de la victime, cette
amende est affectée au financement d’un fonds d’indemnisation, en lien avec la nature du dommage subi
ou, à défaut, au Trésor public. Elle n’est pas assurable. Cf. S. CARVAL, « Le projet de réforme du droit de la
responsabilité civile », JCP G 2017, n° 15, 401.
118 Contra G. DE MONCUIT DE BOISCUILLE, La faute lucrative en droit de la concurrence, préf. M. Chagny, éd.
Concurrences 2020, n° 1011.
119 L. SICHEL, La gravité de la faute en droit de la responsabilité civile, th. dact Paris I, 2012, p. 187, n° 134 :
« La démarche délibérée et consciente de l’auteur d’une faute lucrative » ; R. MESA, « La consécration d'une
responsabilité civile punitive : une solution au problème des fautes lucratives ? », Gaz. Pal. 21 nov. 2009,
p. 15 ; R. MESA, Les fautes lucratives en droit privé, Thèse dact. université du Littoral-Côte d'Opale, 2006.
120 P. LE TOURNEAU, La responsabilité civile, Dalloz, 2e éd., 1976, no 38.
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105
Ainsi, dans une logique de dissuasion et donc de prévention, il convient de
consacrer l’existence d’une sanction délictuelle qui doit être proportionnée à la gravité
de la faute commise, aux facultés contributives de l'auteur et aux profits qu'il en aura
retirés. L’intérêt de cette sanction est d’être progressive, afin de rompre avec la logique
binaire en vigueur actuellement.
B.- Mise en œuvre proportionnelle de la sanction
L’intérêt de l’amende civile est de déplafonner le montant des conséquences
pécuniaires d’un dommage limité par le principe de réparation intégrale du dommage.
La sanction doit donc être proportionnelle à la gravité de la faute.
Le projet de loi du 13 mars 2017 s’inscrit, en partie, dans cette logique. D’un côté, il
prévoit des amendes civiles qui pourront s’ajouter aux dommages et intérêts payés par
l’auteur du dommage. De l’autre, le projet prévoit une sanction proportionnelle
d’emblée plafonnée. Ce plafond est critiquable en son principe, car il impose une limite
à l’amende (même si elle semble importante) et donc au jeu de la proportionnalité. Pour
autant, le mécanisme prévu dans le projet fait écho notamment aux amendes civiles
infligées par
les pratiques
anticoncurrentielles121.
la concurrence pour sanctionner
l’Autorité de
Dans la logique appliquée par l’Autorité de la concurrence, le législateur pourrait
préciser les modalités de détermination de cette amende.
D’une part, la détermination de l’amende doit découler d’une analyse globale de la
situation en cause, afin d’individualiser la sanction. Une telle exigence est imposée par
le principe de personnalité des peines. Cette analyse se fait in concreto pour prendre en
considération chaque affaire dont l’importance et la nature peuvent largement varier. Il
est exclu d’appliquer un barème automatique.
D’autre part, il convient de définir les critères de détermination de la sanction122.
D’abord, la gravité des faits et en particulier de la faute commise doit être prise en
compte ainsi que l’importance du dommage causé. À cet égard, il ne s’agit pas de se
121 Art. L. 464-2, C. com. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à
l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné
ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le
présent titre. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné,
et de façon motivée pour chaque sanction. L’Autorité de la concurrence peut décider de réduire le montant
de la sanction pécuniaire infligée à une entreprise ou à un organisme, lorsque cette entreprise ou cet
organisme a, en cours de procédure devant l’Autorité, versé à la victime de la ou des pratiques
anticoncurrentielles sanctionnées une indemnité due en exécution d’une transaction, au sens de
l’article 2044 du Code civil. Communiqué de l’Autorité de la concurrence du 16 mai 2011 relatif à la
méthode de détermination des sanctions pécuniaires ; C. ZOLINSKI, LEDC, sept. 2011, no EDCO-111126-11108,
p. 3 ; Cass. com., 12 févr. 2020, no 17-31614.
122 Cf. Aut. Conc., Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions
pécuniaires. Cass. com., 22 nov. 2016, no 14-28.224 sur le caractère normatif de ce communiqué.
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cantonner au profit réalisé par l’auteur123 : il convient de prendre en considération la
totalité des conséquences de la faute, l’ensemble des perturbations causées. Par exemple,
en matière de contrefaçon, le dommage peut dépasser largement le cadre du litige.
De plus, la situation de l’auteur de la faute doit être appréhendée comme en matière
de clause pénale, afin d’évaluer sa capacité contributive et d’intégrer les circonstances
aggravantes ou atténuantes.
Enfin, l’éventuelle réitération du comportement fautif par son auteur124 doit être
prise en compte.
Au-delà de la sanction et de sa fonction dissuasive sur l’auteur potentiel d’un
dommage, son existence peut avoir un impact décisif sur l’issue d’un litige en cours, en
incitant les parties à transiger. L’auteur du fait dommageable, conscient du risque
pécuniaire induit par sa condamnation à une amende, sera incité à éviter le contentieux,
en privilégiant une issue amiable, cette issue étant la seule à même de réduire son risque.
Cette dissuasion est accentuée par les conditions de recours contre la décision qui
prononcerait la sanction délictuelle. D’abord, le prononcé de l’exécution provisoire du
jugement imposera au fautif condamné de payer l’amende, même en cas d’appel125.
Ensuite, son appel et ses perspectives de réformation du jugement ayant notamment
prononcé l’amende, supposent l’exécution préalable du jugement attaqué à peine de voir
son appel radié126. Le jugement doit impérativement être exécuté dans les deux ans, sous
peine de voir l’instance s’éteindre par le jeu de la péremption127.
La combinaison de ses règles procédurales donne d’autant plus de vigueur au
jugement infligeant l’amende et, ce faisant, au caractère dissuasif de la sanction
délictuelle. Le fautif condamné à une amende civile ne peut donc pas espérer échapper
au paiement de l’amende, le temps d’avoir épuisé ses voies de recours.
123 Cass. com., 12 févr. 2020, nº 17-31.614, PB, obs. J. TRAULLÉ, « L'approche renouvelée de l'évaluation du
dommage causé par une concurrence déloyale », Gaz. Pal. 21 avr. 2020, nº 377j7, p. 36 ; Contra G. DE
MONCUIT DE BOISCUILLE, op. cit., n°158 soulignant le caractère déterminant du surprofit illicite généré par
les pratiques anticoncurrentielles dans la détermination de l’amende.
124 CA Paris, 20 décembre 2018, no 17/01304 ; Cass. com., 27 septembre 2017, no 15-20.087.
125 Cpc, art. 515.
126 Cpc, art. 524. I. Cass. civ. 2e, 19 nov. 2020, FS-P+B+I, no 19-25.100. – DESPRÈS et A. PIC, « Les perturbations
du lien d’instance (interruption, radiation, péremption, caducité) », in L. FLISE, E. JEULAND (dir.), Du lien
d’instance aux liens processuels 1975-2015, Actes des 6e rencontres de Procédure civile, Paris, IRJS Éditions,
2016, p. 55 s., p. 70. – Adde Cass. civ. 2e, 16 mars 2000, no 97-21.029, Bull. civ. II, no 47. – D. 2000. 128 ; RTD
civ., 2000, 398, obs. R. PERROT. – Procédures 2000. Comm. 117, obs. R. PERROT. – J. BEAUCHARD, « La
relativité du dilatoire », Mélanges en l’honneur de Jacques Héron, Paris, LGDJ, 2009, p. 101 s., spéc. p. 108.
– J. HERON, T. LE BARS et K. SALHI, Droit judiciaire privé, 7e éd., Paris, LGDJ, 2019, no 1193, p. 973.
127 CPC, art. 383, al. 2 et art. 386. Sauf si l’appelant réalise un acte explicite ou sans équivoque traduisant la
volonté d’exécuter la décision attaquée (C. pr. civ., art. 524, al. 7 ; art. 1009-2, al. 1er).
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Partie 3.– Vers un office régulatoire du juge
L’enjeu est de conférer au juge, en charge du contentieux principal, un rôle
régulatoire fondé sur l’appréhension des fautes qu’il constate.
Par le prononcé de cette sanction, le juge a le pouvoir d’impacter les acteurs
juridiques. Le fautif s’exposant à une sanction dépassant la seule réparation du
dommage, il doit en être dissuadé.
Ce faisant, le juge civil contribue, par son pouvoir répressif, à modifier a priori le
comportement des acteurs juridiques. Il a donc une fonction régulatrice et préventive.
Le juge doit être la pierre angulaire de la mise en œuvre de la sanction délictuelle
dont l’initiative ne peut pas être réservée à certaines parties. Le rôle du juge garantit
l’effectivité de la norme par l’application de la sanction. Ce faisant, le juge, pour devenir
cette pierre angulaire de la sanction délictuelle, doit pouvoir s’auto-saisir dans le cadre
des affaires qu’il doit juger (I). Cette auto-saisine doit, néanmoins, être encadrée pour
respecter les règles du droit processuel (II).
I.- La nécessité de conférer au juge, en charge du contentieux principal,
la faculté de s’auto-saisir afin de prononcer une amende civile
Concernant l’amende civile, l’enjeu porte sur son effectivité, et donc sa capacité
dissuasive. D’emblée, le projet de réforme limite la portée de l’amende par une limitation
du nombre de titulaires de la qualité à agir (A). C’est pourquoi il importe de conférer au
juge la faculté de s’auto-saisir pour neutraliser les obstacles préalables (B).
A.- Une alternative à la fragilité des titulaires de la qualité à agir
L’amende civile est un levier juridique punitif renforçant la force dissuasive de la
responsabilité. Pour autant, tout dépend de ceux qui ont qualité pour la demander.
Le projet de réforme du 13 mars 2017 réserve la possibilité de demander la
condamnation de l’auteur de la faute à une amende civile à la victime et au Procureur
de la République.
D’une part, certains auteurs se sont inquiétés de l’impact, sur l’application des
amendes, de la démotivation des victimes qui ne bénéficieraient pas in fine de l’amende,
dévolue à la solidarité nationale128. Cette affectation n’a pas d’impact. En effet, la victime
a déjà engagé une procédure pour obtenir réparation de son préjudice. La demande
d’amende civile n’est qu’un volet complémentaire du même dossier qu’elle aura
constitué pour prouver la faute de l’auteur et l’étendue de son préjudice. De plus, la
128 M.-A. CHARDEAUX, « L’amende civile », LPA, 30 janvier 2018, no 22, p. 6.
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demande d’amende civile peut constituer une opportunité procédurale pour la victime,
en ce que le risque de condamnation potentiel du fautif pourra l’inciter à transiger129.
D’autre part, concernant la qualité à agir du Procureur, cette voie semble théorique
et marginale quant à la question de l’amende civile.
Soit le contentieux de la responsabilité en cause est déjà le pendant d’un procès
pénal et la faute en cause revêt un caractère pénal (violation de la vie privée,
contrefaçon). Le procureur est donc déjà partie au litige. Il requerra alors la
condamnation du prévenu à une sanction pénale stricto sensu. La question de l’amende
civile perd, dès lors, sa pertinence.
Soit ce n’est pas le cas, car le dossier revêt exclusivement un caractère civil. Le
parquet refusera de s’en saisir, faute de caractère pénal130.
Dans tous les cas, si le dossier civil recèle, à l’examen du juge, un volet pénal, le juge
devra transmettre le dossier au parquet131 si la victime n’a pas déjà actionné la justice
pénale.
Ainsi, la mise en œuvre de l’amende civile se heurte à un hiatus entre les initiateurs
pressentis poursuivant des intérêts privés différant du caractère civil de l’action et la
vocation régulatrice de l’amende qui doit poursuivre, dans une certaine mesure, l’intérêt
général.
B.- Une auto-saisine cohérente avec le renforcement de l’office du juge
Le juge doit avoir un rôle central dans la mise en œuvre des amendes civiles.
Ce pouvoir d’infliger une amende civile à l’auteur du dommage doit faire partie de
l’office du juge. Si le pouvoir de prononcer la sanction lui est dévolu, encore faut-il qu’il
puisse se saisir lui-même, de manière autonome, dans le cadre d’un relevé d’office.
Si les victimes ne demandent pas l’application de cette amende, ou si le parquet
n’intervient pas, le juge doit pouvoir de manière autonome la prononcer. Cette
autonomie de l’office du juge est une condition essentielle de la force dissuasive de la
responsabilité civile et de ses conséquences. Au-delà, elle conditionne la fonction
régulatoire du juge pour assainir les pratiques des acteurs juridiques et modifier a priori
leurs comportements.
129 Cf. supra.
130 Cf. C. proc. pén., art. 31, 35 al. 2, 39-1, 39-2.
131 C. proc. pén., art. 40 : « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans
l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis
sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-
verbaux et actes qui y sont relatifs. »
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Ce faisant, il convient de se demander si le juge, en l’état du droit positif, peut
d’office infliger une amende civile dans le cadre d’un contentieux de la responsabilité
qu’il aurait à juger.
La réponse n’apparaît pas d’emblée positive, mais le renforcement de l’office du juge
rend cette proposition cohérente avec l’évolution du droit positif.
Cette question de l’office du juge est complexe, en raison de l’application simultanée
de plusieurs principes directeurs du procès. D’un côté, le « principe dispositif » donne
aux parties la maîtrise de la matière du procès. L’objet du litige est déterminé par les
prétentions des parties132. Le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et
seulement sur ce qui est demandé133. Et le juge ne peut fonder sa décision sur des faits
qui ne sont pas dans le débat134. D’un autre côté, le juge a la maîtrise du droit et de la
qualification juridique des actes et des faits en cause135.
Ainsi, en principe, le juge doit-il statuer en droit et appliquer au litige soumis à son
examen la règle juridique appropriée et rechercher, si nécessaire, quelle a été la volonté
réelle des parties pour, en cas d’erreur, leur donner la formulation adéquate136.
Par exception, en matière procédurale, le juge doit relever d’office les fins de non-
recevoir et les exceptions de nullité si elles ont un caractère d’ordre public. Dans d’autres
cas, en matière de fins de non-recevoir, le juge ne dispose que d’une simple faculté.
Dans ce cadre, l’office du juge, le champ du relevé d’office, apparaît nettement
circonscrit, a fortiori s’agissant d’une question de droit mélangée de faits, même s’il tend
à se renforcer, comme en témoigne la requalification des faits.
Certes, l’assemblée plénière de la Cour de Cassation a estimé que, mis à part les cas
où la loi lui fait l’obligation de relever d’office un moyen de droit non expressément
invoqué par les parties, le juge n’était pas tenu de le faire137.
Le juge du fond a simplement la faculté, et non l’obligation, de requalifier ou de
relever d’office les moyens mélangés de fait et de droit s’il doit, pour ce faire, prendre en
considération des faits non expressément invoqués par les parties, alors que ces
dernières ont exactement indiqué le fondement juridique de leur demande. Cette
hypothèse est la plus pertinente concernant les amendes civiles dont le prononcé
nécessite une analyse plus large des faits du litige.
Le projet de réforme du 13 mars 2017138 préconise un renforcement de l’office du
juge, qui aurait l’obligation, sauf dispositions contraires, de relever le moyen de droit,
132 CPC, art. 4.
133 CPC, art. 5.
134 CPC, art. 7.
135 CPC, art. 12 et 7.
136 M. DE GOUTTES, avis concernant l’arrêt du 21 décembre 2007.
137 Cass. Ass. Plén., 21 décembre 2007, no 06-11.343.
138 Projet de réforme du 13 mars 2017, proposition 24 ; C. CHAINAIS, F. FERRAND et S. GUINCHARD, Procédure
civile, 33e éd., Paris, Dalloz, 2016, coll. « Précis », nos 562 s. ; J. HÉRON et T. LE BARS, Droit judiciaire privé,
6e éd., Paris, Lextenso, 2015, coll. « Précis Domat », no 286.
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qu’il soit d’ordre public ou non. Il n’aurait qu’une faculté en cas de moyens mélangés de
droit et de fait.
Ainsi, le juge peut dans une certaine mesure requalifier les faits. Pour autant, ce
relevé d’office est-il compatible avec la décision de prononcer une amende civile non
demandée par une partie au procès ?
À cet égard, il y a un certain décalage entre le relevé d’office du juge et le prononcé
d’une amende civile. Cette question constitue à la fois un moyen de droit – l’amende
civile serait inscrite dans la loi – et de fait dont une partie n’aurait pas été spécialement
évoquée dans le cadre du contentieux de la réparation. En effet, les faits analysés par le
juge ont un contour plus large que celui développé par les parties dans le cadre de leur
litige originel. De plus, l’enjeu n’est pas de requalifier, mais d’ajouter une nouvelle
conséquence judiciaire au litige à travers le prononcé d’une amende.
Il y a là une limite à l’office du juge justifiant la modification de la loi, en introduisant
expressément cette possibilité dans la loi.
II.- L’encadrement de l’auto-saisine du juge
En amont, l’auto-saisine du juge en vue de prononcer une amende civile implique
une modification de la loi. Cependant, le caractère de sanction de l’amende civile
implique des aménagements sur sa mise en œuvre pour assurer le respect de certains
droits fondamentaux.
A.- La nécessité de consacrer légalement l’auto-saisine du juge dans le cadre d’un
relevé d’office
Il apparaît donc nécessaire de permettre au juge de prononcer d’office une amende
civile, si les faits qui lui sont soumis le justifient, et de lui conférer légalement cette
faculté.
D’une part, l’ordre public constitue le fondement de l’auto-saisine. Le relevé d’office
en matière d’amende est renforcé par son ancrage dans l’ordre public. Les règles d’ordre
public sont celles auxquelles les parties ne peuvent déroger par un acte privé.
Le juge a l’obligation de les faire respecter. Si cette obligation est naturelle
concernant l’ordre public139, elle l’est de plus en plus concernant l’ordre public de
protection. En effet, particulièrement en matière d’amende civile, l’ancrage de cette
faculté de prononcer une amende dans l’ordre public s’infère d’abord du principe de
proportionnalité de la sanction pécuniaire, qui fait partie de l’ordre public et s’impose
donc au juge140.
139 Cass. civ. 2e ch., 2 décembre 1992 ; Cass. civ. 2e ch.,10 mars 1993, RTD civ., 1993 – 889 obs. PERROT.
140 C. CHAINAIS, F. FERRAND et S. GUINCHARD, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2016, no 580, p. 442 ; L. CADIET
et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Paris, LexisNexis, 2016, no 542, p. 467.
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Le principe de proportionnalité de la sanction pécuniaire au regard du patrimoine
du débiteur, ou par rapport au montant de la condamnation principale du débiteur, fait
partie de l’ordre public international français. À cet égard, la Cour de cassation a estimé
que le jugement américain liquidant une astreinte à hauteur de plus de 13 millions de
dollars n’était pas contraire aux droits fondamentaux dès lors que le débiteur poursuivi
devant les juridictions civiles américaines, pour des infractions à la législation boursière,
était soupçonné d’avoir détourné environ 200 millions de dollars141. Ce principe de
proportionnalité a également été mis en œuvre par la Cour de cassation dans une
décision du 1er décembre 2010142, qui a estimé que les dommages-intérêts punitifs ne sont
pas, en principe, contraires à l’ordre public, à la condition qu’ils soient proportionnés au
préjudice subi. Par ailleurs, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui n’avait
pas répondu à la partie soutenant que les condamnations étaient disproportionnées au
regard du préjudice subi par le créancier, et contraires au principe de la personnalité des
peines et de la personnalité juridique distincte des personnes physiques et des personnes
morales143.
Dans le sens du renforcement de l’office du juge, la jurisprudence a aussi évolué, en
considérant que « si le juge n’a pas, sauf règles particulières, l’obligation de changer le
fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient,
de faire application des règles d’ordre public issues du droit de l’Union européenne, telle la
responsabilité du fait des produits défectueux »144.
Plus généralement, il ressort de la jurisprudence que le juge doit relever d’office les
moyens tirés d’une violation de l’ordre public communautaire145. Ainsi, l’ancrage de
l’amende civile dans la notion d’ordre public va dans le sens de l’auto-saisine du juge.
Pour autant, afin de lever tout ambiguïté et de donner une base normative claire au juge
pour prononcer une amende civile, une modification de la loi apparaît opportune.
La loi doit prévoir le pouvoir du juge de s’auto-saisir pour infliger une amende civile.
En effet, le législateur gagnerait à intégrer dans la loi portant sur l’amende civile en
matière délictuelle, la faculté du juge de prononcer d’office une amende civile si les
critères d’application sont réunis et d’ordonner, le cas échéant, des mesures
d’instruction afin de compléter les éléments issus du dossier judiciaire soumis au
contradictoire146.
En ce sens, le droit positif a évolué en matière de clauses abusives. Le juge doit
écarter d’office l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments
141 Cass. civ. 1re, 28 janvier 2009, no 07-11.729, Bull. 2009, I, no 15, JDI 2009, comm. 17 par F. MARCHADIER.
142 Cass. civ. 1re, 1er déc. 2010, no 09-13.303, Bull. 2010, I, no 248.
143 Cass. civ. 1re, 7 nov. 2012, no 11-23.871, Bull. 2012, I, no 228.
144 Cass. ch. mixte, 7 juil. 2017, no 15-25.651, PB.
145 Cass. civ. 1re, 22 janv. 2009, no 05-20.176, Bull. 2009, I, no 9 ; Cass. civ. 1re, 19 fév. 2014, no 12-23.519 ;
L. CADIET et E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Paris, LexisNexis, 2016, no 542, p. 467 ; C. CHAINAIS,
F. FERRAND et S. GUINCHARD, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2016, no 580, p. 442.
146 Sur le pouvoir du juge en matière communautaire.
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du débat147. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a
eu l’occasion de dire pour droit que le juge national est tenu « d’examiner d’office le
caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait
nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il
ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose »148.
En cette matière, la loi est venue clarifier la jurisprudence et conférer une obligation
de relever d’office les clauses abusives.
B.- La nécessaire dissociation judiciaire de l’auto-saisine et du prononcé de
l’amende
La proposition de permettre au juge du contentieux de la responsabilité de s’auto-
saisir, dans le cadre d’un relevé d’office, afin de prononcer une amende civile pose,
d’emblée, la question de sa compatibilité avec l’exigence d’impartialité du juge selon
laquelle, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue [...] par un tribunal
impartial »149.
Ainsi, en matière de procédure collective, les cas d’auto-saisine du tribunal ont été
supprimés, en particulier en matière de sanction150. En effet, l’organe s’auto-saisissant
est déjà convaincu du caractère fautif des faits. Il ne peut donc plus déterminer la
sanction de manière impartiale.
Dans le cadre d’affaires civiles donnant lieu à des sanctions pénales, la Cour de
cassation interdit au juge ayant siégé au civil de statuer sur le volet pénal de la même
affaire151.
Cette logique est consacrée par le Conseil constitutionnel, dès lors que l’enjeu est
de prononcer une sanction152.
147 Cons. const. art. R. 632-1 ; Cass. civ. 1re, 22 janv. 2009, no 05-20.176, Bull. 2009, I, no 9 ; Cass. civ. 1re,
19 février 2014, no 12-23.519.
148 CJUE, 4e ch., 4 juin 2009, no C-243/08, Pannon GSM Zrt c/ Erzsébet Sustikné Győrfi ; CJCE 27 juin 2000 ;
Océano Grupo Editorial SA c/ Rocio Murciano Quintero et autres, no C-240/98 ; CJCE 4 oct. 2007,
Rampion, no C-429/05 ; Civ. 1re, 1er oct. 2014, no 13-21.801 P ; D. 2014. 1996 ; ibid. 2015. 588, obs. H. AUBRY,
E. POILLOT et N. SAUPHANOR-BROUILLAUD ; RTD eur., 2015. 348-3, obs. B. LE BAUT-FERRARESE ; Cass. civ. 1re,
10 oct. 2018, no 17-20.441.
149 Art. 6.1, Conv.EDH.
150 B. BRIGNON et A. CERATI-GAUTHIER, « Les saisines d’office confrontées aux dernières réformes du droit
des entreprises en difficulté », D. 2014, 2248 ; HENRY, Gaz. Pal., 8 avr. 2014 ; BLÉRY, RLDC, mai 2014, no 115,
p. 71 ; PURUT et TEBOUL, JCP, 2014, 529 ; ROLLAND, Procédures, 2014, étude 7.
151 Cass. crim., 24 nov. 1999, no 98-85.27, Bull. crim. no 275 ; Dr. pénal, 2000. Comm. 52, obs. MARON ; RTD
civ., 2000, 619, obs. NORMAND ; Cass. crim., 16 oct. 1991, no 90-86.527, Bull. crim. no 351 ; Cass. crim.,
30 nov. 1994, no 94-82.201 , Bull. crim. no 390 ; Dr. penal, 1995. Comm. 53, obs. MARON ; Cass. crim.,
26 janv. 2000, no 99-85.725, Bull. crim. no 41 ; RTD civ., 2000. 619, obs. NORMAND ; Cass. crim., 21 févr. 1996,
n 95-82.085, Bull. crim. no 82 ; Dr. penal, 1996. Comm. 122, obs. MARON.
152 Cons. const., 7 déc. 2012, no 2012-286 QPC, D. 2013. 338, obs. LIENHARD et note VALLEN SALLENS ; D. 2013.
28, chron. FRISON-ROCHE ; JCP, 2013, 50, GERBAY ; Procédures, 2013, étude 3, ROLAND ; Gaz. Pal.,
27 déc. 2012, note ROBERT et 9 mars 2013, note THERON ; RTD civ., 2013. 889, obs. THERY ; Cons. const.
15 nov. 2013, no 2013-352 QPC, D. 2013, 2640 ; Cons. const. 7 mars 2014, no 2013-368 et 372 QPC, Gaz. Pal.,
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Cependant, pour appréhender la question des amendes civiles, il importe de
souligner la position du Conseil constitutionnel, qui valide l’auto-saisine en matière
d’astreinte, dans la mesure où l’astreinte n’est pas une sanction153.
En principe, il est interdit de disposer de la faculté d’introduire spontanément une
instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l’autorité de la chose
jugée. Cependant, la Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère
général et absolu, sauf si la procédure a pour objet le prononcé de sanctions ayant un
caractère de punition.
Dans les autres cas, la saisine d’office d’une juridiction ne peut trouver de
justification que si elle est fondée sur un motif d’intérêt général et que le respect du
principe d’impartialité est garanti.
Ainsi, les amendes civiles étant qualifiées de sanction, l’application de ces règles
prétoriennes conduit à exclure que le juge, ayant connu le contentieux de la réparation,
puisse prononcer une amende civile.
Ce faisant, l’amende civile doit être prononcée par un autre juge ou par le même
tribunal différemment composé, afin de garantir l’indépendance objective du juge qui
prononcera l’amende. Ainsi, le premier juge ayant connu le contentieux de la
responsabilité peut saisir un autre juge, en vue du prononcé – le cas échéant, par une
décision spécialement motivée – d’une amende civile. D’une part, le premier juge n’a
plus la faculté de s’auto-saisir, il ne peut que saisir un autre juge. D’autre part, il semble
impératif que cette décision de saisine soit précédée d’un débat contradictoire154, en
invitant les parties à faire valoir leurs observations155.
Enfin, lorsque les faits en cause revêtent tout à la fois un caractère civil, la faute
délictuelle, et un caractère pénal, le délit stricto sensu, l’application ou non du principe
12 avr. 2014, note FALLON ; Procédures, 2014, no 115, obs. ROLLAND ; adde CEDH, 22 oct. 2019, aff. 42010/06,
Deli c/ République de Moldavie.
153 Cons. const. 1er juill. 2016, no 2016-548, QPC : Le Conseil constitutionnel retient ensuite la conformité à
la Constitution de ces dispositions pour les motifs suivants : 1o l’injonction sous astreinte instituée par les
dispositions contestées, qui a pour seul objet d’assurer la bonne exécution des décisions des juridictions,
n’est pas une sanction ayant le caractère d’une punition ; 2o en adoptant les dispositions contestées, le
législateur a poursuivi un objectif d’intérêt général de détection et de prévention des difficultés des
entreprises ; 3o le législateur n’a pas privé de garanties légales l’exigence d’impartialité des juridictions
puisque le prononcé de l’astreinte et sa liquidation sont les deux phases d’une même procédure et que la
constatation par le président du tribunal de commerce du non-dépôt des comptes, qui lui permet de se
saisir d’office, présente un caractère objectif. Dès lors, les dispositions contestées ne portent pas atteinte
au principe d’impartialité des juridictions.
154 CPC, art. 16, al. 3, « Le juge ne peut fonder sa décision sur des moyens de droit qu’il a relevés d’office,
sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
155 Cass. civ. 2e, 19 mars 2020, no 19-11.140 ; Cass. civ. 2e, 20 mars 2014, no 12-35.340 ; Cass. civ. 2e, 5 juin 2014,
no 13-19.920, Bull. 2014, II, no 130 ; M. KHEBIR, « Fin de non-recevoir relevé d’office : respect du principe de
contradiction », D. 2014, 24 juin 2014 ; Cass. civ. 1re, 24 avr. 1979, no 78-80.031, Bull. civ. I, n. 117 ; Cass. civ.
2e, 16 juill. 1980, no 78-15.603, Bull. civ. III, n. 186 ; CEDH, 22 oct. 2019, aff. 42010/06, Deli c/ République de
Moldavie.
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non bis in idem, selon lequel nul ne peut être poursuivi et puni deux fois pour les mêmes
faits, se pose au regard du cumul des sanctions pénales (amende) et de l’amende civile156.
La jurisprudence a une interprétation stricte du principe non bis in idem et admet
largement le cumul des sanctions. Par exemple, les amendes douanières et pénales se
cumulent car elles n’ont pas le même objet157 et sont complémentaires158.
En l’occurrence, en présence d’un délit pénal (violation de la vie privée, diffamation,
contrefaçon…), la faute civile peut revêtir un objet plus large que l’élément matériel du
délit pénal.
156 Art. 8, DDHC ; art. 4, Protocole additionnel no 7 à la Conv. EDH ; art. 50 de la Charte des droits
fondamentaux de l’UE ; Cons. Const., 18 mars 2015, no 2015-462 QPC, Cons. Const., 24 juin 2016, no 2016-
546 QPC ; Cons. Const., 30 mars 2017, no 2016-621 QPC ; Cass. crim., 14 nov. 1968, no 68-91.656, Bull. crim.
n. 299 ; Cass. com., 24 mai 2018, no 17-11743, F-D ; T. FAVARIO, « Dirigeant social : conditions d’un cumul
de sanctions par les juges pénal et civil », BJE, sept. 2018, no 5, p. 367 ; J.-B. PERRIER, « Cumul du prononcé
de la faillite personnelle et de l’interdiction de gérer », BJS, nov. 2018, no 11, p. 65.
157 Cass. crim., 4 sept. 2002, n 01-84.011 et n° 01-85.816, Bull. crim. n° 157.
158 CJUE, 20 mars 2018, C-537/16 ; CEDH, 15 novembre 2016, n° 24130/11 et n° 29758/11, A. et B. c/ Norvège.
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