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Ohadata J-06-139
VOIES D’EXECUTION – MAINLEVEE DE SAISIE MOBILIERE – JURIDICTION
COMPETENTE – JUGE DES REFERES (NON) – JUGE DE L’EXECUTION (OUI)
–– INCOMPETENCE MATERIELLE DU JUGE DES REFERES
L’article 49 AUPSRVE donne compétence exclusive au président du Tribunal de
première instance pour connaître, comme juge spécial chargé du contentieux de
l’exécution et non comme juge des référés, des demandes tendant à la mainlevée
des saisies mobilières. Saisi en qualité de juge des référés classique de telles
demandes, le président du Tribunal de première instance doit se déclarer
incompétent.(Deux décisions)
ARTICLE 49 AUPSRVE
1-
TPI Douala-Bonanjo, Référé, Ordonnance no 392 du 26 février 2003
(ACTIVA Assurances c/ Ndjebet Jean Marie et autres)
NOUS, JUGE DES REFERES
Attendu que par exploit daté du 11 mars 2002 du Ministère de Maître Guy
EFON, Huissier de Justice à Douala, exploit non encore enregistré mais qui le sera
en temps utile, la Compagnie ACTIVA ASSURANCES dont le siège social est à
Douala, B.P. 12970 et ayant pour conseil Maître Constant KOUM, Avocat au
Barreau du Cameroun, B.P. 4250 Douala, a cité à comparaître : NDJEBET Jean
Marie, Administrateur de la succession de feu MBENOUN SANGO Joseph, Maître
Simon Ruben NGOMB, Huissier de Justice à Edéa, la BICEC, la SGBC, la SCB –
CLC, la Standard Chartered Bank Cameroon (SCBC), la CBC, Afriland First Bank,
Amity Bank, prises en la personne de leur représentant légal, devant monsieur le
Président du Tribunal de première instance de Douala statuant en matière de référé
ordinaire et siégeant dans la salla de ses audiences sise au Palais de Justice dudit,
pour :
S’entendre constater la violation des dispositions des articles 34 et 160 de
l’Acte uniforme OHADA no 6 et 1er de la loi no 89/020 du 29 décembre 1989 fixant
certaines dispositions relatives à l’exécution des décisions de justice ;

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S’entendre constater le caractère non exécutoire du jugement no 1057/COR
du 11 mai 2001 du Tribunal de première instance d’Edéa ;
Voir donner mainlevée de la saisie-attribution querellée sous astreinte de 1
000 000 FCFA par jour de retard ;
S’entendre ordonner l’exécution provisoire de l’ordonnance à intervenir
nonobstant toutes voies de recours ;
S’entendre condamner aux dépens ;
Attendu qu’au soutien de son action, la demanderesse expose que par
jugement no 1057/COR rendu contradictoirement à tort à son égard le 11 mai 2001,
le Tribunal de première instance d’Edéa la condamnait à payer la somme de 9 276
619 FCA aux ayants droit de MBENOUN ; que ce jugement a été prononcé
contradictoirement à son encontre alors qu’elle n’a jamais été citée, ni comparu en
la cause ; que néanmoins, elle a relevé appel comme en fait foi le procès-verbal de
déclaration d’appel no 324 du 17 septembre 2001 après avoir été fortuitement
informée de l’existence du jugement querellé ;
Que le 08 janvier 2002, elle a reçu notification du procès-verbal de
saisie-attribution de créances ainsi qu’un autre relatif à la dénonciation de la
saisie-attribution de créances; que la voie d’exécution opérée a été pratiquée en
violation des dispositions des articles 34 et 160 de l’Acte uniforme OHADA no 6 et
1er de la loi 89/020 du 29 décembre 1989 fixant certaines dispositions relatives à
l’exécution des décisions de justice ; que ni la signification ni le commandement de
payer en exécution du jugement allégué n’ont été faits ; que le certificat de non
appel excipé ne porte aucune mention de la date de signification de la décision
querellée, ce qui démontre à suffire que cette décision juridictionnelle n’a jamais été
signifiée à la partie condamnée ;
Que l’article 160 ci-dessus mentionné dispose que l’acte de saisie contient
à peine de nullité « en caractères très apparents, l’indication que les contestations
peuvent être soulevées, à peine d’irrecevabilité dans un délai d’un mois qui suit la
signification de l’acte et la date à laquelle expire ce délai ainsi que la désignation de
la juridiction devant laquelle les contestations pourront être portées » ; que si l’acte
est délivré à personne ces indications doivent être également portées verbalement
à la connaissance du débiteur ; que la mention d’icelle ne figurant pas dans l’acte
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de dénonciation à elle signifié,
il échet d’annuler
le procès-verbal de
saisie-attribution querellé et de donner mainlevée ;
Qu’en outre le certificat d’appel no 324 du 17 septembre 2001 à elle délivré
suspend l’exécution de la décision no 1057/COR rendu par le Tribunal de première
instance d’Edéa conformément aux dispositions de l’article 1er de la loi 89/020 du
29 décembre 1989 susvisée ;
Qu’il échet de donner mainlevée de la saisie-attribution sous astreinte de 1
000 000 FCFA par jour de retard avec exécution provisoire ;
Attendu que pour faire échec à l’action de la demanderesse, le Crédit
Lyonnais Cameroun sous la plume de Maître Virgile Ngassam N., Avocat au
Barreau du Cameroun, conclut au débouté de sa condamnation aux dépens comme
non fondée ; qu’en sa qualité de tiers saisi elle ne saurait être condamnée aux
dépens parce que n’ayant aucun intérêt personnel au procès ;
Attendu que les ayants droit de feu MBENOUN quant à eux sollicitent au
principal du juge qu’il se déclare incompétent en vertu de l’article 49 de l’Acte
uniforme de l’OHADA susvisé ;
Que subsidiairement l’action de ACTIVA est irrecevable comme faite plus de
deux mois après la dénonciation de la saisie-attribution de créances du 08 janvier
2002 en vertu de l’article 170 de l’Acte uniforme susvisé ;
Qu’une première décision a déjà été rendue le 05 mars 2002 devant le juge
des référés statuant en matière d’urgence entre les mêmes parties, la même cause
et le même objet ;
Très subsidiairement, que
la prétention de ACTIVA
fondée sur
la
signification de la décision correctionnelle du 11 mai 2001 ; que l’article 34 invoqué
est inapplicable en l’espèce et qu’aucun commandement n’est prescrit en matière
de saisie-attribution de créances ; que la mention de déclaration verbale de l’article
160 de l’Acte uniforme de l’OHADA susvisé n’est nécessaire que lorsque la
dénonciation est adressée à une personne physique directement impliquée dans la
saisie ; que sieur KOUAMO Guillaume à qui la dénonciation a été servie le 08
janvier 2002 n’est pas ACTIVA ASSURANCES à qui la dénonciation était adressée ;
Que l’article 1er de la loi no 89/020 du 29 décembre 1989 fixant certaines
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conditions relatives à l’exécution des décisions de justice n’a pas été violé, ce texte
ne visant que l’appel en matière non répressive comme suspensif ; que l’appel du
17 septembre 2001 contre une décision correctionnelle du 11 mai 2001 est abusif et
dilatoire, et que ACTIVA encourt déchéance ;
Qu’en conséquence, il échet de débouter ACTIVA ASSURANCES de toutes
ses prétentions comme non fondées ;
Attendu cependant sans qu’il y ait lieu d’examiner les prétentions des
parties au fond que les règles de compétence sont d’ordre public ;
Qu’il ressort de l’analyse des pièces du dossier de la procédure que le litige
dont est saisi le Juge porte sur une contestation d’une saisie-attribution de
créances ; qu’il est avéré que les différends de cette nature sont de la compétence
exclusive du Juge de l’urgence chargé du contentieux de l’exécution conformément
aux dispositions de l’article 49 de l’Acte uniforme OHADA portant procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ; que le juge des référés ne
saurait sans violer le susdit texte connaître de la demande formulée par la société
ACTIVA ASSURANCES S.A. ;
Qu’il échet en conséquence de se déclarer incompétent ratione materiae ;
Attendu qu’il y a lieu de condamner la demanderesse aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard des parties, en matière
de référé ordinaire, en premier ressort, et après en avoir délibéré conformément à la
loi ;
Constatons que nous sommes saisi pour une contestation d’une
saisie-attribution de créances ;
Constatons que le juge des référés n’est pas compétent pour examiner une
telle demande ;
En conséquence, nous déclarons incompétent ratione materiae ;
Condamnons la demanderesse aux dépens.
2-
TPI Garoua, Référé, Ordonnance no 09/R du 16 janvier 2002
(Me Kamte Neossi et Me Denise Deffo Bakam c/ Me Bruno Mbongue Eboa et
autres)
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NOUS, JUGE DES REFERES
Vu l’exploit introductif d’instance ;
Vu les pièces du dossier de la procédure ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que suivant exploit en date du 10 janvier 2002 de Maître Alain
Metangmo, Huissier de Justice à Garoua, y enregistré, Maître Kamté Neossi Michel,
Notaire à Maroua et Maître Denise Deffo Bakam, Notaire à Garoua, ayant pour
conseil Maître Deugoué Raphaël, Avocat, ont fait donner assignation en référé
d’heure à heure à Maître Bruno Mbongue Eboa, Notaire à Garoua, Maître Harissou,
Notaire à Maroua, Maître Adamou Baba Abba, Huissier de Justice à Garoua, ayant
pour conseil Maître Aboubakar, Avocat, et à la société SODECOTON prise en la
personne de son représentant légal pour, est-il dit dans cet exploit :
Constater et dire que la créance de 120 000 000 F. réclamée par les
notaires sus-requis, objet de l’ordonnance no 35/CAB/PTPI/GRA du 04 janvier 2002
n’existe pas parce que n’étant pas liquide, certaine et exigible ;
Constater et dire que
les requérants n’ont pas déposé
leur note
d’honoraires ;
Constater et dire fantaisiste l’évaluation de la créance faite par les notaires
requis ;
Mais vu l’urgence, ordonner la rétractation de l’ordonnance entreprise et
toutes mesures subséquentes, notamment la mainlevée de la saisie conservatoire
du 04 janvier 2002 ;
Attendu que Maître Bruno Mbongue Eboa, Abdoulaye Harissou et Adamou
Abba Baba par le truchement de leur conseil, à savoir Maître Aboubakar ont conclu
à l’incompétence du juge des référés ; qu’ils exposent qu’aux termes des articles 49,
62 et 63 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution, la juridiction compétente pour connaître de
tout litige ou de toute demande relative à une saisie conservatoire est le président
du tribunal qui a ordonné la mesure, statuant en matière d’urgence ; que le
législateur communautaire attribue cette compétence au juge de l’exécution des
décisions, lequel est distinct du juge des référés des articles 182 et suivants du
code de procédure civile et commerciale ;
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Attendu qu’il appert au regard des dispositions de l’Acte uniforme de
l’OHADA notamment en ses articles 49, 62 et 63, la juridiction compétente pour
connaître de tout litige ou toute autre demande relative à une mesure d’exécution
forcée ou à une saisie conservatoire est le président du tribunal qui a ordonné la
mesure statuant en matière d’urgence comme juge de l’exécution des décisions et
non comme juge des référés ;
Qu’en l’espèce il s’agit bien d’une rétractation de l’ordonnance no
35/CAB/PTPI/GRA du 04 janvier 2002 ayant ordonné une saisie conservatoire des
créances des demandeurs ;
Qu’au bénéfice des dispositions sus-citées il y a lieu de nous déclarer
incompétent à statuer ratione materiae et de renvoyer les parties à mieux se
pourvoir ;
Attendu que la partie qui succombe au procès répond des dépens ; qu’il
échet de condamner la partie demanderesse au paiement des susdites dont
distraction au profit de Maître Aboubakar, Avocat aux offres de droit ;
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties, en
PAR CES MOTIFS
matière de référé et en premier ressort ;
Nous déclarons incompétent à statuer en la cause ;
Renvoyons les parties à se mieux pourvoir ;
Laissons les dépens à la charge des demandeurs dont distraction au profit
de Maître Aboubakar, Avocat aux offres de droit.
3-
TPI Yaoundé-Ekounou, Référé, Ordonnance no 31 du 07 novembre 2002
(Oyono Elemva Samuel c/ Me Biyick Thomas et autres)
NOUS, PRESIDENT, JUGE DES REFERES
Vu l’exploit introductif d’instance ;
Vu les pièces du dossier de la procédure ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que par exploit du 12 septembre 2002 de Me NGWE Gabriel
Emmanuel, Huissier de Justice à Yaoundé, non encore enregistré mais qui le sera
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en même temps que la minute de la présente ordonnance, OYONO ELEMVA
Samuel a fait donner assignation à dame ZE ELLA Jacqueline d’avoir à comparaître
devant nous en référé le 26 septembre 2002 pour, est-il dit dans l’acte servi à cet
effet :
Ordonner la mainlevée de la saisie-attribution pratiquée les 12 et 13 août
2002 par Me BIYICK Thomas, Huissier de Justice à Yaoundé, sur le compte
bancaire du demandeur domicilié à la BICEC ;
Dire
l’ordonnance à
intervenir exécutoire sur minute et avant
enregistrement ;
Condamner dame ZE ELLA Jacqueline aux entiers dépens ;
Attendu que le demandeur au soutien de son action, expose qu’en
exécution de la grosse de l’ordonnance d’injonction de payer rendue le 18 juin 1992
contre la société SANYO SARL, Me BIYICK Thomas a cru devoir pratiquer une
saisie-attribution sur son compte ;
Que la société SANYO SARL ne pouvant se confondre à sa personne, la
saisie pratiquée est vexatoire ; que le compte sur lequel ladite saisie a été pratiquée
ne reçoit que sa pension de retraite ainsi bloquée ;
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Qu’en plus, cette saisie a été faite en violation de l’article 177 de l’Acte
uniforme de
l’OHADA portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution ;
Que vu l’urgence pour lui de faire libérer son compte conformément à
l’article 182 du code de procédure civile et commerciale, le juge des référés seul est
compétent en la matière ;
Attendu que suivant l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des
procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, la juridiction
compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure
d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction
statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par lui ;
Qu’en l’espèce, le juge saisi est celui des articles 182 et suivants du code
de procédure civile et commerciale qui ne saurait être compétent en la matière ;
Qu’il convient de nous déclarer incompétent et de renvoyer le demandeur à
mieux se pourvoir ;
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Attendu que la défenderesse ne conclut pas ; qu’il convient de statuer par
défaut à son égard ;
Attendu que la partie qui succombe supporte les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard du demandeur, par
défaut contre le défendeur, en matière de référé et en premier ressort ;
Nous déclarons incompétent ;
Renvoyons le demandeur à se mieux pourvoir ;
Mettons les dépens à sa charge.
OBSERVATIONS
1.– La jurisprudence camerounaise aurait-elle définitivement renoncé à
consacrer le juge des référés comme juge du contentieux de l’exécution ? Telle est
la question qu’il est permis de se poser après les ordonnances nos 392 du 26
février 2003, 09 du 16 janvier 2002 et 31 du 07 novembre 2002 rendues
respectivement par les présidents des tribunaux de première instance de Douala,
Garoua et Yaoundé. Ces décisions se rattachent en effet à une tendance
jurisprudentielle récente discrètement inaugurée par le président du tribunal de
première instance (PTPI) de Douala, puis ouvertement reprise et confirmée depuis
lors par nombre de ses homologues.
2.– L’on sait qu’au lendemain de l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme du
10 avril 1998 portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et
des voies d’exécution (AUVE), l’article 49 de ce texte a profondément divisé la
communauté des juristes camerounais. Cette disposition énonce, plutôt banalement,
que « la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute autre demande
relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le
président de la juridiction statuant en matière d’urgence ou le magistrat délégué par
lui ». Tandis que certains théoriciens et praticiens du droit y voyaient un renvoi
évident au juge des référés, d’autres faisaient valoir au contraire que la loi nouvelle
avait institué un juge spécial des saisies, distinct du juge des référés. Et alors que la
thèse de la compétence du juge des référés avait eu pendant longtemps les faveurs
de la doctrine et surtout de la jurisprudence, les décisions annotées se rallient
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nettement à la seconde interprétation.
3.– Dans une espèce comme dans l’autre, les faits étaient d’une clarté qui
interdisait toute décision ésotérique. En effet, les défendeurs contestaient le titre du
PTPI, mais uniquement en ce qu’il siégeait comme juge des référés, à connaître du
contentieux de l’exécution forcée mobilière en général, et plus spécifiquement d’une
demande tendant à l’invalidation d’une saisie-attribution (1ère et 3e espèces) ou
d’une saisie conservatoire de créances (2e espèce). Le problème soumis au juge
était donc identique dans les trois cas : l’article 49 AUVE qui règle la compétence
d’attribution en matière de saisies désigne-t-il le juge des référés ou un juge
spécial ?
La réponse, tout aussi identique, s’est voulue non équivoque : les PTPI
disent pour droit que le texte supranational renvoie non pas au juge des référés,
mais à un juge spécial, plus précisément le juge de l’exécution.
4.– Il convient de relever que l’application de l’article 49 AUVE avait
jusqu’alors engendré une jurisprudence des plus enténébrées. Saisis d’un litige
relatif à une saisie mobilière, les juges du fond ont, en règle générale, retenu leur
compétence en méconnaissance du
texte communautaire, même si on a
progressivement vu poindre ça et là quelques jugements d’incompétence et arrêts
de censure.
Les présidents des tribunaux de première instance siégeaient en la matière
en qualité de juges des référés et, au second degré, les cours d’appel statuaient en
formation de référé. Ici, les solutions dégagées reflétaient bien souvent la logique
du référé découlant des articles 182 et suivants du code de procédure civile et
commerciale
(C.P.C.C.) : on se déclarait
incompétent en présence d’une
contestation sérieuse ou d’un risque de préjudice au principal. C’est dire si la
pratique judiciaire camerounaise assimilait de manière générale le juge de l’urgence
de l’article 49 AUVE au juge des référés.
5.– Cette assimilation pouvait se réclamer d’une profusion d’arguments,
l’identité étant, prima facie, parfaite entre les articles 182 s. C.P.C.C. et 49 AUVE :
ces deux textes renvoient, sans nul doute, au même personnage, à savoir le
président du tribunal de première instance ; ils se réfèrent l’un et l’autre à une
procédure rapide excluant l’opposition, et fixant un délai d’appel identique et en
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principe non suspensif de l’exécution. Probablement sensibles à ces similitudes, de
nombreux auteurs ont vu dans l’article 49 AUVE un appel à la compétence du juge
des référés dans le contentieux des saisies, lors même qu’ils divergeaient quant à
l’étendue des pouvoirs dudit juge en la matière.
L’argument technique décisif en faveur de la compétence du juge des
référés vient sans conteste du Professeur ISSA-SAYEGH, qui relève : que l’OHADA
a certainement entendu éviter toute immixtion dans l’organisation judiciaire des
Etats membres ; que les spécificités nationales donnant lieu à une multiplicité de
vocables pour désigner le même organe judiciaire, les rédacteurs des Actes
uniformes ont été contraints de recourir à des termes génériques, de sorte que le
juge des référés serait devenu « le juge statuant en urgence » ; la cour d’appel,
« juridiction statuant au second degré » ; le tribunal de commerce, « la juridiction
compétente en matière commerciale »…
6.– Ces considérations d’une remarquable pertinence n’ont pourtant pas
dissuadé le juge de se prononcer en sens contraire dans les espèces commentées,
qui marquent comme un coup d’arrêt à la marche conquérante du référé dans les
voies d’exécution. Sans doute la motivation de ces décisions a-t-elle, en elle-même,
quelque chose d’aride puisque faisant mystère de son raisonnement, le PTPI se
confine à déclamer, comme un dogme de métaphysique juridique, que l’article 49
qui traite du contentieux de l’exécution renvoie au « président du tribunal […]
statuant en matière d’urgence comme juge de l’exécution des décisions et non
comme juge des référés » (2ème espèce), ou que « le juge […] des articles 182 et
suivants du code de procédure civile et commerciale ne saurait être compétent en la
matière » (3e espèce). Mais l’on imagine aisément que les PTPI se sont ralliés à
l’opinion d’une partie de la doctrine, qui flétrissait l’intervention du juge des référés
dans le contentieux de l’exécution.
L’on a en effet pu soutenir que la célérité de la procédure, l’exclusion de
l’opposition comme voie de recours et le délai d’appel identique prévus tant par les
articles 182 s. C.P.C.C. que par l’article 49 AUVE n’étaient que des coïncidences
trompeuses n’autorisant guère la confusion entre la juridiction des référés et la
nouvelle juridiction de l’exécution. Affinant cette démarcation, l’on a souligné que le
juge des référés n’était point l’unique juge des urgences ; que l’AUVE investissait la
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juridiction par elle désignée, de pouvoirs spécifiques excédant ceux du juge des
référés ; que l’exécution provisoire des décisions rendues par ce nouveau juge
obéissait à un régime spécial. Il a en outre été observé que la thèse en faveur de la
compétence du juge des référés conduisait à une absurdité en ce qu’elle aboutissait
à reconnaître à la juridiction des référés, instance de juridiction contentieuse par
essence, l’aptitude à rendre des ordonnances sur requête puisque le libellé de
l’article 49 confie à un seul et même juge le soin de connaître, en la même qualité,
de toutes les demandes se rapportant à une saisie, y compris donc celles des
demandes qui ne peuvent être
instruites que selon une procédure non
contradictoire.
7.– A dire vrai, certains PTPI avaient déjà franchi un premier pas lorsque,
statuant en état de référé dans le contentieux de l’exécution, ils se reconnaissaient
sur le fondement de l’article 49 AUVE les pouvoirs d’un véritable juge du fond.
Approuvés en cela par les juges d’appel, ils opéraient ainsi une première distinction
selon laquelle le juge des référés, tout en demeurant en règle générale le juge du
provisoire, de l’incontestable et de l’évident, deviendrait juge du fond dans la
matière spéciale des saisies, par la vertu de l’article 49 AUVE. Les ordonnances
commentées marquent donc, dans le contentieux national de droit communautaire,
une nouvelle étape dans
l’interprétation de
l’article 49 AUVE puisqu’elles
condamnent dans son principe même l’intervention du juge des référés dans la
matière des saisies. De l’avis des juges des référés de Douala-Bonanjo, Garoua et
Yaoundé-Ekounou, la loi uniforme donne certes compétence au PTPI ; mais celui-ci
statue alors comme juge de l’exécution, et non en qualité de juge des référés.
8.– Mais alors surgit une interrogation : lors même qu’elle serait admise,
cette différenciation saurait-elle justifier la solution radicale de l’incompétence du
PTPI saisi comme juge des référés ? Dès lors que le juge des référés et le juge de
l’exécution sont incarnés par le même personnage qui est le PTPI, l’article 49 ne
postule-t-il pas une simple
réorganisation administrative de
la
juridiction
présidentielle ? La question revêt toute son importance au regard tant de l’embarras
des magistrats se traduisant par la multiplicité, voire l’ambiguïté des formules
utilisées que de la sévérité avec laquelle certains juges sanctionnent les errements
de langage qui viendraient à infester l’acte introductif d’instance.
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8 bis.– Réunis à Yaoundé les 11, 12 et 13 juillet 2001, les chefs des cours
d’appel ont adopté des recommandations conseillant aux PTPI de désormais
introduire l’exorde des ordonnances rendues dans le contentieux de l’exécution par
la formule nouvelle « Nous, … Juge de l’urgence statuant en vertu de l’article 49
AUVE » et non plus par celle traditionnelle « Nous,… Juge des référés » (et cela
indépendamment, semble-t-il, de la qualité en laquelle ils auront été saisis).
Seulement, il est permis de s’interroger sur le bien-fondé de cette approche
conciliatrice lorsqu’on examine la nature de la règle contenue dans le texte
communautaire, car il semble bien que l’article 49 AUVE pose une véritable règle de
compétence d’attribution et non une simple mesure d’administration judiciaire.
Les règles d’administration judiciaire, on le sait, concourent seulement à
l’organisation et au bon fonctionnement du service de la justice, ainsi qu’à la
rationalisation du travail juridictionnel. Parce qu’elles ne résolvent pas de question
de droit et ne préjudicient guère aux intérêts de l’une quelconque des parties, les
ordonnances relevant de l’administration judiciaire ne sont en principe sujettes à
aucun recours. C’est le cas par exemple d’une ordonnance de répartition des tâches
entre magistrats d’une même juridiction, ou encore d’une ordonnance autorisant une
partie à assigner à bref délai. Par contre, il ne fait aucun doute qu’une décision
rendue en méconnaissance de l’article 49 AUVE par une juridiction incompétente
serait exposée à une censure certaine, de sorte que la règle posée par ce texte
s’apparente à une véritable règle de compétence d’attribution et ne constitue pas
seulement une mesure d’administration judiciaire, destinée à assurer au sein d’une
même juridiction la répartition des procédures pour le bon ordre du service.
Cette lecture se recommande par ailleurs de la lettre même de l’article 49
AUVE, qui érige le PTPI en une véritable juridiction en le désignant comme étant
« la juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute autre demande
relative à une mesure d’exécution forcée ou à une saisie conservatoire ». En
matière de saisies, le PTPI, qui arborerait alors la casquette de juge de l’exécution,
constituerait donc une véritable juridiction autonome qui resterait, en même temps,
bien distincte de toutes les autres juridictions du premier degré. Dans le domaine
spécifique des saisies, cette juridiction sui generis ne tolérerait la concurrence
d’aucun autre juge, fût-il le juge des référés. Ce dernier, saisi d’un litige dévolu à la
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compétence exclusive du juge de l’exécution, doit se déclarer incompétent, surtout
même que les règles attributives de compétence matérielle sont d’ordre public. Telle
semble être la logique du juge dans les espèces commentées. En conséquence, il
n’existerait pas seulement, au tribunal de première instance, une fonction de juge de
l’exécution ; celui-ci aurait une existence propre, organique, statutaire.
8 ter.– On pourra certes objecter qu’en OHADA comme dans toute
organisation d’intégration juridique le principe de l’autonomie institutionnelle et
procédurale commande que chaque Etat membre détermine les juridictions
compétentes et leurs pouvoirs selon les règles régissant son organisation judiciaire
propre en sorte que l’organisation judiciaire camerounaise ne prévoyant pas un juge
de l’exécution, la transposition au plan national de l’article 49 AUVE ne peut que
conduire à la désignation du juge des référés.
Une telle objection n’est toutefois pas sans réponse, puisque l’autonomie
institutionnelle des Etats membres ne saurait ouvrir la voie à la ruine de l’effet direct
du droit communautaire, et à la méconnaissance de la primauté de l’ordre juridique
communautaire sur les ordres juridiques nationaux. Cette primauté implique, de la
part des autorités nationales, l’obligation de prendre toutes mesures propres à
garantir l’application et l’efficacité du droit communautaire. On aurait pu, dans cette
optique, envisager une solution de compromis consistant à reconnaître au juge des
référés la plénitude des pouvoirs dans le cadre spécifique de l’exercice de sa
mission communautaire de régulation des procédures civiles d’exécution. Or, l’on a
déjà démontré en quoi la nature et l’essence même de la juridiction des référés
étaient incompatibles avec l’office du juge indiqué par l’article 49, de sorte que
confier le contentieux de l’exécution au juge des référés constituerait une véritable
malfaçon. Dès lors, en partant de cette double constatation d’une part que l’AUVE a
directement intégré l’ordre juridique camerounais, et d’autre part que le renvoi par
l’article 49 dudit Acte au PTPI ne fait l’ombre d’aucun doute, il importe d’aménager
au profit de ce magistrat un statut et des pouvoirs qui soient conformes aux objectifs
de la loi communautaire, et qui le mettent à même d’exercer convenablement la
mission à lui assignée par l’article 49 AUVE. De ce point de vue, les ordonnances
annotées nous semblent dignes de créance.
9.– Deux implications au moins sont attachées à la solution retenue par ces
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décisions.
La première, qui coule comme de source, est que du fait de sa rencontre
avec le droit communautaire la juridiction présidentielle au niveau du TPI a subi une
importante métamorphose et comporte désormais trois démembrements : le PTPI,
qui était déjà juge des requêtes et juge des référés, est investi des fonctions
nouvelles de juge de l’exécution, ce qui présente l’avantage d’éviter le système
ténébreux d’un référé à plusieurs vitesses où le juge se proclamerait alternativement
juge du principal et juge du provisoire selon qu’il s’agit ou non d’une saisie.
La seconde, moins évidente, est que le juge de l’exécution est compétent
pour rendre des ordonnances sur requête en matière de saisies mobilières. Il
importe de souligner que le C.P.C.C. n’ayant point fixé un régime général des
ordonnances sur requête, c’est à la doctrine et à la jurisprudence que l’on doit la
sécrétion d’un droit commun de l’ordonnance sur requête. Il est aujourd’hui admis
que lorsqu’il a été fait droit à la requête présentée, la voie de recours ouverte contre
l’ordonnance rendue est le référé à fin de modification ou de rétractation. Lors donc
que le juge des référés se déclare matériellement incompétent à rétracter
l’ordonnance de saisie conservatoire dans la deuxième espèce commentée, il
postule par là même que l’ordonnance querellée n’émanait point du juge des
requêtes ordinaire. Il s’en infère que c’est en qualité de juge de l’exécution que le
PTPI avait, ab initio, rendu sur requête l’ordonnance attaquée en rétractation. Cette
déduction, qui induit un éclatement de la compétence sur requête du PTPI, laisse
quelque peu songeur…
10.– De fait, les ordonnances commentées ouvrent la porte à toutes les
spéculations, et on ne peut aller plus avant dans l’analyse sans courir au-devant de
nouvelles interrogations.
Il n’est certes plus discuté qu’en dépit de sa formulation plutôt généreuse,
l’article 49 AUVE est sans application en matière de saisie immobilière ; les
incidents de toute procédure d’expropriation forcée de biens immobiliers continuent
de relever de la compétence exclusive du tribunal de grande instance. Mais dans la
matière spéciale des saisies mobilières qui lui est réservée, quelle est l’étendue des
pouvoirs dont dispose le juge désigné par l’article 49? La cour d’appel du Centre a
pu, il est vrai, indiquer que ledit juge avait une compétence exclusive lui faisant
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prohibition de se déclarer incompétent. Le juge d’appel de Douala a précisé qu’il en
découlait pour le juge désigné, une aptitude générale à statuer « tant sur la forme
de l’acte d’exécution que sur le fond de la décision à exécuter ». Peut-on en déduire
que le PTPI statuant dans le contentieux de l’exécution aura la liberté de dépasser
les questions de pure exécution pour se prononcer sur les critiques élevées à
l’encontre du titre exécutoire servant de fondement aux poursuites ?
Autre question, bien plus pressante : en admettant avec les juges des
référés de Douala, Garoua et Yaoundé que le texte communautaire a engendré un
juge de l'exécution distinct du juge des référés, quelle est alors la procédure
applicable devant la nouvelle juridiction puisque la loi uniforme est muette à ce
sujet ? Envisageant le problème, le PTPI de Douala-Bonanjo professe, non sans
emphase, que le nouveau juge de l’exécution « peut statuer en référé d’heure à
heure comme en référé ordinaire ». Mais ce n’est là que pétition de principe…
Par ailleurs, comment concilier l’existence de cette nouvelle juridiction du
premier degré avec le principe du double degré de juridiction ? Faut-il réaménager
pour les adapter les formations de la cour d’appel ou convient-il de décider, comme
l’a fait hardiment la CCJA dans une espèce, que dans le silence de l’Acte uniforme
la cour d’appel ne saurait être saisie sur le fondement des textes nationaux qui
organisent la procédure d’appel ? On frémit à l’idée qu’un plaideur malheureux
puisse se voir dénier le bénéfice du double degré de juridiction !
Et ce n’est pas tout. Dès lors que le juge de l’exécution et le juge des
référés sont incarnés par le même personnage – le PTPI par ailleurs juge des
requêtes – de quels repères disposent les justiciables pour identifier avec précision
le juge auquel s’adresser ? Comment conjurer les risques potentiels de télescopage
entre juge des référés et juge de l’exécution ? Et comment concilier la compétence
sur requête de ce dernier avec l’existence au TPI d’un juge des requêtes de droit
commun ? Bref, que faire pour délimiter les frontières et rasséréner les plaideurs
tout en garantissant un fonctionnement harmonieux de la trinité présidentielle ?
11.– Au total, les ordonnances commentées marquent assurément une
étape décisive dans l’interprétation jurisprudentielle de l’article 49 AUVE. Après cinq
années d’application cacophonique du texte communautaire, les juges lancent, dans
l’une et l’autre espèces, un message clair : le juge de l’exécution est en marche. Nul
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ne songe, cependant, à proclamer triomphalement que l’on est enfin parvenu au soir
de cette longue pérégrination. On se prend simplement à espérer que dans l’attente
d’une intervention législative, la jurisprudence camerounaise, dont on a souvent
décrié les flottements singulièrement rapides, saura se donner les moyens d’un
affinement syncrétique de l’audacieuse construction ainsi amorcée.
Alexis NDZUENKEU
Magistrat
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