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L’élaboration d’une nouvelle
constitution en Tunisie
en 2022 : un processus
fondamentalement
défectueux
QUESTIONS ET
RÉPONSES
juin 2022
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L’élaboration d’une nouvelle constitution en Tunisie en 2022 : un processus fondamentalement défectueux QUESTIONS ET RÉPONSES
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En 2014, à l'issue d'un processus de rédaction de deux ans, la
Tunisie a adopté une Constitution consensuelle. Le texte a été
salué comme ayant renforcé la protection des droits humains
et de la démocratie dans le pays.
droits de l'homme inscrits dans la Constitution de 2014 et dans
le droit international des droits de l'homme (DIDH), notamment
le droit des Tunisiens de participer directement à la conduite
des affaires publiques et de choisir leur constitution.
Le 13 décembre 2021, le président tunisien, Kais Saïed, a
annoncé une « feuille de route » pour amender la Constitution
de 2014, prétendument par le biais d'une « consultation
nationale » et d'un référendum en 2022. Au cours de l'année
2022, il est apparu clairement que le véritable objectif du
processus lancé par le président n'était pas simplement de
modifier la Constitution de 2014, mais de la remplacer par une
nouvelle constitution.
La plupart des acteurs nationaux, notamment les partis
politiques, les syndicats et les organisations de la société
civile, ont refusé de prendre part au processus de rédaction
de cette nouvelle constitution. En outre, l'absence de tout
semblant de légitimité démocratique, de dimension inclusive,
de redevabilité et de
- caractéristiques
essentielles de tout processus efficace d'élaboration d'une
constitution fondé sur le consensus - a suscité des appels au
boycott du référendum du 25 juillet 2022 sur le nouveau texte
constitutionnel.
transparence
Le président Saïed a démantelé un ordre constitutionnel
légitime et légalement constitué. Ses actions violent les
principes fondamentaux de l'état de droit et les garanties des
À la lumière du droit international des droits de l'homme et
des normes en la matière, ce rapport de questions-réponses
vise à fournir un aperçu concis du processus visant à
remplacer la Constitution de 2014, ainsi qu'à identifier et à
exposer les préoccupations relatives à l'état de droit et aux
droits humains. Il aborde les questions suivantes et fournit
une série de recommandations pour les autorités tunisiennes
et la communauté internationale à mesure que se déroule le
processus de remplacement constitutionnel :
I. Aperçu du processus d'élaboration de la Constitution
de 2022
II. Ce processus respecte-t-il
le droit national et
international des droits de l'homme et les normes
relatives à l'élaboration d'une constitution, y compris
le droit de participer aux affaires publiques ?
a. Le processus a-t-il respecté le principe de légalité ?
b. Le processus a-t-il été inclusif et participatif ?
c. Le processus s'est-il déroulé dans un délai adéquat
et dans des conditions permettant un débat
constructif ?
III. Conclusions et recommandations
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Aperçu du processus d'élaboration
de la Constitution de 2022
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Le 13 décembre 2021, avec la volonté affichée de sortir
la Tunisie de sa crise politique, le président tunisien
Kais Saïed a présenté son plan d'amendement de
la Constitution de 2014. Dans ce discours, et dans
d'autres discours au cours des mois suivants, il a
exposé un processus d'élaboration de la constitution
en quatre étapes : une « consultation publique » -
étape 1 – qui alimenterait prétendument « un dialogue
national » - étape 2 - sur la base duquel « une nouvelle
constitution serait rédigée en commission » - étape 3
- puis soumise au vote par le biais d'un référendum
national - étape 4. La section suivante donne un
aperçu de chacune de ces quatre étapes.
« Consultation publique »
Une consultation en ligne a été ouverte le 15 janvier
2022 et clôturée le 20 mars 2022. Par le biais de la
plateforme en ligne « e-istichara », les citoyens tunisiens
âgés de 16 ans et plus ont été invités à répondre à
32 questions « pour identifier les réformes majeures
», et « soutenir la transition démocratique » en Tunisie,
dans les catégories suivantes : affaires politiques ;
économie ; affaires sociales ; développement durable
; qualité de vie ; affaires éducatives et culturelles.
Seuls 534 915 Tunisiens ont participé à la consultation
en ligne, soit environ 7,5 % des quelques 7,1 millions
d'électeurs inscrits (bien qu'ils aient la possibilité de
participer, on ne sait pas combien de jeunes de 16
à 18 ans ont participé). Dans un discours prononcé
le 31 mars 2022, le président Saïed a annoncé que
la consultation avait été un succès et qu'elle serait
le fondement pour faire entrer la Tunisie dans une
nouvelle ère.
Processus d'élaboration
Le 19 mai 2022, le Président Saïed a adopté le décret
2022-30 relatif à la création d'une Instance nationale
consultative pour une nouvelle République (INCNR).
En vertu de l'article 4, l’INCNR devait être composée
de trois comités consultatifs : (i) la commission
consultative des affaires économiques et sociales ; (ii) la
commission juridique ; et (iii) la commission du dialogue
national, composée des membres des deux autres
commissions. Le décret prévoit que la commission
des affaires économiques et sociales comprenne des
représentants d'organisations nationales telles que

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L’élaboration d’une nouvelle constitution en Tunisie en 2022 : un processus fondamentalement défectueux QUESTIONS ET RÉPONSES
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l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) (article
7) et que la commission juridique soit composée de
doyens de facultés de droit (article 12). La commission
des affaires économiques et sociales devait se mettre
d'accord sur un ensemble de propositions relatives
aux aspirations du peuple tunisien (article 8), et la
commission juridique devait préparer un projet de
constitution et un rapport d'accompagnement (articles
13-14). La commission du dialogue national devait
recevoir les propositions des deux commissions
avant le 13 juin et les synthétiser dans un projet de
constitution avant le 20 juin (articles 2 et 22). L'article
2 précise que le projet de constitution doit respecter
les résultats de la consultation publique et viser à
établir un régime démocratique. Un autre décret, le
décret 2022-32, précise que le projet de nouvelle
constitution sera publié par décret présidentiel le 30
juin 2022.
Alors que la commission des affaires économiques et
sociales se serait réunie les 4, 11 et 12 juin, en même
temps que les réunions de la commission du dialogue
national, la commission juridique, chargée de rédiger
la Constitution en vertu de l'article 13 du décret 2022-
30, ne s'est en fait jamais réunie suite au refus, le
23 mai, de tous les doyens des facultés de droit de
participer. Néanmoins, le président de l’INCNR a remis
l'avant-projet de Constitution au président le 20 juin,
mais on ne sait pas exactement qui l'a rédigé et en
vertu de quelles dispositions du décret 30 cela a été
fait.
Dialogue national
Bien qu'elle n'ait pas été envisagée à l'origine par
le Président dans son discours de décembre 2021
présentant sa « feuille de route », la nécessité d'un
dialogue national est apparue au cours du premier
semestre 2022, notamment en réponse aux pressions
exercées par les parties prenantes nationales et
internationales.
Entre avril et juin 2022, le Président a tenu des
réunions bilatérales avec des représentants des
organisations du Quartet de 2013, notamment l'UGTT,
la LTDH et l'Ordre des avocats tunisiens. En juin
2022, le Décret 2022-30 a créé le Comité national
du dialogue, composé des deux comités relevant de
l’INCNR. Le 25 mai, le Président a nommé les membres
du comité de dialogue national par le biais du Décret
présidentiel 2022-505, comprenant les représentants
de l'UGTT et les doyens des facultés de droit qui
avaient précédemment refusé d'en faire partie.
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Référendum
Alors qu'il n'était pas clair au départ si le référendum
demanderait aux Tunisiens de se prononcer sur une
Constitution amendée de 2014 ou sur une constitution
entièrement nouvelle, l'article 2 du Décret présidentiel
2022-506 du 25 mai a entièrement résolu ce point, en
prévoyant que la question à soumettre au référendum
public le 25 juillet 2022 soit : « Approuvez-vous le
projet de la nouvelle Constitution de la République
tunisienne » ?
L'adoption de plusieurs décrets a réglementé la
procédure référendaire. Le 21 avril 2022, le Décret-
loi 2022-22 a été adopté modifiant la composition
de l'organe de contrôle du référendum, l'Instance
supérieure indépendante pour les élections (ISIE), en
permettant au Président de nommer l'ensemble de
ses membres par décret présidentiel et en supprimant
ainsi tout semblant d'indépendance. Le Président a
ensuite nommé tous les membres de l'ISIE par Décret
présidentiel 2022-459 le 9 mai.
Le 1er juin, le Décret-loi 2022-34 a été adopté,
l'ISIE de nouveaux pouvoirs pour
accordant à
la campagne
la participation à
réglementer
référendaire et gérer
l'inscription des électeurs,
y compris l'inscription obligatoire des électeurs.
Depuis, l'ISIE a menacé de poursuites judiciaires toute
association ou média, organisation ou personne qui
ferait campagne pour ou contre le référendum sans
l'approbation préalable de l'ISIE. Le 3 juin, l'ISIE a
publié une Décision 13-2022 délimitant la campagne
du référendum et le processus de vote. Selon l'article 11
de la décision, la campagne référendaire se déroulera
du 3 au 23 juillet en Tunisie et du 1er au 21 juillet pour
les ressortissants tunisiens résidant à l'étranger.
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Ce processus respecte-t-il le droit national et
international des droits de l'homme et les normes
relatives à l'élaboration d'une constitution, y compris le
droit de participer aux affaires publiques ?
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Le droit des Tunisiens à participer au processus d'élaboration
de la constitution est garanti par le droit international des
droits de l'homme, notamment l'article 25(a) du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), par
lequel la Tunisie est obligée, qui exige que les États parties
garantissent que chaque citoyen:
« a le droit et la possibilité […] de prendre part à la direction des
affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de
représentants librement choisis. »
Le Comité des droits de l'homme (HRCttee), l'organe chargé
de surveiller la mise en œuvre du PIDCP, a précisé que « les
citoyens participent […] directement à la direction des affaires
publiques lorsqu'ils choisissent ou modifient la forme de leur
constitution, ou décident de questions publiques par voie de
référendum […] en prenant part […] aux organes créés pour
représenter les citoyens en consultation avec l'administration
» [Observation générale 25, ¶6].
également compris dans l'article 13 de la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples.
Outre les interprétations par le HRCttee du PIDCP qui font
autorité, les orientations d'autres autorités et organes d'experts
internationaux en matière de droits humains fournissent
une interprétation supplémentaire de la portée des normes
juridiques internationales relatives au droit de participer au
processus d'élaboration d’une constitution. Il s'agit notamment
de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance (ci-après « CADEG »), du guide du HCDH sur les
droits de l'homme et l'élaboration d’une constitution (ci-après «
guide du HCDH »), de la compilation des décisions et rapports
de la Commission de Venise concernant les référendums (ci-
après « Commission de Venise sur les référendums ») et de
la compilation des décisions de la Commission de Venise
concernant les dispositions constitutionnelles pour amender
la Constitution (ci-après « Commission de Venise sur les
constitutions »).
Le droit de participer à la direction des affaires publiques est
Les normes et le droit international des droits de l'homme
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susmentionnés définissent quatre garanties essentielles
pour le droit de participer au processus d'élaboration d’une
constitution, qui sont présentées dans la section suivante.
Chacune d'entre elles a été minée par le processus actuel
d'élaboration de la constitution.
a. Le processus a-t-il respecté le principe de légalité ?
Les États doivent s'assurer que leur processus d'élaboration
d’une constitution respecte le principe de légalité. Le HRCttee
a stipulé que « les moyens par lesquels les citoyens exercent
les droits protégés par l'article 25 devraient être déterminés
par des lois constitutionnelles ou autres » [Observation
générale 25, ¶5; voir aussi la Commission de Venise sur
les constitutions, p. 9]. En ce qui concerne les référendums,
le HRCttee stipule en outre qu' « une autorité électorale
indépendante devrait être créée afin de superviser le
processus électoral et de veiller à ce qu'il soit conduit dans
des conditions d'équité et d'impartialité, conformément à des
lois établies qui soient compatibles avec le Pacte » [¶20].
Le processus d'élaboration de la Constitution de 2022 n'a pas
été prévu par la Constitution existante. En vertu des articles
143 et 144 de la Constitution tunisienne de 2014, il est possible
de modifier la constitution par référendum après avoir franchi
deux étapes. Premièrement, la Cour constitutionnelle doit
examiner le projet afin d'établir que celui-ci « ne concerne
pas ce qui, d'après les termes de la présente Constitution, ne
peut faire l'objet de révision » et deuxièmement, le Parlement
doit approuver le projet à la majorité absolue. La Tunisie n'a
pas encore établi de Cour constitutionnelle et le Parlement a
été suspendu le 25 juillet 2021 et dissous le 20 mars 2022.
Le processus proposé n'est donc pas conforme à l'ordre
constitutionnel existant et constitue donc une violation de
l'article 25 du PIDCP.
Le processus d'élaboration de la Constitution de 2022 n'a
pas non plus été établi en vertu d'autres lois. Le Décret 2021-
117 a renforcé « l'état d'exception » en Tunisie et a habilité le
Président à introduire des « réformes » politiques avec l'aide
d'une commission et à soumettre ces réformes à un référendum
(article 22). Le Décret-loi 2022-22 modifiant la composition de
l'ISIE et le Décret-loi 2022-30 créant l’INCNR ont été adoptés
dans le cadre du décret 2021-117. La CIJ considère que le
décret 2021-117 manque de base légale car l'état d'exception
invoqué comme sa justification intrinsèque est incompatible
avec l'article 80 de la Constitution de 2014. Selon cet article,
un état d'exception ne peut être imposé que si le Parlement
est en session et qu'une Cour constitutionnelle est en place.
À ce titre, les décrets 2021-117 et les décrets ultérieurs, y
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compris ceux qui sous-tendent le processus d'élaboration de
la Constitution de 2022, sont nuls, non avenus et sans effet
juridique.
Ces décrets vont à l'encontre des obligations de la Tunisie
au titre de la Constitution de 2014 et du droit international
relatif aux droits de l’homme. Par exemple, non seulement
le Décret 2022-22 modifiant la loi sur l'ISIE est dépourvu
de toute base constitutionnelle ou juridique, mais il crée
également une situation dans laquelle l'ISIE n'atteint pas le
niveau requis pour une « autorité électorale indépendante »,
comme le prévoit l'article 25 du PIDCP (voir ci-dessus, page
3). Voir les Observations finales du HRCttee sur le Cameroun,
¶43, qui exigent que l'organe chargé des référendums
soit indépendant du pouvoir exécutif. Comme l'affirme la
Commission de Venise, le décret-loi 2022-22 « subordonne
l'ISIE au pouvoir exécutif » d'une manière qui « compromet
son indépendance et son impartialité ».
b. Le processus a-t-il été inclusif et participatif ?
Les dispositions du PIDCP, de la Charte africaine et d'autres
normes internationales relatives aux droits humains exigent
que les moyens par lesquels les citoyens participent au
processus d'élaboration d’une constitution soient inclusifs et
participatifs.
Premièrement, en vertu de l'article 25 du PIDCP, la Tunisie
doit garantir à chaque citoyen le droit et la possibilité de
prendre part aux processus d'élaboration d’une constitution
« sans aucune des distinctions mentionnées à l'article 2
et sans restrictions déraisonnables ». L'article 2 (1) interdit
la discrimination dans la jouissance des droits du traité sur
la base d'une liste non exhaustive de motifs, y compris la
race, la langue, les opinions politiques ou autres opinions.
Les restrictions déraisonnables au droit de prendre part aux
affaires publiques, y compris au processus d'élaboration
d’une constitution, ont été décrites par le HRCttee comme
étant celles qui sont fondées sur tout autre critère que des
« critères objectifs et raisonnables » [GC 25, ¶4]. Dans ce
contexte, le HRCttee a donc estimé que les restrictions aux
droits de l'article 25 fondées sur l'adhésion à des partis
politiques constituent des restrictions déraisonnables [Chiiko
Bwalya c. Zambie, ¶6.6 et Pietraroia c. Uruguay, ¶16].
La gestion du dialogue national par la Tunisie est bien en deçà
de ces normes. Le président Saïed a exclu de la participation
au dialogue national toute personne, organisation ou parti
politique qui rejette la légitimité du 25 juillet 2021 (date
à laquelle le président Saïed a démis le Gouvernement,
s'est déclaré chef de l'exécutif et a suspendu le Parlement,
changeant ainsi l'ordre juridique et politique en Tunisie),
y compris les partis politiques, comme le parti Ennahdha.
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Cette exclusion a eu force de loi par le Décret 2022-30, qui
a délibérément exclu les partis politiques de la commission
du « dialogue national » ou d'autres commissions de l’INCNR.
En vertu de la jurisprudence susmentionnée du HRCttee,
l'exclusion délibérée par le président Saïed des individus et
des partis politiques qui ont rejeté sa prise du pouvoir du 25
juillet 2021 équivaut à une restriction déraisonnable des droits
de l'article 25 de participer à la conduite des affaires publiques
en vertu du PIDCP, ainsi qu’à peut-être une discrimination
fondée sur les opinions politiques, en violation de l'article 2 (1)
lu conjointement avec l'article 25.
Deuxièmement, les normes internationales exigent des États
qu'ils adoptent des mesures positives pour assurer une large
participation au processus d'élaboration d’une constitution
afin de garantir une appropriation nationale de la rédaction
et de l'adoption de la constitution. Le HRCttee a déclaré que
les États devaient « garantir la participation effective et utile
de tous les acteurs concernés, notamment de représentants
des partis d’opposition et de la société civile dans toute sa
diversité » [Observations Finales, Soudan, 6]. Le HCDH, citant
la note d'orientation du Secrétaire général des Nations Unies
sur l'assistance des Nations Unies à l'élaboration d’une
constitution, explicite que : « L’appropriation nationale suppose
la participation, entre autres, des acteurs officiels, des partis
politiques, de la société civile et du grand public. De plus,
les défenseurs des droits de l’homme, les associations de
juristes, les médias et autres organisations de la société civile,
y compris celles qui représentent les femmes, les enfants, les
minorités, les peuples autochtones, les réfugiés, les apatrides,
les personnes déplacées, les travailleurs et les entrepreneurs,
devraient pouvoir se prononcer dans le cadre d’un processus
d’élaboration de la Constitution ouvert et participatif. » [p.16].
Le processus d'élaboration de la Constitution 2022 en Tunisie
n'a pas respecté ces normes. Tout d'abord, la consultation
électronique nationale (décrite ci-dessus à la page 2), censée
sonder la volonté du peuple avant le processus de rédaction,
a échoué à garantir une large participation, avec seulement
7,5 % des électeurs inscrits qui ont participé. Le « dialogue
national » lui-même n'a pas impliqué les acteurs politiques,
comme indiqué plus haut, ni un large éventail d'acteurs de
la société civile, à l'exception de ceux qui ont participé au
Quartet initial de 2013 (la Ligue tunisienne des droits de
l'homme). Cet échec a été confirmé par la forte opposition au
processus de référendum et au dialogue national depuis avril
2022, y compris le refus de l'un des membres du Quartet -
l'UGTT - d'y participer.
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c. Le processus s'est-il déroulé dans un délai adéquat et
dans des conditions permettant un débat constructif ?
Le droit international des droits de l’homme et les normes
internationales recommandent aux autorités tunisiennes de
prévoir un délai suffisant et des procédures transparentes
et efficaces pour les consultations publiques et le dialogue
tout au long du processus d'élaboration d’une constitution.
En ce qui concerne le calendrier adéquat (délai suffisant)
de rédaction de la Constitution, la note d’orientation du
Secrétaire général des Nations Unies préconise de prévoir
au moins un an entre le début du processus d'élaboration
d’une constitution et la date du référendum [UNSG, p. 8]. Les
conditions permettant un débat constructif comprennent la
transparence des processus et des résultats ainsi que des
garanties en matière de liberté d'expression.
La CIJ considère que le processus engagé en Tunisie n'a pas
rempli ces critères. Le président Saïed n'a donné à l’INCNR
qu'un mois à compter de la date de sa création (20 mai 2022)
pour produire un projet de constitution. Le projet de constitution
devant être soumis à référendum devait être publié le 30
juin après examen par le Président, soit seulement 25 jours
avant le référendum sur son adoption. Le gouvernement n'a
pris aucune disposition pour que le projet soit publié avant
sa finalisation afin que les individus et les parties prenantes
puissent en débattre, le commenter et que leurs contributions
soient dûment prises en compte par le comité de rédaction.
En outre, le calendrier serré n'a laissé aucune place à une
période de consultation plus large avec les acteurs clés, tels
que les partis politiques, la société civile et les journalistes,
avant et après la finalisation du projet. En tant que tel, ce
processus n'a pas permis au public tunisien d'avoir le temps
et l'opportunité de s'engager de manière significative dans
l'élaboration du contenu de la constitution.
Les restrictions à l'approche du référendum contreviennent
également au droit à la liberté d'expression et à la participation
aux affaires publiques. En vertu des nouveaux pouvoirs qui
lui sont conférés par le Décret 2022-22, article 4, l'ISIE a le
pouvoir à la fois de réglementer qui peut faire campagne pour
et contre le référendum et de limiter le temps de campagne à
20 jours (3-23 juillet). Ces restrictions sont similaires à celles
qui ont été considérées comme constituant des « restrictions
déraisonnables » au droit de participer aux affaires publiques
par le HRCttee, qui a noté que la limitation de l'autorisation de
faire campagne pour une élection à 22 jours par l'Azerbaïdjan
était une « restriction sévère »
[Observations finales,
Azerbaïdjan 2016, ¶42].
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Conclusions et
recommandations
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En modifiant la Constitution par référendum pendant
un état d'exception, sans contrôle parlementaire
ou constitutionnel, sans commission électorale
indépendante ni Cour constitutionnelle, le Président
viole la lettre même de l'article 144 de la Constitution
de 2014, ainsi que le droit international des droits
de l'homme et les normes relatives au droit de
participation aux affaires publiques.
La création de l’Instance nationale consultative
pour la nouvelle République manque de légitimité
démocratique, tel qu’illustré par sa composition
exclusive et les procédures par lesquelles il lui a
été demandé de produire la plus haute loi du pays.
La consultation publique en ligne et le « dialogue
national » n'ont été ni inclusifs ni participatifs et ne
peuvent être décrits comme une représentation
fidèle de la volonté du peuple de manière à refléter
l'appropriation nationale du processus. Le délai
prévu pour le processus de rédaction et d'adoption
a été déraisonnablement court et ne crée pas les
conditions d'un véritable débat public autour du
projet avant le référendum.
En tant que tel, le processus actuel d'élaboration
et d'adoption de la constitution par référendum du
président Saïed va à l'encontre du droit international
des droits de l'homme et des normes relatives au
processus d'élaboration d’une constitution fondé sur
le consensus et viole le droit et les normes tunisiens
et internationaux sur le droit de participer aux
affaires publiques.
A la lumière de cette conclusion, la CIJ appelle les
autorités tunisiennes à :
Retirer le projet de constitution, mettre
fin à l'état d'exception et rétablir l'ordre
constitutionnel ;
Veiller à ce qu'aucun processus d'élaboration
ou de révision de la Constitution n'ait lieu
tant que l'ordre constitutionnel n'est pas
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conforme aux principes de l'état de droit, de la
séparation des pouvoirs et de l'indépendance
du pouvoir judiciaire, ainsi qu'au droit et aux
normes internationales en matière de droits
humains ;
Veiller à ce que tout processus de ce type soit
inclusif, participatif et transparent, impliquant
tous les Tunisiens et leurs représentants, et
permettant un débat public et significatif ;
Veiller à ce que ce processus soit mené en
dehors du cadre de l'état d'exception, avec la
participation de toutes les autorités légitimes
et légalement constituées et des organes
constitutionnels, y compris une commission
électorale indépendante ; et
S'abstenir de toute attaque, intimidation ou
menace, y compris les menaces de poursuites
judiciaires, à l'encontre de ceux qui s'opposent
au processus actuel d'élaboration de la
constitution, et veiller à ce qu'ils puissent
exprimer leurs points de vue librement,
notamment par un accès égal aux médias
publics.
La CIJ appelle la communauté internationale à :
Exhorter au retrait du projet de constitution
et souligner la nécessité de veiller à ce
la
le processus d'élaboration de
que
constitution respecte le cadre procédural
prévu par l'article 144 de la Constitution
(à savoir le contrôle du Parlement et de
la Cour constitutionnelle) et les normes
internationales relatives à la participation
des Tunisiens aux affaires publiques et au
processus d'élaboration de la constitution ;
et
Surveiller le référendum et évaluer sa liberté
et son équité.

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Constituée de 60 éminents juges et avocats du monde entier, la Commission Internationale de Juristes (CIJ)
œuvre pour la promotion et la protection des droits humains dans le cadre de l’état de droit. Elle dispose d’une
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