coup de force2. Le 19 mai 2022, le président Saïed a adopté le décret-loi 30-2022 établissant une Instance nationale
consultative pour une nouvelle République, comprenant trois commissions chargées entre autres choses de rédiger la
nouvelle Constitution. Cet organe était censé être composé d’une commission des affaires économiques et sociales, d’une
commission de dialogue national et d’une commission juridique3. En vertu des articles 8 et 13 du décret-loi 30, la
commission des affaires économiques et sociales a été mandatée pour présenter un ensemble de propositions en relation
avec les espoirs du peuple tunisien, et la commission juridique - constituée des doyens des facultés de droit tunisiennes -
avait la responsabilité de rédiger une nouvelle Constitution qui « réponde aux aspirations du peuple tunisien et garantisse
les principes de justice et de liberté, sous un véritable régime démocratique4 ». Les articles 10, 16, 20 et 22 du décret
prévoyaient que la commission de dialogue national reçoive les propositions des commissions juridique et des affaires
sociales et économiques avant le 13 juin et les synthétise dans un projet de Constitution à remettre au président Saïed le
20 juin au plus tard. L’Article 22 du décret-loi 30 dispose que les résultats du travail de l’Instance nationale consultative
pour une nouvelle République ne seront rendus publics qu’après autorisation du président. Les membres de ces
commissions ont été désignés par le président et nominés par décret.
L’Instance nationale consultative pour une nouvelle République a été vivement critiquée par la société civile et les partis
politiques d’opposition pour son manque d’inclusivité et l’absence de transparence de ses travaux. De nombreux acteurs,
y compris le principal syndicat tunisien, ont décidé de ne pas participer à ce processus5.
Si la commission des affaires sociales et économiques et la commission de dialogue national se sont rencontrées trois
fois, la commission juridique ne s’est jamais réunie, en raison du refus de l’ensemble des doyens des facultés de droit de
participer à l’Instance consultative. Bien que la commission juridique n’ait pu se réunir et malgré les disparités entre ce
que dispose le décret 30 au sujet du processus d’élaboration de la Constitution, ainsi qu’il est décrit ci-dessus, et la
manière dont les travaux des commissions ont été conduits, l’Instance nationale consultative pour une nouvelle
République a continué à procéder à l’élaboration de la Constitution sans révéler au public les modalités de son travail, ni
préciser qui y prenait part ou en vertu de quelles dispositions du décret 30.
Cela a soulevé des questions non seulement sur la transparence, mais également sur la légalité du processus, de la part
d’organisations telles que la Commission internationale de juristes, qui ont estimé qu’il n’avait pas respecté l’état de droit6.
Le président et coordinateur de l’Instance consultative a remis un projet de Constitution au président Kaïs Saïed le
20 juin. Ce document n’a pas été rendu public, pas plus que le rapport final de l’Instance consultative.
La population n’a eu aucun moyen d’accéder aux travaux de cet organe, ni bénéficié de la possibilité d’engager le
dialogue dans le cadre de ce processus, puisque le décret présidentiel portant création de l’Instance consultative a
imposé le « secret des délibérations » pour ses travaux7.
Le 30 juin, le président Saïed a publié le projet de Constitution au Journal officiel. Le 3 juillet, le président et coordinateur
de l’Instance nationale consultative pour une nouvelle République, Sadok Belaïd, a déclaré que le projet rendu public par
le président Saïed était complètement différent de celui que la commission avait préparé. Sadok Belaïd a plus tard publié
dans un des principaux quotidiens tunisiens la version originale soumise au président. Les deux versions diffèrent
nettement, ce qui met une nouvelle fois en évidence l’absence de transparence du processus d’élaboration de la
Constitution.
Le 8 juillet, le président Saïed a annoncé dans un discours que certaines « erreurs se sont glissées dans le texte du projet
publié » et qu’une version corrigée du projet de Constitution serait publiée. Plus tard le même soir, un décret présidentiel
contenant 46 modifications dans la forme et le fond, a paru au Journal officiel. La publication de ces corrections est
survenue après que les partis politiques et d’autres acteurs politiques prenant part au référendum ont fait état de leur
intention de voter pour ou contre la version préliminaire de la Constitution, et commencé à faire campagne pour ou contre
la nouvelle Constitution.
2 France 24, En Tunisie, le président Kaïs Saïed annonce un dialogue national sans Ennahda, 3 mai 2022
https://www.france24.com/fr/afrique/20220503-en-tunisie-le-pr%C3%A9sident-ka%C3%AFs-sa%C3%AFed-annonce-un-dialogue-national-sans-
ennahda
3 Décret présidentiel 30 du 19 mai 2022, article 4.
4 Décret présidentiel 30 du 19 mai 2022, articles 8 et 13.
5 Aljazeera, Tunisia Union to Boycott President Saied’s National Dialogue, 23 mai 2022, https://www.aljazeera.com/news/2022/5/23/tunisia-union-calls-
for-strike-rejects-president-dialogue-move
6 Commission internationale de juristes, Fundamentally Flawed: Tunisia’s “constitution making” process, 29 juin 2022,
https://www.icj.org/fundamentally-flawed-tunisias-constitution-making-process/
7 Décret présidentiel 30 du 19 mai 2022, article 4.
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Selon le Comité des droits de l'homme des Nations unies, les États devraient entreprendre activement de mettre dans le
domaine public toute information détenue par le gouvernement qui est d’intérêt général, afin de donner effet au droit
d’accès à l’information. Les États parties devraient faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide,
effectif et pratique à cette information8.
Plusieurs aspects du processus ayant débouché sur la nouvelle constitution posent problème. L’absence de consultation
effective et les différentes phases secrètes ayant donné lieu à deux versions ont empêché les Tunisien·ne·s de participer
au processus et d’avoir une idée claire de la manière dont la Constitution de leur pays a été rédigée et par qui.
UN PREAMBULE DENUE DE LA MOINDRE REFERENCE AUX DROITS HUMAINS UNIVERSELS :
Contrairement au préambule à la Constitution de 2014, le préambule de la Constitution de 2022 ne contient plus aucune
référence aux principes relatifs aux droits universels ni à l’égalité pour tous et toutes. Il est regrettable que ces références
aient complètement disparu du préambule de la Constitution actuelle, a déclaré Amnesty International.
Le préambule fait partie intégrante du texte, et il met en avant des principes du droit positif susceptibles de fournir la base
d’une saisine de la Cour constitutionnelle dans des affaires liées aux droits humains. Le fait que le nouveau préambule ne
contienne aucun engagement de la part de l’État en faveur de l’état de droit, du principe d’égalité entre tous et toutes, ni
du respect pour les droits universels, exclut la possibilité d’invoquer le préambule afin de demander à la Cour
constitutionnelle de se prononcer sur des cas en relation avec les droits humains.
CHAPITRE SUR LES DROITS ET LES LIBERTES :
Le chapitre consacré aux droits et aux libertés de la nouvelle Constitution conserve la plupart des principaux droits civils,
politiques, économiques et culturels inclus dans la Constitution de 2014. Ceux-ci comprennent le droit à la vie, le droit à
l'intégrité physique, et le droit de ne pas être soumis à la torture, le droit de circuler librement ainsi que les libertés
d'opinion, d'expression, de réunion et d'association. Les droits à la liberté de culte, le droit à la vie privée et le droit d’asile
sont également inclus.
La Constitution protège aussi les droits à la santé, à l'éducation et au travail. Il faut que les autorités tunisiennes adoptent
des mesures spécifiques pour assurer progressivement le plein exercice de ces droits, au maximum de leurs ressources
disponibles, conformément au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, texte ratifié par la
Tunisie.
La Constitution n'abolit pas la peine de mort, même si les autorités observent de fait un moratoire sur l'application de ce
châtiment depuis le début des années 1990. Les autorités tunisiennes doivent protéger le droit à la vie en prenant des
mesures pour abolir la peine capitale.
INDEPENDANCE DE LA JUSTICE :
L’indépendance de la magistrature est une condition fondamentale au plein respect des droits humains, non seulement
parce qu’il s’agit d’une condition préalable à l’exercice du droit à un procès équitable, mais également parce que la
justice est censée jouer un rôle central dans la concrétisation des droits humains, notamment en garantissant l’obligation
de rendre des comptes pour les atteintes à ces droits. La Constitution de 2022 ne respecte pas les normes internationales
relatives à l’indépendance de la magistrature.
Les Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la magistrature disposent que cette
indépendance « est garantie par l’État et énoncée dans la Constitution ou la législation nationales. Il incombe à toutes les
institutions, gouvernementales et autres, de respecter l’indépendance de la magistrature9. »
Avant 2011, la magistrature tunisienne était sous le contrôle effectif du pouvoir exécutif, ce qui a contraint les tribunaux à
se mettre au service de politiques oppressives et permis que des violations des droits humains soient commises,
notamment des actes de torture systématiques et des disparitions forcées, en toute impunité. L’indépendance et
l’impartialité des juges étaient par ailleurs constamment menacées par des politiques et pratiques ayant pour but
d’intimider les juges indépendants et d’exercer des pressions sur eux. La Constitution de 2014 a essayé de prendre ce
8 Comité des droits de l'homme des Nations unies, Observation générale n° 34, para 19
https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G11/453/32/PDF/G1145332.pdf?OpenElement
9 Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l'indépendance de la magistrature, Article 1 https://www.ohchr.org/fr/instruments-
mechanisms/instruments/basic-principles-independence-judiciary
Déclaration publique – Amnesty International
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passif en considération et de fournir les garanties requises pour que les juges puissent exercer leurs fonctions
essentielles, et pour les protéger des ingérences subies par le passé.
En supprimant la plupart de ces garanties de son chapitre « Fonction judiciaire », la Constitution de 2022 fait reculer les
efforts dans ce domaine.
Plusieurs articles importants présents dans le chapitre sur le pouvoir judiciaire de la Constitution de 2014 ne figurent plus
dans la Constitution de 2022. Elle ne prévoit pas de dispositions visant à garantir l’indépendance du Conseil supérieur de
la magistrature, un organe indépendant et autonome de contrôle judiciaire établi par la Constitution de 2014 pour veiller
au bon fonctionnement de la justice, ainsi qu’au respect de son indépendance et de son obligation de rendre des
comptes (Articles 113 et 114).
Aux termes de la Constitution de 2014, le Conseil supérieur de la magistrature était chargé de la nomination, la
révocation, la promotion et le transfert des juges, ainsi que des décisions portant sur la levée de l’immunité judiciaire, les
démissions, les détachements, les retraites anticipées et les congés des juges. Il évaluait les besoins de chaque tribunal et
établissait la rotation annuelle des juges. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) se prononçait également sur des
affaires disciplinaires, agissant comme un conseil de discipline pour les juges. La Constitution de 2022 dispose que les
juges sont nommés par ordonnance présidentielle directe sur recommandation du CSM, un recul par rapport à la
Constitution de 2014 qui exigeait que le président suive un avis contraignant du CSM concernant la nomination des
juges.
La garantie que les juges ne puissent pas être suspendus ni révoqués de manière arbitraire, ni subir de sanction
disciplinaire sans « décision motivée du Conseil supérieur de la magistrature », énoncée dans l’Article 107 de la
Constitution de 2014, a été supprimée, ce qui semble annoncer que les sanctions et les révocations visant les juges
seront l’affaire des autorités exécutives.
Le chapitre intitulé « De la fonction judiciaire » ayant remplacé le chapitre de 2014 intitulé « Du pouvoir judiciaire » ne
précise plus que le rôle du pouvoir judiciaire est de garantir « l'instauration de la justice, la suprématie de la Constitution,
la souveraineté de la loi et la protection des droits et des libertés. » (Article 102 de la Constitution de 2014)
LA COUR CONSTITUTIONNELLE :
La Constitution de 2014 prévoyait que la Cour constitutionnelle soit habilitée à abroger les lois considérées comme
inconstitutionnelles, notamment celles qui ne sont pas compatibles avec les droits fondamentaux inscrits dans la
Constitution, et de résoudre les différends relatifs à l’interprétation de la Constitution elle-même. La création de cette Cour
se fait cependant attendre depuis six ans, les Parlements successifs n’étant pas parvenus à un accord sur la nomination
des juges siégeant à la Cour. L’article 125 de la Constitution de 2022 dispose que la Cour constitutionnelle doit être
composée de neuf juges. Les juges doivent être nommés par ordonnance présidentielle. Sur ces neuf personnes, un tiers
doivent être les juges les plus chevronnés de la Cour de cassation, un tiers doivent provenir du Tribunal administratif
supérieur, et le dernier tiers doit être issu de la Cour des comptes. La Constitution de 2014 prévoyait que cette Cour serait
composée de 12 juges, dont le président de la République, l'Assemblée des représentants du peuple et le Conseil
supérieur de la magistrature éliraient ou nommeraient chacun quatre membres, mais la Constitution de 2022 accorde
désormais au président le droit de nommer tous les juges de la Cour constitutionnelle, ce qui risque de placer celle-ci
sous l’influence directe de l’exécutif.
Le Comité des droits de l'homme des Nations unies a déterminé que l’ingérence de l’exécutif dans la justice - notamment
le contrôle de la nomination et des carrières des magistrats - enfreint le droit d’être jugé par un « tribunal [...]
indépendant et impartial », en vertu de l’Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que
la Tunisie a ratifié.
L’article 14 du PIDCP garantit en effet le droit de faire entendre sa cause équitablement et publiquement par un tribunal
compétent, indépendant et impartial, établi par la loi. Selon le Comité des droits de l’homme, l’indépendance du pouvoir
judiciaire s’applique notamment en matière de nomination, d’avancement, de mutation et de révocation des juges. Le
Comité déclare que « [l]es juges ne peuvent être révoqués que pour des motifs graves, pour faute ou incompétence,
conformément à des procédures équitables assurant l’objectivité et l’impartialité, fixées dans la Constitution ou par la loi.
La révocation de juges par l’exécutif, par exemple avant l'expiration d'une charge à laquelle un juge a été nommé, sans
que l’on ne leur donne de raison spécifique et sans protection juridique digne de ce nom qui leur permettrait de contester
cette décision, est incompatible avec l’indépendance de l’appareil judiciaire10. »
10Comité des droits de l’homme des Nations unies, Observation générale n° 32, para 20
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Avant de publier le projet de Constitution, le président Saïed avait pris diverses mesures qui ont considérablement fragilisé
l’indépendance de l’appareil judiciaire et l’état de droit. Le président a unilatéralement remplacé le Conseil supérieur de la
magistrature, et continué sur sa lancée en s’arrogeant illégalement les pouvoirs par lesquels il a révoqué 57 juges. La
nouvelle Constitution consacre ces pratiques et suscite de vives inquiétudes quant au futur de la justice et de la
protection des droits humains et de l’état de droit en Tunisie.
DROIT A UN PROCES EQUITABLE :
Les garanties relatives au droit à un procès équitable sont très affaiblies par la Constitution de 2022, par rapport à celle de
2014. La Constitution de 2022 ne contient pas les garanties qui étaient énoncées dans les Articles 109 et 110 de la
Constitution précédente, interdisant toute ingérence de l’exécutif dans le fonctionnement de la justice, ainsi que la
création de tribunaux d’exception ou la promulgation de procédures d’exception portant atteinte aux principes généraux
d’un procès équitable. L’article 110 de la Constitution de 2014 indiquait par ailleurs explicitement que les tribunaux
militaires sont uniquement compétents pour se prononcer sur les infractions militaires, plaçant dans les faits les civil·e·s
hors de leur portée.
Les législateurs tunisiens se sont abstenus de réformer les lois relatives à la justice militaire après 2014 afin de les mettre
en conformité avec l’Article 110, ce qui a mené à des violations persistantes du droit à un procès équitable, des civil·e·s
ayant continué à comparaître devant des tribunaux militaires. Après le 25 juillet 2021, Amnesty International a relevé une
augmentation du nombre de procès militaires de civil·e·s ; plus de 12 personnes ont en effet été poursuivies en un an,
contre six entre 2011 et 2018. Supprimer l’Article 110 ne fera que faciliter les manœuvres visant à battre en brèche le
droit à un procès équitable.
MESURES D’EXCEPTION INCONTROLEES
Selon les normes internationales, les pouvoirs d’exception et les mesures exceptionnelles ne peuvent s’appliquer que
lorsqu’ils sont strictement nécessaires pour protéger la sécurité nationale contre une menace pesant sur « l’existence de
la nation ». Le Comité des droits de l'homme a déclaré que les mesures dérogeant aux dispositions du PIDCP concernant
l’état d’urgence doivent être exceptionnelles et temporaires. L’objectif primordial de l’État doit être le retour à une situation
normale11.
L’article 96 de la Constitution de 2022 sur les mesures d’exception ne respecte pas cette norme, contrairement à l’Article
80 de la Constitution de 2014, qui indique de manière explicite que « [c]es mesures doivent avoir pour objectif de
garantir le retour dans les plus brefs délais à un fonctionnement régulier des pouvoirs publics. » L’Article 80 prévoyait
aussi que la Cour constitutionnelle et l'Assemblée des représentants puissent effectuer un travail de supervision dans le
cas de l’adoption de mesures exceptionnelles en situation d’urgence nationale, et disposait qu’il était possible de
contester la nécessité d’un maintien de ces mesures exceptionnelles devant la Cour constitutionnelle au bout de 30 jours.
Ces garanties ne figurent pas dans la Constitution de 2022, dans laquelle l’article 96 ne prévoit aucune possibilité de
recours, ni de durée maximum pour l’état d'urgence.
Le président Kaïs Saïed a invoqué l’article 80 le 25 juillet 2021 et n’a pas encore décidé de revenir à un fonctionnement
normal des institutions de l’État.
Amnesty International a recensé plusieurs cas illustrant le fait que des mesures prises par le pouvoir exécutif en vertu de
l’Article 80 ont fragilisé ou menacé les droits humains et l’état de droit.
Par ailleurs, l’Article 96 de la Constitution de 2022 ne précise pas explicitement quels droits restent intangibles lors d’un
état d'urgence.
Il existe, en vertu du droit international relatif aux droits humains, un certain nombre de dispositions du PIDCP auxquelles
il est impossible de déroger, à quelque moment que ce soit, notamment : le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à
la torture ni à d’autres formes de mauvais traitements, le droit de ne pas être tenu en esclavage, le droit pour une
personne de ne pas être emprisonnée au motif qu’elle n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle, le
principe de légalité en matière pénale, la reconnaissance de la personnalité juridique de chacun, et la liberté de pensée,
de conviction et de religion.
Le Comité des droits de l’homme explique dans son Observation générale n° 29 qu’il ne peut, par voie de conséquence,
pas être dérogé à un certain nombre d’autres dispositions du PIDCP. Par exemple, « [l]es États parties ne peuvent en
11 Comité des droits de l'homme des Nations unies, Observation générale n° 29, para 1,2
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aucune circonstance invoquer l’article 4 du Pacte pour justifier des actes attentatoires au droit humanitaire ou aux
normes impératives du droit international, par exemple une prise d’otages, des châtiments collectifs, des privations
arbitraires de liberté ou l’inobservation de principes fondamentaux garantissant un procès équitable comme la
présomption d’innocence ».
RISQUES D’INTERPRETATION DE L’ARTICLE 5
L’Article 5 de la Constitution de 2022 dispose que la Tunisie « fait partie de la Oumma islamique » et que l’État est tenu
de « réaliser les objectifs de l'islam en préservant l'âme, l'argent, la religion et la liberté [des personnes] sous un régime
démocratique ». Cet article pourrait constituer un motif justifiant des amendements visant à harmoniser la législation avec
les finalités de l’islam et permettant à la Tunisie de rejeter ses engagements internationaux en faveur des droits humains
au motif qu’ils entreraient en contradiction avec la Constitution de 2022.
L’Article 5 ne doit pas mener les juges à ignorer le droit international relatif aux droits humains sous le prétexte qu’il est
incompatible avec la Constitution de 2022, ni inciter les législateurs à réviser les lois tunisiennes relatives aux droits
humains et à l’égalité qui sont considérées comme contraires à certains principes religieux.
L’Article 74 maintient par ailleurs la même hiérarchie des normes que la Constitution de 2014 : les traités internationaux
sont supérieurs aux lois, mais inférieurs à la Constitution. Avant de prendre un nouvel engagement en vertu d’un traité
international, la Tunisie devra garantir qu’il est compatible avec sa Constitution, ce qui est susceptible de limiter
l’adhésion de la Tunisie au système international des droits humains et son respect des dispositions qu’il contient, ou
l’amener à émettre des réserves sur des articles cruciaux de certains traités tels que la Convention sur l'élimination de
toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes.
L’Observation générale n° 22 du Comité des droits de l'homme sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de
religion, garanti par l’Article 18 du PIDCP dispose que « [l]e fait qu’une religion est reconnue en tant que religion d’État
ou qu’elle est établie en tant que religion officielle ou traditionnelle, ou que ses adeptes représentent la majorité de la
population, ne doit porter en rien atteinte à la jouissance de l’un quelconque des droits garantis par le Pacte, notamment
les articles 18 et 27, ni entraîner une discrimination quelconque contre les adeptes d’autres religions ou les non-
croyants12. »
L'interprétation de l’Article 5 ne doit pas être incompatible avec la Convention de Vienne sur le droit des traités, ratifiée
par la Tunisie, qui affirme en son article 27 qu'« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme
justifiant la non-exécution d’un traité ».
12 Comité des droits de l'homme des Nations unies, Observation générale n° 22, para 18 https://www.refworld.org/docid/453883fb22.html
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