La Constitution tunisienne à la lumière du droit et des normes internationales 
Le  3  janvier  2014,  presque  trois  ans  après  le  départ  du  Président  Ben  Ali,  l’Assemblée 
nationale constituante tunisienne (ANC) a commencé à voter article par article le projet de la 
nouvelle  Constitution.  Bien  que  la  majorité  simple  était  requise  pour  l’adoption  de  chaque 
article, l'ANC devait approuver l'ensemble du projet à travers un vote séparé  requérant une 
majorité  des  deux  tiers.  Ce  vote  s’est  tenu  le  dimanche  26  janvier  2014  et  a  donné  lieu  à 
l’adoption de la Constitution avec 200 voix pour, 12 voix contre et 4 abstentions. 
La  Commission  internationale  des  juristes  (CIJ)  estime  que  la  Constitution  adoptée  est  le 
produit  d'un  processus  représentatif  et  inclusif  et  représente  une  étape  importante  vers 
l'établissement  de  l'état  de  droit  et  de  la  protection  des  droits  de  l'homme  en  Tunisie.  Les 
membres  de  l'ANC  ont  été  élus  en  octobre  2011  à  l'issue  d'élections  équitables  et 
transparentes  supervisées  par  un  organisme  indépendant.1 Tout  au  long  du  processus  de 
rédaction de la constitution, l'ANC a tendu la main aux diverses parties prenantes, y compris 
à travers l'organisation de consultations nationales avec les organisations de la société civile. 
De nombreuses recommandations formulées par ces organisations ont été prises en compte 
dans  le  processus  de  rédaction  et  ont  contribué  à  l'amélioration  des  dispositions  de  la 
Constitution adoptée. 
Au  vu  de  ce  processus,  la  Constitution  nouvellement  adoptée  offre  de  meilleures  garanties 
pour défendre l’état de droit et la protection des droits de l'homme. En particulier, la nouvelle 
Constitution étend les droits prévus par la Constitution de 1959. Elle reconnaît notamment le 
droit à l'égalité entre les hommes et les femmes et introduit de nombreux droits économiques, 
sociaux et culturels, y compris le droit à la santé (article 38), à l'éducation (article 39) et au 
travail (article 40).  
La  Constitution  prévoit  également  des  garanties  solides  pour  l’établissement  et  la  mise  en 
œuvre de l'état de droit, notamment en opérant une séparation des pouvoirs plus équilibrée 
au sein de l'exécutif et en mettant fin aux pouvoirs très étendus qui étaient concentrés dans 
les  mains  du  Président  en  vertu  de  la  Constitution  de  1959.  Les  compétences  du  pouvoir 
législatif  ont  également  été  considérablement  renforcées,  notamment  en  reconnaissant  le 
rôle  et  les  droits  de  l'opposition  parlementaire  et  en  prévoyant  une  surveillance  et  des 
mécanismes  d’enquête  parlementaires. 2  La  nouvelle  Constitution  reconnaît  également 
l'indépendance  institutionnelle  du  pouvoir  judiciaire  et  l'indépendance  individuelle  de  ses 
membres et crée un Conseil supérieur de la magistrature indépendant, chargé de superviser 
la carrière des magistrats, marquant ainsi une étape importante vers la fin de l'ingérence de 
l'exécutif dans les affaires judiciaires. 
La  nouvelle  Constitution  prévoit  également  des  mécanismes  importants  de  mise  en  œuvre 
pour  les  droits  de  l'homme  et  l'état  de  droit,  en  particulier  la  mise  en  place  d'une  Cour 
constitutionnelle qui peut examiner la conformité des lois avec la Constitution et à laquelle les 
individus peuvent avoir accès.3
1 Instance  Supérieure  Indépendante  pour  les  Elections,  crée  par  le  décret-loi  No.  2011-27  du  18  avril 
2011 
2 Articles 59 et 60, Constitution de 2014 
3 Article 120, Constitution de 2014 
1 
Néanmoins, sur certains aspects essentiels, la Constitution n'est pas conforme aux normes de 
droit international. En particulier, la Constitution n'affirme pas que les traités internationaux 
relatifs  aux  droits  de  l'homme  ratifiés  par  la  Tunisie  sont  contraignants  et  prévalent  sur  le 
droit interne. La CIJ recommande donc que les autorités tunisiennes prennent en compte les 
lacunes  de  la  Constitution  mises  en  évidence  dans  ce  document  lors  de  l'adoption  de  lois 
d'application  des  dispositions  constitutionnelles  et  lors  de  la  définition  des  politiques 
publiques. 
1. Définition des droits de l’homme, garanties et restrictions 
• Droit à la vie 
La Constitution ne reconnaît pas le droit à la vie en tant que droit indérogeable, comme prévu 
par  l'article  6  du  Pacte  international  relatif  aux  droits  civils  et  politiques  (PIDCP),  auquel  la 
Tunisie  est  partie.  L'article  22  dispose  que  le  droit  à  la  vie  est  sacré  et  « il  ne  peut  lui  être 
porté atteinte que dans des cas extrêmes fixés par la loi ». La CIJ craint que ce langage soit 
trop vague et, étant donné que les situations dans lesquelles il est possible de porter atteinte 
au droit à la vie ne sont pas définies, l'article 22 risque de nuire à l’essence même de ce droit. 
La  CIJ  appelle  les  autorités  tunisiennes  à  veiller  à  ce  que  le  droit  à  la  vie  soit  un  droit 
indérogeable et, à cet effet, de prendre des mesures pour abolir la peine de mort, qui a fait 
l'objet  d'un  moratoire  de  facto  en  Tunisie  depuis  1991.  La  CIJ  s'oppose  à  la  peine  de  mort 
dans tous les cas, et la considère comme une violation du droit à la vie. 
• Droit  de  ne  pas  être  soumis  à  la  torture  et  à  des  peines  ou  traitements  cruels, 
inhumains ou dégradants 
L'article  23  interdit  toutes  formes  de  torture  physique  et  psychologique  et  affirme  que  le 
crime  de  torture  est  imprescriptible.  Toutefois,  il  n'interdit  pas  les  peines  ou  traitements 
cruels, inhumains ou dégradants qui ne constituent pas des actes de torture, comme l'exige 
l'article  16  de  la  Convention  contre  la  torture  et  autres  peines  ou  traitements  cruels, 
inhumains  ou  dégradants  (CAT),  à  laquelle  la  Tunisie  est  partie.  L'article  23  impose  la 
« protection de la dignité des individus et de leur intégrité physique », tandis que l'article 30 
exige  que  les  détenus  soient  traités  avec  humanité  et  dignité.  Cependant,  aucune  de  ces 
dispositions  ne  comporte  une  interdiction  générale  conforme  à  l'article  16  du  CAT.  Les 
autorités  tunisiennes  doivent  donc  garantir,  conformément  à  leurs  obligations  en  vertu  du 
droit  international,  y  compris  du  CAT,  l'interdiction  de  toutes  peines  ou  traitements  cruels, 
inhumains ou dégradants qui ne constituent pas des actes de torture. En outre, les autorités 
tunisiennes devraient également veiller à ce qu'une nouvelle définition complète de la torture, 
en pleine conformité avec l'article 1 du CAT, soit adoptée dans le Code pénal. L'article 23 de 
la  Constitution  ne  définit  pas  les  actes  de  torture,  permettant,  par  conséquence,  à  la 
définition  de  torture  figurant  à  l'article  101bis  du  Code  pénal  tunisien4 de  rester  en  vigueur. 
Toutefois cette définition ne prévoit pas la responsabilité pénale pour ceux qui approuvent ou 
encouragent des actes de torture. Dans son rapport sur la Tunisie, le Rapporteur spécial sur 
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a souligné « qu'il 
est  important  d’ériger  en  infractions  au  regard  du  droit  l’instigation  ou  le  consentement 
exprès ou tacite à la torture d’agents de la fonction publique ou d’autres personnes agissant 
à  titre  officiel,  y  compris  de  supérieurs  qui  ordonnent  à  des  subordonnés  de  torturer  ou 
4 L’article  101bis  du  Code  pénal  tunisien  définit  la  torture  comme  étant  « tout  acte  par  lequel  une 
douleur  ou  des  souffrances  aiguës,  physiques  ou  mentales,  sont  intentionnellement  infligées  à  une 
personne  aux  fins  notamment  d'obtenir  d'elle  ou  d'une  tierce  personne  des  renseignements  ou  des 
aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne à commis ou est soupçonnée d'avoir commis, 
de l'intimider ou de faire pression sur elle ou lorsque la douleur ou les souffrances aiguës sont infligées 
pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit. » 
2 
étouffent les faits a posteriori ». 5 En vertu du CAT, les États parties doivent veiller à ce que 
non seulement les actes de torture, mais aussi les tentatives et les actes de complicité ou de 
participation,  constituent  des  infractions  au  regard  de  leur  droit  pénal.  En  outre,  aucune 
information  obtenue  par  la  torture  ne  peut  être  utilisée  dans  une  procédure  de  n'importe 
quelle nature, sauf comme élément de preuve contre la personne accusée de torture.  
• Egalité et non-discrimination  
L'article 21 de la Constitution dispose que les hommes et les femmes ont les mêmes droits et 
les mêmes obligations et qu'ils sont égaux devant la loi sans discrimination aucune. L'article 
46 affirme en outre que « L'Etat œuvre à réaliser la parité entre la femme et l'homme dans 
les  conseils  élus ».  La  CIJ  salue  ces  dispositions  et  exhorte  les  autorités  tunisiennes  à 
compléter la protection de l'égalité des sexes figurant à l'article 46 en définissant précisément 
et  interdisant  la  discrimination  contre  les  femmes.  Conformément  à  ses  obligations 
internationales,  y  compris  celles  découlant  de  la  Convention  sur  l'élimination  de  toutes  les 
formes  de  discrimination  à  l'égard  des  femmes  (CEDAW),  la  Tunisie  devrait  légiférer  pour 
inclure une définition explicite de la discrimination fondée sur le sexe, comme prévu à l'article 
1  de  la  CEDAW,  et  étendre  la  responsabilité  aux  acteurs  publics  et  privés,  conformément  à 
l'article 2(e) de la Convention.6
La  CIJ  craint  également  que  selon  l'article  21  de  la  Constitution,  l'égalité  devant  la  loi  et  la 
non-discrimination ne soient garanties qu’aux seuls citoyens tunisiens. L'article 2(1) du PIDCP 
dispose que les États parties doivent respecter et garantir les droits qui y figurent « à tous les 
individus  se  trouvant  sur  leur  territoire  et  relevant  de  leur  compétence  ...  sans  distinction 
aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique 
ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute 
autre situation. ». Afin de se conformer à leurs obligations en vertu du droit international, y 
compris  du  PIDCP,  les  autorités  tunisiennes  devraient  initier  des  réformes  juridiques  et 
politiques  visant  à  respecter  et  à  garantir  les  droits  de  tous  ceux  qui  sont  soumis  à  la 
juridiction tunisienne et préciser les motifs de discrimination interdits. 
• Arrestation, détention et droits à un procès équitable 
Les  dispositions  de  la  Constitution  relatives  au  droit  à  la  liberté  et  au  droit  à  un  procès 
équitable,  en  particulier  les  articles  27,  29  et  108,  n'incluent  pas  les  garanties  spécifiques 
contenues  dans  le  PIDCP.  Plus  précisément,  l'article  29  ne  prévoit  pas  le  droit  d'être  déféré 
dans les plus brefs délais devant un juge ou devant un autre fonctionnaire exerçant l'autorité 
judiciaire,  le  droit  d'être  jugé  dans  un  délai  raisonnable  ou  libéré,  le  droit  de  contester  la 
légalité  de  toute  détention  devant  un  tribunal,  et  le  droit  à  une  réparation  en  cas 
d'arrestation  ou  de  détention  arbitraire,  comme  prévu  à  l'article  9  du  PIDCP.  Les  autorités 
tunisiennes  doivent  veiller  à  remédier  à  ces  lacunes  dans  le  code  pénal  et  dans  le  code  de 
procédure  pénale,  et  se  conformer  aux  obligations  imposées  par  le  droit  international, 
notamment  le  PIDCP,  en  fournissant  toutes  les  garanties  relatives  au  droit  à  la  liberté,  à  la 
sécurité  de  la  personne,  et  à  ce  que  sa  cause  soit  entendue  équitablement  et  publiquement 
par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi. 
• Principe de légalité  
L'article  28  prévoit  que  la  peine  est  personnelle  et  ne  peut  être  prononcée  qu’en  vertu  d’un 
texte  de  loi  antérieur  au  fait  punissable.  Cependant,  il  ne  reconnaît  pas  l'exception  du  droit 
5  Rapport  du  Rapporteur  spécial  sur  la  torture  et  les  peines  ou  traitements  cruels,  inhumains  ou 
dégradants, Mission en Tunisie, doc. A/HRC/19/61/Add.1, para. 16. 
6 Observations  finales  du  Comité  pour  l’élimination  de  la  discrimination  à  l’égard  des  femmes  sur  la 
Tunisie, doc. CEDAW/C/TUN/CO/6, para. 15. 
3 
international au principe de non-rétroactivité de la loi pénale consacrée par l'article 15(2) du 
PIDCP, selon laquelle le principe de non-rétroactivité ne peut pas être utilisé pour empêcher 
le  « jugement  ou  la  condamnation  de  tout  individu  en  raison  d'actes  ou  omissions  qui,  au 
moment  où  ils  ont  été  commis,  étaient  tenus  pour  criminels,  d'après  les  principes  généraux 
de droit reconnus par l'ensemble des nations ».7
La CIJ est préoccupée par le fait que, comme certains des crimes les plus graves au regard 
du  droit  international,  notamment  des  actes  de  torture  et  autres  mauvais  traitements,  ne 
sont  pas  adéquatement  criminalisés  en  droit  interne,  la  poursuite  de  ces  crimes  après  le 
départ du président Ben Ali a été largement insuffisante. La CIJ recommande que l'article 28 
ne  soit  pas  utilisé  pour  porter  atteinte  au  jugement  et  à  la  punition  des  responsables  des 
actes  ou  omissions  qui  constituent  des  crimes  de  droit  international,  même  si  ces  actes  ou 
omissions ne constituaient pas des crimes en droit tunisien au moment où ils ont été commis. 
Les  autorités  tunisiennes  doivent  veiller  à  ce  que  les  nouvelles  dispositions  prévoyant  le 
principes  de  légalité  et  de  non-rétroactivité  de  la  loi  pénale  ne  soient  pas  utilisées  pour 
soustraire les auteurs de crimes internationaux à leur responsabilité. 
• Restrictions et dérogations 
Une  clause  générale  de  restriction  sur  les  droits  énoncés  dans  la  Constitution  est  prévue  à 
l'article  49.  Elle  prévoit  que  les  limites  pouvant  être  imposées  à  l'exercice  des  droits  et 
libertés  garantis  par  la  Constitution  seront  déterminées  par  la  loi  sans  porter  atteinte  à  leur 
essence. En vertu du droit international, certains droits peuvent être soumis à des restrictions, 
mais  ces  limites  font  elles-mêmes  l’objet  de  définitions  strictes.  Les  lois  instituant  ces 
restrictions devraient veiller à ce que les droits concernés ne soient pas restreints au-delà des 
limites  établies  par  le  droit  international  des  droits  de  l'homme.  L'article  4  (2)  du  PIDCP 
énumère les dispositions du traité ne pouvant faire l’objet de dérogations mais le Comité des 
droits de l'homme a expliqué que les autres dispositions ne sont pas pour autant susceptibles 
de  dérogation.  L'article  80  de  la  Constitution  énonce  les  conditions  requises  pour  la 
déclaration de l'état de urgence. Toutefois, il omet de préciser que certains droits et libertés 
ne sont susceptibles d’aucune dérogation, même en cas d’état d'urgence. Même si un droit ne 
figure pas à l'article 4 du PIDCP, cela ne signifie pas qu'il puisse faire l'objet d'une dérogation. 
Au  contraire,  toute  restriction  imposée  par  les  États  Parties  doivent  être  « strictement 
requises  par  les  exigences  de  la  situation »  et  ces  mesures  ne  doivent  pas  entraîner  « une 
discrimination  fondée  uniquement  sur  la  race,  la  couleur,  le  sexe,  la  langue,  la  religion  ou 
l'origine sociale ». Dans son Observation générale N° 29, le Comité des droits de l'homme a 
déclaré:  « les  mesures  dérogeant  aux  dispositions  du  Pacte  doivent  avoir  un  caractère 
exceptionnel et provisoire ».8
• Primauté du droit international sur le droit interne 
L'article  20  prévoit  que  les  traités  internationaux  ratifiés  par  la  Tunisie  sont  supérieurs  aux 
lois  mais  inférieurs  à  la  Constitution.  En  vertu  de  cette  disposition,  la  Constitution  pourrait 
être  utilisée  afin  d'affaiblir  la  protection  offerte  par  le  droit  international  des  droits  de 
l’homme. Cette disposition est incompatible avec l'article 27 de la Convention de Vienne sur 
7  Selon  l’article  15  du  PIDCP  “i)  Nul  ne  sera  condamné  pour  des  actions  ou  omissions  qui  ne 
constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été 
commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment 
où  l'infraction  a  été  commise.  Si,  postérieurement  à  cette  infraction,  la  loi  prévoit  l'application  d'une 
peine  plus  légère,  le  délinquant  doit  en  bénéficier.  ii)  Rien  dans  le  présent  article  ne  s'oppose  au 
jugement  ou  à  la  condamnation  de  tout  individu  en  raison  d'actes  ou  omissions  qui,  au  moment  où  ils 
ont  été  commis,  étaient  tenus  pour  criminels,  d'après  les  principes  généraux  de  droit  reconnus  par 
l'ensemble des nations. » 
8
l’homme,  Observation  Générale  N°29,  Etats  d’urgence,  Doc. 
 Comité  des  droits  de 
CCPR/C/21/Rev.1/Add.11, 31 août 2001, paragraphe 2 
4 
le droit des traités selon lequel un État partie « ne peut invoquer les dispositions de son droit 
interne  comme  justifiant  la  non-exécution  d'un  traité ».  Comme  l'a  souligné  le  Comité  des 
droits de l'homme, « si le paragraphe 2 de l’article 2 autorise les Etats parties à donner effet 
aux droits reconnus dans le Pacte en suivant leur procédure constitutionnelle interne, c’est le 
même  principe  qui  joue  afin  d’empêcher  que  les  Etats  parties  invoquent  les  dispositions  de 
leur  droit  constitutionnel  ou  autres  aspects  de  leur  droit  interne  pour  justifier  le  fait  qu’ils 
n’ont pas exécuté les obligations découlant du Pacte ou qu’ils ne leur ont pas donné effet ».9
Afin  de  se  conformer  à  leurs  obligations  internationales,  y  compris  en  vertu  du  PIDCP,  les 
autorités tunisiennes devraient assurer la primauté du droit international sur le droit interne 
et l'applicabilité directe des traités relatifs aux droits de l'homme par des magistrats tunisiens. 
La  primauté  de  la  Constitution  sur  le  droit  interne  doit  aussi  être  reconnue  comme  un  pilier 
fondamental de la protection des droits de l'homme et de l’Etat de droit. 
2. Etat de droit et l'indépendance du pouvoir judiciaire  
Par  rapport  à  la  Constitution  de  1959,  la  Constitution  nouvellement  adoptée  prévoit  de 
meilleures garanties pour la séparation et l'équilibre des pouvoirs, notamment en définissant 
et  en  limitant  les  compétences  des  pouvoirs  législatif,  exécutif  et  judiciaire,  ainsi  qu’en 
permettant à trente parlementaires de renvoyer les projets de loi à la Cour constitutionnelle 
pour évaluer leur conformité avec la Constitution. 
La  Constitution  réduit  considérablement  les  compétences  du  Président  de  la  République 
pendant  l'état  d'urgence  et  prévoit  un  système  de  contrôle  quant  à  de  la  possibilité  de 
déclarer  et  de  mettre  fin  à  l'état  d'urgence.  La  CIJ  se  félicite  en  particulier  de  la  possibilité 
pour  le  Président  de  l'Assemblée  ou  trente  de  ses  membres  de  porter  la  question  devant  la 
Cour constitutionnelle afin qu’elle détermine si les circonstances exceptionnelles ayant justifié 
la déclaration de l'état d'urgence sont toujours valables. Toutefois, l'article 80 ne prévoit pas 
de  limite  de  durée  de  l'état  d'urgence,  ne  nécessite  pas  de  vote  parlementaire  pour 
renouveler  ou  prolonger  l'état  d'urgence,  n’énumère  pas  les  droits  ne  pouvant  être  dérogés 
en  vertu  de  la  l'état  d'urgence,  et  ne  prévoit  pas  de  garanties  judiciaires  suffisantes  pour 
respecter l’état de droit et protéger les droits de l'homme en cas d’état d'urgence. 
Les  autorités  tunisiennes  devraient  lancer  des  réformes  législatives  et  politiques  afin  de 
combler ces lacunes. 
Elles devraient également initier une réforme et un examen global et significative du pouvoir 
judiciaire.  
L'indépendance de la justice a longtemps été minée en Tunisie par l’ingérence systématique 
et arbitraire de l’exécutif dans les affaires judiciaires. La CIJ se félicite du fait que l'article 102 
reconnaisse  à  la  fois  l'indépendance  institutionnelle  du  pouvoir  judiciaire  et  l'indépendance 
individuelle  des  juges.  Toutefois,  malgré  les  améliorations,  les  dispositions  liées  à 
l’inamovibilité  des  magistrats,  l'indépendance  du  parquet  et  la  compétence  des  tribunaux 
militaires ne répondent pas aux normes et droit international. 
•
Inamovibilité et sécurité du mandat  
L'article  107  ne  consacre  pas  pleinement  le  principe  de  l'inamovibilité,  car  il  protège  les 
magistrats contre le transfert arbitraire, mais ne prévoit pas de garanties pour la sécurité de 
leur mandat jusqu'à un âge obligatoire de la retraite. L’inamovibilité est la pierre angulaire de 
9  Comité  des  droits  de  l’homme,  Observation  Générale  N°  31,  La  nature  de  l’obligation  juridique 
générale imposée aux Etats parties au Pacte, Doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, 26 mai 2004, paragraphe 
4  
5 
l'indépendance  individuelle  des  magistrats  car  elle  leur  offre  une  entière  protection  dans  le 
cadre de l'exercice de leurs fonctions. L'article 107 ainsi que la législation en vigueur doivent 
être  mis  en  conformité  avec  les  Principes  fondamentaux  relatifs  à  l’indépendance  de  la 
magistrature, qui stipulent que: « Les juges, qu'ils soient nommés ou élus, sont inamovibles 
tant qu’ils n’ont pas atteint l’âge obligatoire de la retraite ou la fin de leur mandat ».  
•
Le parquet  
L'article 115 prévoit que le parquet fait partie de la justice judiciaire et bénéficie des mêmes 
garanties  constitutionnelles  que  le  reste  du  corps  judiciaire.  Cependant,  la  Constitution 
n’aborde pas de manière globale la situation du parquet. En vertu du cadre juridique actuel, 
le Ministre de la justice a une autorité directe sur les procureurs. Ce manque d'indépendance 
institutionnelle  a  donné  lieu  à  une  absence  quasi  totale  d'enquêtes  et  de  poursuites  sur  les 
allégations de violations graves des droits de l'homme. La CIJ est également préoccupée par 
le fait que l'article 115 ne répond pas aux normes internationales relatives à la séparation des 
magistrats  du  parquet  et  des  magistrats  du  siège.  Le  droit  et  les  normes  internationales 
exigent que le parquet soit indépendant vis-à-vis des magistrats du siège et qu’il soit objectif 
et impartial. Les Principes directeurs des Nations Unies applicables au rôle des magistrats du 
parquet prévoient que « les fonctions de magistrats du parquet sont strictement séparées des 
fonctions de juges ».10
Afin  d'assurer  la  bonne  administration  de  la  justice,  les  autorités  tunisiennes  devraient 
assurer  l'indépendance  fonctionnelle  du  parquet  vis-à-vis  de  l'exécutif,  en  particulier  en 
mettant fin à l’autorité directe et au contrôle du Ministre de la Justice sur le parquet et toute 
ingérence  de  l'exécutif  dans  les  décisions  de  poursuite.  Elles  doivent  également  veiller  à 
l'indépendance du parquet vis-à-vis des magistrats du siège. 
•
Les tribunaux militaires 
L'article  110  prévoit  que  les  tribunaux  militaires  sont  compétents  pour  connaître  des  crimes 
militaires  et  que  la  compétence,  la  structure,  le  fonctionnement  et  les  procédures  des 
tribunaux  militaires  seront  déterminés  par  la  loi.  La  CIJ  est  profondément  préoccupée  par 
l’utilisation généralisée des tribunaux militaires pour juger les violations graves des droits de 
l’homme  commises  au  cours  du  soulèvement  populaire  de  janvier  2011  ainsi  que  par  leur 
compétence  personnelle  et  matérielle  exceptionnellement  vaste.  Les  autorités  tunisiennes 
doivent veiller à ce que la juridiction des tribunaux militaires soit limitée aux cas impliquant le 
personnel  militaire  pour  des  infractions  militaires  seulement.  Le  Code  de  justice  militaire 
devrait  être  modifié  pour  faire  en  sorte  que  « les  crimes  militaires »  fasse  seulement 
référence  aux  infractions  d’ordre  militaire  et  que  les  tribunaux  militaires  n'aient  pas  de 
compétence pour juger les civils ou pour juger les violations graves des droits de l'homme. 
10 Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature, adoptés par le septième Congrès 
des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants à Milan du 26 août au 6 
septembre  1985  et  confirmés  par  l’Assemblée  Générale  dans  ses  résolutions  40/32  du  29  novembre 
1985 et 40/146 du 13 décembre 1985, paragraphe 12 
6