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MANUEL Droit Constitutionnel_Mise en page 1 16/07/14 15:32 Page1
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Cet ouvrage est la 35e édition d'un manuel commencé par
Georges Burdeau et considéré depuis longtemps comme un classique,
tant en raison de sa largeur de vues que de la précision des analyses
juridiques.
Il a été considérablement refondu par Francis Hamon et Michel Troper
pour tenir compte des changements du droit positif et de l'évolution
de la théorie constitutionnelle. Les auteurs se sont efforcés de donner
une présentation claire et synthétique des grands principes du droit
constitutionnel et des institutions politiques des principaux pays du
monde, et en particulier de la France. L'accent est mis sur les idées
qui structurent les systèmes politiques et permettent d'en éclairer
les détails, comme d'en comprendre le fonctionnement.
Ce manuel s'adresse non seulement aux étudiants en droit, mais
aussi à toutes les personnes désireuses d'actualiser ou d'approfondir
leurs connaissances en droit constitutionnel.
Francis Hamon est professeur émérite de la Faculté Jean Monnet,
Université de Paris XI.
Michel Troper est professeur émérite de l'Université de Paris Ouest
Nanterre La Défense.
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ISBN 978-2-275-03924-4
www.lextenso-editions.fr
34,50
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Francis Hamon
Michel Troper
DROIT
CONSTITUTIONNEL
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35e édition




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Francis Hamon
Professeur émérite de la Faculté Jean Monnet
(Université de Paris XI)
Michel Troper
Professeur émérite de lUniversité de Paris
Ouest Nanterre La Défense
Membre de l
Institut Universitaire de France
DROIT
CONSTITUTIONNEL
35e édition
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© 2014, LGDJ, Lextenso éditions
70, rue du Gouverneur Général Éboué
92131 Issy-les-Moulineaux Cedex
ISBN 978-2-275-03924-4
ISSN 0990-3909
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Avertissement
Ce livre est la 35e édition du manuel de droit constitutionnel, dont les pre-
mières éditions jusqu
à la 20e ont été rédigées par Georges Burdeau. Ce livre
était devenu un classique. Georges Burdeau nous avait fait l
honneur de nous
demander de préparer la 21
e édition et les suivantes.
Depuis la 21e édition, la science du droit constitutionnel et le droit constitu-
tionnel lui-même ont connu une évolution considérable, dont il nous a fallu
rendre compte et l
ouvrage a été profondément remanié. Néanmoins, si son
contenu est aujourd
hui très sensiblement différent, nous avons toujours pro-
cédé dans un souci de fidélité à l
esprit dans lequel Georges Burdeau avait
conçu ce manuel et qu
il exposait dans la préface de la 20e édition : construire
une théorie susceptible de servir d
instrument pour lanalyse du droit constitu-
tionnel positif.
Francis Hamon
Michel Troper
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Avant-propos
Les manuels de droit constitutionnel sont très nombreux et variés. Si les
questions traitées sont les mêmes, les approches et les doctrines peuvent être
profondément différentes.
Ces différences sexpliquent : en effet, ce que lon appelle la science du droit
constitutionnel n
est pas seulement une somme de connaissances. Cest aussi un
ensemble de problèmes auxquels les réponses les plus diverses peuvent être
apportées. La pertinence et la cohérence de ces réponses dépendent de la rigueur
du raisonnement qui les justifie. Et il est au moins aussi important d
acquérir la
maîtrise du raisonnement que de retenir les grands traits des systèmes constitu-
tionnels.
Lun des moyens dy parvenir est de confronter sur chaque question les thè-
ses de plusieurs auteurs. Cette confrontation ne peut cependant être fructueuse
que si l
on prend en compte tous les présupposés explicites ou implicites des
raisonnements. Les plus importants tiennent au langage. Bien des différences
doctrinales peuvent s
éclairer et bien des problèmes se dissiper, dès lors quon
s
aperçoit quils tiennent principalement aux usages linguistiques. La maîtrise
du raisonnement suppose donc la maîtrise d
un langage et cest pourquoi,
dans la première partie du présent ouvrage, un soin particulier a été apporté à
la définition des concepts fondamentaux.
Si le droit constitutionnel était formé, comme on limagine parfois, dun
petit nombre de principes fixes et établis, que l
on pourrait combiner de diverses
manières et à partir desquels on pourrait déduire toutes les règles particulières,
la difficulté résiderait avant tout dans l
exposé et la compréhension des princi-
pes, et il suffirait de partir de quelques définitions pour procéder ensuite de
manière linéaire. Mais, il n
en va pas ainsi et le contenu des principes emprunte
toujours aux règles qui sont censées en découler. Les étudiants doivent admettre
que l
ordre des chapitres a quelque chose darbitraire et que la compréhension
des premiers suppose parfois la connaissance des autres. On ne saurait donc
trop conseiller de revenir sur les premiers chapitres après la lecture de
l
ensemble.
Les étudiants devraient aussi sefforcer de compléter létude du manuel par
la lecture de certaines au moins des publications auxquelles il renvoie. Pour
faciliter la recherche, nous avons choisi d
utiliser les conventions du Chicago
Manual of Style, qui permettent de limiter le volume des références contenues
dans le texte. Chacune de ces références est donnée selon le modèle suivant :
(Kelsen, 1962, p. 237).
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Droit constitutionnel
On se reportera alors à la bibliographie, qui figure à la fin de chaque chapi-
tre, pour y trouver les indications complètes ou, s
agissant douvrages généraux,
à la bibliographie qui figure en tête du livre.
KELSEN Hans (1962), Théorie pure du droit, Paris, Dalloz,
trad. fr.,
Ch. Eisenmann.
Cela signifie que pour effectuer une recherche bibliographique sur un sujet
donné, il faut dabord rechercher les références dans les parties du texte où ce
sujet est traité.
Nous nous sommes cependant écartés de cette convention pour ce qui
concerne le
Traité de science politique de G. Burdeau, auquel nous renvoyons
à maintes reprises, sans mention de date, mais en indiquant le numéro du
volume et ceux des paragraphes.
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Sommaire
Principales abréviations....................................................................................................
Bibliographie générale .....................................................................................................
Chapitre 1. Le droit constitutionnel ............................................................................
PREMIÈRE PARTIE
THÉORIE GÉNÉRALE DE LÉTAT
Chapitre 1. La Constitution..........................................................................................
Chapitre 2. Le pouvoir ..................................................................................................
11
13
19
43
75
DEUXIÈME PARTIE
LES RÉGIMES POLITIQUES
Chapitre 1. Les régimes parlementaires .....................................................................
183
Chapitre 2. Le système constitutionnel des États-Unis ............................................
237
Chapitre 3. Les États de lEurope centrale et orientale ..........................................
Chapitre 4. LUnion européenne .................................................................................
265
287
TROISIÈME PARTIE
APERÇU SOMMAIRE DHISTOIRE CONSTITUTIONNELLE DE LA FRANCE
Chapitre 1. Les constitutions de la Révolution et de lEmpire ...............................
307
Chapitre 2. La monarchie parlementaire...................................................................
327
Chapitre 3. Lavènement du suffrage universel ........................................................
333
Chapitre 4. La IIIe République ....................................................................................
339
Chapitre 5. Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946 .........................
363
Chapitre 6. La IVe République.....................................................................................
377
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10
Droit constitutionnel
QUATRIÈME PARTIE
LES INSTITUTIONS DE LA VE RÉPUBLIQUE
Chapitre 1. Le cadre ......................................................................................................
397
Chapitre 2. Les organes ................................................................................................
521
Chapitre 3. Types de normes et compétences normatives.......................................
643
Chapitre 4. Justice et Constitution ..............................................................................
715
Index ..................................................................................................................................
781
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Principales abréviations
AA. VV.
AJDA
C
Cs
CC
CCC
CESE
CJCE
CJUE
CNCCFP
CE
CEDH
C. élect.
C. pén.
CSA
CSM
D.
Doc. Fran.
DROM
FSNP
GA
GD
IRFM
JCP
JO
L.
LO
LCEFP
NCCC
NED
PA
PECO
PFRLR
Auteurs divers
Actualité Juridique Droit Administratif
Constitution
Revue « Constitutions »
Conseil constitutionnel
Cahiers du Conseil constitutionnel (v. aussi NCCC « Nouveaux
Cahiers du Conseil constitutionnel »)
Conseil économique, social et environnemental
Cour de justice des Communautés européennes
Cour de justice de l
Union européenne
Commission des Comptes et Campagne et des Financements
Politiques
Conseil d
État
Convention européenne des Droits de l
Homme
Code électoral
Code pénal
Conseil supérieur de l
audiovisuel
Conseil supérieur de la Magistrature
Dalloz
Documentation française
Département et région d
outre-mer
Fondation Nationale des Sciences Politiques
Long, Weil et Braibant,
Les Grands Arrêts de la Jurisprudence
administrative
, 14e éd., Paris, Dalloz, 2003
Favoreu et Philip,
Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel,
Paris, Dalloz, 12
e éd., 2003
Indemnité représentative de frais de mandat
Jurisclasseur Périodique
La Semaine Juridique
Journal officiel
Loi
Loi organique
Loi-cadre d
équilibre des finances publiques
Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel
Notes et Études Documentaires
Petites affiches
Pays d
Europe Centrale et Orientale
Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
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POL
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PUF
QPC
R.
RA
RDP
RFDA
RFDC
RFSP
RJP
RPP
Rec.
RSA
S.
TCE
TSCG
TUE
Droit constitutionnel
Politeia (Cahiers de lAssociation Française des Auditeurs de
l
Académie Internationale de Droit Constitutionnel)
Presses universitaires d
Aix-Marseille
Presses universitaires de France
Question prioritaire de constitutionnalité
Règlement
Revue administrative
Revue du Droit Public et de la Science Politique
Revue Française de Droit administratif
Revue Française de Droit constitutionnel
Revue Française de Science politique
Revue Juridique et Politique
Revue Politique et Parlementaire
Recueil des décisions du Conseil d
État ou des décisions du Conseil
constitutionnel
Regards sur l
actualité
Sirey
Traité sur la Communauté européenne
Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance économique
et financière
Traité sur l
Union européenne
Page 13
Bibliographie générale
Ouvrages généraux
1. Traités
BARTHÉLÉMY J. et DUEZ P.
(1985), Traité de droit constitutionnel,
2
e éd. [1933], Paris, Economica, rééd., nouv. Rééd. 2004, Paris, Éditions
Panthéon-Assas.
BURDEAU G., Traité de science politique, Paris, LGDJ.
T. I.
Présentation de lunivers politique, 1980, 3e éd., vol. 1, Société politique
et droit ; vol. 2, Le pouvoir politique.
T. II. LÉtat, 3e éd. 1980.
T. III.
La dynamique politique, 3e éd., vol. 1, Les Forces politiques, 1982 ;
vol. 2, La dialectique de lordre et du mouvement, 1981.
T. IV. Le statut du pouvoir dans lÉtat, 1984, 3e éd.
T. V.
Les régimes politiques, 1985, 3e éd.
T. VI.
LÉtat libéral, 1971, 2e éd., 2 vol.
T. VII.
La démocratie gouvernante. Son assise philosophique et sociale,
1972, 2e éd.
T. VIII. La démocratie et les contraintes du Nouvel âge, 1974, 2e éd.
T. IX.
Les façades institutionnelles de la démocratie gouvernante, 1976,
2e éd.
T. X. La révolte des colonisés, 1986, 3e éd.
C
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2 vol., Paris, nouv. éd. 2003, Paris, Dalloz.
DUGUIT L. (1930), Traité de droit constitutionnel, 5 vol., Paris, Cujas, nouvelle
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ESMEIN A. (1914), Éléments de Droit constitutionnel français et comparé.
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HAURIOU M. (1929), Précis de droit constitutionnel, Paris, Réédit. CNRS, 1975.
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Droit constitutionnel
JELLINEK G. (1905), LÉtat moderne et son droit, Préface Olivier Jouajan, nou-
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KELSEN H.,
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SCHMITT C. (1928), Théorie de la Constitution, Paris, PUF, trad. fse. 1993,
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FAVOREU L. et al. (2014), Droit constitutionnel, Paris, Dalloz, 16e éd.
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ICQUEL J. et GICQUEL J.-E. (2014), Droit constitutionnel et institutions poli-
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ACTET P., MÉLIN-SOUCRAMANIEN F. (2014), Institutions politiques et droit
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VERPEAUX D. (2013), Droit constitutionnel français, Paris PUF.
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Bibliographie générale
3. Histoire constitutionnelle
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BODINEAU P. et VERPEAUX M. (2013), Histoire constitutionnelle de la France,
Paris, PUF, 4e éd.
BRAUD P. et BURDEAU F. (1992), Histoire des idées politiques depuis la Révo-
lution, Paris, Montchrestien, 2e éd.
CHEVALLIER J.-J. (2001), Histoire des institutions et des régimes politiques de
la France de 1789 à 1958, Paris, Dalloz, 9e éd.
DESLANDRES M. (1932-1937), Histoire constitutionnelle de la France, 3 vol.,
Paris, A. Colin : recueil Sirey.
MORABITO M. (2014), Histoire constitutionnelle de la France (1787-1958),
Paris, LGDJ, 13e éd.
REMOND R. (2005), La vie politique en France depuis 1789, 2 vol., Paris,
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SZRAMKIEWICZ R., BOUINEAU J. (1998), Histoire des institutions, 1750-1914,
Paris, Litec, 4e éd.
VELLEY S. (2009), Histoire constitutionnelle française de 1789 à nos jours,
Paris, Ellipses, 3e éd.
Recueil de textes
DUGUIT L., MONNIER H., BONNARD R. et BERLIA G. (1952), Les constitutions
et les principales lois politiques de la France depuis 1789
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IALS S. (2013), Textes constitutionnels français, coll. Que sais-je ?, Paris,
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RIALS S. et BOUDON J. (2012), Textes constitutionnels étrangers, Paris, PUF,
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La plupart des textes constitutionnels sont disponibles sur internet.
Droit constitutionnel comparé
DAVID R. et JAUFFRET-SPINOSI C. (2002), Les grands systèmes de droit
contemporains, 11e éd., Paris, Dalloz.
DE VERGOTTINI G.
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LAUVAUX P. (2004), Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF,
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Droit constitutionnel
Ouvrages de référence
ALLAND D. et RIALS S. (dir.) (2003), Dictionnaire de la culture juridique,
Paris, PUF.
ARNAUD A.-J.
(dir.) (1998), Dictionnaire Encyclopédique de Théorie et
de Sociologie du Droit, Paris, LGDJ, 2e éd.
AVRIL P. et GICQUEL J. (2013), Lexique de droit constitutionnel, 4e éd. Paris, PUF.
D
UHAMEL O. et MÉNY Y. (dir.) (1992), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF.
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ROPER M. et CHAGNOLLAUD D. (dir.) (2012), Traité international de droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 3 vol.
Revues
Cahiers du Conseil constitutionnel.
Constitutions : Revue de droit constitutionnel appliqué.
Jus Politicum, Revue de droit politique.
Politeia.
Pouvoirs.
Revue du Droit Public et de la Science Politique.
Revue Française de Droit Constitutionnel.
ICON. International Journal of Constitutional Law.
Guides pratiques
COHENDET M.-A., Les épreuves en droit public, Paris, LGDJ, 4e éd., 2009.
V
ERPEAUX M. (dir.) (2012), Droit constitutionnel 2013 : méthodologie & sujets
corrigés, Paris, Dalloz.
Sites internet
De très nombreux documents sont disponibles sur linternet notamment toutes
les constitutions françaises, ainsi que la jurisprudence, sur le site du Conseil
constitutionnel :
www.conseil-constitutionnel.fr
Vous y trouverez les liens pour aller vers les sites des constitutions et des cours
constitutionnelles étrangères, ainsi que la jurisprudence, des bibliographies
et quelques textes doctrinaux.
Le Conseil constitutionnel offre également un accès en ligne thématique avec
par exemple un dossier sur la constitution du 4 octobre 1958 réalisée à l
oc-
casion de son cinquantième anniversaire :
Les textes de nombreuses constitutions étrangères sont accessibles sur le site de
lIEP de Lyon
http://iep.univ-lyon2.fr/constitution-etr.html
Page 17
Bibliographie générale
17
Un site américain présente des dossiers très complets sur les questions dactua-
lité du droit constitutionnel américain :
http//jurist. law. pitt. edu/
Enfin de nombreux sites institutionnels offrent une information actualisée et
pédagogique sur le fonctionnement des institutions :
Le site de la Présidence de la République : http://www.elysee.fr
Le site du Premier ministre :
http://www.premier-ministre.gouv.fr
Le site de lAssemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr
Le site du Sénat : http://www.senat.fr
Le service public daccès au droit Legifrance :
http://www.legifrance.gouv.fr
Il existe également un nombre important de sites privés relatifs au droit consti-
tutionnel ou réservant une place importante à la matière :
http://www.droitconstitutionnel.org
http://www.droitconstitutionnel.net
http://www.rajf.org
Le site de lAssociation des cours constitutionnelles partageant lusage du fran-
çais : http://www.accpuf.org.
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Page 19
Chapitre 1
Le droit constitutionnel
1. Le terme « droit ». Le terme « droit » est employé dans de très nom-
breux sens différents. On peut, en simplifiant, en distinguer trois. On dit souvent
que les hommes ont des droits. Le droit dont on parle alors est une faculté d
ac-
complir certaines actions. Ainsi, lorsqu
on dit quun citoyen français a le droit
de vote, on exprime l
idée que ce citoyen peut participer au choix des gouver-
nants et qu
il est interdit de len empêcher.
Dans un deuxième sens, par exemple dans les expressions « le droit fran-
çais » ou « le droit civil », « le droit constitutionnel », on désigne par le mot
droit un ensemble de normes.
Enfin, dans un troisième sens, le mot « droit » se rapporte à la science qui
étudie ces normes, comme dans les expressions « la faculté de droit » ou « l
étu-
diant en droit ». Dans ces facultés, on n
étudie pas directement toutes les nor-
mes qui forment le droit d
un pays et qui sont bien trop nombreuses pour être
connues. On n
en étudie que les principales et lon sinitie surtout à la méthode
qui permet de les comprendre et de découvrir celle qui est applicable à telle ou
telle situation particulière.
Dans ce chapitre, on emploiera le mot « droit » dans le second et le troisième
sens. Il apparaît en effet d
ores et déjà que le droit constitutionnel peut être conçu
d
une part comme un ensemble de normes, une partie du droit en général, et dau-
tre part comme la discipline qui étudie cet ensemble.
Section 1
Le droit constitutionnel ensemble de normes
§ 1. Le droit comme système de normes
2. Propositions et normes. Dune manière générale, on appelle « norme »,
la signification d
une phrase par laquelle on déclare que quelque chose doit être,
par exemple qu
une certaine conduite doit avoir lieu. La norme soppose ainsi à
la
proposition, qui est la signification dune phrase par laquelle on indique que
quelque chose est. « Les hommes ne doivent pas mentir » exprime une norme.
« Les hommes mentent » exprime une proposition. Cette opposition correspond
à deux fonctions du langage humain : d
une part, on communique des
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20
Droit constitutionnel
informations en décrivant la réalité ; dautre part, on tente dinfluer sur le com-
portement d
autrui, de lui faire faire quelque chose. La première fonction est
dite indicative ou descriptive ou encore assertive, la seconde prescriptive ou
normative.
Les propositions peuvent être exprimées par des phrases dont le verbe est à
lindicatif, les normes par des phrases à limpératif ou à laide dun verbe tel
que « devoir » ou « falloir ». Mais ce n
est pas toujours le cas et la forme lin-
guistique d
une phrase nest quun indice parmi dautres de la fonction indica-
tive ou prescriptive qu
elle remplit. Une phrase apparemment normative peut
être en réalité indicative. Ainsi, la phrase « pour faire bouillir de l
eau, on doit
la porter à 100 degrés » ne vise pas, malgré la présence du verbe devoir, à pres-
crire une conduite quelconque. On indique seulement que si l
on chauffe de
l
eau jusquà 100 degrés, elle entrera en ébullition. On a donc seulement
informé sur une réalité objective. De même, une phrase apparemment indicative
peut-être en réalité prescriptive. Ainsi, la phrase « nous sommes dans une agglo-
mération » adressée à un conducteur signifie évidemment qu
il doit réduire la
vitesse de son véhicule.
Cest la raison pour laquelle on a souligné dans la définition de la norme
qu
elle nétait pas une phrase, mais seulement la signification dune phrase. La
forme grammaticale d
une phrase ne permet donc pas à elle seule de dire quon
est en présence d
une proposition ou dune norme et, intuitivement, on saide
toujours du contexte. C
est vrai de la morale ou du droit, souvent énoncés à lin-
dicatif et chacun comprend que « Tu ne tueras point » n
exprime pas une prédic-
tion, mais un commandement.
3. Signification de cette distinction. La distinction entre norme et propo-
sition est importante pour plusieurs raisons :
a) Elle correspond à lopposition entre des fonctions psychiques différentes.
Les propositions sont énoncées pour exprimer une connaissance du monde, les
normes pour exprimer une volonté.
b) Norme et proposition ont des propriétés différentes. La proposition est sus-
ceptible d
être vraie ou fausse, la norme non. On peut répondre « cest faux » à
« tous les hommes mentent », mais pas à « ne mentez pas ». On pourrait objecter
qu
il suffirait, au lieu de « ne mentez pas », de dire « on ne doit pas mentir », pour
qu
il soit possible de répondre « il est faux quon ne doit pas mentir ». Mais, si
l
on répond ainsi, on ne conteste pas la description dun fait que lon connaîtrait
mieux que son interlocuteur ; on se borne à opposer sa volonté à la sienne et à
tenter de substituer à la norme « ne mentez pas », la norme « mentez quelque-
fois ».
Si la norme ne peut être ni vraie ni fausse, on dit cependant quelle est
valide. Dire dune norme quelle est valide, signifie quelle est en vigueur et
qu
on doit se comporter conformément à ce quelle prescrit. Il faut remarquer
que la validité n
est pas une propriété de la norme équivalant à la vérité de la
proposition. Une proposition dépourvue de vérité reste néanmoins une proposi-
tion, tandis qu
une norme dépourvue de validité nest pas une norme du tout
(Kelsen, 1979). Dautre part, une proposition qui serait réfutée une seule fois
devrait être considérée comme fausse. Ainsi, la proposition « tous les cygnes
sont blancs » est fausse dès lors qu
on rencontre un seul cygne dune autre
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Le droit constitutionnel
21
couleur. Au contraire, une norme reste valide, même si les comportements pres-
crits ne sont pas réalisés. On peut continuer à dire « les hommes ne doivent pas
mentir », même s
il sest avéré quils mentent souvent.
Ces caractères servent dindices pour reconnaître quon est en présence
d
une norme. Si elle exprime une volonté, si elle ne peut être vraie ou fausse,
si elle ne cesse pas dêtre valide lorsquelle est violée, il sagit dune norme.
c) Enfin, il ne peut y avoir entre les normes et les propositions aucune rela-
tion logique. Cette impossibilité est connue sous le nom de loi de Hume. De ce
que quelque chose est on ne peut déduire que quelque chose doit être. Par
exemple si tous les hommes mentent, on ne peut en déduire que les hommes
doivent mentir, ni d
ailleurs quils ne doivent pas mentir. Symétriquement, sil
existe une norme selon laquelle il ne faut pas mentir, on ne peut en déduire que
les hommes ne mentent pas.
4. La hiérarchie des normes. Nimporte quel ordre ou commandement
n
est pas une norme. Un voleur qui ordonne « donne-moi largent », émet un
commandement et non une norme. Ce commandement n
est pas juridiquement
valide et il est permis de refuser d
obéir. En revanche, si le percepteur émet un
ordre semblable, on est en présence d
une norme juridique et on doit lui obéir.
Quelle est la différence entre ces deux commandements ? Elle ne réside pas
dans le contenu, car le comportement prescrit est le même, donner de l
argent.
Elle est dans la validité. Mais pourquoi dit-on que l
ordre du percepteur est
valide et que l
ordre du voleur ne lest pas ?
Le percepteur német son commandement quen application dune loi, qui
lui ordonne de percevoir les impôts. Son commandement est une norme valide
en raison de sa conformité à la loi. On dit qu
il trouve dans la loi le fondement
de sa validité. La loi a été émise par le Parlement et elle est d
ailleurs elle-même
une norme valide, parce qu
une autre norme, la Constitution, habilite le Parle-
ment à adopter des lois. Au-dessus de la constitution, il nexiste aucune norme.
Si lon considère que la Constitution est malgré tout une norme et quelle est
ainsi apte à fonder la validité de la loi, et indirectement celle du commandement
du percepteur, c
est simplement quon présuppose quelle est valide. Ce présup-
posé s
appelle la norme fondamentale. Cette norme fondamentale nexiste pas.
Elle n
est même pas véritablement une norme. Cest seulement le présupposé,
faute duquel il serait impossible de rtraiter la Constitution comme une norme et
de faire la moindre différence entre l
ordre du percepteur et celui du voleur.
Il faut remarquer à ce propos que la validité dont il est question ici est la
validité
formelle. En revanche la norme fondamentale ne permet en aucune
façon de justifier le fond des normes. Cette fonction revient à l
idéologie,
c
est-à-dire à la représentation de lordre social désirable.
On voit quune norme est valide en raison de sa conformité à une norme
supérieure, qui est elle-même valide parce qu
elle est conforme à une norme
encore supérieure. Autrement dit, une phrase quelconque n
a la signification
d
une norme quen raison de son insertion dans une hiérarchie. Cette hiérarchie
forme un système. Dire qu
il sagit dun système, cest dire que lensemble
nest pas composé dune juxtaposition ou dune addition déléments. Ici les élé-
la nature de norme qu
en raison de leur appartenance au
ments n
ont
système. C
est lui qui en fait des normes.
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Droit constitutionnel
En définitive, on identifie une norme lorsquon constate quune certaine
phrase acquiert une signification prescriptive du fait d
un système normatif.
En même temps, on détermine l
espèce de norme dont il sagit. Il existe en
effet des normes juridiques, morales, religieuses, sociales, etc. Si l
on examinait
isolément une phrase comme par exemple, « il est interdit de consommer des
boissons alcoolisées », il serait impossible de dire sil sagit dune norme et,
dans laffirmative, sil sagit dune norme juridique, morale ou religieuse. En
revanche, on peut rechercher si cette phrase a été énoncée conformément à
une norme supérieure, si par conséquent elle s
insère dans un système normatif.
On découvrira alors qu
elle sinsère dans un système religieux, celui de lIslam
ou bien dans le système juridique de tel ou tel État du Moyen-Orient, mais non
dans le système juridique français. En France, il n
est pas obligatoire de se
conformer à une telle norme ou, en d
autres termes, une telle norme juridique
n
est pas valide ou encore nexiste pas.
On dispose à présent dune définition simple de la norme juridique : cest
celle qui appartient au système juridique. Cependant, on n
a pas complètement
résolu le problème de l
identification de la norme juridique, car si cest celle qui
appartient au système juridique, encore faut-il pouvoir définir le système juri-
dique lui-même.
5. Le droit et les autres systèmes normatifs. Il existe de nombreux sys-
tèmes normatifs : outre le droit, les diverses morales, les règles de la courtoisie,
les codes d
honneur, les manières de table, etc. On peut tenter de distinguer le
droit ou système juridique de tous les autres systèmes normatifs, en considérant
qu
il possède deux séries de caractères spécifiques. Ces caractères seront appe-
lés les
critères de la distinction. On peut envisager des caractères matériels,
tenant au contenu des prescriptions ou des caractères formels, tenant à la
forme ou à la structure du système.
a) On considère quelquefois que le droit possède un caractère matériel spé-
cifique : il ne se bornerait pas comme les autres à prescrire des comportements,
mais il assortirait ces prescriptions de sanctions. Si le comportement prescrit n
a
pas lieu, alors le droit prescrit qu
une sanction soit infligée. Au contraire, les
autres systèmes normatifs ne comporteraient pas de sanctions.
Cependant, il existe de nombreuses normes juridiques qui ne comportent pas
de sanctions, par exemple « si un étudiant subit avec succès les épreuves de l
exa-
men, il recevra un diplôme » ou « le Parlement peut voter les lois ». Pour tenir
compte de cette possible objection, les tenants de la thèse des caractères matériels
ont élargi la notion de sanction. Dans un sens étroit, qui est aussi le sens courant,
la sanction est un mal infligé à quelqu
un, au besoin par la contrainte. Dans un
sens large, la notion comprend aussi les récompenses (au cas où la conduite pres-
crite a bien lieu). Dans le sens le plus large, on appellera sanction toute consé-
quence, bonne, mauvaise ou neutre, que le droit attache à la conduite prescrite ou
permise. On dira par exemple, que si la constitution permet au Parlement de voter
la loi, alors la conduite permise est le vote et la sanction est la conséquence de ce
vote, c
est-à-dire la circonstance quune loi a été adoptée.
Cette présentation nest pourtant guère satisfaisante, car si lon emploie le
terme de sanction dans un sens aussi large, il faut dire que les autres systèmes
normatifs comportent eux aussi des sanctions. Dans les systèmes religieux ou
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Le droit constitutionnel
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moraux, il sagit de châtiments ou de récompenses dans lau-delà ou encore de
remords. Dans les systèmes de normes sociales, la sanction (au sens très large)
est la signification que la société attache au comportement : si la norme permet
aux parents d
élever les enfants et sils leur interdisent de se nourrir exclusive-
ment de bonbons, il faudra appeler « sanction » le fait qu
une telle interdiction
sera considérée non comme un mauvais traitement à enfant ou comme une
atteinte aux libertés individuelles, mais comme un acte déducation. De ce
point de vue, il n
y a donc guère de différence matérielle entre les systèmes
normatifs.
b) En revanche, on peut estimer que le droit possède des caractères formels
spécifiques. Le système juridique, comme tout système normatif, est hiérar-
chisé. Mais on peut concevoir deux types de hiérarchie : une hiérarchie statique
et une hiérarchie dynamique. On peut raisonner sur un exemple simple : un tri-
bunal émet une sentence, qui est une norme, « Dupont, le voleur, doit subir une
peine de cinq ans de prison ». Naturellement, cette norme est valide parce
qu
elle est conforme à une norme supérieure. Mais si lon recherche la norme
susceptible de fonder sa validité, on peut en trouver deux.
La première est la loi pénale, qui prescrit de punir tous les voleurs dune
peine de cinq ans de prison. La sentence énoncée par le tribunal est valide
parce que son contenu est conforme à celui, plus général, de la loi et cette
conformité pourrait être exprimée par un syllogisme très simple :
1) prémisse majeure : tous les voleurs doivent être punis de cinq ans de
prison,
2) prémisse mineure : Dupont est un voleur,
3) conclusion : Dupont doit être puni de cinq ans de prison.
La relation entre les deux normes, la loi et la sentence, est donc seulement
une relation entre deux contenus (dont l
un est général et lautre particulier).
Elle est dite statique. Le tribunal a dans ce cas un pouvoir très restreint, puisque
la sentence est prédéterminée. Dès lors quil constate que Dupont est un voleur,
il ne peut que le punir de cinq ans de prison.
La seconde norme qui peut fonder la validité de la sentence est « le tribunal
est autorisé à prononcer des peines de prison ». Elle ne précise ni dans quels cas
il peut le faire, ni la durée de la peine et se borne à conférer au tribunal un
pouvoir, qu
il naurait pas autrement, démettre des sentences. Il ny a ici
aucune relation de contenu entre la norme supérieure et la sentence. On dit
que la norme supérieure règle la production des normes inférieures et la relation
est, pour cette raison, appelée « dynamique ».
6. Le système juridique est caractérisé par une double relation, statique et
dynamique, tandis que les autres systèmes ne consistent qu
en relations stati-
ques ou en relations dynamiques entre les normes. Dans la morale, par exemple,
la norme « ne fais pas de tort à autrui » est valide, non pas parce qu
elle a été
énoncée d
une certaine manière, mais parce quelle se déduit du contenu dune
norme plus générale « aime ton prochain comme toi-même ». Les deux normes
sont valides en même temps. La morale est un système statique. À l
inverse, le
système de pouvoir dans une bande de voleurs peut correspondre au schéma
suivant : le chef suprême attribue un territoire à chaque chef de bande, qui à
son tour affecte ses hommes à telle ou telle mission. L
ordre donné par le chef
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Droit constitutionnel
de bande nest pas valide parce que son contenu correspondrait à celui dune
norme générale, c
est-à-dire parce quil se présenterait comme lapplication
d
un ordre plus général de son propre supérieur, mais seulement parce quil
est habilité à donner des ordres dans son district. Ces ordres sont valides,
quels que soient leurs contenus et seulement en raison de l
autorité dont ils éma-
nent. Les ordres du chef suprême ont été émis avant ceux du chef local. Le
système est dynamique.
Nous sommes à présent en mesure de distinguer le système juridique des
autres systèmes normatifs et de le définir par ses caractères formels. Une telle
définition est une définition
stipulative et non une définition réelle ou lexicale.
Une définition réelle est une définition qui porte sur une chose et qui la décrit
sommairement telle qu
elle est réellement. Elle concerne lessence de la chose.
De bons auteurs estiment cependant qu
il ny a pas dessence du droit ou, sil y
en a une, qu
on ne peut latteindre. On ne pourra donc en donner une définition
réelle. Mais une telle définition n
est pas vraiment nécessaire. Ce dont nous
pouvons avoir besoin, c
est dabord de connaître le sens du mot « droit », dans
une langue donnée et dans un contexte donné. On recherchera alors une défini-
tion
lexicale. La définition lexicale ne se confond pas avec une définition réelle,
comme on peut le constater en ouvrant un dictionnaire, parce que pour un même
mot, il y aura nécessairement plusieurs définitions lexicales, dès lors que ce mot
a plusieurs sens, et qu
on peut parfaitement définir le sens dans lequel on
emploie un mot dans une langue donnée, sans pour autant parler de la nature
de la chose.
Nous pouvons aussi avoir besoin de choisir une définition qui ne corres-
ponde ni à l
essence prétendue de la chose, ni à lusage du mot dans une langue
donnée.
Cest notamment le cas, si lon veut étudier un objet, dont les limites, si lon
s
en tenait à lusage linguistique, seraient trop imprécises. Ainsi, un historien,
qui voudrait étudier la royauté au Moyen Âge, ne pourrait évidemment trouver
une définition réelle du Moyen Âge, qui est le nom que lon donne au produit
d
un découpage chronologique et qui na pas dexistence objective. Il ne pour-
rait pas non plus se contenter d
une définition lexicale, parce que lon donne des
dates très variées pour le début et la fin de cette période, et que, selon les défi-
nitions lexicales, notre historien devrait englober dans son étude le règne d
Isa-
belle la Catholique ou au contraire l
en exclure. Les conclusions auxquelles il
aboutira dans l
un et lautre cas seront naturellement très différentes. Cest la
raison pour laquelle, on décide d
appeler « Moyen Âge », telle ou telle période
que l
on va étudier. Une telle définition est dite stipulative, parce quelle est
stipulée ou convenue au commencement de létude. Une définition stipulative
n
est ni vraie, ni fausse. Elle résulte dun choix et est seulement utile ou non.
Cest en ce sens quon dit que les définitions sont libres.
Justement la définition formelle que lon vient de donner du droit est une
définition stipulative. On ne prétend pas révéler la nature véritable du droit,
mais seulement se donner un instrument commode. Cette définition apparaît
en effet commode et cela pour deux raisons principales : d
une part, elle permet
déviter toutes les difficultés auxquelles on se heurte avec une définition maté-
rielle fondée sur la sanction, lorsqu
on cherche à distinguer le droit, la morale et
l
ordre de la bande de voleurs. Dautre part, elle conduit à définir un objet
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auquel on peut appliquer une méthode unique, la dogmatique juridique, qui sera
examinée dans la section suivante.
Cette présentation reflète dailleurs lidée que toute science constitue son
objet. Le droit, comme les autres objets scientifiques, n
est pas une réalité qui
serait objectivement définie et délimitée. C
est à la science quil appartient de
découper les limites de son objet dans un monde qui apparaît chaotique et cet
objet sera celui auquel elle peut appliquer sa méthode. Cest donc la méthode,
qui est ici l
élément premier et déterminant. Or, précisément, la méthode de la
science juridique, la dogmatique, consiste à utiliser les relations entre les nor-
mes, pour établir quelles sont les normes en vigueur. La seule définition du droit
sur laquelle elle puisse se fonder est une définition formelle
1.
§ 2. Le droit constitutionnel comme sous-système
7. Il apparaît maintenant que le droit constitutionnel est une partie du sys-
tème juridique, comme d
ailleurs le droit civil ou le droit pénal. Cependant, sil
fait l
objet dune étude spécifique, distincte de celle des autres parties du sys-
tème (qu
on appelle aussi branches du droit), cest quil possède certaines carac-
téristiques spécifiques.
Comme pour le système juridique en général, on peut chercher à définir le droit
constitutionnel par des caractères matériels ou par des caractères formels. Il s
agit
toujours du droit relatif à la Constitution, mais dans le premier cas, on dira que la
constitution est un ensemble de normes caractérisées par leur objet, dans le second
qu
elles sont définies par le niveau auquel elles se situent dans la hiérarchie de
l
ordre juridique. Il ne faut pas croire quune définition serait supérieure à une
autre. Une définition n
est pas une thèse relative à la véritable nature dune
chose, mais un outil intellectuel permettant de construire un raisonnement. Selon
le contexte, on emploie donc tantôt une définition matérielle, tantôt une définition
formelle.
A Définition matérielle
8. On peut concevoir plusieurs définitions matérielles.
1. La définition traditionnelle : le droit constitutionnel, droit de lÉtat
9. Cest un fait que les constitutions ne sont apparues quavec lÉtat
moderne. Dune part, on assiste au XVIIIe siècle au développement dun mouve-
ment idéologique puissant, le constitutionnalisme, qui concevait la liberté et le
pouvoir comme antinomiques. Pour garantir la liberté, il fallait limiter le pou-
voir au moyen de quelques règles d
organisation judicieusement combinées. On
a appelé ces règles « constitution », terme synonyme à cette époque « d
organi-
sation » ou de « structure », comme on le voit encore lorsqu
on dit aujourdhui
Il existe une littérature immense sur la question de la définition du droit. Pour une première
1.
approche, voir la revue
Droits 1989 et 1990 et le Dictionnaire dÉguilles.
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Droit constitutionnel
dun homme quil a une constitution robuste. Dautre part, le pouvoir quil
s
agit de limiter nest pas nimporte quel pouvoir, ce nest pas celui qui peut
s
exercer dans la famille, dans larmée ou dans lÉglise, mais seulement le pou-
voir politique le plus considérable, celui précisément qui s
est développé au
XVIIe siècle, notamment en France, et quon appelle lÉtat.
Il est donc naturel quon considère que la Constitution et le droit constitu-
tionnel ont pour objet l
État et les limites de son pouvoir et quon cherche ainsi
à les définir. La Constitution (ou le droit constitutionnel), au sens matériel, est
alors
lensemble des règles relatives à lorganisation de cet État, cest-à-dire à
la désignation des hommes qui exercent ce pouvoir, à leurs compétences, à leurs
rapports mutuels. Mais, si l
on raisonne ainsi, on a seulement déplacé le pro-
blème, car il faut définir l
État.
Il faut alors considérer quil existe un État dès lors que trois conditions sont
remplies : quil y ait un territoire, une population, une puissance publique.
a) Le territoire
10. Encore que la question ait été discutée, on peut dire quil ny a pas
d
État sans territoire. Non pas que le territoire soit, comme on le croit parfois,
un élément constitutif de l
État ; mais parce quil est une condition indispen-
sable pour que l
autorité politique sexerce efficacement.
Il est vrai que lhistoire nous offre lexemple dÉtats reconnus comme tels,
avant que leurs frontières soient totalement fixées
ce fut le cas de la Pologne à
la suite de la guerre de 1914-1918 ; mais c
est là une situation exceptionnelle
qui ne peut se réaliser que pour un État ancien en voie de reconstitution et qui,
autrefois, s
était constitué sur une base territoriale.
Lidée denfermer une collectivité humaine dans des limites linéaires stables
les frontières est relativement récente. Dans la Grèce antique, il ny avait ni
ligne douanière, ni ligne militaire ; à Rome, les limes de lEmpire étaient des
espaces où sexerçait la vigilance des légions. Ce nest quau XVIe siècle que
les travaux cartographiques, rendus possibles par le renouveau des études
mathématiques et géographiques, font apparaître la notion moderne de frontière.
Or, il n
est pas sans intérêt dobserver que cest vers la même époque que se fait
jour le concept d
État pour définir certaines formes du Pouvoir politique (Ancel,
1936, t. I ; Fèbvre, 1962, p. 11 et s.).
La nature du droit de lÉtat sur son territoire (Schoenborn, 1929 ; Scelle,
1948, p. 67 ; Rousseau, 1987, p. 224).
Cette question est évidemment leffet dune métaphore anthropomorphique :
dans la mesure où l
État est considéré comme une personne, on considère quil
possède un territoire et lon sinterroge sur la nature de son droit sur ce terri-
toire. Cette métaphore résulte de certaines ressemblances entre les normes du
droit international relatives aux changements territoriaux et les normes du
droit interne relatives à la propriété. Mais cette manière de poser la question
conduit à des difficultés considérables : on ne peut assimiler ce droit à la pro-
priété parce que si l
État était le propriétaire du sol, son droit serait exclusif et
les particuliers ne pourraient être propriétaires en même temps que lui. On ne
peut pas davantage l
assimiler à la souveraineté, qui est considérée comme un
droit sur des hommes et non sur les choses. On a alors cherché une troisième
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Le droit constitutionnel
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voie et considéré que ce droit devait être considéré comme un droit réel institu-
tionnel, réel
pour marquer quil porte directement sur le sol national, institution-
nel
pour indiquer que son contenu est limité et déterminé par ce quexige le
service de l
institution étatique. Mais, on ne doit pas oublier quil ne sagit
que d
une manière commode de présenter les choses, dune façon de parler :
lÉtat produit des normes qui sont obligatoires sur une certaine portion despace
à l
égard dun certain ensemble dhommes. Il nest nul besoin de penser quil
existerait dans la réalité un véritable lien, dont on rechercherait la nature, entre
l
État et cet espace.
Il suffit alors de souligner que le territoire est un concept nécessaire pour
définir l
État : cest lespace géographique sur lequel lÉtat exerce ses compé-
tences, c
est-à-dire quil produit des règles régissant les hommes et les biens qui
s
y trouvent.
Cela étant, il faut souligner que le territoire est un espace à trois dimensions :
il comprend non seulement la surface terrestre, mais aussi la couche atmosphé-
rique située au-dessus du sol ; il n
est pas seulement terrestre, mais sétend éga-
lement aux portions de la mer qui baigne les côtes, la mer territoriale.
b) La population
11. En deuxième lieu, on ne peut parler dÉtat que lorsquun ensemble
limité d
hommes est soumis à un ordre juridique déterminé à lexclusion de
tout autre. Cet ensemble d
hommes est appelé la population de lÉtat. Il est
possible
et cest le cas le plus fréquent que les hommes qui font partie de
cet ensemble ne possèdent aucune autre
caractéristique commune que dêtre
soumis à un certain ordre juridique
. Il peut exister entre eux des différences
très importantes du point de vue linguistique, ethnique, religieux, économique,
du point de vue aussi de leur sentiment d
appartenance à cette population ou
d
allégeance à lÉtat. Ils nen forment pas moins, du strict point de vue juri-
dique, la population de l
État.
On peut cependant estimer que lÉtat ne peut fonctionner de façon satisfai-
sante que lorsque la population présente d
autres caractéristiques communes,
notamment l
adhésion à des valeurs fondamentales et à lÉtat lui-même, la
conscience d
appartenir à un même peuple et la volonté de préserver son unité.
Le peuple structuré par un État ou par le désir d
en instituer un, est aussi
appelé « nation ».
Il suit de là que la nation est quelquefois antérieure à lÉtat, comme il arrive
précisément dans les revendications nationales, mais elle peut être aussi créée
par l
État lui-même. Cest ce qui sest produit en France sous lancienne
monarchie.
Mais il peut également se produire cest même le cas le plus fréquent
quun État ait une population qui ne présente aucune homogénéité, ni linguis-
tique, ni ethnique, ni culturelle et qu
il ny ait aucun sentiment dappartenance
nationale. Il n
en est pas moins un État. Ce nest donc pas lexistence dune
nation, mais seulement celle d
une population, qui est une condition de lÉtat.
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c) La puissance
Droit constitutionnel
12. Enfin, pour quil existe un État, il ne suffit pas quil existe sur un terri-
toire déterminé, une population soumise à un même ensemble de normes. On
n
emploie pas habituellement le terme dÉtat pour parler des sociétés sans his-
toire, dites « primitives » ou en Europe occidentale de la société féodale ; il faut
encore que cette population et ce territoire soient soumis à une forme spécifique
de pouvoir politique. Cette troisième condition d
existence est généralement
appelée la
puissance publique ou encore souveraineté.
On confond parfois la question juridique de la spécificité de la puissance
propre à l
État avec les questions sociologiques ou politiques du consentement
et de la légitimité.
Il est vrai, dun point de vue sociologique, que lÉtat ne peut exercer sa
puissance par le simple usage de la force. Il a besoin pour l
exercer durablement
du consentement des sujets ou du moins d
une partie dentre eux.
Il est également vrai, quil a besoin dune légitimité, cest-à-dire dun
ensemble de raisons qui justifient aux yeux des sujets ou des gouvernants eux-
mêmes l
attribution du pouvoir à ceux qui lexercent et lobligation de leur
obéir. Max Weber a ainsi distingué trois types de légitimité, selon que le pou-
voir est traditionnel (gouvernement du prince), charismatique (gouvernement du
chef qualifié par son prestige) ou rationnel (gouvernement d
autorités agissant
conformément au droit).
Mais dun point de vue juridique, le consentement ou la légitimité ne peu-
vent être des éléments de définition de l
État, car il y a bien des États, auxquels
le consentement des sujets fait défaut ou dont la légitimité est contestée, mais
qui n
en sont pas moins des États.
On dit alors que ce qui caractérise lÉtat, cest quil exerce un pouvoir dune
« essence » particulière, un pouvoir supérieur à tous les autres, qu
on appelle
souverain. Cependant, sil sagit de définir lÉtat par la souveraineté, on ne
peut pas considérer cette suprématie comme une suprématie de fait, une supré-
matie réelle. Il peut se trouver en effet, dans certains pays, des institutions ou
des groupes plus puissants en fait que l
État. La puissance dont il sagit est donc
une puissance qui n
est pas supérieure en fait, mais seulement en droit.
On constate ainsi que les trois éléments de la définition de lÉtat correspon-
dent à des phénomènes qui ne sont ni naturels, ni même sociaux et culturels. Il
peut y avoir des États auxquels ne correspondent ni une population, ni un terri-
toire homogènes et dont la puissance n
est pas réellement et matériellement
supérieure. Ces trois éléments doivent donc être eux-mêmes définis juridique-
ment et seulement juridiquement. Mais une définition juridique de l
État et
par conséquent une définition matérielle du droit constitutionnel donne lieu
à de nouvelles difficultés.
2. Insuffisance de cette définition matérielle
13. Elle repose sur une définition de lÉtat. Or celle-ci souffre dune incerti-
tude grave. La critique, très simple, en a été faite par Hans Kelsen. Définir lÉtat
par la réunion de trois conditions, c
est affirmer que dès lors quon constate que
ces trois conditions sont réalisées, on constate du même coup qu
il existe un
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État. Mais, objecte Kelsen, il est impossible de faire cette constatation, car les
trois conditions ne correspondent pas à des faits empiriques que l
on pourrait
rencontrer dans la nature. Comment savoir par exemple qu
il y a un peuple ?
Un peuple n
est pas un phénomène naturel. Cest un groupe dhommes, mais
ils n
ont le plus souvent en commun ni la langue, ni la religion, ni lapparte-
nance ethnique, ni aucun autre caractère. Le seul lien qui les unit, cest quils
sont tous soumis au même État. Mais on voit par là que si le peuple se définit
par l
État, il devient impossible de définir lÉtat par le peuple. De même, le
territoire n
existe pas « naturellement ». Cest seulement la portion despace
sur laquelle l
État exerce son autorité. Quant à la puissance publique, ce nest
pas non plus n
importe quelle puissance politique, cest celle de lÉtat. La défi-
nition classique de l
État présente donc un caractère tautologique : il y a un État
lorsqu
il y a un peuple, un territoire et une puissance publique et il y a un peu-
ple, un territoire et une puissance publique lorsqu
il y a un État (Kelsen, 1962,
spécialt. p. 275-310).
De plus, le droit constitutionnel a connu depuis le XVIIIe siècle une évolution
considérable. Il n
a plus seulement pour objet lorganisation de lÉtat et na plus
seulement pour fin la limitation du pouvoir et la garantie de la liberté, mais
concerne des domaines sans cesse plus variés et plus nombreux. Cette évolution
s
explique aisément par la hiérarchie des normes (v. supra no 4) : chaque norme
trouve le fondement de sa validité dans une norme supérieure, à laquelle elle
doit être conforme. Cela implique évidemment qu
elle ne peut la modifier.
Appliquée aux rapports de la Constitution et de la loi, cette idée signifie que
la loi ne peut modifier la Constitution. Elle est riche de conséquences pratiques,
car lorsqu
on veut donner à une prescription une très grande valeur, lorsquon
veut la mettre à l
abri de toute modification par la loi, on lui donne la forme
constitutionnelle, on l
exprime par un texte constitutionnel et elle devient ainsi
elle-même une norme constitutionnelle. Elle ne pourra alors être modifiée qu
à
la suite dune procédure spéciale, généralement plus difficile à mettre en œuvre.
Depuis deux siècles, on a énoncé de la sorte des règles nombreuses, le plus
souvent pour garantir des libertés fondamentales, mais aussi pour affirmer les
principes essentiels régissant les matières les plus diverses, ce qui explique la
longueur de plusieurs constitutions contemporaines. Ainsi, la Constitution du
Brésil de 1988 compte 250 articles, alors que celle des États-Unis, plus
ancienne de deux siècles, n
en a que 6 il est vrai quils sont sensiblement
plus longs. Mais il est impossible de donner une définition purement matérielle
de la constitution, parce qu
il ny a pas de matière qui soit constitutionnelle par
nature et qu
il est impossible de faire une liste des matières qui seraient néces-
sairement régies par la Constitution. Chacun a en mémoire un amendement à la
Constitution des États-Unis qui avait institué la prohibition de lalcool, de sorte
quil avait fallu un nouvel amendement pour en permettre à nouveau la vente et
la consommation.
3. La Constitution, système dorganes
14. Les hommes qui exercent le pouvoir politique nexercent pas un pouvoir
propre, mais une compétence. On dit qu
ils ont individuellement ou lorsquils
sont réunis en collèges la qualité d
organes de lÉtat, parce que leurs actes sont
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Droit constitutionnel
considérés comme ayant été accomplis par lÉtat et quils sont attribués à lÉtat.
On les appelle aussi des autorités ou des pouvoirs publics. Dans les États
modernes, il existe toujours plusieurs de ces organes, de telle sorte que le pou-
voir est partagé entre eux. La constitution est alors l
organisation générale du
pouvoir, qui résulte de la répartition des compétences entre les organes. C
est la
norme qui règle la production des normes les plus élevées du système juridique,
par exemple les lois, les traités ou les décisions par lesquelles les gouverne-
ments exécutent les lois.
On emploie dailleurs le mot « constitution » dans un sens très large pour
désigner toute forme d
organisation du pouvoir, même sil ne sagit pas du
pouvoir de l
État. On peut parler ainsi de la constitution de lÉglise ou des
ordres monastiques ; dans certaines langues étrangères les statuts d
une asso-
ciation sont appelés « constitution » ; on parle aujourd
hui en ce sens de la
« constitution » de l
Union européenne, bien quelle ne soit pas un État,
parce qu
elle règle les compétences des organes de lUnion et le processus
de production des normes européennes.
B Définition formelle
15. Mais, on peut donner aussi une définition formelle du droit constitution-
nel : c
est un ensemble de normes qui présentent trois caractéristiques : premiè-
rement leur valeur est supérieure à celle de toutes les autres normes ; deuxième-
la manière dont ces autres normes doivent être
ment elles déterminent
produites ; enfin, elles constituent le fondement ultime de leur validité, sans
que les normes qu
il contient soient elles-mêmes fondées sur dautres normes
juridiques.
Ces éléments doivent eux-mêmes être explicités. Une norme A a une valeur
supérieure à celle d
une autre norme B, lorsque, en cas de contradiction, il
existe une procédure juridictionnelle pour annuler B ou pour en empêcher l
ap-
plication. La Constitution a ainsi une valeur supérieure à celle des lois lorsqu
il
existe des procédures pour empêcher l
application des lois contraires à la
Constitution. Elle a aussi une valeur supérieure à celle des traités, des décrets,
des contrats et de toutes les autres normes juridiques. Il en résulte qu
une consti-
tution peut abroger ou modifier une loi, mais que l
inverse nest pas vrai. Il en
résulte aussi que la Constitution ne peut elle-même être modifiée qu
au moyen
d
une procédure spéciale, longue et plus difficile que celle qui permet de modi-
fier les lois.
Une norme A est le fondement de la validité dune norme B, lorsque A a
donné à une certaine autorité le pouvoir de produire une norme B en suivant
une certaine procédure et respectant certaines conditions et que, à la question
de savoir si et pourquoi B est une norme obligatoire, on répond en disant que
B est valide parce qu
elle a été produite selon les conditions prescrites par
A. Ainsi, on sait en France qu
une loi est une norme obligatoire lorsquelle a
été produite par le Parlement conformément à la constitution. La Constitution
est le fondement de validité de la loi. Elle est de même le fondement de validité
des traités, des décrets et d
autres normes encore.
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Elle est le fondement ultime de la validité de toutes les normes. La loi peut à
son tour donner à d
autres autorités le pouvoir de produire des normes. Le fonde-
ment immédiat de la validité de ces normes sera dans la loi, mais comme la loi a
elle-même son fondement dans la Constitution, celle-ci est leur fondement ultime.
La Constitution n
a pas elle-même de fondement, en ce sens quil ny a pas
de norme au-dessus de la Constitution, qui ait autorisé sa production et qui per-
mette de dire qu
il sagit dune norme obligatoire.
Certaines de ces normes sont énoncées dans un texte ou document que la
science du droit constitutionnel appelle « constitution formelle », bien qu
il
puisse porter des noms divers (« acte constitutionnel », « loi fondamentale »,
« charte », etc.). Cependant, dans plusieurs pays, la constitution formelle est
appliquée et interprétée par les juges, de sorte que l
ensemble de ces interpréta-
tions, qui forment ce qu
on appelle la « jurisprudence », est aussi une partie du
droit constitutionnel.
Le droit constitutionnel ne se définit plus matériellement par son objet, mais
seulement par sa forme : il s
agit des normes qui occupent le sommet de la hié-
rarchie du système juridique, qui ne peuvent être modifiées par la loi, mais seu-
lement au terme d
une procédure généralement plus lente et plus difficile à met-
tre en
œuvre que la procédure législative et qui peuvent porter sur des objets très
variés : l
organisation du pouvoir, les droits de lHomme ou même une matière,
qui ne concerne ni le pouvoir ni les droits de l
Homme, mais à laquelle on atta-
che une grande importance symbolique, comme par exemple l
hymne national,
les couleurs du drapeau, une devise ou encore la proclamation d
une croyance
religieuse ou philosophique.
Il faut observer que la définition formelle quon vient desquisser peut être
appliquée dune manière plus ou moins stricte.
Dans un sens strict, on appellera « constitution » seulement les ensembles de
normes qui présentent tous ces caractères. Seuls les États ont une constitution en
ce sens. Le fait que leur constitution constitue le fondement ultime de toutes les
autres normes, c
est-à-dire de leur droit national, quelle soit suprême, est
appelé « souveraineté ». Mais certains États n
ont pas du tout de constitution
au sens formel, bien qu
ils en aient une au sens matériel. Cest le cas de lAn-
gleterre, puisque non seulement il n
y a pas de document écrit appelé constitu-
tion, mais il n
y a pas de norme qui ait une valeur supérieure à celle des lois.
Mais on peut parler aussi de constitution formelle dans un sens large,
lorsque certains seulement de ces caractères sont présents.
De même, lÉtat membre dun État fédéral, par exemple la Californie aux
États-Unis ou l
État de Rio de Janeiro au Brésil, a des règles dorganisation et
de fonctionnement du pouvoir politique analogues à celles d
un État unitaire
comme la France. Ces règles forment un ensemble généralement mais pas
toujours appelé « constitution ». Elles ont une valeur supérieure à celles de
toutes les normes juridiques de l
État membre et fondent leur validité, mais
elles ne sont pas suprêmes, car la constitution de l
État fédéral a une valeur
encore supérieure.
On sest demandé si le traité établissant une Constitution pour lEurope,
rejeté en France par le référendum du 29 mai 2005, créait non seulement une
constitution matérielle
parce quelle met en place un système dorganes qui
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Droit constitutionnel
produisent des normes du niveau le plus élevé mais également une véritable
constitution formelle. La réponse doit être nuancée. Tout d
abord, cette consti-
tution ne devait pas être adoptée par un pouvoir constituant (v.
infra no 296),
mais par un traité
et ne pouvait être révisée que comme un traité, cest-à-
dire à l
unanimité des États. En outre, elle nétait pas la norme la plus élevée,
bien quelle proclamât le principe de sa suprématie sur les droits nationaux,
dans la mesure où elle nétait pas le fondement de validité des constitutions
nationales. Il n
était dailleurs même pas certain quelle aurait toujours prévalu
en cas de contradiction avec certains principes constitutionnels nationaux jugés
essentiels.
Il ressort de tout ce qui précède que les définitions formelles et matérielles
ne coïncident pas et que certains textes peuvent être appelés ou non constitution
selon les cas. Une norme contenue dans un texte constitutionnel peut être
constitutionnelle formellement, mais non pas matériellement. L
exemple le
plus célèbre est celui d
une disposition de la constitution helvétique qui interdi-
sait l
abattage des animaux selon le rite juif. On la insérée pour quelle ne
puisse pas être modifiée par une loi ordinaire. À l
inverse, une norme relative
à l
élection des députés, qui, comme en France, nest pas contenue dans le texte
constitutionnel, mais dans une loi ordinaire, est constitutionnelle matérielle-
ment, mais non formellement, de sorte qu
elle est assez facilement modifiable.
Dans la science du droit constitutionnel, comme dans la science du droit en
général, on privilégie le point de vue formel, parce que c
est celui qui est adopté
par la pratique juridique. Ceux qui élaborent une constitution utilisent ce point
de vue. Pour protéger certaines règles, notamment celles qui concernent des
principes particulièrement importants, contre des atteintes et des modifications
par la voie législative, ils lui donnent la forme constitutionnelle, par exemple en
les inscrivant dans le texte de la constitution. Aujourd
hui un nombre de plus en
plus grand de matières a son fondement dans le droit constitutionnel, dès lors
quelles sont en partie régies par des normes formellement constitutionnelles et
que leur suprématie est assurée grâce au contrôle dune Cour constitutionnelle.
C
est aussi le point de vue quadoptent les tribunaux, lorsquils veulent
déterminer si une norme possède ou non la nature constitutionnelle. Ils
appellent en effet, constitutionnelle, toute norme qui ne peut être modifiée
qu
au terme de la procédure de révision constitutionnelle.
Section 2
Le droit constitutionnel comme science
16. Dans un deuxième sens, lexpression « droit constitutionnel » désigne la
discipline, la science, qui étudie l
ensemble de règles que lon a appelées « droit
constitutionnel » ou « constitution ». Sur la nature et les méthodes de cette
science, il existe des conceptions très différentes, qui reflètent d
ailleurs les
grandes oppositions relatives à la science du droit en général, celle du positi-
visme et du jusnaturalisme, celle de la science du droit ou dogmatique juridique
et de la sociologie (Troper, 2002).
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Le droit constitutionnel
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§ 1. Jusnaturalisme et positivisme
A Le jusnaturalisme
17. Certains croient quil existe non pas un droit, mais deux. Le premier est
celui dont on a traité jusquà présent, le droit en vigueur, appelé aussi « droit
positif », parce qu
il est lexpression de la volonté de certains hommes et quil
a été « posé » par eux. L
autre serait un droit qui ne serait pas produit par la
volonté humaine, mais immanent à la nature (d
où son nom de droit naturel)
ou produit par la volonté de Dieu. Le droit naturel existerait avant le droit posi-
tif et se situerait au-dessus de lui. Il devrait notamment déterminer quelle auto-
rité politique est légitime, c
est-à-dire habilitée à produire du droit positif, et à
quelles conditions ce droit est valide et obligatoire. Il servirait par conséquent
de fondement de validité pour le droit positif. Quant au contenu de ce droit
naturel (ce qu
il prescrit), cest tout simplement la justice : les hommes doivent
produire un droit positif qui réalise la justice.
Comme on peut sy attendre, il existe de nombreuses variantes de cette doc-
trine. Les différences tiennent d
abord à la source du droit naturel, que les uns
trouvent dans la volonté de Dieu, d
autres dans la nature des choses, dautres
encore dans la nature humaine ou dans la Raison. Elles tiennent aussi aux
conceptions de la justice, qui varient considérablement : l
esclavage, qui dans
nos sociétés, apparaît comme la plus grande des injustices, a été souvent consi-
déré comme juste. Enfin, il y a des différences quant aux conséquences qu
on
attache à une contradiction entre le droit naturel et le droit positif. Selon certains
auteurs, qui invoquent le beau mythe d
Antigone, une norme du droit positif qui
serait contraire au droit naturel, donc à la justice, ne serait pas obligatoire et il
serait juste de lui désobéir. Il y aurait même un devoir de
désobéissance. Dau-
tres auteurs vont plus loin et estiment que le droit naturel fournit un critère
d
identification du droit : un droit positif contraire au droit naturel ne serait
même pas du droit
. Dautres enfin sont plus modérés ; ils considèrent quun
droit positif contraire au droit naturel reste du droit, et même qu
il faut lui
obéir, mais que le droit naturel peut servir d
instrument pour le juger et pour
suggérer des améliorations.
En tout cas, le juriste qui adhère à cette conception ne se contente pas de
décrire le droit tel qu
il est. Il pense quil lui appartient aussi de parler du
droit tel qu
il devrait être. Cette conception trouve naturellement à sappliquer
dans de nombreux domaines, mais tout particulièrement à l
égard du pouvoir
politique. Quel est le pouvoir légitime ? Quelles sont les limites du pouvoir et
quels sont les droits naturels de l
homme que ce pouvoir est tenu de respecter ?
Ce sont là quelques-unes des questions traitées par les doctrines du droit naturel.
S
agissant plus spécialement du droit constitutionnel, cette conception se mani-
festerait de la façon suivante : d
une part, une définition matérielle de ce droit ;
il y aurait un droit constitutionnel par nature, qui aurait pour objet l
État ; dau-
tre part, on peut rattacher au jusnaturalisme l
idée quil existerait des formes
juridiques pures, par exemple les régimes parlementaire ou présidentiel
(v.
infra no 97 et 102), dont les institutions concrètes devraient se rapprocher.
Mais cette conception se manifeste surtout dans l
idéologie contemporaine des
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Droit constitutionnel
droits de lHomme, selon laquelle les gouvernants doivent respecter ces droits,
inscrits dans la nature de l
Homme et qui simposeraient même lorsquils ne
sont pas expressément formulés dans le texte de la constitution.
B Le positivisme juridique
1. Le modèle des sciences empiriques
18. Le positivisme juridique se caractérise avant tout par la volonté de cons-
truire une science du droit sur le modèle des sciences de la nature. Ces sciences
consistent dans une description du monde à l
aide de propositions vérifiables
(v.
supra no 2). Les jugements de valeur ne sont pas susceptibles dêtre vrais
ou faux. Ils correspondent seulement aux émotions et aux goûts de ceux qui
les expriment. Ils ne sont donc évidemment pas vérifiables et la science ne
s
est développée quen y renonçant. Or les thèses sur le droit naturel, sur ce
qui est juste et injuste, ne sont que des jugements de valeur. Ils ne correspon-
dent à aucune réalité objective, mais seulement à des opinions subjectives et
relatives. Il suffit d
ailleurs dexaminer les doctrines du droit naturel pour cons-
tater que si toutes veulent soumettre le droit positif à une exigence de justice,
elles diffèrent profondément sur le contenu de la notion de justice. Au contraire,
une véritable science sera « pure » de tout jugement de valeur et se limitera à la
description de son objet.
Il existe une objection classique au positivisme juridique : si lon sabstient
de tout jugement de valeur, conformément à l
idéal de pureté, ne va-t-on pas
accepter de considérer comme du droit, n
importe quel système juridique, fût-
il celui de la plus atroce tyrannie ? Le système juridique nazi serait du droit, tout
comme celui de la Suisse. Le positivisme aboutirait ainsi à légitimer n
importe
quel système. À cette objection, les tenants du positivisme opposent deux argu-
ments : dune part, dire quun système est juridique, quil forme un droit, ne
signifie pas quon le considère comme bon ou quon prescrive de lui obéir. Ce
n
est une recommandation ni dobéir, ni dailleurs de désobéir, mais seulement
l
identification dun objet pour la science du droit, la reconnaissance du fait
qu
il appartient à une certaine classe dobjets. En outre, le positivisme ninterdit
pas tout jugement de valeur, mais seulement celui qui serait énoncé au nom de
la science. Une science peut seulement décrire le réel à l
aide de propositions et
il est logiquement impossible de dériver des prescriptions. Celui qui énoncerait
des jugements de valeur et qui prétendrait le faire en vertu de ses compétences
scientifiques commettrait tout simplement une escroquerie intellectuelle. En
revanche, il est parfaitement légitime de porter un jugement de valeur à partir
dun autre point de vue que celui de la science. On peut par exemple considérer
du point de vue de la science du droit que le système nazi est un droit, qui peut
être étudié et décrit en tant que tel, selon les méthodes des juristes, et en même
temps, du point de vue moral, soutenir qu
il sagit dun droit abominable et
qu
il faut sefforcer de le détruire par tous les moyens. En pratique, de nom-
breux positivistes ont d
ailleurs eu cette double attitude.
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2. Lobjet de la science du droit est le droit
19. Le positivisme juridique se présente sous deux variantes : selon la pre-
mière, il existe peut-être un droit naturel, mais il n
est pas connaissable par la
science et celle-ci ne peut rien en dire. Selon la seconde, plus dure, les seuls
objets existants sont des objets empiriques, cest-à-dire accessibles aux sens et
les doctrines du droit naturel servent seulement à leurs auteurs à présenter leurs
opinions politiques sous une apparence d
objectivité. Il ny a pas deux droits,
mais un seul droit, qui est le droit positif. Quoi qu
il en soit, pour les uns
comme pour les autres, une véritable science du droit doit se borner à décrire
ce qu
elle peut connaître. Or, le droit positif est composé de normes qui sont la
signification de certaines phrases (v.
supra no 2), par lesquelles certains indivi-
dus expriment leur volonté ; il y a là, dans le fait qu
une volonté a été exprimée,
une réalité empirique qui peut être connue et décrite par la science du droit.
3. Le contenu de la science du droit, les propositions de droit
20. Une véritable science du droit doit se composer de propositions. On les
appelle des « propositions de droit ». Chacune de ces propositions décrit une
norme. Elle est susceptible d
être vraie ou fausse. Elle est vraie si la norme
décrite existe bien, fausse dans le cas contraire. Ainsi, la proposition « il existe
en France une norme selon laquelle, si quelqu
un a commis un meurtre, il doit
être condamné à mort » est fausse, car cette norme a été abrogée en France et
n
existe plus.
La distinction entre normes et propositions de droit est importante, mais par-
fois délicate. Elle est importante, car elles ont des propriétés différentes.
Les
normes sont un produit de la volonté, tandis que les propositions de droit sont
un produit de la connaissance
. Les normes ne peuvent être ni vraies ni fausses,
tandis que les propositions de droit, elles, sont susceptibles d
être vraies ou
fausses. La distinction est cependant délicate, parce que, bien souvent, on
énonce la proposition de droit non pas sous la forme complète qu
on vient din-
diquer « dans le système juridique du pays X, il existe une norme selon laquelle
si quelqu
un a commis un meurtre, il doit être condamné à mort », mais sous
une forme abrégée, qui reproduit purement et simplement le contenu de la
norme. Un professeur de droit par exemple, qui n
énonce pas de norme, mais
seulement des propositions de droit, ne fera pas précéder la description de
chaque norme de la formule « dans le système juridique X, il existe une
norme selon laquelle... » et dira tout simplement : « si quelqu
un a commis un
meurtre, il doit être condamné à mort ». On comprend cependant qu
il sagit
non d
une norme mais dune proposition, parce que la phrase némane pas
dune autorité juridiquement autorisée à poser des normes, mais dun professeur
et quelle est logiquement susceptible dêtre fausse.
Daprès lexemple sur lequel on a raisonné, on pourrait croire que la
science du droit se borne à reproduire purement et simplement les normes et
qu
elle nest par conséquent pas dune grande utilité. Il ne faut pas oublier
cependant que les normes ne sont pas des énoncés, quelles ne sont pas acces-
sibles aux sens. La science du droit n
a affaire quà des énoncés, qui expri-
ment des normes, mais pas aux normes elles-mêmes. Il lui appartient donc
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Droit constitutionnel
de découvrir quelles sont ces normes quexpriment les énoncés, cest-à-dire
d
en dégager la signification et de la décrire à laide dune proposition de
droit (voir Troper, 2002).
Cette description ne se limite dailleurs pas à une indication du contenu de la
norme, de ce qu
elle prescrit. Il faut encore, pour la décrire complètement et
lexpliquer, la comprendre à laide de lensemble des normes auquel elle appar-
tient. Ce point s
éclairera si lon raisonne plus spécialement sur la science du
droit constitutionnel.
4. Le contenu de la science du droit constitutionnel
21. La science du droit constitutionnel est simplement une partie de la science
du droit. Si son objet est spécifique
cest la Constitution sa fonction est iden-
tique : elle énonce des propositions de droit. Elle est en présence de textes. Soit,
par exemple, cette phrase bien connue : « la loi est l
expression de la volonté géné-
rale ». Il est évidemment possible, mais peu utile, d
énoncer la proposition de
droit : « il existe une norme selon laquelle la loi est l
expression de la volonté
générale ». Mais, on peut la comprendre et ainsi la décrire complètement dans le
système auquel elle appartient. Cela peut s
entendre au moins de trois manières.
En premier lieu, du point de vue formel, cette norme se situe à un certain
niveau de la hiérarchie de l
ordre juridique. Le texte qui lexprime est larticle 6
de la Déclaration des droits de l
Homme et du Citoyen de 1789, à laquelle ren-
voie le préambule de la Constitution de 1958. Elle fait donc partie aujourd
hui
de la constitution formelle, ce qui signifie qu
elle simpose à tous et notamment
au législateur.
En deuxième lieu, du point de vue matériel, on doit indiquer ce que signifie
que « la loi est l
expression de la volonté générale ». Or cette phrase ne peut se
comprendre que par rapport à une conception d
ensemble du pouvoir politique,
élaborée au XVIIIe siècle, mais qui inspire encore le droit français. Cette phrase,
rédigée au mode indicatif, n
acquiert une signification prescriptive quà condi-
tion d
être éclairée par son contexte. Elle signifie alors que celui qui énonce la
loi, n
a pas de droit propre à exercer le pouvoir législatif, que la volonté quil
exprime n
est pas la sienne mais la volonté générale, quil nest pas le souve-
rain, mais seulement son représentant.
En troisième lieu, dun point de vue matériel encore, il faut déterminer le
contenu précis de la prescription. L
énoncé « la loi est lexpression de la volonté
générale » peut bien signifier une prescription, mais cette prescription ne peut être
considérée comme une norme qu
une fois établi quelle est la conduite qui doit
avoir lieu. On se demandera par exemple si la formule de l
article 6 implique
que tout ce que fait le détenteur du Pouvoir législatif doit être considéré comme
lexpression de la volonté générale ou si certaines conditions doivent en outre être
remplies. Bien entendu, la lecture, même attentive, de l
article 6 ne fournit pas la
réponse à cette question. La science du droit constitutionnel ne peut donc la four-
nir seule, mais il lui appartient d
abord de poser cette question (in abstracto, en
dehors de toute difficulté particulière, en l
absence de tout litige concret) et dex-
poser les diverses solutions possibles, ensuite de décrire la solution apportée par
le droit positif. Ainsi, dans le cas envisagé, sous la III
e République, la solution
le pouvoir législatif est l
expression de la volonté
était : « tout ce que fait
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générale, cest une loi » ; sous la Ve République, la solution, qui résulte de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel est au contraire : «
ce qua adopté le
pouvoir législatif n
est lexpression de la volonté générale quà condition de
l
avoir été en conformité avec la constitution ».
On constate ainsi quil existe un rapport étroit entre le texte en question et
lorganisation générale du pouvoir. Cest parce que la constitution est un système
d
organes que le contenu de larticle 6 de la Déclaration acquiert une signification
particulière selon le système dans lequel on l
interprète, une signification diffé-
rente sous la III
e et sous la Ve République.
§ 2. Droit constitutionnel et science politique
22. La distinction reflète celle de la science du droit et de la sociologie. Ces
deux disciplines ont été perçues tantôt comme une seule et même science, tantôt
comme deux disciplines soit opposées soit complémentaires.
A Lunité du droit constitutionnel et de la science politique
23. Jusquau début du XXe siècle, droit constitutionnel et science politique
ne formaient qu
une seule et même discipline. Cette situation sexplique par
deux facteurs principaux.
Dune part, la distinction dinspiration positiviste entre le point de vue
descriptif et le point de vue prescriptif n
était pas clairement établie et la science
politique se donnait pour tâche de découvrir le meilleur système de gouverne-
ment. Elle avait donc pour contenu un ensemble de prescriptions. C
est en ce
sens que, par exemple les histoires de la science politique publiées au
XIXe siècle
portaient sur ce qu
on appellerait aujourdhui philosophie ou théorie politique.
Lorsque ces prescriptions étaient précises, elles pouvaient prendre l
apparence
de règles constitutionnelles.
Dautre part, même dans une perspective plus proche de la conception posi-
tiviste, décrire l
organisation et le fonctionnement du Pouvoir, cétait décrire les
règles effectivement appliquées, de même qu
on décrit et explique un jeu en
énonçant les règles.
B La distinction du droit constitutionnel et de la science politique
24. Les deux disciplines se sont séparées, lorsque ces facteurs se sont affaiblis.
Dun côté, on a admis quil fallait distinguer entre les règles dont on pouvait cons-
tater quelles sont en vigueur, quelles font partie du droit positif, et dautre part
celles dont on pouvait souhaiter l
introduction, quon pouvait préconiser, mais
qu
on ne pouvait pas décrire. Doù une première distinction entre dune part la
théorie politique, prescriptive, et d
autre part, la science du droit et la sociologie,
descriptives. Dun autre côté, on pouvait constater facilement que le fonctionne-
ment réel du pouvoir politique ne peut se comprendre comme le résultat d
une
simple application de règles de droit et qu
il y a des situations, de plus en plus
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Droit constitutionnel
nombreuses au XIXe siècle, où celui que le droit désigne comme le principal déten-
teur du Pouvoir, le monarque, n
est plus en mesure de lexercer que partiellement
ou plus du tout. Il faut alors chercher d
abord à décrire la répartition réelle du
pouvoir, puis à l
expliquer et on ne peut naturellement le faire quen mettant en
évidence les rapports sociaux. Il se constitue donc, à côté d
une discipline propre-
ment juridique, le droit constitutionnel qui étudie les règles, une discipline socio-
logique, la science politique attachée à décrire la réalité.
Cette dualité a entraîné en France, au lendemain de la Seconde Guerre mon-
diale, une rivalité et un déclin de la science du droit constitutionnel, qui appa-
raissait définitivement inapte à décrire le réel et se trouvait donc cantonnée dans
ses tâches traditionnelles : décrire les normes en vigueur et en éclairer les fon-
dements à l
aide des grandes doctrines. À vrai dire, la description des règles
constitutionnelles n
ajoutait que peu déléments nouveaux à la simple lecture
des textes de constitution et, d
un autre côté, les grandes doctrines de lépoque
révolutionnaire et leur rapport avec les règles du droit positif avaient été dans
l
ensemble très bien et très complètement présentés par les juristes des généra-
tions précédentes comme Esmein ou Carré de Malberg.
On a donc admis à cette époque que, puisque la science du droit constitu-
tionnel ne donnait pas accès à une connaissance de la politique, il fallait com-
pléter l
exposé des règles par la description du fonctionnement réel. Cest ainsi
que les programmes des études de droit ont été modifiés pour faire figurer dans
le titre des cours, à côté de l
expression « droit constitutionnel », celle de
« science politique » ou d
« institutions politiques ».
Cette modification nétait cependant quun maquillage superficiel. Aussi, à
quelques remarquables exceptions près, les ouvrages de droit constitutionnel pos-
térieurs à la Seconde Guerre mondiale en France, se présentaient-ils comme des
ouvrages pédagogiques, utiles, mais sans grande originalité, tandis que les plus
brillants parmi les juristes de droit public se dirigeaient soit vers le droit adminis-
tratif, soit vers la science politique.
C Le renouveau du droit constitutionnel
25. Ce déclin paraît aujourdhui définitivement enrayé, en raison de deux
séries de facteurs, qui tiennent les uns à l
influence de la science politique, les
autres aux transformations de fond du droit constitutionnel.
En premier lieu, la science du droit constitutionnel a commencé de modifier
sa méthodologie en empruntant à la science politique deux instruments, qu
elle
avait d
ailleurs elle-même importés dautres disciplines et qui sétaient révélés
particulièrement efficaces : l
analyse stratégique et lanalyse systémique. La
première consiste à expliquer les actions des autorités publiques en les conce-
vant comme des conduites organisées en vue d
un certain but, en fonction des
conduites réelles ou probables des autres autorités. On a, par exemple, construit
des modèles théoriques, pour rendre compte des comportements des pouvoirs
publics constitutionnels sous la V
e République, dans différentes hypothèses de
concordance ou, au contraire, de divergence entre la majorité parlementaire et la
majorité présidentielle. L
analyse systémique, elle, envisage le pouvoir comme
un ensemble d
interactions entre des éléments, qui ne sont pas invariables, mais
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Le droit constitutionnel
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qui prennent leur signification et se modifient en fonction de ces interactions.
On ne peut donc se borner à raisonner comme si le droit constitutionnel positif
consistait dans une série de règles, logiquement déduites de quelques principes
fondamentaux. Ces principes se modifient en fonction des systèmes constitu-
tionnels dans lesquels ils se trouvent insérés et en raison de leurs rapports
avec les autres éléments de ces systèmes2.
Mais le renouveau de la science du droit constitutionnel résulte aussi en
grande partie des transformations qui affectent le fond du droit constitutionnel.
Il s
agit principalement du prodigieux développement de la justice constitution-
nelle (v.
infra no 51 s. et infra no 755 s.). Dans de nombreux pays ont été créées
des cours constitutionnelles. Elles ont produit des jurisprudences d
une grande
portée et d
une grande complexité. Ces cours sont en effet amenées notamment
à contrôler la validité des lois dans les matières les plus diverses et à examiner si
elles sont conformes aux principes contenus dans la Constitution. Il faut donc
admettre d
abord que toutes les branches du droit, le droit civil, le droit pénal, le
droit du travail ou le droit commercial, ont leurs bases dans la constitution,
ensuite que ce sont les cours constitutionnelles, chargées d
en interpréter le
texte, qui contribuent à déterminer ces bases. La science du droit constitutionnel
retrouve alors un rôle essentiel : décrire et commenter cette jurisprudence.
Aujourdhui, on aperçoit dans la science française du droit constitutionnel deux
orientations principales. La première étudie un objet traditionnel, les institutions,
mais en intégrant les méthodes nouvelles. La seconde applique la méthode juri-
dique classique, la dogmatique, à un objet nouveau, la justice constitutionnelle.
D Les rapports du droit constitutionnel et de la science politique
aujourdhui
la science institutionnelle est
26. Ces rapports sont différents pour les deux orientations quon vient din-
diquer :
incontestablement plus proche de la
science politique. Il y a non seulement une influence méthodologique, mais
aussi des objets en partie communs. L
exemple le plus célèbre est celui des
partis politiques : ils sont mentionnés dans plusieurs constitutions modernes et
on les considère parfois comme des organes de l
État, de sorte que la science du
droit constitutionnel peut désormais les faire figurer parmi les éléments des sys-
tèmes constitutionnels et étudier leurs relations avec les autres composantes : les
autorités et leurs compétences. De son côté, la science politique, qui cherche à
comprendre les systèmes de partis, c
est-à-dire leur nombre, leurs relations
mutuelles, leurs structures, fait une place importante à un élément proprement
juridique, le mode de scrutin.
Les relations entre la science politique et la seconde orientation de la science du
droit constitutionnel, celle qui étudie la justice constitutionnelle, sont moins étroites,
pour des raisons évidentes : s
il sagit de comprendre le sens et la portée dune
jurisprudence, cela ne peut se faire par une méthode empruntée à la sociologie,
mais seulement au moyen de cette science propre aux juristes, la dogmatique.
Ces nouvelles méthodes sont décrites par D. COOTER, The Strategic Constitution, 1999, acces-
2.
sible en ligne : http://works.bepress.com/Robert_cooter/51.
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40
Droit constitutionnel
Il faut noter cependant un intérêt nouveau de la science politique, non certes
pour le droit constitutionnel lui-même, mais pour la science du droit constitu-
tionnel et les juristes, désormais appréhendés comme acteurs du jeu politique
(Gaxie, 1989 ; Poirmeur et Rosenberg, 1989).
27. Bibliographie
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Pocket.
Page 41
Première partie
Théorie générale de lÉtat
28. Quest-ce que la théorie générale de lÉtat ? Les institutions ne sont
pas de simples assemblages, mais des systèmes. Il y a entre les deux notions
d
assemblage et de système de grandes différences. Pour réaliser un assem-
blage, comme par exemple en mécanique, on choisit et on monte dans un cer-
tain ordre des pièces fabriquées à l
avance. Au contraire, un système présente au
moins cette propriété que c
est lui qui non seulement donne leur rôle aux élé-
ments, mais encore les modifie.
Cest pourquoi il nest pas possible dexposer une théorie générale de lÉtat,
qui aurait pour objet l
étude séparée de quelques éléments invariables (la sou-
veraineté, la représentation, la séparation des pouvoirs, etc.), et qui précéderait
l
étude des différents régimes politiques, laissée à la science du droit constitu-
tionnel. Une telle démarche reposerait sur l
idée que chaque type de régime
n
est quun montage différent de ces mêmes éléments. Mais ce serait méconnaî-
tre que les éléments ne sont en réalité jamais les mêmes.
La théorie générale de lÉtat nest donc pas lanalyse des éléments invaria-
bles de tout système politique.
En réalité, ce quon expose dhabitude sous cette rubrique nest pas une
« théorie générale de l
État ». Une théorie générale est un ensemble coordonné
de propositions que lon tient pour vraies et qui ont non un objet particulier, non
pas tel ou tel État, mais tous les États existants ou même tous les États possi-
bles. Or, la théorie générale de l
État ou bien nest pas une théorie, ou bien elle
n
est pas générale et elle ne porte pas réellement sur lÉtat. Ce quelle contient
d
ordinaire peut en effet être regroupé sous deux rubriques.
On y trouve dabord non pas des propositions, mais des prescriptions très
générales, appelées « principes ». Ainsi « les pouvoirs doivent être séparés »
ou « pour que la loi soit l
expression de la volonté générale, il faut quelle soit
adoptée par les représentants du souverain ». Certes, ces prescriptions, à la dif-
férence des commandements, se présentent parfois non pas comme l
expression
de la volonté de leurs auteurs, mais comme l
indication de moyens propres à
réaliser une certaine fin. La séparation des pouvoirs serait un moyen de préser-
ver la liberté, le contrôle de constitutionnalité un moyen dassurer la suprématie
de la constitution. Il s
agirait donc non de véritables prescriptions, mais de lois
scientifiques. Pourtant, il faut constater que le rapport entre moyens et fins est
ici très vague. Ces « lois » ne peuvent être admises que si l
on précise le sens
que l
on donne aux expressions par lesquelles on désigne les fins (liberté) ou les
moyens (séparation des pouvoirs). Selon le sens quon donne à ces mots, les
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42
Droit constitutionnel
moyens permettent ou non de réaliser les fins considérées, de sorte que la théo-
rie générale de l
État porte en réalité non sur lÉtat, mais sur la langue.
On trouve aussi dans la théorie générale de lÉtat de véritables propositions.
Il s
agit ici non de lénoncé de principes, mais daffirmations que ces principes
existent dans tel ou tel système constitutionnel, c
est-à-dire quils y sont respec-
tés. Cet énoncé forme bien une théorie, mais celle-ci na rien de général.
Ainsi, lorsque la théorie générale de lÉtat traite de la séparation des pou-
voirs, elle n
énonce pas, en dépit des apparences, une théorie selon laquelle les
pouvoirs seraient séparés dans tous les systèmes constitutionnels ou même dans
quelques-uns de ces systèmes. Elle se borne à affirmer que certains systèmes
ont été construits conformément à une prescription générale nommée « le prin-
cipe de la séparation des pouvoirs ». Mais il lui faut alors examiner ce qui est
ainsi prescrit concrètement et constater que le contenu des prescriptions est très
variable selon les constitutions. Aussi, de l
affirmation que les pouvoirs sont
séparés dans tel ou tel système constitutionnel, on ne peut rien inférer sur le
nombre des autorités, leurs rapports mutuels ou leurs compétences. La théorie
classique en conclut qu
il y a diverses interprétations du principe, ce qui veut
dire qu
aucune théorie générale nest possible.
Il est cependant impossible de comprendre et de décrire les règles du droit
constitutionnel positif sans le secours de cette théorie générale de l
État. Ceux
qui élaborent une constitution et adoptent les règles constitutionnelles positives,
doivent justifier leurs choix. Ils ne peuvent le faire exclusivement par des consi-
dérations techniques, parce qu
il nexiste pas de technologie constitutionnelle.
Ils doivent donc donner des justifications à l
aide de principes, variables selon
les pays et les époques, même s
ils portent le même nom. On peut donc com-
prendre la
théorie générale de lÉtat à la fois comme linventaire, dans les dif-
férents contextes où ils se posent, des problèmes constitutionnels pratiques, des
manières dont ils se posent, des types de solutions qui leur sont apportées et des
principes par lesquels on les justifie.
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Chapitre 1
La Constitution
Section 1
Les sources du droit constitutionnel
29. Position du problème. On ne peut affirmer lexistence dune règle et
justifier cette assertion qu
en indiquant où cette règle peut être trouvée, com-
ment elle a été produite ou découverte et exprimée. Dire, par exemple, que le
Président de la République française est élu au suffrage universel, c
est dire
qu
il existe une règle, introduite dans la Constitution, par la révision de 1962.
On a indiqué la « source » de la règle.
Il faut souligner que, si lon distingue la constitution matérielle et la consti-
tution formelle (v.
infra no 30), la question des sources part de la constitution
matérielle pour déboucher sur une réponse formelle : on connaît l
existence
d
une règle ayant pour objet lorganisation du pouvoir et lon cherche à en
connaître l
origine ou « source formelle ».
Le terme de « sources » a évidemment son origine dans une métaphore, qui
se comprend elle-même, à la lumière d
une théorie du droit implicite. Une
source est le point où l
eau sort des profondeurs de la terre, et émerge à la
lumière. Parler de sources du droit, cest donc présupposer que, comme leau,
le droit existait avant dapparaître aux hommes, et que ceux qui paraissent pro-
duire des règles ne font que les découvrir et les exprimer, mais ne les créent pas.
Les doctrines d
inspiration jusnaturaliste ou sociologique, lorsquelles exami-
nent les sources du droit, posent donc en réalité deux questions différentes : la
première porte sur l
origine de la règle, avant quelle ne soit exprimée ; cest la
question des sources matérielles. La seconde porte sur l
expression elle-même ;
c
est la question des sources formelles. Selon cette conception, la question des
sources formelles est moins importante. Il ne s
agit que de technique. Les
réponses à la première question, celle des sources matérielles, sont très diverses.
Il peut s
agir du droit naturel, de lHistoire ou de la conscience collective.
On comprend que la question des sources ne porte pas en réalité seulement
sur lorigine des règles, mais que, au-delà, il sagit bien souvent de leur fonde-
ment ou de leur légitimité. Affirmer que telle règle du droit positif, exprimée
dans la loi (la source formelle) a pour source matérielle le droit naturel, c
est
parler de son origine, dire que le législateur s
est inspiré dune doctrine du
droit naturel, mais c
est dire aussi que la règle positive est conforme au droit
naturel et quil faut lui obéir.
Page 44
44
Droit constitutionnel
Une telle position est inacceptable du point de vue dune théorie positiviste,
qui considère quant à elle qu
il ny a de droit que « posé » (v. supra no 17 et 18).
Le droit contenu dans les sources matérielles n
est donc pas du droit. Il ne
deviendra du droit qu
après avoir été « posé », cest-à-dire exprimé par une
autorité compétente. De ce point de vue, il n
y a que des sources formelles. Il
faut ajouter deux remarques : tout dabord, la question du fondement du carac-
tère obligatoire des règles de droit n
est pas une question juridique, mais une
question morale. La science du droit se borne à identifier et à décrire les règles ;
elle ne prescrit pas qu
on leur obéisse et ne recherche donc pas le fondement
d
une prescription quelle ne formule pas. Par ailleurs, il est vrai que la question
des sources ne porte pas toujours sur le fondement de l
obligation. Pour la
sociologie du droit, il peut s
agir seulement didentifier les représentations de
la règle désirable, dont le législateur a pu s
inspirer. Une telle question présente
un intérêt scientifique évident. Cependant, elle ne peut être traitée par la science
du droit, car elle ne porte pas réellement sur des normes, mais sur des faits psy-
cho-sociaux. Elle relève donc seulement d
une discipline ayant ces faits pour
objet et usant d
une méthodologie différente, la sociologie juridique.
Une théorie positiviste ne sintéresse, par conséquent, quaux sources for-
melles, c
est-à-dire aux techniques par lesquelles sont produites les normes juri-
diques. On dit qu
une norme a été posée lorsquun certain fait (par exemple un
acte de volonté) a été institué par une norme supérieure comme ayant la signi-
fication d
une prescription. Il existe donc autant de sources quil y a de faits
institués de cette manière. Il est cependant possible de les regrouper en types
et ce sont ces types que la théorie positiviste appellera « sources formelles ».
On peut d
ailleurs les regrouper de deux manières différentes. On peut dabord
considérer que toute norme est posée conformément à une norme supérieure et
qu
elle-même autorise la création dune norme inférieure, ce qui conduit à dis-
tinguer les sources selon le niveau auquel elles se situent dans la hiérarchie de
lordre juridique. On énumérera alors la Constitution, la loi, lacte du pouvoir
exécutif. On peut aussi les classer selon que le fait institué comme signification
d
une norme est un acte de volonté ou un autre type de fait, par exemple une
coutume.
On comprend alors toute limportance de la question des sources : cest par
les sources qu
on peut identifier une branche du droit. Le droit constitutionnel
est une partie du système juridique, un sous-système. On le distingue des autres
branches parce qu
il possède un ensemble de sources spécifiques. On parle alors
d
autonomie du droit constitutionnel. Cette autonomie provient avant tout du
niveau auquel se situent les sources, notamment dans la constitution formelle,
mais elle résulte aussi du rôle différent qu
y jouent la loi, la coutume ou la
jurisprudence.
On traitera successivement de la hiérarchie des sources (§ 1) et du type de
faits producteurs de droit (§ 2).
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La Constitution
45
§ 1. La hiérarchie des sources de la constitution matérielle
A La constitution formelle
30. Cest lensemble des règles, quel que soit leur objet, qui sont énoncées
dans la forme constitutionnelle : elles sont en général contenues dans un docu-
ment spécial, mais surtout, elles ont une valeur supérieure à celle de toutes les
autres normes positives et ne peuvent être modifiées que conformément à une
procédure spéciale, plus difficile à mettre en
œuvre que celle qui permet de
modifier une autre norme, par exemple une loi ordinaire. Cette qualité de la
constitution formelle est appelée « rigidité ». On étudiera donc la
rigidité de la
constitution formelle
avant den examiner le contenu.
1. La rigidité constitutionnelle1
a) La justification de la rigidité : la séparation du pouvoir constituant
et des pouvoirs constitués
31. Lauteur de la Constitution est appelé « pouvoir constituant ». Les pro-
cédures d
adoption et de mise en vigueur sont très variables. Le texte peut être
adopté par une assemblée, qui prend le nom d
assemblée constituante ou de
« convention », ou par un gouvernement. Il peut être seulement préparé par
une assemblée ou un gouvernement, puis soumis au référendum. Quoi qu
il en
soit, le pouvoir constituant est celui ou ceux, dont le consentement a permis
l
entrée en vigueur du texte.
Cette constitution a toujours pour objet et pour contenu minimum dins-
tituer des autorités ou organes ou encore « pouvoirs constitués » et de répartir
entre eux des compétences. C
est cette répartition que lon appelle séparation
des pouvoirs. Or, il est clair que si lune de ces autorités pouvait modifier la
constitution, elle accroîtrait ses propres compétences au détriment des autres et
détruirait ainsi l
ensemble des équilibres que le pouvoir constituant a cherché à
établir. La séparation des pouvoirs ne peut donc être préservée que si les pou-
voirs constitués ne disposent pas du pouvoir constituant, c
est-à-dire si la
constitution est « rigide ».
Au contraire, la constitution serait « souple » si elle pouvait être facilement
modifiée par lun des pouvoirs constitués, par exemple par le pouvoir législatif,
au terme de la procédure législative ordinaire. C
est précisément le cas à chaque
fois qu
il ny a pas de constitution formelle, ou bien parce que la constitution est
coutumière, comme en Grande-Bretagne ou bien parce qu
elle est pour lessen-
tiel exprimée dans des lois ordinaires, comme en Israël.
b) Lexpression de la rigidité : la distinction du pouvoir constituant originaire
et du pouvoir constituant dérivé
32. La rigidité ne signifie pas que la constitution ne pourra pas être modifiée
ou révisée, mais quelle ne pourra lêtre que selon certaines formes, quelle a
1.
KLEIN, 1996.
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46
Droit constitutionnel
elle-même organisées et par les organes quelle a institués à cet effet. On appelle
«
pouvoir constituant dérivé » le pouvoir des organes compétents pour modifier
la constitution, par opposition au «
pouvoir constituant originaire », celui des
organes qui ont adopté la constitution. En pratique, on emploie aussi ces expres-
sions pour désigner non seulement le pouvoir de ces organes, mais les organes
eux-mêmes.
Le principe de la séparation du pouvoir constituant et des pouvoirs consti-
tués interdit de confier entièrement le pouvoir constituant dérivé à l
un des pou-
voirs constitués, mais non de leur attribuer un rôle dans la procédure de révision
constitutionnelle. Ainsi, le Parlement peut intervenir dans cette procédure de
plusieurs manières : pour élaborer une proposition de révision, pour la discuter
et l
adopter, pourvu quil ne le fasse pas selon la procédure législative ordinaire
ou qu
il ne statue pas dans la même formation.
Le pouvoir constituant dérivé est ainsi enfermé dans des limites, qui tou-
chent à la forme de la révision, mais aussi quelquefois au fond.
Les limites ou conditions de forme peuvent tenir aux délais dans lesquels la
procédure peut être entamée, aux circonstances dans lesquelles elle peut avoir
lieu ou à la procédure.
Cest ainsi quil est possible quune constitution interdise toute révision pen-
dant un certain délai suivant son entrée en vigueur. Elle ne pourra intervenir que
lorsque quelques années d
expérience en auront montré les défauts. Ainsi, la
Constitution de 1791 interdisait toute révision pendant les dix premières années
de son application (v.
infra no 199).
En deuxième lieu, la constitution peut interdire toute révision dans certaines
circonstances, par exemple lorsqu
une partie du territoire national est occupée
par une puissance étrangère ou en temps de guerre ou en période de crise.
En troisième lieu, elle peut organiser une procédure de révision contrai-
gnante. On peut ainsi distinguer l
adoption dun vœu de révision et la révision
proprement dite, ces deux opérations étant confiées à deux organes différents.
On peut généralement attribuer un rôle dans la révision soit à certains des pou-
voirs constitués, mais statuant au terme d
une procédure spéciale, soit à un
organe spécialement institué à cet effet, par exemple une assemblée de révision.
Dans ce dernier cas, cet organe pourra ou bien exercer seulement le pouvoir de
révision ou bien assurer aussi des fonctions normalement exercées par le Parle-
ment. La constitution peut encore exiger, comme en France, que les projets
soient adoptés à des majorités qualifiées (plus importantes que la majorité sim-
ple) ou qu
ils soient ratifiés par référendum ou encore par un certain nombre
d
États dans un État fédéral, comme cest le cas aux États-Unis. On peut natu-
rellement combiner toutes ces limitations de différentes manières.
Les limites de fond consistent dans linterdiction de modifier la constitution
sur certains points. En France, par exemple, il est interdit de modifier la forme
républicaine du régime (art. 89 al. 5 de la Constitution de 1958). Mais on peut
interdire aussi de porter atteinte au caractère socialiste de l
économie, au carac-
tère fédéral de l
État ou à certains droits fondamentaux, comme le fait la Loi
fondamentale allemande pour ses vingt premiers articles (v. infra no 234).
Ces conditions ne sont pas également contraignantes. Les conditions de fond
ne limitent pas véritablement le pouvoir dérivé, parce qu
il est toujours possible
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La Constitution
47
de réviser dans un premier temps les dispositions de la constitution, qui fixent
ces limites, pour, dans un second temps, opérer la révision désirée. En France,
on pourrait par exemple réviser la constitution pour supprimer l
interdiction de
porter atteinte à la forme républicaine et la réviser une seconde fois pour insti-
tuer une monarchie. Ces conditions sont donc avant tout des limites morales.
Les conditions de forme, elles, ne peuvent être tournées aussi facilement, car
il faudrait, pour les modifier, si on les juge trop sévères, réviser la constitution
dans les formes prévues. Une telle révision n
est pourtant pas impossible.
On peut dabord interpréter et appliquer des dispositions jugées habituelle-
ment étrangères à la révision. Ainsi, en France, le général de Gaulle a appliqué à
la révision, non pas l
article 89 de la Constitution, mais larticle 11, dont tous
estimaient jusqu
alors quil ne pouvait être employé que pour soumettre au réfé-
rendum un projet de loi ordinaire (v.
infra no 503).
Il faut aussi mentionner la doctrine de la supra-constitutionnalité, qui trouve
son origine chez C. Schmitt. Elle suppose l
existence de deux niveaux de règles
constitutionnelles : celui des lois constitutionnelles et celui de la constitution
proprement dite. Les lois constitutionnelles contiennent des règles techniques
relatives à l
organisation des pouvoirs publics, à leurs compétences ou à leurs
relations mutuelles. Elles peuvent être modifiées conformément à la procédure
prévue pour la révision. En revanche, la constitution proprement dite (appelée
quelquefois « constitution matérielle », dans un sens de cette expression très dif-
férent de celui que nous employons dans ce volume) comprend les principes
politiques fondamentaux de l
État. Les partisans de cette doctrine soutiennent
que le pouvoir constituant dérivé, parce qu
il est institué par la constitution,
n
est en réalité quun pouvoir constitué. Il naurait donc quune compétence
limitée : il ne pourrait modifier que les « lois constitutionnelles », mais non la
constitution elle-même (Beaud, 1993 ; Troper, 2001, p. 334 s.).
Dans sa variante moderne, la doctrine de la supra-constitutionnalité conduit
à accorder au juge constitutionnel le pouvoir dannuler les lois de révision
constitutionnelle qui toucheraient à certains principes fondamentaux. On estime,
par exemple, que si la constitution interdit de porter atteinte à la forme républi-
caine, elle interdit implicitement d
enfreindre certains principes liés à cette
forme républicaine, comme le caractère démocratique ou l
État de droit (Troper,
1994a). Cette doctrine inspire certains aspects de la jurisprudence des cours
constitutionnelles en Allemagne et en Italie (
CCC 2009).
En revanche, la constitution proprement dite est, selon cette doctrine, lex-
pression de la volonté du souverain lui-même, qui, par définition, ne saurait être
soumis à aucune forme.
Il faut encore ajouter un point capital : la constitution formelle, comme tout
texte juridique, ne se transforme pas seulement par la révision constitutionnelle.
Elle subit une évolution, qui peut être considérable, en raison des conditions
dans lesquelles elle est appliquée, c
est-à-dire interprétée (v. infra Section 2).
2. Fonction de la Constitution
33. La fonction de la Constitution est complexe et dailleurs variable. Toutes
les constitutions n
ont pas les mêmes fonctions. Parmi celles quelle peut rem-
plir, il faut distinguer des fonctions juridiques et politiques.
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Droit constitutionnel
34. Du point de vue juridique, la fonction de la Constitution peut être triple :
En premier lieu, elle est le
fondement de la validité de lordre juridique tout
entier
. Cest parce quelle a été adoptée conformément à la Constitution
qu
une loi peut être considérée comme une norme juridique, quelle est donc
obligatoire et qu
elle peut elle-même servir de fondement à dautres normes.
La constitution est donc le fondement ultime de chacune des normes qui font
partie du système juridique.
Elle nest elle-même subordonnée à aucune autre norme. Il peut arriver que
des conventions ou des juridictions internationales proclament la suprématie du
droit international sur le droit des États, y compris sur leurs constitutions. C
est
par exemple le cas du droit de l
Union européenne (cf. infra no 309 et 702).
Cependant, cette suprématie, même lorsqu
elle est acceptée par les États, ne
trouve pas son fondement dans les traités, mais dans les constitutions nationa-
les. C
est ce quont décidé plusieurs cours constitutionnelles des États membres
de l
Union européenne, par exemple le Conseil constitutionnel français, qui a
considéré que si le droit européen prévaut sur la constitution, c
est parce que
la constitution institue cette suprématie et que, par conséquent, celle-ci ne sau-
rait aller jusqu
à porter atteinte à lidentité constitutionnelle de la France, ni
limiter le pouvoir constituant (cf.
infra).
En deuxième lieu, la constitution détermine les modalités de désignation des
gouvernants et leur attribue des compétences
, cest-à-dire quelle définit les cas
dans lesquels les volontés des individus sont détachées de leur auteur pour être
imputées à l
État. Ces individus sont alors appelés les organes de lÉtat. Ce
qu
ils veulent, ce quils font, cest lÉtat qui est censé le vouloir et le faire.
En troisième lieu, la constitution énonce des principes, par exemple ceux qui
sont relatifs à la souveraineté, la représentation ou la séparation des pouvoirs,
qui justifient les règles positives qu
elle contient par ailleurs et qui permettront
de justifier ultérieurement des interprétations particulières du texte.
35. Du point de vue politique, la fonction de la Constitution est également
complexe.
1) Tout dabord, la Constitution organise la transmission et lexercice du
pouvoir. Les constitutions modernes s
efforcent dorganiser le pouvoir ou pré-
tendent le faire
de telle manière quil ne puisse être exercé dans lintérêt per-
sonnel des gouvernants, mais seulement en vue d
un intérêt général, qui peut
d
ailleurs être conçu de plusieurs manières.
Historiquement, les premières constitutions ont été rédigées au XVIIIe siècle,
non pour assurer l
intérêt du peuple, au sens que lui donnera plus tard Abraham
Lincoln, qui définissait la démocratie comme « le gouvernement du peuple, par
le peuple, et pour le peuple », mais pour protéger la liberté. On appelle donc
« constitutionnalisme » lidéologie qui entend organiser le pouvoir pour préser-
ver la liberté, notamment par la séparation des pouvoirs et la représentation. Le
constitutionnalisme soulève deux problèmes difficiles. Le premier est un pro-
blème technique : quel est le type d
organisation qui permettra datteindre effec-
tivement le but recherché ? Le second problème est théorique : si l
idéal libéral
implique que le pouvoir soit partagé entre plusieurs, comment cet idéal est-il
conciliable avec la théorie démocratique, qui entend, elle, reconnaître au peuple
un pouvoir sans partage ?
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La Constitution
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2) Ensuite, la Constitution est le fondement de la légitimité des gouvernants.
Ceux-ci peuvent justifier leur pouvoir et leurs décisions par le fait qu
ils ont été
désignés conformément à la constitution et qu
ils exercent des compétences qui
leur ont été attribuées par la loi fondamentale.
3) Ceux qui rédigent les constitutions appartiennent à des forces politiques
qui se réclament de conceptions différentes de la liberté, des droits fondamen-
taux à préserver ou de la démocratie. Ils cherchent aussi à défendre des intérêts
idéologiques ou matériels. La Constitution a dès lors pour fonction de traduire
les compromis entre ces forces politiques et de préserver l
équilibre qui a été
ainsi obtenu.
4) Enfin, elle est un élément dintégration nationale et de production de la
citoyenneté. Bien souvent, les citoyens d
un même État nont en commun ni
l
appartenance ethnique, ni la langue, ni la religion, ni les valeurs, mais seule-
ment le fait d
être soumis à la même constitution et ainsi de jouir des mêmes
garanties et des mêmes droits fondamentaux. Parfois, le patriotisme ne se définit
que comme l
amour de la constitution.
3. Contenu de la constitution formelle. La question des préambules
et Déclarations des droits
a) Déclarations des droits et constitution matérielle
36. La constitution formelle a pour contenu principal la constitution (au sens
matériel), c
est-à-dire lorganisation et le fonctionnement des pouvoirs publics
et la répartition des compétences entre eux.
On sait quelle peut cependant avoir aussi des contenus très différents, au
moins en apparence. On y trouve par exemple des dispositions sur la couleur
du drapeau ou l
hymne national. Les raisons qui conduisent à introduire dans
la constitution des dispositions de ce genre sont simples : elles tiennent princi-
palement à la rigidité de la constitution. Adopter ces règles en forme constitu-
tionnelle, c
est empêcher quelles soient facilement modifiées. Dans certains
pays, les citoyens ont le droit d
initiative en matière constitutionnelle, mais
non en matière législative. Ils tournent alors cette incapacité en proposant,
sous forme d
amendements à la constitution, des mesures qui, ailleurs, relève-
raient de la loi ordinaire.
Certains auteurs en ont conclu, à tort, que ces mesures ne sont pas matériel-
lement constitutionnelles et, parmi elles, on mentionne parfois les Préambules et
les Déclarations des droits.
Il sagit de dispositions, regroupées dans un texte placé en tête de certaines
constitutions. Si la Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen de 1789
n
est pas la première la première est celle du Massachusetts du 15 juin 1780
cest incontestablement celle qui a eu le plus grand retentissement. Comme lin-
dique son titre, ce texte n
a pas été conçu par lAssemblée nationale, qui la
adopté, comme un ensemble de droits accordés aux citoyens par un acte de
volonté politique, mais comme des droits, que tous les hommes possèdent par
nature et qu
il suffit de reconnaître et de déclarer. Il sagissait, selon la concep-
tion dominante à cette époque, de droits et de libertés individuels.
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Droit constitutionnel
À ces droits individuels, se sont ajoutés par la suite, des droits de lHomme
dits de la seconde génération, dont l
objet est économique et social et qui peu-
vent être des droits collectifs. Une troisième génération est d
ailleurs en cours
de gestation (droit à l
environnement, droit au développement, etc.) et les droits
nouveaux se couvrent du prestige des anciens.
Dans ces conditions, peut-on dire que ces textes ne sont pas matériellement
constitutionnels ? Une telle affirmation peut en réalité revêtir trois significations
différentes :
Cela peut signifier dabord que les Déclarations des droits nont aucune
valeur obligatoire et constituent seulement l
énoncé dune idéologie ou dun
programme politique. Dans ce cas, en effet il ne s
agit pas de lorganisation et
des compétences des pouvoirs publics et le contenu des Déclarations est étran-
ger à la constitution matérielle.
Cependant, il est possible que ces textes aient bien une valeur obligatoire,
mais qu
on présuppose une conception étroite de la constitution matérielle, qui
comprendrait les règles relatives aux organes, à leurs compétences et aux pro-
cédures qu
ils doivent suivre, mais non les règles qui leur enjoignent de prendre
des mesures ayant tel ou tel contenu. Ainsi les Déclarations des droits ne
seraient pas constitutionnelles, bien qu
elles assignent des buts aux pouvoirs
publics (les pouvoirs constitués). Rien ne justifie une conception aussi étroite
et en réalité les compétences des pouvoirs publics ne peuvent être définies
sans référence au contenu et aux limites de leur action. On ne peut dire que le
Parlement aura le droit de faire des lois sans dire au moins implicitement en
quoi consiste ce droit, ce que sont les lois et le cas échéant, sur quelles matières
elles doivent porter ou quelles limites le législateur devra respecter.
Enfin, il est également possible que, alors même quils ont une valeur juri-
dique, ces textes soient cependant conçus avant tout comme accordant aux
citoyens ou, plus généralement, aux sujets, des droits qu
ils peuvent faire
valoir dans certains cas sans lintermédiaire des pouvoirs publics constitution-
nels et contre eux. On peut alors penser que les Déclarations ne font pas partie
de la constitution matérielle parce qu
elles ne concernent pas les pouvoirs
publics. Mais, c
est oublier que les droits ne peuvent être compris que
comme l
autre face des obligations et que lon peut dire indifféremment que
le citoyen a des droits contre les pouvoirs publics ou que les pouvoirs publics
ont des obligations envers lui.
Énoncer des droits, cest donc aussi énoncer les obligations des pouvoirs
publics, ce qui relève bien de la constitution matérielle.
Ainsi, dès lors que les Déclarations des droits présentent un caractère obli-
gatoire, elles font partie non seulement de la constitution matérielle, mais aussi
de la constitution formelle et létude de leur contenu relève bien de la science du
droit constitutionnel.
b) Valeur juridique des déclarations
37. Pendant très longtemps, la question de la valeur juridique des déclarations
a été controversée. Il convient cependant de préciser lobjet de cette controverse,
quelque peu obscurcie par l
ambiguïté de lexpression « valeur juridique ». Le
débat peut apparaître plus clair si l
on comprend que cette question en recouvre
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La Constitution
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en réalité deux, quil faut soigneusement distinguer : les déclarations sont-elles
juridiquement obligatoires ? Si oui, pour qui sont-elles obligatoires ?
1o Les déclarations sont-elles juridiquement obligatoires ? Lorsquon sinter-
roge sur la valeur juridique d
une règle, on se demande dabord si cette règle est
juridique ou si elle appartient à un autre système de normes que le droit. On
peut penser par exemple quune règle constitutionnelle est obligatoire, mais
qu
elle nest que politiquement ou moralement obligatoire. Ainsi, les conven-
tions de la constitution en Grande-Bretagne ou au Canada sont considérées
comme politiquement obligatoires (v.
infra no 213). La question de la valeur
juridique des Déclarations porte donc sur leur caractère
juridiquement obliga-
toire. Une règle juridiquement obligatoire est une règle dont la violation peut
être sanctionnée d
une manière ou dune autre, par une peine, mais aussi par
l
annulation dune autre règle non conforme à la première (Avril, 1997).
2o Pour qui les déclarations sont-elles obligatoires ? La valeur juridique,
comme toute valeur d
ailleurs, est toujours relative : une règle ne présente pas
nécessairement un caractère universellement obligatoire : elle présente une
valeur juridique à l
égard de certaines autorités mais non à légard dautres. Si
l
on se représente, comme il est commode de le faire, le système juridique
comme un ensemble de normes hiérarchisées, alors parler de la valeur juridique
relative d
une règle, cest parler du niveau auquel elle se situe dans cette hiérar-
chie. Aussi, dira-t-on que les déclarations ont une valeur juridique supérieure à
celle des actes qui peuvent être annulés pour avoir violé l
une de leurs disposi-
tions et qu
elles ont une valeur juridique égale à celle des actes par lesquels on
peut les modifier elles-mêmes.
On comprend dans ces conditions que la question ne peut recevoir que des
réponses variables selon le pays et le moment considérés. En France par exem-
ple, sous la III
e et la IVe Républiques, la violation de la Déclaration des droits
pouvait être sanctionnée lorsqu
elle était commise par un acte administratif,
mais non pas lorsquelle létait par une loi. On pouvait donc penser que sa
valeur juridique était égale à celle des lois et supérieure à celle des actes admi-
nistratifs. Sous la V
e République et plus particulièrement depuis 1971, la viola-
tion par la loi est également sanctionnée (v.
infra no 781). On en conclut géné-
ralement que la valeur juridique de la déclaration est désormais supérieure à
celle de la loi et égale à celle de la constitution.
B Les lois organiques
38. Par lexpression loi organique, on peut désigner deux types de textes
différents par leur place dans la hiérarchie des normes. Il peut d
abord sagir
de lois ordinaires, dont le contenu est matériellement constitutionnel, parce
quelles sont relatives à lorganisation et au fonctionnement des pouvoirs
publics. Elles peuvent être prises par le législateur spontanément ou bien sur
invitation du constituant. L
emploi de lexpression loi organique résulte simple-
ment de la pratique et n
a pas de conséquences juridiques. Comme il sagit de
lois ordinaires, elles seront étudiées plus loin (v.
infra no 41).
Page 52
52
Droit constitutionnel
Il peut sagir aussi de lois qui se placent à un échelon intermédiaire entre la
constitution et la loi ordinaire
. Cest dans ce deuxième sens que lexpression
est surtout employée en France aujourd
hui. Ces lois présentent trois caractères :
elles sont, comme les précédentes, matériellement constitutionnelles ;
cest la constitution qui, faute de pouvoir énoncer des règles aussi détail-
lées quil serait nécessaire, prévoit ces lois organiques pour compléter et préci-
ser le texte. La Constitution de 1958 le fait dans plusieurs domaines importants,
par exemple pour l
organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel
ou de la Haute Cour ;
elles sont adoptées ou modifiées selon une procédure particulière, sensi-
blement plus contraignante que la procédure législative ordinaire. En France,
par exemple, le trait le plus marquant de cette procédure est l
examen par le
Conseil constitutionnel de la conformité à la constitution de tout projet ou pro-
position de loi organique, c
est-à-dire sans quil ait été nécessaire de le saisir. Il
s
agit évidemment dempêcher que la loi organique, sous prétexte de compléter
la constitution, n
en remette en cause les principes.
C Les règlements des assemblées
39. Domaine du règlement. Les règlements des assemblées parlementai-
res complètent la constitution pour tout ce qui concerne l
organisation interne
des assemblées et le travail parlementaire, par exemple pour le détail de la pro-
cédure législative, le rôle des commissions, celui du bureau ou l
ordre de parole.
Il s
agit de questions très importantes2. Ils peuvent même avoir des effets sur les
règles constitutionnelles de procédure, comme on le voit dans le cas du
filibus-
ter
au Sénat américain (cf. infra, no 259). Les règles que contiennent les règle-
ments sont matériellement constitutionnelles et, comme d
ailleurs celles qui font
l
objet de lois organiques, plusieurs dentre elles pourraient être aussi bien
adoptées en forme constitutionnelle, c
est-à-dire traitées dans la constitution for-
melle, ou, au contraire, dans une loi ordinaire.
Ainsi, la Constitution de la Ve République contient des règles relatives au
vote personnel ou à l
établissement de lordre du jour qui, dans dautres régi-
mes, par exemple la III
e République, relevaient du règlement des assemblées.
C
est donc la Constitution qui détermine létendue du domaine régi par le règle-
ment. Si elle s
abstient dentrer dans les détails et laisse au règlement un
domaine très étendu, cela entraîne une conséquence technique (une plus grande
souplesse, parce que le règlement est plus facile à modifier que la constitution),
et une conséquence politique (une plus large autonomie des assemblées, si
celles-ci jouent un rôle important dans lélaboration du règlement).
IIIe République,
brève
(v.
infra no 360 s.), limportance du règlement était considérable. Il comportait
par exemple des règles aussi fondamentales que celles relatives à la vérification
des pouvoirs ou à l
interpellation du gouvernement (cest-à-dire à la mise en jeu
de sa responsabilité), au point qu
on a pu écrire du règlement qu« il a plus
dune Constitution
dotée
Sous
très
la
Ces règlements ne doivent évidemment pas être confondus avec ceux qui ont pour objet de pré-
2.
ciser et de compléter les lois et qui émanent du pouvoir exécutif.
Page 53
La Constitution
53
dinfluence que la constitution elle-même sur la marche des affaires publiques »
(Pierre, 1902, p. 490).
Mais même si la Constitution contient effectivement des règles relatives à un
grand nombre des matières qu
il serait concevable dabandonner au règlement,
elle ne peut pourtant pas aller très loin dans le détail. Un règlement est donc
nécessaire en tout état de cause.
40. Adoption du règlement. Plusieurs systèmes sont concevables, selon
le degré dautonomie que la constitution entend laisser aux assemblées.
Le système qui leur laisse la plus grande autonomie est naturellement celui
qui leur donne compétence pour adopter leur règlement. Tel était le système de
la III
e République, où chaque assemblée élaborait son propre règlement et pou-
vait le modifier à tout moment.
Le second système est celui dans lequel cest le pouvoir exécutif qui a le
pouvoir d
adopter le ou les règlements des assemblées. Tel était le cas sous le
Consulat et l
Empire.
Un système intermédiaire consiste à permettre aux assemblées dadopter
leurs règlements respectifs, mais, sous le contrôle du juge pour éviter qu
elles
ne portent atteinte aux principes constitutionnels. C
est
la solution de la
V
e République.
D Les lois ordinaires
41. Il sagit de lois, que lon appelait sous la IIIe République lois organiques
et qui sont relatives à l
organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics.
La plus importante concernait le mode de scrutin. La IV
e et la Ve République
ont conservé cette matière à la loi ordinaire. L
avantage est évidemment quil
est possible de modifier rapidement la loi électorale, sans avoir à réviser la
constitution. Le risque tient à ce que les majorités parlementaires successives
peuvent être tentées de modifier la règle du jeu pour accroître leurs chances de
se maintenir au pouvoir.
§ 2. Les types de faits producteurs de droit
42. Définition. Lexpression de « faits producteurs de droit » est trom-
peuse, car, en réalité, de ce que quelque chose est, on ne peut conclure que
quelque chose doit être, de sorte qu
un fait ne peut jamais produire du droit
(v.
supra no 3). Ce quon désigne par cette expression, cest simplement un
fait institué par une norme supérieure, comme la condition quune norme nou-
velle soit produite. Ainsi, on dit que le vote du Parlement a produit une loi, mais
il ne s
agit là que dun raccourci.
En réalité, le vote dune assemblée est un simple fait doù il ne saurait résul-
ter qu
on doive se conformer à ce vote. Il y a bien des réunions dhommes capa-
bles démettre des votes. Nul ne prétend quon doive obéir aux produits de tous
ces votes. Si l
on doit sy soumettre, sil y a une règle, cest que la constitution
habilite le Parlement à adopter des lois. En dautres termes, la Constitution
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54
Droit constitutionnel
définit le produit des votes émis par le Parlement comme une loi valable. La
formule fréquente dans les textes constitutionnels et qui figure par exemple
dans la Constitution française actuelle, «
la loi est votée par le Parlement »,
est celle par laquelle la constitution accorde à un fait, le vote, la signification
qu
une norme a été produite. Examiner les sources du droit constitutionnel du
point de vue de ces faits, cest donc rechercher quels sont les faits ayant la signi-
fication qu
une norme constitutionnelle a été produite (Tusseau, 2006).
On peut en distinguer trois types : le premier est évidemment lexpression de
la volonté d
un organe compétent. Il nest pas nécessaire den traiter ici à nou-
veau, puisque ce type de fait est celui qui a produit les règles matériellement
constitutionnelles étudiées plus haut, la constitution formelle, la loi organique,
etc. Les deux autres types de faits susceptibles d
avoir la signification de norme
sont la coutume et l
interprétation.
A La coutume constitutionnelle
1. Définition
43. En droit constitutionnel, comme dans les autres branches du droit, on
parle de coutume lorsque deux conditions sont réunies :
1o lorsquune pratique a été répétée pendant une assez longue durée,
2
o lorsque existe le sentiment que cette pratique est obligatoire. Cest lopi-
nio juris.
Ces conditions sont parfois appelées improprement les éléments de la cou-
tume et on les désigne alors par des termes couplés : le premier et le second
élément sont qualifiés respectivement de matériel et de psychologique, d
objec-
tif et de subjectif
3.
Cela dit, il existe sur la question de la coutume dimportants débats. On aura
remarqué le caractère extrêmement vague des mots utilisés pour définir les
conditions de la coutume et les auteurs s
opposent sur le point de savoir par
exemple combien de fois une pratique doit être répétée pour qu
on soit en pré-
sence d
une coutume ou sur quelle durée suffit-il dune fois ou faut-il trans-
poser au droit constitutionnel l
adage populaire selon lequel « une fois nest pas
coutume »
ou encore sur les personnes qui doivent avoir le sentiment du
caractère obligatoire
les hommes politiques ou les professeurs de droit ?
2. Position du problème
44. En réalité, ces débats, qui portent seulement sur lidentification dune
coutume, sont lexpression de difficultés théoriques considérables.
La première tient à la position quoccupe la Constitution au sommet de la
hiérarchie des normes. Un fait ne peut produire du droit, que s
il est institué par
une norme supérieure comme condition suffisante de l
édiction dune norme
nouvelle. On peut donc facilement comprendre l
existence de la coutume en
droit civil ou commercial, parce que, dans ces branches, une loi peut avoir le
3.
On trouvera une critique des définitions par éléments dans Troper, 1994a, p. 127 et s.
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La Constitution
55
contenu suivant : « si une pratique a été répétée pendant une certaine durée et sil
existe un sentiment que cette pratique est obligatoire, alors on doit s
y confor-
mer ». Dans ce cas, la coutume est instituée comme source du droit par la loi.
On pourrait donc concevoir de la même manière une coutume instituée comme
source du droit par la Constitution, mais cette coutume serait subordonnée à la
Constitution. Il ne sagirait pas dune règle formellement constitutionnelle. Une
telle règle ne pourrait être créée par voie de coutume, que s
il existait une norme
au-dessus de la constitution. Or, une telle règle n
existe pas.
La deuxième difficulté est liée au rôle de la volonté dans le droit. Sil est
vrai qu
il ny a de droit que positif, cest-à-dire posé par un acte de volonté,
comment expliquer qu
une règle apparaisse sans avoir jamais été voulue ? Là
encore, le problème peut être plus facilement résolu en droit civil ou en droit
commercial, parce qu
on peut admettre dabord, comme on vient de le voir, que
c
est la loi qui institue la coutume comme fait producteur de droit, et que, par
conséquent, la règle coutumière naît de la volonté du législateur. Une autre
explication prend en compte le rôle du juge : la coutume n
est obligatoire que
si un juge constate son existence et indique le contenu de la règle. Mais il ne
s
agit dune constatation quen apparence. En réalité, le juge doit nécessaire-
ment interpréter les faits constitutifs d
une coutume et concilier la règle avec
d
autres règles, écrites celles-là. Or, lensemble de ces opérations est une fonc-
tion de la volonté (v.
infra no 48).
Cependant, ni lun, ni lautre de ces raisonnements ne sont transposables à la
coutume constitutionnelle, car il n
y a ni volonté supra-constitutionnelle, ni juge
capable de constater l
existence et le contenu dune coutume constitutionnelle.
La troisième difficulté tient à la nécessité de concilier une norme coutumière
avec les normes écrites en vigueur. On vise ici le cas où la pratique répétée
serait contraire à une norme écrite. Cette pratique serait donc simplement une
violation du droit et on comprend mal comment elle pourrait être alors créatrice
de droit. Là encore, les solutions admises pour le droit civil ou le droit commer-
cial paraissent impossibles à transposer. On peut considérer dans ces branches
du droit que si la loi autorise la création de droit par voie de coutume, elle le fait
sous cette réserve implicite que la coutume ne soit pas directement contraire à
une loi en vigueur. On dit alors que la coutume existe non pas
contra legem,
mais seulement
praeter legem, à côté de la loi et pour la compléter. Cependant,
la création d
une norme constitutionnelle par voie de coutume nest pas auto-
risée de la même façon par une norme
supra-constitutionnelle, qui prévoirait
des coutumes
praeter constitutionem. De même, pour considérer quune cou-
tume est
praeter legem, il faut admettre quil y avait des lacunes dans la loi et
qu
il est possible et nécessaire de la compléter. La loi, lorsquelle autorise la
création coutumière du droit, admet elle-même un tel présupposé. Mais il nest
pas possible de l
admettre en droit constitutionnel, toujours pour la même rai-
son : il n
y a pas de norme supra-constitutionnelle. Aussi tout comportement
est-il nécessairement ou bien conforme ou bien contraire à la constitution. S
il
est interdit par une norme constitutionnelle écrite, il ne saurait être créateur de
droit, mais sil nest pas contraire à une telle norme, sil nest pas expressément
interdit, alors il faut bien admettre qu
il est permis et, dans ce cas, il ne saurait
donner naissance à une règle coutumière parce que, par définition, ce qui est
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56
Droit constitutionnel
simplement permis nest pas obligatoire. Il ny a donc pas de place pour une
coutume
praeter constitutionem.
3. Les contraintes constitutionnelles4
45. Tout paraît donc conduire à la conclusion quil ny a pas de place en
droit constitutionnel pour une source coutumière et de nombreux auteurs
concluent en effet en ce sens. Pourtant, il faut bien se rendre à l
évidence quil
existe des pratiques répétées, qui ne sont pas prévues par la constitution et qui
sont ressenties comme obligatoires. Certaines de ces pratiques apparaissent
même comme
contra constitutionem. En voici deux exemples. Le premier est
tiré du droit constitutionnel britannique. En Grande-Bretagne, lorsque la majo-
rité de la Chambre des communes a exprimé sa défiance au cabinet, le Premier
ministre remet sa démission à la Reine. Il n
existe pas de norme écrite qui lui en
fasse obligation. On pourrait donc penser que, puisque cette conduite n
est pas
expressément prescrite, ni d
ailleurs interdite, il a le droit de le faire, comme de
s
en abstenir. Cependant, depuis plus de deux siècles, lorsque ces circonstances
se produisent, le Premier ministre présente toujours sa démission et il existe un
sentiment universellement répandu qu
il sagit pour lui non pas dune simple
faculté mais d
une réelle obligation (Baranger, 1999).
Le second exemple appartient à lhistoire constitutionnelle française : les
lois constitutionnelles de 1875 accordaient au Président de la République le
droit de dissoudre la Chambre des députés, avec le consentement du Sénat. Le
Président n
a effectivement utilisé ce droit quune fois, en 1877. Après cette
date, il n
a même pas sollicité lavis conforme du Sénat et na donc jamais pro-
noncé la dissolution de la Chambre. Aux yeux de nombreux auteurs de cette
époque, en raison des circonstances malheureuses dans lesquelles avait été pro-
noncée la dissolution de 1877, il aurait été désormais interdit au Président de
dissoudre et dailleurs labsence de dissolution effective constituerait à la fois
la pratique répétée et le signe dune croyance dans lexistence dune règle. Il
s
agirait dune espèce particulière de coutume, une coutume négative ou désué-
tude, celle qui ne donne pas naissance à une règle nouvelle, mais fait disparaître
une règle ancienne. Ici la coutume aurait fait disparaître la norme écrite selon
laquelle «
Le Président a le droit de prononcer la dissolution » et lui aurait sub-
stitué une norme nouvelle contraire selon laquelle «
Le Président na pas le
droit de prononcer la dissolution » (v. infra no 379, Troisième Partie).
Un exemple semblable pourrait être tiré de lapplication de larticle 11 de la
Constitution française de 1958, qui a été utilisé à deux reprises pour une révision
constitutionnelle, de telle sorte que plusieurs auteurs éminents
et François Mit-
terrand lorsqu
il était Président de la République estiment que cette pratique,
autrefois jugée contra constitutionem, a pourtant donné naissance à une coutume
(v.
infra no 444). Pour rendre compte de ces phénomènes, il faut soigneusement
distinguer deux problèmes : un problème causal, celui de l
émergence de ces pra-
tiques, un problème juridique, celui de leur caractère obligatoire.
Pour ce qui concerne le premier problème, on observe que la plupart de ces
il existe une norme
pratiques apparaissent dans un contexte particulier :
4.
TROPER, CHAMPEIL-DESPLATS, GRZEGORCZYK, 2005.
Page 57
La Constitution
57
constitutionnelle autorisant une conduite donnée, ce qui signifie quil est égale-
ment permis de s
en abstenir. Mais les acteurs du jeu constitutionnel nutilisent
pas également ces deux possibilités : ou bien ils usent fréquemment de cette
permission ou bien ils s
abstiennent den user sur une assez longue période.
On dit alors qu
à la norme ancienne, qui était une norme dhabilitation, sest
substituée une norme nouvelle et que cette conduite qui était permise est deve-
nue, dans le premier cas « obligatoire », dans le second « interdite ». Ainsi, le
Premier ministre britannique, qui avait le droit de démissionner aurait désormais
l
obligation de le faire, le Président de la IIIe République, qui avait le droit de
dissoudre, se voit interdire de le faire. Mais pourquoi et comment ces acteurs
ont-ils été amenés à adopter telle conduite plutôt qu
une autre ? Vraisemblable-
ment parce qu
ils ne pouvaient faire autrement : les premières démissions du
Premier ministre britannique, au
XVIIIe siècle, ont été présentées pour échapper
à une mise en accusation (v.
infra no 208, Chapitre 2, Section 2). Le Président
de la III
e République ne sest jamais trouvé dans une situation politique telle
qu
il puisse espérer remporter des élections législatives, de sorte quil naurait
probablement jamais dissous la Chambre, même s
il navait pas eu besoin de
l
accord du Sénat. Ainsi peuvent sexpliquer leurs conduites.
On remarquera cependant que lon na expliqué que des faits et non lappa-
rition d
une règle. On peut dire quil existe une contrainte, mais pas dobliga-
tion. C
est que, comme on la vu, une règle est un sollen, un devoir-être, qui ne
peut être « causé », mais seulement « posé ». La conclusion est alors, tout sim-
plement, qu
il ny a pas de règle aussi longtemps que nest pas intervenu un acte
de volonté, dont le contenu est qu
il faut se conformer à la pratique antérieure.
Si un tel acte n
intervient pas, cette pratique nest pas obligatoire, ce qui veut
dire qu
une pratique contraire ne pourrait pas être sanctionnée. La prétendue
coutume dure tant que dure la contrainte. Mais si celle-ci disparaît, alors peut
naître une pratique différente.
Cest dailleurs ce qui se produit parfois effectivement. Lexemple le plus
célèbre concerne le droit constitutionnel américain (v. infra no 264). Le mandat
du Président y est de quatre ans. Dans sa rédaction de 1787, la Constitution ne
limitait pas le nombre des mandats qu
un même homme pouvait exercer.
Cependant, le premier Président, George Washington, après avoir accompli
deux mandats, avait renoncé à en briguer un troisième et il fut imité en cela
par tous ses successeurs. On était donc en présence d
une pratique répétée,
assortie du sentiment du caractère obligatoire et de nombreux commentateurs
estimaient qu
il existait une norme constitutionnelle coutumière, qui avait
abrogé et remplacé la norme écrite : il aurait été interdit de briguer plus de
deux mandats. Cela n
empêcha nullement Franklin D. Roosevelt den briguer
avec succès un troisième et même un quatrième. Pour introduire une norme
constitutionnelle ayant le contenu de la prétendue coutume, il fallut réviser la
constitution.
Un
française
(v.
infra no 451). On prétendait, alors que la coutume qui avait abrogé le droit
de dissolution sous la III
e République, persistait malgré lentrée en vigueur
dune nouvelle constitution, de sorte que le Président du Conseil, qui disposait
désormais de ce pouvoir, ne pourrait l
exercer effectivement. Cela na nulle-
ment empêché la dissolution de 1955.
IVe République
emprunté
exemple
autre
est
la
à
Page 58
58
B Linterprétation
Droit constitutionnel
46. Nécessité de linterprétation. Avant dappliquer un texte juridique,
quel qu
il soit, il faut en déterminer la signification. La signification dun texte
juridique, en effet, c
est ce que ce texte ordonne ou permet, cest la norme quil
exprime. En dautres termes, selon le sens quon lui attribue, le texte ordonne tel
comportement ou tel autre.
On appelle interprétation, lopération par laquelle
on attribue une signification à un texte
(Troper, 1994a, p. 293 s.).
On a affirmé parfois que linterprétation nest nécessaire que lorsque le texte
est obscur et que, par contre, elle est superflue lorsque le texte est clair, ce que
l
on exprime par ladage latin in claris cessat intepretatio. Cette thèse aboutit en
réalité à un paradoxe, car pour pouvoir affirmer que le texte est clair et qu
il ny
a pas lieu de l
interpréter, il faut savoir quelle est sa signification, cest-à-dire
qu
il faut lavoir interprété.
47. La nécessité dinterpréter le texte tient à trois facteurs principaux.
Le premier est son indétermination, cest-à-dire le fait dêtre porteur de plu-
sieurs sens. Cette indétermination est elle-même liée aux propriétés du langage
naturel, dans lequel s
est exprimé le constituant, comme le législateur dailleurs.
Il est nécessairement vague et ambigu. L
ambiguïté est cette propriété dun mot
de désigner plusieurs objets possibles : dans le langage courant le mot « hom-
mes » désigne ou bien les êtres humains ou bien seulement les adultes de sexe
masculin. De même, l
expression « organisation des pouvoirs publics », conte-
nue dans l
article 11 de la Constitution française de 1958 désigne ou bien lor-
ganisation des autorités déjà instituées par la constitution ou bien la constitution
elle-même. D
un autre côté, une expression peut très bien être non pas ambiguë,
parce qu
on sait au moins approximativement ce que veulent dire les mots
qu
elle contient, mais vague parce quon ne sait pas très exactement si elle sap-
plique à un objet concret. Ainsi, chacun sait ce que veut dire
chauve, mais on ne
sait pas si tel homme, qui a encore une partie de ses cheveux, peut être qualifié
de
chauve. Le langage juridique contient de très nombreuses expressions
vagues, particulièrement celui des Déclarations des droits. Ainsi, la Déclaration
des droits de l
Homme de 1789 dispose dans son article 17 que nul ne peut être
privé de sa propriété que lorsque la nécessité publique l
exige « et sous la condi-
tion d
une juste et préalable indemnité ». On comprendra ce que signifient ces
mots, mais quelle est l
indemnité qui devra être considérée comme « juste » ?
C
est évidemment affaire dappréciation.
Il faut souligner que cette indétermination est parfois involontaire, mais
qu
elle est le plus souvent tout à fait délibérée. Faute de pouvoir prévoir toutes
les situations qui se présenteront, l
auteur dun texte est amené à employer des
mots susceptibles den recouvrir une grande variété. La flexibilité dune consti-
tution est à ce prix. Ainsi, le célèbre article 16 de la Constitution française de
1958 prescrit au Président de la République «
lorsque les institutions de la
République
(...) sont menacées dune manière grave et immédiate (...) de pren-
dre des mesures exigées par les circonstances
» ; nul ne peut dire évidemment
ce que le constituant entendait par « grave et immédiate » et par « mesures exi-
gées par les circonstances ». Il ne le savait pas lui-même. Il pouvait certes pen-
ser à certaines situations, mais s
il les avait décrites avec précision et sil avait
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La Constitution
59
indiqué les mesures à prendre, il pouvait craindre des événements imprévus, qui
n
auraient pas permis au Président de prendre les mesures appropriées. En res-
tant dans le vague, il lui permet de faire face à une très grande variété de situa-
tions imprévisibles avec une gamme de pouvoirs très étendue.
Le deuxième facteur tient à la nature de la signification elle-même. On peut
croire que la signification dun texte est ce que son auteur a voulu exprimer et
quon pourrait retrouver. La signification dun texte serait donc lintention de
son auteur. Mais un texte juridique n
a pas un seul auteur, mais plusieurs. À sup-
poser que parmi les constituants, certains aient eu une idée précise
malgré le
caractère vague et ambigu des mots qu
ils ont employés , à supposer quil soit
possible de connaître cette intention d
une manière certaine, il est évidemment
impossible que tous aient eu la même. Une constitution est adoptée par un très
grand nombre de personnes. Le projet est préparé par des groupes et souvent dis-
cuté dans des assemblées ou soumis au référendum. Parmi les personnes qui
l
adoptent, certaines ne lont pas lu et toutes celles qui lont lu ne lont pas com-
pris de la même manière. Retrouver l
intention dun constituant peut être un inté-
ressant exercice de psychologie historique, mais il n
y a aucune raison de tenir
compte de cette intention plus que de n
importe quelle autre.
Le troisième facteur tient à lévolution des conceptions politiques et sociales.
La Déclaration des droits de l
Homme, qui fait partie du droit constitutionnel
français actuel, est vieille de plus de deux siècles. Nous pourrions, au terme
d
une analyse historique, parvenir à connaître la ou les signification(s) que les
auteurs de la Déclaration accordaient à ses principales dispositions. Nous
découvririons alors que la plupart des termes qu
ils ont employés signifiaient
pour eux bien autre chose que ce qu
ils peuvent représenter pour nous.
Ainsi, lorsquils proclamaient le principe dégalité, ce principe nimpliquait
pas à leurs yeux l
égalité des hommes et des femmes, ni le droit de vote pour
tous les hommes. Si, par conséquent, nous considérions que le sens de la Décla-
ration, c
est celui que leur attribuaient ses auteurs, nous devrions nécessairement
admettre qu
une loi, qui priverait les femmes de certains droits ou qui réserverait
le droit de vote aux plus riches serait conforme au principe d
égalité. Non seule-
ment une telle solution serait politiquement et moralement intolérable pour la plu-
part de nos contemporains, mais elle serait difficile à fonder rationnellement. Dire
que nous sommes soumis à la Déclaration des droits, signifierait en effet que nous
sommes soumis à l
intention, cest-à-dire à la volonté de ses auteurs. Mais com-
ment justifier que nous soyons encore soumis à la volonté d
hommes morts depuis
si longtemps ? Si l
on veut éviter cette conséquence absurde, force est dadmettre
que le texte possède une signification indépendante de celle que lui attribuaient ses
auteurs. Cette signification est celle que nous pouvons lui attribuer aujourd
hui,
compte tenu de lévolution politique et sociale (Melin-Soucramanien, 2005).
48. Nature de linterprétation. Deux conceptions sopposent. Selon la
première, l
interprétation est un acte de connaissance, selon la seconde, un
acte de volonté.
La première conception est la plus répandue. Elle repose sur lidée que le texte
possède un sens et un seul. Si ce sens est clair, il nest pas nécessaire dinterpréter,
mais s
il est caché, alors il faut le retrouver et, pour cela, appliquer certaines
méthodes, que la science du droit a élaborées et qu
elle est capable denseigner.
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Droit constitutionnel
Cette thèse nest pas acceptable pour plusieurs raisons. En premier lieu,
comme on l
a vu, il est impossible daffirmer quun texte possède un sens
clair, sans l
avoir au préalable interprété. En deuxième lieu, à supposer que les
auteurs d
un texte aient eu une intention claire et unique, il nest pas possible de
réduire le sens du texte à cette intention. En troisième lieu, si chaque texte avait
un sens unique, alors linterprétation serait susceptible dêtre vraie ou fausse et
lon devrait disposer de procédés de vérification. Or, affirmer quune interpré-
tation est vraie, c
est affirmer quelle a énoncé le sens véritable du texte. Mais,
pour savoir qu
il sagit bien du sens véritable, il faut avoir soi-même procédé à
une interprétation et cette seconde interprétation ne pourra être tenue pour vraie
qu
au terme dune troisième et ainsi de suite.
La quatrième raison, la plus forte, fonde la conception opposée, dite « réa-
liste
». Elle tient à la portée de linterprétation lorsquelle émane de certaines
autorités, auxquelles l
ordre juridique attribue le pouvoir dinterpréter.
Linterprétation émanant de ces autorités est dite authentique cest-à-dire
que le texte est présumé n
avoir pour signification que celle qui lui a été ainsi
attribuée et cela quel que soit le contenu de l
interprétation, même si elle contre-
dit tout ce qu
on croit savoir du texte. Linterprétation authentique se distingue
de l
interprétation scientifique ou de doctrine, celle qui émane de personnes pri-
vées, même techniquement qualifiées, comme des avocats ou des professeurs de
droit. L
interprétation scientifique ne produit aucun effet juridique et nest que
l
expression dopinions, qui dailleurs peuvent être divergentes et le sont fré-
l
interprétation authentique nest pas lexpression
quemment. Au contraire,
d
une opinion parmi dautres. Cest le produit dune décision, par laquelle un
débat est tranché. Elle s
incorpore au texte, en ce sens que celui-ci ne peut
désormais être compris qu
à la lumière de linterprétation authentique. Celle-ci
est un acte de volonté, car l
interprète peut donner au texte le sens quil veut lui
donner. Cette théorie est appelée
réaliste parce quelle décrit non pas la manière
dont le droit fonctionnerait, s
il fonctionnait de manière idéale, mais celle dont
il fonctionne réellement. Elle a des conséquences très importantes.
49. Conséquences de la théorie réaliste de linterprétation. Tout
d
abord, linterprétation ne peut être vraie ou fausse, mais seulement valide ou
non valide. Sa validité ne dépend en rien des méthodes employées, mais seule-
ment des conditions dans lesquelles elle a été émise. Il est possible qu
une
norme supérieure confie expressément à une autorité le pouvoir d
interpréter.
C
est le cas, par exemple, de la loi qui remet à la Cour de cassation le pouvoir
de décider en assemblée plénière. Mais le plus souvent, ce pouvoir est attribué
de manière implicite, dès lors qu
on ninstitue aucun contrôle sur linter-
prétation donnée par une autorité. Ainsi, les décisions par lesquelles un juge
constitutionnel interprète la constitution ne sont susceptibles daucun contrôle
et sont donc des interprétations authentiques.
Mais les autorités juridictionnelles ne sont pas les seules à disposer de ce
pouvoir. Les interprétations émanant d
organes dont les décisions ne sont sou-
mises à aucun contrôle sont elles aussi authentiques. Ainsi, pour reprendre un
exemple qui a déjà été envisagé, sous la Ve République, cest le Président de la
République qui, lorsqu
il sagit dappliquer larticle 16, apprécie si les institu-
tions sont menacées d
une manière « grave et immédiate » et qui décide du sens
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La Constitution
61
quil convient de donner à ces mots. Il est dailleurs fréquent, en droit constitu-
tionnel, que l
interprétation soit donnée de manière collective par plusieurs
autorités. C
est ce qui peut se produire dans lexemple envisagé. Le Président
de la République peut être accusé par le Parlement de « haute trahison ». Ce
crime n
est pas défini par la constitution, de sorte que le Parlement doit inter-
préter les mots « haute trahison » avant daccuser le Président. Il lui est donc
possible de considérer quune interprétation abusive par le Président des termes
de l
article 16 constitue précisément ce crime. Le Président a, de son côté,
nécessairement conscience de cette possibilité. À supposer qu
il soit tenté de
donner une interprétation très large de ces termes, dans le but de se saisir des
pouvoirs que lui donne l
article 16, il doit tenir compte de lattitude possible du
Parlement. Aussi l
interprétation définitive nest-elle que la résultante de toutes
les interprétations que différentes autorités sont susceptibles de donner.
La conséquence la plus importante de linterprétation, telle que la décrit la
théorie réaliste, est que l
interprète détient un pouvoir de même niveau que celui
de l
autorité dont il interprète les textes. Linterprète de la loi détient un pouvoir
législatif et l
interprète de la constitution un pouvoir constituant. En effet, sil
peut déterminer librement le sens du texte, alors c
est lui qui détermine ce que
ce texte prescrit. En d
autres termes, si la norme est la signification dun texte,
alors celui qui détermine la signification, énonce la norme. La norme constitu-
tionnelle n
est pas le texte écrit de la constitution, mais ce texte tel quil est
interprété par toutes les autorités qui en sont
les interprètes authentiques.
Ceux-ci n
appliquent pas réellement des normes constitutionnelles. Ils ne sont
pas tenus par elles. Ils les créent.
On peut être tenté dobjecter quils appliquent au moins une espèce de nor-
mes : celles qui leur donnent le pouvoir d
interpréter. Mais, au nombre des tex-
tes qu
ils interprètent, figurent en réalité aussi ceux qui déterminent leurs com-
pétences, de sorte qu
ils sont en mesure de déterminer
leurs propres
compétences (Tusseau, 2006). Lexemple le plus célèbre est fourni par la
Cour suprême des États-Unis. La constitution de 1787 ne lui conférait pas
expressément le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois. C
est par
une interprétation, à laquelle elle s
est livrée en 1803, à propos de laffaire Mar-
bury v. Madison, quelle a interprété la constitution pour décider quelle com-
portait une norme instituant un contrôle de constitutionnalité (v.
infra no 267).
Le Conseil constitutionnel français a d
ailleurs procédé de la même manière en
1971, lorsqu
il sest considéré compétent pour contrôler la constitutionnalité des
lois au fond par rapport au préambule de la constitution, alors que les rédacteurs
le texte
de la constitution avaient
(v.
infra no 782).
refusé dinscrire ce pouvoir dans
Cela ne signifie pas cependant que les interprètes soient réellement en
mesure de bouleverser la constitution à tout moment : dune part, ils ne sont
pas isolés et doivent, comme on l
a vu, tenir compte les uns des autres ; dautre
part, l
idéologie à laquelle adhèrent ces interprètes les conduit à exercer leur
pouvoir avec modération. Selon cette idéologie, le détenteur du pouvoir doit
disposer d
une légitimité ; il faut, en dautres termes quil existe une justifica-
tion politique et morale à lexercice dun pouvoir. La justification généralement
acceptée dans les systèmes politiques modernes réside dans une délégation,
expresse ou tacite, de la nation ou du peuple souverains. Toutes les autorités
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62
Droit constitutionnel
capables dinterpréter ne peuvent se prévaloir dune telle délégation et la plupart
s
efforcent en conséquence dexercer leurs compétences de bonne foi, cest-à-
dire de telle manière que leurs décisions soient acceptables par une partie au
moins de leurs destinataires. Enfin, certains de ces interprètes sont placés dans
une situation particulière. Ce sont les juridictions.
50. Une modalité particulière de linterprétation, la jurisprudence. La
jurisprudence est l
ensemble des règles qui résultent de lactivité des juridic-
tions. L
un des procédés par lesquels elles produisent ces règles est naturelle-
ment l
interprétation. Cependant, les juridictions se trouvent dans une situation
sensiblement différente de celle des autres interprètes. En effet, leurs interpréta-
tions sont écrites et, souvent, justifiées. Il en résulte des contraintes importantes.
Pour différentes raisons
notamment parce que lefficacité de la jurisprudence
en dépend
les interprétations doivent être cohérentes : elles ne doivent pas se
contredire et elles doivent être justifiées de la même façon, c
est-à-dire par lin-
vocation de procédés d
interprétation constants.
Section 2
Le contrôle de la suprématie de la Constitution
51. Comme on la vu à propos des déclarations des droits, on peut affirmer
qu
une norme possède une valeur juridique supérieure à celle dune autre norme
si et seulement si l
édiction dune seconde norme contraire à la première peut
être sanctionnée
. La sanction la plus fréquente et la plus facile à mettre en
œuvre dans les systèmes juridiques modernes est lannulation de la nouvelle
norme
.
La Constitution peut être violée par des normes de niveaux très différents
émises par le pouvoir exécutif (l
administration), les tribunaux et naturellement
aussi par les particuliers. L
émission de ces normes peut donc faire lobjet dun
contrôle et être sanctionnée, mais cette question relève de l
étude des autres
branches du droit, notamment du droit administratif et du droit civil. Pour ce
qui concerne le droit constitutionnel, la question porte principalement sur les
sanctions de l
édiction de lois contraires à la Constitution. Cest celle du
contrôle de la constitutionnalité des lois. Ce contrôle na pourtant été institué
que tardivement, car les théories constitutionnelles de l
époque des Lumières,
qui ont dominé jusqu
au milieu du XXe siècle, reposaient sur lidée que léqui-
libre des pouvoirs et la responsabilité du pouvoir exécutif suffisaient à garantir
le maintien de la constitution. Plus tard linstitution dun contrôle de la consti-
tutionnalité des lois est apparue contraire à la démocratie et à l
idée que la loi
est l
expression de la volonté générale. Cétait donc seulement
lorsque la
Constitution organisait une répartition des compétences par exemple entre
l
État fédéral et les États membres (comme aux États-Unis en 1787 ou en Autri-
che en 1921) ou bien entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, quil
fallait impérativement prévoir une autorité de type juridictionnel pour arbitrer
les inévitables conflits.
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La Constitution
63
Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, tous les régimes qui ont suc-
cédé aux dictatures fascistes ont tenu à créer de telles cours constitutionnelles
pour plusieurs raisons : perte de la croyance dans l
efficacité des garanties inter-
nes, qui n
avaient pu empêcher la conquête du pouvoir par les dictateurs
empruntant les voies légales ; volonté de protéger les minorités contre le pouvoir
absolu de la majorité du moment, de développer les mécanismes de lÉtat de
droit et de garantir les droits de l
Homme.
Cependant, dès lors que les constitutions dont il sagit dassurer le respect
proclament leur attachement à la démocratie, on ne peut éviter de s
interroger
sur la compatibilité entre les organismes de contrôle et le principe démocratique
lui-même.
§ 1. Légitimité du contrôle de constitutionnalité5
52. On ne peut échapper à la question de la légitimité du contrôle de la consti-
tutionnalité des lois en raison d
un dilemme très simple : dune part, sil nexiste
aucun contrôle, cela signifie que le législateur peut violer la constitution et que
celle-ci n
est ni supérieure aux lois, ni même obligatoire.
Mais dautre part, dans un système politique démocratique, les lois sont fai-
tes par le peuple souverain ou, en son nom, par ses représentants. L
institution
d
un tel contrôle, confié à une autorité, qui nest pas le peuple, signifie alors que
cette autorité contrôle la volonté du peuple et donc que le système n
est pas
véritablement démocratique.
Tout constituant devrait donc choisir et renoncer ou bien à la suprématie de
la constitution ou bien à la démocratie.
On a cependant tenté déchapper à ce dilemme et daffirmer la légitimité du
contrôle de constitutionnalité dans un système démocratique. Ces tentatives se
heurtent à une série de critiques.
A Thèse de la légitimité du contrôle dans un système démocratique
53. Toutes les tentatives pour échapper au dilemme impliquent un travail sur
les deux notions de contrôle de constitutionnalité et de démocratie pour montrer
qu
elles ne sont pas antinomiques.
1o Pour ce qui concerne la démocratie, on peut soutenir quelle ne se résume
pas au pouvoir de la majorité du Parlement. Partant de là, on peut ou bien adop-
ter une définition plus restrictive de la démocratie ou bien une définition plus
large, qui toutes deux légitimeront le contrôle de constitutionnalité.
Selon la conception la plus restrictive, la démocratie est le pouvoir du peuple
lui-même ; la seule démocratie est la démocratie directe et les systèmes politi-
ques que nous connaissons ne sont pas démocratiques. Dans le meilleur des cas,
le peuple élit les gouvernants, mais ne gouverne pas lui-même et contrôler la
volonté des gouvernants nest donc pas contrôler la volonté du peuple.
5.
TROPER, 2011, p. 111 s.
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Droit constitutionnel
Selon la conception large, on admet bien que la démocratie représentative
est une forme de démocratie, mais on soutient qu
elle ne se réduit pas au seul
pouvoir de la majorité, qui ne serait que le pouvoir de la force. Elle consiste
aussi dans les garanties de la minorité, qui ne doit pas être opprimée par la
majorité et qui doit disposer des libertés lui permettant d
espérer devenir un
jour majorité. Le contrôle de constitutionnalité est ainsi linstrument de la pro-
tection de la minorité.
Daprès une variante de cette conception, la démocratie représentative serait
bien une forme de démocratie, mais on ne devrait pas considérer que les seuls
représentants légitimes sont ceux qui sont élus. Le peuple souverain serait celui
qui a adopté la constitution. En faisant prévaloir la constitution sur la loi, le juge
constitutionnel imposerait ainsi la volonté du peuple dont il serait ainsi le repré-
sentant (Rousseau, 1999).
2o Pour ce qui concerne le contrôle, on fait valoir dabord que toute loi nest
pas forcément l
expression de la volonté du peuple ou de la volonté générale.
C
est en effet la Constitution qui détermine les compétences du législateur et
qui l
habilite à faire des lois dans certaines matières, conformément à certaines
procédures, en lui prescrivant d
observer certains principes. Lorsque le législa-
teur a respecté l
ensemble des conditions fixées par la Constitution, alors, mais
alors seulement, il a exprimé la volonté générale. Si, en revanche, ces prescrip-
tions n
ont pas été observées, on nest pas en présence de la volonté générale,
mais de la volonté particulière du législateur et le contrôleur peut parfaitement
annuler la loi, sans s
opposer à la volonté du peuple.
On avance aussi que le contrôle a une portée essentiellement procédurale.
L
organe de contrôle ne se prononce pas sur le fond de la loi, sur les mesures
qu
elle contient, sur leur opportunité. Ce sont là des questions politiques, qui ne
relèvent que du législateur. Il se borne quant à lui, à indiquer que la constitution
ne permet pas d
adopter les mesures litigieuses dans la forme législative. Si on
veut les adopter, il faut le faire dans la forme constitutionnelle, c
est-à-dire en
révisant la constitution. C
est pourquoi les décisions du juge constitutionnel
peuvent toujours être réformées au moyen d
une révision de la constitution.
Cette possibilité révélerait bien le caractère démocratique du contrôle de consti-
tutionnalité, parce qu
il manifeste la subordination du juge constitutionnel au
pouvoir constituant, qui représente le souverain. Mais, cette justification du
contrôle s
effondre si lon admet lidée, conformément à la doctrine de la
supra-constitutionnalité, que certaines dispositions constitutionnelles échappent
au pouvoir constituant dérivé et que les cours constitutionnelles peuvent contrô-
ler la conformité des lois de révision à des principes
supra-constitutionnels
(v.
supra no 32).
B Lobjection tirée de la théorie réaliste de linterprétation
54. Ces arguments se heurtent à une objection sérieuse : ils sont tous fondés
sur le présupposé implicite que la violation de la constitution est un fait objectif
qui peut être constaté par un juge. Lannulation de la loi inconstitutionnelle ne
serait que la conséquence de cette constatation. Mais on peut penser que la vio-
lation de la constitution n
est pas comparable à un fait objectif. Pour affirmer
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La Constitution
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quune violation a été commise, il faut en effet au préalable déterminer ce que
prescrit exactement la constitution (v.
supra no 46 s.).
Mais en réalité, le texte de la Constitution est vague et ambigu.
Il doit nécessairement faire l
objet dune interprétation juridique. Il faut
déterminer son sens. Mais, comme on l
a vu, ce sens nest pas inclus dans le
texte, linterprétation est non une constatation, mais une véritable décision Par
conséquent instituer un contrôle de la constitutionnalité d
une loi adoptée par le
peuple ou ses représentants, c
est la soumettre à la volonté du contrôleur.
En tout état de cause, il existe souvent des contradictions ou des conflits
entre les droits et liberté garantis par les déclarations, de telle sorte que la loi
ne sera jugée conforme à la constitution que si elle a assuré entre ces droits un
juste équilibre. Mais le juge dispose d
une marge dappréciation considérable
dans la réponse à la question de savoir si la loi qu
il contrôle a ou non réalisé
un juste équilibre. On a pu dire que,
lorsquune loi est interprétée, le véritable
législateur n
est pas celui qui en a adopté le texte, mais celui qui linterprète. Il
en va de même pour la Constitution
.
Cependant, le juge constitutionnel nest pas seulement le co-auteur de la
constitution, mais aussi celui de la loi qu
il examine. En effet, sil peut à son
gré déterminer le sens du texte constitutionnel, il décidera du même coup que la
loi est ou non conforme. Il peut même décider que la loi n
est conforme quà la
condition d
être interprétée dune certaine manière et il est ainsi en mesure de
déterminer son contenu matériel.
Selon la thèse réaliste, le contrôle de constitutionnalité nest donc pas conci-
liable avec la démocratie. Il s
agit en réalité dun mode de gouvernement diffé-
rent, le
gouvernement des juges (Brondel et al., 2001).
C Les théories modernes de linterprétation
55. Cest pourquoi les auteurs contemporains, désireux de justifier lexis-
tence du contrôle de constitutionnalité et, dune manière plus générale, le rôle
du juge dans les systèmes juridiques modernes, doivent tenter de montrer que ce
rôle n
est pas politique. Ces auteurs ne prétendent pas que le texte constitution-
nel renfermerait une signification unique ; ils admettent qu
il doit être interprété,
mais ils contestent la théorie réaliste de l
interprétation et soutiennent que
l
interprétation ne dépend pas de la volonté souveraine du juge.
Il existe plusieurs variantes de cette position : pour les uns, à la différence de
la décision du législateur ou du constituant, l
interprétation donnée par le juge
doit être justifiée au moyen d
un raisonnement spécifique. La forme de ce rai-
sonnement déterminerait dans une large mesure le contenu de l
interprétation,
c
est-à-dire le sens qui sera donné au texte. Aussi, pour ces auteurs, le contrôle
de constitutionnalité est un frein au pouvoir politique du législateur, sans être
lui-même un pouvoir politique.
Pour dautres, le rôle du juge constitutionnel doit être apprécié en tenant
compte de la situation de fait dans laquelle il se trouve. Il peut souhaiter déclarer
qu
une loi, dont le contenu lui déplaît, est contraire à la constitution et décider
de lannuler, mais il lui faut tenir compte de nombreux facteurs : le législateur
frustré pourrait faire adopter la même mesure en forme constitutionnelle en fai-
sant réviser la Constitution ; il pourrait exercer des pressions sur les personnes
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Droit constitutionnel
des juges ou faire augmenter le nombre des membres de lorgane de contrôle de
manière à faire basculer la majorité en son sein. Certains des membres peuvent
songer à préparer des décisions futures et chercher à se concilier certains de
leurs collègues, etc. (Murphy, 1962 ; Meunier, 1994).
Pour dautres encore, le juge exerce une fonction foncièrement différente de celle
du législateur, mais qui doit être comparée à celle du critique littéraire. Comme lui, il
doit donner une interprétation du texte, qui n
exprime pas ses propres préférences,
mais qui présente au moins deux caractères : d
une part elle doit faire apparaître le
texte à interpréter sous son meilleur jour ; d
autre part, elle doit être compatible avec
le plus grand nombre de données possibles de l
ordre juridique en question (Dwor-
kin, 1986).
§ 2. Les formes du contrôle de constitutionnalité6
56. Lorganisation dun système de contrôle de la constitutionnalité des lois
soulève deux questions principales : Qui sont les juges ? Selon quelles techni-
ques procédurales le contrôle s
exerce-t-il ?
A Le mode de composition des juridictions constitutionnelles
57. A priori, deux types de solutions sont possibles et le choix dépend de
l
idée que lon se fait du contrôle de constitutionnalité des lois. Ou bien lon
estime que ce contrôle entre dans les attributions normales du pouvoir judi-
ciaire : la juridiction constitutionnelle se confond alors avec la ou les juridic-
tions de droit commun. Ou bien l
on estime quil sagit dune fonction spéci-
fique qui doit être confiée à un collège de magistrats spécialisés : la juridiction
constitutionnelle a alors une existence autonome.
La première solution correspond à un type dorganisation que lon désigne
habituellement sous le nom de « modèle américain ». La Constitution des États-
Unis ne reconnaît pas explicitement au pouvoir judiciaire le pouvoir de contrô-
ler la constitutionnalité des lois. Mais, dès 1803, dans son fameux arrêt
Mar-
bury v. Madison, la Cour suprême fédérale la elle-même attribué aux tribunaux
au terme d
une interprétation audacieuse de la Constitution. Elle a justifié cette
interprétation en affirmant que le principe même de ce contrôle (
Judicial
Review) pouvait se déduire de lintention qui avait guidé les constituants :
«
Les pouvoirs du législatif sont définis et délimités, et une Constitution est
écrite pour que ces limites ne soient pas mal interprétées ou oubliées. À quoi
serviraient donc que les pouvoirs soient limités et que ces limites soient fixées
par écrit, si elles pouvaient à tout moment être transgressées par ceux que lon
entend restreindre ? (...) Si les tribunaux doivent se référer à la Constitution,
et si la Constitution est supérieure à tout acte législatif ordinaire, cest la
Constitution et non la loi ordinaire qui doit régir le cas auquel toutes deux
sont applicables
» (cité in Hamon et Wiener, 2006, cf. aussi Zoller, 2003).
Dans ce modèle, le contrôle de constitutionnalité nest pas réservé à la juri-
diction suprême. Tout tribunal, quel que soit son rang, a qualité pour lexercer
6.
FAVOREU-MASTOR, 2011 ; TUSSAU, 2009 ; HAMON-WIENER, 2011.
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La Constitution
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car, chaque fois que deux règles sont en conflit, il lui appartient de déterminer
celle qui s
applique au cas particulier. Cest pourquoi ce modèle est souvent
qualifié de « décentralisé » ou de « diffus » pour le distinguer des systèmes
européens qui réservent ce contrôle à une juridiction spécialisée. Toutefois, en
pratique, cette décentralisation est plus apparente que réelle car elle se combine
avec une hiérarchie fonctionnelle : par le jeu des recours, les affaires qui posent
un problème de principe concernant l
interprétation de la Constitution fédérale
remontent généralement jusqu
à la Cour suprême, et cest la jurisprudence de
celle-ci qui fait autorité.
Dun point de vue logique, dans tous les pays dEurope continentale qui
s
étaient dotés dune constitution écrite et rigide, les juges auraient pu se recon-
naître un pouvoir de contrôle sur la loi en usant du même raisonnement que leurs
collègues d
outre-Atlantique. Mais, dans la plupart des cas, ils nont pas osé fran-
chir ce pas parce que le contexte politique s
y prêtait mal : en France, notamment,
deux idées au moins s
y opposaient : dune part la loi est « lexpression de la
volonté générale », comme l
affirme larticle 6 de la Déclaration de 1789, de
sorte qu
il serait criminel de sy opposer, et dautre part, selon une tradition, qui
remonte à Montesquieu, la puissance judiciaire est considérée comme nulle.
Le modèle européen de justice constitutionnelle a fait son apparition en Autri-
che et en Tchécoslovaquie, au lendemain de la Première Guerre mondiale. C
est
le philosophe du droit, Hans Kelsen, qui le premier fit inscrire dans la Constitu-
tion de l
Autriche de 1920 linstitution dune cour constitutionnelle. Il sagissait
d
une part de régler les conflits de compétence qui ne manqueraient pas de surgir
entre l
État fédéral et les États membres et dautre part de rendre la constitution
réellement suprême.
Ce pouvoir ne pouvait pas être confié aux tribunaux ordinaires, comme aux
États-Unis, parce que les juges des pays de tradition romano-germanique ne
bénéficient pas du même prestige que ceux des pays de
Common Law, et
parce que la pluralité des ordres de juridiction aurait entraîné des divergences
sur linterprétation de la Constitution. Selon Kelsen, la meilleure solution était
d
instituer une « cour constitutionnelle », dont la légitimité découlerait indirec-
tement du suffrage universel, ses membres devant être élus par le Parlement à
des conditions de majorité qualifiée.
Les premières cours constitutionnelles établies en Autriche et en Tchécoslo-
vaquie ont été rapidement balayées par l
hitlérisme. Mais, après la Seconde
Guerre mondiale la Cour autrichienne a été rétablie et, durant les années suivan-
tes, la plupart des pays d
Europe occidentale se sont dotés dun tribunal conçu
selon un modèle plus ou moins analogue. Ce tribunal n
a plus seulement pour
fonction de veiller à la répartition des compétences, mais aussi celle d
éviter la
domination excessive d
une majorité parlementaire et de garantir les droits de
lHomme. Tel a été notamment le cas de lItalie (1947), de lAllemagne (1949),
de la France (1958), du Portugal (1976) et de l
Espagne (1978). Durant les
années 1990, après la chute du mur de Berlin, les pays d
Europe centrale et
orientale ex-communistes ont suivi la même voie. L
Afrique du Sud sest éga-
lement dotée d
une cour constitutionnelle après la suppression de la politique
dApartheid.
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68
Droit constitutionnel
Il convient de noter que la plupart des pays que lon vient de citer se sont
convertis au contrôle de la constitutionnalité des lois, alors qu
ils venaient juste
de mettre fin à un régime de dictature. L
option en faveur du modèle européen
leur a permis de confier la protection de la Constitution à des juges qui ne
s
étaient pas compromis avec le régime ancien.
En dehors de lEurope, la plupart des États qui ont subi principalement lin-
fluence anglo-saxonne (Canada, Inde, Japon, Afrique anglophone), ont choisi le
modèle américain, à l
exception toutefois de lAfrique du Sud ; ceux qui ont
subi principalement l
influence française ou allemande (Afrique francophone,
Corée du Sud, Turquie) ont choisi le modèle européen.
Il faut cependant souligner que le modèle dit américain dans lequel le
contrôle est diffus (parce qu
il est exercé par tous les juges) et le modèle dit
européen, dans lequel une cour constitutionnelle a le monopole du contrôle de
constitutionnalité ne sont que des types idéaux et que, la plupart des constitu-
tions empruntent aux deux modèles : une cour constitutionnelle a bien le mono-
pole, mais n
importe quel
la saisir d
une question préjudicielle
(v.
infra no 58 et 760 s.).
juge peut
Quel que soit le modèle de référence, les juges constitutionnels sont généra-
lement choisis par des autorités politiques (Président et Sénat aux États-Unis,
Parlement en Allemagne et en Autriche, Président de la République et prési-
dents des assemblées en France, etc.). Mais si leur fonction a incontestablement
une importance politique considérable, leur mandat se distingue par quelques
traits de ceux détenus par les autorités élues. En premier lieu, en vertu des textes
ou des usages, ils doivent toujours posséder des qualifications juridiques au
moins équivalentes à celles que l
on exige dun magistrat ordinaire (la France
fait toutefois exception sur ce point, v.
infra no 758). En second lieu, une fois
nommés, les juges bénéficient d
un statut qui garantit leur indépendance à
l
égard des autorités politiques, y compris celles auxquelles ils doivent leur
nomination. Ils sont nommés soit à vie (comme aux États-Unis), soit pour une
durée relativement longue comme en Europe (de neuf à douze ans selon les
pays). Et sauf en cas de faute extrêmement grave, il est impossible de les desti-
tuer en cours de mandat.
Malgré lopposition de principe entre le modèle américain et le modèle euro-
péen, le mode de composition des juridictions constitutionnelles est donc rela-
tivement homogène. Leur mode de fonctionnement, en revanche, varie beau-
coup selon les pays.
B Le mode de fonctionnement des juridictions constitutionnelles
58. Deux distinctions importantes sont à retenir : la première, dordre chro-
nologique, concerne le moment auquel sexerce le contrôle ; la seconde, dordre
méthodologique, est relative au point de vue auquel le juge doit se placer.
Si le juge intervient en amont de la promulgation, cest-à-dire avant
même que la loi soit déclarée applicable, on parle de « contrôle
a priori » ; si
au contraire, il intervient en aval de la promulgation, donc à un moment où la
loi est déjà en vigueur, le contrôle est dit « a posteriori ».
Page 69
La Constitution
69
Si le juge considère la loi en elle-même, indépendamment de tout litige
particulier, on dit qu
il se livre à un « contrôle abstrait » ; si au contraire il lexa-
mine à l
occasion dun litige particulier dont la solution dépend du résultat de
cet examen, il s
agit dun « contrôle concret ».
En croisant ces deux critères, on devrait donc pouvoir distinguer quatre
grands types de contrôle. Mais il nen existe en fait que trois, car le contrôle
concret ne peut jamais s
exercer a priori : comment en effet la solution dun
litige particulier pourrait-elle dépendre d
une loi qui, par hypothèse, nest pas
encore entrée en vigueur ?
La préférence donnée par un système national à lun de ces trois types peut
dépendre d
un choix délibéré du pouvoir constituant. Mais elle sexplique aussi
souvent, au moins en partie, par les circonstances historiques dans lesquelles le
contrôle a été introduit.
On a vu quaux États-Unis le contrôle, qui nétait pas expressément prévu
par la Constitution, n
a pu simposer que parce que les tribunaux, et notamment
la Cour suprême, le considéraient comme une fonction inhérente au pouvoir
judiciaire. Dans ce pays, le contrôle ne peut donc s
exercer qua posteriori
(car les juges nont pas à connaître des lois qui ne sont pas encore en vigueur)
et présente toujours un aspect concret (car la question de constitutionnalité ne
peut être soulevée que dans le cadre d
un litige particulier, cest-à-dire dun
procès civil, pénal ou administratif). Les deux procédures les plus couramment
utilisées sont l
exception dinconstitutionnalité et linjonction.
La première suppose simplement que lune des parties au procès conteste la
constitutionnalité de la loi sur laquelle s
appuie la partie adverse. Par exemple,
un journaliste poursuivi pour avoir divulgué une information considérée comme
un « secret d
État » peut se défendre en affirmant que la loi en vertu de laquelle
le Ministère public voudrait le faire condamner est contraire au premier amen-
dement, qui interdit au Congrès de limiter « la liberté de parole ou de presse ».
La seconde est liée au fait que les juridictions des pays anglo-saxons peu-
vent délivrer contre une autorité administrative une « injonction », c
est-à-dire
un ordre de faire ou de ne pas faire quelque chose. La procédure de l
injonction
peut être utilisée à l
initiative dune personne qui tente de neutraliser une loi
portant atteinte à ses droits constitutionnels : c
est par cette voie quen 1954
des parents d
écoliers noirs ont obtenu, nonobstant les dispositions ségrégation-
nistes des lois locales, l
admission de leurs enfants dans des écoles publiques
jusqu
alors réservées aux blancs.
Dans les pays qui se rattachent au « modèle européen », les modes de saisine
de la juridiction spécialisée doivent être expressément prévus, soit par la Consti-
tution elle-même, soit par une loi organique. Ils peuvent être de trois sortes : le
recours préjudiciel, le recours individuel direct ou la saisine par des autorités
politiques.
1) Le recours préjudiciel présente de grandes analogies avec « lexception
d
inconstitutionnalité » du droit américain. Au cours dun procès qui se déroule
devant le tribunal normalement compétent, l
un des plaideurs (ou éventuelle-
ment le tribunal lui-même) soulève la question de savoir si une loi dont dépend
la solution du litige est ou non conforme à la Constitution. Mais comme, par
hypothèse, on se trouve dans un système où le contrôle est centralisé, le tribunal
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Droit constitutionnel
saisi de laffaire (que lon désigne habituellement sous le nom de « juge de ren-
voi ») ne peut pas trancher lui-même cette question, comme il pourrait le faire
aux États-Unis. Il y a donc question « préjudicielle », c
est-à-dire que le juge de
renvoi doit suspendre le procès (en termes techniques : « surseoir à statuer »)
jusqu
à ce que la Cour constitutionnelle se soit prononcée. Le rôle de celle-ci
se borne à résoudre la question préjudicielle, cest-à-dire à apprécier la consti-
tutionnalité de la loi qui lui est soumise. Le procès pourra ensuite reprendre son
cours devant le juge du fond. On qualifie généralement ce type de contrôle de
« concret » parce que le juge est saisi
à loccasion dun litige concret, mais il
n
est pas réellement concret. Il est abstrait si lon considère non pas la procé-
dure, mais la nature et la portée du contrôle, dans la mesure où le juge constitu-
tionnel n
examine pas les faits, mais seulement la loi applicable et où il statue
en termes abstraits.
Selon des modalités variables, cette procédure a été introduite dans la plupart
des pays qui se sont dotés d
une cour constitutionnelle, notamment en Alle-
magne, en Italie et en Espagne et tout récemment en France, par la révision
constitutionnelle de 2008 sous le nom de « question prioritaire de constitutionna-
lité » (QPC) (v.
infra 4e partie). Elle permet de déclencher assez facilement le
contrôle. Pour les plaideurs, l
accès à la Cour constitutionnelle nest cependant
pas illimité, car les juges du fond opèrent toujours un certain filtrage, qui peut
être plus ou moins sévère : ils ont en effet la faculté de rejeter eux-mêmes les
exceptions qui leur paraîtraient manifestement infondées, et qui généralement
ont été soulevées à des fins purement dilatoires. Il s
agit dun contrôle concret a
posteriori
.
2) À la différence de lexception dinconstitutionnalité, le recours direct per-
met à un plaideur de saisir le juge constitutionnel sans passer par un intermé-
diaire. On évite ainsi le filtre des tribunaux ordinaires, ce qui oblige le juge
constitutionnel à effectuer lui-même un tri, et explique sans doute que les pays
ayant institué un tel recours soient encore relativement peu nombreux : on le
trouve, sous des formes assez différentes, en Allemagne (Verfassungsbesch-
werde), en Autriche, en Suisse et en Espagne (amparo), mais non en France,
ni même en Italie. Là où il existe, d
ailleurs, il nest conçu que comme un
remède ultime : on ne peut l
utiliser quaprès avoir épuisé toutes les autres pos-
sibilités de recours offertes par le droit interne du pays considéré. En pratique, le
« recours direct » est par excellence l
arme des plaideurs qui sestiment lésés par
les décisions des tribunaux ordinaires. Il conduit donc le juge constitutionnel à
exercer un contrôle sur l
activité de ceux-ci, un peu comme pourrait le faire une
Cour suprême, et renforce considérablement son emprise sur l
ensemble du sys-
tème juridictionnel. Il s
agit également dun contrôle concret a posteriori.
3) Reste la saisine par des autorités politiques. Les autorités politiques habi-
litées à déclencher le contrôle peuvent être des membres de lexécutif (Président
de la République ou Premier ministre en France) ou des membres du Parlement
(soixante députés ou soixante sénateurs en France, un tiers des membres du
Bundestag en Allemagne, cinquante députés ou cinquante sénateurs en
Espagne). Dans les pays où certaines collectivités territoriales disposent d
un
pouvoir législatif (comme cest le cas des Länder allemands, des régions italien-
nes et des communautés autonomes espagnoles), il appartient au juge constitu-
tionnel de veiller à la répartition des compétences entre le législateur national et
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La Constitution
71
le législateur local : la Cour peut donc également être saisie par le gouverne-
ment central pour contrôler la conformité à la constitution d
une loi locale, et
par les organes de l
une de ces collectivités territoriales pour vérifier si une loi
nationale n
empiète pas sur les compétences qui leur sont réservées. Il sagit
d
un contrôle abstrait qui peut sexercer tantôt a priori (France), et tantôt a pos-
teriori (Allemagne, Italie, Espagne).
On peut distinguer en gros trois groupes de pays :
Ceux qui pratiquent uniquement le contrôle concret, comme les États-Unis.
Mais en pratique, le juge ne peut jamais régler un cas concret sans envisager la
classe des cas à laquelle il appartient. Par exemple, lorsque la Cour suprême des
États-Unis décide que la loi d
un État a porté atteinte aux droits constitutionnels
de M. ou M
me X en sanctionnant le fait de brûler un drapeau américain en public,
elle se prononce non seulement sur le cas de M. ou M
me X, mais sur lacte de brûler
un drapeau, quels qu
en soient les auteurs ou les circonstances et elle se fonde sur
une réflexion générale et abstraite sur le point de savoir si ce type d
acte peut être
considéré comme une forme d
expression politique et sur les limites quil faut ou
non fixer à la liberté d
expression. En dautres termes, le contrôle concret a tou-
jours en réalité un caractère général. Par son fondement et sa portée, il rejoint donc,
dans une certaine mesure, le contrôle abstrait.
Ceux qui ne pratiquent que le contrôle abstrait a priori : cétait le cas de
la France avant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Mais rien
n
interdit au juge qui exerce un contrôle abstrait dessayer dimaginer les cas
concrets auxquels la loi pourrait s
appliquer et den tenir compte dans la moti-
vation de sa décision. C
est ainsi que, depuis la fin des années 1970, le Conseil
constitutionnel français rend fréquemment des décisions de conformité « sous
réserves », c
est-à-dire quil adresse des directives dinterprétation aux adminis-
trations et aux juridictions ordinaires.
Ceux qui combinent le contrôle concret et le contrôle abstrait : Alle-
magne, Italie, Espagne. Mais on constate que, dans ces pays,
le contrôle
concret se développe généralement plus vite que le contrôle abstrait, parce que
tout plaideur peut en prendre l
initiative.
En pratique, le rôle joué par les juges constitutionnels dépend davantage des
éléments fonctionnels, c
est-à-dire du type de contrôle quils exercent, que des
éléments organiques, c
est-à-dire de leur rattachement au modèle américain ou
au modèle européen. Par exemple, le système allemand présente probablement
plus de similitudes avec le système américain, qui permet également à tout plai-
deur de contester la conformité d
une loi à la Constitution, quavec le système
français, qui jusqu
à une date récente (réforme de 2008) réservait ce droit à des
autorités politiques.
On a soutenu que les systèmes qui ne pratiquent que le contrôle abstrait a
priori (comme le système français avant la réforme de 2008) garantissaient
mieux la sécurité juridique car, une fois qu
elle a été promulguée, la loi ne
peut plus être déclarée inconstitutionnelle, alors que, dans les systèmes princi-
palement fondés sur le contrôle concret
a posteriori, il faut parfois attendre des
années avant que la question soit tranchée à loccasion dun procès.
En revanche, les systèmes américain, allemand, espagnol ou italien se prêtent
à un contrôle plus approfondi dans la mesure où ils permettent de sanctionner des
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Droit constitutionnel
inconstitutionnalités qui ne sont pas immédiatement apparentes et qui ne se révé-
leront qu
à loccasion des litiges soulevés par lapplication de la loi. Et linsécu-
rité juridique qu
ils génèrent peut être limitée en atténuant les effets des déclara-
tions d
inconstitutionnalité (par exemple en prévoyant que le juge peut octroyer
un délai au législateur pour modifier la loi inconstitutionnelle, comme c
est le cas
en Allemagne et en France depuis la réforme de 2008).
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Chapitre 2
Le pouvoir
60. La différence de la science politique, la science moderne du droit consti-
tutionnel n
étudie pas le phénomène du pouvoir sous toutes ses formes et dans
toutes les sociétés, mais seulement celui qui s
exerce dans la forme juridique et
que l
on appelle État.
On examinera dans ce chapitre, le cadre dans lequel agit ce pouvoir, les for-
mes sous lesquelles il se manifeste et les techniques par lesquelles il s
exerce.
Section 1
Le cadre : lÉtat
61. Définition. La forme étatique se caractérise par quelques traits essen-
tiels :
Le pouvoir est exercé dans la forme juridique, cest-à-dire, non pas au
moyen de commandements isolés, mais de règles qui sont créées et appliquées
selon des procédures régulières et relativement stables, de telle manière que
chaque commandement individuellement adressé à un sujet apparaît toujours
comme lapplication dune règle générale antérieure.
Le pouvoir est censé avoir pour titulaire non pas les hommes qui lexercent
en fait, mais un être distinct, à qui les actes sont attribués.
Cet être est appelé État. LÉtat ne peut vouloir et agir par lui-même. Aussi y
a-t-il nécessairement des hommes pour vouloir et agir, mais on présume que
leurs actes sont ceux de l
État. On use fréquemment à leur endroit dune méta-
phore : ils sont des
organes de lÉtat. De même quon dit quun homme parle
lorsque des sons articulés sortent de sa bouche, de même, on dit que l
État veut
lorsque certains hommes, qui sont ses organes, expriment une volonté.
Cet ensemble est le plus souvent considéré comme une personne juridique
ou morale, un être analogue à une personne physique. Il possède donc un patri-
moine, des droits et des obligations, des intérêts mêmes, distincts de ceux de ses
organes, distincts de ceux des sujets.
LÉtat est aussi distinct de la société, appelée société civile. Il exerce son
pouvoir sur elle et remplit à son égard un certain nombre de fonctions. Ces
fonctions peuvent naturellement être perçues comme des fonctions sociales :
l
État rend la justice, assure la direction de léconomie du pays, léducation de
la jeunesse, la défense du territoire, etc. Mais ces fonctions sont exercées dans
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Droit constitutionnel
une forme juridique : lÉtat émet des règles, qui ont pour objet ces différentes
activités. Autrement dit,
lÉtat apparaît comme « producteur de droit ».
Cette production donne lieu à deux types de problèmes :
si lÉtat est producteur de droit, peut-on concevoir quil soit lui-même
soumis au droit ?
le pouvoir de lÉtat sexerce à légard dun groupe dhommes, plus ou
moins important, qu
on appelle, si on les envisage individuellement, les sujets,
et, si on les considère collectivement, le « peuple de l
État ». Il sexerce aussi
sur une certaine portion d
espace géographique, le territoire de lÉtat.
§ 1. LÉtat et le droit
62. Le problème des rapports entre lÉtat et le droit est un problème qui
relève non pas tant de la théorie juridique, que de la philosophie politique
(Ferry, 1999). Il a donné lieu à une doctrine aujourd
hui très répandue et qui
forme même le fond de l
idéologie dominante dans les systèmes politiques libé-
raux, l
État de droit. Avant daborder ce problème, il convient de considérer
qu
il ne peut y avoir de rapports entre lÉtat et le droit quels que ce soient
ces rapports, que l
on conçoive lÉtat comme subordonné au droit ou au
contraire comme seul producteur de droit
que sil sagit bien de deux entités
distinctes. Il existe bien plusieurs théories qui concluent en ce sens. Mais elles
sont contestées par d
autres, selon lesquelles lÉtat et le droit ne sont quun seul
et même phénomène désigné par deux termes différents. Ce n
est quaprès avoir
examiné les unes et les autres que l
on pourra traiter du problème de lÉtat de
droit.
63. Le dualisme de lÉtat et du droit. Lorsquon aborde ce problème, on
présuppose le plus souvent que l
État et le droit sont deux entités distinctes.
Deux solutions sont alors concevables : la première est la position
jusnaturaliste
qui consiste, on la vu, à admettre quau-dessus du droit positif, cest-à-dire
posé par lÉtat, il y a un droit naturel, qui simpose à lui (v. supra no 17).
L
État doit donc être soumis au droit et il faut instituer des mécanismes qui
garantissent cette soumission.
Au contraire, selon la conception positiviste, il ny a pas dautre droit que
celui qui a été posé par l
État, qui est lexpression de la volonté de lÉtat. LÉtat
ne peut donc jamais être soumis au droit, parce qu
il serait alors simplement
soumis à sa propre volonté. On peut seulement, dans cette perspective, conce-
voir une
autolimitation de lÉtat.
À ce point, les adhérents respectifs aux deux positions échangent des argu-
ments tenant à la signification politique des deux doctrines. Aux yeux des jus-
naturalistes, le positivisme ne serait qu
une forme didolâtrie de lÉtat et, par-
tant, une simple justification de l
autoritarisme, voire du totalitarisme. Puisquil
affirme que l
État est le seul producteur du droit et quil ne peut lui être soumis,
ne conduit-il pas en effet à recommander lobéissance à nimporte quel ordre,
aussi despotique soit-il, puisque dès lors qu
il émane de lÉtat, il est « le
droit » ? Cette accusation a été formulée avec une vigueur toute particulière
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Le pouvoir
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après la Seconde Guerre mondiale et les positivistes ont été considérés par cer-
tains de leurs adversaires comme des alliés objectifs, sinon comme des compli-
ces des nazis.
Les positivistes répliquent quil y a une grande différence entre une défini-
tion du droit et une justification de son contenu ou une incitation à la soumis-
sion. Les commandements émis par lÉtat sont en effet du droit, conformément
à la seule définition possible du droit. Mais
le positivisme est une attitude scien-
tifique et non morale ou politique
et cette qualification nest pas un jugement
moral : on peut les nommer « droit » sans pour autant prêcher l
obéissance. Ce
sont les jusnaturalistes qui confondent à tort le point de vue scientifique et le
point de vue moral et qui en réalité propagent une idéologie : comme il est
impossible de prouver l
existence dun droit naturel ou de connaître ce quil
prescrit, ce que les jusnaturalistes appellent « droit naturel » n
est que lexpres-
sion de leurs propres préférences subjectives. S
ils affirment que lÉtat doit être
soumis au droit naturel, cela ne signifie donc qu
une chose : que lÉtat doit être
soumis aux valeurs auxquelles adhèrent personnellement les auteurs. Autrement
dit, aux yeux des positivistes, le jusnaturalisme n
exprime que la prétention de
certains auteurs à superviser la direction de l
État.
Ces deux conceptions sont irréconciliables et ladhésion des auteurs à lune ou
l
autre permet de comprendre un grand nombre de débats théoriques en droit. Cest
ainsi que si certains auteurs ont recherché une solution au problème des rapports de
l
État et du droit, cest nécessairement soit à partir dun point de vue jusnaturaliste,
soit à partir du point de vue positiviste.
64. Lunité de lÉtat et du droit. Selon la doctrine de Hans Kelsen connue
sous le nom de Théorie Pure du Droit, le problème des rapports de l
État et du
droit n
est quun faux problème (Kelsen, 1962, p. 275-310). Il présuppose en
effet que l
État et le droit sont deux entités distinctes, alors quen réalité il sagit
d
une seule et même chose désignée par deux noms différents. Lune des
démonstrations de cette unité repose sur la définition traditionnelle de l
État. On
a vu que, selon Kelsen, les trois éléments qui doivent servir à définir l
État, le
peuple, le territoire et la puissance publique
, ne peuvent être définis que par
l
État lui-même. Mais cela signifie quils ne peuvent être définis que par le droit :
la population, en effet, est l
ensemble des hommes, soumis aux normes apparte-
nant à un certain ordre juridique ; le territoire est l
espace sur lequel ces normes
sont applicables ; la puissance publique est celle qui s
exerce à laide de ces nor-
mes.
Définir lÉtat, cest bien définir le droit.
Il en découle évidemment que la question des rapports de lÉtat et du droit
ne se pose plus. S
il ne sagit que dun seul et même phénomène, lun ne peut
être soumis à lautre.
65. LÉtat de droit. Au nombre des idéologies contemporaines relatives
aux rapports de l
État et du droit figure la doctrine dite de lÉtat de droit (Cheval-
lier, 2010). Elle s
est développée à partir des travaux des juristes allemands du
XIXe siècle. Cette doctrine, aujourdhui très répandue, au point que le Secrétaire
Général du Parti Communiste de lUnion soviétique avait proclamé sa volonté
d
instaurer un « État socialiste de droit » (Le Monde, 28 mai 1988) comporte en
réalité plusieurs idées différentes.
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Droit constitutionnel
En premier lieu, elle admet que lÉtat agit exclusivement dans la forme juri-
dique, ce qui ne signifie pas « conformément au droit », mais « au moyen du
droit ». Cette forme se caractérise, on l
a vu, par la subordination des normes
les unes aux autres (v.
supra no 15).
Elle apparaît comme une protection contre le risque darbitraire, puisque les
organes inférieurs de lÉtat ne peuvent jamais agir autrement que pour appliquer
une norme plus générale et antérieure, donc connue des sujets. Aussi, le premier
principe protecteur de la doctrine de l
État de droit est-il le principe de légalité.
Mais ce premier principe ne protège évidemment pas contre des lois qui
seraient elles-mêmes oppressives. La doctrine de l
État de droit est donc à la
recherche d
un second principe. À ce point, se manifestent certaines divergen-
ces. Les uns voudraient imaginer des procédures législatives complexes, repo-
sant sur l
équilibre des pouvoirs, et propres à empêcher, par le simple jeu des
oppositions d
intérêts, ladoption de lois tyranniques. Dautres mettent leur
confiance dans le fonctionnement de la démocratie. D
autres encore, aujour-
d
hui les plus nombreux, voient la solution dans la soumission de la loi à des
principes supérieurs, c
est-à-dire pratiquement dans le contrôle de la constitu-
tionnalité des lois (v.
supra no 51 s.).
Cela dit, il existe au sein de ce dernier groupe une tension permanente entre
deux conceptions possibles, très différentes et incompatibles entre elles (Vedel,
1988). Selon la première, les principes supralégislatifs sont ceux qui ont été inscrits
dans la Constitution par le constituant originaire ; ce sont des principes du droit
positif. Il en résulte que puisque ces principes ont été posés dans la Constitution,
ils peuvent être modifiés selon la procédure prévue pour la révision constitution-
nelle. L
institution du contrôle de constitutionnalité peut donc trouver dans cette
conception sa justification, car l
annulation dune loi pour inconstitutionnalité signi-
fie alors non pas que le juge constitutionnel s
est opposé à la volonté des représen-
tants du peuple, mais simplement qu
il a indiqué que cette loi ne pouvait être adop-
tée que moyennant la modification des principes constitutionnels. Le juge sest
donc borné en quelque sorte à indiquer la procédure à suivre. Mais, il est clair
que, selon cette conception, si le législateur se trouve limité, l
État dans sa totalité
ne l
est pas, puisque dune part le juge dispose dune grande marge de pouvoir
discrétionnaire pour décider si les principes ont été ou non violés et que d
autre
part l
État peut, même si cest seulement au terme dune procédure plus ou moins
difficile à mettre en
œuvre, modifier les principes auxquels il est censé être soumis.
Selon la seconde conception, les principes supralégislatifs ne sont pas sim-
plement des principes du droit positif. Ce sont des principes du droit naturel.
Certes, ils ont pu faire l
objet dune proclamation dans les préambules des
constitutions ou dans des déclarations des droits, mais ils ne tirent pas leur
force et leur valeur de lédiction de ces textes. Ceux-ci ne sont, comme leur
nom lindique le plus souvent, que des « déclarations ». Ils ne font que constater
de manière solennelle des droits qui leur préexistent et que les hommes possè-
dent par nature. Cette conception comporte deux implications très importantes :
d
une part, même sil ny avait aucune déclaration des droits ou si les principes
n
étaient pas mentionnés dans le préambule de la constitution, ils simposeraient
malgré tout à lÉtat, notamment au législateur ; dautre part, même sils font
l
objet dune déclaration, ce que le juge applique lorsquil contrôle la confor-
mité de la loi aux principes, ce n
est pas le texte de la déclaration, par lequel il
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Le pouvoir
79
nest pas lié, mais les principes du droit naturel, quil a pour mission de décou-
vrir par des méthodes appropriées.
Les partisans de la deuxième conception peuvent donc faire valoir que cest
la seule dans laquelle l
État soit véritablement soumis à un droit supérieur, mais
ils se heurtent évidemment à l
objection des positivistes qui soutiennent que la
justesse dune conception ne se mesure pas à la force des justifications quelle
fonde. Encore faut-il qu
elle repose sur des idées vraies et que lon prouve, ce
qui est impossible, que les principes du droit naturel existent réellement.
§ 2. LÉtat et lespace, les formes dorganisation de lÉtat
66. Il importe dabord déviter une confusion courante entre la forme dor-
ganisation de l
État et la forme de son gouvernement. La forme de gouverne-
ment est déterminée par le nombre des titulaires du pouvoir et la manière dont
ils sont désignés. La forme d
organisation de lÉtat est la forme de lordre juri-
dique de l
État, lespace de validité territoriale de ses normes et la manière dont
elles sont posées. Dans un ordre juridique, sauf s
il sagit de lordre juridique
d
un État minuscule, toutes les normes nont pas la même sphère de validité
territoriale. Certaines sont valables et s
imposent sur tout le territoire national,
d
autres seulement sur une portion de ce territoire. En France par exemple, les
lois s
imposent sur lensemble du territoire, mais certaines décisions ne sim-
posent que sur le territoire du département ou sur celui de la commune. Par
convention et pour faciliter l
exposé, on appellera les premières « normes
nationales » et les secondes « normes locales ». La question de la forme d
or-
ganisation de l
État concerne dabord la répartition des matières entre celles
qui sont régies par les normes nationales et celles qui le sont par les normes
locales ainsi que la manière dont sont posées ces dernières normes.
La distinction entre la forme dorganisation de lÉtat et la forme de son gou-
vernement permet de comprendre
encore que la forme de lÉtat influe dans
une certaine mesure sur celle de son gouvernement
que des États dont la
forme d
organisation est semblable soient régis par des procédés gouvernemen-
taux différents et
à linverse que des États dont la forme de gouvernement
ou le régime politique est semblable présentent des formes d
organisation diffé-
rentes. Ainsi, avant juillet 1940, la France et l
Italie étaient deux États unitaires
(même forme d
organisation), mais la première était une démocratie représenta-
tive et l
autre une dictature fasciste (deux formes de gouvernement différentes).
Naguère, l
Union soviétique et la Pologne étaient deux États socialistes, mais le
premier était un État fédéral et le second un État unitaire.
On vient dopposer ainsi deux formes dorganisation : lÉtat unitaire et lÉtat
composé.
A LÉtat unitaire
67. Cest celui dans lequel les normes locales ne peuvent être créées quen
sont
préalables. On
nationales
quelles
normes
application
dit
de
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80
Droit constitutionnel
« conditionnées ». Il ny a donc quun seul centre de pouvoir et cest en défini-
tive la même autorité nationale, qui établit directement les normes nationales et
indirectement les normes locales.
Ainsi, en France, les lois sont nationales et les normes locales ne peuvent
être créées que si une loi nationale détermine les matières dans lesquelles elles
peuvent intervenir. Cest aussi la loi qui institue lautorité locale compétente, lui
fixe des objectifs et des limites, détermine des procédures et organise un
contrôle sur le contenu des décisions, de telle manière qu
on peut penser que
dans un tel État, les normes locales ne sont jamais que la concrétisation, compte
tenu des situations locales, des normes nationales.
Il existe cependant des différences considérables entre les États unitaires :
les uns sont dits centralisés, les autres décentralisés. Dans les États unitaires
du premier type, toutes les normes sont prises par des autorités nationales,
dites aussi
centrales. Dans les États unitaires décentralisés, les normes locales
sont prises par ceux-là mêmes qui leur seront soumis ou par des personnes
qu
ils ont élues. Cest pourquoi lon parle dans ce cas dautonomie.
On ne doit pas confondre la décentralisation et la déconcentration : dans un
État déconcentré, les normes locales sont prises, par délégation, par des agents
nommés par les autorités centrales. Ces agents font partie d
une hiérarchie
et sont soumis au contrôle de leurs supérieurs, de sorte que les sujets ne parti-
cipent en rien à la création des normes. La déconcentration est donc non une
forme de décentralisation, mais une forme de centralisation.
On comprend alors que la décentralisation soit liée à lidée démocratique.
En effet, la population d
un État nest pas homogène sur le territoire du point
de vue ethnique, linguistique, religieux ou simplement politique. Il arrive fré-
quemment qu
un groupe soit minoritaire à léchelon national, mais majoritaire
dans certaines régions. Dans un État centralisé, ce groupe serait toujours soumis
à des normes qu
il na pas voulues et qui lui sont imposées par la majorité. Dans
un système décentralisé, au contraire, il est soumis à des normes qu
il a lui-
même adoptées directement ou indirectement par des autorités élues (Mény,
1974 ; Moreau, Darcy, 1984).
Centralisation et décentralisation sont des types-idéaux, cest-à-dire des caté-
gories construites par les juristes. Dans la réalité on ne rencontre jamais ces
types à l
état pur, mais des situations intermédiaires plus proches de lun ou
de l
autre. La décentralisation est dautant plus poussée que les normes locales
portent sur des matières plus importantes, que dans ces matières les normes
nationales laissent une plus grande marge de liberté aux autorités locales et
que le contrôle exercé par les autorités nationales est moins strict.
Le degré le plus élevé de décentralisation est celui de lÉtat régional, dans
lequel les sujets des normes locales, regroupés en régions relativement vastes,
doivent leur autonomie non à la loi, mais à la constitution nationale elle-même
et cela de deux manières : d
une part, elle leur attribue une liste de matières,
que la loi nationale ne peut modifier ; d
autre part, dans certains cas, comme
celui de l
Espagne, la Constitution peut aller jusquà permettre aux régions de
déterminer elles-mêmes, dans certaines limites, lorganisation et le mode de
fonctionnement des autorités régionales. On n
est alors plus très éloigné de
l
État fédéral.
Page 81
Le pouvoir
B LÉtat composé
81
68. Les États composés sont de structures différentes selon la rigidité du lien
qui unit leurs parties composantes. On va ainsi de la confédération d
États à
l
État fédéral (Le Fur, 1896 ; Beaud, 2007).
69. La confédération dÉtats. Plusieurs États peuvent se grouper par un
traité international et constituer une communauté organisée, dite « confédération
d
États ». Les États parties au traité sont les États membres de la confédération.
Le traité constitutif de la confédération peut instituer un organe central compé-
tent pour exercer un certain nombre de fonctions énumérées de façon limitative
dans le traité. En général, cet organe n
est pas composé de députés élus, mais de
représentants des États, nommés par leurs gouvernements respectifs. La plupart
des décisions se prennent à l
unanimité, mais certaines peuvent être prises à la
majorité, si elles ne portent pas sur des questions jugées essentielles. Aussi, la
souveraineté n
appartient-elle pas à la confédération, qui nest pas elle-même un
État, mais continue de résider dans les États membres (Kelsen, 1945).
LHistoire montre plusieurs exemples de confédérations, Confédération
américaine, Confédération helvétique, Confédération de l
Allemagne du Nord.
Il s
agissait principalement pour les États membres dexercer en commun des
compétences diplomatiques et militaires. Mais aucune Confédération n
a sub-
sisté très longtemps : ou bien elles se sont dissoutes ou bien les liens entre les
États membres se sont renforcés et la Confédération s
est transformée en un État
fédéral, comme dans le cas américain, voire en un État unitaire, comme aux
Pays-Bas. Cette forme d
organisation nappartient cependant pas entièrement
au passé. Elle a connu un certain renouveau à l
époque contemporaine, dabord
avec les tentatives pour réaliser la décolonisation sans rompre complètement les
liens entre l
ancienne puissance coloniale et les États qui accédaient à lindé-
pendance, puis avec les entreprises d
intégration économique, notamment avec
les Communautés européennes.
70. LÉtat fédéral. (Mouskhéli, 1931 ; Héraud, 1968 ; Rials, 1986). Il
présente un tout autre caractère. Dans ce cas, la communauté qui a été instituée
est un véritable État et cela à deux points de vue. D
abord, au sens du droit
international, c
est même le seul État qui subsiste. Lui seul, à lexclusion des
États membres, peut normalement entretenir des relations internationales.
Ensuite, au sens du droit interne, l
État fédéral se dote dune constitution et
exerce les trois fonctions de tout État, les fonctions législative, exécutive et juri-
dictionnelle. Quant aux États membres, ils possèdent également une constitu-
tion et exercent eux aussi les trois fonctions.
Il est commode danalyser lÉtat fédéral comme une combinaison de deux
principes :
a) le principe de participation : les États membres participent à la formation
des décisions de l
État fédéral. Il y a notamment dans tous les États fédéraux
une seconde Chambre où siègent des représentants des États membres ;
b) le principe dautonomie : les États membres établissent leur propre consti-
tution, adoptent leurs propres lois, les exécutent, désignent leurs gouvernants,
disposent d
un appareil judiciaire.
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Droit constitutionnel
Cependant, il ne faut pas croire que les structures des États membres et
celles de l
État fédéral forment deux étages superposés, mais nettement séparés.
Il n
en est rien : non seulement, sur le plan organique la Constitution fédérale
organise, comme on l
a vu, la participation des États membres à la formation
des normes fédérales, mais l
autonomie elle-même nexiste quen vertu des nor-
mes fédérales. En réalité, lordonnancement juridique densemble est hiérar-
chisé :
1o Cest la constitution de lÉtat fédéral qui détermine les compétences des
organes fédéraux, notamment de l
organe législatif et donc a contrario celles
des États membres. La Constitution fédérale énumère les matières qui relèvent
de la compétence fédérale ; toutes celles qui ne figurent pas dans la liste relèvent
des États membres. Il faut souligner que, au nombre des pouvoirs que se donne
l
État fédéral, figure celui de lever des impôts. Il ne dépend donc pas des verse-
ments des États membres. Bien au contraire, ce sont souvent ceux-ci qui reçoi-
vent des subventions de l
État fédéral.
Les États membres reçoivent donc leurs compétences dune norme fédérale,
comme les autorités locales dans un État unitaire les reçoivent d
une norme
nationale. Les conflits de compétences inévitables sont tranchés par une juridic-
tion fédérale. Même s
ils sont tranchés, ce qui est dailleurs assez rare, en faveur
des États membres, ceux-ci auront tout de même reçu leurs pouvoirs d
un
organe fédéral.
2o LÉtat membre na donc pas comme lÉtat fédéral le pouvoir de détermi-
ner les matières de sa propre compétence, ce qu
on appelle parfois la « compé-
tence de la compétence ». Il n
est pas souverain. Les auteurs qui font de la sou-
veraineté le caractère distinctif de l
État en concluent par conséquent que lÉtat
membre n
est pas un véritable État (Rials, 1986).
3o Il est vrai que les États membres peuvent se doter dune constitution, mais
la Constitution fédérale peut fixer des limites à son pouvoir constituant et lui
interdire par exemple certains types de dispositions. Les États américains ne
pourraient pas décider d
adopter la forme monarchique ou réviser leurs consti-
tutions pour rétablir l
esclavage.
4o Les lois des États membres doivent être conformes non seulement à leurs
propres constitutions, mais également à la constitution de l
État fédéral. Ainsi,
le contrôle de constitutionnalité exercé par la Cour suprême des États-Unis
porte avant tout sur les lois des États. Ainsi, c
est parce que des lois des États
interdisaient l
avortement que la Cour suprême a été saisie et a déclaré que ces
lois étaient contraires à la Constitution fédérale.
Dans ces conditions, il nest pas injustifié de soutenir quil ny a entre lÉtat
unitaire décentralisé et l
État fédéral quune différence de degré et non de
nature. Cela ne signifie pas que cette différence soit négligeable. Elle présente
évidemment une grande signification politique, car il est clair qu
une région qui
dispose simplement d
un pouvoir administratif autonome nest pas aussi libre
que l
État membre qui peut, même si cest en vertu de la Constitution fédérale,
légiférer sur le droit des personnes ou la politique scolaire. C
est bien pourquoi
le fédéralisme se présente souvent comme une solution possible aux problèmes
des États multinationaux. Mais du point de vue spécifiquement juridique, il faut
bien constater que dans le cas de l
État fédéral comme de lÉtat unitaire
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Le pouvoir
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décentralisé, les normes locales sont émises par des autorités autonomes confor-
mément à des normes centrales (Kelsen, 1945, p. 316).
71. Le cas de lUnion européenne. (Beaud, 2007 ; Leben, 1991).
L
Union européenne ne peut être classée dans la catégorie des États fédéraux
(v. infra no 307).
Sans doute présente-t-elle certains traits de lÉtat fédéral : éventail de pou-
voirs très larges dans les domaines d
une importance capitale, existence dorga-
nes « supranationaux », d
un Parlement européen élu au suffrage universel
direct, application directe des normes communautaires sur les territoires des
États, jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, qui
affirme la primauté de l
ordre juridique européen sur les droits nationaux.
Il lui manque cependant pour être un État fédéral un caractère essentiel : elle
n
est pas un État du tout. Le fondement de ses pouvoirs réside, malgré lemploi
dans le traité rejeté en 2005 de l
expression « constitution de lUnion euro-
péenne », non dans une constitution formelle au sens strict (v.
supra no 30),
mais dans des traités internationaux, qu
elle ne peut modifier et qui ne peuvent
être révisés que par les États qui les ont ratifiés. Elle n
est pas souveraine, dans
la mesure où elle n
a pas de compétence pour déterminer sa propre compétence,
ni celle des États et où elle ne peut exercer que les pouvoirs qui lui sont trans-
férés par les États.
Ceux-ci restent souverains. Ils ne tiennent pas leurs pouvoirs de lUnion,
mais de leur propre souveraineté et c
est en vertu de leur pouvoir souverain
qu
ils ont pu transférer des compétences à lUnion et quils pourraient les
reprendre en dénonçant les traités. D
ailleurs, en pratique, toute la logistique
de l
action politique, y compris les moyens administratifs et la force publique,
reste entre leurs mains.
Néanmoins, lUnion ne correspond quimparfaitement à la définition dune
confédération. Sans doute est-elle, comme une confédération, fondée sur des
traités et ne dispose-t-elle que des compétences qui lui ont été conférées, sans
doute, les États restent-ils souverains du point de vue du droit international,
mais ils ont consenti des limitations de compétences si importantes qu
elles
étaient incompatibles avec les dispositions de leurs constitutions qui affirmaient
le principe de la souveraineté nationale. C
est ainsi que le Conseil constitution-
nel a affirmé à plusieurs reprises que les traités portaient atteinte aux « condi-
tions essentielles d
exercice de la souveraineté nationale », notamment à propos
des traités de Maastricht et d
Amsterdam (v. infra no 494 et infra no 756). Dans
ces conditions, ils ne pouvaient être ratifiés qu
après révision de la Constitution.
Cela signifie qu
une fois cette révision intervenue, les conditions essentielles
d
exercice de la souveraineté nationale ont bien été modifiées.
Cependant, ce sont seulement les conditions dexercice de la souveraineté
qui ont été modifiées, mais la souveraineté elle-même na pas été atteinte et
aucun nouveau souverain n
est apparu. Il faut donc considérer que lUnion est
encore une organisation internationale, même si ses pouvoirs vont bien au-delà
de ceux des autres organisations internationales (Troper, 2011, p. 77 s.).
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Droit constitutionnel
Section 2
Les formes dorganisation du pouvoir
72. Si, dans toutes les sociétés humaines, il existe des phénomènes de pou-
voir, le pouvoir nest pourtant pas toujours organisé par une constitution. Cest
pourquoi il est nécessaire de distinguer deux notions : la forme de pouvoir ou de
gouvernement, d
un côté, le régime politique, de lautre. La première notion est
plus générale : puisque toutes les sociétés sont gouvernées, on peut distinguer
des types de pouvoir que la théorie politique appelle traditionnellement « for-
mes de gouvernement ».
En outre, lorsque le pouvoir est organisé selon des règles juridiques, cest-à-
dire lorsqu
il y a une constitution matérielle, on parle de « régimes politiques ».
Toutes les sociétés modernes sont ainsi organisées aujourd
hui. Ces règles ont
pour objet la répartition des compétences et l
on peut classer les régimes selon
la répartition des compétences qu
ils réalisent.
On examinera donc successivement les formes de gouvernement, le principe
moderne, selon lequel les compétences doivent être réparties, et les modes de
répartition, c
est-à-dire les régimes politiques.
§ 1. Les formes de gouvernement
73. Il existe une classification simple, employée avec quelques variantes
depuis l
Antiquité jusquau XVIIIe siècle, mais qui ne lest plus guère
aujourd
hui.
A La classification ancienne
74. Les trois formes de gouvernement. Cette classification est générale-
ment présentée non pas dans un but de pure connaissance, un but
théorique,
mais dans un but
pratique, pour tenter de prouver la supériorité de lune des
formes de gouvernement
1 sur les autres.
De ce point de vue, décrire la forme de gouvernement, cest indiquer qui est
le détenteur du pouvoir et l
on distingue ainsi, la monarchie, loligarchie et la
démocratie. La distinction la plus fréquente est fondée sur le nombre de ceux
qui gouvernent, un seul, tous ou quelques-uns. Elle est présentée de manière
semblable de l
Antiquité au XVIIIe siècle2. On appelle ainsi monarchie le gou-
vernement dun seul, démocratie le gouvernement de tous et oligarchie le gou-
vernement de quelques-uns. Mais il est aussi possible demployer un critère
qualitatif et d
appeler monarchie non pas tout gouvernement dans lequel un
1.
Le mot « gouvernement » est employé ici dans le sens très large de « gouvernement des hom-
mes », de pouvoir politique, et non pas, évidemment dans celui, que lui donnera Rousseau, de « pou-
voir exécutif ».
2.
J.-J. R
OUSSEAU, Contrat social, Livre III, chap. 3.
On peut comparer par exemple PLATON (Politique, 291 d), ARISTOTE (Politique, 1279 a) et
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Le pouvoir
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seul gouverne, mais celui où le gouvernement appartient à un homme désigné
par l
hérédité ou qui lexerce dune certaine manière, oligarchie, le gouverne-
ment des nobles ou celui des meilleurs, auquel cas on le nomme aristocratie, et
démocratie, celui du peuple.
Chacune de ces formes de gouvernement peut être préconisée pour les avan-
tages spécifiques quon lui prête ou décriée en raison de ses inconvénients. Les
arguments sont très variables, mais ils peuvent prendre la forme suivante : si le
pouvoir appartient à un seul, la décision peut être plus rapide et l
exécution plus
efficace. Mais il est aussi possible que le monarque n
agisse que pour satisfaire
ses caprices. Dans l
aristocratie, le pouvoir sera bien exercé, puisquil le sera,
par définition par les meilleurs. Cependant, on ne peut exclure que les gouver-
nants agissent exclusivement en vue de leurs intérêts égoïstes, qui ne coïncident
pas avec l
intérêt général. Dans la démocratie, ceux qui composent le peuple
refuseront les décisions qui briseraient l
égalité ou porteraient atteinte à la
liberté. Par contre, on peut craindre la longueur des débats et l
inefficacité ou
les dissensions et les guerres civiles.
Cest la raison pour laquelle de nombreux auteurs, de Polybe (201-120 av.
J.-C.) à Montesquieu, préconisent un gouvernement mixte, qui n
aurait aucun
des inconvénients des formes simples, mais réunirait les avantages de chacune.
Un gouvernement mixte serait un gouvernement dans lequel le pouvoir,
notamment le pouvoir législatif, serait partagé ou, mieux, exercé en commun
par un roi, le peuple et les meilleurs. Au
XVIIIe siècle, cette forme mixte peut
être réalisée par la
balance des pouvoirs (v. infra no 89). À lépoque contempo-
raine, tous les gouvernements se présentent comme démocratiques et la forme
mixte n
est jamais revendiquée. Cependant, certains auteurs analysent les systè-
mes dans lesquels existent des cours constitutionnelles comme des avatars du
gouvernement mixte. Dans la mesure en effet où les cours ont le pouvoir d
an-
nuler des lois, elles participent avec les parlements au pouvoir législatif. Par
conséquent, ou bien l
on continue de soutenir que le système est démocratique
et il faut dire que les cours, bien que leurs membres ne soient pas élus, repré-
sentent le peuple souverain, ou bien l
on admet que le gouvernement est mixte
parce que le pouvoir législatif est exercé en commun par les représentants du
peuple et par ceux que l
on a pris lhabitude dappeler des sages, cest-à-dire par
un élément aristocratique, au sens originel de ce terme, qui désigne une élite
fondée sur la compétence.
75. Défauts de cette classification. Il est certain que cette distinction nest
plus guère utilisée aujourd
hui. Il y a à cela plusieurs raisons. La principale est
que dans les États d
une certaine dimension physique, il est impossible de ren-
contrer la monarchie ou la démocratie. Il est en effet matériellement impossible
quun seul exerce la totalité du pouvoir, comme il est impossible que le pouvoir
soit véritablement exercé par le peuple tout entier. Si l
on persistait à employer
la distinction classique, il faudrait considérer que tous les gouvernements exis-
tant dans la réalité sont au mieux des aristocraties, au pire des oligarchies.
Dans ces conditions, il faut se résoudre ou bien à subdiviser la classe des
oligarchies et à constituer des sous-classes, ou bien à considérer quun gouver-
nement exercé par quelques-uns peut néanmoins être une monarchie, une aris-
tocratie ou une démocratie. La première solution se heurte à une difficulté
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86
Droit constitutionnel
considérable : trouver des critères satisfaisants pour distinguer des sous-classes
d
oligarchies. La seconde est plus facile à mettre en œuvre ; il suffit de décider
que la monarchie n
est pas le gouvernement dun seul, mais celui dans lequel
tous les gouvernants dérivent leurs pouvoirs d
un homme ou que la démocratie
n
est pas toujours le gouvernement du peuple, mais aussi celui dans lequel les
gouvernants dérivent leurs pouvoirs du peuple. On sera alors conduit à distin-
guer deux formes de démocratie : la démocratie directe dans laquelle le peuple
exerce lui-même le pouvoir et la démocratie indirecte ou représentative, dans
laquelle ceux qui détiennent le pouvoir l
exercent au nom du peuple et sont,
au moins pour une partie d
entre eux, élus par lui. Dans la démocratie représen-
tative, dit-on, les gouvernants sont les représentants du peuple et la volonté
qu
ils expriment nest pas la leur propre, mais celle du peuple ou encore ce
qu
il est convenu dappeler la « volonté générale ».
Cette conception a cependant fait lobjet de vives critiques. La plus radicale
a été formulée par J.-J. Rousseau. Elle est fondée sur l
impossibilité de repré-
senter la volonté. Je peux dire en effet : « ce que cet homme veut aujourd
hui, je
le veux aussi. En exprimant sa volonté, il exprimera donc en même temps la
mienne ». Mais je ne peux pas dire : « ce que cet homme voudra demain, je le
voudrai aussi », parce que j
ignore au moment où je parle ce que nous voudrons
demain l
un et lautre3. La volonté quil exprimera demain ne sera donc pas la
mienne. «
La volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ;
il n
y a point de milieu »4.
Aussi, la représentation nest-elle quune fiction, car, à supposer que le peu-
ple possède une volonté, il n
y a aucun moyen de sassurer que cest bien elle
qui est exprimée par les représentants. On ne peut pas comparer la volonté des
représentants à celle du peuple, parce qu
on ne peut connaître la seconde indé-
pendamment de la première. La volonté des représentants est
présumée ou cen-
sée être celle du peuple. Mais, la réalité est que la volonté exprimée par les
représentants est bien la leur et que, par conséquent, la démocratie représenta-
tive nest pas une espèce de démocratie, mais une espèce daristocratie
(Gaxie, 2000).
Il faut observer en outre que, en parlant de démocratie représentative, on a,
chemin faisant, abandonné la conception initiale de la « forme de gouverne-
ment » : une forme de gouvernement n
est plus définie par le nombre ou le
genre des détenteurs du pouvoir, mais par la manière dont ils sont nommés ou
simplement par le type de justification donnée au système d
attribution du pou-
voir. La nouvelle classification remplit ainsi, une fonction non pas scientifique,
mais idéologique : elle ne sert pas la connaissance, mais joue un rôle politique.
Elle veut faire accepter la démocratie représentative en la faisant passer pour
une forme de démocratie.
Du contrat social (1re version), Livre I, chapitre 4, dans lédition de la Pléiade des Œuvres com-
3.
plètes, tome III, p. 295.
4.
Du contrat social, Livre III, chap. 15, « Des députés ou représentants ».
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Le pouvoir
87
B Les classifications contemporaines
76. Autocratie et démocratie. La classification la plus achevée est celle
de Hans Kelsen (Kelsen, 1945, p. 283 et s.). Elle est aujourd
hui largement
employée. Kelsen souligne qu
elle découle dune opposition faite par la théorie
du droit entre deux types de rapports entre les hommes : ou bien les normes sont
produites par ceux-là mêmes qui y sont soumis
cest lautonomie ou bien
elles sont produites par d
autres, quel que soit leur nombre cest lhétérono-
mie
. Sur le plan constitutionnel, les normes dont il est question sont principale-
ment les lois, ce qui conduit à distinguer la démocratie et l
autocratie. Il y a
donc deux formes de gouvernement et non plus trois. Cette distinction prend
pour critère la liberté. Un homme est libre, s
il fait ce quil veut, sil se soumet
à sa propre volonté. Il est donc libre s
il est soumis seulement à des lois quil a
contribué à faire. La démocratie est ainsi un système de liberté parce que les lois
sont faites par tous ceux qui leur sont soumis. À l
opposé, dans le système de
l
autocratie, les lois sont faites par dautres et il ny a pas de coïncidence entre la
volonté de ceux qui font les lois et celle de celui qui doit lui obéir.
Démocratie et autocratie ne sont que des types-idéaux, cest-à-dire des sys-
tèmes que l
on ne rencontre jamais tout à fait dans la réalité. Ce sont des cons-
tructions intellectuelles, mais on peut s
en servir pour décrire la réalité, parce
que les gouvernements réels se rapprochent plus ou moins de l
un ou de lautre
type. On peut alors parler de démocratie représentative, comme d
une forme
intermédiaire entre l
autonomie et lhétéronomie. Elle présente des traits com-
muns avec les deux types-idéaux. Avec l
hétéronomie dabord : dune part, il
existe rarement une unanimité totale, mais, sur presque toutes les questions,
une majorité et une minorité, si bien que pour la minorité, les lois sont néces-
sairement hétéronomes ; d
autre part, les lois sont faites non par les sujets, mais
par leurs représentants et l
on a vu que la représentation est une fiction. De plus,
il existe certains traits communs avec la démocratie, notamment dans la mesure
où ceux qui émettent les normes sont élus et tiennent compte de la volonté
réelle des électeurs, qui sont aussi les sujets.
77. Totalitarisme et libéralisme. Il sagit ici non plus dopposer les formes
de gouvernement en prenant pour critère la manière dont les normes, spéciale-
ment législatives, sont produites, mais, en étendue et en profondeur, les matières
que régissent ces normes. Les systèmes libéraux sont ceux dans lesquels ces nor-
mes ne portent que sur certaines matières et dans ces matières seulement sur les
principes fondamentaux laissant le reste à l
autonomie des personnes privées. Ces
systèmes préservent donc la liberté de ces personnes. La liberté dont il est ici
question est d
une part lensemble des libertés appelé « libertés publiques » ou
« droits de lHomme », dautre part la liberté économique.
Dans les systèmes totalitaires, au contraire, il existe un très grand nombre de
normes, produites par le pouvoir politique et qui régissent tous les domaines de
la vie, de sorte que la marge laissée à l
autonomie, cest-à-dire à la liberté des
individus est très faible.
De nombreux auteurs opposent lÉtat et la société civile. LÉtat est, dans ce
contexte, l
ensemble des institutions productrices de normes hétéronomes de
l
État stricto sensu. Quant à la société civile, cest
niveau élevé. C
est
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88
Droit constitutionnel
lensemble des hommes, envisagé de manière distincte de lÉtat. Le libéralisme
est alors le système qui maintient la distinction de l
État et de la société civile,
tandis que dans le système totalitaire, l
État envahit complètement la sphère de
la société civile.
La distinction du totalitarisme et du libéralisme ne coïncide pas avec celle de
la démocratie et de lautocratie. On ne doit pas confondre démocratie et libéra-
lisme, ni société totalitaire et autocratie. On peut en effet concevoir un système
à la fois démocratique et totalitaire, dans lequel la loi, adoptée par le peuple,
limite les libertés individuelles. Cependant, un tel système ne se rencontre
guère dans la réalité, quoique l
on ait parfois analysé de cette manière le sys-
tème soviétique. En revanche, on peut non seulement concevoir, mais aussi
découvrir dans le monde réel un système autocratique et libéral, dans lequel
les lois sont adoptées de façon hétéronome, mais préservent les libertés indivi-
duelles. Ce système correspondait à l
idéal politique de certains philosophes des
Lumières, partisans du « despotisme éclairé ».
78. Gouvernement pluraliste et gouvernement moniste. Dans certaines
formes de gouvernement, la compétition pour l
exercice du pouvoir est permise
et même organisée. On parle alors de gouvernements « pluralistes ». Dans d
au-
tres cas, cette compétition est interdite. Il s
agit de gouvernements « monistes »
ou « monocratiques ».
Les gouvernements pluralistes, appelés aussi « ouverts », sont des systèmes
dans lesquels plusieurs hommes ou plusieurs groupes d
hommes participent à la
compétition pour le pouvoir de façon légitime, c
est-à-dire non pas clandestine-
ment et par la force, mais ouvertement et dans les formes légales. Ceux qui
l
emportent ne détiendront le pouvoir que pour un temps, au terme duquel la
compétition reprendra. Dans l
intervalle, ils néliminent pas leurs rivaux, qui
jouissent de certains droits, notamment pour leur permettre d
engager à nou-
veau la lutte politique.
Ce système ne se confond pas avec la démocratie. Certes, plusieurs démo-
craties représentatives modernes sont pluralistes, mais certains gouvernements,
qui se présentent aussi comme des démocraties ne sont pas pluralistes. Il ne se
confond pas non plus avec le libéralisme, comme le montre encore une fois
l
exemple du despotisme éclairé.
À linverse, le gouvernement moniste ou « pouvoir clos » est un système
dans lequel aucune compétition pour le pouvoir n
est juridiquement permise.
Dans les États modernes, le type le plus répandu du pouvoir clos, mais il est
loin d
être le seul, est réalisé grâce au parti unique. Le pouvoir clos nest pas
nécessairement totalitaire, ni autoritaire, quoiqu
il le soit fréquemment.
79. Concentration ou partage du pouvoir. On peut encore opposer les
systèmes dans lesquels le pouvoir est concentré entre les mains dun homme ou
d
un groupe et celui dans lequel il est partagé, divisé ou séparé tous ces termes
sont équivalents
entre plusieurs, qui peuvent sopposer les uns aux autres.
Là encore, on est en présence dune classification qui ne coïncide pas avec
les autres, mais peut se combiner avec elles. Ainsi, on constate dabord que,
dans chacune des trois formes de gouvernement selon la classification ancienne,
le pouvoir était concentré entre les mains du roi dans la monarchie, dans les
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Le pouvoir
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meilleurs dans laristocratie et dans le peuple dans la démocratie. Cest seule-
ment dans le gouvernement mixte que le pouvoir est partagé.
Il en va de même, avec lopposition autocratie-démocratie, car le pouvoir est
concentré dans ces deux formes de gouvernement. La distinction du totalita-
risme et du libéralisme ne coïncide pas non plus avec l
opposition concentra-
tion-partage du pouvoir. Certes, le partage du pouvoir est souvent justifié de
manière instrumentale et présenté comme un moyen de garantir et de préserver
les libertés. Mais il n
y a là aucun rapport nécessaire et, comme on la vu avec
l
exemple du despotisme éclairé, il est possible quun pouvoir concentré entre
les mains d
un seul soit exercé de manière libérale, tandis quon peut concevoir
qu
un pouvoir totalitaire soit partagé entre plusieurs groupes.
On constate ainsi quon peut, en combinant les classifications, définir un
régime concret. On peut dire par exemple que dans le système nazi, le pouvoir
était concentré, autoritaire et totalitaire, que dans le monde occidental d
au-
jourd
hui il saffirme tantôt comme partagé et libéral, tantôt comme démocra-
tique et libéral, tandis que le gouvernement des États socialistes se donnait
comme démocratique, concentré et antilibéral.
La dernière distinction est cependant la plus importante du point de vue du
droit constitutionnel, car c
est la seule qui prenne pour critère les compétences
normatives des organes de l
État. Elle est enseignée dans la science du droit
constitutionnel sous le nom de principe de la séparation des pouvoirs.
§ 2. Le principe de la séparation des pouvoirs
80. « La séparation des pouvoirs » est avant tout un principe de technique
constitutionnelle destinée à éviter le despotisme et à garantir la liberté. Tous les
auteurs hostiles au despotisme en préconisent donc lapplication, mais tous
cependant ne le conçoivent pas de la même manière et lon peut en distinguer
deux interprétations très différentes, au point qu
on doit considérer quil sagit
en réalité de deux principes et même de deux doctrines radicalement différentes.
On exposera d
abord celle qui a été professée par les juristes modernes, depuis
la deuxième moitié du
XIXe siècle et quon appellera par commodité, parce
qu
elle est acceptée par un très grand nombre dauteurs, la doctrine tradition-
nelle, puis les critiques qui peuvent être formulées contre cette thèse et enfin
la doctrine du
XVIIIe siècle, qui a marqué les constitutions de lépoque révolu-
tionnaire.
A La doctrine traditionnelle
81. Selon cette doctrine, le principe est lui-même composé de deux règles
distinctes, la règle de la spécialisation et la règle de l
indépendance, dont la
combinaison doit procurer le résultat souhaité, la liberté.
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90
Droit constitutionnel
1. La règle de la spécialisation
82. LÉtat exerce ou doit exercer trois activités : il fait la loi, il lexécute et il
tranche les litiges. Il a donc trois
fonctions, législative, exécutive et juridiction-
nelle. Selon une variante de cette doctrine, ces fonctions sont au nombre de deux
seulement, la fonction exécutive étant subdivisée elle-même en une fonction
administrative et une fonction juridictionnelle. Quoi quil en soit, il y aura trois
autorités ou organes de l
État (ou seulement deux si lon nadmet que deux fonc-
tions) et chacun d
eux sera spécialisé dans lexercice de lune des fonctions.
Cette spécialisation signifie que chacune des autorités devra exercer une fonc-
tion, mais qu
elle ne devra en exercer quune seule, mais lexercer tout entière.
En revanche, elle ne devra se mêler d
aucune manière des autres fonctions.
Dans une version forte de la doctrine, on considère que chaque autorité ou
organe est investi d
un pouvoir spécifique, nécessaire à lexercice de sa fonction
et on le désignera par le nom de ce pouvoir. Il y aura donc un pouvoir législatif,
un pouvoir exécutif, un pouvoir judiciaire.
2. La règle de lindépendance
83. Mais, les pouvoirs ne resteraient pas longtemps spécialisés si lun deux
pouvait exercer des pressions sur le titulaire de l
autre. Si par exemple, le pou-
voir exécutif pouvait nommer et révoquer à sa guise les titulaires du pouvoir
législatif, c
est lui qui exercerait indirectement ce pouvoir et il ny aurait plus
de spécialisation. Il faut donc que les autorités ou organes soient mutuellement
indépendants, ce qui signifie en pratique que les individus qui composent cha-
cune de ces autorités ne doivent pas être nommés par les autres organes et sur-
tout qu
ils ne doivent pas être discrétionnairement révocables par eux. Cela
interdit donc notamment la responsabilité ministérielle et la dissolution. On rat-
tache parfois à cette règle l
interdiction de contacts physiques entre les organes
ainsi, linterdiction pour un membre de lExécutif de prendre la parole dans
les assemblées
et lindépendance financière aucune autorité ne devant atten-
dre ses crédits de la bonne volonté d
une autre , et même une prescription de
sécurité militaire, chaque autorité devant disposer d
une garde armée distincte
pour se prémunir contre les tentatives violentes des autres.
3. Le résultat attendu
84. Le résultat, attendu de la combinaison des deux règles est que, selon une
formule reprise de Montesquieu par la plupart des auteurs, « le pouvoir arrête le
pouvoir » : une tentative de l
une des autorités pour devenir despotique se heur-
terait immédiatement à lopposition dune autre autorité. Le pouvoir législatif et
le pouvoir exécutif se feront mutuellement équilibre de sorte que la liberté des
sujets sera préservée.
B Les critiques à la doctrine traditionnelle
85. La doctrine traditionnelle sest dabord heurtée à des critiques diverses et
d
ailleurs incompatibles entre elles, liées à la théorie de la souveraineté : la
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Le pouvoir
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séparation des pouvoirs ainsi entendue est contraire au principe fondamental de
l
indivisibilité de la souveraineté. Par conséquent ou bien lunité de la souverai-
neté se reconstitue nécessairement au profit de l
un ou lautre des pouvoirs et le
but est manqué, ou bien les tentatives pour briser la souveraineté n
aboutissent
qu
à la détruire et comme il ny a pas dÉtat sans souveraineté, cest lanarchie.
Dautres donnent à leurs objections une apparence plus instrumentale et sou-
tiennent ou bien que les conflits se résoudront par des coups dÉtat ou bien que
les oppositions entre les pouvoirs aboutiront à paralyser l
État. On verra cepen-
dant que cette dernière objection ne peut être retenue, compte tenu de la critique
décisive de Raymond Carré de Malberg.
La démonstration de Carré de Malberg est dune grande simplicité : tout
d
abord, comment des pouvoirs spécialisés et indépendants et pour ainsi dire
sans aucun contact les uns avec les autres, pourraient-ils s
arrêter lun lautre
et se faire équilibre ? Un tel équilibre serait déjà difficilement concevable si
les fonctions qu
ils exercent étaient équivalentes. Mais elles ne le sont pas et il
est même tout simplement absurde de prétendre que l
activité qui consiste à
faire les lois pourrait être équivalente à celle qui consiste à les exécuter. En
réalité, l
exécution est bien évidemment, par définition même, subordonnée à
la législation. Mais alors, si les fonctions sont ainsi hiérarchisées et les organes
spécialisés, il s
ensuit naturellement que celui qui exerce la fonction la plus éle-
vée est supérieur aux autres. Selon la formule de Carré de Malberg, la hiérarchie
des organes suit la hiérarchie des fonctions et jamais un pouvoir subordonné ne
pourra arrêter un pouvoir supérieur (Carré de Malberg, 1922, t. II, p. 109-142).
À ces critiques, il importe d
en ajouter deux autres : en premier lieu, la
séparation des pouvoirs que décrit la doctrine traditionnelle est généralement
imputée à Montesquieu, quoique certains auteurs en cherchent les germes chez
des auteurs antérieurs, Locke ou Bolingbroke. Or, comme l
a montré Charles
Eisenmann de manière irréfutable, le système préconisé par Montesquieu est
en réalité entièrement différent et même radicalement opposé à celui de la
séparation des pouvoirs (Eisenmann, 1933 ; Troper, 1980).
Il reste cependant que lon trouve dans le texte de nombreuses constitutions
ou des déclarations des droits, des références à la « séparation des pouvoirs ».
La plus célèbre et la plus importante est celle de l
article 16 de la Déclaration
des droits de l
Homme de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits nest pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée na point de
constitution. » Comment comprendre dans ces conditions, quun principe aussi
absurde ait pu trouver une consécration aussi solennelle ? Comment peut-on
concevoir qu
un principe, étranger à Montesquieu, ait été brusquement inventé
et érigé au niveau d
un dogme de politique constitutionnelle ?
Deux sortes dexplications peuvent alors être avancées : selon la première,
les hommes de la Révolution française auraient mal lu lEsprit des Lois ; alors
que Montesquieu entendait le principe d
une manière souple, les révolutionnai-
res en auraient, par esprit de système, donné une interprétation rigide.
Selon la seconde explication, envisagée sous langle historique la séparation
des pouvoirs dont il est question dans la Déclaration des droits de l
Homme de
1789 na aucun rapport avec la séparation des pouvoirs de la doctrine
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Droit constitutionnel
traditionnelle. Les termes sont les mêmes, mais il sagit dune doctrine diffé-
rente. L
expression a tout simplement, depuis cette époque, changé de sens.
C La séparation des pouvoirs au XVIIIe siècle
86. En réalité, ce quon entend par séparation des pouvoirs au XVIIIe siècle
et cela dune manière unanime cest un principe entièrement négatif. Lors-
qu
on recommande la séparation des pouvoirs, on nindique pas de quelle
manière les fonctions doivent être réparties, mais seulement de quelle manière
elles ne doivent pas l
être.
Les auteurs du XVIIIe siècle partent dune distinction des fonctions et formu-
lent ensuite le principe dans des termes analogues.
1. La distinction des fonctions législative et exécutive
87. Elle est ancienne, en tout cas antérieure à Montesquieu, car on la trouve
formulée dans des termes semblables chez Locke. Elle découle en réalité d
une
métaphore anthropomorphique : de même qu
on distingue chez lHomme la tête
et les bras ou la volonté et l
action, de même on distingue dans lÉtat le pouvoir
législatif, qui est la volonté et le pouvoir exécutif, qui est l
action. Parfois, lon
distingue une troisième fonction, la fonction juridictionnelle, qu
on appelle
aussi parfois « judiciaire » et qu
on présente comme une espèce de fonction exé-
cutive ; c
est lexécution des lois dans le but de trancher des litiges.
Cest cette distinction que formule à peu près Montesquieu lorsquil écrit :
«
Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la
puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens et la puissance
des choses qui dépendent du droit civil. Par la première, le prince ou le magis-
trat fait des lois pour un temps ou pour toujours et corrige ou abroge celles qui
sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des
ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit
les crimes ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la
puissance de juger et l
autre simplement la puissance exécutrice de lÉtat »
(
Esprit des Lois, Livre XI, chap. 6).
Mais cest Rousseau qui la présente de la manière la plus claire « Toute
action libre a deux causes qui concourent à la produire, l
une morale, savoir
la volonté qui détermine l
acte, lautre physique savoir la puissance qui lexé-
cute. Quand je marche vers un objet, il faut premièrement que j
y veuille aller ;
en second lieu que mes pieds m
y portent. Quun paralytique veuille courir ;
quun homme agile ne le veuille pas ; tous deux resteront en place. Le corps
politique a les mêmes mobiles, on y distingue de même la force et la volonté,
celle-ci sous le nom de puissance législative, l
autre sous le nom de puissance
exécutive. Rien ne s
y fait ou ne doit sy faire sans leur concours » (Contrat
social
, Livre III, chap. 1).
Cette distinction implique clairement la reconnaissance dune hiérarchie
entre les deux fonctions puisque l
exécution est évidemment subordonnée à la
création.
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Le pouvoir
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2. Le contenu du principe de la séparation des pouvoirs : la règle négative
ou linterdiction du cumul
88. Il est extrêmement simple : il ne faut pas remettre tous les pouvoirs à un
même individu ou un même groupe d
individus. Cest ce principe quénonce
Montesquieu : « Lorsque dans la même personne ou le même corps de magis-
trature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n
y a
point de liberté, parce qu
on peut craindre que le même monarque ou le
même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement
».
Montesquieu ne lavait dailleurs ni inventé ni découvert. On le trouve déjà
chez Locke : «
Ce serait provoquer une tentation trop forte pour la fragilité
humaine, sujette à l
ambition que de confier à ceux-là même qui ont déjà le
pouvoir de faire les lois, celui de les faire exécuter
».
Il est dailleurs frappant de constater que Rousseau, souvent considéré
aujourd
hui comme un adversaire de Montesquieu et de la séparation des pou-
voirs, énonce une formule semblable : «
il nest pas bon que celui qui fait les
lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues géné-
rales pour les donner aux objets particuliers
».
Cest donc une doctrine unanimement acceptée au XVIIIe siècle et il faut en
souligner trois aspects :
En premier lieu, le principe est seulement négatif : il ne faut pas donner tous
les pouvoirs à un seul, parce qu
il en abuserait. Il faut éviter à tout prix le
cumul, qui serait le despotisme même. Autrement dit, il faut absolument que
les pouvoirs soient répartis
ou, dans la langue du XVIIIe siècle, « séparés » ou
« divisés » ou encore « distribués »
entre plusieurs autorités. Peu importe de
quelle manière ils seront séparés
cela sera lobjet dun autre principe pourvu
qu
ils le soient.
En deuxième lieu, le principe ne se confond nullement avec la règle de la
spécialisation. Certes, s
il y a deux autorités spécialisées lune dans la fonction
législative et l
autre dans la fonction exécutive, linterdiction du cumul sera res-
pectée, mais elle le sera également si l
on adopte un autre mode de répartition,
si par exemple on donne à une autorité une partie d
une fonction et une partie
d
une autre. La spécialisation est donc lune des manières dont on peut satisfaire
au principe, l
un des procédés possibles de répartition des fonctions, mais seu-
lement l
un deux.
En troisième lieu, il nest évidemment question ici ni dindépendance, ni
d
équilibre, mais dès lors que les pouvoirs sont répartis entre plusieurs, quelle
que soit la manière dont ils le sont, le despotisme est impossible, ne serait-ce
que parce que celui qui exécute ne peut pas modifier la loi au gré de ses capri-
ces. Il ne peut quexécuter une loi antérieure. Celui qui lui obéit nobéit en défi-
nitive quà la loi, ce qui est la définition de la liberté.
89. Séparation des pouvoirs et classification des régimes politiques. On
peut utiliser le principe de la séparation des pouvoirs pour classer les régimes
politiques. On peut d
abord opposer ceux dans lesquels le pouvoir est tout entier
concentré entre les mains dun homme ou dun groupe dhommes et ceux dans
lesquels il existe une séparation des pouvoirs. Les difficultés commencent lors-
qu
il sagit de distinguer parmi les régimes de séparation des pouvoirs.
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Droit constitutionnel
1) La doctrine moderne, on la vu, comprend la séparation des pouvoirs
comme un système dans lequel des organes spécialisés et indépendants se font
équilibre. Elle oppose alors les systèmes dans lesquels le principe est appliqué
de manière rigide et ceux qui admettent quelques assouplissements ou quelques
exceptions. Dans la première catégorie, elle place la Constitution américaine de
1787, les constitutions françaises de 1791 et de lan III et quelquefois celle de
1848, et dans la seconde catégorie, toutes les autres.
Cette classification présente plusieurs inconvénients. En premier lieu, elle
est fondée sur une conception discutable de la séparation des pouvoirs, puisqu
il
est impossible de réaliser un équilibre entre un pouvoir législatif et un pouvoir
exécutif spécialisés. En deuxième lieu, elle laisse en dehors de la classification
les systèmes qui rejettent le principe de la séparation des pouvoirs ainsi entendu,
par exemple le système soviétique, ou qui reposaient sur une tout autre concep-
tion de ce principe, comme la constitution française de 1793 (v.
infra no 329).
En troisième lieu, elle rend impossible tout classement rigoureux parce que la
séparation rigide n
est réalisée en pratique dans aucun régime politique, de sorte
que tous les systèmes lui apportent nécessairement des exceptions et peuvent
ainsi être indifféremment placés dans l
une ou lautre catégorie. On le voit
bien à propos du régime américain, considéré tantôt comme un système de
séparation souple dans les manuels de droit américain, tantôt comme un sys-
tème de séparation rigide des pouvoirs, dans les manuels français.
2) Au XVIIIe siècle, comme ce principe était compris uniquement de manière
négative
il se borne à indiquer de quelle manière les fonctions ne doivent pas
être attribuées
on comprenait quil devait être complété par un principe posi-
tif. S
il existait un accord très général sur le principe négatif, deux procédés
positifs de répartition des compétences avaient chacun leurs partisans.
Le premier et le plus simple consistait à spécialiser les autorités, lune dans
la fonction législative, l
autre dans la fonction exécutive. Il devait en résulter, en
raison de la hiérarchie des fonctions, une subordination de l
autorité exécutive
au pouvoir législatif. Ce système est préconisé par les démocrates, parce que le
pouvoir législatif devait, dans leur esprit, être le peuple lui-même ou ses repré-
sentants. C
est donc celui qui est exposé par Rousseau et ses successeurs. Dans
le vocabulaire du XVIII
e, il est parfois appelé dun terme, qui aujourdhui a une
signification radicalement différente, celui de « séparation absolue des pou-
voirs ».
Le second système, appelé balance des pouvoirs est plus complexe : ses par-
tisans reprochent au procédé de la spécialisation d
être instable. En effet, sou-
tiennent-ils, le pouvoir législatif exercera une prédominance si forte sur l
autorité
exécutive, qu
il sera en mesure de concentrer entre ses mains lexercice des deux
fonctions, cest-à-dire de devenir despotique. Ce système ne pourrait se mainte-
nir que par la vertu des gouvernants. Mais, si l
on connaît les hommes et leurs
passions, on ne peut raisonnablement compter qu
ils seront durablement ver-
tueux. Il faut donc, estiment-ils, construire un système stable, un système si
bien construit qu
il ne puisse être détruit, quelles que soient les passions des
hommes. Mieux, ce système doit être fondé non sur la vertu, mais sur les vices.
La solution est inspirée de la constitution anglaise, une constitution anglaise
idéalisée, telle que, à la suite de Montesquieu, la décrivent de très nombreux
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Le pouvoir
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auteurs. Elle consiste à réaliser un équilibre, non pas entre un pouvoir législatif
et un pouvoir exécutif, ce qui est évidemment impossible, mais entre plusieurs
autorités, qui participent toutes à la fonction législative. Ces autorités sont donc
des organes législatifs partiels. Dans la Constitution anglaise, ces trois autorités
sont une Chambre élue, la Chambre des communes, une Chambre nobiliaire, et,
grâce à un droit de veto, le roi, qui exerce par ailleurs, mais seul, la fonction
exécutive.
Dans ce système, il ny a pas de spécialisation, puisque le roi exerce entiè-
rement une fonction et participe à l
exercice dune autre, mais le principe de la
séparation des pouvoirs est préservé, puisque aucune autorité n
exerce tous les
pouvoirs. L
équilibre se maintiendra entre les trois organes législatifs, dont les
intérêts politiques et économiques sont opposés. Il sera par exemple impossible
aux deux Chambres d
usurper le pouvoir exécutif, parce que si elles proposent
une loi en ce sens, le roi, titulaire d
un pouvoir exécutif quil voudra défendre,
s
y opposera immanquablement.
On peut donc classer les constitutions de la fin du XVIIIe siècle et du début
du
XIXe siècle selon quelles réalisent une spécialisation ou une balance des
pouvoirs. Dans la première catégorie, on ne trouvera d
ailleurs guère que la
Constitution de 1793, dans la seconde la Constitution américaine de 1787, la
Constitution française de 1791, les chartes, la Constitution belge de 1830 et de
nombreuses autres. La Constitution française de l
an III, qui a entendu réaliser
un équilibre, mais entre les Chambres seulement, appartient à un type intermé-
diaire (v.
infra no 330).
Cette classification nest cependant pas utilisable pour les régimes moder-
nes, notamment parce que ceux-ci, lorsqu
ils entendent réaliser un équilibre,
ne prétendent plus le faire par le partage du pouvoir législatif, mais par des
techniques d
action réciproques, que la classification du XVIIIe siècle ne prenait
pas en compte. Il faut donc envisager les classifications modernes.
90. Les formes modernes de séparation des pouvoirs. On utilise aussi
aujourd
hui lexpression « séparation des pouvoirs » dans dautres sens multi-
ples et à vrai dire pas toujours très rigoureux.
Il sagit dabord dun sens très large, proche du principe négatif, par lequel
on désigne une répartition des compétences jugée protectrice de certaines liber-
tés. Ainsi, on appelle quelquefois séparation verticale des pouvoirs une organi-
sation fédérale ou fortement décentralisée de l
État. Cette séparation est dite
« verticale » parce que les compétences sont réparties entre un État central ou
fédéral et les collectivités qui en sont les composantes. L
expression est cepen-
dant trompeuse si elle conduit à désigner la séparation traditionnelle des pou-
voirs législatif et exécutif comme une séparation « horizontale », cest-à-dire
entre pouvoirs égaux. Mais, employée seule, elle indique bien que les pouvoirs
peuvent être législatifs, exécutifs, juridictionnels, voire constituants, aussi bien
au niveau des collectivités composantes qu
au niveau fédéral, et néanmoins dis-
tincts et hiérarchisés. La garantie des libertés n
est pas attendue ici dun équili-
bre entre organes, mais simplement de ce que les décisions seront en principe
adoptées de la manière la plus efficace possible et par l
autorité la plus proche
de ceux qui leur seront soumis.
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Droit constitutionnel
Mais si lon reste attaché à la distinction traditionnelle des fonctions légis-
lative, exécutive et juridictionnelle on peut parler de séparation des pouvoirs, au
sens large toujours, pour désigner non la combinaison de la spécialisation et de
l
indépendance, mais la seule spécialisation ou la seule indépendance. Il sagit
d
un usage à des fins pratiques ou à des fins théoriques lorsquil sagit de justi-
fier ou critiquer certaines pratiques. Cest ainsi que « séparation des pouvoirs »
peut signifier soit la seule spécialisation
séparation fonctionnelle soit la
seule indépendance
séparation organique. Certains disent par exemple que la
subordination du parquet au pouvoir exécutif est conforme à la séparation fonc-
tionnelle des pouvoirs, parce que les activités du parquet relèvent de la fonction
exécutive, d
autres quelle est contraire à ce principe parce quelles relèvent
plutôt de la fonction juridictionnelle. Certains invoquent le principe de sépara-
tion organique pour soutenir que les autorités exécutives doivent être mises au
moins temporairement à l
abri des poursuites judiciaires sous peine de perdre
leur indépendance. On peut d
ailleurs utiliser le principe de séparation fonction-
nelle pour soutenir le contraire, en affirmant que les autorités juridictionnelles
doivent exercer pleinement leur fonction.
Cest encore dans ce sens quon parle en France de séparation des pouvoirs
pour désigner la répartition des compétences entre les deux ordres de juridic-
tions administratives et judiciaires.
On emploie « séparation des pouvoirs » au sens large à des fins théoriques
dans la classification habituelle des régimes politiques, lorsqu
on définit le régime
présidentiel comme un régime de séparation rigide des pouvoirs : la séparation y
est considérée comme rigide, bien que les autorités ne soient pas spécialisées,
mais parce qu
elles sont mutuellement indépendantes. De même, le régime parle-
mentaire est appelé « séparation souple des pouvoirs », bien que les autorités ne
soient pas indépendantes, mais parce qu
elles sont plus ou moins spécialisées.
De même, on parle aussi de séparation des pouvoirs dans les États modernes
où certaines compétences qui étaient exercées jusque-là par le pouvoir exécutif
sont confiées par la loi à des autorités qui restent administratives mais sont orga-
niquement indépendantes du gouvernement. Il s
agit dans ce cas dune sépara-
tion de plusieurs pouvoirs exécutifs (v.
infra no 149). Mais il peut arriver que ce
soit la constitution qui institue des autorités indépendantes du gouvernement,
mais aussi du Parlement, pour leur attribuer des fonctions diverses mais qui
n
entrent pas facilement dans les cadres habituels. Dans certains États,
la
banque centrale est instituée par la constitution pour garantir qu
elle décidera
de la politique monétaire indépendamment du pouvoir politique. Plusieurs
pays d
Amérique latine connaissent une institution chargée de lorganisation
des élections et qui peut être composée de magistrats mais aussi parfois de
représentants désignés par les partis politiques.
§ 3. Les régimes politiques
91. La classification des régimes politiques ne doit pas être confondue avec
la distinction des formes de gouvernement. Certes, il arrive que l
on reproche à
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Le pouvoir
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la théorie classique des formes de gouvernement demployer des critères juridi-
ques et que l
on estime souhaitable dintégrer dans les schémas dautres élé-
ments qui ne sont pas proprement constitutionnels, mais sociaux et politiques.
Dans ce cas, on parle de « régimes politiques » pour désigner des formes politi-
ques, définies par ces éléments politiques.
Régimes politiques est alors syno-
nyme de formes de gouvernement, conçues selon telle ou telles des classifica-
tions contemporaines (v.
supra no 76 s. ; Badie et Hermet, 1990). Lorsquon
emploie l
expression en ce sens, on classe les régimes politiques selon des cri-
tères tirés de la structure sociale, du rapport de l
État et de la société, des
conceptions relatives au rôle de l
État ou encore du degré de développement
économique
5. Tel est par exemple le cas de la distinction des systèmes occiden-
taux, des systèmes socialistes et des systèmes du Tiers-monde.
Toutefois, on a coutume, dans la langue du droit constitutionnel, de parler de
régimes politiques principalement pour désigner des sous-classes au sein de la
catégorie des gouvernements dans lesquels le pouvoir est partagé (v.
supra no 74 s.).
Une telle distinction est nécessaire, car le pouvoir peut naturellement être partagé
de plusieurs manières. On peut concevoir, comme pour tout partage, qu
il soit
égal ou inégal. Si on le veut égal, on peut tenter de réaliser cette égalité par plu-
sieurs moyens. Si on le veut inégal, on peut vouloir accorder la suprématie à telle
autorité ou au contraire à telle autre. Mais il faut encore envisager les conséquen-
ces que le partage peut avoir sur le fonctionnement réel du pouvoir.
On peut encore considérer la question sous langle du constitutionnalisme,
qui vise à limiter le pouvoir par l
établissement dune constitution. Or, une
constitution n
est pas autre chose, comme on la vu, quune certaine répartition
des compétences. Les constitutions, toutes les constitutions, doivent donc pou-
voir être classées selon le type de répartition du pouvoir qu
elles réalisent. Cest
pourquoi toutes les classifications juridiques prennent pour critère différentes
interprétations du principe de la séparation des pouvoirs et les classifications
des régimes politiques portent en réalité sur les constitutions. On exposera la
classification la plus usuelle avant den entreprendre la critique.
A Exposé de la classification traditionnelle
92. Elle fait lobjet de présentations très variées, quil serait évidemment
fastidieux d
exposer dans le détail, mais on peut considérer quil sagit dabord
et avant tout d
une classification dualiste. On distingue en premier lieu les
constitutions selon qu
elles visent à réaliser un équilibre des pouvoirs ou à
accorder la prééminence à l
un deux, puis on opère des distinctions à lintérieur
de chacune de ces classes.
1. La prééminence dun organe
93. On évitera une confusion terminologique fréquente consistant à dési-
la prééminence à l
un des organes
gner les constitutions qui accordent
Ainsi, la distinction des systèmes occidentaux, des systèmes socialistes et des systèmes du Tiers-
5.
monde.
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98
Droit constitutionnel
quelles instituent, comme des régimes de « confusion des pouvoirs ». Il
existe bien des systèmes politiques dans lesquels tous les pouvoirs sont
confondus entre les mains d
un seul homme ou dun seul organe, mais on
ne doit évidemment pas prétendre classer ces régimes selon un critère tiré
de la séparation des pouvoirs. Ces systèmes correspondent à la définition
que Montesquieu donnait du « despotisme » (v. supra no 80 s.) et, selon la
classification traditionnelle des formes de gouvernement, ce sont ou bien
des monarchies ou bien des aristocraties. On suppose ici, au contraire, qu
il
y a bien une séparation des pouvoirs, c
est-à-dire une constitution matérielle.
Il n
y a donc pas confusion des pouvoirs, mais seulement prééminence don-
née à l
un des organes. Il peut sagir soit dune assemblée, soit dun collège
restreint.
a) Prééminence dune assemblée
94. Ce système est appelé tantôt « gouvernement conventionnel » tantôt gou-
vernement ou « régime d
assemblée » (Bastid, 1956 ; Le Pillouer, 2004). Il com-
prend en réalité au moins trois types très divers.
Il sagit dabord du régime effectivement pratiqué en France par la Conven-
tion nationale de 1792 à 1795 et c
est de lui que dérive lexpression « gouver-
nement conventionnel » (v.
infra no 313 s., Troisième Partie, Chapitre 1). Cest
pourquoi, d
ailleurs, cette expression est inadéquate. Le régime pratiqué à ce
moment est en effet atypique, car c
est le seul régime dassemblée où a été réa-
lisée une réelle « confusion des pouvoirs ». D
où la tendance, erronée comme
on l
a vu, à considérer que le régime dassemblée est toujours un régime de
confusion des pouvoirs.
La concentration très réelle des pouvoirs durant cette période était justifiée
de deux manières. D
une part, la Convention était une assemblée constituante et
dans le vide institutionnel, les pouvoirs qui n
avaient pas encore été répartis,
étaient encore entre ses mains et devaient bien être exercés (Le Pillouer,
2005). D
autre part, la France était dans une situation de péril extrême et lon
ne pouvait espérer y faire face que par des moyens exceptionnels. La Conven-
tion a donc estimé qu
il lui fallait exercer la dictature au sens romain du mot.
On place parfois encore dans la catégorie des régimes d
assemblée celui qui
était prévu par la Constitution française de 1793, adoptée par la Convention
nationale. Si l
on entend par là que cette constitution instituait une confusion
des pouvoirs, c
est une erreur, car le constituant de 1793 proclamait son atta-
chement à la séparation des pouvoirs et réalisait effectivement cette séparation
(Troper, 1980). Si, en revanche, « régime d
assemblée » signifie simplement
prééminence d
une assemblée sur les autres organes, alors la qualification est
correcte.
Il y a un troisième régime que les auteurs placent ou non dans cette catégo-
rie, selon les critères qu
ils emploient. Cest celui de la Suisse. Si lon sen tient
à la lettre de la Constitution, on peut constater à la fois que l
Assemblée fédérale
l
organe prépondérant, notamment parce que cest elle qui désigne et
est
contrôle le Conseil fédéral, et que pourtant celui-ci est indépendant. Selon que
l
on sattache à lun ou lautre trait, on dira ou bien que la constitution suisse
organise un régime d
assemblée ou bien quelle réalise une variété de séparation
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Le pouvoir
99
des pouvoirs quon appelle le régime « directorial » (Lauvaux, 1998). Si, cest la
pratique qu
on examine, alors on peut estimer que la constitution helvétique
n
appartient pas du tout à cette catégorie et que cest en réalité le Conseil fédéral
qui est l
organe prépondérant, ce qui conduirait à le classer ou bien dans les
systèmes de séparation des pouvoirs et même de séparation rigide ou bien
dans la catégorie suivante, celle des systèmes avec prééminence du gouver-
nement.
On appelle parfois régimes dassemblée les systèmes parlementaires, conçus
comme des systèmes d
équilibres, mais dans lesquels une assemblée exerce en pra-
tique une très grande prépondérance, comme par exemple la III
e ou la IVe Répu-
blique (v.
infra no 360 s., infra no 393, infra no 413 s.).
Enfin, on devrait en bonne logique, trouver dans cette catégorie les régimes
des pays socialistes, dont les constitutions rejetaient le principe « bourgeois » de
la séparation des pouvoirs et accordaient en effet la prééminence aux assem-
blées. Pourtant, la plupart des auteurs répugnent à ce classement, parce que le
siège réel du pouvoir ne se trouvait évidemment jamais dans ces assemblées, si
bien que certains estiment qu
il sagit dun cas de prééminence du gouver-
nement.
b) Prééminence du gouvernement
95. Comme dans le cas précédent, la doctrine place dans une même classe
toutes sortes de régimes dans lesquels le gouvernement ou, plus souvent, le chef
de l
État (roi ou président) dispose des pouvoirs les plus importants. Cette pré-
dominance peut résulter de facteurs très divers : les textes constitutionnels, le
système des partis, la tradition ou la force militaire et on comprend que cette
catégorie est profondément hétérogène. Ainsi, on y trouve selon les auteurs,
différents régimes fascistes, les dictatures militaires, les régimes de parti unique,
les monarchies traditionnelles ou simplement des systèmes, comme celui de la
V
e République française, dans lesquels on constate que le Président est la figure
centrale (v.
infra no 573 s.).
Cette diversité est la source de quelques confusions sur les noms quon
donne à ces régimes : « prépondérance de l
exécutif » ou de « lorgane gouver-
nemental » ou « présidentialisme ». Le premier ne convient pas parce que, jus-
tement la prépondérance de ces organes n
est possible quà la condition quils
ne soient pas des organes d
exécution, le deuxième, parce que si lorgane pré-
pondérant est un président, il ne fait pas nécessairement partie du gouverne-
ment, qui, dans plusieurs constitutions, est considéré comme un organe distinct,
le troisième parce que l
organe prépondérant nest pas toujours un président et
que ce terme peut faire croire que ces régimes sont nécessairement des déforma-
tions du régime présidentiel.
2. Équilibre des organes : les modalités de la séparation des pouvoirs
96. Les constitutionnalistes français admettent que léquilibre peut être réa-
lisé selon deux modalités différentes, le régime parlementaire et le régime pré-
sidentiel, quelquefois caractérisés le premier comme une séparation souple ou
collaboration des pouvoirs, l
autre comme une séparation rigide.
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100
Droit constitutionnel
a) Le régime parlementaire
α) Structure du régime parlementaire
97. Cest la doctrine, qui au XIXe siècle, a construit un modèle du régime
parlementaire. Dans la version la plus courante, on y trouve trois organes, un
Parlement (composé d
une ou de deux assemblées), un chef dÉtat, un gouver-
nement ou cabinet. Ces organes sont spécialisés : le Parlement exercera la fonc-
tion législative, tandis que la fonction exécutive sera attribuée selon les cas, soit
à l
ensemble chef dÉtat-cabinet, soit au cabinet seul. Ce qui caractérise le
régime parlementaire, c
est la manière dont sont organisés les rapports entre
ces organes, qui disposent de moyens d
action réciproques : le Parlement, ou
au moins l
une des assemblées parlementaires, peut contraindre le cabinet à la
démission
cest la responsabilité politique ; le Parlement, ou plus souvent
l
une des Chambres du Parlement, peut être dissous par le chef de lÉtat ou le
cabinet.
On constate cependant une divergence doctrinale : certains auteurs estiment
que le seul critère véritablement déterminant est la responsabilité politique du
gouvernement. Ils y voient un trait essentiel, de sorte qu
un régime qui com-
prendrait la responsabilité politique, mais non le droit de dissolution devrait
malgré tout être considéré, selon eux, comme parlementaire. Ils définissent
donc le régime parlementaire comme celui dans lequel les ministres sont politi-
quement responsables.
Dautres auteurs soutiennent au contraire que le régime parlementaire véri-
table résulte de la combinaison des deux critères : il faut que la responsabilité
politique et le droit de dissolution soient tous deux présents. Dans le cas, sou-
tiennent-ils, où l
exécutif ne dispose pas du droit de dissolution, il est à la merci
du pouvoir législatif, qui devient l
organe dominant et on est en présence non
d
un régime parlementaire, mais dun régime dassemblée.
β) Technique du régime parlementaire, la responsabilité politique du cabinet.
Définition
98. Dans le langage du droit, la responsabilité au sens large est lobligation
de supporter les conséquences de certains actes. S
agissant des ministres, on
distingue aujourd
hui trois formes de responsabilité : pénale, civile et politique.
Il faut souligner un point capital : la distinction ne tient pas à la nature des actes
qui donnent lieu à responsabilité ou au but dans lequel elle peut être engagée,
car, s
agissant de ministres, les actes et le but sont toujours politiques. Cette
distinction s
attache seulement à la procédure employée et au type de sanction
qui peut être imposé.
La responsabilité pénale est celle qui est engagée au moyen dune procédure
semblable à celle qui est en vigueur dans les juridictions criminelles. Elle com-
porte notamment la distinction d
une phase daccusation et dune phase de juge-
ment et la possibilité donnée à l
accusé de présenter sa défense. Elle donne lieu
à une sanction, qui est une sanction pénale, c
est-à-dire une peine.
La responsabilité civile est celle qui est engagée, le plus souvent devant les
juridictions civiles ordinaires, selon la procédure civile ordinaire et qui donne
lieu à une sanction civile, la condamnation à verser une indemnité.
Page 101
Le pouvoir
101
La responsabilité politique est celle qui est engagée selon une procédure
purement politique, c
est-à-dire quelle donne lieu à un simple vote par une
assemblée. La sanction est alors elle-même politique, c
est lobligation de
démissionner. La responsabilité politique s
analyse donc comme le pouvoir,
dont dispose une assemblée, de forcer un ministre à démissionner ou en d
autres
termes, comme un pouvoir de révocation. Elle peut être soit individuelle, si elle
sexerce contre un ou des ministres, mais pas contre lensemble du gouverne-
ment, ou collective
cest le cas le plus fréquent lorsque les ministres sont
solidaires et qu
un vote hostile de lassemblée entraîne lobligation pour le chef
du gouvernement de présenter la démission de la totalité de l
équipe.
99. Mise en jeu de la responsabilité. La responsabilité peut être mise en
jeu ou engagée, soit à l
initiative dun parlementaire, soit à linitiative du
cabinet.
Dans le premier cas, un ou plusieurs parlementaires proposent à leurs collè-
gues le vote d
un texte, que lon désigne de façon variable, par exemple
« motion de censure » ou de « défiance ». Si ce texte est adopté, le gouverne-
ment a l
obligation de présenter sa démission. On dit quil a été « renversé ».
La responsabilité peut aussi être mise en jeu à linitiative du cabinet, lorsque
celui-ci soumet un texte, un projet de loi par exemple, au vote d
une assemblée
et menace de démissionner, si ce texte n
est pas adopté. On appelle cette tech-
nique « question de confiance », parce que le gouvernement demande à l
As-
semblée de lui manifester sa confiance en adoptant un texte, qu
il juge indispen-
sable à la poursuite de sa politique. La question de confiance est employée
comme un moyen de pression, lorsque le cabinet estime que le texte qu
il
dépose ne serait pas adopté spontanément. Si la menace échoue, c
est-à-dire si
l
assemblée rejette le texte, alors le gouvernement doit considérer quelle lui a
manifesté sa défiance. Il est tenu de démissionner.
Certaines constitutions, notamment depuis la Première Guerre mondiale, ont
tenté déviter les conséquences quentraînerait pour la stabilité du gouverne-
ment la mise en jeu trop facile et trop fréquente de la responsabilité. On a
ainsi fixé des conditions au dépôt, à la discussion ou au vote d
une motion de
censure. On exige que le texte soit proposé par un nombre minimum de parle-
mentaires, qu
un certain délai sépare le dépôt et la discussion ou encore on fixe
des modalités particulières pour le vote, dans le souci d
éviter quune motion de
censure ne soit adoptée trop facilement. De même, on peut soumettre le rejet de
la confiance à certaines conditions, par exemple qu
une majorité qualifiée (une
majorité plus importante que la majorité simple) se prononce contre le gouver-
nement. Le régime parlementaire aménagé par ces constitutions est appelé
«
parlementarisme rationalisé ».
La dissolution est la décision par laquelle il est mis fin aux pouvoirs dune
assemblée avant lexpiration du mandat de ses membres (Albertini, 1978 ; Lau-
vaux, 1983).
Le droit de dissolution appartient, selon les cas, au chef de lÉtat ou au gou-
vernement. Elle s
applique soit à une Chambre seulement, cest le cas le plus fré-
quent, soit à deux (comme en Italie). Les théories du régime parlementaire attri-
buent à la dissolution plusieurs fonctions très différentes et d
ailleurs partiellement
conciliables. Elle peut être conçue en premier lieu comme un moyen pour le chef
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102
Droit constitutionnel
dÉtat de se débarrasser dune Chambre hostile, dans lespoir que les élections
apporteront une nouvelle majorité. En deuxième lieu, elle peut être comprise
comme un moyen symétrique de la responsabilité politique du cabinet, permettant
de faire équilibre à une Chambre, notamment la Chambre basse. En troisième lieu,
on considère parfois que le régime parlementaire donne lieu à des conflits entre la
Chambre et le cabinet ou entre la Chambre et le chef de lÉtat. Dans les deux cas,
ce conflit se traduit par la mise en jeu de la responsabilité du cabinet et la dissolu-
tion est le moyen de provoquer l
arbitrage du corps électoral, qui pourra, soit
renouveler la majorité hostile, soit au contraire remplacer cette majorité hostile
par une autre qui soutiendra le gouvernement. En quatrième lieu, une assemblée
peut être divisée en groupes nombreux, aux vues totalement inconciliables, au
point qu
il paraît impossible dy former une majorité, susceptible de soutenir le
gouvernement, c
est-à-dire de voter les textes dont il a besoin. Une telle assemblée
est dite
ingouvernable et la dissolution peut paraître comme le moyen dopérer une
redistribution des cartes, dans l
espoir que les élections créeront les conditions
pour que se forme une majorité. En cinquième lieu, on peut estimer que la menace
de la dissolution est de nature à dissuader les parlementaires de rejeter la confiance
au gouvernement, parce qu
ils peuvent toujours craindre de ne pas retrouver leur
siège aux élections législatives.
La Constitution peut soumettre la dissolution à certaines conditions. Selon la
fonction qu
on lui attribue, on peut la rendre plus difficile ou au contraire plus
facile, voire la rendre automatique, autoriser l
exercice du droit de dissolution
dans certaines circonstances seulement, fixer des délais dans lesquels doivent se
dérouler les élections, déterminer les modalités d
exercice du pouvoir exécutif
lorsque la dissolution a été prononcée, etc.
γ) Naissance du régime parlementaire
100. On a déjà souligné que cette catégorie a été construite par la doctrine,
qui sest fondée sur un petit nombre dexemples historiques, principalement sur
l
Angleterre et sur la France de la monarchie constitutionnelle. Dans les deux
cas, le régime ne résulte pas de l
application dune constitution, mais dune
transformation des institutions, théorisée ensuite. L
élément essentiel a été, en
France comme en Angleterre, la naissance de la responsabilité politique, qui
s
est cependant accomplie selon deux modalités différentes.
En Angleterre, elle résulte de la transformation de la responsabilité pénale.
On l
a vu, la responsabilité des ministres a toujours été politique, mais elle
s
exerçait selon une procédure pénale : les ministres pouvaient être accusés par
la Chambre des communes et étaient alors jugés par la Chambre des Lords.
Cependant, comme les crimes pour lesquels les ministres pouvaient être accusés
et jugés nétaient définis par aucun texte et que les peines applicables ne
l
étaient pas davantage, les Chambres disposaient dun pouvoir totalement
discrétionnaire et pouvaient faire condamner les ministres à n
importe quelle
peine, pour n
importe quel acte quelles décidaient de considérer comme un
crime, par exemple pour une politique jugée mauvaise. Il est compréhensible
quà partir du milieu du XVIIIe siècle, la simple menace dexercer laccusation
suffit à entraîner la démission des ministres et à la fin du siècle, il n
est même
plus nécessaire d
exprimer cette menace et il suffit dun vote de défiance : la
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Le pouvoir
103
responsabilité politique est née (Baranger, 1999). La France a connu une évolu-
tion semblable, au cours du premier semestre de 1792 (v.
infra no 325).
Cependant, cest un processus différent qui sest accompli sous la monarchie
parlementaire française. La voie anglaise n
était pas praticable parce que les
ministres ne pouvaient être accusés par la Chambre des représentants députés
que « pour fait de trahison ou de concussion » et surtout parce que la Charte
prévoyait que «
des lois particulières spécifieront cette nature de délits et en
détermineront la poursuite
». Ces lois nayant jamais été votées, la majorité de
la Chambre a rapidement découvert un autre moyen, encore plus simple, pour
contraindre les ministres à la démission : le « refus de concours », c
est-à-dire le
refus de voter les lois et spécialement la loi de finances, le budget. Placés devant
la menace d
un refus de concours, les ministres ne pouvaient évidemment
demeurer en fonction (v.
infra no 326 s.).
δ) Le fonctionnement du régime parlementaire
101. La doctrine du droit constitutionnel a coutume de distinguer deux
modes de fonctionnement du régime parlementaire, qu
elle présente dailleurs
quelquefois comme variantes du parlementarisme, le parlementarisme dualiste
et le parlementarisme moniste.
Le parlementarisme dualiste est défini comme un système dans lequel le
gouvernement est responsable devant deux autorités, la où les chambres d
une
part, le chef de l
État dautre part. Lexemple le plus important en est la monar-
chie de Juillet en France. Le roi tenait de la Charte le droit de le révoquer et la
Chambre avait le même pouvoir grâce à la menace du refus de concours. Le
ministère ne pouvait donc rester en fonction que tant qu
il conservait
la
confiance et du roi et de la Chambre. La conséquence la plus importante est
que la nomination du ministère et le contenu de sa politique ne pouvaient être
que le résultat de compromis entre les deux autorités dont dépendait le ministère
et qui se faisaient ainsi équilibre.
Ce système est évidemment instable. Si lopposition est trop forte entre le
roi et la Chambre, le compromis ne peut être réalisé et le ministère tombe. La
dissolution ne permet pas toujours de mettre fin au conflit, car si les électeurs
renvoient la même majorité, le roi doit ou prendre le risque du recours à la
force, comme Charles X en 1830, ou céder. Mais s
il cède, cest-à-dire sil
accepte de nommer et de garder un ministère dont il désapprouve la politique,
celui-ci ne dépend plus que de la Chambre et l
on est passé au système moniste.
Le parlementarisme moniste est un système dans lequel le gouvernement ne
dépend plus que d
une seule autorité, la Chambre, qui peut le révoquer à tout
moment et qui donc en détermine la composition et la politique. En pratique,
cela signifie que cette composition et cette politique reflètent celles de la majo-
rité. Pourtant ce système nentraîne pas nécessairement la prédominance de la
Chambre. On peut en trouver deux variantes, qui dépendent du système des
partis.
Dans la première variante, il existe au sein de lassemblée des partis nom-
breux, de telle sorte que la constitution et le maintien du gouvernement dépen-
dent toujours de la stabilité d
une coalition. La composition du gouvernement et
le contenu de sa politique seront le résultat de compromis entre les partis
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104
Droit constitutionnel
membres de la coalition. Il y a prédominance de la Chambre, ou plutôt des par-
tis. C
est la situation française sous les IIIe et IVe Républiques. Cest celle de
l
Italie aujourdhui, quon appelle parfois une « partitocratie ».
Dans la seconde variante du parlementarisme moniste, il existe un parti
majoritaire homogène, stable et discipliné à la Chambre, de sorte que le gouver-
nement est formé de léquipe dirigeante de ce parti. Cest alors le cabinet qui
exerce la prédominance, car c
est lui qui exerce le pouvoir sur la majorité. Il est
sûr de demeurer en fonction et de pouvoir faire adopter ses projets de lois.
C
est, en gros, la situation de lAngleterre depuis le milieu du XIXe siècle.
b) Le régime présidentiel
102. Le régime présidentiel est décrit par la doctrine principalement on
pourrait presque dire exclusivement
à partir de lexemple des États-Unis et
par opposition au régime parlementaire.
α) Structure du régime présidentiel
103. Aux États-Unis, la fonction législative est exercée par un Congrès, com-
posé de deux assemblées, la Chambre des représentants et le Sénat, la fonction
exécutive par un président. Le président n
est pas choisi par le Congrès, mais élu
au suffrage universel. Il nomme des ministres avec le consentement du Sénat et
les révoque librement. Il ne peut dissoudre les Chambres. Celles-ci ne peuvent
révoquer ni le Président, ni les ministres. Ainsi, pense-t-on, contrairement à ce
qui peut se produire dans un régime parlementaire, chacune de ces autorités
exerce-t-elle sa fonction en toute indépendance, mais elle n
exerce que cette
fonction.
Du point de vue de la répartition du pouvoir, on considère généralement que,
dans un tel système, lorgane le plus important est le Président, mais que le
Congrès nest pas pour autant abaissé et quil peut exercer lintégralité de son
pouvoir législatif. C
est pourquoi, il est fréquent quon réclame, dans dautres
pays que les États-Unis, en France par exemple, l
instauration dun régime prési-
dentiel, tantôt lorsqu
on souhaite accroître le rôle du chef de lÉtat, tantôt au
contraire, lorsqu
on veut restaurer les prérogatives dun parlement, considéré
comme trop affaibli.
β) Variations doctrinales sur le modèle présidentiel
104. À partir de la notion de régime présidentiel, ainsi construite à partir de
l
exemple américain et quon ne voit guère réalisée ailleurs, on dérive parfois
deux autres notions : le régime présidentialiste et le régime semi-présidentiel.
La première catégorie regroupe un très grand nombre de régimes, en réalité
très variés, situés pour la plupart dans le Tiers-monde, plus ou moins inspirés du
système américain mais dans lesquels le Président dispose en droit ou en fait de
pouvoirs plus importants encore qu
aux États-Unis (Moulin, 1978).
Les régimes semi-présidentiels sont ceux dans lesquels le Président est élu
au suffrage universel, mais où il existe aussi un ministère responsable, comme
dans les régimes parlementaires (Duverger, 1986).
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Le pouvoir
105
γ) Le critère du régime présidentiel
105. Lorsquils cherchent non plus seulement à décrire à grand trait le
régime américain, mais à l
ériger en type, les auteurs doivent indiquer le carac-
tère significatif qui leur permet d
abord didentifier ce régime et ensuite den
comprendre le fonctionnement.
Nombreux sont ceux qui le caractérisent par la séparation rigide des pou-
voirs. En réalité, les deux règles impliquées par le principe de la séparation
des pouvoirs, tel qu
il est présenté par la doctrine traditionnelle, cest-à-dire la
spécialisation et l
indépendance, ne sont pas également respectées. À vrai dire,
il y a même dans le système américain de très nombreuses et de très importantes
exceptions au principe de la spécialisation. C
est ainsi que le Président, titulaire
du pouvoir exécutif, participe de façon déterminante à la fonction législative par
un droit de veto partiel et que, de son côté, le Congrès participe à la fonction
exécutive de plusieurs manières : par le vote du budget, grâce au rôle des com-
missions. En outre, le Sénat doit approuver les traités à la majorité des deux
tiers et la nomination des ministres et des hauts fonctionnaires à la majorité
simple.
En revanche, lindépendance est assurée de manière rigoureuse : les deux
groupes d
organes, exécutifs et législatifs, sont désignés séparément (le Prési-
dent, comme le Congrès, est élu par le peuple, selon un système très proche du
suffrage universel direct) ; ils ne disposent pas des moyens d
action mutuels
caractéristiques du régime parlementaire : le Président et ses ministres ne sont
pas politiquement responsables : le Président ne peut dissoudre le Congrès, ni
même une seule de ses Chambres.
Ainsi, chaque organe paraît disposer dune autonomie considérable dans
l
exercice de sa fonction. Lexécutif parce quil est à labri de la révocation
par les Chambres, car le président dispose de peu de moyens pour influer sur
le débat législatif. Lexpression « séparation des pouvoirs » ne convient donc
pas très bien pour caractériser le régime, parce quon ny trouve que lune des
règles impliquées par le principe.
Il paraît alors plus simple de parler seulement dindépendance ou, comme le
font certains auteurs, d
« isolement » des pouvoirs. À vrai dire, ces expressions
ne sont guère plus satisfaisantes et cela pour deux raisons.
La première est que, malgré labsence de responsabilité et de dissolution,
l
indépendance est loin dêtre garantie. Si en effet, lindépendance est la faculté
d
exercer une fonction, sans aucune ingérence de la part dune autre autorité, il
faut constater que ces ingérences sont constantes : les Chambres disposent de
moyens multiples, constitutionnels et non constitutionnels (par exemple finan-
ciers), pour influer sur la politique du Président ; le Président peut lui aussi
influer sur les débats législatifs par des moyens constitutionnels (la menace du
veto) ou non constitutionnels (le prestige qu
il retire de son élection par la
nation tout entière, son rôle dans l
un des grands partis, les aides diverses dont
il peut faire bénéficier la circonscription électorale de tel ou tel membre du
Congrès, etc.) Ainsi, il est certainement faux de dire que chacun des organes
est maître dexercer ses compétences comme il lentend. Bien au contraire, il
doit constamment tenir compte des autres et c
est dailleurs bien ce quont
voulu les constituants américains et qu
on exprime par la formule des « checks
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106
Droit constitutionnel
and balances » : les pouvoirs ne sont pas « indépendants » : chacun peut arrêter
ou freiner l
action de lautre (check) et lui faire équilibre (balances).
La seconde raison est que, dans la réalité, si le Président ne peut pas, en
effet, dissoudre les Chambres, en revanche, les Chambres peuvent fort bien,
même en l
absence de responsabilité politique, forcer le Président ou ses minis-
tres à la démission. Elles peuvent en effet, en cas de désaccord politique majeur,
ou bien mettre en jeu leur responsabilité pénale (ou seulement menacer de le
faire) ou bien refuser le vote du budget (le refus de concours). Le premier de
ces moyens a été utilisé aux États-Unis contre le Président Nixon en 1974.
Grâce au second, le régime « présidentiel » chilien a fonctionné au
XIXe siècle
comme un régime parlementaire (Moulin, 1978, p. 330 et s.).
En définitive, la manière la plus sûre de caractériser le régime présidentiel
est donc de se référer au mode d
élection du Président et à labsence de respon-
sabilité politique. Cela ne met cependant pas l
opposition des régimes parle-
mentaire et présidentiel à l
abri de toute critique.
B Critique
106. Classification et classement. La distinction du régime parlementaire
et du régime présidentiel est la plus fréquemment employée
ces expressions
font d
ailleurs partie du vocabulaire constitutionnel courant et cest à elle que
l
on fait référence lorsquon sinterroge sur la nature dun régime politique,
comme on le fait à propos de la V
e République. Elle présente pourtant de très
graves défauts (Eisenmann, 1968 ; Moulin, 1978).
On doit distinguer soigneusement deux opérations intellectuelles : la classi-
fication et le classement. La classification consiste à déterminer abstraitement
des catégories ou
classes en indiquant une caractéristique ou qualité que présen-
teront tous les objets rangés dans cette classe. Tout objet, une constitution par
exemple, présente de nombreuses qualités : elle peut être écrite, comporter un
nombre impair d
articles, avoir été rédigée avant 1991, mentionner la couleur
du drapeau, instituer un roi, etc. Classer les constitutions, c
est avant tout choi-
sir l
une de ces qualités, de telle manière quon puisse placer dans une classe
toutes celles qui présentent cette qualité et dans une autre toutes celles qui ne la
présentent pas ou, ce qui revient au même, présentent la qualité opposée. Cette
qualité, qui sert à constituer les classes, est le « critère » de la classification. Le
classement est seulement l
affectation dun objet à une classe.
Cette distinction est importante : un mauvais classement naffecte pas la
qualité d
une classification. Ainsi, il est possible quon ait faussement considéré
un régime comme parlementaire, alors qu
il ignore la responsabilité politique. Il
nen résulte évidemment pas que lopposition des régimes parlementaire et pré-
sidentiel soit mauvaise. On ne peut donc pas critiquer une classification, sous
l
examiner en
prétexte que certains classements seraient mauvais. Il faut
elle-même. En revanche, une classification est mauvaise, si elle empêche un
classement rationnel, soit parce qu
il serait impossible de classer tous les objets,
soit parce que certains objets appartiendraient aux deux classes à la fois.
107. Valeur logique de la classification. Une classification peut présenter
des défauts logiques et des défauts scientifiques. Les défauts logiques tiennent
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Le pouvoir
107
dabord aux critères. Il est dabord possible que les deux classes soient consti-
tuées à l
aide de critères qui ne sopposent pas. Tel serait le cas par exemple, si
l
on classait les villes en « villes de plus de 100 000 habitants » et « villes
situées au bord de la mer », parce que d
une part certaines villes ne pourraient
pas être classées (celles qui ont moins de 100 000 habitants et qui ne sont pas
situées au bord de la mer), tandis que dautres satisfont aux deux critères et
appartiennent donc aux deux classes (celles qui ont plus de 100 000 habitants,
et sont situées au bord de la mer). Dans l
une de ses versions la classification
des régimes politiques présente ce défaut : si le régime parlementaire est celui
dans lequel existe la responsabilité politique et le régime présidentiel celui dans
lequel le président est élu au suffrage universel, certains régimes, qui ne com-
portent ni l
un, ni lautre élément, comme certains systèmes du Tiers-monde, ne
peuvent être classées nulle part, tandis que d
autres, comme la Ve République,
appartiennent aux deux catégories.
Dans dautres cas encore, on aboutirait à un classement bizarre. Ainsi, en
Israël, pendant une courte période et jusqu
à la réforme de 2001, cétait le Pre-
mier ministre et non le Président de la République qui était élu au suffrage uni-
versel direct, tout en demeurant politiquement responsable devant l
assemblée
(Klein, 1997). En appliquant strictement le critère de la responsabilité, il fau-
drait ranger ce système parmi les régimes parlementaires purs, alors que l
intro-
duction de ce mode de désignation du Premier ministre avait précisément pour
but d
éloigner les institutions politiques du fonctionnement habituel du modèle
parlementaire.
De même, dans une autre version, le critère est la séparation des pouvoirs.
Mais on sait que ce principe comporte deux règles, la spécialisation et l
indé-
pendance de telle manière que le régime parlementaire est celui dans lequel la
règle de la spécialisation est respectée, mais non celle de l
indépendance (parce
que les organes sont mutuellement dépendants), tandis que le régime présiden-
tiel est celui dans lequel la règle de l
indépendance est appliquée, mais non celle
de la spécialisation. Les deux critères ne s
opposent pas et il y a des régimes qui
comportent spécialisation et indépendance et d
autres qui ne comportent ni lun
ni l
autre.
Il est également possible que le critère de la classification soit trop vague et
qu
il soit difficile de reconnaître quil est présent dans un objet. Dans sa version
la plus répandue, le critère est tiré de la responsabilité politique. Toutefois,
celle-ci n
est guère facile à identifier : on peut certes dire que cest le pouvoir
d
une Chambre de provoquer la démission du cabinet, mais on sait que, dans
certaines conditions politiques, elles peuvent toujours l
acquérir, même sil
n
est pas inscrit dans la constitution, comme par exemple en France sous les
Chartes. Il ny a donc pas de régime représentatif, qui ne soit susceptible de
devenir parlementaire. Ainsi, au Chili, où la Constitution imitait au
XIXe siècle
celle des États-Unis et où le régime était dit « présidentiel », les ministres sont
devenus politiquement responsables. Dira-t-on alors que, si l
exercice de ce
pouvoir n
est pas effectif, le régime nest que potentiellement parlementaire ?
Mais, il y a bien des systèmes, dans lesquels, ce droit nest pas contesté, mais
où il n
est jamais utilisé, parce que le cabinet y dispose toujours dune majorité
et la Grande-Bretagne, à ce compte, n
est pas un régime parlementaire. On a
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Droit constitutionnel
même soutenu sérieusement quil sagissait « en réalité » dun régime présiden-
tiel (Marx, 1969).
108. Valeur scientifique de la classification. Cela étant, il ne suffit pas
qu
une classification présente des qualités logiques. Encore faut-il que le critère
choisi soit significatif, cest-à-dire que sa présence soit une indication scientifi-
quement intéressante. Une classification des constitutions, selon quelles com-
portent un nombre pair ou impair d
articles, serait logiquement irréprochable.
Elle ne présenterait pourtant aucun intérêt.
Pour présenter un intérêt scientifique, une classification doit faire progresser
la connaissance, en permettant de révéler quelque phénomène caché. Ceci est
possible si les objets qui sont rangés dans une même classe, parce qu
ils possè-
dent un même caractère apparent (le critère), possèdent également un autre
caractère, celui-là plus difficile à percevoir, mais toujours associé au premier
et dont on pourra ainsi déceler la présence, dès lors que l
on aura constaté
celle du critère de la classification. C
est de cette manière que procède par
exemple la médecine, lorsqu
elle classe les maladies par ensemble de symptô-
mes, parce qu
elle présuppose quà cet ensemble de symptômes correspond une
même cause et qu
il sera dès lors possible dordonner un traitement. Le classe-
ment permet une économie intellectuelle, parce qu
il permet de connaître immé-
diatement
ou tout au moins de soupçonner la cause.
Cependant, pour ce qui concerne les régimes politiques, le classement dun
régime donné dans l
une ou lautre des deux classes parlementaire et présiden-
tielle ne peut apporter aucune connaissance nouvelle, parce qu
il nexiste aucun
lien entre le caractère apparent, qui conduit au classement et un autre caractère
caché. On aurait pu imaginer qu
au critère de la classification, le droit pour
l
assemblée de renverser le gouvernement, corresponde un certain mode de
fonctionnement (le gouvernement y serait effectivement renversé de temps à
autre) ou encore lassemblée serait lorgane politiquement prédominant. Une
analyse juridique très simple fournirait ainsi une information politique com-
plexe. Mais, en réalité, un tel lien n
existe pas et ne peut pas exister, car le
droit n
est jamais la « cause » dun comportement politique, ni la politique un
« symptôme » du droit. Une règle juridique peut être appliquée ou non et s
il
s
agit dune règle dhabilitation, comme cest le cas le plus fréquent en droit
l
habilitation peut être employée ou non, de sorte que la
constitutionnel,
connaissance de la règle ne peut pas informer sur les conduites qui auront lieu
réellement. Ainsi, on a beau savoir qu
il existe une responsabilité politique, on
ne peut en tirer aucune conclusion sur la manière dont le régime fonctionnera.
En vérité, la classification n
est pas réellement utilisée dans un but scienti-
fique, mais dans un but normatif. Lorsqu
on préconise une réforme constitution-
nelle, dans un régime qui ne ressemble ni tout à fait au régime parlementaire, ni
au régime présidentiel, il peut être avantageux de soutenir qu
il ne fonctionnera
correctement que s
il obéit à la logique dun régime pur. On lit ainsi en France,
de temps à autre, des déclarations d
hommes politiques, qui soutiennent que le
régime français devrait devenir un « vrai » régime présidentiel ou, plus rare-
ment, un « vrai » régime parlementaire. Ce quils préconisent en réalité, cest
dans le premier cas simplement qu
on supprime la responsabilité politique et
la dissolution, dans le second, qu
on revienne sur lélection du Président de la
Page 109
Le pouvoir
109
République au suffrage universel et ils cherchent à justifier ces propositions par
référence à la classification. Mais les « vrais » régimes sont seulement ceux que
la doctrine a imaginés et il n
existe aucune raison valable de rendre les régimes
réels conformes à des constructions doctrinales.
On justifie parfois la proposition de transformer le régime français en
« véritable » régime présidentiel par un argument politique : dans un tel
régime, dit-on, le Parlement est réellement en mesure de faire contrepoids au
président, alors que dans le système français, si le président dispose d
une
majorité parlementaire, il réunit tous les pouvoirs entre ses mains. Là encore,
on confond le mode d
exercice du pouvoir et la structure du système et peut-
être l
on généralise à tort à partir du cas américain. Si le Congrès américain est
en mesure de s
opposer avec succès au Président, ce nest pas principalement
parce que celui-ci est privé du droit de dissolution, mais d
une part parce que
ses membres ne sont pas aussi fortement encadrés et disciplinés par les partis
politiques que dans les pays européens, qu
ils ne doivent pas leur élection au
président et d
autre part parce que la constitution leur donne des compétences
importantes. Si l
on supprimait en France le droit de dissolution et la respon-
sabilité ministérielle, cela ne changerait pas automatiquement les relations
politiques entre le Président de la République et les partis. Quant aux pouvoirs
du Congrès américain et notamment de ses commissions, ils ne sont en rien
liés à la nature présidentielle du régime et il serait possible d
en donner de
semblables au Parlement français sans rien changer à la responsabilité minis-
térielle ou au droit de dissolution.
Il faut donc conclure que la classification proposée par la majorité de la doc-
trine ne présente ni valeur logique, ni intérêt scientifique.
109. Pour des définitions lexicales. On ne peut néanmoins éviter une
constatation. Quels que soient les défauts scientifiques et logiques de la classi-
fication, les expressions régime parlementaire et régime présidentiel font effec-
tivement partie du vocabulaire habituel des juristes, comme de celui des hom-
mes politiques. C
est que, comme il arrive souvent dans le langage du droit, la
fonction de ces mots n
est pas seulement de désigner des classes opposées de
systèmes politiques, ni même des objets facilement identifiables. Le langage de
la science du droit, comme celui du droit lui-même et comme le langage ordi-
naire, se satisfait parfaitement de termes vagues. Ceux qui connaissent ce lan-
gage connaissent le sens de ces termes, c
est-à-dire que, même sils ne peuvent
en donner une définition précise ou les opposer à d
autres, ils savent quand et
comment il convient de les employer dans la plupart des cas. Ces termes ne
peuvent faire l
objet dune définition réelle, mais seulement dune définition
lexicale, par laquelle on indique dans quel sens on les emploie habituellement.
Il en est précisément ainsi des expressions en cause. Lorsquon dit dun
pays, qu
il connaît un système parlementaire, on ne prétend pas tout révéler
sur la réalité politique de ce pays, mais chacun comprend qu
il existe là-bas
une forme quelconque de responsabilité politique du ministère. Cette indication
ne renseigne pas sur le siège réel du pouvoir, ni sur le fonctionnement effectif
du système, mais seulement sur lexistence dune règle. De même, dire quon va
introduire le régime parlementaire, c
est dire quon va introduire une règle selon
laquelle le cabinet est tenu de démissionner à la demande des Chambres.
Page 110
110
Droit constitutionnel
Dire quun régime est présidentiel, cest dire quil existe un chef dÉtat élu au
suffrage universel, qu
il nest pas politiquement responsable et quil ne peut dis-
soudre les Chambres. Là encore, même si l
on na pas ainsi communiqué dinfor-
mation sur le fonctionnement effectif du système, ni écarté toute possibilité pour
la Chambre de provoquer par un moyen quelconque la démission du président ou
des ministres, on a signifié lexistence de deux ou trois règles simples.
Il sera évidemment impossible de classer tous les régimes dans lune ou
l
autre classe, puisquelles ne sopposent pas. On ne sait même pas, lorsquun
régime est dit parlementaire, si l
on a décrit une structure ou un mode de fonc-
tionnement, une règle proprement juridique ou le résultat d
un rapport de forces.
Il sera même quelquefois difficile de dire si un régime donné est ou n
est pas
parlementaire, parce qu
on ne saura pas avec certitude si le gouvernement y est
politiquement responsable. Ces définitions ne découlent donc pas d
une classi-
fication logiquement ou scientifiquement satisfaisante. Néanmoins, ces termes
sont effectivement employés et ils sont utiles, comme des instruments permet-
tant une communication rudimentaire.
Section 3
Les techniques dexercice du pouvoir
110. LÉtat nest pas un être physique, mais une entité abstraite. Cest le
nom que l
on donne à cette entité à laquelle sont imputés les actes de certains
hommes, les gouvernants.
Cette imputation est nécessaire. Cest elle qui permet de distinguer dans la
masse des actes qu
accomplissent ces hommes, ceux quils font dans leur pro-
pre intérêt, pour satisfaire leurs besoins personnels et dont ils doivent supporter
les conséquences financières et ceux qu
ils font, au moins en principe, dans
l
intérêt commun. Limputation a donc des conséquences patrimoniales.
Ce qui la justifie, cest précisément que les gouvernants agissent ou sont
réputés agir pour le compte de la collectivité. On dit alors qu
ils remplissent
les fonctions de l
État.
Deux questions doivent donc être examinées : quelles sont ces fonctions ?
Comment ces hommes sont-ils désignés ?
Sous-section 1
Les fonctions de lÉtat
111. Définition (Eisenmann, 1964). Lexpression fonctions de lÉtat,
comme le terme État, est le produit d
une construction intellectuelle. Dans la réa-
lité, on peut observer seulement des actes particuliers, en très grand nombre,
accomplis par les gouvernants pour le compte de lÉtat. Mais, il est souvent néces-
saire, notamment lorsqu
il sagit pour un constituant dattribuer des compétences,
de raisonner non pas sur tel ou tel acte particulier, mais sur des classes d
actes.
Page 111
Le pouvoir
111
La théorie des fonctions est donc le produit dune classification des actes.
Les fonctions ne sont rien d
autre que des classes dactes. On pourrait nommer
ces classes
activités plutôt que fonctions, mais ce dernier terme permet de sou-
ligner que l
accomplissement des actes est nécessaire au bon fonctionnement de
l
ensemble du système.
Cela dit, il y a deux manières de concevoir les activités ou fonctions de
l
État, cest-à-dire deux manières de classer les actes. On peut dabord les clas-
ser selon leurs fins. Ils sont en effet accomplis pour le compte de l
État, parce
que celui-ci remplit un ensemble de missions à l
égard de la société civile : la
nature et l
étendue de ces missions sont naturellement variables selon les épo-
ques et les idéologies. Tous les États ont au moins certaines attributions :
conduire des relations internationales, défendre le territoire, rendre la justice,
battre monnaie, assurer le maintien de l
ordre. Mais les États modernes
accomplissent aussi d
autres tâches : assurer un certain nombre de services
publics (éducation,
les
revenus.
transports, santé), diriger
léconomie,
redistribuer
Mais on peut aussi considérer ces actes, non plus du point de vue politico-
social, mais exclusivement du point de vue juridique. Quelles que soient les fins
poursuivies, ces actes sont en effet toujours des actes juridiques, c
est-à-dire des
actes créateurs de normes. Or, on classe les normes non pas selon leurs fins ou
leurs objets (les matières sur lesquelles elles portent), mais selon d
autres critè-
res : soit leur valeur, c
est-à-dire leur place dans la hiérarchie, soit leur degré de
généralité. C
est de ce point de vue, exclusivement juridique, quon se pla-
cera ici.
112. La controverse sur le nombre des fonctions. Les classifications les
plus simples sont dualistes : elles opposent deux fonctions. La première, la fonc-
tion législative, consiste à faire des lois, la seconde, la fonction exécutive, à les
exécuter. Naturellement, l
idée que lon se fait de lune et de lautre varie consi-
dérablement, mais on se déclare impuissant à en concevoir une troisième.
Toutefois, la classification la plus courante distingue trois fonctions : à côté
des fonctions législative et exécutive, on en distingue une troisième, qu
on
nomme
juridictionnelle, parce quelle consiste à rendre la justice, à dire le
droit applicable à une affaire en litige (du latin
jurisdictio), donc à juger des
procès, ou
judiciaire, parce quelle est le plus souvent assurée par des juges
(du latin
judex).
La fortune de la classification trialiste sexplique non par sa valeur logique ou
scientifique, mais par sa portée idéologique. Du point de vue logique, en effet,
elle présente un défaut très grave : si l
on prend pour critère de la distinction le
fait de poser des règles ou de les appliquer, on ne peut concevoir que deux fonc-
tions et non pas trois. La troisième ne pourra donc consister que dans l
applica-
tion des lois au procès. Elle n
est donc quune variété de la fonction exécutive.
Cependant, la classification des fonctions sert à justifier une certaine répar-
tition des compétences. C
est ainsi quon peut craindre les implications de la
théorie dualiste. Si lon admettait par exemple que chaque fonction doit être
exercée par un groupe d
organes spécialisés, la théorie dualiste semble conduire
à placer la fonction judiciaire sous l
autorité des autorités exécutives. Pour
Page 112
112
Droit constitutionnel
garantir une justice indépendante, on cherche donc à établir quelle relève dune
troisième fonction, radicalement distincte de la fonction exécutive.
Les théories dualistes ne peuvent éviter de soumettre les juges aux titulaires
de la fonction exécutive qu
en distinguant dabord deux fonctions, législative et
exécutive, puis, au sein de la fonction exécutive, une exécution contentieuse
(lapplication de la loi à la solution des procès) et une exécution non conten-
tieuse ou fonction administrative (en l
absence de procès).
La plupart des constitutions modernes adoptent donc, avec des conséquen-
ces pratiques semblables, soit la théorie trialiste, soit la théorie dualiste complé-
tée par la distinction de l
exécution contentieuse et de lexécution non conten-
tieuse. Le choix de l
une ou de lautre nentraîne guère quune différence de
vocabulaire : pour désigner les juges, la théorie trialiste parlera de pouvoir judi-
ciaire, la théorie dualiste d
autorité judiciaire.
Toutes, cependant, répartissent les compétences de telle manière que les pro-
cès soient tranchés par des agents distincts de ceux qui assurent l
exécution non
contentieuse des lois, et de manière relativement autonome. Pour des raisons
d
exposition et malgré ses défauts, on adoptera donc ici la présentation trialiste.
§ 1. La fonction législative
A Définition
113. La fonction législative consiste évidemment dans la confection des lois,
mais le contenu de cette fonction dépend de la conception que l
on se fait de la
loi. À cet égard, il faut opposer deux conceptions ou définitions de la loi.
La loi peut dabord faire lobjet dune définition matérielle : on appellera loi
toute norme dont le contenu présente certains caractères : par exemple dêtre
général (c
est-à-dire de sadresser non à des individus nommément désignés,
mais à des catégories d
individus), dêtre abstraite (cest-à-dire prescrire des
types de conduites, dans un nombre indéterminé de circonstances de temps et
de lieu, et non une conduite déterminée) ou de porter sur certaines matières.
Elle peut aussi faire lobjet dune définition formelle : on appellera loi toute
norme qui a été posée dans une certaine forme, c
est-à-dire par un certain organe,
le Parlement par exemple, au terme d
une procédure particulière. La définition
formelle est aussi quelquefois appelée
organique.
Comme pour la Constitution, ces deux conceptions sont profondément dif-
férentes : une norme émanant du parlement, mais non générale, sera considérée
comme une loi selon la conception formelle, mais non selon la conception
matérielle. À l
inverse, une norme générale émanant du gouvernement sera
une loi selon la conception matérielle, mais non selon la conception formelle.
Or les enjeux peuvent être très importants. Ils touchent d
abord à la compétence
des organes. Ainsi, il est fréquent que la constitution attribue le pouvoir de faire des
lois à un parlement et le pouvoir de les exécuter à un gouvernement. Ces disposi-
tions ne permettent pas à elles seules de connaître l
étendue des compétences de ces
deux organes. Le Parlement aura-t-il le droit d
émettre des normes individuelles ?
Page 113
Le pouvoir
113
Le gouvernement des normes générales ? La réponse à ces deux questions est affir-
mative si l
on adopte une définition formelle. Elle est négative dans le cas contraire.
Ils touchent aussi à ce qu
on appelle le régime juridique des actes, cest-à-
dire l
ensemble des règles qui leur sont applicables, par exemple pour les modi-
fier ou pour les annuler. Il est fréquent que les lois bénéficient d
un régime juri-
dique spécial, beaucoup plus favorable que celui auquel sont soumis dautres
actes. En France, par exemple, il est interdit aux juges de s
immiscer dans la
fonction législative
6, de sorte quil nest pas possible de leur demander lannu-
lation d
une loi. Il est donc important de savoir quels sont les actes qui bénéfi-
cient de cette immunité : si la définition est matérielle, ce sont toutes les normes
générales ou toutes celles qui portent sur certaines matières ; si elle est formelle,
uniquement les normes émanant du parlement.
Il faut souligner que ce nest pas à la théorie constitutionnelle ou à la science
du droit constitutionnel qu
il appartient de choisir entre les deux conceptions.
Elles doivent se borner à décrire la conception choisie par le droit positif. Les
solutions sont naturellement variables. On se contentera de noter qu
en droit posi-
tif français, la conception de la loi est formelle : tous les actes adoptés par le Par-
lement conformément à la procédure législative sont des lois, qu
ils soient ou non
généraux, qu
ils soient ou non abstraits, et quelles que soient les matières sur
lesquelles ils portent. Il en résulte qu
ils ne peuvent être modifiés que par une
autre loi et qu
ils ne peuvent être annulés par un tribunal. Cette conception était
en vigueur sous la III
e République, où elle traduisait la suprématie du parlement.
On doit reconnaître, même s
il faut apporter quelques nuances à cette affir-
mation, que la V
e République se rattache elle aussi à la conception formelle
(v.
infra no 708). Si le Parlement ny jouit pas en fait de la même suprématie,
c
est en raison des conditions dexercice de la fonction législative.
B Lorgane de la fonction législative
114. Quest-ce quun organe législatif ? Lexercice de la fonction législa-
tive ou
pouvoir législatif peut être attribué par la constitution à une très grande
variété d
organes. Il nest pas toujours facile de déterminer quels sont ces organes,
car il arrive fréquemment que la constitution ne les désigne pas tous expressément.
Le cas le plus simple, mais non le plus fréquent, est naturellement celui où la
constitution institue un organe législatif unique ou
simple. Cest celui des
constitutions françaises de 1793, 1848 et 1946. En raison de la suprématie de
la fonction législative, cet organe domine naturellement tous les autres.
Mais il est fréquent que le pouvoir législatif soit confié à une pluralité dor-
ganes, qui concourent à la production de la loi en consentant à son édiction. On
les nomme alors collectivement
organe législatif complexe et individuellement
organes législatifs partiels. Un organe législatif partiel est donc un homme ou
un groupe d
hommes, dont le consentement est nécessaire à lédiction de la loi
et dont l
opposition lempêche. Par contre, on ne doit pas considérer comme
Loi des 16-24 août 1790, art. 10 : « Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirecte-
6.
ment aucune part à lexercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre lexécution des décrets
du corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaitaire.
»
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114
Droit constitutionnel
organe législatif partiel ceux qui participent à la formation de la loi, sans que
leur consentement soit véritablement nécessaire, comme par exemple les
experts, qui apportent le concours d
une compétence seulement technique ou
encore les autorités qui sont consultées, mais dont l
avis nest pas obligatoire
et qui, par conséquent, ne peuvent pas empêcher l
adoption dune loi. Ce qui
conduit à instituer un organe législatif complexe, cest naturellement la crainte
de la suprématie dun organe unique.
On peut distinguer plusieurs types dorganes législatifs partiels.
1. Les assemblées parlementaires
115. Une assemblée parlementaire est une assemblée composée de membres
élus ou non, qui est une composante d
une autorité plus large, le Parlement. Le
Parlement peut bien entendu exercer d
autres fonctions que la fonction législa-
tive, par exemple le contrôle du gouvernement. Une assemblée est organe légis-
latif partiel dans deux cas : ou bien si le Parlement comporte deux (ou plusieurs)
assemblées ; ou bien si d
autres organes, par exemple le pouvoir exécutif, parti-
cipent aussi de façon décisionnelle à la confection des lois.
Le premier cas est celui du bicaméralisme ou bicamérisme. Lune des
assemblées ou
Chambres au moins est élue au suffrage universel direct. La
seconde Chambre, appelée quelquefois
Chambre haute, peut elle-même être
de plusieurs types.
Il peut sagir dabord, dans une monarchie constitutionnelle, dune Chambre
aristocratique, dont les membres sont héréditaires ou nommés par le roi. Ainsi,
la Chambre des Lords en Angleterre ou la Chambre des Pairs de la Restaura-
tion, en France. On en trouve de nombreux exemples dans les constitutions du
XIXe siècle, mais dans les États modernes, leur rôle a considérablement décliné.
Il peut s
agir encore, dans un État fédéral, dune Chambre représentant les
États membres (v. supra no 70).
Enfin, la Chambre haute peut être, elle aussi, élue, mais selon des modalités
différentes de celles employées pour la Chambre basse, de telle manière qu
elle
soit plus conservatrice dans sa composition : le suffrage peut être restreint ou
indirect ou organisé sur d
autres bases territoriales ou encore subordonné à des
conditions d
éligibilité différentes.
On rencontre encore des secondes Chambres à caractère économique, dont
les membres sont choisis dans les organisations professionnelles.
Les secondes Chambres ne sont des organes partiels que si elles peuvent réel-
lement s
opposer à la formation de la loi. Cest loin dêtre toujours le cas. Il est
évident que les Chambres hautes aristocratiques par exemple ont perdu leur pou-
voir. On parle dans ces situations de bicaméralisme imparfait ou inégalitaire.
Néanmoins, labsence de pouvoir législatif ne signifie pas nécessairement
l
absence de tout rôle politique : dune part, ces Chambres peuvent quelquefois
non pas s
opposer, mais retarder ladoption définitive dune loi. Ce pouvoir
peut dissuader le législateur principal de donner à la loi un contenu trop radical,
sil veut que la loi entre en vigueur rapidement. Dautre part, et surtout, une
seconde Chambre, même sans grands pouvoirs, peut contribuer par ses débats
à améliorer le contenu de la loi. C
est dans cette amélioration que lon trouve
Page 115
Le pouvoir
115
aujourdhui la meilleure justification à lexistence dune Chambre haute, que
l
on appelle alors Chambre de réflexion.
2. Le corps électoral statuant par voie de référendum
116. Lorsque le peuple se gouverne directement lui-même, on parle de
démocratie directe. Les citoyens se réunissent sur une place publique ou dans
un champ et statuent sur les affaires publiques.
Ce procédé de gouvernement, qui était celui des cités grecques de lAnti-
quité, n
est plus aujourdhui quune curiosité historique et nexiste que dans
quelques cantons suisses (Glaris, Unterwalden, Appenzell), où chaque année
les citoyens de ces États minuscules se réunissent en
Landsgemeinde pour
voter les lois, désigner des fonctionnaires et nommer les députés aux assem-
blées fédérales. Encore la démocratie directe est-elle dans ce cas très limitée,
car elle ne s
exerce que dans le cadre des compétences du canton, tandis que
les affaires les plus importantes relèvent aujourd
hui de lÉtat fédéral (appelé
improprement, pour des raisons historiques, « confédération helvétique »).
117. Le gouvernement semi-direct. Le référendum (Quermonne, 1985 ;
Hamon, 2007 et 2012).
Mais si lexpérience du gouvernement direct pur ne
se conçoit plus, l
expérience constitutionnelle démontre la vitalité des institu-
tions du gouvernement semi-direct, qui combine l
idée représentative et la
démocratie pure. Il existe des représentants élus, mais sur certaines questions,
les électeurs sont appelés à se prononcer non pas en choisissant les représen-
tants qui prendront les décisions essentielles, mais par référendum sur le fond
même de ces questions. L
institution du référendum tend à se répandre. La plu-
part des constitutions modernes la prévoient. Il est vrai que l
inscription dans la
constitution ne garantit pas une pratique effective ; mais d
un autre côté il arrive
que des référendums soient organisés dans un pays où cette institution n
est pas
même mentionnée dans la constitution.
Toutefois, dans lensemble, le référendum est beaucoup moins répandu que
l
élection et son rôle varie beaucoup selon les pays. Cette disparité tient pour
une part à des raisons de principe car des arguments puissants militent aussi
bien pour que contre le référendum. Elle s
explique également par la très grande
variété des techniques utilisées pour sa mise en
œuvre.
a) Le débat sur le référendum
118. Comme il arrive souvent, certains arguments sont tirés de la théorie
démocratique, dautres de la doctrine de lÉtat de droit (v. supra no 65).
Du point de vue de la théorie démocratique, on fait valoir avant tout que le
peuple est souverain et ne doit déléguer à des représentants que les pouvoirs
qu
il ne peut exercer lui-même. Il doit donc conserver tous les autres et se pro-
noncer sur toutes les questions essentielles.
Les sceptiques font observer que les électeurs ne possèdent pas nécessaire-
ment la compétence requise ou n
éprouvent pas assez dintérêt pour la chose
publique. Ils sont dailleurs manipulables et les régimes autoritaires se sont par-
fois servi du référendum de façon antidémocratique, parce qu
ils parvenaient
le scrutin à accroître le pouvoir des
par démagogie ou en personnalisant
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116
Droit constitutionnel
gouvernants. On pense alors au plébiscite de type bonapartiste. On souligne
également que la véritable démocratie implique une délibération rationnelle.
Or, celle-ci pouvait être organisée dans la cité athénienne, parce que les citoyens
étaient peu nombreux, fortement impliqués dans les affaires publiques et que la
possession d
esclaves leur laissait des loisirs, tandis que dans lÉtat moderne,
elle ne peut exister quau sein dun groupe relativement restreint de représen-
tants, bien formés, capables de respecter des procédures rigoureuses et de négo-
cier des compromis.
Les partisans du référendum répliqueront que si les électeurs sont incompé-
tents et irrationnels lorsqu
ils sont appelés à se prononcer par référendum et sils
peuvent succomber à l
affectivité ou se désintéresser de la consultation, il en va
exactement de même lorsqu
ils choisissent des représentants. Pourtant nul nose
s
élever contre le principe de lélection. Au demeurant, on a remarqué que les
référendums les plus importants ont suscité des débats passionnés, donné aux
électeurs l
occasion de sinformer et de se livrer à une véritable délibération et
que la participation au scrutin était alors très haute, tandis qu
au contraire il est
fréquent que l
abstention soit très élevée dans les scrutins pour lélection des
représentants, notamment lorsque l
enjeu ne paraît pas considérable.
Quant à la doctrine de lÉtat de droit, elle est, elle aussi, susceptible de jouer
dans les deux sens (Fatin Rouge-Stefanini, 2004). On peut d
abord soutenir que,
si le peuple exerçait directement sa souveraineté, celle-ci étant par définition
illimitée, rien ne lui interdirait de porter atteinte à la constitution, aux engage-
ments internationaux de l
État ou aux droits fondamentaux. Cet argument
repose néanmoins sur une assimilation du corps électoral qui se prononce par
référendum au peuple souverain. Il est vrai que cette assimilation semble per-
mise par la rédaction de certaines constitutions, notamment la constitution fran-
çaise, dont l
article 3 dispose que « la souveraineté nationale appartient au peu-
ple qui l
exerce par ses représentants et par la voie du référendum » et que le
Conseil constitutionnel a refusé de contrôler la validité de la loi adoptée par
référendum au motif quelle était « lexpression directe de la souveraineté natio-
nale ».
Cependant, dans certains systèmes juridiques, le corps électoral nest pas le
peuple souverain. C
est un organe de lÉtat, dont les compétences résultent de
la constitution et sont limitées par elles. En pratique d
ailleurs, il ne peut en aller
autrement puisqu
il faut bien des règles pour déterminer les modalités dorgani-
sation du référendum, la procédure à suivre, les questions sur lesquelles il peut
porter, le déroulement de la campagne ou même les contenus possibles des
décisions soumises au référendum. Le contrôle est alors possible et peut s
exer-
cer selon deux modalités. Si l
on considère quil serait politiquement difficile à
une cour constitutionnelle d
invalider une loi adoptée par référendum au niveau
national, il nest pas impossible, comme cest le cas par exemple en Italie et en
France dans certains cas depuis la révision constitutionnelle de 2008 (article 11,
al. 4), de lui permettre d
exercer un contrôle de constitutionnalité préalable sur
l
organisation même du vote ou la nature des questions posées. Les juges peu-
vent alors invalider le projet sans entrer en conflit avec la volonté populaire
puisque, par hypothèse, celle-ci ne sest pas encore manifestée. Dans certains
systèmes, un contrôle sur les lois référendaires peut s
exercer dans les mêmes
conditions que pour les lois ordinaires. On justifie ce contrôle par l
idée que le
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Le pouvoir
117
corps électoral tient sa compétence de la constitution, quil est donc tenu de
respecter. Ainsi, en Californie, les tribunaux acceptent de contrôler les lois réfé-
rendaires.
b) Les techniques7
119. On peut concevoir un référendum à léchelle de la nation, dune com-
mune ou d
une entité territoriale intermédiaire comme le département ou la
région. Dans certains pays, comme la Suisse, la démocratie semi-directe est
très développée à chacun des trois niveaux : fédéral, cantonal ou local. Dans
d
autres pays fédéraux, comme aux États-Unis, le référendum est possible au
niveau de la ville, du comté ou de l
État, mais pas au niveau fédéral. Cependant
les techniques de base sont toujours les mêmes.
Ces techniques peuvent être classées selon différents critères : la nature du
référendum, son objet, sa place dans le processus législatif ou encore le système
d
initiative, cest-à-dire le processus de déclenchement.
120. La nature. Le référendum peut être simplement consultatif : les auto-
rités constituées ne sont alors pas tenues de se conformer au résultat. Il est impé-
ratif dans le cas contraire. Le référendum consultatif peut être organisé même si
la constitution ne le prévoit pas. En pratique, il est cependant politiquement dif-
ficile de ne tenir aucun compte du résultat d
une consultation populaire, sauf si
plusieurs années se sont écoulées.
121. Lobjet. Selon les cas, il peut porter sur la constitution elle-même,
une loi, la ratification d
un accord international ou tout autre acte. Lobjet est
alors défini par la forme de l
acte sur lequel porte la question posée. Mais cet
objet peut aussi être défini par la matière de cet acte. En France, par exemple,
l
article 11 de la Constitution autorise le Président de la République à soumettre
au référendum un projet de loi portant sur certaines matières énumérées. La
Constitution italienne procède autrement : la Constitution n
énumère pas les
objets sur lesquels peut porter le référendum, mais ceux qui sont exclus,
comme par exemple les lois fiscales, parce qu
on pouvait craindre que les élec-
teurs manifestent un peu trop d
enthousiasme pour abroger les impôts.
122. La place dans le processus législatif. Le vote référendaire peut se
substituer entièrement au vote parlementaire. On parle alors de référendum
d
adoption. Cest par exemple le cas de la procédure prévue par larticle 11 de
la Constitution française qui permet au chef de l
État de soumettre directement
au vote populaire un projet sur lequel les assemblées parlementaires ne se sont
pas prononcées. Mais le plus souvent, vote référendaire et vote parlementaire se
combinent. Le rôle du référendum dépend alors de lordre dans lequel les opé-
rations se succèdent. Si le vote populaire intervient en premier, il s
agit dun
référendum d
orientation qui fixe le cadre général de la loi à intervenir ou qui
renseigne les députés sur les attentes de l
opinion publique. Si au contraire le
peuple se prononce sur un projet venant d
être adopté par le Parlement, il sagit
dun référendum de confirmation ou de veto, qui peut empêcher lentrée en
7.
HAMON, 2007, p. 3.
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118
Droit constitutionnel
vigueur de la loi. Le référendum est dit abrogatif lorsquil est dirigé contre une
loi déjà en vigueur.
123. Le système dinitiative. Le référendum est tantôt obligatoire8, tantôt
facultatif. Le référendum obligatoire est celui qu
on est tenu dorganiser lorsque
lon veut prendre des mesures portant sur un objet déterminé. Par exemple, en
Suisse, au Danemark et en Australie, toute révision de la Constitution doit être
approuvée par référendum. Mais, dans l
ensemble, le référendum obligatoire est
peu répandu et les constitutions qui le prévoient en limitent généralement l
ap-
plication à un petit nombre d
objets spécifiques9. Le caractère obligatoire ne
suffit d
ailleurs pas à garantir une pratique effective du référendum car les auto-
rités s
arrangent parfois pour léviter en sabstenant de toute modification des
objets concernés : c
est ainsi quau Japon la Constitution adoptée au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale ne peut être révisée que par un référendum
mais, en partie pour cette raison, elle n
a encore jamais été modifiée. Le réfé-
rendum facultatif est celui que certaines autorités sont autorisées à organiser, ce
qui signifie qu
elles ny sont pas contraintes et que les mesures projetées peu-
vent aussi être adoptées par la voie parlementaire. Il est important de savoir
quelles sont ces autorités car c
est delles que dépendent la fréquence des réfé-
rendums et les sujets sur lesquels ils portent. Bien que les systèmes d
initiative
soient souvent complexes, et qu
ils associent parfois plusieurs types dautorités,
on peut en distinguer trois sortes, selon que la décision de recourir au référen-
dum dépend principalement du chef de l
État, des citoyens, ou du parlement.
124. Le référendum dinitiative présidentielle ne peut se concevoir que
dans les pays où le chef de l
État na pas seulement un rôle de représentation
mais participe activement à la direction des affaires politiques, comme c
est
le cas en France sous la V
e République. Le Président peut y recourir pour
faire trancher par le peuple un conflit, ouvert ou latent, qui l
oppose au Par-
lement ou à l
une des chambres. En labsence dun tel conflit, il peut égale-
ment l
utiliser pour permettre au peuple de trancher une question importante.
Il est arrivé qu
il attache au résultat la signification dun vote de confiance en
menaçant de démissionner en cas de rejet. C
est pourquoi certains ont parlé
de référendum plébiscite avec une connotation péjorative, tandis que d
autres
y voyaient un régime plus démocratique que le système purement parlemen-
taire, parce que le chef de l
État devenait responsable devant le peuple
(cf. Capitant in Hamon, 2007, p. 21). C
est dailleurs à la suite de léchec
d
un référendum que le général de Gaulle a quitté le pouvoir en 1969. Le
référendum d
initiative présidentielle est donc, pour le chef de lÉtat, une
arme à double tranchant, qui mêle inextricablement vote de confiance et
vote sur un projet, et qui devient périlleuse lorsque les temps sont difficiles
car elle permet l
addition de tous les mécontentements. Cest pourquoi les
Il ne faut évidemment pas confondre lobligation dorganiser un référendum et lobligation de se
8.
conformer au résultat lorsqu
un référendum a été organisé (cest cette dernière qui a été étudiée plus
haut sous la rubrique « la nature »).
Par exemple, aux termes de l
article 88-5 de la Constitution française, « Tout projet de loi auto-
9.
risant ratification dun traité relatif à ladhésion dun État à lUnion européenne et aux Communautés
européennes est soumis au référendum par le Président de la République
».
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Le pouvoir
119
successeurs du général de Gaulle ne lont utilisé que de façon sporadique sur
des sujets apparemment consensuels et qu
ils croyaient sans risques parfois
à tort. La substitution du quinquennat au septennat en 2000 lui a d
ailleurs
retiré l
une de ses justifications, car les échéances électorales sont désormais
suffisamment rapprochées pour que le président n
ait pas besoin dorganiser
un référendum pour sassurer quil dispose toujours dune légitimité popu-
laire. Ce modèle se retrouve, conformément à la tradition bonapartiste, dans
des pays où la démocratie représentative est peu développée, par exemple au
Proche-Orient ou dans certaines républiques ex-soviétiques.
125. Le référendum dinitiative populaire est celui qui est organisé à la
demande d
un nombre déterminé de citoyens et sur un sujet choisi par eux. Il
se rapproche de l
idéal de la démocratie directe dans la mesure où il permet au
peuple de se saisir lui-même de certaines questions. Mais précisément pour cette
raison il s
accorde plus difficilement avec le régime représentatif que les autres
formes de référendum car il retire au Parlement et au gouvernement la maîtrise
de l
agenda politique : il est en effet très fréquent que les promoteurs des réfé-
rendums obligent les autorités publiques à prendre position sur des questions
qu
elles ne souhaiteraient pas poser. En Europe occidentale, deux pays seule-
ment ont institué le référendum d
initiative populaire : la Suisse et lItalie.
En Suisse, au niveau fédéral, deux procédures peuvent être mises en œuvre
par les citoyens : linitiative et le référendum de veto.
Linitiative, qui nécessite 100 000 signatures, permet aux citoyens de propo-
ser une modification de la constitution
10. Elle peut être présentée soit sous la
forme d
un projet entièrement rédigé cest alors ce texte même qui sera sou-
mis aux électeurs
soit sous la forme dune proposition conçue en termes géné-
raux
les électeurs devront alors se prononcer sur un projet établi par le Parle-
les indications contenues dans la proposition. Mais les
ment en suivant
promoteurs des initiatives choisissent presque toujours la première modalité,
parce qu
elle comporte moins de risques daltération et permet un aboutisse-
ment plus rapide. L
initiative nest adoptée que si elle a été approuvée à la
fois par la majorité des électeurs et par la majorité des cantons. Son taux de
succès est faible : sur une période d
un peu plus dun siècle (1891-2005), un
peu moins de 10 % des initiatives (14 sur 145) ont été adoptées. Toutefois,
son effet indirect est important car le dépôt d
une initiative incite parfois le Par-
lement à proposer un contre-projet moins radical mais s
inspirant des mêmes
idées. Les chances de succès de ce contre-projet, qui est soumis à la votation
en même temps que l
initiative, sont statistiquement plus élevées, car il suscite
généralement moins de méfiance.
Le référendum de veto, dont le déclenchement ne nécessite que 50 000 signa-
tures, suspend lentrée en vigueur dune loi qui vient dêtre adoptée par le Par-
lement : une majorité de non par rapport aux suffrages exprimés suffit alors à
empêcher l
entrée en vigueur de la loi, la majorité des cantons nétant pas prise
en considération dans le cadre de cette procédure. De 1874 à 2005, près de la
10. Au moins jusquen 2003, linitiative nétait pas admise en matière législative. Mais il est toujours
possible de tourner cette limitation en présentant une réforme législative sous la forme dun amende-
ment constitutionnel.
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Droit constitutionnel
moitié des lois qui ont fait lobjet dun référendum de veto (73 sur 151) ont été
ainsi rejetées. Le taux de succès du référendum de veto est donc beaucoup plus
élevé que celui de l
initiative, ce qui sexplique par le fait quil est généralement
plus facile de mobiliser les adversaires que les partisans d
une réforme.
En Italie, il nexiste ni initiative ni référendum suspensif de veto. Mais
daprès larticle 75 de la Constitution italienne, un référendum tendant à labro-
gation dune loi en vigueur peut être organisé à la demande de 500 000 citoyens
ou de cinq conseils régionaux. Cette procédure peut être utilisée dans un but
conservateur, en s
attaquant à une loi récente qui a introduit une réforme contro-
versée : par exemple, en 1974, des comités proches de la démocratie chrétienne
ont provoqué un référendum abrogatif pour tenter (sans succès d
ailleurs)
d
interdire le divorce qui nétait autorisé que depuis quatre ans. Mais il arrive
aussi que les promoteurs du référendum abrogatif soient animés par une volonté
de réforme : leur but n
est pas alors de rétablir un statu quo ante mais de créer
un vide législatif qui contraindra le Parlement à innover. Par exemple, des réfé-
rendums de 1993 et 1995 ont obligé le Parlement italien à adopter un système
électoral entièrement nouveau, à dominante majoritaire, qui a créé des condi-
tions favorables à la formation de deux grandes coalitions alternant au pouvoir.
Outre-Atlantique, au début du
XXe siècle, plusieurs États américains de
l
Ouest, dont la Californie, se sont dotés dinstruments de législation directe
inspirés du modèle suisse, en vue de lutter contre la corruption des parlements,
soupçonnés d
être trop complaisants envers les lobbies industriels. Ces procé-
dures sont de plus en plus utilisées : en 2006, près de 200 mesures ont été sou-
mises au référendum dans 32 États. Mais le coût des campagnes référendaires
est très élevé, surtout lorsque le déclenchement de la procédure nécessite une
collecte de signatures, et les grands lobbies, dont on souhaitait à l
origine
réduire l
influence, se montrent très actifs sur le front de la démocratie directe.
Au niveau fédéral, il n
existe aucune procédure référendaire.
En Europe centrale et orientale, durant les années 1990, à la suite de leffon-
drement du communisme, plusieurs États, dont la Hongrie, la Slovénie et la
Slovaquie, ont introduit dans leur constitution des procédures de référendum
d
initiative populaire. Mais ces procédures sont relativement peu utilisées,
sans doute parce que, dans ces pays, la société civile n
est pas encore suffisam-
ment développée. Le lancement de référendums d
initiative populaire suppose
en effet l
existence dun réseau dassociations et de groupes dintérêts indépen-
dants des pouvoirs publics, et disposant de suffisamment de moyens pour orga-
niser des collectes de signatures.
126. Linitiative parlementaire. Dans les pays qui ont un régime parle-
mentaire de type traditionnel, comme la Grande-Bretagne, la Suède, les Pays-
Bas ou lEspagne, aucune des procédures précédentes ne peut trouver sa
place. Le référendum à l
initiative du chef de lÉtat obligerait celui-ci à sortir
de sa réserve en prenant publiquement position sur un problème, alors qu
il
doit normalement se tenir à l
écart des luttes politiques. Le référendum dini-
tiative populaire projetterait sur le devant de la scène politique des demandes
non filtrées par la représentation nationale, ce qui serait contraire à lesprit du
parlementarisme. Mais rien n
interdit au Parlement lui-même dorganiser un
référendum lorsqu
il est embarrassé pour trancher lui-même la question.
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Le pouvoir
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Cette démarche a dailleurs été formalisée par certaines des constitutions les
plus récentes (voir par exemple l
article 92 de la Constitution espagnole). Par-
fois, comme au Danemark ou en Espagne, dans certaines circonstances, le
référendum est de droit lorsqu
il est demandé par une fraction minoritaire
des membres du Parlement. Une telle procédure peut être considérée comme
un élément du statut de lopposition car, si elle veut éviter le référendum, la
majorité sera obligée de lui faire des concessions.
3. Le pouvoir exécutif comme organe législatif
127. Lorgane chargé de la fonction exécutive peut être en même temps
organe législatif partiel, si son consentement est indispensable à la formation
de la loi. Cette hypothèse peut se réaliser de deux manières.
Le cas le plus connu est celui du droit de veto. Une règle constitutionnelle
permet au chef de l
exécutif de sopposer à ladoption dune loi. Technique-
ment, ce pouvoir prend la forme suivante : le texte de la loi, adopté par une ou
plusieurs assemblées parlementaires, est transmis au chef de l
exécutif, qui doit
donner son consentement
on dit aussi « accorder sa sanction ». Il peut refuser
ce consentement, auquel cas, on dit qu
il a opposé son veto. Ce veto peut être
absolu, sil ne peut être surmonté. Cétait le cas dans la constitution anglaise du
XVIIIe siècle ou dans la Charte de 1814. Il est relatif ou partiel, sil peut être
surmonté par la ou les Chambres à une majorité qualifiée, comme aux
États-Unis.
Il est suspensif, si la loi peut entrer en vigueur malgré lopposition du chef
de l
exécutif, après lécoulement dun certain délai, comme dans la constitution
française de 1791.
Lorsque le pouvoir exécutif ne dispose pas dun droit de veto, mais de lini-
tiative des lois, c
est-à-dire du droit de déposer des projets de loi, doit-il être
considéré comme organe législatif partiel ? Il faut distinguer deux cas.
Sil sagit dun droit dinitiative partagé, cest-à-dire si dautres que lui, par
exemple les membres du Parlement, ont également l
initiative, alors une loi peut
être faite sans le consentement du pouvoir exécutif. S
il ne la propose pas, un
député le fera et rien n
empêchera le Parlement dadopter la proposition. Lexé-
cutif n
est donc pas organe législatif partiel.
Il en va tout autrement lorsquil dispose du monopole de linitiative. Tel
était le cas sous la Charte de 1814 : seul le roi pouvait déposer un projet de
loi. Non seulement les députés ne pouvaient pas déposer de proposition, mais
ils ne disposaient même pas du droit d
amendement, cest-à-dire du droit de
proposer des modifications au projet émanant du roi. Dans ce cas, aucune loi
ne pouvait entrer en vigueur sans la volonté du roi.
On trouve sous la Ve République une situation comparable. Députés et Séna-
teurs ont bien l
initiative des lois et peuvent déposer des propositions. Cepen-
dant, le gouvernement bénéficie d
une priorité pour linscription à lordre du
jour de ses projets et des propositions acceptées par lui, ce qui signifie qu
il
peut empêcher que soient inscrites, discutées et votées les propositions dont il
désapprouve le contenu. Députés et sénateurs n
exercent leur droit dinitiative
que par le dépôt d
amendements, mais comme ceux-ci ne doivent pas être
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122
Droit constitutionnel
dépourvus de tout lien avec le projet en discussion, le gouvernement dispose
bien d
un monopole de linitiative. Il est organe législatif partiel.
4. Le juge constitutionnel
128. Lorsquil existe un juge constitutionnel, il doit être lui aussi considéré
comme un organe législatif partiel. Comme on la vu au chapitre précédent,
même s
il ninvoque pas des arguments dopportunité, comme les assemblées
parlementaires, il dispose néanmoins d
un pouvoir dinterprétation considé-
rable, qui lui permet de contribuer à déterminer le contenu des règles législati-
ves et cela de deux manières différentes : il peut interpréter non seulement la
Constitution, mais aussi la loi soumise à son examen et décider qu
elle nest
conforme qu
à la condition de recevoir telle ou telle signification.
Certains contestent quil sagisse dun véritable pouvoir législatif. Lun de
leurs arguments principaux est que le juge se borne à appliquer la constitution.
Mais en réalité, comme l
application est impossible sans interprétation et que
celle-ci est discrétionnaire, le juge impose nécessairement ses propres valeurs.
D
autres, comme Hans Kelsen, considéré comme le père des cours constitution-
nelles, tout en admettant que le juge est bien législateur, puisque sa décision a
pour effet de maintenir les lois en vigueur ou au contraire de les priver de vali-
dité, soutiennent qu
il nest quun législateur négatif, parce quil ne se prononce
que sur des lois déjà faites.
Cependant, à part ce caractère, rien ne le distingue dun législateur positif. Il
ne se prononce pas seulement sur la loi qui lui est soumise, mais dans les motifs
de ses décisions, il donne des interprétations générales de la constitution, dont
on peut déduire des prévisions de ses attitudes futures. Ces motifs font ainsi
figure de directives générales, dont le gouvernement, lorsqu
il prépare un projet
de loi, ou les assemblées parlementaires, lorsqu
elles débattent, doivent néces-
sairement tenir compte. Dans certains cas, le juge constitutionnel va, dans les
motifs dune décision, jusquà dicter les grandes lignes dune législation future,
qui sera seule considérée comme conforme à la constitution. Les autres organes
législatifs sont contraints de décider selon ces directives et le juge constitution-
nel aura ainsi pesé sur le contenu de la loi, même s
il nen a jamais été saisi.
Par ailleurs, lorsquil décide quune loi nest conforme à la constitution, quà
la condition de recevoir telle signification, tout se passe comme s
il récrivait la
loi, puisque c
est lui qui a indirectement déterminé le contenu des obligations
qu
elle prescrit.
Dans certains cas, le juge va jusquà modifier ou compléter le texte de la loi,
c
est-à-dire à reconnaître ouvertement quil contribue à lexercice du pouvoir
législatif. Ainsi, la Cour constitutionnelle d
Afrique du Sud, suivant dailleurs
la Cour suprême du Canada, a décidé à lunanimité de compléter une loi qui
accordait certains droits aux conjoints en ajoutant les mots « ou partenaires du
même sexe dans une relation permanente ». Elle a justifié cette décision par
l
idée quil ny avait aucune différence entre le fait de supprimer des termes
d
une disposition législative ou den ajouter11. Les juges constitutionnels sont
donc bien des législateurs.
Il arrive que lopposition dune cour à une politique législative conduise à une
crise politique grave. C
est ce qui sest par exemple produit aux États-Unis à
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Le pouvoir
123
lépoque du New Deal (v. infra no 269). Selon les systèmes constitutionnels, il
peut être plus ou moins difficile de surmonter ces crises. Dans certains cas, on
peut envisager de réviser la constitution soit pour changer le statut de la cour,
soit tout simplement pour modifier le texte et rendre ainsi conforme une loi
d
abord jugée contraire. Cette solution a cependant ses limites. La procédure de
révision peut, comme aux États-Unis, être très lourde de sorte quil est presque
impossible daboutir. Mais même si elle est rapide, la cour peut envisager dexa-
miner la validité de la révision constitutionnelle elle-même. Celle-ci pourrait avoir
été faite en violation de la procédure de révision ou porter atteinte à des principes
considérés comme supérieurs à la constitution elle-même. Plusieurs cours,
comme celle de l
Allemagne ou de lItalie ont ainsi affirmé leur compétence
pour procéder au contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles. Seule,
semble-t-il, la Cour suprême de l
Inde a franchi le pas et effectivement affirmé
l
inconstitutionnalité dune loi de révision (Troper, 1994b). Dans dautres cas,
comme en Roumanie, la constitution reconnaît que la cour dispose d
un véritable
pouvoir législatif et que celui-ci doit pouvoir être surmonté comme un veto par-
tiel. Elle prévoit donc que le Parlement peut adopter à nouveau le même texte
avec une majorité renforcée.
C Lexercice de la fonction législative
1. Lorganisation du travail législatif
129. La fonction législative est dune importance extrême, non seulement du
point de vue juridique
la loi se situe au sommet de la hiérarchie des normes
mais aussi du point de vue politique : en raison du développement considérable
du rôle de l
État, les lois sont de plus en plus nombreuses et complexes. Dans la
plupart des États modernes, on constate une évolution très profonde des condi-
tions d
exercice de la fonction législative.
Même lorsque cette fonction est confiée à plusieurs organes, il y a toujours
parmi eux au moins une assemblée parlementaire élue. Dans certains cas, les
assemblées parlementaires se voyaient même confier la totalité du pouvoir
législatif. Tous les constituants sans exception ont été conscients des risques
que pouvait présenter un pouvoir aussi important. Robespierre lui-même décla-
rait qu
il redoutait autant la tyrannie de six cents despotes que celle dun roi.
Aux yeux des constituants du
XVIIIe siècle, le risque le plus évident est que les
assemblées peuvent employer la force et l
autorité de la loi pour décider de
questions relevant de la fonction exécutive ou de la fonction juridictionnelle.
Dès lors quil ny a pas de contrôle de constitutionnalité, rien nempêcherait le
législateur de faire des lois particulières pour accorder des privilèges ou imposer
des mesures plus sévères, de soustraire certaines personnes à l
action de la jus-
tice, de trancher des procès, etc. Ce cumul des fonctions, serait la négation de la
séparation des pouvoirs et correspondrait très exactement au despotisme, tel
qu
il est défini au XVIIIe siècle.
11. Déc. CCT du 2 décembre 1999, trad. in CCC, no 9/2000, p. 66, avec le commentaire de Didier
R
IBES, « Le juge constitutionnel peut-il se faire législateur ? », même revue, p. 84.
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124
Droit constitutionnel
Dautre part, ces assemblées seraient très probablement soumises aux pres-
sions populaires, déchirées par les factions, livrées aux démagogues et finale-
ment réduites à l
anarchie et à limpuissance.
Pour pallier ces risques, les constituants ont employé quelques procédés
simples : limiter la durée du mandat, le nombre des mandats parlementaires
quun même homme est en droit de briguer successivement, renouveler les
assemblées par fractions (par exemple un tiers tous les deux ans, comme pour
le Sénat américain), interdire le cumul du mandat parlementaire avec d
autres
fonctions, mais surtout enfermer l
exercice de la fonction législative dans des
procédures contraignantes. Il ne s
agit pas seulement dailleurs déviter le dan-
ger du cumul des fonctions, mais aussi d
améliorer la qualité du travail législa-
tif. On estime notamment qu
il faut éviter quune loi ne soit adoptée sous lem-
pire des passions et qu
il faut organiser le débat de telle manière que léchange
des arguments permette d
apercevoir les solutions les meilleures.
Les assemblées comportent donc des commissions, groupes de parlementai-
res chargés de préparer l
examen des projets ou des propositions de loi. Selon
les systèmes constitutionnels, ces commissions peuvent être spécialisées
(comme en France) ou non spécialisées (comme en Angleterre). Elles peuvent
être aussi permanentes ou
ad hoc, cest-à-dire constituées seulement pour lexa-
men d
un projet et dissoutes ensuite.
Les projets ou propositions sont le plus souvent envoyés à une commission,
puis font l
objet dune ou de plusieurs délibérations (ou lectures) en séance plé-
nière.
2. Les difficultés
130. Il arrive fréquemment dans les États modernes que les parlements
éprouvent quelques difficultés à assurer la fonction législative. Cela tient à de
multiples facteurs, la technicité croissante des projets, la longueur et la lourdeur
excessive des procédures alors qu
il est nécessaire dagir rapidement, les réti-
cences des parlementaires à adopter des mesures utiles, mais impopulaires, les
divisions politiques et l
absence de majorité, qui font de chaque décision le
résultat de compromis laborieusement négociés.
À ces difficultés, il existe quelques remèdes. Le plus fréquent est aujour-
d
hui le développement de linitiative de lexécutif. On estime que dans la plu-
part des systèmes représentatifs modernes, une proportion très importante (jus-
qu
à 90 %) des lois est issue de projets déposés par le gouvernement. Il en est
ainsi même aux États-Unis, où pourtant le Président n
a pas linitiative des lois.
Il lui suffit d
inspirer un membre du Congrès. Ce phénomène sexplique aisé-
ment : le pouvoir exécutif est en mesure, parce qu
il dispose de ladministration,
de connaître les besoins de législation et de faire préparer des projets ; dun
autre côté, il peut aussi agir par divers moyens auprès des parlementaires pour
rassembler des majorités qui les voteront.
Un autre type de procédé, très répandu lui aussi, consiste à accroître les
compétences de l
organe exécutif. Ceci correspond à deux sortes de techniques.
Le Parlement peut en premier lieu se limiter à énoncer dans la loi des principes
ou des règles très générales et laisser au gouvernement le soin de les préciser et
de les compléter par d
autres règles dun degré moins élevé. Ces règles,
Page 125
Le pouvoir
125
émanant du gouvernement, portent, en droit français, le nom de règlements. Il
peut de même s
abstenir dédicter des lois dans certains domaines ou matières,
qui seront réservées au règlement. Ainsi, en France, la loi du 17 août 1948 dres-
sait une liste de matières réglementaires. Si l
on veut éviter que le Parlement ne
reprenne par une loi, le domaine qu
il a concédé au gouvernement par une loi
antérieure, cette liste de matières peut être établie non dans la forme dune loi,
mais dans la constitution formelle. C
est la solution de la Constitution française
de 1958 : l
article 34 énumère les matières réservées au législateur ; aux termes
de l
article 37, toutes les autres matières sont réservées au pouvoir réglemen-
taire.
En deuxième lieu, le Parlement peut autoriser le gouvernement à prendre des
règlements dans des matières réservées à la loi. Ces règlements, qui portaient
sous la III
e République le nom de décrets-lois et que la Constitution de 1958
nomme
ordonnances, pourront, le cas échéant, modifier une loi intervenue anté-
rieurement dans le même domaine et seront soumis au Parlement pour ratifica-
tion. La ratification a pour effet de transformer ces textes en lois et de les faire
bénéficier du régime juridique de la loi : ils ne pourront être contestés devant un
tribunal et ne pourront être modifiés que par une loi nouvelle. Il y a là une sim-
ple application du principe selon lequel la loi fait l
objet dune définition for-
melle : est loi un texte adopté par l
organe que la constitution désigne comme
l
organe législatif et seulement un tel texte.
Cette dernière technique est parfois appelée une délégation législative. Lex-
pression est pourtant erronée parce que l
exécutif ne reçoit pas le pouvoir de
faire des lois. Les actes qu
il prend sont des actes dexécution, des actes formel-
lement
réglementaires et par conséquent soumis au régime juridique du
règlement.
Cependant, les remèdes ne passent pas seulement par laccroissement du
rôle de l
exécutif. Il est également possible de les rechercher dans une amélio-
ration des méthodes de travail du Parlement lui-même. Il est dabord possible de
le doter de moyens accrus, notamment en personnel, pour le mettre en mesure
de préparer plus facilement les textes. On peut également songer à modifier et
alléger la procédure, au moins pour certains types de lois. L
exemple le plus
frappant est celui de la Constitution italienne, qui permet de confier le pouvoir
législatif aux commissions parlementaires.
§ 2. La fonction exécutive
A Le contenu de la fonction exécutive
131. Lidée que lon se fait de la fonction exécutive a considérablement
varié au cours des temps. On est passé d
une conception très stricte à une
conception si large que le terme
exécutif paraît désormais à beaucoup tout à
fait inadapté.
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126
Droit constitutionnel
1. La fonction exécutive stricto sensu
132. Au début de la Révolution française, la fonction exécutive était conçue
comme une fonction d
exécution stricte des lois. La tâche des autorités exécu-
tives consistait seulement à faire les actes matériels et à donner les ordres néces-
saires pour que la loi soit exécutée. La fonction comprenait donc la direction de
ladministration, mais aucun pouvoir réglementaire. Les normes générales ne
pouvaient être émises que par le législateur et en forme de loi. Il en découlait
que cette fonction n
était pas une fonction politique et que ceux qui lexerçaient
ne pouvaient prendre aucune part à la détermination d
une politique. Bien plus,
toute tentative pour exercer un rôle politique apparaissait, selon cette concep-
tion, comme une tentative pour sortir de la stricte exécution de la loi, donc
comme un empiétement sur la fonction législative et un crime contre la consti-
tution.
2. La fonction exécutive lato sensu
133. Cette conception ne pouvait prévaloir longtemps et cela pour trois rai-
sons :
La première est que le législateur est, comme on la vu, dans limpossibilité
matérielle de produire toutes les règles nécessaires. Si, dans les premiers temps
de la Révolution, on est allé jusqu
à déterminer par la loi le style des uniformes
militaires et la forme de leurs boutons, il est évident qu
il sagit là de détails
dont le soin ne peut pas être durablement confié à des assemblées. Dès la
Constitution de l
an III, les organes exécutifs ont donc reçu un pouvoir régle-
mentaire (v.
infra no 331).
La deuxième raison est que lorgane ou les organes exécutifs, aussi appelés
« gouvernements »
12, sont chargés de la conduite des relations internationales. Il
y a là une contradiction certaine avec l
idée quils nexercent quune fonction
subordonnée. Cette activité ne peut évidemment être comprise comme lexécu-
tion des lois et elle ne peut pourtant pas être retirée au gouvernement parce
qu
elle exige le secret dans la conception et la rapidité dans laction et quelle
ne pourrait donc être exercée par une assemblée nombreuse. Il devient donc
impossible de considérer la fonction exécutive comme subalterne et étrangère
à la politique.
La troisième raison est que les organes exécutifs se sont également vus
confier, à partir de l
an VIII, linitiative des lois et quelquefois le monopole de
l
initiative. Ce qui justifiait cette compétence était que lexécutif disposait de
l
administration et quil pouvait grâce à elle reconnaître les difficultés dappli-
cation des lois en vigueur, les besoins de législation nouvelle et préparer des
projets dans de bonnes conditions techniques. Mais les exécutifs se serviront
de ce pouvoir dinitiative, dabord pour présenter des projets de lois tendant à
accroître le pouvoir réglementaire, ensuite pour qu
il y ait entre ces projets une
cohérence minimum et qu
il y ait de même une cohérence entre la législation et
les règlements, c
est-à-dire pour quils apparaissent ensemble comme la mise en
œuvre dune politique.
12. Ce terme ne dénote par lui-même aucun pouvoir réel. Cest celui que Rousseau emploie pour
désigner l
organe dune fonction exécutive étroitement subordonnée.
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Le pouvoir
127
À ce stade, la fonction exécutive comprend donc lexécution matérielle et la
direction de l
administration, la conduite des relations internationales, le pou-
voir réglementaire et l
initiative des lois. Mais à ces compétences que les gou-
vernements tiennent de la constitution, s
ajoute nécessairement un rôle politique
au point que l
on parle alors parfois de fonction gouvernementale.
3. La fonction exécutive latissimo sensu, la fonction gouvernementale
134. Dans la conception précédente, la fonction exécutive reste subordon-
née : le gouvernement peut faire des règlements, mais seulement pour appliquer
des lois.
Il peut élaborer une politique, qui se traduira par le dépôt de projets de lois,
mais il faudra bien que les lois soient votées.
Pourtant, le gouvernement dispose rapidement, dès le début du XIXe siècle,
d
un ensemble de moyens pour tenter de faire adopter ces projets. Certains sont
juridiques et découlent de la constitution : le droit d
entrée et de parole dans les
Chambres, la pression sur les députés par la question de confiance, la menace de
dissolution ; dans les constitutions modernes, certaines interventions dans la
procédure législative. Mais d
autres moyens, extrêmement variés, ne sont pas
prévus par la constitution : ils sont pourtant employés par tout gouvernement
quel qu
il soit et on peut les désigner globalement comme la direction de la
majorité parlementaire.
Lorsquon parle encore de « fonction exécutive », cest alors dans un sens
tout différent. Il ne s
agit évidemment pas dexécution des lois, mais de len-
semble des activités exercées par l
organe chargé par la constitution de la fonc-
tion exécutive. En d
autres termes, on est passé dune conception matérielle
(étroite ou large) à une conception très large, qui est formelle. Comme l
organe
chargé de la fonction exécutive est souvent appelé « gouvernement », on
désigne également cette fonction comme la fonction gouvernementale.
La volonté du gouvernement de concevoir et mettre en œuvre une politique
se manifeste dès le Consulat, mais c
est la Constitution de 1958 qui la consacre
pour la première fois dans son article 20 comme une véritable prérogative du
gouvernement : il «
détermine et conduit la politique de la nation ».
Cest dans ce contexte quon peut comprendre la théorie de la séparation des
pouvoirs, dans la présentation qu
en faisait la doctrine traditionnelle. Lorsquon
distingue la fonction législative pour l
opposer à la fonction exécutive. Dans
l
un de ses premiers sens, celle-ci est évidemment subordonnée et il est impos-
sible de concevoir un équilibre entre deux organes spécialisés. Par contre, si on
compare les pouvoirs de deux organes chargés, l
un de la fonction législative,
l
autre de la fonction exécutive dans ce troisième sens, ceux du gouvernement
sont loin dêtre inférieurs à ceux de lorgane législatif et lidée dun équilibre
entre eux reprend un sens.
Certains auteurs et en tout premier lieu Georges Burdeau sont allés
encore plus loin : ils ont conçu la fonction gouvernementale comme celle par
laquelle s
exerce la totalité de la puissance de lÉtat. Elle englobe alors la fonc-
tion législative. Mais cette conception « ne conduit nullement... à la concentra-
tion de la totalité de l
autorité gouvernementale entre les mains dun organe
unique. Il est au contraire indispensable que plusieurs organes soient associés
Page 128
128
Droit constitutionnel
à la tâche gouvernementale, de telle sorte quà côté du titulaire du pouvoir de
décision, veille une autorité chargée du contrôle
» (Burdeau, 1945).
On peut alors substituer à la classification des fonctions une autre classifica-
tion : au sein de la fonction gouvernementale, on trouve une fonction de déci-
sion et une fonction de contrôle. Certains des rédacteurs de la Constitution de
1958 se sont dailleurs inspirés de cette classification en distinguant non pas la
fonction législative et la fonction exécutive, mais la fonction gouvernementale
(la fonction de décision de Burdeau) et
la fonction de délibération et de
contrôle, confiée au Parlement (J.-L. Quermonne, 1982).
B Les organes de la fonction exécutive
135. Dans un système juridique moderne, tout ce qui nest ni la constitution,
ni la loi, est un acte d
exécution et, à prendre lexpression à la lettre, tous les
organes autres que le Parlement sont des organes de la fonction exécutive.
Cependant, on réserve en pratique l
expression et celle de pouvoir exécutif aux
organes suprêmes de cette fonction. Cet usage est justifié par le fait que l
exé-
cution est assurée pour l
essentiel sous lautorité et le contrôle de ces organes
suprêmes.
1. Les organes suprêmes
136. Le pouvoir exécutif peut revêtir de nombreuses formes quon peut clas-
ser de plusieurs manières.
a) Exécutif moniste et exécutif dualiste
137. On appelle dualiste un pouvoir exécutif comportant deux organes, un
chef dÉtat et des ministres, moniste un exécutif comportant un organe unique.
La plupart des constitutions françaises ont institué un pouvoir exécutif dualiste.
L
exécutif américain est moniste.
À lorigine, le dualisme avait une fonction précise : lorsque le chef dÉtat
était un roi et qu
il était organe partiel de la fonction législative, son indépen-
dance devait être garantie. Il devait donc être
irresponsable et inviolable. Lin-
violabilité est linterdiction de larrêter, lirresponsabilité dexercer contre lui
des poursuites.
Mais, il fallait aussi éviter que le roi ne sabrite derrière lirresponsabilité,
que lui valait sa participation au pouvoir législatif, pour violer la loi sous cou-
leur de l
exécuter. La solution fut trouvée dans linstitution des ministres. Les
actes accomplis par le roi dans la fonction exécutive doivent être contresignés
par les ministres, qui en sont pénalement responsables (v. supra no 89). Ainsi,
les ministres refuseront-ils de contresigner un ordre illégal, pour éviter d
encou-
rir de lourdes peines. Le dualisme garantit à la fois l
irresponsabilité du roi et
une bonne exécution des lois. On comprend que le dualisme a facilité l
avène-
ment du régime parlementaire.
Dans les systèmes modernes, le dualisme a dautres fonctions : dune part, il
permet, grâce à la permanence du chef de l
État, dassurer, malgré les change-
ments de ministère, la continuité au moins symbolique du pouvoir ; d
autre part,
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Le pouvoir
129
il conduit à une répartition des tâches : tantôt, le chef dÉtat assure une fonction
de représentation tandis que le gouvernement détient la réalité du pouvoir ; tan-
tôt, le chef d
État détermine les grandes orientations pour laisser au gouverne-
ment la gestion quotidienne.
Le système de lexécutif moniste se rencontre dans le système présidentiel.
Cependant, dire que lexécutif est moniste ne signifie pas quil ny a pas de
ministres
même la monarchie absolue connaissait linstitution des ministres
mais quils sont étroitement soumis au chef de lexécutif, qui les nomme,
leur donne des instructions et peut les révoquer. Comme il n
est pas irrespon-
sable, ses actes n
ont pas à être contresignés et les ministres nacquièrent aucun
pouvoir autonome.
b) Individu ou collège
138. La qualité dorgane peut être attribuée à un individu ou un groupe din-
dividus, un collège. Ainsi, dans le cas d
un exécutif dualiste, le chef de lÉtat
peut être soit un individu (roi ou président), soit un collège. Ainsi, le Directoire,
dans la Constitution de l
an III ou le Praesidium du Soviet Suprême dans les
constitutions soviétiques, étaient des chefs d
États collégiaux. Les ministres ne
sont pas toujours un organe collégial. Dans certains systèmes, par exemple dans
la constitution française de 1793, ils ne « forment point un conseil », de sorte
qu
ils doivent être considérés seulement comme une série dorganes indivi-
duels.
c) Statuts
α) Désignation
139. Plusieurs procédés de désignation sont concevables : outre le tirage au
sort, qui n
est plus employé, lhérédité, lélection, la nomination, la cooptation.
L
hérédité ne concerne que les chefs dÉtat. Les autres systèmes sont employés
aussi bien pour les chefs d
État que pour les ministres. Chacun de ces procédés
comporte de nombreuses variétés. On sait par exemple qu
un chef dÉtat peut
être élu au suffrage universel ou par un collège restreint, que ce collège peut être
le Parlement, comme en France sous les III
e et IVe Républiques ou un collège
qui n
a pas dautre fonction que délire le Président, comme au début de la
V
e République. La durée de son mandat peut être plus ou moins longue. Il
peut être autorisé à exercer un nombre illimité de mandats comme en France
ou limité comme aux États-Unis. Quand l
exécutif est dualiste, le chef du gou-
vernement, qui peut porter des titres divers, Premier ministre, Président du
Conseil, Chancelier, etc., peut être désigné de plusieurs manières, par exemple
par le chef de l
État, par une ou deux assemblées ou encore par accord entre le
chef de l
État et les assemblées. Il peut même, comme en Israël pendant une
courte période, être élu au suffrage universel (Klein, 1997). Tous ces procédés
sont en outre combinables de différentes manières. Par exemple, le chef de
lÉtat peut nommer des ministres, mais leur nomination doit être confirmée
par le Parlement ou une Chambre du Parlement ou encore, une assemblée élit
le chef de l
État, mais il doit être choisi sur une liste de personnes élues.
Page 130
130
β) Fin des fonctions
Droit constitutionnel
140. Les textes constitutionnels ne précisent pas toujours la manière dont les
fonctions prennent fin. Dans certains cas, comme la mort du titulaire, l
arrivée
au terme du mandat ou encore la démission, une règle explicite n
est pas néces-
saire. Dans dautres, labsence dune telle règle peut créer des difficultés consi-
dérables. Ainsi, l
empêchement (quil ne faut pas confondre avec limpeach-
ment
, le mot anglais qui signifie accusation dans le contexte constitutionnel,
c
est-à-dire le pouvoir dune Chambre de traduire certaines personnes devant
une cour spéciale).
Lempêchement est une situation dans laquelle un membre de lexécutif se
trouve dans l
impossibilité dexercer ses fonctions, soit pour des raisons de
santé physique (il est dans le coma) ou mentale (il a perdu l
usage de ses facul-
tés), soit parce que le pays est en guerre ou en crise et que cette personnalité est
maintenue éloignée de l
appareil du pouvoir. Cependant, on ne peut éviter des
situations où l
empêchement serait utilisé comme un moyen détourné pour réa-
liser une révolution de palais
13.
Certaines constitutions comportent des règles spécifiques, dune part pour
constater l
empêchement, dautre part pour déterminer les modalités de rempla-
cement de l
individu ainsi empêché.
Lorgane compétent pour constater lempêchement est souvent une autorité
de type juridictionnel. Il s
agit en effet déviter quun concurrent politique ne
feigne de constater l
empêchement dun chef dÉtat, qui est en réalité parfaite-
ment en mesure d
exercer ses fonctions. Une autorité juridictionnelle peut être
réputée neutre et objective. Mais, elle ne peut généralement procéder à cette
constatation de son propre mouvement et elle doit être saisie. Ainsi en France,
c
est le Conseil constitutionnel, saisi par le gouvernement, qui constate lempê-
chement.
Quant au remplacement, les constitutions peuvent distinguer lempêchement
temporaire ou définitif. Dans les deux cas, le remplacement est en général
assuré dans les systèmes présidentiels par le vice-président, dans les systèmes
parlementaires par le président de l
une ou lautre Chambre. Mais dans le cas
d
un empêchement définitif, deux solutions sont possibles : ou bien lautorité
chargée de remplacer le chef d
État exerce ses fonctions jusquà lexpiration
de la durée normale du mandat
cest la solution américaine ; ou bien de
nouvelles élections doivent être organisées, comme en France ou en Italie.
γ) La responsabilité
Les chefs dÉtat
Labsence de responsabilité politique
141. Dans la plupart des systèmes constitutionnels modernes, le chef dÉtat
n
est pas politiquement responsable. En dautres termes, il nest pas tenu de
démissionner à la demande d
une majorité parlementaire. Ceci sexplique par
des raisons historiques : dans les premières constitutions du
XVIIIe et du
13. En Tunisie, le président Bourguiba a été ainsi démis de ses fonctions en raison de létat de sénilité
que, à tort ou à raison, on lui prêtait et alors qu
il refusait de démissionner.
Page 131
Le pouvoir
131
XIXe siècles, le chef de lÉtat, monarque ou président, exerçait fréquemment une
double fonction : d
une part, il participait à la fonction législative et à ce titre il
devait rester indépendant pour pouvoir faire contrepoids à la Chambre ou aux
Chambres ; d
autre part, il exerçait la fonction exécutive, qui était entendue très
strictement et qui nimpliquait pas la conduite dune politique. Il ne pouvait
donc être question de sanctionner une divergence de politiques, dès lors que le
chef de l
État nétait pas censé en conduire, ni même en proposer une. On pou-
vait seulement craindre qu
il sécarte de la stricte exécution des lois et cest la
raison pour laquelle ses actes d
exécution devaient être contresignés par un
ministre, qui était responsable, mais pénalement. Cette responsabilité ne visait
pas à empêcher des divergences politiques, mais à punir ce qui ne pouvait être
qu
un crime. Aujourdhui, ces raisons ont en partie disparu puisque le pouvoir
exécutif est un véritable pouvoir et l
irresponsabilité du chef dÉtat a dautres
justifications, d
ailleurs variées.
Dans les régimes parlementaires, il existe un cabinet, distinct du chef de
l
État, qui dispose de la réalité du pouvoir exécutif et qui, lui, est responsable.
Le chef de l
État est donc irresponsable parce quil na pas de pouvoir.
Dans les régimes présidentiels, où le Président dispose de la réalité du pou-
voir exécutif, on entend au contraire lui permettre de l
exercer en toute indépen-
dance et éviter que ce pouvoir ne soit exercé indirectement par une majorité
parlementaire. C
est précisément ce qui pourrait se produire si cette majorité
pouvait destituer le président dès lors qu
il conduit une politique quelle désap-
prouve.
Mais il existe aussi des systèmes, de plus en plus nombreux, dans lesquels,
comme en France, le gouvernement est responsable et où le chef de l
État peut
être amené à exercer lui aussi un pouvoir considérable, voire à déterminer les
grandes orientations politiques, mais demeure néanmoins irresponsable. Face à
de tels systèmes, plusieurs attitudes intellectuelles sont possibles.
On peut dabord estimer que ces systèmes sont pour lessentiel des systèmes
parlementaires : le Président de la République ne peut rien sans le gouverne-
ment, si bien qu
à travers lui, la majorité parlementaire a les moyens dinfléchir
la politique du pouvoir exécutif.
Cependant, dans certains cas, la majorité parlementaire accorde au gouver-
nement
et donc indirectement au Président un soutien constant. Le gouver-
nement a alors une triple fonction politique : il applique les grandes orientations
de la politique définie par le Président ; il assure la direction de la majorité par-
lementaire ; enfin, il joue le rôle d
un fusible. Si le Président se trouve dans
l
incapacité de réaliser le programme sur lequel il a été élu ou sil risque de
devenir impopulaire, il peut changer l
équipe gouvernementale. Le système
que lon vient de décrire est celui que connaît la France dans les périodes de
concordance des majorités. Il a été reproduit dans plusieurs des anciennes répu-
bliques socialistes, où l
on pouvait craindre quun président élu au suffrage uni-
versel et politiquement irresponsable ne se heurte soit à une majorité hostile qui
le paralyserait, soit à une opinion publique, qui n
aurait dautre recours que la
force.
Mais certains auteurs soutiennent que, si ce type de dualisme sexplique par
des raisons historiques (on a voulu un régime parlementaire), il ne se justifie
Page 132
132
Droit constitutionnel
plus : le chef de lÉtat devrait donc être considéré comme politiquement respon-
sable, même si la constitution n
organise pas cette responsabilité. En Italie, une
partie de la doctrine estime qu
il pèse sur le Président de la République une
responsabilité « diffuse ». En France, des idées semblables ont été exposées
par René Capitant. Selon lui, dans un système démocratique, il n
est pas accep-
table quun homme dispose de pouvoirs importants et quil ne soit pas tenu de
rendre compte au peuple de l
usage quil en fait. Cest pourquoi certains votes
importants doivent jouer pour le chef de l
État le rôle dune mise en jeu de sa
responsabilité politique devant les électeurs. C
est ainsi que le général de Gaulle,
notamment à l
occasion dun référendum, avertissait le corps électoral quil se
retirerait s
il était désavoué, ce quil fit en 1969 (v. infra no 479).
La thèse de la responsabilité diffuse, comme celle de Capitant, pour sédui-
sante qu
elle soit sur le plan de la théorie démocratique, est cependant juridique-
ment inacceptable. La double obligation du Président de la République, de met-
tre son mandat en jeu à l
occasion dun vote important et de se retirer en cas
d
échec, nest jamais quune obligation politique ou morale et nullement une
obligation juridique et l
on ne peut dire quun Président qui se comporte autre-
ment viole la constitution. Au demeurant, l
exemple du général de Gaulle na
été imité par aucun de ses successeurs.
Le chef de lÉtat est donc bien irresponsable. Mais il y a en réalité à cette
irresponsabilité politique un tempérament important : la responsabilité pénale
n
est pas aussi différente de la responsabilité politique quil y paraît.
La responsabilité pénale
142. On a vu que, dans les constitutions monarchiques, le chef de lÉtat
n
est pas pénalement responsable, que cette irresponsabilité est la garantie de
son indépendance en tant qu
autorité législative partielle et quelle a conduit
au dualisme de l
exécutif. Le dualisme une fois institué, lirresponsabilité se
justifie encore dans ces régimes bien que le roi ait perdu son droit de veto : un
roi qui serait pénalement condamné ne saurait rester en fonction et si toute
condamnation le forçait à renoncer au trône, on perdrait le principal bénéfice
de la monarchie : l
application mécanique dune règle immuable de succession.
Mais cette justification disparaît dans les régimes républicains, que l
exécu-
tif soit moniste ou dualiste, le président est toujours pénalement responsable.
On n
envisagera pas ici la responsabilité pénale qui pèse sur les gouvernants
du point de vue du droit international. Du point de vue du droit constitutionnel,
la responsabilité peut prendre des formes diverses.
Du point de vue de la procédure : le privilège de juridiction
143. La responsabilité pénale se définit avant tout par la procédure : alors que
la responsabilité politique est mise en
œuvre par un simple vote dune assemblée
politique, la responsabilité pénale implique deux phases et donc deux décisions
distinctes qui doivent être prises par deux autorités différentes : l
accusation et le
jugement. On peut alors distinguer deux types de procédures pénales.
Dans le premier type, laccusation et le jugement sont prononcés par des
assemblées politiques. C
est le cas par exemple aux États-Unis, où la Chambre
des représentants vote l
accusation, limpeachment, et défère le Président au
Page 133
Le pouvoir
133
Sénat qui le juge. De même en France, le Président de la République est accusé
par les deux assemblées et jugé par la Haute Cour, c
est-à-dire par le Parlement
(v.
infra no 580).
Dans dautres cas, on craint que les Chambres nexercent les pouvoirs dac-
cusation et de jugement dune manière politique et on remet au moins le juge-
ment à des autorités de type juridictionnel, une Cour suprême ou une Cour
constitutionnelle. C
est le cas en Italie, en Autriche ou au Portugal. On conce-
vrait mal en revanche que l
accusation puisse être exercée par une autorité judi-
ciaire dans les conditions du droit commun parce que le chef de l
État serait à la
merci de l
autorité qui met en mouvement laction publique, voire des particu-
liers lorsque ceux-ci ont le droit de déclencher les poursuites.
Du point de vue des infractions
144. Ce ne sont pas toujours tous les actes du chef de lÉtat qui sont suscep-
tibles de donner lieu à ces poursuites pénales, mais seulement les crimes les plus
graves. Le Président allemand ne peut être mis en accusation que « pour viola-
tion délibérée de la Loi fondamentale ou d
une autre loi fédérale », le Président
américain seulement pour « trahison, concussion ou autres crimes et délits », le
Président de la République française (jusqu
en 2007) et le Président de la Répu-
blique italienne pour les actes accomplis dans l
exercice de ses fonctions et qua-
lifier de « haute trahison » (v.
infra no 580). Ces dispositions donnent lieu à
deux sortes de difficultés.
En premier lieu les expressions « autres crimes et délits », « violation délibé-
rée », « haute trahison » ou encore « manquement à ses devoirs manifestement
incompatible avec l
exercice de son mandat », sont susceptibles dêtre interpré-
tées de diverses façons et peuvent, selon l
interprétation retenue, conduire ou
non à une mise en jugement du chef de l
État. Il faut souligner par exemple
que le crime de haute trahison n
étant pas défini par le Code pénal français, de
sorte que n
importe quel acte accompli dans lexercice des fonctions et jugé
suffisamment grave pouvant être qualifié de « haute trahison ». De la même
manière, on s
est demandé en 1998, à propos du président Clinton, si le simple
fait pour le président de mentir dans le cadre d
une procédure civile purement
privée pouvait être considéré comme un de ces « autres crimes et délits », pro-
pres à justifier une accusation ou si l
infraction devait être, comme la trahison
ou la concussion, de nature à porter atteinte à la constitution des États-Unis
(Zoller, 1999). On voit que le choix de l
une ou lautre interprétation est inévi-
tablement politique ou même partisan. Dans le cas du président Clinton, par
exemple, c
est avant tout parce que les républicains occupaient la majorité des
sièges à la Chambre des représentants, quil a pu être accusé et parce quils ne
disposaient pas des trois cinquièmes des voix au Sénat qu
il a été acquitté. La
responsabilité pénale est donc nécessairement politique. Toutefois, dans certains
systèmes constitutionnels, on a prévu des procédures pour tenter d
éviter quun
simple désaccord politique puisse trop facilement donner lieu à la mise en
œuvre de la responsabilité. Ainsi, en France une loi organique a prévu quun
président, mis en accusation par les Chambres, ne pouvait être renvoyé devant
la Haute Cour qu
après quune commission dinstruction, composée de
Page 134
134
Droit constitutionnel
magistrats, sest prononcée sur les charges retenues contre lui. La Russie
connaît un système analogue.
La seconde difficulté concerne les actes qui ne relèvent pas de lexercice des
fonctions, c
est-à-dire ceux qui sont de nature purement privée, un crime passion-
nel, une fraude fiscale ou une simple violation du Code de la route ou ceux qui, de
nature publique ou privée, sont antérieurs à lentrée en fonction. Trois solutions
sont théoriquement possibles. La première est fondée sur le principe d
égalité : le
chef de l
État doit sans doute être protégé dans lexercice de ses fonctions et en
cette qualité, mais seulement en cette qualité. Pour le reste, il ne doit jouir d
aucun
privilège, qui le mettrait au-dessus des lois. Il devrait donc être possible de le pour-
suivre comme n
importe quel sujet ou citoyen devant les juridictions ordinaires.
Selon la thèse opposée, le chef de lÉtat ne pourrait exercer librement ses
fonctions, s
il pouvait être facilement poursuivi et sil devait constamment se
défendre contre des accusations visant des actes de la vie privée ou antérieurs
à son mandat. Sa position particulière justifie donc qu
on apporte une exception
temporaire au principe d
égalité. Il ne sera donc responsable que de certains
actes particulièrement graves accomplis dans l
exercice des fonctions. Les
autres actes relevant de ses fonctions, mais qui ne présentent pas un degré de
gravité suffisant, ne donnent lieu à aucune responsabilité. Quant aux actes pri-
vés et aux actes antérieurs au début du mandat, ils peuvent donner lieu à pour-
suite, mais seulement après la fin du mandat.
La troisième thèse est intermédiaire : lacte privé ou antérieur au mandat,
mais dont on n
a connaissance quau cours de celui-ci, pourrait être dune gra-
vité extrême et il serait évidemment choquant qu
un grand criminel ne puisse
être poursuivi avant la fin de son mandat. Il ne doit donc bénéficier d
aucune
irresponsabilité. Mais comme la décision de le poursuivre et de le condamner
pour ces crimes privés ou anciens présente un caractère politique, on ne peut
laisser s
exercer la compétence des juridictions de droit commun et on fait béné-
ficier le chef de l
État dune immunité de juridiction. Cette troisième thèse
conduit donc à distinguer pour ces actes entre l
irresponsabilité, qui est refusée,
et l
immunité de juridiction, qui est accordée. Telle est précisément la solution
américaine et celle qu
a retenue en France le Conseil constitutionnel dans une
décision du 22 janvier 1999
14.
Les ministres
145. La question de la responsabilité politique a déjà été envisagée dans le
chapitre précédent et les développements qui suivent ne porteront que sur la
responsabilité dite pénale. Les problèmes sont analogues mais non identiques
à ceux qui se posent à propos du chef de l
État et analogues mais non identiques
dans les régimes parlementaires et dans les régimes présidentiels.
La responsabilité pénale des ministres est leur raison dêtre. Aussi, à la diffé-
rence du chef de l
État, ne sont-ils jamais pénalement irresponsables. Mais,
comme pour le chef de l
État, la question est de savoir si, pour les actes liés à
leurs fonctions, ils doivent être soumis à une responsabilité de droit commun ou
à un régime particulier. On conçoit trois solutions, qui ont chacune leurs partisans.
14.
98-408 DC, Traité portant statut de la Cour pénale internationale.
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Le pouvoir
135
a) Ils sont soumis à un régime particulier. Cest le cas en France. Avant la
réforme de 1993, ils relevaient de la Haute Cour de justice, comme le Président
de la République. Depuis 1993, c
est la Cour de justice de la République qui est
compétente pour les juger, mais il s
agit encore dune juridiction spéciale. Cest
cette juridiction qui, en 1999, a jugé les anciens ministres dans l
affaire du sang
contaminé. Cest aussi le système américain. La principale justification est que
seule une juridiction spéciale, composée au moins en partie d
hommes politi-
ques, est à même de prononcer un jugement, nécessairement politique. La prin-
cipale critique adressée à cette solution, est précisément liée à cette justifica-
tion : une juridiction composée d
hommes politiques peut prêter le flanc au
soupçon de partialité.
b) Ils sont soumis à une responsabilité de droit commun devant les tribunaux
ordinaires (Duhamel et Vedel, 1999). C
est le cas par exemple de lItalie. La
justification de cette solution réside dans le principe d
égalité et dans la neutra-
lité des juges ordinaires. Le risque, comme pour le chef de l
État, est lincapa-
cité technique des juges ordinaires pour apprécier les conditions desquelles les
ministres exercent leurs pouvoirs et la tentation des autorités judiciaires de
mêler au déclenchement des poursuites ou au jugement des préférences politi-
ques, alors qu
ils nont pas la qualité de représentants du souverain.
c) Pour les actes relatifs à leurs fonctions, ils sont soumis exclusivement à une
responsabilité politique. Cette solution est préconisée par certains juristes, notam-
ment parce que les critères du droit pénal apparaissent inadéquats, quand il s
agit
d
apprécier les actes éminemment politiques, liés au fonctionnement de lÉtat
(Beaud, 1999). Mais cette solution est manifestement inadaptée aux systèmes
dans lesquels la responsabilité politique des ministres n
existe pas et, là où elle
existe, au cas des anciens ministres.
Pour les actes extérieurs aux fonctions, dans la plupart des systèmes, les
ministres sont soumis à une responsabilité de droit commun.
2. Les organes subordonnés
146. Le chef de lÉtat et les ministres ne peuvent exercer leurs attributions et
notamment exécuter les lois qu
au moyen dune administration, composée de
fonctionnaires qu
ils nomment et quils dirigent. En pratique, les fonctionnaires
sont amenés à prendre un très grand nombre de décisions et disposent dans le
cas des hauts fonctionnaires d
un pouvoir dappréciation important. Mais ce qui
confère au pouvoir exécutif son unité, c
est que ces fonctionnaires sont insérés
dans une hiérarchie et qu
ils ne doivent user de leurs pouvoirs que conformé-
ment aux instructions qu
ils reçoivent.
La soumission de cette administration est lélément décisif qui permet de
désigner le chef dÉtat et les ministres comme « le pouvoir exécutif ».
Les ministres sont dailleurs eux-mêmes un élément de cette hiérarchie. Ils
sont en effet le plus souvent placés à la tête d
une administration spécialisée, un
département ministériel et, à ce titre, ils doivent appliquer les décisions prises
par le pouvoir exécutif suprême en donnant les ordres nécessaires aux fonction-
naires placés sous leur autorité. Dun autre côté, ils sont aussi parfois membres
de ce pouvoir exécutif suprême lorsqu
ils ont le droit de se réunir en conseil et
de prendre des décisions collectivement. On parle alors de
dédoublement
Page 136
136
Droit constitutionnel
fonctionnel pour marquer que le ministre est à la fois membre du gouvernement
et chef de service et qu
en tant que chef de service, il doit appliquer les déci-
sions prises par le gouvernement collectivement, auxquelles il a participé.
Il y a néanmoins des cas où lexécution des lois échappe au pouvoir exécutif
suprême. On parle dans ce cas de démembrement du pouvoir exécutif.
3. Le démembrement du pouvoir exécutif
147. Cette expression est à vrai dire inadéquate, parce quelle laisse entendre
que le pouvoir exécutif aurait été dans un premier temps parfaitement unifié,
pour être ensuite divisé. En réalité, il est fréquent que le constituant ou le légis-
lateur souhaite faire assurer l
exécution des lois par des autorités indépendantes
du pouvoir exécutif suprême, soit par méfiance envers lui, soit simplement
parce qu
on estime nécessaire de préserver dans certains domaines une marge
d
autonomie. Ceci correspond à deux cas, la décentralisation territoriale, la
création d
autorités administratives indépendantes.
a) La décentralisation territoriale
148. Cest un procédé dorganisation administrative (v. supra no 67).
L
exécution des lois par la production de normes locales est confiée non à
des fonctionnaires dépendant du pouvoir exécutif suprême, mais à des auto-
rités élues par les habitants des circonscriptions qu
elles administrent. La
décentralisation apparaît ainsi comme une forme d
auto-administration.
Les décisions de ces autorités doivent en tout état de cause être conformes à
la loi. Cette conformité est assurée soit par les tribunaux, soit par le gouverne-
ment, soit par une combinaison des deux procédés. Mais, même lorsqu
elle est
assurée par le gouvernement, celui-ci ne peut adresser des instructions aux auto-
rités décentralisées, comme il le fait envers ses fonctionnaires.
b) Les autorités administratives indépendantes15
149. Dans les systèmes politiques modernes, il y a, on la vu, un nombre
croissant de domaines dans lesquels la loi ne peut tout régler et doit se borner à
énoncer des principes, de telle manière que les sujets soient soumis ou bien à des
règlements ou bien à des décisions prises au cas par cas. Dans l
État traditionnel,
ces règlements et ces décisions étaient adoptés par le pouvoir exécutif. Il est
apparu que cette solution pouvait présenter des inconvénients dans certains cas,
soit qu
on soupçonnât le pouvoir exécutif de manquer de limpartialité nécessaire,
dans des matières qui touchent à des libertés fondamentales, soit que le pouvoir
exécutif pût craindre, par lâcheté, de prendre des décisions difficiles, soit encore
que, par souci corporatiste, certaines professions aient réclamé et obtenu le pou-
voir de se gérer elles-mêmes, soit enfin que les ministères naient pas lexpertise
technique suffisante pour s
occuper de certains domaines dactivité.
On a donc créé, dans plusieurs pays, des autorités dites autorités administrati-
ves indépendantes
, assez différentes les unes des autres, mais qui présentent un
caractère commun important : elles ne sont pas soumises à la hiérarchie
15. Voir COLLIARD et TIMSIT, 1988 ; COLLET, 2003 ; Conseil dÉtat, 2001.
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Le pouvoir
137
administrative et ne reçoivent pas dinstructions du gouvernement. Elles sont com-
posées de manière à garantir à la fois la neutralité et l
impartialité, la compétence
technique, la protection des intérêts des destinataires des décisions. C
est pourquoi
elles comprennent souvent des magistrats, des membres des professions intéres-
sées, des représentants des usagers, des personnalités choisies en raison de leurs
compétences ou de leur valeur morale. Les techniques de désignation sont variées :
élection par les membres d
une profession ou dun corps de magistrats, cooptation,
nomination par des autorités politiques ou combinaison de ces procédés.
§ 3. La fonction juridictionnelle16
150. La fonction juridictionnelle consiste à résoudre les litiges. Lexercice
de la fonction juridictionnelle soulève de très graves problèmes pratiques et
politiques que l
on tente parfois de résoudre à partir de discussions théoriques.
On demande ainsi si la justice constitue ou non un troisième
pouvoir pour tenter
de déduire de la réponse à cette question des conséquences pour l
indépendance
des juges ou l
autorité de la jurisprudence.
À cette question, il nest pas possible dapporter de réponse, parce quil
n
existe pas dessence de la justice ou de la fonction juridictionnelle. On peut
seulement examiner quelles conceptions de la justice ont servi à justifier tel ou
tel type de solution pratique et quelle est l
étendue du pouvoir dont disposent en
fait les autorités judiciaires du fait de ces solutions.
A Différentes conceptions de la fonction juridictionnelle
1. Le jugement-syllogisme
151. Tout dabord, on peut considérer que la fonction juridictionnelle
consiste à trancher des litiges, en appliquant une règle générale législative à
un cas particulier. Le jugement apparaît alors comme le produit d
un syllogisme
dit « pratique », parce que tourné vers l
action, à la différence du syllogisme
« théorique », qui fonde la connaissance. Le syllogisme théorique conduit à par-
tir d
une prémisse majeure, « tous les hommes sont mortels » et une prémisse
mineure « Socrate est un homme », à la conclusion certaine « Socrate est mor-
tel ». Les prémisses comme la conclusion sont des propositions. Si les prémisses
sont vraies, la conclusion est nécessairement vraie. Le syllogisme pratique pré-
sente une structure identique :
prémisse majeure : « tous les voleurs doivent être punis de cinq ans de
prison » ;
prémisse mineure : « Dupont est un voleur » ;
conclusion : « Dupont doit être puni de cinq ans de prison ».
La seule différence est qu
ici la prémisse majeure et la conclusion ne sont
pas des propositions, mais des prescriptions (v. supra no 5).
16. BOUCOBZA, 2005.
Page 138
138
Droit constitutionnel
Cest la conception adoptée par la Révolution Française. Elle est encore lar-
gement dominante, parce qu
elle est parfaitement compatible avec le principe
démocratique : il n
y a pas dautre pouvoir que celui de la loi.
Il en découle que la fonction juridictionnelle nest quune partie de la fonc-
tion exécutive : elle consiste, en effet dans l
application de la loi. Mais il nen
résulte pas que la fonction juridictionnelle doive être exercée par le pouvoir
exécutif, ni d
ailleurs par le pouvoir législatif. Bien au contraire, les fonctions
doivent être séparées. Si elles ne l
étaient pas, le risque serait que le jugement
ne soit pas la stricte exécution de la loi, mais l
expression des caprices du légis-
lateur ou de l
exécutif. On considère par conséquent que sil ny a que deux
fonctions, la fonction exécutive se subdivise en
fonction exécutive proprement
dite
ou fonction administrative et fonction exécutive contentieuse ou fonction
juridictionnelle
, chacune delles étant exercée non pas par un pouvoir, mais
par une
autorité. Ce vocabulaire na pas disparu et la Constitution de 1958
emploie l
expression autorité judiciaire.
Il est clair que, selon cette conception, la fonction juridictionnelle nest pas
la mise en
œuvre dun véritable pouvoir, car la prémisse majeure se trouve dans
la loi, tandis que la prémisse mineure décrit un fait objectif. Le rôle du juge
consiste donc seulement à déduire une conclusion et l
on peut alors dire, que,
la puissance de juger est, selon une formule célèbre de Montesquieu, « en
quelque sorte nulle ».
Il en résulte plusieurs conséquences.
La première est que les juges doivent être indépendants. En particulier, ils ne
doivent pas être révocables, ni par le pouvoir législatif, ni par le pouvoir exécu-
tif. Dans certains systèmes, on ajoute des exigences supplémentaires : ils ne doi-
vent pas tenir leur nomination de l
un ou de lautre, ce qui signifie en pratique
qu
ils doivent être ou bien élus ou bien cooptés ; de même leurs carrières ne
doivent pas dépendre des autres pouvoirs.
La seconde conséquence est que, à linverse, les juges ne doivent pas exer-
cer d
autres fonctions que la fonction juridictionnelle. Ceci pose un problème
délicat, celui de l
interprétation.
2. Le juge créateur
152. La théorie du syllogisme judiciaire repose entièrement sur lidée que la
prémisse majeure est pour le juge un donné, qu
il na aucun pouvoir de décision
sur cette prémisse. Mais dans la réalité, il existe de nombreuses situations où le
juge peut trouver plusieurs textes applicables à un même litige et conduisant à
des solutions différentes et d
autres situations où il ne trouve aucun texte. Il est
également possible et fréquent que le texte applicable soit porteur de plusieurs
significations. Dans tous ces cas, il devient nécessaire de faire des choix et il
n
est plus vrai de dire que les juges ne disposent daucun pouvoir. On est
conduit, bien au contraire, à souligner que juger, c
est exercer un véritable pou-
voir de création du droit.
Cette conception, qui sest répandue à partir de la fin du XIXe siècle,
implique elle aussi un certain nombre de conséquences : la fonction juridic-
tionnelle n
est plus perçue comme une variété dexécution, puisquelle ne
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Le pouvoir
139
consiste plus, en effet, dans lexécution des lois. Cest une troisième fonc-
tion et l
on revendique au profit de ceux qui lexercent le titre de « pouvoir
judiciaire ». Elle doit être exercée par un pouvoir neutre : des juges profes-
sionnels indépendants. Ce troisième pouvoir peut servir de contrepoids aux
deux autres : il peut contrôler les actes du pouvoir exécutif et même ceux du
pouvoir législatif.
B Les solutions
153. Les solutions adoptées dans les différents systèmes constitutionnels
sont extrêmement variables et s
inspirent de lune ou lautre conception avec
une rigueur variable. On peut, pour simplifier, considérer que la Révolution
française a appliqué rigoureusement la conception du jugement-syllogisme et
que les solutions adoptées postérieurement en France ou, dans d
autres pays,
empruntent aux deux modèles.
1. Les solutions françaises de lépoque révolutionnaire
154. Elles se caractérisent par la volonté de spécialiser le juge dans la pro-
duction de syllogismes. Il importe donc que les prémisses soient pour lui un
donné sur lequel il n
aura aucune prise. Pour la prémisse mineure, qui décrit
un fait, la solution est simple : ce n
est pas le juge, mais un jury qui létablira.
Quant à la prémisse majeure, la règle générale à appliquer, il ne peut s
agir que
d
une loi, cest-à-dire dun acte adopté par le Parlement. Il faut donc faire en
sorte que le juge n
ait aucune prise sur la loi. Ceci implique deux interdictions.
La première concerne les arrêts de règlements. Il sagissait de décisions des
Parlements de l
Ancien Régime, qui ne tranchaient pas un litige précis, mais
contenaient l
énonciation dune règle générale et abstraite. Linterdiction de
ces arrêts, qui constituaient une immixtion dans l
exercice du pouvoir législatif,
est formulée dans la loi des 16-24 août 1790, puis à nouveau dans l
article 5 du
Code civil. Elle est donc toujours en vigueur.
La seconde porte sur linterprétation. Sur ce point, on se trouve devant un
dilemme : d
une part, on estime que linterprétation des lois permet de leur
accorder à volonté telle ou telle signification et n
est en définitive, comme les
arrêts de règlements, qu
une usurpation du pouvoir législatif. Cest pourquoi on
refuse l
idée que la jurisprudence puisse être une source du droit. Mais dautre
part, si le juge ne peut jamais interpréter, comme la loi peut être obscure, cer-
tains litiges ne pourront jamais être résolus. La solution, ingénieuse mais diffi-
cilement praticable, consista à distinguer deux types d
interprétation. En pre-
mier lieu, il faut interdire rigoureusement aux juges, toute interprétation par
voie de dispositions générales et abstraites, qui équivaudraient à des arrêts de
règlement. Mais, en second lieu, il faut leur permettre et même les obliger à
interpréter la loi, lorsque cette interprétation est nécessaire pour résoudre un
litige concret (interprétation dite
in concreto). Cette obligation est formulée
expressément à larticle 4 du Code civil.
La difficulté provient de lexistence dune multiplicité de tribunaux, qui peut
faire craindre qu
une loi ne soit interprétée dans un sens à Bordeaux et dans un
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140
Droit constitutionnel
autre sens à Lille. Si lon organise une hiérarchie de juridictions, dans le but
d
assurer par le jeu des appels une unité dinterprétation, on verra se former
une
jurisprudence, cest-à-dire un ensemble de règles générales émanant des
juges, précisément ce qu
on voulait éviter. Cest pourquoi, les révolutionnaires
imaginent le référé législatif : on crée un tribunal de cassation, établi auprès du
corps législatif qui cassera les décisions reposant sur une fausse interprétation
de la loi et prononcera une interprétation in concreto correcte. Mais, en cas de
désaccords répétés entre le tribunal de cassation et les cours d
appel de renvoi,
on présumera quune interprétation générale, dite in abstracto, devient néces-
saire et, comme il s
agit là dun acte de législation, cest le pouvoir législatif lui-
même qui rendra cette interprétation (Hufteau, 1965).
En pratique, cette solution na pas donné les résultats escomptés. Dune part
les juges, terrifiés, spécialement pendant la période révolutionnaire, par l
inter-
diction d
interpréter in abstracto, sabstiennent dinterpréter, même in concreto,
ce qui aboutit à de véritables dénis de justice. D
autre part, la procédure qui doit
permettre au législateur d
interpréter la loi est si lourde quelle naboutit jamais.
Aussi, le référé législatif sera-t-il définitivement aboli en 1837. C
est désormais
la Cour de cassation, qui donnera de la loi une interprétation qui s
impose à
tous. On consacre ainsi l
avènement de la jurisprudence comme source du droit.
2. Les solutions contemporaines. La théorie du pouvoir judiciaire
155. Dès lors que la jurisprudence est une source de droit et que les juges ne
sont plus considérés exclusivement comme une autorité d
application de la loi,
on parle parfois d
un troisième pouvoir, le pouvoir judiciaire. Cependant, si lon
donne à l
expression une signification non seulement fonctionnelle, mais orga-
nique, on ne peut parler d
un véritable pouvoir judiciaire quà un certain nom-
bre de conditions, qui sont rarement remplies.
Notons dabord quil nest pas nécessaire de sarrêter aux termes employés
par le texte constitutionnel. Il arrive en effet quun chapitre soit intitulé « pou-
voir judiciaire », comme dans la constitution française de 1791, alors que les
juges ne disposent pas d
un véritable pouvoir et sont même maintenus dans
une situation subordonnée ou au contraire lorsqu
ils sont investis de compéten-
ces très réelles tout en étant désignés comme une simple « autorité judiciaire ».
C
est donc lorganisation des tribunaux et létendue de leurs attributions qui
doit être examinée. En réalité, il est utile de distinguer deux sens très différents
de l
expression « pouvoir judiciaire ».
Au sens large, lexpression désigne simplement lindépendance et spéciale-
ment l
inamovibilité des juges, qui peuvent exercer la fonction juridictionnelle à
l
abri de toute influence du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif. Lessentiel
est quils ne puissent être révoqués par les autres pouvoirs. Mais il peut exister
des variations considérables dans les procédés de recrutement, de nomination,
d
avancement ou dans lexercice du pouvoir disciplinaire sur les juges. Dans les
pays de
Common Law, les juges sont désignés selon des procédés divers, élec-
tion ou nomination ; ils sont choisis parmi les juristes déjà expérimentés, avo-
cats ou professeurs de droit, mais ils ne forment pas un corps unique au sein
duquel ils feraient carrière. Si l
on parle néanmoins dun pouvoir judiciaire,
c
est en raison de leur indépendance. Dans les pays de lEurope continentale,
Page 141
Le pouvoir
141
lindépendance est organisée différemment : il existe des corps de magistrats,
recrutés par concours, comme les autres fonctionnaires. Leur carrière se déroule
au sein de ces corps et leur avancement est réglé par un conseil de la magistra-
ture, composé au moins en partie de représentants élus des magistrats. C
est ce
conseil qui exerce également le pouvoir disciplinaire.
Il faut signaler le problème particulier du parquet. On appelle ainsi lensemble
des magistrats qui exercent notamment les poursuites en matière pénale. Ils reven-
diquent parfois, comme en France (v.
infra no 794 s.), un statut analogue à celui
des juges du siège et notamment les mêmes garanties d
indépendance. Ce statut
ne leur est généralement reconnu que lorsque, comme en Italie, la loi ne leur
confère pas le pouvoir discrétionnaire d
exercer ou non les poursuites.
Au sens étroit, qui est aussi le sens fort, on parle de pouvoir judiciaire
quand on le conçoit comme un contre-pouvoir. Ceci implique d
une part que,
pour que les tribunaux soient en mesure de faire contrepoids au pouvoir légis-
latif, ils puissent contrôler la constitutionnalité des lois et d
autre part que la
carrière des magistrats ne dépende en rien du pouvoir exécutif, qui ne doit pou-
voir ni les promouvoir, ni les sanctionner, ni
a fortiori les révoquer. Ces deux
propositions peuvent d
ailleurs faire lobjet dune interprétation radicale, la
première pour signifier que le contrôle de constitutionnalité ne doit pas être
exercé par une Cour constitutionnelle spécialisée, comme c
est en général le
cas en Europe, mais par les tribunaux ordinaires, sous l
autorité dune Cour
suprême, la seconde de telle manière que ce ne sont pas seulement les juges,
mais aussi les autorités de poursuite, les procureurs, qui devraient être considé-
rés comme faisant partie du pouvoir judiciaire et bénéficier d
une totale indé-
pendance.
Cependant, cette idée dun pouvoir judiciaire au sens fort est difficilement
compatible avec les théories démocratiques proclamées par toutes les constitu-
tions contemporaines. Dans une démocratie, en effet, si le pouvoir législatif est
exercé par les représentants du peuple souverain, on conçoit mal quil puisse
exister un contre-pouvoir dans la personne de juges non élus.
§ 4. Les pouvoirs de crise17
156. Il peut se produire des événements auxquels les pouvoirs constitués
sont incapables de faire face, soit parce qu
ils sont matériellement paralysés
par ces événements eux-mêmes, soit tout simplement parce que la lenteur des
procédures, le respect des droits et libertés fondamentaux ou la division des
compétences les en empêchent. Qu
il sagisse de guerres étrangères ou intérieu-
res ou de catastrophes naturelles, on comprend que le respect de la constitution
rende difficile, voire impossible de faire face à ces situations. Il peut même arri-
ver que la crise menace la constitution elle-même. On peut alors estimer qu
il
faut pouvoir agir et décider rapidement en dehors des formes constitutionnelles,
c
est-à-dire en concentrant pour un temps tous les pouvoirs dans les mains dun
seul. Cest pourquoi, on a pu écrire que les périodes de crise nécessitaient un
17.
SAINT BONNET, 2001.
Page 142
142
Droit constitutionnel
souverain et par voie de conséquence quelles fournissaient un véritable test
permettant de déceler celui qui, dans l
État, est véritablement le souverain :
c
est celui qui « décide de la situation exceptionnelle » (Schmitt, 1988). Dun
point de vue juridique, deux cas peuvent se présenter :
la constitution ne
contient aucune règle relative aux circonstances exceptionnelles ou elle a au
contraire cherché à aménager les pouvoirs permettant dy faire face.
Si le texte constitutionnel ne comporte aucune disposition pour temps de crise,
le législateur peut, en cas de besoin, prendre lui-même les mesures appropriées ou
conférer des pouvoirs exceptionnels à une autorité distincte, l
exécutif, une partie
de l
exécutif, larmée. Ces pouvoirs exceptionnels excéderont ceux qui sont nor-
malement exercés par ces autorités et même le pouvoir attribué par la constitution
au législateur, s
ils comprennent par exemple des compétences judiciaires. On
justifie cependant cette violation de la constitution par un principe non écrit,
«
salus populi suprema lex », le salut du peuple ou de la république ou de la
constitution
est la loi suprême. En dautres termes, il serait permis de suspendre
pour un temps la constitution, si cest le seul moyen de sauver la constitution.
Une telle solution comporte deux difficultés principales : la première est liée
au statut du principe «
salus populi... », qui nest évidemment pas une norme
juridique positive. Puisque le transfert des pouvoirs exceptionnels est, par hypo-
thèse, dépourvu de base légale, le principe
salus populi... peut facilement être
invoqué non seulement par l
organe législatif, mais par nimporte quelle autre
autorité, par exemple par l
armée. En outre, il ny a aucune mesure objective de
la nécessité de recourir à ce transfert de compétences et on peut concevoir sans
trop de peine qu
une autorité quelconque prenne prétexte dun péril imaginaire
pour justifier l
usurpation du pouvoir.
La seconde difficulté concerne les constitutions qui sefforcent de prévoir et
régler ce type de situations. Les constituants se trouvent pris entre deux objec-
tifs contradictoires : ou bien elles tentent de fixer des limites aux pouvoirs de
crise, de crainte d
un usage arbitraire, mais elles risquent de prescrire des règles
qui, le moment venu, se révéleront inadéquates. Ou bien, elles privilégient l
ef-
ficacité, avec le risque inverse d
un usage arbitraire. Cela dit, les techniques et
les règles sont extrêmement variées et peuvent être classées selon plusieurs
axes, relativement à ce qu
elles prévoient pour la mise en œuvre des pouvoirs
de crise, la détermination du bénéficiaire et les pouvoirs qui lui seront conférés.
A La mise en œuvre
157. La constitution peut sabstenir de définir les circonstances qui justifient
la mise en œuvre de ces pouvoirs, parce quon estime que ces circonstances sont
par nature imprévisibles et quune définition trop stricte empêcherait dy faire
face ou obligerait à une violation du droit.
Elle peut aussi tenter une telle définition. Les circonstances visées sont alors
soit externes au système constitutionnel (guerre extérieure, insurrection, catastro-
phes naturelles
18), soit internes au système, cest-à-dire une paralysie du système
18. Les constitutions nouvelles de lEurope de lEst ajoutent les catastrophes écologiques, du type
Tchernobyl.
Page 143
Le pouvoir
143
constitutionnel lui-même, soit, comme en France, avec larticle 16, une combinai-
son de ces deux phénomènes.
Quune définition figure ou non dans le texte constitutionnel, celui-ci doit
désigner l
autorité compétente pour constater officiellement que les circonstan-
ces qui justifient la mise en
œuvre des pouvoirs se trouvent réalisées. Cette
autorité peut être, comme en France, celle-là même qui exercera les pouvoirs
exceptionnels, avec le risque évident d
un usage abusif. Mais il peut sagir
aussi d
une autorité différente, le Parlement ou une juridiction, avec ici un
double risque : connivence avec le bénéficiaire des pouvoirs de crise ou au
contraire rivalité avec ce bénéficiaire et impossibilité de jamais les mettre en
œuvre.
B Détermination du bénéficiaire
158. Il peut sagir dune autorité spécialement créée pour exercer ces pou-
voirs pendant la période de crise (cas de la dictature romaine) ou d
une autorité
instituée, par exemple l
armée ou lun des pouvoirs publics constitutionnels, le
plus souvent le chef de l
État.
C Les pouvoirs conférés à cette autorité
159. Ces pouvoirs peuvent être définis de plusieurs manières :
Par leur objet (assurer par tous moyens la conduite de la guerre ou le
maintien de l
ordre ou simplement, comme en France, prendre les mesures
exigées par les circonstances) ou par la nature des normes que leur détenteur
est habilité à édicter : des normes de niveau législatif avec ou sans possibilité
de déroger à la constitution, notamment pour limiter l
exercice des droits et
libertés, des normes administratives ou même juridictionnelles, par déroga-
tion aux compétences normales.
Leurs modalités dexercice : tous les pouvoirs peuvent être concentrés
entre les mains d
un seul, pour être exercés sans aucune formalité, mais la
constitution peut aussi exiger le respect de certaines procédures notamment
l
obligation de consulter certains organismes, voire de recueillir leur consen-
tement.
Le délai pendant lequel ils peuvent être exercés. Ce délai peut être fixé
par la constitution elle-même. Il peut aussi être à la discrétion du bénéficiaire
lui-même ou d
un tiers, soit lautorité compétente pour mettre en vigueur ces
pouvoirs exceptionnels, soit une autre.
Le sort et les compétences des autres autorités. La mise en vigueur des
pouvoirs de crise peut être liée à une suspension totale de la constitution, ce qui
interdit aux autres pouvoirs publics constitutionnels de se réunir ou, au
contraire, à une convocation immédiate de ces pouvoirs publics. Dans le
deuxième cas, ils peuvent ou bien contrôler et sanctionner le contenu des déci-
sions qui auront été prises ou la personne de leur auteur ou bien poursuivre leurs
activités ordinaires ou bien encore exercer ces deux fonctions simultanément,
contrôler et poursuivre leurs activités.
Page 144
144
Droit constitutionnel
Sous-section 2
La désignation des gouvernants : le scrutin
160. Le procédé le plus courant pour la désignation des gouvernants est
lélection. Plusieurs questions se posent.
Dabord celle des conditions requises pour participer à cette élection. Qui
peut exercer le droit de vote (ou droit de suffrage) ?
Ensuite, lélection elle-même est susceptible de modalités très différentes
qui ne sont pas sans influence sur les résultats et, par conséquent, sur la portée
du suffrage émis par les citoyens. L
étude de ces modalités conduit à distinguer
différents modes de scrutin.
Enfin, le choix dun mode de scrutin pose toujours des problèmes délicats et
l
expérience montre quil peut être influencé par les intérêts des partis au
pouvoir.
§ 1. Le droit de suffrage
161. En ce qui concerne lattribution et lexercice de ce droit, tous les pays
ont connu depuis le
XIXe siècle une évolution qui va dans le même sens et que
l
on peut résumer en deux mots : universalité et égalité.
162. Universalité. Primitivement réservé à un petit nombre de privilégiés,
le suffrage n
est plus subordonné aujourdhui à des conditions de revenu, dins-
truction ou de sexe mais seulement à des conditions d
âge et de nationalité.
Mais, il arrive que les nationaux ne forment qu
une partie de la population.
Dans la plupart des pays, l
âge de la majorité électorale est aujourdhui de
dix-huit ans. Et tous les ressortissants nationaux sont électeurs lorsqu
ils attei-
gnent cet âge minimum, sauf sils se trouvent dans un cas dincapacité morale
ou intellectuelle constaté par une décision de justice. Cest en ce sens que lon
peut parler de suffrage universel. Dans certains États, toutefois, les nationaux ne
sont électeurs que dans la mesure où ils résident dans le pays. En France, au
contraire, la condition de résidence n
est pas exigée. Depuis la réforme consti-
tutionnelle de 2008, les Français résidant à l
étranger ont leurs propres représen-
tants à l
Assemblée nationale et au Sénat.
Il convient de noter que le suffrage universel na été vraiment réalisé quà
une date relativement récente. En France, il a fallu attendre 1945 pour que les
femmes puissent voter. Aux États-Unis c
est seulement en 1964 que fut
adopté le XXIV
e amendement interdisant les taxes électorales (poll taxes) qui
permettaient d
écarter du corps électoral, dans certains États, environ 15 % de
la population (essentiellement les Afro-Américains).
Et aujourdhui encore, sans cesser dêtre universel, le suffrage peut être indi-
rect
, cest-à-dire quau lieu dêtre désigné par lélecteur lui-même, les représen-
tants le sont par des personnalités elles-mêmes élues au suffrage universel. Ce
suffrage indirect ou à deux degrés est, par exemple, celui qui est actuellement
utilisé en France pour l
élection des sénateurs.
Page 145
Le pouvoir
145
163. Égalité. La démocratie nimplique pas seulement luniversalité du
suffrage. Il faut également que la voix de chaque électeur pèse exactement le
même poids, quels que soient son niveau d
instruction, son état civil, sa profes-
sion ou sa situation de fortune. Il n
en a pas toujours été ainsi. Certains pays ont
connu autrefois l
institution du vote plural : en Belgique, par exemple, sous le
régime de la Constitution de 1831, un célibataire sans fortune et sans diplôme
navait quune voix, alors quun homme marié, propriétaire foncier et titulaire
d
un diplôme universitaire pouvait disposer de quatre voix ; au Royaume-Uni,
le vote plural a subsisté jusqu
en 1950. Mais il a aujourdhui complètement
disparu. En théorie tout au moins, le principe « un homme, une voix » a partout
triomphé. En pratique, il subsiste parfois encore des inégalités, mais elles ne
sont plus liées à des distinctions sociales : elles résultent soit du découpage
des circonscriptions, soit de la représentation de certaines collectivités territo-
riales.
Si deux circonscriptions élisent le même nombre de représentants, alors que
leur population d
électeurs est différente, la voix dun électeur de la circonscrip-
tion la moins peuplée pèse évidemment plus lourd. Pour éviter de telles inéga-
lités, il ne suffit pas que le découpage ait été effectué à l
origine de façon éga-
litaire ; il faut encore qu
il puisse être révisé périodiquement pour tenir compte
des évolutions démographiques. Ceci suppose, d
une part, lorganisation de
recensements de la population à des intervalles relativement rapprochés et,
d
autre part, une surveillance exercée par un organisme indépendant (juge
constitutionnel par exemple) pour s
assurer que le découpage est effectivement
modifié en tenant compte des résultats de ces recensements.
Mais on estime parfois que ce ne sont pas seulement les hommes, mais les
territoires eux-mêmes qui doivent être représentés. C
est particulièrement net
dans les États fédéraux, où l
on considère que les États membres ont des intérêts
propres et qu
ils doivent être représentés de façon non directement proportion-
nelle à leur population. Dans certains cas, aux États-Unis par exemple, tous les
États élisent le même nombre de sénateurs à la Chambre haute, quelle que soit
leur population, alors même que celle-ci peut varier de moins d
un million,
comme en Alaska, à plus de trente millions, comme en Californie. Mais même
dans les États unitaires comme la France, les collectivités territoriales peu peu-
plées bénéficient à la seconde Chambre d
une surreprésentation.
On peut aussi calculer le nombre de représentants auquel aura droit une cir-
conscription en fonction d
autres critères que ceux tirés du nombre des élec-
teurs. Ainsi, aux États-Unis, dans les années qui ont suivi la mise en place de
la constitution, chaque État pouvait envoyer à la Chambre des représentants un
nombre d
élus calculé sur la base du nombre des électeurs augmenté des 2/3 du
nombre des esclaves.
§ 2. Les différents modes de scrutin
164. La summa divisio des modes de scrutin est fondée sur lopposition des
systèmes majoritaires et des systèmes proportionnels. Mais de nombreux pays
ont adopté un système mixte, qui combine, selon des modalités variables, des
éléments majoritaires et proportionnels.
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146
Droit constitutionnel
A Les systèmes majoritaires
1. Généralités sur les scrutins majoritaires
165. Le propre des scrutins majoritaires cest que, dans chaque circonscrip-
tion, le ou les sièges sont attribués en bloc aux candidats ou à la liste arrivé(e) en
tête ; en d
autres termes, les tendances minoritaires ne sont pas représentées et les
voix qui se sont portées sur elles sont perdues.
Le scrutin majoritaire peut se pratiquer dans le cadre de grandes circonscrip-
tions où l
électeur doit choisir une liste de candidats. Cétait le cas en France
sous la Seconde République, où les députés étaient élus dans le cadre départe-
mental
19. Mais, aujourdhui, en ce qui concerne tout au moins les élections
législatives, les pays restés fidèles au scrutin majoritaire le pratiquent plutôt
dans le cadre de petites circonscriptions où un seul siège est à pourvoir. Ce
cadre présente un double avantage : d
une part, les rapports entre les candidats
et les électeurs sont plus personnalisés ; d
autre part, plus les circonscriptions
sont nombreuses, plus il y a de chances que la majorité ne soit pas la même
partout, ce qui atténue quelque peu l
effet monolithique du principe majoritaire.
Les trois formes de scrutin majoritaire les plus répandues sont : le scrutin
uninominal à un seul tour de type britannique ; le scrutin majoritaire uninominal
à deux tours de type français ; et enfin le vote alternatif que l
on peut désigner
sous le nom de système australien, car c
est surtout dans ce pays quil est pra-
tiqué.
2. Le scrutin majoritaire uninominal à un seul tour
(système britannique)
166.
Cest le plus simple de tous les modes de scrutin : un seul siège est à
pourvoir dans chaque circonscription, l
élection se joue en un seul tour, et le
candidat qui a recueilli le plus de voix est élu, sans quil ait à satisfaire à la
condition dun pourcentage minimum par rapport aux suffrages exprimés ou
aux électeurs inscrits. Ce système, que les auteurs anciens désignaient générale-
ment sous le nom de scrutin à la pluralité des voix, est traditionnel au Royaume-
Uni. Pour les Anglo-Saxons, c
est une institution tellement fondamentale quils
lui ont donné un nom spécial : le «
First-Past-The-Post » (FPTP)20. Sous sa
forme pure, le FPTP n
est pas pratiqué en Europe continentale, mais il est
assez répandu dans le monde anglo-saxon et dans les pays du Commonwealth.
On l
utilise notamment au Canada, aux États-Unis et en Inde. Cest donc le
mode de scrutin en vigueur dans les deux démocraties les plus peuplées du
monde.
Il exerce une influence importante sur la vie politique en incitant lélecteur à
« voter utile », cest-à-dire à donner son suffrage au candidat qui, sans répondre
19. En France, le scrutin majoritaire de listes est encore utilisé pour les élections municipales dans
les communes de moins de 3 500 habitants mais les listes ne sont pas bloquées ce qui permet aux
électeurs d
écarter un nom et de le remplacer par un autre.
20. Cette dénomination a été vraisemblablement inspirée par une comparaison entre l
élection dun
député et la course à pied : de même que le gagnant de la course est celui qui franchit le premier le
poteau d
arrivée, parce quil a couru plus vite que nimporte lequel de ses concurrents, de même le
vainqueur de l
élection est celui qui a recueilli plus de suffrages que nimporte quel autre candidat.
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Le pouvoir
147
exactement à ses vœux, en est cependant le plus proche. Comme il na quun
coup à jouer, l
électeur lutilise pour éliminer le candidat dont il ne veut pas.
Conscientes de cette attitude psychologique, les différentes forces politiques se
regroupent de telle sorte que la compétition électorale s
apparente à un combat
entre deux camps. Le FPTP conduit donc, sinon toujours au bipartisme, comme
en Grande-Bretagne et aux États-Unis, du moins à une bipolarisation assez nette
de la vie politique : en Inde, par exemple, en dépit de l
immensité du pays, de sa
diversité ethnique et religieuse, les principales forces politiques se sont regrou-
pées en deux grandes coalitions, dirigées, l
une par un parti laïque, le parti du
congrès, au pouvoir depuis les élections de 2004, et l
autre par un parti traditio-
naliste de tendance hindouiste, le Bharatiya Janata Party (BJP).
Cette structuration bipolaire se combine généralement avec la surreprésenta-
tion du parti vainqueur car dans toutes les circonscriptions où son candidat
arrive en tête, les voix recueillies par les autres candidats sont perdues
21. Cette
surreprésentation permet au parti vainqueur d
obtenir plus de la moitié des siè-
ges alors qu
il obtient moins de la moitié des voix au plan national.
Le FPTP présente de notables avantages : en votant pour un député, les élec-
teurs choisissent également un Premier ministre et une équipe gouvernemen-
tale ; il existe une majorité nette au sein du Parlement, de sorte que la stabilité
gouvernementale est pratiquement garantie pendant toute la durée de la législa-
ture ; enfin, comme il suffit généralement d
un faible déplacement de voix pour
provoquer un renversement de majorité, l
alternance est toujours possible, ce
qui permet aux électeurs de sanctionner une équipe qui les a déçus.
Mais le scrutin de type britannique suscite également de nombreuses criti-
ques : en premier lieu, on lui reproche de simplifier abusivement et de figer le
paysage politique car les tiers partis et les nouveaux courants sont généralement
tenus à l
écart du Parlement ; en second lieu, ce qui est paradoxal pour un sys-
tème majoritaire, le gouvernement ne représente souvent qu
une minorité de
l
électorat car, grâce à leffet amplificateur du mode de scrutin, un parti ou
une coalition peut obtenir assez facilement la majorité absolue des sièges avec
moins de 50 %
22, parfois même moins de 40 % des voix ; enfin, dans les circon-
scriptions durablement acquises à l
un ou lautre des deux blocs, la voix des
électeurs flottants est pratiquement neutralisée, car elle ne peut avoir aucune
influence sur la répartition des sièges.
Cest pourquoi, dans certains au moins des pays où il est traditionnellement
utilisé, le scrutin de type britannique est aujourd
hui contesté par une fraction
importante de l
opinion. La Nouvelle-Zélande y a renoncé en 1993 à la suite
21. On a tenté de formaliser cet effet de surreprésentation au moyen dune relation mathématique
connue sous le nom de loi du cube : en supposant que les voix du parti majoritaire et celles du parti
minoritaire soient dans un rapport de 5/4, les sièges qu
ils obtiendront seront dans un rapport de (5/4) à
la puissance 3, c
est-à-dire dans cet exemple 125/62, ce qui est évidemment très favorable au parti
majoritaire. Bien entendu, cette relation n
exprime quune tendance générale qui nest pas toujours
vérifiée, même d
une manière approximative, par les résultats dune élection déterminée.
22. Le parti vainqueur est presque toujours celui qui a obtenu la majorité relative des voix. Mais
exceptionnellement, il peut arriver qu
il ait un peu moins de voix que le principal parti de lopposition,
lorsque les voix de ce dernier sont concentrées dans un petit nombre de circonscriptions. Ainsi, en
1951, au Royaume-Uni, les conservateurs ont obtenu 321 sièges avec 48 % des voix et les travaillistes
seulement 295 avec 48,8 % des voix.
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Droit constitutionnel
dun référendum. Et même en Grande Bretagne, avant les élections de 1997, la
contestation était suffisamment importante pour que Tony Blair, en tant que
chef de l
opposition, ait promis, sil gagnait les élections, de nommer une com-
mission indépendante chargée de faire un rapport sur la réforme du mode de
scrutin. Dans son rapport remis en 1998, cette commission a proposé le rempla-
cement du système en vigueur par un système mixte, combinant le scrutin majo-
ritaire et la représentation proportionnelle.
Une proposition un peu différente a été soumise aux électeurs britanniques
en mai 2011 par référendum. Elle avait pour objet de remplacer le système
«
first past the post » par celui du vote alternatif (v. infra no 168), mais elle a
été rejetée à une forte majorité (Hamon, 2011).
3. Le scrutin majoritaire uninominal à deux tours
(système français)
167. La différence avec le système précédent tient au fait que le premier tour
n
est pas nécessairement décisif : il ne lest que si lun des candidats parvient à
rassembler sur son nom la majorité absolue des suffrages exprimés ainsi qu
une
proportion minimum des électeurs inscrits (25 % selon la loi française actuelle-
ment en vigueur). Dans le cas contraire, un second tour est organisé une
semaine plus tard et, comme dans le système britannique, le siège est alors attri-
bué au candidat qui recueille le plus grand nombre de voix, même s
il ne sagit
que d
une majorité relative.
Ce système, que lon désigne parfois sous le nom de « scrutin darrondisse-
ment », est presque aussi traditionnel en France que l
est le FPTP dans les pays
anglo-saxons. Il était déjà en vigueur durant la première moitié du
XIXe siècle,
sous la Restauration et la monarchie de Juillet ; la Seconde République lui a
préféré le scrutin de listes départemental mais l
une des premières initiatives
de Louis Napoléon Bonaparte, après son coup d
État du 2 décembre 1851, fut
de le rétablir ; la Troisième République ne l
a écarté que durant de brèves pério-
des, de 1885 à 1889 et de 1919 à 1927 ; la Quatrième République avait choisi le
scrutin proportionnel de listes mais dès 1958, lors de l
avènement de la Cin-
quième République, on est revenu au scrutin d
arrondissement. Cependant, en
1985, durant le premier septennat de F. Mitterrand, la proportionnelle de listes
fut de nouveau adoptée, conformément à ce qui avait été prévu dans le pro-
gramme commun de l
union de la gauche ; mais dès lannée suivante, à la
suite de l
alternance, J. Chirac étant Premier ministre, on rétablit le scrutin dar-
rondissement, parce qu
il paraissait saccorder mieux avec la logique majori-
taire du régime. Sans être une constante de la vie politique française, le scrutin
d
arrondissement semble donc correspondre à une tendance profonde, que lon
nest jamais parvenu à écarter durablement.
Sa longévité est probablement due au fait que cest un scrutin très personna-
lisé, comme tous les scrutins uninominaux, mais politiquement moins réducteur
que le système britannique car, le premier tour n
étant généralement pas décisif,
de nombreux candidats peuvent y tenter leur chance. Il tend également à struc-
turer la vie politique selon une configuration binaire, mais de façon beaucoup
moins nette que le FPTP. Sous la Troisième République, le scrutin d
arrondis-
sement a été utilisé dans douze élections sur quinze, mais on ne peut pas dire
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Le pouvoir
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quil a exercé une influence bipolarisatrice car il y avait beaucoup de formations
politiques et les frontières entre la majorité et l
opposition nétaient générale-
ment ni très nettes ni très stables. En revanche, sous la Cinquième République,
le scrutin d
arrondissement a probablement contribué à la bipolarisation de la
vie politique mais son influence s
est combinée avec dautres facteurs allant
dans le même sens, notamment le droit de dissolution et lélection présidentielle
au suffrage universel direct selon un système de scrutin majoritaire à deux tours
obligeant les électeurs à choisir entre deux candidats seulement au second tour.
4. Le vote alternatif (système australien)
168. Il sagit dun scrutin uninominal à un tour, comme le scrutin de type
britannique ; mais au lieu de sélectionner un seul candidat, l
électeur doit les
classer tous (ou en classer au moins deux) selon l
ordre de ses préférences. Le
principe est le suivant : si un candidat obtient la majorité absolue des voix
(c
est-à-dire des préférences de premier rang), il est élu. Dans le cas contraire,
le candidat qui a obtenu le moins de voix est éliminé, et les secondes préféren-
ces de ses électeurs sont reportées sur les candidats restant en lice. Si, à la suite
de ce report, un candidat obtient la majorité absolue des voix, il est élu. Dans le
cas contraire, l
opération peut être recommencée jusquà ce quune majorité
absolue se dégage.
Du point de vue de la technique électorale, cest un scrutin majoritaire parce
que l
on naboutit pas à un partage des sièges : le candidat élu est celui qui
totalise le plus grand nombre de préférences, tous les autres étant éliminés.
Mais il est tout de même un peu proportionnaliste dans son esprit dans la
mesure où l
électeur est appelé à voter successivement pour plusieurs candidats.
Comparé au scrutin de type britannique, le vote alternatif présente deux
avantages : en premier lieu, l
électeur est plus libre de ses choix car la contrainte
de « voter utile » est beaucoup moins forte. Il peut, par exemple, voter, en pre-
mière position, pour un candidat très proche de ses idées, même si celui-ci na
pas beaucoup de chances, et, en deuxième position seulement, pour le candidat
le plus susceptible de barrer la route à celui dont il ne veut pas. En second lieu,
la légitimité des élus est renforcée car la majorité absolue des préférences reflète
nécessairement un consensus assez large. Mais, dans l
ensemble, les partis poli-
tiques ne sont pas très favorables à ce mode de scrutin auquel ils reprochent
d
empêcher les électeurs de sidentifier à un parti déterminé, en les invitant à
classer des candidats appartenant à différents partis.
Le vote alternatif est utilisé pour lélection de la Chambre basse du Parle-
ment fédéral australien ; en Europe, il n
est utilisé que pour lélection du Prési-
dent de la République d
Irlande, qui est choisi directement par le peuple,
comme en France.
Les pays européens autres que la France ou le Royaume-Uni ont préféré
adopter des scrutins proportionnels ou des scrutins mixtes.
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Droit constitutionnel
B Les systèmes proportionnels
1. Généralités sur les scrutins proportionnels
169. Le propre de ces scrutins, cest quils tendent à répartir les sièges pro-
portionnellement au nombre de suffrages obtenus par les candidats ou les listes
correspondant aux différentes tendances de l
opinion. La composition du Parle-
ment reproduit donc assez exactement l
état des forces politiques dans le pays.
C
est pourquoi la proportionnelle est souvent associée à lidée de justice ou de
légitimité, alors que les défenseurs du scrutin majoritaire ont plutôt tendance à
mettre en avant des arguments d
efficacité.
La proportionnelle risque de rendre plus difficile la formation dun gouver-
nement appuyé sur une majorité stable. Mais l
importance de ce risque est fonc-
tion du contexte politique. L
expérience montre que la proportionnelle fonc-
tionne généralement mal dans les pays où l
on trouve des partis extrémistes
puissants et de bords opposés, parce que ces partis ne peuvent pas s
allier
entre eux et refusent le plus souvent de s
allier avec les partis du centre : lassise
de la majorité gouvernementale est donc assez restreinte. Ainsi la proportion-
nelle a-t-elle contribué à provoquer la chute de la République de Weimar en
Allemagne (1919-1933), et celle de la IV
e République en France (1946-1958).
Au contraire, lorsqu
il ny a pas de partis extrémistes puissants, la propor-
tionnelle ne génère pas nécessairement l
instabilité car les principaux partis
représentés au sein de l
assemblée peuvent sentendre pour gouverner
ensemble ; dans ce cas, il arrive même qu
on aboutisse à une stabilité plus
grande que dans les pays à scrutin majoritaire, parce que la formule gouverne-
mentale repose sur une entente tellement large qu
il ny a plus dalternance pos-
sible. En Suisse, par exemple, depuis 1959, le gouvernement est toujours com-
posé selon une même formule, qui associe les quatre principaux partis
représentés au Parlement, et que l
on qualifie de « magique », parce quelle
garantit une parfaite stabilité.
Les effets politiques de la représentation proportionnelle dépendent égale-
ment, dans une certaine mesure, des modalités selon lesquelles elle est mise
en
œuvre.
2. La mise en œuvre de la représentation proportionnelle
170. Le choix de la circonscription de base. Il existe un petit nombre de
pays (Israël, les Pays-Bas, la Pologne, et le Luxembourg notamment) qui, pour
les élections législatives, mettent en
œuvre la représentation proportionnelle
dans le cadre dune circonscription nationale unique23. Ce procédé est parfois
désigné sous le nom de « représentation proportionnelle intégrale » car le
choix d
un tel cadre géographique permet dattribuer à chaque liste un nombre
de sièges correspondant presque exactement à la proportion de suffrages qu
elle
a recueillie, en limitant au strict minimum les pertes dues à des restes non
Plusieurs pays utilisent la représentation proportionnelle dans le cadre dune circonscription
23.
nationale unique pour lélection de leurs représentants au Parlement européen. Cétait notamment, jus-
qu
en 2003, le cas de la France.
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Le pouvoir
151
utilisées24. Mais, sauf peut-être dans les pays de très petites dimensions, comme
le Luxembourg, il comporte des risques sérieux : d
une part, dans la mesure où
l
on se rapproche beaucoup de la représentation proportionnelle intégrale, les
partis n
ont pas besoin de se regrouper pour obtenir des sièges, ce qui favorise
la fragmentation politique des assemblées parlementaires et peut rendre très
aléatoire la constitution dune majorité cohérente et stable. Il est néanmoins pos-
sible de limiter cette tendance à la fragmentation en fixant un seuil minimum en
dessous duquel aucune liste ne se verra attribuer des sièges (5 % des suffrages
exprimés par exemple). D
autre part, lensemble des représentants étant désigné
par l
ensemble des électeurs, les relations entre les premiers et les seconds sont
dépersonnalisées, ce qui peut accentuer dans l
opinion une tendance à lanti-
parlementarisme et au rejet de la classe politique.
Cest pourquoi, dans la plupart des pays qui lont adoptée, la proportionnelle
est mise en
œuvre dans le cadre de circonscriptions multiples qui correspondent
généralement à l
une des grandes divisions administratives du territoire natio-
nal. En France par exemple, quand elle s
appliquait aux élections législatives, la
proportionnelle était un scrutin départemental et c
est encore vrai aujourdhui
pour les élections sénatoriales. Quant à l
élection des représentants de la France
au Parlement européen, depuis la réforme du 12 avril 2003, elle a lieu à la repré-
sentation proportionnelle mais dans le cadre de huit circonscriptions interrégio-
nales.
171. La répartition des sièges entre les listes. Selon la démarche la plus
courante, on détermine d
abord un quotient électoral, qui est égal au nombre des
suffrages exprimés divisé par le nombre des sièges à pourvoir. S
il ny a pas une
circonscription nationale unique, ce quotient doit normalement être calculé
séparément pour chaque circonscription
25. On attribue à chaque liste autant de
sièges que le nombre de voix qu
elle a obtenu comprend de fois le quotient
électoral. Comme il narrive pratiquement jamais que le nombre de suffrages
recueilli par chaque liste soit un multiple exact du quotient électoral, cette pre-
mière opération ne permet pas de répartir la totalité des sièges.
Admettons par exemple quil y ait 5 sièges à pourvoir et 100 000 suffrages
exprimés. Le quotient est : 100 000 : 5 = 20 000. La liste A avec 36 000 voix
aura un député, la liste B avec 28 000 voix en aura un autre, mais les listes C
(19 000 voix), D (10 000 voix), E (7 000 voix) n
en auront aucun. Il y a
36 000 suffrages inutilisés et il reste trois sièges à pourvoir.
Les sièges non encore attribués seront répartis en fonction des restes, mais
différents procédés sont possibles. Les deux plus connus sont
le plus fort reste,
qui avantage les petits partis, et
la plus forte moyenne, qui avantage plutôt les
grands.
Le premier consiste à attribuer les sièges en suspens aux listes qui ont le plus
grand nombre de suffrages inutilisés. En reprenant notre exemple, les trois
24. En fait, la représentation proportionnelle intégrale est une limite idéale que lon ne parvient
jamais à atteindre mais dont la circonscription nationale unique permet de se rapprocher sensiblement.
25. Toutefois, même dans ce cas, on peut calculer un quotient national unique qui est égal à la tota-
lité des suffrages exprimés sur le territoire national divisé par le nombre de sièges à pourvoir. Ensuite,
les sièges sont attribués en deux étapes : dans le cadre de chaque circonscription dans le premier
temps ; au plan national après regroupement des restes dans le second.
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Droit constitutionnel
mandats restants iront respectivement aux listes A (36 000 20 000 = 16 000 suf-
frages restants), C (19 000) et D (10 000). Pour un scrutin qui se veut propor-
tionnel, le résultat n
est pas très juste puisque la liste B avec 28 000 voix aura
obtenu un siège, comme la liste D avec 10 000 suffrages.
Cest pour corriger cette injustice quon a imaginé le procédé de la plus forte
moyenne. Chacun des sièges restants est attribué à la liste pour laquelle la divi-
sion du nombre de suffrages qu
elle a recueillis par le nombre des sièges attri-
bués
plus un donne le plus fort quotient.
Reprenons lexemple précédent. Le calcul à la plus forte moyenne donne les
chiffres suivants :
Liste A, 36 000 : 2 (1 siège pourvu + 1 fictivement ajouté) = 18 000 ; liste B,
28 000 : 2 (1 siège pourvu + 1 ajouté) = 14 000 ; liste C, 19 000 : 1 (1 siège ficti-
vement ajouté) = 19 000 ; liste D, 10 000 : 1 = 10 000 ; liste E, 7 000 : 1 = 7 000.
La liste C ayant le plus grand quotient se verra attribuer un des sièges restants et
on recommencera l
opération pour les deux autres sièges en divisant cette fois les
suffrages de la liste C par 2 puisqu
elle vient dobtenir un siège. Cest la liste A
qui obtiendra un siège supplémentaire. Le dernier ira à la liste B qui, compte tenu
des deux répartitions précédentes, aura la moyenne la plus élevée.
Une méthode connue sous le nom de système dHondt, du nom du mathé-
maticien belge qui l
a inventée, permet de calculer directement les résultats de
la répartition à la plus forte moyenne, sans être obligé de déterminer préalable-
ment le quotient électoral.
On divise successivement par 1, 2, 3, 4, 5... le nombre de voix obtenues par
chaque liste et on range les quotients dans leur ordre d
importance jusquà
concurrence d
un nombre total de quotients égal au nombre de sièges à pour-
voir. Le dernier quotient (le plus faible) s
appelle le chiffre répartiteur et sert de
diviseur électoral. Chaque liste reçoit autant de sièges que le nombre de ses voix
contient de fois le diviseur. En appliquant cette méthode à l
exemple précédent,
on constate que le chiffre répartiteur est 14 000. Il en résulte que les listes A et
B auront chacune 2 sièges, la liste C 1 siège.
172. La répartition des sièges à lintérieur des listes. En France, et dans
la plupart des autres pays européens, la proportionnelle est mise en
œuvre selon
le système des « listes bloquées », ce qui signifie que l
électeur ne peut modifier
ni la composition des listes (panachage), ni l
ordre de présentation des candidats
(vote préférentiel). Les sièges attribués à une liste sont donc toujours répartis en
suivant l
ordre de présentation des candidats, ce qui renforce lautorité des états-
majors des partis politiques, dans la mesure où cet ordre est généralement
imposé par eux, ou du moins fixé avec leur accord. Au contraire, le « vote pré-
férentiel » permet à l
électeur de choisir individuellement ses représentants
parmi les candidats figurant sur une liste. Cest sans doute en Finlande que le
principe du vote préférentiel est appliqué de la manière la plus systématique :
l
électeur vote pour une liste présentée par un parti mais lordre des candidats
qui y figurent reste indéterminé jusqu
à lissue du scrutin. En même temps quil
choisit une liste, l
électeur sélectionne le candidat auquel il accorde sa préfé-
rence, en marquant son nom dune croix. La répartition des sièges seffectue
en deux temps : dans un premier temps, on calcule le nombre de sièges revenant
à chaque liste selon la méthode habituelle ; dans un second temps, on détermine
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Le pouvoir
153
pour chaque liste les candidats auxquels ces sièges seront attribués en fonction
du nombre de préférences qu
ils ont recueillies. Un candidat ne peut donc
jamais être sûr d
être élu du seul fait quil figure sur la liste dun parti. Il faut
encore qu
il soit relativement populaire auprès des électeurs de sa circon-
scription.
Pour personnaliser encore davantage les relations entre les électeurs et leurs
représentants, certains pays se sont dotés de systèmes très perfectionnés permet-
tant de dissocier au moins partiellement la représentation proportionnelle du
scrutin de liste.
3. Quelques formes particulières de représentation proportionnelle
personnalisée
173. Le système du double vote.
Ce système, adopté en Allemagne après
la Seconde Guerre mondiale, repose sur la combinaison de deux modes de dési-
gnation.
Dune part, chacun des seize Länder est divisé en un certain nombre de cir-
conscriptions de base. La moitié des membres du Bundestag (c
est-à-dire
actuellement 299) sont élus dans le cadre de ces petites circonscriptions au scru-
tin majoritaire uninominal à un seul tour, comme en Grande-Bretagne. On dit
qu
ils détiennent un « mandat direct » parce que les électeurs les ont individuel-
lement choisis.
Mais, dautre part, chaque Land considéré dans son ensemble constitue une
grande circonscription plurinominale et la seconde moitié des membres du Bun-
destag est élue à ce niveau, sur des listes bloquées. On dit qu
ils détiennent un
« mandat de liste ».
Tout électeur dispose de deux voix.
Les premières voix sont des bulletins pour un candidat. Elles sont compta-
bilisées dans le cadre de la circonscription de base dans laquelle lélecteur est
inscrit et servent à désigner lélu direct de cette circonscription. Les secondes
sont des bulletins pour un parti. Elles sont comptabilisées au niveau du Land
et servent à désigner les élus de liste. Les deux voix sont dissociables, c
est-à-
dire qu
un électeur est entièrement libre de voter avec sa seconde voix pour un
parti autre que celui du candidat auquel il a donné sa première voix.
Au niveau du Land, on calcule à la représentation proportionnelle le nombre
total de mandats auquel a droit chaque parti en fonction du nombre des secon-
des voix qu
il a recueillies. Mais pour avoir droit à des mandats de listes, il faut
avoir obtenu au moins 5 % des secondes voix (ou trois sièges directs dans le
Land). Pour lattribution des mandats de liste, on déduit le nombre des mandats
directs déjà obtenus par le parti. Par exemple, s
il y a quarante sièges au total à
pourvoir dans un Land et si le parti A obtient 25 % des secondes voix et quatre
sièges directs dans les petites circonscriptions, il aura droit à dix sièges et le
nombre des sièges de liste qui lui seront attribués sera égal à (10
4) = 6 ; le
parti B qui a obtenu également 25 % des secondes voix mais seulement deux
sièges directs, aura droit à huit sièges de liste, etc.
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154
Droit constitutionnel
En dautres termes, plus un parti obtient de « mandats directs », moins il
aura de « mandats de liste »26.
Il y a donc dans ce système une proportionnalité globale car le nombre total
des mandats obtenus par un parti (mandats directs plus mandats de liste) doit
être proportionnel au nombre de secondes voix que ce parti a recueillies. Il
sagit donc bien dun système proportionnel et non dun système mixte
comme on le dit parfois. Mais malgré cette proportionnalité, le nombre des par-
tis représentés au Bundestag n
est jamais très élevé (on en compte actuellement
cinq) et une coalition entre un grand et un petit parti (par exemple les sociaux
démocrates et les verts, ou les chrétiens démocrates et les libéraux) suffit géné-
ralement à constituer une majorité, mais il arrive aussi, qu
en raison dune plus
importante dispersion des voix, les deux principaux partis doivent s
allier pour
constituer une majorité gouvernementale, situation que l
on désigne sous le
nom de « grande coalition ». C
est ce qui sest produit à plusieurs reprises et à
nouveau après les élections législatives de 2013.
Le nombre relativement modeste des partis représentés au Bundestag sex-
plique non seulement par l
existence du seuil de 5 %, qui élimine les plus petits
partis, mais aussi probablement par l
effet psychologique du double vote qui sus-
cite, chez l
électeur, une sorte de réflexe majoritaire : en effet, bien que les deux
voix soient théoriquement indépendantes, on constate que, dans plus de 85 % des
cas, l
électeur vote de la même manière au niveau de la circonscription de base et
au niveau du
Land. Un parti qui est majoritaire par rapport aux premières voix a
donc de bonnes chances de l
être également par rapport aux secondes voix.
En résumé, le système allemand est une forme de représentation proportion-
nelle très perfectionnée car, d
une part, il maintient un lien personnel direct entre
les électeurs et une moitié de leurs représentants et, d
autre part, il limite lépar-
pillement des forces politiques. Plusieurs pays d
Europe centrale ou orientale lont
adopté lorsqu
ils sont passés du communisme au pluralisme politique. Cétait
notamment le cas de la Fédération de Russie jusquen 2006 (v. infra no 290).
Dans ce système, la personnalisation est tout de même limitée puisquune
moitié des représentants sont élus sur des listes bloquées, contrôlées par les
états-majors des partis. Au contraire, avec le vote unique transférable, tous les
représentants sont individuellement désignés par les électeurs.
174. Le système du vote unique transférable. Parfois désigné sous le
nom de système de Hare, d
après le nom de son inventeur, il est utilisé en Répu-
blique d
Irlande pour lélection du Dail (première Chambre). À lorigine, il
avait été imposé par les Britanniques pour garantir la représentation des mino-
rités protestantes mais il semble que les Irlandais y aient pris goût car, à deux
reprises, en 1959 puis en 1968, ils se sont prononcés par référendum pour le
maintien de ce mode de scrutin.
Il arrive quun parti obtienne dans un Land un nombre de mandats directs supérieur au nombre
26.
total de mandats auxquels il a droit d
après ses secondes voix. Dans ce cas, le parti nobtient aucun
mandat de liste mais il garde tous ses mandats directs. Dans l
exemple ci-dessus, si un parti a obtenu
12 mandats directs, alors qu
il navait droit quà 10 mandats au total selon le décompte des secondes
voix, les deux sièges supplémentaires lui restent acquis. Dans le Bundestag élu en 2002, on compte
5 sièges supplémentaires (4 pour les sociaux-démocrates et un pour les chrétiens démocrates) ce qui
porte le nombre total des sièges à 603.
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Le pouvoir
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Le vote unique transférable présente la particularité dêtre un scrutin propor-
tionnel sans listes. Il y a plusieurs sièges à pourvoir dans chaque circonscription
mais les candidats doivent se présenter individuellement même si certains d
en-
tre eux appartiennent à un même parti. Contrairement à ce qui se passe dans le
système allemand, chaque électeur n
a quune voix. Mais cette voix est transfé-
rable si son candidat préféré a plus de voix quil nen faut pour être élu ou sil
est éliminé. Pour permettre ce transfert, l
électeur classe les candidats sur son
bulletin selon l
ordre de ses préférences.
Pour être élu, un candidat doit obtenir un quota de voix qui se calcule en
divisant le nombre de bulletins valables par le nombre de sièges à pourvoir aug-
menté d
une unité27. Ce calcul, déconcertant en apparence, revêt une significa-
tion toute simple : le quota correspond au plus petit nombre entier suffisamment
grand pour qu
il ne puisse pas être atteint par plus de candidats quil ny a de
sièges à pourvoir. Par exemple, s
il y a trois sièges à pourvoir et 8 000 suffrages
exprimés, le quota sera égal à : 8 000 / (3 + 1) + 1 = 2001 car il est mathémati-
quement impossible que plus de trois candidats atteignent ce nombre.
Bien que la répartition des sièges nécessite des calculs relativement longs et
compliqués, dans le détail desquels on n
entrera pas (voir sur ce point Cotteret
et Émeri, 1999), la démarche générale est relativement simple : primo, quand un
candidat a obtenu un nombre de voix supérieur au quota, il est déclaré élu et,
s
il reste des sièges à pourvoir, le surplus de ses voix est réparti entre les candi-
dats restant en lice en fonction des secondes préférences indiquées par ses élec-
teurs ; secundo, quand aucun candidat n
a obtenu un nombre de voix au moins
égal au quota, alors qu
il y a encore un ou plusieurs sièges à pourvoir, celui qui
a obtenu le nombre de voix le plus faible est éliminé et ses voix sont réparties
entre les candidats restant en piste en fonction des secondes préférences indi-
quées par ses électeurs.
Le vote unique transférable personnalise au maximum les rapports entre les
électeurs et les élus mais, précisément pour cette raison, il peut avoir un effet
déstructurant sur les partis politiques, dans la mesure où la concurrence entre
candidats appartenant à un même parti est arbitrée par les électeurs. Du fait de
cette concurrence, les campagnes électorales sont généralement dominées par la
politique locale plus que par la politique nationale, car c
est sur ce terrain quil
faut se placer pour séduire les électeurs. C
est pourquoi lon reproche parfois à
ce mode de scrutin de ne pas mettre suffisamment en valeur les grandes options
de politique intérieure ou extérieure.
Dans tous les systèmes qui viennent dêtre étudiés, la proportionnalité que
l
on cherche à réaliser porte sur la totalité des sièges à pourvoir : cest ce qui les
distingue des systèmes mixtes.
C Les systèmes mixtes
175. Ce sont des systèmes où la représentation proportionnelle sapplique
seulement à une fraction des sièges, les autres étant attribués au scrutin majori-
taire. Lobjectif poursuivi est de dégager une majorité stable tout en permettant
27.
Si la division ne tombe pas juste, on arrondit au nombre entier immédiatement inférieur.
Page 156
156
Droit constitutionnel
à chacune des grandes tendances de lopinion dobtenir une représentation au
moins symbolique. Les modalités de la combinaison sont très variables.
Parfois, on distingue deux contingents de sièges, avec des candidatures
distinctes, et des votes séparés. Par exemple en Italie, selon le système
adopté en 1993, qui concernait aussi bien l
Assemblée nationale que le
Sénat, 75 % des sièges étaient attribués au scrutin majoritaire uninominal à
un tour, et 25 % à la représentation proportionnelle. De même qu
en Alle-
magne, chaque électeur disposait de deux voix. Mais la seconde voix avait
moins de poids qu
en Allemagne car elle ne servait quà répartir les sièges du
second contingent et non à réaliser une proportionnalité globale. Mais la
nouvelle loi électorale d
avril 2006 a institué un « système mixte proportion-
nel avec prime à la majorité », qui n
est pas très éloigné du système français
de la IV
e République (cf. infra no 428).
Parfois, au contraire, il ny a pas de candidatures distinctes ni de votes sépa-
rés mais la liste arrivée en tête bénéficie d
un bonus qui lui confère un avantage
décisif par rapport à ses concurrentes. En France, par exemple, pour les élec-
tions régionales, ainsi que pour les élections municipales dans les communes
de 1 000 habitants ou plus, la liste arrivée en tête au second tour se voit attribuer
50 % des sièges, et les sièges restants sont répartis à la représentation propor-
tionnelle entre toutes les listes.
§ 3. Le choix dun mode de scrutin
176. Daprès quels critères choisit-on un mode de scrutin ? Quelle est lau-
torité compétente pour effectuer ce choix ? Et quelles sont les tendances géné-
rales concernant l
évolution des modes de scrutins ?
A Les critères du choix
177. La difficulté tient au fait que ces critères sont multiples et conduisent
parfois à des solutions opposées.
Si lon privilégie la représentativité (cest-à-dire si lon souhaite que les
principales familles politiques soient représentées selon leur importance au
sein du corps électoral), on choisira la représentation proportionnelle, et même
si possible la représentation proportionnelle intégrale (v.
supra no 170).
Si lon met plutôt laccent sur la gouvernabilité (cest-à-dire sur lexis-
tence d
une majorité cohérente et stable apte à soutenir une équipe gouver-
nementale pendant toute la durée dune législature) on aura au contraire inté-
rêt à choisir le scrutin majoritaire ou un scrutin mixte.
Pour que le système soit réactif, cest-à-dire pour que le basculement de
quelques centiles de voix suffise à provoquer un changement de majorité, le
scrutin majoritaire est également préférable, dans la mesure où il amplifie les
effets des mouvements dopinion (v. supra no 166).
Enfin, le renforcement des liens de proximité entre les élus et les électeurs
s
accommode mal des scrutins proportionnels avec listes bloquées. Il suppose
Page 157
Le pouvoir
157
soit le scrutin majoritaire uninominal, soit une forme personnalisée de représen-
tation proportionnelle (v.
supra no 173).
Du fait même de la diversité de ces critères il est rare que le mode de
scrutin en vigueur bénéficie d
une approbation générale. Sa réforme donne
souvent lieu à des négociations difficiles entre les partis qui cherchent à
constituer ensemble une alliance électorale. Cest pourquoi il est important
de savoir quelle est lautorité compétente pour le modifier.
B Lautorité compétente
178. Cette autorité dépend de la manière dont le mode de scrutin sinsère
dans la hiérarchie des normes. À cet égard, la situation varie beaucoup selon
les pays et l
on peut distinguer trois cas :
1) Le choix du mode de scrutin relève du domaine de la loi ordinaire.
C
est notamment le cas de la France, de lAllemagne, de lItalie, de la Grèce
et du Royaume-Uni. Pour ce dernier pays, qui n
a pas de constitution écrite, on
voit mal comment il pourrait en être autrement. Pour les autres, le silence de la
Constitution sur ce point peut sembler paradoxal, car le mode de scrutin est l
un
des éléments qui influent le plus profondément sur le fonctionnement du sys-
tème politique.
2) Le principe directeur du mode de scrutin est fixé par la constitution mais
ses modalités relèvent de la loi ordinaire.
Cest le cas de beaucoup de pays européens, notamment : lEspagne, le Por-
tugal, la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l
Autriche, la Pologne et la
République tchèque. Dans ces pays, le principe retenu est celui de la représen-
tation proportionnelle, considérée comme une garantie des droits des minorités.
Il faudrait donc une révision constitutionnelle pour revenir au scrutin majori-
taire.
3) Non seulement le principe directeur mais aussi les principales modalités
du système électoral sont fixées par la constitution. Deux pays de l
Union euro-
péenne se trouvent dans ce cas : l
Irlande (vote unique transférable) et
le
Luxembourg (proportionnelle de liste selon le système du plus petit quotient
électoral). Le mode de scrutin est donc encore mieux protégé que dans l
hypo-
thèse précédente et l
expérience montre quil peut être extrêmement difficile de
le modifier. C
est ainsi quen Irlande, deux tentatives de remplacement du vote
unique transférable par le scrutin uninominal à un tour de type britannique ont
échoué, en dépit du soutien du gouvernement et de la majorité parlementaire,
parce que ce remplacement supposait une révision constitutionnelle qui ne pou-
vait être adoptée que par référendum.
La question de la constitutionnalisation du mode de scrutin est importante
car la majorité parlementaire a naturellement tendance à privilégier le système
qui lui est le plus favorable, comme le montrent les exemples de la France et du
Royaume-Uni.
En France, il est arrivé que la majorité parlementaire manipule le système
électoral pour tenter déviter une défaite électorale cuisante : en 1951, par exem-
ple, fut introduit le système des apparentements qui limitait la représentation
proportionnelle pour favoriser les partis du centre, menacés d
être mis en
Page 158
158
Droit constitutionnel
minorité par la double poussée de la gauche communiste et de la droite gaulliste
(v.
infra no 428) ; inversement, en 1985, à la veille délections qui risquaient
d
être triomphales pour lopposition, la représentation proportionnelle fut sub-
stituée au scrutin majoritaire (v.
infra no 484 et 535). Pour éviter de telles mani-
pulations, il a parfois été proposé de constitutionnaliser le mode de scrutin
28.
Au Royaume-Uni, la réforme du mode de scrutin est fréquemment mise à
l
étude mais sa mise en œuvre est toujours renvoyée à plus tard. Lexplication
de ce paradoxe tient au fait que les partis qui souhaitent vraiment la réforme
sont précisément ceux que le système en vigueur empêche d
accéder au pouvoir.
Ce dernier, c
est-à-dire le scrutin uninominal à un tour, favorise une alternance
entre les deux principaux partis, travailliste et conservateur. Aucun des deux n
a
donc intérêt à le changer. Parfois cependant, afin d
élargir son audience, le parti
qui se trouve dans l
opposition sengage à réexaminer la question de la réforme
électorale lorsqu
il reviendra au pouvoir. Mais rien ne loblige à tenir ses enga-
gements.
Il est intéressant de noter que, dans les pays où existe un référendum dini-
tiative populaire, cette procédure est parfois utilisée pour faire aboutir une
réforme électorale non souhaitée par la majorité parlementaire. Par exemple,
en Suisse, au début du siècle, c
est à la suite dune initiative populaire que la
proportionnelle a été substituée au scrutin majoritaire. En Italie, en 1993, c
est
également à la suite d
un référendum abrogatif dinitiative populaire que le sys-
tème électoral a été profondément réformé mais en sens inverse, c
est-à-dire
pour limiter la représentation proportionnelle (Hamon, 1997).
C Les tendances générales
179. Les démocraties représentatives les plus anciennes ont toutes com-
mencé par utiliser, sous une forme ou sous une autre, le scrutin majoritaire.
Cela tient probablement au fait que, au
XIXe siècle, les partis politiques nétaient
pas encore très développés et la représentation était alors conçue dans un esprit
essentiellement individualiste : on choisissait un représentant, non pas en fonc-
tion d
une étiquette, mais plutôt en raison de sa notoriété, des qualités quon lui
prêtait. Au siècle suivant, les partis se sont multipliés et structurés et la repré-
sentation a pris un caractère plus idéologique : désormais, on votait moins pour
des personnes que pour des programmes. Les partis devenant les principaux
acteurs de la vie politique, il paraissait logique qu
au moins les plus importants
d
entre eux fussent représentés au Parlement. On a donc assisté à un glissement
28. Cette constitutionnalisation paraît difficilement réalisable en raison des particularités du contexte
français et européen. Dun côté, on ne souhaite pas constitutionnaliser la représentation proportion-
nelle, car cela risquerait de remettre en cause le parlementarisme majoritaire qui est à la base des ins-
titutions de la V
e République. Mais dun autre côté, on hésite à constitutionnaliser le principe majori-
taire, car cela irait à contre-courant de la tendance dominante en Europe, favorable à la consolidation
de la représentation proportionnelle en tant que garantie des droits des minorités. À défaut de constitu-
tionnalisation, une disposition législative non insérée dans le Code électoral (art. 7 de la loi du
11 décembre 1990) prévoit qu
il ne peut être procédé à aucun découpage des circonscriptions électo-
rales dans lannée précédant léchéance normale de renouvellement des assemblées concernées. Bien
qu
elle ne vise pas directement le mode de scrutin, on estime généralement que cette disposition exclut
qu
il puisse être modifié pendant la dernière année dune législature.
Page 159
Le pouvoir
159
général vers la représentation proportionnelle, sauf dans les pays anglo-saxons
où les contraintes du scrutin majoritaire étaient mieux acceptées parce qu
il
existait une forte tradition de bipartisme.
Cependant, même en dehors des pays anglo-saxons, la proportionnelle ne
s
est pas installée partout durablement. En France, depuis lexpérience malheu-
reuse de la IVe République, elle est généralement associée à lidée dinstabilité
gouvernementale, et le scrutin majoritaire apparaît à beaucoup comme l
un des
éléments essentiels du régime de la V
e République, bien quil ne soit pas inscrit
dans la Constitution. De même, en Italie, au début des années 1990, on a assisté
à un rejet massif de la représentation proportionnelle, à laquelle on reprochait de
provoquer l
instabilité gouvernementale tout en permettant à quelques partis
politiques de se maintenir indéfiniment au pouvoir.
Dans les nouvelles démocraties dEurope centrale ou orientale, issues de
l
implosion du Communisme, le scrutin majoritaire inspirait la méfiance, parce
qu
il évoquait trop le monolithisme des régimes précédents et parce quil ne
garantissait pas la représentation des minorités ethniques. Elles ont donc toutes
adopté des systèmes de représentation proportionnelle dont les modalités étaient
souvent très favorables aux petits partis. En Pologne, par exemple, dans la Diète
élue sous le régime de la loi électorale de 1991, il y avait 29 partis représentés et
il était donc très difficile de trouver une majorité parlementaire cohérente
et stable. Et c
est pourquoi, déjà, dans certains de ces pays, sans remettre en
cause le principe de la représentation proportionnelle, on a introduit des seuils
qui tendent à limiter le nombre des partis représentés. D
après la loi polonaise
de 1993, par exemple, les listes qui obtiennent moins de 5 % des voix ne sont
pas représentées.
Section 4
Les justifications du pouvoir
180. La répartition des compétences que lon vient dexaminer se fonde
d
abord sur des raisons politiques et techniques. On sefforce dattribuer la tota-
lité ou une parcelle du pouvoir à tel ou tel groupe. On adopte ou on rejette telle
ou telle règle, parce qu
on estime quelle contribuera à un fonctionnement effi-
cace. Autrement dit, les constitutions sont confectionnées selon un raisonne-
ment principalement instrumental. Un tel raisonnement est cependant insuffi-
sant si l
on souhaite non seulement organiser le pouvoir, mais aussi le rendre
acceptable et il faut encore montrer que l
organisation que lon adopte nest pas
seulement efficace, mais aussi quelle est juste.
Naturellement, la justification ne peut être convaincante que si les solutions
adoptées apparaissent comme déduites de quelques principes incontestables.
C
est pourquoi, ces principes sont le plus souvent présentés au début des textes
constitutionnels, avant l
énoncé des règles qui sont réputées découler deux.
Mais, on ne doit pas oublier quils ont en réalité été non pas découverts
comme des évidences, mais forgés
a posteriori. Cest dailleurs ce qui explique
que les mêmes principes (par exemple celui de la souveraineté nationale ou de
Page 160
160
Droit constitutionnel
la souveraineté populaire) puissent présenter des significations très différentes
selon les constitutions dans lesquelles ils s
insèrent et les règles quils ont pour
fonction de justifier.
À la question fondamentale « Comment peut-on fonder le droit de certains
hommes à gouverner les autres ? », qu
en termes sociologiques, on appelle aussi
la question de la légitimité, il nexiste en réalité quun très petit nombre de
réponses possibles. On peut soutenir que ceux qui gouvernent ont le droit de
commander parce qu
ils sont dune autre nature que les autres hommes, par
exemple parce qu
ils sont divins. Ou bien on peut affirmer quils sont des hom-
mes comme les autres, mais qu
ils ont été choisis par une autorité incontestée,
Dieu, le peuple ou la nation, qui a délégué un pouvoir dont elle est le véritable
titulaire et commandé qu
on obéisse à ces gouvernants. En leur obéissant, cest
donc à cette autorité qu
on obéira. Le premier type de justification est très fré-
quent dans les sociétés anciennes, le second dans les sociétés modernes. Il se
rencontre d
ailleurs sous plusieurs variantes, car chacune de ces théories doit
répondre à deux questions : la première porte sur la nature du lien entre l
auto-
rité titulaire du pouvoir et les gouvernants ; l
autre sur la nature de cette autorité
elle-même.
À la première question,
les monarchies traditionnelles apportaient une
réponse simple : Dieu était la source du pouvoir et il désignait un homme ou
une famille pour l
exercer comme il lentendait. Le pouvoir était légitimé seu-
lement par le mode de désignation de ceux qui l
exerçaient. Il ne létait pas dans
son contenu. Le constitutionnalisme apporte une réponse différente : la légiti-
mité ne vient pas de la manière dont les gouvernants ont été désignés, mais de
ce qu
ils sont censés exprimer une volonté, qui nest pas la leur. Autrement dit,
quelle que soit la manière dont ils ont été choisis, chacune de leur décision est
justifiée parce qu
elle nest pas leur décision, mais celle du titulaire véritable du
pouvoir qu
ils représentent.
La seconde question porte sur la nature de ce titulaire véritable, quon
appelle le souverain.
§ 1. La représentation
A La théorie de la représentation
1. La notion de représentation29
181. Dans le langage ordinaire, on parle de représentation lorsquun objet
possède quelques caractères principaux semblables à ceux dun autre objet, de
telle manière qu
on puisse reconnaître cette ressemblance et identifier le premier
comme une image du second. On dit qu
il rend présent ce second objet, quil le
re-présente. Ainsi dune image picturale par rapport à un objet physique ou
dacteurs qui jouent une pièce de théâtre. Ce qui caractérise cette représentation,
29. BRUNET, 2004.
Page 161
Le pouvoir
161
cest quon peut à tout moment comparer la représentation à lobjet représenté
ou à lidée quon sen fait et juger si la représentation est fidèle ou exacte.
Le droit se sert de cette métaphore pour illustrer et désigner un rapport entre
deux personnes
30. Ainsi, on admet en droit privé quune personne en représente
une autre, lorsqu
elle peut vouloir et agir à sa place et en son nom. Elle est le
représentant, lautre est le représenté... La représentation peut résulter ici soit
de la volonté du représenté, qui confie un
mandat au représentant, soit de la loi,
comme par exemple dans le cas de la représentation des mineurs.
Il est donc compréhensible que les gouvernants se servent eux aussi de cette
construction et justifient le pouvoir qu
ils exercent en se présentant comme des
représentants de son titulaire véritable, le souverain, qui peut être le peuple, la
nation ou toute autre entité. Ce type de justification, qui n
est nullement lié à la
démocratie représentative est aujourd
hui universellement répandu et employé,
y compris dans les plus horribles des dictatures. Hitler lui-même se présentait
comme le représentant de l
esprit du peuple allemand.
Toutes les doctrines de la représentation obéissent au schéma suivant : il
existe un souverain, distinct des gouvernants, mais qui ne peut exercer lui-
même son pouvoir, sa souveraineté. Il ne peut pas non plus la transférer à un
autre, parce qu
il cesserait dêtre souverain cest en ce sens quon dit que la
souveraineté est
inaliénable. On établit donc une distinction entre lessence ou
principe de la souveraineté et son exercice. Lessence de la souveraineté
demeure dans le souverain, la nation ou le peuple, et son exercice peut être
délégué à des représentants. C
est ce que proclament de nombreux textes et
notamment l
article 3 de la Déclaration des droits de lHomme de 1789 : « Le
principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». Formule
reprise et développée aux articles 1
er et 2e du titre III de la Constitution de
1791
31, et qui a inspiré la plupart des Constitutions françaises postérieures, y
compris celle de 1958.
On constate cependant que la théorie de la représentation telle quelle fonc-
tionne en droit privé, soulève quelques difficultés et ne peut être intégralement
transposée au droit public.
2. Difficultés de la théorie de la représentation
182. Elles tiennent à limpossibilité de représenter la volonté. Jean-Jacques
Rousseau a parfaitement mis en évidence cette impossibilité selon un schéma
simple, déjà exposé (v.
supra no 75).
On a souligné aussi le paradoxe de la représentation. Si le représentant
exprime une volonté qui coïncide exactement avec celle du représenté, alors
cette volonté n
est pas représentée, mais seulement exprimée par le canal dun
autre homme. Mais si le représentant exprime une volonté qui ne coïncide pas
« Art. 1er : La Souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible. Elle appartient à la
30. Cf. MIAILLE, art. « Représentation », in Dictionnaire dÉguille.
31.
nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu, ne peut sen attribuer lexercice.
Art. 2. : La nation, de qui seule émanent tous les Pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. La
constitution française est représentative : les représentants sont le Corps législatif et le Roi ».
Page 162
162
Droit constitutionnel
avec celle du représenté, comment peut-on encore dire quil le représente (Pit-
kin in Pennock-Chapman, 1968, p. 38 et s.) ?
Une autre source de perplexité tient à la difficulté de transposer cette théorie
au droit public.
3. Spécificité de la théorie de la représentation en droit public
183. La première et la plus importante particularité de la représentation en
droit public est qu
il ny a pas ici, comme en droit privé, deux personnes. Il ny
a de représentation que s
il existe une personne représentable, ayant une volonté
à laquelle le représentant doit se conformer et à qui il devra rendre des comptes.
Or, ici, d
un côté, le représentant, cest-à-dire celui qui exerce la souveraineté,
l
autorité législative, nest pas une personne, puisquelle est composée dindivi-
dus qui changent à intervalles plus ou moins réguliers et que ce n
est pas à elle,
mais à l
État que ses actes sont imputés. Dun autre côté, le représenté, le sou-
verain, n
est pas non plus une personne, puisquil na pas dautre volonté que
celle qu
expriment les représentants. On peut même affirmer que le représenté,
le peuple ou la nation n
existe quà partir du moment où une volonté est expri-
mée en son nom, c
est-à-dire à partir du moment où il est représenté. Le repré-
senté ne crée pas le représentant. C
est lui, au contraire, qui est constitué par la
représentation (Carré de Malberg, 1922, spéc. t. II, p. 227 et s. ; Jaume, 1986).
4. Théorie de la souveraineté et théorie de lorgane
184. Cest pourquoi un courant doctrinal important, représenté en France par
Raymond Carré de Malberg, estime qu
il ne sagit pas dune véritable représen-
tation. On fait valoir notamment qu
il sagit avant tout de rendre compte dun
phénomène politique : la volonté exprimée par certains hommes n
est pas cen-
sée être la leur propre, mais celle du souverain. Or, pour toutes les raisons qu
on
vient d
exposer, on ne rend pas bien compte de ce phénomène à laide de la
théorie de la représentation. On en rendrait beaucoup mieux compte à l
aide
d
une théorie de lorgane : il y a un être, le souverain ou lÉtat, qui, comme
un homme, veut et agit par ses organes. De même que les paroles qui sortent
de la bouche d
un homme sont imputées à cet homme, de même les actes éma-
nant du gouvernement ou du Parlement sont imputées à l
État. Pas plus quon
ne prétend qu
une bouche représente un homme, on ne doit dire que le Parle-
ment représente le souverain. Il est son organe. Le souverain ne peut avoir d
au-
tre volonté que celle que son organe exprime et l
on peut même dire quil
n
existe quautant quil possède des organes.
Cette doctrine est incontestablement plus cohérente quune théorie de la
représentation maladroitement importée telle quelle du droit privé. Cependant,
il faut souligner quelques points importants.
La théorie de la représentation est précisément différente en droit public et
n
est pas la transposition pure et simple du droit privé. Bien au contraire, dans la
mesure où elle affirme que le souverain ne peut sexprimer que par ses repré-
sentants, elle est identique, sauf dans les mots, à la théorie qui affirme que le
Parlement n
est pas le représentant, mais lorgane du souverain. Dès lors que le
Page 163
Le pouvoir
163
mot « représentant » est employé dans un sens spécifique, équivalent à celui
d
« organe », il ny a aucun intérêt à substituer un mot à un autre.
Il y aurait même quelques inconvénients à le faire. La théorie de la représen-
tation en effet ne remplit pas tout à fait la même fonction politique que celle de
l
organe. Celle-ci admet que tous ceux dont les actes sont rapportés à lÉtat sont
ses organes, le Parlement, mais aussi le gouvernement ou les fonctionnaires. Au
contraire, selon la théorie de la représentation, le représentant c
est seulement
celui qui peut
exercer la souveraineté, cest-à-dire exprimer la volonté du sou-
verain ; c
est le législateur. Les autres autorités, elles, ne sont pas des représen-
tants. La théorie de la représentation permet ainsi de souligner la hiérarchie des
fonctions et de légitimer seulement l
exercice de la fonction législative.
En troisième lieu, la théorie qui est efficace, celle dont on se sert effectivement
dans les systèmes politiques modernes pour justifier la répartition des compéten-
ces, c
est la théorie de la représentation. Cela na rien détonnant. Dire que le
Parlement est un organe ne justifie son pouvoir que si l
être, dont on affirme
qu
il est organe, possède un pouvoir incontesté. Or, dire quil est organe de
l
État, nest en rien une justification, parce quil reste encore à justifier quon
doit obéir à l
État. Au contraire, la théorie de la représentation renvoie à un être,
la nation ou le peuple, dont l
autorité est admise comme une évidence.
Enfin, la théorie de la représentation ne sert pas seulement à justifier le pou-
voir du législateur ; elle sert aussi à justifier un certain nombre de règles spéci-
fiques relatives au mandat.
B Le mandat représentatif
185. Le mandat est le rapport entre le représentant et le représenté. On dit
que le représentant a reçu et exerce un mandat.
1. Lobjet du mandat
186. Lobjet du mandat, ce qui est transféré au représentant, est lexercice de
la souveraineté. Il ne s
agit donc pas de toutes les fonctions juridiques de lÉtat,
mais seulement de la fonction législative. C
est en effet la loi qui, aux termes de
l
article 6 de la Déclaration des droits de lHomme, est « lexpression de la
volonté générale », c
est-à-dire de la volonté du souverain. Il sensuit deux
conséquences importantes.
En premier lieu, selon cette théorie, seules les autorités législatives sont des
représentants et non les autorités exécutives ou judiciaires. En effet, si la fonc-
tion consiste dans l
exécution de la volonté du souverain, celui qui lexerce ne
peut pas être le souverain lui-même ou son représentant. Il trouve sa légitimité
précisément dans le fait quil exécute la volonté générale. Mais en revanche,
toutes les autorités législatives doivent être des représentants. C
est pourquoi
la Constitution française de 1791 déclarait que «
les représentants sont le
corps législatif et le Roi
»32. Il faut souligner que le Roi, nest pas représentant
en sa qualité de chef dÉtat ou de chef du pouvoir exécutif, mais seulement
32. Titre III, art. 2.
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164
Droit constitutionnel
parce quil participe par son veto à lexercice du pouvoir législatif (v. infra
no 319).
En second lieu, comme le montre clairement le cas du Roi en 1791, la qua-
lité de représentant est tout à fait indépendante du mode de désignation. Elle
nest notamment pas liée à lélection. Selon cette théorie, sont représentants
tous ceux dont le consentement est nécessaire à la formation de la loi, tous
ceux qui ont une part au pouvoir législatif. Ainsi, les Chambres du Parlement,
quelle que soit la manière dont elles sont désignées, le pouvoir exécutif s
il dis-
pose soit du monopole de l
initiative soit dun droit de veto, et, selon certaines
théories, un organe de contrôle de la constitutionnalité des lois.
2. Les caractères du mandat
187. Ils découlent de ce qui précède.
a) Caractère collectif du mandat
188. En effet, il nest pas exercé par une personne individualisée, mais par
une autorité. Dans le cas d
une Assemblée par exemple, ce nest pas réellement
le député qui est un représentant, mais l
Assemblée tout entière. Il pourrait dif-
ficilement en être autrement, car un député peut se trouver dans la minorité. S
il
était représentant, il faudrait alors comprendre pourquoi il cesse dans ce cas
d
exprimer la volonté générale. Au contraire, si cest lAssemblée qui est repré-
sentant, chacun des députés qui la composent exprime sa volonté propre ou
l
idée quil se fait de la volonté générale et celle-ci résulte seulement du proces-
sus législatif.
Aussi, lorsquon dit, comme on le fait parfois, que le député est représentant,
ce mot revêt un autre sens : il signifie en raccourci que le député est membre
d
une Assemblée qui a elle-même la qualité de représentant.
Si le député, considéré individuellement, nest pas le représentant du souve-
rain, il ne peut évidemment l
être de sa circonscription ou de ceux qui ont voté
pour lui.
Ceux-ci lont désigné, mais nont pu lui confier lexercice de la souverai-
neté, qui ne leur appartenait pas, puisqu
il nappartenait quau souverain.
Cette idée est exprimée dans la Constitution de 1791 : « Les représentants nom-
més dans les départements ne seront pas représentants d
un département parti-
culier, mais de la nation entière », disposition que l
on retrouve dans un très
grand nombre d
autres constitutions33.
On en a parfois tiré la conséquence que le sort des députés ne doit pas être
affecté par celui de la circonscription dans laquelle ils ont été élus. Ainsi, lors-
qu
en 1871, la France céda à lAllemagne les départements dAlsace et de Lor-
raine, les députés de ces départements furent considérés comme demeurant en
fonction et ne quittèrent l
Assemblée quaprès avoir démissionné de leur propre
initiative.
33. Constitution de 1791, titre III, chap. 1, sect. 3, art. 7 ; Constitution de lan III, art. 52 ; Constitu-
tion de 1848, art. 34.
Page 165
Le pouvoir
165
Toutefois, en 1962, lorsque lAlgérie devint indépendante, on adopta une
solution différente : il fut mis fin par une disposition législative au mandat de
parlementaires français élus dans les départements algériens. Cette solution a
été fort critiquée et considérée par une grande partie de la doctrine comme une
atteinte au principe. Elle peut pourtant être justifiée très simplement au regard
de la théorie de la représentation. Le titulaire de la souveraineté en confie lexer-
cice à des représentants. La désignation des représentants, c
est-à-dire des auto-
rités législatives, résulte de la constitution. Cependant, le mode de désignation
des individus qui composeront ces autorités, s
il peut résulter aussi de la consti-
tution peut aussi provenir d
autres sources. Dans la pratique, il résulte souvent
de la loi, puisque, en France par exemple, c
est une loi qui détermine le mode
de scrutin. En effet, le souverain n
a pas dautre volonté que celle quexprime le
législateur. L
acte par lequel il confie un mandat représentatif est lexpression
de la volonté générale. C
est une loi. Une loi a ainsi parfaitement pu décider
dans un sens en 1871 et en sens inverse en 1962.
b) Prohibition du mandat impératif
189. Le mandat impératif serait un mandat, analogue au mandat de droit
privé, qui serait confié par les électeurs aux élus et qui aurait pour conséquence
que ceux-ci auraient l
obligation de se conformer aux instructions reçues, quils
devraient rendre des comptes et qu
ils seraient responsables envers leurs élec-
teurs. Le mandat impératif a été formellement prohibé par la plupart des consti-
tutions françaises et implicitement par toutes. Cette prohibition s
explique aisé-
ment et découle de ce que le député n
est pas le représentant de sa
circonscription, mais, conjointement avec ses collègues, celui de la nation ou
du peuple tout entiers.
Politiquement, elle se justifie aussi de plusieurs manières : la plus grande
compétence des élus, les avantages d
une décision à laquelle on est parvenue
au terme d
une délibération, la liberté des élus vis-à-vis des groupes et des par-
tis. C
est ce quexprimait de manière lumineuse Condorcet à la Convention :
«
Mandataire du peuple, je ferai ce que je croirai le plus conforme à ses inté-
rêts. Il m
a envoyé pour exposer mes idées, non les siennes ; lindépendance
absolue de mes opinions est le premier de mes devoirs envers lui
».
Le député est ainsi irresponsable. Il na de compte à rendre à personne et
n
est tenu par aucune obligation vis-à-vis de ses électeurs. Les promesses élec-
torales elles-mêmes sont dépourvues de toute valeur juridique. Il en résulte par
voie de conséquence, la nullité de la
démission en blanc que les candidats aux
élections remettent parfois à des comités électoraux ou à leurs partis, pour que
ceux-ci l
adressent au président de lAssemblée au cas où ils estimeraient que le
mandat a été violé. Saisi de telles lettres, les présidents des Assemblées nen ont
jamais tenu compte.
Au contraire, les démocraties du type marxiste, qui dénonçaient la mystifi-
cation incluse dans le concept de souveraineté nationale, écartaient également le
mandat représentatif. L
article 4 de lancienne Constitution tchécoslovaque dis-
posait ainsi : « Le peuple souverain exerce les pouvoirs de lÉtat au moyen des
corps de représentants qui sont élus par le peuple, contrôlés par le peuple et
responsables devant le peuple
».
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Droit constitutionnel
C Signification moderne du gouvernement représentatif
1. Gouvernement représentatif et démocratie
190. La théorie classique des formes de gouvernement distinguait la monar-
chie, laristocratie et la démocratie (v. supra no 74). La théorie de la représenta-
tion permet de justifier nimporte laquelle de ces trois formes, car on peut par-
faitement admettre que le peuple souverain exerce lui-même la souveraineté,
auquel cas, le gouvernement sera démocratique ou bien qu
il délègue cet exer-
cice à un roi ou aux meilleurs. On voit que la démocratie n
est réalisée que dans
le premier cas et que, selon cette conception, le système représentatif moderne
n
est pas une démocratie, mais une aristocratie, puisque la puissance suprême y
est déléguée à un Parlement. Il est d
ailleurs remarquable que ni la Constitution
américaine de 1787, ni la Constitution française de 1791 ne se soient présentées
comme des constitutions démocratiques. Comme il aurait été embarrassant de
les désigner comme des constitutions aristocratiques, la première se donnait
comme une constitution
républicaine et la seconde tantôt comme mixte, tantôt,
de façon d
ailleurs tautologique, comme représentative.
Cependant, lévolution des systèmes politiques a conduit à reconsidérer ce
schéma, en raison de deux phénomènes majeurs, d
ailleurs étroitement liés :
l
avènement du suffrage universel et la concentration du pouvoir législatif dans
la ou les Chambres élues, au détriment du chef de l
État et des Chambres hérédi-
taires. Depuis la fin du
XIXe siècle, dans la plupart des États, la loi a pour auteur
principal et quelquefois exclusif une ou deux Chambres issues directement ou
indirectement du suffrage universel. Dans ces conditions, la théorie de la repré-
sentation a conduit à justifier le pouvoir des parlements en cherchant à le rattacher
non plus à l
aristocratie ou au gouvernement mixte, mais à la démocratie.
La thèse aujourdhui dominante est donc que la démocratie comporte deux
variétés : la démocratie directe et la démocratie représentative. La démocratie
directe est le système dans lequel le peuple exerce lui-même la souveraineté.
Certains estiment qu
il présente des inconvénients, tenant au risque de démago-
gie ou à l
incompétence du peuple. Il est de toute manière impraticable dans les
grands États modernes. Aussi, le peuple délègue-t-il l
exercice de la souverai-
neté à des hommes qu
il choisit pour le représenter. Le régime représentatif est
donc bien une variété de démocratie, dès lors qu
il est associé à lélection au
suffrage universel.
Cette thèse se réclame de Montesquieu. « Le grand avantage des représen-
tants, écrit-il, cest quils sont capables de discuter les affaires. Le peuple ny
est point du tout propre ; ce qui forme un des grands inconvénients de la
démocratie... Il y avait un grand vice dans la plupart des anciennes républi-
ques : cest que le peuple avait droit dy prendre des résolutions actives, et
qui demandent quelque exécution, chose dont il est entièrement incapable. Il
ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants, ce
qui est très à sa portée. Car, s
il y a peu de gens qui connaissent le degré précis
de la capacité des hommes, chacun est pourtant capable de savoir, en général,
si celui quil choisit est plus éclairé que la plupart des autres »34.
34. De lesprit des lois, Livre XI, chap. 6.
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Le pouvoir
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Elle est vivement critiquée par de nombreux auteurs qui se situent dans la
postérité de Jean-Jacques Rousseau. Leur argumentation est simple : dans la
démocratie représentative, le peuple se borne à choisir des représentants, mais,
il leur remet l
exercice de la souveraineté. Une fois le choix fait, cest la volonté
des représentants qui fait la loi et non la volonté du peuple. «
Toute loi que le
Peuple en personne na pas ratifiée, écrit Rousseau, est nulle ; ce nest point
une loi. Le peuple d
Angleterre pense être libre ; il se trompe fort, il ne lest
que durant l
élection des membres du Parlement ; sitôt quils sont élus, il est
esclave, il n
est rien. Dans les courts moments de sa liberté, lusage quil en fait
mérite bien qu
il la perde »35. Il ny a donc quune fiction de démocratie.
Lune et lautre conception négligent pourtant un élément essentiel : les élec-
teurs ne choisissent plus aujourd
hui les députés après avoir porté un simple juge-
ment sur les capacités respectives des candidats. L
élection nest pas une modalité
d
examen professionnel et le choix ne se fonde pas sur des compétences techni-
ques, mais sur des orientations politiques. Les candidats se présentent avec un
programme ou, tout au moins, sous l
égide dun parti. Ce que les électeurs choi-
sissent, c
est donc moins des hommes quune politique (Birnbaum, Hamon, Tro-
per, 1977).
À cette influence du corps électoral à travers le choix des programmes,
s
ajoute celle qui peut sexercer dans lintervalle entre deux élections par les
contacts que l
élu peut entretenir avec les électeurs ou par les sondages dopi-
nion. Même investis d
un mandat représentatif, mais soumis à réélection, les
députés et les partis, sont donc en réalité soumis à un contrôle diffus, mais per-
manent.
2. La qualité de représentant
191. La théorie de la représentation a eu pour fonction exclusive, à lorigine,
cest-à-dire, sous la Révolution, de justifier a posteriori lexercice du pouvoir
législatif. Cest la raison pour laquelle la qualité de représentant était entière-
ment indépendante du mode de désignation. Le débat fondateur sur ce point a
eu lieu le 10 août 1791. Il a opposé Barnave à Robespierre et Roederer. Ceux-ci
soutenaient que seul le corps législatif élu pouvait être qualifié de représentant.
Barnave, au contraire, défendait la thèse que le représentant était celui qui
contribuait à exprimer la volonté générale, ce qui était le cas du roi en raison
de son droit de veto. Le fait que le débat a eu lieu en 1791 montre qu
on ne
cherchait pas, à partir des principes, à déduire des règles de répartition des com-
pétences.
Cest la thèse de Barnave qui la emporté et sest imposée, non seulement
pour la constitution de 1791, mais aussi dans la suite de l
histoire constitution-
nelle française. Cest ainsi que, le droit public de la IIIe République a reconnu la
qualité de représentant au seul Parlement, non pas parce quil était élu, mais
parce qu
il était la seule autorité législative.
Cependant plusieurs facteurs ont contribué à modifier les données du
problème. Le premier est ce double caractère du Parlement, à la fois pouvoir
législatif et élu. Le deuxième est le nouveau rôle joué par le principe, une fois
35. Du contrat social, Livre III, chap. 15, « Des députés ou représentants ».
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Droit constitutionnel
quil a été admis. Il sert à justifier chaque loi, qui apparaît en effet, comme
l
expression de la volonté générale. Mais il peut servir désormais aussi à justi-
fier que l
on ait attribué le pouvoir législatif à tel organe plutôt quà tel autre. En
1791 on pouvait dire : « si un organe est législatif, alors il est représentant ». On
veut désormais pouvoir dire : « il est représentant, donc il doit être législateur ».
Mais, pour pouvoir jouer ce nouveau rôle, le principe doit évidemment être
modifié. Il faut naturellement disposer dun critère autre que la participation
au pouvoir législatif pour affirmer la qualité de représentant. Cet autre critère
sera l
élection. Et cela dautant plus naturellement que la théorie de la représen-
tation doit se combiner avec le principe démocratique : il faut que celui qui est
élu par le peuple, soit son représentant et qu
il exerce la plus haute fonction. Le
troisième facteur est le nouveau rôle joué par le pouvoir exécutif (v.
supra
no 133 s.). Dès lors quil nest plus cantonné dans la stricte exécution des lois,
mais qu
il contribue de façon déterminante aux orientations politiques majeures
et qu
il est, lui aussi, élu du peuple, il peut trouver dans cette élection la justifi-
cation de ses décisions. C
est pourquoi, il revendique lui aussi la qualité de
représentant, comme on peut le voir en France très clairement sous la V
e Répu-
blique.
Les États-Unis ont connu une évolution analogue. Alors que les auteurs de la
constitution avaient considéré que c
était le Congrès qui était le représentant légi-
time, le président Jackson, soutenait au
XIXe siècle quil était lui aussi le représen-
tant du peuple, qui lui avait confié un mandat pour mener une certaine politique.
Plus tard, Wilson ira encore plus loin et prétendra que le Président est non seule-
ment un représentant, mais qu
il est un meilleur représentant que le Congrès, parce
qu
il représente non pas une série de circonscriptions, mais le peuple tout entier
(Dahl, 1990).
§ 2. La souveraineté
192. La notion de souveraineté. Dans le système représentatif, les gou-
vernants exercent une souveraineté, dont ils ne sont pas les titulaires. Il faut
donc déterminer qui est le titulaire véritable et en quoi consiste cette mysté-
rieuse puissance. Il existe à ce sujet un débat très ancien et rendu confus par
l
imprécision du vocabulaire.
Il faut, pour le clarifier, distinguer quatre significations des mots souverai-
neté et souverain.
En premier lieu, la souveraineté est un caractère de lÉtat, qui est supérieur à
toute autre entité interne (une église par exemple) et n
est soumis à aucune
entité extérieure (un autre État). On parle quelquefois en ce sens de souveraineté
internationale et lon considère quil sagit dune qualité essentielle de lÉtat en
ce sens quune entité, qui ne possède pas cette souveraineté nest pas un véri-
table État. Ainsi, l
État membre dun État composé (v. supra no 68 s.).
En deuxième lieu, cest le caractère, la puissance dun organe, qui, étant
situé au sommet d
une hiérarchie, nest soumis à aucun contrôle et dont la
volonté est productrice de droit. On parle ainsi de la souveraineté du Parlement
et l
on dit de la même manière que la Cour de cassation est une Cour souve-
raine.
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Le pouvoir
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On comprend que la souveraineté dans ces deux premiers sens soit indivi-
sible
, car si la souveraineté est la qualité de celui qui est suprême, un seul peut
avoir cette qualité. Si l
on voulait créer deux entités suprêmes, aucune ne le
serait.
En troisième lieu, la souveraineté est lensemble des pouvoirs que cet être
peut exercer. On peut dailleurs lentendre de deux façons. On dit dabord que
la souveraineté comprend par exemple le droit de battre monnaie, celui de faire
des lois ou de rendre la justice. Tous les pouvoirs qui sont compris dans la sou-
veraineté en ce sens sont parfois appelés des
attributs de la souveraineté et lon
parle alors de puissance d
État. Cette souveraineté, contrairement à la précé-
dente, n
est nullement indivisible et lon peut fort bien répartir les attributs
entre plusieurs autorités.
Mais il est clair que ces attributs ne se situent pas tous sur le même plan.
L
un deux implique lexercice dune puissance supérieure, qui permet à son
titulaire de dominer les autres. C
est évidemment le pouvoir de faire des lois.
Si les décisions de justice ne sont que l
application de la loi, la souveraineté
consiste non dans l
exercice de la fonction juridictionnelle, mais dans celui de
la fonction législative.
La souveraineté peut donc être entendue seulement comme puissance légis-
lative. Il faut alors considérer qu
elle est bien indivisible, car si deux autorités
étaient simultanément investies du pouvoir législatif aucune ne serait souve-
raine.
En revanche, on peut parfaitement confier ce pouvoir à deux ou plusieurs
autorités
de manière indivisible, cest-à-dire pour quelles lexercent conjointe-
ment. C
est le cas par exemple, lorsquon confie le pouvoir législatif à un Par-
lement bicaméral ou lorsqu
on accorde au pouvoir exécutif un droit de veto.
En quatrième lieu, la souveraineté est la qualité de lêtre, réel ou fictif, au
nom de qui est exercé le pouvoir de l
organe souverain dans la deuxième accep-
tion. C
est en ce sens que lont dit que seul la nation ou le peuple est souverain.
La confusion est due en partie aux particularités de la langue française. L
al-
lemand par exemple possède des mots différents pour désigner les différentes
espèces de souveraineté. Elle provient aussi de ce que, sous la monarchie abso-
lue, le roi était souverain dans tous les sens du mot. Il se confondait avec l
État
et était donc souverain sur le plan international (« le roi est empereur en son
royaume »). Il était souverain en tant qu
autorité, qui commandait à toutes les
autres à l
intérieur. Il disposait de la totalité de la puissance dÉtat et la loi,
notamment, procédait de sa seule volonté. Enfin, il n
était le représentant de
personne, car il ne tenait son pouvoir que de Dieu. On pouvait dire que la sou-
veraineté lui appartenait tout entière.
Cest seulement à partir de la Révolution que ces différents sens se sont dis-
sociés. Ainsi, sous la IIIe République, à la question : « qui est souverain ? », on
pouvait également répondre : « la France, le Parlement, la Cour de cassation, la
loi, la nation », toutes ces réponses étant non seulement justes, mais aussi par-
faitement compatibles.
Dans le processus de justification, cest principalement de la souveraineté
dans le quatrième sens qu
il sagit. Puisque le législateur nest quun représen-
tant, qu
il ne fait quexercer la souveraineté (dans le troisième sens), à qui
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Droit constitutionnel
appartient réellement cette souveraineté ? Puisque lexercice de la souveraineté
a été délégué à des représentants, à qui appartient son essence ?
Sur ce point, on oppose traditionnellement deux doctrines, la souveraineté
nationale et la souveraineté populaire.
A Lopposition traditionnelle de la souveraineté nationale
et de la souveraineté populaire
1. La souveraineté populaire
193. Selon cette tradition, la doctrine de la souveraineté populaire enseigne-
rait que la souveraineté appartient au peuple, conçu comme l
ensemble des
hommes vivant sur un territoire donné. Ce peuple serait donc un être réel. Il
peut donc exercer lui-même sa souveraineté. La doctrine de la souveraineté
populaire serait donc compatible avec la démocratie directe. Cependant au cas
où il apparaîtrait que cette démocratie directe est peu praticable, le peuple pour-
rait déléguer l
exercice de la souveraineté.
Mais comme le peuple est un être réel, il est parfaitement capable davoir et
d
exprimer une volonté distincte de celles des gouvernants. Tous ceux qui com-
posent le peuple peuvent et ont le droit de choisir ces gouvernants et de contrô-
ler leurs actions. Aussi, la doctrine de la souveraineté populaire implique-t-elle
trois conséquences :
le principe de lélectorat-droit, cest-à-dire le suffrage universel,
des éléments de démocratie directe, cest-à-dire linstitution du réfé-
rendum,
le mandat impératif.
2. La souveraineté nationale
194. Au contraire, la doctrine de la souveraineté nationale postulerait que le
titulaire de la souveraineté est la nation, cest-à-dire une entité tout à fait abs-
traite, qui n
est pas composée seulement des hommes vivant sur le territoire à
un moment donné, mais qu
on définit en prenant en compte la continuité des
générations ou un intérêt général qui transcenderait les intérêts particuliers.
Comme il s
agit dune entité abstraite, elle ne pourrait évidemment pas exercer
la souveraineté. La démocratie directe est impossible. Elle ne peut vouloir que
par ses représentants.
Elle ne peut dailleurs même pas les choisir, puisquelle na pas pour élé-
ments des hommes réels. Elle est donc contrainte de confier ce soin à certains
hommes. Le suffrage n
est pas un droit, mais une fonction confiée par la nation.
Elle ne doit pas d
ailleurs être confiée à tous, mais à ceux qui sont capables de
lexercer et il se peut que seuls en soient capables certains, notamment parmi
ceux qui, possédant des biens ou exerçant une profession ou payant des impôts,
ont un intérêt à défendre. Une fois élus, les représentants, qui ne représentent
par leurs électeurs mais cette nation abstraite, ne peuvent évidemment être sou-
mis à aucun contrôle.
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Le pouvoir
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La souveraineté nationale entraînerait donc des conséquences symétriquement
inverses de celles que lon suppose à la souveraineté populaire :
refus de la démocratie directe ou semi-directe,
théorie de lélectorat-fonction et possibilité du suffrage restreint,
prohibition du mandat impératif.
Ainsi, les constituants procéderaient toujours à un choix fondamental entre
les deux doctrines de la souveraineté. Ce choix présenterait d
ailleurs un carac-
tère idéologique marqué : la doctrine de la souveraineté populaire serait démo-
cratique et progressiste, la doctrine de la souveraineté nationale conservatrice.
On pourrait donc classer les constitutions selon qu
elles se rattachent à lune ou
l
autre doctrine : souveraineté nationale en 1791, populaire en 1793, nationale à
nouveau en l
an III, etc. À lAssemblée constituante de 1946, les deux doctrines
auraient eu leurs partisans, de sorte qu
il aurait fallu réaliser un compromis, en
énonçant que : « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Cette formule,
reproduite à l
article 3 de la Constitution de 1958, entraînerait ainsi certaines
des conséquences de la souveraineté nationale et certaines des conséquences
de la souveraineté populaire.
B Critique
195. Lopposition traditionnelle souffre de faiblesses graves. On se limitera
ici aux deux principales : elle est incapable de rendre compte de la réalité histo-
rique ; elle repose sur un présupposé inacceptable (Bacot, 2001 ; Troper, 2001,
p. 299 s.).
1. Critique historique
196. En apparence le schéma fonctionne relativement bien lorsquil sagit de
rendre compte de la Constitution de 1791, qui proclame bien que la souverai-
neté appartient à la nation et comporte toutes les règles que la doctrine rattache
à ce principe : le système représentatif, le suffrage restreint et le mandat repré-
sentatif.
On ne peut pourtant pas en conclure, comme on le fait trop rapidement, que
les règles
découlent du principe. Il peut sagir soit dune justification a poste-
riori, soit dune simple coïncidence. Il est dailleurs remarquable que dautres
constitutions, qui comportent les mêmes règles, par exemple la Charte de 1814,
ne se réfèrent pourtant pas au principe de la souveraineté nationale.
La Constitution de 1793 proclame que « la souveraineté réside dans le
peuple »36. On sattend donc à y trouver le suffrage universel, le référendum
et le mandat impératif. Or, si les deux premières règles y sont bien, encore
que le référendum quelle institue soit en réalité impraticable, il existe au
moins deux dispositions, qui, daprès la théorie traditionnelle, se rattachent
plutôt au principe de la souveraineté nationale : «
aucune portion du peuple
ne peut exercer la puissance du peuple tout entier
»37 et « chaque député
appartient à la nation entière
»38. Ces textes ont une double signification :
36. Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen, art. 25.
Ibid., art. 26.
37.
38. Constitution, art. 29.
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Droit constitutionnel
dune part, il sagit dune prohibition du mandat impératif ; dautre part, il en
ressort que les mots
peuple et nation sont, selon cette Constitution, rigoureu-
sement synonymes.
Labsence de tout lien entre souveraineté populaire et les trois institutions
qu
on lui rattache habituellement est encore démontrée par lexamen de la
constitution de lan III. Le principe de la souveraineté populaire est proclamé
dans les mêmes termes qu
en 1793 : « la souveraineté réside essentiellement
dans l
universalité des citoyens »39. On y trouve pourtant toutes les conséquen-
ces que l
on rattache habituellement non à la souveraineté populaire, mais à la
souveraineté nationale : le suffrage restreint et indirect
40, le refus de la démocra-
tie directe ou semi-directe, le refus du mandat impératif
41.
La proclamation de la souveraineté nationale ou de la souveraineté populaire
ne présente donc pas la signification que lui accorde la doctrine traditionnelle.
Celle-ci ne la lui prête que parce qu
elle conçoit le processus constituant comme
une déduction logique.
2. Le présupposé implicite : la conception dogmatique des constitutions
197. Lopposition traditionnelle na de sens que sil existe un lien logique tel
que l
acceptation des principes entraîne nécessairement celles de toutes les
conséquences, de sorte que les constituants commenceraient par poser l
un ou
l
autre des deux principes pour en déduire les conséquences. Cette idée nest
nullement démontrée et plusieurs considérations incitent à penser le contraire.
On a vu, en premier lieu, qu
il peut arriver quon rédige dabord les dispo-
sitions énonçant des règles concrètes et ensuite seulement les principes et qu
on
peut rencontrer l
un des deux principes avec les règles qui sont la conséquence
de l
autre.
En deuxième lieu, on ne pourrait établir un lien logique quà la condition
d
accorder aux mots la même signification. Or ces significations sont variables.
Ainsi, « peuple » et « nation » peuvent bien avoir deux significations différentes
dans la langue politique et constitutionnelle du
XXe siècle et avoir été synony-
mes en 1793.
En troisième lieu, quand bien même il y aurait dans lesprit des constituants
d
une époque donnée un lien entre souveraineté nationale et refus du référen-
dum ou du mandat impératif, il ne s
agirait pas dun lien logique, mais pure-
ment contingent, de sorte que la proclamation de la souveraineté n
a pas la
même signification à une autre époque. Il est également possible que le consti-
tuant lui accorde une certaine signification et que, au cours du processus d
ap-
plication, les interprètes de la constitution lui en accordent une différente.
En quatrième lieu, lopposition traditionnelle néglige lusage rhétorique
que les constituants peuvent faire de formules comme souveraineté nationale
ou souveraineté populaire. Il est possible et il arrive fréquemment quon les
proclame sans autre souci que d
obtenir une adhésion populaire, mais sans
aucune intention d
en tirer la moindre conséquence.
39. Déclaration des droits et des Devoirs de lHomme et du Citoyen, art. 17.
40. Titres II, III et IV.
41. Déclaration des droits de l
Homme et du Citoyen, art. 18 ; Constitution, art. 52.
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Le pouvoir
173
Il faut par conséquent examiner ces questions dun point de vue strictement
historique et donner de ces formules une interprétation non pas sémantique,
mais systémique. Il faut en d
autres termes non pas chercher à comprendre la
constitution à partir des principes, mais les principes à partir de la Constitution.
C Détermination du titulaire de la souveraineté
198. On se bornera à quatre constitutions.
1. La Constitution de 1791
199. Il faut observer la chronologie. Jusquen 1791, les deux termes peuple
et nation sont employés lun pour lautre. Le choix du système représentatif
ne découle donc pas de la préférence pour le mot de nation, mais, comme on
l
a vu, de la formule de la Déclaration des droits de lHomme de 1789 : « Le
principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». La dis-
tinction du peuple et de la nation résulte de la nécessité de justifier l
attribu-
tion du pouvoir législatif au corps législatif et au roi. En effet, on peut justifier
par la souveraineté populaire n
importe quelle forme simple de gouvernement,
puisqu
il est parfaitement concevable que le peuple souverain ou bien exerce
la souveraineté lui-même ou bien en délègue l
exercice à un roi ou à un corps
de nobles. En revanche, il est impossible de justifier ainsi un gouvernement
mixte, car on ne peut pas concevoir que l
exercice de la souveraineté soit à
la fois délégué et conservé. On ne pourrait pas dire par exemple que le sys-
tème est une démocratie, parce qu
on ne pourrait pas expliquer que le roi par-
ticipe par son veto à l
exercice de la souveraineté et lon ne pourrait pas dire
davantage que l
exercice a été délégué à un roi, parce quon ne pourrait pas
expliquer pourquoi il y a, dans ce cas, aussi un élément de démocratie.
On imagine donc dappeler le souverain non pas peuple, mais nation. Lin-
vention de ce concept présente plusieurs avantages : on peut concevoir la nation
comme une entité abstraite, composée de deux éléments : le peuple et le roi.
Puisqu
elle est abstraite, elle ne peut évidemment pas exercer la souveraineté,
mais doit la déléguer à des représentants. Comme le souverain est composite, le
pouvoir législatif le sera aussi et comportera deux éléments, correspondant à
ceux de la nation : il y aura un roi et un corps législatif. Cependant, chacun
représentera non l
élément correspondant, mais la nation tout entière.
2. La Constitution de 1793
200. La monarchie a été abolie en 1792 (v. infra no 327). La nation ne com-
prend donc plus qu
un seul élément, le peuple, de sorte que les deux termes
peuvent redevenir synonymes. On substitue donc lexpression de souveraineté
populaire à celle de souveraineté nationale dans la Déclaration des droits, mais
sans abandonner pour autant le mot
nation, qui figure dans le texte de la consti-
tution.
Il faut souligner que le peuple dont il est question désormais nest pas,
comme le prétend la doctrine classique, un être réel, existant dans le monde,
indépendamment de la représentation. Il s
agit, comme pour la nation, dune
notion construite par le droit. Il pourrait d
ailleurs difficilement en être
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Droit constitutionnel
autrement, car il ne sagit pas dun fait naturel. Cest donc la Constitution qui
définit le peuple souverain comme l
universalité des citoyens français42 et qui
doit ensuite définir le citoyen français
43. Cest la Constitution encore qui déter-
mine les compétences de ce peuple, la manière dont il procède à l
élection ou
dont il participe à l
exercice du pouvoir législatif. Comme on la vu, le mandat
impératif est prohibé. Les électeurs exercent donc une fonction, exactement de
la même manière que dans la prétendue doctrine de la souveraineté nationale.
Quant à l
idée que le peuple exercerait directement la souveraineté, elle nest
que partiellement exacte, puisque la constitution n
organise un système de vote
populaire que pour certaines lois, mais surtout elle ne découle pas du principe de
la souveraineté populaire, mais plutôt de la manière dont il est formulé : « la sou-
veraineté réside dans le peuple ». Ce n
est plus seulement en effet le principe de
la souveraineté, comme en 1789, mais la souveraineté elle-même, qui réside dans
le peuple. Celui-ci peut donc l
exercer directement au moins partiellement, dans
les limites fixées par la constitution, comme il peut l
exercer par représentation.
3. La Constitution de lan III
201. Lexamen de la Constitution de lan III confirme cette analyse. Il est
clair que les constituants reviennent sur le suffrage universel direct et le référen-
dum. Mais cela n
implique nullement, comme on le croit parfois, quon réta-
blisse le principe de la souveraineté nationale. On a vu, au contraire, que le
principe de la souveraineté populaire est maintenu. Il n
est pas nécessaire dem-
ployer à nouveau le concept de nation, puisque la monarchie n
a pas été res-
taurée.
Pour donner une justification adéquate aux règles concrètes énoncées dans
la constitution, il suffit de recourir à deux techniques : en premier lieu, définir
autrement les citoyens ; si le peuple est l
universalité des citoyens, comme en
1793, il suffit que la catégorie des citoyens soit définie de manière restrictive,
pour que par exemple le suffrage restreint apparaisse justifié par la souverai-
neté populaire. En deuxième lieu, surtout, rétablir dans la formulation du prin-
cipe l
adverbe essentiellement, qui figurait déjà, on la vu, en 89, mais quon
avait abandonné en 1793 : « la souveraineté réside
essentiellement dans luni-
versalité des citoyens ».
4. La Constitution de 1958
202. La mystérieuse formule de larticle 3, « La souveraineté nationale
appartient au peuple
» doit être interprétée de la même manière. On en donne
habituellement l
interprétation suivante :
En premier lieu, cette formule est reprise mot pour mot de larticle 3 de la
constitution de 1946. À l
Assemblée constituante, une controverse avait opposé
Coste-Floret, partisan de la souveraineté populaire et Paul Bastid, tenant de la
souveraineté nationale. Le texte de l
article 3 résultait donc simplement dun
compromis entre les deux conceptions.
42. Art. 7.
43. C
est lobjet du titre II.
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En deuxième lieu, le compromis signifierait que la constitution consacrerait cer-
taines des conséquences découlant de la souveraineté nationale et d
autres décou-
lant de la souveraineté populaire. L
article 3 de 1958 poursuit, en effet « (...) appar-
tient au peuple,
qui lexerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Cette interprétation n
est pourtant guère satisfaisante. Le compromis de
1946 na pu avoir cette signification à lépoque. En effet, lAssemblée consti-
tuante débattait après qu
un premier projet avait été rejeté par le peuple français.
Or, ce premier projet qui proclamait le principe de la souveraineté populaire
n
en tirait nullement les conséquences prescrites par la doctrine et ne comportait
notamment ni mandat impératif, ni référendum
44. Le compromis ne pouvait
donc signifier qu
on allait faire une place à lune et lautre de ces institutions
et d
ailleurs la constitution de 1946 ne prévoyait le référendum que pour la révi-
sion. Il en résulte qu
on pouvait parfaitement utiliser la formule du compromis
sans en faire découler aucune autre conséquence que celles qui découlent en
principe de la seule souveraineté nationale.
Il faut même aller plus loin : en 1946, comme plus tard en 1958, on pouvait
utiliser l
une des deux formules pures, sans renoncer à aucune des règles que
l
on souhaitait inscrire dans la constitution. On pouvait par exemple proclamer
la souveraineté populaire et avoir toutes les conséquences habituellement atta-
chées à la souveraineté nationale. C
est ce que faisait par exemple le premier
projet de 1946, qui ajoutait immédiatement après la proclamation de la souverai-
neté populaire que « la loi est l
expression de la volonté nationale (...) Cette
volonté s
exprime par les représentants élus du peuple ». On pouvait, à linverse,
proclamer la souveraineté nationale et décider que la nation confiait l
exercice de
la souveraineté non seulement à des représentants, mais aussi au corps électoral
pour qu
il approuve certains projets de loi par référendum.
En dautres termes, sil est vrai que le compromis de 1946 était apte à justi-
fier le droit positif de 1958, il pouvait également justifier des règles très diffé-
rentes et les règles adoptées en 1946 ou en 1958 auraient été tout aussi bien
justifiées par d
autres formules.
La rédaction précise de larticle 3 retrouve une utilité, lorsquon cherche à
fonder sur elle, non pas une autre disposition de la constitution, mais certains
comportements ou certaines interprétations données par les pouvoirs publics.
On n
en prendra quun exemple : pour justifier lutilisation de larticle 11 en
matière de révision constitutionnelle, où elle n
était pas expressément prévue,
le général de Gaulle et ses partisans firent valoir en 1962 que l
article 3 consa-
crait à la fois l
expression indirecte et lexpression directe de la souveraineté ou
la démocratie représentative et la démocratie directe. Comme la seconde doit
l
emporter sur la première, larticle 3 devrait conduire à une interprétation
large de larticle 11 (v. infra no 503 ; Capitant, 1982, spécial. p. 422-429).
203. Bibliographie
Se reporter également à la bibliographie générale au début du volume.
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Il revenait dailleurs aux formules de 1789 et de lan III et en particulier à lusage de ladverbe
44.
essentiellement : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans le peuple » (art. 2).
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Page 180
Page 181
Deuxième partie
Les régimes politiques1
204. Pendant longtemps, létude des principaux régimes politiques contem-
porains a pu se faire dans le cadre d
une classification dualiste : dun côté, les
régimes de «
pouvoir ouvert » que lon désigne parfois aussi sous le nom de
«
régimes pluralistes occidentaux » où les partis politiques se créent et exer-
cent leur activité librement et où le choix des gouvernants dépend du résultat
d
élections compétitives. De lautre, les régimes de « pouvoir clos » souvent
qualifiés de «
monocratiques » ou totalitaires où un parti unique, dirige léco-
nomie, contrôle étroitement l
ensemble de la vie sociale, et où les élections,
dont les résultats sont connus à l
avance, ne servent en fait quà légitimer la
domination politique. Certains de ces régimes totalitaires se réclamaient du
marxisme-léninisme, d
autres appartenaient à différentes variantes de fascisme.
L
opposition de ces deux types de régimes était extrêmement nette non seu-
lement du point de vue de la pratique politique mais aussi du point de vue de
l
idéologie et de la doctrine constitutionnelle. Daprès les conceptions pluralis-
tes, le pouvoir étatique est perçu à la fois comme un moyen indispensable à la
régulation de la société et comme une menace pour les libertés, de sorte qu
il est
nécessaire de le limiter et de le contrôler. Au contraire, dans les systèmes tota-
litaires, le pouvoir, celui de lÉtat, du parti, ou du chef, était vu non comme un
moyen, mais comme une fin.
Mais cette classification dualiste ne correspond plus aujourdhui à la réalité.
Certes, on peut toujours distinguer des régimes qui sont authentiquement plura-
listes et d
autres qui le sont moins, ou même pas du tout. Mais, depuis quelques
années, de nombreux régimes de «
pouvoir clos » soit ont complètement cessé
d
appartenir à cette catégorie, soit ont fait dimportantes concessions au plura-
lisme. Sans doute, de nombreux pays connaissent-ils des régimes autoritaires,
mais la constitution n
y joue quun rôle secondaire, de sorte que son étude ne
présente qu
un intérêt limité. On nenvisagera donc ici que les régimes pluralis-
tes, parmi lesquels on peut distinguer les types suivants :
Les régimes de type parlementaire, au sens que lon a donné à ce terme dans
la première partie (chapitre 1).
Le régime des États-Unis, qui est à peu près unique en son genre, et à partir
duquel a été élaboré l
archétype du régime présidentiel, mérite évidemment une
étude particulière (chapitre 2).
Les développements relatifs à la Grande-Bretagne, à lItalie et aux États-Unis ont été respective-
1.
ment revus et commentés par les professeurs Damian Chalmers, Roberto Bin et Michel Rosenfeld,
auxquels les auteurs expriment leur vive gratitude.
Page 182
182
Droit constitutionnel
Les pays de lEurope de lEst, ne forment une véritable classe quen raison
d
une histoire commune. Après avoir été soumis jusquen 1989 à des régimes
totalitaires et traversé une phase de transition, ils ont adopté des institutions
démocratiques inspirées de celles des pays de l
Europe occidentale (chapitre 3).
Enfin, l
Union européenne, bien quelle ne soit pas un État, constitue une
forme politique originale, que la science du droit constitutionnel peut et doit
prendre pour objet (chapitre 4).
Page 183
Chapitre 1
Les régimes parlementaires
205. Les régimes parlementaires. Les régimes que lon a regroupés dans
ce chapitre présentent deux caractères communs : d
une part le gouvernement
est responsable devant le Parlement ; d
autre part, le chef de lÉtat peut être un
monarque héréditaire ou un Président de la République, mais, en tout état de
cause, il n
est pas élu au suffrage universel. Il en résulte que la composition
de l
équipe gouvernementale est toujours déterminée indirectement par les
résultats des élections législatives. Mais le mode de fonctionnement des régimes
parlementaires varie selon l
état des forces politiques et selon les règles inscrites
dans la Constitution.
Section 1
Le régime britannique
206. Le système britannique présente pour la science du droit constitution-
nel un triple intérêt. Tout d
abord cest le plus ancien, si lon considère lâge de
certaines de ses sources écrites ou la forme extérieure des autorités politiques,
qui n
a guère changé depuis le XVIIIe siècle. Au-delà de ce phénomène de lan-
cienneté et de la permanence des institutions et des rites, qui suscite parfois à lui
seul l
émerveillement des témoins, il faut noter que cette stabilité na nullement
été un obstacle à des transformations très profondes. C
est même lévolution
subie par le système qui explique que la Grande-Bretagne ait pu, à différentes
époques, servir de modèle ou de source d
inspiration pour des Constitutions fort
différentes : la Constitution américaine de 1787 ou la Charte française de 1814.
D
autre part, cest à partir du système anglais qua été élaboré le modèle du
régime parlementaire, que l
on a lhabitude dopposer aujourdhui au régime
présidentiel. Mais le système anglais auquel on se réfère était celui qui fonction-
nait au XIXe siècle, tandis que le système contemporain est fort différent.
Enfin, la Grande-Bretagne est souvent citée comme lun des rares exemples
d
un pays dans lequel il ny a pas de constitution formelle. Bien entendu, cela
ne signifie pas qu
il ny a pas de Constitution du tout il y a une constitution
matérielle
ni même quil ny a pas de règles constitutionnelles écrites, mais
seulement que les règles ne sont pas renfermées dans un document unique et sur-
tout qu
elles nont pas de valeur supra-législative, de sorte quelles peuvent, en
principe, être facilement modifiées par une loi ordinaire.
Page 184
184
Droit constitutionnel
207. Les origines. Le système politique britannique trouve ses origines au
Moyen Âge. Par la Grande Charte de 1215, Jean sans Terre concédait un certain
nombre de droits et de privilèges et posait le principe essentiel qu
aucun impôt
ne pouvait être levé sans le consentement du Grand Conseil, où siégeaient les
vassaux du roi. C
est ce Grand Conseil, qui au XIIIe siècle prend le nom de Par-
lement, qui se séparera en deux Chambres, lune dans laquelle délibèrent les
barons et les représentants de l
Église, lautre composée de délégués des Com-
munes. En échange de leur consentement le roi fut rapidement amené à sanc-
tionner, c
est-à-dire à accepter les lois nouvelles que les Chambres lui propo-
saient. Néanmoins le Parlement n
était réuni que lorsque le roi avait besoin de
ressources nouvelles et celui-ci conservait par ailleurs le pouvoir d
imposer seul
des lois nouvelles ou de suspendre les lois existantes (prérogative royale).
Cest ce pouvoir qui disparaît, au terme des guerres civiles du XVIIe siècle : le
Bill of Rights de 1688 consacre le principe de lannualité du vote de limpôt
et supprime l
essentiel de la prérogative royale. Désormais, les Chambres devront
siéger chaque année et les lois ne peuvent être adoptées qu
après avoir été votées
par les Chambres et sanctionnées par le roi, qui ne peut ni les faire seul, ni en
suspendre l
exécution. On appelle alors Parlement lorgane complexe formé du
roi et des deux Chambres et c
est ce Parlement et non plus le roi qui est le
souverain. Aussi, ce système est-il considéré comme un gouvernement mixte,
puisque le pouvoir essentiel, le pouvoir législatif, y est exercé conjointement par
un roi, l
aristocratie (la Chambre des Lords) et le peuple (la Chambre des com-
munes). Quant au pouvoir exécutif, il continuait d
être exercé par le roi avec ses
ministres. C
est ce système mixte, qui est dit aussi de balance des pouvoirs, parce
que les trois pouvoirs législatifs partiels se font équilibre, chacun pouvant arrêter
les lois voulues par les deux autres. On sait que c
est à partir de ce modèle qua
été élaborée la doctrine appelée « séparation des pouvoirs », qui signifiait alors
non pas que les autorités doivent être spécialisées et indépendantes, mais simple-
ment qu
une seule et même autorité ne doit pas exercer tous les pouvoirs
(v.
supra no 80). Et cest aussi en raison des conditions dans lesquelles il a fonc-
tionné au
XVIIIe siècle que sest établi le régime parlementaire.
208. Létablissement du régime parlementaire. Dans le système mixte,
seul le pouvoir législatif est exercé collectivement par les trois éléments du Par-
lement, le pouvoir exécutif, lui, continuant d
être exercé par le roi. Cependant,
l
attribution du pouvoir législatif au Parlement aurait été évidemment vidée de
son sens, si le roi avait pu s
affranchir, dans lexercice du pouvoir exécutif, de
l
obéissance à la loi. On ne pouvait pourtant pas le contrôler en raison de son
irresponsabilité, exprimée par le principe « le roi ne peut mal faire ». Les Cham-
bres ont alors remis en vigueur une procédure ancienne, celle de limpeachment.
Elle consistait dans un acte d
accusation voté par la Chambre des communes
pour une conduite des ministres, qu
elle estimait criminelle. Les ministres
étaient alors jugés par la Chambre des Lords. Comme ni les crimes des minis-
tres, ni les peines dont ils étaient passibles n
étaient définis, les ministres pou-
vaient facilement être accusés et condamnés pour nimporte quelle conduite du
roi à laquelle ils avaient pu collaborer, notamment, mais pas exclusivement, en
contresignant ses actes.
Page 185
Les régimes parlementaires
185
Il en est rapidement résulté que les ministres, qui encouraient la responsabilité,
n
acceptaient de contresigner que les actes quils approuvaient. Le roi peut bien
alors tenter de changer de ministre, mais le nouveau sera dans la même situation,
de sorte que le pouvoir du roi est passé entre les mains des ministres. Cette évo-
lution a été facilitée et accélérée par l
arrivée sur le trône de la dynastie des prin-
ces de Hanovre en 1715 : le premier de ces princes ne connaît pas assez la langue
anglaise pour participer efficacement aux réunions du cabinet, tandis qu
un autre
est faible d
esprit. Aussi, la procédure daccusation est-elle entamée non seule-
ment dans des cas où un crime au sens ordinaire du mot a été commis, mais éga-
lement lorsque la majorité de la Chambre des communes entend s
opposer à la
politique menée par les ministres. Dès lors qu
elle peut facilement aboutir, ceux-
ci ont intérêt à démissionner dès qu
une menace daccusation pèse sur eux. La
première démission de ce type est celle de Walpole en 1742. Mais il ne s
agit
que d
une démission individuelle. Le processus est parachevé en 1782, lorsque
Lord North démissionne avec l
ensemble de son cabinet en labsence même de
toute menace d
impeachment. On considère que cette date marque la naissance
du système parlementaire, puisque d
une part la responsabilité est désormais réel-
lement politique, non seulement parce qu
elle est mise en jeu pour des raisons
politiques
cest presque toujours le cas mais parce que la procédure et la sanc-
tion sont politiques et que d
autre part cette responsabilité est collective et quainsi
c
est la politique de lensemble du cabinet qui est sanctionnée.
Enfin, comme le cabinet peut être contraint à tout moment par la Chambre
des communes d
abandonner le pouvoir, il ne peut durer quen rassemblant une
majorité qui le soutiendra. Le
leadership exercé par le Premier ministre repose
d
abord principalement sur la corruption. Celle-ci est facilitée par un système
électoral archaïque permettant toutes les manipulations : suffrage restreint

moins de 5 % de la population , conditions déligibilité restrictives, décou-
page irréaliste des circonscriptions, candidatures officielles.
Les fortes pressions en faveur dune réforme aboutissent en 1832 à lexten-
sion du corps électoral. Cette réforme a une portée considérable : un corps élec-
toral élargi n
est pas aussi aisément manipulable et seuls des candidats organi-
sés en partis ont des chances de l
emporter. La fin du XIXe siècle voit donc le
développement de partis politiques structurés et disciplinés. Lorsque l
un de ces
partis est majoritaire à la Chambre des communes, le cabinet est entièrement
composé de ses dirigeants et bénéficie d
un soutien permanent.
§ 1. Les sources du droit constitutionnel britannique
209. Comme la Grande-Bretagne ne connaît pas de constitution formelle, il
est nécessaire didentifier au moins les types de sources du droit constitutionnel.
Le principe fondamental est celui de la souveraineté du Parlement et de la
loi, qui résulte de la coutume. Cette seule proposition donne la mesure de la
complexité du problème des sources, car si la loi est souveraine, elle peut aller
contre la coutume, qui lui a précisément donné sa compétence. En outre, si le
Parlement est souverain, il peut naturellement énoncer des règles constitution-
nelles, mais ces règles ne sauraient le lier puisqu
il est souverain.
Il y a donc dans la réalité une variété de sources.
Page 186
186
Droit constitutionnel
A Les sources écrites
210. Bien que la Constitution soit pour lessentiel coutumière, il existe des
sources écrites. Il peut s
agir de quelques documents fondamentaux, comme la
Grande Charte de 1215, la Pétition des Droits de Charles I
er (1628) ; le Habeas
corpus Act (1679) ; le Bill of Rights (Bill des droits) (1688), lActe détablisse-
ment (1701) ou de lois relatives à telle ou telle institution particulière ; ainsi les
Parliament Acts de 1911, 1949 et 1999, qui restreignent les pouvoirs de la
Chambre des Lords le
Constitutional Reform Act de 2005, qui crée une cour
suprême, ou encore le
Succession to the Throne Act de 2013, qui modifie les
règles de succession au trône.
À ces textes sajoutent la loi par laquelle la Grande-Bretagne a adhéré à
l
Europe, le European Community Act de 1972 et par conséquent le traité
de Rome, l
Acte Unique européen et le traité de Maastricht et tous ceux qui
ont suivi, jusqu
au traité de Lisbonne. Le European Union Act de 2011 dispose
que le pouvoir de l
Union européenne ne trouve son fondement que dans la loi
de 1972, c
est-à-dire dans la souveraineté du Parlement britannique. En dautres
termes, il n
a pas de fondement autonome.
Jusquau XVIIIe siècle, certains juges ont tenté dimposer lidée que les textes
fondamentaux et la coutume ancienne liaient le roi et les Chambres. Mais cette
idée fut abandonnée lorsqu
on dut constater que le Parlement cest-à-dire les
deux Chambres et le roi
pouvait adopter nimporte quelle loi et quil était dès
lors souverain. Il n
y a donc pas de norme supérieure à la loi et chacune de ces
règles peut être à tout moment modifiée par une loi ordinaire. On dit souvent
que ce que fait la Reine en son Parlement, c
est le droit, en dautres termes quil
n
y a pas de limite à ce que peut faire le Parlement. Dès lors, il ne saurait être
question pour les tribunaux de refuser l
application dune loi sous prétexte
qu
elle serait invalide. Ce principe a été quelquefois contesté, mais na pas été
réellement atteint, même par les développements les plus récents.
211. Le Human Rights Act de 1998. Il existe un mouvement favorable à
l
adoption dun Bill of Rights, cest-à-dire dune Déclaration des droits sur le
modèle de celles qui accompagnent les constitutions écrites, qui serait une codi-
fication des droits et libertés, dotée d
une valeur supra-législative, susceptible
par conséquent de servir de fondement à un contrôle de constitutionnalité des
lois. Ce mouvement est toutefois minoritaire et un tel
Bill of Rights serait
incompatible avec le principe de la souveraineté du Parlement. C
est pourquoi,
seul a été adopté, en 1998, un
Human Rights Act, qui rend la Convention euro-
péenne des droits de l
Homme directement applicable. Elle na pas de valeur
supérieure à celle des lois, mais les ministres qui déposent un projet à la Cham-
bre des communes, doivent faire une déclaration sur leur compatibilité avec la
Convention. Dautre part, les tribunaux, qui, à cause de la souveraineté du Par-
lement, ne peuvent annuler les lois, doivent, en cas de conflit entre la loi et la
Convention, comme pour les règles européennes selon la jurisprudence
Factor-
tame
(v. infra no 212), donner aux lois une interprétation telle quelles devien-
nent conformes à la Convention et à la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l
Homme. Sils constatent quune loi est malgré tout incompatible
avec la Convention, ils doivent déclarer cette incompatibilité. En revanche, à
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Les régimes parlementaires
187
la différence de ce qui résulte de la jurisprudence Factortame, le juge ne peut
pas écarter la loi parlementaire dans le cas en litige. C
est le ministre compétent
qui pourra amender la loi pour mettre fin à l
incompatibilité, sans dailleurs
revenir sur le cas particulier.
Il sagit donc dun contrôle très différent du contrôle de constitutionnalité
pratiqué dans les autres pays européens : le texte de référence est une conven-
tion internationale ; les tribunaux doivent se conformer à la Convention telle
qu
elle est interprétée par la Cour européenne des droits de lhomme siégeant
à Strasbourg ; enfin, la décision d
incompatibilité a pour effet de transférer au
ministre un véritable pouvoir législatif ; enfin, les tribunaux n
ont pas le pouvoir
de priver une loi parlementaire de sa validité. En raison de ce dernier trait, on
estime généralement que le principe de la souveraineté du Parlement reste
intact, bien que son contenu ait pu changer (Elliott, 1999, Turpin
& Tomkins,
2007). C
est ce principe qua appliqué la chambre des Communes, après que la
Cour européenne des droits de l
Homme eut condamné la Grande-Bretagne
pour avoir refusé d
accorder à des prisonniers le droit de vote. La Chambre a
adopté à une très grande majorité au mois de février 2011 une résolution par
le gouvernement à refuser d
appliquer la décision de
laquelle elle invitait
la Cour.
212. La construction de lEurope. Les développements du droit euro-
péen ne sont pas non plus de nature à porter réellement atteinte à la souveraineté
du Parlement. S
il est vrai que certaines normes européennes sont dapplication
directe sur le territoire des États membres et que les ressortissants britanniques
ont une action devant la Cour européenne des droits de l
Homme, cela ne signi-
fie nullement que le droit européen serait doté d
une valeur supérieure à celle
des lois. C
est que si, dans certains pays comme la France, le droit international
prévaut sur les lois, la Grande-Bretagne, elle, connaît, un système dualiste : le
droit international ne fait partie du droit national qu
en vertu dune loi adoptée
par le Parlement. On peut donc considérer qu
un traité lemporte sur une loi
antérieure, mais seulement parce que, en ratifiant le traité, le Parlement a mani-
festé sa volonté de modifier cette loi antérieure. La question est plus complexe
en cas de contradiction entre un traité et une loi postérieure au traité. Jusqu
à
une date récente, on considérait qu
en adoptant une loi contraire à un traité, le
Parlement violait sans doute une norme internationale, mais non pas une norme
interne. La Grande-Bretagne peut être condamnée par une cour internationale,
mais la loi votée par le Parlement n
en sera pas moins en vigueur et ne pourra
pas être écartée par un tribunal britannique s
il apparaît clairement que le Parle-
ment a entendu déroger à un traité. Toutefois, la Chambre des Lords, statuant
comme juridiction suprême (dans laffaire Factortame), a décidé, à propos
d
une loi contraire aux traités européens, que si la volonté du Parlement de
déroger aux traités n
était pas explicite, les traités devaient lemporter1. Cette
jurisprudence a été diversement interprétée. Certains estiment qu
elle entame
le dogme de la souveraineté du Parlement dans la mesure où le traité prévaut
R.v. Secretary of State for Transport, ex. parte Factortame (no 1) [1990] 2.AC 85 ; R.v. Secretary
1.
of State for Transport, ex. parte Factortame (no 2) [1991] 1.AC 603 et R.v. Secretary of State for
Employment, ex parte Equal Opportunities Commission
[1994] 2 WLR, 409.
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Droit constitutionnel
sur la loi, tandis que dautres estiment quelle laisse intact le dogme de la sou-
veraineté du Parlement, au moins sur le plan formel, parce que celui-ci peut
toujours explicitement déclarer qu
il entend, par la loi nouvelle, déroger à la
règle internationale (Bogdanor, 2009).
B Les sources non écrites : la coutume et les conventions
de la constitution
213. Parmi les sources non écrites, on fait une distinction fondamentale
entre les coutumes au sens strict et les conventions de la constitution. Dans les
deux cas, il s
agit de pratiques répétées assorties du sentiment du caractère obli-
gatoire. La différence réside dans le fait qu
une coutume peut être constatée
et sanctionnée par les tribunaux, tandis qu
une convention ne peut pas lêtre.
Les conventions de la constitution posent un problème théorique difficile, au
regard des conceptions dominantes sur la juridicité. On estime en général
qu
une règle juridique est une règle dont la violation est sanctionnée. Il faudrait
donc en conclure que les conventions de la constitution ne sont pas de véritables
règles de droit. Or, elles jouent un rôle majeur. L
obligation pour un Premier
ministre, s
il a fait lobjet dune motion de défiance explicite de la Chambre
des communes ou si la motion de confiance qu
il a présentée a été rejetée, de
présenter sa démission ou de solliciter du roi la dissolution de la Chambre,
l
obligation pour le monarque daccorder sa sanction aux lois votées par les
l
obligation du
Chambres, sans pouvoir désormais leur opposer un veto,
monarque encore de nommer au poste de Premier ministre le leader du parti
majoritaire ou de dissoudre la Chambre des communes à la demande du Premier
ministre, toutes ces règles sont seulement des conventions.
Pour expliquer quelles sont fidèlement observées, on peut dabord soutenir
que, si elles ne sont pas directement sanctionnées, elles le sont indirectement.
On ne peut pas poursuivre le Premier ministre qui ne démissionnerait pas, mais
le Parlement ne voterait pas la loi de finances, de sorte que les impôts ne pour-
raient pas être légalement perçus, ni les dépenses effectuées. À cette thèse, on
peut faire deux objections. En premier lieu, elle ne rend pas compte des conven-
tions qui ne peuvent être sanctionnées indirectement, par exemple l
obligation
de la Reine de consentir aux lois. En second lieu, la sanction indirecte n
est pas
juridique, mais politique de sorte qu
il faudrait considérer les conventions non
pas comme de véritables règles juridiques, mais comme de simples règles poli-
tiques, qui ne sont pas obligatoires, mais qu
on conserve soit par crainte des
conséquences politiques, soit simplement par souci de
fair play (Mars-
hall, 1987).
Mais on peut aussi estimer que, même si cette explication du comportement
des hommes politiques est juste, il nen résulte pas quon doive considérer les
conventions comme essentiellement différentes des autres règles constitution-
nelles, même écrites. Tout d
abord, en effet, il ne faut pas confondre une expli-
cation de la soumission à une règle avec une thèse sur le caractère obligatoire ou
le caractère juridique de cette règle ; lexistence de la sanction, peut expliquer
un phénomène psychologique, que les hommes se conforment à la règle ; elle
n
explique pas quils doivent sy conformer. Par conséquent si les conventions
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Les régimes parlementaires
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ne comportent pas de sanctions, on ne saurait aussi en déduire quelles ne sont
pas obligatoires. Par ailleurs, il y a bien des règles, dont on ne conteste jamais le
caractère juridiquement obligatoire, qui sont dépourvues de sanction, et qui sont
obéies pour les mêmes raisons et de la même façon que les conventions de la
constitution : c
est notamment
le cas de la constitution formelle lorsqu
il
nexiste pas de contrôle de constitutionnalité. Pour elle, comme pour les
conventions de la Constitution, il faut dire qu
elle est une règle juridique dans
la mesure où elle est considérée par les acteurs politiques comme une règle juri-
dique.
§ 2. Les organes
A Le Parlement
214. On a vu que, dans son sens traditionnel, le mot Parlement désigne lor-
gane complexe de la fonction législative, c
est-à-dire lensemble des trois auto-
rités dont le consentement est nécessaire à l
adoption des lois : les deux Cham-
bres et le roi. Néanmoins, dans la mesure où le monarque a de fait perdu son
droit de veto, on appelle couramment
Parlement dans un sens restreint len-
semble formé par les deux Chambres.
1. La Chambre des communes
215. Lélection de la Chambre des communes. Depuis 2010, la Cham-
bre des communes compte 650 membres élus pour cinq ans. En réalité, avant la
réforme de 2011 de la loi qui institue un mandat à durée fixe, la Chambre arri-
vait rarement au terme de son mandat, car elle était généralement dissoute
durant la dernière année de la législature, à un moment que le Premier ministre
jugeait favorable. Cette réforme, adoptée sous la pression des libéraux-démocra-
tes, devrait avoir des conséquences très importantes (v.
infra no 226).
La loi électorale a une importance considérable. On a vu comment le sys-
tème s
est transformé à partir de la réforme de 1832, grâce à lélargissement
progressif du corps électoral. Le suffrage universel masculin ne fut établi
qu
en 1918, cest-à-dire beaucoup plus tard quen France, mais le suffrage fémi-
nin dès 1928, c
est-à-dire bien avant la France. Cependant, la règle dont la por-
tée est la plus grande est celle qui fixe le mode de scrutin. Il s
agit du scrutin
majoritaire à un seul tour. Dans chaque circonscription, il n
y a quun candidat à
élire et celui qui obtient le plus grand nombre de voix est proclamé élu. Ce
système, extrêmement brutal, est un facteur de concentration des partis, car il
incite les électeurs à voter utile et à ne pas disperser leurs voix sur des candidats
dont les chances sont faibles (v.
supra no 166). Les candidats, de leur côté, sont
fortement dissuadés de quitter leur parti ou même d
enfreindre la discipline,
parce que leurs chances seraient infimes s
ils allaient seuls à la bataille. Dun
autre côté, le système entraîne une forte distorsion de la représentation, puisque
les élections sont gagnées par les formations qui ont obtenu le plus de voix dans
le plus grand nombre de circonscriptions, même si dans chacune de ces
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Droit constitutionnel
circonscriptions lavance est faible. Aussi a-t-on pu fréquemment observer une
sur-représentation du parti majoritaire. En 2005, par exemple, le parti travailliste
a pu obtenir 55 % des sièges avec 35 % des suffrages, alors que les conserva-
teurs n
obtenaient que 30 % avec 32,3 % des suffrages. On observe aussi que
1 % des suffrages a rapporté aux travaillistes 10 sièges, mais seulement 6 aux
conservateurs. Il est même possible dobtenir la majorité des sièges avec une
minorité de voix, comme cela sest produit en 1951 quand les conservateurs
obtinrent 321 sièges avec 48 % des voix, tandis que les travaillistes n
en eurent
que 295 avec 48,8 % des voix. Le même phénomène se produisit en 1974 au
profit des travaillistes cette fois.
En raison de la concentration des partis politiques, le mode de scrutin a des
effets importants sur la vie politique : tout d
abord, il y aura généralement mais
pas toujours (v.
infra), au lendemain des élections un parti majoritaire à la
Chambre des communes et les électeurs savent que le leader de ce parti sera
nommé Premier ministre. On a donc pu dire que tout se passait comme si le
Premier ministre était élu au suffrage universel (Marx, 1969). D
autre part, le
cabinet ainsi nommé jouit normalement d
une grande stabilité, car il ne peut
être renversé que par son propre parti, c
est-à-dire par une sorte de révolution
de palais. Enfin, dès lors que l
avance relative du parti majoritaire sur le princi-
pal parti d
opposition est faible, il suffit dun léger déplacement de voix pour
provoquer l
alternance au pouvoir. Les deux grands partis sont incités à courti-
ser les électeurs dits
flottants, cest-à-dire ceux qui sont susceptibles de voter
tantôt pour l
un tantôt pour lautre, car ce sont eux qui feront la différence.
Aussi, tous deux ont-ils tendance à présenter des programmes politiques de
nature à séduire ces électeurs, donc des programmes qui le plus souvent ne
s
opposent pas de façon radicale.
Il peut cependant arriver quun troisième parti parvienne à gagner assez de
circonscriptions pour qu
aucun des grands partis nait une majorité de sièges.
Cest ce qui sest produit en 1929 et à nouveau en 1974 et en 2010. Dans ce
cas, il faut constituer une coalition. En 2010, les conservateurs ont dû sallier
avec les libéraux-démocrates pour former un gouvernement.
Naturellement, les partis autres que les conservateurs et les travaillistes, qui
souffrent du système majoritaire, réclament l
établissement dune dose de repré-
sentation proportionnelle. C
était notamment le cas du parti libéral après quil
ait été devancé par les travaillistes, puis celui du libéral-démocrate, qui a suc-
cédé aux libéraux et qui est devenu le troisième parti derrière les travaillistes.
Cette demande est évidemment contraire aux intérêts des deux grands partis qui
sont les bénéficiaires du scrutin majoritaire. À plusieurs reprises ils ont promis,
pour obtenir les suffrages d
électeurs proches du parti libéral-démocrate, de
mettre à l
étude une modification du mode de scrutin, qui pourrait être soumise
au référendum. Bien entendu, une fois les élections passées, le parti majoritaire
n
avait plus aucun intérêt à tenir sa promesse. Pourtant, en 2010, les libéraux-
démocrates en ont fait une condition de leur participation à une coalition et les
conservateurs ont été cette fois contraints de soumettre au référendum un nou-
veau mode de scrutin : le système majoritaire à un tour devait être remplacé par
un scrutin alternatif. Le référendum eut lieu le 5 mai 2011. Cétait seulement le
second référendum dans l
histoire britannique le premier avait porté sur lad-
hésion de la Grande-Bretagne à l
Union européenne mais cétait le premier
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Les régimes parlementaires
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qui nétait pas seulement consultatif et le gouvernement était tenu de se confor-
mer aux résultats (Hamon, 2011). Au cours de la campagne, les contradictions
du cabinet apparurent clairement. Le Premier ministre conservateur, David
Cameron, se prononça pour le non et le vice-Premier ministre libéral démocrate,
Nick Clegg, pour le oui. Certains estimaient que le système proposé était trop
éloigné de la représentation proportionnelle, quils auraient préférée, tandis que
les adversaires de la proportionnelle considéraient qu
il en était trop proche.
Finalement, le projet fut rejeté à une très nette majorité.
216. Lorganisation de la Chambre des communes. La Chambre choisit
son président ; le
speaker, qui demeure en fonction pendant toute la durée de la
législature. Ce personnage jouit d
un prestige considérable, qui tient dabord à sa
neutralité et à son impartialité. L
opposition sabstient en général de présenter
dans sa circonscription un candidat contre lui et il est réélu à son poste, même
en cas de changement de majorité. Mais son prestige tient aussi naturellement à
ses pouvoirs : il désigne les présidents des commissions, assure notamment la
police des débats et peut prendre des sanctions contre les députés. Cela signifie
que, si ce prestige est atteint, il peut se voir contraint de démissionner, ce qui ne
se produit que très rarement. En 2009, pour la première fois depuis plus de
300 ans, le
speaker a renoncé à ses fonctions après avoir été vivement critiqué
pour n
avoir pas su sopposer à des demandes manifestement excessives par les
députés de se voir rembourser des dépenses personnelles.
Dans le passé, le speaker était élu souvent mais pas toujours au sein du
parti majoritaire et l
accord se faisait de façon informelle sur le nom dun can-
didat, contre lequel il n
y avait pas de concurrent. Cependant, cette tradition a
été rompue en 2000 où quatorze candidats se sont affrontés. La procédure a
donc été réformée en 2007 : désormais, les candidatures doivent être présentées
par douze députés et l
élection a lieu à la majorité absolue.
À la différence des commissions permanentes du Parlement français ou du
Congrès américain, celles de la Chambre des communes ne sont pas spéciali-
sées. Elles ont d
ailleurs un rôle plus faible. Elles sont désignées par des lettres
de l
alphabet et cest le speaker qui répartit entre elles les affaires.
À la Chambre des communes, les députés sont très fortement encadrés par
leurs partis respectifs. Au sein de chaque parti, certains députés, les
whips, sont
chargés de transmettre les consignes de vote et d
assurer la discipline. Comme
les députés doivent leur élection au parti et qu
ils en attendent linvestiture pour
les élections suivantes, ils sont contraints de se plier à ces consignes. Il en
résulte une conséquence importante : les textes déposés par le cabinet seront
nécessairement adoptés. sauf crise interne au sein du parti majoritaire, comme
il est arrivé au sein du parti travailliste au moment de l
intervention britannique
en Irak en 2003. Un certain nombre de députés travaillistes ont voté contre le
cabinet de Tony Blair, mais ces défections ont été compensées par le soutien
apporté par des députés conservateurs.
2. La Chambre des Lords
217. Elle constitue incontestablement une survivance dune époque dispa-
rue, et cependant, si sa suppression fut parfois envisagée, elle n
en subsiste
pas moins, mais a été profondément réformée à plusieurs reprises depuis le
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Droit constitutionnel
début du XXe siècle. Sa composition a été modifiée et ses pouvoirs restreints. Ce
qui est remarquable est que la Chambre des Lords a elle-même voté en faveur
de ces réformes. Si elle l
a fait, cest que la Reine avait le pouvoir de nommer
les Lords en nombre illimité
elle pouvait dailleurs les nommer soit à titre
héréditaire, soit à vie
ce qui signifie quelle pouvait en modifier la majorité
à son gré. Comme ce pouvoir était exercé en fait par le Premier ministre, celui-
ci disposait ainsi sur la Chambre dun moyen de pression irrésistible.
a) Composition de la Chambre des Lords
218. À lorigine et jusquen 1999, il y avait trois catégories de Lords ou
pairs : les pairs héréditaires, au nombre de 758 au 1
er novembre 1999, les pairs
à vie (542) et 26 pairs spirituels, évêques de l
Église anglicane.
En 1999, La Chambre des Lords a été profondément modifiée par la majo-
rité travailliste, très hostile à cette seconde chambre aristocratique. Toutefois, le
House of Lords Act de 1999, devait constituer seulement la première étape
d
une réforme plus globale. Elle a consisté principalement dans la suppression
des pairs héréditaires. Ceux-ci ont donc perdu leurs sièges, à l
exception de 92
d
entre eux, sélectionnés à la suite dune élection au sein de la chambre et deve-
nus pairs à vie. La Chambre des Lords compte aujourd
hui 763 membres, qui
sont pour la plupart des pairs à vie, nommés par la Reine sur proposition du
Premier ministre, qui, par tradition et pour maintenir un certain équilibre poli-
tique, accepte de faire figurer sur la liste des personnes désignées par l
oppo-
sition.
Les travaillistes avaient annoncé leur intention de modifier encore la compo-
sition de la Chambre des Lords et de pourvoir la grande majorité des sièges au
moins la grande majorité d
entre eux par lélection, à lexception le cas échéant
d
une petite fraction de sièges dont les titulaires seraient nommés par le gouver-
nement. Leur défaite de 2010 a naturellement éloigné cette perspective. Toutefois,
les « lib-dém », qui ont perdu la bataille du référendum, cherchaient à obtenir,
comme prix de leur maintien au sein de la coalition, une réforme de la composi-
tion de la Chambre des Lords. Une commission parlementaire a proposé au mois
d
avril 2012 que la chambre des Lords soit réduite en nombre et que 80 % des
membres soient élus pour un mandat de 15 ans, tandis que les membres restant
seraient des experts nommés par le gouvernement pour leurs compétences.
Cependant, le projet de loi déposé par le Premier ministre conservateur David
Cameron a été bloqué au mois de juillet 2012 en raison notamment de la résis-
tance d
une centaine de députés de son propre parti, les uns parce quils étaient
attachés à une Chambre des Lords conforme à la tradition, les autres au contraire
parce qu
ils craignaient quune Chambre des Lords élue ait une légitimité égale à
celle de la Chambre des Communes.
b) Les pouvoirs de la Chambre des Lords
219. La Chambre des Lords exerce deux types de pouvoir. En premier lieu,
elle intervient dans l
adoption des lois. Jusquen 1911, elle disposait dun pou-
voir identique à celui des Communes, mais à la suite du Parliament Act, adopté
cette année-là, elle ne conservait qu
un droit de veto suspensif de deux ans
(mais un mois seulement en matière financière). En 1949, un nouveau texte
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Les régimes parlementaires
193
vint encore réduire les pouvoirs de la Chambre haute, et cela avec effet rétroac-
tif, afin qu
elle ne puisse sopposer au projet de nationalisation des aciéries déjà
déposé par le gouvernement travailliste. La durée du veto n
est plus que dune
année. De plus, conformément à une convention de la constitution, les Lords ne
s
opposent pas à une réforme figurant au programme du parti majoritaire aux
dernières élections.
Si les travaillistes entendaient maintenir la chambre des Lords, cest donc
que son pouvoir d
obstruction était devenu très faible et quelle peut encore
jouer le rôle d
une Chambre de réflexion et contribuer ainsi à la qualité de la
législation. Il ne s
agit en tout cas ni de sauvegarder des privilèges de classe, ni
de réaliser un équilibre des pouvoirs, salutaire pour la liberté politique. Le cen-
tre des conflits et des équilibres politiques n
est plus dans la rivalité entre deux
assemblées, mais dans les relations de la majorité et de l
opposition et surtout
dans les relations au sein même de la majorité. Mais, la Chambre des Lords
conserve aux yeux de nombreux observateurs sa raison d
être. Sans disposer
d
un véritable pouvoir législatif, elle joue un rôle précieux dans la procédure
législative, d
une part parce que son pouvoir de retarder ladoption dune loi
n
est pas négligeable et quil arrive même que certains projets retardés en fin
de session ne soient pas représentés à la session suivante et soient ainsi enterrés,
d
autre part parce que la proportion de plus en plus grande des pairs à vie, choi-
sis parmi les personnalités les plus compétentes du pays, confère aux débats une
très grande qualité technique, conduit à des amendements et permet ainsi
d
améliorer le contenu de nombreux projets de lois.
La Chambre des Lords était traditionnellement la juridiction suprême en
Grande-Bretagne, celle qui tranche les litiges en dernier ressort et établit la
jurisprudence. Lorsque la Chambre des Lords devait statuer comme juridiction,
seule siégeait une catégorie particulière de pairs à vie, les
Law Lords, qui for-
maient un comité judiciaire et étaient en fait des magistrats.
Cependant, le gouvernement travailliste a réalisé une réforme importante du
système judiciaire, qui, avec l
institution dune cour suprême, le rapproche dans
une certaine mesure des systèmes américain et canadien. Il était en effet difficile
de justifier au regard de la séparation des pouvoirs le fait que le pouvoir judi-
ciaire suprême soit entre les mains d
une commission de la Chambre haute. En
2005 a donc été adopté un
Constitutional Reform Act. Les Law Lords, au nom-
bre de 12, sont donc désormais séparés de la Chambre des Lords. Ils sont appe-
lés «
justice » et siègent dans un bâtiment séparé. Ils sont désormais choisis
parmi des personnes qualifiées, hauts magistrats ou avocats par une commission
indépendante essentiellement composée de hauts magistrats. Ils sont titulaires
d
un mandat à vie, mais peuvent être révoqués par une résolution conjointe de
la Chambre des communes et de la Chambre des Lords. Il ne saurait cependant
être question, en raison du principe fondamental de la souveraineté du Parle-
ment, de leur donner le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois.
B La Couronne
220. LAngleterre est une monarchie héréditaire où la dévolution de la cou-
ronne se fait par ordre de primogéniture. Jusqu
en 2013, les mâles bénéficiaient
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Droit constitutionnel
dune priorité. Les femmes pouvaient succéder, mais si le monarque défunt
avait des fils et des filles, c
était laîné des fils qui succédait, même sil y
avait une fille plus âgée. Élizabeth II est aujourd
hui Reine régnante (Queen
regnant
) parce quelle a accédé directement à la couronne. Lépoux de la
Reine n
est que prince consort et lépouse du Roi, reine consort. En 2011, le
gouvernement conservateur a entrepris une réforme des règles de la succession
au trône. Comme le monarque règne non seulement sur le Royaume-Uni, mais
aussi sur les 16 États membres du Commonwealth, la réforme a été adoptée lors
d
une réunion des chefs de gouvernement qui en font partie et formalisée dans
une loi du 25 avril 2013. La priorité aux mâles est désormais abolie. De même,
a été supprimée la vieille interdiction pour les membres de la famille royale sus-
ceptibles de monter sur le trône d
épouser un ou une catholique. Toutefois, dans
la mesure où le monarque demeure le chef de l
Église anglicane, il ne pourrait pas
lui-même professer une autre religion.
En dépit dune réduction continue au cours de lhistoire, les pouvoirs théo-
riques de la couronne demeurent considérables. Ils constituent la « prérogative »
royale. En font partie le droit de nomination à un grand nombre d
emplois, le
droit de décerner la pairie, des titres et des décorations, le droit de convoquer,
proroger ou dissoudre la Chambre des communes, le droit de guerre et de paix,
le droit de conclure des traités internationaux, etc.
Toutefois, outre que le Parlement peut restreindre létendue de la préroga-
tive, les compétences qu
elle comporte nappartiennent que nominalement à la
Reine. Leur exercice est le fait soit du cabinet, soit du Premier ministre.
Ce nest donc pas à raison de son autorité juridique que la Couronne est une
pièce importante du système politique britannique. Jusqu
à ces dernières années,
la Reine et la famille royale symbolisaient à la fois la grandeur de l
Empire bri-
tannique et les vertus de la famille anglaise. D
un autre côté, la Reine était tenue
informée de toutes les décisions du cabinet et pouvait exercer une certaine
influence personnelle. Enfin, l
Église dAngleterre nest pas séparée de lÉtat
cest ce qui justifiait la présence des évêques à la Chambre des Lords et la
Reine en est le chef.
Le monarque est assisté dun Conseil privé composé de tous ses conseillers.
Originairement, son influence était considérable, mais depuis que le cabinet qui
en est issu a pris l
autorité que lui vaut la confiance parlementaire, son rôle a
diminué. Il est surtout l
organe à travers lequel le gouvernement doit faire pas-
ser certaines de ses décisions, notamment la convocation ou la dissolution de la
Chambre, et l
exercice du pouvoir réglementaire. En la forme, les règlements
anglais sont des
Orders in Council, cest-à-dire des ordonnances prises en
Conseil privé. Comme les principaux ministres y siègent, son rôle est d
entéri-
ner les mesures adoptées par le cabinet. Au sein du Conseil privé, un comité
judiciaire joue le rôle de cour suprême pour plusieurs pays du Commonwealth.
Il est composé de juges provenant de ces pays.
Aujourdhui, cependant, la monarchie nest plus indiscutée. Dans les années
d
après-guerre, elle jouait un rôle symbolique important et offrait limage dune
famille idéale. Or une série dincidents touchant aux mœurs de la famille royale
a entaché cette image, sans que le divorce du Prince de Galles et de la Princesse,
au mois d
août 1996, puis son remariage en 2005 aient suffi à y mettre fin, au
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Les régimes parlementaires
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point que certains se sont pris à songer que la fonction de symboliser lunité de
la Grande-Bretagne pourrait être remplie autrement
La crise présente aussi un aspect financier : les fastes de la Couronne revien-
nent fort cher. En outre, la Reine possède une énorme fortune privée, l
une des
plus grandes du monde, et une fraction de lopinion a été choquée dapprendre
que non seulement elle était exempte dimpôts, mais que tous les membres de la
famille royale recevaient des pensions publiques (la « liste civile »). La Reine a
donc décidé, sans y être obligée, de payer des impôts et le Parlement a adopté en
2011 le
Sovereign Grant Act, une loi supprimant la traditionnelle liste civile votée
au début du règne et organisant les finances de la famille royale sur le modèle du
financement des départements ministériels, ce qui signifie qu
elles sont désormais
soumises aux mêmes contrôles.
C Le cabinet2
221. Lapparition du cabinet fut liée au développement du régime parlemen-
taire. Avant la Révolution de 1688, le Roi choisissait parmi les
Privy Councillors
ceux qui feraient partie dun cercle plus restreint : Inner Circle. Investi de la
confiance du monarque, il était maître de les désigner et de les renvoyer. Ce
n
est quà partir du ministère Walpole (1721-1742) que la nécessité pour les
membres de ce Conseil restreint de jouir de la confiance des Communes, le déta-
cha de la libre fantaisie du souverain pour en faire un cabinet au sens parlemen-
taire du terme. D
abord instrument du Roi, puis instrument du Parlement, le cabi-
net acheva ses métamorphoses sous sa forme actuelle d
organisme du parti
majoritaire.
Le cabinet dispose de pouvoirs considérables ; non seulement il exerce le
pouvoir exécutif proprement dit et une partie des compétences relevant de la
prérogative royale, mais en outre il détient le pouvoir considérable de produire
une « législation déléguée ». Comme dans beaucoup d
autres pays, le Parlement
éprouve des difficultés à prendre toutes les lois nécessaires et cela pour les
mêmes raisons : technicité des matières, lenteurs de la procédure, encombre-
ment de l
ordre du jour. Il vote alors une loi dhabilitation, par laquelle il auto-
rise le gouvernement à prendre des règlements. Ceux-ci feront l
objet dune rati-
fication expresse ou tacite, mais pourront, même après cette ratification, être
modifiés sans nouvelle habilitation.
La composition du ministère est extrêmement complexe à raison de la survi-
vance de pratiques anciennes. Il comprend le Premier ministre, les ministres, les
secrétaires d
État. Les ministres appartiennent à différentes catégories. Il y a les
ministres proprement dits qui sont à la tête dun ministère, et dautres personna-
lités auxquelles leurs fonctions tantôt simplement honorifiques (par exemple
Lord du Sceau privé), tantôt effectives (Lord Chancelier, Lord président du
Conseil privé) valent de faire partie du ministère. Quant aux secrétaires d
État
(
Foreign secretary, Home secretary, etc.), ce sont des personnalités qui sont à la
tête dun département ancien qui a conservé son nom doffice. Entre eux et les
2.
CHARLOT, 1998.
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Droit constitutionnel
ministres proprement dits, il ny a donc dautre différence que celle qui tient à la
plus ou moins grande ancienneté de la création du département.
Ces secrétaires dÉtat, ministres pleins, encore quinnomés, ne doivent pas
être confondus avec les parliamentary
secretaries qui assistent les chefs des
grands départements ministériels. Ce sont des sous-ministres investis des com-
pétences que leur délègue le ministre auquel ils sont attachés. Leur titre provient
de ce que leur fonction comprend la liaison entre le département auquel ils
appartiennent et le Parlement.
La complexité de lorganigramme a encore été accrue par lapparition, à partir
de 1941, de
ministres dÉtat, titre qui ne désigne pas nécessairement, comme en
France, un rang élevé dans la hiérarchie gouvernementale, mais que portent des
ministres chargés de suivre une certaine catégorie de problèmes ou de coordonner
l
action de divers départements.
À lexception du Premier ministre, théoriquement choisi par la Reine, et des
ministres ès qualités, tous les ministres et secrétaires d
État sont désignés par le
Premier ministre. L
usage exige que les ministres appartiennent au Parlement
(la proportion entre ceux qui appartiennent à la Chambre des communes et
ceux qui font partie de la Chambre des Lords est laissée à la discrétion du Pre-
mier ministre sous réserve de respecter le
Ministers of the Crown Act de 1937
qui prévoit que le cabinet doit comprendre au moins trois pairs en plus du Chan-
celier qui est obligatoirement un Lord). Il y eut des exceptions à l
origine par-
lementaire des ministres, mais elles ont constitué une gêne pour le cabinet. En
effet, les ministres n
ayant accès quà la Chambre dont ils font partie, un minis-
tre non parlementaire est un poids mort pour le gouvernement puisqu
il ne peut
assurer cette liaison. La liberté de choix du Premier ministre est évidemment
limitée par le principe de la confiance nécessaire de la Chambre, mais elle
l
est aussi par la coutume qui laisse peu de chance daccéder au ministère à
une personnalité qui ne se serait pas d
abord imposée aux Communes.
222. Le resserrement de lautorité gouvernementale. Le ministère est
un organisme beaucoup trop lourd (plus de cent membres) pour s
adapter aux
exigences de l
exercice de lautorité politique. Aussi, traditionnellement, le
cabinet ne comprend pas tous les ministres, mais ceux-là seulement que le Pre-
mier ministre a désignés pour en faire partie. Naturellement, certains d
entre eux
y ont leur place marquée à raison de l
importance de leurs fonctions (Lord
Chancelier, c
est-à-dire ministre de la Justice ; Chancelier de lÉchiquier,
c
est-à-dire ministre du Trésor ; secrétaire dÉtat aux Affaires étrangères), les
autres y sont appelés selon la conjoncture. L
organisation des travaux du cabi-
net est récente : avant la guerre de 1914, il n
existait ni secrétaire permanent, ni
Agenda (ordre du jour). Aujourd
hui, la procédure a été rationalisée. Daprès
I. Jennings, le procédé du vote ne serait plus utilisé depuis 1880.
Le cabinet lui-même sest avéré trop peu maniable. Dès la Première Guerre
mondiale, Lloyd George réserva la tâche de fixer la politique du gouvernement
à un cabinet de guerre ne comprenant que cinq membres. Le système fut remis
en vigueur par sir Winston Churchill en 1940. Depuis lors, un cabinet intérieur
(Inner cabinet) a joué un rôle discret mais décisif dans létablissement des plans
travailliste de Attlee (1943-1951). Enfin la pratique des
du gouvernement
Comités du cabinet, comités interministériels consacrés à l
étude dun certain
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Les régimes parlementaires
197
ordre de questions, par exemple la mise au point des projets de loi, est devenue
une institution régulière. Il s
y ajoute, pour éviter la dispersion des efforts, lac-
tion des ministres spécialement chargés de la coordination et qui sont de vérita-
bles super-ministres.
Les comités interministériels sont plus fortement structurés quen France. Ils
siègent sous la présidence du Premier ministre ou, à son défaut, dun ministre
qu
il désigne en le choisissant généralement parmi les ministres sans porte-
feuille, ce qui lui laisse plus de loisirs pour s
occuper des problèmes à lordre
du jour que n
en disposent ses collègues chargés dun département. Certains
comités, tels ceux de défense, des affaires économiques et des affaires adminis-
tratives, sont permanents. Ce sont les
standing committees.
De ce resserrement de lautorité gouvernementale certains auteurs anglais
déduisent l
effacement du cabinet comme véritable autorité gouvernementale.
Il ne serait qu
une instance dappel, la réalité du pouvoir appartenant au Premier
ministre gouvernant avec l
aide des ministres, des Juniors Ministers3.
223. Le Premier ministre. En général, le Premier ministre est le leader du
parti majoritaire. Cette situation politique conditionne son statut juridique. Bien
que choisi théoriquement par la Reine, il est imposé par la conjoncture poli-
tique ; pratiquement, il est indirectement désigné par les électeurs, puisqu
il est
le chef du parti qui a triomphé lors de la compétition électorale. Cependant, si
au lendemain des élections, il n
y a pas de parti majoritaire, des négociations
s
engagent pour former une coalition. En 2010, les travaillistes aussi bien que
les conservateurs pouvaient envisager une telle coalition avec les libéraux-démo-
crates. C
est le leader du parti conservateur, David Cameron, qui fut désigné
comme Premier ministre à la fois parce que son parti, sans être majoritaire,
avait obtenu plus de sièges que les travaillistes, que ceux-ci avaient été désa-
voués par le corps électoral et parce qu
il avait réussi à attirer les libéraux démo-
crates en leur promettant de prendre en compte certains points de leur pro-
gramme. Le leader des libéraux-démocrates devint alors Vice Premier ministre
(
Deputy Prime Minister). Il sagit dune situation tout à fait nouvelle, car jusquà
présent c
est seulement en temps de guerre que le Royaume-Uni avait été gou-
verné par une coalition.
Il est théoriquement, au regard de ses collègues du ministère, primus inter
pares
; en fait, son titre de leader du parti lui assure la maîtrise du cabinet,
mais il peut arriver que certains ministres soient en mesure, en raison de l
im-
portance de leur département ou de leur position au sein du parti d
exercer sur
lui une pression efficace. C
est ainsi quen 1989 deux ministres purent forcer
Margaret Thatcher à accepter un accord monétaire important au cours d
une
réunion du conseil européen de Madrid. Il est juridiquement responsable
devant la Chambre des communes, mais pratiquement il y a peu de chance
pour qu
il soit renversé, aussi longtemps quil naura pas été désavoué par
son propre parti. Ceci n
est dailleurs pas impossible, si les membres de son
parti craignent que leur leader ne les conduise à une défaite électorale. C
est
Ce terme désigne les ministres qui nont pas de pouvoirs propres et qui sont seulement chargés
3.
dexercer les compétences quun autre ministre lui a déléguées. Cest léquivalent de ce quon appelle
en France un secrétaire d
État placé auprès dun ministre de plein exercice.
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198
Droit constitutionnel
dailleurs ce qui sest effectivement produit lorsque Margaret Thatcher fut
contrainte à la démission en 1990 par le groupe parlementaire conservateur
ou Tony Blair par le parti travailliste en 2007. Il se peut aussi, lorsqu
il est à
la tête d
un cabinet de coalition, que celle-ci se divise. Cependant, même le
fait de perdre momentanément le soutien de son parti n
entraîne pas automa-
tiquement lobligation de démissionner. Il est arrivé en effet, comme cela a été
le cas pour Tony Blair pendant la guerre dIrak, que le Premier ministre
conserve la majorité à la Chambre, grâce au renfort de certains membres de
l
opposition conservatrice, qui compensaient la défection dune partie de la
majorité travailliste. Il peut même être mis en minorité sur une question parti-
culière sans être tenu de démissionner, si ce vote ne signifie pas qu
il a perdu
la confiance de la majorité.
Toutefois, sil ne risque presque rien sur le plan parlementaire, il a tout à
redouter de la future consultation électorale. L
échec de son parti aux élections
risque de lui valoir la perte de son titre de leader, comme ce fut le cas pour
E. Heath à la suite de la défaite électorale des conservateurs en 1974. Il faut
donc, pour le Premier ministre, gouverner, mais faire en sorte que son parti
soit victorieux aux prochaines élections.
Cette tâche implique des pouvoirs si considérables que certains auteurs
anglais n
hésitent pas à qualifier le Premier ministre de « monarque élu ».
Cette thèse a été cependant contestée par d
autres. Faisant état de lexpérience
du gouvernement Wilson, ils ont démenti la prééminence du Premier ministre et
affirmé l
autorité collégiale du cabinet. Mais, au moins sous le règne de Marga-
ret Thatcher et à nouveau sous celui de Tony Blair, on a assisté à nouveau à une
très forte concentration des pouvoirs entre les mains du Premier ministre. Cela
tient non seulement à la personnalité du chef de gouvernement, mais aussi à sa
prééminence au sein du parti majoritaire et aux contraintes de l
exercice du pou-
voir dans un État moderne, au point que l
on a parlé de pouvoir présidentiel.
On considère quil ny a que très peu de limites au pouvoir du Premier
ministre. Il n
en existe pas hors du cabinet, au moins tant que la majorité le
soutient sans défaillance (ce qui n
est pas toujours le cas), tandis que lopposi-
tion ne dispose d
aucun pouvoir réel. Au sein du cabinet, les choses sont plus
complexes. Lorsqu
il existe une majorité homogène,
le Premier ministre
domine incontestablement. Les décisions les plus importantes sont préparées
par des commissions
ad hoc nommées par lui et composées de quelques minis-
tres importants. Certains auteurs estiment que l
idée dun gouvernement de
cabinet n
est quune illusion et que les ministres, qui nont quun rôle très réduit
dans la détermination de la politique du cabinet, agissent surtout dans leurs
départements respectifs, où en revanche, ils paraissent jouir d
une autonomie
importante (Weir et Beetham, 1998).
Toutefois, dans un cabinet de coalition, les rapports de force peuvent être
différents et varier selon les espoirs que chacune de ses composantes peut placer
dans les futures élections.
Il en résulte que le rôle réel du Parlement dans lexamen de la législation est
très faible et que les projets du gouvernement sont adoptés sans difficulté et sans
un examen très minutieux. Les ministres disposent d
ailleurs dun pouvoir
réglementaire très important.
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§ 3. Le fonctionnement du système
A Rapports juridiques entre organes : la façade parlementaire
224. Si lon faisait abstraction du bipartisme, et si lon se bornait à analyser
les rapports entre organes à partir de leurs prérogatives et de leurs moyens dac-
tion mutuels, il faudrait considérer que la Grande-Bretagne vit sous un régime
parlementaire.
On trouve en effet en Angleterre tous les caractères que lon attribue géné-
ralement au régime parlementaire. Il s
agit en premier lieu de la spécialisation
des organes
certains disaient même de la séparation des pouvoirs puisque
les Chambres exercent la fonction législative et le cabinet la fonction exécutive.
Il s
agit dautre part de moyens daction mutuels. Dun côté, le cabinet est poli-
tiquement responsable devant la Chambre des communes qui a la faculté de le
renverser. De l
autre côté, le Roi peut dissoudre la Chambre à la demande du
Premier ministre.
Lensemble de ces prérogatives pouvait faire lobjet de deux analyses diffé-
rentes.
On pouvait dabord, comme le faisait la doctrine française traditionnelle,
interpréter le régime parlementaire comme un système d
équilibre entre le pou-
voir législatif et le pouvoir exécutif, qui disposent avec la responsabilité et la
dissolution de moyens d
action symétriques. Ainsi, en cas de conflit, la Cham-
bre renverse le cabinet qui riposte en faisant prononcer la dissolution par le Roi.
Variante de cette interprétation : un conflit, qui se produit lorsque le cabinet est
renversé, doit être soumis à l
arbitrage du corps électoral. Selon cette variante,
la dissolution n
est pas comprise comme une arme entre les mains du Premier
ministre, mais comme un mode de saisine de l
arbitre. Si, dans la première
variante, le système parlementaire est un système d
équilibre, dans la seconde,
c
est un système démocratique, puisque le peuple tranche en dernier ressort.
Selon une autre interprétation, le système parlementaire ne se caractérise pas
par l
équilibre, mais tout simplement par la suprématie du Parlement. On peut
alors considérer que, comme d
ailleurs en France sous la IIIe République, le Par-
lement, c
est-à-dire en fait la Chambre des communes réunit entre ses mains la
totalité du pouvoir. Elle dispose en effet seule du pouvoir législatif, puisque la
Reine et la Chambre des Lords ne sont plus en mesure de participer réellement à
son exercice. En outre, elle exerce le pouvoir exécutif à travers le cabinet qui
n
est que lémanation de la majorité. Toute tentative du cabinet pour faire une
autre politique que celle de la Chambre, ne serait pas un conflit entre deux pou-
voirs, mais une rébellion du subordonné contre le supérieur. Dans ce cas, la
Chambre des communes renverse le cabinet, qui est remplacé par un autre.
Telle était d
ailleurs la pratique au XIXe siècle. Dans cette perspective, le droit
de dissolution n
apparaissait certainement pas comme une arme symétrique de
la responsabilité, mais seulement comme un moyen pour le subordonné de se
donner un nouveau maître. Naturellement, un tel système ne fonctionne que si
les membres de la Chambre des communes restent indépendants des partis poli-
tiques. Qu
ils suivent avec discipline les directives de leur parti, quil existe un
parti majoritaire, et tout change. Or, précisément, la réalité est aujourd
hui fort
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Droit constitutionnel
différente de ce quelle était au début du XIXe siècle, en raison dun phénomène
d
une importance capitale, le bipartisme.
B Le rôle du système de partis : le bipartisme
225. Les origines du bipartisme. Elles sont très anciennes. La première
moitié du
XVIIIe voit laffrontement des tories et des whigs, partisans et adver-
saires des prérogatives de la Couronne. Il ne s
agit toutefois pas de partis au
sens moderne, mais de groupes parlementaires sans structure ni discipline.
Mais, au début du
XIXe, des clubs se forment pour organiser la propagande en
faveur d
une réforme électorale. Lorsque celle-ci aura lieu en 1832, ces clubs
seront utilisés pour les campagnes électorales des députés et ils seront liés aux
deux groupes de députés, conservateurs (les anciens
tories) et libéraux (les
anciens
whigs). Conservateurs et libéraux, qui ont à leur tête de fortes person-
nalités, Disraeli et Gladstone, alterneront au pouvoir pendant la deuxième moi-
tié du
XIXe siècle.
Le développement de la classe ouvrière et lélargissement du suffrage contri-
buent à produire un changement politique majeur. Les nouveaux électeurs
ouvriers, commencèrent par voter pour les libéraux, mais comme ceux-ci ne
pouvaient se résoudre à adopter une politique favorable aux travailleurs, les
syndicats finirent par fonder un nouveau parti, le parti travailliste. Celui-ci pré-
sentait l
originalité dêtre un parti indirect : puisquil était fondé par les syndi-
cats, leurs adhérents devenaient indirectement adhérents du parti. Le nouveau
parti devint donc d
emblée une organisation très puissante de 900 000 membres.
Le caractère indirect était encore marqué par le fait que c
était le congrès des
syndicats (le
Trade Union Congress), qui était et qui est dailleurs encore
lorgane dirigeant du parti et que le leader et les candidats au Parlement sont
choisis par un collège électoral dans lequel les syndicats ont 40 % des voix.
Le développement rapide du nouveau parti travailliste, joint aux divisions du
parti libéral et surtout au scrutin majoritaire à un seul tour, aboutira après 1922 au
remplacement de l
affrontement Conservateurs-Libéraux par un nouvel affrontement
Conservateurs-Travaillistes.
Au-delà de lopposition idéologique, les deux partis ont quelques caractères
communs importants, ils sont fortement centralisés, le pouvoir y est concentré
dans quelques cercles assez restreints et le leader, soumis chaque année à réé-
lection, y joue un rôle prépondérant.
Depuis quelques années, le bipartisme paraît menacé par le parti libéral
démocrate, des partis nationalistes écossais et gallois, ainsi que le nouveau
« parti pour l
indépendance du Royaume-Uni », (UKIP) qui a obtenu un quart
des voix lors des élections locales de mai 2013 et 27,5 % aux élections euro-
péennes de mai 2014.
226. Les conséquences du bipartisme. Le bipartisme bouleverse les rap-
ports entre organes. On a déjà signalé l
une des conséquences du bipartisme :
les électeurs savent que l
un des partis sera majoritaire après les élections et que
le leader de ce parti deviendra Premier ministre. Ils votent donc indirectement
pour choisir le Premier ministre. Mais le bipartisme affecte en outre le fonction-
nement du système parlementaire tout entier.
Page 201
Les régimes parlementaires
201
En premier lieu, puisque le Premier ministre est le leader de la majorité, il y
a peu de chances pour qu
il soit renversé. Même sil arrive quil soit mis en
minorité sur une question particulière, par exemple par suite de désaccords au
sein de la majorité, il n
est pas contraint de démissionner et il ne le fera que si le
vote met en cause sa politique générale. C
est ainsi que, à la fin du mois
daoût 2013, la chambre des Communes a rejeté une résolution déposée par le
cabinet de David Cameron, en vue de lautoriser à lancer des opérations militai-
res conjointes contre la Syrie. Le cabinet a alors modifié sa politique syrienne,
mais n
a pas démissionné. Normalement, le Premier ministre reste donc en
place jusqu
à la fin de la législature, sauf dans le cas, très rare, où des dissidents
du parti majoritaire se joignent à l
opposition, comme cela sest produit au mois
de mars 1979.
En deuxième lieu, le cabinet, qui est formé des dirigeants du parti, dispose
d
une autorité suffisante sur ses membres, pour obtenir que la majorité adopte
les projets qu
il soumet aux Communes. Sans doute, la discipline ne simpose-t-
elle pas lorsque la loi porte sur une question qui relève de la conscience indivi-
duelle de chacun, mais près de 90 % des lois sont d
ailleurs dorigine gouverne-
mentale et la plupart engagent la politique de la majorité. Tout se passe donc
comme si le cabinet disposait non seulement du pouvoir exécutif, mais aussi du
pouvoir législatif. On est donc très loin du schéma du régime parlementaire : il
n
y a ni prédominance du Parlement sur le cabinet, ni même équilibre entre les
pouvoirs, mais bel et bien suprématie de fait du cabinet sur le Parlement. Il n
y a
pas davantage de séparation fonctionnelle des pouvoirs, mais au contraire concen-
tration d
un pouvoir énorme entre les mains du cabinet et spécialement entre
celles du Premier ministre.
En troisième lieu, lopposition nest pas privée de toute participation au
fonctionnement du système. Elle bénéficie d
un statut spécial. Le chef du prin-
cipal parti d
opposition porte le titre de « leader de lopposition de sa Majesté ».
Il est rémunéré à ce titre et il forme un cabinet fantôme (shadow cabinet) formé
de ministres fantômes dont les titres correspondent à ceux des membres du gou-
vernement en place.
En quatrième lieu, la dissolution ne peut remplir toutes les fonctions que lui
attribue la théorie classique du régime parlementaire et notamment celle de pro-
voquer l
arbitrage du corps électoral en cas de conflit entre les pouvoirs,
puisque le bipartisme empêche normalement que de tels conflits se produisent.
En revanche, il est arrivé que la menace de dissolution dissuade les députés de
mettre en minorité le gouvernement.
Certains auteurs avaient cru découvrir une nouvelle fonction de la dissolu-
tion : elle serait un substitut au référendum. En effet, disait-on, puisque le réfé-
rendum nexiste pas en Grande-Bretagne, la dissolution permet de consulter le
peuple sur une question importante. En votant pour tel parti, il approuve la posi-
tion que celui-ci a adoptée et rejette la position du parti opposé. Cette thèse, qui
se heurtait à une série de critiques, paraît aujourd
hui abandonnée : la raison
principale est que le Parlement étant souverain, il peut parfaitement organiser
un référendum consultatif et il l
a dailleurs fait en 1975 à propos de la renégo-
ciation de ladhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté Économique
Européenne, puis de nouveau en 1998 en Écosse et au pays de Galles sur la
dévolution des pouvoirs et même un référendum décisionnel, comme en 2011
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Droit constitutionnel
(v. supra no 215). Puis, à nouveau, en 2013, le parti conservateur au pouvoir
s
est engagé à renégocier les conditions de la participation du Royaume-Uni à
l
Union européenne, sil était reconduit en 2015, puis à soumettre au référen-
dum la question du maintien ou de la sortie de l
Union. Une proposition de loi
en ce sens a été soumise à la Chambre des Communes le 19 juin 2013.
Jusquà présent, la dissolution a été seulement un moyen de provoquer les
élections et den fixer la date au moment que les sondages révèlent comme le
plus favorable à la majorité sortante. C
est la Reine qui prononce la dissolution,
mais une convention de la constitution veut qu
elle accède toujours à la demande
du Premier ministre. Les conservateurs ont été contraints en 2010 de céder à la
pression des libéraux démocrates et d
accepter de limiter le droit de dissolution.
Ce système vient de subir un changement de grande importance. Depuis le
Fixed-term Parliament Act de 2011, la Chambre des Communes est élue pour
cinq ans et ne pourra être dissoute avant ce terme que dans deux cas : d
une
part, elle le sera automatiquement si le gouvernement a fait l
objet dun vote de
défiance à la Chambre des Communes, mais celle-ci peut éviter la dissolution en
votant dans les quatre jours une motion de confiance au gouvernement
il peut
s
agir du même gouvernement ou dun autre ; dautre part, elle pourra lêtre à
tout moment à la demande des deux tiers des députés eux-mêmes. Il s
agit là pour
le Premier ministre d
une limitation importante de son pouvoir. Toutefois, on
peut concevoir, comme il est arrivé en Allemagne, que le Premier ministre
demande à des membres de son propre parti de le renverser ou encore qu
il
fasse voter une loi abrogeant le
Fixed-term Parliament Act (Le Divellec, 2012).
227. Concentration du pouvoir, démocratie et liberté. Pour le constitu-
tionnalisme classique, la concentration du pouvoir entre les mains d
un seul
homme ou d
un seul groupe est la définition même du despotisme : celui qui
peut faire la loi et l
exécuter peut en effet la modifier au gré de ses caprices au
moment de l
exécution. Pourtant, bien que cette concentration soit incontestable-
ment réalisée en Grande-Bretagne, il faut constater que le pouvoir n
y est pas
despotique.
Cela sexplique assez bien. Que le pouvoir soit concentré ne signifie pas en
effet que le groupe qui le détient soit homogène. Ce groupe, c
est la majorité
parlementaire, qui comprend le Premier ministre, le cabinet, les députés de base.
Si c
est incontestablement le Premier ministre et le cabinet qui exercent le pou-
voir, ils sont contrôlés, non certes par l
opposition, mais par leur propre parti.
L
intérêt du parti est de rester majoritaire. Quil sente que lopinion penche vers
l
opposition, que la politique menée par le Premier ministre le mène à la défaite
électorale et il s
efforcera par tous les moyens de linfléchir. Sil ne parvient pas
à infléchir la politique du Premier ministre, il peut changer brutalement de lea-
der, cest-à-dire de Premier ministre, en le poussant à la démission comme ce
fut le cas pour Margaret Thatcher en 1990 et pour Tony Blair en 2007.
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Les régimes parlementaires
§ 4. La dévolution
203
228. Les travaillistes, au pouvoir entre 1997 et 2010, ont réalisé une série de
réformes constitutionnelles d
une très grande portée, les plus importantes depuis
le début du siècle.
Les principales de ces réformes concernent lÉcosse et le pays de Galles et
font de la Grande-Bretagne un État quasi fédéral. La procédure par laquelle
elles ont été adoptées mérite d
être décrite. Le gouvernement a soumis un projet
au référendum, mais seuls étaient admis à voter les électeurs écossais et gallois.
Un Français pourrait s
étonner que lensemble des électeurs britanniques aient
été privés du droit de consentir à cette restriction de leur souveraineté. Mais le
Souverain en Grande-Bretagne n
est pas le corps électoral, ni même le peuple
britannique ; c
est le Parlement. Dailleurs, les électeurs écossais et gallois ne
pouvaient pas non plus formellement adopter un texte par référendum et il a
fallu une loi, votée par le Parlement en 1998, le
Scotland Act.
On examinera ici seulement la loi sur lÉcosse, dite de dévolution. Elle ins-
titue un Parlement écossais, qui s
est réuni pour la première fois le 1er juillet
1999. La plupart des députés sont élus dans des circonscriptions de dimensions
réduites, au scrutin uninominal à un seul tour, traditionnel en Grande-Bretagne,
mais les autres sont désignés, dans des circonscriptions plus vastes, à la repré-
sentation proportionnelle. Comme en Allemagne pour l
élection du Bundestag,
chaque électeur dispose de deux voix pour participer à l
élection des deux caté-
gories de députés.
Le Parlement écossais vote des lois, auxquelles la Reine peut, en principe,
opposer son veto, comme à celles adoptées par le Parlement britannique de West-
minster. Ce pouvoir législatif peut s
exercer seulement dans des matières énumé-
rées dans le
Scotland Act. Il ne peut empiéter sur les compétences réservées au
Parlement britannique et qui portent sur les matières d
importance nationale. Le
Parlement britannique peut d
ailleurs toujours réviser le Scotland Act et étendre
ou restreindre la liste des matières. Les lois écossaises doivent être conformes à la
Convention européenne des droits de l
Homme et au droit communautaire et peu-
vent être déférées par le gouvernement britannique à la Cour suprême, qui sanc-
tionne les empiètements sur le pouvoir législatif national.
Il y a un pouvoir exécutif écossais, avec à sa tête un Premier ministre (First
Minister
pour le distinguer du Prime Minister britannique), nommé par le Par-
lement écossais et responsable devant lui. Il est chargé d
exécuter les lois écos-
saises et aussi d
appliquer en Écosse les lois britanniques.
On peut penser que le pouvoir des institutions écossaises est limité, notam-
ment en raison de l
insistance sur la souveraineté du Parlement de Westminster,
qui, en principe, peut à tout moment reprendre certaines des matières déléguées
à l
Écosse, voire toutes. Cependant, cette réforme est en réalité dune très
grande portée. En premier lieu, il est probable qu
en pratique, le Parlement
de Londres s
abstiendra de légiférer pour les affaires dÉcosse et, comme il
n
y a plus au sein du cabinet britannique de ministre chargé de ces affaires, il
sabstiendra également dexercer en ces matières sa fonction de contrôle. Tout
se passe donc comme si le pouvoir législatif était divisé, comme dans un sys-
tème fédéral, entre deux Parlements celui de Londres et celui d
Édimbourg.
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Droit constitutionnel
Dautre part, comme dans un système fédéral encore, les conflits de compétence
sont tranchés par une juridiction, la Cour suprême, qui interpréte le
Scot-
land Act
.
Cependant, malgré ces traits qui le rapprochent dun système fédéral, le sys-
tème de relations entre la Grande-Bretagne et l
Écosse sen distingue encore par
plusieurs traits. Tout dabord, sil y a un Parlement séparé pour lÉcosse, il ny
en a pas pour lAngleterre. Le Parlement de Westminster joue donc un double
rôle. Il légifère pour l
Angleterre et pour lensemble de la Grande-Bretagne, ce
qui signifie que les députés élus en Écosse participent à la législation pour l
An-
gleterre, tandis que ceux qui ont été élus en Angleterre ne participent pas à la
législation pour l
Écosse. Par ailleurs, la Cour suprême contrôle les lois du Par-
lement écossais, mais non celles du Parlement britannique. On pourrait objecter
qu
on connaît des formes de fédéralisme inégalitaire, mais il reste une diffé-
rence essentielle : la répartition des compétences et l
existence de lentité écos-
saise ne résultent pas d
une constitution, mais dune loi, modifiable en principe
à tout moment par le Parlement britannique. Cependant, il est peu probable que
celui-ci fasse usage de ce pouvoir. Il existe en Écosse un fort mouvement natio-
naliste représenté par le Scottish National Party, qui a remporté la majorité et
constitué un gouvernement. Celui-ci a annoncé qu
il soumettrait au référendum
la question de l
indépendance à lautomne 2014.
Comme lÉcosse ne dispose ni du droit de sécession, ni de la compétence
pour décider unilatéralement des modalités juridiques de la consultation, celles-
ci ont fait l
objet dun accord négocié entre le gouvernement du Royaume-Uni
et le gouvernement écossais. Cet accord détermine la date du référendum (le
18 septembre 2014) et les électeurs admis à participer (les citoyens britanniques
de même que les citoyens de l
Union européenne résidant en Écosse). Cepen-
dant, il se limite aux modalités de la consultation. Sur le fond, le gouvernement
britannique fait campagne pour le non : il laisse planer la menace, en cas de
victoire du oui, de couper de nombreux liens avec la Grande-Bretagne, notam-
ment la possibilité dutiliser la livre sterling et de rendre difficile ladhésion de
l
Écosse à lUnion européenne. Dautre part, il promet en cas déchec du oui de
revoir la dévolution et d
étendre le champ de compétences du Parlement
écossais.
§ 5. Le parlementarisme dans le Commonwealth britannique
229. Les anciennes colonies britanniques ont adopté, au moment de lindé-
pendance, des constitutions inspirées du modèle anglais, mais se sont par la
suite orientées vers des formules plus originales.
Le cas le plus typique est celui de lInde. Sa constitution proclamée le 27 jan-
vier 1950 est sans aucun doute, au point de vue formel, une constitution parle-
mentaire. Elle institue un Président de la République élu par le Parlement fédé-
les assemblées des États, mais qui n
a quun rôle secondaire ; un
ral et
gouvernement, qui détient la réalité du pouvoir exécutif et qui est collective-
ment responsable devant le Parlement ; enfin un Parlement qui, à raison du
caractère fédéral de l
Inde, comporte deux chambres : la Chambre du peuple,
élue selon le système anglais au scrutin majoritaire à un tour, et le Conseil des
Page 205
Les régimes parlementaires
205
États dont les membres sont élus par les assemblées locales. Mais seule la
Chambre du peuple peut renverser le gouvernement. À la différence de la
Grande-Bretagne, l
Inde connaît le contrôle de constitutionnalité des lois avec
une Cour suprême très active au point de contrôler la constitutionnalité des lois
de révision constitutionnelle, qui ne peuvent porter atteinte « à la structure fon-
damentale de la constitution » (Le Pillouer, 2012).
La vie politique se caractérise par la présence de deux partis dominants, le
Congrès national indien, considéré comme étant de centre gauche et l
autre,
nettement plus conservateur et nationaliste, le Bharatiya Janata Party (BJP).
Depuis l
indépendance en 1947,
le premier a exercé le pouvoir pendant
48 années seul ou à la tête d
une coalition, avec quelques interruptions. Les
élections de 2014 ont donné une très nette victoire au BJP, qui a remporté 336
des 543 sièges de la chambre du peuple. Son chef, Narendra Modi, devient donc
Premier ministre.
On rencontre des régimes analogues dans plusieurs autres pays.
Le
Canada est un État fédéral. Le Parlement comprend donc deux Cham-
bres : la Chambre des communes et le Sénat. Toutefois, l
égalité des États, les
Provinces, nest pas assurée dans ce Sénat : le Québec et lOntario, plus peu-
plés, ont droit à plus de sénateurs que les autres provinces. D
autre part, le Sénat
n
est pas une Assemblée démocratique, car ses membres ne sont pas élus mais
nommés par le Gouverneur général. Son influence est très inférieure à celle des
Communes.
Jusquen 1982,
la Constitution canadienne, qui datait de 1867, nétait
qu
une loi du Parlement britannique et ne pouvait être modifiée que par lui. À
cette date, le Parlement de Westminster a adopté le
Constitution Act, qui
accorde au Canada le pouvoir d
amender sa constitution, ce quon a appelé le
rapatriement. Lune des premières manifestations de cette souveraineté consti-
tutionnelle a été l
adoption, le 17 avril 1982, dune Charte des droits et libertés,
dotée dune valeur supérieure à celle des lois et qui permet, différence capitale
avec le droit anglais, un contrôle de constitutionnalité. Le système canadien
comporte toutefois un trait par lequel il se distingue des autres formes de
contrôle de constitutionnalité et se rapproche du droit anglais : aux termes de
l
article 33, connu sous le nom de « clause nonobstant » ou « clause déroga-
toire », le Parlement reste souverain et peut, de même que la législature d
une
province, déroger à certains articles de la Charte par une déclaration expresse.
C
est, semble-t-il, le modèle canadien qui a inspiré la Grande-Bretagne lorsque
celle-ci a adopté le Human Rights Act pour concilier son droit interne avec la
Convention européenne des droits de l
Homme. En effet, non seulement il pré-
serve la souveraineté du Parlement, mais la charte présente de fortes similitudes
avec la Convention dans son contenu.
La place du Canada dans la communauté britannique est symbolisée par la
Reine d
Angleterre, qui est toujours formellement le chef de lÉtat. Elle est
représentée par un Gouverneur général, qui est nommé en fait par le Premier
ministre du Canada. Le cabinet canadien est la réplique du cabinet anglais : il
est responsable. Le Premier ministre est désigné par le gouverneur qui se borne
à investir le chef du parti majoritaire : actuellement, le parti libéral. Lune des
ressemblances du régime canadien avec le régime anglais, tenait à l
existence de
deux grands partis : les conservateurs et les libéraux. Le parti libéral a dominé la
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206
Droit constitutionnel
vie politique à partir de 1920 et jusquà la fin du XXe siècle, mais il a perdu la
majorité en 2004 au profit des conservateurs et a été remplacé comme principale
force d
opposition par un parti de tendance social-démocrate, le Nouveau Parti
démocrate. En outre, l
influence des partis diffère selon quon la considère sur
le plan fédéral ou sur celui des États membres, appelés « provinces ».
Le Canada a été depuis le milieu du XXe siècle, confronté à de graves problè-
mes constitutionnels concernant l
autonomie des provinces. Cest surtout le Qué-
bec, le seul pays francophone du continent, qui demande une modification de la
Constitution et dont une partie de la population souhaiterait même obtenir l
indé-
pendance pure et simple (Woehrling, 1994). La population québécoise, consultée
par référendum à deux reprises en 1980 et 1995, a repoussé l
indépendance à une
courte majorité. Les indépendantistes n
ont cependant pas renoncé et se sont enga-
gés à organiser un nouveau référendum s
ils gagnaient les élections au Québec.
Mais la question sest posée de savoir si, au cas où un tel référendum aurait
lieu et où le résultat serait cette fois différent, le Québec pourrait décider unila-
téralement de faire sécession. Il arrive en effet qu
une constitution fédérale
accorde aux États membres le droit de se séparer. Tel était le cas de la Consti-
tution soviétique. Mais la Constitution canadienne est muette sur ce point. Le
gouvernement fédéral a donc soumis la question à la Cour suprême. Celle-ci a
répondu par la négative
4 (Gély, 1999). Elle a estimé que, puisque la Constitu-
tion n
accordait pas le droit de sécession, le référendum ne pouvait avoir par lui-
même aucun effet juridique. La sécession serait alors l
équivalent dune modi-
fication unilatérale de la constitution par le seul peuple québécois, alors que la
révision ne peut être le fait que des représentants du peuple canadien tout entier.
Néanmoins, au cas où le peuple québécois exprimerait clairement par référen-
dum sa volonté de sécession, il en résulterait pour les autres provinces et pour le
gouvernement fédéral une obligation d
engager des négociations. Ceci nempê-
che évidemment pas, comme la cour l
a reconnu, une sécession de facto, cest-
à-dire une sécession purement unilatérale, contraire à la constitution, mais qui
bénéficierait de la reconnaissance de la plupart des autres États.
La procédure daccès à lindépendance formelle a été semblable en Austra-
lie : par une loi du Parlement britannique de 1986, le
Australia Act, les liens ont
été coupés entre les deux pays. Le Parlement de Westminster ne légifère plus
pour l
Australie et les procès ne sont plus déférés en appel au Conseil privé,
bien que, la reine d
Angleterre soit aussi reine dAustralie, comme elle est
reine du Canada. Cependant, un fort mouvement pousse à l
établissement de la
République, mais un projet de réforme constitutionnelle visant à instaurer la
république fut soumis au référendum et repoussé à une faible majorité en 1999.
Selon la plupart des commentateurs, le projet a d
ailleurs échoué non pas en
raison dun attachement à la monarchie, mais parce quil prévoyait lélection
du Président de la République par le Parlement et non au suffrage universel
direct, de sorte que la majorité des électeurs craignaient une concentration exces-
sive des pouvoirs entre les mains du Parlement.
Dans le cadre général du parlementarisme, lAustralie se distingue à un tri-
ple point de vue. En premier lieu, le système est fédéral, ce qui a conduit à
4.
Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] 2 RCS 217.
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Les régimes parlementaires
207
instituer un parlement bicaméral. Le Sénat, élu au suffrage universel par les
États, a les mêmes prérogatives que la Chambre des représentants. Il en résulte
qu
en cas de conflit avec elle, il peut être dissous comme elle.
En second lieu, les institutions australiennes font une assez large place au
référendum, qui est obligatoire pour toute révision de la constitution fédérale.
Enfin, les élections à la Chambre des représentants ont lieu selon un système
original, celui du vote préférentiel. Il consiste en ceci que chaque circonscrip-
tion n
élit quun député, et que les électeurs peuvent présenter plusieurs candi-
dats en les rangeant sur leur bulletin de vote selon un ordre de préférence. Au
dépouillement, le candidat qui a été « préféré » à la majorité absolue est élu ; s
il
n
y a pas de majorité absolue, on élimine le candidat qui a eu le moins de voix
et les suffrages qui le « préféraient » sont ajoutés à ceux des candidats qui res-
tent en lice. On recommence l
opération jusquà ce quun candidat obtienne la
majorité absolue. C
est ce système que les libéraux démocrates ont tenté din-
troduire en Grande-Bretagne et que les électeurs ont repoussé lors du référen-
dum de 2011. Pour les citoyens, le vote est obligatoire.
Le Gouverneur général, représentant de la Reine, préside un Conseil exécutif,
dont les ministres sont membres, mais ceux-ci se réunissent effectivement hors de
la présence du Gouverneur général, sous la présidence du Premier ministre ; cet
organe prend le nom de cabinet. Il n
a aucune compétence officielle, mais déter-
mine en réalité le contenu des décisions adoptées par le Conseil exécutif.
Cest lAfrique du Sud qui sest éloignée le plus du modèle britannique (Phi-
lippe X, 2012). Elle s
en écarte par plusieurs traits. Elle ne reconnaissait plus lau-
torité de la Reine depuis que la politique d
apartheid avait été condamnée par les
institutions du Commonwealth et elle était devenue une république. Cette répu-
blique est aujourd
hui fédérale, bien que le mot « fédéral » ne figure pas dans le
texte de la nouvelle constitution, adoptée en 1996 après la fin de l
Apartheid.
La constitution a été élaborée selon une procédure originale en deux temps :
en 1994 sur le fondement dune constitution intérimaire était élu un Parlement
bicaméral qui devait exercer non seulement le pouvoir législatif, mais aussi le
pouvoir constituant. Dans la rédaction de la constitution définitive, il devait se
conformer à certains principes fondamentaux sous le contrôle de la Cour consti-
tutionnelle. Le Parlement, agissant en qualité d
assemblée constituante acheva
la rédaction de la nouvelle constitution au mois de mai 1996, mais la Cour
décida que cette constitution n
était pas entièrement conforme aux principes
fondamentaux. L
assemblée constituante adopta donc au mois doctobre de la
même année un nouveau texte profondément remanié (Lenoir, 1996).
Cette constitution est extrêmement longue. Elle organise un système démo-
cratique avec une protection très étendue des droits fondamentaux.
Le régime est du type parlementaire, mais il présente quelques caractéristi-
ques particulières avec notamment un exécutif dualiste, composé dun Président
élu par la chambre basse, l
Assemblée nationale parmi ses membres, et dun
cabinet. Celui-ci, qui comprend un Premier ministre, le
Deputy President, et
des ministres, est choisi par le Président parmi les membres de l
Assemblée.
L
innovation est que le cabinet et le Président sont tous deux responsables
devant lAssemblée nationale.
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208
Droit constitutionnel
La puissante Cour constitutionnelle a une compétence très vaste et il existe
une grande variété de voies de recours. Elle a produit une jurisprudence très
audacieuse. Elle a notamment étendu la protection des droits fondamentaux
aux relations entre personnes privées
les droits sont ainsi dits « horizontaux »
et sest accordé le pouvoir de modifier le texte dune loi dont elle était saisie,
pour la rendre conforme à la constitution (Ribes, 2000).
Section 2
Quelques formes continentales
du régime parlementaire
230. Il nest pas possible danalyser, même sommairement, les différentes
formes gouvernementales des États européens. Toutefois, étant donné que tous
se réclament du régime parlementaire et en appliquent en effet, dans leurs très
grandes lignes, les principes, nous voudrions rapidement attirer l
attention sur
celui de quelques-uns parmi les principaux États.
§ 1. Le régime parlementaire en Allemagne
231. Après leffondrement de lEmpire allemand en 1918, la nouvelle répu-
blique allemande s
était donnée en 1919 à Weimar une constitution complexe,
préparée par les meilleurs juristes de l
époque. Cette constitution navait pour-
tant pas suffi à organiser la vie politique. Le système se révéla rapidement
impuissant à limiter les crises économiques et politiques et à empêcher les
nazis de se saisir du pouvoir de manière parfaitement légale.
On ne saurait voir dans la Constitution de Weimar la cause du triomphe
de Hitler, mais les membres du comité chargé après leffondrement du régime
nazi de rédiger une constitution démocratique ont entendu certes revenir à cer-
tains de ses principes, mais également s
en distinguer sur certains points essen-
tiels. Les principes essentiels avec lesquels ils entendaient renouer et que les
nazis avaient bafoués étaient le pluralisme politique, la démocratie parlemen-
taire et le fédéralisme. Mais d
autre part, ils se distinguaient de Weimar par de
meilleures garanties des droits fondamentaux, notamment par la création d
une
puissante cour constitutionnelle et par un parlementarisme rationalisé, plus effi-
cace. On conserverait les mêmes organes qu
en 1919 : un Parlement, un Prési-
dent de la République, un cabinet dirigé par un Chancelier, mais leur structure
interne et leurs relations seraient conçues différemment, de manière à obtenir
une meilleure stabilité gouvernementale et à limiter les effets des crises poli-
tiques.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lAllemagne avait été divisée
en zones, occupée par les quatre puissances alliées contre les nazis : la Grande-
Bretagne, la France, les États-Unis et l
Union soviétique. En raison de la guerre
froide, commencée en 1948 entre lUnion soviétique et les trois puissances
occidentales, la République fédérale d
Allemagne fut proclamée dans les trois
zones occidentales, tandis qu
une République démocratique allemande était
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Les régimes parlementaires
209
créée en zone soviétique. Comme la République fédérale avait vocation à
s
étendre à lensemble du territoire allemand, mais ne pouvait exercer son pou-
voir que sur une partie de ce territoire, il fut décidé de ne pas lui donner dans
l
immédiat le nom de constitution et cest donc une « loi fondamentale » qui fut
proclamée le 8 mai 1949.
232. Le fédéralisme. Il est conçu en Allemagne comme une forme de
séparation des pouvoirs et donc une garantie pour les libertés. Après l
effondre-
ment de la tyrannie nazie, qui avait réalisé un État unitaire centralisé à l
ex-
trême, l
Allemagne daprès-guerre est revenue au fédéralisme, dont le principe
est proclamé dans le nom même de l
État et auquel il est interdit de porter
atteinte, même par un amendement constitutionnel. Chaque
Land possède sa
propre organisation constitutionnelle, avec un Parlement, généralement mono-
caméral, un exécutif élu par le Parlement et un contrôle de constitutionnalité
interne au
Land.
Conformément au principe de participation lié au fédéralisme, les Länder
constituent une partie de lÉtat fédéral : les quinze Länder sont représentés au
sein de la Deuxième Chambre, le Bundesrat. Le nombre de représentants varie
selon l
importance de la population des Länder, mais pas de façon strictement
proportionnelle. Ces représentants ne sont pas élus au suffrage universel, mais
sont des membres des gouvernements des
Länder.
La répartition des compétences entre la fédération (le Bund) et les Länder
sopère selon des règles complexes. La constitution distingue trois groupes de
matières ; celles qui relèvent de la compétence du
Bund (Affaires étrangères,
Défense, etc.) ; celles qui relèvent de compétences concurrentes, c
est-à-dire
dans lesquelles le
Bund comme les Länder peuvent intervenir ; enfin les matiè-
res qui ne figurent sur aucune des deux premières listes et qui relèvent de la
compétence exclusive des
Länder.
Ce système implique deux conséquences : dune part, sur le plan institution-
nel, une Cour constitutionnelle est indispensable pour régler les inévitables
conflits de compétence entre le
Bund et les Länder ; dautre part, sur le plan
politique, une coordination est nécessaire entre les deux niveaux, en particulier
lorsqu
il sagit de matières pour lesquelles les compétences sont concurrentes.
Dans la mesure où il arrive fréquemment que des partis politiques différents
soient au pouvoir aux deux niveaux, la répartition des matières doit inciter à la
recherche du compromis. En fait, on a constaté pendant quelques années,
comme dans d
autres systèmes fédéraux, une évolution dans le sens dun
accroissement des pouvoirs de la fédération. Mais, parallèlement, on assiste à
une vive revendication par les
Länder dune plus grande autonomie. Il sagit
principalement d
une réaction contre lextension des compétences de lUnion
européenne dans des domaines qui relèvent, en vertu de la constitution, de
leur compétence propre. Or, l
État fédéral a contracté des obligations internatio-
nales et il ne peut les exécuter parce qu
elles relèvent des compétences des Län-
der
. Ceux-ci ont donc obtenu une modification de la constitution fédérale.
Désormais, aux termes de l
article 23, lorsque le gouvernement fédéral participe
à la formation dactes législatifs communautaires qui peuvent affecter les inté-
rêts des
Länder, il doit tenir compte de la prise de position du Bundesrat qui les
représente et il ne peut évidemment pas porter atteinte à leurs droits par un acte
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210
Droit constitutionnel
communautaire. Cest sur cette base que, dans un arrêt du 22 mars 1995 sur le
projet « Télévision sans frontières », la Cour constitutionnelle a jugé que, en
votant au Conseil européen en faveur de la directive, le gouvernement fédéral
avait violé les droits des
Länder (Marcou, 1995). Dailleurs, si la législation
communautaire porte sur une matière qui relève de la compétence exclusive
des Länder, lAllemagne nest pas représentée au Conseil par le gouvernement
fédéral, mais par un représentant des
Länder nommé par le Bundesrat.
Au cours de lannée 2005 la Loi fondamentale a été modifiée dans le but de
clarifier la répartition des compétences entre l
État fédéral et les Länder, mais
cette réforme est jugée insuffisante et sera vraisemblablement poursuivie
5.
233. Le Parlement. Il comporte les deux Chambres impliquées par le
fédéralisme : le
Bundestag (Diète) qui représente le peuple entier de la fédéra-
tion et le
Bundesrat qui représente les États.
Les élections au Bundestag ont lieu selon un mode de scrutin, qui, combine la
représentation proportionnelle et le système majoritaire. Chaque électeur dispose
en effet de deux voix, la première pour élire le député de la circonscription au
scrutin majoritaire, la deuxième pour déterminer à la proportionnelle la composi-
tion du Bundestag. Le système vise à favoriser les grands partis. Il parvient en
effet à marginaliser les petits partis, qui sont aussi souvent les plus radicaux,
mais il est rare qu
un parti soit majoritaire et il faut constituer des coalitions,
soit entre l
un des deux grands, les chrétiens-démocrates ou les sociaux-démocra-
tes et un troisième parti plus petit, les libéraux ou les verts, soit entre les deux
grands (système dit de « la grande coalition ») comme cela a été le cas après les
élections de 2005, de 2009 et à nouveau après celles de 2013.
Le Bundesrat est composé, comme on la vu, de ministres délégués par les
gouvernements des
Länder, qui peuvent les révoquer. Il a linitiative des lois
conjointement avec le Bundestag et le gouvernement fédéral, mais il ne dispose,
en principe, que d
un veto suspensif contre les textes votés par lautre Chambre.
Ce veto ne revêt un caractère absolu que si l
existence des Länder est mise en
cause, si la loi en question restreint les droits fondamentaux des citoyens, si elle
concerne les partis ou le régime électoral et encore si elle vise à transférer à
l
Union européenne des droits de souveraineté. Cette dernière prérogative se
justifie par le souci d
éviter que le gouvernement fédéral avec lappui de sa
majorité au Bundestag puisse dépouiller les
Länder de leurs compétences en
les transférant à l
Union européenne.
Mais ce qui est plus important encore, cest que le Conseil fédéral (Bundes-
rat) est le garant de l
ordre démocratique. En effet, dans les cas où le gouverne-
ment est autorisé par la constitution à se passer de l
assentiment de la Chambre
populaire, il ne peut agir sans laccord du Bundesrat. Il y a là un cas curieux
d
utilisation du fédéralisme à leffet de maintenir léquilibre parlementaire entre
l
exécutif et le Parlement.
Le Bundesrat présente loriginalité dune Seconde Chambre qui, loin dêtre
affectée par le déclin général du bicaméralisme, a vu, au contraire, ses pouvoirs
FROMONT M. (2007), « La réforme du fédéralisme allemand de 2006 », RFDC no 70, p. 227.
5.
Décision dite
So lange (aussi longtemps que...) du 29 mai 1974.
Page 211
Les régimes parlementaires
211
renforcés. Son rôle en tant que garant de lordre démocratique nest pas étranger
à cette évolution.
234. La Cour constitutionnelle (Fromont, 2004). Le contrôle de la
constitutionnalité est assuré par une Cour constitutionnelle fédérale, instituée
par larticle 92 de la constitution et organisée par une loi du 12 mars 1951.
Ses membres, au nombre de seize sont choisis pour douze ans, parmi des per-
sonnalités qualifiées par leurs compétences juridiques, moitié par le Bundestag,
moitié par le Bundesrat, à la majorité des 2/3. Ce système implique en fait que
les désignations ne peuvent se faire que par accord entre les deux grands partis
et que les juges sont liés à ces partis.
La Cour est divisée en deux Chambres ou « sénats », de huit membres cha-
cune qui rendent des décisions au nom de la cour tout entière.
Les pouvoirs de la Cour sont considérables et elle est beaucoup plus quun
juge de la constitutionnalité au sens strict : elle est un gardien du régime et un
régulateur de l
équilibre politique entre les organes de lÉtat et les forces poli-
tiques du pays. Elle examine d
abord les litiges relatifs au fonctionnement des
pouvoirs publics : elle tranche les conflits de compétences entre les
Länder ou
entre le
Bund et les Länder ; elle peut être saisie de conflits entre des organes
fédéraux (par exemple d
une décision de dissoudre le Bundestag).
En deuxième lieu, elle assure le contrôle de la constitutionnalité des lois et
actes
infra-législatifs. Le contrôle, qui est exercé a posteriori, a été conçu de
façon très extensive. La Cour peut être saisie
in abstracto, en dehors de tout
litige, sur demande du gouvernement fédéral, d
un Land ou dun tiers du Bun-
destag, mais aussi
in concreto sur renvoi par un tribunal ou encore par un parti-
culier, sur exception d
inconstitutionnalité, en cas de violation dun droit fonda-
mental, selon une procédure semblable à celle de l
amparo espagnol,
le
Verfassungsbeschwerde (v. supra no 58 et infra no 254, mais avec des effets
plus puissants, puisquil peut être dans certains cas dirigé directement contre
une loi).
En troisième lieu, la Cour assure une espèce de police de la moralité poli-
tique : elle peut prononcer à la demande du gouvernement la déchéance des
droits fondamentaux des individus coupables d
activités contraires aux princi-
pes du régime et interdire un parti politique présentant un danger pour la démo-
cratie (v.
infra no 238).
La Cour occupe dans la vie juridique et politique allemande une place consi-
dérable. Cela tient d
abord à létendue de ses compétences, qui lui permettent
d
examiner toutes les lois importantes et dintervenir dans tous les domaines
et surtout à la manière dont elle les exerce. En pratique, elle ne se contente
pas de décider qu
une loi est contraire ou conforme à la Constitution, mais
elle indique les conditions auxquelles cette loi doit satisfaire pour être jugée
conforme. Elle descend alors jusqu
aux détails, ce qui fait delle un quasi-légis-
lateur. C
est ainsi que, dans une décision du 28 mai 1993, à propos de linter-
ruption volontaire de grossesse, elle est allée jusqu
à préciser le nombre de jours
qui doivent s
écouler après quune femme enceinte ait consulté des experts
médicaux jusquau jour de lintervention et elle a exigé que les conversations
échangées durant ces consultations fassent l
objet dun compte-rendu écrit (Fro-
mont, 1995).
Page 212
212
Droit constitutionnel
En Allemagne, comme ailleurs, une loi déclarée contraire à la constitution
pourrait être adoptée à nouveau par un amendement à la constitution. Néan-
moins, certaines dispositions de la Loi fondamentale, qui concernent les princi-
pes essentiels de l
État de droit, ne peuvent être modifiées, même aux termes de
la procédure de révision. La Cour peut par conséquent rattacher un grand nom-
bre de règles jurisprudentielles à des dispositions intangibles, plutôt quà des
dispositions modifiables pour éviter que ses décisions soient tournées par une
révision constitutionnelle. Ainsi, à propos de l
avortement, elle rattache la pro-
tection du f
œtus non plus à larticle 2, alinéa 1 (qui protège le droit à la vie et à
l
intégrité physique), mais à larticle 1er qui proclame le principe de la dignité de
la personne humaine et qui, lui, est intangible.
Limportance de la cour provient aussi de son rôle de gardien de la souve-
raineté allemande vis-à-vis des institutions communautaires et notamment vis-à-
vis de la Cour du Luxembourg. Elle a notamment décidé dès 1974 que le droit
communautaire dérivé ne pouvait s
appliquer en Allemagne que sil nétait pas
en contradiction avec les droits fondamentaux garantis par la constitution alle-
mande (Fromont, 1995)
6. De même, en 2009, elle a estimé que le traité de Lis-
bonne n
était pas contraire à la Loi fondamentale. Cependant, comme lUnion
européenne n
était pas un État fédéral (Bundesstaat), mais une association
d
États souverains (Staatenverbund), il importait pour préserver la souveraineté
de la République fédérale, ainsi que la démocratie, de garantir la participation
du Parlement allemand au processus décisionnel européen. Aussi, la cour a-t-
elle décidé que les instruments de ratification ne pourraient être déposés qu
a-
près l
adoption par le Parlement fédéral dun texte en ce sens7.
235. Le Président de la République (Arnold, 1995). Il est élu pour cinq
ans par l
Assemblée fédérale qui se compose des députés du Bundestag et dun
nombre égal de membres élus au scrutin proportionnel par les Diètes des
Län-
der
. Ainsi la présidence est dépouillée du caractère plébiscitaire que lui attri-
buait la constitution de Weimar en faisant du Président du Reich l
élu du peu-
ple. Il ne peut être révoqué ou renversé, mais seulement accusé par le Bundestag
ou le Bundesrat en cas de violation de la constitution ou de la loi fédérale. Il est
alors jugé par la Cour constitutionnelle. Cette procédure n
a jamais été mise en
œuvre, mais le président peut naturellement être contraint à la démission,
comme il est arrivé en 2012 dans le cas de Christian Wulff, soupçonné de cor-
ruption.
Dailleurs la Charte de 1949 naccorde au chef de lÉtat quun rôle effacé.
Non seulement elle le prive des prérogatives dont disposait son prédécesseur,
notamment du droit de soumettre au référendum des lois votées par le Parle-
ment, mais encore elle réduit quasiment à rien les pouvoirs auxquels il pourrait
prétendre dans le cadre du parlementarisme traditionnel. Il n
a pas linitiative
des lois, son rôle normal dans la formation du cabinet est effacé et il ne dispose
du droit de dissolution que dans des conditions dont il appartient à la Diète de
permettre la réalisation (v.
infra no 236).
6.
7.
Décision dite So lange (aussi longtemps que...) du 29 mai 1974.
Décision 72/2009 du Tribunal constitutionnel fédéral, 30 juin 2009.
Page 213
Les régimes parlementaires
213
Pourtant si, à première vue, les constituants de Bonn ne semblent pas avoir
réédité l
imprudence de ceux du Weimar qui avaient cédé au souci détablir une
présidence forte, ils ont tenu à éviter la paralysie du pouvoir et lui permettent en
cas de blocage des institutions de jouer un rôle actif avec « l
état de nécessité
législative » (v.
infra no 237).
236. Le Chancelier. La cadence rapide avec laquelle se sont succédé les
ministères de la République de Weimar a incité celle de Bonn à mettre l
accent
sur la stabilité gouvernementale.
Au début de chaque législature le Chancelier fédéral est élu par la Diète sur
la proposition du Président de la République. Si le candidat proposé n
est pas
élu, la Diète peut en élire un autre à la majorité absolue ; si elle n
y parvient pas,
le président peut, soit nommer le candidat qui a obtenu la majorité simple, soit
prononcer la dissolution de la Diète. Celle-ci est donc pénalisée si elle n
arrive
pas à dégager en son sein une majorité solide. Elle est pénalisée également si sa
majorité n
est pas cohérente. Ici cest lhypothèse de la responsabilité ministé-
rielle qu
il faut envisager.
Forts de lexpérience antérieure qui montrait que les gouvernements étaient
renversés par une coalition des extrêmes, nationalistes et communistes, c
est-à-
dire par une majorité négative, les constituants ont imaginé un système qui peut
se résumer dans la formule : on ne peut renverser un gouvernement qu
en le
remplaçant.
Si la Diète veut prendre linitiative dexprimer sa méfiance au Chancelier,
elle ne peut le faire qu
en lui élisant un successeur à la majorité absolue
(art. 67).
Ce mécanisme ingénieux dit « motion de censure constructive » a été imité
dans plusieurs constitutions d
Europe centrale et orientale. Il ne faut cependant
pas en exagérer les vertus. La stabilité politique allemande tient davantage à
l
homogénéité de lopinion et à la discipline du personnel politique quà un
artifice de procédure.
De surcroît, le système nest pas aussi efficace quon pourrait limaginer. Le
mécanisme de la motion de censure constructive, n
a fonctionné quune seule
fois, lorsque le Chancelier Helmut Schmidt a été remplacé par M. Helmut Kohl
en 1982, alors que d
autres Chanceliers ont pu être renversés par des procédés
informels. Et il est facile d
imaginer quun Chancelier peut être contraint de
démissionner ou bien par une pression interne de son propre parti ou bien par
rupture de la coalition qui le soutenait, comme il est arrivé à Ludwig Erhard en
1966. Il n
est pas non plus sans danger et on peut concevoir une situation où le
Chancelier se maintiendrait au pouvoir sans être soutenu par une majorité, mais
avec l
appui du président, simplement parce quil nexiste pas contre lui une
majorité assez cohérente pour lui élire un successeur.
Si cest le Chancelier qui propose une motion de confiance et si la Chambre
la lui refuse à la majorité absolue, le président peut, sur sa proposition, dissou-
dre le Bundestag dans un délai de trois semaines (article 68). Mais si, entre-
temps, le Bundestag se ressaisit et élit un successeur au Chancelier, la dissolu-
tion nest plus possible.
Le chancelier ne dispose donc pas du droit de dissolution, à la différence du
Premier ministre anglais ou du Président de la République française, et il ne
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Droit constitutionnel
peut donc pas en principe se débarrasser dune assemblée hostile ou ingouver-
nable, ni déterminer de façon volontaire et unilatérale la date des élections. Là
encore le constituant de 1949 a voulu éviter le retour des pratiques de la Répu-
blique de Weimar, dont les dissolutions à répétition avaient largement contribué
au climat d
instabilité politique, qui avaient favorisé larrivée des nazis au
pouvoir.
Cependant, dans ce cas aussi, il est possible de jouer avec la constitution. Le
chancelier, désireux de dissoudre alors qu
il dispose encore dune majorité à la
Chambre, peut par exemple proposer une motion de confiance et demander à
son propre parti de voter contre lui. Le président pourra alors dissoudre le Bun-
destag. C
est ce qua fait Kohl en 1982 et cest ce qua fait en 2005 le chancelier
Gerhard Schröder, qui, à la suite d
un désastre électoral dans les Länder souhai-
tait provoquer des élections anticipées.
La manœuvre a réussi sur le plan constitutionnel, mais politiquement na pas
donné les résultats escomptés, puisque le SPD, le parti de Gerhard Schröder n
a
pas gagné les élections. Cependant, son principal adversaire, la CDU n
a pas
obtenu non plus la majorité des sièges et il a fallu constituer une « grande coa-
lition ».
237. Létat de nécessité. Létat de nécessité est une technique qui permet
de maintenir en fonction un gouvernement, bien qu
il ait perdu la majorité. La
situation visée est celle où, bien que la question de confiance posée par le Chan-
celier n
ait pas obtenu la majorité absolue, le Président de la République na
cependant pas prononcé la dissolution de la Diète. Si celle-ci rejette un projet
de loi dont le gouvernement a déclaré l
urgence, le président peut, à la requête
du Chancelier et avec l
assentiment du Conseil fédéral, proclamer létat dur-
gence législative. L
effet de cette déclaration sera de donner au texte litigieux
valeur de loi, en dépit de son rejet par le Bundestag.
La déclaration de létat de nécessité ne peut produire effet que pendant six
mois, et ne peut pas être renouvelée ; d
autre part, elle nautorise pas à abroger
ou à suspendre l
application de la constitution ; enfin, la Diète peut y mettre fin
à tout moment en élisant un nouveau Chancelier. Certains ont pu craindre que
l
article 81 ouvre la porte à un pouvoir autoritaire. Il suffirait en effet, dit-on,
que les divisions de la Diète rendent impossible aussi bien le vote d
une motion
de censure constructive permettant de remplacer le Chancelier que l
adoption
d
un projet de loi déclaré urgent. Le Président pourrait alors gouverner avec
un gouvernement minoritaire. Cependant, ce qui rend cette hypothèse peu pro-
bable
elle ne sest dailleurs jamais réalisée cest le mode de désignation du
Président, qui n
est pas un élu du suffrage universel, mais un homme du Parle-
ment, et surtout le système des partis allemands.
238. Le système des partis. Comme partout, le fonctionnement du sys-
tème dépend dans une très large mesure du système des partis. Celui-ci est lui-
même déterminé par des facteurs socio-politiques, mais aussi par les règles de la
constitution matérielle. Au nombre de ces règles figurent évidemment celles qui
sont relatives au mode de scrutin et l
on a vu quelles favorisent les grands
partis.
La Loi fondamentale allemande a été lune des premières constitutions à
contenir des dispositions relatives aux partis. La Constitution française de
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Les régimes parlementaires
215
1946 ne les mentionnait même pas, mais la Loi fondamentale établit les fonde-
ments de leur statut : elle énonce les principes de base d
un statut et invite le
législateur à adopter des mesures plus détaillées. La place faite aux partis s
ex-
plique évidemment par l
histoire particulière de lAllemagne. Il sagissait de
garantir
après douze années de dictature du parti nazi les conditions de fonc-
tionnement dune démocratie pluraliste, qui suppose la liberté de création des
partis, mais aussi la possibilité de limiter ou dinterdire ceux qui, en raison de
leur but ou du comportement de leurs adhérents, pourraient constituer une
menace pour l
État de droit libéral et démocratique. Cest à la Cour constitu-
tionnelle qu
il appartient de prononcer la dissolution dun parti à la demande
du Bundestag ou du gouvernement fédéral. C
est là un pouvoir énorme, dont
la Cour a usé à deux reprises en prononçant successivement l
inconstitutionna-
lité d
un parti néo-nazi en 1952 et celle du parti communiste en 1956. Ces
règles forment un véritable statut, qui a inspiré la législation de nombreux
pays, notamment les pays de l
Europe centrale et orientale et la Turquie.
Comme dans de nombreux pays, les partis politiques sont traités dabord
comme des associations, dont les spécificités justifient certaines exceptions au
régime général des associations.
Ils sont définis comme des associations « qui coopèrent à la formation de la
volonté politique du peuple ». C
est la raison pour laquelle, si leur formation est
libre, ils doivent respecter les principes démocratiques. Mais c
est aussi pourquoi
la loi leur accorde un financement public, dont le montant dépend du nombre des
membres, de celui des suffrages obtenus, et des contributions reçues. Il représente
actuellement environ 30 % de leur budget.
En partie à cause du mode de scrutin, mais aussi de la situation politique
allemande depuis la guerre, il y a quatre partis principaux : à côté des deux
grands, le parti social-démocrate (SPD) et le parti chrétien-démocrate (CDU-
CSU) existent deux partis plus petits, les Libéraux et les Verts, de sorte que le
Chancelier appartenant à l
un des grands partis doit être fréquemment soutenu
par une coalition. Deux grandes combinaisons sont possibles : ou bien une coa-
lition des deux grands partis (la grande coalition) ou bien l
alliance de lun des
grands partis avec les Verts ou le parti libéral. Ce dernier, qui est susceptible de
s
allier tantôt avec les sociaux-démocrates et tantôt le parti chrétien-démocrate,
joue ainsi le rôle de parti charnière. Actuellement, la chancelière Angela Merkel
s
appuie sur une petite coalition formée du parti chrétien-démocrate et des
libéraux.
239. Constitution et réunification (Kimmel, 1990, Guérard, 1990). En
1990, par suite de la détente internationale et de l
effondrement du régime com-
muniste en RDA, pour la première fois depuis 1945, les circonstances étaient
favorables à la réunification de lAllemagne. Pour parvenir à cette fin, il y avait,
selon la Loi fondamentale, deux voies possibles : celle de larticle 23, qui per-
mettait aux parties de l
Allemagne non encore comprises dans la RFA dadhérer
à celle-ci ; celle de l
article 146 qui prévoyait que la « loi fondamentale devien-
drait caduque le jour de l
entrée en vigueur dune constitution adoptée par le
peuple allemand en pleine liberté de décision ».
La procédure de larticle 23 avait été utilisée en 1957 pour ladhésion de la
Sarre et c
est encore elle qui fût retenue en 1990 après quelques hésitations, car
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Droit constitutionnel
cétait la plus rapide et la plus sûre. En effet, elle ne nécessitait quun simple
acte d
adhésion alors que larticle 146 supposait, comme préalable à la réunifi-
cation, l
élection dune Assemblée constituante et ladoption (éventuellement
par référendum) d
une nouvelle Constitution. Les modalités de la réunification
furent réglées par plusieurs traités conclus entre les deux États allemands. Après
avoir reconstitué les cinq Länder qui avaient été supprimés en 1953, le Parle-
ment de la RDA (
Volkskammer) vota globalement leur adhésion à la RFA. Ces
cinq
Länder sont donc venus sajouter aux dix de la RFA, et lunité allemande a
été proclamée le 2 octobre 1990.
Quant à la Loi fondamentale, elle est restée en vigueur, bien quelle ait subi
quelques modifications conformément aux stipulations des traités d
unification.
L
article 23 a été abrogé, afin de marquer que lunion était achevée.
§ 2. Le régime parlementaire en Italie
240. Les institutions italiennes, telles que les a établies la constitution du
1
er janvier 1948, sont en la forme extrêmement fidèles au type parlementaire
classique, susceptible, selon la configuration des partis politiques de fonctionner
de manière soit moniste, soit dualiste dans les périodes de crise et d
impuis-
sance des partis. La démocratie italienne n
est cependant pas exclusivement
représentative : la Constitution institue en effet le référendum abrogatif d
initia-
tive populaire (Pizzorusso, 2001 ; De Vergottini, 2012 ; Ricci, 2000 ; Cassese,
2001 ; Bin, 2012).
241. Un bicaméralisme authentique. Par rapport à la plupart des consti-
tutions postérieures à la Seconde Guerre mondiale, la Constitution italienne se
caractérise par un bicaméralisme égalitaire (v.
supra no 115). Ceci sexplique
par la situation politique au moment de l
élaboration de la constitution. Après
la chute du régime fasciste, le pays était profondément divisé et un parti com-
muniste puissant pouvait présenter un danger pour la démocratie. Les partis de
la droite et du centre, dominés par la démocratie chrétienne, cherchaient à éviter
qu
une majorité électorale confisque le pouvoir et ont conçu des institutions
propres à limiter le risque. L
une de ces institutions était la Cour constitution-
nelle, l
autre était le bicaméralisme qui permettrait daffaiblir en les divisant les
forces issues des élections. En outre, le Sénat, recruté sur une base régionale,
pouvait contribuer à la satisfaction des aspirations à l
autonomie.
Ce sont les mêmes raisons qui ont poussé à instituer pour lélection des par-
lementaires des deux Chambres un scrutin proportionnel intégral. Ce système a
produit ses effets habituels : un émiettement des partis politiques, la nécessité de
former des coalitions parlementaires et l
instabilité gouvernementale. Après
quelques tentatives d
introduire des éléments de scrutin majoritaire, le système
actuel, établi en 2005 par Berlusconi limite ces effets habituels en fixant des
seuils et en donnant des primes aux coalitions : les élections ont lieu à la pro-
portionnelle et le parti ou la coalition qui arrive en tête, même sil ne dispose
que d
une majorité relative, obtient au moins 55 % des sièges de la circon-
scription.
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Les régimes parlementaires
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Les nombreux inconvénients et linjustice du système, qui a pour effet de
permettre à une minorité d
obtenir une forte majorité parlementaire ont conduit
à des tentatives de réforme, dont aucune n
a abouti. Ce mode de scrutin a
contribué à nourrir chez de nombreux électeurs un sentiment de rejet de la
classe politique et a entraîné lors des élections de 2013 un recul des grands par-
tis au profit dun nouveau mouvement, « Cinq Étoiles », qui refuse de participer
à des coalitions gouvernementales. Cest pourquoi il a été impossible de réunir
une majorité pour élire un nouveau Président de la République, ce qui a
contraint le président Napolitano, pourtant âgé de 88 ans, à accepter, pour la
première fois dans l
histoire italienne, dexercer un second mandat et à former
un gouvernement reposant sur une vaste coalition droite-gauche, dont la stabi-
lité n
est pas assurée.
Les deux assemblées ont des pouvoirs identiques. Les lois ne peuvent être
adoptées sans le consentement de chacune d
elles et toutes deux doivent soute-
nir le gouvernement pour que celui-ci puisse se maintenir au pouvoir, ce qui le
rend particulièrement fragile lorsque la composition des deux assemblées est
différente, comme c
est le cas depuis les dernières élections de 2013, qui a
donné une majorité de centre gauche à la chambre des députés et une absence
de majorité au Sénat.
Lune et lautre peuvent mettre en cause la responsabilité du cabinet et
l
obliger à démissionner. Mais elles courent aussi des risques analogues : toutes
deux peuvent être dissoutes.
Les Chambres sont investies du pouvoir législatif. Cependant, lexercice de
ce pouvoir présente certaines particularités. En premier lieu, aux termes de l
ar-
ticle 71 de la Constitution, «
le peuple exerce linitiative des lois, au moyen
d
une proposition présentée par cinquante mille électeurs et constituant un pro-
jet rédigé en articles
», ce qui nest en fait quun droit de pétition. En deuxième
lieu, les régions, dont l
autonomie est très poussée, disposent dans certaines
matières dun pouvoir législatif concurrent de celui de lÉtat ; en troisième
lieu, une partie du pouvoir législatif peut être exercée par les commissions par-
lementaires ou encore par référendum ; enfin, le gouvernement peut, en cas de
nécessité ou d
urgence, prendre des décrets-lois ayant force de loi. Ils doivent
être soumis au Parlement, qui doit les ratifier dans les deux mois, faute de quoi,
ils deviennent caducs. En pratique, le gouvernement donne fréquemment une
interprétation large de la notion de nécessité pour recourir cette procédure.
242. Le pouvoir législatif des commissions parlementaires. Instruits par
l
expérience, de la lourdeur et de la lenteur de la procédure législative tradition-
nelle, les constituants italiens ont adopté une disposition qui dépossède partiel-
lement le Parlement de ses prérogatives législatives. En effet l
article 72 de la
Constitution dispose que les Chambres peuvent confier aux commissions non
seulement l
examen dun projet, mais encore ladoption définitive dun texte
législatif.
Jusquà ladoption définitive du texte par la commission, celle-ci peut être
dessaisie à la demande d
un cinquième de ses membres, du gouvernement ou
dun dixième des députés. Le projet doit alors être discuté par la Chambre
elle-même. Malgré cette possibilité de dessaisissement, le procédé de la com-
mission légiférante a été abondamment utilisé. Comme il est exclu pour
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Droit constitutionnel
certaines matières importantes (questions constitutionnelles ou électorales, rati-
fication des traités, budget, dispositions fiscales), il permet à la Chambre d
être
soulagée de l
élaboration des règles techniques. Celles-ci sont adoptées après
une discussion entre les spécialistes et le ministre intéressé qui participe aux
travaux de la commission.
243. Le référendum abrogatif. Larticle 75 prévoit que 500 000 électeurs
ou cinq conseils régionaux peuvent demander l
organisation dun référendum
pour décider l
abrogation dune loi, sauf dans certaines matières, notamment,
pour des raisons bien compréhensibles, en matière fiscale. Lorsque les signatu-
res ont été recueillies, l
organisation du référendum est obligatoire. Toutefois,
l
article 75 prévoyait quune loi déterminerait la procédure applicable. Or les
partis politiques ont été pendant de longues années hostiles à la démocratie
semi-directe et la loi n
a vu le jour quen 1970, lorsque la Démocratie chré-
tienne a voulu permettre un référendum destiné à abroger la loi qui venait d
au-
toriser le divorce.
La procédure quorganise la loi du 25 mai 1970 est assez complexe. Le texte
de la pétition, ainsi que les signatures, sont soumis pour vérification à la Cour
de cassation et par ailleurs la Cour constitutionnelle peut refuser d
autoriser le
référendum, même si le nombre de signatures requis a été atteint, si elle estime
que son contenu est contraire à la constitution. C
est ainsi que, en janvier 2012,
elle s
est opposée à lorganisation dun référendum visant à abroger la loi élec-
torale, au motif notamment qu
au cas où le oui lemporterait et où la loi serait
abrogée, il serait impossible d
organiser une élection jusquà ladoption dune
nouvelle loi.
Elle permet de déclarer irrecevables certaines demandes, mais na pas empê-
ché l
organisation assez fréquente de consultations puisque depuis 1974, plus
de cinquante référendums ont eu lieu. Si les neuf premiers n
ont pas abouti,
en revanche, les partisans du « oui » lont très nettement emporté à la plupart
des référendums suivants, et notamment à ceux concernant la limitation du
développement, de l
énergie nucléaire (1987), la suppression du financement
public des partis et la réforme électorale (1993), la suspension de la politique
de construction de centrales nucléaires. Pour que la loi visée par le référendum
soit abrogée, il faut non seulement que la majorité des votants se soit prononcée
en ce sens, mais aussi que le taux de participation ait été au moins égal à 50 %.
Sinon, la votation est déclarée nulle et non avenue, ce qui s
est produit plusieurs
fois et récemment encore, en 2005, à propos d
un référendum visant à abroger
une loi limitant la procréation assistée.
Le referendum abrogatif est parfois critiqué, soit parce que de nombreux
référendums ne peuvent franchir le barrage de la Cour constitutionnelle, soit
parce que plusieurs questions diverses sont posées le même jour, soit parce
que, en raison du grand nombre de référendums, beaucoup échouent faute de
quorum, en raison de la technicité des questions posées ou du fait que les forces
politiques opposées aux projets de réforme ont recommandé l
abstention,
comme l
ont fait les plus hautes autorités de lÉglise catholique à propos des
lois de bioéthique.
Il reste que le référendum a eu en Italie des conséquences politiques très
importantes : elle a permis aux citoyens de participer à de grands débats de
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Les régimes parlementaires
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société et à provoquer des réformes législatives sur des questions comme le
divorce, l
avortement, léchelle mobile des salaires, le nucléaire, et a contribué
au développement du parti radical, qui a été à l
origine de plusieurs proposi-
tions. Elle a d
autre part contribué au renforcement des pouvoirs de la Cour
constitutionnelle, compétente pour admettre ou rejeter les requêtes, au regard
des dispositions de larticle 75 de la Constitution (Mény, 1991). Enfin, dans la
mesure où linitiative est prise en dehors des partis, il a permis à plusieurs repri-
ses aux citoyens d
exprimer leur mécontentement à légard du système politique
en général et du système des partis en particulier. Tantôt, devant l
impossibilité
pratique d
obtenir une révision de la Constitution, le référendum est apparu un
moment comme le seul moyen de provoquer une réforme. Ainsi, l
un des dix
référendums organisés au printemps 1993 a permis une modification partielle,
mais importante, de la loi électorale relative au Sénat. Tantôt, le référendum est
le moyen d
empêcher une forte majorité parlementaire dimposer des réformes
jugées illégitimes. C
est ainsi que le référendum de juin 2011 a bloqué les réfor-
mes adoptées par la majorité conduite par Berlusconi et a ainsi préparé sa chute.
244. Le Président de la République et le gouvernement. Le statut du
Président de la République a été inspiré par la III
e et la IVe Républiques françai-
ses. Il est élu pour sept ans, par un collège qui comprend outre les membres des
deux Chambres, trois délégués par région, ce qui fait soixante délégués non
parlementaires. L
élection a lieu au scrutin secret, à la majorité des deux tiers
pour les trois premiers tours, à la majorité absolue ensuite. Ce mode de désigna-
tion souligne, en pratique, la division des forces politiques italiennes. En 1964,
M. Saragat a été élu au vingt et unième tour de scrutin, en 1971 il en a fallu
vingt-trois pour élire M. Leone. Si en 1985, l
élection du Président Cossiga,
fut acquise dès le premier tour et presque à l
unanimité, en 2006, lopposition
droite/gauche, très vive ne permit l
élection du candidat Napoletano quau
4e tour de scrutin et au 6e en 2013 pour son second mandat.
Quant à ses compétences, ce sont celles dun chef dÉtat parlementaire, mais
elles ont été sensiblement renforcées par rapport à celles du président de la
III
e et de la IVe Républiques françaises. Il nomme le Président du Conseil,
c
est-à-dire le chef du gouvernement, mais celui-ci doit obtenir et conserver la
confiance des Chambres. Le Président de la République convoque les Cham-
bres et dispose du pouvoir discrétionnaire de les dissoudre ensemble ou séparé-
ment. Il est autorisé à demander aux Chambres une seconde délibération sur les
lois votées et à leur adresser des messages. Il dispose du pouvoir réglementaire
et de toutes les attributions traditionnelles d
un chef dÉtat parlementaire (nomi-
nation des fonctionnaires, prérogatives diplomatiques pour accréditer
les
ambassadeurs et ratifier les traités, grâce, etc.). Conformément à la tradition par-
lementaire, il est irresponsable.
Le président du Conseil a un rôle comparable à celui de son homologue de
la III
e et de la IVe Républiques françaises. Il contresigne les actes du Président
de la République et dirige l
action du gouvernement. Sil dispose dune majorité
parlementaire, c
est lui qui exerce le pouvoir, et le Président de la République
na quune magistrature morale. Sa responsabilité peut être mise en jeu par les
mécanismes ordinaires du régime parlementaire, la motion de censure ou le rejet
d
une question de confiance, mais aussi par des procédés informels : sil est à la
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Droit constitutionnel
tête dun gouvernement de coalition, il suffit que lun des partis de la coalition
se retire pour qu
il soit contraint de démissionner, comme il est arrivé pour le
gouvernement de Monti en décembre 2012, auquel le parti de Berlusconi avait
retiré son soutien. Or, presque tous les gouvernements s
appuient sur une coa-
lition. La stabilité dépend donc de la composition des chambres et du système
des partis, qui dépend lui-même pour une part du système électoral. Doù les
efforts pour le réformer. Mais le président du Conseil peut encore être contraint
de démissionner par son propre parti, si celui-ci lui préfère une autre personna-
lité. C
est ainsi que Matteo Renzi a remplacé Enrico Letta en février 2014.
Le Président de la République retrouve un rôle important dans les périodes
difficiles. Lorsqu
il nexiste pas une majorité claire, cest à lui quil appartient
de rechercher une coalition possible et un homme pour la diriger. Il est alors en
mesure de peser sur le contenu de la politique déterminée par ce ministère. On
parle alors de cabinet présidentiel. De même, après qu
un gouvernement ait été
renversé, le Président peut dissoudre, mais il peut aussi refuser de le faire s
il
estime que de nouvelles élections ne permettront pas de dégager une majorité
plus claire. C
est ce qui sest produit en 1995, après la chute du premier gou-
vernement Berlusconi, quand le Président Scalfaro préféra nommer un gouver-
nement de techniciens. De même, en 2011, après qu
un autre gouvernement
Berlusconi eut perdu la confiance des chambres, le président Napolitano décida
de nommer à la présidence du Conseil M. Monti, un économiste qui n
était pas
parlementaire
8. En revanche, en décembre 2012, après que M. Monti eut démis-
sionné après avoir perdu le soutien du parti de Berlusconi à la chambre, le pré-
sident Napolitano dut convoquer des élections anticipées (Laffaille, 2013).
En dehors même de ces situations, le Président de la République exerce une
influence considérable, qui peut aller bien au delà d
une simple influence
morale. À plusieurs reprises, les interventions du Président Napolitano ont
contribué à freiner certaines initiatives du Président du Conseil. C
est ainsi
qu
il a refusé à plusieurs reprises de signer des décrets-lois quil estimait
contraires à la constitution. Ainsi, Berlusconi, soupçonné dans plusieurs affaires
et menacé de poursuites pénales, avait fait voter des lois accordant une immu-
nité juridictionnelle provisoire aux titulaires de plusieurs des plus hautes char-
ges de l
État, parmi lesquelles naturellement celles de Président de la Répu-
blique et de Président du Conseil. La cour constitutionnelle les ayant déclarées
contraires à la Constitution, Berlusconi a tenté de faire adopter les mêmes règles
en forme constitutionnelle, mais a dû y renoncer, notamment après que le Pré-
sident de la République eut fait savoir qu
il jugeait inutile la réforme de son
propre statut.
245. La Cour constitutionnelle (Zagrebelsky, 1977). La Cour constitu-
tionnelle était prévue par la constitution, mais na été mise en place que huit ans
plus tard, notamment parce qu
on ne parvenait pas à en désigner les membres.
Ceux-ci sont au nombre de quinze, nommés pour neuf ans selon une procédure
assez complexe : un tiers est nommé par le Parlement en séance commune (à la
Peu auparavant, le président Scalfaro avait nommé M. Monti sénateur à vie. Celui-ci navait
8.
jamais été parlementaire auparavant et cette nomination navait quune valeur symbolique, car il
n
est pas nécessaire dêtre parlementaire pour être président du Conseil.
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majorité des deux tiers aux deux premiers tours de scrutin et des trois cinquiè-
mes aux tours suivants), un tiers par le Président de la République, un tiers par
les magistratures suprêmes (Cour de cassation, Conseil d
État, Cour des
comptes).
Ils peuvent être choisis pour leurs compétences, parmi les membres des pro-
fessions juridiques (magistrats, avocats et professeurs de droit des universités),
mais il est clair qu
en pratique, compte tenu du mode de désignation, les critères
du choix sont loin d
être indépendants de toute préoccupation politique. Son
président est élu par la Cour parmi ses membres pour une durée de trois ans.
La Cour dispose dattributions très importantes en matière de contrôle de
constitutionnalité des lois. Elle exerce un contrôle de constitutionnalité
a poste-
riori
sur les lois de lÉtat et des régions, ainsi que sur lorganisation des réfé-
rendums (
cf. supra). La Cour est saisie par voie dexception directement par les
tribunaux (et non pas comme en France à travers le filtre de la Cour de cassation
ou du Conseil d
État). Elle est aussi chargée, comme dans un État fédéral, de
trancher les conflits de compétences entre organes de l
État et entre lÉtat et les
régions et elle peut statuer en matière pénale pour juger les accusations portées
contre le Président de la République et les ministres. Ces compétences ont
donné à la Cour un rôle de tout premier plan, nettement politique.
246. Les régions. Chaque région est gouvernée par un conseil régional, un
exécutif et son Président. Les régions jouissent d
une autonomie considérable.
En premier lieu, elles déterminent librement leurs propres statuts, disposent de
l
autonomie financière et du pouvoir législatif dans de nombreux domaines.
C
est par ces traits quelles ressemblent aux États membres dun État fédéral
(Groppit, 2000, p. 481 ; Hamon, 2001, p. 28). Depuis la modification de 2001,
la constitution détermine trois catégories de matières. Les premières sont énu-
mérées de manière limitative et relèvent de la compétence exclusive de l
État,
c
est-à-dire de la loi nationale. Les secondes, énumérées elles aussi, relèvent de
la compétence commune de l
État et des régions. Dans ces matières, la compé-
tence législative appartient aux régions, pourvu qu
elles se conforment aux
principes fondamentaux déterminés par la loi nationale. Quant à la troisième
catégorie, elle ne fait l
objet daucune liste, mais toutes les matières qui ne figu-
rent pas sur la première ou la seconde liste relèvent de la compétence des
régions, qui est ainsi une compétence de droit commun. Les lois régionales
sont de véritables lois et non des actes administratifs en ce sens qu
elles ne peu-
vent être contestées, même par l
État, que devant la Cour constitutionnelle.
Il serait cependant exagéré de parler de fédéralisme. Bien que les régions
disposent de compétences très étendues, la constitution continue de proclamer
le principe dunité et dindivisibilité de la République, leurs statuts sont subor-
donnés à la constitution et elles ne participent ni au gouvernement de l
État ni à
la formation des lois, ni à la révision constitutionnelle, puisqu
il nexiste pas de
seconde Chambre fédérale (Elie, 2002).
247. La crise du système politique italien. LItalie traverse depuis des
années une crise profonde, qui affecte à la fois les institutions politiques et les
partis. Les deux éléments sont d
ailleurs liés.
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Droit constitutionnel
En raison notamment de la représentation proportionnelle, le système a
longtemps été caractérisé par l
existence de partis multiples, dont aucun nétait
majoritaire. Les deux plus importants étaient la démocratie chrétienne et le parti
communiste. Comme celui-ci était laissé hors jeu, les gouvernements devaient
nécessairement s
appuyer sur des coalitions mouvantes, dont la démocratie
chrétienne constituait lélément principal et permanent, mais qui associaient le
parti socialiste et trois partis plus petits. Cette formule était connue sous le nom
de «
pentopartismo ». Le système souffrait de très graves défauts, qui lont
discrédité aux yeux d
une vaste majorité de lopinion publique. Le premier
était l
instabilité ministérielle. Certaines des composantes se retiraient parfois
de la coalition pour tenter une autre combinaison. Aussi
la durée de vie
moyenne des gouvernements était très courte. Entre 1945 et 1991, l
Italie a
ainsi connu cinquante gouvernements. Un autre vice du système était une cor-
ruption très étendue.
Trois facteurs principaux ont alors, depuis le début des années 1990, directe-
ment contribué à une transformation profonde du système politique. Le premier
est l
opération mani pulite (« mains propres »). Les procureurs de la République
ont déclenché des poursuites judiciaires, pour des affaires de corruption ou de
collusion avec la mafia, contre un très grand nombre de dirigeants d
entreprises,
de fonctionnaires et des élus appartenant à tous les partis politiques. Plus de 10 %
des parlementaires ont ainsi été poursuivis, dont deux anciens Présidents du
Conseil, Bettino Craxi et Giulio Andreotti. Ces événements ont ainsi achevé de
discréditer les élites politiques. Le second facteur est la chute du Mur de Berlin,
qui a entraîné la fin de la guerre froide et, sur le plan intérieur, la transformation
progressive du parti communiste en un parti de gauche semblable à tous les partis
sociaux-démocrates des autres pays d
Europe, le parti démocrate, qui fait désor-
mais partie du jeu politique. Le troisième facteur est la réforme électorale, adoptée
à la suite du référendum du 18 avril 1993, qui avait abrogé la loi électorale rela-
tive au Sénat. Le Parlement devait dans ces conditions adopter une nouvelle loi.
Celle-ci modifiait profondément le mode de scrutin, qui était désormais le scrutin
majoritaire à un tour pour les trois quarts des sièges dans les deux Chambres, les
sièges restants étant attribués à la proportionnelle. Ce système a été de nouveau
transformé en 2005 (v.
infra no 248).
En raison notamment des regroupements imposés par un mode de scrutin à
dominante majoritaire, le système était donc devenu bipolaire. La recomposi-
tion politique avait été si profonde qu
on allait jusquà dire que lItalie était
passée à un nouveau régime désigné sous le nom de « II
e République ». Avec
la fin de la domination de la Démocratie chrétienne les forces s
organisaient en
deux groupes principaux, à droite le « peuple de la liberté », comprenant le
mouvement Forza Italia de Silvio Berlusconi, allié au parti post-fasciste,
Alliance Nationale, et la Ligue nord, un mouvement régionaliste à tendances
séparatistes ; à gauche, le parti démocrate, qui regroupe l
ancien parti commu-
niste et des forces provenant du parti socialiste ainsi que de la gauche de l
an-
cienne démocratie chrétienne. Les deux coalitions ont alterné au pouvoir.
Lors des élections législatives de 1994 une coalition de droite avait remporté
un succès relatif, mais la rupture de cette coalition avait fini par rendre néces-
saire la dissolution du Parlement. Les élections qui suivirent ont donné une très
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Les régimes parlementaires
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nette victoire à la gauche, puis celles de 2001 ont vu le triomphe de la droite9,
celles de 2006 une victoire très étroite de la gauche. Toutefois, le gouvernement
de gauche de Romano Prodi a dû démissionner en 2008, provoquant des élec-
tions anticipées, gagnées par la droite de Berlusconi.
En 2011, cest celui-ci qui, après avoir été atteint par de nombreux scanda-
les, a perdu à son tour la confiance des chambres et a été remplacé comme on
la vu par le gouvernement de techniciens, dirigé par Mario Monti, qui lui-
même a été abandonné à la fin de 2012 par une partie de la coalition qui le
soutenait. À la suite des législatives de 2013, la seule solution pour constituer
un nouveau gouvernement était de former une coalition gauche-droite sous la
direction de Enrico Letta ; Mais celui-ci allait être remplacé au mois de
février 2014 à la tête du Parti Démocrate et à la présidence du Conseil par Mat-
teo Renzi, comme on l
a vu précédemment (cf. supra no 244).
248. Le problème des réformes institutionnelles. Durant de longues
années les élites politiques ont eu le sentiment persistant qu
une réforme était
nécessaire pour plusieurs raisons, d
ailleurs contradictoires, de sorte que la
réforme apparaît difficile.
En premier lieu, pour tenter de limiter linstabilité ministérielle et linfluence
des petits partis qui menaçaient l
homogénéité des coalitions, certains souhai-
tent ce qu
ils appellent le présidentialisme, cest-à-dire un système vaguement
inspiré de la constitution française de la V
e République en faisant élire au suf-
frage universel soit le Président de la République, soit le Président du Conseil,
celui-ci demeurant cependant politiquement responsable, tandis que d
autres
voudraient simplement adopter certains mécanismes du parlementarisme ratio-
nalisé, rendant plus difficile la mise en cause de la responsabilité du gouverne-
ment, en s
inspirant notamment du modèle allemand.
En deuxième lieu, beaucoup souhaitent renforcer le pouvoir des régions et
parlent même de fédéralisme. Il sagit essentiellement de la Ligue nord, qui a
été à plusieurs reprises en mesure dexercer une forte pression au sein de la
coalition dirigée par le « pôle de la liberté » et son leader Silvio Berlusconi,
mais qui est aujourd
hui en perte de vitesse.
Plusieurs tentatives de réforme ont été entreprises dans le passé, selon des
méthodes diverses, mais aucune ne put aboutir. À trois reprises, les deux cham-
bres du Parlement formèrent une commission dite
bicamérale, parce que com-
posée de députés et de sénateurs, qui devait préparer un projet, en dérogation
aux dispositions prévues pour la révision. En 2006, Berlusconi fit adopter par
les deux chambres du Parlement une réforme constitutionnelle de très grande
ampleur, qui fut soumise au référendum et rejetée par le corps électoral. En
2013, c
est le Président de la République qui prend linitiative de confier la
préparation de la réforme à un comité dexperts
Sur le fond, les premiers projets sinspiraient dans une large mesure du sys-
tème français, maladroitement nommé « semi-présidentiel » (cf.
supra nº 104 et
infra nº 474). Celui qui a été préparé en 2013 et qui sera examiné en 2014
s
écarte de ce modèle et vise plutôt à améliorer le système parlementaire clas-
sique, notamment en mettant fin au bicaméralisme égalitaire, perçu comme un
9. MÉNY Y., « Le 13 mai de Silvio Berlusconi », Le Monde, 17 mai 2001.
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Droit constitutionnel
facteur de rigidité et comme une cause importante de linstabilité ministérielle.
Le président du conseil serait désormais responsable devant la seule chambre
des députés, tandis que le Sénat deviendrait une chambre des régions et n
aurait
dans la plupart des matières législatives qu
un rôle consultatif. Cest le président
du conseil qui sortirait considérablement renforcé de cette réforme. L
actuel
président du conseil, Matteo Renzi, doit le soumettre avant lété au Parlement
actuel, où il risque de se heurter à une forte opposition.
Un autre élément important du système constitutionnel, mais qui relève de la
loi ordinaire, est le mode de scrutin. Berlusconi avait réussi à faire adopter en
2005 une réforme électorale, qui donnait une forte prime à la coalition arrivée
en tête mais cette réforme est perçue comme profondément injuste (cf.
supra
no 241). Comme on la vu, une tentative de référendum abrogatif a échoué en
2011 (cf.
supra no 243). En décembre 2012, la cour constitutionnelle a déclaré
que la loi électorale en vigueur était inconstitutionnelle en raison d
une prime
trop forte donnée à la liste ou à un groupe de listes apparentées arrivées en tête.
Une nouvelle loi est donc indispensable avant les prochaines élections et un
projet sera examiné prochainement par le Parlement.
§ 3. Le régime parlementaire en Espagne
249. Parmi les grands États de lEurope occidentale, lEspagne est celui qui
a accédé le plus récemment à la démocratie. C
est seulement en 1975 que la
dictature franquiste, installée depuis plus de trente-cinq ans, a pris fin, avec la
disparition du général Franco, mort dans son lit après une longue agonie. Par
son acceptation du pluralisme politique et de la souveraineté populaire, le roi
Juan Carlos, que le général Franco avait désigné comme son successeur, a faci-
lité la transition vers un régime démocratique. Cette transition s
est accomplie
en moins de trois ans, par des voies entièrement légales. Élaborée par le gou-
vernement, mais ratifiée par l
Assemblée législative et approuvée par référen-
dum, la Constitution du 29 décembre 1978 établit un régime parlementaire,
les mécanismes s
inspirent sur certains points de modèles étrangers
dont
(notamment allemand, italien et français), mais qui n
en présente pas moins
des traits originaux.
250. Forme de lÉtat. Selon larticle premier de la constitution « la forme
politique de l
État espagnol est la monarchie parlementaire ». Le roi incarne la
communauté nationale, mais il doit être nettement séparé du gouvernement, qui
a seul qualité pour définir et conduire une politique, en accord avec le Parlement
(
Cortes generales). Il « arbitre et tempère le fonctionnement régulier des insti-
tutions » mais les pouvoirs que la constitution lui attribue (promulgation des
lois, dissolution du Parlement, convocation du référendum, nomination des
ministres et des membres du tribunal constitutionnel, etc.) ne peuvent être exer-
cés qu
avec le contreseing du Président du gouvernement, ou éventuellement
avec celui du président du Congrès des députés (en ce qui concerne d
une part
la proposition et la nomination du Président du gouvernement et, dautre part, la
dissolution consécutive à une crise ministérielle prolongée). En fait, ces pou-
voirs correspondent presque toujours à des
compétences liées ou, en dautres
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Les régimes parlementaires
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termes, à des compétences quil est obligé dexercer et qui ne lui laissent aucune
faculté d
appréciation. Il sagit donc dun régime parlementaire moniste, où la
fonction de chef de l
État est héréditaire.
Lordre de succession est
le même que celui qui était en vigueur au
Royaume Uni avant 2013 : c
est lordre de primogéniture avec préférence
pour les mâles. Les femmes peuvent succéder, mais seulement sil ny a pas
d
héritier mâle. Ainsi, sil y a une femme et un homme plus jeune, cest
l
homme qui succède. La question nest pas dune actualité brûlante, car lhéri-
tier est de sexe masculin et qu
il a lui-même deux filles, mais elle se poserait sil
avait un fils. C
est donc surtout pour des raisons symboliques que, lorsquelle
était au pouvoir, la gauche envisageait de réviser la constitution sur ce point.
Malgré le rôle essentiel quavait joué le roi Juan Carlos durant la période de
transition et le prestige dont il avait joui jusqu
à une date relativement récente,
des scandales ont atteint plusieurs membres de sa famille. Certains commencent
à poser la question de la forme monarchique du régime et réclament une révi-
sion de la constitution. Pour tenter de couper court au débat, le 2 juin 2014, le
roi a annoncé sa décision d
abdiquer. Cette décision a sans doute été précipitée
par la défaite des deux grands partis de gouvernement aux élections européen-
nes. Or, les conséquences de l
abdication devaient être réglées par une loi orga-
nique, qu
il était encore facile de faire adopter avant un changement possible
dans la composition des Cortes. La loi a été adoptée le 17 juin et le 19, le fils
de Juan Carlos est monté sur le trône le 19 juin sous le nom de Felipe VI.
251. Structures de lÉtat. Quant aux structures de lÉtat, elles se caracté-
risent par la volonté de rompre avec la conception unitaire et centralisatrice du
régime franquiste et de satisfaire, au moins en partie, les revendications des dif-
férents groupes linguistiques régionaux, notamment catalan et basque. Sans
aller jusqu
à un véritable fédéralisme, la constitution a créé une structure origi-
nale « l
État autonomique », qui vise à la reconnaissance des peuples au sein
d
un même État. La constitution repose « sur lunité indissoluble de la nation
le « droit à l
autonomie des nationalités et
espagnole », mais elle garantit
régions qui en font partie » (art. 2). Une communauté autonome est constituée
de plusieurs provinces, généralement limitrophes, qui ont demandé à se regrou-
per en raison de leurs liens historiques, culturels, linguistiques ou économiques.
Les principales matières relevant de la compétence autonomique sont énumé-
rées par la constitution mais le statut de chaque communauté peut en compléter
la liste. Le très haut degré d
autonomie des communautés se mesure au fait
qu
elles élaborent elles-mêmes leurs statuts, qui doivent toutefois être approu-
vés par une loi organique de l
État et qui sont soumis au contrôle du Tribunal
constitutionnel. Depuis l
entrée en vigueur de la Constitution, ils ont dailleurs
été modifiés, toujours dans le sens dune plus grande autonomie. Cest ainsi
que, la Catalogne a adopté un nouveau statut en 2006, qui fut approuvé par
les deux chambres du Parlement espagnol, puis par référendum en Catalogne.
Néanmoins, par une décision du 28 juin 2010, le Tribunal constitutionnel, saisi
par le parti populaire espagnol, un parti conservateur, alors dans l
opposition, a
annulé plusieurs articles du nouveau statut et a notamment considéré quétaient
contraires à la Constitution l
inscription du concept de « nation catalane » ainsi
que la préférence donnée à la langue catalane.
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Droit constitutionnel
La tension entre la Catalogne, dont les autorités voudraient aller vers lindé-
pendance, et les autorités centrales s
est aggravée en 2014. Le Tribunal consti-
tutionnel espagnol a annulé, le 25 mars, une résolution du Parlement régional
de Catalogne, qui proclamait que le peuple catalan était «
un sujet politique et
juridique souverain
». Se référant à une décision de la cour suprême du Canada
sur lindépendance du Québec, le Tribunal constitutionnel a déclaré que la sou-
veraineté nationale résidait seulement dans le peuple espagnol. Pour la juridic-
tion suprême, la constitution espagnole ne saurait autoriser une déclaration uni-
latérale d
indépendance. Lindépendance ne pourrait donc résulter que dune
révision de la constitution, ce que le gouvernement et les Cortes refusent.
Quoi qu
il en soit, le gouvernement catalan maintient sa décision dorganiser
le 9 novembre 2014 un referendum que les autorités centrales tiennent pour
inconstitutionnel.
Dautre part, les communautés autonomes sont représentées au sein de la
Chambre haute du Parlement national, le Sénat. Mais ce dernier ne représente
pas uniquement les communautés autonomes (v.
infra no 252) et ce nest donc
pas une seconde Chambre de type fédéral comme le Sénat américain ou le Bun-
desrat allemand.
Dans la mesure où certains partis sont organisés sur la base des communau-
tés et où leurs voix sont parfois nécessaires pour former des coalitions, ils peu-
vent être tentés d
utiliser cette situation pour accroître encore une autonomie
déjà considérable. Certains redoutent aujourd
hui de voir cette autonomie porter
atteinte à l
unité même de lEspagne (Roca, 2007).
252. Régime représentatif et démocratie directe. Le peuple espagnol,
« dont émanent tous les pouvoirs de l
État » (art. 1), est représenté par les Cortes
generales
(Parlement), qui sont composées de deux Chambres :
Le Congrès des députés représente directement la population.
L
élection a lieu au scrutin de liste avec représentation proportionnelle, dans
le cadre de chaque province. Les sièges, dont le nombre peut varier entre un
minimum de trois cents et un maximum de quatre cents, sont répartis propor-
tionnellement à la population, après attribution à chaque province d
une repré-
sentation initiale minima.
Le Sénat est la Chambre de représentation territoriale. Chaque province
dispose du même nombre de sièges (quatre), quelle que soit l
importance de sa
population. En outre, chaque communauté autonome désigne un sénateur, plus
un pour chaque tranche de un million d
habitants. Une révision de la Constitu-
tion est envisagée pour améliorer la représentation des communautés autono-
mes, mais la procédure de révision exige un large accord des partis politiques,
difficile à obtenir (Perez-Calvo, 2006).
À lexception des sénateurs représentant les communautés autonomes, qui
sont désignés par les organes de ces communautés, tous les membres des Cortes
generales
sont élus au suffrage universel direct pour quatre ans. Mais le
Congrès des députés, de même que le Sénat, peut être dissous avant le terme
de ce mandat.
Le bicamérisme espagnol est inégalitaire : Dune part, cest le Congrès des
députés qui investit le gouvernement et qui peut seul mettre en jeu sa responsa-
bilité. D
autre part, en cas de désaccord entre les deux Chambres sur le vote
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Les régimes parlementaires
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dun texte, le Congrès des députés peut avoir le dernier mot, sauf en matière
constitutionnelle, où l
accord du Sénat est indispensable.
Les Cortes generales exercent la « puissance législative de lÉtat » (art. 66)
mais elles peuvent accorder une habilitation au gouvernement dans des matières
déterminées (art. 82). En outre, de même qu
en Italie, chaque Chambre peut
déléguer à ses Commissions législatives permanentes la faculté dapprouver
des projets ou propositions de loi (art. 75).
Bien que la constitution soit principalement fondée sur le principe représen-
tatif, elle prévoit la possibilité dun référendum dans deux cas :
a) Le référendum consultatif. Les électeurs sont convoqués par le Roi en vue
d
un référendum consultatif sur proposition du président du gouvernement,
préalablement autorisée par le Congrès des députés (art. 92). Son résultat ne
constitue qu
une simple indication pour le Parlement, qui reste maître de la
décision, juridiquement tout au moins. En 1986, Felipe Gonzales y a eu recours
pour faire approuver le maintien de son pays dans l
OTAN.
b) Le référendum constituant de ratification. Toute révision de la constitu-
tion doit être approuvée par les
Cortes generales. Elle sera soumise à un réfé-
rendum de ratification, si la demande en a été faite par un dixième des membres
de l
une quelconque des deux Chambres (art. 167). Il suffit donc de lopposition
d
une faible minorité parlementaire pour que le peuple soit amené à se pro-
noncer.
Enfin, larticle 72 de la Constitution prévoit non pas le référendum dinitia-
tive populaire, mais l
initiative populaire des lois, qui est une sorte de droit de
pétition amélioré. Le principe en a été posé par la constitution, qui précise que
500 000 signatures au minimum devront être exigées et que certaines matières
(impôts, droit de grâce, etc.) sont exclues du domaine de l
initiative.
253. Stabilité gouvernementale et parlementarisme majoritaire. Le
processus de formation du gouvernement présente une ressemblance avec
celui qu
avait mis en place, dans sa version initiale, larticle 45 de la constitu-
tion française de 1946. Le Roi propose un candidat à la présidence du gouver-
nement. Ce candidat se présente devant le Congrès des députés, et le Roi ne
peut le nommer que s
il a obtenu linvestiture par un vote à la majorité absolue
des membres du Congrès. Les autres membres du gouvernement sont nommés
et révoqués par le Roi, sur proposition de son président.
Les relations du gouvernement et des Cortes sont aménagées selon les
techniques du parlementarisme rationalisé. C
est ainsi que lon retrouve, à
l
article 112, le système allemand dit de la « défiance constructive » : Pour
être recevable, une motion de censure dirigée contre le gouvernement doit en
même temps présenter un candidat à la présidence du gouvernement. Si elle
est adoptée, le candidat est réputé investi de la confiance de la Chambre, et le
Roi le nomme président (art. 114).
Les Cortes generales, le Sénat ou le Congrès des députés peuvent être dis-
sous par le Roi, sur la proposition du Président du gouvernement. Aucune pro-
position de dissolution ne peut être présentée lorsqu
une motion de censure est
en cours. Mais, en cas de crise ministérielle prolongée, si dans un délai de deux
mois à compter du premier vote d
investiture, aucun candidat na obtenu la
confiance du Congrès, la dissolution est automatique.
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Droit constitutionnel
Mais, de même quen Allemagne, les techniques du parlementarisme ratio-
nalisé n
ont que rarement eu loccasion de jouer, car, au moins au jusquà
présent, le gouvernement a toujours pu s
appuyer sur une majorité parlemen-
taire. Il s
agissait dans un premier temps dune majorité homogène et discipli-
née, d
abord constituée par lUnion du Centre démocratique (UCD) puis par le
parti socialiste espagnol (PSOE). Après les élections de 93, comme le PSOE
ne disposait plus de la majorité absolue des sièges, son leader, Felipe Gonza-
les a dû former une coalition avec les partis nationalistes basques et catalans.
Cette solution, qui tend évidemment à renforcer les Communautés autonomes,
s
est reproduite après la nouvelle alternance qui a suivi les élections de 1996.
Le leader du parti conservateur, José Maria Aznar, qui n
avait remporté
qu
une victoire relative, a dû lui aussi rechercher lalliance des nationalistes
catalans et c
est aussi le cas du socialiste José Luis Zapatero, qui lui a succédé
après les élections de 2004 et a été réélu en 2008. De même, après les élec-
tions de 2011, le chef du Parti populaire, Mariano Rajoy, a constitué un gou-
vernement de centre droit avec le soutien de deux partis représentant des com-
munautés autonomes.
254. Le Tribunal constitutionnel (Bon, Moderne et Rodriguez, 1984).
Le contrôle de constitutionnalité est confié à un Tribunal constitutionnel, insti-
tué par l
article 192 de la constitution, et qui comprend douze membres nom-
més par le Roi : quatre sur proposition du Congrès des députés à la majorité des
3/5
e de ses membres ; quatre sur proposition du Sénat à la même majorité ; deux
sur proposition du gouvernement ; deux sur proposition du Conseil général du
Pouvoir judiciaire (dont les fonctions sont comparables à celles que remplit en
France le Conseil supérieur de la magistrature).
Les conditions de qualification exigées sont, comme en Allemagne et en
Italie, assez strictes : seuls peuvent être désignés les magistrats du siège et du
parquet, les professeurs d
université, les fonctionnaires publics et avocats, tous
étant des juristes de compétence reconnue et ayant au moins quinze ans d
exer-
cice professionnel.
Le contrôle sexerce toujours a posteriori, sauf pour les conventions inter-
nationales, mais il est très complet car la diversité des modes de saisine permet
au tribunal constitutionnel de connaître potentiellement de tous les actes des
pouvoirs publics, et non pas seulement des lois.
La saisine par les autorités politiques est largement ouverte. Les lois, quel-
les émanent de l
État ou dune communauté autonome, peuvent être déférées au
tribunal par le Président du gouvernement, par 50 députés ou 50 sénateurs, par
les organes exécutifs des communautés autonomes ou par le
défenseur du peu-
ple10. Ce recours, ne peut être exercé que dans les trois mois suivant la publica-
tion de la loi.
De même quen Allemagne et en Italie, le tribunal peut également être saisi
par renvoi d
une juridiction ordinaire lorsque la question de la constitutionnalité
d
une loi se pose incidemment au cours dun procès. Cest la procédure dite de
10. Malgré la similitude des noms, le Défenseur du peuple est sensiblement différent du Défenseur
des droits institué en France par la révision de 2008. Il est haut commissaire des Cortès générales. Il est
désigné par celles-ci pour la défense des droits et chargé à cet effet de contrôler l
activité de ladminis-
tration et d
en rendre compte devant les Cortès générales (article 54 de la Constitution).
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Les régimes parlementaires
229
lexception. Elle nest enfermée dans aucune condition de délai et permet donc
au tribunal d
examiner (ou de réexaminer) une loi promulguée depuis des
années.
Enfin, le recours damparo, qui présente des analogies avec le recours
constitutionnel allemand, permet à une personne physique ou morale de saisir
directement le tribunal, à condition quelle invoque un intérêt légitime. Il peut
être dirigé contre un acte administratif, ou même contre une décision juridic-
tionnelle, mais il ne peut pas viser directement une loi. Cependant, dans le
cadre de cette procédure, le tribunal peut soulever lui-même la question de l
in-
constitutionnalité d
une loi sil estime que le grief reproché à lacte attaqué
trouve son origine dans la loi (question d
auto-constitutionnalité).
Le tribunal constitutionnel siège normalement en formation plénière. Toute-
fois, pour examiner les recours d
amparo, qui sont extrêmement nombreux, il
se divise en deux Chambres et seules les questions d
autoconstitutionnalité, où
une loi est en cause, sont renvoyées à la formation plénière.
Il convient de noter que, à la différence des autres cours constitutionnelles
européennes, le tribunal espagnol n
a pas à connaître du contentieux des élections
législatives, car ce contentieux relève de la compétence des juridictions ordinaires.
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Chapitre 2
Le système constitutionnel des États-Unis
256. Limportance et lintérêt du système constitutionnel américain ne pro-
viennent pas seulement de l
énorme puissance économique, militaire et poli-
tique des États-Unis, ni même du fait que la Constitution de 1787 est la plus
ancienne constitution écrite en vigueur dans le monde, mais aussi et surtout
des caractères principaux de cette constitution.
Il faut souligner dabord que la Constitution na pas été conçue comme une
constitution démocratique, mais que ses auteurs, les
Founding Fathers, se sont
l
analyser au XVIIIe siècle.
tel qu
on pouvait
inspirés du modèle anglais,
C
étaient de fervents lecteurs de Locke, Montesquieu et de Blackstone (voir
Le Fédéraliste par Hamilton, Madison et Jay), qui se défiaient de la toute puis-
sance du législatif et qui ont donc cherché à organiser un système de balance
des pouvoirs. Ils ont donc adapté le modèle anglais, dans lequel le pouvoir
législatif était exercé conjointement par deux Chambres et un roi, à un État
républicain, dans lequel il n
y aurait ni roi, ni aristocratie. En Grande-Bretagne,
ce système s
est transformé en régime parlementaire et, dailleurs, bien quelle
ne fût pas perceptible, cette évolution était largement entamée à l
époque où
l
on rédigeait la Constitution américaine (Baranger, 1999). Une transformation
semblable s
est produite dans la plupart des pays, qui ont cherché à reproduire
la structure de la constitution anglaise. C
est le cas de la France au cours de
l
année 1792, puis à nouveau après 1815. Cest aussi celui de la Belgique et
des pays scandinaves. Or, pour de nombreuses raisons, qui tiennent notamment,
mais pas exclusivement, au fédéralisme et au mode d
élection du Président, les
États-Unis n
ont pas connu cette évolution, mais une transformation différente.
Le résultat est que, pour rendre compte du système constitutionnel américain,
la doctrine a inventé une catégorie nouvelle, le régime présidentiel (v.
supra
no 102). À vrai dire, le système américain est le seul membre de cette classe, de
sorte que lorsqu
on veut analyser le système présidentiel, cest le système consti-
tutionnel des États-Unis que l
on décrit.
De ce point de vue, la doctrine européenne, notamment française, estime
généralement que la Constitution américaine réalise une séparation rigide des
pouvoirs, puisque le Président ne peut dissoudre les Chambres et que les minis-
tres ne sont pas politiquement responsables. Il est remarquable cependant que
cette séparation ne signifie ni que les organes soient spécialisés, ni qu
ils soient
dépourvus de moyens d
influence réciproques. Les auteurs américains considè-
rent donc quant à eux que la séparation des pouvoirs nest nullement rigide et ils
caractérisent leur constitution comme un système de collaboration des pouvoirs
et d
équilibres multiples (checks and balances).
Page 238
238
Droit constitutionnel
Cest aux États-Unis aussi quest apparu dès le début du XIXe siècle le
contrôle de constitutionnalité des lois et c
est là quil a connu son plus grand
développement.
Enfin, contrairement à ce qui sest produit dans la plupart des autres démo-
craties représentatives, la répartition des compétences et les rapports entre orga-
nes ne sont pas profondément affectés par le système des partis. En effet, les
partis américains diffèrent de ceux des pays d
Europe en ce quils ne sont pas
les instruments d
une idéologie cohérente, ni même dun programme gouverne-
mental précis et qu
ils ne pratiquent pas la discipline de vote. Entre démocrates
et républicains les différences d
orientation politique ont été à certains moments
minces et fluctuantes. Le rôle des partis consistait principalement à sélectionner
les gouvernants lors des élections et les élus, dans la mesure où ils avaient une
assise locale solide, pouvaient au sein d
un même parti présenter une assez
grande diversité. En revanche, à d
autres moments et notamment à lheure
actuelle, l
opposition idéologique est beaucoup plus marquée entre les républi-
cains en majorité conservateurs (défenseurs des valeurs traditionnelles et hostile
à l
intervention de lÉtat) et les démocrates pour la plupart libéraux (ce qui
signifie dans le contexte américain qu
ils sont plus soucieux de garantir les
libertés publiques, mais aussi les droits sociaux).
Section 1
Les organes
257. La structure originale de la Constitution et la répartition des compéten-
ces découlent de la volonté de mettre des limites aux pouvoirs de chaque
organe.
§ 1. Le Congrès1
258. Le Congrès a été conçu à lorigine comme lorgane le plus important. Ce
n
est que progressivement que le rôle du Président sest accru. Mais, même aujour-
d
hui, il doit encore compter avec le Congrès. Celui-ci comprend deux Chambres :
la Chambre des représentants et le Sénat.
A Organisation
259. Le Congrès est un parlement bicaméral. Le bicaméralisme sexplique
dune part par la volonté déviter la domination et la concentration du pouvoir
qui se produirait dans une assemblée unique, d
autre part par le souci des États
de conserver à la fois une autonomie importante et une influence dans les déci-
sions fédérales.
La Chambre des représentants compte 435 membres. Les représentants sont
élus au scrutin majoritaire à un seul tour dans le cadre des États, chaque État
1.
TOINET, 1996.
Page 239
Le système constitutionnel des États-Unis
239
obtenant un nombre de représentants proportionnel à sa population. Conformé-
ment au principe adopté au
XVIIIe siècle, par méfiance envers les assemblées
représentatives, le mandat est très court, deux ans, de sorte que les représentants
soient soumis à un contrôle fréquent. En réalité, le contrôle des électeurs sur les
élus n
apparaît pas très sévère et 90 % des sortants qui se représentent sont réé-
lus. Ce phénomène est dû en partie au fait quils se comportent le plus souvent
en défenseurs des intérêts de leurs circonscriptions, plus quen membres dun
parti qui entend réaliser un programme, et en partie à un savant découpage des
circonscriptions. Il a aussi pour conséquence qu
ils disposent dune très grande
autonomie vis-à-vis de leurs partis contrairement aux élus des partis européens
fortement structurés. Aussi, de nombreux auteurs estiment-ils que la courte
durée du mandat présente plus d
inconvénients que davantages et notamment
que, aussitôt élus, les représentants doivent songer à leur réélection et sont en
campagne permanente.
Le Sénat, lui, représente les États sur une base égalitaire. Chaque État élit
donc deux sénateurs. Il en résulte évidemment une grande inégalité de représen-
tation, puisque les États les moins peuplés
et quelquefois les plus conserva-
teurs
ont un poids égal à ceux des États les plus peuplés. Le Sénat est donc
composé de 100 sénateurs, élus pour six ans par le peuple des États (jusqu
en
1913, ils étaient désignés par la législature de leur État). Il est renouvelable par
tiers tous les deux ans, de sorte que l
élection dun tiers des sénateurs a lieu en
même temps que celle des représentants.
La présidence du Sénat est assurée par le vice-président des États-Unis, mais
il s
agit surtout dune attribution honorifique. Il ne vote pas sauf en cas de par-
tage des voix et n
a que peu de pouvoirs.
Les élections pour les deux Chambres, mais cela vaut en réalité pour toutes
les élections américaines, sont affectées dans une mesure considérable par le
coût de plus en plus élevé des campagnes électorales. Ce coût est souvent consi-
déré comme une atteinte au caractère démocratique du système. Il arrive en effet
que certains candidats doivent se retirer faute de moyens, tandis que dautres
sont avantagés parce qu
ils possèdent de grosses fortunes personnelles ou
parce qu
ils bénéficient de soutiens financiers. Linégalité des chances entre
les candidats n
est pas seulement entre riches et pauvres, mais entre conserva-
teurs et libéraux, car les entreprises et les particuliers qui sont en mesure d
ap-
porter une aide financière aux candidats favorisent ceux qui, une fois élus,
défendront leurs intérêts. Le système pousse également les élus à préparer
leurs prochaines campagnes et à se conformer aux attentes de leurs financiers.
C
est la raison pour laquelle, aux États-Unis comme dans dautres pays,
mais beaucoup plus lentement et de façon beaucoup plus modeste, se développe
un mouvement pour moraliser le financement des campagnes. Une loi de 1971,
plusieurs fois amendée, limite le montant des contributions que les candidats
peuvent recevoir des particuliers et des entreprises. Cette loi n
a cependant
qu
une portée réduite. En premier lieu, la Cour suprême, sur le fondement de
la liberté d
expression, a estimé que la loi ne pouvait limiter le montant des
dépenses, de sorte qu
un candidat qui renonce à laide publique peut dépenser
sans rencontrer aucun plafond. Contre toute attente, cest ce qua fait Barack
Obama en 2008, démontrant ainsi qu
il est possible à un candidat, qui ne dis-
pose pas de l
appui des grandes puissances financières, de surmonter ce
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240
Droit constitutionnel
handicap et au-delà en faisant appel à une multitude de petits donateurs, une
pratique que l
internet rend aujourdhui relativement aisée. En second lieu, la
loi ne limitait que les contributions directes aux candidats, mais non les dons
aux organisations et aux partis
cest le soft money et ninterdisait pas à un
particulier ou un groupe de faire des dépenses pour s
exprimer en faveur dune
cause et désigner le candidat qui la défendra. Cependant, sous le choc de laf-
faire Enron, le Congrès a adopté, en mars 2002, une loi historique sur le finan-
cement des campagnes électorales. Elle interdisait notamment aux sociétés
commerciales de tourner les règles sur le financement des campagnes électora-
les en faisant des campagnes de communication en leur propre nom lorsque ces
campagnes mentionnent le nom d
un candidat.
Toutefois, la Cour suprême, devenue beaucoup plus conservatrice à la suite
des nominations effectuées par George W. Bush (v.
infra no 266), a rendu en
2010 une décision d
une très grande portée et considéré que certaines disposi-
tions de la loi de 2002 étaient contraires au 1
er amendement de la constitution
relatif à la liberté d
expression, interprétée de manière très extensive2. Selon la
Cour, les associations, les syndicats ou les sociétés commerciales bénéficient de
la même liberté d
expression que les personnes physiques et la loi ne peut res-
treindre leur droit de participer aux campagnes électorales et ils doivent donc
pouvoir dépenser sans limites.
Cette décision ouvre la voie à un usage illimité des moyens financiers consi-
dérables des grandes sociétés et profite évidemment plus aux républicains
qu
aux démocrates3. Les personnes morales ne peuvent certes pas financer
directement les partis politiques ou les candidats, mais elles peuvent faire
elles-mêmes de grandes campagnes de publicité en faveur de tel ou tel candidat
ou contre lui et elles peuvent constituer des comités d
action politique (super
PACS
), auxquelles elles peuvent verser des fonds illimités. En principe, ces
comités ne doivent pas coordonner directement leurs actions avec celles des
candidats, mais en pratique chaque candidat à une élection importante reçoit le
soutien d
un tel comité spécialement constitué à son bénéfice. Cest ainsi que,
au cours des primaires républicaines de 2012 (cf.
infra no 262), le super PAC lié
à Mitt Romney a dépensé plus de 39 millions de dollars pour attaquer ses adver-
saires.
Tout récemment, la Cour suprême est allée encore plus loin4. La loi limitait
non seulement le montant des dons qu
un citoyen peut faire au cours dune
même année à un candidat particulier, mais aussi le montant total de ceux
qu
il peut faire à plusieurs candidats. Cest cette deuxième limite que la cour a
annulée, toujours au nom de la liberté d
expression et toujours à une majorité de
5 contre 4. Désormais, il est donc possible de verser à un groupe de candidats
des contributions dun montant illimité.
Ce mode de financement des campagnes électorales a des conséquences très
importantes : une fois élus, les membres du Congrès sont contraints de compo-
ser avec les financeurs s
ils veulent obtenir des fonds pour la campagne
Citizens United v. Federal Election Commission, 558 U. S. 08-205 (2010).
DWORKIN R., The DevastatingDecision, The New York Review of Books volume 57, nº 3,
2.
3.
February 25, 2010 ; Zoller 2014.
4.
McCutcheon et al. v. Federal Election Commission, 2 avril 2014.
Page 241
Le système constitutionnel des États-Unis
241
électorale suivante et il leur faut présenter ou défendre les propositions de lois
soutenues
et parfois rédigées par les lobbies5. Le rôle de largent dans les
compagnes électorales n
est dailleurs pas limité aux élections fédérales. Il se
manifeste également dans les États, jusque dans les campagnes pour les élec-
tions des juges.
Dans les deux Chambres, les commissions jouent un rôle particulièrement
important. Il sagit de commissions permanentes et spécialisées, mais les Cham-
bres désignent fréquemment des commissions d
enquête pour une question par-
ticulière. Au sein de chacune d
elles, le parti majoritaire dispose de la majorité
des sièges et de la présidence. Les commissions peuvent convoquer, éventuel-
lement
sub poena, cest-à-dire sous peine de sanctions, toute personne quelles
désirent entendre, simple particulier ou membre de l
exécutif. Lorsquelles sont
saisies d
un projet de loi, elles peuvent lécarter purement et simplement. La
Chambre entière ne peut alors s
en saisir que par un vote exprès et, en pratique,
elle le fait rarement. De nombreux projets ne dépassent d
ailleurs pas le stade de
l
examen en commission. Elles peuvent aussi amender le projet et leurs recom-
mandations sont fréquemment suivies.
Une institution remarquable est celle du « filibuster ». Ce mot, qui vient du
français « flibuste » désigne une pratique ancienne. Le règlement du Sénat ne
prévoit pas de limite au débat, qui peut donc se poursuivre tant qu
il y a des
orateurs, à moins que les sénateurs ne décident de passer au vote à la majorité
des 3/5
e des sièges, soit 60, très difficile à atteindre. Aussi, les membres de la
minorité gardent-ils la parole très longtemps et parviennent-ils à retarder et
quelquefois à bloquer l
adoption dune décision. Le filibuster a été utilisé par
exemple en 2004 et 2005 par les sénateurs démocrates pour retarder la nomina-
tion de nouveaux juges fédéraux conservateurs et à nouveau en 2010 par les
républicains pour tenter d
empêcher la réforme du système de santé. Il est pos-
sible de voter à la majorité simple une réforme du règlement, mais toute tenta-
tive en ce sens risque elle-même de se heurter à un filibuster. Au demeurant, la
majorité hésite toujours à suivre cette voie, parce quelle sait quelle pourra un
jour être la minorité et avoir besoin de cette arme. Une réforme a été cependant
adoptée au Sénat en novembre 2013 ; désormais, on peut à la majorité simple
mettre fin à un
filibuster bloquant certaines nominations, mais pas celles des
juges de la Cour suprême. Pour celles là, le
filibuster ne peut être levé quà la
majorité des 3/5
e. On voit par là quun simple règlement parlementaire peut
avoir une incidence importante sur la répartition constitutionnelle des compé-
tences, puisqu
il permet à un seul sénateur de modifier la majorité requise
pour l
adoption dune loi.
B Compétences
260. Bien que le Congrès soit désigné comme « le pouvoir législatif », il
exerce des compétences qui relèvent en réalité de toutes les fonctions de l
État.
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York, Twelve.
Page 242
242
Droit constitutionnel
Dans lordre législatif, cest au Congrès que la constitution accorde lessen-
tiel du pouvoir. Tout d
abord, ses membres seuls ont linitiative des lois. En
principe, le Président ne peut déposer de projet, mais en pratique, il lui est facile
de faire proposer un texte par l
intermédiaire dun représentant ou dun séna-
teur. Les projets doivent être adoptés en termes identiques par les deux Cham-
bres. En cas de désaccord, une commission mixte est convoquée, mais si cette
commission échoue à élaborer un texte commun ou si ce texte commun nest
pas adopté par les deux Chambres, il est considéré comme rejeté. Il y a ainsi un
équilibre des pouvoirs entre les deux chambres, pouvant conduire à des bloca-
ges durables si, les deux partis étant chacun relativement homogènes d
un point
de vue idéologique, l
un deux est majoritaire à la chambre des représentants et
l
autre au Sénat. Si le texte est adopté, il est transmis au Président qui dispose
d
un droit de veto partiel (v. infra no 263).
En matière budgétaire, la procédure est différente : comme en Angleterre,
l
initiative appartient seulement à la Chambre des représentants. Mais en pra-
tique, le projet est préparé par la présidence.
Le Congrès a aussi des pouvoirs importants dans lordre exécutif. Outre les
pouvoirs dont disposent en fait les commissions des deux Chambres, le Sénat
est investi par la Constitution du droit de donner son consentement (
advice and
consent
) à deux types de décisions du Président. Il sagit dune part des nomi-
nations de certains hauts fonctionnaires fédéraux, notamment des ministres et
des ambassadeurs, ainsi que des juges. Ce pouvoir est bien réel et il est exercé
dans le souci de s
assurer de la politique qui sera menée par les personnalités
nommées. Elles sont publiquement auditionnées par une commission sénato-
riale, souvent très longuement, et il arrive que le Sénat oppose un refus, auquel
le Président ne peut passer outre. Il existe de nombreux exemples de tels refus,
depuis celui de 1795, lorsque le Sénat refusa la nomination par Washington du
Président de la Cour suprême. Il est fréquent aussi que, pressentant un refus, le
président retire la nomination ou que lintéressé lui-même retire sa candidature.
Il est donc naturel que dans ses choix le Président tienne compte de la compo-
sition du Sénat, évalue les chances de voir ses choix confirmés et négocie avec
les membres les plus influents de la commission sénatoriale compétente. Mais il
arrive aussi que les compromis soient très difficilement réalisables. Ainsi, lors-
qu
il existe une opposition idéologique forte, comme cest le cas actuellement
entre le président et le Sénat, ou même une minorité du Sénat, et que la majorité
ne dispose pas de 60 % des voix pour surmonter un
filibuster. Au mois de
juin 2013, 10 % des sièges de juges fédéraux restaient vacants.
Il sagit dautre part des traités internationaux conclus par le Président, qui
doivent être approuvés à la majorité des deux tiers. Là encore, c
est un pouvoir
considérable, dont le Sénat use réellement. Il a ainsi rejeté en 1919 le traité
de Versailles conclu par le Président Wilson, de sorte que les États-Unis nont
pu faire partie de la Société des Nations, et de même en 2000 le traité sur l
inter-
diction des essais nucléaires.
Cependant, les Présidents ont tenté non sans succès de contourner lobstacle
du Sénat en concluant non pas des traités, mais des accords en forme simplifiée
(executive agreements), par lesquels ils peuvent engager les États-Unis par leur
seule signature. Au début, ces accords ne portaient que sur des matières secon-
daires, mais cette pratique a été reconnue en 1937 conforme à la constitution par
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Le système constitutionnel des États-Unis
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la Cour suprême et la proportion des traités et des executive agreements sest
inversée, si bien que les seconds sont aujourd
hui beaucoup plus fréquents et
portent sur des questions de plus en plus importantes, malgré quelques tentati-
ves du Sénat d
exercer un certain contrôle sur les executive agreements. Pour
éviter le reproche de négliger le Congrès, une autre technique est employée, les
« congressional-executive agreements ». Au lieu de soumettre les traités au seul
Sénat, le Président fait approuver les accords par les deux Chambres à la majo-
rité simple. Il n
y a alors aucune différence avec les traités. Ils ont la même
force, c
est-à-dire quils prévalent sur les lois des États et, sils ont été incorpo-
rés au droit américain, sur les lois fédérales. Ils portent sur les matières les plus
importantes. Ainsi, les traités créant l
ALENA et lOMC ont été approuvés de
cette manière. Cette procédure est parfois justifiée par son caractère démocra-
tique. On fait valoir que la procédure de l
autorisation de ratifier donnée par le
Sénat donne trop de pouvoir à une minorité. Cependant la doctrine est divisée
sur sa conformité à la constitution. Certains la jugent inconstitutionnelle, tandis
que pour d
autres, cest la constitution qui a changé, avec laccord exprès ou
implicite des tribunaux, sans que son texte ait été modifié (Ackerman, 1998 ;
Hamon et Wiener, 2001).
Cest encore au Congrès que la Constitution attribue le pouvoir constitution-
nel de déclarer la guerre. Cependant, là encore, le Président s
est efforcé dagir
seul et il y a souvent réussi. C
est ainsi quil a envoyé des troupes ou pris des
décisions politiques équivalant au déclenchement d
une guerre ou à un ultima-
tum, sans même consulter le Congrès. À vrai dire, s
il a utilisé les forces armées
plus de 200 fois, il n
a demandé au Congrès une déclaration de guerre que cinq
fois. C
est par exemple sans laccord formel du Congrès quont été déclenchées
la guerre de Corée en 1950, celle d
Indochine en 1964, la guerre du Golfe en
1990 ou encore celle du Kosovo en 1999. Dans certains cas même, pour l
envoi
de troupes au sol au Kosovo ou les frappes aériennes sur la Serbie en 1999, ces
opérations, quon a pris grand soin de ne pas appeler des guerres, mais un
« usage limité de la force », ont été lancées malgré un refus explicite de lune
ou l
autre des Chambres de les approuver. Ceci sexplique dailleurs non seule-
ment par la volonté du Président d
éviter lobligation dobtenir du Congrès une
déclaration de guerre, mais également par les conditions de la guerre moderne :
d
une part, sur le plan juridique, la guerre est interdite par la Charte des Nations
unies ; d
autre part il arrive que les opérations militaires ne soient pas dirigées
contre un État (c
était le cas au Vietnam) ; enfin il est souvent nécessaire de
préserver jusqu
au dernier moment un secret que les délibérations sur la décla-
ration de guerre ne permettraient pas de garder. Une loi du 7 novembre 1973
relative aux pouvoirs de guerre du Président oblige celui-ci à consulter si pos-
sible le Congrès quarante-huit heures à l
avance avant denvoyer des forces
armées à létranger et en tout cas à faire un rapport au Congrès. Celui-ci peut
alors ordonner le retrait des forces par une résolution conjointe à laquelle le
Président ne peut opposer son veto. Si, dans un délai de soixante jours, le
Congrès n
a pas adopté une résolution autorisant la poursuite des opérations,
le Président est en principe tenu d
y mettre fin (Hamon, 1977). Cette loi peut
parfois constituer un frein efficace : si le Président Reagan a pu ordonner une
intervention militaire à la Grenade, il n
a pu envoyer de troupes au secours de la
Contra, les ennemis du régime sandiniste du Nicaragua. Il peut cependant
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Droit constitutionnel
soutenir que les opérations militaires ne sont pas des « hostilités » et quil nest
donc pas tenu de solliciter l
autorisation du Congrès. Cest ce qua fait le Pré-
sident Obama en 2011 à propos des opérations en Lybie, d
ailleurs contre lavis
de certains de ses conseillers juridiques. Cependant, comme ses décisions en ce
domaine peuvent se présenter comme l
application de résolutions des Nations
unies, qui néchappent dailleurs pas à son influence, le Président peut parfois
se passer de lassentiment du Congrès, comme dans le cas de la guerre du Golfe
en 1991. C
est sur le fondement de cette loi que le Congrès a, trois jours après
l
attaque du 11 septembre 2001, autorisé le Président à employer la force contre
tous les États et toutes les organisations qui, selon son jugement, ont organisé
ou aidé cette attaque et qu
ont été lancées les opérations militaires en Afghanis-
tan et en Irak. Mais, il peut aussi utiliser à son profit cette compétence du
Congrès. C
est ainsi que, pendant lété 2013, dans laffaire syrienne, le prési-
dent Obama, pour se donner la liberté de ne pas donner suite à ses menaces
d
intervention, a affirmé que la constitution lui donnait le droit dintervenir
sans l
accord du Congrès, mais a cependant déclaré quil ne déclencherait pas
d
opération sans solliciter cette autorisation.
Le Congrès exerce encore en matière exécutive un pouvoir indirect considé-
rable, qui lui vient de son pouvoir législatif et financier. C
est lui qui tient les
cordons de la bourse et se trouve ainsi en mesure de bloquer les mesures poli-
tiques qu
il désapprouve. Ainsi, le Président Reagan, en dehors même de toute
perspective d
intervention militaire directe, na pu soutenir la Contra comme il
le souhaitait, en raison du refus du Congrès de lui donner les moyens financiers
qu
il réclamait.
Le Congrès a même tenté de sarroger un droit de veto, dit « veto législatif »
sur certains actes du Président : il l
autorisait par une loi à prendre des mesures
réglementaires, que l
une ou lautre des Chambres pouvait paralyser. Cependant,
dans une décision
Chadha du 23 juin 1983, la Cour suprême a jugé cette pratique
inconstitutionnelle (Rouban, 1984).
Enfin, le Congrès a des fonctions dordre juridictionnel, inspirées du modèle
anglais. La Chambre des Représentants peut voter la mise en accusation de
toute personne, y compris du Président (
impeachment) et elle nest pas tenue
par une définition légale des crimes. Les personnes ainsi accusées sont alors
jugées par le Sénat qui, à la majorité des deux tiers, peut prononcer la destitu-
tion. Là encore, il s
agit dune prérogative dune très grande portée. En 1868, le
Président Andrew Johnson avait été ainsi accusé et n
avait échappé à la destitu-
tion que parce qu
il manqua une voix pour que la majorité des deux tiers fût
atteinte au Sénat. Si la procédure avait abouti, le régime aurait pu se transformer
en régime parlementaire (Michaut, 1977). En 1974, la Chambre des représen-
tants était sur le point de voter l
accusation contre le Président Nixon, compro-
mis dans laffaire du Watergate. Le Président préféra prendre les devants et
démissionner.
Les deux précédents Johnson et Nixon révèlent le caractère ambigu de la
responsabilité dite pénale. Sans doute, est-elle pénale par la procédure, mais
par d
autres aspects, elle est éminemment politique. Elle lest dabord par la
sanction encourue, qui ne peut être que la destitution. Elle lest surtout par le
but poursuivi et le contexte dans lequel elle est mise en jeu. Dans les deux cas,
les poursuites n
ont été engagées et limpeachment naurait pu être adopté que
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parce quil existait entre le Président et la majorité du Congrès un désaccord
politique d
une gravité extrême.
Cette analyse est confirmée par le cas du président Clinton. Laffaire du
Watergate avait révélé de graves défauts dans le mode de déclenchement des
poursuites contre des membres du pouvoir exécutif. Les procureurs fédéraux
sont en effet placés dans la dépendance du ministre de la Justice, cest-à-dire
du pouvoir exécutif lui-même et il existe évidemment un risque que les pour-
suites soient freinées. Le Congrès a donc adopté une loi instituant pour ce type
d
affaires un procureur spécial, totalement indépendant et doté de très vastes
pouvoirs.
Cette loi a toutefois contribué à aggraver les conséquences qui résultent du
caractère discrétionnaire du pouvoir d
impeachment de la Chambre des repré-
sentants.
Le président Clinton avait été mêlé à une affaire relative à des spéculations
immobilières alors qu
il était gouverneur de lArkansas (affaire Whitewater). Le
procureur spécial nommé pour examiner l
opportunité de poursuites dans cette
affaire était un ennemi politique du président. Son enquête n
avait pas abouti,
mais le président avait commis un autre délit : dans le cadre d
un procès civil
intenté contre lui pour harcèlement sexuel (affaire
Paula Jones), il avait nié
sous serment avoir eu une liaison avec une jeune stagiaire de la Maison Blan-
che, Monica Lewinski. C
est pour ce mensonge, que le procureur spécial
demanda en 1998 à la Chambre des représentants de voter l
impeachment. La
Chambre devait donc interpréter l
article 2, section 4 de la Constitution qui pré-
voit l
impeachment en cas de « trahison, corruption et autres crimes et délits ».
Elle devait notamment déterminer si le mensonge commis dans le cadre d
un
procès civil, pour une affaire relevant de la vie privée, pouvait constituer un
crime justifiant l
impeachment. La majorité de la Chambre était composée de
républicains conservateurs, profondément hostiles au président Clinton, et vota
l
impeachment. Pour la deuxième fois dans lhistoire des États-Unis, un prési-
dent était donc traduit devant le Sénat. Faute d
une majorité des deux tiers, le
président Clinton fut néanmoins acquitté (Zoller, 1999). Cette affaire a révélé
les défauts de la loi sur le procureur spécial, dont les pouvoirs étaient excessifs.
Comme elle n
avait été adoptée que pour une durée limitée, elle na pas été
renouvelée à l
expiration de cette durée.
Enfin, le Congrès joue un rôle essentiel dans la procédure de révision consti-
tutionnelle. L
initiative lui appartient concurremment avec les États :
les
« amendements », c
est-à-dire les lois de révision, peuvent être proposés soit
par les deux tiers des membres de chacune des deux Chambres, soit par les
deux tiers des États. Dans cette dernière hypothèse, qui ne s
est jamais produite,
le Congrès doit convoquer une convention, qui proposera à son tour les amen-
dements. Lorsque cette première étape a été franchie, les amendements propo-
sés soit par le Congrès, soit par la convention, doivent être ratifiés par les trois
quarts des États. Le Congrès peut d
ailleurs décider que les États ratifieront ou
bien par leurs législatures, ou bien par des conventions spécialement réunies à
cet effet dans le cadre des États. On voit quil sagit dune procédure lourde, qui
donne en pratique au Congrès un rôle déterminant. Elle n
a donc été utilisée que
rarement, puisqu
il ny eut en tout que vingt-sept amendements depuis 1787.
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Droit constitutionnel
Encore les dix premiers, qui forment le Bill of Rights, ont-ils été adoptés dès
1791. Il faut noter malgré tout que la constitution ne fixe aucun délai entre le
début et la fin de cette procédure. Le vingt-septième amendement, qui porte il
est vrai sur une question mineure, avait été proposé par Madison en 1789, et n
a
été adopté par le Michigan qu
en 1992. Le Michigan était le 38e État à voter ce
texte, de sorte que la majorité des trois quarts était enfin atteinte après plus de
deux siècles. Pour éviter une attente longue et incertaine, le Congrès indique
désormais dans le texte même de l
amendement un délai au terme duquel les
États doivent avoir ratifié. Un amendement relatif à l
égalité des sexes, adopté
en 1970 a finalement échoué faute d
avoir été ratifié par les trois quarts des
États dans le délai prescrit.
§ 2. Le Président6
261. Le Président est sans contexte lautorité la plus visible et si ce nest pas
lui qui est investi des compétences les plus importantes, il exerce pourtant une
influence déterminante.
262. Lélection du Président. Le Président des États-Unis est élu au terme
d
une procédure longue et complexe, que lon peut décomposer en trois phases.
La première opération concerne la désignation des candidats. Elle se carac-
térise par le rôle considérable consenti aux partis, qui apparaissent ainsi comme
de véritables organes de l
État. Un tel rôle nest évidemment possible quen
raison de la faiblesse de la base idéologique des partis américains. Dans chaque
État, les partis choisissent leurs délégués à la Convention nationale du parti, qui
désignera son candidat officiel à la présidence et son candidat à la vice-prési-
dence. Tantôt ce choix est fait par les comités locaux du parti, tantôt il a lieu
dans des
primaires réunissant les électeurs du parti. Cest la législature de
chaque État qui détermine le mode de désignation des délégués aux conventions
de parti. Le Minnesota a été le premier, en 1899, à organiser des primaires. Mais
aujourd
hui une quarantaine dÉtats le font. Il existe dailleurs plusieurs types
de primaires. Les principaux sont d
une part les primaires fermées, auxquelles
ne participent que les citoyens qui ont déclaré leur affiliation au parti qui les
organise ; d
autre part, les primaires ouvertes, dans lesquelles les électeurs ne
déclarent pas d
affiliation et ne choisissent que dans lisoloir de désigner les
délégués d
un parti plutôt que dun autre. Les élections primaires ont une
importance considérable parce que les délégués ont un mandat impératif pour
se prononcer à la convention nationale en faveur de telle ou telle personnalité.
Les candidats à la candidature doivent donc faire dès ce moment, une campagne
intensive.
Contrairement à ce que lon pensait, le système des primaires peut conduire
à la désignation d
un candidat, qui a priori semblait avoir peu de chances de
recevoir l
investiture, en raison des préjugés répandus au sein de lélectorat,
comme la montré le choix de Barack Obama en 2008.
6.
TOINET, 1996.
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247
La convention nationale du parti nest cependant pas toujours une simple
formalité : ceux des délégués qui ont été désignés par les comités de parti,
n
ont pas de mandat impératif et il se peut quaucune candidature ne se dégage
clairement du résultat des primaires. Dans les négociations qui s
engagent alors,
le choix du candidat à la vice-présidence peut représenter un enjeu important.
Pour obtenir le soutien de certaines délégations dÉtats, le candidat à la prési-
dence pourra accepter sur son « ticket » un candidat à la vice-présidence, dont
les idées ou le style sont différents des siens.
La deuxième phase est celle de lélection par le peuple américain, qui a lieu
le mardi qui suit le premier lundi de novembre. En droit, il ne s
agit pas dune
élection au suffrage direct, car les citoyens n
élisent pas le Président, mais des
électeurs présidentiels, qui, à leur tour, éliront le Président. Dans chaque État,
ils désignent un nombre d
électeurs présidentiels égal au nombre total de séna-
teurs et de représentants de l
État. Cependant, en pratique, tout se passe souvent
comme s
il sagissait dune élection directe, car les électeurs présidentiels sont
munis d
un mandat impératif, de sorte que lon connaît le nom du nouveau Pré-
sident au lendemain de l
élection de novembre.
Enfin, la troisième phase, qui se déroule au mois de décembre, na plus
qu
un caractère formel : les électeurs présidentiels élisent le Président. Celui-ci
n
entrera donc en fonction quaprès, cest-à-dire le deuxième lundi de janvier. Il
faut cependant noter le risque de déformation qui résulte du système de désigna-
tion des électeurs présidentiels : il est possible qu
un candidat obtienne au total
moins de voix que son adversaire, mais qu
il remporte la victoire, éventuelle-
ment de justesse, dans les grands États qui désignent la majorité des électeurs
présidentiels. Le risque est d
autant plus grand que, dans presque tous les États,
les grands électeurs sont élus au scrutin majoritaire de liste, de sorte qu
une
seule voix de majorité suffit pour assurer à un candidat la totalité des grands
électeurs de l
État.
Le cas sest produit trois fois, en 1876, 1888 et de nouveau en 2000 (voir
Lauvaux, 1998).
Ce système sexplique par des raisons historiques. Les rédacteurs de la
constitution n
entendaient pas établir une démocratie et, dans leur esprit, le Pré-
sident ne devait pas être élu par le peuple, mais par un Collège électoral formé
d
une élite de citoyens, aptes à faire des choix éclairés. La seule question était
de déterminer le mode de désignation de ce Collège. Certains voulaient qu
il
soit lui-même élu par le peuple, d
autres quil soit désigné par le Congrès ou
par les législatures des États. On parvint finalement à un compromis. D
une
part chaque État enverrait au Collège électoral un nombre d
électeurs égal au
total de ses élus au Congrès, ce qui avantage les petits États, puisqu
ils dispo-
sent de deux sénateurs tout comme les grands, et ce qui avantageait les États du
Sud car le nombre des membres envoyés par chaque État à la Chambre des
représentants était calculé en fonction du nombre des habitants mais en prenant
en compte les trois cinquièmes des esclaves. D
autre part la législature de
chaque État déciderait elle-même du mode de désignation de ses représentants
au Collège électoral. Elle pouvait ainsi décider de les désigner elle-même, de les
faire élire par le peuple ou même de les tirer au sort. En pratique, dans tous les
États, les législatures ont fini par choisir le système de l
élection populaire et,
dans la plupart des cas, les membres du Collège électoral ont perdu leur liberté
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Droit constitutionnel
de choix et doivent voter pour le candidat envers qui ils sétaient engagés au
cours de la campagne électorale dans le cadre de l
État.
Lélection difficile de Georges W. Bush en 2000 a attiré lattention sur les
inconvénients nombreux du système, de plus en plus souvent accusé d
être peu
démocratique. Le premier provient du caractère indirect de l
élection : comme
on la vu, un candidat peut perdre les élections bien quil ait obtenu un plus
grand nombre de suffrages populaires, parce que son adversaire a obtenu une
majorité même faible dans un nombre d
État suffisant pour lui donner une
majorité au sein du Collège électoral. C
est ce qui sest produit en 2000 lorsque
Al Gore a été battu bien qu
il ait obtenu plus de voix que Georges Bush. Le
second inconvénient provient du pouvoir des législatures des États de détermi-
ner le mode de désignation des membres du collège électoral. Elles le font sou-
vent d
une manière qui nest ni complète, ni uniforme, de sorte que les règles de
comptage peuvent varier à l
intérieur dun même État. Ainsi, au cours de lélec-
tion de 2000, Bush l
avait emporté dans lÉtat de Floride par une marge très
faible de moins de mille voix et dans des conditions qui pouvaient donner à
penser que les suffrages avaient été mal comptabilisés.
Cest finalement la Cour suprême qui fut amenée à trancher et qui décida à
une majorité de cinq contre quatre de laisser la victoire à Bush. Il a pu paraître
étrange que, dans un pays démocratique, le vainqueur de l
élection soit désigné
par une majorité de juges, d
autant que la majorité conservatrice de la Cour
suprême semble avoir été déterminée par des considérations politiques. Elle
avait en effet un intérêt à la victoire de Bush, car Gore aurait très vraisembla-
blement désigné des juges libéraux, ce qui à terme aurait pu remettre en cause
son existence même en tant que majorité (Hamon et Wiener, 2001).
La réélection de George W. Bush en 2004 et lélection de Barack Obama en
2008 n
ont pas donné lieu aux mêmes contestations. Cependant le problème
demeure. En 2004, Bush ne l
a emporté que grâce à sa victoire dans un
seul État.
Aussi, certains juristes souhaitent-ils que la constitution soit révisée de
manière à permettre l
élection du Président au suffrage universel direct, selon
un système uniforme sur l
ensemble du territoire. Mais la constitution améri-
caine est d
une rigidité extrême et les chances dune telle révision paraissent
faibles (v.
supra no 260).
263. Les pouvoirs du Président. Les compétences du Président relèvent
des trois grandes fonctions juridiques. En premier lieu, dans l
ordre législatif,
l
absence de droit dinitiative, on la vu, nest guère gênante, puisque le Prési-
dent doit tout d
abord proposer périodiquement au Congrès, cest-à-dire en
annexe à son message annuel sur l
état de lUnion, « telles mesures quil esti-
mera nécessaires et opportunes » et quil peut toujours préparer des projets, qui
seront présentés par un membre du Congrès. En pratique, d
ailleurs, aux États-
Unis, comme dans les autres pays, la très grande majorité des lois, ont en fait été
adoptées à l
initiative de lexécutif. Mais le pouvoir le plus important est évi-
demment le droit de veto. Certes, ce veto peut être surmonté par un vote à la
majorité des deux tiers dans chacune des deux Chambres, mais il est très diffi-
cile de réunir une telle majorité. Peu utilisé au début, ce pouvoir l
a été de plus
en plus à partir de la seconde moitié du
XIXe siècle. On peut mesurer son
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importance aujourdhui à la fréquence de lusage qui est en fait. Ainsi Truman,
en deux mandats, l
a employé 180 fois et son veto na été renversé que 12 fois.
Mais, en réalité, ce pouvoir est encore plus important qu
il ny paraît, car la
simple menace suffit au Président pour exercer sur la législation une influence
décisive et obtenir du Congrès des amendements substantiels aux textes en dis-
cussion. Le président George W. Bush ne sest ainsi jamais opposé à une loi au
cours de son premier mandat, mais à plus de quarante reprises, il a menacé de le
faire.
Une loi de 1996, adoptée par le Congrès en 1996, permettait même au Pré-
sident d
opposer son veto non plus à une loi en bloc, mais à lune de ses dispo-
sitions seulement. C
était le line item veto. Il sagissait, dans le but de limiter le
déficit budgétaire, de donner au Président les moyens de lutter contre des dis-
positions particulières insérées dans une loi plus générale sous la pression des
lobbies et tendant notamment à accorder des subventions ou des allégements
fiscaux. Comme pour le veto global, la majorité des 2/3 était nécessaire pour
surmonter le
line item veto. Les avantages de cette technique pour le président
étaient évidents : si une loi contient des mesures nécessaires ou au moins atten-
dues par l
opinion, il est en mesure de les accepter tout en rayant les disposi-
tions, qui le gênent tout particulièrement.
Mais la Cour suprême, par une décision du 26 juin 1998, a considéré que
cette loi était contraire à la Constitution. Elle avait en effet pour objet de modi-
fier les modalités d
exercice du pouvoir législatif, et un tel pouvoir naurait pu
par conséquent être accordé au Président qu
au moyen dun amendement à la
constitution.
Il existe toutefois une technique nouvelle qui lui procure des avantages sem-
blables : le
signing statement. Le Président signe la loi, mais, en sa qualité de
chef de l
exécutif, il annonce son intention de linterpréter et de lappliquer de
telle ou telle manière en donnant des instructions à l
administration, voire de ne
pas appliquer certaines dispositions qu
il estime contraires à la Constitution,
notamment si elles tendent à restreindre ses pouvoirs. Cette pratique, qui a com-
mencé sous la présidence de Ronald Reagan, a fait l
objet de la part de George
W. Bush, d
un usage intensif. Il a publié plusieurs centaines de signing state-
ments
, ce qui contribue à expliquer la rareté du veto sous sa présidence
(entre 2001 et 2006, pas un seul veto, mais 750
signing statements). Le prési-
dent Obama, après avoir critiqué cette pratique pendant la campagne électorale,
a lui aussi fait usage de ce pouvoir, quoique moins fréquemment.
En deuxième lieu, le Président exerce la fonction exécutive, mais la fonction
exécutive est conçue très largement. Les lois que le Président doit exécuter lui
laissent une marge considérable de pouvoir discrétionnaire et les commentateurs
soulignent aujourdhui que les contraintes juridiques auxquelles il est soumis
sont très faibles (Ackerman 2010, Posner et Vermeule 2011). Cela signifie
qu
il dispose du pouvoir réglementaire et quil est le chef de ladministration,
donc qu
il nomme, avec le consentement du Sénat (v. supra no 260), les fonc-
tionnaires fédéraux, qu
il peut dailleurs les révoquer, cette fois sans laccord du
Sénat. Cependant, en 1995 a été adoptée une loi, qui permet au Congrès,
conformément au principe de la hiérarchie des normes, d
examiner et dabroger
les règlements fédéraux.
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Droit constitutionnel
En tant que chef de ladministration, le président met en œuvre en période
de crise des pouvoirs très étendus, qui lui permettent de restreindre les droits
fondamentaux. C
est ainsi quaprès les attentats du 11 septembre, il a obtenu
du Congrès une loi dite «
Patriot Act » qui permet une surveillance étroite, en
dérogation aux règles habituelles, des personnes soupçonnées de participer à
des activités terroristes. Ces pouvoirs devaient normalement expirer à la fin de
l
année 2005, mais ils ont été renouvelés à plusieurs reprises.
Dautre part, il dispose de pouvoirs quon range sous la rubrique « pouvoir
exécutif », bien que de toute évidence, il ne s
agisse pas dexécution des lois : le
Président est le chef de l
armée ; il conduit les relations internationales. Or, la
guerre civile à la fin du
XIXe siècle, puis laccroissement du rôle des États-Unis
dans le monde ont contribué au développement considérable des pouvoirs du
Président. C
est à ce titre quil a pris la plupart des décisions qui ont engagé
profondément les États-Unis, du lancement de la bombe atomique à la guerre
en Irak (v.
supra no 260). Cest en tant que commandant en chef de larmée que
le président Bush a pris le 13 novembre 2001 une décision par laquelle il ins-
tituait un état d
urgence et se donnait le pouvoir darrêter et de garder en déten-
tion pendant une durée illimitée toute personne liée aux organisations terroris-
tes, par dérogation aux règles habituelles de procédure, puis de les déférer non
pas aux juridictions de droit commun, mais à des commissions militaires. Plu-
sieurs centaines de prisonniers ont été ainsi internées à Cuba dans la base mili-
taire de Guantanamo. De même, c
est sur ce fondement que le président Obama
décide des attaques lancées au moyen de drones contre des terroristes sur des
territoires situés à l
étranger7.
Sans doute, ses pouvoirs pourraient-ils être limités par le Congrès, mais cette
limite disparaît s
il existe une majorité de représentants et de sénateurs favo-
rable à sa politique, comme cela fut le cas après le 11 septembre 2001 ou
même si une majorité, disposée à voter une loi pour restreindre ses pouvoirs,
nest pas suffisante pour surmonter le veto que le président ne manquerait pas
de lui opposer. Cest ce qui est arrivé au printemps 2007, lorsque le Congrès a
adopté une loi qui supprimait les crédits pour l
entretien des troupes américai-
nes en Irak au-delà d
une certaine date. Le président a opposé un veto qui na
pu être surmonté.
En troisième lieu, le Président dispose de quelques prérogatives dordre juri-
dictionnel. Comme la plupart des chefs d
État, il a le droit de grâce pour les
crimes et délits fédéraux. On a à plusieurs reprises tenté d
amender la constitu-
tion pour permettre au Congrès d
annuler une grâce, notamment après celle
accordée par le Président Ford à son prédécesseur Nixon, qui avait démissionné
pour éviter l
impeachment (v. supra no 260). Le débat sur le droit de grâce a été
relancé lorsque Clinton en a usé dans les derniers moments de son mandat
dune manière telle quon a pu le soupçonner davoir voulu favoriser des crimi-
nels, parce qu
ils avaient pu contribuer au financement de la campagne électo-
rale de son épouse, le sénateur Hillary Rodham Clinton.
Mais surtout, grâce à son pouvoir de nommer les juges fédéraux et notam-
il exerce une influence décisive sur
les juges à la Cour suprême,
ment
Secret
ListTests Obamas
7.
com/.../obamas-leadership-in-war-on-al-qaeda. html ?., May 29, 2012.
Principles, NYTimes.
Kill
com, www.
nytimes.
Page 251
Le système constitutionnel des États-Unis
251
lévolution de la jurisprudence. Lusage quil fera de ce pouvoir est même
devenu un enjeu décisif de l
élection présidentielle. Comme on la vu, la déci-
sion de la majorité conservatrice de la Cour suprême en décembre 2000 de don-
ner la victoire à George W. Bush a ainsi pu être interprétée comme la volonté de
ces juges de demeurer majoritaires. Ce pouvoir est d
autant plus important que
les juges sont nommés à vie. Le président est ainsi en mesure dexercer une
influence considérable bien au delà de son propre mandat.
264. Le Statut du Président et lorganisation de la présidence. Le Pré-
sident et le vice-président sont élus pour quatre ans. À origine, la Constitution ne
limitait pas le nombre des mandats, mais depuis le premier Président, Washing-
ton, l
habitude sétait établie que les Présidents ne briguent pas un troisième man-
dat et certains estimaient même qu
une véritable coutume constitutionnelle sétait
créée. Cependant, F. D. Roosevelt se présenta une troisième fois, puis une qua-
trième, et fut réélu. Pour établir une véritable norme juridique, il fallut donc révi-
ser la constitution. Ce fut l
objet du XXIIe amendement, adopté en 1951. Désor-
mais, nul ne peut exercer plus de deux mandats.
On sait quen même temps que le Président, les Américains élisent un vice-
président, appelé à succéder au Président, en cas de destitution, de mort ou de
démission. En dehors de cette hypothèse, le vice-président n
a guère de pou-
voirs. Sans doute préside-t-il le Sénat, mais il s
agit, on la vu, pour lessentiel
d
un rôle symbolique. Pour le reste, il nexerce que les fonctions que le Prési-
dent veut bien lui confier. Il peut d
ailleurs sagir dun rôle politique important.
Ainsi, le Président George W. Bush déléguait de nombreuses tâches à son vice-
président, Dick Cheney. Mais, si le Président vient à mourir ou à démissionner,
le vice-président devient Président à part entière. Le XXII
e amendement limite
le nombre des mandats qu
il peut lui-même exercer. On distingue deux cas : Si
le vice-président a occupé pendant moins de deux ans les fonctions du Président
mort ou démissionnaire, il peut se présenter deux fois, comme s
il navait
jamais été Président. En revanche, s
il les a occupées pendant plus de deux
ans, tout se passe comme s
il avait exercé entièrement le mandat de son prédé-
cesseur et il ne peut se présenter qu
une fois.
En 1967, le XXVe amendement a réglé le cas de la vacance de la vice-pré-
sidence : c
est au Président quil appartient de nommer un nouveau vice-prési-
dent avec l
accord du Congrès. En 1973, le vice-président Agnew ayant démis-
sionné à la suite d
un scandale, Richard Nixon a nommé Gerald Ford, qui a
d
ailleurs succédé à Nixon lui-même, lorsque celui-ci démissionna au moment
de l
affaire du Watergate.
265. Les instruments de laction présidentielle. La constitution ne don-
nait au président que peu de pouvoirs propres et peu de moyens. Le président
Jefferson, au début du
XIXe siècle ne disposait que dun assistant, quil devait
payer de ses deniers. Un siècle plus tard, en 1900, ces assistants n
étaient encore
que sept. Ce n
est quen 1939, sous la présidence de Roosevelt, que le Congrès
a créé le bureau du président (Ackerman, 2010).
Les principales institutions rattachées au président sont aujourdhui le cabi-
net, le bureau du président et les agences.
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252
Droit constitutionnel
1o Le cabinet du Président nest pas mentionné dans la constitution, mais
son existence remonte aux premières années d
application de celle-ci. Cest en
effet Washington qui institua un conseil de ses secrétaires. Ces secrétaires sont
des ministres librement choisis par le Président (car normalement le Sénat enté-
rine les nominations) et révocables par lui. Le cabinet, qui comprend une quin-
zaine de personnes, nest pas un organe collégial et na pas dautorité propre. Le
Président peut le consulter ou non et n
est pas tenu de suivre son avis. Juridi-
quement, il n
y a quune autorité : le Président. Les secrétaires dÉtat nont pas
accès au Congrès, sauf s
ils y sont convoqués et ils ne peuvent être obligés par
lui à démissionner.
2o Le Bureau du Président a été institué en 1939 et sest considérablement
développé. Il compte aujourd
hui environ 1 800 personnes. Il comprend les per-
sonnalités qui constituent le
Brain Trust du chef de lÉtat. Au sein de cet Exe-
cutive office
, la division des tâches a conduit à instituer différents organismes.
Les principaux sont : l
Office of Management and Budget, qui est chargé de la
préparation et de l
exécution du budget fédéral, et qui emploie plus de 600 per-
sonnes ; le
Council of Economic Advisers, cerveau économique de la Maison-
Blanche ; le
National Security Council, créé en 1947, qui coordonne la politique
intérieure, étrangère et militaire en vue de la sécurité de l
Union ; la Central
Intelligence Agency
(CIA), également créée en 1947, qui contrôle le dispositif
de renseignement.
De façon plus informelle, le Président est également assisté de diverses per-
sonnalités qui constituent en quelque sorte son cabinet particulier, son état-
major personnel, avec les services afférents, employés et secrétaires. Cet
ensemble forme le
White House Office. Une dizaine de personnes, avec le titre
de
counsels, de consultants ou dassistants, y jouent un rôle dont limportance
est à la mesure de la confiance que leur fait le Président, mais qui peut être
considérable. Kissinger a ainsi pu exercer en 1973 une influence déterminante
sur les négociations de paix au Viet-Nam, alors quil nétait pas encore secré-
taire dÉtat, mais simple conseiller du Président.
3o Enfin, comme tous les services ne sont pas placés sous lautorité dun
membre du cabinet, il existe une soixantaine d
organismes qui constituent en
fait de véritables ministères portant les noms d
Office, dAgence (comme la
NASA : National Aeronautics and Space Administration ; la CIA : Central Intel-
ligence Agency ; ou la NSA : National Security Agency), de
Board (le Board of
Education), de Bureau (le FBI) ou de
Committee et qui régissent les domaines
les plus divers. À la différence des institutions qu
on désigne en France comme
des autorités administratives indépendantes, ils relèvent de l
autorité du président
et quelquefois du Congrès. Ils ne sont donc pas indépendants, bien qu
ils jouis-
sent parfois en pratique d
une autonomie considérable. Ainsi les membres du
Congrès ne sont pas informés et ne peuvent prendre connaissance des opérations
menées par la NSA, qui contrôle des millions de communications électroniques
de sujets étrangers ou même de citoyens américains.
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Le système constitutionnel des États-Unis
253
§ 3. La Cour suprême
A Composition de la Cour suprême
266. Elle comprend neuf membres nommés par le Président avec laccord
du Sénat, qui, on la vu, nest pas automatique. Cest même sur la nomination
des juges que le contrôle du Sénat s
exerce avec la plus grande vigilance, parce
que, de toutes les personnalités nommées par le Président, ce sont incontesta-
blement celles qui exerceront le plus grand pouvoir. La procédure de confirma-
tion par le Sénat d
un nouveau juge est souvent loccasion dun grand débat
national sur le rôle de la Cour et sur le contenu de sa politique jurisprudentielle.
C
est notamment le cas, lorsque le nouveau venu pourrait renverser la majorité
et qu
une question importante doit être tranchée. Le droit à lavortement a été
ainsi l
occasion de discussions dont la vivacité sest récemment accentuée au
moment de la nomination de nouveaux juges.
Parmi les membres, le Président désigne le président de la Cour, le Chief
Justice
, qui exerce une influence considérable sur cette institution, aussi bien
en raison de ses prérogatives dans le cours de la procédure que du prestige atta-
ché à la fonction. On désigne ainsi une période dans l
histoire de la Cour par le
nom de son président : la
Marshall Court, la Warren Court, aujourdhui la
Roberts Court.
Par ses choix, le Président américain sefforce bien entendu dorienter la
politique de la Cour conformément à ses propres options. C
est même lun de
ses pouvoirs les plus importants et donc l
un des enjeux de lélection présiden-
tielle. Mais il doit aussi tenir compte d
autres facteurs, sous peine de se heurter
au refus du Sénat. Bien entendu, il doit s
assurer par des consultations nombreu-
ses que les personnalités pressenties sont des juristes de premier plan, mais il
doit aussi faire en sorte que la composition de la Cour reflète quelques traits
essentiels de la société américaine. Cest ainsi que, depuis quelques décennies,
il y a presque toujours un juge pour chacun des principaux groupes : les noirs,
les juifs ou les femmes et depuis peu les hispaniques, comme le montre le choix
de la première personnalité nommée par Barack Obama. Mais, le Président
peut, bien entendu, chercher une personnalité capable de représenter l
un de
ces groupes, tout en partageant ses propres vues politiques. C
est ainsi quen
1991, pour remplacer un juge noir libéral, le Président George Bush a choisi
un autre juge noir et profondément conservateur, que le Sénat s
est résigné à
accepter.
Le choix est dautant plus important que les juges sont nommés à vie. Il ny
a en effet pas de retraite obligatoire et ils ne peuvent être révoqués qu
au moyen
de la procédure dimpeachment, ce qui ne se produit guère. Ils sont ainsi tota-
lement indépendants et il est arrivé quils aient à la Cour un comportement dif-
férent de celui qu
on attendait. Ceci sexplique en partie par la collégialité, les
règles de procédure et l
idéologie dont sont imprégnés les juges. Elles consti-
tuent pour eux des contraintes (Troper, Champeil-Desplats, Grzegorczyk, 2005)
qui contribuent à déterminer le contenu de leurs décisions et peuvent même les
amener à infléchir sensiblement leurs opinions. Mais il reste que les décisions
les plus importantes traduisent des choix politiques et sont adoptées à la
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Droit constitutionnel
majorité. Au cours de la session 2006-2007, un tiers des décisions ont été prises
à la majorité de cinq contre quatre. Il existe depuis quelques années un groupe
de quatre juges conservateurs et un groupe de quatre juges libéraux. C
est donc
un neuvième juge, qui fait pencher la balance tantôt d
un côté, tantôt de lautre,
mais plus souvent dans un sens conservateur.
On comprend que la politique de nomination est donc dune importance capi-
tale et le président George W. Bush a considérablement renforcé le groupe
conservateur, qui paraît en place pour de longues années. En effet, si le président
Obama est disposé à nommer des juges libéraux, comme ceux-ci sont les plus
anciens, il ne pourra faire plus que d
en assurer le remplacement, de sorte que
l
équilibre ne sera pas modifié avant longtemps. Cest ce qui explique que les
juristes libéraux, qui avaient salué la jurisprudence de la Cour depuis les années
1950, par exemple en matière d
intégration raciale, de discrimination positive ou
d
avortement, sont aujourdhui plus réservés sur
l
institution même (Kra-
mer, 2005).
B Compétences de la Cour suprême
267. Développement du contrôle. Linstitution de la Cour est liée au
fédéralisme. Chacun des États a en effet son propre système judiciaire, mais il
fallait encore des tribunaux pour trancher certains litiges, qui échappent à la
compétence des juridictions d
États, par exemple les litiges entre États ou
ceux auxquels les États-Unis, c
est-à-dire le gouvernement fédéral, sont partie.
La constitution de 1787 a donc institué une Cour suprême et des tribunaux
fédéraux.
Elle ne leur confiait cependant pas explicitement le contrôle de constitution-
nalité. C
est la Cour suprême elle-même, qui en 1803, dans une décision Mar-
bury v. Madison
, a donné de la constitution une interprétation, doù il résultait
que ce contrôle pouvait être exercé non seulement par elle-même, mais par tout
juge. L
argument du Chief Justice Marshall était simple : sil nétait pas pos-
sible de contrôler la constitutionnalité des lois, celles-ci pourraient impunément
violer et refaire la constitution, qui serait ainsi privée de toute valeur supérieure
à celle des lois (Zoller, 2003). Pendant quelques décennies après 1803, la Cour,
pour éviter de heurter de front le Congrès, a fait un usage très modéré de son
nouveau pouvoir vis-à-vis des lois fédérales et c
est surtout la conformité à la
constitution des lois des États qui a été contrôlée par la Cour. Mais, depuis le
début du
XXe siècle, elle joue un rôle de plus en plus en plus actif. Le contrôle
qu
elle exerce aussi bien sur le droit des États, dont elle vérifie la conformité à
la constitution fédérale, que sur les lois du Congrès, lui a permis d
exercer une
influence déterminante sur la production du droit américain.
268. Forme et nature du contrôle. Il sagit dun contrôle exercé princi-
palement par voie d
exception et dun contrôle décentralisé (v. supra no 58). La
Cour suprême n
est pas le seul tribunal compétent pour lexercer. Chaque juge
peut trancher une question de constitutionnalité soulevée par l
une des parties à
loccasion dun procès quelconque. Si la loi applicable, soit une loi fédérale,
soit une loi de l
État, apparaît contraire à la constitution fédérale, elle doit en
effet être écartée. La décision du juge sur cette question, dite « exception
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Le système constitutionnel des États-Unis
255
dinconstitutionnalité » peut naturellement être déférée en appel à la juridiction
supérieure. En dernier ressort, c
est la Cour suprême des États-Unis qui sera
amenée à trancher.
En principe, la décision na quun effet relatif entre les parties. Autrement
dit, la loi jugée inconstitutionnelle n
est pas annulée, mais seulement déclarée
inapplicable. Cependant, les tribunaux américains, comme les anglais, sont liés
par les précédents. Un autre juge, saisi dune affaire semblable, serait donc tenu
de trancher de la même manière. Tout se passe donc comme si la loi était annu-
lée. Il existe aussi un pouvoir d
injonction, qui permet à la Cour dordonner à
des fonctionnaires d
accomplir un acte en dépit dune loi considérée comme
inconstitutionnelle. C
est par ce moyen que la Cour a, à partir de 1954, obligé
les autorités à supprimer la ségrégation raciale dans les transports et l
enseigne-
ment publics.
Il est clair que le pouvoir de la Cour nest pas un simple pouvoir juridiction-
nel, si l
on entend par là le pouvoir dappliquer des règles générales préexistan-
tes à des litiges particuliers. En effet, les décisions de la Cour sur des cas parti-
culiers sont
la règle du
immédiatement généralisées, non seulement par
précédent, mais aussi par suite de plusieurs autres facteurs très importants.
Le premier est évidemment la nécessité dinterpréter les dispositions de la
Constitution avant de les appliquer et la grande latitude d
interprétation qui
s
offre à la Cour (v. supra no 54 s.). Les dispositions de la constitution, notam-
ment celles qui concernent le fond du droit et qui sont contenues dans les amen-
dements, sont très générales, ce qui signifie qu
elles sont susceptibles de plu-
sieurs interprétations et qu
il ny a pas de matière à laquelle lune ou lautre
ne soit susceptible d
être appliquée. Selon que ces dispositions seront interpré-
tées de telle ou telle manière, les lois seront déclarées conformes ou contraires à
la constitution. La Cour peut donc intervenir et formuler les règles qui régiront
la vie du pays dans les domaines les plus importants. Ainsi par exemple, le
XIVe amendement de 1868, qui proclame que chacun a droit à légale protec-
tion des lois et qui avait auparavant été considéré compatible avec la ségréga-
tion raciale, a permis à la Cour de supprimer celle-ci dans les années 1950.
C
est sur le fondement du droit au respect de la vie privée (privacy), qui ne
figure pas dans le texte de la constitution, mais a été hérité du droit anglais,
que la Cour a déclaré contraires à la constitution les lois des États qui interdi-
saient la contraception, puis celles qui punissaient l
avortement. Cest donc elle
qui a autorisé ces pratiques, jouant ainsi un rôle analogue à celui que jouent les
parlements dans d
autres pays, comme la France ou lEspagne, quand ils légi-
fèrent sur ces questions.
Il existe dailleurs à ce sujet une très vive controverse dans la doctrine juri-
dique américaine et même au sein de la Cour suprême. Certains font valoir
quen interprétant très largement et dans un sens libéral la Constitution de
1787, la Cour lui donne un sens différent de celui qu
elle avait à lorigine et
que voulaient lui donner ses rédacteurs. Il est certain, disent-ils, que les auteurs
de cette constitution n
avaient pas la même conception de légalité ou de la
liberté. Ils ajoutent que, dans un système démocratique, les règles sur la désé-
grégation ou lavortement devraient être prises par les élus du peuple et non par
un petit nombre de juges nommés. À ces arguments, les partisans d
une inter-
prétation plus libérale opposent que les opinions des constituants de 1787
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256
Droit constitutionnel
importent peu, quils navaient ni le pouvoir, ni dailleurs lintention, de lier les
générations futures et qu
ils ont produit une œuvre qui évolue. La Constitution
est considérée comme vivante (Severino, 2003). Sa signification n
est pas figée,
mais dépend du contexte social et politique dans lequel elle s
applique. Elle doit
donc être interprétée compte tenu des nécessités de notre époque. Quant au prin-
cipe démocratique, il est respecté, car la Cour ne fait quexprimer, grâce à une
forme spécifique de délibération, la volonté latente du peuple américain, qui ne
correspond pas toujours à l
opinion publique du moment, mais qui est la
volonté générale. Cette controverse a une portée incontestablement politique.
Le premier courant est conservateur, le second libéral. On comprend dans ces
conditions toute la portée des nominations à la Cour.
Le pouvoir de la Cour est encore renforcé par leffet de plusieurs règles de
procédure. C
est ainsi que le style des décisions a une très grande importance.
Les décisions des tribunaux américains et spécialement celles de la Cour
suprême sont fort longues (plusieurs dizaines de pages) et très argumentées.
De plus, elles sont prises à la majorité. Le texte même de la décision est écrit
par l
un des juges qui ont contribué à la faire adopter. Mais un autre juge de la
majorité peut avoir voté pour des raisons différentes de celles du rédacteur. Il
pourra les faire connaître dans une opinion dite
concordante. De leur côté, les
juges de la minorité ont la faculté de justifier leur attitude dans une
opinion
dissidente
. Toutes sont publiées en même temps que la décision elle-même et
contribuent à nourrir un débat juridique et politique dans le milieu des juristes et
dans le pays en général. Ainsi, la Cour contribue-t-elle à la formation de la
culture juridique dominante. Mais on peut remarquer que, dans les premières
années d
existence de la Cour, le Chief Justice Marshall a imposé pendant une
vingtaine d
années un style de décision ne comportant ni opinion concordante
ni opinion dissidente. Cette unanimité apparente visait à renforcer lautorité de
ses décisions (Mastor, 2005).
Par ailleurs, la Cour a le pouvoir de filtrer les requêtes et de décider quelles
sont les questions sur lesquelles elle statuera. Elle est saisie chaque année de
plusieurs milliers de demandes portant sur les matières les plus diverses, mais
n
en examine quun petit nombre, de lordre de la centaine. Tout se passe donc
comme si la Cour suprême pouvait se saisir elle-même des cas sur lesquels elle
entend exercer un pouvoir normateur.
Enfin, si la Cour peut se contenter de déclarer que la loi est conforme ou
contraire à la constitution, elle peut aussi ordonner des mesures qu
elle estime
nécessaires à la mise en
œuvre des principes constitutionnels. Le « busing »
constitue un bon exemple de telles pratiques. La Cour ayant décidé que la ségré-
gation raciale dans les écoles était contraire à la constitution, les écoles publi-
ques durent accepter l
inscription de tous les enfants, sans distinction de race.
Il sen fallait de beaucoup cependant pour que la déségrégation fût réelle.
Dans la réalité, en effet, les enfants étaient inscrits dans les écoles de leur
quartier et il existait des quartiers dont la population était entièrement noire
et d
autres dont la population était entièrement blanche. La Cour a donc
décidé que les enfants devraient être transportés par autobus de telle manière
que les écoles soient effectivement intégrées.
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Le système constitutionnel des États-Unis
257
Le fédéralisme lui-même permet à la Cour dexercer un pouvoir à la fois
important et peu visible. Une grande partie de ses décisions porte sur les lois
des États, de sorte que les questions posées se présentent comme relatives à la
compétence des États, même s
il sagit de questions de fond. Ainsi, lorsque la
Cour affirme que la loi d
un État instituant la peine de mort est conforme à la
constitution, cette décision néquivaut ni en droit, ni en fait, à établir la peine de
mort. Elle signifie seulement qu
un État peut établir la peine de mort sans violer
la constitution, mais il n
y est évidemment pas tenu. En apparence, la Cour na
pas légiféré, mais seulement défini la compétence des États. En réalité, bien
entendu, le résultat est le même, puisqu
elle aurait pu aussi bien prendre une
décision contraire et abolir ainsi la peine de mort. C
est dailleurs ce quelle
fait lorsqu
elle décide que les États ne peuvent interdire lusage des contracep-
tifs ou l
avortement.
On observe dailleurs que la Cour a été un instrument puissant de renfor-
cement du pouvoir fédéral au détriment des États. Elle a pour cela employé
deux techniques principales. La première est la théorie des pouvoirs impli-
cites : la Cour a considéré que les pouvoirs de l
État fédéral comprenaient
non seulement ceux qui étaient explicitement définis par la constitution,
mais aussi ceux qui étaient nécessaires pour les mettre en
œuvre. La seconde
est la clause du commerce : le Congrès est compétent pour règlementer le
commerce entre États. Tout dépend évidemment de l
interprétation que
l
on donne au mot « commerce ». Dans un premier temps, la Cour a estimé
que le Congrès ne pouvait légiférer sur des questions comme la durée du
travail des enfants ou le salaire minimum. Puis, à l
époque du New Deal,
elle a changé sa jurisprudence et décidé que, dès lors qu
une activité pouvait
affecter le commerce entre États, elle entrait dans les compétences du
Congrès. Depuis quelques années, elle est redevenue plus conservatrice et
reconnaît beaucoup plus souvent que par le passé la compétence des États
pour régir des matières, considérées auparavant comme régies par la consti-
tution fédérale, et elle interprète la clause du commerce de façon plus res-
trictive que par le passé (v. Rosenfeld, 2001). Il est possible que cette évo-
lution se poursuive, car dans une décision très importante en juin 2012 la
Cour a considéré que le Congrès ne pouvait instituer une assurance médicale
obligatoire sur le fondement de la clause du commerce, mais seulement sur
celui de son pouvoir de lever un impôt
8. Il est clair que si lÉtat fédéral ne
peut plus aussi facilement se fonder sur la clause du commerce, ses compé-
tences s
en trouveront considérablement réduites.
269. Le gouvernement des juges ? On est tenté, devant de tels pouvoirs,
de considérer que ces juges ne se bornent pas à exercer une compétence juridic-
tionnelle, mais quils gouvernent. Lexpression de « gouvernement des juges »
n
a pas été inventée par la doctrine américaine, mais par un auteur français
(Lambert, 1921). Cependant, elle traduit bien le sentiment de nombreux auteurs
et acteurs de la vie politique américaine en présence du nombre et de l
impor-
tance des matières régies aux États-Unis par la jurisprudence de la Cour. À vrai
dire, le phénomène prend plus de relief, lorsque la politique jurisprudentielle de
8.
National Federation of Independent Business v. Sebelius, 567 USn (2012).
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258
Droit constitutionnel
la Cour va à lencontre soit de lopinion publique, soit de la politique menée par
l
une des autres autorités fédérales.
Cest ainsi que la formule est apparue particulièrement pertinente au
moment du New Deal, lorsque la Cour a tenté de faire échec à la politique légis-
lative du Président Roosevelt, en décidant que la législation sociale protectrice
était contraire à la constitution. La résistance de la Cour na pu être brisée que
par la menace d
une révision de la constitution ou dune augmentation du nom-
bre des juges, qui pourrait faire l
objet dune loi ordinaire.
Il en va tout autrement lorsque la Cour ne mène pas une politique autonome,
mais que ses décisions traduisent une politique, qui ne peut être menée par d
au-
tres moyens, comme par exemple pour la lutte contre la ségrégation raciale ou la
libéralisation de l
avortement, mais qui correspond aux tendances profondes de
l
opinion, cest-à-dire à la volonté générale.
On constate depuis quelques années un infléchissement de la politique de
la Cour. Depuis les années 1950, elle était profondément engagée dans la pro-
tection et la garantie des libertés et des droits individuels. Ce libéralisme se
manifestait dans de nombreux domaines : le droit pénal, la protection de la
vie privée (droit à la contraception et à l
avortement), la liberté dexpression,
la lutte contre les discriminations. Il se traduisait non seulement par l
inter-
diction de mesures attentatoires aux libertés, mais aussi, comme on l
a vu
avec l
exemple du busing, par la prescription de mesures propres à garantir
l
exercice effectif des droits (affirmative action). En même temps, comme
cette politique jurisprudentielle reposait sur une interprétation de la constitu-
tion fédérale, elle signifiait nécessairement un affaiblissement de l
autonomie
des États.
Cependant, la tendance sest inversée dès le milieu des années 1970, quand
la Cour a renoncé à sa jurisprudence libérale sur la peine de mort. Le conserva-
tisme s
est accentué à la suite des nominations opérées par Reagan et Bush
et s
est maintenu malgré larrivée au pouvoir du président Obama, car les sièges
qui se sont libérés étaient occupés par des juges libéraux, de sorte que les nomi-
nations effectuées récemment n
ont pas modifié la majorité.
Section 2
Les rapports politiques
§ 1. Le fédéralisme
270. Contrairement à ce que lon constate dans certains autres pays, le fédé-
ralisme américain est une réalité et, malgré une évolution incontestablement
centralisatrice, une grande partie des décisions politiques importantes sont pri-
ses dans le cadre des États.
Cela sexplique par lhistoire : lÉtat fédéral américain a été construit par
indépendance et
lagrégation dÉtats, qui venaient de proclamer
leur
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Le système constitutionnel des États-Unis
259
nentendaient pas y renoncer, mais au contraire cherchaient dans lunion le
moyen de la préserver. C
est pourquoi, la constitution na conféré aux organes
fédéraux qu
une compétence dattribution, et ne leur a donné que des pouvoirs
qui ne pouvaient être exercés aussi efficacement dans le cadre plus restreint des
États : les relations extérieures et la guerre, la monnaie, le commerce internatio-
nal ou interétatique. Le Xe amendement adopté en 1791 précisait même que
tous les pouvoirs qui ne leur étaient pas expressément délégués étaient réservés
aux États, qui conservaient ainsi une compétence de droit commun. C
est aussi
pour cette raison que les sénateurs étaient désignés à l
origine, non par les
citoyens, mais par les législatures des États, que chaque État disposait de deux
sénateurs et que le Sénat était en mesure de s
opposer à nimporte quel aspect
de la politique fédérale, qu
elle prenne la forme de lois ou de décisions du Pré-
sident.
Cependant, les pouvoirs fédéraux ont connu un accroissement spectaculaire.
Le premier facteur de cet accroissement a été, à partir de la guerre de Sécession,
la nécessité de donner aux organes fédéraux des moyens juridiques de faire face
aux situations de crise, de plus en plus fréquentes à mesure que se développait
l
influence des États-Unis dans le monde. En même temps, la nécessité déqui-
per et d
entretenir une armée immense leur donnait des moyens dintervention
économique. De même, c
est lÉtat fédéral qui avait la responsabilité de la
conquête et de l
administration des nouveaux territoires de lOuest. Par ailleurs,
la Constitution elle-même recelait une possibilité d
interprétation extensive :
elle conférait aux organes fédéraux certaines compétences, qui permettaient
d
en exercer dautres. Ainsi, le pouvoir de battre monnaie conduit à déterminer
une politique économique et monétaire. De même, le pouvoir de réglementer le
commerce entre les États, la «
commerce clause », a pu être interprété, comme
on l
a vu, de façon extensive.
Cependant, la Cour suprême apprécie en réalité létendue du pouvoir fédéral
selon l
usage quen fait le Congrès, mais aussi selon les préférences de la majo-
rité des juges. C
est ainsi quune loi fédérale, qui limitait le port darmes à
proximité des écoles, a été considérée comme excédant les limites de la clause
du commerce et, par conséquent, contraire à la constitution (
United States
v. Lopez, 1995). En revanche alors quune loi de lÉtat de Californie autorisait
la possession et l
usage thérapeutique purement privé de la marijuana par des
personnes atteintes de maladies graves, la Cour a décidé, sur le fondement de la
clause du commerce, que le Congrès fédéral avait le pouvoir de l
interdire
(
Gonzales v. Raich, 2005). On a vu de même que, si la Cour a accepté de consi-
dérer comme constitutionnelle la loi sur l
assurance médicale obligatoire, cest
sur le fondement du pouvoir du Congrès d
imposer des taxes et non sur la
clause du commerce, de manière à encadrer plus strictement à lavenir les com-
pétences fédérales et à préserver celles des États.
Enfin, le pouvoir du Congrès de collecter des impôts signifie quil dispose
d
énormes ressources financières, quil peut en partie redistribuer sous forme de
subventions, mais à condition que les États et les autres collectivités qui en
bénéficieront se conforment à certains principes politiques.
271. Le droit constitutionnel des États. Chacun des cinquante États a sa
propre Constitution. Certaines sont très anciennes. Celle du Massachusetts par
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260
Droit constitutionnel
exemple, antérieure à la constitution fédérale, est aujourdhui la plus ancienne
des constitutions écrites en vigueur dans le monde. Elle a d
ailleurs en partie
inspiré les
Founding Fathers. Lautonomie constitutionnelle des États na dail-
leurs pas conduit à une très grande diversité institutionnelle, parce que chaque
constitution d
État doit respecter la constitution fédérale et aussi en raison de la
très grande homogénéité politique et culturelle du peuple américain. On trouve
ainsi dans tous les États un parlement bicaméral (sauf dans le Nebraska) et un
gouverneur, disposant de pouvoirs semblables à ceux du Président fédéral.
Leurs rapports sont aussi du même type : le gouverneur ne peut dissoudre les
Chambres et il ne peut être renversé par elles. La vie politique à l
échelon de
l
État et à léchelon local est ainsi extrêmement riche et animée. Cela tient
d
abord au fait que, malgré le rôle croissant de lÉtat fédéral, les compétences
laissées à l
autonomie des États sont considérables. Pourvu quils ne portent pas
atteinte aux principes fondamentaux proclamés par la constitution fédérale, ils
peuvent légiférer dans des matières très importantes, qui vont du droit pénal au
droit de la famille, ce qui explique que les solutions peuvent varier considéra-
blement d
un État à lautre. Cest ainsi que certains États ont aboli la peine de
mort, tandis que d
autres lont maintenue, que lOregon autorise le suicide
médicalement assisté ou le Massachusetts le mariage des homosexuels, que
dans certains États les juges sont élus, tandis que dans les autres ils sont nom-
més par les autorités politiques.
En raison de lautonomie des États, la hiérarchie des normes est complexe.
Les lois de l
État doivent être conformes à la constitution de lÉtat, mais celle-ci
doit elle-même se conformer à la constitution fédérale. Les stratégies sont donc
elles-mêmes complexes. On peut en trouver une bonne illustration dans la ques-
tion des mariages homosexuels. En juin 2008, la Cour suprême de Californie a
décidé que le refus de l
administration de célébrer des mariages entre personnes
de même sexe était contraire à la constitution de l
État, mais en septembre de la
même année, les électeurs de Californie ont adopté par référendum dinitiative
populaire un amendement à la constitution visant à renverser la décision de la
Cour suprême, ce qui revenait à interdire ces mariages. Toutefois, cet amende-
ment a lui-même fait l
objet dun recours devant les tribunaux fédéraux et en
février 2012 une cour d
appel fédérale la déclaré contraire à la constitution
fédérale. L
affaire a été portée devant la Cour suprême des États-Unis, qui, au
mois de juin 2013, a rejeté le recours formé contre la décision de la cour d
appel
fédérale. Le mariage homosexuel se trouve donc autorisé en Californie en vertu
de décisions juridictionnelles
9.
Un facteur important de lintensité de la vie politique locale réside dans une
caractéristique commune à de nombreux États qui pratiquent une démocratie
semi-directe : mandat impératif, référendum, élection des juges, des procureurs,
des autorités de police judiciaire et de très nombreux autres fonctionnaires. Le
réferendum, qui n
existe pas au niveau fédéral, joue un rôle important dans de
nombreux États où les citoyens peuvent prendre l
initiative dun référendum
constitutionnel, qui peut avoir pour objet d
empêcher ladoption de lois ou de
renverser une décision juridictionnelle, comme on l
a vu avec lexemple du
mariage entre personnes de même sexe en Californie.
9.
26 juin 2013, Hollingsworth et al. v. Perry et al.
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Le système constitutionnel des États-Unis
261
Une institution très originale est le recall. Elle permet, si un nombre déter-
miné de signatures a été obtenu, de forcer le pouvoir à organiser un référendum
ayant pour objet de révoquer un homme politique ou un juge. C
est ainsi quen
2003 le gouverneur de Californie a pu être révoqué, de sorte que l
acteur Arnold
Schwarzenegger a pu lui succéder.
§ 2. Les rapports entre organes
272. Il est clair que lexpression de « séparation des pouvoirs », que lon
emploie pour caractériser le système constitutionnel américain, est tout à fait
inadéquate si l
on désigne par là un système dans lequel les autorités sont à la
fois spécialisées et indépendantes (v.
supra no 81 s.). Les autorités fédérales
américaines ne sont en effet ni spécialisées, ni indépendantes. Elles ne sont
pas spécialisées, puisqu
elles participent toutes aux trois grandes fonctions de
l
État, le Président à la fonction législative, le Congrès à la fonction exécutive
et la Cour suprême à la fonction législative. Elles ne sont pas non plus indépen-
dantes, car si la constitution n
organise ni dissolution, ni responsabilité poli-
tique, il est clair que chacune dispose vis-à-vis des autres des moyens d
actions
puissants (Moulin, 1978). Ceux-ci résultent d
abord du fait quelles ne sont pas
spécialisées : le Président peut influencer le Congrès par le veto, le Sénat peut
agir sur le Président par son pouvoir de confirmation. Mais, en outre, différents
moyens peuvent être employés en cas de crise grave. Le Congrès peut faire
pression sur la Cour suprême, parce que la constitution ne détermine pas le
nombre des juges, si bien qu
il peut menacer de laccroître pour influer sur la
jurisprudence. Il peut aussi, comme il l
a fait pour Richard Nixon, contraindre le
Président à démissionner en le menaçant d
impeachment. Sans doute, il y faut
une crise majeure, mais quune telle crise survienne, et le Congrès trouve les
moyens de lemporter. Ce qui est remarquable nest pas quune crise se pro-
duise, mais qu
elle soit aussi rare.
La principale explication se trouve dans le système de partis américains, qui
sont profondément différents des partis européens. Ils ne connaissent ni struc-
ture forte, ni véritable programme, ni surtout de discipline, mais sont surtout des
machines électorales. Les élus sont donc principalement des personnalités for-
tes, qui se déterminent au cas par cas en fonction de leurs convictions ou de
leurs intérêts propres, de sorte que les majorités au Congrès sont fluides. Un
Président républicain peut fort bien gouverner si le Congrès est en majorité
démocrate et il est alors peu probable qu
il se forme un groupe assez homogène
et déterminé pour se heurter durablement au Président au point de désirer le
destituer. On comprend alors que le système constitutionnel américain soit dif-
ficilement transposable et que toutes les tentatives qui ont été faites pour sen
inspirer ont conduit à des modes de fonctionnements entièrement différents, soit
que le Congrès domine le Président, comme dans le Chili du
XIXe siècle, soit,
solution plus fréquente, que le Président use de pressions diverses, notamment
militaires, pour obtenir des pouvoirs spéciaux.
Léquilibre constitutionnel américain résulte donc non dune séparation
rigide des pouvoirs, mais, au contraire, de labsence dune telle séparation.
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Droit constitutionnel
Léquilibre signifie quaucun organe ne saurait durablement dominer les
autres, mais il peut se réaliser de plusieurs manières. Il peut d
abord arriver
que selon les époques, tel ou tel pouvoir paraisse prééminent. L
expression
«
système présidentiel » désigne alors le système tel quil fonctionne lorsque la
conjoncture politique donne cette prééminence au Président, tandis qu
à dau-
tres époques, ou à dautres points de vue, on peut parler avec autant de perti-
nence de gouvernement des juges ou de gouvernement congressionnel.
À dautres moments, depuis que les partis ont acquis une plus grande cohé-
sion idéologique, il n
y a pas de prééminence de lun des pouvoirs, mais un
équilibre réel susceptible d
entraîner des blocages soit entre le président et le
Congrès, soit entre les deux chambres. C
est ainsi quà lheure actuelle les rela-
tions entre la majorité républicaine à la chambre des représentatns et un Prési-
dent démocrate rendent difficile l
adoption dune politique cohérente. Sans
doute, en raison de l
absence de discipline des partis et du fait que les membres
du Congrès ne dépendent pas de la direction de leur parti pour leur réélection, il
est peu probable que la majorité républicaine soit assez homogène ou assez
déterminée pour voter l
accusation contre le président. Mais ils ne dépendent
pas non plus du Président. Ils peuvent donc bloquer l
adoption dune législation
voulue par lui ou lui imposer des compromis et en revanche, celui-ci est tenté
d
employer tous les moyens pour contourner lopposition du Congrès10.
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Page 265
Chapitre 3
Les États de lEurope centrale et orientale
274. Un régime inspiré des doctrines marxistes-léninistes a dominé lEurope
centrale et orientale jusqu
à la fin des années 1980. Il sétait établi en Russie par
la Révolution d
octobre et a été étendu après la fin de la Seconde Guerre mon-
diale dans les pays proches de l
ancienne Russie tsariste, qui avait pris le nom
d
Union des Républiques socialistes soviétiques. À bien des égards, le régime
soviétique apparaissait comme l
antithèse des régimes pluralistes occidentaux,
notamment en ce qu
il était une monocratie partisane. Dès 1917, le pouvoir
avait été confisqué par un parti unique, le parti communiste, l
absence doppo-
sition légale excluant toute possibilité d
alternance. Il sagissait, si lon veut,
d
une monocratie « populaire », le PCUS étant censé représenter les couches
les plus laborieuses de la population, mais d
une monocratie tout de même
(Burdeau, tome IX). Et le régime soviétique pouvait même être qualifié de tota-
litaire car le parti communiste ne se contentait pas de gérer la société, il se pro-
posait de la remodeler entièrement selon les exigences d
une doctrine,
le
marxisme-léninisme.
Après la Seconde Guerre mondiale, des régimes fortement inspirés de ce
modèle ont été installés dans un certain nombre de pays, tantôt sous la pression
des forces armées soviétiques (Pologne, Tchécoslovaquie, Allemagne de l
Est,
Hongrie, Roumanie, Bulgarie) et tantôt à la suite d
une révolution autochtone
(Yougoslavie, Albanie, Chine, Corée du Nord, Vietnam, Cuba). En 1985, on
comptait une quinzaine de régimes communistes, qui regroupaient environ
40 % de la population mondiale. Mais, en moins de cinq ans, de 1986 à 1990,
le paysage politique a été profondément bouleversé.
Le régime socialiste sest effondré dans toute lEurope en 1989. Cet événe-
ment a constitué un véritable bouleversement révolutionnaire qui a affecté
l
économie, le système de valeurs, les conceptions du monde, bref lensemble
du système social. Pour ce qui concerne le strict plan du droit constitutionnel, il
s
est agi dun phénomène sans précédent. La nouveauté tenait à deux caractè-
res : le premier est quantitatif : jamais auparavant dans l
histoire du monde un
aussi grand nombre dÉtats navait entrepris en même temps de se doter dune
constitution. Le changement affecte en effet non seulement les États ancienne-
ment communistes, mais aussi de nouveaux États issus du démembrement de
l
Union soviétique. Le second caractère tenait à la portée de cette entreprise :
le processus constituant n
a pas eu seulement pour objet dorganiser le pouvoir
politique conformément aux conceptions de la démocratie libérale, mais de
réformer toute la société et notamment de permettre le passage d
une économie
socialiste à l
économie de marché. Cette transformation a été si profonde que
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266
Droit constitutionnel
plusieurs de ces États ont déjà pu adhérer à lUnion européenne. Avant dana-
lyser la situation actuelle des États de l
Europe centrale et orientale, il importe
d
examiner dabord le régime socialiste, tel quil a fonctionné jusquen 1985
d
une part pour prendre la mesure de lampleur de ces mutations, dautre part
parce que certains des traits caractéristiques du fonctionnement des régimes
actuels ne peuvent se comprendre que comme des produits de cette histoire.
Section 1
Le régime socialiste
275. Ce régime sest implanté et a fonctionné avec des variantes dabord en
Russie, devenue Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), puis
dans les États tombés sous l
influence de lURSS après la Seconde Guerre mon-
diale.
§ 1. LURSS
276. Les fondements idéologiques. Selon la philosophie marxiste-léni-
niste, l
État est un appareil de contrainte au service de la classe dominante.
Son existence est liée à la division de la société en classes. Il doit dépérir avec
la disparition des classes consécutive à la révolution, mais ce dépérissement ne
peut être immédiat et il faut prévoir une période de transition pendant laquelle le
prolétariat victorieux doit se défendre contre ses ennemis en instaurant sa dicta-
ture révolutionnaire. En fait, la période de transition a été prolongée pour une
durée indéterminée.
277. Lorganisation constitutionnelle. Des origines à 1977, on compte
quatre constitutions soviétiques. La première adoptée en 1918 ne concernait
que la République de Russie. Les suivantes qui datent respectivement de
1924, 1936 et 1977 concernent l
ensemble des Républiques regroupées au
sein de l
URSS, qui était, du moins en théorie, un État de type fédéral.
Ces changements de constitution ne correspondaient pas, comme cest géné-
ralement le cas en Occident, à des changements de régime politique. On peut
résumer en trois points les grandes lignes de l
organisation constitutionnelle :
1o La Constitution rappelle que le système économique est fondé sur la pro-
priété socialiste des moyens de production et définit les formes de cette pro-
priété : propriété d
État, propriété coopérative, propriété des syndicats et des
autres organisations sociales. Il n
y a pas déconomie privée, ni de marché.
2o Les droits fondamentaux reconnus aux citoyens sanalysent surtout
comme la possibilité d
obtenir de lÉtat et de la société certains avantages
concrets : droit au travail, au repos, à la protection de la santé, à la pension
vieillesse, etc. Ils sont présentés comme indissociables des obligations tendant
à maintenir ou à renforcer le régime socialiste.
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Les États de lEurope centrale et orientale
267
3o À chaque niveau (national, républicain, local) lorgane principal du pou-
voir est le soviet, terme que l
on pourrait traduire par « Conseil » mais qui, à la
suite des événements de 1905 et 1917, avait acquis une connotation révolution-
naire. Les membres des soviets sont élus au suffrage universel direct.
Le pouvoir est fondé sur la répudiation du principe de la séparation des pou-
voirs, réputé refléter dans les sociétés capitalistes la division de la société en
classes ou destiné à protéger des libertés purement formelles et sur le principe
opposé de l
unité du pouvoir dÉtat. La structure des autorités nest donc pas le
reflet d
une spécialisation.
Lorgane supérieur du pouvoir dÉtat de lURSS est le Soviet suprême. Il
comprend deux Chambres, le Soviet de l
Union et le Soviet des Nationalités
qui sont composées d
un nombre égal de députés (750). Le Soviet de lUnion
représente la population soviétique dans sa globalité. Le Soviet des Nationalités
représente les républiques fédérées ainsi que les entités territoriales de niveau
inférieur (républiques autonomes, régions autonomes, districts autonomes). Le
Soviet de l
Union et le Soviet des Nationalités ont des pouvoirs égaux. Ils peu-
vent siéger en séance commune ou en séances séparées.
Le Soviet suprême peut connaître de toutes les questions relevant de la com-
pétence de l
Union. En outre, il désigne les autres organes supérieurs du pou-
voir d
État, qui sont responsables devant lui et quil peut donc, en principe,
révoquer à tout moment. Ces organes sont les suivants :
Le Praesidium du Soviet suprême, qui comprend une trentaine de mem-
bres et qui exerce collectivement les prérogatives dun chef dÉtat.
Le Conseil des ministres de lURSS qui comprend plus dune centaine
de membres. C
est le gouvernement du pays. Il assure notamment la direction
de l
économie nationale.
En théorie, les pouvoirs du Soviet suprême étaient plus importants que ne le
sont les pouvoirs du parlement dans une démocratie bourgeoise, car ils n
étaient
pas limités par la règle de la séparation des pouvoirs. En fait, son rôle était pres-
que purement formel. Il ne siégeait que quelques jours par an et déléguait l
es-
sentiel de ses attributions au Praesidium ou au Conseil des ministres. Et le véri-
table centre du pouvoir politique se situait dans le parti communiste de l
Union
soviétique (PCUS), et non dans un organe électif.
278. La monocratie partisane. Selon Lénine, le fondateur du régime
soviétique, les ouvriers ne pouvaient avoir spontanément la conscience révolu-
tionnaire. Celle-ci ne leur viendrait que s
ils étaient encadrés, orientés et contrô-
lés par un parti d
avant-garde, dirigé par des révolutionnaires professionnels et
n
admettant dans ses rangs que lélite du prolétariat. Cest donc le parti commu-
niste, devenu parti unique, qui a exercé la totalité du pouvoir jusquen 1990.
Fort de 19 millions de membres et employant un grand nombre de perma-
nents, ce parti régissait toute la société soviétique. Il sélectionnait tous les can-
didats aux élections organisées selon le principe des listes uniques. Il choisissait
les personnes promues à tous les postes de responsabilité des administrations et
des entreprises. Enfin, il contrôlait de lintérieur toutes les organisations sociales
depuis les mouvements de jeunesse (
Komsomols) jusquaux syndicats profes-
sionnels. Ainsi même les citoyens non-membres du parti se trouvaient en leur
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268
Droit constitutionnel
qualité décolier, de travailleur ou de joueur déchecs, encadrés et pris en charge
par le parti.
Lorganisation du parti était pyramidale. Le Congrès était théoriquement
l
organe suprême et devait définir la politique du parti. Mais, comme le
Soviet suprême, ce n
était pas un organe permanent. Aussi élisait-il en son
sein un Comité central composé de 200 à 300 membres qui dirigeait le parti
entre deux congrès. Le Comité central ne siégeait lui-même en formation plé-
nière qu
une dizaine de jours par an et désignait à son tour des organes restreints
chargés d
exécuter le travail courant et auxquels il déléguait une partie de ses
attributions. Il s
agissait dune part du bureau politique (Politburo), composé de
10 à 25 membres et, d
autre part, du secrétariat comprenant un secrétaire géné-
ral et plusieurs adjoints. C
étaient en fait ces deux organes, qui dirigeaient le
parti et l
État. Le Secrétaire Général était donc le véritable chef du gouverne-
ment soviétique, même s
il navait aucune fonction dans lÉtat. Cest ce poste
qu
ont occupé Staline, Khrouchtchev, Brejnev ou Gorbatchev et qui conférait à
son titulaire un pouvoir absolu.
Le secrétaire général pouvait être démis par le Comité central, mais comme
c
est lui qui en contrôlait la composition, un tel événement ne pouvait se pro-
duire que par suite d
une révolution de palais, comme en 1964.
Le fonctionnement interne du parti était régi par le principe du « centralisme
démocratique ». La démocratie était théoriquement garantie par l
élection de
tous les organismes dirigeants du parti, de la base au sommet, et par l
obligation
pour ces organismes de rendre compte périodiquement de leur activité devant
les instances qui les avaient élus. Mais le centralisme impliquait une discipline
rigoureuse, la subordination de la minorité à la majorité et l
obligation stricte
pour les organismes inférieurs d
appliquer les décisions des organismes supé-
rieurs. Ce système aboutissait en fait à vider de sa substance le fédéralisme,
car les dirigeants des républiques étaient tenus de respecter la ligne du parti,
même pour des questions qui, daprès la constitution, eussent dû relever de la
compétence propre de ces républiques. De plus, le centralisme interdisant aux
militants de se regrouper par courants ou tendances, les élections à l
intérieur du
parti ne donnaient jamais lieu à une compétition entre plusieurs équipes, de
sorte que les candidats proposés ou soutenus par les instances supérieures
étaient presque automatiquement élus ou réélus. La composition des organes
dirigeants du parti (Comité central,
Politburo, Secrétariat général) ne se renou-
velait donc que très lentement. D
où une tendance à limmobilisme et à la
gérontocratie. De 1922 à 1982, le poste de Secrétaire général du PCUS n
avait
été occupé que par quatre titulaires : Staline (1922-1953), Malenkov (1953),
Khrouchtchev (1953-1964), Brejnev (1964-1982).
Pourtant en 1985, le Comité central choisit pour lui succéder le benjamin de
léquipe dirigeante, Mikhaïl Gorbatchev, âgé seulement de 54 ans, qui allait
précipiter l
évolution et leffondrement du régime.
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Les États de lEurope centrale et orientale
269
§ 2. Les démocraties populaires
279. Deux traits principaux caractérisent les pays socialistes de lEurope
centrale et orientale appelés « démocraties populaires ». D
une part, partout,
sauf en Yougoslavie, qui sétait libérée seule de loppression nazie, le passage
au nouveau régime a été imposé par la présence de l
armée soviétique.
Dautre part, plusieurs dentre eux avaient connu entre les deux guerres des
régimes de type parlementaire et il subsistait des structures économiques capi-
talistes ainsi qu
une classe moyenne et une petite paysannerie. Dans certains
cas, en Pologne notamment, les Églises conservaient une grande influence au
sein de la population.
On a donc maintenu plus ou moins longtemps et à des degrés divers certai-
nes formes des régimes bourgeois. Ainsi, le parti communiste n
est pas devenu
partout parti unique, mais a souvent constitué des coalitions de partis qui étaient
réputées détenir le pouvoir. Bien entendu, il dominait entièrement ces coali-
tions, mais trouvait là un moyen de neutraliser certaines forces sociales, bour-
geoises ou paysannes, plutôt que d
avoir à les éliminer brutalement. Pour le
reste, la structure générale du pouvoir était semblable à celle de l
URSS.
La politique menée par ces régimes était elle aussi semblable à celle du
« grand frère », bien que la terreur policière ait été moins forte, qu
on ait laissé
subsister certaines formes de propriété privée et que le niveau de développe-
ment économique ait été plus élevé qu
en URSS.
Pourtant, ces régimes étaient mal acceptés et nont pu être maintenus que par
la force. Ce sont eux qui se sont effondrés les premiers entraînant la chute de
l
ensemble du système soviétique, lui-même profondément miné de lintérieur.
§ 3. Les signes de dysfonctionnement
280. Le totalitarisme. Ce terme désigne un système politique dans lequel
le pouvoir est non seulement concentré entre les mains d
un petit nombre
d
hommes et exercé de manière autoritaire, mais dans lequel il agit dans tous
les domaines de la vie. Le marxisme était en effet présenté non comme une
idéologie, mais comme une science. L
opposition politique était donc nécessai-
rement fondée sur l
erreur et ne pouvait être tolérée, mais seulement corrigée ou
combattue. Si cette erreur avait pour effet de freiner le dépérissement de l
État
et du droit et l
apparition de lHomme nouveau, elle se révélait simplement cri-
minelle et devait être traitée comme elle.
En pratique la suspicion permanente et la terreur nont pas empêché le déve-
loppement des idées démocratiques. Celles-ci se sont exprimées de plusieurs
manières. L
Union soviétique et plusieurs démocraties populaires avaient
signé les accords d
Helsinki de 1975, qui consacraient un certain nombre de
libertés formelles. Cest au nom de ces accords que les dissidents soviétiques
ou tchèques ont revendiqué, quelquefois avec succès, l
exercice de ces libertés.
Le droit se révélait non pas une simple superstructure, mais un levier efficace.
Page 270
270
Droit constitutionnel
En Pologne, cest laction dun syndicat illégal, Solidarnosc, appuyé par une
Église catholique très puissante, qui contribua à propager les idées démocra-
tiques.
281. Limpérialisme russe. Là encore, lidéologie servait de masque.
Après la Révolution, le nouveau pouvoir, pour résoudre les problèmes posés par
la multiplicité des peuples soumis à l
empire du tsar, avait eu recours à une solu-
tion fédérale d
apparence très radicale. Chacune des républiques se voyait recon-
naître le droit de se doter d
une constitution et des organes habituels dun État.
Elles se voyaient reconnaître la compétence internationale et même le droit à la
sécession. En pratique, on l
a vu, le parti communiste était en mesure de contrôler
l
ensemble des organes des républiques aussi bien que ceux de lUnion, de sorte
que le système était en réalité centralisé et que les républiques n
étaient que des
échelons d
exécution. Leurs compétences internationales étaient ainsi au service
de la politique du PCUS et lorsque l
Ukraine et la Biélorussie se virent attribuer
chacune un siège à l
ONU, cela signifiait seulement que lURSS disposait de trois
voix au lieu d
une.
Le fédéralisme, qui devait permettre le développement des cultures nationa-
les, servait en fait le PCUS et en réalité les Russes qui dominaient le parti.
Limpérialisme russe se manifestait aussi en dehors même de lUnion sovié-
tique, dans les démocraties populaires, où existaient des bases militaires impor-
tantes et où, conformément à la doctrine officielle, dite doctrine Brejnev,
l
URSS se réservait le droit dintervenir par la force, si elle estimait que le
socialisme était menacé.
Ces pratiques nont cependant fait disparaître ni le sentiment religieux, ni le
nationalisme. L
affaiblissement du pouvoir central sera pour tous les nationalis-
mes l
occasion de sexprimer avec une vigueur considérable.
282. Les difficultés économiques. Mais ce sont surtout les terribles diffi-
cultés économiques qui ont entraîné la chute de ces régimes. En raison de l
éta-
tisation du système de production et de distribution, comme du poids énorme
des dépenses militaires, ces pays ne parvenaient pas à sortir d
une situation de
pénurie, d
autant plus insupportable que le développement moderne des com-
munications ne permettait plus de cacher à la population le niveau de vie auquel
étaient parvenus les habitants des pays occidentaux.
Au milieu des années 1980, il y avait ainsi de multiples sources dopposition
ou de résistance, parfois ouverte mais plus souvent larvée de la part des libé-
raux, des nationalistes, des religieux et simplement de tous ceux qui aspiraient à
une vie meilleure. Les principaux facteurs du changement semblent avoir été
l
impossibilité de parvenir au développement économique, limpossibilité éco-
nomique et financière de poursuivre la course aux armements imposée par la
guerre froide, dont le coût devenait trop élevé et lenlisement de larmée en
Afghanistan. Les dirigeants ont donc entrepris une politique de détente à l
exté-
rieur et de développement économique à l
intérieur, mais ces objectifs impli-
quaient au minimum une libéralisation politique et, au-delà, de profondes réfor-
mes de structure.
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Les États de lEurope centrale et orientale
271
Section 2
Les transformations : de la perestroïka à léclatement
de l
URSS (1985-1991)
§ 1. La perestroïka
283. Perestroïka (restructuration). Tel est le terme qua choisi Mikhaïl
Gorbatchev, élu Secrétaire général du PCUS le 17 mars 1985, pour résumer
l
esprit général des grandes réformes quil souhaitait promouvoir. À lorigine,
il ne s
agissait nullement de renoncer au socialisme, ni même de modifier pro-
fondément le système politique. L
objectif de la Perestroïka était daméliorer le
fonctionnement de l
économie soviétique en sattaquant à toutes les rigidités
jusqu
alors freiné le développement. Ainsi,
bureaucratiques qui en avaient
M. Gorbatchev préconisait-il une planification plus souple, la vérité des prix,
la participation des travailleurs à la gestion des entreprises, la modulation des
rémunérations en fonction des résultats obtenus et l
établissement de liens
directs entre fabricants et consommateurs. Tirant la leçon de l
échec de ses pré-
décesseurs, M. Gorbatchev s
était convaincu que le succès de la restructuration
était subordonné à deux conditions d
ordre plus général.
Primo, le respect de la loi (État de droit), qui garantirait aux agents écono-
miques le minimum de stabilité et de sécurité juridique dont ils avaient besoin
pour développer leurs initiatives.
Secundo, le règne de la Glasnost (transparence) qui permettrait à chacun de
dénoncer publiquement les privilèges et les pratiques bureaucratiques dont la
persistance pouvait être un facteur de blocage.
Bien quelle eût au départ un objectif essentiellement économique, la Peres-
troïka conduisait donc indirectement à poser le problème de la réforme gouver-
nementale et celui de la liberté d
expression.
§ 2. Les transformations politiques et constitutionnelles
de lURSS
284. À partir de 1988, plusieurs lois sont venues modifier en profondeur le
système politique et constitutionnel soviétique et celui des républiques.
Dune part, une loi du 1er décembre 1988 ouvrait la possibilité dune plura-
lité de candidatures pour lélection des membres du Parlement. En pratique
cependant, la majorité des élus aux élections qui ont suivi appartenaient encore
au parti communiste.
Dautre part, la constitution soviétique de 1977, la dernière en date, était
profondément modifiée. Une loi du 1
er décembre 1988 créait un Congrès des
députés du peuple.
Une autre loi de 1990 instituait un Président de lUnion soviétique, doté de
pouvoirs très importants. Il devait être élu pour la première fois par le Congrès
Page 272
272
Droit constitutionnel
des députés du peuple, et par la suite au suffrage universel. Le 15 mars 1990,
M. Gorbatchev fut ainsi élu par le Congrès. La source de son pouvoir se trouvait
désormais dans le Parlement et donc indirectement dans le peuple, et non plus
dans le parti, de sorte que ce changement dans le mode de désignation concré-
tisait la fin du rôle exclusif du Parti communiste.
Cependant, le pouvoir ne devait pas sexercer sans de très graves difficultés
et tensions. Tensions en raison d
une opposition très vive au sein du Soviet
Suprême entre les réformateurs et les conservateurs (on désignait ainsi les com-
munistes, hostiles aux réformes). Gorbatchev hésitant à s
appuyer sur lun ou
l
autre camp pour réaliser des réformes, cherchait à obtenir le vote de lois de
pleins pouvoirs, qu
il ne parvenait pas à employer après les avoir obtenues,
faute d
une maîtrise réelle de ladministration et de larmée. Tensions dautre
part entre le pouvoir central et les républiques. Au cours de l
année 1991,
elles proclament leur souveraineté et trois d
entre elles, les républiques baltes,
sur le fondement de la constitution soviétique, qui, on l
a vu, leur reconnaissait
ce droit, font sécession et se proclament indépendantes.
Tensions aussi entre Gorbatchev et Boris Eltsine, le Président de la plus
importante des républiques, la Russie. Eltsine avait été effectivement élu au suf-
frage universel dans une élection ouverte et transparente et sa popularité était
beaucoup plus forte que celle de Gorbatchev.
Cest dans ces conditions quintervint la tentative de coup dÉtat du 18 août
1991, qui visait à empêcher à la fois la désagrégation de l
Union soviétique et
l
abandon du socialisme. Léchec du coup dÉtat eut pour effet daccélérer le
processus : Gorbatchev n
était plus Président que dun État fantôme et se trouva
contraint de quitter le pouvoir le 25 décembre 1991.
Le 1er décembre, lUkraine, la plus grande des républiques soviétiques après
la Russie, avait proclamé son indépendance, puis c
était le tour de la Biélorus-
sie. LUnion soviétique avait cessé dexister. La chute de Gorbatchev signifiait
non seulement un changement à la tête du gouvernement, mais bel et bien la fin
de l
Union. Boris Eltsine prenait le pouvoir, mais en Russie seulement. Aussi, le
jour de la démission de Gorbatchev, le drapeau rouge avec la faucille et le mar-
teau était-il remplacé par le drapeau blanc bleu rouge, qui avait été celui de la
Russie tsariste.
Section 3
La situation actuelle
285. La fin du communisme et lapparition de nouveaux États ont conduit à
des bouleversements constitutionnels. Toutes les constitutions anciennes ont été
modifiées ou remplacées par de nouvelles. Les textes actuels ne présentent pas
toujours une très grande originalité par rapport aux constitutions de l
Europe
occidentale, mais proclament une adhésion plus ou moins sincère aux vertus
de l
État de droit et forment un vaste catalogue des institutions les plus diverses
(Sajo, 1999).
Page 273
Les États de lEurope centrale et orientale
273
§ 1. La situation actuelle de la Russie
286. Après la fin de lUnion soviétique, la Russie a traversé une longue
période de transition, dont on ne peut affirmer qu
elle est achevée. Cette période
sest caractérisée par une vive tension entre le Président Eltsine et le Congrès
des députés. Entre 1991 et 1993, la Russie nétait que lune des Républiques de
l
Union soviétique, mais cétait de loin la plus grande et la plus puissante. Elle
vivait encore sous l
empire dune constitution, adoptée en 1978 et calquée,
comme il était de règle sous l
ancien régime, sur la constitution soviétique de
1977. Faute d
un accord entre les forces politiques pour adopter une nouvelle
constitution établissant un système politique libéral, la constitution de 1978
avait été maintenue en vigueur, moyennant un très grand nombre d
amende-
ments. Cependant, les députés élus au printemps 1991, selon l
ancien système
destiné à préserver l
influence du parti communiste, étaient encore issus dans
leur grande majorité des anciens cadres dirigeants.
Laffrontement avec le Président, élu au suffrage universel était inévitable et
prit parfois un tour dramatique.
Sur le plan constitutionnel, il se traduisit par la préparation de projets rivaux,
dont l
objet principal était daccroître les prérogatives de leur auteur. Finalement
une nouvelle constitution, fortement marquée par l
influence de Boris Eltsine, fut
adoptée par référendum le 12 décembre 1993.
A Le fédéralisme
287. La Russie reste un État fédéral. Comme en Allemagne, la constitution
donne la liste des compétences fédérales et celle des compétences conjointes
des composantes de la fédération, les « sujets de la fédération », qui ont des
statuts divers, républiques, régions ou districts. Les sujets, au nombre de 89,
tous égaux entre eux, n
ont en propre quune compétence résiduelle assez
réduite : seules les matières qui ne figurent pas dans les deux premières listes
relèvent de leur compétence propre. Dans ces matières, leur autonomie n
est pas
non plus très grande et tend à se réduire. Les chefs des exécutifs, qui étaient à
l
origine élus au suffrage universel, sont depuis 2004 choisis par les organes
législatifs locaux, mais sur proposition du président de la fédération. En outre,
bien que la Russie soit un État multi-ethnique, le texte constitutionnel assure la
prééminence de la langue et de la culture russe au sein de la Fédération.
B Le Président
288. Le pouvoir exécutif présente une structure dualiste caractéristique de la
plupart des systèmes représentatifs européens. La figure centrale est celle du
Président, inspirée à la fois par celle du Président de la V
e République française
et par celle du Président américain, ce qui lui permet de cumuler des pouvoirs
gigantesques.
Le Président de la Fédération était initialement élu pour quatre ans au suf-
frage universel direct et ne pouvait exercer que deux mandats consécutifs.
Page 274
274
Droit constitutionnel
Ladjectif est important car il implique que, après avoir accompli deux mandats,
la même personne, peut, après une interruption, se présenter à nouveau.
Cest ce qua fait Vladimir Poutine. Faute de pouvoir briguer un troisième
mandat en 2008, il a présenté la candidature du Premier ministre, Dmitri Med-
vedev, qui, aussitôt élu à la présidence, s
est empressé de nommer Poutine au
poste de Premier ministre, puis, au terme du mandat présidentiel de Medvedev,
Poutine a pu se présenter aux élections présidentielles de 2012 et aussitôt après
son entrée en fonction, il a nommé Medvedev Premier ministre.
En 2008, la constitution a été modifiée et la durée du mandat portée à six
ans, de sorte que Poutine pourrait rester au pouvoir jusquen 2024.
Le président est doté dune administration très importante, comprenant près
de 2 000 collaborateurs. Il n
est responsable quen cas de haute trahison ou de
crime grave. Mais la procédure est longue et complexe : l
accusation est votée
par la Douma à la majorité des deux tiers ; la qualification de l
infraction doit
être confirmée par la Cour suprême ; la Cour constitutionnelle doit vérifier le
respect de la procédure et ce n
est qualors que le Conseil de la Fédération
peut prononcer la destitution, à la majorité des deux tiers également.
Ses pouvoirs sont considérables, beaucoup plus importants que ceux de
n
importe lequel de ses homologues occidentaux. Il sagit dabord de pouvoirs
de nomination : il nomme le Président du gouvernement (équivalent du Premier
ministre) et, sur proposition de celui-ci, les ministres et les plus hauts fonction-
naires. Il peut d
ailleurs mettre fin à tout moment aux fonctions du gouverne-
ment. Il peut même décider de refuser provisoirement la décision par laquelle la
Douma d
État a exprimé à la majorité sa défiance au gouvernement.
Il dirige et contrôle lactivité du gouvernement. Président et gouvernement
préparent et adoptent les projets de lois qui seront soumis au Parlement, mais le
Président dispose d
un pouvoir réglementaire immense. Il peut prendre des
décrets dans toutes les matières, même sans base législative. Ces décrets s
im-
posent comme des lois jusqu
à la mise en vigueur de lois parlementaires. Cest
ainsi que le Président Eltsine a pris en juin 1994 un décret « sur les mesures
immédiates pour la protection de la population contre le banditisme ». Ce pou-
voir est d
autant plus important quil dispose dun droit de veto, qui ne peut être
surmonté qu
à la majorité des deux tiers de chacune des Chambres. Il est donc
en mesure de paralyser l
activité législative et de tirer argument de cette paraly-
sie pour gouverner par décrets.
Il a également linitiative des lois et peut encore soumettre un projet au réfé-
rendum.
C Le gouvernement
289. Aux termes de la Constitution, le gouvernement apparaît subordonné
au Président. Ce dernier, comme on l
a vu, nomme le « Président du gouverne-
ment » c
est-à-dire le Premier ministre, mais celui-ci doit obtenir la confiance
des Chambres. Il peut aussi le révoquer. L
ensemble de ses activités, comme
celles du gouvernement dans son ensemble, sexerce sous lautorité du Prési-
dent, qui apparaît comme un véritable supérieur hiérarchique. C
est ainsi que
le Président du gouvernement est chargé d
exécuter non seulement les lois
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Les États de lEurope centrale et orientale
275
mais aussi les décrets du Président. Celui-ci peut dailleurs modifier ses déci-
sions.
Le Président du gouvernement est par ailleurs également responsable devant
la Douma d
État. Cependant, là encore, la responsabilité devant le Président
prime : si la Douma a exprimé sa défiance à la majorité absolue, le Président
peut soit déclarer que « le gouvernement est démissionnaire », soit le maintenir
au pouvoir. C
est seulement si la Douma exprime à nouveau sa défiance dans
un délai de trois mois que le Président doit exercer un nouveau choix : déclarer
le gouvernement démissionnaire ou prononcer la dissolution.
En réalité, en Russie comme ailleurs, le pouvoir effectif appartient à celui
qui est en mesure de diriger la majorité. On a donc pu constater une inversion
des rôles. Quand le Président de la République était Poutine, jusqu
en 2008,
c
était lui qui exerçait le pouvoir et le Premier ministre Medvedev était un exé-
cutant. Quand il était Premier ministre entre 2008 et 2012, c
était encore lui et le
Président de la République n
était quun exécutant. Lorsquil redevient Prési-
dent de la République en 2012, et Medvedev, redevenu Premier ministre
retrouve son rôle d
exécutant.
D Le Parlement
290. Le Parlement est beaucoup plus faible que la plupart des Parlements
occidentaux. Il présente la structure habituelle d
un parlement fédéral et com-
porte deux Chambres, la Douma d
État (Chambre des députés) et le Conseil de
la Fédération. Prises collectivement, les deux Chambres prennent le nom d
As-
semblée fédérale.
La Douma comprend 450 députés élus pour quatre ans sur la base de la
population. Le mode de scrutin a été modifié plusieurs fois. À l
origine le scru-
tin était mixte. La moitié des députés étaient élus à la représentation proportion-
nelle et l
autre moitié au scrutin uninominal. Depuis 2006, ils sont tous élus à la
proportionnelle, mais avec un seuil minimal de 7 %. Dans le cas où aucune liste
n
atteindrait ce chiffre, les élections seraient annulées et si une seule liste lat-
teignait, pour éviter qu
elle occupe tous les sièges, on en attribuerait aussi à la
liste arrivée en second. Alors que la représentation proportionnelle avec un seuil
très bas a pour effet de fragmenter et de multiplier le nombre des partis, le sys-
tème russe conduit au contraire à une grande concentration et à une distorsion
considérable. On pourrait en effet concevoir qu
un parti obtienne 8 % des voix
et un autre 6 % et qu
ils obtiennent ainsi tous les sièges. Pour atténuer cette
conséquence, il a été décidé que l
ensemble des partis ayant dépassé les 7 %
devait représenter au moins 60 % des voix, faute de quoi les listes suivantes
obtiendraient également des sièges. Cela signifie néanmoins que deux partis,
ayant obtenu lun 30 % des voix plus une et lautre 30 % des voix, se partage-
raient également tous les sièges et que le premier aurait la majorité absolue.
Ce mode de scrutin, associé à une campagne électorale au cours de laquelle
les opposants ont été constamment intimidés, a produit les effets attendus et aux
élections législatives de décembre 2007 seuls quatre partis ont obtenu des sièges
à la Douma. Parmi eux, Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, en a obtenu
315 sur 450 avec 64 % des voix. Dès lors que dans un scrutin de liste, les chefs
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276
Droit constitutionnel
du parti décident des candidatures et sont maîtres de la réélection des députés, le
système a permis à Poutine d
être le maître absolu de la Douma. En outre, la
plupart des observateurs doutent de la sincérité du scrutin. On constate en effet
des pressions sur les médias, des man
œuvres dintimidation des opposants et
vraisemblablement des fraudes.
Bien que les élections de 2011 aient été moins favorables que les précéden-
tes à Russie Unie, ce parti a néanmoins remporté la majorité absolue des sièges
à la Douma.
Quant au Conseil de la Fédération, il est composé de deux représentants de
chaque sujet de la Fédération.
Les deux Chambres nont pas rigoureusement le même rôle, ni le même
pouvoir. Elles n
ont pas le même rôle, car certaines décisions du Président doi-
vent être approuvées par le Conseil et d
autres par la Douma et que le contrôle
du gouvernement revient exclusivement à la Douma. Surtout, elles n
ont pas le
même pouvoir législatif. Ce pouvoir est d
ailleurs très diminué.
Tout dabord, le droit dinitiative est attribué très largement, puisquil peut
être exercé non seulement par les parlementaires et le gouvernement, mais aussi
par le Président et même par la Cour constitutionnelle et la Cour suprême. Les
lois doivent être adoptées par les deux Chambres à la majorité absolue, mais la
Douma dispose d
une certaine prééminence puisquelle peut adopter à la majo-
rité des deux tiers les lois rejetées par le Conseil (c
est-à-dire celles qui nont
pas obtenu au Conseil la majorité absolue).
Il est clair que, sil nexistait pas une majorité des deux tiers, le pouvoir
législatif pourrait être fréquemment paralysé, non seulement par le veto du Pré-
sident, mais par les difficultés de la procédure : si, en raison de la multiplicité
des partis et des divisions internes, on ne parvenait pas à réunir la majorité abso-
lue au Conseil, il est naturellement peu probable qu
on parviendrait à rassem-
bler à la Douma une majorité des deux tiers, ce qui signifie qu
il ny aurait pas
de loi du tout et que le Président pourrait légiférer par décrets.
En réalité, Russie Unie a disposé de cette majorité des deux tiers jusquen
2011, mais il était entre les mains de Poutine et si, depuis les dernières élections
législatives, il n
a que la majorité absolue des sièges, le gouvernement dispose
de moyens de pression efficaces sur les deux autres partis pour n
être pas gêné
dans son action.
E La Cour constitutionnelle1
291. Une Cour constitutionnelle avait été créée en 1991. Elle sétait arrogé
des pouvoirs considérables, bien plus importants que ceux des cours occidenta-
les et prétendait arbitrer lensemble de la vie politique russe. La constitution tout
en lui maintenant une compétence étendue lui donne un statut qui vise à la limi-
ter quelque peu.
La Cour constitutionnelle est composée de dix-neuf juges (au lieu de quinze
antérieurement), élus pour douze ans (et non plus à vie) par le Conseil de la
Fédération sur proposition du Président. Ils ne sont pas rééligibles. Cette
1.
BAUDOIN, 2010.
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Les États de lEurope centrale et orientale
277
procédure a pour conséquence que, lorsque le Conseil est dans la main du pré-
sident, celui-ci est en mesure de décider seul de la composition de la cour.
Comme les juges sont nommés à temps et qu
ils peuvent être destitués par le
Conseil de la Fédération sur proposition de la majorité des deux tiers des mem-
bres de la Cour, le président peut peser sur la jurisprudence, bien plus que le
président américain, qui lui ne peut nommer un juge, titulaire à vie de son
siège, que lorsque celui-ci se trouve vacant et qui n
a aucun moyen de provo-
quer une telle vacance. De plus, depuis 2009, le président de la cour n
est plus
élu par ses collègues, mais désigné par le président (Baudouin 2010).
Ses compétences sont vastes : elle examine la conformité à la constitution
fédérale de tous les actes juridiques des organes fédéraux ou des organes des
sujets de la Fédération et règle les conflits de compétence entre ces organes.
Elle peut être saisie d
une part par les autorités fédérales suprêmes (Président,
Douma, Cour suprême, pouvoirs législatifs et pouvoirs exécutifs des sujets de la
Fédération, un cinquième des députés ou des membres du Conseil de la Fédé-
ration) et d
autre part directement par les citoyens selon des modalités inspirées
du système allemand. Comme un certain nombre d
autres cours parmi les plus
récentes, elle peut donner des interprétations abstraites de la constitution à la
demande du président, du gouvernement et des autorités législatives de la Fédé-
ration ou des sujets de la Fédération.
F Le fonctionnement des institutions
292. La Russie offre lexemple le plus éclatant dinstitutions qui fonction-
nent tout autrement que le laissait prévoir la lecture de la Constitution. Celle-ci
semblait donner la prééminence au président. En réalité, s
il est vrai que lexé-
cutif domine, il ne s
agit pas nécessairement du président et les instruments de
sa puissance ne résident pas dans les compétences que lui donne la Constitution,
mais dans la domination qu
il exerce sur un parti largement majoritaire.
La vie politique a été affectée au commencement par lextrême instabilité du
système des partis en Russie. La dislocation des structures politiques, administrati-
ves et économiques avait laissé le pays dans un profond chaos. L
appareil écono-
mique soviétique était entièrement entre les mains de l
État. Lintroduction de
l
économie de marché sest traduite par la privatisation des grandes entreprises, le
plus souvent au profit des membres de l
ancien groupe dirigeant et labandon de
toute direction de l
économie. Le capitalisme sauvage a permis la naissance de for-
tunes colossales, entraîné une corruption généralisée et provoqué l
extrême misère
du plus grand nombre.
Dans un premier temps, le multipartisme a conduit, sous la présidence
de Boris Eltsine, à une tension permanente entre le Président et la Douma.
Même si celle-ci était divisée et ne disposait pas de compétences assez fortes
pour exercer le pouvoir, elle était malgré tout en mesure de gêner considérable-
ment l
action du Président. Or, le gouvernement devait obtenir la confiance de
la Douma après sa nomination par le Président et plusieurs partis pouvaient se
réunir pour refuser cette confiance ou encore rendre difficile ladoption des lois.
Une évolution vers un régime parlementaire aurait été possible s
il y avait eu
une majorité cohérente hostile au Président et certains partis, notamment les
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278
Droit constitutionnel
communistes et les libéraux, en ont certainement éprouvé la tentation, mais les
coalitions ont toujours été éphémères.
Une telle évolution ne sest pourtant pas produite et elle est devenue de
moins en moins probable.
Le changement sest produit avec larrivée au pouvoir de Vladimir Poutine.
Nommé Premier ministre en 1999 par le Président Eltsine, alors quil était pres-
que inconnu, Poutine a aussitôt utilisé les moyens que lui donnait sa fonction,
ainsi que la tension créée par la guerre en Tchétchénie pour fonder un nouveau
parti politique, l
Unité. Celui-ci obtint la seconde place aux élections législati-
ves organisées en décembre de la même année, puis fit promptement alliance à
la Douma avec le parti communiste. La voie était alors libre pour Poutine, qui
pouvait persuader Eltsine d
annoncer sa démission, justifiée dailleurs par des
raisons de santé très réelles, faisant ainsi de Poutine le Président par intérim, une
fonction qu
il cumulait avec celle de Premier ministre. Lun des premiers gestes
du nouveau président fut de signer un décret qui accordait à Eltsine une immu-
nité totale contre toutes poursuites.
Grâce à son poste et à son nouveau parti, Poutine était en mesure de faire
campagne dans les meilleures conditions et il remporta effectivement une vic-
toire confortable lors de l
élection présidentielle du mois de mars 2000, puis de
nouveau en 2004 avec 71 % des voix. Le parti communiste avait amorcé son
déclin. Grâce à son influence sur les médias, sur toute une série d
agences de
l
État et à ses réseaux dans les administrations, les entreprises publiques, lar-
mée et les services secrets, Poutine a pu obtenir une majorité aux élections
législatives de 2003, une majorité d
ailleurs renforcée en 2007, puisque son
parti Russie Unie a remporté à lui seul 315 des 450 sièges de la Douma.
La conjonction des pouvoirs considérables que lui donnait la constitution
les principales mesures sont prises par décrets présidentiels, les oukases, plutôt
que dans la forme de lois parlementaires
et dune majorité docile lui a permis
de concentrer entre ses mains l
essentiel du pouvoir et den faire un usage auto-
ritaire.
Symboliquement, il a fait voter une décision sur lhymne national, qui sera,
quoique avec des paroles nouvelles, l
ancien hymne soviétique. Sur le plan juri-
dique, il a d
abord cherché à rétablir lautorité du pouvoir central sur les régions,
le « système vertical de l
autorité ». Il a divisé la Russie en sept districts fédéraux,
administrés par un représentant personnel du Président. En outre, les gouverneurs
des régions, qui se comportaient fréquemment en potentats peuvent désormais,
sous certaines conditions, être démis par le Président. Ils perdent une partie de
leurs pouvoirs fiscaux. Le pouvoir central a d
ailleurs fortement pesé sur les élec-
tions pour le renouvellement de plusieurs d
entre eux. Plusieurs des nouveaux
gouverneurs sont dailleurs des militaires. Dun autre côté, Poutine a cherché à
briser le pouvoir des nouveaux oligarques, notamment en lançant des enquêtes
pour corruption. Il a également tenté de mettre la main sur les médias et il y a
réussi dans une très large mesure. Cette mainmise a une signification ambiguë
et remplit une double fonction : elle est à la fois un moyen de lutte contre les
oligarques qui possèdent certains de ces médias et une limitation pure et simple
de la liberté de la presse. Certains de ces oligarches ont été poursuivis et empri-
sonnés. D
autres ont été contraints à lexil. La nouvelle loi électorale et la
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Les États de lEurope centrale et orientale
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législation sur les partis, les pratiques de ladministration, la domination des
médias rendent les campagnes des partis de l
opposition très difficiles. Dune
manière générale, avec des entraves considérables à la liberté d
expression, la
répression des manifestations sur la voie publique, les poursuites contre les oppo-
sants, le système prend un visage de plus en plus autoritaire.
Pendant ses deux mandats, le Premier ministre, qui nest pas le chef dune
majorité à la Douma, était entièrement subordonné au Président, comme lavait
été Poutine lui-même pendant le règne d
Eltsine. Le président peut en effet le
démettre facilement, soit parce qu
il sest heurté à lhostilité de la Douma, soit
parce qu
il constitue un fusible utile lorsquil est lui-même devenu impopulaire,
soit encore parce que le Premier ministre devient populaire et peut apparaître
comme un rival possible. Mais il peut aussi utiliser le poste du Premier ministre
pour se créer un dauphin, comme l
a fait Boris Eltsine avec Vladimir Poutine en
1999, ou un substitut comme l
a fait Poutine avec Dmitri Medvedev.
Cette concentration du pouvoir incite les acteurs politiques et économiques à
tenter d
exercer une influence en agissant par divers moyens sur lentourage du
Président. En raison de ce mode de gouvernement, le Président est souvent
appelé « le tsar ».
Cette conjoncture a aussi affecté la cour constitutionnelle. Dans les années
Eltsine, elle avait été utilisée, non pas comme on s
y attendait par la minorité
parlementaire, mais par la majorité parlementaire en lutte contre le Président.
Depuis 2000, la Cour constitutionnelle a tenté de retrouver un rôle de protection
de la minorité parlementaire à la fois contre la majorité et contre le président,
mais sans grand succès. Elle est en effet à la merci d
une révision constitution-
nelle toujours possible
il suffirait dun vote à la majorité des ¾ au Conseil de
la Fédération et des 2/3 à la Douma
qui limiterait ses pouvoirs. Elle exerce
cependant une fonction significative de garante des droits individuels (Bau-
doin, 2010).
On a pu croire un moment que le système allait fonctionner autrement. Med-
vedev avait en effet pris certaines positions plus libérales que celles de Poutine
et laissé penser qu
il se présenterait contre lui en 2012. Cependant, Poutine jouit
d
une grande popularité. Il dispose des réseaux dinfluence et cest à lui que le
parti majoritaire est fidèle. Medvedev n
était donc président que de nom. Il
n
était pas un véritable rival et la prétendue compétition était seulement destinée
à donner l
illusion dune démocratie libérale.
§ 2. La situation dans les anciennes démocraties populaires
et les Républiques de lex-URSS
293. Ces États se trouvaient et se trouvent encore dans des situations politi-
ques et constitutionnelles très différentes.
On peut les classer en deux groupes. Certains étaient des États juridiquement
indépendants de l
Union soviétique, comme la Pologne, la Hongrie ou la Tché-
coslovaquie ou bien avaient été entre les deux guerres mondiales indépendants
de l
Union soviétique et navaient été annexés quà loccasion de la Seconde
Guerre mondiale, comme les trois républiques baltes. Bien qu
ils aient été
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Droit constitutionnel
placés dans la sphère de domination soviétique et soumis à un régime socialiste
autoritaire, ces pays avaient connu dans le passé le système parlementaire et la
sortie du communisme s
y est faite beaucoup plus facilement, au point quelles
ont pu adhérer à l
Union européenne.
Dautres États étaient jusquen 1991 des États membres de lUnion sovié-
tique et étaient privés de traditions démocratiques. Tel était le cas par exemple
de l
Ukraine, de la Biélorussie, de la Géorgie ou des républiques du Caucase ou
d
Asie. Dans ces États la transition a été moins facile et plusieurs ont connu ou
connaissent encore des formes diverses de régime autoritaire.
On ne traitera ici que des premiers.
Il faut souligner avant tout que, en dépit de son caractère révolutionnaire, au
sens propre du mot, la transition s
est faite sans violence, au moins dans un
premier temps, sauf en Roumanie. On a pu ainsi parler en Tchécoslovaquie de
« révolution de velours ». Le caractère révolutionnaire de la transition provient
de ce qu
elle affecte le système économique en même temps que le système
politique, mais aussi de ce que, dans la conscience des acteurs, les deux proces-
sus sont étroitement interdépendants : le passage d
une économie socialiste à
une économie de marché et le passage à la démocratie libérale et à l
État de
droit. Cela dit, si cette interdépendance est constamment soulignée, la nature
de la relation n
est pas toujours clairement perceptible. Tantôt, on estime que
le passage à l
économie de marché nest possible que sil existe un minimum
de liberté et de sécurité juridique.
LÉtat de droit est alors vu comme le moyen de parvenir à léconomie de
marché et à la prospérité économique. Tantôt au contraire, on souligne que la
démocratie présuppose un système de valeurs, qui sont précisément celles qui
fondent l
économie de marché, la liberté, notamment celle dentreprendre, et la
propriété. C
est alors léconomie de marché qui est un instrument de la démo-
cratie. Mais, il est clair que la conception de la démocratie à laquelle on se
réfère, dérive elle-même dune théorie du marché. Ce nest pas le système
dans lequel le peuple gouverne, mais celui dans lequel la rencontre des intérêts
produit une décision optimum.
Un deuxième trait caractéristique est limportance que lon attache aux
Déclarations des droits de l
Homme. Cela sexplique en partie par le souci de
réaliser l
État de droit, qui doit présenter des caractéristiques inverses de celles
du régime totalitaire : séparation des pouvoirs, non-rétroactivité des lois, exis-
tence d
un pouvoir judiciaire indépendant et dun contrôle de constitutionnalité
des lois. Or, une Déclaration des droits proclame ces divers principes et forme
la norme de référence, par rapport à laquelle les autorités juridictionnelles peu-
vent contrôler l
action des pouvoirs publics. Mais, lécriture de ces Déclarations
ne va pas sans difficultés. Les anciennes constitutions socialistes proclamaient
elles aussi des droits et des libertés, dont on affirmait dailleurs, quil sagissait
de libertés réelles. Elles pouvaient être d
autant plus généreuses quelles nins-
tituaient aucun mécanisme pour garantir ces droits et libertés. Les rédacteurs des
nouvelles constitutions se trouvent ainsi confrontés à un dilemme : s
ils consa-
crent les mêmes droits et libertés que les anciennes, il sera difficile de les garan-
tir. Que peut signifier le droit au travail, à un logement, à un environnement
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Les États de lEurope centrale et orientale
281
sain, dans des économies ruinées ? Et sils ne les consacrent pas, ils risquent de
paraître moins favorables aux libertés que les anciens régimes socialistes.
Le troisième trait est
la désorganisation économique,
la décomposition
sociale, la dégradation profonde des conditions de vie. Il en est résulté au
début une fragmentation extrême du système des partis. Il n
était pas rare
quune centaine de formations saffrontent dans les élections législatives. Dans
ces conditions, les parlements profondément divisés nétaient pas en mesure de
légiférer normalement. Pourtant, la situation économique et politique de ces
pays s
est améliorée peu à peu au point quils ont pu adhérer à lUnion euro-
péenne.
Un quatrième trait est limportance des problèmes de nationalités. Les
frontières nationales de ces pays n
englobent que rarement des populations
homogènes. Elles sont le produit d
une histoire très complexe. En Europe cen-
trale, le découpage de l
Autriche-Hongrie après la Première Guerre mondiale
avait abouti à la création d
États, sur le territoire desquels subsistaient dim-
portantes minorités nationales, différentes par la langue, la religion ou simple-
ment le sentiment d
appartenance. La politique menée avec persistance en
Union soviétique consistait à déplacer et brasser les populations, de telle
sorte qu
un groupe national soit toujours réparti sur le territoire de plusieurs
républiques et que chacune comprenne une très importante minorité russe. La
Seconde Guerre mondiale avait, une nouvelle fois, provoqué d
importants
transferts de population. Il en est résulté plusieurs conséquences tragiques :
l
éclatement de certains États fédéraux, comme lURSS, la Yougoslavie, la
Tchécoslovaquie, les guerres civiles et les affrontements entre nationalités dif-
férentes (en Russie même, en Estonie, en Géorgie ou en Ukraine) ou les ten-
sions et les guerres entre nouveaux États (Bosnie-Serbie-Croatie, Azerbaïdjan-
Arménie).
Il résulte de tout cela que le processus dadoption de la Constitution a été
lent et difficile et certains pays, comme la Pologne ont longtemps vécu sous une
constitution provisoire.
Les constitutions font appel à des techniques constitutionnelles variées et
complexes, le plus souvent empruntées, non sans éclectisme, à diverses tradi-
tions occidentales. Quelques traits se retrouvent fréquemment. L
un des plus
frappants est le dualisme de l
exécutif à la française, cest-à-dire avec un Prési-
dent élu au suffrage universel et un Premier ministre responsable devant le Par-
lement. Comme en France, il peut arriver que le Président doive cohabiter avec
une majorité qu
il ne domine pas, mais les effets dune pareille situation varient
selon les pays. Dans certains cas, comme en Bulgarie, le Président n
exerce plus
alors que des pouvoirs limités et les partis ne présentent d
ailleurs pas à lélec-
tion présidentielle la candidature de leurs leaders, quils destinent plutôt à des
fonctions de Premier ministre. Mais, dans dautres cas, comme en Pologne, les
prérogatives constitutionnelles du Président, par exemple un droit de veto diffi-
cile à surmonter, lui permettent d
exercer une influence réelle. Si linstitution
présidentielle est souvent inspirée par la constitution de la V
e République, les
mécanismes de mise en jeu de la responsabilité ministérielle empruntent sou-
vent à lAllemagne et comportent des techniques complexes destinées à limiter
les risques d
instabilité gouvernementale, notamment la motion de censure
constructive. Les pouvoirs des parlements ont souvent été limités grâce à des
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Droit constitutionnel
procédés classiques : limitation du domaine législatif, veto présidentiel, impor-
tance du pouvoir réglementaire.
Enfin, il faut souligner limportance du contrôle de constitutionnalité, qui
s
exerce sur une très grande variété dactes et combine parfois les caractères
de plusieurs systèmes : contrôle centralisé et décentralisé,
a priori et a poste-
riori. Dans certains cas, le contrôle sexerce même sur les lois constitutionnel-
les. Ce trait confère aux cours une importance capitale et s
explique aisément
par l
adhésion enthousiaste à lidéologie de lÉtat de droit. Il a parfois suscité
une certaine crainte devant des pouvoirs, d
autant plus importants quils sexer-
cent par référence à des déclarations des droits extrêmement longues, et qui ris-
quaient de devenir excessifs. D
où des mécanismes permettant de surmonter les
décisions de la Cour, soit par le référendum, soit, comme en Roumanie, par une
majorité qualifiée du Parlement (Lime, 1994). L
intérêt de ces mécanismes est
qu
ils révèlent lambiguïté profonde du contrôle de constitutionnalité. Dun
côté, on le présente comme le moyen d
assurer la suprématie du droit sur la
politique, ce qui implique que la décision de la cour représente la vérité du
droit et n
est pas elle-même empreinte de caractère politique, autrement dit
que le juge constitutionnel n
est pas un contre-pouvoir. De lautre, les mécanis-
mes compensateurs sont analogues à ceux qui sont prévus pour empêcher
l
exercice abusif de compétences, dont la nature de contre-pouvoir est claire-
ment reconnue, comme c
est le cas par exemple pour le veto du président amé-
ricain (Bidegaray et Emeri, 1994, p. 325 et s.).
Au total les anciennes démocraties populaires ont connu une évolution qui
les a rapprochées considérablement des démocraties occidentales, au point
qu
elles ont pu adhérer à la Convention européenne des droits de lhomme et
à l
Union européenne.
La Pologne fournit un bon exemple de ces situations constitutionnelles. Elle
vivait depuis l
effondrement du régime socialiste sous lempire dune constitu-
tion provisoire, notamment parce que l
adoption dun texte définitif était rendue
difficile par l
opposition de la très puissante Église catholique à une constitution
qui ne contiendrait pas une prohibition absolue de l
avortement. Finalement, la
constitution a été adoptée par référendum, malgré cette opposition, et promul-
guée le 2 avril 1997.
Le texte reprend dailleurs pour lessentiel léconomie de la Constitution
provisoire.
Le pouvoir exécutif est dualiste. Le Président nomme le Premier ministre
selon une procédure complexe inspirée du système allemand. Ce gouvernement
doit obtenir une majorité à la Chambre. Si, par suite des divisions de la Diète, il
n
y parvient pas dans un certain délai et si la Diète de son côté ne peut élire un
gouvernement, le Président peut soit dissoudre la Diète, soit nommer un gou-
vernement qui n
a pas besoin de linvestiture de la Diète pendant six mois. À
l
expiration de ce délai et sauf entente sur un nouveau gouvernement, la diète
est automatiquement dissoute.
Le gouvernement est responsable selon deux systèmes : le système allemand
de la motion de censure constructive et le système traditionnel de la motion de
censure sans élection d
un successeur, qui ouvre au Président le droit de dissou-
dre le Parlement.
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Les États de lEurope centrale et orientale
283
En tout état de cause, lidéologie actuellement en vogue dans ces pays, selon
laquelle le constitutionnalisme serait
le moteur des transformations, paraît
démentie par les faits : une réforme constitutionnelle ne peut pas provoquer à
elle seule le changement des comportements et des mentalités qu
exige le pas-
sage à la démocratie et à l
économie de marché. Les révolutions américaine et
française nétaient pas les moteurs, mais lexpression et la formalisation de ces
changements.
Il arrive même que le constitutionnalisme soit perçu comme un frein aux
transformations. C
est ainsi que certaines cours ont jugé inconstitutionnelles
des lois anticommunistes attentatoires aux libertés : la cour polonaise a sanc-
tionné en 2008 une loi dite de « lustration », qui obligeait quelque 700 000
Polonais à déclarer par écrit s
ils avaient collaboré avec les ex-services secrets
communistes ; en Hongrie, après les élections législatives qui ont porté au pou-
voir un parti très conservateur, la cour a invalidé une loi d
inspiration néo-libé-
rale, taxant à hauteur de 98 % les indemnités de départ d
un grand nombre
d
employés. Laffrontement entre les cours constitutionnelles et les majorités
conservatrices peut être très sévère. En Pologne, pour tenter d
intimider les
juges de la cour constitutionnelle, des poursuites judiciaires ont été lancées
contre eux. En Hongrie, une nouvelle constitution a été adoptée au mois
d
avril 2011 les conservateurs disposent de la majorité des 2/3 au Parlement,
suffisante pour la révision
qui, parmi plusieurs autres innovations, restreint
considérablement
les pouvoirs de la cour dans les matières économiques
et sociales et abaisse l
âge de la retraite des juges à 65 ans, ce qui devrait per-
mettre de modifier sensiblement la composition. Cette nouvelle constitution a
fait l
objet de critiques très vives du Conseil de lEurope et de la Commission
européenne en raison des restrictions qu
elle apporte aux principes essentiels de
la démocratie libérale. Elle a été elle-même amendée depuis son entrée en
vigueur, toujours dans un sens très conservateur, pour limiter encore les pou-
voirs de la Cour et pour mettre les mesures adoptées par la majorité actuelle à
l
abri dune éventuelle victoire de lopposition aux élections futures, au moins
tant que celle-ci ne remporterait pas les 2/3 des sièges.
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Chapitre 4
LUnion européenne
295. Si on le définit par son objet, il ne faut pas considérer que le droit
constitutionnel est seulement le droit de l
État. Selon une définition matérielle,
le droit constitutionnel, c
est lensemble des normes relatives à lorganisation et
au fonctionnement du pouvoir ou à la production d
autres normes. Il y a donc
deux raisons de considérer que le droit de l
Union européenne relève de la
science du droit constitutionnel. D
une part, dans la mesure où ses normes sim-
posent dans les ordres juridiques nationaux, elle doit examiner les relations
qu
elles ont avec les normes nationales, quelles soient constitutionnelles, légis-
latives ou réglementaires (v.
infra no 695). Dailleurs lappartenance à lUnion
européenne a aussi des effets sur le droit constitutionnel interne des États, parce
que ces relations sont organisées non seulement par les traités, mais aussi par les
constitutions nationales et parce que l
adhésion à lUnion est subordonnée au
respect des garanties essentielles de l
État de droit et du gouvernement démo-
cratique. D
autre part, cet ordre juridique contient des règles relatives à lorga-
nisation et au fonctionnement du pouvoir, dont le contenu n
est pas sans res-
sembler à celles que l
on trouve dans nimporte quelle constitution étatique
(Gaudin et Rousseau, 2008). À cet égard, l
Union européenne avait une consti-
tution bien avant qu
on songeât à donner ce nom aux dispositions du traité signé
à Rome le 29 octobre 2004 (« Traité établissant une Constitution pour lEu-
rope »), mais dont la ratification a été refusée en 2005 par les électeurs français
et néerlandais, consultés par référendum.
En raison de ce refus, une nouvelle convention signée à Lisbonne en 2007
porte le titre classique de « traité » et a été expurgée de son vocabulaire « consti-
tutionnel ». C
est le traité de Lisbonne qui depuis son entrée en vigueur, le
1
er décembre 2009, détermine lorganisation et le fonctionnement de lUnion
européenne.
296. Préparation du projet. Dans la mesure, où le traité de Lisbonne
reprend l
essentiel des dispositions du projet de traité constitutionnel, il est
utile d
examiner les conditions dans lesquelles celui-ci a été élaboré.
La construction européenne est née de la volonté de mettre fin aux guerres
qui ont ravagé l
Europe pendant des siècles, spécialement pendant la première
moitié du
XXe. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lidée est née
surtout chez les chrétiens démocrates, qui étaient au pouvoir dans les années
1950 dans plusieurs pays de l
Europe occidentale quon ny parviendrait
quen créant entre les États une solidarité objective par la formation de commu-
nautés économiques. Cette création a été réalisée au moyen d
une série de trai-
tés. Par le premier fut instituée en 1950, entre six États (l
Allemagne, la France,
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Droit constitutionnel
lItalie et les trois pays du Benelux, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxem-
bourg), une Communauté Européenne du Charbon et de l
Acier (CECA).
Puis, en 1957 furent créées la Communauté Européenne de l
Énergie Atomique
(Euratom) et la Communauté Économique Européenne (CEE) qui avait un objet
beaucoup plus général puisqu
elle concernait la circulation des marchandises,
des services et des capitaux.
Ces traités furent modifiés au fil des années de manière à renforcer la coo-
pération et à réaliser selon une formule plusieurs fois répétée « une union sans
cesse plus étroite », c
est-à-dire le transfert à lUnion de compétences toujours
plus nombreuses, y compris dans des matières non économiques, et la transfor-
mation des procédures pour permettre l
adoption dans plusieurs domaines de
décisions non plus à l
unanimité des États mais à la majorité qualifiée. Les prin-
cipaux de ces traités ont été :
le traité de Paris, conclu en 1951 entre six États de lEurope occidentale
(la France, l
Allemagne, lItalie, la Belgique et le Luxembourg) et instituant une
communauté du charbon et de l
Acier ;
Le traité de Rome de 1957 créant une Communauté économique euro-
péenne (CEE) entre ces mêmes six États afin de réaliser un « Marché commun »
permettant la libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux ;
LActe unique européen signé à Luxembourg en 1986 qui élargit les
compétences communautaires à de nouveaux domaines. Les États membres
étaient désormais au nombre de 12 ;
Le traité de Maastricht de 1992, dont la ratification par la France a été
autorisée par référendum, qui fusionne la Communauté économique européenne
et la CECA, crée une citoyenneté européenne et une monnaie unique gérée par
une Banque centrale européenne et étend les compétences de la Communauté à
de nouveaux domaines : éducation, formation professionnelle, culture, santé
publique, protection des consommateurs, réseaux transeuropéens de transport,
politique industrielle, services (eau, énergie) et environnement ;
Le traité dAmsterdam, signé en 1997, qui ébauche une réforme des Ins-
titutions européennes en vue de l
adhésion des pays dEurope centrale et orien-
tale (PECO) ;
Le traité de Nice de février 2001 poursuit la réforme des institutions
rendue nécessaire par l
adhésion des PECO et la perspective dune Union à
27, au sein de laquelle il serait difficile de prendre des décisions si l
unanimité
était exigée et si chaque État disposait ainsi d
un droit de veto. Le traité étendait
à de nouvelles matières la possibilité de décider à la majorité qualifiée et modi-
fiait le système de pondération des voix entre les États.
La « constitution européenne » qui a été rejetée par le referendum par les
électeurs français et néerlandais, mais dont l
essentiel a été repris dans le traité
de Lisbonne signé en 2007 et ratifié en France non plus à la suite dun référen-
dum mais par la voie parlementaire.
Néanmoins, le traité de Nice navait pas fait disparaître les difficultés. cer-
taines étaient pratiques (vote à l
unanimité dans plusieurs domaines, poids et
rôles respectifs des grands et des petits États, répartition des compétences
entre lUnion et les États), mais dautres tenaient aux principes : nature des rap-
ports que l
Union peut entretenir avec les États, caractère peu démocratique du
processus de décision, rapports entre les divers organes de l
Union.
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LUnion européenne
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Cest en grande partie en raison de ces ambiguïtés que le Conseil européen,
représentant alors quinze États, décida lors de sa réunion de Laeken en Belgique
au mois de décembre 2001, de convoquer une « Convention » chargée de réflé-
chir aux possibles réformes du fonctionnement de l
Union européenne.
Lemploi du terme même de « convention » montrait bien la volonté de pro-
duire une règle qui présenterait des analogies avec les constitutions étatiques. Il
désignait en effet au
XVIIIe siècle une autorité chargée de préparer une Constitu-
tion, comme la convention de Philadelphie, qui élabora en 1787 la Constitution
des États-Unis ou la Convention nationale, qui adopta en France la Constitution
de 1793, puis celle de 1795.
La Convention était composée dune centaine de personnes, la plupart repré-
sentant les chefs d
État ou de gouvernement et les parlements des États mem-
bres, ainsi que les chefs d
État ou de gouvernement et les parlements des pays
candidats à l
adhésion, les autres représentant le Parlement européen et la Com-
mission européenne. Elle était présidée et animée par l
ancien Président de la
République française Valéry Giscard d
Estaing.
La Convention a déposé son projet au mois de juin 2003. La rencontre das-
pirations profondément différentes avait conduit à des compromis et si certaines
solutions pratiques ont été trouvées en vue d
une simplification dans lorgani-
sation et le fonctionnement des institutions, elles n
ont pas permis de dissiper
les difficultés et les ambiguïtés théoriques.
En réalité, le traité constitutionnel présentait un double caractère. Dune
part, il réalisait effectivement une consolidation et une rationalisation de dispo-
sitions complexes et éparses dans plusieurs traités. C
est ainsi quil apportait
une clarification des procédures et de la répartition des compétences. Mais d
au-
tre part, il comportait des dispositions innovantes à la fois par rapport aux traités
antérieurs et par rapport à celles que l
on trouve dans la plupart des constitu-
tions des démocraties libérales. L
une de ces innovations résidait dans linser-
tion de la charte des droits fondamentaux, qui devenait la partie II du traité.
Cette charte avait été adoptée antérieurement, mais son insertion dans le traité
lui donnait une valeur obligatoire qu
elle navait pas jusque-là.
Par ailleurs, de nombreux commentateurs étaient frappés par la présence
d
une troisième partie,
le fonctionnement de
intitulée « les politiques et
l
Union », qui, sans doute, reprenait pour lessentiel des dispositions des traités
antérieurs, mais dont la présence, si elle se comprend dans un traité qui crée une
organisation internationale, était étrange dans une « constitution », dans la
mesure où une constitution est censée instituer des autorités qui adopteront
des politiques et non pas déterminer ces politiques à l
avance.
Ce projet de traité a été soumis par le président de la convention à une
conférence intergouvernementale, signé par les différents États, après quelques
modifications mineures et il devait être ratifié conformément aux procédures
prévues par les constitutions nationales. Certains États ont soumis le projet à
leur parlement, d
autres au référendum, soit parce que la constitution le leur
imposait, soit parce que les gouvernants ont estimé que cette procédure était
justifiée par limportance de la décision et le fait que le traité était difficilement
amendable (un traité ne peut être révisé qu
à lunanimité). Lorsque le référen-
il pouvait selon le cas être obligatoire ou simplement
dum était prévu,
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Droit constitutionnel
consultatif (comme en Grande-Bretagne), cest-à-dire que le traité aurait pu en
principe être ratifié même dans l
hypothèse dun vote négatif.
La ratification fut autorisée dans plusieurs États (une douzaine), mais après
le rejet du projet en France et aux Pays-Bas, d
autres États, notamment lAngle-
terre ont suspendu le processus.
Cependant, en raison de lélargissement de lUnion européenne, qui
comptait désormais vingt-sept États, il était devenu difficile de faire fonctionner
les institutions et une réforme semblait s
imposer. On sest donc orienté vers la
négociation d
un traité dit « simplifié », mais qui nest en réalité pas plus simple
que l
ex traité constitutionnel. Ce traité fut signé à Lisbonne le 13 décembre
2007. Il reprenait l
essentiel des dispositions institutionnelles du traité constitu-
tionnel, à l
exception bien entendu de quelques termes symboliques et notam-
ment du mot « constitutionnel ».
297. La ratification. Le traité de Lisbonne fut à son tour soumis à la rati-
fication.
En France, conformément à larticle 54 de la Constitution, il fut soumis au
Conseil constitutionnel, qui décida le 20 décembre 2007 que, comme plusieurs
de ceux qui l
avaient précédé, il ne pouvait être ratifié quaprès révision de la
Constitution. Le choix de la procédure de ratification ne laissait pas d
être
embarrassant : d
un côté, il était difficile de refuser le recours au référendum
pour un traité d
une telle importance politique et de paraître faire bon marché
de la volonté exprimée par les électeurs en 2005 ; d
un autre côté, il était tout
aussi difficile de soumettre à nouveau au référendum un texte qui ne présentait
pas de différence fondamentale avec le traité constitutionnel. C
est la crainte
d
un résultat identique qui la emporté et la procédure de ratification a été par-
lementaire de bout en bout.
Le projet de révision constitutionnelle a été soumis par le Président de la
République conformément à l
article 89 aux deux assemblées, puis au Congrès,
qui l
a adopté, modifiant ainsi modifié le titre XV de la constitution « de
l
Union européenne ». Puis, le Parlement a adopté le 13 février 2008 une loi
autorisant la ratification du traité. Cette loi n
a pas été soumise au Conseil
constitutionnel.
Le référendum a été également évité dans les autres États, qui ont approuvé
la ratification par la voie parlementaire, sauf en Irlande, où la Constitution l
im-
posait et où le projet a été rejeté le 13 juin 2008. Le traité de Lisbonne ne pou-
vait entrer en vigueur qu
après avoir été ratifié par tous les États. Un nouveau
référendum sur la ratification d
un traité légèrement modifié a donc été organisé
en Irlande le 2 octobre 2009 et, cette fois, le oui l
a emporté. Le traité a donc pu
entrer en vigueur le 1er décembre 2009.
Le processus de ratification fut également ralenti en Allemagne, où la Cour
constitutionnelle ne l
a autorisé que sous réserve que soient préservées les com-
pétences du Parlement allemand (cf.
supra no 234).
298. Le traité de Lisbonne. Tous les autres États européens, à lexception
de lIrlande, ont choisi eux aussi la voie parlementaire et ont effectivement sou-
mis à leurs parlements le projet de loi autorisant la ratification du traité. Néan-
moins, celui-ci ne put entrer immédiatement en vigueur en raison d
une part du
Page 291
LUnion européenne
291
refus irlandais et dautre part du fait que, dans certains pays, notamment en
Allemagne, les citoyens avaient saisi la cour constitutionnelle de la compatibi-
lité du traité avec la Loi fondamentale. Les chefs d
État de ces pays devaient
donc attendre les décisions des cours pour procéder à la ratification. La Cour
allemande s
est prononcée le 30 juin 2009. Elle a considéré que si le traité
était compatible avec la Constitution, il importait, en raison du « déficit démo-
cratique structurel de l
Union européenne » den suspendre la ratification jus-
qu
à ladoption dune loi renforçant les pouvoirs du Parlement allemand dans
le processus d
adoption des lois européennes. Le traité a finalement été ratifié et
est entré en vigueur le 1
er décembre 2009.
À la différence du traité constitutionnel, le traité de Lisbonne ne se substitue
pas aux traités antérieurs, qui restent en vigueur et se borne à les modifier sur
certains points
1. Cest ainsi qua été supprimée la troisième partie, qui définis-
sait le contenu des politiques, ainsi que la disposition qui proclamait la supré-
matie du droit de l
Union européenne sur le droit national, y compris constitu-
tionnel. Toutefois, plusieurs des principes, qui ne figureraient pas dans le traité
simplifié, continueraient de s
imposer, soit parce quils ont été énoncés par la
Cour de Luxembourg, dont la jurisprudence n
est pas remise en cause, soit
parce qu
ils feraient lobjet de protocoles additionnels au traité. Sans oublier
les traités plus anciens qui demeureraient en vigueur. En dehors des dispositions
institutionnelles, les modifications principales portent sur la garantie des droits
fondamentaux. La charte des droits fondamentaux adoptée en 2007 acquiert
désormais une valeur juridique contraignante et le traité prévoit en outre l
adhé-
sion de l
Union européenne à la Convention européenne des droits de
l
Homme.
Section 1
Les institutions
299. Pour ce qui concerne les institutions, le traité de Lisbonne ne diffère du
traité constitutionnel que sur quelques détails. Elles sont présentées ici dans la
version la plus récente.
§ 1. Le Parlement européen
300. Le Parlement européen est élu au suffrage universel direct et composé
au maximum de 751 députés élus dans le cadre des États de façon « dégressive-
ment proportionnelle » à leur population, c
est-à-dire que les grands États ont
proportionnellement moins de députés que les petits. Il est à noter que le
mode de scrutin est déterminé par les États et qu
il peut donc varier dun État
à l
autre (article 14 TUE).
On trouvera la version consolidée du traité sur lUnion européenne sur le site http : //eurlex. europa.
1.
eu/LexUriServ/LexUriServ. do ? uri=OJ : C : 2008 : 115 : 0001 : 01 : FR : HTML. Les numéros darti-
cles sont cités selon la version consolidée.
Page 292
292
Droit constitutionnel
Les traités lui ont attribué des compétences qui voudraient évoquer celles
des parlements nationaux, mais d
où découlent des pouvoirs, certes réels, mais
beaucoup plus faibles. Comme les parlements nationaux, il a un pouvoir de pro-
duction normative et une fonction de contrôle.
En premier lieu, il participe à lexercice du pouvoir législatif, mais de façon
très limitée. Il na en effet pas linitiative qui nappartient quà la Commission
(article 294 TUE). Il peut seulement demander à la Commission de lui soumet-
tre des projets.
Les projets doivent être adoptés par le Parlement et le Conseil, qui apparais-
sent ainsi comme les équivalents des deux chambres dans un Parlement éta-
tique. Le traité organise d
ailleurs en cas de désaccord une procédure de conci-
liation analogue à celle qui existe entre les deux chambres d
un Parlement
bicaméral, comme la commission mixte paritaire prévue par l
article 45 de la
constitution française.
Cependant, si le projet présenté par la commission est adopté par le Conseil,
le Parlement ne peut le rejeter qu
à la majorité absolue. Il peut certes adopter
des amendements, toujours à la majorité absolue, mais ceux-ci doivent être
transmis à la Commission avant d
être examinés par le Conseil. En cas davis
favorable de la Commission, ils peuvent être adoptés par le Conseil à la majorité
qualifiée, mais en cas d
avis défavorable, il faut lunanimité du Conseil. La
commission dispose ainsi sur les amendements d
un véritable droit de veto dif-
ficilement surmontable.
Lorgane du pouvoir législatif européen apparaît alors comme un organe
complexe analogue à ceux des systèmes constitutionnels de la fin du
XVIIIe et
du début du
XIXe siècles, qui organisaient une balance de trois pouvoirs légis-
latifs, dont le consentement était nécessaire à l
adoption dune loi (cf. no 323). Le
Parlement européen, loin d
être lorgane du pouvoir législatif, nen est quune
composante, dont la puissance est comparable non à celle des parlements natio-
naux, mais à celle de la chambre des représentants de la charte de 1814, qui
navait pas non plus linitiative des lois » 2.
Le Parlement européen a dautre part une fonction de contrôle de la Com-
mission. C
est le Conseil européen qui propose à la majorité qualifiée un candi-
dat au poste de président de la Commission. Cette proposition doit être précédée
de consultations avec des représentants du Parlement et tenir compte du résultat
des élections. La candidature doit alors être approuvée par le Parlement à la
majorité absolue. Les autres membres de la commission, ainsi que le président
de l
Union, sont nommés par le Conseil européen sur proposition des États,
mais après un vote d
approbation du Parlement.
Dautre part, le Parlement peut adopter une motion de censure contre len-
semble de la Commission, qui est alors tenue de démissionner, mais elle doit
réunir la majorité des deux tiers des suffrages exprimés et la majorité absolue
des membres. Depuis l
origine, aucune motion de censure na pu aboutir. Cepen-
dant, la menace d
une motion de censure peut suffire. Cest ainsi que, en 1999,
la Commission Santer a préféré démissionner plutôt que de risquer la censure.
Ainsi, aux termes de larticle 15 de la Charte de 1814, « art. 15. - La puissance législative
2.
sexerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements ;
art. 16 : le roi propose la loi ».
Page 293
LUnion européenne
293
Il est cependant prématuré de voir dans cette démission le début dune évolution
vers le régime parlementaire, car ce qui était reproché à la commission n
était
pas une orientation politique différente de celle de la majorité du Parlement,
mais des fraudes financières dont étaient soupçonnés certains commissaires que
le président n
avait dailleurs pas le pouvoir de révoquer.
§ 2. Le Conseil européen
301. Le Conseil européen semble avoir été conçu comme léquivalent du
chef de l
État dans un régime parlementaire dualiste. Il na que très peu dattri-
butions propres et est chargé de donner les grandes orientations. Il est composé
des chefs d
États ou de gouvernement (selon que les constitutions nationales
attribuent un rôle important à l
un ou à lautre). Il élit, mais pas nécessairement
en son sein un Président du Conseil européen, qui n
a pas dattributions pro-
pres, mais dont on pense qu
il jouerait le rôle du chef dÉtat dun régime parle-
mentaire, c
est-à-dire quil préside le conseil, organise et prépare son travail et
représente l
Union sur le plan extérieur (article 15).
Dans le traité constitutionnel, le Conseil comprenait également un ministre
des Affaires étrangères de l
Union. Le terme de « ministre » étant trop proche
de celui qu
on emploie pour désigner les membres des gouvernements étatiques,
il a été remplacé par celui de « haut représentant de l
Union pour les affaires
étrangères et la politique de sécurité ».
Dans la plupart des cas, le Conseil européen, qui se réunit en principe une
fois par trimestre, ne vote que sur certains types de questions, et prend la plupart
de ses décisions par consensus.
Il ne faut pas confondre le Conseil européen avec le Conseil tout court, qui
correspond à l
actuel « Conseil de lUnion européenne » et au « Conseil des
ministres » du traité constitutionnel.
§ 3. Le Conseil
302. Si on ne lui a pas donné le nom de Conseil des ministres, cest pour
éviter de le confondre avec un organe d
exécution et parce quil partage avec le
Parlement européen le pouvoir législatif et budgétaire.
Il est composé dun représentant par État ayant rang de ministre, qui est
désigné selon la matière à l
ordre du jour. À la différence de la plupart des
conseils des ministres des États membres, le Conseil de l
Union européenne
décide par vote et, dans les cas les plus nombreux, le vote doit intervenir à la
majorité qualifiée selon le système dit de la « double majorité » (article 16
TUE) : une proposition ne peut être adoptée que si elle réunit au moins 55 %
des membres du Conseil représentant au moins 65 % de la population de
l
Union. Cette disposition interdit à la fois aux grands États de décider seuls et
aux petits de se coaliser contre les grands. Elle ne sera applicable qu
à partir
de 2014.
Page 294
294
Droit constitutionnel
§ 4. La Commission européenne
303. La Commission européenne est le véritable équivalent dans lUnion
européenne d
un gouvernement dans le cadre national. Comme les gouverne-
ments nationaux, elle est chargée de lapplication du droit européen. Mais ses
pouvoirs sont par certains aspects plus et par dautres moins importants. Dune
part, en effet, elle dispose non seulement de l
initiative des lois, mais même
dans la plupart des cas d
un monopole de linitiative, ce qui signifie quelle
doit être considérée comme coauteur de la loi, puisqu
une loi ne peut être adop-
tée si elle ne l
a pas proposée. De même, elle a linitiative des négociations en
vue de conclure des conventions internationales avec des États tiers ou des orga-
nisations internationales et conduit ces négociations sous le contrôle du conseil,
les conventions sont alors conclues par le conseil, l
approbation du Parlement
étant requise pour les plus importantes. Une fois conclues, les conventions
lient les États membres (article 216 TUE). Mais d
autre part, elle ne dispose
pas comme les gouvernements nationaux d
une administration chargée dexécu-
ter les lois, de sorte que l
exécution incombe en réalité principalement aux États.
La grande difficulté qu
a dû affronter la Convention chargée de préparer la
Constitution de l
Union européenne tenait à la structure et à la composition de
la Commission avec le souci de préserver autant que possible l
égalité des États
et donc d
assurer une représentation de chacun deux, mais sans pour autant
mettre les grands à la merci d
une coalition des petits ni créer le risque de blo-
cages. Dans l
Union à 15, chaque État pouvait désigner un commissaire, mais
avec l
élargissement à 25 et plus, une commission trop nombreuse ne pourrait
pas fonctionner efficacement. Aussi
le nombre des commissaires sera-t-il
ramené à partir de novembre 2014 aux deux tiers des États membres, choisis
selon un système de rotation. Jusqu
à cette date, cest le système actuel qui
s
applique, cest-à-dire que chaque État désigne un commissaire.
Larticle 17 indique que les commissaires sont choisis selon un système dit
de « rotation égalitaire », peut-être parce qu
elle nest pas parfaitement égali-
taire. Il s
agissait déviter lhypothèse dune commission composée uniquement
de commissaires provenant d
États petits ou moyens, qui forment les deux tiers
et d
où les grands États comme le Royaume-Uni, lAllemagne et la France
seraient exclus. Il est donc précisé que les deux tiers doivent refléter l
éventail
démographique et géographique de l
ensemble des États membres. Mais il en
résulte que certains petits États pourront être à certains moments au moins
exclus du processus de décision. Telle était d
ailleurs lun des sujets dinquié-
tude des partisans du non au référendum irlandais.
Le président de la Commission est élu par le Parlement sur proposition du
Conseil européen et la Commission est collectivement responsable devant le
Parlement.
Quant aux autres membres, ils sont choisis par le président en accord avec le
Conseil européen sur la base de suggestions faites par les États.
Le rôle du Président de la Commission et ses rapports avec le Président du
Conseil européen, comme dailleurs le principe même de la dualité, ont donné
lieu à certains des débats les plus difficiles au sein de la convention et aux cri-
tiques les plus vives à l
extérieur.
Page 295
LUnion européenne
295
§ 5. La Cour de justice (CJUE)
304. La Cour de justice des Communautés européennes, qui siège à Luxem-
bourg, a joué un rôle considérable dans le développement du droit européen.
Elle est composée de vingt-sept juges (un par État), nommés pour six ans
mais le mandat est renouvelable par les gouvernements des États. Cest la
Cour qui élit son président. En raison de l
accroissement considérable du nom-
bre des affaires, il a fallu créer un tribunal de première instance, dont les déci-
sions peuvent faire l
objet dun pourvoi devant la Cour. Elle est saisie de tous
les litiges nés de l
application du traité, soit par les institutions de lUnion, soit
par les États. Les particuliers peuvent, dans certains cas, saisir le tribunal de
première instance mais les recours les plus fréquents sont ceux dits « préjudi-
ciels », c
est-à-dire formés par les tribunaux nationaux lorsquils ont un doute
sur une question d
interprétation des traités. Sa jurisprudence a tendu à renfor-
cer considérablement le rôle de l
Union européenne. Elle a notamment affirmé
la prééminence du droit communautaire sur les droits nationaux et utilisé une
technique semblable à celle qui dérive de la théorie des compétences implicites
de la Cour suprême américaine pour accroître les pouvoirs de l
Union.
Les autorités européennes produisent des normes en grande quantité, qui
sont de plusieurs types. Les principales sont les règlements et les directives.
Les règlements sont des prescriptions générales, obligatoires pour tous : les
États, les institutions européennes elles-mêmes, les particuliers. Elles sont direc-
tement applicables sur le territoire des États, sans que ceux-ci aient à les trans-
poser dans leurs ordres juridiques respectifs.
Les directives déterminent des objectifs et laissent aux États une certaine
marge d
appréciation dans le choix des moyens pour les réaliser, y compris
dans le choix de la forme juridique utilisée. Il leur faudra notamment faire adop-
ter par les autorités nationales des lois ou le cas échéant des règlements destinés
à « transposer » les directives. Lapplication des directives est une obligation et
les États doivent d
ailleurs communiquer à la commission les mesures adoptées.
Cette obligation peut d
ailleurs trouver son fondement non seulement dans les
traités, mais aussi dans la constitution nationale, comme c
est le cas en France,
où elle dérive des articles 88-1 et suivants. Une loi dont le contenu serait
contraire à celui d
une directive constituerait donc un manquement à une obli-
gation internationale, de nature à justifier une condamnation de la France par la
CJUE, mais elle serait également inconstitutionnelle.
Ces normes générales sapparentent donc à des lois.
Section 2
Les compétences
305. Il importe de distinguer les compétences de lUnion envisagées par rap-
port à celles des États et les compétences respectives des différentes autorités de
l
Union européenne.
Page 296
296
Droit constitutionnel
Sagissant des premières, on sest efforcé de rationaliser la répartition des
compétences à la manière des constitutions fédérales au moyen de deux listes.
La première liste contient les compétences dites exclusives, c
est-à-dire celles
qui, dès lors qu
elles ont été attribuées à lUnion ne peuvent plus être exercées
par les États.
La seconde liste concerne les compétences partagées avec les États. Dans
ces domaines l
Union nintervient que si et dans la mesure où, en vertu du prin-
cipe de subsidiarité, elle est mieux à même que les États d
atteindre les objectifs
d
une action donnée. Les États ne peuvent intervenir dans ces domaines que si
l
Union na pas exercé sa compétence ou a cessé de lexercer.
Quant aux compétences respectives des différentes autorités de lUnion
européenne, elles concernent la production des normes européennes. Ces auto-
rités produisent des normes de types et de forces divers, correspondant sur le
plan national aux lois et aux règlements d
application.
Le projet de traité constitutionnel, sans apporter de bouleversement, simpli-
fiait la présentation et la terminologie des normes posées par les autorités de
l
Union. La convention sefforçait en même temps, sur ce point, comme sur
d
autres, de rapprocher cette terminologie de celle des constitutions nationales.
Les actuels règlements devenaient des « lois » et les directives des « lois
cadres » mais cette terminologie a été abandonnée à Lisbonne.
Section 3
Quelques problèmes constitutionnels liés
à la construction européenne
306. La plupart des problèmes constitutionnels et dailleurs les problèmes
politiques rencontrés par la construction européenne remontent au début de
l
Union, mais ils sont devenus plus aigus au fur et à mesure que saccroissaient
les compétences et le nombre des États membres et naissent souvent d
aspira-
tions contradictoires.
Certains voudraient accroître lefficacité, le degré dintégration, les compé-
tences ou le caractère démocratique des procédures de décisions au sein de
l
Union, mais cette ambition se heurte à la volonté de préserver les intérêts
nationaux essentiels et la souveraineté, donc la maîtrise des politiques par les
instances démocratiques des États.
§ 1. Le fédéralisme
307. Aujourdhui lUnion européenne nest pas un système fédéral et doit
être considérée comme une confédération, quoiqu
elle présente évidemment
Page 297
LUnion européenne
297
un degré dintégration et dispose dune somme de compétences beaucoup plus
importante que toutes les autres confédérations de l
Histoire (v. supra no 69)3.
Certains souhaitent cependant renforcer cette intégration et faire évoluer
l
Union vers un système fédéral. Dautres entendent au contraire préserver les
souverainetés nationales.
À vrai dire, on peut considérer que certains caractères du fédéralisme sont
d
ores et déjà présents : la répartition des compétences entre lUnion et les États,
l
application directe du droit communautaire sur le territoire des États, lexis-
tence d
organes propres qui ne sont pas lémanation des États et ne les repré-
sentent pas, comme le Parlement européen, l
existence dorganes qui, comme le
Conseil européen sont formés de représentants des États et leur permettent de
participer à la formation des décisions collectives ou encore le monopole de
l
interprétation des traités à lUnion plutôt quaux États grâce à la juridiction
obligatoire de la Cour, alors que dans les autres organisations internationales
le recours au juge est généralement facultatif. L
Union est même capable de
négocier des conventions internationales comme le ferait un État et rien ne s
op-
pose à ce qu
elle se dote dune armée.
Pourtant elle se distingue de lÉtat fédéral par deux traits que lon peut en
réalité ramener à un seul.
Dune part, les compétences de lUnion lui ont été attribuées par un traité et
non par une constitution et ses compétences sont limitées à celles qui sont énu-
mérées dans les traités. Sans doute, les compétences accordées à un État fédéral
paraissent-elles limitées elles aussi à celles qui sont énumérées dans la constitu-
tion, mais l
État fédéral est maître de modifier sa constitution et daccroître ses
compétences. La procédure pour le faire peut être plus ou moins difficile à mettre
en
œuvre, mais un seul État membre ne pourrait sopposer à la révision. Cest
pour désigner cette capacité de déterminer ses propres compétences que les juris-
tes allemands du
XIXe siècle avaient créé le terme de « Kompetenz-Kompetenz »,
la compétence de la compétence, qui est l
une des marques de la souveraineté. Au
contraire, les traités européens ne pourraient être modifiés que conformément aux
règles de révision des traités, c
est-à-dire par la volonté unanime des parties.
Dautre part, dans un État fédéral, le droit fédéral lemporte sur le droit des
États. Dans l
Union européenne, il est impossible de répondre simplement à la
question de savoir si le droit européen prévaut sur les droits nationaux. Il faut
distinguer le point de vue du droit européen et celui du droit national. Du point
de vue du droit européen, tel qu
il est exprimé par exemple par la Cour de justice,
c
est le droit européen qui prévaut sur toutes les normes nationales. Au contraire,
du point de vue des droits nationaux, au moins dans certains États comme la
France, cest le droit constitutionnel national qui lemporte. Il ne faut cependant
pas comprendre cette différence comme lopposition de deux théories dont lune
serait vraie et l
autre fausse ou comme une simple rivalité de deux droits qui saf-
frontent jusqu
à ce que lun deux parvienne à triompher de lautre. Il sagit en
réalité de deux logiques opposées, dont chacune est parfaitement cohérente et qui
donnent d
ailleurs au terme de « prévalence » des sens différents.
LEBEN Ch., Fédération dÉtats-Nations ou État fédéral ?, in JOERGES C., MÉNY Y., WEILER J.
3.
(éd.) 2000.
Page 298
298
Droit constitutionnel
Du point de vue de la Cour de justice, la prévalence signifie que les États sont
soumis en raison des traités à des obligations auxquelles ils ne peuvent se sous-
traire en invoquant une norme nationale, même une norme constitutionnelle.
Du point de vue du droit national, la prévalence signifie dabord que si les
traités l
emportent sur des normes nationales, cest parce quune norme natio-
nale lordonne en général cette norme est une norme constitutionnelle,
comme les articles 55 et 88-1 de la Constitution française (v.
infra no 494).
Dans la plupart des États, le droit constitutionnel national organise la primauté
du droit européen sur les normes de niveau législatif, mais non sur le droit
constitutionnel lui-même. Les juges nationaux peuvent donc affirmer la supré-
matie de la constitution sur le droit européen. La Cour suprême du Danemark
a ainsi décidé que toute décision d
une organisation internationale elle visait
l
Union européenne qui serait contraire à la constitution
naturellement
danoise serait inapplicable. Ils peuvent aussi considérer au terme d
une inter-
prétation portant sur le statut des énoncés qu
une norme, initialement émise en
forme législative, a en réalité une valeur constitutionnelle.
Par ailleurs, comme lÉtat est libre de modifier sa Constitution à sa guise,
il peut abroger la norme qui accorde la primauté au droit communautaire.
Ainsi, la constitution française organise dans son titre XV, tel qu
il est inter-
prété par le Conseil constitutionnel, la primauté du droit de l
Union euro-
péenne sur ses propres dispositions et elle va ainsi, dans sa relation avec l
Eu-
rope, bien au-delà de l
article 55, qui fait seulement prévaloir les traités sur les
lois, mais elle ne peut s
interdire de revenir un jour sur cette primauté. Le
pouvoir constituant national peut donc toujours adopter un nouveau texte
affirmant la primauté de la constitution.
La dualité des points de vue implique quun même acte peut être considéré
comme licite du point de vue du droit national et illicite du point de vue du droit
européen. Un État peut ainsi être condamné par la Cour de justice pour manque-
ment à une obligation au regard des traités, mais seuls les tribunaux nationaux peu-
vent annuler un acte juridique national irrégulier au regard du droit communautaire.
§ 2. La démocratie
308. Dans le cadre européen, cest le Parlement quon présente comme lins-
tance démocratique, puisqu
il est élu au suffrage universel direct. Cette présen-
tation a toutefois été contestée par plusieurs arguments pratiques et théoriques.
On a fait valoir tout d
abord que les pouvoirs de ce Parlement sont limités,
puisqu
il na en matière législative quun droit de veto et que si ses membres
sont élus, lélection se déroule dans le cadre national et sur des enjeux qui sont
principalement nationaux. Elle a surtout valeur de test pour mesurer l
état des
forces politiques sur le plan strictement national.
On a pourtant voulu présenter la construction européenne comme un proces-
sus comparable dans une certaine mesure à celui qui a vu la naissance du parle-
mentarisme dans les États nations. En effet, dit-on, le Parlement est en mesure
d
exercer une influence importante dans la composition de la Commission,
donc indirectement sur la politique de l
Union. Cest lui en effet qui en élit le
Page 299
LUnion européenne
299
président, qui peut contraindre la commission à démissionner et qui peut sop-
poser à l
adoption des normes législatives et cest bien la raison pour laquelle le
Conseil, en proposant un candidat, doit tenir compte de la composition du Par-
lement telle qu
elle ressort des élections. Les partis politiques qui sont favora-
bles à une telle évolution vers le parlementarisme, parce qu
elle leur paraît por-
teuse de plus de démocratie et dune plus grande intégration européenne, ont
donc présenté au cours de la campagne pour les élections européennes de
2014 une tête de liste, susceptible en cas de victoire d
être nommée président
de la Commission, Martin Schulz, pour les socialistes, Jean-Claude Juncker
pour les conservateurs, c
est-à-dire le Parti populaire européen (PPE). Ce der-
nier ayant remporté les élections, c
est sur lui que le choix du Conseil sest
porté malgré l
opposition du Premier ministre britannique.
Plusieurs traits distinguent pourtant la situation du Parlement européen de
celle des Parlements nationaux à l
aube du parlementarisme. En premier lieu,
le Conseil propose un candidat à la présidence de la commission et ce candidat
doit être approuvé par le Parlement, mais cette procédure ne porte que sur la
présidence et non sur les autres commissaires, qui sont nommés, comme on
l
a vu, par le Conseil, sur des bases strictement nationales. La commission est
donc fort différente d
un exécutif, composé par un chef pour réaliser un pro-
gramme politique. D
autre part, si le traité prescrit au Conseil de tenir compte
de la composition du Parlement, il ne précise pas qu
il doit se laisser dicter le
choix par une majorité et ne prévoit aucune sanction s
il nen tient pas
compte. Or, certains gouvernements, notamment celui de la Grande-Bretagne,
sont très réticents à une telle évolution vers le parlementarisme et voudraient
nommer une personnalité qui n
a pas été élue au Parlement européen4.
Celui-ci n
a que peu de moyens pour contraindre le Conseil à proposer la per-
sonnalité souhaitée par sa majorité. Contrairement aux parlements nationaux au
XIXe siècle, il na pas le pouvoir de prélever des impôts car les ressources de
l
Union lui viennent des États membres. Il pourrait sans doute refuser délire
tout candidat présenté par le Conseil, voter la censure contre la commission ou
encore repousser le projet de budget, mais il est peu probable qu
il se trouve une
majorité assez cohérente et disciplinée pour aller jusque-là.
Du reste, un système parlementaire européen ne serait pas démocratique
pour autant. Les campagnes pour les élections européennes se déroulent sur
des thèmes qui sont avant tout nationaux et les résultats ne traduisent pas
et
ne le prétendent pas d
ailleurs pas
une volonté générale européenne. Au
le Parlement européen ne serait pas en mesure de l
exprimer,
demeurant,
puisque, bien qu
élu au suffrage universel direct, il nest que lun des éléments
du pouvoir législatif.
Au contraire, selon la théorie de la démocratie représentative, la légitimité
des Parlements nationaux ne leur vient pas seulement du suffrage universel,
mais de ce que la constitution en fait les organes uniques du pouvoir législatif
et le lieu d
expression de la volonté générale et du fait que les électeurs ont
conscience d
appartenir à un même peuple et de choisir par leur vote le contenu
dune politique.
4.
Cf. D. CAMERON : « M. Juncker na figuré sur aucun bulletin de vote », Le Monde, 13.06.2014.
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Droit constitutionnel
On a donc pu soutenir que tout renforcement des pouvoirs de lUnion se fait
au détriment des instances démocratiques nationales et cela de deux maniè-
res. D
une part, les parlements nationaux voient échapper de nombreux domai-
nes à la compétence de la loi. D
autre part, les lois européennes sont principa-
lement adoptées par le Conseil de l
Union européenne, cest-à-dire par des
personnalités qui représentent non les pouvoirs législatifs nationaux, mais les
exécutifs. Lintégration européenne est donc un moyen pour les exécutifs des
différents États de s
arroger une part de plus en plus importante du pouvoir
législatif national.
Sur un plan plus théorique, on observe surtout quil ny a pas de démocratie
sans un « demos », en d
autres termes que si la démocratie est définie comme le
pouvoir du peuple, il ne peut y avoir de démocratie européenne tant qu
il ny a
pas de peuple européen, c
est-à-dire une communauté de citoyens ayant une
identité et une conscience commune. Mais d
autres objectent que le peuple ne
préexiste pas à la constitution. En France par exemple, c
est lÉtat qui histori-
quement a forgé l
unité du peuple. Il nest même pas nécessaire que le peuple
présente une homogénéité ethnique, religieuse, linguistique ou même que ceux
qui le composent aient conscience de former un peuple, car il se définit seule-
ment juridiquement comme l
ensemble des individus soumis à un même ordre
juridique. En ce sens, il y aurait donc d
ores et déjà un peuple européen.
À vrai dire, les deux définitions du peuple ne se situent pas sur le même
plan, car la seconde est seulement juridique et n
a aucune conséquence quant
à la possibilité pour une démocratie de fonctionner réellement.
309. Le projet de traité constitutionnel proclamait le principe de la démocra-
tie représentative, mais n
instituait pas de nouvelles procédures sauf un droit de
pétition, dont la Commission décidait souverainement des suites législatives à
lui donner et n
énonçait aucun principe nouveau susceptible de justifier les pou-
voirs de lUnion au regard de la théorie démocratique.
Ni le traité constitutionnel, ni le traité de Lisbonne nont dailleurs résolu, ni
même clairement posé, les problèmes résultant de l
incompatibilité de la cons-
truction européenne avec les grands principes du constitutionnalisme classique.
Ainsi, bien qu
on ait renoncé à donner aux règles établies par les autorités de
l
Union le nom de lois, elles en ont la force et possèdent même une autorité supé-
rieure à celle des lois nationales. Or, tandis que les lois nationales sont l
expres-
sion de la volonté générale, les règles européennes, sont elles aussi l
expression
d
une volonté, mais on nindique pas quel est le sujet de cette volonté. Il ne peut
évidemment pas s
agir de celle des individus, membres du Conseil ou du Parle-
ment qui participent à son adoption, pas plus que les lois nationales ne peuvent
être considérées comme l
expression des volontés personnelles et subjectives des
parlementaires. Et lon ne peut prétendre comme on le fait pour les membres des
parlements nationaux que ces individus expriment la volonté d
un être quils
représentent, parce que les traités ne se réfèrent pas à un peuple ou une nation
européennes (Grimm, 1995).
Le traité de Lisbonne ne résout pas davantage les difficultés liées à la nature
juridique de lUnion et à la tension entre fédéralistes et antifédéralistes.
On note par exemple que, comme le traité constitutionnel, larticle 7 dispose
que « la délimitation des compétences de l
Union est régie par le principe
Page 301
LUnion européenne
301
dattribution ». Cest dire que lUnion européenne ne reçoit pas la capacité de
déterminer sa propre compétence.
En outre, comme toutes les conventions internationales, le traité sur lUnion
européenne ne peut être modifié par les organes de l
Union, mais seulement par
les États membres, conformément aux règles de révision des traités, c
est-à-dire
à lunanimité des États.
Sans doute avait-on tenté daller plus loin dans la voie de lintégration en
s
inspirant de certains principes du fédéralisme et en proclamant par exemple
à l
article I-6 du traité constitutionnel que « La Constitution et le droit adopté
par les institutions de l
Union, dans lexercice des compétences qui sont attri-
buées à celles-ci, priment le droit des États membres ».
Le traité de Lisbonne ne reprend pas cette disposition, qui figure pourtant
dans un protocole annexe. Cependant ce principe n
est pas nouveau et nest
que la formalisation de la jurisprudence de la Cour de justice et les juridictions
nationales l
interprètent en lui donnant pour fondement non pas les traités, mais
les constitutions nationales qui ordonnent d
appliquer les traités. Ainsi,
le
Conseil constitutionnel trouve le fondement de ce principe dans l
article 88-1
de la Constitution (v.
infra no 494), de sorte que le droit européen ne saurait
porter atteinte à des principes touchant à l
identité constitutionnelle de la France
et que le pouvoir constituant peut toujours modifier la constitution pour sous-
traire de nouveaux principes à la primauté du droit européen.
En définitive, une suprématie réelle ne pourrait être réalisée que si les États
admettaient que les normes du droit européen prévalent également sur leurs
constitutions, si la Cour de justice pouvait priver de validité une norme constitu-
tionnelle contraire au droit européen et si c
était lUnion qui déterminait les com-
pétences des États
et non linverse par une norme quelle serait en mesure de
modifier à la majorité, sans qu
un État puisse sy opposer, cest-à-dire si lUnion
européenne se transformait en un véritable État fédéral, ce qui semble relever
dun horizon éloigné.
Cependant, un nouveau pas a été franchi avec la signature au printemps
2012 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, aussi appelé
pacte budgétaire européen, par lequel les États acceptent une nouvelle limitation
de leur autonomie. Ils s
engagent en effet à transposer dans leurs ordres juridi-
ques respectifs la règle d
équilibre budgétaire, dite aussi « règle dor », au
moyen de dispositions contraignantes « de préférence constitutionnelles », à
limiter leur déficit budgétaire sous le contrôle de la Commission européenne
et en cas de dépassement d
un certain seuil à se soumettre à des sanctions pro-
noncées par la Cour de Justice. Ce traité pourra être appliqué dès lors qu
il aura
été ratifié par au moins 12 des 25 États signataires.
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Troisième partie
Aperçu sommaire dhistoire
constitutionnelle de la France
311. La connaissance de lhistoire constitutionnelle française est indispen-
sable non seulement pour la compréhension du régime actuel, mais parce que
la France a connu des constitutions très diverses et offre ainsi un véritable labo-
ratoire à la science du droit constitutionnel. On peut grâce à elle, élaborer des
typologies, comprendre la formation des concepts essentiels du droit constitu-
tionnel, analyser les relations entre les discours sur le droit positif et le droit
positif lui-même, comprendre les contraintes qui s
exercent sur la production
ou l
interprétation des normes constitutionnelles et les mécanismes de la trans-
formation des systèmes. Assurément il n
est pas possible ici détudier dans le
détail chacune des constitutions qui se sont succédé en France, mais on peut du
moins retracer les grandes lignes de cette évolution (Chevallier et Conac, 2001 ;
Morabito, 2008).
312. Instabilité constitutionnelle et continuité de lévolution politique.
De 1789 à 1958 la France a connu quinze constitutions écrites, et même ce
chiffre est-il inférieur au nombre réel des régimes qui se sont succédé car cer-
taines périodes de l
histoire furent vécues en dehors de toute constitution
(Comité de salut public en 1793, gouvernements provisoires de 1848 et de
1870, régime de Vichy) et en outre les constitutions en vigueur furent parfois
modifiées si profondément que cette transformation fut à l
origine dun système
politique différent de celui que prévoyait la constitution initiale (par exemple
transformation de la constitution de 1852 à partir de 1860).
Malgré cette instabilité, cette histoire présente dincontestables éléments de
continuité. En effet, si les régimes ont changé, souvent les hommes sont restés
en place ; ainsi on retrouve sous l
Empire des conventionnels qui ont survécu à
la Terreur ; de même l
Assemblée nationale de 1871 comprenait des personna-
lités marquantes de la monarchie de Juillet. Ensuite certaines institutions sont
demeurées en place malgré le renversement des régimes politiques. Tel fut le
cas notamment du Conseil d
État et des grandes administrations. Enfin, on
constate que, des constitutions différentes ont adopté des règles semblables.
Ces similitudes s
expliquent assez bien par le fait que ces règles étaient dérivées
de principes généraux d
une grande stabilité. Il est remarquable que le grand
ouvrage de Carré de Malberg, sa contribution à la Théorie générale de l
État,
porte comme sous-titre « spécialement d
après les données fournies par le droit
constitutionnel français ». Il décrit en effet des principes formés sous la Révo-
lution française et qui, bien que les textes qui les énoncent, ne fussent plus en
vigueur à l
époque où écrivait Carré de Malberg (sous la IIIe République)
Page 306
306
Droit constitutionnel
constituaient cependant le fondement de validité des normes positives. Ces prin-
cipes faisaient donc encore partie du droit positif.
Il est parfaitement vain de chercher à dégager un « sens de lhistoire consti-
tutionnelle ». À moins de partager une foi dans un mouvement qui conduirait
nécessairement vers la démocratie ou vers toute autre forme de régime qui
constituerait le terme dune évolution programmée, il faut se borner à observer
et à décrire le mouvement réel des systèmes constitutionnels.
Page 307
Chapitre 1
Les constitutions de la Révolution
et de l
Empire
313. Cette période reproduit, en les enfermant dans un laps de temps très
court, toutes les vicissitudes de l
idée démocratique. Elle sinstalle dabord
sous une forme modérée, puis prétend s
appliquer intégralement, pour amener
l
inévitable réaction que marque le césarisme (Rémond, 1986).
Section 1
Lœuvre de lAssemblée nationale constituante
314. Pressé par les difficultés financières, Louis XVI convoqua les états
généraux qui se réunirent à Versailles, le 5 mai 1789. Ils n
avaient plus siégé
depuis 1614 ; leur réunion était donc une innovation, d
autant plus que le
régime des élections arrêté par lettre royale du 24 janvier 1789 avait doublé le
chiffre des représentants du tiers état.
Les électeurs arrivèrent chargés dun mandat inclus dans les cahiers qua-
vaient rédigés leurs commettants. Des cahiers se dégageaient quelques direc-
tives très nettes : dune part, maintien de la monarchie, dautre part, établisse-
ment de légalité entre les citoyens, enfin, rédaction dune constitution
susceptible de ramener, sur de nouvelles bases, l
ordre dans le Royaume.
Ainsi, tandis que le roi croyait avoir convoqué une assemblée consultative,
les électeurs entendaient qu
elle devînt une assemblée constituante. Cest à
ce v
œu que les États déférèrent le 17 juin, en se déclarant Assemblée natio-
nale, titre qui devint une réalité lorsque, le 27 juin, la noblesse et le clergé
décidèrent de rejoindre le tiers état.
Cest cette assemblée qui adopta la constitution du 3 septembre 1791, consti-
tution qui comprend deux documents : la Déclaration des droits de l
Homme et
du Citoyen, votée dès le 26 août 1789, et la constitution proprement dite.
§ 1. La Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen
de 1789-1791
315. Cest un préambule à la Constitution, dans lequel ses auteurs ont
entendu exposer les principes de philosophie politique sur lesquels leur
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308
Droit constitutionnel
œuvre sera fondée. Mais, dans leur esprit, il ne sagit pas détablir seulement
les droits des citoyens français, mais les droits de l
Homme en soi. Et cest
ce qui fait la portée universelle de la Déclaration.
316. Les sources. La Déclaration des droits se rattache au mouvement
philosophique du XVIIIe siècle. Mais ce mouvement lui-même nest quun
aboutissement dans lequel s
épanouit la doctrine individualiste dégagée du
christianisme par les théologiens du Moyen Âge et qui, à travers les doctrines
religieuses de la Réforme, puis par l
entremise des libertins du XVIIe siècle,
est parvenue à se cristalliser, plus ou moins déformée et enrichie, dans un
certain nombre de principes que les philosophes politiques du
XVIIIe siècle
reçurent comme des axiomes. À cet édifice doctrinal, il n
est pas un système
qui n
ait apporté sa pierre et il serait vain de rechercher ce qui revient à cha-
cun. Toutefois, on peut relever le rôle capital que joue l
idée que lhomme est
titulaire de droits inhérents à sa personne et, par conséquent, antérieurs
et supérieurs à l
État. Cette idée, cest celle quillustrèrent les représentants
de l
école du droit de la nature et des gens : Grotius, De jure belli ac pacis
(1625), Puffendorf, De jure naturae et gentium (1670), Wolff, Droit de la
nature traité suivant la méthode scientifique
(1740), Vattel, Droit des Gens
ou principes de la loi naturelle
(1758). Cette croyance, Rousseau, après
Locke, la rattache au contrat social qu
il fait admettre comme le point de
départ de toute réflexion politique. À Rousseau également les auteurs de la
Déclaration empruntent la définition de la loi, expression de la volonté géné-
rale, mais Rousseau lui-même procédait d
une philosophie plus ancienne, de
même que Montesquieu, dont la Déclaration adopte la règle négative de la
séparation des pouvoirs, ne faisait que systématiser les institutions anglaises
et les vues de Locke.
On voit quen réalité la Déclaration est davantage lexpression dun état
d
esprit que la consécration dune thèse particulière. Cest pourquoi, sans mini-
miser l
influence que purent avoir les déclarations placées quelques années plus
tôt en tête des constitutions des États particuliers de l
Union américaine, on doit
comprendre que, ce précédent n
eût-il pas existé, notre Déclaration eût cepen-
dant été rédigée. Jamais on n
eut conscience dune façon aussi claire de la nais-
sance d
un monde nouveau ; la Déclaration en était le programme nécessaire.
Dans la mesure où ils ne prévoyaient pas dinstituer un contrôle de la
constitutionnalité des lois, les auteurs de la Déclaration ne lui accordaient
aucune valeur juridique particulière. Le texte avait principalement pour
but, comme l
indique son Préambule, de servir de guide au législateur et de
standard pour évaluer l
action des gouvernants. Mais, en raison de son
contenu et de sa portée philosophique et politique, la Déclaration a acquis
peu à peu une grande autorité et dans de nombreux pays et en France
même récemment
une force juridique supérieure à celle des lois. Au
XXe siècle, la juridiction administrative en France a commencé de contrôler
la conformité des actes administratifs non seulement aux lois elles-mêmes,
mais aussi à des « principes généraux du droit », dont plusieurs étaient tirés
de la Déclaration. Puis, elle a exercé ce contrôle par rapport à certaines dis-
positions de la Déclaration elle-même. Enfin, depuis 1971, le Conseil consti-
tutionnel considère qu
une loi contraire au Préambule de la constitution, qui
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
309
renvoie à la Déclaration des droits de lHomme de 1789, est contraire à la
constitution et ne peut être promulguée. La Déclaration fait donc désormais
partie du « bloc de constitutionnalité » et possède la même valeur que la
constitution elle-même (v.
infra no 692 et 782).
317. Le contenu. Son texte très bref (17 articles), mais dune densité de
pensée et dune plénitude de style inégalées, se réfère à deux ordres didées :
1) Il énonce les règles que doivent respecter les institutions politiques : la
le
la séparation des pouvoirs (art. 16),
souveraineté nationale (art. 3 et 6),
consentement à l
impôt (art. 14) ;
2) Il affirme et définit les droits que lhomme tient de sa nature même et qui,
comme tels, échappent à l
emprise du pouvoir politique. Cest la partie de la
Déclaration qui a eu le plus d
influence, car cest en elle que se trouve exposée
la philosophie politique révolutionnaire.
Ces droits sont énumérés dans les articles 1 et 2 : « Les hommes naissent
libres et égaux en droit
. » ; « Le but de toute association politique est la conser-
vation des droits naturels et imprescriptibles de l
homme. Ces droits naturels
sont la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l
oppression. ».
Des définitions que la Déclaration donne de ces divers droits, se dégage la
conception individualiste de la société. Tout est prévu pour assurer la coexis-
tence des hommes avec le maximum d
indépendance pour chacun et pour limi-
ter les prérogatives de l
État. Mais rien nannonce la collaboration nécessaire de
tous les membres du groupe social en vue d
une fin qui les dépasse. On ne
relève aucune disposition sociale dans l
exposé de cette philosophie politique.
Elle établit seulement un statut négatif de l
individu.
§ 2. La Constitution du 3 septembre 1791
318. Lorganisation politique imaginée par les constituants de 1791 est la
mise en
œuvre dun certain nombre de principes qui, depuis cette époque, ont
pu être considérés comme les principes traditionnels de notre droit public, alors
même que la pratique leur infligeait de voyantes entorses.
Souveraineté nationale mise en œuvre par la représentation, séparation des
pouvoirs, suprématie de la constitution, telles sont les lignes directrices de la
Constitution de 1791. Nous les connaissons déjà dans leur portée générale
(v.
supra no 180) ; il sagit ici de voir comment notre première constitution
écrite les a interprétées (Godechot, 1998 ; Duclos, 1932 ; Troper, 1980 ;
Bacot, 1985).
A Souveraineté nationale et gouvernement représentatif
319. La souveraineté appartient à la nation qui constitue une personne juri-
dique distincte des individus qui la composent. Cela signifie que l
expression de
la souveraineté ne pourra être obtenue par laddition dun certain nombre de
volontés individuelles, mais par l
émission dune volonté valant comme celle
de la nation tout entière.
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310
Droit constitutionnel
Cette souveraineté présente un triple caractère :
elle est unique, cest-à-dire quelle ne connaît aucun partage et sexerce
sur toutes les personnes qui se trouvent sur le territoire ;
elle est indivisible, cest-à-dire que personne ne peut prétendre lexpri-
mer en vertu d
un titre personnel. Elle ne peut être exercée que par délégation et
alors chaque organe lexprime dans sa totalité. Cest la condamnation du fédé-
ralisme ;
elle est inaliénable et imprescriptible, cest-à-dire que le souverain ne
peut se dépouiller de son titre et que, par conséquent, chaque fois qu
il délègue
l
exercice de sa puissance, cette délégation est essentiellement précaire et révo-
cable.
Mais, comme il est dit dans la Déclaration des droits de lHomme, cest seu-
lement le
principe ou lessence de la souveraineté qui appartient à la nation, ce
qui signifie qu
elle ne peut lexercer et quelle doit nécessairement en déléguer
l
exercice à des représentants. Exercer la souveraineté, cest exercer la fonction
suprême, c
est-à-dire la fonction législative. Conformément à cette conception,
les organes détenteurs du pouvoir législatif, ceux qui expriment la volonté de la
nation ou volonté générale, sont donc des représentants. Concrètement, ces
organes seront au nombre de deux : un corps législatif élu et le roi, qui participe
par son droit de veto suspensif à la fonction législative. La Constitution l
in-
dique très clairement : «
les représentants sont le corps législatif et le roi »
(Titre III, article 3).
Il faut donc souligner deux points :
1
o La qualité de représentants nest pas liée à lélection. Le corps législatif
est élu, mais le roi ne l
est évidemment pas. Cette qualité est exclusivement
attachée au pouvoir d
exprimer la volonté générale, cest-à-dire à lexercice,
même partiel, du pouvoir législatif.
2o Corrélativement, le roi nest pas représentant en tant que titulaire du pou-
voir exécutif, car ce pouvoir, qui nest conçu que comme un pouvoir de simple
exécution, un pouvoir « commis », selon le vocabulaire de lépoque, ne peut
être considéré comme l
exercice de la souveraineté. Il est représentant parce
qu
il est co-législateur.
320. Le corps législatif. Cest lun des représentants de la volonté légis-
lative de la nation. Du principe de la souveraineté nationale qui présida à son
organisation, il tient trois caractères.
a) Le corps législatif est dabord composé dune Chambre unique : lAssem-
blée nationale législative.
Le monocamérisme sexplique avant tout par le refus, qui découle de labo-
lition des privilèges au cours de la nuit du 4 août 1789, de conserver un statut de
la noblesse en France. La deuxième Chambre nobiliaire, inspirée de la Chambre
des Lords anglaise, que proposaient les monarchiens aurait en effet permis à la
noblesse d
empêcher ladoption des lois tendant à supprimer ses privilèges.
b) Lassemblée est permanente, comme la nation dont elle formule la
volonté. Elle fixe elle-même la date et la durée de ses sessions. Le roi ne peut
la dissoudre.
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
311
c) La durée de la législature est courte (deux ans) parce quon craint que les
membres ne soient tentés d
employer la suprématie de la fonction législative
pour s
emparer aussi de la fonction exécutive et devenir despotique.
Pour écarter les politiciens de profession, la constitution décida que les
députés ne pourraient être réélus qu
après lintervalle dune législature. Déjà
lAssemblée constituante avait refusé à ses membres laccès à lassemblée qui
devait lui succéder ; ce décret, inspiré par un scrupule honorable, entrava la
marche de la Révolution en écartant du pouvoir les plus expérimentés (Aulard,
1882, p. 310).
321. Le système électoral. Il est commandé par lidée qui forme la subs-
tance du principe de la souveraineté nationale : la souveraineté réside dans la
nation entière et non dans chaque citoyen individuellement. L
individu na
donc aucun titre personnel à participer à l
opération électorale. Cest pourquoi,
bien qu
elle ait trouvé des défenseurs à lassemblée, la théorie de lélectorat-
droit
fut écartée au profit de la conception de lélectorat-fonction. Celle-ci fut
définie par Barnave, lorsqu
il déclarait : « La qualité délecteur nest quune
fonction publique à laquelle personne n
a droit et que la société dispense
ainsi que le lui prescrit son intérêt. La fonction d
électeur nest pas un droit. ».
Cette idée a un intérêt pratique considérable puisqu
elle permet décarter le
suffrage universel (auquel conduit nécessairement la conception de l
électorat-
droit) et justifie la conformité d
un suffrage restreint avec le principe de la sou-
veraineté nationale.
Appartenant en grande partie à la bourgeoisie moyenne, lassemblée consti-
tuante avait toutes les raisons de se rallier à la thèse de Barnave qui écartait la
masse populaire de la direction des affaires publiques. Elle imagina donc un
système électoral qui refusait le droit de vote à une foule d
individus qui
n
avaient ni léducation, ni la préparation politique nécessaires. Ce système
repose sur la distinction entre les citoyens actifs et passifs et sur le suffrage à
deux degrés.
1o Tous les nationaux français de naissance ou par naturalisation ont la qualité
de citoyens. Mais il y a deux catégories de citoyens :
les citoyens passifs, qui
jouissent de tous les droits et libertés énumérées dans la Déclaration, mais ne
participent pas à la vie politique, car ils n
ont pas le droit de vote, et les citoyens
actifs, auxquels ce droit est réservé.
Les conditions requises pour être citoyen actif (Titre III, ch. I, sect. II, art. 2)
portent essentiellement sur l
obligation de payer une contribution directe au
moins égale à la valeur locale de trois journées de travail. Sur 24 000 000 d
ha-
bitants, cette disposition permettait à 4 300 000 d
entre eux dêtre électeurs. Le
chiffre minime de la contribution exigée ne créait pas un privilège au profit des
riches, mais permettait seulement détablir le suffrage des contribuables dans
lequel on voyait une garantie de l
indépendance et de la capacité de lélecteur.
2
o Latteinte au principe démocratique résultait bien plutôt de létablisse-
ment du suffrage à deux degrés.
Dans chaque canton, les citoyens actifs formaient lassemblée primaire qui
nommait les électeurs du second degré. Or pour pouvoir être choisi comme élec-
teur du second degré, il fallait satisfaire à des conditions de fortune qui rédui-
saient considérablement le nombre de ceux qui pouvaient se porter candidats.
Page 312
312
Droit constitutionnel
Dans les villes, il fallait être propriétaire ou usufruitier dun bien évalué, au rôle
des contributions directes, à un revenu égal à la valeur de 150 à 200 journées de
travail ou locataire d
une habitation évaluée à un revenu de 150 à 200 journées de
travail. Dans les campagnes, pouvaient se porter candidats les propriétaires ou
usufruitiers d
un bien évalué à un revenu de 150 journées de travail, et les fer-
miers dun domaine évalué à un revenu égal à 400 journées de travail.
Or, comme le revenu fiscal était sensiblement inférieur au revenu réel, le
nombre des électeurs du second degré était peu élevé (43 000). Toutefois,
aucune condition pécuniaire n
était mise à léligibilité ; par conséquent, un
citoyen pouvait être élu à l
assemblée, alors quil naurait pu être électeur.
B Le fondement de la constitution : la séparation des pouvoirs
1. La thèse traditionnelle
322. On affirme parfois que la Constitution de 1791 repose sur la séparation
rigide des pouvoirs. Cette interprétation est erronée, comme on peut le constater
en considérant aussi bien les compétences des organes, d
où il ressort quon na
pas voulu les spécialiser, que leurs statuts, d
où il ressort quon na pas voulu
les rendre indépendants.
La fonction législative est exercée par deux organes, le corps législatif et le
roi, qui y participe par son droit de veto suspensif. On ne saurait soutenir que le
droit de veto se rattache plutôt au pouvoir exécutif, car si le roi dispose du pou-
voir exécutif, ce pouvoir, on l
a vu, est commis et ce nest pas en cette qualité
qu
il peut sopposer aux textes de lois. Que le roi soit législateur, cest ce qui
ressort très clairement de la procédure : le texte adopté par le corps législatif
porte le nom de
décret. Il est transmis au roi, qui doit laccepter en lui accordant
sa
sanction le veto nest pas autre chose que le refus de la sanction ; ce nest
qu
après la sanction du roi, que le texte prend le nom de loi, ce qui signifie bien
que la loi est produite par l
accord des deux représentants de la nation.
Plusieurs compétences quon rattache ordinairement à la fonction exécutive
sont exercées en commun par le corps législatif et le roi, notamment la conclu-
sion des traités internationaux. Quant à l
exécution des lois elle-même, elle est
confiée au roi seul, mais il ne peut l
exercer quavec le concours de ministres
qu
il nomme et révoque, mais qui ne sont cependant pas indépendants du corps
législatif.
Pour ce qui concerne les statuts, il est certain que la Constitution naccorde
pas au roi le droit de dissoudre le corps législatif, ni au corps législatif celui de
renverser les ministres, mais la procédure pénale de mise en jeu de la responsa-
bilité des ministres, qui pouvait être déclenchée à la discrétion de lassemblée,
selon le modèle anglais de limpeachment, mettait les ministres dans une dépen-
dance complète, ce que démontrera amplement l
expérience de 1792 (v. infra
no 325).
2. Le principe de la séparation des pouvoirs en 1791
323. En réalité, la répartition des compétences et le statut des organes sex-
pliquent non par le principe de la séparation des pouvoirs tels que l
entendait la
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
313
doctrine traditionnelle (v. supra no 81 s.), mais par deux principes différents et
complémentaires :
a) un principe négatif : il ne faut pas que les compétences soient toutes attri-
buées à une même autorité, ce qui signifierait le despotisme. Il faut au contraire
qu
elles soient réparties ou séparées entre plusieurs, peu importe de quelle
manière, pourvu quelles le soient. Comme une constitution nest pas autre
chose qu
une répartition des compétences entre organes, on a ici avec la sépara-
tion des pouvoirs la définition même d
une constitution, comme lindique claire-
ment l
article 16 de la Déclaration des droits de lHomme : « Toute société dans
laquelle la garantie des droits n
est pas assurée ni la séparation des pouvoirs
déterminée n
a point de constitution ». Cet article est ordinairement interprété
conformément à la théorie traditionnelle de la séparation des pouvoirs. Il semble
indiquer alors que les constituants de 1789-1791 étaient des partisans si ardents
de la spécialisation et de l
indépendance des organes, quils considéraient que,
faute de ces deux règles, un pays n
avait pas de constitution digne de ce nom.
Cette interprétation
qui exige dailleurs quon complète lénoncé de larticle 16
par l
expression, considérée comme implicite, « digne de ce nom » est erronée :
si « séparation des pouvoirs » signifie répartition des compétences, alors en effet
l
article 16 doit être compris à la lettre ; il ne fait quénoncer une vérité dévidence
ou une définition de la Constitution.
b) mais ce principe négatif est insuffisant ; il doit être complété par un autre,
qui prescrive de quelle manière il faut répartir les compétences.
À cet égard deux conceptions sopposent à la fin du XVIIIe siècle.
1
o Selon la première, la plus simple, il suffit de spécialiser les organes, lun
dans la fonction législative, l
autre dans la fonction exécutive. Comme les fonc-
tions sont hiérarchisées, il est clair que l
organe législatif sera prépondérant.
Dans la mesure où la fonction législative est exercée par le peuple lui-même,
cette conception a la faveur des démocrates. C
est notamment celle de Jean-Jac-
ques Rousseau et ce sera celle des conventionnels en 1793 (v.
infra no 329).
Ses adversaires font valoir quun tel système présente des risques considéra-
bles. Il est à craindre que l
organe législatif, notamment sil ne se confond pas
avec le peuple lui-même et s
il est composé de représentants, nemploie la
suprématie de la fonction législative pour s
emparer aussi de la fonction exécu-
tive. Il réunirait alors entre ses mains les deux fonctions et serait despotique.
Autrement dit, le système de la spécialisation est autodestructeur.
2o Le second système, appelé « balance des pouvoirs » est présenté par ses
partisans comme autorégulateur. Les compétences y sont réparties de telle sorte
qu
aucune autorité ne soit jamais en mesure de cumuler lexercice de toutes les
fonctions. Pour cela, il importe d
éviter la spécialisation et de donner à lorgane
exécutif une participation à la fonction législative, de manière à obtenir un équi-
libre entre les organes, une
balance des pouvoirs. Ainsi, dans la constitution
anglaise qui sert de modèle à Montesquieu, Delolme, Blackstone et au début de
la Révolution aux monarchiens, comme Mounier ou Lally-Tollendal, le pouvoir
législatif est-il exercé par le Parlement. Le Parlement est un organe complexe
formé de la Chambre des communes, de la Chambre des Lords et du roi. Aucune
loi ne peut entrer en vigueur sans le consentement de chacun de ces organes par-
tiels. Le pouvoir exécutif est par ailleurs exercé par le roi seul.
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314
Droit constitutionnel
Il ny a pas de spécialisation, puisque le roi est à la fois organe de la fonction
exécutive et organe partiel de la fonction législative. Aucun organe n
est en
mesure de cumuler la totalité des pouvoirs. Si, par exemple la Chambre des com-
munes était tentée de s
emparer du pouvoir exécutif, elle se heurterait au veto du
roi. Celui-ci de son côté n
aurait aucun moyen dacquérir la totalité du pouvoir
législatif. Un véritable équilibre des pouvoirs est ainsi réalisé, mais il ne sagit pas
bien évidemment dun équilibre entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif ce
serait impossible en raison de la hiérarchie des normes
mais entre les divers
pouvoirs législatifs
.
De cet équilibre, ses partisans attendent au moins deux avantages : dune
part la séparation des pouvoirs (entendue comme principe négatif) sera préser-
vée et la constitution sera littéralement inviolable ; d
autre part la législation
sera modérée : comme le consentement de trois organes est nécessaire pour
qu
une loi soit faite, il ny aura que peu de lois conformément à lidéal des
physiocrates
lÉtat ninterviendra donc que très peu dans la vie économique,
chaque loi sera le résultat d
un compromis et si certains organes représentent
des minorités, par exemple la noblesse, les intérêts de ces minorités seront pro-
tégés.
À la Constituante, les monarchiens ne parviendront pas à imposer le principe
de la balance des pouvoirs dans sa forme anglaise. Un premier projet, qui pré-
voyait deux Chambres et un droit de veto absolu au profit du roi, fut repoussé.
Mais le texte qui fut adopté conservait l
économie générale du système, car sil
y avait une Chambre unique, le roi était doté d
un droit de veto suspensif.
Les décrets votés par le corps législatif étaient présentés au roi. Si celui-ci
les acceptait, ils devenaient lois. Mais dans les deux mois de leur présentation,
le roi pouvait aussi refuser son consentement. Alors le texte ne pouvait pas lui
être soumis à nouveau par la même législature. Mais si les deux législatures
suivantes reprenaient le projet, le
veto du roi cessait de produire effet. Il était
donc valable au maximum pour six ans.
C Le problème du pouvoir exécutif
1. Position du problème en 1790
324. Ce problème, que Rousseau comparait à celui de la quadrature du cer-
cle, était pour les constituants spécialement difficile. Il leur fallait en effet pour-
suivre deux objectifs contradictoires.
1o Le roi, en raison de son pouvoir législatif, était un représentant. En tant
qu
organe partiel de la législation, il devait être pleinement indépendant de lau-
tre organe partiel, le corps législatif. C
est cette nécessité de rendre les deux
organes mutuellement indépendants qui expliquait que le roi navait pas le
droit de dissoudre l
assemblée et que sa personne était inviolable et irrespon-
sable et qui expliquait aussi bien d
autres éléments de son statut, qui devaient
le rendre financièrement et même physiquement indépendant ; financièrement
car le montant de ses crédits, la liste civile, était fixé pour toute la durée du
règne, sans quil soit possible à lAssemblée de le diminuer lors du vote du
budget pour faire pression sur lui ; physiquement, car il disposait pour sa pro-
tection, comme d
ailleurs le corps législatif, dune garde armée distincte.
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
315
2o Mais par ailleurs, en sa qualité de détenteur du pouvoir exécutif, le roi devait
rester subordonné à la loi. On concevait à cette époque la fonction exécutive de la
manière la plus étroite : l
exécution consistait seulement dans lapplication maté-
rielle des lois et dans la direction de l
administration pour assurer cette application.
Elle excluait donc totalement le pouvoir réglementaire, car la production de règles
était le monopole de la loi.
Il fallait donc assurer la conformité de lexécution à la loi, ce quon appelait
la
rectitude de lexécution, mais la difficulté était dorganiser le contrôle de
cette conformité et l
on paraissait condamné à naviguer entre deux écueils :
a) ou bien le contrôle était confié au corps législatif et lon rendait le roi
responsable des refus d
exécution ou de la mauvaise exécution des lois, mais
le risque était évidemment que la responsabilité s
étende à son pouvoir législa-
tif, qu
on le poursuive par exemple sous prétexte de mauvaise exécution, mais
en réalité pour l
intimider et lempêcher dexercer son droit de veto. Cela signi-
fierait alors que le corps législatif exercerait seul le pouvoir législatif et cumu-
lerait bientôt les deux fonctions.
b) ou bien on norganisait aucun contrôle et le roi pourrait agir selon sa propre
volonté, ce qui équivaudrait pour lui à cumuler les deux fonctions législative et
exécutive, au mépris à nouveau du principe de la séparation des pouvoirs.
2. La solution de la Constituant
325. Pour échapper à ce dilemme, lAssemblée constituante sinspire du sys-
tème anglais :
1) Le roi reste inviolable et irresponsable.
2) Il y aura des ministres, au nombre de six, nommés librement par le roi,
sauf parmi les membres du corps législatif et révocables par lui.
3) Tous les actes du roi devront être contresignés par un ministre.
4) Ces ministres seront responsables. Cette responsabilité s
exercera selon
une procédure pénale inspirée de l
Angleterre : le Corps législatif peut les accu-
ser, par le vote d
un simple décret, des « délits par eux commis contre la sûreté
nationale et la Constitution... ». Ils seront alors jugés par une Haute Cour natio-
nale. Les délits contre la Constitution ne font l
objet daucune définition, mais il
est clair que constitue notamment un tel délit le fait d
avoir contresigné un acte
illégal du roi.
LAssemblée pense avoir ainsi réussi à conserver au roi lindépendance à
laquelle il a droit en tant qu
organe législatif partiel, tout en maintenant la
subordination de la fonction exécutive. Le roi en effet ne pourra accomplir
seul des actes d
exécution et les ministres refuseront de contresigner des actes
illégaux pour éviter d
en supporter la responsabilité.
En réalité, peu de mois après la mise en application de la constitution, cette
procédure pénale sera employée, comme d
ailleurs en Angleterre, pour sanc-
tionner les divergences politiques entre l
assemblée, dominée par les Girondins
et les ministres feuillants. Au mois de mars 1792, le décret d
accusation fut voté
contre le ministre des Affaires étrangères, Delessart, pour avoir « négligé l
inté-
rêt national ». Delessart fut arrêté et les autres ministres résilièrent leurs fonc-
tions. Ainsi, la responsabilité devenait politique et le régime évoluait vers le
régime parlementaire.
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Droit constitutionnel
D La suprématie de la Constitution
326. LAssemblée constituante adopte le système des constitutions rigides.
La distinction formelle entre les lois ordinaires et les lois constitutionnelles
s
exprime dans le fait que, pour les modifications à apporter à ces dernières,
lintervention dun organe spécial est prévue. Il faut remarquer que la Constitu-
tion, bien quayant déclaré que la nation a le droit imprescriptible de changer sa
Constitution, n
en confie pas moins ce soin à une assemblée spéciale, dont la
compétence a pour effet de paralyser la liberté de la nation. On sait du reste
(v.
supra no 32) de quelles précautions la constitution entourait la révision.
LAssemblée nationale constituante se sépara le 30 septembre 1791 ; lassem-
blée législative qui lui succéda ne vécut pas longtemps sous le régime de la
Constitution de 1791. En effet, les conflits avec la royauté s
étant aggravés, elle
décida de faire élire au suffrage universel
pour la première fois en France une
Convention nationale chargée de préparer une nouvelle constitution. De fait, la
Constitution de 1791 avait vécu : le 10 août 1792, l
assemblée prononça la sus-
pension du roi. Pratiquement, le régime de la dictature de l
assemblée commence.
Section 2
Les constitutions de la Convention
327. La Constitution de 1791 établissait un régime où la prédominance était
assurée aux classes bourgeoises. La Convention prétendra, elle, réaliser la
démocratie. Cette prétention résulte de son origine même. C
est en effet la pre-
mière assemblée française élue au suffrage universel. L
assemblée législative
avait modifié le système électoral de 1791, en supprimant la distinction entre
citoyens actifs et passifs. Le suffrage à deux degrés était maintenu, mais unique-
ment sur la base de l
âge : tous les citoyens de vingt et un ans vivant de leur
travail ou de leur revenu et n
étant pas en état de domesticité faisaient partie des
assemblées primaires. La seule condition pour pouvoir être électeur du second
degré était d
être âgé de vingt-cinq ans. Le droit de suffrage reposant sur la
fortune est donc supprimé ; mais le vote étant public, la liberté du suffrage
n
est pas parfaitement assurée.
Le 21 septembre 1792, la Convention décrète que la royauté est abolie et,
quatre jours plus tard, proclame la République. Une ère nouvelle commence,
que marque l
ouverture du calendrier républicain (1er vendémiaire an I de la
République, correspondant au 21 septembre 1792) ; en même temps, la Conven-
tion entreprend la confection d
une constitution qui, cette fois, devra être adop-
tée par le peuple. Un premier projet dinspiration girondine ne survit pas à la
défaite de ses auteurs. Jugé trop modéré, la Convention lécarte et confie la
préparation d
un nouveau projet au Comité de salut public. Le 10 juin, Hérault
de Séchelles présente son rapport qui, adopté par la Convention, devient la
constitution montagnarde du 24 juin 1793.
328. La Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen de 1793.
Comme celle de 1791, la Constitution de 1793 est précédée dune déclaration
des droits qui se caractérise par l
accentuation de son esprit démocratique. Plus
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
317
encore que la liberté, cest légalité qui est mise en avant. Doù laffirmation
que « chaque citoyen a un droit égal à concourir à la formation de la loi et à la
nomination de ses mandataires ».
La déclaration de 1793 sanctionne plus énergiquement que celle de 1791 les
droits qu
elle proclame. En 1791, on admettait la résistance à loppression ; en
1793, on légitime le droit à linsurrection (art. 35).
Enfin, tandis quen 1791 la déclaration avait une portée essentiellement
négative, du fait que l
énumération des libertés constituait une limite à laction
de l
État, les hommes de la Convention entendent faire œuvre positive. Ils
reconnaissent aux individus le droit d
exiger certaines prestations de la part de
l
État : droit au travail, à lassistance, à linstruction (art. 21, 22). En ce sens, la
Déclaration de 1793 présente un caractère social qui n
est pas dans celle, pro-
fondément individualiste, de 1791.
§ 1. La Constitution de 1793
329. En sen tenant aux lignes générales, on peut dire quelle est une consti-
tution selon Rousseau (Boudon, 2002). Elle procède, en effet, de l
idée que la
souveraineté est fractionnée entre les individus, et en fait immédiatement appli-
cation au système électoral par l
établissement du suffrage universel direct. En
outre, le rôle des citoyens ne se borne pas à une très large participation électo-
rale ; ils sont également appelés à prendre directement des décisions.
La Constitution organise, au moins en apparence, un gouvernement semi-
direct. Mais la différence avec le système de 1791 réside avant tout dans le
principe de répartition des compétences : alors que la constitution précédente
se fondait sur le principe de la balance des pouvoirs, celle-ci met en
œuvre le
principe de la spécialisation.
1o Le pouvoir législatif est exercé par une assemblée unique, élue au suf-
frage universel, pour un an, de manière que le peuple ne soit pas lié trop long-
temps par son vote. Mais ce pouvoir, l
assemblée ne lexerce pas en toute
liberté. L
article 53 prévoit, en effet, que le Corps législatif propose les lois et
rend les décrets. Les décrets, cest-à-dire les textes portant sur les matières les
moins importantes d
administration courante, sont définitifs dès leur vote par le
Corps législatif. Au contraire, pour être définitives, les lois (actes tranchant des
questions importantes) doivent être acceptées par le peuple. À cet effet, le projet
voté par l
assemblée était envoyé aux assemblées primaires. Si dans les qua-
rante jours suivants, dans la moitié des départements plus un, un dixième des
assemblées primaires de chacun d
eux navait pas protesté, le projet devenait
loi. Dans le cas contraire, toutes les assemblées primaires étaient convoquées
et c
est aux citoyens quil appartenait de décider si le projet devait rester lettre
morte ou devenir loi.
À vrai dire, il est permis de mettre en doute la réalité de la démocratie semi-
directe instituée par la Constitution de 1793. Compte tenu de la lenteur des
transports à lépoque et de limpossibilité pour les assemblées primaires de
communiquer entre elles, il n
aurait pas été facile de remplir dans le délai de
quarante jours les conditions requises.
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Droit constitutionnel
2o Le pouvoir exécutif. Lintention des constituants de 1793 détablir une
démocratie véritable se traduit en second lieu par la dépendance dans laquelle
ils tiennent l
exécutif. À vrai dire, ils ne le conçoivent pas comme un véritable
pouvoir, c
est un agent de lassemblée.
Dabord, il est collégial (24 membres), on le divise pour laffaiblir. Ensuite, il
est élu, non par le peuple, ce qui pourrait lui donner trop de prestige, mais par le
Corps législatif sur une liste de 85 candidats désignés à raison de un par l
assem-
blée électorale de chaque département. Enfin, il n
a aucun moyen daction sur
l
assemblée, puisquil na ni initiative des lois, ni veto, ni possibilité de dissoudre
la représentation nationale.
Soumise à lacceptation du peuple, la Constitution de 1793 fut acceptée par
1 800 000 voix contre 11 000, sur 6 000 000 d
électeurs. Elle nentra cependant
pas en vigueur, car, en présence du double péril intérieur (insurrection de la
Vendée et des grandes villes) et extérieur (envahissement du territoire), la
Convention en ajourna l
application et décida que le gouvernement serait révo-
lutionnaire jusqu
à la paix.
Après la chute de Robespierre le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), la ques-
tion de la mise en vigueur de la constitution de 1793 se posa. Mais les vainqueurs
de Thermidor, qui disposaient désormais des instruments du gouvernement révo-
lutionnaire, entendaient les utiliser pour éviter aussi bien un retour en force des
robespierristes que les tentations monarchistes. On décida donc que la constitu-
tion de 1793 ne serait applicable qu
après ladoption de lois organiques. Leur
préparation fut confiée à une commission, qui en réalité rédigea un nouveau pro-
jet. Ce projet fut discuté et adopté par la Convention, la même qui avait déjà voté
la constitution de 1793. Il repose sur des principes constitutionnels semblables,
mais interprétés et appliqués dans un sens très profondément conservateur.
Ce fut la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795).
§ 2. La Constitution du 5 fructidor an III1
330. Son inspiration réactionnaire se révèle dès labord dans la Déclaration
qui la précède. Elle reprend en termes beaucoup moins agressifs l
énumération
des droits qui avaient déjà été proclamés, en écartant toutefois l
égalité politique
et la résistance à l
oppression. Mais surtout elle y joint une Déclaration des
devoirs
beaucoup moins intéressante par les préceptes assez vagues quelle
contient que par l
intention dont elle témoigne daffirmer la primauté de lordre.
La démocratie entendue de façon absolue a permis, sinon provoqué, la terreur :
on limitera donc la démocratie (Lefèbvre, 1971).
331. Lorganisation des pouvoirs. Elle se caractérise par une restriction
sensible de la part accordée au peuple dans la direction des affaires publiques.
Sans doute, on maintient le principe que chaque citoyen a le droit de concourir
lui-même ou par représentant à la formation de la loi (art. 20), mais le titre de
citoyen n
est accordé quà ceux qui paient une contribution. Donc, retour au
suffrage du contribuable. En outre, la Constitution de lan III rétablit le suffrage
1.
TROPER, 2006.
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
319
indirect à deux degrés et ne laisse subsister le référendum populaire quen
matière constitutionnelle.
Enfin, pour ce qui concerne la répartition des compétences, la constitution
tente de réaliser un compromis entre le principe de la balance des pouvoirs, qui
inspirait la Constitution de 1791 et celui de la spécialisation, sur lequel était
fondée la Constitution de 1793 : Sieyès, dont linfluence était grande, avait
résumé ainsi la nécessité d
un compromis : « en fait de gouvernement, et plus
généralement en fait de constitution politique, unité toute seule est despotisme,
division toute seule est anarchie ; division avec unité donne la garantie sociale
sans laquelle toute liberté n
est que précaire ». Lunité, cétait la spécialisation
et elle menait, selon Sieyès, au despotisme de l
autorité législative. La division,
c
était la balance des pouvoirs, qui conduisait à lanarchie, parce quelle faisait
naître des conflits entre les autorités législatives.
Pour combiner les deux formules, il fallait donc spécialiser les autorités et
notamment interdire à l
autorité exécutive de participer à la législation, mais en
même temps organiser une division, une balance des pouvoirs au sein de l
or-
gane législatif spécialisé.
1o Le Pouvoir législatif. Linnovation capitale est donc létablissement du
bicaméralisme, institué comme un moyen d
assurer la modération de la représen-
tation nationale. Il ne s
agit pas en effet de créer une seconde Chambre aristocra-
tique, mais seulement de diviser l
organe législatif. Les deux assemblées : le
Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens, ont donc la même origine élec-
tive, elles sont élues également pour trois ans et renouvelables dans les mêmes
conditions, par tiers tous les ans.
La seule différence entre elles tient aux conditions déligibilité : trente ans pour
les Cinq-Cents, quarante ans pour les Anciens, avec, en outre, pour ceux-ci la
nécessité d
être mariés ou veufs, condition tenue comme un gage de modération.
À lassemblée jeune était réservée linitiative des lois, tandis quaux Anciens
il appartenait dapprouver ou de rejeter en bloc les résolutions du Conseil des
Cinq-Cents. En matière constitutionnelle, les innovations étant à redouter, la
règle était renversée : l
initiative devait émaner des Anciens, ladoption des
Cinq-Cents.
2o Le Pouvoir exécutif. Il recouvre une autorité véritable. Il a encore la
forme collégiale, mais, au lieu des 24 membres prévus par la constitution de
1793, il n
en comporte que cinq. Ce Directoire est élu par les Anciens sur une
liste préparée par les Cinq-Cents. Mais les Directeurs ne sont pas révocables par
le Corps législatif. Il peut seulement les mettre en accusation devant la Haute
Cour de justice, dans des cas énumérés par la Constitution et qui visent unique-
ment la responsabilité pénale.
Quant aux attributions de lexécutif, elles sont telles quelles lui permettent de
remplir effectivement sa fonction. En effet, pour la première fois en France, il
reçoit le pouvoir réglementaire, c
est-à-dire la possibilité de poursuivre lexécu-
tion des lois par des règlements (appelés proclamations) appropriés (Verpeaux,
1991). En outre, le Directoire pourvoit à la sûreté intérieure et extérieure de
lÉtat, dispose de la force armée, entretient les relations diplomatiques, négocie
les traités qui doivent être ratifiés par le Corps législatif. Dans l
accomplissement
de sa tâche, il est assisté de ministres qui sont simplement ses agents d
exécution.
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Droit constitutionnel
3o Les rapports entre les pouvoirs. Selon la doctrine traditionnelle, la
constitution réaliserait une séparation rigide des pouvoirs, au point que les
conflits entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ne trouvent pas de solu-
tion institutionnelle et que le système conduit aux coups d
État (Meynier,
1927-1928).
Cette thèse ne résiste pas à lexamen. Il est exact que les autorités sont spécia-
lisées, exact aussi que les conseils ne peuvent révoquer les directeurs et les minis-
tres et qu
ils ne peuvent être dissous, exact encore que la constitution interdit tout
contact direct entre les organes, mais il n
en résulte aucun équilibre entre les pou-
voirs législatif et exécutif. Bien au contraire, la spécialisation entraîne naturellement
la subordination du pouvoir exécutif et aucun véritable conflit institutionnel n
est
possible entre eux.
Si le Directoire refuse dexécuter les lois qui lui déplaisent ou tente dimpo-
ser aux Conseils une politique législative, ce n
est pas en vertu de compétences
que lui donnerait la Constitution. Il s
agit là simplement dune rébellion du
subordonné contre l
autorité supérieure et non pas dun conflit entre deux pou-
voirs égaux. La Constitution prévoit d
ailleurs dans ce cas la mise en jeu de la
responsabilité pénale des directeurs pour « man
œuvres pour renverser la Consti-
tution » (articles 115 et 158). La procédure est alors inspirée de celle qu
avait
organisée la Constitution de 1791 pour les ministres : l
accusation est votée par
les conseils et les accusés sont jugés par la Haute Cour de justice.
Au cours des quatre années dapplication de la Constitution de lan III, à
plusieurs reprises se sont produits des événements graves, que l
on appelle tra-
ditionnellement des coups d
État. Mais ces événements ne sont aucunement
imputables à la prétendue séparation rigide des pouvoirs. Il s
agissait ou bien
d
une manifestation de la suprématie des Conseils sur le Directoire, ou bien
d
une rébellion du Directoire contre lautorité supérieure des Conseils. Dans
ce dernier cas, le Directoire devait nécessairement employer la force, c
est-à-
dire faire appel à l
armée. Le dernier coup dÉtat, celui du 18 brumaire an VIII,
qui amène Bonaparte au pouvoir, n
en est quune variété. La seule différence
est que cette fois un général n
intervient pas pour prêter main-forte au Direc-
toire, mais pour son propre compte.
Sous le régime du Consulat provisoire (11 novembre au 13 décembre 1799),
une commission composée de membres des deux Conseils, mais où prévalait
l
influence de Sieyès, prépara un projet de constitution qui, accepté par le peu-
ple, devint la constitution du 22 frimaire an VIII.
Section 3
Le Consulat et lEmpire
332. Le régime du Consulat et de lEmpire se caractérise par la dictature
d
un militaire, qui se réclame dune légitimité populaire. Son établissement est
dû à la personnalité dun chef, Napoléon Bonaparte, qui, par son prestige, a pu
obtenir du peuple qu
il se dessaisisse en sa faveur dune souveraineté qui lui
était nominalement attribuée.
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
321
§ 1. La Constitution du 22 frimaire an VIII
333. Elle est une Constitution faite par Bonaparte à la mesure de ses propres
ambitions (Bourdon, 1942). À ce titre, il convient, avant d
examiner lorganisa-
tion des pouvoirs, de rappeler quels procédés permirent aux constituants de
confisquer, au profit du César, la démocratie. Cette confiscation revêt deux for-
mes : l
aménagement du suffrage et le plébiscite.
1o Lorganisation du suffrage. Bonaparte applique le principe énoncé par
Sieyès : «
La confiance doit venir den bas et le pouvoir den haut. ». Dans la
Constitution de l
an VIII, le suffrage universel est rétabli et la condition de
citoyen est accordée à tout homme âgé de 21 ans, établi depuis un an sur le
territoire de la République. Seulement, si tout le monde est électeur, les élec-
teurs n
élisent personne. En effet, le peuple ne nomme pas des députés, il pré-
sente seulement des listes de candidats.
Les citoyens de chaque arrondissement communal désignent un dixième den-
tre eux pour former les listes de confiance communales, sur lesquelles sont pris
les fonctionnaires de l
arrondissement, notamment les maires. À leur tour, les
membres des listes communales choisissent un dixième d
entre eux, qui forment
la liste départementale, pépinière des fonctionnaires du département. Enfin les
listes départementales donnent naissance, selon la même procédure, à la liste
nationale, sur laquelle seront désignés les titulaires de fonctions publiques natio-
nales. C
est le système de la pyramide, né du cerveau dogmatique de Sieyès.
Or, comme les fonctionnaires nationaux sont nommés soit par le Premier
consul (membres du Conseil d
État et fonctionnaires administratifs), soit par le
Sénat (membres du Corps législatif, du Tribunat et du Tribunal de cassation) et
qu
enfin le Sénat se recrute lui-même par cooptation, les citoyens électeurs ont
voté... sans élire.
2o Le plébiscite. Comme les Constitutions précédentes de 1793 et de
l
an III, la Constitution de lan VIII était soumise au référendum. Aux termes
de l
article 95 « la présente constitution sera offerte de suite à lacceptation du
peuple français ».
Cependant, il était clair que lacceptation de la constitution signifiait aussi
et surtout approbation donnée à la personne de Bonaparte. Deux ans plus tard,
on soumit à consultation populaire la question : « Napoléon sera-t-il Consul à
vie ? ». Pour la première fois, la question ne portait pas sur un texte constitu-
tionnel, mais sur un homme et la consultation prit le nom de plébiscite.
Cest depuis cette époque que le mot a pris une connotation péjorative.
Comme Napoléon
et dautres dictateurs à sa suite en a fait un instrument
de pouvoir personnel, on distingue le plébiscite du véritable référendum et l
on
affirme parfois quun référendum nest quun plébiscite déguisé.
334. Le pouvoir exécutif. Il est confié à trois consuls nommés pour dix
ans et indéfiniment rééligibles que la Constitution désigne elle-même : Bona-
parte, Cambacérès et Lebrun. Seulement cette collégialité n
est quune appa-
rence, car en réalité le rôle du Premier consul est prépondérant. Il y a une
série dattributions quil exerce seul, notamment la promulgation des lois, la
nomination et la révocation des membres du Conseil d
État, des ministres et
des fonctionnaires. En outre, en ce qui concerne les autres prérogatives de
Page 322
322
Droit constitutionnel
lexécutif, les trois Consuls ne forment pas un collège statuant à la majorité, car
le deuxième et le troisième Consuls n
ont quune voix consultative. En fait cest
donc la totalité de la compétence de l
exécutif qui appartient à Bonaparte, et elle
est fort étendue.
Le gouvernement a le droit exclusif dinitiative législative ; il a le pouvoir
réglementaire ; il veille à la sûreté intérieure et extérieure de lÉtat et dispose à
cet effet de la force armée ; il conduit les relations diplomatiques et conclut les
traités sans que la ratification des assemblées soit nécessaire, sauf pour les trai-
tés de paix, d
alliance et de commerce ; il peut même, en cas de conspiration
contre la sûreté de l
État, retenir les individus pendant dix jours avant de les
déférer aux tribunaux.
Pour assurer lexécution de cette tâche énorme, le Premier consul est assisté
de ministres et surtout d
un organe dont, sous limpulsion de Bonaparte, la
fécondité fut extrême : le
Conseil dÉtat (art. 52) chargé de rédiger les projets
de lois et les règlements d
administration publique.
335. Le pouvoir législatif. Il est assuré par deux assemblées :
a)
Le Tribunat, composé de cent membres renouvelables par cinquième tous
les ans. C
est à peine si, à son propos, on peut parler dun véritable organe
législatif, car il ne peut exprimer, quant aux lois à faire, qu
un vœu qui noblige
aucune autorité à le prendre en considération.
b) Le Corps législatif, trois cents membres renouvelables également par cin-
quième tous les ans. C
est à lui quil appartient dadopter ou de rejeter les pro-
jets de lois du gouvernement. Ils sont discutés devant lui par trois commissaires
du gouvernement, pris dans le Conseil d
État et trois membres du Tribunat.
Mais le Corps législatif est un muet qui décide, tandis que le Tribunat délibère
et ne décide point. C
est quil est conçu, conformément à une idée de Sieyès,
par analogie avec un juge, qui tranche après avoir entendu en silence les repré-
sentants des parties : ici, le peuple d
une part (les tribuns), le pouvoir exécutif
d
autre part (le Conseil dÉtat).
336. Le Sénat. La Constitution ne le mentionne pas sous le titre quelle
consacre au pouvoir législatif. Et en effet il n
est pas une assemblée législative
proprement dite. Il est, d
une part, le grand électeur du régime puisque cest lui
qui choisit les consuls (pour l
avenir seulement), les membres du Corps légis-
latif, du Tribunat, les juges de cassation et ses propres membres par cooptation.
Le Sénat est d
autre part le conservateur de la constitution. Nous savons avec
quelle docilité à l
égard de Bonaparte, il sest acquitté de sa mission.
§ 2. Les modifications de la Constitution de lan VIII
337. Ce Sénat, qui devait protéger lintégrité de la Constitution, estima que
le meilleur moyen de la conserver était de l
adapter à lévolution des conditions
politiques. La première adaptation fut acquise par le sénatus-consulte du 14 ther-
midor an X qui, entérinant l
acceptation du corps électoral auquel la question
avait été posée, proclame Napoléon Bonaparte consul à vie.
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Les constitutions de la Révolution et de lEmpire
323
338. Le sénatus-consulte du 16 thermidor an X. Il a pour objet de met-
tre la Constitution de l
an VIII en accord avec la situation nouvelle. Les réfor-
mes qu
il apporte visent le système électoral, les pouvoirs du premier Consul et
la situation des assemblées.
1o Modification du système électoral. Prenant prétexte de ce que les
citoyens sétaient désintéressés des listes de confiance, on les supprime et on
leur substitue un système dassemblées électorales. Dabord lassemblée de can-
ton formée de tous les citoyens domiciliés dans le canton ; elle présente deux
candidats pour le poste de juge de paix et pour chaque poste de conseiller muni-
cipal : c
est le Premier consul qui choisit le titulaire. Ensuite les collèges électo-
raux d
arrondissement élus par les assemblées de canton ; là encore, leurs pré-
rogatives se bornent à un droit de présentation pour le recrutement du Tribunat
et du Corps législatif. Enfin les collèges électoraux de département nommés par
les assemblées de canton parmi les contribuables les plus imposés. Ils présen-
tent le candidat pour former les listes où seront choisis les membres du Conseil
général, du Corps législatif et du Sénat.
Il ny a toujours pas délection (sauf en ce qui concerne les conseillers muni-
cipaux des communes de moins de 5 000 habitants) mais simplement présen-
tation.
2o Extension des pouvoirs du Premier consul. Le renforcement de lauto-
rité de Bonaparte se manifeste notamment par le fait qu
il présente pratique-
ment impose
la nomination des deux autres Consuls au Sénat. Il désigne éga-
lement son successeur. De plus ses attributions sont élargies, car il peut
désormais ratifier les traités de paix et d
alliance.
3o Situation des assemblées. Le Sénat reçoit la récompense de sa docilité.
Ses pouvoirs s
accroissent dans la mesure où il est un instrument aux mains
de Bonaparte. Il peut déclarer certains départements hors de la constitution, sus-
pendre le fonctionnement du jury criminel, dissoudre le Corps législatif et le
Tribunat. En outre, il reçoit le pouvoir constituant en matière coloniale et pour
tout ce qui na pas été prévu par la constitution.
Investi daussi larges pouvoirs, le Sénat était placé dans la dépendance du
gouvernement. Au lieu de coopter ses membres entre trois candidats présentés
par le Premier consul, le Tribunat et le Corps législatif, comme le voulait la
constitution de l
an VIII, il les choisit désormais entre trois candidats, tous dési-
gnés par le Premier consul. Le Sénat n
est plus une assemblée indépendante,
c
est lauxiliaire du gouvernement.
Quant au Tribunat, on le punit de ses velléités dopposition en réduisant ses
membres à cinquante.
339. Le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII. Rendu par le
Sénat le 18 mai 1804, cest celui par lequel le gouvernement de la République
est confié à un Empereur. L
hérédité de la dignité impériale est instituée dans la
descendance de Napoléon et de ses frères. Accepté par le plébiscite, le change-
ment de régime est organisé par le sénatus-consulte de floréal qui a pour objet
d
adapter la constitution de lan VIII à lEmpire.
En réalité, cest dune Constitution nouvelle quil sagit : les apparences
mêmes de la démocratie, sauvegardées en l
an VIII, disparaissent. Le Tribunat
ne peut plus discuter qu
en sections et non en assemblée (il sera dailleurs
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324
Droit constitutionnel
supprimé en 1807), quant au Corps législatif on lui rend le droit de parole, mais
on ne le réunit plus. Il n
y a que le Sénat dont la situation se renforce encore, ce
qui ne fait qu
accentuer son caractère dorgane du gouvernement. Cest lui qui
permet à toute la législation par décret de l
Empire dêtre juridiquement valable
puisqu
il ne lannule pas.
340. LActe additionnel aux constitutions de lEmpire (22 avril 1815).
Après léchec de la première Restauration, Napoléon revenu de lîle dElbe se pré-
senta comme le restaurateur des libertés révolutionnaires que les Bourbons préten-
daient annihiler. Mais, comme en fait la Charte de 1814 (v.
infra no 342) était beau-
coup plus libérale que les constitutions impériales, l
Empereur ne pouvait faire
retour en arrière. C
est pourquoi, quoique officiellement addendum aux Constitu-
tions de l
Empire, lActe de 1815 établit un régime nouveau. Sans doute les organes
de l
exécutif Empereur, ministres et Conseil dÉtat conservaient-ils leur situation
antérieure, mais un pouvoir législatif véritable était institué sous forme de deux
Chambres : la Chambre des pairs dont les membres sont nommés par l
Empereur,
le titre est héréditaire ; une Chambre des représentants, élue cette fois par un véri-
table suffrage populaire et où, du fait que certains députés devaient appartenir à des
professions déterminées, se forme un embryon de représentation des intérêts.
En outre, les rapports entre lexécutif et le législatif sont aménagés de telle
sorte que l
application de lActe additionnel eût pu donner naissance au régime
parlementaire. En effet, les ministres peuvent être pris dans les Chambres,
et sont responsables des actes du gouvernement qu
ils doivent contresigner.
Ainsi, lActe additionnel reproduisait-il la structure générale de la Charte,
c
est-à-dire celle de la constitution dAngleterre et de la balance des pouvoirs
(Rials, 1986).
Ratifié par le plébiscite, lActe additionnel entre en vigueur le 1er juin
1815, mais le 18 juin c
est Waterloo et le 22 juin, Napoléon abdique. Le césa-
risme disparaît avec l
homme qui en était lâme (Radiguet, 1911).
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Chapitre 2
La monarchie parlementaire
342. La période de la démocratie bourgeoise va de 1814 à 1848. Elle com-
prend deux phases, d
abord la Restauration avec la monarchie légitime, puis le
gouvernement de juillet avec l
avènement de la branche cadette dOrléans. Poli-
tiquement, elle se caractérise par le règne de la classe riche puis simplement
aisée de la population ; constitutionnellement, par l
introduction en France du
régime parlementaire.
Section 1
La Charte du 4 juin 1814
§ 1. Caractères généraux
343. La Restauration eut à concilier le retour au principe de légitimité royale
de l
Ancien Régime avec les réformes sociales acquises par la Révolution et sur
lesquelles il eût été impolitique de revenir. Cette conciliation fut réalisée d
une
part, par le mode d
établissement de la Charte, dautre part, par les droits quelle
reconnaissait au peuple (Bastid, 1954).
1o La Charte de 1814 est une constitution octroyée. Lors de la première
Restauration, après avoir prononcé la déchéance de Napoléon, le Sénat, par la
constitution du 6 avril 1814, déclarait que le peuple français appelait librement
au trône, Louis-Stanislas-Xavier de France, qui serait proclamé roi lorsqu
il
aurait accepté la constitution. Mais Louis XVIII refusa de renoncer au principe
de légitimité royale. Par la déclaration de Saint-Ouen (2 mai 1814) il manifestait
la volonté de faire lui-même la constitution, tout en exposant les principes sur
lesquels elle reposerait, notamment la sauvegarde des libertés essentielles et l
ir-
révocabilité des ventes de biens nationaux.
La Charte dont le nom même marque lintention de rompre avec la tradition
révolutionnaire est donc concédée par le roi à ses sujets. Il limite, par elle,
volontairement, un pouvoir quil tient de son appartenance à la dynastie royale
et non de la souveraineté nationale (Bagge, 1952).
2o Reconnaissance des droits individuels. Cest la contrepartie de loctroi,
la concession faite à l
esprit nouveau. Les articles 1 à 12 énumèrent les libertés
(physique, de la presse, religieuse), consacrent l
égalité des Français, garantis-
sent le droit de propriété. Mais ces droits ne sont plus des droits naturels ; ils
Page 328
328
Droit constitutionnel
sont, eux aussi, une concession du souverain. Il appartient donc à celui-ci de les
réglementer, d
en étendre ou den limiter lexercice.
Le gouvernement de la Restauration na pas manqué de profiter de cette
faculté : il a rétabli la noblesse qui ne se concilie pas avec l
égalité sociale ; il
a fait du catholicisme la religion d
État, ce qui restreint la liberté religieuse ; il a
réglementé la presse de telle façon que la liberté dopinion devint parfois illu-
soire.
3o Lélectorat. Il nétait pas question détablir le suffrage universel consi-
déré par les libéraux eux-mêmes comme un procédé grossier. Guizot déclarait,
en 1821, que le droit de suffrage n
est pas inhérent à la qualité dhomme, mais
dépend de la capacité des individus. On considérait donc l
électorat comme une
fonction sociale. « La Charte, disait Royer-Collard, institue des fonctionnaires
dont la fonction consiste à nommer les députés » ; il allait même jusqu
à soute-
nir que la Chambre ne représente pas des opinions, mais des intérêts. La fortune
apparaissait alors comme le gage certain de l
aptitude intellectuelle et de la
maturité d
esprit exigée des électeurs, dautant quelle garantissait en même
temps l
opinion conservatrice de ses détenteurs. On adopta donc le suffrage
censitaire
.
Le droit de suffrage dépend dune condition dâge (30 ans) et dune condi-
tion de cens (payer 300 F de contributions directes), ce qui, compte tenu de la
valeur de la monnaie à l
époque, représentait une fortune considérable. Le chif-
fre des électeurs n
a jamais atteint 100 000 pour toute la France, ce qui donne à
peine un électeur pour 300 habitants.
Pour léligibilité, les conditions étaient encore renforcées : il fallait être âgé
de 40 ans et payer 1 000 F de contributions. Cette condition réduisit à 20 000 le
nombre des éligibles.
La prime à la fortune en matière électorale fut encore accrue par la loi du
29 juin 1820, dite loi du
double vote. Dans chaque département, elle établissait
deux collèges électoraux : des collèges darrondissement et un collège de dépar-
tement. Ce dernier comprenait le quart des électeurs les plus imposés du dépar-
tement, qui votaient deux fois : une fois dans les collèges d
arrondissement, qui
élisaient les trois cinquièmes de la Chambre, une fois dans les collèges départe-
mentaux auxquels il appartenait de pourvoir les deux cinquièmes des sièges
restants.
Enfin, un dernier trait caractérise la conception que lon se fit du droit de
suffrage à cette époque : afin de réduire le nombre des électeurs sans modifier
la Charte, on se livra à des dégrèvements d
impôts directs, quitte dailleurs à
compenser cette perte pour le Trésor par l
augmentation des impôts indirects.
Si bien qu
on assista à ce spectacle unique : le parti libéral protestant contre lal-
légement des impôts.
§ 2. Les pouvoirs publics
344. La Charte sinspire des institutions anglaises qui avaient su combiner la
monarchie avec le régime représentatif, associer le roi et le Parlement.
1o Le roi. À lui seul, dit larticle 13, appartient le pouvoir exécutif. Cest
donc l
organe prépondérant. Non seulement, il a toutes les prérogatives de
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La monarchie parlementaire
329
lexécutif : pouvoir réglementaire, droit de déclarer la guerre et de conclure les
traités sans ratification, mais encore il participe dans une très large mesure à
l
exercice du pouvoir législatif.
Dabord cest à lui seul quappartient linitiative législative ; les Chambres
ne peuvent que le « supplier » de proposer un projet. Ensuite, il a la
sanction de
la loi, cest-à-dire que celle-ci ne devient valable que par son acceptation, quil
peut refuser indéfiniment.
2o Le Parlement. Il se compose, à limitation du Parlement anglais, de
deux assemblées :
a) La Chambre des pairs, dont les membres sont nommés par le roi, à vie ou
à titre héréditaire, sans que d
ailleurs cette inamovibilité confère à lassemblée
une véritable indépendance car, le nombre des pairs étant illimité, le roi peut
toujours changer la majorité.
Cette Chambre haute traduit le caractère aristocratique du régime. Ses attri-
butions sont égales à celles de la Chambre des députés, sauf que cette dernière
doit être d
abord saisie des lois dimpôts ;
b) La Chambre des députés, élue par les citoyens payant 300 F de contribu-
tions directes. Ce n
est donc pas une véritable assemblée démocratique, puis-
qu
elle est sans contact avec la masse populaire. Et cependant, procédant délec-
tions véritables, elle donne au régime une allure beaucoup plus libérale que
celle qu
il avait sous lEmpire.
La Chambre nest pas indépendante du roi ; elle nest pas permanente et doit
attendre de lui sa convocation. Il peut, en outre, la dissoudre, à condition d
en
convoquer une nouvelle dans les trois mois.
Quant aux attributions de la Chambre des députés, elles se ramenaient essen-
tiellement au vote des lois et de limpôt.
§ 3. La pratique politique introduit le régime parlementaire
345. La Charte était muette quant aux relations entre lexécutif et le Parle-
ment. Or, sur ce point, la pratique politique suivie pendant la Restauration est
d
un intérêt qui dépasse celui de la Charte elle-même. Par son fonctionnement,
le régime introduisit, pour la première fois en France, le parlementarisme (Bar-
thélemy, 1904).
La pièce maîtresse du régime parlementaire, cest la responsabilité politique
des ministres (v.
supra no 97) : elle permet de résoudre les divergences de vues
qui s
élèvent entre lexécutif et le Parlement, par le changement de ministère.
Or, cette responsabilité dont la Charte ne parlait pas, c
est la pratique qui va la
faire entrer dans les m
œurs. Linfluence des institutions anglaises que lon avait
connues pendant lémigration, laction de certains publicistes (Benjamin Cons-
tant, Chateaubriand, De Vitrolles) amenèrent les esprits à considérer que les
règles du parlementarisme, si elles n
étaient pas incluses dans la Charte, étaient
du moins indispensables à son application. Et ce qui facilitait l
évolution, cest
que le roi Louis XVIII n
était pas hostile au régime parlementaire.
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330
Droit constitutionnel
Il sagissait pour les Chambres, dexercer un contrôle sur le gouvernement.
Elles y parvinrent par différents moyens :
a) LAdresse qui était votée par la Chambre, en réponse au discours du
Trône, par lequel le roi ouvrait la session. Le Parlement l
utilisa pour suppléer
au droit d
interpellation quil ne possédait pas. À partir de 1821, lAdresse
donna à la Chambre la possibilité de faire connaître au roi son sentiment sur
la conduite du ministère.
b) Les rapports sur les pétitions. Des pétitions pouvaient être adressées
par les citoyens à l
une ou lautre assemblée. À leur occasion, la Chambre
des députés discutait les faits qui les provoquaient. La discussion se termi-
nait par un ordre du jour qui fournissait l
occasion de faire savoir au ministre
visé si son attitude était approuvée ou critiquée.
c) La discussion du budget offrait un dernier moyen de passer au crible lat-
titude du gouvernement, surtout à partir du moment où le principe de la spécia-
lité budgétaire (1817) permit au Parlement de contrôler le fonctionnement de
chaque département ministériel.
La Chambre disposait ainsi dun moyen de pression irrésistible : elle pouvait
refuser son concours au roi jusqu
à la démission des ministres ou leur révoca-
tion. En d
autres termes, elle pouvait refuser le vote du budget. En fait, devant
la simple menace d
un refus de concours, le ministre qui navait pas lapproba-
tion du Parlement ou bien se retirait spontanément ou bien était renvoyé par
le roi.
Charles X tenta bien de couper court aux conséquences de cette officieuse
responsabilité politique des ministres, mais la Révolution de 1830 ne lui laissa
pas le temps d
effacer la tradition parlementaire qui commençait à sétablir. Elle
devait être renforcée encore par la monarchie de Juillet.
Section 2
La Charte du 14 août 1830
346. Dans sa forme extérieure, elle nest quune nouvelle édition corrigée de
la Charte de 1814. Mais son esprit est profondément différent. Pour l
obtenir, le
peuple a fait une révolution dont elle porte l
empreinte.
Et dabord ce nest pas une Charte octroyée. Elle a été votée par les Cham-
bres et Louis-Philippe a dû l
accepter et lui jurer fidélité avant de recevoir le
titre de roi. Par ailleurs, si elle maintient la monarchie, il ne s
agit plus dune
monarchie de droit divin, mais d
une monarchie contractuelle, cest-à-dire fon-
dée sur un
Pacte entre le roi et les représentants de la nation. En sinstituant roi
des Français, Louis-Philippe accepte de se considérer comme appelé au trône
par eux, c
est-à-dire que lidée de souveraineté nationale reparaît.
Mais elle reparaît avec un éclat bien atténué, car la bourgeoisie entend pro-
fiter de la révolution que le peuple a faite. Elle ne dégagera donc de l
idée de
souveraineté nationale que les conséquences compatibles avec l
accession et le
maintien au pouvoir dune classe moyenne aisée.
Cette intention apparaît dans laménagement du régime électoral. La Charte
se borne à abaisser l
âge de lélectorat à 25 ans, et celui de léligibilité à 30 ans.
Page 331
La monarchie parlementaire
331
Mais la loi électorale du 19 avril 1831 réalisa une réforme beaucoup plus impor-
tante. Elle ramena le chiffre du cens électoral de 300 à 200 F, et celui de l
éli-
gibilité de 1 000 à 500 F. De ce fait, le nombre des électeurs se trouva doublé,
d
autant que le cens était abaissé à 10 F pour les membres et correspondants de
l
Institut, ainsi que pour les officiers retraités. Enfin, en supprimant la dualité
des collèges électoraux, la loi mettait fin à lintolérable pratique du double vote.
la réforme électorale, si elle permettait à la bourgeoisie
moyenne d
accéder à la direction des affaires publiques, nassurait guère son
indépendance à l
égard du gouvernement. En effet, la Chambre était élue au
scrutin d
arrondissement et létroitesse du collège électoral, offrait de grandes
facilités aux pressions officielles.
Néanmoins,
Quant à lorganisation des pouvoirs publics, elle reste en gros ce quelle était
sous la Charte de 1814. Toutefois diverses modifications de détail tendent à trans-
former le caractère des organes. C
est ainsi que le roi ne peut nommer que des
pairs à vie et en les choisissant dans certaines catégories (députés, ambassadeurs,
membres de l
Institut, hauts magistrats, industriels, banquiers, payant une contri-
bution très élevée). Ainsi la Chambre des pairs n
était plus la représentation dune
aristocratie de naissance ou de fortune, mais une assemblée de notabilités natio-
nales.
Dautre part, les attributions des assemblées saccroissent. Elles reçoivent,
en concurrence avec le roi, l
initiative législative. En matière financière, leur
compétence s
étend du fait du développement du principe de la spécialité bud-
gétaire qui, en exigeant le vote par chapitres, permet à la Chambre d
exercer un
contrôle minutieux sur l
administration.
Inversement, les pouvoirs du roi diminuent. Comme la révolution de 1830
avait été provoquée par une interprétation extensive donnée par le roi à son
pouvoir réglementaire, la Charte de 1830 précise que le roi fera des ordonnan-
ces, mais « sans jamais pouvoir suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de
leur exécution ». Quant à la sanction, si le roi la conserve, il sabstient den user.
La pratique à laquelle donna lieu la Charte de 1830 est plus intéressante que
le texte lui-même. Elle confirme et accentue le mouvement vers l
établissement
du parlementarisme. La formule de Thiers, selon laquelle le roi règne et ne gou-
verne pas, traduit exactement l
atmosphère du régime. Les Chambres exercent
leur contrôle sur l
exécutif, par le moyen de linterpellation ; la responsabilité
politique des ministres devant les Chambres devient effective, car un gouverne-
ment qui n
a plus la confiance de la Chambre des députés doit se retirer.
En bref, le parlementarisme a trouvé dans le cadre de la Charte de 1830 son
véritable climat. Les institutions sont plus libérales que démocratiques. Le per-
sonnel politique, par son origine, est particulièrement qualifié pour les discus-
sions d
assemblées ; les intérêts en cause, et notamment le prodigieux dévelop-
pement de lindustrie et du commerce, sont tels quils ne peuvent être mieux
servis que par la représentation d
une bourgeoisie moyenne qui donne aux
assemblées politiques une allure de conseil d
administration. À ceux qui se plai-
gnent du peu de place faite à l
action des classes populaires, Guizot pouvait
répondre : « Enrichissez-vous ». L
accès à la vie politique était le couronnement
de la fortune.
Page 332
332
Droit constitutionnel
La réforme ne satisfit pas tout le monde. Pour vouloir continuer, comme le
disait Lamartine au banquet de Mâcon, à s
entourer dune aristocratie électorale,
la royauté fut balayée en 1848.
347. Bibliographie
BAGGE D. (1952), Les idées politiques en France sous la Restauration, Paris, PUF.
BARTHÉLÉMY J. (1904), Le régime parlementaire en France sous Louis XVIII et Char-
les X, nouvelle édition 1977, Genève, Megariotis Reprints.
BASTID P. (1954), Les institutions politiques de la monarchie parlementaire (1814-
1848), Paris, Sirey.
LAQUIEZE A. (2002), Les origines du régime parlementaire en France (1814-1848),
Paris, PUF.
PONTEIL F. (1958), La monarchie parlementaire : 1815-1848, Paris, A. Colin, 2e éd.
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IALS S. (1987), « Essai sur le concept de monarchie limitée (autour de la Charte de
1814) », in Révolution et contre-révolution au XIXe siècle, Paris, DUC Albatros, p. 88 s.
ROSANVALLON P. (1994), La monarchie impossible. Les chartes de 1814 et de 1830,
Paris, Fayard.
Page 333
Chapitre 3
Lavènement du suffrage universel
348. Cette période de notre histoire constitutionnelle est apparemment très
bigarrée. De 1848 à 1875, divers régimes se succèdent : un gouvernement
l
Empire libéral, puis, après la
conventionnel, une dictature,
le césarisme,
défaite de 1871, de nouveau le gouvernement d
assemblée. Pourtant derrière
ces institutions, un fait maintient l
unité politique. Cest ladoption du suffrage
universel.
Section 1
La Constitution du 4 novembre 1848
349. Préparation. Après la chute de la monarchie, sanctionnée par la pro-
clamation de la République par le gouvernement provisoire, les électeurs furent
convoqués pour l
élection dune assemblée constituante (Ponteil, 1948). Le
décret du 5 mars 1848 qui prescrivait cette convocation est d
une importance
capitale dans notre histoire constitutionnelle. En effet, il adoptait le suffrage
universel
qui navait fonctionné que pour lélection de la Convention en
1792 (v.
supra no 326) et dans des conditions particulièrement démocratiques,
puisque l
âge électoral était abaissé à 21 ans et léligibilité à 25 ans.
Dès sa réunion, lAssemblée nationale constituante confirma la proclama-
tion de la République. Elle nomma une commission exécutive de cinq membres
qui, après les troubles de juin, fut remplacée par Cavaignac. Quand l
élabora-
tion de la Constitution fut achevée, on ne jugea pas utile de la soumettre à l
ac-
ceptation populaire, car elle était l
œuvre dune assemblée spécialement élue.
350. Caractère démocratique de la Constitution de 1848. La Constitu-
tion de 1848 ne comporte pas de déclaration des droits. Son préambule teinté de
cette religiosité humanitaire qui caractérise « l
esprit de 48 » décrit de façon
imprécise la tâche du régime « dans la voie du progrès et de la civilisation ».
Puis les articles 2 et 4 définissent les bases de la république démocratique où
lon retrouve la liberté et légalité, et surtout la fraternité qui doit servir de
moteur à la législation sociale qu
inaugure le nouveau régime. Cette tendance
est confirmée par le chapitre II relatif aux droits des citoyens garantis par la
Constitution. On y relève, en effet, à côté des libertés traditionnelles depuis
1789, l
affirmation dun rôle actif de lÉtat en matière dinstruction, dassis-
tance, de répartition du travail entre les individus. Ainsi le caractère démocra-
tique de la Constitution se pimente d
un socialisme encore bien atténué (Bas-
tid, 1945).
Page 334
334
Droit constitutionnel
351. Lorganisation des pouvoirs. Elle repose sur le principe de la spé-
cialisation.
1o Le pouvoir législatif. Il est exercé par une assemblée législative unique,
nombreuse (750 membres), élue au scrutin départemental pour trois ans. Sont
électeurs, sans condition de cens, tous les citoyens de 21 ans et jouissant de
leurs droits civils et politiques. Léligibilité ne comporte aucune condition plus
sévère, sauf l
âge exigé de 25 ans.
Cest lavènement des masses à la vie politique, mais leur rôle se borne à
l
élection. La Constitution de 1848 établit un régime représentatif pur qui ne
fait aucune part à l
initiative populaire ni au référendum (Deschamps, 1908).
2o Le pouvoir exécutif. Rejetant lamendement Grévy qui tendait à leffa-
cement de l
exécutif en lui donnant pour chef, non un chef de lÉtat, mais un
Président du Conseil des ministres à la merci de l
assemblée, les constituants
instituèrent un exécutif fort, en la personne du Président de la République.
Il est élu directement par le peuple pour quatre ans. Cest cette origine
populaire, beaucoup plus que ses attributions
au demeurant fort larges
qui donne au chef de lÉtat un rôle important. Dautre part, en faisant peser
sur lui la responsabilité des actes du gouvernement, la Constitution, bien loin
de l
affaiblir, renforçait son autorité politique.
Cest une expérience constante, en effet, que la responsabilité incite à lac-
tion celui qui en est investi. Sous l
aiguillon de la responsabilité, Louis-Napo-
léon Bonaparte, qui avait été élu à ces fonctions, devait en appeler au jugement
du peuple, et, par là, être tenté par le plébiscite.
Le Président ne disposait ni du droit de sanctionner les lois, ni de celui de
dissoudre l
assemblée. De son côté, celle-ci ne pouvait pas révoquer le Pré-
sident.
Sans doute, les ministres pouvaient être choisis dans la Chambre, mais la
responsabilité du chef de l
État et la division de la majorité rendaient difficile
la mise en jeu de la responsabilité ministérielle.
352. Le coup dÉtat du 2 décembre 1851. Son origine directe fut linter-
diction de la réélection du Président avant l
expiration dun délai de quatre ans,
et l
impossibilité où se trouvait Louis-Napoléon Bonaparte de réunir à lAssem-
blée la majorité des trois quarts requise pour l
adoption dun vœu de révision.
Mais, indirectement, le coup d
État fut facilité par lappui que le prince-Prési-
dent savait trouver dans le peuple irrité par la loi électorale du 31 mai 1850, qui
restreignait dans des proportions considérables le nombre des électeurs en exi-
geant une condition de domicile (trois ans dans la même commune), à laquelle
ne pouvait satisfaire la masse des ouvriers nomades.
Aussi, dans la proclamation du 2 décembre, le Président affirmait-il que le
suffrage universel était rétabli. Le césarisme renaissait.
« Ces hommes que nous avons exclus, disait Thiers, sont-ce les pauvres ?
Non, ce sont les vagabonds... Ces hommes qui méritent le titre, l
un des plus
flétris de l
histoire, entendez-vous, le titre de multitude... Les amis de la vraie
liberté redoutent la multitude, la vile multitude qui a perdu toutes les républi-
ques
» (Guillemin, 1952).
Page 335
Lavènement du suffrage universel
335
Section 2
La démocratie impériale
353. Cette période comprend deux phases. Avant le 2 décembre 1852, la
République subsiste nominalement ; après cette date, cest le Second Empire.
§ 1. La Constitution du 14 janvier 1852
354. Une majorité écrasante approuva le coup dÉtat. Fort des résultats du
plébiscite qu
il avait provoqué, le prince Louis-Napoléon gouverna de manière
dictatoriale jusqu
au 29 mars 1852, date dentrée en vigueur de la nouvelle
Constitution.
355. Caractères généraux. La Constitution de 1852 sinspire officielle-
ment de celle de l
an VIII. Comme elle, elle associe la souveraineté populaire et
le pouvoir personnel d
un homme.
Démocratique, le régime de 1852 lest en ce sens quil « reconnaît, confirme
et garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui sont à la base du droit
public de la France » (art. I
er) ; il lest ensuite en ce quil maintient le suffrage
universel ; il l
est enfin en ce quil reconnaît au peuple le pouvoir constituant :
les modifications à la Constitution devront être acceptées par le peuple.
Mais cest une démocratie césarienne, cest-à-dire que le peuple ne peut se
prononcer que dans la mesure où le chef de l
État linterroge (Prélot, 1953). Le
plébiscite asservit la souveraineté nationale aux volontés du chef. Sans doute, à
la différence de ce qui se passait en l
an VIII, les citoyens élisent vraiment leurs
représentants, mais, en réalité, l
organisation de lélection minimisait considéra-
blement la portée du suffrage universel.
a) par le scrutin uninominal qui, ayant pour base des circonscriptions étroi-
tes, favorise la pression administrative ;
b) par le découpage des circonscriptions qui appartenait à lexécutif et lui
permettait de noyer les centres d
opposition dans une circonscription favorable ;
c) par la
candidature officielle qui permettait aux préfets de soutenir ouver-
tement le candidat du gouvernement ;
d) par la police de lopération électorale (réunion, impression, affichage,
colportage) qui multipliait les obstacles autour du candidat de l
opposition et
favorisait les partisans du gouvernement ;
e) enfin, par le serment de fidélité à la Constitution exigé des candidats.
L
efficacité de ces moyens est prouvée par leurs résultats : en 1857, sur 257
députés sortants, le gouvernement en recommanda 250 qui furent tous élus.
356. Lorganisation des pouvoirs publics. Comme en lan VIII, elle est
marquée par la place éminente accordée à lexécutif.
1o Le Président de la République. Cest Louis-Napoléon nommé, par la
Constitution elle-même, pour dix ans. Ses successeurs devaient être élus par la
nation. Il possède dans leur plénitude les attributions de lexécutif dont il est le
chef, et il les exerce dans une indépendance totale à l
égard du Corps législatif.
En effet, en précisant que les ministres ne dépendent que du chef de l
État,
Page 336
336
Droit constitutionnel
quils ne peuvent ni être pris dans le Corps législatif ni même y pénétrer, quils
ne peuvent être mis en accusation que par le Sénat, la Constitution exclut non
seulement pour le présent le régime parlementaire, mais jusqu
à la possibilité de
l
introduire par la pratique.
Quant à la responsabilité du Président, elle nest pour lui quun gage dau-
torité, car les textes ne prévoient aucun moyen pratique de la mettre en œuvre.
2
o Le Corps législatif. Cest lassemblée unique titulaire du pouvoir légis-
latif, élue pour six ans au suffrage universel, direct et secret. Elle ne jouit pas de
l
indépendance nécessaire à lexercice de sa fonction :
a) elle na pas linitiative des lois. Ses amendements aux projets gouverne-
mentaux doivent être acceptés par lexécutif pour pouvoir être discutés ;
b) les lois ne deviennent définitives quaprès avoir été sanctionnées par le
Président ;
c) cest le Président qui convoque, ajourne, proroge les sessions. Il peut dis-
soudre le Corps législatif. Et celui-ci est même dépourvu de ses prérogatives
normales en ce qui concerne la tenue des séances, puisqu
il tient de lexécutif
son bureau et son règlement.
3o Le Sénat. Sa création était annoncée par la proclamation du 2 décembre
1851 qui voyait en lui « une seconde assemblée formée de toutes les illustra-
tions du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés
publiques ».
Il est composé de 150 membres, les uns de droit (cardinaux, amiraux, maré-
chaux), les autres nommés à vie par le Président de la République.
Son rôle sapparente à celui du Sénat conservateur de lan VIII (v. supra
no 336). Il est dabord le gardien de la constitution et, à cet effet, les lois doivent
d
office lui être soumises. Il exerce ensuite le pouvoir constituant par des déci-
sions qui seront soumises à l
acceptation du peuple. Enfin, en cas de dissolution
du Corps législatif, il prend les mesures nécessaires à la marche du gouverne-
ment, sur proposition de lexécutif.
§ 2. LEmpire
357. En rétablissant la dignité impériale au profit du Prince Président, le
sénatus-consulte du 7 novembre 1852 ne fit que consacrer une situation qu
éta-
blissaient les institutions de 1852. Il n
y eut rien à retoucher au régime antérieur
pour le mettre en accord avec le nouveau titre du chef de l
État. Quelques réfor-
mes seulement furent apportées, qui renforcèrent encore la situation de l
Empe-
reur et aggravèrent l
effacement du Corps législatif.
À partir de 1857, cependant, lopposition formée par le groupe des Cinq
(dont Jules Favre et Émile Ollivier) commence à engager le régime dans une
voie nouvelle. À l
Empire autoritaire se substitue lEmpire libéral. Cette évolu-
tion se concrétise, dans la vie politique, à un double point de vue :
1o Orientation vers le parlementarisme. Pour que le Corps législatif pût
exercer un contrôle sur le gouvernement, il fallait qu
il puisse le saisir en la
personne des ministres. On créa donc des ministres sans portefeuille (remplacés
en 1863 par un seul ministre d
État) qui purent pénétrer dans la Chambre et y
défendre la politique du gouvernement. Le Corps législatif privé du droit de
Page 337
Lavènement du suffrage universel
337
renverser le gouvernement obtenait ainsi les moyens de critiquer et de faire
connaître ses vues.
Et ces moyens allèrent en sélargissant. Ce furent dabord lAdresse, en
réponse au discours du trône (1860), puis le vote du budget par chapitres
(1861), l
interpellation qui, en 1864, remplaça le vote de lAdresse, enfin, en
1866, le droit damendement qui donnait lieu à délibération, même si lamende-
ment n
était pas accepté par lexécutif. Et, pour que cette évolution vers le par-
lementarisme mît bien en lumière son caractère de gouvernement d
opinion, le
sénatus-consulte du 2 février 1861 décida que les débats du Corps législatif
seraient publiés au
Journal officiel.
2o Transformation du rôle du Sénat. Pour contrebalancer lextension des
prérogatives du Corps législatif, le Sénat devint une véritable assemblée légis-
lative capable, le cas échéant, de retarder l
adoption dune loi votée par le Corps
législatif (sénatus-consulte du 14 mars 1867). À partir de 1869, le Sénat eut
même la faculté de retourner à la Chambre un projet qui en émanait, en indi-
quant les modifications qui lui paraissaient désirables.
§ 3. La Constitution du 21 mai 1870
358. Elle confirme lévolution vers lEmpire libéral. Il est vrai que le séna-
tus-consulte de 1870, adopté par le plébiscite, ne remplaçait pas la Constitution
de 1852, ni les sénatus-consultes postérieurs, et se bornait à en modifier certai-
nes dispositions.
Mais lesprit du régime était cependant intégralement changé du fait du réta-
blissement du régime parlementaire.
Cest ce qui résultait de larticle 19, aux termes duquel les ministres délibè-
rent en Conseil et sont responsables. La Constitution ne disait pas devant qui,
mais il était évident que c
était devant le Corps législatif, puisque larticle 13 de
la Constitution de 1852, qui parlait de leur responsabilité devant le chef de
l
État, était abrogé.
Par ailleurs, le Sénat devenait une véritable seconde Chambre ayant, en
matière législative, les mêmes attributions que le Corps législatif. Il ne conti-
nuait à en différer que par son mode de recrutement.
Le renversement de lEmpire, à la suite du désastre de Sedan, na pas permis
à la Constitution de 1870 de faire ses preuves. L
expérience eût été intéressante
du point de vue constitutionnel, car elle aurait montré ce que donnait cette
forme de régime inédite qui consistait à associer le parlementarisme au pouvoir
personnel d
un chef de lÉtat responsable.
359. Bibliographie
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Le Seuil.
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LE PILLOUER (2010), « Le conflit entre la créature et son créateur. Louis-Napoléon et
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IGIER P. (1996), La Seconde République, Paris, PUF, 7e éd.
Page 339
Chapitre 4
La IIIe République
360. La votation populaire du 21 octobre 1945 a mis fin à la IIIe République.
Mais son importance dans l
histoire constitutionnelle française reste considé-
rable. D
une part, son influence a été grande dans les débats qui se déroulèrent
infra
aux assemblées constituantes de 1945 et 1946 (v.
n
o 418 s.). Soit que lon ait entendu sen inspirer, soit quon les ait invoqués
pour y voir un précédent indigne d
être imité, les textes des lois de 1875 et la
pratique à laquelle elles donnèrent lieu n
ont pas cessé de dominer la discussion.
Et c
est sans doute pour sen être trop sensiblement écarté que le projet de
constitution préparé par la Constituante a été rejeté par le peuple lors du réfé-
rendum du 5 mai 1946.
infra no 410 s.,
Dautre part, cest pendant lapplication de la Constitution de 1875 que se
sont créées des traditions parlementaires. Certaines ont donné lieu à des dys-
fonctionnements du régime, qui se sont prolongés sous la IV
e République et
auxquels la Constitution de 1958 a entendu remédier. Mais d
autres sont encore
vivantes aujourd
hui.
Section 1
Lélaboration des lois de 1875
361. Le 4 septembre 1870, à la nouvelle de la capitulation de lEmpereur, la
foule parisienne se rend aux Tuileries, au Corps législatif, à l
Hôtel de Ville. De
ce mouvement de rue sort un gouvernement de fait : le gouvernement de la
Défense nationale, dont les personnalités marquantes sont Gambetta et les
trois Jules : Ferry, Simon, et Favre. Il n
a reçu aucun mandat régulier, aussi
convoque-t-il les électeurs d
abord pour le 16 octobre, puis linvasion ayant
rendu les élections impossibles, pour le 8 février 1871. Les électeurs devaient
se prononcer sur la question de savoir si la guerre pouvait être continuée ou à
quelles conditions la paix devait être signée. Cette question était posée pour
satisfaire aux conditions de la convention d
armistice franco-allemande, mais
il est évident que l
Assemblée qui serait élue aurait également à se prononcer
sur les institutions à donner à la France.
LAssemblée nationale se réunit à Bordeaux le 12 février, puis se transporta
à Versailles le 20 mars 1871. Avec elle commençait une nouvelle période de
l
histoire constitutionnelle de la France, qui se caractérise par le gouvernement
des assemblées. Gouvernement de l
Assemblée nationale elle-même jusquau
Page 340
340
Droit constitutionnel
vote des lois constitutionnelles de 1875 ; puis à dater de celles-ci, gouvernement
effectif du Parlement, sous couvert d
un parlementarisme infléchi dans le sens
de la prépondérance des assemblées (Hanotaux, 1925 ; Gouault, 1954).
§ 1. Le gouvernement de lAssemblée nationale
362. LAssemblée avait une double tâche : dabord gouverner le pays en
attendant qu
il ait une constitution définitive, ensuite préparer celle-ci. La
manière dont elle gouverna elle-même est instructive, car on peut y voir une
préfiguration de ce que seraient les institutions définitives de la France.
363. Le climat de lAssemblée nationale. 1o La réaction du pays devant
la défaite fut conservatrice. Or, les monarchistes étaient partisans de la paix,
alors que les républicains poussaient à la résistance. L
assemblée fut donc
monarchiste, parce que le peuple de la province voulait la paix. Le premier
caractère de cette assemblée fut donc d
avoir été élue sur une question de poli-
tique étrangère et non sur un programme constituant.
2o Son second caractère est labsence dentente des monarchistes quant à la
personne du roi éventuel. Le prétendant des légitimistes était le comte de Cham-
bord, petit-fils de Charles X, alors que le candidat des orléanistes était le comte
de Paris, petit-fils de Louis-Philippe. En face de cette droite divisée, la gauche
ne l
était pas moins : a) gauche conservatrice (centre gauche : Thiers, Dufaure,
Casimir-Perier...) républicaine sans conviction, ralliée à l
idée dune constitu-
tion d
attente dinspiration libérale ; b) gauche proprement dite (Simon, Grévy,
Favre, Ferry) ;
c) extrême gauche ou union républicaine (Gambetta, Challemel-
Lacour, Brisson...) républicaine par conviction ;
d) enfin, une montagne socia-
liste dont les membres se dispersèrent lors de la Commune.
Les fidèles de lEmpire ne constituaient quun groupe infime, celui de lap-
pel au peuple.
3o Ainsi divisée, lAssemblée nest pas pressée de faire une constitution,
d
autant que les monarchistes, qui avaient la majorité, espéraient que leurs
divergences s
effaceraient à la mort du comte de Chambord, qui navait pas
d
enfant. Cet esprit « attentiste » se traduisit par le Pacte de Bordeaux (17 février
1871). L
Assemblée acceptait la trêve entre les partis. Un essai royal de gouver-
nement républicain serait tenté, étant entendu qu
il ne préjugeait aucunement de
la forme définitive du régime. Le troisième caractère de l
Assemblée nationale
est donc son peu d
empressement à faire une constitution.
A Le principat de M. Thiers
364. LAssemblée ne songea pas à imiter lexemple de la Convention en
exerçant elle-même le pouvoir exécutif. La tâche énorme devant laquelle elle
se trouvait ne pouvait être accomplie que par un homme et non par une foule
de 738 députés. Il s
agissait de négocier et de conclure la paix, de libérer le
territoire, de ranimer la confiance du pays dans ses propres destinées et dans
Page 341
La IIIe République
341
le gouvernement qui
accomplir cette
œuvre : cétait M. Thiers.
les prenait en charge. Un homme simposait pour
1o La résolution du 17 février 1871. « M. Thiers est nommé chef du pou-
voir exécutif de la République française. Il exercera ses fonctions sous l
auto-
rité de lAssemblée nationale, avec le concours des ministres quil aura choisis
et quil présidera. »
À lentendre dans son acception constitutionnelle, cette formule pourrait
laisser croire à l
établissement dun gouvernement conventionnel. En effet,
M. Thiers était placé « sous l
autorité » de lAssemblée ; il bénéficiait dune
délégation de pouvoir à laquelle elle pourrait mettre fin quand il lui plairait.
En réalité, la personnalité de M. Thiers suffit à donner au régime une phy-
sionomie très différente. Son autorité personnelle, son attitude antérieure (il
avait été hostile à la guerre de 1870), sa compétence (il avait été plusieurs fois
ministre sous Louis-Philippe), son prestige dans le pays (il a été élu par
27 départements), son éloquence enfin qui le désignaient pour le poste où il
vient d
être appelé font aussi de lui le maître de lAssemblée ; si bien quil na
qu
à jouer de sa responsabilité en menaçant de démissionner pour que les dépu-
tés acceptent ses vues.
2o La loi du 31 août 1871 (Constitution Rivet). Elle a pour objet de dimi-
nuer l
influence de Thiers sur lAssemblée. Cest quen effet, il nest plus indis-
pensable : la libération du territoire commence, la Commune est réprimée. On le
récompense en lui décernant le titre de Président de la République (sans que
cette formule implique aucune décision définitive quant à la forme du régime),
mais en même temps on s
efforce de limiter son ascendant.
À cet effet, la loi spécifie quil demeure « sous lautorité » de lAssemblée et
ajoute qu
il est responsable devant elle. En outre, elle accentue limportance des
ministres, en les déclarant également responsables devant elle. En somme, l
inten-
tion de l
auteur de la loi était de conduire M. Thiers vers la fonction moins agis-
sante de chef d
un État parlementaire. La personnalité de Thiers sy opposait : on
lui conservait sa qualité de député car on ne pouvait lui interdire de séduire l
As-
semblée.
3o La loi du 13 mars 1873 (constitution de Broglie). La constitution Rivet
l
Assemblée tenta à nouveau de
nayant pas produit
réduire au silence l
encombrante personnalité du chef quelle sétait donné.
le résultat escompté,
Les dispositions essentielles de cette loi consistent à empêcher M. Thiers de
peser sur les délibérations de l
Assemblée. Désormais, lorsquil voudra partici-
per à un débat, il en informera l
Assemblée par un message. La séance est alors
suspendue et renvoyée à une date ultérieure pour l
audition du Président.
Lorsque celui-ci pouvait enfin se faire entendre, il ne pouvait que prononcer
un monologue, car la séance était immédiatement levée après son discours.
Ce cérémonial que Thiers qualifiait de chinois nétait pas fait pour lui plaire
puisqu
il le privait dune influence directe quil nexerçait vraiment que dans les
débats. Aussi ne fit-il rien pour se concilier les bonnes grâces de l
Assemblée.
Le 19 mai, il la rappelle à lordre en linvitant à faire une constitution républi-
caine, la seule possible. Interpellé le 24 mai, par le duc de Broglie, il est mis en
minorité et démissionne.
Page 342
342
Droit constitutionnel
B Le gouvernement de Mac-Mahon
365. Dans la nuit du même jour, lAssemblée élit Président de la République
le maréchal de Mac-Mahon. Extérieurement, rien n
était modifié dans les insti-
tutions, mais le changement d
homme est dune importance considérable. En
effet, Mac-Mahon nest pas un homme politique : il nest pas orateur et il ny
a pas à redouter quil tente dinfluencer lAssemblée ; il laisse plus de liberté à
ses ministres, de telle sorte que leur responsabilité se dégage de celle du Prési-
dent de la République. L
aménagement du pouvoir exécutif conçu en considé-
ration de la personne de Thiers n
avait plus de raison dêtre (notamment la res-
ponsabilité du Président) avec Mac-Mahon.
366. La loi sur le Septennat (20 novembre 1873). Les espérances roya-
listes ont été déçues par l
intransigeance du comte de Chambord qui refuse le
drapeau tricolore (août 1873) ; il faut donc attendre que cet obstiné disparaisse
pour avoir un roi. Jusque-là, on se résignera à une république provisoire. Son
organisation est l
objet de la loi du 20 novembre 1873.
Elle confie le pouvoir exécutif au maréchal de Mac-Mahon pour une durée
de sept ans. Tous les partis se donnaient ainsi un délai pour faire aboutir le
régime de leur choix ; et cependant, sans qu
ils sen doutent, lavenir était déjà
engagé. En effet l
Assemblée nationale ne sétait pas réservé la faculté de révo-
quer le Président, donc il était irresponsable et gouvernait par l
intermédiaire de
ministres responsables devant l
Assemblée. Cétait introduire le régime parle-
mentaire que les lois constitutionnelles de 1875 n
auraient quà conserver.
La loi du 20 novembre 1873 disposait en outre quune commission de
trente membres serait nommée pour l
examen des lois constitutionnelles. On
semblait donc vouloir aborder sérieusement l
œuvre constituante.
§ 2. Les lois constitutionnelles de 1875
367. Les débats de la Commission des Trente furent très académiques. Le
gouvernement et la majorité de la commission elle-même pensaient qu
il sagis-
sait seulement d
organiser plus complètement le septennat du Maréchal et non
d
arrêter une solution définitive. Aussi lorsque Perier déposa, le 15 juin 1874,
une proposition aux termes de laquelle « le gouvernement de la République
française se compose de deux Chambres et d
un Président de la République,
chef du pouvoir exécutif », l
Assemblée la repoussa comme prématurée.
Le vote des lois constitutionnelles put être acquis par la lassitude de lAs-
semblée et grâce à un accord tacite sur le caractère provisoire des textes que lon
adoptait.
Le 21 janvier 1875, le projet de la commission vint en discussion. Son arti-
cle 1
er portait que « le pouvoir législatif sexerce par deux assemblées, la Cham-
bre des députés et le Sénat
». Son rapporteur précisait dailleurs quil sagissait
seulement dorganiser des pouvoirs temporaires. Mais lorsque, le 30 janvier
1875, le projet vint en seconde lecture, A. Wallon proposa un amendement
d
après lequel « le Président de la République est élu à la majorité absolue
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La IIIe République
343
des suffrages, par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée
nationale. Il est nommé pour sept ans
».
Cet amendement fut voté une première fois, grâce à ce que lon a appelé la
« conjonction des centres » : le centre droit acceptant le principe de la Répu-
blique en échange de l
engagement pris par le centre gauche dadmettre la révi-
sion totale qui permettait, le cas échéant, le rétablissement de la monarchie par
des procédés légaux.
En première lecture lamendement Wallon fut adopté par 353 voix contre
352, une voix de majorité, et en seconde lecture, le 3 février, par 413 voix
contre 248. Du fait même, le projet de la Commission des Trente disparaissait
car le vote signifiait que l
Assemblée écartait lidée daménager le septennat
personnel du Maréchal, et instituait un régime durable. Finalement l
ensemble
du projet, entièrement corrigé par une série d
amendements dont beaucoup
eurent pour auteur Wallon, « père de la République », fut voté le 25 février.
La loi du 25 février 1875, relative à lorganisation des pouvoirs publics, est
donc la première des lois constitutionnelles de 1875.
La loi du 24 février 1875, relative à lorganisation du Sénat, est la seconde.
L
antériorité de la date sexplique par le fait que lAssemblée avait décidé de
subordonner son acceptation de la République à l
institution dune seconde
Chambre conservatrice. La loi sur le Sénat fut donc votée avant celle relative
aux pouvoirs publics, mais ne fut promulguée qu
après elle.
Ces deux premières lois ne contenaient que lessentiel quant à lorganisation
de l
exécutif et du législatif. Pour que la Constitution fût complète, il fallait
encore que fussent précisés les rapports existant entre les deux pouvoirs. Ce
fut l
objet de la loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics.
Ces trois lois forment, à elles seules, la Constitution de 1875. Par la suite,
l
Assemblée nationale vota la loi organique du 2 août 1875 sur lélection des
sénateurs et la loi organique du 30 novembre 1875 sur l
élection des députés.
Lépithète organique ne vise en rien la nature de ces lois qui sont des lois
ordinaires, elle fait seulement ressortir leur importance pour le fonctionne-
ment de la Constitution (v.
supra no 38).
Une fois que les deux Chambres furent constituées, lAssemblée nationale
leur remit ses pouvoirs, marquant ainsi l
entrée en vigueur de la Constitution de
1875 (8 mars 1875).
368. Les caractères de la Constitution de 1875. Ils résultent des condi-
tions dans lesquelles elle a été faite. C
est « lœuvre de monarchistes résignés,
acceptée avec tristesse par les républicains » (Joseph Barthélemy).
1o Elle est brève. Elle contient trente-quatre articles dont vingt-sept seule-
ment ont un caractère proprement constitutionnel. Elle se limite au strict indis-
pensable, ce qui a pour effet de laisser une large place à la pratique constitution-
nelle. Cest ainsi que la majeure partie des règles relatives au fonctionnement
des institutions n
avait, dans le régime de 1875, quun fondement dordre cou-
tumier : le parlementarisme lui-même s
est greffé sur la seule affirmation de la
responsabilité des ministres devant les Chambres.
2o Elle nest pas dogmatique. Compromis entre la république et
la
monarchie, la Constitution de 1875 ne contient aucun principe général de
philosophie politique. On avait eu assez de mal à s
entendre sur lessentiel
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344
Droit constitutionnel
pour ne pas compliquer la tâche en cherchant un impossible accord sur ce
que l
on considérait comme la vérité politique.
a) Pas de déclarations des droits, ni même, dans le corps de la Constitution,
de dispositions générales quant aux libertés, à la situation des citoyens, etc. Ce
silence permettra d
affirmer que les principes de 1789 sont, par ces lois, impli-
citement maintenus.
b) Large esprit de transaction qui se manifeste par la coexistence, dans la
même Constitution, d
institutions jugées jusque-là incompatibles les unes
avec les autres. Par exemple, la combinaison du parlementarisme avec la
République, la remise au Président du droit de dissolution considéré comme
une prérogative royale, l
adoption du bicaméralisme, alors que la Chambre
unique est une tradition républicaine.
c) Absence desprit dintolérance. Les institutions républicaines adoptées
par les monarchistes sont ouvertes à tous : on n
exige des serviteurs du régime
aucun serment de fidélité.
3o Tous ces caractères expliquent lexceptionnelle durée de la Constitution
de 1875. Elle a été l
armature constitutionnelle de la France pendant près de
soixante-cinq ans. Elle a résisté aux crises internes les plus violentes (Panama,
boulangisme, affaires Dreyfus et Stavisky), aux crises de politique étrangère les
plus graves (Fachoda, guerre de 1914-1918). Cette résistance, elle la dut moins
à la perfection de son contenu qu
à sa souplesse : le même régime constitution-
nel put s
adapter à des programmes politiques les plus divers qui vont de lordre
moral de Mac-Mahon aux expériences de Léon Blum.
369. Les modifications de la constitution de 1875. Elles ont été rares et
peu importantes. À quoi bon réviser un texte si accommodant ?
1o Une première révision eut pour objet de modifier le siège des pouvoirs
publics. La loi constitutionnelle du 21 juin 1879 abroge l
article 9 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875 fixant à Versailles le siège des pouvoirs
publics. La loi ordinaire du 22 juillet 1879 le fixa à Paris.
2o La loi constitutionnelle du 14 août 1884 comporte la plus sérieuse des
modifications qui aient été apportées à la constitution de 1875. Elle vise essen-
tiellement :
a) laffirmation de la forme républicaine du gouvernement. En affirmant que
celle-ci ne peut faire l
objet dune proposition de révision, les républicains
entendent marquer le progrès réalisé depuis 1875.
b) la transformation du Sénat. Son caractère dassemblée conservatrice est
atteint par la suppression des sénateurs inamovibles et par la modification du
collège électoral.
3o La loi constitutionnelle du 6 août 1926 crée la Caisse autonome damor-
tissement de la dette publique. Ce fut un geste destiné à symboliser la volonté
du pays de remettre de lordre dans ses finances.
Page 345
La IIIe République
345
Section 2
Lorganisation des pouvoirs publics
§ 1. Le Parlement
370. La loi constitutionnelle du 25 février, article 1er, dispose que « le pou-
voir législatif s
exerce par deux assemblées, la Chambre des députés et le
Sénat ». L
adoption du principe des deux Chambres avait été la condition impé-
rative mise par les monarchistes au vote des lois constitutionnelles (v.
supra
no 367). Il en est résulté un bicaméralisme effectif divisant le Parlement en
deux assemblées ayant sensiblement, sinon toujours la même autorité, du
moins les mêmes pouvoirs.
A La Chambre des députés
371. Mode de recrutement. La loi constitutionnelle du 25 février 1875,
posait seulement le principe du suffrage universel. Quant aux conditions dans
lesquelles étaient accordés la jouissance et l
exercice de lélectorat, ce sont
celles qui sont encore en vigueur, avec cette double réserve que le droit de suf-
frage était réservé au sexe masculin et que les militaires en activité de service
étaient privés de l
exercice du droit de vote. Ils étaient dailleurs inscrits sur les
listes électorales car ils conservaient la jouissance du droit, mais ils ne pou-
vaient l
exercer quune fois redevenus civils.
Le vote était personnel, facultatif et égal.
Quant au
mode de scrutin, après une alternance qui fit succéder le scrutin
uninominal au scrutin de liste et réciproquement, la législation électorale s
était
arrêtée au système du scrutin uninominal. Aux termes des lois des 21 juillet
1927 et 20 mai 1936, les députés étaient élus au scrutin uninominal dans des
circonscriptions constituées par l
arrondissement ou une subdivision de celui-
ci. D
après le tableau des circonscriptions annexé à la loi du 20 mai 1936, le
nombre des circonscriptions et par conséquent des députés était, pour la der-
nière législature de la III
e République, de 617.
La durée du mandat législatif pour les députés a été fixée à quatre ans par la
loi organique du 30 novembre 1875 (art. 17). Ce chiffre constitue une solution
moyenne entre la tendance démocratique qui est en faveur du mandat court qui
laisse le député dans la dépendance de la volonté populaire et l
expérience poli-
tique qui prouve quun bon exercice des fonctions nest possible quavec un
mandat assez long.
La Constitution de 1875, en instituant la dissolution, avait prévu une abré-
viation exceptionnelle du mandat, mais la dissolution était pratiquement abolie
comme incompatible avec l
évolution de nos institutions parlementaires.
Contrairement
intégralement
la Chambre
(L. 30 novembre 1875, art. 15, 2
o) mais ce principe nexclut pas les élections
partielles qui, en cas de vacance du siège par décès, démission ou autrement,
au Sénat,
renouvelle
se
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346
Droit constitutionnel
doivent avoir lieu dans le délai de trois mois à partir du jour où la vacance sest
produite (L. 21 juillet 1927, art. 6). Toutefois il n
y a pas lieu à élection si la
vacance survient dans les six mois qui précèdent le renouvellement de la
Chambre.
B Le Sénat
372. Le Sénat de la loi du 24 février 1875. Nous avons vu que linstitu-
tion d
un Sénat était, pour les monarchistes de lAssemblée nationale, une des
conditions d
acceptation de la Constitution. Aussi ny a-t-il pas lieu de séton-
ner qu
ils aient entendu en faire une assemblée susceptible de freiner la Cham-
bre issue directement du suffrage universel. Toute l
organisation du Sénat sins-
pire de cette pensée.
Dabord le Sénat est une assemblée peu nombreuse (300 membres en 1875,
314 depuis la loi du 17 octobre 1919) de façon à échapper aux emportements
qui menacent les assemblées plus peuplées ; c
était en outre, une assemblée
âgée car l
éligibilité au Sénat est fixée à 40 ans, au lieu de 25 pour la Chambre.
Or, l
âge est par lui-même un gage de pondération et bénéficie de lapport de
l
expérience généralement peu favorable aux emballements. Ensuite une partie
des sénateurs échappait à l
emprise de lélection car soixante-quinze sénateurs
étaient
inamovibles, nommés à vie. Les premiers inamovibles furent désignés
par l
Assemblée nationale avant sa séparation. Leurs successeurs devaient être
recrutés par le Sénat lui-même, par cooptation.
Quant aux sénateurs élus, la Constitution prenait toute précaution pour que
leur origine ne vînt pas altérer le caractère qu
elle entendait donner à la haute
assemblée. Ils étaient élus pour neuf ans, ce qui relâchait leur dépendance à
l
égard du corps électoral ; le Sénat se renouvelait par tiers tous les trois ans,
ce qui évitait les changements brusques de majorité et les décisions d
intérêt
électoral qui accompagnent souvent les derniers temps des législatures ; enfin
et surtout le Sénat était élu au suffrage à plusieurs degrés et par un corps élec-
toral peu nombreux et savamment constitué.
Cest dans la composition de ce corps électoral quapparaît le mieux linten-
tion des constituants de 1875. Le collège électoral comprenait, dans chaque
département qui formait circonscription électorale : les députés, les conseillers
généraux, les conseillers d
arrondissement et les délégués sénatoriaux, élus par
les conseils municipaux. L
élection avait donc lieu au suffrage universel indi-
rect puisque les électeurs étaient eux-mêmes des élus.
Le caractère marquant de ce système résidait en ceci que toute commune,
quel que fût le nombre de ses habitants, n
élisait quun seul délégué sénatorial.
Tout le pouvoir électoral appartenait donc aux petites communes qui représen-
taient dans le pays lélément le plus conservateur. Le Sénat méritait ainsi le titre
de Grand Conseil des communes françaises que lui décerna Gambetta.
Encore que fortement atténué, ce caractère marquera le Conseil de la Répu-
blique de la constitution de 1946 et le Sénat actuel (v.
infra no 422 s., infra
no 619 s.).
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La IIIe République
347
373. Le Sénat depuis la réforme de 1884. Lorsque la République fut
solidement implantée, il apparut que l
institution conservatrice de 1875 devait
être, sinon supprimée (une proposition en ce sens n
aboutit pas), du moins
transformée. L
opération fut réalisée en deux temps. Dabord la loi constitution-
nelle du 14 août 1884, article 3, déconstitutionnalisa les articles 1 à 8 de la loi
constitutionnelle du 24 février 1875 relatifs à lorganisation du Sénat. Puis ces
articles nayant plus le caractère constitutionnel furent modifiés par la loi ordi-
naire du 9 décembre 1884. Cette loi transforma sensiblement le caractère du
Sénat.
a) Les inamovibles sont supprimés pour satisfaire à lexigence démocratique
qui ne peut s
accommoder des représentants à vie, donc irresponsables. Toutefois
les inamovibles restèrent en place jusqu
à leur mort, puis leurs sièges furent attri-
bués aux départements les moins favorisés par leur représentation sénatoriale.
b) Le principe du délégué unique est supprimé. La loi de 1884 fait varier le
nombre des délégués avec l
importance du conseil municipal qui varie elle-
même avec l
importance de la commune. Seulement, sil y a variation, il ny a
pas proportionnalité ni entre le nombre des délégués et le chiffre du conseil
municipal, ni entre celui-ci et l
importance de la commune. En fait le législateur
de 1875 a procédé de telle sorte que les communes rurales ont cessé d
être pri-
vilégiées et que, au lieu de rétablir une égalité absolue entre les communes, le
privilège est passé aux gros bourgs, aux chefs-lieux de cantons qui, à l
époque
de la réforme, formaient les fiefs électoraux de la majorité parlementaire.
En dépit de la réforme de 1884, le Sénat est resté une assemblée dont lesprit
est différent de celui de la Chambre, d
une part à raison des règles de 1875 qui
sont demeurées en vigueur (âge, durée, mode de renouvellement), d
autre part à
cause des singularités de son collège électoral.
374. Légalité de principe entre la Chambre des députés et le Sénat.
Elle sexplique par les raisons mêmes qui avaient conduit à linstitution du
Sénat. Elle se traduit notamment en ce que le Sénat a les mêmes pouvoirs que
la Chambre en matière législative, aussi bien constitutionnelle qu
ordinaire
(L. 24 février 1875, art. 8) ; il a le même droit d
initiative et damendement.
L
égalité lui avait toutefois été contestée en ce qui concerne le contrôle gouver-
nemental ; ses adversaires prétendaient qu
il navait pas le droit de renverser le
gouvernement. Cette thèse n
a pas prévalu et en fait le Sénat a plusieurs fois
contraint des ministères à se retirer après les avoir mis en minorité.
La seule exception au principe de légalité des Chambres existe en matière
financière. La loi du 24 février 1875 dit en effet que «
les lois de finances doivent
être, en premier lieu, présentées à la Chambre des députés et votées par elle ».
Cette priorité de la Chambre vise toutes les lois ayant pour objet principal les
finances (impôts, douanes, emprunts, lois monétaires, crédits supplémentaires,
règlements d
exercice clos) ; elle consiste essentiellement dans une priorité chro-
nologique d
après laquelle le Sénat ne pouvait connaître dun projet quaprès que
la Chambre en avait été saisie et l
avait adopté. Même ainsi linégalité était sen-
sible entre les deux assemblées car le Sénat, saisi du projet de budget peu de
temps avant louverture de lannée financière, se trouvait dans lobligation de
l
examiner rapidement sil ne voulait pas retarder lentrée en vigueur du budget
ce qui, impliquant recours aux douzièmes provisoires, était une mesure grave.
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348
Droit constitutionnel
§ 2. Le pouvoir exécutif
375. La dualité des organes de lexécutif. Conformément au principe
traditionnel du parlementarisme (v.
supra no 97 et 137), les lois de 1875 établis-
sent la dualité des organes de lexécutif : Président de la République et cabinet
ministériel. Cependant les considérations théoriques nont pas été toutes déter-
minantes. Si les constituants ont admis cette solution, c
est en raison des facili-
tés que la fonction de chef de l
État offrait à une restauration monarchique. En
outre, le système parlementaire des Chartes était un précédent dont l
influence
fut certaine : on instituait une monarchie constitutionnelle sans monarque.
A Le Président de la République
376. Le Président de la République est lélément stable de lexécutif ; sa
fonction ne fut pas à proprement parler créée par la loi constitutionnelle,
puisque celle-ci ne fit que consolider une situation déjà existante depuis la loi
du 31 août 1871, dite Constitution Rivet (Dansette, 1981 ; v.
supra no 364).
377. Lorganisation de la fonction présidentielle. Daprès larticle 2 de
la loi constitutionnelle du 25 février 1875, le Président de la République est élu
à la majorité absolue par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assem-
blée nationale. Défavorablement impressionnés par le précédent de 1848 qui
enseignait qu
un chef dÉtat élu par le peuple est presque fatalement conduit à
détruire les institutions républicaines, les constituants de 1875 n
entendirent pas
permettre le renouvellement de cette expérience. Ils préférèrent un mode de
désignation, qui, s
il favorise un certain effacement du chef de lÉtat, a du
moins, outre l
avantage de la rapidité, celui déviter que les suffrages populaires
portent à la magistrature suprême un homme tenté d
abuser du prestige que lui
valent et sa situation et son élection.
Il nexiste aucune condition déligibilité spéciale pour la présidence de la
République ; il suffit d
être électeur. En fait, furent toujours élus des hommes
exerçant de hautes fonctions politiques (Président du Conseil, Président du
Sénat ou de la Chambre). Seuls les membres des familles ayant régné sur la
France étaient inéligibles.
Quant au vote lui-même, il se caractérise par deux règles dont lobjet est
d
affranchir le Président de toute sujétion vis-à-vis des partis et même de lAs-
semblée : d
une part, le vote a lieu au scrutin secret, la discipline des partis na
pas à jouer ; d
autre part, lélection a lieu à la majorité absolue, ce qui donne
nécessairement un nombre respectable de voix à lélu et assied son autorité.
Le Président de la République est élu pour sept ans ; ce chiffre, qui est un
des plus élevés que connaisse l
histoire constitutionnelle, correspond à lespé-
rance de vie que l
on prêtait au Comte de Chambord. Le Président de la Répu-
blique est toujours rééligible, mais en fait deux Présidents seulement ont béné-
ficié de cette faculté : Grévy et Lebrun.
378. Condition du Président de la République. Les constituants de 1875
ont doré le trône où, éventuellement, viendrait s
asseoir un monarque. Ils nont
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La IIIe République
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donc refusé au Président aucun des prestiges auxquels est liée la dignité exté-
rieure. Ils l
ont doté dun traitement qui, pour ne pas atteindre le chiffre de cer-
taines dotations royales, est cependant honorable ; ils ont protégé de façon spé-
ciale sa personne contre le délit d
offense ; ils lont institué grand maître de
l
Ordre de la Légion dhonneur. Mais ils nont pas oublié quils faisaient de
lui un chef dÉtat parlementaire : ils lui ont accordé lirresponsabilité.
Il ne peut être poursuivi que pour crime de haute trahison, ce qui implique
que tous ses actes doivent être contresignés par un ministre.
379. La fonction du Président. LAssemblée nationale ne lui avait pas
marchandé les attributions. La liste en est impressionnante (L. constit. 25 février
1875, art. 3 et 5, 16 juillet 1875, art. 2, 6, 7 et 8) : droit de convoquer et d
ajour-
ner les Chambres, de leur adresser des messages, de dissoudre la Chambre des
députés ; initiative des lois, pouvoir réglementaire, droit d
exiger une nouvelle
délibération, commandement de la force armée ; représentation de la France à
l
intérieur et à lextérieur ; envoi et réception des ambassadeurs, négociation et
ratification des traités, droit de grâce.
Pourquoi cette énumération prit-elle très vite laspect dune curiosité histo-
rique ? Parce qu
il ne suffit pas de donner des pouvoirs à un organe, il faut
encore qu
il soit en situation de les exercer. Or, au lieu de profiter de leur irres-
ponsabilité pour tenter d
agir, les Présidents de la IIIe République préférèrent
jouer le jeu parlementaire en ne conservant que l
apparence du pouvoir pour en
laisser la réalité au gouvernement. Ce n
est pas à dire que tous acceptèrent de
gaieté de c
œur léloignement où ils étaient tenus à légard de toute véritable acti-
vité politique. Mais les conditions mêmes dans lesquelles leurs prédécesseurs
avaient tenté d
user des prérogatives que leur reconnaissait la Constitution en
rendaient désormais l
emploi impossible. En usant inopportunément de la disso-
lution, Mac-Mahon affaiblit la Présidence, le scandale des décorations au temps
de Grévy la discrédite et l
essai de résistance de Millerand en 1924 ne fait, par
son échec, qu
illustrer la faiblesse profonde de linstitution.
Est-ce à dire que, vidée de tout contenu, la fonction présidentielle ne sim-
posait plus ? Ce serait exagéré. Jusqu
à létablissement du régime parlemen-
taire, le chef de l
État était, dans lacception totale du terme, le chef de lexécu-
tif, comme il était, dans tous les domaines de l
activité étatique,
l
agent
d
exercice de la puissance suprême. Lorsque sintroduisit le parlementarisme,
la notion de pouvoir exécutif se détacha progressivement de celle de chef de
l
État et cela parce quil était nécessaire de constituer un organe exécutif respon-
sable devant le Parlement. Alors le chef de l
État demeure bien le titulaire des
principaux droits de l
exécutif, mais il ne les exerce plus lui-même ; par linter-
médiaire du contreseing les ministres les mettent en œuvre. Cependant, le
régime parlementaire implique l
existence dune autorité stable, qui interviendra
le cas échéant entre le cabinet et l
Assemblée pour atténuer un antagonisme où
l
intérêt de lÉtat risque dêtre perdu de vue. Il exige aussi que lunité de direc-
tion soit assurée malgré la succession des ministères. Il impose enfin une figure
permanente pour incarner lÉtat dans ses rapports avec létranger. Pour assurer
cette coordination, cette continuité et cette permanence, l
existence dun chef de
l
État est indispensable.
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Droit constitutionnel
Certes, en raison de limpossibilité duser du droit de dissolution, une
impossibilité parfois abusivement appelée « désuétude » (v.
supra no 45), le Pré-
sident de la République n
était plus à même de jouer utilement le rôle dagent
régulateur des rapports entre les pouvoirs publics, mais du moins, il lui restait
deux autres prérogatives essentielles par lesquelles il pouvait encore exercer une
action considérable ; la nomination du chef du gouvernement et la présidence
du Conseil des ministres.
Assurément dans le choix du Président du Conseil, il nest pas absolument
libre puisqu
il ne saurait imposer au Parlement une personnalité qui ne partage
pas l
opinion de la majorité. Mais sil doit tenir compte de la composition des
Chambres, la multiplicité des partis lui laisse la latitude de choisir, parmi les
Présidents du Conseil « possibles », l
homme qui lui paraît le plus qualifié.
Quant au droit de participer aux réunions du ministère en les présidant, cest
grâce à lui que le Président de la République peut exercer l
action la plus
féconde. La longue durée de son mandat lui assure la connaissance d
affaires
dont les ministères successifs ont à s
occuper ; il peut ainsi assurer la continuité
dans les délibérations gouvernementales. Sans doute il n
a que voix délibéra-
tive, mais son expérience et le prestige que lui valent ses fonctions antérieures
sont de nature à donner du poids à ses avis. Il suffit de songer au rôle joué par
un monarque parlementaire comme Édouard VII ou Louis-Philippe, par un Pré-
sident comme Poincaré pour concevoir tout ce que peut un chef d
État quand
bien même la pratique ne lui accorde aucun pouvoir effectif de décision. Sa
fonction se présente plus comme un rôle qu
il doit jouer que comme un
ensemble de pouvoirs, au sens juridique du mot, exercés par lui. La seule véri-
table autorité qui appartienne en propre au Président de la République, c
est une
autorité morale, un pouvoir de persuasion et d
influence qui valent ce que
valent la valeur personnelle et l
ascendant de celui qui est appelé à en user.
B Les ministres
380. Les ministres dont la réunion constitue le cabinet assument le gouver-
nement. Ils forment lélément mobile et agissant du pouvoir exécutif.
Les ministres sont nommés et révoqués par le Président de la République,
mais en fait celui-ci choisit seulement le Président du Conseil qui soumet à sa
signature les autres membres du cabinet. D
ailleurs la nomination des ministres
n
échappe pas à la règle du contreseing, ce qui provoque cette situation para-
doxale du Président du Conseil sortant contresignant la nomination de son suc-
cesseur qui a peut-être contribué à le renverser. Quant au pouvoir de révocation,
il na pratiquement pas à être exercé puisque les ministres démissionnent lors-
qu
ils sont mis en minorité devant les Chambres.
Le nombre des ministres navait pas été fixé par la Constitution qui entendait
laisser l
exécutif libre dorganiser à son gré le ministère sous la seule condition
d
obtenir des Chambres les crédits nécessaires.
Cependant, le ministère comprend obligatoirement un Président du Conseil
qui est son chef et des ministres dotés d
un portefeuille ; il comporte parfois des
ministres sans portefeuille et des sous-secrétaires d
État.
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La IIIe République
351
Le Président du Conseil est une création de la pratique constitutionnelle, car
la Constitution ne le mentionne pas. Mais sa raison d
être nest pas moins évi-
dente : le collège ministériel a besoin d
un chef qui assure la coordination des
services de chaque département de même qu
il a besoin dune tête qui le repré-
sente devant l
opinion et le Parlement. Aussi bien lexistence dun Président du
Conseil est traditionnelle dans le régime parlementaire où elle est le corollaire
de l
irresponsabilité du chef de lÉtat.
En droit, le Président du Conseil ne jouit daucune prééminence parmi les
autres ministres ; on dit qu
il est primus inter pares, mais en réalité il est supé-
rieur à ses collègues du seul fait de son rôle. D
abord il est leur chef en ce sens
qu
une fois définie la politique gouvernementale, cest à lui quil incombe den
faire respecter la ligne par les divers services ministériels ; ensuite il est le chef
de la majorité parlementaire, ou du moins de la coalition de partis qui donne
naissance à la majorité. À ce titre, il lui appartient de diriger cette majorité, de
décider jusqu
où il faut la suivre et, le cas échéant, dagir sur elle pour lamener
à prendre conscience des difficultés gouvernementales.
En droit, tous les ministres sont égaux sauf une prééminence traditionnelle
du garde des Sceaux qui est généralement vice-président du Conseil. Mais en
fait, une hiérarchie s
établit entre eux, fondée sur linégale importance des
divers portefeuilles.
381. Le Conseil des ministres. Le régime parlementaire comporte tradi-
tionnellement une autorité collective : le Conseil des ministres. La constitution
de 1875 reconnaît l
existence de cette institution en lui accordant certaines attri-
butions propres, par exemple la nomination des conseillers d
État.
Tous les ministres font partie du Conseil des ministres, mais en principe les
sous-secrétaires d
État ny sont pas admis. Lorsque les séances ont lieu sous la
présidence du Président de la République, il y a Conseil des ministres propre-
ment dit, mais il y a aussi des délibérations hors de la présence du chef de l
État,
ce sont les Conseils de cabinet. Les délibérations sont toujours secrètes et il
n
est pas tenu de procès-verbal. Cette règle est sans doute utile pour sauvegar-
der l
homogénéité ministérielle puisque les décisions seront censées avoir été
prises d
un commun accord entre tous les ministres, mais elle présente lincon-
vénient de ne laisser aux gouvernements successifs aucun motif des décisions
prises. La Constitution de 1946 l
a abrogée.
Le rôle du Conseil des ministres est essentiellement politique. Cest lui qui
détermine avec le Président du Conseil le programme politique du gouverne-
ment, examine et résout les problèmes de politique générale et coordonne l
ac-
tivité des ministres.
Section 3
Le fonctionnement des pouvoirs publics
382. La collaboration des pouvoirs. Selon la conception classique du
assumées
régime parlementaire,
les grandes
fonctions
étatiques
sont
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352
Droit constitutionnel
conjointement par le Parlement et le gouvernement. Aussi, la Constitution de
1875 associe-t-elle les deux organes à l
exercice de toutes les fonctions essen-
tielles :
en matière législative le gouvernement et le Parlement ont lun et lautre
l
initiative, le Parlement vote et lexécutif promulgue et fait exécuter la loi (pou-
voir réglementaire) ;
il en va de même en matière financière car le budget obéit sensiblement
aux mêmes règles que les lois ordinaires ;
dans le domaine de la politique générale, le Parlement contrôle le gou-
vernement, mais celui-ci participe aux débats et les dirige ;
en matière diplomatique lexécutif négocie les traités, mais il ne peut
ratifier les plus importants dentre eux sans lautorisation du Parlement ;
il nest pas jusquaux mesures de clémence qui ne soient, quant à leur
exercice, partagées entre les deux organes : le Président de la République
confère la grâce et le Parlement accorde l
amnistie.
Comme nous ne saurions entrer dans lexamen de chacune des fonctions
énumérées ci-dessus, nous retiendrons seulement la législation puis nous envi-
sagerons les rapports entre les pouvoirs publics, c
est-à-dire le jeu du régime
parlementaire dans le cadre de la Constitution de 1875.
§ 1. La législation
383. La Constitution de 1875 ne fait aucune distinction quant au contenu
des lois. La définition de la loi est
formelle : est loi tout acte voté par le Parle-
ment, quel que soit son objet.
Linitiative des lois appartient concurremment au Président de la République
et aux membres du Parlement. En fait, ce sont les ministres
qui juridiquement
n
ont pas linitiative qui exercent la prérogative du Président en soumettant à
sa signature un décret qui les charge de déposer
le projet. Quant aux initiatives
parlementaires, elles portent le nom de
propositions. Sauf en matière financière
où la Chambre des députés jouit d
un droit de priorité, les projets peuvent saisir
indifféremment l
une ou lautre Chambre. Les sénateurs ont le même droit
d
initiative que les députés. Lamendement qui est une sorte dinitiative par-
tielle puisqu
il tend à introduire des additions ou des modifications au projet
primitif, suit les mêmes règles que l
initiative.
Le projet ou la proposition sont nécessairement examinés par la commission
compétente et cest sur le rapport de celle-ci que sengage le débat.
384. Le vote. Comme chaque Chambre doit voter le texte pour que celui-
ci devienne loi, une transmission est nécessaire. Pour les projets elle est faite par
le gouvernement : pour les propositions c
est le Président de la Chambre qui a
voté la première qui l
assure.
385. La promulgation. Toute loi doit être promulguée et le Président de
la République doit se soumettre à cette règle dans le délai dun mois à dater de
l
adoption définitive du texte par le Parlement. Les Chambres peuvent même
l
urgence de la promulgation
réduire ce délai à trois jours en décidant
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La IIIe République
353
(L. constit. 16 juillet 1875, art. 7). Toutefois le même texte prévoit que, dans le
délai prévu pour la promulgation, le Président de la République peut demander
par un message aux Chambres de procéder à une nouvelle délibération de la loi.
Les Chambres doivent déférer au désir du Président.
La promulgation rend la loi parfaite et lui donne sa date, mais pour que le
texte soit obligatoire, il faut quil soit connu. La publication est lacte matériel
par lequel la loi est portée à la connaissance des citoyens : elle consiste dans
l
insertion au Journal officiel. Cependant il est rare que la loi puisse être exécu-
tée telle qu
elle a été publiée ; généralement elle a besoin dêtre précisée par des
mesures qui fixent le détail de son exécution. C
est précisément lobjet des
règlements.
386. Les règlements. Le Président de la République a le pouvoir de faire
des règlements pour l
application des lois. Ce pouvoir trouve sa source soit dans
la Constitution elle-même (L. constit. 25 février 1875, art. 3), soit dans la loi qui
invite le chef de l
État à réglementer les conditions de son application. Au fond,
le règlement a la même nature que la loi puisque, comme elle, il porte une règle
générale, mais, étant donné la définition formelle de la loi qui s
impose daprès
la Constitution, il n
y a donc pas à proprement parler un domaine réglemen-
taire : le Président de la République peut prendre des règlements sur toutes
matières dès lors qu
il sen tient à la position subordonnée dune mise à exécu-
tion d
une loi préexistante.
En réalité ce nest pas le Président de la République qui exerce le pouvoir
réglementaire ; il se borne à signer les actes qui lui sont présentés par les minis-
tres. Ces règlements s
appellent les décrets réglementaires.
387. Les décrets-lois. Les décrets-lois forment une catégorie particulière
de règlements, qui se caractérisent par une extension tout à fait remarquable du
pouvoir dont dispose le gouvernement. Cette pratique est née et s
est dévelop-
pée lorsqu
il est apparu que la procédure parlementaire normale était trop lourde
pour permettre de prendre en forme législative les mesures qui s
avéraient
nécessaires.
Tel était notamment le cas lorsque ces mesures étaient urgentes ou quelles
risquaient de rendre leur auteur impopulaire. Elle est apparue pendant la Pre-
mière Guerre mondiale et a été employée à maintes reprises ensuite, spéciale-
ment en matière économique à partir de 1926 et de plus en plus fréquemment
dans les dernières années de la III
e République. La procédure comportait trois
phases :
1) Le Parlement votait une loi dhabilitation, par laquelle il autorisait le gou-
vernement à prendre pendant une certaine période des décrets-lois dans une
matière donnée. Ces règlements pouvaient modifier des lois. À lexpiration de
la période fixée, le gouvernement devait soumettre les décrets-lois à la ratifica-
tion du Parlement. La loi d
habilitation était nécessaire pour deux raisons tenant
au caractère initial et à la suprématie de la loi. En premier lieu, le gouvernement
ne disposait que du pouvoir exécutif, c
est-à-dire quil nexistait aucun domaine
relevant par nature de la compétence du pouvoir réglementaire. Toute mesure
nouvelle ne pouvait être adoptée qu
en forme de loi ; le gouvernement ne pou-
vait prendre un règlement que pour l
exécution dune loi et seulement à
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Droit constitutionnel
linvitation du législateur lui-même ou, parfois, en cas de carence du législateur.
En second lieu, le règlement se situait dans la hiérarchie des normes à un degré
inférieur à celui de la loi et il ne pouvait jamais abroger ou modifier une loi. Un
règlement contraire à une loi aurait été annulé par le Conseil d
État, saisi dun
recours pour excès de pouvoir. Ainsi, en 1926, la loi d
habilitation autorisait le
gouvernement à prendre des mesures pour réaliser des économies budgétaires,
notamment en procédant à des suppressions demplois ou de services, ce qui ne
pouvait évidemment pas être réalisé par décret.
2) Le gouvernement adoptait les décrets-lois. Ces décrets-lois, conformé-
ment à la définition formelle et organique des actes juridiques, bien qu
ils modi-
fient des lois antérieures, n
étaient pas des lois. Ils navaient pas valeur législa-
tive, mais seulement réglementaire et étaient soumis au régime juridique des
règlements, qui sont des actes administratifs. Ils étaient donc susceptibles
d
être attaqués par la voie du recours pour excès de pouvoir et pouvaient être
modifiés par d
autres règlements. Ils avaient cependant un domaine et une por-
tée très vastes. En 1926, le gouvernement avait été jusqu
à réorganiser les tri-
bunaux et supprimer les secrétaires-généraux de préfecture.
3) À lexpiration du délai, le gouvernement devait déposer un projet de loi
de ratification. Mais plusieurs cas pouvaient se produire (Barthélemy et Duez,
1933, p. 780) :
a) Le gouvernement déposait effectivement ce projet, qui était adopté par le
Parlement. Dans ce cas, conformément au critère formel et organique, les
décrets-lois devenaient des lois et étaient soumis au régime juridique de la loi :
ils ne pouvaient plus être modifiés que par des lois, et ne pouvaient plus être
contestés devant une juridiction.
b) Le gouvernement déposait effectivement le projet, mais le Parlement
refusait de l
adopter. Les décrets-lois étaient alors abrogés. Cest dailleurs ce
qui s
est produit en 1926. Les tribunaux créés par décrets-lois furent supprimés
et les secrétaires-généraux de préfecture rétablis.
c) Le Parlement ne délibérait pas sur le projet de loi de ratification, qui
n
était donc ni adopté, ni repoussé. Dans ce cas, les décrets-lois restaient en
vigueur, mais conservaient la nature et le régime juridique des règlements. Ils
pouvaient être modifiés par d
autres règlements et leur validité pouvait être
contestée devant une juridiction.
Cette technique a été très vivement contestée. On en a dabord critiqué la
régularité constitutionnelle. On y a notamment vu une atteinte à la séparation
des pouvoirs, puisque, disait-on, le pouvoir législatif était exercé par le gouver-
nement. On a également affirmé qu
était violé le principe selon lequel les com-
pétences ne peuvent être déléguées, mais doivent être exercées par l
organe
auquel elles ont été attribuées.
Ces arguments ne sont cependant pas fondés. Il faut observer avant tout que
les lois constitutionnelles de 1875 ne contiennent aucune disposition interdisant
les délégations de compétence et qu
un tel principe existait certes dans le droit
administratif, mais nullement dans le droit constitutionnel français de cette
époque. Mais il faut souligner surtout que les lois dhabilitation ne transféraient
nullement au gouvernement le pouvoir législatif. Ce qui caractérise en effet le
pouvoir législatif, c
est la capacité dédicter des actes qui auront la nature de loi
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La IIIe République
355
et seront soumis au régime juridique de la loi, ce qui nest nullement le cas des
décrets-lois, qui sont des décrets réglementaires et sont soumis au régime juri-
dique des règlements, tant qu
ils nont pas été formellement ratifiés. Cest seu-
lement la ratification, c
est-à-dire lintervention du Parlement, qui les trans-
forme en loi. Ce que réalise la loi d
habilitation, cest une extension du
domaine dans lequel peut intervenir le pouvoir réglementaire.
Le gouvernement reste donc bien dans son rôle de pouvoir exécutif. Il ne fait
qu
exécuter la loi dhabilitation. Il est vrai que cette subordination nest que
formelle et que si le domaine délégué est large, l
exécutif est libre, pendant le
délai prévu et en se conformant aux conditions fixées par le législateur, de pren-
dre les mesures de son choix. Mais la hiérarchie des normes n
est jamais quune
hiérarchie formelle. La différence de degrés entre les actes ne tient pas à leur
importance politique, mais uniquement à leur force juridique.
On a également soutenu que le mécanisme des décrets-lois était contraire
aux principes politiques de la démocratie représentative et que, bien qu
il puisse
être formellement correct, il ne reflète pas moins l
impuissance du Parlement à
exercer réellement son pouvoir. Il faut cependant souligner que le recours à un
procédé de ce genre est inévitable dans les États modernes, quels qu
ils soient.
L
Angleterre et les États-Unis y avaient déjà recours à la même époque. La
IV
e République prétendra y renoncer, mais sera contrainte dy revenir et le
général de Gaulle qui n
avait pas de mots assez durs pour la IIIe, sest inspiré
de la même technique, institutionnalisée par l
article 38 de la Constitution
de 1958.
§ 2. Le jeu du régime parlementaire dans le cadre
de la Constitution de 1875
388. Régime déquilibre entre les pouvoirs sous le contrôle de lopinion, le
parlementarisme implique que le gouvernement et le Parlement peuvent agir
réciproquement l
un sur lautre. Sans doute les lois de 1875 ne parlaient-elles
pas expressément du régime parlementaire, mais en instituant entre les organes
cette interdépendance qu
il suppose, elles facilitaient son introduction. Celle-ci
fut, en outre, favorisée, par les préférences et l
éducation du personnel politique
des premières années de la III
e République.
A Laction de lexécutif sur le Parlement
389. Issu de la majorité parlementaire, le cabinet doit conserver avec elle des
rapports qui lui permettent dobtenir son appui en léclairant sur ses intentions
et en l
associant aux difficultés de la tâche gouvernementale. Le Parlement
contrôle, mais, pour le faire à bon escient, il est nécessaire que le gouvernement
l
ait tenu au courant de ses buts et de ses intentions. À cet effet, les ministres ont
le droit dentrer dans les Chambres, et ils ont le droit dy prendre la parole.
Normalement, les ministres sont soit députés, soit sénateurs, ils ont accès
indifféremment à l
une et lautre assemblée ; mais même sils nappartiennent
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Droit constitutionnel
pas au personnel parlementaire, ils peuvent entrer dans les Chambres. Cest là
une différence capitale avec ce qui se passe dans le régime présidentiel, aux
États-Unis, où les membres du cabinet, ministres du Président, ne peuvent ni
être pris dans le Congrès, ni y entrer.
Quant au droit pour les ministres dêtre entendus par les Chambres, il est
capital, car cest lui qui leur permet de diriger les débats, cest-à-dire dappeler
la discussion sur un point, de l
orienter, de défendre une thèse, den critiquer
une autre et d
indiquer la solution qui leur semble simposer. Cest par leur pré-
sence à l
assemblée que les ministres tout à la fois écoutent et conduisent lopi-
nion publique telle qu
elle se dégage de lattitude de la représentation nationale.
Ce droit est si important qu
il est prévu par la Constitution que les ministres
« doivent être entendus quand ils le demandent » (L. constit. 16 juillet 1875,
art. 6) et qu
il ny a pas de débat lorsquils ne sont pas au banc du gouver-
nement.
Laction du gouvernement se fait également sentir par son droit dinitiative
qui lassocie étroitement au travail législatif. Nous savons aussi que la Consti-
tution avait même prévu, au profit de l
exécutif, un droit de veto relatif qui na
jamais été utilisé. Enfin la Constitution donne à l
exécutif un pouvoir direct sur
le Parlement lui-même en l
autorisant à convoquer les sessions extraordinaires,
à prononcer la clôture de la session ordinaire, à la suspendre et surtout à pro-
noncer la dissolution.
La dissolution est une pièce essentielle du mécanisme parlementaire, puis-
qu
elle arrache le ministère à la tutelle absolue des Chambres. Elle est la contre-
partie de la responsabilité ministérielle. Telle est, disait-on, la signification
qu
elle revêt dans la pratique constitutionnelle anglaise qui passait pour traduire
un parlementarisme authentique, et telle elle fut inscrite dans l
article 5 de la loi
constitutionnelle du 25 février 1875 : «
Le Président de la République peut, sur
l
avis conforme du Sénat, dissoudre la Chambre des députés avant lexpiration
légale de son mandat. En ce cas, les collèges électoraux sont convoqués pour
de nouvelles élections dans le délai de trois mois ».
Cette exigence de lavis conforme du Sénat était contraire à lavis de la com-
mission qui fit valoir contre elle des arguments qui demeurent encore valables :
d
une part, les débats au Sénat sur lattitude politique de la Chambre ne sont ni
convenables ni dignes des institutions représentatives ; d
autre part, la position
du Sénat serait impossible au cas où la majorité de la Chambre serait réélue car,
forte de ce succès, elle pourrait se présenter comme incarnant seule la volonté
nationale. Pourtant c
est à la demande du maréchal de Mac-Mahon que fut
introduite la condition de l
avis conforme du Sénat, car il craignait que le
Chef de l
État nosât point prendre seul la responsabilité dun acte aussi grave
(Albertini, 1978 ; Lauvaux, 1983).
Le droit de dissolution ne fut utilisé quune fois par Mac-Mahon, au cours
de la crise du 16 mai 1877 ; mais il aboutit à un échec : sur les 363 députés de la
majorité, 327 furent réélus. Le chef de l
État avait usé de la dissolution pour
imposer à la Chambre un ministère dont elle ne voulait point. Cette man
œuvre
réactionnaire aggravée d
une défaite a contribué à discréditer linstitution pour
toute la durée de la IIIe République.
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La IIIe République
357
B Laction du Parlement sur lexécutif
390. À côté de lélaboration des lois, le rôle essentiel du Parlement dans le
régime parlementaire est de surveiller l
activité du gouvernement, de lui faire
connaître les v
œux de lopinion et éventuellement de le contraindre à les res-
pecter. À cet effet, les assemblées disposent dune série de moyens de contrôle,
lenquête, linterpellation, et dune sanction : la mise en cause de la responsabi-
toutefois, n
est réglée par la
lité ministérielle. Aucune de ces procédures,
Constitution, elles font l
objet soit de dispositions du règlement de lassemblée,
soit de lois spéciales.
391. Les moyens du contrôle parlementaire. Le Parlement peut dabord
utiliser son pouvoir d
enquête. À cette fin, il défère une activité ou un fait à une
commission parlementaire qui prend le nom de commission d
enquête.
La question est un procédé de contrôle par lequel un parlementaire demande
au gouvernement ou à un ministre déterminé une explication ou un éclaircisse-
ment sur un point particulier relevant de la compétence de l
exécutif. La ques-
tion peut être orale ou écrite ; elle ne donne lieu ni à un débat ni à un vote.
Linterpellation est linstrument essentiel du contrôle parlementaire. Elle est
apparue en France sous la monarchie de juillet (v.
supra no 346) où elle servit
d
abord au gouvernement à sassurer de sa majorité. Au fond, elle nest pas
différente de la question car, comme elle, c
est une procédure par laquelle un
parlementaire demande au gouvernement d
expliquer sa conduite. Seulement,
dans sa forme et dans ses résultats, elle est beaucoup plus importante que la
question.
Dabord, le gouvernement est obligé de répondre. Cest la Chambre qui fixe
la date de l
interpellation ; elle dispose ainsi du moyen déviter les interpella-
tions oiseuses. Ensuite, l
interpellation donne lieu à un débat auquel tous les
parlementaires peuvent participer, l
interpellateur lui-même ne bénéficie que
du droit de parler plus longtemps que les députés qui interviennent seulement
dans les discussions. Enfin, l
interpellation se termine par un vote par lequel
l
assemblée précise son attitude à légard du gouvernement.
La résolution par laquelle la Chambre prend position à propos du débat qui
s
est déroulé devant elle sappelle lordre du jour, ce qui est une formule ellip-
tique pour dire qu
elle passe à lordre du jour, cest-à-dire aux autres questions
inscrites à son programme de travail. L
ordre du jour peut être pur et simple, la
Chambre n
approuve ni ne blâme, elle nexprime aucune opinion. Il peut être
aussi motivé, soit qu
il exprime la confiance, soit quil affirme la méfiance de
l
Assemblée à légard du gouvernement. Naturellement celui-ci prend position à
légard de la motion de lordre du jour et, si la Chambre repousse lordre du jour
qu
il accepte ou vote celui quil rejette, il doit démissionner. Les ministres,
membres des Chambres, conservent cette qualité et, à ce titre, votent sur l
ordre
du jour dans la Chambre à laquelle ils appartiennent, c
est-à-dire quils statuent
sur leur propre sort.
Le débat sur lordre du jour se complique très fréquemment dun incident : il
y a généralement plusieurs ordres du jour, la discussion s
engage alors sur le
point de savoir lequel sera voté le premier. C
est la question de la priorité. Le
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Droit constitutionnel
gouvernement peut poser la question de confiance à propos de la priorité et être
renversé sans que le débat se soit engagé au fond.
392. La responsabilité ministérielle. Lobligation de se retirer à la suite
d
un vote de méfiance est, pour le ministère, la sanction du contrôle parlemen-
taire. Elle constitue lexpression de la responsabilité politique des ministres.
Les ministres sont tenus par trois sortes de responsabilité : la responsabilité
pénale qui atteint les ministres dans leur personne ou leurs biens pour infraction
à la loi pénale ; la responsabilité
civile qui les oblige à réparer les dommages
qu
ils ont causés soit à des particuliers, soit à lÉtat ; enfin la responsabilité poli-
tique
, ainsi nommée parce quelle joue, abstraction faite de toute faute du gou-
vernement, pour simple désaccord avec le Parlement.
« Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la
politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes person-
nels
» (L. constit. 25 février 1875, art. 6). Ce texte pose le principe de la solida-
rité ministérielle
. Cette solidarité se justifie par le fait que tous les ministres sont
censés être unis par un programme politique commun ; elle suppose donc l
ho-
mogénéité ministérielle
et parfois même elle la crée, car le sentiment dune res-
ponsabilité solidaire rapproche les ministres, que leur diversité d
origine poli-
tique pourrait séparer.
La responsabilité peut être mise en jeu selon deux techniques différentes :
1
o La première, la motion de censure est à linitiative de la Chambre : il
s
agit dun texte par lequel, sur proposition de certains de ses membres, la
Chambre déclare qu
elle « censure » le gouvernement. Si ce texte est adopté
par la majorité de la Chambre, le gouvernement a l
obligation de présenter sa
démission.
2o La seconde, la question de confiance, est à linitiative du gouvernement
lui-même. Celui-ci peut estimer qu
un projet de loi est dune importance capi-
tale et qu
il lui serait impossible de réaliser son programme si ce projet nétait
pas adopté. S
il nest pas certain de disposer dune majorité à la Chambre pour
voter le texte, il peut tenter de faire pression sur elle en assortissant le dépôt du
projet d
une menace de démission en cas de rejet. Le gouvernement exprime
cette menace en indiquant que la Chambre doit lui manifester sa confiance en
adoptant le texte ou que le rejet du texte serait interprété comme une marque de
défiance, dont il devrait tirer les conséquences. Sous la III
e République, la ques-
tion de confiance ne requiert aucune forme particulière. Si le gouvernement
en
pratique, il s
agit du Président du Conseil menace ainsi de démissionner, cest
dans l
espoir que certains parlementaires reculeront devant la perspective dune
crise ministérielle, par exemple parce que leur parti est représenté au sein du
gouvernement et quune crise signifierait peut-être la perte du pouvoir. On dit
qu
il « engage sa responsabilité sur le texte » ou quil « pose la question de
confiance ». Le vote ne porte pas directement sur la question de confiance,
mais seulement sur le texte. Mais, bien entendu, si le projet n
est pas adopté,
cela signifie que la confiance a été refusée et que le gouvernement est tenu de
démissionner, comme il sy était dailleurs engagé. Il ne pourrait dailleurs
demeurer en fonction, puisqu
un texte quil estimait indispensable à la poursuite
de son action lui a été refusé.
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La IIIe République
359
§ 3. Les déformations du régime parlementaire
par la pratique politique
393. Déformation des institutions. On a beaucoup vanté la souplesse de la
constitution de 1875 et, en effet, elle a su sadapter aux graves crises intérieures
qui ont agité le régime et elle lui a permis de surmonter de redoutables périls
extérieurs. Mais, en matière constitutionnelle comme en toutes choses, l
élasticité
a ses limites : ce point critique fut atteint lorsque les institutions de 1875 durent se
prêter à l
action dune classe pour laquelle elles navaient pas été faites. Les lois
de 1875 ont été imaginées par une élite qui pensait s
en réserver lusage. Or, le
suffrage universel, en provoquant l
avènement au pouvoir des couches populai-
res, a créé une classe dirigeante qui n
était pas faite pour le maniement de ce
mécanisme délicat et quasiment aristocratique qu
étaient
les institutions de
1875. Dès 1880 on put constater une rupture d
équilibre entre la mentalité poli-
tique de la majorité nationale et les institutions.
1o Les déviations par rapport au modèle classique du régime parlementaire.
Selon le modèle classique, le régime parlementaire se caractérise par un équi-
libre et une collaboration des pouvoirs. Si l
une ou lautre des assemblées ren-
verse le cabinet, le chef de l
État demande, grâce à son droit de dissolution, au
corps électoral d
arbitrer le conflit. Mais en réalité, la IIIe République sorientait
d
une manière de plus en plus accentuée vers une domination des assemblées.
L
égalité des pouvoirs nexistait pas, une prépondérance absolue appartenait au
Parlement. Alors que celui-ci était pourvu de toutes les armes capables de lui
l
exécutif au contraire, était
assurer
dépourvu de moyens d
action sur les Chambres.
la subordination du gouvernement,
Du fait de linfériorité de la situation du chef de lÉtat, le cabinet ne trouvait
aucun appui dans la résistance qu
il eût été tenté dopposer au Parlement.
Nommé par les Chambres, le Président de la République ne pouvait les égaler
en prestige, il lui était impossible de soutenir efficacement le ministère.
À cause de limpossibilité de la dissolution, lexécutif, navait aucun moyen
à opposer à la mise en jeu de la responsabilité ministérielle. En cas de conflit
avec les assemblées, le gouvernement devait ou s
en aller ou se soumettre ; il lui
était impossible de faire prévaloir ses vues. L
habitude sétablit ainsi de consi-
dérer le cabinet comme un agent du Parlement nommé en fait et révocable
par lui.
Si, comme en Angleterre à la même époque, ces chambres avaient été domi-
nées par une majorité cohérente et disciplinée, son chef aurait exercé le pouvoir
exécutif et aurait bénéficié d
une grande force et dune grande stabilité. Mais le
système français des partis politiques était profondément différent.
Les partis étaient nombreux et le cabinet devait nécessairement sappuyer
sur une coalition et les coalitions étaient hétérogènes. On parvenait à les consti-
tuer sur un petit nombre de questions spécifiques, mais comme l
entente nétait
pas réalisée sur tous les plans, elles se disloquaient rapidement, pour laisser la
place au cours de la même législature à une autre, qui soutenait un nouveau
gouvernement menant une autre politique. D
ailleurs, le gouvernement, même
soutenu par une majorité à la Chambre, pouvait aussi, en raison du
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Droit constitutionnel
bicaméralisme égalitaire, être renversé par le Sénat, comme ce fut le cas du pre-
mier gouvernement de Front Populaire dirigé par Léon Blum.
Ce phénomène était particulièrement apparent dans les dernières années de
la III
e République, lorsque les ministres furent officiellement considérés comme
les représentants de leur parti au sein du gouvernement. En 1936, Léon Blum se
déclarait, devant la Fédération socialiste de la Seine, le « délégué » de son parti
au gouvernement.
2o Labsence dautorité. Une assemblée peut bien empêcher un ministère
de gouverner, elle ne peut gouverner elle-même. Si bien que l
autorité gouver-
nementale ne se trouvait nulle part, sauf peut-être dans les puissances de fait
extérieures aux mécanismes constitutionnels.
a) Le gouvernement était dans lincapacité dassurer un rôle dimpulsion et
de direction. La majorité dictait un programme. Perdant l
initiative, le gouver-
nement perdait l
autorité.
b) Dépourvu dautorité, le gouvernement ne pouvait simposer à un Parle-
ment soucieux de conduire au pouvoir de nouvelles équipes riches de nouvelles
promesses. D
où linstabilité ministérielle qui rendait impossible toute conti-
nuité politique.
c) Le régime était un mangeur dhommes car, dans sa crainte des personnali-
tés, il ne leur laissait pas le temps de faire leurs preuves. Si bien que sans cesse
revenaient au pouvoir les mêmes personnalités de plus en plus habiles aux
man
œuvres de couloirs, mais de plus en plus sceptiques quant à lefficacité de
leur action (Tardieu, 1936 ; Soulier, 1938).
À la suite de toute une série de crises (crise financière en 1926, politique en
1934, sociale en 1936, internationale à partir de 1938), la nécessité d
un chan-
gement dans les m
œurs politiques était admise par tout le monde. À partir de
1934, notamment, il n
était question que de la réforme de lÉtat (Gicquel et
Sfez, 1965). Rien de sérieux cependant ne fut essayé, parce que lentente nexis-
tait pas plus sur lesprit de la réforme ou les moyens daboutir que sur les ques-
tions de fond.
On ne pouvait pas espérer que les divisions très profondes qui traversaient la
classe politique et la société dans son ensemble puissent être surmontées par des
techniques constitutionnelles, même perfectionnées.
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Page 363
Chapitre 5
Les institutions politiques françaises
de 1940 à 1946
395. La France partagée. Pendant quatre années, qui furent parmi les
plus sombres de son histoire, la France ne vécut pas sous un gouvernement
constitutionnel. On oppose souvent à ce propos gouvernement
légal et gouver-
nement
légitime, pour affirmer que le gouvernement de Vichy était légal, mais
non légitime parce qu
il ne bénéficiait pas de ladhésion de lopinion, tandis que
le gouvernement de la France Libre aurait été quant à lui, légitime, mais non
légal, parce que s
il ne tirait pas sa compétence dune norme juridique positive,
il était soutenu par l
opinion. Cette opposition, parfaitement valide du point de
vue de la théorie ou de la morale politiques, est cependant peu pertinente au
regard de la théorie constitutionnelle. Si la légitimité dépend du soutien de
l
opinion, ce soutien est à la fois fort difficile à mesurer et sujet à fluctuations
constantes. Les tenants de la distinction entendent en réalité par
légitimité la
qualité d
un gouvernement dont laction leur paraît conforme à lintérêt du
pays, au sens de l
Histoire ou à la justice.
Aussi, du point de vue du droit constitutionnel, est-il préférable de considé-
rer seulement les problèmes juridiques relatifs à la forme du pouvoir au cours de
cette période troublée.
Section 1
Le gouvernement de « lÉtat français »
396. Si lon sen tient à la seule considération des textes, les institutions de
la République, telles qu
elles étaient fixées par les lois de 1875, ne cessèrent
d
être en vigueur quau 11 juillet 1940, date des premiers actes constitutionnels
édictés par le maréchal Pétain. Mais, en réalité, le changement de régime
remonte à la nuit du 16 au 17 juin 1940, c
est-à-dire au moment où, prenant
acte de la défaite des armées françaises, le maréchal Pétain constitua un gouver-
nement dans le cadre de la légalité existante sans doute, mais avec l
intention
den faire linstrument dune « révolution nationale » qui abrogerait la Constitu-
tion en vigueur. Cest dans cet esprit que fut convoquée lAssemblée nationale
dont on attendait une délégation du pouvoir constituant qui permettrait l
édifi-
cation du nouveau régime (Berl, 1968).
Page 364
364
Droit constitutionnel
§ 1. Lacte dit « loi constitutionnelle » du 10 juillet 1940
397. Telle quelle était définie par larticle 8 de la loi constitutionnelle du
25 février 1875, la procédure de révision de la Constitution comportait d
abord
deux résolutions concordantes prises dans chacune des Chambres à la majorité
absolue des voix, soit spontanément, soit sur la demande du Président de la
République, et déclarant qu
il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles.
Une fois prises ces résolutions, les Chambres se réunissaient en Assemblée
nationale et procédaient à la révision. Les décisions devaient être prises à la
majorité absolue des membres composant l
Assemblée.
398. La réunion de lAssemblée nationale. En application de ces règles,
une résolution relative à la convocation de l
Assemblée nationale fut votée le
9 juillet 1940, au Sénat par 229 voix contre 1 sur 230 votants, à la Chambre
des députés par 395 voix contre 3 sur 398 votants : la condition de majorité
absolue était donc satisfaite. L
Assemblée nationale se réunit le lendemain à
Vichy.
Le projet gouvernemental disposait que lAssemblée nationale donnait tous
pouvoirs au gouvernement, sous la signature et l
autorité du maréchal Pétain,
Président du Conseil, à l
effet de promulguer la nouvelle Constitution de
l
État français. Cette Constitution devait être ratifiée par les assemblées quelle
aurait créées.
La mise aux voix du projet donna les résultats suivants : votants : 649 ;
majorité absolue : 325 ; pour : 569 voix ; contre : 80. Il y eut 18 abstentions.
399. Portée de la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940. Larticle unique
de la loi est ainsi conçu : «
LAssemblée nationale donne tous pouvoirs au gouver-
nement de la République, sous l
autorité et la signature du maréchal Pétain, à
l
effet de promulguer par un ou plusieurs actes, une nouvelle constitution de
l
État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille
et de la patrie. Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les assemblées
qu
elle aura créées ».
En adoptant ce texte, lAssemblée na pas fait une constitution, elle a transféré
au gouvernement le pouvoir constituant. Pouvait-elle juridiquement agir ainsi ?
On la contesté en faisant valoir la règle selon laquelle une autorité consti-
tuée ne saurait déléguer à une autre la compétence qu
elle tient de la constitu-
tion (v.
supra no 49). Ce principe est une des conséquences nécessaires de la
suprématie des lois constitutionnelles, mais il n
est pas certain quil sapplique
à l
autorité constituante elle-même. Celle-ci est en effet maîtresse de la Consti-
tution, elle peut parfaitement la modifier en ce qui touche la procédure de révi-
sion. Or, le fait de remettre le pouvoir constituant au gouvernement, revenait, de
la part de lAssemblée, à modifier les règles valables quant aux modifications
constitutionnelles. De même qu
elle aurait pu régulièrement changer les règles
en vigueur quant à l
exercice du pouvoir législatif, de même lAssemblée natio-
nale pouvait réformer celles relatives à l
exercice du pouvoir constituant.
Admettre le contraire, cest adopter une distinction très répandue à lépoque
révolutionnaire, entre le pouvoir de révision, pouvoir limité que peut exercer
un organe constitué, et le pouvoir constituant qui n
appartient quau peuple
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Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946
365
statuant souverainement dans les formes quil juge opportunes. Or, cette distinc-
tion aboutit pratiquement à ne voir la manifestation du pouvoir constituant que
dans l
établissement révolutionnaire, cest-à-dire en dehors de toute forme préé-
tablie, des constitutions. C
est précisément ce que lon voulait éviter en
juillet 1940.
Lattitude adoptée en 1940 nest dailleurs pas restée unique dans notre his-
toire constitutionnelle. C
est elle qui fut reprise en juin 1958 lorsque le Parle-
ment a modifié la procédure de révision prévue par l
article 90 de la Constitu-
tion de 1946 pour transférer le pouvoir constituant au général de Gaulle (v.
infra
no 461). Certes la situation politique était différente, mais juridiquement lopé-
ration réalisée est identique à celle qui fut accomplie en 1940.
Il ny a donc pas eu à proprement parler une délégation du pouvoir consti-
tuant, mais institution d
un organe constituant nouveau : le maréchal Pétain,
auquel a été attribué un pouvoir qui jusqu
alors appartenait à lAssemblée natio-
nale et dont elle s
est définitivement dépouillée aussi bien en jouissance quen
exercice. Juridiquement, la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 est donc cor-
recte. Mais c
est parce quon a considéré par la suite quelle était malgré tout
illégitime, notamment parce qu
elle avait été adoptée sous la pression des cir-
constances, que l
article 89 alinéa 4 de la Constitution de 1958 interdit denga-
ger ou de poursuivre une procédure de révision constitutionnelle lorsqu
il est
porté atteinte à l
intégrité du territoire (v. infra no 500).
§ 2. Lorganisation constitutionnelle du gouvernement de Vichy
400. Le gouvernement de Vichy neut quune assise constitutionnelle rudi-
mentaire ; il reposait sur une série d
actes constitutionnels très brefs édictés par
le maréchal Pétain, et dont les principaux sont les actes nos 1 et 2 du 11 juillet
1940 relatifs à la personnalité et aux fonctions du chef de l
État, lacte no 7, du
27 janvier 1941, posant le principe de la responsabilité des secrétaires d
État et
hauts fonctionnaires devant le chef de l
État, les actes 11 (18 avril 1942), 12 et
12
bis qui instituent un chef de gouvernement et déterminent ses fonctions.
Au point de vue de lévolution constitutionnelle, deux périodes doivent être
distinguées : la première qui va jusqu
au 18 avril 1942 se caractérise par lexer-
cice de tous les pouvoirs étatiques par le seul chef de l
État, le maréchal Pétain ;
l
autre qui prend naissance par le retour au pouvoir de Laval dans les fonctions
de chef du gouvernement (acte constitutionnel n
o 11, 18 avril 1942) repose
apparemment sur un dualisme gouvernemental avec répartition des compéten-
ces entre le chef de l
État et le chef du gouvernement, mais est marquée en fait
par la dictature de ce dernier.
Lacte constitutionnel no 2 disposait que le chef de lÉtat français a la pléni-
tude du pouvoir gouvernemental. Il faut entendre par là qu
il exerçait seul et
effectivement la totalité des fonctions étatiques, à la différence du Président de
la République de 1875 qui, s
il disposait également dattributions très larges, ne
pouvait les exercer lui-même. Cette plénitude du pouvoir gouvernemental était
concrétisée par la liste des pouvoirs accordés au chef de l
État. Dune part, il
disposait des prérogatives habituellement considérées comme propres à
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366
Droit constitutionnel
lexécutif (nomination des ministres et des fonctionnaires, pouvoir réglemen-
taire, promulgation, négociation des traités) ; d
autre part, il exerçait le pouvoir
législatif. Enfin, à cette liste de compétences qui lui appartenait en tant que chef
de l
État, il faut ajouter le pouvoir constituant dont le Maréchal était personnel-
lement titulaire.
Ainsi aucune séparation des pouvoirs natténuait la puissance du chef de
l
État ; le gouvernement dont il nommait et révoquait librement les membres
n
était quun agent dexécution de ses volontés. Responsables devant lui, les
ministres devaient être considérés davantage comme de hauts fonctionnaires
administratifs que comme des personnalités politiques (Bonnard, 1942).
À partir du moment où fut institué un chef du gouvernement, le 18 avril
1942, la situation du chef de l
État fut considérablement diminuée. En effet,
l
acte constitutionnel no 11 décidait que le chef du gouvernement assure la
direction effective de la politique du pays, ce qui impliquait qu
il lui appartenait
d
exercer toutes les attributions du chef de lÉtat inhérentes à la fonction gou-
vernementale. En outre l
acte no 12 lui accordait, concurremment avec le chef
de l
État, le pouvoir législatif. De ce fait, la fonction du chef de lÉtat était
ramenée à un rôle de patronage du chef du gouvernement qu
il nommait et
dont, à ce titre, il devait être considéré comme partageant les vues politiques.
Cette concentration du pouvoir en la personne dun homme par où se tradui-
sait nettement un retour au pouvoir individualisé n
était quapparemment et très
légèrement atténuée par le rôle imparti à quelques organes secondaires chargés
de préparer les décisions gouvernementales. Il faut d
abord mentionner le
Conseil national institué par lacte dit loi du 22 janvier 1941, modifiée par
celle du 19 février 1943. Officiellement créé pour établir un contact entre l
opi-
nion et le gouvernement, il n
était en réalité quun instrument de celui-ci car il
ne jouissait d
aucune autonomie : ses membres étaient nommés par décret, lou-
verture et la durée de la session étaient fixées par le gouvernement qui était
également maître de la composition de son bureau. Aussi bien le Conseil natio-
nal n
avait aucun pouvoir propre de décision, il ne pouvait que donner les avis
qui lui étaient demandés par le gouvernement sans que celui-ci soit tenu de les
suivre. Le Conseil national n
a fonctionné quen commission : il ne fut jamais
réuni en séance plénière.
À cette organisation constitutionnelle rudimentaire et où aucune place nétait
faite à une représentation quelconque de la volonté nationale, il faut joindre
toutefois les visées plus ambitieuses mais très partiellement atteintes, vers le
corporatisme.
À ses débuts, lorsquil semblait que le régime avait une philosophie sociale
et politique propre, il apparut que celle-ci devait être d
inspiration corporative.
À cet effet on tenta dorganiser les professions, de les doter dordres et de
conseils de discipline. L
acte dit Charte du Travail du 4 octobre 1941 et la loi
du 2 décembre 1940 sur l
organisation de lagriculture jetèrent la vie indus-
trielle et paysanne dans une expérience corporative qui n
eut pas de suite. La
résistance de l
opinion à des mesures trop manifestement imposées et bientôt
détournées de leur but strictement national nautorisa que létablissement dun
corporatisme de façade qui ne parvint pas à voiler la structure intégralement
autoritaire du régime (Aron, 1954).
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Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946
367
Section 2
Lorganisation de la continuité républicaine
dans la France libre
401. Le 18 juin 1940, au lendemain du jour où le maréchal Pétain avait
demandé l
armistice, le général de Gaulle, dans un appel radiodiffusé de Lon-
dres, invitait les Français à le rejoindre pour continuer la lutte. Dès ce premier
message, il refusait de reconnaître toute légitimité au gouvernement de Vichy :
«
Des gouvernants de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant
l
honneur, livrant le pays à la servitude. ». Pour mener ce combat, il sera très
vite nécessaire, surtout quand les ralliements se multiplieront, de doter la France
Libre d
institutions représentatives. Lévolution de ces institutions ne sera pas
sans incidences pour l
avenir.
Le Conseil de défense de lEmpire, créé le 27 octobre 1940, est un orga-
nisme consultatif. Les décisions sont prises par le général de Gaulle sous le
nom d
ordonnances, ayant tantôt valeur de loi, tantôt valeur de décret.
402. Le Comité national français. Limportance croissante des territoires
de l
Empire ainsi que des forces armées françaises qui se rangeaient autour du
mouvement de la France libre, incitèrent le général de Gaulle à étoffer son gou-
vernement. Ce fut l
objet dune ordonnance du 24 septembre 1941 qui pose les
principes suivants :
Institution dun Comité national français sous la présidence du général
de Gaulle et composé de Commissaires nommés par lui.
Exercice du pouvoir législatif par le Comité. Les ordonnances délibérées en
Comité national sont signées et promulguées par le général de Gaulle et contre-
signées par un ou plusieurs des Commissaires. Il est prévu qu
elles seront, dès
que possible, soumises à la ratification de la représentation nationale.
Quant au pouvoir réglementaire, il est exercé par décrets rendus par le chef
des Français libres, sur la proposition de l
un ou de plusieurs des Commissaires
et contresignés par eux.
Les traités et conventions internationales qui, aux termes de larticle 8 de la
loi constitutionnelle du 16 juillet 1875, devaient être soumis à l
approbation des
Chambres, entrent en vigueur dès leur ratification par ordonnances.
403. Le Comité Français de Libération Nationale. Après le débarque-
ment allié en Afrique du Nord, des pourparlers entre de Gaulle et son rival le
général Giraud, donnèrent naissance le 3 juin 1943 au Comité Français de Libé-
ration Nationale (CFLN).
Les deux généraux constataient quen raison de loccupation du territoire par
lennemi, lexercice de la souveraineté du peuple français était suspendu. Le
CFLN devait exercer provisoirement cette souveraineté au fur et à mesure que
des portions du territoire français seraient libérées et y rétablir les libertés fon-
damentales, puis la remettre au gouvernement Provisoire, dès que celui-ci pour-
rait être constitué.
Le CFLN avait au début deux Présidents, les généraux de Gaulle et Giraud,
puis un seul après le retrait du général Giraud. Il exerçait, avec le concours
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368
Droit constitutionnel
dune Assemblée consultative provisoire, le pouvoir législatif et le pouvoir
réglementaire.
Cette organisation fut maintenue dans ses grandes lignes jusquau 2 novem-
bre 1945, avec seulement un changement de dénomination du CFLN, qui devint
gouvernement Provisoire de la République Française quelques jours avant le
débarquement de Normandie, le 3 juin 1944.
Section 3
Les gouvernements provisoires et la préparation
de la Constitution de 1946
404. Les étapes du provisoire. À la Libération, il eût été possible de
remettre purement et simplement en vigueur les lois constitutionnelles de
1875. Le gouvernement ne l
a pas jugé opportun et les citoyens lui ont donné
raison lors du référendum du 21 octobre 1945 (v.
infra no 408). De ce fait, le
pays se trouvait voué au régime du provisoire jusqu
à ladoption des institutions
définitives.
Mais, dans le provisoire lui-même, il y a des degrés et des natures différen-
tes. Il faut donc distinguer car, en une très courte période, la France a connu
deux sortes de gouvernements provisoires :
1o Le premier, dont le règne va du 3 juin 1944 au 2 novembre 1945, est un
gouvernement de fait, qui n
est que la transposition du gouvernement dAlger
sur le plan d
une souveraineté sappliquant à lensemble des territoires français ;
2
o Le second est un gouvernement légal, dont le fondement juridique est la
loi constitutionnelle du 2 novembre 1945, adoptée par le peuple français le
21 octobre 1945.
Ce gouvernement a été institué pour durer jusquà ce que la constitution défi-
nitive ait été acceptée par votation populaire. Aussi fut-il automatiquement recon-
duit lorsque, le projet de la première Assemblée constituante ayant été repoussé par
le référendum du 5 mai 1946, une nouvelle Assemblée fut élue le 2 juin 1946.
Trois gouvernements provisoires ont assumé successivement la charge du pouvoir
selon les règles prévues par la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945 : le gou-
vernement de Gaulle (jusqu
au 23 janvier 1946), le gouvernement Gouin (jusquau
26 juin 1946), le gouvernement Bidault (jusqu
au 28 novembre 1946) (Cha-
psal, 1979).
§ 1. Le premier gouvernement provisoire
405. Larticle 1er de lordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des
pouvoirs publics après la Libération disposait que : «
Le peuple français déci-
dera souverainement de ses futures institutions. À cet effet, une Assemblée
nationale constituante sera convoquée dès que les circonstances permettront
de procéder à des élections régulières...
».
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Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946
369
Le gouvernement dAlger restait donc, après sêtre transporté en France, un
gouvernement provisoire. Ce gouvernement avait deux tâches essentielles : per-
mettre à la France de prendre sa part à la victoire sur l
Allemagne nazie et le
Japon ; rétablir la légalité républicaine. À cet égard, il fallait affirmer que, quelle
que soit la forme du régime qui serait adopté, il s
agirait en tout cas dune répu-
blique, et proclamer la nullité de toutes les lois prises par Vichy au mépris des
droits de lHomme et des libertés fondamentales.
Le premier gouvernement provisoire de la République française nétait, sous
ce titre que lui a donné l
ordonnance du 3 juin 1944, pas autre chose que lan-
cien Comité Français de la Libération Nationale.
Cette origine du gouvernement dans un organisme qui fut primitivement révo-
lutionnaire explique les particularités de sa composition et de ses pouvoirs ainsi
que le caractère provisoire qu
il na cessé de se reconnaître.
Le Comité Français de Libération Nationale était animé beaucoup plus par la
volonté de concentrer toutes les forces françaises libres sur l
organisation de la
résistance à l
envahisseur que par le souci de saligner sur les formes constitution-
nelles traditionnelles. D
autre part, limpossibilité dorganiser des élections empê-
chait de répartir les compétences entre le comité et une assemblée comme on
l
aurait fait dans un régime parlementaire.
Tous ces facteurs militaient en faveur dun gouvernement investi de la plé-
nitude de la puissance étatique et fortement hiérarchisé par la subordination de
ses membres au chef autour duquel ils s
étaient groupés. Malgré cette concen-
tration réelle du pouvoir, les institutions provisoires présentaient une structure
dualiste, comprenant un gouvernement et une assemblée consultative, ce qui
permit un fonctionnement susceptible de préfigurer celui d
un système parle-
mentaire.
406. Le gouvernement. Le gouvernement comprend un chef, le général
de Gaulle, Président du gouvernement provisoire de la République, et des
ministres qu
il nomme et révoque librement. Le gouvernement provisoire dis-
pose à la fois du pouvoir législatif, qu
il exerce par ordonnances, et du pouvoir
exécutif.
407. LAssemblée consultative provisoire. Elle était organisée, en vertu
d
une ordonnance du 11 octobre 1944. Elle était composée des représentants de
la Résistance. Bien que les compétences de cette assemblée fussent très faibles

elle pouvait seulement émettre des avis, qui ne liaient pas le gouvernement elle se
comporta très vite comme une assemblée parlementaire, d
où des tensions avec le
gouvernement provisoire, qui expliquent en partie la méfiance du général de Gaulle
envers les assemblées.
§ 2. Le régime provisoire de la loi constitutionnelle
du 2 novembre 1945
408. Conformément aux déclarations quil avait maintes fois répétées, le
général de Gaulle s
employa, dès la libération du territoire, à assurer au peuple
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370
Droit constitutionnel
français la possibilité de statuer sur le régime et les institutions du pays. Toute-
fois, comme il apparut que l
on ne pouvait remettre purement et simplement en
fonction l
organe constituant prévu par les lois de 1875, le peuple fut dabord
appelé à dire par qui il entendait que fût faite la future constitution. En même
temps, il eut à décider de l
organisation des pouvoirs publics pendant la période
durant laquelle serait élaborée la constitution.
Cest à ce double objet que correspondaient les deux questions soumises à la
votation populaire par le référendum du 21 octobre 1945 :
1o Voulez-vous que lAssemblée élue à ce jour soit constituante ?
2
o Approuvez-vous que les pouvoirs publics soient, jusquà la mise en
vigueur de la nouvelle constituante, organisés conformément aux dispositions
du projet de loi ci-joint ?
409. Portée du référendum du 21 octobre 1945. La première des deux
questions avait pour objet de décider s
il y avait lieu de faire immédiatement
une constitution. Le non signifiait que l
assemblée élue serait la chambre des
députés de la III
e République, le oui que les institutions de 1875 étaient cadu-
ques. Le « non » à la première question n
était préconisé que par de rares nos-
talgiques de la III
e République, le « oui » létait par le général de Gaulle et par
tous les partis de la Résistance, SFIO, MRP, UDSR, PC. Le oui obtint 96 % des
suffrages. En répondant « oui » à cette première question, les électeurs mettaient
donc fin à la III
e République.
Quant à la seconde, elle portait sur létendue des pouvoirs de lassemblée
constituante. La simple formulation de la question rompait avec la tradition
française, comme avec la théorie du pouvoir constituant. Selon cette tradition,
le pouvoir constituant est illimité, ce qui signifie non seulement qu
il peut don-
ner à la constitution n
importe quel contenu, mais aussi quil peut librement
déterminer la procédure d
adoption de la loi fondamentale et aussi décider du
mode de gouvernement jusqu
à son entrée en vigueur, cest-à-dire ou bien exer-
cer tous les pouvoirs ou bien n
exercer que le pouvoir législatif et laisser à un
gouvernement provisoire le pouvoir exécutif et la conduite des relations exté-
rieures. Dans le passé, toutes les assemblées constituantes (l
Assemblée natio-
nale constituante de 1789 à 1791, la Convention nationale de 1792 à 1795,
l
Assemblée nationale de 1948, celle de 1871) avaient agi conformément à ces
principes.
On comprend que sur cette deuxième question, les attitudes aient été parta-
gées : alors que le PC, invoquant la tradition révolutionnaire française, souhai-
tait que les pouvoirs de l
assemblée constituante soient
illimités, comme
l
avaient été ceux de la Convention nationale (v. supra no 94), et préconisaient
par conséquent le « non » à la seconde question, de Gaulle, la SFIO et le MRP,
qui craignaient l
influence du PC au sein de cette assemblée, étaient partisans
du « oui ». Même si ce fut de manière moins éclatante qu
à la première ques-
tion, le « oui » l
emporta nettement avec les 2/3 des suffrages.
En répondant oui, le corps électoral apportait trois limitations au pouvoir de
lAssemblée :
a) Dune part, une limitation dans le temps, car larticle 6 de la loi dispose
que les pouvoirs de l
Assemblée expireront le jour de la mise en application de
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Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946
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la nouvelle constitution, et, au plus tard, sept mois après la première réunion de
l
Assemblée.
Au-delà de ce délai, elle devait être remplacée par une nouvelle Assemblée
constituante élue dans les mêmes formes que la précédente et jouissant des
mêmes pouvoirs (art. 7). Ce qui fut fait le 2 juin 1946, après que le peuple eut,
par le référendum du 5 mai, repoussé le premier projet de constitution préparé
par l
Assemblée constituante (v. infra no 414).
b) Dautre part, aux termes de larticle 3 de la loi constitutionnelle, la
Constitution adoptée par l
Assemblée devrait être soumise à lapprobation du
corps électoral des citoyens français, par voie de référendum, dans le mois qui
suivrait son adoption par l
Assemblée.
Dans le passé, les assemblées constituantes étaient pleinement compétentes
non seulement pour élaborer, mais aussi pour adopter la constitution. Elles pou-
vaient évidemment soumettre au référendum le texte constitutionnel et certaines
l
avaient fait, non pas lassemblée constituante de 1791, mais la Convention
nationale en 1793 et en l
an III. Cependant, il ne sagissait pas dune obligation
et l
on pouvait décider que la constitution était parfaite dès son adoption.
Au contraire, et pour la première fois dans lhistoire constitutionnelle fran-
çaise, une assemblée constituante n
était pas investie de la totalité du pouvoir
constituant. Elle pouvait seulement préparer un projet, qui ne pourrait être
adopté que par référendum, de sorte qu
en droit elle ne soit considérée que
comme le coauteur de la constitution.
c) Pendant la période constituante, des institutions provisoires étaient orga-
nisées par une loi, dont le projet était joint à la question et que les électeurs
devaient approuver. Il s
agissait dune mini-constitution parlementaire, mais
inspirée du parlementarisme dit rationalisé. L
Assemblée élisait un gouverne-
ment responsable, mais qu
elle ne pouvait renverser quen adoptant une motion
de censure à la majorité absolue ; elle ne pouvait exercer que le pouvoir légis-
latif, mais même ce pouvoir était limité, car, si elle votait le budget, elle ne
pouvait prendre l
initiative des dépenses.
La volonté de limiter le pouvoir non constituant de lassemblée constituante
était inspirée aux partisans du oui à la deuxième question non seulement par le
souvenir de la Convention et de la Terreur, mais encore par la force du Parti
communiste et la crainte qu
il se serve de lassemblée pour semparer définiti-
vement du pouvoir.
Ainsi, même en matière constitutionnelle, lAssemblée constituante nétait
pas souveraine. Son rôle se bornait à préparer une constitution qui ne pourrait
entrer en vigueur que si elle était ratifiée par une votation populaire. Il y avait là
une innovation considérable.
En même temps quils répondaient aux deux questions soumises au référen-
dum, le peuple élisait l
assemblée. Elle comprenait 588 députés, élus pour la
première fois au suffrage véritablement universel, puisqu
une ordonnance du
21 avril 1944 avait accordé le droit de vote aux femmes, à la représentation
proportionnelle. Le choix de la représentation proportionnelle sexplique
notamment par la crainte du général de Gaulle que le scrutin majoritaire
n
amène 250 députés communistes à lassemblée.
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Droit constitutionnel
De fait, les trois principaux partis de la Résistance, le PC, la SFIO et le MRP
obtiennent tous trois des chiffres voisins de 25 % des voix et entre 135 et
148 sièges chacun. Tant qu
ils resteront unis, ils domineront les assemblées suc-
cessives jusqu
au début de la guerre froide en 1947.
Les pouvoirs de cette assemblée étaient non seulement plus étroits que ceux
des assemblées constituantes traditionnelles, ils étaient même plus limités que
ceux du Parlement de la III
e République. En effet, si elle exerçait le pouvoir
législatif, le gouvernement disposait d
un droit de veto partiel, qui ne pouvait
être surmonté que par un nouveau vote à la majorité absolue des membres de
l
assemblée. De même, elle élisait le Président du gouvernement provisoire, et
pouvait contrôler l
activité gouvernementale, mais seulement conformément à
certaines règles de procédure visant à assurer la stabilité gouvernementale. Ce
régime provisoire apparaît ainsi comme la première forme de rationalisation du
régime parlementaire en France. Il préfigure les règles énoncées dans la Consti-
tution de 1946.
Cest ainsi que le gouvernement nest tenu de démissionner que dans un seul
cas : lorsqu
une motion de censure est adoptée, deux jours après son dépôt, à la
majorité absolue des membres de l
assemblée. En pratique cependant, le régime
fonctionna comme un régime parlementaire classique et le général de Gaulle
engagea sa responsabilité en dehors des formes prévues.
§ 3. Le projet de Constitution du 19 avril 1946
410. La première Assemblée constituante, élue le 21 octobre 1945, élabora
un projet de Constitution qu
elle adopta, dans sa séance du 19 avril 1946, par
309 voix contre 249. Le peuple français rejeta ce projet par le référendum du
5 mai 1946. Quoique n
ayant jamais été appliquée, la Constitution du 19 avril
1946 mérite cependant davantage qu
une simple mention historique. En effet,
son texte a servi de point de départ aux travaux de la seconde constituante et il
était légitime qu
il en soit ainsi étant donné limportance de la minorité (47 %
des suffrages) qui s
était prononcée en sa faveur. Par ailleurs, bien quil se fût
agi d
une nouvelle assemblée constituante,
la
Constitution de 1946 furent en grande partie les mêmes que ceux qui avaient
élaboré le projet du 19 avril 1946 ; leurs conceptions n
avaient pas changé, ils
en atténuèrent seulement l
intransigeance pour les accorder au vote populaire du
5 mai, si bien qu
on peut dire que la Constitution du 27 octobre 1946 nest
qu
une édition revue et corrigée améliorée, disaient ses partisans de celle
du 19 avril. Encore quil ne faille pas exagérer cette filiation jusquà dénier
toute originalité à la Constitution du 27 octobre, les observations précédentes
montrent l
intérêt qui sattache à lexamen du projet du 19 avril.
les députés qui préparèrent
411. La Déclaration des droits. Renouant avec la tradition révolution-
naire, le projet du 19 avril comporte une Déclaration des droits de l
Homme et
du Citoyen. Pour convaincre lAssemblée de lopportunité dune Déclaration
nouvelle, deux arguments furent décisifs : d
une part, la nécessité, après lasser-
vissement dont la personne humaine venait d
être si dangereusement menacée,
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Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946
373
de proclamer la fidélité du peuple français aux principes qui ont fait sa gran-
deur, d
autre part lobligation de tenir compte de lévolution sociale qui sest
produite depuis 1789 et qui exige une adaptation des thèmes traditionnels à la
réalité nouvelle.
Cette double préoccupation explique toute léconomie de la Déclaration.
Elle affirme expressément son adhésion à la doctrine de la Révolution, mais,
instruite à la fois par les périls que lidéologie totalitaire peut faire courir à la
liberté humaine et par les transformations économiques et sociales qui ont
marqué l
avènement de lère industrielle, elle tend à préciser, développer et
assouplir l
esprit de 1789 pour le mettre à la mesure du monde moderne. La
individualistes de 1789 avec l
inter-
conciliation des principes libéraux et
ventionnisme et le socialisme, qui sont les courants dominants de l
époque
contemporaine, devait nécessairement aboutir
en raison de sa difficulté
même
à une synthèse imparfaite. Léquivoque qui en résulta fut sans doute
une des causes du rejet de la Constitution par le peuple.
Outre les droits et garanties fondamentales, parfois exprimées sous une
forme plus radicale que celle de 1789, la Déclaration énonçait pour la première
fois en France les exigences d
une démocratie sociale. Elle proclamait un cer-
tain nombre de droits et de principes nouveaux, qu
on appellera plus tard
« droits de la deuxième génération ».
412. La démocratie sociale. Ses exigences étaient, pour la première fois
en France, introduites parmi les principes constitutionnels. Outre l
affirmation
que tout être humain possède à l
égard de la société des droits qui garantissent
son plein développement physique, intellectuel et moral (art. 22), outre les prin-
cipes protecteurs de la santé physique (art. 24, 27) du repos et des loisirs
(art. 29), outre la reconnaissance du droit à l
assistance au cas où lindividu se
trouve dans l
incapacité de travailler (art. 33), les dispositions essentielles du
projet avaient trait aux conditions économiques du travail et au droit de pro-
priété.
a) « Tout homme a le devoir de travailler et le droit dobtenir un emploi »
(art. 26). Les modalités d
application dun tel principe impliquaient une réorga-
nisation totale de la société et avaient, pour le législateur à venir, une valeur de
programme qui justifiait les réformes les plus audacieuses. La durée et les
conditions de travail devaient être compatibles avec la santé, la dignité et la
vie familiale du travailleur (art. 27, art. 28). Enfin il était spécifié que tout tra-
vailleur avait le droit de participer par l
intermédiaire de ses délégués à la déter-
mination collective des conditions de travail ainsi qu
à la gestion des entreprises
(art. 31). Là encore, la signification du principe énoncé était fonction des appli-
cations qu
en ferait le législateur, mais il reste que celui-ci était constitutionnel-
lement habilité à aller très loin dans le sens dune socialisation des entreprises.
b) Quant au droit de propriété, sa définition a donné lieu à des débats achar-
nés. La Déclaration le considérait comme «
le droit inviolable duser, de jouir et
de disposer des biens garantis à chacun par la loi
» (art. 35). Cest la dernière
partie de la définition qui a motivé les oppositions et, de fait, quelque parti
quon prît sur la valeur du droit de propriété, il était clair que le texte du projet
du 19 avril revenait à laisser la consistance de ce droit à la discrétion du légis-
lateur. D
autre part, après avoir rappelé le principe classique que nul ne saurait
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Droit constitutionnel
être privé de sa propriété si ce nest pour cause dutilité publique et sous condi-
tion d
une juste indemnité, la Déclaration prévoyait une double réserve : lune
visait les abus du droit de propriété exercé contrairement à l
utilité sociale, lau-
tre les nationalisations. L
article 36 disposait en effet que « tout bien, toute
entreprise dont l
exploitation a ou acquiert les caractères dun service public
national ou dun monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».
§ 4. Le régime politique
413. Lorganisation des pouvoirs publics. Dans la forme, le projet
de Constitution du 19 avril 1946 respecte la division des pouvoirs.
Le pouvoir législatif appartient à une assemblée unique, lAssemblée natio-
nale
élue pour cinq ans au suffrage universel de tous les nationaux et ressortis-
sants français des deux sexes et jouissant de leurs droits civils et politiques.
L
âge de lélectorat est fixé à vingt ans (art. 47, 49). La représentation des terri-
toires d
outre-mer est assurée (art. 48). Léligibilité est abaissée à vingt-
trois ans.
La Constitution insiste sur le fait que lAssemblée seule exerce la souverai-
neté nationale et que, seule, elle a le droit de légiférer (art. 66).
Le pouvoir exécutif comprend deux organes : le Conseil des ministres et le
Président de la République.
La Constitution consacre linstitution, qui ne résultait jusque-là que de la
pratique, du
Président du Conseil. Il est élu au début de chaque législature par
l
Assemblée nationale, au scrutin public et à la majorité absolue des députés
(art. 76). Ce n
est quaprès cette élection que le Président du Conseil et les
ministres quil a choisis sont nommés par décret du Président de la République
(art. 77). Le rôle de celui-ci nest donc que de pure forme. Dès sa constitution,
le cabinet soumet sa structure, sa composition et son programme à l
Assemblée
qui lui accorde ou lui refuse sa confiance (art. 79).
Le Président de la République est élu pour sept ans par lAssemblée natio-
nale au scrutin public à la majorité des deux tiers des députés composant l
As-
semblée.
Il est irresponsable (sauf en cas de haute trahison) et par conséquent irrévo-
cable. À l
exception du droit de grâce, du droit de demander une seconde déli-
bération des lois et du droit de dissolution, ses attributions sont sensiblement les
mêmes que celles qui lui appartenaient nominalement sous le régime de la
Constitution de 1875. En réalité, la nécessité du contreseing en fait une des pré-
rogatives du Conseil des ministres.
414. Les rapports des pouvoirs publics (Berlia, 1946). On a considéré
quelquefois que cette Constitution aurait conduit, si elle avait été appliquée, à
l
instauration dun régime conventionnel. Cette opinion répandue à lépoque
par les partisans dun exécutif fort, au premier rang desquels figurait le général
de Gaulle, contribua fortement au rejet du projet. Elle ne résiste pas cependant à
l
analyse du texte.
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Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946
375
En réalité, le projet instituait un régime dont le fonctionnement aurait été très
semblable à celui de la III
e ou de la IVe République, le bicaméralisme en moins.
À certains égards, certaines dispositions du texte préfigurent les dispositions
correspondantes de la Constitution du 27 octobre. Le régime que l
on avait
cherché à établir était en réalité un régime parlementaire moniste : s
il accordait
incontestablement une place prééminente à lAssemblée, il maintenait pourtant
une claire distinction des organes et des fonctions.
Le projet reprenait notamment les mécanismes de rationalisation du régime
parlementaire visant à assurer une plus grande stabilité du gouvernement. C
est
ainsi que les articles 1 et 82, relatifs à la responsabilité, visaient d
abord à en
empêcher une mise en jeu trop fréquente : seul le Président du Conseil pouvait
poser la question de confiance, et il ne pouvait le faire qu
après délibération du
conseil des ministres. Le vote ne pouvait intervenir qu
après un délai dun jour
franc. De même, une motion de censure ne pouvait être votée que deux jours
francs après avoir été déposée. D
autre part, dans les deux cas, le vote avait lieu
au scrutin public. Enfin, le gouvernement n
était tenu de démissionner que si la
confiance était rejetée ou la motion de censure adoptée à la majorité absolue des
députés.
La volonté de construire un régime parlementaire moniste et de limiter
cependant le risque d
instabilité ministérielle a également inspiré le choix des
mécanismes de la dissolution. Dans un régime dualiste, elle est présentée tantôt
comme une arme symétrique de la responsabilité, tantôt comme un moyen de
provoquer, en cas de conflit entre le pouvoir législatif et le gouvernement, l
ar-
bitrage du corps électoral. Dans un régime parlementaire moniste, il ne peut
évidemment être question d
une telle fonction de la dissolution, parce que rien
ne saurait justifier que le chef de l
État ou le gouvernement soppose à la repré-
sentation nationale.
Si
la dissolution est malgré tout utile dans un régime parlementaire
moniste, cest seulement pour limiter linstabilité ministérielle. Lorsquil
apparaît quune assemblée est ingouvernable parce que, en raison de sa com-
position à un moment donné, aucune majorité stable ne peut s
y former et sou-
tenir un gouvernement, il devient nécessaire de procéder à de nouvelles élec-
tions. C
est pourquoi lassemblée elle-même peut décider de se dissoudre, par
un vote à la majorité des deux tiers (article 83). Néanmoins, si, pour des rai-
sons faciles à imaginer, les députés hésitent ou échouent à tirer les conséquen-
ces de leurs divisions, la dissolution peut être décidée par le conseil des minis-
tres. Mais, comme il s
agit seulement de remédier à linstabilité ministérielle,
cette décision ne peut être prise que lorsque la preuve est faite que l
assemblée
est réellement ingouvernable : aucune dissolution ne peut donc intervenir dans
la première moitié de la législature, car on n
a pas encore pu expérimenter
toutes les combinaisons politiques possibles ; dautre part, elle ne peut être
prononcée que si deux crises ministérielles se sont produites au cours de la
session. Selon la Constitution de 1946, qui reprendra l
esprit de ce méca-
nisme, les conditions seront plus restrictives encore.
Quoi quil en soit, la campagne menée par les adversaires de ce projet,
notamment le général de Gaulle, qui avait quitté le gouvernement au mois de
janvier 1946, la crainte suscitée par le parti communiste, conduisit, pour la pre-
mière fois dans l
histoire constitutionnelle française, au rejet du projet par le
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Droit constitutionnel
référendum du 5 mai 1946. Le « non » lemportait avec 53 % des voix. En chif-
fres absolus, le « non » obtenait 10 584 359 voix contre 9 454 034 « oui ». La
Constitution de 1946, qui sera approuvée par le référendum d
octobre, ralliera
en fait, en raison d
un taux dabstention élevé, moins de votes favorables que
le premier projet.
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Page 377
Chapitre 6
La IVe République
416. Adoption. La Constitution du 27 octobre 1946 a été adoptée par
l
Assemblée nationale constituante le 29 septembre 1946 par 440 voix contre
106 sur 546. Le 13 octobre 1946, cette Constitution était adoptée par le référen-
dum, mais sans enthousiasme : il y eut 3 millions d
abstentionnistes de plus que
lors de la votation du 5 mai : 9 263 416 « oui », 8 143 931 « non »,
6 147 537 abstentions. Ce qui veut dire que 35 % des inscrits ont accepté la
constitution, 34 % l
ont repoussée et 31 % se sont abstenus. Si lon calcule
d
après le nombre des votants 53 % étaient pour, 47 % contre. André Siegfried
pouvait donc prévoir que, les communistes étant douteux et les partisans du
général de Gaulle ayant voté contre la constitution, « le nouveau régime allait
connaître la même impossibilité que l
ancien de sappuyer soit sur toute la gau-
che, soit sur toute la droite » (Siegfried, 1956, p. 149).
Parmi les opposants, cinq députés seront Présidents du Conseil (Bourgès-
Maunoury, J. Laniel, A. Marie, R. Mayer, A. Pinay) et l
un deux, R. Coty,
sera même Président de la République.
Ultérieurement, une loi du 6 janvier 1950 (JO, 7 janvier) est venue codifier
certains textes relatifs aux pouvoirs publics. Quoique dépourvue de toute valeur
constitutionnelle, elle présente par son objet un intérêt particulier quant à l
amé-
nagement des institutions.
417. La révision de 1954. Durant presque tout le temps où elle fut en
vigueur, la Constitution de 1946 fut sous le coup d
une procédure de révision.
Une seule a abouti : celle qui donna naissance à la loi constitutionnelle du
7 décembre 1954. Cette révision a modifié le texte de 1946 sur plusieurs points :
en ce qui concerne la formation du gouvernement, la révision provoque,
en fait, un retour au système qui était en vigueur sous la IIIe République ;
la situation du Conseil de la République est renforcée et, par là, on
revient à un bicaméralisme plus authentique ;
la dissolution nest plus subordonnée à des conditions qui rendaient son
exercice improbable ;
le régime des sessions est rétabli.
Ces réformes furent sans doute heureuses. Elles nétaient pas assez profon-
des, et c
est pour navoir pas trouvé dans lorgane constituant, cest-à-dire le
Parlement, l
autorité capable de les imposer que la constitution fut emportée
lors des événements de mai 1958 (Fauvet, 1971 ; Elgey, 1993 b ; Vignes, 1958).
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Droit constitutionnel
Section 1
Notions générales
§ 1. Caractères de la Constitution de 1946
418. La Constitution du 27 octobre se présente sous la forme dun texte com-
prenant deux parties : la première, le Préambule, expose la philosophie politique
et sociale du régime ; la seconde, comprenant 106 articles, divisés en douze titres,
est consacrée aux institutions de la République.
Quant au fond, la constitution offre un certain nombre de caractères, dont la
réunion accuse son originalité au regard des nombreuses constitutions qui l
ont
précédée :
a) Cest dabord une œuvre de compromis. La Constitution du 19 avril 1946
ayant été repoussée par la votation populaire, la Constituante tenta de mettre sur
pied un projet susceptible de rallier une majorité à la fois à l
Assemblée et dans le
pays. L
entreprise était difficile car les groupes ayant voté le projet du 19 avril
repoussé par le référendum, comptaient à l
Assemblée élue le 2 juin 1946,
282 députés, tandis que ceux qui étaient en accord avec le résultat du référendum
en comptaient 286.
b) Elle institue un régime politique dont le caractère démocratique est le
plus accentué que nous ayons connu, tout en demeurant fidèle au principe repré-
sentatif et en excluant la démocratie directe.
c) Elle semble procéder dune grande foi dans les affirmations de principes
et les techniques constitutionnelles. Les constituants paraissaient croire qu
il
suffisait, pour obtenir le changement dans les comportements des acteurs, de
formuler des prescriptions qui n
étaient pas susceptibles de modifier les rapports
de force, cest-à-dire les rapports entre les partis (v. infra no 450).
§ 2. La philosophie politique et sociale du régime
419. Elle est exposée de façon concise dans le Préambule et dans le titre I de
la constitution qui a trait à la souveraineté.
420. Le Préambule. Contrairement au projet du 19 avril 1946, la Consti-
tution du 27 octobre ne comporte pas de Déclaration des droits, mais seulement
un
Préambule (Rivero et Vedel, 1947 ; Pelloux, 1947). Ses auteurs ont estimé,
en effet, que nul texte ne saurait égaler en intensité et en prestige celui de la
déclaration des droits par excellence : celle de 1789-1791.
Cette différence de forme a conduit certains auteurs à soutenir que le Préam-
bule n
avait quune valeur morale et philosophique, tandis que la Déclaration des
droits de l
Homme possédait une valeur juridique. Ce débat était de toute manière
purement académique sous la IV
e République, puisquil nexistait aucun contrôle
de la constitutionnalité des lois ni par rapport à la Déclaration, ni par rapport au
Préambule. Il a pu être repris
et tranché sous la Ve République, puisque le
Préambule de la Constitution de 1958, qui fait partie depuis la décision du
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La IVe République
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Conseil constitutionnel de 1971 du bloc de constitutionnalité, se réfère aussi bien
à la Déclaration des droits de 1789 qu
au Préambule de 1946. Celui-ci possède
donc aujourd
hui incontestablement une valeur juridique (v. infra no 782).
Le Préambule fixe lattitude du régime à légard des grands problèmes
sociaux, politiques et internationaux. Cette attitude peut être sommairement
définie ainsi :
1o Confirmation des droits et libertés de lhomme et du citoyen, tels que les
a consacrés la Déclaration de 1789. Tout être humain possède des droits inalié-
nables et sacrés. Le patrimoine de la Révolution dans l
ordre philosophique
demeure donc intact.
la
2o Adjonction aux thèses révolutionnaires de certains principes dont
reconnaissance est rendue nécessaire par l
évolution sociale et économique :
a) La démocratie sociale est sensiblement renforcée par laffirmation de
l
égalité des sexes, la suspension de toute distinction entre les individus fondée
sur la race ou la religion, ce qui implique l
accession à la vie politique des peu-
ples des territoires d
outre-mer ; par la reconnaissance du droit au travail ou, en
cas d
incapacité de travailler, à des moyens convenables dexistence ; par la
prise en charge par la nation du soin d
assurer à lindividu et à sa famille les
conditions nécessaires à leur développement ; par la garantie donnée aux fai-
bles, enfants, mères de famille, vieux travailleurs, que leur santé, leur sécurité
matérielle, leur repos et leurs loisirs seront protégés.
Toutes ces affirmations ont une valeur de programme qui oblige moralement
le législateur à les sanctionner par des mesures concrètes. Mais cette obligation
ne lie pas juridiquement le Parlement puisque le Préambule de la Constitution
est expressément exclu de la compétence du Comité constitutionnel (v.
infra
no 434).
Le Préambule met encore à la charge de lÉtat linstruction, la formation
professionnelle et la culture de lenfant et de ladulte.
b) La démocratie économique obtient pour la première fois sa consécration
constitutionnelle. Elle consiste à aménager dans la direction de la vie écono-
mique et la gestion des entreprises une participation et un contrôle du personnel.
Le Préambule déclare expressément que «
tout travailleur participe par linter-
médiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de tra-
vail, ainsi qu
à la gestion des entreprises ». Le droit syndical et le droit de grève
sont consacrés.
Le droit de propriété nest plus mentionné quimplicitement par référence à
la Déclaration de 1789 qui le garantit, mais il est expressément limité par l
af-
firmation de la légitimité des nationalisations : « Tout bien, toute entreprise dont
l
exploitation a ou acquiert les caractères dun service public national ou dun
monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
3o Sur le plan de la philosophie politique, la constitution affirme son attache-
ment au
principe démocratique : « La France est une République indivisible,
laïque, démocratique et sociale, son principe est : gouvernement du peuple, pour
le peuple et par le peuple, la souveraineté nationale appartient au peuple français
»
(art. 1er, 2, 3). Toutefois, malgré la vigueur de cet esprit démocratique, les institu-
tions restent dans la tradition de la démocratie représentative et ne font aucune place
à la démocratie directe, sauf accessoirement en matière constitutionnelle.
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Droit constitutionnel
4o Le Préambule fixe la position de la République à légard des peuples dou-
tre-mer
qui vivent sous son drapeau. Elle répudie les méthodes dun colonialisme
périmé pour s
orienter vers la coopération librement consentie : « Fidèle à sa mis-
sion traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la
charge à la liberté de s
administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement
leurs propres affaires..., elle garantit à tous légal accès aux fonctions publiques
et lexercice individuel ou collectif des droits et libertés proclamés ou confirmés »
par le Préambule. Ces déclarations de principe n
ont cependant pas empêché la
IV
e République de senliser dans les guerres coloniales.
5o Enfin, lattitude de la France en présence des problèmes internationaux
est fixée conformément aux trois règles inséparables de lexistence dune com-
munauté internationale : soumission aux normes du droit public international,
acceptation, sous réserve de réciprocité, des limitations de souveraineté néces-
saires à l
organisation et à la défense de la paix, enfin engagement de nentre-
prendre aucune guerre de conquête ou d
agression contre la liberté daucun peu-
ple. Cette dernière formule consacre la valeur positive du Pacte de renonciation
à la guerre du 27 août 1928, qui a servi au tribunal de Nuremberg pour affirmer
le caractère criminel de la guerre d
agression.
La Constitution elle-même confirme cette position en posant le principe de
la supériorité du traité par rapport à la loi (art. 28) (Niboyet, 1946 ; Donnedieu
de Vabres, 1948).
Section 2
Lorganisation des pouvoirs publics
421. La constitution de 1946 instituait, dans leur forme parlementaire, les
deux pouvoirs traditionnels : le législatif appartenant à un Parlement bicaméral,
et l
exécutif avec sa dualité dorganes : le Président de la République et le cabi-
net ministériel.
§ 1. Le Parlement
422. Aux termes de larticle 5 de la constitution du 27 octobre 1946, « le
Parlement se compose de l
Assemblée nationale et du Conseil de la Répu-
blique
». Avant dexaminer séparément la structure de chacune de ces deux
assemblées, il convient d
envisager le principe même de leur dualité.
A Les deux Chambres
423. Sil était nécessaire de prouver la continuité de certaines données
constitutionnelles dans la vie française, on en trouverait une illustration écla-
tante dans lintérêt qua toujours suscité la question de savoir si lon doit établir
une ou deux assemblées (v.
supra Chapitre 1). En 1875, linstitution dun Sénat
a été une condition du vote des lois constitutionnelles (v.
supra no 367) ; en
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La IVe République
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1946 labsence de seconde chambre a été un des motifs de rejet du projet
de Constitution du 19 avril (v.
supra no 413), son établissement une des bases
du compromis qui a permis à l
Assemblée constituante de mettre sur pied la
constitution que le peuple a adoptée.
424. Inégalité initiale des deux assemblées. Comme lune des causes de
léchec du premier projet au référendum du 19 avril 1946 était le monocamé-
risme, le principe de la dualité des Chambres fut admis d
emblée à la seconde
Constituante. Mais les adversaires de ce système s
employèrent à en diminuer la
portée en exigeant une réduction du rôle du Conseil de la République qui devait
être la seconde assemblée. Les arguments traditionnels furent invoqués de part et
d
autre : le meilleur moyen déviter le gouvernement dassemblée, disaient les
uns, c
est dabord de contrebalancer la puissance du Parlement en le divisant ; à
quoi les autres répondaient en invoquant le péril dont serait menacée la démocra-
tie si les adversaires de la République pouvaient s
y introduire sous le couvert
d
une assemblée nommée par un collège restreint et égale à lassemblée élue au
suffrage universel. L
ombre du Sénat de 1875 ne cessa de dominer le débat soit
qu
on voulût le faire revivre sous un autre nom, soit quon entendit abolir à
jamais l
obstacle que, selon certains, il offrirait au progrès démocratique.
Finalement une transaction fut acceptée sur la base suivante : la deuxième
assemblée, le Conseil de la République, serait constituée pour être une « Chambre
de réflexion » destinée à coopérer avec l
Assemblée nationale en sattachant à amé-
liorer l
œuvre de celle-ci, mais elle ne pourrait pas devenir une Chambre dopposi-
tion, un instrument de lutte éventuel contre l
Assemblée issue du suffrage universel.
Pratiquement le compromis s
analyse en ce que, dune part le Conseil de la
République, ayant une origine (élection au suffrage indirect par les collectivités
locales) différente de l
Assemblée nationale, ne serait pas une simple doublure
de celle-ci, d
autre part ses pouvoirs seraient bien moindres que ceux de lAs-
semblée, notamment en ce qu
il ne voterait pas les lois, mais des avis et ne
pourrait renverser un ministère.
425. Lévolution du Conseil de la République. Étant donné le statut
donné par la constitution de 1946 au Conseil de la République, on pouvait se
demander si le bicaméralisme qu
elle établissait nétait pas superficiel. Puisque
l
article 3 réservait à lAssemblée nationale le monopole de lexpression de la
souveraineté nationale, n
était-il pas à prévoir que la volonté de lAssemblée
serait seule décisive et que le Conseil ne serait toléré que dans le rôle effacé
d
organe consultatif ?
Ce nest pourtant pas en ce sens que lévolution sest produite et Conseil de
la République est parvenu à reconquérir une place qui lui avait été contestée et
que la réforme constitutionnelle de 1954 est venue consacrer.
Parmi les causes de cette évolution, on peut retenir dabord lattitude de
l
Assemblée nationale elle-même à légard de lautre Chambre. À partir du
moment (juillet 1947) où le parti communiste passa à l
opposition, la nouvelle
majorité fut beaucoup moins hostile au Conseil. Il y a lieu aussi de tenir compte
du sérieux des travaux du Conseil.
Son rôle fut donc revalorisé par la révision constitutionnelle de 1954
(v. infra no 433).
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Droit constitutionnel
B LAssemblée nationale
426. Composition. LAssemblée nationale était élue pour cinq ans et
comprenait 627 sièges.
427. Le régime électoral. Le mode délection introduit en 1945 fut, dans
les dernières années de la législature, fortement critiqué par les partis du cen-
tre qui lui reprochaient de faire le jeu des partis extrêmes. Aussi, après des
débats assez confus mais très âpres, la loi du 5 octobre 1946 fut-elle modifiée
de manière à mettre en place un système mixte. Le mode de scrutin n
était
d
ailleurs pas uniforme sur lensemble du territoire.
a) À Paris et dans sa banlieue, les élections avaient lieu à la représentation
proportionnelle avec possibilité de panacher les listes et vote préférentiel. Il
s
agissait déviter la domination des partis extrêmes (le parti gaulliste RPF et
le parti communiste) qui y étaient très puissants et auraient triomphé au scrutin
majoritaire.
b) Dans le reste de la France métropolitaine, les députés étaient élus au scru-
tin de liste départemental selon un système complexe qui combinait le principe
majoritaire et la représentation proportionnelle.
428. Lapparentement. Loriginalité la plus marquante et la plus discu-
tée aussi
du système électoral introduit par la loi du 9 mai 1951 était lappa-
rentement des listes. L
apparentement est lacte par lequel les candidats de plu-
sieurs listes déclarent accepter d
être considérés comme formant une seule et
même liste pour l
attribution des sièges qui nauraient pas été pourvus par le
jeu de la majorité absolue.
Lapparentement nétait possible quentre des listes de partis ou de groupe-
ments
nationaux ou bien entre des listes composées de candidats qui, eux-
mêmes, sont patronnés par des partis ou groupements nationaux, c
est-à-dire
qui présentaient un ou plusieurs candidats dans trente départements au moins,
et sous la même étiquette (L. 5 octobre 1946, art. 6, mod. L. 9 mai 1951, art. 1).
429. Lattribution des sièges. En dehors des circonscriptions où joue la
RP, le mode d
attribution des sièges varie selon le nombre des suffrages obte-
nus par les listes.
a) Si une liste obtenait la majorité absolue, elle était élue tout entière. Cétait
lapplication intégrale du principe majoritaire.
b) Dans lhypothèse où aucune liste isolée nobtenait la majorité absolue, si
un groupement de listes apparentées totalisait plus de 50 % des suffrages expri-
més, tous les sièges lui étaient attribués. La répartition de ceux-ci entre les listes
apparentées s
effectuait suivant la règle de la plus forte moyenne.
c) Enfin, dans le cas où aucune liste isolée ni aucun groupement de listes
n
obtenaient
les listes apparentées étaient considérées
comme une seule et même liste et les sièges étaient répartis entre elle et les
autres suivant la règle de la plus forte moyenne.
la majorité absolue,
430. Attributions de lAssemblée nationale. a) Elles sont dabord dor-
dre législatif. LAssemblée nationale a linitiative des lois, elle les vote et ne
peut déléguer ce droit (art. 13). Le constituant de 1946 espérait ainsi éviter la
pratique des décrets-lois. Sans succès, comme on le verra.
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b) En matière financière, elle examine et vote le budget, ses membres ont
l
initiative des dépenses mais ne peuvent en user lors de la discussion du budget
(art. 16, 17).
c) LAssemblée nationale contrôle lactivité gouvernementale dune part en
participant à lélection du Président de la République, dautre part en donnant
ou refusant sa confiance au Président du Conseil désigné par le Président de la
République, enfin en mettant en
œuvre la responsabilité ministérielle.
d) En matière diplomatique les traités ne peuvent être ratifiés que lorsque la
ratification a été autorisée par l
Assemblée nationale en forme de loi (art. 27).
e) Enfin en matière judiciaire lAssemblée nationale accorde lamnistie
(art. 19) et élit, au début de chaque législature, les membres de la Haute Cour
de justice (art. 58).
C Le Conseil de la République
431. Composition. Selon la Constitution de 1946 le Conseil de la Répu-
blique ne peut comprendre moins de 250 ni plus de 320 membres. Tel que son
recrutement était aménagé par la loi du 23 septembre 1948, il atteignait son
effectif maximum.
La Constitution prévoit que le Conseil de la République est élu au suffrage
universel indirect par les collectivités communales et départementales. Cette
règle limitait les possibilités du législateur ordinaire dans l
aménagement du
régime électoral applicable au Conseil de la République.
432. Le mode délection du Conseil de la République. Le régime élec-
toral organisé pour l
élection du premier Conseil de la République atteignait à
un degré de complication inédit. Aussi bien la loi du 27 octobre 1946 reconnais-
sait-elle son imperfection en précisant, dans son article terminal, qu
elle ne
jouerait que pour l
élection du premier Conseil de la République. Une nouvelle
loi électorale était donc nécessaire. Ce fut celle du 23 septembre 1948.
Son caractère essentiel est de rapprocher, par son origine, le Conseil de la
République de ce qu
était le Sénat de la IIIe République : un représentant des
collectivités locales.
Le mode de scrutin adopté variait selon les catégories de sénateurs. Dans
tous les cas, ils étaient élus par un collège départemental composé des députés,
des conseillers généraux et des délégués des conseils municipaux. Toutes ces
personnalités étant elles-mêmes élues, l
élection des sénateurs avait donc bien
lieu au suffrage universel, encore qu
il soit à deux degrés.
Le nombre et le mode délection des délégués des conseils municipaux
variaient avec limportance de la commune. Lélection des sénateurs avait lieu à
la proportionnelle ou au scrutin majoritaire selon le nombre de sièges à pourvoir.
433. Attributions. La modestie primitive du rôle imparti au conseil de la
République se traduisait par l
étroitesse de ses attributions. Ses membres partici-
paient à lélection du Président de la République, dans les mêmes conditions que
le Sénat de la III
e République, mais son rôle se définissait surtout de manière
négative : il ne votait pas la loi, mais se bornait à examiner pour avis les projets
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Droit constitutionnel
ou propositions votés en première lecture par lAssemblée nationale ; il ne contrô-
lait pas l
activité gouvernementale et ne pouvait renverser un ministère.
La révision constitutionnelle du 7 décembre 1954 a renforcé, mais dans une
faible mesure seulement, le pouvoir et le prestige du Conseil. Elle lui a d
abord
restitué la plénitude de l
initiative législative et retiré à lAssemblée nationale la
priorité dans lexamen des projets de loi gouvernementaux. À lexception de
ceux qui portaient autorisation de ratifier les traités et des projets budgétaires, le
gouvernement pouvait désormais les déposer indifféremment sur le bureau de l
As-
semblée ou sur celui du Conseil.
En outre, la navette était rétablie entre les deux Chambres. Ce qui signifiait
que, du moins pendant un certain délai, un texte pouvait devenir loi sans le
consentement du Conseil.
D Le Comité constitutionnel
434. La Constitution organisait un semblant de contrôle de constitutionnalité
par l
intermédiaire dun Comité constitutionnel. Pour éviter de présenter ce
contrôle comme un obstacle à l
expression de la volonté générale, le Comité
ne devait pas examiner si les lois étaient contraires à la constitution, mais si
elles « supposent une révision de la constitution ». Par cette formule, dont la
substance sera reprise à l
article 54 de la Constitution de 1958, le constituant
se rattachait à la justification procédurale du contrôle (v.
supra no 53).
Saisi par une demande émanant conjointement du Président de la République
et du Président du Conseil de la République, le Comité devait s
efforcer de pro-
voquer un accord entre l
Assemblée nationale et le Conseil de la République. Sil
n
y parvenait pas et que la loi en litige lui paraissait impliquer une révision de la
constitution, il devait la renvoyer à l
Assemblée nationale pour nouvelle délibéra-
tion. Si alors le Parlement maintenait son premier vote, la loi ne pouvait être pro-
mulguée avant que la constitution ait été révisée. Il était en outre expressément
précisé que la confrontation de la loi avec le Préambule était exclue de la com-
pétence du Comité, ce qui était évidemment une restriction considérable. Le
Comité constitutionnel pouvait donc, au mieux, garantir le respect des procédures
constitutionnelles, mais non pas les droits fondamentaux (sur le fonctionnement
du comité constitutionnel, voir Soulier, 1949). En pratique, il ne s
est prononcé
qu
une fois, sur une question dailleurs relativement secondaire.
§ 2. Le pouvoir exécutif
435. Il est composé de deux organes : le Président de la République et le
Conseil des ministres.
A Le Président de la République
436. Mode délection. Le Président de la République est élu par le Parle-
ment se prononçant au scrutin secret, pour sept ans (art. 29). L
élection a lieu à
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La IVe République
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Versailles, dans les locaux du Congrès. Le Président devant obtenir la majorité
absolue des suffrages exprimés, on procède à autant de tours qu
il est nécessaire
pour aboutir à ce résultat.
437. Condition du Président de la République. Il existe deux conceptions
du rôle du Président de la République, déclarait P. Cot à lAssemblée constituante
(séance du 12 septembre 1946, JO, p. 3696). « Pour les uns, le Président de la
République est le chef de l
État ; cest un homme qui peut et doit jouer un rôle
personnel dans la marche des affaires publiques et qui peut s
opposer, le cas
échéant tout au moins, à la volonté de l
Assemblée nationale ; pour les autres,
au contraire, le Président de la République
cest la tradition républicaine est
simplement le premier magistrat de la République. Dans ce cas il doit être au-
dessus des partis, son élection doit provenir de la souveraineté nationale et il ne
doit pas pouvoir entrer en conflit avec cette représentation nationale
».
Le Président de la République est, comme celui de la IIIe politiquement
irresponsable (il n
est responsable que pour haute trahison et dans ce cas il est
mis en accusation par l
Assemblée nationale et renvoyé devant la Haute Cour
de justice, art. 42).
Dans la réalité, le Président a eu loccasion de jouer effectivement son rôle
d
arbitre et de gardien de la constitution. Cest ainsi que, dans son message du
29 mai 1958, le Président menaça de se retirer si l
Assemblée nationale ne per-
mettait pas de faire jouer la procédure d
investiture au profit du général
de Gaulle (v.
infra no 459).
438. Attributions du Président. Sous réserve dobtenir le contreseing du
Président du Conseil et d
un ministre, les attributions du Président restent nom-
breuses quoique de second plan. Il nomme en Conseil des ministres un certain
nombre de hauts fonctionnaires, notamment les conseillers d
État, les préfets,
les officiers généraux et les ambassadeurs (art. 30) ; il est tenu informé des
négociations internationales et signe et ratifie les traités (art. 31) ; il préside le
Conseil des ministres et conserve les procès-verbaux de ses séances (art. 32) ; il
préside le Conseil supérieur et le Comité de la Défense nationale et prend le titre
de chef des armées (art. 33) ; la disposition de la force armée que lui attribuait la
constitution de 1875 a été remise au Président du Conseil qui est responsable de
la sécurité et de la défense de l
Union française. Le Président de la République
préside le Conseil de la magistrature (art. 34), promulgue les lois (art. 36) et
peut communiquer avec le Parlement par des messages qu
il adresse à lAssem-
blée nationale. Enfin, dans le délai de dix jours fixé pour la promulgation, il
peut, par un message motivé, demander aux deux Chambres une nouvelle déli-
bération de la loi et la constitution précise qu
il doit être fait droit à sa demande.
B Le Conseil des ministres
439. Le Président du Conseil. La procédure initiale de nomination (Arné,
1962).
La Constitution avait imaginé pour sa nomination une procédure assez
compliquée qui ne sexplique quà titre de compromis entre les partisans de la nomi-
nation par le Président de la République et ceux qui voulaient maintenir le système
du projet du 19 avril 1946, c
est-à-dire lélection par lAssemblée nationale.
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Droit constitutionnel
Aux termes de larticle 45, cest le Président de la République qui, au début
de chaque législature et après les consultations d
usage, désigne le Président du
Conseil. Mais celui-ci ne peut être nommé que lorsqu
il a été investi de la
confiance de l
Assemblée à laquelle il a préalablement soumis le programme
et la politique du cabinet qu
il se propose de constituer. LAssemblée donne
son investiture au scrutin public et à la majorité absolue de ses membres.
a) Le pouvoir de désignation du Président de la République qui, sous les lois
de 1875, n
était limité quen fait par lobligation de tenir compte des vœux de la
majorité parlementaire, se trouvait limité en droit. Le Président pourra toujours
désigner qui il entend, mais il ne pourra
nommer que la personnalité qui a
obtenu l
investiture de lAssemblée. Son rôle se borne en quelque sorte à lexer-
cice d
un droit de présentation. En pratique, compte tenu du multipartisme et
des divisions de l
assemblée, un Président habile pouvait, comme autrefois
sans la III
e République ou plus tard en Italie, rechercher lhomme le plus à
même de former une coalition. Il pouvait aussi parfois gêner ou retarder les
tentatives de certaines personnalités pour constituer un gouvernement.
b) La formation du cabinet est une procédure à trois temps : il y a dabord
désignation d
un Président du Conseil par le Président de la République, puis
investiture du chef du gouvernement par l
Assemblée, à la suite des négocia-
tions menées entre les groupes, sur le programme qu
il aura présenté ; enfin
formation du gouvernement.
c) Ce système met en vedette la situation du Président du Conseil en ce quil
le place nettement au-dessus du gouvernement. Sur ce point l
intention des
constituants n
est pas équivoque. Après avoir reproché à la constitution de
1875 d
avoir ignoré le Président du Conseil, le Président de la commission de
constitution déclarait : «
Nous essayons, nous, dorganiser, parce que cela est
apparu absolument nécessaire pour le bon fonctionnement de la démocratie,
une présidence du Conseil et, en dehors du gouvernement même, nous voulons
dabord un Président du Conseil désigné et choisi par lAssemblée et respon-
sable devant elle ».
440. La procédure de 1954. Le système dinvestiture imaginé par les
constituants n
a pas produit en fait tous les résultats heureux quils en atten-
daient (Fabre, 1951). Il n
a pas diminué le nombre des crises ministérielles.
Une révision de la constitution, intervenue en 1954, fut donc inspirée par le
désir de donner à l
exécutif une plus grande stabilité.
La procédure de désignation du Président du Conseil demeurait inchangée.
Il était, d
abord « pressenti » par le Président de la République, puis « désigné »
lorsqu
il avait donné à celui-ci son acceptation de constituer un cabinet.
Ce qui était nouveau cétait, dune part, la procédure dinvestiture par lAs-
semblée, dautre part les conditions de majorité.
a) Désormais, le Président du Conseil désigné choisissait les membres de
son cabinet, en faisait connaître la liste à l
Assemblée nationale et se présentait
devant elle pour lui demander d
investir le gouvernement par un vote de
confiance.
Cétait donc un retour à la pratique de la IIIe République, avec cette diffé-
rence toutefois que le Président et les membres du ministère n
étaient pas nom-
més
par le Président de la République avant, mais après le vote de lAssemblée.
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La IVe République
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b) La majorité requise pour que le nouveau ministère soit considéré comme
ayant obtenu la confiance de lAssemblée était la majorité simple.
Toutefois lexigence de la majorité absolue des députés pour renverser un
cabinet en fonction était maintenue par le nouvel article 49.
On pensait obtenir la stabilité du fait quil serait plus facile de former un
nouveau gouvernement et toujours aussi difficile de le renverser. Cependant,
comme la constitution du gouvernement et son maintien en fonction dépendait
non des techniques constitutionnelles, mais avant tout des possibilités politiques
de rassembler et de maintenir une coalition, la révision de 1954 n
eut guère
d
effets.
441. Attributions. Différentes dispositions de la constitution confirment
la supériorité initiale du Président du Conseil : d
abord lui seul peut poser la
question de confiance après délibération en Conseil des ministres (art. 49).
Ensuite il reçoit des attributions qui, naguère, appartenaient nominalement au
Président de la République : il a l
initiative des lois, il nomme à tous les emplois
civils et militaires, sauf ceux dont la constitution réserve la nomination au Pré-
sident de la République ; il assure la direction des forces armées et surtout il est
chargé de pourvoir à l
exécution des lois (art. 47).
Cette attribution du pouvoir réglementaire au Président du Conseil, bien
qu
elle ne fasse que régulariser en droit ce qui se passait en fait, accroît lauto-
rité du chef du gouvernement en ce que son pouvoir de coordination de l
acti-
vité ministérielle se trouve consolidé par son droit de viser les règlements pré-
parés par les divers ministères.
Cette coordination sexerce tant sur le plan civil que dans le domaine de la
défense nationale. À cette fin, les services de la Présidence du Conseil ont été
considérablement accrus par rapport à ce qu
ils étaient sous la IIIe République.
Étant donné l
énormité de la tâche du Président du Conseil, il peut déléguer ses
pouvoirs à un ministre (art. 54).
442. Les ministres. Choisis par le Président du Conseil, ils sont nommés
par le Président de la République, après que l
équipe ministérielle a obtenu la
confiance de l
Assemblée nationale.
Les ministres, qui ne sont pas obligatoirement des parlementaires, ont accès
aux deux Chambres et à leurs commissions. Ils doivent être entendus quand ils le
demandent. Ils peuvent se faire assister dans les discussions devant les Chambres
par des commissaires désignés par décret (art. 53).
443. Unité et responsabilité du cabinet. Le cabinet comprend des mem-
bres qualifiés de titres différents : ministres, ministres sans portefeuille ou
ministres dÉtat, secrétaires et sous-secrétaires dÉtat. La situation de ces der-
niers est assez flottante ; en principe, elle se caractérise par le fait que les secré-
taires ou sous-secrétaires d
État nassistent pas au conseil des ministres, mais
seulement aux conseils de cabinet et uniquement pour les affaires de leur res-
sort. Il ne s
agit dailleurs pas là dune règle absolue.
En dépit de cette variété de membres, le cabinet constitue un organisme
doué de l
unité tant juridique que politique. La solidarité ministérielle est lillus-
tration de cette unité. Elle se traduit par une présomption de concordance de
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Droit constitutionnel
vues au sein du gouvernement en vertu de laquelle les ministres sont tenus
d
adopter une attitude commune dans leur vote aux Assemblées.
Dans les gouvernements de coalition, lunité de vues est évidemment plus dif-
ficile à réaliser. Elle dépend en grande partie de l
habileté et de lautorité du Prési-
dent du Conseil. De ce fait, la solidarité ministérielle est pour celui-ci un instrument
de prépondérance. Mais en un autre sens elle affaiblit sa situation, car si des dissen-
timents persistants se manifestent au sein du cabinet, le Président est entraîné dans
la démission collective.
Les ministres sont en effet collectivement responsables devant lAssemblée
nationale de la politique générale du cabinet, et individuellement de leurs actes
personnels (art. 48). En outre, ils sont pénalement responsables des crimes et
délits commis dans l
exercice de leurs fonctions (art. 56). À ce titre, ils peuvent
être mis en accusation par l
Assemblée nationale et renvoyés devant la Haute
Cour de justice.
Le Président de la République préside le Conseil des ministres (art. 32),
mais, quoique la constitution ne mentionne pas cette hypothèse, il peut y avoir
hors de sa présence des réunions de cabinet.
Section 3
Le fonctionnement des pouvoirs publics
444. Mesure du parlementarisme dans la Constitution de 1946. Si lon
s
en tient, pour caractériser la forme parlementaire dun système gouvernemental, à
sa structure externe en négligeant les conditions de fond historiques, psychologi-
ques et sociales, on peut dire que le régime établi par la Constitution de 1946 appar-
tenait à la catégorie du parlementarisme. Au double point de vue de la participation
des différents organes à lexercice des fonctions étatiques et de limportance de
cette participation, les formules constitutionnelles respectaient les règles du régime
parlementaire, mais il serait excessif d
assurer quelles en adoptaient également
l
esprit.
Elles paraissaient conformes à la représentation traditionnelle du régime par-
lementaire comme système de collaboration des pouvoirs. Gouvernement et
Parlement étaient associés en matière législative, puisque l
un et lautre avaient
l
initiative et que le Parlement votait les lois, tandis que lexécutif les promul-
guait et les faisait exécuter grâce à son pouvoir réglementaire. Ils étaient asso-
ciés également en matière financière : le gouvernement prépare et présente le
budget, l
Assemblée nationale le vote. Ils étaient associés enfin en matière gou-
vernementale, puisque le cabinet investi de la confiance de lAssemblée natio-
nale gouvernait sous le contrôle de celle-ci.
La Constitution prévoyait également les deux mécanismes qui, théorique-
ment doivent permettre de maintenir l
influence mutuelle des pouvoirs : la res-
ponsabilité ministérielle et la dissolution. En fait cependant le régime ne fonc-
tionnait pas bien (Priouret, 1959 ; Fauvet, 1971).
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La IVe République
§ 1. La législation
389
445. Limpuissance parlementaire et la délégation du pouvoir législatif
(Barale, 1964).
Linitiative des lois appartenait communément au Président
du Conseil des ministres, aux membres du Parlement (linitiative pleine avait
été rendue aux sénateurs par la loi constitutionnelle du 7 décembre 1954).
Dans lespoir dempêcher le retour à la pratique des décrets-lois, courante
dans les dernières années de la III
e République (v. supra no 387), les consti-
tuants avaient établi, dans l
article 13, que seule lAssemblée nationale vote la
loi et qu
elle ne peut déléguer ce droit. Or, loin davoir disparu, les raisons de
fait qui militaient en faveur de la législation par décret étaient devenues plus
impératives. D
une part labsence de majorité parlementaire cohérente rendait
impossible l
adoption dune législation constructive ; dautre part les parlemen-
taires répugnaient toujours à voter des lois impopulaires (en matière fiscale
notamment) ; enfin, la complexité et la minutie des réglementations exigées
par les tendances politico-sociales contemporaines faisaient ressortir l
inadapta-
tion des Parlements à une pareille tâche.
a) La loi du 17 août 1948 met en œuvre une technique différente de celle qui
était suivie sous la III
e République. Au lieu de permettre lentrée en vigueur
immédiate des décrets pris en vertu de la loi d
habilitation, elle dispose quils
sont déposés sur le bureau de l
Assemblée et nentrent en vigueur quà lexpi-
ration d
un délai accordé à celle-ci pour les examiner. Peu importe dailleurs
qu
elle ait ou non utilisé ce droit de contrôle. Cest ce que lon a appelé le pro-
cédé de la
loi-cadre. Le qualificatif est dailleurs usurpé car une loi-cadre est
indique à l
autorité réglementaire les principes généraux quelle
celle qui
devra observer, ce qui ne fut nullement le cas de la loi de 1948.
Il restait cependant que le jeu du délai ne changeait rien au fait essentiel : la
possibilité pour le gouvernement de modifier la législation en vigueur. Aussi,
pour légaliser cette faculté, la loi a-t-elle imaginé que le Parlement est compé-
tent pour opérer une délimitation des domaines de la loi et du règlement. Si, a-t-
on dit, le Parlement autorise le gouvernement à intervenir en certaines matières,
ces matières sont par le fait même
délégalisées, les lois qui les réglementaient
n
ont plus que la valeur de décret et sont par conséquent modifiables par décret.
Bien plus, cette délégalisation n
a plus une durée temporaire, limitée au délai
durant lequel le gouvernement est autorisé à rendre ses décrets ; elle dure aussi
longtemps que le Parlement en prenant une loi à son sujet n
a pas « relégalisé »
la matière en question.
b) Peu rassuré par cette argumentation et cependant pressé par la nécessité
de légiférer, le gouvernement demanda l
avis du Conseil dÉtat. De cet avis,
rendu le 6 février 1953 (RDP 1953, p. 171 et s.), il résulte : a) que les décrets-
lois du type III
e République sont interdits ; b) que cela nempêche pas le Parle-
ment d
étendre la compétence réglementaire en y incluant certaines matières
antérieurement législatives ;
c) que certaines questions ne peuvent faire lobjet
de ce transfert de compétence ;
d) enfin quen tout état de cause lautorisation
donnée au gouvernement doit être précise et délimitée.
Leffet de cette absolution préventive fut le retour par la loi du 11 juillet
1953 et du 14 août 1954 à une procédure qui n
est, au fond, pas différente de
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Droit constitutionnel
celle des décrets-lois : autorisation de modifier la loi, délai limité imposé au
gouvernement, entrée en vigueur immédiate des décrets, ratification ultérieure
par le Parlement. Deux différences cependant doivent être signalées parce qu
el-
les innovaient par rapport à la pratique suivie sous la III
e République : dune
part la loi d
habilitation ne vaut que pour le gouvernement qui la sollicitée,
tandis que, sous la IIIe, la loi dhabilitation spécifiait ou non le nom du ministère
habilité ; d
autre part les décrets-lois ne peuvent entrer en vigueur sans avoir
recueilli l
avis conforme de certains organismes (de la commission des finances
de l
Assemblée nationale, pour la loi de 1954).
446. Intérêt actuel de la pratique suivie sous la IVe République. Les
développements qui précèdent n
ont pas quun intérêt rétrospectif. Il est indis-
pensable de connaître les difficultés auxquelles s
est heurtée la IVe République
et son incapacité à les surmonter pour comprendre la solution qui a été adoptée
par la constitution actuelle. L
impasse où sétait finalement trouvé le régime
antérieur explique le contenu de l
article 38 de la Constitution de 1958
(v.
infra no 745 s.).
447. Le Conseil économique (Loi 27 octobre 1946, 20 août 1947 et
20 mars 1951).
À une époque, entre les deux guerres, où les idées de repré-
sentation professionnelle et de Parlement économique étaient en faveur, les
conseils économiques avaient connu une certaine fortune. Le modèle en fut
celui institué en Allemagne par la constitution de Weimar. En France, il en fut
également créé un par le décret du 16 janvier 1925 ; élargi en 1936, il fut rendu
permanent pendant la durée des hostilités.
La Constitution de 1946 a repris lidée dans son article 25 avec lintention
de faire de ce Conseil, dont les pouvoirs demeurent d
ailleurs consultatifs, lor-
gane des fonctions économiques et des grandes catégories sociales : travail,
capital, artisanat, familles... De là l
extrême complexité de sa composition.
En général, les membres sont élus ou désignés pour trois ans par les syndi-
cats, groupements ou associations quils représentent.
§ 2. Les rapports entre les pouvoirs publics
448. Multiplicité des contacts entre le gouvernement et le Parlement.
Selon la conception classique, le régime parlementaire assure léquilibre des
pouvoirs en leur donnant la possibilité d
agir réciproquement lun sur lautre.
Prisonniers de cette conception, les constituants de 1946 avaient cherché à assu-
rer la collaboration par un certain nombre de procédés traditionnels :
Les ministres ont droit daccès aux Chambres et à leurs commissions ; ils
doivent être entendus quand ils le demandent (art. 53). Le Président de la Répu-
blique peut communiquer avec le Parlement par des messages adressés à l
As-
semblée nationale (art. 37). Inversement,
le Parlement peut demander aux
ministres de venir lui fournir des explications ; les députés et les membres du
Conseil de la République peuvent, selon la procédure traditionnelle, leur poser
des questions.
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La IVe République
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Nous ne retiendrons ici que les deux principales institutions qui permettaient
à chacun des deux organes de peser sur l
attitude de lautre : la responsabilité
ministérielle et la dissolution.
449. La responsabilité ministérielle. Elle pouvait être mise en œuvre soit
par la question de confiance, soit par la motion de censure.
1o La question de confiance ne pouvait être posée que par le Président du
Conseil et après délibération du cabinet (art. 49). La procédure était la suivante :
le Président du Conseil déposait un texte, par exemple un projet de loi, sur le
bureau de l
Assemblée et engageait la responsabilité du gouvernement sur ce
texte. En d
autres termes, il sengageait à démissionner au cas où le texte serait
rejeté.
Le vote ne pouvait intervenir quun jour franc après quelle ait été posée
devant lAssemblée...
Cette procédure avait incontestablement pour effet de retarder la marche des
débats et on n
a pas manqué de lui reprocher la lenteur quelle introduit dans les
délibérations, lenteur telle qu
elle était de nature à paralyser le gouvernement
dans l
exercice de son droit de poser la question de confiance (voir séance du
5 septembre 1946,
JO, p. 3555). Or, tel était bien le but visé par la Constitution.
On espérait que le gouvernement gagnerait en stabilité, puisque les possibi-
lités de crise ministérielle seraient moins fréquentes et que, d
autre part, le
même article 49 précisait que la confiance ne peut être refusée au cabinet qu
à
la
majorité absolue des députés de lAssemblée.
2o Avec la motion de censure, lAssemblée prenait linitiative de mettre en
cause la responsabilité gouvernementale. Toujours dans l
intention de ne pas
compromettre la stabilité du cabinet, des précautions étaient prises pour éviter
les votes intempestifs (art. 50) :
a) le vote ne peut intervenir quun jour franc après le dépôt de la motion de
censure :
b) il a lieu au scrutin public ;
c) la motion de censure ne peut être adoptée quà la majorité absolue des
députés à lAssemblée.
Le vote dune motion de censure entraîne la démission collective du cabinet.
Mais la question capitale était de savoir ce qui pourrait se produire dans les cas
où la motion de censure était approuvée ou la confiance rejetée non pas à la
majorité absolue, mais à la
majorité simple. La réponse était simple : juridique-
ment, le gouvernement n
était pas tenu de démissionner. En pratique, cependant
il était clair qu
il ne pouvait se maintenir, ne serait-ce que parce quil ne dispo-
sait pas des moyens législatifs et financiers de gouverner et dexécuter son pro-
gramme. En effet, le texte sur lequel il avait engagé sa responsabilité était rejeté.
Il était donc contraint de présenter malgré tout sa démission.
450. La fréquence des crises ministérielles. Les précautions prises par la
Constitution de 1946 pour empêcher que la mise en cause de la responsabilité
du gouvernement ne provoque trop aisément son renversement nont pas pro-
duit le résultat que l
on en escomptait. Les crises ministérielles se sont multi-
pliées à une cadence qui a fini par indisposer l
opinion.
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Droit constitutionnel
Seulement, ce nest pas la procédure des articles 49 et 50 qui doit être incri-
minée. Rares ont été les ministères ouvertement renversés par un vote hostile.
Dans la plupart des cas c
est leur désagrégation interne qui provoquait la crise.
Faute de pouvoir gouverner, le gouvernement démissionnait. L
origine du mal
était ainsi, non dans une règle de procédure, mais dans l
absence dune majorité
cohérente au Parlement. Et cest pourquoi on pouvait être sceptique sur leffica-
cité des réformes constitutionnelles qui furent proposées dans les derniers mois du
régime
1. Il ne suffit pas de rendre un gouvernement plus ou moins inamovible
et cest à quoi tendaient les procédures imaginées pour paralyser le vote de
méfiance
encore faut-il quil puisse gouverner. Si le Parlement ny consent
pas, aucun subterfuge procédural ne pourra suppléer l
absence dadhésion pro-
fonde à son programme. Aussi bien la multiplicité des crises ministérielles sous
la IV
e République ne signifiait pas que le contrôle parlementaire avait été efficace.
Avec de telles m
œurs, le renversement dun cabinet ne signifiait nullement que
le contrôle parlementaire avait été exercé. En réalité, la Chambre ne discutait pas
réellement des problèmes de fond. Lors du scrutin sur la question de confiance ou
sur une motion de censure, ce qui était en cause ce n
était pas la mesure qui en
faisait officiellement l
objet, cest de savoir si la majorité maintiendrait ou non la
délégation consentie au gouvernement au moment de son investiture.
Dans la théorie classique du régime parlementaire, la responsabilité ministé-
rielle était destinée à sanctionner une divergence politique entre l
assemblée et
le pouvoir exécutif. Sous la IV
e République, lessentiel nétait pas dans les rap-
ports entre les organes, mais dans les rapports entre partis. La mise en jeu de la
responsabilité ne traduisait donc pas une opposition entre organes, mais l
insta-
bilité d
une coalition.
451. La dissolution. On estime parfois quune utilisation fréquente du
droit de dissolution aurait pu remédier à l
instabilité ministérielle, mais dune
part, depuis la crise du 16 mai, la dissolution était frappée de discrédit et
considérée comme contraire à la tradition républicaine, dautre part ces crises
ne traduisaient pas de véritables conflits entre pouvoir exécutif et pouvoir
législatif, mais des ruptures au sein d
une coalition ; enfin les règles constitu-
tionnelles en rendaient l
usage difficile. La procédure était en effet la sui-
vante : si, au cours d
une même période de dix-huit mois, deux crises minis-
térielles survenaient
dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la
dissolution de l
Assemblée nationale pouvait être décidée en Conseil des
ministres, après avis du Président de l
Assemblée. Le Président de la Répu-
blique prononçait, par décret, la dissolution, conformément à la décision du
Conseil des ministres, mais ne décidait rien et ne jouait donc pas le rôle d
ar-
bitre, que lui assigne la théorie classique du régime parlementaire.
Mais il ny avait pas seulement transfert du droit de dissolution du Président
de la République au Conseil des ministres. Il y avait aussi limitation de ses
conditions d
exercice. Ces limitations étaient au nombre de trois :
a) afin de laisser aux rapports entre lexécutif et le Parlement le temps dun
« rodage » indispensable, la constitution interdisait l
usage du droit de dissolu-
tion pendant les dix-huit premiers mois de la législature ;
1.
Voir le projet de loi constit. déposé par le gouvernement Gaillard, le 16 janvier 1958.
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La IVe République
393
b) pour que la dissolution fût possible, il fallait, en second lieu, que deux
crises ministérielles fussent intervenues dans une même période de dix-huit
mois. On estime qu
alors le rapprochement des crises justifiait la dissolution ;
c) enfin, le gouvernement ne pouvait décider la dissolution que si les crises
ministérielles s
étaient produites dans les conditions prévues par les articles 49
et 50, cest-à-dire à la suite dun vote de défiance ou dune motion de censure et
à la majorité absolue.
Cétait là la limitation la plus grave à lexercice du droit de dissolution, car
si la dissolution ne pouvait intervenir que dans le cas d
une crise ministérielle
ouverte par le jeu des articles 49 et 50, il dépendait de l
Assemblée de la ren-
dre possible ou non. Il lui suffisait de ne pas voter expressément une motion
de censure ou de prendre garde à se prononcer contre le gouvernement à la
majorité relative, pour contraindre en fait le gouvernement à démissionner,
tout en rendant la dissolution impossible. Les parlementaires devinrent très
habiles à pratiquer cette technique, appelée « le calibrage des votes » et la plu-
part des crises ministérielles se produisaient en dehors des conditions prévues
aux articles 49 et 50.
La dissolution de lAssemblée nationale ne fut prononcée quune seule fois,
en décembre 1955, à l
initiative du Président du Conseil Edgar Faure, qui put
profiter du fait que les conditions étaient remplies, mais non pas dans le but de
faire arbitrer par les électeurs un conflit entre le gouvernement et l
Assemblée
il ny en avait dailleurs pas , mais de provoquer des élections selon le système
électoral de 1951 avant que la majorité parlementaire ait pu modifier le mode de
scrutin (Blamont, 1956 ; Berlia, 1956).
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Quatrième partie
Les institutions de la Ve République
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Chapitre 1
Le cadre
Section 1
Origines et évolution de la Ve République
Sous-section 1
Le problème de la réforme constitutionnelle en 1958
453. La Constitution de la Ve République a été adoptée en 1958. Cette
nouvelle Constitution n
est évidemment pas tombée du ciel. Elle a constitué une
réponse à certains problèmes que se posaient les citoyens et la classe politique à
la fin du régime précédent. Quels étaient ces problèmes ? Quelles étaient les
solutions envisagées ?
§ 1. Les maux
454. Dans les derniers temps de la IVe République, chacun a conscience que
les institutions fonctionnent mal. Le signe le plus apparent de ce mauvais fonc-
tionnement, c
est évidemment
l
instabilité gouvernementale : en moins de
douze ans, d
octobre 1946 à mai 1958, vingt et un gouvernements se sont suc-
cédé ; compte tenu du délai nécessaire à la résolution de chaque crise ministé-
rielle, la durée moyenne d
un gouvernement était en fait inférieure à six mois.
Les causes de cette instabilité ayant déjà été étudiées au chapitre précédent,
on se bornera ici à rappeler très brièvement les principales, l
absence dune
majorité parlementaire véritable et l
insuffisance des moyens juridiques de
l
exécutif, cest-à-dire les conditions auxquelles étaient subordonnées la disso-
lution de l
Assemblée nationale et le fait quun gouvernement pouvait se voir à
la fois accorder la confiance de lAssemblée nationale et refuser le texte sur
lequel il avait engagé sa responsabilité.
§ 2. Les remèdes
455. Vers la fin de la IVe République, presque tout le monde pensait que le
régime avait besoin d
être assez sérieusement réformé, mais lon avait du mal à
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398
Droit constitutionnel
sentendre sur la nature du remède à appliquer. On pouvait envisager trois types
de solutions : une réforme électorale permettant d
agir sur le système de partis
(A) ; la rationalisation du parlementarisme destinée à renfoncer la position du
gouvernement vis-à-vis du Parlement (B) ; le changement du mode de désigna-
tion du Président de la République de façon à transformer la signification poli-
tique de lexécutif (C).
A La réforme électorale
456. Sous la IVe République, même après la réforme de 1951, lAssemblée
nationale était élue principalement à la représentation proportionnelle. Or, l
on
sait qu
un tel mode de scrutin a généralement pour effet de rendre plus difficile
la constitution d
une majorité parlementaire. Cest pourquoi, certains hommes
politiques (notamment le gaulliste Michel Debré) préconisaient l
adoption du
scrutin majoritaire en espérant que cette réforme entraînerait une réduction du
nombre des partis et qu
elle aboutirait même peut-être un jour à la formation
d
un système bipartisan, comme en Grande-Bretagne.
Le mode délection des députés étant fixé par une loi ordinaire, une telle
réforme n
impliquait aucune révision de la Constitution. Mais elle était politi-
quement difficile à réaliser, en raison des incidences qu
elle pouvait avoir sur la
situation de nombreux parlementaires. De plus, rien ne garantissait qu
elle pro-
duirait les effets escomptés : en effet, le scrutin majoritaire à deux tours, qui
était demeuré en vigueur durant la majeure partie de la III
e République, navait
pas suffi à empêcher l
instabilité gouvernementale.
B La rationalisation du parlementarisme
457. Rationaliser le parlementarisme, cest introduire dans la Constitution
des dispositifs qui renforcent la position du gouvernement vis-à-vis du Parle-
ment, et qui peuvent pallier l
absence dune véritable majorité parlementaire.
En 1946, lors de l
élaboration de la Constitution de la IVe République, il avait
déjà été beaucoup question de parlementarisme rationalisé mais les constituants
ne s
étaient que très timidement engagés dans cette voie, la plupart dentre eux
demeurant attachés à l
idée de souveraineté parlementaire.
Toutefois, quelques années plus tard, les constituants de certains pays étran-
gers s
étaient montrés à cet égard beaucoup plus audacieux. Ainsi la Loi fonda-
mentale allemande (1949) n
autorise-t-elle le Bundestag à renverser le Chance-
lier fédéral qu
à la condition quil lui désigne en même temps un successeur
(système de la motion de censure « constructive », v.
supra no 236).
Sans aller tout à fait aussi loin, les projets de révision déposés par les der-
niers gouvernements de la IVe République tendaient à limiter les facteurs dins-
tabilité en rendant la dissolution plus facile, et en perfectionnant le mécanisme
de la question de confiance sur le vote d
un texte : celui-ci serait considéré
comme automatiquement adopté, à moins que l
Assemblée nationale décide
de renverser le gouvernement par un vote à la majorité absolue de ses membres.
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Le cadre
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C Le changement du mode de désignation
du Président de la République
458. Sous la IVe République, lexécutif navait aucune assise indépendante du
Parlement. Le Président de la République était élu par les deux Chambres réunies
en congrès. Quant au Président du Conseil, il était désigné par le Président de la
République mais il devait ensuite être investi par l
Assemblée nationale.
Dans un discours célèbre, prononcé à Bayeux en 1946, au moment où la
constitution de la IV
e République était en voie délaboration,
le général
de Gaulle avait condamné un tel système. Pour lui, le Président de la Répu-
blique était le garant de l
intérêt national. Il devait donc se situer au-dessus
des luttes partisanes. Or, en raison de son mode d
élection, le Parlement se
trouve toujours sous l
emprise des partis politiques. Selon le général de Gaulle,
il fallait que le chef de l
État fût élu « par un collège électoral qui englobe le
Parlement, mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le
Président de l
Union française en même temps que celui de la République... ».
Il choisirait les membres du gouvernement qui, tout en étant responsables
devant le Parlement, n
auraient plus besoin dêtre investis par celui-ci, car
c
est du chef de lÉtat « que doit procéder le pouvoir exécutif ». Il disposerait
librement du droit de dissolution, ce qui lui permettrait «
de servir darbitre au-
dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans
les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître, par des
élections, sa décision souveraine
».
Cette idée de donner à lexécutif une assise indépendante du Parlement et de
confier au chef de l
État des pouvoirs importants était alors tout à fait étrangère
à la tradition républicaine française. On aurait pu à la rigueur réformer la loi
électorale et rationaliser le parlementarisme sans vraiment sortir du cadre de la
IV
e République. Mais lorsque lon envisageait de retirer au Parlement la dési-
gnation du chef de l
État pour la confier au peuple (ou même simplement à un
collège électoral élargi), on réveillait de vieilles craintes. Il y avait bien eu un
précédent sous la II
e République entre 1848 et 1851 mais, précisément, cette
expérience avait mal tourné : le premier Président de la République élu au suf-
frage universel direct, Louis-Napoléon Bonaparte, avait tiré parti de l
autorité et
du prestige que lui conférait son mode de désignation, pour faire un coup
d
État, renverser la République et restaurer lEmpire ! Seuls les gaullistes
demandaient donc une réforme du mode de désignation du Président de la
République et ils n
étaient dailleurs même pas unanimes sur ce point. Quant
aux autres partis, ils y étaient franchement hostiles.
Dans des circonstances normales, la réforme constitutionnelle naurait eu
sans doute quun objet limité : on se serait probablement contenté dintroduire
quelques nouvelles techniques de rationalisation du parlementarisme, comme
les gouvernements de F. Gaillard et P. Pflimlin ont d
ailleurs tenté de le faire
in extremis. Mais, en raison de la guerre dAlgérie, la IVe République traversait
une crise extrêmement grave et les événements de l
année 1958 allaient permet-
tre au général de Gaulle de réaliser par des voies constitutionnelles un change-
ment complet de régime, qui combinait les trois grands thèmes de réforme ci-
dessus évoqués.
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Droit constitutionnel
Sous-section 2
Préparation et adoption de la Constitution
§ 1. Le retour au pouvoir du général de Gaulle
459. Le général de Gaulle, qui avait quitté le pouvoir en janvier 1946, y est
revenu douze ans plus tard, en mai 1958, dans des circonstances politiques très
agitées, mais dans des conditions formellement régulières.
Au printemps 1958, la situation politique en France était extrêmement ten-
due. La IV
e République se débattait avec les problèmes de la décolonisation : la
guerre d
Algérie, qui avait éclaté en 1954 quelques mois seulement après la fin
de la guerre d
Indochine durait déjà depuis plus de trois ans et aucune solution
n
était en vue. Le 15 avril 1958, le gouvernement de Félix Gaillard fut renversé
par l
Assemblée nationale. Lextrême gauche et la droite lui avaient toutes deux
refusé la confiance, pour des raisons d
ailleurs différentes, voire contradictoi-
res : l
extrême gauche lui reprochait de ne pas négocier avec la rébellion algé-
rienne alors que la droite le soupçonnait de vouloir négocier avec cette même
rébellion.
La crise ministérielle se prolongea plusieurs semaines. Diverses personnali-
tés, pressenties par le Président de la République pour occuper la fonction
de Président du Conseil, se récusèrent, car elles ne pensaient pas pouvoir obte-
nir l
investiture de lAssemblée nationale. Enfin, le 8 mai, Pierre Pflimlin, lun
des dirigeants du Mouvement républicain populaire (MRP), parti de centre-droit
et de sensibilité démocrate-chrétienne, accepta d
entamer le processus de forma-
tion d
un nouveau gouvernement.
Mais les Français dAlgérie et larmée se méfiaient de P. Pflimlin : on savait
qu
il nétait pas un partisan convaincu de lAlgérie française, et on lui prêtait, à
tort ou à raison, des velléités de négociation avec les indépendantistes algériens.
Le 13 mai, c
est-à-dire le jour même où P. Pflimlin devait se présenter devant
l
Assemblée nationale avec son gouvernement, un soulèvement éclata à Alger ;
les bâtiments officiels furent investis, les militaires fraternisèrent avec les civils.
À la fin de la journée, un comité de salut public composé de personnalités civi-
les et militaires était constitué à Alger. Le Président de ce comité, le général
Massu, adressa au Président de la République un télégramme comminatoire exi-
geant «
la création à Paris dun gouvernement de salut public seul capable de
conserver l
Algérie partie intégrante de la métropole ». Ce télégramme suscita
de graves inquiétudes dans la métropole : une partie de l
armée sétant dressée
contre le pouvoir civil, on pouvait redouter un coup dÉtat militaire. Dans un
réflexe de défense républicaine, l
Assemblée nationale surmonta ses divisions et
vota assez largement l
investiture au gouvernement de P. Pflimlin.
Mais il apparut très vite que lon se trouvait dans une impasse : dune part, le
gouvernement Pflimlin ne parvenait pas à rétablir son autorité sur l
Algérie et
des menaces pesaient sur la métropole ; dautre part, le comité de salut public
qui siégeait à Alger hésitait à organiser une expédition militaire sur Paris et à
déclencher une guerre civile.
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Le cadre
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Le retour au pouvoir du général de Gaulle apparut alors aux yeux de la
grande majorité de la classe politique et de l
opinion, comme la seule solution.
Le Général jouissait encore d
un grand prestige : il avait incarné la France libre
pendant la guerre ; il avait rétabli la légalité républicaine en 1944. Les gaullistes
de conviction n
étaient cependant pas très nombreux, ni à lAssemblée natio-
nale, ni au sein du comité de salut public dAlger ; mais la solution gaulliste
apparaissait aux deux camps comme un moindre mal dans la mesure où elle
permettait au moins d
éviter la guerre civile et de rétablir lordre. Et comme le
général de Gaulle avait pris soin de ne jamais annoncer publiquement ses inten-
tions sur l
Algérie, les uns pouvaient croire quil poursuivrait la politique de
l
Algérie française, les autres quil parviendrait à lui donner une forme dauto-
nomie au sein de la République. Une partie de la classe politique éprouvait
cependant une très grande méfiance envers de Gaulle en raison des circonstan-
ces de son retour au pouvoir et de la pression des généraux d
Algérie, au point
que certains redoutaient une dictature.
Le Président du Conseil, P. Pflimlin, accepta néanmoins de seffacer et
démissionna le 28 mai. Aussitôt, le Président de la République René Coty char-
gea le général de Gaulle de former un gouvernement et adressa au Parlement un
message pour tenter de convaincre les députés encore réticents. Ce message pré-
sentait un caractère très inhabituel : les usages de la IV
e République interdisaient
normalement au chef de l
État de faire pression sur lAssemblée nationale pour
obtenir un vote d
investiture. Mais Coty avait estimé que les circonstances
étaient elles-mêmes très inhabituelles et que, pour éviter des troubles graves, il
lui fallait sortir de sa réserve.
Le général de Gaulle constitua alors une équipe gouvernementale compre-
nant à la fois des gaullistes de longue date, comme Michel Debré et des person-
nalités représentant les principaux partis de gouvernement de la IV
e République,
comme Pierre Pflimlin (MRP) ou Guy Mollet (SFIO). Le 1
er juin, il se présenta
linvestiture à une forte majorité
devant
(329 voix contre 224). La droite avait voté pour, le MRP également, les socia-
listes et les radicaux s
étaient partagés ; seul le groupe communiste avait voté
massivement contre.
lAssemblée nationale et obtint
Cependant, si le général de Gaulle avait accepté de revenir au pouvoir, ce
n
était pas pour gouverner dans le cadre des institutions de la IVe République,
mais pour les changer et il entendait bien avoir les mains libres pour le faire.
C
est pourquoi, aussitôt après avoir obtenu linvestiture, entre le 1er et le 3 juin
1958, il fit adopter trois textes par le Parlement :
1) Une résolution par laquelle les assemblées se mettaient en congé et renon-
çaient à siéger jusquà la fin de la session ordinaire.
2) Une loi de pleins pouvoirs qui devait permettre au gouvernement de pren-
dre des mesures par ordonnances pendant toute la période où le Parlement ne
siégerait plus.
3) Une loi constitutionnelle qui modifiait la procédure de révision de la
Constitution de 1946.
Cest sur le fondement de cette loi quallait être adoptée la nouvelle Constitution.
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Droit constitutionnel
§ 2. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958
460. Bien que le général de Gaulle fût revenu au pouvoir avec la volonté de
changer les institutions, la Constitution de 1946 demeurait en vigueur. Le chan-
gement aurait donc dû saccomplir selon les formes prévues par larticle 90 de
la Constitution de 1946. Selon cette disposition, le projet de révision devait
obligatoirement être adopté par le Parlement. Cela ne faisait évidemment pas
l
affaire des gaullistes, qui souhaitaient rééquilibrer les institutions au profit de
l
exécutif et qui savaient que le Parlement accepterait difficilement de renoncer
aux prérogatives dont il avait joui sous le régime précédent.
Pour réaliser ses projets tout en restant dans la légalité constitutionnelle, le
général de Gaulle n
avait quune solution : commencer par réviser la procédure
de révision afin de permettre au gouvernement de préparer lui-même un projet
et de le faire adopter directement par le peuple sans le soumettre préalablement
au Parlement. Une telle démarche pouvait néanmoins faire problème tant d
un
point de vue technique que d
un point de vue politique.
461. Un problème de technique constitutionnelle. Daprès la procédure
de l
article 90, la révision de la Constitution nécessitait un temps relativement
long. Dans une première étape, il fallait adopter une résolution précisant l
objet
de la révision, c
est-à-dire les articles qui étaient visés ; puis on devait laisser
s
écouler un délai minimum de trois mois ; ensuite la résolution précisant lobjet
de la révision était soumise à une deuxième lecture et c
est seulement après
cette deuxième lecture que le Parlement pouvait enfin discuter et adopter la loi
de révision.
Fort heureusement, une résolution visant larticle 90 avait déjà été adoptée
en 1955, trois ans auparavant ; cette résolution n
avait pas abouti ; elle navait
jamais été soumise à une seconde lecture ; on l
avait complètement oubliée,
mais elle était toujours valable ; la révision demandée par le général de Gaulle
pouvait donc être greffée sur cette résolution ancienne, qui était demeurée en
suspens. C
est pourquoi elle put être adoptée en trois jours, entre le 1er et le
3 juin 1958, au lieu des trois mois qui eussent été nécessaires.
462. Un problème de légitimité politique. Une modification aussi préci-
pitée de la procédure de révision pouvait évoquer un précédent fâcheux. En
juillet 1940, tout de suite après la défaite des armées françaises devant les
armées allemandes, le Parlement réuni à Bordeaux avait donné tous pouvoirs
au gouvernement dirigé par le Maréchal Pétain «
à leffet de promulguer par
un ou plusieurs actes une nouvelle Constitution ». Cette délégation par lAs-
semblée nationale de son pouvoir constituant avait été vivement critiquée,
notamment par le général de Gaulle lui-même. On avait soutenu quun Parle-
ment n
avait pas le droit de disposer ainsi des compétences que lui conférait la
Constitution, qu
il devait les exercer lui-même et que le principe démocratique
interdisait de s
en remettre à un homme providentiel.
Cependant, en dépit de certaines analogies, la démarche adoptée par le géné-
ral de Gaulle en 1958 ne justifie pas les mêmes critiques. Entre la loi constitu-
tionnelle du 10 juillet 1940 et celle du 3 juin 1958, il existe en effet une diffé-
la première constituait presque un blanc-seing ; elle ne
rence importante :
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Le cadre
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comportait que des conditions très vagues et en pratique le Maréchal Pétain
pouvait disposer du pouvoir constituant comme il l
entendait. Au contraire, la
seconde subordonne la délégation du pouvoir constituant à des conditions très
précises garantissant le respect d
un minimum de légitimité démocratique.
Il sagit, dune part, de conditions de forme et, dautre part, de conditions
de fond.
463. Les conditions de forme. La loi du 3 juin 1958 précise que « la
Constitution sera révisée par le gouvernement investi le 1
er juin 1958 ». Cest
donc d
une délégation intuitu personae quil sagit : si pour une raison quel-
conque le gouvernement de Gaulle avait été amené à se retirer, son successeur
n
aurait pas automatiquement bénéficié de la même compétence. Lavant-projet
élaboré par le gouvernement devait d
abord être soumis pour avis à un organe
le Comité consultatif constitutionnel. C
est par lentremise de ce
spécial,
Comité que les assemblées expirantes espéraient faire entendre leur voix.
Aussi ont-elles pris soin d
assurer à leurs représentants une place prépondé-
rante : les deux tiers au moins des membres du Comité consultatif devaient
être désignés par les commissions compétentes de l
Assemblée nationale et du
Conseil de la République. Quant au dernier tiers, il devait être constitué de per-
sonnalités qualifiées choisies par le gouvernement.
Une fois préparé dans les conditions qui viennent dêtre dites, le projet
devait être présenté pour avis au Conseil d
État, puis arrêté en Conseil des
ministres et enfin soumis à un référendum de décision.
464. Les conditions de fond. Le projet devait respecter cinq principes :
a) Seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C
est du suffrage uni-
versel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pou-
voir exécutif.
Il ne sagissait pas uniquement dun hommage rendu au principe de la légi-
timité démocratique. En précisant que le pouvoir législatif « dérive du suffrage
universel ou des instances élues par lui
», le Parlement avait sans doute voulu
écarter l
idée dune seconde Chambre où siégeraient des représentants (non
élus) des organisations économiques, sociales et culturelles. Une telle idée
avait été en effet présentée par le général de Gaulle dès 1946, dans le discours
de Bayeux. Elle allait être évoquée brièvement en 1958 au cours des travaux
préparatoires (Pflimlin, 1991, p. 148), pour resurgir onze ans plus tard en
1969, à l
occasion du dernier référendum lancé par le général de Gaulle
(V.
infra no 619).
b) Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement sépa-
rés de façon que le gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part
et sous sa responsabilité la plénitude de ses attributions.
Pour le général de Gaulle, la notion de séparation des pouvoirs devait être
comprise dans un sens organique : le gouvernement ne doit pas procéder du
Parlement mais du chef de l
État ; il doit y avoir incompatibilité entre les fonc-
tions parlementaires et ministérielles.
c) Le gouvernement doit être responsable devant le Parlement.
Cette condition excluait évidemment l
adoption dun régime présidentiel à
laméricaine.
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404
Droit constitutionnel
d) Lautorité judiciaire doit demeurer indépendante pour être à même das-
surer le respect des libertés essentielles telles qu
elles sont définies par le
Préambule de la Constitution de 1946 et par la Déclaration des droits de
l
Homme à laquelle elle se réfère.
Cette condition manifestait la volonté de garantir le maintien des libertés
essentielles.
e) La Constitution doit permettre dorganiser les rapports de la République
avec les peuples qui lui sont associés.
Il sagissait des peuples doutre-mer, notamment ceux dAfrique noire et
de Madagascar qui, en 1958, étaient déjà en voie de décolonisation mais
n
avaient pas encore acquis leur indépendance.
Telles étaient les conditions posées par la loi du 3 juin 1958. Lélaboration
du projet a commencé immédiatement après son adoption.
§ 3. Lélaboration du projet
465. Le texte définitif du projet de Constitution fut arrêté en Conseil des
ministres le 3 septembre 1958, c
est-à-dire exactement trois mois après le vote
de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958. On peut distinguer trois étapes prin-
cipales dans son élaboration : 1) la préparation d
un avant-projet ; 2) lexamen
de cet avant-projet par le Comité consultatif ; 3) la mise au point du projet défi-
nitif.
A La préparation de lavant-projet (début juin-29 juillet)
466. Deux organes participèrent à lélaboration de lavant-projet, un organe
technique, le comité d
experts, et un organe politique, le comité interministériel.
Le comité d
experts travaillait sous la direction du garde des Sceaux, Michel
Debré, qui était depuis la Libération l
un des principaux conseillers du général
de Gaulle pour les questions constitutionnelles. Ce comité comprenait en outre
des juristes professionnels, appartenant pour la plupart au Conseil d
État. Il
n
avait aucun pouvoir propre de décision et les textes élaborés par lui, qui com-
portaient souvent d
ailleurs des versions alternatives, étaient ensuite soumis à
l
appréciation de lorgane politique, le comité interministériel.
Ce comité interministériel comprenait : le général de Gaulle, Président du
Conseil ; M. Debré, garde des Sceaux et Président du comité des experts ; plu-
sieurs ministres d
État
issus du personnel politique de la IV
e République,
notamment Guy Mollet (SFIO) et Pierre Pflimlin (MRP), qui avaient été tous
deux Présidents du Conseil, et qui représentaient des forces politiques encore
très influentes avec lesquelles le général de Gaulle était obligé de compter. Cha-
cun des membres du comité interministériel avait un représentant au sein du
comité d
experts. La composition du comité interministériel nétait donc pas
politiquement tout à fait homogène et si lon en juge par les travaux prépara-
toires aujourd
hui publiés, la mise au point de lavant-projet a donné lieu à des
négociations assez serrées. Guy Mollet et Pierre Pflimlin avaient fini par
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Le cadre
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accepter comme un moindre mal le retour au pouvoir du général de Gaulle,
mais ils demeuraient attachés à certaines traditions du régime parlementaire tel
qu
on lavait pratiqué sous la IIIe et la IVe Républiques. Cest pourquoi leurs
idées sur la réforme constitutionnelle ne s
accordaient pas toujours avec celles
des gaullistes.
Les principaux points litigieux étaient, semble-t-il, les suivants : le rôle du
Président de la République ; l
usage du référendum ; le statut des membres du
gouvernement.
1. Le rôle du Président de la République
467. Daprès les premières versions élaborées par le comité dexperts, il était
prévu que le Président de la République «
définit lorientation de la politique
intérieure et extérieure du pays...
». Le Président de la République devait donc
être non seulement le chef de l
État mais aussi un chef de lexécutif au sens
plein du terme, un leader politique de la Nation comme le Président des États-
Unis, et le gouvernement n
aurait pour rôle que de lassister.
Pour G. Mollet et P. Pflimlin, ce nétait pas le Président de la République
qui devait être le leader politique de la Nation, mais le Premier ministre, respon-
sable devant le Parlement. Il leur a été donné satisfaction sur ce point, en appa-
rence tout au moins : d
après le texte finalement adopté par le Comité intermi-
nistériel, c
est en effet le gouvernement « qui détermine et conduit la politique
de la Nation
». Quant au Président de la République, son rôle est défini en ter-
mes plus vagues (voir art. 5 C).
2. Le référendum
468. Dans les premières versions élaborées par le comité dexperts, il était
prévu que le Président de la République pouvait soumettre au référendum «
tout
projet de loi que le Parlement aurait refusé d
adopter ou toute question fonda-
mentale pour la vie de la Nation
».
Le Président de la République aurait donc toujours eu la possibilité de court-
circuiter le Parlement en s
adressant directement au peuple. Linfluence et le pres-
tige du Parlement risquaient évidemment d
en souffrir. Là encore, les ministres
issus du personnel politique de la IV
e République protestèrent et obtinrent des
concessions importantes. Dans le texte finalement adopté par le Comité intermi-
nistériel, le recours du Président de la République au référendum demeure pos-
sible mais il est subordonné à des conditions beaucoup plus restrictives (voir le
texte originel de l
art. 11 C).
3. Le statut des membres du gouvernement
469. Les gaullistes souhaitaient une séparation très stricte entre les fonctions
gouvernementales et les fonctions parlementaires, de manière à renforcer la soli-
darité ministérielle et la stabilité du gouvernement. Aussi les premières proposi-
tions du comité dexperts prévoyaient-elles non seulement quil y aurait incompa-
tibilité entre les fonctions ministérielles et parlementaires mais aussi qu
un
ministre ne pourrait même pas exercer un mandat local, et qu
il serait inéligible
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406
Droit constitutionnel
au Parlement pendant un certain délai lorsquil cesserait de faire partie du gouver-
nement. C
était tout à fait contraire à la tradition parlementaire française qui,
comme la tradition britannique, favorisait l
interpénétration du personnel gouver-
nemental et du personnel parlementaire. Sur ce denier point, G. Mollet et
P. Pflimlin n
obtinrent que des concessions limitées. Le Comité interministériel
atténua la rigueur des incompatibilités, mais conserva le principe.
Les deux anciens Présidents du Conseil de la IVe République contribuèrent
également aux aspects novateurs de l
avant-projet et présentèrent notamment
des propositions tendant à rationaliser les rapports du Parlement et du gouver-
nement. C
est ainsi que la procédure de la question de confiance sur le vote
d
un texte, telle quelle est aménagée par larticle 49 alinéa 3 de la Constitution,
trouve son origine dans une proposition de P. Pflimlin.
Lavant-projet préparé par le comité dexperts et le comité interministériel
fut adopté en Conseil de cabinet le 29 juillet 1958 et transmis dès le lendemain
au Comité consultatif.
B Lintervention du Comité consultatif constitutionnel (1er-14 août)
470. Le Comité consultatif (organisé par un décret du 11 juillet 1958) com-
prenait 39 membres dont les deux tiers avaient été désignés par les commissions
compétentes de l
Assemblée nationale et du Conseil de la République. Cétait
donc une sorte de Parlement en réduction. Toutes les grandes formations politi-
ques y étaient représentées, à l
exception du Parti communiste, qui avait refusé
d
y participer. Sa présidence était assurée par Paul Reynaud1, qui avait été, en
1940, l
avant-dernier Président du Conseil de la IIIe République.
Des représentants du gouvernement, et parfois le Président du Conseil lui-
même, assistaient à la plupart des réunions du Comité consultatif pour répondre
aux questions concernant l
avant-projet. Ainsi le général de Gaulle fut-il amené
à préciser, en réponse à une question posée par Paul Reynaud que le Premier
ministre, nommé par le Président de la République, ne pourrait pas être révoqué
par celui-ci (
Documents pour servir à lhistoire de lélaboration de la Constitu-
tion
[1988], Vol. II, p. 300, compte rendu de la séance du 8 août 1958).
Le Comité consultatif constitutionnel se sépara le 14 août 1958 après avoir
adopté, par 30 voix contre 7, un avis adressé au Président du Conseil, le général
de Gaulle. Les principaux points de cet avis étaient les suivants :
1) Le Comité exprimait son accord sur les grandes lignes de lavant-projet.
2) Il prenait acte de certaines assurances qui lui avaient été données, notam-
ment en ce qui concerne l
absence de responsabilité du gouvernement devant le
Président de la République et lesprit dans lequel serait utilisé le référendum
(qui ne doit pas devenir un moyen d
opposer le Peuple au Parlement).
3) Il proposait de définir plus strictement les conditions de mise en œuvre
des pouvoirs que le Président de la République pourrait exercer dans certaines
circonstances exceptionnelles (art. 16).
Avant la guerre, Paul Reynaud avait manifesté de lintérêt pour les conceptions militaires du
1.
général de Gaulle et l
avait fait entrer dans le gouvernement quil avait constitué en 1940.
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Le cadre
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4) Il se prononçait contre lincompatibilité entre les fonctions parlementaires
et ministérielles, également contestée par certains membres du comité intermi-
nistériel.
5) Enfin, en ce qui concerne non plus les institutions françaises elles-mêmes
mais l
organisation qui devait regrouper la France et ses anciennes colonies, il
proposait dutiliser le mot Communauté de préférence au mot Fédération qui
figurait dans l
avant-projet, afin de ne pas trancher immédiatement le problème
de la nature de cette organisation.
Les travaux du comité consultatif constitutionnel sont aujourdhui publics.
On peut ainsi constater combien la pratique et l
interprétation de la constitution
se sont écartées des intentions affichées des rédacteurs de 1958. Pour ne citer
qu
un exemple, il fut expressément souligné que le Conseil constitutionnel ne
pourrait pas exercer son contrôle par rapport au préambule de la constitution ou
à la Déclaration des droits de l
Homme. En 1971, au moyen dune interprétation
audacieuse, il a décidé qu
il avait néanmoins ce pouvoir (cf. infra nº 782) et
depuis il s
y réfère fréquemment.
C La mise au point du texte définitif (15 août-3 septembre)
471. Daprès la loi du 3 juin 1958, le gouvernement nétait aucunement lié
par l
avis du Comité consultatif. Néanmoins, presque tous les amendements
proposés par celui-ci furent retenus, sauf lorsqu
ils allaient à lencontre dun
principe que le général de Gaulle tenait pour essentiel. C
est ainsi que lincom-
patibilité entre les fonctions parlementaires et ministérielles fut maintenue.
Avant de fixer définitivement le texte du projet, il fallait encore recueillir
l
avis du Conseil dÉtat. Le garde des Sceaux, Michel Debré, présenta lui-
même le projet dans un discours prononcé le 27 août 1958 devant l
Assemblée
générale du Conseil d
État.
Le Conseil dÉtat, qui nest pas une assemblée politique mais un grand corps
composé de juristes professionnels, a surtout tenté d
améliorer certains aspects
techniques du projet, notamment ceux qui concernent la répartition des compéten-
ces entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire. Il ne disposa cependant
que d
un délai très court et le texte définitif de la Constitution fut adopté en
Conseil des ministres le 3 septembre 1958. Quant au référendum constituant, la
date en avait été fixée au 28 septembre.
§ 4. Le référendum constituant du 28 septembre 1958
472. Le référendum du 28 septembre. Le référendum devait avoir lieu le
même jour dans tous les territoires qui se trouvaient encore, à cette époque, sous
la souveraineté française (départements métropolitains, départements d
outre-
mer ou territoires d
outre-mer).
Formellement, la question posée était partout la même. Dans les territoires
d
outre-mer, cependant, la réponse allait revêtir une signification particulière : il
s
agissait moins de voter pour ou contre la nouvelle Constitution que de choisir
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408
Droit constitutionnel
entre ladhésion à la Communauté créée par le titre XIII de la Constitution2 et
l
accession immédiate à lindépendance. Cette alternative nétait pas expressé-
ment formulée dans le texte de la Constitution, mais, dans son discours du 4 sep-
tembre 1958, le général de Gaulle avait clairement indiqué qu
en répondant
« non » un territoire d
outre-mer pourrait rompre tout lien avec la France.
Dans la métropole, lissue du scrutin ne faisait guère de doute car le front
des « oui » était extrêmement large : il sétendait de lextrême droite (partisans
de l
Algérie française) au centre gauche (radicaux, SFIO). Ce consensus était
déjà un succès pour le général de Gaulle qui avait cherché à rassembler les
Français au-delà des clivages partisans. Parmi les grandes formations politiques,
seul le Parti communiste faisait campagne pour le non. Toutefois, plusieurs per-
sonnalités de la gauche non communiste (dont Pierre Mendès France et Fran-
çois Mitterrand) s
étaient également prononcées contre le projet.
Mais les résultats du référendum furent encore plus favorables au projet que
le rapport des forces politiques ne le laissait prévoir. En métropole, les « non »
ne représentent que 20,8 % des suffrages exprimés, alors qu
aux élections légis-
latives de 1956, le Parti communiste avait obtenu à lui seul un chiffre nettement
plus élevé (25,7 %). Ces résultats s
expliquent sans doute moins par un juge-
ment positif sur le contenu du projet
que bien peu délecteurs sétaient donné
la peine de lire !
que par une désaffection générale envers le régime ancien et
par le sentiment que le général de Gaulle était seul en mesure de résoudre les
problèmes liés à la guerre d
Algérie.
Quant aux populations doutre-mer, elles ont voté « oui » de façon encore
plus massive, sauf en Guinée où les partisans de l
indépendance immédiate
l
ont emporté.
473. La mise en place des institutions. La Constitution fut promulguée le
4 octobre 1958. D
après larticle 91, les nouvelles institutions devaient être mises
en place dans un délai de 4 mois. Jusquà lexpiration de ce délai, le gouverne-
ment était autorisé par larticle 92 à prendre, par ordonnances ayant force de loi,
diverses mesures de nature législative, et notamment celles qui étaient nécessaires
à la mise en place des institutions.
La nouvelle Assemblée nationale fut élue au scrutin majoritaire uninominal
à 2 tours les 23 et 30 novembre. Quant au Sénat, il fut provisoirement formé par
les membres de l
ancien Conseil de la République, et sa constitution définitive
fut reportée au printemps suivant.
Élu à la présidence de la République dès le premier tour, le 21 décembre 1958,
le général de Gaulle désigna Michel Debré comme Premier ministre.
Cette communauté, qui regroupait la France et la plupart de ses anciennes Colonies, a cessé de
2.
fonctionner dès 1961, tous les États membres ayant accédé à lindépendance. Mais le titre XIII de la
Constitution ne fut formellement abrogé qu
en 1995.
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Le cadre
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Sous-section 3
La Constitution et son application
§ 1. La nature des institutions
474. La toute première analyse des institutions de la Ve République a été
faite par l
un des pères fondateurs du nouveau régime, Michel Debré, dans
son discours au Conseil d
État, le 27 août 1958. Pour lui, la nature du nouveau
régime ne faisait aucun doute : il s
agissait dun régime parlementaire. « Le gou-
vernement a voulu rénover le régime parlementaire. Je serais même tenté de
dire qu
il veut létablir car pour de nombreuses raisons la République na
jamais réussi à l
instaurer » affirmait-il.
Les critères auxquels on reconnaît habituellement un régime parlementaire
étaient en effet bien réunis : exécutif bicéphale, responsabilité du gouvernement
devant le Parlement, droit de dissolution, règle du contreseing (v.
supra no 96).
Toutefois, comme le relevait d
ailleurs M. Debré lui-même dans son discours
du 27 août 1958, il s
agit dun régime parlementaire de type nouveau par rapport
à la tradition française car, pour éviter le retour de l
instabilité gouvernementale,
on a retiré au Parlement une partie importante des prérogatives dont il disposait
sous les III
e et IVe Républiques : il nélit plus le Président de la République ; il est
soumis au contrôle du Conseil constitutionnel ; il peut encore renverser le gouver-
nement mais il ne peut le faire qu
en suivant certaines procédures conçues de
manière à ne pas rendre la chose trop facile. Il s
agit donc en fait de ce quil est
convenu d
appeler un régime parlementaire rationalisé, rééquilibré au profit de
l
exécutif. Mais cest tout de même encore un régime parlementaire.
Depuis la révision doctobre 1962, la Constitution française sécarte davan-
tage encore du schéma classique, car il y a désormais deux pouvoirs issus du
suffrage universel direct : l
Assemblée nationale (comme cétait déjà le cas
auparavant), et le Président de la République.
Il y a désormais deux majorités qui comptent politiquement, parce quelles
sont toutes deux l
expression dune légitimité démocratique : la majorité parle-
mentaire et la majorité Présidentielle. Le fonctionnement du régime dépend de
l
interaction de ces deux majorités. Cest pourquoi, bien que la Constitution
française puisse toujours être considérée comme « parlementaire » selon cer-
tains critères juridiques (le gouvernement étant toujours responsable devant
l
Assemblée nationale), la dynamique politique du système est différente.
À la suite de la réforme de 1962, on sest même demandé si la logique de
cette réforme nallait pas conduire la France à rompre totalement avec le modèle
parlementaire britannique pour adopter le modèle Présidentiel américain, qui
repose également sur la confrontation de deux pouvoirs issus du suffrage uni-
versel,
le Congrès. Un tel changement aurait notamment
impliqué la suppression de la responsabilité politique du gouvernement devant
le Parlement, du droit de dissolution, et du poste de Premier ministre, linstitu-
tion d
un poste de vice-président de la République, et la transformation du
Conseil constitutionnel en une Cour suprême (Vedel, 1964).
le Président et
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410
Droit constitutionnel
Cependant, la majorité des hommes politiques et des constitutionnalistes
français a estimé que le modèle américain ne pouvait fonctionner qu
à la condi-
tion qu
il nexiste pas de partis rigides et disciplinés, de sorte quun tel système
ne pouvait convenir à la France, où les clivages politiques sont beaucoup plus
profonds. Par exemple, en période de cohabitation, il n
est pas certain quun
Président de gauche parviendrait à travailler avec une majorité parlementaire
de droite (ou linverse), sil ny avait pas entre eux le tampon du gouvernement.
Il convient toutefois de noter que la réforme du quinquennat, adoptée par
référendum le 24 septembre 2000, et l
élection de Nicolas Sarkozy à la prési-
dence de la République en 2007 ont fait rebondir le débat sur l
évolution du
régime français. Certains commentateurs estiment que, du fait du raccourcisse-
ment de la durée de son mandat, le Président ne pourra plus situer son action
dans le long terme et qu
il deviendra de plus en plus difficile de distinguer sa
fonction de celle d
un Premier ministre. Doù lidée quun jour peut-être il paraî-
tra plus logique et plus simple de réunir les deux fonctions sur une même tête,
comme dans le régime présidentiel américain. Mais les objections auxquelles se
heurte la transposition en France du régime présidentiel américain n
ont pas pour
autant disparu. Bien qu
elle soit devenue moins probable depuis linstauration du
quinquennat, la cohabitation demeure possible et, avec le système de partis que
connaît la France, le face-à-face d
un Président et dune Assemblée nationale de
couleurs différentes, sans l
intermédiaire dun Premier ministre responsable
et sans droit de dissolution, n
irait pas sans difficultés graves.
Il convient dailleurs de noter que la Constitution française nest pas unique
en son genre. On trouve en effet en Europe d
autres pays dont les institutions ne
peuvent être rattachées ni au modèle parlementaire classique ni au modèle Pré-
sidentiel américain car, comme la Constitution française, elles juxtaposent un
Président de la République élu au suffrage universel direct et un gouvernement
responsable devant le Parlement. C
est le cas de lAutriche, de lIslande, de la
Finlande, de lIrlande, du Portugal, et de beaucoup de pays européens qui sont
sortis du communisme au cours des années 1990.
Si lon voulait absolument coller une étiquette sur les institutions françaises,
on pourrait les qualifier de « semi-présidentielles », selon une terminologie
de Maurice Duverger. Toutefois, une telle étiquette ne nous renseignerait
guère sur la manière dont fonctionnent nos institutions. On constate en effet
que, parmi les régimes relevant de cette catégorie, la répartition des rôles n
est
pas partout ni toujours identique : tantôt, comme au Portugal, le Président de la
République, bien qu
élu au suffrage universel direct, ne joue quun rôle relati-
vement effacé, la réalité du pouvoir est entre les mains du Premier ministre, et le
fonctionnement du régime est proche de celui d
un régime parlementaire de
type classique. Tantôt au contraire, comme en Allemagne sous la République
de Weimar, ou comme en Russie de 1993 à 2008, cest le Président de la Répu-
blique qui détient l
essentiel du pouvoir. Le cas de ce pays montre dailleurs
que les rôles sont parfois interchangeables. En effet, en 2008, Vladimir Poutine,
qui avait déjà accompli deux mandats présidentiels et qui, selon la Constitution,
ne pouvait en briguer un troisième, a soutenu la candidature de son Premier
ministre sortant, Dmitri Medvedev. Et ce dernier, une fois élu à la tête de
l
État, a désigné comme Premier ministre Vladimir Poutine qui a été réélu Pré-
sident de la République de Russie en 2012.
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Le cadre
411
En France même, où les attributions respectives du chef de lÉtat et du Pre-
mier ministre sont assez mal définies par les textes, le rôle effectif du Président
dépend de sa personnalité et surtout de la conjoncture politique. C
est du moins
ce qui ressort des pratiques suivies depuis 1958.
§ 2. Les institutions et la conjoncture politique
475. Pour la commodité de létude, nous distinguerons, dans lhistoire poli-
tique de la Ve République, trois grandes périodes :
A. La période fondatrice (1959-1969).
B. La période de la continuité relative (1969-1981).
C. La période des alternances (depuis 1981).
A La période fondatrice
476. Cest la période durant laquelle le principal fondateur de la Ve Répu-
blique, le général de Gaulle, a exercé les fonctions de Président de la Répu-
blique. Pendant ces dix années, le général de Gaulle a évidemment marqué les
institutions de son empreinte, et c
est en ce sens que lon peut parler de
« période fondatrice ».
Sa pratique constitutionnelle se caractérise par trois traits principaux : leffa-
cement politique du Parlement, l
affirmation de la prépondérance Présidentielle
et l
établissement dune relation directe entre le Président et le peuple.
1. Leffacement politique du Parlement
477. Cet effacement nétait pas une fatalité inscrite dans la Constitution. Si
celle-ci avait rogné les prérogatives du Parlement, elle lui avait néanmoins laissé
des pouvoirs importants. Il a tenu d
abord au fait que les députés gaullistes élus en
novembre 1958 sous le sigle de l
Union pour la nouvelle République (UNR) ne
s
étaient pas dotés dun programme propre. Lessentiel de leur programme consis-
tait dans le soutien apporté au général de Gaulle
3. Sous la première législature
(novembre 1958-novembre 1962) l
UNR ne détenait pas encore la majorité abso-
lue à l
Assemblée nationale, mais elle constituait déjà le groupe le plus important.
Dans un premier temps, d
ailleurs, la plupart des autres formations politiques se
montrèrent également très dociles, non pas nécessairement parce qu
elles approu-
vaient la politique du général de Gaulle, mais parce qu
elles attendaient le règle-
ment de laffaire algérienne.
Celui-ci eut enfin lieu au printemps de 1962 avec les accords dÉvian qui
reconnaissaient l
indépendance de lAlgérie. Quelques mois plus tard, le géné-
ral de Gaulle annonça un référendum sur l
élection du Président de la Répu-
blique au suffrage universel direct. Il s
agissait dune réforme qui, pour des
Cest pourquoi le journal satirique Le Canard enchaîné les désignait généralement à lépoque
3.
sous le nom de « godillots ». Ce terme est encore parfois utilisé pour caractériser des parlementaires
jugés trop dociles vis-à-vis de l
exécutif.
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412
Droit constitutionnel
raisons à la fois politiques et juridiques, déplaisait profondément aux partis tra-
ditionnels. C
est pourquoi lAssemblée nationale, pour cette fois, se rebella et,
en signe de protestation, adopta le 2 octobre 1962, une motion de censure diri-
gée contre le gouvernement de G. Pompidou.
Le général de Gaulle décida alors de dissoudre lAssemblée nationale. Les
élections consécutives à cette dissolution furent encore plus favorables à ses
partisans que ne lavaient été les précédentes. LUNR et ses alliés, les Républi-
cains indépendants de Valéry Giscard d
Estaing, remportèrent la majorité abso-
lue des sièges. L
effacement politique du Parlement était donc confirmé par
l
élection dune majorité parlementaire dévouée au Président.
2. Laffirmation de la prépondérance présidentielle
478. Cette prépondérance se manifesta en premier lieu par la subordination
du gouvernement envers le Président de la République. D
après le texte de la
Constitution, le Président de la République nomme le Premier ministre et les
autres membres du gouvernement mais il ne peut pas de sa propre initiative
mettre fin à leurs fonctions. En août 1958, devant le
Comité consultatif, le géné-
ral de Gaulle avait même donné des assurances sur ce point (v.
supra no 470).
Mais en pratique, comme la majorité parlementaire, ainsi qu
on vient de le voir,
n
avait pas dexistence politique propre, le Premier ministre ne pouvait évidem-
ment pas s
appuyer sur elle pour résister au Président. Il suffisait donc que le
général de Gaulle manifestât la volonté de changer de gouvernement pour que
le Premier ministre se considérât comme tenu de lui remettre sa démission.
C
est ce qui se produisit en avril 1962, lorsque le gouvernement Pompidou suc-
céda au gouvernement Debré.
Lascendant présidentiel se manifestait en second lieu par le fait que le chef
de l
État soctroyait un « domaine réservé » qui comprenait les affaires étrangè-
res, la défense nationale et la politique algérienne. Lexpression « domaine
réservé » (qui navait dailleurs aucune base constitutionnelle), a été utilisée
par J. Chaban-Delmas, Président de l
Assemblée nationale, en vue de fixer les
limites du contrôle parlementaire. Au cours d
une conférence de presse tenue le
31 janvier 1964, le général de Gaulle est allé jusqu
à affirmer que le Président
était seul «
à détenir et à déléguer lautorité de lÉtat ».
Tout en affirmant sa prépondérance au sein des institutions, le général
de Gaulle cherchait à maintenir une relation directe entre le Président et le
peuple.
3. La relation directe entre le Président et le peuple
479. La réforme doctobre 1962 établissait déjà une relation directe entre le
Président et le peuple puisque le premier était désormais élu par le second. Mais
cette relation était entretenue et développée de plusieurs manières.
En premier lieu, le général de Gaulle a fait un grand usage des médias audio-
visuels, et spécialement de la télévision, qui s
est popularisée au cours des
années 1960 : les initiatives spectaculaires de politique intérieure ou de politique
étrangère n
étaient plus annoncées par le Premier ministre à la tribune de lAs-
semblée nationale, comme il était d
usage sous les régimes précédents, mais par
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Le cadre
413
le Président de la République lui-même, dans des allocutions ou des conféren-
ces de presse.
En second lieu, le général de Gaulle utilisa largement la faculté que lui
offrait l
article 11 de la Constitution dorganiser des consultations populaires
directes. Sous sa présidence, de 1959 à 1969, il y eut quatre référendums,
cest-à-dire un tous les deux ans et demi en moyenne, et autant que délections
législatives. Mais le référendum, tel quil était pratiqué par le général de Gaulle,
ne constituait pas seulement un moyen de régler une question particulière.
C
était une sorte de question de confiance populaire.
Formellement, le référendum portait toujours sur un objet déterminé mais le
général de Gaulle annonçait à chaque fois que les résultats revêtiraient pour lui
une signification politique globale : si les oui l
emportaient, il se considérerait
comme confirmé dans son mandat ; dans le cas contraire, il estimerait qu
il avait
été désavoué et il en tirerait les conséquences.
Cet usage du référendum a suscité de vives protestations dans les milieux de
l
opposition parlementaire. On a dit quil ne sagissait pas véritablement de
référendums mais de « plébiscites » comme il y en avait eu sous le Premier et
le Second Empire.
Mais, comme le soutenait René Capitant, aux yeux du général de Gaulle,
«
de même quil y a un régime parlementaire où le gouvernement est respon-
sable devant le Parlement, on pourrait dire qu
il y a un régime populaire où le
Président de la République est responsable devant le peuple
», bien que cela ne
fût pas formellement prévu par la Constitution
4. Dès lors que sa politique avait
été nettement désavouée par les résultats d
un scrutin national, il se considérait
comme tenu de démissionner même si son mandat n
était pas juridiquement en
jeu. C
est pourquoi, le 27 avril 1969, dès quil apprit que les résultats de son
quatrième référendum étaient négatifs, il annonça qu
il cesserait ses fonctions le
lendemain même. Ainsi s
achevait la période « fondatrice ».
B La période de la continuité relative (1969-1981)
480. À la suite de la démission du général de Gaulle, des élections présiden-
tielles furent organisées ; elles aboutirent à la victoire de Georges Pompidou,
qui avait été Premier ministre de 1962 à 1968. Les Français, après avoir voté
« non » au dernier référendum du général de Gaulle, choisirent tout de même
pour le remplacer un candidat qui incarnait la continuité du gaullisme, parce
qu
il avait été Premier ministre. On a dailleurs pu considérer que le résultat
négatif du référendum s
expliquait en partie par le fait que le départ annoncé
du général de Gaulle ne marquerait pas une rupture.
Georges Pompidou ne termina pas son mandat ; il mourut en 1974, un peu
moins de cinq ans après être entré à lÉlysée ; son successeur fut Valéry Giscard
d
Estaing qui navait jamais été Premier ministre, mais qui avait été plusieurs
fois ministre des Finances depuis les débuts de la V
e République.
À la différence de Georges Pompidou, Valéry Giscard dEstaing nétait pas
un gaulliste. Il appartenait au parti des Républicains indépendants (RI), qui bien
4.
CAPITANT R., Démocratie et participation politique, Paris, Bordas, 1972, p. 161 s.
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Droit constitutionnel
quassocié au parti gaulliste au sein de la majorité Présidentielle, se définissait
comme plus libéral, moins nationaliste et plus favorable à la construction euro-
péenne. D
ailleurs Valéry Giscard dEstaing avait parfois pris nettement ses dis-
tances vis-à-vis du gaullisme, notamment lors du référendum de 1969, dont
l
échec avait provoqué le départ du général de Gaulle. Mais il incarnait tout
de même lune des principales composantes de la majorité de droite qui avait
soutenu de Gaulle, puis Pompidou. On ne peut donc pas parler d
alternance
durant cette période.
En ce qui concerne la pratique constitutionnelle, il y a une continuité cer-
taine par rapport à la période fondatrice, mais l
on relève aussi quelques chan-
gements. La continuité se manifestait surtout dans les rapports entre le Président
de la République et le gouvernement. En juillet 1972, le Premier ministre, Jac-
ques Chaban-Delmas, démissionna à la demande de Pompidou, alors même
qu
il avait obtenu quelques semaines auparavant un vote de confiance massif
de l
Assemblée nationale. En août 1976, Jacques Chirac, Premier ministre
de V. Giscard d
Estaing, prit lui-même linitiative de se retirer, à la suite dun
désaccord avec le Président de la République.
Mais cette continuité nétait que relative. Les changements peuvent être
regroupés autour de trois idées : l
abandon de la pratique plébiscitaire ; le déve-
loppement de contre-pouvoirs qui tendent à limiter la prépondérance Présiden-
tielle ; le changement d
attitude de la majorité parlementaire.
1. Labandon de la pratique plébiscitaire
481. Durant cette seconde période, il ny eut quun seul référendum : celui
qu
organisa en 1972 G. Pompidou, à propos de la ratification du traité pré-
voyant l
adhésion de la Grande-Bretagne, de lIrlande et du Danemark à la
Communauté européenne. Encore ne s
agissait-il pas dun référendum-question
de confiance comme ceux de la période précédente : G. Pompidou évita en effet
de personnaliser la consultation ; il ne demandait pas aux électeurs d
approuver
sa politique globale en votant « oui » au référendum et il ne mettait pas son
mandat en jeu. Le résultat fut un demi-échec : si les « oui » l
emportèrent large-
ment sur les non, la participation fut relativement faible.
À la suite de cette consultation, il apparut que le référendum était dun usage
difficile : ou bien on lui donne une connotation plébiscitaire, ce qui heurte cer-
taines sensibilités politiques et risque de provoquer finalement une réaction de
rejet, comme le général de Gaulle en avait fait l
expérience en 1969 ; ou bien,
l
on sabstient de personnaliser le référendum ; mais alors la consultation ne fait
pas recette parce qu
on ne parvient généralement pas à trouver un sujet qui inté-
resse suffisamment la grande masse des électeurs.
Cest pourquoi, après cette consultation de 1972, le référendum va disparaî-
tre pour longtemps de la vie politique française : il faudra attendre 1988 pour
qu
il soit à nouveau utilisé. Et comme la durée du mandat présidentiel était lon-
gue (sept ans), à partir du moment où le Président ne soumettait plus sa popu-
larité à lépreuve du référendum, son autorité susait plus vite. La désuétude du
référendum constituait donc un changement important par rapport à la période
précédente.
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Le cadre
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2. Le développement de certains contre-pouvoirs
482. Il sagit en premier lieu dun contre-pouvoir politique : lopposition qui
était faible et divisée durant la période précédente, commença à se regrouper et
à s
organiser ; en 1972, les trois principaux partis de gauche (v. infra no 528)
signèrent un programme commun de gouvernement ; aux Présidentielles de
1974, le candidat de la gauche, François Mitterrand, fit presque jeu égal avec
le candidat de la droite ; l
alternance apparaissait donc possible. À ce contre-
pouvoir politique vint s
ajouter un contre-pouvoir institutionnel : en 1974, la
Constitution fut révisée pour permettre à soixante députés ou soixante sénateurs
de saisir le Conseil constitutionnel ; l
opposition, même lorsquelle était très
minoritaire, pouvait donc désormais contester devant un juge les lois que le
Président de la République et le gouvernement avaient fait voter par le Par-
lement.
3. Le changement dattitude de la majorité parlementaire
483. La majorité parlementaire continuait de soutenir le Président de la
République mais prenait plus de distance par rapport à lui qu
elle navait pu le
faire durant la période gaulliste. Ce fut particulièrement net entre 1974 et 1981,
durant le septennat de Valéry Giscard d
Estaing. Celui-ci appartenait en effet à
l
une des composantes minoritaires de la majorité parlementaire, et navait donc
pas sur le principal parti de la majorité l
autorité dun leader. Cest pourquoi,
tout en respectant une certaine discipline de vote, la majorité parlementaire ne
s
interdisait pas la critique.
Ce changement dattitude fut dailleurs lune des raisons de léchec
de V. Giscard d
Estaing face à François Mitterrand, au deuxième tour des élec-
tions présidentielles de 1981. Le parti gaulliste, dirigé par J. Chirac, espérait
conserver la majorité parlementaire en cas de victoire du candidat de l
opposi-
tion. Il refusa donc de se mobiliser pour assurer la réélection du président sor-
tant, auquel il n
accordait son soutien que du bout des lèvres.
C La période des alternances (depuis 1981)
484. Durant les 22 premières années de la Ve République, malgré certains
renouvellements du personnel politique, il n
y avait jamais eu à proprement par-
ler d
alternance. Cétait toujours en effet la même majorité qui contrôlait les
trois grands centres du pouvoir : l
Élysée (siège de la présidence de la Répu-
blique), l
Hôtel Matignon (siège du chef du gouvernement) et le Palais Bourbon
(siège de l
Assemblée nationale).
De 1981 à 2012, au contraire, les alternances politiques vont se succéder à
un rythme assez rapide.
Première alternance en 1981, de la droite vers la gauche : en effet, les deux
majorités, la majorité Présidentielle et la majorité parlementaire basculent vers la
gauche en l
espace de quelques semaines ; F. Mitterrand est élu Président de la
République le 10 mai ; il dissout immédiatement lAssemblée nationale et les
élections qui suivent donnent au Parti socialiste, qui le soutient, la majorité abso-
lue des sièges.
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Droit constitutionnel
Deuxième alternance en 1986 : en raison des résultats médiocres de sa poli-
tique économique, la gauche est devenue impopulaire et malgré une percée
importante de l
extrême droite (rendue possible par ladoption de la représenta-
tion proportionnelle), la droite parlementaire remporte d
une courte tête les élec-
tions législatives. F. Mitterrand reste en fonctions mais doit désigner un Premier
ministre de droite, Jacques Chirac, et cest ainsi que souvre la première période
dite de « cohabitation ».
Troisième alternance en mars 1988 : François Mitterrand arrive au terme
normal de son premier mandat ; de 1986 à 1988, il a su mettre à profit le recul
que lui offrait la cohabitation pour regagner une popularité ; il se représente, il
est élu face à J. Chirac ; il dissout encore une fois l
Assemblée nationale. De
même qu
en 1981 le Parti socialiste remporte les élections législatives dans la
foulée de la victoire présidentielle mais il ne dispose à l
Assemblée nationale
que d
une majorité relative. Dans le contexte politique de lépoque, celle-ci est
toutefois suffisante pour assurer la stabilité du gouvernement.
Quatrième alternance en 1993 : lUnion pour la France (UPF), qui regroupe
les formations de la droite parlementaire, gagne largement les élections de
mars 1993 ; François Mitterrand reste à l
Élysée comme en 1986 ; il nomme
comme Premier ministre E. Balladur ; s
ouvre alors une seconde période de
cohabitation qui s
est achevée en mai 1995, avec lélection de J. Chirac à la
présidence de la République.
Cinquième alternance en juin 1997 : le Président de la République a dissous
l
Assemblée nationale en avril 1997, un peu moins dun an avant le terme normal
de la législature, en espérant que l
opposition sera prise à limproviste ; mais lim-
popularité du Premier ministre, Alain Juppé, et le maintien des candidats du Front
national au second tour dans un grand nombre de circonscriptions, provoquent la
défaite de la majorité. La « gauche plurielle », qui regroupe le Parti socialiste, le
Parti communiste, les verts, le mouvement des citoyens et les radicaux de gauche,
remporte les législatives. Lionel Jospin est nommé Premier ministre. S
ouvre ainsi
une troisième cohabitation qui ne s
achèvera quen 2002, au terme de la législature.
Sixième alternance en juin 2002 : dans la foulée de la réélection de J. Chirac
l
Union pour la Majorité présidentielle
à la présidence de la République,
(UMP), qui regroupe la presque totalité des forces de la droite parlementaire,
remporte la majorité absolue des sièges à l
Assemblée nationale.
Septième alternance en 2012 : Le candidat du parti socialiste, François Hol-
lande, remporte l
élection présidentielle face au candidat sortant, Nicolas Sar-
kozy ; la gauche, déjà majoritaire au Sénat depuis septembre 2011, le devient
également à l
Assemblée nationale lors des élections législatives organisées
dans la foulée de l
élection présidentielle.
Durant cette période, les alternances ont été non seulement fréquentes mais
presque systématiques car, sauf en 2007, les élections législatives ont toujours
entraîné un renversement de majorité.
De 1981 à 2012, trois présidents seulement se sont succédé à lÉlysée (Fran-
çois Mitterrand de 1981 à 1995 ; Jacques Chirac de 1995 à 2007 ; Nicolas Sar-
kozy de 2007 à 2012) mais la majorité parlementaire a changé sept fois. Il y a
donc eu des périodes durant lesquelles les majorités parlementaire et présiden-
tielle ne correspondaient plus. Cette dissociation des deux majorités a mis en
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Le cadre
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lumière la capacité qua la Constitution de 1958 de sadapter à des situations
politiques très différentes. On dit parfois qu
il sagit dune Constitution à géo-
métrie variable.
Pendant les cinq premières années, où ces deux majorités concordaient, de
1981 à 1986, la pratique constitutionnelle de François Mitterrand s
inscrivit
dans le droit fil de celle de ses prédécesseurs. La prépondérance présidentielle
s
affirmait plus nettement que jamais. Le candidat François Mitterrand sétait
fait élire sur un programme long et détaillé, qui ne comportait pas moins de
110 propositions. Pour tenir les engagements contenus dans ce programme, il
fallait évidemment qu
il se montrât assez directif envers le gouvernement et le
Parlement. Et c
est bien dans lensemble ce quil fit. Tout comme ses prédéces-
seurs, François Mitterrand mit en application le principe de la responsabilité du
gouvernement devant le chef de l
État. En 1984, estimant quil était temps de
changer de politique économique, il renvoya le gouvernement de Pierre Mauroy
et chargea l
un de ses proches, Laurent Fabius, de former un nouveau gouver-
nement, moins à gauche que le précédent.
À la suite des élections de mars 1986, il se trouva confronté à une situation
entièrement nouvelle : non seulement la majorité parlementaire ne concordait
plus avec la majorité présidentielle, mais surtout la première trouvait son origine
dans une votation plus récente et traduisait donc mieux l
état du sentiment
populaire.
En présence de cette situation, François Mitterrand aurait pu démissionner
(c
est probablement ce quaurait fait le général de Gaulle). Il décida au contraire
de demeurer à son poste mais, de la situation nouvelle, il tira deux consé-
quences :
la première, cétait que la composition du gouvernement devait être
conforme à l
orientation de la nouvelle majorité parlementaire. Il désigna donc
comme Premier ministre le principal leader de la majorité parlementaire, Jac-
ques Chirac. Tout autre aurait en effet été probablement renversé ;
la seconde, cétait que la cohabitation des deux majorités nécessitait une
certaine redistribution des rôles entre le Président de la République et le Premier
ministre. Dans le message qu
il adressa au Parlement le 8 avril 1986, François
Mitterrand annonçait clairement cette redistribution :
« Les circonstances qui ont accompagné la naissance de la Ve République,
la réforme de 1962 sur l
élection du chef de lÉtat au suffrage universel et une
durable identité de vues entre la majorité parlementaire et le Président de la
République ont créé et développé des usages qui, au-delà des textes, ont accru
le rôle de ce dernier dans les affaires publiques. La novation qui vient de se
produire requiert de part et d
autre une pratique nouvelle ».
Dans ce même message du 8 avril 1986, à la question de savoir comment
allaient fonctionner les pouvoirs dans le cadre de la cohabitation, François Mit-
terrand apportait la réponse suivante : «
la Constitution, rien que la Constitu-
tion, toute la Constitution
».
En dautres termes, pour déterminer la nouvelle répartition des rôles entre le
Président de la République et le Premier ministre, il fallait se référer non pas aux
usages des périodes antérieures, mais au texte même de la Constitution. Or, sauf
dans des circonstances tout à fait exceptionnelles (v.
infra no 591 s.), ce sont le
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Droit constitutionnel
Parlement et le gouvernement qui détiennent lessentiel des compétences norma-
tives (initiative et vote de la loi, pouvoir réglementaire). Le Président, quant à
lui, ne dispose même pas d
un droit de veto en matière législative, à la différence
de son homologue américain (v.
supra no 263). Ainsi que lavait dailleurs rap-
pelé Valéry Giscard d
Estaing dans son discours de Verdun-sur-le-Doubs
(27 janvier 1978), la Constitution ne lui donne donc pas les moyens juridiques
d
empêcher le gouvernement et la majorité parlementaire de mettre en œuvre
leur programme.
En période de cohabitation, le fonctionnement des pouvoirs publics se rap-
proche donc de ce qu
il serait dans un régime parlementaire de type classique,
comme le régime britannique ou allemand. On en trouve en effet les éléments
essentiels : un Premier ministre qui s
appuie sur la majorité parlementaire et qui
est le véritable leader politique du pays (Jacques Chirac, de mars 1986 à
mai 1988 ; Édouard Balladur de mars 1993 à mai 1995 ; Lionel Jospin, de
juin 1997 à mai 2002) ; un Parlement qui légifère dans le cadre du programme
arrêté par ce Premier ministre ; enfin un Président de la République qui incarne
la continuité de l
État, mais ne détermine plus les principales orientations de la
politique nationale.
Toutefois, même en période de cohabitation, le Président de la République
n
est pas réduit à un rôle de figurant et dispose encore de certains atouts qui lui
permettent de conserver un poids politique non négligeable.
En premier lieu, la Constitution donne au Président de la République des
attributions qui le mettent en mesure de faire pression sur le gouvernement et
le Parlement, au moins dans certaines circonstances. Il préside le Conseil des
ministres. Les décrets et les ordonnances délibérés en Conseil des ministres
requièrent sa signature. Il est seul à pouvoir convoquer une session extraordi-
naire du Parlement. Il est seul à pouvoir faire en sorte qu
une révision constitu-
tionnelle soit adoptée par la voie du congrès. Le Premier ministre est donc
obligé de négocier avec le Président pour toutes sortes de choses : pour la nomi-
nation des très hauts fonctionnaires, pour le recours aux ordonnances qui per-
mettent de légiférer plus rapidement, ou pour l
adoption dune réforme consti-
tutionnelle sans référendum.
En deuxième lieu, bien que la théorie du « domaine réservé » soit aujour-
d
hui abandonnée, car elle navait pas de bases constitutionnelles,
le
monde admet que, en matière de défense nationale et de relations extérieures,
le Président de la République, a une responsabilité spéciale (v.
infra no 583 s.).
Il en résulte que, dans ces deux domaines, en période de cohabitation, les déci-
sions importantes doivent être prises avec son accord ou même parfois sur son
initiative, quand bien même elles ne nécessiteraient pas formellement sa
signature.
tout
En troisième lieu, en période de cohabitation, le Président dispose tou-
jours d
une arme redoutable : celle de la parole. Il peut à tout moment
s
adresser au pays en prononçant une allocution à la télévision ou en orga-
nisant une conférence de presse. Et comme il reste tout de même un élu du
suffrage universel, il peut sexprimer franchement et librement ; ni la Consti-
tution ni les usages ne l
obligent à respecter la réserve que simposaient ses
prédécesseurs de la III
e ou de la IVe République, et que simpose aujourdhui
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encore la Reine dAngleterre ou le Président de la République allemande. Il
peut donc critiquer, exploiter les erreurs du gouvernement ou les difficultés
de l
heure, en essayant de retourner lopinion publique à son profit. Dune
cohabitation à l
autre, les thèmes se renouvellent mais la tactique Présiden-
tielle est toujours la même : il s
agit de braquer un projecteur sur les aspects
de la politique gouvernementale qui suscitent le plus de mécontentements.
F. Mitterrand critiquait surtout la politique sociale de la droite, alors que
J. Chirac attaquait de préférence la gauche plurielle sur le terrain de la poli-
tique économique ou de la politique de sécurité. Mais, dans un cas comme
dans l
autre, lobjectif poursuivi était de compenser une perte de pouvoir
politique par un gain de popularité.
Enfin, « last but not least », le Président peut toujours, dans les conditions
fixées par l
article 8 C, dissoudre lAssemblée nationale sil estime que les for-
ces qui le soutiennent sont suffisamment homogènes et qu
elles ont une chance
sérieuse de remporter les élections.
Les trois premières cohabitations de la Ve République se ressemblent à bien
des égards. Chacune a néanmoins sa spécificité, qui tient à des circonstances
particulières.
La première (mars 1986-mai 1988) sest déroulée dans un climat assez
conflictuel. Il y avait à cela deux raisons : en premier lieu, le chef de l
État,
F. Mitterrand, et son Premier ministre, J. Chirac, étaient rivaux car ils avaient
tous deux l
intention dêtre candidats à la prochaine élection présidentielle ; en
second lieu, une telle situation ne s
étant encore jamais présentée, on ne savait
pas très bien quels devaient être les rôles respectifs des deux responsables de
l
exécutif, et chacun sacharnait donc à défendre ses prérogatives.
La deuxième (mars 1993-mars 1995) sest déroulée dans un climat plus pai-
sible, d
une part parce que F. Mitterrand nétait plus candidat à sa propre suc-
cession et, d
autre part, parce que lon pouvait se référer aux usages établis
durant la cohabitation précédente.
La troisième cohabitation est intervenue en début de mandat présidentiel
(deux ans après l
élection de J. Chirac). Elle apparaissait donc comme une
situation relativement stable, alors que les précédentes, qui s
étaient produi-
tes deux ans avant le terme du septennat, faisaient figure d
épisode transi-
toire. De plus, elle avait eu pour origine une dissolution décidée par le Prési-
dent de la République. Ce dernier avait donc été plus nettement désavoué que
ne l
avait été son prédécesseur en 1986 et 1988. En effet F. Mitterrand avait
simplement dû se plier au rythme des échéances électorales imposé par la
différence de durée entre le mandat présidentiel et celui des députés. En
dépit de ce handicap, la cohabitation a profité à J. Chirac, comme elle avait
profité à F. Mitterrand, cest-à-dire que le Premier ministre sest usé, alors
que le Président est parvenu à regagner partiellement sa popularité. De
même qu
en 1988, les deux têtes de lexécutif étaient candidates lune contre
l
autre en 2002. La troisième cohabitation sest donc achevée dans une atmo-
sphère très conflictuelle qui rappelait un peu celle de la première.
Durant ces dernières années, on a beaucoup débattu des avantages et des
inconvénients de la cohabitation. Au moins jusqu
en 2000, les sondages la fai-
saient apparaître comme plutôt populaire, sans doute parce que l
opinion y
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Droit constitutionnel
voyait à tort ou à raison un moyen dassurer un partage du pouvoir entre la
droite et la gauche
5. Mais, aux yeux dune grande partie de la classe politique,
elle présente aussi de graves inconvénients.
On assure en premier lieu quelle ne serait pas vraiment conforme à lesprit
des institutions de la V
e République : si le Président de la République est élu au
suffrage universel direct, comme cest le cas depuis la réforme doctobre 1962,
ce n
est pas pour quil inaugure les chrysanthèmes mais pour quil soit le leader
de la Nation. Or, en période de cohabitation, il ne l
est plus, au moins pour ce
qui concerne la politique intérieure.
En deuxième lieu, dans les conférences internationales au sommet, le pays
est représenté par deux personnes qui pourraient défendre des positions diffé-
rentes. Il y aurait donc un risque de fragilisation de la position internationale de
la France.
En troisième lieu, lorsque la cohabitation dure longtemps, le Premier minis-
tre et le Président de la République risqueraient tous deux d
en souffrir car,
comme ils ont été associés au sein de l
exécutif, ni lun ni lautre ne pourrait
plus apparaître comme le candidat du changement. Cette désaffection s
étend
aux tendances politiques qu
ils incarnent, cest-à-dire en général celles du cen-
tre gauche et du centre droit. La cohabitation aboutirait ainsi à fausser le jeu de
l
alternance en offrant aux extrêmes « des bains de jouvence artificiels par les-
quels se propage, avec une apparence de vraisemblance, la critique indifféren-
ciée des pouvoirs politiques en place » (Schrameck, 2002, p. 126)
6.
La réforme du quinquennat, qui a été adoptée en septembre 2000 avec lap-
pui de la plupart des forces politiques, a été présentée par ses promoteurs
comme une tentative pour sauver l
esprit des institutions en évitant le renouvel-
lement trop fréquent des cohabitations. Toutes les cohabitations que l
on avait
connues jusqu
alors étaient liées à un décalage de plus dune année entre la date
de l
élection législative et celle de lélection présidentielle. On a pensé que si
ces deux élections avaient lieu à quelques semaines seulement d
intervalle, et si
les deux mandats avaient la même durée, cinq ans, il n
y aurait plus à lavenir
de décalage, et donc moins de risque de divergence des majorités. Ce méca-
nisme a bien fonctionné jusqu
à présent : le succès de lUMP en 2002 et 2007,
celui du parti socialiste en 2012 s
expliquent sans doute au moins en partie par
le fait que certains électeurs ne souhaitaient pas une quatrième cohabitation.
La réforme du quinquennat ne permet toutefois pas déliminer toute éven-
tualité de cohabitation.
Dune part, même si les deux élections ont lieu simultanément, rien ne per-
met d
affirmer que la majorité parlementaire et la majorité présidentielle seront
toujours concordantes. Aux États-Unis, par exemple, en novembre 2012, les
électeurs ont renouvelé un président démocrate, Barack Obama,
tout en
envoyant au Sénat une majorité républicaine. Il nest pas impossible que lon
assiste un jour en France à un phénomène analogue surtout si, comme il en est
Voir par exemple le sondage de la SOFRES publié dans le Figaro Magazine du 30 avril 1999.
5.
Quelques mois après la publication du livre d
Olivier Schrameck, les résultats du premier tour de
6.
lélection présidentielle ont confirmé sur ce point son diagnostic : les deux cohabitants, Jacques Chirac
et Lionel Jospin, n
ont rassemblé à eux deux que 36 % des suffrages exprimés, alors que les extrémis-
tes de droite et de gauche en ont recueilli plus de 30 %.
Page 421
Le cadre
421
actuellement question, le système électoral est modifié par linjection dune cer-
taine dose de représentation proportionnelle.
Dautre part, un décalage peut toujours se reproduire si lun des deux man-
dats prend fin avant l
échéance normale, cest-à-dire en cas de dissolution de
l
Assemblée nationale ou en cas de vacance de la présidence de la République
pour cause de décès, de démission, dempêchement ou de destitution.
Il faudra donc attendre quelques années pour savoir si la réforme du quin-
quennat a ouvert une nouvelle période dans l
histoire de la cinquième Répu-
blique.
En dépit de tous les changements intervenus depuis 1958, les caractères
généraux de la V
e République sont restés relativement stables. Dun point de
vue matériel, les institutions reposent toujours sur deux principes fondamen-
taux, l
indivisibilité de la République et la souveraineté nationale. Dun point
de vue formel, les grandes lignes des institutions sont fixées par une constitu-
tion rigide.
Section 2
Caractères généraux de la Ve République
Sous-section 1
Les principes dindivisibilité de la République
et de la souveraineté nationale
485. Daprès larticle 1er de la Constitution, la France est une République
« indivisible » qui « assure légalité de tous les citoyens devant la loi sans dis-
tinction d
origine, de race ou de religion ». Selon le Conseil constitutionnel,
cette indivisibilité emporte plusieurs conséquences : en premier lieu, le peuple
est lui-même indivisible ; la simple mention dans une loi du «
peuple corse,
composante du peuple français
», est donc contraire à la Constitution car
celle-ci ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français,
sans distinction d
origine, de race ou de religion7 ; en second lieu, la Constitu-
tion interdit la reconnaissance de «
droits collectifs à quelque groupe que ce
soit, défini par une communauté d
origine, de culture, de langue ou de
croyance
», et cest pour cette raison que la ratification par la France de la
Charte européenne des langues régionales ou minoritaires fait problème8.
Déc. no 91-290 DC du 9 mai 1991 (Rec. p. 50).
7.
Déc. n
o 99-412 DC du 15 juin 1999. La Charte européenne des langues régionales ou minoritai-
8.
res avait été soumise au Conseil constitutionnel par le Président de la République en application de
l
article 54 de la Constitution. Le problème de compatibilité avec la Constitution française provient
du fait que cette charte reconnaît le droit de pratiquer une langue régionale ou minoritaire non seule-
ment dans la vie privée mais aussi dans la vie publique, alors que, aux termes du premier alinéa de
l
article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français ». Le président François
Hollande s
est cependant engagé à faire modifier la Constitution pour en permettre la ratification. Le
Page 422
422
Droit constitutionnel
Enfin, lindivisibilité de la République impliquait lunité du pouvoir législa-
tif, à la différence de ce qui se produit dans les États fédéraux où chacune des
collectivités composantes à son propre Parlement, compétent dans certaines
matières. Elle interdit donc en principe tout transfert de compétences législati-
ves vers le bas, c
est-à-dire au profit des collectivités composantes de la Répu-
blique. En revanche, elle est parfaitement compatible avec le principe de lau-
tonomie de ces collectivités sur le plan administratif.
Par ailleurs daprès larticle 3 de la Constitution : « La souveraineté natio-
nale appartient au peuple qui l
exerce par ses représentants ou par la voie du
référendum
». Cette disposition est généralement interprétée notamment par le
Conseil constitutionnel
comme interdisant toute aliénation ou transfert de la
souveraineté vers le haut, c
est-à-dire au profit dorganisations internationales.
Toutefois, ces deux principes, qui figurent toujours dans la Constitution,
sont aujourd
hui interprétés de façon plus souple de manière à permettre à la
fois une extension des compétences locales et le transfert de compétences à
l
Union européenne.
§ 1. La République et ses collectivités composantes
486. Les relations entre la République et ses collectivités composantes sont
régies par les titres XII et XIII de la Constitution.
Par ordre dautonomie croissante, on distingue :
A) Les collectivités situées dans la Métropole qui comprend l
Hexagone
et la Corse. Elles sont régies par les articles 72 à 72-2 du Titre XII.
B) Les collectivités ultramarines régies par les articles 72-3 à 74-1 du
titre XII.
C) La Nouvelle-Calédonie régie par le titre XIII de la Constitution.
A Les collectivités territoriales métropolitaines
487. Il sagit principalement des communes, des départements et des
régions. Mais la loi peut créer d
autres types de collectivités territoriales,
comme elle l
a fait pour la Corse. Avant la réforme du 28 mars 2003 relative
à l
organisation décentralisée de la République, larticle 72 C se bornait à indi-
quer que ces collectivités «
sadministrent librement par des conseils élus et
dans les conditions prévues par la loi ». Il ajoutait que « le délégué du gouver-
nement dans ces collectivités
(cest-à-dire généralement le préfet) a la charge
des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
De cette rédaction, on pouvait déduire que lautonomie des collectivités ter-
limitée au domaine administratif et qu
elles ne
ritoriales était strictement
28 janvier 2014, lAssemblée nationale a adopté une proposition de loi constitutionnelle autorisant
cette ratification. Comme c
est une proposition et non un projet, elle ne pourra pas, même après un
vote favorable du Sénat, être adoptée par le Congrès du Parlement à la majorité des 3/5e, mais devra
être soumise au référendum, à moins que le Président de la République la reprenne à son compte et
présente un projet (v.
infra nº 501).
Page 423
Le cadre
423
pouvaient donc bénéficier daucun transfert de pouvoir législatif. Le Conseil
constitutionnel l
avait dailleurs rappelé dans une importante décision du 17 jan-
vier 2002 dans laquelle il s
était opposé à tout transfert dune compétence légis-
lative à l
Assemblée de Corse, fût-ce même à titre provisoire et expérimental9.
La réforme de 2003 avait un double objet. En premier lieu, elle complétait la
notion de « libre administration » en précisant que les collectivités territoriales
«
disposent dun pouvoir réglementaire pour lexercice de leurs compétences ».
Cependant, il ne s
agit pas là dune véritable innovation car en réalité ce pou-
voir a toujours existé. Le meilleur exemple en est le pouvoir de police du maire
qui s
exerce dans lintérêt de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité
publique.
En second lieu, cette réforme élargissait les compétences des collectivités
territoriales en les étendant à certaines matières du domaine législatif.
Pour définir ces compétences, le nouvel article 72 alinéa 2 se réfère au prin-
cipe de « subsidiarité » qui est en usage dans l
Union européenne et dans cer-
tains États fédéraux comme l
Allemagne : « Les collectivités territoriales ont
vocation à prendre les décisions pour l
ensemble des compétences qui peuvent
le mieux être mises en
œuvre à leur échelon ».
À première vue, cette formulation peut sembler un peu vague : le « mieux ou
le moins bien » est une notion plus politique que juridique car elle comporte
nécessairement une part importante d
appréciation subjective. Cela signifie que
c
est au législateur quil appartiendra dapprécier, notamment en tenant compte
des résultats des expérimentations et sous le contrôle du Conseil constitutionnel
les compétences qui peuvent le mieux être mises en
œuvre à léchelon des collec-
tivités territoriales.
Daprès le 4e alinéa de larticle 72 C, dans les conditions prévues par une loi
organique (LO n
o 2003-704 du 1er août 2003), les collectivités territoriales ou
leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l
a
prévu, déroger, à titre expérimental aux dispositions législatives et réglementai-
res qui régissent l
exercice de leurs compétences. Ce pouvoir dexpérimentation
est cependant assez strictement encadré. La dérogation ne peut être autorisée
que pour un objet et une durée limitée. Elle ne doit jamais aboutir à remettre
en cause les conditions essentielles d
exercice dune liberté publique ou dun
droit constitutionnellement garanti.
La reconnaissance explicite dun pouvoir dexpérimentation en matière
législative entraîne la caducité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
citée plus haut. On pourra désormais faire pour n
importe quelle collectivité
territoriale ce que l
on na pas pu faire pour la Corse en 2002. Par leffet com-
biné de la subsidiarité et de lexpérimentation, le système de répartition des
compétences entre l
État et les collectivités territoriales devient évolutif et lon
pourrait s
acheminer progressivement vers un régionalisme, où certaines collec-
tivités territoriales disposeraient d
un véritable pouvoir législatif, comme cest
déjà le cas dans la plupart des États voisins de la France.
La loi soumise au Conseil prévoyait que le Parlement pouvait autoriser lAssemblée de Corse à
9.
procéder à des expérimentations comportant, le cas échéant, des dérogations aux règles législatives en
vigueur, en vue de l
adoption ultérieure par le Parlement de dispositions législatives appropriées.
Page 424
424
Droit constitutionnel
Lexpérimentation au plan national et lexpérimentation au plan local pour-
suivent donc en fait le même objectif : il s
agit dinterpréter le principe dindi-
visibilité de la République de manière à ce qu
il ne fasse pas obstacle à une
meilleure adaptation des normes législatives ou réglementaires aux circonstan-
ces locales.
La réforme relative à lorganisation décentralisée de la République ne se
borne pas à élargir les compétences des collectivités territoriales. Elle traite éga-
lement du mode d
exercice de ces compétences et des moyens financiers per-
mettant de les mettre en
œuvre.
Avant la réforme, le mode dexercice des compétences ne pouvait être que
représentatif, au moins à l
échelon des départements et des régions. Larticle 72-
1 C rompt avec cette tradition en introduisant, dans le fonctionnement des ins-
titutions territoriales, quelques éléments de démocratie directe (droit de pétition,
possibilité d
un référendum décisionnel à linitiative de la collectivité sur une
question relevant de sa compétence, possibilité d
un référendum sur le statut
ou les limites de la collectivité à l
initiative du législateur)10.
Depuis longtemps, les collectivités territoriales se plaignaient de ne pas dis-
poser de ressources propres suffisantes pour remplir leurs missions. L
article 72-
2 C leur accorde quelques garanties à cet égard. Il est précisé que les recettes
fiscales et les autres ressources propres représentent, pour chaque catégorie de
collectivités « une part déterminante de l
ensemble de leurs ressources ». Tout
transfert de compétences entre l
État et les collectivités territoriales doit sac-
compagner de l
attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consa-
crées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour
conséquence d
augmenter les dépenses des collectivités territoriales doit être
accompagnée de ressources déterminées par la loi.
Les collectivités territoriales ne disposent cependant pas dune pleine auto-
nomie financière car le législateur conserve la maîtrise du système fiscal. Lui
seul peut créer de nouveaux impôts. Toutefois, la loi peut autoriser les collec-
tivités territoriales à fixer elles-mêmes l
assiette et le taux de certains des
impôts destinés à alimenter leurs ressources.
B Les collectivités territoriales doutre-mer
488. Elles ont des statuts très divers, mais lon peut distinguer deux grandes
catégories11.
1. Les départements ou régions doutre-mer (DROM) régis
par larticle 73 C12
489. Entrent depuis longtemps dans cette catégorie la Guyane, la Marti-
nique, la Guadeloupe et la Réunion. Chacun constitue à la fois un département
10. La loi du 10 juin 2003 organisant une consultation des électeurs de Corse sur la modification de
l
organisation institutionnelle de lîle a constitué la première application de cette dernière réforme.
11. En plus de ces deux catégories, il existe des territoires sans peuplement permanent, dont la loi
détermine le régime législatif et lorganisation particulière. Ce sont, dune part, les Terres australes et
antarctiques françaises et, d
autre part, lîlot de Clipperton (voir larticle 72-3 C dernier alinéa).
Page 425
Le cadre
425
et une région. Mayotte se trouve dans la même situation depuis le 31 mars
2011
13. Ces collectivités relèvent en principe du droit commun applicable aux
départements ou régions métropolitains, mais sous réserve de deux particula-
rités.
La première est traditionnelle : les lois et règlements nationaux, qui sont
applicables de plein droit peuvent néanmoins faire lobjet « dadaptations tenant
aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » (art. 73
al. 1
er C).
La seconde particularité consiste, depuis la révision du 28 mars 2003, en une
sorte de pouvoir normatif autonome. Par dérogation au principe selon lequel les
lois et règlements nationaux sont applicables de plein droit, pour tenir compte
de leur spécificité, ces collectivités
14 peuvent être habilitées, selon le cas par la
loi ou le règlement à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire,
dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi
(art. 73 al. 3 C).
2. Les autres collectivités doutre-mer régies par larticle 74 C15
dans
cette
490. Entrent
les
catégorie
Îles Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthé-
lemy. Ces collectivités ont chacune un statut propre, fixé par une loi organique,
qui tient compte de leurs « intérêts propres » au sein de la République. Ce statut
peut donc être très différent de celui des collectivités territoriales métropoli-
taines.
Polynésie
française,
la
Les compétences normatives de ces collectivités sont plus ou moins éten-
dues selon le cas mais, dans l
ensemble, beaucoup plus larges que celles des
DROM. Elles peuvent en user pour prendre des mesures de discrimination posi-
tive
16 en faveur de leur population, en matière daccès à lemploi, de droit déta-
blissement et de protection du patrimoine foncier, à condition que ces mesures
soient « justifiées par les nécessités locales ». Aucune autre collectivité territo-
riale française ne dispose d
un tel pouvoir, à lexception de la Nouvelle-Calé-
donie (v.
infra no 491).
Le principe de lindivisibilité de la République nexclut pas la possibilité
pour une collectivité territoriale d
outre-mer de faire sécession et daccéder
ainsi à la pleine souveraineté
17. Mais tant quil demeure au sein de la Répu-
blique, l
autonomie dont il dispose est nécessairement limitée.
Sur la notion de discrimination positive, v. infra no 521.
12. BLÉRIOT, 2005.
13. Mayotte constitue donc le 101
e département français et le 5e département doutre-mer (DOM).
14. À l
exception de La Réunion qui, à la demande dun sénateur réunionnais, a été expressément
exclue de ce dispositif (art. 73 alinéa 5 C).
15. C
LINCHAMPS, 2005.
16.
17. Aux termes du dernier alinéa de l
article 53 C : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de
territoire n
est valable sans le consentement des populations intéressées ». Prises à la lettre, ces dispo-
sitions n
envisagent, semble-t-il, que lhypothèse dune cession ou dun échange de territoire entre
deux États préexistants. Mais en vertu d
une interprétation large, connue sous le nom de « doctrine
Capitant » (du nom du juriste qui la présentée pour la première fois en 1966 devant lAssemblée
nationale), on admet qu
elles sont également applicables dans lhypothèse où un territoire ferait séces-
sion pour devenir indépendant. La sécession doit d
abord être approuvée par les populations locales
Page 426
426
Droit constitutionnel
Dune part, même sil dispose dun pouvoir normatif étendu, ce pouvoir est
toujours à la merci du législateur national, ordinaire ou organique, qui peut reti-
rer ou restreindre les habilitations qu
il a accordées.
Dautre part, même lorsquils portent sur des matières législatives, les actes
adoptés par l
assemblée de ce territoire sont assimilés à de simples actes admi-
nistratifs, relevant de la juridiction du Conseil dÉtat et non de celle du Conseil
constitutionnel.
Le recours à une solution souple de type fédéraliste nest possible que
moyennant une révision de la Constitution, comme le montre l
exemple de la
Nouvelle-Calédonie.
C Le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie
491. Après ladoption de la Constitution de 1958, la Nouvelle-Calédonie a
conservé le statut de territoire d
outre-mer dont elle bénéficiait depuis 1946.
Mais à partir du début des années quatre-vingt, un conflit marqué par des inci-
dents souvent meurtriers a opposé les indépendantistes principalement d
origine
autochtone, regroupés autour du FLNKS (Front de libération nationale Kanak
et socialiste) aux anti-indépendantistes, en majorité d
origine européenne,
regroupés autour du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la Répu-
blique). En 1988, les deux partis et le gouvernement français conclurent les
accords de Matignon qui firent l
objet dun référendum national organisé dans
le cadre de l
article 11 de la Constitution (loi référendaire du 9 novembre 1988).
L
article 2 de cette loi prévoyait un scrutin dautodétermination qui devait inter-
venir dix ans plus tard, entre le 1
er mars et le 31 décembre 1998. Mais, par lac-
cord de Nouméa du 5 mai 1998, les partenaires locaux ont voulu retarder
l
échéance du scrutin dautodétermination, qui naurait laissé le choix quentre
le
statu quo et lindépendance immédiate, en demandant que, durant une assez
longue période transitoire, le territoire soit doté d
une autonomie beaucoup plus
large que celle dont il avait bénéficié jusqu
alors.
Cette autonomie ne pouvait pas être réalisée dans le cadre des articles 72
à 74 de la Constitution. C
est pourquoi les dispositions transitoires relatives à
la Nouvelle-Calédonie ont fait l
objet dun titre spécial, inséré dans la Constitu-
tion par la loi de révision du 20 juillet 1998
18. Le statut de la Nouvelle-Calédo-
nie a été fixé par une loi organique du 19 mars 1999, prise en application de ce
titre.
La Nouvelle-Calédonie a désormais son propre Parlement, le Congrès, qui
peut adopter des « lois du pays » dans un certain nombre de matières qui relè-
vent normalement de la compétence du Parlement national. La différence avec
le statut des autres collectivités doutre-mer réside moins dans létendue des
(référendum dautodétermination). Elle doit ensuite être autorisée par une loi votée par le Parlement de
la République. C
est cette procédure qui a permis laccession à lindépendance : des départements de
l
Algérie et du Sahara en 1962, des départements doutre-mer de la Côte française des Somalis en
1967, d
une partie de larchipel des Comores en 1974 et du territoire des Afars et des Issas en 1977.
18. Ce titre spécial, qui porte le numéro XIII et comporte deux articles (76 et 77), a pris la place de
celui qui était consacré à la Communauté franco-africaine de 1958 et qui avait été formellement abrogé
par la loi constitutionnelle du 4 août 1995.
Page 427
Le cadre
427
compétences législatives transférées que dans le fait quelles le sont à titre défi-
nitif, c
est-à-dire que le Parlement national ne peut plus retirer ou restreindre
l
habilitation, la répartition étant déterminée non plus par la loi ordinaire ou
organique, comme c
est le cas pour les autres collectivités territoriales, mais
par la Constitution elle-même.
Dans ses rapports avec la Nouvelle-Calédonie,
la République française
apparaît donc désormais à certains égards19 comme un État de type fédéral,
alors qu
elle était traditionnellement unitaire et quelle le demeure en principe,
sous réserve de cette exception.
Les transferts de compétence au profit des collectivités composantes de la
République demeurent dans l
ensemble limités. Il en va différemment de ceux
qui ont été consentis au profit d
organisations de type supranational.
§ 2. La République et lUnion européenne
492. En tant quentité politique, lUnion européenne a déjà été présentée
(v. supra no 295 s.).
On labordera ici sous un angle purement national : dans quelle mesure les
transferts de compétences qu
elle implique sont-ils compatibles avec la Consti-
tution française ? Et de quelle manière les citoyens français sont-ils représentés
en son sein ?
A La construction européenne face à la Constitution française
493. Une antinomie persistante. Dans la vie politique française, peu de
sujets ont suscité autant de passions contradictoires que la construction euro-
péenne.
Dun côté, lunion politique des principales nations de lEurope correspond
à une profonde aspiration humaniste et pacifiste, dont Victor Hugo, parmi beau-
coup d
autres, sest fait lécho20.
Dun autre côté, depuis la Révolution, de façon implicite ou explicite, les
institutions françaises ont toujours été fondées sur le principe de la souveraineté
nationale qui paraît difficilement compatible avec l
idée dune autorité suprana-
tionale, fût-elle européenne.
Les conséquences de cette situation sont paradoxales. Les initiatives les plus
ambitieuses, en matière de construction européenne, sont souvent d
origine
française, mais les résistances que suscitent ces initiatives au sein même de
19. À certains égards seulement, car si la Nouvelle-Calédonie jouit pour ses affaires internes dune
autonomie du même ordre que celle d
un État membre dune fédération, rien de spécifique nest prévu
quant à la participation de ce territoire au gouvernement central.
« Nous aurons ces grands États-Unis d
Europe, qui couronneront le vieux monde comme les
20.
États-Unis dAmérique couronnent le nouveau », in Lettre aux membres du congrès de la paix, 29 sep-
tembre 1872.
Page 428
428
Droit constitutionnel
lopinion française sont tellement fortes quelles peuvent aboutir à en provoquer
l
échec21.
Lantinomie entre linternationalisme pacifiste et le nationalisme souverai-
niste est inscrite au c
œur même du bloc de constitutionnalité. Aux termes de
l
alinéa 15 du Préambule de 1946 : « Sous réserve de réciprocité, la France
consent aux limitations de souveraineté nécessaires à lorganisation et à la
défense de la paix
». Mais, daprès larticle 3 de la Constitution de la IVe Répu-
blique, repris presque mot pour mot par l
actuelle Constitution, « La souverai-
neté nationale appartient au peuple français
», ce qui semble indiquer que cette
souveraineté est juridiquement « indisponible », c
est-à-dire insusceptible dêtre
substantiellement réduite par voie d
accords internationaux.
Le traité du Marché commun, ou traité sur la Communauté économique
européenne (CEE), qui fut présenté au Parlement français en 1957, avait déjà
une forte composante supranationale car il prévoyait la mise en place de nou-
velles institutions, chargées d
élaborer les normes nécessaires à lorganisation
du marché commun. Il se heurta à une vive opposition, notamment de la part
des groupes communiste et gaulliste, qui contestaient sa conformité à la Consti-
tution. Mais à l
époque, du fait de labsence de juge constitutionnel, la solution
d
un problème de ce genre ne pouvait résulter que du rapport des forces politi-
ques. Le traité CEE fut ratifié grâce à l
appui des socialistes, des démocrates
chrétiens et du centre droit, qui étaient déjà à l
époque les principaux soutiens
de l
intégration européenne.
Revenu au pouvoir en 1958, le général de Gaulle ne remit pas en cause le
Marché commun, dont il savait que la France tirerait profit pour son développe-
ment économique. Mais en 1965, il tenta de s
opposer à la mise en application
de la règle de la majorité qualifiée pour la prise des décisions au sein du Conseil
des ministres de la Communauté. Bien que prévue par le traité, cette règle lui
paraissait en effet dangereuse pour la souveraineté nationale, seule l
exigence
de l
unanimité pouvant garantir quun État ne serait jamais mis en minorité
sur une question touchant à ses intérêts essentiels. La crise qui en résulta fut
finalement résolue grâce à un accord ambigu, connu sous le nom de « compro-
mis de Luxembourg »
22.
Par la suite, cependant, non seulement la France a accepté la règle de la majo-
rité qualifiée mais elle a contribué à en étendre le champ d
application en partici-
pant à la négociation des grands traités qui allaient marquer les étapes suivantes
de la construction européenne, ceux de Maastricht et d
Amsterdam notamment.
Cette évolution de l
attitude française sexplique non seulement par la personna-
lité des successeurs du général de Gaulle (moins intransigeants que lui sur le cha-
pitre de la souveraineté nationale) mais aussi probablement par une certaine
convergence entre les progrès de la construction européenne et les intérêts écono-
miques et diplomatiques de la France. Sur le plan économique, les agriculteurs
21. Tel a été par exemple le cas du traité connu sous le nom de Communauté européenne de défense
(CED) : bien que voulu en principe par la France, et rédigé par ses diplomates, ce traité fut finalement
abandonné à la suite d
un vote de lAssemblée nationale française, le 30 août 1954. Voir Zorgbibe
(2005), p. 28 et s. Cinquante ans plus tard, le traité instituant une Constitution pour lEurope a connu
un sort analogue.
22. Zorgbibe (2005), p. 46-48.
Page 429
Le cadre
429
français ont été les principaux bénéficiaires de la politique agricole commune
(PAC), dont le financement absorbait la majeure partie des ressources du budget
communautaire. Sur le plan diplomatique, le leadership européen, que la France
partageait avec l
Allemagne, augmentait son poids sur la scène internationale. Les
réticences au sein de l
opinion française demeuraient cependant très fortes,
comme lont montré les résultats du référendum de septembre 1992 sur la ratifi-
cation du traité de Maastricht, où le « oui » ne l
a emporté quà une faible majo-
rité (environ 51 %).
Depuis quelques années, dailleurs, la convergence entre la construction euro-
péenne et les intérêts français paraît moins évidente. Sur le plan diplomatique, la
France a de plus en plus de mal à imposer son leadership. La réunification de l
Al-
lemagne a accru le poids de celle-ci sur la scène européenne et mondiale. Et de
nombreux États membres, surtout parmi les nouveaux adhérents, ont plutôt ten-
dance à suivre le leadership américain, comme l
a montré leur ralliement à la guerre
d
Irak, déclenchée par le président Georges W. Bush en 2003. Sur le plan écono-
mique, l
adhésion à lUnion de nombreux pays dont le développement économique
a été entravé par le communisme nécessite une nouvelle affectation des ressources
et l
abandon progressif de la politique agricole commune. La contribution de la
France au budget de l
Union risque donc de salourdir et de nêtre plus que partiel-
lement compensée par les subventions dont elle bénéficie. Et, contrairement à ce
que l
on avait espéré, la mise en place dune monnaie commune à plusieurs États
membres, prévue par le traité de Maastricht, n
a pas permis de relancer lactivité
économique ni de réduire le chômage.
Cest sans doute ce qui explique que, le 29 mai 2005, les Français aient rejeté,
à une majorité de 54,8 %, le traité instituant une Constitution pour l
Europe, mal-
gré le soutien que les principaux partis de gouvernement et la presque totalité des
médias avaient apporté à ce traité. Le traité de Lisbonne, qui a repris une partie de
ses dispositions, est entré en vigueur le 1
er décembre 2009, mais il a été ratifié par
la voie parlementaire.
Depuis le début des années 1970 la question des rapports entre la souverai-
neté nationale et la construction européenne se pose principalement en termes
constitutionnels.
494. La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Les rédacteurs de la
Constitution de 1958 voulaient éviter qu
une majorité parlementaire puisse faci-
lement ratifier un traité susceptible de porter atteinte à la souveraineté nationale,
comme cela s
était produit en 1957 à propos de la Communauté économique
européenne. Aussi ont-ils prévu que lorsque le Conseil constitutionnel a déclaré
qu
un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution,
lautorisation de ratifier ou dapprouver cet engagement ne peut intervenir qua-
près révision de la Constitution (art. 54 C). La saisine du Conseil, qui est facul-
tative, était à l
origine réservée au Président de la République, au Premier
ministre, ainsi qu
aux présidents des assemblées parlementaires23. Mais lors-
qu
un engagement international important est controversé, il serait politique-
ment difficile au chef de l
État de ne pas le soumettre au Conseil
23. Depuis la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, elle est également ouverte aux parlementai-
res. Sur cette procédure, v.
infra no 769.
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430
Droit constitutionnel
constitutionnel. À lexception de lacte unique européen (1986) et du traité
de Nice (2004), le Conseil a donc été amené à se prononcer sur tous les enga-
gements marquant les grandes étapes de la construction européenne.
Dans une décision de 1976, le Conseil établit une première distinction entre,
d
une part, les limitations de souveraineté, quil considère comme conformes à
la Constitution sous réserve de réciprocité, et dans la mesure où elles sont
nécessaires à l
organisation et à la défense de la paix et, dautre part, les trans-
ferts de souveraineté
à une organisation internationale qui, en toute hypothèse,
seraient contraires à la Constitution
24. Mais cette distinction ne répondait pas à
la question de savoir si tout transfert de compétence à une organisation interna-
tionale devait être considéré comme un « transfert de souveraineté ». Aussi
allait-elle être abandonnée par la suite.
Dans sa décision du 9 avril 1992, relative au traité de Maastricht, pour la
première fois le Conseil constitutionnel a constaté qu
un engagement internatio-
nal comportait des clauses contraires à la Constitution, en explicitant les critères
jurisprudentiels qu
il utilise aujourdhui encore.
Dune part, il admet que les transferts de compétence à une organisation
internationale ne sont pas en eux-mêmes contraires à la Constitution car «
le
respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que
(...) la France
puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux
en vue de participer à la création ou au développement d
une organisation
internationale permanente
(...) investie de pouvoirs de décision par leffet de
transferts de compétences consentis par les États membres
».
Mais, dautre part, il fixe des limites à ces transferts car « au cas où des
engagements internationaux souscrits à cette fin contiennent une clause
contraire à la Constitution ou portent atteinte aux conditions essentielles d
exer-
cice de la souveraineté nationale, l
autorisation de les ratifier appelle une révi-
sion constitutionnelle ».
Ce ne sont donc pas seulement les stipulations formellement contraires à un
article de la Constitution qui peuvent appeler une révision mais également celles
qui touchent à un domaine où, selon le Conseil, sont en cause les conditions
essentielles d
exercice de la souveraineté nationale : font notamment partie de
ces domaines la politique monétaire, la politique de change, ainsi que la poli-
tique des visas (mesures relatives à l
entrée et à la circulation des personnes).
Mais pour que l
on puisse parler datteinte aux conditions essentielles
d
exercice de la souveraineté nationale, il faut encore quen raison des modali-
tés d
exercice des compétences transférées, la France sexpose au risque de se
voir imposer une décision par ses partenaires. Aussi longtemps que les déci-
sions ne peuvent être prises par le Conseil des ministres européen qu
à lunani-
mité, et à linitiative de ses membres, ce risque nexiste pas car le représentant
de la France peut toujours sopposer à ladoption dune décision. Il ny a donc
pas d
atteinte aux conditions essentielles dexercice de la souveraineté
24. Déc. no 76-61 DC du 30 décembre 1976, rendue à propos de lélection de lAssemblée des com-
munautés (aujourd
hui Parlement européen) au suffrage universel direct.
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Le cadre
431
nationale25. Latteinte est constituée à partir du moment où le Conseil des minis-
tres prend ses décisions à la majorité, et à l
initiative de la Commission26.
Mais à mesure que la construction européenne progresse, le domaine des
décisions prises à la majorité ne cesse de s
étendre. Des atteintes à la souverai-
neté nationale sont donc inévitables. Face à cette situation, les États membres
nont pas tous adopté la même attitude. Certains ont choisi de modifier une fois
pour toutes leur Constitution en acceptant en bloc et par avance tous les trans-
ferts de compétence rendus nécessaires par la construction européenne
27. La
France, au contraire, préfère procéder par petits pas, c
est-à-dire en nautorisant
des limitations à l
exercice de la souveraineté nationale que dans la mesure
strictement nécessaire pour franchir une étape déterminée. Par exemple, aux ter-
mes du second alinéa de l
article 88-1 C : « Elle (la République) peut participer
à l
Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne (...)
signé le 30 décembre 2007. ». Cette méthode des petits pas ménage la suscepti-
bilité des milieux les plus réticents envers la supranationalité, mais elle oblige à
réviser une nouvelle fois la Constitution à chaque étape importante de la cons-
truction européenne, relançant ainsi les polémiques
28.
Selon les termes de larticle 54 C, le Conseil constitutionnel ne se prononce
que sur les conditions de la ratification des traités opérant des transferts de com-
pétences. À la différence de la Cour constitutionnelle allemande
29, il ne lui a
jamais été demandé d
envisager les conséquences de ces transferts et notam-
ment le « déficit démocratique » qui peut en résulter.
Ce déficit est néanmoins préoccupant.
Telle qu
on la conçoit en France depuis la Révolution, la démocratie peut se
définir comme un régime où les citoyens participent à l
exercice de la souverai-
neté par l
intermédiaire de leurs représentants élus, cest-à-dire du Parlement et
accessoirement par voie de référendum. Or les transferts de compétence liés à la
construction européenne réduisent inévitablement l
espace de décision des par-
lements nationaux. En 1992, déjà, on considérait que la moitié environ des
règles nouvelles introduites chaque année dans le corpus juridique français
l
étaient à la suite dune initiative prise au niveau communautaire (Conseil
d
État, 1993, p. 16). Il subsiste tout de même encore aujourdhui un noyau
dur de compétences nationales qui comprend notamment la majeure partie du
droit civil et du droit pénal, l
éducation, les rapports entre lÉtat et les églises,
ainsi que l
organisation des services publics (sous réserve de lobligation de
respecter les principes de libre circulation des marchandises et des services).
25.
Sur ce point, la jurisprudence du Conseil constitutionnel peut prêter à contestation car, même
lorsque les décisions sont prises à l
unanimité, le Parlement français est dessaisi de sa compétence et
il y a donc bien atteinte à la souveraineté nationale telle qu
elle est définie à larticle 3 C.
26. Décision du 31 décembre 1997 relative au traité d
Amsterdam (considérant 24).
Par exemple, larticle 23 de la Constitution allemande autorise la Fédération à transférer à
27.
l
Union européenne des droits de souveraineté, en précisant toutefois que la loi opérant de tels trans-
ferts doit être approuvée par le Bundesrat.
28.
29. À la veille de la ratification du traité de Maastricht, la Cour allemande a été saisie d
un recours
contre ce traité par un citoyen qui s
estimait lésé dans son droit à la démocratie, dans la mesure où les
transferts de compétence envisagés aboutissaient à restreindre considérablement la compétence du par-
lement national et, par voie de conséquence, la capacité d
influence des électeurs allemands (voir
Hamon et Wiener, 1999, p. 237).
Sur cette méthode et sur la structure du titre XV de la Constitution, v. infra no 696.
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432
Droit constitutionnel
Mais ce noyau nest pas nécessairement intangible car les transferts de compé-
tence appellent sans cesse de nouveau transferts : par exemple la monnaie com-
mune appelle une harmonisation des politiques économiques et budgétaires, la
suppression des contrôles aux frontières appelle une coordination des politiques
de sécurité.
À sen tenir aux institutions nationales, force est donc de constater que la
démocratie risque de régresser. De quels moyens dispose-t-on pour lutter contre
cette régression ? La réponse dépend au moins en partie de la manière dont les
citoyens français sont représentés au sein de l
Union.
B La représentation des citoyens français au sein de lUnion
495. En tant quÉtat membre, la République française est représentée au sein
de l
Union par ses autorités exécutives, Président de la République et gouver-
nement.
Le Président de la République (éventuellement accompagné du Premier
ministre, surtout en période de cohabitation) siège au Conseil européen.
Au Conseil des ministres, souvent désigné sous le nom de Conseil, qui
exerce le pouvoir législatif conjointement avec la Commission et le Parlement
européen, le gouvernement délègue l
un de ses membres, choisi en fonction des
questions figurant à l
ordre du jour.
Enfin, comme ses homologues étrangers, lexécutif français participe à la
désignation des membres de la Commission et de la Cour de justice.
Les règles concernant cette représentation des États membres résultent direc-
tement des traités. On se bornera donc à renvoyer sur ce point à la présentation
de l
Union européenne (v. supra no 295).
Mais à côté de la représentation des États, il y a place pour une représenta-
tion des citoyens30, dont les modalités sont variables car elles dépendent en par-
tie de décisions prises au niveau national. Cest grâce à cette représentation que
l
on peut espérer réduire le déficit démocratique. Elle se réalise à la fois par
l
intermédiaire du Parlement national et par lélection de députés au Parlement
européen.
496. La représentation des citoyens par leur Parlement national.
Depuis que le Parlement européen est élu au suffrage direct (1979), les parle-
ments nationaux ne sont plus représentés au sein des organes de l
Union31. Mais
dans la plupart des États membres, ils participent d
une manière indirecte,
et selon des modalités variables, à l
élaboration de la législation européenne.
En Allemagne, pour les questions relevant, daprès la Constitution alle-
mande, de la compétence des Länder, le gouvernement fédéral ne peut pas
30. On soutient parfois que les citoyens sont également représentés par le Conseil des ministres ou le
Conseil européen, les membres de ces deux organes étant soit élus, comme le Président de la Répu-
blique française, soit responsables devant leur Parlement national. Cette thèse paraît difficilement
défendable car les constitutions nationales elles-mêmes ne donnent pas à ces autorités la qualité de
représentant (voir la théorie de la représentation,
supra no 181 s.).
31. Cependant, le protocole 1 du traité établissant une constitution pour l
Europe prévoit quune
conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de lUnion peut soumettre des
« contributions » à l
attention du Parlement européen, du Conseil ou de la Commission.
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Le cadre
433
défendre en Conseil des ministres européen une position qui naurait pas été
approuvée par le Bundesrat. Parfois même, il doit céder la place à des représen-
tants désignés par le Bundesrat.
Au Danemark, les positions à défendre sont arrêtées dun commun accord
entre le gouvernement et le Folketing (Parlement).
En France, daprès larticle 88-4 C, chacune des deux assemblées est tenue
informée des projets d
actes communautaires et peut adopter des résolutions
exprimant un avis à leur sujet (v.
infra no 664 s.). Mais ces résolutions ne lient
pas le gouvernement.
Mais plus encore que dêtre associé à lélaboration de la législation commu-
nautaire, certains parlements nationaux souhaiteraient être en mesure d
en
contrôler l
expansion. On sait que, daprès le principe dit de subsidiarité, dans
les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l
Union ne doit
intervenir que si et dans la mesure où les objectifs de l
action envisagée ne peu-
vent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres. Il a été pro-
posé de créer une instance de recours, composée de représentants des parle-
ments nationaux, qui exercerait une sorte contrôle
a priori en examinant les
exceptions de subsidiarité soulevées contre des projets d
acte communautaire32.
Sans aller aussi loin, le traité de Lisbonne, qui est en vigueur depuis le
1
er décembre 2009 prévoit des procédures permettant aux parlements nationaux
de s
élever contre une atteinte au principe de subsidiarité (v. infra no 667). Par
exemple, si un projet d
acte européen était jugé contraire au principe de subsi-
diarité par un tiers au moins des parlements nationaux, ce projet devait être
réexaminé par l
organe qui en est lauteur (la commission dans le cas le plus
fréquent). Mais ce réexamen n
impliquerait nullement labandon du projet, le
dernier mot, en matière de subsidiarité, étant toujours réservé à la Cour de
justice
33.
497. La représentation des citoyens par le Parlement européen. Depuis
1979, le Parlement européen est élu par les citoyens au suffrage universel direct.
Le traité fixe le nombre de sièges attribués à chaque pays mais les modalités de
l
élection varient selon les législations nationales.
Ainsi quon la déjà signalé, le mode actuel de répartition des sièges favorise
les citoyens des États les moins peuplés. Alors qu
elle représente environ 13 %
de la population de l
Union (65 millions sur 500 millions) la France dispose
d
un peu moins de 10 % des sièges au Parlement européen. Un député allemand
ou français représente environ 800 000 personnes, un député estonien 200 000,
un député maltais moins de 80 000. De tels écarts sont d
autant plus surprenants
que le Parlement européen est censé représenter les citoyens, et non les États. Ils
seraient considérés comme excessifs sil sagissait de la Chambre basse dun
État national, qui a également vocation à représenter les citoyens.
Jusquen 2004, les représentants de la France étaient élus dans le cadre
d
une circonscription nationale unique. Les sièges étaient répartis entre les listes
32. Voir les propositions faites par la Délégation pour lUnion européenne de lAssemblée nationale,
in Quelles réformes pour lEurope de demain ?, rapport dinformation no 1939, 1995, p. 197 s.
33. Voir sur ce point le protocole 2 sur lapplication des principes de subsidiarité et de proportion-
nalité.
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434
Droit constitutionnel
ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés selon le système de la repré-
sentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans possibilité de pana-
chage. Élus sur des listes nationales, les députés européens étaient donc dépour-
vus d
attaches locales. De plus,
leur mode d
élection aboutissait à une
représentation très fragmentée car de petits partis, parfois extrémistes, parfois
un peu folkloriques, parvenaient à grignoter quelques sièges en additionnant
leurs voix sur l
ensemble du territoire. Rendant plus difficile ladoption dune
stratégie commune, cette dispersion avait pour effet de diminuer le poids de la
France au Parlement européen.
Afin de réduire cette fragmentation et de rapprocher les élus de leurs élec-
teurs, la loi du 11 avril 2003 a remplacé la circonscription nationale unique par
huit circonscriptions dont chacune (à l
exception de lÎle-de-France) comprend
au moins deux régions ou deux territoires d
outre-mer. Ce nouveau système a
le PS et
profité principalement aux deux grands partis de gouvernement,
l
UMP. Cependant, en 2014, on a assisté à une montée de leuroscepticisme,
dû en grande partie à la conjoncture économique et politique. Le Front national,
dont le programme prévoit la sortie de la France non seulement de la zone euro
mais aussi de l
Union européenne, en a été le principal bénéficiaire. Ses listes
sont arrivées en tête dans cinq régions sur huit, et le pourcentage de voix qu
il a
recueillies au plan national (environ 25 %) l
a fait apparaître comme le premier
parti de France, assez loin devant l
UMP (environ 20 %) et le PS (envi-
ron 14 %).
Le Parlement européen parviendra-t-il à compenser le « déficit démocra-
tique » provoqué par les transferts de compétences ? Rien n
est moins sûr car
ses pouvoirs sont proportionnellement moins importants que ceux des parle-
ments nationaux (v.
supra no 300). Force est dailleurs de constater que les
citoyens européens ne lui accordent qu
une attention limitée, comme le mon-
trent les taux très élevés d
abstentions dans la plupart des États membres lors
des scrutins de 2009 et 2014. À cette dernière date, le taux moyen d
abstention
pour l
ensemble de lUnion européenne était 56,9 %. Il était très voisin de cette
moyenne pour la France.
Sous-section 2
La rigidité constitutionnelle
498. Une constitution rigide est une constitution qui ne peut être modifiée
qu
au terme dune procédure spéciale et non par la loi ordinaire. Cette procé-
dure spéciale est plus ou moins lourde. On rattache parfois à la rigidité de la
Constitution l
existence dun contrôle de la constitutionnalité des lois. En
effet, dit-on, si une loi pouvait être contraire à la constitution, il s
ensuivrait
que celle-ci ne pourrait pas être considérée comme véritablement rigide. Néan-
moins, il ne s
agit pas dune véritable implication et un très grand nombre de
constitutions sont justement appelées « rigides » parce quelles ne sont pas
modifiables par la loi ordinaire, bien qu
elles ninstituent aucun contrôle de la
constitutionnalité des lois. C
est pourquoi on nétudiera dans cette section que
Page 435
Le cadre
435
les mécanismes de la révision. Le contrôle de la constitutionnalité des lois fera
l
objet dun développement important dans le dernier chapitre.
Le titre XVI de la Constitution sintitule : « De la révision »34.
Il comprend un article unique, l
article 89, qui détermine la procédure nor-
malement applicable en matière de révision constitutionnelle.
Néanmoins, lexpérience prouve que la révision peut aussi se dérouler en
dehors du cadre de larticle 89.
§ 1. La révision dans le cadre de larticle 89
A Linitiative
499. Linitiative de la révision appartient concurremment au Président de la
République sur proposition du Premier ministre et aux membres du Parlement.
Mais, dans un cas comme dans l
autre, des limitations sont prévues.
B Les limitations du pouvoir de révision
500. Certaines limitations ont trait aux circonstances. Aux termes de larti-
cle 89 alinéa 4 : «
Aucune procédure ne peut être engagée ni poursuivie lors-
qu
il est porté atteinte à lintégrité du territoire ». Il sagit déviter que les ins-
titutions puissent être modifiées sous la pression d
une armée doccupation,
comme en juillet 1940. Par ailleurs, il ne peut être fait application de l
article 89
durant la vacance de la présidence de la République ou durant la période qui
s
écoule entre la déclaration du caractère définitif de lempêchement du Prési-
dent de la République et l
élection de son successeur (art. 7, dernier al. C).
Mais larticle 89 prévoit également une limitation portant sur lobjet même
de la révision. Aux termes de l
alinéa 5 : « La forme républicaine du gouverne-
ment ne peut faire l
objet daucune révision ». Compte tenu de la faiblesse
actuelle du courant monarchiste, cette limitation ne semble pas très contrai-
gnante, du moins si l
on admet que la forme républicaine du gouvernement sup-
pose seulement que la fonction de chef de l
État nest pas exercée par un
monarque héréditaire.
Étant donné le peu dimportance des limitations expressément prévues par le
texte de la Constitution, on admet généralement en France que le pouvoir consti-
tuant est souverain, c
est-à-dire quune loi de révision peut pratiquement tout faire
pourvu qu
elle soit adoptée dans les formes prévues par larticle 89. Dans sa déci-
sion nº 312 DC du 2 septembre 1992, parfois désignée sous le nom de « Maas-
le Conseil constitutionnel a dailleurs lui-même employé cette
tricht 2 »
35,
Il sagissait à lorigine du titre XIV. Mais la numérotation a été modifiée à deux reprises car les
34.
lois constitutionnelles du 25 juin 1992 et du 27 juillet 1993 ont chacune inséré un nouveau titre dans la
Constitution.
35. Le traité de Maastricht a donné lieu à trois décisions du Conseil constitutionnel.
La première (Maastricht I, 12 avril 1992), intervenue sur saisine du Président de la République dans le
cadre de l
article 54 C, portait sur la question de savoir si le traité de Maastricht contenait des clauses
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Droit constitutionnel
expression en rappelant néanmoins que cette souveraineté doit sentendre sous
réserve des limitations prévues par les articles 7, 16 et 89 (considérant 19). À
première vue, ce principe de souveraineté du pouvoir constituant semble corres-
pondre aux exigences de la démocratie. Le peuple n
a-t-il pas le droit inaltérable
« de revoir, de réformer et de changer sa Constitution », comme l
affirmait déjà
larticle 28 de la Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen du
24 juin 1793 ?
Le problème de la souveraineté ou de la limitation du pouvoir constituant est
cependant moins simple qu
il ne parait. Dune part, lorsque la procédure de lar-
ticle 89 se termine par un vote du congrès et non par un référendum (v.
infra
no 501), la Constitution est en fait révisée par les assemblées représentatives
sans l
intervention directe des citoyens. Dans ce cas au moins, une limitation
quant au fond du pouvoir de révision pourrait donc être considérée comme démo-
cratiquement légitime : elle se justifierait par l
idée que le congrès est un pouvoir
constituant de moindre valeur, les révisions les plus importantes devant être lais-
sées à la décision du souverain lui-même, c
est-à-dire du peuple statuant par voie
de référendum. C
est dailleurs ce quaffirme le Conseil constitutionnel quand il
refuse d
examiner les lois référendaires, constitutionnelles ou pas, au motif quel-
les sont l
expression directe de la souveraineté nationale. On peut observer que le
Conseil présuppose ici une identité entre le peuple et le corps électoral, ce qui est
une interprétation étrange de l
article 3 de la Constitution, qui dispose que le peu-
ple exerce sa souveraineté soit par ses représentants, soit par la voie du référen-
dum. D
autre part, on admet généralement quune démocratie cesse dexister à
partir du moment où certains droits fondamentaux et certaines libertés essentielles
ne sont plus respectés. Si cela est vrai, à quoi servirait-il d
interdire le rétablisse-
ment de la monarchie (comme le fait l
article 89 alinéa 4) sans interdire en même
temps la remise en cause des grands principes sur lesquels repose le régime répu-
blicain (liberté d
association, liberté de la presse et tous ceux quon rattache en
général à lÉtat de droit) ? Cest pourquoi certains auteurs estiment que lexpres-
sion « forme républicaine du gouvernement » devrait être entendue dans un sens
large : elle exclurait non seulement le remplacement du Président de la Répu-
blique par un monarque héréditaire, mais aussi l
abrogation des « principes fon-
damentaux reconnus par les lois de la République », auxquels se réfère le Préam-
bule de 1946 qui fait lui-même partie du « bloc de constitutionnalité ».
Cest un raisonnement semblable qui a conduit les cours constitutionnelles
allemande, italienne et autrichienne à limiter la souveraineté du pouvoir consti-
tuant en déclarant que certains principes avaient une valeur
supra-constitution-
nelle (v.
supra no 32) et devaient donc être protégés contre toute tentative de
révision.
contraires à la Constitution. Cest à la suite de cette décision que la Constitution a été révisée par la loi
du 25 juin 1992.
La deuxième (Maastricht II, 2 septembre 1992), intervenue sur saisine de 60 sénateurs dans le cadre de
l
article 54 C, portait sur la question de savoir si la révision du 25 juin 1992 avait fait disparaître tous
les obstacles constitutionnels à la ratification du traité. Le Conseil constitutionnel a répondu affirmati-
vement.
Enfin la dernière (Maastricht III, 20 septembre 1992), intervenue sur saisine de 60 députés dans le
cadre de larticle 61, al. 2 C, était dirigée contre la loi autorisant la ratification du traité. Cette loi
ayant été adoptée par référendum, le Conseil constitutionnel s
est déclaré incompétent.
Page 437
Le cadre
437
Cependant, en France, où la tradition républicaine reposait sur le principe de
la souveraineté parlementaire, le contrôle de constitutionnalité des lois a mis long-
temps à s
imposer. Il serait sans doute mal accepté si le juge constitutionnel pré-
tendait exercer un contrôle sur l
exercice du pouvoir constituant. Cest probable-
ment pour cette raison que le Conseil constitutionnel s
est déclaré incompétent
pour contrôler les lois de révision constitutionnelles adoptées dans le cadre de
larticle 89, même lorsquelles nont pas été soumises au référendum (déc.
n
o 2003-469 DC du 26 mars 2003).
C La procédure
501. La révision constitutionnelle se déroule en deux étapes. Elle doit
d
abord être votée en termes identiques par les deux assemblées. Cela signifie
que, en cas de désaccord entre les deux assemblées, il n
est pas possible,
comme pour les lois ordinaires, de donner le dernier mot à l
Assemblée natio-
nale dont les membres sont pourtant élus au suffrage direct (art. 45 C). La pro-
cédure a donc été critiquée pour son caractère peu démocratique, puisqu
elle
donne à une assemblée élue au suffrage indirect et en général conservatrice un
droit de veto en matière constitutionnelle, c
est-à-dire sur les décisions les plus
importantes dans tout système politique.
Mais létape finale de la procédure dépend, dune part, de lautorité qui a
pris l
initiative de la révision et, dautre part, dune option ouverte au Président
de la République.
Si linitiative de la révision a été prise par le Parlement (proposition), une
fois que chacune des deux Chambres a adopté le texte dans les mêmes termes, il
doit obligatoirement être soumis au référendum. S
il sagit dun projet, donc
une initiative de l
exécutif, le Président de la République peut décider de ne
pas faire intervenir directement le peuple et soumettre le projet de révision au
Parlement convoqué en Congrès, c
est-à-dire statuant les deux Chambres réu-
nies. Dans ce cas, une majorité spéciale est requise, car le projet ne deviendra
loi constitutionnelle que s
il a réuni en sa faveur la majorité des trois cinquièmes
des suffrages exprimés (art. 89 al. 3).
Certains projets, qui avaient passé la première étape, nont cependant été
soumis ni au référendum ni au congrès. Tel est notamment le cas du projet
de G. Pompidou réduisant à cinq ans la durée du mandat présidentiel (projet
du 6 septembre 1973) et de celui de V. Giscard d
Estaing modifiant le régime
de l
incompatibilité entre les fonctions parlementaires et ministérielles (projet
du 27 septembre 1974). Ils avaient été adoptés par l
Assemblée nationale et le
Sénat, mais à des majorités trop faibles pour que l
on pût espérer aboutir par la
voie du Congrès. Dans les deux cas, le Président, estimant quun référendum
sur la réforme envisagée n
aurait pas été opportun, a donc préféré arrêter la pro-
cédure.
D Lusage de larticle 89
502. Vingt-deux révisions constitutionnelles ont déjà été menées à bien dans
le cadre de larticle 89 (v. infra no 504).
Page 438
438
Droit constitutionnel
Il convient de noter que, en ce qui concerne la seconde étape de la procé-
dure, le Président de la République a toujours choisi la voie du congrès, sauf
pour la réforme du quinquennat. Le référendum du 24 septembre 2000 est jus-
qu
à présent le seul qui ait été organisé dans le cadre de larticle 89. Pourtant,
certains auteurs ont soutenu, notamment en 1992 (à propos du traité de Maas-
tricht), en 1998 (à propos du traité dAmsterdam) et en 2005 à propos du traité
constitutionnel européen, que, sagissant dune révision qui nétait pas une sim-
ple modification, mais une véritable transformation touchant à l
essence même
de la Constitution, l
intervention du peuple était obligatoire politiquement et
même juridiquement (Beaud, 1993). Mais à cet argument tiré de l
esprit de la
Constitution, il est facile d
opposer le texte même de larticle 89, qui ne prévoit
aucune restriction en ce qui concerne les modifications susceptibles d
être
apportées à la Loi fondamentale par la voie du congrès, plus rapide et surtout
politiquement moins périlleuse que celle du référendum. En définitive, quel que
soit l
objet de la révision, le choix entre les deux voies relève donc de lappré-
ciation totalement discrétionnaire du Président de la République.
Il arrive dailleurs que le Président nait pas à faire ce choix car, en cas de
désaccord entre les deux assemblées, le projet de révision est bloqué dès la pre-
mière étape. C
est ce qui sest produit par exemple en 1984, à propos de lélar-
gissement du domaine du référendum et en 1991, à propos de l
exception din-
constitutionnalité. Ainsi qu
on la noté, larticle 89 en effet ne permet pas au
gouvernement de donner le dernier mot à l
Assemblée nationale, comme il
peut le faire dans la procédure législative ordinaire. En matière de révision
constitutionnelle, le Sénat dispose donc d
un pouvoir de veto qui serait incon-
tournable si la procédure de l
article 89 était réellement exclusive. Peut-être
l
est-elle en théorie, mais en réalité il est possible de contourner lobstacle,
comme le montrent les précédents de 1962 et 1969.
§ 2. La révision en dehors du cadre de larticle 89
503. Du fait quil constitue lintégralité du titre XVI, larticle 89 a été sou-
vent considéré comme la seule procédure de révision juridiquement correcte,
sous réserve des exceptions éventuellement prévues par la Constitution. Or, la
Constitution n
avait prévu de dérogation à larticle 89 que dans un seul cas :
lorsqu
il sagissait de modifier les dispositions concernant le fonctionnement
des institutions de la Communauté franco-africaine établie par l
ancien titre XII
de la Constitution abrogé en 1995. C
était alors une procédure spéciale définie
par l
ancien article 85 qui sappliquait. Cette procédure na été utilisée quune
seule fois, pour ladoption de la loi constitutionnelle du 4 juin 1960, qui a per-
mis aux États membres de la Communauté de devenir indépendants « sans ces-
ser de ce fait d
appartenir à la Communauté ». Mais elle na plus aujourdhui
qu
un intérêt historique, les institutions de la Communauté ayant depuis long-
temps cessé de fonctionner et même d
exister.
Une dérogation beaucoup plus importante a été introduite par la pratique en
1962, lorsque le général de Gaulle a voulu modifier les articles 6 et 7 de la
Constitution pour instituer l
élection du Président de la République au suffrage
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Le cadre
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universel direct. Le Sénat étant hostile à cette réforme, celle-ci navait aucune
chance d
aboutir dans le cadre de larticle 89. Pour contourner cet obstacle, le
général de Gaulle a soumis directement le projet de révision au référendum en
invoquant non pas l
article 89 mais larticle 11, ce qui permettait de court-cir-
cuiter le Parlement. Cette initiative a déclenché une controverse constitution-
nelle dont les échos nont pas cessé de se faire entendre, et dont on résumera
les principaux arguments.
1o Selon le général de Gaulle et son Premier ministre de lépoque,
G. Pompidou, l
article 11 de la Constitution, qui autorise le Président de la
République sur proposition du gouvernement ou des assemblées «
à soumettre
au référendum tout projet de loi portant sur l
organisation des pouvoirs
publics
», serait applicable à un projet de révision constitutionnelle.
Leurs adversaires objectaient que cet argument reviendrait à soutenir lexis-
tence de deux procédures parallèles de révision : celle de l
article 89 et celle de
l
article 11. Sil en était ainsi, les constituants, disait-on, auraient fait preuve
d
un grand désordre, car larticle 89 est inclus dans un titre spécial intitulé
« De la révision ». Or, ou bien ce titre n
a pas de sens, ou bien toutes les règles
relatives à la révision s
y trouvent réunies.
À cette objection, on pouvait répondre en sappuyant sur les mots « organi-
sation des pouvoirs publics », utilisés par l
article 11 que la loi constitutionnelle
du 25 février 1875, qui fondait la III
e République, sintitulait précisément « loi
relative à l
organisation des pouvoirs publics ».
Mais on pouvait faire valoir en sens inverse que les textes sur les pouvoirs
publics ne doivent pas obligatoirement être adoptés en forme constitutionnelle
et qu
ils peuvent lêtre également, au gré du constituant, en forme législative.
Le constituant de 1875 avait pu adopter la forme constitutionnelle et le consti-
tuant de 1958 la forme législative. Un projet de loi sur l
organisation des pou-
voirs publics signifiait donc sous la V
e République, à la différence de la
III
e République, un projet de loi ordinaire.
2o Les partisans du référendum soutenaient encore, en reprenant une idée
de Sieyès, que, le peuple étant souverain, il ne peut être lié par aucune procé-
dure préétablie. Leurs adversaires répondaient que le peuple n
est pleinement
souverain que lorsqu
il exerce le pouvoir constituant originaire, mais que,
ayant adopté la Constitution de 1958, il acceptait d
exercer sa souveraineté seu-
lement dans les formes prévues par le texte.
Le général de Gaulle ayant néanmoins soumis son projet au référendum, la loi
constitutionnelle fut adoptée par les électeurs. Le Conseil constitutionnel saisi par
le Président du Sénat de la loi référendaire, parut se rallier à la thèse de la souve-
raineté illimitée. Il se déclara incompétent au motif que cette loi constituait « l
ex-
pression directe de la souveraineté nationale » (CC, déc. no 62-20 du 6 novembre
1962, Rec. p. 27).
La loi constitutionnelle du 6 novembre 1962 relative à lélection du Prési-
dent de la République au suffrage universel direct a donc été adoptée en appli-
cation de l
article 11, et non de larticle 89.
Cest en se fondant de nouveau sur larticle 11 quen 1969, le général
de Gaulle soumit au référendum un projet de révision constitutionnelle visant
l
organisation régionale et la transformation du Sénat. Ce projet fut rejeté par
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Droit constitutionnel
le peuple. Mais du fait quil existait un précédent, la question de la constitution-
nalité se présentait désormais autrement.
Selon certains auteurs, le succès du référendum de 1962 avait donné nais-
sance à une coutume constitutionnelle validant pour l
avenir le recours à larti-
cle 11, à supposer que ce recours ait été initialement incorrect (voir l
opinion
de Georges Vedel, Le Monde, 22 décembre 1968). Cet argument na pas
convaincu l
ensemble de la doctrine. On a fait observer dune part, que la cou-
tume ne peut aller
contra legem et, dautre part, que linitiative prise par le
général de Gaulle en 1962 n
avait pas bénéficié de ladhésion générale sans
laquelle une coutume ne saurait s
établir (voir lopinion de Marcel Prelot, Le
Monde
, 15 mars 1969).
Ainsi, la controverse paraît donc indécidable pour ce qui concerne les référen-
dums de 1962 et 1969. Cependant, le Président Mitterrand a repris à son compte
l
argument de la coutume et considéré quil existe désormais deux voies36.
La révision de la Constitution par la voie de larticle 11 est donc toujours
possible. L
essor qua pris le contrôle de constitutionnalité depuis vingt ans ny
ferait pas obstacle, car, à en juger par sa décision Maastricht III du 20 septembre
1992, le Conseil constitutionnel se refuse toujours à censurer les lois d
origine
référendaire
37. Mais il ne faut pas exagérer les avantages que présente le recours
à l
article 11 pour le Président de la République : Cette procédure lui permettrait
sans doute de passer outre à une éventuelle opposition du Sénat, mais elle l
ex-
poserait au risque d
être personnellement désavoué par le peuple, comme ce fut
le cas pour le général de Gaulle en 1969.
Cest sans doute la raison pour laquelle jusquà présent ses successeurs ont
toujours préféré présenter leurs projets de révision dans le cadre de l
article 89,
même si cela leur a parfois valu des déboires parlementaires.
§ 3. Létat actuel du problème de la révision
504. La question des formes de la révision constitutionnelle ne suscite plus
aujourd
hui les passions, comme cétait le cas du temps du général de Gaulle.
En revanche, certains des problèmes de fond demeurent d
actualité.
Comparativement à dautres périodes de lhistoire française, les révisions
sont en moyenne assez fréquentes sous la V
e République : on en compte déjà
vingt-quatre depuis 1958, en incluant celles qui n
ont pas été adoptées selon la
procédure de l
article 89. Et le rythme sest nettement accéléré au cours de la
« Lusage établi et approuvé par le peuple peut désormais être considéré comme lune des voies
36.
de la révision, concurremment avec larticle 89. Mais larticle 11 doit être utilisé avec précaution, à
propos de textes peu nombreux et simples dans leur rédaction. Sinon, il serait préférable que la
consultation des Français fut éclairée par un large débat parlementaire
» a-t-il déclaré (déclaration à
O. D
UHAMEL, voir Pouvoirs, no 45, 1988, p. 131 s.).
37. Certaines décisions rendues par le Conseil constitutionnel en 2005, dans le cadre de la campagne
du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l
Europe, laissent néanmoins supposer que
cette position est susceptible dévolution. Un contrôle préalable au scrutin pourrait éventuellement être
exercé dans le cadre de l
article 60 C aux termes duquel le conseil constitutionnel « veille à la régula-
rité des opérations de référendum » (v.
infra no 570).
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Le cadre
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période la plus récente puisquil y a eu en moyenne plus dune révision par an
depuis 1992.
Ainsi quon la déjà noté, cette accélération sexplique en partie par les
transferts de compétences liés à la construction européenne ou à d
autres enga-
gements internationaux, comme le traité sur la Cour pénale internationale. Il est
vrai que les traités européens initiaux prévoyaient déjà dimportants transferts
de compétences et que cependant leur ratification n
avait nécessité aucune révi-
sion constitutionnelle. Mais à l
époque (cest-à-dire sous la IVe République), il
n
y avait pas de juge constitutionnel, et le législateur pouvait donc interpréter la
Constitution à sa guise. La situation est aujourd
hui différente, en raison de
l
existence du Conseil constitutionnel et du rôle quon lui reconnaît : bien
qu
en théorie son intervention soit facultative, les responsables de lexécutif
(Président de la République et Premier ministre) sont pratiquement obligés de
lui soumettre, dans le cadre de l
article 54 C, tous les traités susceptibles davoir
des incidences sur les institutions. Au demeurant, s
ils ne le faisaient pas, le
traité lui-même (art. 54 C), ou à défaut la loi autorisant sa ratification (art. 61 C)
pourrait être déférée au Conseil constitutionnel par des parlementaires de l
op-
position.
La construction européenne nétant pas achevée, dautres révisions sont sans
doute à prévoir, dans le prolongement de celles qui ont été réalisées en 1992 (traité
de Maastricht), 1999 (traité d
Amsterdam) 2005 (traité établissant une constitution
pour l
Europe) et 2008 (traité de Lisbonne). Néanmoins, en 2012, le Conseil
constitutionnel a décidé que la ratification du traité sur la stabilité, la coordination
et la gouvernance à l
intérieur de la zone euro (TSCG) ne nécessitait pas une révi-
sion de la Constitution
38.
On peut aussi souhaiter réviser la Constitution pour surmonter une décision
d
inconstitutionnalité concernant une loi ordinaire, comme lont fait
la loi
constitutionnelle du 25 novembre 1993 à propos du droit d
asile et celle du
8 juillet 1999 à propos des quotas par sexe sur les listes de candidats aux élec-
tions. Bien que, dans ce cas, la décision du Conseil constitutionnel soit neutra-
lisée, on a pu paradoxalement en tirer un argument en faveur du contrôle et sou-
tenir que la légitimité du Conseil s
en trouvait renforcée, parce que lorsquil
s
oppose à une loi, il ne se dresse pas contre la volonté générale, mais se
borne à indiquer selon quelle procédure elle doit s
exprimer et quil sen remet
au véritable souverain qui est le pouvoir constituant (v.
supra no 53).
La technique adoptée pour la rédaction de quelques-unes des lois de révision
récentes contribue à expliquer leur fréquence : plutôt que de modifier des prin-
cipes fondamentaux, on se contente le plus souvent de leur apporter des excep-
tions ponctuelles. Cette technique présente un triple avantage : d
une part la
révision est effectuée a minima sans que latteinte aux principes soit clairement
visible ; d
autre part la rédaction du projet est simple ; enfin, elle permet de sur-
monter facilement la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Laccélération du rythme des révisions peut également sexpliquer par la
longévité de la Constitution de la V
e République, dont on a célébré en 2008 le
cinquantième anniversaire alors que, exception faite de la IIIe République,
38. Décision nº 2012-654 DC du 9 août 2012. Sur cette question voir infra nº 740.
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Droit constitutionnel
aucun des régimes qui se sont succédé en France depuis la Révolution de 1789
n
avait franchi le cap des vingt ans. À lexpérience, certaines dispositions du
texte originel se sont révélées mal adaptées, d
autant plus que le contexte poli-
tique est aujourd
hui très différent de ce quil était en 1958. Mais alors que les
révisions liées à la construction européenne ne présentent guère de difficultés,
car elles bénéficient dun large consensus (sur la scène parlementaire tout au
moins), celles qui visent à moderniser les institutions posent souvent des pro-
blèmes délicats. Certaines réformes figurant au programme des partis de gau-
che, comme le droit de vote des étrangers ou la démocratisation du mode de
recrutement du Sénat, se heurtent à la méfiance, ou même à l
hostilité, de la
droite et du centre. Et même dans la mesure où il y a accord sur le principe
d
une réforme, comme cétait le cas en 2008 pour la revalorisation du rôle du
Parlement, l
opposition rechigne souvent à les voter, de crainte que la majorité,
ou le président de la République en exercice, ne s
en attribue tout le bénéfice.
Or, ainsi qu
on la déjà noté, ladoption dune réforme selon la procédure de
l
article 89 C, nécessite, dans une première étape, laccord des deux chambres
et, dans une seconde, à défaut d
un référendum, un vote favorable du congrès
du Parlement à la majorité des trois cinquièmes. Il y a donc intérêt à ce qu
un
projet de modernisation des institutions paraisse émaner d
une source politique-
ment neutre, ou politiquement équilibrée. C
est sans doute pourquoi François
Mitterrand en 1992, Nicolas Sarkozy en 2007, et François Hollande en 2012,
au lieu de saisir directement le Parlement d
un texte préparé avec laide de
leurs conseillers, ont commencé par créer une commission de réflexion chargée
de préparer un projet à partir d
un certain nombre dorientations. Lintervention
d
une telle commission, qui siégeait sous la présidence de Georges Vedel en
1992, d
Edouard Balladur en 2007 et de Lionel Jospin en 2012, permettait de
donner au projet une caution à la fois pluraliste (en raison de la diversité des
sensibilités politiques représentées en son sein) et scientifique (parce que ses
membres étaient pour partie des universitaires ou des magistrats).
Force est cependant de constater que ce procédé ne permet pas daplanir tou-
tes les difficultés. Le projet de modernisation des institutions déposé en 1993 par
François Mitterrand, au début de la seconde cohabitation, n
a jamais été débattu
par le Parlement, bien que certaines des idées qui l
avaient inspiré aient été repri-
ses par la suite. Celui déposé en 2008 par Nicolas Sarkozy a connu un sort plus
heureux mais, lors du congrès du Parlement, il n
obtint que dextrême justesse la
majorité des trois cinquièmes, grâce à la défection d
une dizaine de parlementai-
res de l
opposition.
Bien que la très grande majorité des parlementaires de lopposition ait voté
contre la réforme du 23 juillet 2008, on a pu dire que le contenu de celle-ci appa-
raissait « comme le plus petit dénominateur commun des propositions de l
UMP
et du parti socialiste » (Fondation Jean Jaurès, 2012, p. 22). Force est en effet de
constater que, à en juger par leurs programmes de 2007, les deux partis étaient
favorables à la plupart des innovations que cette réforme a introduites : rendre à
chaque assemblée parlementaire la possibilité d
établir elle-même au moins par-
tiellement l
ordre du jour de ses travaux, renforcer le rôle des commissions parle-
mentaires dans la procédure législative, limiter lusage par le gouvernement de
l
article 49 alinéa 3, habiliter les plaideurs à prendre linitiative du contrôle de
constitutionnalité, etc. C
est pourquoi quelques parlementaires de gauche ont pu
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Le cadre
443
se rallier au projet déposé par Nicolas Sarkozy sans que leurs collègues leur en
tiennent véritablement rigueur. François Hollande, septième président de la
V
e République, se trouve un peu dans la même situation que son prédécesseur
car, malgré les succès qu
a remportés le parti socialiste aux élections sénatoriales
en 2011 et aux élections législatives l
année suivante, il ne dispose pas, au sein du
congrès du Parlement, de la majorité des trois cinquièmes nécessaire pour modi-
fier la Constitution sans recourir au référendum.
En 2013, le président a décidé de renoncer au moins provisoirement aux
réformes constitutionnelles les plus controversées, comme le droit de vote et
l
éligibilité des étrangers non communautaires. Les projets de révision déposés
le 14 mars de cette année là concernent la démocratie sociale
39, les incompati-
bilités applicables à l
exercice des fonctions gouvernementales40, la suppression
à terme des membres de droit du Conseil constitutionnel
41, la responsabilité juri-
dictionnelle du chef de l
État et des membres du gouvernement42, et la réforme
du Conseil supérieur de la magistrature
43. Mais cétait encore un trop vaste pro-
gramme, qui n
aurait sans doute pas obtenu la majorité des 3/5e au Congrès du
Parlement. La réunion du Congrès prévue pour fin juillet 2013 a donc été annu-
lée. Et le président de la République semble avoir renoncé à la suppression des
départements, qu
il avait un moment envisagée, car une telle réforme implique-
rait la modification de l
article 72C.
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Sur cette notion, voir infra nº 718.
39.
40. Voir
infra nº 604.
41. Voir infra nº 759.
42. Voir
infra nº 581 et 607.
43. Voir
infra nº 792 et 793.
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Section 3
Le suffrage et lencadrement partisan
Sous-section 1
Le corps électoral
506. Le corps électoral peut se définir comme lensemble des personnes qui
bénéficient juridiquement du droit de vote, c
est-à-dire du droit de participer
aux élections à la fois au plan national et au plan local. Dans une démocratie,
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448
Droit constitutionnel
le corps électoral peut être considéré comme le premier des pouvoirs car tous les
autres dérivent de lui soit directement, soit indirectement.
§ 1. La composition du corps électoral
507. Jusquen 1848, le corps électoral a été défini dune manière assez res-
trictive. Pour en faire partie, il fallait remplir non seulement des conditions de
nationalité, d
âge et de sexe mais aussi de fortune ou de revenus. Cétait le sys-
tème du
suffrage censitaire : le droit de vote était réservé aux personnes qui
le cens, c
est-à-dire un impôt dun montant minimum (v. supra
payaient
n
o 321).
À la suite de la révolution de février 1848, lun des premiers gestes du gou-
vernement provisoire fut de poser le principe du
suffrage universel masculin. Le
droit de vote était toujours subordonné à des conditions de nationalité, d
âge et
même de sexe. Mais nul ne pouvait plus être exclu du corps électoral pour des
raisons tenant à sa situation de fortune ou même à son niveau d
instruction, car
de tels critères aboutissent inévitablement à des discriminations au détriment
des couches sociales les moins favorisées.
Mais il fallut attendre lordonnance du 21 avril 1944 « portant organisation
des pouvoirs publics en France après la Libération » pour que les femmes
deviennent enfin électrices et éligibles.
Aujourdhui, les conditions exigées pour faire partie du corps électoral sont
limitativement énumérées par l
article 3 alinéa 4, de la Constitution : « Sont
électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux fran-
çais majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques
».
Il ne subsiste donc plus que trois conditions : nationalité, âge, jouissance des
droits civils et politiques.
A La nationalité
508. Dans sa décision du 9 avril 1992, relative au traité de lUnion euro-
péenne, le Conseil constitutionnel a donné à cette condition un sens fort et
une portée large.
509. Un sens fort. La condition de nationalité est strictement obligatoire et
comme elle a valeur constitutionnelle, une loi ordinaire ou même une loi orga-
nique ne pourrait pas, sauf dérogation prévue par la Constitution elle-même,
accorder le droit de vote à des étrangers.
510. Une portée large. La condition de nationalité vaut non seulement
pour les votations politiques nationales (élections législatives ou présidentielles,
référendums) mais aussi pour les élections locales (municipales, cantonales ou
régionales). Cela n
était pas a priori évident car larticle 3 de la Constitution
traite des conditions dexercice de la souveraineté nationale : on pouvait donc
penser que les conditions posées par cet article ne concernaient que l
élection
des organes dépositaires d
une fraction de la souveraineté nationale, cest-à-dire
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Le cadre
449
le Parlement et le Président de la République, mais non les assemblées locales.
Mais le Parlement comprend le Sénat, qui représente les collectivités territoria-
les de la République, et dont le collège électoral est essentiellement composé
d
élus locaux. Par conséquent, à partir du moment où des étrangers pourraient
voter aux élections locales, ils participeraient indirectement à l
élection des
sénateurs et comme les sénateurs, en tant que membres du Parlement, sont
eux-mêmes dépositaires d
une fraction de la souveraineté nationale, le Conseil
constitutionnel en déduit que l
article 3 serait violé.
On sait que lun des objectifs du traité de lUnion européenne, connu sous le
nom de traité de Maastricht, était de créer une citoyenneté européenne. En vertu
de cette citoyenneté, il est prévu que «
tout citoyen de lUnion résidant dans un
État membre dont il n
est pas le ressortissant a le droit de vote et déligibilité
aux élections municipales dans l
État membre où il réside, dans les mêmes
conditions que les ressortissants de cet État
». Cétait donc lun des points à
propos desquels la ratification du traité supposait une révision préalable de la
Constitution.
La question a été réglée par la loi de révision du 25 juin 1992 qui a inséré un
nouveau titre dans la Constitution (art. 88-1 à 88-4). L
article 88-3 écarte lexi-
gence de nationalité pour les étrangers résidant en France, à condition qu
ils
soient ressortissants de l
un des pays membres de lUnion européenne. Cette
dérogation ne vaut que pour les élections municipales et les référendums orga-
nisés par une commune en application de l
article 72-1 C. Les citoyens de
l
Union résidant en France pourront être non seulement électeurs mais aussi
éligibles. Néanmoins s
ils sont membres dun conseil municipal, leur capacité
est doublement limitée : d
une part, ils ne peuvent pas exercer les fonctions de
maire ou d
adjoint ; dautre part, ils ne peuvent pas participer à la désignation
des grands électeurs sénatoriaux ni bien entendu remplir eux-mêmes cette fonc-
tion. Ainsi qu
il était prévu, les conditions dapplication des principes posés par
l
article 88-3 ont été déterminées par une loi organique votée dans les mêmes
termes par les deux assemblées
44.
Le traité de lUnion européenne prévoit également que tout citoyen de
l
Union résidant dans lun quelconque des États membres bénéficie dans cet
État du droit de vote et d
éligibilité en ce qui concerne les élections au Parle-
ment européen. Mais, dans sa décision précitée du 9 avril 1992, le Conseil
constitutionnel a estimé que, sur ce point, le traité n
était pas contraire à la
Constitution : en effet, le Parlement européen «
nappartient pas à lordre ins-
titutionnel de la République française
» et son élection ne met donc pas en jeu
l
exercice de la souveraineté nationale.
B Lâge
511. La seconde condition exigée pour faire partie du corps électoral est
d
avoir atteint lâge de la majorité. Celui-ci est fixé non par la Constitution
mais par la loi.
44. Loi no 98-404 du 25 mai 1998 (JO 26-5-1998, p. 7975).
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Droit constitutionnel
Traditionnellement en France, il était de vingt et un ans. Mais depuis la loi
du 5 juillet 1974, il est fixé à dix-huit ans, comme d
ailleurs dans la plupart des
pays étrangers.
C La jouissance des droits civils et politiques
512. Les deux conditions ci-dessus énumérées sont en règle générale suffi-
santes pour faire partie du corps électoral : les nationaux français de plus de dix-
huit ans ont la capacité électorale. Toutefois, dans certains cas, une personne
peut être privée du droit de vote parce qu
elle a perdu momentanément ou défi-
nitivement la jouissance de ses droits civils ou politiques. On dit alors que cette
personne est frappée d
incapacité électorale.
Les cas dincapacité électorale sont énumérés par les articles L. 5 à L. 7 du
Code électoral. L
incapacité ne peut résulter que dune décision rendue par un
tribunal judiciaire, c
est-à-dire par une autorité qui présente des garanties dim-
partialité politique. Il s
agit tantôt dune incapacité intellectuelle, tantôt dune
incapacité morale.
513. Lincapacité intellectuelle. Daprès larticle L. 5 du Code électoral,
les majeurs sous tutelle ne peuvent pas être inscrits sur les listes électorales. La
mise sous tutelle, qui ne peut être prononcée que par le tribunal civil, est desti-
née à protéger contre leur propre imprudence les biens des aliénés ou des faibles
d
esprit.
Mais en pratique cette mesure nest usitée que dans les classes aisées, de
sorte que la plupart des faibles desprit échappent à lincapacité électorale.
Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la mise sous tutelle dun
élu entraîne de plein droit la déchéance de son mandat (CC
DAttilio, 23 décem-
bre 2004).
514. Lincapacité morale. Lincapacité morale est la situation dune per-
sonne qui, à la suite d
une condamnation pénale, a été privée de ses droits civi-
ques, civils et de famille. Cette peine est prévue par l
article 131-26 du Code
pénal qui précise qu
elle porte notamment sur le droit de vote et léligibilité.
C
est généralement une peine complémentaire, cest-à-dire quelle vient sajou-
ter à une peine de prison ou d
amende prononcée à titre principal. Selon la juris-
prudence du Conseil constitutionnel, le principe de la nécessité des peines, posé
par l
article 8 de la DDHC, implique que toute peine, fût-elle complémentaire,
doit être expressément prononcée par le juge pour qu
il vérifie quelle corres-
pond bien, dans ce cas particulier, à l
exigence de nécessité. À la suite de lune
des premières QPC, le Conseil a donc abrogé larticle L. 7 du Code électoral qui
prévoyait que toute personne condamnée pour certains délits de corruption
devait être rayée de la liste électorale pendant une durée de cinq ans à compter
de la date à laquelle cette décision était devenue définitive
45.
La nationalité française, lâge et la jouissance des droits civils et politiques
sont des conditions à la fois nécessaires et suffisantes pour être électeur. Mais
45.
2010-67 QPC du 11 juin 2010.
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Le cadre
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pour les personnes qui remplissent ces conditions, lexercice du droit de vote est
encore subordonné à l
accomplissement de certaines formalités.
§ 2. Les conditions dexercice du droit de vote
515. Pour pouvoir voter, il faut être inscrit sur une liste électorale. Il existe
en principe une liste électorale par commune. Les électeurs y sont recensés par
ordre alphabétique. L
inscription sur une liste électorale est en principe obliga-
toire mais elle ne se réalise pas de façon totalement automatique : il faut la
demander quand on n
y figure pas encore et cela implique évidemment le
choix d
une commune de rattachement. La commune de rattachement ne peut
pas être choisie de manière totalement arbitraire. L
électeur doit avoir un lien
avec la commune sur le territoire de laquelle il demande son inscription (voir
art. L. 11-C. élect. : commune du domicile ; commune où l
on a sa résidence
depuis six mois au moins ; commune sur la liste électorale de laquelle le
conjoint est inscrit, etc.).
La liste électorale présente trois caractères :
a) Elle est unique. La même liste sert à la fois pour les consultations natio-
nales (législatives, présidentielles, référendums), pour les consultations locales
(municipales, cantonales et régionales) et pour les consultations européennes
(élection des représentants français au Parlement européen).
On dit que lunicité de la liste correspond à lunité du corps électoral. Mais
ce n
est plus tout à fait exact puisque, en vertu de certaines stipulations du traité
de l
Union européenne, les étrangers ayant la citoyenneté de lUnion peuvent
voter aux élections municipales ainsi qu
aux référendums organisés par une
Commune en application de l
article 72-1 C.
b) Elle est permanente. Il doit toujours y avoir dans chaque commune une
liste prête à lutilisation même lorsquaucune élection ne se profile à lhorizon.
En effet, une élection peut parfaitement survenir à l
improviste (par exemple en
cas de dissolution de l
Assemblée nationale ou de décès du Président de la
République).
c) Elle fait lobjet dune révision annuelle, qui a généralement lieu entre le
1
er septembre et le dernier jour de février, afin dactualiser la liste en procédant à
des radiations et à des inscriptions nouvelles.
Depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, les Français établis hors
de France sont représentés en tant que tels à l
Assemblée nationale. Pour pouvoir
voter, ils doivent être inscrits non sur une liste communale, mais sur une liste
consulaire établie par circonscription, chaque circonscription correspondant à
une grande région du monde (v. infra no 536).
§ 3. Les modalités de lexercice du droit de vote
516. Ces modalités peuvent être résumées en quatre points : le vote est égal,
secret, personnel et facultatif.
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A Le vote est égal
Droit constitutionnel
517. La voix de chaque électeur doit avoir théoriquement le même poids,
quelle que soit sa situation personnelle et quelle que soit la commune sur la
liste de laquelle il s
est fait inscrire.
En pratique, il arrive que le découpage des circonscriptions porte indirecte-
ment atteinte à légalité du vote, dans la mesure où le nombre des sièges à pour-
voir ne serait pas proportionnel à celui des électeurs (v.
infra no 536). Mais,
ainsi qu
on le verra, le Conseil constitutionnel a posé en 1986 des principes
destinés à limiter la portée de ces atteintes.
B Le vote est secret
518. Les opérations de vote sont organisées de telle manière quil est impos-
sible de savoir comment a voté un électeur déterminé. Ainsi chaque électeur est-
il tenu de passer par un isoloir avant de déposer son bulletin dans l
urne.
La règle du secret du vote na pas toujours existé. À lépoque de la Révolu-
tion, le vote était généralement public. Mais aujourd
hui on considère que le
secret est indispensable pour garantir la liberté de l
électeur.
C Le vote est personnel
519. En principe, nul ne peut céder ou déléguer son droit de vote.
Le vote par procuration est cependant autorisé dans certains cas, limitative-
ment énumérés par le Code électoral, où l
électeur est empêché de participer lui-
même au scrutin (art. L. 71). Ces cas concernent notamment les personnes qui
« en raison d
obligations professionnelles, en raison dun handicap, pour raison
de santé ou en raison de l
assistance apportée à une personne malade ou
infirme » ne peuvent pas être présentes dans leur commune de rattachement le
jour du scrutin ou ne peuvent pas participer à celui-ci en dépit de leur présence
dans la commune. Mais, depuis quelque temps, afin de combattre l
abstention-
nisme, la notion d
empêchement est interprétée de façon large : cest ainsi quen
1993, «
les électeurs qui ont quitté leur résidence habituelle pour prendre des
vacances
» ont été ajoutés à la liste. Lexistence de lempêchement doit être
attestée par une déclaration sur l
honneur.
Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine
n
entraînant pas une incapacité électorale peuvent également voter par procuration.
Le mandataire (c
est-à-dire le bénéficiaire de la procuration) doit jouir de ses
droits électoraux et être inscrit dans la même commune que le mandant. Aucun
mandataire ne peut recevoir plus de deux procurations pour le même scrutin
(art. L. 72 et L. 73).
D Le vote est facultatif
520. La participation électorale est conçue comme un devoir civique, mais
non comme une obligation juridique ; en France, à la différence de certains pays
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Le cadre
453
étrangers comme la Belgique, le Danemark, lItalie ou lAustralie, les absten-
tionnistes ne s
exposent à aucune sanction.
Comme les abstentions ont tendance à augmenter depuis quelques années,
on envisage parfois d
instituer en France le vote obligatoire. Cela pourrait avoir
un certain effet si des sanctions sévères étaient prévues en cas d
abstention et si
elles étaient appliquées. Mais, rien ne garantit quune telle mesure aurait un
effet réellement bénéfique sur la participation civique : les électeurs contraints
de se rendre aux urnes pour éviter une sanction pénale ne se sentiraient pas
nécessairement plus concernés par les affaires publiques.
On envisage aussi parfois dautoriser le vote par internet ce qui, pense-t-on,
relancerait la participation à la fois pour des raisons matérielles (les électeurs ne
seraient plus obligés de se déplacer pour aller voter ou de donner procuration) et
pour des raisons psychologiques (le vote électronique est associé, surtout chez
les jeunes, à l
idée de la modernité). Chaque électeur disposerait dun code
secret lui permettant de voter à partir de n
importe quel terminal informatique.
Mais le point faible d
un tel système est quil ne garantit pas le secret du vote
aussi efficacement que le système actuel qui oblige l
électeur à passer par un
isoloir pour sélectionner le bulletin qu
il déposera dans lurne. Les électeurs,
surtout s
ils sont âgés et peu versés dans linformatique, deviendraient aisément
manipulables par des militants qui leur proposeraient leurs services gratuitement
mais pas toujours de façon politiquement désintéressée.
Certains électeurs peuvent être tentés de sabstenir parce quaucun des can-
didats (s
il sagit dune élection) ou aucune des réponses possibles (sil sagit
d
un référendum) ne leur convient. Un tel refus de loffre politique peut aussi
s
exprimer par un « vote blanc » consistant à déposer dans lurne une enveloppe
vide ou ne contenant qu
une feuille de papier vierge. Dun point de vue civique,
le vote blanc est considéré comme préférable à l
abstention parce quil ne tra-
duit pas nécessairement une indifférence envers la politique. Mais jusqu
à une
date récente, les électeurs susceptibles de voter blanc préféraient souvent sabs-
tenir parce quils savaient que, dans le décompte des résultats, les votes blancs
ne seraient pas recensés séparément des votes nuls, alors qu
ils nont générale-
ment pas la même signification politique. La loi du 21 février 2014 a mis fin à
cette situation en prévoyant que désormais les votes blancs seraient décomptés
séparément des votes nuls et qu
il serait fait expressément mention de leur nom-
bre dans l
annonce officielle des résultats. Ils ne seront cependant pas considé-
rés comme des « suffrages exprimés » car le législateur a voulu éviter que les
pourcentages de suffrages exprimés auxquels la loi attache certains effets (par
exemple le remboursement des frais de campagne) deviennent plus difficiles à
atteindre par les candidats.
§ 4. Le problème des « discriminations positives »
en matière électorale
521. Le principe de légalité de tous les citoyens devant la loi interdit en
principe au législateur d
établir des discriminations fondées sur le sexe, les opi-
nions ou l
origine ethnique. Mais ce principe ne suffit pas toujours à garantir
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Droit constitutionnel
légalité réelle : on sait par exemple que, au moins jusquà une date récente,
dans l
ensemble, les hommes détenaient beaucoup plus de mandats électifs
que les femmes et que, du fait de leur origine ethnique, certaines personnes se
heurtent à des difficultés particulières pour accéder à l
emploi. Le législateur
peut-il lutter contre ces inégalités de fait en accordant des avantages spéciaux
aux catégories considérées comme défavorisées, comme on le fait aux États-
Unis en faveur de certaines minorités ethniques dans le cadre de la politique
appelée « action positive » («
affirmative action ») (Calvès, 1998 ; Hamon et
Wiener, 2006) ? Ou bien la Constitution française interdit-elle toute forme de
discrimination, quel qu
en soit le but et même sil sagit de créer des inégalités
pour remédier à d
autres inégalités ?
Cette question ne peut être envisagée quen prenant la mesure du principe
d
égalité. On lanalyse quelquefois en distinguant légalité devant la loi, cest-à-
dire l
obligation pour les tribunaux et ladministration dappliquer la loi égale-
ment à tous ceux qu
elle concerne et légalité dans la loi, qui se situe en amont
et qui prescrit au législateur de faire des lois qui assurent à tous un traitement
égal. C
est de ce second principe quil est question ici.
En réalité, il ne saurait être absolu et lon ne pourrait dailleurs pas conce-
voir de lois universelles. On comprend que la loi ne peut exiger de tous le paie-
ment de l
impôt, mais seulement de ceux qui ont les moyens de le payer ou que,
si elle institue un service militaire, elle n
y soumette pas les handicapés. Cest
ce que le Conseil constitutionnel traduit en disant que le législateur peut «
trai-
ter différemment des personnes qui se trouvent dans des situations différentes
».
Cependant, si l
on prenait cette formule à la lettre, le principe dégalité dans la
loi serait privé de toute signification parce qu
on peut toujours découvrir entre
deux personnes quelconques une différence quelconque. Le principe signifie
donc que le législateur a le droit
et même peut-être le devoir de prendre en
compte certaines différences, donc de créer des catégories de citoyens et de faire
pour ces catégories des lois différentes, mais qu
il lui est interdit en revanche de
se fonder sur d
autres différences réelles ou supposées. Les différences quil est
interdit de prendre en compte sont celles qui sont mentionnées à l
article 1er de
la Constitution, c
est-à-dire celles qui tiennent à lorigine, la race ou la religion
et
selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel le sexe. On a tradition-
nellement interprété cette interdiction comme portant aussi sur les discrimina-
tions positives. En d
autres termes, si le législateur peut prévoir des avantages
pour les chômeurs, les handicapés ou pour certaines zones géographiques, il lui
est interdit de prévoir des dispositions plus favorables pour des catégories de
citoyens définies par leur origine, leur religion ou leur sexe et de faire porter
ces avantages sur les droits politiques, les droits de citoyenneté proprement
dits, comme le droit de vote ou léligibilité.
Mais le pouvoir constituant peut écarter ces conditions. Il la fait à deux
reprises, à propos du statut de certains territoires d
outre-mer, dune part, à pro-
pos de l
accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions électives,
d
autre part.
Sur le premier point, larticle 2 de la loi référendaire du 9 novembre 1988,
qui a entériné les accords de Matignon (v.
supra no 491), dérogeait déjà aux
la
principes constitutionnels en fixant des conditions
restrictives pour
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Le cadre
455
participation au scrutin dautodétermination initialement prévu pour 199846.
Tout en reportant la date du scrutin, l
accord de Nouméa a maintenu ces condi-
tions ; il a par ailleurs, élargi le champ des dérogations en prévoyant que, durant
la période transitoire, les personnes « durablement établies en Nouvelle-Calédo-
nie » pourraient seules participer à l
élection du Congrès et des assemblées de
province, et que les « lois du pays » pourraient leur accorder une priorité pour
laccès à lemploi. Or, le nouveau titre XIII de la Constitution, introduit par la
loi de révision du 20 juillet 1998, se réfère expressément aux « orientations défi-
nies par l
accord de Nouméa » ; lorsquil a examiné la loi organique relative à la
Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel en a déduit que les dérogations
au principe d
égalité avaient acquis valeur constitutionnelle « dans la mesure
strictement nécessaire à la mise en
œuvre de laccord » ; et il a jugé que,
compte tenu de ces dérogations, les discriminations positives prévues par cette
loi en faveur des personnes « durablement installées » sur le territoire n
étaient
pas contraires à la Constitution
47.
Ainsi quon la déjà noté, larticle 74 C, issu de la révision du 28 mars 2003
a ouvert des possibilités analogues pour d
autres « collectivités doutre-mer »
(v.
supra no 488). Mais, en ce qui concerne les territoires métropolitains, au
nombre desquels se trouve la Corse, ainsi que les DROM, l
attribution dun
statut de type néo-calédonien se heurterait non seulement à la Constitution fran-
çaise, toujours susceptible d
être révisée, mais aussi à des principes de droit
communautaire, notamment celui de la libre circulation des travailleurs, qui
interdit toute priorité à l
emploi en faveur des personnes « durablement éta-
blies ».
Sur le second point, il convient de rappeler que des mesures législatives ten-
dant à favoriser la participation des femmes à la vie publique ont été envisagées
dès le début des années 1980. Mais elles se sont heurtées à la jurisprudence du
Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 18 novembre 1982 (
Rec.
p. 66), a censuré doffice une disposition prévoyant que les listes de candidats
aux élections municipales dans les villes ayant une population supérieure à
3 500 habitants ne pourraient compter plus de 75 % de personnes du même
sexe : le Conseil estimait en effet que les principes posés par l
article 3 C (éga-
lité et universalité du suffrage) s
opposaient « à toute division par catégories
des électeurs ou des éligibles
» et donc à la méthode des « quotas par sexes »
que le législateur avait voulu mettre en
œuvre.
La révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a levé lobstacle juridique qui
s
opposait à la réforme en inscrivant à larticle 3 C le principe selon lequel « la
46. Cette loi navait pas valeur constitutionnelle ; mais, en raison de son mode dadoption, elle
échappait au contrôle du Conseil constitutionnel.
47. Déc. n
o 99-410 DC du 15 mars 1999. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel sest cepen-
dant efforcé de minimiser les atteintes portées au principe d
égalité : il a considéré que toutes les per-
sonnes ayant fixé leur domicile en Nouvelle-Calédonie depuis au moins dix ans seraient considérées
comme y étant « durablement établies », quelle que soit la date de leur installation, et par conséquent
même si celle-ci était postérieure à 1988. Or, il semble que les auteurs de l
accord de Nouméa enten-
daient figer la composition du corps électoral, en n
y incluant que les seules personnes établies sur le
territoire à la date du référendum du 8 novembre 1988 ainsi que leurs descendants. Une seconde révi-
sion constitutionnelle a donc été nécessaire pour imposer cette interprétation (loi n
o 2007-237 du
23 février 2007).
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Droit constitutionnel
loi favorise légal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et
fonctions électives ». La loi de modernisation des institutions du 23 juillet 2008
a changé la place de cette disposition qui figure désormais à l
article 1 C. Elle
l
a en outre complétée en ajoutant que la loi pouvait également favoriser légal
accès des femmes et des hommes « aux responsabilités professionnelles
et sociales »48.
Ladoption de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 a été précédée au
Parlement et dans l
opinion dun vaste débat. Les adversaires de la réforme fai-
saient valoir qu
elle allait porter atteinte à plusieurs principes fondamentaux de
la République, notamment l
universalité, cest-à-dire à lidée que le citoyen est
appréhendé en tant que membre de la société, indépendamment de toute autre
caractéristique, de sorte qu
aucune catégorie ne peut être représentée : ni les
électeurs des diverses circonscriptions, ni les professions, ni le sexe, etc. D
un
point de vue pratique, ils craignaient qu
elle nincite dautres catégories que les
femmes à revendiquer une représentation séparée ou un quota ou encore que les
mandats électoraux détenus par des femmes ne soient dévalorisés, dans la
mesure où ils apparaîtraient moins comme le résultat d
une libre compétition
que comme l
effet dune contrainte légale.
Les partisans de la réforme se plaçaient eux aussi à un double point de vue
pratique et théorique. D
un point de vue pratique, ils soutenaient que, en raison
de la culture dominante, les femmes avaient des chances réduites de voir leurs
candidatures aux élections politiques présentées et soutenues dans de bonnes
conditions ; d
un point de vue théorique, quil ny avait pas réellement atteinte
aux principes, parce que le sexe n
était pas à leurs yeux une catégorie, mais une
« dimension essentielle de l
humanité ». Selon cet argument, ce ne sont donc
pas les femmes qui devraient être représentées par des femmes, mais tous les
citoyens qui devraient être représentés dans leur universalité par des femmes
aussi bien que par des hommes.
La loi no 2000-493 du 6 juin 2000, prise en application des nouvelles dispo-
sitions constitutionnelles, vise toutes les élections politiques, locales ou nationa-
les, qui ont lieu au scrutin de liste. Elle s
applique également à lélection des
députés à l
Assemblée nationale, qui a lieu au scrutin majoritaire uninominal.
Dans tous les cas où l
élection a lieu au scrutin de liste, la composition de
chaque liste doit obéir à deux règles :
en premier lieu, lécart entre le nombre de candidats de chaque sexe ne
peut être supérieur à un. C
est donc seulement lorsque le nombre total des can-
didats sur la liste est impair qu
il peut y avoir un écart. Ainsi, une liste de
33 noms ne doit pas comporter plus de 17 hommes (ou plus de 17 femmes) ;
en second lieu, chaque liste doit être composée alternativement dun
candidat de chaque sexe afin déviter que les femmes soient reléguées en
queue de liste ce qui, lorsque le scrutin a lieu à la représentation proportion-
nelle, leur ôterait pratiquement toute chance d
être élues.
48. Dans sa décision no 2001-445 DC du 19 juin 2001, le Conseil constitutionnel avait précisé la
portée des dispositions adoptées en 1999 en déclarant qu
elles ne sappliquaient quaux élections à
des mandats ou fonctions politiques et non aux élections à des mandats de représentation profession-
nelle, comme ceux des magistrats siégeant au Conseil supérieur de la magistrature. C
est pour neutra-
liser cette jurisprudence que l
on a élargi la portée du principe dégal accès en 2008.
Page 457
Le cadre
457
Ces dispositions sont entrées en application pour la première fois à loc-
casion des élections municipales de mars 2001. Elles se sont révélées effica-
ces : dans les conseils municipaux élus au scrutin de liste, c
est-à-dire ceux
des communes de 3 500 habitants et plus, la proportion de femmes est passée
de moins de 25 % à plus de 47 %. Ce succès a été confirmé par les élections
régionales de 2004 et 2010 : parmi les élus, on trouve une proportion de 48 %
de femmes (contre seulement 27,5 % avant 2004). Toutefois, à l
échelon
départemental, c
est-à-dire en ce qui concerne les conseils généraux, la parité
s
est heurtée à de fortes résistances tenant au fait que, traditionnellement, ces
assemblées étaient élues au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Il
était donc impossible de résoudre le problème en réglementant la composi-
tion des listes de candidats comme on l
avait fait pour les conseils munici-
paux des grandes agglomérations et pour les conseils régionaux. Il eut été
politiquement délicat de transformer profondément le mode de scrutin car
les élus locaux y étaient attachés. Sans modifier le nombre total des conseil-
lers généraux, qui ont été rebaptisés conseillers départementaux, la loi du
17 mai 2013 a réduit de moitié le nombre des cantons, qui sont la circonscrip-
tion de base. Dans chacun de ces cantons, deux conseillers doivent être élus
conjointement au scrutin bi-nominal majoritaire à deux tours et chaque
binôme de candidats doit être constitué de deux personnes de sexes diffé-
rents. Chacune de ces personnes doit avoir un suppléant du même sexe
qu
elle, qui la remplacera en cas de décès ou de nomination à des fonctions
incompatibles avec le mandat de conseiller départemental. Il va de soi que
ces dispositions deviendraient sans objet si, comme il en est question, les
départements venaient à être supprimés.
En ce qui concerne les communes, la loi du 17 mai 2013 a imposé lusage
du scrutin proportionnel de liste dans toutes les communes d
au moins
1 000 habitants, alors qu
auparavant le scrutin majoritaire sappliquait dans tou-
tes celles qui avaient moins de 3 500 habitants. En revanche, pour ce qui est des
élections à léchelon national, celles des députés et des sénateurs, la parité na
pas encore réussi à s
imposer. En ce qui concerne lélection des membres de
l
Assemblée nationale, qui a lieu au scrutin majoritaire uninominal à deux
tours, il ne pouvait évidemment être question de quotas par liste. Aussi la loi
du 6 juin 2000 a-t-elle mis en place un système plus souple, qui repose sur des
incitations financières : les partis qui distribueraient leurs investitures sans tenir
compte de la parité hommes/femmes perdraient une partie des subventions aux-
quelles ils ont normalement droit. Mais, jusqu
à présent, cette méthode ne sest
pas révélée très efficace (v.
infra no 524)49. En ce qui concerne la seconde cham-
bre, un dispositif a été prévu pour favoriser la parité mais il ne s
applique que
dans les départements où l
élection a lieu au scrutin de liste, cest-à-dire ceux
qui élisent au moins trois sénateurs (v. infra nº 624).
49. Depuis quelles ont été admises en matière électorale, les discriminations positives ont tendance
à s
étendre à dautres domaines, sous la pression des militants et des militantes. Larticle 1 C modifié
en 2008 les autorise pour favoriser laccès des femmes non seulement aux « mandats électoraux et
fonctions électives » mais aussi aux « responsabilités professionnelles et sociales ». Des quotas obliga-
toires au sein des administrations et des organes directeurs des entreprises sont actuellement envisagés.
Page 458
458
Droit constitutionnel
Le corps électoral est encadré par les partis politiques qui, daprès larti-
cle 4 C, concourent à lexpression du suffrage.
Sous-section 2
Lencadrement partisan
§ 1. Le statut des partis politiques
522. En Europe et en Amérique du Nord, les partis politiques ont fait leur
apparition lorsqu
on a commencé à organiser des élections concurrentielles,
c
est-à-dire dès le début du XIXe siècle ou même parfois plus tôt. Leur rôle est
devenu particulièrement important à partir du moment où a été institué le suf-
frage universel.
Pourtant, jusquà une époque relativement récente, même dans les régimes
démocratiques et pluralistes, les partis politiques n
avaient guère quune exis-
tence de fait. Ils n
étaient pas illégaux. Mais ils ne bénéficiaient en tant que
tels d
aucun statut particulier. Ni la Constitution, ni même la loi ne mentionnait
leur existence. En France, par exemple, d
un point de vue juridique, les partis
politiques étaient considérés comme des associations ordinaires, au même titre
qu
un groupement de parents délèves, de philatélistes ou de joueurs de boules.
Et certaines de ces associations n
étaient dailleurs même pas déclarées.
Après la Seconde Guerre mondiale, dans certains pays, les constituants ont
commencé à se préoccuper des partis politiques : l
expérience avait montré que
si les partis sont indispensables dans une démocratie, ils peuvent également
devenir dangereux, notamment lorsqu
ils poursuivent des buts antidémocrati-
ques ou lorsqu
ils se mettent au service dune puissance étrangère. Cest ainsi
que l
article 21 de la Constitution allemande, adoptée en 1949, a fixé les gran-
des lignes d
un statut des partis politiques. La fondation des partis est libre
mais, une fois qu
ils existent, on leur impose un certain nombre dobligations :
leur organisation interne doit répondre aux principes démocratiques ; ils doivent
rendre compte publiquement de l
origine et de laffectation de leurs ressources ;
il leur est interdit de poursuivre des objectifs contraires au maintien de l
ordre
libéral et démocratique ; en cas de violation de cette dernière prescription, ils
peuvent être dissous à la demande du gouvernement par jugement du Tribunal
constitutionnel fédéral.
En France, il faudra attendre la Constitution de 1958 pour que mention soit
faite des partis politiques. Larticle 4 de cette Constitution leur est en effet
consacré : « Les partis et groupements politiques concourent à lexpression du
suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter
les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie
».
Il sagit donc dune simple reconnaissance de principe. Larticle 4 ne fixe
pas les grandes lignes dun statut des partis politiques, comme larticle 21 de
la Constitution allemande, et il ne charge même pas le législateur d
en établir
un, tout au moins de façon expresse. D
après les travaux préparatoires de la
Page 459
Le cadre
459
Constitution, il semble que lon avait un moment envisagé de mettre sur pied un
système de contrôle inspiré du système allemand, avec l
idée que cela permet-
trait peut-être de mettre en difficulté ou même éventuellement de dissoudre le
Parti communiste. Mais on y a finalement renoncé.
Tel quil était rédigé, larticle 4 ne changeait pratiquement rien à la situation
antérieure. En trente ans, de 1958 à 1988, cest à peine si le Conseil constitu-
tionnel s
y est référé deux ou trois fois50, et il nen a dailleurs tiré aucune
conséquence importante.
Ce sont les problèmes posés par le financement de la vie politique qui ont
finalement conduit le législateur français à adopter un statut des partis poli-
tiques.
Sous la Ve République, les dépenses liées au financement de la vie politique
ont considérablement augmenté pour plusieurs raisons.
En premier lieu, les grands scrutins nationaux sont devenus plus fréquents
qu
ils ne létaient sous les régimes précédents. Avant 1958, la vie politique était
rythmée par les élections législatives qui avaient lieu à intervalles réguliers (en
principe tous les cinq ans), mais il n
y avait pas dautres échéances importantes.
Aujourd
hui non seulement les élections législatives sont devenues en moyenne
plus fréquentes (la dissolution pouvant être plus facilement prononcée) mais d
au-
tres types de consultations sont venus s
y ajouter : élections présidentielles ; élec-
tions des représentants de la France au Parlement européen ; élections régionales ;
référendums, etc. Or, plus il y a d
échéances électorales, plus il y a de campagnes
à financer.
En second lieu, le style de la vie politique a été profondément modifié par
les techniques modernes de la communication. Les sondages d
opinion, les étu-
des de marketing électoral, les campagnes de publicité, les services des conseil-
lers en communication, etc., ont pris de plus en plus d
importance. Autant de
dépenses nouvelles qui pèsent lourdement sur les budgets des candidats et sur
ceux des partis qui les soutiennent.
Pour faire face à ces dépenses, les ressources normales des partis, qui étaient
essentiellement constituées par les cotisations de leurs militants, étaient presque
toujours insuffisantes. Ils ont donc cherché à exploiter financièrement les posi-
tions de pouvoir local qu
ils détenaient, et notamment les municipalités. Quand
un parti politique contrôlait une municipalité importante, il pouvait en utilisant
des moyens plus ou moins légaux, renflouer sa caisse électorale ; il s
agissait
par exemple : de subventions accordées par la municipalité à une association
contrôlée par le parti ; de fausses factures établies par un entrepreneur complai-
sant, qui se faisait payer le montant de ces factures par la municipalité et rever-
sait ensuite une fraction de la somme entre les mains d
un responsable du parti ;
ou encore dun « bureau détudes » servant dintermédiaire entre la municipalité
et ses fournisseurs, qui prélevait une dîme sur ces derniers et alimentait ainsi la
caisse noire du parti, etc.
Au cours des années 1980, certaines de ces pratiques ont été étalées au grand
jour à la suite d
enquêtes journalistiques ou judiciaires. Il en est résulté des
50. Voir notamment : déc. nº 59-2 DC, Rec. 1958-1959, p. 58 ; déc. nº 71-44 DC, Rec. p. 291.
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460
Droit constitutionnel
scandales qui faisaient apparaître lensemble de la classe politique sous un jour
défavorable et qui risquaient de ruiner la confiance en la démocratie.
Cest à la suite de ces scandales quun premier statut des partis politiques a
été mis en place par une loi du 11 mars 1988. Ce statut a été profondément
remanié par les lois du 15 janvier 1990, 29 janvier 1993 et 19 janvier 1995.
Il ne sagit pas dune législation dirigée contre les partis extrémistes, comme
l
article 21 précité de la Constitution allemande, mais dun statut essentielle-
ment financier. Le législateur s
est donné pour objectif déliminer la corruption
(qu
elle soit pratiquée dans lintérêt du parti ou dans un but denrichissement
personnel), de réaliser une plus grande égalité entre les partis, de régulariser le
financement de la vie politique et d
en assurer la transparence. Il ne sest pas
seulement préoccupé du financement de partis politiques. Il a également régle-
menté le financement des campagnes électorales et mis sur pied un système de
surveillance du patrimoine personnel des titulaires de certains mandats électifs.
On aura l
occasion de revenir sur ces différents aspects mais, dans le cadre du
présent paragraphe, il ne sera question que de ce qui concerne directement les
partis politiques.
Le contenu actuel du statut des partis politiques peut être résumé en quatre
points : la liberté de création ; le droit à un financement public ; la réglementa-
tion stricte du financement d
origine privée ; lobligation de rendre des comptes.
A La liberté de création des partis politiques
523. Les partis politiques bénéficient dun statut un peu plus avantageux que
le droit commun des associations fixé par la loi de 1901. Non seulement ils se
créent librement, ce qui est aussi le cas des autres associations, mais ils ne sont
assujettis à aucune formalité. La personnalité morale et le droit d
ester en justice
leur sont reconnus même en l
absence de toute déclaration préalable. Ils peu-
vent acquérir des biens à titre gratuit alors que, sous le régime de la loi de
1901, cette faculté est réservée aux seules associations reconnues d
utilité
publique. La loi ne définit même pas ce qu
est un parti politique car on a
pensé qu
une telle définition aurait pu être interprétée comme une restriction à
la liberté de création. Mais, à l
expérience, on sest rendu compte que labsence
de définition faisait également problème car elle facilite le détournement des
subventions publiques au bénéfice de groupements qui ne constituent pas vrai-
ment des partis politiques, des sectes religieuses par exemple, et complique la
tâche des autorités chargées de veiller au respect du statut (v.
infra no 527). Et
c
est aussi ce qui permet à un parti politique de sentourer dorganisations satel-
lites qui rendent plus difficile le suivi et le contrôle des flux financiers
51.
Bien que la création des partis soit entièrement libre, il leur faut néanmoins
accomplir certaines formalités pour participer réellement à la vie politique. Ils
ne peuvent en effet recueillir des fonds que par l
intermédiaire dun mandataire
Il peut s
agir soit dune association de
nommément désigné par eux.
« Compte tenu du principe de liberté dorganisation des partis, la création, voire lempilement
51.
des structures, sans aucune forme juridique définie permet aux formations politiques de disposer de
démembrements multiples (clubs, comités de soutien, cercles, mouvements) non exempts de transferts
financiers », rapport 2010 de la CNCCFP, p. 89.
Page 461
Le cadre
461
financement, soit dune personne physique. Dans le premier cas, lassociation
de financement doit être agréée par la Commission nationale des comptes de
campagne et des financements politiques (CNCCFP). Dans le second, aucun
agrément n
est nécessaire, il suffit que le nom du mandataire ait été déclaré à
la préfecture.
B Le droit à un financement public
524. Désormais, de manière tout à fait officielle, les partis politiques ont
droit à une aide financière de l
État. En fonction de quels critères cette aide
est-elle répartie ?
Selon le système originel mis en place par la loi de 1988, laide était exclu-
sivement réservée aux partis ou formations politiques représentés au Parlement.
C
était un critère assez sélectif car, en raison notamment des contraintes du
scrutin majoritaire, il peut exister des partis qui, bien qu
étant représentatifs
d
une fraction relativement importante de lopinion, ne parviennent à décrocher
aucun siège au Parlement.
Cest pourquoi la loi de 1990 a fixé un nouveau critère qui est entré en appli-
cation à partir de 1993. Désormais, la dotation de l
État est divisée en deux
fractions égales
52.
La première est destinée aux partis et groupements ayant présenté des can-
didats aux élections à l
Assemblée nationale, quils y soient ou non représentés.
Pour pouvoir en bénéficier, il suffit qu
une formation politique ait présenté des
candidats dans au moins cinquante circonscriptions lors du plus récent renou-
vellement de l
Assemblée nationale. Sil sagit dune formation dont les candi-
dats se présentaient exclusivement outre-mer, il n
est même pas nécessaire
d
avoir atteint le chiffre de cinquante circonscriptions. La répartition de cette
première moitié de la dotation est effectuée proportionnellement au nombre de
suffrages obtenus au premier tour des dernières élections à l
Assemblée natio-
nale par chacun des partis ou groupements en cause.
Daprès le projet adopté par le Parlement en 1990, seuls devaient être pris en
considération pour la répartition des crédits de cette première fraction, dans
chaque circonscription, «
les résultats égaux ou supérieurs à 5 % des suffrages
exprimés
». Mais le Conseil constitutionnel a estimé que le seuil avait été fixé
trop haut, et qu
il risquait « dentraver lexpression de nouveaux courants
d
idées et dopinions »53. Ce seuil minimum a donc été purement et simplement
supprimé avant d
être rétabli en 2003, car cette suppression avait entraîné une
inflation des candidatures
54.
Le nouveau seuil, fixé à 1 %, a provoqué indirectement une diminution du
nombre des candidatures car certaines formations politiques présentaient des
52. En pratique, cependant, la première partie est parfois inférieure à la seconde car elle peut être
réduite en raison des pénalités encourues par les partis qui n
ont pas présenté suffisamment de femmes
aux dernières élections législatives.
53. Déc. n
o 89-271 DC du 11 janvier 1990 (Rec. p. 21).
54. C
est ainsi quun parti dénommé « Metz pour tous » qui avait présenté un candidat outre-mer en
1997 et qui navait obtenu en tout et pour tout que deux voix a reçu, pour 1999, une subvention de
21,80 francs ! (
JO éd. Lois et décrets, 20 avril 1999, p. 5817).
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462
Droit constitutionnel
candidats à seule fin de recueillir une subvention55. En dix ans, de 2002 à 2012,
le nombre des candidats est tombé de 7 639 à 6 611. La loi du 6 juin 2000 ten-
dant à favoriser l
égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux
et fonctions électives prévoit que la dotation accordée au titre de cette première
fraction sera automatiquement réduite pour les partis qui auraient attribué leurs
investitures sans respecter la parité entre les deux sexes. En vue de rendre cette
réglementation plus efficace, le taux de la réduction a été augmenté de moitié
par la loi du 31 janvier 2007. Si l
écart entre le nombre de candidats de chaque
sexe dépasse 2 % du nombre total des candidatures, la dotation est réduite « d
un
pourcentage égal aux trois quart de cet écart rapporté au nombre total de ces
candidats »
56 : en supposant par exemple quun parti ait investi 58 candidats du
sexe masculin et 42 candidats du sexe féminin, sa dotation sera réduite de 12 % ;
dans le cas limite où un parti ne présenterait que des candidats du même sexe, il
perdrait 75 % de cette dotation.
Entrées en application pour la première fois lors des élections législatives de
juin 2002, ces dispositions avaient abouti à un résultat très décevant, la propor-
tion de femmes à l
Assemblée nationale nayant pas augmenté de manière signi-
ficative (de 10 à 12,5 % seulement). Mais les élections suivantes ont marqué des
avancées plus importantes : à la suite des législatives de juin 2012, on compte
aujourd
hui à lAssemblée nationale 155 femmes contre 422 hommes, cest-à-
dire une proportion légèrement supérieure au quart. Force est toutefois de recon-
naître que l
on est encore loin de lobjectif annoncé, cest-à-dire de la parité. Cet
échec relatif s
explique par deux raisons :
dune part, la loi étant seulement incitative, les partis peuvent se dispen-
ser d
appliquer la parité des candidatures en renonçant à une partie de la pre-
mière fraction de leur dotation. Pour les grands partis, cette renonciation ne
représente pas vraiment un gros sacrifice, car, étant pratiquement assurés
d
avoir des élus, ils savent pouvoir compter sur la seconde fraction. Il y a
donc toujours un certain déséquilibre en faveur des candidatures masculines,
non par antiféminisme systématique, mais parce que les sortants ou les militants
les plus présents sur le terrain sont généralement des hommes qui ne souhaitent
pas se laisser écarter ;
dautre part, la loi ne tient compte que des candidats et non des élus. En
réservant à des hommes ses circonscriptions les plus sûres, un parti ne s
expose
donc à aucune sanction financière.
La seconde fraction, dont le montant est en principe égal à celui de la pre-
mière, est réservée aux partis ou groupements politiques représentés au Parle-
ment. Elle est répartie entre ces partis ou groupements, proportionnellement au
nombre de députés et de sénateurs inscrits ou rattachés à chacun deux. Ce
mode de répartition présente linconvénient de favoriser lémiettement des
groupements parlementaires qui ne sont pas fortement organisés et structurés.
En effet, un parlementaire d
esprit individualiste peut constituer un groupement
dont il est le seul membre et comme le Parlement, députés et sénateurs confon-
dus, compte 925 membres, il aura droit à 1/925
e de la dotation réservée aux
55. Du fait de cette réforme, le nombre des partis éligibles en métropole est tombé de 32 à 14.
56. Art. 9-1 de la loi du 11 mars 1988 modifié par la loi du 6 juin 2000.
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Le cadre
463
représentées aux Parlements, cest-à-dire, en 2012 environ
formations
43 900 euros. Pour l
année 1993 par exemple, le nombre total des formations
bénéficiaires d
une aide publique était de 81 et sur ces 81, on en comptait 27
qui n
avaient quun seul parlementaire rattaché !
Pour éviter un tel émiettement, la loi du 23 janvier 1993 a prévu que, à lavenir,
la seconde fraction de laide publique serait réservée aux partis ou groupements qui
ont déjà bénéficié de la première, c
est-à-dire à ceux qui ont présenté des candidats
dans au moins cinquante circonscriptions lors du plus récent renouvellement de
l
Assemblée nationale ou qui ont présenté une ou plusieurs candidatures outre-
mer. Mais malgré cette disposition, on comptait encore en 2011 vingt-sept partis
éligibles à la seconde fraction, dont beaucoup ne comprenaient pas plus d
un ou
deux parlementaires
57.
Quant au montant global de laide publique, il est fixé chaque année par la
loi de finances. Pour l
année 2011, il sélevait à environ quatre-vingts millions
d
euros dont il faut déduire les pénalités encourues pour manquements au prin-
cipe de la parité des candidatures
58. Le montant effectivement distribué sélève
donc seulement à environ 75 millions.
En 2012, le montant total des subventions alloués par lÉtat aux partis poli-
tiques a été amputé de 5 % par rapport à 2011, pour montrer à l
opinion
publique que la rigueur ne s
exerçait pas seulement à légard des fonctionnaires
et des contribuables. En 2013, il n
était plus que de 70 millions deuros. Ces
subventions représentent toujours une proportion importantes des recettes des
principaux partis (67 % pour l
UMP et 42 % pour le parti socialiste). Mais
comme une moitié de la subvention est proportionnelle au nombre des sièges
obtenus, les élections législatives provoquent parfois des variations brutales
dans la dotation d
un parti. Par exemple, à la suite des revers électoraux quelle
a subies en 2012, l
UMP a perdu environ 10 millions deuros en dotation
annuelle.
C La limitation stricte du financement privé
525. En ce qui concerne le financement dorigine privée, il faut distinguer
entre les personnes physiques et les personnes morales.
Le financement des partis politiques par des personnes physiques est auto-
risé ; il est même encouragé dans la mesure où les dons consentis à un parti
politique peuvent donner lieu, dans certaines limites, à des déductions fiscales ;
une personne physique peut donc contribuer au financement d
un parti, même si
elle n
en est pas membre. Mais elle ne doit le faire que dans le respect dun
57. Cette persistance tient au fait que les partis dont les candidats se présentent exclusivement outre-
mer ne sont pas soumis à la règle des cinquante circonscriptions. L
existence de ces partis permet
d
ailleurs de tourner la loi : un parti métropolitain qui ne satisfait pas à la règle des cinquante circon-
scriptions peut demander à ses élus de se rattacher annuellement à un parti d
outre-mer qui reversera
ensuite au parti métropolitain la fraction de la dotation correspondant aux parlementaires ainsi ratta-
chés. Par exemple, au sein de l
Assemblée nationale élue en 2007, les parlementaires du Nouveau
centre sont parvenus à récupérer une dotation au titre de la seconde fraction de l
aide publique en
passant un tel accord avec le parti « Fatia Api ».
58. La première fraction, amputée en raison des pénalités infligées en application de la loi du 6 juin
2000, s
élevait en 2011 à 34 730 . La seconde à 40 132 204 .
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Droit constitutionnel
plafond établi par la loi : le total annuel des dons consentis par une personne
physique à un même parti politique ne peut pas dépasser 7 500 euros. Depuis
la loi du 11 octobre 2013, ce plafond s
applique à lensemble des dons consen-
tis par une même personne physique à un ou plusieurs partis politiques.
Par contre, depuis la loi du 19 janvier 1995, il est interdit aux personnes
morales, et notamment aux sociétés commerciales, de contribuer, directement
ou indirectement, au financement des partis ou groupements politiques. Cette
interdiction, qui a privé certains partis de ressources importantes
59, a été justifiée
d
une part, par la nécessité de distendre les liens existant entre le monde des
affaires et celui de la politique, afin de réduire les risques de corruption et, d
au-
tre part, par la volonté de rendre les financements plus égalitaires, les partis de
droite étant supposés bénéficier davantage des largesses des personnes morales
que les partis de gauche
60. Elle ne comporte quune seule exception : un parti
politique peut en financer un autre. Mais cette faculté n
est ouverte quaux par-
tis français, toute contribution ou aide matérielle d
un État étranger ou dune
personne morale étrangère étant formellement interdite.
Linterdiction des dons des personnes morales a été au moins en partie com-
pensée par une augmentation des subventions de l
État (v. supra no 524). Cette
dépendance à l
égard des financements publics nest pas sans dangers car moins
les partis ont besoin de recruter des militants et de rechercher des soutiens pri-
vés, plus ils risquent de se couper de la société civile. Ils deviendraient donc très
vulnérables si les aides publiques qui les font vivre étaient un jour supprimées
ou brutalement réduites. Il est intéressant de noter qu
en Allemagne, depuis
1992, la Cour constitutionnelle a jugé nécessaire de plafonner le financement
public afin de garantir un minimum d
indépendance des partis politiques à
l
égard de lÉtat : le plafond est relatif, cest-à-dire que, pour chaque parti, les
aides publiques qu
il reçoit ne doivent pas dépasser le montant de ses ressources
propres (Tolini, 2007).
Pour garantir le respect de cette réglementation, les partis qui recueillent des
dons doivent désigner un mandataire financier qui peut être soit une personne
physique, soit une association agréée. Tous les dons doivent être déposés par ce
mandataire financier sur un compte bancaire ou postal unique, afin de faciliter
le contrôle. Un état récapitulatif des dons doit être dressé chaque année.
D Lobligation de rendre des comptes
526. Pour assurer la transparence de leur financement, les partis qui bénéfi-
cient de l
aide publique ou qui acceptent des dons de personnes privées, doivent
produire chaque année des comptes certifiés par deux experts comptables, qui
retracent lensemble de leurs recettes et de leurs dépenses. Ces comptes sont
59. En 1993, les dons des personnes morales représentaient en moyenne 20 % du total des recettes
des partis politiques (Source : CNCCFP, 1996, p. 9).
60. Cette supposition n
est que partiellement exacte : les statistiques antérieures à 1995 montrent que
la proportion des ressources provenant des dons de personnes morales était au moins aussi importante
dans le budget du parti socialiste que dans celui du parti gaulliste. En fait, il semble que les contribu-
tions des personnes morales dépendaient moins de l
idéologie du parti que de son influence politique
tant au niveau national qu
au niveau local.
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Le cadre
465
transmis à la « Commission nationale des comptes de campagne et des finance-
ments politiques
»61 (CNCCFP) qui, après les avoir examinés, en assure la
publication au
Journal officiel sous une forme condensée. Si
les comptes
n
ont pas été produits en temps voulu, ou si leur examen a fait apparaître des
irrégularités, le parti concerné risque de perdre son droit à l
aide publique pour
lannée suivante, à la fois sous la forme des subventions directes de lÉtat et sous
celle des exonérations fiscales dont bénéficient les donateurs. On voit que, dans
l
esprit du législateur, la transparence financière est la contrepartie nécessaire de
l
aide publique62.
On peut néanmoins se demander si cette transparence financière suffira à
mettre fin aux abus qui ont été si souvent dénoncés. Certes, les partis sont
désormais obligés de rendre des comptes lorsqu
ils sont subventionnés par
l
État ou même lorsquils sollicitent ouvertement des dons. Mais on ne saurait
affirmer pour autant que toute forme de financement occulte a disparu. Il existe
en effet de nombreuses échappatoires. Peut-on empêcher, par exemple, un
« bureau d
études » travaillant pour une municipalité dominée par un parti de
financer indirectement ce parti sans que cela apparaisse dans les comptes, par
exemple en payant directement certaines factures ou en exécutant lui-même cer-
taines prestations ? De même, le plafonnement des dons effectués par des per-
sonnes physiques peut assez facilement être contourné par le biais de cotisations
très élevées versées par certains adhérents en tant que membres « bienfaiteurs »
ou par celui d
un microparti créé spécialement pour collecter des fonds.
E Les pistes de réforme63
527. Les lois de 1988, 1993 et 1995 ont eu le mérite dintroduire un mini-
mum de transparence dans le financement des activités politiques qui était resté,
jusqu
alors, presque totalement opaque. Mais il y a encore certainement des
progrès à faire dans ce domaine.
Les lois précitées ont attribué aux partis politiques des droits et des obliga-
tions sans indiquer les critères auxquels on peut reconnaître ces institutions.
D
après la jurisprudence du Conseil dÉtat et celle du Conseil constitutionnel,
peut se prévaloir de la qualité de parti politique toute organisation qui s
est sou-
mise aux formalités prescrites par la loi en ce qui concerne la désignation d
un
mandataire financier unique et la production annuelle de comptes certifiés
64.
61. Cette Commission comprend neuf membres qui sont nommés, pour cinq ans, par décret :
trois membres ou membres honoraires du Conseil dÉtat, désignés sur proposition du vice-président
du Conseil d
État, après avis du bureau ;
trois membres ou membres honoraires de la Cour de cassation, désignés sur proposition du Premier
président de la Cour de cassation après avis du bureau ;
trois membres ou membres honoraires de la Cour des comptes, désignés selon la même procédure.
Comme son nom l
indique, cette commission est également chargée de surveiller le financement de
certaines campagnes électorales.
62. En 2011, onze formations politiques se sont vu refuser l
aide publique au motif quelles
n
avaient pas satisfait à leurs obligations comptables.
63. TOLINI, 2007.
64. CE Ass., 30 octobre 1996, Élections municipales de Fos-sur-Mer, Rec., p. 394 ; CC, déc. nº 97-
2535 du 19 mars 1998, AN Nord (12
e circonscription).
Page 466
466
Droit constitutionnel
Cette définition purement formelle a manifestement donné lieu à des abus : en
2013, la CNCCFP a recensé 378 organisations répondant à la définition du parti
politque, et 56 d
entre elles étaient éligibles au titre de laide publique ; il est
difficile de croire que les toutes ces organisations avaient la capacité ou même
la volonté de jouer un rôle quelconque dans la vie politique française
65 ! On
trouverait certainement parmi elles dune part, des groupements sectaires qui
poursuivent un but purement lucratif (subventions de l
État, déductions fiscales
pour les donateurs) et, d
autre part, des organisations paravents, dites « micro-
partis »
66, qui ont été créées pour contourner certaines règles : par exemple, la
loi précitée du 11 octobre 2013 interdisait à une personne physique de donner
plus de 7 500 euros par an à un même parti, mais elle ne l
empêchait pas de faire
un don de ce montant à plusieurs partis, dont certains sont en fait des satellites
du premier. De telles dérives sont d
autant plus à craindre que, par souci de
mieux garantir l
indépendance des partis politiques, le législateur na prévu
aucun contrôle sur leurs dépenses, même lorsqu
ils bénéficient de subventions
ou de déductions fiscales
67. Cest pourquoi certains souhaitent que le législateur
lui-même ou la jurisprudence complète la définition formelle des partis en fai-
sant appel à des critères fonctionnels concernant les buts, les activités et le mode
de fonctionnement de l
organisation, comme cela se fait déjà en Allemagne et
au Canada.
Les fondations politiques posent également un problème au regard du statut.
Ce ne sont pas des partis politiques car leur rôle consiste à enrichir le débat
d
idées, à développer la formation civique et non à participer directement à la
vie politique. Elles ne sont donc pas soumises aux obligations du statut et peu-
vent notamment être financées par des personnes morales. Il n
en est pas moins
vrai que certaines de ces fondations se situent dans la mouvance d
un parti poli-
tique, comme c
est le cas notamment de la Fondation Jean Jaurès, liée au Parti
socialiste, ou de la Fondation pour l
innovation politique, liée à lUMP. Or,
même si la fondation est en principe indépendante du parti, rien ne permet d
af-
firmer que les frontières entre les deux organisations sont totalement étanches.
La fondation pourrait par exemple réaliser, avec le soutien financier de person-
nes morales, des études qui bénéficient en réalité au parti. Pour contrôler effica-
cement le financement des partis politiques, il pourrait donc s
avérer nécessaire
d
encadrer les activités des fondations, qui sont restées jusquà présent totale-
ment en dehors du dispositif.
Enfin, il nest pas impossible que le financement des partis politiques natio-
naux évolue pour tenir compte des développements de la construction euro-
péenne.
Actuellement, le financement des partis politiques nationaux et celui des
partis européens sont rigoureusement séparés. Il est interdit à un parti politique
français daccepter une aide dun parti étranger, même si celui-ci est établi dans
un autre État membre de l
Union européenne68. De même,
le règlement
Sur la notion de « micro-partis », voir le rapport 2010 de CNCCFP, p. 93 et s.
65. Voir lavis de la CNCCFP en date du 22 janvier 1994.
66.
67. Le contrôle de la Cour des comptes est en effet expressément exclu par larticle 10 de la loi du
11 mars 1988.
68. CE, 8 décembre 2000,
Parti nationaliste basque.
Page 467
Le cadre
467
européen du 4 novembre 2003, qui prévoit lattribution aux partis européens de
subventions prélevées sur le budget général de l
Union, interdit toute utilisation
de ces subsides pour le financement direct ou indirect des partis nationaux. Mais
cette séparation pourrait-elle encore être maintenue si les partis européens deve-
naient un jour de véritables fédérations de partis nationaux ?
§ 2. Lévolution du système des partis
528. Vers la fin de la IVe République, lutilisation de la représentation pro-
portionnelle pour les élections législatives avait abouti à un système de partis
multiples, relativement indépendants les uns des autres. On ne comptait pas
moins d
une douzaine de groupes parlementaires à lAssemblée nationale et
cette mosaïque ne permettait pas de dégager une majorité stable pour soutenir
un gouvernement. La V
e République a imposé une nouvelle logique institution-
nelle, qui a profondément transformé le système de partis.
En ce qui concerne les élections législatives, dès 1958, la représentation pro-
portionnelle a été remplacée par le scrutin majoritaire à deux tours (v.
infra
no 535 s.).
Cependant, ladoption de ce mode de scrutin naurait pas suffi à elle
seule à entraîner la réduction du nombre des partis. Il avait déjà été en
vigueur pendant presque toute la durée de la III
e République et cela navait
pas empêché la multiplication des partis. Cette réduction a été en réalité
facilitée par le rôle joué par le général de Gaulle dans les premières années
de la V
e République et la nécessité dans laquelle se trouvaient les membres
de la classe politique de se définir pour ou contre lui. La concentration des
partis, qu
on a appelée « bipolarisation », a été évidemment accentuée par le
mécanisme de lélection présidentielle, qui ne laisse en présence que deux
candidats au second tour. Presque tous les partis se prononcent en faveur de
l
un ou de lautre et les alliances qui se nouent en vue de cette élection se
prolongent à l
occasion des campagnes pour les élections législatives.
Toutefois, lévolution nest pas linéaire et des tendances à la fragmentation
des partis se manifestent encore par moments.
Durant les toutes premières années de la Ve République, de 1959 à 1962, les
partis ont été relégués au second plan, car la personnalité du général de Gaulle
dominait presque entièrement la scène politique. La plupart des partis tradition-
nels, qu
ils fussent de droite ou de gauche, sétaient ralliés à lui en attendant la
fin de la guerre d
Algérie. Le Parti communiste, quant à lui, se plaçait déjà net-
tement dans l
opposition, mais il y était tout à fait isolé.
Cest à la suite du référendum doctobre 1962 sur lélection du Président de
la République au suffrage universel direct que le système de partis a commencé
à se restructurer.
Le Parti socialiste désapprouve ce référendum ; il vote la motion de censure
dirigée contre le gouvernement Pompidou ; il se trouve ainsi rejeté dans l
oppo-
sition, ce qui le conduit à se rapprocher du Parti communiste. Ce rapprochement
des deux principaux partis de gauche se concrétise dès l
automne 1962 par des
accords de désistements réciproques en faveur du candidat le mieux placé pour
Page 468
468
Droit constitutionnel
le second tour des élections législatives. Dix ans plus tard, en 1972, il aboutira à
la signature d
un programme commun de gouvernement, le fameux « pro-
gramme commun » de l
Union de la gauche. Celui-ci était en principe commun
au parti communiste, au parti socialiste et à celui des « radicaux de gauche »,
petite formation de tendance centriste.
Quant à la droite parlementaire, durant la période fondatrice, la plupart de
ses éléments s
étaient déjà ralliés au général de Gaulle, mais elle nétait pas
encore vraiment unie. Il y avait en effet une fraction de la droite parlementaire
qui refusait de se fondre dans la majorité gaulliste parce qu
elle nappréciait ni
le style de gouvernement du chef de l
État (jugée trop autoritaire, trop plébisci-
taire), ni sa politique étrangère (jugée trop nationaliste, trop neutraliste et trop
réservée sur le chapitre de l
intégration européenne). Cette droite non gaulliste
était personnifiée par Jean Lecanuet, qui s
est présenté à lélection présidentielle
de 1965 et dont la candidature a contribué à mettre le général de Gaulle en bal-
lottage au premier tour de cette élection.
Mais le départ du général de Gaulle en 1969 a facilité le regroupement des
droites parlementaires car ses successeurs, G. Pompidou puis V. Giscard d
Es-
taing, se sont montrés à certains égards plus conciliants : leur style de gouver-
nement était moins autoritaire, moins plébiscitaire que celui du général
de Gaulle ; leur politique étrangère plus favorable à l
intégration européenne.
Au début des années 1970, des regroupements se sont effectués aussi bien à
gauche qu
à droite et le système de partis a pris la forme dun « quadrille bipo-
laire » selon l
expression de Maurice Duverger.
Dune part, en effet, la scène politique était dominée par quatre grands
partis.
Dautre part, ces partis sétaient regroupés en deux camps dotés chacun dun
programme de gouvernement : le RPR et l
UDF dun côté ; le Parti socialiste et
le Parti communiste de l
autre.
Quarante ans plus tard, ces quatre partis sont toujours représentés à lAssem-
blée nationale (même si certains d
entre eux se présentent sous une nouvelle
dénomination) mais, depuis 2002, deux d
entre eux dominent presque complè-
tement la scène politique.
LUMP (Union pour une majorité populaire) qui, en 2002, a succédé au RPR,
regroupe aujourd
hui la quasi-totalité des forces de la droite parlementaire. Elle a
disposé à elle seule de la majorité absolue des sièges à l
Assemblée nationale
durant les deux législatures qui se sont écoulées entre 2002 et 2012. À la suite
des élections législatives de juin 2012, qui ont été gagnées par la gauche, elle est
devenue le principal parti d
opposition.
De son côté, le Parti socialiste est devenu très nettement dominant au sein de
la gauche. Son allié traditionnel, le Parti communiste, na cessé de décliner
depuis 1981 et ne représente plus aujourd
hui quune très faible fraction de
l
électorat national (entre 2 et 4,5 % selon les scrutins). Malgré la victoire de
la coalition de gauche aux élections législatives de juin 2012, sa représentation
au sein de l
Assemblée nationale a encore diminué de moitié.
À en juger par le rapport des forces sur la scène parlementaire, on peut donc
dire qu
une tendance à la bipolarisation se dessine nettement. Mais cette cons-
tatation doit être nuancée.
Page 469
Le cadre
469
En premier lieu, tout comme en Grande-Bretagne, la bipolarisation résulte des
contraintes du scrutin majoritaire et elle ne reflète pas l
importance respective des
courants d
opinion au sein du corps électoral. Certains partis qui avaient recueilli
une proportion relativement importante des suffrages au premier tour, comme le
Modem de François Bayrou ou le Front national de Marine Le Pen, sont à peine
représentés au sein de lAssemblée nationale.
En second lieu, la bipolarisation à la française ne doit pas faire penser au
bipartisme, au sens anglais, c
est-à-dire à une dualité de partis homogènes, dis-
ciplinés et dotés d
une idéologie structurée. Dune part, ce sont des coalitions
peu stables. D
autre part, leurs composantes diffèrent des partis relevant du
modèle européen traditionnel, dans la mesure où ils ne sont pas dotés de pro-
grammes cohérents et bien définis et où les mécanismes internes de désignation
des candidats sont de moins en moins bien acceptés. Le recours à des élections
primaires pour désigner le candidat à la présidentielle est une manifestation de
cette tendance.
On constate ainsi que lélection présidentielle au suffrage universel est à la fois
facteur de division (avant le début de la campagne) en raison des rivalités entre can-
didats à la candidature et facteur de regroupement et de bipolarisation, dans la
mesure où les forces politiques ne peuvent espérer remporter l
élection quen for-
mant des coalitions et où les élections législatives consécutives à une élection prési-
dentielle tendent à en confirmer le résultat. Mais la discipline de vote au sein des
principaux partis paraît de moins en moins assurée. Par exemple, le 29 avril 2014,
lorsque le Premier ministre Manuel Valls a sollicité un vote de confiance de l
As-
semblée nationale, 41 députés socialistes se sont abstenus pour protester contre un
programme économique qu
ils jugeaient de tendance trop libérale. En refusant leur
soutien au gouvernement, ces députés mettaient évidemment en cause la politique
du chef de l
État, François Hollande.
Sous-section 3
Les principales votations politiques
529. Daprès larticle 3 alinéa 3 C, le suffrage peut être direct ou indirect.
Dans le cadre du présent chapitre, on ne retiendra que les votations au suffrage
direct
69, qui sont de plusieurs sortes. Il faut distinguer :
celles qui ont trait aux institutions politiques nationales : élection du
Président de la République ; élection des députés à l
Assemblée nationale (élec-
tions législatives) ; référendums en application de l
article 11 ou de larticle 89 ;
celles qui ont trait aux assemblées délibératives des collectivités terri-
toriales : élection des conseillers municipaux au niveau communal, des
conseillers départementaux au niveau départemental et des conseillers régio-
naux. au niveau régional. Il y a donc actuellement trois sortes d
élections loca-
les qui correspondent aux trois échelons de l
organisation administrative de
droit commun
70
69. La principale élection au suffrage indirect est celle des sénateurs, qui est étudiée infra no 620.
70. Comme la plupart des communes françaises sont de très petite taille, elles sont obligées de se
regrouper pour organiser certains services publics comme le transport scolaire ou l
adduction deau.
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470
Droit constitutionnel
celles qui ont trait aux institutions communautaires : il sagit de lélec-
tion des représentants de la France au Parlement européen (v. supra no 495).
Du point de vue du droit constitutionnel, ce sont évidemment les votations
de la première catégorie qui nous intéressent, bien que les autres aient aussi
parfois un enjeu politique important.
§ 1. Les élections législatives
530. Il sagit de lélection des députés à lAssemblée nationale : lexpression
« élections législatives », qui est couramment utilisée, se justifie par le fait que
cette assemblée fait partie du Parlement et que, en cas de désaccord avec le
Sénat à propos du vote d
une loi, cest elle qui a normalement le dernier mot
(v.
infra no 727).
Daprès lordre des chapitres de la Constitution, lAssemblée nationale vient
après le Président de la République, qui est également élu au suffrage direct. On
traitera néanmoins en premier lieu de l
élection des députés, parce que cest la
forme de consultation populaire la plus ancienne et la plus répandue dans le
monde ; de plus, aujourd
hui encore, pour quun Président de la République
puisse réaliser son programme, il faut qu
il dispose dune majorité à lAssem-
blée nationale. Ce sont donc les élections législatives qui décident en dernier
ressort de l
attribution du pouvoir politique.
A La périodicité
531. Il faut distinguer entre les élections générales et les élections partielles.
1. Les élections générales
532. On parle délections générales lorsque lAssemblée nationale est renou-
velée dans son intégralité.
Daprès larticle 25 de la Constitution, cest au législateur organique quil
appartient de fixer «
la durée des pouvoirs de chaque assemblée » et donc la
périodicité des élections générales. Selon la jurisprudence du Conseil consti-
tutionnel, le législateur organique peut modifier la durée des pouvoirs d
une
assemblée (même pour le mandat en cours) mais à condition que ces modifi-
cations n
empêchent pas les électeurs dexercer leur droit de suffrage selon
une « périodicité raisonnable ».
Dans son texte antérieur à la loi organique du 15 mai 2001, larti-
cle LO 121 du Code électoral précisait que : «
Les pouvoirs de lAssemblée
nationale expirent le premier mardi davril de la cinquième année qui suit
son élection
». Daprès larticle LO 122 du même code,
les élections
Les regroupements quelles forment sont désignés sous le nom de communautés de communes. Jus-
qu
en 2014, les administrateurs de ces communautés étaient élus au suffrage indirect, cest-à-dire quils
étaient choisis par les conseillers municipaux. Pour rendre le procédé plus démocratique, la loi du
7 mai 2013 a prévu quils seraient désignés à lavance par les électeurs : désormais les conseillers
intercommunaux seront obligatoirement ceux des conseillers municipaux qui ont été placés en tête de
liste ou ceux qui ont été spécialement flêchés à cette fin par les électeurs.
Page 471
Le cadre
471
générales doivent avoir lieu dans les soixante jours qui précèdent lexpira-
tion des pouvoirs de l
Assemblée nationale. En 2002, les élections législa-
tives auraient donc dû précéder de quelques semaines l
élection présiden-
tielle dont les dates, en vertu de l
article 7 de la Constitution, ne pouvaient
être fixées qu
en avril ou mai.
Mais cet ordre a été modifié par la LO du 15 mai 2001. En effet, la
réduction à cinq ans du mandat présidentiel, avait été principalement justi-
fiée par le souci de limiter les risques de cohabitation. Or, ce risque persis-
tait si l
élection présidentielle avait lieu après lélection législative, car les
Français allaient se trouver devant l
alternative de choisir un Président en
fonction d
une majorité parlementaire quils auraient désignée quelques
semaines auparavant ou de créer une nouvelle situation de cohabitation en
envoyant à l
Élysée un candidat du camp opposé, soit pour quil serve de
contrepoids, soit pour que, sans exercer un pouvoir réel important, il assure
une fonction de représentation. Au contraire, si l
élection présidentielle
avait lieu avant les législatives, on pouvait penser que, comme en 1981
et 1986, les citoyens se prononceraient d
abord pour un Président, avec
son programme et qu
ils voteraient ensuite pour lui assurer les moyens de
le réaliser grâce à une majorité parlementaire de la même couleur. C
est
d
ailleurs effectivement ce qui sest passé en 2002, 2007 et 2012.
Linversion du calendrier électoral na cependant pas été adoptée dans un
consensus général. Elle sest heurtée à une double opposition :
celle des communistes et des verts qui ont une lecture parlementariste de
la Constitution et qui, pour cette raison, étaient déjà plutôt hostiles au quin-
quennat ;
celle du RPR et dune partie de lUDF, qui sont favorables à la prépon-
dérance présidentielle tout en estimant qu
elle ne saurait dépendre de lordre
dans lequel se déroulent les élections, car l
on aboutirait ainsi à un système
trop rigide où les élections ne pourraient avoir lieu qu
à des dates fixes et où
l
existence même du droit de dissolution finirait donc par être remise en cause.
Ils craignaient en outre que l
inversion du calendrier dissimulât une manœuvre
dirigée contre la candidature de J. Chirac.
Le nouvel article LO 121 dispose que les pouvoirs de lAssemblée nationale
expirent la cinquième année qui suit son élection mais le troisième mardi de juin
et non plus le premier mardi d
avril. Il précise que cette modification sapplique
à l
Assemblée nationale élue en 1997. Les élections législatives de 2002, de
même que celles de 2007 et 2012, ont donc eu lieu en juin, après l
élection
présidentielle.
Cette modification na pas changé la durée normale des législatures qui est
toujours fixée à cinq ans. Mais cette durée est évidemment abrégée lorsque le
Président de la République fait usage de son droit de dissolution. Dans ce cas,
les élections doivent avoir lieu, vingt jours au moins et quarante jours au plus
après la dissolution (art. 12 C).
La dissolution a déjà été prononcée cinq fois depuis les débuts de la
Ve République ; la législature qui a commencé en 2012 est la quatorzième
depuis 1958. La durée moyenne d
une législature est donc approximativement
de quatre ans (v.
infra no 687).
Page 472
472
Droit constitutionnel
2. Les élections partielles
533. Elles sont organisées en cours de législature afin de pourvoir un ou
plusieurs sièges devenus vacants. L
enjeu politique dune élection partielle est
généralement faible car, sauf cas exceptionnel, la perte d
un ou deux sièges
nest pas susceptible de faire basculer la majorité parlementaire. Ces élections
n
en constituent pas moins une épreuve pour les gouvernants, car elles permet-
tent de mesurer l
érosion de leur popularité. Afin den limiter la fréquence, les
constituants de 1958 ont prévu un système de remplacement automatique par un
suppléant, lorsqu
un parlementaire décède en cours de mandat ou lorsquil est
nommé à des fonctions incompatibles avec ce mandat (v.
infra no 631, Chapi-
tre 2). Le suppléant ayant été élu en même temps que le parlementaire lui-
même, le remplacement s
effectue sans quil soit nécessaire de procéder à une
élection partielle.
71
Avant la réforme de 2008, le suppléant terminait le mandat de son prédéces-
seur, c
est-à-dire quil devait normalement siéger jusquau prochain renouvelle-
ment général de l
Assemblée nationale. Désormais, si le titulaire du siège quitte
le gouvernement, il retrouve son siège automatiquement (v.
infra no 605 s.). Il
en va évidemment de même dans le cas où un membre du gouvernement sié-
geait au Sénat.
Il subsiste cependant quelques cas où une législative partielle doit être orga-
nisée : annulation de l
élection par le Conseil constitutionnel (cette annulation
vaut aussi bien pour le suppléant que pour la personne élue à titre principal) ;
démission (le remplacement par le suppléant ne joue pas dans cette hypothèse,
ce qui laisse au parlementaire la possibilité de se représenter immédiatement) ;
absence de suppléant (pour cause de décès ou pour une autre raison) ; enfin,
démission du suppléant en vue justement de provoquer une élection partielle à
laquelle pourra se présenter un personnage plus important (il arrivait fréquem-
ment, avant la réforme de 2008 que des ministres qui avaient perdu leur porte-
feuille sollicitent la démission de leur suppléant en poste pour tenter de retrou-
ver leur siège). Dans un tel cas, le suppléant ne peut se présenter contre la
personne qu
il secondait.
Dans ces différents cas, il doit être procédé à une élection partielle dans un
délai de trois mois à compter de la date de la vacance du siège. Toutefois, il
n
est procédé à aucune élection partielle dans les douze mois qui précèdent lex-
piration des pouvoirs de l
Assemblée nationale (art. LO 178).
Quil sagisse délections générales ou dune élection partielle, quelles
conditions faut-il remplir pour pouvoir sy présenter ?
B Le régime des candidatures
534. Daprès larticle LO 127 du Code électoral toute personne de nationa-
lité française ayant atteint l
âge de la majorité légale (18 ans) est en principe
éligible à l
Assemblée nationale.
71. On ne peut pas être remplaçant de plus dun parlementaire et le remplaçant ne peut pas renoncer
par avance à exercer son mandat au cas où le siège deviendrait vacant. Il sensuit que le fait de choisir
comme suppléant une personne qui est déjà remplaçante d
un autre parlementaire est une cause dan-
nulation de l
élection. (CC Dévedjian, déc. 2012/4563 du 18 octobre 2012).
Page 473
Le cadre
473
Mais si ces conditions sont nécessaires, elles ne sont pas toujours suffisan-
tes. Il faut également ne pas se trouver dans l
un des cas dinéligibilité prévus
par la loi. On peut distinguer plusieurs sortes d
inéligibilités :
a) les cas dincapacité intellectuelle ou dincapacité morale (v. supra
no 512).
b) les cas dinéligibilité sanctionnant la violation de certaines dispositions
relatives au financement des campagnes électorales ou à la transparence finan-
cière : par exemple, si, à l
issue dune campagne électorale, un candidat na pas
déposé son compte de campagne dans le délai prescrit par la loi, il peut être
déclaré inéligible pour une durée d
un an (v. infra no 548). Cette inéligibilité
n
entraîne dailleurs pas la perte du droit de vote, car il sagit de sanctionner
une négligence, plutôt qu
un acte contraire à la probité ou à lhonneur.
Dans ces deux premières catégories de cas, linéligibilité est dite « absolue »,
car elle vaut pour toutes les circonscriptions électorales.
c) les cas dinéligibilités destinés à prévenir le risque dun abus dautorité.
Certains fonctionnaires d
autorité sont inéligibles dans toute circonscription
comprise dans le ressort territorial où ils ont exercé leurs fonctions depuis
moins de six mois. La liste de ces fonctionnaires est fixée par l
article LO 133
du Code électoral ; elle comprend notamment les préfets, les magistrats des tri-
bunaux, les recteurs d
académie, les commissaires de police, etc. Il sagit dévi-
ter que ces fonctionnaires puissent être tentés d
utiliser leurs prérogatives dau-
torité en vue de se constituer une clientèle électorale.
À la différence des précédentes, ces inéligibilités sont seulement « relati-
ves », c
est-à-dire quelles nempêchent pas lagent concerné de faire acte de
candidature dans une circonscription qui se trouve en dehors du ressort territo-
rial où il a exercé ses fonctions
72.
Si une personne est inéligible, ladministration ne doit pas accepter denre-
gistrer sa candidature. Lorsqu
il y a doute sur ce point, le représentant de lÉtat,
cest-à-dire le préfet, doit surseoir à lenregistrement de la candidature et saisir
dans les vingt-quatre heures le tribunal administratif ; le tribunal administratif
doit statuer dans un délai de trois jours. Le jugement rendu par le tribunal admi-
nistratif ne peut pas être attaqué selon les voies de recours habituelles. Mais il
pourra éventuellement être contesté devant le Conseil constitutionnel, à l
appui
d
un recours dirigé contre les résultats de lélection.
La règle du jeu électoral qui va permettre de départager les candidats est le
mode de scrutin.
C Le mode de scrutin
535. Le mode de scrutin pour lélection des députés est fixé non par la
Constitution ni même par une LO mais par une simple loi ordinaire.
72.
Il y a cependant une exception sur ce point en ce qui concerne le défenseur des droits : comme
celui-ci exerce ses fonctions sur lensemble du territoire national, il est inéligible dans toutes les cir-
conscriptions. Il s
agit donc dans ce cas dune inéligibilité absolue. Le remplacement du médiateur par
le « défenseur des droits » ne devrait rien changer à cette règle.
Page 474
474
Droit constitutionnel
Techniquement, il est donc relativement facile de le modifier. Mais depuis les
débuts de la V
e République, deux modes de scrutin seulement ont été utilisés.
Par principe, les gaullistes étaient hostiles à la représentation proportionnelle
à laquelle ils reprochaient d
empêcher la formation dune majorité stable et de
favoriser le « régime des partis ». Il n
était donc pas question de conserver, fût-
ce même en le réformant, le mode de scrutin hérité de la IVe République. Quel-
ques jours après l
entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, le gouverne-
ment, usant des pouvoirs que lui conférait l
article 92 alinéa 2 de ladite Consti-
tution, rétablit par voie d
ordonnance le scrutin majoritaire uninominal à deux
tours, qui avait été en vigueur durant la majeure partie de la III
e République. Ce
mode de scrutin demeura en application pendant plus de vingt ans (jusqu
aux
élections de juin 1981 incluses), bien qu
il ait été légèrement modifié en 1966
(v.
infra no 537).
À la veille des élections législatives de mars 1986, la majorité socialiste qui
était alors au pouvoir, décida de le remplacer par le scrutin de liste départemen-
tal à la représentation proportionnelle, sans panachage ni vote préférentiel (loi
du 10 juillet 1985). Cette décision s
expliquait à la fois par une raison de prin-
cipe (l
institution de la représentation proportionnelle était lune des réformes
prévues par le
programme commun de lUnion de la gauche) et par une raison
de circonstance : dans la conjoncture politique de l
époque, caractérisée par la
percée de l
extrême droite (Front national), on pouvait penser quune telle
réforme empêcherait la droite parlementaire d
obtenir la majorité absolue des
sièges.
Mais lors des élections législatives de mars 1986, limpact du changement
de mode de scrutin fut finalement moins important qu
on avait pu lespérer (ou
le craindre). Bien que le Front national ait enlevé 35 sièges, la droite parlemen-
taire obtint d
une courte tête la majorité absolue. Dès lors, la représentation pro-
portionnelle était virtuellement condamnée car le nouveau gouvernement, dirigé
par J. Chirac, la considérait comme contraire à l
esprit des institutions de la
V
e République. Un an presque jour pour jour après la promulgation de la loi
instituant la représentation proportionnelle, le système antérieur fut donc rétabli
(loi du 11 juillet 1986). Revenus au pouvoir en 1988, les socialistes, après
maintes hésitations, renoncèrent finalement à changer de nouveau le mode de
scrutin, malgré les pressions exercées sur eux par leurs alliés écologistes. Le
rétablissement pur et simple de la représentation proportionnelle paraît très
peu probable car aucun des deux partis actuellement dominants (l
UMP et le
PS) n
y aurait intérêt. En revanche, il est souvent question dintroduire, dans
le mode de composition de l
Assemblée nationale, une dose limitée de représen-
tation proportionnelle portant sur une cinquantaine ou une centaine de sièges,
afin que les partis « protestataires » (cest-à-dire ceux qui refusent de sallier
avec l
un des deux partis dominants) ne soient plus totalement exclus de la
scène parlementaire. Comme l
avait
fait son prédécesseur N. Sarkozy,
F. Hollande s
est déclaré par principe favorable à cette réforme. Mais elle est
difficile à mettre en
œuvre car il faudrait soit augmenter les effectifs de lAs-
semblée nationale (ce qui, depuis juillet 2008, nécessite une révision de la
Constitution), soit redistribuer les sièges existants, ce qui compromettrait la réé-
lection d
un certain nombre de parlementaires.
Page 475
Le cadre
475
Le mode de scrutin actuellement en vigueur est donc à la fois uninominal et
majoritaire.
1. Un scrutin uninominal : le problème du découpage
536. Un seul siège est à pourvoir dans chaque circonscription. Les bulletins
de vote comportent cependant toujours deux noms car, ainsi qu
il a déjà été
signalé, l
article 25 C exige que chaque parlementaire ait un suppléant élu en
même temps que lui, qui le remplacera en cas de vacance du siège
73.
Le troisième alinéa de larticle 24 C, modifié en 2008, précise que le nombre
total des députés à l
Assemblée nationale ne peut excéder 577. La grande majo-
rité de ces députés représentent les Français résidant en France. Ils sont donc élus
dans de petites circonscriptions dont chacune correspond à une subdivision soit
d
un département métropolitain, soit dun département ou territoire doutre-mer.
Les autres qui sont au nombre de 11 représentent les Français établis hors
de France et ils sont élus dans le cadre de grandes circonscriptions dont chacune
correspond à une région du monde. Mais c
est évidemment le découpage du ter-
ritoire national en circonscriptions qui est la tâche la plus difficile, surtout avec un
scrutin uninominal qui suppose des circonscriptions nombreuses dont la délimita-
tion pose presque toujours des problèmes délicats. D
un point de vue sociolo-
gique, l
exiguïté des circonscriptions présente un avantage : elle facilite létablis-
sement et le maintien de contacts personnels entre l
élu et son électorat. Mais
d
après larticle 3 C, le suffrage doit être « égal », ce qui signifie que la voix de
chaque électeur doit avoir sensiblement le même poids, quelle que soit la circon-
scription de rattachement. C
est pourquoi la loi relative à lélection des députés
précise que les opérations de découpage sont « mises en
œuvre sur des bases
essentiellement démographiques » ce qui signifie que toutes les circonscriptions
doivent avoir à peu de chose près la même population
74. Des disparités peuvent
cependant être admises si elles sont justifiées par des impératifs d
intérêt général,
et à condition que l
ampleur de lécart de population en plus ou en moins ne
dépasse jamais 20 % de la population moyenne des circonscriptions du départe-
ment ou du territoire d
outre-mer. Mais le Conseil constitutionnel se montre de
plus en plus exigeant pour apprécier l
existence dun « motif dintérêt général »
susceptible de justifier une atteinte au principe d
égalité. Par exemple, dans sa
décision n
o 2008-573 DC du 8 janvier 2009, il a estimé que la règle traditionnelle
selon laquelle le nombre de députés ne pouvait pas être inférieur à deux pour
chaque département avait cessé d
être conforme à la Constitution, en raison
d
un changement de circonstances caractérisé, dune part, par la réduction du
nombre des élus des départements (en raison des quelques sièges attribués depuis
Pour favoriser la mixité, certains parlementaires ont proposé que chaque candidat soit obligé de
73.
choisir comme suppléant une personne de sexe opposé au sien.
Il arrive que la proportion des personnes inscrites sur les listes électorales varie selon les circon-
74.
scriptions, de sorte que l
égalité des populations nimplique pas nécessairement
l
égalité même
approximative du nombre des électeurs. Mais, selon le Conseil constitutionnel, seules doivent être pri-
ses en compte pour la délimitation les populations actuelles, sans chercher à anticiper les évolutions
démographiques et les répercussions possibles sur la proportion des personnes inscrites sur les listes
électorales (décision n
o 2008-573 DC du 8 janvier 2009, cons. 22).
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476
Droit constitutionnel
2008 aux représentants des Français de létranger) et, dautre part, par laugmen-
tation de la population de ces mêmes départements.
Indépendamment des disparités démographiques, un découpage risque
d
être faussé par ce que lon appelle aux États-Unis le « gerrymandering »,
c
est-à-dire le regroupement artificiel au sein dune même circonscription de
territoires qui nont pas vraiment de lien entre eux, à seule fin de faciliter lélec-
tion de tel ou tel candidat. C
est pour cette raison que le Code électoral a posé
un certain nombre de règles prévoyant notamment que les circonscriptions doi-
vent toujours être constituées par un territoire continu, et que toute commune
dont la population est inférieure à 5 000 habitants doit être entièrement com-
prise dans une même circonscription. Mais ces règles, qui permettent de sanc-
tionner les abus les plus flagrants, ne sont pas nécessairement suffisantes pour
éviter le «
gerrymandering ». Encore faut-il en effet que les choix opérés par les
autorités chargées du découpage ne soient pas inspirés par des arrière-pensées
politiques. Or, en France, c
est presque toujours le gouvernement qui arrête le
découpage en utilisant la procédure des ordonnances de l
article 38 C, et lop-
position le soupçonne facilement d
avoir eu de telles arrière-pensées.
Pour garantir la neutralité politique du découpage, certains pays, comme le
Royaume Uni, confient l
élaboration du projet à des commissions techniques
spécialisées, dont le Parlement ratifie généralement sans débats les propositions
(Colliard, 2008).
Sans aller aussi loin, conformément à une recommandation de la commis-
sion Balladur, le troisième alinéa nouveau de l
article 25 C prévoit linter-
vention d
une commission indépendante qui se prononce, par un avis public,
sur les projets de texte et propositions de loi délimitant les circonscriptions
pour l
élection des députés et des sénateurs. En droit, cette commission, qui a
été mise en place par une loi du 13 janvier 2009
75, ne joue quun rôle consultatif
mais, du fait de la publicité donnée à ses avis, il sera politiquement difficile
pour le gouvernement de ne tenir aucun compte de ses observations. Selon le
Conseil constitutionnel, l
indépendance de cette commission est suffisamment
garantie, par la qualité de certains de ses membres, qui sont de hauts magistrats,
par leur statut (ils sont nommés pour une durée de six ans non renouvelable et
ne peuvent être révoqués que par une délibération prise à l
unanimité par la
commission elle-même), ainsi que par des règles d
incompatibilité (ils ne peu-
vent être titulaires d
aucun mandat électif)76. Lopposition a néanmoins regretté
que le mode de composition de cette Commission ne fournisse aucune garantie
de pluralisme politique.
Il arrive assez souvent quun découpage parfaitement correct à lorigine
devienne gravement inégalitaire quelques années plus tard par suite des mouve-
ments de population qui se sont produits dans lintervalle. Cest ainsi que lors
des élections législatives de 2007, bien que les recensements de 1990 et 1999
aient mis en lumière d
importantes évolutions démographiques, le découpage
75. Cette commission comprend, dune part, un membre de chacune des trois juridictions suprêmes
(Conseil d
État, Cour de cassation et Cour des comptes) désignés chacun par leurs collègues et, dautre
part, trois personnalités qualifiées respectivement désignées par le président de la République, le pré-
sident de l
Assemblée nationale et celui du Sénat.
76. Voir la décision n
o 2008-573 du 8 janvier 2009.
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Le cadre
477
de 1986, fondé sur le recensement de 1982, navait encore jamais été réactualisé
et l
on comptait environ 70 circonscriptions qui ne répondaient plus aux critères
fixés par le Conseil constitutionnel. Il eût donc fallu modifier les limites de plus
de cent circonscriptions, car ce que l
on ajoute à lune doit nécessairement être
retiré à une autre, et réciproquement. Mais en pratique, seul un projet de loi
déposé par le gouvernement aurait eu des chances sérieuses daboutir et celui-
ci tarde souvent à prendre une initiative dans ce domaine, surtout lorsque, dans
l
ensemble, les inégalités résultant des mouvements de population jouent en
faveur des partis qui le soutiennent. Le Conseil constitutionnel a plusieurs fois
dénoncé ces retards dans des communiqués, mais jusqu
à une date récente il ne
disposait d
aucun moyen juridique pour y mettre fin. En effet : dune part, il
n
existe pas de recours direct car lon ne peut déférer au Conseil constitutionnel
qu
une loi adoptée par le Parlement, et non une carence ; dautre part la question
ne pouvait pas lui être soumise par la voie de l
exception car, dans le cadre du
contentieux électoral, avant la réforme constitutionnelle de 2008 il s
était tou-
jours refusé à contrôler la conformité d
une loi à la Constitution, et donc éven-
tuellement la conformité de la loi électorale au principe d
égalité. Mais fort heu-
reusement, à la suite de l
introduction de la QPC, il a modifié sa jurisprudence
sur ce point (v.
infra no 774).
Consciente de ces lacunes, la commission Balladur a proposé dinscrire à
l
article 25 C le principe selon lequel la carte des circonscriptions électorales
devait être actualisée au moins une fois tous les dix ans. Mais cette recomman-
dation n
a pas été retenue. Il est vrai que les parlementaires de lopposition
pourront désormais, en déposant une proposition de loi d
actualisation de la
carte électorale, amener la commission de l
article 25 à rendre un avis, dont la
publication sera
ce
problème. Mais rien ne garantit que de tels avis seront suivis d
effets.
susceptible dalerter
lopinion sur
lurgence de
Dans ses observations sur les élections législatives de 2007, publiées le
29 mai 2008, le Conseil constitutionnel a rappelé que le remodelage aurait dû
être fait avant ces élections, et qu
il présentait un caractère durgence.
À la suite de cette déclaration, le gouvernement a préparé un projet de redé-
coupage auquel il a apporté quelques modifications pour tenir compte des
observations présentées par la commission indépendante instituée en applica-
tion de l
article 25 C. Selon la procédure habituelle en cette matière, le projet
a d
abord été adopté par ordonnance, qui a été ratifiée un peu plus tard (loi du
23 février 2010). Saisi à l
occasion de cette ratification par des parlementaires
de l
opposition, le Conseil constitutionnel a pris soin de rappeler quil ne lui
appartenait pas de vérifier si les circonscriptions avaient fait l
objet de la déli-
mitation la plus juste possible. Tout en reconnaissant que certains des motifs
invoqués pour justifier le découpage avaient un caractère « discutable », il a
rejeté le recours en déclarant qu
il napparaissait pas que le principe de légalité
devant le suffrage avait été « manifestement » méconnu
77. Le Conseil nexerce
donc en cette matière qu
un contrôle restreint qui garantit un minimum de res-
pect du principe d
égalité dun point de vue démographique mais qui ne permet
pas toujours de sanctionner la pratique du gerrymandering.
77. Déc. 2010 602 DC du 18 février 2010, cons. 20 et 23.
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478
Droit constitutionnel
2. Un scrutin majoritaire : le problème des désistements
537. Pour être élu au premier tour, le candidat doit, à la fois, obtenir la majo-
rité absolue des suffrages exprimés et réunir sur son nom un nombre de suffra-
ges égal au quart du nombre des électeurs inscrits.
Le second tour de scrutin a lieu le dimanche qui suit le premier tour. La
majorité relative suffit alors pour être élu. Toutefois le législateur sest soucié
d
empêcher que le scrutin soit faussé par les transactions qui se déroulent par-
fois entre les deux tours. Il a voulu notamment couper court à la man
œuvre qui
consiste, de la part d
un candidat, à se présenter sans espoir dêtre élu mais à
seule fin de monnayer son désistement au second tour. C
est pour assurer cette
« moralisation » du ballottage que l
ordonnance de 1958, décida que nul ne peut
être candidat au deuxième tour s
il ne sest présenté au premier et sil na
obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Mais dans le cadre d
une politique
qui visait à instaurer progressivement en France un régime bipartisan, en obli-
geant les grandes formations à se regrouper et les petites à disparaître, une
réforme électorale est intervenue le 29 décembre 1966 : pour pouvoir être can-
didat au second tour, il fallait avoir recueilli au premier 10 % des voix des élec-
teurs
inscrits. Cette proportion a été élevée à 12,5 % par la loi du 9 juillet 1976.
Des exceptions ont néanmoins été prévues pour le cas où, à l
issue du pre-
mier tour, il ne se trouverait pas au moins deux candidats remplissant cette
condition (art. L. 162 C. élect.).
Dans le cas où aucun candidat na atteint le seuil des 12,5 %, il est prévu que
les deux candidats arrivés en tête au premier tour pourront se maintenir au
second.
Dans le cas où le seuil de 12,5 % na été atteint que par un seul candidat, le
candidat ayant obtenu après lui le plus grand nombre de suffrages au premier
tour peut se maintenir au second.
Ces aménagements ne suffisent pas à garantir que les électeurs auront tou-
jours le choix entre au moins deux candidats au second tour. Il peut en effet se
produire que les deux candidats arrivés en tête au premier tour appartiennent à
la même coalition, et que l
un deux se retire pour honorer un accord de désiste-
ment, alors que les autres candidats ont tous été éliminés parce qu
ils navaient
pas atteint au premier tour le seuil des 12,5 %. Dans un tel cas de figure, heu-
reusement assez exceptionnel, il n
y a plus quun candidat unique au second
tour et l
élection devient une simple formalité78.
Lorsque le seuil est atteint par plus de deux candidats, le second tour risque
de prendre la forme d
une compétition triangulaire, voire quadrangulaire. Mais
cette hypothèse est relativement rare car, comme il suffit au second tour d
une
majorité relative pour être élu, les états-majors politiques sefforcent déviter
78. En 1988, une élection obtenue dans de telles conditions avait été contestée par des électeurs qui
soutenaient que l
absence de toute possibilité de choix au second tour constituait une violation des
stipulations de l
article 3 du protocole additionnel no 1 à la CEDH. Ce texte prévoit en effet lorgani-
sation d
élections « dans des conditions qui assurent la libre expression de lopinion du peuple sur le
choix du corps législatif ». Le Conseil constitutionnel a rejeté ce moyen en affirmant que, « prises dans
leur ensemble », les dispositions de la loi électorale nétaient pas incompatibles avec les stipulations de
l
article 3. En dautres termes, pour quil y ait liberté de choix, il suffit que les électeurs aient pu choisir
entre plusieurs candidats au premier tour (CC 88-1082, 21 octobre 1988,
Rec. p. 183).
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Le cadre
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une division des voix qui ferait le jeu du camp adverse. À droite comme à gau-
che, on applique les accords de désistement, de sorte que seuls restent en piste
les deux candidats les mieux placés.
Mais ce scénario est parfois perturbé par la percée, au premier tour, dun
candidat appartenant à une formation qui n
est liée par aucun accord de désiste-
ment. Par exemple, lors des législatives de 1997, le Front national a maintenu
son candidat dans 132 circonscriptions. Ce maintien a entraîné une division des
voix de la droite et, d
après certaines statistiques, il aurait coûté au RPR et à
l
UDF au moins une trentaine de sièges.
Cependant, en raison de la bipolarisation croissante et de la montée de labs-
tentionnisme, depuis 2002 peu de candidats ont réussi à dépasser le seuil des
12,5 % et le nombre des triangulaires s
en est trouvé considérablement réduit.
On en a compté seulement une quarantaine en 2012.
D Lorganisation et le financement de la campagne
538. La campagne des élections législatives est ouverte 20 jours avant la
date du premier tour de scrutin. Elle se déroule à la fois au niveau national et
au niveau local (c
est-à-dire dans le cadre de chaque circonscription).
Au plan national, ce sont les partis politiques qui sont les acteurs de la cam-
pagne et ils y investissent souvent des moyens importants, en organisant de
grandes manifestations
79. La publicité politique proprement dite leur est inter-
dite mais l
État met à leur disposition des moyens de propagande, notamment
un temps d
antenne sur les ondes des chaînes publiques de radio et de télévi-
sion. La durée totale de ce temps d
antenne est en principe de trois heures pour
les émissions précédant le premier tour de scrutin, et d
une heure et demie pour
les émissions réalisées durant la campagne du second tour. Cette durée est par-
tagée à égalité entre les formations politiques représentées à lAssemblée natio-
nale appartenant à la majorité et celles appartenant à lopposition. À lintérieur
de chaque camp, le temps d
antenne est réparti par accord amiable entre les
Présidents des groupes parlementaires intéressés. À défaut d
accord amiable,
la répartition est effectuée proportionnellement aux effectifs des groupes.
Quant aux partis politiques qui ne sont pas représentés au sein de lAssem-
blée nationale sortante, ils ont droit à un temps d
antenne de sept minutes pour
le premier tour et de cinq minutes pour le second, à condition qu
ils présentent
au moins soixante-quinze candidats.
En outre, lorsquils traitent de lactualité liée aux élections, les services de
radio et de télévision doivent veiller à ce que les partis et groupements présen-
tant des candidats bénéficient d
une présentation et dun accès à lantenne
« équitables ». Cette notion déquité signifie, dune part, que les commentaires
doivent être impartiaux et, dautre part, que le temps consacré à chaque parti ou
79. Comme pour toutes les élections, les articles L. 50-1 et s. Code électoral interdisent le recours à
certains moyens de propagande particulièrement coûteux, qui pourraient créer de graves inégalités
entre les candidats : numéro d
appel téléphonique ou télématique gratuit, publicité commerciale par
voie de presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle, affichage en dehors des panneaux
officiels. Ces interdictions sont en vigueur pendant les trois mois précédant le premier jour d
une élec-
tion et jusqu
à la date du tour de scrutin où lélection est acquise.
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480
Droit constitutionnel
groupement doit être sensiblement proportionnel à son poids politique, que lon
apprécie principalement en fonction du nombre des parlementaires qui le sou-
tiennent et des résultats qu
il a obtenus lors des précédentes élections. Lorsquil
est traité d
une circonscription déterminée, toutes les candidatures doivent être
présentées (voir la recommandation du CSA en date du 18 avril 2007).
Dans toutes les campagnes électorales, les sondages dopinion, dont les résul-
tats sont souvent repris par la presse, jouent un rôle important. Même s
ils ont un
aspect apparemment objectif, ces sondages sont susceptibles d
influencer le com-
portement des électeurs et ils peuvent donc être utilisés à des fins de propagande.
C
est pourquoi une loi du 19 juillet 1977 a réglementé, en vue de prévenir certai-
nes manipulations, tous les sondages ayant un rapport direct ou indirect avec une
élection ou même un référendum. En premier lieu, la loi a institué une « commis-
sion des sondages », composée de hauts magistrats, qui surveille l
activité des
instituts de sondages et qui peut faire publier une mise au point lorsqu
elle estime
qu
un sondage na pas été réalisé dans de bonnes conditions et quil est suscep-
tible d
induire en erreur. En second lieu, la loi de 1977 interdisait la publication
(mais non la réalisation) de tout sondage ayant trait à l
élection pendant la
semaine qui précède chaque tour de scrutin et pendant le déroulement du scrutin.
Cependant, le développement de l
internet a rendu ces limitations inopérantes.
Elles entraient aussi en conflit avec le principe de la liberté d
expression garanti
par la Convention européenne des droits de l
Homme. La législation a donc été
modifiée par une loi du 19 février 2002 : désormais, la publication des sondages
est autorisée jusqu
à la fin de la campagne électorale, cest-à-dire jusquau ven-
dredi précédent le scrutin à minuit. Elle demeure cependant interdite la veille du
scrutin et le jour même de celui-ci, c
est-à-dire pendant les 48 heures où lon na
plus le droit de faire de la propagande électorale.
Cette loi sapplique à toutes les campagnes électorales ainsi quaux référen-
dums. Mais l
encadrement quelle a mis en place est parfois jugé insuffisant.
Une proposition de loi adoptée à lunanimité par le Sénat en 2011, qui vise
lensemble des sondages et pas seulement pendant les campagnes, prévoit de
le compléter en obligeant à inclure dans la présentation des sondages certaines
indications qui devraient permettre d
en relativiser la portée : nom du comman-
ditaire, nombre des personnes interrogées, date à laquelle les interrogations ont
eu lieu, marge d
erreur par rapport aux résultats obtenus, etc. Mais cette propo-
sition n
a pas encore été examinée par lAssemblée nationale
La campagne des législatives ne se déroule pas seulement au niveau national
mais aussi au niveau local, c
est-à-dire dans le cadre de chacune des 577 circon-
scriptions. L
encadrement financier de la campagne à ce niveau peut être
résumé en trois points : le plafonnement des dépenses ; la réglementation des
moyens de financement ; lobligation de tenir un compte de campagne.
1. Le plafonnement des dépenses
539. Les dépenses électorales, autres que les dépenses de propagande direc-
tement prises en charge par l
État, sont plafonnées pour chaque candidat. Le
plafond a été initialement fixé à 38 000 euros, cette somme étant majorée de
0,15 euro par habitant de la circonscription (art. L. 52-11, C. élect. modifié par
l
article 10 de la loi du 29 janvier 1993). Périodiquement, pour tenir compte de
Page 481
Le cadre
481
linflation, les plafonds sont actualisés par un décret qui fixe un coefficient mul-
tiplicateur
80.
La notion de dépenses électorales retenue pour la vérification du respect de
ce plafond est très large. Elle comprend toutes les dépenses exposées directe-
ment au profit du candidat et avec l
accord81 de celui-ci, par les personnes
physiques qui lui apportent leur soutien, ainsi que par les partis et groupe-
ments politiques qui ont été créés en vue de lui apporter leur soutien ou qui
lui apportent leur soutien (art. L. 52-12, C. élect.). Si le candidat a bénéficié de
services ou dons en nature, il doit en estimer la valeur pécuniaire et l
inclure
dans ses dépenses.
Théoriquement,
les dépenses engendrées par les grandes manifestations
nationales organisées par un parti devraient être rattachées, pour une part, au
compte de chacun des candidats qui ont tiré profit de cette manifestation pour
leur campagne. Mais les modalités de ce rattachement peuvent parfois prêter à
contestation : par exemple, si le Président d
un parti organise un meeting de
propagande à Lille, les dépenses afférentes à ce meeting doivent-elles être
réparties : entre les candidats présents sur le podium, parce qu
ils étaient parti-
culièrement en vue ? Entre les candidats de la région de Lille, leurs électeurs
étant supposés particulièrement attentifs à ce qui se passe dans cette ville ?
Entre tous les candidats investis par le parti, mais selon une pondération parti-
culière tenant compte de certains facteurs, dont la présence sur le podium et la
proximité géographique de la circonscription ? En fait, il n
existe pas encore de
règles bien établies en la matière ; les partis politiques et la CNCCFP s
efforcent
de résoudre les difficultés au coup par coup.
Toutes les dépenses effectuées pendant la période de référence (cest-à-dire
pendant l
année précédant le premier jour du mois de lélection et jusquà la
date où l
élection a été acquise) sont susceptibles dêtre considérées comme
des dépenses électorales. Une distinction doit cependant être faite en ce qui
concerne les dépenses effectuées dans le cadre dune élection primaire, cest-
à-dire une élection organisée par un parti en vue de choisir son candidat.
Selon le Conseil d
État et le Conseil constitutionnel, ces dépenses ne doivent
être inscrites au compte de campagne que s
il sagissait dune primaire ouverte
à tous les électeurs de la circonscription (Voir par exemple l
avis du CE en date
de 31 octobtre 2013 sur les élections primaires).
2. La réglementation des moyens de financement
540. En ce qui concerne les recettes, il faut distinguer le financement privé
et le financement public.
80. La dernière actualisation remonte au décret no 2008-1300 du 10 décembre 2008 qui a fixé un
coefficient de 1,26 pour les départements métropolitains. On a renoncé à procéder à une nouvelle
actualisation en 2012 afin de montrer que les activités politiques n
étaient pas épargnées par les mesu-
res déconomie.
81. D
après le texte original, il pouvait sagir dun accord tacite. Mais les mots « même tacite » ont
été supprimés par la loi du 19 janvier 1995.
Page 482
482
Droit constitutionnel
a) Le financement privé (article L. 52-8, C. élect.)
541. Depuis la loi du 19 janvier 1995, les personnes morales nont plus le
droit de participer, directement ou indirectement, au financement de la cam-
pagne électorale d
un candidat82. Une exception est toutefois prévue pour les
partis politiques : un parti politique peut prendre en charge le financement de
la campagne de lun de ses candidats83.
Quant aux personnes physiques, elles peuvent contribuer au financement de
la campagne électorale d
un candidat, mais seulement dans la limite de
4 600 euros, pour l
ensemble des candidats à une même élection. Mais comme
ce plafonnement ne concerne que les dons directs, il peut être assez facilement
détourné en créant un micro-parti (v.
supra, en note). Les dons ne peuvent être
faits en espèces que si leur montant est inférieur à 150 euros.
b) Le financement public (art. L. 167, C. élect.)
542. Avant ladoption de la loi de 1988 sur le financement de la vie poli-
tique et des campagnes électorales, l
État remboursait déjà aux candidats certai-
nes dépenses limitativement énumérées (coût du papier, impression des bulle-
tins de vote et des affiches, frais d
affichage, etc.).
Depuis la réforme de 1988, lÉtat se montre un peu plus généreux et, outre le
remboursement des dépenses déjà mentionnées, il accorde à chaque candidat pour
les autres dépenses un remboursement forfaitaire égal à 50 % du plafond
(v.
supra no 539), mais qui ne peut excéder le montant réel des dépenses engagées
par le candidat et financées sur ses deniers personnels. En outre, pour avoir droit à
ces remboursements, il faut avoir obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés au
premier tour de scrutin, car on considère que le financement public doit être
réservé aux candidats qui ont un minimum de représentativité politique.
c) Lobligation de tenir un compte de campagne
543. Chaque candidat ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés est
tenu d
établir un compte de campagne retraçant, selon leur origine, lensemble
des recettes perçues et, selon leur nature, l
ensemble des dépenses effectuées en
vue de son élection par lui-même ou pour son compte pendant l
année précé-
dant le premier jour du mois de l
élection et jusquà la date du tour de scrutin où
cette élection a été acquise.
Que le candidat ait été élu ou quil ait été battu, le compte de campagne, visé
par un expert-comptable, devra être transmis à la CNCCFP dans les deux mois
Pour les élections législatives de 1993, les dons des personnes morales représentaient en
82.
moyenne 27 % du total des recettes des candidats (Source : CNCCFP [1996], p. 9).
83. Cette exception risque de nuire à la transparence financière des campagnes électorales, car un
parti politique peut être créé à seule fin d
aider un ou plusieurs candidats, ce qui permet de tourner la
réglementation des recettes d
origine privée. Ces formations, qui nont pas besoin davoir de nombreux
adhérents ni même un programme, sont généralement désignées sous le nom de « micro-parti ». C
est
l
une des raisons pour lesquelles, dans son dernier rapport annuel, la CCFP a souhaité que la création
des partis politiques soit entourée d
un minimum de formalisme. Mais tout reste à faire dans ce
domaine. Daprès une enquête réalisée par le magazine Capital, en 2010, les micro-partis créés par
des candidats de droite auraient réussi à engranger plus de 7 millions d
euros contre environ 1,6 million
d
euros pour les partis créés par des candidats de gauche (cf. Capital, no 249, juin 2012).
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Le cadre
483
suivant la date à laquelle lélection a été acquise. Le candidat qui nexécute pas
cette obligation peut être déclaré inéligible pendant un an.
La CNCCFP, qui nest pas une juridiction mais une autorité administrative
indépendante, doit d
abord vérifier lexactitude des indications portées sur le
compte pour, éventuellement, les rectifier : par exemple, si certaines dépenses
ont été manifestement surévaluées, afin daugmenter le montant du rembourse-
ment forfaitaire auquel pourra prétendre le candidat, elle peut d
office les
réduire. Dans ce cas, sa décision ne met en jeu ni la validité de l
élection, ni
l
éligibilité du candidat, auquel aucune faute grave nest reprochée. Cette déci-
sion est donc considérée comme une décision administrative ordinaire. Elle
pourra faire l
objet dun recours devant le Conseil dÉtat. Mais si la CNCCFP
découvre de véritables infractions à la réglementation financière des campagnes
électorales, par exemple des recettes irrégulières ou un dépassement du plafond
des dépenses, le candidat risque d
être déclaré inéligible et son élection, le cas
échéant, peut-être annulée. Ne pouvant prendre elle-même des décisions aussi
graves, la CNCCFP ne joue alors qu
un rôle dinstruction. Elle transmet ensuite
le dossier au Conseil constitutionnel, qui est juge de l
élection.
E Le contentieux électoral
544. Dans la tradition française antérieure à 58, les élections de députés et
des sénateurs ne pouvaient être contestées que devant les assemblées parlemen-
taires elles-mêmes. Comme elles faisaient souvent de ce pouvoir un usage poli-
tique, la Constitution de 1958 a mis fin à ce système. D
après larticle 59 C,
c
est le Conseil constitutionnel qui statue, en cas de contestation, sur la régula-
rité de l
élection des députés et des sénateurs.
545. Les compétences du Conseil en matière de contentieux électoral.
La loi organique relative au Conseil constitutionnel lui attribue en cette matière
une large compétence puisque selon larticle 50, il « examine et tranche défini-
tivement toutes les réclamations ». Mais linterprétation donnée par le Conseil
de cette disposition est plutôt restrictive.
Il considère en effet que sa compétence se limite au seul examen des élec-
tions contestées, ce qui implique qu
il nest valablement saisi que sil y a
contestation et que celle-ci ne peut en principe être dirigée que contre les résul-
tats ayant abouti à proclamer élu un candidat. Il se refuse donc à examiner les
requêtes de candidats auxquels le remboursement de leur cautionnement ou de
leurs frais électoraux a été refusé, motif pris de ce qu
ils navaient pas obtenu
5 % des suffrages exprimés. Ces candidats contestent le calcul des voix qui leur
ont été attribuées. Le Conseil rejette leur requête comme irrecevable, car elle ne
concerne pas directement lélection dun parlementaire (CC no 88-1044, 21 octo-
bre 1988,
Rec. p. 159).
Cependant, depuis 1981, il accepte de statuer, à titre préventif sur les
recours dirigés contre certains actes de portée générale comme le décret de
convocation des collèges électoraux, parce que ces recours mettent en cause la
validité de lensemble des opérations électorales, et quil vaut mieux, pour des
raisons évidentes, que la question soit tranchée avant le scrutin (CC, 11 juin
1981,
Delmas, Rec. p. 97 ; RDP 1981, p. 1347, comm. Favoreu). Mais cette
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484
Droit constitutionnel
jurisprudence na quune portée limitée. Elle ne concerne que les actes prépara-
toires
stricto sensu, cest-à-dire ceux qui ont été pris pour organiser le déroule-
ment des élections. Elle ne permet pas par exemple au Conseil constitutionnel
de statuer sur la régularité d
un décret de dissolution de lAssemblée nationale,
car ce décret ne peut pas être considéré comme un acte préparatoire bien qu
il
ait, avec les élections, un rapport dantériorité et même de causalité (CC, 4 juin
1988,
Minvielle de Guilhem de Lataillade, Rec. p. 79 ; Genevois 1988a).
Quant au contentieux des opérations préliminaires, propres à une circon-
scription déterminée, par exemple le rejet d
une déclaration de candidature, il
relève des juridictions administratives (CC, 11 octobre 1973,
AJDA 1974,
p. 100). Mais la question peut venir en appel devant le Conseil constitutionnel
si le résultat de l
élection est contesté.
546. La procédure. Elle est réglée par lordonnance du 7 novembre 1958
portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.
Lélection dun député ou dun sénateur peut être contestée devant
le
Conseil constitutionnel durant les dix jours qui suivent la proclamation des
résultats du scrutin. Le recours est ouvert à toutes les personnes inscrites sur la
liste électorale de la circonscription concernée, ainsi qu
aux personnes qui ont
fait acte de candidature (art. 33).
La requête doit être adressée soit directement au secrétariat général du
Conseil constitutionnel, soit au préfet ou au chef du territoire qui en assure la
transmission.
Elle ne peut être dirigée que contre le résultat dune élection.
Toute requête tendant à un objet autre sera rejetée comme irrecevable sans
être examinée au fond (sous la seule réserve de la jurisprudence
Delmas ci-des-
sus indiquée).
La requête na pas deffet suspensif. La personne dont lélection est contes-
tée peut donc siéger normalement jusqu
à ce que le Conseil constitutionnel ait
statué sur son cas. Et cest seulement si son élection est validée et à compter de
la date de cette validation quelle devra se mettre en règle avec la législation
relative aux cumuls et aux incompatibilités (v.
infra no 631). En raison du nom-
bre élevé des requêtes, l
instruction de chacun des recours jugés recevables est
confiée à une section composée de trois membres.
Le caractère contradictoire de la procédure est plus accentué que dans les
autres contentieux relevant de la compétence du Conseil constitutionnel à
l
exception de la QPC (v. infra no 780), car il sagit incontestablement dun
litige opposant deux parties : un demandeur (le requérant) et un défendeur
(la personne dont l
élection est contestée). Jusquà une date récente, la procé-
dure était exclusivement écrite et les parties n
avaient donc aucune chance de
pouvoir s
expliquer oralement devant la section chargée de linstruction de
laffaire. Cette règle avait fait lobjet de vives critiques et lon avait même
prétendu quelle serait contraire à larticle 6 de la Convention européenne
des droits de l
Homme (CEDH). Bien quil ait estimé que les stipulations de
l
article 6 nétaient pas applicables au contentieux électoral, et que la Cour
européenne des droits de l
Homme lui ait finalement donné raison sur ce
Page 485
Le cadre
485
point84, le Conseil constitutionnel ne semble pas avoir été tout à fait insensible
à ces critiques : par une décision en date du 28 juin 1998, il a en effet modifié
son règlement de procédure pour permettre aux parties de demander à être
entendues (
Rec. 1995, p. 283). Mais ces demandes ne sont accordées que
dans la mesure où le Conseil estime qu
elles peuvent être utiles à la manifes-
tation de la vérité.
547. Les décisions. La décision est prise par le Conseil en formation plé-
nière après que l
affaire a été rapportée devant lui. Elle doit être motivée et
notifiée aussitôt à l
assemblée intéressée (art. 40 LO).
Aucun délai nétant prévu par les textes, et linstruction des affaires étant
souvent assez longue, les décisions sont parfois rendues plusieurs mois après
la proclamation de l
élection contestée. Par exemple, cest seulement le
30 janvier 2003 qu
ont été rendues les dernières décisions relatives à la vali-
dité des élections législatives de juin 2002.
Lorsquil fait droit à la requête, le Conseil peut, selon les cas, soit annuler
lélection contestée, auquel cas il devra être procédé à un nouveau scrutin, soit
réformer la proclamation faite par la Commission de recensement et proclamer
le candidat qui a été régulièrement élu (art. 41). On remarquera que, jusqu
à
présent, le Conseil constitutionnel n
a jamais fait usage de son pouvoir de réfor-
mation. Le Conseil statue sur la régularité de l
élection tant du titulaire que du
remplaçant. Il possède la plénitude de juridiction, c
est-à-dire quil peut trancher
lui-même n
importe quelle question de droit public ou même de droit privé
lorsque la validité d
une élection en dépend. Par la voie de lexception, il peut
même contrôler la conformité de la loi électorale à une Convention internatio-
nale ou même depuis l
institution de la QPC à la Constitution (infra, no 774).
Dans lensemble,
le Conseil constitutionnel na pas fait preuve, en
matière de contentieux électoral, d
une très grande sévérité. Pour quil
annule une élection, il ne suffit pas de prouver que la campagne du candidat
proclamé élu a été entachée d
irrégularités. Encore faut-il que ces irrégula-
rités aient été susceptibles de fausser le résultat ce qui, selon la jurispru-
dence du Conseil constitutionnel doit s
apprécier en tenant compte essen-
tiellement de l
écart des voix et du comportement des autres candidats.
Une élection largement acquise a donc de fortes chances d
être validée,
quelles qu
aient été les méthodes employées par certains candidats. Cest
ce qui explique que la proportion des annulations par rapport au nombre
des élections contestées soit généralement très faible. De 1958 à 2012, le
Conseil n
avait prononcé que 59 annulations pour 13 élections générales :
84. Daprès larticle 6 de la CEDH, toute personne a droit à ce que « sa cause soit entendue publi-
quement » mais seulement lorsquil sagit dun contentieux portant soit sur « des droits et obligations
de caractère civil », soit sur « le bien fondé d
une accusation en matière pénale ». En 1988, le Conseil
constitutionnel a jugé que le contentieux électoral n
entrait dans aucune de ces deux catégories (CC,
8 novembre 1988,
Rec. p. 196). La question a rebondi quelques années plus tard à propos du conten-
tieux relatif à la réglementation financière des campagnes électorales. En raison des sanctions qui s
y
attachent (inéligibilité, obligation de reversement), on pouvait en effet se demander si ce contentieux
ne devait pas être assimilé à un contentieux de nature pénale. Mais, dans un arrêt du 21 octobre 1997
(affaire Pierre-Bloch c/ France), la Cour européenne des droits de lHomme a jugé que ni la nature ni
le degré de gravité de ces sanctions ne permettaient de les considérer comme de nature pénale. Le
contentieux électoral reste donc en dehors du champ d
application de larticle 6 de la CEDH.
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Droit constitutionnel
la moyenne est donc inférieure à 5 annulations, alors que les contestations
intéressent souvent les résultats de plus de 100 circonscriptions.
548. Contentieux électoral et transparence financière. Depuis quelques
années, le Conseil constitutionnel a eu à traiter des contestations d
un type nou-
veau : celles qui ont trait à lapplication de la législation sur la transparence finan-
cière et sur le financement des campagnes électorales. Lorsquun candidat na pas
déposé son compte de campagne dans le délai prévu, ou lorsque l
examen de ce
compte a révélé des irrégularités, son dossier est transmis au Conseil par la
CNCCFP
85. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel peut donc être saisi doffice,
même si l
élection na pas été contestée par un électeur de la circonscription ou
par un autre candidat.
La principale sanction encourue pour violation de la réglementation finan-
cière est une inéligibilité dont la durée peut atteindre trois ans
86. Si le candidat
a été proclamé élu, non seulement il sera déclaré démissionnaire d
office mais
encore, comme il est temporairement inéligible, il ne pourra pas se représenter
à l
élection partielle organisée pour pourvoir le siège devenu vacant. Toute-
fois, l
inéligibilité ne remet pas en cause les mandats acquis antérieurement à
la décision. Mais si, au contraire, il a été battu, la sanction d
inéligibilité pro-
noncée contre lui ne remet évidemment pas en cause l
élection de son concur-
rent plus heureux. Par ailleurs, le candidat qui n
a pas déposé son compte de
campagne bien qu
il ait obtenu au moins 1 % des voix, ou celui dont le
compte a été rejeté, perd le droit à l
aide de lÉtat. Il se voit donc obligé de
restituer ce qu
il a déjà perçu au titre de cette aide et perd son droit au rem-
boursement forfaitaire.
Le Conseil constitutionnel, juge de lélection, nest pas lié par les conclu-
sions de la CNCCFP. Il doit donc soumettre à un nouvel examen chacun des
dossiers qui lui a été transmis par celle-ci.
Au moins jusquà une date récente, les infractions à la législation concernant
le financement des campagnes électorales étaient sanctionnées plus sévèrement,
et surtout plus systématiquement, que les autres. Le Conseil constitutionnel ne
recherchait pas si, dans les circonstances de l
espèce, ces infractions avaient été
susceptibles de fausser le résultat de l
élection. Il suffisait que leur existence fût
établie et qu
elles eussent un minimum de gravité objective pour que le candidat
fût déclaré inéligible et son élection, le cas échéant, annulée. Cette rigueur est
attestée par les chiffres relatifs au contentieux des élections de 2007 : 495 can-
didats ont été déclarés inéligibles, alors que deux élections seulement ont été
annulées. Encore ces annulations n
étaient-elles que la conséquence du fait
que le compte financier du candidat proclamé élu avait été rejeté !
Mais dans ses observations sur les suites contentieuses des élections légis-
latives de 2007, le Conseil constitutionnel a proposé des assouplissements de la
85. La violation de certaines dispositions relatives au financement des campagnes électorales étant
pénalement sanctionnée, la CNCCFP peut également saisir le parquet lorsqu
elle constate de graves
irrégularités (art. L. 52-15, C. élect.), mais en pratique cette possibilité est rarement utilisée.
86. Depuis la loi du 19 janvier 1995, la période d
inéligibilité commence à courir à compter de la
date de la décision du Conseil constitutionnel et non plus, comme auparavant, à la date de lélection
elle-même.
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Le cadre
487
législation financière applicable aux campagnes législatives. Ils ont été adoptés
par la loi organique du 14 avril 2011 :
Dune part, les candidats ayant obtenu moins de 1 % des suffrages
exprimés, sont désormais dispensés de l
obligation de déposer leur compte
financier, sauf s
ils ont reçu des dons de personnes physiques (CC nº 2012-
4685, AN du 8 février 2013), ce qui réduit sensiblement la charge de travail
pesant sur la CNCCFP et sur le Conseil constitutionnel lui-même. Cette dis-
pense est justifiée par le fait que leur candidature n
a eu aucune incidence sur
les finances publiques puisque leurs frais de campagne ne peuvent pas être rem-
boursés et que les suffrages qu
ils ont obtenus ne sont pas pris en compte pour
le calcul des subventions aux partis politiques.
Dautre part, larticle LO 136 du Code électoral distingue désormais
trois hypothèses dans lesquelles le Conseil peut prononcer une inéligibilité
dans la limite d
une durée maximum de trois ans : dépassement du plafond
des dépenses (al. 1
o) ; non-dépôt du compte de campagne dans le délai prévu
(al. 2
o) ; rejet du compte à bon droit (al. 3o). Malgré les différences des rédac-
tions entre les trois articles, l
inéligibilité est toujours facultative, cest-à-dire
que le Conseil ne la prononce que s
il estime que lirrégularité constatée pré-
sente un degré de gravité suffisant.
F Bilan politique des élections législatives
549. Quatorze élections législatives générales ont eu lieu depuis les débuts
de la Ve République :
une en 1958 pour la constitution initiale de lAssemblée nationale ;
huit au terme normal dune législature (1967, 1973, 1978, 1986 et 1993,
2002, 2007 et 2012) ;
cinq à la suite dune dissolution (1962, 1968, 1981, 1988 et 1997).
On sait que l
une des préoccupations des auteurs de la Constitution de 1958
était d
éviter que le parlementarisme dégénère en instabilité gouvernementale,
comme c
était le cas sous la IVe République. Il semble quils y ont assez bien
réussi. Jusqu
à présent en effet, chaque élection générale a permis de dégager
une majorité parlementaire suffisamment cohérente pour garantir la stabilité
gouvernementale.
Mais, durant les vingt-cinq premières années de la Ve République, cétait
toujours la majorité présidentielle qui constituait le fait politique majeur. En
choisissant un député, beaucoup d
électeurs obéissaient à un réflexe de loya-
lisme envers le chef de l
État. La majorité parlementaire napparaissait donc
pas comme une réalité vraiment autonome. Et les élections législatives n
entraî-
naient aucun bouleversement de léchiquier politique, la majorité présidentielle
étant toujours plus ou moins bien confirmée.
La situation a changé au cours des années 1980 : les élections législatives
apparaissaient de plus en plus comme une compétition totalement ouverte, c
est-
à-dire qu
elles échappaient à lemprise de la majorité présidentielle existante et
quelles pouvaient provoquer à elles seules un changement de cap dans la poli-
tique du pays. En moins de douze ans, de 1986 à 1997, elles ont trois fois abouti à
la mise en place d
une cohabitation.
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488
Droit constitutionnel
La réforme du quinquennat et linversion du calendrier électoral ont été adop-
tées pour tenter de rétablir une relation stable entre la majorité présidentielle et la
majorité parlementaire. Ce mécanisme a bien fonctionné en 2002, 2007 et
2012 mais, ainsi qu
on la déjà signalé, il na aucun caractère dautomaticité
(
supra no 484). Par ailleurs, cest peut-être parce que leur résultat global paraît
relativement prévisible que les citoyens ont de plus en plus tendance à se désin-
téresser des élections législatives : on constate en effet que depuis 2002, c
est-à-
dire depuis que l
inversion du calendrier électoral est entrée en application, la
participation diminue régulièrement et qu
elle se situe aujourdhui un peu en des-
sous de 60 % des électeurs inscrits alors qu
en 1997, elle était voisine de 70 %.
Cette tendance inquiète suffisamment les milieux politiques pour que certains
dirigeants, et notamment François Hollande, envisagent de réintroduire dans le
système électoral une dose de représentation proportionnelle. Il reste à savoir si
une telle opération pourrait être menée à bien sans compromettre l
existence
même de la majorité présidentielle.
§ 2. Lélection présidentielle
550. Du suffrage indirect au suffrage direct. Daprès le texte original de
la Constitution (art. 6), le Président de la République était élu pour sept ans au
suffrage indirect. Le collège électoral comprenait les membres du Parlement et
des conseils généraux ainsi que des représentants des conseils municipaux. En
outre, l
article 81 disposait que les États membres de la Communauté partici-
paient à l
élection du Président.
Il nest pas douteux que ce mode délection établi en 1958 répondait à lin-
tention de soustraire la désignation du Président de la République à l
emprise
des partis (v.
supra no 458). En 1962, compte tenu dune part de la disparition
de la Communauté et, d
autre part, de lévolution du régime dont la pratique
politique avait accentué le caractère plébiscitaire, il devenait possible d
envisa-
ger l
élection du chef de lÉtat au suffrage universel direct. Préparé par le gou-
vernement, un texte modifiant en ce sens l
article 6 de la Constitution fut sou-
mis à la votation populaire et adopté par le référendum du 28 octobre 1962. Les
modalités de l
élection sont réglées par la loi organique du 6 novembre 1962 et
par un décret du 14 mars 1964.
A La périodicité
551. Lélection présidentielle a lieu normalement tous les cinq ans. Sa pério-
dicité est fixée par la Constitution elle-même et non par une simple loi orga-
nique comme celle des élections législatives. Daprès larticle 7 C, le nouveau
Président doit être élu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus avant
l
expiration des pouvoirs du Président en exercice.
Mais lélection peut aussi avoir lieu à limproviste en cas de décès, de
démission, de destitution ou dempêchement définitif du Président en exercice.
Aux États-Unis, lorsque l
une de ces éventualités se produit, il ny a pas
vacance de la présidence car le titulaire est automatiquement remplacé par son
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Le cadre
489
vice-président, élu en même temps que lui. En France au contraire, comme la
Constitution n
a pas prévu de poste de vice-président, le remplacement du Pré-
sident en exercice nécessite une nouvelle élection. Celle-ci doit avoir lieu vingt
jours au moins et trente-cinq jours au plus après l
ouverture de la vacance, sauf
cas de force majeure constaté par le Conseil constitutionnel. Durant ce délai, les
fonctions du Président de la République sont exercées à titre intérimaire par le
Président du Sénat ou, en cas dempêchement de celui-ci, par le gouvernement.
B Le régime des candidatures
552. Les conditions minimum requises pour être éligible à la Présidence de
la République sont celles que le Code électoral (art. L. 44 et s.) a fixées pour
tous les mandats électifs, qu
ils soient locaux ou nationaux87. Mais, à la diffé-
rence des élections législatives, on ne peut pas se porter soi-même candidat.
553. Le système des parrainages. Une candidature ne peut être présentée
que par au moins 500 citoyens qui doivent eux-mêmes être titulaires de l
un des
mandats électifs énumérés par la loi organique relative à l
élection présiden-
tielle. Celle-ci énumère vingt types de mandats que l
on peut regrouper en
trois grandes catégories : 1) chef d
un exécutif de niveau communal ou inter-
communal (maire, président de l
organe délibérant dune communauté urbaine,
d
une communauté dagglomération ou dune communauté de communes) ;
2) membre d
une assemblée délibérante de niveau départemental ou régional
(membre d
un conseil général, dun conseil régional, du Conseil de Paris, de
l
Assemblée de Corse, de lassemblée délibérante dun territoire doutre-mer,
etc.) ; 3
o titulaires dun mandat électif de niveau national (députés, sénateurs,
membres du Conseil supérieur des Français de l
étranger, représentants de la
France au Parlement européen à condition, dans ce dernier cas, qu
ils aient la
nationalité française).
Compte tenu du fait quil existe en France plus de 36 000 communes (et
donc autant de maires élus) le collège des citoyens qui peuvent parrainer une
candidature est relativement nombreux. Mais chacun des membres de ce collège
ne peut faire de présentation que pour un seul candidat même s
il est titulaire de
plusieurs mandats. Au total, il y a un peu plus de 47 000 mandats permettant de
parrainer. Mais en pratique compte tenu des cumuls de mandats, le nombre des
parrains possibles est voisin de 42 000 (Colliard, in AA. VV., « dossier sur
l
élection présidentielle », 2012).
Selon le système originel, la présentation dune candidature ne nécessitait
que 100 signatures. L
expérience des trois premières élections au suffrage direct
(celles de 1965, 1969 et 1974) a fait craindre une multiplication des candidatu-
res au premier tour, qui aurait posé de sérieux problèmes pour lorganisation de
la campagne (v. infra no 557). Aussi, dans sa déclaration du 24 mai 1974, jointe
à la proclamation des résultats de l
élection, le Conseil constitutionnel a-t-il pro-
posé d
instituer un filtrage plus sévère. Cette réforme a été réalisée par la loi
il faut désormais au moins
organique du 18 juin 1976. Non seulement
87. Ces conditions ont déjà été étudiées supra no 534 à propos des élections législatives : être de
nationalité française ; avoir dix-huit ans accomplis ; se trouver dans une situation régulière au regard
du Code du service national, etc.
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Droit constitutionnel
500 signatures mais une candidature ne peut être retenue que si, parmi les
500 parrains, figurent des élus d
au moins trente départements ou territoires
d
outre-mer, sans que plus dun dixième dentre eux puissent être les élus
d
un même département ou territoire doutre-mer88 Depuis
la réforme
d
avril 2006, les présentations doivent parvenir au Conseil constitutionnel au
plus tard le 6e vendredi précédant le 1er tour de scrutin, et non plus seulement
18 jours avant ce 1
er tour, comme il était auparavant prévu. Cest le Conseil
constitutionnel lui-même qui, dans ses observations du 7 juillet 2005, avait pré-
conisé cette anticipation du recueil des parrainages, afin de disposer de plus de
temps pour l
établissement de la liste des candidats et lorganisation de la cam-
pagne.
Depuis la réforme de 1976, les noms des citoyens qui ont parrainé lun des
candidats figurant sur la liste doivent être rendus publics par le Conseil consti-
tutionnel huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, dans la limite du
nombre requis pour la validité de la candidature
89 Cette publicité facilite évi-
demment le contrôle des partis politiques sur leurs élus locaux. Ceci est
important car, en raison des modes d
élection des instances locales, le collège
des parrains est constitué pour l
essentiel, dune part de représentants des
grands partis nationaux de gouvernement et, d
autre part, de centristes sans
étiquette partisane. Or, les uns et les autres hésitent généralement à parrainer
des candidats extrémistes ou même des isolés, de crainte de se voir retirer
l
investiture de leur parti ou de mécontenter certains de leurs électeurs. Cest
pourquoi certains de ces candidats critiquent la publication des noms des par-
rains et soutiennent qu
elle porte atteinte au pluralisme des partis et au secret
du vote. Ces arguments ont été rejetés par le Conseil constitutionnel
90.
Il arrive néanmoins quun candidat extrémiste ou isolé soit discrètement
appuyé par un candidat plus important, qui espère ainsi diviser le camp adverse
ou faciliter un bon report de voix sur sa propre candidature au second tour.
Pour chaque candidat ayant fait lobjet de présentations, le Conseil consti-
tutionnel vérifie si toutes les conditions dont dépend la validité de la candi-
dature sont remplies. Il doit en outre s
assurer du consentement de la per-
sonne présentée. À peine de nullité de sa candidature, celle-ci doit remettre
au Conseil constitutionnel (sous pli scellé) une déclaration de situation patri-
moniale. La déclaration du candidat élu sera publiée au
JO en même temps
que les résultats de l
élection. Quant aux déclarations émanant des autres can-
didats, elles ne sont en principe jamais divulguées
91.
Pour les présentateurs issus dun collège électoral qui comprend plusieurs départements ou terri-
88.
toires, le département ou territoire de rattachement est déterminé par la loi : les représentants de la
France au Parlement européen sont réputés être les élus dun même département (évidemment fictif) ;
les conseillers régionaux et les conseillers à l
Assemblée de Corse sont réputés être les élus des dépar-
tements entre lesquels ils sont répartis pour les élections sénatoriales (v.
infra no 622).
89. C
est-à-dire dans la limite de 500. Pour les candidats qui ont fait lobjet dun nombre plus élevé
de présentations, le Conseil constitutionnel procède à un tirage au sort.
90. Décision n
o 2012-233 QPC du 21 février 2012.
91.
Sur ce point, il semble que la réglementation a pris un peu de retard par rapport à la pratique
politique : en mars 1995, avant même louverture officielle de la campagne, les principaux candidats à
l
élection présidentielle ont accepté de répondre aux questions des journalistes concernant létat de leur
situation patrimoniale.
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Le cadre
491
Le Conseil constitutionnel établit la liste des candidats, qui doit être publiée au
plus tard le seizième jour précédant le premier tour de scrutin. Toute personne ayant
fait l
objet dau moins une présentation, et dont le nom ne figure pas sur cette liste,
peut former un recours dans le jour suivant la publication. Ce recours est jugé d
ur-
gence par le Conseil constitutionnel
92.
Pendant longtemps, on a pensé que la réforme de 1976 suffirait à stabiliser le
nombre des candidats. Lors des trois premières élections organisées postérieure-
ment à cette réforme, ce nombre n
avait jamais dépassé dix93. Mais en 2002,
seize candidats ont pu obtenir les 500 signatures. Cette augmentation brutale a
eu des conséquences importantes sur le déroulement de l
élection. Elle a provoqué
un éparpillement des voix au premier tour, surtout dans l
électorat de gauche,
entraînant ainsi, au soir du 21 avril, l
élimination de tous les candidats qui pou-
vaient se réclamer de cette famille politique. Seuls restaient en présence Jacques
Chirac, le candidat de la droite modérée, et Jean-Marie Le Pen, le candidat de
l
extrême-droite. Les électeurs de gauche ont donc été contraints de reporter
leurs voix sur Jacques Chirac, qui fut élu avec plus de 80 % des suffrages.
La multiplication des candidatures sexpliquait par deux raisons. En premier
lieu, la longue cohabitation qui avait précédé la présidentielle de 2002 avait sti-
mulé la concurrence politique car ni l
un ni lautre des deux candidats princi-
paux ne pouvait plus apparaître comme porteur de changement (v.
supra
no 484). En second lieu, cette multiplication a été facilitée par le fait que les
grands partis n
en percevaient pas les dangers, personne nimaginant que lun
des deux candidats favoris puisse être éliminé à l
issue du premier tour. Les
grands partis ont donc accepté de jouer la carte du pluralisme en venant en
aide à de petits candidats qui ne seraient sans doute pas parvenus par leurs pro-
pres moyens à réunir les 500 parrainages dont ils avaient besoin
94.
Par la suite, bien que la réglementation nait pas été modifiée, le nombre des
candidats est retombé : 12 en 2007, 10 en 2012. Cette diminution s
explique essen-
tiellement par la crainte de voir se renouveler ce qui sétait produit en 2002 : le parti
socialiste, de même que lUMP, a donné pour consigne à ses élus de naccorder leur
parrainage qu
au candidat officiel du parti et il a dissuadé certains de ses alliés de
présenter leur propre candidat.
Le système des parrainages est souvent critiqué. On lui reproche parfois
d
être contraire à lesprit même de la réforme de 1962 qui, en instaurant le suf-
frage direct pour l
élection du Président, tendait à supprimer le filtrage de la
volonté populaire par les notables locaux, alors que le parrainage permet préci-
sément à ceux-ci de filtrer les candidats. D
un point de vue pratique, on fait
observer que ce système peut aboutir à écarter des candidats à la candidature
même s
ils sont représentatifs dune fraction importante de lopinion. On pour-
rait envisager de remplacer ce système, ou de le compléter, en permettant la
désignation directe dun candidat par un nombre déterminé de citoyens (par
12 candidatures en 1974 ; 10 en 1981 ; 9 en 1988 et 1995.
92. Voir par ex. : CC, 11 avril 1981, Fouquet, Le Pen et Schern, Rec. p. 1.
93.
94. Dans ses observations sur les échéances électorales de 2007, le Conseil constitutionnel a constaté
que la législation en vigueur « navait pas empêché en 2002 un nombre sans précédent de candidats »
et a implicitement préconisé une augmentation du nombre de signatures requises pour la présentation.
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492
Droit constitutionnel
exemple 500 000) ou par un parti politique satisfaisant à certains critères de
représentativité (Colliard, 2012).
Dans son rapport publié en novembre 2012, la Commission Jospin avait
placé en tête de ses propositions une réforme du système de parrainage inspiré
de celui qui fonctionne d
une manière satisfaisante dans un certain nombre de
remplacé par un « parrainage
pays européens. Le système actuel serait
citoyen » : il faudrait au minimum 150 000 signatures satisfaisant à certaines
conditions. Cette proposition a suscité de vives critiques : on a dit, d
une part,
qu
elle favoriserait des candidatures purement protestataires sans soutien poli-
tique véritable (du genre « les motards en colère ») et, d
autre part, quelle com-
pliquerait singulièrement la tâche du Conseil constitutionnel qui ne serait pas en
mesure d
authentifier des centaines de milliers de signatures dans les délais rai-
sonnables. On peut se demander si, en France, les résistances à son adoption ne
s
expliquent pas en partie par les réticences des notables qui ont perdu depuis
longtemps le pouvoir d
élire le chef de lÉtat mais qui se résignent difficilement
à renoncer au pouvoir de proposition que la réforme de 1962 leur avait laissé.
Dans ses v
œux au Conseil constitutionnel, le 7 janvier 2013, F. Hollande a
annoncé qu
il renonçait au parrainage citoyen « en raison de la difficulté de sa
mise en
œuvre ».
554. Le problème des élections primaires. À la différence des États-Unis
où fonctionnent depuis longtemps des systèmes d
élections primaires,
les
citoyens n
interviennent pas directement dans la désignation des candidats. On
dit parfois que des primaires à l
américaine seraient inutiles en France, car ce
sont les résultats du premier tour qui permettent de départager les candidats
appartenant à une même famille politique. Mais ce n
est que partiellement
exact et, en pratique, un parti politique, ou même une coalition comprenant plu-
sieurs partis, peut avoir intérêt à sélectionner son candidat avant l
ouverture de
la campagne, car, d
une part, la division des voix pourrait entraîner lélimina-
tion de tous ses candidats dès le premier tour, comme cela s
est produit pour la
gauche en 2002 et, d
autre part, un combat fratricide au premier tour rend plus
aléatoire un bon report des voix sur le candidat le mieux placé au second tour,
qui a lieu seulement deux semaines plus tard, comme Jacques Chirac en a fait
l
expérience en 1988, son échec final face à François Mitterrand sexpliquant en
partie par la rivalité qui l
avait opposé à Raymond Barre durant la campagne du
premier tour.
Cest pourquoi de plus en plus, selon des modalités variables, les partis
prennent l
habitude dassocier leurs militants à la désignation du candidat
qu
ils soutiendront.
Au parti socialiste, depuis le congrès de Dijon (2003), les statuts prévoyaient
que le candidat à la présidence de la République était désigné à bulletins secrets
par l
ensemble des adhérents réunis en assemblées générales de section, selon une
procédure présentant des analogies
95 avec celle du scrutin présidentiel lui-même. Ce
95. De même que pour le scrutin présidentiel, laccès au premier tour est organisé selon un système
de parrainage : pour être candidat, il faut obtenir la signature de 10 % des membres du Conseil national
du parti. Si aucun candidat n
obtient la majorité absolue des suffrages au premier tour, un second tour
est organisé pour départager les trois candidats les plus favorisés.
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Le cadre
493
système a fonctionné pour la première fois pour lélection présidentielle de 2007 : il
a abouti à la désignation, le 26 novembre 2006, de Ségolène Royal.
À lUMP, les statuts ne prévoient pas délection primaire mais, en jan-
vier 2007, la candidature de Nicolas Sarkozy, président du parti, a été soumise à
l
approbation de lensemble des militants, et plébiscitée à une très forte majorité.
Toutefois, en principe, il sagissait non dune investiture, comme au Parti socia-
liste, mais d
un simple soutien96, qui ninterdisait pas à dautres personnalités du
même parti de tenter leur chance à la présidentielle, mais qui réservait à Nicolas
Sarkozy l
appui de la logistique.
Bien que, au PS comme à lUMP, les primaires aient été réservées aux mili-
tants régulièrement inscrits, elles ont coïncidé avec une large campagne d
adhé-
sion qui les rapprochait un peu de primaires à l
américaine, dans la mesure où
tous les sympathisants qui le souhaitaient pouvaient rejoindre le parti moyen-
nant une cotisation très modique, et avec un minimum de formalités.
En vue des présidentielles de 2012, le parti socialiste a franchi un pas sup-
plémentaire en organisant, à l
automne 2011, des primaires « ouvertes » aux-
quelles pouvaient voter non seulement ses adhérents mais aussi les sympathi-
sants au sens large du terme, c
est-à-dire tous les citoyens qui accepteraient de
s
acquitter dune participation dau moins un euro et de signer un engagement à
soutenir les principes figurant dans une « charte des valeurs de gauche » affi-
chée à l
entrée des bureaux de vote. On se rapproche ainsi beaucoup dune élec-
tion primaire telle qu
il en existe depuis longtemps aux États-Unis, où la plupart
des citoyens inscrits sur les listes électorales participent à la désignation du can-
le plus proches
didat de celui des deux grands partis dont
(v.
supra, no 263). La question de savoir si les dépenses effectuées à loccasion
de cette primaire doivent être réintégrées dans le compte de campagne des can-
didats ne semble pas avoir été définitivement tranchée (voir
infra, no 558).
ils se sentent
C Le mode de scrutin
555. Il sagit dun scrutin à deux tours. Au premier tour, lélection ne peut
être acquise qu
à la majorité absolue des suffrages exprimés. Si celle-ci na pu
être obtenue, il est procédé à un second tour le deuxième dimanche suivant.
Seuls peuvent s
y présenter les deux candidats qui, le cas échéant après retrait
de candidats plus favorisés, se trouvent avoir recueilli le plus grand nombre de
suffrages au premier tour. Cette disposition a pour objet d
éviter léparpillement
des voix au second tour et de conférer à l
élu lautorité que lui vaudra lobtention
d
un nombre respectable de suffrages. Lallusion au retrait de « candidats plus
favorisés » correspond à une hypothèse dont la réalisation est assez peu vraisem-
blable : au premier tour, un candidat vient en tête, mais il apparaît quayant « fait
le plein » des voix de ses partisans, il ne peut guère espérer en recueillir davan-
tage au second tour ; il se retirera donc pour laisser la place à un candidat ayant
96. La distinction entre investiture et soutien sexplique par lattachement à la doctrine gaulliste :
comme le Président de la République doit être un arbitre au-dessus des partis, il faut éviter quun can-
didat apparaisse comme le représentant d
un parti.
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Droit constitutionnel
obtenu moins de suffrages que lui au premier tour, mais qui est susceptible,
parce qu
il est moins marqué, den rassembler davantage au second tour.
Intentionnellement, le décret du 14 mars 1964 ne contenait aucune disposition
relative au cas d
une disparition dun des deux candidats demeurant en lice après
le premier tour de scrutin. Les auteurs du texte avaient estimé que, soit le Prési-
dent en exercice, soit son suppléant, soit le Conseil constitutionnel pourrait, le cas
échéant, prendre les mesures nécessaires.
Mais dans une déclaration du 24 mai 1974, le Conseil constitutionnel lui-
même a attiré l
attention des pouvoirs publics sur ce point en précisant que le
silence du texte risquait « de poser éventuellement un problème d
appréciation
particulièrement délicat » ; aussi l
article 7 modifié par la révision du 18 juin
1976 distingue-t-il plusieurs hypothèses :
1o Si, dans les sept jours précédant la date limite de dépôt des présentations
de candidatures, une des personnes ayant, moins de trente jours avant cette date,
annoncé publiquement sa décision d
être candidate décède ou se trouve empê-
chée, le Conseil constitutionnel dispose d
une faculté dappréciation. Il peut
décider le report de l
élection, mais il nest pas tenu de le faire.
2o Si, avant le premier tour, un des candidats décède ou se trouve empêché,
le Conseil constitutionnel doit prononcer le report de lélection.
3o En cas de décès ou dempêchement de lun des deux candidats les plus
favorisés au premier tour avant les retraits éventuels, ou de l
un des deux can-
didats restés en présence à la suite de ces retraits, le Conseil constitutionnel doit
déclarer qu
il sera procédé de nouveau à lensemble des opérations électorales.
Mais, quelle que soit l
hypothèse envisagée, le Conseil constitutionnel ne
peut prononcer le report de l
élection quà la condition quil ait été saisi dune
demande. Il peut être saisi soit dans les conditions prévues par l
article 61 ali-
néa 2 pour le contrôle de la constitutionnalité des lois (c
est-à-dire par le Prési-
dent de la République, le Premier ministre, le Président de l
une ou lautre
assemblée, soixante députés ou soixante sénateurs) soit dans celles fixées par
la loi organique pour le parrainage des candidats (c
est-à-dire par 500 notabilités
v. supra no 553).
D Lorganisation et le déroulement de la campagne
556. La campagne en vue de lélection du président de la République est
ouverte le deuxième lundi précédant le premier tour de scrutin. Elle prend fin
le vendredi précédant le premier tour à minuit.
Quant à la campagne du second tour, elle est ouverte à compter du vendredi
suivant le premier tour, car c
est à cette date que sont publiés au Journal officiel
les noms des deux candidats restant en piste. Elle ne dure donc officiellement
quune semaine. Toutefois, en pratique, les noms des deux candidats les mieux
placés sont connus dès le soir du premier tour et l
on peut dire que, dun point
de vue politique, la campagne du second tour s
étend sur une douzaine de jours.
Les acteurs principaux de la campagne présidentielle ne sont pas les partis,
comme pour les élections législatives, mais les candidats eux-mêmes.
Le principe de légalité de traitement des candidats domine toute lorganisa-
tion de cette campagne.
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Le cadre
495
Ce principe signifie dabord que tous les candidats doivent bénéficier de la
part de l
État des mêmes facilités en vue de leur propagande électorale : ces
facilités comprennent l
impression de deux affiches, la mise à disposition de
panneaux d
affichage,
l
expédition dune profession de foi
adressée à tous les électeurs. Mais il a aussi des implications particulièrement
importantes dans deux domaines : laccès des candidats aux médias audiovi-
suels et le financement de leur campagne.
limpression et
557. Laccès aux médias audiovisuels. Le principe dégalité sapplique
aux programmes d
information des grands médias audiovisuels. Aux termes de
l
article 15 du décret du 8 mars 2001, dès louverture de la campagne, et jus-
qu
au tour de scrutin où lélection est acquise, les chaînes publiques de télévi-
sion, de même que les «
services de communication audiovisuelle autorisés ou
concédés
» doivent respecter le principe dégalité en ce qui concerne « la repro-
duction ou les commentaires des déclarations et écrits des candidats et la pré-
sentation de leur personne
».
Tenant compte du fait que, dun point de vue politique, la campagne pour
l
élection du président de la République commence bien avant son ouverture
officielle, le Conseil supérieur de l
audiovisuel (CSA) a complété cette règle
en édictant des recommandations qui distinguent trois périodes :
1o) La première période, dite « préliminaire », souvre un peu plus de trois
mois avant la date de la publication de la liste des candidats par le Conseil consti-
tutionnel. C
est durant cette période que les candidats à la candidature multiplient
leurs démarches pour obtenir des parrainages. La manière dont ils sont présentés
(ou ignorés) par les grands médias audiovisuels est susceptible d
exercer une
influence sur le résultat de ces démarches, et donc sur la possibilité pour eux
d
être effectivement candidat. Cest pourquoi le CSA demande aux services de
radio et de télévision de respecter un principe d
équité dans le traitement de
tous les candidats « déclarés » ou même « présumés ». Ce principe concerne
aussi bien « le temps de parole » (c
est-à-dire la transmission ou la rediffusion
des interventions du candidat ou de ses soutiens) que « le temps d
antenne »
(c
est-à-dire lensemble des éléments éditoriaux consacrés au candidat ou à ses
soutiens). Ces temps doivent être sensiblement proportionnels à la représentativité
du candidat, qui est appréciée en fonction d
un ensemble de critères objectifs énu-
mérés par la recommandation (en particulier les résultats obtenus par le candidat
ou la formation politique qui le soutient aux plus récentes élections).
2o) La deuxième période, dite « intermédiaire », va de la publication de la
liste des candidats par le Conseil constitutionnel jusqu
à la veille de louverture
de la campagne officielle.
Durant cette période, le « temps de parole » doit être égal pour tous les can-
didats, alors que le « temps dantenne » reste soumis au principe déquité,
comme durant la période précédente.
3o) La troisième période est celle de la campagne officielle.
Temps de parole et temps d
antenne doivent alors être égaux pour tous les
candidats, comme le prévoit larticle 15 du décret précité.
Ces recommandations sont dans lensemble assez bien respectées, bien que
leur application soulève parfois des difficultés.
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Droit constitutionnel
En 2007, certains candidats à la candidature se sont plaints que le point de
départ de la période préliminaire avait été fixé à une date trop tardive et que le
principe d
équité formulé dans la recommandation du CSA laissait une trop
grande marge d
appréciation aux directions des grands médias audiovisuels.
Mais ces griefs ont été rejetés par le Conseil d
État statuant en référé97.
Durant la campagne du premier tour, comme les candidats sont relativement
nombreux et qu
ils nont pas tous le même poids politique, le principe dégalité
appliqué aux programmes des médias audiovisuels a quelque chose d
un peu arti-
ficiel et contraignant. Il favorise évidemment les « petits candidats », qui ont droit
au même temps de parole et au même temps d
antenne que les « grands », alors
que leur campagne a suscité moins d
intérêt dans le public et quelle est généra-
lement moins riche en événements. En même temps, ce principe d
égalité peut
s
avérer gênant pour le candidat sortant car il est seul à défendre son bilan qui
est critiqué avec plus ou moins de vigueur par tous ses concurrents.
Durant la campagne du second tour, comme il ny a plus que deux candidats
en présence et qu
ils ont un poids politique sensiblement équivalent, le respect
du principe d
égalité pose beaucoup moins de problèmes. Depuis 1974, il est de
tradition d
organiser un face-à-face entre ces deux candidats. Ce débat, qui est
retransmis en direct sur les ondes, constitue le point d
orgue de la campagne :
l
expérience montre quil bénéficie toujours dune audience considérable, alors
que les autres émissions de propagande électorale sont dans l
ensemble assez
peu suivies. On en retient généralement quelques « petites phrases » grâce aux-
quelles l
un ou lautre des candidats a réussi à marquer un point. Mais, selon les
spécialistes, ce débat sert davantage à consolider les opinions qu
à les faire évo-
luer, et son impact sur les intentions de vote est relativement faible. Cet impact
peut néanmoins se révéler décisif lorsque l
écart dans les intentions de vote en
faveur des deux candidats est très petit, comme c
était le cas en 1974.
Du fait des résultats du premier tour, il peut arriver que la campagne du
second tour se déroule dans des conditions atypiques.
En 2002, il y avait une disproportion manifeste entre les forces politiques qui
soutenaient les deux candidats. Les grands partis et les principaux journaux soute-
naient tous J. Chirac. Sur les ondes de la radio et de la télévision, l
égalité de
traitement a été respectée dans sa lettre, car les deux candidats ont disposé du
même temps de parole et du même temps d
antenne, mais pas toujours dans son
esprit, car le ton des commentaires n
était généralement pas neutre. De plus, le
face-à-face entre les deux candidats n
a pas eu lieu, J. Chirac ayant refusé de
débattre avec J.-M. Le Pen et l
audience a donc été moindre que lors des campa-
gnes précédentes.
558. Financement de la campagne. Pour lélection présidentielle comme
pour les autres, le législateur sest efforcé dassurer une plus grande transpa-
rence et d
atténuer linégalité entre les candidats résultant de la disparité des
moyens financiers dont ils disposent.
Dès lorigine, lÉtat a pris directement en charge certaines dépenses limita-
tivement énumérées par l
article 17 du décret du 14 mars 1964, et qui
97. Voir lordonnance du juge des référés en date du 11 janvier 2007, rendue sur la requête
de Mme Corinne Lepage.
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Le cadre
497
concernent la fourniture des bulletins de vote, laffichage sur les panneaux offi-
ciels, l
expédition dune profession de foi à chaque électeur, ainsi que la diffu-
sion d
émissions de propagande sur les ondes nationales. Mais jusquen 1988, il
ne contribuait aux autres dépenses de la campagne que d
une manière presque
symbolique. Une somme de 250 000 francs était remboursée, à titre forfaitaire, à
chaque candidat ayant obtenu au premier tour au moins 5 % des suffrages expri-
més. Cette contribution était dérisoire par rapport au montant des dépenses
le budget d
une campagne présidentielle.
auquel se chiffre habituellement
Aucun plafond n
avait dailleurs été fixé pour ces dépenses.
Les nouvelles dispositions concernant le financement de la campagne fixées
en 1988, puis révisées en janvier 1995, février 2001 et avril 2006
98 figurent dans
la loi organique relative à l
élection présidentielle. Sur de nombreux points,
celle-ci renvoie à des règles fixées par le Code électoral, qui ont déjà été expo-
sées à propos du financement des campagnes législatives (v.
supra no 538). Ces
règles concernent notamment : l
obligation de tenir un compte de campagne
retraçant l
ensemble des recettes perçues et des dépenses effectuées en vue de
l
élection ; linterdiction des dons ou contributions consentis par une personne
morale autre qu
un parti politique ; la limitation du montant des dons ou contri-
butions susceptibles d
être consentis par une personne physique en vue dune
élection ; la limitation des dons en espèces ; le plafonnement des dépenses élec-
torales effectuées au cours de l
année précédant le scrutin ; le principe dune
aide forfaitaire de l
État.
Compte tenu des spécificités de la campagne présidentielle, cet encadrement
financier présente néanmoins quelques particularités :
1o En raison du caractère national de la campagne, le plafond des dépenses est
évidemment beaucoup plus élevé que pour l
élection dun député : il est actuelle-
ment de 16 666 000 euros. Ce chiffre est porté à 21 594 000 euros pour chacun des
deux candidats présents au second tour
99.
2o Tous les candidats, quelle que soit la proportion des suffrages quils ont
obtenus au premier tour, ont droit à un remboursement forfaitaire égal au ving-
tième du montant du plafond (808 300 euros selon le barème actuel).
Pour les candidats ayant obtenu au premier tour plus de 5 % des suffrages
exprimés, le remboursement peut atteindre la moitié du plafond c
est-à-dire
8 083 300 euros pour les candidats éliminés à l
issue du premier tour et
10 797 000 euros pour les candidats présents au second tour.
Mais, de même que pour les élections législatives, le remboursement forfai-
taire ne doit pas excéder le montant des dépenses réelles du candidat telles
qu
elles sont retracées dans son compte de campagne100.
3o Une partie du remboursement forfaitaire est payée sous forme davance,
dès la publication de la liste des candidats au premier tour. Le montant de cette
98. La loi du 5 février 2001 a converti en euros les montants qui avaient été fixés par celle du 19 jan-
vier 1995 en les arrondissant légèrement. Sur le fond, elle a apporté de légères modifications dont
certaines avaient été proposées par le Conseil constitutionnel dans des observations adoptées le
2 juin 2000 (voir
Cahiers du Conseil constitutionnel, no 9, p. 23).
99. Ces chiffres résultent du décret du 1
er février 2007 qui a retenu un coefficient de 1,18 pour actua-
liser les montants antérieurement prévus. De même que pour les élections législatives, lactualisation
des plafonds de dépenses a été reportée jusqu
à lannée au titre de laquelle le déficit des administra-
tions serait nulle.
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Droit constitutionnel
avance est de 153 000 euros. Si les dépenses effectuées par le candidat sont
inférieures à cette somme, l
excédent devra faire lobjet dun remboursement.
4
o Les personnes physiques peuvent participer au financement de la cam-
pagne dans les conditions prévues par l
article L. 52-8 du Code électoral
(c
est-à-dire dans la limite de 4 600 euros versés à un ou plusieurs candidats
pour une même élection).
En outre, depuis la loi organique du 5 février 2001, il est interdit aux parti-
culiers d
accorder à un candidat des prêts ou avances remboursables. Cette
interdiction a été édictée à la demande du Conseil constitutionnel qui avait
constaté qu
il était pratiquement impossible de vérifier si les prêts ou avances
consentis par une personne physique avaient été remboursés. Mais rien n
empê-
che les organismes bancaires d
accorder de tels prêts ou avances.
5o À lorigine, les comptes de campagne des candidats à lélection présiden-
tielle devaient être adressés au Conseil constitutionnel au plus tard le neuvième
vendredi suivant le tour de scrutin où l
élection a été acquise. Depuis la loi
organique du 6 avril 2006, c
est désormais la Commission nationale des
comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui est com-
pétente pour recevoir et examiner ces comptes, comme c
est la règle pour les
autres élections (art. L. 52-12, C. élect.). Mais les décisions de la CNCCFP peu-
vent être contestées par les candidats devant le Conseil constitutionnel, qui est
juge de « plein contentieux », c
est-à-dire quil peut reprendre entièrement
l
examen des comptes et substituer sa décision à celle de la CNCCFP.
La CNCCFP approuve, rejette ou réforme, après examen contradictoire les
comptes de chaque candidat et arrête le montant du remboursement forfaitaire
auquel celui-ci peut prétendre. La faculté de réformer signifie qu
elle peut apporter
des rectifications au cas où, par exemple, certaines prestations en nature dont a
bénéficié le candidat auraient été sous-évaluées.
Dans ses rapports sur les élections précédentes, ainsi que dans sa délibéra-
tion du 7 juillet 2005 sur les échéances électorales de 2007, le Conseil constitu-
tionnel sétait plaint de la rigidité du système qui obligeait le contrôleur du
compte de campagne à choisir entre l
acceptation pure et simple (avec recon-
naissance du droit au remboursement forfaitaire) et le rejet (avec privation totale
du droit à ce même remboursement).
Pour tenir compte de cette critique, la loi organique du 6 avril 2006 a élargi
léventail des solutions possibles.
Si la CNCCFP constate des irrégularités très graves, elle peut rejeter le
compte, ce qui entraîne la perte du droit au remboursement forfaitaire. La
même sanction est applicable aux candidats qui n
ont pas déposé leur compte
avant l
expiration du délai.
Mais si les irrégularités constatées ne sont pas suffisamment graves pour
justifier le rejet du compte, la CNCCFP peut « réduire le montant du rembour-
sement forfaitaire en fonction du nombre et de la gravité de ces irrégularités
».
Le Conseil constitutionnel, lorsqu
il est saisi dun recours, dispose bien
entendu des mêmes pouvoirs.
100. Afin de contourner cette règle, les petits candidats ont souvent tendance à gonfler le montant de
leurs dépenses de campagne en surfacturant certains services rendus par des personnes morales liées au
parti qui les soutient (location de bureaux par exemple).
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Le cadre
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Dans un cas particulier, la loi organique a prévu une sanction automatique.
Si un dépassement du plafond des dépenses électorales est constaté, le candidat
est tenu de régler au trésor public une somme égale au montant de ce dépasse-
ment. Cette sanction est totalement indépendante de la décision concernant l
ac-
ceptation du compte et le montant du remboursement forfaitaire.
Le 19 décembre 2012, la CNCCFP a rejeté le compte de campagne du can-
didat sortant, Nicolas Sarkozy. Ce dernier a formé un recours contre cette déci-
sion devant le Conseil constitutionnel. Celui-ci a confirmé pour l
essentiel la
décision de la CNCCFP. Cette décision a eu trois conséquences : en premier
lieu, Nicolas Sarkozy n
a pas pu bénéficier du remboursement forfaitaire, dont
le montant se serait élevé à environ 11 millions d
euros ; en deuxième lieu, il a
dû rembourser l
avance forfaitaire de 153 000 euros quil avait perçue ; enfin, à
titre de pénalité, il a dû verser au Trésor public une somme égale au montant du
dépassement soit 466 000 euros
101.
Contrairement aux décisions rendues après les élections législatives, celles
qui sont rendues sur les comptes de campagne des candidats à l
élection prési-
dentielle ne sont jamais assorties d
une sanction dinéligibilité. Elles ne peuvent
donc pas entraîner la démission d
office du candidat, si celui-ci a été élu.
On ne saurait affirmer que cette réglementation garantit une transparence
totale du financement de l
élection présidentielle. Dune part, certaines recettes
passent facilement inaperçues, surtout lorsqu
il sagit de dons versés en espèces
ou de prestations en nature. D
autre part, comme la constaté le Conseil consti-
tutionnel dans ces rapports, la multiplicité d
initiatives auxquelles donnent lieu
les campagnes rend pratiquement impossible un contrôle exhaustif des dépenses
de propagande directes ou indirectes. Enfin, l
on sait aujourdhui quen 1995 le
Conseil constitutionnel a validé les comptes de campagne d
Édouard Balladur
et de Jacques Chirac contrairement à l
avis de ses rapporteurs qui avaient relevé
sur ces comptes des recettes non justifiées
102.
E Proclamation des résultats et contentieux
559. Aux termes de larticle 58 C : « Le Conseil constitutionnel veille à la
régularité de lélection du Président de la République ».
« Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin ».
Les bulletins sont d
abord dépouillés dans chaque bureau de vote, comme pour
les élections législatives ; une première totalisation est faite au niveau de chaque
département ou collectivité d
outre-mer ; les procès-verbaux ainsi établis sont ensuite
envoyés au Conseil constitutionnel qui effectue le recensement général des votes.
Trois sortes de réclamations sont prévues (art. 28 du décret du 14 mars 1964).
En premier lieu, tout électeur peut contester la régularité des opérations du
bureau de vote où il est inscrit, en faisant porter mention de sa réclamation au
procès-verbal.
101. Sur cette décision rendue le 4 juillet 2013, voir : F. HAMON « Le contrôle juridictionnel du
compte de campagne des candidats à la présidentielle : entre rigueur financière et prudence politique »,
in Petites affiches, 21 octobre 2013, nº 210.
102. Voir sur ce point l
article paru dans le journal Le Monde du 15 mars 2011 : « Petits comptes entre
sages ».
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Droit constitutionnel
En deuxième lieu, le préfet (ou le chef de territoire) peut, dans le délai de
quarante-huit heures suivant la clôture du scrutin, déférer au Conseil constitu-
tionnel les opérations d
une circonscription située dans son ressort territorial.
En troisième lieu, dans ce même délai de quarante-huit heures, tout candidat
peut déférer au Conseil constitutionnel lensemble des opérations électorales.
Avant de proclamer les résultats, le Conseil constitutionnel examine toutes
les réclamations qui lui sont parvenues dans le délai, ainsi que les rapports des
délégués qu
il a lui-même désignés pour surveiller les opérations de vote. Il
annule les opérations qui lui paraissent avoir été entachées d
une irrégularité
suffisamment grave pour porter atteinte à la liberté ou à la sincérité du scrutin.
Mais jusqu
à présent, ces annulations nont jamais concerné quun nombre de
bulletins beaucoup trop faible pour remettre en cause le résultat d
ensemble.
Il convient dailleurs de noter que les délais dinstruction dont dispose le
Conseil constitutionnel sont extrêmement brefs car, comme l
indique larti-
cle 58 C, les réclamations doivent être définitivement tranchées avant la procla-
mation des résultats. Or celle-ci doit intervenir dans les dix jours qui suivent le
scrutin lorsqu
il sagit du tour « décisif », cest-à-dire celui où lun des candidats
a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés. Et si au premier tour,
comme c
est généralement le cas, aucun des candidats na obtenu cette majorité,
le Conseil constitutionnel doit faire connaître le résultat obtenu par chacun
d
eux au plus tard le mercredi suivant à 20 heures, ce qui signifie quil ne dis-
pose même pas de trois jours pleins pour examiner les réclamations (art. 27 du
décret du 14 mars 1964).
Le Conseil constitutionnel ne se borne pas toujours à proclamer les résultats.
À la suite du second tour de 1974, il a joint à cette proclamation une déclaration
pour attirer l
attention sur certaines imperfections des mécanismes du scrutin.
Ainsi qu
on la déjà signalé, cette déclaration est à lorigine des réformes opé-
rées par les lois constitutionnelle et organique du 18 juin 1976. Il peut égale-
ment, de sa propre initiative et indépendamment de la proclamation des résul-
tats, présenter des observations sur les échéances électorales à venir, comme il
l
a fait le 7 juillet 2005. La loi organique du 5 avril 2006 a dailleurs repris
quelques-unes des mesures qu
il avait préconisées dans ces observations : lanti-
cipation du recueil des parrainages, l
allongement de la période allant de léta-
blissement de la liste des candidats jusqu
à la date du premier tour, et la possi-
bilité de moduler le remboursement des dépenses de campagne en fonction de la
gravité des manquements constatés.
F Bilan politique de lélection présidentielle
560. Neuf élections présidentielles ont eu lieu depuis la réforme du 6 novem-
bre 1962, qui a institué le suffrage direct. Leur étude permet de dégager quel-
ques tendances générales :
a) La première concerne la pré-campagne, cest-à-dire celle qui précède la
décision par laquelle le Conseil constitutionnel arrête la liste des candidats au
premier tour.
Les candidats qui sont déjà à la tête de lexécutif, cest-à-dire ceux qui
occupent soit le poste de Président de la République, soit celui de Premier
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Le cadre
501
ministre ont tendance à différer le plus longtemps possible lannonce de leur
candidature. Ils n
ont pas besoin de lannoncer pour être présents dans les
médias et en évitant de le faire trop tôt, ils parviennent à donner une image
plus flatteuse d
eux-mêmes car ils apparaissent comme uniquement soucieux
de bien remplir leurs fonctions actuelles.
Au contraire, les candidats qui ne sont pas à la tête de lexécutif annoncent
généralement leur candidature longtemps à l
avance parce que cest le seul
moyen d
attirer sur eux lattention des médias et de susciter dans le public
un mouvement pour soutenir cette candidature. Mais le principe de l
égalité
de traitement n
est pas applicable aux candidats à la candidature. Toutefois,
ainsi qu
on la déjà noté, ils doivent bénéficier, durant la période « prélimi-
naire », d
un temps de parole et dun temps dantenne « équitables », confor-
mément à la recommandation du CSA.
b) La deuxième concerne le premier tour. Celui-ci remplit une double fonc-
tion : d
une part, il fournit une tribune à des candidats qui ne peuvent pas espé-
rer être élus mais qui souhaitent populariser leurs idées et éventuellement obte-
nir des avantages politiques à l
issue des négociations entre les deux tours ;
d
autre part, il permet aux électeurs de sélectionner les deux candidats qui saf-
fronteront au second tour, c
est-à-dire quil joue un peu le même rôle que les
élections primaires aux États-Unis (v.
supra no 262).
début
À plusieurs reprises, dans lélectorat de droite, le premier tour a fait fonction
d
élection primaire en permettant de départager deux candidats dont chacun
important :
bénéficiait,
J. Chaban-Delmas et V. Giscard d
Estaing en 1974 ; V. Giscard dEstaing et
J. Chirac en 1981 ; J. Chirac et R. Barre en 1988 ; J. Chirac et E. Balladur en
1995. L
élection de 1995 comportait toutefois un élément nouveau dans la
mesure où les deux candidats de la droite appartenaient au même parti politique
(le RPR), alors qu
il y avait eu les fois précédentes un représentant du RPR et
un de l
UDF.
campagne,
soutien
dun
au
de
la
À gauche, la compétition du premier tour est généralement moins ouverte
car le Parti socialiste est dominant et, en pratique, seul son candidat a des chan-
ces sérieuses de figurer au second tour. De plus, depuis 2012, la désignation du
candidat socialiste donne déjà lieu à une élection primaire ouverte aux sympa-
thisants même s
ils ne sont pas membres du parti, de sorte que ce candidat appa-
raît aussi comme le représentant de l
ensemble des familles politiques de la gau-
che. Il peut cependant arriver qu
il ne figure pas parmi les deux plus favorisés à
l
issue du premier tour. Mais son échec entraîne alors lélimination de tous les
candidats de la gauche, comme en 1969 et en 2002.
c) La troisième concerne le second tour. Il obéit généralement à la logique
de la bipolarisation : cest-à-dire que les électeurs doivent choisir entre un can-
didat de droite et un candidat de gauche.
Il y a eu exception à cette règle en 1969 et en 2002, aucun candidat de gau-
che n
ayant pu figurer parmi les deux plus favorisés à lissue du premier tour,
comme on vient de le rappeler.
En 1969, le second tour a opposé un candidat gaulliste, Georges Pompidou,
et un candidat centriste, Alain Poher. La gauche est restée en retrait. Elle n
a pas
pris nettement position pour l
un ou pour lautre.
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502
Droit constitutionnel
En 2002, le second tour a opposé un candidat de la droite parlementaire,
J. Chirac, et un candidat de l
extrême droite, J.-M. Le Pen. La gauche, cette
fois, s
est rangée derrière J. Chirac qui a été élu avec plus de 82 % des voix,
c
est-à-dire un pourcentage que navait atteint aucun de ses prédécesseurs, y
compris le général de Gaulle.
Il convient de noter que, même lorsque le second tour oppose un candidat de
droite à un candidat de gauche, la bipolarisation de l
électorat nest jamais parfaite.
En 1965, le candidat de l
extrême droite, Jean-Louis Tixier-Vignancourt, a fait
voter pour François Mitterrand, par hostilité envers la politique algérienne du général
de Gaulle.
En 1981, la rivalité entre Jacques Chirac et Valéry Giscard dEstaing a
abouti à un mauvais report des voix de droite sur ce dernier, au second tour.
En 2012,
le candidat de la droite Nicolas Sarkozy a été combattu au
deuxième tour à la fois par la représentante de l
extrême droite, Marine Le
Pen, qui a recommandé à ses troupes de voter blanc, et par le représentant de
l
UDF, François Bayrou qui, bien quil fut habituellement classé au centre droit,
a fait savoir que, « à titre personnel », il voterait pour le candidat socialiste.
d) La quatrième concerne linfluence exercée par lélection présidentielle sur
la vie politique française.
On a déjà signalé quen 1958 les gaullistes avaient souhaité réduire lin-
fluence des partis sur la vie politique. En particulier, le mode d
élection du
chef de l
État devait être tel quil napparaisse pas comme lhomme dun
parti. Si l
on entend par là que le président doit être indépendant des partis
qui l
ont soutenu, on peut dire aujourdhui que cet objectif a été au moins
partiellement atteint. Sans doute les partis ne sont-ils pas absents de l
élection
présidentielle : la sélection des candidats, la collecte des signatures, l
anima-
tion et le financement de la campagne reposent encore sur eux, au moins pour
une bonne part. Mais le succès d
un candidat dépend au moins autant de sa
popularité personnelle, de la qualité de son image médiatique que des partis,
qui le soutiennent.
Dailleurs pour obtenir les voix des électeurs hésitants, les principaux candidats,
qu
ils soient de droite ou de gauche, sont obligés de se poser en « rassembleur », ce
qui les conduit parfois à prendre quelques distances vis-à-vis de leur propre parti
103.
En revanche, si l
on veut dire que le président ne doit sallier à aucun parti,
c
est évidemment inenvisageable. En effet, quelle quait été sa stratégie, une
fois élu, le président a besoin des partis politiques : s
il veut réaliser son pro-
gramme, il faut en effet qu
il puisse sappuyer sur une majorité parlementaire,
qui doit être encadrée par un ou plusieurs partis.
Par son existence même, lélection présidentielle au suffrage universel direct a
donc favorisé le regroupement des partis politiques en deux grandes coalitions.
Mais, dun autre côté, il est certain que lélection présidentielle provoque
des tensions à l
intérieur des partis politiques : longtemps avant léchéance
Il est dailleurs fréquent que, au moment dentrer en campagne, les candidats à lélection prési-
103.
dentielle renoncent de façon temporaire ou définitive aux fonctions de direction qu
ils exerçaient à
lintérieur de leur parti. Mais on ne saurait parler dun « usage » car la pratique est fluctuante : en
2007, c
est seulement après son succès au second tour, que Nicolas Sarkozy a renoncé à la direction
de l
UMP.
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Le cadre
503
dune élection présidentielle, les principaux dirigeants dun même parti ou
d
une même coalition rivalisent, chacun cherchant à se donner une stature pré-
sidentielle ; ces rivalités nuisent évidemment à la cohésion interne des partis et
elles risquent même parfois de provoquer leur éclatement.
Comme lécrit P. Pflimlin (1991, p. 225) : « Lélection présidentielle est deve-
nue lenjeu exclusif de la compétition entre les partis et les hommes. Pour les
partis, la préoccupation essentielle est de trouver en leur sein un Présiden-
tiable
. Leurs membres se disputent férocement cette promesse de promotion,
au point que dans le jeu politique la compétition des hommes à l
intérieur de
chaque camp retient davantage l
attention que la confrontation entre les camps ».
Compte tenu de la position centrale qu
occupe le Président de la République
dans le système politique français, on pourrait croire que les électeurs ont natu-
rellement tendance à lui renouveler leur confiance à l
issue de son premier man-
dat, afin qu
il puisse poursuivre sa tâche. Mais il nen est rien et ce serait même
plutôt le contraire. On constate que, au moins depuis les années 1970, le mécon-
tentement diffus lié à la persistance des difficultés économiques (chômage, fai-
blesse de la croissance, régression ou stagnation du pouvoir d
achat) se cristal-
lise facilement sur la personne du Président, dont la cote de popularité a
tendance à baisser moins d
un an après son élection pour ne pas se relever
ensuite de façon durable. Ce n
est sans doute pas une coïncidence si, le général
de Gaulle mis à part, les deux seuls présidents de la V
e République qui sont
parvenus à se faire réélire sont F. Mitterrand et J. Chirac, dont l
un des points
communs est que leur premier mandat s
était terminé par une période de coha-
bitation. Ainsi qu
on la déjà signalé (supra no 484), la cohabitation permet
généralement au chef de l
État de compenser par un gain de popularité la
perte d
influence due au fait que la majorité parlementaire et le gouvernement
qu
elle soutient sont étrangers à sa famille politique. Force est donc de constater
que, en rendant plus improbables les cohabitations, la réforme du quinquennat a
peut-être eu pour effet daccélérer le rythme des alternances.
§ 3. Le référendum
561. Au niveau national, il existe plusieurs procédures référendaires, qui dif-
fèrent par leur objet et par les conditions de leur mise en
œuvre. Mais les prin-
cipaux problèmes posés par l
organisation dun référendum sont à peu près les
mêmes, quelle que soit la procédure utilisée.
A Les différentes procédures
562. Chacun des articles 11 C, 89 C, et 88-5 C prévoit la possibilité dorga-
niser un référendum national.
1. La procédure de larticle 11
563. Larticle 11 est le plus important des trois tant dun point de vue théo-
rique que d
un point de vue pratique. Dun point de vue théorique, il faut noter
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Droit constitutionnel
quil permet de faire adopter directement par le peuple un projet de loi qui na
pas été voté par le Parlement, ce qui est révolutionnaire par rapport à la tradition
républicaine française, ou du moins paraissait tel en 1958. D
un point de vue
pratique, on constate que tous les référendums organisés depuis les débuts de la
cinquième République, à une exception près, l
ont été sur la base de larticle 11.
Depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, il existe en fait deux
procédures de l
article 11, lune traditionnelle, dont le mécanisme est centré
sur l
initiative du chef de lÉtat, et lautre nouvelle, dont le mécanisme repose
sur un mélange hybride d
initiative parlementaire et dinitiative citoyenne. Mais
le champ des deux procédures est identique.
564. Le champ de larticle 11. Au cours des travaux préparatoires de la
Constitution, il avait d
abord été envisagé que tout projet relevant du domaine
de la loi puisse être soumis au référendum par le Président de la République
(v.
supra no 468). Mais, en raison probablement des réticences manifestées par
certains ministres du général de Gaulle, qui demeuraient attachés au parlemen-
tarisme traditionnel et redoutaient que le référendum tournât au plébiscite bona-
partiste,
limité :
le champ de cette procédure fut en définitive étroitement
d
après le texte originel de larticle 11, il comprenait seulement « tout projet
de loi portant sur l
organisation des pouvoirs publics, comportant approbation
d
un accord de Communauté104 ou tendant à autoriser la ratification dun traité
qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonction-
nement des institutions
».
Durant la période fondatrice du régime, lactualité était encore dominée par
des grands problèmes concernant l
organisation des pouvoirs publics (autodé-
termination de l
Algérie, mode délection du Président de la République,
le général de Gaulle a-t-il abondamment utilisé l
article 11
etc.)
105. Aussi
(v.
infra no 479). Mais, par la suite, les préoccupations politiques majeures ont
porté, sauf peut-être en matière européenne, sur des problèmes dits de société
(chômage, liberté de l
enseignement, statut des médias audiovisuels, peine de
mort, etc.), qui ne concernaient pas l
organisation des pouvoirs publics et qui
excédaient donc les limites de l
article 11. Un élargissement du champ du réfé-
rendum apparaissait donc nécessaire pour en éviter le dépérissement.
En 1984106, puis de nouveau en 1993107, F. Mitterrand avait proposé dy
inclure les « garanties fondamentales des libertés publiques ». Mais, d
après la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, nombre de ces garanties ont valeur
constitutionnelle et non pas seulement législative. Une telle extension pouvait
donc être difficilement envisagée sans l
institution dun contrôle préalable du
Conseil constitutionnel, ce que tout le monde n
était pas disposé à accepter.
Cest pourquoi le projet déposé en juin 1995 par J. Chirac, qui est à lorigine
Il sagissait non de la Communauté européenne, mais de la Communauté franco-africaine prévue
104.
par le titre XIII de la Constitution, qui a cessé de fonctionner dès 1960. La loi constitutionnelle du
4 août 1995, qui a abrogé le titre XIII, a également supprimé la référence aux accords de Communauté
dans l
article 11.
105. On n
envisagera pas ici la question de savoir si larticle 11 est applicable en matière constitution-
nelle. Cette question est traitée à propos des procédures de révision constitutionnelle (v.
supra no 503).
106. Projet de loi constitutionnelle du 20 juillet 1984.
107. Projet de loi constitutionnelle du 10 mars 1993, inspiré des travaux du comité Vedel.
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Le cadre
505
de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, évitait soigneusement toute allusion
aux libertés.
Depuis ladoption de cette loi constitutionnelle, le champ du référendum
comprend également «
les réformes relatives à la politique économique ou
sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent ».
Du fait de limprécision des termes utilisés, il paraît difficile de mesurer la
portée exacte de cette extension, mais on peut affirmer qu
elle est considérable.
La plupart des interventions de l
État (quil sagisse de santé publique, de fisca-
lité, d
éducation, de lutte contre lexclusion, etc.) poursuivent des objectifs de
caractère social ou économique, et même généralement les deux à la fois. Quant
aux libertés publiques, bien qu
elles ne soient pas directement visées, elles
pourraient être affectées par certaines lois référendaires : par exemple, une loi
portant sur l
organisation ou le fonctionnement dun service public pourrait
modifier les modalités de l
exercice du droit de grève par les agents de ce
service.
565. La procédure traditionnelle. Le système dinitiative combine
l
intervention de deux autorités. La proposition dorganiser un référendum
peut être faite soit par le gouvernement pendant la durée d
une session parle-
mentaire, soit par les deux assemblées ; mais c
est le Président de la Répu-
blique, et lui seul, qui peut donner suite à la proposition en décidant de soumet-
tre au référendum le texte qui lui a été présenté. Et cette décision fait partie des
pouvoirs propres du chef de l
État, cest-à-dire ceux qui sont dispensés de
l
obligation du contreseing (art. 19 C, v. infra no 588).
Cette procédure appelle quelques remarques :
a) En principe, la proposition initiale peut émaner aussi bien du Parlement
que du gouvernement. Mais l
expérience montre que, en France tout au moins,
jamais l
initiative
les assemblées parlementaires ne prennent pratiquement
d
une consultation populaire. Force est en tout cas de constater que tous les
référendums organisés jusqu
à présent dans le cadre de larticle 11 avaient
pour origine une proposition gouvernementale.
b) Théoriquement, le Président de la République nest jamais lui-même lau-
teur du texte soumis au référendum : il ne peut que donner suite à une proposi-
tion émanant du Parlement ou du gouvernement. Mais en pratique, lorsque la
majorité présidentielle et la majorité parlementaire sont de la même couleur
politique, il peut « inspirer » le gouvernement et obtenir de celui-ci la proposi-
tion qui lui convient. Du temps du général de Gaulle, le référendum était parfois
annoncé par le chef de l
État dans une déclaration publique avant même que la
proposition gouvernementale lui ait été officiellement transmise.
c) Si la proposition émane du gouvernement, elle ne peut être faite que
lorsque le Parlement est en session
108. Cette disposition avait été introduite en
1958 dans l
article 11 à la demande du Comité consultatif constitutionnel, qui
redoutait que le référendum serve à dresser le peuple contre le Parlement. Celui-
108. Si le gouvernement veut proposer un référendum en dehors de la période de la session ordinaire
du Parlement, il peut demander au Président de la République de convoquer une session extraordinaire
à cet effet, dans les conditions prévues à l
article 29 C. v. infra no 638.
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506
Droit constitutionnel
ci pouvait donc toujours débattre de la proposition référendaire. Mais il ne
s
agissait que dune simple faculté.
Cest désormais une obligation : « Lorsque le référendum est organisé sur
proposition du gouvernement, celui-ci
fait, devant chaque assemblée, une
déclaration qui est suivie d
un débat » précise le nouvel alinéa 2 de larticle 11
modifié par la loi constitutionnelle du 4 août 1995.
À quel stade de la procédure référendaire ce débat doit-il avoir lieu ? Le
texte de l
article 11 ne le précise pas mais, selon le Conseil constitutionnel,
«
ce nest quaprès que le Président de la République a décidé, par décret, de
soumettre au référendum un projet de loi à la demande du gouvernement que
faire devant chaque assemblée une déclaration suivie d
un
celui-ci doit
débat
»109.
Au moins jusquà lentrée en vigueur de la réforme de 2008, les débats
consécutifs à la déclaration du gouvernement sur le référendum ne devaient nor-
malement déboucher sur aucun vote. Ceci résultait du silence même de l
arti-
cle 11 sur ce point car, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les
assemblées ne pouvaient émettre un vote que dans les cas expressément prévus
par la Constitution (CC 59-2 DC,
Rec. p. 58). Toutefois, à lAssemblée natio-
nale, les députés hostiles au référendum avaient toujours la ressource de déposer
une motion de censure contre le gouvernement, qui (juridiquement tout au
moins) était l
auteur de la proposition.
On sait que cette arme a été utilisée en octobre 1962 par lAssemblée natio-
nale pour tenter de s
opposer à la réforme du mode délection du Président de la
République mais qu
elle sest révélée peu efficace, la chute du gouvernement
de G. Pompidou n
ayant pas fait obstacle au déroulement du référendum.
Depuis lentrée en vigueur de la réforme de 2008, les assemblées parlemen-
taires peuvent à nouveau voter des résolutions «
dans les conditions prévues par
une loi organique
» (art. 34-1 nouveau) Mais il est douteux quelles puissent le
faire à lissue de lun des débats prévus par larticle 11 car, toujours selon lar-
ticle 34-1, « sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à lordre du jour les
propositions de résolution dont le gouvernement estime que leur adoption ou
leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu
elles contien-
nent des injonctions à son égard ». Or, il paraît probable que le gouvernement,
dans ce cas, n
hésiterait pas à opposer lirrecevabilité, sauf peut-être si la pro-
position de résolution était favorable à l
initiative référendaire sans équivoque
possible.
Ceci étant, on peut se demander si le débat parlementaire prévu par larti-
cle 11 sert vraiment à quelque chose. On peut répondre qu
il est censé éclairer
les électeurs sur les enjeux du référendum et constituer le point de départ d
une
délibération dans le pays. Mais il ne faut pas en exagérer limportance car,
nétant même pas conclu par un vote, ce débat risque de passer relativement
inaperçu, comme ce fut le cas en 2005 pour le référendum sur le traité constitu-
tionnel européen.
566. La procédure nouvelle. Lidée dintroduire en France un référen-
dum dinitiative populaire, comme il en existe en Suisse, en Italie, et en
109. Déc. du 24 mars 2005, Hauchemaille et Meyet, considérant 6.
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Le cadre
507
Californie, séduit bon nombre de responsables politiques toutes opinions
confondues (depuis l
UMP jusquau parti communiste) parce quils y voient
un moyen de démontrer leur attachement à la démocratie. Mais en même
temps cette idée leur fait peur car ils savent qu
une telle institution pourrait
dans certains cas leur faire perdre la maîtrise de l
agenda politique au profit de
mouvements populistes qui ne sont même pas toujours représentés au Parle-
ment. La procédure introduite en 2008 à l
alinéa 3 nouveau de larticle 11
résulte d
une tentative maladroite de concilier ces deux sentiments contradic-
toires.
Selon cette procédure, un référendum sur un objet compris dans le champ de
l
article 11 peut être organisé « à linitiative dun cinquième des membres du
Parlement soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électora-
les
» à condition que cette initiative « nait pas pour objet labrogation dune
loi promulguée depuis moins d
un an ». Si toutes ces conditions sont remplies,
l
organisation du référendum reste subordonnée à une condition suspensive : il
n
aura lieu que si la proposition de loi déposée par les parlementaires « na pas
été examinée par les deux assemblées » dans un délai fixé par une loi organique.
Ce dispositif évoque vaguement le référendum d
initiative populaire dans la
mesure où les électeurs inscrits sur les listes électorales ont un rôle à jouer
dans son déclenchement. Mais tout au plus peut-on parler d
une initiative par-
tagée car, d
une part, la procédure ne peut être mise en mouvement que par une
minorité parlementaire relativement importante (183 députés ou sénateurs) et,
d
autre part, elle ne peut aboutir quavec le consentement, ou du moins grâce
à la passivité, de la majorité parlementaire. Si celle-ci veut empêcher l
organi-
sation du référendum, il lui suffit en effet de demander l
inscription de la pro-
position de loi à l
ordre du jour des deux assemblées et de faire en sorte quelle
ne soit pas adoptée
Il y a peu de chances que cette procédure soit fréquemment employée. On
voit mal en effet pourquoi une minorité parlementaire se lancerait dans lentre-
prise politiquement aléatoire et financièrement coûteuse que représente la col-
lecte des soutiens d
un dixième des électeurs inscrits (cest-à-dire environ qua-
tre millions cinq cent mille signatures dans les conditions démographiques
actuelles) en sachant que même si ce seuil est atteint, le référendum pourra
encore être empêché, et alors que, depuis les réformes de 2008, il est relative-
ment facile à tout groupe parlementaire, fût-il minoritaire, d
obtenir directement
l
inscription à lordre du jour dune proposition de loi. La loi organique néces-
saire à la mise en
œuvre de cette procédure na été définitivement adoptée que
le 6 décembre 2013, plus de cinq ans après la révision de la Constitution. Ce
projet donne un rôle important au Conseil constitutionnel qui intervient à plu-
sieurs reprises dans la procédure.
Une première fois pour contrôler si la proposition de loi dorigine parle-
mentaire remplit les conditions de fond et de forme prévues par l
article 11,
c
est-à-dire si elle nest pas contraire à la Constitution, si elle correspond bien
à l
objet de larticle 11, si ses signataires représentent au moins un cinquième
des membres du Parlement et si elle respecte les conditions posées par l
arti-
cle 40 C en ce qui concerne les propositions de loi, cest-à-dire que son adop-
tion ne doit avoir pour conséquence ni une diminution des ressources publiques
ni la création ou l
aggravation dune charge publique. Cette première décision
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508
Droit constitutionnel
fixe la date du début de la période de neuf mois durant laquelle les soutiens
pourront être recueillis. Ces soutiens ne peuvent être accordés que sous la
forme d
un vote électronique, et non sous la forme dune simple signature
comme en Suisse, en Italie ou en Californie.
Durant cette période, il contrôle la régularité des opérations de recueil
des soutiens.
À lissue de cette période le Conseil intervient pour vérifier si linitiative
a recueilli le soutien d
un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales.
Cette seconde décision marque le point de départ du délai de six mois dont
disposent les assemblées parlementaires pour examiner la proposition de loi.
Enfin, si le référendum a finalement lieu, il veille à la régularité des opérations
et proclame les résultats, comme il est prévu à l
article 60 C.
Force est de constater que tout a été prévu pour que le référendum dini-
tiative partagée soit extrêmement difficile à mettre en
œuvre. Il faut recueillir les
soutiens d
environ 4 500 000 électeurs alors quen Italie, pays dont la popula-
tion est du même ordre de grandeur que celle de la France,
il suffit de
500 000 signatures (neuf fois moins) pour lancer un référendum abrogatif. De
plus, pour obtenir ces soutiens, il faut convaincre les citoyens d
accomplir une
démarche informatique, ce qui est plus compliqué et plus aléatoire que de leur
demander une simple signature.
2. Larticle 89
567. Larticle 89 a déjà été étudié : il a trait à la révision constitutionnelle.
Dans le cadre de cette procédure, le référendum n
a quun rôle confirmatif,
c
est-à-dire quil ne peut porter que sur un texte déjà approuvé en termes identi-
ques par les deux assemblées parlementaires. Ce n
est dailleurs quune possibi-
lité alternative : il n
a pas lieu si le Président de la République décide de soumet-
tre le projet de révision au Parlement réuni en Congrès ce qui, de loin, est la
démarche la plus courante (v.
supra no 502). Sur les dix-sept réformes constitu-
tionnelles effectuées depuis 1958 dans le cadre de l
article 89, une seule, celle du
quinquennat, a été approuvée directement par le peuple (référendum du 24 sep-
tembre 2000).
La préférence pour la voie parlementaire sexplique dabord par le contenu de
certains projets, qui ont un caractère plus technique que politique, et qui ne parais-
sent donc pas susceptibles d
intéresser lopinion publique. Mais elle sexplique sur-
tout par des raisons de commodité. Si les conditions de majorité (trois cinquièmes
des suffrages exprimés) sont réunies, elle ne comporte aucun risque politique, alors
que celle du référendum est aléatoire à un double titre puisque l
on ne peut prévoir
en général avec certitude ni limportance de la participation, ni le sens de la
réponse.
Le choix de la voie référendaire en 2000 sexplique probablement par le fait
que la révision portait sur la durée du mandat présidentiel, c
est-à-dire sur une
question qui concerne directement la légitimité populaire du chef de l
État. De
plus, comme lopposition ne pouvait pas se déclarer hostile, la voie référendaire
était pour une fois sans risque, au moins en ce qui concerne le sens de la
réponse.
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Mais la majorité de la doctrine estime que, dans le cas dune proposition de
révision constitutionnelle, le référendum est la seule voie susceptible d
être sui-
vie. Il existe en effet une différence de rédaction significative entre les alinéas
deux et trois de l
article 89. Lalinéa deux, qui a trait à la procédure normale-
ment applicable, parle de projet ou de proposition alors que l
alinéa trois, qui
concerne la variante du congrès, nenvisage que les projets. Cest sans doute
lune des raisons qui expliquent pourquoi le rôle joué par linitiative parlemen-
taire est moins important encore dans le domaine constitutionnel que dans celui
des lois ordinaires. Bien que beaucoup de propositions de révision constitution-
nelle aient été déposées depuis 1958, jamais aucune d
elle na franchi le cap de
la première étape de la procédure.
3. La procédure de larticle 88-5
568. Aux termes de cet article, ajouté à la Constitution par la loi de révision
du 1
er mars 2005 : « Tout projet de loi autorisant la ratification dun traité rela-
tif à l
adhésion dun État à lUnion européenne et aux Communautés européen-
nes est soumis au référendum par le Président de la République
».
Il convient de noter quun projet de loi autorisant la ratification dun tel
traité pouvait déjà être soumis au référendum avant 2005 dans le cadre de l
ar-
ticle 11. On admet en effet généralement qu
un traité relatif à ladhésion dun
État à l
Union européenne ou aux Communautés européennes entre ipso facto
dans la catégorie de ceux qui sont susceptibles « davoir une incidence sur le
fonctionnement des institutions
». Mais la voie référendaire est alors facultative,
comme dans les autres cas prévus à l
article 11. Elle a été utilisée en 1972 pour
le traité relatif à l
adhésion du Royaume-Uni, du Danemark et de lIrlande. Mais
pour les dix-neuf autres États qui ont adhéré par la suite, la loi de ratification a
toujours été adoptée par la voie parlementaire.
Lobjet de larticle 88-5 était de rendre le référendum obligatoire pour toute
adhésion à venir, comme le montre lemploi de lindicatif à la forme affirmative
(« tout projet
est soumis ») et non à la forme simplement potestative comme
dans l
article 11 (« le Président de la République peut soumettre »). On pouvait
néanmoins se demander pourquoi le référendum était obligatoire dans ce cas
particulier alors qu
il ne létait pas lorsquil sagissait de questions au moins
aussi importantes, comme les réformes constitutionnelles touchant à des princi-
pes essentiels. L
explication de ce paradoxe réside dans les circonstances parti-
culières qui sont à l
origine de ladoption de larticle 88-5. Durant le second
semestre de 2004, l
annonce de louverture de négociations entre lUnion euro-
péenne et la Turquie en vue d
une éventuelle adhésion dici une quinzaine dan-
nées avait jeté un grand trouble dans l
opinion française, qui était en majorité
hostile à cette adhésion. Bien que les deux choses neussent pas de rapport
direct, il existait un risque que beaucoup d
électeurs français saisissent locca-
sion du référendum sur la ratification du traité établissant une Constitution pour
l
Europe pour exprimer par un vote négatif les craintes quils éprouvaient au
sujet de la Turquie. Le Président de la République, J. Chirac, espérait les en
dissuader en leur donnant lassurance quils seraient appelés, le moment venu,
à se prononcer directement sur l
adhésion de la Turquie : une disposition pré-
voyant le référendum obligatoire pour toute adhésion à venir fut donc ajoutée au
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510
Droit constitutionnel
projet de révision constitutionnelle destiné à permettre la ratification du traité
établissant une Constitution pour l
Europe.
Cette disposition avait été adoptée pour des raisons essentiellement conjonc-
turelles. Elle avait d
ailleurs manqué son objectif puisquelle navait pas permis
d
éviter le rejet du traité constitutionnel européen. Mais, par sa portée générale
et sa permanence, elle paraissait mal adaptée aux développements futurs de la
construction européenne. Ladhésion de la Suisse, de la Norvège, de la Macé-
doine ou de la Bosnie, sans parler d
Andorre ou de Monaco, laisserait probable-
ment assez indifférente l
opinion française et lorganisation systématique de réfé-
rendums sur de tels sujets pourrait bien accentuer la tendance à l
abstention. Un
autre inconvénient de l
article 88-5 était quil ne permettait lorganisation dun
référendum qu
au stade de la ratification du traité dadhésion, cest-à-dire après
des années de négociations qui ont pu faire naître des espoirs dans le pays
concerné, et donc à un moment où une réponse négative risque de provoquer
des complications diplomatiques graves. Il y avait donc un accord de la majorité
parlementaire pour supprimer ce cas de référendum obligatoire, unique en droit
français, mais à condition que cela n
apparaisse pas manifestement comme un
recul d
un point de vue démocratique. Cest pourquoi lon a profité de la révision
de juillet 2008 pour ajouter à l
article 88-5 un second alinéa qui, sans abroger le
principe posé à l
alinéa premier, fournit une échappatoire pour les cas où la voie
du référendum paraîtrait trop aléatoire : «
Toutefois, par le vote dune motion
adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cin-
quièmes, le Parlement peut autoriser l
adoption du projet de loi selon la procé-
dure prévue au troisième alinéa de l
article 89 » (cest-à-dire par un vote du
congrès du Parlement à la majorité des trois cinquièmes également). Les traités
prévoyant une extension de l
Union européenne et des communautés européen-
nes peuvent donc être ratifiés par la voie parlementaire comme tout autre traité,
mais selon des modalités un peu particulières puisque la majorité des trois cin-
quièmes est exigée non seulement au sein du Congrès, mais également au sein
de chaque assemblée.
B Lorganisation du référendum
569. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il nexiste pas en France
actuellement de dispositions permanentes concernant l
organisation du référen-
dum, et notamment celle de la campagne précédant le scrutin. Selon la jurispru-
dence du Conseil d
État, en labsence de dispositions législatives, cest au pou-
voir
les modalités nécessaires à
l
organisation du référendum (CE, 10 septembre 1992, Meyet, RDP 1992,
p. 1620). Conformément à cette jurisprudence, à loccasion de chaque référen-
dum, des dispositions particulières sont prises par décret après consultation du
Conseil constitutionnel
110.
réglementaire quil appartient de fixer
110. Cette consultation est imposée par la loi organique du 7 novembre 1958 relative au Conseil
constitutionnel qui précise, d
une part, quil doit être « avisé sans délai » de toute mesure prise par le
gouvernement en ce qui concerne lorganisation du référendum (art. 46) et, dautre part, quil « peut
présenter des observations concernant la liste des organisations habilitées à user des moyens officiels
de propagande
» (art. 47).
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Le cadre
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En septembre 2000, dans des observations jointes à la proclamation des
résultats du référendum sur le quinquennat, le Conseil constitutionnel a déploré
ce vide législatif en rappelant que le droit de suffrage constitue un droit civique
dont, en vertu de l
article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles. Il estime en
outre qu
une législation permanente permettrait de simplifier la préparation du
scrutin et de limiter le développement du contentieux111.
Une campagne référendaire ne met pas aux prises des candidats. La plupart
des règles applicables aux campagnes électorales (obligation de tenir un compte
de campagne, plafonnement des dons, etc.) ne sont donc pas transposables en la
matière. Mais il existe au moins un problème commun aux campagnes électorales
et aux campagnes référendaires : comment répartir les moyens de propagandes
fournis par l
État (panneaux daffichage, temps dantenne sur les ondes, subven-
tions, etc.) entre les diverses forces politiques qui souhaitent participer à la cam-
pagne ?
Dans certains pays, comme la Grande-Bretagne, le Danemark ou le Québec,
ces moyens sont répartis de façon égalitaire entre les partisans du oui et ceux du
non. Pendant la durée de la campagne, ils sont regroupés sous l
égide de deux
« comités parapluies », qui bénéficient des mêmes crédits et du même temps
d
antenne.
En France, ces moyens sont répartis entre les familles politiques en fonction
de leur représentativité, qui est appréciée selon un critère alternatif : peuvent
participer à la campagne officielle d
une part, les partis ou groupements aux-
quels au moins cinq députés ou cinq sénateurs ont déclaré se rattacher et, d
au-
tre part, ceux qui ont obtenu, au plan national, au moins 5 % des suffrages
exprimés lors de l
élection la plus récente (en 2005, il sagissait de lélection
des représentants au Parlement européen, qui avait eu lieu l
année précédente).
Chaque organisation habilitée dispose d
un temps dantenne minimum de
dix minutes sur les ondes de la radio et de la télévision. La durée restante
après attribution de cette première dotation est répartie pour moitié proportion-
nellement aux effectifs ou de députés et de sénateurs rattachés, et pour moitié
proportionnellement aux suffrages obtenus lors de l
élection la plus récente. En
2005, pour la première fois, les organisations habilitées ont également reçu cha-
cune une subvention de l
État.
En pratique ce mode de répartition aboutit à développer davantage les argu-
ments en faveur du « oui » au cours de la campagne officielle, dans la mesure où
les partisans du « non » sont généralement soit des personnalités minoritaires au
sein d
un grand parti, comme Laurent Fabius en 2005, soit des dirigeants de petits
partis peu ou pas représentés au Parlement, et qui souvent n
ont même pas obtenu
5 % des suffrages exprimés lors de l
élection la plus récente. Cest ainsi quen
2000 (référendum sur le quinquennat) et en 2005 (référendum sur le traité consti-
tutionnel européen) la campagne officielle était tellement déséquilibrée qu
on a pu
parler de « matraquage » en faveur du « oui ». Mais l
expérience montre que ce
déséquilibre ne produit pas nécessairement l
effet souhaité par les organisateurs
du référendum. En 2000, l
omniprésence des partisans du quinquennat a donné
le sentiment que tout était joué davance, ce qui explique le taux dabstention
111. Voir ces observations in CCC, no 9-2000, p. 32/33.
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Droit constitutionnel
anormalement élevé (près de 70 %). En 2005, le soutien apporté au traité établis-
sant une constitution pour l
Europe par la plupart des dirigeants politiques de la
majorité et de l
opposition a favorisé la cristallisation autour du « non » dun vote
protestataire, exprimant un mécontentement diffus.
C Contentieux et proclamation des résultats
570. Daprès larticle 60 C, le Conseil constitutionnel « veille à la régularité
des opérations de référendum prévues aux articles 11 et 89 et au titre XV
»112. Et
l
article 50 de la loi organique du 7 novembre 1958 précise quil « examine et tran-
che définitivement toutes les réclamations
». On verra que Conseil constitutionnel a
interprété de façon évolutive les compétences que ces textes lui attribuent.
Les réclamations peuvent être dirigées contre les actes préparatoires au réfé-
rendum, contre les opérations de vote, ou enfin contre le projet de loi adopté par
voie de référendum.
En ce qui concerne les premiers, jusquà une date récente, le Conseil constitu-
tionnel se déclarait incompétent pour examiner les réclamations dont ils pouvaient
faire l
objet113, au motif que son intervention à titre consultatif dans lélaboration de
ces décrets lui interdisait d
exercer sur eux un contrôle contentieux (CC, 25 octobre
1988,
Diémert et Bannel, Rec. p. 191). Ces réclamations relevaient donc de la com-
pétence du Conseil d
État qui les examinait selon une procédure durgence (CE,
28 octobre 1988,
Centre national des indépendants et paysans, Rec. p. 385).
Mais, en 2000, à l
occasion de la campagne sur le quinquennat, le Conseil consti-
tutionnel a opéré un revirement de jurisprudence : désormais, comme pour les élec-
tions législatives, il accepte d
examiner avant le scrutin les requêtes dirigées contre
des actes préparatoires au référendum «
dans le cas où lirrecevabilité opposée à
ces requêtes risquerait de compromettre gravement l
efficacité de son contrôle des
opérations référendaires, vicierait le déroulement général du vote ou porterait
atteinte au fonctionnement normal des pouvoirs publics »114.
En 2005, une question extrêmement importante a été soulevée dans le cadre
de ce contentieux : les requérants soutenaient que le traité établissant une consti-
tution pour l
Europe, et donc le projet de loi autorisant sa ratification, étaient
contraires à la Charte de l
environnement introduite dans la Constitution par la
révision du 1
er mars 2005. Ils demandaient pour cette raison lannulation du
décret de convocation des électeurs. Il s
agissait en fait de savoir si, par le biais
d
un recours dirigé contre un acte préparatoire, le Conseil constitutionnel pouvait
apprécier la conformité à la Constitution du projet de loi soumis au référendum.
112. Les référendums prévus au titre XV sont ceux qui concernent ladhésion dun État à lUnion euro-
péenne (v.
supra no 568). De cette énumération limitative, il ressort que le Conseil constitutionnel nest
compétent que pour les référendums nationaux et que les référendums locaux ou régionaux relèvent de la
compétence de la juridiction administrative.
113. Ces réclamations émanent le plus souvent d
organisations politiques qui contestent la répartition
des moyens de propagande.
114. En ce qui concerne les requêtes ne correspondant pas à ce critère (c
est-à-dire celles dirigées
contre les actes préparatoires les moins importants), le Conseil dÉtat se déclare toujours compétent
pour en connaître.
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Le cadre
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Le Conseil aurait pu aisément décliner sa compétence soit en invoquant lex-
ception de recours parallèle (la conformité d
un traité à la Constitution peut en effet
être vérifiée selon une procédure spéciale, prévue par l
article 54 C) soit en affir-
mant que l
équilibre des pouvoirs établi par la Constitution ne lui permettait pas
d
exercer un contrôle sur un projet de loi destiné à être soumis au référendum.
Au lieu de cela, il a rejeté la requête en déclarant « quen tout état de cause le traité
établissant une Constitution pour lEurope nest pas contraire à la Charte de len-
vironnement
»115. Cette motivation est surprenante car la démarche habituelle dun
juge consiste à régler la question de sa compétence avant de s
interroger sur la
pertinence des moyens soulevés. Or il semble que le Conseil fasse ici l
inverse :
il affirme de manière péremptoire que le moyen est manifestement infondé pour
éluder la question de sa compétence.
On peut penser quil ne sagit pas là dune maladresse de rédaction mais
plutôt d
une ambiguïté volontaire. Le Conseil ne se déclare pas compétent tout
en laissant entendre qu
il nexclut pas un jour de le faire. Peut-être faut-il voir
dans cette motivation d
un genre inhabituel une sorte davertissement adressé
au pouvoir exécutif : si les observations formulées par le Conseil constitutionnel
dans le cadre de ses attributions consultatives étaient systématiquement igno-
rées, il pourrait se résoudre à exercer sur la loi soumise au référendum un
contrôle de constitutionnalité par le biais du contentieux des actes préparatoires.
S
agissant du contrôle des opérations de vote, le Conseil constitutionnel dis-
pose de pouvoirs importants. De même que pour les élections présidentielles, il
peut désigner des délégués chargés de suivre sur place les opérations. Lorsque
ces opérations sont terminées, le Conseil constitutionnel surveille le recense-
ment général, et c
est à lui quil appartient de proclamer les résultats définitifs.
Mais, avant de proclamer les résultats, il doit vérifier si certaines opérations
n
ont pas été entachées dirrégularités et il peut, le cas échéant, les annuler.
Par une décision en date du 5 octobre 1988, qui sinspire des règles applica-
bles à l
élection présidentielle, le Conseil constitutionnel a fixé la procédure de
réclamation concernant les opérations référendaires (
Rec. 1988, p. 278). Tout
électeur a le droit de contester la régularité du scrutin en faisant porter au pro-
cès-verbal des opérations de vote mention de sa réclamation. Dans ce cas, le pro-
cès-verbal est transmis au Conseil constitutionnel par la Commission de recense-
ment. De son côté, le représentant de l
État (Préfet) peut déférer au Conseil
constitutionnel les opérations d
une circonscription de vote dans laquelle les
conditions et formes légales et réglementaires n
ont pas été observées.
Le Conseil statue sur ces réclamations dans la forme juridictionnelle. Si les
irrégularités constatées étaient suffisamment importantes, il pourrait prononcer
l
annulation de lensemble des opérations.
En ce qui concerne les lois adoptées par la voie référendaire, on a déjà
indiqué quen 1962, le Conseil constitutionnel avait été saisi par le président
du Sénat dans le cadre de la procédure de l
article 61 alinéa 2, et quil sétait
déclaré incompétent pour en connaître (v.
supra no 503).
Trente ans après la décision de principe du 6 novembre 1962, à loccasion du
référendum sur le traité de Maastricht, le Conseil constitutionnel a maintenu sa
115. Déc. du 24 mars 2005, Hauchemaille et Meyet, considérant 7.
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Droit constitutionnel
jurisprudence, bien quavec une motivation légèrement différente : pour justifier
son incompétence, il n
invoquait plus « lesprit de la Constitution qui a fait du
Conseil constitutionnel un organe régulateur de l
activité des pouvoirs publics »,
mais plus simplement «
léquilibre des pouvoirs établis par la Constitution ». Cette
nouvelle formulation était sans doute destinée à tenir compte du fait que, depuis la
réforme de 1974, le rôle du Conseil constitutionnel sest élargi : il napparaît plus
seulement comme « un organe régulateur de l
activité des pouvoirs publics », mais
aussi comme un défenseur des droits et libertés (CC, 23 septembre 1992, déc.
n
o 92-313 DC, RDP 1992, p. 1618 avec note Luchaire, et v. infra no 780 s.).
Dun point de vue politique, on peut comprendre que le Conseil constitutionnel
ait jugé préférable de décliner sa compétence. Il lui eut été certainement difficile de
censurer une loi qui venait d
être approuvée par le peuple, même sil lavait fait
pour des motifs parfaitement valables en droit. À l
époque, la légitimité du contrôle
juridictionnel ne paraissait pas suffisamment forte pour résister à une telle épreuve,
et peut-être en serait-il de même aujourd
hui. Cest pourquoi, dans certains pays, les
projets sur lesquels le peuple pourrait être appelé à se prononcer sont soumis à un
contrôle juridictionnel
préalable. Tel est le cas, par exemple, en Italie, où la Cour
constitutionnelle statue sur la
recevabilité des demandes de référendum. Si elle
conclut à l
irrecevabilité de la demande, le référendum ne peut avoir lieu.
En France, dans les projets de réforme de la Constitution, lextension du
domaine de l
article 11 est parfois liée à linstitution dun contrôle juridictionnel
préventif. Par exemple, dans sa « lettre à tous les Français » (voir la presse du
7 avril 1988), F. Mitterrand déclarait qu
il souhaitait que le peuple puisse
«
trancher par référendum les problèmes majeurs qui naissent de lévolution
de notre société
», mais « sous la garantie que le Conseil constitutionnel émette
un avis public sur la conformité de la question référendaire à la Constitution et
aux lois fondamentales de la République
».
Au cours des travaux préparatoires de la loi de révision du 4 août 1995, des
parlementaires de l
opposition, qui pensaient que lélargissement du champ de
l
article 11 risquait dentraîner des atteintes à certaines libertés publiques, ont
proposé qu
un projet de loi ne puisse être soumis au référendum « quaprès
constatation par le Conseil constitutionnel de sa conformité à la Constitution
».
Mais leurs amendements ont été repoussés à la demande du gouvernement, qui
estimait qu
un tel contrôle « reviendrait à modifier substantiellement léquilibre
des institutions et des pouvoirs
», car il aboutirait « à transférer au Conseil
constitutionnel la compétence, reconnue au Président de la République et à
lui seul, d
être le garant fondamental de la Constitution »116.
En réalité, lune des fins auxquelles a servi en pratique larticle 11 a été de
permettre de lever le veto opposé par le Sénat à une révision de la Constitution
réalisée par la voie de larticle 89. Dans ces conditions, le contrôle préalable du
Conseil constitutionnel, dans la mesure où il s
opposerait à lutilisation de lar-
ticle 11 en matière constitutionnelle, empêcherait le référendum de remplir cette
fonction. C
est pourquoi, dans son rapport de 1993, le comité Vedel, tout en
proposant ce contrôle préalable, recommandait de modifier l
article 89 pour per-
mettre au Président de la République de soumettre au référendum un projet de
116. JO, AN, 12 juillet 1995, p. 917.
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Le cadre
515
révision, qui naurait été adopté que par lune ou lautre des deux assemblées à
la majorité des 3/5
e. Une telle réforme aurait mis le Président de la République
en mesure de faire adopter une révision de la Constitution malgré l
opposition
du Sénat.
Néanmoins un contrôle préalable du Conseil constitutionnel est dores et
déjà possible lorsquil sagit dun projet de loi portant « sur la ratification
d
un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur
le fonctionnement des institutions
».
La décision précitée du 24 mars 2005 laisse supposer que le contrôle pour-
rait peut-être également s
exercer dans le cadre de larticle 60 C, pour toutes les
lois susceptibles d
être adoptées par la voie du référendum et non plus seule-
ment pour celles qui ont trait à la ratification d
un traité. Une telle évolution
n
impliquerait pas nécessairement la remise en cause de la jurisprudence de
1962, confirmée en 1992, car le contrôle du Conseil s
exercerait sur un projet
de loi non encore approuvé par le peuple et qui ne saurait donc être considéré
comme une expression directe de la souveraineté nationale.
D Bilan politique du référendum
571. Depuis lentrée en vigueur de la Constitution, huit référendums ont
été organisés dans le cadre de l
article 11 et un seul dans le cadre de larti-
cle 89
117. Mais force est de constater que la pratique est très irrégulière
puisque près de la moitié de ces votations a eu lieu entre 1960 et 1969, sous
la présidence du général de Gaulle. Pour celui-ci, le référendum présentait une
double utilité : d
une part, il permettait de réaliser de grandes réformes aux-
quelles la classe politique était plutôt défavorable, comme l
élection présiden-
tielle au suffrage universel direct ; d
autre part, cétait un moyen de sassurer
que le peuple maintenait sa confiance au chef de l
État et de confirmer la légi-
timité démocratique du pouvoir.
Mais après le départ du général de Gaulle, qui fut dailleurs provoqué par
l
échec du référendum du 27 avril 1969, ses successeurs nont pas pu (ou pas
voulu) faire un usage identique de l
article 11. Le retour des référendums de
responsabilité de type gaullien paraît d
autant moins probable que le Président,
élu désormais pour cinq ans, ne devrait plus avoir besoin, pour confirmer sa
légitimité, d
organiser un plébiscite avant le terme normal de son mandat.
Malgré la réforme du 4 août 1995, qui a élargi le domaine du référendum en
l
appliquant à des sujets économiques ou sociaux, force est de constater que les
référendums se font de plus en plus rares.
117. Quant à leur objet, les référendums de larticle 11 peuvent être répartis en trois catégories :
statut dun territoire : autodétermination de lAlgérie (8 janvier 1961) ; indépendance de lAlgérie
(8 avril 1962) ; statut de la Nouvelle-Calédonie ; (6 novembre 1988) ;
réforme des institutions politiques : élection du Président de la République au suffrage universel
direct (28 octobre 1962) ; régionalisation et rénovation du Sénat (27 avril 1969) ;
ratification dun traité lié à la construction européenne : élargissement des Communautés européen-
nes (23 avril 1972) ; traité de Maastricht (20 septembre 1992) ; traité établissant une Constitution pour
l
Europe (29 mai 2005).
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516
Droit constitutionnel
Comme la bien montré J.-L. Parodi (2001), cette rareté, sexplique dail-
leurs moins par la difficulté de trouver un sujet approprié que par des raisons
de stratégie politique : depuis le début des années 1970, le Président en exercice
ne jouit, la plupart du temps, que d
une côte de popularité assez médiocre et sil
prend l
initiative dun référendum, la simple addition des mécontentements
risque dentraîner une réponse négative. Pour minimiser ce risque, il a donc
intérêt à ne soumettre au référendum que des projets qui bénéficient également
du soutien des principaux partis de l
opposition. Cest probablement ce qui
explique que trois sur cinq des référendums organisés depuis 1970 avaient
trait à la construction européenne, qui est devenue une sorte de terrain d
entente
entre la droite et la gauche parlementaires. Mais les résultats du référendum du
29 mai 2005 ont montré que, même lorsque le projet paraît populaire au départ
et qu
il bénéficie du soutien de toutes les grandes formations politiques, un
échec demeure possible.
Dans le contexte politique actuel, le référendum est donc pour le chef de
l
État une opération tellement risquée quil ny a pas lieu de sétonner que son
usage soit devenu très exceptionnel. C
est sans doute lune des raisons pour
lesquelles les constituants de 2008 ont voulu introduire, dans l
article 11, une
nouvelle procédure référendaire d
initiative partagée, mi-populaire mi-parle-
mentaire. Mais, ainsi qu
on la déjà signalé, cette procédure a été aménagée
avec tant de frilosité qu
elle ne paraît guère susceptible de jouer un rôle
important.
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Chapitre 2
Les organes
Section 1
Le Président de la République
573. Le titre II de la Constitution, consacré au Président de la République,
vient avant ceux qui traitent des autres organes (gouvernement, Parlement et
Conseil constitutionnel). C
est aussi lun des plus longs (15 articles).
Dans son discours prononcé le 27 août 1958 devant le Conseil dÉtat,
M. Debré qualifiait le Président de la République de « clef de voûte du sys-
tème ». Le chef de l
État occupe en effet une place centrale dans les institutions
de la V
e République, même si létendue de linfluence quil exerce sur la
conduite des affaires du pays dépend en partie du contexte politique
(v.
supra no 484).
Nous savons déjà que, depuis 1962, le Président de la République est élu
directement par les citoyens et que cette élection détermine dans une large
mesure la stratégie des partis politiques et de leurs dirigeants.
Il nous reste maintenant à étudier le statut du chef de lÉtat ainsi que ses
pouvoirs.
Sous-section 1
Le statut du Président de la République
§ 1. Durée et renouvellement des fonctions
574. Durée et renouvellement des fonctions présidentielles. La durée du
mandat présidentiel avait été initialement fixée à sept ans, conformément à une
tradition dont lorigine en 1873 sexpliquait par lespérance de vie prêtée au
prétendant au trône (v. supra no 366). Le président était indéfiniment rééligible.
Les régimes précédents pouvaient s
accommoder de la durée de sept ans,
dans la mesure où le chef de l
État, élu par le Parlement réuni en Congrès,
avait surtout un rôle de représentation. Il n
avait pas (officiellement tout au
moins) de programme politique et il lui était donc relativement facile de s
adap-
ter en cours de mandat à des majorités parlementaires successives et différentes.
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522
Droit constitutionnel
Sous la Ve République, au moins depuis 1962, le Président apparaît au
contraire comme l
homme dune politique : celle quil a exposée devant les
électeurs durant sa campagne. Et la Constitution, comme on le verra dans la
suite du présent chapitre, lui donne des pouvoirs plus importants que ceux de
ses prédécesseurs. Compte tenu de ce contexte nouveau, on pouvait évidem-
ment se demander si le septennat nétait pas devenu obsolète car, dans la
mesure où le Président participe davantage aux décisions, son autorité suse
plus rapidement. C
était dailleurs au moins en partie pour se prémunir contre
une telle usure que le général de Gaulle organisait systématiquement, en cours
de mandat, des référendums de responsabilité, où il mettait sa démission dans la
balance. Mais l
on sait que ses successeurs nont pas repris cette pratique.
En 1973, G. Pompidou, successeur du général de Gaulle à la présidence de
la République, avait déjà engagé une procédure de révision tendant à substituer
le quinquennat au septennat. Le projet fut adopté en termes identiques par l
As-
semblée nationale et le Sénat (comme l
exige larticle 89 C) mais lopposition
qui s
était manifestée durant les débats était trop importante pour que lon pût
espérer aboutir par la voie du Congrès, qui nécessite une majorité des 3/5
e par
rapport aux suffrages exprimés. Et comme le Président Pompidou ne souhaitait
pas organiser un référendum sur cette question, la réforme était demeurée en
suspens.
Les résistances au quinquennat étaient particulièrement fortes au sein du
parti gaulliste, qui s
appelait alors le RPR, et dont beaucoup de membres res-
taient attachés à l
idée quun mandat de sept ans était nécessaire pour que le
Président puisse se consacrer à la réalisation d
un grand dessein national. Ils
estimaient en outre que le quinquennat risquait d
entraîner une confusion entre
le rôle du Premier ministre et celui du chef de l
État. Élu pour une durée plus
brève, ce dernier devrait en effet resituer son action dans le court ou le moyen
terme et s
investir davantage dans la politique quotidienne, qui constitue le lot
habituel du Premier ministre.
Les cohabitations qui se sont succédé au cours des années 1980 et 1990 ont
néanmoins suscité un regain d
intérêt pour le quinquennat car on pensait que
son adoption contribuerait peut-être à rétablir une concordance durable entre
les majorités présidentielle et parlementaire.
La réforme fut adoptée en 2000 par référendum conformément à la procé-
dure prévue à larticle 89.
On admet généralement que, dun point de vue politique, la réduction de la
durée du mandat a eu des conséquences quant au rôle du Président. Il faut
cependant noter que les attributions du chef de l
État nont absolument pas été
modifiées. Et l
on ne peut même pas dire que lhorizon de son action politique
est nécessairement plus limité avec le quinquennat quavec le septennat car,
plus le mandat est bref, plus son renouvellement apparaît comme une hypothèse
raisonnable et presque naturelle. Aux États-Unis, plus de la moitié des Prési-
dents ont accompli deux mandats consécutifs alors que, sous le régime du sep-
tennat, un seul Président français, F. Mitterrand, avait réussi à le faire. Mais
comme le notait N. Sarkozy peu de temps avant son élection à la présidence
de la République, cette réforme ne peut qu
accentuer le phénomène quon
appelle la « présidentialisation » du régime, c
est-à-dire la concentration des
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Les organes
523
pouvoirs entre les mains du chef de lÉtat. « Le quinquennat a aggravé lascen-
dant du Président de la République sur le Premier ministre. D
une part, parce
qu
avec un mandat plus court, le président est obligé de se rapprocher des pro-
blèmes concrets et quotidiens des Français. D
autre part, parce que la quasi-
simultanéité entre les élections présidentielles et législatives fait que le sort du
Président est irrémédiablement lié à celui du gouvernement. Le Président ne
peut donc renoncer à impulser toute laction gouvernementale » (Sarkozy,
2006, p. 157).
Depuis la révision du 23 juillet 2008, larticle 6 C précise que nul ne peut
exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs. Cette limitation a sus-
cité des controverses jusque dans les rangs de la majorité de l
époque.
Dun côté, on faisait observer que pour garantir la respiration dun système
démocratique, les citoyens doivent être protégés contre une pérennisation exces-
sive du personnel politique, qui risquerait de bloquer le renouvellement et le
rajeunissement de l
élite gouvernante. On rappelait que le XXe amendement à la
Constitution des États-Unis, adopté en 1951, prévoit que «
nul ne peut être élu
plus de deux fois à la présidence
». Cet amendement avait été voulu par le
Congrès qui estimait qu
en se faisant réélire trois fois (en 1936, 1940 et 1944)
le président Franklin Roosevelt avait rompu avec une coutume destinée à préser-
ver l
équilibre des pouvoirs en empêchant une dérive monarchique de linstitution
présidentielle.
De lautre côté, on faisait valoir que, dans une démocratie, les électeurs sont
toujours libres de ne pas renouveler le président en exercice, et que les empê-
cher de réélire, après deux mandats consécutifs, un homme ou une femme
considéré(e) comme de valeur exceptionnelle, ne peut s
analyser que comme
une atteinte à la souveraineté populaire.
Il est intéressant de noter que, en France, la limitation des possibilités de
renouvellement a été imposée au Parlement par le Président lui-même, malgré
les réticences du comité Balladur et de certains membres de sa propre majorité
1.
Dans l
esprit de Nicolas Sarkozy, il ne sagissait pas tant déviter une dérive
monarchique du pouvoir que de permettre au président d
exercer pleinement
ses compétences en le libérant de tout souci de réélection durant les cinq années
de son second mandat. C
est ce qui explique que la limitation soit moins sévère
qu
elle ne lest outre-Atlantique : rien nempêche un Président français dêtre
élu plus de deux fois, s
il ne sagit pas de trois mandats consécutifs.
575. Linterruption éventuelle du mandat. Le quinquennat présidentiel
ne va pas toujours à son terme normal. Il peut être interrompu en cas de décès
ou de démission du Président, cela va de soi, mais aussi en cas d
empêchement
ou de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec lexercice de
son mandat (v. infra, no 580). La Constitution ne définit pas lempêchement
présidentiel mais elle fixe la procédure par laquelle il peut être constaté. Si le
Président ne paraît plus en mesure d
exercer ses fonctions, en raison par exem-
ple de son état physique ou mental, le gouvernement doit saisir le Conseil
constitutionnel. Le Conseil constitutionnel, statuant à la majorité absolue de
Sur les raisons de lhostilité à cette mesure, voir ROUSSILLON H., « La limitation à deux du
1.
nombre des mandats présidentiels »,
LPA, no 254, 19 décembre 2008, p. 12 à 15.
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524
Droit constitutionnel
ses membres2, pourra alors déclarer que le Président est « empêché », soit tem-
porairement, soit définitivement. S
il sagit dun empêchement seulement tem-
poraire, les fonctions du Président de la République seront temporairement
exercées par le Président du Sénat, mais cet intérim prendra fin dès que le Pré-
sident de la République se trouvera en état de reprendre ses fonctions. Si le
Conseil constitutionnel déclare que lempêchement est définitif, il y aura égale-
ment un intérim assuré par le Président du Sénat, mais cet intérim prendra fin
rapidement car une élection présidentielle devra avoir lieu vingt jours au moins
et trente-cinq jours au plus après la constatation du caractère définitif de l
em-
pêchement
3. Le Président intérimaire exerce les mêmes attributions que le Pré-
sident élu, à l
exception de celles prévues aux articles 11 (référendum) et 12
(dissolution). Mais il ne peut prendre aucune initiative concernant la révision
de la Constitution car il ne peut pas être fait application de l
article 89 durant
la vacance de la présidence de la République ou durant la période qui s
écoule
entre la déclaration du caractère définitif de l
empêchement du Président de la
République et l
élection de son successeur (art. 7 C).
576. La suppléance. Il peut également se faire que pour raison de santé ne
motivant pas empêchement ou parce qu
il est en voyage à létranger, le Prési-
dent soit provisoirement dans l
impossibilité dexercer ses fonctions. La Consti-
tution, qui n
a pas institué de vice-présidence, nenvisage cette hypothèse quen
ce qui a trait à des fonctions très limitées. Elle décide (art. 21) que le Premier
ministre peut suppléer le Président de la République dans la présidence des
conseils et comités de la défense nationale. Quant à la suppléance pour la pré-
sidence du Conseil des ministres, elle est éventuellement assurée par le Premier
ministre mais seulement en vertu d
une délégation expresse, valable pour un
conseil et pour un ordre du jour déterminé.
En aucun cas, les autres pouvoirs du Président de la République ne peuvent
faire lobjet dune délégation.
577. Les obligations liées au mandat. Les fonctions présidentielles sont
incompatibles avec toute autre fonction publique, même élective. Par consé-
quent, dès son entrée en charge, le Président doit se démettre des mandats
dont il est éventuellement investi. Lui sont également interdites les activités pro-
fessionnelles privées dont on ne concevrait pas qu
elles puissent être exercées
parallèlement à la première magistrature de l
État.
De plus, de même dailleurs que les membres du Parlement ou du gouver-
nement, le Président de la République est directement concerné par la législa-
tion relative à la transparence financière de la vie politique. Ainsi qu
on la déjà
signalé, lorsqu
il confirme sa candidature, il doit déposer au Conseil constitu-
tionnel une déclaration de létat de son patrimoine. Sil est élu, cette déclaration
est publiée au
Journal officiel. À lexpiration de son mandat, le Président doit
Il semble donc que, en cas de partage des voix sur cette question, la voix prépondérante du
2.
Président du Conseil constitutionnel ne jouerait pas.
Par ailleurs, il est clair que l
absence de définition constitutionnelle de lempêchement laisse ouverte la
possibilité dun usage politique, par exemple en période de cohabitation, à condition évidemment
qu
une collusion entre le gouvernement et le Conseil constitutionnel soit possible.
3.
Si le Président du Sénat est à son tour empêché, lintérim est assuré par le gouvernement.
Page 525
Les organes
525
produire une nouvelle déclaration de patrimoine qui est également publiée. Le
rapprochement de ces deux déclarations doit en principe permettre à chacun de
vérifier que le Président n
a pas profité de ses fonctions pour senrichir4.
578. Les services de la présidence. Au moins jusquà une date récente, le
fonctionnement de ces services était relativement opaque car les crédits budgé-
taires officiellement alloués à la présidence de la République ne reflétaient
qu
une partie des moyens dont elle disposait (Schrameck, 2006, p. 133). Des
centaines de collaborateurs étaient mis à la disposition du Président par diffé-
rentes administrations, qui prenaient en charge leur rémunération. Cette situa-
tion était vivement critiquée par certains parlementaires de gauche qui dénon-
çaient
la dérive dépensière de la présidence et réclamaient davantage de
transparence dans ce domaine (Dosière, 2008).
En 2007, réagissant à ces critiques, le nouveau président, N. Sarkozy, a pris
un certain nombre de mesures : la plupart des emplois qui étaient auparavant
mis à disposition de la présidence par des administrations ont été officiellement
rattachés à celle-ci, et la Cour des comptes a été invitée à présenter un rapport
sur le budget de l
Élysée. Afin dinscrire ce contrôle dans la continuité et la
durée, la Cour a choisi de l
exercer chaque année, alors quelle ne lexerce en
moyenne que tous les cinq ans pour les autres services administratifs relevant de
sa compétence. Dans son rapport publié le 15 juillet 2013 et qui couvre toute
l
année 2012, la Cour a constaté que la recherche déconomies, commencée du
temps de Nicola Sarkozy, « a été poursuivie avec une amplification sous le pré-
sident Hollande ». L
effectif total des personnels employés par la présidence se
situe aux environs de 1 000. Mais la plupart remplissent des fonctions logisti-
ques qui n
ont pas dimportance politique. Le noyau dur est constitué par une
centaine de conseillers techniques ou chargés de mission dont le rôle consiste à
informer le Président, à lui préparer des dossiers, ainsi qu
à maintenir des
contacts avec les plus hauts responsables des ministères et des administrations.
Ces collaborateurs sont généralement répartis en plusieurs grands secteurs
d
activité : par exemple les affaires économiques, les affaires culturelles, etc.
Mais ni la Constitution ni la loi ne fixent cette répartition. Chaque président
est donc libre d
organiser ses services comme il lentend.
§ 2. Responsabilité politique ou pénale du Président
579. La question de la responsabilité politique ou pénale du Président.
On dit parfois que le pouvoir doit aller de pair avec la responsabilité, mais en
pratique ce n
est pas toujours le cas. Cest ainsi que, malgré létendue des
pouvoirs qu
elle attribue au chef de lÉtat, la Constitution, dans son article 68,
a toujours défini de façon plutôt restrictive le champ de sa responsabilité.
Il nexiste cependant aucune certitude quant à labsence denrichissement des membres de sa
4.
famille, ou quant à la sincérité de ces déclarations. Le système américain paraît à cet égard préférable.
Au début de son mandat, le Président confie tous ses biens à un
« blind trust », une fondation qui les
gère sans recevoir de lui aucune instruction et sans lui communiquer aucune information.
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Droit constitutionnel
Cette tendance est encore plus marquée depuis la modification de larticle 68
C intervenue en février 2007.
Selon le texte originel de cet article : « Le Président de la République nest
responsable des actes accomplis dans l
exercice de ses fonctions quen cas de
haute trahison. Il ne peut être mis accusation que par les deux assemblées sta-
tuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des mem-
bres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice
»5.
Le principe était donc lirresponsabilité du Président pour
les actes
accomplis dans l
exercice de ses fonctions, à la fois sur le plan politique et sur
le plan pénal. Mais ce principe comportait une exception : la haute trahison.
Dans ce cas, le Président bénéficiait d
un privilège de juridiction car il ne pou-
vait être mis en accusation que devant une juridiction spéciale, la Haute Cour de
justice, dont la composition était réglée par l
article 67 C.
Ce texte appelait deux remarques :
En premier lieu, la notion de haute trahison (qui ne se confondait pas avec la
trahison tout court, c
est-à-dire lintelligence avec une puissance étrangère)
n
était pas définie, et les peines susceptibles dêtre infligées au Président au
cas où il serait reconnu coupable de ce crime par la Haute Cour de justice, ne
l
étaient pas davantage. Nimporte quel acte aurait donc théoriquement pu être
considéré comme constitutif du crime de haute trahison et la Haute Cour aurait
pu prononcer n
importe quelle peine. Ceci contrevenait sans doute au principe
général de légalité des délits et des peines, mais donnait en cas de crise grave
une très grande latitude aux assemblées parlementaires pour prononcer l
accu-
sation et faisait de la responsabilité du président une véritable responsabilité
politique. Cependant, la lourdeur de la procédure en rendait l
usage difficile-
ment praticable et de fait elle n
a jamais été mise en œuvre.
En second lieu, la rédaction de larticle 68 laissait planer un doute sur le
régime de responsabilité des actes accomplis par le Président en dehors de
lexercice de ses fonctions : il sagit, dune part, des actes antérieurs à la prise
de fonction et, dautre part, des actes accomplis durant le mandat mais à titre
privé. Par définition, ces actes ne sont pas couverts par le principe de l
irrespon-
sabilité. Mais la Haute Cour de justice était-elle compétente uniquement lorsque
le Président était accusé de haute trahison, ou pour toutes les poursuites enga-
gées contre lui durant son mandat, quel qu
en fût le motif ? Larticle 68 nétait
pas parfaitement clair sur ce point, et cependant l
enjeu était dimportance :
dans le premier cas, le Président devait être traité comme un justiciable ordi-
naire pour les actes étrangers à l
exercice de ses fonctions, et lautorité judi-
ciaire pouvait éventuellement le citer comme témoin ou le mettre en examen.
Dans le second, le Président bénéficiait, pendant toute la durée de son mandat,
dun privilège de juridiction qui lui assurait une protection très efficace, compte
tenu de la difficulté dengager des poursuites devant la Haute Cour de justice.
Cette Haute Cour de justice ne comprenait alors que 24 juges élus, en nombre égal, par lAssem-
5.
blée nationale et le Sénat après chaque renouvellement. Au contraire, la Haute Cour qui lui a succédé
depuis la réforme de 2007 est composée de tous les membres du Parlement (v.
infra no 580).
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Les organes
527
Jusquà une date relativement récente, ces questions navaient suscité quun
intérêt limité car il paraissait extrêmement peu probable que le chef de l
État pût
jamais être impliqué dans une affaire pénale réellement sérieuse
6.
Cest avant tout pour des raisons liées à la conjoncture, lorsque, au cours des
années 1990, des magistrats judiciaires, soutenus par les médias et lopinion
publique, ont commencé de sattaquer à des dossiers politiquement délicats,
que les choses ont changé et qu
a été engagé le mouvement qui a conduit en
2007 à la révision de l
article 68. Peu après son élection à la présidence de la
République, en 1995, J. Chirac avait été menacé d
une mise en examen pour
des affaires touchant à sa gestion de la mairie de Paris. Ces affaires étaient
manifestement sans lien avec les fonctions présidentielles puisqu
elles remon-
taient à une époque antérieure à l
accession du Président à la magistrature
suprême. Leurs suites judiciaires dépendaient donc de l
interprétation donnée
à l
article 68 C.
Cest dans ce contexte que le Conseil constitutionnel a rendu, le 22 janvier
1999, une importante décision dans laquelle il déclarait que, pendant la durée de
son mandat, la responsabilité pénale du Président de la République ne pouvait être
mise en cause que devant la Haute Cour de justice, même à raison des actes
accomplis en dehors de l
exercice de ses fonctions. La question qui était à lorigine
de cette décision ne portait pas directement sur l
article 68 C. Le Conseil avait été
saisi dans le cadre de l
article 54 C et on lui demandait seulement de dire si le traité
sur la Cour pénale internationale, que la France avait signé mais non encore ratifié,
contenait des clauses contraires à la Constitution. Or ce traité prévoit la possibilité
de poursuivre les responsables de certains crimes devant la Cour pénale internatio-
nale en précisant que la qualité de chef d
État ou de chef de gouvernement ny fait
pas obstacle. Avant de le ratifier, il fallait donc savoir si de telles poursuites seraient
compatibles avec le statut constitutionnel du Président français, et c
est ce qui a
conduit le Conseil constitutionnel à préciser l
étendue de la compétence de la
Haute Cour de justice
7.
Mais dans les circonstances de lépoque, lintérêt de la décision rendue par
le Conseil constitutionnel ne se limitait pas à la question de la ratification du
traité sur la Cour pénale internationale. En statuant comme il l
a fait, le Conseil
incitait indirectement les magistrats judiciaires à se déclarer incompétents pour
mettre en examen le Président de la République ou pour le convoquer comme
témoin assisté.
6.
Le seul précédent judiciaire remontait à 1974. Cette année-là, le Tribunal correctionnel de Paris
avait statué sur une plainte contre V. Giscard d
Estaing, qui venait dêtre élu Président de la Répu-
blique et qui était poursuivi par un autre candidat, René Dumont, qui lui reprochait d
avoir fait procé-
der durant la campagne à des affichages illégaux. Le Tribunal avait accepté implicitement de se décla-
rer compétent, puis avait rejeté la plainte sur le fond (
Dumont c/ Giscard dEstaing, 3 décembre 1974,
GP 1975, I, p. 315). Cette jurisprudence, qui allait dans le sens dune interprétation étroite de la com-
pétence de la Haute Cour de Justice, avait été confirmée par la Cour d
appel de Paris.
7.
La décision a cependant suscité de vives polémiques. Certains articles de presse ont laissé enten-
dre que le Président du Conseil constitutionnel de l
époque, Roland Dumas, et le Président de la Répu-
blique, Jacques Chirac, tous deux menacés d
être mis en examen, se seraient prêté mutuellement assis-
tance (Voir larticle de COURTOIS G., « Échanges de mauvais procédés », Le Monde du 26 janvier
1999 et contra TROPER M., « Comment décident les juges constitutionnels », Le Monde du 13 février
1999).
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Droit constitutionnel
Cependant, les tribunaux judiciaires nétaient pas juridiquement liés par la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, car la décision du 22 janvier 1999 ne
possédait l
autorité de la chose jugée que par rapport au traité sur la Cour pénale
internationale (v.
infra no 790). Or, un contribuable parisien avait tenté de porter
plainte contre l
ancien maire de Paris devenu Président de la République. Par le
jeu des recours successifs, la question de la responsabilité du Président à raison
des actes non liés à lexercice de ses fonctions, est finalement remontée jusquà
la Cour de cassation
8.
Dans son arrêt du 10 octobre 2001, la Cour de cassation a confirmé la doctrine
du Conseil constitutionnel sur le point le plus important, c
est-à-dire limpossibi-
lité pour les magistrats judiciaires, de mettre en examen ou de citer comme
témoin le Président de la République pendant toute la durée de son mandat
9.
Elle sest cependant démarquée de la position prise par le Conseil constitu-
tionnel sur deux points : d
une part en estimant que la Haute Cour de justice
n
était compétente que pour les affaires de haute trahison et non pour les autres
affaires pénales auxquelles le Président pourrait se trouver mêlé ; d
autre part en
précisant que les délais de prescription de l
action publique, qui sont de dix ans
pour un crime et de trois ans pour un délit, cessaient de courir pendant la durée
du mandat présidentiel. C
est pourquoi le président Chirac a pu être traduit
devant le tribunal correctionnel de Paris en 2007, après l
expiration de son
second mandat, alors que les faits pour lesquels il était poursuivi remontaient
au début des années 1990. Il a finalement été condamné à deux ans de prison
avec sursis le 15 décembre 2011 et a renoncé à faire appel de ce jugement dont
il contestait cependant le bien fondé.
Après sa réélection, en juillet 2002, le Président Chirac a constitué une com-
mission de réflexion sur le statut pénal du chef de l
État, dont la présidence était
confiée au professeur Pierre Avril. Le rapport de la « Commission Avril » servit
de base à un projet de révision du Titre IX, qui fut déposé au Parlement en
juillet 2003, mais qui ne vint en discussion quen février 2007. Ce projet fut
adopté à une assez large majorité, après avoir été modifié par quelques amende-
ments de l
Assemblée nationale
(loi constitutionnelle n
o 2007-238 du
23 février 2007).
Dune part, le nouveau Titre IX maintient le principe de lirresponsabilité pré-
sidentielle tout en y apportant une exception dont le caractère politique est plus
marqué qu
il ne létait dans le système précédent. Dautre part, il étend le champ
des immunités dont le Président bénéficiait déjà dans le système précédent.
A Lirresponsabilité présidentielle et ses limites
580. Aux termes de larticle 67 nouveau : « Le Président de la République
nest pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des
dispositions des articles 53-2 et 68
».
Cass. Ass. plén., 10 octobre 2001, Breisacher.
8.
Selon elle, cette impossibilité résultait moins du texte même de l
article 68, comme semblait le
9.
penser le Conseil constitutionnel, que de lesprit général des institutions : le Président est investi dune
mission trop importante pour qu
on prenne le risque de lexposer à des tracas judiciaires pendant
l
exercice de son mandat.
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Les organes
529
Larticle 53-2 concerne les poursuites devant la Cour pénale internationale,
dont létude relève du droit international public.
Selon larticle 68, le Président de la République « ne peut être destitué quen
cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l
exercice de
son mandat. La destitution du Président est prononcée par le Parlement constitué
en Haute Cour ». Ces nouvelles dispositions marquent un glissement vers une
conception moins pénale et plus politique de la responsabilité présidentielle.
Ce glissement apparaît dabord dans la terminologie utilisée. Bien quétant
extrêmement vague, la notion de Haute trahison avait une connotation pénale
infamante. La nouvelle rédaction est plus neutre. Dans le même sens, on notera
que, alors que, selon le texte ancien, le Président devait d
abord être « mis en
accusation », puis être « jugé » par une « Haute Cour de justice », le texte nou-
veau évite soigneusement toutes les expressions pouvant évoquer une démarche
juridictionnelle. Il est dit simplement que la destitution relève de la compétence
du Parlement constitué en Haute Cour.
Il apparaît également dans la procédure de la destitution. De même que dans
le système ancien, cette procédure est mise en mouvement par une résolution
adoptée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Mais entre la mise
en accusation et le jugement, le système ancien prévoyait l
intervention dune
commission d
instruction composée de magistrats de la Cour de cassation, qui
était chargée de vérifier si les charges retenues contre le Président reposaient sur
des faits bien établis. Cette étape intermédiaire a disparu et la procédure est
enfermée dans des délais extrêmement brefs : dès qu
elle a été adoptée par
l
une des assemblées, la proposition de réunion de la Haute Cour est transmise
à l
autre assemblée qui se prononce dans les quinze jours ; si elle confirme la
proposition, le Parlement constitué en Haute Cour, qui est présidée par le Pré-
sident de l
Assemblée nationale, statue dans le délai dun mois et sa décision est
d
effet immédiat. Dun bout à lautre, la procédure est donc entre les mains
d
acteurs politiques et le rythme selon lequel elle se déroule a quelque chose
d
expéditif qui contraste avec la lenteur habituelle des procédures juridiction-
nelles.
Enfin, alors que le système ancien, sans mentionner expressément des sanc-
tions pénales, n
en excluait cependant pas la possibilité (v. supra no 579), la
nouvelle procédure ne peut déboucher que sur une sanction purement politique :
la destitution. L
une des conséquences de ce changement est que, si, après la fin
du mandat, on découvre que le président a commis un acte qui aurait pu le
conduire devant la Haute Cour, aucune poursuite n
est plus possible, puisque
la seule sanction prévue par l
article 68, la destitution, est devenue sans objet.
Cette « politisation » de la responsabilité présidentielle a suscité des
inquiétudes, surtout dans les rangs de la gauche. Compte tenu du fait que,
jusqu
en 2011, la majorité sénatoriale avait toujours été orientée à droite, la
destitution d
un président de gauche était en effet plus facile à imaginer que
celle d
un président de droite. On pouvait donc craindre que, en cas de coha-
bitation, le premier soit contraint de se retirer, alors que le second pourrait
demeurer en place. Pour apaiser ces inquiétudes, le gouvernement a accepté
plusieurs amendements tendant à renforcer les garanties accordées à un pré-
sident menacé de destitution.
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530
Droit constitutionnel
En premier lieu, les décisions concernant la convocation de la Haute Cour
ou la destitution du Président ne peuvent être prises qu
à la majorité des deux
tiers des membres de l
assemblée concernée ou de la Haute Cour. Les votes ont
lieu à bulletins secrets. Toute délégation de vote est interdite. De même que
pour les motions de censure contre le gouvernement (v.
infra no 676), seuls
sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute
Cour ou à la destitution. En cas d
échec de la procédure de destitution, il est
donc impossible de savoir si le maintien en place du Président est dû à des sou-
tiens actifs ou à des abstentions.
En second lieu, contrairement à ce qui était prévu dans le projet du gouver-
nement, la décision de réunir la Haute Cour n
emporte pas empêchement du
Président de la République. Ce dernier conserve donc l
intégralité de ses pou-
voirs, au moins jusqu
au verdict final de la Haute Cour. Il peut notamment dis-
soudre l
Assemblée nationale, ce qui a nécessairement pour effet dinterrompre
la procédure. S
il est destitué, il peut également se représenter à lélection orga-
nisée pour son remplacement. Tout a donc été prévu pour que le suffrage uni-
versel puisse avoir le dernier mot alors que, dans le système ancien, un prési-
dent condamné pour Haute trahison aurait pu être frappé d
inéligibilité.
Au total, la responsabilité du Président paraît encore plus difficile à mettre
en
œuvre que dans le système ancien, où ni la mise en accusation, ni la condam-
nation pour Haute trahison n
exigeaient des conditions spéciales de majorité10.
Et les immunités dont il bénéficie pour les actes étrangers à l
exercice de ses
fonctions sont également renforcées.
B Lextension des immunités présidentielles
581. Aux termes du nouvel article 67 C, le Président « ne peut, durant son
mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être
requis de témoigner non plus que faire l
objet dune action, dun acte dinfor-
mation, d
instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclu-
sion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être
reprises ou engagées contre lui à l
expiration dun délai dun mois suivant la
cessation de ses fonctions
».
Selon la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel et de la Cour de
cassation, les immunités dont bénéficiait le Président durant son mandat ne fai-
saient obstacle qu
à la mise en œuvre de sa responsabilité pénale. Le champ des
nouvelles dispositions de l
article 67 C est beaucoup plus étendu. Le Président
ne peut plus être assigné en justice, même sil sagit dune affaire purement
civile. On ne peut pas l
obliger à témoigner, même dans les affaires où sa res-
ponsabilité personnelle n
est pas en jeu. Il ne peut pas faire lobjet dun contrôle
fiscal. En d
autres termes, les rigueurs de la loi ne lui sont applicables que dans
la mesure où il le veut bien.
10. Le projet de loi organique relatif à lapplication du nouvel article 68 C na été adopté par lAs-
semblée nationale quen décembre 2012. À la fin de la treizième législature (juin 2012), il navait
toujours par été examiné par le Sénat.
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Les organes
531
Une telle extension paraît extrêmement discutable. Par définition, les immu-
nités présidentielles dérogent au principe de l
égalité devant la loi : il est donc
raisonnable de les limiter à ce qui risque vraiment d
empêcher le Président de
remplir la mission que le peuple lui a confiée. C
est le cas des poursuites péna-
les qui sont généralement déstabilisantes car, d
une part, elles peuvent saccom-
pagner de mesures contraignantes à légard de laccusé et, dautre part, elles
jettent inévitablement le doute sur sa probité. En revanche, on voit mal com-
ment une demande en divorce ou une action en responsabilité civile pourrait
gêner le Président au point qu
il ne serait plus en mesure dassurer le fonction-
nement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l
État. Limpossibilité
de l
assigner en justice risque même de se retourner contre lui car les médias se
feront volontiers l
écho des doléances des plaideurs qui auront été ainsi
déboutés.
Il faut ajouter que, en pratique, les immunités accordées au chef de lÉtat ont
été interprétées de manière extensive : le parquet
cest-à-dire les magistrats qui
ont la charge d
exercer des poursuites pénales (v. infra no 794) considère que
les collaborateurs du Président en bénéficient également pour les actes qu
ils
accomplissent en son nom. Les plaintes dirigées contre un conseiller de la pré-
sidence à raison d
un acte quil a accompli sur délégation de signature sont donc
automatiquement classées sans suite par le parquet
11. Si les collaborateurs des
membres du gouvernement bénéficiaient d
une semblable protection ce qui
n
est heureusement pas le cas les hauts fonctionnaires responsables du scan-
dale du sang contaminé (v.
infra no 607) nauraient probablement pas pu être
poursuivis devant les tribunaux judiciaires.
Selon un projet de révision constitutionnelle déposé en mars 2013 par le
président Hollande, c
est seulement en matière répressive que le chef de lÉtat
continuerait de bénéficier d
une immunité totale durant lexercice de son man-
dat. En matière civile des actions dirigées contre lui seraient recevables à condi-
tion d
avoir été autorisées par une commission des requêtes qui devrait sassurer
qu
elles ne sont pas de nature « à compromettre laccomplissement de sa charge
ou à porter atteinte à la dignité de sa fonction ». Mais, faute de pouvoir compter
sur une majorité des trois cinquièmes au congrès du Parlement, ce projet semble
avoir été abandonné, au moins provisoirement.
Il est vrai que ces immunités sont seulement temporaires et que, les délais de
prescription ou de forclusion étant suspendus, les actions pénales ou civiles diri-
gées contre le Président pourront toujours être reprises ou engagées un mois
après la cessation de ses fonctions.
Il est également vrai que le Parlement a toujours la possibilité de destituer le
président pour un acte manifestement incompatible avec lexercice de son man-
dat. Mais pour que le Parlement puisse constater cette incompatibilité, encore
faut-il que l
on puisse réunir des éléments de preuve. Or la pratique a conduit
à refuser à des magistrats l
entrée au Palais de lÉlysée pour y effectuer une
perquisition, alors même que celle-ci n
était pas dirigée contre le Président
lui-même.
11. Voir sur ce sujet larticle du professeur O. BEAUD, « Linique immunité des conseillers du pré-
sident », in
Le Monde du 12 novembre 2010.
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Droit constitutionnel
On pouvait se demander si, durant lexercice de son mandat, en contre-
partie des immunités dont il jouissait, le Président n
était pas lui-même limité
dans son droit d
agir en justice. Par exemple, en supposant quil estime avoir
subi un préjudice à la suite d
un délit commis par un tiers, pourrait-il se por-
ter partie civile comme aurait pu le faire un justiciable ordinaire ? On faisait
valoir deux arguments en faveur dune réponse négative. Dune part, dès lors
que le Président ne peut pas lui-même être cité en justice, il devrait attendre
la fin de son mandat pour pouvoir exercer les droits de la partie civile, car
sinon il y aurait rupture de l
égalité des armes. Dautre part, dans la mesure
où l
avenir professionnel des magistrats dépend en partie de lui (infra,
n
o 797), limpartialité du tribunal pourrait être mise en doute. Mais dans un
arrêt rendu en assemblée plénière le 15 juin 2012, la Cour de cassation a
rejeté ces arguments
12. Sur ce point, le statut du Président est à sens unique :
il le met provisoirement à l
abri de toutes les poursuites, quelles soient civi-
les ou pénales, mais ne limite en rien son droit d
agir.
Force est donc de constater que, depuis la réforme de 2007, le Président
français bénéficie, sur le plan juridictionnel, d
une protection plus étendue que
la plupart de ses homologues étrangers. Aux États-Unis, par exemple, si la res-
ponsabilité pénale d
un Président en cours de mandat ne peut être mise en
œuvre que selon la procédure très lourde de limpeachment (v. supra no 260),
sa responsabilité civile reste soumise aux règles du droit commun (Hamon,
2002, p. 65)
13.
En pratique, toutefois, lirresponsabilité du Président est plus limitée quon
ne le dit généralement.
Sur le plan politique, il peut arriver que le Président prenne linitiative de
menacer de démissionner au cas où un projet soumis au référendum serait rejeté
par le corps électoral. De Gaulle a procédé ainsi à plusieurs reprises et s
est
d
ailleurs effectivement retiré en avril 1969 après léchec de son dernier réfé-
rendum.
Certains ont voulu voir dans cette pratique, un substitut à la responsabi-
lité politique du Président de la République, parce qu
elle présente quelques
ressemblances avec la question de confiance de la IV
e République. Cepen-
dant, elle diffère d
une véritable responsabilité par un trait important : elle
ne joue que si le président le veut bien et d
ailleurs les successeurs du géné-
ral de Gaulle se sont bien gardés d
y recourir.
Il pourrait également arriver que le Parlement cherche à provoquer la démis-
sion du Président de la République par des voies détournées, sans suivre la pro-
cédure de l
article 68.
Par exemple, sous la IIIe République, lorsque le Parlement voulait écarter
un Président de la République, il refusait systématiquement la confiance à tous
les Présidents du Conseil désignés par lui. Au bout de quelque temps, se trou-
vant dans l
impossibilité de constituer un gouvernement, le Président de la
République était contraint à la démission, comme ce fut le cas de Jules
12. Cass., Ass. plén., décision no 605 du 15 juin 2012.
13. Un doute subsiste sur l
applicabilité de ces dispositions car la loi organique qui devait fixer les
modalités dapplication de la nouvelle version de larticle 68 C na pas encore été adoptée bien quun
projet ait été déposé par le gouvernement en 2010.
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Les organes
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Grévy en 1887 et dAlexandre Millerand en 1920. Il ne paraît pas a priori
exclu que, sous la Ve République, lAssemblée nationale adopte un jour la
même attitude. Toutefois, dans le cadre de l
actuelle Constitution, le Président
est mieux armé pour faire face à une telle situation que ne l
étaient ses prédé-
cesseurs. Il pourrait faire jouer l
arbitrage populaire en prononçant la dissolu-
tion de lAssemblée nationale ou en démissionnant pour se représenter immé-
diatement. Mais si cet arbitrage lui était défavorable,
le Président se
retrouverait constitutionnellement désarmé, et il serait sans doute contraint de
démissionner.
Une telle éventualité ne sest encore jamais produite. Jusquà présent, même
lorsque la majorité parlementaire n
était pas de la même couleur politique que le
Président, elle a respecté son statut constitutionnel en s
abstenant dexercer sur
lui des pressions qui auraient pu le conduire à abréger son mandat. Mais rien ne
permet d
affirmer quelle ne franchirait pas le pas si lautorité du Président était
ébranlée par une affaire particulièrement grave. Sur le plan juridique, rappelons
que la protection dont bénéficie le chef de l
État est seulement temporaire et
que, dès que cesse son mandat, il peut être mis en examen dans les mêmes
conditions qu
un citoyen ordinaire pour les actes accomplis en dehors de lexer-
cice de ses fonctions. À quatre ans d
intervalle, J. Chirac et N. Sarkozy en ont
fait l
expérience. Le premier a été condamné en 2010 à raison dactes quil avait
accomplis en sa qualité de maire de Paris, avant son élection à la présidence de
la République. Le second a été mis en examen en 2014 pour des actes qu
il
aurait commis après la fin de son mandat : corruption active, trafic d
influence
et recel de violation du secret professionnel. Avant que lui soit signifié cette
mise en examen, il a été soumis à une « garde à vue » relativement longue, ce
qui n
était encore jamais arrivé à un ancien président de la République.
Sous-section 2
Les pouvoirs du Président
§ 1. Les pouvoirs du président en période normale
582. Larticle 5 définit les missions du Président de la République (A), alors
que les articles 8 à 19 fixent le détail de ses attributions (B). Mais, depuis 1962,
l
élection du chef de lÉtat au suffrage universel direct confère à celui-ci une
légitimité tellement forte que l
on a pu parler dune « présidentialisation » du
régime (C).
A Les missions du Président
583. Aux termes de larticle 5 C, qui figure en tête du titre II, « Le Président
de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbi-
trage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ainsi que la continuité
de l
État.
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Droit constitutionnel
Il est garant de lindépendance nationale, de lintégrité du territoire, et du
respect des traités ».
584. Le Président gardien de la Constitution. Cette première mission a
sans doute aujourd
hui moins dimportance quon ne lavait initialement prévu,
en raison du développement du rôle joué par le Conseil constitutionnel (v. infra
no 780 et s.). Mais bien que le Président de la République ne soit pas lui-même
juge constitutionnel, il participe à l
organisation et au fonctionnement de la jus-
tice constitutionnelle (nomination du Président du Conseil constitutionnel et de
trois membres de cet organisme ; saisine du Conseil constitutionnel dans le
cadre de l
article 61 al. 2 ou de larticle 54). De plus, pour les questions ne
relevant pas de la compétence du Conseil constitutionnel, le Président peut
être amené à interpréter lui-même la Constitution (v.
infra no 590). Ces interpré-
tations s
imposent en fait aux autres pouvoirs publics et elles constituent des
précédents. À cette mission se rattachent aussi au moins pour une part les pou-
voirs de crise.
585. Le Président arbitre. Il sagit dune notion assez ambiguë car le
mot arbitre peut être pris dans un sens faible ou dans un sens fort. Au sens
faible, arbitrer, c
est veiller à la régularité dune compétition sans y participer
soi-même, comme le fait par exemple un arbitre sportif. Au sens fort, c
est
user de son autorité pour concilier des intérêts opposés ou même décider sou-
verainement de quelque chose. L
idée darbitrage peut donc servir à justifier
des conceptions différentes et même opposées du rôle du Président de la
République ; si l
on choisit le sens faible, le chef de lÉtat doit sabstenir de
participer lui-même à la décision politique, de même que l
arbitre sportif se
tient en dehors de la compétition ; il doit seulement veiller à ce que le Parle-
ment et le gouvernement respectent bien la lettre et l
esprit de la Constitution ;
si l
on privilégie au contraire le sens fort, le Président ne se borne pas à faire
respecter la règle du jeu, il fixe lui-même les grandes orientations de la poli-
tique nationale et tranche en dernier ressort les affaires importantes.
586. Le Président garant des grands intérêts nationaux. Cette mission
souligne la spécificité du rôle du Président. Il a des responsabilités particulières
en matière de défense nationale et de politique étrangère parce que, dans ces
deux domaines, les intérêts supérieurs de la Nation sont en jeu. Il ne s
efface
donc jamais complètement derrière le Premier ministre, même en période de
cohabitation.
Au total, larticle 5 ne donne quune idée très générale et un peu vague du
rôle du Président de la République. Mais d
autres dispositions de la Constitu-
tion définissent dune manière beaucoup plus précise ses attributions.
B Les différentes attributions du Président de la République
587. Parmi les actes juridiques que peut édicter le Président de la Répu-
blique dans lexercice de ses fonctions, on distingue deux grandes catégories :
ceux qui doivent à peine de nullité être contresignés par le Premier ministre, et
ceux qui échappent à cette obligation.
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Les organes
535
Sous la IIIe et la IVe Républiques, tous les actes accomplis par le Président
dans l
exercice de ses fonctions devaient être contresignés par un ministre sans
aucune exception
, afin que le Parlement puisse exercer sur ces actes un contrôle
sans mettre en cause la personne du chef de l
État.
Sous la Ve République, la règle subsiste mais elle a perdu son caractère
absolu. Larticle 19 précise bien que les actes du Président de la République
sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres
responsables, mais sous réserve d
exceptions limitativement énumérées.
Ces exceptions traduisent un changement dans la fonction du contreseing. À
l
origine, cest-à-dire dans la constitution de lAngleterre du XVIIIe siècle et dans
les autres monarchies parlementaires, il était nécessaire en raison de l
irrespon-
sabilité du chef de l
État pour permettre de faire peser la responsabilité sur les
ministres qui avaient donné ce contreseing. Aujourd
hui, il sagit plutôt dun
partage du pouvoir entre le Président de la République et le gouvernement.
Les actes soumis au contreseing requièrent le consentement des deux organes
du pouvoir exécutif. En période de concordance des majorités, ce contreseing
n
est quune simple formalité. En période de cohabitation, il permet au gouver-
nement d
exercer la réalité du pouvoir, parce quil naccordera son contreseing
qu
aux actes quil approuve.
Les actes dispensés du contreseing sont de deux sortes. Tout dabord, la
décision par laquelle le Président de la République soumet un projet de loi au
référendum au titre de l
article 11 ne peut être prise que sur proposition du Pre-
mier ministre ou des deux assemblées. Elle requiert donc le consentement d
une
autre autorité. Quant aux autres actes, ils sont la manifestation d
un pouvoir dit
d
arbitrage, dont on a estimé que le président devait lexercer seul ou bien pour
faire face rapidement à des circonstances exceptionnelles (cas de l
article 16),
ou bien parce qu
il consistait à saisir le peuple français ou le Conseil constitu-
tionnel.
588. Les actes dispensés du contreseing ou « pouvoirs propres ». La
liste de ces pouvoirs est assez courte. Elle comprend :
La nomination du Premier ministre (art. 8 al. 1er).
La dissolution de lAssemblée nationale (art. 12).
Les actes par lesquels le Président de la République communique avec
le Parlement (art. 18)
14. Daprès le texte originel de larticle 18, un seul mode de
communication était prévu : des messages, que le président faisait lire devant
chaque assemblée, et qui ne donnaient lieu à aucun débat. Les contraintes inhé-
rentes à un tel mode de communication (lecture du message par quelqu
un dau-
tre que son auteur, station debout pour les auditeurs, pas de débat en perspec-
tive, etc.) obligeaient le président à se limiter à des interventions ponctuelles et
ne lui permettaient pas de faire concurrence, sur le terrain des relations avec le
14. La Constitution ne précise ni lobjet ni la périodicité de ces messages. Mais il est de tradition
qu
un Président de la République nouvellement élu adresse un message au Parlement à la fois par
courtoisie et pour exposer les grandes lignes de sa politique. Le droit de message peut également être
utilisé pour commémorer un événement (message du 25 juin 1986 sur le 100
e anniversaire de Robert
Schuman), pour attirer lattention sur un problème grave (message du 27 août 1990 sur la situation au
Moyen-Orient) ou pour préciser certaines règles du jeu politique (message du 8 avril 1986 dans lequel
F. Mitterrand a exposé sa conception des rapports entre les pouvoirs en période de cohabitation).
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Droit constitutionnel
Parlement, au Premier ministre qui, seul, est habilité par la Constitution à faire
des déclarations de politique générale devant les chambres (art. 49 al. 1 et 4).
Dans sa lettre de mission au comité Balladur, Nicolas Sarkozy avait clairement
indiqué qu
il souhaitait pouvoir saffranchir de ces contraintes en sadressant
directement aux assemblées parlementaires. Mais l
idée dun droit dinter-
vention présidentielle directe suscitait la crainte dune trop forte concentration
des pouvoirs entre les mains du chef de l
État, à laquelle non seulement les
groupes politiques de l
opposition, mais aussi certains membres de la majorité
parlementaire, se sont montrés sensibles.
Le dispositif finalement adopté, qui vient sajouter aux messages tradition-
nels, tient compte, dans une certaine mesure, de ces réticences. D
après lali-
néa 2 nouveau de l
article 18, cest seulement devant le Parlement réuni en
Congrès que le chef de l
État peut prendre la parole. Il semble que lon ait
voulu ainsi indiquer que cette prise de parole devrait normalement être réservée
à des occasions rares et solennelles, et qu
elle ne pourra jamais remplacer les
déclarations de politique générale du Premier ministre, qui ne peuvent avoir lieu
que devant l
une ou lautre des deux assemblées. Il est précisé que la déclaration
pourra donner lieu, hors la présence du président, à un débat qui ne sera suivi
d
aucun vote. Mais comme ces déclarations sont laissées à lentière discrétion
du Président, seule la pratique permettra d
en déterminer la fréquence et den
mesurer l
impact politique.
Cette procédure a été employée une fois par le président Sarkozy, le 22 juin
2009. Hors session, si le Président décide d
adresser un message au Parlement,
ou de faire une déclaration devant le congrès, les assemblées sont réunies spé-
cialement à cet effet.
La décision de soumettre un projet de loi au référendum dans le cadre de
l
article 11 C15. Dans ce cas particulier, il y a bien dispense du contreseing, mais
cest seulement la décision finale qui constitue un pouvoir propre. Le Président
ne peut décider seul dorganiser un référendum et la proposition, ainsi quil a
été dit au chapitre précédent, doit d
abord être faite au Président de la Répu-
blique soit par le gouvernement, soit par les deux assemblées.
Les actes par lesquels le Président de la République participe à lorgani-
sation ou au fonctionnement de la justice constitutionnelle : nomination de trois
membres du Conseil constitutionnel, désignation du Président du Conseil
constitutionnel (art. 56) ; saisine du Conseil constitutionnel en vue de contrôler
la conformité à la Constitution d
une loi (art. 61) ou dun traité (art. 54).
Les actes pris par le Président de la République en application de larti-
cle 16 de la Constitution (v. infra no 591).
589. Les actes soumis au contreseing ou « pouvoirs partagés ». Ce sont
tous ceux qui s
exercent par des actes pour lesquels larticle 19 ne prévoit pas la
dispense du contreseing. Ils comprennent notamment :
La nomination des ministres (art. 8 al. 2) ainsi que la nomination aux
emplois civils et militaires de lÉtat (art. 13 al. 2).
15. En revanche, les référendums organisés dans le cadre de larticle 89 ou de larticle 88-5 ne sont
pas dispensés du contreseing.
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Les organes
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Les plus hauts fonctionnaires sont nommés en Conseil des ministres. Lune
des idées forces des projets de réforme de Nicolas Sarkozy en 2008 était de
permettre au Parlement d
exercer un certain contrôle sur les principales nomi-
nations faites par le chef de l
État, un peu à limage de celui quexerce le sénat
américain sur les nominations aux divers postes de l
administration des États-
Unis. Larticle 13 a donc été complété par la loi constitutionnelle du 23 juillet
2008. Désormais, pour certains emplois, une commission permanente dans cha-
cune des assemblées est consultée.
Cette réforme accroît dans une certaine mesure le rôle du Parlement, mais
elle est surtout le signe d
un renforcement du rôle du Président, qui apparaît non
plus comme l
autorité qui signe une décision adoptée en Conseil des ministres,
mais, à l
image du président américain, comme le chef suprême, dont le pouvoir
ne peut être freiné que par le pouvoir législatif, faute de pouvoir l
être au sein
même d
un pouvoir exécutif, qui nest plus réellement collégial.
Le système français présente dailleurs trois traits par lesquels il se distingue
assez nettement du modèle américain. En premier lieu, sa portée est beaucoup
moins large : il ne concerne pas tous les emplois de l
administration de lÉtat mais
seulement ceux qui présentent une importance particulière «
pour la garantie des
droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation
»16. Certains de ces
emplois sont désignés par la Constitution elle-même (voir par exemple l
article 56
relatif à la composition du Conseil constitutionnel) mais la liste complète en a été
dressée par une loi organique du 23 juillet 2010. Cette liste comprend les présidents
ou directeurs généraux d
un certain nombre détablissements publics, dautorités
administratives indépendantes, et de grandes entreprises nationales comme Électri-
cité de France ou La Poste. La liste comprenait à l
origine 52 emplois ou fonctions,
mais en 2014 elle n
en comprenait plus que 45, la nomination des présidents des
sociétés audiovisuelles publiques ayant été transférées au Conseil supérieur de l
au-
diovisuel. Le Conseil constitutionnel exerce sur elle un double contrôle : d
une part,
il vérifie quil sagit bien dun emploi présentant une importance particulière pour la
garantie des libertés ou la vie économique et sociale de la nation ; dautre part, il
admet qu
un emploi correspondant à cette définition puisse être retiré de la liste,
mais à condition que les modalités de nomination qui vont se substituer à celles de
l
article 13 C présentent des garanties dune valeur à peu près équivalente17
En second lieu, lAssemblée nationale et le Sénat participent à ce contrôle
sur un pied d
égalité. Cest en effet la commission compétente18 de chacune des
deux chambres qui doit rendre un avis sur le candidat ou la candidate que le
chef de l
État envisage de nommer. En pratique, lavis est toujours précédé
d
une audition de la personne pressentie.
Enfin, le Président nest pas lié par des avis défavorables rendus à la majo-
rité simple ; c
est seulement dans lhypothèse où laddition des votes négatifs
dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages
16. Telle quelle a été interprétée, cette notion ninclut ni les emplois militaires, ni les emplois à
caractère purement administratif, comme ceux de préfet ou de recteurs d
académie, ni ceux à caractère
principalement culturel, comme celui de directeur de la Bibliothèque nationale de France (Benetti,
2014).
17.
2013 concernant la loi organique relative à l
audiovisuel public.
18. Les commissions compétentes doivent être désignées par la loi pour chaque catégorie d
emplois.
Sur ces deux aspects du contrôle juridictionnel, voir la décision nº 2013-677 DC du 14 novembre
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538
Droit constitutionnel
exprimés au sein des deux commissions quil doit renoncer à nommer la per-
sonne pressentie. Selon certains auteurs, cette hypothèse est peu vraisemblable
car, sauf durant les périodes de cohabitation, le président dispose toujours à
l
Assemblée nationale dune majorité de soutien, et cette majorité exclurait la
possibilité d
un avis négatif de la commission chargée dexaminer les proposi-
tions de nomination. Mais il arrive quun président veuille manifester son
ouverture d
esprit en nommant à un poste élevé un ancien adversaire politique
et une telle initiative peut être mal accueillie par certains députés de son propre
parti, comme on l
a vu en 2014 lorsque François Hollande a annoncé son inten-
tion de nommer Jacques Toubon au poste de défenseur des droits. De plus, le
président hésitera probablement à passer outre à un avis négatif, même rendu à
la majorité simple, bien qu
il puisse juridiquement le faire. Et comme cela se
voit parfois aux États-Unis, il peut arriver qu
un candidat se désiste, de crainte
d
être mis en difficulté par certaines questions susceptibles de lui être posées au
cours d
une audience tenue par une commission parlementaire.
Les actes présidentiels qui interviennent dans le cadre de la procédure
législative ordinaire (art. 10) : promulgation d
une loi ou renvoi de cette loi au
Parlement assorti d
une demande de nouvelle délibération.
Les actes présidentiels qui interviennent dans le cadre dune procédure
de révision constitutionnelle (art. 89) : dépôt d
un projet de révision constitu-
tionnelle ; éventuellement décision de soumettre la loi de révision soit au réfé-
rendum, soit au Parlement convoqué en Congrès.
Les actes adoptés dans le cadre du Conseil des ministres : daprès larti-
cle 13 alinéa 1 de la Constitution, le Président de la République «
signe les
décrets et les ordonnances délibérés en Conseil des ministres
». Mais comme
ces actes ne sont pas dispensés du contreseing, ils doivent être également signés
par le Premier ministre. Les décrets adoptés en Conseil des ministres portent
généralement sur la nomination des très hauts fonctionnaires (conseillers
d
État, préfets, recteurs, etc.). Quant aux ordonnances délibérées en Conseil
des ministres, c
est un peu léquivalent de ce que lon appelait autrefois les
« décrets-lois » : ce sont des actes pris en vertu d
une loi dhabilitation parle-
mentaire qui autorise le gouvernement à prendre, pendant un délai limité, des
mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
La question sest posée pendant les périodes de cohabitation de savoir si le
Président de la République était tenu de signer les actes délibérés en Conseil des
ministres ou s
il avait le pouvoir de refuser (sur cette question, voir infra
nº 590).
La convocation et la clôture des sessions extraordinaires du Parlement
(art. 30).
Les actes accomplis par le Président dans la conduite des relations avec
les puissances étrangères : accréditation des ambassadeurs et des envoyés extra-
ordinaires (art. 14) ; négociation et ratification des traités (art. 52)
19.
19. Le fait que ces actes ne soient pas dispensés du contreseing suffirait à démontrer que, dun point
de vue constitutionnel, contrairement à ce qui est parfois soutenu, la politique extérieure ne peut pas
être considérée comme le domaine réservé du Président. Il convient aussi de noter que, daprès larti-
cle 53 de la Constitution, les traités portant sur des matières de nature législative ne peuvent être rati-
fiés qu
en vertu dune loi.
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Les organes
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Les actes accomplis par le Président en tant que chef des armées
(art. 15). Les décisions les plus importantes concernant la défense nationale
sont arrêtées en Conseil de défense. Ce Conseil, dont l
article 15 confie la pré-
sidence au chef de l
État, comprend en outre le Premier ministre, les ministres
de la Défense et des Affaires étrangères, les autres ministres concernés par l
or-
dre du jour, le secrétaire général de la Défense nationale, les chefs dÉtat-major
et le délégué général pour l
armement.
Toutefois, dans des circonstances graves, les décisions les plus lourdes de
conséquences peuvent être prises par le chef de l
État sans consultation préa-
lable d
aucun organisme et sans même le contreseing du Premier ministre :
d
après le décret du 12 juin 1996 portant détermination des responsabilités
concernant les forces nucléaires, l
engagement desdites forces relève de la com-
pétence exclusive du Président de la République. Sur ce point, le décret de 1996
se borne d
ailleurs à confirmer, en la généralisant, une règle quun précédent
décret du 14 janvier 1964 avait déjà posée en ce qui concerne l
engagement
des « forces aériennes stratégiques », qui étaient les seules forces nucléaires
existant à l
époque (Chantebout, 1986 ; Camby, 1996)20.
Les actes accomplis dans lexercice du droit de grâce (art. 17)21.
Les actes accomplis en tant que garant de lindépendance de lautorité
judiciaire (art. 64 C) (v. infra nº 795).
C La « présidentialisation » du régime et ses limites
590. À lexception dun petit nombre darticles modifiés en 1962, 1995 ou
2008, l
ensemble du titre II a été rédigé en 1958, cest-à-dire à une époque où le
Chef de l
État devait être lélu des notables et où lon pouvait penser que, au
moins après le départ du général de Gaulle, le principal dépositaire de la
confiance populaire serait le Premier ministre, chef de la majorité parlementaire.
L
année 1962 a marqué un tournant capital dans lévolution du régime, non
seulement à cause de la réforme du mode d
élection du chef de lÉtat, mais
aussi parce que les élections législatives qui ont suivi cette réforme ont abouti
à l
installation dune majorité parlementaire qui avait fait campagne en senga-
geant à soutenir inconditionnellement le président. Politiquement, le chef de
20. Larticle 19 nayant pas prévu dexception à la règle du contreseing en matière de défense natio-
nale, on peut évidemment se demander si l
engagement des forces nucléaires par le Président de la
République sous sa seule responsabilité n
est pas contraire à la lettre même de la Constitution. On
justifie généralement cette solution par des raisons d
ordre pratique : pour que la dissuasion nucléaire
soit crédible, il faut que les forces sur lesquelles elle s
appuie puissent être mises en œuvre de façon
presque instantanée, ce qui implique lexistence dun décideur unique. Sur le plan juridique, on peut
observer que des circonstances suffisamment graves pour justifier l
engagement des forces nucléaires
autoriseraient probablement aussi la mise en application de l
article 16, qui a notamment pour effet de
suspendre l
obligation de contreseing (v. infra no 591).
21. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a modifié l
article 17 en précisant que le Président de
la République a le droit de faire grâce « à titre individuel » seulement. Il s
agissait de désavouer les
pratiques suivies par certains prédécesseurs de Nicolas Sarkozy, qui avaient pris l
habitude de gracier
des catégories entières de condamnés moins pour faire preuve dindulgence envers les condamnés que
pour atténuer l
encombrement des prisons. Mais il nest pas sûr que la modification de larticle 17
suffira à empêcher le renouvellement de ces pratiques.
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Droit constitutionnel
lÉtat pèse donc beaucoup plus lourd que le Premier ministre et cest pourquoi,
dès les années 1960, on a parlé de « présidentialisation du régime ».
Bien que la distinction des pouvoirs propres et des pouvoirs partagés
conserve en droit sa validité, la « présidentialisation » du régime en a considéra-
blement réduit la portée car, en pratique, le gouvernement est chargé de mettre
en œuvre les orientations décidées par le chef de lÉtat. Aussi longtemps quil y
a concordance entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, il est
donc pratiquement impossible pour un Premier ministre de refuser sa signature
au Président, à moins qu
il ne lui présente en même temps sa démission, comme
l
avait fait J. Chirac en 1976. Le contreseing tend alors à devenir une simple
formalité et l
influence réelle du Président de la République est sans commune
mesure avec l
étendue de ses pouvoirs propres. Le Président peut même sim-
miscer dans des attributions qui, selon la Constitution, appartiennent en propre
au gouvernement : par exemple, les arbitrages entre les demandes budgétaires
émanant de différents ministères.
La « présidentialisation » na cependant jamais été totale.
En premier lieu, le le président peut souhaiter éviter d
apparaître comme
l
auteur ou même linspirateur de tous les actes du gouvernement. Tout en affir-
mant que le Président est seul « à détenir et à déléguer l
autorité lÉtat », le
général de Gaulle s
efforçait en même temps de restreindre lexercice direct de
cette autorité : «
la nature, létendue, la durée de sa tâche impliquent quil (le
président
) ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la conjoncture,
politique, parlementaire, économique et administrative. Au contraire, c
est là le
lot, aussi complexe et méritoire qu
essentiel, du Premier ministre français »
(conférence de presse du 31 janvier 1964).
Bien que les frontières entre les deux domaines (celui que le président se
réserve et celui qu
il délègue au Premier ministre) soient très fluctuantes, il est
souvent commode pour le chef de l
État de rester en retrait lorsquune réforme
qui risque dêtre impopulaire vient à lordre du jour. En cas déchec, il peut
« sacrifier les ministres et les gouvernements sur lautel de lopinion publique,
ce nouveau Moloch, dont on ne cesse de scruter les désirs et dont chaque pous-
sée de fièvre a raison des réformes les plus vitales pour lavenir » (Fillon, 2006,
p. 155)
22. Le Premier ministre peut ainsi servir de « fusible », ce qui implique
qu
on lui reconnaisse une responsabilité propre. Et cest sans doute ce qui
explique la persistance, sous la V
e République, dune instabilité gouvernemen-
tale plus forte que dans la plupart des pays voisins : de 1978 à 2006, la France a
connu vingt-six gouvernements, l
Allemagne neuf, lEspagne huit et la Grande-
Bretagne sept. Néanmoins, il est possible que cette instabilité s
atténue grâce à
l
instauration du quinquennat. Nicolas Sarkozy est le premier Président de la
République à navoir pas changé de Premier ministre en cours de mandat. En
effet, d
une part, en raison de la concordance entre la durée du mandat du pré-
sident et celle de la législature, il n
y a pas délection législative à mi-mandat,
sauf dissolution et d
autre part, léchéance de sa réélection étant moins éloignée,
le Président a tendance à vouloir occuper toute la scène politique de sorte que le
François Fillon cite à ce sujet le refus du président Chirac dassumer la responsabilité de la
22.
réforme des retraites en arbitrant les différends entre ses ministres et en expliquant aux Français les
raisons de cette réforme.
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Les organes
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Premier ministre ne peut plus jouer le rôle de fusible et quil a moins intérêt à le
changer.
En second lieu, lexpérience des trois cohabitations a montré que les rôles
respectifs du président et du Premier ministre dépendent, dans une large mesure,
de la conjoncture politique. En période de cohabitation, les attributions dispen-
sées du contreseing, larticle 11 mis à part, sont les seules que le Président de la
République peut exercer de façon totalement discrétionnaire, sans tenir compte
de l
avis du Premier ministre et du gouvernement. En matière de diplomatie ou
de défense nationale, par exemple, il ne peut plus prendre une initiative sans
s
assurer de laccord du Premier ministre23.
Cest dailleurs le Premier ministre qui, dans ces périodes, a linitiative de la
plupart des décisions politiques et il est donc souvent conduit à solliciter la
signature du Président de la République pour exercer l
un des « pouvoirs parta-
gés ». La question s
est posée de savoir si le Président était libre de la lui refu-
ser. Est-il tenu par exemple de de signer tous les projets d
ordonnances ou de
décrets qui lui sont présentés en Conseil des ministres, ou encore de convoquer
une session extraordinaire du Parlement chaque fois que le Premier ministre lui
en fait la demande ? Le texte même de la Constitution n
est pas très explicite sur
ces points. De plus, comme les différends entre le Président de la République et
le Premier ministre ne peuvent pas être soumis au Conseil constitutionnel, il
n
est pas possible de se référer à une jurisprudence. En 1986, le président Mit-
terrand a considéré que l
article 13 le laissait libre de refuser sa signature à trois
ordonnances préparées par le gouvernement Chirac, mais n
interdisait pas à
celui-ci de faire adopter les mêmes textes par le Parlement en forme législative.
Faute de recours possible contre la décision de Mitterrand, cette interprétation
l
a emporté (Troper 1987).
Lusage est donc que le Président de la République peut refuser sa signature
sauf si cela conduit à empêcher le Parlement de légiférer : Il ne peut pas refuser
linscription dun projet de loi à lordre du jour du Conseil des ministres, car
cela bloquerait le mécanisme de linitiative législative24, et il ne peut pas non
plus refuser de promulguer une loi définitivement adoptée par le Parlement si
cette loi n
a pas été invalidée par le Conseil constitutionnel. Linscription des
projets de loi à l
ordre du jour du Conseil des ministres et la promulgation des
lois définitivement adoptées correspondent donc à une sorte de « service mini-
mum » que le Président doit assurer même en période de cohabitation.
En ce qui concerne les autres pouvoirs partagés, qui ne mettent pas en cause
directement l
exercice du pouvoir législatif, ni F. Mitterrand ni J. Chirac na pra-
tiqué une obstruction systématique mais ils se sont l
un et lautre reconnu un cer-
tain pouvoir d
appréciation. Il est arrivé par exemple au Président de refuser de
signer un projet dordonnance que le gouvernement voulait faire adopter en
23. Cest ainsi que, le 25 décembre 1999 le président Chirac a dû renoncer à envoyer un commando
militaire à Abidjan, comme le lui demandait sont ami Henri Konan Bédié, président de la Côte
d
Ivoire, parce que le Premier ministre français, Lionel Jospin, sest opposé au départ de ce com-
mando.
24. Ainsi Jacques Chirac a-t-il finalement accepté en 2001 d
inscrire le projet du statut de la Corse à
lordre du jour dun Conseil des ministres, bien quil considérât ce projet comme politiquement inop-
portun et même probablement inconstitutionnel. Un projet de loi non délibéré en Conseil des ministres
ne pourrait pas être examiné par le Parlement (voir l
article 40 C).
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Droit constitutionnel
Conseil des ministres, ou de discuter lordre du jour dune session extraordinaire
du Parlement que le Premier ministre lui demandait de convoquer. Il lui est éga-
lement arrivé de refuser certaines nominations auxquelles voulait procéder le gou-
vernement. Grâce aux pouvoirs partagés, le Président de la République peut donc,
en période de cohabitation, gêner ou ralentir l
action du gouvernement et négocier
avec son Premier ministre une nomination contre une autre.
Les risques daffrontement entre les deux têtes de lexécutif sont dailleurs
limités si, comme cela s
est le plus souvent vérifié jusquà présent, le Premier
ministre envisage d
être candidat à la Présidence de la République. Le désir
d
affirmer ses prérogatives face au chef de lÉtat est alors balancé par le souci
de préserver une fonction qu
il espère lui-même exercer.
Entre 2007 et 2012, durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le « prési-
dentialisme » s
est affirmé plus nettement que jamais. La victoire de lUMP
aux élections législatives de juin 2007 lui avait assuré l
appui dune majorité.
Assumant à la fois le rôle du président et celui du Premier ministre, le nouveau
chef de l
État rejetait explicitement la théorie des deux domaines en affirmant
qu
il avait été élu « pour faire quelque chose sur tout »25 et il affectait même
parfois de traiter le Premier ministre comme un simple collaborateur. Et ce
n
était évidemment pas un hasard sil avait choisi comme Premier ministre
François Fillon, selon lequel, dans le nouveau contexte créé par le quinquennat
et l
inversion du calendrier électoral, il serait « impensable que le Président ne
gouverne pas réellement
» (Fillon, 2006, p. 160).
Son successeur à lÉlysée, François Hollande, a adopté un style moins net-
tement présidentialiste (Gicquel, 2014). Pour montrer qu
il avait une conception
de sa fonction plus modeste que celle de son prédécesseur, il a accompli quel-
ques gestes symboliques : réduction de son traitement dans la proportion de
30 %, abrogation du délit d
offense au chef de lÉtat, utilisation du TGV pour
effectuer certains déplacements. Au cours de son discours d
investiture du
il a déclaré quil assumerait pleinement ses responsabilités
15 mai 2012,
« mais quil ne déciderait pas de tout à la place de tous ». Il a même ajouté
que le gouvernement « déterminerait et conduirait la politique de la Nation »,
conformément à l
article 20 C. Mais il serait imprudent de prendre ces déclara-
tions au pied de la lettre. De même que ses prédécesseurs, François Hollande a
pris, au cours de sa campagne, des engagements précis et relativement détaillés
sur des questions comme l
âge de la retraite ou la construction des logements
sociaux
questions qui, si lon interprétait strictement la Constitution, ne relè-
veraient pas des compétences du Président de la République. Mais il savait per-
tinemment que, si les élections législatives de juin 2012 lui donnaient une majo-
rité parlementaire,
son domaine
lui-même
dintervention. Sur leurs affiches électorales, les candidats du parti du Président
ont dailleurs clairement indiqué que la principale raison de voter pour eux était
qu
il fallait « donner une majorité à François Hollande ». La Ve République na
donc pas cessé de fonctionner de manière dite « présidentialiste ». Ce style
résulte beaucoup moins de la personnalité du titulaire de la fonction que du
système politique, notamment de l
élection présidentielle au suffrage universel
limites de
fixerait
les
il
25. Discours prononcé devant les parlementaires de la majorité le 20 juin 2007 (daprès Le Monde
du 21 juin 2006).
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et du phénomène majoritaire. Et force est dailleurs de constater que, dans ses
déclarations publiques, F. Hollande assume personnellement la responsabilité
de toutes les décisions politiques prises ou à prendre et qu
il sabstient même
souvent de mentionner la part que le Premier ministre ou d
autres membres du
gouvernement ont pu ou pourraient y prendre. Le Président de la République
conserve la faculté de renvoyer son Premier ministre, comme la montré le rem-
placement de Jean-Marc Ayrault par Manuel Valls, en avril 2014, à la suite des
mauvais résultats obtenus par la gauche aux élections municipales qui avaient
eu lieu le mois précédent. Mais ce remplacement a aussi mis en évidence les
limites de l
autorité présidentielle.
En premier lieu, François Hollande sest senti obligé de confier les rènes du
gouvernement à une personnnalité dont la cote de popularité est nettement
plus élevée que la sienne. C
est pourquoi celui-ci se montrera sans doute
moins docile que son prédécesseur, et serait même susceptible de lui faire
concurrence en 2017, lorsque se posera le problème du renouvellement de
son mandat.
En second lieu, les résultats du vote de confiance demandé par Manuel Valls
à l
Assemblée nationale ont montré que le president ne pouvait plus compter sur
le soutien inconditionnel de son propre parti (v.
supra nº 528) ;
En période normale, le rôle du Président de la République est déjà fort
important, surtout lorsqu
il bénéficie de lappui de la majorité parlementaire.
Mais dans certaines circonstances exceptionnelles, on peut assister à une exten-
sion considérable de ses pouvoirs.
§ 2. Lextension des pouvoirs présidentiels en cas
de circonstances exceptionnelles (art. 16)
591. Lorigine de larticle 16 est liée aux événements de la Deuxième Guerre
mondiale, et plus particulièrement à ceux de juin 1940. Le territoire français
métropolitain était alors envahi dans sa majeure partie par les armées alleman-
des. Il semble que le Président de la République de l
époque, Albert Lebrun, et
le Président du Conseil, Paul Reynaud, aient eu un moment des velléités de
poursuivre la lutte en se repliant à Londres ou à Alger avec les ministres et les
parlementaires qui auraient bien voulu les suivre. Mais ils ne l
ont pas fait et ils
ont expliqué par la suite que, s
ils y avaient finalement renoncé, cétait parce
que la Constitution de la III
e République ne leur donnait pas les pouvoirs qui
eussent été nécessaires
26.
Le général de Gaulle a créé à Londres un gouvernement de la France Libre
mais il navait alors aucun titre constitutionnel pour le faire et cest pourquoi il
lui a été difficile de faire admettre la légitimité de la France Libre par les gou-
vernements étrangers et par l
opinion française elle-même. Lidée qui a inspiré
l
article 16 cest que si la France se retrouvait un jour, comme en juin 1940,
dans des circonstances dramatiques (invasion étrangère, guerre civile, attaque
26. Voir sur ce point les déclarations qua faites le général de Gaulle devant le Comité consultatif
constitutionnel le 8 août 1958 in
Documents pour servir..., Vol. II, p. 300.
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Droit constitutionnel
nucléaire, etc.), il fallait que le Président de la République garant de lindé-
pendance nationale, de l
intégrité du territoire et des traités (art. 5) dispose de
pouvoirs suffisamment étendus pour faire face à toute éventualité sans qu
on
puisse lui reprocher de sortir de la légalité constitutionnelle.
Dans le cadre de larticle 16, le Président de la République exerce la fonc-
tion dun dictateur non pas au sens vulgaire et péjoratif du terme, mais plutôt au
sens de l
Antiquité romaine. Dans lAntiquité romaine, le dictateur était un
magistrat auquel on accordait pendant quelques mois des pouvoirs pratiquement
illimités, non pas pour détruire les institutions mais au contraire pour tenter de
les sauver.
Comme larticle 16 a été conçu pour faire face à des circonstances exception-
nelles, et que, par définition, ce qui est exceptionnel défie toute tentative de pré-
vision, il est rédigé en des termes très larges qui sont susceptibles de s
adapter à
des circonstances extrêmement variées. Il soulève donc de nombreux problèmes
d
interprétation et ces problèmes ne pourraient être résolus quà laide de précé-
dents. Mais il y a encore peu de précédents. Depuis l
entrée en vigueur de la
Constitution de 1958, l
article 16 na été mis en application quune seule fois :
en avril 1961, lorsque les généraux qui commandaient le corps expéditionnaire
d
Algérie ont cessé dobéir aux ordres de Paris et ont créé à Alger un gouverne-
ment insurrectionnel pour protester contre les négociations engagées avec les
chefs du mouvement nationaliste algérien. Bien que ce putsch se fût effondré au
bout de quelques jours, l
article 16 a été maintenu en application pendant plu-
sieurs mois, jusqu
au 29 septembre 1961.
À quelles conditions lapplication de larticle 16 est-elle subordonnée ?
Quelles sont les conséquences de sa mise en application ?
592. Les conditions dapplication de larticle 16. Deux conditions sont
nécessaires : il faut, d
une part, que les institutions de la République, lindépen-
dance de la Nation, lintégrité de son territoire ou lexécution de ses engage-
ments internationaux soient menacées dune manière grave et immédiate ; il
faut, d
autre part, que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitu-
tionnels soit interrompu.
Ces deux conditions ne sont pas alternatives mais cumulatives. Elles doivent
donc être simultanément vérifiées. Elles ne sont d
ailleurs pas de même nature.
La première suppose seulement l
existence dun trouble potentiel : il faut quil y
ait une menace grave et immédiate... mais on n
exige pas que cette menace soit
en cours de réalisation. Au contraire, la seconde condition suppose l
existence
d
un trouble actuel et non pas seulement potentiel : il faut que le fonctionnement
régulier des pouvoirs publics constitutionnels ait déjà été affecté, il ne suffit pas
qu
une menace pèse sur ce fonctionnement.
En avril 1961, le général de Gaulle, conformément à lavis du Conseil
constitutionnel, a estimé que ces deux conditions étaient réunies. En ce qui
concerne la première condition, il n
y avait guère de contestation possible : un
pouvoir insurrectionnel s
était établi à Alger, et ce pouvoir se proposait ouver-
tement de renverser les autorités constitutionnelles ; il y avait donc indiscutable-
ment une menace grave et immédiate sur les institutions de la République. En
ce qui concerne la seconde condition, les choses étaient un peu moins nettes :
Paris n
avait pas été atteint par la rébellion, et les principaux organes (Président,
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gouvernement, Parlement, Conseil constitutionnel) étaient toujours en place. Le
général de Gaulle et le Conseil constitutionnel ont néanmoins estimé qu
il y
avait bien interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics parce
que, même si ces pouvoirs n
étaient pas matériellement empêchés de prendre
des décisions,
les départements algériens, qui constituaient encore à cette
époque une fraction relativement importante du territoire national, échappaient
totalement à leur autorité. De plus, l
un des membres du gouvernement était
retenu prisonnier par les rebelles à Alger.
Pour que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels
soit considéré comme interrompu (au sens de l
article 16), il nest donc pas
nécessaire que les centres de décision soient paralysés, il suffit qu
une partie
relativement importante du territoire ne puisse plus être contrôlée par les auto-
rités légales.
Une chose est de définir, comme nous venons de le faire, les conditions
d
application de larticle 16. Autre chose est de déterminer lautorité compé-
tente pour décider si, dans telles ou telles circonstances, ces conditions sont
effectivement réunies. Cette autorité, c
est
le Président de la République
lui-même. Il peut seul décider la mise en application de l
article 16 et il sagit
là d
un pouvoir propre, qui nest pas soumis à lobligation du contreseing27.
Avant de mettre en application larticle 16, le Président de la République
doit néanmoins accomplir certaines formalités.
Il doit dabord consulter le Premier ministre, les présidents des deux assem-
blées parlementaires ainsi que le Conseil constitutionnel. Ce ne sont que de sim-
ples avis et juridiquement, le Président de la République reste entièrement maî-
tre de sa décision. Mais ces avis ont évidemment un certain poids politique,
d
autant plus que celui du Conseil constitutionnel est publié.
On sest parfois demandé si lobligation faite au Président de la République
de recueillir ces différents avis n
était pas en contradiction avec lune des condi-
tions de fond de la mise en application de larticle 16 : linterruption du fonc-
tionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. En effet, pour que les
avis puissent être recueillis, il faut que les autorités concernées, Premier minis-
tre, présidents des assemblées, Conseil constitutionnel soient encore saisissa-
bles. Mais il n
y a pas vraiment contradiction sur ce point puisque, ainsi que
nous l
avons vu, linterruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
ne suppose pas nécessairement la paralysie des centres de décision. S
il était
matériellement impossible de procéder à ces consultations, le Président de la
République pourrait d
ailleurs considérer que la force majeure le dispense dac-
complir les formalités prévues par l
article 16.
Après avoir recueilli tous ces avis, le Président de la République, sil persiste
dans son intention de mettre en application larticle 16, doit en informer la
Nation par un message.
27. Cest pourquoi, on peut dire que le Président de la République est souverain au sens de Carl
Schmitt, car il décide « sur les circonstances exceptionnelles ». Il décide en effet seul que les circons-
tances sont exceptionnelles et qu
il lui faut se saisir des pouvoirs de crise ; dautre part, il décide seul
de ce qu
il convient de faire pour faire face à ces circonstances. Voir Schmitt, 1993.
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Droit constitutionnel
593. Conséquences de la mise en application de larticle 16. Elle
entraîne un véritable bouleversement des compétences.
Aux termes de larticle 16, le Président de la République peut prendre toutes
«
les mesures exigées par ces circonstances », cest-à-dire par les événements
qui justifient d
y recourir. Lexpression est impressionnante par sa généralité.
Elle autorise le Président de la République à prendre des mesures qui, en
temps normal, ne relèvent absolument pas de sa compétence. Elle lui permet
de se substituer au gouvernement, au Parlement ou même à l
autorité judiciaire.
Il pourrait fort bien, par exemple, s
il lestimait nécessaire, limiter la liberté
d
expression en instituant pour la presse un régime de censure ; limiter la liberté
individuelle en prévoyant des mesures d
internement administratif ou dassigna-
tion à résidence ; suspendre les garanties des fonctionnaires afin de révoquer ou
de mettre en disponibilité d
office ceux dont la loyauté ne lui paraîtrait pas suf-
fisamment garantie.
Toutes ces mesures sont prises dans le cadre des pouvoirs propres du Prési-
dent de la République. Elles ne nécessitent donc pas le contreseing du Premier
ministre. Une seule formalité est prévue par l
article 16 : le Conseil constitution-
nel doit être consulté au sujet de chacune des décisions du Président. Mais il ne
s
agit que dun simple avis et le Président de la République nest pas obligé
d
en tenir compte. De plus, alors que lavis donné par le Conseil constitutionnel
sur la décision initiale de mettre en application l
article 16 est publié, ce qui lui
confère tout de même un certain poids, les avis recueillis sur les mesures que le
Président prendra par la suite peuvent fort bien rester secrets, leur publication
n
étant prescrite ni par la Constitution ni par la loi organique relative au Conseil
constitutionnel. L
opinion publique ne sera donc pas même informée des réser-
ves éventuellement formulées par le Conseil constitutionnel dans ses avis, et il
sera relativement facile au Président de passer outre.
Les pouvoirs dont dispose le Président de la République dans le cadre de
larticle 16 sont cependant doublement limités quant à leur objet.
En premier lieu, tant que larticle 16 est en application, le Président de la
République ne peut plus faire usage de son droit de dissolution. Il est en effet
précisé, au dernier alinéa de l
article 16, que « lAssemblée nationale ne peut
être dissoute pendant lexercice des pouvoirs exceptionnels ». Sur ce point par-
ticulier, les pouvoirs du Président de la République sont donc restreints par rap-
port à ce qu
ils sont en période normale.
En second lieu, aux termes de larticle 16 alinéa 3, toutes les mesures prises
par le Président de la République «
doivent être inspirées par la volonté dassu-
rer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens
daccomplir leur mission ». En principe, les pouvoirs exceptionnels sont donc
assujettis à une stricte finalité : ils doivent être utilisés en vue de rétablir le plus
rapidement possible létat de choses antérieur, comme cétait le cas de la dicta-
ture romaine. Si cette finalité laisse au Président de la République une marge
d
appréciation importante, car il reste libre quant au choix des moyens à utiliser
la
pour
interdit, semble-t-il, de modifier
revenir à la normale, elle lui
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Les organes
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Constitution, tout au moins à titre permanent28. Une telle modification rendrait
en effet impossible le retour à l
ordre constitutionnel préexistant.
La mise en application de larticle 16 soulève différents problèmes qui, mal-
gré le précédent de 1961, n
ont pas encore pu être résolus dune manière tout à
fait satisfaisante :
1) Quelles sont les relations entre le Parlement, le gouvernement et le Prési-
dent de la République durant l
exercice des pouvoirs exceptionnels ? Larticle 16
précise que : «
Le Parlement se réunit de plein droit ». Sil nest pas en session
normale, le Parlement peut donc se réunir immédiatement, dès l
annonce de la
mise en application de l
article 16, sans avoir besoin dêtre convoqué par décret
du Président de la République. C
est une garantie importante, car si le Président
de la République faisait un usage manifestement abusif de l
article 16, le Parle-
ment pourrait se constituer en Haute Cour pour le destituer (v.
supra no 574).
Mais, en laissant de côté cette hypothèse, la question se pose de savoir si le
Parlement continue d
exercer la totalité des attributions dont il dispose en
période normale : peut-il légiférer ? (v.
infra no 753). Peut-il renverser le gou-
vernement ? (v.
infra no 684).
2) De quels recours les citoyens disposent-ils sils sont lésés dans leurs inté-
rêts par une décision prise en application de l
article 16 ? Ces décisions doivent-
elles être considérées comme caduques dès qu
il a été mis fin à lapplication de
l
article 16 ? (v. infra no 753).
3) Le texte originel de la Constitution indiquait de façon relativement pré-
cise dans quelles circonstances l
article 16 pouvait être mis en application, mais
il ne prescrivait pas comment cette application devait prendre fin. Selon une
partie de la doctrine, il devrait être mis fin à l
application de larticle 16 dès
que les circonstances qui justifiaient d
y recourir nétaient plus réunies. Mais
ce n
est pas ce qui a été fait en 1961 : larticle 16 a été maintenu en application
pendant cinq mois, jusquau 29 septembre 1961, alors que la rébellion militaire
avait été matée dès le 25 avril. De plus, certaines mesures prises en application
de l
article 16 antérieurement au 29 septembre 1961 ont été maintenues en
vigueur par le Président de la République jusqu
en juillet 1962.
Une telle prolongation pouvait peut-être se justifier par des motifs doppor-
tunité, car la rébellion militaire paraissait encore susceptible de rebondir
29. Mais
le fait que la durée de l
application de larticle 16 soit laissée à lentière discré-
tion du Président de la République est évidemment dangereux.
Cest pourquoi, conformément aux recommandations du comité Balladur, la
loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a institué une procédure permettant
l
intervention du Conseil constitutionnel en cas dapplication prolongée de lar-
ticle 16.
28. Mais il nest pas exclu quil puisse la modifier à titre temporaire, en déclarant que certaines
garanties constitutionnelles sont momentanément suspendues. Ainsi le général de Gaulle a-t-il décidé
en 1961 de suspendre l
inamovibilité des magistrats du siège, qui est prévue par larticle 64 de la
Constitution.
29. Comme l
a écrit à lépoque un commentateur : « ... on ne peut retirer les pompiers dès que le feu
semble éteint : il faut les maintenir quelque temps en place pour vérifier que le feu ne risque pas de
reprendre et pour anéantir les foyers qui couvent encore sous la cendre, mais pas plus longtemps »
(DUVERGER M., Le Monde du 5 mai 1961).
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Droit constitutionnel
« Après trente jours dexercice des pouvoirs exceptionnels,
le Conseil
constitutionnel peut être saisi par le Président de l
Assemblée nationale, le Pré-
sident du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs, aux fins d
examiner si
les conditions énoncées au premier alinéa demeurent réunies. Il se prononce
dans les délais les plus brefs par un avis public. Il procède de plein droit à
cet examen et se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante
jours d
exercice des pouvoirs exceptionnels et à tout moment au-delà de cette
durée
» (art. 16 al. 6 nouveau).
Ce texte appelle trois remarques :
1) Lorsqu
il est saisi dans le cadre de cette nouvelle procédure, le Conseil
constitutionnel doit examiner si « les conditions énoncées au premier alinéa
demeurent réunies ». Cette précision milite en faveur d
une interprétation très
stricte de l
article 16 : son maintien en application nest justifié quaussi long-
temps que dure l
interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics
constitutionnels et que la menace pesant sur les institutions de la République,
l
intégrité de son territoire, lindépendance de la nation ou lexécution de ses
engagements internationaux demeure grave et immédiate. Une prolongation
qui ne se justifierait que par le souci d
éviter le retour de telles circonstances,
comme en 1961, serait manifestement contraire à l
esprit du texte.
2) Le constituant na pas voulu que lintervention du Conseil constitutionnel
soit laissée à la discrétion d
une majorité politique. Avec un minimum de
soixante députés ou soixante sénateurs, le recours est aussi largement ouvert à
l
opposition quen ce qui concerne le contrôle des lois (art. 61). Et au-delà dun
délai de soixante jours, le Conseil peut intervenir de sa propre initiative.
3) Pas plus quavant la réforme, le Conseil constitutionnel ne peut, de sa
propre autorité, mettre fin à l
application de larticle 16. Il se borne à émettre
un avis qui ne lie pas juridiquement le Président de la République, mais du fait
que cet avis du Conseil constitutionnel est publié, il lui serait politiquement dif-
ficile d
y passer outre.
Le Président de la République est donc la seule autorité capable dinterpréter
les termes de l
article 16 pour décider non seulement que les circonstances
méritent d
être qualifiées dexceptionnelles et quil peut se saisir des pouvoirs
de crise, mais aussi quelles sont les mesures qui permettront de rétablir le fonc-
tionnement régulier des pouvoirs publics. Il reste souverain au sens de Carl
Schmitt (v.
supra no 592 en note).
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Les organes
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Section 2
Le gouvernement
595. La Constitution est brève sur le gouvernement, dont elle traite dans les
quatre articles de son titre III. Ils suffisent cependant pour marquer un change-
ment par rapport à ce quétait la situation sous la IVe République (Massot,
1993 ; Fournier, 1987).
§ 1. Lorganisation du gouvernement
A Nomination et révocation des membres du gouvernement
596. Les règles relatives à la nomination et à la révocation des membres du
gouvernement sont fixées par larticle 8 C :
« Le Président de la République nomme le Premier ministre. Il met fin à ses
fonctions sur la présentation par celui-ci de la démission du gouvernement ».
« Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du
gouvernement et met fin à leurs fonctions ».
597. Confirmation de linstitution du Premier ministre. Elle sinscrit
dans une tradition qui remonte aux débuts de la III
e République et que la Consti-
tution de 1946 avait sanctionnée : le Premier ministre a une existence constitu-
tionnelle et son autorité au sein du cabinet est expressément reconnue. Sans
doute, il cesse d
être qualifié de Président du Conseil puisque cette fonction
appartient au Président de la République, mais du moins, il n
est pas vis-à-vis
des autres ministres, simplement
primus inter pares : il a des compétences
propres.
598. Nomination des membres du gouvernement. Dans la plupart des
régimes parlementaires, la composition du gouvernement est dictée par la
majorité parlementaire. Il en va autrement sous la V
e République en dehors
des périodes de cohabitation. En effet, c
est le Président de la République
qui
nomme le Premier ministre et, sur la proposition de celui-ci, les autres
membres du gouvernement. Sans doute le Président de la République tient-il
compte dans son choix de la situation parlementaire, mais c
est là une ques-
tion d
opportunité à laquelle il répond librement. Il dispose toujours dun
choix réel car en France, contrairement à ce qui se passe par exemple en
Grande-Bretagne, on ne trouve généralement pas, à la tête de la majorité par-
lementaire, un leader unique et incontesté. On peut dailleurs considérer que
c
est le Président qui est le véritable chef de la majorité. Daprès lesprit du
régime, c
est donc essentiellement du chef de lÉtat que procède le gouverne-
ment et le Président n
est donc même pas obligé de choisir son Premier minis-
tre parmi les membres importants de la majorité parlementaire. C
est ainsi que
G. Pompidou en avril 1962, R. Barre en août 1976, J.-P. Raffarin en
avril 2002, et Dominique de Villepin en juin 2005 ont été nommés à Matignon
alors qu
ils nétaient pas à la tête dun parti, et que (à lexception
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Droit constitutionnel
de J.-P. Raffarin) ils navaient même jamais été titulaires dun mandat parle-
mentaire. En Grande-Bretagne, seul le leader du parti majoritaire a vocation à
devenir Premier ministre. En France, cette relation est parfois inversée. C
est
parce qu
une personnalité a été désignée comme Premier ministre quelle fait
ensuite figure de leader. Tel a été notamment le cas de G. Pompidou et
de R. Barre.
En période de cohabitation, la situation est évidemment différente. Sous
peine de provoquer une crise grave, le Président peut être obligé de choisir
comme Premier ministre une personnalité qui l
a combattu dans le passé, et
qui le combattra sans doute encore dans l
avenir. Mais on ne saurait affirmer
pour autant que son rôle dans la formation du gouvernement est purement for-
mel. En effet, la nomination de chaque membre du gouvernement nécessite l
ac-
cord du Premier ministre et du Président. Il y a donc place pour des négocia-
tions, surtout lorsqu
il sagit de pourvoir les postes ministériels concernant les
secteurs d
activité sur lesquels le chef de lÉtat estime avoir un droit de regard
particulier : Affaires étrangères, Défense nationale, etc.
599. Rôle du Parlement. La querelle de larticle 49 alinéa 1. Le gou-
vernement existe juridiquement dès sa nomination sans avoir besoin d
avoir
reçu une investiture de l
Assemblée nationale ou davoir fait lobjet dun vote
de confiance de sa part.
Cependant comme le gouvernement a besoin, pour agir, de la confiance de
l
Assemblée, il pourrait sembler souhaitable que, dès sa formation, il demande
un vote de celle-ci conformément à l
article 49 alinéa 1er qui dispose que « le
Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres engage devant
l
Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme
ou sur une déclaration de politique générale
». Une partie de la doctrine a
même soutenu qu
une telle démarche serait juridiquement obligatoire. On peut
évidemment invoquer en ce sens la tradition parlementaire française antérieure à
1958 car, sous la IIIe et la IVe Républiques, la formation dun nouveau gouver-
nement devait toujours être sanctionnée par un vote de confiance. Mais l
argu-
ment n
est pas convaincant dans la mesure où précisément, sur bien des points,
la Constitution de 1958 marquait une volonté de rupture par rapport à la tradi-
tion antérieure. Il est vrai que les termes utilisés dans l
article 49 alinéa 1 pour-
raient donner le sentiment d
une obligation puisquil est dit que le Premier
ministre « engage » la responsabilité du gouvernement et non pas simplement
qu
il « peut lengager ». Mais le texte ne précise pas à quel moment doit se
situer cet engagement. De plus, l
article 49 alinéa 1 subordonne lengagement
de responsabilité à une délibération du Conseil des ministres. Or, s
il y a lieu de
délibérer, c
est que le déclenchement de la procédure nest jamais complète-
ment automatique.
En sens inverse, on peut invoquer lesprit du parlementarisme rationalisé,
auquel se rattache la Constitution de 1958 : étant présumé avoir la confiance
du Parlement, le gouvernement n
est pas tenu den faire la démonstration. La
procédure de la question de confiance est donc à son égard facultative.
Cest effectivement dans cet esprit que la Constitution a été appliquée. Le
recours à l
article 49 alinéa 1 a toujours été considéré comme une question
d
opportunité politique que le Premier ministre apprécie librement. Aussi la
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pratique est-elle extrêmement fluctuante. Parmi les gouvernements qui se sont
succédé depuis les débuts de la V
e République, certains, comme le gouverne-
ment Valls formé en avril 2014, ont sollicité quelques jours plus tard un vote
de confiance de l
Assemblée nationale, dautres, comme le gouvernement
Rocard formé le 10 mai 1988, ont attendu
30 un ou deux ans avant de le faire ;
dautres enfin, comme le gouvernement Édith Cresson formé le 15 mai 1991,
nont jamais eu recours à larticle 49 alinéa 1.
Il convient de noter que, selon la procédure de larticle 49 alinéa 1, la
confiance peut être refusée au gouvernement à la majorité simple, alors
qu
une motion de censure (art. 49 al. 2 et 3) ne peut être adoptée quà la majo-
rité absolue des députés composant l
Assemblée nationale (v. infra no 670). Un
gouvernement qui n
est pas très sûr de son soutien parlementaire na donc pas
intérêt à déclencher l
application de cette procédure.
600. La révocation des ministres. Cest le Président de la République qui
met fin aux fonctions du Premier ministre et des autres membres du gouverne-
ment (art. 8). Mais juridiquement tout au moins, il ne peut pas le faire de sa
propre initiative.
En ce qui concerne le Premier ministre, la liberté du Président de la Répu-
blique est en principe très réduite. En effet, l
article 8 dit quil met fin aux fonc-
tions du Premier ministre «
sur la présentation par celui-ci de la démission du
gouvernement
». Il en résulte que, juridiquement tout au moins, ne peut être
remercié qu
un Premier ministre qui a demandé à être relevé de ses fonctions.
Par conséquent, le Président de la République ne pourrait révoquer un Premier
ministre qui, fort de la confiance de l
Assemblée nationale, entendrait demeurer
à la tête du gouvernement. Devant le Comité constitutionnel, lors de l
élabora-
tion de la Constitution, le général de Gaulle lui-même avait déclaré que le Pré-
sident de la République ne pouvait pas révoquer le Premier ministre.
Cette interprétation qui résulte des termes non équivoques de larticle 8
pourrait toutefois susciter des difficultés au cas où le Président de la Répu-
blique, exerçant son pouvoir d
arbitrage, se heurterait aux vues du Premier
ministre exerçant son pouvoir gouvernemental. Sous la IV
e République, le Pré-
sident du Conseil n
avait à se soucier que de léventualité dun conflit avec le
Parlement ; sous la V
e, le Premier ministre doit également envisager celle dune
divergence de vues avec le Président de la République.
Il est vrai que, depuis lentrée en vigueur de la Constitution et jusquen
mars 1986, l
évolution politique avait donné au Premier ministre une situation
telle que cette divergence paraissait inconcevable. Instrument de la politique prési-
dentielle, il était entièrement subordonné au Président. Pour bien marquer cette
subordination, le général de Gaulle, dans sa conférence de presse du 31 janvier
1964, a déclaré quil lui appartenait de révoquer le Premier ministre : « le Président
de la République
, a-t-il dit, qui choisit le Premier ministre, qui le nomme ainsi que
les autres membres du gouvernement, qui a la faculté de le changer, soit parce
que se trouve accomplie la tâche qu
il lui destinait et quil veuille sen faire une
réserve en vue d
une phase ultérieure, soit parce quil ne lapprouverait plus... ».
30. Le gouvernement Rocard a engagé sa responsabilité devant lAssemblée nationale le 16 janvier
1991, à propos de la crise du Golfe consécutive à l
invasion du Koweit par larmée irakienne.
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Droit constitutionnel
Cétait là, évidemment, la description dun pouvoir présidentiel qui corres-
pondait à une situation de fait, mais dont on trouverait difficilement l
origine
dans l
article 8, doù il ressort que le Président de la République ne peut mettre
fin aux fonctions du Premier ministre que si celui-ci lui remet la démission du
gouvernement. La lettre de la Constitution était d
ailleurs respectée car le Pré-
sident de la République a toujours obtenu la démission du Premier ministre dont
il entendait se séparer. Mais cette démission peut être forcée. Ce fut le cas, en
1972, de celle de J. Chaban-Delmas qui n
aurait vraisemblablement pas sollicité
un vote de confiance de l
Assemblée nationale sil avait eu lintention daban-
donner quelques jours après la direction du gouvernement. Que cette confiance
lui ait été accordée et que, cependant, G. Pompidou l
ait remplacé par
P. Messmer montre bien que le Président entendait rester seul maître du choix
du chef du gouvernement. En 1976 J. Chirac a également donné sa démission,
mais il a été expressément signifié que cette attitude lui était dictée par sa diver-
gence de vue avec le Président.
Cette faculté de révocation indirecte navait été rendue possible que par la
coïncidence entre la majorité parlementaire et la majorité présidentielle, et par
l
idée, non inscrite dans la Constitution mais très généralement admise, que la
tâche du gouvernement était d
appliquer une politique déterminée par le Président
de la République. Elle cesse donc d
exister durant les périodes de cohabitation.
Il est également d
usage que le Premier ministre remette la démission du
gouvernement au Président de la République après chaque renouvellement de
l
Assemblée nationale, même si la majorité parlementaire en place se trouve
confirmée par le résultat de l
élection. Le Premier ministre démissionnaire
peut alors être immédiatement renommé, comme ce fut le cas de F. Fillon en
juin 2007.
Quant aux membres du gouvernement, le Président de la République les
révoque à la demande du Premier ministre. Celui-ci tient donc de la Constitu-
tion le pouvoir de mettre fin aux fonctions des membres de son équipe. Cette
procédure peut être utilisée pour sanctionner une atteinte à la solidarité gouver-
nementale. Ainsi, en juillet 2013, Delphine Batho, ministre de l
Écolologie, a-t-
elle été révoquée pour avoir publiquement qualifié de « mauvais » le projet de
budget 2014 qui venait d
être adopté par le gouvernement.
Quant aux membres du gouvernement, le Président de la République les
révoque à la demande du Premier ministre. Celui-ci tient donc de la Constitu-
tion le pouvoir de mettre fin aux fonctions de ses collaborateurs.
B Composition du gouvernement
601. La composition du gouvernement nest régie par aucune disposition
législative ou constitutionnelle. Le nombre et la nature des portefeuilles minis-
tériels, ainsi que les titres conférés aux membres du gouvernement, sont varia-
bles. La pratique permet néanmoins de dégager certains usages ou certaines ten-
dances.
602. Le nombre des portefeuilles. Si lon observe lévolution de la com-
position des gouvernements sur une période relativement longue (de la fin du
XIXe siècle à nos jours par exemple), on constate une tendance assez nette à
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laugmentation du nombre des portefeuilles ministériels. Cette augmentation
s
explique principalement par le fait que lÉtat intervient de plus en plus dans
la vie économique et sociale. Des ministères tels que la Défense nationale, les
Affaires étrangères, l
Intérieur, la Justice ou même lÉducation quon appelait
autrefois l
Instruction publique existent depuis très longtemps parce quils
correspondent à des fonctions traditionnelles de lÉtat. Mais à côté de ces
grands ministères, on en trouve aujourd
hui bien dautres qui servent à conce-
voir et à mettre en
œuvre une politique dintervention dans un secteur écono-
mique ou social particulier (par exemple ministre du Développement durable et
de l
Énergie, ou encore ministre chargé de la Dépendance et des personnes
âgées). Parfois même, l
intitulé dun ministère semble sinspirer dune pro-
messe électorale : c
est ainsi que, dans le gouvernement Ayrault tel quil était
constitué en juin 2012, on trouvait un ministre chargé du « redressement pro-
ductif ». D
un côté, le caractère composite de certaines majorités parlementaires
pousse à l
inflation, car chaque parti, ou chaque courant à lintérieur dun parti,
insiste pour être représenté au sein du gouvernement. D
un autre côté, il arrive
que le Président de la République, ou le Premier ministre, décide de constituer
une équipe plus resserrée, afin de renforcer la cohésion gouvernementale et de
montrer à l
opinion publique que lon entend pratiquer une gestion à la fois
efficace et économe.
Depuis les débuts de la Ve République, le nombre des membres du gouverne-
ment a varié entre un minimum de 25 (gouvernement Pompidou de décem-
bre 1962) et un maximum de 48 (gouvernement Rocard de juin 1988). Avec
31 membres, Premier ministre compris, le gouvernement Valls, tel qu
il a été
constitué après les élections municipales de mars 2014 est l
un des plus resserés.
En dehors de l
influence quils peuvent exercer au sein du Conseil des
ministres ou du Conseil de cabinet
31, les ministres individuellement considérés
ont des compétences administratives. Ils dirigent l
ensemble des services admi-
nistratifs rattachés à leurs ministères. Ils sont les chefs de leur département
ministériel et doivent veiller, à ce titre, à ce que les directives gouvernementales
soient appliquées par leurs services. Leurs attributions sont fixées par décret
délibéré en Conseil des ministres (
Pouvoirs, « Le ministre », no 36, 1986).
Mais surtout ce sont eux qui préparent les projets de loi relatifs au domaine
de compétence de leur ministère et auxquels ils cherchent à attacher leurs noms,
ainsi que les textes d
application. Selon les attributions du ministère, il peut en
résulter pour certains d
entre eux au moins un pouvoir politique important.
Labsence de règles permanentes concernant la composition des gouverne-
ments présente des inconvénients. D
une part, elle pousse à linflation des
ministères et des secrétariats d
États, car le Président de la République et le Pre-
mier ministre sont mal armés pour résister aux pressions des parlementaires can-
didats à ces postes, et il en résulte un alourdissement de la machine gouverne-
mentale. D
autre part, comme la délimitation des attributions varie selon les
équipes, chaque membre du gouvernement doit consacrer une partie de son
énergie à préciser les limites de son domaine et à défendre ses prérogatives.
l
architecture
C
est
pourquoi
envisagé
parfois
rendre
été
de
il
a
31. Un Conseil de cabinet est une réunion des ministres sous la présidence du Premier ministre et
non sous celle du Président de la République, à la différence du Conseil des ministres.
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Droit constitutionnel
gouvernementale pérenne en inscrivant dans une loi organique la liste et les
attributions des ministères (Sarkozy, 2006, p. 74 ; Fillon, 2006, p. 164). Mais
le comité Balladur a écarté cette suggestion en estimant que l
architecture gou-
vernementale devait rester suffisamment souple pour que le Président de la
République et le Premier ministre puissent toujours l
adapter aux circonstances.
Parfois, les attributions dun ministre sont définies dune manière extrêmement
vague pour ne pas porter ombrage à un collègue dont il dépend et qui se situe à
un niveau hiérarchique plus élevé : par exemple, dans le gouvernement Ayrault
tel qu
il était constitué en juin 2012, Mme Pau-Langevin était ministre délégué
auprès du ministre de l
Éducation nationale chargée de la « réussite éducative ».
Son rôle effectif dépendait donc, dans une large mesure, des dossiers que son
ministre de tutelle, Vincent Peillon, voudrait bien lui confier.
603. La hiérarchie interne. On distingue traditionnellement les ministres
d
État, les ministres ordinaires, les ministres délégués et les secrétaires dÉtat.
Ministre d
État : cest un titre simplement honorifique conféré à des person-
nalités qui incarnent une composante importante de la majorité parlementaire.
Ils figurent en tête de la liste des membres du gouvernement et c
est générale-
ment à l
un deux que lon confie lintérim du Premier ministre lorsque celui-ci
est absent.
Ministre ordinaire (ou de plein exercice) : cest un membre du gouverne-
ment placé à la tête dun département ministériel autonome.
Ministre délégué (ou ministre auprès de) : cest un ministre délégué auprès
d
un autre membre du gouvernement, parfois auprès du Premier ministre lui-
même, et son rôle consiste à mettre en
œuvre dans un secteur particulier la poli-
tique décidée par ce membre du gouvernement.
Secrétaire dÉtat : ils sont généralement dans la même situation que les
ministres délégués, c
est-à-dire quils sont rattachés à un autre membre du gou-
vernement, mais leur position dans la hiérarchie gouvernementale est moins éle-
vée que celle des ministres délégués. Ils figurent tout à fait à la fin de la liste des
membres du gouvernement et pendant très longtemps, ils ne participaient pas au
Conseil des ministres, sauf lorsque l
une des affaires inscrites à lordre du jour
touchait à leurs attributions. Mais depuis quelques années, tous les membres du
gouvernement participent au Conseil des ministres.
La hiérarchie interne ne dépend pas seulement des titres mais aussi de lor-
dre d
énumération des ministres de plein exercice. Par exemple, dans le gouver-
nement Valls tel qu
il a été constitué en avril 2014, on trouve quatorze ministres
et seize secrétaires d
État. Aucun membre ne porte le titre de ministre dÉtat,
mais on peut déduire de l
ordre dénumération que Laurent Fabius, ministre des
Affaires étrangères, se situait au numéro deux dans la hiérarchie interne du gou-
vernement, tout de suite après le Premier ministre lui-même.
§ 2. Le statut des membres du gouvernement
604. Lincompatibilité de la fonction de ministre avec dautres activi-
tés.
Larticle 23 C dispose que « les fonctions de membre du gouvernement
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Les organes
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sont incompatibles avec lexercice de tout mandat parlementaire, de toute fonc-
tion de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi
public ou de toute activité professionnelle
». Bien que sa portée soit très large,
l
article 23 C laissait aux membres du gouvernement la possibilité dexercer un
mandat représentatif local, et notamment un mandat de chef d
un exécutif local
(maire, président dun Conseil général, président dun Conseil régional ou
encore président d
un syndicat de communes). Mais, à lavenir, cette possibilité
devrait être sévèrement restreinte car une loi organique adoptée en 2014 prévoit
qu
à compter de 2017 les fonctions ministérielles seront également incompati-
bles « avec l
exercice de fonctions exécutives au sein des collectivités territoria-
les et des établissements de coopération constitués entre elles ». Conformément
aux recommandations du rapport de la Commission Jospin, le Président de la
République et son gouvernement entendent ainsi limiter le cumul des mandats
aussi bien d
ailleurs pour les parlementaires que pour les membres du gouver-
nement (voir
infra nº 632). Mais en ce qui concerne ces derniers, cette incom-
patibilité a déjà été rendu effective, par décision du Président de la République,
alors qu
elle nétait pas encore inscrite dans la loi.
Étant donné la généralité des termes de larticle 23 dans sa rédaction actuelle,
les ministres se voient pratiquement interdire toute activité professionnelle autre
que celle exigée par leur fonction gouvernementale, mais on n
examinera ici que
l
aspect le plus controversé de ces incompatibilités, cest-à-dire lincompatibilité
avec le mandat parlementaire. Quant à l
incompatibilité avec les fonctions exécu-
tives des collectivités territoriales, c
est une règle nouvelle et qui nest pas encore
vraiment entrée dans les m
œurs, mais, comme elle sapplique également aux par-
lementaires, elle sera étudiée dans la prochaine section (v.
infra nº 632).
605. Signification de lincompatibilité. En faveur de lincompatibilité, on
a invoqué des arguments pratiques et des arguments théoriques.
Le principal argument pratique que lon faisait valoir en 1958 est que lincom-
patibilité renforcerait la solidarité ministérielle et la stabilité gouvernementale,
parce qu
un parlementaire devenu ministre saurait quil ne retrouverait pas auto-
matiquement son siège s
il quittait le gouvernement. Mais la discipline du ou des
parti(s) majoritaire(s), telle qu
elle sexerce sous la Ve République, suffit en fait à
à garantir cette stabilité au moins dans la plupart des cas. De plus, depuis la
réfome constitutionnelle de 2008, un ancien ministre peut retrouver son siège
s
il le souhaite (voir infra nº 606) et lincompatibilité ne peut donc plus être justi-
fiée en invoquant son caractère soit-disant dissuasif.
Les arguments théoriques, dailleurs contradictoires, étaient tirés dinter-
prétations classiques de la séparation des pouvoirs. Ils pouvaient consister
dans lidée que sous la IIIe République, le Parlement exerçait non seulement le
pouvoir législatif, mais aussi, à travers ses membres devenus ministres, le pou-
voir exécutif. La séparation des pouvoirs exigeait donc que les ministres ne
soient pas des parlementaires. C
est donc lexécutif que lincompatibilité visait,
selon cette doctrine, à protéger. Mais, à l
inverse, on soutenait aussi largu-
ment avait déjà été utilisé en 1791 que les ministres parlementaires pourraient
exercer sur leurs collègues au Parlement une influence telle que c
est entre leurs
mains que seraient concentrés les pouvoirs.
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Droit constitutionnel
Aucun de ces arguments nest vraiment convaincant. Les arguments tirés de
la séparation des pouvoirs ne tiennent aucun compte du phénomène majoritaire,
qui conduit toujours à concentrer les pouvoirs entre les mains de la majorité du
moment, qui exerce le pouvoir à la fois à l
Assemblée et au gouvernement.
L
incompatibilité ny change rien et il nexiste aucune différence à cet égard
entre la situation du Royaume-Uni, où lincompatibilité nexiste pas, et celle
de la France.
Dans la pratique, la plupart des parlementaires devenus membres du gouver-
nement ne se détachent nullement de la circonscription dans laquelle ils ont été
élus. Souvent, ils conservent un mandat d
administration locale (maire, conseil-
ler municipal, conseiller général ou conseiller régional) qui leur permet de rester
en contact avec leurs électeurs. Ils se représentent lors du renouvellement de
l
assemblée, car si lincompatibilité interdit à un membre du gouvernement
d
exercer un mandat parlementaire, elle ne lempêche nullement dêtre candidat
(v.
infra no 575). Les liens qui unissent le personnel gouvernemental et le per-
sonnel parlementaire demeurent donc assez étroits.
En vertu dune règle coutumière, un ministre qui sest présenté aux élections et
qui a été battu doit démissionner du gouvernement, car on considère qu
il a été
désavoué par ses électeurs. Mais il n
y a là aucune automaticité. Le Premier minis-
tre, ou le Président de la République, peut décider qu
un membre du gouverne-
ment sera maintenu en fonction en dépit de l
échec électoral quil a subi, en raison
du prix qu
il attache à sa collaboration. Cest ainsi quen 1967, Couve de Murville
a conservé le portefeuille des affaires étrangères bien qu
il ait été battu aux élec-
tions législatives auxquelles le général de Gaulle l
avait poussé à se présenter.
Les ministres choisis en dehors du Parlement sont cependant plus nombreux
qu
ils ne létaient avant 1958. Mais ce phénomène est en partie lié au rôle que
joue le chef de l
État dans la formation du gouvernement (v. supra no 596). Des
départements ministériels importants, comme les Relations extérieures ou la
Justice, et même le poste de Premier ministre, ont été parfois confiés à des per-
sonnalités qui n
avaient pas de représentativité politique, mais qui possédaient
des compétences techniques, et auxquelles le chef de l
État accordait sa
confiance. Mais si ces personnalités entendent poursuivre une carrière politique,
elles finissent généralement, tôt ou tard, par briguer un mandat parlementaire.
Tel fut notamment le cas de G. Pompidou et de R. Barre.
La seule véritable conséquence de lincompatibilité était de provoquer des
élections législatives partielles à la suite des remaniements ministériels : le
ministre sortant tentait, parfois avec succès, de persuader son suppléant de
démissionner pour pouvoir se présenter à l
élection qui devait nécessairement
avoir lieu. Il est d
ailleurs expressément interdit à ce suppléant de se présenter
aux élections législatives suivantes contre la personne quil secondait.
Mais une élection partielle est toujours coûteuse et son résultat ne peut
jamais être garanti, surtout si elle a lieu à un moment où la politique de la majo-
rité est impopulaire. C
est pourquoi, sans revenir sur le principe même de lin-
compatibilité, parce qu
elle a acquis une valeur symbolique dans la tradition
gaulliste, on sest finalement résolu à en assouplir les modalités, afin déviter
des élections partielles trop fréquentes. D
après le nouvel alinéa 2 de larti-
cle 25 C, modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, le député ou
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Les organes
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le sénateur nommé à des fonctions gouvernementales est remplacé à titre tem-
poraire, jusqu
à la cessation des dites fonctions, et non plus, comme auparavant,
jusqu
au renouvellement total ou partiel de lassemblée dont il faisait partie.
606. Modalités dapplication de larticle 23. Les conditions dapplica-
tion pratique du principe posé par larticle 23 sont énoncées par lordonnance
portant loi organique du 17 novembre 1958 modifiée par la loi organique du
13 janvier 2009. Ce texte décide notamment que l
incompatibilité ne prend
effet qu
un mois après la nomination du parlementaire au gouvernement. Pen-
dant ce délai, le siège qu
il occupait au Parlement demeure vacant32. À lexpi-
ration d
un délai dun mois suivant la cessation de ses fonctions gouvernemen-
tales, l
ancien ministre peut reprendre lexercice de son mandat parlementaire.
Toutefois, s
il y renonce avant lécoulement de ce délai, son remplacement
devient définitif jusqu
au renouvellement de lassemblée dont il faisait partie.
Lordonnance prévoit aussi (art. 2, 3, 4) les modalités de remplacement du
parlementaire dans les fonctions qu
il occupait antérieurement à son entrée au
ministère. Enfin, pour amortir les incidences pécuniaires de l
incompatibilité, la
personne qui a dû abandonner une fonction ministérielle perçoit pendant six
mois, à dater de la cessation de ses fonctions gouvernementales, une indemnité
égale au traitement qui lui était alloué en sa qualité de membre du gouverne-
ment. Cette disposition cesse de s
appliquer lorsque lintéressé a retrouvé son
siège ou lorsqu
il a repris une activité rémunérée (art. 5).
En outre, le fait davoir été membre du gouvernement interdit, pendant un
certain temps, l
exercice de certaines activités. En effet, larticle 6 de lordon-
nance du 17 novembre 1958 dispose qu
« aucune personne ayant eu la qualité
de membre du gouvernement ne peut occuper des fonctions incompatibles avec
un poste ministériel si elle n
a cessé de faire partie du gouvernement depuis au
moins six mois, à moins qu
il ne sagisse de fonctions déjà exercées par elle
antérieurement à sa nomination en qualité de membre du gouvernement
».
Il faut observer enfin que larticle 23 établit une incompatibilité ; il ne crée
pas une inéligibilité. Par conséquent, il ne s
oppose pas à ce quun ministre en
exercice soit élu député ou sénateur. Il doit seulement dans ce cas opter pour le
mandat parlementaire ou pour la fonction ministérielle.
607. La responsabilité pénale des membres du gouvernement. Le
champ de la responsabilité pénale des membres du gouvernement est défini de
façon large : d
après larticle 68 C, ils sont pénalement responsables des actes
«
accomplis dans lexercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au
moment où ils ont été commis ».
Mais, avant la réforme constitutionnelle de juillet 1993, cette responsabilité
pénale ne pouvait être mise en
œuvre que selon la procédure applicable au Pré-
sident de la République en cas de haute trahison : mise en accusation par les
deux Chambres et jugement éventuel par la Haute Cour (v.
supra no 579).
32. Ceci peut dailleurs poser un problème lorsque lassise parlementaire du gouvernement est rela-
tivement faible. En juin 1988, par exemple, les membres du gouvernement Rocard II nont pu être
nommés qu
après que le Président de lAssemblée nationale ait été élu ; sil en avait été autrement,
des voix sans doute décisives auraient manqué au candidat du parti socialiste, L. Fabius.
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Droit constitutionnel
Plusieurs affaires, et spécialement laffaire dite « du sang contaminé », ont
montré que ce système fonctionnait plutôt mal. Les victimes, c
est-à-dire les
personnes qui, au début des années 1980 avaient été contaminées par le virus
du sida à la suite d
une transfusion sanguine, ou les familles de ces victimes,
auraient voulu poursuivre non seulement les dirigeants du Centre national de
transfusion sanguine mais aussi certains membres du gouvernement de
lépoque, auxquels on reprochait de ne pas avoir donné dinstructions pour
empêcher l
utilisation des stocks contaminés. Mais, dune part, ces victimes et
leurs familles ne pouvaient pas elles-mêmes déclencher les poursuites puisque
la mise en accusation était exclusivement réservée aux assemblées parlementai-
res et, d
autre part, au sein de chaque assemblée, les débats sur la mise en accu-
sation reproduisaient souvent les vieux clivages politiques : en d
autres termes,
la mise en accusation était d
autant plus facilement votée que la personne visée
n
appartenait pas (ou nappartenait plus) à la tendance majoritaire au sein de
l
Assemblée.
La réforme du 21 juillet 1993 a mis fin à ce système : un titre nouveau
(titre X), intitulé « De la responsabilité pénale des membres du gouvernement »,
a été inséré dans la Constitution. Il s
agit en réalité dune responsabilité mi-
pénale, mi-politique, qui déroge encore assez profondément au droit commun
de la responsabilité pénale, mais dont la mise en
œuvre est tout de même
moins difficile que dans le système antérieur. Il y a deux différences importan-
tes par rapport à ce système :
a) Le déclenchement des poursuites ne dépend plus des assemblées parle-
mentaires. Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis
par un membre du gouvernement dans l
exercice de ses fonctions peut porter
plainte auprès d
une commission des requêtes composée de magistrats membres
de la Cour de cassation, du Conseil d
État et de la Cour des comptes. La com-
mission des requêtes peut être saisie non seulement par une personne privée
mais aussi par le procureur général près la Cour de cassation, qui est le plus
haut magistrat du parquet.
La commission des requêtes décide soit de classer la plainte, soit dy donner
suite.
b) Si la commission des requêtes décide de donner suite, le dossier est trans-
mis à une commission d
instruction qui, après un nouvel examen, peut ordonner
le renvoi de l
affaire devant la juridiction de jugement cest-à-dire devant la
Cour de justice de la République qui comprend douze parlementaires (élus en
leur sein et en nombre égal, par l
Assemblée nationale et par le Sénat après
chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées) et trois magistrats
du siège à la Cour de cassation. La présidence de la Cour de justice de la Répu-
blique est assurée par lun de ces trois magistrats.
La Cour de justice de la République a rendu son premier arrêt le 9 mars
1999 à l
issue du procès des trois anciens ministres qui avaient été mis en exa-
men dans le cadre de l
affaire du sang contaminé : Laurent Fabius, Georgina
Dufoix et Edmond Hervé ; les deux premiers ont été relaxés, le troisième a été
reconnu coupable tout en étant dispensé de peine. Mais cette première expé-
rience a surtout abouti à mettre en lumière les imperfections du nouveau
système.
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En premier lieu, la Cour nest compétente que pour juger les ministres eux-
mêmes ; la responsabilité des complices ou coauteurs des actes qui leur sont
reprochés ne peut être mise en
œuvre que devant les juridictions répressives
de droit commun ; afin de respecter les droits de ces complices ou coauteurs,
la Cour a renoncé à les entendre sous serment et elle n
a donc pas pu disposer
de tous les témoignages qui eussent été utiles à la manifestation de la vérité.
En second lieu, bien que les victimes puissent être à lorigine des poursuites,
il leur est interdit de se porter partie civile devant la Cour ; elles sont donc tota-
lement absentes de la procédure et ne peuvent soulever aucun argument tendant
à établir la culpabilité des accusés ; tout au plus peuvent-elles être entendues
comme témoins ; on a dit que les victimes étaient en quelque sorte « bâillon-
la procédure n
était pas vraiment contradictoire,
nées » et que, de ce fait,
comme elle devrait normalement l
être. Ceci tient à une particularité française
de la procédure pénale de droit commun, qui permet de joindre l
action civile à
l
action pénale et qui donne à laccusation une totale indépendance, par rapport à
l
autorité qui a décidé le renvoi en jugement, le juge dinstruction. Il est possible
que, bien que celui-ci ait considéré les charges comme suffisantes, le procureur
estime quant à lui qu
il ny a pas lieu de requérir. Cest ce qui sest produit dans
l
affaire du sang contaminé33. Dans un cas semblable, au cours dun procès ordi-
naire, la partie civile pourrait se substituer en quelque sorte au procureur et tenter
d
établir la culpabilité de laccusé. Cest ce qui nest pas possible devant la Cour
de justice de la République.
Enfin, la composition mixte de la Cour ne donne pas suffisamment de garan-
ties quant à l
impartialité des juges : les parlementaires, qui constituent les qua-
tre cinquièmes de l
effectif, peuvent être choisis, selon la majorité siégeant à
l
Assemblée nationale ou au Sénat, parmi les amis ou les adversaires politiques
des accusés.
Ce premier procès avait mis en lumière toutes les faiblesses du système
parce qu
il sagissait dune affaire très complexe, qui avait fait de nombreuses
victimes et au sujet de laquelle la gauche et la droite s
affrontaient violemment.
Au cours des années suivantes, la Cour de justice de la République a fait l
objet
de moins de critiques parce qu
elle a eu à traiter des dossiers qui suscitaient
moins de passion et dans lesquels les responsabilités étaient relativement faciles
à cerner. Ni la condamnation de Michel Gilibert, ancien secrétaire d
État aux
handicapés, en 1984, ni celle de Charles Pasqua, ancien ministre de l
Intérieur,
en 2009, n
a beaucoup ému lopinion parce que les faits qui leur étaient repro-
chés (escroquerie au préjudice de l
État dans le premier cas, complicité et recel
d
abus de bien sociaux dans le second) prêtaient beaucoup moins à controverses
que l
utilisation des stocks de sang contaminé. Mais rien ne garantit quil en ira
toujours de même et le problème de la réforme de la Cour de justice de la Répu-
blique reste posé.
Certains auteurs estiment à juste titre que la responsabilité des membres du
gouvernement pour les actes accomplis dans l
exercice de leurs fonctions se
33. La même chose sest produite au cours du second procès jugé par la Cour de justice de la Répu-
blique le 16 mai 2000 : la ministre déléguée à léducation, Ségolène Royal, était poursuivie en diffa-
mation pour avoir reproché à des enseignants leur complicité dans les bizutages infligés à certains de
leurs élèves. Elle fut acquittée, conformément aux conclusions du ministère public.
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Droit constitutionnel
prête mal aux catégories du droit pénal. Ils préconisent donc la suppression du
système mis en place en 1993, et son remplacement par des techniques de
contrôle politique, comme les commissions d
enquête parlementaire (Beaud,
1999). Mais c
est précisément la faiblesse du contrôle politique qui est à lori-
gine de la création de la Cour de justice de la République et il n
y a aucune
raison de supposer que labrogation de la réforme de 1993 pourrait lui redonner
vigueur. Aussi d
autres auteurs proposent-ils de maintenir le principe de la res-
ponsabilité pénale en supprimant tout privilège de juridiction : les membres du
gouvernement poursuivis à raison d
actes commis dans lexercice de leurs fonc-
tions seraient jugés non plus par la Cour de justice de la République mais par la
juridiction répressive de droit commun (c
est-à-dire dans la plupart des cas le
tribunal correctionnel). Un dispositif de filtrage serait cependant maintenu afin
d
éviter des poursuites abusives, le tribunal correctionnel ne pouvant être saisi
que par une commission des requêtes comprenant à la fois des magistrats et des
parlementaires. Le projet de révision constitutionnelle déposé en mars 2013 par
le Président Hollande et son Premier ministre, s
inscrit dans cette perspective.
La Cour de justice de la République serait supprimée. Les poursuites contre les
membres du gouvernement pourraient être engagées selon le droit commun,
devant les juridictions de Paris normalement compétentes, à condition qu
elles
aient été autorisées par une commission des requêtes composée de hauts magis-
trats. Mais ce projet semble avoir été au moins provisoirement abandonné car il
n
aurait sans doute pas pu être adopté à une majorité des trois cinquièmes par le
congrès du Parlement, comme l
exige larticle 89 C.
Le régime dérogatoire du Titre X ne sapplique quaux actes commis par les
membres du gouvernement dans l
exercice de leurs fonctions. Pour les autres,
c
est-à-dire ceux qui sont antérieurs à la prise des fonctions ministérielles, ou qui
sont considérés comme dépourvus de liens avec celles-ci, les membres du gouver-
nement sont soumis au droit commun de la responsabilité pénale. À la différence
du Président de la République (v. supra no 581), ils ne bénéficient daucune invio-
labilité et peuvent donc être mis en examen à n
importe quel moment.
Il arrive aussi quun ministre poursuivi à raison dactes accomplis dans
l
exercice de ses fonctions renonce à invoquer la compétence de la Cour de
justice de la République parce qu
il sestime injustement accusé et quil pense
qu
un acquittement par une juridiction de droit commun aura un plus grand
retentissement dans l
opinion. Cest ainsi quen 2007 Dominique de Villepin,
poursuivi pour dénonciation calomnieuse dans l
affaire Clearstream, sest abs-
tenu de soulever l
incompétence du tribunal correctionnel parce quil pensait
que l
instruction de son dossier serait plus rapide et que ses juges seraient
moins suspects de complaisance envers lui.
Dans la pratique, la question se pose parfois de savoir si un ministre ou un
secrétaire dÉtat mis en cause dans une affaire judiciaire non liée à lexercice de
ses fonctions ministérielles peut rester membre du gouvernement. Juridique-
ment rien ne le lui interdit car, tout comme les simples particuliers, un membre
du gouvernement doit bénéficier de la présomption d
innocence aussi long-
temps qu
il na pas été condamné. Il a existé un usage selon lequel un ministre
mis en examen donnait sa démission pour pouvoir librement préparer sa défense
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Les organes
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et parce que son maintien en fonction risquait de gêner le gouvernement34. Cet
usage n
a pas toujours été respecté. Ainsi, en juin 2007, André Santini a été
nommé secrétaire d
État dans le gouvernement Fillon II, bien quil ait été mis
en examen peu de temps auparavant. Et après avoir été condamné pour injure
raciale en 2010, Brice Hortefeux est resté pendant quelque temps membre du
gouvernement. En fait, cest le Président de la République qui apprécie si lim-
putation (ou la condamnation) est suffisamment grave justifier la mise à l
écart
du ministre qui en a fait l
objet. Depuis lélection de François Hollande, en
2012, et surtout depuis le scandale provoqué par l
affaire Cahuzac (voir ci-des-
sous) en 2013, l
accent a été mis de nouveau sur la nécessité pour les membres
du gouvernement de jouir d
une réputation irréprochable. Compte tenu de ces
circonstances, il paraît probable que la pratique va renouer avec cet usage.
608. La situation patrimoniale des membres du gouvernement. La
lutte contre la corruption implique une certaine surveillance exercée sur les
biens personnels des membres du gouvernement. Comme le Président de la
République, depuis 1995, ceux-ci devaient déposer une déclaration de situation
patrimoniale au moment où ils prennaient leurs fonctions et une autre au
moment où ils les quittaient. Mais à la différence des déclarations faites par le
Président de la République, celles des membres du gouvernement restaient
confidentielles. Elles étaient examinées par la « Commission pour la transpa-
rence financière de la vie politique », organisme spécialisé composé de hauts
magistrats qui comparait les deux déclarations successives et recherchait si le
patrimoine du ministre concerné avait subi des variations importantes durant
la période où il était membre du gouvernement. Mais le rôle de cette commis-
sion était relativement discret car, si elle était tenue de publier un rapport tous
les trois ans, celui-ci ne pouvait contenir aucune indication nominative.
Avec laffaire Cahuzac, cette réglementation est apparue très insuffisante.
Jérôme Cahuzac occupait le poste de ministre du Budget dans le gouvernement
Ayrault, constitué en 2012 tout de suite après l
élection de François Hollande.
Chargé de démasquer et de poursuivre les fraudeurs du fisc, il fut mis en exa-
men en mars 2013 pour avoir lui-même détenu un compte non déclaré en
Suisse, convaincu d
avoir menti au Parlement et contraint de quitter le gouver-
nement. À la suite de ces évènements, le Président de la République annonça un
plan de moralisation de la vie politique, qui prévoyait notamment la création
d
une Haute autorité, dotée de plus de pouvoirs que lancienne commission
pour la transparence financière, et l
obligation pour les parlementaires natio-
naux ou européens, les membres du gouvernement, et ceux des cabinets minis-
tériels, non seulement de déclarer leur patrimoine, mais aussi d
accepter que
soit rendue publique cette déclaration.
Deux lois (lune organique35 et lautre ordinaire36) ont été promulguées en
octobre 2013 pour améliorer « la transparence de la vie publique ». Elles
concernent à la fois les parlementaires, les membres du gouvernement, les
les
représentants français au Parlement européen, certains élus locaux et
34. Ce fut notamment le cas de B. Tapie, dA. Carignon, de G. Longuet et de D. Strauss-Kahn.
35. Loi organique nº 2013-906 du 11 octobre 2013.
36. Loi nº 2013-907 du 11 octobre 2013.
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Droit constitutionnel
titulaires de certains emplois publics (dont les membres des cabinets ministé-
riels et les collaborateurs du Président de la République).
De même que les parlementaires, les membres du gouvernement sont tenus
d
adresser à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique une décla-
ration de situation patrimoniale ainsi qu
une déclaration dintérêts, et de lui
notifier toute modification substantielle pouvant intervenir dans lun ou lautre
domaine durant lexercice de leurs fonctions. Mais, en ce qui concerne les
membres du gouvernement, cette obligation, qui porte atteinte au droit au res-
pect de la vie privée, emporte des conséquences encore plus rigoureuses que
pour les députés et les sénateurs (v.
infra nº 630). Dune part, la Haute autorité
assure la publication des deux documents, ce qui signifie qu
ils peuvent non
seulement être consultés mais aussi reproduits, notamment dans la presse. D
au-
tre part, la Haute autorité peut assortir la publication de l
une ou lautre décla-
ration d
une appréciation critique, cest-à-dire une appréciation mettant éven-
tuellement en doute son exhaustivité, son exactitude et sa sincérité, après avoir
mis l
intéressé à même de présenter ses observations.
Selon le Conseil constitutionnel, pour les membres du gouvernement, de
même que pour les parlementaires, l
atteinte au droit au respect de la vie privée
est justifiée par un objectif d
intérêt général consistant à renforcer les garanties
de probité et d
intégrité des personnes concernées, à prévenir les conflits din-
térêt et à lutter contre ceux-ci. Mais cet objectif revêt encore plus d
importance
pour les premiers que pour les seconds car, aux termes de l
article 23 C, les
fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec « toute fonction
de représentation professionnelle, tout emploi public, ou toute activité profes-
sionnelle » alors que l
on exige seulement des parlementaires quils sabstien-
nent de certaines activités limitativement énumérées. Le Conseil en déduit que
la Constitution a voulu affranchir les membres du gouvernement de tout lien
avec les intérêts privés (2013-676 DC cons. 14 et s.) ;
De même que les élus locaux et les personnes chargées dun service public,
les membres du gouvernement « doivent veiller à prévenir ou à faire cesser
immédiatement tout conflit d
intérêt » (art. 1er de la loi 2013-907 du 11 octobre
2013). Aux termes de cette même loi « constitue un conflit d
intérêt toute situa-
tion d
interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés, qui
est de nature à influencer ou paraître influencer l
exercice indépendant, impar-
tial et objectif d
une fonction ». Ceci signifie par exemple que si un membre du
gouvernement est en même temps un actionnaire important
37 dune société aéro-
nautique, il devra s
abstenir de participer à une délibération du conseil des
ministres ou d
un comité interministériel portant sur le réglementation appli-
cable à ce secteur d
activité.
Si lintéressé ne le fait pas de sa propore initiative, la Haute autorité peut
adresser une injonction à un membre du gouvernement tendant à ce quil soit
mis fin à un conflit d
intérêt. Mais elle ne doit user de ce pourvoir quavec pru-
dence, car si, par exemple, elle adressait à un ministre une injonction qu
il ne
pourrait satisfaire qu
en démissionnant,
les
il y aurait empiètement sur
37. Cette nouvelle législation soulèvera probablement des problèmes dinterprétation. Par exemple,
on pourra se demander quelle quantité dactions il faut détenir pour être considéré comme un action-
naire important.
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Les organes
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attributions du Président de la République qui, aux termes de larticle 8 C, est
seul compétent pour « mettre fin » aux fonctions d
un membre du gouverne-
ment. Selon une réserve d
interprétation formulée par le Conseil constitutionnel,
à l
égard des membres du gouvernement, le pouvoir dinjonction de la Haute
autorité n
existe donc que dans la mesure où lintéressé peut sy soumettre
sans être obligé de démissionner (2013-676 DC cons. 62).
§ 3. Les attributions du gouvernement
609. La Constitution de 1958 parle tantôt des attributions du Premier minis-
tre, tantôt de celles du Conseil des ministres. Cette distinction n
a juridiquement
pas d
importance étant donné que, de toute façon, la plupart des décisions prises
par le Premier ministre doivent avoir été délibérées en Conseil des ministres.
Elles sont d
ailleurs toutes soumises à lobligation du contreseing dun ministre
(art. 22 C). Sans doute ce texte dit « le cas échéant ». C
est une expression qui
réserve le cas où aucun ministre ne serait compétent pour l
exécution de la déci-
sion. L
hypothèse est hautement improbable.
610. La direction de la politique française. Dans un régime parlemen-
taire, la question de savoir qui assure la direction de la politique ne soulève
normalement pas de difficulté : c
est naturellement le gouvernement (v. supra
no 97). Mais, si la Ve République est bien un régime parlementaire, le Président
de la République y joue, au moins en dehors des périodes de cohabitation, un
rôle capital et il n
est plus possible de répondre de la même manière.
Les textes semblent préserver les caractères essentiels des régimes parlemen-
taires, puisque, aux termes de l
article 20 : « Le gouvernement détermine et
conduit la politique de la nation
», ce qui paraît exclure la participation normale
du Président de la République à la politique du pays. Le chef de lÉtat ne
devrait intervenir que dans les cas où l
article 5 de la Constitution linvite à le
faire, c
est-à-dire lorsque lindépendance de la nation, lintégrité du territoire ou
l
exécution dun engagement international est en jeu.
Cependant, la distinction purement intellectuelle établie par la Constitution
entre la conduite des affaires de la nation qui appartiendrait au gouvernement et
la sauvegarde des intérêts permanents de l
État qui serait du ressort du Président
de la République, n
est guère praticable et lexpérience montre quelle na
jamais été réellement appliquée. Lorsque le Président de la République dispose
du soutien de la majorité parlementaire, il peut en fait évoquer tous les dossiers.
C
est dailleurs ce quon fait à divers degrés tous les Présidents de la Ve Répu-
blique. Le Premier ministre apparaît alors comme une espèce de chef détat-
major, au point que Nicolas Sarkozy la appelé « mon collaborateur » au cours
d
une émission télévisée. À supposer quil nait pas utilisé délibérément cette
expression, il s
agissait dun lapsus révélateur.
Quant aux situations de cohabitation, elles sont moins probables depuis lins-
tauration du quinquennat et linversion du calendrier électoral. De plus, si elles
réduisent incontestablement la capacité d
influence du chef de lÉtat, elles ne lem-
pêchent cependant pas d
intervenir même dans le règlement daffaires relativement
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Droit constitutionnel
mineures. En effet, certaines décisions gouvernementales importantes, mais qui ne
sont pas tout de même essentielles pour l
avenir du pays, doivent être prises en
Conseil des ministres, et pourraient se heurter à un refus de signature de la part
du président : on l
a bien vu entre mars 1986 et mai 1988, lorsque F. Mitterrand a
refusé d
entériner certains projets de décret ou dordonnance (v. supra no 590). En
revanche les projets de loi, sils doivent être délibérés en Conseil des ministres, ne
sont pas soumis à la signature du Président. Dans ce domaine, le gouvernement
dispose donc d
une grande liberté à condition, bien entendu quil puisse compter
sur le soutien de la majorité parlementaire. En définitive, d
un strict point de vue
juridique, le Président est mieux armé pour négocier avec le gouvernement des
nominations dans les postes de direction des entreprises publiques, que pour s
op-
poser à de grandes réformes dont l
initiative appartient au Premier ministre, et dont
l
adoption ne relève que de la compétence du Parlement. Telle est la conclusion
paradoxale que l
on peut tirer de lexpérience de la cohabitation.
611. Les moyens. Pour donner au gouvernement les moyens de remplir sa
fonction, l
article 20 déclare quil dispose de « ladministration et de la force
armée
».
612. Les compétences du Conseil des ministres. Le Conseil des minis-
tres n
est pas seulement la réunion des membres du gouvernement. Cest lau-
torité collégiale à laquelle la Constitution attribue des compétences déterminées.
1) Il y a d
abord les compétences normales. Elles concernent : a) lautorisa-
tion donnée au Premier ministre d
engager la responsabilité du gouvernement
devant l
Assemblée nationale ; b) la nomination de certains hauts fonctionnaires ;
c) la délibération sur les projets de loi dont le Premier ministre a pris linitiative ;
d) la décision dengager la procédure accélérée pour obtenir le vote dune loi dans
les conditions prévues par l
alinéa 2 de larticle 45 C ; e) la décision dappeler
l
Assemblée nationale à voter seule un texte en cas de désaccord avec le Sénat
et d
échec des procédures de conciliation prévues par lart. 45 C ; f) la faculté de
proposer au Président de la République d
user du référendum ; g) le droit doppo-
ser l
irrecevabilité à une proposition de loi excédant le domaine législatif ou
empiétant sur une délégation de pouvoir ;
h) le droit de décider lenvoi à une
commission
ad hoc dun projet de loi.
2) Les compétences exceptionnelles visent : a) le pouvoir de proclamer létat
de siège et la mise en garde (v.
infra no 686) ; b) la décision de mobilisation
générale (ordon. 7 janvier 1959) ;
c) le pouvoir, après autorisation du Parlement,
de prendre des ordonnances dans des matières législatives (v.
infra no 747).
Quant aux réunions du Conseil des ministres, la Constitution en accorde
officiellement la présidence au Président de la République. Ce nest quà titre
exceptionnel que le Premier ministre peut le suppléer et cela, en vertu d
une
délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé (art. 21 al. 4). Les condi-
tions très strictes que la Constitution met à la suppléance du chef de l
État prou-
vent que, dans l
esprit de ses auteurs, il ne sagissait pas dune présidence de
pure forme, comme ce fut souvent le cas avant 1958. Les réunions du Conseil
des ministres sont hebdomadaires. Il se tient en principe chaque mercredi matin
au palais de l
Élysée.
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Les organes
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Mais, dans la plupart des cas, le Conseil des ministres se borne le plus
souvent à entériner des décisions qui avaient été préparées par des formations
moins solennelles. Parmi ces formations, il faut mentionner :
Les Conseils de cabinet qui réunissent lensemble des membres du gouver-
nement sous la présidence du Premier ministre, hors de la présence du chef de
lÉtat. Ils sont rares en période normale, mais relativement fréquents en période
de cohabitation.
Les comités interministériels qui réunissent, sous la présidence du Premier minis-
tre, des ministres et des hauts fonctionnaires, et qui ont un caractère permanent.
Les comités restreints qui sont composés selon le même principe, mais dont
la mission est limitée à l
étude dun dossier particulier et qui nont donc pas de
caractère permanent.
Au surplus, tous les projets de loi ou de décret intéressant plusieurs départe-
ments sont préparés dans des réunions interministérielles réunissant des mem-
bres des cabinets et des hauts fonctionnaires.
Il est de tradition quun conseiller de lÉlysée assiste à ces réunions de travail.
613. La prépondérance du Premier ministre. La prééminence du Pre-
mier ministre se manifeste nettement à l
égard des autres membres du gouver-
nement. Elle est inscrite dans la Constitution puisque, selon l
article 20, cest
le Premier ministre qui
dirige laction du gouvernement. Cette compétence
implique un pouvoir de coordination que le Premier ministre exerce en don-
nant des instructions aux ministres. Il va de soi que l
étendue de ce pouvoir est
fonction tant de la personnalité du Premier ministre que de celle des membres
du gouvernement. Il arrive que certains de ceux-ci montrent quelque réticence
à accepter le contrôle de Matignon. Néanmoins la supériorité du Premier
ministre est attestée par les moyens techniques que les textes mettent à sa dis-
position. C
est à lui quappartient le pouvoir réglementaire (art. 21 C) ; cest
lui qui dispose de l
Administration et de la force armée (art. 20 al. 2) ; cest de
son autorité que relèvent les administrateurs civils (décret du 26 novembre
1964) ; en matière budgétaire, il intervient pour arbitrer les demandes des dif-
férents départements ministériels et préparer le projet de loi de finances
(Ordonnance du 2 janvier 1959, puis Loi organique du 1
er août 2001)38.
Aussi bien les membres du gouvernement sont tenus de communiquer au
secrétariat général du gouvernement copie de tous les projets d
arrêtés, instruc-
tions ou circulaires émanant de leur département. Cette règle permet au Premier
ministre de veiller à l
harmonisation des décisions et, éventuellement, dobtenir
le retrait de celles qui lui paraîtraient inopportunes. Comme, d
autre part, la liste
des services rattachés au Premier ministre est considérable (Direction de la
documentation, Direction de la fonction publique, Commissariat général du
plan de modernisation et de l
équipement, Commissariat à lénergie atomique,
secrétariat de la Défense nationale, Délégation à l
aménagement du territoire,
Centre national d
études spatiales, Institut de recherche dinformatique, etc.),
38. Dans la lettre ouverte adressée à ses ministres en mai 1988, quelques jours après la formation de
son premier gouvernement, M. Rocard avait bien souligné cette prééminence : « Dans lexercice de
mes fonctions constitutionnelles, je serai amené non pas, comme le donne à penser une expression
usitée mais impropre, à rendre des arbitrages mais bien à prendre des décisions »
, écrivait-il.
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Droit constitutionnel
il apparaît que le Premier ministre est, en droit comme en fait, la cheville
ouvrière du gouvernement. Enfin la Constitution attribue au Premier ministre
un véritable pouvoir disciplinaire sur les autres membres du gouvernement.
L
article 8 dispose en effet quil peut demander au chef de lÉtat de mettre
fin aux fonctions des ministres. Il peut ainsi veiller au respect de la règle de
la solidarité, qui interdit à tout membre du gouvernement de prendre publi-
quement une position non conforme39 à la politique de celui-ci.
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Les organes
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Section 3
Le Parlement
615. Alors que, dans la Constitution de 1946, le Parlement était le premier
organe dont le texte s
occupait, la Constitution de 1958 ne pose les règles qui le
régissent que dans le titre IV, après celles relatives au Président de la Répu-
blique et au gouvernement. Ce plan n
est pas fortuit, il traduit la hiérarchie
que les auteurs de la Constitution ont entendu établir entre les pouvoirs publics
et qui n
assigne au Parlement que la troisième place.
En France, comme dans la plupart des démocraties occidentales, le rôle du
Parlement s
est considérablement amoindri. On assiste périodiquement à des
tentatives pour le revaloriser. La dernière en date de ces tentatives est celle qui
est intervenue avec la réforme de 2008.
616. Les attributions du Parlement. On indique ici les attributions com-
le contrôle de l
action du
le vote de la loi,
munes aux deux chambres :
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Droit constitutionnel
gouvernement et lévaluation des politiques publiques. Le bicaméralisme français
n
est pas égalitaire et pour certaines de ces attributions, la Constitution accorde à
l
Assemblée nationale des pouvoirs supérieurs à ceux du Sénat. Cest notamment
le cas pour le vote de la loi et pour la mise en jeu de la responsabilité du gouver-
nement (v.
infra no 681 et 727).
Sous-section 1
Composition du Parlement
617. Aux termes de larticle 24 C : « Le Parlement comprend lAssemblée
nationale et le Sénat ».
§ 1. LAssemblée nationale40
618. Composition et durée des pouvoirs. Les députés sont « élus au suf-
frage direct » (art. 24 C). Leur nombre est fixé par une loi organique prise en
application de l
article 25 C. Malgré la perte des trois départements algériens en
1962, son évolution depuis les débuts de la V
e République a été caractérisée par
une tendance à l
inflation. De 460 en 1958, il était déjà passé à 491 en 1981, au
moment où s
est produite la première alternance politique. Il a été porté à 577 par
la réforme électorale de juillet 1985 qui a institué la représentation proportion-
nelle, et qui est entrée en application à l
occasion des élections législatives de
mars 1986. Ce chiffre n
a pas été modifié depuis, malgré le rétablissement du
scrutin majoritaire quelques mois après les dites élections (v.
supra no 535).
Compte tenu du mode de scrutin en vigueur (majoritaire, uninominal, à un seul
tour), il existe donc 577 circonscriptions. Mais comme depuis la réforme de juil-
let 2008, les Français de l
étranger doivent être représentés à lAssemblée natio-
nale (et non plus seulement au Sénat) le territoire national ne comprend plus que
566 circonscriptions.
Sans abroger le principe selon lequel le nombre des membres de chaque
assemblée est fixé par une loi organique, la loi de révision de juillet 2008 a
fixé des plafonds. D
après larticle 24 C, « le nombre des députés ne peut excé-
der 577
». Comme ce plafond coïncide avec le nombre actuel, le législateur
organique pourrait théoriquement l
abaisser (ce quil ne fera probablement
jamais) mais non l
augmenter. La raison dêtre de ces plafonds est double : en
premier lieu, il paraissait souhaitable de stopper l
inflation du nombre des par-
lementaires, qui rendait les assemblées plus difficiles à gérer et qui risquait
daccentuer le discrédit de la classe politique aux yeux des citoyens. En second
lieu, la fixation de ces plafonds permet de stabiliser la proportion respective des
députés et des sénateurs au sein du congrès du Parlement.
LAssemblée nationale se renouvelle intégralement. Ses pouvoirs expirent le
troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection (ord.
40. AMELLER et BERGOUGNOUS, 2000.
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Les organes
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7 novembre 1958, art. 2 et 3 modifiée par la loi organique du 15 mai 2001).
Sauf en cas de dissolution où le délai est abrégé, les élections générales ont
lieu dans les soixante jours qui précèdent l
expiration des pouvoirs de lAssem-
blée nationale (art. 4 ord.).
Le mode délection des députés à lAssemblée nationale a déjà été étudié
(v. supra no 535).
§ 2. Le Sénat
619. Aux termes du quatrième alinéa de larticle 24 C : « Le Sénat (...)
assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Lali-
néa suivant du même article nous apprend que les « Français établis hors
de France » y sont représentés. Mais les sénateurs représentant les Français éta-
blis hors de France n
ont jamais été quun élément marginal. Depuis la réforme
de juillet 2008, ainsi qu
on la déjà noté, ces Français sont dailleurs également
représentés à l
Assemblée nationale. Lorigine du Sénat en tant que représentant
des collectivités territoriales de la République remonte à 1875 mais, depuis, son
existence a été menacée à deux reprises.
La première assemblée constituante élue après la libération du territoire avait
adopté un projet de constitution monocamérale. Mais ce projet, soumis au réfé-
rendum le 5 mai 1946, a été rejeté par les citoyens et il est probable que l
ab-
sence d
une seconde Chambre a contribué à son échec. Cest pourquoi le bica-
mérisme a été rétabli dans le projet d
octobre 1946 qui devint la Constitution de
la IV
e République ; la seconde chambre, officiellement désignée sous le nom
de Conseil de la République, était en fait l
héritière du Sénat de la IIIe Répu-
blique, dont elle tenta d
ailleurs de se réapproprier le titre (v. supra no 431 s.).
La Constitution de 1958 a restitué à la seconde Chambre son titre de Sénat.
Mais en 1969, le général de Gaulle, qui s
était vivement opposé au Sénat en
1962 à propos de l
élection du chef de lÉtat au suffrage universel direct, a sou-
mis au référendum un projet transformant profondément la seconde Chambre
qui, selon un dessein présenté dès 1946 dans le discours de Bayeux, devait
représenter non plus seulement les collectivités territoriales mais aussi les acti-
vités économiques, sociales et culturelles. Il s
agissait en fait de fusionner le
Sénat et le Conseil économique et social. Mais ce projet a été également rejeté
par les citoyens le 27 avril 1969.
Le Sénat est donc sorti vainqueur de ces deux référendums. Bien que ces
résultats aient des causes multiples, on en tire argument pour soutenir que la
majorité des Français est attachée à cette institution.
Mais cet attachement nexclut pas de vives controverses concernant son
mode délection.
620. Composition et durée des pouvoirs. De même que celui des dépu-
tés, le nombre des sénateurs est fixé par une loi organique (art. 25 C)
41. En
41. Mais la répartition des sièges entre les départements et territoires est fixée par la loi relative à
l
élection des sénateurs, qui est une loi ordinaire et non une loi organique.
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Droit constitutionnel
2003, il nétait encore que de 331. Mais la répartition des sièges navait jamais
été révisée depuis 1976 et ne tenait donc aucun compte des mouvements de
population intervenus depuis lors.
Or, à plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel avait rappelé que la
Constitution imposait au législateur de modifier la répartition des sièges de
sénateurs pour tenir compte des évolutions de la population des collectivités
territoriales dont le Sénat assure la représentation (déc. n
o 2000-431 DC du
6 juillet 2000). Il fallait donc soit modifier la répartition des sièges existants,
soit augmenter le nombre des sénateurs en attribuant les sièges supplémentai-
res aux collectivités les plus mal représentées. Le Sénat, qui a pris l
initiative
de la réforme, a préféré cette seconde méthode, peut-être parce qu
une nou-
velle répartition des sièges existants aurait rendu problématique la réélection
de certains de ses membres. Vingt-cinq sièges nouveaux ont donc été créés
pour être répartis entre les départements métropolitains sous-représentés. De
plus, en 2007, deux sièges supplémentaires ont été attribués aux Îles de Saint-
Martin et Saint-Barthélemy qui, après s
être séparées de la Guadeloupe,
étaient devenues des collectivités d
outre-mer à part entière. Le nombre des
sénateurs est aujourd
hui de 348, dont 326 pour les départements métropoli-
tains, 10 pour les territoires d
outre-mer, et 12 pour les Français de létranger.
Ce chiffre a été atteint lors du renouvellement de septembre 2011.
De même quen ce qui concerne les députés, et pour les mêmes raisons, le
nombre des sénateurs est désormais plafonné par l
article 24 C. Il ne peut pas
dépasser le chiffre de 348.
Laugmentation du nombre des sièges de 331 à 348 a réduit les disparités
démographiques entre les départements, mais sans les supprimer totalement. En
effet, d
une part, le Sénat sest refusé à réduire la représentation des départe-
ments dont la population avait diminué depuis 1976. D
autre part, la clé de
répartition des sièges n
assure par une stricte proportionnalité entre le nombre
des sénateurs et l
importance de la population du département42. Mais le Conseil
constitutionnel a jugé que les disparités qui subsistent nétaient pas suffisam-
ment graves pour entacher la réforme d
inconstitutionnalité (déc. no 2003-475
DC du 24 juillet 2003).
Traditionnellement, les sénateurs étaient élus pour neuf ans, et leur renou-
vellement s
effectuait par tiers tous les trois ans. Mais, à la suite du remplace-
ment du septennat présidentiel par le quinquennat (v.
supra no 574), le novennat
des sénateurs paraissait excessivement long, aucune autre assemblée parlemen-
taire en Europe n
ayant un mandat supérieur à six ans. Cest pourquoi, rompant
avec une tradition qui remontait à 1875, la loi organique de 2003 a fixé à six ans
le mandat des sénateurs.
Le rythme des renouvellements demeure triennal mais, désormais, le Sénat
se renouvelle par moitié, et non plus par tiers.
621. Éligibilité et inéligibilités. Les règles sont les mêmes que pour
l
élection à lAssemblée nationale (v. supra no 534), à une réserve près. Nul
ne peut être élu au Sénat s
il nest âgé au moins de 24 ans révolus
42. Un sénateur par département jusquà 150 000 habitants ; un sénateur supplémentaire par tranche
de 250 000 habitants ; au-dessus de la dernière tranche entière un sénateur supplémentaire.
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(art. LO 296 C. élect.). Avant les réformes de 2003 et 2011, lâge minimum
d
éligibilité était de 35 ans. Labaissement ne devrait pas se traduire par des
changements importants car, en pratique, seules des personnes ayant exercé
des mandats locaux, ou ayant acquis une notoriété politique, peuvent espérer
être élues au Sénat. Moins de 1 % des sénateurs sont âgés de moins de 40 ans.
622. Le collège électoral. Les sénateurs sont élus au suffrage universel
indirect, cest-à-dire par un collège électoral lui-même composé délus.
Les douze sénateurs représentant les Français de létranger sont élus par
l
Assemblée des Français de létranger, dont les membres sont eux-mêmes
élus au suffrage direct par les Français immatriculés dans les consulats.
Tous les autres sont élus dans le cadre dun département (ou dun territoire
d
outre-mer). Le collège électoral comprend : les députés élus dans le départe-
ment ; les conseillers généraux du département ; un certain nombre de conseil-
lers régionaux désignés par le Conseil régional de la région dans le ressort de
laquelle est situé le département ; et enfin les délégués des conseils municipaux
qui sont de loin l
élément principal de ce collège puisquils représentent plus de
95 % de l
effectif total. Mais comme sous la IIIe République, le nombre de délé-
gués désignés par chaque conseil municipal n
est pas proportionnel à la popu-
lation des communes.
Le Code électoral (art. L. 284 et s.) établit en effet un tableau qui avantage
les petites communes.
a) Jusquà 9 000 habitants, le nombre des délégués va de 1 à 15 suivant le
nombre des conseillers municipaux.
b) Dans les communes de 9 000 habitants et plus ainsi que dans les commu-
nes de la Seine, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit.
c) Enfin dans les communes de plus de 30 000 habitants, les conseils muni-
cipaux élisent des délégués supplémentaires à raison de 1 pour 800 habitants en
sus de 30 000. Lun des objectifs de la réforme présentée en 2000 par le gou-
vernement Jospin était dimposer une proportionnalité stricte entre la population
des communes et le nombre des délégués sénatoriaux : selon le projet de loi
déposé par ce gouvernement en 1999, chaque conseil municipal aurait désigné
un délégué par tranche de 300 habitants ou fraction de tranche de 300 habitants.
Cette réforme s
est heurtée à lopposition du Sénat, ce qui na pas empêché son
adoption par le Parlement, le gouvernement ayant demandé à l
Assemblée
nationale de statuer définitivement, conformément à l
article 45 C (v. infra
no 727). Mais des sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel, qui a invalidé
les dispositions modifiant la composition du collège électoral au motif que, pour
les appliquer, les conseils municipaux des communes importantes eussent été
obligés de choisir un grand nombre de délégués en dehors de leur sein et que
ces délégués supplémentaires eussent alors constitué « une part substantielle,
voire dans certains départements une part majoritaire du collège des électeurs
sénatoriaux
». Or, selon le Conseil constitutionnel, pour que le Sénat puisse
représenter véritablement les collectivités territoriales, comme le prévoit l
arti-
cle 24 de la Constitution, il faut que ses électeurs soient eux-mêmes pour l
es-
sentiel des membres des assemblées délibérantes de ces collectivités. Le recours
à des délégués choisis en dehors de ces assemblées n
est donc admissible quà
doses homéopathiques, comme dans le système actuel, et à titre de simple
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Droit constitutionnel
correctif pour atténuer les inégalités démographiques mais sans aller jusquà les
supprimer (déc. n
o 2000-431 DC du 5 juillet 2000).
Des suppléants sont également élus à raison de trois quand le nombre des
titulaires est égal ou inférieur à cinq. Ce chiffre est augmenté de un par cinq
titulaires ou fraction de cinq.
Dans les communes de moins de 3 500 habitants, les délégués et les sup-
pléants sont élus individuellement au scrutin majoritaire à deux tours. Dans
celles de 3 500 habitants ou plus, ils sont élus au scrutin de liste suivant le sys-
tème de la représentation proportionnelle avec application de la règle de la plus
forte moyenne sans panachage ni vote préférentiel.
Le rôle des suppléants est de remplacer les délégués en cas de refus ou
d
empêchement de leur part. Sils ont été élus individuellement, leur ordre est
déterminé par le nombre de voix qu
ils ont obtenues. Sils sont élus au scrutin
de liste, il résulte de leur place sur la liste.
Dans les quatre jours qui suivent les élections, le tableau des électeurs séna-
toriaux est rendu public. Un
recours est ouvert à tous les membres du collège
électoral. Il est porté devant le tribunal administratif dont la décision ne peut
être contestée que devant le Conseil constitutionnel à l
occasion dun recours
dirigé contre l
élection dun sénateur.
623. Lorganisation de lélection. Les élections sénatoriales ont lieu tous
les trois ans à la fin du mois de septembre. Quant à l
élection des électeurs
sénatoriaux, elle doit avoir lieu trois semaines au moins auparavant.
Les candidats sont tenus de faire une déclaration de candidature contenant
des mentions analogues à celles de la déclaration exigée des candidats à l
As-
semblée nationale (v.
supra no 534). Dans les départements où lélection a lieu à
la représentation proportionnelle, la liste doit comporter autant de noms qu
il y
a de sièges à pourvoir.
Les règles relatives au remplaçant, à linterdiction des candidatures multi-
ples, à lenregistrement des candidatures et à son contentieux sont les mêmes
que celles qui régissent l
élection des députés.
La propagande électorale est prise en charge par lÉtat en ce qui concerne le
prix du papier, de l
impression et de lenvoi des circulaires et bulletins de vote à
condition que les candidats aient obtenu 5 % des suffrages en cas de scrutin
proportionnel ou 10 % en cas de scrutin majoritaire. La loi prévoit des réunions
électorales auxquelles ne peuvent participer que les membres du collège électo-
ral et les candidats.
Jusquen 2000, les élections sénatoriales échappaient totalement à lapplica-
tion des dispositions concernant l
encadrement financier des campagnes électora-
les car on pensait que le suffrage indirect suffisait à limiter le recours à la propa-
gande et rendait donc inutile linstitution dun plafond de dépenses. Elles
continueront dy échapper pour lessentiel. Toutefois, la loi du 10 juillet 2000
précise que l
interdiction des contributions versées par une personne morale
autre qu
un parti politique, ou par un État étranger, vaut pour les élections séna-
toriales comme pour les autres élections.
Le vote des électeurs sénatoriaux est obligatoire.
La circonscription de base pour l
élection des sénateurs autres que ceux repré-
sentant les Français de l
étranger est le département (ou le territoire doutre-mer).
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Les organes
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624. Selon le nombre de sénateurs à élire, le scrutin est majoritaire dans les
petits départements et proportionnels dans les grands. Le seuil qui sépare les
deux catégories a été plusieurs fois modifié. La gauche est traditionnellement
favorable à une application étendue de la proportionnelle, car, comme au
moins jusqu
à une date récente le corps électoral était dans son ensemble plutôt
conservateur, le scrutin majoritaire lui était défavorable.
Depuis la loi du 2 août 2013, la proportionnelle sapplique dans tous les
départements élisant au moins trois sénateurs. Au total, 70 % environ des séna-
teurs sont élus à la proportionnelle. Toutefois, compte tenu de l
exiguité du
cadre départemental, le nombre de sièges à répartir dans chaque circonscription
est relativement faible, de sorte que ce mode de scrutin permet seulement la
représentation des principales tendances politiques.
Mais les succès remportés par la gauche aux élections locales depuis le
début des années 2000 ont renforcé la position de celle-ci même au sein des
collèges électoraux des départements ruraux. C
est ce qui a permis au groupe
socialiste de gagner d
un seul coup 25 sièges lors du renouvellement de septem-
bre 2011. À la suite de ce renouvellement, la gauche, qui totalise 177 sièges, est
devenue majoritaire au sein de la seconde chambre, ce qui ne s
était encore
jamais vu depuis les débuts de la V
e République.43.
Lorsque lélection a lieu à la représentation proportionnelle, la législation
sur la parité s
applique selon les modalités habituelles, cest-à-dire que chaque
liste doit être composée alternativement d
un candidat de chaque sexe.
Lorsque lélection a lieu au scrutin majoritaire, aucun dispositif nest prévu
pour favoriser la parité.
Au total, le Sénat ne comprend encore que 71 femmes sur un effectif total de
348, cest-à-dire environ 22 %.
625. Contentieux électoral. Le contentieux des élections sénatoriales est
jugé par le Conseil constitutionnel dans les mêmes conditions que celui des
élections à l
Assemblée nationale (v. supra no 545).
626. Le particularisme du recrutement sénatorial. Le mode actuel de
recrutement des sénateurs se traduit comme on l
a vu par un phénomène de
surreprésentation des régions faiblement urbanisées.
Les défenseurs du Sénat sous sa forme actuelle ne contestent pas lexistence
de ces inégalités, mais ils estiment qu
elles se justifient par le caractère particu-
lier de la représentation sénatoriale qui s
appuie sur le nombre des communes et
non sur celui des habitants (Cluzel, 1999a, 1999b). Ils ajoutent que le bicamé-
risme perdrait une partie de son sens si, comme en Italie, le mode de composi-
tion de la seconde Chambre était presque identique à celui de la première. Selon
eux, la spécificité du recrutement sénatorial remplit une fonction stabilisatrice et
le bicamérisme perdrait sa justification si le Sénat était un « clone » de l
Assem-
blée nationale.
À lAssemblée nationale, dune part, les groupes politiques sont assez nette-
ment polarisés, c
est-à-dire quon peut presque toujours les rattacher soit à la
43. Mais la majorité risque de rebasculer à droite lors du renouvellement de septembre 2014, car les
élections municipales de mars 2014 ont été dans l
ensemble très favorables à la droite.
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Droit constitutionnel
droite, soit à la gauche ; dautre part, les effectifs de ces groupes, lors des renou-
vellements, sont sujets à des variations brutales. Au Sénat, d
une part, cette
polarisation est moins nette, beaucoup de sénateurs préférant se situer au centre
et, d
autre part, les effectifs des groupes sont beaucoup plus stables. Les renou-
vellements trisannuels ne se traduisent en effet que par de légers rééquilibrages.
Le particularisme de la composition politique du Sénat sexplique par une
série de facteurs, qui n
opèrent dailleurs pas tous dans le même sens : les effets
amortisseurs de tout scrutin indirect, la prédominance des petites communes et
des départements ruraux, généralement plus conservateurs, la relative stabilité
des résultats des élections locales et le décalage entre les élections locales et
les élections sénatoriales : une victoire à gauche aux élections locales peut se
traduire par des élections sénatoriales favorables à la gauche quelques années
plus tard. De fait, c
est seulement en 2011 que lalternance sest produite au
Sénat alors que la gauche était déjà majoritaire dans la plupart des assemblées
locales depuis le début des années 2000. Mais la majorité dont elle dispose ne
tient qu
à un tout petit nombre de sièges et cest ce qui explique que le Président
de la République et le Premier ministre soient obligés de négocier avec leurs
alliés radicaux de gauche pour le vote de certaines réformes, comme la limita-
tion du cumul des mandats. Cette majorité n
est dailleurs sans doute que pro-
visoire car, à la suite des élections municipales qui ont eu lieu en mars 2014,
beaucoup de d
assemblées locales ont basculé à droite. Il paraît donc très vrai-
semblable que, à la suite du renouvellement sénatorial de septembre 2014, la
droite redeviendra majoritaire à la seconde chambre, comme elle l
était avant
le renouvellement de 2011.
627. Le problème de la réforme. Pour importante quelle soit, la réforme
de 2003 n
a résolu quune partie des problèmes. Elle a réduit les disparités de
représentation entre départements, mais non celles entre communes à l
intérieur
de chaque département.
Le mode délection des sénateurs est toujours considéré comme archaïque
par une fraction importante de l
opinion (surtout à gauche). Certains politolo-
gues, comme M. Duverger, estiment que le suffrage indirect, sur lequel repose
ce mode d
élection, est léquivalent de ce quétait autrefois le suffrage censi-
taire, car il aboutirait à la surreprésentation des tendances conservatrices et à
la sous-représentation des tendances révolutionnaires ou réformatrices.
Comparé aux secondes chambres des autres pays, le Sénat français présente
une particularité : son mode de composition est fondé sur l
assise dun grand
nombre de petites collectivités territoriales alors que, dans la plupart des pays
étrangers, la seconde chambre représente un petit nombre de grandes collectivi-
tés territoriales : par exemple, en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Espagne, la
seconde Chambre ne représente pas les collectivités de base, cest-à-dire les
communes, mais seulement les collectivités de niveau intermédiaire (
Länder,
cantons, provinces ou régions). Au contraire, le Sénat français représente prin-
cipalement les collectivités de base puisque 95 % des membres de son collège
électoral sont des délégués des conseils municipaux. Or il existe en France un
très grand nombre de petites communes et la place quelles occupent au sein du
collège électoral sénatorial est disproportionnée par rapport à leur poids démo-
graphique. Les inégalités de représentation au Sénat sont donc liées à une
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Les organes
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conception traditionnelle du bicamérisme, qui remonte aux origines de la
III
e République, et selon laquelle la seconde chambre doit être « le grand conseil
des communes de France ». Cette conception est liée à la défiance, tradition-
nelle en France depuis la Révolution, envers tous les corps intermédiaires et
toutes les collectivités susceptibles de remettre en cause le principe de l
unité
nationale. À cet égard, les communes apparaissent moins dangereuses que des
collectivités plus vastes. Par ailleurs, une idée a longtemps dominé, selon
laquelle ce ne sont pas tant les hommes que les territoires qui sont représentés
au Sénat, ce qui justifierait une surreprésentation des communes les moins peu-
plées. Cette idée est néanmoins aujourd
hui remise en cause par la conception
selon laquelle l
égalité des suffrages est la règle fondamentale de la démocratie.
Le problème de la réforme du Sénat a perdu un peu de son acuité depuis le
renouvellement de 2011, qui a montré que les inégalités de représentation ne
bloquaient pas complètement le mécanisme de l
alternance. Il ne figurait dail-
leurs pas au programme du candidat François Hollande.
Sous-section 2
La protection de lexercice du mandat parlementaire
628. Le mandat. Le parlementaire est investi dun mandat représentatif
(v.
supra no 181 s.). En droit, il ne représente pas ses électeurs ou sa circonscrip-
tion, mais il est une composante du Parlement, qui lui-même représente la
nation toute entière. Son indépendance à l
égard des électeurs est garantie par
l
absence de toute procédure de révocation, soit par les électeurs, soit par le
parti, ainsi que par la nullité de tout mandat impératif expressément édictée
par l
article 27 de la Constitution. Il ne sagit cependant que dune indépen-
dance juridique. Dans les faits, bien entendu, les parlementaires qui entendent
être réélus ne sont indépendants ni de leurs électeurs, ni de ceux qui présente-
ront et soutiendront leur candidature, c
est-à-dire avant tout les partis.
Le mandat est acquis par lélection, sous réserve de lannulation par le
Conseil constitutionnel. Il prend fin soit à l
expiration des pouvoirs de lassem-
blée à laquelle ils appartiennent (terme légal ou dissolution), soit pour une rai-
son personnelle : décès ou démission, soit encore déchéance prononcée par le
Conseil constitutionnel en cas d
incompatibilité ou dinéligibilité révélée posté-
rieurement à l
élection.
La situation du parlementaire se caractérise au point de vue juridique par un
certain nombre d
avantages et de charges dont lobjet est de garantir la liberté de
lexercice du mandat en protégeant celui qui en est investi contre les pressions qui
pourraient compromettre son indépendance.
§ 1. Lindemnité parlementaire
629. Le principe en a été admis par larticle 17 de la loi du 30 novembre
1875 ; sa justification réside dans l
exigence démocratique qui veut que chacun,
quelle que soit sa situation de fortune, puisse accéder au Parlement.
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Droit constitutionnel
Le chiffre de lindemnité a été fixé par lordonnance du 13 décembre 1958
portant loi organique par référence au traitement des hauts fonctionnaires. En
2014, elle se montait à 7 100
mensuels en brut, 5 388 en net. En outre les
parlementaires perçoivent une indemnité représentative de frais de mandat
(IRFM) qui a un caractère forfaitaire. Son montant était de 6 412
par mois
en 2014.
Lindemnité parlementaire est, en principe, exclusive de toute autre rémuné-
ration publique. Des exceptions sont toutefois prévues, notamment en ce qui
concerne les parlementaires titulaires d
un autre mandat électoral (maire,
conseiller général, député européen, etc.) : le cumul d
indemnités est alors auto-
risé, mais seulement dans la limite d
une fois et demie lindemnité parlemen-
taire de base.
Lordonnance prévoit que le bénéfice de lindemnité de fonction dépend de
la participation du parlementaire aux travaux de l
assemblée à laquelle il appar-
tient. Les conditions d
allocation de cette « prime dassiduité » sont fixées par le
règlement de chaque assemblée. Elles sont effectivement appliquées depuis
2010, à l
Assemblée nationale tout au moins (Camby et Servent, 2011, p. 54).
Les parlementaires bénéficient en outre d
un crédit global qui leur permet de
rémunérer jusqu
à cinq collaborateurs dont ils sont les employeurs directs : ils
les recrutent
leurs conditions de travail.
Moyennant un abonnement à tarif réduit, les parlementaires ont un droit de cir-
culation sur tous les réseaux. Ils bénéficient de la franchise postale. Ils partici-
pent à une caisse de retraite, alimentée par leurs versements et une contribution
de l
Assemblée, qui leur verse une pension lorsquils nexercent plus leur man-
dat, pension à laquelle ont également droit leur conjoint veuf et leurs enfants
mineurs.
les licencient et fixent
librement,
Les parlementaires ont longtemps bénéficié davantages fiscaux. Leur
indemnité était supposée correspondre, pour une part importante, à des frais
professionnels et cest pourquoi elle nétait soumise à limpôt sur le revenu
que dans la proportion des 11/20. Mais ils ont finalement décidé de renoncer
à ces avantages, qui avaient beaucoup contribué à entretenir dans l
opinion
un certain antiparlementarisme. Toutefois, l
IRFM est toujours défiscalisée
et aucun justificatif de dépense n
est exigé.
§ 2. Les incompatibilités et la limitation des cumuls
630. Sont dites « incompatibles » avec lexercice du mandat parlemen-
taire les occupations qui, aux termes de la loi, ne peuvent se cumuler avec
lui. Lincompatibilité nempêche pas le candidat dêtre élu en cela, elle se
distingue de l
inéligibilité elle loblige seulement à opter entre loccupa-
tion incompatible et le mandat parlementaire.
La raison dêtre des incompatibilités est dempêcher que loccupation, situa-
tion publique ou privée, des parlementaires vienne fausser leur rôle en tant que
représentants de la nation.
Le régime des incompatibilités est fixé par les articles LO 137 et suivants du
Code électoral.
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1. Les mandats de député et de sénateur sont incompatibles entre eux. Les
parlementaires ne peuvent faire partie du Conseil économique, social et envi-
ronnemental.
2. Depuis la loi du 5 avril 2000, le mandat de membre du Parlement fran-
incompatible avec celui de représentant au Parlement européen
çais est
(art. LO 137-1).
3. Les fonctions de membres du Conseil constitutionnel sont incompati-
bles avec celles de parlementaire (art. 57 C).
4. Toutes les fonctions publiques non électives sont incompatibles avec le
mandat législatif (art. LO 142, C. élect.). Cette règle, traditionnelle en France
depuis la Révolution de 1848, s
explique par une réaction contre la présence
de nombreux fonctionnaires à la Chambre des députés de la monarchie de Juil-
let. Ces députés subissaient des pressions de la part du gouvernement, qui était
maître de leurs carrières.
Cependant, à la différence des civil servants britanniques, les fonctionnaires
français ne sont pas obligés de démissionner pour exercer un mandat parlemen-
taire. Ils sont placés dans une position dite de « détachement », qui leur permet
de retrouver plus tard leur emploi au cas où ils ne seraient pas réélus.
En pratique, une grande partie des députés (de 30 à 50 % selon les législa-
tures) sont des fonctionnaires détachés, ce qui s
explique aisément. La fonction
publique leur a donné le goût de la chose publique, assuré une formation, laissé
des facilités pour préparer leurs campagnes électorales et surtout elle fournit au
fonctionnaire devenu parlementaire la garantie de retrouver au terme de son
mandat un emploi de niveau au moins égal au cas où il ne serait pas réélu.
Par exception, sont compatibles avec le mandat législatif : a) les fonctions de
ministre des cultes dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la
Moselle (rétribuées par l
État en vertu du Concordat toujours en vigueur) ; b) les
fonctions de professeur de l
enseignement supérieur ou de chargé de direction
de recherches, dont lavancement ne dépend pas du gouvernement44 ; c) les mis-
sions temporaires données par le gouvernement, à condition que leur durée
n
excède pas six mois. Il y a là une exception très ancienne puisquelle remonte
à 1848. Néanmoins elle est susceptible de donner lieu à des abus si la mission
du parlementaire est systématiquement renouvelée de six mois en six mois.
Lexception traditionnelle qui permettait la compatibilité entre la fonction de
ministre et celle de parlementaire a disparu depuis 1958. Mais, ainsi qu
on la
déjà signalé, depuis la réforme de 2008, le remplacement d
un parlementaire
devenu ministre n
est que temporaire. Lorsquil cesse dêtre membre du gouver-
nement, il retrouve son siège dans le délai d
un mois.
Lexercice des fonctions conférées par un État étranger ou par une organi-
sation internationale et rémunérées sur leurs fonds est également incompatible
avec le mandat de député ou de sénateur (art. LO 143, C. élect.).
5. Les fonctions privées sont, au contraire, compatibles en principe avec le
mandat. Les incompatibilités ne sont en effet traditionnellement justifiées que par
le souci de mettre les parlementaires à l
abri des pressions du gouvernement, qui
44. Ces deux premières exceptions sexpliquent par lidée que ces fonctionnaires ne sont hiérarchi-
quement subordonnés au gouvernement et que celui-ci nest donc pas en mesure de faire pression sur
eux.
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Droit constitutionnel
ne sont pas à redouter sagissant de fonctions privées. On estime également que la
compatibilité favorise la représentation de toutes les activités professionnelles au
Parlement. Cependant certains scandales ayant fait apparaître ce que l
on a appelé
la collusion de la politique et de la finance ont provoqué une atténuation du prin-
cipe. Les lois du 30 octobre 1928 et 6 janvier 1950 avaient établi certaines incom-
patibilités. Leur nombre a été très sensiblement accru par lordonnance du
24 octobre 1958 et la loi de 1972 (art. LO 146 du Code électoral).
Elle décide que sont incompatibles avec le mandat parlementaire les fonc-
tions de :
a) Président, membre de conseil dadministration, directeur général et direc-
teur général adjoint, exercées dans les entreprises nationales et établissements
publics nationaux. Il en est de même de toute fonction exercée de façon perma-
nente en qualité de conseil auprès de ces entreprises ou établissements.
b) Chef dentreprise, président de conseil dadministration, administrateur
délégué, directeur général, directeur général adjoint ou gérant exercées dans :
Les sociétés, entreprises ou établissements jouissant, sous forme de
garantie d
intérêts, de subventions ou sous une forme équivalente, davantages
assurés par l
État ou par une collectivité publique, sauf dans le cas où ces avan-
tages découlent de l
application automatique dune réglementation générale.
Les sociétés ayant exclusivement un objet financier et faisant publiquement
appel à l
épargne et au crédit ; il a été jugé par le Conseil constitutionnel, à propos
de la société « Bernard Tapie Finance » que cette incompatibilité est d
inter-
prétation stricte. Elle ne s
applique donc pas lorsque lobjet social, tel que défini
par les statuts, comprend aussi des activités non financières (déc. n
o 89-91 du
6 mars 1990,
JO 9 mars 1990, p. 2910).
Les sociétés ou entreprises dont lactivité consiste principalement dans
l
exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte
ou sous le contrôle de l
État, dune collectivité ou dun établissement public ou
dune entreprise nationale, ou dont plus de la moitié du capital social est constitué
par des participations de sociétés ou entreprises ayant ces mêmes activités. Selon
la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette incompatibilité subsiste même
lorsqu
il sagit dune société ou entreprise sans but lucratif et lorsque les fonctions
sont exercées à titre bénévole (déc. n
o 89-81 du 7 novembre 1989, Rec. p. 94).
Les sociétés à but lucratif dont lobjet est lachat ou la vente de terrains
destinés à la construction ou qui exercent une activité de promotion immobi-
lière.
Comme les incompatibilités de larticle LO 146 du Code électoral ont pour
effet de restreindre les possibilités d
exercice dun mandat électif, elles ne doi-
vent pas être interprétées de manière extensive. Or l
article 146 vise les titulai-
res de certaines fonctions, mais non les actionnaires. Statuant sur le cas de Mar-
cel Dassault, qui était actionnaire majoritaire de plusieurs sociétés de
construction aéronautique travaillant pour le compte de l
État, le Conseil consti-
tutionnel en a déduit que l
incompatibilité ne peut être étendue aux personnes
qui, « détenant la propriété d
une partie, quelle quen soit limportance, du capi-
tal d
une société », exercent les droits qui sont attachés à cette propriété. Mais
lincompatibilité réapparaîtrait sil était prouvé que lactionnaire majoritaire
exerce
en fait, directement ou par personne interposée, la direction de la société
(déc. n
o 77-51 du 18 octobre 1977, Rec. p. 81).
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Des exceptions sont prévues à ces incompatibilités pour permettre aux mem-
bres des conseils généraux ou municipaux de représenter le département ou la
commune dans des organismes d
intérêt régional ou local ou dans des sociétés
d
économie mixte. Encore faut-il que les fonctions occupées dans ces condi-
tions par les parlementaires ne soient pas rémunérées (art. LO 148).
c) Il est interdit à tout parlementaire daccepter, en cours de mandat, une
fonction de membre de conseil dadministration ou de membre de conseil de
surveillance, ou toute fonction exercée de façon permanente en qualité de
conseil dans l
un des établissements, sociétés ou entreprises visés ci-dessus.
d) Quant aux parlementaires exerçant la profession davocat, il leur est inter-
dit d
accomplir, sauf devant la Haute Cour, aucun acte de leur profession à loc-
casion de poursuites exercées devant les juridictions répressives, de plaider ou
de consulter pour le compte de l
une des sociétés, entreprises ou établissements
visés ci-dessus ou contre l
État, les collectivités et établissements publics.
e) Enfin, il est interdit à tout parlementaire de faire ou de laisser figurer son
nom suivi de l
indication de sa qualité dans toute publicité relative à une entre-
prise financière, industrielle ou commerciale.
Traditionnellement, les professions libérales, et notamment la profession
d
avocat, sont compatibles avec le mandat parlementaire. Mais certains parle-
mentaires, qui exercent cette profession, ont été soupçonnés de toucher des
honoraires parfois très élevés moins pour plaider devant les tribunaux que
pour effectuer des interventions auprès d
un ministre ou dune haute adminis-
tration. Pour lutter contre cette pratique, qui s
apparente à un trafic dinfluence,
le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique, sans aller
jusqu
à rendre la profession davocat incompatible avec le mandat parlemen-
taire, prévoit d
interdire aux députés et aux sénateurs dexercer la fonction de
conseil. L
intention est louable mais il nest pas sûr que le procédé soit efficace,
car il est difficile de distinguer, dans l
exercice de la profession davocat, les
activités de conseil et les autres. On peut donc craindre quil soit délicat de
faire respecter une telle interdiction.
631. La sanction des incompatibilités : la démission doffice. À la dif-
férence de l
inéligibilité, lincompatibilité naffecte pas la validité de lélection.
Elle ne produit ses effets qu
une fois lélection acquise.
Si lors de son élection, un parlementaire se trouve dans un cas dincompati-
bilité, il doit dans les trente jours
45 qui suivent son entrée en fonction régulariser
sa situation, c
est-à-dire renoncer à son mandat parlementaire ou se démettre de
la fonction incompatible avec celui-ci. Toutefois, si l
élection est contestée, le
délai de trente jours ne commencera à courir qu
à compter de la décision du
Conseil constitutionnel constatant la validité de celle-ci.
Pour veiller au respect des incompatibilités, larticle LO 151 du Code élec-
toral, modifié par la loi organique du 19 janvier 1995, a prévu une procédure
spéciale.
En premier lieu, dans le délai de trente jours, le parlementaire est tenu de
déposer sur le bureau de l
assemblée à laquelle il appartient une déclaration
certifiée sur lhonneur exacte et sincère comportant
la liste des activités
45. Ce délai a été porté de 15 à 30 jours par la loi organique du 5 avril 2000.
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professionnelles ou dintérêt général, même non rémunérées, quil envisage de
conserver ou attestant qu
il nen exerce aucune. En cours de mandat, il doit
déclarer, dans les mêmes formes tout élément de nature à modifier sa situation
initiale. S
il ne procède pas à cette déclaration (ou sil remet une déclaration
incomplète), il peut être déclaré démissionnaire, sans délai, par le Conseil
constitutionnel à la demande du garde des Sceaux ou du bureau de lassemblée.
En second lieu, sil y a doute sur la compatibilité des fonctions ou activités
exercées ou en cas de contestation à ce sujet, le bureau de l
assemblée, le garde
des Sceaux ou l
intéressé lui-même saisit le Conseil constitutionnel qui apprécie
souverainement. Si le Conseil constitutionnel décide qu
il y a incompatibilité, le
parlementaire doit régulariser sa situation dans le délai de trente jours. À défaut,
le Conseil constitutionnel le déclare démissionnaire d
office.
Il convient de noter que la sanction de la démission doffice nest pas tout à
fait automatique, le Conseil constitutionnel ne pouvant être saisi que par le
bureau de l
assemblée, le garde des Sceaux ou lintéressé lui-même. En pra-
tique, certains cas litigieux peuvent donc échapper au contrôle du Conseil
constitutionnel
46.
La démission doffice prononcée pour cause dincompatibilité nentraîne pas
linéligibilité.
traditionnellement,
632. Le cumul des mandats. À la différence des fonctions publiques non
les mandats électifs d
administration locale
électives,
n
étaient pas incompatibles avec le mandat parlementaire. Et les parlementaires
français ont toujours recherché ces mandats
47, non seulement parce quils leur
procuraient certains avantages matériels, mais surtout parce qu
ils les aidaient à
s
implanter durablement dans une circonscription. Avant la réforme de 1985, il
n
était pas rare quun homme politique exerçât, parallèlement à son mandat de
député ou de sénateur, plusieurs mandats locaux, et parfois même un mandat de
représentant au Parlement européen.
Lavantage dun tel cumul tient au fait que les parlementaires sont plus pro-
ches de leurs électeurs et qu
ils connaissent mieux le terrain, les réalités de la vie
locale
48. Mais il nen présente pas moins des inconvénients. Dune part, il est
considéré comme l
un des facteurs permettant à une classe politique peu nom-
breuse (et jusqu
à lintervention de la législation sur la parité presque exclusive-
ment masculine) de monopoliser tous les mandats représentatifs, aussi bien au
46. Ainsi B. Tapie, député des Bouches-du-Rhône, avait diffusé auprès des épargnants, à loccasion
de l
introduction en bourse de lune de ses sociétés, des documents faisant état de sa qualité de parle-
mentaire, ce qui est formellement interdit par l
article L. 150 C. élect. (v. supra, no 631). Eut-il été saisi
par l
une des deux autorités compétentes, le Conseil constitutionnel naurait sans doute pas pu éviter de
le déclarer démissionnaire doffice. Mais le bureau de lAssemblée nationale et le garde des Sceaux,
estimant que B. Tapie avait peu d
expérience en tant que parlementaire et que sa faute nétait pas
intentionnelle, n
ont pas cru devoir saisir le Conseil. La requête déposée directement par un électeur
a été jugée irrecevable (déc. n
o 89-101 du 1er février 1990, JO 2 février 1990, p. 1418).
47.
qui remonte à l
Ancien Régime.
48. Mais cet avantage n
en nest peut-être pas un au regard de la théorie française de la représenta-
tion. En effet, le Parlement représente la nation tout entière et les membres du Parlement doivent
contribuer à l
expression de la volonté générale, qui nest pas tributaire dune connaissance des réalités
locales.
Selon René Dosière (2014, p. 51) la pratique du cumul des mandats est une tradition française
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583
niveau local quau niveau national : les bénéficiaires de ce cumul peuvent en effet
jouer d
une position locale pour se faire réélire dans une position nationale (ou
l
inverse), ce qui ne favorise évidemment pas la rotation des mandats ; dautre
part, ces fonctions peuvent être très absorbantes surtout lorsqu
il sagit de la
direction d
un exécutif territorial (maire, président dun conseil général ou dun
conseil régional ou encore président dun établissement public intercommunal).
C
est pourquoi le cumul des mandats est généralement considéré comme lune
des causes, voire même la cause principale, de l
absentéisme parlementaire qui
sévit en France depuis longtemps. Ces critiques ont été d
ailleurs reprises dans
les rapports Balladur et Jospin précités. En sens inverse, on a fait valoir que
« l
exception française du cumul des mandats est un contrepoids à lexception
française du cumul des pouvoirs, de la concentration extrême de ces pouvoirs
entre les mains du président de la République »
49 et quelle assure aux parlemen-
taires une autonomie relative par rapport aux état-majors des partis.
Sans aller jusquà interdire le cumul des mandats, car il paraissait trop pro-
fondément ancré dans les m
œurs politiques françaises, on a tenté à plusieurs
reprises de le limiter (loi organique n
o 85-1405 du 30 décembre 1985). La por-
tée de ces limitations a été un peu étendue par la loi organique du 5 avril 2000.
À compter de cette réforme, il a été interdit à un député ou un sénateur de
cumuler son mandat parlementaire avec plus d
un seul des mandats énumérés
ci-après : conseiller général, conseiller régional, conseiller de Paris, conseiller à
l
Assemblée de Corse, conseiller municipal dune commune de plus de
3 500 habitants (art. LO 141, C. élect.).
La sanction de ces règles était organisée selon les mêmes principes que celle
des incompatibilités. Deux situations doivent être distinguées : 1) Le parlemen-
taire qui, lors de son élection, détient déjà au moins deux des mandats ou fonc-
tions visés à l
article LO 141, doit régulariser sa situation dans les trente jours
qui suivent son entrée en fonction ou, en cas de contestation de l
élection, la
décision du Conseil constitutionnel. À défaut, il pourra être déclaré démission-
naire doffice par le Conseil constitutionnel à la demande du bureau de son
assemblée ou du garde des Sceaux. 2) Tout parlementaire qui, détenant déjà
l
un des mandats ou fonctions énumérés à larticle LO 141, en acquiert un
second, dispose d
un délai de trente jours pour régulariser sa situation. À défaut
d
option dans ce délai, le mandat ou la fonction acquis à la date la plus récente
prend fin de plein droit.
Sur le fond, ce système nétait pas très sévère car il permettait tout de même
de cumuler le mandat parlementaire avec au moins un mandat local, quelle que
soit l
importance de ce dernier. Les statistiques montrent que le cumul était
extrêmement répandu : par exemple, en 2013, la proportion de parlementaires
titulaires dun mandat de chef dun exécutif territorial atteignait presque 60 %
tant au Sénat quà lAssemblée nationale.
Déjà, en 2007, dans son rapport intitulé « Une cinquième République plus
démocratique », le comité Balladur avait recommandé que l
on sacheminât pro-
gressivement vers un mandat parlementaire unique, exclusif de tout mandat
d
administration locale. Le rapport Jospin est allé dans le même sens mais
P. AVRIL, O. BEAUD et P. WEIL, « Non-cumul des mandats : la mise en garde de quatre univer-
49.
sitaires »,
Le Monde, 25 mars 2013.
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Droit constitutionnel
prévoyait cependant deux aménagements. Dune part, lincompatibilité ninter-
dirait aux parlementaires que l
exercice des fonctions exécutives au sein dune
collectivité territoriale, parce que ce sont les plus absorbantes, et leur laisserait
donc la possibilité de détenir un mandat local simple. D
autre part, pour laisser
aux intéressés le temps de s
adapter, elle nentrerait en application quà compter
du prochain renouvellement des mandats locaux. Dans son projet de loi orga-
nique déposé en avril 2013, le gouvernement a repoussé l
échéance encore plus
loin. L
incompatibilité ne prendrait effet quà compter du premier renouvelle-
ment de l
assemblée à laquelle appartient le parlementaire concerné suivant le
31 mars 2017. Ses effets ne se déploieront donc pas avant le prochain quin-
quennat
50.
Mais bien que le Sénat globalement considéré ait basculé à gauche dès le
renouvellement de septembre 2011, en 2012, lors de l
élection de François Hol-
lande à la Présidence de la République, la majorité des membres de cette cham-
bre n
était toujours pas disposée à accepter linterdiction du cumul des mandats.
Au sein de la gauche sénatoriale, on trouve en effet, en plus des communistes et
des socialistes, les « radicaux de gauche » qui sont souvent des notables ruraux
cumulards. Ils étaient suffisamment nombreux pour empêcher l
adoption de la
réforme en termes identiques par les deux assemblées, comme le prévoit la pre-
mière phrase de l
alinéa 3 de larticle 45 C relatif aux lois organiques. Toutefois,
d
après ce même alinéa, en cas de désaccord entre les deux assemblées, lAs-
semblée nationale peut tout de même faire prévaloir son texte à condition que le
vote soit acquis en dernière lecture à la majorité absolue de ses membres. C
est
sur le fondement de cette disposition que l
Assemblée nationale a voté la sup-
pression du cumul en janvier 2014. Cependant, il y avait encore place pour une
discussion car, aux termes de l
alinéa 4 de larticle 45 C : « Les lois organiques
relatives au Sénats doivent être votées dans les mêmes termes par les deux
assemblées » ce qui limite le dernier mot accordé à l
Assemblée nationale par
l
alinéa précédent. Or, selon les radicaux de gauche, les dispositions concernant
le cumul sont bien relatives au Sénat car celui-ci « assure la représentation des
collectivités territoriales de la République » (art 24 C) et l
éventualité du cumul
contribue évidemment à déterminer la manière dont il les représente. En suivant
ce raisonnement, on aboutissait à des conclusions différentes suivant que la
réforme concernait seulement les députés ou l
ensemble des parlementaires,
sénateurs compris ; dans le premier cas, l
Assemblée disposait du dernier mot ;
dans le second, elle devait s
abstenir de simmiscer dans le règlement dune
question relative au Sénat. Mais comment reconnaître les dispositions « relatives
au Sénat » au sens de l
article 46 C ? Pour y parvenir, le Conseil constitutionnel
utilise, dans sa décision du 14 février 2014, une méthode simple : seules peuvent
être considérées comme « relatives au Sénat » les dispositions qui diffèrent de
celles relatives à l
Assemblée nationale, qui constitue lunique terme de compa-
raison. En d
autres termes, une disposition ne peut être « relative au Sénat » que
dans la mesure où elle est « spéciale au Sénat », c
est-à-dire où elle nest pas
commune aux deux assemblées parlementaires. Comme souvent, cette
50. Ce décalage dans le temps est justifié par le souci déviter les élections législatives partielles qui
devraient être organisées si des parlementaires cumulards choisissaient de conserver leur mandat terri-
torial. On sait en effet que ces élections sont souvent défavorables à la majorité en place.
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interprétation ne simposait pas absolument et lon aurait pu aussi bien en choi-
sir une autre, qui se serait fondée sur deux arguments. En premier lieu le sens
littéral de l
expression « relatif à » dans le langage ordinaire désigne « ce qui se
rapporte à » et pas nécessairement « ce qui est spécial à ». D
autre part, cette
interprétation s
accorde particulièrement mal avec lesprit de larticle 46 C ali-
néa 3 qui, en précisant que « les lois organiques relatives au Sénat doivent être
votées dans les mêmes termes par les deux assemblées » a voulu éviter que l
As-
semblée nationale puisse obliger le Sénat à renoncer aux spécificités qui consti-
tuent son particularisme en tant que seconde chambre. C
est particulièrement
évident dans le cas d
espèce : parce quelle sapplique à elle-même linterdiction
de cumuler un mandat parlementaire et une fonction exécutive locale, l
Assem-
blée nationale empêche le Conseil constitutionnel de vérifier la compatibilité de
cette interdiction avec l
article 24 C aux termes duquel le Sénat « assure la
représentation des collectivités locales de la République », alors que la violation
de cet article constituait le principal argument des sénateurs requérants.
Le cumul du mandat parlementaire avec une fonction exécutive territoriale est
donc toujours pratiqué, aussi bien à l
Assemblée nationale quau Sénat, puisque
la loi qui l
interdit ne prendra effet quen 2017. ll a toujours des partisans qui,
ainsi qu
on vient de le voir, ne siègent pas tous sur les bancs de la droite et qui, si
la majorité change en 2017, s
efforceront probablement de le rétablir au moins
dans certains cas. Il convient d
ailleurs de noter que, à la suite des élections
municipales de mars 2014, tous les parlementaires qui en avaient la possibilité
ont choisi de conserver leur fonction de chef d
un exécutif territorial.
§ 3. La situation patrimoniale et les intérêts des parlementaires
633. Depuis 1995, les parlementaires sont tenus de déposer une première
déclaration de leur situation patrimoniale en début de mandat (dans les quinze
jours suivant leur entrée en fonction) et une seconde en fin de mandat. Le man-
quement à cette obligation était sanctionné par une inéligibilité dont la durée
était fixée à un an et qui entraînait évidemment la démission d
office. Mais jus-
qu
à une date récente, il nétait pas question que ces déclarations fussent ren-
dues publiques. Elles étaient seulement communiquées à la Commission pour la
transparence financière de la vie politique chargée de vérifier si la variation des
actifs en cours de mandat pouvait laisser soupçonner un enrichissement fraudu-
leux. Et si cette commission devait publier un rapport tous les trois ans, les par-
lementaires n
avaient pas grand chose à en redouter car il ne pouvait contenir
aucune indication nominative.
En 2013, à la suite du scandale provoqué par laffaire Cahuzac (v. supra
nº 608), le Président de la République a voulu imposer à tous les acteurs du
monde politique des obligations plus contraignantes afin de manifester sa
volonté de lutter contre la corruption. La réforme, qui a nécessité le vote
d
une loi organique51 et dune loi ordinaire52, sest heurtée à de fortes réticences
51. Loi nº 2013-906 du 11 octobre 2013.
52. Loi nº 2013-907 du 11 octobre 2013.
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Droit constitutionnel
surtout au Sénat et même parmi certains des membres de la majorité parlemen-
taire, de sorte que le gouvernement n
a pu la faire adopter quen donnant le
dernier mot à l
Assemblée nationale. La Commission pour la transparence
financière de la vie politique est remplacée par une nouvelle autorité adminis-
trative indépendante (AAI), la Haute autorité pour la transparence de la vie
publique, dont la composition nest pas essentiellement différente53, mais dont
les attributions sont plus larges et les pouvoirs plus importants. Cette haute
autorité a pour mission de contrôler, de vérifier et le cas échéant de publier les
situations patrimoniales et les déclarations d
intérêts de près de 8 000 personnes
qui comprennent non seulement les parlementaires et les membres du gouver-
nement (v.
supra nº 608), mais aussi notamment les maires des villes de plus de
20 000 habitants, les membres des cabinets ministériels, les membres des auto-
rités administratives indépendantes et les collaborateurs du Président de la
République.
Chaque parlementaire doit remettre à la Haute autorité deux documents dis-
tincts :
Une déclaration de situation patrimoniale comprenant une dizaine de rubri-
ques correspondant à la nature des actifs à déclarer : immeubles bâtis et non
bâtis, valeurs mobilières, comptes bancaires ou d
épargne, véhicules, etc.
Une déclaration dintérêts indiquant notamment les participations aux orga-
nes dirigeants d
un organisme public ou privé ; les participations financières
dans le capital d
une société ; les activités professionnelles donnant lieu à rému-
nération à la date de l
élection ou ayant donné lieu à rémunération au cours des
cinq années précédant l
élection ; les fonctions bénévoles et tous les autres liens
susceptible de faire naître un conflit d
intérêts etc.
Dans lun et lautre cas, toute modification substantielle survenue en cours
de mandat doit être déclarée par le parlementaire. L
omission de déclarer un
actif patrimonial ou un intérêt substantiel constitue un délit et peut être punie
de peines relativement lourdes : trois ans demprisonnement et 45 000 euros
d
amende. Par ailleurs, les deux déclarations font lobjet dune publicité mais
selon des modalités différentes
54.
En ce qui concerne les déclarations de situation patrimoniale, il ny a pas de
publication mais chaque électeur inscrit sur les listes électorales peut les consul-
ter et adresser des observations à la Haute autorité. L
avantage ou linconvé-
nient de ce système (selon que l
on se place du point de vue des parlementaires
ou de celui du public) tient au fait que la presse ne peut exploiter les informa-
tions contenues dans la déclaration. En effet, la reproduction de ces informa-
tions est considérée comme une infraction pénale, passible d
une peine
damende dun montant maximum de 45 000 euros.
53. De même que la commission pour la transparence financière, la Haute autorité est essentielle-
ment composée de membres élus respectivement par le Conseil d
État, la Cour de cassation et la Cour
des comptes.
54. En ce qui concerne les membres du gouvernement, la publicité est plus contraignante que pour
les parlementaires (v.
supra nº 609) Au contraire, en ce qui concerne les personnes qui ne sont ni
parlementaires ni membres du gouvernement, les déclarations ne font lobjet daucune publicité, car
le Conseil constitutionnel a estimé que, dans leur cas, la publicité porterait une atteinte disproportion-
née au droit au respect de la vie privée. (déc 2013-676 DC
op. cit. cons. 22).
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Les organes
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Au contraire, les déclarations dintérêts sont publiées par les soins de la
Haute autorité.
Dans les décisions quil a rendues sur la loi organique et sur la loi ordi-
naire
55, le Conseil constitutionnel a déclaré que la publicité dont font lobjet
les déclarations patrimoniales et les déclarations d
intérêt portaient atteinte au
droit au respect de la vie privée et à la liberté dentreprendre, qui sont garanties
par la Déclaration de 1789. Mais il a estimé que dans l
ensemble ces atteintes
étaient justifiées par l
objectif de valeur constitutionnelle poursuivi par les
auteurs de la loi, c
est-à-dire la lutte contre la corruption. Toutefois,
il a
appliqué un principe de proportionnalité qui lui a permis d
atténuer la sévérité
de certaines dispositions. Par exemple, il a estimé que le législateur pouvait
obliger les parlementaires à déclarer les activités de leur conjoint (ou même
éventuellement de leur concubin ou de leur partenaire lié par un PACS), mais
non celles de leurs parents ou de leurs enfants
56.
La Haute autorité ne se borne pas à enregistrer les déclarations. Si elles lui
paraissent inexactes ou incomplètes elle peut, après avoir demandé des éclaircis-
sements à l
intéressé, joindre un commentaire à lune ou lautre des déclarations
pour faire part de ses soupçons. Elle peut même enjoindre à un membre du gou-
vernement de mettre fin à une situation de conflits d
intérêts, à condition quil
puisse le faire sans être contraint de démissionner
57. Mais elle ne détient aucun
attribut de pouvoir judiciaire : si elle estime qu
une infraction a été commise, elle
peut saisir le parquet mais ce dernier n
est aucunement lié par ses conclusions.
§ 4. Les immunités parlementaires
634. Ce sont des privilèges qui, à travers le parlementaire, garantissent le
libre exercice du mandat en le protégeant contre les poursuites judiciaires inten-
tées soit par le gouvernement, soit par les particuliers. Ces immunités sont de
deux sortes : l
irresponsabilité et linviolabilité.
635. Lirresponsabilité parlementaire. « Aucun membre du Parlement ne
peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l
occasion des opinions
ou votes émis par lui dans l
exercice de ses fonctions » (art. 26 C). « Les repro-
ductions de discours et les comptes rendus exacts et de bonne foi ne peuvent
pas faire l
objet de poursuite contre les journaux ou contre les auteurs des
comptes rendus
» (L. 29 juillet 1881, L. 6 janvier 1950, art. 21). Le fondement
de cette irresponsabilité est ainsi d
empêcher que le parlementaire ne soit para-
lysé par la crainte des responsabilités que pourrait lui faire encourir l
exercice
de son mandat.
Ce fondement explique létendue de lirresponsabilité.
a) dabord, elle est perpétuelle et survit à lexpiration du mandat ;
55. Décisions nº 2013 675-DC et 2013-673 DC du 9 octobre 2013.
56. Voir décision nº 2013-675 DC
op. cit. cons. 29.
57. Cette condition résulte d
une réserve dinterprétation du Conseil constitutionnel qui estime que,
daprès larticle 8 C, seul le Président de la République est compétent pour mettre fin aux fonction dun
membre du gouvernement. En pratique, le problème peut se poser si le conflit d
intérêt résulte dune
activité que le membre du gouvernement a exercé dans le passé.
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Droit constitutionnel
b) ensuite, elle couvre tous les actes de la fonction parlementaire (votes, dis-
cours, rapports, enquêtes), mais elle ne couvre qu
eux. Le parlementaire retombe
sous l
application du droit commun dès que lacte nest plus motivé par lexer-
cice direct de la fonction (par exemple s
il publie des articles calomnieux dans un
journal). Le Conseil constitutionnel a jugé que l
irresponsabilité ne pouvait pas
non plus être étendue aux actes accomplis par un parlementaire dans le cadre
d
une mission temporaire qui lui a été confiée par le gouvernement. En effet,
une telle mission pourrait aussi bien être confiée à une personne non-membre
du Parlement, et elle est donc dépourvue de tout lien juridique avec la fonction
parlementaire (déc. n
o 89-262 DC du 7 novembre 1989, Rec. p. 90) ;
c) enfin, elle protège le parlementaire aussi bien contre les poursuites civiles
que contre les poursuites pénales.
636. Linviolabilité parlementaire. Linviolabilité est une protection de
la liberté physique et intellectuelle des parlementaires. À défaut de cette protec-
tion, ils pourraient soit être physiquement empêchés de délibérer et de voter, par
exemple par une arrestation, soit intimidés par la menace de poursuites pénales.
Les poursuites contre lesquelles il s
agit de protéger les parlementaires sont
celles qui visent les actes étrangers à la fonction, puisque ceux qui s
y rattachent
sont couverts par l
irresponsabilité. En outre, ce sont seulement les poursuites
répressives pour crime ou délit, mais non les poursuites civiles ou pour contra-
vention, qui ne sont pas jugées suffisamment graves pour gêner le parlementaire
dans l
exercice de son mandat.
Si la protection est nécessaire, cest que les poursuites ou les arrestations
pourraient être inspirées par des mobiles politiques. Elle ne doit toutefois pas
conduire à mettre les parlementaires à l
abri des poursuites et des arrestations
justifiées, ni à leur conférer un privilège exorbitant. Le régime de l
inviolabilité
est toujours un compromis entre ces deux objectifs. Il a été sensiblement modi-
fié par la loi constitutionnelle du 4 août 1995, qui a donné à l
article 26 de la
Constitution une nouvelle rédaction.
Le système antérieur à 1995 était
inspiré de la Constitution de 1875
(v.
supra no 370 s.). Il reposait sur les principes suivants. Tout dabord la
Constitution faisait deux distinctions, dont une seule subsiste. La première, qui
a disparu, opposait les périodes de sessions, pendant lesquelles la liberté d
exer-
cer le mandat était strictement garantie, et les périodes hors session. La seconde,
celle qui subsiste, concernait uniquement la période hors session, et elle oppo-
sait les poursuites, moins menaçantes et contre lesquelles la protection était par
conséquent moins nécessaire, et les arrestations. Par ailleurs, la protection était
organisée selon un système d
autorisation préalable.
Il en découlait le régime suivant : pendant la durée des sessions, les parle-
mentaires ne pouvaient être arrêtés ou poursuivis qu
avec lautorisation de
l
assemblée dont ils faisaient partie, sauf cas de flagrant délit, parce qualors
l
arbitraire nétait pas à redouter. Hors session, ils nétaient pas protégés
contre les poursuites, mais seulement contre les arrestations. Les poursuites
pouvaient sexercer sans contrôle et les arrestations nécessitaient lautorisa-
tion du bureau. Enfin, dans tous les cas, l
assemblée pouvait ordonner la sus-
pension des poursuites ou de la détention.
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Les organes
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Aux yeux des auteurs de la réforme, ce système présentait trois défauts prin-
cipaux : alors que l
inviolabilité doit protéger non la personne des parlementai-
res, mais l
exercice de leur mandat, ce dispositif paraissait les favoriser et leur
permettre de se soustraire à l
application normale de la loi pénale ; en deuxième
lieu, le débat sur l
autorisation des poursuites portait nécessairement sur les faits
reprochés aux parlementaires58poursuivis, de sorte quil apparaissait comme un
préjugement sur la culpabilité ; en troisième lieu, du fait de l
allongement de la
session ordinaire, les parlementaires restaient presque toute l
année à labri des
poursuites, sauf autorisation donnée par l
assemblée.
La loi constitutionnelle de 1995 a donc modifié larticle 26 et supprimé toute
autorisation préalable pour les poursuites, qui peuvent désormais être engagées
contre les parlementaires comme contre n
importe quelle personne, pourvu
qu
elles ne visent pas des actes liés à la fonction, couverts par lirresponsabilité.
Pour ce qui concerne les arrestations et d
une manière générale, pour toutes
les mesures privatives de liberté, comme le contrôle judiciaire, le nouvel arti-
cle 26 de la Constitution supprime l
autorisation préalable de lassemblée.
Désormais, il suffit d
une autorisation préalable du bureau, qui nest évidem-
ment pas nécessaire en cas de flagrant délit ou de condamnation définitive.
Il maintient la possibilité pour lassemblée dordonner la suspension de la
détention, des mesures privatives de liberté ou des poursuites, mais seulement
pour la durée de la session.
Enfin, point important, si le Parlement nest pas en session, lassemblée
intéressée est réunie de plein droit, c
est-à-dire sans quil soit nécessaire de
la convoquer, pour requérir le cas échéant la suspension des poursuites.
Ainsi, le nouvel article 26 renverse-t-il en quelque sorte la présomption que
les poursuites ou l
arrestation ont été ordonnées avec des intentions malignes,
présomption qui justifiait l
exigence de lautorisation préalable. Désormais, la
présomption est que les poursuites ou l
arrestation interviennent dans le cadre
d
une action pénale ordinaire, si bien quune autorisation préalable nest pas du
tout nécessaire pour les poursuites et que l
autorisation donnée par le bureau
pour les arrestations est suffisante. L
assemblée tout entière ne doit se pronon-
cer que s
il y a lieu de renverser cette présomption.
Sous-section 3
Organisation et fonctionnement des Chambres
637. Jusquen 1958, les assemblées parlementaires françaises jouissaient à
cet égard dune grande liberté. La Constitution étant presque muette sur ce
sujet, chaque assemblée fixait elle-même par son règlement les règles essentiel-
les de son organisation et de son fonctionnement. Et comme ces règlements ne
faisaient l
objet daucun contrôle externe, une assemblée pouvait même parfois,
par ce biais, tenter de remettre en cause un principe posé la Constitution.
58. En 2014, il a fallu trois votes successifs pour que soit levée limmunité du sénateur Serge Das-
sault, accusé de corruption.
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Droit constitutionnel
Il en va différemment sous la Ve République car les constituants poursui-
vaient un objectif de rationalisation du parlementarisme.
En premier lieu, toute une série de matières, qui étaient autrefois régies par
les seuls règlements des assemblées, le sont aujourd
hui par la Constitution elle-
même ou par une loi organique : il en est ainsi notamment de la durée du man-
dat du Président de chaque assemblée parlementaire (art. 32 C), du nombre des
commissions (art. 43 C), des modalités de vote (art. 27 C), de l
établissement de
l
ordre du jour (art. 48 C), du déroulement des débats (art. 42 et 44 C).
En second lieu, avant leur mise en application, les règlements des assem-
blées sont obligatoirement soumis au Conseil constitutionnel qui contrôle leur
conformité à la Constitution (art. 61 al. 1 C). Il ne leur est donc plus possible de
se soustraire par ce biais aux contraintes imposées par la Constitution ou une loi
organique.
Mais quelques-unes des contraintes du parlementarisme rationalisé ont
été assouplies par la révision constitutionnelle du 4 août 1995 et davantage
encore par celle du 23 juillet 2008. Certaines matières, comme les conditions
de création des commissions d
enquête, relèvent de nouveau du règlement
de chaque assemblée. D
autres, comme le nombre maximum de commis-
sions permanentes, ou la fixation de l
ordre du jour, sont toujours régies
par la Constitution elle-même, mais selon des modalités qui laissent davan-
tage de liberté aux assemblées.
Il serait donc faux de croire que les assemblées parlementaires sont enfer-
mées dans un carcan rigide. Elles bénéficient toujours, à certains égards, d
une
assez large autonomie : elles administrent elles-mêmes leurs services ; elles
disposent d
un personnel qui leur est propre ; elles fixent elles-mêmes le mon-
tant des crédits qui leur sont alloués chaque année (principe de l
autonomie
budgétaire). En définitive, les contraintes les plus lourdes pesant sur les parle-
mentaires proviennent moins de la Constitution ou des lois organiques que de
la discipline des partis.
§ 1. Les sessions
638. Les sessions sont les périodes de lannée pendant lesquelles le Parle-
ment peut se réunir et exercer la plénitude de ses attributions.
Dans un but de rationalisation du parlementarisme, afin dempêcher les assem-
blées de harceler continuellement le gouvernement, l
article 28 de la Constitution
de 1958 avait prévu à l
origine un régime de sessions courtes.
Il y avait chaque année deux sessions ordinaires de plein droit : la première,
qui était principalement consacrée à l
examen et au vote du budget, souvrait le
2 octobre et sa durée était de 80 jours. Elle se terminait donc normalement juste
avant les fêtes de Noël. La seconde s
ouvrait le 2 avril et sa durée ne pouvait
excéder 90 jours ; elle se terminait donc fin juin ou début juillet
59.
Si le 2 octobre ou le 2 avril tombait un jour férié, louverture de la session était reportée au
59.
premier jour ouvrable qui suivait.
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591
Les deux sessions ordinaires ne représentaient au total quune durée maxi-
mum de 170 jours, cest-à-dire un peu moins de la moitié de lannée.
À lexpérience, on a constaté que, compte tenu de la lourdeur du travail
législatif, cette durée était presque toujours insuffisante. On était donc obligé
de convoquer chaque année au moins une session extraordinaire, ce qui néces-
sitait lintervention du Président de la République (v. supra no 589). De plus,
pendant la durée des sessions ordinaires, les séances étaient programmées sur
la plupart des jours ouvrables, afin d
utiliser au maximum le temps disponible.
Mais les parlementaires tenant à être présents dans leur circonscription, où la
plupart d
entre eux détiennent par ailleurs un mandat dadministration locale
(v.
supra no 632), lassiduité était généralement fort médiocre. Au même titre
que le cumul des mandats, le régime des sessions courtes était généralement
considéré comme l
une des causes de labsentéisme parlementaire.
Pour remédier à ces inconvénients, plusieurs propositions qui tendaient, afin
de renforcer dans une certaine mesure le Parlement, à instaurer une session par-
lementaire unique d
une durée relativement longue, avaient été présentées,
notamment en 1990 par Laurent Fabius, en sa qualité de président de l
Assem-
blée nationale, ou encore en 1993 par le Comité consultatif pour la révision de
la Constitution. Après les élections législatives de mars 1993, le nouveau prési-
dent de l
Assemblée nationale, Philippe Séguin, sy était déclaré favorable.
Ces idées ont inspiré la révision constitutionnelle du 4 août 1995 qui a modi-
fié l
article 28 C. Désormais, « Le Parlement se réunit de plein droit [cest-à-
dire sans qu
il soit besoin de le convoquer] en une session ordinaire qui com-
mence le premier jour ouvrable d
octobre et prend fin le dernier jour ouvrable
de juin
».
La durée totale de la session ordinaire unique est donc approximativement
de 270 jours, ce qui représente un gain de 100 jours environ par rapport au
système précédent. Toutefois, d
après lalinéa 2 du nouvel article 28 C : « Le
nombre de jours de séance que chaque assemblée peut tenir au cours de la
session ordinaire ne peut excéder 120 ». Cette limitation a été prévue pour
répondre aux v
œux des députés et des sénateurs, qui souhaitaient pouvoir
consacrer à leur circonscription les débuts et les fins de semaine. Il s
agit dail-
leurs d
une limitation indicative et non pas véritablement impérative car, en cas
de besoin, la tenue de jours supplémentaires de séance peut toujours être déci-
dée soit par le Premier ministre après consultation du Président de l
assemblée
concernée,
assemblée
la majorité des membres de
(art. 28 al. 3 C).
soit par
chaque
Mais en pratique, dans lune et lautre assemblée, le nombre de jours de
séance au cours de la session ordinaire est généralement inférieur à 120.
Pendant la durée de la session ordinaire unique, chaque assemblée dispose
désormais dune large autonomie pour organiser son propre travail. Les semai-
nes de séances sont fixées par chaque assemblée (art. 28 al. 2). Quant aux jours
et aux horaires des séances, ils sont déterminés par le règlement de chaque
assemblée (art. 28 al. 4). Les nouveaux règlements adoptés à la suite de la
réforme ont regroupé les jours de séance en milieu de semaine (c
est-à-dire
sur les mardis, mercredis et jeudis), sous réserve des jours supplémentaires
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592
Droit constitutionnel
la tenue peut être décidée dans les conditions ci-dessus indiquées
dont
(Luchaire, 1996).
Lexpérience des premières années dapplication de la réforme montre que
la session continue a favorisé un certain développement du contrôle parlemen-
taire, le temps consacré par chaque assemblée aux questions orales étant un peu
plus long quauparavant. Lentrée en vigueur, à compter du 1er mars 2009, des
nouvelles dispositions de la loi constitutionnelle de juillet 2008 concernant le
partage de l
ordre du jour (une semaine de séances sur quatre réservée au
contrôle de l
action du gouvernement et à lévaluation des politiques publiques)
a parachevé cette évolution (v.
infra no 649). Parmi les effets bénéfiques de la
session continue, il faut aussi noter un allongement du délai moyen entre le
dépôt d
un projet de loi et son adoption définitive, ce qui permet un meilleur
examen des textes et ce qui explique que le gouvernement ait moins souvent
recours à la procédure d
urgence, qui a été rebaptisée en 2008 « procédure accé-
lérée ». Sur ce point également on peut dire que la réforme de 2008 se situe dans
le prolongement de la session continue puisque l
alinéa trois nouveau de larti-
cle 42 C oblige le gouvernement à déposer ses projets de loi six semaines au
moins avant la date prévue pour l
ouverture du débat devant la première assem-
blée saisie (v.
infra no 723).
En revanche, contrairement à certaines espérances, et bien que les jours de
séance aient été regroupés en milieu de semaine, comme le souhaitaient la plu-
part des parlementaires, il ne semble pas que l
assiduité ait beaucoup augmenté.
Par ailleurs, comme l
a fait observer le Président du Conseil constitutionnel,
Pierre Mazeaud, dans ses v
œux au Président de la République le 3 janvier 2005,
«
le fait que les assemblées se réunissent tout au long de lannée pousse à légi-
férer
». On peut donc se demander si la réforme de 1995 na pas contribué au
phénomène de l
inflation législative (v. infra no 743). De plus en plus de lois
sont votées chaque année, de plus en plus d
amendements sont déposés et adop-
tés (Camby et Servent, 2011, p. 13-14). C
est ce qui explique quen dépit de sa
durée, la session unique s
avère généralement trop courte pour laccomplisse-
ment du travail parlementaire.
En dehors de la période couverte par la session ordinaire, cest-à-dire pen-
dant les mois de juillet, août et septembre, une session extraordinaire peut être
demandée soit par le Premier ministre, soit par la majorité des membres com-
posant l
Assemblée nationale. Quelle émane du Premier ministre ou de la
majorité des membres composant l
Assemblée nationale, la demande doit pré-
ciser l
ordre du jour de la session extraordinaire projetée, cest-à-dire les ques-
tions dont le Parlement aura à débattre. Mais, d
après larticle 30 de la Consti-
tution, la session extraordinaire doit être ouverte par décret du Président de la
République. Or, du général de Gaulle à F. Mitterrand, le Président de la Répu-
blique sest toujours reconnu un pouvoir dappréciation quant à lopportunité de
la session extraordinaire, compte tenu de l
ordre du jour envisagé60.
60. En mars 1960, le général de Gaulle, Président de la République, a refusé de convoquer une ses-
sion extraordinaire demandée par 287 députés qui auraient souhaité pouvoir débattre des problèmes
agricoles. Il estimait que cette session, qui avait été demandée sous la pression des organisations pro-
fessionnelles, n
était compatible ni avec lesprit des institutions, ni avec le fonctionnement régulier des
pouvoirs publics auquel doit veiller le chef de l
État (art. 5 C). À lépoque, cette position avait été
Page 593
Les organes
593
Si la session extraordinaire a eu lieu à la demande des membres de lAssem-
blée nationale, elle est close par décret du Président de la république dès que le
Parlement a épuisé l
ordre du jour pour lequel il a été convoqué, et au plus tard
douze jours après la date de son ouverture. Seul le Premier ministre peut deman-
der une nouvelle session avant l
expiration du mois qui suit le décret de clôture.
la convocation des sessions extraordinaires
n
ont pas été modifiées par la révision constitutionnelle du 4 août 1995 ni par
celle du 23 juillet 2008. Ainsi qu
on la déjà noté, en période de cohabitation,
elles constituent l
un des moyens permettant au Président de la République de
faire pression sur le gouvernement
61.
Les dispositions concernant
En pratique on constate que, depuis la réforme de 1995, une session extra-
ordinaire au moins est organisée chaque année, à la demande du Premier minis-
tre, et qu
une bonne dizaine de projets figurent généralement à son ordre
du jour.
Lorsque larticle 16 est mis en application ou lorsque lAssemblée nationale
est dissoute, une session extraordinaire a lieu de plein droit, c
est-à-dire sans
qu
il soit nécessaire de le demander et sans que le Président de la République
ait à signer un décret de convocation. Elle s
ouvre immédiatement dans le pre-
mier cas, le deuxième jeudi qui suit le jour de l
élection dans le second.
§ 2. Les organes du travail parlementaire
639. Les Chambres sont des assemblées nombreuses : elles ne peuvent faire
œuvre utile quà condition de se soumettre à une discipline et daborder métho-
diquement leur tâche. Discipline et méthode impliquent l
existence dorganes
chargés de différentes fonctions.
On distinguera trois catégories dorganes : ceux qui ont un rôle de direction
ou de coordination ; ceux qui regroupent les parlementaires par affinités politi-
ques ; ceux qui préparent le travail parlementaire.
A Les organes de direction et de coordination
1. La présidence des assemblées
640. Malgré leffacement relatif du Parlement depuis 1958, la présidence
des assemblées est toujours demeurée une institution importante.
vivement critiquée par lopposition au motif, dune part, quelle paraissait contraire à la lettre des arti-
cles 29 et 30 et, d
autre part, quelle sinspirait dune conception très restrictive des droits du Parle-
ment. Mais elle semble aujourd
hui admise par les principales familles politiques, F. Mitterrand lui-
même s
étant référé au précédent de 1960 durant la première cohabitation. Sur ce point comme sur
beaucoup d
autres, la réforme de 1962 instaurant lélection présidentielle au suffrage direct a facilité
l
acceptation dune conception active de larbitrage présidentiel.
61. En période de cohabitation, le Président Mitterrand n
acceptait de convoquer une session extra-
ordinaire demandée par le Premier ministre que moyennant une négociation concernant lordre du jour
de cette session (v.
supra no 590).
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594
Droit constitutionnel
Sous les régimes précédents, les présidents des deux assemblées étaient sou-
mis chaque année à réélection alors que l
article 32 de lactuelle Constitution
leur assure une certaine permanence : le président de l
Assemblée nationale est
élu pour la durée de la législature (c
est-à-dire pour cinq ans sauf en cas de
dissolution) ; celui du Sénat est élu après chaque renouvellement partiel (c
est-
à-dire pour trois ans). Lélection a lieu au scrutin secret. Aux deux premiers
tours, un candidat ne peut être élu que sil obtient la majorité absolue des suf-
frages exprimés. Au troisième tour, la majorité relative suffit.
En pratique, la présidence du Sénat change moins souvent de titulaire que
celle de l
assemblée. En effet, la composition politique de la seconde Chambre
étant relativement stable, c
est souvent le même président qui est réélu à la suite
d
un renouvellement. De 1958 à 2012, on compte quinze présidents de lAs-
semblée nationale et seulement six présidents du Sénat.
Paradoxalement, la rationalisation du parlementarisme a mis en valeur le
rôle des Présidents en les associant à certaines des procédures qui tendent à
imposer aux assemblées le respect de la Constitution.
Par exemple lorsque, au cours de la procédure législative, le gouvernement
oppose l
irrecevabilité à une proposition ou un amendement au motif quil ne
serait pas du domaine de la loi ou qu
il serait contraire à une délégation accor-
dée en vertu de l
article 38, le Conseil constitutionnel peut être saisi mais seu-
lement en cas de désaccord entre le gouvernement et le président de l
assemblée
intéressée (art. 41 C). Il suffit donc de l
accord de celui-ci pour que lirreceva-
bilité prenne automatiquement effet. Et depuis la réforme de juillet 2008, le
président de l
assemblée intéressée peut prendre lui-même linitiative dopposer
l
irrecevabilité à une proposition de loi ou à un amendement.
De même, les présidents des assemblées peuvent saisir le Conseil constitu-
tionnel dans le cadre de l
article 61 alinéa 2 (contrôle des lois) ou de larticle 54
(contrôle des engagements internationaux). C
est ainsi sur la saisine du prési-
dent du Sénat que le Conseil constitutionnel a rendu le 16 juillet 1971 la déci-
sion fondatrice de sa jurisprudence relative aux libertés publiques, décision par
laquelle il s
est reconnu compétent pour sanctionner les atteintes aux principes
posés la Déclaration de 1789 ou le Préambule de 1946. Mais, sur le plan poli-
tique, cette prérogative a perdu une partie de son importance depuis que le
Conseil constitutionnel peut également être saisi par soixante députés ou
soixante sénateurs (v.
infra no 781).
Les présidents des assemblées exercent une influence importante sur cette
institution puisque chacun d
eux nomme à chaque renouvellement un membre
sur trois (art. 56 al. 1 C). Et comme le mode de composition du Conseil consti-
tutionnel a servi de modèle pour d
autres institutions, les présidents des assem-
blées désignent également une partie des membres du Conseil supérieur de la
magistrature et de certaines autorités administratives indépendantes, comme le
Conseil supérieur de l
audiovisuel.
Par ailleurs, le Président de la République doit obligatoirement recueillir
l
avis des présidents des assemblées parlementaires avant de prendre la décision
de dissoudre lAssemblée nationale (art. 12 C) ou de mettre en application lar-
ticle 16. Toutefois, dans un cas comme dans l
autre, leur accord nest pas néces-
saire.
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Les organes
595
Sous la IVe République, le président de lAssemblée nationale était chargé
d
assurer lintérim des fonctions du Président de la République en cas dempê-
chement, de décès ou de démission (art. 41) et celle du Président du Conseil en
cas de dissolution précédée d
une motion de censure (art. 52). La Constitution
de 1958 n
a rien prévu quant à lintérim du Premier ministre, sans doute parce
que sa nomination relève des pouvoirs propres du Président de la République,
qui pourrait donc facilement le remplacer si besoin était. Quant à lintérim du
Président de la République, il est confié au président du Sénat et non plus à
celui de l
Assemblée nationale, ce qui traduit la méfiance des constituants
envers la Chambre basse, soupçonnée de vouloir porter atteinte à l
indépen-
dance de l
exécutif.
Mais la fonction principale du président dune assemblée parlementaire est
évidemment de veiller au bon fonctionnement de celle-ci. Il joue notamment un
rôle important dans la direction des débats. D
après le règlement de lAssem-
blée nationale, c
est au président quil appartient : de fixer lordre dans lequel
les députés inscrits prendront la parole ; de rappeler à l
ordre un orateur qui
s
écarte de la question ou qui abuse de son temps de parole ; dordonner la clô-
ture d
une phase de la discussion lorsquau moins deux orateurs davis contrai-
res sont déjà intervenus, etc. Ces quelques exemples montrent que l
exercice du
droit de parole des parlementaires peut dépendre, dans une certaine mesure, de
l
appréciation du président. Par souci dimpartialité, les présidents sabstiennent
généralement de participer aux débats et aux scrutins. Ils ne font partie d
aucune
commission parlementaire.
Ce souci dimpartialité nimplique cependant pas une neutralisation poli-
tique. À la différence du
speaker de la Chambre des communes britannique,
les présidents des assemblées françaises sont (surtout en ce qui concerne l
As-
semblée nationale) des personnalités très engagées dans le combat politique, qui
ont rempli ou qui ont vocation à remplir des fonctions gouvernementales, voire
les plus hautes fonctions de lexécutif.
2. Le bureau
641. Le bureau est une autorité collective, élue par lassemblée et chargée de
la direction des travaux parlementaires et de l
organisation matérielle des servi-
ces de la Chambre. Les fonctions et l
organisation du bureau sont sensiblement
les mêmes au Sénat et à l
Assemblée nationale.
Tandis que la Constitution de 1946 lui attribuait un rôle constitutionnel en le
chargeant notamment de contrôler l
action du cabinet lorsque la Chambre était
en vacances, les constituants de 1958 n
ont pas voulu étendre ses compétences
au-delà de ses fonctions techniques. Dans ces conditions, la Constitution pou-
vait se désintéresser de son mode de désignation quelle laisse le soin de fixer
au règlement de l
assemblée. En plus du président de lAssemblée (v. supra
no 640), le bureau comprend : à lAssemblée nationale, six vice-présidents,
trois questeurs et douze secrétaires qui sont élus au début de la législature et
renouvelés chaque année à la séance d
ouverture de la session ordinaire ; au
Sénat, quatre vice-présidents, huit secrétaires et trois questeurs, qui sont élus
après chaque renouvellement partiel, c
est-à-dire tous les trois ans. Lélection
a lieu au scrutin plurinominal majoritaire en s
efforçant de reproduire au sein
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596
Droit constitutionnel
du bureau la configuration politique de lassemblée. Pratiquement, les sièges
sont répartis conformément à un accord conclu entre les groupes politiques.
Les vice-présidents partagent avec le président la tâche de diriger les débats. Les
questeurs dirigent l
administration de lassemblée (personnel, locaux, matériel). Les
secrétaires contrôlent la rédaction des procès-verbaux des séances qui sont établis
par les sténographes.
Le bureau est une autorité collégiale qui, outre ses attributions administrati-
ves relatives au fonctionnement matériel de la Chambre, exerce certaines com-
pétences politiques : c
est lui notamment qui décide de la recevabilité des pro-
positions de résolution portant mise en accusation du chef de l
État devant la
Haute Cour ; c
est lui également qui apprécie la recevabilité financière des pro-
positions de loi et des amendements (v.
infra no 713).
3. La conférence des présidents
642. Elle est composée du président et des vice-présidents de lassemblée,
des présidents des groupes politiques, des présidents des commissions perma-
nentes, du rapporteur général de la commission des finances, ainsi que des pré-
sidents des commissions spéciales intéressées. Le gouvernement peut y délé-
guer un représentant. Dans les votes émis au sein de la conférence,
les
présidents de groupe ont un nombre de voix égal au nombre des membres de
leur groupe, défalcation faite de ceux qui participent à la conférence (Règl.
Ass. Nat. art. 48 al. 4).
Ses principales attributions concernent la fixation de lordre du jour des
séances. En pratique, depuis 1958, son rôle était relativement mineur, dans la
mesure où, l
ordre du jour des séances était, dans sa presque totalité, fixé de
manière unilatérale par le gouvernement. Mais la situation a changé avec la loi
de modernisation des institutions de juillet 2008 : désormais, depuis le 1
er mars
2009, la priorité gouvernementale est en principe limitée à deux semaines de
séances sur quatre, et la conférence des présidents dispose donc de la maîtrise
d
une moitié de lordre du jour des assemblées.
De plus, la loi de modernisation des institutions adoptée en 2008 a conféré
aux conférences des présidents un rôle de défenseur de la qualité du travail par-
lementaire. Elles peuvent, par exemple, s
opposer à la mise en œuvre de la pro-
cédure dite « accélérée » (art. 45 C) ou refuser l
inscription à lordre du jour
prioritaire d
un projet de loi parce quil nest pas accompagné des études néces-
saires (art. 39 C).
B Les organes politiques
643. Interdiction des groupes dintérêts. À la Chambre des députés de la
III
e République,
il existait de nombreux organismes qui, sous le nom de
« groupe de défense », réunissaient les députés pour la défense d
intérêts parti-
culiers locaux ou professionnels. Résultat de pressions extérieures, ces groupes
compromettaient le libre exercice du mandat parlementaire. Interdits par le
règlement de l
Assemblée nationale de la IVe République, ils se reconstituèrent
sous le couvert de groupes d
études. Le règlement actuel renouvelle la
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Les organes
597
prohibition en létendant à tous les groupes, quel que soit leur nom, qui impli-
quent l
aliénation de lindépendance de leurs membres par lacceptation dun
mandat impératif.
Échappent à cette condamnation, dune part, les groupes constitués pour
l
étude dun problème déterminé, entre parlementaires dopinions différentes
et, dautre part, les groupes politiques.
644. Les groupes politiques. Ils sont formés par la réunion de parlemen-
taires professant les mêmes opinions politiques, de telle sorte qu
ils constituent
approximativement la représentation des partis sur le plan parlementaire. L
ap-
partenance à un groupe conditionne l
exercice de certaines prérogatives. Mais la
formation des groupes politiques n
est pas tout à fait libre. Pour éviter leur pul-
lulement (il y en avait quinze à l
Assemblée nationale sous la IVe République)
et surtout pour gêner le parti communiste, le règlement de l
Assemblée natio-
nale adopté en 1959 exigeait qu
ils comptassent au moins trente membres,
apparentés non compris. Mais ce nombre a été progressivement ramené à
quinze. Les apparentés sont des parlementaires qui, n
étant pas membres du
parti que représente le groupe, s
associent à lui sur le plan administratif. Les
non-inscrits peuvent se rassembler dans une formation administrative pour
bénéficier des prérogatives accordées aux groupes, notamment la désignation
des membres des commissions.
Dans lAssemblée nationale élue en 2012 (quatorzième législature), on
compte six groupes politiques. Quatre se situent à gauche : le groupe socialiste,
républicain et citoyen (294 membres et apparentés) ; le groupe gauche démo-
crate et républicaine (15) qui comprend les communistes et les membres du
parti de gauche de J.-L. Mélenchon ; le groupe écologiste (18) ; le groupe répu-
blicain, démocrate et progressiste (16) qui rassemble les radicaux de gauche.
Deux se situent à droite : l
UMP (196) et lunion des démocrates et indépen-
dants (29). 9 députés ne sont inscrits à aucun groupe.
Au Sénat, un groupe politique doit comprendre au moins dix membres62. Il
en existe actuellement cinq. À la suite du renouvellement partiel de septem-
bre 2011, les effectifs, apparentés compris, se répartissent comme suit : commu-
nistes, républicains et citoyens, 21 ; Union centriste-UDF, 31 ; Rassemblement
démocratique et social européen, 17 ; socialistes, 129 ; écologistes, 11 ; UMP,
132 membres. Sept sénateurs n
appartiennent à aucun groupe
Les membres de chaque groupe sont rassemblés dans lhémicycle de
manière à siéger au coude à coude. La place des groupes est fixée par le Prési-
dent de l
Assemblée en accord avec leurs représentants.
Depuis la réforme de juillet 2008, on distingue trois catégories de groupes
politiques : ceux qui soutiennent le gouvernement ; ceux qui se situent dans
l
opposition à la majorité gouvernementale ; ceux qui sont « minoritaires ».
Lintérêt de cette distinction provient de ce que, aux termes de larticle 51-
reconnaître des « droits
le règlement de chaque assemblée doit
1 C,
62. Leffectif minimum nécessaire pour constituer un groupe politique est fixé par le règlement de
chaque assemblée. Mais le Conseil constitutionnel, qui contrôle doffice les règlements des assem-
blées, veille à ce que ce minimum ne soit pas trop faible car la multiplication des groupes politiques
au sein d
une assemblée finirait par poser de sérieux problèmes dorganisation.
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598
Droit constitutionnel
spécifiques » aux groupes dopposition ainsi quaux groupes minoritaires, ces
groupes étant supposés politiquement plus contestataires que ceux de la majo-
rité, et donc plus susceptibles de contribuer au développement du contrôle par-
lementaire.
À lAssemblée nationale, de même quau Sénat, les groupes dits « doppo-
sition » sont ceux qui se sont déclarés comme tels à la présidence de lassem-
blée, cette déclaration pouvant être reprise ou modifiée à tout moment. En
revanche, la notion de « groupe minoritaire » n
est pas définie tout à fait de la
même manière par les règlements des deux assemblées. À l
Assemblée natio-
nale, est considéré comme « minoritaire » tout groupe qui ne s
est pas déclaré
d
opposition, à lexception de celui qui comporte leffectif le plus élevé. La
notion de groupe « minoritaire » est donc définie principalement de manière
arithmétique et il ne peut pas y avoir plus d
un seul groupe majoritaire. Au
Sénat, seuls sont considérés comme « minoritaires » les groupes qui se sont
déclarés comme tels à la présidence de leur assemblée. La notion est donc
plus politique car elle suppose que le groupe dont il s
agit entend se distinguer
à la fois de l
opposition et de la majorité.
Mais même avec la définition du Sénat, certains groupes dont leffectif est
relativement faible pourront avoir intérêt à se déclarer « minoritaire », bien
qu
ils soient politiquement proches de la majorité gouvernementale, afin de
bénéficier des avantages que le règlement de leur assemblée leur réserve ainsi
qu
aux groupes dopposition.
C Les organes de travail
1. Les commissions permanentes
645. Ce sont les organes essentiels du travail parlementaire car les assem-
blées ne peuvent en principe délibérer que sur les projets ou propositions de loi
qui ont déjà été étudiés par une commission. Or, tout projet ou toute proposition
de loi est envoyé pour étude à l
une des commissions permanentes de lassem-
blée, sauf si le gouvernement ou l
assemblée elle-même demande la création
d
une commission spéciale, ce qui est relativement rare.
Sous la IVe République, on comptait une vingtaine de commissions perma-
nentes au sein de chaque assemblée, comme c
est encore souvent le cas aujour-
d
hui à létranger. Mais les auteurs de la Constitution de 1958 ont voulu limiter
leur nombre pour les empêcher de se spécialiser à l
excès, ce qui leur aurait
permis d
exercer un contrôle trop étroit sur le secteur dactivité correspondant
à leur spécialisation. C
est pourquoi à lorigine le nombre des commissions per-
manentes dans chaque assemblée ne pouvait pas dépasser six (art. 43 al. 2 C). À
lexpérience, cependant, ce nombre sest révélé insuffisant, à lAssemblée natio-
nale tout au moins, car il obligeait les assemblées à créer des commissions plé-
thoriques et dotées de compétences trop larges. Il a été fixé à un maximum de
huit par la loi de modernisation des institutions du 20 juillet 2008. L
augmenta-
tion est somme toute modérée, mais ni l
Assemblée nationale ni le Sénat navait
demandé davantage. LAssemblée nationale a tiré parti de cette augmentation
pour se doter de deux commissions supplémentaires. L
article 18 de son nou-
sont
veau règlement énumère huit commissions dont
les compétences
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Les organes
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délimitées de la manière suivante : Affaires culturelles et éducation ; Affaires
économiques ; Affaires sociales ; Affaires étrangères ; Défense nationale et for-
ces armées ; Développement durable et aménagement du territoire ; Finances,
économie générale et plan ; Lois constitutionnelles, législation et administration
générale de la République. Au Sénat il existe sept commissions permanentes qui
sont spécialisées dans les domaines suivants : affaires économiques ; affaires
étrangères et défense nationale ; affaires sociales ; culture, éducation et commu-
nication ; finances ; développement durable, équipement et aménagement du
territoire ; droit constitutionnel et législation.
Les membres des commissions permanentes sont nommés par chaque
assemblée au début de la législature et ensuite, chaque année, à la deuxième
séance de la session unique qui commence en octobre. Leur
mode de désigna-
tion
est laissé à la discrétion de chaque assemblée qui le fixe par une disposition
de son règlement mais, en pratique, on utilise toujours la proportionnelle des
groupes de façon à ce que la composition de chaque commission, ainsi que
celle de son bureau, reproduise la configuration politique de l
assemblée tout
entière. Des dispositions sont prises pour faire une place aux députés n
apparte-
nant à aucun groupe. Les présidences des commissions sont généralement attri-
buées à des représentants de la majorité. Toutefois, le nouveau règlement de
l
Assemblée nationale précise que « ne peut être élu à la présidence de la Com-
mission des finances qu
un député appartenant à un groupe sétant déclaré
minoritaire ou d
opposition ».
Cette entorse à lusage se justifie par lidée que, comme la Commission des
finances a un rôle particulièrement important à jouer en matière de contrôle par-
lementaire, son président ne doit pas pouvoir être suspecté de complaisance
envers le gouvernement ou le chef de l
État. Elle traduit la volonté affichée de
développer le contrôle parlementaire et de donner un statut à l
opposition.
Tout parlementaire a le droit dêtre membre dune Commission permanente
et dune seule.
Instruments importants du travail parlementaire, les commissions ont une
organisation et des règles de fonctionnement fixées par le règlement de l
assem-
blée. Elles ont un bureau élu permanent, mais sauf à la commission des finan-
ces, le rapporteur est désigné pour chaque affaire. Elles se réunissent dans des
locaux qui leur sont propres ; elles peuvent siéger hors session ou durant la
session.
Les commissions ont la faculté dentendre des personnalités extérieures au
Parlement. Cette procédure est inspirée de la technique américaine des
hea-
rings
. Cependant les pouvoirs des commissions françaises sont loin dêtre
aussi importants que ceux des commissions du Congrès des États-Unis. Si,
elles peuvent en principe convoquer toute personne, elles ne disposent pas, à
la différence des commissions américaines, du pouvoir d
infliger elles-mêmes
des sanctions pénales à ceux qui refusent de s
y rendre et la question de savoir
si les ministres peuvent interdire de déposer aux fonctionnaires de leurs dépar-
tements n
a jamais été résolue.
En principe, les réunions des commissions permanentes sont placées sous le
signe de la confidentialité. Mais cette règle comporte des exceptions. D
une
part, les réunions de commission donnent souvent lieu à la diffusion d
un
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Droit constitutionnel
communiqué de presse. Dautre part, depuis les années 1990, le règlement de
l
Assemblée nationale a été modifié pour permettre aux commissions de tenir,
dans certains cas, des audiences publiques. Cette possibilité nouvelle est réser-
vée aux seules auditions, à l
exclusion de toute délibération à caractère propre-
ment législatif ; elle est décidée, avec l
accord des personnes entendues, par la
commission elle-même et organisée par son bureau, lequel peut prévoir par
exemple l
accès à la salle de réunion de la presse écrite et audiovisuelle.
Non seulement la loi de modernisation des institutions a augmenté le nom-
bre de commissions permanentes susceptibles d
être créées dans chaque assem-
blée mais elle a cherché à revaloriser le travail qu
elles accomplissent en pré-
voyant que, devant la première assemblée saisie d
un projet de loi, le débat
s
engagera désormais sur le texte de la commission et non plus, comme aupa-
ravant, sur celui du gouvernement. Cette règle comporte néanmoins d
assez
nombreuses exceptions (v.
infra no 723).
2. Les commissions législatives spéciales
646. Ce sont des commissions spécialement désignées, soit lorsque deux
commissions permanentes sont en concurrence pour l
examen dun texte, soit
à la demande du gouvernement, auquel cas leur formation est de droit, ou de
l
assemblée intéressée, pour létude dun projet ou dune proposition (art. 43
al. 1). Ainsi les commissions permanentes peuvent être dépossédées de leur
compétence au profit d
un organe ad hoc. On aurait pu penser que le gouverne-
ment ne manquerait pas d
utiliser la faculté qui lui est ainsi offerte de faire élire
une commission spéciale s
il sait que la commission permanente qui normale-
ment en eût été saisie, est hostile à son projet. En fait, cette faculté n
a été que
rarement utilisée
63 et ce sont donc les commissions permanentes qui rapportent
la plupart des projets ou propositions de loi.
3. Les commissions denquête
V. infra no 661.
4. Les offices et délégations
647. Compte tenu du fait que la Constitution limite leur nombre à huit dans
chaque assemblée, les commissions permanentes ne sont pas suffisamment spé-
cialisées pour permettre aux parlementaires de suivre certains problèmes. Pour
tenter d
y remédier, le législateur a créé, à mesure que le besoin sen faisait
sentir et souvent à l
initiative des parlementaires eux-mêmes, des organes bap-
tisés « délégations » ou « offices », dont la mission évoque celle d
une commis-
sion permanente bien quils naient pas tout à fait les mêmes attributions.
Certains de ces organes sont communs aux deux assemblées. Tel est notam-
ment le cas : de l
office parlementaire des choix scientifiques et technologiques
(loi du 8 juillet 1983) ; de l
Office parlementaire dévaluation de la législation
(loi du 14 juin 1996) ; de l
office parlementaire dévaluation des politiques
publiques (loi du 14 juin 1996). En plus de quelques membres de droit, qui
63. De 1958 à 2011, il y a eu environ 70 commissions spéciales à lAssemblée nationale et 60 au
Sénat (Camby et Servent, 2011, p. 69).
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Les organes
601
sont généralement des présidents de commissions permanentes, ces offices
comprennent des députés et des sénateurs désignés par les groupes politiques
de manière à assurer leur représentation proportionnelle.
Dautres sont créés indépendamment dans chaque assemblée. Lalinéa 3
nouveau de l
article 88-4 C, modifié en juillet 2008, dispose qu« au sein de
chaque assemblée parlementaire est instituée une commission64 des affaires
européennes ». Malgré l
emploi du terme « commission », il ne sagit pas de
l
une des commissions permanentes auxquelles peuvent être renvoyés les pro-
jets ou propositions de loi, et dont, en vertu de l
article 43 C, le nombre est
limité à huit dans chaque assemblée. Sa tâche principale est d
instruire les pro-
jets d
actes communautaires qui sont communiqués aux assemblées et de pré-
parer, le cas échéant, à leur sujet, des propositions de résolutions qui sont sus-
ceptibles d
être reprises par la commission permanente compétente dans le
cadre du contrôle préventif prévu à l
article 88-4 (v. infra no 664 s.).
Il est intéressant de noter que, à lexception de la « commission des affaires
européennes » dont il vient d
être question, les délégations ou offices sont tou-
jours créés par une loi ordinaire, non par la loi organique ou le règlement des
assemblées. Cette manière de procéder présente un double avantage : d
une
part, l
office ou la délégation est doté dun statut légal qui lui confère une légi-
timité incontestable d
un point de vue administratif et budgétaire ; dautre part,
sa création échappe généralement au contrôle du Conseil constitutionnel, ce
contrôle ne s
exerçant sur les lois ordinaires quà titre facultatif et lopposition
n
ayant pas intérêt, dans ce cas particulier, à le déclencher puisquil sagit de
renforcer les moyens de travail dont dispose le Parlement. Il arrive cependant
que le Conseil constitutionnel ait à se prononcer lorsque la délégation ou l
office
ne constitue qu
un élément dun dispositif législatif plus vaste concernant, par
exemple, la communication audiovisuelle ou la réforme de la planification.
D
après sa jurisprudence, rien ninterdit au législateur de créer des organes tels
que les offices ou délégations, dont le rôle consiste à fournir au Parlement et au
gouvernement des informations et des suggestions, mais à condition que les avis
émis par ces organes n
aient jamais force obligatoire (voir par ex. CC 82-142
DC du 27 juillet 1982,
Rec. p. 52).
Les offices et les délégations ne peuvent pas se substituer aux commissions
pour les tâches que la Constitution ou une loi organique réserve à celles-ci, par
exemple pour l
examen dun projet ou dune proposition de loi. Mais ils contri-
buent à l
étude de lensemble des dossiers ainsi quà linformation générale des
assemblées et même du public. Leur mission est donc plus technique que poli-
tique.
Malgré le relèvement du nombre maximum des commissions permanentes,
qui passe de six à huit dans chacune des deux assemblées, le rôle des offices et
délégations devrait demeurer important. En effet, dune part, laugmentation est
trop faible pour permettre aux commissions permanentes de se substituer à eux ;
d
autre part, à la mission traditionnelle de contrôle du Parlement, sajoute désor-
mais une mission « d
évaluation des politiques publiques » (cf. art. 24 al. 1 C)
qui nécessite des études techniques très poussées. Les offices et délégations sont
64. Avant la révision de 2008, cette formation existait déjà mais elle était connue sous le nom de
« délégation aux affaires européennes ».
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Droit constitutionnel
probablement mieux placées pour réaliser celles-ci que les commissions perma-
nentes, trop absorbées par le travail législatif.
§ 3. La séance
648. Périodicité et publicité. Conformément à la tradition parlementaire
française, chaque assemblée fixe elle-même les jours et heures de ses séances
dans le cadre des règles fixées par la Constitution.
Ainsi quon la déjà signalé, le nombre maximum de jours de séances prévu
au règlement est de 120 au cours de la session unique. Toutefois, si ce nombre
s
avère insuffisant, des jours supplémentaires peuvent être programmés. La
décision est prise soit par le Premier ministre après consultation du prési-
dent de l
Assemblée nationale, soit par la majorité des membres de celle-ci.
La séance est publique (art. 33 C), encore que le nombre de places de la
tribune réservée aux assistants rende cette publicité très restreinte. D
autres tri-
bunes reçoivent les personnes munies d
une carte qui leur est remise par un
parlementaire. La véritable publicité est assurée par les comptes rendus de
presse et par la retransmission en direct de certaines séances sur une chaîne
généraliste (France 3) et sur une chaîne parlementaire spécialisée. Un de ces
comptes rendus est officiel : c
est la sténographie de la séance publiée au Jour-
nal officiel
. Les autres émanent des rédacteurs des journaux qui suivent les
séances. Il existe enfin un compte rendu analytique qui présente, sur la sténo-
graphie de l
Officiel, lavantage de nêtre pas retouché. Son service est réservé
aux parlementaires et à certains privilégiés.
Par exception au principe de la publicité, les assemblées peuvent, à la
demande du gouvernement, de la conférence des présidents ou de vingt-cinq
de leurs membres, se constituer en
comité secret. La décision est prise à la
suite d
un vote sans débat (art. 33 al. 2 C).
649. Lordre du jour (Lascombe, 2008 ; J.-L. Pesant, 2008). Lordre du
jour est le programme selon lequel se déroulent les débats. Il est important en ce
sens qu
il fixe lordre selon lequel les questions sont traitées et la possibilité
d
intervention ouverte aux parlementaires. À la différence de ce qui se passait
sous la III
e et la IVe République, où le gouvernement ne jouissait daucune pré-
rogative particulière dans la fixation de l
ordre du jour qui était ainsi à la discré-
tion des assemblées, les constituants de 1958 ont voulu assurer la prépondé-
rance de l
exécutif.
En effet, daprès le texte originel de larticle 48 C : « lordre du jour des
assemblées comporte, par priorité et dans l
ordre que le gouvernement a fixé,
la discussion des projets de loi déposés par le gouvernement et des propositions
de loi acceptées par lui
». Les propositions de loi non acceptées par le gouver-
nement pouvaient théoriquement être inscrites à l
une des séances de lordre du
jour
complémentaire. Mais encore fallait-il quil restât suffisamment de temps
pour en débattre après épuisement de lordre du jour prioritaire, et ce nétait pas
toujours le cas. Il en résultait deux conséquences importantes : d
une part, en
abondant l
ordre du jour prioritaire, le gouvernement avait la possibilité de
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603
soctroyer un véritable monopole de linitiative, analogue à celui que la Charte
de 1814 accordait au Roi ; d
autre part, il ne restait guère de temps disponible
pour le travail parlementaire non législatif, c
est-à-dire le contrôle de laction du
gouvernement. Ce contrôle ne pouvait guère s
exercer que sous deux formes :
les questions auxquelles une séance chaque semaine était réservée dans chacune
des deux assemblées (art. 48 C al. 2), et les débats sur une motion de censure (à
lAssemblée nationale uniquement).
La révision du 4 août 1995 avait déjà relâché un peu ces contraintes gouver-
nementales en ajoutant à l
article 48 C un alinéa disposant qu« une séance par
mois est réservée par priorité à l
ordre du jour fixé par chaque assemblée ».
Mais c
était encore trop peu pour remettre véritablement en cause lemprise
du gouvernement sur l
ordre du jour des assemblées. La révision du 23 juillet
2008 est allée beaucoup plus loin, en apparence tout au moins.
En premier lieu, on revient au principe en vigueur avant 1958 selon lequel
chaque assemblée fixe elle-même son ordre du jour (art. 48 al. 1). Toutefois ce
principe n
est pas absolu. Aux termes de lalinéa deux : « Deux semaines de
séance sur quatre sont réservées par priorité, et dans l
ordre que le gouverne-
ment a fixé, à l
examen des textes et aux débats dont il demande linscription à
l
ordre du jour ». Lordre du jour prioritaire ne disparaît donc pas mais le fait
nouveau est qu
il est désormais limité dans le temps (en principe seulement
deux semaines de séances sur quatre, alors qu
il pouvait auparavant sétendre
à la presque totalité des séances).
En deuxième lieu, pour la première fois, il existe un ordre du jour prioritaire
qui n
a pas été institué dans lintérêt du gouvernement, et qui ne peut être utilisé
qu
à linitiative de lassemblée elle-même : « Une semaine de séances sur qua-
tre est réservée par priorité et dans l
ordre fixé par chaque assemblée au
contrôle de l
action du gouvernement et à lévaluation des politiques publi-
ques
» (art. 28 C al. 4). Cette innovation devrait avoir des conséquences à la
fois quantitatives et qualitatives. Non seulement il y aura davantage de séances
consacrées à un ordre du jour non législatif mais, pour meubler ces séances, les
assemblées devront concevoir ou développer des formes de contrôle ou d
éva-
luation autres que la motion de censure ou les questions orales. Par exemple, les
débats sur les conclusions des commissions d
enquête, qui auparavant étaient
relativement rares, pourraient devenir systématiques.
Enfin, il subsiste une semaine de séances sur quatre dont lordre du jour
n
est pas expressément déterminé par larticle 28 C. On pourrait souhaiter que
la conférence des présidents, qui prépare les projets d
ordre du jour, la mette à
profit pour débattre des propositions de loi. Mais il n
est pas sûr quelle puisse
le faire car, en plus de la priorité prévue à l
alinéa 2, dont le champ est déter-
miné de façon temporelle (deux semaines sur quatre), le gouvernement dispose
également dune priorité qui sattache à certains textes en raison de leur nature
(lois de finances, lois de financement de la sécurité sociale), de l
urgence quils
présentent (projets relatifs aux états de crises) ou simplement du retard qu
ils
ont pris (textes transmis par l
autre assemblée depuis six semaines au moins).
Pour peu que les deux premières semaines ne suffisent pas à faire adopter tous
les textes constituant le programme gouvernemental, ce qui paraît possible et
même probable, c
est sur la quatrième semaine que le gouvernement essayera
de se rattraper, réduisant d
autant le nombre des séances dont les assemblées
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604
Droit constitutionnel
peuvent fixer librement lordre du jour. Comme la dit le Conseil constitution-
nel : « si chaque assemblée est tenue de réserver une semaine sur quatre par
priorité au contrôle de l
action du gouvernement et à lévaluation des politiques
publiques, la Constitution n
exige pas pour autant que ladite semaine leur fût
entièrement consacrée » (décision 2013-677 DC cons. 4).
En définitive, bien que la réforme du mode de fixation de lordre du jour soit
spectaculaire, elle n
a pas renforcé le rôle du Parlement autant quon aurait pu le
croire. En matière législative, l
initiative parlementaire ne sest pas beaucoup
développée, car aucun ordre du jour prioritaire n
est prévu pour les propositions
de loi non acceptées par le gouvernement. En matière de contrôle et d
évalua-
tion, un plus grand nombre de séances est sans doute consacré à ces activités,
mais le choix des questions traitées dépendra le plus souvent de la majorité qui,
à l
Assemblée nationale tout au moins, cherche généralement à éviter ce qui
pourrait embarrasser le gouvernement.
Il faut cependant noter que le gouvernement et la majorité ne disposent pas
d
une maîtrise totale de lordre du jour car larticle 48 alinéa 5 oblige les assem-
blées à réserver un jour de séance par mois à un ordre du jour «
arrêté à lini-
tiative des groupes d
opposition de lAssemblée intéressée ainsi quà celle des
groupes minoritaires
». Il y a donc chaque mois, à lAssemblée nationale et au
Sénat, un « jour de l
opposition » qui ne débouche pas nécessairement sur des
décisions importantes mais qui met un peu d
animation dans les travaux parle-
mentaires.
650. Le débat. Il consiste dans la discussion des questions inscrites à lor-
dre du jour ; il est animé par les discours à la tribune ou les interventions que les
parlementaires effectuent de leur place. En principe, nul ne peut prendre la
parole sans avoir été inscrit ou, s
il sagit dune brève interruption ou dune
explication de vote, sans l
autorisation du président et, éventuellement, de lora-
teur interrompu. Pourtant les ministres et les présidents de commissions peuvent
toujours prendre la parole. Par ailleurs, jusqu
à la réforme de la procédure légis-
lative intervenue en 2008, les parlementaires avaient toujours la faculté de s
in-
scrire en déposant des amendements au texte en débat
65.
Au Sénat, cest lordre dinscription qui détermine le tour de parole ; à lAs-
semblée nationale, le président jouit d
une plus grande liberté pour déterminer
l
ordre des interventions. Pour éviter quelles soient trop longues, il peut inviter
l
orateur à conclure et interdire la lecture dun discours. Mirabeau, Jaurès ou
Poincaré eussent pu ainsi se voir « coupés ».
651. Le vote. Les décisions de lAssemblée sont prises par un vote qui ne
peut avoir lieu que si la majorité absolue du nombre des députés, calculée sur le
nombre de sièges effectivement pourvus, est présente dans l
enceinte du Palais,
mais pas nécessairement dans la salle des séances. Toutefois, la vérification de
ce
quorum nest faite que si la demande en est formulée par un président de
groupe, ce qui se produit rarement. Si le
quorum nest pas réuni, la séance est
65. Depuis cette réforme, ce nest plus tout à fait le cas, car, lorsque le temps de parole est limité, un
amendement déposé par un député appartenant à un groupe dont le temps de parole est épuisé est mis
aux voix sans débat (art. 55-4 du règlement de l
AN).
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suspendue pendant au moins une heure et lorsquelle reprend, le vote est valable
quel que soit le nombre des présents.
Le vote saccomplit selon des formes diverses.
a) Vote à main levée, ou, modalité de celui-ci, par assis et levés ; rapide, ce
mode de votation a linconvénient de ne pas laisser de trace.
b) Vote public ordinaire. Il a pour objet de faire connaître lattitude adoptée
par chacun des votants. Autrefois, les bulletins étaient recueillis par des huis-
siers. Selon une pratique traditionnelle, les absents pouvaient voter par l
inter-
médiaire d
un collègue, le « boîtier », auquel ils avaient confié la disposition de
leurs boîtes à bulletins. Toutefois, depuis une résolution du 26 juillet 1955,
l
Assemblée nationale avait décidé que dans les scrutins importants, seuls pour-
raient voter les députés présents.
La Constitution de 1958 a érigé lexception en principe : larticle 27 décide
que le droit de vote des membres du Parlement est personnel.
La délégation nest autorisée quà titre exceptionnel, dans les cas prévus par
une loi organique (maladie ou événement familial grave, mission temporaire
confiée par le gouvernement, service militaire, cas de force majeure appréciés
par décision des bureaux des assemblées, etc.). Et nul ne peut recevoir déléga-
tion de plus d
un mandat. En édictant de telles dispositions, on espérait éviter le
renouvellement des pratiques anciennes qui favorisaient l
absentéisme parle-
mentaire.
Mais sur ce point, la pratique na pas toujours été conforme à la théorie. À
l
Assemblée nationale, le scrutin public ordinaire a lieu par procédé électro-
nique : chaque parlementaire dispose d
une clé qui lui permet, à partir de son
pupitre, de faire enregistrer électroniquement la position qu
il adopte sur la
question mise aux voix. Pendant longtemps, il était d
usage quavant de sab-
senter, un député confie sa clé à un collègue appartenant au même groupe poli-
tique afin que ce dernier puisse voter à sa place sans avoir besoin d
une déléga-
tion en bonne et due forme. Et c
est ainsi que tous les membres dun groupe
étaient parfois réputés avoir pris part à un scrutin public, alors qu
un seul den-
tre eux était physiquement présent dans l
hémicycle au moment du vote.
Au Sénat, les modalités du scrutin public ordinaire sont un peu différentes,
mais elles ne garantissent pas non plus le respect du principe du vote personnel :
chaque président de groupe parlementaire remet aux scrutateurs un paquet de bul-
letins correspondant aux voix des membres de son groupe, dont la présence dans
l
hémicycle nest pas systématiquement vérifiée.
Les entorses au principe du vote personnel ont été longtemps tolérées par la
majeure partie de la classe politique et, ce qui est plus surprenant, par le Conseil
constitutionnel lui-même. En décembre 1986, des députés et des sénateurs
avaient déféré une loi au Conseil constitutionnel. Lun des principaux moyens
développés dans les mémoires de saisine était que, dans certains groupes parle-
mentaires, les présents avaient voté non seulement pour eux-mêmes mais aussi
pour leurs collègues absents. Les faits étant établis, le Conseil constitutionnel a
néanmoins estimé que, en dépit de cette irrégularité, la loi avait été valablement
adoptée (déc. no 86-225 DC du 23 janvier 1987, Rec. p. 13).
Daprès cette décision, le procédé consistant à faire voter les absents ne peut
entacher la procédure de nullité que lorsque deux conditions sont réunies : il
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Droit constitutionnel
faut, en premier lieu, que les parlementaires absents au moment du scrutin aient
déclaré que le vote qu
on leur avait prêté ne correspondait pas à leurs opinions ;
il faut, en second lieu que ces rectifications soient suffisamment nombreuses
pour remettre en cause le résultat qui avait été acquis en vertu de la règle de
majorité applicable au scrutin considéré.
En pratique, ces conditions ne sont pour ainsi dire jamais réunies car il fau-
drait qu
un nombre relativement élevé de députés ou de sénateurs se révolte
contre la discipline de leur propre groupe parlementaire, ce qui est une hypothèse
peu vraisemblable. On peut donc dire que cette jurisprudence du Conseil consti-
tutionnel constituait presque un encouragement à l
absentéisme parlementaire.
Les atteintes au principe du vote personnel ont cependant cessé depuis quel-
ques années, à l
Assemblée nationale tout au moins. En octobre 1993, le nouveau
Président de cette assemblée, Philippe Séguin a donné instruction aux services
informatiques de n
enregistrer les votes au scrutin public que pendant un délai
extrêmement bref, afin que les députés n
aient plus le temps de voter à la fois
pour eux-mêmes et pour des collègues absents. Il en résulte que la majorité par-
lementaire n
est plus à labri dun vote surprise, comme on a pu sen apercevoir le
9 octobre 1998, lorsque les députés de l
opposition ont profité du fait quils
étaient plus nombreux en séance pour faire adopter une exception d
irrecevabilité
contre le pacte civil de solidarité (PACS) et plus récemment lorsque la gauche a
fait repousser l
adoption définitive du projet de loi HADOPI.
Mais contrairement à ce quune certaine démagogie antiparlementaire pour-
rait laisser croire, l
activité dun député ou dun sénateur ne peut pas se mesurer
uniquement à son temps de présence dans l
hémicycle. En effet, cest dans les
réunions des commissions, et non en séance plénière, que s
accomplit lessen-
tiel du travail législatif. De plus, compte tenu de la discipline des groupes poli-
tiques, les résultats de la presque totalité des scrutins sont prévisibles et le res-
pect formel de la règle du vote personnel ne peut pas y changer grand-chose
(Thuriot, 2000).
Le vote au scrutin public ordinaire est obligatoire : 1o si les résultats du vote
à mains levées ou par assis et levés sont douteux ; 2
o à la demande du gouver-
nement, du Président de l
Assemblée ou de celui de la commission saisie ; 3o à
la demande d
un président de groupe.
c) Le scrutin public à la tribune est ainsi appelé parce que, naguère, à lappel
de leur nom, les députés allaient déposer leur bulletin dans l
urne placée sur la
tribune. Le vote électronique qui permet de gagner beaucoup de temps, l
a rem-
placé pour les scrutins publics ordinaires. Mais le scrutin à la tribune demeure obli-
gatoire lorsque la Constitution exige la majorité absolue ou lorsque le gouverne-
ment engage sa responsabilité. Il présente l
avantage (ou linconvénient) de ne pas
permettre de faire voter les absents.
d) Le scrutin secret est généralement requis pour la désignation des person-
nes (Président de l
Assemblée, membres de la Haute Cour, membres de la Cour
de justice de la République).
652. Majorité. En général, la majorité requise est la majorité ordinaire
obtenue par une seule voix de différence entre les suffrages exprimés. Toute-
fois, pour les votes particulièrement importants, la Constitution exige une
majo-
rité absolue
. Tel est le cas pour le vote dune loi organique par lAssemblée
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Les organes
607
nationale lorsquelle est en désaccord avec le Sénat (art. 46 al. 3 C). La majorité
l
adoption dune motion de censure
absolue est également
(art. 49 al. 2 C).
requise pour
Cette majorité est celle « des membres composant lAssemblée ». Il résulte de la
pratique que cette majorité, appelée parfois majorité constitutionnelle, doit être cal-
culée daprès le nombre des députés en fonction, députés en congé ou incarcérés
compris, mais les sièges vacants étant exclus.
Larticle 68 alinéa 4 du Règlement de lAssemblée nationale a supprimé la
rectification de vote qui, naguère, permettait à un député de contester le vote
qui lui avait été imputé. Procédé utilisé généralement à des fins démagogiques,
la rectification, qui n
avait dailleurs aucun effet sur les résultats du scrutin, ne
méritait pas de survivre à une rationalisation du travail parlementaire. Toutefois,
d
après la décision précitée du Conseil constitutionnel, il semble que le droit de
rectification subsiste pour les parlementaires qui ont été portés comme ayant émis
un vote contraire à leur opinion, alors qu
ils navaient pas donné régulièrement
délégation.
653. La discipline. Lindépendance des assemblées se traduit, entre
autres, par le pouvoir disciplinaire qu
elles sont seules habilitées à exercer sur
leurs membres. La manifestation de ce pouvoir réside dans les sanctions dont
peuvent être frappés les parlementaires pour violation du règlement.
Ces sanctions sont prononcées soit par le président seul : rappel à lordre pur
et simple ou avec inscription au procès-verbal, soit par l
Assemblée elle-même
sur proposition de son président : censure simple, censure avec exclusion tempo-
raire. Selon l
importance de la censure prononcée, le député est privé dune partie
plus ou moins grande de son indemnité.
Sous-section 4
Le Conseil économique, social et environnemental (CESE)
654. Comme la Constitution de 1946, celle de 1958 avait institué un Conseil
économique et social appelé, dans certains cas, à intervenir dans la procédure
d
élaboration de la loi (art. 69 et 70 C). La loi de révision du 23 juillet 2008 a
modifié sa dénomination pour souligner sa vocation à donner des avis sur les
questions intéressant l
environnement. Bien quil ne fasse pas partie du Parle-
ment, on peut le considérer comme un organe auxiliaire de celui-ci.
1o Lorganisation du CESE est fixée par une ordonnance du 29 décembre
1958, modifié par les lois organiques du 27 juin 1984 et du 28 juin 2010.
Il comprend 233 membres66qui se répartissent en trois grands groupes : 140
conseillers siègent au titre « de la vie économique et du dialogue social » ; 60 au
titre de la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative ; 33 au titre de la
protection de la nature et de l
environnement.
Au sein de chacun de ces trois groupes, on trouve, dune part, des représen-
tants des organisations professionnelles les plus représentatives, qui sont
66. Ce nombre ne pourrait pas être augmenté sans modifier larticle 71 C.
Page 608
608
Droit constitutionnel
désignés par ces organisations et, dautre part, des personnalités qualifiées, qui
sont nommées par le gouvernement. La durée du mandat est de cinq ans et nul
ne peut accomplir plus de deux mandats consécutifs. En pratique, la nomination
en qualité de personnalité « qualifiée » est souvent utilisée pour reclasser un
homme ou une femme politique qui a été battu aux élections.
Pour la préparation de ses délibérations, le Conseil est divisé en neuf sec-
tions spécialisées dans l
étude des principaux problèmes relevant de sa compé-
tence. La liste, les compétences et la composition des sections sont fixées par un
décret en Conseil d
État. Leffectif de chaque section peut être complété par des
personnalités extérieures que le gouvernement appelle à y siéger. Mais les déli-
bérations du Conseil relèvent de la compétence exclusive de l
Assemblée géné-
rale, qui est formée par la réunion de tous les conseillers.
2o Quant aux pouvoirs du Conseil, ils demeurent à peu près tels quils
étaient en 1946, c
est-à-dire consultatifs. Le Conseil donne des avis ; il ne
prend pas de décision. Il intervient soit à la demande du gouvernement, soit
spontanément, soit encore à la suite d
une pétition citoyenne.
a) Il peut être saisi par le gouvernement pour donner son avis sur les projets
de loi, d
ordonnance ou de décret, ainsi que sur les propositions de loi qui lui
sont soumis (art. 69 C). De façon plus large, il peut également être consulté par
le gouvernement ou le Parlement sur tout problème de caractère économique,
social, ou environnemental.
Le CESE peut désigner un de ses membres pour exposer devant les assem-
blées parlementaires lavis du Conseil sur les textes dont il est saisi.
b) De sa propre initiative, le Conseil peut présenter des observations pour
l
exécution des plans et des programmes daction à caractère économique,
social ou environnemental.
c) Daprès larticle 70 C, le CESE est obligatoirement consulté sur « tout
plan ou tout ou tout projet de loi de programmation à caractère économique,
social, ou environnemental
». Dans une décision des 25-26 juin 1986 (no 86-
207 DC,
Rec. p. 61), le Conseil constitutionnel a précisé cette notion de « loi
de programme ». Aux termes de l
article 34 C, il sagit dune loi qui définit des
objectifs à moyen ou long terme. D
après la jurisprudence récente du Conseil
constitutionnel, il n
est plus nécessaire que ces objectifs aient été chiffrés (déc.
n
o 2005-516 DC du 7 juillet 2005, cons. 2-6).
d) La loi de révision du 23 juillet 2008 a innové en ouvrant la possibilité de
saisir le CESE «
par voie de pétition dans les conditions prévues par une loi
organique
» (art. 69 C al. 3 nouveau). Une telle possibilité a toujours été admise
en ce qui concerne les assemblées parlementaires mais on en entend rarement
parler car la grande majorité des pétitions reçues sont classées sans aucune
suite. Le CESE devra peut-être prêter un peu plus dattention aux pétitions
quil recevra, dans la mesure où larticle 69 C lui fait obligation de les examiner
et de «
faire connaître au gouvernement et au Parlement les suites quil propose
d
y donner ».
La loi organique du 28 juin 2010 précise que la pétition doit être présentée
dans les mêmes termes par au moins 500 000 personnes majeures, de nationalité
française ou résidant régulièrement en France. Le déclenchement de la procé-
dure est donc beaucoup plus facile qu
en ce qui concerne le référendum
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Les organes
609
dinitiative mi-parlementaire mi-populaire prévue par le troisième alinéa de lar-
ticle 11 C. Mais, à la différence d
un référendum, la pétition ne peut pas aboutir
directement à l
adoption dune loi. Si le Conseil la considère comme recevable,
il s
engage seulement à se prononcer par un avis, dans le délai dun an, sur les
questions qu
elle soulève.
Ces diverses dispositions sont issues du rapport établi par le comité Balladur
en 2007. Celui-ci avait souhaité garantir « Des droits nouveaux pour les
citoyens » et considéré que «
le premier de ces droits est, pour les citoyens,
celui d
être représentés dans la diversité de leurs opinions, consultés à raison
de leur situation et de leurs intérêts, entendus dans l
expression de leurs aspi-
rations. Aussi le Comité a-t-il porté ses réflexions sur les modes de scrutin, sur
la réforme du Conseil économique et social et sur le droit d
initiative popu-
laire
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Section 4
Les rapports entre les pouvoirs
656. Les rapports entre pouvoirs résultent dune part de lexercice de leurs com-
pétences respectives (par exemple celle de déposer des projets de loi, de négocier
des traités pour le gouvernement ou de voter la loi pour le Parlement), mais d
autre
part des compétences spécifiques dont ils disposent les uns à l
égard des autres. Les
compétences respectives sont examinées sous d
autres rubriques. Cette section
porte seulement sur les secondes, c
est-à-dire sur les compétences mutuelles.
Selon une ancienne tradition des constitutionnalistes (v. supra no 97), on
estime que le régime parlementaire organise les rapports entre pouvoirs publics
de manière à produire un équilibre entre le Parlement et le gouvernement. Cet
équilibre résulterait de la symétrie entre des moyens d
action dont ils seraient
dotés l
un vis-à-vis de lautre. Ainsi, le Parlement disposerait de moyens pour
contrôler et le cas échéant sanctionner le gouvernement, tandis que celui-ci dis-
poserait du droit de dissoudre au moins l
une des chambres du Parlement.
La réalité est beaucoup plus complexe : dune part, la présence du Président
de la République fait qu
il sagit dun jeu à trois et non plus à deux ; dautre part,
les éléments en présence ne sont pas deux autorités considérées en bloc, mais un
pouvoir exécutif relativement homogène (en dehors des périodes de cohabitation)
et de l
autre un Parlement composé de deux assemblées, chacune delles étant en
général dominée par une majorité, qui loin de chercher à faire contrepoids au
gouvernement, s
efforce de le soutenir ; plusieurs des compétences qui sont géné-
ralement classées comme moyen d
action aux mains du Parlement, comme la
responsabilité gouvernementale, peuvent dans certaines circonstances être instru-
mentalisées par le gouvernement, notamment pour maintenir la discipline au sein
de la majorité ou obtenir le vote dune loi ; enfin la notion de contrôle recouvre
plusieurs types de moyens entre les mains du Parlement.
Cest pourquoi on exposera successivement trois types de contrôle, puis les
moyens dont dispose seul le pouvoir exécutif, c
est-à-dire le droit de disso-
lution.
Sous-section 1. Le contrôle informatif
Sous-section 2. La responsabilité ministérielle
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Les organes
613
Sous-section 3. Le contrôle parlementaire en période de crise
Sous-section 4. Le droit de dissolution
Sous-section 1
Le contrôle informatif
657. On peut entendre par « contrôle informatif » lensemble des procé-
dures de contrôle qui n
entraînent par elles-mêmes aucune sanction à
l
égard du gouvernement ou dun ministre. Il peut sexercer actuellement
selon trois procédures principales : les questions, les commissions d
en-
quête et de contrôle, les résolutions. L
évaluation des politiques publiques
ne désigne pas une procédure particulière mais plutôt une finalité com-
mune à tout un ensemble d
activités parlementaires.
§ 1. Les questions
658. Une question peut se définir comme une demande dinformation adres-
sée par un parlementaire soit au Premier ministre, soit à un autre membre du
gouvernement. Il faut distinguer deux procédures : celle des questions écrites
et celle des questions orales.
A Les questions écrites
659. La faculté de poser des questions écrites est illimitée : tout parlemen-
taire peut poser autant de questions écrites quil le souhaite. Ces questions sont
publiées dans une édition spéciale du
Journal officiel et le gouvernement doit en
principe répondre à chaque question dans le délai d
un mois, également par la
voie du
Journal officiel. Mais il est prévu que, avant lexpiration de ce délai, le
ministre interrogé peut demander un délai supplémentaire pour préparer la
réponse, ou qu
il peut éventuellement indiquer que lintérêt public lui interdit
de répondre (s
il sagit par exemple dune question intéressant
la défense
nationale).
Comme cette procédure est à lentière discrétion des parlementaires, en pra-
tique ceux-ci l
utilisent surtout pour répondre aux demandes dinformation des
électeurs. Il n
y a donc pas lieu de sétonner que les questions écrites soient très
nombreuses : on en recense environ 24 000 chaque année à lAssemblée natio-
nale, et 4 000 au Sénat. Elles ne doivent contenir aucune indication nominative
mais il est toujours possible de les formuler d
une manière tellement pointue
qu
elles correspondent exactement à la situation dune personne déterminée.
C
est pourquoi lon dit parfois que les questions écrites constituent un moyen
dobtenir de ladministration des consultations juridiques gratuites.
En raison même du succès de cette procédure, les services chargés de pré-
parer les réponses sont souvent débordés, de sorte que le délai d
un mois nest
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Droit constitutionnel
pas systématiquement respecté. Si la réponse tarde à venir, lauteur de la ques-
tion peut faire publier un rappel au
Journal officiel, il peut également demander
que sa question écrite soit transformée en question orale. Mais cette dernière
solution ne peut être envisagée qu
à titre exceptionnel. En règle générale, les
questions écrites ne présentent guère d
intérêt politique. Mais elles constituent
une précieuse source dinformations pour les juristes spécialisés dans certaines
matières, notamment en droit fiscal, dans la mesure où elles obligent ladminis-
tration à préciser sa doctrine sur tel ou tel point particulier
68.
Il arrive cependant quun parlementaire multiplie les questions écrites autour
d
un même sujet, non pour renseigner ses électeurs mais pour harceler le gou-
vernement qui hésite à divulguer des informations politiquement délicates. Par
exemple, c
est par ce moyen que le député socialiste René Dosière est parvenu à
obtenir quelques éclaircissements sur le budget de la présidence de la Répu-
blique qui, jusqu
en 2007, était totalement opaque et ne faisait lobjet daucun
contrôle (v.
supra no 578).
B Les questions orales
660. De même que la question écrite, la question orale est une demande
d
information adressée par un parlementaire à un membre du gouvernement,
mais, au lieu d
être simplement publiée au Journal officiel, la réponse doit être
donnée par le représentant du gouvernement à la tribune de l
assemblée au
cours d
une séance publique, ce qui lui donne évidemment un plus grand reten-
tissement. Le droit de poser des questions orales constitue également une pré-
rogative individuelle des parlementaires, mais, comme le temps disponible pour
le traitement de ces questions est limité, un filtrage s
avère indispensable : ce
filtrage est opéré par les instances de l
assemblée, et plus spécialement pas la
conférence des présidents.
Par dérogation à la priorité gouvernementale de lordre du jour, les Consti-
tuants de 1958 avaient prévu qu
une séance par semaine serait réservée par
priorité «
aux questions des membres du Parlement et aux réponses du gouver-
nement ». Mais depuis les années 1970, en vertu dun accord amiable entre le
gouvernement et les bureaux des assemblées parlementaires, ces séances de
questions étaient devenues plus fréquentes. Aussi le nouvel article 48 alinéa 2,
résultant de la loi constitutionnelle du 4 août 1995, précise-t-il qu
une séance
par semaine « au moins » est réservée aux questions, ce qui signifie qu
il peut
y en avoir davantage. La révision de juillet 2008 a précisé que cette règle s
ap-
plique également aux sessions extraordinaires du Parlement. Le Conseil consti-
tutionnel considère qu
elle constitue une garantie importante pour lopposition
car elle lui donne lassurance de pouvoir interpeller le gouvernement durant la
semaine au cours de laquelle une loi doit être adoptée. Aussi a-t-il jugé que
serait contraire à la Constitution une loi adoptée au cours d
une semaine où
aucune séance de questions n
aurait figuré à lordre du jour (déc. nº 2012-654
DC du 9 août 2012, cons. 3). Quelle que soit sa hâte à réaliser son programme
Si cette doctrine porte sur linterprétation de la loi, les justiciables peuvent parfois linvoquer,
68.
mais elle ne lie évidemment pas les tribunaux qui, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs,
n
ont pas dinstructions à recevoir de ladministration.
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615
législatif, le gouvernement est donc obligé de respecter scrupuleusement les ter-
mes de l
article 48 C alinéa 2.
Aujourdhui il y a en moyenne au moins quatre séances de questions par
semaine, tant au Sénat qu
à lAssemblée nationale. Les modalités de la procé-
dure sont fixées par le règlement de chaque assemblée.
Les séances les plus vivantes sont celles organisées selon la procédure dite des
« questions au gouvernement »
69, qui se déroulent en présence du Premier minis-
tre entouré des principaux membres de son gouvernement. Les ministres concer-
nés par l
ordre du jour sont prévenus une heure avant le début de la séance quils
vont être interrogés mais la question qui leur sera posée ne leur est pas commu-
niquée à l
avance, officiellement tout au moins. Il en résulte, dune part, que les
sujets les plus actuels peuvent être abordés et, d
autre part, que les échanges sont
relativement spontanés. L
auteur de la question et le ministre qui lui répond ne
disposent que d
un temps de parole très bref (deux ou trois minutes chacun) et
personne d
autre ne peut intervenir. Cet encadrement très strict permet à lassem-
blée de traiter en une heure une dizaine de questions.
Le temps disponible pour les questions orales est réparti entre les groupes
politiques par la conférence des présidents de façon plus ou moins proportion-
nelle à leurs effectifs, mais en veillant à ce qu
il y ait égalité entre la majorité et
l
opposition. Dans les limites du temps qui lui est imparti, chaque groupe sélec-
tionne lui-même les questions de ses membres. L
assiduité des parlementaires à
ces séances est relativement élevée. Le fait qu
elles sont retransmises en direct à
la télévision n
y est évidemment pas étranger.
On distingue traditionnellement les questions orales sans débat et les ques-
tions orales avec débat. En ce qui concerne les premières, seul l
auteur de la
question et le ministre qui lui répond peuvent prendre la parole. En ce qui
concerne les secondes, l
auteur de la question dispose dun temps de parole
relativement long et d
autres orateurs peuvent intervenir après la réponse du
ministre. Mais la procédure des questions orales avec débats est plus ou moins
tombée en désuétude. Le règlement de l
Assemblée nationale ne la prévoit plus.
Mais elle figure encore dans celui du Sénat, qui y a recours une quinzaine de
fois au cours d
une année parlementaire.
Quelles soient écrites ou orales, les questions ne permettent dobtenir que
des informations ponctuelles et généralement superficielles. Si les parlementai-
res veulent s
informer dune manière plus approfondie, ils doivent recourir à
une autre procédure : celle des commissions d
enquête.
§ 2. Les commissions denquête et les missions dinformation
661. Avant ladoption de la loi de modernisation des institutions du 23 juillet
2008, les commissions d
enquête nétaient pas prévues par la Constitution elle-
69. À lAssemblée nationale, depuis linstauration de la session unique, une heure est consacrée
aux « questions au gouvernement » au début des séances des mardis et mercredis après-midi. Au
cours de la session ordinaire 2005-2006, l
Assemblée nationale a consacré 55 séances aux questions
au gouvernement : au total 674 questions ont été traitées.
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Droit constitutionnel
même mais par une simple disposition de la loi organique relative au fonction-
nement des assemblées parlementaires. Une commission d
enquête pouvait être
créée par l
Assemblée nationale ou le Sénat « en vue de recueillir des éléments
d
information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services
publics ou des entreprises nationales
» (LO du 17 novembre 1958).
À la différence des commissions permanentes, les commissions denquête
ninterviennent pas dans le processus législatif (v. supra no 645). Elles nont
qu
un rôle dinformation au sens large du terme, cest-à-dire quelles permettent
d
approfondir une question en faisant apparaître des voies de réforme. Elles
sont automatiquement dissoutes dès qu
elles ont fini de remplir leur mission.
Mais elles disposent de pouvoirs importants (possibilité d
enquêter sur pièces
et sur place, citation de témoins qui sont tenus de comparaître, de prêter serment
et de répondre aux questions) et peuvent présenter des recommandations qui
seront éventuellement reprises dans des projets ou des propositions de loi.
Durant les cinquante premières années de la Ve République (1958-2008),
une soixantaine de commissions d
enquête ont été créées par lAssemblée natio-
nale, et quarante-cinq par le Sénat. Leur création répondait généralement soit à
l
émotion suscitée par le dysfonctionnement spectaculaire dun service public,
comme l
affaire dOutreau, soit à un sentiment dinquiétude diffuse (par exem-
ple les risques que comporte l
influence des mouvements à caractère sectaire
pour la santé physique et mentale des jeunes). Mais bien que certaines de ces
enquêtes aient abouti à la publication de rapports intéressants et bien documen-
tés, l
efficacité de la procédure en tant quinstrument du contrôle parlementaire
était souvent contestée, les critiques portant à la fois sur les conditions de leur
création, sur leur fonctionnement, et sur les suites données à leur travail.
En premier lieu, les conditions de création sont assez restrictives : dune
part, si les faits visés ont également donné lieu à des poursuites judiciaires, il
faut en principe attendre pour créer une commission d
enquête que ces poursui-
tes soient définitivement closes et si une commission a déjà été créée, sa mis-
sion prend fin dès louverture dune information judiciaire relative aux faits sur
lesquels elle est chargée d
enquêter ; dautre part, au moins jusquà la réforme
de 2008, la résolution décidant de cette création ne pouvait être adoptée que par
un vote majoritaire au sein de l
assemblée concernée, et rien nempêchait donc
le gouvernement de jouer de son influence sur la majorité pour éviter que l
on
abordât des sujets susceptibles de le gêner.
En second lieu, les commissions denquête ne disposent pas toujours du
temps nécessaire pour remplir leur mission car la durée de leurs travaux est
limitée à six mois et aucune autre commission ne peut être créée avec le
même objet avant l
expiration dun délai dun an70. En outre, au moins jusquà
la réforme de 2008, il leur était souvent reproché de faire preuve de trop de
complaisance envers le pouvoir, car lopposition, toujours minoritaire en leur
sein, n
avait que peu dinfluence sur la conduite des travaux et sur la rédaction
du rapport final.
70. Voir larticle 6 de lordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées
parlementaires.
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Enfin, le plus souvent, les conclusions des rapports ne faisaient même pas
l
objet dun débat en assemblée et il était rare que les recommandations des
commissions fussent reprises dans des travaux législatifs.
La révision de juillet 2008 a tenté de donner un nouveau souffle aux com-
missions denquête.
Pour la première fois en France, leur existence est inscrite dans la Constitu-
tion elle-même (art. 51-2 C nouveau) de façon à souligner l
importance qui leur
est reconnue en tant qu
instrument du contrôle parlementaire. Et il existe mani-
festement un lien entre l
article 51-2 et larticle 51-1, qui dispose que le règle-
ment de chaque assemblée « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d
op-
position de l
assemblée intéressée ainsi quaux groupes minoritaires ». Or, aux
termes de l
article 51-2 les conditions de création des commissions denquête
sont fixées par le règlement de chaque assemblée. S
inspirant des recommanda-
tions du rapport Balladur, les nouveaux règlements de l
Assemblée nationale et
du Sénat ont créé deux droits « spécifiques » au sens de l
article 51-1 :
1o) Chaque groupe dopposition ou minoritaire peut obtenir au moins une
fois dans le cours d
une année parlementaire, qui va du 1er octobre au 30 septem-
bre, la création d
une commission denquête sur un sujet choisi par lui ;
2o) Au sein de chaque commission denquête, la fonction de président ou
celle de rapporteur doit être confiée à un membre d
un groupe dopposition ou
minoritaire.
La création dune commission denquête sur un sujet délicat pour lexécutif
est donc plus fréquente qu
elle ne létait avant la réforme. Celles qui sont créées
à l
initiative dun groupe politique dopposition portent généralement sur des
questions que la majorité n
aurait sans doute pas abordées de son propre chef,
ou qu
elle aurait traitées sous un angle différent71. Mais encore faut-il que cette
proposition ne soit pas soit pas jugée irrecevable par la majorité de l
assemblée
concernée ou par son président
72.
À en juger par lexpérience de ses premières années dapplication,
la
réforme de juillet 2008 n
a cependant pas entraîné une augmentation sensible
du nombre des commissions d
enquête, ce qui sexplique peut-être par le fait
que les dispositions organiques relatives à leur durée maximum et à l
obligation
d
attendre la fin des poursuites judiciaires sont demeurées en vigueur. Il semble
que, pour leurs investigations, les parlementaires préfèrent souvent recourir à
des procédures un peu moins spectaculaires mais plus souples.
En premier lieu, pour approfondir une question, une ou plusieurs commis-
sions permanentes peuvent confier à un certain nombre de leurs membres une
« mission d
information ». Une « mission dinformation » peut également être
créée à l
initiative de la conférence des présidents de lassemblée.
71. Très caractéristique à cet égard est la commission denquête sur le rôle des firmes pharmaceuti-
ques dans la gestion par le gouvernement de la grippe A (H1N1), qui a été créée par le Sénat sur la
demande du groupe communiste, républicain et citoyen (document n
o 685, session extraordinaire de
2009-2010).
72. En novembre 2009, une proposition de résolution émanant des groupes de l
opposition et tendant
à la création d
une commission denquête sur les études commandées et financées par la présidence de
la République a été déclarée irrecevable par le président de lAssemblée nationale au motif quelle
conduisait à la mise en cause de la responsabilité du chef de l
État, ce qui nest pas possible dans un
tel cadre.
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Droit constitutionnel
La « mission dinformation » fonctionne à peu près de la même manière
qu
une commission denquête mais de façon un peu moins formaliste. Cest
ainsi que les personnes entendues par une « mission d
information » ne sont
pas tenues de prêter serment, à la différence de celles qui sont convoquées par
une commission d
enquête. Du fait quelle est moins solennelle et moins inti-
midante, la procédure de la mission dinformation permet de creuser une ques-
tion sans trop dramatiser les choses, et c
est pourquoi les assemblées parlemen-
taires préfèrent parfois y recourir, plutôt que de créer une commission
d
enquête, lorsquil sagit dun sujet qui paraît propre à enflammer les passions,
comme le port de la Burqua
73.
En second lieu, les assemblées parlementaires peuvent désormais demander
chaque année à la Cour des comptes de réaliser un certain nombre d
enquêtes
sur des sujets choisis par elles, ce qui leur permet de réaliser une économie de
temps tout en bénéficiant d
une garantie dexpertise (v. infra no 669).
§ 3. Les propositions de résolution
662. Une résolution est un texte adopté par une assemblée parlementaire en
dehors de la procédure législative. Il ne peut donc exprimer que le point de vue
de cette assemblée. On distingue deux grandes sortes de résolutions parlemen-
taires.
Certaines ont trait à lorganisation ou au fonctionnement de lassemblée
intéressée : par exemple, lorsqu
une assemblée adopte ou modifie son règlement
intérieur, ou lorsqu
elle crée une commission denquête, cette décision prend la
forme d
une résolution. De telles résolutions ne soulèvent pas de problèmes
particuliers car elles ont un objet technique.
Mais une assemblée parlementaire peut également être tentée dadopter des
résolutions comportant une finalité politique, par exemple pour influencer la
conduite du gouvernement. Dans un régime de parlementarisme rationalisé,
comme celui qui a été mis en place en 1958, de telles résolutions suscitent
une certaine méfiance.
Cest pourquoi elles avaient été interdites en 1959 par une décision du
Conseil constitutionnel (A). Les articles 88-4 et 88-6 C dérogent à cette inter-
diction mais leur portée se limite aux affaires européennes (B). La loi de moder-
nisation des institutions de juillet 2008 a rétabli la possibilité de voter des réso-
lutions en tous domaines mais en les soumettant à un encadrement strict (C).
A Linterdiction des propositions de résolution en 1959
663. Sous les IIIe et IVe Républiques, à lissue dun débat sur une question
orale, une assemblée parlementaire pouvait toujours adopter une résolution
73. En juillet 2009, à la suite de la déclaration du président Sarkozy devant le congrès du Parlement,
la conférence des présidents de lAssemblée nationale à décidé de créer une mission dinformation sur
le port de la burqua.
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Les organes
619
exprimant sa position, sa réaction aux explications fournies par le gouverne-
ment, ou son v
œu quant aux mesures à prendre.
La Constitution de 1958 est muette sur ce point.
Quand en 1959 le Sénat et l
Assemblée nationale ont élaboré chacun leur
règlement intérieur, partant du principe que tout ce qui n
est pas défendu est
permis, ils ont prévu la possibilité dadopter de telles propositions de résolution.
Mais, d
après larticle 61 alinéa 1 de la Constitution, avant leur mise en appli-
cation, les règlements des assemblées doivent être soumis au Conseil constitu-
tionnel qui contrôle leur conformité à la Constitution.
À cette époque, le Conseil constitutionnel exerçait un contrôle très strict sur
les règlements des assemblées parce qu
il pensait que celles-ci auraient du mal à
se plier à la discipline imposée par les nouvelles institutions, et qu
elles tente-
raient donc d
y échapper par des biais. Aussi exigeait-il que les règlements des
assemblées soient strictement conformes à la Constitution, et non pas seulement
compatibles avec elle. En d
autres termes, tout ce que la Constitution navait
pas expressément permis aux assemblées parlementaires était présumé leur
être défendu.
En vertu de ce principe, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions
relatives aux propositions de résolution en déclarant que de telles propositions
pourraient permettre d
orienter ou de contrôler laction gouvernementale sans sui-
vre les procédures prévues par la Constitution. Celle-ci a réglementé, dans ses
articles 49 et 50, la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale, et le
Conseil constitutionnel interdit donc aux assemblées parlementaires de chercher
à faire pression sur le gouvernement, ou à le renverser, par d
autres voies (déc.
nº 59-2 DC,
Rec. 58).
Trente-trois ans après cette décision historique du Conseil constitutionnel,
les propositions de résolution ont fait leur réapparition mais, comme nous allons
le voir, elles étaient cantonnées dans un domaine bien particulier.
B La résurgence des propositions de résolution depuis 1992
dans le domaine des affaires européennes
664. Les actes communautaires dérivés (v. infra no 696) jouent un rôle de
plus en plus important dans notre système juridique, aussi bien dans les matiè-
res législatives que dans les matières réglementaires. Comme le constatait déjà
il y a une vingtaine années le Conseil d
État, la moitié environ des règles nou-
velles introduites chaque année dans le corpus juridique français sont d
origine
Communautaire (Conseil d
État, 1992).
Comme ces actes ne sont pas soumis à ratification, ils ont, dès leur publica-
tion au Journal officiel des Communautés, devenu le Journal officiel de lUnion
européenne
, une autorité supérieure à celle des lois internes françaises. À ce
stade, le Parlement français n
a plus aucun pouvoir de sy opposer. Pour pallier
cette perte importante de pouvoir législatif, l
article 88-4, introduit dans la
Constitution par la loi de révision du 25 juin 1992 et dont le domaine a été
étendu par la suite, permet aux assemblées parlementaires dintervenir en
amont, c
est-à-dire avant ladoption des actes communautaires. Certaines pro-
positions d
actes communautaires doivent en effet être communiquées aux
Page 620
620
Droit constitutionnel
assemblées qui, après les avoir examinées, peuvent adopter à leur sujet des réso-
lutions.
Dans la plupart des cas, ces résolutions sadressent au gouvernement fran-
çais, comme le prévoit l
article 88-4, lobjectif poursuivi étant dobtenir quil
défende telle ou telle position au cours des négociations avec ses partenaires
de lUnion.
Mais depuis lentrée en vigueur du traité de Lisbonne (1er décembre 2009),
les assemblées parlementaires peuvent également, dans certains cas, s
adresser
directement aux autorités européennes pour prévenir ou corriger une atteinte au
principe de subsidiarité (art. 88-6).
1. La communication des projets et propositions dactes communautaires
665. Aux termes de larticle 88-4 C : « Le gouvernement soumet à lAssem-
blée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l
Union euro-
péenne,
les projets dactes législatifs européens et les autres projets ou propo-
sitions d
actes de lUnion européenne ». Lorsque larticle 88-4 a été introduit
dans la Constitution, en 1992, seules les propositions comportant des disposi-
tions de nature législative (au sens de la Constitution française) devaient être
communiquées aux assemblées. Mais le texte actuellement en vigueur, qui est
issu de la révision de juillet 2008, vise en fait tous les projets ou propositions
d
actes de lUnion. Il en résulte un afflux considérable : plusieurs dizaines de
projets ou de propositions sont soumises chaque mois aux assemblées. Ils peu-
vent porter sur des questions d
importance très inégale, comme le budget de
l
Union européenne, la réglementation de la pêche dans une zone maritime,
les négociations commerciales avec une puissance extérieure, ou encore l
enre-
gistrement d
une appellation dorigine protégée pour tel ou tel produit alimen-
taire.
Ce nest pas seulement sur les projets ou propositions qui leur ont été com-
muniquées par le gouvernement mais sur « tout document émanant de l
Union
européenne » que les assemblées parlementaires peuvent adopter des résolu-
tions.
Bien entendu, cette procédure nest pas suspensive. Tout au plus, le gouver-
nement peut-il prendre l
engagement moral de tenter de retarder ladoption par
les autorités de l
Union européenne des mesures contestées jusquà ce que las-
semblée parlementaire française intéressée ait pu voter une résolution.
2. Les résolutions adoptées dans le cadre de larticle 88-4
666. Les modalités dadoption de ces résolutions sont fixées par le règle-
ment de chaque assemblée. Mais la procédure est identique dans ses grandes
lignes. Elle comporte trois étapes.
Dans la première, le projet ou la proposition dacte communautaire est examiné
par la commission des affaires européennes qui procède à l
instruction du dossier et
peut adopter un projet de résolution. Celui-ci est alors transmis à la commission
permanente compétente sur le fond, c
est-à-dire celle dont la spécialité correspond
à l
objet de lacte communautaire projeté.
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Les organes
621
Souvre alors la seconde étape : le projet de résolution est considéré comme
adopté par la commission compétente sur le fond soit de manière implicite (si
elle n
a pas déposé son rapport avant lexpiration dun délai dun mois), soit de
manière explicite (si elle a déposé un rapport favorable).
Dans la dernière étape, le projet de résolution est considéré comme implici-
tement adopté par lassemblée concernée si ni le gouvernement, ni le président
d
une commission permanente, ni celui dun groupe politique na demandé son
inscription à l
ordre du jour dans le délai dun mois. Dans le cas contraire, son
adoption ne peut résulter que d
un vote explicite de lassemblée plénière.
En dépit de la souplesse de la procédure, qui a été aménagée de manière à
éviter une surcharge de l
ordre du jour des assemblées, les résolutions adoptées
en application de l
article 88-4 sont peu nombreuses par rapport au nombre des
projets ou propositions d
actes communautaires transmis par le gouvernement
(pas plus d
une dizaine par an en moyenne pour chaque assemblée).
Les résolutions prévues par larticle 88-4 relèvent de la compétence de
chaque assemblée parlementaire, et non de celle du Parlement. Elles sont donc
adoptées indépendamment par l
Assemblée nationale ou le Sénat, qui peuvent
fort bien prendre des positions différentes à propos d
une même proposition
d
acte communautaire.
En droit, ces résolutions nont évidemment quune valeur consultative : les
recommandations qu
elles contiennent ne simposent ni au gouvernement fran-
çais ni bien entendu aux organes des Communautés européennes. La perte de
pouvoir législatif qu
entraîne lextension des compétences communautaires
n
est donc pas entièrement compensée par larticle 88-4. Il nen est pas moins
vrai que les résolutions adoptées dans le cadre de cet article ont un poids poli-
tique non négligeable, et qu
elles peuvent parfois influer sur le résultat de cer-
taines négociations communautaires. C
est ainsi que lAssemblée nationale a
adopté le 15 juin 2013 une résolution sur le mandat de négociation de l
accord
de libre échange entre les États-unis et lUnion européenne.
Dans les débats auxquels donnent lieu ces résolutions, des questions de poli-
tique interne se mêlent parfois aux questions européennes. C
est ainsi quà lAs-
semblée nationale, le 22 avril 1998, les membres de l
opposition refusèrent de
s
associer à un vote en faveur du passage à leuro, craignant quune telle réso-
lution puisse être interprétée comme un vote de confiance envers le gouver-
nement.
3. Les résolutions adoptées dans le cadre de larticle 88-6
667. Le principe de subsidiarité, qui est inscrit dans les traités européens,
protège en principe les compétences des parlements nationaux, puisqu
il interdit
à lUnion et aux Communautés de soccuper des affaires qui pourraient être
mieux résolues au niveau des États
74. Mais lon sait que lapplication de ce prin-
cipe peut donner lieu à controverses et c
est pourquoi tout traité qui confère à
l
Union de nouvelles attributions, ou qui facilite lexercice de celles qui lui ont
été antérieurement dévolues, suscite des inquiétudes. Afin de rassurer les parle-
ments nationaux, le traité de Lisbonne leur a offert la possibilité de veiller au
74. Cf. chapitre 3, infra no 698.
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Droit constitutionnel
respect du principe de subsidiarité dune part en déclenchant un dispositif
d
alerte (si lacte susceptible de porter atteinte à ce principe est encore à létat
de projet) et, d
autre part, en saisissant la Cour de justice (si cet acte est défini-
tivement adopté).
Le dispositif dalerte est prévu par lalinéa premier de larticle 88-6 qui pré-
cise que lAssemblée nationale ou le Sénat peuvent émettre un avis motivé sur
la conformité d
un acte législatif européen au principe de subsidiarité. Mais à la
différence des résolutions de l
article 88-4, cet avis est adressé directement a des
autorité
supra-nationales : présidents du Parlement européen, du Conseil et de la
seulement
Commission européenne. Le gouvernement
« informé ».
français en est
Ces avis ne peuvent pas être adoptés de manière implicite comme les réso-
lutions de l
article 88-4. Ils doivent être inscrits à lordre du jour de lassemblée
plénière.
Le deuxième alinéa du même article 86 dispose que chaque assemblée peut
former un recours devant la Cour de justice de l
Union européenne contre un
acte législatif européen pour violation du principe de subsidiarité. Dans ce cas,
la résolution adoptée par l
assemblée est dabord adressée au gouvernement
français, qui la transmet à la Cour de justice et qui ne dispose à cet égard,
semble-t-il, que d
une compétence liée. Paradoxalement, le recours en justice
paraît plus facile à déclencher que le dispositif d
alerte, qui nécessite un vote
majoritaire de l
assemblée. En effet, larticle 66 C in fine précise que « le
recours est de droit à la demande de soixante députés ou soixante sénateurs
».
De même que le Conseil constitutionnel en droit interne, la Cour de justice de
l
Union peut donc être saisie à linitiative dune minorité politique. Il aurait en
effet été difficilement compréhensible que la minorité soit moins bien protégée
contre les atteintes provenant de l
Union européenne que contre celles prove-
nant de la majorité du Parlement national.
C Le rétablissement des résolutions en 2008 et leur encadrement
constitutionnel
668. En dehors des exceptions signalées ci-dessus, les propositions de
résolution étaient interdites jusqu
en 2008. On craignait en effet quelles per-
mettent au Parlement d
empiéter sur le pouvoir exécutif. Pourtant cette inter-
diction empêchait le Parlement d
exercer la fonction de contrôle qui est la
sienne, sauf à voter une motion de censure dont l
adoption entraînerait auto-
matiquement la chute de celui-ci. Mais une solution aussi extrême était évi-
demment disproportionnée dans la très grande majorité des cas, et seule dail-
leurs l
Assemblée nationale aurait eu la possibilité dy recourir. De plus cette
interdiction paraissait archaïque car, en 2008, l
autorité du Président de la
République, le parlementarisme majoritaire, et la discipline de vote des prin-
cipaux groupes parlementaires suffisaient à dissiper les menaces pesant sur la
stabilité du gouvernement. Cest pourquoi le comité Balladur a estimé quil
était possible et même souhaitable de rendre aux assemblées parlementaires
la possibilité d
adopter des résolutions « dans les conditions fixées par leur
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Les organes
623
règlement » (proposition no 48) et le gouvernement avait retenu cette recom-
mandation dans son projet de loi de modernisation des institutions.
Mais curieusement, sur ce point, la majorité siégeant à lAssemblée natio-
nale s
est montrée « plus royaliste que le roi », cest-à-dire plus inquiète pour
la stabilité gouvernementale que le gouvernement lui-même. Elle n
a accepté
le retour des résolutions quà la condition quelles fussent soumises à un enca-
drement qui empêcherait toute dérive ou, en dautres termes, toute tentative de
mettre en jeu la responsabilité du gouvernement par des voies détournées.
Daprès larticle 34-1 C, « les assemblées parlementaires peuvent voter des
résolutions dans les conditions fixées par la loi organique
», mais « sont irrece-
vables et ne peuvent être inscrites à l
ordre du jour les propositions dont le gou-
vernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en
cause sa responsabilité ou qu
elles contiennent des injonctions à son égard ». Il
convient de noter que l
opinion du gouvernement sur ce point simpose delle-
même et qu
aucun recours nest possible contre sa décision. Cest un peu
comme si les contrôleurs du fisc ne pouvaient dénoncer que les irrégularités
dont l
existence est admise par le contribuable lui-même et dont il ne refuse pas
la divulgation. C
est évidemment de tout confort pour celui qui fait lobjet du
contrôle mais ce n
est peut-être pas la méthode la plus efficace pour pointer les
erreurs commises par le gouvernement ou l
administration !
En pratique, de nombreuses propositions de résolution sont déposées par des
députés ou des sénateurs mais il est rare qu
elles soient retenues pour être inscri-
tes à l
ordre du jour de lassemblée concernée. Celles qui parviennent à ce stade
sont parfois adoptées à la quasi-unanimité mais c
est généralement parce quel-
les ont été formulées en termes suffisamment vagues pour ne pas gêner le gou-
vernement et pour ne blesser aucune sensibilité politique.
Par ailleurs, daprès larticle 50-1 nouveau : « Devant lune ou lautre des
assemblées, le gouvernement peut, de sa propre initiative ou à la demande
dun groupe parlementaire (...) faire, sur un sujet déterminé, une déclaration
qui donne lieu à débat et peut, sil le décide, faire lobjet dun vote sans enga-
ger sa responsabilité ». Cette disposition appelle les mêmes observations que
l
article 34-1 C. Elle réintroduit la possibilité pour les assemblées de voter des
résolutions mais selon des modalités qui ne risquent guère d
embarrasser le
gouvernement puisque le vote ne peut avoir lieu que si lui-même le décide.
§ 4. La notion dévaluation des politiques publiques
669. Cette notion est à la mode depuis quelque temps car les méthodes de
gestion des entreprises privées sont devenues une source dinspiration pour la
gestion des services publics de l
État, comme on a pu le voir dès ladoption de
la loi organique relative aux lois de finances en 2000 (LOLF) (v.
infra nº 739).
Elle est aussi liée à une évolution dans la conception que l
on se fait sous la
V
e République du rôle du Parlement, qui serait aujourdhui non pas seulement
de légiférer ou de débattre des grandes orientations de la politique de la nation,
mais de contrôler les choix faits par le président et le gouvernement. Il s
agit
d
une philosophie non avouée du Parlement, différente de ce quelle pouvait
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624
Droit constitutionnel
être dans le passé et même très différente de celle quon trouve en Angleterre ou
aux États-Unis.
Lévaluation des politiques publiques consiste à rechercher, à laide dindi-
cateurs de performance, si les moyens juridiques, administratifs et surtout finan-
ciers mis en
œuvre ont produit les effets attendus de cette politique, et ont per-
mis datteindre les objectifs qui lui étaient assignés. Ainsi définie, lévaluation
des politiques publiques nest pas une forme de contrôle parlementaire parmi
d
autres, mais plutôt une démarche préliminaire qui est, ou devrait être, com-
mune à la plupart des formes de ce contrôle : comment en effet pourrait-on
juger une politique sans connaître avec un minimum de précision les résultats
auxquels elle a abouti ?
Mais le Parlement peut soit utiliser des évaluations réalisées par des organis-
mes extérieurs spécialisés, comme la Cour des comptes, soit se fonder sur celles
réalisées par ses propres services à la demande d
une commission, dun office ou
d
une délégation. Dans sa rédaction issue de la loi du 23 juillet 2008, larti-
cle 24 C l
encourage à choisir le plus possible cette seconde méthode, cest-à-
dire à devenir lui-même un acteur de l
évaluation des politiques publiques. Ce
choix n
était pas a priori évident. Notre système de gouvernement étant fondé
sur l
alternance, pour lobservateur extérieur le Parlement ressemble un peu à
une scène de théâtre sur laquelle se font face deux grandes coalitions dont
l
une, la majorité au pouvoir, est par principe favorable aux politiques mises en
œuvre par le gouvernement, tandis que lautre, lopposition du moment, critique
systématiquement ces mêmes politiques. Cet affrontement a quelque chose de
manichéen et de simplificateur qui s
accorde mal avec lattitude plus neutre et
l
effort dobjectivité que lon associe généralement à lidée dévaluation. Mais
les parlementaires sont conscients de ce problème et force est de constater que,
de plus en plus, ils tentent de surmonter leurs divisions en confiant des tâches
d
évaluation à des équipes associant des membres de la majorité et de lopposi-
tion : office parlementaire dévaluation de la législation ; office parlementaire
dévaluation des choix scientifiques et technologiques ; office parlementaire
d
évaluation des politiques de santé ; mission dinformation sur la mesure des
grandes données économiques et sociales, etc. Souvent adoptés à l
unanimité,
les rapports établis par ces organismes constituent une précieuse source de docu-
mentation dans laquelle chacun peut puiser en cliquant sur l
internet. Mais ils
retiennent rarement l
attention des médias parce quils nont pas laspect specta-
culaire qui caractérise les grands débats législatifs.
Contrairement à ce que pourrait laisser supposer larticle 24 C, le Parlement
n
est évidemment pas le seul ni même le principal acteur de lévaluation des
politiques publiques. Y contribuent aussi notamment la Cour des comptes,
l
Inspection des finances, le Commissariat général du plan, le Conseil national
de lévaluation, la Délégation interministérielle à la réforme de lÉtat, sans
oublier le Conseil économique, social et environnemental. Certains de ces orga-
nismes peuvent sans doute mobiliser des compétences techniques qui font
défaut au Parlement. Mais, de même que, selon la formule de Clemenceau, la
guerre est une chose trop sérieuse pour être laissée aux généraux, de même
lévaluation des politiques publiques est une affaire trop importante pour
qu
on la considère comme la chasse gardée des économistes, des statisticiens
et des groupements professionnels. Et c
est précisément parce que les
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Les organes
625
parlementaires sont avant tout des politiques quil est souhaitable quils super-
visent l
évaluation. Sils nont pas toujours les moyens de réaliser eux-mêmes
les études nécessaires, au moins peuvent-ils en prendre l
initiative. À cet égard,
il est intéressant de noter que l
article 47-2 nouveau a redéfini la mission de la
Cour des comptes en mettant l
accent sur son obligation de travailler en liaison
avec les acteurs politiques que sont le Parlement et le gouvernement : Elle
«
assiste le Parlement dans le contrôle de laction du gouvernement. Elle
assiste le Parlement et le gouvernement dans le contrôle de l
exécution des
lois de finances et de l
application des lois de financement de la sécurité sociale
ainsi que dans l
évaluation des politiques publiques. ». La loi précise quelle
procède aux enquêtes qui lui sont demandées par les commissions des finances
et par les commissions d
enquête du Parlement sur la gestion des services, orga-
nismes et entreprises soumis à son contrôle
75.
Sous-section 2
La responsabilité ministérielle
670. Larticle 20 de la Constitution, qui pose le principe de la responsabilité
du gouvernement devant le Parlement, ne distingue pas de façon expresse entre
les deux assemblées qui composent celui-ci. Mais il précise que cette responsabi-
lité est mise en
œuvre « dans les conditions et suivant les procédures prévues aux
articles 49 et 50
». Or ces deux articles prévoient bien une responsabilité du gou-
vernement devant l
Assemblée nationale mais non, semble-t-il, devant le Sénat.
§ 1. La responsabilité du gouvernement devant
lAssemblée nationale
671. Larticle 49 prévoit trois procédures qui correspondent à des hypothè-
ses différentes : le gouvernement engage sa responsabilité ; les députés prennent
l
initiative de censurer le gouvernement (motion de censure ordinaire) ; le gou-
vernement engage sa responsabilité sur le vote d
un texte (motion de censure
dite « législative »). Si le gouvernement est battu, les conséquences qui en résul-
tent sont les mêmes, quelle qu
ait été la procédure utilisée.
A La mise en jeu de la responsabilité à linitiative du gouvernement
sur des orientations de politique générale
672. Daprès larticle 49 alinéa premier : « Le Premier ministre, après
délibération du Conseil des ministres, engage la responsabilité du gouver-
nement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale
».
Cette procédure a déjà été étudiée à propos de la formation du gouvernement
75. Voir larticle L. 132-4 du Code des juridictions financières.
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Droit constitutionnel
(v. supra no 599). On se bornera à rappeler ici que, bien quil y ait eu de
vives controverses à ce sujet, il paraît aujourd
hui acquis quelle est toujours
facultative pour le Premier ministre. Celui-ci peut en faire application soit
tout de suite après la formation du gouvernement (engagement de responsa-
bilité sur un programme) soit plus tard (engagement de responsabilité sur une
déclaration de politique générale). Mais il peut également sen abstenir. En
pratique, ses choix sont évidemment influencés par la composition politique
de l
Assemblée : si son gouvernement ne dispose pas du soutien de la majo-
rité absolue des députés, il vaut mieux éviter cette procédure qui l
exposerait
au risque d
être renversé par un vote à la majorité relative.
B La motion de censure ordinaire
673. Daprès larticle 49 alinéa 2 : « LAssemblée nationale met en cause la
responsabilité du gouvernement par le vote d
une motion de censure. Une
telle motion n
est recevable que si elle est signée par un dixième au moins
des membres de l
Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que qua-
rante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à
la motion de censure qui ne peut être adoptée qu
à la majorité des membres
composant l
Assemblée. Sauf dans le cas prévu à lalinéa ci-dessous, un
député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours
d
une même session ordinaire et de plus dune au cours dune même session
extraordinaire
».
À la différence de la précédente, cette procédure permet aux députés de
prendre eux-mêmes l
initiative de mettre en jeu la responsabilité du gouverne-
ment. Mais elle est encadrée par un ensemble de conditions restrictives, inspi-
rées par un souci de rationalisation du parlementarisme et tendant à limiter les
risques quelle pourrait présenter pour un gouvernement qui ne serait pas
appuyé par une large majorité. Ces conditions concernent la recevabilité de la
motion de censure, le déroulement de la procédure et les modalités du scrutin.
1. La recevabilité des motions de censure
674. Elle est subordonnée à une double condition.
D
une part, la motion doit être signée par un dixième au moins des membres
composant l
Assemblée. Comme celle-ci se compose actuellement de 577 dépu-
tés, le minimum requis est donc de 58 signatures. Or, l
effectif de certains grou-
pes politiques (ceux des communistes ou des écologistes par exemple) est pra-
tiquement toujours inférieur à ce minimum.
Dautre part, le nombre de motions quun député peut signer au cours dune
même session est limité : trois sil sagit dune session ordinaire, un sil sagit
d
une session extraordinaire. La portée de cette limitation doit être appréciée en
tenant compte de la réforme du régime des sessions parlementaires qui a eu lieu
en 1995.
Avant la réforme du 4 août 1995, un député ne pouvait pas signer plus dune
motion de censure au cours d
une même session. Mais à cette époque, il y avait
chaque année deux sessions ordinaires de plein droit et, en pratique, au moins
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Les organes
627
une session extraordinaire : concrètement chaque député avait donc la possibi-
lité de signer trois motions de censure durant l
année parlementaire. Depuis la
réforme du 4 août 1995, il n
y a plus quune session ordinaire mais comme sa
durée est relativement longue (du 1
er octobre au 30 juin) on pensait que, sauf
circonstances exceptionnelles, il ne serait plus nécessaire de convoquer des ses-
sions extraordinaires76 et cest pourquoi il a été prévu que chaque député pour-
rait signer trois motions de censure au cours d
une même session ordinaire77.
En pratique ces conditions de recevabilité ne constituent pas une gêne pour
l
opposition car, dans la plupart des configurations politiques que connaît la
V
e République, les motions de censure nont que peu de chance dêtre adoptées
et ne servent qu
à provoquer un débat pour organiser une protestation symbo-
lique contre la politique du gouvernement. Il n
est donc pas nécessaire den
déposer plus de deux ou trois chaque année.
2. Le déroulement de la procédure
675. Un délai minimum de 48 heures78 est prévu entre le dépôt de la motion
de censure et le vote de l
Assemblée. Ce délai est nécessaire pour donner aux
députés le temps de réfléchir et pour éviter que le gouvernement risque d
être
renversé par un vote surprise.
3. Les modalités du scrutin
676. La motion de censure ne peut être adoptée quà la majorité absolue des
députés composant l
Assemblée nationale, comme cétait déjà le cas sous la
IV
e République. Mais la Constitution de 1958 a introduit une modification, qui
en apparence n
est que procédurale, mais qui a en réalité une importance déci-
sive : «
seuls les votes favorables à la motion de censure sont recensés ». Les
députés absents, et ceux qui ne prennent pas part au vote, ne sont pas décomptés
séparément de ceux qui apportent leur soutien actif au gouvernement. Ils sont
donc présumés favorables au gouvernement. S
il existe une majorité relative
hostile au gouvernement, elle n
apparaîtra pas.
Depuis les débuts de la Ve République, des dizaines de motions de censure
« ordinaires » ont été déposées, mais une seule a été adoptée : celle du 2 octobre
1962, dirigée contre le premier gouvernement de Georges Pompidou, auquel
l
Assemblée nationale reprochait davoir proposé au Président de la République
un référendum tendant à modifier directement la Constitution (v.
supra no 477).
Ce taux de succès extrêmement faible s
explique surtout par des raisons politi-
ques. Depuis les élections législatives de novembre 1962, le gouvernement,
quelle que fût son orientation politique, a généralement bénéficié du soutien
dun parti ou dune coalition regroupant plus de la moitié des députés
76. En pratique, contrairement à ce quespéraient les auteurs de la réforme, le nombre des sessions
extraordinaires n
a pas diminué (v. supra no 612).
77.
Il ne faut évidemment pas confondre la signature et le vote. Un député est toujours libre de voter
une motion de censure, même s
il nen a pas pris linitiative. Aucune limitation nest prévue à cet
égard.
78. Un tel délai était déjà prévu sous la IV
e République mais il nétait que de 24 heures (art. 49 de la
Constitution de 1946).
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Droit constitutionnel
composant lAssemblée nationale. Mais quand il nen disposait pas, comme ce
fut le cas sous la IX
e législature (1988-1993), les procédures de larticle 49 se
sont révélées efficaces pour garantir sa stabilité, spécialement celle prévue au
dernier alinéa, qui va maintenant être étudiée. Néanmoins, même si les chances
de voir adopter une motion de censure sont très faibles, l
opposition peut trou-
ver un intérêt politique à en déposer malgré tout.
C La mise en jeu par le gouvernement de sa responsabilité sur le vote
dun texte
677. Daprès larticle 49 alinéa 3 : « Le Premier ministre peut, après déli-
bération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement
devant l
Assemblée nationale sur le vote dun projet de loi de finances ou de
financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré
comme adopté sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre
heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l
alinéa précédent.
Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre
projet ou une autre proposition de loi par session
».
Cette procédure est la plus originale. Linitiative appartient au gouverne-
ment et il s
agit donc dune procédure analogue à ce quétait la question de
confiance sous la IV
e République, car lobjectif poursuivi est ladoption dun
« texte » (c
est-à-dire dun projet de loi) et non lapprobation de simples inten-
tions (programme ou déclaration de politique générale). L
annonce de lengage-
ment de responsabilité déclenche un engrenage qui ne laisse que peu de liberté à
l
Assemblée nationale.
Si aucune motion de censure nest déposée dans les vingt-quatre heures qui
suivent, le texte est considéré comme adopté sans vote ni débat. Mais cette
hypothèse est exceptionnelle car en pratique il existe toujours au sein de l
As-
semblée nationale une opposition suffisamment importante pour réunir le nom-
bre nécessaire de signatures. Il convient de noter que même si certains députés
ont déjà épuisé le contingent de motions de censure qu
ils pouvaient signer dans
le cadre de la procédure prévue à l
alinéa précédent, cette limitation ne sap-
plique plus lorsque c
est le gouvernement qui engage sa responsabilité.
Si une motion de censure est déposée, deux hypothèses se présentent : ou bien
la motion de censure est adoptée et dans ce cas, le gouvernement est renversé
et son projet passe à la trappe ou elle est rejetée et dans ce cas non seulement le
gouvernement se maintient mais son projet est considéré comme adopté alors
qu
il na pas été voté, ni même discuté.
Le champ dapplication de cette procédure (que lon désigne couramment
sous le nom de « quarante-neuf-trois ») a été considérablement restreint par la
révision du 23 juillet 2008. Le texte originel de l
article 49 alinéa trois disait
simplement que le Premier ministre pouvait engager la responsabilité du gou-
vernement « sur le vote d
un texte ».
Lemploi de larticle indéfini signifiait que le Premier ministre pouvait y
recourir pour obtenir ladoption de nimporte quel projet ou proposition de loi,
et aussi souvent qu
il le voulait au cours dune même année ou dune même ses-
sion. Après avoir évoqué les controverses auxquelles a donné lieu le quarante-
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Les organes
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neuf-trois, nous nous demanderons quelles peuvent être les effets de la restriction
de son champ d
application.
1. Les controverses concernant le quarante-neuf-trois
678. Lexistence de cette procédure est liée à la volonté de lutter contre
linstabilité gouvernementale qui sévissait avant 1958.
Il arrivait fréquemment sous la IVe République que, sans mettre le gouverne-
ment en minorité, l
Assemblée refusait dadopter les textes quil estimait nécessai-
res à sa politique ; sans doute, il n
était pas constitutionnellement renversé mais, ne
pouvant obtenir les moyens (la loi) de sa politique, il se retirait spontanément.
Avec la règle du quarante-neuf-trois, la situation est différente : ou bien l
Assem-
blée prendra ouvertement l
initiative de contraindre le gouvernement à démission-
ner et ce sera le vote de censure, ou bien cette offensive n
aura pu réunir la majo-
rité requise pour être efficace et alors, non seulement le gouvernement restera en
place, mais encore le texte qu
il estimait nécessaire sera présumé adopté, alors
même qu
une majorité relative de députés y serait hostile.
Mais si elle est incontestablement favorable à la stabilité gouvernementale,
cette procédure est en même temps très réductrice des droits du Parlement puis-
qu
elle permet au gouvernement de faire adopter des lois sans quelles aient été
votées, ni même débattues par l
Assemblée nationale, laquelle est ainsi privée
de son droit d
amendement. Cest pourquoi beaucoup de responsables politi-
ques, à gauche surtout, y voyaient l
une des principales causes de laffaiblisse-
ment du Parlement et le symbole de son déclin.
On pouvait répondre que le quarante-neuf-trois navait pas été conçu par des
adversaires du parlementarisme. Il faut en effet rappeler que c
est sur la propo-
sition de deux anciens présidents du Conseil de la IV
e République, Guy Mollet
et Pierre Pflimlin, que cette procédure a été inscrite dans le texte approuvé par le
peuple français en 1958. Il s
agissait dans leur esprit de concilier parlementa-
risme et stabilité gouvernementale en obligeant l
Assemblée nationale à prendre
ses responsabilités. Mais le fait que cette procédure était à l
entière discrétion du
gouvernement ouvrait la voie à des abus. Force est en effet de constater que le
quarante-neuf-trois a été souvent utilisé dans des situations où l
ampleur de la
majorité suffisait à écarter tout risque que le gouvernement soit renversé. Il ser-
vait alors soit à brider les membres de la majorité, en leur ôtant la possibilité de
s
abstenir ou de proposer des amendements, soit à gagner du temps, en coupant
court aux tentatives d
obstruction parlementaire que les membres de lopposi-
tion auraient pu pratiquer si le projet avait été discuté article par article (v.
infra
no 725). Le quarante-neuf-trois a été tellement critiqué79 que, au cours de la
campagne présidentielle de 2007, les deux candidats finalistes, Nicolas Sarkozy
et Ségolène Royal, ont annoncé, chacun de son côté quils envisageaient sa sup-
pression pure et simple. Toutefois, après son élection, le président Sarkozy,
s
est montré un peu moins net sur ce point. Dans sa lettre de mission à Édouard
79.
Pourtant, de façon globale, il ne semble pas que ce dispositif ait véritablement empêché le Par-
lement de jouer son rôle dans lélaboration de la législation : au cours des 12 premières législatures, de
1958 à 2007, il en été fait application 82 fois, c
est-à-dire moins de deux fois par an en moyenne alors
qu
une cinquantaine de lois ont été adoptées chaque année.
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Droit constitutionnel
Balladur, président du comité de réflexion sur la réforme des institutions, il a
simplement souhaité que le comité lui fasse des propositions sur «
lencadre-
ment des pouvoirs du gouvernement en matière d
adoption des lois ».
2. Le nouvel encadrement du quarante-neuf-trois
679. Depuis longtemps on avait constaté quun usage fréquent du quarante-
neuf-trois pouvait empêcher l
Assemblée nationale de jouer pleinement son rôle
dans la législation et l
on cherchait le moyen dy remédier. Cest ainsi que le
comité Balladur avait proposé de limiter le quarante-neuf-trois «
aux seules lois
de finances et lois de financement de la sécurité sociale
» parce quil sagissait,
selon lui, «
des textes les plus essentiels à laction du gouvernement ». Cest à la
suite d
un amendement proposé par lAssemblée nationale que cet encadrement
a été un peu assoupli pour permettre au Premier ministre de recourir en outre à
cette procédure «
pour un autre projet ou proposition de loi par session ». À
première vue, si l
on se fonde sur des données statistiques, cet encadrement ne
paraît pas très sévère puisqu
il laisse au Premier ministre la possibilité denga-
ger la responsabilité de son gouvernement sur le vote de cinq textes différents
au cours de la session unique ordinaire qui va d
octobre à juin : la loi de finan-
ces initiale, la loi de financement de la sécurité sociale, la loi de finances recti-
ficative (car il y en a pratiquement toujours une), la loi de règlement du budget
de l
année précédente (également considérée comme une loi de finances), et
enfin un autre projet ou proposition de loi, cet engagement pouvant être renou-
velé à chaque lecture du texte concerné. En comptant trois lectures successives
par texte, on arrive à un maximum de quinze engagements possibles au cours de
la session ordinaire, chiffre qui n
a encore jamais été atteint. À cela peuvent
s
ajouter un ou deux autres projets ou propositions de loi selon quil y a une
ou deux sessions extraordinaires entre la fin juin et le début octobre.
Il nen est pas moins vrai que le Premier ministre a perdu une prérogative
importante : celle de pouvoir engager la responsabilité du gouvernement sur nim-
porte quel projet de loi à n
importe quel moment. Cela pourrait être gênant si le
gouvernement ne disposait pas du soutien d
une majorité absolue de députés,
comme ce fut le cas sous la neuvième législature (1988-1993). Durant cette
période, il est arrivé que, entre octobre et juin, le Premier ministre mette en
œuvre le quarante-neuf-trois à propos de trois ou même quatre textes différents,
qui n
étaient ni des projets de loi de finances, ni des projets de loi de financement
de la sécurité sociale. Mais, d
une part, si lon en juge par les cinquante dernières
années écoulées, la situation d
un gouvernement ne disposant pas du soutien dune
majorité absolue à l
Assemblée nationale est relativement peu fréquente sous la
V
e République. Dans les autres cas, cest-à-dire lorsque la majorité est disciplinée
et relativement homogène, le Premier ministre na pas besoin sauf exception80
dengager la responsabilité de son gouvernement. Cest ainsi que ni Lionel Jospin
Il peut arriver quil le fasse pour obliger les membres de sa majorité à accepter une mesure qui
80.
leur répugne profondément mais qui est nécessaire pour honorer l
une des promesses électorales du
Président de la République. Ainsi en 1982 Pierre Mauroy a-t-il dû engager la responsabilité de son
gouvernement pour contraindre les députés socialistes à accepter le vote dune loi qui rendait à dan-
ciens officiers supérieurs partisans de l
Algérie française les décorations qui leur avaient été enlevées à
la suite du
putch de 1961. Par ailleurs, avant 2008, le recours au quarante-neuf-trois était parfois
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de 1997 à 2002, ni François Fillon, de 2007 à 2012, ni Jean-Marc Ayrault de 2012
à 2014 n
a fait usage du quarante-neuf-trois. Dautre part, même sil ne disposait
pas d
une majorité solide, le Premier ministre ne serait pas totalement désarmé par
le nouvel encadrement du quarante-neuf-trois : par exemple, dès le début de la
session ordinaire, il pourrait planifier le travail parlementaire, de manière à regrou-
per, dans le cadre dun seul projet de loi, tous les éléments de son programme
susceptibles d
être rejetés par une majorité relative de députés. Et si des difficultés
inattendues surgissaient à un stade avancé de la session ordinaire, il aurait encore
la possibilité d
attendre que celle-ci soit close pour demander la convocation dune
session extraordinaire lui permettant d
utiliser à nouveau le quarante-neuf-trois.
Quant à lobstruction parlementaire que lopposition tente parfois de prati-
quer en multipliant les amendements au-delà du raisonnable, la loi de révision
du 23 juillet 2008 a donné à la conférence des présidents de chaque assemblée
un moyen de la surmonter en fixant des limites temporelles pour chaque débat
(v.
infra no 725) et le Premier ministre ne devrait donc plus avoir besoin den-
gager la responsabilité du gouvernement pour la faire cesser.
D La situation dun gouvernement renversé
680. Aux termes de larticle 50 de la Constitution, « lorsque lAssemblée
nationale adopte une motion de censure, le Premier ministre doit remettre au
Président de la République la démission du gouvernement
». Quant au Prési-
dent de la République, il ne dispose pas d
une faculté de choix : il doit accepter
la démission, car l
article 8 ne dit pas quil peut mettre fin aux fonctions du
Premier ministre mais qu
il y met fin. Cependant, lorsque le 6 octobre 1962,
renversé par un vote de l
Assemblée nationale, G. Pompidou remit la démission
du cabinet au général de Gaulle, celui-ci se borna à en prendre acte : il ne l
ac-
cepta qu
après le référendum du 28 octobre en demandant dailleurs à
G. Pompidou de constituer le nouveau gouvernement.
La question sest posée de savoir quels étaient, en pareille occurrence, les pou-
voirs d
un gouvernement renversé par lAssemblée nationale mais dont la démis-
sion n
avait pas encore été acceptée par le chef de lÉtat. Sous les IIIe et IVe Répu-
bliques, la notion d
affaires courantes permettait de résoudre le problème. On
admettait que le gouvernement démissionnaire, maintenu provisoirement en
place jusqu
à la nomination de son successeur, ne disposait pas de la totalité des
compétences gouvernementales mais seulement de celles qui étaient nécessaires à
l
expédition des affaires courantes, cest-à-dire nimpliquaient pas de choix poli-
tiques essentiels. Le Conseil d
État se reconnaissait compétent pour apprécier si
telle mesure gouvernementale rentrait ou non dans la catégorie des affaires cou-
rantes (CE, 4 avril 1952, Synd. régional des quotidiens dAlgérie, Rec. 210).
En octobre 1962 on aurait pu penser que les données du problème étaient
différentes puisque, si le gouvernement avait bien donné sa démission, celle-ci
n
avait pas encore été acceptée. Saisi de la question, le Conseil dÉtat na pas
tenu compte de cette nuance. Et c
est à juste titre car cela leût conduit à
utilisée comme moyen déviter une obstruction parlementaire pratiquée par lopposition. Mais, depuis
2008, on utilise plutôt pour cela le « temps législatif programmé » (voir
infra nº 725).
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Droit constitutionnel
admettre que le Président de la République pouvait maintenir au pouvoir un
gouvernement renversé par l
Assemblée nationale, ce qui eût été contraire aux
dispositions expresses de la Constitution. La Haute juridiction a assimilé la
situation du gouvernement démissionnaire en 1962 à celle des gouvernements
de la III
e ou de la IVe République dont la démission avait été acceptée, mais
auquel le chef de lÉtat demandait dassurer « linterrègne » jusquà la désigna-
tion de leur successeur. Par conséquent, dès le moment où il a été l
objet dun
vote de censure, le cabinet ne dispose plus que de celles des compétences gou-
vernementales nécessaires pour assurer l
expédition des affaires courantes, et
cela, quand bien même sa démission n
aurait pas encore été acceptée par le Pré-
sident de la République (CE, 19 octobre 1962,
Brocas, AJDA, 1962, p. 626).
Sur le fond, le Conseil d
État a dailleurs admis que lactivité gouvernementale
mise en cause par le recours, à savoir les mesures d
organisation du référendum,
rentrait dans la notion d
affaires courantes.
§ 2. Labsence de responsabilité du gouvernement
devant le Sénat
681. Sous la IVe République, linfériorité du Conseil de la République se
traduisait notamment par son incapacité juridique à censurer le gouvernement.
Avec le nouveau régime, le Sénat regagne quelque autorité en matière de
contrôle gouvernemental. Sans doute ne peut-il pas prendre l
initiative dune
motion de censure, et pas davantage ne pourrait-il obliger le gouvernement à
démissionner. Mais en précisant que «
le Premier ministre a la faculté de
demander au Sénat l
approbation dune déclaration de politique générale »,
l
article 49 alinéa 4 ouvre à la seconde Chambre des perspectives que lui inter-
disait la Constitution de 1946. Il est concevable, en effet, que, désapprouvé par
les sénateurs, le Premier ministre décide de démissionner. Il ny serait pas tenu,
mais s
il le fait, un précédent sera créé. Une telle éventualité semble néanmoins
peu probable, car cette procédure est entièrement facultative pour le gouverne-
ment qui, en pratique, ne l
utilise que lorsquil a la certitude que sa déclaration
sera approuvée par le Sénat.
682. Conclusion sur la responsabilité du gouvernement. Bien que les
procédures de l
article 49 soient utilisées assez fréquemment, elles nont pas
abouti, depuis cinquante ans, à provoquer la chute du gouvernement
81.
En raison du système des partis, le risque que la responsabilité soit réelle-
ment mise en jeu est très faible, alors que la responsabilité devant le chef de
lÉtat joue assez fréquemment, sauf en période de cohabitation, bien quelle
ne soit pas prévue par les textes. Dailleurs, en Grande-Bretagne, en Allemagne,
ou en Espagne, il est également très rare qu
un vote parlementaire puisse remet-
tre en cause l
existence du gouvernement.
81. La motion de censure na été adoptée quune fois, en 1962 (v. supra nº 477).
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Les organes
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Il ne faudrait cependant pas en conclure que les procédures de mise en jeu
de la responsabilité du gouvernement ne sont qu
un trompe-lœil et quelles
n
exercent aucune influence sur le fonctionnement des institutions.
En premier lieu, lexistence même de ces procédures oblige le Président de
la République à nommer un gouvernement conforme à l
orientation de la majo-
rité parlementaire. À cet égard, la « cohabitation à la française » se distingue de
la « cohabitation à l
américaine », le Président des États-Unis nétant jamais
obligé de choisir ses ministres au sein du parti qui contrôle le Congrès.
En second lieu, la procédure de larticle 49 alinéa 3, qui permet au gouver-
nement d
engager sa responsabilité devant lAssemblée nationale sur le vote
d
un texte, est pour le Premier ministre une arme précieuse pour maintenir la
discipline de sa propre majorité parlementaire même si, depuis l
entrée en
vigueur de la loi de révision du 23 juillet 2008, ce pouvoir est assez strictement
encadré. Elle empêche en effet cette majorité de rejeter un projet de loi (ou
même de l
amender) sans provoquer une crise grave. Quant au Président des
États-Unis, il peut parfois s
opposer à ladoption dune loi par le Congrès
(veto suspensif), mais il ne dispose d
aucune arme procédurale décisive pour
surmonter les réticences du Congrès vis-à-vis de ses propres projets. Sa maîtrise
du processus législatif est donc en pratique moins complète que celle du Pre-
mier ministre français.
Sous-section 3
Le contrôle parlementaire en période de crise
683. Lorsque la vie du pays est profondément troublée par un événement
d
une gravité exceptionnelle (invasion étrangère, insurrection armée, calamités
naturelles, etc.), les pouvoirs publics sont souvent obligés de prendre des mesu-
res d
urgence pour faire face à la situation. Comme lurgence nest générale-
ment pas compatible avec les délais qu
implique la procédure parlementaire,
la plupart de ces mesures doivent être prises par l
exécutif qui bénéficie ainsi,
en droit ou en fait, d
une extension importante de ses compétences. Cependant,
durant ces périodes de crise, le contrôle du Parlement paraît plus nécessaire que
jamais : en effet, d
une part, en raison même de la gravité de la situation, il
serait anormal que l
organe dépositaire de la souveraineté nationale ne soit pas
au moins associé aux grandes décisions à prendre ; d
autre part, lextension du
rôle de l
exécutif comporte des risques particuliers datteintes aux libertés
publiques.
Malheureusement, la Constitution ne traite de cette question que dune
manière ponctuelle et incomplète. Les seules dispositions qui sy rapportent
concernent l
article 16, la déclaration de guerre et létat de siège.
684. Larticle 16. Larticle 16 précise, dune part, que le Parlement se
réunit de plein droit et, d
autre part, que lAssemblée nationale ne peut pas
être dissoute pendant lexercice des pouvoirs exceptionnels (v. supra no 591 s.,
«
lextension des pouvoirs présidentiels en cas de circonstances exceptionnel-
les
»). Mais il ne donne aucune indication sur le rôle du Parlement durant cette
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Droit constitutionnel
période. On peut notamment se demander si les procédures de contrôle utilisa-
bles sont les mêmes qu
en temps normal.
En septembre 1961, alors que larticle 16 était en application depuis cinq
mois déjà (bien que la rébellion militaire qui avait justifié sa mise en application
se fût effondrée au bout de quelques jours) une motion de censure fut déposée à
lAssemblée nationale. Était-elle recevable ? Après avoir tenté de soumettre la
question au Conseil constitutionnel, qui se déclara incompétent
82, le président
de l
Assemblée nationale, J. Chaban-Delmas, fut contraint de la trancher lui-
l
absence de dispositions
même (déc. du 19 septembre 1961). Constatant
expresses sur cette question, il s
est référé aux interprétations données par le
Président de la République qui, d
après larticle 5 C, « veille au respect de la
Constitution
».
le
Or, dans un premier temps, dans un message adressé au Parlement
25 avril 1961, c
est-à-dire avant le terme de la session parlementaire normale,
le général de Gaulle avait déclaré que la mise en application de l
article 16 « ne
saurait modifier les activités du Parlement : exercice du pouvoir législatif et
contrôle
». Mais dans un second temps, les assemblées ayant décidé de se réunir
de plein droit hors session normale, comme l
article 16 les autorisait à le faire, il
s
était montré beaucoup plus restrictif en déclarant quil
tiendrait «
pour
contraire à la Constitution que la réunion annoncée du Parlement ait un abou-
tissement législatif
»83.
Du rapprochement de ces deux textes, le Président de lAssemblée nationale
a déduit que «
les rapports du gouvernement et du Parlement sont régis par des
règles différentes suivant que... [l
] on se trouve dans ou en dehors des sessions
normales du Parlement
». La motion de censure est recevable dans le premier
cas, mais non dans le second car, à partir du moment où les travaux du Parle-
ment ne peuvent avoir d
aboutissement législatif, le gouvernement se trouve
privé du droit prévu par l
alinéa 3 de larticle 49 de la Constitution, dengager
sa responsabilité sur le vote dun texte ; il en résulte, selon J. Chaban-Delmas,
que, pour assurer léquilibre fondamental des pouvoirs, lAssemblée nationale
doit être privée du droit de mettre en jeu la responsabilité du gouvernement dans
les conditions prévues par l
alinéa 2 de larticle 49. En dautres termes, elle ne
peut pas prendre l
initiative dune motion de censure.
Largument invoqué paraît très discutable. On aurait pu soutenir à la rigueur
que l
équilibre des pouvoirs implique un certain parallélisme entre la motion de
censure et le droit de dissolution, qui constitue pour l
exécutif un moyen de
dissuasion. Mais un tel raisonnement aurait conduit à déclarer la motion de cen-
sure irrecevable pendant toute la durée de l
application de larticle 16, cest-à-
dire même en période de session normale, ce que le message présidentiel du
25 avril 1961 ne permettait pas de faire. En revanche, on voit mal pourquoi
limpossibilité pour le gouvernement dengager sa responsabilité sur le vote
d
un texte justifierait quon le mette à labri dune motion de censure. Dautant
plus que si le gouvernement veut engager lui-même sa responsabilité, il peut
encore le faire dans les conditions prévues par l
alinéa premier de larticle 49,
c
est-à-dire « sur son programme ou sur une déclaration de politique générale ».
82. Déc. du 14 septembre 1961.
83. Lettre au Premier ministre en date du 31 août 1961.
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Les règles que lon peut dégager de ce précédent unique davril 1961 reflè-
tent la conception très restrictive des pouvoirs du Parlement qui était à l
époque
dominante. On ne saurait donc affirmer qu
elles seraient maintenues si le même
problème se posait à nouveau dans un contexte différent.
685. La guerre. Daprès larticle 35 C : « La déclaration de guerre est
autorisée par le Parlement
». Cest le seul article de la Constitution qui traite
explicitement de la guerre et l
on remarquera quil laisse plusieurs questions
dans l
ombre : selon quelles procédures le Parlement devrait-il autoriser la
déclaration
84 ? Et quelle serait lautorité compétente pour faire cette déclaration,
une fois l
autorisation accordée85 ?
Mais ces questions ne retiennent plus guère lattention car, depuis 1945, le
droit international (et spécialement la charte des Nations unies) interdit le
recours à la guerre. Au demeurant, la stratégie moderne implique des formes
variées de recours à la force, très différentes de la guerre classique. Les guerres
ne sont donc plus formellement déclarées et, par voie de conséquence, l
arti-
cle 35 de la Constitution française est frappé d
obsolescence, tout comme les
dispositions analogues de nombreuses constitutions étrangères. Cela n
a pas
empêché un certain nombre d
États dentreprendre des actions militaires dune
ampleur parfois considérable mais en les présentant toujours comme de simples
opérations de police internationale, destinées à maintenir la paix ou à venir en
aide à des populations menacées ; le fondement juridique invoqué pour ces
actions est tantôt l
exécution dune résolution adopté par le Conseil de sécurité
des Nations unies, tantôt une stipulation d
un traité dalliance, tantôt encore le
droit de légitime défense ; parfois aussi aucun fondement n
est indiqué.
Avant la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, lorsque la France sen-
gageait dans une action militaire, soit seule (comme elle l
a fait en Afrique à plu-
sieurs reprises), soit en s
associant avec dautres États (comme elle la fait en
1990 pour la première guerre du golfe, en 1999 pour la guerre du Kosovo, en
2001 pour celle d
Afghanistan et en 2011 pour lintervention en Lybie), larti-
cle 35 était donc considéré comme inapplicable ; la décision d
intervenir était
prise conjointement par le Président de la République, en tant que chef des
armées (art. 15 C) et par le Premier ministre, en tant que responsable de la défense
nationale (art. 21 C). Le gouvernement pouvait soumettre à l
Assemblée nationale
ou au Sénat une déclaration de politique générale justifiant les opérations enga-
gées, cette déclaration étant ou non assortie d
une demande dapprobation. Mais
s
il ne le faisait pas, les membres des deux assemblées ne pouvaient lui demander
des comptes qu
en utilisant les moyens de contrôle habituels dans un régime par-
lementaire : questions écrites ou orales, éventuellement dépôt d
une motion de
censure à lAssemblée nationale. Mais lon sait que, dans les conditions du
84. Daprès le règlement de lAssemblée nationale, lautorisation ne peut résulter que dun vote sur
un texte exprès d
initiative gouvernementale ; daprès le règlement du Sénat, elle devrait résulter de
l
approbation dune déclaration de politique générale dans les conditions prévues par le quatrième ali-
néa de l
article 49.
85. Du fait que l
article 35 est compris dans le titre consacré aux rapports entre le Parlement et le
gouvernement, on déduit généralement que cest ce dernier qui peut déclarer la guerre. Mais, compte
tenu des articles 5 et 15 de la Constitution, le Président de la République devrait au moins être associé
à cette décision.
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Droit constitutionnel
parlementarisme majoritaire tel quil a fonctionné jusquà présent sous la
V
e République, le vote de la censure est politiquement très difficile, voire impos-
sible.
Dans certains pays, comme lAllemagne, lEspagne ou lItalie, en vertu de la
loi, de la jurisprudence ou de la coutume, une autorisation parlementaire préa-
lable est requise pour tout engagement des forces armées à létranger. Dans
dautres cas, la décision dengagement ne dépend que de lexécutif mais il
doit tenir le Parlement informé et, au-delà d
un certain délai, les opérations ne
peuvent se poursuivre qu
avec lapprobation au moins tacite de celui-ci.
Par exemple le Congrès des États-Unis a adopté en 1973, malgré le veto du
Président Nixon, le
War Powers Act qui sapplique en principe à tout engage-
ment des forces armées américaines à l
extérieur : en premier lieu, le Président
doit remettre un rapport au congrès dans les quarante-huit heures qui suivent le
début de l
engagement ; en second lieu, au-delà de soixante jours, la poursuite
de l
engagement nécessite une autorisation expresse du Congrès ; enfin, à tout
moment, le Congrès peut, par une résolution concordante votée par les deux
Chambres, ordonner au Président le retrait des troupes (v.
supra no 263).
Cest une solution plus ou moins inspirée de ce modèle que la loi de révision
du 23 juillet 2008 a retenue, conformément aux recommandations du comité
Balladur. En premier lieu, d
après lalinéa 2 nouveau de larticle 35 C : « Le
gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces
armées à l
étranger, au plus tard trois jours après le début de lintervention. Il
précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat
qui n
est suivi daucun vote ». En second lieu, aux termes de lalinéa suivant :
«
Lorsque la durée de lintervention excède quatre mois, le gouvernement sou-
met sa prolongation à l
autorisation du Parlement ».
Une question importante est de savoir ce qui doit se passer si le Parlement
n
est pas en session soit à la date du début de lengagement, soit à lexpiration
du délai de quatre mois. L
article 35 C nouveau précise que, dans ce second cas,
c
est seulement à louverture de la session suivante que le Parlement se pronon-
cera sur la demande de prolongation de l
intervention. En revanche, il semble
que, dans le premier cas, c
est-à-dire si le Parlement nest pas en session au
moment où la décision d
intervenir est prise, une session spéciale doit être
convoquée pour permettre au gouvernement de l
en informer. Ceci résulte à la
fois des termes impératifs figurant à l
alinéa 2 de larticle 35 C « au plus tard
trois jours après le début de l
intervention » et dun argument a contrario
cest seulement pour lautorisation de prolongation des opérations que ce même
article envisage la possibilité d
attendre jusquau début de la session suivante.
Pour l
autorisation de la prolongation de lintervention, un débat suivi dun
vote doit être organisé dans chacune des deux assemblées86. En cas de désac-
cord, larticle 35 C précise que le gouvernement peut demander à lAssemblée
nationale de statuer en dernier ressort. Dans ce cas, le gouvernement devra-t-il
respecter la procédure prévue par l
article 45 C (lectures successives, réunion
86. Au début de lannée 2009, le gouvernement a fait devant chaque assemblée une déclaration ten-
dant à justifier la prolongation de lintervention de forces armées françaises dans cinq pays différents :
Côte d
Ivoire, Kosovo, Liban, Tchad et République centre-africaine. Mais chacun de ces pays a fait
l
objet dun vote distinct.
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dune commission mixte paritaire, etc.) ? Il semble que non car le Parlement
intervient alors en tant que contrôleur de l
action du gouvernement, ce qui jus-
tifie le recours à des procédures plus rapides et plus souples que celles applica-
bles en matière législative.
Les nouvelles dispositions de larticle 35 C ont reçu application en 2011,
lorsque les forces aériennes françaises, conjointement avec celles dun certain
nombre d
autres pays de lOTAN, sont intervenues à lappui des rebelles
lybiens qui tentaient de renverser le gouvernement du colonel Kadhafi. L
inter-
vention ayant été engagée le 19 mars, il y eut dès le 22 mars une déclaration du
Premier ministre devant chacune des deux assemblées. Comme prévu, cette
déclaration donna lieu à un débat qui ne fut suivi d
aucun vote. Mais en raison
de la durée de ce conflit, en juillet 2011, le gouvernement dut demander aux
assemblées l
autorisation de prolonger lintervention au delà de quatre mois.
Cette autorisation lui fut accordée sans difficultés par chacune des deux assem-
blées. Il en fut de même en avril 2013 lorsque le gouvernement demanda au
parlement l
autorisation de prolonger une intervention militaire entreprise à la
demande du gouvernement malien pour l
aider à repousser lincursion sur son
territoire de milices liées à des mouvements extrémistes musulmans.
Certains ont pu regretter que la réforme nait pas davantage renforcé sur ce
point les droits du Parlement, par exemple en donnant aux assemblées la possi-
bilité d
émettre un vote dès le début de lintervention. Mais cette réforme a tout
de même eu le mérite de rendre une utilité à l
article 35 C qui, du fait de la
désuétude des guerres traditionnelles, avait perdu tout intérêt pratique.
686. Létat de siège. Létat de siège, dont lorigine remonte à la Révolu-
tion (loi du 8 juillet 1791 reprise par la loi du 9 août 1848, modifiée par la loi
du 3 avril 1878) ne peut être déclaré qu
en cas de « péril imminent résultant
d
une guerre étrangère ou dune insurrection à main armée ». Il entraîne le
transfert à l
autorité militaire des pouvoirs de maintien de lordre normalement
dévolus à l
autorité civile. Lautorité militaire est en outre investie de certains
pouvoirs dont ne dispose pas, en temps normal, l
autorité civile : perquisitions
de jour comme de nuit, interdictions des publications et des réunions jugées de
nature à exciter ou entretenir le désordre, etc. Il est déclaré par décret en
Conseil des ministres mais, d
après larticle 36 de la Constitution, sa proroga-
tion au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par le Parlement.
Létat de siège ne doit pas être confondu avec létat durgence, qui peut
également être décrété en Conseil des ministres, mais dont la prorogation au-
delà de douze jours ne nécessite pas d
autorisation parlementaire car ses
conséquences sont moins graves : il entraîne un certain renforcement des
pouvoirs de maintien de lordre des autorités civiles, mais non le transfert
de ces pouvoirs à l
autorité militaire. Pour faire face aux émeutes de banlieue
à l
automne 2005, le gouvernement a ainsi décrété létat durgence, ce qui a
autorisé les préfets des zones concernées à ordonner des couvre-feux. La
déclaration de l
état durgence et la décision de le maintenir sont soumis au
contrôle du Conseil dÉtat87.
87. Ordonnance du juge des référés du 9 décembre 2005, no 287777, Mme A. et autres.
Page 638
638
Droit constitutionnel
Sous-section 4
Le droit de dissolution
687. Un pouvoir présidentiel : la dissolution. De 1875 à 1958, la disso-
lution nétait pas parvenue à simplanter dans nos institutions. Quand bien
même elle était prévue par les textes, elle nétait guère utilisée : sous la
III
e République parce que lon en contestait le principe, et sous la IVe Répu-
blique parce que son exercice était entouré de conditions telles qu
il était très
difficile de la prononcer.
Rompant avec lattitude pleine de réticence des constituants de 1946 qui
avaient admis le droit de dissolution tout en le rendant impraticable (v.
supra
no 451), la Constitution pose une règle simple et brutale : le droit de dissolution
appartient au Président de la République seul (art. 12) et il l
exerce sans être sou-
mis à l
obligation du contreseing (art. 19).
Depuis les débuts de la Ve République, le droit de dissolution a été utilisé
cinq fois : deux fois par le général de Gaulle, en octobre 1962 et mai 1968 ;
deux fois par F. Mitterrand, en mai 1981 et mai 1988 ; une fois par J. Chirac
en avril 1997.
Dun point de vue politique, on peut distinguer plusieurs usages de la disso-
lution : la dissolution
défensive, la dissolution offensive, la dissolution straté-
gique
, la dissolution exutoire et enfin la dissolution rupture.
La première constitue une riposte à la mise en jeu par lAssemblée nationale
de la responsabilité du gouvernement. La dissolution prononcée en octobre 1962
par le général de Gaulle appartenait à ce premier type. L
Assemblée nationale
venait de voter la censure contre le gouvernement de G. Pompidou et c
était en
fait la politique du Président de la République qui était visée : on reprochait au
gouvernement d
avoir proposé un référendum au chef de lÉtat dans le cadre de
l
article 11, mais chacun savait que cette proposition avait été en fait « sollici-
tée » par le général de Gaulle. La dissolution défensive permet donc de faire
arbitrer par le corps électoral un conflit qui oppose l
exécutif au Parlement, ou
plus exactement à l
Assemblée nationale. Mais ce cas de figure se présente rare-
ment car, depuis 1962, le gouvernement a toujours pu s
appuyer sur une majo-
rité parlementaire relativement docile.
La dissolution offensive correspond au cas où un Président de la République
qui vient d
être élu ou réélu, et qui ne veut pas cohabiter avec une majorité par-
lementaire hostile, prend les devants et décide de renvoyer les députés devant
leurs électeurs avant même qu
ils aient pu mettre en jeu la responsabilité dun
lui. C
est ce qua fait François Mitterrand en
gouvernement nommé par
mai 1981 et mai 1988. Ce type de dissolution saccorde bien avec la logique
des institutions car un Président nouvellement élu a besoin d
une majorité parle-
mentaire pour mettre en
œuvre son programme. De plus il a évidemment intérêt à
ce que les élections législatives aient lieu dans la foulée de sa propre élection, car
à ce moment sa popularité n
a pas encore été érodée par lexercice du pouvoir et
comme lopinion attend quelque chose de lui, elle est généralement disposée à lui
donner une majorité parlementaire. Cette éventualité est évidemment moins pro-
bable depuis la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. Elle peut néanmoins
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Les organes
639
se réaliser en cas délection présidentielle anticipée (décès, démission, empêche-
ment ou destitution du Président en exercice).
Quant à la dissolution stratégique, à la différence des deux types précédents,
elle n
est pas liée à un conflit ouvert ou latent entre lexécutif et le Parlement.
Le Président dissout, alors que son gouvernement dispose d
une majorité au
Parlement, et parfois même dune majorité très confortable. Il le fait parce
quil cherche à profiter de la conjoncture, cest-à-dire dun moment où lopinion
incline en faveur des partis qui le soutiennent. Mais la dissolution
stratégique
ressemble toujours à un pari car même si les sondages sont favorables au départ,
on ne peut jamais prévoir avec certitude comment évoluera l
opinion au cours
de la campagne. C
est ainsi quen mai-juin 1997 la victoire de la majorité pré-
sidentielle, que les sondages avaient d
abord laissé prévoir, ne sest finalement
pas produite.
En Grande-Bretagne, jusquà une date récente, la dissolution stratégique était
de pratique courante. Il était fréquent que la Chambre des communes soit dissoute
un ou deux ans avant la date limite d
expiration de ses pouvoirs et, sauf cas
exceptionnel, ces dissolutions n
étaient pas liées à un conflit opposant le Premier
ministre au Parlement. Mais, depuis l
adoption en 2011 du Fixed term Parlia-
ments Act
, la dissolution a cessé dêtre une prérogative discrétionnaire du Premier
ministre. Elle ne peut plus être prononcée que si la Chambre des communes a
voté une motion de censure contre le gouvernement ou si elle a adopté, à une
majorité des deux tiers, une motion favorable à une élection anticipée (cf.
supra
no 226). En France, sous la Ve République, la dissolution stratégique est toujours
juridiquement possible mais il y en a peu d
exemples et elle ne semble pas cor-
respondre aux usages du monde politique.
Avant 1997, il ny avait quun seul précédent : la dissolution prononcée par
le général de Gaulle en 1968, et encore était-ce un précédent douteux car le
mois de mai 1968 avait été marqué par une crise sociale tellement aiguë qu
il
eut été probablement impossible den sortir sans forcer les partis à se couler
dans le moule des institutions et à faire une campagne électorale. Dans ce cas,
plutôt que d
une dissolution stratégique, il vaudrait donc mieux parler dune
dissolution
exutoire permettant de ramener dans lespace institutionnel un
conflit qui s
était développé dans la rue et que lon ne parvenait pas à maîtriser
sur ce terrain. Les élections anticipées ont eu pour effet de concentrer les feux
de l
actualité sur les dirigeants des grands partis politiques, reléguant ainsi au
second plan les protagonistes des luttes étudiantes et syndicales.
La dissolution prononcée par J. Chirac en avril 1997 constituait donc une
novation. Il n
y avait pas de crise sociale aiguë comme en mai 1968. Il ny
avait pas non plus d
opposition entre la majorité parlementaire et la majorité
présidentielle comme en 1962, 1981 et 1988. Et le Président avait d
ailleurs
déclaré plusieurs fois depuis 1995 quil navait pas lintention de bousculer le
calendrier des échéances électorales. Il s
agit donc dune dissolution « sur-
prise », qui ne peut s
expliquer que par un calcul stratégique, qui na dailleurs
pas donné le résultat escompté.
Sous la Ve République, on peut encore imaginer un cinquième type de dis-
solution : la dissolution rupture, qui mettrait fin à une période de cohabitation.
Le Président dissoudrait non pour défendre son gouvernement mais au contraire
pour pouvoir le renvoyer après avoir changé la majorité parlementaire. Ce serait
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640
Droit constitutionnel
juridiquement possible puisque le droit de dissolution est un pouvoir propre du
Président. Sous les deux premières cohabitations, l
échéance de lélection pré-
sidentielle étant très proche, les circonstances ne se prêtaient pas à une dissolu-
tion rupture. La cohabitation longue qui s
est ouverte en 1997 aurait pu en four-
nir l
occasion. Mais en raison peut-être du choc provoqué par sa défaite
électorale de 1997, le Président a préféré attendre la fin de la législature.
De plus, ladoption du quinquennat et sa mise en œuvre dès 2002 (v. supra
no 574) doivent permettre déviter un décalage entre les élections à la présidence
de la République et celles à l
Assemblée nationale, rendant ainsi moins pro-
bable l
éventualité dune opposition entre les deux majorités (parlementaire et
présidentielle).
688. Lexercice de la dissolution. Le Président de la République décide
librement de la dissolution, mais :
il ne peut le faire quaprès consultation du Premier ministre et des pré-
sidents des assemblées ;
il ne peut pas être fait application de larticle 12 durant la vacance de la
présidence de la République, ce qui revient à dire que le Président intérimaire
n
a pas lusage de la dissolution ;
les élections générales doivent avoir lieu vingt jours au moins et qua-
rante jours au plus après la dissolution ;
la nouvelle Assemblée nationale na pas à attendre une convocation : elle
se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a
lieu en dehors des périodes prévues pour les sessions ordinaires, une session est
ouverte de droit pour une durée de quinze jours ;
enfin la nouvelle Assemblée ne peut pas être dissoute dans lannée qui
suit son élection. Cette règle est extrêmement importante car elle signifie que, si
le Président de la République perd les élections consécutives à une dissolution,
pendant un an la nouvelle majorité parlementaire est inexpugnable. L
équilibre
des pouvoirs est donc temporairement modifié aux dépens du chef de l
État.
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Page 642
Page 643
Chapitre 3
Types de normes et compétences normatives
690. Tout ordre juridique présente une structure hiérarchisée. Les normes,
c
est-à-dire les prescriptions, les prohibitions, les habilitations ou les permis-
sions sont ordonnées selon leurs valeurs relatives. C
est la Constitution qui éta-
blit cette hiérarchie en déterminant les conditions d
édiction et de validité des
différents actes créateurs de normes. La hiérarchie des normes a des conséquen-
ces très importantes : une norme quelconque n
est valide que si elle est
conforme à une norme supérieure et en cas de conflit entre deux normes, le
juge doit donner la préférence à celle qui occupe le rang le plus élevé. Par ail-
leurs, les normes ne peuvent être modifiées que par une norme de niveau égal
ou supérieur selon une procédure spécifique.
Au sommet de cette hiérarchie, on trouve les normes dotées dune autorité
supérieure à celle des lois (Section 1).
En ce qui concerne les normes de niveau inférieur, la Constitution distingue
un domaine législatif, en principe réservé au Parlement, et un domaine régle-
mentaire, réservé au gouvernement (Section 2).
La loi est donc normalement élaborée dans le cadre parlementaire (Sec-
tion 3). Il existe néanmoins des procédures législatives qui se situent en dehors
de ce cadre (Section 4).
Section 1
Les normes dotées dune autorité supérieure
à celle des lois
691. Avant 1958, la hiérarchie des normes paraissait relativement simple. La
loi, réputée être l
expression de la volonté générale, occupait le sommet de cette
hiérarchie. En théorie cependant, les choses étaient un peu plus compliquées car
la Constitution et les traités internationaux étaient déjà dotés dune valeur supra-
législative. Mais les tribunaux français sétaient toujours refusé à sanctionner la
supériorité de la Constitution ou des traités par rapport à la loi. En pratique, le
législateur parlementaire était donc souverain.
La situation est aujourdhui différente. Les normes dotées dune autorité supé-
rieure à celle des lois sont les mêmes qu
auparavant ; mais désormais leur supé-
riorité par rapport à la loi est effectivement sanctionnée. Par ailleurs, ces normes
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644
Droit constitutionnel
se sont considérablement développées. Et ceci vaut aussi bien pour les normes
constitutionnelles que pour les normes internationales.
§ 1. Les normes constitutionnelles
692. Depuis 1958, il existe un Conseil constitutionnel qui contrôle la confor-
mité des lois à la Constitution. Le contrôle n
est, il est vrai, que facultatif, du
moins pour les lois ordinaires mais, depuis que la saisine du Conseil a été
ouverte aux simples parlementaires (1974), il s
exerce dune manière relative-
ment fréquente. Plus récemment, la révision du 23 juillet 2008 a institué une
procédure permettant de vérifier, par voie de question préjudicielle, si une loi
dont dépend l
issue dun procès nest pas contraire aux droits et libertés garantis
par la Constitution. En dépit de ces contrôles, la loi est toujours censée exprimer
la volonté générale, mais seulement dans la mesure où elle respecte la Consti-
tution.
Pour appliquer celle-ci, le Conseil constitutionnel doit dabord sen faire
l
interprète et ce rôle lui a permis de développer considérablement les normes
constitutionnelles.
Lensemble de ces normes est généralement désigné sous le nom de « bloc de
constitutionnalité ». Ce bloc comprend non seulement les articles numérotés du
texte constitutionnel mais aussi son préambule et les différentes normes auxquelles
il renvoie : la Déclaration des droits de l
Homme et du Citoyen de 1789, le Préam-
bule de la Constitution de 1946 qui lui-même renvoie aux « principes fondamen-
taux reconnus par les lois de la République », et depuis 2005 la Charte de l
envi-
ronnement (v.
infra no 782).
§ 2. Les normes internationales
On doit souligner que la métaphore de léchelle qui représenterait la hiérar-
chie des normes est trompeuse. On la présente en général de la manière sui-
vante : le barreau le plus élevé est la constitution ; au dessous il y aurait la loi
et il y aurait un échelon intermédiaire, le droit international. Or, la proposition
qu
une norme est supérieure à une autre peut signifier plusieurs choses : que la
norme inférieure a été crée par l
autorité habilitée par la norme supérieure selon
les procédures prescrites ; que la norme inférieure n
est valide que parce quelle
est conforme à la norme supérieure et que si elle ne l
est pas, elle peut être
annulée par un tribunal ; que la norme supérieure peut modifier la norme infé-
rieure, mais que la norme inférieure ne peut pas modifier la norme supérieure ;
ou seulement qu
en cas de conflit la norme supérieure prévaut. Seule la consti-
tution est supralégislative dans les trois premiers sens, le droit international seu-
lement dans le quatrième, mais pas dans les trois premiers : le droit international
nhabilite pas le pouvoir législatif français, une loi contraire au droit internatio-
nal n
est pas annulable pour autant, une norme internationale ne peut pas modi-
fier une loi française.
Page 645
Types de normes et compétences normatives
645
693. On distingue deux grandes sortes de normes internationales : celles du
droit international général et celles du droit international conventionnel.
A Le droit international général
694. Il sagit des normes du droit international qui ne résultent pas dun
traité. Ce sont elles qui sont visées par l
alinéa 14 du Préambule de la Constitu-
tion de 1946 : «
La République française, fidèle à ses traditions, se conforme
aux règles du droit public international
».
Elles comprennent essentiellement les coutumes internationales et notam-
ment la règle
pacta sunt servanda. Par ailleurs, la convention de Vienne sur
les traités mentionne également un ensemble de règles non conventionnelles
impératives, dites de
jus cogens, auxquelles les États ne sauraient déroger par
traité. On cite par exemple l
interdiction de la torture ou de lesclavage.
Lexistence et la portée de ce jus cogens font lobjet de débats au sein de la
doctrine du droit international. Mais du point de vue du droit constitutionnel, la
question n
est pas de savoir si ces règles sont ou non impératives dans lordre
international, mais seulement si elles s
imposent en droit interne et, dans laffir-
mative, à quel niveau de la hiérarchie elles se situent.
On pourrait penser quen raison de la référence du Préambule, les normes du
droit international général font partie du bloc de constitutionnalité. Ce serait le
cas si le Conseil constitutionnel pouvait déclarer qu
une loi ou un nouvel enga-
gement international contraire à l
une de ces normes, à lexclusion du droit
conventionnel, était de ce fait non conforme à la constitution, mais il n
a jamais
statué sur ce point. Dans le seul cas où il s
est référé à une règle de droit inter-
national public général, il s
agissait de la règle pacta sunt servanda et il sest
borné à déclarer que son rôle était d
examiner la conformité des traités soumis à
son examen par référence aux conventions déjà incorporées dans le droit fran-
çais (déc. nº 308 DC du 9 avril 1992 dite « Maastricht I »).
La formule du préambule a donc seulement, en létat actuel de la jurispru-
dence, la fonction de justifier l
interprétation par le Conseil constitutionnel des
traités soumis à son examen et la valeur supralégislative que l
article 55 accorde
au droit international conventionnel (v.
infra no 695).
B Le droit international conventionnel
695. Cest lensemble des normes créées par des conventions internationales
(traités ou accords internationaux
1). On les désigne aussi sous le nom dengage-
ments internationaux. À la différence des normes du droit international général,
ces engagements n
ont pas une valeur universelle : ils ne lient que les seuls
États qui ont ratifié ou approuvé le traité ou l
accord concerné. Mais ces règles
sont beaucoup plus nombreuses que les précédentes car le développement des
Selon les règles internes françaises (voir larticle 53 C), les traités sont négociés et ratifiés par le
1.
Président de la République, alors que les accords sont négociés et approuvés par le gouvernement, le
Président de la République étant seulement tenu informé. Les engagements internationaux les plus
importants sont généralement conclus sous forme de traité.
Page 646
646
Droit constitutionnel
rapports internationaux engendre une multitude de traités et daccords. En 2005,
d
après une statistique publiée par le Conseil dÉtat, la France était partie à
1 700 engagements multilatéraux et 5 700 engagements bilatéraux. Et environ
200 nouveaux accords bilatéraux sont signés et ratifiés chaque année, alors
que la moyenne n
était que de 14 entre 1914 et 1939 (Conseil dÉtat, 2006,
p. 246). Les règlements et directives de la Communauté européenne ne sont
pas compris dans cette statistique. La procédure de conclusion dun engagement
international comporte plusieurs étapes :
En premier lieu, la négociation, durant laquelle les représentants des parties
(c
est-à-dire des États qui envisagent de se lier) discutent des termes de lenga-
gement.
En second lieu, la signature, cest-à-dire lacte par lequel les parties fixent
définitivement les termes du projet d
engagement. Pour certains accords inter-
nationaux, que l
on désigne généralement sous le nom daccords en forme sim-
plifiée, la procédure se termine là, les parties étant convenues de se lier dès la
signature. Mais cette procédure courte n
est généralement utilisée que pour le
règlement de questions techniques d
une importance mineure. Dans les autres
cas, la signature ne sert qu
à authentifier le projet dengagement, une troisième
étape étant nécessaire pour donner à cet engagement force obligatoire.
Enfin, la ratification (ou approbation) est lacte par lequel un État confirme
sa volonté de conclure l
engagement et accepte les obligations internationales
qui en découlent. Cet acte intervient généralement quelques mois après la signa-
ture mais le délai est parfois beaucoup plus long : ainsi la Convention euro-
péenne des droits de l
Homme (Conv. EDH), signée en 1950, na-t-elle été rati-
fiée par la France qu
en 1974. Daprès la Constitution française, la ratification
ou l
approbation relève de la compétence de lexécutif mais, dans tous les cas
énumérés par l
article 53 C, elle doit être préalablement autorisée par le légis-
lateur
2.
Cette autorisation est donnée sous la forme dune loi parlementaire (ou
éventuellement référendaire s
il sagit dun traité qui, comme le traité établis-
sant une constitution pour l
Europe, est susceptible « davoir des incidences
sur le fonctionnement des institutions »).
Daprès larticle 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulière-
ment ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à
celle des lois, sous réserve, pour chaque traité ou accord, de son application
par l
autre partie ». Mais la suprématie ainsi conférée aux engagements inter-
nationaux doit s
entendre uniquement par rapport aux lois ordinaires ou organi-
ques et non par rapport aux dispositions de nature constitutionnelle. L
article 54
de la Constitution précise en effet que si le Conseil constitutionnel a déclaré
quun engagement international comporte une clause contraire à la Constitution,
l
autorisation de ratifier ou dapprouver cet engagement ne peut intervenir
La liste de larticle 53 C comprend sept catégories dengagements internationaux : les traités de
2.
paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l
organisation internationale, ceux qui enga-
gement les finances de l
État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont
relatifs à létat des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire. À lex-
ception peut-être des traités d
alliance, tous les engagements internationaux importants correspondent à
l
une au moins de ces rubriques et ne peuvent donc être ratifiés ou approuvés quen vertu dune loi.
Page 647
Types de normes et compétences normatives
647
quaprès révision de la Constitution. On pourrait objecter que le Conseil consti-
tutionnel n
est pas automatiquement saisi chaque fois que la ratification ou lap-
probation d
un engagement international est envisagée : il nest donc pas a
priori
exclu quun traité ou accord régulièrement ratifié ou approuvé comporte
une clause contraire à la Constitution. Mais, d
après la jurisprudence du Conseil
dÉtat, en cas de conflit entre un engagement international régulièrement ratifié
ou approuvé et une disposition de nature constitutionnelle, cest cette dernière
qui doit prévaloir (CE,
Sarran et autres, 30 octobre 1998, AJDA, 1998,
p. 1039). Et la Cour de cassation a adopté une position identique (C. Cass.,
Fraisse, 2 juin 2000, RDP, 2000, p. 1037). Dans lordre interne, la Constitution
demeure donc la norme suprême, sous réserve de ce qui a été dit concernant le
droit international général
3 (Troper, 2000).
Par ailleurs, même en laissant de côté le cas des dispositions de nature
constitutionnelle, l
article 55 subordonne la suprématie dun engagement inter-
national sur la loi interne à la condition que cet engagement soit effectivement
appliqué par l
autre partie4. Toutefois, malgré les termes très généraux de larti-
cle 55, cette réserve de l
application par lautre partie ne concerne pas tous les
engagements internationaux. Outre qu
il est très difficile, dans le cas dun traité
multilatéral ratifié par de nombreux États, de déterminer qui est « l
autre par-
tie », échappent à cette exigence : d
une part, les traités relatifs au respect des
droits de l
Homme (il serait en effet choquant quun État sautorise à violer un
droit reconnu par une convention internationale pour la simple raison que l
au-
tre partie en a fait autant) ; d
autre part, les traités qui ont institué des procédures
spéciales pour contraindre toutes les parties à respecter leurs engagements,
comme l
on fait les traités fondateurs des Communautés européennes et de
l
Union européenne (dans ce cas, si un État constate quun engagement nest
pas appliqué par l
autre partie, il lui appartient de déclencher lesdites procé-
dures).
La suprématie du traité par rapport à la loi ordinaire étant un principe consti-
tutionnel posé par larticle 55, on aurait pu penser que le Conseil constitutionnel
se chargerait lui-même de la faire respecter dans le cadre de son contrôle de
constitutionnalité
a priori, cest-à-dire lorsquune loi lui est déférée dans les
conditions prévues par l
article 61. Tel nest pas le cas. Le Conseil sest en
effet toujours refusé à inclure les engagements internationaux dans le « bloc
de constitutionnalité »
5. Selon lui, les rapports entre la Constitution et la loi ne
Cependant, le Conseil constitutionnel paraît avoir adopté une position un peu plus nuancée que le
3.
Conseil d
État et la Cour de cassation. Dans une décision no 98-399 DC du 5 mai 1998, dite décision
Reseda, il a jugé quil était possible de déroger à un principe de valeur constitutionnelle « dans la mesure
nécessaire à la mise en
œuvre dun engagement international et sous réserve quil ne soit pas porté
atteinte aux conditions essentielles dexercice de la souveraineté nationale ». Cette formule suggère
l
idée dune hiérarchie à lintérieur du bloc de constitutionnalité : seules les dispositions constitutionnel-
les ayant trait aux conditions essentielles d
exercice de la souveraineté nationale seraient dotées dune
valeur juridique supérieure à celle des engagements internationaux.
4.
Cette condition est souvent désignée sous le nom de condition de réciprocité mais cette termino-
logie risque d
induire en erreur car la notion de réciprocité est parfois employée dans un sens différent,
notamment aux articles 88-2 et 88-3 de la Constitution (v.
infra no 702).
Il n
y a exception à cette règle que lorsquun article de la Constitution renvoie à des règles inter-
5.
nationales déterminées, comme cest le cas de larticle 88-3 qui prévoit lattribution à certains étrangers
du droit de vote et d
éligibilité aux élections municipales « selon les modalités prévues par le traité sur
Page 648
648
Droit constitutionnel
sont pas de même nature que ceux entre le traité et la loi. La supériorité de la
Constitution est générale et absolue, elle ne souffre aucune exception, alors que
celle du traité n
est que temporaire et relative puisquelle est en principe subor-
donnée à la condition de l
application par lautre partie, la réalisation de cette
condition étant elle-même susceptible de varier dans le temps en fonction du
comportement adopté par la partie concernée. Les conflits entre la loi et le traité
doivent donc être résolus au cas par cas. Or, dans le cadre du contrôle de consti-
tutionnalité, ce ne serait pas possible, car le Conseil constitutionnel doit statuer
une fois pour toutes, avant même la promulgation de la loi (CC, 15 janvier
1975, 75-54 DC,
Rec. p. 19).
Après sêtre longtemps refusées à le faire, les juridictions judiciaires et
administratives acceptent depuis plus de vingt ans de contrôler la conformité
des lois aux engagements internationaux. Ce contrôle ne s
exerce pas par voie
d
action, comme le contrôle de constitutionnalité a priori, mais par voie dex-
ception et généralement à propos d
un cas despèces. Lorsquau cours dun pro-
cès un plaideur se voit opposer une loi française qui lui paraît contraire à un
engagement international, il peut opposer l
exception dinconventionnalité en
demandant au tribunal d
écarter ladite loi (Cass. ch. mixte, 24 mai 1975, Société
des cafés Jacques Vabre, D.
1975, 497 ; CE Ass., 20 octobre 1989, Nicolo,
Rec.
190).
Quant au Conseil constitutionnel, il exerce parfois aussi le contrôle de
conventionnalité, mais seulement dans le cadre du contentieux électoral qui
l
amène à trancher des cas despèces, comme les juridictions judiciaires ou
administratives (CC, 21 octobre 1988,
Rec. p. 183).
Cependant, ainsi quon la déjà signalé, le Conseil dÉtat et la Cour de cas-
sation estiment que si l
article 55 impose la prééminence des traités sur la loi
ordinaire, les normes constitutionnelles continuent de prévaloir sur le droit
international. Il est donc possible d
éviter linvalidation dune loi contraire à
un traité soit en l
adoptant à nouveau en forme constitutionnelle, soit en décla-
rant qu
elle énonce en réalité un principe de valeur constitutionnelle.
Il convient de noter que la supériorité du traité par rapport à la loi vaut éga-
lement pour le droit conventionnel dérivé, c
est-à-dire pour les normes produites
par une organisation internationale créée en vertu d
un traité, conformément aux
stipulations de ce traité. Dans le cas des Communautés européennes et de l
Union
européenne, cette catégorie de normes revêt une importance particulière.
C Le cas particulier des normes dorigine communautaire
1. La notion de droit communautaire dérivé
696. On sait que les traités fondateurs des Communautés européennes et
de l
Union européenne ont institué, dans les domaines correspondant à lobjet
de ces traités, une sorte de pouvoir normatif supranational. D
après
lUnion européenne signé le 7 février 1992 ». Du fait de ce renvoi, les règles visées sincorporent au
bloc de constitutionnalité (CC, 20 mai 1998, 98-400 DC). En ce qui concerne les directives commu-
nautaires, v.
infra no 703.
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Types de normes et compétences normatives
649
larticle 288 TFUE, ce pouvoir sexerce notamment sous forme de règlements
et de directives que l
on désigne globalement sous le nom de « droit commu-
nautaire dérivé ». Le règlement est obligatoire dans tous ses éléments et il est
directement applicable, sans aucune intervention des instances nationales. La
directive lie les États membres quant au résultat à atteindre, tout en laissant
aux instances nationales le choix quant à la forme et aux moyens. Toutefois,
lorsque la directive a été rédigée avec suffisamment de précision ce qui est
souvent le cas
elle peut, tout comme le règlement, produire un effet direct et
immédiat, sans attendre que les instances nationales aient pris les mesures
d
application6.
Linitiative des projets de règlement ou de directive appartient à la Commis-
sion européenne qui n
a pas dinstructions à recevoir de la part des gouverne-
ments des États membres mais qui est théoriquement responsable devant le Par-
lement européen. Ces projets doivent ensuite être adoptés par le Conseil de
l
Union, composé dun représentant de chacun des gouvernements des États
membres et par le Parlement européen, élu au suffrage universel direct par les
citoyens des États membres, selon des procédures assez complexes dont l
étude
relève du droit communautaire institutionnel. Il convient de noter que, de plus
en plus, les décisions au sein du Conseil de l
Union sont prises à la majorité
qualifiée (et non plus à l
unanimité comme cétait autrefois le cas), de sorte
qu
aucun État ne dispose plus à lui seul dun pouvoir de blocage. Depuis plu-
sieurs années déjà, le droit communautaire dérivé est devenu l
une des princi-
pales sources du droit français : le nombre des règlements et directives encore
en vigueur s
élèvait en 2006 à 1 700 environ et chaque année, les autorités com-
munautaires en adoptent de nouveaux qui modifient les précédents ou qui s
y
ajoutent (Conseil d
État, 2006, p. 239)7.
Comme larticle 55 de la Constitution reconnaît à ces actes de droit dérivé
une autorité supérieure à celle des lois, il en résulte de profondes modifications
dans la répartition des compétences. En premier lieu, alors que larticle 3 C pro-
clame que la souveraineté nationale appartient au peuple, qui lexerce par ses
représentants et par la voie du référendum, des compétences qualifiées par le
Conseil constitutionnel d
essentielles à lexercice de cette souveraineté, sont
exercées non par les représentants du peuple, ni par le peuple lui-même, mais
par une autorité supranationale
8. En second lieu, ce sont les gouvernements et
non les Parlements nationaux, qui sont représentés au sein du Conseil de
l
Union et qui par conséquent exercent en commun le pouvoir législatif. Les
traités européens organisent donc un double transfert d
une partie des
Selon la jurisprudence de la CJUE, « dans tous les cas où les dispositions dune directive appa-
6.
raissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers
sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à lencontre de lÉtat, soit lorsque celui-ci
s
est abstenu de la transposer dans les délais (...) soit lorsquil en a fait une transposition incorrecte. Ils
peuvent également s
en prévaloir à légard dun organisme qui, quelle que soit sa forme juridique, a été
chargé en vertu d
un acte de lautorité publique daccomplir sous le contrôle de cette dernière un ser-
vice d
intérêt public. LÉtat lui-même peut linvoquer, non pas à lencontre dun particulier, mais à
l
encontre dune entreprise publique (CJUE, 12 décembre 2013, Portgàs, AJDA 2014, p. 599).
Toutefois, le stock s
accroît plus lentement que ces chiffres pourraient le faire penser car beau-
7.
coup de ces nouveaux règlements ou directive se bornent à abroger ou à modifier des actes antérieurs.
Voir les décisions du Conseil constitutionnel
Maastricht I, 12 avril 1992, Traité dAmsterdam,
8.
31 décembre 1997 et
Traité établissant une constitution pour lEurope, 19 novembre 2004.
Page 650
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Droit constitutionnel
compétences législatives, du Parlement vers le Conseil de lUnion, du Parle-
ment vers le gouvernement. Le dessaisissement du Parlement est d
autant plus
important que, souvent, la transposition d
une directive en droit français est réa-
lisée par une ordonnance et non par une loi (v.
infra no 751).
2. Rappel de quelques étapes de la construction européenne
697. Depuis 1992, quatre traités transférant de nouvelles compétences, ou
modifiant le mode d
exercice de compétences déjà transférées, ont été soumis
à la ratification des États membres : le traité de Maastricht, signé le 7 février
1992, entré en vigueur en novembre 1993 ; le traité d
Amsterdam, signé le
2 octobre 1997, entré en vigueur le 1
er mai 1999 ; le traité établissant une
Constitution pour l
Europe, signé le 29 octobre 2004, mais dont le processus
de ratification a été abandonné à la suite de l
échec des référendums français
et néerlandais organisés en 2005 ; le traité de Lisbonne, signé le 13 décembre
2007, qui est entré en vigueur le 1
er décembre 2009 ; et enfin le traité sur la
la gouvernance à l
intérieur de la zone euro
stabilité,
(TSCG) signé à Bruxelles le 2 mars 2012.
la coordination et
Saisi dans le cadre de larticle 54 C, le Conseil constitutionnel a déclaré que
la ratification de chacun des quatre premiers supposait une révision préalable de
la Constitution
9.
Si quatre révisions successives ont été nécessaires, cest à cause de la
méthode employée par le constituant français qui, à la différence de certains
constituants étrangers, s
est toujours refusé à adopter une disposition générale
couvrant par avance l
ensemble des transferts susceptibles dêtre réalisés en
relation avec la construction européenne. Il faut donc à chaque fois insérer
dans la Constitution des dispositions nouvelles spécifiques au traité dont la rati-
fication est envisagée. Ces dispositions sont regroupées dans un Titre XV, créé
en 1992, et qui sintitule « Des communautés européennes et de lUnion euro-
péenne » (v. supra no 494).
À linstar du traité instituant une constitution pour lEurope, le traité de Lis-
bonne ne se limite pas à organiser des transferts de compétences des États mem-
bres vers l
Union. Il accorde également aux Parlements nationaux, dans lordre
communautaire, des droits nouveaux, comme celui d
émettre un avis sur la
conformité d
un projet dacte législatif européen au principe de subsidiarité.
Mais pour que le Parlement français puisse exercer ces droits, une modification
des règles constitutionnelles internes encadrant son activité était nécessaire. La
révision constitutionnelle préparatoire à l
entrée en vigueur du traité de Lisbonne
avait donc à la fois un objet immédiat (lever les obstacles à la ratification de ce
traité) et un objet différé (permettre au Parlement français d
exercer les nou-
veaux pouvoirs dont il serait doté à compter de lentrée en vigueur de ce
même traité). Elle a donc prévu une version nouvelle du titre XV, qui est entrée
en vigueur le 1
er décembre 2009, en même temps que le traité de Lisbonne.
En revanche, pour le TSCG, le Conseil constitutionnel a estimé que, sous certaines conditions,
9.
une loi ordinaire était suffisante (voir
infra, no 740).
Page 651
Types de normes et compétences normatives
651
3. Le titre XV de la Constitution depuis lentrée en vigueur du traité
de Lisbonne
698. Ce titre compte sept articles, numérotés de 88-1 à 88-7.
L
article 88-1 rappelle que la République française participe « à lUnion
européenne ». Mais il sefforce en même temps dexclure une interprétation
trop fédéraliste de celle-ci en précisant quelle est composée dÉtats (cest-à-
dire d
entités qui conservent leur souveraineté, bien quelles aient choisi libre-
ment d
exercer en commun certaines compétences essentielles). Il se réfère
expressément au traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007.
Larticle 88-2 confirme les transferts de compétences déjà réalisés par les
traités de Maastricht et d
Amsterdam (supra no 697). En outre, il donne compé-
tence au législateur pour fixer les règles relatives au mandat d
arrêt européen en
application des actes de l
Union. européenne.
Larticle 88-3 est destiné à régler un problème particulier lié à la création
d
une citoyenneté européenne : toujours sous réserve de réciprocité, il permet
d
accorder aux ressortissants de lUnion résidant en France, selon les modalités
prévues par le traité de Maastricht, le droit de vote et d
éligibilité aux élections
municipales. Il est précisé que ces ressortissants «
ne peuvent exercer les fonc-
tions de maire ou d
adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénato-
riaux et à l
élection des sénateurs ». Les modalités dapplication de cette dispo-
sition doivent être déterminées par une loi organique votée dans les mêmes
termes par les deux assemblées
10.
Lorigine de larticle 88-4 remonte à la révision constitutionnelle de 1992. À
cette époque on savait déjà que le traité de Maastricht prévoyait le transfert aux
autorités européennes d
importants pouvoirs de nature législative. Cest pourquoi
le Parlement français, comme d
ailleurs ceux de plusieurs autres États membres, a
souhaité être au moins informé des travaux législatifs européens et pouvoir orga-
niser à leur propos une discussion. À cet effet un article 88-4 a été inséré dans la
constitution à linitiative des sénateurs. Il oblige le gouvernement à soumettre à
l
Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de lUnion
européenne, les projets ou propositions d
actes des Communautés européennes et
de l
Union européenne. LAssemblée nationale ou le Sénat peut faire connaître
son sentiment sur ces projets ou propositions en adoptant des résolutions. Il
s
agit donc dun contrôle préventif, les résolutions devant normalement être adop-
tées avant que le Conseil de l
Union européenne se soit prononcé sur le projet ou
la proposition concernée. Mais ce contrôle ne confère aux assemblées parlemen-
taires françaises aucun pouvoir véritablement décisionnel : juridiquement, les
résolutions adoptées ne sont en effet que de simples avis. Lors de la révision de
juillet 2008, le texte de cet article a été légèrement modifié pour permettre aux
assemblées dadopter des résolutions sur tout document émanant dune institution
de lUnion européenne et pour instituer, au sein de chacune delles, une commis-
sion des affaires européennes (v.
supra no 664).
Larticle 88-5 est destiné à apaiser les inquiétudes que suscitent, dans lopi-
nion, depuis quelques années les perspectives d
élargissement de lUnion euro-
péenne, notamment à la Turquie. La procédure est assez complexe et encore
10. V. supra no 510 la composition du corps électoral.
Page 652
652
Droit constitutionnel
plus difficile à mettre en œuvre que pour la révision de la constitution. La rati-
fication d
un traité relatif à ladhésion dun nouvel État à cette Union doit être
autorisée par une loi, que le Président de la République soumet en principe au
référendum. Toutefois, il peut éviter le recours au référendum en demandant
aux deux assemblées l
autorisation de soumettre le projet au Congrès du Parle-
ment. Le choix du recours au Congrès ne lui appartient donc pas entièrement.
Les deux assemblées ne peuvent donner leur approbation quen adoptant une
motion en termes identiques et à la majorité des trois cinquièmes au sein de
chacune d
elles. Ensuite, le Congrès statue dans les conditions prévues à lali-
néa 3 de l
article 89, cest-à-dire également à la majorité des trois cinquièmes.
Cette procédure est à la fois plus facile et plus difficile que celle de l
arti-
cle 89. Plus facile parce que le président de la République peut soumettre le
projet de loi de ratification au référendum, sans passer par l
étape parlementaire.
Plus difficile parce qu
elle exige une majorité des trois cinquièmes au sein de
chaque assemblée et non pas seulement par rapport à l
ensemble des parlemen-
taires au sein du Congrès.
Larticle 88-6 habilite les assemblées parlementaires à adopter des résolu-
tions pour faire respecter le principe de subsidiarité par les institutions de
l
Union européenne. Il a déjà été étudié dans les développements consacrés au
contrôle parlementaire (v.
supra no 667).
699. Larticle 88-7 a trait à la révision dite « simplifiée ». Ce qui distin-
gue un traité international de la constitution d
un État, cest quil ne peut être
modifié qu
à lunanimité des États parties. Si le traité a créé une organisation
internationale, celle-ci ne peut réviser le traité unilatéralement et modifier ainsi
les compétences des États membres. C
est que les États ne tiennent leurs compé-
tences que d
eux-mêmes, tandis quune organisation internationale la tient du
traité qui l
a instituée. Si les organes de lUnion européenne avaient le pouvoir
de réviser le traité et de modifier les compétences des États membres, comme cela
avait été un moment envisagé à la convention chargée de préparer le « traité
l
Union aurait été transformée en État
constitutionnel européen » en 2004,
fédéral.
En définitive, daprès le traité de Lisbonne, certaines règles relatives aux
prises de décision au sein du Conseil peuvent être révisées selon une procédure
simplifiée, qui ne nécessite pas la ratification par chacun des États membres.
Ces révisions simplifiées peuvent favoriser l
essor de la législation européenne
en remplaçant, par exemple, dans certains domaines, l
exigence de lunanimité
par celle de la majorité qualifiée ou en substituant la procédure législative ordi-
naire à une procédure législative spéciale un peu plus contraignante. Elles peu-
vent donc aboutir à restreindre la compétence des Parlements nationaux. C
est
pourquoi il est prévu que toute initiative de révision simplifiée prise par le
Conseil européen est transmise aux Parlements nationaux, l
opposition dun
seul de ceux-ci étant suffisante pour bloquer la procédure.
Larticle 88-7 transpose, dans la Constitution française, cette faculté doppo-
sition. Mais c
est le Parlement considéré dans son ensemble, et non chaque
assemblée parlementaire agissant isolément, qui peut lexercer. Larticle 88-7
précise donc que l
opposition à une révision simplifiée ne peut résulter que
d
une motion adoptée en termes
les deux assemblées.
identiques par
Page 653
Types de normes et compétences normatives
653
Larticle 88-7 reconnaît ainsi au Parlement français un véritable pouvoir de
décision, mais qui ne peut s
exercer que dune manière négative.
Larticulation du droit européen et du droit national ne dépend pas seule-
ment du contrôle exercé par les assemblées parlementaires mais aussi des déci-
sions rendues par les juges nationaux.
4. Lencadrement du droit communautaire par les juges nationaux
700. Ainsi quon la déjà noté, la primauté du droit international convention-
nel par rapport au droit interne est, en règle générale, limitée de plusieurs
manières : par la règle de réciprocité posée par l
article 55 C ; par la règle juris-
prudentielle selon laquelle les normes de valeur constitutionnelle n
y sont pas
soumises ; et enfin par le refus du Conseil constitutionnel d
inclure le droit
international dans le bloc de constitutionnalité. Mais, selon le Conseil constitu-
tionnel, en raison des termes du premier alinéa de l
article 88-1 C (« La Répu-
blique participe aux Communautés européennes et à l
Union européenne,
constituées d
États qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont ins-
tituées, d
exercer en commun certaines de leurs compétences. » ), il existe
désormais « un ordre juridique communautaire intégré à l
ordre juridique
interne et distinct de l
ordre juridique international », (déc. no 2004-505 DC du
19 novembre 2004, cons. 11).
Et cest pourquoi, en ce qui concerne le droit communautaire, les limites ci-
dessus rappelées ont tendance à s
estomper. Et le droit communautaire est même
partiellement intégré dans les normes de référence utilisées par le Conseil.
a) La non-application de la condition de réciprocité
701. La réserve de réciprocité était autrefois mentionnée à larticle 88-2 et
elle figure toujours à l
article 88-3 mais il ne faut pas se faire dillusion sur sa
portée. Contrairement à ce qui est prévu par larticle 55 de la Constitution en ce
qui concerne les engagements internationaux ordinaires, les actes communautai-
res dérivés prévalent sur les lois nationales indépendamment de la question de
savoir s
ils sont effectivement appliqués par les autres États membres : cest une
conséquence du fait que les traités fondateurs des Communautés et de l
Union
européenne sont des traités-institutions, qui prévoient des remèdes spéciaux
pour contraindre un État membre à respecter ses engagements. La réserve de
réciprocité sert seulement à justifier que les citoyens de l
Union se voient accor-
der le droit de vote en France par le fait que les Français doivent se voir recon-
naître le même droit dans les autres États. Elle signifie que la France n
a pas
transféré des compétences ou accordé des droits de façon unilatérale, et que
ses partenaires de lUnion sont liés par les mêmes engagements (Luchaire,
1999). Mais si la règle communautaire est violée dans un autre État membre,
la France n
est pas dispensée pour autant de lappliquer. Elle peut seulement
se plaindre à la Commission ou former contre cet autre État, devant la Cour
de Justice de l
Union européenne, un recours appelé recours en manquement.
Page 654
654
Droit constitutionnel
b) Le problème de la primauté de la Constitution française
702. Jusquà une date récente, les juridictions françaises affirmaient la pri-
mauté des normes constitutionnelles par rapport aux conventions internationa-
les, sans faire aucune distinction entre le droit communautaire, originaire ou
dérivé, et les autres engagements internationaux11. Mais une décision rendue
par le Conseil constitutionnel en 2004 a marqué, à cet égard, un tournant impor-
tant : saisi par des parlementaires d
un recours contre une loi transposant en
droit français certaines dispositions d
une directive du Parlement européen et
du Conseil, il a déclaré que «
la transposition en droit interne dune directive
communautaire résulte d
une exigence constitutionnelle12 à laquelle il ne pour-
rait être fait obstacle qu
en raison dune disposition expresse contraire de la
constitution ; qu
en labsence dune telle disposition, il nappartient quau
juge communautaire, saisi le cas échéant à titre préjudiciel, de contrôler le
respect par une directive communautaire tant des compétences définies par
les traités que des droits fondamentaux garantis par l
article 6 du traité de
l
Union européenne »13.
Complétée et précisée par quelques décisions ultérieures, cette jurisprudence
maintient le principe de la primauté de la Constitution française, puisqu
il
affirme que la primauté du droit communautaire sur cette constitution a son
fondement dans la constitution française elle-même, notamment dans son arti-
cle 88-1. La justification réside dans l
idée que la constitution naurait pas pu
sans contradiction à la fois ordonner certaines conduites et affirmer sa soumis-
sion à des normes communautaires qui ordonneraient des conduites contraires.
Ce raisonnement complexe et habile permet de prévoir deux hypothèses : d
une
part, le pouvoir constituant pourrait toujours modifier l
article 88-1 et faire tom-
ber la primauté du droit communautaire ; d
autre part, le pouvoir constituant
peut évidemment autoriser une entorse à un principe constitutionnel quel-
conque. Le Conseil constitutionnel parvient ainsi à préserver à la fois le principe
de la primauté du droit européen sur le droit national et la souveraineté de la
France.
Il a ainsi proclamé que « la transposition dune directive ne saurait aller à
l
encontre dune règle ou dun principe inhérent à lidentité constitutionnelle de
la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti
»14. La formule est volon-
tairement ambiguë. Elle peut signifier d
abord, selon une interprétation restric-
tive, que la règle ou le principe est spécifique à la France, c
est-à-dire que les
autres États membres n
y adhèrent pas nécessairement. On songe évidemment
au principe de laïcité, mais on éprouve quelque difficulté à citer d
autres prin-
cipes spécifiques. Selon une interprétation plus large, le Conseil constitutionnel
11. Cest dailleurs à propos de règles dorigine communautaire quont été rendus les arrêts Sarran
et Fraisse, déjà cités, qui ont posé le principe de la primauté des règles à valeur constitutionnelle.
Selon le Conseil constitutionnel, cette exigence ne découle pas de l
article 55, qui concerne tous
12.
les engagements internationaux, mais de l
article 88-1, qui fait spécialement état des engagements cor-
respondant aux traités européens.
13. Déc. n
o 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans léconomie numérique, Cons.
7.
14. Décision n
o 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit dauteur et aux droits voisins
dans la société de l
information.
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Types de normes et compétences normatives
655
aurait visé, comme la fait avant lui la Cour constitutionnelle allemande, tous les
principes qui seraient jugés essentiels, même si on les retrouve dans d
autres
pays, par exemple le principe de souveraineté nationale ou la garantie des droits
fondamentaux.
Le Conseil constitutionnel se réserve donc le droit de censurer une loi trans-
posant une directive allant à lencontre dun principe inhérent à lidentité consti-
tutionnelle de la France. Il s
agit évidemment dune hypothèse exceptionnelle et
le contrôle n
aura donc plus que rarement loccasion de sexercer. Il en ira de
même des juridictions administratives et judiciaires dont la jurisprudence paraît
également évoluer dans ce sens (voir par exemple : CE Ass., 8 février 2007,
Société Arcelor, AJDA, 2007, 281).
c) Linclusion partielle du droit communautaire dans les normes de référence
du Conseil
703. En 2006, le Conseil constitutionnel a franchi une étape supplémentaire
dans la reconnaissance de la spécificité du droit communautaire : pour la pre-
mière fois, il a censuré partiellement une loi, non parce qu
elle était directement
contraire à la constitution française mais parce qu
elle ne respectait pas certai-
nes dispositions d
une directive communautaire quelle avait pour objet de
transposer (déc. nº 2006-543 DC du 30 novembre 2006
loi relative au secteur
de l
énergie cons. 3 et suivants)15. Par dérogation à sa jurisprudence de 1975,
par laquelle il s
interdisait dutiliser les traités internationaux comme normes de
référence pour son contrôle des lois, le Conseil accepte donc désormais, au
moins dans certains cas, de veiller au respect du droit communautaire par le
législateur français. Cette innovation est d
autant plus significative quil sagis-
sait d
un moyen soulevé doffice, cest-à-dire sans quil ait été invoqué par
l
une des parties. Le Conseil constitutionnel justifie cette attitude par le fait
que, en raison des articles 88-1 C et suivants, la participation à l
Union euro-
péenne et aux Communautés européennes n
est plus seulement pour la France
une obligation internationale mais aussi une obligation constitutionnelle. Il s
en-
suit que lorsque le législateur, dans la transposition d
une directive ou dune
décision-cadre, ne respecte pas les règles fixées par celle-ci, la Constitution
française est violée d
une manière indirecte et il appartient alors au Conseil de
sanctionner cette violation. Le Conseil constitutionnel est ainsi parvenu à pré-
server la souveraineté nationale, puisque l
obligation de transposition ne résulte
pas des traités mais seulement de la constitution et que les principes constitu-
tionnels qui touchent à l
identité constitutionnelle de la France restent hors de
portée du droit européen, tandis que le pouvoir constituant, lui peut toujours les
modifier.
On ne doit cependant pas en conclure que le droit communautaire est plei-
nement intégré au bloc de constitutionnalité car le Conseil subordonne ce type
de contrôle à des conditions très précises.
Il sagissait des directives sur les marchés intérieurs de lélectricité et du gaz naturel. La loi de
15.
transposition prévoyait la possibilité de tarifs réglementés pour la vente de ces produits ce qui, selon le
Conseil, était contraire à l
objectif de réalisation dun « marché concurrentiel » fixé par les deux direc-
tives.
Page 656
656
Droit constitutionnel
En premier lieu, il rappelle que la transposition dune directive ne saurait
aller à l
encontre dune règle ou dun principe inhérent à lidentité constitution-
nelle de la France (cons. 6 de la décision du 27 juillet 2006).
En deuxième lieu, jusquà une date récente, il ne se reconnaissait le droit de
censurer une disposition législative que si elle était
manifestement incompatible
avec les dispositions de la directive quelle avait pour objet de transposer (cons.
7). Si la compatibilité avait été seulement douteuse, il y aurait eu lieu de saisir à
titre préjudiciel le juge communautaire (CJUE) mais les délais impartis au
Conseil constitutionnel pour rendre ses décisions dans le cadre du contrôle
a
priori
(un mois) étaient trop brefs pour quil pût lui-même procéder à cette sai-
sine. Les juridictions judiciaires ou administratives pourraient éventuellement le
faire après la promulgation de la loi de transposition, à l
occasion des litiges
dont elles seraient saisies.
Cependant, dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité
(QPC) instituée par la loi de révision du 23 juillet 2008, le Conseil dispose
d
un délai trois fois plus long pour rendre sa décision (voir infra nº 776). Il en
a déduit qu
il lui était désormais possible de renvoyer une question préjudicielle
à la CJUE en demandant à celle-ci de statuer selon la procédure d
urgence (déc.
nº 2013-314P QPC du 4 avril 2013). Mais cette jurisprudence ne semble pas
devoir être étendue au contrôle
a priori dans le cadre duquel le Conseil ne dis-
pose toujours que d
un délai dun mois16. Le renvoi de cette question à la CJUE
se justifiait par le fait que la constitutionnalité de la loi attaquée dépendait du
sens d
une directive que cette loi avait transposée. Cest pourquoi le Conseil
constitutionnel demandait à la CJUE une interprétation de la directive
17.
En troisième lieu, les normes de référence utilisées par le Conseil dans le
cadre de ce contrôle ne se confondent pas avec l
ensemble du droit de lUnion :
ce sont seulement celles qui résultent directement de la directive ou de la déci-
sion cadre qu
il sagit de transposer.
Enfin, en létat actuel de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel nexa-
mine la compatibilité d
une loi avec les dispositions dune directive que dans le
cas où cette loi a précisément pour objet de transposer la directive en droit
interne (déc. nº 2006-535 DC du 30 mars 2006
loi pour légalité des chances,
cons. 28). Cette troisième condition peut sembler illogique car si la transposi-
tion des directives en droit interne est une obligation constitutionnelle, comme
l
affirme le Conseil, le respect de ces directives par les lois autres que la loi de
transposition devrait l
être également. Mais elle se justifie probablement par des
raisons de commodité. Le Conseil tient à rester principalement une juridiction
constitutionnelle et ne souhaite donc pas avoir à se prononcer trop souvent sur
des moyens tirés de la violation du droit communautaire.
Par ailleurs, dans une décision du 12 mai 2010, le Conseil a déclaré que le
respect de lexigence constitutionnelle de transposition des directives ne relevait
pas «
des droits et libertés que la Constitution garantit et quelle ne saurait par
16. La notion de « question préjudicielle » est définie infra nº 772.
17. La CJUE a tranché la question par un arrêt du 30 mai 2013 et le Conseil constitutionnel, qui avait
été saisi de la QPC le 27 février 2013 na rendu sa décision définitive que le 14 juin 2013, cest-à-dire
avec un léger retard par rapport au délai de trois mois. Mais il serait difficile d
étendre cette jurispru-
dence au contrôle
a priori dans le cadre duquel le Conseil ne dispose que dun délai dun mois.
Page 657
Types de normes et compétences normatives
657
suite être invoquée dans le cadre dune question prioritaire de constitutionna-
lité
»18. Mais cette réserve ne sapplique évidemment pas lorsque, en raison de
son objet, la loi de transposition touche aux droits et libertés que la Constitution
garantit. Par exemple, dans l
affaire qui a donné lieu à la décision nº 2013-
314P QPC du 4 avril 2013 citée plus haut, le respect de la liberté individuelle
était en cause car il sagissait des conditions auxquelles étaient subordonnées les
personnes faisant l
objet dun mandat darrêt européen.
Le droit communautaire apparaît donc de plus en plus comme un ordre
juridique entièrement autonome, dont le développement ne peut être effica-
cement contrôlé que par les juridictions qu
il a lui-même instituées. Cepen-
dant, dans l
ordre juridique interne, le principe de la suprématie de la consti-
tution française est maintenu, ne serait-ce que parce que, selon le Conseil
constitutionnel, l
obligation de transposer les directives communautaires ne
résulte que de l
article 88-1 de la Constitution, ce qui signifie que le consti-
tuant français, en abrogeant ou en dérogeant à cet article, pourrait supprimer
ou atténuer cette obligation.
Section 2
Les normes législatives et réglementaires
704. La loi reste la source principale du droit français. Comme lindique
l
article 6 de la DDHC de 1789, elle exprime la volonté générale19. La volonté
qu
exprime le Parlement nest pas celle de ses membres, mais est présumée être
celle du peuple souverain, dont ils sont les représentants. C
est ce qui justifie la
prééminence de la loi dans l
ordonnancement juridique. Sa fonction est donc
essentiellement normative et elle ne doit pas s
en écarter (§ 1). Mais elle na
pas vocation à déterminer toutes les normes car, à côté du domaine réservé à
la loi, la Constitution a créé un domaine réglementaire, réservé au gouverne-
ment (§ 2).
§ 1. La fonction normative de la loi
705. Ainsi quon la exposé dans le chapitre préliminaire, un système juri-
dique est un ensemble de normes. Affirmer que la loi est la principale source du
droit français revient à dire quil appartient au législateur de fixer les plus
importantes de ces normes. Lanalyse sémantique des textes de valeur
18. Cette déclaration était en partie destinée à rassurer la Cour de cassation qui craignait que la QPC
empêche les juridictions administratives et judiciaires d
exercer les compétences prévues par larti-
cle 267 TUE (voir
infra nº 778).
19. Toutefois, le Conseil constitutionnel rappelle de temps à autre que, aujourd
hui, si la loi exprime
la volonté générale, cest seulement « dans le cadre tracé par la Constitution ». Cette précision lui
permet d
écarter les arguments de ceux qui lui font le reproche de sopposer à la volonté générale
lorsqu
il censure la loi.
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658
Droit constitutionnel
constitutionnelle confirme que la loi est presque toujours le sujet dun verbe
ayant un contenu impératif. Elle détermine, fixe, ordonne, régit, réglemente,
autorise, défend, exclut, etc.
20.
En pratique, cependant, les textes à vocation normative (constitutions, lois,
traités, etc.) sont souvent mêlés de dispositions déclaratives qui expriment non
des commandements, mais des professions de foi, des intentions, des vœux. Le
but de ces dispositions n
est pas de fixer des règles de conduite mais de rassu-
rer, de séduire ou de convaincre. Par exemple, la Charte des droits fondamen-
taux de l
Union européenne déclare solennellement que celle-ci « place la per-
sonne au c
œur de son action » et quelle « contribue à la préservation et au
développement des valeurs communes dans le respect des cultures et des tradi-
tions des peuples d
Europe ».
De telles proclamations se rencontrent dans les textes constitutionnels qui
entendent non seulement fixer un cadre juridique mais aussi esquisser un projet
commun, une représentation de l
ordre social désirable.
Selon le Conseil constitutionnel, les lois ordinaires, qui ont un objet moins
ambitieux, devraient normalement être rédigées dans un style plus sobre, plus
strictement normatif. Mais ce n
est pas toujours le cas. Par exemple, peut-être
pour faire oublier l
insuffisance des moyens mis à la disposition de certains ser-
vices publics, le législateur a souvent tendance à se lancer dans un bavardage
sur les missions de ces services, en rappelant des évidences, en multipliant les
fausses promesses et les v
œux pieux (ex. : « Lobjectif de lécole est la réussite
de tous les élèves
(...) La formation scolaire, sous lautorité des enseignants et
avec l
appui des parents, permet à chaque élève de réaliser le travail et les
efforts nécessaires à la mise en valeur et au développement de ses
aptitudes...
»21).
Non seulement de telles dispositions sont superflues, mais elles risquent de
dénaturer la loi qui devient prolixe, confuse et pratiquement illisible, alors
qu
elle devrait être précise, claire, et concise.
Comme la rappelé Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil constitution-
nel, dans ses vœux au Président de la République, le 3 janvier 2005 :
« La loi nest pas faite pour affirmer des évidences, émettre des vœux ou
dessiner l
état idéal du monde (en espérant sans doute le transformer par la
seule grâce du verbe législatif ?
) ».
« Elle est faite pour fixer des obligations et ouvrir des droits ».
Toutefois, jusqu
en 2005, le Conseil constitutionnel sétait abstenu de cen-
surer les dispositions non normatives, que l
on qualifie parfois de « neutrons
législatifs ». Il estimait en effet qu
étant dépourvues deffets juridiques, ces dis-
positions ne pouvaient être contraires à aucun article de la Constitution. Mais sa
jurisprudence a commencé à évoluer lorsquil a érigé la clarté de la loi en prin-
cipe constitutionnel en précisant que son intelligibilité et son accessibilité
20. En apparence, larticle 3 C, issu de la révision du 8 juillet 1999, fait exception : il y est dit que
la loi
favorise légal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Mais pour favoriser cet égal accès, la loi édicte en fait des règles obligatoires concernant la compo-
sition des listes électorales ou les aides aux partis politiques.
21. Article 7 de la loi d
orientation et de programme sur lavenir de lécole adopté par le Parlement
en 2005.
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Types de normes et compétences normatives
659
étaient des objectifs de valeur constitutionnelle22. Dès lors, dans la mesure où
les « neutrons législatifs » compromettent la réalisation de ces objectifs, on pou-
vait se demander s
ils ne devaient pas eux-mêmes être considérés comme
inconstitutionnels.
Parachevant cette évolution, le Conseil constitutionnel a invalidé les dispo-
sitions précitées de la loi relative à lavenir de lécole au motif que, nayant pas
pour objet d
énoncer de véritables commandements et de créer des obligations
claires, ces dispositions étaient
« dépourvues de portée normative »23.
On peut penser que ce dont sinquiétait la haute juridiction était en réalité
moins l
absence de portée normative que le risque dune interprétation abusive.
La portée normative d
un énoncé nest en effet pas liée à sa forme linguistique
et les constitutions ou les codes comprennent bien des dispositions qui parais-
sent purement descriptives ou très vagues, et qui sont malgré tout interprétées
comme ayant la signification d
une norme24. La question est seulement de
savoir à qui reviendra le soin de procéder à cette interprétation. Le Conseil
semble craindre que ce soient les tribunaux ordinaires, ce qui exposerait «
les
sujets de droit [à] une interprétation contraire à la Constitution ou [au] risque
d
arbitraire » et pourrait « reporter sur des autorités administratives ou juridic-
tionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n
a été confiée par la
Constitution qu
à la loi25 ».
En réalité, même si le texte de la loi est plus précis, il pourra toujours faire
l
objet dune interprétation, mais le Conseil constitutionnel peut espérer en gar-
der le contrôle grâce à la technique de la réserve d
interprétation (v. infra
no 783).
Au demeurant, dans certains cas, prévus par larticle 34 de la Constitution, la
loi peut fixer des orientations ou des objectifs qui ont une valeur plus indicative
que normative :
Les lois de finances fixent des objectifs qui serviront détalon de réfé-
rence pour mesurer la performance des services publics et, indirectement, l
effi-
cacité de la dépense publique (v.
infra no 737).
Les lois de financement de la sécurité sociale fixent des objectifs de
dépense qui ne sont pas strictement obligatoires mais qui serviront d
indicatifs
pour veiller à l
équilibre financier du système (v. infra no 741).
Les lois de programmation, qui définissent les orientations pluriannuel-
les des finances publiques, fixent les objectifs de laction de lÉtat.
Bien que ces objectifs soient dénués deffets juridiques, le Conseil constitu-
tionnel les considère comme valides, mais à condition que le texte auquel ils sont
rattachés ait bien été adopté selon les formes prévues par la Constitution. Par
exemple, le rapport annexé à la loi sur l
école de 2005, qui fixait des objectifs
quantitatifs et qualitatifs à laction de lÉtat en matière éducative, aurait pu être
inclus dans une loi de programme mais, daprès les dispositions de larticle 70 C
22. Voir notamment la déc. no 2001-455 DC du 12 janvier 2002 (Cons. 9).
23. Déc. n
o 2005-512 DC du 21 avril 2005.
24.
Par exemple, des dispositions très générales du premier alinéa du Préambule de la Constitution
de 1946, le Conseil constitutionnel a tiré le principe du droit à la sauvegarde de la dignité, qui a des
conséquences normatives (déc. nº 343-344 DC du 27 juillet 1994, Cons. 2).
25. Déc. du 21 avril 2005 précitée.
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660
Droit constitutionnel
en vigueur à lépoque, une telle loi ne pouvait être adoptée quaprès consultation
du Conseil économique et social. Cette consultation n
ayant pas eu lieu, le rapport
a été invalidé pour «
omission dune formalité substantielle »26.
Par ailleurs, le législateur ne doit pas non plus se perdre dans les détails en
empiétant sur le domaine que la Constitution réserve en principe au pouvoir
réglementaire.
§ 2. La séparation du domaine législatif et du domaine
réglementaire
706. Au niveau national, la production de normes générales est depuis long-
temps partagée entre le Parlement et le gouvernement. On distingue donc tradi-
tionnellement deux grandes sortes d
actes normatifs généraux : la loi, qui est
votée par le Parlement ; le règlement, ou décret réglementaire, qui est l
œuvre
du gouvernement.
Avant lentrée en vigueur de la Constitution de 1958, la loi bénéficiait dune
suprématie quasiment absolue.
Cette suprématie se manifestait dabord par le fait que son domaine était illi-
mité. Certaines matières étaient réservées à la loi en vertu de la tradition républi-
caine ; mais aucune matière ne lui était interdite. Pour peu qu
il en ait la volonté et
le loisir, le législateur pouvait donc, sur n
importe quel objet, adopter un texte
tellement complet qu
il ny avait pratiquement rien à y ajouter. Le règlement,
quant à lui, n
avait quun domaine résiduel ; aucune matière ne lui était réservée ;
le pouvoir réglementaire ne pouvait intervenir que pour compléter une loi, pour
en préciser les modalités d
application. En dautres termes, il était seulement
chargé d
assurer lexécution des lois. Le règlement ne pouvait donc jamais aller
contra legem, sauf si le législateur lavait expressément habilité à le faire en lin-
vitant à prendre ce que lon appelait alors des « décrets-lois ».
La suprématie de la loi se manifestait non seulement par le fait que son
domaine était illimité mais aussi par la force juridique qu
on lui attribuait.
Depuis 1789, elle est présumée être «
lexpression de la volonté générale ».
Elle se trouvait donc placée au-dessus de toute contestation. Les tribunaux
devaient l
appliquer sans même pouvoir contrôler si elle était conforme aux nor-
mes théoriquement supérieures. Ils se bornaient à contrôler qu
il sagissait bien
d
un texte adopté selon les formes législatives (adoption par le Parlement, pro-
mulgation, publication au
JO).
Quant au règlement, il était doté dune force juridique bien moindre. Il
devait respecter la constitution, la loi et même les
principes généraux du droit,
qui sont des principes élaborés par le juge administratif en sinspirant de lesprit
général de la législation ou des exigences de la conscience collective. Il pouvait
être contesté soit directement, par la voie du recours pour excès de pouvoir, soit
à l
occasion dun procès, par la voie de lexception dillégalité. Le jugement de
ces contestations relevait de la compétence des juridictions administratives
(Conseil dÉtat et tribunaux administratifs).
26. Déc. précitée, point 14.
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Types de normes et compétences normatives
661
Parfois, cependant, le règlement échappait à ces contestations en sabritant
derrière la loi : si par exemple la violation d
un principe constitutionnel ou dun
principe général du droit apparaissait comme la conséquence directe de l
appli-
cation d
une disposition législative, le juge administratif se refusait à sanction-
ner cette violation parce qu
il naurait pas pu le faire sans sopposer en même
temps au législateur.
Par conséquent, non seulement la loi échappait elle-même à toute contesta-
tion mais elle pouvait également « faire écran » entre le règlement et ses juges.
La Constitution de 1958 n
a pas bouleversé totalement ce système mais elle
y a apporté plusieurs modifications importantes : la limitation du domaine de la
loi (A) ; la création d
un domaine réglementaire propre (B) ; linstitution de pro-
cédures destinées à régler les conflits de compétences (C). En pratique, néan-
moins, la séparation des deux domaines s
est révélée plutôt poreuse (D).
A La limitation du domaine de la loi
707. Jusquen 1958, le domaine de la loi était illimité et le pouvoir législatif
pouvait intervenir dans n
importe quelle matière et descendre aussi loin dans le
détail qu
il le souhaitait. Désormais, la compétence du législateur parlementaire
est devenue une compétence d
attribution, cest-à-dire quelle ne peut en prin-
cipe s
exercer que dans des matières limitativement énumérées par la Consti-
tution.
La définition de la loi reste « formelle ». En effet, les tribunaux reconnais-
sent qu
un acte est une loi lorsquil a été adopté par le Parlement selon la pro-
cédure législative. Toutefois son objet est limité à certaines matières dont la liste
a été fixée principalement à l
article 34. Cette liste comprend notamment les
droits civiques, les libertés publiques, la nationalité, l
état et la capacité des per-
sonnes, les régimes matrimoniaux, les crimes et les délits, la procédure pénale,
les obligations civiles et commerciales, etc.
À lire lénumération de larticle 34, il semblerait que les matières législatives
se répartissent en deux catégories : tantôt, la loi fixe les règles, c
est-à-dire quelle
régit la matière dans sa totalité (nationalité, état et capacité des personnes, déter-
mination des crimes et des délits) ; tantôt, au contraire, la loi se borne à détermi-
ner les garanties ou principes qualifiés de fondamentaux en laissant au pouvoir
réglementaire le soin de fixer les règles moins importantes (libertés publiques,
enseignement, organisation générale de la défense nationale, etc.). Mais en pra-
tique, la distinction entre ces deux catégories de matières est beaucoup moins
tranchée qu
on ne pourrait le croire à la lecture de larticle 34 (v. infra no 709).
Daprès le dernier alinéa de larticle 34, la liste des matières législatives peut
être précisée ou complétée par une loi organique27.
27. Bien entendu, cette liste peut également être modifiée par une révision constitutionnelle. Cest
ainsi que la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 y a ajouté quelques éléments, notamment les règles
concernant «
la liberté, le pluralisme et lindépendance des médias ». Mais ces ajouts nont pas sensi-
blement modifié la répartition des compétences car il sagissait presque toujours de matières que le
Conseil constitutionnel avait déjà rangé dans le domaine de la loi par interprétation extensive de cer-
tains autres chefs de compétence.
Page 662
662
Droit constitutionnel
La liste de larticle 34 ne peut dailleurs pas être considérée comme exhaus-
tive : d
autres dispositions de la Constitution prévoient tantôt lintervention
d
une loi organique (v. infra no 737), tantôt celle dune loi ordinaire.
Par exemple, larticle 53 énumère les traités ou accords internationaux qui
ne peuvent être ratifiés ou approuvés quen vertu dune loi.
De même les articles 72 à 74-1, donnent compétence au législateur ordinaire
ou organique pour fixer certains principes relatifs à l
organisation ou au fonc-
tionnement des collectivités territoriales.
Le domaine de la loi nest donc plus tout à fait ce quil était. Et lon peut se
demander si la loi elle-même a conservé la suprématie juridique qu
elle possé-
dait sous les régimes précédents. Peut-elle toujours être considérée comme
« l
expression de la volonté générale » ? Échappe-t-elle encore à ce titre à
toute contestation ?
La réponse doit être nuancée.
D
une part, même à lintérieur du domaine qui est désormais le sien, la loi peut
être aujourd
hui soumise à des contrôles qui nexistaient pas sous les régimes pré-
cédents et qui eussent même paru sacrilèges : avant promulgation, contrôle de
conformité à la Constitution exercé par le Conseil constitutionnel ; après promul-
gation, contrôle de
conventionnalité exercé par les juridictions ordinaires et, depuis
mars 2010, contrôle de constitutionnalité exercé par le Conseil constitutionnel sur
renvoi du Conseil d
État ou de la Cour de cassation (v. infra no 772).
Mais, dautre part, plusieurs dispositions constitutionnelles maintiennent la
présomption que la loi est l
expression de la volonté générale, notamment larti-
cle 6 de la Déclaration des droits de l
Homme et du Citoyen et larticle 3 de la
constitution, qui proclame que le peuple exerce sa souveraineté «
par ses repré-
sentants et par la voie du référendum
». La présomption nest plus absolue, mais
elle subsiste pourvu que la loi ait été adoptée dans le respect de la constitution.
L
introduction par la révision de 2008 dune possibilité de renvoi au Conseil
constitutionnel par une question préjudicielle ne modifie pas cette présomption.
L
une des raisons pour lesquelles cette procédure a été introduite est que lexcep-
tion d
inconventionnalité peut avoir pour effet quune loi conforme à la constitu-
tion, qui est donc réputée exprimer la volonté générale, soit cependant privée de
validité parce qu
elle est contraire à une norme internationale, tandis quune loi
en vigueur et soupçonnée d
être contraire à la Constitution ne pouvait pas être
écartée pourvu qu
elle ne contrevienne à aucune norme internationale. Il parais-
sait illogique que la Constitution fût moins bien protégée qu
une convention
internationale alors qu
elle est la norme suprême réputée émaner du souverain
lui-même (v.
supra nº 695).
B La création dun domaine réservé au pouvoir réglementaire
708. Létendue du domaine réglementaire. Aux termes de larticle 37
alinéa 1
er C : « Les matières autres que celles qui font partie du domaine de la
loi ont un caractère réglementaire
».
Les matières du domaine réglementaire ne sont donc énumérées nulle
part. On peut les déterminer
a contrario à partir de la liste de celles qui consti-
tuent le domaine de la loi. On dit quelquefois que le pouvoir réglementaire
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Types de normes et compétences normatives
663
dispose de la compétence normative de droit commun, alors que le pouvoir
législatif n
aurait plus quune compétence dattribution. Mais, bien que cette
formule ne soit pas juridiquement inexacte, elle risque d
induire en erreur
quant à l
étendue réelle du domaine réglementaire. Dune part, bien que le
domaine de la loi soit défini par voie d
énumération limitative, il est tout de
même très vaste et comprend en fait les matières les plus importantes. Dautre
part, la jurisprudence (celle du Conseil constitutionnel comme celle du Conseil
d
État) a adopté une conception plutôt extensive du domaine de la loi.
Les premiers commentateurs de la Constitution de 1958 avaient été tentés de
distinguer plusieurs sortes de pouvoirs réglementaires, correspondant aux dis-
tinctions opérées par l
article 34 entre différentes catégories de matières :
1) Le pouvoir réglementaire dit « autonome » : cest celui qui sexerce dans
les matières étrangères au domaine législatif. Ex. : les contraventions ne com-
portant pas de peines d
emprisonnement ou la procédure civile.
2) Le pouvoir réglementaire semi-autonome : cest celui qui sexerce dans
les matières comme l
organisation de lenseignement, le droit du travail, le
droit de la sécurité sociale, où la compétence du législateur se limite théorique-
ment à la détermination des principes fondamentaux.
3) Le pouvoir réglementaire subordonné : cest celui qui sexerce dans les
matières comme la fiscalité, les régimes matrimoniaux, l
état et la capacité des
personnes, où la compétence du législateur s
étend à toutes les règles : dans ces
matières, le pouvoir réglementaire peut encore intervenir mais seulement pour
assurer l
exécution des lois, comme cétait le cas avant lentrée en vigueur de la
Constitution de 1958.
Mais cette distinction est aujourdhui considérée comme obsolète par la
majorité de la doctrine car, dans l
ensemble, la jurisprudence a interprété larti-
cle 34 de manière unitaire. Quelle que soit la matière considérée, la répartition
des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire s
opère presque
toujours de la même manière : la mise en cause des règles essentielles, cest-à-
dire leur modification même partielle, nécessite lintervention du premier ; mais
la
mise en œuvre de ces règles, cest-à-dire la détermination de leurs modalités
d
application, est réservée au second (Le Mire, 1996).
709. Lexercice du pouvoir réglementaire. Cest le Premier ministre qui
est titulaire du pouvoir réglementaire (art. 21 C). Il l
exerce sous forme de
décrets qui doivent être contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés
de leur exécution.
Dautres autorités peuvent néanmoins participer, dans détroites limites, à
lexercice de ce pouvoir :
1o Les collectivités territoriales : aux termes de larticle 72 alinéa 4 C, modi-
fié par la loi de révision du 28 mars 2003, les collectivités territoriales de la
régions, collectivités doutre-mer)
République (communes, départements,
«
sadministrent librement par des conseils élus et disposent dun pouvoir
réglementaire pour l
exercice de leurs compétences ».
Le législateur peut donc confier aux collectivités territoriales certaines compéten-
ces réglementaires concernant des matières dintérêt local. Mais le Conseil constitu-
tionnel estime que lorsqu
un principe important, comme la liberté de lenseigne-
ment, est en cause, les conditions essentielles de son application ne doivent pas
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664
Droit constitutionnel
dépendre de décisions locales. Ainsi a-t-il annulé une disposition législative qui per-
mettait aux collectivités territoriales de prendre en charge, dans des limites qu
elles
auraient elles-mêmes fixées, les dépenses d
investissement des établissements den-
seignement privé (déc. nº 93-329 DC du 13 janvier 1994,
Rec. p. 9).
Toutefois, dorénavant, aux termes de lalinéa 4 de larticle 72 C modifié en
2003, les compétences normatives des collectivités territoriales peuvent être
temporairement étendues, à titre expérimental, sur des points précis : «
Dans
les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les
conditions essentielles d
exercice dune liberté publique ou dun droit constitu-
tionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peu-
vent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l
a prévu, déroger à titre expé-
rimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou
réglementaires qui régissent l
exercice de leur compétence ».
À ce titre, les collectivités territoriales pourront donc déroger non seulement
à des dispositions réglementaires à caractère national mais aussi parfois à des
dispositions législatives qui s
imposent au gouvernement lui-même.
Toutefois, on notera que cette extension est doublement limitée.
D
une part, quant à son objet, lexpérimentation nétant possible que lorsque
les conditions essentielles d
exercice dune liberté publique ou dun droit
constitutionnellement garanti ne sont pas en cause. La jurisprudence précitée
du Conseil constitutionnel semble donc avoir conservé toute sa valeur car,
dans l
affaire de 1994 ci-dessus évoquée, la loi avait été censurée dans la
mesure où elle permettait aux collectivités territoriales de porter atteinte aux
conditions essentielles d
une liberté publique, la liberté de lenseignement.
Dautre part, quant à ses conditions de mise en œuvre, lexpérimentation ne
pouvant être autorisée qu
au terme dun processus assez long défini par la loi
organique prévue au 4
e alinéa de larticle 72 C (LO no 2003-704 du 1er août
2003) : dans un premier temps, l
autorité normalement compétente (cest-à-
dire le législateur ou le pouvoir réglementaire selon le cas) détermine un cadre
général qui précise notamment l
objet de lexpérimentation, sa durée, les caté-
gories de collectivités territoriales concernées, etc. ; dans un second temps, les
collectivités territoriales qui en ont fait la demande peuvent être autorisées par
décret à entreprendre une expérimentation, après que le gouvernement a vérifié
qu
elles remplissaient bien toutes les conditions exigées (voir la loi organique
relative à l
expérimentation par les collectivités territoriales).
2o Les autorités administratives indépendantes. Le législateur confie parfois
à une autorité administrative indépendante comme le Conseil supérieur de l
au-
diovisuel, le soin de fixer des normes ayant un objet déterminé (par exemple la
déontologie de la publicité télévisée ou l
utilisation des ondes durant une cam-
pagne électorale). De telles habilitations pourraient être jugées contraires à la
Constitution car, d
après larticle 21 de celle-ci, cest au Premier ministre quap-
partient le pouvoir réglementaire à l
échelon national, sous réserve des pouvoirs
reconnus au Président de la République. Mais, s
agissant dune liberté telle que
la communication audiovisuelle, le recours à une autorité administrative indé-
pendante peut savérer utile car, dune part, la loi ne peut pas descendre dans le
détail des règles qui doivent être fréquemment actualisées et, d
autre part, toute
réglementation d
origine gouvernementale ferait naître un soupçon de partialité
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Types de normes et compétences normatives
665
politique. Aussi le Conseil constitutionnel ne condamne-t-il pas ce procédé,
mais il veille à ce que le législateur n
en fasse pas un usage abusif. Il a donc
jugé que l
habilitation ne doit concerner que « des mesures à portée limitée tant
par leur champ d
application que par leur contenu » (déc. no 88-248 DC du
17 janvier 1989,
Rec. p. 18) et quelle ne peut avoir pour effet de réduire le
pouvoir que le Premier ministre tient de larticle 21 de la Constitution, en sou-
mettant un décret à la condition d
un avis conforme de la Commission informa-
tique et libertés
(déc. nº 2006-544 DC du 14 décembre 2006, cons. 35 et s.).
710. La nature des actes du pouvoir réglementaire. Bien que le pouvoir
réglementaire dispose désormais d
un domaine réservé, la nature juridique de ses
actes n
a pas changé. Ce sont toujours de simples actes administratifs, qui sont
dotés d
une force juridique inférieure à celle de la loi, et qui peuvent être attaqués
par la voie du recours pour excès de pouvoir. De même que sous les régimes
précédents, le règlement peut donc être annulé par le juge administratif pour vio-
lation de la Constitution (et notamment de l
article 34 C), pour violation de la loi,
d
un principe général du droit, ou dun principe de droit international.
C Le règlement des conflits de compétence
711. La protection du domaine réglementaire. La protection du
domaine réglementaire contre d
éventuels empiétements du législateur a été
aménagée avec soin par la Constitution. Trois procédures peuvent être utilisées
à cette fin : celles des articles 41, 61 alinéa 2 et 37 alinéa 2. Elles peuvent être
mises en
œuvre à trois moments différents et ne sont pas exclusives les unes des
autres. En d
autres termes, si lune a été employée sans succès, il nest pas inter-
dit d
en utiliser une autre.
1. La procédure dirrecevabilité de larticle 41 C28
712. Selon ce texte : « Sil apparaît au cours de la procédure législative
qu
une proposition ou un amendement nest pas du domaine de la loi ou est
contraire à une délégation accordée en vertu de l
article 38, le gouvernement
ou le président de l
assemblée saisie peut opposer lirrecevabilité ».
« En cas de désaccord entre le gouvernement et le président de lassemblée
intéressée, le Conseil constitutionnel, à la demande de l
un ou de lautre, statue
dans un délai de huit jours.
»
Il arrive en effet que le gouvernement oppose lirrecevabilité à un amendement
d
origine parlementaire ou (plus rarement) à une proposition de loi. Dans plus de
90 % des cas, lirrecevabilité est confirmée par le président de lassemblée intéres-
sée et il n
y a donc pas lieu de saisir le Conseil constitutionnel comme prévu au
second alinéa de l
article 41. De plus, lorsquil y a désaccord, le gouvernement se
laisse souvent convaincre de retirer l
exception quil avait soulevée29.
28. OLIVA, 1997.
29. D
après Oliva (1997, p. 167-168), de 1959 à 1997, lexception dirrecevabilité a été soulevée
217 fois par le gouvernement, alors que le Conseil constitutionnel na rendu que 11 décisions dans le
cadre de cette procédure.
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666
Droit constitutionnel
Cest pourquoi les décisions rendues par le Conseil constitutionnel en appli-
cation de l
article 41 sont peu nombreuses et relativement anciennes (la plus
récente remonte à 1979). L
absence ou la rareté du contentieux ne signifie donc
pas, comme on le dit parfois, que l
exception dirrecevabilité est devenue obsolète
mais qu
elle ne donne presque jamais lieu à désaccord entre le gouvernement et le
président de lassemblée intéressée. En 2005, le président de lAssemblée natio-
nale et celui du Conseil constitutionnel se sont dailleurs tous deux déclarés favo-
rables à une application plus rigoureuse de l
irrecevabilité. Et cette même année, à
propos de la loi relative à la régulation des activités postales, l
irrecevabilité oppo-
sée par le gouvernement a fait tomber d
un seul coup 14 765 amendements par-
lementaires, en accord avec le président de l
Assemblée nationale et sans quil ait
été nécessaire de saisir le Conseil constitutionnel.
Mais il peut arriver que la proposition de loi ou lamendement susceptible
d
empiéter sur le domaine réglementaire ait été en fait inspiré(e) par le gouver-
nement. Dans ce cas, selon le texte originel de l
article 41, il ny avait pratique-
ment aucune chance que l
irrecevabilité fût opposée, car seul le gouvernement
pouvait prendre l
initiative de déclencher cette procédure. Conformément à la
proposition n
o 30 du comité Balladur, larticle 41 nouveau, modifié par la loi
constitutionnelle du 23 juillet 2008, permet également au président de l
assem-
blée saisie d
opposer lirrecevabilité. Cette modification traduit une volonté de
revaloriser la séparation de la loi et du règlement en montrant que, contraire-
ment à une opinion que le Conseil constitutionnel lui-même avait contribué à
répandre par sa décision du 30 juillet 1982 (v.
infra no 714), il ne sagit pas
seulement d
une prérogative gouvernementale mais aussi dun principe général
tendant à clarifier et à rationaliser la hiérarchie des normes. Toutefois, compte
tenu des liens politiques unissant la majorité parlementaire et le gouvernement,
il paraît assez peu probable que les présidents des assemblées prendront souvent
l
initiative dopposer lirrecevabilité lorsque celui-ci ne le souhaite pas.
Bien que la procédure de larticle 41 ait été spécialement conçue pour faire
respecter la séparation des matières législatives et des matières réglementaires,
elle peut être également utilisée pour empêcher le législateur d
empiéter sur
d
autres prérogatives gouvernementales. Par exemple, il arrive que le gouverne-
ment oppose l
exception dirrecevabilité à un amendement ou une proposition
de loi qui voudrait lui dicter la manière dont il doit exercer son droit d
initiative
législative, ou qui tend à modifier le contenu d
un engagement international.
2. La procédure de contrôle de conformité de larticle 61 alinéa 2 C
713. À la différence des deux autres, cette procédure na pas été uniquement
conçue pour faire respecter la séparation des domaines législatif et réglemen-
taire. Mais elle peut éventuellement être utilisée à cette fin.
En pratique, depuis la réforme de 1974, ce sont presque uniquement des
parlementaires de l
opposition qui saisissent le Conseil constitutionnel dans le
cadre de cette procédure. Mais dans une importante décision de principe en date
du 30 juillet 1982, le Conseil avait déclaré que les parlementaires n
étaient pas
recevables à soulever le moyen tiré de lempiétement de la loi sur le domaine
réglementaire. Il justifiait cette irrecevabilité par l
idée que « Par les articles 34
et 37
(...) la Constitution na pas entendu frapper dinconstitutionnalité une
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Types de normes et compétences normatives
667
disposition de nature réglementaire contenue dans une loi, mais a voulu, à côté
du domaine réservé à la loi, reconnaître à l
autorité réglementaire un domaine
propre et conférer au gouvernement par la mise en
œuvre des pouvoirs spéci-
fiques
(...) le pouvoir den assurer la protection ».
En dautres termes, le Conseil constitutionnel estimait que la séparation des
deux domaines ne devait pas être appliquée dune manière trop rigide. Dans
certains cas, il pouvait y avoir intérêt à laisser le législateur empiéter sur le
domaine réglementaire pour rendre le droit plus intelligible (en évitant à l
utili-
sateur la difficulté d
avoir à consulter deux textes de nature différente pour trou-
ver la solution d
un problème) ou pour permettre au Parlement de trancher lui-
même une question qui, bien que de nature réglementaire, aurait des implica-
tions particulièrement importantes. La limitation du domaine de la loi n
avait
donc plus qu
une valeur relative. Elle ne sappliquait que dans la mesure où le
gouvernement entendait faire respecter son propre domaine.
Vingt-trois ans plus tard, le Conseil constitutionnel a constaté que cet assou-
plissement avait abouti à vider le domaine réglementaire d
une bonne partie de
sa substance. La multiplication des empiétements de la loi sur ce domaine, qui
peut d
ailleurs résulter dune initiative gouvernementale, présente le double
inconvénient de surcharger l
ordre du jour des assemblées et de noyer lessen-
tiel dans le détail, ce qui va à l
encontre des objectifs dintelligibilité et dacces-
sibilité de la loi. Dans sa décision du 21 avril 2005 sur la loi relative à l
école, le
Conseil a donc modifié, sans l
abandonner complètement, sa jurisprudence de
1982. Il n
est pas allé jusquà censurer les empiétements de la loi sur le domaine
réglementaire, comme il l
a fait pour les « neutrons législatifs ». Mais il a admis
que les parlementaires étaient de nouveau recevables à soulever ce moyen. Si le
Conseil constate que les dispositions critiquées ont effectivement une nature
réglementaire, il prononce leur déclassement. Ces dispositions figureront tout
de même dans la loi, mais elles n
auront plus quune force juridique réduite :
le gouvernement pourra les modifier par décret sans être obligé de recourir à
la procédure spéciale de déclassement de l
article 37 alinéa 2 (v. infra no 715).
Mais, avec le recul, la décision du 21 avril 2005 apparaît comme une déci-
sion d
espèce, rendue dans le contexte particulier dun débat sur la qualité de la
loi. Aujourd
hui, le Conseil constitutionnel est revenu à sa jurisprudence du
30 juillet 1982, c
est-à-dire quil rejette les saisines parlementaires tendant à
faire déclarer contraires à la Constitution les dispositions législatives empiétant
sur le domaine réglementaire ou à faire prononcer leur déclassement (décision
n
o 2012-649 DC du 15 mars 2012, cons. 10).
3. La procédure de déclassement prévue par larticle 37 alinéa 2 C
714. Lorsquune proposition de loi ou un amendement empiète sur le
domaine réglementaire, rien n
oblige le gouvernement à réagir immédiatement.
Même s
il sabstient de soulever lexception dirrecevabilité et laisse promul-
guer la loi telle que le Parlement l
a votée, il lui sera possible par la suite de
regagner le terrain perdu en délégalisant les dispositions qui empiètent sur le
domaine réglementaire. La Constitution a prévu à cet effet une procédure spé-
ciale qui peut être déclenchée à tout moment : celle de l
article 37 alinéa 2.
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668
Droit constitutionnel
Daprès ce texte, il faut distinguer les lois adoptées avant lentrée en vigueur
de la Constitution de 1958 et celles qui ont été adoptées après cette entrée en
vigueur
30.
En ce qui concerne les premières, comme la séparation du domaine législatif
et du domaine réglementaire n
existait pas encore à lépoque où elles furent adop-
tées, il ny a pas lieu de présumer que cette séparation a été respectée. Le gouver-
nement peut donc modifier la loi par décret après simple avis du Conseil d
État.
En ce qui concerne les secondes, le gouvernement doit d
abord saisir le
Conseil constitutionnel en lui demandant de « délégaliser » les dispositions
qu
il entend modifier, cest-à-dire de constater quelles empiètent sur le
domaine réglementaire. Si le Conseil constitutionnel déclare que ces disposi-
tions n
empiètent pas sur le domaine réglementaire, elles ne pourront être modi-
fiées que par la loi
31.
À la différence des précédentes, cette troisième procédure est couramment
utilisée. Elle présente l
avantage de susciter moins de tensions entre le gouver-
nement et le Parlement, car la saisine du Conseil constitutionnel, qui intervient
généralement longtemps après le vote de la loi, passe relativement inaperçue. Il
peut même arriver qu
elle soit utilisée pour éviter à la majorité parlementaire de
perdre la face
32.
715. La protection du domaine législatif. Cette protection na pas été
spécialement aménagée par la Constitution.
Mais, en vertu des principes généraux du contentieux administratif, un
décret empiétant sur le domaine de la loi peut être attaqué par la voie du recours
pour excès de pouvoir. Et s
il est invoqué au cours dun procès, on peut lui
opposer l
exception dinconstitutionnalité. Dans les deux cas, ce nest plus le
Conseil constitutionnel qui statuera en dernier ressort, mais le Conseil d
État,
juridiction administrative suprême.
De plus, les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier la légalité
d
un acte administratif « lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès
pénal qui leur est soumis
»33. Elles peuvent donc à ce titre vérifier si un règle-
ment administratif n
empiète pas sur
le domaine réservé à la loi par
l
article 34 C. Et comme ces juridictions font partie de lordre judiciaire, cest
à la Chambre criminelle de la Cour de cassation que reviendra le dernier mot.
Il existe en droit allemand une distinction un peu analogue : les lois antérieures à lentrée en
30.
vigueur de la Constitution, dites « lois ante-constitutionnelles », peuvent être contrôlées par n
importe
quel tribunal ; les lois postérieures à l
entrée en vigueur de la Constitution, dites « lois post-constitu-
tionnelles », ne peuvent être contrôlées que par la Cour constitutionnelle.
31. Toutefois, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lorsque le gouvernement a été habilité à
légiférer par voie dordonnances en vertu de larticle 38 C, il peut abroger des dispositions législatives de
nature réglementaire sans recourir à la procédure de l
article 37 C, comme aurait pu le faire le législateur
lui-même (déc. n
o 99-421 DC du 16 décembre 1999).
32. En 2005, une disposition législative prévoyant que les programmes scolaires devaient reconnaî-
tre «
le rôle positif de la présence française outre-mer » avait suscité de vives protestations et le groupe
socialiste demandait son abrogation. Mais le groupe UMP ne voulait pas paraître se désavouer. Pour
calmer le jeu, sur la suggestion du Président de la République, le gouvernement saisit le Conseil consti-
tutionnel qui prononça le déclassement du texte en question (déc. nº 2006-203 L du 23 février 2006).
Celui-ci put ensuite être abrogé discrètement par décret.
33. Art. 111-5 du Code pénal.
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Types de normes et compétences normatives
669
Mais il arrive parfois que la loi elle-même invite le pouvoir réglementaire à
empiéter sur le domaine législatif en prévoyant la possibilité pour le gouverne-
ment de déroger à certaines règles qu
elle a fixées ou bien en laissant une marge
de man
œuvre trop large au pouvoir exécutif. On dit alors que la loi est entachée
d
incompétence négative. Le législateur na pas épuisé sa compétence, mais
sest en quelque sorte défaussé sur dautres autorités. Dans ce cas, rien nempê-
che 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel dans le cadre
de l
article 61 alinéa 2 en lui demandant de constater que la loi est contraire à
l
article 34 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel ne refusera pas dexer-
cer un tel contrôle, car comme il s
agit cette fois de la protection du domaine
législatif, et non de celle du domaine réglementaire, les parlementaires sont par-
faitement recevables à en prendre l
initiative. (CC, 28 juillet 1993, Rec. p. 204).
Cette jurisprudence s
applique notamment en matière de droit fiscal et de droit
pénal.
716. Le risque de contrariété de jurisprudence. Comme la délimitation
des domaines respectifs du Parlement et du gouvernement ressortit à trois orga-
nes, le Conseil constitutionnel dans certains cas, le Conseil d
État ou la Cour de
cassation dans d
autres, il nest pas sûr que leurs décisions saccordent pour
tracer une frontière unique. Or, comme chacun de ces organes est souverain
dans son domaine, on pourrait arriver à ce résultat fâcheux que l
étendue du
domaine législatif serait différente selon qu
elle serait appréciée par le Conseil
constitutionnel, par le Conseil d
État ou la Cour de cassation. Sans doute, lar-
ticle 62 de la Constitution dispose-t-il que les décisions du Conseil constitution-
nel s
imposent « à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
Mais le Conseil d
État et la Cour de cassation interprètent restrictivement ce
texte en considérant que, s
il oblige les juridictions en ce qui concerne la solu-
tion apportée au cas d
espèce par le Conseil constitutionnel, elles ne sont pas
liées par la doctrine qui se dégage de sa décision (v. infra no 790).
Lhypothèse de conflits nest donc pas gratuite. En effet, un même texte peut
être soumis à l
appréciation du Conseil constitutionnel (saisi en application de
l
article 41 ou de larticle 37 al. 2), du Conseil dÉtat (saisi par la voie du
recours pour excès de pouvoir) et de la Chambre criminelle de la Cour de cas-
sation (devant laquelle est soulevée une exception d
illégalité). Si le Conseil
constitutionnel statue avant les autres juridictions, celles-ci devront s
incliner
en application de l
article 62 alinéa 2 de la Constitution qui dispose que les
décisions du Conseil s
imposent à toutes les autorités administratives et juridic-
tionnelles. Mais si le Conseil d
État ou la Cour de cassation statuent les pre-
miers, il peut arriver que leurs arrêts soient contredits par la décision du Conseil
constitutionnel (voir CC, 27 novembre 1959,
RDP, 1960, p. 1011, avec la note
Waline).
La même contradiction peut apparaître lorsquil sagit de déterminer la
nature et le contenu des règles et des principes fondamentaux réservés à la loi
par l
article 34. Sans doute, dans cette hypothèse, les trois juridictions ne
connaissent pas du même acte. Seulement, en fait, la délimitation du domaine
de la loi revient implicitement à dire ce qui est interdit au règlement et inverse-
ment. Cependant comme il s
agit dactes différents, la décision du Conseil
constitutionnel n
a pas lautorité de chose jugée à légard des autres juridictions.
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Droit constitutionnel
Ainsi sur la question, extrêmement importante quant à létendue des libertés
publiques, de savoir si les contraventions punies d
emprisonnement ont un
caractère législatif ou réglementaire, les jurisprudences de la Cour de cassation
(26 février 1974,
D. 1974-273, note Vouin) et du Conseil constitutionnel
(28 novembre 1973,
AJDA 1974-229, note Rivero) ont longtemps divergé34.
Aujourdhui encore, la règle selon laquelle le silence gardé par ladministra-
tion pendant une certaine durée sur une requête qui lui a été adressée vaut déci-
sion de rejet, est considérée par le Conseil constitutionnel comme un principe
général du droit relevant de la compétence législative (déc. nº 94-352 du 18 jan-
vier 1995, cons. 9), alors que le Conseil d
État attribue à cette même règle une
nature réglementaire en admettant qu
elle puisse être écartée par un décret (CE,
27 janvier 1970,
Commune de Bozas, Rec. 139).
Dans lensemble, cependant, les divergences sont rares et la proximité35
entre le Conseil constitutionnel et le Conseil dÉtat permet généralement de
les atténuer, sinon de les résorber complètement
36.
D Une séparation plutôt poreuse
717. En définitive, la séparation du domaine législatif et du domaine régle-
mentaire n
a pas vraiment bouleversé la hiérarchie des normes, comme on avait
pu le croire en 1958.
Dune part, la compétence du législateur est toujours extrêmement vaste et
le recours à la loi demeure nécessaire chaque fois que l
on veut entreprendre
une grande réforme.
Dautre part, malgré lexistence de procédures destinées à garantir le respect
de la séparation (v.
supra no 712), celle-ci sest révélée plutôt poreuse. Elle na
pas empêché le Parlement et le gouvernement d
introduire, dans la loi, des dis-
positions de nature réglementaire lorsqu
ils lestimaient opportun.
Il est vrai que le Conseil constitutionnel, qui a longtemps toléré ces empiétements,
s
est efforcé de les limiter par sa décision du 21 avril 2005. Mais, ainsi quon la déjà
signalé, cette décision est restée isolée (
supra, no 713) et le Conseil a réaffirmé en
2012 la jurisprudence qu
il avait adoptée dans sa décision du 30 juillet 1982.
Par ailleurs, les expérimentations autorisées par la réforme de mars 2003
n
ont pas remis en cause le partage des compétences normatives entre le Parle-
ment et le gouvernement.
Quand lexpérimentation a lieu au niveau national, comme prévu à larti-
cle 37-1, elle ne peut être conduite que par le titulaire normal du pouvoir
concerné c
est-à-dire, selon le cas, par le Parlement ou le gouvernement.
34. Depuis lentrée en vigueur du Code pénal (1994), cette divergence est devenue sans objet car les
contraventions ne peuvent plus être sanctionnées par des peines privatives de liberté.
35. Cette proximité est à la fois géographique et fonctionnelle : d
une part, les locaux occupés par les
deux juridictions, sont situés dans les dépendances d
un même bâtiment (le Palais-Royal) ; dautre part,
les postes de secrétaire général et de rapporteurs adjoints du Conseil constitutionnel sont souvent occu-
pés par des magistrats détachés du Conseil d
État.
Pour un exemple de ralliement du Conseil constitutionnel à la position du Conseil d
État, voir les
36.
conclusions du commissaire du gouvernement Baudouin sous CE, 12 décembre 1969, Conseil national
de l
ordre des médecins (AJDA 1970, p. 102).
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Types de normes et compétences normatives
671
Quand lexpérimentation a lieu au niveau des collectivités territoriales,
comme prévu à l
article 72, cest également le titulaire normal du pouvoir
concerné qui est seul compétent pour donner l
autorisation.
Il nen est pas moins vrai que ces expérimentations risquent de multiplier
les conflits entre des normes relevant de différentes catégories : normes à
caractère permanent et normes à caractère temporaire ; normes émanant
d
une autorité centrale et normes émanant dune autorité locale.
La clarté et lintelligibilité de la loi, que le Conseil constitutionnel considère
comme des principes ou des objectifs de valeur constitutionnelle
37, nen seront
probablement pas renforcés.
Section 3
Lélaboration de la loi dans le cadre parlementaire
§ 1. Les lois ordinaires
A Linitiative
718. Aux termes de larticle 39 alinéa 1 C : « Linitiative des lois appartient
au Premier ministre et aux membres du Parlement »38.
Selon une terminologie bien établie, lorsquun texte est dû à linitiative du
Premier ministre, on parle de « projet de loi » ; lorsqu
il est dû à linitiative dun
parlementaire, on parle de « proposition de loi ».
719. Linitiative gouvernementale. Le droit dinitiative du Premier
ministre
39 sexerce selon une procédure fixée par larticle 39 alinéa 240 : le projet
37. Voir la décision précitée du 12 janvier 2002 (cons. 9).
38. Dans la tradition française, le législateur apprécie souverainement l
opportunité de son interven-
tion sur un objet déterminé. Un projet de révision constitutionnelle déposé en mars 2013 par le prési-
dent Hollande se propose de restreindre cette liberté d
appréciation en vue de favoriser le développe-
ment de la « démocratie sociale ». Si ce projet était adopté, les « partenaires sociaux » (c
est-à-dire les
organisations représentatives des salariés et des employeurs) bénéficieraient d
une sorte de droit de
priorité pour leur permettre de régler, par voie de négociations, les problèmes concernant les relations
de travail. En d
autres termes, la procédure législative ne pourrait être mise en mouvement sans quils
aient été mis à même de négocier un accord qui, s
il était conclu, rendrait probablement superflues les
mesures législatives envisagées. Cette subsidiarité de la loi en matière sociale rapprocherait la France
de certains pays de lEurope du nord, comme le Danemark, où la réglementation des relations de tra-
vail repose essentiellement sur la négociation collective. Il faut cependant souligner qu
il sagirait non
pas d
une simple pratique, mais dune obligation de niveau constitutionnel et que par ailleurs, dans la
tradition française, la démocratie se définit comme la volonté générale exprimée par le peuple ou ses
représentants.
39. En vertu du principe de la séparation des pouvoirs, l
exercice de ce droit dinitiative relève de la
seule appréciation du Premier ministre. Un amendement parlementaire enjoignant au Premier ministre
de déposer un projet de loi doit donc être considéré comme irrecevable (Oliva, 1997, p. 418 et s.).
40. Le gouvernement n
est pas obligé damender son projet dans le sens recommandé par le Conseil
d
État. Mais le Premier ministre ne peut pas faire entériner par le Conseil des ministres un texte
Page 672
672
Droit constitutionnel
est préparé par un ministère ou par les services du Premier ministre ; il est
ensuite soumis pour avis au Conseil d
État ; puis le projet, éventuellement
amendé pour tenir compte de cet avis, fait l
objet dune délibération en Conseil
des ministres ; après cette délibération, le Premier ministre peut déposer le pro-
jet soit sur le bureau de l
Assemblée nationale, soit sur celui du Sénat : il dis-
pose à cet égard dune faculté de choix, sous réserve de trois exceptions. La
première et la deuxième concernent respectivement les projets de loi de finances
et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, qui doivent obligatoi-
rement être soumis en premier lieu à l
Assemblée nationale, la troisième, les
projets de loi ayant pour principal objet l
organisation des collectivités territo-
riales, qui sont soumis en premier lieu au Sénat.
En vue de lutter contre linflation législative (v. infra no 743), la loi constitu-
tionnelle du 23 juillet 2008 a prévu que la présentation des projets de loi déposés
devant l
une ou lautre des assemblées doit répondre aux conditions fixées par
une loi organique (art. 39 al. 3 nouveau). L
article 7 de la loi organique relative
à la procédure législative précise que tout projet de loi doit être accompagné
« d
un ou plusieurs documents qui rendent compte des travaux dévaluation préa-
lable réalisés ». On espère que l
obligation de réaliser ces travaux et den rendre
compte incitera le gouvernement à améliorer la qualité de la législation. Dans un
délai de dix jours suivant le dépôt du projet de loi, la conférence des présidents de
l
assemblée saisie peut déclarer que les documents daccompagnement de celui-ci
sont insuffisants, ce qui fait obstacle à son inscription à l
ordre du jour. En cas de
désaccord sur ce point entre le gouvernement et la conférence des présidents, le
Premier ministre ou le président de l
assemblée intéressée peut saisir le Conseil
constitutionnel, qui doit statuer dans un délai de huit jours
41.
Du fait quil comporte une sanction, ce dispositif devrait normalement se
révéler efficace dans la lutte contre l
inflation législative. Il faut toutefois noter
d
une part, que la conférence des présidents est généralement dominée par la
majorité gouvernementale (surtout à lAssemblée nationale) ce qui risque din-
fluencer son jugement sur le sérieux des travaux dévaluation préalable et, dau-
tre part, que l
obligation dévaluation préalable comporte de nombreuses excep-
tions, dont certaines concernent des catégories de lois fort importantes (projets
de révision constitutionnelle, projets de loi de finances ou de loi de financement
de la sécurité sociale, projets de loi habilitant le gouvernement à prendre des
ordonnances, projets de ratification d
une ordonnance, projets autorisant la rati-
fication d
un traité ou dun accord international, etc.). Par ailleurs, il semble que
le Conseil constitutionnel interprète d
une façon plutôt restrictive les conditions
auxquelles doit satisfaire une étude d
impact. Elle doit se limiter aux domaines
concernant les objectifs annoncés par le Gouvernement. Par exemple, il ne sau-
rait être fait grief à une étude dimpact de ne pas comporter de développements
comportant des dispositions substantielles qui nauraient pas été soumises au Conseil dÉtat car la
délibération du Conseil des ministres ne serait plus alors éclairée par l
avis du Conseil dÉtat,
comme le veut l
article 39 C (CC, déc. nº 2000-468 DC du 3 avril 2003).
41.
Parmi les documents prévus par la loi organique relative à la procédure législative figure une
« étude d
impact » qui sattache à fournir une évaluation préalable de la réforme envisagée en analysant
toutes les conséquences quelle peut entraîner en matière denvironnement, de dépenses, demploi,
etc. Mais le Conseil constitutionnel interprète de façon restrictive les conditions auxquelles doit satis-
faire cette étude d
impact (CC no 2014-12 FNR du 1er juillet 2014).
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Types de normes et compétences normatives
673
sur lévolution du nombre des emplois publics dès lors que le Gouvernement ne
mentionne pas la réduction de ce nombre dans les objectifs prévus par le projet
de loi (CC n
o 2014 12 FNR du 1er juillet 2014).
720. Linitiative parlementaire. Linitiative des membres du Parlement
nest pas subordonnée à des formalités particulières : tout député ou tout séna-
teur peut déposer une proposition de loi sur le bureau de son assemblée. Une
proposition de loi peut être signée par un ou plusieurs parlementaires.
Toutefois, en pratique, linitiative législative des membres du Parlement ne
joue qu
un rôle secondaire, presque marginal. La majeure partie des lois pro-
mulguées est issue de projets et non de propositions. La prépondérance de l
ini-
tiative gouvernementale tient à plusieurs raisons.
En premier lieu, le gouvernement est beaucoup mieux outillé que les parle-
mentaires pour préparer des textes de loi, car il peut utiliser toutes les compéten-
ces et toutes les ressources documentaires des administrations. Il dispose, en droit
ou en fait, d
un véritable monopole en ce qui concerne linitiative de certaines
catégories de lois : les lois de finances ; les lois de plan ou de programme ; les
lois autorisant la ratification ou l
approbation dun traité ou dun accord interna-
tional. Pour atténuer cette disproportion des moyens, le cinquième alinéa nouveau
de l
article 39 C modifié par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 autorise le
président de chaque assemblée à soumettre pour avis au Conseil d
État, avant son
examen en commission, une proposition de loi déposée par l
un des membres de
cette assemblée, sauf si ce dernier s
y oppose. Cette mesure devrait permettre
d
améliorer au moins la présentation et la qualité rédactionnelle de beaucoup de
propositions de loi. Mais un avis du Conseil d
État ne saurait évidemment rem-
placer le travail de fond qu
accomplissent généralement tous les services minis-
tériels qui collaborent à la mise au point d
un projet de loi.
En second lieu, en vertu de larticle 40 de la Constitution, le droit dinitiative
des parlementaires est soumis à une restriction extrêmement importante : leurs
propositions ne sont pas recevables « lorsque leur adoption aurait pour consé-
quence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou lag-
gravation d
une charge publique ».
Cette restriction est évidemment inspirée par la crainte que les parlementai-
res ne cèdent aux tentations de la démagogie électorale. Mais l
article 40 est
rédigé en des termes tellement larges qu
il peut aboutir à faire déclarer irreceva-
bles des propositions qui n
ont rien à voir avec la démagogie électorale, et qui
n
ont même pas à proprement parler un objet financier. Par exemple, une pro-
position tendant à faciliter l
adoption des enfants naturels a été déclarée irrece-
vable au motif que son adoption pourrait entraîner une diminution de ressources
publiques au titre de l
impôt sur les successions ; de même, avant que la peine
de mort ait été abolie, on avait pu se demander si une proposition de loi tendant
à son abolition n
aurait pas pu être déclarée irrecevable au titre de larticle 40 ;
en effet, comme il revient plus cher de garder en prison des criminels que de les
exécuter, l
abolition de la peine de mort risquait davoir pour conséquence indi-
recte l
aggravation dune charge publique.
Dans la pratique, on a mis au point quelques procédés qui permettent de
limiter la portée de cette irrecevabilité financière. Par exemple, comme le mot
« ressources » figure au pluriel dans le texte de l
article 40, on en déduit que ce
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Droit constitutionnel
qui doit être pris en considération, cest seulement limpact global de la propo-
sition sur les ressources publiques : un parlementaire peut donc formuler une
proposition dans laquelle la diminution d
une ressource publique est compensée
par l
augmentation dune autre ressource publique ; une telle proposition ne se
heurtera pas en principe à l
irrecevabilité financière de larticle 40. En revanche,
le mot « charge » figure au singulier dans le texte de larticle 40, de sorte que, à
cet égard, les compensations ne jouent pas : même si lon tente de compenser la
création ou l
aggravation dune charge publique par la suppression ou latténua-
tion d
une autre charge publique, lirrecevabilité doit en principe sappliquer car
c
est limpact de la proposition sur une charge déterminée qui est pris en consi-
dération, et non pas son impact global.
Le contrôle de la recevabilité financière des propositions de loi est organisé
par le règlement des assemblées. D
après les règlements de lAssemblée natio-
nale et du Sénat, elle peut être opposée à tout moment de la procédure législa-
tive soit par le gouvernement, soit même par un simple parlementaire. En cas de
contestation, c
est le bureau de la Commission des Finances qui statue. Les
décisions du bureau de la Commission des Finances sur la recevabilité finan-
cière ne peuvent pas être contestées aussi longtemps que la loi n
a pas été défi-
nitivement adoptée. Mais une fois que la loi a été définitivement adoptée, si elle
est soumise au Conseil constitutionnel dans le cadre de l
article 61 alinéa 2,
l
article 40 pourra être invoqué, à condition toutefois que lexception dirrece-
vabilité financière ait été d
abord soulevée devant le Parlement (voir par exem-
ple déc. n
o 2003-476 DC du 24 juillet 2003). Le Conseil constitutionnel se
considère donc comme simple juge d
appel des contestations relatives à la rece-
vabilité financière des propositions de loi. Il n
accepte pas de les examiner si la
question n
a pas dabord été soulevée au stade de lexamen parlementaire.
Durant les premières années de la Ve République, beaucoup de propositions
de loi ont été écartées en vertu de l
irrecevabilité financière, surtout à lAssem-
blée nationale. Aujourdhui, cest beaucoup plus rare sans doute parce que les
règles de larticle 40 sont maintenant bien connues et que les parlementaires ont
appris à en tenir compte lorsqu
ils formulent une proposition de loi.
La troisième raison qui explique la faiblesse de linitiative parlementaire en
matière législative tient à la manière dont est fixé l
ordre du jour des assem-
blées : avant les réformes de 1995 et 2008, l
article 48 C donnait au gouverne-
ment la maîtrise presque totale de cet ordre du jour en spécifiant qu
il compor-
tait «
par priorité et dans lordre que le gouvernement a fixé » la discussion des
projets de loi déposés par lui et des propositions de loi qu
il a acceptées. Beau-
coup de propositions de loi, qui étaient cependant parfaitement recevables, ne
venaient donc jamais en discussion, parce que le gouvernement les considérait
comme inopportunes ou parce que l
examen de ses propres projets ne laissait
pas suffisamment de temps disponible.
Cette maîtrise gouvernementale avait déjà été entamée par la révision consti-
tutionnelle du 4 août 1995 qui réservait par priorité une séance par mois à l
or-
dre du jour fixé par chaque assemblée. Mais la loi de révision du 23 juillet 2008
est allée beaucoup plus loin : à compter du 1
er mars 2009, date de lentrée en
application de cette réforme, deux semaines de séances sur quatre seulement
sont réservées à un ordre du jour fixé par le gouvernement. (art. 48 C alinéa 2).
Par ailleurs, d
après lalinéa 4 de larticle 48, une semaine de séance sur quatre
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Types de normes et compétences normatives
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est réservée par priorité et dans lordre fixé par chaque assemblée au contrôle de
l
action du gouvernement et à lévaluation des politiques publiques, cest-à-dire
à des activités extra-législatives. Chaque assemblée dispose donc en principe
d
une semaine de séances sur quatre pour discuter des propositions de loi dépo-
sées par ses membres ou de celles qui lui ont été transmises par l
autre assem-
blée. Mais ce nouveau partage de lordre du jour na pas revalorisé linitiative
parlementaire autant qu
on aurait pu le penser.
Dune part, ainsi quon la vu, les assemblées disposent en fait de moins de
temps qu
il ne paraît car la priorité gouvernementale peut déborder sur les deux
semaines qui leur sont en principe réservées, lorsque cela est nécessaire pour
examiner certains projets qui, en raison de leur nature, sont considérés comme
particulièrement urgents (v.
supra no 650).
Dautre part, même lorsquelles sont inscrites à lordre du jour, les proposi-
tions déposées par des membres de groupes d
opposition ou de groupes minori-
taires n
ont pratiquement aucune chance dêtre adoptées, car elles visent généra-
lement un aspect symbolique essentiel de la politique du gouvernement (la
suppression du bouclier fiscal par exemple du temps de la présidence de Nicolas
Sarkozy, ou celle du « mariage pour tous » durant l
actuel quinquennat), ce qui
les rend inacceptables pour la majorité. L
opposition ne se fait dailleurs aucune
illusion à ce sujet mais elle persiste à mettre en avant de telles propositions pour
contraindre le gouvernement à s
expliquer sur les aspects les plus impopulaires de
sa politique. Dans ce cas, la discussion d
une proposition de loi ne constitue pas
un véritable travail législatif mais une sorte de prolongement du contrôle parle-
mentaire. Le cinquième alinéa de l
article 48 C prévoit quun jour de séance par
mois est réservé à un ordre du jour arrêté par chaque assemblée à l
initiative des
groupes d
opposition ainsi quà celle des groupes minoritaires. Chaque mois,
quelques propositions de loi émanant de l
opposition sont donc effectivement
inscrites à l
ordre du jour. Sous la précédente législature, elles étaient discutées
le jeudi (jour de faible affluence) mais à la demande du gouvernement, le vote sur
l
ensemble de la proposition nintervenait que le mardi suivant, (jour de forte
affluence) où l
on pouvait compter sur la présence de la plupart des députés de
la majorité. La proposition était donc généralement rejetée par des députés de la
majorité qui n
avaient même pas assisté à la discussion. Sous la présente législa-
ture, la majorité s
efforce dêtre suffisamment représentée le jeudi pour que le
vote puisse avoir lieu le même jour que la discussion. Mais, comme sous la pré-
cédente législature, presque toutes les propositions de loi de l
opposition sont
finalement repoussées (Bergougnous, 2013).
Restent évidemment les propositions de loi déposées par les membres de la
majorité mais elles sont généralement inspirées par un ministre
42. Dans ce cas,
« on est souvent en réalité confronté à une initiative gouvernementale, relayée
par un groupe majoritaire » (Camby et Servent, 2011, p. 67).
42. Les raisons pour lesquelles le gouvernement décide de ne pas déposer lui-même un projet de loi
sont très variées : désir d
éviter certaines formalités, par exemple lavis du Conseil dÉtat, ou de per-
mettre au parlementaire qui va faire la proposition de se mettre en valeur, de donner le sentiment que le
gouvernement est à lécoute de sa majorité, ou encore damadouer lopposition qui éprouve une
méfiance instinctive envers les projets gouvernementaux. Mais il s
agit généralement de mesures
d
une importance relativement secondaire auxquelles aucun ministre ne souhaite attacher son nom.
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Droit constitutionnel
Si lon compare le nombre des projets et des propositions de loi simplement
déposés, on peut avoir le sentiment que l
initiative parlementaire est plus impor-
tante que l
initiative gouvernementale. Mais si lon considère les lois finalement
adoptées, on s
aperçoit que linitiative utile, cest-à-dire celle qui aboutit, est
généralement l
initiative gouvernementale. Daprès les statistiques officielles,
moins de 15 % des lois définitivement adoptées sont dorigine parlementaire.
En fait, d
ailleurs, ces statistiques donnent une idée exagérée de limportance
des propositions de loi car, ainsi qu
on vient de le voir, certaines dentre elles
ont été déposées à la demande du gouvernement qui, bien que favorable à
l
adoption du texte, ne souhaitait pas en prendre linitiative. La prépondérance
de l
initiative gouvernementale nest dailleurs pas propre au système français.
Dans les autres démocraties parlementaires, la situation est à peu près identique.
B Le droit damendement
721. Les observations précédentes doivent cependant être nuancées car lini-
tiative législative peut se manifester non seulement sous la forme d
un projet ou
d
une proposition de loi, cest-à-dire dun texte principal qui forme un tout,
mais aussi sous forme d
amendements qui tendent à modifier sur certains points
le texte principal. De même que le droit d
initiative à titre principal, le droit
d
amendement est reconnu aux membres du Parlement et au gouvernement
(art. 44 al. 1
er). Mais dun point de vue financier, les amendements dorigine
parlementaire sont soumis aux mêmes restrictions que les propositions de loi,
c
est-à-dire quils ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour
conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou
l
aggravation dune charge publique.
De même que pour les propositions de loi, le contrôle de la recevabilité
financière d
un amendement dorigine parlementaire doit dabord être effectué
par l
assemblée dont émane cet amendement et le Conseil constitutionnel ne
peut en principe intervenir que comme juge d
appel, après ladoption de la loi,
à l
occasion de la saisine prévue par larticle 61 alinéa 2. Mais encore faut-il
qu
une procédure dexamen effective et systématique ait été instaurée par le
règlement de l
assemblée intéressée. Si ce nest pas le cas, le Conseil constitu-
tionnel se reconnaît le droit de censurer d
office les amendements contrevenant
à l
article 40 (déc. nº 2006-544 DC du 14 décembre 2006, cons. 12 à 14).
En pratique, le droit damendement est beaucoup plus utilisé par les parle-
mentaires que par le gouvernement. Le gouvernement exerce généralement son
droit d
initiative à titre principal, cest-à-dire sous forme de projets de loi. Au
cours des péripéties de la procédure législative, il peut arriver que le gouverne-
ment propose un amendement à l
un de ses propres projets, mais cest relative-
ment rare. Quant aux parlementaires, comme leurs propositions de loi n
ont que
peu de chances d
aboutir, cest surtout par le biais damendements aux projets
gouvernementaux qu
ils peuvent participer à linitiative de la loi, et les statisti-
ques montrent que de tels amendements sont effectivement très nombreux, mais
il faut signaler qu
un grand nombre de ceux qui aboutissent ont été déposés à
l
instigation du gouvernement (ou du moins avec son accord).
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Types de normes et compétences normatives
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En dehors de lirrecevabilité financière prévue par larticle 40 (qui est propre
aux amendements d
origine parlementaire), et de lirrecevabilité de larticle 41,
qui tend à protéger le domaine réglementaire, le texte originel de la Constitution
ne fixait aucune règle quant au contenu des amendements. De façon très préto-
rienne, dans sa décision n
o 86-225 DC du 23 janvier 1987, le Conseil constitu-
tionnel avait subordonné la recevabilité des amendements à des conditions assez
strictes. Mais ces conditions avaient suscité de vives protestations et leur sévé-
rité s
était beaucoup atténuée au fil de la jurisprudence du Conseil. Cette évo-
lution a été confirmée et même accentuée par la révision de juillet 2008 : il est
en effet précisé, à l
alinéa premier nouveau de larticle 45, que « tout amende-
ment est recevable en première lecture dès lors qu
il présente un lien, même
indirect, avec le texte déposé ou transmis
». Lirrecevabilité ne pourra donc
plus être opposée pour des raisons tenant à l
importance ou à lampleur de
l
amendement et le lien de celui-ci avec le texte principal devra être apprécié
de manière souple puisque l
article 45 précise quil peut être « indirect ».
Mais cest seulement devant la commission ou devant lassemblée plénière
en première lecture que le droit d
amendement peut sexercer pleinement. À
partir de la seconde lecture, le Conseil impose des contraintes particulières,
connues sous le nom de « règles de l
entonnoir », dont le but est de faciliter
l
accord des deux assemblées sur un texte identique (v. infra no 727).
C Les grandes étapes de la procédure
1. Le rôle des commissions en matière législative
722. En commission. Avant dêtre discuté(e) en séance plénière, le projet
ou la proposition de loi est toujours envoyé(e) pour examen à l
une des com-
missions permanentes de l
assemblée qui en a été saisie. À la demande du gou-
vernement ou de l
assemblée, le texte peut néanmoins être renvoyé à une com-
mission spécialement constituée à cet effet. Mais en pratique cette faculté n
est
que rarement utilisée
43. La règle de lexamen préalable en commission sap-
plique également lorsqu
il sagit dun texte transmis par lautre assemblée.
Il peut arriver que plusieurs commissions permanentes soient intéressées par
le projet ou la proposition. Dans ce cas, une seule commission est désignée à
titre principal pour établir un rapport sur le projet, mais les autres commissions
intéressées peuvent adopter des avis qui seront distribués à tous les membres de
l
assemblée, en même temps que le rapport de la commission à laquelle le texte
a été renvoyé.
La loi de révision du 23 juillet 2008 a introduit, dans la procédure, deux
modifications importantes qui tendent à valoriser le rôle joué par la com-
mission.
En premier lieu, pour que la commission dispose du temps nécessaire à un
examen approfondi du texte, des délais minimums, applicables même en
l
alinéa 3 nouveau de
sont prévus : d
après
matière constitutionnelle,
43. Depuis 1958, il y a eu environ 70 commissions spéciales à lAssemblée nationale et 60 au Sénat,
c
est-à-dire à peine plus dune par an en moyenne.
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Droit constitutionnel
larticle 42 C, la discussion en séance dun projet ou dune proposition de loi ne
peut intervenir, devant la première assemblée saisie, qu
à lexpiration dun délai
de six semaines après son dépôt ; devant la seconde assemblée saisie, cette
même discussion ne peut intervenir qu
à lexpiration dun délai de quatre
semaines à compter de la transmission du texte adopté par l
autre assemblée44.
Cest là une amélioration notable des conditions dans lesquelles travaillent les
commissions car, auparavant, seule la procédure des lois organiques comportait
un délai minimum et celui-ci n
était que de quinze jours entre le dépôt du projet
ou de la proposition et le début de la discussion devant la première assemblée
saisie. Toutefois la règle des délais minimums connaît quelques exceptions : elle
n
est pas applicable aux projets de loi de finances, aux projets de loi de finan-
cement de la sécurité sociale, ainsi qu
aux projets « relatifs aux états de crise »45.
Elle est également écartée, quelle que soit la nature du projet ou de la proposi-
tion, lorsque la procédure dite « accélérée » a été engagée (v.
infra no 728).
La commission désignée à titre principal choisit un rapporteur parmi ses
membres. Elle examine le texte. Elle adopte ou rejette les amendements propo-
sés par ses membres.
En second lieu, pour donner davantage de poids au travail accompli par la
commission, l
alinéa premier modifié de larticle 42 C prévoit que la discussion
s
engage sur le texte adopté par la commission et non, comme auparavant, sur le
texte originel du projet ou de la proposition ou sur le texte transmis par l
autre
assemblée. Ce changement modifie sensiblement le rapport des forces entre la
commission et le gouvernement. Si ce dernier veut rétablir son texte originel, il
ne peut le faire qu
en déposant des amendements qui devront être adoptés en
séance plénière. Or cette adoption n
est pas toujours acquise davance, même
lorsque le gouvernement dispose en principe d
une majorité au sein de lassem-
blée saisie. En raison de cette modification du rapport des forces, le Conseil
constitutionnel a jugé que les règlements des assemblées ne pouvaient pas inter-
dire au gouvernement de se faire représenter aux réunions des commissions
consacrées à l
examen dun projet ou dune proposition de loi46. Et une circu-
laire gouvernementale en date du 15 avril 2009 a enjoint aux ministres de parti-
ciper activement à ces réunions.
De même que la précédente, cette seconde modification comporte des
exceptions. En ce qui concerne les projets de révision constitutionnelle, les pro-
jets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale,
c
est toujours sur le texte du gouvernement que sengage le débat devant la pre-
mière assemblée saisie.
Mais, en dehors de ces exceptions, qui tiennent à lobjet du projet ou de la
proposition, la priorité au texte adopté par la commission s
impose, sauf bien
entendu lorsque la commission na adopté aucun texte ou lorsque le texte
qu
elle a adopté est identique à celui du gouvernement. Mais sil diffère si peu
que ce soit du texte du gouvernement, c
est sur lui que la discussion doit
Il faut bien noter que ces délais ne sont applicables quen première lecture, cest-à-dire lorsque
44.
chacune des assemblées examine le texte pour la première fois.
45.
tutionnel.
46. CC, déc. n
o 2009-579 DC du 9 avril 2009 (cons. 38).
Il sagit dune notion assez vague qui devra être précisée par la jurisprudence du Conseil consti-
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sengager, même sil na pas été présenté dans le rapport de la Commission sous
la forme d
un texte consolidé. En cas de violation de cette règle, le Conseil
constitutionnel n
hésite pas à annuler lensemble du texte, comme il la fait à
propos de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du loge-
ment (CC 2012-655 DC 24 octobre 2012).
2. Lexamen et le vote du texte par chaque assemblée
723. Lorsque le rapport de la commission est prêt, le projet peut être inscrit à
l
ordre du jour dune séance de lassemblée47. Lexamen du projet commence
par une discussion générale à laquelle prennent part le représentant du gouver-
nement, le rapporteur de la commission, éventuellement les rapporteurs des
commissions saisies pour avis, ainsi que des représentants désignés par les prin-
cipaux groupes politiques
48. Dautres parlementaires peuvent éventuellement se
faire inscrire dans le débat.
La discussion générale ne donne lieu à aucun vote, sauf si le gouvernement
ou un parlementaire dépose une motion de procédure qui peut prendre la forme
d
une exception dirrecevabilité, dune question préalable, ou dune demande
de renvoi en commission. Précisions le sens de ces termes :
Exception dirrecevabilité : cest une motion de procédure tendant à faire
reconnaître par l
assemblée que le texte proposé est contraire à la Constitution
et qu
il doit donc être immédiatement écarté pour cette raison.
Question préalable : cest une motion de procédure tendant à faire reconnaî-
tre par l
assemblée quil ny a pas lieu de délibérer sur le texte non pas parce
que celui-ci serait inconstitutionnel mais parce que son adoption ne serait pas
opportune.
Renvoi en commission : cest une motion de procédure tendant à faire recon-
naître par l
assemblée que le texte nest pas encore en état dêtre débattu et quil
doit faire l
objet dun examen supplémentaire par la commission avant de reve-
nir à l
ordre du jour dune séance plénière.
Afin déviter des votes en cascade, les motions de procédure sont stricte-
ment réglementées par les règlements des assemblées. Ainsi, d
après le règle-
ment de l
Assemblée nationale, il ne peut en être proposé quune seule, à lissue
de la discussion générale. Si l
assemblée vote lexception dirrecevabilité, la
question préalable ou le renvoi en commission, le débat s
arrête là. Mais cest
très exceptionnel car les motions de procédure sont presque toujours déposées
par des parlementaires de l
opposition et comme celle-ci est, par définition,
47. Rappelons que, devant lAssemblée nationale, si le gouvernement engage sa responsabilité sur le
vote du projet, celui-ci nest même pas examiné. Le projet est considéré comme adopté sauf si une
motion de censure est votée. Cette procédure (art. 49 al. 3), qui a été étudiée
supra no 677 nest pas
applicable devant le Sénat. Mais elle peut éventuellement être utilisée à chaque lecture devant l
Assem-
blée nationale.
48. On n
exposera ici que la procédure ordinaire. Les règlements des deux assemblées prévoient
également des procédures courtes, qui permettent d
adopter un texte sans lexaminer article par arti-
cle et éventuellement même sans discussion générale. Il s
agit de la procédure dexamen simplifiée
(PES) à lAssemblée nationale et des procédures abrégées au Sénat. Ces procédures ne sont utilisées
que pour l
adoption de textes dune importance mineure, et avec laccord de tous les groupes politi-
ques.
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Droit constitutionnel
minoritaire, elles sont presque toujours rejetées. Depuis 1958, lAssemblée
nationale n
a adopté que deux exceptions dirrecevabilité49.
Lorsque la discussion générale est terminée, lassemblée procède à lexamen
du texte article par article. À propos de chacun de ceux-ci, l
assemblée doit
examiner en principe tous les amendements proposés, à l
exception de ceux
qui ont été déclarés irrecevables.
Toutefois, daprès le second alinéa de larticle 44 C, le gouvernement peut
s
opposer à lexamen de tout amendement qui na pas antérieurement été sou-
mis à la commission. Mais il use rarement de cette faculté.
724. Le vote bloqué. En principe, chaque amendement proposé doit faire
l
objet dune discussion et dun vote. Toutefois si le gouvernement veut empê-
cher l
assemblée de se prononcer sur certains amendements, il peut recourir à
une procédure désignée sous le nom de « vote bloqué ». Celle-ci est prévue par
le troisième alinéa de l
article 44 C : « Si le gouvernement le demande, lassem-
blée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discus-
sion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le gouver-
nement
».
Cette procédure appelle deux remarques :
1) Le vote bloqué est pour le gouvernement une arme très efficace et en
même temps très maniable. Il peut être demandé aussi bien devant le Sénat
que devant l
Assemblée nationale. Il ne nécessite aucune formalité préalable,
alors que, par exemple, la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement
(art. 49 al. 3) doit obligatoirement être précédée d
une délibération en Conseil
des ministres. Enfin, il peut être demandé sur tout ou partie du texte en discus-
sion, c
est-à-dire soit sur lensemble du projet de loi, soit sur un seul article, soit
sur un sous-ensemble constitué de plusieurs articles.
2) Lorsque le gouvernement demande un vote bloqué, lassemblée saisie est
placée devant une alternative : ou bien elle adopte le texte tel qu
il est proposé
par le gouvernement ; ou bien elle le rejette. Mais elle ne peut pas l
adopter en le
modifiant par des amendements auxquels le gouvernement n
a pas donné son
accord. En d
autres termes, le vote bloqué aboutit à restreindre considérablement
le droit d
amendement qui est la principale forme dinitiative législative restant à
la disposition des parlementaires. C
est pourquoi ceux-ci protestent généralement
contre son utilisation. Sensible à ces protestations, le gouvernement, depuis quel-
ques années, évite d
y recourir trop souvent. Toutefois, depuis 2008, on a assisté
à un « retour en force » du vote bloqué (Camby et Servent, 2011, p. 94) qui rem-
place l
engagement de responsabilité du gouvernement sur le vote dun texte
désormais limité par la Constitution elle-même (v.
supra no 679), et qui est sou-
vent utilisé pour rejeter en bloc le mardi une proposition de loi émanant de lop-
position qui a été discutée le jeudi précédent (v.
supra no 720).
Le vote bloqué empêche lassemblée saisie de voter sur les amendements
que le gouvernement n
a pas retenus, mais il ne lempêche pas et même il ne
49. La plus récente remonte au 9 octobre 1998 : il sagissait du Pacte civil de solidarité (PACS) et les
députés de lopposition, plus nombreux en séance que ceux de la majorité, ont fait voter lirrecevabilité
par surprise. Ce vote n
a finalement pas empêché ladoption du PACS mais la procédure législative a
dû être recommencée à zéro avec le dépôt d
une nouvelle proposition de loi.
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la dispense pas de discuter séparément chacun de ces amendements. Or lexa-
men d
un seul amendement nécessite toujours au moins quelques minutes. Cest
ce qui explique que le droit d
amendement soit souvent utilisé à des fins dobs-
truction législative.
725. Lobstruction législative. Depuis le début des années 1980, loppo-
sition parlementaire, quelle soit de gauche ou de droite, utilise parfois le droit
d
amendement pour pratiquer ce que lon appelle aux États-Unis le « filibuste-
ring
» et que lon peut traduire en français par obstruction législative. Lorsquun
groupe parlementaire de l
opposition veut manifester son hostilité à légard
d
un projet de loi dont il sait quil ne pourra pas empêcher ladoption, il fait
déposer par ses membres des centaines, voire des milliers d
amendements qui
ne tendent pas réellement à l
amélioration du texte, et qui nont en réalité quun
objectif purement dilatoire.
Le « vote bloqué » ne permet pas de parer à ces tentatives dobstruction
puisqu
il ne dispense pas lassemblée saisie dexaminer successivement chaque
amendement proposé. Devant l
Assemblée nationale, au moins jusquà lentrée
en vigueur de la réforme de juillet 2008, le gouvernement pouvait toujours évi-
ter l
obstruction en faisant application de larticle 49 alinéa 3 : en effet, la mise
en jeu de la responsabilité gouvernementale supprime tout débat sur le texte et
l
Assemblée nationale nexamine donc dans ce cas aucun amendement. Mais
cette procédure n
est pas applicable devant le Sénat.
En 1993, pour surmonter une tentative dobstruction à ladoption dune loi
concernant l
aide à lenseignement privé, les sénateurs de la majorité décidèrent
d
écarter par un vote global 2 870 amendements considérés comme contraires à
la Constitution, ce qui évitait de les examiner un par un. Dans un mémoire
adressé au Conseil constitutionnel, les sénateurs de l
opposition critiquèrent
cette démarche en alléguant qu
elle portait gravement atteinte au droit damen-
dement. Dans sa décision du 13 janvier 1994, le Conseil constitutionnel a rejeté
ce moyen en déclarant que la restriction au droit damendement, qui devait être
appréciée «
au regard du contenu desdits amendements et des conditions géné-
rales du débat », navait pas « revêtu en lespèce un caractère substantiel ».
Cette motivation très prudente montre que le Conseil constitutionnel entend se
réserver une large faculté d
appréciation, et quil prend en considération le
caractère plus ou moins sérieux et sincère des amendements proposés.
Il arrive que les tentatives dobstruction débouchent sur une négociation. Par
exemple, en septembre 2006, le dépôt d
un projet de loi relatif au secteur de
l
énergie, qui prévoyait la fusion de Gaz de France et de la compagnie Suez, sus-
cita un nombre record d
amendements : 137 661 pour la seule Assemblée natio-
nale ! Mais, grâce à la médiation du président de l
Assemblée nationale de
lépoque, Jean-Louis Debré, un accord fut trouvé entre les groupes parlementaires
de l
opposition (socialiste et communiste) et le gouvernement. Les premiers
acceptèrent de limiter leur obstruction de façon à ce que la discussion puisse
s
achever au bout dune dizaine de jours. En échange de cette concession, le
second renonça à engager sa responsabilité, ce qui aurait bloqué toute discussion.
En acceptant que lusage de larticle 49 (3) soit limité, le gouvernement a
renoncé à l
une des armes les plus efficaces dont il disposait pour lutter contre
l
obstruction législative. Mais le sacrifice nest quapparent car, dans le même
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Droit constitutionnel
temps, une autre technique, presque aussi efficace, et qui présente lavantage de
pouvoir être utilisée indifféremment devant l
Assemblée nationale ou devant le
Sénat, a été mise en place. D
après lalinéa premier modifié de larticle 44 C :
«
Ce droit (le droit damendement) sexerce selon les conditions fixées par les
règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique
».
Or larticle 13 de la LO relative à larticle 44 C renoue avec une pratique qui
avait été abandonnée en 1969 en permettant aux règlements des assemblées d
ins-
tituer une procédure impartissant des limites de temps pour l
examen dun texte.
Cela signifie que le bureau de l
assemblée saisie peut assigner à chaque groupe
parlementaire un temps maximum pour présenter et défendre les amendements
déposés par ses membres, et qu
un groupe qui ne se plierait pas à cette discipline
s
exposerait au risque de voir ses amendements rejetés sans aucun débat. Chaque
groupe est donc pratiquement obligé de sélectionner ses amendements et, de ce
fait, les possibilités d
obstruction parlementaire sont strictement limitées.
Ladoption de larticle 13 de la LO a donné lieu à des échanges très vifs entre
l
opposition et la majorité. Selon les orateurs de lopposition, la limitation du
temps de discussion pour l
examen dun texte serait doublement antidémocratique,
d
une part parce quelle constitue une atteinte indirecte au droit damendement et,
d
autre part, parce que la prolongation du débat législatif est souvent le meilleur
moyen de sensibiliser l
opinion publique à limportance des intérêts en jeu. Les
représentants de la majorité rétorquaient que cette limitation ne portait pas atteinte
au droit d
amendement mais quelle empêchait seulement quil en soit fait un
usage abusif. Ils ajoutaient qu
elle se justifiait non seulement par lurgence que
présente l
adoption de certains textes mais aussi par la nécessité de ne pas gaspiller
le temps de séance qui est à peine suffisant pour permettre aux assemblées d
exer-
cer toutes leurs attributions en matière de législation et de contrôle.
Ce qui est certain, cest que des limitations du temps de discussion ont été
introduites, sous une forme ou sous une autre, dans la plupart des régimes par-
lementaires. Au Royaume-Uni, par exemple, il existe une procédure dite « de la
guillotine » qui permet au
speaker de la Chambre des communes décarter cer-
tains amendements lorsque cela est nécessaire pour permettre l
adoption dun
texte législatif à une date déterminée.
Lorsque le vote article par article est terminé, lassemblée saisie se prononce
par un vote global sur l
ensemble du texte50. Mais comme le Parlement com-
porte deux assemblées, la procédure législative nécessite une navette et généra-
lement plusieurs examens successifs par chacune des deux assemblées.
3. La navette et la solution des désaccords entre les deux assemblées
726. Le premier alinéa de larticle 45 C pose le principe de la navette :
« Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux
assemblées du Parlement en vue de l
adoption dun texte identique ». Au cours
de cette navette, chaque assemblée délibère sur le texte qui lui a été transmis par
50. À lAssemblée nationale, il peut arriver quà ce stade, la majorité soit mise en minorité par sur-
prise en raison de labsence de la plupart de ses membres. Cest ce qui sest produit le 3 avril 2009 à
propos de la dite loi « Hadopi » (Haute autorité pour la diffusion des
œuvres et la protection des droits
sur internet).
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Types de normes et compétences normatives
683
lautre assemblée : si elle lapprouve, il ny a plus de problème ; si elle le modi-
fie, le texte est renvoyé devant l
autre assemblée. À partir de la seconde lecture,
les seuls amendements recevables sont ceux qui sont en relation directe avec
une disposition restant en discussion, c
est-à-dire une disposition qui na pas
encore été adoptée en termes identiques par les deux assemblées. Il ne peut y
avoir exception à cette règle que dans trois cas : amendements destinés à assurer
le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec un autre texte en
cours de discussion ou à corriger une erreur matérielle (déc. nº 2005-532 DC du
19 janvier 2006, cons. 25 et 26). Cette limitation du droit d
amendement est
destinée à faciliter l
adoption finale du texte en évitant des adjonctions qui pour-
raient susciter de nouveaux désaccords entre les deux assemblées. C
est pour-
quoi on la désigne généralement sous le nom de règle de « l
entonnoir »51. Bien
qu
elle ne soit pas explicitement formulée par larticle 45, elle peut se déduire
de l
esprit de ce texte qui précise que le but de la navette est laccord des deux
assemblées sur un texte identique.
Si le jeu normal de la navette ne suffit pas à faire disparaître les désaccords,
une procédure spéciale peut être déclenchée pour tenter d
accélérer les choses,
la commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire comprend sept députés et sept sénateurs qui
ont été spécialement désignés par leurs collègues pour cette occasion : elle est
chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion.
Les règles gouvernant cette procédure sont fixées par l
article 45 C.
Elles diffèrent légèrement selon qu
il sagit dun projet ou dune proposition
de loi.
727. Le cas des projets de loi. En ce qui concerne les projets de loi, après
deux lectures devant chaque assemblée
, le Premier ministre peut prendre lini-
tiative de provoquer la réunion d
une commission mixte paritaire. Avant len-
trée en vigueur de la réforme de juillet 2008, le gouvernement pouvait raccour-
cir les délais en déclarant l
urgence, ce qui lui permettait de provoquer la
réunion de la commission mixte
après une seule lecture devant chaque assem-
blée.
En moyenne, lurgence était invoquée par le gouvernement dans un tiers
des cas environ, ce que la plupart des parlementaires jugeait excessif, dans la
mesure où des lois importantes pouvaient ainsi être adoptées après des débats
trop brefs. L
article 45 C nouveau comporte une modification de pure forme (la
procédure d
urgence est rebaptisée procédure accélérée) et une modification de
fond (la procédure accélérée ne peut pas être mise en
œuvre si les conférences
des présidents des deux assemblées s
y opposent conjointement). En pratique,
cela ne devrait pas changer grand-chose car, compte tenu de l
appui politique
dont le gouvernement dispose toujours à lAssemblée nationale, il est peu pro-
bable qu
il se heurte souvent à lopposition conjointe des deux conférences des
présidents.
Selon la jurisprudence ancienne du Conseil constitutionnel, cette règle de « lentonnoir » ne pre-
51.
nait effet qu
après que la commission mixte paritaire ait été saisie (voir décisions no 402 DC du 28 juin
1998 et no 430 DC du 29 juin 2000.) Mais, depuis sa décision sus-évoquée de 2006, le Conseil consti-
tutionnel lui attribue une portée générale, indépendamment de la saisine de la commission mixte pari-
taire.
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Droit constitutionnel
La suite de la procédure dépend du résultat de cette tentative de concilia-
tion :
1) Si la commission mixte parvient à adopter un texte, celui-ci peut être sou-
mis par le gouvernement aux deux assemblées. L
article 45 alinéa 3 précise
qu
à ce stade, aucun amendement nest recevable sauf accord du gouvernement.
Comme par ailleurs, la règle de lentonnoir continue de sappliquer, le droit
d
amendement est donc, à ce stade extrêmement restreint.
2) Si la commission mixte paritaire ne réussit pas à proposer un texte de
transaction, ou si le texte qu
elle propose nest pas adopté par les deux assem-
blées, le gouvernement peut, après une nouvelle lecture par l
Assemblée natio-
nale et par le Sénat, demander à l
Assemblée nationale de statuer définitive-
ment. La loi peut alors être définitivement adoptée par l
Assemblée nationale
malgré l
opposition du Sénat. À ce stade, lAssemblée nationale peut reprendre
soit le texte qui avait été proposé par la commission mixte paritaire, soit le der-
nier texte voté par elle, modifié, le cas échéant par un ou plusieurs des amende-
ments adoptés par le Sénat.
Cette procédure appelle quelques observations :
a) Daprès larticle 45, aussi longtemps que le gouvernement nintervient
pas, les deux assemblées se trouvent sur un pied d
égalité et la navette peut se
poursuivre indéfiniment. Le dernier mot n
appartient donc pas en propre à lAs-
semblée nationale. Sur ce point, il y a une différence importante par rapport à la
IV
e République, où lAssemblée nationale pouvait toujours statuer définitive-
ment à l
expiration dun certain délai, quelle que fût lattitude du gouvernement.
b) Le gouvernement peut forcer la résistance du Sénat en sappuyant sur
l
Assemblée nationale, mais il ne pourrait pas faire linverse. Seule lAssemblée
élue au suffrage direct peut avoir le dernier mot, parce qu
elle est considérée
comme plus représentative de la volonté populaire.
c) La fréquence du recours aux procédures de larticle 45 dépend de la
conjoncture politique. Lorsque l
Assemblée nationale et le Sénat ont des colo-
rations politiques nettement différentes, la procédure législative est souvent blo-
quée par suite d
un désaccord persistant entre les deux assemblées. Pour sur-
le gouvernement, après l
échec des procédures de
monter ces blocages,
conciliation, donne habituellement le dernier mot à l
Assemblée nationale. Par
exemple, durant la 7
e législature, de juin 1981 à mars 1986, il y avait un Prési-
dent de la République socialiste, une majorité de gauche à l
Assemblée natio-
nale mais le Sénat, quant à lui, avait toujours une majorité de tendance centre-
droit : plus de cent lois ont été adoptées par l
Assemblée nationale statuant défi-
nitivement à la demande du gouvernement, malgré l
opposition très ferme du
Sénat. Tel fut notamment le cas des lois de nationalisation. Au contraire,
lorsque ce sont les mêmes familles politiques qui disposent de la majorité à
l
Assemblée nationale et au Sénat, quand bien même léquilibre des forces ne
serait pas tout à fait identique dans les deux assemblées, les désaccords se
règlent généralement au cours de la navette et le gouvernement n
a que rare-
ment besoin de recourir aux procédures de l
article 45. Toutefois, depuis les
débuts de la XIVe législature (juillet 2012), bien que les deux assemblées soient
dominées par une majorité de gauche, et que l
exécutif affiche la même colora-
tion politique, il arrive que l
adoption dune loi figurant au programme du
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Types de normes et compétences normatives
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gouvernement nécessite le recours aux procédures de larticle 45. Cela sex-
plique par le fait que la majorité de gauche au Sénat n
est pas totalement homo-
gène et disciplinée et que certains des éléments qui la composent ne respectent
pas toujours les consignes de vote données par le gouvernement, au moins tant
que celui-ci n
engage pas sa responsabilité sur le vote du texte. Ainsi quon la
signalé, la loi relative à linterdiction du cumul des mandats a dû également être
adoptée en donnant le dernier mot à lAssemblée nationale (v. supra nº 632)
mais sur le plan politique le cas de figure n
était pas tout fait le même, car ce
qui avait manqué au gouvernement pour obtenir la majorité au Sénat, c
étaient
les voix des radicaux de gauche qui, à la différence de M. Mélanchon et de ses
amis, se situent plutôt « à droite de la gauche ».
Par ailleurs, il peut arriver que la procédure de larticle 45 soit déclenchée à
la suite d
un désaccord fictif entre les deux assemblées. Il sagit alors en fait
d
accélérer la procédure législative en supprimant
la discussion des arti-
cles devant le Sénat pour empêcher l
opposition de livrer une bataille purement
dilatoire. C
est dans de telles conditions qua été adoptée la loi du 30 décembre
1995 autorisant le gouvernement, par application de l
article 38, à réformer la
protection sociale
52.
Globalement, depuis les débuts de la Ve République, les deux tiers des lois
environ ont été adoptées dans le cadre de la navette, sans même qu
il soit néces-
saire de provoquer l
intervention dune commission mixte paritaire.
728. Les propositions de loi. Avant lentrée en vigueur de la réforme de
juillet 2008, l
article 45 C ne distinguait pas entre les projets et les propositions
de loi. Pour ces dernières, il était donc extrêmement rare qu
une commission
mixte paritaire fût réunie car, comme le gouvernement n
en était pas lauteur,
le Premier ministre se désintéressait généralement de leur sort. C
est pourquoi,
d
après larticle 45 C nouveau, en ce qui concerne les propositions de loi, lini-
tiative de la convocation dune commission mixte paritaire est attribuée aux
présidents des deux assemblées agissant conjointement, et non plus au Premier
ministre. Mais si la procédure de conciliation échoue, seul le Premier ministre
peut demander à l
Assemblée nationale de statuer définitivement.
Toutes les prérogatives que la Constitution accorde au gouvernement (mise
en jeu de sa responsabilité devant l
Assemblée nationale, vote bloqué, attribu-
tion du dernier mot à l
Assemblée nationale, etc.) peuvent évidemment être uti-
lisées cumulativement en vue de faciliter l
adoption dun projet de loi (déc.
nº 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 9). Ce projet pourra alors être
52. La majorité sénatoriale avait rejeté le projet gouvernemental en votant la question préalable, non
parce qu
elle y était hostile, mais pour couper court à une discussion article par article qui, compte tenu
des quelque 2 800 amendements déposés par lopposition, eût été certainement très longue. Au sein de
la commission mixte paritaire, les représentants des sénateurs ont déclaré qu
ils acceptaient le texte
voté par l
Assemblée nationale. Aucun amendement nétant plus recevable sauf accord du gouverne-
ment, ce texte a ensuite été rapidement adopté par les deux assemblées. Saisi par des parlementaires de
l
opposition, le Conseil constitutionnel a déclaré que « dans les conditions où elle était intervenue », la
question préalable n
avait pas entaché la loi dinconstitutionnalité (déc. nº 95-370 DC du 30 décembre
1995,
Rec. p. 269). Il voulait probablement signifier par là que cétait le nombre excessif damende-
ments déposés par lopposition qui justifiait le recours à un tel procédé. En labsence de ces conditions,
un tel usage de la question préalable aurait sans doute été considéré comme un détournement de pro-
cédure aboutissant à priver le Sénat de son pouvoir de délibération.
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Droit constitutionnel
considéré comme « voté par le Parlement », alors que lAssemblée nationale
n
en a jamais débattu et que le Sénat la rejeté globalement. Il y a dans une
telle situation quelque chose de paradoxal ou même de choquant et c
est lune
des raisons qui justifient la limitation de l
usage du « quarante-neuf trois » par la
réforme de juillet 2008.
Lorsquune loi a été définitivement adoptée par le Parlement, la procédure
législative n
est pas vraiment terminée. Pour que la loi puisse entrer en vigueur,
il faut encore qu
elle soit promulguée et publiée.
4. De ladoption de la loi à sa promulgation
729. La promulgation est lacte par lequel le Président de la République
constate que la loi a bien été adoptée selon les formes prévues par la Constitu-
tion et donne à toutes les autorités administratives et juridictionnelles l
ordre
d
appliquer ou de faire appliquer cette loi.
Le texte de la loi est publié au Journal officiel, précédé de la formule de
promulgation. La formule de promulgation comporte deux variantes : la pre-
mière est utilisée lorsque la loi a été votée dans les mêmes termes par les deux
assemblées :
« LAssemblée nationale et le Sénat ont adopté.
« Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit... ».
Dans le cas où laccord entre les deux assemblées na pas pu se faire, et où
l
Assemblée nationale a statué définitivement en application de larticle 45, on
utilise la seconde variante :
« LAssemblée nationale et le Sénat ont délibéré.
« LAssemblée nationale a adopté.
« Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit... ».
Daprès larticle 10 de la Constitution, le Président de la République pro-
mulgue «
les lois dans les quinze jours qui suivent la transmission au gouver-
nement de la loi définitivement adoptée
».
La promulgation nest pas un acte discrétionnaire. Le Président de la Répu-
blique ne doit intervenir que pour s
assurer que la loi a bien été adoptée dans les
conditions prévues par la Constitution. D
ailleurs, même en période de cohabi-
tation, si le Président de la République a parfois refusé de signer une ordon-
nance, il ne s
est jamais reconnu le même pouvoir dappréciation en ce qui
concerne la promulgation de la loi.
Pourtant, la promulgation na pas toujours lieu dans le délai de quinze jours
prévu à larticle 10.
Avant lexpiration de ce délai, la loi peut être déférée au Conseil constitu-
tionnel dans le cadre de larticle 61 alinéa 2 par le Président de la République, le
Premier ministre, le président de lune des deux assemblées, soixante députés
ou soixante sénateurs. On n
insistera pas sur cette procédure qui est étudiée de
manière approfondie au chapitre suivant (v.
infra no 763). La saisine du Conseil
constitutionnel suspend le délai de promulgation pendant un délai maximum
dun mois.
Si la loi est jugée non conforme à la Constitution, elle ne pourra évidemment
pas être promulguée.
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Si le Conseil constitutionnel na pas été saisi ou sil rend une décision qui
autorise la promulgation d
une partie au moins de la loi, le Président de la
République peut encore différer la promulgation en demandant au Parlement
une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. La faculté de
demander une nouvelle délibération est en effet prévue par l
article 10 alinéa 2
de la Constitution. Mais cest une attribution présidentielle qui nest pas dispen-
sée de l
obligation du contreseing. Le Président de la République a donc besoin
de l
accord du Premier ministre pour renvoyer une loi au Parlement en vue
d
une nouvelle délibération. Sil ne lobtient pas, il doit promulguer.
Force est de constater que ce droit nest que rarement utilisé (trois cas seu-
lement de 1958 à 2014). Cela peut s
expliquer par le contexte politique : en
période de concordance des majorités, la plupart des lois votées par le Parle-
ment le sont avec l
accord du Président et souvent même sur son initiative. Il
n
a donc normalement aucune raison de demander quelles soient modifiées. En
période de cohabitation, les conflits entre le Parlement et le chef de l
État sont
fréquents mais ce dernier ne peut généralement pas demander une nouvelle déli-
bération car il ne s
agit pas dun pouvoir propre et le Premier ministre refuserait
probablement son contreseing. Dans une telle hypothèse, le Président ne pour-
rait d
ailleurs pas espérer tirer un grand bénéfice de son opposition, car le Par-
lement pourrait évidemment adopter à nouveau la même loi.
Il peut néanmoins arriver quune nouvelle délibération soit demandée pour
éviter la promulgation d
une loi qui, par suite dun changement de circonstan-
ces, est devenue politiquement inopportune. Mais c
est une hypothèse très
exceptionnelle
53. Cette procédure peut également être utilisée à la suite dune
décision du Conseil constitutionnel qui a censuré certaines dispositions d
une
loi sans les déclarer inséparables des autres (décision de non-conformité par-
tielle). Au lieu de promulguer immédiatement ce qui subsiste, le Président pré-
fère parfois renvoyer le projet au Parlement pour qu
il remplace les dispositions
censurées, afin que le texte finalement promulgué soit plus complet
54.
lacte matériel par lequel
730. La publication. La promulgation rend la loi parfaite et lui donne sa
date, mais pour que le texte soit obligatoire, il faut qu
il soit connu. La publica-
tion
est
la loi est portée à la connaissance des
citoyens ; elle consiste dans l
insertion au Journal officiel. Avant la réforme de
l
article 1er du Code civil par lordonnance no 2004-164 du 20 février 2004, la
loi était obligatoire à Paris un jour franc après sa publication, et en province un
jour franc après l
arrivée du Journal officiel au chef-lieu de larrondissement. À
présent, «
les lois [...] entrent en vigueur à la date qu[elles] fixent ou, à défaut,
le lendemain de leur publication.
» De plus, depuis le 1er juin 2004, le Journal
officiel
se présente simultanément sur papier, comme auparavant, mais égale-
ment sous forme électronique.
53. Le cas sest cependant produit en 1983 : une loi prévoyant lorganisation dune exposition univer-
selle à Paris en 1989 avait été adoptée par le Parlement mais le gouvernement et la Mairie de Paris étaient
en désaccord sur le financement de ce projet. Pour éviter de promulguer la loi, ce qui lui aurait donné
force exécutoire, le Président de la République l
a renvoyée au Parlement en demandant une nouvelle
délibération qui na pas eu lieu. Le projet dexposition universelle est donc passé aux oubliettes.
54. Le cas s
est produit en 1985 (loi relative à lévolution de la Nouvelle-Calédonie) et en 2003 (loi
relative à la réforme des scrutins régional et européen).
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Droit constitutionnel
Il ne suffit cependant pas quune loi soit régulièrement promulguée et
publiée pour qu
elle puisse effectivement être appliquée. En effet la plupart
des lois, même celles à propos desquelles l
article 34 de la Constitution autorise
le Parlement à « fixer les règles », ont besoin d
être précisées par des mesures
plus concrètes. Ces mesures sont prises par des décrets d
application à défaut
desquels la loi ne peut entrer en vigueur. Or, il arrive que les ministères intéres-
sés tardent à prendre ces décrets ou même demeurent totalement silencieux. Un
exemple typique est celui de la loi Neuwirth sur la contraception. Promulguée le
27 décembre 1967, certains des décrets nécessaires à son application ne sont
intervenus que sept ans plus tard.
Ce phénomène sexplique parfois par des raisons politiques : à défaut
d
avoir pu empêcher ladoption dune loi, les groupes de pression qui lui sont
hostiles tentent de la neutraliser en retardant le plus possible les mesures néces-
saires à son application. Mais c
est aussi, dans bien des cas, une conséquence
indirecte de l
inflation législative (v. infra no 743) : des lois adoptées sous le
coup de l
émotion, à la suite dun fait divers qui avait particulièrement frappé
l
opinion publique, sont laissées inappliquées simplement parce que cette émo-
tion est vite retombée, et que d
autres affaires paraissent plus urgentes.
Des réactions se sont produites, sur le plan du contentieux administratif
dune part, sur le plan politique dautre part.
Sur le plan du contentieux administratif le Conseil dÉtat a reconnu, en
1962, que l
obligation pour le gouvernement de prendre les mesures nécessaires
à l
application des lois présentait un caractère juridique et par conséquent pou-
vait être sanctionnée par la voie du recours pour excès de pouvoir. Le juge
administratif peut condamner l
administration à des dommages-intérêts au cas
où elle n
a pas pris les mesures nécessaires dans des « délais raisonnables ».
Mais c
est un palliatif insuffisant compte tenu de la lenteur avec laquelle statue
la juridiction administrative. La situation s
est cependant améliorée depuis que
les lois du 16 juillet 1980 et du 8 février 1995 ont donné au juge administratif le
pouvoir dadresser des injonctions à ladministration en les assortissant dune
astreinte, c
est-à-dire dune condamnation à payer une somme proportionnelle
au nombre de jours de retard. Ce pouvoir peut en effet être utilisé pour contrain-
dre l
administration à prendre les décrets dapplication dune loi (CE, 11 mars
1994,
AJDA, p. 387. Voir aussi GA, 14e éd., 2003, p. 658 et s.).
Sur le plan politique, chaque commission parlementaire a pris lhabitude de
suivre la mise en application des lois adoptées à la suite d
un projet ou dune
proposition sur lequel (laquelle) elle a rapporté. Périodiquement, dans chaque
assemblée, une synthèse est établie à partir des rapports des commissions et
un bilan est dressé pour l
ensemble de la législation. Le dernier rapport publié
par le Sénat sur ce sujet montre que lapplication des lois pose toujours pro-
blème : sur 1 677 lois adoptées entre juin 1981 et fin décembre 2011, on en
relève 261 (soit environ 16 %) qui sont toujours totalement ou partiellement
en attente de mesures réglementaires. La plus ancienne date de 1984 ! Mais la
situation s
améliore progressivement. La commission sénatoriale pour
le
contrôle de l
application des lois a constaté que, dans lensemble, les mesures
dapplication des lois adoptées durant la treizième législature (2007-2012) ont
été prises dans un délai raisonnable de six mois à un an. Elle insiste néanmoins
sur l
importance de ce problème : « La sortie des lois du Parlement ne doit plus
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Types de normes et compétences normatives
689
être comprise comme le terme du processus démocratique de leur conception
mais seulement comme le début du compte à rebours de leur mise en applica-
tion la plus rapide et la plus fidèle possible »
55.
731. Les mesures de suspension de lapplication de la loi. Exception-
nellement, les effets de la loi peuvent être régulièrement suspendus dans deux
séries d
hypothèses : soit à la suite de mesures de clémence prises à légard des
particuliers, soit en vertu d
un pouvoir exceptionnel correspondant à une situa-
tion de crise. Mais l
on connaît également un cas où lapplication dune dispo-
sition législative a été suspendue dès la promulgation du texte en vertu d
une
décision présidentielle totalement arbitraire.
5. Les mesures prévues par la Constitution
a) Les mesures de clémence à légard des particuliers
732. Il sagit de la grâce et de lamnistie.
Le
droit de grâce a été attribué personnellement au Président de la Répu-
blique par la Constitution (art. 17). Son effet est de dispenser de l
exécution
matérielle de la peine ; mais la condamnation demeure, ainsi que les
déchéances qui l
accompagnent. La grâce peut être graduée, ne porter que
sur certaines peines ou les atténuer. Ainsi qu
on la déjà noté, depuis la révi-
sion constitutionnelle du 23 juillet 2008, il est précisé que le droit de grâce
ne peut s
exercer « quà titre individuel ». Cette précision ne change pas
grand-chose d
un point de vue juridique (car des grâces collectives peuvent
toujours être présentées sous la forme d
une série de mesures individuelles)
mais, d
un point de vue politique, elles manifestent la volonté que ce droit ne
soit utilisé que pour des motifs tenant à la personne de ceux qui en bénéfi-
cient, et non pour lutter contre le surpeuplement des établissements péniten-
tiaires.
Cest au contraire au Parlement quil appartient daccorder lamnistie
(art. 34). Il ne sagit pas dune suspension. Cest une nouvelle loi, qui apporte
une exception à une loi antérieure. Elle n
efface pas seulement la peine et la
condamnation. Les crimes ou les délits qui étaient imputables perdent leur
caractère criminel.
Lorsque la loi se borne à déterminer une catégorie de condamnés suscepti-
bles d
être amnistiés et laisse à lexécutif la décision sur les cas individuels, il y
a
grâce amnistiante.
b) Les pouvoirs de crise
733. Pour éviter des troubles graves, la Constitution, la loi ou la jurispru-
dence ont mis en place des régimes spéciaux permettant de suspendre temporai-
rement l
application dune loi.
Le plus ancien de ces régimes est létat de siège qui a été mis en place par
une loi ordinaire (loi du 9 août 1849 complétée par la loi du 3 avril 1878) mais
dont lexistence a été confirmée par larticle 36 de la Constitution de 1958. Il est
55. Rapport annuel sur lapplication des lois au 31 décembre 2011, no 323, 2011-2012, p. 101.
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Droit constitutionnel
décrété en Conseil des ministres mais sa prorogation au-delà de douze jours ne
peut être autorisée que par le Parlement. Il entraîne le transfert des pouvoirs de
l
autorité civile à lautorité militaire et la possibilité de suspendre certaines
libertés publiques, comme la liberté de réunion dont l
exercice, en temps nor-
mal, est garantie par la loi.
Larticle 16 de la Constitution de 1958 déroge encore plus profondément
aux règles normales de répartition des compétences en permettant au Président
de la République, dans des circonstances très graves, de suspendre l
application
d
une loi ou même dune règle de valeur constitutionnelle (v. supra no 591).
Enfin, lorsque ni létat de siège, ni larticle 16 ne sont en application, la
théorie des circonstances exceptionnelles, élaborée par la jurisprudence du
Conseil d
État permet aux autorités administratives de prendre certaines mesu-
res contraires aux règles régissant l
exercice des libertés en temps normal, sil
n
existe pas dautre moyen de maintenir lordre public.
6. Les techniques improvisées
734. Dans une allocution du 31 mars 2006, le Président de la République de
l
époque, Jacques Chirac, annonça quil allait promulguer la « loi pour légalité
des chances », définitivement adoptée par le Parlement, et dont l
article 8 créait
une nouvelle catégorie de contrats de travail, le contrat dit « de première embau-
che » (CPE). Mais il ajoutait qu
il demandait au gouvernement, dune part, de
préparer immédiatement des modifications concernant le CPE et, d
autre part,
de prendre les dispositions nécessaires pour que, en pratique, aucun CPE ne
puisse être signé tant que ces modifications n
auraient pas été incorporées à la
nouvelle loi. Cette allocution fit sensation car c
était probablement la première
fois qu
un chef de lÉtat français promulguait une loi tout en interdisant quon
en fasse application sur un point essentiel.
Le CPE ne posait aucun problème de conformité à la Constitution car la loi
pour légalité des chances venait dêtre validée par le Conseil constitutionnel, qui
n
avait censuré que quelques dispositions de détail, considérées comme détacha-
bles de l
ensemble. Mais il avait suscité dans le pays des protestations tellement
vives que sa mise en application aurait pu provoquer des troubles graves. Afin de
les éviter, le Président de la République aurait pu renvoyer la loi au Parlement en
l
alinéa 2 de
demandant une nouvelle délibération, comme le prévoit
l
article 10 C. Mais le Premier ministre, Dominique de Villepin, qui était à lori-
gine du CPE, et dont le contreseing était nécessaire pour demander une nouvelle
délibération de la loi, n
aurait probablement pas accepté cette démarche, qui
s
apparentait trop à une reculade. En agissant comme il la fait, le Président de
la République a voulu maintenir les apparences de la fermeté tout en donnant
satisfaction, sur le fond, aux adversaires de la réforme.
Au-delà de son aspect anecdotique, ce précédent illustre le fait quil est rela-
tivement facile au Président de la République de s
affranchir des contraintes
constitutionnelles lorsqu
il dispose du soutien de la majorité parlementaire. On
a pu estimer, non sans fondement que, en demandant au gouvernement de s
op-
poser à la signature de CPE, le chef de lÉtat violait la lettre et lesprit de la loi
et de la constitution. En effet, d
après larticle 432-1 du Code pénal, « le fait par
une personne dépositaire de l
autorité publique, agissant dans lexercice de ses
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fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à lexécution de la loi
est puni de cinq ans d
emprisonnement et de 75 000 damende ». Et sans for-
cer le sens des mots, on aurait pu voir dans la démarche du Président, « un
manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l
exercice du man-
dat », selon les termes de l
article 68 C, ou même un acte de « haute trahison »
pour reprendre la terminologie utilisée par ce même article avant la révision
constitutionnelle du 27 février 2007 (J.-E. Gicquel, 2006). Mais si graves
soient-ils, les manquements du chef de l
État à ses devoirs ne peuvent être juri-
diquement constatés et sanctionnés que par les deux assemblées parlementaires
statuant en termes identiques. Or, compte tenu de la composition politique de
ces assemblées, une telle éventualité était pratiquement exclue.
Il nen est pas moins vrai que la désinvolture dont a fait preuve, dans ces
circonstances, le Président de la République a pu contribuer à saper, dans l
es-
prit du public, l
autorité de la loi.
§ 2. Les procédures législatives spéciales
A La procédure de révision constitutionnelle
735. Cette procédure, qui est fixée par larticle 89, a déjà été étudiée. On
rappellera seulement qu
elle se distingue de la procédure législative ordinaire
sur deux points principaux :
a) Dune part, la révision doit nécessairement être votée en termes identi-
ques par l
Assemblée nationale et le Sénat. En cas de désaccord, le gouverne-
ment ne peut pas donner le dernier mot à l
Assemblée nationale, comme il peut
le faire dans la procédure législative ordinaire. C
est probablement ce qui
explique que, par dérogation au principe posée par la réforme de juillet 2008,
la discussion dun projet de révision constitutionnelle, devant
la première
assemblée saisie, porte sur le texte du gouvernement et non sur celui de la com-
mission. Sachant que l
adoption damendements par la première assemblée sai-
sie risquait de compromettre l
aboutissement de la révision, on a jugé plus sage
d
éviter tout ce qui, dans la procédure législative, paraissait susceptible de faci-
liter cette adoption.
b) Dautre part, laccord des deux assemblées sur un texte identique nest
pas suffisant. La procédure de révision constitutionnelle comporte obligatoire-
ment une seconde étape. Le texte adopté par les deux assemblées doit encore
être approuvé par référendum, à moins que le Président de la République ne
décide, s
il sagit à lorigine dun projet de révision constitutionnelle, de le sou-
mettre au Parlement convoqué en Congrès ; dans ce dernier cas, il doit obtenir
au moins les 3/5e des suffrages exprimés.
Il est évident que larticle 89 de la Constitution renforce la position du
Sénat. Chaque fois que le gouvernement a besoin de réviser la Constitution,
comme ce fut le cas par exemple en 1992 pour permettre la ratification du traité
de Maastricht, il lui faut négocier avec le Sénat. En échange de son approbation,
ce dernier obtient parfois certaines concessions, comme on aura d
ailleurs loc-
casion de le vérifier à propos des lois organiques.
Page 692
692
Droit constitutionnel
B Les lois organiques
736. Un certain nombre darticles de la Constitution prévoient lintervention
d
une loi organique pour fixer des modalités dapplication considérées comme
importantes : loi organique sur les modalités de l
élection du Président de la
République au suffrage universel (art. 6) ; loi organique sur la composition des
assemblées parlementaires (art. 25) ; loi organique sur l
organisation et le fonc-
tionnement du Conseil constitutionnel (art. 63), etc. La révision constitution-
nelle du 23 juillet 2008 a prévu l
intervention de sept nouvelles lois organiques
dont l
adoption conditionne lentrée en vigueur de certaines réformes.
Initialement, en 1958, la plupart de ces lois organiques ont été prises sous
forme d
ordonnance en vertu des pouvoirs exceptionnels que larticle 92 de la
Constitution accordait au gouvernement pour assurer la transition entre la IV
e et
la V
e République. Mais la procédure normalement applicable aux lois organi-
ques est une procédure parlementaire qui est prévue par l
article 46 de la
Constitution, et qui diffère sur plusieurs points de la procédure législative ordi-
naire.
En ce qui concerne lensemble des lois organiques, la procédure de larti-
cle 46 comporte trois différences par rapport à la procédure législative ordi-
naire :
1) En règle générale, les délais à respecter entre le dépôt ou la transmission du
texte et la délibération devant l
assemblée saisie sont les mêmes que pour les lois
ordinaires (art. 42 al. 3). La différence par rapport aux lois ordinaires tient au fait
que le déclenchement de la procédure accélérée ne supprime pas complètement ce
délai. Dans ce cas, le délai entre le dépôt du projet ou de la proposition de loi
organique et la délibération devant la première assemblée saisie doit être au mini-
mum de quinze jours.
2) Faute daccord entre lAssemblée nationale et le Sénat, le gouvernement
peut donner le dernier mot à lAssemblée nationale dans les conditions prévues
à larticle 45, mais celle-ci ne peut statuer définitivement quà la majorité abso-
lue de ses membres
56. Cette exigence exclut, semble-t-il, la possibilité pour le
gouvernement d
engager sa responsabilité en application de larticle 49 alinéa 3
car, dans ce cas, seuls les votes favorables à la motion de censure sont recensés
et il est donc impossible de savoir si le projet était approuvé par la majorité
absolue des députés.
3) Enfin, avant leur promulgation, les lois organiques sont obligatoirement
soumises au contrôle du Conseil constitutionnel, alors que, en ce qui concerne
les lois ordinaires, la saisine du Conseil est facultative.
Pour certaines lois organiques, la Constitution a prévu une procédure encore
plus contraignante : elles doivent être votées dans les mêmes termes par les
deux assemblées, tout comme les lois constitutionnelles. Il sagit, dune part,
des lois organiques relatives au Sénat et, d
autre part, de la loi organique qui
fixe les conditions dans lesquelles les étrangers ressortissant d
un pays de
l
Union européenne peuvent bénéficier du droit de vote et déligibilité aux élec-
tions municipales.
56. Cest dans ces conditions qua été adoptée en 2001 la loi organique relative à linversion du
calendrier électoral (v.
supra no 532).
Page 693
Types de normes et compétences normatives
693
La notion de « loi organique relative au Sénat » a été interprétée de façon plutôt
restrictive par le Conseil constitutionnel. Selon sa jurisprudence, pour qu
une loi
organique puisse être considérée comme « relative au Sénat » au sens de l
article 46
de la Constitution, il ne suffit pas qu
elle affecte indirectement le Sénat. Par exem-
ple, la loi organique qui fixe le nombre des députés affecte indirectement le Sénat
car elle a une incidence sur la composition du collège électoral sénatorial. Mais ce
nest pas pour autant une loi organique relative au Sénat au sens de larticle 46 de
la Constitution, et il n
est donc pas indispensable quelle soit adoptée dans les
mêmes termes par les deux assemblées. Seules sont relatives au Sénat les lois
organiques qui concernent directement cette assemblée, c
est-à-dire celles qui
fixent le nombre des sénateurs, la durée de leur mandat ou certains points de leur
statut. Et selon une jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, ces lois ne
peuvent être considérées comme « relatives au Sénat » que dans la mesure où
elles sont « spéciales au Sénat », c
est-à-dire où les dispositions quelles contien-
nent diffèrent de celles applicables à l
Assemblée nationale (voir supra no 632).
Quant au droit de vote et déligibilité des ressortissants de lUnion euro-
péenne aux élections municipales, il s
agit de lapplication de lune des clauses
du traité de Maastricht. La ratification de ce traité nécessitait une révision préa-
lable de la Constitution et cette révision a été opérée par la loi constitutionnelle
du 25 juin 1992, qui a inséré un nouveau titre dans la Constitution. Comme le
collège électoral des sénateurs est composé dans la proportion des 4/5 par des
délégués des conseils municipaux, le Sénat est particulièrement attentif à tout ce
qui concerne les élections municipales. En échange de son acceptation de la
révision constitutionnelle de juin 1992, il a donc demandé et obtenu que la loi
organique relative au droit de vote et d
éligibilité des étrangers ressortissants de
l
Union européenne ne puisse pas être adoptée sans son accord.
C Les lois de finances
737. Les lois de finances sont celles qui déterminent « la nature, le montant
et l
affectation des charges et des ressources de lÉtat ». Ce sont donc les lois
qui autorisent l
État à percevoir les impôts et à effectuer des dépenses.
La périodicité des lois de finances est annuelle. Les trois premiers mois de la
session parlementaire unique (octobre, novembre et décembre) sont principale-
ment consacrés à l
examen et à ladoption de la loi de finances. Daprès larti-
cle 47 C, «
Le Parlement vote les projets de loi de finances dans les conditions
prévues par une loi organique
». Ces conditions spécifiques aux lois de finances
concernent, d
une part, la procédure qui leur est applicable et, dautre part, leur
mode de présentation. Les parlementaires ne disposent de linitiative des dépenses
que dans les limites dune « réserve » prévue à cet effet. À ces règles traditionnel-
les s
ajoutent depuis quelques temps des contraintes tendant à garantir léquilibre
budgétaire comme dans tous les pays qui font partie de la zone euro.
1. La procédure des lois de finances
738. Les règles essentielles de cette procédure sont fixées par la Constitution
elle-même (art. 47 C) et elles nont pratiquement pas varié depuis 1958.
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Droit constitutionnel
Comme la loi de finances est indispensable au fonctionnement des services
publics, l
article 47 de la Constitution a prévu, pour en faciliter ladoption, des
règles qui dérogent à la procédure législative ordinaire et qui obligent les assem-
blées parlementaires à respecter des délais très stricts.
La loi de finances est dabord déposée sur le bureau de lAssemblée natio-
nale qui doit se prononcer en première lecture dans un délai de 40 jours. Si elle
ne la pas fait, le gouvernement saisit le Sénat qui doit lui-même statuer dans un
délai de 15 jours. En cas de désaccord entre les deux assemblées, pour éviter
que la navette se prolonge indéfiniment, le gouvernement peut utiliser les
mêmes procédures que pour les lois ordinaires, c
est-à-dire celles prévues par
l
article 45 C. Mais si le Parlement ne sest pas prononcé définitivement sur la
loi de finances dans un délai de 70 jours, les dispositions du projet peuvent être
mises en vigueur par ordonnance, ce qui revient à dire que le gouvernement
peut alors se passer de l
approbation du Parlement. Toutefois, cette faculté
n
est ouverte que lorsque le Parlement ne sest pas prononcé et non lorsque la
loi de finances a été déposée en retard, comme en 1962, ou lorsqu
elle a été
annulée par le Conseil constitutionnel, comme en 1979. Dans ces deux cas, le
gouvernement a dû faire voter d
urgence une loi spéciale qui lui permettait de
percevoir les impôts existants et d
effectuer les dépenses courantes.
Les lois de finances sont donc adoptées selon une procédure particulièrement
rapide et c
est ce qui explique que le gouvernement ou même des parlementaires
soient souvent tentés d
introduire dans une loi de finances des dispositions qui
n
ont aucun caractère financier mais quils pourront ainsi faire adopter presque
sans débat. De telles dispositions sont habituellement désignées sous le nom de
« cavalier budgétaire ». Cette expression imagée repose sur l
idée que la loi de
finances peut être comparée à un cheval se déplaçant au galop : les dispositions
que l
on y rattache échapperaient ainsi aux lenteurs de la procédure législative
ordinaire. Mais la pratique des « cavaliers budgétaires » est aujourd
hui condam-
née par le Conseil constitutionnel qui y voit un détournement de procédure.
Quand une loi de finances lui est déférée, il soppose à la promulgation de celles
de ses dispositions qui n
ont pas vraiment un caractère financier.
2. La présentation des lois de finances
739. Pendant plus de 45 ans, le contenu et la structure des lois de finances
ont été déterminés par une loi organique adoptée tout au début de la V
e Répu-
blique (ordonnance n
o 59-2 du 2 janvier 1959). Dans ce système, le pouvoir de
décision du Parlement était en fait limité aux mesures nouvelles par rapport à
l
année précédente, qui représentaient à peine 10 % du montant total des crédits.
Et ces mesures nouvelles étaient votées par ministère et par titre, le titre étant
représentatif de la nature des dépenses (investissement, fonctionnement, trans-
indiquées les missions auxquelles elles
ferts) sans que fussent clairement
devaient concourir. Le contrôle exercé par le Parlement en matière de finances
était donc presque purement formel et ne lui permettait guère d
apprécier leffi-
cacité de la dépense publique.
Ce système a été profondément modifié par une nouvelle loi organique rela-
tive aux lois de finances, adoptée le 1
er août 2001 et connue sous le nom
de LOLF : issue d
une proposition déposée par un parlementaire mais mise au
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Types de normes et compétences normatives
695
point avec laide du ministère des Finances, la LOLF se propose dintroduire,
dans les finances publiques, des méthodes de gestion par objectifs, en associant
le Parlement au contrôle de la réalisation desdits objectifs. Il convient de souli-
gner qu
elle a été adoptée par les deux assemblées à lunanimité.
La nouvelle architecture des lois de finances sarticule autour des missions
de lÉtat. Chaque mission se subdivise en un certain nombre de programmes.
Chaque programme correspond à des objectifs, dont la réalisation peut être
mesurée grâce à des indicateurs. Le premier schéma adopté pour la mise en
œuvre de la LOLF comporte 34 missions, 132 programmes, 672 objectifs et
1 327 indicateurs. À titre d
exemple, il existe une mission Sécurité qui se sub-
divise en deux programmes : police nationale et gendarmerie nationale. Le pro-
gramme police nationale comporte six objectifs au nombre desquels figurent
l
amélioration de la sécurité routière et le renforcement de la police judiciaire
qui consiste dans la recherche des auteurs de crimes ou de délits. Parmi les
indicateurs correspondant à ces objectifs, on trouve, pour la sécurité routière,
le pourcentage de dépistages positifs d
alcoolémie ou de produits stupéfiants
et, pour la police judiciaire, le taux d
élucidation des infractions.
Par rapport à lancien système, la LOLF présente en principe deux avantages :
elle laisse aux administrateurs responsables des programmes une grande
liberté dans la gestion des crédits afin qu
ils puissent poursuivre la réalisation
des objectifs sans être gênés par des règles tatillonnes ;
elle permet au Parlement, de même quaux organismes de contrôle, tels
que la Cour des comptes, de mieux contrôler les performances de l
administra-
tion et l
efficacité de la dépense publique en vérifiant si les objectifs correspon-
dant aux programmes ont été atteints. Si les indicateurs montrent qu
ils ne lont
pas été, les parlementaires peuvent demander que soient modifiés le montant
des crédits, ou les conditions de leur utilisation.
Le bon fonctionnement de la LOLF dépend pour une bonne part, de la qua-
lité du schéma établi pour son application, et notamment de la pertinence des
indicateurs. Ce schéma, qui a été testé pour la première fois à propos de la loi de
finances 2006 est sans doute perfectible, mais il faudra encore plusieurs années
pour en apprécier la pertinence et l
efficacité.
À chaque loi de finances correspond une loi de règlement, adoptée à la fin
de l
exercice, par laquelle le Parlement valide a posteriori les écarts qui ont été
constatés par rapport aux autorisations initiales. Le projet de loi de règlement
est préparé par le gouvernement mais son exactitude doit être certifiée par la
Cour des comptes avant qu
il soit présenté au Parlement. Cette loi, qui est
votée dans les mêmes conditions que la loi de finances, passait jusqu
à présent
relativement inaperçue. Mais la LOLF lui a donné une importance nouvelle car
cest elle qui permet dapprécier dans quelle mesure les objectifs fixés par la
dernière loi de finances ont été atteints Par exemple, la mission 150 (formation
supérieure et recherche universitaire) a notamment pour objectif de répondre
aux besoins de qualification supérieure et l
un des indicateurs liés à cet objectif
est le pourcentage d
une classe dâge titulaire dun diplôme au moins équivalent
au niveau bac + 2. La loi sur lécole avait fixé comme cible une proportion de
50 % devant être atteinte en 2012 mais les rapports de performance laissent
prévoir que, dans les conditions actuelles, la progression sera probablement
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696
Droit constitutionnel
trop lente pour que cette projection puisse se réaliser : on est passé seulement de
44,4 % en 2007 à 44,7 % en 2008.
En principe, cette loi de règlement est un préalable nécessaire à la discussion
du prochain projet de loi de finances, ce qui signifie que la loi de règlement
concernant l
année N doit normalement être adoptée en juin de lannée N + 1
pour que lon puisse en tirer quelques enseignements lors de la discussion de la
loi de finances intervenant au cours de l
année N + 1 et concernant lexercice
N + 2. Il est encore trop tôt pour savoir si ces enseignements seront fructueux.
3. La réserve parlementaire
Pendant la discussion budgétaire, larticle 40 de la Constitution continue de
s
appliquer et théoriquement les parlementaires nont donc pas la possibilité de
prendre l
initiative dune dépense publique dont profiteraient spécialement leurs
électeurs, par exemple un crédit destiné à la construction d
un rond-point sur
une route nationale située dans leur circonscription. Pour atténuer la rigueur
le gouvernement a pris l
habitude dinscrire chaque
de cette interdiction,
année dans son projet de loi de finances une dotation que l
on désigne habituel-
lement sous le nom de « réserve parlementaire ». Celle-ci n
est pas destinée à
satisfaire les besoins personnels des députés et des sénateurs ni à améliorer l
en-
tretien des palais dans lesquels se déroulent leurs travaux. D
une manière offi-
cieuse et pour des montants relativement modestes, elle permet de redonner aux
élus de la Nation un certain rôle dans l
initiative des dépenses publiques. Dans
le cas cité ci-dessus, au lieu de déposer lui-même un amendement, le député
intéressé pourra demander au gouvernement d
affecter la part de la « réserve
parlementaire » qui lui revient à l
association ou à la collectivité territoriale
chargée de rassembler les fonds destinés à la construction du rond-point. Les
règles constitutionnelles sont respectées, puisque aucun amendement contraire
à l
article 40 na été déposé, mais rien nempêche évidemment le député en
question d
entretenir sa popularité auprès de ses électeurs en leur faisant savoir
que c
est grâce à son intervention auprès du gouvernement que ces crédits ont
été obtenus.
Le système porte sur des montants relativement faibles (en 2012, 134 mil-
lions d
euros pour un budget total de 380 milliards) et fonctionne de manière
opaque et inégalitaire, profitant de façon générale aux élus chargés de fonctions
stratégiques (président ou vice-président de la commission des finances par
exemple). Pour tenter de remédier à ces défauts, il a été décidé que la loi de
règlement indiquerait désormais pour chaque crédit alloué sur la réserve parle-
mentaire les noms du parlementaire dont émane la proposition et de la collecti-
vité ou de lassociation bénéficiaire.
4. Les contraintes tendant à garantir léquilibre budgétaire
740. Les constituants se sont toujours préoccupé des finances publiques,
mais traditionnellement leur principal souci était de poser en cette matière des
règles de compétence. La plus ancienne de ces règles, qui est toujours valable,
figure à l
article 14 de la DDHC de 1789 : « Les citoyens ont le droit de cons-
tater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution
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Types de normes et compétences normatives
697
publique, de la consentir librement, den suivre lemploi, et den déterminer la
quotité, l
assiette, le recouvrement et la durée ». Toutes les constitutions fran-
çaises successives en ont déduit que les dépenses et les recettes de l
État
devaient, chaque année, être votées par le Parlement sous la forme d
un texte
qui, depuis 1956, est appelé loi de finances. Dans la plupart des pays étrangers,
il existe un principe analogue « no taxation without representation » dans les
pays anglo-saxons par exemple
qui emporte les mêmes conséquences. Mais
en ce qui concernait le contenu des recettes et des dépenses, les constitutions
étaient généralement muettes ou n
énonçaient que des principes assez vagues,
comme celui de l
article 13 de la DDHC de 1789 aux termes duquel « la contri-
bution publique doit être également répartie entre les citoyens, en raison de
leurs facultés ». Tout ce qui intéressait la gestion des finances publiques
les
différentes catégories de ressources, leur importance respective, les modalités
de réalisation de l
équilibre budgétaire, etc. était considéré comme une ques-
tion politique relevant du domaine de la loi.
Ce partage des compétences connaissait cependant des exceptions. En
France, par exemple, la loi constitutionnelle du 10 août 1926 a affecté directe-
ment certaines recettes à la « caisse de gestion des bons de la défense nationale
et d
amortissement de la dette publique » de façon à ce que le législateur ordi-
naire ne puisse pas les détourner de leur finalité. Mais elles étaient extrêmement
rares et se rattachaient toujours à des circonstances exceptionnelles, comme la
nécessité de résorber les dettes accumulées durant la grande guerre.
La situation est très différente aujourdhui.
D
une part, au niveau national, en raison de la situation économique, du
développement des prestations sociales et du vieillissement de la population,
la hausse des dépenses publiques est beaucoup plus difficile à contenir qu
au-
trefois.
Dautre part, au niveau européen, en raison notamment de la création dune
banque centrale et d
une monnaie commune, leuro, le déséquilibre des finances
publiques dans un État peut avoir des conséquences graves pour ses partenaires
et l
État na plus la possibilité de demander à la banque centrale démettre de la
monnaie pour combler le déficit. La lutte contre les déficits publics ne relève
donc plus seulement de la gestion interne des États et tend à devenir une obli-
gation conventionnelle. Quelques semaines avant l
élection présidentielle fran-
çaise de 2012, le 2 mars 2012, vingt-cinq chefs d
État ou de gouvernement,
parmi lesquels figuraient tous ceux des pays de la zone euro, ont signé à Bru-
xelles un « traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance économique
et financière » (TSCG). En premier lieu, ce traité pose le principe dit « de la
règle dor », qui stipule que les parties contractantes sengagent à maintenir le
budget de leurs administrations publiques en équilibre ou en excédent57. En
second lieu, il prescrit aux États se donner une règle soit constitutionnelle, soit
d
un niveau inférieur à la constitution mais supérieure aux lois de finances, par
exemple une loi organique, qui les oblige à respecter la règle d
or.
57. En dépit de cette condition, le traité stipule quun déficit équivalent à 0,5 % du PIB peut être
toléré au moins à titre provisoire, mais à condition que la dette publique du pays considéré soit infé-
rieure ou égale à 60 % de son PIB, ce qui n
est pas le cas de la France.
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Droit constitutionnel
Bien quil ait annoncé, durant la campagne, son intention de demander la
renégociation de ce traité, François Hollande, une fois élu Président de la Répu-
blique, a finalement décidé de l
accepter tel quil était. Saisi en application de
l
article 54 C, le Conseil constitutionnel a estimé que le traité nétait pas contraire
à la Constitution, dès lors que la France choisissait de s
imposer le respect de la
règle dor, non pas par une modification de la constitution, mais par une loi orga-
nique. Cest ce qui a été fait par la loi nº 2012-1403 du 17 décembre 2012 qui a
mis en place un dispositif très complexe, dont l
étude détaillée relève du cours de
finances publiques et dont on indiquera seulement ici les grandes lignes.
Dune part, une loi de programmation des finances publiques (LPFP) couvrant
une période d
au moins trois ans détermine les étapes successives de réduction
des dépenses publiques qui doivent permettre d
atteindre à la fin de la période
un objectif à moyen terme (OBM). La première de ces lois couvre une période
de cinq ans qui correspond au premier quinquennat de François Hollande
(2012-2017). Elle fixe comme OBM que le déficit global
58 de lensemble des
administrations publiques en 2015 ne soit pas supérieur à 3 % du PIB
59.
Dautre part, il est créé un Haut conseil des finances publiques (HCFP),
composé de personnalités indépendantes
60 dont le rôle principal consiste à sui-
vre l
exécution des lois de finances et des lois de financement de la sécurité
sociale pour signaler d
éventuels écarts par rapport à la trajectoire prévue par
la LPFP. Lorsque leur ampleur dépasse un certain niveau fixé par la loi orga-
nique, la constatation de tels écarts oblige le gouvernement à prendre des mesu-
res de correction qui prennent effet soit durant l
année en cours (loi de finances
rectificative), soit l
année suivante. Non seulement ces corrections sont automa-
tiques mais elles doivent être effectuées sans délibération parlementaire préa-
lable, comme l
exige le traité TSCG. Ceci peut sembler un peu paradoxal
quand l
on se souvient que, daprès le Conseil constitutionnel, le dispositif
mis en place pour garantir le respect de la « règle d
or » ne devait pas porter
atteinte aux prérogatives du Parlement et du gouvernement.
Alors que la révision de juillet 2008 a, de façon générale, étendu les pouvoirs
des assemblées parlementaires, et renforcé l
autonomie dont elles disposent, le
TSCG et la loi organique de décembre 2012 leur imposent de nouvelles contraintes,
en matière financière tout au moins. Mais les deux choses ne sont pas politique-
ment contradictoires. En 2008, on a estimé que l
on pouvait assouplir des disposi-
tions édictées cinquante ans auparavant pour garantir la stabilité gouvernementale
58. Au sein du déficit global, on distingue le déficit conjoncturel et le déficit structurel. Le premier
dépend du niveau d
activité économique au cours de lannée budgétaire et donc indirectement de la
conjoncture. Le déficit « structurel » est celui que l
on constaterait si le niveau dactivité économique
n
était pas affecté par la conjoncture.
59. La loi de programmation des finances publiques englobe les finances de toutes les administra-
tions publiques, cest-à-dire non seulement celles de lÉtat mais aussi celles de la sécurité sociale et des
collectivités territoriales. D
après larticle 47 C, les collectivités territoriales « sadministrent librement
par des conseils élus », mais c
est la loi qui fixe le cadre de cette autonomie et qui en particulier leur
impose d
adopter un budget en équilibre, ce qui leur interdit de faire appel à lemprunt pour financer
des dépenses de fonctionnement. De plus, une partie importante de leurs ressources est constituée par
des dotations de l
État et ce dernier peut donc freiner leurs dépenses en modulant le montant de ces
dotations (voir J. BUISSON, Finances publiques, 16e éd., Dalloz, 2013).
60. Les membres du HCFP sont nommés pour cinq ans et non rémunérés. Ils sont recrutés parmi les
hauts magistrats de la Cour des comptes, les économistes et les statisticiens de renom.
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Types de normes et compétences normatives
699
parce que celle-ci était suffisamment assurée par des mécanismes politiques (auto-
rité du chef de l
État, parlementarisme majoritaire). Le TSCG et les mesures prises
pour garantir son application sont dirigés moins contre le Parlement considéré en
tant que tel que contre le triptyque formé par le chef de l
État, le gouvernement et la
majorité parlementaire. On sait par expérience qu
ils ont tendance à multiplier les
dépenses publiques, que ce soit pour tenir des promesses électorales ou pour apai-
ser des mécontentements sociaux. On espère que la loi de programmation des
finances publiques et l
automaticité des mesures prises pour corriger les écarts par
rapport à la trajectoire fixée par celle-ci les protégeront contre leur propre impru-
dence en leur donnant un moyen de résister aux pressions des électeurs.
Dans son troisième avis, rendu le 20 septembre 2013, le HGFP a annoncé que,
en 2014, il serait probablement conduit à constater un écart important par rapport
aux prévisions pluriannuelles, ce qui déclencherait des mécanismes de correction.
D Les lois de financement de la sécurité sociale
741. Par son montant le budget de la sécurité sociale est plus important
encore que celui de l
État. Mais il est en principe alimenté par des ressources
propres, les « cotisations sociales », qui, bien qu
elles constituent des prélève-
ments obligatoires, ne sont pas considérées comme des « impositions de toute
nature » au sens de l
article 34 de la Constitution.
Les « principes fondamentaux de la sécurité sociale » relèvent cependant du
domaine de la loi. Le législateur est donc seul compétent pour créer de nouvel-
les cotisations ou de nouvelles prestations sociales. Mais la fixation des taux de
ces cotisations et de ces prestations relève du domaine réglementaire. Jusqu
en
1996, le budget annuel de la sécurité sociale n
était donc ni voté, ni même sys-
tématiquement débattu par le Parlement ; un simple document, « le budget social
de la Nation », était communiqué au Parlement sous la forme dannexe générale
au projet de loi de finances. Compte tenu de limportance de ce budget, dont le
déficit souvent supérieur à 15 milliards d
euros doit être pris en charge par le
budget de l
État, cette situation paraissait anormale. Pour combler cette lacune,
la révision constitutionnelle du 22 février 1996, qui modifie les articles 34, 39
et 47 de la Constitution, a créé une nouvelle catégorie de loi : les lois de finan-
cement de la sécurité sociale. De même que les « cavaliers budgétaires », les
« cavaliers sociaux » sont interdits, c
est-à-dire quaucune disposition étrangère
au financement de la sécurité sociale ne doit y figurer.
Ces lois sont adoptées chaque année selon une procédure analogue à celle
des lois de finances, les délais étant cependant un peu plus courts. D
après lar-
ticle 47-1, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordon-
nances si le Parlement ne sest pas prononcé dans un délai de 50 jours (au lieu
de 70 pour la loi de finances).
À la différence de la loi de finances de lÉtat, qui vaut autorisation de per-
cevoir les recettes et d
effectuer les dépenses, et qui a donc force obligatoire
jusque dans ses moindres détails, la loi de financement de la sécurité sociale
se borne à déterminer « les conditions générales de son équilibre financier ».
Elle a donc un caractère global et estimatif. Les caisses de sécurité sociale, qui
sont des organismes autonomes, conservent un certain pouvoir d
initiative
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Droit constitutionnel
quant au montant de leurs dépenses, mais à condition que cela ne compromette
pas leur équilibre financier.
Pour tenter de réduire le déficit du budget de la sécurité sociale, le nouvel
alinéa introduit par la révision de 1996 dans l
article 34 invite le législateur à
envisager les conditions de l
équilibre financier essentiellement et dabord sous
langle des ressources. Ce nest quensuite, et compte tenu des prévisions de
recettes, que les « objectifs de dépenses », cest-à-dire lestimation du coût des
prestations sociales, doivent être fixés par le législateur.
E Les lois autorisant la ratification dun traité
742. Daprès larticle 53 de la Constitution, « les traités de paix, les traités
de commerce, les traités ou accords relatifs à l
organisation internationale,
ceux qui engagent les finances de l
État, ceux qui modifient des dispositions
de nature législative, ceux qui sont relatifs à l
état des personnes, ceux qui com-
portent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou
approuvés qu
en vertu dune loi ».
On compte chaque année plusieurs dizaines de lois autorisant la ratification
ou l
approbation dun engagement international. Elles sont adoptées selon la
même procédure que les lois ordinaires, sous réserve de deux particularités :
a) En premier lieu, le droit damendement, que la Constitution accorde au gou-
vernement et aux membres du Parlement est, dans ce cas, sans objet. Le texte
signé par les représentants des États ne peut plus en effet être modifié. Le Parle-
ment est donc placé devant l
alternative de laccepter tel quel ou de le refuser.
C
est la raison pour laquelle les lois autorisant la ratification ou lapprobation
d
une convention internationale sont souvent adoptées par les assemblées parle-
mentaires selon des procédures courtes à l
Assemblée nationale, procédures abré-
gées au Sénat
61. Ces procédures, qui permettent dadopter un texte sans le discuter
article par article, et éventuellement même sans le soumettre à la discussion géné-
rale, ne peuvent être utilisées qu
avec laccord de tous les groupes politiques.
b) En second lieu, lintervention du Conseil constitutionnel, qui demeure
facultative, peut se produire soit avant la discussion et le vote
si le Conseil
est saisi en application de l
article 54 soit après si le Conseil est saisi en
application de l
article 61 alinéa 2 (v. infra no 769). Dans le premier cas, cest
le traité lui-même qui est soumis à l
examen du Conseil, alors que dans le
second, c
est la loi de ratification. Mais il suffit que le traité ne soit pas
conforme à la Constitution pour que la loi de ratification soit elle-même consi-
dérée comme inconstitutionnelle.
§ 3. Le problème de linflation législative
743. Depuis quelques décennies, la production législative du Parlement
français est en constante augmentation. En vingt ans, de 1983 à 2004, le nombre
61. En 2000, sur 37 lois autorisant la ratification dune convention internationale, 30 ont été adop-
tées par l
Assemblée nationale selon la procédure dexamen simplifiée (PES).
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de pages du recueil annuel des lois publié par lAssemblée nationale a plus que
triplé, passant de 1 067 à 3 721 ! En moyenne, 70 lois nouvelles sont promul-
guées chaque année, sans compter les ordonnances de l
article 38, au nombre
d
une cinquantaine (v. infra no 751). Tous ces textes viennent sajouter à un
stock de lois en vigueur déjà très important (9 000 en 2000 selon une statistique
établie par le Conseil dÉtat).
Cette inflation législative sexplique en partie par des causes générales, qui
sont également à l
œuvre dans la plupart des pays étrangers : le développement
de la coopération internationale (en moyenne, chaque année, l
intervention du
législateur est requise pour la transposition d
une vingtaine de directives com-
munautaires) et l
aggravation de certains problèmes économiques et sociaux
(montée du chômage et de la précarité, détérioration de l
environnement).
Mais il y a sans doute également une cause particulière, qui tient aux spécifici-
tés de la culture politique nationale : la force symbolique de la loi dans la
société française. «
Lune des caractéristiques de lexception française, liée
aux colbertismes de droite ou de gauche, réside en effet dans la propension à
attendre des miracles de la loi, à la juger en fonction de ses motifs plutôt que de
ses conséquences, et à faire appel à l
État législateur à tout propos, en escomp-
tant des résultats à la fois prompts, bienfaisants et exempts d
effets pervers »
(Conseil d
État, 2006, p. 231).
Il est naturel, sinon légitime, que les acteurs politiques cherchent à exploiter
cette force symbolique de la loi pour organiser leur communication médiatique,
d
autant plus quils sont sans cesse sollicités par des groupes dintérêt réclamant
une intervention de l
État en leur faveur. Selon Pierre Mazeaud, ancien Prési-
dent du Conseil constitutionnel : «
Linflation législative tient beaucoup à des
raisons de médiatisation
(...) Chaque ministre veut son texte. Cest un moyen
pour lui d
aller à la télévision et de se faire connaître. On donne toujours au
texte le nom du ministre
(...) Le Premier ministre, pour être agréable à son
ministre, veut placer son texte, d
où linflation avec des textes répétitifs. Cest
au gouvernement de limiter le nombre des textes
»62.
Mais le gouvernement lui-même subit des pressions à la fois de la part de lopi-
nion, qui lui demande de se mobiliser contre le chômage, l
insécurité, pour léduca-
tion, la santé..., et de la part du chef de l
État, qui veut montrer quil tient au moins
une partie des engagements pris au cours de la campagne précédent son élection.
Ces raisons valent également pour les amendements parlementaires venant
se greffer sur un projet gouvernemental dont ils augmentent parfois le volume
dans des proportions considérables : à titre d
exemple, le texte qui était à lori-
gine de la loi n
o 2005-157 du 23 février 2005 sur le développement des territoi-
res ruraux comportait initialement 76 articles ; il en comptait trois fois plus
(276) lors de son adoption définitive.
Linflation législative contribue indirectement à accroître les inégalités car
tout le monde n
a pas les moyens de sy reconnaître dans le maquis dune régle-
mentation à la fois mouvante (en moyenne un dixième des articles de chacun
des grands codes est modifié chaque année) et pléthorique (le Code du travail
comporte 2 000 pages, celui des impôts 2 500). On a même parlé à ce sujet de
62.
Le Monde, 15/16 avril 2007.
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Droit constitutionnel
« fracture juridique : une partie de la population se trouve marginalisée par un
droit devenu trop complexe, tandis que d
autres acteurs saccommodent de la
complexité, voire l
exploitent à leur profit » (Conseil dÉtat, 2006, p. 273). De
plus, l
inflation législative entraîne une perte defficacité, car, les administra-
tions étant débordées, les décrets d
application se font attendre et la qualité de
leur rédaction laisse beaucoup à désirer (v. supra no 731).
La classe politique a pris conscience de ce problème et il est aujourdhui
communément admis que le Parlement devrait légiférer « à la fois moins et
mieux ». Mais les bonnes intentions ne se traduisent pas toujours facilement
dans les comportements et c
est pourquoi on tente de lutter contre linflation
législative en instituant des garde-fous pour aider les acteurs politiques à résister
aux tentations de la médiatisation.
Cest ainsi quen juin 2006, sur la proposition de son président, Jean-Louis
Debré, l
Assemblée nationale a modifié son règlement en adoptant une résolu-
tion qui prévoit notamment des délais plus stricts pour le dépôt des amende-
ments et une information systématique des députés sur les textes susceptibles
d
être abrogés ou modifiés en cas dadoption dun projet ou dune proposition
de loi (Gauthier-Lescop, 2007).
De son côté, depuis quelques années, le Conseil constitutionnel veille à la
qualité technique de la loi et s
efforce de la rendre plus concise. Il nhésite pas à
censurer les dispositions qu
il juge trop obscures ou trop complexes, ainsi que
celles qui lui paraissent inutiles ou dangereuses parce qu
elles nont pas de
contenu normatif précis. Il prononce systématiquement le déclassement des dis-
positions portant sur des matières de nature réglementaire (v.
supra no 714).
Enfin, comme on la signalé, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a
prévu que les projets de loi déposés à l
Assemblée nationale ou au Sénat
devaient répondre à certaines conditions de présentation fixées par une loi orga-
nique, le but étant d
obliger le gouvernement à réaliser de sérieuses études
d
évaluation préalable avant de proposer un nouveau texte (v. supra no 719).
Mais ces initiatives elles-mêmes sexpliquent probablement pour une part
par le souci de se mettre en valeur dans les médias et les dispositifs mis en
place ne pourront être efficaces que dans la mesure où il existera une volonté
réelle de lutter contre l
inflation législative.
Section 4
Lélaboration de la loi en dehors
du cadre parlementaire
744. Comme le rappelle larticle 34 de la Constitution, la loi est normale-
ment votée par le Parlement. Néanmoins, en vertu de certaines dispositions par-
ticulières de la Constitution, le Parlement peut être temporairement dessaisi de
sa compétence en matière législative.
Il peut en être dessaisi au profit du gouvernement, au profit du peuple, ou au
profit du Président de la République.
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Types de normes et compétences normatives
703
§ 1. La législation gouvernementale : les ordonnances
de larticle 38
745. (Le Pourhiet, 2011). Sous la IIIe et la IVe République, la Constitution
ne prévoyait pas la possibilité pour le Parlement de déléguer même temporaire-
ment son pouvoir législatif. Larticle 13 de la Constitution de 1946 interdisait
même, de la manière la plus formelle, toute délégation du pouvoir législatif.
Mais comme il n
y avait pas encore de Conseil constitutionnel, et que le légis-
lateur n
était donc soumis à aucun contrôle, le Parlement habilitait de temps à
autre le gouvernement à prendre sous forme de règlements des mesures qui
auraient dû normalement être prises sous forme de lois. Ces règlements étaient
généralement désignés sous le nom de « décrets-lois » (v.
supra no 445).
Larticle 38 de lactuelle Constitution a régularisé cette pratique63. Mais le
problème ne se pose pas tout à fait dans les mêmes termes que sous les régimes
précédents car, avant 1958, on ne distinguait pas encore un domaine législatif et
un domaine réglementaire. Les habilitations accordées par le Parlement au gou-
vernement ne pouvaient donc s
analyser que comme des autorisations de modi-
fier par voie réglementaire les textes de forme législative existant dans certaines
matières. Sous la Constitution de 1958, au contraire, on distingue un domaine
législatif et un domaine réglementaire, qui sont délimités par les articles 34
et 37. Ce que prévoit l
article 38, cest la possibilité de modifier temporairement
cette délimitation au profit du pouvoir réglementaire, c
est-à-dire du gouver-
nement.
Larticle 38 permet en effet au Parlement de voter une loi dhabilitation
autorisant le gouvernement à prendre par ordonnances, pendant un délai limité,
des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
A Les conditions de lhabilitation
746. Daprès larticle 38 alinéa 1 : « Le gouvernement peut, pour lexécution
de son programme, demander au Parlement lautorisation de prendre par
ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du
domaine de la loi ».
63. Dautres dispositions de la Constitution prévoient également la possibilité pour le gouvernement
de prendre des ordonnances dans une matière relevant du domaine de la loi, mais elles ont un objet
beaucoup plus limité :
Larticle 92 C prévoyait la possibilité de recourir à cette procédure pour la mise en place des insti-
tutions de la V
e République. Il a été abondamment utilisé en 1958 et 1959 pour ladoption des princi-
pales lois organiques, et n
a été formellement abrogé quen 1995.
Les articles 47 et 47-1 permettent de mettre en vigueur les projets de loi de finances et les projets de
loi de financement de la sécurité sociale lorsque le Parlement ne s
est pas prononcé dans le délai qui lui
est imparti (v.
supra no 738 et 741).
Larticle 74-1, issu de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à lorganisation décentralisée
de la République, donne au gouvernement une habilitation permanente pour étendre le droit applicable
en métropole, avec les adaptations nécessaires, aux collectivités d
outre mer autres que les départe-
ments et les régions.
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704
Droit constitutionnel
De la lettre même de ce texte, il résulte que lhabilitation ne peut être deman-
dée que par le gouvernement. Théoriquement, les parlementaires ne peuvent
donc pas en prendre l
initiative mais, en pratique, il arrive quils le fassent en
déposant une proposition de loi ou un amendement à un projet gouvernemental.
Après avoir longtemps toléré cette pratique, le Conseil constitutionnel l
a formel-
lement condamnée dans sa décision no 2004-510 DC du 20 janvier 2005 (cons.
27 à 29). La possibilité de demander une habilitation n
est pas subordonnée à des
circonstances exceptionnelles : il suffit que le gouvernement ait un programme à
réaliser et cette notion de programme est totalement indépendante de celle de
l
article 49 alinéa 1er C qui a trait à lengagement de responsabilité du gouverne-
ment «
sur son programme ou sur une déclaration de politique générale ». En
pratique, le programme au sens de l
article 38 C se confond donc avec la finalité
spécifique assignée au projet de loi d
habilitation (par exemple, lutter contre le
chômage, renforcer les moyens de maintien de l
ordre, maîtriser les dépenses de
santé ou assurer l
exécution dun engagement international). Si cette finalité doit
être clairement indiquée, en revanche le gouvernement n
est pas tenu de révéler
la teneur des ordonnances qu
il envisage de prendre pour atteindre lobjectif
indiqué.
Il arrive cependant que des avant-projets dordonnance soient communiqués
aux rapporteurs parlementaires.
La loi dhabilitation doit obligatoirement fixer certains délais :
Dune part, elle doit indiquer le délai pendant lequel le gouvernement
sera habilité à prendre des ordonnances. L
article 38 alinéa 1 précise que ce
délai doit être limité mais il ne fixe pas de maximum. On constate une tendance
récente à l
allongement de ce délai qui nétait à lorigine que de quelques mois
et qui, depuis 2003, est en moyenne de un an, avec des maximums pouvant
atteindre vingt-quatre ou trente mois...
Dautre part, la loi dhabilitation doit également fixer un délai maximum
pour le dépôt des projets de ratification des ordonnances qui seront prises par le
gouvernement.
Il faut bien comprendre que ces deux délais ont des objets distincts et quils
ne coïncident pas. Le premier indique la durée des pouvoirs délégués au gou-
vernement, la date limite à laquelle pourront être prises les dernières ordonnan-
ces ; quant au second, il indique le temps dont disposera ensuite le gouverne-
ment pour préparer les projets de ratification et pour les déposer sur le bureau de
l
une des deux assemblées.
La loi dhabilitation est adoptée selon les règles de la procédure législative
ordinaire. Elle peut être déférée au Conseil constitutionnel dans le cadre de l
ar-
ticle 61 alinéa 2. Depuis 1974, les parlementaires de l
opposition saisissent sou-
vent le Conseil constitutionnel lorsquune loi dhabilitation a été adoptée. Celui-
ci va évidemment vérifier si la loi d
habilitation comporte bien toutes les indi-
cations qu
elle doit contenir, notamment les indications de délai. Parfois, en
outre, il énonce des directives d
interprétation qui limitent la portée des pou-
voirs délégués au gouvernement, en précisant les conditions auxquelles devront
satisfaire les ordonnances pour être conformes à la Constitution. Par exemple, à
propos de la loi d
habilitation du 11 juillet 1986, qui autorisait le gouvernement
le Conseil
à délimiter par ordonnance les circonscriptions électorales,
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Types de normes et compétences normatives
705
constitutionnel a indiqué dans sa décision que cette délimitation devrait reposer
sur des bases essentiellement démographiques.
B Les effets de lhabilitation
747. Il faut distinguer un effet positif et un effet négatif :
1. Effet positif
748. Cet effet positif consiste en une extension temporaire de la compétence
normative du gouvernement. Pendant le délai fixé par la loi d
habilitation, le gou-
vernement est autorisé à prendre par ordonnances des mesures qui sont normale-
ment du domaine de la loi, mais seulement évidemment dans les matières visées
par la loi d
habilitation et pour poursuivre les objectifs fixés par cette loi64.
Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil
d
État. Or, daprès larticle 13 alinéa 1 de la Constitution, les ordonnances déli-
bérées en Conseil des ministres doivent être signées par le Président de la Répu-
blique. Pour chaque ordonnance, il faut donc l
accord du Premier ministre et du
Président de la République, ce qui pose souvent des problèmes en période de
cohabitation. Durant la première cohabitation, en 1986-1988, le Président Mit-
terrand a refusé de signer certaines ordonnances préparées par le gouvernement
Chirac, ce qui a provoqué une importante controverse sur la licéité de ce refus.
Quoi qu
il en soit, le gouvernement ne dispose daucun moyen juridique pour
contraindre le Président de la République à signer les ordonnances. En cas de
refus de signature, il ne lui reste donc que la possibilité de transformer ses pro-
jets d
ordonnances en projets de loi et de les faire adopter par le Parlement, ce
qui est évidemment beaucoup plus long.
Les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication.
Lorsque les pouvoirs délégués au gouvernement expirent, les ordonnances
demeurent en vigueur mais elles ne peuvent plus être modifiées que par une loi
parlementaire, sauf pour celles de leurs dispositions qui porteraient en réalité sur
une matière du domaine réglementaire...
De plus, daprès larticle 38 alinéa 2, les ordonnances deviennent caduques
(c
est-à-dire quelles cessent de produire effet) si le projet de ratification nest
pas déposé avant la date limite fixée par la loi d
habilitation.
Mais en pratique, cette contrainte nest pas très gênante pour le gouvernement,
car la Constitution lui impose seulement de déposer un projet de ratification : il
n
est nullement tenu dobtenir cette ratification, ni même de faire inscrire le projet
à l
ordre du jour dune séance. De nombreuses ordonnances prises en application
de larticle 38 nont jamais été ratifiées par le Parlement tout au moins de façon
expresse. Mais si le projet de ratification a bien été déposé en temps voulu, tout
est en ordre, et l
ordonnance demeure en application.
Par exemple, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, si la loi dhabilitation autorise le
64.
gouvernement à prendre des ordonnances pour codifier les dispositions législatives existant dans cer-
taines matières, le gouvernement ne pourra pas apporter à ces dispositions des modifications de fond,
car une codification doit normalement se faire à droit constant (déc. n
o 99-421 DC du 16 décembre
1999).
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2. Effet négatif
Droit constitutionnel
749. Leffet négatif consiste en une restriction temporaire de la compétence
normative du Parlement.
Pendant toute la durée de lhabilitation, les matières qui ont fait lobjet de
cette habilitation sont assimilées à des matières réglementaires. Si une proposi-
tion de loi ou un amendement dorigine parlementaire paraît contraire à une
délégation accordée en vertu de l
article 38, le gouvernement peut donc opposer
l
irrecevabilité comme si cette proposition de loi ou cet amendement empiétait
sur le domaine réglementaire (art. 41).
Bien entendu, ce dessaisissement est seulement temporaire. Dès que le délai
fixé par la loi d
habilitation expire, la répartition normale des compétences est
rétablie. Mais il convient de noter que ce dessaisissement temporaire du Parle-
ment ne se produisait pas sous les régimes antérieurs. Sous les III
e et IVe Répu-
bliques, quand le Parlement avait autorisé le gouvernement à modifier par décret
des dispositions législatives, il conservait le droit d
intervenir à nimporte quel
moment pour reprendre son autorisation ou pour en restreindre la portée. Sous
la V
e République, ce nest plus possible. La tendance déjà signalée à lallonge-
ment des délais d
habilitation se traduit donc par une restriction des compétences
du Parlement.
Mais lirrecevabilité tenant à lexistence dune délégation accordée en vertu
de l
article 38 nest opposable quaux propositions de lois ou aux amendements
d
origine parlementaire. Le gouvernement, quant à lui, peut toujours transfor-
mer un projet d
ordonnance en projet de loi et cest ce quil fait par exemple
lorsque le Président de la République refuse de signer un projet d
ordonnance.
C Le régime juridique des ordonnances
750. Les ordonnances de larticle 38 sont des actes pris par le gouvernement
dans un domaine qui relève normalement de la compétence du législateur par-
lementaire. Mais quelle est leur nature juridique ? Faut-il les considérer comme
de simples actes administratifs, en les assimilant à des décrets pris dans l
exer-
cice du pouvoir réglementaire ? Ou s
agit-il de véritables lois, comme les actes
que le Parlement aurait pu adopter dans les mêmes matières ?
La question nest pas expressément
tranchée par la Constitution mais,
d
après la jurisprudence du Conseil dÉtat et celle du Conseil constitutionnel,
la réponse ne fait aucun doute.
En effet, tant quune ordonnance na pas été ratifiée par le Parlement, elle
doit être considérée comme un acte administratif : elle peut donc être attaquée
par la voie du recours pour excès de pouvoir ; le recours pour excès de pouvoir
est très largement ouvert ; il peut être formé par toute personne physique ou
morale dont les intérêts sont affectés par cette ordonnance ; lorsqu
il est saisi
d
un recours pour excès de pouvoir contre une ordonnance, le juge administratif
peut annuler cette ordonnance après avoir constaté par exemple qu
elle ne res-
pecte pas les limites fixées par la loi dhabilitation, ou quelle est contraire à un
principe de valeur constitutionnelle, ou encore qu
elle est contraire à un prin-
cipe général du droit (CE, 24 novembre 1961,
Recueil Dalloz 1962, p. 424). Si
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Types de normes et compétences normatives
707
le Conseil constitutionnel a donné des directives dinterprétation concernant la
loi d
habilitation, le juge administratif pourrait fort bien annuler une ordonnance
au motif que le gouvernement n
a pas respecté lune de ces directives.
Mais à partir du moment où une ordonnance a été ratifiée par le Parlement,
elle change complètement de nature. Elle devient une loi et ne peut plus faire
lobjet dun recours pour excès de pouvoir. Si une instance de recours était pen-
dante devant la juridiction administrative au moment où intervient la ratifica-
tion, cette instance doit être automatiquement interrompue : le juge administratif
ne pourra que constater qu
il ny a plus lieu de statuer.
On distinguait autrefois la ratification expresse et la ratification implicite. La
première était celle qui résultait soit de l
adoption du projet déposé par le gou-
vernement conformément à l
article 38, soit de linsertion, dans un autre texte
de loi, d
une disposition prévoyant expressément la ratification de lordonnance
dont il s
agissait. Quant à la ratification implicite, elle résultait de linter-
prétation d
une volonté exprimée par le législateur : par exemple si le Parlement
adoptait une loi se bornant à modifier sur quelques points une ordonnance ou à
y apporter des compléments, on considérait qu
il avait manifesté par là son
intention de ratifier cette ordonnance, même si ce n
était pas écrit noir sur
blanc. Mais comme la volonté du législateur n
était pas toujours parfaitement
claire, la possibilité de ces ratifications implicites était devenue un facteur d
in-
sécurité juridique : dans bien des cas, il était impossible de savoir avec certitude
si une ordonnance avait été ou non ratifiée tant que le juge compétent ne s
était
pas prononcé. Pour mettre fin à ces incertitudes, la loi constitutionnelle du
23 juillet 2008 spécifie que les ordonnances ne peuvent être ratifiées que de
manière expresse (al. 2 nouveau de l
article 38 C).
D La pratique des ordonnances
751. La technique des lois dhabilitation a beaucoup servi sous la Ve Répu-
blique. La plupart des gouvernements, quelle que fut leur orientation politique,
y ont eu recours à un moment ou à un autre. Les programmes dont ces lois
devaient permettre l
exécution sont tellement divers quils découragent toute
tentative de classification : maintien de l
ordre en Algérie ; réforme du statut
de certains territoires d
outre-mer ; lutte contre des fléaux sociaux ; application
de normes communautaires ; mesures d
ordre économique et social ; privatisa-
tions ; réforme électorale ; codification, etc. Les délégations ainsi consenties
sont parfois impressionnantes par leur étendue, surtout lorsqu
il sagit de trans-
poser des décisions prises par les instances communautaires
65.
Cette technique permet de gagner du temps. Elle est donc fort utile lorsque
lon a besoin de régler un problème urgent, lorsque lordre du jour des travaux
parlementaires est surchargé, ou lorsque lon veut éviter lobstruction qui serait
pratiquée par l
opposition si les projets gouvernementaux devaient être discutés
dans le détail.
65. Ainsi la loi no 2001-1 du 3 janvier 2001 habilite-t-elle le gouvernement à transposer par ordon-
nances plus de cinquante directives ou décisions communautaires.
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Droit constitutionnel
Les statistiques montrent que lon y recourt de plus en plus fréquemment :
de 1960 à 2000, 35 lois d
habilitation ont été adoptées, 24 lont été de 2001 à
2004. Parallèlement, on constate un accroissement presque aussi rapide du
nombre des ordonnances : si 245 ordonnances ont été prises de 1960 à 2000,
101 l
ont été de 2001 à 2004.
Cette augmentation sexplique par plusieurs raisons.
Le gouvernement trouve là un instrument commode qui lui permet de réali-
ser des réformes à un rythme beaucoup plus rapide que ce que permettrait la
procédure législative ordinaire. Il est aussi en mesure d
éviter les amendements
qui pourraient être proposés sur un projet de loi ordinaire par les membres de sa
propre majorité et qui seraient de nature à détruire la cohérence du texte. L
arti-
cle 38 joue ainsi parfois le rôle d
un substitut à larticle 44 sur le vote bloqué.
S
étant habituées à être dépossédées dune partie de leur pouvoir législatif au
profit des institutions européennes, les assemblées parlementaires se résignent
facilement à déléguer au gouvernement la transposition des directives émanant
de ces institutions, car il s
agit dun travail essentiellement technique, qui ne
comporte qu
une faible marge dinitiative.
Par ailleurs, la multiplication des interventions du législateur, dans presque
tous les domaines, aboutit à une excessive complexité des textes et l
on estime
généralement (à tort ou à raison) que le gouvernement et l
administration sont
mieux outillés que le Parlement pour y remédier. Une proportion relativement
importante des lois récentes d
habilitation se donne donc pour objectif la codi-
fication ou la simplification du droit.
Quelles quen soient les causes, il est certain que le développement de la
législation gouvernementale commence à prendre des proportions considéra-
bles : environ 55 % des textes adoptés en matière législative en 2004 étaient
des ordonnances ! (Sénat, 2005, p. 15).
La réforme constitutionnelle de 2008 na fait que renforcer les avantages que
présente pour le gouvernement la législation par voie dordonnances : en effet
comme il a perdu en partie la maîtrise de lordre du jour des assemblées, la
nécessité de gagner du temps est encore plus impérieuse qu
elle ne létait aupa-
ravant. À l
occasion du contrôle quil a exercé sur la loi organique prise en
application de l
article 39 C cest-à-dire sur le texte qui fixe les nouvelles règles
relatives à la présentation des projets de loi
le Conseil constitutionnel a veillé
à ce que la procédure de l
article 38 demeure extrêmement souple.
En premier lieu, dans une réserve dinterprétation, il a précisé que le gouver-
nement, lorsqu
il dépose un projet de loi dhabilitation nétait pas tenu de faire
connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu
il entendait prendre sur le
fondement de cette habilitation.
En second lieu, il a censuré les dispositions de la loi organique prévoyant
que les projets de ratification des ordonnances devaient être accompagnés
d
une étude dimpact, comme cest le cas des projets de loi ordinaires : selon
lui, comme il s
agit dans ce cas, par définition, dun texte déjà en vigueur,
l
étude dimpact serait sans objet66.
66. Voir la décision nº 2009-579 DC du 9 avril 2009, cons. 20 et 21.
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Il ny a donc pas lieu de sétonner que la législation par voie dordonnances
se soit beaucoup développée depuis les débuts de la XIIIe législature.
§ 2. La législation populaire : les lois adoptées par la voie
du référendum
752. Les référendums de larticle 11 constituent lun des modes dexpres-
sion du pouvoir de suffrage. Ils ont déjà été étudiés à ce titre (v.
supra no 562).
Le domaine des lois référendaires est beaucoup plus limité que celui des
ordonnances de l
article 38. Les ordonnances de larticle 38 peuvent porter sur
n
importe quelle matière relevant du domaine de la loi. Quant au référendum, il
ne peut porter que sur l
un des objets limitativement énumérés par larticle 11 :
organisation des pouvoirs publics, réformes relatives à la politique économique
ou sociale de la Nation ainsi qu
aux services publics qui y concourent (loi
constitutionnelle du 4 août 1995), ratification d
un traité qui, sans être contraire
à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
Depuis 1958, sept lois seulement ont été adoptées par la voie référendaire.
À la différence des ordonnances de l
article 38, la loi référendaire, quant à sa
nature juridique, doit évidemment être considérée comme un acte législatif et
non comme un acte administratif. Elle échappe au contrôle de constitutionnalité,
le Conseil constitutionnel s
étant déclaré incompétent (v. supra no 503). Mais
elle est en principe soumise au contrôle de conventionnalité exercé par les juri-
dictions administratives et judiciaires (CE Ass., 30 octobre 1998,
Sarran et
autres
, AJDA 1998 p. 1039).
Mais du point de vue de la procédure législative, les lois qui ont été adoptées
par la voie du référendum ne constituent pas une catégorie particulière. Elles
peuvent être modifiées ou abrogées de la même manière que les lois dorigine
parlementaire sauf dans la mesure où elles ont été incorporées à la Constitution,
comme c
est le cas de la loi de 1962 sur lélection du Président de la Répu-
blique au suffrage universel direct et de la loi de 2000 sur le quinquennat. Juri-
diquement, l
adoption dune loi par la voie référendaire nentraîne donc pas un
dessaisissement durable du Parlement. Théoriquement, ce dernier pourrait
modifier ou même abroger une loi référendaire tout de suite après qu
elle ait
été adoptée. Mais politiquement, il lui serait sans doute difficile de le faire.
Il arrive quune loi référendaire sapparente par son contenu à une loi dha-
bilitation, c
est-à-dire quelle comprenne une disposition autorisant le gouverne-
ment ou le Président de la République à prendre par ordonnances, pendant un
certain délai, des mesures qui seraient normalement du domaine de la loi.
Par exemple, la loi référendaire du 13 avril 1962, dont lobjet principal était
d
approuver les accords conduisant à lindépendance de lAlgérie, comprenait
un article 2 qui habilitait le Président de la République à prendre par ordonnan-
ces toutes mesures législatives relatives au règlement de cette affaire algérienne.
En vertu de cette habilitation, le Président de la République de l
époque, cest-à-
dire le général de Gaulle, a pris diverses mesures et notamment une ordonnance
instituant une Cour militaire de justice compétente pour juger les rebelles qui
tentaient de s
opposer par la force à lindépendance de lAlgérie.
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710
Droit constitutionnel
La question sest posée de savoir si les ordonnances prises en vertu de cette
loi référendaire devaient être considérées comme des actes législatifs, insuscep-
tibles d
être attaqués par la voie du recours pour excès de pouvoir, ou comme
des actes administratifs.
Le Conseil dÉtat a jugé que ces ordonnances devaient être considérées,
quant à leur nature juridique, comme de simples actes administratifs, tout
comme les ordonnances prises en vertu d
une loi parlementaire dhabilitation.
En conséquence, il a annulé l
ordonnance instituant la Cour militaire de justice
en considérant que cette ordonnance portait des atteintes très graves à certains
principes généraux du droit pénal (CE, 19 octobre 1962,
Canal, Rec. p. 552).
Bien que, à l
époque, cette annulation ait provoqué une réaction assez vive
du chef de l
État, le général de Gaulle, le principe posé par larrêt Canal
demeure acquis : les ordonnances prises en vertu dune habilitation référendaire
sont soumises au même régime juridique que celles prises en vertu d
une habi-
litation parlementaire.
§ 3. La législation présidentielle : les décisions prises
en application de larticle 16
753. Lorsque les circonstances exceptionnelles qui en commandent lappli-
cation sont réunies, cet article permet au Président de la République de prendre
« les mesures exigées par ces circonstances » (v.
supra no 591).
Ces mesures peuvent porter aussi bien sur les matières législatives que sur
les matières réglementaires. Leur domaine est donc potentiellement très large.
Du point de vue des compétences normatives, l
article 16 conduit à se poser
au moins deux questions.
La première est celle de savoir si le Président de la République dispose
alors d
une compétence exclusive pour prendre les mesures exigées par les
circonstances, ou si le Parlement, qui se réunit de plein droit, peut légiférer
concurremment avec lui. Cette question n
est pas explicitement tranchée par
la Constitution. Lors de la crise d
avril 1961, qui constitue lunique précé-
dent en la matière, il semble que le général de Gaulle ait considéré sa com-
pétence comme exclusive. En effet, dans son message du 25 avril 1961,
adressé au Parlement, il a déclaré que la mise en
œuvre de larticle 16 ne
saurait modifier les activités du Parlement... «
pour autant quil ne sagisse
pas de mesures prises ou à prendre en vertu de larticle 16 ». Durant la mise
en
œuvre de larticle 16, le Parlement serait donc dessaisi de ses compéten-
ces sur tout ce qui touche aux mesures à prendre en vertu de l
article 16,
cest-à-dire en fait sur les questions les plus actuelles et les plus graves.
La seconde question concerne la nature juridique des décisions prises par le
Président de la République en vertu de l
article 16. Ces décisions doivent-elles
être assimilées à des actes administratifs, comme les ordonnances prises sur
habilitation parlementaire ou référendaire, ou à des actes législatifs ? Dans un
Page 711
Types de normes et compétences normatives
711
important arrêt du 2 mars 1962 (CE, Rubin de Servens, Rec. p. 143), le Conseil
d
État a jugé :
1o Que la décision initiale de mettre en application larticle 16 devait être
considérée comme un
acte de gouvernement, cest-à-dire un acte qui, en raison
de son objet particulier, échappe à tout recours juridictionnel, par exception au
principe général de la soumission des actes des autorités exécutives au contrôle
du juge administratif.
2o Que larticle 16 habilitait le Président de la République à exercer le pou-
voir législatif dans les matières relevant du domaine la loi (art. 34), et le pouvoir
réglementaire dans celles relevant du domaine réglementaire (art. 37). Ce qui
détermine la nature juridique de la décision, ce n
est donc pas son auteur,
comme pour les ordonnances de l
article 38, mais lobjet sur lequel elle porte.
Cette jurisprudence
Rubin de Servens peut inspirer certaines inquiétudes
quant à la protection dont bénéficieraient les libertés publiques en période d
ap-
plication de l
article 16. En effet, comme les principes fondamentaux des liber-
tés publiques font partie du domaine législatif, toute décision du Président de la
République portant gravement atteinte à une liberté serait considérée
ipso facto
comme un acte législatif et échapperait pour cette raison au contrôle du juge
administratif. Comme elle ne pourrait pas non plus être déférée au Conseil
constitutionnel, il en résulte que les décisions prises en vertu de l
article 16 ne
sont susceptibles d
aucun recours, sauf lorsquelles portent sur un objet de
nature réglementaire, c
est-à-dire en fait sur un objet dimportance minime.
Il paraît bien difficile de justifier une telle différence de régime juridique
entre les décisions prises dans le cadre de l
article 16 et les ordonnances de
l
article 38. Lexplication généralement donnée, cest que, en ce qui concerne
l
article 16, le Président de la République tient directement de la Constitution le
pouvoir de prendre des mesures dans des matières législatives alors que, en ce
qui concerne l
article 38, lhabilitation à prendre des ordonnances doit être
accordée au gouvernement par une loi parlementaire et ne résulte donc pas
directement de la Constitution. Mais largument nest pas absolument convain-
cant. Il l
est dautant moins que les lois parlementaires peuvent aujourdhui être
soumises au Conseil constitutionnel, alors que le Parlement lui aussi tient direc-
tement ses pouvoirs de la Constitution.
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Chapitre 4
Justice et Constitution
755. Si lon se réfère à la définition que larticle 16 de la Déclaration des
droits de l
Homme donne de la Constitution comme une séparation des pou-
voirs, c
est-à-dire comme une répartition des compétences, une Constitution
ne peut éviter d
organiser lexercice de la fonction législative et de la fonction
exécutive. Elle pourrait en revanche ne contenir aucune règle ou aucun principe
sur la fonction juridictionnelle. Les lois constitutionnelles de 1875 sont ainsi
complètement muettes à ce sujet (à l
exception de quelques dispositions concer-
nant la mise en accusation du Président de la République).
Cependant dans la mesure où les constitutions modernes déterminent immé-
diatement ou médiatement l
ensemble de la production normative, elles ne
pourraient rester silencieuses sur la fonction juridictionnelle qu
à condition
d
admettre une thèse qui ne trouve aujourdhui plus beaucoup de défenseurs :
que cette fonction n
est pas créatrice de droit. Or, il est certain que les juges
produisent des normes. D
une part, ils produisent des sentences qui sont des
normes au moins pour les parties au litige qu
il sagit de trancher. Dautre
part, ils interprètent les textes qu
ils sont censés appliquer et contribuent ainsi
à déterminer le contenu de normes de niveau très élevé, des normes législatives
ou constitutionnelles. La Constitution doit d
abord déterminer les juridictions
compétentes pour trancher certains litiges nés de l
application de la Constitution
elle-même. Mais elle doit aussi déterminer les principes fondamentaux de l
or-
ganisation de certaines juridictions, au moins celles dont l
activité paraît impor-
tante pour la protection des libertés.
Deux groupes dautorités sont ainsi organisés en totalité ou en partie par la
Constitution de 1958 : le Conseil constitutionnel et les juridictions judiciaires.
Quant aux juridictions administratives, bien qu
elles ne soient pas explicitement
mentionnées dans la Constitution, elles jouent un rôle important dans la protec-
tion de certains droits garantis par la Constitution, et leur organisation est en
partie déterminée par des principes de valeur constitutionnelle.
Enfin, depuis la révision du 23 juillet 2008, la Constitution comprend un
titre XI bis consacré au « Défenseur des droits ». Ce dernier ne constitue pas à
proprement parler une juridiction car il ne peut émettre que des recommanda-
tions et non des décisions ayant autorité de chose jugée. Mais il veille au
respect des droits et libertés par les organismes publics de toute nature et le
fait qu
il bénéficie désormais dun statut constitutionnel alors que son pré-
décesseur, le Médiateur, avait été mis en place par une loi ordinaire sou-
ligne l
importance quon lui attache. La loi organique du 23 mars 2011 lui a
conféré le titre « d
autorité constitutionnelle indépendante ».
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716
Droit constitutionnel
Section 1
Le Conseil constitutionnel
756. Avant la Ve République, il navait jamais existé en France de juridic-
tion constitutionnelle digne de ce nom. Le rôle dune telle juridiction consiste à
donner des interprétations de la Constitution qui s
imposent aux autres pouvoirs
constitués, et notamment au Parlement. Or la tradition républicaine française
antérieure à 1958 reposait sur l
idée de souveraineté parlementaire.
La création du Conseil constitutionnel en 1958 manifestait précisément la
volonté de rompre avec cette tradition.
Mais les pères de la Constitution de 1958 avaient une conception relative-
ment étriquée du rôle dévolu au Conseil constitutionnel. Ils n
avaient pas lam-
bition d
en faire une Cour constitutionnelle au sens plein du terme, cest-à-dire
une juridiction chargée de veiller au respect des droits et libertés, comme la
Cour suprême des États-Unis ou le Tribunal constitutionnel allemand. Le
Conseil constitutionnel devait être, selon l
expression de M. Debré, « une
arme contre la déviation du régime parlementaire
»1 : il sagissait en fait dem-
pêcher l
Assemblée nationale et le Sénat dempiéter sur les prérogatives gouver-
nementales.
les
Mais les institutions évoluent selon leur propre logique, qui peut
conduire à assumer un rôle plus vaste que celui que leurs fondateurs avaient
en tête. C
est ce qui sest produit pour le Conseil constitutionnel. Bien que
son mode de composition et la plupart de ses attributions n
aient pas été profon-
dément modifiées depuis 1958, la place qu
il occupe aujourdhui dans les ins-
titutions et dans la vie politique est beaucoup plus importante que ce qui avait
été envisagé au départ. Et le nouvel article 61-1 C, introduit par la réforme du
23 juillet 2008, lui permet de jouer un rôle encore plus central dans la défense
des droits et libertés.
Sous-section 1
Composition et organisation du Conseil constitutionnel
757. Le Conseil constitutionnel comprend deux catégories de membres : les
membres nommés et les membres de droit. Son président, qui joue un rôle
important, est nommé par le chef de l
État. Ses membres sont soumis à une
obligation de réserve relativement stricte.
758. Les membres nommés. Ils sont au nombre de neuf : trois sont nom-
més par le Président de la République ; trois par le président de l
Assemblée
nationale ; trois par celui du Sénat. On l
a vu, les nominations faites par le
chef de l
État ne sont pas soumises à la règle du contreseing. Mais le nouvel
article 56 C, modifié par la loi de modernisation des institutions du 23 juillet
2008, précise que les mandats de membre du Conseil constitutionnel font
1.
Discours prononcé devant lassemblée générale du Conseil dÉtat (27 août 1958).
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Justice et Constitution
717
partie des emplois ou fonctions visés par le dernier alinéa de larticle 13 C,
c
est-à-dire ceux pour lesquels le pouvoir de nomination du Président de la
République «
sexerce après avis public de la commission permanente compé-
tente de chaque assemblée
». On sait que cet avis, qui na dans la plupart des
cas qu
une valeur simplement consultative, empêche la nomination lorsque
laddition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins
trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions
(v.
supra no 5882). Quant aux six autres membres, qui sont désignés par le
président de l
une ou lautre assemblée, leur nomination est soumise « au
seul avis de la commission permanente compétente de l
assemblée
concernée
3 ».
Le mandat des membres nommés est de neuf ans. Il nest pas renouvelable.
De même que le Sénat avant la réforme de 2003, le Conseil constitutionnel
se renouvelle par tiers tous les trois ans, de sorte que sa composition évolue
assez rapidement sans jamais être soumise à un bouleversement total. Chaque
renouvellement triennal donne lieu à une nomination par le Président de la
République, une par le président de l
Assemblée nationale et une par le prési-
dent du Sénat
4.
Il peut arriver quun membre du Conseil constitutionnel ne termine pas son
mandat, pour cause de décès, de démission, de survenance d
une incompatibi-
lité, etc. Un remplaçant doit alors être nommé par l
autorité dont relève le siège
devenu vacant, mais cette nomination ne vaut pas pour un mandat complet : le
remplaçant achève le mandat de la personne qu
il a remplacée et il est soumis à
renouvellement à la date à laquelle cette personne aurait dû elle-même y être
soumise. Deux possibilités doivent alors être envisagées.
Si le remplaçant a siégé trois ans ou davantage, il ne peut pas être nommé
une nouvelle fois.
Sil a siégé moins de trois ans, il peut être renommé pour un mandat com-
plet, c
est-à-dire pour neuf ans. Lautorité dont relève le siège nest jamais tenue
de nommer une seconde fois le remplaçant mais, lorsque c
est possible, elle le
fait fréquemment. Cette dérogation à la règle selon laquelle le mandat n
est pas
renouvelable pourrait se justifier par l
idée que, pour pouvoir participer utile-
ment aux travaux du Conseil constitutionnel, il faut y siéger pendant une
période relativement longue, c
est-à-dire pendant au moins trois ans.
Le choix des membres nest subordonné à aucune condition dâge, de
diplôme ou d
expérience professionnelle. Il sagit donc pratiquement dune
décision discrétionnaire.
Au cours de la campagne présidentielle, lactuel chef de lÉtat, François Hollande, a annoncé son
2.
intention de modifier ces proportions afin de renforcer linfluence des commissions parlementaires : les
nominations ne seraient validées que si elles étaient approuvées par les trois cinquièmes au moins des
suffrages exprimés au sein des deux commissions. Mais cette réforme nécessiterait une révision de la
Constitution.
3.
On peut se demander si, dans ce dernier cas, un avis négatif rendu à la majorité des trois cinquiè-
mes des suffrages exprimés suffit également à empêcher la nomination. Nous inclinons à répondre oui
car l
article 56 C se réfère à larticle 13 C pour lensemble des mandats de membres du Conseil consti-
tutionnel et sil prévoit une exception en ce qui concerne le nombre des commissions à consulter, il
n
en prévoit aucune en ce qui concerne les conséquences dun avis négatif.
4.
Le dernier renouvellement a eu lieu en février 2013.
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718
Droit constitutionnel
Comme il était prévu en 1958 que le Conseil constitutionnel devait être sur-
tout «
une arme contre la déviation du régime parlementaire », cest-à-dire un
arbitre des conflits entre le Parlement et le gouvernement, des qualifications
juridiques générales ne paraissaient pas absolument
indispensables. Mais
aujourd
hui, en raison du développement du contrôle de constitutionnalité des
lois, le Conseil est amené à rendre des décisions qui ont des répercussions pro-
fondes sur toutes les branches du droit.
Cependant, les textes nont pas été modifiés de sorte que, contrairement aux
autres constitutions européennes, la Constitution française n
exige pas que les
membres du Conseil constitutionnel possèdent des compétences juridiques. En
pratique, les personnalités nommées ont été pour partie des juristes qualifiés,
professeurs de droit, magistrats, avocats, ou hauts fonctionnaires, pour partie
des politiques. On tente parfois de justifier cette composition par une cons-
cience plus aiguë qu
auraient les politiques des conséquences des décisions du
Conseil. Cependant, l
idée quil y aurait au sein du conseil un équilibre entre les
juristes et les politiques doit être nuancée. Il arrive en effet que les politiques
aient des compétences juridiques, parfois même des compétences très élevées,
comme dans le cas du président Robert Badinter, et que les juristes soient choi-
sis en raison de leurs idées politiques réelles ou supposées. Par ailleurs, certai-
nes personnalités, comme Alain Lancelot, ancien directeur de l
Institut dÉtudes
Politiques, ou Dominique Schnapper, sociologue, n
entrent dans aucune des
deux catégories.
En théorie, la nécessité de recueillir, avant de procéder à la nomination,
l
avis public de deux commissions parlementaires (pour le chef de lÉtat) ou
d
une seule (pour les présidents des assemblées) ne devrait rien changer à ces
pratiques, car les commissaires ne sont pas tenus d
attacher de limportance aux
titres de qualification juridique. En pratique, cependant, il est probable que les
avis négatifs seront plus faciles à justifier aux yeux de l
opinion publique sils
sont motivés par une absence manifeste de qualification juridique. On peut donc
penser que les autorités de nomination se sentiront obligées dattacher davan-
tage d
importance à ces qualifications, et que les personnes pressenties hésite-
ront à affronter l
épreuve dune audience en commission si elles ne les possè-
dent pas.
Les membres du Conseil constitutionnel sont soumis à des incompatibilités
dont le champ a été considérablement étendu par la loi organique du 19 janvier
1995. Ces incompatibilités visent, d
une part, certains mandats politiques et,
d
autre part, certaines activités professionnelles.
En ce qui concerne les mandats politiques, les fonctions de membre du
Conseil constitutionnel sont incompatibles avec celles de membre du gouverne-
ment ou de membre du Conseil économique, social et environnemental, ainsi
quavec « lexercice de tout mandat électoral »5. Un membre du Conseil consti-
tutionnel ne peut donc exercer ni un mandat électif national, comme celui de
député ou de sénateur, ni même un mandat électif local, comme celui de
conseiller municipal ou de conseiller général. Avant la réforme opérée par la
loi du 19 janvier 1995, les membres du Conseil constitutionnel pouvaient
Tels sont les termes employés à larticle 4 de la LO relative au Conseil constitutionnel. Lexpres-
5.
sion « mandat électif » serait sans doute plus appropriée.
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Justice et Constitution
719
encore exercer des mandats électifs locaux. Mais comme le Conseil constitu-
tionnel est lui-même juge de la validité de l
élection des parlementaires, on a
voulu éviter que ses membres puissent être impliqués, à titre personnel, dans
des contentieux électoraux, ce qui risquait évidemment de nuire à leur autorité.
En ce qui concerne les activités professionnelles, les membres du Conseil
constitutionnel sont soumis aux mêmes incompatibilités que les membres du
Parlement, ce qui signifie qu
ils peuvent être professeurs duniversité et même
avocats alors que ce n
est généralement pas possible à létranger.
Pendant toute la durée de leur mandat, les membres du Conseil constitution-
nel bénéficient de solides garanties d
indépendance. Ils sont inamovibles, cest-
à-dire qu
ils ne peuvent être révoqués, pas même par les autorités qui les ont
nommés. Ils peuvent cependant être déclarés démissionnaires d
office par le
Conseil constitutionnel lui-même mais seulement dans un nombre limité de
cas énumérés par le décret n
o 58-1067 du 7 novembre 1958 qui fixe leurs obli-
gations : acceptation d
un mandat ou dune fonction incompatible avec le sta-
tut ; incapacité physique permanente ; perte des droits civils et politiques ; com-
portement de nature à compromettre l
indépendance ou la dignité des fonctions.
Aucune de ces éventualités ne s
est encore jamais produite, mais un membre
peut être poussé à la démission, comme il est arrivé pour le Président du Conseil
constitutionnel, Roland Dumas, qui faisait l
objet de poursuites judiciaires.
Avant dentrer en fonctions, les membres du Conseil constitutionnel prêtent
serment devant le Président de la République.
759. Les membres de droit. Tout ancien Président de la République est
de droit membre à vie du Conseil constitutionnel. À la différence des membres
nommés, les membres de droit n
ont pas à prêter serment avant dentrer en
fonction. Mais cela ne signifie pas qu
ils sont dispensés de respecter les obliga-
tions rappelées dans la formule du serment car celles-ci s
imposent à tous les
membres du Conseil
6. Bien quil ny ait aucun précédent en la matière, il paraît
raisonnable de supposer que, si un membre de droit ne respectait pas ces obli-
gations, il pourrait être déclaré démissionnaire d
office par le Conseil, mais pas
nécessairement à titre définitif (v. ci-dessous).
Pendant longtemps, cette institution des membres de droit, qui sexplique
par le fait que le Conseil constitutionnel n
était pas conçu pour être une véri-
table juridiction et dont on ne retrouve d
ailleurs léquivalent dans aucun pays
étranger, n
a pas joué un grand rôle. Les deux anciens présidents de la
IV
e République, V. Auriol et R. Coty, nont siégé au Conseil que dune manière
tout à fait épisodique. Et jusqu
en 2004, aucun des trois anciens présidents de la
V
e République qui aurait pu le faire (le général de Gaulle, V. Giscard dEstaing
et F. Mitterrand) ny avait siégé.
Depuis la révision de mars 2007 portant sur le titre IX de la Constitution, le
Président de la République peut être destitué par la Haute Cour «
en cas de
manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l
exercice de son
mandat
» (v. supra no 580). Le texte nouveau de larticle 68 ne précise pas si un
Président dont le mandat a pris fin dans ces conditions peut siéger au Conseil
Ceci résulte du fait que le décret précité sur les obligations des membres du Conseil ne fait
6.
aucune différence entre les deux catégories de membres.
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720
Droit constitutionnel
constitutionnel. Mais compte tenu du fait que la destitution nentraîne pas la
perte des droits civiques, et que l
intéressé peut même se présenter à lélection
présidentielle organisée pour pourvoir à son remplacement, on ne voit pas ce
qui pourrait justifier son exclusion du Conseil constitutionnel. Toutefois, si les
faits reprochés à l
ancien président constituaient une infraction pénale, ou sils
étaient contraires à lhonneur, les autres membres du Conseil pourraient éven-
tuellement prononcer sa démission doffice.
Les membres de droit sont soumis aux mêmes incompatibilités que les mem-
bres nommés et l
on a pu se demander si cela nempêcherait pas un ancien Pré-
sident de la République de briguer un mandat parlementaire.
La question se posa en 1984 lorsque V. Giscard dEstaing, ancien Président
de la République, fut élu député à l
occasion dune élection législative partielle.
Saisi d
un recours tendant à lannulation de cette élection, le Conseil constitu-
tionnel l
a rejeté en déclarant : primo, que V. Giscard dEstaing était éligible car
une inéligibilité ne peut résulter que d
une disposition législative expresse. Or,
si la Constitution confère aux anciens Présidents de la République la qualité de
membre à vie du Conseil constitutionnel, elle ne leur interdit pas pour autant
d
être candidat à un mandat électif. Secundo, que lélection de V. Giscard dEs-
taing en tant que député faisait obstacle à ce qu
il siégeât au sein du Conseil
(déc. n
o 84-983 du 7 novembre 1984, Rec. p. 117). Toutefois, dans le cas dun
membre de droit, la survenance d
une incompatibilité na quun effet tempo-
raire. Elle suspend l
exercice du mandat, mais elle ny met pas définitivement
fin, comme dans le cas d
un membre nommé.
Cest ainsi quà la suite de sa défaite électorale de mars 2004, qui lui avait
fait perdre la présidence du Conseil régional d
Auvergne, V. Giscard dEstaing
a décidé de siéger au Conseil constitutionnel. De ce fait, l
institution des mem-
bres de droit, qui n
avait pratiquement jamais fonctionné, connaît depuis quel-
ques années un regain d
actualité, dautant plus que deux autres anciens prési-
dents, J. Chirac et N. Sarkozy, sont venus y siéger après lexpiration de leur
mandat. Mais cette institution est de plus en plus vivement contestée. Plusieurs
critiques lui sont adressées.
En premier lieu, si lancien Président commence à siéger au Conseil dès la
fin de son mandat
comme il en a parfaitement le droit , il y retrouvera des
membres nommés par lui (deux, ou même trois dans le cas où, comme
J. Chirac, le président sortant a accompli deux mandats successifs). On peut
supposer que les membres qu
il a nommés, et parmi lesquels figurera générale-
ment le Président du Conseil constitutionnel, seront d
une certaine manière sou-
mis à son influence. Cette influence peut même s
étendre par ricochet si,
comme en 2007, le chef de l
État sortant nomme à la tête du Conseil le prési-
dent de l
une des assemblées parlementaires qui lui-même, en cette qualité, a
nommé dautres membres du Conseil. Cest alors plus de la moitié des juges
constitutionnels qui risque d
appartenir à un même réseau dinfluence.
En second lieu, les progrès de la médecine, combinés avec la réduction de la
durée du mandat présidentiel, font que le nombre des anciens présidents suffi-
samment valides pour siéger au Conseil constitutionnel va probablement aug-
menter dans les années qui viennent. Depuis la non-réélection de Nicolas Sar-
kozy, en mai 2012, ils représentent déjà un quart de l
effectif total du conseil.
On peut se demander si cela est vraiment opportun à un moment où l
on
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Justice et Constitution
721
sefforce au contraire de renforcer le caractère juridictionnel de celui-ci. Aussi
le comité Balladur avait-il recommandé d
abroger au moins pour lavenir cette
institution et de doter les anciens présidents d
un statut juridique « leur assurant
des conditions de vie dignes des fonctions qu
ils ont exercées, sans quils aient
à remplir des fonctions juridictionnelles
» (proposition no 75).
Mais cet avis na pas été suivi en raison, semble-t-il, de lopposition mani-
festée par le chef de lÉtat de lépoque, Nicolas Sarkozy. Lactuel chef de lÉtat,
François Hollande, a annoncé son intention de supprimer les membres de droit,
mais sans effet rétroactif, de sorte que les anciens présidents qui sont déjà mem-
bres du Conseil pourraient continuer d
y siéger jusquà la fin de leurs jours. En
mars 2013, il a déposé à cette fin un projet de révision de la Constitution mais
celui-ci semble avoir été abandonné, parce qu
il aurait probablement été impos-
sible de le faire adopter à la majorité des trois cinquièmes lors d
un congrès du
Parlement.
760. La présidence du Conseil constitutionnel. Le Président du Conseil
constitutionnel est nommé par le Président de la République (art. 56, al. 3, C).
Ce choix, qui relève d
une décision personnelle puisquil sagit là encore dun
acte dispensé du contreseing, est important. Non seulement le Président du
Conseil constitutionnel a un rôle de représentation mais il dispose d
un pouvoir
général d
organisation des travaux. Cest lui, par exemple, qui désigne les rap-
porteurs des différentes affaires soumises au Conseil. C
est lui qui nomme le
secrétaire général du Conseil constitutionnel et qui dirige l
ensemble des servi-
ces. Par ailleurs, le Président du Conseil constitutionnel a voix prépondérante en
cas de partage (art. 56, al. 3, C.).
Le fait que le conseil comprenne un nombre impair de membres nommés
n
exclut nullement lhypothèse dun partage égal des voix. Il suffit en effet
que sept membres au moins soient présents pour qu
il puisse délibérer, de
sorte quun scrutin peut donner lieu à un partage de quatre voix contre quatre.
De plus, malgré le silence des textes sur ce point, il a toujours été admis quun
membre pouvait s
abstenir lors dun scrutin, sauf peut-être si le Président du
Conseil a déclaré que l
importance de la question à trancher excluait cette pos-
sibilité, comme il l
a fait en 1982 lors de la délibération sur la première loi de
nationalisation. Enfin, la présence d
un ou plusieurs membres de droit modifie
évidemment l
effectif du conseil.
En pratique, cependant, la voix prépondérante du président na que rarement
l
occasion de jouer car, lors de ses délibérations, le conseil recherche systéma-
tiquement le consensus, de sorte que la plupart de ses décisions et de ses avis
sont adoptés à l
unanimité ou à une très nette majorité. Sur la période 1974-
1980, on trouve néanmoins deux décisions au moins qui ont été rendues grâce
à la voix prépondérante du président. (B. Mathieu et alii, 2009).
En tant que telle, la nomination du Président du Conseil constitutionnel par
le chef de l
État nest pas
soumise à la procédure consultative de
l
article 13 C. Mais, en pratique, la nomination en qualité de Président du
Conseil a toujours coïncidé avec la nomination en qualité de membre de ce
même conseil, sauf en 2000 et 2004 où les circonstances étaient assez particu-
lières (voir ci-dessous). Au moins dans la plupart des cas, les commissions par-
lementaires compétentes devraient donc pouvoir, en donnant leur avis sur la
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722
Droit constitutionnel
nomination dun nouveau membre, se prononcer indirectement sur le choix
d
un futur président.
Depuis 1958, neuf présidents se sont succédé à la tête du Conseil constitu-
tionnel : deux ont été nommés par le général de Gaulle (Léon Noel et Gaston
Palewski) ; un par Georges Pompidou (Roger Frey) ; trois par François Mitter-
rand (Daniel Mayer, Robert Badinter et Roland Dumas) et trois par Jacques
Chirac (Yves Guéna, Pierre Mazeaud, et Jean-Louis Debré). On peut dire que
le choix du chef de l
État sest toujours porté sur une personnalité qui était pro-
che de lui politiquement et même, dans la plupart des cas, personnellement.
La durée des fonctions du Président du Conseil constitutionnel nest pas pré-
cisée par les textes. Elle n
est pas non plus expressément fixée par la décision de
nomination. Mais il a toujours été implicitement admis que le président était
nommé en tant que tel jusqu
à lexpiration de son mandat de membre du Conseil
constitutionnel. Ainsi qu
on vient de le signaler, jusquau 1er mars 2000, la nomi-
nation en qualité de président avait toujours coïncidé avec la nomination en tant
que membre. La durée des fonctions du président était donc normalement de neuf
ans. Mais le 1
er mars 2000, à la suite de la démission forcée de Roland Dumas,
qui faisait l
objet de poursuites judiciaires, le Président de la République a choisi
comme président une personnalité qui siégeait déjà au Conseil depuis plus de
quatre ans : Yves Guéna. La présidence de celui-ci s
est donc achevée en 2004
en même temps que son mandat de membre du Conseil constitutionnel. Pierre
Mazeaud, qui lui a succédé, avait été nommé au Conseil en 1998, et sa présidence
s
est donc achevée en février 2007.
Dans certaines circonstances, le chef de lÉtat peut avoir intérêt à provoquer
la démission du président en exercice, afin de lui désigner comme successeur un
nouveau membre qui demeurera en fonctions plus longtemps. C
est ainsi que le
premier président nommé par F. Mitterrand, Daniel Mayer, l
avait été en 1983
et aurait dû normalement rester en place jusqu
en 1992. Mais en 1986, lors du
premier renouvellement triennal suivant sa nomination, Daniel Mayer a renoncé
à la présidence, où il fut remplacé par R. Badinter, dont le mandat ne sest
achevé qu
en 1995. Dans sa lettre publique de démission, adressée au Président
de la République, Daniel Mayer a révélé qu
il honorait ainsi un engagement
secret conclu entre lui-même et le chef de l
État trois ans auparavant, lors de
sa propre nomination. Certains constitutionnalistes ont qualifié cet engagement
de « fraude à la Constitution » en estimant qu
il avait pour objet et pour effet de
modifier le calendrier normal du renouvellement du Président du Conseil
constitutionnel (voir à ce sujet la controverse entre les Professeurs Duverger et
Luchaire,
Le Monde, 22 et 26 février 1986).
Pour éviter de telles controverses, certains constitutionnalistes ont proposé
que le Président du Conseil constitutionnel soit élu par ses collègues, comme
cest le cas par exemple en Italie, et que la durée de son mandat soit fixée par
un texte. Une telle réforme nécessiterait une révision de la Constitution.
Par ailleurs, la question se pose de savoir si le Président de la République
pourrait, à un moment quelconque, mettre fin aux fonctions du Président du
Conseil constitutionnel, sans le priver de sa qualité de membre du conseil,
mais en désignant lun de ses collègues pour le remplacer. Cest encore laffaire
Dumas qui a conduit à envisager cette possibilité. Mais une telle solution se
heurte à l
idée que le Conseil constitutionnel est une cour indépendante ce qui
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Justice et Constitution
723
paraît incompatible avec le principe selon lequel le pouvoir de nomination
impliquerait celui de mettre fin aux fonctions de son président.
761. Lobligation de réserve. Bien quil statue en droit, le Conseil consti-
tutionnel est souvent amené à trancher des questions qui suscitent des contro-
verses politiques, et à propos desquelles saffrontent la majorité et lopposition.
Si ses membres apparaissent comme trop politiquement engagés, on risque de
douter de l
impartialité de ses décisions. Cest pourquoi une obligation de
réserve leur est imposée.
Daprès larticle 2 du décret du 13 novembre 1959 fixant les obligations des
membres du Conseil constitutionnel, il leur est interdit «
de prendre aucune
position publique ou de consulter sur des questions ayant fait ou étant suscepti-
bles de faire l
objet de décisions de la part du Conseil ». Ce même texte leur
fait également défense d
occuper au sein dun parti ou groupement politique
tout poste de responsabilité ou de direction et, de façon plus générale, d
y exer-
cer une activité qui serait de nature à compromettre l
indépendance et la dignité
de leurs fonctions.
Ils sont également tenus de garder le secret des délibérations, mais, désor-
mais, après un délai de vingt-cinq ans les archives du Conseil constitutionnel,
comprenant les procès-verbaux de ses délibérations, sont accessibles aux cher-
cheurs et les plus importantes ont été publiées
7.
En 2005, durant la campagne précédant le référendum sur la Constitution
européenne, l
obligation de réserve a été interprétée dune manière assez sou-
ple, afin de permettre à deux membres du Conseil, V. Giscard d
Estaing et
Simone Veil, de s
engager dans cette campagne.
Avant de venir siéger au Conseil constitutionnel, V. Giscard dEstaing avait
participé, en qualité de Président de la Convention européenne de Bruxelles, à
l
élaboration du traité établissant une Constitution pour lEurope. Aussi, pour
éviter tout soupçon de partialité, s
est-il abstenu de siéger toutes les fois que le
Conseil s
est prononcé sur une question ayant un rapport direct ou indirect avec
ce traité. Mais il a activement milité pour le oui au référendum du 29 mai 2005
tout en continuant de participer aux autres activités du Conseil.
De manière analogue, S. Veil, membre nommé, a décidé de suspendre ses
fonctions de membre du Conseil entre le 1
er mai 2005 et la proclamation des
résultats du référendum afin de pouvoir également militer pour le oui.
Ces engagements politiques ont suscité dassez vives protestations. Dune
part, la définition précitée de l
obligation de réserve semble interdire les prises
de position publiques sur toute question dont le Conseil a été appelé ou peut être
appelé à connaître, même si la personne concernée s
abstient de participer à la
décision. Dautre part, larticle 4 du décret du 13 novembre 1959 ne prévoit la
possibilité dun congé que pour solliciter un mandat électif. Mais le Conseil
dispose à cet égard d
un pouvoir dinterprétation souverain car lui seul peut
apprécier si l
un de ses membres a manqué à lune de ses obligations, le juge
administratif se déclarant incompétent en la matière (CE, 6 mai 2005,
M. René
Georges Hoffer
, AJDA, 2005, p. 979).
7. MATHIEU B., MACHELON J.-P., MÉLIN-SOUCRAMANIEN F., ROUSSEAU D. et PHILIPPE X.,
Les grandes délibérations du Conseil constitutionnel 1958-1983, Paris, Dalloz, 2009.
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724
Droit constitutionnel
Sous-section 2
Les compétences du Conseil constitutionnel
762. Ces compétences sont diverses et variées. Toutefois, ce serait une
erreur de croire que le Conseil constitutionnel peut connaître de nimporte
quel litige portant sur lapplication ou linterprétation de la Constitution. Pour
nombreuses qu
elles soient, les attributions du Conseil sont énumérées de façon
limitative, et la plupart d
entre elles correspondent à des hypothèses très spéci-
fiques. On ne trouve nulle part, dans la Constitution française, une clause de
compétence très générale analogue à celle de l
article 93 alinéa 1 de la Loi fon-
damentale allemande qui permet au Tribunal constitutionnel de statuer «
en cas
de litiges portant sur les droits et obligations d
un organe fédéral ». En dautres
termes, le Conseil constitutionnel français n
a quune compétence dattribution
et certains problèmes lui échappent pour la simple raison que ni la Constitution,
ni la loi organique n
ont prévu la possibilité de le saisir8.
Ceci dit, les compétences du Conseil constitutionnel peuvent être regroupées
autour de quelques grands thèmes :
1o Les compétences liées à lexercice du suffrage. Le Conseil constitutionnel
statue, en cas de contestation, sur la régularité de l
élection des députés et des
sénateurs. Il intervient, à différentes étapes, dans le déroulement de l
élection
présidentielle. Il veille à la régularité des opérations de référendum «
prévues
aux articles 11 et 89 de la Constitution et au titre XV de la Constitution
»9 et
en proclame les résultats. Depuis la révision du 23 juillet 2008, il doit également
veiller au respect des dispositions qui encadrent le nouveau référendum d
initia-
tive mi-parlementaire mi-populaire prévu par l
article 11.
2o Les compétences relatives au statut des titulaires de certains mandats
électifs
. Par exemple, en ce qui concerne le statut des parlementaires, le Conseil
constitutionnel peut être saisi en vue de constater lexistence dune incompati-
bilité. De même, en ce qui concerne le mandat présidentiel, cest le Conseil
constitutionnel qui constate, sur saisine du gouvernement, l
empêchement tem-
poraire ou définitif du chef de l
État (art. 7 C).
3o Les compétences liées à lexercice des pouvoirs exceptionnels de larti-
cle 16. Le Conseil constitutionnel doit dabord être consulté sur la réunion des
conditions auxquelles est subordonnée la mise en application de l
article 16 ; il
doit ensuite être consulté sur chacune des mesures prises par le Président de la
République en application de l
article 16. En outre, depuis la révision du 23 juil-
let 2008, après trente jours d
exercice des pouvoirs prévus par larticle 16, il
8.
Tel est notamment le cas de la plupart des conflits qui risquent de surgir entre le Président de la
République et le Premier ministre en période de cohabitation (signature des ordonnances, etc.). De
même, le problème de la recevabilité d
une motion de censure en période dapplication de larticle 16
ne relève pas de la juridiction du Conseil constitutionnel sauf si cette question est traitée dans le règle-
ment de l
Assemblée nationale.
Cette précision a été ajoutée à l
article 60 C par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 pour
9.
bien marquer que la compétence du Conseil constitutionnel est limitée aux opérations de référendum
de niveau national. Les référendums organisés dans le cadre d
une collectivité territoriale en applica-
tion de larticle 72-1 C relèvent de la compétence des juridictions administratives. La référence au
titre XV a été introduite en 2005 : il s
agit des référendums prévus par lactuel article 88-5, qui devien-
drait 88-7 à compter de l
entrée en vigueur du traité établissant une constitution pour lEurope.
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Justice et Constitution
725
peut être saisi aux fins dexaminer si les conditions dexercice de ces pouvoirs
sont toujours réunies.
À la différence des autres, les attributions de ce troisième groupe ne sont pas
juridictionnelles mais consultatives, c
est-à-dire que dans le cadre de larticle 16,
le Conseil constitutionnel ne rend pas des décisions, mais seulement des avis,
qui ne lient pas le Président de la République.
4o Les compétences liées à certains incidents de la procédure législative.
On sait que, dès l
origine, le Conseil constitutionnel était chargé de veiller à
ce que le Parlement n
empiète pas sur le domaine réglementaire réservé au gou-
vernement. Ses compétences prévues aux articles 37 et 41 C se rattachent à cette
mission.
Dans un tout autre domaine, daprès larticle 39 C modifié par la loi du
23 juillet 2008, les projets de loi déposés par le gouvernement à l
Assemblée
nationale ou au Sénat doivent répondre à des conditions de présentation fixées
par une loi organique. En cas de désaccord sur le respect de cette obligation
entre le gouvernement et la conférence des présidents de l
assemblée concernée,
le Premier ministre ou le président de l
Assemblée peut saisir le Conseil consti-
tutionnel.
5o Les compétences relatives au contrôle de la constitutionnalité de cer-
tains textes
et principalement des lois. Ce sont les plus importantes en raison
de l
intérêt quelles présentent pour la défense des droits et libertés et des
conséquences politiques que peuvent entraîner certaines décisions. On sait
que, selon les pays, le contrôle de constitutionnalité des lois peut être exercé
tantôt de façon abstraite (c
est-à-dire que le juge considère la loi en elle-
même, indépendamment de tout litige particulier) et tantôt de façon concrète
(c
est-à-dire quil lexamine à loccasion dun litige particulier dont la solu-
tion dépend du résultat de cet examen).
Jusquà une date récente, à la différence de la plupart des cours constitution-
nelles étrangères, le Conseil français ne pouvait exercer qu
un contrôle abstrait.
Mais depuis l
entrée en vigueur de la révision du 23 juillet 2008, il exerce éga-
lement un contrôle concret.
§ 1. Le contrôle a priori ou abstrait
763. Prévu par les deux premiers alinéas de larticle 61 C, ce contrôle est
obligatoire pour les lois organiques et les règlements des assemblées parlemen-
taires, facultatifs dans les autres cas.
A Les lois organiques
764. Ce sont des lois dont lintervention est prévue par la Constitution, pour
fixer les modalités d
application de certains de ses articles. Les pères de la
Constitution redoutaient que, par le biais des lois organiques, le Parlement
puisse modifier léquilibre des pouvoirs. Cest pourquoi il est prévu quavant
leur promulgation, les lois organiques sont obligatoirement soumises au Conseil
constitutionnel.
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726
Droit constitutionnel
Selon la jurisprudence du Conseil, cette saisine automatique est exclusive de
toute autre procédure. Elle fait donc obstacle à ce que le Conseil constitutionnel
puisse être saisi par des députés ou des sénateurs sur le fondement du deuxième
alinéa de l
article 61 C (déc. no 92-305 DC du 21 février 1992). Les parlemen-
taires qui contestent la constitutionnalité d
une loi organique ne peuvent donc
soumettre leurs arguments au Conseil constitutionnel, sinon de manière offi-
cieuse. Mais en pratique, il est relativement fréquent qu
ils lui adressent des
observations. Tout en affirmant que ces observations ne valent pas saisine, le
Conseil constitutionnel accepte de les prendre en compte et de les joindre au
dossier qui peut être consulté sur son site
10.
B Les règlements des assemblées parlementaires
765. Un tel règlement nest pas une loi mais une simple résolution par
laquelle une assemblée parlementaire détermine les modalités de son organisa-
tion et de son fonctionnement. L
expérience de la IIIe et de la IVe République
avait montré que, par le biais de son règlement, une assemblée parlementaire
pouvait parfois s
octroyer des pouvoirs que la Constitution ne lui avait pas
accordés. C
est pour éviter une telle dérive que les règlements des assemblées
sont désormais obligatoirement soumis, avant leur mise en application, au
contrôle du Conseil constitutionnel.
Cest dans le cadre de ce contrôle quen 1959, le Conseil constitutionnel a
interdit le vote de propositions de résolution à l
issue dun débat sur une ques-
tion orale (déc. n
o 59-2 DC des 17, 18 et 24 juin 1959, Rec. p. 58).
Dans ces deux cas, comme lintervention du Conseil constitutionnel est obli-
gatoire, il n
y a pas de lettre de saisine indiquant les griefs qui peuvent être
soulevés contre la loi organique ou contre le règlement de l
assemblée. Le
Conseil constitutionnel recherche lui-même les moyens d
inconstitutionnalité,
avant de statuer sur ces moyens. En d
autres termes, il remplit à la fois la fonc-
tion de procureur et celle de juge.
C Les lois ordinaires
766. Daprès larticle 61 alinéa 2 C, les lois peuvent être déférées au Conseil
constitutionnel par le Président de la République, le Premier ministre, le prési-
dent de l
Assemblée nationale, le président du Sénat, soixante députés ou
soixante sénateurs.
Le texte originel de larticle 61 alinéa 2 ne prévoyait pas la possibilité dune
saisine par de simples parlementaires. Cette possibilité a été introduite par la loi
constitutionnelle du 29 octobre 1974. Lassouplissement de la saisine a dail-
leurs eu de très importantes conséquences (v.
infra nº 781).
La saisine doit intervenir après ladoption définitive de la loi par le Parlement,
mais avant sa promulgation. Elle suspend le délai de promulgation, qui est de
15 jours à compter de la date de la transmission au gouvernement de la loi
10. Voir par exemple le dossier joint à la décision 2014-689 DC concernant la suppression du cumul
des mandats.
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Justice et Constitution
727
définitivement adoptée11. À compter de la date à laquelle il a été saisi, le Conseil
constitutionnel dispose d
un délai dun mois pour étudier le dossier et rendre sa
décision. Toutefois, si le gouvernement a déclaré l
urgence, ce délai est ramené à
huit jours. Le Conseil constitutionnel est donc toujours obligé de statuer assez
rapidement, beaucoup plus rapidement en tout cas que ne le font la plupart des
juridictions.
Lorsque ce sont des parlementaires qui saisissent le Conseil constitutionnel,
ils peuvent le faire par des lettres individuelles ou collectives : l
essentiel est que
la ou les lettres de saisine portent la signature d
au moins soixante députés ou
soixante sénateurs, et qu
elles visent toutes les mêmes dispositions de la loi. Il
n
est pas indispensable que les saisines soient motivées, mais en pratique elles
sont généralement accompagnées d
un mémoire qui développe certains griefs
d
inconstitutionnalité. Dans sa décision, le Conseil constitutionnel reprend et
analyse d
une manière approfondie chacun des moyens qui ont été soulevés.
Les décisions sont donc souvent assez longues et d
une lecture parfois difficile,
car elles se fondent sur une argumentation juridique très serrée. En réalité, elles
ne paraissent longues que si on les compare aux arrêts de la Cour de cassation
ou du Conseil d
État, mais elles sont beaucoup plus brèves que celles de la plu-
part des Cours constitutionnelles étrangères, qui peuvent faire plusieurs centai-
nes de pages, mais l
on a pu constater depuis quelques années des motivations
sensiblement plus développées. C
est pourquoi il est utile, lorsque lon veut se
référer à un principe posé par le Conseil constitutionnel, de citer non seulement
le numéro et la date de la décision, mais aussi le numéro du considérant qui
énonce ce principe.
Malgré lévolution de certaines pratiques procédurales (v. infra), la mission du
Conseil constitutionnel, telle qu
il la conçoit, consiste moins à trancher un litige
entre des parties qu
à examiner la conformité à la Constitution des textes qui lui
sont déférés. En d
autres termes, une fois quil a été saisi, la suite de la procédure
ne dépend plus vraiment de la volonté des saisissants. Cette indépendance se mani-
feste de deux manières.
Dune part, « hormis les cas derreur matérielle, de fraude ou de vice du
consentement », les saisissants nont pas droit au remords, cest-à-dire que des
lettres individuelles ou collectives de retrait ne sauraient faire obstacle à la mise
en
œuvre du contrôle12.
Dautre part, bien que les saisines soient presque toujours abondamment moti-
vées, le Conseil constitutionnel se réserve la possibilité de statuer
ultra petita,
11. Aucun délai minimal nétant prévu, le Président de la République pourrait, pour empêcher une
saisine, promulguer la loi immédiatement après sa transmission au gouvernement. Mais, selon l
usage,
il évite de le faire lorsquil sait quune saisine est en préparation. Toutefois, en 1997, à la suite dun
malentendu, la loi portant réforme du service national a été promulguée alors qu
une saisine était en
préparation (Voir
Le Monde des 9 et 10 novembre 1997).
Il ne s
agit pas dune hypothèse décole : en décembre 1996, en première lecture dune loi de
12.
finances rectificative, le gouvernement avait fait adopter un amendement (dit « amendement Mal-
raux ») qui prévoyait l
attribution de la carte dancien combattant aux volontaires français des brigades
internationales de la guerre d
Espagne. Cet amendement avait été vigoureusement contesté par des
parlementaires de la majorité qui saisirent le Conseil constitutionnel puis tentèrent de retirer leur sai-
sine à la suite d
une intervention du Président de la République. Le Conseil constitutionnel a jugé
qu
un tel retrait était impossible (déc. nº 96-386 DC du 30 décembre 1996).
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Droit constitutionnel
cest-à-dire quil peut annuler des dispositions visées par les saisines en retenant
des moyens non soulevés par celles-ci, mais qui lui paraissent suffisamment
importants pour être soulevés d
office, ou, en dautres termes, de sa propre initia-
tive. Il peut annuler de la même manière des dispositions qui n
étaient même pas
visées par les saisines, car il se considère toujours comme saisi de l
ensemble de
la loi13.
Dès quil a reçu le ou les mémoire(s) de saisine, le Conseil constitutionnel
les communique au Secrétariat général du gouvernement. Ce dernier adresse au
Conseil constitutionnel un mémoire en réplique dans lequel il prend générale-
ment la défense de la loi attaquée en réfutant les moyens développés dans les
lettres de saisine. L
intervention de cet organisme a été justifiée par la volonté
de rapprocher le Conseil constitutionnel d
une juridiction et de donner à la pro-
cédure un caractère contradictoire. Comme la plupart des lois déférées au
Conseil constitutionnel sont d
initiative gouvernementale, on a estimé quil
était logique que le gouvernement puisse, par l
intermédiaire de son Secrétariat
général, prendre la défense de la loi. Cependant, d
une part, cette pratique se
heurte à l
idée quil ny a pas de parties au contentieux constitutionnel. Dautre
part, le gouvernement n
ayant pas le monopole de linitiative des lois, le même
raisonnement devrait logiquement conduire à demander un mémoire en défense
au parlementaire auteur d
une proposition ou dun amendement. Tel nest pas
le cas.
Les observations du secrétariat général du gouvernement sont immédiate-
ment communiquées aux auteurs de la saisine, qui ont ainsi la faculté de pré-
senter un mémoire en réplique
14.
Bien quil ne sagisse pas à proprement parler dun litige entre deux parties,
le débat qui s
instaure entre les saisissants et le secrétariat général du gouverne-
ment se déroule donc selon les règles de la procédure contradictoire, c
est-à-dire
que tout moyen soulevé par les premiers doit être communiqué au second, et
réciproquement.
Ce souci du contradictoire, qui saffirme de plus en plus nettement depuis
quelques années, confère à la procédure suivie par le Conseil constitutionnel un
certain caractère juridictionnel. Mais cette procédure présente toujours des
aspects spécifiques, qui suscitent parfois la critique.
En premier lieu, à la différence du contentieux électoral et de celui des ques-
tions prioritaires de constitutionnalité (voir
infra), le contentieux abstrait de la
conformité des lois à la Constitution exclut le ministère d
avocat et ne comporte
pas d
audience publique permettant aux parties de présenter des observations
orales. Cette spécificité tient au fait que ni les saisissants (qui jouent le rôle de
demandeur), ni le secrétariat général du gouvernement (qui joue le rôle de
défendeur), ne sont censés poursuivre ou défendre un intérêt personnel. En
13. Ainsi a-t-il annulé, pour violation du principe dégalité entre les citoyens, une disposition qui
prévoyait que, dans les villes ayant une population supérieure à 3 500 habitants, les listes de candidats
aux élections municipales ne pourraient pas comporter « plus de 75 % de personnes du même sexe »,
alors qu
aucun grief dinconstitutionnalité navait été soulevé contre cette disposition (déc. du
18 novembre 1983).
14. Depuis une quinzaine d
années, les mémoires de saisine sont généralement publiés à la suite de
la décision du Conseil constitutionnel. Il en est de même depuis peu des observations présentées par le
secrétariat général du gouvernement.
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Justice et Constitution
729
dautres termes, il sagit dun contentieux purement « objectif », par opposition
au contentieux électoral, qui présente une dimension subjective, dans la mesure
où la décision du juge risque d
affecter les droits et les obligations dune per-
sonne déterminée (v.
supra no 545).
Mais avec lintroduction de la question prioritaire de constitutionnalité,
(v. infra no 772), le contentieux de la conformité des lois a pris un aspect plus
subjectif et la procédure a été aménagée au moins pour permettre l
intervention
des avocats.
En deuxième lieu, on peut se demander si lintervention du secrétariat géné-
ral du gouvernement est toujours suffisante pour assurer convenablement la
défense de la loi attaquée. Il pourrait se produire une situation étrange, si le
gouvernement était amené à défendre une loi, adoptée à l
initiative dun gou-
vernement précédent, et à laquelle il s
était lui-même opposé lorsquil était dans
l
opposition.
Mais surtout, la loi est en principe lœuvre du Parlement, et non du gouver-
nement. Les parlementaires qui ont opiné en faveur de la loi attaquée peuvent
donc légitimement être tentés d
en prendre eux aussi la défense, et pourtant le
droit d
intervenir dans la procédure ne leur est pas officiellement reconnu. Cest
à certains égards regrettable car, même lorsque la loi provient d
une initiative
gouvernementale, elle a généralement été modifiée par des amendements d
ori-
gine parlementaire, et rien ne garantit que le secrétariat général du gouverne-
ment prendra la défense de ces amendements. En 1986, Robert Badinter, qui
venait alors d
être nommé Président du Conseil constitutionnel avait proposé
que le conseiller chargé de l
instruction de laffaire « prenne lattache » des par-
lementaires qui avaient rapporté le texte devant chaque assemblée. Mais les pré-
sidents des deux assemblées ont rejeté cette proposition car ils ne voulaient pas
que le débat parlementaire puisse se prolonger devant le Conseil constitutionnel
après l
adoption de la loi15.
Sil nexiste pas dopinions concordantes ou dissidentes, du moins connaît-
on, depuis juin 1995, les noms des conseillers qui ont participé à la délibération,
mais on ne sait pas quels ont été les votes, ni même si un vote est intervenu
16.
le Conseil constitutionnel peut décider
qu
une partie seulement de la loi attaquée est contraire à la Constitution. Cette
À lissue de cette délibération,
15. Rien ninterdit cependant à des parlementaires dadresser des observations au Conseil pour pren-
dre la défense d
une loi quils ont votée, comme lont fait les membres du groupe socialiste en 1982 à
propos de l
affaire des nationalisations. Mais il ne peut sagir que dune démarche informelle et ces
observations ne seront pas visées dans la décision du Conseil. Dans le langage des « initiés », ces
interventions officieuses, qui ne sont d
ailleurs pas seulement le fait de parlementaires et qui peuvent
émaner d
entreprises ou des groupes de pression ayant un intérêt dans une décision de conformité ou
de non-conformité à la loi, sont désignées sous le nom de « petites portes ». Lauteur dun mémoire à
l
appui dune telle intervention est quelquefois appelé, comme dans les pays anglo-saxons, « amicus
curiae
». Bien que le Conseil Constitutionnel nen mentionne jamais lexistence dans ses décisions,
elles influencent parfois sa jurisprudence. C
est ainsi quen 1990, il a soulevé un moyen doffice à la
suite d
une intervention quavait faite M. Waechter au nom du mouvement des verts (DC 90-277 du
25 juillet 1990,
Rec. p. 70. Voir Pouvoirs, no 56 p. 204).
16. Avant juin 1995, ces noms n
étaient indiqués que lorsquil sagissait dun contentieux électoral
ou « assimilé », cest-à-dire un contentieux relatif à la situation personnelle des parlementaires. Rappe-
lons en outre que, depuis le 1
er janvier 2008, les procès-verbaux des décisions rendues au moins vingt-
cinq ans auparavant peuvent être consultés par les chercheurs.
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Droit constitutionnel
partie ne pourra évidemment pas être promulguée. Mais que vont devenir les
autres dispositions de la loi attaquée ? Le sort de ces dispositions dépend
d
une appréciation qui est faite par le Conseil constitutionnel.
Ou bien le Conseil constitutionnel estime que les dispositions déclarées
inconstitutionnelles sont inséparables de l
ensemble de la loi : dans ce cas,
aucune partie du texte législatif ne pourra être promulguée.
Ou bien il estime que les dispositions déclarées inconstitutionnelles sont
séparables du restant de la loi : dans ce cas, la partie du texte législatif qui n
a
pas été déclarée inconstitutionnelle devra être promulguée, à moins que le Pré-
sident de la République décide de renvoyer l
ensemble du texte au Parlement en
vue d
une nouvelle délibération (v. supra no 730).
Comme il sagit par définition dun contrôle a priori, le Conseil ne peut pas
en principe par cette voie examiner la conformité à la Constitution de disposi-
tions législatives déjà promulguées. Il existe cependant une exception d
origine
jurisprudentielle à ce principe : le Conseil estime que « la conformité à la
Constitution d
une loi déjà promulguée peut être appréciée à loccasion de
l
examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affec-
tent son domaine »
17. Comme cette exception a été reconnue à une époque où
seul existait en théorie le contrôle
a priori, on pouvait penser quà partir du
moment où le contrôle
a posteriori serait officiellement
introduit, sous la
forme de la question prioritaire de constitutionnalité (v.
infra nº 772), elle
deviendrait inutile et tomberait probablement en désuétude. Mais on constate
qu
elle a subsisté et a même pris de limportance, dans la mesure où le Conseil
y a recours plus souvent (Bonnet 2014)
D Le cas des lois référendaires
767. Larticle 61 ne faisant aucune distinction entre les lois selon leur mode
délaboration, on aurait pu penser que le Conseil était également compétent
pour connaître de la régularité de celles qui ont été adoptées par référendum.
Tel n
a cependant pas été son avis. Saisi par le président du Sénat dune
demande de déclarer non conforme à la Constitution la loi relative à l
élection
du Président de la République adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, il
s
est déclaré incompétent au motif que la loi némanait pas des représentants du
peuple, mais du peuple lui-même et qu
il ne pouvait exercer un contrôle sur le
souverain (déc. nº 62-20 DC du 6 novembre 1962,
Rec. p. 27). Le raisonnement
est assez étrange si l
on considère le texte de larticle 3 de la constitution : « la
souveraineté appartient au peuple qui l
exerce par ses représentants et par la
voie du référendum ». Lorsque le peuple se prononce par référendum,
il
n
exerce pas plus sa souveraineté que lorsquil sexprime par ses représentants.
Le Conseil constitutionnel semble raisonner comme si le peuple se réduisait aux
électeurs. Or, le peuple qui, aux termes de l
article 3 est présumé représenté,
la volonté est exprimée par les représentants, est un ensemble
celui dont
(CC déc. nº 85-187 DC du 25 janvier 1985) Cette jurisprudence est souvent qualifiée de « néo-
17.
calédonienne » parce quelle est apparue pour la première fois dans une décision relative à létat dur-
gence en Nouvelle-Calédonie.
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Justice et Constitution
731
beaucoup plus vaste que les seuls électeurs. Ceux qui nont pas le droit de vote,
les enfants par exemple, font partie du peuple et sont représentés. Tout se passe
donc comme si, aux yeux du Conseil constitutionnel, la partie était plus impor-
tante que le tout.
Cette jurisprudence a été confirmée par la décision du 20 septembre 1992,
dite Maastricht III, relative à une loi autorisant la ratification dun traité. Seules
les lois parlementaires peuvent donc faire l
objet dun contrôle de conformité à
la Constitution. Mais une évolution jurisprudentielle paraît aujourd
hui pos-
sible, car en 2005, le Conseil n
a pas écarté la possibilité dexaminer non pas
la loi référendaire elle-même, mais le décret soumettant la loi au référendum
(v.
supra no 503).
E Les lois constitutionnelles
768. Dans sa décision no 2003-469 DC du 26 mars 2003, le Conseil consti-
tutionnel a jugé que l
article 61 alinéa 2 de la Constitution visait exclusivement
les lois ordinaires, et non les lois de révision adoptées dans le cadre de l
arti-
cle 89. Il s
est donc déclaré incompétent pour contrôler les lois de révision,
même lorsqu
elles ont été adoptées par la voie du Congrès, et non par celle du
référendum.
Cependant, ces lois de révision sont en principe soumises à certaines limites
que le Conseil constitutionnel avait lui-même rappelées dans sa décision du
2 septembre 1992, dite « Maastricht II » et qui concernent, d
une part, la période
au cours de laquelle elles peuvent être adoptées (art. 7 et 16 C) et, d
autre part,
l
interdiction de porter atteinte « à la forme républicaine du gouvernement »
(art. 89 C). Au surplus, elles peuvent fort bien être entachées d
un vice de pro-
cédure, comme c
est souvent le cas des lois ordinaires. Mais le respect de ces
limites ne repose que sur l
autocontrôle du législateur constituant.
Si le Conseil constitutionnel sest déclaré incompétent, cest peut-être parce
qu
il na pas voulu prendre position dans les controverses sur la portée de la
condition relative à la « forme républicaine du gouvernement » : s
agit-il sim-
plement d
empêcher le rétablissement de la monarchie héréditaire ou bien
cette condition interdit-elle également de porter atteinte aux principes essentiels
d
un gouvernement républicain, à lÉtat de droit ou à la démocratie ?
Largumentation des auteurs de la saisine, qui critiquaient la réforme relative
à l
organisation décentralisée de la République, portait précisément sur ce point.
Les cours constitutionnelles de certains États étrangers ont admis l
idée que
certaines normes constitutionnelles étaient intangibles et qu
il leur appartenait
de contrôler les amendements à la Constitution. Le juge constitutionnel français
a refusé de sengager dans cette voie et de reconnaître même le principe dun tel
contrôle. Accepter dexaminer au fond les lois de révision constitutionnelle
aurait en effet été admettre qu
il y a dans la Constitution des principes auxquels
le pouvoir constituant ne peut porter atteinte, donc que ce pouvoir constituant
n
est pas souverain. Or, non seulement une telle thèse aurait créé un paradoxe
comment une norme exprimée dans la Constitution pourrait-elle être supérieure
à la Constitution et s
imposer au pouvoir constituant ? mais elle aurait heurté
plusieurs présupposés du droit constitutionnel français : qu
il ny a de droit que
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Droit constitutionnel
le droit positif sil y avait des principes hors datteinte du constituant comme
du législateur, il ne pourrait s
agir de principes positifs , que les décisions du
juge constitutionnel ne heurtent pas la volonté du souverain et peuvent toujours
être surmontées par le souverain lui-même, que les principes fondamentaux de
l
État de droit ou de la démocratie ont seulement valeur constitutionnelle.
F Les engagements internationaux
769. Daprès larticle 54 de la Constitution, un engagement international qui
n
a pas encore été ratifié ou approuvé peut être déféré au Conseil constitutionnel
par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l
une ou
l
autre assemblée, ou encore (depuis la révision du 25 juin 1992) par soixante
députés ou soixante sénateurs. Si le Conseil constitutionnel déclare que cet
engagement comporte une clause contraire à la Constitution, l
autorisation de
le ratifier ou de l
approuver ne pourra intervenir quaprès la révision de la
Constitution.
Cette procédure permet de faire contrôler la constitutionnalité dun engage-
ment international avant que la loi qui en autorise la ratification soit examinée
par le Parlement, ou même avant qu
elle soit soumise au référendum si le Pré-
sident de la République décide d
utiliser la voie de larticle 1118. Sil na pas été
fait application de l
article 54 et si la ratification a lieu par la voie parlementaire,
la loi de ratification pourra encore être déférée au Conseil constitutionnel après
qu
elle a été adoptée par le Parlement, dans le cadre de la procédure de larti-
cle 61 alinéa 2 (CC, 17 juillet 1980, p. 36).
Bien que des dizaines de traités ou accords internationaux soient ratifiées ou
approuvées chaque année, la procédure de l
article 54 nest pas très souvent
mise en
œuvre. Mais quelques-unes des décisions rendues ont eu des consé-
quences extrêmement importantes. C
est à la suite de la décision du 9 avril
1992 relative au traité de Maastricht qu
a été créé un titre spécial de la Consti-
tution consacré aux Communautés européennes et à l
Union européenne. Et ce
titre a été ensuite modifié et développé pour tenir compte, dans un premier
temps, de la décision relative au traité d
Amsterdam (31 décembre 1997), dans
un second temps, de celle relative au traité établissant une Constitution pour
l
Europe (19 novembre 2004), et enfin de celle relative au traité de Lisbonne
(20 décembre 2007).
Dans un domaine tout à fait différent, la décision du 25 janvier 1999 concer-
nant le traité relatif à la Cour pénale internationale, a eu un impact considérable
car elle a permis au Conseil constitutionnel de préciser les conditions dans les-
quelles peut être mise en jeu la responsabilité pénale du chef de l
État (v. supra
no 579).
Du point de vue de la procédure, le contentieux des traités se distingue de
celui des lois par le fait que le Conseil est habituellement saisi non par des par-
lementaires mais par le Président de la République agissant seul ou conjointe-
ment avec le Premier ministre. Or les saisines du Président de la République et
du Premier ministre ne sont pas motivées, de sorte que le Conseil doit
18. Voir déc. no 92-312 DC du 2 septembre 1992, Rec. p. 76.
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Justice et Constitution
733
rechercher lui-même tous les moyens dinconstitutionnalité susceptibles dêtre
soulevés contre le traité, un peu comme il le fait pour les lois organiques et les
règlements des assemblées.
La procédure de larticle 54 nest applicable quaux engagements internatio-
naux au sens strict du terme, c
est-à-dire les traités ou accords soumis à ratifi-
cation ou approbation. En revanche, les actes internationaux dérivés, les règle-
ments ou les directives adoptés par les instances de la Communauté européenne
en application des traités déjà en vigueur, ne sont pas soumis à ratification et ne
sont donc pas considérés comme des engagements internationaux. Il en résulte
une situation assez paradoxale : en application de l
article 88-4 C, les assem-
blées parlementaires peuvent adopter des résolutions concernant un projet
d
acte communautaire dérivé (v. supra no 664) ; mais si des députés ou des
sénateurs estiment qu
un projet dacte communautaire dérivé est contraire à la
Constitution, ils ne peuvent pas saisir le Conseil constitutionnel, alors qu
ils
pourraient le faire s
il sagissait dun nouveau traité19.
G Les « lois du pays » de la Nouvelle-Calédonie
770. En règle générale, les actes des assemblées délibérantes des collectivi-
tés territoriales ne sont pas soumis au contrôle du Conseil constitutionnel : en
effet, la France étant un État unitaire, ces collectivités ne disposent d
aucune
compétence législative et les délibérations de leurs organes ne sont donc que
de simples actes administratifs, dont le contentieux relève exclusivement des
juridictions administratives.
Mais, ainsi quon la déjà signalé (supra no 491), à la suite de la révision
constitutionnelle du 20 juillet 1998, la Nouvelle-Calédonie a été dotée d
un sta-
tut spécial dont les règles ont été fixées par une loi organique
20, et qui déroge
assez profondément au principe de l
unité de la République. Le Congrès
(organe délibérant de la Nouvelle-Calédonie) peut adopter des actes législatifs
(les « lois du pays ») dans un certain nombre de matières qui, d
après larticle 34
de la Constitution, relèvent normalement de la compétence du Parlement de la
République. Parmi ces matières, énumérées à l
article 99 de la loi organique,
figurent notamment : les règles relatives à l
assiette et au recouvrement des
impôts, droits et taxes perçus au profit de la Nouvelle-Calédonie ; les principes
fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité
sociale ; les règles relatives à l
accès au travail des étrangers ; les règles concer-
nant l
état et la capacité des personnes, etc.
Ces « lois du pays » peuvent être déférées au Conseil constitutionnel selon
une procédure de saisine facultative, qui s
inspire de celle prévue pour les lois
de la République par le second alinéa de larticle 61 de la Constitution, mais qui
présente certaines particularités.
Lauteur de la saisine peut être : le haut-commissaire (qui est nommé par décret
le
du Président de la République et qui représente les intérêts de lÉtat) ;
19. Une proposition, qui visait à permettre de saisir le Conseil constitutionnel dun projet dacte
communautaire dans les mêmes conditions que pour un engagement international, est restée sans
suite. Voir Passelecq, 1993, p. 675-701.
20. Loi organique n
o 99-209 du 19 mars 1999.
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Droit constitutionnel
gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ; le président du Congrès ; le président de
l
une des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie ; ou enfin dix-huit
membres au moins du congrès (sur un total de cinquante-quatre). Mais une « loi
du pays » ne peut pas être déférée au Conseil constitutionnel tout de suite après
son adoption : dans une première étape, elle doit être soumise à une nouvelle déli-
bération du Congrès, à la demande du haut commissaire, du gouvernement, du
président du Congrès, du président dune assemblée de province ou de onze mem-
bres du Congrès. La saisine du Conseil constitutionnel doit intervenir dans les dix
jours suivant la nouvelle délibération, c
est-à-dire avant que la « loi du pays » soit
promulguée par le haut-commissaire. Elle doit contenir un exposé « des moyens
de droit et de fait qui la fondent », alors que les saisines intervenant dans le cadre
de l
article 61 de la Constitution ne sont pas nécessairement motivées. Le Conseil
constitutionnel se prononce dans les trois mois de sa saisine. Il dispose donc d
un
délai trois fois plus long que lorsqu
il sagit dune loi nationale.
Le Conseil constitutionnel peut sopposer à la promulgation des dispositions
contraires à la Constitution ou à la loi organique
21. Il doit faire respecter, dune
part, les compétences de l
État et, dautre part, celle des organes de la Nouvelle-
Calédonie autres que le Congrès (notamment celles des provinces)
22. En pratique,
les « lois du pays » ne semblent pas avoir donné lieu à un contentieux très abondant.
Au 31 décembre 2013, bien que plus de dix ans se fussent écoulés après la mise en
place du statut de la Nouvelle-Calédonie, le Conseil constitutionnel n
avait encore
rendu que trois décisions dans cette série (dont une décision d
irrecevabilité).
Les « lois du pays », après leur promulgation nont force de loi que dans le
domaine défini à l
article 99 de la loi organique. Les dispositions intervenues en
dehors de ce domaine peuvent être « délégalisées » par décision du Conseil d
État.
Elles sont alors considérées comme étant de nature réglementaire, ce qui signifie
qu
elles peuvent être modifiées par décret.
H Les actes des collectivités doutre-mer autres que
la Nouvelle-Calédonie
771. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 sur lorganisation décentrali-
sée de la République permet aux assemblées délibérantes des collectivités d
ou-
tre-mer, dans les conditions fixées par la loi organique relative à leur statut,
d
exercer certaines compétences dans des matières qui relèvent normalement
du domaine de la loi (v.
supra no 493).
Quant à leur nature juridique, les actes pris par la collectivité doutre-mer
dans ces matières sont considérés comme des actes administratifs, soumis au
contrôle juridictionnel du Conseil dÉtat.
21. De même que pour les lois nationales, le Conseil constitutionnel doit préciser si la disposition
inconstitutionnelle est inséparable de l
ensemble du texte. Sil ne précise pas quelle est inséparable, le
restant du texte doit être promulgué. Toutefois, dans les dix jours suivant la publication de la décision
du Conseil, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie peut demander au Congrès une nouvelle déli-
bération de la disposition annulée afin d
en assurer la conformité à la Constitution.
22. D
après larticle 20 de la loi organique, les provinces ont une compétence résiduelle : elles sont
compétentes dans toutes les matières que la loi organique na pas dévolues à lÉtat, à la Nouvelle-
Calédonie ou aux communes.
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Justice et Constitution
735
Toutefois, si la loi organique fixant le statut dune collectivité doutre-mer
l
a prévu, le Conseil constitutionnel peut, sur saisine notamment des autorités
de la collectivité, constater qu
une loi nationale promulguée postérieurement à
l
entrée en vigueur du statut est intervenue dans le domaine de compétence de
cette collectivité.
Lassemblée délibérante de la collectivité peut alors modifier
la loi
(art. 74 C).
Il y a là un mécanisme de déclassement assez semblable à celui de larti-
cle 37 alinéa 2 C qui permet au gouvernement de modifier, par décret, certaines
lois intervenues dans des matières relevant du domaine réglementaire. Mais ce
déclassement aboutit à une extension de la compétence de l
assemblée délibé-
rante locale, et non de celle du Premier ministre, comme dans le cas de l
arti-
cle 37 alinéa 2.
§ 2. Le contrôle a posteriori ou concret : la question prioritaire
de constitutionnalité
772. Aux termes du nouvel article 61-1 C : « Lorsque, à loccasion dune
instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu
une disposition légis-
lative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le
Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil
d
État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. ».
«
Une loi organique détermine les conditions dapplication du présent
article. »
La procédure ainsi décrite nest pas, à proprement parler, une exception
d
inconstitutionnalité car celle-ci suppose que le juge compétent au titre de
l
instance principale puisse trancher lui-même la question de constitutionnalité,
comme c
est le cas aux États-Unis. Cest une question préjudicielle, ce qui
signifie que le juge compétent au titre de l
instance principale devra attendre,
pour se prononcer sur le fond, qu
elle ait été tranchée par le juge constitutionnel
spécialisé (en l
occurrence le Conseil constitutionnel) ou bien quelle ait été
écartée par un système de filtrage avant de parvenir jusqu
à celui-ci.
La loi organique du 10 décembre 2009, prise en application de larticle 61-1,
désigne cette procédure sous le nom de « question prioritaire de constitutionna-
lité » (QPC).
Quel en est exactement lobjet ? Par qui peut-elle être soulevée et sous quelles
conditions ? Comment s
opère le filtrage ? Pourquoi qualifie-t-on la question de
prioritaire ? Comment statue le Conseil constitutionnel sil est finalement saisi ?
A Un objet spécifique
773. Lobjet du contrôle abstrait prévu par larticle 61 C est extrêmement
large : il sagit de vérifier si la loi déférée est ou nest pas conforme à la Consti-
tution. Ceci signifie que, dans le cadre du contrôle abstrait, le Conseil constitu-
tionnel peut invalider une disposition législative au motif qu
elle porte atteinte à
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Droit constitutionnel
nimporte quel article de la Constitution, même si cet article na pas de rapport
avec un droit ou une liberté.
Lobjet de la question prévue par larticle 61-1 C est en revanche plus spé-
cifique : elle ne peut être soulevée que s
il est soutenu quune disposition légis-
lative
23 invoquée au cours dun procès porte atteinte à des droits et libertés que
la Constitution garantit.
Cependant, la notion de « droits et libertés que la constitution garantit » est
suffisamment large pour permettre des recours nombreux.
Certes, seuls paraissent susceptibles dêtre invoqués des moyens relevant du
droit constitutionnel « substantiel », celui qui protège les droits de l
homme ou
les droits sociaux, par opposition au droit constitutionnel « institutionnel », celui
qui fixe l
organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics. Les irrégula-
rités entachant la procédure législative, que le Conseil a souvent l
occasion de
sanctionner dans le cadre du contrôle abstrait
a priori, sont donc inopérantes
dans le cadre du contrôle concret
a posteriori (déc. nº 2010 QPC du 18 janvier
2010, cons. 7). Les normes de référence utilisables dans le cadre de la QPC se
trouvent non seulement dans la Constitution elle-même mais aussi dans les tex-
tes auxquels renvoie son Préambule, c
est-à-dire la Déclaration de 1789, le
Préambule de 1946 et la Charte de l
environnement.
Cependant, il ne faudrait pas en déduire que le contentieux de la QPC inté-
resse seulement l
interprétation de ces trois textes. Il arrive en effet que la vio-
lation d
une règle à caractère institutionnel porte indirectement atteinte à un
droit ou à une liberté garanti par la Constitution. Par exemple, d
après larti-
cle 34 C, les règles concernant la procédure pénale relèvent de la compétence
du législateur : si celui-ci délègue au pouvoir réglementaire la tâche de détermi-
ner les cas dans lesquels il peut être dérogé au droit pour un prévenu de choisir
librement son avocat, il méconnaît sa compétence sur un point touchant à une
liberté essentielle, et la QPC est donc recevable, bien qu
il sagisse de la viola-
tion d
une règle de compétence (déc. no 2011-223 QPC du 17 février 2012,
Ordre des avocats au barreau de Bastia). Inversement, certaines dispositions
figurant dans la Déclaration de 1789, le Préambule de 1946, ou la Charte de
l
environnement ne peuvent pas être invoquées dans le cadre de la QPC, parce
qu
elles sont trop générales ou trop vagues pour quon puisse y voir la recon-
naissance d
un droit. Cest par exemple le cas de larticle 14 de la Déclaration
de 1789 qui traite du contrôle que les citoyens ont vocation à exercer sur les
finances publiques (déc. n
o 2010-5 QPC du 18 juin 2010, SNC Kimberly Clark).
En ce qui concerne les objectifs de valeur constitutionnelle, le conseil estime
généralement que leur valeur normative est trop faible pour que leur violation
puisse constituer en elle-même le fondement d
une QPC. Mais la rédaction de
sa décision laisse parfois entendre quelle pourrait être invoquée de manière
confortative si un autre grief s
y ajoutait. Cest ce qui a été jugé à propos de
23. Une disposition législative au sens de larticle 61-1 est une disposition à laquelle on reconnaît
une valeur législative mais peu importe qu
elle ait été adoptée directement par le Parlement ou quelle
résulte d
une ordonnance ultérieurement ratifiée par celui-ci. En revanche, les lois référendaires, qui ne
sont pas soumises au contrôle a priori (voir supra no 767) échappent également au contrôle a poste-
riori
car elles constituent « lexpression directe de la souveraineté nationale » (CC 25 avril 2014,
n
o 392 QPC cons. 7).
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Justice et Constitution
737
lOVC dintelligibilité et daccessibilité de la loi (décision nº 2010-12 QPC du
2 juillet 2010).
B Une procédure relativement facile à mettre en mouvement
774. La QPC peut être soulevée par lun ou lautre des plaideurs devant tou-
tes les juridictions d
instruction ou de jugement relevant du Conseil dÉtat ou de
la Cour de cassation, à l
exception de la Cour dassises. Cette exception a été
justifiée par le fait que la Cour d
assises est majoritairement composée de
citoyens tirés au sort qui ne possèdent pas, en règle générale, les qualifications
juridiques nécessaires pour apprécier le caractère plus ou moins sérieux d
une
question préjudicielle. Mais rien ne s
oppose à ce que celle-ci soit soulevée soit
en amont du procès d
assises (cest-à-dire au cours de linstruction) soit en aval
(c
est-à-dire par un écrit accompagnant la décision dappel et qui est directement
transmis à la Cour de cassation). De même, la QPC ne peut pas être soulevée à
l
occasion dune instance devant une autorité administrative indépendante, car
une telle autorité ne constitue pas à proprement parler une juridiction, même
lorsqu
elle est habilitée à prononcer des sanctions ayant le caractère dune puni-
tion. Mais, en règle générale, il est possible de faire appel de cette sanction
devant une juridiction administrative, et la QPC peut alors être soulevée.
Elle peut être soulevée pour la première fois en cause dappel ou même de
cassation. Mais elle ne peut jamais être soulevée d
office par le juge à quelque
stade de l
instance que ce soit.
À peine dirrecevabilité, elle doit toujours être présentée dans un écrit « dis-
tinct et motivé ». Cette exigence se justifie par l
idée que, bien quelle ait néces-
sairement un lien avec l
instance principale, la QPC doit être jugée séparément
de celle-ci. À cette condition de forme, qui ne soulève pas de difficulté particu-
lière, sajoutent trois conditions de fond qui peuvent donner lieu à des apprécia-
tions plus délicates.
1o Il faut que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procé-
dure, ou qu
elle constitue le fondement des poursuites (dans le cas dune affaire
pénale). Un lien avec l
affaire jugée au fond est donc nécessaire, comme dans
tous les systèmes de contrôle concret. Mais, à la différence du projet de loi orga-
nique, aux termes duquel la disposition devait « commander l
issue du litige »,
le texte finalement adopté n
exige pas que ce lien soit très fort. Il suffit que le
texte soit applicable au litige, même si son application ne paraît pas susceptible
d
entraîner une grande différence dans le règlement de celui-ci. On a donc
voulu faciliter la saisine du Conseil. Ce dernier ne vérifie d
ailleurs pas lui-
même l
applicabilité : sur ce point, il sen remet entièrement à la juridiction de
renvoi (Conseil dÉtat ou Cour de cassation).
2o. La deuxième condition est que la disposition contestée nait pas déjà été
déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Mais à quoi
reconnaît-on qu
une disposition a été déclarée conforme ? Dans le cadre du
contrôle
a priori (le seul qui se pratiquait avant lintroduction de la QPC en
2010) les lois sont déférées au Conseil dans leur intégralité mais le plus souvent
les moyens soulevés par les auteurs de la ou des saisine(s) ne portent que sur
quelques-unes de leurs dispositions Il est vrai que le Conseil s
est toujours
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Droit constitutionnel
reconnu le droit de soulever un moyen doffice pour invalider une disposition
qui n
était pas visée par les saisissants mais il est relativement rare quil le fasse.
Du seul fait qu
une disposition na pas été censurée, alors quelle était comprise
dans une loi soumise à son examen, on ne saurait donc déduire qu
elle a reçu de
sa part un brevet de constitutionnalité. Un tel brevet suppose que la disposition
a fait lobjet dun examen spécial avant dêtre expressément déclarée conforme
à la Constitution. Si examen spécial il y a eu, cela doit apparaître dans les motifs
de la décision, alors que la déclaration expresse de conformité figure normale-
ment dans le dispositif. C
est pourquoi, selon la loi organique, lautorité de
chose jugée ne peut être établie qu
en sappuyant sur ces deux parties de la
décision.
Lautorité de la chose jugée ne fait pas obstacle à la recevabilité dune QPC
si l
on peut prouver quil y a eu « changement de circonstances ». Ce change-
ment peut résulter de la modification des normes de référence du contrôle. Par
exemple, si une disposition a été déclarée conforme en 2000 et si un plaideur
soutient aujourd
hui quelle est contraire à la Constitution en raison dune vio-
lation d
un principe fondamental du droit de lenvironnement, lautorité de la
chose jugée ne pourra vraisemblablement pas lui être opposée, car c
est seule-
ment en 2005 que la charte de l
environnement est devenue lun des éléments
du bloc de constitutionnalité. Mais le changement de circonstances peut aussi
résulter d
éléments en partie factuels qui ont modifié la portée dune disposition
législative ancienne. Par exemple, le Conseil constitutionnel avait jugé en 1993
que les garanties prévues par le Code de procédure pénale en matière de garde à
vue satisfaisaient aux exigences constitutionnelles. Mais dix-sept ans plus tard,
après avoir constaté que le recours à cette procédure s
était généralisé, et quelle
était couramment utilisée même pour des infractions d
importance mineure, il a
estimé que ces garanties anciennes n
étaient plus suffisantes. Bien quil ne le
dise pas explicitement
et il ne pourrait pas le dire il a probablement été
influencé sur ce point par la jurisprudence de la Cour européenne des Droits
de l
Homme. Enfin, il peut arriver quune évolution de la jurisprudence du
Conseil constitutionnel soit assimilée, par la Cour de renvoi, à un changement
de circonstances
24.
3o Il faut enfin que la question ne soit pas « dépourvue de caractère
sérieux », c
est-à-dire quelle ne soit pas manifestement infondée. Daprès, lar-
ticle 23-4 (1) LO, qui concerne plus spécialement les dispositions applicables à
l
avant dernier stade de la procédure, cest-à-dire lors de lexamen de la requête
par le Conseil d
État ou la Cour de cassation, cette condition se dédouble : le
la question «
est nouvelle ou présente un caractère
renvoi est
sérieux ».
justifié si
Mais à quoi peut-on reconnaître quune question est nouvelle ? Selon la
jurisprudence du Conseil, la nouveauté ne peut pas résulter des circonstances
24. Cest ce qui semble résulter a contrario dune décision par laquelle la Cour de cassation a refusé
de transmettre au Conseil une QPC dirigée contre les dispositions du Code pénal définissant le harcè-
lement moral (Cass. crim., QPC, 11 juillet 2012). En 2002, le Conseil avait déclaré ces dispositions
conformes à la Constitution. Mais, avant de rejeter la QPC, la Cour de cassation a pris soin de vérifier
si, dans une décision beaucoup plus récente concernant le harcèlement sexuel (nº 2012-240 QPC du
4 mai 2012), le Conseil constitutionnel n
avait pas modifié sa jurisprudence de 2002.
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Justice et Constitution
739
particulières de lespèce mais seulement du fait que la requête est fondée sur
une disposition constitutionnelle dont il n
a encore jamais eu à faire application.
Il s
agit donc dun cas assez exceptionnel.
Si elle estime que ces conditions sont remplies, la juridiction saisie décide de
transmettre la question au Conseil d
État ou à la Cour de cassation, selon lordre
de juridictions dont elle relève. Cette décision nest susceptible daucun recours.
Mais le refus de transmettre (c
est-à-dire le rejet de la question préjudicielle)
peut être contesté à l
occasion dun recours contre la décision réglant tout ou
partie du litige.
Exceptionnellement, dans le cadre du contentieux de lélection des parle-
mentaires, le Conseil constitutionnel peut être saisi directement d
une QPC,
sans passer par l
intermédiaire du Conseil dÉtat ou de la Cour de cassation.
Cette exception tient au fait que le Conseil constitutionnel est juge de ce conten-
tieux en premier et dernier ressort. D
après la lettre de la constitution, on pou-
vait craindre que la saisine directe fût impossible puisque l
article 61-1 nenvi-
sage qu
une saisine sur renvoi. Mais le Conseil a fait prévaloir lesprit de la
réforme qui tend à soumettre au contrôle concret l
ensemble de la législation.
Il s
est donc reconnu compétent pour examiner une QPC soulevée par un requé-
rant qui contestait l
élection dun sénateur en prétendant que le mode de scrutin
utilisé pour cette élection était contraire au pluralisme des courants d
idées et
d
opinions, qui a valeur de principe constitutionnel lorsquil concerne la vie
politique (déc. n
o 2011-4538 du 12 janvier 2012, Sénat Loiret). Bien que la
requête ait été rejetée sur le fond, il s
agit dune décision de principe importante,
car elle devrait permettre notamment au Conseil de sanctionner les atteintes au
principe d
égalité qui sont susceptibles de se produire lorsque le découpage des
circonscriptions électorales n
a pas été actualisé pour tenir compte des mouve-
ments de population (
supra no 536).
C Un mode de filtrage inhabituel
775. Dans la plupart des pays où le système de la question préjudicielle a été
institué, le juge du fond, quel que soit le niveau auquel il se situe dans la hiérar-
chie, peut saisir directement le tribunal constitutionnel. Ce dernier sélectionne
lui-même, dans la masse des recours, ceux qui lui paraissent suffisamment
sérieux pour mériter un examen approfondi, les autres étant écartés avec une
motivation sommaire ou même parfois sans motivation aucune. Tel est par
exemple le cas en Allemagne, en Italie et en Espagne. Au contraire, l
article 61-
1 C exclut la transmission directe en réservant au Conseil d
État et à la Cour de
cassation le droit exclusif de saisir le Conseil constitutionnel. Ce mode de fil-
trage est conforme aux recommandations du comité Balladur, qui ne faisait lui-
même que reprendre sur ce point les propositions formulées quinze ans aupara-
vant par le comité Vedel ; Il s
agit évidemment déviter que le Conseil soit
débordé par un afflux de recours dont beaucoup seraient mal fondés en droit
et tendraient simplement à retarder le règlement définitif du litige principal.
Mais peut-être sexplique-t-il aussi par le fait que, en raison de leur recrutement
trop politique, les membres du Conseil suscitent toujours une certaine méfiance
dans le milieu des professionnels du droit, et que les magistrats du Conseil
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Droit constitutionnel
dÉtat et de la Cour de cassation souhaitaient limiter leur pouvoir en évitant de
leur déférer des questions qu
ils estimeraient manifestement infondées, étant
entendu que « manifestement » est susceptible de plusieurs interprétations.
Il nen est pas moins vrai que ce mode de filtrage présente des inconvénients
à la fois dun point de vue pratique et dun point de vue théorique.
1. Un problème pratique : des effets dilatoires possibles
776. Sur le plan pratique, du seul fait que la procédure comporte trois étapes
au lieu de deux, le cours de la justice est ralenti et les frais que doivent supporter
les plaideurs risquent de s
alourdir. Cest pourquoi la loi organique a tenté dac-
célérer le rythme de la procédure. Dans la première étape, la juridiction saisie
d
une QPC doit statuer « sans délai » par une décision motivée sur la transmis-
sion de cette question au Conseil d
État ou à la Cour de cassation. Dans la
seconde étape, le Conseil d
État ou la Cour de cassation dispose dun délai
maximum de trois mois pour rejeter la QPC ou la transmettre au Conseil consti-
tutionnel. Si il (ou elle) ne s
est pas prononcé dans ce délai, la question est auto-
matiquement transmise au Conseil constitutionnel. Enfin, ce dernier doit lui-
même se prononcer dans un délai de trois mois mais aucune sanction n
est pré-
vue en cas d
inobservation de ce délai25. Daprès des statistiques arrêtées au
1
er mars 2013, le délai moyen est de deux mois, le plus court ayant été de dix-
neuf jours et le plus long de quatre-vingt-douze jours (cf.
AJDA, 2013, p. 497º).
Mais même si tous ces délais sont strictement respectés, la période pendant
laquelle la juridiction compétente sur le fond est obligée de surseoir à statuer
peut atteindre six mois et ce retard risque évidemment de porter préjudice à
l
une ou lautre des parties au litige. Cest pourquoi la loi organique a prévu
plusieurs exceptions à l
obligation de surseoir à statuer.
En premier lieu, le cours de linstruction nest pas suspendu et la juridiction
peut toujours prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ;
En second lieu, il nest pas sursis à statuer lorsquune personne est privée de
liberté à raison de l
instance, ni lorsque linstance a pour objet de mettre fin à
une mesure privative de liberté ;
Enfin, la juridiction peut statuer sans attendre la décision relative à la ques-
tion de constitutionnalité
(ce qui signifie quelle dispose dans ce cas dun cer-
tain pouvoir d
appréciation) si les textes prévoient quelle statue dans un délai
déterminé ou si elle estime que le sursis risquerait d
entraîner des conséquences
irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d
une partie.
2. Un problème théorique : le risque de grignotage de certaines
compétences du Conseil
777. En refusant systématiquement de laisser passer les recours fondés sur
certains moyens, le Conseil d
État et la Cour de cassation peuvent interdire au
Sur le plan financier, larticle 23-12 de la LO prévoit que lorsque le Conseil est saisi dune QPC,
25.
la contribution de lÉtat à la rétribution des auxiliaires de justice qui prêtent leur concours au titre de
l
aide juridictionnelle est majorée. Mais les plaideurs qui ne remplissent pas les conditions nécessaires
pour bénéficier de cette aide doivent supporter eux-mêmes tous les frais.
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Justice et Constitution
741
Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces moyens et sériger ainsi en
« juges constitutionnels négatifs » en empêchant que tel ou tel droit, tel ou tel
principe, ou tel ou tel objectif puisse se voir reconnaître une valeur constitution-
nelle. C
est évidemment contraire au principe même de lexistence dune juri-
diction constitutionnelle spécialisée qui, par définition, devrait avoir le dernier
mot sur toutes les questions dinterprétation de la Constitution.
Ce risque de grignotage du monopole du juge constitutionnel nest pas inhé-
rent à tout système de filtrage. Dans les pays comme l
Allemagne, lItalie ou
l
Espagne, où toute juridiction, quel que soit son rang dans le hiérarchie, peut
renvoyer directement une question à la Cour constitutionnelle, on peut supposer
qu
il sen trouvera toujours une qui ne partagera pas le point de vue de la Cour
suprême dont elle dépend, et qui n
hésitera pas à user de son droit de saisine
pour la faire désavouer. C
est ce qui nest pas possible en France puisquaucune
QPC ne peut parvenir au Conseil sans avoir passé le filtre de l
une des deux
cours suprêmes.
Dans lensemble, les décisions de non renvoi sont approximativement trois
fois plus nombreuses que les décisions de renvoi mais cette constatation n
est
pas en elle-même significative car, tant devant les juridictions judiciaires que
devant les juridictions administratives, les avocats ont tendance à soulever le
plus grand nombre possible de moyens pour démontrer à leur client qu
ils
n
ont négligé aucune chance de lui faire gagner son procès. Néanmoins, surtout
en ce qui concerne la Cour de cassation, la motivation de certaines décisions de
non-renvoi paraîssait inspirée, moins par l
insuffisance des moyens invoqués
que par une sorte d
hostilité de principe envers la procédure de la QPC.
Cest ansi quà plusieurs reprises, elle a rejeté une QPC, au motif que le
requérant cherchait non à contester les dispositions législatives visées mais
l
interprétation quelle-même, Cour de cassation, en avait donnée26. Or, selon
la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la conformité d
un texte à la Consti-
tution est souvent liée à linterprétation quon en donne, et les deux choses ne
peuvent donc pas être dissociées. Le raisonnement de la Cour tendait en réalité
à limiter le champ de l
intervention du Conseil pour sanctifier sa propre inter-
prétation de la loi, qu
elle soit ou non conforme à la Constitution, parce quelle
estimait qu
il sagissait de sa fonction propre.
Pour manifester sa désapprobation de la jurisprudence de la Cour, le Conseil
constitutionnel a affirmé à plusieurs reprises « qu
en posant une question prio-
ritaire de constitutionnalité tout justiciable a le droit de contester la constitution-
nalité de la portée effective qu
une interprétation jurisprudentielle constante
confère à cette disposition » (déc. n
o 2010-39 QPC du 6 octobre 2010).
Daprès le texte originel de larticle 23-6 de la loi organique relative au
Conseil constitutionnel, qui date de 2008, toutes les demandes de renvoi rele-
vant de la compétence de la Cour de cassation devaient être jugées par une for-
mation spéciale comprenant notamment le premier président et les présidents de
toutes les différentes chambres. Cette disposition risquait de figer la jurispru-
dence de la Cour, dans la mesure où c
étaient toujours les mêmes magistrats
qui devaient se prononcer, quelle que fût la nature du litige principal à propos
26. Voir par exemple les arrêts du 19 mai 2010 (sur labsence de motivation des arrêts dassises) et
du 31 mai 2010 (sur la présomption de mauvaise foi en matière de diffamation des autorités publiques).
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742
Droit constitutionnel
duquel la QPC avait été soulevée. Aussi fut-elle abrogée par une nouvelle loi
organique en date du 22 juillet 2010. Désormais chaque QPC est jugée par l
une
des chambres de la Cour (civile, commerciale, criminelle, etc) déterminée en
fonction de la nature du litige principal, et de ce fait la jurisprudence de la
Cour est devenue beaucoup moins monolithique et plus évolutive.
Peut-être en raison de ce changement de procédure, il semble que, petit à
petit, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation sont parvenus à surmon-
ter leur différend grâce à des concessions réciproques.
Dun côté, sinspirant dune jurisprudence de la Cour constitutionnelle ita-
lienne, le Conseil applique la doctrine dite du « droit vivant ». Cette doctrine
signifie que lorsqu
une disposition législative a fait lobjet dune interprétation
« consolidée »
cest-à-dire une interprétation expressément consacrée par la
Cour de cassation et acceptée par l
ensemble des tribunaux judiciaires le
Conseil renonce à en proposer une autre interprétation (Zagrebelsky G., 2010).
S
il estime que, dans ces conditions, la disposition est contraire à la Constitu-
tion, il va donc l
abroger purement et simplement au lieu de la « récupérer » en
l
encadrant par de nouvelles directives dinterprétation. Ainsi, dans sa décision
nº 2010-52 QPC du 14 octobre 2010, il a annulé une loi de 1941 en tenant
compte uniquement de la manière dont elle avait été interprétée par la Cour de
cassation, sans envisager d
autres interprétations possibles. Il convient de noter
que cette doctrine du « droit vivant » ne s
applique que lorsque linconstitution-
nalité est liée à l
existence dune « interprétation consolidée » au sens que lon
vient de définir. Dans tous les autres cas, qui sont d
ailleurs les plus nombreux,
le Conseil se réserve toujours la possibilité de valider une disposition législative
en l
encadrant par des directives dinterprétation.
De son côté, la Cour de cassation semble avoir renoncé à la distinction
qu
elle avait faite dans ses arrêts précités de 2010 pour empêcher le Conseil
d
invalider ses interprétations de la loi. Par exemple, en 2012, elle a renvoyé
au Conseil une QPC alors que celle-ci était expressément dirigée contre la por-
tée que la Cour de cassation avait donnée à l
ordonnance du 7 mars 1944 rela-
tive aux musulmans d
Algérie (déc. nº 2012-259 QPC de la première chambre
civile, 26 juin 2012, cons. 2).
Non seulement la Cour de cassation a manifesté une tendance à filtrer les
QPC avec une sévérité excessive mais c
est avec réticence quelle a fini par
admettre le caractère prioritaire de cette procédure.
D Question prioritaire et dialogue des juges
778. Ainsi quon la déjà signalé, les juridictions ordinaires exercent sur la
loi un contrôle de conventionnalité, cest-à-dire quils refusent de faire applica-
tion des dispositions législatives contraires à une stipulation d
un traité interna-
tional. Ils se fondent pour cela sur l
article 55 C aux termes duquel : « Les trai-
tés ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication,
une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou
traité, de son application par lautre partie ». Introduit en 1975, en ce qui
concerne les juridictions de l
ordre judiciaire et en 1988, en ce qui concerne
celles de l
ordre administratif, ce contrôle est aujourdhui de pratique courante.
Page 743
Justice et Constitution
743
Il sexerce dautant plus facilement que, dans la plupart des cas, le juge na
même pas besoin de vérifier si la condition de réciprocité posée par l
article 55
est effectivement remplie (v.
supra no 695).
Or, dans le contentieux judiciaire ou administratif, il est fréquent quune
disposition législative puisse être contestée de façon analogue par un moyen
de constitutionnalité dune part, par un moyen de conventionnalité dautre part
(par exemple lorsque lune des parties soutient quune disposition restrictive de
la liberté de la presse est contraire à la fois à l
article 11 de la DDHC de 1789
moyen de constitutionnalité et à larticle 10 de la CEDH moyen de conven-
tionnalité). Le moyen de constitutionnalité peut aboutir à un résultat définitif et
relativement spectaculaire car s
il est accueilli par le Conseil, la disposition
contestée sera abrogée, alors que le moyen de conventionnalité permet seule-
ment d
éviter quil en soit fait application en lespèce. En revanche, ce dernier
permet de régler plus rapidement le litige car la juridiction compétente sur le
fond l
est également pour juger lexception dinconventionnalité et na donc
pas besoin de surseoir à statuer. Les tribunaux surchargés, qui veulent réduire
leur retard, et les plaideurs pressés, qui veulent obtenir gain de cause le plus vite
possible et aux moindres frais, ont donc plutôt intérêt à envisager en premier
lieu l
exception dinconventionnalité. Mais une telle démarche irait à lencontre
de l
un des objectifs poursuivis par la réforme de 2008 la revalorisation de la
Constitution en tant que norme de référence
et cest pourquoi elle est formel-
lement interdite par l
article 23-2 de la loi organique qui dispose que « la juri-
diction doit
(...) lorsquelle est saisie de moyens contestant, de façon analogue,
la conformité de la disposition à la Constitution et aux engagements internatio-
naux de la France, se prononcer en premier sur la question de constitutionna-
lité.
Larticle 23-5 pose la même règle en ce qui concerne lexamen dune QPC
par le Conseil d
État ou la Cour de cassation. Cest donc par opposition à la
question de conventionnalité que la QPC est qualifiée de « prioritaire ». Mais
il convient de noter que cette priorité na pas valeur constitutionnelle puis-
quelle a été établie par une simple loi organique. Sans remettre en cause la
priorité absolue de la Constitution, qui a été reconnue à la fois par le Conseil
d
État et la Cour de cassation (v. supra no 703), les tribunaux pouvaient donc
s
interroger sur sa compatibilité avec les engagements internationaux de la
France. C
est ce que na pas manqué de faire la Cour de cassation.
Daprès larticle 267 TUE qui fait évidemment partie des engagements
internationaux de la France
toute juridiction de lun quelconque des États
membres peut, lorsqu
une question relative à linterprétation dune disposition
de droit communautaire est soulevée devant elle, saisir la CJUE en lui deman-
dant de statuer sur ce point, c
est-à-dire den donner linterprétation authentique
(système de la question préjudicielle). Elle a même théoriquement l
obligation
de le faire si sa décision nest susceptible daucun recours en droit interne. A
priori
, il ne semble pas quil puisse y avoir dans le mécanisme de la QPC
quelque chose de contraire à l
article 234 car le Conseil statue sur la conformité
de la loi à la Constitution et non aux engagements internationaux. Sa décision ne
préjuge donc pas du résultat d
une question préjudicielle éventuellement posée à
la CJUE. Mais cette objection ne permet pas de répondre à toutes les interroga-
tions car, d
une part, comme la QPC bénéficie dune priorité dordre chronolo-
gique, elle a tout de même pour effet de retarder le moment auquel la question
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744
Droit constitutionnel
préjudicielle pourra être posée et, dautre part, il peut arriver exceptionnellement
que les deux questions (constitutionnalité et conventionnalité) soient si étroite-
ment imbriquées qu
il est pratiquement impossible de les dissocier. Il en est ainsi
lorsque la disposition contestée fait partie d
une loi dont lobjet consiste à tra-
duire une directive en droit interne car dans ce cas, compte tenu des termes de
larticle 88-1 C, le Conseil estime que le respect de cette directive constitue non
seulement une obligation internationale mais aussi une obligation constitution-
nelle (v.
supra no 704). En répondant à la question de constitutionnalité, le
Conseil ne pourra donc éviter de donner en même temps un avis sur la question
de conventionnalité. Cette situation ne devait pas tarder à se présenter dans le
contentieux judiciaire : quelques semaines seulement après l
entrée en applica-
tion de l
article 61-1, un ressortissant algérien expulsé du territoire français a
contesté cette mesure en posant une QPC qui s
appuyait notamment sur les enga-
gements du traité de Lisbonne relatifs à la liberté de circulation.
Au lieu de saisir prioritairement le Conseil constitutionnel, par un arrêt du
16 avril 2010, la Cour de cassation a saisi cette occasion pour poser à la CJUE
une question préjudicielle concernant la compatibilité du système mis en place
par la loi organique avec l
article 267 du traité. Cette initiative, et les réactions
qu
elle a suscitées de la part dautres juridictions, constituent un ensemble de
questions et de réponses que l
on désigne habituellement par leuphémisme
« dialogue des juges ».
En réalité, entre les juridictions suprêmes, les rapports sont complexes.
D
une part, il existe des influences réciproques, qui se traduisent par des
convergences dans leurs jurisprudences respectives. D
autre part, on observe
un véritable rapport de forces, ce qui a été le cas entre le Conseil constitutionnel
et la Cour de cassation. C
est ainsi que celle-ci a tenté de freiner la mise en
œuvre de la réforme en sappuyant sur la Cour de justice de lUnion euro-
péenne, mais sans grand succès.
En effet, dans les considérants dune décision du 12 mai 201027, dont lobjet
navait dailleurs rien à voir avec la QPC, le Conseil constitutionnel a présenté
une sorte de plaidoyer en faveur de celle-ci en réfutant tous les arguments déve-
loppés par la Cour de cassation. dans sa question préjudicielle : il déclare que
«
lautorité qui sattache aux décisions du Conseil constitutionnel (...) ne limite
pas la compétence des juridictions administratives ou judiciaires pour faire
prévaloir ces engagements (les engagements internationaux) sur une disposi-
tion législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été décla-
rée conforme à la Constitution » ; il rappelle que, dans lattente dune question
préjudicielle, ces juridictions peuvent prendre des mesures provisoires pour
empêcher l
application au litige de dispositions législatives éventuellement
contraires au droit de lUnion.
Dans un arrêt du 14 mai 2010, le Conseil dÉtat a pris une position ana-
logue28.
En fin de compte, dans larrêt du 22 juin 2010, par lequel elle répond à la
question préjudicielle posée par la Cour de cassation, la CJUE s
est bornée à
27. Décision no 2010-605 DC du 12 mai 2010, Cons. 10 et s. Il ne sagissait pas dune QPC mais
dune décision rendue sur saisine parlementaire au titre de larticle 61 C.
28. CE, 14 mai 2010,
Rujovic, no 312305.
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Justice et Constitution
745
rappeler les exigences minimales auxquelles devait satisfaire une législation
nationale pour être compatible avec l
article 267. Il faut que les juridictions
nationales restent libres : de saisir à tout moment la Cour d
une question préju-
dicielle (mais éventuellement cela peut se faire à l
issue dune procédure inci-
dente de contrôle de constitutionnalité) ; d
adopter toute mesure nécessaire afin
dassurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par lordre
juridique de l
Union ; de laisser inappliquée toute disposition législative qui leur
paraît contraire au droit de l
Union.
Bien que la Cour nait pas tranché elle-même la question de savoir si le sys-
tème de la QPC satisfaisait à ces exigences, la formulation de celles-ci paraissait
s
inspirer de largumentation quavaient développée le Conseil constitutionnel
et le Conseil d
État. Il semble donc quelle na pas voulu appuyer lobjection
que la Cour de cassation avait soulevée contre ce système.
E La procédure devant le Conseil constitutionnel
779. Les questions transmises au Conseil constitutionnel par le Conseil
d
État ou la Cour de cassation sont examinées selon une procédure dun carac-
tère plus nettement juridictionnel que celle qui s
applique dans le cadre du
contrôle
a priori. Les parties (cest-à-dire le demandeur et le défendeur au litige
principal) disposent des mêmes droits que devant un tribunal ordinaire. De plus,
comme la QPC peut aboutir à l
abrogation dune disposition législative, les
principales autorités de l
État (Président de la République, Premier ministre,
présidents de l
Assemblée nationale et du Sénat) sont avisées et peuvent inter-
venir dans la procédure en présentant des observations. En pratique, dans
chaque affaire, le Premier ministre présente, par le truchement d
un agent du
Secrétariat général du gouvernement, des observations par lesquelles il prend
généralement la défense des dispositions législatives attaquées, en réfutant les
arguments avancés par lauteur de la QPC. Les présidents des assemblées, en
revanche, ninterviennent presque jamais dans la procédure ; ils sen remettent
au gouvernement du soin de défendre les lois qui ont été adoptées par le Parle-
ment. Quant au Président de la République, il ne présente pas non plus d
obser-
vations, peut-être parce qu
il occupe une position trop élevée pour paraître se
mêler des détails de la législation, et surtout parce que, en dehors des périodes
de cohabitation, les observations produites par le Premier ministre l
ont toujours
été avec son accord
29.
Le rôle du secrétariat général du gouvernement sexplique aisément lorsque
la loi attaquée a été adoptée à l
initiative du gouvernement. Il se comprend
moins si elle l
a été à un moment où lactuel gouvernement était dans lopposi-
tion et pouvait soutenir quelle était contraire à la Constitution, mais pourrait se
justifier par lidée quil faut maintenir le caractère contradictoire de la procédure
et par la fiction qu
il existe, indépendamment des positions politiques, un intérêt
général, qui serait incarné par le gouvernement en exercice.
29. Voir sur ce sujet : O. DORD, « La QPC et le Parlement : une bienvaillance réciproqque », NCCC,
nº 38, 2013.
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746
Droit constitutionnel
Selon la loi organique, les parties sont mises à même de présenter contradic-
toirement leurs observations au cours d
une audience qui doit être publique,
sauf dans les cas exceptionnels prévus par le règlement intérieur du Conseil.
Par décision en date du 4 février 2010, le Conseil sest doté dun règlement
intérieur spécial qui précise les différentes étapes de la procédure applicable aux
QPC. Cette procédure est très respectueuse des droits des parties. Non seule-
ment les pièces produites par la partie adverse leur sont communiquées, mais
elles sont tenues informés de toutes les initiatives que le Conseil peut être
amené à prendre au cours de l
instruction : sil décide de recourir à une audition,
elles sont invitées à y assister ; s
il envisage de soulever un moyen doffice,
elles en sont informées et un délai leur est imparti pour qu
elles puissent pré-
senter leurs observations. Pour ne pas retarder le déroulement de l
instruction, il
est prévu que les actes et pièces de procédure ainsi que les avertissements ou
convocations sont notifiés par voie électronique.
À lire le règlement intérieur, on pourrait croire que laudience publique joue un
rôle important dans la préparation de la décision. Il est en effet précisé que seuls
les membres du Conseil qui y ont assisté peuvent prendre part à la délibération.
Peuvent prendre la parole au cours de laudience les représentants des parties (à
condition qu
ils aient la qualité davocat) ainsi que les agents désignés par lune des
quatre autorités de l
État mentionnées ci-dessus. Mais, compte tenu du peu de temps
dont ils disposent (5 à 10 minutes) les avocats se bornent à résumer très sommaire-
ment leurs conclusions écrites et aucune question ne leur est jamais posée par les
membres du Conseil. La procédure est donc plus écrite qu
orale et laudience appa-
raît presque comme une formalité. Mais chacun peut la visionner sur Internet et cela
contribue à susciter l
intérêt du public pour les affaires traitées par le Conseil.
Le règlement intérieur dispose que tout membre du Conseil qui estime
devoir s
abstenir de siéger en informe le Président. Il prévoit également une
possibilité de récusation à la demande de l
une des parties ou de son représen-
tant. Mais les raisons pour lesquelles un conseiller peut être récusé, ou devrait
spontanément s
abstenir de siéger, ne sont pas expressément indiquées. Il est
seulement précisé que le seul fait qu
un membre du Conseil a participé à léla-
boration d
une disposition législative faisant lobjet de la question de constitu-
tionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation. En pratique, les
demandes de récusation sont très rares ; les retraits volontaires sont relativement
fréquents mais généralement aucune explication n
en est fournie tout au moins
publiquement. Cela donne parfois un sentiment de malaise car l
on peut se
demander si chaque membre du Conseil n
agit pas en fonction dun code de
déontologie qui lui est propre.
Si la procédure des QPC est assez spécifique, les décisions auxquelles elle
aboutit ne diffèrent pas beaucoup, par leur contenu ou leurs effets, de celles
rendues dans le cadre du contrôle abstrait.
Si le Conseil fait droit à la requête en déclarant inconstitutionnelle la dispo-
sition critiquée, sa décision produit un effet
erga omnes et non pas seulement à
l
égard des parties au litige, car larticle 62 C prévoit que cette disposition est
abrogée « à compter de la date de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel ou d
une date ultérieure fixée par cette décision ». La faculté
de reporter la date d
effet de labrogation est utilisée quand le Conseil estime
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Justice et Constitution
747
que la disposition visée doit être remplacée par une nouvelle législation. Par
exemple, dans sa décision QPC du 30 juillet 2010, où il a déclaré que les dis-
positions du Code de procédure pénale concernant la garde à vue étaient
contraires à la Constitution, le Conseil a cependant maintenu en application
ces dispositions jusqu
au 1er juillet 2011, laissant ainsi au Parlement et au gou-
vernement un délai de 11 mois pour élaborer un nouveau dispositif.
Si au contraire il ne fait pas droit à la requête et valide ainsi la disposition
attaquée, il lui arrive d
émettre des réserves pour écarter certaines interpréta-
tions qui seraient sémantiquement possibles, comme il le fait souvent déjà
dans le cadre du contrôle
a priori. Mais cest plus rare que dans le contrôle a
priori
car le contrôle a posteriori porte sur des lois qui sappliquent déjà depuis
un certain temps et qui ont fait l
objet dinterprétations de la part dautres juri-
dictions. Pour que le Conseil constitutionnel soit amené à examiner la confor-
mité à la Constitution de ces interprétations, il faudrait qu
il fût saisi par les
cours qui en sont les auteurs, ce qui est peu probable. Et lorsqu
il sagit dune
interprétation « consolidée », le Conseil s
abstient généralement de lui en sub-
stituer une autre, ainsi qu
on la déjà signalé (supra nº 777 et 778).
Bien que, ainsi quon la déjà signalé, le filtrage opéré en amont par la Cour
de cassation et le Conseil d
État élimine déjà environ les quatre cinquièmes des
demandes de QPC, le Conseil constitutionnel opère encore une sélection sévère
sur celles qui parviennent jusqu
à lui : dans un peu plus de la moitié des cas, il
rend une décision de conformité pure et simple ; les autres cas se répartissent
entre conformité sous réserves (environ 13 %), non-conformité totale (entre 15
et 20 %) ou partielle
30 (environ 10 %) et non-lieu à statuer (moins de 5 %).
En 2011, le Conseil a rendu 110 décisions au titre de la QPC mais, dès lan-
née suivante, le rythme a commencé à ralentir. : 74 décisions en 2012 et 66 en
2013. On peut penser que cette diminution s
explique par le fait que la QPC a
provoqué un assainissement de la législation en vigueur en ce sens qu
il reste de
moins en moins de textes dont la constitutionnalité prête sérieusement à contes-
tation31. Les dispositions censurées relèvent en majeure partie du droit pénal ou
de la procédure pénale.
Sous-section 3
Le développement du rôle du Conseil constitutionnel
780. Ainsi quon vient de le voir, les missions du Conseil constitutionnel ne
se limitent pas au contrôle de constitutionnalité des lois. Mais ce sont
30. Daprès une statistique établie au 1er janvier 2012 (voir le site du Conseil constitutionnel).
D
après une statistique établie au 1er janvier 2013, sur 1 517 demandes de QPC, on comptait seulement
314 décisions de renvoi (soit 20,7 %) et 1 203 décisions de non-renvoi.
Selon un rapport parlementaire récent, « la plupart des acteurs s
attendent moins à une poursuite
31.
de la décrue qu
à une stabilisation à un niveau moins élevé quen 2010 et 2011 » (Assemblée nationale,
Document parlementaire nº 842, rapport d
information sur la QPC présenté par M. Jean-Jacques
Urvoas, 27 mars 2013). Selon Marc Guillaume, Secrétaire général, l
expérience de létranger et en
particulier celle de lAllemagne, où la procédure de lexception dinconstitutionnalité fonctionne
depuis cinquante ans, montre que le flux se maintient à un niveau relativement important parce que
les requérants visent de plus en plus les détails techniques de la législation (v. document précité, p. 62).
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748
Droit constitutionnel
certainement les décisions rendues dans le cadre de ce contrôle qui ont le plus
grand impact politique.
Durant les quinze premières années de la Ve République, cest-à-dire jusquà
la révision du 29 octobre 1974, le contrôle de constitutionnalité n
était que rare-
ment pratiqué. En ce qui concerne les lois ordinaires, seuls pouvaient saisir le
Conseil constitutionnel le Président de la République, le Premier ministre et les
présidents des deux assemblées. Mais, en règle générale, ces quatre autorités
étaient favorables aux lois adoptées par le Parlement et, sauf cas assez rare,
elles préféraient s
abstenir de saisir le Conseil constitutionnel.
Le caractère très restrictif de la saisine faisait donc obstacle au développe-
ment d
un véritable contrôle de la constitutionnalité des lois. Cependant, dans
une décision de juillet 1971, le Conseil constitutionnel a élargi considérable-
ment la notion de constitution au sens de l
article 61 (v. infra no 782).
Cette interprétation a suscité un désir détendre le droit de saisine pour per-
mettre au Conseil d
exercer un contrôle plus étendu. À la suite de la révision de
1974, le Conseil constitutionnel est devenu un pouvoir véritable, qui peut s
op-
poser à la mise en
œuvre dune politique, et avec lequel lexécutif est obligé de
compter, même lorsqu
il sappuie sur une majorité parlementaire importante.
On peut distinguer trois facteurs principaux qui expliquent cette montée en
puissance : l
assouplissement de la saisine (§ 1), mais aussi la richesse des nor-
mes de référence utilisées par le Conseil (§ 2), et enfin la gradation savante de
ses verdicts (§ 3). Ces facteurs ont permis au Conseil constitutionnel d
élaborer
une jurisprudence dont l
impact est considérable (§ 4).
§ 1. Lassouplissement de la saisine
781. Le premier assouplissement remonte à la réforme de 1974 qui a rendu
possible la saisine du Conseil par soixante députés ou soixante sénateurs. Ce
sont évidemment surtout (mais pas exclusivement
32) les parlementaires de lop-
position qui ont fait usage de ce nouveau droit.
La réforme avait dailleurs été présentée par le Président de la République de
l
époque, V. Giscard dEstaing, comme un élément essentiel du statut de lop-
position. En effet, à la différence du Président de la République, du Premier
ministre et des présidents des assemblées, l
opposition est, presque par défini-
tion, plutôt hostile à la plupart des lois adoptées par la majorité parlementaire :
elle a donc d
excellentes raisons de déclencher le contrôle de constitutionnalité.
La réforme avait aussi une autre fonction, moins immédiatement apparente : il
s
agissait pour la majorité conservatrice de lépoque de se donner des armes
pour le cas où la gauche gagnerait les élections législatives.
Ce premier assouplissement a eu sur lactivité du Conseil constitutionnel des
incidences à la fois quantitatives et qualitatives.
En premier lieu, les décisions portant sur la conformité dune loi ordinaire à
la Constitution sont beaucoup plus nombreuses depuis cette réforme. En quinze
32. La toute première saisine en application de la réforme de 1974 a été lœuvre de parlementaires de
la majorité qui ont déféré au conseil la loi légalisant l
IVG (voir la déc. nº 54 DC du 15 janvier 1975).
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Justice et Constitution
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ans, de 1959 à 1974, le Conseil nen avait rendu que neuf au total (six sur sai-
sine du Premier ministre et trois sur saisine du Président du Sénat) ; la moyenne
était donc inférieure à une décision par an ; pour la période suivante, de 1975 à
2012 la moyenne se situe aux environs de onze décisions par an.
En second lieu, les affaires dont soccupe le Conseil sont désormais beau-
coup plus variées. Jusquen 1974, sa jurisprudence portait essentiellement sur
des questions techniques comme les domaines respectifs de la loi et du règle-
ment ou les incompatibilités parlementaires. Pour importantes qu
elles fus-
sent, ces questions laissaient le grand public assez indifférent et les décisions
du Conseil ne retenaient l
attention que dun petit nombre de spécialistes. Or
l
ouverture de la saisine aux simples parlementaires la conduit à se pronon-
cer sur des lois relatives à l
interruption volontaire de la grossesse, à la
répression des actes de violence, aux droits des travailleurs dans l
entreprise,
aux vérifications d
identité, à la maîtrise de limmigration, à la liberté de la
presse, à la liberté de l
enseignement, etc. De même que la Cour suprême des
États-Unis ou le Tribunal constitutionnel allemand, le Conseil constitutionnel
a désormais un rôle à jouer dans la solution de nombreux problèmes de
société, et ses décisions font parfois les grands titres des journaux.
Le second assouplissement de la saisine résulte de la réforme de juil-
let 2008 qui permet à tout plaideur de soulever une question préjudicielle de
constitutionnalité au cours d
un procès, comme cela se pratique depuis long-
temps dans la plupart des pays voisins de la France. On a dit que cette réforme
allait dans le sens d
une plus grande égalité car désormais chaque citoyen
pourra faire valoir lui-même devant la justice ses droits fondamentaux alors
que, dans le système précédent, il devait s
en remettre à ses représentants,
seuls habilités à saisir le Conseil constitutionnel. C
est vrai en un sens. Mais
il ne faut pas oublier pour autant que le recours préjudiciel profitera non seu-
lement aux citoyens mais aussi à toutes les personnes physiques ou morales,
françaises ou étrangères, susceptibles d
être impliquées dans un procès, et
notamment à de puissantes sociétés multinationales défendant leurs propres
intérêts, ou ceux de leurs actionnaires. Il ne faut pas non plus se dissimuler
que si la justice est en principe gratuite, les services de certains auxiliaires
de la justice (avocats, avoués, etc.) ne le sont pas, et que leurs honoraires aug-
mentent souvent en proportion de la durée et de la complexité du procès. Tous
les plaideurs ne disposent donc pas des mêmes facilités matérielles pour sou-
lever une question préjudicielle de constitutionnalité, même s
il est vrai que
les plus pauvres peuvent bénéficier de l
aide juridictionnelle.33.
Les conséquences de cette réforme sur lactivité du Conseil sont impression-
nantes : en moins de deux ans, entre le 1
er mars 2010 et le 31 décembre 2012, il
a rendu 255 décisions QPC, cest-à-dire environ moitié plus que de décisions
DC au cours dune période de dix ans. Cette accélération brutale sexplique
peut-être en partie par un effet d
aubaine : jusquen 2010, beaucoup de lois en
vigueur échappaient au contrôle du Conseil, parce que leur adoption était
Pour atténuer ces inégalités, la loi organique prévoit que lorsquune question de constitutionna-
33.
lité a été transmise au Conseil constitutionnel, la contribution de lÉtat à la rétribution des avocats qui
prêtent leur concours au titre de l
aide juridictionnelle est majorée. Mais tous les plaideurs qui ne dis-
posent que de moyens modestes n
ont pas droit à laide juridictionnelle.
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Droit constitutionnel
antérieure à la réforme de 1974, ou parce que, pour diverses raisons, les parle-
mentaires avaient préféré s
abstenir de les lui déférer. La QPC a donc permis
d
effectuer une sorte de rattrapage et son rythme devrait un peu se ralentir à
mesure que le contrôle s
étend à lensemble de la législation en vigueur. Mais
elle ne risque pas de se tarir complètement : l
expérience montre en effet que
beaucoup de lois qui avaient passé le filtre du contrôle a priori ont été jugées
défectueuses par le Conseil, parce que certains moyens navaient été ni soulevés
par les parlementaires saisissants ni relevés d
office, ou parce quun change-
ment de circonstances permettait de les examiner sous un nouvel angle.
§ 2. La richesse des normes de référence
782. Les normes auxquelles le Conseil constitutionnel compare les textes
qu
il doit examiner sont par hypothèse toutes des normes constitutionnelles.
Mais on en peut distinguer plusieurs types en prenant pour critère le genre de
document dans lequel elles sont exprimées (par exemple la Constitution, la
Déclaration des droits de l
Homme et du Citoyen, le Préambule de la Constitu-
tion de 1946) ou, s
il sagit de normes non écrites, la manière dont elles sont
invoquées par le Conseil constitutionnel (principes fondamentaux reconnus par
les lois de la République, principes de valeur constitutionnelle, etc.). Ce sont
toutes ces normes qu
on appelle « normes de référence ».
Aux termes de larticle 61 C, le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur
la conformité des lois à la Constitution. Mais qu
est-ce au juste que la Constitu-
tion ? La question n
est pas aussi naïve quon pourrait le croire. On pourrait en
effet hésiter entre une conception étroite et une conception large. Il faut remar-
quer que c
est au Conseil constitutionnel quil est revenu de choisir entre ces
deux conceptions, cest-à-dire de déterminer létendue de son propre pouvoir
de contrôle.
Daprès la conception étroite, la Constitution se réduit au texte fondateur de
la V
e République, en tenant compte seulement des modifications qui y ont été
apportées par les révisions successives. Elle se compose d
un bref Préambule et
de 89 articles. Elle définit le statut et les compétences des pouvoirs publics,
mais elle ne contient que très peu de règles relatives aux droits et libertés.
Daprès la conception large, la Constitution comprend également les textes
auxquels, selon l
alinéa premier du Préambule, le peuple français réaffirme
solennellement son attachement, c
est-à-dire la Déclaration de 1789, le Préam-
bule de 1946 et la Charte de l
environnement de 2004.
Dans une décision importante du 16 juillet 1971 (Rec. p. 29), quon peut
même qualifier de révolutionnaire, dans la mesure où elle était contraire aux
intentions du constituant de 1958, et qui est un peu antérieure à l
assouplisse-
ment de la saisine, le Conseil constitutionnel s
est rallié à cette conception large.
Il avait été saisi par le président du Sénat d
une loi qui restreignait la liberté
d
association. Faute de trouver dans le corps même de la Constitution une dis-
position à laquelle comparer cette loi, il a décidé que le Préambule était une
partie de la Constitution, ainsi que les textes auxquels se réfère ce préambule,
c
est-à-dire la Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen de 1789 et le
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Préambule de la Constitution de 1946, qui lui-même fait référence aux « prin-
cipes fondamentaux reconnus par les lois de la République
». Non seulement
cet ensemble est extrêmement vaste, mais ses contours sont un peu vagues, ce
qui donne au Conseil une marge de pouvoir discrétionnaire considérable. C
est
ainsi qu
il a pu décider que si le principe de la liberté dassociation nétait men-
tionné ni dans la constitution, ni dans la Déclaration des droits de lHomme, ni
même dans le Préambule de 1946, il constituait néanmoins un principe fonda-
mental reconnu par les lois de la République et avait à ce titre une valeur consti-
tutionnelle, de telle sorte que la loi de 1971 qui lui portait atteinte était contraire
à la Constitution.
Cest sur la base de cette jurisprudence de 1971 que le Conseil constitution-
nel a élargi son pouvoir.
Le « bloc de constitutionnalité » cest-à-dire lensemble des normes dont il
assure la protection et dont le respect s
impose au Parlement lorsquil vote une
loi ou ratifie un traité
ne se limite donc pas au texte fondateur de la Ve Répu-
blique. Ce bloc comprend également :
La Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen de 1789 qui énonce
des principes traditionnels tels que la liberté individuelle, l
égalité devant la loi,
la non-rétroactivité des sanctions pénales, et le caractère inviolable et sacré du
droit de propriété.
Le Préambule de la Constitution de 1946, qui est dune inspiration
beaucoup plus moderne et qui consacre en tant que «
principes particulière-
ment nécessaires à notre temps
» un certain nombre de droits économiques
et sociaux, comme le droit de grève ou le droit syndical.
Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
(PFRLR). Ils sont rattachés au bloc de constitutionnalité d
une manière indi-
recte car le Préambule de la Constitution de 1958 ne les mentionne pas expres-
sément. Mais il se réfère au Préambule de 1946 qui «
réaffirme solennellement...
les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », en leur
reconnaissant une valeur équivalente à celle des droits et libertés consacrés par
la Déclaration de 1789. Les PFRLR doivent être recherchés dans la législation
en vigueur avant la chute du régime républicain survenue en juillet 1940. La
plupart n
ont été reconnus que sous la IIIe République, mais quelques-uns ont
une origine plus ancienne, comme le principe de la séparation des autorités
administratives et judiciaires qui date de la période révolutionnaire, ou celui
de la liberté de l
enseignement, proclamé dès 1848. Comment établit-on lexis-
tence d
un PFRLR ? Ces principes ayant été consacrés à lorigine par des lois
ordinaires, et non par des lois constitutionnelles, il n
existe aucun critère formel
qui permette de les identifier. C
est donc le point de vue matériel qui est déter-
minant : les PFRLR sont des principes indissociables de la tradition républi-
caine française, cette indissociabilité devant être attestée par le fait que le légis-
lateur de la III
e République y était toujours demeuré fidèle34.
Le Conseil constitutionnel (ou accessoirement le Conseil dÉtat35) peut ainsi
créer, en s
inspirant de lois toujours en vigueur mais dont lorigine remonte à
34. Voir déc. no 88-244 DC du 20 juillet 1988, Rec. p. 119.
35. À la différence du Conseil constitutionnel, le Conseil dÉtat ne peut pas censurer une loi au motif
qu
elle porterait atteinte à un PFRLR. Mais il peut par exemple énoncer un PFRLR lorsquil doit
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Droit constitutionnel
plus dun demi-siècle, de nouveaux principes constitutionnels dont il imposera
le respect au législateur d
aujourdhui. La liste sallonge au fil de sa jurispru-
dence. D
ores et déjà, elle comprend notamment : la liberté dassociation, qui
implique l
interdiction dun contrôle administratif préalable à lenregistrement
de la déclaration ; la liberté de l
enseignement ; lindépendance des professeurs
duniversité et le droit pour ceux-ci de bénéficier au sein des instances univer-
sitaires d
une représentation qui leur est propre ; lindépendance des juridictions
administratives ; le respect des droits de la défense devant les juridictions
répressives ; l
existence en Alsace-Moselle dune législation locale qui a été
maintenue en vigueur lorsque ces territoires ont été rattachés à la France en
1919, etc.
À la différence de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946, la
Charte de lenvironnement est
largement postérieure à l
adoption de la
Constitution de 1958. Elle a été votée par le Parlement en 2004, à l
initiative
du Président de la République d
alors, J. Chirac, dont la protection de lenvi-
ronnement était depuis longtemps l
un des thèmes favoris. Mais elle a été rat-
tachée au bloc de constitutionnalité de la même manière que la Déclaration de
1789 et le Préambule de 1946, c
est-à-dire par le biais de lalinéa premier du
Préambule qui, depuis la loi constitutionnelle du 1
er mars 2005, sy réfère
expressément. Tout en affirmant le droit de chacun à vivre «
dans un environ-
nement sain et équilibré
», cette charte met principalement laccent sur les
devoirs, sans doute pour mieux faire comprendre que l
environnement est fra-
gile et que sa protection nécessite une discipline individuelle et collective rela-
tivement stricte : devoir de prendre part à la préservation et à l
amélioration de
l
environnement ; de prévenir les atteintes quon est susceptible de lui porter,
de contribuer à la réparation des dommages qu
on lui a causés etc. La dispo-
sition la plus importante (et la plus controversée) est celle qui oblige les auto-
rités publiques à prendre des mesures pour prévenir un dommage susceptible
daffecter de manière grave et irréversible lenvironnement, même si la réali-
sation de ce dommage est incertaine en létat actuel des connaissances scien-
tifiques (principe de précaution). La Charte permet donc au juge constitution-
nel de contrôler, comme il l
a fait à propos des organismes génétiquement
modifiés (OGM)
36, si, compte tenu des gains que lon peut attendre dune
innovation sur le plan économique ou scientifique, et des risques qu
elle com-
porte pour l
environnement, les mesures de précaution prises par le législateur
doivent être considérées comme suffisantes. Elle accorde également de nou-
veaux droits aux particuliers et aux associations pour leur permettre de se tenir
informés des projets concernant l
environnement et de participer à la prise des
décisions dans ce domaine. Elle devrait également contribuer à l
essor du droit
de la responsabilité en permettant à la victime d
un dommage de demander
réparation pour non-accomplissement de lune des obligations prescrites.37
interpréter une convention internationale. Ainsi a-t-il récemment jugé que laccord de coopération
franco-malien du 9 mars 1962 devait être interprété conformément au PFRLR
« selon lequel lÉtat
doit refuser l
extradition dun étranger lorsquelle est demandée dans un but politique » (CE, 3 juillet
1996,
Koné, AJDA p. 805).
36. Voir la décision nº 2008-564 DC du 19 juin 2008.
37. Voir à ce sujet le dosier « La Constitution et l
environnement » in Les nouveaux cahiers du
Conseil constitutionnel
, nº 43, avril 2014.
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Justice et Constitution
753
Les objectifs (ou principes) de valeur constitutionnelle (Montalivet,
2006) : ce ne sont ni des règles écrites, ni des prescriptions précises, mais des
finalités assez générales, qui remplissent une fonction de justification impor-
tante dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il s
y réfère tantôt pour
limiter un droit de valeur constitutionnelle expressément reconnu par la Consti-
tution : par exemple le droit de grève ou le droit de libre communication des
idées doivent être conciliés avec la sauvegarde du maintien de lordre public,
qui est un objectif de valeur constitutionnelle
38, et tantôt au contraire pour justi-
fier la protection renforcée accordée à certains droits : par exemple, le plura-
lisme des quotidiens d
information politique et générale est également un objec-
tif de valeur constitutionnelle, dont le législateur ne peut pas se désintéresser
39.
Bien quelles aient une valeur inférieure à celle de la Constitution pro-
prement dite, les lois organiques font également partie du bloc de constitution-
nalité au sens large, car le Conseil constitutionnel les utilise également comme
normes de référence pour le contrôle des lois ordinaires. Mais tel n
est pas le
cas, en revanche, du règlement des assemblées parlementaires.
La tendance à lélargissement de la notion de constitution connaît cependant
une limite. Bien que, d
après larticle 55 de la Constitution, les traités ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés aient, dès leur publication, une
autorité supérieure à celle des lois, le Conseil a refusé de les intégrer dans le
bloc de constitutionnalité (déc. n
o 74-54 DC du 15 janvier 1975, Rec. p. 19).
Quelle que soit leur importance d
un point de vue politique on pense notam-
ment au traité fondateur de la Communauté européenne et à la Convention euro-
péenne des droits de l
Homme les engagements internationaux ne constituent
donc pas des normes de référence pour le Conseil constitutionnel. Toutefois, en
ce qui concerne les normes d
origine européenne, la jurisprudence du Conseil
constitutionnel est en voie d
évolution. En effet, depuis que la loi du 25 juin
1992 a introduit dans la Constitution un titre intitulé « Des Communautés euro-
péennes et de l
Union européenne », le droit européen ne peut plus être consi-
déré comme tout à fait extérieur à la Constitution. Par exemple, depuis une
importante décision du 30 novembre 2006, le Conseil constitutionnel vérifie si
les lois de transposition des directives communautaires respectent bien les prin-
cipes posés par ces directives (v.
supra no 701). Indépendamment de cette juris-
prudence encore timide, le principe posé par l
article 55 nest pas dépourvu de
toute sanction. En effet, depuis la fin des années 1980, les juridictions judiciai-
res ou administratives contrôlent, par la voie de l
exception, la conformité des
lois aux engagements internationaux (v.
supra no 695)40. Cependant, lobliga-
tion de respecter ces principes n
a pas, selon le Conseil constitutionnel, sa
Pour le droit de grève : déc. nº 105 DC du 25 juillet 1979, Rec. p. 33. Pour la liberté de commu-
38.
nication : déc. nº 248 DC du 17 janvier 1789, Rec. p. 18.
39. Déc. 181 DC des 10 et 11 octobre 1984,
Rec. p. 73 ; déc. nº 210 DC du 29 juillet 1986, Rec.
p. 110.
40. Ainsi qu
on la déjà signalé, le projet de loi organique relative à la question préjudicielle de
constitutionnalité prévoit que lorsqu
une disposition législative est contestée de manière analogue par
un moyen de conventionnalité d
une part, par un moyen de conventionnalité dautre part, les tribunaux
judiciaires ou administratifs devront traiter en premier la question de constitutionnalité. Mais une
exception est prévue lorsque le moyen de conventionnalité est fondé sur une disposition de droit com-
munautaire.
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754
Droit constitutionnel
source dans les traités européens, mais seulement dans la Constitution de la
République française.
§ 3. La gradation savante des verdicts
783. Dans le cadre de larticle 61 alinéa 2, le Conseil doit répondre à la
question de savoir si la loi qui lui est déférée est ou non conforme à la Consti-
tution. Mais sa réponse comporte parfois des nuances. On distinguera quatre
types de réponses qui peuvent être caractérisées de la manière suivante : oui
pur et simple ; oui sous réserves ; non mais ; non pur et simple.
1) Oui pur et simple : après avoir examiné et rejeté les moyens soulevés dans
les saisines ou les moyens qu
il a soulevés doffice, le Conseil déclare sans
autre commentaire que la loi contestée est conforme à la Constitution.
2) Oui sous réserves : le Conseil déclare également que la loi est conforme à
la Constitution, mais sous des réserves d
interprétation formulées dans les
motifs de sa décision. En d
autres termes, il indique aux autorités chargées dap-
pliquer la loi le sens exact qu
il convient de lui donner ; il exclut certaines inter-
prétations possibles car elles rendraient la loi contraire à la Constitution.
On peut distinguer plusieurs sortes de réserves dinterprétation : les réserves
neutralisantes rendent une disposition inopérante en lui refusant toute portée juri-
dique
41 ; les réserves constructives modifient le contenu apparent dune disposi-
tion soit pour restreindre son champ d
application42, soit pour compléter son dis-
positif d
application43 ; enfin, les réserves directives sont celles qui contiennent
des instructions relativement détaillées quant à la manière dont une disposition
devra être appliquée
44.
On sait que, jusquen mai 2010 (cest-à-dire jusquà lentrée en vigueur de la
QPC), le Conseil constitutionnel exerçait uniquement sur la loi un contrôle «
a
priori
». Ce type de contrôle se prêtait particulièrement bien à lémission de
réserves d
interprétation car, nétant pas encore entrés en application, les textes
soumis au Conseil n
avaient fait lobjet daucune interprétation émanant dune
autre juridiction. La situation est évidemment différente en ce qui concerne les
Par exemple, une disposition ne permettant la modification dune loi de plan quaprès deux
41.
années d
exécution a été considérée comme dépourvue de toute portée juridique car « le législateur
ne peut pas lui même se lier » (déc. n
o 82-142 DC du 27 juillet 1982, Rec. p. 53).
Par exemple, la loi relative à la maîtrise de l
immigration interdisait la délivrance dune carte de
42.
résident « à tout étranger qui vit en état de polygamie ». Le Conseil a jugé cette disposition conforme à
la Constitution mais en précisant qu
elle « devait être entendue comme nétant applicable quaux étran-
gers qui vivent en France en état de polygamie » (déc. no 325 DC des 12 et 13 août 1993, Rec. p. 224,
cons. 32).
Par exemple, cette même loi exigeait pour l
ouverture du droit au regroupement familial une
43.
durée de séjour préalable et régulier en France de deux années. Cette disposition a été jugée conforme
à la Constitution mais sous réserve que la demande de regroupement puisse être formulée avant l
ex-
piration du délai «
pour que ce droit soit effectivement susceptible dêtre ouvert à son terme » (ibid.
cons. 71).
44. Voir par exemple la décision nº 207 DC des 25 et 26 juin 1986 qui fixe tout un ensemble de
règles auxquelles le gouvernement doit se conformer lorsquil sagit de privatiser une entreprise
publique (
Rec. p. 61).
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Justice et Constitution
755
textes dont il est amené à connaître par le biais de la QPC et, ainsi quon la déjà
noté, le Conseil doit parfois renoncer à émettre des réserves d
interprétations
pour ménager la susceptibilité de la Cour de cassation, qui considère que l
inter-
prétation des lois est sa fonction propre. Mais les réserves d
interprétation nont
pas cessé pour autant de jouer un rôle important dans le contentieux constitu-
tionnel car, dune part, le Conseil continue dexercer un contrôle « a priori », en
application de larticle 61 C et, dautre part, même dans le cadre de la QPC, il
utilise encore parfois cette technique lorsque le texte qui lui est soumis n
a pas
fait l
objet dune interprétation consolidée (voir supra nº 777).
3) Non mais : le Conseil déclare la loi contraire à la Constitution, mais il
indique au législateur dans ses considérants comment il doit « refaire sa copie »,
c
est-à-dire comment il doit sy prendre pour atteindre les mêmes objectifs par
des voies constitutionnelles. Ce type de décision est relativement rare car, en
règle générale, le Conseil estime qu
il ne lui appartient pas dempiéter sur le
rôle du législateur en indiquant à celui-ci ce que la loi devrait être. Selon une
formule qu
il a maintes fois reprise dans ses considérants, il ne dispose pas
« d
un pouvoir général dappréciation et de décision de même nature que celui
du Parlement » car il doit seulement se prononcer sur la conformité de certaines
dispositions législatives à la Constitution. Mais il y a des cas où, si le législateur
veut atteindre un objectif déterminé, la Constitution ne lui laisse pratiquement
aucune marge d
appréciation.
Par exemple, dans sa décision du 16 janvier 1982, le Conseil a déclaré
contraire à la Constitution une loi prévoyant la nationalisation d
un grand nom-
bre d
entreprises, au motif principal que les modalités dindemnisation prévues
pour les actionnaires ne pouvaient pas être considérées comme « justes » au
sens de l
article 17 de la Déclaration des droits de lHomme et du Citoyen de
1789. Mais il exposait longuement dans les considérants de cette même déci-
sion sur quelles bases ces indemnités auraient dû être calculées, de sorte que
la loi de nationalisation a pu être rapidement adoptée dans une nouvelle version,
qui a été jugée cette fois parfaitement conforme à la Constitution.
4) Non pur et simple : le Conseil constitutionnel déclare que la loi est
contraire à la Constitution sans ajouter d
autres commentaires, sans suggérer
des modifications qui permettraient de remédier à ce vice d
inconstitutionnalité.
Quand le contrôle s
exerce sur une loi comportant de nombreuses disposi-
tions, ces quatre types de sentences peuvent fort bien se combiner : certaines
dispositions font l
objet dune déclaration de constitutionnalité pur et simple ;
d
autres dune déclaration de constitutionnalité sous réserves, etc. Grâce à
cette gradation savante des verdicts, le Conseil constitutionnel n
exerce plus
seulement un pouvoir d
empêchement : il participe dune certaine manière à
l
élaboration de la norme législative, car il en fixe linterprétation ou en suggère
le contenu. Il existe des juridictions constitutionnelles étrangères qui font
preuve d
un activisme encore plus manifeste dans leur interprétation des textes.
Par exemple, la Cour constitutionnelle italienne introduit parfois dans un arti-
cle d
une loi soumise à son contrôle quelques mots qui en modifient plus ou
moins profondément le sens. Le Conseil constitutionnel n
a encore jamais uti-
lisé cette méthode dont on peut penser que, en France, elle susciterait des pro-
testations. Il lui arrive néanmoins de remplacer quelques mots par d
autres mais
uniquement lorsque cela lui paraît nécessaire pour éviter que le texte devienne
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Droit constitutionnel
incompréhensible du fait dune annulation partielle. Par exemple, si le texte se
réfère à l
article N de la loi du tant, qui comporte deux alinéas, et si le Conseil
décide d
annuler cette disposition mais seulement en tant quelle se réfère au
second alinéa de l
article N, il remplacera les mots « à larticle N de la loi du
tant » par les mots « au premier alinéa de l
article N de la loi du tant ». Dans ce
cas, les mots ajoutés nont pas de valeur autonome. Ils se bornent à tirer les
conséquences logiques de l
annulation partielle (voir à ce sujet les commentai-
res au
CCC de la décision no 2009-558 DC du 6 août 2009).
La réforme du 20 juillet 2008 a parachevé cet encadrement de la loi en per-
mettant au Conseil de vérifier si les autorités chargées de son application tien-
nent effectivement compte de ses réserves ou de ses directives d
interprétation.
Toutefois, si la question préjudicielle porte sur le sens d
une disposition et que
l
une des parties prétend que lapplication a été faite en méconnaissance des
directives d
interprétation du Conseil constitutionnel, les chances pour que
cette question soit déférée au conseil par le Conseil d
État ou la Cour de cassa-
tion paraissent assez faibles car, comme ces deux hautes juridictions répugne-
raient sans doute à admettre qu
elles puissent être elles-mêmes responsables de
tentées d
écarter la
cette méconnaissance, elles seraient vraisemblablement
question comme manifestement infondée. Pourtant, si une telle situation se
reproduisait trop souvent, le Conseil pourrait en prendre ombrage et réclamer
une révision de la Constitution pour permettre le renvoi direct de la question
préjudicielle par le juge du fond, comme cela se pratique déjà dans la plupart
des pays voisins. On peut donc penser que, pour conserver leur pouvoir de fil-
trage, le Conseil d
État et la Cour de cassation éviteront de se montrer trop
intransigeants. Mais, ainsi qu
on la déjà noté, le conflit qui avait eclaté entre
la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel en 2010 à propos de l
inter-
prétation de la loi semble avoir été au moins provisoirement résolu grâce à des
concessions réciproques (voir
supra nº 777).
§ 4. Limpact de la jurisprudence du Conseil constitutionnel
784. La jurisprudence du Conseil constitutionnel touche pratiquement à tou-
tes les branches du droit (A). L
autorité dont bénéficient ses décisions lui
confère un réel pouvoir (B) qui devrait être renforcé par la complémentarité
des modes de saisine (C). Toutefois, certains problèmes demeurent en sus-
pens (D).
A Une jurisprudence extensive
785. La jurisprudence du Conseil constitutionnel porte sur des sujets telle-
ment divers et variés quil serait impossible den donner en quelques lignes une
idée complète. Mais l
on peut dire quelle concerne à la fois la hiérarchie des
normes, l
équilibre des pouvoirs, la garantie des droits fondamentaux au nom-
bre desquels figure, depuis quelques années, la sécurité juridique.
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Justice et Constitution
757
1. La hiérarchie des normes
786. Par son existence même, le Conseil constitutionnel a rendu plus effec-
tive la hiérarchie des normes, surtout depuis la réforme d
octobre 1974 qui a
permis à soixante députés ou soixante sénateurs de le saisir. Avant cette
réforme, et même avant lentrée en vigueur de la Constitution de 1958, la
Constitution était déjà en principe supérieure à la loi mais cette supériorité
n
était pas vraiment sanctionnée dans la mesure où la loi votée par le Parlement
n
était soumise à aucun contrôle. Il suffisait donc à un parti ou à une coalition
d
être politiquement majoritaire au Parlement (ou même seulement à lAssem-
blée nationale) pour modifier
de facto la Constitution sans la soumettre à une
révision formelle. Ce n
est plus possible désormais. La hiérarchie des normes ne
concerne d
ailleurs pas seulement les rapports entre la Constitution et la loi. En
cas de conflit entre un traité et une loi, les juridictions administratives et judi-
ciaires font prévaloir le traité, conformément à l
interprétation que le Conseil
constitutionnel a donné en 1975 (décision IVG) de l
article 55 de la Constitu-
tion. Et, ainsi qu
on la déjà signalé, le Conseil constitutionnel lui-même vérifie
si les lois de transposition des directives ne sont pas manifestement contraires
aux dispositions de celles-ci (v.
supra no 704).
2. Léquilibre des pouvoirs
787. Léquilibre des pouvoirs est lune des principales raisons qui ont été
avancées en 1958 pour justifier la création du Conseil constitutionnel. À
l
époque il sagissait essentiellement dempêcher le Parlement dempiéter sur
les prérogatives du gouvernement. Mais les nouvelles procédures de saisine
introduites en 1974 et en 2008 ont permis au Conseil de mettre en valeur d
au-
tres équilibres institutionnels. Les nombreuses saisines parlementaires interve-
nues depuis 1974 lui ont fourni l
occasion dexercer un contrôle approfondi sur
la procédure législative et le fonctionnement interne du Parlement : il a ainsi
contribué à fixer les règles concernant par exemple le rôle du Sénat, les limites
du droit d
amendement. ou encore, depuis la réforme de 2008, les droits spéci-
fiques accordés aux groupes d
opposition ainsi quaux groupes minoritaires des
assemblées. En 2012, il a censuré les dispositions du règlement de l
Assemblée
nationale autorisant un groupe politique à se doter d
une co-présidence paritaire,
au motif que les groupes qui utiliseraient cette possibilité seraient avantagés par
rapport aux autres, dans la mesure où la co-présidence faciliterait l
exercice de
certaines attributions
45. En sappuyant sur larticle 66 C, qui érige lautorité
judiciaire en « gardienne de la liberté individuelle », il a sanctionne également
les empiétements d
une autorité administrative sur les compétences de celle-ci.
Par exemple, dans une décision récente, rendue à la suite dune QPC, le Conseil
a statué pour la première fois sur l
hospitalisation sans leur consentement des
personnes souffrant de troubles mentaux : il a jugé qu
une telle hospitalisation
ne pouvait être prolongée au-delà de quinze jours sur la base d
un simple certi-
ficat médical et sans intervention de l
autorité judiciaire46. Cette décision ne
45. Décision nº 2013-664 DC du 28 février 2013.
46. Décision 2010-71 QPC du 26 novembre 2010.
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758
Droit constitutionnel
concerne pas seulement léquilibre des pouvoirs mais aussi la défense des droits
et libertés.
3. La défense des droits et libertés.
788. Cest sur recours des parlementaires (généralement ceux de lopposi-
tion) et, depuis 2010, sur questions prioritaires soulevées par un plaideur que
le Conseil constitutionnel exerce ce qui constitue sans doute aujourd
hui sa mis-
sion la plus importante, c
est-à-dire le contrôle du respect des droits et libertés
fondamentaux. À cet égard, les principes découlant de sa jurisprudence intéres-
sent pratiquement toutes les disciplines juridiques, y compris celles que l
on
rattache traditionnellement au droit privé, comme le droit du travail, le droit
pénal ou le droit des affaires.
La décision qui a entraîné les changements les plus spectaculaires est proba-
blement celle qui a été rendue le 30 juillet 2010, à la suite de l
une des premiè-
res QPC. Elle a abouti à l
abrogation de lensemble des articles du Code de
procédure pénale régissant le régime de la garde à vue de droit commun. Pour
remplacer ces articles, le gouvernement a dû faire adopter par le Parlement une
nouvelle loi (loi du 14 avril 2011) qui autorise désormais la présence des avo-
cats pour assister leurs clients en garde à vue dès la première heure
47.
Théoriquement, le Conseil constitutionnel se borne à faire respecter des
droits ou libertés préexistants à sa jurisprudence, et dont l
origine se situe soit
dans un texte adossé à la Constitution (Déclaration de 1789, le Préambule de
1946 ou plus rarement la Charte de l
environnement), soit dans les « principes
fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Mais encore faut-il
concilier ces droits et libertés dont les implications sont souvent contradictoires,
et les adapter à l
évolution du contexte social, économique ou technologique. À
cet égard, le rôle du Conseil constitutionnel est double. D
une part, il vérifie si
un droit ou un objectif de valeur constitutionnelle n
a pas été trop sacrifié à un
autre, par exemple la garantie du pluralisme de la presse écrite à la liberté d
en-
treprise, la dignité de la personne humaine à l
intérêt de la recherche biologique,
le principe d
égalité à la libre administration des collectivités locales, ou encore
le droit de grève au maintien de l
ordre public. Dautre part il sassure, le cas
échéant, que les garanties antérieurement accordées pour l
exercice dun droit
ou d
une liberté ont été remplacées par des garanties sinon équivalentes du
moins suffisantes : il y a donc là une sorte « d
effet cliquet » qui ninterdit pas
les réformes, mais qui limite tout de même les oscillations du balancier législa-
tif, le législateur d
aujourdhui ne pouvant pas anéantir purement et simplement
un système de protection élaboré par celui d
hier48.
47. Décision nº 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010.
48. En 1984, par exemple, le Conseil a censuré l
abrogation de certaines dispositions de la loi du
12 septembre 1968 relative à l
enseignement supérieur au motif que les garanties accordées aux ensei-
gnants par les dispositions abrogées n
étaient pas remplacées dans la loi nouvelle par des garanties
équivalentes (déc. n
o 83-165 DC du 20 janvier 1984, Rec. p. 30). Mais cet « effet cliquet » ne se mani-
feste pas dans tous les domaines. En ce qui concerne l
égal accès des femmes et des hommes aux
mandats électoraux et fonctions électives (art. 3 al. 5 C), le Conseil constitutionnel a jugé que le légis-
lateur était libre de modifier le régime électoral des assemblées parlementaires même si la modification
envisagée avait pour effet de réduire les garanties prévues pour favoriser cet égal accès (déc. n
o 2003-
475 DC du 24 juillet 2003,
Rec. p. 397).
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Justice et Constitution
759
En réalité, son rôle dépasse et de beaucoup celui de garant. En interprétant
comme il le fait la Déclaration des droits de 1789 et le Préambule de 1946, le
Conseil constitutionnel dispose aujourd
hui dun pouvoir discrétionnaire qui
fait de lui, plutôt qu
un gardien de droits et libertés définis une fois pour toutes,
un véritable législateur, capable d
exprimer des préférences politiques. Au titre
des droits fondamentaux, le Conseil constitutionnel est aussi chargé de veiller
au respect du principe d
égalité devant la loi, il doit sassurer que les différences
de traitement résultant d
une disposition législative se justifient bien par des
différences de situation et cette mission le conduit parfois à prendre position
sur des questions complexes et controversées. Ainsi a-t-il jugé qu
en raison de
la nature des sources de production de l
énergie électrique utilisées en France,
une taxe sur les activités polluantes ne pouvait pas s
appliquer à lélectricité
(déc. n
o 2000-441 DC du 28 décembre 2000). Cette appréciation est tellement
voisine d
un jugement en opportunité quon pourrait soutenir quelle présente
un caractère politique. On pourrait en dire autant des décisions qui fixent une
limite au delà de laquelle un impôt ou une cotisation sociale devrait être consi-
déré comme confiscatoire et donc attentatoire au droit de propriété. Selon la
nature des revenus en cause, cette limite est fixée tantôt à 68 %, tantôt à 75 %
sans que les raisons de ces variations soient clairement expliquées
49.
4. Le principe de sécurité juridique
789. La notion de sécurité juridique était sans doute déjà présente dans lesprit
des auteurs de la DDHC de 1789 puisque, aux termes de l
article 2, parmi les droits
naturels les plus importants dont la conservation est le but de tout association poli-
tique, figure la « sûreté ». Mais ils n
imaginaient probablement pas toutes les consé-
quences que le Conseil constitutionnel allait tirer de ce principe quelques deux cents
ans plus tard. Ces conséquences concernent à la fois le contenu et la forme des lois.
Sur le premier point, alors que la DDHC n
interdit expressément la rétroac-
tivité qu
en matière pénale (art. 8), selon le Conseil constitutionnel, le législa-
teur « méconnaîtrait la garantie des droits (...) s
il portait aux situations légale-
ment acquises une atteinte qui ne soit pas justifiée par un motif d
intérêt général
suffisant ». Cette protection accordée aux situations acquises est évidemment de
nature à freiner les audaces réformatrices du législateur.
Sur le second point, alors que les auteurs de la DDHC attribuaient à la loi
des vertus presque providentielles, le Conseil affiche une certaine méfiance
envers la négligence et les maladresses du législateur. D
une part, il interdit à
celui-ci de se lancer dans des digressions qui risqueraient de répandre la confu-
sion, d
autre part, il nhésite pas à censurer des textes pour la simple raison
qu
ils ont été mal rédigés et quils ne satisfont pas aux exigences de clarté et
dintelligibilité de la loi (voir supra nº 706).
Toutes les décisions du Conseil bénéficient dune autorité qui contraint les
citoyens et les pouvoirs publics à les respecter.
49. Voir décision nº 2012-660 DC du 29 décembre 2012.
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Droit constitutionnel
B Des décisions bénéficiant de lautorité de la chose jugée
790. Aux termes de larticle 62 C : « Une disposition déclarée inconstitu-
tionnelle sur le fondement de l
article 61 ne peut être promulguée ni mise en
application.
».
« Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de larti-
cle 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel.
».
« Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles daucun
recours. Elles s
imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités adminis-
tratives et juridictionnelles
».
Les deux premiers alinéas montrent que le contrôle abstrait a priori et le
contrôle concret
a posteriori ont des effets sensiblement équivalents qui ne dif-
fèrent que parce qu
ils sexercent à des moments différents : dans le premier
cas, la loi ne peut pas être promulguée (c
est-à-dire quelle nentrera jamais en
vigueur), dans le second elle est abrogée (c
est-à-dire quelle cesse définitive-
ment d
être en vigueur).
Le principe posé par le dernier alinéa est absolu dans lordre interne : le
il n
existe aucune
Conseil constitutionnel étant une juridiction souveraine,
voie de recours (appel ou cassation) contre ses décisions
50. Dès quelles ont
été rendues, celles-ci bénéficient donc de
lautorité de la chose jugée, ce qui
signifie qu
elles ne peuvent être remises en cause ni par lui-même, ni par une
autre autorité administrative ou juridictionnelle.
Lautorité de chose jugée sattache non seulement au dispositif de la déci-
sion (la loi est ou n
est pas conforme à la Constitution) mais aussi à ses motifs,
dans la mesure où ils constituent le « soutien nécessaire » du dispositif. Il en
résulte que lorsque le Conseil constitutionnel déclare une loi conforme à la
Constitution sous certaines réserves d
interprétation, comme il le fait fréquem-
ment, ces réserves s
imposent à toutes les autorités chargées dappliquer la loi,
c
est-à-dire à ladministration ainsi quaux juridictions administratives ou judi-
ciaires. Comme l
a rappelé en 2013 le Conseil dÉtat : « Les réserves dinter-
prétation dont le Conseil constitutionnel assortit la déclaration de conformité à
la Constitution d
une disposition législative sont assorties de lautorité absolue
de la chose jugée et lient le juge administratif pour l
application et linter-
prétation de cette disposition »
51.
Lautorité de chose jugée connaît toutefois certaines limites.
En premier lieu, le Conseil constitutionnel estime «
que lautorité qui satta-
che à ses décisions en vertu de l
article 62 de la Constitution ne lui est pas
opposable de la même manière qu
aux pouvoirs publics, aux administrations
et aux juridictions ordinaires. Il reste maître de sa jurisprudence et sa lecture
de la Constitution doit pouvoir évoluer au fil du temps
»52. En dautres termes, à
50. Cependant, en matière de contentieux électoral, un recours tendant uniquement à la rectification
d
une erreur matérielle peut être porté devant le Conseil constitutionnel lui-même (voir Salvan, 23 octo-
bre 1987,
Rec. p. 55).
51. CE 15 mai 2013, Commune de Gurmençon reproduite avec les conclusions du rapporteur in
AJDA 2013, p. 1639.
52. Conseil constitutionnel, bilan du premier semestre 1999.
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Justice et Constitution
761
loccasion dune loi nouvelle qui complète ou modifie un texte ancien, ou qui
en étend la portée, il peut lui arriver de déclarer non conforme à la Constitution
une disposition qu
il avait jugée conforme à lépoque où ce texte ancien avait
été adopté, comme il l
a fait dans sa décision no 99-410 DC du 15 mars 1999
relative à la Nouvelle-Calédonie. De la même manière, il est prévu qu
une dis-
position jugée conforme à la Constitution dans le cadre du contrôle abstrait
pourra être réexaminée par le Conseil dans le cadre du contrôle concret lors-
qu
un changement de circonstances le justifie.
En second lieu, lautorité dune décision nest absolue quà légard des litiges
concernant la même disposition, législative ou conventionnelle, que celle à pro-
pos de laquelle cette décision a été rendue. Si le litige pose un problème analogue
mais concerne une autre disposition, la décision du conseil n
aura quune autorité
scientifique ou morale, c
est-à-dire que le juge compétent pourra sen inspirer
mais ne sera pas juridiquement tenu d
adopter le même mode de raisonnement.
Par exemple, dans une décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a
interprété les dispositions de l
article 68 C concernant les conditions de mise en
jeu de la responsabilité pénale du Président de la République. Cette décision avait
été rendue à propos du traité sur la Cour pénale internationale. Or, à peu près au
même moment, les autorités judiciaires ont été saisies de plaintes dirigées contre
le Président de la République, Jacques Chirac, concernant des faits qui s
étaient
produits avant son élection. D
après la décision du Conseil constitutionnel du
22 janvier 1999 sur la Cour pénale internationale, elles auraient dû se déclarer
incompétentes, l
article 68 C interdisant les poursuites pendant la durée du man-
dat, sauf devant la Haute Cour de justice. Mais, dans son arrêt
Breisacher du
10 octobre 2001, la Cour de cassation a relevé que l
affaire dont elle était saisie
ne concernait pas le traité sur la Cour pénale internationale, car il s
agissait dap-
pliquer le Code de procédure pénale français. Elle en a déduit que la décision du
Conseil constitutionnel n
avait, dans ce cas, quune simple autorité morale, et non
l
autorité de la chose jugée (Hamon, 2002)53. Néanmoins, dans la pratique, même
lorsquil ny a pas autorité de chose jugée, les plus hautes juridictions françaises
s
efforcent de ne pas trop diverger dans leur interprétation de la Constitution, afin
de préserver la cohérence du droit.
Enfin, lautorité de chose jugée ne fait pas obstacle à ce quune décision du
Conseil constitutionnel puisse être remise en cause devant une juridiction inter-
nationale, et notamment devant la Cour européenne des droits de l
Homme. On
sait que cette Cour peut être saisie, après épuisement des voies de recours inter-
nes, par toute personne qui prétend avoir subi, du fait d
un acte des autorités
publiques françaises, une atteinte à l
un des droits reconnus par la Convention
européenne des droits de l
Homme. La Cour européenne peut ainsi être
Selon lactuel secrétaire général du Conseil constitutionnel, Marc Guillaume, cette conception de
53.
l
autorité de la chose jugée est trop restrictive. Il estime que le Conseil dÉtat et la Cour de cassation
devraient reconnaître au Conseil en matière constitutionnelle la même autorité que celle qu
ils recon-
naissent à la CJUE (Cour de Luxembourg) en matière de droit de l
Union européenne et à la Cour EDH
(Cour de Strasbourg) en matière de droit européen des droits de l
homme. En dautres termes, ils
devraient admettre que les décisions du Conseil ont l
autorité de la chose jugée non seulement par
rapport aux textes législatifs sur lesquels il a statué mais aussi par rapport aux articles de la Constitu-
tion qu
il a interprétés. (cf. M. GUILLAUME, « Lautorité des décisions du Conseil constitutionnel :
vers de nouveaux équilibres »,
CCC, no 30, 2011, p. 49-75).
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762
Droit constitutionnel
conduite à porter une appréciation sur la jurisprudence ou même sur le fonction-
nement interne du Conseil constitutionnel. Mais elle ne peut pas directement
casser ou réformer une décision rendue par celui-ci. Sans doute, l
État français
est-il tenu du point de vue du droit international d
exécuter les arrêts de la Cour,
à défaut il ne peut dailleurs être condamné quà des sanctions pécuniaires ,
mais du point de vue du droit constitutionnel, cest-à-dire du droit interne, les
normes constitutionnelles sont suprêmes
54. En pratique, cependant, pour des rai-
sons politiques, les juridictions françaises, y compris le Conseil constitutionnel,
conforment leurs jurisprudences à celle des juridictions internationales
55.
Certains auteurs estiment que lautorité de chose jugée telle quelle existe
actuellement est insuffisante pour permettre au Conseil de jouer pleinement son
rôle car elle ne lui permet pas d
imposer aux autres juridictions, et spécialement
aux deux cours suprêmes (Conseil d
État et Cour de cassation), le respect de la
manière dont il interprète la Constitution. Ils souhaiteraient que l
autorité de
chose jugée soit complétée par « une autorité de chose interprétée » à peu près
semblable à celle qui existe en droit de l
Union européenne. Daprès larticle 220
du traité CE, les organes juridictionnels de l
Union (cest-à-dire la CJUE et le
Tribunal de première instance) « assurent, dans le cadre de leurs compétences
respectives, le respect du droit dans l
interprétation et lapplication » des traités.
Dans la définition de leur mission, l
accent est mis sur lunification de la fonction
d
interprétation à lintérieur de la Communauté et cest bien lobjet de la princi-
pale procédure de saisine qui permet à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur
l
interprétation de nimporte quel disposition de droit communautaire originel
ou dérivé. Au contraire, le Conseil constitutionnel français n
est pas chargé, tout
au moins de façon explicite, d
unifier linterprétation de la Constitution. Il lui est
seulement demandé de contrôler la conformité de certains actes à la Constitution
et de veiller à la régularité de certaines opérations. Sans doute est-il obligé, pour
ce faire, dinterpréter certaines dispositions de la Constitution mais il nest nulle
part affirmé que ces interprétations seront appelées à devenir des vérités absolues
que toutes les juridictions devront respecter, quelles que soient les circonstances
et la nature des litiges qu
elles auront à trancher. Mais selon Marc Guillaume,
secrétaire général du Conseil constitutionnel, l
autorité de chose interprétée pour-
rait se justifier par le principe de la spécialisation des juridictions : « Au total, il
revient au juge ordinaire d
interpréter la loi civile et pénale sans que la cour
constitutionnelle substitue son interprétation à la sienne ; en revanche, la Cour
constitutionnelle a le monopole de l
interprétation de la Constitution »56. Mais
pour que « l
autorité de chose interpretée » devienne une réalité, il faudrait quelle
soit sanctionnée par la jurisprudence administrative et judiciaire, ce qui suppose-
rait que la Cour de cassation et le Conseil d
État se rallient à cette théorie, ce qui
ne semble pas être le cas pour le moment tout au moins. Les décisions du Conseil
54. Voir les Cahiers du Conseil constitutionnel, no 9, 2000, p. 93 s. et supra no 695.
55. La procédure suivie par le Conseil constitutionnel en matière de contentieux électoral a été
contestée dans l
affaire Jean-Pierre Bloch, mais la requête a finalement été rejetée sur le fond par la
Cour européenne des droits de l
Homme (v. supra no 546). Cf. également CEDH, 28 octobre 1999,
Zielinski et Pradal et Gonzales et autres c/ France.
56. M. GUILLAUME, « Lautorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équi-
libres ? », in
NCCC, nº 30, 2011, p. 70.
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Justice et Constitution
763
ne sont donc revêtues que de lautorité de chose jugée, avec toutes les limitations
que cela comporte.
À lavenir, toutefois, la situation pourrait changer grâce à la complémenta-
rité des voies de recours.
C La complémentarité des voies de recours
791. Depuis la réforme du 23 juillet 2008, la France est lun des rares pays
où la conformité d
une loi à la Constitution peut être contrôlée avec une relative
facilité, avant sa promulgation d
abord (sous forme de contrôle abstrait), puis
après sa promulgation (sous forme de contrôle concret). Contrairement à une
opinion assez largement répandue, ces deux formes de contrôle ne font pas
double emploi et on peut même estimer qu
elles sont, dans une certaine mesure,
complémentaires. D
un côté, le contrôle a priori fondé sur larticle 61-C est le
seul réellement efficace pour sanctionner les atteintes au droit constitutionnel
institutionnel, car il est mis en mouvement par des parlementaires, cest-à-dire
par les acteurs des batailles de procédure auxquelles a donné lieu l
adoption de
la loi. D
un autre côté, le contrôle a posteriori assure dune manière plus com-
plète la suprématie du droit constitutionnel substantiel, parce qu
il peut être mis
en mouvement par ceux-là même qui sont les titulaires des droits fondamentaux
que l
on a voulu protéger, et à un moment où lapplication de la loi a permis de
mettre en lumière toutes ses potentialités.
Nul cependant ne saurait nier que, entre 1974 et 2008, le Conseil constitution-
nel a beaucoup contribué à développer le droit constitutionnel substantiel, bien
que, durant toute cette période, il n
ait pu pratiquer quun contrôle abstrait a
priori
. Mais une partie importante de ce droit constitutionnel substantiel est conte-
nue dans des directives d
interprétation adressées aux autorités juridictionnelles
ou administratives chargées de l
application de la loi et, avant la réforme de
2008, le Conseil n
avait pas la possibilité de les rappeler à lordre si elles sen
écartaient. On pourrait penser que cette lacune est aujourd
hui comblée grâce à
la QPC mais ce n
est pas absolument certain car cette réforme donne au Conseil
d
État et à la Cour de cassation un pouvoir de filtrage quils pourraient être tentés
d
utiliser pour écarter systématiquement les questions relatives à la méconnais-
sance d
une directive dinterprétation. Et, ainsi quon la déjà signalé, la Cour
de cassation se montre très soucieuse de préserver son propre pouvoir d
inter-
prétation des lois (v.
supra no 775).
Cest pourquoi une partie importante de la doctrine estime que la réforme de
2008 appelle un complément pour éviter que le filtrage des QPC par le Conseil
d
État et la Cour de cassation puisse aboutir à un blocage empêchant le Conseil
de statuer sur certaines questions. On peut envisager trois grands types de solu-
tions :
La suppression du filtre des cours suprêmes, cest-à-dire la possibilité pour
tout tribunal de saisir directement le Conseil d
une question préjudicielle de consti-
tutionnalité. Ainsi qu
on la déjà signalé, cest le système en vigueur dans la plu-
part des pays voisins (Allemagne, Italie, Espagne).
La possibilité pour les plaideurs dinterjeter appel devant le Conseil
contre une décision négative du Conseil dÉtat ou de la Cour de cassation.
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Droit constitutionnel
La transmission systématique de toutes les décisions de rejet au Conseil
constitutionnel et la possibilité pour celui-ci d
évoquer laffaire si le rejet lui
paraît injustifié.
Quelle que soit la solution retenue, elle se traduira par un surcroît de travail
pour le Conseil car il lui faudra participer au filtrage des questions, alors que la
réforme de 2008 lui permet de sen remettre entièrement sur ce point au Conseil
dÉtat et à la Cour de cassation. Mais il devrait pouvoir y faire face puisque la
plupart des cours étrangères y sont parvenues. Il est vrai que cela supposerait
probablement une certaine décentralisation de son mode de fonctionnement. Les
QPC étant trop nombreuses pour être examinées toutes en formation plénière, le
Conseil devrait se diviser en sections comprenant chacune deux ou trois mem-
bres. Cette méthode est déjà utilisée pour l
examen des recours en matière de
contentieux électoral mais, dans ce cas, les sections n
ont quun rôle dinstruction
(v.
supra no 546), la décision finale devant toujours être prise en assemblée plé-
nière. S
il sagissait de filtrer les QPC, les sections devraient au contraire disposer
d
un certain pouvoir de décision pour rejeter définitivement un recours ou le
transmettre à l
assemblée plénière, et une telle responsabilité suppose davantage
de qualifications juridiques que l
instruction dun litige électoral57. Cest pourquoi
la réforme de la QPC est liée à des problèmes plus généraux qui demeurent en
suspens.
D Des problèmes en suspens
792. Le problème le plus grave, et qui ne sera sans doute jamais véritable-
ment résolu, est que l
on trouve toujours une fraction de lopinion qui conteste
la légitimité de l
action du conseil. Sa jurisprudence a souvent été critiquée par
les gouvernants en place, qu
ils fussent de droite ou de gauche. On la comparé
à une troisième chambre. On lui reproche parfois de chercher à instaurer un
« gouvernement des juges » (Troper, 2001).
En 1993, par exemple, à la suite dune décision relative aux modalités doc-
troi du droit d
asile, le sénateur Étienne Dailly qui fut dailleurs plus tard
nommé au Conseil constitutionnel
avait proposé de réviser la Constitution
pour exclure le Préambule de 1946 des normes de référence utilisées par le
Conseil. Cette proposition ne fut pas retenue. Mais le Premier ministre de
l
époque, Édouard Balladur a déclaré, devant le Parlement réuni en Congrès à
Versailles, que le Conseil constitutionnel exerçait le contrôle de conformité «
au
regard de principes généraux parfois plus philosophiques et politiques que juri-
diques ».
Il y avait assurément une part de vérité dans ce jugement : les principes figu-
rant dans la Déclaration de 1789 ou le Préambule de 1946 ne sont évidemment
pas dépourvus dambiguïtés et laissent un très large pouvoir dappréciation,
dont disposent dailleurs toutes les juridictions constitutionnelles.
57.
Il est parfois proposé que chacun des membres du Conseil puisse recruter quelques assistants
parmi les meilleurs diplômés des facultés de droit, comme cela se pratique à la Cour suprême des
EUA. Ces assistants seraient charges d
effectuer un premier tri et de signaler à lattention de leur
patron les QPC qui paraissent appuyées sur des moyens sérieux.
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Justice et Constitution
765
Pourtant, si le Conseil constitutionnel exerce incontestablement un rôle poli-
tique important, on ne peut parler de gouvernement des juges que si des juges
exercent l
essentiel du pouvoir, ce qui nest évidemment pas le cas. Si par
contre cette expression signifie seulement que des juges sont associés au gou-
vernement, alors il faut reconnaître que le Conseil constitutionnel gouverne
effectivement.
On constate dailleurs quil fait de son pouvoir un usage modéré et quil na
jamais bloqué le processus des alternances politiques : il ne s
est en effet prati-
quement jamais opposé au principe même d
une grande réforme, comme les
lois de nationalisation en 1981, les privatisations en 1986, ou le mariage entre
deux personnes du même sexe en 2013. Il s
est borné à en préciser certaines
modalités d
application. Et il lui arrive souvent de rappeler quil ne détient pas
«
un pouvoir général dappréciation et de décision identique à celui du Parle-
ment
» (déc. nº 74-54 DC du 15 janvier 1975), ce qui revient à dire quil sinter-
dit au moins en principe, de remettre en cause les choix politiques effectués par
la majorité parlementaire.
De toute manière, même lorsque le Conseil constitutionnel rend un verdict
du type « non pur et simple », ce n
est pas nécessairement lui qui aura le dernier
mot. Le gouvernement et sa majorité parlementaire peuvent encore essayer d
at-
teindre leurs objectifs en modifiant la norme de référence sur laquelle il s
ap-
puie. Une fois la Constitution révisée, la loi pourra être adoptée. Telle a d
ail-
leurs été la démarche suivie en 1993 par E. Balladur à propos de la réforme du
droit d
asile : cette réforme, qui sétait dabord heurtée à une décision du
Conseil, a pu finalement être réalisée après l
insertion dune nouvelle disposi-
tion dans la Constitution (art. 53-1). Le gouvernement Jospin a procédé de la
même manière pour introduire des discriminations positives en faveur des popu-
lations autochtones de la Nouvelle-Calédonie, en 1998, et en faveur des fem-
mes, en 1999. Le Conseil constitutionnel n
a dailleurs jamais contesté la légi-
timité des modifications apportées à la Constitution en vue de surmonter un
obstacle dressé par sa jurisprudence. Il se considère moins comme un censeur
que comme un « aiguilleur », c
est-à-dire quune déclaration dinconstitutionna-
lité signifie simplement que la réforme envisagée ne peut pas être adoptée par la
voie législative ordinaire. Et s
il se refuse à exercer un contrôle même très réduit
sur les lois de révision, c
est pour bien marquer quil respecte le droit du sou-
verain de changer sa Constitution.
Un second problème, dont la réforme de juillet 2008 na fait que souligner
l
importance, est le contraste entre létendue des pouvoirs juridictionnels dont
dispose aujourd
hui le conseil et le caractère toujours plus ou moins politique de
son mode de composition. Ainsi qu
on la déjà signalé, cette contradiction
explique au moins en partie la méfiance que manifestent encore à son égard
les milieux de la haute magistrature judiciaire ou administrative. Et cest aussi
probablement l
une des raisons qui expliquent que lon nait pas voulu lui lais-
ser la responsabilité de filtrer lui-même les recours préjudiciels, comme le font
la plupart des cours étrangères. Mais si on laisse de côté le problème posé par
les anciens présidents de la République, qui ne pourra être réglé que par une
révision constitutionnelle, le mode de composition du conseil est susceptible
d
évoluer de façon coutumière, comme cela sest produit aux États-Unis où
petit à petit, grâce au rôle joué par le Sénat dans le processus de nomination
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Droit constitutionnel
des juges, il a été admis par tout le monde que seuls pourraient siéger à la Cour
suprême des juristes professionnels hautement qualifiés.
Enfin, on sétonne parfois que, à la différence des arrêts de la Cour suprême des
États-Unis et de ceux du Tribunal constitutionnel allemand, les décisions du
Conseil constitutionnel français ne soient jamais accompagnées d
opinions dissi-
dentes (celle dun juge qui désapprouve le sens de la décision et propose une
autre solution) ou concordantes (celle dun juge qui approuve le sens de la décision
tout en la justifiant par d
autres motifs) (Mastor, 2005). De telles opinions sont
souvent considérées comme un facteur d
enrichissement de la jurisprudence consti-
tutionnelle, car elles soulignent la complexité des problèmes et laissent entrevoir les
revirements ou les évolutions possibles. Mais à cet égard la situation des membres
du Conseil constitutionnel ne diffère pas de celle des autres magistrats français, la
règle du secret des délibérés, telle qu
on lentend en France selon une conception
très restrictive, interdisant à un juge minoritaire de se désolidariser de ce qui a été
décidé par la majorité. En France et dans la plupart des pays latins (à l
exception
toutefois de l
Espagne) on craint que la publication dopinions dissidentes ou
concurrentes nuise à l
autorité de la justice en attirant lattention sur les divisions
qui existent en son sein. En ce qui concerne plus particulièrement le Conseil consti-
tutionnel, qui examine souvent des textes politiquement controversés, permettre la
publication d
opinions dissidentes ou concordantes aboutirait sans doute à rendre
plus difficile la conciliation des différents points de vue, certains membres pouvant
être tentés de cultiver leur singularité plutôt que de rechercher des compromis
58.
En dautres termes, au moins depuis la Révolution, la conception française
de la décision juridictionnelle repose sur cette fiction qu
elle exprime non pas
un rapport de forces ou un compromis mais la « vérité » du texte. Or une vérité
ne peut pas dépendre d
un vote et ne saurait souffrir dopinions dissidentes ou
même concordantes. Pourtant des voix se font entendre en faveur de l
introduc-
tion de telles pratiques
59 : lun des arguments invoqués est que le texte même
des décisions du Conseil constitutionnel fait déjà souvent apparaître un balan-
cement entre des principes opposés. Celui que lon fait prévaloir est ainsi doté
d
une suprématie seulement relative, liée au contexte dune loi particulière.
Dans ces conditions ne vaudrait-il pas mieux reconnaître franchement qu
il
n
existe pas de vérité jurisprudentielle absolue et quune appréciation différente
aurait pu éventuellement l
emporter ?
La question mérite dautant plus dêtre posée que, depuis le 1er janvier 2008,
les délibérations vieilles d
au moins vingt-cinq ans du Conseil constitutionnel
sont accessibles aux chercheurs, et peuvent même être rendues publiques à l
ex-
piration de ce délai. Puisque l
on a finalement renoncé, pour le passé, à la fic-
tion d
un Conseil unanime, est-il vraiment nécessaire de la maintenir pour le
présent ?
58. Cette question nest dailleurs pas sans incidence sur lorganisation interne des juridictions
constitutionnelles. Là où, comme aux États-Unis, la publication des opinions dissidentes ou concordan-
tes est permise, chaque juge dispose généralement d
un ou plusieurs assistants, qui peuvent laider à
concevoir et à rédiger sa propre opinion. En France, au contraire, les assistants juridiques travaillant
pour le Conseil constitutionnel sont en «
pool », cest-à-dire quils reçoivent leurs instructions du pré-
sident ou du secrétaire général.
59. Un ancien membre du Conseil constitutionnel a même expliqué que, faute de pouvoir publier
une opinion dissidente, il avait été tenté de démissionner pour manifester son désaccord (Joxe, 2010).
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Justice et Constitution
767
Section 2
Les juridictions judiciaires et administratives
793. Certains des principes relatifs à lorganisation et au fonctionnement
des juridictions ordinaires sont de nature constitutionnelle, quils aient été
énoncés dans le texte de la Constitution ou que le Conseil constitutionnel
ait proclamé qu
il sagit de principes fondamentaux reconnus par les lois de
la République. Cependant, seuls un petit nombre de principes jugés essentiels
possèdent cette valeur constitutionnelle et la Constitution actuelle, contraire-
ment à beaucoup d
autres, ne contient aucune règle relative à lorganisation
de la Cour de cassation, ou du Conseil d
État et très peu de principes de pro-
cédure. La raison se trouve dans la conception française de l
autorité judi-
ciaire
le titre VIII de la Constitution qui lui est consacré est dailleurs inti-
tulé « autorité » et non « pouvoir judiciaire » et ne comporte que deux articles
qui représente un compromis entre plusieurs idées différentes.
Tout dabord la fonction juridictionnelle est perçue comme une fonction de
stricte application des lois. Si le législateur doit selon cette conception s
abstenir
de s
immiscer dans les procès, cest à lui quil appartient dorganiser le service
de la justice, comme il organise les autres services publics. C
est pourquoi la
plupart des règles relatives aux juridictions sont énoncées sous forme de lois
ordinaires ou organiques. La Constitution se limite à un petit nombre de princi-
pes fondamentaux que le législateur doit respecter. Il s
agit avant tout de prin-
cipes de procédure pénale, énoncés à l
article 66 de la Constitution (« Nul ne
peut être arbitrairement détenu. L
autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par
la loi
»), dans la Déclaration des droits de lHomme ou résultant de la jurispru-
dence du Conseil constitutionnel.
Mais cette idée doit se concilier avec la séparation des pouvoirs qui, même
entendue dans son sens négatif (v.
supra no 88) interdit au pouvoir législatif
ou au pouvoir exécutif d
exercer aussi la fonction juridictionnelle, donc de
faire pression sur les juges. Le principe de séparation des pouvoirs implique
donc celui de l
indépendance de la magistrature. Celle-ci serait compromise si
les carrières des magistrats dépendaient du pouvoir exécutif comme celles des
autres fonctionnaires ou même si les règles relatives à ces carrières pouvaient
être modifiées en forme de loi par la majorité du moment. C
est donc la
Constitution elle-même qui les énonce.
Enfin, on estime que de même que le pouvoir exécutif ne saurait simmis-
cer dans les procès, les tribunaux ne doivent pas intervenir dans l
exercice du
pouvoir exécutif ou de ladministration. Or on considère en France depuis la
Révolution que juger l
administration cest administrer. Les procès auxquels
l
administration est partie sont donc soustraits à leur compétence et relèvent
de juridictions spéciales, dites « juridictions administratives », qui forment un
ordre juridictionnel distinct, placé sous l
autorité du Conseil dÉtat comme les
juridictions dites judiciaires sont placées sous celle de la Cour de cassation. La
séparation des juridictions administratives et judiciaires a été instituée par la
loi, mais le Conseil constitutionnel a jugé que le principe selon lequel le
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Droit constitutionnel
contentieux des décisions prises par le pouvoir exécutif et ses agents, dans
l
exercice de leurs prérogatives de puissance publique, relève de la compé-
tence de la juridiction administrative, fait partie des « principes fondamentaux
reconnus par les lois de la République », qui sont dotés d
une valeur constitu-
tionnelle (déc. nº 224-DC du 23 janvier 1987, cons. 15).
§ 1. La justice judiciaire
794. La Constitution consacre à lautorité judiciaire, un titre spécial, le
titre VIII, qui pose quelques principes essentiels et prévoit l
intervention dune
loi organique pour fixer le statut des magistrats.
Lautorité judiciaire comprend deux sortes de magistrats : dune part, les
magistrats du siège qui rendent les jugements ou les arrêts, et qui détiennent
donc le pouvoir de décision au sein de l
ordre judiciaire ; dautre part, les
magistrats du parquet qui représentent auprès des tribunaux l
intérêt collectif
de la société, et dont le rôle consiste notamment à prendre des réquisitions en
matière pénale. Ils ne participent pas au jugement des affaires, et la décision
judiciaire appartient exclusivement aux magistrats du siège.
Les règles applicables à ces deux sortes de magistrats sont distinctes, tant en
ce qui concerne le déroulement de la carrière, qu
en ce qui concerne la respon-
sabilité disciplinaire.
A La carrière des magistrats judiciaires
795. Dun point de vue constitutionnel, cest surtout lindépendance des
magistrats du siège quil convient de garantir car les décisions les plus lourdes
de conséquences en ce qui concerne les libertés, notamment le placement en
détention provisoire et le prononcé des peines d
emprisonnement, relèvent
exclusivement de leur compétence.
Larticle 64 de la Constitution précise que les magistrats du siège sont ina-
movibles, ce qui signifie qu
ils ne peuvent pas être déplacés sans leur consente-
ment, même si c
est en avancement. Il y a déjà là une garantie relativement
importante : un magistrat du siège ne peut pas faire l
objet dune mutation dof-
fice qui serait destinée à l
empêcher de participer au jugement dune affaire.
Mais linamovibilité nest pas une garantie suffisante pour assurer lindépen-
dance des magistrats. En effet ceux-ci, comme les autres fonctionnaires, ont
vocation à faire une carrière, c
est-à-dire à occuper des postes de plus en plus
élevés à lintérieur de la hiérarchie judiciaire. Le risque existe donc que le pou-
voir politique tente de faire pression sur les magistrats, et en particulier sur les
magistrats du siège, en leur promettant des promotions intéressantes et rapides.
D
après larticle 64 de la Constitution, le Président de la République « est
garant de l
indépendance de lautorité judiciaire » et il est « assisté par le
Conseil supérieur de la magistrature ».
Mais compte tenu des pratiques politiques de la Ve République, il nest pas
certain que cette garantie présidentielle soit toujours efficace. Les pressions
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Justice et Constitution
769
susceptibles dêtre exercées sur les magistrats judiciaires peuvent en effet pro-
venir du gouvernement. Or, sauf peut-être durant les périodes de cohabitation,
le Président de la République apparaît en fait, sinon en droit, comme le véritable
chef du gouvernement. On peut donc se demander s
il nest pas lui-même trop
profondément engagé dans la vie politique pour jouer un rôle d
arbitre entre
lautorité judiciaire et les autres pouvoirs de lÉtat.
Quant au Conseil supérieur de la magistrature, qui doit lassister, le texte
initial de la Constitution de 1958 l
avait placé sous la dépendance quasiment
complète du chef de l
État. Le Président de la République en nommait les mem-
bres et le présidait. Le rôle du CSM consistait essentiellement à donner des avis
pour toutes les mesures importantes concernant la gestion de la carrière des
magistrats. Mais, dans la plupart des cas, ces avis n
étaient que consultatifs et
la décision définitive appartenait au Président de la République.
Au total, le Président de la République avait donc une emprise très forte sur
la carrière des magistrats, et notamment sur celle des magistrats du siège.
Mais depuis une vingtaine dannées, à la suite de quelques grandes affaires
impliquées des personnalités politiques
judiciaires dans lesquelles étaient
(financement occulte des campagnes électorales, délits d
initiés,
ingérence,
scandale du sang contaminé, etc.), les relations entre l
autorité judiciaire et les
milieux gouvernementaux se sont considérablement détériorées : certains diri-
geants politiques, voire certains membres du gouvernement en place, repro-
chaient à des magistrats de les harceler pour tenter de les déstabiliser ; de leur
côté, les magistrats accusaient le pouvoir politique de ne pas respecter leur indé-
pendance et d
exercer sur eux des pressions en vue de sopposer à certaines
investigations.
Cest pour tenir compte de ces circonstances que le titre VIII de la Constitu-
tion a été modifié en deux temps : en 1993 d
abord, selon les orientations pro-
posées par le rapport du comité Vedel ; en 2008, ensuite, selon les orientations
proposées par le rapport du comité Balladur. Ces modifications portent princi-
palement sur la composition et les pouvoirs du CSM.
B La composition du Conseil supérieur de la magistrature
796. Depuis 2008, il nest plus présidé par le Président de la République, ce
qui traduit la volonté d
affirmer son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif.
Il comprend deux formations distinctes, l
une compétente à légard des magis-
trats du siège et présidée par le premier président de la Cour de cassation, et
l
autre compétente à légard des magistrats du parquet, et présidée par le procu-
reur général près la Cour de cassation. Ce sont ces formations qui exercent les
attributions les plus importantes. La formation plénière nest réunie que pour
répondre à des demandes d
avis formulées par le Président de la République
ou par le ministre de la Justice.
En 1993, on avait voulu quil y eût parité, au sein de chaque formation, entre
un collège professionnel (six magistrats désignés par leurs collègues
60) et un
60. Cinq magistrates du siège et un magistrat du parquet pour la formation compétente à légard du
siège, les proportions étant inverses pour la formation compétente à l
égard du parquet.
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Droit constitutionnel
collège non professionnel (six personnalités extérieures désignées de différentes
manières).
Mais, en 2008, en vue de lutter contre le corporatisme, la parité a été rompue
au profit des non professionnels, qui sont désormais au nombre de huit, alors
que le nombre des représentants des magistrats n
a pas changé. De plus, le col-
lège des non professionnels ne représente plus principalement ladministration
ou lautorité hiérarchique : si lon y trouve toujours un conseiller dÉtat, il com-
prend également un avocat et six personnalités qualifiées qui n
appartiennent ni
au Parlement, ni à l
ordre judiciaire, ni à lordre administratif. Ces personnalités
sont désignées par le président de la République et les présidents des deux
assemblées selon les mêmes modalités que les membres du Conseil constitu-
tionnel. Dans sa version initiale, le projet de loi constitutionnelle déposé en
mars 2013 par le président Hollande prévoyait une nouvelle modification de
l
article 65 C qui donnait au contraire lavantage au collège professionnel : il y
aurait eu, dans chacune des deux formations, huit magistrats désignés par leurs
collègues contre seulement six personnalités extérieures. Cette réforme, qui ten-
dait à renforcer l
influence des syndicats de magistrats, a été critiquée par les
parlementaires, de droite comme de gauche, qui redoutent que l
indépendance
de la magistrature ne tourne au corporatisme. C
est pourquoi le texte adopté en
première lecture par l
Assemblée nationale prévoit de rétablir la parité entre les
professionnels et les non professionnels.
797. Les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature ont été considéra-
blement renforcés surtout en ce qui concerne les magistrats du siège.
Pour ces derniers, le Conseil dispose désormais dun véritable pouvoir de
décision : les nominations, les promotions doivent être faites tantôt sur sa pro-
position, tantôt sur son avis conforme, ce qui signifie que son accord est tou-
jours indispensable. Pour les magistrats du parquet, en revanche, son rôle
demeure relativement limité : il ne donne que des avis sur les nominations ou
les promotions. Dans lun de ses rapports annuels, le Conseil supérieur de la
magistrature a regretté que la nomination des magistrats du parquet n
obéisse
pas aux mêmes règles que celle des magistrats du siège car «
ces particularités
nourrissent, à l
intérieur même du corps judiciaire mais aussi dans lopinion
publique, un soupçon sur lindépendance des magistrats concernés vis-à-vis
du pouvoir politique et sur leur liberté daction... »61.
Il sagit là dune revendication ancienne qui repose sur des arguments théo-
riques et pratiques.
Sur le plan théorique, on fait valoir que les magistrats du parquet font partie
de la magistrature, qu
ils reçoivent la même formation que leurs collègues du
siège et que, au cours de leur carrière, tous les magistrats peuvent occuper indif-
féremment des fonctions du parquet et des fonctions du siège. Ils devraient donc
bénéficier des mêmes garanties dindépendance.
Sur le plan pratique, la subordination dans laquelle ils étaient placés vis-à-
vis du ministre de la Justice apparaît comme étant de nature à empêcher l
action
publique de s
exercer de la même façon à légard de tous. Le droit français
consacre en effet le principe de lopportunité des poursuites. Les membres du
61. CSM (1996) p. 47.
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parquet, avant de poursuivre une infraction dont ils ont connaissance doivent
décider s
il est opportun de le faire et ils disposent pour cela dun pouvoir
discrétionnaire. On pouvait toujours soupçonner que, dans des affaires mettant
en cause des personnalités politiques, le ministre ne donne des instructions pour
poursuivre les adversaires du gouvernement ou protéger ses amis. On réclamait
donc que le « cordon ombilical » avec le ministre soit coupé, comme il lest
dans dautres pays, en Italie par exemple, et que, non seulement le ministre ne
puisse leur donner des instructions, mais qu
il ne puisse ni les sanctionner, ni
leur accorder des promotions. S
il pouvait les punir ou les récompenser, le
ministre pourrait toujours s
assurer de leur obéissance à des instructions orales
et informelles.
À linverse, on pouvait estimer que la fonction exercée par les membres du
parquet n
est pas de nature juridictionnelle, car ils ne tranchent pas des litiges,
mais qu
elle est administrative ou exécutive, car mettre en mouvement laction
publique c
est demander au nom de lÉtat quune juridiction applique la loi. Le
caractère exécutif de la fonction ressort d
ailleurs nettement du principe de lop-
portunité des poursuites. Une autorité juridictionnelle n
est jamais censée sta-
tuer en opportunité, mais toujours dans le strict respect de la loi. Or, avec le
principe de l
opportunité des poursuites, il peut arriver quune infraction ait
été commise, que son auteur soit connu, que le sens de la loi pénale ne fasse
l
objet daucune discussion et que néanmoins le parquet décide que cette loi ne
doit pas être appliquée pour des raisons d
opportunité, qui ne sont au demeurant
même pas rendues publiques. C
est la raison pour laquelle, dit-on, cette décision
relève d
une « politique pénale ». Or la détermination dune politique, surtout
lorsqu
elle consiste à refuser lapplication de la loi, ne peut relever que dune
autorité elle-même politique. L
indépendance du parquet conduirait non seule-
ment à affaiblir le principe de légalité mais aussi à porter atteinte à l
égalité
devant la loi, puisque les politiques suivies par les procureurs pourraient être
différentes, selon lidéologie de leurs auteurs, de sorte quun type particulier
dinfraction pourrait être poursuivi dans une région et non dans la région
voisine.
Entre ces deux thèses, les pouvoirs publics balancent ou recherchent des
compromis. La réforme de 1993, qui n
accordait au CSM à légard des magis-
trats du parquet qu
un rôle consultatif, a paru évidemment insuffisante aux
tenants de la première thèse. Les ministres de la Justice successifs ont cherché
à calmer leurs inquiétudes en se défendant d
exercer le pouvoir hiérarchique de
manière partisane et en établissant des distinctions entre les interventions qu
ils
s
autorisaient et celles quils sinterdisaient. Ainsi, ils pouvaient se reconnaître
le droit d
ordonner des poursuites au moyen dun acte, qui ne serait pas secret,
mais versé au dossier, mais non de les interdire. Mais on pouvait objecter que le
ministre pourrait encore poursuivre ses adversaires politiques. Dans dautres
cas, ils ont affirmé donner des instructions générales, mais non des instructions
individuelles négatives ou positives. Mais on pouvait évidemment les soupçon-
ner de continuer à donner des instructions individuelles orales et secrètes et
d
user ensuite de leur pouvoir pour favoriser lavancement des magistrats les
plus dociles.
En 1999, un projet de révision de la Constitution tendant à accorder, aux
magistrats du parquet, les mêmes garanties de carrière qu
aux magistrats du
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siège a été déposé, dun commun accord entre le Président de la République,
J. Chirac et le Premier ministre d
alors, L. Jospin. Il a bien été approuvé en ter-
mes identiques par l
Assemblée nationale et le Sénat, et il devait être soumis au
Congrès du Parlement pour adoption définitive le 25 janvier 2000. Mais les
ultimes pointages laissaient prévoir que la majorité des trois cinquièmes exigée
par larticle 89 ne serait pas atteinte, ce qui aurait entraîné léchec de la réforme.
Lopposition à ce projet, particulièrement forte chez les parlementaires de
droite, s
explique par la crainte que, du fait de lindépendance du parquet, le
gouvernement ne soit plus en mesure de définir et de faire respecter une poli-
tique pénale. C
est pourquoi le Président de la République a finalement décidé
d
annuler la convocation du Congrès du Parlement.
En 2008, le comité Balladur sest prononcé pour le maintien de la subordina-
tion du parquet au ministre de la Justice en estimant que cette subordination cor-
respondait «
à la conception française du ministère public dans la mesure où
l
exercice de ce pouvoir par un membre du gouvernement, responsable devant
le Parlement, est la garantie d
un contrôle démocratique de la politique pénale
conduite par le pouvoir exécutif
».
Le projet de révision constitutionnelle déposé en mars 2013 par le président
Hollande prévoit que la formation compétente à l
égard du parquet émet un avis
conforme pour toutes les nominations de magistrat du parquet. Ce ne serait pas
tout à fait l
équivalent du statut des magistrats du siège puisquil nest pas prévu
de donner au CSM un pouvoir de proposition, même pour les postes les plus
élevés en grade. Mais l
exigence dun avis conforme, au lieu dun avis simple,
diminuerait l
emprise du pouvoir exécutif sur les membres du parquet. Mais il ne
paraissait pas possible de réunir une majorité des trois cinquièmes en faveur de
cette réforme au sein d
un congrès du Parlement. La réforme tendant à renforcer
les garanties d
indépendance des membres du parquet a donc été au moins provi-
soirement abandonnée. Mais le débat n
est toujours pas clos. Au cours de la cam-
pagne présidentielle de 2012, le chef de lÉtat actuellement en fonctions, François
Hollande, a annoncé son intention de modifier la constitution pour accorder aux
magistrats du parquet les mêmes garanties qu
à leurs collègues du siège. La Cour
européenne des droits de l
homme, qui siège à Strasbourg, a dailleurs déclaré
qu
en France, les membres du parquet ne sont pas suffisamment indépendants
vis-à-vis du pouvoir exécutif pour qu
on puisse les considérer comme de vérita-
bles juges au sens que la Convention EDH donne à ce terme (arrêt
Moulin/France
du 23 novembre 2010). Cette jurisprudence ninterdit pas de confier aux membres
du parquet des fonctions d
investigations ou de poursuites. Mais, à la différence
des magistrats du siège, ils ne peuvent pas être chargés du contrôle de la « garde à
vue », c
est-à-dire de la privation temporaire de liberté infligée à une personne qui
est retenue par la police pour les besoins d
une enquête. Sil en était autrement, la
France pourrait être condamnée pour infraction à larticle 5 de la Convention EDH
qui prévoit que «
toute personne arrêtée ou détenue (...) doit aussitôt être traduite
devant un juge ou un autre magistrat habilité à exercer des fonctions judi-
ciaires
».
On sest parfois appuyé sur cette jurisprudence pour soutenir que les magis-
trats du parquet devraient bénéficier du même statut et des mêmes garanties
d
indépendance que les magistrats du siège. En fait, ce nest pas ce qua voulu
dire la CEDH. Elle a simplement indiqué que, étant donné leur statut actuel, ils
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ne peuvent être considérés comme des juges et par conséquent que certaines des
compétences qu
ils exercent doivent leur être retirées pour être confiées à des
magistrats du siège, mais cela ne signifie pas qu
ils ne peuvent exercer des fonc-
tions d
investigation et de poursuite tout en conservant leur statut actuel.
C Le régime disciplinaire des magistrats judiciaires
798. Comme tous les agents publics, les magistrats du siège peuvent faire
l
objet de sanctions disciplinaires lorsquils ont commis une faute profession-
nelle. Aux termes de l
article 43 de la LO relative au statut de la magistrature :
«
Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à lhonneur, à la
délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire
». Mais laménage-
ment de leur régime disciplinaire pose un problème délicat car il s
agit de conci-
lier deux exigences antinomiques.
Dun côté, ce régime doit comporter de solides garanties afin déviter que,
par le biais de l
action disciplinaire, le pouvoir politique puisse porter atteinte à
l
indépendance dun magistrat du siège. Ces garanties concernent dabord lau-
torité compétente en la matière. À l
égard de ces magistrats, le pouvoir discipli-
naire n
est pas exercé par le ministre dont ils dépendent comme cest le cas
pour la plupart des autres agents publics
mais par une juridiction : le Conseil
supérieur de la magistrature siégeant en formation disciplinaire. L
autorité hié-
rarchique, c
est-à-dire le garde des Sceaux ou son représentant, a linitiative des
poursuites, mais il ne peut prononcer lui-même aucune sanction, à l
exception
des simples avertissements. En revanche, pour les magistrats du parquet, le pou-
voir disciplinaire appartient au garde des Sceaux et le Conseil supérieur donne
simplement un avis.
Les garanties portent également sur la notion même de faute disciplinaire :
on admettra plus facilement l
existence dune faute dans le comportement exté-
rieur d
un magistrat que dans son activité juridictionnelle parce quil est difficile
de porter un jugement sur les décisions prises dans l
exercice de cette activité
sans remettre en cause l
indépendance du magistrat, sauf sil sagit dune infrac-
tion pénale, comme par exemple la corruption.
Mais, dun autre côté, certaines décisions prises par un magistrat du siège
dans l
exercice de son activité juridictionnelle peuvent causer de graves préju-
dices (par exemple, détention provisoire en l
absence de présomptions sérieuses
ou remise en liberté d
un criminel susceptible de récidiver) et il est difficile
d
admettre que les fautes commises dans de tels domaines ne puissent pas être
sanctionnées. En 2007, en raison de l
émotion provoquée par laffaire dOu-
treau, où plusieurs personnes mises en examen ont été finalement acquittées
après avoir passé plus dune année en détention provisoire,
le Parlement,
conformément aux recommandations dune commission denquête, a modifié
la loi organique en vue de sanctionner plus efficacement certaines fautes graves
commises par les magistrats du siège. Il était prévu, d
une part, que la violation
grave et délibérée par un magistrat de certaines règles de procédure constituait
une faute disciplinaire et, dautre part, que les personnes physiques ou morales
estimant avoir à se plaindre du comportement d
un magistrat pouvaient saisir
directement le médiateur de la République d
une réclamation. Mais, sur ces
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deux points, la réforme a été invalidée par le Conseil constitutionnel pour
atteinte au principe de séparation des pouvoirs et à celui de l
indépendance de
l
autorité judiciaire.
Selon le Conseil constitutionnel, ces principes sopposent à ce que des pour-
suites disciplinaires puissent être engagées contre un magistrat pour violation
dune règle de procédure « lorsque cette violation na pas été préalablement
constatée par une décision de justice devenue définitive
» ; ils sopposent égale-
ment à ce que le médiateur de la République, qui est une autorité administrative
indépendante, puisse s
immiscer dans une affaire concernant le fonctionnement
de la justice judiciaire (déc. n
o 2007-551 DC du 1er mars 2007, cons. 6 et 11).
Il semble donc que les fautes commises par les magistrats judiciaires dans
l
exercice de leur activité juridictionnelle peuvent difficilement être sanction-
nées lorsqu
elles nont pas été préalablement constatées par lautorité judiciaire
elle-même. C
est pourquoi la loi constitutionnelle du 20 juillet 2008 a prévu
qu
un justiciable pourrait saisir non plus le médiateur ou une autre autorité
administrative mais le Conseil supérieur de la magistrature statuant en forma-
tion disciplinaire (art. 90 C avant dernier alinéa). Un tel recours a effectivement
été institué mais il est soumis à un encadrement très strict : la plainte ne peut
être déposée par un justiciable que si elle est dirigée contre le comportement
d
un magistrat à loccasion dune procédure concernant ce justiciable ; elle est
irrecevable tant que ce magistrat demeure saisi de la procédure en question ; elle
ne peut plus être présentée après l
expiration dun délai dun an suivant une
décision mettant fin à cette procédure ; elle est examinée par une commission
des requêtes qui peut la rejeter ou la renvoyer au conseil de discipline, la déci-
sion de rejet n
étant susceptible daucun recours62.
§ 2. Les juridictions administratives
799. Ainsi quon la indiqué, il existe en France deux ordres de juridictions
totalement distincts : les juridictions judiciaires, coiffées par la Cour de cassa-
tion, qui sont compétentes pour juger les litiges entre personnes privées ainsi
que les affaires pénales ; les juridictions administratives, coiffées par le Conseil
d
État, qui sont compétentes pour juger les litiges de nature non pénale qui
opposent un particulier à l
État ou à une autre personne publique. Tout ce qui
vient d
être dit ne concerne que les magistrats de lordre judiciaire. La Consti-
tution de 1958 ne s
est préoccupée que de lindépendance de ceux-ci, car ils
sont les seuls qui puissent prononcer des peines privatives de liberté.
Toutefois, les juridictions administratives ont également un rôle important à
jouer en ce qui concerne la protection des libertés publiques : sur recours pour
excès de pouvoir, elles peuvent annuler les actes administratifs (y compris ceux
dont l
auteur principal est le Président de la République63) qui portent une
62. Voir larticle 50-3 de la loi organique relative au statut de la magistrature modifié par la loi
organique du 22 juillet 2010.
63. Voir par exemple l
arrêt Canal (19 octobre 1962) par lequel le CE a annulé une ordonnance du
Président de la République créant « une cour militaire de justice ».
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atteinte non justifiée à un droit ou à une liberté. Ce contrôle de lexcès de pou-
voir s
étend aux décisions prises par une autorité administrative indépendante
comme le Conseil supérieur de l
audiovisuel (CSA). Il permet donc notamment
au Conseil d
État de veiller au respect du principe selon lequel la majorité et
l
opposition doivent avoir un égal accès aux médias audio-visuels64.
Cest pourquoi, bien que le principe de la dualité de juridictions, considéré
comme découlant de la conception française de la séparation des pouvoirs, ne
soit pas inscrit noir sur blanc dans la Constitution, le Conseil constitutionnel lui
a reconnu une valeur constitutionnelle : il s
agit de lun des « principes fonda-
mentaux reconnus par les lois de la République » (déc. nº 119-DC du 22 juillet
1980, cons. 6).
Section 3
Le Défenseur des droits
800. Sur le modèle de lombudsman scandinave et dune institution espa-
gnole plus récente, le
Defensor del Pueblo, la loi constitutionnelle du 23 juillet
2008 a créé une nouvelle autorité publique : le Défenseur des droits (art. 71-1
C). La loi organique nº 2011-333 du 23 mars 2011 le qualifie d
« autorité
constitutionnelle indépendante ». Selon le Conseil constitutionnel, cela signifie
simplement qu
il sagit « dune autorité administrative dont lindépendance
trouve son fondement dans la Constitution »
65.
À la différence de la plupart des institutions étrangères qui remplissent des
fonctions analogues, notamment de l
Ombudsman scandinave et du Defensor
del pueblo
, le Défenseur des droits est rattaché au pouvoir exécutif plutôt
qu
au Parlement. Il est nommé par le Président de la République pour un man-
dat d
une durée relativement longue (six ans), qui nest pas renouvelable, de
manière à mieux garantir l
indépendance de son titulaire. La procédure de lar-
ticle 13 C, qui prévoit la consultation préalable des commissions parlementaires
compétentes, est applicable à cette nomination. Mais l
on sait que quun avis
négatif de ces commissions ne fait pas obstacle à la nomination envisagée par
le chef de l
État, sauf sil a été rendu à la majorité des trois cinquièmes (v. supra
no 589). Une fois nommé, le Défenseur des droits bénéficie dun statut qui pro-
tège efficacement son indépendance : il ne peut être mis fin à ses fonctions que
sur sa demande ou en cas d
empêchement ; il ne reçoit aucune instruction dans
l
exercice de ses attributions ; lui-même et ses adjoints jouissent dimmunités
aussi étendues que celles applicables aux parlementaires pour
les actes
accomplis dans l
exercice de leurs fonctions66.
À en juger par larticle 71 C, le Défenseur des droits a un champ de compé-
tence à peu près équivalent à celui qu
avait le Médiateur de la République, institué
64. Voir larrêt du 8 avril 2009 invalidant une décision par laquelle le CSA avait refusé de prendre
en compte les interventions du chef de l
État pour le calcul du temps de parole accordé à la majorité.
65. Déc. nº 2011-626 DC du 29 mars 2011, cons. 5.
66. Voir l
article 2 de la LO du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits.
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par la loi en 1973 et auquel il sest substitué : il est chargé de veiller au respect des
droits et libertés par les administrations nationales ou locales, par les établisse-
ments publics, ainsi que par tout organisme investi d
une mission de service
public, même si cet organisme a un statut de droit privé. Mais il faut signaler plu-
sieurs différences importantes.
En premier lieu, son champ daction est beaucoup plus large car la loi orga-
nique précitée lui a confié des attributions qui, auparavant, relevaient de la com-
pétence d
autres autorités administratives indépendantes, notamment celles de
l
ancien Défenseur des enfants (défendre et promouvoir lintérêt supérieur et
les droits de l
enfant) et celles de lancienne HALDE (Haute autorité de lutte
contre les discriminations directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un
engagement international). Ces attributions peuvent donc l
amener à traiter des
plaintes dirigées non seulement contre un service public mais aussi contre une
personne ou une organisation privée.
En deuxième lieu, alors que le médiateur, au moins en principe, ne pouvait être
saisi que par l
intermédiaire dun parlementaire, le Défenseur des droits peut lêtre
directement par la personne qui s
estime lésée. Cette personne peut même être
mineure lorsqu
il sagit dun enfant qui invoque la protection de ses droits ou
une situation mettant en cause son intérêt. Il peut également se saisir d
office.
Enfin, le Défenseur des droits bénéficie du prestige que lui vaut sa consécra-
tion constitutionnelle, ce qui faisait défaut au médiateur dont la création avait
été l
œuvre du législateur.
Si le Défenseur des droits estime quun agent public a commis une faute
disciplinaire, il peut en informer l
autorité investie du pouvoir dengager des
poursuites disciplinaires. Mais il ne peut pas déclencher lui-même de telles
poursuites, ce que le médiateur pouvait faire en théorie mais s
est toujours
gardé de faire dans la pratique.
Le détail de ses attributions et les modalités de son intervention ont suscité de
telles discussions lors de l
adoption par le Parlement de la réforme de juillet 2008,
qu
ils ont dû finalement être renvoyés à une loi organique. De même que le
Médiateur ou l
ombudsman, le Défenseur des droits na pas dattributions propre-
ment juridictionnelles de sorte que, à la différence du Conseil d
État ou du Conseil
constitutionnel, son influence dépend moins de ses délibérations elles-mêmes, que
de l
écho suscité par ses recommandations. On peut espérer quelles recevront une
large publicité car, aux termes de l
article 71 C : « Le défenseur des droits rend
compte de son activité au Président de la République et au Parlement ».
Le comité Balladur avait souhaité que, en plus de son pouvoir de recomman-
dation, le Défenseur des droits puisse avoir l
initiative de déclencher certaines
procédures contentieuses, par exemple en saisissant le Conseil constitutionnel
dans le cadre du contrôle a priori prévu par larticle 61 C. Cette proposition na
pas été retenue probablement parce que les parlementaires, qui depuis 1974 ont
toujours eu le monopole de cette saisine, ne souhaitaient pas y renoncer. En revan-
che, le Défenseur des droits peut demander des avis au Conseil d
État et déposer
une requête devant le tribunal administratif compétent pour faire reconnaître des
droits individuels en faveur dun groupe de personnes ayant le même intérêt.
Par ailleurs dans un souci de clarification et defficacité, le comité Balladur
avait souhaité que l
on regroupe, sous légide du Défenseur des droits, toutes
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les autorités administratives indépendantes qui étaient chargées dattributions spé-
cialisées se rattachant au même domaine. Certaines associations ont tenté de s
op-
poser à cette recommandation parce qu
elles craignaient que les intérêts sur les-
quels elles ont pour mission de veiller soient moins efficacement défendus qu
ils
ne l
étaient par des autorités indépendantes spécialisées. Des regroupements ont
néanmoins été effectués : comme on vient de le voir, le Défenseur des droits
hérite non seulement des attributions du Médiateur de la République mais aussi
de celles de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l
égalité
(HALDE), du Défenseur des enfants et de la Commission de déontologie de la
sécurité. Mais, pour tenir compte des réticences des associations, il est prévu que,
pour l
exercice de ces attributions, il sera assisté par des collèges spécialisés.
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Index
(Les chiffres renvoient aux numéros de paragraphes)
A
Absentéisme, 416, 651
Abstention, v. Absentéisme
Acte additionnel, 340
Adresse, 345
Afrique du Sud, 128, 229
Allemagne, 173, 229
Amendement, 721
Amparo, 58, 234, 254
Angleterre, 205
Arbitrage, 585
Article 49-3, 677
Assemblée nationale, 362, 617
Assemblée nationale constituante, 314
Australie, 168, 229
Autocratie, 76
Autonomie, 67
Autorité judiciaire, 112, 151, 794
Autorités
administratives
indépendantes,
149, 709
Autorité de la chose jugée, 790
Autriche, 57
B
Balance des pouvoirs, 74, 89, 331
Balladur, v. Comité Balladur
Bayeux (discours de), 458, 619
Bicaméralisme, 115, 229, 233, 241, 252,
259, 331, 370
Bicamérisme, v. Bicaméralisme
Biélorussie, 293
Bill of Rights, 207, 260
Bipartisme (en Angleterre), 179, 225
Bloc de constitutionnalité, 692, 695, 782
Brésil, 13
Bulgarie, 293
Bundesrat, 232
Bundestag, 173, 233
C
Cabinet (britannique), 221
Canada, 229
Cavalier budgétaire, 738, 741
Centralisation, 67
Centralisme démocratique, 278
Chambre des communes, 215
Chambre des Lords, 217
Chambre (des pairs), 344
Chambre des représentants (américaine),
259
Chancelier (allemand), 236
Charte, 343, 346
Check and balances, 105, 256
Chef dÉtat, 137
Chief Justice, 266
Classification, 74, 91
Coalitions, 393, 439
Cohabitation, 484, 590
Co-législateur, 319
Comité Balladur, 504, 536, 632, 668, 679,
712, 759, 775, 795, 797, 800
Comité constitutionnel, 434
Comité consultatif constitutionnel, 470
Comité consultatif pour la révision de la
Constitution (Comité Vedel), 504
Comité Français de Libération Nationale,
402
Commission européenne, 303
Commission mixte paritaire, 726
Commission nationale des comptes de cam-
pagne et des financements politiques,
526, 548
Page 782
782
Droit constitutionnel
Commissions parlementaires, 242, 248,
252
Communauté européenne, 296
Communautés autonomes, 251
Confédération, 69, 307
Congrès (américain), 258
Congrès (du Parlement), 588
Conseil constitutionnel, 756
Conseil de la République, 431
Conseil (des Anciens), 331
Conseil (des Cinq-Cents), 331
Conseil des ministres, 380, 612
Conseil d
État, 387, 799
Conseil économique, social et environne-
mental (de la Ve Rép.), 654
Conseil européen, 301
Conseil privé (britannique), 220
Conseil supérieur de la magistrature, 640,
795
Conseil de lUnion européenne, 301, 308
Conseil supérieur de l
audiovisuel, 331,
334, 640
Constitution (de lan III), 201, 330
Constitution (de l
an VIII), 333
Constitution (de 1791), 199, 318
Constitution (de 1793), 200, 329
Constitution (de 1848), 349
Constitution (de 1852), 354
Constitution (de 1870), 358
Constitution (de 1875), 367
Constitution (de 1946), 418
Constitution (de 1958), 202, 474
Constitution (formelle), 30, 71, 206
Constitution (matérielle), 30, 71, 201
Constitution (rigide), 31
Constitution (Rivet), 364
Constitution (souple), 31
Consulat, 332
Contentieux constitutionnel, 762
Contra constitutionem, 45
Contra legem, 44
Contraintes, 45
Contreseing, 325, 379, 438, 588, 600, 687
Contrôle abstrait, 58
Contrôle
a posteriori, 58
Contrôle
a priori, 58
Contrôle concret, 58
Contrôle de constitutionnalité, 51, 762
Contrôle de conventionnalité, 707
Convention européenne des droits de
lHomme, 211, 695, 782
Convention nationale, 326
Conventions (de la Constitution), 37, 211
Corps législatif (en 1791), 320
Cortes, 252
Cour constitutionnelle (allemande), 234
Cour constitutionnelle (espagnole), 254
Cour constitutionnelle (italienne), 245
Cour constitutionnelle (russe), 291
Cour de justice de la République, 607
Couronne, 220
Cour suprême (des États-Unis), 57, 70, 266
Coutume, 43, 213
Crise, 683, 732
D
Décentralisation, 67, 487
Déclaration des droits, 36, 315, 328, 782
Déclassement, 771
Déconcentration, 67
Décrets-lois, 387, 445
Défenseur des droits, 800
Déficit démocratique, 299, 494
Définition (formelle), 15, 113
Définition (matérielle), 9, 113
Définition (méthode), 2, 113
Démocratie, 74
Démocratie (directe), 75, 116, 190
Démocratie (indirecte), 75
Démocratie (populaire), 279
Démocratie (représentative), 75
Démocratie (sociale), 412
Despotisme éclairé, 77
Désuétude, 45, 379
Dévolution, 216
Directoire, 330
Dissolution, 97, 224, 389, 451, 687
DOM-TOM (DROM), 488
Droit communautaire dérivé, 696
Droit constitutionnel (définition), 1
Droit de grâce, 382, 589, 732
Droit international, 693
Droit (naturel), 17
Dualisme (de l
exécutif), 137, 293, 474
Page 783
Index
783
E
G
Effet cliquet, 784
Élection européenne, 528
Élection partielle, 533
Élection présidentielle, 550
Élections législatives, 530
Élections primaires, 262, 554
Éligibilité, 534, 554
Empêchement, 140
Empire (premier), 337
Empire (second), 357
Entonnoir (règle de), 721, 726
Environnement (Charte de l
-), 781
Espagne, 249
État, 9, 61
État de droit, 32, 65, 283
État de nécessité, 237
État d
exception, 156, 591, 683
État (et droit), 62
État (fédéral), voir fédéralisme
État (fonctions), 111
États Généraux, 314
États-Unis, 49, 57, 103, 256
État (unitaire), 67
Europe, 295
Euroscepticisme, 497
Évian (accords d
), 477
Exception dinconstitutionnalité, 58, 268,
772
Exception dinconventionnalité, 695
Exception d
irrecevabilité, 712, 723
Exception préjudicielle, v. question préju-
dicielle
Exécutif (moniste et dualiste), 137
Executive agreements, 260
Expérimentation, 487, 717
F
Fédéralisme, 51, 70, 216, 229, 232, 246,
270, 287, 307
Filibustering, 259, 725
First past the post (FPTP), 166
Fonction gouvernementale, 133
Fonction juridictionnelle, 150
Fonction, v. Pouvoir
France Libre, 401
Gerry-mandering, 536
Gouvernement, 144 et suivants
Gouvernement (des juges), 58, 269, 792
Gouvernement (formes de), 73
Grande-Bretagne, 45, 206
Guerre, 74, 87, 140
Grèce, 178
H
Habeas Corpus, 210
Hare (système de), 174
Haute Cour, 143, 579
Haute trahison, 143, 378, 579
Hiérarchie des normes, 15, 387, 691, 695,
712, 717
Hondt (système de), 171
Hongrie, 274, 293
I
Initiative populaire, 240
Inflation législative, 743
Immunités, 581, 634
Impeachment, 143, 208, 260, 266, 581
Inamovibilité, 795
Incompatibilité, 604, 630
Inde, 128, 229
Indivisibilité (de la République), 485
Instabilité ministérielle, 241, 248, 393, 450
Interpellation, 391
Interprétation, 46
Investiture, 439
Inviolabilité, 137, 636
Irlande, 168, 174
Irrecevabilité financière, 720
Irresponsabilité, 137, 141, 189, 378, 437,
579, 580, 634
Italie, 240
Israël, 107, 170
J
Jurisprudence, 50
Jus cogens, 694
Jusnaturalisme, 17, 63
Page 784
784
Droit constitutionnel
K
O
Kelsen, 57, 74-80, 128
Kompetenz Kompetenz, 307
L
La plus forte moyenne, 171
Le plus fort reste, 171
Légitimité, 12, 29, 52, 180
Libéralisme, 77
Lobbies, 263
Loi, 41, 113, 704
Loi écran, 706
Loi de finances, 737
Loi fondamentale, 35, 231, 238
Loi d
habilitation (art. 38 C.), 745
Loi organique, 38, 736
LOLF, 739
Loi référendaire, 752
M
Mandat (impératif), 189
Mandat (représentatif), 189
Marxisme, 274
Message, 263, 364, 588
Ministres, 97, 137, 597
Monarchie, 74, 220
Monarchie (parlementaire), 342
Monisme (de l
exécutif), 226
Monocamérisme, 232, 320
Monocaméral, v. Monocamérisme
Monocratie, 278
Motion de censure, 99, 671
N
Nation, 181, 192
Navette législative, 726
Neutrons législatifs, 705, 713
Normes, 2, v. Hiérarchie
Nouvelle-Calédonie, 491
Nouvelle délibération, 729
Nouvelle-Zélande, 229
Objectif de valeur constitutionnelle, 782
Obstruction législative, 725
Oligarchie, 74
Opinio juris, 43
Opinion (dissidente), 268
Ordonnances, 130, 745
Ordre du jour, 649, 720
Organe, 114, 135
P
Pacta sunt servanda, 694
Panachage, 497
Parlement européen, 300
Parlementaire (régime), 97, 106, 205, 325,
342, 388
Parlementarisme rationalisé, 99, 248, 414,
457, 599, 637
Parti (unique), 279
Partis, 101, 160, 208, 215, 225, 393, 522
Patriot Act, 263
Perestroïka, 283
Plébiscite, 124, 333, 355
Pologne, 293
Population, 11, 12
Positivisme, 18, 29
Pouvoir constituant, 31
Pouvoir exécutif, 82, 127, 131, 319
Pouvoir judiciaire, v. Fonction juridiction-
nelle et autorité judiciaire
Pouvoir législatif, 31, 82, 113, 191, 370,
367, 696
Pouvoir réglementaire, 382, 708
Pouvoirs (de crise), 156, 591, 683, 732
Pouvoirs propres, 588
Praeter constitutionem, 44
Praeter legem, 44
Préambule, 36
Préambule de la Constitution de 1946, 420,
782
Premier ministre, 220, 588, 598
Primus inter pares, 380, 597
Président de la République, 573
Président du Conseil, 380
Présidentialisme, 95
Présidentisalisation, 574, 590
Principes, 32, 33, 40
Principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République (PFRLR), 782
Page 785
Index
785
Principe général du droit (PGD), 706, 750
Principe de légalité, 65
Principe de participation, 70
Procédure accélérée, 612, 638, 727, 736
Projet de loi, 729
Promulgation, 729
Proposition de droit, 20
Proposition de loi, 729
Publication, 729
Puissance publique, 12, 13, 64
Q
Question de confiance, 99, 392, 449, 581,
599, 677
Question préalable, 650, 723
Question préjudicielle, 502, 707
Questions parlementaires, 658
Quotient électoral, 171
Quinquennat, 574
R
Ratification (traité), 742
Rationalisation du régime parlementaire,
v. Parlementarisme rationalisé
Recall, 271
Référé législatif, 154
Référendum, 31, 117, 193, 329, 333, 404,
416, 561, 767
Régime parlementaire, v. Parlementaire (ré-
gime)
Régime présidentiel, 102, 256
Régime semi-présidentiel, 104, 474
Régime (socialiste), 275
Régimes (politiques), 91, 204
Règle d
or, 740
Règlement, 130, 132, 134, 386, 706, 765
Règlement (des assemblées), 40, 765
Renvoi en commission, 723
Représentation, 181, 318
Représentation (proportionnelle), 170, 427,
456, 535
Réserve parlementaire, 739
Responsabilité (pénale), 98, 137, 142, 208,
324, 392, 579, 607
Responsabilité (politique), 97, 345, 392,
579, 670
Restauration, 342
Révision, 32, 260, 337, 369, 396, 498
Révolution française, 311
Roi-reine (d
Angleterre), 220
Roumanie, 293
Russie, 285
S
Science politique, 22
Scrutin (de liste), 167, 173, 252, 427
Scrutin (majoritaire), 165
Scrutin (modes de), 160
Scrutin (proportionnel), 169, 252, 290, 427
Sénat, 336, 356, 372
Sénat (américain), 103, 258
Sénatus-consulte, 338
Séparation des pouvoirs, 80, 96, 256, 272,
322, 331, 464, 798
Septennat, 366, 574
Slovaquie, 293
Sondages, 190, 226, 537
Sources du droit, 29
Souveraineté, 12, 192
Souveraineté (nationale), 194, 485, 494
Souveraineté (populaire), 193
Soviet Suprême, 277
Speaker, 640, 725
Subsidiarité, 305
Suffrage, 161
Suffrage (censitaire), 343, 507
Suffrage (restreint), 194, 321
Suffrage (universel), 161, 193, 200, 329,
348, 464, 507
Suisse, 94, 116, 169
Suppléant, 533
Supranationalité, 493
Syllogisme, 4, 151
T
Tchécoslovaquie, 293
Territoire, 10
Théorie de la souveraineté, 184
Totalitarisme, 77, 280
Traité, 695
Traité d
Amsterdam, 296, 697
Traité de Nice, 296
Page 786
786
Droit constitutionnel
Traité établissant une constitution pour
lEurope, 295, 493, 502, 504, 697
Traité de Maastricht, 296, 493, 494, 502,
504, 767 à 768
Traité sur la stabilité, la coordination et la
gouvernance économique et financière
(TSCG), 740
Transparence financière (de la vie poli-
tique), 522, 526, 548
Tribunal constitutionnel, 254
Tribunat, 335
Turquie, 569, 698
U-V-W
Ukraine, 293
Union européenne, 295, 492, 664, 696
Universalité, 162
URSS, 276
Vacance de la présidence de la République,
688
Validité, 6, 15
Veto, 89, 105, 125, 214, 263, 293, 323
Vice-président (États-Unis), 265
Vichy (régime de), 395
Volonté générale, 75
Vote blanc, 520
Vote bloqué, 725
Vote à main levée, 651
Vote public ordinaire, 651
Vote préférentiel, 172
Watergate, 260, 265
Weimar (République de), 234, 447, 474
Page 787
Table des matières
Avertissement ...................................................................................................................
Avant-propos ....................................................................................................................
Principales abréviations....................................................................................................
Bibliographie générale .....................................................................................................
Chapitre 1. Le droit constitutionnel ............................................................................
Section 1. Le droit constitutionnel ensemble de normes.......................................
§ 1. Le droit comme système de normes...........................................................
§ 2. Le droit constitutionnel comme sous-système...........................................
A. Définition matérielle ................................................................................
B. Définition formelle ...................................................................................
Section 2. Le droit constitutionnel comme science ................................................
§ 1. Jusnaturalisme et positivisme .....................................................................
A. Le jusnaturalisme .....................................................................................
B. Le positivisme juridique ..........................................................................
§ 2. Droit constitutionnel et science politique ..................................................
A. L
unité du droit constitutionnel et de la science politique ....................
B. La distinction du droit constitutionnel et de la science politique .........
C. Le renouveau du droit constitutionnel ....................................................
D. Les rapports du droit constitutionnel et de la science politique
aujourd
hui .....................................................................................................
PREMIÈRE PARTIE
THÉORIE GÉNÉRALE DE LÉTAT
Chapitre 1. La Constitution..........................................................................................
Section 1. Les sources du droit constitutionnel ....................................................
§ 1. La hiérarchie des sources de la constitution matérielle ............................
A. La constitution formelle ...........................................................................
B. Les lois organiques...................................................................................
C. Les règlements des assemblées ...............................................................
D. Les lois ordinaires ....................................................................................
§ 2. Les types de faits producteurs de droit ......................................................
5
7
11
13
19
19
19
25
25
30
32
33
33
34
37
37
37
38
39
43
43
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45
51
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53
53
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788
Droit constitutionnel
A. La coutume constitutionnelle ..................................................................
B. L
interprétation .........................................................................................
Section 2. Le contrôle de la suprématie de la Constitution ..................................
§ 1. Légitimité du contrôle de constitutionnalité .............................................
A. Thèse de la légitimité du contrôle dans un système démocratique ......
B. L
objection tirée de la théorie réaliste de linterprétation .....................
C. Les théories modernes de l
interprétation...............................................
§ 2. Les formes du contrôle de constitutionnalité ...........................................
A. Le mode de composition des juridictions constitutionnelles ................
B. Le mode de fonctionnement des juridictions constitutionnelles ...........
Chapitre 2. Le pouvoir ..................................................................................................
Section 1. Le cadre : lÉtat .......................................................................................
§ 1. L
État et le droit...........................................................................................
§ 2. L
État et lespace, les formes dorganisation de lÉtat .............................
A. L
État unitaire...........................................................................................
B. L
État composé .........................................................................................
Section 2. Les formes dorganisation du pouvoir ..................................................
§ 1. Les formes de gouvernement ......................................................................
A. La classification ancienne ........................................................................
B. Les classifications contemporaines .........................................................
§ 2. Le principe de la séparation des pouvoirs .................................................
A. La doctrine traditionnelle .........................................................................
B. Les critiques à la doctrine traditionnelle.................................................
C. La séparation des pouvoirs au
XVIIIe siècle ............................................
§ 3. Les régimes politiques .................................................................................
A. Exposé de la classification traditionnelle ...............................................
B. Critique......................................................................................................
Section 3. Les techniques dexercice du pouvoir ...................................................
Sous-section 1. Les fonctions de lÉtat .....................................................................
§ 1. La fonction législative .................................................................................
A. Définition ..................................................................................................
B. L
organe de la fonction législative .........................................................
C. L
exercice de la fonction législative .......................................................
§ 2. La fonction exécutive ..................................................................................
A. Le contenu de la fonction exécutive .......................................................
B. Les organes de la fonction exécutive ......................................................
§ 3. La fonction juridictionnelle .......................................................................
A. Différentes conceptions de la fonction juridictionnelle .........................
B. Les solutions .............................................................................................
§ 4. Les pouvoirs de crise .................................................................................
A. La mise en
œuvre .....................................................................................
B. Détermination du bénéficiaire .................................................................
C. Les pouvoirs conférés à cette autorité ....................................................
54
58
62
63
63
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139
141
142
143
143
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Table des matières
Sous-section 2. La désignation des gouvernants : le scrutin ..................................
§ 1. Le droit de suffrage .....................................................................................
§ 2. Les différents modes de scrutin ..................................................................
A. Les systèmes majoritaires ........................................................................
B. Les systèmes proportionnels ....................................................................
C. Les systèmes mixtes .................................................................................
§ 3. Le choix d
un mode de scrutin ...................................................................
A. Les critères du choix ................................................................................
B. L
autorité compétente ..............................................................................
C. Les tendances générales ...........................................................................
Section 4. Les justifications du pouvoir ..................................................................
§ 1. La représentation .........................................................................................
A. La théorie de la représentation ................................................................
B. Le mandat représentatif............................................................................
C. Signification moderne du gouvernement représentatif ..........................
§ 2. La souveraineté ............................................................................................
A. Lopposition traditionnelle de la souveraineté nationale
et de la souveraineté populaire .....................................................................
B. Critique......................................................................................................
C. Détermination du titulaire de la souveraineté ........................................
DEUXIÈME PARTIE
LES RÉGIMES POLITIQUES
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144
144
145
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166
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171
173
Chapitre 1. Les régimes parlementaires .....................................................................
183
Section 1. Le régime britannique ............................................................................
§ 1. Les sources du droit constitutionnel britannique.......................................
A. Les sources écrites ...................................................................................
B. Les sources non écrites : la coutume et les conventions
de la constitution ...........................................................................................
§ 2. Les organes ..................................................................................................
A. Le Parlement .............................................................................................
B. La Couronne .............................................................................................
................................................................................................
C. Le cabinet
§ 3. Le fonctionnement du système ...................................................................
A. Rapports juridiques entre organes : la façade parlementaire .................
B. Le rôle du système de partis : le bipartisme ...........................................
§ 4. La dévolution ...............................................................................................
§ 5. Le parlementarisme dans le Commonwealth britannique .........................
Section 2. Quelques formes continentales du régime parlementaire ..................
§ 1. Le régime parlementaire en Allemagne .....................................................
§ 2. Le régime parlementaire en Italie ...............................................................
§ 3. Le régime parlementaire en Espagne .........................................................
183
185
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189
189
193
195
199
199
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208
208
216
224
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790
Droit constitutionnel
Chapitre 2. Le système constitutionnel des États-Unis ............................................
Section 1. Les organes ..............................................................................................
§ 1. Le Congrès ..................................................................................................
A. Organisation..............................................................................................
B. Compétences .............................................................................................
§ 2. Le Président
................................................................................................
§ 3. La Cour suprême .........................................................................................
A. Composition de la Cour suprême ...........................................................
B. Compétences de la Cour suprême ...........................................................
Section 2. Les rapports politiques ............................................................................
§ 1. Le fédéralisme ..............................................................................................
§ 2. Les rapports entre organes ..........................................................................
Chapitre 3. Les États de lEurope centrale et orientale ..........................................
Section 1. Le régime socialiste .................................................................................
§ 1. L
URSS ........................................................................................................
§ 2. Les démocraties populaires .........................................................................
§ 3. Les signes de dysfonctionnement ...............................................................
Section 2. Les transformations : de la perestroïka à léclatement de lURSS
(1985-1991)
.................................................................................................................
§ 1. La perestroïka...............................................................................................
§ 2. Les transformations politiques et constitutionnelles de l
URSS ..............
Section 3. La situation actuelle ................................................................................
§ 1. La situation actuelle de la Russie ...............................................................
A. Le fédéralisme ..........................................................................................
B. Le Président ..............................................................................................
C. Le gouvernement ......................................................................................
D. Le Parlement .............................................................................................
E. La Cour constitutionnelle ........................................................................
F. Le fonctionnement des institutions ..........................................................
§ 2. La situation dans les anciennes démocraties populaires
et les Républiques de l
ex-URSS .......................................................................
Chapitre 4. LUnion européenne .................................................................................
Section 1. Les institutions .........................................................................................
§ 1. Le Parlement européen ................................................................................
§ 2. Le Conseil européen ....................................................................................
§ 3. Le Conseil ....................................................................................................
§ 4. La Commission européenne........................................................................
§ 5. La Cour de justice (CJUE)..........................................................................
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238
238
238
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253
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287
291
291
293
293
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295
Section 2. Les compétences ......................................................................................
295
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Table des matières
Section 3. Quelques problèmes constitutionnels liés à la construction
européenne
.................................................................................................................
§ 1. Le fédéralisme ..............................................................................................
§ 2. La démocratie...............................................................................................
791
296
296
298
TROISIÈME PARTIE
APERÇU SOMMAIRE DHISTOIRE CONSTITUTIONNELLE DE LA FRANCE
Chapitre 1. Les constitutions de la Révolution et de lEmpire ...............................
Section 1. Lœuvre de lAssemblée nationale constituante ..................................
§ 1. La Déclaration des droits de l
Homme et du Citoyen de 1789-1791......
§ 2. La Constitution du 3 septembre 1791 ........................................................
A. Souveraineté nationale et gouvernement représentatif ..........................
B. Le fondement de la constitution : la séparation des pouvoirs ..................
C. Le problème du pouvoir exécutif ............................................................
D. La suprématie de la Constitution ............................................................
Section 2. Les constitutions de la Convention .......................................................
§ 1. La Constitution de 1793..............................................................................
§ 2. La Constitution du 5 fructidor an III ........................................................
Section 3. Le Consulat et lEmpire .........................................................................
§ 1. La Constitution du 22 frimaire an VIII ......................................................
§ 2. Les modifications de la Constitution de l
an VIII ....................................
Chapitre 2. La monarchie parlementaire...................................................................
Section 1. La Charte du 4 juin 1814.......................................................................
§ 1. Caractères généraux .....................................................................................
§ 2. Les pouvoirs publics....................................................................................
§ 3. La pratique politique introduit le régime parlementaire ...........................
Section 2. La Charte du 14 août 1830 ....................................................................
Chapitre 3. Lavènement du suffrage universel ........................................................
Section 1. La Constitution du 4 novembre 1848 ...................................................
Section 2. La démocratie impériale .........................................................................
§ 1. La Constitution du 14 janvier 1852 ...........................................................
§ 2. L
Empire ......................................................................................................
§ 3. La Constitution du 21 mai 1870.................................................................
Chapitre 4. La IIIe République ....................................................................................
Section 1. Lélaboration des lois de 1875 ...............................................................
§ 1. Le gouvernement de l
Assemblée nationale ..............................................
A. Le principat de M. Thiers ........................................................................
B. Le gouvernement de Mac-Mahon ...........................................................
§ 2. Les lois constitutionnelles de 1875 ............................................................
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307
307
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337
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340
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342
Page 792
792
Droit constitutionnel
Section 2. Lorganisation des pouvoirs publics .....................................................
§ 1. Le Parlement ................................................................................................
A. La Chambre des députés..........................................................................
B. Le Sénat ....................................................................................................
§ 2. Le pouvoir exécutif .....................................................................................
A. Le Président de la République ................................................................
B. Les ministres .............................................................................................
Section 3. Le fonctionnement des pouvoirs publics ..............................................
§ 1. La législation ................................................................................................
§ 2. Le jeu du régime parlementaire dans le cadre de la Constitution de 1875
A. L
action de lexécutif sur le Parlement ..................................................
B. L
action du Parlement sur lexécutif.......................................................
§ 3. Les déformations du régime parlementaire par la pratique politique ......
Chapitre 5. Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946 .........................
Section 1. Le gouvernement de « lÉtat français » ................................................
§ 1. L
acte dit « loi constitutionnelle » du 10 juillet 1940 ...............................
§ 2. L
organisation constitutionnelle du gouvernement de Vichy...................
Section 2. Lorganisation de la continuité républicaine dans la France libre ..
Section 3. Les gouvernements provisoires et la préparation de la Constitution
de 1946
........................................................................................................................
§ 1. Le premier gouvernement provisoire .........................................................
§ 2. Le régime provisoire de la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945....
§ 3. Le projet de Constitution du 19 avril 1946 ...............................................
§ 4. Le régime politique .....................................................................................
Chapitre 6. La IVe République.....................................................................................
Section 1. Notions générales ....................................................................................
§ 1. Caractères de la Constitution de 1946 .......................................................
§ 2. La philosophie politique et sociale du régime...........................................
Section 2. Lorganisation des pouvoirs publics .....................................................
§ 1. Le Parlement ................................................................................................
A. Les deux Chambres..................................................................................
B. L
Assemblée nationale .............................................................................
C. Le Conseil de la République ...................................................................
D. Le Comité constitutionnel .......................................................................
§ 2. Le pouvoir exécutif .....................................................................................
A. Le Président de la République ................................................................
B. Le Conseil des ministres ..........................................................................
Section 3. Le fonctionnement des pouvoirs publics ..............................................
§ 1. La législation ................................................................................................
§ 2. Les rapports entre les pouvoirs publics......................................................
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Page 793
Table des matières
QUATRIÈME PARTIE
LES INSTITUTIONS DE LA VE RÉPUBLIQUE
Chapitre 1. Le cadre ......................................................................................................
Section 1. Origines et évolution de la Ve République ...........................................
Sous-section 1. Le problème de la réforme constitutionnelle en 1958 ..................
§ 1. Les maux ......................................................................................................
§ 2. Les remèdes .................................................................................................
A. La réforme électorale ...............................................................................
B. La rationalisation du parlementarisme ....................................................
C. Le changement du mode de désignation
du Président de la République ......................................................................
Sous-section 2. Préparation et adoption de la Constitution ...................................
§ 1. Le retour au pouvoir du général de Gaulle................................................
§ 2. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 ......................................................
§ 3. L
élaboration du projet ................................................................................
A. La préparation de l
avant-projet (début juin-29 juillet) .........................
B. L
intervention du Comité consultatif constitutionnel (1er-14 août) .....
C. La mise au point du texte définitif (15 août-3 septembre) ....................
§ 4. Le référendum constituant du 28 septembre 1958 ....................................
Sous-section 3. La Constitution et son application .................................................
§ 1. La nature des institutions ............................................................................
§ 2. Les institutions et la conjoncture politique ................................................
A. La période fondatrice ...............................................................................
B. La période de la continuité relative (1969-1981)...................................
C. La période des alternances (depuis 1981) ..............................................
Section 2. Caractères généraux de la Ve République............................................
Sous-section 1. Les principes dindivisibilité de la République
et de la souveraineté nationale
.................................................................................
§ 1. La République et ses collectivités composantes........................................
A. Les collectivités territoriales métropolitaines .........................................
B. Les collectivités territoriales d
outre-mer ...............................................
C. Le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie ..........................................
§ 2. La République et l
Union européenne .......................................................
A. La construction européenne face à la Constitution française................
B. La représentation des citoyens français au sein de lUnion ..................
Sous-section 2. La rigidité constitutionnelle ............................................................
§ 1. La révision dans le cadre de l
article 89 ....................................................
A. L
initiative ................................................................................................
B. Les limitations du pouvoir de révision ...................................................
C. La procédure .............................................................................................
D. Lusage de larticle 89 .............................................................................
§ 2. La révision en dehors du cadre de l
article 89 ..........................................
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794
Droit constitutionnel
§ 3. Létat actuel du problème de la révision ...................................................
Section 3. Le suffrage et lencadrement partisan ..................................................
Sous-section 1. Le corps électoral ............................................................................
§ 1. La composition du corps électoral .............................................................
A. La nationalité ............................................................................................
B. L
âge..........................................................................................................
C. La jouissance des droits civils et politiques ...........................................
§ 2. Les conditions d
exercice du droit de vote ................................................
§ 3. Les modalités de l
exercice du droit de vote .............................................
A. Le vote est égal ........................................................................................
B. Le vote est secret ......................................................................................
C. Le vote est personnel ...............................................................................
D. Le vote est facultatif ................................................................................
§ 4. Le problème des « discriminations positives » en matière électorale ......
Sous-section 2. Lencadrement partisan...................................................................
§ 1. Le statut des partis politiques .....................................................................
A. La liberté de création des partis politiques.............................................
B. Le droit à un financement public ............................................................
C. La limitation stricte du financement privé..............................................
D. L
obligation de rendre des comptes........................................................
E. Les pistes de réforme ..............................................................................
§ 2. L
évolution du système des partis ..............................................................
Sous-section 3. Les principales votations politiques ...............................................
§ 1. Les élections législatives .............................................................................
A. La périodicité ............................................................................................
B. Le régime des candidatures .....................................................................
C. Le mode de scrutin ...................................................................................
D. L
organisation et le financement de la campagne .................................
E. Le contentieux électoral ...........................................................................
F. Bilan politique des élections législatives ................................................
§ 2. L
élection présidentielle ..............................................................................
A. La périodicité ............................................................................................
B. Le régime des candidatures .....................................................................
C. Le mode de scrutin ...................................................................................
D. Lorganisation et le déroulement de la campagne .................................
E. Proclamation des résultats et contentieux ...............................................
F. Bilan politique de l
élection présidentielle .............................................
§ 3. Le référendum ..............................................................................................
A. Les différentes procédures .......................................................................
B. L
organisation du référendum .................................................................
C. Contentieux et proclamation des résultats ..............................................
D. Bilan politique du référendum ................................................................
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515
Page 795
Table des matières
Chapitre 2. Les organes ................................................................................................
Section 1. Le Président de la République ...............................................................
Sous-section 1. Le statut du Président de la République ........................................
§ 1. Durée et renouvellement des fonctions ......................................................
§ 2. Responsabilité politique ou pénale du Président .......................................
A. L
irresponsabilité présidentielle et ses limites .......................................
B. L
extension des immunités présidentielles .............................................
Sous-section 2. Les pouvoirs du Président ...............................................................
§ 1. Les pouvoirs du président en période normale .........................................
A. Les missions du Président .......................................................................
B. Les différentes attributions du Président de la République ...................
C. La « présidentialisation » du régime et ses limites.................................
§ 2. Lextension des pouvoirs présidentiels en cas de circonstances
exceptionnelles (art. 16) ......................................................................................
Section 2. Le gouvernement .....................................................................................
§ 1. L
organisation du gouvernement ................................................................
A. Nomination et révocation des membres du gouvernement ...................
B. Composition du gouvernement ...............................................................
§ 2. Le statut des membres du gouvernement ..................................................
§ 3. Les attributions du gouvernement ..............................................................
Section 3. Le Parlement ............................................................................................
Sous-section 1. Composition du Parlement..............................................................
§ 1. L
Assemblée nationale ...............................................................................
§ 2. Le Sénat........................................................................................................
Sous-section 2. La protection de lexercice du mandat parlementaire ..................
§ 1. L
indemnité parlementaire ..........................................................................
§ 2. Les incompatibilités et la limitation des cumuls .......................................
§ 3. La situation patrimoniale et les intérêts des parlementaires .....................
§ 4. Les immunités parlementaires ....................................................................
Sous-section 3. Organisation et fonctionnement des Chambres.............................
§ 1. Les sessions ..................................................................................................
§ 2. Les organes du travail parlementaire .........................................................
A. Les organes de direction et de coordination ..........................................
B. Les organes politiques..............................................................................
C. Les organes de travail ..............................................................................
§ 3. La séance ......................................................................................................
Sous-section 4. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) ........
Section 4. Les rapports entre les pouvoirs ..............................................................
Sous-section 1. Le contrôle informatif ......................................................................
§ 1. Les questions................................................................................................
A. Les questions écrites ................................................................................
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Page 796
796
Droit constitutionnel
B. Les questions orales .................................................................................
§ 2. Les commissions d
enquête et les missions dinformation ......................
§ 3. Les propositions de résolution ....................................................................
A. L
interdiction des propositions de résolution en 1959 ..........................
B. La résurgence des propositions de résolution depuis 1992
dans le domaine des affaires européennes ...................................................
C. Le rétablissement des résolutions en 2008 et leur encadrement
constitutionnel ................................................................................................
§ 4. La notion d
évaluation des politiques publiques .......................................
Sous-section 2. La responsabilité ministérielle ........................................................
§ 1. La responsabilité du gouvernement devant l
Assemblée nationale .........
A. La mise en jeu de la responsabilité à l
initiative du gouvernement
sur des orientations de politique générale ...................................................
B. La motion de censure ordinaire ...............................................................
C. La mise en jeu par le gouvernement de sa responsabilité sur le vote
d
un texte .......................................................................................................
D. La situation d
un gouvernement renversé ..............................................
§ 2. L
absence de responsabilité du gouvernement devant le Sénat ...............
Sous-section 3. Le contrôle parlementaire en période de crise .............................
Sous-section 4. Le droit de dissolution .....................................................................
Chapitre 3. Types de normes et compétences normatives.......................................
Section 1. Les normes dotées dune autorité supérieure à celle des lois ...........
§ 1. Les normes constitutionnelles .....................................................................
§ 2. Les normes internationales..........................................................................
A. Le droit international général ..................................................................
B. Le droit international conventionnel .......................................................
C. Le cas particulier des normes dorigine communautaire .......................
Section 2. Les normes législatives et réglementaires .............................................
§ 1. La fonction normative de la loi ..................................................................
§ 2. La séparation du domaine législatif et du domaine réglementaire ..........
A. La limitation du domaine de la loi .........................................................
B. La création d
un domaine réservé au pouvoir réglementaire ................
C. Le règlement des conflits de compétence...............................................
D. Une séparation plutôt poreuse .................................................................
Section 3. Lélaboration de la loi dans le cadre parlementaire ...........................
§ 1. Les lois ordinaires........................................................................................
A. L
initiative ................................................................................................
B. Le droit d
amendement ............................................................................
C. Les grandes étapes de la procédure ........................................................
§ 2. Les procédures législatives spéciales .........................................................
A. La procédure de révision constitutionnelle ............................................
B. Les lois organiques...................................................................................
C. Les lois de finances ..................................................................................
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Table des matières
D. Les lois de financement de la sécurité sociale .......................................
E. Les lois autorisant la ratification d
un traité ...........................................
§ 3. Le problème de l
inflation législative ........................................................
Section 4. Lélaboration de la loi en dehors du cadre parlementaire .................
§ 1. La législation gouvernementale : les ordonnances de larticle 38............
A. Les conditions de l
habilitation ...............................................................
B. Les effets de l
habilitation .......................................................................
C. Le régime juridique des ordonnances .....................................................
D. La pratique des ordonnances ...................................................................
§ 2. La législation populaire : les lois adoptées par la voie du référendum ...
§ 3. La législation présidentielle : les décisions prises en application
de l
article 16 .......................................................................................................
Chapitre 4. Justice et Constitution ..............................................................................
Section 1. Le Conseil constitutionnel ......................................................................
Sous-section 1. Composition et organisation du Conseil constitutionnel ..............
Sous-section 2. Les compétences du Conseil constitutionnel .................................
§ 1. Le contrôle
a priori ou abstrait ..................................................................
A. Les lois organiques ..................................................................................
B. Les règlements des assemblées parlementaires ......................................
C. Les lois ordinaires ....................................................................................
D. Le cas des lois référendaires ...................................................................
E. Les lois constitutionnelles ........................................................................
F. Les engagements internationaux ..............................................................
G. Les « lois du pays » de la Nouvelle-Calédonie ......................................
H. Les actes des collectivités d
outre-mer autres que
la Nouvelle-Calédonie ...................................................................................
§ 2. Le contrôle a posteriori ou concret : la question prioritaire
de constitutionnalité ............................................................................................
A. Un objet spécifique ..................................................................................
B. Une procédure relativement facile à mettre en mouvement ..................
C. Un mode de filtrage inhabituel................................................................
D. Question prioritaire et dialogue des juges ..............................................
E. La procédure devant le Conseil constitutionnel .....................................
Sous-section 3. Le développement du rôle du Conseil constitutionnel ..................
§ 1. Lassouplissement de la saisine ..................................................................
§ 2. La richesse des normes de référence ..........................................................
§ 3. La gradation savante des verdicts...............................................................
§ 4. L
impact de la jurisprudence du Conseil constitutionnel .........................
A. Une jurisprudence extensive ...................................................................
B. Des décisions bénéficiant de l
autorité de la chose jugée .....................
C. La complémentarité des voies de recours...............................................
D. Des problèmes en suspens .......................................................................
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Droit constitutionnel
Section 2. Les juridictions judiciaires et administratives ......................................
§ 1. La justice judiciaire .....................................................................................
A. La carrière des magistrats judiciaires......................................................
B. La composition du Conseil supérieur de la magistrature ......................
C. Le régime disciplinaire des magistrats judiciaires .................................
§ 2. Les juridictions administratives ..................................................................
Section 3. Le Défenseur des droits ..........................................................................
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Index ..................................................................................................................................
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Manuels
Collection dirigée par Bernard Audit
et Yves Gaudemet
D. AMSON : Histoire constitutionnelle française, De la prise de la Bastille à Waterloo, t. 1, 2010.
D. A
MSON : Histoire constitutionnelle française, De la bataille de Waterloo à la mort de Louis XVIII,
t. 2, 2014.
Ph. ARDANT et B. MATHIEU : Droit constitutionnel et institutions politiques, 26e éd., 2014.
B. B
ASDEVANT-GAUDEMET et J. GAUDEMET : Introduction historique au droit, XIIIe-XXe siècle,
3e éd., 2010.
A. BATTEUR : Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, 7e éd., 2013.
N
. BINCTIN : Droit de la propriété intellectuelle, 3e éd., 2014.
J.-B. B
LAISE : Droit des affaires, 7e éd., 2013.
R. B
ONHOMME : Instruments de crédit et de paiement, 10e éd., 2013.
S. B
OUSSARD et C. LE BERRE, Droit administratif des biens, 2014.
M. B
OUVIER, M.-Ch. ESCLASSAN et J.-P. LASSALE : Finances publiques, 13e éd., 2014.
B. B
RACHET : Le système fiscal français, 7e éd., 1997.
Ph. B
RAUD : Sociologie politique, 11e éd., 2014.
C. B
ROYELLE : Contentieux administratif, 2e éd., 2013.
O. C
ACHARD : Droit du commerce international, 2e éd., 2011.
D. C
ARREAU et P. JUILLARD : Droit international économique, 4e éd., 1998.
M. C
HAGNY et L. PERDRIX : Droit des assurances, 2e éd., 2013.
J.-P. C
HAUCHARD, J.-Y. KERBOURCH et C. WILLMANN : Droit de la sécurité sociale, 6e éd., 2013.
J.-Ph. C
OLSON et P. IDOUX : Droit public économique, 6e éd., 2012.
G. C
UNIBERTI : Grands systèmes de droit contemporains, 2e éd., 2011.
I. D
AURIAC : Les régimes matrimoniaux et le PACS, 3e éd., 2012.
A. D
ECOCQ et G. DECOCQ : Droit de la concurrence, Droit interne et droit de lUnion européenne,
6e éd., 2014.
A. DECOCQ et G. DECOCQ : Droit européen des affaires, 2e éd., 2010.
E. D
ERIEUX : Droit de la communication, 4e éd., 2003.
E. DERIEUX et A. GRANCHET : Droit des médias (Droit français, européen et international), 6e éd.,
2010.
P. DEUMIER : Introduction générale au droit, 2e éd., 2013.
J.-Y. F
ABERON et J. ZILLER : Droit des collectivités dOutre-Mer, 3e éd., 2007.
B. F
AGES : Droit des obligations, 4e éd., 2013.
F. F
AVENNEC-HÉRY et P.-Y. VERKINDT : Droit du travail, 4e éd., 2014.
M. F
ROMONT et H. MAURER : Droit administratif allemand, 1995.
Y. G
AUDEMET : Droit administratif, 20e éd., 2012.
O. G
OHIN et J.-G. SORBARA : Institutions administratives, 6e éd., 2012.
G. G
OUBEAUX et P. VOIRIN : Droit civil, 2 vol., t. 1, 34e éd., 2013, t. 2, 28e éd., 2014.
F. H
AMON et M. TROPER : Droit constitutionnel, 35e éd., 2014.
J. H
UET et E. DREYER : Droit de la communication numérique, 2011.
J.-J. I
SRAEL : Droit des libertés fondamentales, 1998.
J.-C. JAVILLIER, M. MOREAU et J.-M. OLIVIER : Droit du travail, 7e éd., 1999.
P. J
ULIEN et N. FRICERO : Procédure civile, 4e éd., 2011.
P. J
ULIEN et G. TAORMINA : Voies dexécution et procédures de distribution, 2e éd., 2010.
P. K
INDER-GEST : Droit Anglais, vol. 1 : Institutions politiques et judiciaires, 3e éd., 1997.
J. L
AROCHE : Politique internationale, 2e éd., 2000.
F. L
ECLERC : Le droit des contrats spéciaux, 2e éd., 2012.
D. L
EGEAIS : Sûretés et garanties du crédit, 9e éd., 2013.
J. L
EROY : Droit pénal général, 5e éd., 2014.
J. L
EROY : Procédure pénale, 3e éd., 2013.
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Droit constitutionnel
G. LYON-CAEN et J. TILLHET-PRETNAR : Droit social, 5e éd., 1995.
B. M
ATHIEU et M. VERPEAUX : Contentieux constitutionnel des droits fondamentaux, 2002.
J. M
ESTRE, M.-È. PANCRAZI, I. ARNAUD-GROSSI, L. MERLAND et N. TAGLIARINO-VIGNAL :
Droit commercial, 29e éd., 2012.
M.-L. MOQUET-ANGER : Droit hospitalier, 3e éd., 2014.
M.-L. N
IBOYET et G. DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE : Droit international privé, 4e éd., 2013.
H. O
BERDORFF : Droits de lhomme et libertés fondamentales, 4e éd., 2013.
F. P
ÉROCHON : Entreprises en difficulté, 9e éd., 2012.
D. P
ORACCHIA, F. RIZZO, J.-M. MARMAYOU et F. BUY : Droit du sport, 3e éd., 2012.
J.-F. R
ENUCCI : Droit européen des droits de lhomme, 5e éd., 2013.
L. RICHER : Droit des contrats administratifs, 9e éd., 2014.
J. R
IDEAU : Droit institutionnel de lUnion européenne, 6e éd., 2010.
J.-J. R
OCHE : Relations internationales, 7e éd., 2014.
J.-C. S
OYER : Droit pénal et procédure pénale, 21e éd., 2012.
F. S
TASIAK : Droit pénal des affaires, 2e éd., 2009.
L. T
ROTABAS et P. ISOART : Droit public (droit constitutionnel, droit administratif,
finances
publiques, droit administratif spécial), 24e éd., 1998.
D. VIDAL : Droit des sociétés, 7e éd., 2010.
Imprimé en France - JOUVE, 1, rue du Docteur Sauvé, 53100 MAYENNE
N° 264876K - Dépôt légal : août 2014
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Cet ouvrage est la 35e édition d'un manuel commencé par
Georges Burdeau et considéré depuis longtemps comme un classique,
tant en raison de sa largeur de vues que de la précision des analyses
juridiques.
Il a été considérablement refondu par Francis Hamon et Michel Troper
pour tenir compte des changements du droit positif et de l'évolution
de la théorie constitutionnelle. Les auteurs se sont efforcés de donner
une présentation claire et synthétique des grands principes du droit
constitutionnel et des institutions politiques des principaux pays du
monde, et en particulier de la France. L'accent est mis sur les idées
qui structurent les systèmes politiques et permettent d'en éclairer
les détails, comme d'en comprendre le fonctionnement.
Ce manuel s'adresse non seulement aux étudiants en droit, mais
aussi à toutes les personnes désireuses d'actualiser ou d'approfondir
leurs connaissances en droit constitutionnel.
Francis Hamon est professeur émérite de la Faculté Jean Monnet,
Université de Paris XI.
Michel Troper est professeur émérite de l'Université de Paris Ouest
Nanterre La Défense.
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ISBN 978-2-275-03924-4
www.lextenso-editions.fr
34,50
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Francis Hamon
Michel Troper
DROIT
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