Francis Hamon
Professeur émérite de la Faculté Jean Monnet
(Université de Paris XI)
Michel Troper
Professeur émérite de l’Université de Paris
Ouest Nanterre La Défense
Membre de l’Institut Universitaire de France
DROIT
CONSTITUTIONNEL
35e édition
© 2014, LGDJ, Lextenso éditions
70, rue du Gouverneur Général Éboué
92131 Issy-les-Moulineaux Cedex
ISBN 978-2-275-03924-4
ISSN 0990-3909
Avertissement
Ce livre est la 35e édition du manuel de droit constitutionnel, dont les pre-
mières éditions jusqu’à la 20e ont été rédigées par Georges Burdeau. Ce livre
était devenu un classique. Georges Burdeau nous avait fait l’honneur de nous
demander de préparer la 21e édition et les suivantes.
Depuis la 21e édition, la science du droit constitutionnel et le droit constitu-
tionnel lui-même ont connu une évolution considérable, dont il nous a fallu
rendre compte et l’ouvrage a été profondément remanié. Néanmoins, si son
contenu est aujourd’hui très sensiblement différent, nous avons toujours pro-
cédé dans un souci de fidélité à l’esprit dans lequel Georges Burdeau avait
conçu ce manuel et qu’il exposait dans la préface de la 20e édition : construire
une théorie susceptible de servir d’instrument pour l’analyse du droit constitu-
tionnel positif.
Francis Hamon
Michel Troper
Avant-propos
Les manuels de droit constitutionnel sont très nombreux et variés. Si les
questions traitées sont les mêmes, les approches et les doctrines peuvent être
profondément différentes.
Ces différences s’expliquent : en effet, ce que l’on appelle la science du droit
constitutionnel n’est pas seulement une somme de connaissances. C’est aussi un
ensemble de problèmes auxquels les réponses les plus diverses peuvent être
apportées. La pertinence et la cohérence de ces réponses dépendent de la rigueur
du raisonnement qui les justifie. Et il est au moins aussi important d’acquérir la
maîtrise du raisonnement que de retenir les grands traits des systèmes constitu-
tionnels.
L’un des moyens d’y parvenir est de confronter sur chaque question les thè-
ses de plusieurs auteurs. Cette confrontation ne peut cependant être fructueuse
que si l’on prend en compte tous les présupposés explicites ou implicites des
raisonnements. Les plus importants tiennent au langage. Bien des différences
doctrinales peuvent s’éclairer et bien des problèmes se dissiper, dès lors qu’on
s’aperçoit qu’ils tiennent principalement aux usages linguistiques. La maîtrise
du raisonnement suppose donc la maîtrise d’un langage et c’est pourquoi,
dans la première partie du présent ouvrage, un soin particulier a été apporté à
la définition des concepts fondamentaux.
Si le droit constitutionnel était formé, comme on l’imagine parfois, d’un
petit nombre de principes fixes et établis, que l’on pourrait combiner de diverses
manières et à partir desquels on pourrait déduire toutes les règles particulières,
la difficulté résiderait avant tout dans l’exposé et la compréhension des princi-
pes, et il suffirait de partir de quelques définitions pour procéder ensuite de
manière linéaire. Mais, il n’en va pas ainsi et le contenu des principes emprunte
toujours aux règles qui sont censées en découler. Les étudiants doivent admettre
que l’ordre des chapitres a quelque chose d’arbitraire et que la compréhension
des premiers suppose parfois la connaissance des autres. On ne saurait donc
trop conseiller de revenir sur les premiers chapitres après la lecture de
l’ensemble.
Les étudiants devraient aussi s’efforcer de compléter l’étude du manuel par
la lecture de certaines au moins des publications auxquelles il renvoie. Pour
faciliter la recherche, nous avons choisi d’utiliser les conventions du Chicago
Manual of Style, qui permettent de limiter le volume des références contenues
dans le texte. Chacune de ces références est donnée selon le modèle suivant :
(Kelsen, 1962, p. 237).
8
Droit constitutionnel
On se reportera alors à la bibliographie, qui figure à la fin de chaque chapi-
tre, pour y trouver les indications complètes ou, s’agissant d’ouvrages généraux,
à la bibliographie qui figure en tête du livre.
KELSEN Hans (1962), Théorie pure du droit, Paris, Dalloz,
trad. fr.,
Ch. Eisenmann.
Cela signifie que pour effectuer une recherche bibliographique sur un sujet
donné, il faut d’abord rechercher les références dans les parties du texte où ce
sujet est traité.
Nous nous sommes cependant écartés de cette convention pour ce qui
concerne le Traité de science politique de G. Burdeau, auquel nous renvoyons
à maintes reprises, sans mention de date, mais en indiquant le numéro du
volume et ceux des paragraphes.
Sommaire
Principales abréviations....................................................................................................
Bibliographie générale .....................................................................................................
Chapitre 1. Le droit constitutionnel ............................................................................
PREMIÈRE PARTIE
THÉORIE GÉNÉRALE DE L’ÉTAT
Chapitre 1. La Constitution..........................................................................................
Chapitre 2. Le pouvoir ..................................................................................................
11
13
19
43
75
DEUXIÈME PARTIE
LES RÉGIMES POLITIQUES
Chapitre 1. Les régimes parlementaires .....................................................................
183
Chapitre 2. Le système constitutionnel des États-Unis ............................................
237
Chapitre 3. Les États de l’Europe centrale et orientale ..........................................
Chapitre 4. L’Union européenne .................................................................................
265
287
TROISIÈME PARTIE
APERÇU SOMMAIRE D’HISTOIRE CONSTITUTIONNELLE DE LA FRANCE
Chapitre 1. Les constitutions de la Révolution et de l’Empire ...............................
307
Chapitre 2. La monarchie parlementaire...................................................................
327
Chapitre 3. L’avènement du suffrage universel ........................................................
333
Chapitre 4. La IIIe République ....................................................................................
339
Chapitre 5. Les institutions politiques françaises de 1940 à 1946 .........................
363
Chapitre 6. La IVe République.....................................................................................
377
10
Droit constitutionnel
QUATRIÈME PARTIE
LES INSTITUTIONS DE LA VE RÉPUBLIQUE
Chapitre 1. Le cadre ......................................................................................................
397
Chapitre 2. Les organes ................................................................................................
521
Chapitre 3. Types de normes et compétences normatives.......................................
643
Chapitre 4. Justice et Constitution ..............................................................................
715
Index ..................................................................................................................................
781
Principales abréviations
AA. VV.
AJDA
C
Cs
CC
CCC
CESE
CJCE
CJUE
CNCCFP
CE
CEDH
C. élect.
C. pén.
CSA
CSM
D.
Doc. Fran.
DROM
FSNP
GA
GD
IRFM
JCP
JO
L.
LO
LCEFP
NCCC
NED
PA
PECO
PFRLR
Auteurs divers
Actualité Juridique Droit Administratif
Constitution
Revue « Constitutions »
Conseil constitutionnel
Cahiers du Conseil constitutionnel (v. aussi NCCC « Nouveaux
Cahiers du Conseil constitutionnel »)
Conseil économique, social et environnemental
Cour de justice des Communautés européennes
Cour de justice de l’Union européenne
Commission des Comptes et Campagne et des Financements
Politiques
Conseil d’État
Convention européenne des Droits de l’Homme
Code électoral
Code pénal
Conseil supérieur de l’audiovisuel
Conseil supérieur de la Magistrature
Dalloz
Documentation française
Département et région d’outre-mer
Fondation Nationale des Sciences Politiques
Long, Weil et Braibant, Les Grands Arrêts de la Jurisprudence
administrative, 14e éd., Paris, Dalloz, 2003
Favoreu et Philip, Les Grandes Décisions du Conseil constitutionnel,
Paris, Dalloz, 12e éd., 2003
Indemnité représentative de frais de mandat
Jurisclasseur Périodique – La Semaine Juridique
Journal officiel
Loi
Loi organique
Loi-cadre d’équilibre des finances publiques
Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel
Notes et Études Documentaires
Petites affiches
Pays d’Europe Centrale et Orientale
Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République
12
POL
PUAM
PUF
QPC
R.
RA
RDP
RFDA
RFDC
RFSP
RJP
RPP
Rec.
RSA
S.
TCE
TSCG
TUE
Droit constitutionnel
Politeia (Cahiers de l’Association Française des Auditeurs de
l’Académie Internationale de Droit Constitutionnel)
Presses universitaires d’Aix-Marseille
Presses universitaires de France
Question prioritaire de constitutionnalité
Règlement
Revue administrative
Revue du Droit Public et de la Science Politique
Revue Française de Droit administratif
Revue Française de Droit constitutionnel
Revue Française de Science politique
Revue Juridique et Politique
Revue Politique et Parlementaire
Recueil des décisions du Conseil d’État ou des décisions du Conseil
constitutionnel
Regards sur l’actualité
Sirey
Traité sur la Communauté européenne
Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance économique
et financière
Traité sur l’Union européenne
Bibliographie générale
Ouvrages généraux
1. Traités
BARTHÉLÉMY J. et DUEZ P.
(1985), Traité de droit constitutionnel,
2e éd. [1933], Paris, Economica, rééd., nouv. Rééd. 2004, Paris, Éditions
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BURDEAU G., Traité de science politique, Paris, LGDJ.
T. I. – Présentation de l’univers politique, 1980, 3e éd., vol. 1, Société politique
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T. II. – L’État, 3e éd. 1980.
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T. V. – Les régimes politiques, 1985, 3e éd.
T. VI. – L’État libéral, 1971, 2e éd., 2 vol.
T. VII. – La démocratie gouvernante. Son assise philosophique et sociale,
1972, 2e éd.
T. VIII. – La démocratie et les contraintes du Nouvel âge, 1974, 2e éd.
T. IX. – Les façades institutionnelles de la démocratie gouvernante, 1976,
2e éd.
T. X. – La révolte des colonisés, 1986, 3e éd.
CARRÉ DE MALBERG R. (1921), Contribution à la théorie générale de l’État,
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DUGUIT L. (1930), Traité de droit constitutionnel, 5 vol., Paris, Cujas, nouvelle
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14
Droit constitutionnel
JELLINEK G. (1905), L’État moderne et son droit, Préface Olivier Jouajan, nou-
velle édition Paris, Éd. Panthéon-Assas, 2 vol. 2005.
KELSEN H.,
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CHANTEBOUT B. (2013), Droit constitutionnel et Science politique, Paris, Sirey
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COHENDET M.-A. (2013), Droit constitutionnel, Paris, Montchrestien, 6e éd.
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Bibliographie générale
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BODINEAU P. et VERPEAUX M. (2013), Histoire constitutionnelle de la France,
Paris, PUF, 4e éd.
BRAUD P. et BURDEAU F. (1992), Histoire des idées politiques depuis la Révo-
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MORABITO M. (2014), Histoire constitutionnelle de la France (1787-1958),
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SZRAMKIEWICZ R., BOUINEAU J. (1998), Histoire des institutions, 1750-1914,
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VELLEY S. (2009), Histoire constitutionnelle française de 1789 à nos jours,
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Recueil de textes
DUGUIT L., MONNIER H., BONNARD R. et BERLIA G. (1952), Les constitutions
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RIALS S. (2013), Textes constitutionnels français, coll. Que sais-je ?, Paris,
PUF, 25e éd. mise à jour.
RIALS S. et BOUDON J. (2012), Textes constitutionnels étrangers, Paris, PUF,
14 éd.
La plupart des textes constitutionnels sont disponibles sur internet.
Droit constitutionnel comparé
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DE VERGOTTINI G.
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LAUVAUX P. (2004), Les grandes démocraties contemporaines, Paris, PUF,
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Droit constitutionnel
Ouvrages de référence
ALLAND D. et RIALS S. (dir.) (2003), Dictionnaire de la culture juridique,
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de Sociologie du Droit, Paris, LGDJ, 2e éd.
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DUHAMEL O. et MÉNY Y. (dir.) (1992), Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF.
TROPER M. et CHAGNOLLAUD D. (dir.) (2012), Traité international de droit
constitutionnel, Paris, Dalloz, 3 vol.
Revues
Cahiers du Conseil constitutionnel.
Constitutions : Revue de droit constitutionnel appliqué.
Jus Politicum, Revue de droit politique.
Politeia.
Pouvoirs.
Revue du Droit Public et de la Science Politique.
Revue Française de Droit Constitutionnel.
ICON. International Journal of Constitutional Law.
Guides pratiques
COHENDET M.-A., Les épreuves en droit public, Paris, LGDJ, 4e éd., 2009.
VERPEAUX M. (dir.) (2012), Droit constitutionnel 2013 : méthodologie & sujets
corrigés, Paris, Dalloz.
Sites internet
De très nombreux documents sont disponibles sur l’internet notamment toutes
les constitutions françaises, ainsi que la jurisprudence, sur le site du Conseil
constitutionnel : www.conseil-constitutionnel.fr
Vous y trouverez les liens pour aller vers les sites des constitutions et des cours
constitutionnelles étrangères, ainsi que la jurisprudence, des bibliographies
et quelques textes doctrinaux.
Le Conseil constitutionnel offre également un accès en ligne thématique avec
par exemple un dossier sur la constitution du 4 octobre 1958 réalisée à l’oc-
casion de son cinquantième anniversaire :
Les textes de nombreuses constitutions étrangères sont accessibles sur le site de
l’IEP de Lyon
http://iep.univ-lyon2.fr/constitution-etr.html
Bibliographie générale
17
Un site américain présente des dossiers très complets sur les questions d’actua-
lité du droit constitutionnel américain :
http//jurist. law. pitt. edu/
Enfin de nombreux sites institutionnels offrent une information actualisée et
pédagogique sur le fonctionnement des institutions :
Le site de la Présidence de la République : http://www.elysee.fr
Le site du Premier ministre :
http://www.premier-ministre.gouv.fr
Le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr
Le site du Sénat : http://www.senat.fr
Le service public d’accès au droit Legifrance :
http://www.legifrance.gouv.fr
Il existe également un nombre important de sites privés relatifs au droit consti-
tutionnel ou réservant une place importante à la matière :
http://www.droitconstitutionnel.org
http://www.droitconstitutionnel.net
http://www.rajf.org
Le site de l’Association des cours constitutionnelles partageant l’usage du fran-
çais : http://www.accpuf.org.
Chapitre 1
Le droit constitutionnel
1. Le terme « droit ». – Le terme « droit » est employé dans de très nom-
breux sens différents. On peut, en simplifiant, en distinguer trois. On dit souvent
que les hommes ont des droits. Le droit dont on parle alors est une faculté d’ac-
complir certaines actions. Ainsi, lorsqu’on dit qu’un citoyen français a le droit
de vote, on exprime l’idée que ce citoyen peut participer au choix des gouver-
nants et qu’il est interdit de l’en empêcher.
Dans un deuxième sens, par exemple dans les expressions « le droit fran-
çais » ou « le droit civil », « le droit constitutionnel », on désigne par le mot
droit un ensemble de normes.
Enfin, dans un troisième sens, le mot « droit » se rapporte à la science qui
étudie ces normes, comme dans les expressions « la faculté de droit » ou « l’étu-
diant en droit ». Dans ces facultés, on n’étudie pas directement toutes les nor-
mes qui forment le droit d’un pays et qui sont bien trop nombreuses pour être
connues. On n’en étudie que les principales et l’on s’initie surtout à la méthode
qui permet de les comprendre et de découvrir celle qui est applicable à telle ou
telle situation particulière.
Dans ce chapitre, on emploiera le mot « droit » dans le second et le troisième
sens. Il apparaît en effet d’ores et déjà que le droit constitutionnel peut être conçu
d’une part comme un ensemble de normes, une partie du droit en général, et d’au-
tre part comme la discipline qui étudie cet ensemble.
Section 1
Le droit constitutionnel ensemble de normes
§ 1. Le droit comme système de normes
2. Propositions et normes. – D’une manière générale, on appelle « norme »,
la signification d’une phrase par laquelle on déclare que quelque chose doit être,
par exemple qu’une certaine conduite doit avoir lieu. La norme s’oppose ainsi à
la proposition, qui est la signification d’une phrase par laquelle on indique que
quelque chose est. « Les hommes ne doivent pas mentir » exprime une norme.
« Les hommes mentent » exprime une proposition. Cette opposition correspond
à deux fonctions du langage humain : d’une part, on communique des
20
Droit constitutionnel
informations en décrivant la réalité ; d’autre part, on tente d’influer sur le com-
portement d’autrui, de lui faire faire quelque chose. La première fonction est
dite indicative ou descriptive ou encore assertive, la seconde prescriptive ou
normative.
Les propositions peuvent être exprimées par des phrases dont le verbe est à
l’indicatif, les normes par des phrases à l’impératif ou à l’aide d’un verbe tel
que « devoir » ou « falloir ». Mais ce n’est pas toujours le cas et la forme lin-
guistique d’une phrase n’est qu’un indice parmi d’autres de la fonction indica-
tive ou prescriptive qu’elle remplit. Une phrase apparemment normative peut
être en réalité indicative. Ainsi, la phrase « pour faire bouillir de l’eau, on doit
la porter à 100 degrés » ne vise pas, malgré la présence du verbe devoir, à pres-
crire une conduite quelconque. On indique seulement que si l’on chauffe de
l’eau jusqu’à 100 degrés, elle entrera en ébullition. On a donc seulement
informé sur une réalité objective. De même, une phrase apparemment indicative
peut-être en réalité prescriptive. Ainsi, la phrase « nous sommes dans une agglo-
mération » adressée à un conducteur signifie évidemment qu’il doit réduire la
vitesse de son véhicule.
C’est la raison pour laquelle on a souligné dans la définition de la norme
qu’elle n’était pas une phrase, mais seulement la signification d’une phrase. La
forme grammaticale d’une phrase ne permet donc pas à elle seule de dire qu’on
est en présence d’une proposition ou d’une norme et, intuitivement, on s’aide
toujours du contexte. C’est vrai de la morale ou du droit, souvent énoncés à l’in-
dicatif et chacun comprend que « Tu ne tueras point » n’exprime pas une prédic-
tion, mais un commandement.
3. Signification de cette distinction. – La distinction entre norme et propo-
sition est importante pour plusieurs raisons :
a) Elle correspond à l’opposition entre des fonctions psychiques différentes.
Les propositions sont énoncées pour exprimer une connaissance du monde, les
normes pour exprimer une volonté.
b) Norme et proposition ont des propriétés différentes. La proposition est sus-
ceptible d’être vraie ou fausse, la norme non. On peut répondre « c’est faux » à
« tous les hommes mentent », mais pas à « ne mentez pas ». On pourrait objecter
qu’il suffirait, au lieu de « ne mentez pas », de dire « on ne doit pas mentir », pour
qu’il soit possible de répondre « il est faux qu’on ne doit pas mentir ». Mais, si
l’on répond ainsi, on ne conteste pas la description d’un fait que l’on connaîtrait
mieux que son interlocuteur ; on se borne à opposer sa volonté à la sienne et à
tenter de substituer à la norme « ne mentez pas », la norme « mentez quelque-
fois ».
Si la norme ne peut être ni vraie ni fausse, on dit cependant qu’elle est
valide. Dire d’une norme qu’elle est valide, signifie qu’elle est en vigueur et
qu’on doit se comporter conformément à ce qu’elle prescrit. Il faut remarquer
que la validité n’est pas une propriété de la norme équivalant à la vérité de la
proposition. Une proposition dépourvue de vérité reste néanmoins une proposi-
tion, tandis qu’une norme dépourvue de validité n’est pas une norme du tout
(Kelsen, 1979). D’autre part, une proposition qui serait réfutée une seule fois
devrait être considérée comme fausse. Ainsi, la proposition « tous les cygnes
sont blancs » est fausse dès lors qu’on rencontre un seul cygne d’une autre
Le droit constitutionnel
21
couleur. Au contraire, une norme reste valide, même si les comportements pres-
crits ne sont pas réalisés. On peut continuer à dire « les hommes ne doivent pas
mentir », même s’il s’est avéré qu’ils mentent souvent.
Ces caractères servent d’indices pour reconnaître qu’on est en présence
d’une norme. Si elle exprime une volonté, si elle ne peut être vraie ou fausse,
si elle ne cesse pas d’être valide lorsqu’elle est violée, il s’agit d’une norme.
c) Enfin, il ne peut y avoir entre les normes et les propositions aucune rela-
tion logique. Cette impossibilité est connue sous le nom de loi de Hume. De ce
que quelque chose est on ne peut déduire que quelque chose doit être. Par
exemple si tous les hommes mentent, on ne peut en déduire que les hommes
doivent mentir, ni d’ailleurs qu’ils ne doivent pas mentir. Symétriquement, s’il
existe une norme selon laquelle il ne faut pas mentir, on ne peut en déduire que
les hommes ne mentent pas.
4. La hiérarchie des normes. – N’importe quel ordre ou commandement
n’est pas une norme. Un voleur qui ordonne « donne-moi l’argent », émet un
commandement et non une norme. Ce commandement n’est pas juridiquement
valide et il est permis de refuser d’obéir. En revanche, si le percepteur émet un
ordre semblable, on est en présence d’une norme juridique et on doit lui obéir.
Quelle est la différence entre ces deux commandements ? Elle ne réside pas
dans le contenu, car le comportement prescrit est le même, donner de l’argent.
Elle est dans la validité. Mais pourquoi dit-on que l’ordre du percepteur est
valide et que l’ordre du voleur ne l’est pas ?
Le percepteur n’émet son commandement qu’en application d’une loi, qui
lui ordonne de percevoir les impôts. Son commandement est une norme valide
en raison de sa conformité à la loi. On dit qu’il trouve dans la loi le fondement
de sa validité. La loi a été émise par le Parlement et elle est d’ailleurs elle-même
une norme valide, parce qu’une autre norme, la Constitution, habilite le Parle-
ment à adopter des lois. Au-dessus de la constitution, il n’existe aucune norme.
Si l’on considère que la Constitution est malgré tout une norme et qu’elle est
ainsi apte à fonder la validité de la loi, et indirectement celle du commandement
du percepteur, c’est simplement qu’on présuppose qu’elle est valide. Ce présup-
posé s’appelle la norme fondamentale. Cette norme fondamentale n’existe pas.
Elle n’est même pas véritablement une norme. C’est seulement le présupposé,
faute duquel il serait impossible de rtraiter la Constitution comme une norme et
de faire la moindre différence entre l’ordre du percepteur et celui du voleur.
Il faut remarquer à ce propos que la validité dont il est question ici est la
validité formelle. En revanche la norme fondamentale ne permet en aucune
façon de justifier le fond des normes. Cette fonction revient à l’idéologie,
c’est-à-dire à la représentation de l’ordre social désirable.
On voit qu’une norme est valide en raison de sa conformité à une norme
supérieure, qui est elle-même valide parce qu’elle est conforme à une norme
encore supérieure. Autrement dit, une phrase quelconque n’a la signification
d’une norme qu’en raison de son insertion dans une hiérarchie. Cette hiérarchie
forme un système. Dire qu’il s’agit d’un système, c’est dire que l’ensemble
n’est pas composé d’une juxtaposition ou d’une addition d’éléments. Ici les élé-
la nature de norme qu’en raison de leur appartenance au
ments n’ont
système. C’est lui qui en fait des normes.
22
Droit constitutionnel
En définitive, on identifie une norme lorsqu’on constate qu’une certaine
phrase acquiert une signification prescriptive du fait d’un système normatif.
En même temps, on détermine l’espèce de norme dont il s’agit. Il existe en
effet des normes juridiques, morales, religieuses, sociales, etc. Si l’on examinait
isolément une phrase comme par exemple, « il est interdit de consommer des
boissons alcoolisées », il serait impossible de dire s’il s’agit d’une norme et,
dans l’affirmative, s’il s’agit d’une norme juridique, morale ou religieuse. En
revanche, on peut rechercher si cette phrase a été énoncée conformément à
une norme supérieure, si par conséquent elle s’insère dans un système normatif.
On découvrira alors qu’elle s’insère dans un système religieux, celui de l’Islam
ou bien dans le système juridique de tel ou tel État du Moyen-Orient, mais non
dans le système juridique français. En France, il n’est pas obligatoire de se
conformer à une telle norme ou, en d’autres termes, une telle norme juridique
n’est pas valide ou encore n’existe pas.
On dispose à présent d’une définition simple de la norme juridique : c’est
celle qui appartient au système juridique. Cependant, on n’a pas complètement
résolu le problème de l’identification de la norme juridique, car si c’est celle qui
appartient au système juridique, encore faut-il pouvoir définir le système juri-
dique lui-même.
5. Le droit et les autres systèmes normatifs. – Il existe de nombreux sys-
tèmes normatifs : outre le droit, les diverses morales, les règles de la courtoisie,
les codes d’honneur, les manières de table, etc. On peut tenter de distinguer le
droit ou système juridique de tous les autres systèmes normatifs, en considérant
qu’il possède deux séries de caractères spécifiques. Ces caractères seront appe-
lés les critères de la distinction. On peut envisager des caractères matériels,
tenant au contenu des prescriptions ou des caractères formels, tenant à la
forme ou à la structure du système.
a) On considère quelquefois que le droit possède un caractère matériel spé-
cifique : il ne se bornerait pas comme les autres à prescrire des comportements,
mais il assortirait ces prescriptions de sanctions. Si le comportement prescrit n’a
pas lieu, alors le droit prescrit qu’une sanction soit infligée. Au contraire, les
autres systèmes normatifs ne comporteraient pas de sanctions.
Cependant, il existe de nombreuses normes juridiques qui ne comportent pas
de sanctions, par exemple « si un étudiant subit avec succès les épreuves de l’exa-
men, il recevra un diplôme » ou « le Parlement peut voter les lois ». Pour tenir
compte de cette possible objection, les tenants de la thèse des caractères matériels
ont élargi la notion de sanction. Dans un sens étroit, qui est aussi le sens courant,
la sanction est un mal infligé à quelqu’un, au besoin par la contrainte. Dans un
sens large, la notion comprend aussi les récompenses (au cas où la conduite pres-
crite a bien lieu). Dans le sens le plus large, on appellera sanction toute consé-
quence, bonne, mauvaise ou neutre, que le droit attache à la conduite prescrite ou
permise. On dira par exemple, que si la constitution permet au Parlement de voter
la loi, alors la conduite permise est le vote et la sanction est la conséquence de ce
vote, c’est-à-dire la circonstance qu’une loi a été adoptée.
Cette présentation n’est pourtant guère satisfaisante, car si l’on emploie le
terme de sanction dans un sens aussi large, il faut dire que les autres systèmes
normatifs comportent eux aussi des sanctions. Dans les systèmes religieux ou
Le droit constitutionnel
23
moraux, il s’agit de châtiments ou de récompenses dans l’au-delà ou encore de
remords. Dans les systèmes de normes sociales, la sanction (au sens très large)
est la signification que la société attache au comportement : si la norme permet
aux parents d’élever les enfants et s’ils leur interdisent de se nourrir exclusive-
ment de bonbons, il faudra appeler « sanction » le fait qu’une telle interdiction
sera considérée non comme un mauvais traitement à enfant ou comme une
atteinte aux libertés individuelles, mais comme un acte d’éducation. De ce
point de vue, il n’y a donc guère de différence matérielle entre les systèmes
normatifs.
b) En revanche, on peut estimer que le droit possède des caractères formels
spécifiques. Le système juridique, comme tout système normatif, est hiérar-
chisé. Mais on peut concevoir deux types de hiérarchie : une hiérarchie statique
et une hiérarchie dynamique. On peut raisonner sur un exemple simple : un tri-
bunal émet une sentence, qui est une norme, « Dupont, le voleur, doit subir une
peine de cinq ans de prison ». Naturellement, cette norme est valide parce
qu’elle est conforme à une norme supérieure. Mais si l’on recherche la norme
susceptible de fonder sa validité, on peut en trouver deux.
La première est la loi pénale, qui prescrit de punir tous les voleurs d’une
peine de cinq ans de prison. La sentence énoncée par le tribunal est valide
parce que son contenu est conforme à celui, plus général, de la loi et cette
conformité pourrait être exprimée par un syllogisme très simple :
1) prémisse majeure : tous les voleurs doivent être punis de cinq ans de
prison,
2) prémisse mineure : Dupont est un voleur,
3) conclusion : Dupont doit être puni de cinq ans de prison.
La relation entre les deux normes, la loi et la sentence, est donc seulement
une relation entre deux contenus (dont l’un est général et l’autre particulier).
Elle est dite statique. Le tribunal a dans ce cas un pouvoir très restreint, puisque
la sentence est prédéterminée. Dès lors qu’il constate que Dupont est un voleur,
il ne peut que le punir de cinq ans de prison.
La seconde norme qui peut fonder la validité de la sentence est « le tribunal
est autorisé à prononcer des peines de prison ». Elle ne précise ni dans quels cas
il peut le faire, ni la durée de la peine et se borne à conférer au tribunal un
pouvoir, qu’il n’aurait pas autrement, d’émettre des sentences. Il n’y a ici
aucune relation de contenu entre la norme supérieure et la sentence. On dit
que la norme supérieure règle la production des normes inférieures et la relation
est, pour cette raison, appelée « dynamique ».
6. Le système juridique est caractérisé par une double relation, statique et
dynamique, tandis que les autres systèmes ne consistent qu’en relations stati-
ques ou en relations dynamiques entre les normes. Dans la morale, par exemple,
la norme « ne fais pas de tort à autrui » est valide, non pas parce qu’elle a été
énoncée d’une certaine manière, mais parce qu’elle se déduit du contenu d’une
norme plus générale « aime ton prochain comme toi-même ». Les deux normes
sont valides en même temps. La morale est un système statique. À l’inverse, le
système de pouvoir dans une bande de voleurs peut correspondre au schéma
suivant : le chef suprême attribue un territoire à chaque chef de bande, qui à
son tour affecte ses hommes à telle ou telle mission. L’ordre donné par le chef
24
Droit constitutionnel
de bande n’est pas valide parce que son contenu correspondrait à celui d’une
norme générale, c’est-à-dire parce qu’il se présenterait comme l’application
d’un ordre plus général de son propre supérieur, mais seulement parce qu’il
est habilité à donner des ordres dans son district. Ces ordres sont valides,
quels que soient leurs contenus et seulement en raison de l’autorité dont ils éma-
nent. Les ordres du chef suprême ont été émis avant ceux du chef local. Le
système est dynamique.
Nous sommes à présent en mesure de distinguer le système juridique des
autres systèmes normatifs et de le définir par ses caractères formels. Une telle
définition est une définition stipulative et non une définition réelle ou lexicale.
Une définition réelle est une définition qui porte sur une chose et qui la décrit
sommairement telle qu’elle est réellement. Elle concerne l’essence de la chose.
De bons auteurs estiment cependant qu’il n’y a pas d’essence du droit ou, s’il y
en a une, qu’on ne peut l’atteindre. On ne pourra donc en donner une définition
réelle. Mais une telle définition n’est pas vraiment nécessaire. Ce dont nous
pouvons avoir besoin, c’est d’abord de connaître le sens du mot « droit », dans
une langue donnée et dans un contexte donné. On recherchera alors une défini-
tion lexicale. La définition lexicale ne se confond pas avec une définition réelle,
comme on peut le constater en ouvrant un dictionnaire, parce que pour un même
mot, il y aura nécessairement plusieurs définitions lexicales, dès lors que ce mot
a plusieurs sens, et qu’on peut parfaitement définir le sens dans lequel on
emploie un mot dans une langue donnée, sans pour autant parler de la nature
de la chose.
Nous pouvons aussi avoir besoin de choisir une définition qui ne corres-
ponde ni à l’essence prétendue de la chose, ni à l’usage du mot dans une langue
donnée.
C’est notamment le cas, si l’on veut étudier un objet, dont les limites, si l’on
s’en tenait à l’usage linguistique, seraient trop imprécises. Ainsi, un historien,
qui voudrait étudier la royauté au Moyen Âge, ne pourrait évidemment trouver
une définition réelle du Moyen Âge, qui est le nom que l’on donne au produit
d’un découpage chronologique et qui n’a pas d’existence objective. Il ne pour-
rait pas non plus se contenter d’une définition lexicale, parce que l’on donne des
dates très variées pour le début et la fin de cette période, et que, selon les défi-
nitions lexicales, notre historien devrait englober dans son étude le règne d’Isa-
belle la Catholique ou au contraire l’en exclure. Les conclusions auxquelles il
aboutira dans l’un et l’autre cas seront naturellement très différentes. C’est la
raison pour laquelle, on décide d’appeler « Moyen Âge », telle ou telle période
que l’on va étudier. Une telle définition est dite stipulative, parce qu’elle est
stipulée ou convenue au commencement de l’étude. Une définition stipulative
n’est ni vraie, ni fausse. Elle résulte d’un choix et est seulement utile ou non.
C’est en ce sens qu’on dit que les définitions sont libres.
Justement la définition formelle que l’on vient de donner du droit est une
définition stipulative. On ne prétend pas révéler la nature véritable du droit,
mais seulement se donner un instrument commode. Cette définition apparaît
en effet commode et cela pour deux raisons principales : d’une part, elle permet
d’éviter toutes les difficultés auxquelles on se heurte avec une définition maté-
rielle fondée sur la sanction, lorsqu’on cherche à distinguer le droit, la morale et
l’ordre de la bande de voleurs. D’autre part, elle conduit à définir un objet
Le droit constitutionnel
25
auquel on peut appliquer une méthode unique, la dogmatique juridique, qui sera
examinée dans la section suivante.
Cette présentation reflète d’ailleurs l’idée que toute science constitue son
objet. Le droit, comme les autres objets scientifiques, n’est pas une réalité qui
serait objectivement définie et délimitée. C’est à la science qu’il appartient de
découper les limites de son objet dans un monde qui apparaît chaotique et cet
objet sera celui auquel elle peut appliquer sa méthode. C’est donc la méthode,
qui est ici l’élément premier et déterminant. Or, précisément, la méthode de la
science juridique, la dogmatique, consiste à utiliser les relations entre les nor-
mes, pour établir quelles sont les normes en vigueur. La seule définition du droit
sur laquelle elle puisse se fonder est une définition formelle1.
§ 2. Le droit constitutionnel comme sous-système
7. Il apparaît maintenant que le droit constitutionnel est une partie du sys-
tème juridique, comme d’ailleurs le droit civil ou le droit pénal. Cependant, s’il
fait l’objet d’une étude spécifique, distincte de celle des autres parties du sys-
tème (qu’on appelle aussi branches du droit), c’est qu’il possède certaines carac-
téristiques spécifiques.
Comme pour le système juridique en général, on peut chercher à définir le droit
constitutionnel par des caractères matériels ou par des caractères formels. Il s’agit
toujours du droit relatif à la Constitution, mais dans le premier cas, on dira que la
constitution est un ensemble de normes caractérisées par leur objet, dans le second
qu’elles sont définies par le niveau auquel elles se situent dans la hiérarchie de
l’ordre juridique. Il ne faut pas croire qu’une définition serait supérieure à une
autre. Une définition n’est pas une thèse relative à la véritable nature d’une
chose, mais un outil intellectuel permettant de construire un raisonnement. Selon
le contexte, on emploie donc tantôt une définition matérielle, tantôt une définition
formelle.
A Définition matérielle
8. On peut concevoir plusieurs définitions matérielles.
1. La définition traditionnelle : le droit constitutionnel, droit de l’État
9. C’est un fait que les constitutions ne sont apparues qu’avec l’État
moderne. D’une part, on assiste au XVIIIe siècle au développement d’un mouve-
ment idéologique puissant, le constitutionnalisme, qui concevait la liberté et le
pouvoir comme antinomiques. Pour garantir la liberté, il fallait limiter le pou-
voir au moyen de quelques règles d’organisation judicieusement combinées. On
a appelé ces règles « constitution », terme synonyme à cette époque « d’organi-
sation » ou de « structure », comme on le voit encore lorsqu’on dit aujourd’hui
Il existe une littérature immense sur la question de la définition du droit. Pour une première
1.
approche, voir la revue Droits 1989 et 1990 et le Dictionnaire d’Éguilles.
26
Droit constitutionnel
d’un homme qu’il a une constitution robuste. D’autre part, le pouvoir qu’il
s’agit de limiter n’est pas n’importe quel pouvoir, ce n’est pas celui qui peut
s’exercer dans la famille, dans l’armée ou dans l’Église, mais seulement le pou-
voir politique le plus considérable, celui précisément qui s’est développé au
XVIIe siècle, notamment en France, et qu’on appelle l’État.
Il est donc naturel qu’on considère que la Constitution et le droit constitu-
tionnel ont pour objet l’État et les limites de son pouvoir et qu’on cherche ainsi
à les définir. La Constitution (ou le droit constitutionnel), au sens matériel, est
alors l’ensemble des règles relatives à l’organisation de cet État, c’est-à-dire à
la désignation des hommes qui exercent ce pouvoir, à leurs compétences, à leurs
rapports mutuels. Mais, si l’on raisonne ainsi, on a seulement déplacé le pro-
blème, car il faut définir l’État.
Il faut alors considérer qu’il existe un État dès lors que trois conditions sont
remplies : qu’il y ait un territoire, une population, une puissance publique.
a) Le territoire
10. Encore que la question ait été discutée, on peut dire qu’il n’y a pas
d’État sans territoire. Non pas que le territoire soit, comme on le croit parfois,
un élément constitutif de l’État ; mais parce qu’il est une condition indispen-
sable pour que l’autorité politique s’exerce efficacement.
Il est vrai que l’histoire nous offre l’exemple d’États reconnus comme tels,
avant que leurs frontières soient totalement fixées – ce fut le cas de la Pologne à
la suite de la guerre de 1914-1918 ; mais c’est là une situation exceptionnelle
qui ne peut se réaliser que pour un État ancien en voie de reconstitution et qui,
autrefois, s’était constitué sur une base territoriale.
L’idée d’enfermer une collectivité humaine dans des limites linéaires stables
– les frontières – est relativement récente. Dans la Grèce antique, il n’y avait ni
ligne douanière, ni ligne militaire ; à Rome, les limes de l’Empire étaient des
espaces où s’exerçait la vigilance des légions. Ce n’est qu’au XVIe siècle que
les travaux cartographiques, rendus possibles par le renouveau des études
mathématiques et géographiques, font apparaître la notion moderne de frontière.
Or, il n’est pas sans intérêt d’observer que c’est vers la même époque que se fait
jour le concept d’État pour définir certaines formes du Pouvoir politique (Ancel,
1936, t. I ; Fèbvre, 1962, p. 11 et s.).
La nature du droit de l’État sur son territoire (Schoenborn, 1929 ; Scelle,
1948, p. 67 ; Rousseau, 1987, p. 224).
Cette question est évidemment l’effet d’une métaphore anthropomorphique :
dans la mesure où l’État est considéré comme une personne, on considère qu’il
possède un territoire et l’on s’interroge sur la nature de son droit sur ce terri-
toire. Cette métaphore résulte de certaines ressemblances entre les normes du
droit international relatives aux changements territoriaux et les normes du
droit interne relatives à la propriété. Mais cette manière de poser la question
conduit à des difficultés considérables : on ne peut assimiler ce droit à la pro-
priété parce que si l’État était le propriétaire du sol, son droit serait exclusif et
les particuliers ne pourraient être propriétaires en même temps que lui. On ne
peut pas davantage l’assimiler à la souveraineté, qui est considérée comme un
droit sur des hommes et non sur les choses. On a alors cherché une troisième
Le droit constitutionnel
27
voie et considéré que ce droit devait être considéré comme un droit réel institu-
tionnel, réel pour marquer qu’il porte directement sur le sol national, institution-
nel pour indiquer que son contenu est limité et déterminé par ce qu’exige le
service de l’institution étatique. Mais, on ne doit pas oublier qu’il ne s’agit
que d’une manière commode de présenter les choses, d’une façon de parler :
l’État produit des normes qui sont obligatoires sur une certaine portion d’espace
à l’égard d’un certain ensemble d’hommes. Il n’est nul besoin de penser qu’il
existerait dans la réalité un véritable lien, dont on rechercherait la nature, entre
l’État et cet espace.
Il suffit alors de souligner que le territoire est un concept nécessaire pour
définir l’État : c’est l’espace géographique sur lequel l’État exerce ses compé-
tences, c’est-à-dire qu’il produit des règles régissant les hommes et les biens qui
s’y trouvent.
Cela étant, il faut souligner que le territoire est un espace à trois dimensions :
il comprend non seulement la surface terrestre, mais aussi la couche atmosphé-
rique située au-dessus du sol ; il n’est pas seulement terrestre, mais s’étend éga-
lement aux portions de la mer qui baigne les côtes, la mer territoriale.
b) La population
11. En deuxième lieu, on ne peut parler d’État que lorsqu’un ensemble
limité d’hommes est soumis à un ordre juridique déterminé à l’exclusion de
tout autre. Cet ensemble d’hommes est appelé la population de l’État. Il est
possible – et c’est le cas le plus fréquent – que les hommes qui font partie de
cet ensemble ne possèdent aucune autre caractéristique commune que d’être
soumis à un certain ordre juridique. Il peut exister entre eux des différences
très importantes du point de vue linguistique, ethnique, religieux, économique,
du point de vue aussi de leur sentiment d’appartenance à cette population ou
d’allégeance à l’État. Ils n’en forment pas moins, du strict point de vue juri-
dique, la population de l’État.
On peut cependant estimer que l’État ne peut fonctionner de façon satisfai-
sante que lorsque la population présente d’autres caractéristiques communes,
notamment l’adhésion à des valeurs fondamentales et à l’État lui-même, la
conscience d’appartenir à un même peuple et la volonté de préserver son unité.
Le peuple structuré par un État ou par le désir d’en instituer un, est aussi
appelé « nation ».
Il suit de là que la nation est quelquefois antérieure à l’État, comme il arrive
précisément dans les revendications nationales, mais elle peut être aussi créée
par l’État lui-même. C’est ce qui s’est produit en France sous l’ancienne
monarchie.
Mais il peut également se produire – c’est même le cas le plus fréquent –
qu’un État ait une population qui ne présente aucune homogénéité, ni linguis-
tique, ni ethnique, ni culturelle et qu’il n’y ait aucun sentiment d’appartenance
nationale. Il n’en est pas moins un État. Ce n’est donc pas l’existence d’une
nation, mais seulement celle d’une population, qui est une condition de l’État.
28
c) La puissance
Droit constitutionnel
12. Enfin, pour qu’il existe un État, il ne suffit pas qu’il existe sur un terri-
toire déterminé, une population soumise à un même ensemble de normes. On
n’emploie pas habituellement le terme d’État pour parler des sociétés sans his-
toire, dites « primitives » ou en Europe occidentale de la société féodale ; il faut
encore que cette population et ce territoire soient soumis à une forme spécifique
de pouvoir politique. Cette troisième condition d’existence est généralement
appelée la puissance publique ou encore souveraineté.
On confond parfois la question juridique de la spécificité de la puissance
propre à l’État avec les questions sociologiques ou politiques du consentement
et de la légitimité.
Il est vrai, d’un point de vue sociologique, que l’État ne peut exercer sa
puissance par le simple usage de la force. Il a besoin pour l’exercer durablement
du consentement des sujets ou du moins d’une partie d’entre eux.
Il est également vrai, qu’il a besoin d’une légitimité, c’est-à-dire d’un
ensemble de raisons qui justifient aux yeux des sujets ou des gouvernants eux-
mêmes l’attribution du pouvoir à ceux qui l’exercent et l’obligation de leur
obéir. Max Weber a ainsi distingué trois types de légitimité, selon que le pou-
voir est traditionnel (gouvernement du prince), charismatique (gouvernement du
chef qualifié par son prestige) ou rationnel (gouvernement d’autorités agissant
conformément au droit).
Mais d’un point de vue juridique, le consentement ou la légitimité ne peu-
vent être des éléments de définition de l’État, car il y a bien des États, auxquels
le consentement des sujets fait défaut ou dont la légitimité est contestée, mais
qui n’en sont pas moins des États.
On dit alors que ce qui caractérise l’État, c’est qu’il exerce un pouvoir d’une
« essence » particulière, un pouvoir supérieur à tous les autres, qu’on appelle
souverain. Cependant, s’il s’agit de définir l’État par la souveraineté, on ne
peut pas considérer cette suprématie comme une suprématie de fait, une supré-
matie réelle. Il peut se trouver en effet, dans certains pays, des institutions ou
des groupes plus puissants en fait que l’État. La puissance dont il s’agit est donc
une puissance qui n’est pas supérieure en fait, mais seulement en droit.
On constate ainsi que les trois éléments de la définition de l’État correspon-
dent à des phénomènes qui ne sont ni naturels, ni même sociaux et culturels. Il
peut y avoir des États auxquels ne correspondent ni une population, ni un terri-
toire homogènes et dont la puissance n’est pas réellement et matériellement
supérieure. Ces trois éléments doivent donc être eux-mêmes définis juridique-
ment et seulement juridiquement. Mais une définition juridique de l’État – et
par conséquent une définition matérielle du droit constitutionnel – donne lieu
à de nouvelles difficultés.
2. Insuffisance de cette définition matérielle
13. Elle repose sur une définition de l’État. Or celle-ci souffre d’une incerti-
tude grave. La critique, très simple, en a été faite par Hans Kelsen. Définir l’État
par la réunion de trois conditions, c’est affirmer que dès lors qu’on constate que
ces trois conditions sont réalisées, on constate du même coup qu’il existe un
Le droit constitutionnel
29
État. Mais, objecte Kelsen, il est impossible de faire cette constatation, car les
trois conditions ne correspondent pas à des faits empiriques que l’on pourrait
rencontrer dans la nature. Comment savoir par exemple qu’il y a un peuple ?
Un peuple n’est pas un phénomène naturel. C’est un groupe d’hommes, mais
ils n’ont le plus souvent en commun ni la langue, ni la religion, ni l’apparte-
nance ethnique, ni aucun autre caractère. Le seul lien qui les unit, c’est qu’ils
sont tous soumis au même État. Mais on voit par là que si le peuple se définit
par l’État, il devient impossible de définir l’État par le peuple. De même, le
territoire n’existe pas « naturellement ». C’est seulement la portion d’espace
sur laquelle l’État exerce son autorité. Quant à la puissance publique, ce n’est
pas non plus n’importe quelle puissance politique, c’est celle de l’État. La défi-
nition classique de l’État présente donc un caractère tautologique : il y a un État
lorsqu’il y a un peuple, un territoire et une puissance publique et il y a un peu-
ple, un territoire et une puissance publique lorsqu’il y a un État (Kelsen, 1962,
spécialt. p. 275-310).
De plus, le droit constitutionnel a connu depuis le XVIIIe siècle une évolution
considérable. Il n’a plus seulement pour objet l’organisation de l’État et n’a plus
seulement pour fin la limitation du pouvoir et la garantie de la liberté, mais
concerne des domaines sans cesse plus variés et plus nombreux. Cette évolution
s’explique aisément par la hiérarchie des normes (v. supra no 4) : chaque norme
trouve le fondement de sa validité dans une norme supérieure, à laquelle elle
doit être conforme. Cela implique évidemment qu’elle ne peut la modifier.
Appliquée aux rapports de la Constitution et de la loi, cette idée signifie que
la loi ne peut modifier la Constitution. Elle est riche de conséquences pratiques,
car lorsqu’on veut donner à une prescription une très grande valeur, lorsqu’on
veut la mettre à l’abri de toute modification par la loi, on lui donne la forme
constitutionnelle, on l’exprime par un texte constitutionnel et elle devient ainsi
elle-même une norme constitutionnelle. Elle ne pourra alors être modifiée qu’à
la suite d’une procédure spéciale, généralement plus difficile à mettre en œuvre.
Depuis deux siècles, on a énoncé de la sorte des règles nombreuses, le plus
souvent pour garantir des libertés fondamentales, mais aussi pour affirmer les
principes essentiels régissant les matières les plus diverses, ce qui explique la
longueur de plusieurs constitutions contemporaines. Ainsi, la Constitution du
Brésil de 1988 compte 250 articles, alors que celle des États-Unis, plus
ancienne de deux siècles, n’en a que 6 – il est vrai qu’ils sont sensiblement
plus longs. Mais il est impossible de donner une définition purement matérielle
de la constitution, parce qu’il n’y a pas de matière qui soit constitutionnelle par
nature et qu’il est impossible de faire une liste des matières qui seraient néces-
sairement régies par la Constitution. Chacun a en mémoire un amendement à la
Constitution des États-Unis qui avait institué la prohibition de l’alcool, de sorte
qu’il avait fallu un nouvel amendement pour en permettre à nouveau la vente et
la consommation.
3. La Constitution, système d’organes
14. Les hommes qui exercent le pouvoir politique n’exercent pas un pouvoir
propre, mais une compétence. On dit qu’ils ont individuellement ou lorsqu’ils
sont réunis en collèges la qualité d’organes de l’État, parce que leurs actes sont
30
Droit constitutionnel
considérés comme ayant été accomplis par l’État et qu’ils sont attribués à l’État.
On les appelle aussi des autorités ou des pouvoirs publics. Dans les États
modernes, il existe toujours plusieurs de ces organes, de telle sorte que le pou-
voir est partagé entre eux. La constitution est alors l’organisation générale du
pouvoir, qui résulte de la répartition des compétences entre les organes. C’est la
norme qui règle la production des normes les plus élevées du système juridique,
par exemple les lois, les traités ou les décisions par lesquelles les gouverne-
ments exécutent les lois.
On emploie d’ailleurs le mot « constitution » dans un sens très large pour
désigner toute forme d’organisation du pouvoir, même s’il ne s’agit pas du
pouvoir de l’État. On peut parler ainsi de la constitution de l’Église ou des
ordres monastiques ; dans certaines langues étrangères les statuts d’une asso-
ciation sont appelés « constitution » ; on parle aujourd’hui en ce sens de la
« constitution » de l’Union européenne, bien qu’elle ne soit pas un État,
parce qu’elle règle les compétences des organes de l’Union et le processus
de production des normes européennes.
B Définition formelle
15. Mais, on peut donner aussi une définition formelle du droit constitution-
nel : c’est un ensemble de normes qui présentent trois caractéristiques : premiè-
rement leur valeur est supérieure à celle de toutes les autres normes ; deuxième-
la manière dont ces autres normes doivent être
ment elles déterminent
produites ; enfin, elles constituent le fondement ultime de leur validité, sans
que les normes qu’il contient soient elles-mêmes fondées sur d’autres normes
juridiques.
Ces éléments doivent eux-mêmes être explicités. Une norme A a une valeur
supérieure à celle d’une autre norme B, lorsque, en cas de contradiction, il
existe une procédure juridictionnelle pour annuler B ou pour en empêcher l’ap-
plication. La Constitution a ainsi une valeur supérieure à celle des lois lorsqu’il
existe des procédures pour empêcher l’application des lois contraires à la
Constitution. Elle a aussi une valeur supérieure à celle des traités, des décrets,
des contrats et de toutes les autres normes juridiques. Il en résulte qu’une consti-
tution peut abroger ou modifier une loi, mais que l’inverse n’est pas vrai. Il en
résulte aussi que la Constitution ne peut elle-même être modifiée qu’au moyen
d’une procédure spéciale, longue et plus difficile que celle qui permet de modi-
fier les lois.
Une norme A est le fondement de la validité d’une norme B, lorsque A a
donné à une certaine autorité le pouvoir de produire une norme B en suivant
une certaine procédure et respectant certaines conditions et que, à la question
de savoir si et pourquoi B est une norme obligatoire, on répond en disant que
B est valide parce qu’elle a été produite selon les conditions prescrites par
A. Ainsi, on sait en France qu’une loi est une norme obligatoire lorsqu’elle a
été produite par le Parlement conformément à la constitution. La Constitution
est le fondement de validité de la loi. Elle est de même le fondement de validité
des traités, des décrets et d’autres normes encore.
Le droit constitutionnel
31
Elle est le fondement ultime de la validité de toutes les normes. La loi peut à
son tour donner à d’autres autorités le pouvoir de produire des normes. Le fonde-
ment immédiat de la validité de ces normes sera dans la loi, mais comme la loi a
elle-même son fondement dans la Constitution, celle-ci est leur fondement ultime.
La Constitution n’a pas elle-même de fondement, en ce sens qu’il n’y a pas
de norme au-dessus de la Constitution, qui ait autorisé sa production et qui per-
mette de dire qu’il s’agit d’une norme obligatoire.
Certaines de ces normes sont énoncées dans un texte ou document que la
science du droit constitutionnel appelle « constitution formelle », bien qu’il
puisse porter des noms divers (« acte constitutionnel », « loi fondamentale »,
« charte », etc.). Cependant, dans plusieurs pays, la constitution formelle est
appliquée et interprétée par les juges, de sorte que l’ensemble de ces interpréta-
tions, qui forment ce qu’on appelle la « jurisprudence », est aussi une partie du
droit constitutionnel.
Le droit constitutionnel ne se définit plus matériellement par son objet, mais
seulement par sa forme : il s’agit des normes qui occupent le sommet de la hié-
rarchie du système juridique, qui ne peuvent être modifiées par la loi, mais seu-
lement au terme d’une procédure généralement plus lente et plus difficile à met-
tre en œuvre que la procédure législative et qui peuvent porter sur des objets très
variés : l’organisation du pouvoir, les droits de l’Homme ou même une matière,
qui ne concerne ni le pouvoir ni les droits de l’Homme, mais à laquelle on atta-
che une grande importance symbolique, comme par exemple l’hymne national,
les couleurs du drapeau, une devise ou encore la proclamation d’une croyance
religieuse ou philosophique.
Il faut observer que la définition formelle qu’on vient d’esquisser peut être
appliquée d’une manière plus ou moins stricte.
Dans un sens strict, on appellera « constitution » seulement les ensembles de
normes qui présentent tous ces caractères. Seuls les États ont une constitution en
ce sens. Le fait que leur constitution constitue le fondement ultime de toutes les
autres normes, c’est-à-dire de leur droit national, qu’elle soit suprême, est
appelé « souveraineté ». Mais certains États n’ont pas du tout de constitution
au sens formel, bien qu’ils en aient une au sens matériel. C’est le cas de l’An-
gleterre, puisque non seulement il n’y a pas de document écrit appelé constitu-
tion, mais il n’y a pas de norme qui ait une valeur supérieure à celle des lois.
Mais on peut parler aussi de constitution formelle dans un sens large,
lorsque certains seulement de ces caractères sont présents.
De même, l’État membre d’un État fédéral, par exemple la Californie aux
États-Unis ou l’État de Rio de Janeiro au Brésil, a des règles d’organisation et
de fonctionnement du pouvoir politique analogues à celles d’un État unitaire
comme la France. Ces règles forment un ensemble généralement – mais pas
toujours – appelé « constitution ». Elles ont une valeur supérieure à celles de
toutes les normes juridiques de l’État membre et fondent leur validité, mais
elles ne sont pas suprêmes, car la constitution de l’État fédéral a une valeur
encore supérieure.
On s’est demandé si le traité établissant une Constitution pour l’Europe,
rejeté en France par le référendum du 29 mai 2005, créait non seulement une
constitution matérielle – parce qu’elle met en place un système d’organes qui
32
Droit constitutionnel
produisent des normes du niveau le plus élevé – mais également une véritable
constitution formelle. La réponse doit être nuancée. Tout d’abord, cette consti-
tution ne devait pas être adoptée par un pouvoir constituant (v. infra no 296),
mais par un traité – et ne pouvait être révisée que comme un traité, c’est-à-
dire à l’unanimité des États. En outre, elle n’était pas la norme la plus élevée,
bien qu’elle proclamât le principe de sa suprématie sur les droits nationaux,
dans la mesure où elle n’était pas le fondement de validité des constitutions
nationales. Il n’était d’ailleurs même pas certain qu’elle aurait toujours prévalu
en cas de contradiction avec certains principes constitutionnels nationaux jugés
essentiels.
Il ressort de tout ce qui précède que les définitions formelles et matérielles
ne coïncident pas et que certains textes peuvent être appelés ou non constitution
selon les cas. Une norme contenue dans un texte constitutionnel peut être
constitutionnelle formellement, mais non pas matériellement. L’exemple le
plus célèbre est celui d’une disposition de la constitution helvétique qui interdi-
sait l’abattage des animaux selon le rite juif. On l’a insérée pour qu’elle ne
puisse pas être modifiée par une loi ordinaire. À l’inverse, une norme relative
à l’élection des députés, qui, comme en France, n’est pas contenue dans le texte
constitutionnel, mais dans une loi ordinaire, est constitutionnelle matérielle-
ment, mais non formellement, de sorte qu’elle est assez facilement modifiable.
Dans la science du droit constitutionnel, comme dans la science du droit en
général, on privilégie le point de vue formel, parce que c’est celui qui est adopté
par la pratique juridique. Ceux qui élaborent une constitution utilisent ce point
de vue. Pour protéger certaines règles, notamment celles qui concernent des
principes particulièrement importants, contre des atteintes et des modifications
par la voie législative, ils lui donnent la forme constitutionnelle, par exemple en
les inscrivant dans le texte de la constitution. Aujourd’hui un nombre de plus en
plus grand de matières a son fondement dans le droit constitutionnel, dès lors
qu’elles sont en partie régies par des normes formellement constitutionnelles et
que leur suprématie est assurée grâce au contrôle d’une Cour constitutionnelle.
C’est aussi le point de vue qu’adoptent les tribunaux, lorsqu’ils veulent
déterminer si une norme possède ou non la nature constitutionnelle. Ils
appellent en effet, constitutionnelle, toute norme qui ne peut être modifiée
qu’au terme de la procédure de révision constitutionnelle.
Section 2
Le droit constitutionnel comme science
16. Dans un deuxième sens, l’expression « droit constitutionnel » désigne la
discipline, la science, qui étudie l’ensemble de règles que l’on a appelées « droit
constitutionnel » ou « constitution ». Sur la nature et les méthodes de cette
science, il existe des conceptions très différentes, qui reflètent d’ailleurs les
grandes oppositions relatives à la science du droit en général, celle du positi-
visme et du jusnaturalisme, celle de la science du droit ou dogmatique juridique
et de la sociologie (Troper, 2002).
Le droit constitutionnel
33
§ 1. Jusnaturalisme et positivisme
A Le jusnaturalisme
17. Certains croient qu’il existe non pas un droit, mais deux. Le premier est
celui dont on a traité jusqu’à présent, le droit en vigueur, appelé aussi « droit
positif », parce qu’il est l’expression de la volonté de certains hommes et qu’il
a été « posé » par eux. L’autre serait un droit qui ne serait pas produit par la
volonté humaine, mais immanent à la nature (d’où son nom de droit naturel)
ou produit par la volonté de Dieu. Le droit naturel existerait avant le droit posi-
tif et se situerait au-dessus de lui. Il devrait notamment déterminer quelle auto-
rité politique est légitime, c’est-à-dire habilitée à produire du droit positif, et à
quelles conditions ce droit est valide et obligatoire. Il servirait par conséquent
de fondement de validité pour le droit positif. Quant au contenu de ce droit
naturel (ce qu’il prescrit), c’est tout simplement la justice : les hommes doivent
produire un droit positif qui réalise la justice.
Comme on peut s’y attendre, il existe de nombreuses variantes de cette doc-
trine. Les différences tiennent d’abord à la source du droit naturel, que les uns
trouvent dans la volonté de Dieu, d’autres dans la nature des choses, d’autres
encore dans la nature humaine ou dans la Raison. Elles tiennent aussi aux
conceptions de la justice, qui varient considérablement : l’esclavage, qui dans
nos sociétés, apparaît comme la plus grande des injustices, a été souvent consi-
déré comme juste. Enfin, il y a des différences quant aux conséquences qu’on
attache à une contradiction entre le droit naturel et le droit positif. Selon certains
auteurs, qui invoquent le beau mythe d’Antigone, une norme du droit positif qui
serait contraire au droit naturel, donc à la justice, ne serait pas obligatoire et il
serait juste de lui désobéir. Il y aurait même un devoir de désobéissance. D’au-
tres auteurs vont plus loin et estiment que le droit naturel fournit un critère
d’identification du droit : un droit positif contraire au droit naturel ne serait
même pas du droit. D’autres enfin sont plus modérés ; ils considèrent qu’un
droit positif contraire au droit naturel reste du droit, et même qu’il faut lui
obéir, mais que le droit naturel peut servir d’instrument pour le juger et pour
suggérer des améliorations.
En tout cas, le juriste qui adhère à cette conception ne se contente pas de
décrire le droit tel qu’il est. Il pense qu’il lui appartient aussi de parler du
droit tel qu’il devrait être. Cette conception trouve naturellement à s’appliquer
dans de nombreux domaines, mais tout particulièrement à l’égard du pouvoir
politique. Quel est le pouvoir légitime ? Quelles sont les limites du pouvoir et
quels sont les droits naturels de l’homme que ce pouvoir est tenu de respecter ?
Ce sont là quelques-unes des questions traitées par les doctrines du droit naturel.
S’agissant plus spécialement du droit constitutionnel, cette conception se mani-
festerait de la façon suivante : d’une part, une définition matérielle de ce droit ;
il y aurait un droit constitutionnel par nature, qui aurait pour objet l’État ; d’au-
tre part, on peut rattacher au jusnaturalisme l’idée qu’il existerait des formes
juridiques pures, par exemple les régimes parlementaire ou présidentiel
(v. infra no 97 et 102), dont les institutions concrètes devraient se rapprocher.
Mais cette conception se manifeste surtout dans l’idéologie contemporaine des
34
Droit constitutionnel
droits de l’Homme, selon laquelle les gouvernants doivent respecter ces droits,
inscrits dans la nature de l’Homme et qui s’imposeraient même lorsqu’ils ne
sont pas expressément formulés dans le texte de la constitution.
B Le positivisme juridique
1. Le modèle des sciences empiriques
18. Le positivisme juridique se caractérise avant tout par la volonté de cons-
truire une science du droit sur le modèle des sciences de la nature. Ces sciences
consistent dans une description du monde à l’aide de propositions vérifiables
(v. supra no 2). Les jugements de valeur ne sont pas susceptibles d’être vrais
ou faux. Ils correspondent seulement aux émotions et aux goûts de ceux qui
les expriment. Ils ne sont donc évidemment pas vérifiables et la science ne
s’est développée qu’en y renonçant. Or les thèses sur le droit naturel, sur ce
qui est juste et injuste, ne sont que des jugements de valeur. Ils ne correspon-
dent à aucune réalité objective, mais seulement à des opinions subjectives et
relatives. Il suffit d’ailleurs d’examiner les doctrines du droit naturel pour cons-
tater que si toutes veulent soumettre le droit positif à une exigence de justice,
elles diffèrent profondément sur le contenu de la notion de justice. Au contraire,
une véritable science sera « pure » de tout jugement de valeur et se limitera à la
description de son objet.
Il existe une objection classique au positivisme juridique : si l’on s’abstient
de tout jugement de valeur, conformément à l’idéal de pureté, ne va-t-on pas
accepter de considérer comme du droit, n’importe quel système juridique, fût-
il celui de la plus atroce tyrannie ? Le système juridique nazi serait du droit, tout
comme celui de la Suisse. Le positivisme aboutirait ainsi à légitimer n’importe
quel système. À cette objection, les tenants du positivisme opposent deux argu-
ments : d’une part, dire qu’un système est juridique, qu’il forme un droit, ne
signifie pas qu’on le considère comme bon ou qu’on prescrive de lui obéir. Ce
n’est une recommandation ni d’obéir, ni d’ailleurs de désobéir, mais seulement
l’identification d’un objet pour la science du droit, la reconnaissance du fait
qu’il appartient à une certaine classe d’objets. En outre, le positivisme n’interdit
pas tout jugement de valeur, mais seulement celui qui serait énoncé au nom de
la science. Une science peut seulement décrire le réel à l’aide de propositions et
il est logiquement impossible de dériver des prescriptions. Celui qui énoncerait
des jugements de valeur et qui prétendrait le faire en vertu de ses compétences
scientifiques commettrait tout simplement une escroquerie intellectuelle. En
revanche, il est parfaitement légitime de porter un jugement de valeur à partir
d’un autre point de vue que celui de la science. On peut par exemple considérer
du point de vue de la science du droit que le système nazi est un droit, qui peut
être étudié et décrit en tant que tel, selon les méthodes des juristes, et en même
temps, du point de vue moral, soutenir qu’il s’agit d’un droit abominable et
qu’il faut s’efforcer de le détruire par tous les moyens. En pratique, de nom-
breux positivistes ont d’ailleurs eu cette double attitude.
Le droit constitutionnel
35
2. L’objet de la science du droit est le droit
19. Le positivisme juridique se présente sous deux variantes : selon la pre-
mière, il existe peut-être un droit naturel, mais il n’est pas connaissable par la
science et celle-ci ne peut rien en dire. Selon la seconde, plus dure, les seuls
objets existants sont des objets empiriques, c’est-à-dire accessibles aux sens et
les doctrines du droit naturel servent seulement à leurs auteurs à présenter leurs
opinions politiques sous une apparence d’objectivité. Il n’y a pas deux droits,
mais un seul droit, qui est le droit positif. Quoi qu’il en soit, pour les uns
comme pour les autres, une véritable science du droit doit se borner à décrire
ce qu’elle peut connaître. Or, le droit positif est composé de normes qui sont la
signification de certaines phrases (v. supra no 2), par lesquelles certains indivi-
dus expriment leur volonté ; il y a là, dans le fait qu’une volonté a été exprimée,
une réalité empirique qui peut être connue et décrite par la science du droit.
3. Le contenu de la science du droit, les propositions de droit
20. Une véritable science du droit doit se composer de propositions. On les
appelle des « propositions de droit ». Chacune de ces propositions décrit une
norme. Elle est susceptible d’être vraie ou fausse. Elle est vraie si la norme
décrite existe bien, fausse dans le cas contraire. Ainsi, la proposition « il existe
en France une norme selon laquelle, si quelqu’un a commis un meurtre, il doit
être condamné à mort » est fausse, car cette norme a été abrogée en France et
n’existe plus.
La distinction entre normes et propositions de droit est importante, mais par-
fois délicate. Elle est importante, car elles ont des propriétés différentes. Les
normes sont un produit de la volonté, tandis que les propositions de droit sont
un produit de la connaissance. Les normes ne peuvent être ni vraies ni fausses,
tandis que les propositions de droit, elles, sont susceptibles d’être vraies ou
fausses. La distinction est cependant délicate, parce que, bien souvent, on
énonce la proposition de droit non pas sous la forme complète qu’on vient d’in-
diquer « dans le système juridique du pays X, il existe une norme selon laquelle
si quelqu’un a commis un meurtre, il doit être condamné à mort », mais sous
une forme abrégée, qui reproduit purement et simplement le contenu de la
norme. Un professeur de droit par exemple, qui n’énonce pas de norme, mais
seulement des propositions de droit, ne fera pas précéder la description de
chaque norme de la formule « dans le système juridique X, il existe une
norme selon laquelle... » et dira tout simplement : « si quelqu’un a commis un
meurtre, il doit être condamné à mort ». On comprend cependant qu’il s’agit
non d’une norme mais d’une proposition, parce que la phrase n’émane pas
d’une autorité juridiquement autorisée à poser des normes, mais d’un professeur
et qu’elle est logiquement susceptible d’être fausse.
D’après l’exemple sur lequel on a raisonné, on pourrait croire que la
science du droit se borne à reproduire purement et simplement les normes et
qu’elle n’est par conséquent pas d’une grande utilité. Il ne faut pas oublier
cependant que les normes ne sont pas des énoncés, qu’elles ne sont pas acces-
sibles aux sens. La science du droit n’a affaire qu’à des énoncés, qui expri-
ment des normes, mais pas aux normes elles-mêmes. Il lui appartient donc
36
Droit constitutionnel
de découvrir quelles sont ces normes qu’expriment les énoncés, c’est-à-dire
d’en dégager la signification et de la décrire à l’aide d’une proposition de
droit (voir Troper, 2002).
Cette description ne se limite d’ailleurs pas à une indication du contenu de la
norme, de ce qu’elle prescrit. Il faut encore, pour la décrire complètement et
l’expliquer, la comprendre à l’aide de l’ensemble des normes auquel elle appar-
tient. Ce point s’éclairera si l’on raisonne plus spécialement sur la science du
droit constitutionnel.
4. Le contenu de la science du droit constitutionnel
21. La science du droit constitutionnel est simplement une partie de la science
du droit. Si son objet est spécifique – c’est la Constitution – sa fonction est iden-
tique : elle énonce des propositions de droit. Elle est en présence de textes. Soit,
par exemple, cette phrase bien connue : « la loi est l’expression de la volonté géné-
rale ». Il est évidemment possible, mais peu utile, d’énoncer la proposition de
droit : « il existe une norme selon laquelle la loi est l’expression de la volonté
générale ». Mais, on peut la comprendre et ainsi la décrire complètement dans le
système auquel elle appartient. Cela peut s’entendre au moins de trois manières.
En premier lieu, du point de vue formel, cette norme se situe à un certain
niveau de la hiérarchie de l’ordre juridique. Le texte qui l’exprime est l’article 6
de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, à laquelle ren-
voie le préambule de la Constitution de 1958. Elle fait donc partie aujourd’hui
de la constitution formelle, ce qui signifie qu’elle s’impose à tous et notamment
au législateur.
En deuxième lieu, du point de vue matériel, on doit indiquer ce que signifie
que « la loi est l’expression de la volonté générale ». Or cette phrase ne peut se
comprendre que par rapport à une conception d’ensemble du pouvoir politique,
élaborée au XVIIIe siècle, mais qui inspire encore le droit français. Cette phrase,
rédigée au mode indicatif, n’acquiert une signification prescriptive qu’à condi-
tion d’être éclairée par son contexte. Elle signifie alors que celui qui énonce la
loi, n’a pas de droit propre à exercer le pouvoir législatif, que la volonté qu’il
exprime n’est pas la sienne mais la volonté générale, qu’il n’est pas le souve-
rain, mais seulement son représentant.
En troisième lieu, d’un point de vue matériel encore, il faut déterminer le
contenu précis de la prescription. L’énoncé « la loi est l’expression de la volonté
générale » peut bien signifier une prescription, mais cette prescription ne peut être
considérée comme une norme qu’une fois établi quelle est la conduite qui doit
avoir lieu. On se demandera par exemple si la formule de l’article 6 implique
que tout ce que fait le détenteur du Pouvoir législatif doit être considéré comme
l’expression de la volonté générale ou si certaines conditions doivent en outre être
remplies. Bien entendu, la lecture, même attentive, de l’article 6 ne fournit pas la
réponse à cette question. La science du droit constitutionnel ne peut donc la four-
nir seule, mais il lui appartient d’abord de poser cette question (in abstracto, en
dehors de toute difficulté particulière, en l’absence de tout litige concret) et d’ex-
poser les diverses solutions possibles, ensuite de décrire la solution apportée par
le droit positif. Ainsi, dans le cas envisagé, sous la IIIe République, la solution
le pouvoir législatif est l’expression de la volonté
était : « tout ce que fait
Le droit constitutionnel
37
générale, c’est une loi » ; sous la Ve République, la solution, qui résulte de la
jurisprudence du Conseil constitutionnel est au contraire : « ce qu’a adopté le
pouvoir législatif n’est l’expression de la volonté générale qu’à condition de
l’avoir été en conformité avec la constitution ».
On constate ainsi qu’il existe un rapport étroit entre le texte en question et
l’organisation générale du pouvoir. C’est parce que la constitution est un système
d’organes que le contenu de l’article 6 de la Déclaration acquiert une signification
particulière selon le système dans lequel on l’interprète, une signification diffé-
rente sous la IIIe et sous la Ve République.
§ 2. Droit constitutionnel et science politique
22. La distinction reflète celle de la science du droit et de la sociologie. Ces
deux disciplines ont été perçues tantôt comme une seule et même science, tantôt
comme deux disciplines soit opposées soit complémentaires.
A L’unité du droit constitutionnel et de la science politique
23. Jusqu’au début du XXe siècle, droit constitutionnel et science politique
ne formaient qu’une seule et même discipline. Cette situation s’explique par
deux facteurs principaux.
D’une part, la distinction d’inspiration positiviste entre le point de vue
descriptif et le point de vue prescriptif n’était pas clairement établie et la science
politique se donnait pour tâche de découvrir le meilleur système de gouverne-
ment. Elle avait donc pour contenu un ensemble de prescriptions. C’est en ce
sens que, par exemple les histoires de la science politique publiées au XIXe siècle
portaient sur ce qu’on appellerait aujourd’hui philosophie ou théorie politique.
Lorsque ces prescriptions étaient précises, elles pouvaient prendre l’apparence
de règles constitutionnelles.
D’autre part, même dans une perspective plus proche de la conception posi-
tiviste, décrire l’organisation et le fonctionnement du Pouvoir, c’était décrire les
règles effectivement appliquées, de même qu’on décrit et explique un jeu en
énonçant les règles.
B La distinction du droit constitutionnel et de la science politique
24. Les deux disciplines se sont séparées, lorsque ces facteurs se sont affaiblis.
D’un côté, on a admis qu’il fallait distinguer entre les règles dont on pouvait cons-
tater qu’elles sont en vigueur, qu’elles font partie du droit positif, et d’autre part
celles dont on pouvait souhaiter l’introduction, qu’on pouvait préconiser, mais
qu’on ne pouvait pas décrire. D’où une première distinction entre d’une part la
théorie politique, prescriptive, et d’autre part, la science du droit et la sociologie,
descriptives. D’un autre côté, on pouvait constater facilement que le fonctionne-
ment réel du pouvoir politique ne peut se comprendre comme le résultat d’une
simple application de règles de droit et qu’il y a des situations, de plus en plus
38
Droit constitutionnel
nombreuses au XIXe siècle, où celui que le droit désigne comme le principal déten-
teur du Pouvoir, le monarque, n’est plus en mesure de l’exercer que partiellement
ou plus du tout. Il faut alors chercher d’abord à décrire la répartition réelle du
pouvoir, puis à l’expliquer et on ne peut naturellement le faire qu’en mettant en
évidence les rapports sociaux. Il se constitue donc, à côté d’une discipline propre-
ment juridique, le droit constitutionnel qui étudie les règles, une discipline socio-
logique, la science politique attachée à décrire la réalité.
Cette dualité a entraîné en France, au lendemain de la Seconde Guerre mon-
diale, une rivalité et un déclin de la science du droit constitutionnel, qui appa-
raissait définitivement inapte à décrire le réel et se trouvait donc cantonnée dans
ses tâches traditionnelles : décrire les normes en vigueur et en éclairer les fon-
dements à l’aide des grandes doctrines. À vrai dire, la description des règles
constitutionnelles n’ajoutait que peu d’éléments nouveaux à la simple lecture
des textes de constitution et, d’un autre côté, les grandes doctrines de l’époque
révolutionnaire et leur rapport avec les règles du droit positif avaient été dans
l’ensemble très bien et très complètement présentés par les juristes des généra-
tions précédentes comme Esmein ou Carré de Malberg.
On a donc admis à cette époque que, puisque la science du droit constitu-
tionnel ne donnait pas accès à une connaissance de la politique, il fallait com-
pléter l’exposé des règles par la description du fonctionnement réel. C’est ainsi
que les programmes des études de droit ont été modifiés pour faire figurer dans
le titre des cours, à côté de l’expression « droit constitutionnel », celle de
« science politique » ou d’« institutions politiques ».
Cette modification n’était cependant qu’un maquillage superficiel. Aussi, à
quelques remarquables exceptions près, les ouvrages de droit constitutionnel pos-
térieurs à la Seconde Guerre mondiale en France, se présentaient-ils comme des
ouvrages pédagogiques, utiles, mais sans grande originalité, tandis que les plus
brillants parmi les juristes de droit public se dirigeaient soit vers le droit adminis-
tratif, soit vers la science politique.
C Le renouveau du droit constitutionnel
25. Ce déclin paraît aujourd’hui définitivement enrayé, en raison de deux
séries de facteurs, qui tiennent les uns à l’influence de la science politique, les
autres aux transformations de fond du droit constitutionnel.
En premier lieu, la science du droit constitutionnel a commencé de modifier
sa méthodologie en empruntant à la science politique deux instruments, qu’elle
avait d’ailleurs elle-même importés d’autres disciplines et qui s’étaient révélés
particulièrement efficaces : l’analyse stratégique et l’analyse systémique. La
première consiste à expliquer les actions des autorités publiques en les conce-
vant comme des conduites organisées en vue d’un certain but, en fonction des
conduites réelles ou probables des autres autorités. On a, par exemple, construit
des modèles théoriques, pour rendre compte des comportements des pouvoirs
publics constitutionnels sous la Ve République, dans différentes hypothèses de
concordance ou, au contraire, de divergence entre la majorité parlementaire et la
majorité présidentielle. L’analyse systémique, elle, envisage le pouvoir comme
un ensemble d’interactions entre des éléments, qui ne sont pas invariables, mais
Le droit constitutionnel
39
qui prennent leur signification et se modifient en fonction de ces interactions.
On ne peut donc se borner à raisonner comme si le droit constitutionnel positif
consistait dans une série de règles, logiquement déduites de quelques principes
fondamentaux. Ces principes se modifient en fonction des systèmes constitu-
tionnels dans lesquels ils se trouvent insérés et en raison de leurs rapports
avec les autres éléments de ces systèmes2.
Mais le renouveau de la science du droit constitutionnel résulte aussi en
grande partie des transformations qui affectent le fond du droit constitutionnel.
Il s’agit principalement du prodigieux développement de la justice constitution-
nelle (v. infra no 51 s. et infra no 755 s.). Dans de nombreux pays ont été créées
des cours constitutionnelles. Elles ont produit des jurisprudences d’une grande
portée et d’une grande complexité. Ces cours sont en effet amenées notamment
à contrôler la validité des lois dans les matières les plus diverses et à examiner si
elles sont conformes aux principes contenus dans la Constitution. Il faut donc
admettre d’abord que toutes les branches du droit, le droit civil, le droit pénal, le
droit du travail ou le droit commercial, ont leurs bases dans la constitution,
ensuite que ce sont les cours constitutionnelles, chargées d’en interpréter le
texte, qui contribuent à déterminer ces bases. La science du droit constitutionnel
retrouve alors un rôle essentiel : décrire et commenter cette jurisprudence.
Aujourd’hui, on aperçoit dans la science française du droit constitutionnel deux
orientations principales. La première étudie un objet traditionnel, les institutions,
mais en intégrant les méthodes nouvelles. La seconde applique la méthode juri-
dique classique, la dogmatique, à un objet nouveau, la justice constitutionnelle.
D Les rapports du droit constitutionnel et de la science politique
aujourd’hui
la science institutionnelle est
26. Ces rapports sont différents pour les deux orientations qu’on vient d’in-
diquer :
incontestablement plus proche de la
science politique. Il y a non seulement une influence méthodologique, mais
aussi des objets en partie communs. L’exemple le plus célèbre est celui des
partis politiques : ils sont mentionnés dans plusieurs constitutions modernes et
on les considère parfois comme des organes de l’État, de sorte que la science du
droit constitutionnel peut désormais les faire figurer parmi les éléments des sys-
tèmes constitutionnels et étudier leurs relations avec les autres composantes : les
autorités et leurs compétences. De son côté, la science politique, qui cherche à
comprendre les systèmes de partis, c’est-à-dire leur nombre, leurs relations
mutuelles, leurs structures, fait une place importante à un élément proprement
juridique, le mode de scrutin.
Les relations entre la science politique et la seconde orientation de la science du
droit constitutionnel, celle qui étudie la justice constitutionnelle, sont moins étroites,
pour des raisons évidentes : s’il s’agit de comprendre le sens et la portée d’une
jurisprudence, cela ne peut se faire par une méthode empruntée à la sociologie,
mais seulement au moyen de cette science propre aux juristes, la dogmatique.
Ces nouvelles méthodes sont décrites par D. COOTER, The Strategic Constitution, 1999, acces-
2.
sible en ligne : http://works.bepress.com/Robert_cooter/51.
40
Droit constitutionnel
Il faut noter cependant un intérêt nouveau de la science politique, non certes
pour le droit constitutionnel lui-même, mais pour la science du droit constitu-
tionnel et les juristes, désormais appréhendés comme acteurs du jeu politique
(Gaxie, 1989 ; Poirmeur et Rosenberg, 1989).
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Première partie
Théorie générale de l’État
28. Qu’est-ce que la théorie générale de l’État ? – Les institutions ne sont
pas de simples assemblages, mais des systèmes. Il y a entre les deux notions
d’assemblage et de système de grandes différences. Pour réaliser un assem-
blage, comme par exemple en mécanique, on choisit et on monte dans un cer-
tain ordre des pièces fabriquées à l’avance. Au contraire, un système présente au
moins cette propriété que c’est lui qui non seulement donne leur rôle aux élé-
ments, mais encore les modifie.
C’est pourquoi il n’est pas possible d’exposer une théorie générale de l’État,
qui aurait pour objet l’étude séparée de quelques éléments invariables (la sou-
veraineté, la représentation, la séparation des pouvoirs, etc.), et qui précéderait
l’étude des différents régimes politiques, laissée à la science du droit constitu-
tionnel. Une telle démarche reposerait sur l’idée que chaque type de régime
n’est qu’un montage différent de ces mêmes éléments. Mais ce serait méconnaî-
tre que les éléments ne sont en réalité jamais les mêmes.
La théorie générale de l’État n’est donc pas l’analyse des éléments invaria-
bles de tout système politique.
En réalité, ce qu’on expose d’habitude sous cette rubrique n’est pas une
« théorie générale de l’État ». Une théorie générale est un ensemble coordonné
de propositions que l’on tient pour vraies et qui ont non un objet particulier, non
pas tel ou tel État, mais tous les États existants ou même tous les États possi-
bles. Or, la théorie générale de l’État ou bien n’est pas une théorie, ou bien elle
n’est pas générale et elle ne porte pas réellement sur l’État. Ce qu’elle contient
d’ordinaire peut en effet être regroupé sous deux rubriques.
On y trouve d’abord non pas des propositions, mais des prescriptions très
générales, appelées « principes ». Ainsi « les pouvoirs doivent être séparés »
ou « pour que la loi soit l’expression de la volonté générale, il faut qu’elle soit
adoptée par les représentants du souverain ». Certes, ces prescriptions, à la dif-
férence des commandements, se présentent parfois non pas comme l’expression
de la volonté de leurs auteurs, mais comme l’indication de moyens propres à
réaliser une certaine fin. La séparation des pouvoirs serait un moyen de préser-
ver la liberté, le contrôle de constitutionnalité un moyen d’assurer la suprématie
de la constitution. Il s’agirait donc non de véritables prescriptions, mais de lois
scientifiques. Pourtant, il faut constater que le rapport entre moyens et fins est
ici très vague. Ces « lois » ne peuvent être admises que si l’on précise le sens
que l’on donne aux expressions par lesquelles on désigne les fins (liberté) ou les
moyens (séparation des pouvoirs). Selon le sens qu’on donne à ces mots, les
42
Droit constitutionnel
moyens permettent ou non de réaliser les fins considérées, de sorte que la théo-
rie générale de l’État porte en réalité non sur l’État, mais sur la langue.
On trouve aussi dans la théorie générale de l’État de véritables propositions.
Il s’agit ici non de l’énoncé de principes, mais d’affirmations que ces principes
existent dans tel ou tel système constitutionnel, c’est-à-dire qu’ils y sont respec-
tés. Cet énoncé forme bien une théorie, mais celle-ci n’a rien de général.
Ainsi, lorsque la théorie générale de l’État traite de la séparation des pou-
voirs, elle n’énonce pas, en dépit des apparences, une théorie selon laquelle les
pouvoirs seraient séparés dans tous les systèmes constitutionnels ou même dans
quelques-uns de ces systèmes. Elle se borne à affirmer que certains systèmes
ont été construits conformément à une prescription générale nommée « le prin-
cipe de la séparation des pouvoirs ». Mais il lui faut alors examiner ce qui est
ainsi prescrit concrètement et constater que le contenu des prescriptions est très
variable selon les constitutions. Aussi, de l’affirmation que les pouvoirs sont
séparés dans tel ou tel système constitutionnel, on ne peut rien inférer sur le
nombre des autorités, leurs rapports mutuels ou leurs compétences. La théorie
classique en conclut qu’il y a diverses interprétations du principe, ce qui veut
dire qu’aucune théorie générale n’est possible.
Il est cependant impossible de comprendre et de décrire les règles du droit
constitutionnel positif sans le secours de cette théorie générale de l’État. Ceux
qui élaborent une constitution et adoptent les règles constitutionnelles positives,
doivent justifier leurs choix. Ils ne peuvent le faire exclusivement par des consi-
dérations techniques, parce qu’il n’existe pas de technologie constitutionnelle.
Ils doivent donc donner des justifications à l’aide de principes, variables selon
les pays et les époques, même s’ils portent le même nom. On peut donc com-
prendre la théorie générale de l’État à la fois comme l’inventaire, dans les dif-
férents contextes où ils se posent, des problèmes constitutionnels pratiques, des
manières dont ils se posent, des types de solutions qui leur sont apportées et des
principes par lesquels on les justifie.
Chapitre 1
La Constitution
Section 1
Les sources du droit constitutionnel
29. Position du problème. – On ne peut affirmer l’existence d’une règle et
justifier cette assertion qu’en indiquant où cette règle peut être trouvée, com-
ment elle a été produite ou découverte et exprimée. Dire, par exemple, que le
Président de la République française est élu au suffrage universel, c’est dire
qu’il existe une règle, introduite dans la Constitution, par la révision de 1962.
On a indiqué la « source » de la règle.
Il faut souligner que, si l’on distingue la constitution matérielle et la consti-
tution formelle (v. infra no 30), la question des sources part de la constitution
matérielle pour déboucher sur une réponse formelle : on connaît l’existence
d’une règle ayant pour objet l’organisation du pouvoir et l’on cherche à en
connaître l’origine ou « source formelle ».
Le terme de « sources » a évidemment son origine dans une métaphore, qui
se comprend elle-même, à la lumière d’une théorie du droit implicite. Une
source est le point où l’eau sort des profondeurs de la terre, et émerge à la
lumière. Parler de sources du droit, c’est donc présupposer que, comme l’eau,
le droit existait avant d’apparaître aux hommes, et que ceux qui paraissent pro-
duire des règles ne font que les découvrir et les exprimer, mais ne les créent pas.
Les doctrines d’inspiration jusnaturaliste ou sociologique, lorsqu’elles exami-
nent les sources du droit, posent donc en réalité deux questions différentes : la
première porte sur l’origine de la règle, avant qu’elle ne soit exprimée ; c’est la
question des sources matérielles. La seconde porte sur l’expression elle-même ;
c’est la question des sources formelles. Selon cette conception, la question des
sources formelles est moins importante. Il ne s’agit que de technique. Les
réponses à la première question, celle des sources matérielles, sont très diverses.
Il peut s’agir du droit naturel, de l’Histoire ou de la conscience collective.
On comprend que la question des sources ne porte pas en réalité seulement
sur l’origine des règles, mais que, au-delà, il s’agit bien souvent de leur fonde-
ment ou de leur légitimité. Affirmer que telle règle du droit positif, exprimée
dans la loi (la source formelle) a pour source matérielle le droit naturel, c’est
parler de son origine, dire que le législateur s’est inspiré d’une doctrine du
droit naturel, mais c’est dire aussi que la règle positive est conforme au droit
naturel et qu’il faut lui obéir.
44
Droit constitutionnel
Une telle position est inacceptable du point de vue d’une théorie positiviste,
qui considère quant à elle qu’il n’y a de droit que « posé » (v. supra no 17 et 18).
Le droit contenu dans les sources matérielles n’est donc pas du droit. Il ne
deviendra du droit qu’après avoir été « posé », c’est-à-dire exprimé par une
autorité compétente. De ce point de vue, il n’y a que des sources formelles. Il
faut ajouter deux remarques : tout d’abord, la question du fondement du carac-
tère obligatoire des règles de droit n’est pas une question juridique, mais une
question morale. La science du droit se borne à identifier et à décrire les règles ;
elle ne prescrit pas qu’on leur obéisse et ne recherche donc pas le fondement
d’une prescription qu’elle ne formule pas. Par ailleurs, il est vrai que la question
des sources ne porte pas toujours sur le fondement de l’obligation. Pour la
sociologie du droit, il peut s’agir seulement d’identifier les représentations de
la règle désirable, dont le législateur a pu s’inspirer. Une telle question présente
un intérêt scientifique évident. Cependant, elle ne peut être traitée par la science
du droit, car elle ne porte pas réellement sur des normes, mais sur des faits psy-
cho-sociaux. Elle relève donc seulement d’une discipline ayant ces faits pour
objet et usant d’une méthodologie différente, la sociologie juridique.
Une théorie positiviste ne s’intéresse, par conséquent, qu’aux sources for-
melles, c’est-à-dire aux techniques par lesquelles sont produites les normes juri-
diques. On dit qu’une norme a été posée lorsqu’un certain fait (par exemple un
acte de volonté) a été institué par une norme supérieure comme ayant la signi-
fication d’une prescription. Il existe donc autant de sources qu’il y a de faits
institués de cette manière. Il est cependant possible de les regrouper en types
et ce sont ces types que la théorie positiviste appellera « sources formelles ».
On peut d’ailleurs les regrouper de deux manières différentes. On peut d’abord
considérer que toute norme est posée conformément à une norme supérieure et
qu’elle-même autorise la création d’une norme inférieure, ce qui conduit à dis-
tinguer les sources selon le niveau auquel elles se situent dans la hiérarchie de
l’ordre juridique. On énumérera alors la Constitution, la loi, l’acte du pouvoir
exécutif. On peut aussi les classer selon que le fait institué comme signification
d’une norme est un acte de volonté ou un autre type de fait, par exemple une
coutume.
On comprend alors toute l’importance de la question des sources : c’est par
les sources qu’on peut identifier une branche du droit. Le droit constitutionnel
est une partie du système juridique, un sous-système. On le distingue des autres
branches parce qu’il possède un ensemble de sources spécifiques. On parle alors
d’autonomie du droit constitutionnel. Cette autonomie provient avant tout du
niveau auquel se situent les sources, notamment dans la constitution formelle,
mais elle résulte aussi du rôle différent qu’y jouent la loi, la coutume ou la
jurisprudence.
On traitera successivement de la hiérarchie des sources (§ 1) et du type de
faits producteurs de droit (§ 2).
La Constitution
45
§ 1. La hiérarchie des sources de la constitution matérielle
A La constitution formelle
30. C’est l’ensemble des règles, quel que soit leur objet, qui sont énoncées
dans la forme constitutionnelle : elles sont en général contenues dans un docu-
ment spécial, mais surtout, elles ont une valeur supérieure à celle de toutes les
autres normes positives et ne peuvent être modifiées que conformément à une
procédure spéciale, plus difficile à mettre en œuvre que celle qui permet de
modifier une autre norme, par exemple une loi ordinaire. Cette qualité de la
constitution formelle est appelée « rigidité ». On étudiera donc la rigidité de la
constitution formelle avant d’en examiner le contenu.
1. La rigidité constitutionnelle1
a) La justification de la rigidité : la séparation du pouvoir constituant
et des pouvoirs constitués
31. L’auteur de la Constitution est appelé « pouvoir constituant ». Les pro-
cédures d’adoption et de mise en vigueur sont très variables. Le texte peut être
adopté par une assemblée, qui prend le nom d’assemblée constituante ou de
« convention », ou par un gouvernement. Il peut être seulement préparé par
une assemblée ou un gouvernement, puis soumis au référendum. Quoi qu’il en
soit, le pouvoir constituant est celui ou ceux, dont le consentement a permis
l’entrée en vigueur du texte.
Cette constitution a toujours pour objet – et pour contenu minimum – d’ins-
tituer des autorités ou organes ou encore « pouvoirs constitués » et de répartir
entre eux des compétences. C’est cette répartition que l’on appelle séparation
des pouvoirs. Or, il est clair que si l’une de ces autorités pouvait modifier la
constitution, elle accroîtrait ses propres compétences au détriment des autres et
détruirait ainsi l’ensemble des équilibres que le pouvoir constituant a cherché à
établir. La séparation des pouvoirs ne peut donc être préservée que si les pou-
voirs constitués ne disposent pas du pouvoir constituant, c’est-à-dire si la
constitution est « rigide ».
Au contraire, la constitution serait « souple » si elle pouvait être facilement
modifiée par l’un des pouvoirs constitués, par exemple par le pouvoir législatif,
au terme de la procédure législative ordinaire. C’est précisément le cas à chaque
fois qu’il n’y a pas de constitution formelle, ou bien parce que la constitution est
coutumière, comme en Grande-Bretagne ou bien parce qu’elle est pour l’essen-
tiel exprimée dans des lois ordinaires, comme en Israël.
b) L’expression de la rigidité : la distinction du pouvoir constituant originaire
et du pouvoir constituant dérivé
32. La rigidité ne signifie pas que la constitution ne pourra pas être modifiée
ou révisée, mais qu’elle ne pourra l’être que selon certaines formes, qu’elle a
1.
KLEIN, 1996.
46
Droit constitutionnel
elle-même organisées et par les organes qu’elle a institués à cet effet. On appelle
« pouvoir constituant dérivé » le pouvoir des organes compétents pour modifier
la constitution, par opposition au « pouvoir constituant originaire », celui des
organes qui ont adopté la constitution. En pratique, on emploie aussi ces expres-
sions pour désigner non seulement le pouvoir de ces organes, mais les organes
eux-mêmes.
Le principe de la séparation du pouvoir constituant et des pouvoirs consti-
tués interdit de confier entièrement le pouvoir constituant dérivé à l’un des pou-
voirs constitués, mais non de leur attribuer un rôle dans la procédure de révision
constitutionnelle. Ainsi, le Parlement peut intervenir dans cette procédure de
plusieurs manières : pour élaborer une proposition de révision, pour la discuter
et l’adopter, pourvu qu’il ne le fasse pas selon la procédure législative ordinaire
ou qu’il ne statue pas dans la même formation.
Le pouvoir constituant dérivé est ainsi enfermé dans des limites, qui tou-
chent à la forme de la révision, mais aussi quelquefois au fond.
Les limites ou conditions de forme peuvent tenir aux délais dans lesquels la
procédure peut être entamée, aux circonstances dans lesquelles elle peut avoir
lieu ou à la procédure.
C’est ainsi qu’il est possible qu’une constitution interdise toute révision pen-
dant un certain délai suivant son entrée en vigueur. Elle ne pourra intervenir que
lorsque quelques années d’expérience en auront montré les défauts. Ainsi, la
Constitution de 1791 interdisait toute révision pendant les dix premières années
de son application (v. infra no 199).
En deuxième lieu, la constitution peut interdire toute révision dans certaines
circonstances, par exemple lorsqu’une partie du territoire national est occupée
par une puissance étrangère ou en temps de guerre ou en période de crise.
En troisième lieu, elle peut organiser une procédure de révision contrai-
gnante. On peut ainsi distinguer l’adoption d’un vœu de révision et la révision
proprement dite, ces deux opérations étant confiées à deux organes différents.
On peut généralement attribuer un rôle dans la révision soit à certains des pou-
voirs constitués, mais statuant au terme d’une procédure spéciale, soit à un
organe spécialement institué à cet effet, par exemple une assemblée de révision.
Dans ce dernier cas, cet organe pourra ou bien exercer seulement le pouvoir de
révision ou bien assurer aussi des fonctions normalement exercées par le Parle-
ment. La constitution peut encore exiger, comme en France, que les projets
soient adoptés à des majorités qualifiées (plus importantes que la majorité sim-
ple) ou qu’ils soient ratifiés par référendum ou encore par un certain nombre
d’États dans un État fédéral, comme c’est le cas aux États-Unis. On peut natu-
rellement combiner toutes ces limitations de différentes manières.
Les limites de fond consistent dans l’interdiction de modifier la constitution
sur certains points. En France, par exemple, il est interdit de modifier la forme
républicaine du régime (art. 89 al. 5 de la Constitution de 1958). Mais on peut
interdire aussi de porter atteinte au caractère socialiste de l’économie, au carac-
tère fédéral de l’État ou à certains droits fondamentaux, comme le fait la Loi
fondamentale allemande pour ses vingt premiers articles (v. infra no 234).
Ces conditions ne sont pas également contraignantes. Les conditions de fond
ne limitent pas véritablement le pouvoir dérivé, parce qu’il est toujours possible
La Constitution
47
de réviser dans un premier temps les dispositions de la constitution, qui fixent
ces limites, pour, dans un second temps, opérer la révision désirée. En France,
on pourrait par exemple réviser la constitution pour supprimer l’interdiction de
porter atteinte à la forme républicaine et la réviser une seconde fois pour insti-
tuer une monarchie. Ces conditions sont donc avant tout des limites morales.
Les conditions de forme, elles, ne peuvent être tournées aussi facilement, car
il faudrait, pour les modifier, si on les juge trop sévères, réviser la constitution
dans les formes prévues. Une telle révision n’est pourtant pas impossible.
On peut d’abord interpréter et appliquer des dispositions jugées habituelle-
ment étrangères à la révision. Ainsi, en France, le général de Gaulle a appliqué à
la révision, non pas l’article 89 de la Constitution, mais l’article 11, dont tous
estimaient jusqu’alors qu’il ne pouvait être employé que pour soumettre au réfé-
rendum un projet de loi ordinaire (v. infra no 503).
Il faut aussi mentionner la doctrine de la supra-constitutionnalité, qui trouve
son origine chez C. Schmitt. Elle suppose l’existence de deux niveaux de règles
constitutionnelles : celui des lois constitutionnelles et celui de la constitution
proprement dite. Les lois constitutionnelles contiennent des règles techniques
relatives à l’organisation des pouvoirs publics, à leurs compétences ou à leurs
relations mutuelles. Elles peuvent être modifiées conformément à la procédure
prévue pour la révision. En revanche, la constitution proprement dite (appelée
quelquefois « constitution matérielle », dans un sens de cette expression très dif-
férent de celui que nous employons dans ce volume) comprend les principes
politiques fondamentaux de l’État. Les partisans de cette doctrine soutiennent
que le pouvoir constituant dérivé, parce qu’il est institué par la constitution,
n’est en réalité qu’un pouvoir constitué. Il n’aurait donc qu’une compétence
limitée : il ne pourrait modifier que les « lois constitutionnelles », mais non la
constitution elle-même (Beaud, 1993 ; Troper, 2001, p. 334 s.).
Dans sa variante moderne, la doctrine de la supra-constitutionnalité conduit
à accorder au juge constitutionnel le pouvoir d’annuler les lois de révision
constitutionnelle qui toucheraient à certains principes fondamentaux. On estime,
par exemple, que si la constitution interdit de porter atteinte à la forme républi-
caine, elle interdit implicitement d’enfreindre certains principes liés à cette
forme républicaine, comme le caractère démocratique ou l’État de droit (Troper,
1994a). Cette doctrine inspire certains aspects de la jurisprudence des cours
constitutionnelles en Allemagne et en Italie (CCC 2009).
En revanche, la constitution proprement dite est, selon cette doctrine, l’ex-
pression de la volonté du souverain lui-même, qui, par définition, ne saurait être
soumis à aucune forme.
Il faut encore ajouter un point capital : la constitution formelle, comme tout
texte juridique, ne se transforme pas seulement par la révision constitutionnelle.
Elle subit une évolution, qui peut être considérable, en raison des conditions
dans lesquelles elle est appliquée, c’est-à-dire interprétée (v. infra Section 2).
2. Fonction de la Constitution
33. La fonction de la Constitution est complexe et d’ailleurs variable. Toutes
les constitutions n’ont pas les mêmes fonctions. Parmi celles qu’elle peut rem-
plir, il faut distinguer des fonctions juridiques et politiques.
48
Droit constitutionnel
34. Du point de vue juridique, la fonction de la Constitution peut être triple :
En premier lieu, elle est le fondement de la validité de l’ordre juridique tout
entier. C’est parce qu’elle a été adoptée conformément à la Constitution
qu’une loi peut être considérée comme une norme juridique, qu’elle est donc
obligatoire et qu’elle peut elle-même servir de fondement à d’autres normes.
La constitution est donc le fondement ultime de chacune des normes qui font
partie du système juridique.
Elle n’est elle-même subordonnée à aucune autre norme. Il peut arriver que
des conventions ou des juridictions internationales proclament la suprématie du
droit international sur le droit des États, y compris sur leurs constitutions. C’est
par exemple le cas du droit de l’Union européenne (cf. infra no 309 et 702).
Cependant, cette suprématie, même lorsqu’elle est acceptée par les États, ne
trouve pas son fondement dans les traités, mais dans les constitutions nationa-
les. C’est ce qu’ont décidé plusieurs cours constitutionnelles des États membres
de l’Union européenne, par exemple le Conseil constitutionnel français, qui a
considéré que si le droit européen prévaut sur la constitution, c’est parce que
la constitution institue cette suprématie et que, par conséquent, celle-ci ne sau-
rait aller jusqu’à porter atteinte à l’identité constitutionnelle de la France, ni
limiter le pouvoir constituant (cf. infra).
En deuxième lieu, la constitution détermine les modalités de désignation des
gouvernants et leur attribue des compétences, c’est-à-dire qu’elle définit les cas
dans lesquels les volontés des individus sont détachées de leur auteur pour être
imputées à l’État. Ces individus sont alors appelés les organes de l’État. Ce
qu’ils veulent, ce qu’ils font, c’est l’État qui est censé le vouloir et le faire.
En troisième lieu, la constitution énonce des principes, par exemple ceux qui
sont relatifs à la souveraineté, la représentation ou la séparation des pouvoirs,
qui justifient les règles positives qu’elle contient par ailleurs et qui permettront
de justifier ultérieurement des interprétations particulières du texte.
35. Du point de vue politique, la fonction de la Constitution est également
complexe.
1) Tout d’abord, la Constitution organise la transmission et l’exercice du
pouvoir. Les constitutions modernes s’efforcent d’organiser le pouvoir – ou pré-
tendent le faire – de telle manière qu’il ne puisse être exercé dans l’intérêt per-
sonnel des gouvernants, mais seulement en vue d’un intérêt général, qui peut
d’ailleurs être conçu de plusieurs manières.
Historiquement, les premières constitutions ont été rédigées au XVIIIe siècle,
non pour assurer l’intérêt du peuple, au sens que lui donnera plus tard Abraham
Lincoln, qui définissait la démocratie comme « le gouvernement du peuple, par
le peuple, et pour le peuple », mais pour protéger la liberté. On appelle donc
« constitutionnalisme » l’idéologie qui entend organiser le pouvoir pour préser-
ver la liberté, notamment par la séparation des pouvoirs et la représentation. Le
constitutionnalisme soulève deux problèmes difficiles. Le premier est un pro-
blème technique : quel est le type d’organisation qui permettra d’atteindre effec-
tivement le but recherché ? Le second problème est théorique : si l’idéal libéral
implique que le pouvoir soit partagé entre plusieurs, comment cet idéal est-il
conciliable avec la théorie démocratique, qui entend, elle, reconnaître au peuple
un pouvoir sans partage ?
La Constitution
49
2) Ensuite, la Constitution est le fondement de la légitimité des gouvernants.
Ceux-ci peuvent justifier leur pouvoir et leurs décisions par le fait qu’ils ont été
désignés conformément à la constitution et qu’ils exercent des compétences qui
leur ont été attribuées par la loi fondamentale.
3) Ceux qui rédigent les constitutions appartiennent à des forces politiques
qui se réclament de conceptions différentes de la liberté, des droits fondamen-
taux à préserver ou de la démocratie. Ils cherchent aussi à défendre des intérêts
idéologiques ou matériels. La Constitution a dès lors pour fonction de traduire
les compromis entre ces forces politiques et de préserver l’équilibre qui a été
ainsi obtenu.
4) Enfin, elle est un élément d’intégration nationale et de production de la
citoyenneté. Bien souvent, les citoyens d’un même État n’ont en commun ni
l’appartenance ethnique, ni la langue, ni la religion, ni les valeurs, mais seule-
ment le fait d’être soumis à la même constitution et ainsi de jouir des mêmes
garanties et des mêmes droits fondamentaux. Parfois, le patriotisme ne se définit
que comme l’amour de la constitution.
3. Contenu de la constitution formelle. La question des préambules
et Déclarations des droits
a) Déclarations des droits et constitution matérielle
36. La constitution formelle a pour contenu principal la constitution (au sens
matériel), c’est-à-dire l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics
et la répartition des compétences entre eux.
On sait qu’elle peut cependant avoir aussi des contenus très différents, au
moins en apparence. On y trouve par exemple des dispositions sur la couleur
du drapeau ou l’hymne national. Les raisons qui conduisent à introduire dans
la constitution des dispositions de ce genre sont simples : elles tiennent princi-
palement à la rigidité de la constitution. Adopter ces règles en forme constitu-
tionnelle, c’est empêcher qu’elles soient facilement modifiées. Dans certains
pays, les citoyens ont le droit d’initiative en matière constitutionnelle, mais
non en matière législative. Ils tournent alors cette incapacité en proposant,
sous forme d’amendements à la constitution, des mesures qui, ailleurs, relève-
raient de la loi ordinaire.
Certains auteurs en ont conclu, à tort, que ces mesures ne sont pas matériel-
lement constitutionnelles et, parmi elles, on mentionne parfois les Préambules et
les Déclarations des droits.
Il s’agit de dispositions, regroupées dans un texte placé en tête de certaines
constitutions. Si la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789
n’est pas la première – la première est celle du Massachusetts du 15 juin 1780 –
c’est incontestablement celle qui a eu le plus grand retentissement. Comme l’in-
dique son titre, ce texte n’a pas été conçu par l’Assemblée nationale, qui l’a
adopté, comme un ensemble de droits accordés aux citoyens par un acte de
volonté politique, mais comme des droits, que tous les hommes possèdent par
nature et qu’il suffit de reconnaître et de déclarer. Il s’agissait, selon la concep-
tion dominante à cette époque, de droits et de libertés individuels.
50
Droit constitutionnel
À ces droits individuels, se sont ajoutés par la suite, des droits de l’Homme
dits de la seconde génération, dont l’objet est économique et social et qui peu-
vent être des droits collectifs. Une troisième génération est d’ailleurs en cours
de gestation (droit à l’environnement, droit au développement, etc.) et les droits
nouveaux se couvrent du prestige des anciens.
Dans ces conditions, peut-on dire que ces textes ne sont pas matériellement
constitutionnels ? Une telle affirmation peut en réalité revêtir trois significations
différentes :
Cela peut signifier d’abord que les Déclarations des droits n’ont aucune
valeur obligatoire et constituent seulement l’énoncé d’une idéologie ou d’un
programme politique. Dans ce cas, en effet il ne s’agit pas de l’organisation et
des compétences des pouvoirs publics et le contenu des Déclarations est étran-
ger à la constitution matérielle.
Cependant, il est possible que ces textes aient bien une valeur obligatoire,
mais qu’on présuppose une conception étroite de la constitution matérielle, qui
comprendrait les règles relatives aux organes, à leurs compétences et aux pro-
cédures qu’ils doivent suivre, mais non les règles qui leur enjoignent de prendre
des mesures ayant tel ou tel contenu. Ainsi les Déclarations des droits ne
seraient pas constitutionnelles, bien qu’elles assignent des buts aux pouvoirs
publics (les pouvoirs constitués). Rien ne justifie une conception aussi étroite
et en réalité les compétences des pouvoirs publics ne peuvent être définies
sans référence au contenu et aux limites de leur action. On ne peut dire que le
Parlement aura le droit de faire des lois sans dire au moins implicitement en
quoi consiste ce droit, ce que sont les lois et le cas échéant, sur quelles matières
elles doivent porter ou quelles limites le législateur devra respecter.
Enfin, il est également possible que, alors même qu’ils ont une valeur juri-
dique, ces textes soient cependant conçus avant tout comme accordant aux
citoyens ou, plus généralement, aux sujets, des droits qu’ils peuvent faire
valoir dans certains cas sans l’intermédiaire des pouvoirs publics constitution-
nels et contre eux. On peut alors penser que les Déclarations ne font pas partie
de la constitution matérielle parce qu’elles ne concernent pas les pouvoirs
publics. Mais, c’est oublier que les droits ne peuvent être compris que
comme l’autre face des obligations et que l’on peut dire indifféremment que
le citoyen a des droits contre les pouvoirs publics ou que les pouvoirs publics
ont des obligations envers lui.
Énoncer des droits, c’est donc aussi énoncer les obligations des pouvoirs
publics, ce qui relève bien de la constitution matérielle.
Ainsi, dès lors que les Déclarations des droits présentent un caractère obli-
gatoire, elles font partie non seulement de la constitution matérielle, mais aussi
de la constitution formelle et l’étude de leur contenu relève bien de la science du
droit constitutionnel.
b) Valeur juridique des déclarations
37. Pendant très longtemps, la question de la valeur juridique des déclarations
a été controversée. Il convient cependant de préciser l’objet de cette controverse,
quelque peu obscurcie par l’ambiguïté de l’expression « valeur juridique ». Le
débat peut apparaître plus clair si l’on comprend que cette question en recouvre
La Constitution
51
en réalité deux, qu’il faut soigneusement distinguer : les déclarations sont-elles
juridiquement obligatoires ? Si oui, pour qui sont-elles obligatoires ?
1o Les déclarations sont-elles juridiquement obligatoires ? Lorsqu’on s’inter-
roge sur la valeur juridique d’une règle, on se demande d’abord si cette règle est
juridique ou si elle appartient à un autre système de normes que le droit. On
peut penser par exemple qu’une règle constitutionnelle est obligatoire, mais
qu’elle n’est que politiquement ou moralement obligatoire. Ainsi, les conven-
tions de la constitution en Grande-Bretagne ou au Canada sont considérées
comme politiquement obligatoires (v. infra no 213). La question de la valeur
juridique des Déclarations porte donc sur leur caractère juridiquement obliga-
toire. Une règle juridiquement obligatoire est une règle dont la violation peut
être sanctionnée d’une manière ou d’une autre, par une peine, mais aussi par
l’annulation d’une autre règle non conforme à la première (Avril, 1997).
2o Pour qui les déclarations sont-elles obligatoires ? La valeur juridique,
comme toute valeur d’ailleurs, est toujours relative : une règle ne présente pas
nécessairement un caractère universellement obligatoire : elle présente une
valeur juridique à l’égard de certaines autorités mais non à l’égard d’autres. Si
l’on se représente, comme il est commode de le faire, le système juridique
comme un ensemble de normes hiérarchisées, alors parler de la valeur juridique
relative d’une règle, c’est parler du niveau auquel elle se situe dans cette hiérar-
chie. Aussi, dira-t-on que les déclarations ont une valeur juridique supérieure à
celle des actes qui peuvent être annulés pour avoir violé l’une de leurs disposi-
tions et qu’elles ont une valeur juridique égale à celle des actes par lesquels on
peut les modifier elles-mêmes.
On comprend dans ces conditions que la question ne peut recevoir que des
réponses variables selon le pays et le moment considérés. En France par exem-
ple, sous la IIIe et la IVe Républiques, la violation de la Déclaration des droits
pouvait être sanctionnée lorsqu’elle était commise par un acte administratif,
mais non pas lorsqu’elle l’était par une loi. On pouvait donc penser que sa
valeur juridique était égale à celle des lois et supérieure à celle des actes admi-
nistratifs. Sous la Ve République et plus particulièrement depuis 1971, la viola-
tion par la loi est également sanctionnée (v. infra no 781). On en conclut géné-
ralement que la valeur juridique de la déclaration est désormais supérieure à
celle de la loi et égale à celle de la constitution.
B Les lois organiques
38. Par l’expression loi organique, on peut désigner deux types de textes
différents par leur place dans la hiérarchie des normes. Il peut d’abord s’agir
de lois ordinaires, dont le contenu est matériellement constitutionnel, parce
qu’elles sont relatives à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs
publics. Elles peuvent être prises par le législateur spontanément ou bien sur
invitation du constituant. L’emploi de l’expression loi organique résulte simple-
ment de la pratique et n’a pas de conséquences juridiques. Comme il s’agit de
lois ordinaires, elles seront étudiées plus loin (v. infra no 41).
52
Droit constitutionnel
Il peut s’agir aussi de lois qui se placent à un échelon intermédiaire entre la
constitution et la loi ordinaire. C’est dans ce deuxième sens que l’expression
est surtout employée en France aujourd’hui. Ces lois présentent trois caractères :
— elles sont, comme les précédentes, matériellement constitutionnelles ;
— c’est la constitution qui, faute de pouvoir énoncer des règles aussi détail-
lées qu’il serait nécessaire, prévoit ces lois organiques pour compléter et préci-
ser le texte. La Constitution de 1958 le fait dans plusieurs domaines importants,
par exemple pour l’organisation et le fonctionnement du Conseil constitutionnel
ou de la Haute Cour ;
— elles sont adoptées ou modifiées selon une procédure particulière, sensi-
blement plus contraignante que la procédure législative ordinaire. En France,
par exemple, le trait le plus marquant de cette procédure est l’examen par le
Conseil constitutionnel de la conformité à la constitution de tout projet ou pro-
position de loi organique, c’est-à-dire sans qu’il ait été nécessaire de le saisir. Il
s’agit évidemment d’empêcher que la loi organique, sous prétexte de compléter
la constitution, n’en remette en cause les principes.
C Les règlements des assemblées
39. Domaine du règlement. – Les règlements des assemblées parlementai-
res complètent la constitution pour tout ce qui concerne l’organisation interne
des assemblées et le travail parlementaire, par exemple pour le détail de la pro-
cédure législative, le rôle des commissions, celui du bureau ou l’ordre de parole.
Il s’agit de questions très importantes2. Ils peuvent même avoir des effets sur les
règles constitutionnelles de procédure, comme on le voit dans le cas du filibus-
ter au Sénat américain (cf. infra, no 259). Les règles que contiennent les règle-
ments sont matériellement constitutionnelles et, comme d’ailleurs celles qui font
l’objet de lois organiques, plusieurs d’entre elles pourraient être aussi bien
adoptées en forme constitutionnelle, c’est-à-dire traitées dans la constitution for-
melle, ou, au contraire, dans une loi ordinaire.
Ainsi, la Constitution de la Ve République contient des règles relatives au
vote personnel ou à l’établissement de l’ordre du jour qui, dans d’autres régi-
mes, par exemple la IIIe République, relevaient du règlement des assemblées.
C’est donc la Constitution qui détermine l’étendue du domaine régi par le règle-
ment. Si elle s’abstient d’entrer dans les détails et laisse au règlement un
domaine très étendu, cela entraîne une conséquence technique (une plus grande
souplesse, parce que le règlement est plus facile à modifier que la constitution),
et une conséquence politique (une plus large autonomie des assemblées, si
celles-ci jouent un rôle important dans l’élaboration du règlement).
IIIe République,
brève
(v. infra no 360 s.), l’importance du règlement était considérable. Il comportait
par exemple des règles aussi fondamentales que celles relatives à la vérification
des pouvoirs ou à l’interpellation du gouvernement (c’est-à-dire à la mise en jeu
de sa responsabilité), au point qu’on a pu écrire du règlement qu’« il a plus
d’une Constitution
dotée
Sous
très
la
Ces règlements ne doivent évidemment pas être confondus avec ceux qui ont pour objet de pré-
2.
ciser et de compléter les lois et qui émanent du pouvoir exécutif.
La Constitution
53
d’influence que la constitution elle-même sur la marche des affaires publiques »
(Pierre, 1902, p. 490).
Mais même si la Constitution contient effectivement des règles relatives à un
grand nombre des matières qu’il serait concevable d’abandonner au règlement,
elle ne peut pourtant pas aller très loin dans le détail. Un règlement est donc
nécessaire en tout état de cause.
40. Adoption du règlement. – Plusieurs systèmes sont concevables, selon
le degré d’autonomie que la constitution entend laisser aux assemblées.
Le système qui leur laisse la plus grande autonomie est naturellement celui
qui leur donne compétence pour adopter leur règlement. Tel était le système de
la IIIe République, où chaque assemblée élaborait son propre règlement et pou-
vait le modifier à tout moment.
Le second système est celui dans lequel c’est le pouvoir exécutif qui a le
pouvoir d’adopter le ou les règlements des assemblées. Tel était le cas sous le
Consulat et l’Empire.
Un système intermédiaire consiste à permettre aux assemblées d’adopter
leurs règlements respectifs, mais, sous le contrôle du juge pour éviter qu’elles
ne portent atteinte aux principes constitutionnels. C’est
la solution de la
Ve République.
D Les lois ordinaires
41. Il s’agit de lois, que l’on appelait sous la IIIe République lois organiques
et qui sont relatives à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics.
La plus importante concernait le mode de scrutin. La IVe et la Ve République
ont conservé cette matière à la loi ordinaire. L’avantage est évidemment qu’il
est possible de modifier rapidement la loi électorale, sans avoir à réviser la
constitution. Le risque tient à ce que les majorités parlementaires successives
peuvent être tentées de modifier la règle du jeu pour accroître leurs chances de
se maintenir au pouvoir.
§ 2. Les types de faits producteurs de droit
42. Définition. – L’expression de « faits producteurs de droit » est trom-
peuse, car, en réalité, de ce que quelque chose est, on ne peut conclure que
quelque chose doit être, de sorte qu’un fait ne peut jamais produire du droit
(v. supra no 3). Ce qu’on désigne par cette expression, c’est simplement un
fait institué par une norme supérieure, comme la condition qu’une norme nou-
velle soit produite. Ainsi, on dit que le vote du Parlement a produit une loi, mais
il ne s’agit là que d’un raccourci.
En réalité, le vote d’une assemblée est un simple fait d’où il ne saurait résul-
ter qu’on doive se conformer à ce vote. Il y a bien des réunions d’hommes capa-
bles d’émettre des votes. Nul ne prétend qu’on doive obéir aux produits de tous
ces votes. Si l’on doit s’y soumettre, s’il y a une règle, c’est que la constitution
habilite le Parlement à adopter des lois. En d’autres termes, la Constitution
54
Droit constitutionnel
définit le produit des votes émis par le Parlement comme une loi valable. La
formule fréquente dans les textes constitutionnels et qui figure par exemple
dans la Constitution française actuelle, « la loi est votée par le Parlement »,
est celle par laquelle la constitution accorde à un fait, le vote, la signification
qu’une norme a été produite. Examiner les sources du droit constitutionnel du
point de vue de ces faits, c’est donc rechercher quels sont les faits ayant la signi-
fication qu’une norme constitutionnelle a été produite (Tusseau, 2006).
On peut en distinguer trois types : le premier est évidemment l’expression de
la volonté d’un organe compétent. Il n’est pas nécessaire d’en traiter ici à nou-
veau, puisque ce type de fait est celui qui a produit les règles matériellement
constitutionnelles étudiées plus haut, la constitution formelle, la loi organique,
etc. Les deux autres types de faits susceptibles d’avoir la signification de norme
sont la coutume et l’interprétation.
A La coutume constitutionnelle
1. Définition
43. En droit constitutionnel, comme dans les autres branches du droit, on
parle de coutume lorsque deux conditions sont réunies :
1o lorsqu’une pratique a été répétée pendant une assez longue durée,
2o lorsque existe le sentiment que cette pratique est obligatoire. C’est l’opi-
nio juris.
Ces conditions sont parfois appelées improprement les éléments de la cou-
tume et on les désigne alors par des termes couplés : le premier et le second
élément sont qualifiés respectivement de matériel et de psychologique, d’objec-
tif et de subjectif3.
Cela dit, il existe sur la question de la coutume d’importants débats. On aura
remarqué le caractère extrêmement vague des mots utilisés pour définir les
conditions de la coutume et les auteurs s’opposent sur le point de savoir par
exemple combien de fois une pratique doit être répétée pour qu’on soit en pré-
sence d’une coutume ou sur quelle durée – suffit-il d’une fois ou faut-il trans-
poser au droit constitutionnel l’adage populaire selon lequel « une fois n’est pas
coutume » – ou encore sur les personnes qui doivent avoir le sentiment du
caractère obligatoire – les hommes politiques ou les professeurs de droit ?
2. Position du problème
44. En réalité, ces débats, qui portent seulement sur l’identification d’une
coutume, sont l’expression de difficultés théoriques considérables.
La première tient à la position qu’occupe la Constitution au sommet de la
hiérarchie des normes. Un fait ne peut produire du droit, que s’il est institué par
une norme supérieure comme condition suffisante de l’édiction d’une norme
nouvelle. On peut donc facilement comprendre l’existence de la coutume en
droit civil ou commercial, parce que, dans ces branches, une loi peut avoir le
3.
On trouvera une critique des définitions par éléments dans Troper, 1994a, p. 127 et s.
La Constitution
55
contenu suivant : « si une pratique a été répétée pendant une certaine durée et s’il
existe un sentiment que cette pratique est obligatoire, alors on doit s’y confor-
mer ». Dans ce cas, la coutume est instituée comme source du droit par la loi.
On pourrait donc concevoir de la même manière une coutume instituée comme
source du droit par la Constitution, mais cette coutume serait subordonnée à la
Constitution. Il ne s’agirait pas d’une règle formellement constitutionnelle. Une
telle règle ne pourrait être créée par voie de coutume, que s’il existait une norme
au-dessus de la constitution. Or, une telle règle n’existe pas.
La deuxième difficulté est liée au rôle de la volonté dans le droit. S’il est
vrai qu’il n’y a de droit que positif, c’est-à-dire posé par un acte de volonté,
comment expliquer qu’une règle apparaisse sans avoir jamais été voulue ? Là
encore, le problème peut être plus facilement résolu en droit civil ou en droit
commercial, parce qu’on peut admettre d’abord, comme on vient de le voir, que
c’est la loi qui institue la coutume comme fait producteur de droit, et que, par
conséquent, la règle coutumière naît de la volonté du législateur. Une autre
explication prend en compte le rôle du juge : la coutume n’est obligatoire que
si un juge constate son existence et indique le contenu de la règle. Mais il ne
s’agit d’une constatation qu’en apparence. En réalité, le juge doit nécessaire-
ment interpréter les faits constitutifs d’une coutume et concilier la règle avec
d’autres règles, écrites celles-là. Or, l’ensemble de ces opérations est une fonc-
tion de la volonté (v. infra no 48).
Cependant, ni l’un, ni l’autre de ces raisonnements ne sont transposables à la
coutume constitutionnelle, car il n’y a ni volonté supra-constitutionnelle, ni juge
capable de constater l’existence et le contenu d’une coutume constitutionnelle.
La troisième difficulté tient à la nécessité de concilier une norme coutumière
avec les normes écrites en vigueur. On vise ici le cas où la pratique répétée
serait contraire à une norme écrite. Cette pratique serait donc simplement une
violation du droit et on comprend mal comment elle pourrait être alors créatrice
de droit. Là encore, les solutions admises pour le droit civil ou le droit commer-
cial paraissent impossibles à transposer. On peut considérer dans ces branches
du droit que si la loi autorise la création de droit par voie de coutume, elle le fait
sous cette réserve implicite que la coutume ne soit pas directement contraire à
une loi en vigueur. On dit alors que la coutume existe non pas contra legem,
mais seulement praeter legem, à côté de la loi et pour la compléter. Cependant,
la création d’une norme constitutionnelle par voie de coutume n’est pas auto-
risée de la même façon par une norme supra-constitutionnelle, qui prévoirait
des coutumes praeter constitutionem. De même, pour considérer qu’une cou-
tume est praeter legem, il faut admettre qu’il y avait des lacunes dans la loi et
qu’il est possible et nécessaire de la compléter. La loi, lorsqu’elle autorise la
création coutumière du droit, admet elle-même un tel présupposé. Mais il n’est
pas possible de l’admettre en droit constitutionnel, toujours pour la même rai-
son : il n’y a pas de norme supra-constitutionnelle. Aussi tout comportement
est-il nécessairement ou bien conforme ou bien contraire à la constitution. S’il
est interdit par une norme constitutionnelle écrite, il ne saurait être créateur de
droit, mais s’il n’est pas contraire à une telle norme, s’il n’est pas expressément
interdit, alors il faut bien admettre qu’il est permis et, dans ce cas, il ne saurait
donner naissance à une règle coutumière parce que, par définition, ce qui est
56
Droit constitutionnel
simplement permis n’est pas obligatoire. Il n’y a donc pas de place pour une
coutume praeter constitutionem.
3. Les contraintes constitutionnelles4
45. Tout paraît donc conduire à la conclusion qu’il n’y a pas de place en
droit constitutionnel pour une source coutumière et de nombreux auteurs
concluent en effet en ce sens. Pourtant, il faut bien se rendre à l’évidence qu’il
existe des pratiques répétées, qui ne sont pas prévues par la constitution et qui
sont ressenties comme obligatoires. Certaines de ces pratiques apparaissent
même comme contra constitutionem. En voici deux exemples. Le premier est
tiré du droit constitutionnel britannique. En Grande-Bretagne, lorsque la majo-
rité de la Chambre des communes a exprimé sa défiance au cabinet, le Premier
ministre remet sa démission à la Reine. Il n’existe pas de norme écrite qui lui en
fasse obligation. On pourrait donc penser que, puisque cette conduite n’est pas
expressément prescrite, ni d’ailleurs interdite, il a le droit de le faire, comme de
s’en abstenir. Cependant, depuis plus de deux siècles, lorsque ces circonstances
se produisent, le Premier ministre présente toujours sa démission et il existe un
sentiment universellement répandu qu’il s’agit pour lui non pas d’une simple
faculté mais d’une réelle obligation (Baranger, 1999).
Le second exemple appartient à l’histoire constitutionnelle française : les
lois constitutionnelles de 1875 accordaient au Président de la République le
droit de dissoudre la Chambre des députés, avec le consentement du Sénat. Le
Président n’a effectivement utilisé ce droit qu’une fois, en 1877. Après cette
date, il n’a même pas sollicité l’avis conforme du Sénat et n’a donc jamais pro-
noncé la dissolution de la Chambre. Aux yeux de nombreux auteurs de cette
époque, en raison des circonstances malheureuses dans lesquelles avait été pro-
noncée la dissolution de 1877, il aurait été désormais interdit au Président de
dissoudre et d’ailleurs l’absence de dissolution effective constituerait à la fois
la pratique répétée et le signe d’une croyance dans l’existence d’une règle. Il
s’agirait d’une espèce particulière de coutume, une coutume négative ou désué-
tude, celle qui ne donne pas naissance à une règle nouvelle, mais fait disparaître
une règle ancienne. Ici la coutume aurait fait disparaître la norme écrite selon
laquelle « Le Président a le droit de prononcer la dissolution » et lui aurait sub-
stitué une norme nouvelle contraire selon laquelle « Le Président n’a pas le
droit de prononcer la dissolution » (v. infra no 379, Troisième Partie).
Un exemple semblable pourrait être tiré de l’application de l’article 11 de la
Constitution française de 1958, qui a été utilisé à deux reprises pour une révision
constitutionnelle, de telle sorte que plusieurs auteurs éminents – et François Mit-
terrand lorsqu’il était Président de la République – estiment que cette pratique,
autrefois jugée contra constitutionem, a pourtant donné naissance à une coutume
(v. infra no 444). Pour rendre compte de ces phénomènes, il faut soigneusement
distinguer deux problèmes : un problème causal, celui de l’émergence de ces pra-
tiques, un problème juridique, celui de leur caractère obligatoire.
Pour ce qui concerne le premier problème, on observe que la plupart de ces
il existe une norme
pratiques apparaissent dans un contexte particulier :
4.
TROPER, CHAMPEIL-DESPLATS, GRZEGORCZYK, 2005.
La Constitution
57
constitutionnelle autorisant une conduite donnée, ce qui signifie qu’il est égale-
ment permis de s’en abstenir. Mais les acteurs du jeu constitutionnel n’utilisent
pas également ces deux possibilités : ou bien ils usent fréquemment de cette
permission ou bien ils s’abstiennent d’en user sur une assez longue période.
On dit alors qu’à la norme ancienne, qui était une norme d’habilitation, s’est
substituée une norme nouvelle et que cette conduite qui était permise est deve-
nue, dans le premier cas « obligatoire », dans le second « interdite ». Ainsi, le
Premier ministre britannique, qui avait le droit de démissionner aurait désormais
l’obligation de le faire, le Président de la IIIe République, qui avait le droit de
dissoudre, se voit interdire de le faire. Mais pourquoi et comment ces acteurs
ont-ils été amenés à adopter telle conduite plutôt qu’une autre ? Vraisemblable-
ment parce qu’ils ne pouvaient faire autrement : les premières démissions du
Premier ministre britannique, au XVIIIe siècle, ont été présentées pour échapper
à une mise en accusation (v. infra no 208, Chapitre 2, Section 2). Le Président
de la IIIe République ne s’est jamais trouvé dans une situation politique telle
qu’il puisse espérer remporter des élections législatives, de sorte qu’il n’aurait
probablement jamais dissous la Chambre, même s’il n’avait pas eu besoin de
l’accord du Sénat. Ainsi peuvent s’expliquer leurs conduites.
On remarquera cependant que l’on n’a expliqué que des faits et non l’appa-
rition d’une règle. On peut dire qu’il existe une contrainte, mais pas d’obliga-
tion. C’est que, comme on l’a vu, une règle est un sollen, un devoir-être, qui ne
peut être « causé », mais seulement « posé ». La conclusion est alors, tout sim-
plement, qu’il n’y a pas de règle aussi longtemps que n’est pas intervenu un acte
de volonté, dont le contenu est qu’il faut se conformer à la pratique antérieure.
Si un tel acte n’intervient pas, cette pratique n’est pas obligatoire, ce qui veut
dire qu’une pratique contraire ne pourrait pas être sanctionnée. La prétendue
coutume dure tant que dure la contrainte. Mais si celle-ci disparaît, alors peut
naître une pratique différente.
C’est d’ailleurs ce qui se produit parfois effectivement. L’exemple le plus
célèbre concerne le droit constitutionnel américain (v. infra no 264). Le mandat
du Président y est de quatre ans. Dans sa rédaction de 1787, la Constitution ne
limitait pas le nombre des mandats qu’un même homme pouvait exercer.
Cependant, le premier Président, George Washington, après avoir accompli
deux mandats, avait renoncé à en briguer un troisième et il fut imité en cela
par tous ses successeurs. On était donc en présence d’une pratique répétée,
assortie du sentiment du caractère obligatoire et de nombreux commentateurs
estimaient qu’il existait une norme constitutionnelle coutumière, qui avait
abrogé et remplacé la norme écrite : il aurait été interdit de briguer plus de
deux mandats. Cela n’empêcha nullement Franklin D. Roosevelt d’en briguer
avec succès un troisième et même un quatrième. Pour introduire une norme
constitutionnelle ayant le contenu de la prétendue coutume, il fallut réviser la
constitution.
Un
française
(v. infra no 451). On prétendait, alors que la coutume qui avait abrogé le droit
de dissolution sous la IIIe République, persistait malgré l’entrée en vigueur
d’une nouvelle constitution, de sorte que le Président du Conseil, qui disposait
désormais de ce pouvoir, ne pourrait l’exercer effectivement. Cela n’a nulle-
ment empêché la dissolution de 1955.
IVe République
emprunté
exemple
autre
est
la
à
58
B L’interprétation
Droit constitutionnel
46. Nécessité de l’interprétation. – Avant d’appliquer un texte juridique,
quel qu’il soit, il faut en déterminer la signification. La signification d’un texte
juridique, en effet, c’est ce que ce texte ordonne ou permet, c’est la norme qu’il
exprime. En d’autres termes, selon le sens qu’on lui attribue, le texte ordonne tel
comportement ou tel autre. On appelle interprétation, l’opération par laquelle
on attribue une signification à un texte (Troper, 1994a, p. 293 s.).
On a affirmé parfois que l’interprétation n’est nécessaire que lorsque le texte
est obscur et que, par contre, elle est superflue lorsque le texte est clair, ce que
l’on exprime par l’adage latin in claris cessat intepretatio. Cette thèse aboutit en
réalité à un paradoxe, car pour pouvoir affirmer que le texte est clair et qu’il n’y
a pas lieu de l’interpréter, il faut savoir quelle est sa signification, c’est-à-dire
qu’il faut l’avoir interprété.
47. La nécessité d’interpréter le texte tient à trois facteurs principaux. –
Le premier est son indétermination, c’est-à-dire le fait d’être porteur de plu-
sieurs sens. Cette indétermination est elle-même liée aux propriétés du langage
naturel, dans lequel s’est exprimé le constituant, comme le législateur d’ailleurs.
Il est nécessairement vague et ambigu. L’ambiguïté est cette propriété d’un mot
de désigner plusieurs objets possibles : dans le langage courant le mot « hom-
mes » désigne ou bien les êtres humains ou bien seulement les adultes de sexe
masculin. De même, l’expression « organisation des pouvoirs publics », conte-
nue dans l’article 11 de la Constitution française de 1958 désigne ou bien l’or-
ganisation des autorités déjà instituées par la constitution ou bien la constitution
elle-même. D’un autre côté, une expression peut très bien être non pas ambiguë,
parce qu’on sait au moins approximativement ce que veulent dire les mots
qu’elle contient, mais vague parce qu’on ne sait pas très exactement si elle s’ap-
plique à un objet concret. Ainsi, chacun sait ce que veut dire chauve, mais on ne
sait pas si tel homme, qui a encore une partie de ses cheveux, peut être qualifié
de chauve. Le langage juridique contient de très nombreuses expressions
vagues, particulièrement celui des Déclarations des droits. Ainsi, la Déclaration
des droits de l’Homme de 1789 dispose dans son article 17 que nul ne peut être
privé de sa propriété que lorsque la nécessité publique l’exige « et sous la condi-
tion d’une juste et préalable indemnité ». On comprendra ce que signifient ces
mots, mais quelle est l’indemnité qui devra être considérée comme « juste » ?
C’est évidemment affaire d’appréciation.
Il faut souligner que cette indétermination est parfois involontaire, mais
qu’elle est le plus souvent tout à fait délibérée. Faute de pouvoir prévoir toutes
les situations qui se présenteront, l’auteur d’un texte est amené à employer des
mots susceptibles d’en recouvrir une grande variété. La flexibilité d’une consti-
tution est à ce prix. Ainsi, le célèbre article 16 de la Constitution française de
1958 prescrit au Président de la République « lorsque les institutions de la
République (...) sont menacées d’une manière grave et immédiate (...) de pren-
dre des mesures exigées par les circonstances » ; nul ne peut dire évidemment
ce que le constituant entendait par « grave et immédiate » et par « mesures exi-
gées par les circonstances ». Il ne le savait pas lui-même. Il pouvait certes pen-
ser à certaines situations, mais s’il les avait décrites avec précision et s’il avait
La Constitution
59
indiqué les mesures à prendre, il pouvait craindre des événements imprévus, qui
n’auraient pas permis au Président de prendre les mesures appropriées. En res-
tant dans le vague, il lui permet de faire face à une très grande variété de situa-
tions imprévisibles avec une gamme de pouvoirs très étendue.
Le deuxième facteur tient à la nature de la signification elle-même. On peut
croire que la signification d’un texte est ce que son auteur a voulu exprimer et
qu’on pourrait retrouver. La signification d’un texte serait donc l’intention de
son auteur. Mais un texte juridique n’a pas un seul auteur, mais plusieurs. À sup-
poser que parmi les constituants, certains aient eu une idée précise – malgré le
caractère vague et ambigu des mots qu’ils ont employés –, à supposer qu’il soit
possible de connaître cette intention d’une manière certaine, il est évidemment
impossible que tous aient eu la même. Une constitution est adoptée par un très
grand nombre de personnes. Le projet est préparé par des groupes et souvent dis-
cuté dans des assemblées ou soumis au référendum. Parmi les personnes qui
l’adoptent, certaines ne l’ont pas lu et toutes celles qui l’ont lu ne l’ont pas com-
pris de la même manière. Retrouver l’intention d’un constituant peut être un inté-
ressant exercice de psychologie historique, mais il n’y a aucune raison de tenir
compte de cette intention plus que de n’importe quelle autre.
Le troisième facteur tient à l’évolution des conceptions politiques et sociales.
La Déclaration des droits de l’Homme, qui fait partie du droit constitutionnel
français actuel, est vieille de plus de deux siècles. Nous pourrions, au terme
d’une analyse historique, parvenir à connaître la ou les signification(s) que les
auteurs de la Déclaration accordaient à ses principales dispositions. Nous
découvririons alors que la plupart des termes qu’ils ont employés signifiaient
pour eux bien autre chose que ce qu’ils peuvent représenter pour nous.
Ainsi, lorsqu’ils proclamaient le principe d’égalité, ce principe n’impliquait
pas à leurs yeux l’égalité des hommes et des femmes, ni le droit de vote pour
tous les hommes. Si, par conséquent, nous considérions que le sens de la Décla-
ration, c’est celui que leur attribuaient ses auteurs, nous devrions nécessairement
admettre qu’une loi, qui priverait les femmes de certains droits ou qui réserverait
le droit de vote aux plus riches serait conforme au principe d’égalité. Non seule-
ment une telle solution serait politiquement et moralement intolérable pour la plu-
part de nos contemporains, mais elle serait difficile à fonder rationnellement. Dire
que nous sommes soumis à la Déclaration des droits, signifierait en effet que nous
sommes soumis à l’intention, c’est-à-dire à la volonté de ses auteurs. Mais com-
ment justifier que nous soyons encore soumis à la volonté d’hommes morts depuis
si longtemps ? Si l’on veut éviter cette conséquence absurde, force est d’admettre
que le texte possède une signification indépendante de celle que lui attribuaient ses
auteurs. Cette signification est celle que nous pouvons lui attribuer aujourd’hui,
compte tenu de l’évolution politique et sociale (Melin-Soucramanien, 2005).
48. Nature de l’interprétation. – Deux conceptions s’opposent. Selon la
première, l’interprétation est un acte de connaissance, selon la seconde, un
acte de volonté.
La première conception est la plus répandue. Elle repose sur l’idée que le texte
possède un sens et un seul. Si ce sens est clair, il n’est pas nécessaire d’interpréter,
mais s’il est caché, alors il faut le retrouver et, pour cela, appliquer certaines
méthodes, que la science du droit a élaborées et qu’elle est capable d’enseigner.
60
Droit constitutionnel
Cette thèse n’est pas acceptable pour plusieurs raisons. En premier lieu,
comme on l’a vu, il est impossible d’affirmer qu’un texte possède un sens
clair, sans l’avoir au préalable interprété. En deuxième lieu, à supposer que les
auteurs d’un texte aient eu une intention claire et unique, il n’est pas possible de
réduire le sens du texte à cette intention. En troisième lieu, si chaque texte avait
un sens unique, alors l’interprétation serait susceptible d’être vraie ou fausse et
l’on devrait disposer de procédés de vérification. Or, affirmer qu’une interpré-
tation est vraie, c’est affirmer qu’elle a énoncé le sens véritable du texte. Mais,
pour savoir qu’il s’agit bien du sens véritable, il faut avoir soi-même procédé à
une interprétation et cette seconde interprétation ne pourra être tenue pour vraie
qu’au terme d’une troisième et ainsi de suite.
La quatrième raison, la plus forte, fonde la conception opposée, dite « réa-
liste ». Elle tient à la portée de l’interprétation lorsqu’elle émane de certaines
autorités, auxquelles l’ordre juridique attribue le pouvoir d’interpréter.
L’interprétation émanant de ces autorités est dite authentique c’est-à-dire
que le texte est présumé n’avoir pour signification que celle qui lui a été ainsi
attribuée et cela quel que soit le contenu de l’interprétation, même si elle contre-
dit tout ce qu’on croit savoir du texte. L’interprétation authentique se distingue
de l’interprétation scientifique ou de doctrine, celle qui émane de personnes pri-
vées, même techniquement qualifiées, comme des avocats ou des professeurs de
droit. L’interprétation scientifique ne produit aucun effet juridique et n’est que
l’expression d’opinions, qui d’ailleurs peuvent être divergentes et le sont fré-
l’interprétation authentique n’est pas l’expression
quemment. Au contraire,
d’une opinion parmi d’autres. C’est le produit d’une décision, par laquelle un
débat est tranché. Elle s’incorpore au texte, en ce sens que celui-ci ne peut
désormais être compris qu’à la lumière de l’interprétation authentique. Celle-ci
est un acte de volonté, car l’interprète peut donner au texte le sens qu’il veut lui
donner. Cette théorie est appelée réaliste parce qu’elle décrit non pas la manière
dont le droit fonctionnerait, s’il fonctionnait de manière idéale, mais celle dont
il fonctionne réellement. Elle a des conséquences très importantes.
49. Conséquences de la théorie réaliste de l’interprétation. – Tout
d’abord, l’interprétation ne peut être vraie ou fausse, mais seulement valide ou
non valide. Sa validité ne dépend en rien des méthodes employées, mais seule-
ment des conditions dans lesquelles elle a été émise. Il est possible qu’une
norme supérieure confie expressément à une autorité le pouvoir d’interpréter.
C’est le cas, par exemple, de la loi qui remet à la Cour de cassation le pouvoir
de décider en assemblée plénière. Mais le plus souvent, ce pouvoir est attribué
de manière implicite, dès lors qu’on n’institue aucun contrôle sur l’inter-
prétation donnée par une autorité. Ainsi, les décisions par lesquelles un juge
constitutionnel interprète la constitution ne sont susceptibles d’aucun contrôle
et sont donc des interprétations authentiques.
Mais les autorités juridictionnelles ne sont pas les seules à disposer de ce
pouvoir. Les interprétations émanant d’organes dont les décisions ne sont sou-
mises à aucun contrôle sont elles aussi authentiques. Ainsi, pour reprendre un
exemple qui a déjà été envisagé, sous la Ve République, c’est le Président de la
République qui, lorsqu’il s’agit d’appliquer l’article 16, apprécie si les institu-
tions sont menacées d’une manière « grave et immédiate » et qui décide du sens
La Constitution
61
qu’il convient de donner à ces mots. Il est d’ailleurs fréquent, en droit constitu-
tionnel, que l’interprétation soit donnée de manière collective par plusieurs
autorités. C’est ce qui peut se produire dans l’exemple envisagé. Le Président
de la République peut être accusé par le Parlement de « haute trahison ». Ce
crime n’est pas défini par la constitution, de sorte que le Parlement doit inter-
préter les mots « haute trahison » avant d’accuser le Président. Il lui est donc
possible de considérer qu’une interprétation abusive par le Président des termes
de l’article 16 constitue précisément ce crime. Le Président a, de son côté,
nécessairement conscience de cette possibilité. À supposer qu’il soit tenté de
donner une interprétation très large de ces termes, dans le but de se saisir des
pouvoirs que lui donne l’article 16, il doit tenir compte de l’attitude possible du
Parlement. Aussi l’interprétation définitive n’est-elle que la résultante de toutes
les interprétations que différentes autorités sont susceptibles de donner.
La conséquence la plus importante de l’interprétation, telle que la décrit la
théorie réaliste, est que l’interprète détient un pouvoir de même niveau que celui
de l’autorité dont il interprète les textes. L’interprète de la loi détient un pouvoir
législatif et l’interprète de la constitution un pouvoir constituant. En effet, s’il
peut déterminer librement le sens du texte, alors c’est lui qui détermine ce que
ce texte prescrit. En d’autres termes, si la norme est la signification d’un texte,
alors celui qui détermine la signification, énonce la norme. La norme constitu-
tionnelle n’est pas le texte écrit de la constitution, mais ce texte tel qu’il est
interprété par toutes les autorités qui en sont
les interprètes authentiques.
Ceux-ci n’appliquent pas réellement des normes constitutionnelles. Ils ne sont
pas tenus par elles. Ils les créent.
On peut être tenté d’objecter qu’ils appliquent au moins une espèce de nor-
mes : celles qui leur donnent le pouvoir d’interpréter. Mais, au nombre des tex-
tes qu’ils interprètent, figurent en réalité aussi ceux qui déterminent leurs com-
pétences, de sorte qu’ils sont en mesure de déterminer
leurs propres
compétences (Tusseau, 2006). L’exemple le plus célèbre est fourni par la
Cour suprême des États-Unis. La constitution de 1787 ne lui conférait pas
expressément le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois. C’est par
une interprétation, à laquelle elle s’est livrée en 1803, à propos de l’affaire Mar-
bury v. Madison, qu’elle a interprété la constitution pour décider qu’elle com-
portait une norme instituant un contrôle de constitutionnalité (v. infra no 267).
Le Conseil constitutionnel français a d’ailleurs procédé de la même manière en
1971, lorsqu’il s’est considéré compétent pour contrôler la constitutionnalité des
lois au fond par rapport au préambule de la constitution, alors que les rédacteurs
le texte
de la constitution avaient
(v. infra no 782).
refusé d’inscrire ce pouvoir dans
Cela ne signifie pas cependant que les interprètes soient réellement en
mesure de bouleverser la constitution à tout moment : d’une part, ils ne sont
pas isolés et doivent, comme on l’a vu, tenir compte les uns des autres ; d’autre
part, l’idéologie à laquelle adhèrent ces interprètes les conduit à exercer leur
pouvoir avec modération. Selon cette idéologie, le détenteur du pouvoir doit
disposer d’une légitimité ; il faut, en d’autres termes qu’il existe une justifica-
tion politique et morale à l’exercice d’un pouvoir. La justification généralement
acceptée dans les systèmes politiques modernes réside dans une délégation,
expresse ou tacite, de la nation ou du peuple souverains. Toutes les autorités
62
Droit constitutionnel
capables d’interpréter ne peuvent se prévaloir d’une telle délégation et la plupart
s’efforcent en conséquence d’exercer leurs compétences de bonne foi, c’est-à-
dire de telle manière que leurs décisions soient acceptables par une partie au
moins de leurs destinataires. Enfin, certains de ces interprètes sont placés dans
une situation particulière. Ce sont les juridictions.
50. Une modalité particulière de l’interprétation, la jurisprudence. – La
jurisprudence est l’ensemble des règles qui résultent de l’activité des juridic-
tions. L’un des procédés par lesquels elles produisent ces règles est naturelle-
ment l’interprétation. Cependant, les juridictions se trouvent dans une situation
sensiblement différente de celle des autres interprètes. En effet, leurs interpréta-
tions sont écrites et, souvent, justifiées. Il en résulte des contraintes importantes.
Pour différentes raisons – notamment parce que l’efficacité de la jurisprudence
en dépend – les interprétations doivent être cohérentes : elles ne doivent pas se
contredire et elles doivent être justifiées de la même façon, c’est-à-dire par l’in-
vocation de procédés d’interprétation constants.
Section 2
Le contrôle de la suprématie de la Constitution
51. Comme on l’a vu à propos des déclarations des droits, on peut affirmer
qu’une norme possède une valeur juridique supérieure à celle d’une autre norme
si et seulement si l’édiction d’une seconde norme contraire à la première peut
être sanctionnée. La sanction la plus fréquente et la plus facile à mettre en
œuvre dans les systèmes juridiques modernes est l’annulation de la nouvelle
norme.
La Constitution peut être violée par des normes de niveaux très différents
émises par le pouvoir exécutif (l’administration), les tribunaux et naturellement
aussi par les particuliers. L’émission de ces normes peut donc faire l’objet d’un
contrôle et être sanctionnée, mais cette question relève de l’étude des autres
branches du droit, notamment du droit administratif et du droit civil. Pour ce
qui concerne le droit constitutionnel, la question porte principalement sur les
sanctions de l’édiction de lois contraires à la Constitution. C’est celle du
contrôle de la constitutionnalité des lois. Ce contrôle n’a pourtant été institué
que tardivement, car les théories constitutionnelles de l’époque des Lumières,
qui ont dominé jusqu’au milieu du XXe siècle, reposaient sur l’idée que l’équi-
libre des pouvoirs et la responsabilité du pouvoir exécutif suffisaient à garantir
le maintien de la constitution. Plus tard l’institution d’un contrôle de la consti-
tutionnalité des lois est apparue contraire à la démocratie et à l’idée que la loi
est l’expression de la volonté générale. C’était donc seulement
lorsque la
Constitution organisait une répartition des compétences par exemple entre
l’État fédéral et les États membres (comme aux États-Unis en 1787 ou en Autri-
che en 1921) ou bien entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, qu’il
fallait impérativement prévoir une autorité de type juridictionnel pour arbitrer
les inévitables conflits.
La Constitution
63
Cependant, après la Seconde Guerre mondiale, tous les régimes qui ont suc-
cédé aux dictatures fascistes ont tenu à créer de telles cours constitutionnelles
pour plusieurs raisons : perte de la croyance dans l’efficacité des garanties inter-
nes, qui n’avaient pu empêcher la conquête du pouvoir par les dictateurs
empruntant les voies légales ; volonté de protéger les minorités contre le pouvoir
absolu de la majorité du moment, de développer les mécanismes de l’État de
droit et de garantir les droits de l’Homme.
Cependant, dès lors que les constitutions dont il s’agit d’assurer le respect
proclament leur attachement à la démocratie, on ne peut éviter de s’interroger
sur la compatibilité entre les organismes de contrôle et le principe démocratique
lui-même.
§ 1. Légitimité du contrôle de constitutionnalité5
52. On ne peut échapper à la question de la légitimité du contrôle de la consti-
tutionnalité des lois en raison d’un dilemme très simple : d’une part, s’il n’existe
aucun contrôle, cela signifie que le législateur peut violer la constitution et que
celle-ci n’est ni supérieure aux lois, ni même obligatoire.
Mais d’autre part, dans un système politique démocratique, les lois sont fai-
tes par le peuple souverain ou, en son nom, par ses représentants. L’institution
d’un tel contrôle, confié à une autorité, qui n’est pas le peuple, signifie alors que
cette autorité contrôle la volonté du peuple et donc que le système n’est pas
véritablement démocratique.
Tout constituant devrait donc choisir et renoncer ou bien à la suprématie de
la constitution ou bien à la démocratie.
On a cependant tenté d’échapper à ce dilemme et d’affirmer la légitimité du
contrôle de constitutionnalité dans un système démocratique. Ces tentatives se
heurtent à une série de critiques.
A Thèse de la légitimité du contrôle dans un système démocratique
53. Toutes les tentatives pour échapper au dilemme impliquent un travail sur
les deux notions de contrôle de constitutionnalité et de démocratie pour montrer
qu’elles ne sont pas antinomiques.
1o Pour ce qui concerne la démocratie, on peut soutenir qu’elle ne se résume
pas au pouvoir de la majorité du Parlement. Partant de là, on peut ou bien adop-
ter une définition plus restrictive de la démocratie ou bien une définition plus
large, qui toutes deux légitimeront le contrôle de constitutionnalité.
Selon la conception la plus restrictive, la démocratie est le pouvoir du peuple
lui-même ; la seule démocratie est la démocratie directe et les systèmes politi-
ques que nous connaissons ne sont pas démocratiques. Dans le meilleur des cas,
le peuple élit les gouvernants, mais ne gouverne pas lui-même et contrôler la
volonté des gouvernants n’est donc pas contrôler la volonté du peuple.
5.
TROPER, 2011, p. 111 s.
64
Droit constitutionnel
Selon la conception large, on admet bien que la démocratie représentative
est une forme de démocratie, mais on soutient qu’elle ne se réduit pas au seul
pouvoir de la majorité, qui ne serait que le pouvoir de la force. Elle consiste
aussi dans les garanties de la minorité, qui ne doit pas être opprimée par la
majorité et qui doit disposer des libertés lui permettant d’espérer devenir un
jour majorité. Le contrôle de constitutionnalité est ainsi l’instrument de la pro-
tection de la minorité.
D’après une variante de cette conception, la démocratie représentative serait
bien une forme de démocratie, mais on ne devrait pas considérer que les seuls
représentants légitimes sont ceux qui sont élus. Le peuple souverain serait celui
qui a adopté la constitution. En faisant prévaloir la constitution sur la loi, le juge
constitutionnel imposerait ainsi la volonté du peuple dont il serait ainsi le repré-
sentant (Rousseau, 1999).
2o Pour ce qui concerne le contrôle, on fait valoir d’abord que toute loi n’est
pas forcément l’expression de la volonté du peuple ou de la volonté générale.
C’est en effet la Constitution qui détermine les compétences du législateur et
qui l’habilite à faire des lois dans certaines matières, conformément à certaines
procédures, en lui prescrivant d’observer certains principes. Lorsque le législa-
teur a respecté l’ensemble des conditions fixées par la Constitution, alors, mais
alors seulement, il a exprimé la volonté générale. Si, en revanche, ces prescrip-
tions n’ont pas été observées, on n’est pas en présence de la volonté générale,
mais de la volonté particulière du législateur et le contrôleur peut parfaitement
annuler la loi, sans s’opposer à la volonté du peuple.
On avance aussi que le contrôle a une portée essentiellement procédurale.
L’organe de contrôle ne se prononce pas sur le fond de la loi, sur les mesures
qu’elle contient, sur leur opportunité. Ce sont là des questions politiques, qui ne
relèvent que du législateur. Il se borne quant à lui, à indiquer que la constitution
ne permet pas d’adopter les mesures litigieuses dans la forme législative. Si on
veut les adopter, il faut le faire dans la forme constitutionnelle, c’est-à-dire en
révisant la constitution. C’est pourquoi les décisions du juge constitutionnel
peuvent toujours être réformées au moyen d’une révision de la constitution.
Cette possibilité révélerait bien le caractère démocratique du contrôle de consti-
tutionnalité, parce qu’il manifeste la subordination du juge constitutionnel au
pouvoir constituant, qui représente le souverain. Mais, cette justification du
contrôle s’effondre si l’on admet l’idée, conformément à la doctrine de la
supra-constitutionnalité, que certaines dispositions constitutionnelles échappent
au pouvoir constituant dérivé et que les cours constitutionnelles peuvent contrô-
ler la conformité des lois de révision à des principes supra-constitutionnels
(v. supra no 32).
B L’objection tirée de la théorie réaliste de l’interprétation
54. Ces arguments se heurtent à une objection sérieuse : ils sont tous fondés
sur le présupposé implicite que la violation de la constitution est un fait objectif
qui peut être constaté par un juge. L’annulation de la loi inconstitutionnelle ne
serait que la conséquence de cette constatation. Mais on peut penser que la vio-
lation de la constitution n’est pas comparable à un fait objectif. Pour affirmer
La Constitution
65
qu’une violation a été commise, il faut en effet au préalable déterminer ce que
prescrit exactement la constitution (v. supra no 46 s.).
Mais en réalité, le texte de la Constitution est vague et ambigu.
Il doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation juridique. Il faut
déterminer son sens. Mais, comme on l’a vu, ce sens n’est pas inclus dans le
texte, l’interprétation est non une constatation, mais une véritable décision Par
conséquent instituer un contrôle de la constitutionnalité d’une loi adoptée par le
peuple ou ses représentants, c’est la soumettre à la volonté du contrôleur.
En tout état de cause, il existe souvent des contradictions ou des conflits
entre les droits et liberté garantis par les déclarations, de telle sorte que la loi
ne sera jugée conforme à la constitution que si elle a assuré entre ces droits un
juste équilibre. Mais le juge dispose d’une marge d’appréciation considérable
dans la réponse à la question de savoir si la loi qu’il contrôle a ou non réalisé
un juste équilibre. On a pu dire que, lorsqu’une loi est interprétée, le véritable
législateur n’est pas celui qui en a adopté le texte, mais celui qui l’interprète. Il
en va de même pour la Constitution.
Cependant, le juge constitutionnel n’est pas seulement le co-auteur de la
constitution, mais aussi celui de la loi qu’il examine. En effet, s’il peut à son
gré déterminer le sens du texte constitutionnel, il décidera du même coup que la
loi est ou non conforme. Il peut même décider que la loi n’est conforme qu’à la
condition d’être interprétée d’une certaine manière et il est ainsi en mesure de
déterminer son contenu matériel.
Selon la thèse réaliste, le contrôle de constitutionnalité n’est donc pas conci-
liable avec la démocratie. Il s’agit en réalité d’un mode de gouvernement diffé-
rent, le gouvernement des juges (Brondel et al., 2001).
C Les théories modernes de l’interprétation
55. C’est pourquoi les auteurs contemporains, désireux de justifier l’exis-
tence du contrôle de constitutionnalité et, d’une manière plus générale, le rôle
du juge dans les systèmes juridiques modernes, doivent tenter de montrer que ce
rôle n’est pas politique. Ces auteurs ne prétendent pas que le texte constitution-
nel renfermerait une signification unique ; ils admettent qu’il doit être interprété,
mais ils contestent la théorie réaliste de l’interprétation et soutiennent que
l’interprétation ne dépend pas de la volonté souveraine du juge.
Il existe plusieurs variantes de cette position : pour les uns, à la différence de
la décision du législateur ou du constituant, l’interprétation donnée par le juge
doit être justifiée au moyen d’un raisonnement spécifique. La forme de ce rai-
sonnement déterminerait dans une large mesure le contenu de l’interprétation,
c’est-à-dire le sens qui sera donné au texte. Aussi, pour ces auteurs, le contrôle
de constitutionnalité est un frein au pouvoir politique du législateur, sans être
lui-même un pouvoir politique.
Pour d’autres, le rôle du juge constitutionnel doit être apprécié en tenant
compte de la situation de fait dans laquelle il se trouve. Il peut souhaiter déclarer
qu’une loi, dont le contenu lui déplaît, est contraire à la constitution et décider
de l’annuler, mais il lui faut tenir compte de nombreux facteurs : le législateur
frustré pourrait faire adopter la même mesure en forme constitutionnelle en fai-
sant réviser la Constitution ; il pourrait exercer des pressions sur les personnes
66
Droit constitutionnel
des juges ou faire augmenter le nombre des membres de l’organe de contrôle de
manière à faire basculer la majorité en son sein. Certains des membres peuvent
songer à préparer des décisions futures et chercher à se concilier certains de
leurs collègues, etc. (Murphy, 1962 ; Meunier, 1994).
Pour d’autres encore, le juge exerce une fonction foncièrement différente de celle
du législateur, mais qui doit être comparée à celle du critique littéraire. Comme lui, il
doit donner une interprétation du texte, qui n’exprime pas ses propres préférences,
mais qui présente au moins deux caractères : d’une part elle doit faire apparaître le
texte à interpréter sous son meilleur jour ; d’autre part, elle doit être compatible avec
le plus grand nombre de données possibles de l’ordre juridique en question (Dwor-
kin, 1986).
§ 2. Les formes du contrôle de constitutionnalité6
56. L’organisation d’un système de contrôle de la constitutionnalité des lois
soulève deux questions principales : Qui sont les juges ? Selon quelles techni-
ques procédurales le contrôle s’exerce-t-il ?
A Le mode de composition des juridictions constitutionnelles
57. A priori, deux types de solutions sont possibles et le choix dépend de
l’idée que l’on se fait du contrôle de constitutionnalité des lois. Ou bien l’on
estime que ce contrôle entre dans les attributions normales du pouvoir judi-
ciaire : la juridiction constitutionnelle se confond alors avec la ou les juridic-
tions de droit commun. Ou bien l’on estime qu’il s’agit d’une fonction spéci-
fique qui doit être confiée à un collège de magistrats spécialisés : la juridiction
constitutionnelle a alors une existence autonome.
La première solution correspond à un type d’organisation que l’on désigne
habituellement sous le nom de « modèle américain ». La Constitution des États-
Unis ne reconnaît pas explicitement au pouvoir judiciaire le pouvoir de contrô-
ler la constitutionnalité des lois. Mais, dès 1803, dans son fameux arrêt Mar-
bury v. Madison, la Cour suprême fédérale l’a elle-même attribué aux tribunaux
au terme d’une interprétation audacieuse de la Constitution. Elle a justifié cette
interprétation en affirmant que le principe même de ce contrôle (Judicial
Review) pouvait se déduire de l’intention qui avait guidé les constituants :
« Les pouvoirs du législatif sont définis et délimités, et une Constitution est
écrite pour que ces limites ne soient pas mal interprétées ou oubliées. À quoi
serviraient donc que les pouvoirs soient limités et que ces limites soient fixées
par écrit, si elles pouvaient à tout moment être transgressées par ceux que l’on
entend restreindre ? (...) Si les tribunaux doivent se référer à la Constitution,
et si la Constitution est supérieure à tout acte législatif ordinaire, c’est la
Constitution et non la loi ordinaire qui doit régir le cas auquel toutes deux
sont applicables » (cité in Hamon et Wiener, 2006, cf. aussi Zoller, 2003).
Dans ce modèle, le contrôle de constitutionnalité n’est pas réservé à la juri-
diction suprême. Tout tribunal, quel que soit son rang, a qualité pour l’exercer
6.
FAVOREU-MASTOR, 2011 ; TUSSAU, 2009 ; HAMON-WIENER, 2011.
La Constitution
67
car, chaque fois que deux règles sont en conflit, il lui appartient de déterminer
celle qui s’applique au cas particulier. C’est pourquoi ce modèle est souvent
qualifié de « décentralisé » ou de « diffus » pour le distinguer des systèmes
européens qui réservent ce contrôle à une juridiction spécialisée. Toutefois, en
pratique, cette décentralisation est plus apparente que réelle car elle se combine
avec une hiérarchie fonctionnelle : par le jeu des recours, les affaires qui posent
un problème de principe concernant l’interprétation de la Constitution fédérale
remontent généralement jusqu’à la Cour suprême, et c’est la jurisprudence de
celle-ci qui fait autorité.
D’un point de vue logique, dans tous les pays d’Europe continentale qui
s’étaient dotés d’une constitution écrite et rigide, les juges auraient pu se recon-
naître un pouvoir de contrôle sur la loi en usant du même raisonnement que leurs
collègues d’outre-Atlantique. Mais, dans la plupart des cas, ils n’ont pas osé fran-
chir ce pas parce que le contexte politique s’y prêtait mal : en France, notamment,
deux idées au moins s’y opposaient : d’une part la loi est « l’expression de la
volonté générale », comme l’affirme l’article 6 de la Déclaration de 1789, de
sorte qu’il serait criminel de s’y opposer, et d’autre part, selon une tradition, qui
remonte à Montesquieu, la puissance judiciaire est considérée comme nulle.
Le modèle européen de justice constitutionnelle a fait son apparition en Autri-
che et en Tchécoslovaquie, au lendemain de la Première Guerre mondiale. C’est
le philosophe du droit, Hans Kelsen, qui le premier fit inscrire dans la Constitu-
tion de l’Autriche de 1920 l’institution d’une cour constitutionnelle. Il s’agissait
d’une part de régler les conflits de compétence qui ne manqueraient pas de surgir
entre l’État fédéral et les États membres et d’autre part de rendre la constitution
réellement suprême.
Ce pouvoir ne pouvait pas être confié aux tribunaux ordinaires, comme aux
États-Unis, parce que les juges des pays de tradition romano-germanique ne
bénéficient pas du même prestige que ceux des pays de Common Law, et
parce que la pluralité des ordres de juridiction aurait entraîné des divergences
sur l’interprétation de la Constitution. Selon Kelsen, la meilleure solution était
d’instituer une « cour constitutionnelle », dont la légitimité découlerait indirec-
tement du suffrage universel, ses membres devant être élus par le Parlement à
des conditions de majorité qualifiée.
Les premières cours constitutionnelles établies en Autriche et en Tchécoslo-
vaquie ont été rapidement balayées par l’hitlérisme. Mais, après la Seconde
Guerre mondiale la Cour autrichienne a été rétablie et, durant les années suivan-
tes, la plupart des pays d’Europe occidentale se sont dotés d’un tribunal conçu
selon un modèle plus ou moins analogue. Ce tribunal n’a plus seulement pour
fonction de veiller à la répartition des compétences, mais aussi celle d’éviter la
domination excessive d’une majorité parlementaire et de garantir les droits de
l’Homme. Tel a été notamment le cas de l’Italie (1947), de l’Allemagne (1949),
de la France (1958), du Portugal (1976) et de l’Espagne (1978). Durant les
années 1990, après la chute du mur de Berlin, les pays d’Europe centrale et
orientale ex-communistes ont suivi la même voie. L’Afrique du Sud s’est éga-
lement dotée d’une cour constitutionnelle après la suppression de la politique
d’Apartheid.
68
Droit constitutionnel
Il convient de noter que la plupart des pays que l’on vient de citer se sont
convertis au contrôle de la constitutionnalité des lois, alors qu’ils venaient juste
de mettre fin à un régime de dictature. L’option en faveur du modèle européen
leur a permis de confier la protection de la Constitution à des juges qui ne
s’étaient pas compromis avec le régime ancien.
En dehors de l’Europe, la plupart des États qui ont subi principalement l’in-
fluence anglo-saxonne (Canada, Inde, Japon, Afrique anglophone), ont choisi le
modèle américain, à l’exception toutefois de l’Afrique du Sud ; ceux qui ont
subi principalement l’influence française ou allemande (Afrique francophone,
Corée du Sud, Turquie) ont choisi le modèle européen.
Il faut cependant souligner que le modèle dit américain dans lequel le
contrôle est diffus (parce qu’il est exercé par tous les juges) et le modèle dit
européen, dans lequel une cour constitutionnelle a le monopole du contrôle de
constitutionnalité ne sont que des types idéaux et que, la plupart des constitu-
tions empruntent aux deux modèles : une cour constitutionnelle a bien le mono-
pole, mais n’importe quel
la saisir d’une question préjudicielle
(v. infra no 58 et 760 s.).
juge peut
Quel que soit le modèle de référence, les juges constitutionnels sont généra-
lement choisis par des autorités politiques (Président et Sénat aux États-Unis,
Parlement en Allemagne et en Autriche, Président de la République et prési-
dents des assemblées en France, etc.). Mais si leur fonction a incontestablement
une importance politique considérable, leur mandat se distingue par quelques
traits de ceux détenus par les autorités élues. En premier lieu, en vertu des textes
ou des usages, ils doivent toujours posséder des qualifications juridiques au
moins équivalentes à celles que l’on exige d’un magistrat ordinaire (la France
fait toutefois exception sur ce point, v. infra no 758). En second lieu, une fois
nommés, les juges bénéficient d’un statut qui garantit leur indépendance à
l’égard des autorités politiques, y compris celles auxquelles ils doivent leur
nomination. Ils sont nommés soit à vie (comme aux États-Unis), soit pour une
durée relativement longue comme en Europe (de neuf à douze ans selon les
pays). Et sauf en cas de faute extrêmement grave, il est impossible de les desti-
tuer en cours de mandat.
Malgré l’opposition de principe entre le modèle américain et le modèle euro-
péen, le mode de composition des juridictions constitutionnelles est donc rela-
tivement homogène. Leur mode de fonctionnement, en revanche, varie beau-
coup selon les pays.
B Le mode de fonctionnement des juridictions constitutionnelles
58. Deux distinctions importantes sont à retenir : la première, d’ordre chro-
nologique, concerne le moment auquel s’exerce le contrôle ; la seconde, d’ordre
méthodologique, est relative au point de vue auquel le juge doit se placer.
— Si le juge intervient en amont de la promulgation, c’est-à-dire avant
même que la loi soit déclarée applicable, on parle de « contrôle a priori » ; si
au contraire, il intervient en aval de la promulgation, donc à un moment où la
loi est déjà en vigueur, le contrôle est dit « a posteriori ».
La Constitution
69
— Si le juge considère la loi en elle-même, indépendamment de tout litige
particulier, on dit qu’il se livre à un « contrôle abstrait » ; si au contraire il l’exa-
mine à l’occasion d’un litige particulier dont la solution dépend du résultat de
cet examen, il s’agit d’un « contrôle concret ».
En croisant ces deux critères, on devrait donc pouvoir distinguer quatre
grands types de contrôle. Mais il n’en existe en fait que trois, car le contrôle
concret ne peut jamais s’exercer a priori : comment en effet la solution d’un
litige particulier pourrait-elle dépendre d’une loi qui, par hypothèse, n’est pas
encore entrée en vigueur ?
La préférence donnée par un système national à l’un de ces trois types peut
dépendre d’un choix délibéré du pouvoir constituant. Mais elle s’explique aussi
souvent, au moins en partie, par les circonstances historiques dans lesquelles le
contrôle a été introduit.
On a vu qu’aux États-Unis le contrôle, qui n’était pas expressément prévu
par la Constitution, n’a pu s’imposer que parce que les tribunaux, et notamment
la Cour suprême, le considéraient comme une fonction inhérente au pouvoir
judiciaire. Dans ce pays, le contrôle ne peut donc s’exercer qu’a posteriori
(car les juges n’ont pas à connaître des lois qui ne sont pas encore en vigueur)
et présente toujours un aspect concret (car la question de constitutionnalité ne
peut être soulevée que dans le cadre d’un litige particulier, c’est-à-dire d’un
procès civil, pénal ou administratif). Les deux procédures les plus couramment
utilisées sont l’exception d’inconstitutionnalité et l’injonction.
La première suppose simplement que l’une des parties au procès conteste la
constitutionnalité de la loi sur laquelle s’appuie la partie adverse. Par exemple,
un journaliste poursuivi pour avoir divulgué une information considérée comme
un « secret d’État » peut se défendre en affirmant que la loi en vertu de laquelle
le Ministère public voudrait le faire condamner est contraire au premier amen-
dement, qui interdit au Congrès de limiter « la liberté de parole ou de presse ».
La seconde est liée au fait que les juridictions des pays anglo-saxons peu-
vent délivrer contre une autorité administrative une « injonction », c’est-à-dire
un ordre de faire ou de ne pas faire quelque chose. La procédure de l’injonction
peut être utilisée à l’initiative d’une personne qui tente de neutraliser une loi
portant atteinte à ses droits constitutionnels : c’est par cette voie qu’en 1954
des parents d’écoliers noirs ont obtenu, nonobstant les dispositions ségrégation-
nistes des lois locales, l’admission de leurs enfants dans des écoles publiques
jusqu’alors réservées aux blancs.
Dans les pays qui se rattachent au « modèle européen », les modes de saisine
de la juridiction spécialisée doivent être expressément prévus, soit par la Consti-
tution elle-même, soit par une loi organique. Ils peuvent être de trois sortes : le
recours préjudiciel, le recours individuel direct ou la saisine par des autorités
politiques.
1) Le recours préjudiciel présente de grandes analogies avec « l’exception
d’inconstitutionnalité » du droit américain. Au cours d’un procès qui se déroule
devant le tribunal normalement compétent, l’un des plaideurs (ou éventuelle-
ment le tribunal lui-même) soulève la question de savoir si une loi dont dépend
la solution du litige est ou non conforme à la Constitution. Mais comme, par
hypothèse, on se trouve dans un système où le contrôle est centralisé, le tribunal
70
Droit constitutionnel
saisi de l’affaire (que l’on désigne habituellement sous le nom de « juge de ren-
voi ») ne peut pas trancher lui-même cette question, comme il pourrait le faire
aux États-Unis. Il y a donc question « préjudicielle », c’est-à-dire que le juge de
renvoi doit suspendre le procès (en termes techniques : « surseoir à statuer »)
jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle se soit prononcée. Le rôle de celle-ci
se borne à résoudre la question préjudicielle, c’est-à-dire à apprécier la consti-
tutionnalité de la loi qui lui est soumise. Le procès pourra ensuite reprendre son
cours devant le juge du fond. On qualifie généralement ce type de contrôle de
« concret » parce que le juge est saisi à l’occasion d’un litige concret, mais il
n’est pas réellement concret. Il est abstrait si l’on considère non pas la procé-
dure, mais la nature et la portée du contrôle, dans la mesure où le juge constitu-
tionnel n’examine pas les faits, mais seulement la loi applicable et où il statue
en termes abstraits.
Selon des modalités variables, cette procédure a été introduite dans la plupart
des pays qui se sont dotés d’une cour constitutionnelle, notamment en Alle-
magne, en Italie et en Espagne et tout récemment en France, par la révision
constitutionnelle de 2008 sous le nom de « question prioritaire de constitutionna-
lité » (QPC) (v. infra 4e partie). Elle permet de déclencher assez facilement le
contrôle. Pour les plaideurs, l’accès à la Cour constitutionnelle n’est cependant
pas illimité, car les juges du fond opèrent toujours un certain filtrage, qui peut
être plus ou moins sévère : ils ont en effet la faculté de rejeter eux-mêmes les
exceptions qui leur paraîtraient manifestement infondées, et qui généralement
ont été soulevées à des fins purement dilatoires. Il s’agit d’un contrôle concret a
posteriori.
2) À la différence de l’exception d’inconstitutionnalité, le recours direct per-
met à un plaideur de saisir le juge constitutionnel sans passer par un intermé-
diaire. On évite ainsi le filtre des tribunaux ordinaires, ce qui oblige le juge
constitutionnel à effectuer lui-même un tri, et explique sans doute que les pays
ayant institué un tel recours soient encore relativement peu nombreux : on le
trouve, sous des formes assez différentes, en Allemagne (Verfassungsbesch-
werde), en Autriche, en Suisse et en Espagne (amparo), mais non en France,
ni même en Italie. Là où il existe, d’ailleurs, il n’est conçu que comme un
remède ultime : on ne peut l’utiliser qu’après avoir épuisé toutes les autres pos-
sibilités de recours offertes par le droit interne du pays considéré. En pratique, le
« recours direct » est par excellence l’arme des plaideurs qui s’estiment lésés par
les décisions des tribunaux ordinaires. Il conduit donc le juge constitutionnel à
exercer un contrôle sur l’activité de ceux-ci, un peu comme pourrait le faire une
Cour suprême, et renforce considérablement son emprise sur l’ensemble du sys-
tème juridictionnel. Il s’agit également d’un contrôle concret a posteriori.
3) Reste la saisine par des autorités politiques. Les autorités politiques habi-
litées à déclencher le contrôle peuvent être des membres de l’exécutif (Président
de la République ou Premier ministre en France) ou des membres du Parlement
(soixante députés ou soixante sénateurs en France, un tiers des membres du
Bundestag en Allemagne, cinquante députés ou cinquante sénateurs en
Espagne). Dans les pays où certaines collectivités territoriales disposent d’un
pouvoir législatif (comme c’est le cas des Länder allemands, des régions italien-
nes et des communautés autonomes espagnoles), il appartient au juge constitu-
tionnel de veiller à la répartition des compétences entre le législateur national et
La Constitution
71
le législateur local : la Cour peut donc également être saisie par le gouverne-
ment central pour contrôler la conformité à la constitution d’une loi locale, et
par les organes de l’une de ces collectivités territoriales pour vérifier si une loi
nationale n’empiète pas sur les compétences qui leur sont réservées. Il s’agit
d’un contrôle abstrait qui peut s’exercer tantôt a priori (France), et tantôt a pos-
teriori (Allemagne, Italie, Espagne).
On peut distinguer en gros trois groupes de pays :
— Ceux qui pratiquent uniquement le contrôle concret, comme les États-Unis.
Mais en pratique, le juge ne peut jamais régler un cas concret sans envisager la
classe des cas à laquelle il appartient. Par exemple, lorsque la Cour suprême des
États-Unis décide que la loi d’un État a porté atteinte aux droits constitutionnels
de M. ou Mme X en sanctionnant le fait de brûler un drapeau américain en public,
elle se prononce non seulement sur le cas de M. ou Mme X, mais sur l’acte de brûler
un drapeau, quels qu’en soient les auteurs ou les circonstances et elle se fonde sur
une réflexion générale et abstraite sur le point de savoir si ce type d’acte peut être
considéré comme une forme d’expression politique et sur les limites qu’il faut ou
non fixer à la liberté d’expression. En d’autres termes, le contrôle concret a tou-
jours en réalité un caractère général. Par son fondement et sa portée, il rejoint donc,
dans une certaine mesure, le contrôle abstrait.
— Ceux qui ne pratiquent que le contrôle abstrait a priori : c’était le cas de
la France avant la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Mais rien
n’interdit au juge qui exerce un contrôle abstrait d’essayer d’imaginer les cas
concrets auxquels la loi pourrait s’appliquer et d’en tenir compte dans la moti-
vation de sa décision. C’est ainsi que, depuis la fin des années 1970, le Conseil
constitutionnel français rend fréquemment des décisions de conformité « sous
réserves », c’est-à-dire qu’il adresse des directives d’interprétation aux adminis-
trations et aux juridictions ordinaires.
— Ceux qui combinent le contrôle concret et le contrôle abstrait : Alle-
magne, Italie, Espagne. Mais on constate que, dans ces pays,
le contrôle
concret se développe généralement plus vite que le contrôle abstrait, parce que
tout plaideur peut en prendre l’initiative.
En pratique, le rôle joué par les juges constitutionnels dépend davantage des
éléments fonctionnels, c’est-à-dire du type de contrôle qu’ils exercent, que des
éléments organiques, c’est-à-dire de leur rattachement au modèle américain ou
au modèle européen. Par exemple, le système allemand présente probablement
plus de similitudes avec le système américain, qui permet également à tout plai-
deur de contester la conformité d’une loi à la Constitution, qu’avec le système
français, qui jusqu’à une date récente (réforme de 2008) réservait ce droit à des
autorités politiques.
On a soutenu que les systèmes qui ne pratiquent que le contrôle abstrait a
priori (comme le système français avant la réforme de 2008) garantissaient
mieux la sécurité juridique car, une fois qu’elle a été promulguée, la loi ne
peut plus être déclarée inconstitutionnelle, alors que, dans les systèmes princi-
palement fondés sur le contrôle concret a posteriori, il faut parfois attendre des
années avant que la question soit tranchée à l’occasion d’un procès.
En revanche, les systèmes américain, allemand, espagnol ou italien se prêtent
à un contrôle plus approfondi dans la mesure où ils permettent de sanctionner des
72
Droit constitutionnel
inconstitutionnalités qui ne sont pas immédiatement apparentes et qui ne se révé-
leront qu’à l’occasion des litiges soulevés par l’application de la loi. Et l’insécu-
rité juridique qu’ils génèrent peut être limitée en atténuant les effets des déclara-
tions d’inconstitutionnalité (par exemple en prévoyant que le juge peut octroyer
un délai au législateur pour modifier la loi inconstitutionnelle, comme c’est le cas
en Allemagne et en France depuis la réforme de 2008).
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Chapitre 2
Le pouvoir
60. La différence de la science politique, la science moderne du droit consti-
tutionnel n’étudie pas le phénomène du pouvoir sous toutes ses formes et dans
toutes les sociétés, mais seulement celui qui s’exerce dans la forme juridique et
que l’on appelle État.
On examinera dans ce chapitre, le cadre dans lequel agit ce pouvoir, les for-
mes sous lesquelles il se manifeste et les techniques par lesquelles il s’exerce.
Section 1
Le cadre : l’État
61. Définition. – La forme étatique se caractérise par quelques traits essen-
tiels :
Le pouvoir est exercé dans la forme juridique, c’est-à-dire, non pas au
moyen de commandements isolés, mais de règles qui sont créées et appliquées
selon des procédures régulières et relativement stables, de telle manière que
chaque commandement individuellement adressé à un sujet apparaît toujours
comme l’application d’une règle générale antérieure.
Le pouvoir est censé avoir pour titulaire non pas les hommes qui l’exercent
en fait, mais un être distinct, à qui les actes sont attribués.
Cet être est appelé État. L’État ne peut vouloir et agir par lui-même. Aussi y
a-t-il nécessairement des hommes pour vouloir et agir, mais on présume que
leurs actes sont ceux de l’État. On use fréquemment à leur endroit d’une méta-
phore : ils sont des organes de l’État. De même qu’on dit qu’un homme parle
lorsque des sons articulés sortent de sa bouche, de même, on dit que l’État veut
lorsque certains hommes, qui sont ses organes, expriment une volonté.
Cet ensemble est le plus souvent considéré comme une personne juridique
ou morale, un être analogue à une personne physique. Il possède donc un patri-
moine, des droits et des obligations, des intérêts mêmes, distincts de ceux de ses
organes, distincts de ceux des sujets.
L’État est aussi distinct de la société, appelée société civile. Il exerce son
pouvoir sur elle et remplit à son égard un certain nombre de fonctions. Ces
fonctions peuvent naturellement être perçues comme des fonctions sociales :
l’État rend la justice, assure la direction de l’économie du pays, l’éducation de
la jeunesse, la défense du territoire, etc. Mais ces fonctions sont exercées dans
76
Droit constitutionnel
une forme juridique : l’État émet des règles, qui ont pour objet ces différentes
activités. Autrement dit, l’État apparaît comme « producteur de droit ».
Cette production donne lieu à deux types de problèmes :
— si l’État est producteur de droit, peut-on concevoir qu’il soit lui-même
soumis au droit ?
— le pouvoir de l’État s’exerce à l’égard d’un groupe d’hommes, plus ou
moins important, qu’on appelle, si on les envisage individuellement, les sujets,
et, si on les considère collectivement, le « peuple de l’État ». Il s’exerce aussi
sur une certaine portion d’espace géographique, le territoire de l’État.
§ 1. L’État et le droit
62. Le problème des rapports entre l’État et le droit est un problème qui
relève non pas tant de la théorie juridique, que de la philosophie politique
(Ferry, 1999). Il a donné lieu à une doctrine aujourd’hui très répandue et qui
forme même le fond de l’idéologie dominante dans les systèmes politiques libé-
raux, l’État de droit. Avant d’aborder ce problème, il convient de considérer
qu’il ne peut y avoir de rapports entre l’État et le droit – quels que ce soient
ces rapports, que l’on conçoive l’État comme subordonné au droit ou au
contraire comme seul producteur de droit – que s’il s’agit bien de deux entités
distinctes. Il existe bien plusieurs théories qui concluent en ce sens. Mais elles
sont contestées par d’autres, selon lesquelles l’État et le droit ne sont qu’un seul
et même phénomène désigné par deux termes différents. Ce n’est qu’après avoir
examiné les unes et les autres que l’on pourra traiter du problème de l’État de
droit.
63. Le dualisme de l’État et du droit. – Lorsqu’on aborde ce problème, on
présuppose le plus souvent que l’État et le droit sont deux entités distinctes.
Deux solutions sont alors concevables : la première est la position jusnaturaliste
qui consiste, on l’a vu, à admettre qu’au-dessus du droit positif, c’est-à-dire
posé par l’État, il y a un droit naturel, qui s’impose à lui (v. supra no 17).
L’État doit donc être soumis au droit et il faut instituer des mécanismes qui
garantissent cette soumission.
Au contraire, selon la conception positiviste, il n’y a pas d’autre droit que
celui qui a été posé par l’État, qui est l’expression de la volonté de l’État. L’État
ne peut donc jamais être soumis au droit, parce qu’il serait alors simplement
soumis à sa propre volonté. On peut seulement, dans cette perspective, conce-
voir une autolimitation de l’État.
À ce point, les adhérents respectifs aux deux positions échangent des argu-
ments tenant à la signification politique des deux doctrines. Aux yeux des jus-
naturalistes, le positivisme ne serait qu’une forme d’idolâtrie de l’État et, par-
tant, une simple justification de l’autoritarisme, voire du totalitarisme. Puisqu’il
affirme que l’État est le seul producteur du droit et qu’il ne peut lui être soumis,
ne conduit-il pas en effet à recommander l’obéissance à n’importe quel ordre,
aussi despotique soit-il, puisque dès lors qu’il émane de l’État, il est « le
droit » ? Cette accusation a été formulée avec une vigueur toute particulière
Le pouvoir
77
après la Seconde Guerre mondiale et les positivistes ont été considérés par cer-
tains de leurs adversaires comme des alliés objectifs, sinon comme des compli-
ces des nazis.
Les positivistes répliquent qu’il y a une grande différence entre une défini-
tion du droit et une justification de son contenu ou une incitation à la soumis-
sion. Les commandements émis par l’État sont en effet du droit, conformément
à la seule définition possible du droit. Mais le positivisme est une attitude scien-
tifique et non morale ou politique et cette qualification n’est pas un jugement
moral : on peut les nommer « droit » sans pour autant prêcher l’obéissance. Ce
sont les jusnaturalistes qui confondent à tort le point de vue scientifique et le
point de vue moral et qui en réalité propagent une idéologie : comme il est
impossible de prouver l’existence d’un droit naturel ou de connaître ce qu’il
prescrit, ce que les jusnaturalistes appellent « droit naturel » n’est que l’expres-
sion de leurs propres préférences subjectives. S’ils affirment que l’État doit être
soumis au droit naturel, cela ne signifie donc qu’une chose : que l’État doit être
soumis aux valeurs auxquelles adhèrent personnellement les auteurs. Autrement
dit, aux yeux des positivistes, le jusnaturalisme n’exprime que la prétention de
certains auteurs à superviser la direction de l’État.
Ces deux conceptions sont irréconciliables et l’adhésion des auteurs à l’une ou
l’autre permet de comprendre un grand nombre de débats théoriques en droit. C’est
ainsi que si certains auteurs ont recherché une solution au problème des rapports de
l’État et du droit, c’est nécessairement soit à partir d’un point de vue jusnaturaliste,
soit à partir du point de vue positiviste.
64. L’unité de l’État et du droit. – Selon la doctrine de Hans Kelsen connue
sous le nom de Théorie Pure du Droit, le problème des rapports de l’État et du
droit n’est qu’un faux problème (Kelsen, 1962, p. 275-310). Il présuppose en
effet que l’État et le droit sont deux entités distinctes, alors qu’en réalité il s’agit
d’une seule et même chose désignée par deux noms différents. L’une des
démonstrations de cette unité repose sur la définition traditionnelle de l’État. On
a vu que, selon Kelsen, les trois éléments qui doivent servir à définir l’État, le
peuple, le territoire et la puissance publique, ne peuvent être définis que par
l’État lui-même. Mais cela signifie qu’ils ne peuvent être définis que par le droit :
la population, en effet, est l’ensemble des hommes, soumis aux normes apparte-
nant à un certain ordre juridique ; le territoire est l’espace sur lequel ces normes
sont applicables ; la puissance publique est celle qui s’exerce à l’aide de ces nor-
mes. Définir l’État, c’est bien définir le droit.
Il en découle évidemment que la question des rapports de l’État et du droit
ne se pose plus. S’il ne s’agit que d’un seul et même phénomène, l’un ne peut
être soumis à l’autre.
65. L’État de droit. – Au nombre des idéologies contemporaines relatives
aux rapports de l’État et du droit figure la doctrine dite de l’État de droit (Cheval-
lier, 2010). Elle s’est développée à partir des travaux des juristes allemands du
XIXe siècle. Cette doctrine, aujourd’hui très répandue, – au point que le Secrétaire
Général du Parti Communiste de l’Union soviétique avait proclamé sa volonté
d’instaurer un « État socialiste de droit » (Le Monde, 28 mai 1988) – comporte en
réalité plusieurs idées différentes.
78
Droit constitutionnel
En premier lieu, elle admet que l’État agit exclusivement dans la forme juri-
dique, ce qui ne signifie pas « conformément au droit », mais « au moyen du
droit ». Cette forme se caractérise, on l’a vu, par la subordination des normes
les unes aux autres (v. supra no 15).
Elle apparaît comme une protection contre le risque d’arbitraire, puisque les
organes inférieurs de l’État ne peuvent jamais agir autrement que pour appliquer
une norme plus générale et antérieure, donc connue des sujets. Aussi, le premier
principe protecteur de la doctrine de l’État de droit est-il le principe de légalité.
Mais ce premier principe ne protège évidemment pas contre des lois qui
seraient elles-mêmes oppressives. La doctrine de l’État de droit est donc à la
recherche d’un second principe. À ce point, se manifestent certaines divergen-
ces. Les uns voudraient imaginer des procédures législatives complexes, repo-
sant sur l’équilibre des pouvoirs, et propres à empêcher, par le simple jeu des
oppositions d’intérêts, l’adoption de lois tyranniques. D’autres mettent leur
confiance dans le fonctionnement de la démocratie. D’autres encore, aujour-
d’hui les plus nombreux, voient la solution dans la soumission de la loi à des
principes supérieurs, c’est-à-dire pratiquement dans le contrôle de la constitu-
tionnalité des lois (v. supra no 51 s.).
Cela dit, il existe au sein de ce dernier groupe une tension permanente entre
deux conceptions possibles, très différentes et incompatibles entre elles (Vedel,
1988). Selon la première, les principes supralégislatifs sont ceux qui ont été inscrits
dans la Constitution par le constituant originaire ; ce sont des principes du droit
positif. Il en résulte que puisque ces principes ont été posés dans la Constitution,
ils peuvent être modifiés selon la procédure prévue pour la révision constitution-
nelle. L’institution du contrôle de constitutionnalité peut donc trouver dans cette
conception sa justification, car l’annulation d’une loi pour inconstitutionnalité signi-
fie alors non pas que le juge constitutionnel s’est opposé à la volonté des représen-
tants du peuple, mais simplement qu’il a indiqué que cette loi ne pouvait être adop-
tée que moyennant la modification des principes constitutionnels. Le juge s’est
donc borné en quelque sorte à indiquer la procédure à suivre. Mais, il est clair
que, selon cette conception, si le législateur se trouve limité, l’État dans sa totalité
ne l’est pas, puisque d’une part le juge dispose d’une grande marge de pouvoir
discrétionnaire pour décider si les principes ont été ou non violés et que d’autre
part l’État peut, même si c’est seulement au terme d’une procédure plus ou moins
difficile à mettre en œuvre, modifier les principes auxquels il est censé être soumis.
Selon la seconde conception, les principes supralégislatifs ne sont pas sim-
plement des principes du droit positif. Ce sont des principes du droit naturel.
Certes, ils ont pu faire l’objet d’une proclamation dans les préambules des
constitutions ou dans des déclarations des droits, mais ils ne tirent pas leur
force et leur valeur de l’édiction de ces textes. Ceux-ci ne sont, comme leur
nom l’indique le plus souvent, que des « déclarations ». Ils ne font que constater
de manière solennelle des droits qui leur préexistent et que les hommes possè-
dent par nature. Cette conception comporte deux implications très importantes :
d’une part, même s’il n’y avait aucune déclaration des droits ou si les principes
n’étaient pas mentionnés dans le préambule de la constitution, ils s’imposeraient
malgré tout à l’État, notamment au législateur ; d’autre part, même s’ils font
l’objet d’une déclaration, ce que le juge applique lorsqu’il contrôle la confor-
mité de la loi aux principes, ce n’est pas le texte de la déclaration, par lequel il
Le pouvoir
79
n’est pas lié, mais les principes du droit naturel, qu’il a pour mission de décou-
vrir par des méthodes appropriées.
Les partisans de la deuxième conception peuvent donc faire valoir que c’est
la seule dans laquelle l’État soit véritablement soumis à un droit supérieur, mais
ils se heurtent évidemment à l’objection des positivistes qui soutiennent que la
justesse d’une conception ne se mesure pas à la force des justifications qu’elle
fonde. Encore faut-il qu’elle repose sur des idées vraies et que l’on prouve, ce
qui est impossible, que les principes du droit naturel existent réellement.
§ 2. L’État et l’espace, les formes d’organisation de l’État
66. Il importe d’abord d’éviter une confusion courante entre la forme d’or-
ganisation de l’État et la forme de son gouvernement. La forme de gouverne-
ment est déterminée par le nombre des titulaires du pouvoir et la manière dont
ils sont désignés. La forme d’organisation de l’État est la forme de l’ordre juri-
dique de l’État, l’espace de validité territoriale de ses normes et la manière dont
elles sont posées. Dans un ordre juridique, sauf s’il s’agit de l’ordre juridique
d’un État minuscule, toutes les normes n’ont pas la même sphère de validité
territoriale. Certaines sont valables et s’imposent sur tout le territoire national,
d’autres seulement sur une portion de ce territoire. En France par exemple, les
lois s’imposent sur l’ensemble du territoire, mais certaines décisions ne s’im-
posent que sur le territoire du département ou sur celui de la commune. Par
convention et pour faciliter l’exposé, on appellera les premières « normes
nationales » et les secondes « normes locales ». La question de la forme d’or-
ganisation de l’État concerne d’abord la répartition des matières entre celles
qui sont régies par les normes nationales et celles qui le sont par les normes
locales ainsi que la manière dont sont posées ces dernières normes.
La distinction entre la forme d’organisation de l’État et la forme de son gou-
vernement permet de comprendre – encore que la forme de l’État influe dans
une certaine mesure sur celle de son gouvernement – que des États dont la
forme d’organisation est semblable soient régis par des procédés gouvernemen-
taux différents et – à l’inverse – que des États dont la forme de gouvernement
ou le régime politique est semblable présentent des formes d’organisation diffé-
rentes. Ainsi, avant juillet 1940, la France et l’Italie étaient deux États unitaires
(même forme d’organisation), mais la première était une démocratie représenta-
tive et l’autre une dictature fasciste (deux formes de gouvernement différentes).
Naguère, l’Union soviétique et la Pologne étaient deux États socialistes, mais le
premier était un État fédéral et le second un État unitaire.
On vient d’opposer ainsi deux formes d’organisation : l’État unitaire et l’État
composé.
A L’État unitaire
67. C’est celui dans lequel les normes locales ne peuvent être créées qu’en
sont
préalables. On
nationales
qu’elles
normes
application
dit
de
80
Droit constitutionnel
« conditionnées ». Il n’y a donc qu’un seul centre de pouvoir et c’est en défini-
tive la même autorité nationale, qui établit directement les normes nationales et
indirectement les normes locales.
Ainsi, en France, les lois sont nationales et les normes locales ne peuvent
être créées que si une loi nationale détermine les matières dans lesquelles elles
peuvent intervenir. C’est aussi la loi qui institue l’autorité locale compétente, lui
fixe des objectifs et des limites, détermine des procédures et organise un
contrôle sur le contenu des décisions, de telle manière qu’on peut penser que
dans un tel État, les normes locales ne sont jamais que la concrétisation, compte
tenu des situations locales, des normes nationales.
Il existe cependant des différences considérables entre les États unitaires :
les uns sont dits centralisés, les autres décentralisés. Dans les États unitaires
du premier type, toutes les normes sont prises par des autorités nationales,
dites aussi centrales. Dans les États unitaires décentralisés, les normes locales
sont prises par ceux-là mêmes qui leur seront soumis ou par des personnes
qu’ils ont élues. C’est pourquoi l’on parle dans ce cas d’autonomie.
On ne doit pas confondre la décentralisation et la déconcentration : dans un
État déconcentré, les normes locales sont prises, par délégation, par des agents
nommés par les autorités centrales. Ces agents font partie d’une hiérarchie
et sont soumis au contrôle de leurs supérieurs, de sorte que les sujets ne parti-
cipent en rien à la création des normes. La déconcentration est donc non une
forme de décentralisation, mais une forme de centralisation.
On comprend alors que la décentralisation soit liée à l’idée démocratique.
En effet, la population d’un État n’est pas homogène sur le territoire du point
de vue ethnique, linguistique, religieux ou simplement politique. Il arrive fré-
quemment qu’un groupe soit minoritaire à l’échelon national, mais majoritaire
dans certaines régions. Dans un État centralisé, ce groupe serait toujours soumis
à des normes qu’il n’a pas voulues et qui lui sont imposées par la majorité. Dans
un système décentralisé, au contraire, il est soumis à des normes qu’il a lui-
même adoptées directement ou indirectement par des autorités élues (Mény,
1974 ; Moreau, Darcy, 1984).
Centralisation et décentralisation sont des types-idéaux, c’est-à-dire des caté-
gories construites par les juristes. Dans la réalité on ne rencontre jamais ces
types à l’état pur, mais des situations intermédiaires plus proches de l’un ou
de l’autre. La décentralisation est d’autant plus poussée que les normes locales
portent sur des matières plus importantes, que dans ces matières les normes
nationales laissent une plus grande marge de liberté aux autorités locales et
que le contrôle exercé par les autorités nationales est moins strict.
Le degré le plus élevé de décentralisation est celui de l’État régional, dans
lequel les sujets des normes locales, regroupés en régions relativement vastes,
doivent leur autonomie non à la loi, mais à la constitution nationale elle-même
et cela de deux manières : d’une part, elle leur attribue une liste de matières,
que la loi nationale ne peut modifier ; d’autre part, dans certains cas, comme
celui de l’Espagne, la Constitution peut aller jusqu’à permettre aux régions de
déterminer elles-mêmes, dans certaines limites, l’organisation et le mode de
fonctionnement des autorités régionales. On n’est alors plus très éloigné de
l’État fédéral.
Le pouvoir
B L’État composé
81
68. Les États composés sont de structures différentes selon la rigidité du lien
qui unit leurs parties composantes. On va ainsi de la confédération d’États à
l’État fédéral (Le Fur, 1896 ; Beaud, 2007).
69. La confédération d’États. – Plusieurs États peuvent se grouper par un
traité international et constituer une communauté organisée, dite « confédération
d’États ». Les États parties au traité sont les États membres de la confédération.
Le traité constitutif de la confédération peut instituer un organe central compé-
tent pour exercer un certain nombre de fonctions énumérées de façon limitative
dans le traité. En général, cet organe n’est pas composé de députés élus, mais de
représentants des États, nommés par leurs gouvernements respectifs. La plupart
des décisions se prennent à l’unanimité, mais certaines peuvent être prises à la
majorité, si elles ne portent pas sur des questions jugées essentielles. Aussi, la
souveraineté n’appartient-elle pas à la confédération, qui n’est pas elle-même un
État, mais continue de résider dans les États membres (Kelsen, 1945).
L’Histoire montre plusieurs exemples de confédérations, Confédération
américaine, Confédération helvétique, Confédération de l’Allemagne du Nord.
Il s’agissait principalement pour les États membres d’exercer en commun des
compétences diplomatiques et militaires. Mais aucune Confédération n’a sub-
sisté très longtemps : ou bien elles se sont dissoutes ou bien les liens entre les
États membres se sont renforcés et la Confédération s’est transformée en un État
fédéral, comme dans le cas américain, voire en un État unitaire, comme aux
Pays-Bas. Cette forme d’organisation n’appartient cependant pas entièrement
au passé. Elle a connu un certain renouveau à l’époque contemporaine, d’abord
avec les tentatives pour réaliser la décolonisation sans rompre complètement les
liens entre l’ancienne puissance coloniale et les États qui accédaient à l’indé-
pendance, puis avec les entreprises d’intégration économique, notamment avec
les Communautés européennes.
70. L’État fédéral. – (Mouskhéli, 1931 ; Héraud, 1968 ; Rials, 1986). Il
présente un tout autre caractère. Dans ce cas, la communauté qui a été instituée
est un véritable État et cela à deux points de vue. D’abord, au sens du droit
international, c’est même le seul État qui subsiste. Lui seul, à l’exclusion des
États membres, peut normalement entretenir des relations internationales.
Ensuite, au sens du droit interne, l’État fédéral se dote d’une constitution et
exerce les trois fonctions de tout État, les fonctions législative, exécutive et juri-
dictionnelle. Quant aux États membres, ils possèdent également une constitu-
tion et exercent eux aussi les trois fonctions.
Il est commode d’analyser l’État fédéral comme une combinaison de deux
principes :
a) le principe de participation : les États membres participent à la formation
des décisions de l’État fédéral. Il y a notamment dans tous les États fédéraux
une seconde Chambre où siègent des représentants des États membres ;
b) le principe d’autonomie : les États membres établissent leur propre consti-
tution, adoptent leurs propres lois, les exécutent, désignent leurs gouvernants,
disposent d’un appareil judiciaire.
82
Droit constitutionnel
Cependant, il ne faut pas croire que les structures des États membres et
celles de l’État fédéral forment deux étages superposés, mais nettement séparés.
Il n’en est rien : non seulement, sur le plan organique la Constitution fédérale
organise, comme on l’a vu, la participation des États membres à la formation
des normes fédérales, mais l’autonomie elle-même n’existe qu’en vertu des nor-
mes fédérales. En réalité, l’ordonnancement juridique d’ensemble est hiérar-
chisé :
1o C’est la constitution de l’État fédéral qui détermine les compétences des
organes fédéraux, notamment de l’organe législatif et donc a contrario celles
des États membres. La Constitution fédérale énumère les matières qui relèvent
de la compétence fédérale ; toutes celles qui ne figurent pas dans la liste relèvent
des États membres. Il faut souligner que, au nombre des pouvoirs que se donne
l’État fédéral, figure celui de lever des impôts. Il ne dépend donc pas des verse-
ments des États membres. Bien au contraire, ce sont souvent ceux-ci qui reçoi-
vent des subventions de l’État fédéral.
Les États membres reçoivent donc leurs compétences d’une norme fédérale,
comme les autorités locales dans un État unitaire les reçoivent d’une norme
nationale. Les conflits de compétences inévitables sont tranchés par une juridic-
tion fédérale. Même s’ils sont tranchés, ce qui est d’ailleurs assez rare, en faveur
des États membres, ceux-ci auront tout de même reçu leurs pouvoirs d’un
organe fédéral.
2o L’État membre n’a donc pas comme l’État fédéral le pouvoir de détermi-
ner les matières de sa propre compétence, ce qu’on appelle parfois la « compé-
tence de la compétence ». Il n’est pas souverain. Les auteurs qui font de la sou-
veraineté le caractère distinctif de l’État en concluent par conséquent que l’État
membre n’est pas un véritable État (Rials, 1986).
3o Il est vrai que les États membres peuvent se doter d’une constitution, mais
la Constitution fédérale peut fixer des limites à son pouvoir constituant et lui
interdire par exemple certains types de dispositions. Les États américains ne
pourraient pas décider d’adopter la forme monarchique ou réviser leurs consti-
tutions pour rétablir l’esclavage.
4o Les lois des États membres doivent être conformes non seulement à leurs
propres constitutions, mais également à la constitution de l’État fédéral. Ainsi,
le contrôle de constitutionnalité exercé par la Cour suprême des États-Unis
porte avant tout sur les lois des États. Ainsi, c’est parce que des lois des États
interdisaient l’avortement que la Cour suprême a été saisie et a déclaré que ces
lois étaient contraires à la Constitution fédérale.
Dans ces conditions, il n’est pas injustifié de soutenir qu’il n’y a entre l’État
unitaire décentralisé et l’État fédéral qu’une différence de degré et non de
nature. Cela ne signifie pas que cette différence soit négligeable. Elle présente
évidemment une grande signification politique, car il est clair qu’une région qui
dispose simplement d’un pouvoir administratif autonome n’est pas aussi libre
que l’État membre qui peut, même si c’est en vertu de la Constitution fédérale,
légiférer sur le droit des personnes ou la politique scolaire. C’est bien pourquoi
le fédéralisme se présente souvent comme une solution possible aux problèmes
des États multinationaux. Mais du point de vue spécifiquement juridique, il faut
bien constater que dans le cas de l’État fédéral comme de l’État unitaire
Le pouvoir
83
décentralisé, les normes locales sont émises par des autorités autonomes confor-
mément à des normes centrales (Kelsen, 1945, p. 316).
71. Le cas de l’Union européenne. – (Beaud, 2007 ; Leben, 1991).
L’Union européenne ne peut être classée dans la catégorie des États fédéraux
(v. infra no 307).
Sans doute présente-t-elle certains traits de l’État fédéral : éventail de pou-
voirs très larges dans les domaines d’une importance capitale, existence d’orga-
nes « supranationaux », d’un Parlement européen élu au suffrage universel
direct, application directe des normes communautaires sur les territoires des
États, jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, qui
affirme la primauté de l’ordre juridique européen sur les droits nationaux.
Il lui manque cependant pour être un État fédéral un caractère essentiel : elle
n’est pas un État du tout. Le fondement de ses pouvoirs réside, malgré l’emploi
dans le traité rejeté en 2005 de l’expression « constitution de l’Union euro-
péenne », non dans une constitution formelle au sens strict (v. supra no 30),
mais dans des traités internationaux, qu’elle ne peut modifier et qui ne peuvent
être révisés que par les États qui les ont ratifiés. Elle n’est pas souveraine, dans
la mesure où elle n’a pas de compétence pour déterminer sa propre compétence,
ni celle des États et où elle ne peut exercer que les pouvoirs qui lui sont trans-
férés par les États.
Ceux-ci restent souverains. Ils ne tiennent pas leurs pouvoirs de l’Union,
mais de leur propre souveraineté et c’est en vertu de leur pouvoir souverain
qu’ils ont pu transférer des compétences à l’Union et qu’ils pourraient les
reprendre en dénonçant les traités. D’ailleurs, en pratique, toute la logistique
de l’action politique, y compris les moyens administratifs et la force publique,
reste entre leurs mains.
Néanmoins, l’Union ne correspond qu’imparfaitement à la définition d’une
confédération. Sans doute est-elle, comme une confédération, fondée sur des
traités et ne dispose-t-elle que des compétences qui lui ont été conférées, sans
doute, les États restent-ils souverains du point de vue du droit international,
mais ils ont consenti des limitations de compétences si importantes qu’elles
étaient incompatibles avec les dispositions de leurs constitutions qui affirmaient
le principe de la souveraineté nationale. C’est ainsi que le Conseil constitution-
nel a affirmé à plusieurs reprises que les traités portaient atteinte aux « condi-
tions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale », notamment à propos
des traités de Maastricht et d’Amsterdam (v. infra no 494 et infra no 756). Dans
ces conditions, ils ne pouvaient être ratifiés qu’après révision de la Constitution.
Cela signifie qu’une fois cette révision intervenue, les conditions essentielles
d’exercice de la souveraineté nationale ont bien été modifiées.
Cependant, ce sont seulement les conditions d’exercice de la souveraineté
qui ont été modifiées, mais la souveraineté elle-même n’a pas été atteinte et
aucun nouveau souverain n’est apparu. Il faut donc considérer que l’Union est
encore une organisation internationale, même si ses pouvoirs vont bien au-delà
de ceux des autres organisations internationales (Troper, 2011, p. 77 s.).
84
Droit constitutionnel
Section 2
Les formes d’organisation du pouvoir
72. Si, dans toutes les sociétés humaines, il existe des phénomènes de pou-
voir, le pouvoir n’est pourtant pas toujours organisé par une constitution. C’est
pourquoi il est nécessaire de distinguer deux notions : la forme de pouvoir ou de
gouvernement, d’un côté, le régime politique, de l’autre. La première notion est
plus générale : puisque toutes les sociétés sont gouvernées, on peut distinguer
des types de pouvoir que la théorie politique appelle traditionnellement « for-
mes de gouvernement ».
En outre, lorsque le pouvoir est organisé selon des règles juridiques, c’est-à-
dire lorsqu’il y a une constitution matérielle, on parle de « régimes politiques ».
Toutes les sociétés modernes sont ainsi organisées aujourd’hui. Ces règles ont
pour objet la répartition des compétences et l’on peut classer les régimes selon
la répartition des compétences qu’ils réalisent.
On examinera donc successivement les formes de gouvernement, le principe
moderne, selon lequel les compétences doivent être réparties, et les modes de
répartition, c’est-à-dire les régimes politiques.
§ 1. Les formes de gouvernement
73. Il existe une classification simple, employée avec quelques variantes
depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle, mais qui ne l’est plus guère
aujourd’hui.
A La classification ancienne
74. Les trois formes de gouvernement. – Cette classification est générale-
ment présentée non pas dans un but de pure connaissance, un but théorique,
mais dans un but pratique, pour tenter de prouver la supériorité de l’une des
formes de gouvernement1 sur les autres.
De ce point de vue, décrire la forme de gouvernement, c’est indiquer qui est
le détenteur du pouvoir et l’on distingue ainsi, la monarchie, l’oligarchie et la
démocratie. La distinction la plus fréquente est fondée sur le nombre de ceux
qui gouvernent, un seul, tous ou quelques-uns. Elle est présentée de manière
semblable de l’Antiquité au XVIIIe siècle2. On appelle ainsi monarchie le gou-
vernement d’un seul, démocratie le gouvernement de tous et oligarchie le gou-
vernement de quelques-uns. Mais il est aussi possible d’employer un critère
qualitatif et d’appeler monarchie non pas tout gouvernement dans lequel un
1.
Le mot « gouvernement » est employé ici dans le sens très large de « gouvernement des hom-
mes », de pouvoir politique, et non pas, évidemment dans celui, que lui donnera Rousseau, de « pou-
voir exécutif ».
2.
J.-J. ROUSSEAU, Contrat social, Livre III, chap. 3.
On peut comparer par exemple PLATON (Politique, 291 d), ARISTOTE (Politique, 1279 a) et
Le pouvoir
85
seul gouverne, mais celui où le gouvernement appartient à un homme désigné
par l’hérédité ou qui l’exerce d’une certaine manière, oligarchie, le gouverne-
ment des nobles ou celui des meilleurs, auquel cas on le nomme aristocratie, et
démocratie, celui du peuple.
Chacune de ces formes de gouvernement peut être préconisée pour les avan-
tages spécifiques qu’on lui prête ou décriée en raison de ses inconvénients. Les
arguments sont très variables, mais ils peuvent prendre la forme suivante : si le
pouvoir appartient à un seul, la décision peut être plus rapide et l’exécution plus
efficace. Mais il est aussi possible que le monarque n’agisse que pour satisfaire
ses caprices. Dans l’aristocratie, le pouvoir sera bien exercé, puisqu’il le sera,
par définition par les meilleurs. Cependant, on ne peut exclure que les gouver-
nants agissent exclusivement en vue de leurs intérêts égoïstes, qui ne coïncident
pas avec l’intérêt général. Dans la démocratie, ceux qui composent le peuple
refuseront les décisions qui briseraient l’égalité ou porteraient atteinte à la
liberté. Par contre, on peut craindre la longueur des débats et l’inefficacité ou
les dissensions et les guerres civiles.
C’est la raison pour laquelle de nombreux auteurs, de Polybe (201-120 av.
J.-C.) à Montesquieu, préconisent un gouvernement mixte, qui n’aurait aucun
des inconvénients des formes simples, mais réunirait les avantages de chacune.
Un gouvernement mixte serait un gouvernement dans lequel le pouvoir,
notamment le pouvoir législatif, serait partagé ou, mieux, exercé en commun
par un roi, le peuple et les meilleurs. Au XVIIIe siècle, cette forme mixte peut
être réalisée par la balance des pouvoirs (v. infra no 89). À l’époque contempo-
raine, tous les gouvernements se présentent comme démocratiques et la forme
mixte n’est jamais revendiquée. Cependant, certains auteurs analysent les systè-
mes dans lesquels existent des cours constitutionnelles comme des avatars du
gouvernement mixte. Dans la mesure en effet où les cours ont le pouvoir d’an-
nuler des lois, elles participent avec les parlements au pouvoir législatif. Par
conséquent, ou bien l’on continue de soutenir que le système est démocratique
et il faut dire que les cours, bien que leurs membres ne soient pas élus, repré-
sentent le peuple souverain, ou bien l’on admet que le gouvernement est mixte
parce que le pouvoir législatif est exercé en commun par les représentants du
peuple et par ceux que l’on a pris l’habitude d’appeler des sages, c’est-à-dire par
un élément aristocratique, au sens originel de ce terme, qui désigne une élite
fondée sur la compétence.
75. Défauts de cette classification. – Il est certain que cette distinction n’est
plus guère utilisée aujourd’hui. Il y a à cela plusieurs raisons. La principale est
que dans les États d’une certaine dimension physique, il est impossible de ren-
contrer la monarchie ou la démocratie. Il est en effet matériellement impossible
qu’un seul exerce la totalité du pouvoir, comme il est impossible que le pouvoir
soit véritablement exercé par le peuple tout entier. Si l’on persistait à employer
la distinction classique, il faudrait considérer que tous les gouvernements exis-
tant dans la réalité sont au mieux des aristocraties, au pire des oligarchies.
Dans ces conditions, il faut se résoudre ou bien à subdiviser la classe des
oligarchies et à constituer des sous-classes, ou bien à considérer qu’un gouver-
nement exercé par quelques-uns peut néanmoins être une monarchie, une aris-
tocratie ou une démocratie. La première solution se heurte à une difficulté
86
Droit constitutionnel
considérable : trouver des critères satisfaisants pour distinguer des sous-classes
d’oligarchies. La seconde est plus facile à mettre en œuvre ; il suffit de décider
que la monarchie n’est pas le gouvernement d’un seul, mais celui dans lequel
tous les gouvernants dérivent leurs pouvoirs d’un homme ou que la démocratie
n’est pas toujours le gouvernement du peuple, mais aussi celui dans lequel les
gouvernants dérivent leurs pouvoirs du peuple. On sera alors conduit à distin-
guer deux formes de démocratie : la démocratie directe dans laquelle le peuple
exerce lui-même le pouvoir et la démocratie indirecte ou représentative, dans
laquelle ceux qui détiennent le pouvoir l’exercent au nom du peuple et sont,
au moins pour une partie d’entre eux, élus par lui. Dans la démocratie représen-
tative, dit-on, les gouvernants sont les représentants du peuple et la volonté
qu’ils expriment n’est pas la leur propre, mais celle du peuple ou encore ce
qu’il est convenu d’appeler la « volonté générale ».
Cette conception a cependant fait l’objet de vives critiques. La plus radicale
a été formulée par J.-J. Rousseau. Elle est fondée sur l’impossibilité de repré-
senter la volonté. Je peux dire en effet : « ce que cet homme veut aujourd’hui, je
le veux aussi. En exprimant sa volonté, il exprimera donc en même temps la
mienne ». Mais je ne peux pas dire : « ce que cet homme voudra demain, je le
voudrai aussi », parce que j’ignore au moment où je parle ce que nous voudrons
demain l’un et l’autre3. La volonté qu’il exprimera demain ne sera donc pas la
mienne. « La volonté ne se représente point : elle est la même, ou elle est autre ;
il n’y a point de milieu »4.
Aussi, la représentation n’est-elle qu’une fiction, car, à supposer que le peu-
ple possède une volonté, il n’y a aucun moyen de s’assurer que c’est bien elle
qui est exprimée par les représentants. On ne peut pas comparer la volonté des
représentants à celle du peuple, parce qu’on ne peut connaître la seconde indé-
pendamment de la première. La volonté des représentants est présumée ou cen-
sée être celle du peuple. Mais, la réalité est que la volonté exprimée par les
représentants est bien la leur et que, par conséquent, la démocratie représenta-
tive n’est pas une espèce de démocratie, mais une espèce d’aristocratie
(Gaxie, 2000).
Il faut observer en outre que, en parlant de démocratie représentative, on a,
chemin faisant, abandonné la conception initiale de la « forme de gouverne-
ment » : une forme de gouvernement n’est plus définie par le nombre ou le
genre des détenteurs du pouvoir, mais par la manière dont ils sont nommés ou
simplement par le type de justification donnée au système d’attribution du pou-
voir. La nouvelle classification remplit ainsi, une fonction non pas scientifique,
mais idéologique : elle ne sert pas la connaissance, mais joue un rôle politique.
Elle veut faire accepter la démocratie représentative en la faisant passer pour
une forme de démocratie.
Du contrat social (1re version), Livre I, chapitre 4, dans l’édition de la Pléiade des Œuvres com-
3.
plètes, tome III, p. 295.
4.
Du contrat social, Livre III, chap. 15, « Des députés ou représentants ».
Le pouvoir
87
B Les classifications contemporaines
76. Autocratie et démocratie. – La classification la plus achevée est celle
de Hans Kelsen (Kelsen, 1945, p. 283 et s.). Elle est aujourd’hui largement
employée. Kelsen souligne qu’elle découle d’une opposition faite par la théorie
du droit entre deux types de rapports entre les hommes : ou bien les normes sont
produites par ceux-là mêmes qui y sont soumis – c’est l’autonomie – ou bien
elles sont produites par d’autres, quel que soit leur nombre – c’est l’hétérono-
mie. Sur le plan constitutionnel, les normes dont il est question sont principale-
ment les lois, ce qui conduit à distinguer la démocratie et l’autocratie. Il y a
donc deux formes de gouvernement et non plus trois. Cette distinction prend
pour critère la liberté. Un homme est libre, s’il fait ce qu’il veut, s’il se soumet
à sa propre volonté. Il est donc libre s’il est soumis seulement à des lois qu’il a
contribué à faire. La démocratie est ainsi un système de liberté parce que les lois
sont faites par tous ceux qui leur sont soumis. À l’opposé, dans le système de
l’autocratie, les lois sont faites par d’autres et il n’y a pas de coïncidence entre la
volonté de ceux qui font les lois et celle de celui qui doit lui obéir.
Démocratie et autocratie ne sont que des types-idéaux, c’est-à-dire des sys-
tèmes que l’on ne rencontre jamais tout à fait dans la réalité. Ce sont des cons-
tructions intellectuelles, mais on peut s’en servir pour décrire la réalité, parce
que les gouvernements réels se rapprochent plus ou moins de l’un ou de l’autre
type. On peut alors parler de démocratie représentative, comme d’une forme
intermédiaire entre l’autonomie et l’hétéronomie. Elle présente des traits com-
muns avec les deux types-idéaux. Avec l’hétéronomie d’abord : d’une part, il
existe rarement une unanimité totale, mais, sur presque toutes les questions,
une majorité et une minorité, si bien que pour la minorité, les lois sont néces-
sairement hétéronomes ; d’autre part, les lois sont faites non par les sujets, mais
par leurs représentants et l’on a vu que la représentation est une fiction. De plus,
il existe certains traits communs avec la démocratie, notamment dans la mesure
où ceux qui émettent les normes sont élus et tiennent compte de la volonté
réelle des électeurs, qui sont aussi les sujets.
77. Totalitarisme et libéralisme. – Il s’agit ici non plus d’opposer les formes
de gouvernement en prenant pour critère la manière dont les normes, spéciale-
ment législatives, sont produites, mais, en étendue et en profondeur, les matières
que régissent ces normes. Les systèmes libéraux sont ceux dans lesquels ces nor-
mes ne portent que sur certaines matières et dans ces matières seulement sur les
principes fondamentaux laissant le reste à l’autonomie des personnes privées. Ces
systèmes préservent donc la liberté de ces personnes. La liberté dont il est ici
question est d’une part l’ensemble des libertés appelé « libertés publiques » ou
« droits de l’Homme », d’autre part la liberté économique.
Dans les systèmes totalitaires, au contraire, il existe un très grand nombre de
normes, produites par le pouvoir politique et qui régissent tous les domaines de
la vie, de sorte que la marge laissée à l’autonomie, c’est-à-dire à la liberté des
individus est très faible.
De nombreux auteurs opposent l’État et la société civile. L’État est, dans ce
contexte, l’ensemble des institutions productrices de normes hétéronomes de
l’État stricto sensu. Quant à la société civile, c’est
niveau élevé. C’est
88
Droit constitutionnel
l’ensemble des hommes, envisagé de manière distincte de l’État. Le libéralisme
est alors le système qui maintient la distinction de l’État et de la société civile,
tandis que dans le système totalitaire, l’État envahit complètement la sphère de
la société civile.
La distinction du totalitarisme et du libéralisme ne coïncide pas avec celle de
la démocratie et de l’autocratie. On ne doit pas confondre démocratie et libéra-
lisme, ni société totalitaire et autocratie. On peut en effet concevoir un système
à la fois démocratique et totalitaire, dans lequel la loi, adoptée par le peuple,
limite les libertés individuelles. Cependant, un tel système ne se rencontre
guère dans la réalité, quoique l’on ait parfois analysé de cette manière le sys-
tème soviétique. En revanche, on peut non seulement concevoir, mais aussi
découvrir dans le monde réel un système autocratique et libéral, dans lequel
les lois sont adoptées de façon hétéronome, mais préservent les libertés indivi-
duelles. Ce système correspondait à l’idéal politique de certains philosophes des
Lumières, partisans du « despotisme éclairé ».
78. Gouvernement pluraliste et gouvernement moniste. – Dans certaines
formes de gouvernement, la compétition pour l’exercice du pouvoir est permise
et même organisée. On parle alors de gouvernements « pluralistes ». Dans d’au-
tres cas, cette compétition est interdite. Il s’agit de gouvernements « monistes »
ou « monocratiques ».
Les gouvernements pluralistes, appelés aussi « ouverts », sont des systèmes
dans lesquels plusieurs hommes ou plusieurs groupes d’hommes participent à la
compétition pour le pouvoir de façon légitime, c’est-à-dire non pas clandestine-
ment et par la force, mais ouvertement et dans les formes légales. Ceux qui
l’emportent ne détiendront le pouvoir que pour un temps, au terme duquel la
compétition reprendra. Dans l’intervalle, ils n’éliminent pas leurs rivaux, qui
jouissent de certains droits, notamment pour leur permettre d’engager à nou-
veau la lutte politique.
Ce système ne se confond pas avec la démocratie. Certes, plusieurs démo-
craties représentatives modernes sont pluralistes, mais certains gouvernements,
qui se présentent aussi comme des démocraties ne sont pas pluralistes. Il ne se
confond pas non plus avec le libéralisme, comme le montre encore une fois
l’exemple du despotisme éclairé.
À l’inverse, le gouvernement moniste ou « pouvoir clos » est un système
dans lequel aucune compétition pour le pouvoir n’est juridiquement permise.
Dans les États modernes, le type le plus répandu du pouvoir clos, mais il est
loin d’être le seul, est réalisé grâce au parti unique. Le pouvoir clos n’est pas
nécessairement totalitaire, ni autoritaire, quoiqu’il le soit fréquemment.
79. Concentration ou partage du pouvoir. – On peut encore opposer les
systèmes dans lesquels le pouvoir est concentré entre les mains d’un homme ou
d’un groupe et celui dans lequel il est partagé, divisé ou séparé – tous ces termes
sont équivalents – entre plusieurs, qui peuvent s’opposer les uns aux autres.
Là encore, on est en présence d’une classification qui ne coïncide pas avec
les autres, mais peut se combiner avec elles. Ainsi, on constate d’abord que,
dans chacune des trois formes de gouvernement selon la classification ancienne,
le pouvoir était concentré entre les mains du roi dans la monarchie, dans les
Le pouvoir
89
meilleurs dans l’aristocratie et dans le peuple dans la démocratie. C’est seule-
ment dans le gouvernement mixte que le pouvoir est partagé.
Il en va de même, avec l’opposition autocratie-démocratie, car le pouvoir est
concentré dans ces deux formes de gouvernement. La distinction du totalita-
risme et du libéralisme ne coïncide pas non plus avec l’opposition concentra-
tion-partage du pouvoir. Certes, le partage du pouvoir est souvent justifié de
manière instrumentale et présenté comme un moyen de garantir et de préserver
les libertés. Mais il n’y a là aucun rapport nécessaire et, comme on l’a vu avec
l’exemple du despotisme éclairé, il est possible qu’un pouvoir concentré entre
les mains d’un seul soit exercé de manière libérale, tandis qu’on peut concevoir
qu’un pouvoir totalitaire soit partagé entre plusieurs groupes.
On constate ainsi qu’on peut, en combinant les classifications, définir un
régime concret. On peut dire par exemple que dans le système nazi, le pouvoir
était concentré, autoritaire et totalitaire, que dans le monde occidental d’au-
jourd’hui il s’affirme tantôt comme partagé et libéral, tantôt comme démocra-
tique et libéral, tandis que le gouvernement des États socialistes se donnait
comme démocratique, concentré et antilibéral.
La dernière distinction est cependant la plus importante du point de vue du
droit constitutionnel, car c’est la seule qui prenne pour critère les compétences
normatives des organes de l’État. Elle est enseignée dans la science du droit
constitutionnel sous le nom de principe de la séparation des pouvoirs.
§ 2. Le principe de la séparation des pouvoirs
80. « La séparation des pouvoirs » est avant tout un principe de technique
constitutionnelle destinée à éviter le despotisme et à garantir la liberté. Tous les
auteurs hostiles au despotisme en préconisent donc l’application, mais tous
cependant ne le conçoivent pas de la même manière et l’on peut en distinguer
deux interprétations très différentes, au point qu’on doit considérer qu’il s’agit
en réalité de deux principes et même de deux doctrines radicalement différentes.
On exposera d’abord celle qui a été professée par les juristes modernes, depuis
la deuxième moitié du XIXe siècle et qu’on appellera par commodité, parce
qu’elle est acceptée par un très grand nombre d’auteurs, la doctrine tradition-
nelle, puis les critiques qui peuvent être formulées contre cette thèse et enfin
la doctrine du XVIIIe siècle, qui a marqué les constitutions de l’époque révolu-
tionnaire.
A La doctrine traditionnelle
81. Selon cette doctrine, le principe est lui-même composé de deux règles
distinctes, la règle de la spécialisation et la règle de l’indépendance, dont la
combinaison doit procurer le résultat souhaité, la liberté.
90
Droit constitutionnel
1. La règle de la spécialisation
82. L’État exerce ou doit exercer trois activités : il fait la loi, il l’exécute et il
tranche les litiges. Il a donc trois fonctions, législative, exécutive et juridiction-
nelle. Selon une variante de cette doctrine, ces fonctions sont au nombre de deux
seulement, la fonction exécutive étant subdivisée elle-même en une fonction
administrative et une fonction juridictionnelle. Quoi qu’il en soit, il y aura trois
autorités ou organes de l’État (ou seulement deux si l’on n’admet que deux fonc-
tions) et chacun d’eux sera spécialisé dans l’exercice de l’une des fonctions.
Cette spécialisation signifie que chacune des autorités devra exercer une fonc-
tion, mais qu’elle ne devra en exercer qu’une seule, mais l’exercer tout entière.
En revanche, elle ne devra se mêler d’aucune manière des autres fonctions.
Dans une version forte de la doctrine, on considère que chaque autorité ou
organe est investi d’un pouvoir spécifique, nécessaire à l’exercice de sa fonction
et on le désignera par le nom de ce pouvoir. Il y aura donc un pouvoir législatif,
un pouvoir exécutif, un pouvoir judiciaire.
2. La règle de l’indépendance
83. Mais, les pouvoirs ne resteraient pas longtemps spécialisés si l’un d’eux
pouvait exercer des pressions sur le titulaire de l’autre. Si par exemple, le pou-
voir exécutif pouvait nommer et révoquer à sa guise les titulaires du pouvoir
législatif, c’est lui qui exercerait indirectement ce pouvoir et il n’y aurait plus
de spécialisation. Il faut donc que les autorités ou organes soient mutuellement
indépendants, ce qui signifie en pratique que les individus qui composent cha-
cune de ces autorités ne doivent pas être nommés par les autres organes et sur-
tout qu’ils ne doivent pas être discrétionnairement révocables par eux. Cela
interdit donc notamment la responsabilité ministérielle et la dissolution. On rat-
tache parfois à cette règle l’interdiction de contacts physiques entre les organes
– ainsi, l’interdiction pour un membre de l’Exécutif de prendre la parole dans
les assemblées – et l’indépendance financière – aucune autorité ne devant atten-
dre ses crédits de la bonne volonté d’une autre –, et même une prescription de
sécurité militaire, chaque autorité devant disposer d’une garde armée distincte
pour se prémunir contre les tentatives violentes des autres.
3. Le résultat attendu
84. Le résultat, attendu de la combinaison des deux règles est que, selon une
formule reprise de Montesquieu par la plupart des auteurs, « le pouvoir arrête le
pouvoir » : une tentative de l’une des autorités pour devenir despotique se heur-
terait immédiatement à l’opposition d’une autre autorité. Le pouvoir législatif et
le pouvoir exécutif se feront mutuellement équilibre de sorte que la liberté des
sujets sera préservée.
B Les critiques à la doctrine traditionnelle
85. La doctrine traditionnelle s’est d’abord heurtée à des critiques diverses et
d’ailleurs incompatibles entre elles, liées à la théorie de la souveraineté : la
Le pouvoir
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séparation des pouvoirs ainsi entendue est contraire au principe fondamental de
l’indivisibilité de la souveraineté. Par conséquent ou bien l’unité de la souverai-
neté se reconstitue nécessairement au profit de l’un ou l’autre des pouvoirs et le
but est manqué, ou bien les tentatives pour briser la souveraineté n’aboutissent
qu’à la détruire et comme il n’y a pas d’État sans souveraineté, c’est l’anarchie.
D’autres donnent à leurs objections une apparence plus instrumentale et sou-
tiennent ou bien que les conflits se résoudront par des coups d’État ou bien que
les oppositions entre les pouvoirs aboutiront à paralyser l’État. On verra cepen-
dant que cette dernière objection ne peut être retenue, compte tenu de la critique
décisive de Raymond Carré de Malberg.
La démonstration de Carré de Malberg est d’une grande simplicité : tout
d’abord, comment des pouvoirs spécialisés et indépendants et pour ainsi dire
sans aucun contact les uns avec les autres, pourraient-ils s’arrêter l’un l’autre
et se faire équilibre ? Un tel équilibre serait déjà difficilement concevable si
les fonctions qu’ils exercent étaient équivalentes. Mais elles ne le sont pas et il
est même tout simplement absurde de prétendre que l’activité qui consiste à
faire les lois pourrait être équivalente à celle qui consiste à les exécuter. En
réalité, l’exécution est bien évidemment, par définition même, subordonnée à
la législation. Mais alors, si les fonctions sont ainsi hiérarchisées et les organes
spécialisés, il s’ensuit naturellement que celui qui exerce la fonction la plus éle-
vée est supérieur aux autres. Selon la formule de Carré de Malberg, la hiérarchie
des organes suit la hiérarchie des fonctions et jamais un pouvoir subordonné ne
pourra arrêter un pouvoir supérieur (Carré de Malberg, 1922, t. II, p. 109-142).
À ces critiques, il importe d’en ajouter deux autres : en premier lieu, la
séparation des pouvoirs que décrit la doctrine traditionnelle est généralement
imputée à Montesquieu, quoique certains auteurs en cherchent les germes chez
des auteurs antérieurs, Locke ou Bolingbroke. Or, comme l’a montré Charles
Eisenmann de manière irréfutable, le système préconisé par Montesquieu est
en réalité entièrement différent et même radicalement opposé à celui de la
séparation des pouvoirs (Eisenmann, 1933 ; Troper, 1980).
Il reste cependant que l’on trouve dans le texte de nombreuses constitutions
ou des déclarations des droits, des références à la « séparation des pouvoirs ».
La plus célèbre et la plus importante est celle de l’article 16 de la Déclaration
des droits de l’Homme de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de
constitution. » Comment comprendre dans ces conditions, qu’un principe aussi
absurde ait pu trouver une consécration aussi solennelle ? Comment peut-on
concevoir qu’un principe, étranger à Montesquieu, ait été brusquement inventé
et érigé au niveau d’un dogme de politique constitutionnelle ?
Deux sortes d’explications peuvent alors être avancées : selon la première,
les hommes de la Révolution française auraient mal lu l’Esprit des Lois ; alors
que Montesquieu entendait le principe d’une manière souple, les révolutionnai-
res en auraient, par esprit de système, donné une interprétation rigide.
Selon la seconde explication, envisagée sous l’angle historique la séparation
des pouvoirs dont il est question dans la Déclaration des droits de l’Homme de
1789 n’a aucun rapport avec la séparation des pouvoirs de la doctrine
92
Droit constitutionnel
traditionnelle. Les termes sont les mêmes, mais il s’agit d’une doctrine diffé-
rente. L’expression a tout simplement, depuis cette époque, changé de sens.
C La séparation des pouvoirs au XVIIIe siècle
86. En réalité, ce qu’on entend par séparation des pouvoirs au XVIIIe siècle –
et cela d’une manière unanime – c’est un principe entièrement négatif. Lors-
qu’on recommande la séparation des pouvoirs, on n’indique pas de quelle
manière les fonctions doivent être réparties, mais seulement de quelle manière
elles ne doivent pas l’être.
Les auteurs du XVIIIe siècle partent d’une distinction des fonctions et formu-
lent ensuite le principe dans des termes analogues.
1. La distinction des fonctions législative et exécutive
87. Elle est ancienne, en tout cas antérieure à Montesquieu, car on la trouve
formulée dans des termes semblables chez Locke. Elle découle en réalité d’une
métaphore anthropomorphique : de même qu’on distingue chez l’Homme la tête
et les bras ou la volonté et l’action, de même on distingue dans l’État le pouvoir
législatif, qui est la volonté et le pouvoir exécutif, qui est l’action. Parfois, l’on
distingue une troisième fonction, la fonction juridictionnelle, qu’on appelle
aussi parfois « judiciaire » et qu’on présente comme une espèce de fonction exé-
cutive ; c’est l’exécution des lois dans le but de trancher des litiges.
C’est cette distinction que formule à peu près Montesquieu lorsqu’il écrit :
« Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs : la puissance législative, la
puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens et la puissance
des choses qui dépendent du droit civil. Par la première, le prince ou le magis-
trat fait des lois pour un temps ou pour toujours et corrige ou abroge celles qui
sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des
ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit
les crimes ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la
puissance de juger et l’autre simplement la puissance exécutrice de l’État »
(Esprit des Lois, Livre XI, chap. 6).
Mais c’est Rousseau qui la présente de la manière la plus claire « Toute
action libre a deux causes qui concourent à la produire, l’une morale, savoir
la volonté qui détermine l’acte, l’autre physique savoir la puissance qui l’exé-
cute. Quand je marche vers un objet, il faut premièrement que j’y veuille aller ;
en second lieu que mes pieds m’y portent. Qu’un paralytique veuille courir ;
qu’un homme agile ne le veuille pas ; tous deux resteront en place. Le corps
politique a les mêmes mobiles, on y distingue de même la force et la volonté,
celle-ci sous le nom de puissance législative, l’autre sous le nom de puissance
exécutive. Rien ne s’y fait ou ne doit s’y faire sans leur concours » (Contrat
social, Livre III, chap. 1).
Cette distinction implique clairement la reconnaissance d’une hiérarchie
entre les deux fonctions puisque l’exécution est évidemment subordonnée à la
création.
Le pouvoir
93
2. Le contenu du principe de la séparation des pouvoirs : la règle négative
ou l’interdiction du cumul
88. Il est extrêmement simple : il ne faut pas remettre tous les pouvoirs à un
même individu ou un même groupe d’individus. C’est ce principe qu’énonce
Montesquieu : « Lorsque dans la même personne ou le même corps de magis-
trature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a
point de liberté, parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le
même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement ».
Montesquieu ne l’avait d’ailleurs ni inventé ni découvert. On le trouve déjà
chez Locke : « Ce serait provoquer une tentation trop forte pour la fragilité
humaine, sujette à l’ambition que de confier à ceux-là même qui ont déjà le
pouvoir de faire les lois, celui de les faire exécuter ».
Il est d’ailleurs frappant de constater que Rousseau, souvent considéré
aujourd’hui comme un adversaire de Montesquieu et de la séparation des pou-
voirs, énonce une formule semblable : « il n’est pas bon que celui qui fait les
lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues géné-
rales pour les donner aux objets particuliers ».
C’est donc une doctrine unanimement acceptée au XVIIIe siècle et il faut en
souligner trois aspects :
En premier lieu, le principe est seulement négatif : il ne faut pas donner tous
les pouvoirs à un seul, parce qu’il en abuserait. Il faut éviter à tout prix le
cumul, qui serait le despotisme même. Autrement dit, il faut absolument que
les pouvoirs soient répartis – ou, dans la langue du XVIIIe siècle, « séparés » ou
« divisés » ou encore « distribués » – entre plusieurs autorités. Peu importe de
quelle manière ils seront séparés – cela sera l’objet d’un autre principe – pourvu
qu’ils le soient.
En deuxième lieu, le principe ne se confond nullement avec la règle de la
spécialisation. Certes, s’il y a deux autorités spécialisées l’une dans la fonction
législative et l’autre dans la fonction exécutive, l’interdiction du cumul sera res-
pectée, mais elle le sera également si l’on adopte un autre mode de répartition,
si par exemple on donne à une autorité une partie d’une fonction et une partie
d’une autre. La spécialisation est donc l’une des manières dont on peut satisfaire
au principe, l’un des procédés possibles de répartition des fonctions, mais seu-
lement l’un d’eux.
En troisième lieu, il n’est évidemment question ici ni d’indépendance, ni
d’équilibre, mais dès lors que les pouvoirs sont répartis entre plusieurs, quelle
que soit la manière dont ils le sont, le despotisme est impossible, ne serait-ce
que parce que celui qui exécute ne peut pas modifier la loi au gré de ses capri-
ces. Il ne peut qu’exécuter une loi antérieure. Celui qui lui obéit n’obéit en défi-
nitive qu’à la loi, ce qui est la définition de la liberté.
89. Séparation des pouvoirs et classification des régimes politiques. – On
peut utiliser le principe de la séparation des pouvoirs pour classer les régimes
politiques. On peut d’abord opposer ceux dans lesquels le pouvoir est tout entier
concentré entre les mains d’un homme ou d’un groupe d’hommes et ceux dans
lesquels il existe une séparation des pouvoirs. Les difficultés commencent lors-
qu’il s’agit de distinguer parmi les régimes de séparation des pouvoirs.
94
Droit constitutionnel
1) La doctrine moderne, on l’a vu, comprend la séparation des pouvoirs
comme un système dans lequel des organes spécialisés et indépendants se font
équilibre. Elle oppose alors les systèmes dans lesquels le principe est appliqué
de manière rigide et ceux qui admettent quelques assouplissements ou quelques
exceptions. Dans la première catégorie, elle place la Constitution américaine de
1787, les constitutions françaises de 1791 et de l’an III et quelquefois celle de
1848, et dans la seconde catégorie, toutes les autres.
Cette classification présente plusieurs inconvénients. En premier lieu, elle
est fondée sur une conception discutable de la séparation des pouvoirs, puisqu’il
est impossible de réaliser un équilibre entre un pouvoir législatif et un pouvoir
exécutif spécialisés. En deuxième lieu, elle laisse en dehors de la classification
les systèmes qui rejettent le principe de la séparation des pouvoirs ainsi entendu,
par exemple le système soviétique, ou qui reposaient sur une tout autre concep-
tion de ce principe, comme la constitution française de 1793 (v. infra no 329).
En troisième lieu, elle rend impossible tout classement rigoureux parce que la
séparation rigide n’est réalisée en pratique dans aucun régime politique, de sorte
que tous les systèmes lui apportent nécessairement des exceptions et peuvent
ainsi être indifféremment placés dans l’une ou l’autre catégorie. On le voit
bien à propos du régime américain, considéré tantôt comme un système de
séparation souple dans les manuels de droit américain, tantôt comme un sys-
tème de séparation rigide des pouvoirs, dans les manuels français.
2) Au XVIIIe siècle, comme ce principe était compris uniquement de manière
négative – il se borne à indiquer de quelle manière les fonctions ne doivent pas
être attribuées – on comprenait qu’il devait être complété par un principe posi-
tif. S’il existait un accord très général sur le principe négatif, deux procédés
positifs de répartition des compétences avaient chacun leurs partisans.
Le premier et le plus simple consistait à spécialiser les autorités, l’une dans
la fonction législative, l’autre dans la fonction exécutive. Il devait en résulter, en
raison de la hiérarchie des fonctions, une subordination de l’autorité exécutive
au pouvoir législatif. Ce système est préconisé par les démocrates, parce que le
pouvoir législatif devait, dans leur esprit, être le peuple lui-même ou ses repré-
sentants. C’est donc celui qui est exposé par Rousseau et ses successeurs. Dans
le vocabulaire du XVIIIe, il est parfois appelé d’un terme, qui aujourd’hui a une
signification radicalement différente, celui de « séparation absolue des pou-
voirs ».
Le second système, appelé balance des pouvoirs est plus complexe : ses par-
tisans reprochent au procédé de la spécialisation d’être instable. En effet, sou-
tiennent-ils, le pouvoir législatif exercera une prédominance si forte sur l’autorité
exécutive, qu’il sera en mesure de concentrer entre ses mains l’exercice des deux
fonctions, c’est-à-dire de devenir despotique. Ce système ne pourrait se mainte-
nir que par la vertu des gouvernants. Mais, si l’on connaît les hommes et leurs
passions, on ne peut raisonnablement compter qu’ils seront durablement ver-
tueux. Il faut donc, estiment-ils, construire un système stable, un système si
bien construit qu’il ne puisse être détruit, quelles que soient les passions des
hommes. Mieux, ce système doit être fondé non sur la vertu, mais sur les vices.
La solution est inspirée de la constitution anglaise, une constitution anglaise
idéalisée, telle que, à la suite de Montesquieu, la décrivent de très nombreux
Le pouvoir
95
auteurs. Elle consiste à réaliser un équilibre, non pas entre un pouvoir législatif
et un pouvoir exécutif, ce qui est évidemment impossible, mais entre plusieurs
autorités, qui participent toutes à la fonction législative. Ces autorités sont donc
des organes législatifs partiels. Dans la Constitution anglaise, ces trois autorités
sont une Chambre élue, la Chambre des communes, une Chambre nobiliaire, et,
grâce à un droit de veto, le roi, qui exerce par ailleurs, mais seul, la fonction
exécutive.
Dans ce système, il n’y a pas de spécialisation, puisque le roi exerce entiè-
rement une fonction et participe à l’exercice d’une autre, mais le principe de la
séparation des pouvoirs est préservé, puisque aucune autorité n’exerce tous les
pouvoirs. L’équilibre se maintiendra entre les trois organes législatifs, dont les
intérêts politiques et économiques sont opposés. Il sera par exemple impossible
aux deux Chambres d’usurper le pouvoir exécutif, parce que si elles proposent
une loi en ce sens, le roi, titulaire d’un pouvoir exécutif qu’il voudra défendre,
s’y opposera immanquablement.
On peut donc classer les constitutions de la fin du XVIIIe siècle et du début
du XIXe siècle selon qu’elles réalisent une spécialisation ou une balance des
pouvoirs. Dans la première catégorie, on ne trouvera d’ailleurs guère que la
Constitution de 1793, dans la seconde la Constitution américaine de 1787, la
Constitution française de 1791, les chartes, la Constitution belge de 1830 et de
nombreuses autres. La Constitution française de l’an III, qui a entendu réaliser
un équilibre, mais entre les Chambres seulement, appartient à un type intermé-
diaire (v. infra no 330).
Cette classification n’est cependant pas utilisable pour les régimes moder-
nes, notamment parce que ceux-ci, lorsqu’ils entendent réaliser un équilibre,
ne prétendent plus le faire par le partage du pouvoir législatif, mais par des
techniques d’action réciproques, que la classification du XVIIIe siècle ne prenait
pas en compte. Il faut donc envisager les classifications modernes.
90. Les formes modernes de séparation des pouvoirs. – On utilise aussi
aujourd’hui l’expression « séparation des pouvoirs » dans d’autres sens multi-
ples et à vrai dire pas toujours très rigoureux.
Il s’agit d’abord d’un sens très large, proche du principe négatif, par lequel
on désigne une répartition des compétences jugée protectrice de certaines liber-
tés. Ainsi, on appelle quelquefois séparation verticale des pouvoirs une organi-
sation fédérale ou fortement décentralisée de l’État. Cette séparation est dite
« verticale » parce que les compétences sont réparties entre un État central ou
fédéral et les collectivités qui en sont les composantes. L’expression est cepen-
dant trompeuse si elle conduit à désigner la séparation traditionnelle des pou-
voirs législatif et exécutif comme une séparation « horizontale », c’est-à-dire
entre pouvoirs égaux. Mais, employée seule, elle indique bien que les pouvoirs
peuvent être législatifs, exécutifs, juridictionnels, voire constituants, aussi bien
au niveau des collectivités composantes qu’au niveau fédéral, et néanmoins dis-
tincts et hiérarchisés. La garantie des libertés n’est pas attendue ici d’un équili-
bre entre organes, mais simplement de ce que les décisions seront en principe
adoptées de la manière la plus efficace possible et par l’autorité la plus proche
de ceux qui leur seront soumis.
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Droit constitutionnel
Mais si l’on reste attaché à la distinction traditionnelle des fonctions légis-
lative, exécutive et juridictionnelle on peut parler de séparation des pouvoirs, au
sens large toujours, pour désigner non la combinaison de la spécialisation et de
l’indépendance, mais la seule spécialisation ou la seule indépendance. Il s’agit
d’un usage à des fins pratiques ou à des fins théoriques lorsqu’il s’agit de justi-
fier ou critiquer certaines pratiques. C’est ainsi que « séparation des pouvoirs »
peut signifier soit la seule spécialisation – séparation fonctionnelle – soit la
seule indépendance – séparation organique. Certains disent par exemple que la
subordination du parquet au pouvoir exécutif est conforme à la séparation fonc-
tionnelle des pouvoirs, parce que les activités du parquet relèvent de la fonction
exécutive, d’autres qu’elle est contraire à ce principe parce qu’elles relèvent
plutôt de la fonction juridictionnelle. Certains invoquent le principe de sépara-
tion organique pour soutenir que les autorités exécutives doivent être mises au
moins temporairement à l’abri des poursuites judiciaires sous peine de perdre
leur indépendance. On peut d’ailleurs utiliser le principe de séparation fonction-